^rtaviôr»1 / A V A CORRESPONDANCE INEDITE DE BUFFON PARIS. — IMPRIMERIE DE CH. LAHURE ET O Rues de Fleurus, 9, et de l'Ouest, 21 CORRESPONDANCE INEDITE DE BUFFON A LAQUELLE ONT ETE REUNIES LES LETTRES PUBLIÉES JUSQU'A CE JOUR RECUEILLIE ET ANNOTÉE M. HENRI NADAULT DE BUFFON son arrière-petit-neveu TOME PREMIER PARIS LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET G" RUE PIERRE- SARRAZ1N, N" 14 1860 Un*verw4a son nom est partout répété; les souverains étrangers lui envoient des présents et viennent tour à tour lui apporter des témoignages non équivoques de leur pro- fonde admiration. Bientôt sa santé s'affaiblit, sans que ses immenses travaux se ralentissent. De longues pages restent en- core à écrire dans l'histoire de la nature. Il appelle alors à son aide les collaborateurs qu'il a formés, et nous reconnaissons la part que chacun d'eux est venu prendre à son grand ouvrage. Pendant qu'il poursuit l'achèvement du livre de Y Histoire naturelle, il accomplit une autre œuvre non moins importante. Nous voyons, sous sa direction puissante, se former et se développer le Jardin du Roi. Les collections du Jardin se classent, ses limites s'éten- dent, son enseignement se perfectionne , et autour de Buffon se groupent d'éminents professeurs, tous choisis par lui. Ici, on recueille, à chaque page, des traits d'un no- INTRODUCTION. VII ble désintéressement. Il abandonne généreusement au Cabinet d'Histoire naturelle les riches et nom- breux présents qui lui sont personnellement adressés. Pour hâter l'achèvement des grands travaux qu'il a projetés, il engage sa fortune et compromet sa santé. La vieillesse affaiblit son corps sans rien enlever à la fraîcheur ni à la vivacité de son esprit, et il met le comble à sa réputation en publiant, dans un âge avancé, le plus parfait de ses ouvrages, les Epoques de la na- ture. Cependant le mal intérieur qui mine sa santé s'aggrave ; les crises deviennent plus fréquentes, sans que la douleur puisse abattre son courage. Nous assistons enfin à sa dernière heure. Elle est digne de sa vie. Buffon s'endort dans le sein de la religion, et remet avec confiance son âme entre les mains de Dieu, devant qui s'est toujours incliné son génie. Voilà les points saillants de sa vie , telle qu'elle se trouve écrite par lui-même dans sa correspon- dance. C'est le tableau simple et vrai d'une noble carrière laborieusement remplie. On y reconnaît une grande unité. L'homme privé ne vient jamais démentir l'homme public, et on ne surprend point, aux heures de con- fiance et d'abandon, le premier qui étudie le rôle que doit jouer le second. Cette belle vie, dont on peut suivre les divers inci- dents, se présente sous plusieurs aspects, et Buffon y paraît toujours à son avantage. Dans ses lettres à l'abbé Le Blanc, dans celles qu'il VIII INTRODUCTION. adresse soit au président de Brosses, soit au président de Ruffey, trois amis d'enfance, il est dévoué, aimant, généreux; il souffre de leurs souffrances et gémit des épreuves que leur envoie une fortune contraire ; mais il est toujours le premier à se réjouir de leurs succès. ♦ Avec le temps, on voit grandir et se fortifier cette vail- lante amitié; les calculs de l'intérêt, les froissements de l'amour-propre, les enivrements de la gloire, les manœuvres cachées de l'envie, les années, l'éloigné- ment, rien ne peut ébranler ce robuste attachement qui était né au début d'une carrière commencée en commun, et que la mort seule a rompu. La correspondance de Buffon avec son fils, dont l'en- fance et la première jeunesse furent entourées de toutes les caresses de la fortune et qui devait payer si cher un instant de prospérité, nous montre un père tendre et indulgent, jamais un mentor grondeur et chagrin. Ce noble cœur, que n'ont refroidi ni les ab- sorbantes méditations de l'étude, ni les préoccupations d'une popularité qui embrassait le monde entier, res- sent pour son unique enfant une tendresse profonde dont on rencontrera de touchants et nombreux témoi- gnages. Il s'inquiète des dangers que court ce fils chéri, au retour d'un lointain voyage, et il s'en inquiète au point d'en perdre le sommeil et le repos. Un autre jour, c'est une maladie du jeune officier, dont il ne con- naît pas la nature, et qui lui enlève toute liberté d'es- prit; il est forcé d'interrompre ses travaux. Dans sa correspondance avec Gueneau de Montbeil- lard, dans ses lettres à l'abbé Bexon , ces deux élèves INTRODUCTION. IX qu'il a pris soin de former et qui se sont tour à tour inspirés de son génie, dans ses lettres à Faujas de Saint-Fond qu'il a donné à la science, on retrouve cet esprit juste et droit, cette raison forte, cette logique ab- solue qu'on admire dans YHistoire naturelle. Rien n'est plus curieux à étudier, dans ces lettres familières, que les procédés du grand écrivain. Gomme il parle à des amis, il ne craint pas de révéler toute sa pensée. Il cor- rige, il discute, il critique, et quand ses collaborateurs ont eu quelques heureuses inspirations, il s'empresse de le reconnaître, sans oublier de se louer parfois lui- même. Il savait tout ce que lui avaient coûté ses plus belles pages : peut-on s'étonner qu'il eût le sentiment très-vif de leur perfection? Mais ce qui charme surtout, dans ces épanchements du savant et de l'homme de lettres, c'est la suite et l'enchaînement des idées, la persistance des principes, la révélation de la méthode qui ne cessera pas un instant de présider à la compo- sition de YHistoire naturelle. Nous ne craignons pas d'affirmer qu'on ne la comprend bien qu'après avoir lu les lettres de Buffon à ses collaborateurs. Toute joie humaine a ses retours , et dans certains passages de cette correspondance, à la suite de paroles qui trahissent l'auteur satisfait d'une œuvre longtemps méditée et heureusement accomplie, on rencontrera quelquefois l'expression d'un sentiment d'incertitude et de fatigue. Buffon se plaint; son esprit se lasse, mais ne se décourage jamais. Les lettres qu'il adresse à Mme Daubenton et à Mme Necker, sont des modèles d'esprit, de grâce et X INTRODUCTION. d'exquise délicatesse. On reconnaît, dans ces pages charmantes, la plume qui décrivait le beau cygne , et ce qui vaut mieux encore, on y sent une certaine ten- dresse de cœur dont la pesante main de la vieillesse et des souffrances inouïes n'ont jamais pu tarir la source. Les lettres écrites à Thouin, nous révèlent enfin une aptitude, jusqu'alors peu connue, du grand natura- liste : le génie de l'administration. De son cabinet de Montbard, Buffon dirige le Jardin du Roi et en sur- veille les intérêts avec l'habileté d'un homme d'affaires consommé. Bâtiments, terrassements, plantations, échanges ou acquisitions de terrains, négociations, transactions, instances judiciaires, démarches de tout genre auprès des ministres ou de leurs commis, il em- brasse, dans ses moindres détails, cette machine com- pliquée et en fait jouer les ressorts. On le voit conduire , sans jamais commettre une faute, le gou- vernement absolu qui lui est confié, et poursuivre, malgré des difficultés sans cesse renaissantes, l'achève- ment du monument qui ne le recommande pas moins que V Histoire naturelle à la reconnaissance de la pos- térité. Chose merveilleuse! A force de persévérance, de finesse et d'esprit de conduite , il est parvenu à enchaîner ces malheureux moines, qui lui ont fait tant de chicanes. Jl a obtenu de messieurs de Saint-Victor, ses méticuleux voisins, un échange de terrain, grave dérogation aux lois qui régissaient alors les biens de mainmorte, mais sans laquelle le Jardin des Plantes était condamné à étouffer dans son étroite enceinte. INTRODUCTION. XI Tous les obstacles s'aplanissent successivement devant cette volonté puissante. Si l'argent manque dans les coffres de PÉtat, Buffon contracte des emprunts oné- reux et fait hardiment toutes les avances nécessaires ; si le mauvais vouloir ou les calculs intéressés de ses voisins contrarient ses plans par de sourdes menées ou par d'injustes procès, il oppose son crédit et son infatigable constance aux ruses de la chicane. Il meurt sans avoir pu achever complètement son œuvre; mais ses plans seront exécutés, et son but est atteint. L'esprit d'ordre et un rare bon sens, une réelle indé- pendance qui prend sa source dans une grande dignité de caractère, telles sont les qualités dominantes de l'homme extraordinaire dont il nous a été donné de révéler les plus secrètes pensées. C'est dans le commerce intime de ce prodigieux gé- nie qu'on peut apprendre à quel prix s'achètent les succès durables. Riche imagination, mémoire fidèle, esprit vif et pénétrant, voilà des dons précieux que la nature distribue à ses élus d'une main avare, et qui ce- pendant sont frappés de stérilité, si le travail ne vient pas les féconder. Buffon, qui n'était pas dans les dés- hérités, fut avant tout le plus laborieux des écrivains. Il savait que, pour atteindre à sa perfection, une œuvre veut être longtemps méditée et travaillée plus long- temps encore. Aujourd'hui, on ne cherche qu'à se hâter en toutes choses; il faut qu'un livre, à peine conçu, soit achevé. Et cependant écrire vite et bien, produire sans efforts et créer pour l'avenir une œuvre impéris- sable, sont des idées qui s'excluent. Ce paradoxe peut XII INTRODUCTION. flatter l'amour-propre, mais il répugne à la raison. Buffon, qui travaillait pour la postérité, vingt fois sur le métier remettait son ouvrage y il n'ignorait pas que la pensée n'est autre chose que la pierre brute que peut seul faire valoir l'art patient du lapidaire. Tout grand édifice demande un grand travail; Buf- fon consacra à celui qu'il voulut élever toute une vie prolongée au delà des limites ordinaires, et prouva ainsi que, parmi les qualités qui font l'homme de génie, figurent au premier rang la patience et la force. Le travail , c'est parfois le succès; c'est plus en- core, Buffon nous le dira souvent, c'est toujours le bonheur. Sa correspondance n'a pas le mérite littéraire des écrits si parfaits dus à la plume la plus patiente du dix- huitième siècle ; mais on y rencontre à chaque pas la trace des brillantes qualités qu'il avait reçues de la nature et dont il sut doubler la puissance par sa persé- vérance énergique. Ce langage familier sans bassesse, spirituel sans afféterie, l'expression naturelle et vraie des meilleurs sentiments, plaisent infiniment. De temps à autre, le grand écrivain se trahit, pour ainsi dire malgré lui, et des éclairs de génie illuminent tout à coup l'hum- ble lettre. Ce sont des jugements jetés en passant, et qui étonnent par leur vérité et leur profondeur; ce sont de ces mots significatifs qu'il est difficile d'oublier et qui atteignent quelquefois, sans en avoir la prétention, à la plus haute éloquence. Lorsque les correspondants de Buffon sont des femmes, il semble aussitôt que le grave historien de la nature se transforme ; il redevient INTRODUCTION. XIII jeune, tendre, délicat, sans cesser jamais d'être respec- tueux. C'est la politesse du gentilhomme unie à la grâce la plus exquise de l'esprit. Placé par son génie à la tête de la société de son temps, mais aussi indépendant que possible de la puissance d'opinion qui courbait alors toutes les intelligences, nous voulons parler de la co- terie philosophique, il s'exprime sur les hommes et sur les choses avec une franchise et souvent avec une nouveauté d'aperçus que le public de nos jours appréciera ; car il est fatigué de ne voir le dix-hui- tième siècle qu'à travers les préjugés de Voltaire. Mais, alors même que la correspondance de Buffon n'aurait d'autre mérite que celui d'un miroir fidèle, elle serait encore d'un grand prix, puisqu'elle reflète de la ma- nière la plus exacte cette belle figure dont le temps a re- haussé la noblesse. Cette correspondance est suivie de notes et d'éclair- cissements destinés à dissiper les obscurités du texte, à compléter les documents qu'il renferme , et enfin à préciser les événements historiques auxquels il fait allusion. La tâche d'un annotateur est toujours ingrate. On peut tour à tour lui faire le reproche de trop dire ou de ne pas dire assez, de dépasser le but ou de ne le point atteindre. Entre ces deux extrêmes, prendre un terme moyen est difficile. Sur tout ce qui a trait à Buffon , sur tout ce qui éclaire d'une lumière plus vive les principaux événements de sa vie, nous n'avons pas craint de nous étendre. Notre livre étant surtout destiné à le mieux faire connaître, nous n'a- vons pas hésité à y faire entrer un certain nombre de XIV INTRODUCTION. documents inédits, qui viennent compléter par d'inté- ressants détails l'histoire de sa vie. Nous avons été sobre de particularités sur les hommes dont les noms sont cités dans le cours de l'ouvrage. Quelques-uns cependant nous ont paru exiger plus de développe- ments; ce sont ceux qui ont joué un rôle actif dans la vie de Buffon, et occupé une place importante dans son affection ou dans son intimité. Ces notes sont réunies à la fin de chaque volume et forment un recueil d'éclaircissements auxquels le lecteur n'aura recours que chaque fois que l'obscurité du texte aura laissé quelque indécision dans son es- prit, ou lorsqu'il voudra rapprocher des lettres de Buf- fon les documents qui s'y rapportent et qui servent à les mieux faire comprendre. Pour accomplir la tâche que nous avons entreprise, il a fallu beaucoup de patience et de temps; il a fallu aussi l'assistance d'un grand nombre d'amis complai- sants. Le nom de Buffon nous a porté bonheur, et, dans les recherches que nous n'avons cessé de faire, nous avons rencontré une sympathie dont nous avons été profondément touché. C'est aussi un devoir pour nous de parler d'une autre collaboration. M. A. Lesieur, ancien chef de division au ministère de l'instruction publique, inspecteur général honoraire de l'enseignement supérieur, a bien voulu joindre ses soins aux nôtres, et n'a pas reculé devant le travail fatigant et ingrat auquel oblige la surveillance jour- nalière d'un livre qui s'imprime loin de l'auteur. INTRODUCTION. XV Il acceptera, nous l'espérons, ce témoignage public de notre reconnaissance, et ne se refusera pas au plaisir que nous avons à écrire son nom en tête d'un livre pour la perfection duquel il n'a ménagé ni les conseils, ni la fatigue, ni le temps. Notre tâche n'est pas encore achevée. Un recueil de morceaux inédits n'est en effet jamais complet tant qu'il peut s'augmenter encore. Si quel- ques lettres de Buffon dignes d'être conservées ont échappé à nos recherches , si quelques collections nous sont demeurées inconnues, nous ne désespérons pas de joindre un jour les documents qu'elles ren- ferment à ceux que nous avons déjà recueillis. Faire naître dans la pensée de ceux qui liront ce livre le désir de le compléter, est une ambition qui nous est peut-être permise; nos soins nous semble- raient trop payés, si quelque admirateur du grand na- turaliste, découvrant de nouvelles lettres inédites, nous donnait la satisfaction d'en enrichir notre re- cueil. QlQR^LP LETTRES CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME', Année 1729. Au président de Ruffey 1 — 195 1730. II. Au même; Angers, le 25 juin 3 — 195 III. Au même ; Nantes, le 5 novembre 4 — 197 1731. IV. Au même ; Bordeaux, le 22 janvier 6 — 198 V. Au même ; Montpellier, le 2 avril 8 — 198 1732. VI. Au même ; Rome, le 20 janvier. 11 — 199 VII. Au même; Paris, le 9 août 13 — 202 VIII. Au même ; Buffon près Montbard, le 27 septembre. . 14 — 204 IX. Au même ; Buffon près Montbard , le 25 octobre 16 — 206 1733. X. Au même ; Dijon, le 29 janvier 17 — 209 1734. XI. A M. Daubenton , avocat au Parlement ; Paris , le 28 janvier 19 — 211 1735. XII. A l'abbé Le Blanc; Montbard, le 13 juin 19 — 212 1. Le premier chiffre indique la page où se trouve la lettre, et le deuxième chiffre renvoie aux notes qui se réfèrent à cette lettre. i b XVIII LETTRES CONTENUES Année 1736. XIII. Au môme; Montbard , le 26 septembre 21 — 216 XIV. Au président Bouhier; Paris, le 23 décembre. . 23 — 220 1738. XV. A l'abbé Le Blanc; Paris, le 22 février 24 — 221 XVI. Au même ; Paris, le 4 mars 27 — 224 XVII. Au même 29 1739. XVIII. Au président Bouhier ; Paris le 8 février 29 — 227 XIX. A M. Hellot, de l'Académie des sciences ; Mont- bard, le 23 juillet 31 — 230 1740. XX. Au président deRuffey ; Montbard. le 5 décemb. 33 — 232 1741. XXI. A M. Lantin, doyen du parlement de Bour- gogne; Montbard, le 26 septembre 34 — 234 1742. XXII. A M. Arthur, médecin du roi à Cayenne; Jardin du Roi, le 4 janvier 36 — 235 1743. XXIII. Au président de Ruffey; Paris, le 25 janvier. . 36 — 236 1747. XXIV. A M. Arthur, médecin du roi à Cayenne; Pa- ris, le 10 février 38 — 237 XXV. A l'abbé Le Blanc; Montbard, le 16 octobre. . 39 — 238 1749. XXVI. Au même ; Montbard, le 10 août 40 — 240 1750. XXVII. Au président de Ruffey; le 14 février 41 — 244 XXVIII. Au président de Brosses ; le 16 février 43 — 247 XXIX. A l'abbé Le Blanc ; Montbard, le 21 mars. .... 44 — 251 XXX. Au même; Montbard, le 23 juin 46 — 256 XXXI. Au même ; Montbard, le 22 octobre 48 — 260 XXXII. A Samuel Formey ; Paris, le 6 décembre 49—262 1751. XXXIII. A M. Arthur, médecin du roi à Cayenne; Jar- din du Roi, le 17 février 50 XXXIV. A MM. les députés et syndic de la Faculté de théologie; le 12 mars 51 — 263 XXXV. XXXVI. XXXVII. XXXVIII XXXIX. XL. XLI. XLII. XLI1I. XLIV. XLV. XLVI. XLVII. XLVI1I. XLIX. L. LI. LU. LUI. LIV. LV. LVI. LVII. VIII. LIX. LX. LXI. LXII. DANS LE PREMIER VOLUME. Suite de l'année 1751. A l'abbé Le Blanc; Jardin du Roi, le 24 avril. 51 — 267 A M. Feuillet, maire et subdélégué à la Fère en Picardie; Montbard, le 26 septembre... 54 1752. Au président de Ruffey ; le 22 juillet 56 — 274 , Au même ; août 57 — 276 A Gueneau de Montbeillard ; Jardin du Roi, le 18 septembre 59 — 277 Au président de Ruffey; le 12 décembre 59 — 280 1753. Au président de Ruffey; Montbard, 25 mars 60 — 280 Au même ; Montbard, le 4 juillet 61 — 281 A la Société littéraire, fondée à Dijon, par le président de Ruffey; Montbard, le 8 juillet. 62 — 287 A MM. de l'Académie de Dijon ; Montbard , le 16 juillet 62 Au président de Ruffey; 7 août 63 — 287 A l'abbé Le Blanc; Montbard, le 23 novembre. 63 Au président de Ruffey; le 24 décembre 64 — 294 1754, Au même ; Montbard, le 26 août. 65 — 296 1755. Au même ; le 6 janvier 66 — 296 Au même ; Paris, le 23 mai 67 — 297 A l'abbé Le Blanc ; le 26 novembre 68 — 297 Au président de Brosses; le 26 novembre 69 — 297 Au président de Ruffey; le 29 novembre 70 Au même ; Montbard, le 21 décembre 70 — 299 1757. Au même; Montbard, le 20 août 71 — 301 1758. Au même ; le 6 janvier 72 — 301 Au même; Montbard, le 3 juillet 73 — 302 Au même; Montbard, le 25 décembre 74 — 302 1759. A l'abbé Le Blanc; le 6 novembre 74 — 302 Au président de Ruffey; Montbard, le 21 no- vembre 75 — 303 1760. Au même ; Montbard, le 4 août 76 — 305 A M. Lebrun; Jardin du Roi, le 1er décembre. . 77 — 306 XX LETTRES CONTENUES Année 1761. LXIH. Au président do RulTey ; Paris, le 22 janvier. 77 — 310 LXIV. Au président de Brosses; Paris, le^ll février 78 — 312 LXV. A l'abbé Le Blanc; Montbard, le 23 mars. . . 80 — 315 1762. LXVI. A M. de Puymaurin ; Jardin du Roi, le 16 jan- vier 81 — 315 LXVIT. Au président de Ruffey; Paris, le 11 février. 82 LXVIII. A Guyton de Morveau ; mars 83—316 LXIX. Au président de Ruffey; Paris, le 13 mars... 83 — 317 LXX. A Gueneau de Montbeillard ; 20 mars 84 — 319 1763. LXXI. Au président de Ruffey; Paris, le 14 jan- vier 86 — 320 LXXII. A M. Lebrun ; Jardin du Roi, le 17 janvier. . 87 — 321 LXXIII. A M. Watelet; Montbard, le 14 novembre.. 88 — 322 Vtëk. LXXIV. Au président de Ruffey; Jardin du Roi, le 15 janvier 89 — 322 LXXV. Au même; Paris, le 26 juin 90 — 322 1765. LXXVI. Au même ; Paris, le 24 février 91 — 324 LXXVII. Au même; Montbard, le 20 août 92—325 LXXVIII. A l'abbé Le Blanc; Montbard, le 22 septemb. 93 — 325 LXXIX. Au président de Brosses ; Montbard, le 23 sep- tembre 94—328 1766. LXXX. Au même; le 11 janvier 95 — 328 LXXXI. Au président de Ruffey ; Jardin du Roi , le 20 janvier 97 — 329 LXXXIÏ. Au même; Jardin du Roi, le 5 février 98 — 332 LXXX1IL Au même ; avril 1 00 — 333 LXXXIV. Au même; Montbard, le 7 avril 101—333 LXXXV. A Mme Gueneau de Montbeillard ; le 2 mai. 102 — 333 LXXXVI. Au président de Brosses; Montbard, le 27 juin. 103 — 344 LXXXYII. Au même; Montbard, le 1er septembre 104 — 345 1767. LXXXVIII.Aumême; Montbard, le 17 janvier 105 — 3^7 LXXX1X. Au président de Ruffey ; Paris, le 13 février. 107 — 349 XC. A Gueneau de Montbeillard ; 6 mai 108 — 351 XCI. Au même; Montbard, le 27 mai 109 XCIL Au président de Ruffey; Montbard, le 17 août. 109 — 351 DANS LE PREMIER VOLUME. Suite de l'année 1767. XCII1. A Gueneau de Montbeillard ; le 8 octobre 110- XC1V. Au même; Montbard, le 11 octobre 111- XCV. Au même; Montbard, le 15 décembre 111 • 1768. XCVI. Au même; 20 janvier 112 • XGVII. Au même ; Montbard 113 XCVIII. Au président de Brosses; janvier 114- XCIX. Au même ; Paris, le 7 mars 115 - C. Au même; Montbard, le 20 avril 116 Cl. A Gueneau de Montbeillard; 1er août 118' CIL Au même 118' CIII. Au même; août 119 • GIV. Au même; Montbard, le 16 septembre 120 1769. CV. Au président de Ruffey ; Montbard, le 10 jan- vier 120 CVI. Au même; Paris, le 5 avril 121 CVII. A Gueneau de Montbeillard ; le 11 mai 122 CVI1I. Au même; Montbard, le 17 mai 123 C1X. Au président de Ruffey; Montbard, le 20 juillet. 124 CX. Au président de Brosses; Montbard, le 20 sep- tembre 125 1770. CXI. Au président de Ruffey; Paris, le 10 janvier.. 125 CXU. Au président de Brosses; Montbard, le 12 mai. 127 CXIII. Au même; Montbard, le 28 mai 128 CXIV. A Gueneau de Montbeillard; Montbard, le 17 août 130 CXV. Au président de Brosses; Paris, le 21 décembre. 131 1771. CXVI. A Gueneau de Montbeillard; Paris, le 2 avril. 133 CXVII. Au président de Ruffey; Paris, le 29 avril... . 135 CXVIII. A Gueneau de Montbeillard; Paris, le 1er mai. 137 CX1X. A Mlle Boucheron; Montbard, le 30 mai 138 CXX. A M. Macquer; Montbard, le 4 juin 139 CXXI. A Gueneau de Montbeillard; le 5 décembre. . 140 CXXII. A Mlle Boucheron; Montbard, le 9 décembre. 141 1772. CXXIII. Au président de Ruffey; Montbard, le 11 jan- vier 142 CXXIY. A Mme Daubenlon ; mai 143 XXI 352 352 353 353 359 361 364 364 • 366 367 — 367 — 369 — 374 — 375 — 377 — 377 — 378 — 381 — 382 — 386 — 388 — 396 — 397 — 398 — 399 — 401 — 413 416 417 XXII LETTRES CONTENUES Suite de l'année 1772. CXXV. AGuytondeMorveau;Montbard,le26juin. 144 — 417 CXXVI. A M. Taverne; Montbard, le 13 octobre.... 146 — 420 CXXVII. A Mme Daubenton ; Jardin du Roi , le 30 novembre 147 — 421 CXXVIII. A Mme Gueneau de Montbeillard ; Paris, le 16 décembre 148 — 421 CXXIX. A Mme Daubenton; décembre 149 — 425 1773. CXXX. A M. Macquer ; Montbard, le 25 janvier. . . 150 — 425 CXXXI. A Mme Daubenton ; le 21 mai 150 — 426 CXXXII. A la môme ; le 6 juin 151—428 CXXXÏ1I. A la même; juin 152 — 430 CXXXIV. A Gueneau de Montbeillard ; Jardin du Roi, le 13 juin 153 — 430 CXXXV. A Mme Daubenton; Jardin du Roi, le 15 juin. 156 — 433 CXXXVI. A Gueneau de Montbeillard ; Paris , le 23 juin 157 — 438 CXXXVII. A Mme Daubenton; le 2 juillet 158 — 440 CXXX VIII. A- Gueneau de Montbeillard; le 26 juillet. . 159 — 442 GXXXIX. A Mme Daubenton ; forges de Buffon , le 26 juillet 160 — 444 CXL. A M. le comte d'Angevilîer ; Montbard, le 17 novembre 161 — 444 CXLI. A M. Necker; Montbard, le 17 novembre. . 162 — 447 CXLII. A Mme Daubenton; Paris, le 4 décembre. . 162 — 449 CXLIII. A la même ; le 16 décembre 163 — 449 CXLIV. A la même; le 17 décembre 164 CXLV. A la même; dernier jour de l'an 165 — 451 1774. CXLVI. A la même; le 9 janvier 166 — 462 CXLVII. A la même; Paris, le Ik janvier 167 — 462 CXLVIII. A la même ; le 25 janvier 168 — 463 CXLIX. Au président de Ruffey ; Paris, le 26 janvier. 169 CL. A M. Leclerc d'Accolay ; Jardin du Roi, le 27 janvier I. 170 — 463 CLI. A Mme Necker; Montbard, le 22 mars 171 — 467 CLII. A M. Necker; Montbard, le 3 septembre. . . 172 — 471 CLIII. A M. de Grignon; Montbard, le 20 octobre. 173 — 472 CLIV. A Voltaire Ier; Montbard, le 12 novembre. 174 — 473 CLV. A Mme Daubenton ; Jardin du Roi, le 22 no- vembre 176 — 478 CLVI. A la même; Paris, le 6 décembre 176 — 481 DANS LE PREMIER VOLUME. Année 1775. GLVII. Au président de Ruffey; Jardin du Roi, le 6 janvier 178 CLVIII. A M. de Vaines; Jardin du Roi, le 19 jan- vier 179 CLIX. Au même ; Jardin du Roi , le 23 janvier. 180 CLX. Au président de Ruffey ; Paris, le 1er mai 180 CLXÏ. A M. le comte de Tressan ; Jardin du Roi, le 3 mai 181 CLXII. Au président de Brosses; Paris, le 4 mai... 182 CLXIII. A Mme Daubenton ; le 12 mai 182 CLXIV. Au président de Rufîey; Montbard, le 23 juil- let 183 CLXV. Au président de Brosses ; Montbard, le 26 juil- let 184 CLXVI. Au même ; Montbard, le 18 octobre 185 CLXVII. Au même; Montbard, le 15 novembre 186 CLXV1II. Au même ; novembre 189 CLXIX. A M. Rigoley ; Paris, le 6 décembre 190 XXIII — 482 — 484 — 485 — 485 — 486 — 487 — 491 — 494 — 494 — 495 — 497 — 497 — 497 ^ LETTRES CONTENUES DANS LE SECOND VOLUME. Année 1776. CLXX. A Mme Daubenton ; Montbard, le 10 janvier. 1 CLXXI. A la même; Montbard, le 16 janvier 2 CLXXII. Au président de Ruffey ; Montbard, le 16 jan- vier 3 CLXXIII. A M.*** ou à Mme***; Montbard, le 18 mars. 4 CLXXIV. A Gueneau de Montbeillard ; Montbard , le 18 mars 5 CLXXV. Au président de Ruffey; Montbard, le 27 mars.. 6 CLXXVI. A M. Rigoley; Montbard, le 15 avril 7 CLXXVII. A M. de Marizy, grand j maître des eaux et forêts, à Dijon; Montbard, le 4 mai 7 CLXXVIII. Au président de Ruffey; Montbard, le 20 mai. 8 CLXXIX. Au même; Montbard, le 24 mai 10 CLXXX. A Gueneau de Montbeillard ; Montbard , le 5 juin 10 CLXXXI. A Mme Daubenton; Jardin du Roi, le 20 juin. 12 CLXXXII. A M. Maret, secrétaire de l'Académie, à Di- jon ; Jardin du Roi, le 1er août 13 CLXXX1II. A M. Rigoley; Jardin du Roi, le 25 août. ... 13 CLXXXIV. A Mme Necker ; Montbard, le 25 octobre. . . 14 CLXXXV. A Gueneau de Montbeillard ; octobre 15 CLXXXVI. Au même ; Montbard, le 6 novembre 15 CLXXXVII. AM.FilippoPirri; Montbard, le 8 novembre. 16 CLXXXVM. A M. de Burbure, lieutenant de cavalerie et membre de l'Académie de Châlons-sur- Marne 20 — 245 — 252 — 253 — 253 — 255 — 257 — 257 — 258 — 259 — 259 — 259 — 260 — 261 — 262 — 263 — 265 LETTRES CONTENUES DANS LE SECOND VOL. XXV CLXXXIX. cxc. CXCI. CXCII. CXCIII. CXC1V. CXCV. CXCVI. CXCVII. CXCVIII. CXCIX. ce. CCI. CCII. CCIII. CCIV. CCV. CCVI. CCVII. CCVIII. CCIX. CCX. CCXI. CCXII. CCXIII. CCXIV. ccxv. CCXVI. CCXVII. CCXVIII. CCXIX. Année 1777. A Mme Necker ; le 2 janvier 20 Au président de Brosses; Montbard, le ^jan- vier 22 Au président de Ruffey ; Montbard, le 13janv. 22 Au présidentde Brosses; Montbard, le 3 mars. . 24 Au président de Ruffey; Montbard, le 3 mars. 25 A M. de Faujas de Saint-Fond ; Jardin du Roi, le 28 mars 26 A M. Sonnini, correspondant du Jardin du Roi ; Paris, le 4 avril 27 - A M. de Maurepas; Jardin du Roi, le 16 avril.. 28- A M. Rigoley ; Jardin du Roi, le 9 mai 28 - A Mme Necker; Montbard, le 22 juin 29 A M. de Faujas de Saint-Fond; Montbard, le 13 juillet . 29- A l'abbé Bexon ; Montbard, le 27 juillet 30 • A Mme Necker; Montbard, le 4 août 31 ■ A Gueneau de Montbeillard; Montbard, le 4 août 33 - A Mme Daubenton; le 28 novembre 34 ■ A l'abbé Bexon ; Jardin du Roi, le 5 décembre. 35 1778. Au président de Ruffey; Montbard, le 9 jan- vier. , 35 A Mme Necker ; Montbard, le 2 février 36 A l'abbé Bexon ; Montbard, le 5 février 37 Au même; Montbard, le 11 février 39 A Mme Necker; Montbard, le 19 février. ... 42 A M. Hébert, receveur général des gabelles et traites foraines, et trésorier de l'extraor- dinaire des guerres, à Dijon; Montbard, le 26 février • 43 A M. Lebrun ; Montbard, le 26 février 44 Au même ; Montbard, le 3 mars 45 A l'abbé Bexon; Montbard, le 3 mars 46 Au même; Montbard, le 30 mars 47 Au même; Montbard, le 27 avril 48 A Gueneau de Montbeillard; le 17 mai 50 A l'abbé Bexon ; Montbard, le 21 mai 51 Au même ; Montbard, le 3 août 52 A M. de Faujas de Saint-Fond; Montbard, le 25 août 55 — 265 — 268 — 268 — 269 — 269 — 270 — 271 271 272 273 273 277 278 280 284 284 286 292 295 297 297 300 309 309 311 311 312 315 •318 XXVI LETTRES CONTENU S Suite de l'année 1778. CCXX. A M. de Vaines ; Montbard, le 10 septembre. 56 — 318 CCXXI. A Gueneau de Montbeillard; Montbard, le 11 septembre 57 — 320 CCXXÏI. A Mlle Hélène Bexon ; Montbard , le 1er oc- tobre 58 — 321 CGXXIII. A M. de Grignon, chevalier de l'ordre du Roi , correspondant de l'Académie des sciences ; Montbard, le 8 octobre 58 — 321 1779. CGXXIV. A Gueneau de Montbeillard; Jardin du Roi, le 5 janvier 59 — 322 CGXXV. A Mme Gueneau de Montbeillard; Jardin du Roi, le 5 janvier 60 GCXXVI. A Mme Necker ; Paris, le 15 mars 61 — 323 CCXXVII. A M. Rigoley ; Paris, le 8 avril 62 — 323 CCXXVIII. A M. Macquer; Jardin du Roi, le 12 avril. . 63 — 325 CCXXIX. A Mme Necker; Montbard, le 25 juillet 63 — 326 CCXXX A Gueneau de Montbeillard; Montbard, le 30 juillet 64 — 328 CCXXXI. A Mme Necker ; Montbard , le 3 août 65 — 328 CCXXXII. A Gueneau de Montbeillard; Montbard, le 6 août 65 — 328 CCXXXIII. A l'abbé Bexon ; Montbard, le 8 août 66—329 CCXXXIV. A Gueneau de Montbeillard; Jardin du Roi, le 15 novembre 68 — 331 CCXXXV. A M. André, curé de Saint-Rémy ; Paris, le 17 novembre 69 — 334 GCXXXVI. A l'abbé Bexon ; Montbard, le 24 décembre . . 69 — 335 1780. CCXXXVN. A la comtesse Paolina Secco Suardo de Grismondi; Montbard, le 1er janvier 72 — 337 CCXXXVIII. A Gueneau de Montbeillard ; Montbard, le 7 janvier 74 — 343 CGXXXIX. Au président de Ruffey; Montbard, le 12 jan- vier - 75 — 344 CGXL. A l'abbé Bexon; Montbard. le 20 janvier. . 75 — 344 GGXLI. A Mme la comtesse de Genlis; Montbard, janvier 77 — 345 CGXLII. Au président de Ruffey; Montbard, le 30 janvier 78 — 349 CCXLIII. Au même; Montbard , le 9 février 79 CCXLIV. Au même ; Montbard, le 16 février 79 CGXLV. CGXLVI. CCXLVII. CCXLVUI CGXLIX. CGL. CGLI. CCLII. CCLIII. CGLIV. CGLV. CCLVI. CCLVII. CGLVIII. CCLIX. GGLX. CCLXI. CCLXII. GCLXIII. CGLXIV. CGLXV. CGLXVI. CCLXVII. CCLXVIII. CGLXIX. CGLXX. GGLXXÏ. CGLXXII. CCLXXIII. DANS LE SECOND VOLUME. XXVII Suite de l'année 1780. A Mme Necker; Montbard, le 3 juin 80 — 349 A M. Rigoley; Montbard , le 1« juillet 81—351 A l'abbé Bexon; Montbard, le 9 juillet 81 — 351 A Mme Necker; Montbard, le 30 juillet 83 — 352 A M. Thouin, jardinier en chef du Jardin du Roi ; Montbard, le 15 septembre 84 — 352 Au même; Montbard, le 24 décembre 86 — 356 1781. A Gueneau de Montbeillard ; janvier 88 — 358 A M. Thouin ; Montbard, le 3 janvier 89 — 358 A M. Rigoley; Montbard , le 26 janvier 89 A M. de Faujas de Saint-Fond; Montbard, le 2 février 90 — 358 A M. Thouin ; Montbard, le 9 février 91 — 360 A Gueneau de Montbeillard; Montbard, le 15 février 93 — 362 A M. Thouin; Montbard, le 28 février 94 — 364 A Gueneau de Montbeillard ; Montbard . . . 96 Au même ; Jardin du Roi , le 12 avril. ..... 96 — 365 Au même ; Jardin du Roi , le 11 mai 97 — 365 A M. Hébert, receveur général des fermes du Roi, à Dijon; Jardin du Roi, le 15 mai 98 — 368 A Gueneau de Montbeillard; Montbard, le 6 juin , e. . 99 — 371 Au même; Montbard , le 17 juin 100 A Mme Necker; le 22 juin 100—372 A Gueneau de Montbeillard; Montbard, le 13 juillet 101—372 A M. Thouin; Montbard, le 20 juillet 102—374 A l'abbé Bexon; Montbard, le 12 août 103 — 375 A Gueneau de Montbeillard; Montbard, le 12 août 105 — 377 Au même ; Montbard , le 14 août 105 A M. Juillet, lieutenant général de la grande maîtrise des eaux et forêts, à Dijon ; Mont- bard, le 14 septembre 106 A M. Thouin ; Montbard , le 23 septembre. . . 108 — 377 A M. de Faujas de Saint-Fond ; Montbard , le 3 octobre. . • 109 — 377 A M. Juillet, lieutenant général de la grande maîtrise des eaux et forêts, à Dijon ; Mont- bard, le 22 octobre. 111—380 XXVIII CCLXXIV. CCLXXV. CGLXXVI. CCLXXVII. CCLXXVIII. CCLXXIX. CCLXXX. CCLXXXI. CCLXXXII. CCLXXXI1Ï. CGLXXXIV. CCLXXXV. CCLXXXVI. CGLXXXVII. CCLXXXVIII CGLXXXIX. CGXC. GCXGI. CCXCII. CCXCIII. GGXCIV. CGXGV. CCXGVI. ccxgvii. ccxcviii. CGXGIX. CCG. ceci. CGCII. LETTRES CONTENUES Suite de l'année 1781. A l'impératrice Catherine II; Jardin du Roi, 14 décembre 112 — 380 1782. A Gueneau de Montbeillard ; le 1er janvier. 114 A Mme Necker; le 20 janvier 114— 383 A Mme Daubenton ; Jardin du Roi , le 22 janvier 115 — 385 Au président de Ruffey; Paris, le 14 février. 116 — 390 A M. Trécourt; Jardin du Roi, le 7 mars. 117 — 390 A Mme Necker; Jardin du Roi, le 19 avril. 118 — 391 A l'impératrice Catherine II; Jardin du Roi, le 23 avril 1 19 — 392 A M. le comte de Buffon, officier aux gardes françaises ; Montbard, le 7 mai. 120 — 395 A Mlle Hélène Bexon; Montbard, le 26mai. 122 — 408 A M. le comte de Buffon, officier aux gardes françaises; Montbard, le 27 mai. 122 — 408 Au même; Montbard, le 10 juin 125 — 411 A l'abbé Bexon ; Montbard, le 14 juin. . . 128 — 413 Au même; le 18 juin 128 — 413 , A M. Siguy, architecte à Paris; Mont- bard, le 24 juin 129 — 414 A M. le comte de Buffon, officier aux gar- des françaises; Montbard, le 4 juillet.. 130 — 415 A Mme Necker ; Montbard , le 12 juillet. 133 — 419 A M. le comte de Buffon , officier aux gardes françaises; Montbard, le 12 juillet ... 136 — 438 A M. le comte de Barruel ; juillet 137 — 440 A Mme Necker; Montbard , le 16 juillet. . 138 — 441 A M. Rigoley; Montbard, le 1er août 140 — 449 A M. le comte de Buffon, officier aux gardes françaises; Montbard , le 7 août 140 — 451 Au même ; Montbard, le 18 août 142 — 451 Au même ; Montbard, le 9 septembre .... 149 — 463 Au même ; Paris, le 30 septembre 152 — 466 A l'abbé Bexon ; Montbard, le 4 décembre. 154 — 467 A M. de Faujas de Saint-Fond ; Montbard, le 16 décembre 155 — 467 A l'abbé Bexon; Montbard, lelôdéc... 156 — 471 1783. Au président de Ruffey ; Montbard , le 13 janvier i 157 — 472 DANS LE SECOND VOLUME. XXIX Suite de l'année 1783. CCCIII. Au même ; Montbard, le 21 février 158 CCCIV. A l'abbé Bexon ; Montbard, le 24 février. 158 — 472 CCCV. Au même ; Montbard, le 5 mars 159 CGCVI. A M. le baron de Breteuil, ministre de la maison du Roi ; Jardin du Roi, le 24 avril. 160 — 477 CCCVII. A M. de Faujas de Saint-Fond ; Jardin du Roi, le 29 avril 161 CCCVIII. A M. de Beaubois, architecte, ancien avocat au Parlement; Jardin du Roi, le 7 mai. . 162 — 478 CCCIX. A l'abbé Bexon; Montbard, le 23 juin 162 — 479 CCGX. A M. Thouin ; Montbard, le 2 juillet 165 — 479 CCGXI. A l'abbé Bexon; Montbard, le 14 juillet... 166 — 480 CCCXII. A M. Thouin; Montbard, le 19 juillet 168 — 482 CCCXIII. A M. le marquis de Genouilly ; Montbard, le 30 juillet 169 — 482 CGCXIV. Au président de Ruffey; Montbard, le 3 août 170 CCCXV. A l'abbé Bexon ; Montbard, le 17 août 170 — 483 CCCXVI. A M. le comte de Buffon, officier aux gardes françaises ; le 26 août , 172 — 484 CCCXV1I. AMmeNecker; Montbard, le 28 octobre. 172 — 484 CCGXVIII. A M. Thouin; Montbard, le 8 novembre.. 173 — 488 1784. CCCXIX. A M. de Faujas de Saint-Fond; Jardin du Roi, le 27 février 174 — 494 CCCXX. A M. le comte de Buffon, officier aux gardes françaises; Montbard, le 14 juin 174 — 495 CCCXXI. A M. Thouin ; Montbard, le 27 juin 176 — 497 CCCXXÏI. Au même; Montbard, le 4 août 177 — 497 CGCXXIII. A Mme Necker ; Montbard , le 4 août 179 — 498 CCCXXIY. Au président de Ruffey; Montbard, le 18 août 180 — 499 CCCXXV. A Mme Necker ; Montbard, le 25 août 181 — 499 CCCXXVÏ. A la même; Montbard, le 20 septembre.. . 183 — 500 CGCXXVII. Au docteur Housset; Jardin du Roi, le 6 novembre 185 — 500 CCGXXVIII. A Mme Guencau de Montbeillard; Jardin du Roi, le 7 novembre 186 — 501 1785. CGCXXIX. Au docteur Housset; Jardin du Roi, le 17 janvier 187 — 503 CCCXXX. A Gueneau de Montbeillard ; le 6 février. . 187 — 504 XXX LETTRES CONTENUES Suite de l'année 1785. CCCXXXl. A M. Guérard, notaire à Montbard 188 — 504 CCCXXXII. A Gueneau deMontbeillard ; Jardin du Roi, le 25 février 189 — 506 CGCXXXIII. A Mme Necker; le 10 mars 191 — 511 CCCXXXIV. A Mme Daubenton ; Jardin du Roi, le 16 mars 192 — 512 CCCXXXV. A la même ; Jardin du Roi, le 20 mars. . . 193 — 517 CGCXXXVI. A M. Dupleix de Bacquencourt, conseiller d'État; Jardin du Roi, le 20 mars 194 — 519 CGCXXXVII. A M. Thouin ; le 25 mai 195 CCGXXXVIII. Au même; Montbard, le lOjuin 196 — 520 CGGXXXIX. Au même; Montbard, le 12 juillet 197 CCCXL. A M. de Faujas de Saint-Fond; Mont- bard , le 1er août 198 — 521 GCCXLI. A M. Thouin; Montbard, le 9 août 199 — 522 CCCXLII. A M. de Faujas de Saint-Fond ; Montbard, le 16 août 201 — 534 CCCXLIII. A M. Thouin ; Montbard , le 8 septembre . . 203 — 537 CCCXLIV. Au même ; Montbard, le 3 octobre 204 — 538 CCCXLV. Au même; Montbard, le 17 octobre 205 — 540 CCCXLVI. Au même ; le 26 octobre 206 — 541 CCGXLYIÏ. A M. de Faujas de Saint-Fond; Paris, le 7 décembre 207—543 1786. CCCXLVIII. A M. Rigoley ; Jardin du Roi, le 4 janvier. 208 — bkb CCGXLIX. A M. de Faujas de Saint-Fond ; Jardin du Roi, le 18 janvier 209 CGCL. Au président deRuffey; Jardin du Roi, le 23 janvier 211 — 546 CGLÏ. A Mme Daubenton; Jardin duRoi, le9 mars. 212 — 547 CCCLII. A M. Rigoley ; Jardin du Roi , le 9 mars. 213 — 548 CCCLIII. Au docteur Housset; Jar. du Roi, le 15 mars. 214 — 549 CGGLIV. A M. Rigoley ; Jardin du Roi, le 22 mars. 214 CCCLV. Au même; Jardin du Roi, le 14 avril. . . . 215 GCCLVI. A M. Thouin ; Montbard, le 10 juin 216 — 550 CCCLVII. A M. de Faujas de Saint-Fond ; Montbard, le 5 août 217 — 555 CCCLV1II. Au présidentdeRuffey; Montbard, le 23sep. 219 — 556 CGGLIX. A M. Thouin ; Montbard , le 18 octobre. . 220 — 556 1787. CGGLX. A M. de Faujas de Saint-Fond ; Jardin du Roi, le 17 janvier 221 — 557 CCCLXI. CCCLXII DANS LE SECOND VOLUME. Suite de l'année 1787. A Mme la comtesse de Genlis.; Jardin du XXXI Roi, le 21 mars 221 — 557 A M. Lambert, maître des requêtes, con- seiller honoraire au Parlement; Jardin du Roi , mai 222 — 560 CCCLXIII. A M- le comto de Buffon, capitaine de rem- placement dans le régiment de Chartres (infanterie); Jardin du Roi, le 22 juin.. 223 — 563 CCCLXIV. A M. de Malesherbes, ministre d'État ; Jar- din du Roi, le 12 juillet 224—579 CCCLXV. A M. de Faujas de Saint-Fond ; Montbard, le 9 août 225 — 581 CCCLXVI. A M. Thouin; Montbard, le 27 septembre. 226 — 590 1788. CCCLXVII. A M. le baron de Breteuil, ministre de Pa- ris; le 13 février 227 — 595 CCCLXVIÏI. A Mme Gueneau'de Montbeillard, le 14 fév. 227 CCCLXIX. A Mme Necker ; Jardin du Roi, le 11 avril. 226 — 603 1749 l. CCCLXX. A M. le comte de Saint-Florentin ; Mont- bard, le 13 octobre 230 — 603 1750. CCCLXXI. A M. Cramer, professeur de mathématiques, à Genève; Jardin du Roi, le 4 janvier. . 231 — 603 1768. CCCLXXII. A M. Fontaine des Bertins; le 10 juin. . . 232 — 606 1781. CCCLXXIIl. A M. Thouin ; Montbard, le 13 juillet 233 — 606 CCCLXXIV. Au môme ; Montbard, le 5 août 234 — 606 CCCLXXV. Au même ; Montbard, le 19 août 235 CCCLXXVI. A M. Trécourt; Jardin du Roi, le 21 déc. . 236 — 607 1783. CCCLXXVII. A M. Trécourt; Paris, le 25 avril 237 1785. CCCLXXVIII. A M. Thouin ; Montbard, le 31 août 238 — 608 1787. CCCLXXIX. A M. Thouin; Montbard, le 12 septembre. 240 — 608 CCCLXXX. Au même; Montbard, le 23 septembre. . . 241 1. Les lettres qui suivent, ayant été recueillies pendant l'impression, n'ont pu être placées à leur ordre chronologique. XXXII LETTRES CONTENUES DANS LE IIe VOLUME. Appendices. I. Derniers moments et funérailles de Buffon 611 II. Acte de décès de Buffon 615 III. Procès-verbal d'inhumation 616 IV. Testament de Buffon 618 V. Lettres de Mme Necker au comte de Buffon, à Mme Na- dault et à Mlle Blesseau 621 VI. Notices biographiques sur Buffon, par le chevalier de Buffon son frère, et par Mlle Blesseau, sa femme de charge. . . . 627 CIC^L^ TABLE ALPHABÉTIQUE DES PERSONNES AUXQUELLES SONT ADRESSÉES LES LETTRES DE BUFFON'. Académie de Dijon (MM. de i'— ). I, 62; 16 juillet 1753. André (M.— , curé de Saint-Rémy). II, 69; 17 novembre 1779. Angeviller (M. le comte d' — ). I, 161; 17 novembre 1773. Artur (M. — , médecin du Roi à Cayenne). T, 36; 4 janvier 1742. — 38; 10 février 1747. — 50; 17 fé- vrier 1751. B 137; Barruel (M. le comte de—). II. juillet 1782. Beaubois (M. de—, architecte, an- cien avocat au Parlement). II, 162 ; 7 mai 1783. Bexon (l'abbé—). II, 30; 27 juil- let 1777.— 35; 5 décembre 1777. — 37; 5 février 1778.— 39; 11 fé- vrier 1778. — 46 ; 3 mars 1778. — 47; 30 mars 1778. — 48; 27 avril 1778. —51; 21 mai 1778. — 52; 3 août 1778. —66; 8 août 1779. — 69; 24 décembre 1779. — 75; 20 janvier 1780. — 81; 9 juil- let 1780. — 103; 12 août 1781. — 128; 14 juin 1782. — 128; 18 juin 1782. — 154; 4 décembre 1782.— 156; 16 décembre 1782. — 158; 24 février 1783. — 159; 5 mars 1783.— 162; 23 juin 1783. — 166; 14 juillet 1783. — 170; 17 août 1783. Bexon (Mlle Hélène—). II, 58; 1er octobre 1778. — 122; 26 mai 1782. Boucheron (Mlle — , depuis Mme Daubenton). I, 138; 30 mai 1771.— 141 ; 9 décembre 1771. {Voy. Mme Daubenton). Bouhier (Le président—). I, 23; 23 décembre 1736. — 29; 8 fé- vrier 1739. Breteuil (M. le baron de—, minis- tre de la maison du Roi). II, 160; 24 avril 1783. — 227; 13 fé- vrier 1788. Buffon (M. le comte de—, officier aux gardes françaises). II, 120; 7 mai 1782. — 122; 27 mai 1782. — 125; 10 juin 1782. — 130; 4 juil- let 1782. — 136; 12 juillet 1782. — 140; 7 août 1782. — 142; 1. Le chiffre romain indique le volume; le chiffre arabe qui suit immé- diatement indique la page. XXXIV TABLE ALPHABÉTIQUE. 18 août 1782. — 149; septem- bre 1782. — 153; 30 septem- bre 1782. — 172; 26 août 1783. — 174; 14 juin 1784. - 223; 22 juin 1787. Burburr (M. de—, lieutenant de cavalerie et membre de l'acadé- mie de Chàlons- sur-Marne). II , 20; 1776.| c Catherine II (L'impératrice- 112; 14 décembre 1781.' 23 avril 1782. ). II, 119; Cramer (M. — , professeur de mathé- matiques à Genève ) . II, 231 ; 4 jan- vier 1750. D Daubenton (M. —, avocat au Parle- ment). I, 19; 28 janvier 1734. DAUBENTON(Mme—, d'abord Mlle Bou- cheron).!, 143; mai 1772. — 147; 30 novembre 1772. — 149; décem- bre 1772. — 150; 21 mai 1773. — 151 ; 6juin 1773. - 152; juin 1773. — 156; 15 juin 1773. — 158; 2 juil- let 1773. — 160; 26 juillet 1773. — 162; 4 décembre 1773. — 163; 16 décembre 1773. — 164; 17 dé- cembre 1773. — 165; dernier de l'an 1773. — 166; 9 janvier 1774. — 167; 14 janvier 1774. — 168; 25 janvier 1774. — 176; 22 no- vembre 1774. — 176; 9 décem- bre 1774. — 182; 12 mai 1775. — II, 1; 10 janvier 1776.— 2; 16 jan- vier 1776. — 12; 20 juin 1776. — 34 ; 28 novembre 1777. — 1 15 ; 22 janvier 1782. —192; 16 mars 1785. — 193; 20 mars 1785. — 212; 9 mars 1786. —(Voij. Boucheron.) De! Brosses (Le président — ). I, 43; 16 février 1750. — 69; 26 no- vembre 1775. — 78 ; 11 février 1761.' — 94; 23 septembre 1765. — 95; 11 janvier 1766. — 103; 27 juin 1766. — 104; 1er septembre 1766. — 105; 17 janvier 1767. — 114; janvier 1768. —116; 20 avril 1768. — 125; 29 septembre 1769. — 127; 12 mai 1770. - - 128; 28 mai 1770. — 131; 21 décembre 1770. — 182; 4 mai 1775. — 184: 26 juillet 1775. — 185; 18 octobre 1775. —186; 15 novembre 1775. — 189; novembre 1775. —II, 22; 12 janvier 1777. — 24 ; 3 mars 1777. Dupleix (M. — de Bacquencourt , conseiller d'État). II, 194; 20 mars 1785. F Faujas dé Saint-Fond (M. de — ). II, 26; 28 mars 1777. — 29; 13 juil- let 1777. — 55; 25 août 1778. — 90; 2 février 1781. — 109; 3 octo- bre 1781. — 155; 16 décembre 1782. — 161; 29 avril 1783. -174; 17 février 1784. — 198; 1er août 1785. — 201 ; 16 août 1 785. — 207 ; 7 décembre 1785. — 209; 18 jan- vier 1786. — 217; 5 août 1786.— 221 ; 17 janvier 1787. — 225; 9 août 1787. Feuillet (M. — , maire et subdélégué à la Fère en Picardie). I, 54; 29 septembre 1751. Fontaine (M.—desBertins). II, 232; 16 juin 1768. Formey (Samuel—). I, 49; 6 décem- bre 1750. G Genlis (Mme la comtesse de—). II, 77 ; janvier 1780. — 221; 21 mars 1787. Genoiiilly (M. le marquis de—, écuyer de la Reine). II, 169; 3 juillet 1783. Grignon (M. de — , chevalier de l'or- dre du Roi , correspondant dô l'A- cadémie des sciences). I, 173; 20 octobre 1774. — II, 58; 8 octobre 1778. Grismondi (La comtesse PaolinaSecco Suardo de—). II, 72; 1er janvier 1780. TABLE ALPHABÉTIQUE. XXXV GUENEAU DE MONTBEILLARD. I, 59', 18 septembre 1752. — 84; 20 mars 1762. — 108; 6 mai 1767. — 109; 27 mai 1767.— 110; 8 octobre 1767. — 111 ; 11 octobre 1767. — 111; 15 décembre 1767. — 112; 20 janvier 1768.— 113, 1768.-118; Ie* août 1768.— 118; 1768.-119; août 1768. — 120; 16 septembre 1768.- 122; 11 mai 1769.— 123; 17 mai 1769.— 130; 17 août 1770. -133; 2 avril 1771. - 137; 1er mai 1771.— 140; 5 décembre 1771. _ 153; 13 juin 1773. - 157; 23 juin 1773. — 159; 26 juillet 1773. — II, 5; 18 mars 1776. — 10; 5 juin 1776. — 15 ; octobre 1776. — 15 ; 6 décembre 1776.- 33; 4 août 1777. — 50; 17 mai 1778.— 57 ; 11 sep- tembre 1778.— 59 ; 5 janvier 1779. — 64; 30 juillet 1779. — 65; 6 août 1779. — 68; 15 novembre 1779. _ 74; 7 janvier 1780.— 88; janvier 1781. — 93, 15 février 1781. —96; 1781.-96; 12 avril 1781. _ 97; n mai 1781. — 99; 6 juin 1781.— 100; 17 juin 1781. — 101; 13 juillet 1781. -105; 12 août 1781. — 105; 14 août 1781. 114; 1er janvier 1782. — 157; 6 février 1785. — 189; 25 février 1785. Gueneau de Montbeillard (Madame — ). I, 102; 2 mai 1766. — 148; 16 décembre 1772. -H, 60; 5 jan- vier 1779. — 186; 7 novembre 1784. — 227; 14 février 1788. Guérard (M. —, notaire à Montbard). II, 188; 1785. Guyton de Mobveau. I, 83; mars 1762. — 144; 26 juin 1772. H Hébert (M. — , receveur général des gabelles et traites foraines, et tré- sorier de l'extraordinaire des guer- res, à Dijon). II, 43; 26 février 1778. —98; 15 mai 1781. Hellot (M. —, de l'Académie des sciences). I, 31; 23 juillet 1739. Housse (Le docteur—). II, 185; 6 novembre 1784. — 187; 17 jan- vier 1785. - 214; 10 mars 1786. I Inconnu (M. *¥* ou Mrae ***). II, 4, 18 mars 1776. J Juillet (M. —, lieutenant général de la maîtrise des eaux et forêts, à Dijon). II, 106; 14 septembre 1781. —II; 22 octobre 1781. L Lambert (M. —, maître des requêtes, conseiller honoraire au Parlement). II, 222; mai 1787. Lantin (M. —, doyen du parlement de Bourgogne). I, 34; 26 septem- bre 1741. Le Blanc (L'abbé — ). I, 19; 13 juin 1735. — 21; 26 septembre 1736.— 24 ; 22 février 1738. — 27 ; 4 mars 1738. — 29; 1738. — 39; 16 octo- bre 1747. — 40; 10 août 1749. — 44; 21 mars 1750. — 46; 23 juin 1750. — 48; 22 octobre 1750. — 51; 24 avril 1751. — 63; 23 no- vembre 1753. — 68; 26 novembre 17! 74; 6 décembre 1759. 80; 23 mars 1761. — 93; 22 sep- tembre 1765. Lebrun. I, 1er décembre 1760.— 87 ; 17 janvier 1763. — II, 44; 26 février 1778. — 45; 3 mars 1778. Leclerc (M. — d'Accolay). I, 170; 27 janvier 1774. M Macquer(M.— ). 1,139; 4 juin 1871. XXXVI TABLE ALPHABÉTIQUE. — 150; 25 janvier 1773. — II, 63; 12 avril 1779. Malesherbes (M. de — , ministre d'État). II, 224; 12 juillet 1787. Maret (M. —, secrétaire de l'Acadé- mie, docteur en médecine, à Di- jon). II, 13; 1er août 1776. Marizy (M. de — , grand maître des eaux et forêts). II, 7; 4 mai 1776. Maurepas (M. de — ). II, 28 ; 16 avril 1777. N Necker (M. — ).I, 162; 17 novembre 1773. — 172; 3 septembre 1774. Necker (Mme—). I, 171; 22 mars 1774. — II, 14; 25 octobre 1776. — 20; 2 janvier 1777. - 29; 22 juin 1777. — 31 ; 4 août 1777. — 36; 2 février 1778. — 42; 19 fé- vrier 1778. — 61; 15 mars 1779. — 63 ; 25 juillet 1779. — 65 ; 3 août 1779. — 80; 3 juin 1780. — 83; 30 juillet 1780. — 100; 27 juin 1781. — 114; 20 janvier 1782. — 118; 19 avril 1782. — 133; 12 juil- let 1782. — 138; 16 juillet 1782. — 172; 28 octobre. 1783. — 179; 4 août 1784. — 181; 25 août 1784. — 183 ; 20 septembre 1784.— 191; 10 mars 1785. — 228; 11 avril 1788. Pirri (M. Filippo — ). II, 16, 8 no- vembre 1776. Puymaurin (M. de — ). I, 81 ; 16 jan- vier 1762. E Rigoley (M. — ). I, 190; 6 décembre 1775. - II, 7; 15 avril 1776. — 13 ; 25 août 1776. — 28; 9 mai 1777. — 62; 8 avril 1779. — 81; 1e' juillet 1780. — 89; 26 janvier 1781. — 140; 1er août 1782. — 208; 4janv. 1786. —213; 9 mars 1786. — 214; 22 mars 1786. - 215; 14 avril 1786. Ruffey (Le président de — ). I, 1; 1729. — 3; 25 juin 1730. - 4: 5 novembre 1730. — G ; 22 janvier 1731. — 8; 2 avril 1731. — 11; 20 janvier 1732. — 13 ; 9 août 1732. — 14 ; 27 sept. 1732. - 16; 25 oct. 1732. — 17 ; 20 janvier 1733. — 33; 5 déc. 1740. - 36; 25 janv. 1743. — 41 ; 14 février 1750. - 56; 22 juillet 1752. — 57; août 1752. — 59; 12 décembre 1752.— 60; 25 mars 1753. — 61; 4 juil- let 1753. — 63; 7 août 1753. — 64; 24 déc. 1753. — 65; 26 août 1754. — 66; 8 janvier 1755. — 67; 23 mai 1755. - 70; 29 nov. 1755. —70; 31 décembre 1756.— 71 ; 20 août 1757. — 72 ; 6 janvier 1758. — 73; 3 juillet 1758. — 74; 25 décembre 1758. — 75; 21 nov. 1759. — 76; 4 août 1760. — 77; 22 janvier 1761. — 82; 11 février 1762. — 83; 13 mars 1762. — 86; 14 janvier 1763. — 89; 15 janvier 1764. — 90; 26 juin 1764. — 91 ; 24 février 1765. —92; 20 août 1765. — 97; 20 janvier 1766. — 98; 3 février 1766. — 100; avril 1766. — 101 ; 7 avril 1766. — 107; 13 février 1767. — 109; 17 août 1767. — 120; 10 janvier 17 69. — 121; 5 avril 1769. — 124; 29 juil- let 1769. — 125; 10 janvier 1770. — 135; 29 avril 1771. — 142; 11 janvier 1772. — 169; 26 jan- vier 1774. — 178; 6 janvier 1775. —180 ;ler mai 1775.— 183; 23 juil- let 1775. —II, 3; 16 janvier 1776. — 6; 27 mars 1776. — 8; 20 mai 1776. — 10; 24 mai 1776. -22; 13 janvier 1777. —25; 3 mars 1777.— 35; 9 janvier 1778. — 74; 12 janvier 1780. — 78 ; 30 janvier 1780. — 79; 9 février 1780. — 79; 16 février 1780. — 116; 14 fé- vrier 1782. — 157; 13 janvier 1783. — 158; 21 fév. 1783. — 170; 3 août 1783. — 180; 18 août 1784. — 211; 23 janv. 1786. —219; 23 sept. 1786. TABLE ALPHABÉTIQUE. XXXVII S Saint-Florentin (M. le comte de—). II, 230; 13 octobre 1749. Siguy (M. — , architecte à Paris). II, 129; 24 juin 1782. Société littéraire (MM. de la — fon- dée à Dijon par le président de Ruffey). I, 62; 8 juillet 1753. Sonnini (M. — , correspondant du ca- binet du Roi). II, 27; 4 avril 1777. Taverne (M.—). I, 1772. 146; 13 octobre Théologie (MM. les députés et syn- dic de la Faculté de—). I, 51; 12 mars 1751. Thouin (M. — , jardinier en chef du Jardin du Roi). II, 84; 15 septem- bre 1780. — 86 ; 24 décembre 1780. — 89; 3 janvier 1781. —91 ; 9 fé- vrier 1781. — 94; 28 février 1781. — 102; 20 juillet 1781. — 108; 23 septembre 1781. — 165; 2 juillet 1783. — 168; 19 juillet 1783. — 173; 8 novembre 1783. — 176; 27 juin 1784.-177; 4 août 1784. - 195; 25 mai 1785. — 196; 10 juin 1785.— 197; 22 juillet 1785.— 199; 9 août 1785. — 203; 8 septembre 1785.— 204; 3 octobre 1785. — 205; 17 octobre 1785. — 206; 26 octobre 1785. —216; 10 juin 1786. —220; 18 octobre 1786.— 226; 27 septembre 1787. — 233; 13 juillet 1781.— 234;5 août 1781. —235; 19 août 1781. — 238; 31 août 1785. — 240; 12 septembre 1787. — 241; 23 septembre 1787. Trécourt (M. — ). II, 117; 7 mars 1782. —226; 21 décembre 1782. — 237; 26 avril 1783. Tressan (M. le comte de— ). I, 181 ; 3 mai 1775. V Vaines (M. de — ). I, 179; 19 jan- vier 1775. — 180; 23 janvier 1775. — II , 56 ; 10 septembre 1778. Voltaire (Ier à Ferney). I, 174; 12 novembre 1774. w Watelet (M. — ). I, bre 1763. 14 novem- Ç?tf9> CORRESPONDANCE DE BUFFON y CORRESPONDANCE DE BUFFON. AU PRÉSIDENT DE RUFFEY1. ....1729. J'aurais répondu depuis longtemps, monsieur, à la lettre dont vous m'avez honoré, si plusieurs incidents malheu- reux ne m'en eussent empêché. Il ne s'en est rien fallu que je n'aie fait voyage en l'autre monde, par la méprise d'un garçon apothicaire qui me fit avaler, en guise de quinquina , six cents grains d'ipécacuana , ce qui fait environ vingt-cinq fois la dose ordinaire. Vous pouvez aisément juger à quel excès de faiblesse ce quiproquo m'a réduit; il a été tel que je ne peux depuis deux mois reprendre mes forces ni m'ap- pliquer à quoi que ce soit. Il fallait que ce fût une déesse, même au-dessus de Vénus, puisqu'il semble dans votre ouvrage que vous en fassiez une i l 2 CORRESPONDANCE [1729] divinité différente de cette reine des Grâces ; mais peut-être avez-vous fait comme Phidias : vous aurez, dans vos plaisirs vagabonds, pris une pièce de l'une, une grâce de l'autre, un trait d'une troisième, et du tout ensemble vous aurez formé votre ode; car elle est belle partout, et en cela différente de presque toutes les beautés d'à présent. Ce qui me ferait soupçonner que j'aurais deviné juste, c'est qu'à Paris un homme de votre humeur se pique rarement de constance et peut, dans la diversité des objets, trouver plus de plaisir que dans un attachement unique. Les amusements moins variés de la province vous ennuient et vous causent des regrets , cela est bien naturel ; mais pourtant, à parler vrai, vous n'avez pas grand tort de trou- ver Dijon peu amusant. Je suis ici d'une façon si gracieuse, et je trouve tant de différence entre le savoir-vivre de cette ville et celui de notre bonne patrie, que je puis vous assurer de ne la pas regretter de si tôt. Si vous aviez comme moi sé- journé un. an dans des provinces différentes de la vôtre, et où vous n'auriez pas été noyé dans la multitude comme à Paris, vous diriez à coup sûr qu'il ne faut que sortir de chez soi pour valoir quelque chose , et être estimé et aimé au niveau de son mérite * Pour moi, je ferai mon possible pour me tenir hors de Di- jon aussi longtemps que je pourrai, et si quelque chose m'y ramène jamais avec plaisir, ce sera l'envie seule d'y voir le petit nombre de ceux pour qui je conserve de l'estime. Vous êtes un de ceux, monsieur, pour qui j'en ai et qui en mérite davantage. Quel plaisir aurais-je si j'étais sûr de votre sou- venir pendant mon absence , et si vous receviez avec satisfac- tion les assurances du respect avec lequel je suis, monsieur, votre très-humble et très-obligeant serviteur. Leclerc * La fin de cette phrase manque dans l'original, qui se trouve lacéré en cet endroit. [1730] DE BUFFON. 3 En cas que vous soyez toujours sur le même pied avec M. Le Belin, j'ose vous supplier de lui faire agréer mes respects. S'il y avait dans ce pays quelque chose pour votre service et celui de vos amis, ne m'épargnez pas. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) II AU MÊME. Angers ', le 25 juin 1730. Voulez-vous bien, monsieur, recevoir mes félicitations sur votre nouvelle dignité? L'amitié dont vous m'avez tou- jours honoré me fait espérer que vous agréerez toute la part que j'y prends. Je suis charmé qu'une occasion de cette sorte se soit présentée pour vous demander de vos nouvelles. Il y a quelque temps que je pensai déjà en saisir une qui ne vous était pas moins glorieuse, quoique peut-être moins utile: c'était un compliment que je voulais vous faire sur la belle ode dont vous avez enrichi le Mercure au sujet de. la naissance de Mgr le Dauphin2; mais, comme j'ignorais si vous étiez à Dijon ou à Paris, je ne pus satisfaire à mon envie. Recevez- les donc aujourd'hui tous deux, et soyez persuadé que je vois vos progrès de toute espèce avec le plaisir le plus sen- sible; heureux si, dans les grandes affaires qui vont vous oc- cuper3, je pouvais vous dérober quelques moments où vous voudriez bien me donner de vos nouvelles et de celles des Muses. Je vous le demande, monsieur, avec instance, et vous prie de me croire avec respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Leclerc. M. Leclerc-, chez Mme Claveau la veuve. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) 4 CORRESPONDANCE [1730] III AU MÊME. Nantes, le 5 novembre 1730. J'aurais eu l'honneur de vous répondre bien plus tôt, mon- sieur, si ma santé me l'eût permis; mais, depuis ma dernière lettre , à peine ai-je eu un moment favorable. Les fièvres de toute espèce m'ont attaqué successivement avec tant de furie et d'opiniâtreté, que je n'en suis pas encore remis. Il me semble qu'à présent je pourrais faire une ode sur leurs fureurs, tant je lésai senties. L'habitude et la grande familia- rité que j'ai eues avec elles me vaudraient un Apollon ,et j'écrirais par 'réplétion de mon sujet et de l'abondance du cœur. Vous qui les avez si bien décrites, ne les avez-vous pas aussi trop senties ? Quelle drogue! Je crois que c'était celle qui précédait l'Espérance dans la boîte de Pandore; car je m'imagine que, des maux qui doivent tourmenter notre espèce, les petits sortirent les premiers. L'égratignure vint avant le coup d'épée ; autrement on ne l'aurait pas sentie, et ce malheureux bahutier n'avait garde de ne nous pas débiter toute sa marchandise. Quoi qu'il en soit, je les lui ai ren- voyées et m'en suis défait à force de quinquina , et quand même leur exil serait ^uj et à retour sans rappel, j'ai lieu d'at- tendre qu'il durera autant que mon voyage. Je le commen- çai avant-hier, et je dois aller à Bordeaux, où je ne compte être que dans quinzaine, à cause des séjours que je ferai ici, à la Rochelle et à Rochefort. J'étais déjà venu l'an passé dans cette ville : elle peut passer pour une des plus peuplées du royaume ; l'on y fait grand'chère, l'on y boit d'excellent vin ; mais tout est excessivement cher. Paris même, en compa- raison , est un lieu de bon marché ; les habitants sont tous marchands , gens grossiers , si méprisés dans notre patrie , mais dont la façon de vivre me paraît la plus raisonnable. [1730] DE BUFFON. 5 Ils ne font point de façons de préférer un ordinaire à une pistole par tète à des habits galonnés ou à un carrosse à six chevaux, et aiment mieux l'abondance dans la bourgeoisie que la disette dans la noblesse. Qu'en pensez-vous? Pour moi, je ne peux leur donner le tort. Il y a ici bonne comédie, concert à dix pistoles par souscription; tout s'y sent de la richesse que produit le commerce , au lieu qu'à Angers, comme à Dijon, tout y est maigre, épargné. L'on y fait plus qu'on ne peut; orgueil et gueuserie y marchent ensemble, filles légitimes du mépris ridicule que l'on y a pour le négoce. Je n'avais pas mauvaise opinion de ma patrie avant que d'en être hors ; mais, depuis que j'en juge par comparai- son et que je suis dans le point de vue d'où l'on doit la con- sidérer, je ne peux m'empêcher de voir les défauts du tableau, et je ne mets pas en problème si c'est la faute de mes yeux ou celle de la peinture, puisque, avant que d'être devenu con- naisseur par l'expérience, ils lui étaient favorables. Appuyé par votre autorité, je conclus donc contre elle, et cela sans réserve. Si elle ne vous possédait pas, je n'y ai ni ne me sou- cie d'y avoir aucun commerce, et vous êtes le seul à qui je me fais gloire de conserver le respect et l'estime; vous en êtes trop digne pour que cela ne vous soit pas dû partout, à plus forte raison dans un pays où la sottise des autres relève le mérite. J'ose vous demander en revanche un peu de part dans votre souvenir, et de vos nouvelles à vos heures de loi- sir; je tâcherai de mériter ces faveurs par le sincère et res- pectueux attachement avec lequel je serai toute ma vie, mon- sieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Leclerc. Adressez à M. Leclerc, chez milord duc de Kingston, à l'adresse de M. Alexandre Gordon, négociant à Bordeaux1. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) 6 CORRESPONDANCE [1731] IV AU MÊME. Bordeaux, le 22 janvier 1731. Je n'aurais pas tant tardé, monsieur, à vous offrir tous les vœux que j'ai formés pour vous au renouvellement de l'an- née, si le mauvais état de ma santé m'eût permis d'avoir les mains aussi libres et aussi empressées que le cœur. Mais il a fallu malgré moi prendre patience, et retarder jusqu'à ce jour pour vous assurer que personne au monde n'a fait plus de souhaits pour tout ce qui pouvait vous être agréable et avantageux, que personne n'est plus jaloux de votre amitié que moi, et que je m'efforcerai toujours de la mériter par le retour le plus tendre et l'estime la plus parfaite. Après ces protestations, qui partent du cœur, vous pouvez juger de l'empressement avec lequel je vous les aurais témoignées, s'il m'eût été permis de le faire; mais j'ai eu le malheur de retomber, à mon arrivée dans cette ville, dans toutes sortes de maux : la fièvre, devenue vrai Protée pour moi, m'attaque sous mille formes différentes, et je ne suis point encore sûr, à beaucoup près, d'avoir arrêté toutes ses métamorphoses. Je m'aperçois seulement de celle qu'elle a faite chez moi , en ne me laissant que la peau et les os, et à peine assez de forces pour les traîner ; la rigueur de la saison ne contribue pas à me les rendre plus portatifs, et je n'augure bien de ma gué- rison qu'au printemps. Votre dernière lettre me fit un plaisir sensible. Je ne doute point du tout de vos bontés et de votre amitié, puisqu'au milieu d'un chaos d'affaires et d'occupations sérieuses, vous vous êtes souvenu de moi et avez bien voulu me donner une partie d'un temps si précieux. Ce que vous me dites de la stérilité des plaisirs à Dijon ne m'étonne point. C'est souvent qu'on est réduit à passer le [1731] DE BUFFON. 7 carnaval sans comédie ni bal. Il y en avait une italienne, fort bonne, dans cette ville. Francisque et sa troupe1 y représen- taient, avec un succès et un applaudissement infinis; mais malheureusement le feu prit, il y eut hier huit jours, au bâ- timent qui servait aux représentations, et le consuma avec huit autres maisons ; il fut mis par un feu d'artifice allumé sous le théâtre pour brûler don Juan dans le Festin de Pierre. Les pauvres comédiens ont perdu toutes leurs hardes; à peine Francisque put-il se sauver en robe de chambre. Pour surcroît de malheur, on voulait les poursuivre et leur faire payer, par la prison ou autrement, le dommage du feu ; mais tant de gens se sont intéressés pour eux, on leur a fait tant de présents par les quêtes, qu'on dit qu'ils seront bientôt en état de représenter encore dans la salle du con- cert, qu'on leur donnera pour rien. C'est là l'action la plus sage que j'aie vu faire en ce pays, où la moitié des gens sont grossiers, et l'autre petits-maîtres, mais petits-maîtres de cent cinquante lieues de Paris, c'est-à-dire bien manques. Vous ririez de les voir, avec des talons rouges et sans épée, marcher dans les rues, où la boue couvre toujours les pavés de deux ou trois pouces, sur la pointe de leurs pieds, et de là, à l'aide d'un décrotteur, passer sur un théâtre où jamais ils ne sont que comtes ou marquis, quand même ils ne posséderaient qu'un champ ou une métairie, et qu'ils ne seraient que che- valiers d'industrie. Comme il y en a un grand nombre qui s'empressent auprès des étrangers , nous n'avons pas man- qué d'en être assaillis; mais heureusement ils n'ont pas assez d'esprit pour faire des dupes. Le jeu est ici la seule occupation, le seul plaisir de tous ces gens; on le joue gros et, en ce temps de carnaval, sous le masque. Le jeu ordinaire est les trois dés; mais ce qu'il y a de plus singulier, c'est que chaque masque apporte ses dés et son cornet. Il faut être bien bête pour donner dans un pareil panneau. Nous comp- tons partir de cette ville dans huit ou dix jours; supposé que vous me fassiez l'honneur de m'écrire , ne laissez pas 8 CORRESPONDANCE [1731] que d'y adresser votre lettre : elle me sera envoyée à Mon- tauban, où nous comptons faire quelque séjour. Adieu, monsieur; faites-moi toujours la grâce de m'aimer; peu de personnes sentiront aussi bien le prix de votre amitié; per- sonne au monde ne s'empressera plus à la conserver. Je suis, avec quels termes il vous plaira, et dans quels termes vous voudrez, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Leclerc. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) V AU MÊME. Montpellier, le 2 avril 1731. Monsieur, J'ai reçu à Montauban, et longtemps après sa date, la lettre que vous m'aviez adressée à Bordeaux. J'y aurais cependant répondu bien plus tôt si, depuis ce temps, je n'avais pas été toujours sur les grands chemins. L'amitié ne se plaît pas comme l'amour dans une vie de dissipation, et je trouve qu'un peu de recueillement nous fait penser à nos amis avec plus de plaisir; aussi ai-je attendu mon arrivée dans cette ville pour vous entretenir de la mienne, et pour vous faire mes remercîments de l'intérêt que vous prenez à ma santé. Elle est, Dieu merci, parfaitement rétablie depuis deux mois, et je n'ai maintenant à me plaindre que d'en avoir trop pour un garçon, et surtout pour un garçon voyageur qui n'a pas les mêmes facilités que vous, messieurs, citoyens perma- nents d'une bonne ville, de faire évanouir son superflu. Puisque nous sommes sur cet article, mandez-moi comment vont les plaisirs de cette espèce. L'on m'a dit que Malteste J avait pour maîtresse une des plus jolies dames qu'il y ait à Dijon. Ne pensez-vous pas avec moi que les Danaé sont main- [1731] DE BUFFON. 9 tenant bien communes, et Cupidon si aveugle qu'il ne peut plus rien distinguer que le brillant de l'or2? Je reçois souvent des lettres de l'abbé Le Blanc5, qui m'a même envoyé son recueil d'élégies; mais, comme il l'a adressé à Bordeaux, il n'a pas encore eu le temps de venir jusqu'à moi. Je sais que cet ouvrage fait du bruit, même dans les provinces, et qu'il s'en fait à Paris un débit considérable. L'adresse de l'auteur est à la Croix de fer, rue de Savoie, fau- bourg Saint-Germain. Il faut qu'il ait eu des raisons bien pressantes pour se priver du plaisir de vous écrire ; je sais le cas qu'il fait de l'honneur de votre correspondance. Depuis mon départ de Bordeaux, j'ai séjourné plus d'un mois à Montauban. La ville est petite, mais charmante par sa situation , sa bâtisse et l'air pur qu'on y respire. Les ha- bitants y sont tout à fait polis, grands joueurs de piquet et d'hombre, presque ennemis du quadrille, amateurs des pro- menades, où ils passent une partie de la journée à parler gas- con et à admirer les environs de leur ville , qui réellement sont tout à fait agréables. Ils peuvent se flatter de manger les meilleures volailles de France et de faire très-bonne chère à très-bon marché. Toulouse est une grande et belle ville ; son étendue est im- mense. On la croit plus vaste que Lyon; ce qu'il y a de vrai, c'est qu'elle est au moins six fois aussi grande que Dijon. Le sexe y est tout à fait beau, et, excepté les vieilles, je ne me souviens pas d'y avoir vu une laide femme. Les maisons y sont superbement bâties, quoique un peu à l'antique; les rues bien percées, le nombre des carrosses immense. J'aurais fort souhaité que mon séjour ne se fût pas borné à quatre jours. Je n'ai point vu de ville dont le coup d'oeil fût plus flatteur; nous en sortîmes pour aller à Carcassonne, Béziers, Nar- bonne, où rien ne me choqua que les rues sombres et si étroites qu'à peine trois personnes de front y peuvent passer à leur aise. Je remarquai avec surprise dans tous les cabarets de grands éventails mobiles sur des poulies, qui servent à 10 CORRESPONDANCE [1731] rafraîchir les hôtes, qui sont obligés d'y dîner en chemise, et qui, malgré ces précautions, ne laissent pas que d'y suer à grosses gouttes. Les chaleurs ne sont pas tout à fait si gran- des ici, où règne un vent périodique depuis le midi jusqu'au soir, qui rafraîchit et corrige les ardeurs permanentes d'un soleil brûlant, et que l'on ne peut éviter qu'en restant toute l'après-dînée chez soi. La ville est assez belle, mais pleine d'inégalités, de hauts, de bas; on peut l'appeler un magasin mal rangé de belles maisons. L'on n'y a ni beurre, ni bœuf, ni veau, ni volailles qui vaillent; mais, en récompense, l'on y boit de bons vins de liqueur et l'on y respire le meilleur air de France. Il n'y a que huit jours que nous y sommes, et nous y avons déjà un logement magnifique. Milord en donne cinquante livres par mois. Il y a ici quelques habiles gens qui composent , comme vous le savez , une académie qui fait partie de celle des sciences de Paris. Que direz-vous, monsieur, de la liberté avec laquelle je vous fais de si longues et peut-être de si ennuyeuses narra- tions? Il faut, je vous l'avoue, se flatter d'être bien de vos amis pour en user ainsi. Mais, en vérité, si vous êtes ennuyé, c'est un peu la faute de votre politesse ; il ne fallait pas me permettre de vous entretenir de mes voyages, et mes lettres se seraient bornées à vous assurer d'une estime et d'un atta- chement éternels. Agréez donc, malgré la longueur de mon épître, les assurances que j'ose vous en offrir, et croyez-moi, dans ces sentiments, monsieur, votre très-humble et très- obéissant serviteur. Leclerc. Adressez à M. Leclerc, en compagnie de milord duc de Kingston, à l'adresse de M. Bascou, négociant à Montpellier. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) [1732] DE BUFFON. 11 VI AU MÊME. Rome, le 20 janvier 1732. J'apprends, monsieur, par une lettre de mon père1, que vous vous plaignez de mon silence, et j'entreprends avec bien du plaisir de me justifier auprès de vous. Mais, avant que de vous faire mes excuses, trouvez bon que je vous re- mercie de votre souvenir; il est d'autant plus flatteur pour moi , puisque vous m'en trouvez digne dans le temps même que vous aviez quelque raison de m'accuser de négligence. Ce ne sera cependant jamais mon vice, et surtout à votre égard; je vous suis trop attaché, mon cher monsieur, et vous êtes trop digne des sentiments que j'ai pour vous, pour que je ne fasse pas tous mes efforts pour mériter l'amitié dont vous voulez bien m'honorer. Cessez donc de m'accuser, monsieur, et prenez-vous-en au dieu des flots, qui, comme je l'ai appris depuis, a fait boire outre mesure trois courriers dans leur passage de Livourne à Gênes ; car je vous ai écrit de cette première ville une longue lettre il y a environ deux mois. Je vous faisais mes excuses d'avoir tardé si longtemps à vous demander de vos nouvelles; ces excuses étaient prises de mon long séjour sur les grands chemins, des occupations et des distractions inséparables du voyage, enfin du mouve- ment perpétuel où je me suis trouvé depuis mon départ de Dijon. Mes excuses faites, je vous suppliais de m'honorer de vos commissions dans ce pays-ci. Je vous demandais si vous n'agréeriez pas que je vous en rapportasse des pom- mades et des fleurs, choses si convenables pour accompagner un sonnet chez la déesse de vos chansons; je vous question- nais sur cette aimable enfant, et je vous demandais si la pluie d'or l'emportait sur Apollon , ou , pour parler plus chrétiennement, si saint Matthieu était toujours son évangé- 12 CORRESPONDANCE [1732] liste; enfin je prenais part à vos plaisirs, et, comme vous voyez , à tout ce qui pouvait même les intéresser. Le hasard a voulu que vous ayez tout ignoré, et j'ai été puni, sans l'avoir mérité, par le long silence que vous avez été obligé de garder à mon égard. Faites-y donc trêve aujourd'hui, monsieur, et faites-moi la grâce de me répondre aussitôt que vous aurez reçu ma lettre, et ajoutez-y celle de ne me pas traiter comme un serviteur inutile dans un pays si abon- dant en choses curieuses, dont quelques-unes peuvent être de votre goût. Mon séjour n'y sera pas de longue durée, et même je compte quitter cette sainte ville avant trois se- maines. Ainsi, ayez la bonté d'adresser votre réponse chez M. Tomasso Baldi, banchiere, à Florence, où je retourne en sortant d'ici. Le duc de Saint - Aignan , ambassadeur de France 2, n'y est pas encore arrivé ; il reste, à ce que Ton dit, auprès de Gênes, sans qu'on puisse deviner pourquoi. L'on a fait ici de magnifiques préparatifs pour le recevoir. Rome est à cette heure dans son brillant ; le carnaval est commencé depuis quinze jours ; quatre opéras magnifiques et autant de comédies , sans compter plusieurs petits théâtres , y font les plaisirs ordinaires, et je vous avoue qu'ils sont extraordi- naires pour moi par l'excellence de la musique et le ridicule des danses, par la magnificence des décorations 3 et la méta- morphose des eunuques4 qui y jouent tous les rôles des femmes; car l'on n'en voit pas une sur tous ces théâtres, et cette différence est si peu sensible pour le peuple romain, qu'il a coutume de lorgner et de parler de la beauté de ces hongres de la même façon que nous raisonnerions de celle d'une jolie actrice : tant ils ont conservé le goût de leurs an- cêtres, dont ils ont si fort dégénéré pour toute autre chose. Il fait ici un temps charmant, et ce janvier est un avril de France, où je pense qu'il doit faire bien de la neige, puisque le dernier courrier de Paris a retardé de quatorze jours. Quoiqu'il y en ait vingt de passés depuis le commencement de la nouvelle année, vous voudrez bien cependant me per- [1732] DE BUFFON. 13 mettre de prendre cette occasion pour vous offrir tous les vœux que je fais pour votre prospérité: ils ne pourraient que vous être agréables, si vous saviez avec combien de sin- cérité et de dévouement j'ai l'honneur d'être, monsieur, vo- tre très-humble et très-obéissant serviteur. Leclerc de Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) VII AU MÊME. Paris, le 9 août 1732. J'aurais, monsieur, bien des excuses à vous faire sur le long temps que j'ai passé sans vous demander de vos nou- velles; mais j'ose espérer que vous m'en dispenserez en faveur des distractions inséparables, comme vous le savez, des pre- miers temps que l'on passe en cette ville. Maintenant que le chaos est débrouillé, et que je puis vous offrir mes services un peu moins à l'aveugle qu'auparavant, trouvez bon, mon- sieur, que je vous supplie de les agréer, et de m'en donner des marques en me chargeant de toutes vos commissions. Rien ne me prouvera davantage que vous ne m'avez pas tout à fait oublié, et je vous promets de mériter par mon zèle la même amitié dont vous avez bien voulu m'honorer jusqu'à présent. Faites-moi le plaisir de me dire s'il est vrai que vous ayez fait un voyage à Genève, et en ce cas si vous auriez remis à M. Cramer1 un livre, de la part de M. de Gémeaux2. Vous excuserez, monsieur, cette curiosité, quand je vous dirai que c'est pour savoir des nouvelles de M. Cramer, à qui nous avons écrit tous deux sans avoir eu réponse. On représente à l'Opéra le ballet des Sens avec un nouvel acte aussi mauvais que les autres3. 11 fait une chaleur excès- 14 CORRESPONDANCE [1732] sive. Le parlement se rebrouille et avec la cour et avec lui- même. Les princesses vont voir les jeunes gens nager à la porte Saint-Bernard4', et la loterie ou la friponnerie de Saint- Sulpice va toujours son train5. C'est à peu près là tout ce que je sais de nouvelles, excepté celles du café ; mais on y en dé- bite tant de fausses qu'il y aurait conscience à les écrire; et après cela, je les crois moins intéressantes que celles que l'on débite à Dijon dans vos cercles. Donnez-m'en de bonnes de votre santé, et faites-moi le plaisir de me dire s'il n'y aurait point d'espérance de vous revoir ici. Je parle d'une espérance prochaine; car je ne doute pas que vous n'y reve- niez dans quelque temps, et je suis persuadé que vous con- naissez trop Paris, sa liberté et ses plaisirs, pour ne pas ve- nir encore en jouir. Adieu, monsieur; jusqu'à cet heureux temps honorez-moi de votre souvenir, et croyez-moi tou- jours, avec le plus respectueux attachement, monsieur, votre très -humble et très-obéissant serviteur. Leclerc de Buffon. Mon adresse est chez M. Boulduc, apothicaire du roi , fau- bourg Saint-Germain. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) VIII AU MÊME. Buffon, près Montbard, le 27 septembre 1732. Je suis au désespoir, mon cher monsieur, d'une négligence dont cependant je ne suis point cause. Imaginez-vous que mon père , ayant reçu votre lettre dans son temps, crut ap- paremment me l'avoir envoyée, et point du tout. Je l'ai trouvée aujourd'hui en fouillant des papiers. J'étais fort étonné aussi, à Paris, quand M. de La Bastide vint me voir [ 1732] DE BUFFON. 15 de votre part et me dire que, si j'avais acheté des livres , je pouvais les lui remettre, parce qu'il comptait passer à Dijon dans peu et vous les porter. Je répondis à M. de La Bastide que j'avais eu l'honneur de vous écrire, mais que vous ne m'aviez pas fait réponse, et que je ne pouvais comprendre de quels livres il voulait parler. Enfin j'ai été sur cela et sur votre santé, sur vos voyages et sur vos plaisirs, jusqu'à au- jourd'hui, plus ignorant que la part que j'y prends ne me permettait de l'être. Aussi me préparais-je à vous écrire de nouveau quand j'ai trouvé votre lettre. Recevez donc, mon- sieur, à présent ma réponse, et ne m'imputez pas, je vous supplie, le silence qui lui a succédé. Je ne suis ici que pour six semaines, et je vous assure que je ne serai pas de retour à Paris que je ferai toutes vos commissions avec zèle; c'est leur retard qui me fâche, et je suis prêt à me vouloir mal d'un contre-temps de pur hasard , qui m'ôte le plaisir de vous servir pour la première fois. Mettez-moi, je vous sup- plie, monsieur, dans l'occasion de m'en venger, et ne m'épar- gnez pas où je pourrai vous être bon à quelque chose. Il n'y a que quinze jours que j'ai quitté Paris. On m'a dit, à Mont- bard, que MM. Lebault1 et de Brosses2 y avaient passé pour retourner à Dijon; je crois que ce dernier, du moins il me l'a dit, reviendra cet hiver à Paris. Mais vous, monsieur, n'au- rions-nous point d'espérance de vous y voir, et êtes-vous fait pour la province? Malgré les liens qui vous y attachent, je ne désespère pas de vous voir à Paris ; vous l'avez goûté, et j'ai l'honneur de vous connaître assez pour croire que vous vous y plaisez beaucoup. Pour moi, qui n'y ai encore passé que trois ou quatre mois, je ne puis en connaître tous les plaisirs. Après cela, je suis de ces gens un peu extraordi- naires pour le goût dans les plaisirs ; je n'en ai, par exemple, point trouvé aux spectacles , qui me paraissent languir de froideur. La tragédie de Zaïre*, de Voltaire, a pourtant eu cinq ou six chaudes représentations; mais j'aimais mieux en sortir que d'y être étouffé. Je verrai dans le Mercure, ave 16 CORRESPONDANCE [1732] grand plaisir, la pièce de votre façon dont vous me parlez. J'ai reçu, hier, une lettre de M. le président Bouhier4; il me dit de mettre sous votre enveloppe, qui est franche, un cata- logue de livres que je dois lui envoyer5. Vous voulez bien permettre que cela soit ainsi ; mais ce ne sera qu'à mon re- tour à Paris. Je compte vous en écrire souvent, et réparer en quelque façon l'accident arrivé à votre lettre, par mon em- pressement à exécuter vos ordres. Je suis, avec le plus sin- cère attachement, monsieur, votre très-humble et très-obéis- sant serviteur. Leclerc de Butfon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) IX AU MÊME. Buffon, près Montbard, le 25 octobre 1732. Je vous envoie ci-joint, monsieur, un catalogue de livres italiens que je vous supplie de faire remettre à M. le prési- dent Bouhier; il vient de m'arriver à Paris, où je ne compte plus retourner si tôt que je vous l'avais dit. Vous ne devine- riez pas, monsieur, ce qui me retient ici, et vous ne vous seriez pas douté que mon père, à l'âge de cinquante ans, pût devenir assez amoureux, ou, pour mieux dire, assez fou pour me faire craindre un second mariage, et cela avec une fille de vingt-deux ans, qui n'a presque pour elle que sa jeu- nesse1. Vous sentez, monsieur, le tort que me ferait cette affaire; aussi vous pouvez juger de toute la force avec la- quelle je m'y oppose. Comme j'ai des espérances de réussir, je vous prie de tenir ceci secret. Pour moi, monsieur, je me fais un plaisir de n'en point avoir pour vous ; l'amitié dont vous voulez bien m'honorer, et l'estime que j'ai pour vous, ne le permettraient pas. Il y a plus, c'est une convenance entre la situation où je me trouve et celle où je vous ai vu quelque- [1733] ' DE BUFFON. 17 fois ; je veux parler du mécontentement d'un iils bien né, causé par un père ou dur ou passionné. Toutes ces choses ensemble me font trouver un grand plaisir à vous faire part des peines de ma situation; je voudrais avoir mérité que vous y prissiez quelque part. On débite ici comme une nouvelle que M. le comte de Ta- vannes 2 est nommé à l'ambassade de Portugal; je serais bien aise de savoir si elle est vraie. Permettez-moi de vous prier de m'aider à vendre ou à louer notre maison à Dijon3; en cas que vous connussiez quelqu'un à qui elle pût convenir, vous me ferez, monsieur, un grand plaisir de me les procurer. J'ai l'honneur d'être, avec le plus respectueux attachement, monsieur, votre très- humble et très-obéissant serviteur. Leclerc de Buffon. M. le président Bouhier a eu la bonté de m'écrire qu'il parlerait de notre maison à M. le marquis de Vienne4, qui en cherche une à louer. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) X AU MÊME. Dijon, le 29 janvier 1733. J'eus, monsieur, l'honneur hier de voir Mme votre mère, et demain j'aurai celui de dîner avec elle et votre bon ami M. le président Folin1. Vous pouvez vous imaginer, monsieur, si vous eûtes bonne part à notre conversation d'hier ; elle me demanda beaucoup comment vous vous amu- siez à Paris, s'il était vrai que vous fussiez lié d'amitié avec Milord Duc. Je lui répondis à tout cela comme si je l'eusse parfaitement su et comme si je l'avais vu de mes yeux. Ainsi n'allez pas me démentir auprès d'elle. Que vous seriez heu- CORRESP. DE BUFFON I 2 18 CORRESPONDANCE [1733] reux, mon cher monsieur, si vous aviez un père aussi tendre que l'est cette bonne maman! Je suis persuadé que le séjour de Paris vous en deviendrait encore plus gracieux. Celui de cette ville me plairait davantage, si je n'étais obligé de plaider avec mon père pour retirer d'entre ses mains le bien qui m'appartient2. Voici les nouvelles du pays : il y a quelques jours que déjeunes éveillés jouèrent au bal à la cloche fon- due et donnèrent le fouet à M. de la Mare3 le fils; la mère, qui était présente, se démasqua et voulut faire du bruit; on lui répondit en se moquant, qu'elle avait tort, et que tout cela n'était qu'une foutaise. Au concert de dimanche, le conseiller Malteste rencontra Mme Jolivet sur l'escalier, et lui mit, à ce qu'on dit, quoi? direz-vous, la main dans la gorge jusqu'au nombril. Elle se retourna, et, justement courroucée, elle donna un soufflet sanglant. Celui-ci répondit par des injures atroces ; l'on ne sait encore comment tout cela tournera. Mme Jolivet a remercié au concert, parce qu'on voulait l'o- bliger à chanter dans les chœurs. Autre aventure : un jeune trésorier, que bien vous connaissez4, eut, dimanche, un souf- flet au bal, qu'on dit qu'il reçut bénignement ; il n'y avait heureusement que deux dames et cinq p Les deux pre- mières furent obligées d'en sortir, parce qu'on exploitait les autres derrière leur dos. Adieu, monsieur; faites-moi l'honneur de m'aimer un peu et la justice de me croire, avec le plus respectueux dévoue- ment , monsieur, votre très-humble et très-obéissant servi- teur. Leclerc de Buffon. Si vous me faites l'honneur de m'écrire, ayez la bonté, monsieur, d'adresser vos lettres à Montbard. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) [1735] DE BUFFON. 19 XI A M. DAUBENTON, AVOCAT AU PRRLEMENT1. Paris, le 28 janvier 1734. J'ai reçu, monsieur, toutes vos lettres, auxquelles je répon- drai par détail dans la suite; car je n'ai qu'un instant pour vous dire aujourd'hui que j'ai vu M. de Montigny2, et que vous devez être sûr que je ne négligerai rien pour l'engager à nous tenir parole. Il me l'a nouvellement promis encore, et m'a assuré que, sans qu'il le sût, l'on ne pouvait lever les charges3, en me réitérant que l'affaire des charges munici- pales ferait finir la vôtre. Je le verrai souvent; il est encore ici pour un mois, et vous pouvez compter qu'il faudra bien qu'il le fasse. Retirez du carrosse et mettez, je vous supplie, sur le mémoire de mon grand-père4 le port d'une boîte à son adresse, où il trouvera les pièces d'étain qu'il m'a demandées. Adieu, monsieur ; je suis plus que je ne puis vous le dire votre très- humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) XII A L'ABBÉ LE BLANC. Montbard, le 13 juin 1735. Je ne vous ferai pas , mon cher ami , le détail ennuyeux des occupations forcées et des sottes affaires qui jusqu'ici m'ont empêché de vous écrire; je vous prierai seulement de me pardonner ce retardement , en vous assurant qu'il a été indispensable. S'il m'avait été possible de jouir d'un instant, je n'aurais pas manqué de vous témoigner combien j'ai été 20 CORRESPONDANCE [1735] sensible à votre souvenir, à votre succès et à celui de votre pièce à la cour1. Les petits vers que vous adressez à M. votre père sont tout à fait bien tournés ; puissent-ils aussi bien réussir auprès de lui qu'auprès des connaisseurs! Mais je doute fort qu'ils vous produisent quelque chose de plus qu'un compliment ou un remercîment. Je n'ai pas ren- contré l'abbé Flory aux états2; je crois qu'il avait suivi M. de Dijon3 dans sa disgrâce. Vous avez su sans doute qu'il eut ordre de sortir de la ville, pendant la tenue des états, pour avoir refusé d'y siéger après l'évêque d'Autun4. Si je n'ai pas vu vos parents, j'ai en revanche vu beaucoup de vos amis. Ruifey me demanda si vous ne viendriez pas, et il me dit qu'il vous avait écrit pour vous offrir un appartement che?i lui ; il me parut un peu mortifié de votre silence. Le président Bouhier me fit bien des questions sur votre compte ; il vous aime assurément beaucoup ; si vous veniez à Dijon, vous y seriez accueilli, recherché de tout le inonde. Ne croyez pas, mon cher, que je vous le dise ainsi parce que Montbard est sur le passage , et que vous ne pourriez vous dispenser d'y séjourner. Je vous assure que je le souhaite beaucoup; mais la vérité est que l'on vous loue beaucoup dans votre patrie. J'ai en mon particulier bien lieu de m'en louer; je m'y suis réjoui à merveille, et M. le duc3 m'a fait la grâce de me parler très-souvent et de m'accorder une pé- pinière à Montbard , aux frais de la province. Je suis actuel- lement très-occupé de sa construction et de mes bâtiments , dont l'embarras augmente au lieu de diminuer6. J'ai de- mandé à Dijon des nouvelles de votre critique ; on me dit que Michault7 pourrissait dans la poussière de son greffe , pour tâcher d'en tirer de quoi faire les frais de l'impression , et le livre pourrit aussi chez le libraire. Savez-vous qu'il doit s'établir à Dijon une académie des sciences? Vous connaissez peut-être le vieux bonhomme Pouffier8, doyen du Parle- ment; il a laissé des sommes considérables pour cet établis- sement, et l'on y travaille actuellement. Voilà bien des non- [1736] DE BUFFON. 21 velles de province; donnez-m'en de Paris, et surtout des vôtres. Adieu, mon cher ami; je suis plus que personne au monde votre très-dévoué et très-affectionné serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection du British Muséum. M. Flourens en a publié un extrait 9.) XIII AU MÊME. Montbard, le 26 septembre 1738. Mon cher ami, j'ai reçu dans leur temps les deux lettres que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire. Vous parlez si bon anglais dans la dernière, que j'aurais deviné vos études de Londres; mais, depuis votre retour à Thoresby1, vous n'avez plus de maîtresse de langue, et je crois bien que c'est le seul meuble que vous regrettiez de tous ceux de cette grande ville. Je suis charmé des descriptions que vous me faites; sûr de votre goût, j'ai un vrai plaisir à juger d'après vous. Yous faites un assez long séjour en Angleterre pour vous mettre au fait de toute la nation; je vous invite de prendre là le canevas de quelque ouvrage2. Yous avez le coup d'œil bon, et j'imagine que le bon et le mauvais, le convenable et le ridicule de ce pays , ne sont pas difficiles à saisir. Que vous m'avez fait plaisir de m'apprendre que notre cher Hickman se ménage sur la pipe ! Continuez vos efforts, et tachez de l'éteindre absolument; sa santé nous est trop chère pour qu'on puisse la. comparer avec un plaisir aussi peu aimable. Embrassez-le pour moi, et dites-lui que je l'aimerai toute ma vie de tout mon cœur. Le 5 octobre. Ce commencement de lettre est, comme vous voyez, de bien vieille date. J'ai été obligé de faire un petit voyage; à mon re- tour, je l'ai trouvée sur mon bureau avec la lettre toute pleine d'amitié que vous m'avez écrite. Soyez persuadé, mon cher 22 CORRESPONDANCE [1736] ami, que je sens combien je mérite les reproches que vous me faites; il ne s'en faut guère que je ne sois aussi paresseux qu'Hickman. C'est une partie de pipe ou de chasse qui lui ôte le temps d'écrire, et c'est une plantation3 ou une démoli- tion qui fait ici la même chose; mais dorénavant je serai plus exact, et surtout dès que je serai de retour à Paris, à la Saint-Martin. Je vous prie d'assurer milord duc de mes res- pects et de mon zèle. Je ferai sa commission devin, du mieux qu'il me sera possible , et j'ai déjà écrit pour cela. J'irai exprès à Dijon pour être plus sûr de la qualité du vin et du climat; enfin je ne négligerai rien pour qu'il ait du bon, du meilleur; mais je vous prie de me marquer s'il sou- haite des vins prêts à boire ou seulement des vins de cette dernière récolte. Si j'osais lui dire ce que je pense à cet égard, je serais d'avis d'en prendre deux pièces de vieux et quatre de nouveau. Un fort roulier conduira trois queues ou six pièces,, et, pendant que vous boiriez les deux premières, les autres se feront. On assure que les vins de cette année seront bons; ainsi je choisirais, dans les meilleures années de Nuits ou de Vougeot, le vin le plus ferme, le plus rosé et le plus propre à résister au mouvement de la mer. D'ail- leurs il serait fort difficile d'en trouver de très-bons en vieux; il n'en reste que quelques pièces dans la cave de quelques particuliers , et il est extrêmement cher. Je ne lais- serai pas , en attendant votre réponse , que de faire mes dili- gences pour avoir ce qu'il y aura de meilleur en vins prêts à boire; mais je n'en prendrai que deux pièces jusqu'à ce que j'aie de nouveaux ordres. A l'égard de la voiture, je ne manquerai pas d'envoyer un de mes domestiques avec le roulier ; il faut un attelage de six ou sept bons chevaux. Il coûtera beaucoup moins d'envoyer beaucoup par une seule voiture que d'envoyer la même quantité par deux petites voi- tures. On compte qu'une queue contient cinq cents bouteilles; les trois queues feront quinze cents bouteilles. Faites-moi savoir si cela conviendra et si ce n'est pas trop. Je pourrais [1736] DE BUFFON. 23 profiter du retour du roulier pour me faire venir du vin de Bordeaux; demandez, je vous supplie, à Hickman combien il coûte à Boulogne. J'ai encore un plaisir à vous demander : c'est de m'envoyer un Horace, gravé4, et de me dire si les seconds volumes sont achevés de graver ; si le livre de M. de Moivre5, pour lequel j'ai trois souscriptions, est achevé d'im- primer, je vous enverrais les quittances, et vous joindriez ces trois exemplaires à Y Horace gravé. Nous chantons votre chanson de la chasse, qui est assurément très-jolie. Ces de- moiselles vous font mille compliments. Baniche 6 se marie dans huit jours avec Daubenton; si vous n'étiez pas si loin, on vous enverrait du fricot. La grande fille pourrait bien aussi se marier dans peu ; mais son amant ne l'a encore vue qu'une fois, et elle n'en est pas empressée. La Daubenton est jolie et a bien les plus beaux tétons du monde. Le dessous de votre tour est peint en porcelaine7. Voilà bien de bonnes raisons pour vous rappeler l'année prochaine; mais j'ima- gine que vous ne quitterez pas aisément et de si tôt la bonne maison et les bonnes gens chez qui vous vivez. Je vous sou- haite toujours bien des plaisirs. Adieu ; écrivez-moi au plus tôt. Vous pouvez dire au duc que le président Rigoley8 est en fa- mille ; sa femme vient d'accoucher d'une fille. Dites à Hickman que Mlle de Roncère est mariée à un homme de vingt-quatre ans ; c'est apparemment pour réparer le temps perdu. Je n'ai point reçu de nouvelles de Maupertuis9, ni de Clairaut10. BUFFON. (Inédite. — De la collection du British Muséum. M. Flourens en a publié un fragment.) XIV AU PRÉSIDENT BOUHIER. Paris, le 23 décembre 1736. Je viens, monsieur, d'apprendre avec une grande joie le mariage de Mlle votre fille1. Je vous suis- trop attaché et à tout 24 CORRESPONDANCE [1738] ce qui vous touche, monsieur, pour ne pas prendre une très- grande part à cette heureuse nouvelle. Permettez-moi donc de vous en faire mon compliment et de vous offrir en même temps mes sentiments et mes vœux. J'ai reçu la lettre dont vous m'avez honoré, monsieur, et M. l'abbé Le Blanc m'a lu celle où vous avez la bonté de vous souvenir de moi. Je lirai votre nouvel ouvrage2, monsieur, avec cette ardeur que je me sens pour toutes les excellentes choses; mais j'ai bien peur que cette matière ne soit bien éloignée de toutes celles que je pourrais lire avec quelque connaissance. J'ad- mire, je vous l'avoue, votre fécondité, et, sans compliments, je ne puis m'étonner assez du grand nombre de bonnes choses que vous nous donnez, quoique je sache à merveille que vous nous en cachez encore davantage. Il paraît une nou- velle épître de Voltaire sur la philosophie de Newton 3, dé- diée à Mme du Châtelet4. C'est assurément un très-beau morceau de poésie, mais qui déplaît en quelques endroits par des traits outrés contre Rousseau 5. Permettez-moi, monsieur, d'assurer Mme Bouhier6 et Mlle votre fille7 de mes respects très-humbles. J'ai l'hon- neur d'être, avec un dévouement entier, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Tirée des manuscrits de la Bibliothèque impériale. — Publiée par M. Flou- rens.) XV A L'ABBÉ LE BLANC. Paris, le 22 février 1738. Vous êtes donc à Londres, mon cher ami, pour jusqu'à Pâques? Que je souhaiterais pouvoir vous y aller joindre! Mais je commence à désespérer de notre voyage. M. Mac- Donnel m'écrit que ses forces reviennent si lentement qu'il n'a pu être du voyage de M. le duc à Paris, et qu'il se retire dans [1738] DE BUFFON. 25 son ermitage pour se tranquilliser. Cela n'annonce guère un voyage prochain, et j'en suis fâché pour le plaisir seul que je me promettais de vous voir vous et mes amis. J'ai prié Dufay * d'écrire au duc de Richemont2; il m'a assuré qu'il le ferait, et il a en effet écrit de Versailles. Ainsi je n'ai pu voir la lettre, mais je suis persuadé qu'il a parlé de vous comme vous pouvez le souhaiter. Je m'imaginais que, si nous avions été vous voir, nous aurions pu vous ramener. Mais vous auriez cependant grand tort de quitter, si vous vous trouvez bien, et vous ne pouvez manquer de vous bien trouver, si vous avez appris à aimer la chasse et les courses. Il s'en faut bien que nous jouissions ici de la même douceur de saison que vous autres habitants du nord de l'Angleterre; actuellement il gèle bien fort, et avant cette gelée le ciel a toujours été couvert, quoique l'air fût assez tempéré. Je suis charmé quand je pense que vous vous levez tous les jours avant l'aurore ; je voudrais bien vous imiter; mais la malheu- reuse vie de Paris est bien contraire à ces plaisirs. J'ai soupe hier fort tard, et on m'a retenu jusqu'à deux heures après minuit. Le moyen de se lever avant huit heures du matin, et encore n'a-t-on pas la tête bien nette après ces six heures de repos! Je soupire pour la tranquillité de la campagne3. Paris est un enfer, et je ne l'ai jamais vu si plein et si fourré. Je suis fâché de n'avoir pas de goût pour les beaux embarras ; à tout moment il s'en trouve qui ne finissent point. J'aime- rais mieux passer mon temps à faire couler de l'eau et à plan- ter des houblons que de le perdre ici en courses inutiles, et à faire encore plus inutilement sa cour. Je compte bien met- tre à profit vos avis : nous planterons des houblons, nous ferons de la bière, et, si nous ne pouvons la faire bonne, nous nous vengerons sur du bon vin. Arotre bonne amie'fnese porte pas aussi bien que je le vou- drais. Je m'aperçois qu'elle a trop de confiance ou de faci- lité pour la médecine. On l'a bourrée de remèdes, et e suis bien surpris de ce que son tempérament est encore assez bon 26 CORRESPONDANCE [1738] pour se soutenir. Je crois que la santé demande plutôt un régime doux et uniforme qu'une suite de remèdes qui ne peut manquer de produire quelque chose de violent. Je n'ai pu voir encore M. Baudot; mais j'ai dit à votre ami que j'avais de l'argent à lui remettre de votre part, et je ne man- querai pas de le faire la première fois que je pourrai le joindre. Les affaires de Mme de La Touche3 sont en bon train et donnent quelque espérance bien fondée. Nous avons fait une grande information contre le vilain petit homme; il y a déjà plus de vingt témoins d'entendus, dont plusieurs déposent de faits très-favorables pour nous, de sorte qu'il y a lieu d'espérer que cette information, une fois bien faite, pourra faire tomber l'autre, ou du moins en diminuer si fort les charges qu'elles ne seront plus assez grosses pour faire pro- noncer un jugement infamant. Vous pouvez bien penser, mon cher ami, que je fais et ferai de mon mieux. M. d'Arty 6 pourra rendre compte de mon zèle et de mes empresse- ments. Je serais bien mortifié si, après les soins que je me suis donnés pour le vin, il se trouvait gâté ou même médiocre. Apprenez-m'en des nouvelles dès que vous en saurez. Dites- moi aussi quand milord Waldergrave7 revient; je crains fort qu'il ne soit pas assez longtemps à Londres pour que vous puissiez y profiter de son séjour. Dites à Hickman que ses courtilières8 et ses couleurs partiront demain, et que j'écris à M. Smith de les lui envoyer d'abord. Adieu, mon cher ami. Je vous souhaite toujours bien de la gaieté et de la santé; la mienne est un peu dérangée depuis un mois. Je vous em- brasse et suis, de tout mon cœur, votre très-humble servi- teur. BUFFON. (Inédite. — L'original de cette lettre appartient à M. V. Cousin, qui a bien voulu nous le communiquer avec une obligeance dont nous lui témoi- gnons ici toute notre gratitude. M._Flourens en a publié un passage:) [1738] DE BUFFON. 27 XVI AU MÊME. Paris, le 4 mars 1738. Ne soyez pas surpris , mon cher ami , si je ne vous ai pas écrit en anglais; je crains tout ce qui fait perdre du temps, et je n'aime guère ce qui mortifie l'amour-propre. Vous par- lez cette langue à merveille, et je n'ai garde de vous en faire compliment en la parlant mal; j'aime mieux vous dire la vérité , que de vous la faire sentir en vous ennuyant d'un jargon qui n'aurait d'autre mérite que de vous convaincre de votre supériorité , et qui m'ôterait auprès de vous celui de la reconnaître. Je sors de chez Mme Denis1, à qui j'ai lu votre lettre en français; j'y ai trouvé votre ami M. Baudot2, auquel j'ai remis un paquet qu'Eustache m'a donné de votre part. Nous sommes tous très-charmés de vous savoir à Lon- dres3, et je vous souhaite en mon particulier bien des plai- sirs dans cette grande ville; je crains fort ou, pour tout dire, je ne puis espérer de pouvoir vous y aller joindre4. Le pau- vre Mac-Donnel a eu un second accès de goutte aussi vio- lent que le premier : il y a près d'un mois que je ne l'ai vu ; il est à sa campagne, où il ne peut manquer de s'ennuyer; je lui ai écrit et il n'a pu me répondre. La goutte a pris les pieds et les mains. Quand même il aurait le bonheur d'en être quitte bientôt, il lui faudra bien du temps pour que ses forces reviennent ; enfin je regarde cette partie de voyage comme désespérée, dont je suis très-fâché , aussi bien que vos bons amis, qui comptaient sur votre retour avec le nôtre. Je vais différer d'acheter le velours que vous me demandez pour Milord Duc, parce que, selon toutes apparences, ce ne sera pas moi qui le lui porterai, et qu'il faut que je sache si cette marchandise n'est pas contrebande, et si je puis la lui envoyer par la voie de M. Smith5, à Boulogne. Marquez- 28 CORRESPONDANCE [1738; moi par le premier ordinaire s'il faut l'envoyer à M. Smith. Je vais demain faire passer une boîte où il y a des drogues pour M. Hickman , des peignes , des insectes dans de l'esprit- de-vin , la Mctromanie* imprimée, etc. J'ai donné à M. Baudot les 50 francs que vous m'avez marqués. J'ai écrit à M. Mi- doch , pour qui j'ai fait ici quelques avances , de vous les re- mettre; il s'agit de soixante et quelques livres. Je souhaite- rais fort de pouvoir faire venir plusieurs livres anglais dont j'ai besoin ; mais je crains que cela ne vous dérange d'avan- cer tant d'argent; je vous enverrai toujours mon mémoire, et, quand je saurai la somme qu'ils me coûteront, je cherche- rai quelque voie pour vous la faire tenir. J'écrirai à Hick- man de vous la faire compter, et je la mettrai- en recette sur leur mémoire. J'ai été à la première représentation d'une pièce qui a très-bien pris; c'est Maximien, tragédie de M. de La Chaussée7. Je crois qu'elle ne mérite pas absolument tou- tes les claques qu'on lui a prodiguées; cependant il faut avouer qu'elle est bien conduite et que les caractères en sont beaux et bien soutenus. Adieu, mon cher ami; faites-moi promptement réponse au sujet du velours. S'il venait quel- que espérance pour notre voyage, vous en seriez d'abord instruit. Je serai toute ma vie votre ami le plus attaché. BlTFFON. M. de Brosses loge avec moi et vous fait des compli- ments. (L'original de cette lettre appartient à M. Jules Janin, qui a bien voulu nous en donner communication. Elle a été insérée dans une édition de l'His- toire naturelle. M. Flourens en a publié un extrait.) [1739: DE BUFFON. 29 XVII FRAGMENT DE LETTRE A L'ABBÉ LE BLANC \ 1738. .... Je compte aller dans peu faire un tour à Dijon. Bien des gens me demanderont de vos nouvelles; je vous supplie, mon cher ami, de m'en donner souvent. Il n'y en a point dans ce pays; tout y est sur le même ton qu'il y a deux ans. Nous parlons souvent de vous; nous buvons quelquefois à votre santé à la fontaine Sainte-Barbe. Le vieux avare que votre bon appétit pensa faire mourir, est crevé cet hiver, sans avoir voulu faire de testament. J'ai bien pensé que Voltaire réussirait fort mal à commenter Newton, et je ne crains pas que le public appelle du jugement de M. de Moivre. Je vou- drais bien, mon cher, que vous fussiez ici ; nous avons un endroit charmant pour planter des houblons. Adieu; je vous embrasse et suis, de tout mon cœur, votre très-dévoué et très-affectionné serviteur. Buffon. ( L'original de ce fragment de lettre appartient à M. V. Cousin , qui a bien voulu nous le communiquer. Il a été publié en partie par M. Flourens.) XVIII AU PRÉSIDENT BOUHIER. Paris, le 8 février 1739. A toutes les bontés dont vous m'honorez, monsieur, à la part que vous daignez prendre à ce qui me regarde, je ne * Le premier feuillet de cette lettre a été détruit; le second feuillet, qui a été conservé, porte l'adresse de l'abbé Le Blanc, et ce qui reste de cette lettre, écrite de la main de Buffon, prouve qu'elle doit se rapporter à la fin de l'année 1738. 30 CORRESPONDANCE [1739] puis répondre que par des sentiments de la plus vive et de la plus sincère reconnaissance. On m'a fait ici mille fois plus d'honneur que je ne mérite; on a hâté la vacance de la place que je remplis à l'Académie1; on m'a préféré à des concur- rents distingués. Tous ces avantages, dont je me sens si peu digne, n'auraient peut-être pas trouvé grâce à des yeux aussi éclairés que les vôtres; ainsi je tâchais de les supprimer, au hasard d'être grondé, comme vous l'avez fait. Permettez-moi de vous remercier, monsieur, de ces bons sentiments, et de vous supplier de me les conserver. Je vous rends grâces de la quittance que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Vous trouverez, monsieur, ci-jointe la reconnaissance de M. Bailly2 pour toucher ce qui reste de l'année de gages. Je comptais vous envoyer en même temps l'argent que je dois recevoir au premier jour des gages de se- crétaire, et que l'on m'a promis de me faire toucher ici ; mais on me remet de jour en jour. Le prix du loyer de ma maison a été employé, ce premier semestre, à payer quelques dettes que j'avais à Dijon; mais dans la suite, nous nous arrange- rons à cet égard. Ce qu'il y a, c'est que je reçois mon loyer à deux termes, et que par conséquent je ne pourrais m' empêcher de vous supplier d'attendre une partie de votre rente pendant six mois3, au cas que je chargeasse M. le procureur général4 de votre payement. Le libraire s'était trompé d'abord en ne demandant que 25 fr. pour les trois derniers volumes de l'Histoire généalogique 5 ; ils en coûtent 33. Je vous envoie ci- jointe la quittance du libraire; on les a remis depuis long- temps chez le sieur Martin. J'ai déjà fait partir la note des trois livres d'Angleterre que vous souhaitez, monsieur; car on at- tend toujours trop longtemps les livres de ce pays-là. Si nous n'avons pas guerre avec ses compatriotes , milord duc de Kingston restera à Paris au moins un an. Je vous enverrais dès demain les mémoires de Pétersbourg; mais, comme j'é- tudie quelques questions qu'ils contiennent, auriez-vous la bonté de les attendre jusqu'au printemps? Comme nous ne [1739] DE BUFFON. 31 convenons pas des faits, M. Bourguet6et moi, je pense qu'il est inutile de lui répliquer; mais je suis étonné qu'il assure les animalcules dans la semence des femelles, et d'autres cho- ses de cette espèce, qui sont toutes reconnues différentes de ce qu'il avance, par des expériences réitérées. Il parait depuis quinze jours un petit écrit en forme de gazette, ou plutôt de feuilles de Spectateur, intitulé le Cabinet du philosophe'1. On n'a pas goûté cet ouvrage. M. Marivaux8 a donné aussi une brochure qui fait le second tome de la Vie de Marianne. Les petits esprits et les précieux admireront les réflexions et le style. La pièce de Voltaire ne peut se soutenir et ne se soutient pas, avec tous les raccom- modages qu'il y a faits 9. Enfin, pour finir, j'aurai l'honneur de vous dire que je vais, au premier jour, faire imprimer une tra- duction, avec des notes, d'un ouvrage anglais de physique qui a paru nouvellement, et dont les découvertes m'ont tellement frappé et sont si fort au-dessus de ce que l'on voit en ce genre, que je n'ai pu me refuser le plaisir de les donner en notre langue au public : c'est un in-4 d'environ trois cents pages10. Adieu, monsieur. Honorez-moi toujours de vos bontés, et croyez-moi, avec l'attachement le plus respectueux, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Tirée des manuscrits de la Bibliothèque impériale.— Publiée par M. Flo-u- rens.) XIX A M. HELLOT, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES1. Montbard, le 23 juillet 1739. J'allais, mon cher ami, répondre à votre première lettre, quand j'ai reçu la seconde. Je savais déjà la mort du pauvre Dufay5, qui m'avait véritablement affligé. Nous perdons beau- coup à l'Académie: car, outre l'honneur qu'il faisait au corps 32 CORRESPONDANCE jl 739] par son mérite, il était si fort répandu dans le monde et à la cour qu'il obtenait bien des choses étonnantes pour le Jardin du Roi, et je vous avoue qu'il Ta mis sur un si bon pied, qu'il y aurait grand plaisir à lui succéder dans cette place ; mais je m'imagine qu'elle sera bien convoitée. Quand j'aurais plus de raisons d'y prétendre qu'un autre , je me donnerais bien garde de la demander; je connais assez M. de Maurepas3, et j'en suis assez connu, pour qu'il me la donne sans sollicitations de ma part. Je prierai mes amis de parler pour moi, de dire hautement que je conviens à cette place; c'est tout ce que j'ai de raisonnable à faire quant à présent. A l'égard de ce que vous me dites, que M. de Maurepas est déterminé à conserver le Jardin du Roi dans l'Académie, je n'ai pas de peine à le croire; mais, quand même il n'aurait pas pris en guignon Maupertuis, je ne crois pas qu'il lui donnât cette place. Mais il y a d'autres gens à l'Académie. Marquez-moi si vous entendez nommer quelqu'un ; en un mot, dites-moi tout ce que vous saurez. Vous pourrez bien lâcher quelques mots des vœux de M. le comte de Gaylus4 à M. de Maurepas. Tl y a des choses pour moi ; mais il y en a bien contre, et surtout mon âge ; et cepen- dant, si on faisait réflexion, on sentirait que l'intendance du Jardin du Roi demande un jeune homme actif qui puisse bra- ver le soleil, qui se connaisse en plantes et qui sache la ma- nière de les multiplier, qui soit un peu connaisseur dans tous les genres qu'on y demande, et par-dessus tout qui entende les bâtiments, de sorte qu'en moi-même il me paraît que je suis bien leur fait; mais je n'ai pas encore grande espérance, et par conséquent je n'aurai pas grand regret de voir cette place remplie par un autre 5. Je ne puis pas me résoudre à perdre l'espérance de vous posséder ici. Helvétius6 vient de m'écrire qu'il me tiendrait parole au mois de septembre. Tâchez, mon cher ami, de venir dans le même temps; vous ferez votre voyage aussi court ou aussi long que vous jugerez à propos, et assuré- [1740] DE BUFFON. 33 ment on n'aura pas droit de crier contre vous, si, par exem- ple, vous ne vous absentez que pendant un mois. Adieu; je vous embrasse de tout mon cœur et je vous remercie. Écri- vez-moi tout ce que vous saurez du Jardin du Roi. BUFFON. (Tirée de la collection de M. de Châteaugiron. — Publiée en fac-simile% dans F Isographie des hommes célèbres. Paris, 1828-1830, in-fol. M. Flou- rens en a donné un extrait.) XX AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Montbard, le 5 décembre 1740. • Permettez-moi, mon cher monsieur, de vous envoyer toutes mes paperasses, et de vous supplier de toucher pour moi les 1026 livres 18 sous d'une part, et les 698 livres d'autre part, qui sont portés pour mon remboursement par les ordonnances de MM. les élus. Si vous voulez me faire le plaisir tout entier, vous m'enverrez une rescription de ces deux sommes sur M. Doublot *, receveur des crues à Montbard, que vous pren- drez chez M. Edme Seguin, receveur général des crues, à qui vous remettrez cet argent. J'ai déjà fait distribuer une grande partie des arbres aux particuliers dénommés dans l'état envoyé par MM. les élus 2. Je fais mettre les reçus de chacun en marge, et quand le tout sera distribué, je renverrai cet état ainsi signé pour ma décharge. Gomme cette ordonnance de distribution ne com- prend pas, à beaucoup près, tous les arbres qu'on peut donner cette année, et qui sont portés dans le mémoire que j'en ai envoyé, j'ai cru que MM. les élus voudraient bien permettre de les donner à d'autres particuliers, qui sont venus en grand nombre en demander lorsqu'ils ont appris la première distri- bution. J'enverrai un état de ces particuliers avec leurs quit- tances en marge, pour qu'on puisse ratifier cet état. Les or- milles y seront aussi comprises; on m'en demande jusqu'à i 34 CORRESPONDANCE U?41J Chalon-sur-Saône. A l'égard des frênes et des ormes que la Chambre a réservés pour les grands chemins, on n'en a donné aucun. J'exécuterai ponctuellement les ordres de MM. les élus pour les faire planter, et je me suis fait donner un dénom- brement des terres depuis Montbard , en allant du côté de Saint-Rémy, et je distribuerai à chaque possesseur de ces terres le nombre d'arbres nécessaire pour planter l'extrémité de leur terrain qui aboutit au grand chemin, à six pieds du fossé et à la distance de trente pieds chaque arbre. 'Je dois vous observer, monsieur, qu'il y a beaucoup de terrains où l'orme et le frêne ne peuvent réussir et où le noyer réussira. J'aurai soin de ne mettre les ormes et les frênes que dans des terrains convenables. L'année prochaine, s'il plaît à MM. les élus de réserver aussi les noyers, on pourra planter sans in- terruption plus de trois lieues de chemin.3 Vous me don- nerez vos ordres à cet égard, et j'aurai grande attention à ce que ces plantations soient bien faites. J'ai l'honneur d'être, mon cher, monsieur, dans les sentiments de la plus tendre amitié et du respect le mieux fondé, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUTFON. J'attendrai que cette plantation des chemins soit faite pour aller à Paris. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) XXI A M. LANTIN, DOYEN DU PARLEMENT DE BOURGOGNE '. Montbard, le 26 septembre 1741. J'ai toujours différé, monsieur, de répondre à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire au sujet de la médaille de l'Académie de Dijon2, parce que j'attendais une réponse de M. le comte de Gaylus, à qui je m'étais adressé pour con- [1741] DE BUFFON. 35 naître les meilleurs ouvriers et pour savoir comment il fal- lait en faire l'inscription et la gravure. Il vient de me répon- dre que M. de Boze3, de l'Académie des inscriptions, décidera de l'exergue de la légende, etc. ; que Bouchardon4 dessinera et que Marteau gravera; il ajoute que, comme l'Académie de Dijon ne lui paraît pas décidée, il lui faut un mémoire in- structif auquel il répondra, soit pour le prix des coins, soit pour le marché du balancier. Si vous me permettez de vous faire mes observations à ce sujet, je vous dirai qu'il serait fort inutile de faire faire cette médaille à Genève, parce qu'elle serait très-certainement sujette à être arrêtée et confisquée. Il" ne convient point aussi de mettre le portrait du fondateur; cela ne s'est jamais fait pour une médaille qui doit servir de prix; c'est tout au plus si on met son nom dans l'exergue. A l'égard du prix, on assure qu'il ne montera pas aussi haut que vous le craignez. M. de Boze ne prendra rien pour l'inscrip- tion ; Bouchardon ne prendra point d'argent, et on en sera quitte pour lui envoyer une feuillette de vin de Bourgogne. Quand l'inscription sera décidée, vous saurez tout aussitôt les prix des coins et du balancier ; cela dépend du dessin, selon qu'il est plus ou moins chargé. Quand vous m'aurez, mon- sieur, marqué vos intentions, j'écrirai à M. de Caylus , qui a bien voulu se charger de cette affaire, et qui, assurément, est plus en état que personne de la bien faire. J'ai l'honneur d'être, avec un respectueux attachement, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Tirée des archives de l'Académie de Dijon.— -Publiée, en 1819, par C.X.Gi- rault.) 36 CORRESPONDANCE L1 742] XXII A M. ARTHUR, MÉDECIN DU ROI, A CÀYENNE». Au Jardin du Roi, le 4 janvier 1742. J'ai reçu, monsieur, la caisse de curiosités que vous avez bien voulu m'adresser par la voie de M. Bélarni, et je vous en fais mes remercîments. M. de Jussieu8 s'est chargé de vous écrire en détail sur ce qu'elle contenait. Je serais très-fâché que vous pussiez, monsieur, vous dégoûter de rendre service au Jardin du Roi. J'ai renouvelé mes représentations au sujet de vos appointements3, et l'on vous a accordé encore une aug- mentation de trois cents livres ; c'est tout ce que nous avons pu faire. Vous avez obligation à M. de La Porte 4, qui s'est porté de fort bonne grâce à faire valoir vos raisons et les miennes auprès de M. le comte de Maurepas. Gomme il protège immé- diatement notre Cabinet d'histoire naturelle, qui est actuelle- ment arrangé et dans un très-bel ordre, vous lui ferez bien votre cour si vous voulez bien, monsieur, m'adresser toutes les curiosités que vous pourrez ramasser. J'ai l'honneur d'être bien sincèrement, monsieur, votre très-humble et très-obéis- sant serviteur. BUFFON. (Inédite. — Communiquée par M. le docteur Tessereau. — M. Flourens en a publié un extrait.) XXIII AU PRÉSIDENT DE RUEFEY. Paris, le 25 janvier 1743. Je vous aurais, mon cher et aimable Ruffey, répondu plus tôt, et même je vous aurais prévenu si , depuis un mois que je suis de retour à Paris, je n'avais pas été très-incommodé [1743] DE BUFFON. 37 d'une grande fluxion qui n'est dissipée que depuis très-peu de jours. Je suis plus sensible que je ne puis vous le dire aux marques de votre souvenir et de votre amitié, et je ne crois pas que le retour de toute la mienne suffise à ma reconnais- sance et aux sentiments que vous méritez et que je vous ai voués. Je vous supplie de me continuer les vôtres, qui sont si flatteurs pour moi, et je ferai toujours tout ce que je pourrai pour m'en rendre digne. Je vous renvoie vos questions sur l'ormille apostillées. Si on désire quelque chose de plus à cet égard, je le ferai avec grand plaisir ; mais, comme cette culture est aisée, il y en a tout autant qu'il en faut pour mettre au fait un jardinier. Toutes les comédiennes ont des rhumes, des fluxions ou des ch p Cela nous prive de la représentation des pièces nouvelles. Piron1 attend l'hiver prochain pour donner Montézume, à cause de Mlle Gaussin2, qui a une ou deux de ces incommodités. M. le cardinal est toujours très-mal, et tout le monde croit que nous sommes à la veille de le perdre3. On parle d'une trêve et de quelques arrangements pour une future paix ; il est à souhaiter que cet avenir ne se fasse pas attendre4. Adieu, mon cher RufTey ; je vous embrasse de tout mon cœur. Quand plaira-t-il à votre vieil oncle de vous sommer par son testa- ment de venir faire un tour dans le cabinet du Jardin du Roi, où il y a une petite caisse de curiosités qui vous atten- dent, et que je vous enverrai s'il ne se détermine pas bientôt? Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) 38- CORRESPONDANCE 1 1 747] XXIV A M. ARTHUR, MÉDECIN DU ROI, A CAYENNE. Paris, le 10 février 1747. Je n'ai pas reçu, monsieur, les lettres que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, et il y a environ deux ans que j'ai reçu votre avant-dernière lettre. Gela ne m'a pas fait oublier, monsieur, les services que vous avez bien voulu nous faire pour le Jardin et pour le Cabinet, et j'en ai parlé plus d'une fois à M. le comte de Maurepas et à M. de La Porte ; mais la guerre fait la réponse à tout. J'espère cependant qu'au moyen d'un changement qui doit se faire dans les officiers de votre colonie, vous aurez lieu dans la suite d'être plus content. Je vous ai recommandé et vous fais recommander par mes amis, et je vous assure que je l'ai fait avec la vivacité qu'in- spire le désir sincère d'obliger. Je suis bien aise que vous ayez pris quelque affection pour Buvée ; c'est un honnête garçon , courageux, et qui mérite qu'on s'intéresse à ce qui le regarde. S'il m'eût envoyé quel- que chose, j'eusse peut-être obtenu quelques légers appointe- ments pour lui. Ce sont surtout des animaux que nous dé- sirons beaucoup, et je voudrais bien qu'il vous en envoyât; et s'il y a quelques pierres figurées et d'autres pétrifications à Cayenne, je souhaiterais fort en avoir, aussi bien que des échantillons des pierres à bâtir et autres de ce pays. Vous me feriez grand plaisir aussi de me dire si les mon- tagnes de la Guyane sont fort considérables, et si le grand lac de Parime1, qu'on appelait le lac d'Or, est connu; si quel- qu'un y a été nouvellement, et si en effet il est d'une étendue si considérable, et s'il ne reçoit aucun fleuve. Faites-moi l'amitié de me marquer quelles sont les espèces de poissons les plus communes sur vos côtes et dans les ri- [1747] DE BUFFON. 39 vières de cette partie des Indes. Je vous demande grâce pour toutes ces questions, et je suis persuadé que vous voudrez bien répondre ce que vous en savez. 11 y a encore un fait sur lequel je voudrais bien être éclairci, c'est de savoir s'il n'y a point de coquilles pétrifiées dans les Cordilières au Pérou 2. M. de La Condamine3 prétend en avoir cherché inutilement. Si par hasard vous trouvez quelqu'un qui puisse vous instruire sur cela, je vous en serai infiniment obligé. Faites-moi, mon- sieur, l'honneur de m'écrire aussi souvent que vous le pour- rez, et ne doutez pas de l'attachement avec lequel je suis, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — Communiquée par M. le docteur Tessereau. — M. Flourens en a publié un extrait.) XXV A L'ABBÉ LE BLANC. Montbard, la IG octobre 1747. Vous trouverez, mon cher ami, que j'ai beaucoup tardé à vous faire réponse. Ce n'est pas que je n'eusse voulu vous donner sur-le-champ toute la consolation que vous pouvez attendre de moi; mais j'ai été dans les embarras et dans l'in- quiétude, et, quoique mes peines ne soient rien en comparai- son des vôtres, je n'ai pas laissé de les sentir, et je n'ai pas eu le loisir de vous marquer plus tôt combien j'ai été touché de tout ce qui est arrivé1. Le récit que m'en a fait M. Daubenton2 m'a indigné; il y a bien de la noirceur dans le pays que vous habitez : il y a bien du courage à y être honnête homme, puisqu'on est presque sûr d'être la victime des méchants. Cependant vous ne devez pas être entièrement abattu; il n'y a que la mauvaise conscience qui puisse nous mener au déses- poir. Consolez-vous donc, mon cher ami, consolez-vous dans votre vertu; lorsque votre Ame sera tranquille, il vous sera 40 CORRESPONDANCE [1749] facile de pourvoir aux autres besoins. Je crois que, malgré vos malheurs, vous pouvez compter sur un certain nombre de per- sonnes qui s'intéressent véritablement à vous ; je mets M.Tru- daine3 du nombre, et vous pouvez compter que, si je vais à Montigny, j'emploierai tout auprès de lui pour l'engager à vous rendre service. Je garde votre lettre pour en faire usage dans ce temps. Ne prenez point de parti extrême jusqu'à ce que nous nous soyons vus. Je serai à Paris, au plus tard, au 20 novembre. Vous êtes trop injustement opprimé pour que tous les honnêtes gens ne réclament pas pour vous. C'est là le cas de parler haut; "friais il faut que ce soient vos amis et non pas vous qui parliez. Vous ne sauriez mieux faire que de garder le silence quant à présent ; mais je vous conseille de retourner peu à peu dans les maisons où vous alliez. Je suis persuadé, par exemple, que M. Trudaine sera bien aise de vous voir; car, en effet, il vous a plaint et il a été très-fâché de vos malheurs. Je ne puis vous dire combien j'y ai été sen- sible moi-même ; encore actuellement, je n'en entends pas parler de sang-froid. Comptez donc toujours, mon cher ami, sur tous les sentiments que vous pouvez désirer de moi, et soyez sûr que peut-être personne ne vous est plus essentielle- ment attaché que je le suis. BUFFON . (Inédite.— De la collection du British Muséum.— M. Flourens en a publié un extrait.) XXVI AU MÊME. Montbard, le 10 août 1749. J'ai appris, mon cher ami, de très-bonne part, qu'il était beaucoup question de vous pour la place à l'Académie1. Je m'en réjouis avec vous, et je vous écris pour vous demander si je ne pourrais pas vous servir auprès de quelqu'un par mes sollicitations. [1750] DE BUFFON. 41 On dit que vous n'avez d'autre compétiteur que l'abbé Tru- blet2. Cela me donne de grandes espérances; car, quelque ap- puyé qu'il soit par les Tencin3, si vos amis d'un certain ordre agissent, vous serez certainement préféré, et d'ailleurs vous méritez si fort de l'être! M. le comte d'Argenson4 ne m'a pas encore envoyé la liste des personnes auxquelles on donnera le livre de l'Histoire naturelle5 ; mais j'espère que cela ne re- tardera que de quelques jours encore. Avez-vous eu occa- sion d'en parler à M. de Voyer6? Donnez-moi, je vous sup- plie, de vos nouvelles, et surtout de celles de votre affaire de l'Académie. Yous savez combien je m'intéresse à ce qui vous regarde, et combien je vous suis attaché. BUFFON. (Insérée dans le tome II des Mélanges des Bibliophiles français, 6 volumes in-4°, 182T à 1829. — M. Flourens en a publié un extrait.) XXYII AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Le 14 février 1750. Il faut que vous me pardonniez, mon cher monsieur, d'a- voir passé tant de temps sans répondre à la lettre obligeante et remplie d'amitié que vous m'avez écrite au commencement de l'année. J'ai été incommodé pendant quelque temps ; j'ai eu aussi beaucoup d'occupation; je n'ai donc pu vous répon- dre plus tôt; mais je n'en ai pas été moins sensible aux mar- ques de votre souvenir, et j'ai été extrêmement flatté de ce que mon livre ne vous a pas déplu. Je fais un cas infini de votre manière de penser, et votre suffrage m'a fait un vérita- ble plaisir; d'ailleurs il est d'accord avec celui du public. La première édition de l'ouvrage, quoique tirée en grand nom- bre, a été entièrement épuisée en six semaines; on en a fait une seconde et une troisième, dont l'une paraîtra dans huit ou dix jours, et l'autre dans un mois. Elles sont toutes les deux entièrement semblables à la première, à l'exception de 42 CORRESPONDANCE [1750] la troisième qui est in-douze. L'ouvrage est aussi déjà traduit en allemand, en anglais et en hollandais1. Je ne vous fais tout ce détail que parce que je ne puis ignorer que votre amitié pour moi ne vous fasse prendre part à tout ce qui peut m'intéresser. Il a dû, en effet, vous paraître singulier qu'après toutes les découvertes de nos disséqueurs d'insectes, après tous les ef- forts des physiciens modernes pour rayer à jamais cet axiome de philosophie : Corruptio unius generatio alterius2, j'aie entre- pris de le rétablir. Cependant ce n'est point un projet; c'est chose faite et que je puis prouver, non-seulement par les ob- servations que j'ai déjà rapportées, mais encore par beaucoup d'autres que j'ai réservées pour l'histoire des animaux ou prétendus animaux microscopiques, que je donnerai après celle de tous les autres animaux. Notre quatrième volume, qui contient un traité de l'économie animale de ma façon, et l'histoire des animaux domestiques, par M. Daubenton, paraî- tra au mois de juillet; le cinquième et le sixième, qui contien- nent un traité sur les mulets, et un autre sur les monstres, avec l'histoire de tous les animaux quadrupèdes, sauvages et étrangers , paraîtront au mois de mai de l'année pro- chaine. Destouches", après plusieurs années d'interruption, vient de reparaître au théâtre et de donner une nouvelle pièce dont on ne dit pas grand mal ; c'est beaucoup dans un temps où l'on est si difficile et si fort porté à la critique. Ne viendrez-vous pas bientôt faire un tour ici? je le désire- rais beaucoup. Comptez, je vous supplie, mon cher monsieur, sur tous mes sentiments et sur l'inviolable attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être votre très-humble et très-obéis- sant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) [1750] DE BUFFON. 43 XXVIII AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Le 16 février 1750. Vous serez sans doute étonné, mon cher Président, de ce qu'après m'avoir écrit les choses les plus obligeantes, j'aie passé tant de temps sans vous faire réponse. Je vous dirais bien et avec vérité que je suis dans le même cas avec bien d'autres; mais cette raison, si elle était seule, ne vaudrait rien pour vous et serait mauvaise pour moi. Vous saurez donc que j'ai été incommodé pendant un temps assez long, et que depuis j'ai été chargé de petites affaires et de grandes occupations. Le jugement que vous avez porté de mon ouvrage n'a pu que me flatter beaucoup; je crois connaître si bien votre esprit et votre goût, et je fais tant de cas de l'un et de l'autre, que j'eusse été très-mortifié si mon livre vous eût déplu. Cepen- dant , quoique vous m'ayez accordé votre suffrage en géné- ral, il me semble que vous me le refusez pour deux choses que je regarde comme ce qu'il y a de mieux prouvé dans tout l'ouvrage : je veux parler de ma théorie sur la génération1 et de la cause de la couleur des nègres, que j'attribue aux effets du vent d'est2. Si vous prenez la peine d'en lire ce que j'en dis avec un globe sous les yeux, je crois que vous ne doute- rez pas plus que moi de tout ce que j'ai avancé sur les diffé- rentes couleurs des hommes. A l'égard de la génération, je ne sache aucune difficulté que j'aie dissimulée et aucune, du moins qui soit réelle et générale, à laquelle je n'aie pas ré- pondu. Tout l'ouvrage a eu un grand succès; mais cette partie du second volume a plus encore réussi que tout le reste. Il n'y a eu que quelques glapissements de la part de quelques gens que j'ai cru devoir mépriser. Je savais d'avance que mon ouvrage, contenant des idées neuves, ne pouvait manquer d'effaroucher les faibles et de révolter les orgueilleux ; aussi je me suis très-peu soucié de leurs clabauderies. 44 CORRESPONDANCE [1750] J'ai été aussi fâché que vous de ce que nous n'avons pu nous joindre l'année dernière. J'ai été vous chercher deux ou trois fois ; vous êtes venu aussi plus d'une fois au Jardin du Roi; mais vous connaissez assez Paris pour savoir que c'est le pays où l'on voit le moins les gens qu'on aime et le plus ceux dont on ne se soucie guère. J'entendis très-bien parler dans le temps de votre mémoire lu à la rentrée de votre Aca- démie3. Je n'étais pas encore de retour; j'aurais eu proba- blement le plaisir de l'entendre. Je ne doute pas qu'en ras- semblant avec exactitude et discernement les passages des anciens on ne puisse venir à bout de faire remonter l'his- toire beaucoup plus haut qu'on ne l'a fait jusqu'ici, et je dé- sirerais beaucoup que vous pussiez vous occuper sérieuse- ment de ce projet4. Mais les affaires et les occupations de votre état s'accordent peu avec de pareilles études , qui demandent beaucoup de suite et de combinaisons difficiles à ordonner ; je vous y exhorte cependant, et je vous recommande Platon comme une source dans laquelle vous trouverez bien de l'a- bondance à tous égards5. J'espère que vous continuerez à me donner quelquefois de vos nouvelles; je serai toujours égale- ment sensible aux marques de votre amitié, et également empressé à vous donner des preuves des sentiments par les- quels je vous suis attaché, BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) XXIX A L'ABBÉ LE BLANC. Montbard, le 21 mars 1750. J'ai été, mon cher ami, depuis votre départ, fort incommodé d'une chute que j'ai faite en allant à Versailles1, et ensuite j'ai eu des occupations si pressées que je n'ai pu vous écrire plus tôt. Je commence par vous dire que ce que vous me [1750] DE BUFFON. 45 marquez au sujet de votre santé m'étonne et m'inquiète. Comment se fait-il que vous n'ayez pas encore pu oublier les sujets de chagrin qu'on vous a donnés si mal à propos, et qui n'ont fait tout au plus qu'une impression passagère sur l'esprit des autres? Vous avez triomphé de vos ennemis; vous êtes mieux du côté de la fortune que vous ne l'avez été jus- qu'ici ; vous voyagez avec un homme que vous aimez2, dans un pays où vous pouvez trouver à tout moment des objets de votre goût. Tout cela me ferait croire que vous devriez être heureux, et, si vous l'étiez, votre santé se rétablirait bientôt. Il n'y a, ce me semble, qu'une seule précaution à prendre, et que l'état où vous êtes et le climat que vous habitez paraît exiger, c'est que vous mangiez peu. Bien des gens me deman- dent de vos nouvelles, M.Guéneau3, M. Dàubenton, M.Nicole4, M. du Prey, M. de la Popelinière3, et bien d'autres. J'en ai dit à M. Trudaine, et il m'a paru sensible ù votre souvenir. Tout le monde parle bien de votre voyage, et vos ennemis sont dans le silence. L'un de ceux qui vous ont fait le plus de tort, l'abbé5 que vous me citez, me paraît tomber tous les jours de plus en plus dans le mépris. Pourquoi donc ne vous tran- quillisez-vous pas, mon cher ami? Reposez-vous sur nous de tout ce qui peut regarder votre réputation. J'aimerais mieux combattre pour cette cause que pour la mienne, contre les jansénistes, dont le gazetier m'a attaqué aussi vivement, mais un peu moins malhonnêtement qu'il n'a fait le président Montesquieu7. Il a répondu par une brochure assez épaisse et du meilleur ton8. Sa réponse a parfaitement réussi; malgré cet exemple, je crois que j'agirai différemment et que je ne répondrai pas un seul mot. Chacun a sa délicatesse d'amour- propre; la mienne va jusqu'à croire que de certaines gens ne peuvent pas même m'offenser. J'aurai occasion de voir un de ces jours Mme la marquise de Pompadour9, et je cher- cherai à lui parler de vous. Comptez que je ferai de même toutes les fois que je verrai M. de Tournehem10et M. deVoyer. Je vous suis bien obligé des remarques d'histoire naturelle 46 CORRESPONDANCE [1750] que vous me faites dans vos lettres, et j'en ferai usage. J'at- tends que vous soyez établi à Rome pour un peu de temps ; je vous enverrai alors un petit mémoire sur ce que je souhai- terais avoir. Je ne sais guère de nouvelles autres que celles que la Ga- zette peut vous apprendre. Nous avons reçu à l'Académie M. de Malesherbes à la place de M. le duc d'Aiguillon11, qui est mort il y a six semaines. Je reçois souvent des lettres de Maupertuis, et j'ai envie de lui faire vos compliments. On donnera après Pâques une pièce de Marmontel12 Cléojiatre; quelques gens en disent beaucoup de bien. Aristomène 13 est tombé à l'impression. Nous avons aussi, à ce qu'on prétend, Rome sauvée de Voltaire14. Il dit dans le monde que Madame la duchesse du Maine13 a exigé qu'il la donnât au public. La seconde édition de notre livre sera en vente au 1er avril, et la troisième, qui est in-douze, le sera à la fin du même mois. M. votre père m'a écrit une lettre de politesse et d'amitié à laquelle j'ai répondu de mon mieux. Adieu, mon cher ami ; continuez à me donner de vos nou- velles souvent, et comptez, je vous prie, sur les sentiments les plus sincères et les plus inviolables. N'oubliez pas de gagner le grand jubilé, pour vous et pour vos amis16. BUFFON. (Insérée dans le tome II des Mélanges des Bibliophiles français, 6 vol. in-4°, 1827-1829. — M. Flourens en a publié un extrait.) XXX AU MÊME. Montbard, le 23 juin 1750. Je vous écris directement, mon cher ami, parce qu'il y a huit jours que je suis à Montbard, et que je n'ai pas cru qu'il convînt d'envoyer ma lettre par la poste à M. Perrier *. Je vous suis très-sensiblement obligé des services que vous m'avez [1750] DE BUFFON. ' 47 rendus au sujet de mon livre. J'ai pris la liberté d'écrire à M. le duc de Nivernais 2, qui m'a répondu de la manière du monde la plus polie et la plus obligeante. J'espère donc qu'il ne sera pas question de le mettre à l'index 3, et, en vérité, j'ai tout fait pour ne pas le mériter et pour éviter les tracasseries théologiques, que je crains beaucoup plus que les critiques des physiciens ou des géomètres. La troisième édition de cet ouvrage vient de paraître, et se débite avec autant de rapidité que la première et la seconde. Je partage avec vous la satisfaction que vous avez eue de voir vos ouvrages goûtés par tout ce que nous avons de plus respectable dans l'Église, et je suis charmé que vous les ayez présentés à Sa Sainteté, et que vous ayez eu son approbation. J'ai fait voir cet article de votre lettre à quelques personnes, et j'imagine qu'à votre retour vous obtiendrez le privilège que vous demandez, et qu'il est en effet très-injuste de vous refu- ser. Le P. Jacquier4 est un homme d'un grand mérite, et je suis charmé que vous soyez de ses amis. Je vous serai bien obligé si vous voulez bien l'assurer de ma part que personne ne peut l'estimer et l'honorer plus que je le fais. Dans la dis- pute que j'eus il y a plus de deux ans avec Glairaut, au sujet du mouvement de l'apogée de la lune3, je défendis Newton et ses commentateurs; mais Clairaut s'étant depuis rétracté, et ayant supprimé les parties de son mémoire qui attaquaient directement les commentateurs, j'ai été obligé aussi de sup- primer ce que j'avais écrit pour maintenir cette théorie, et il n'y a d'imprimé dans le volume de 1745 que ce qui regarde en général la loi de l'attraction. Je vous écris ceci pour que le R. P. Jacquier voie que je désire beaucoup une part dans ses amitiés. J'écrirai au premier jour àMaupertuis, et je tâcherai de lui proposer d'une manière efficace les choses que vous souhai- tez. Au reste, je ne vous réponds de rien. Maupertuis est en effet un honnête homme ; mais il se grippe quelquefois, et je ne sais s'il n'est pas toujours piqué. Quoi qu'il en soit, je lui 48 CORRESPONDANCE [1750] écrirai, et je lui écrirai pressamment, surtout pour que vous soyez de l'Académie. Je retourne à Paris dans trois semaines. Je suis venu pas- ser ici le temps du voyage de Compiègne6. On vous aura peut- être écrit que Voltaire fait jouer chez lui toutes les pièces que les comédiens ont refusées. J'entends faire à quelques-uns des éloges de sa Rome sauvée; l'abbé Sallier7, qui l'a vu repré- senter, m'en a dit du bien. Vous avez bien fait de lui écrire; il m'a demandé souvent de vos nouvelles. Mme Dupré m'a aussi chargé de vous dire bien des choses de sa part. J'ai souvent parlé de vous chez elle et chez M. Trudaine, et il ne m'a pas paru qu'ils aient, comme vous vous le persuadiez, changé de manière de penser sur votre sujet. Oubliez, mon cher ami, les chagrins que vous avez eus; les autres ont déjà oublié les calomnies qui les ont occasionnés. Soyez donc tranquille; portez-vous bien et continuez à me donner sou- vent de vos nouvelles. Personne ne vous est plus essentielle- ment attaché que je le suis. BUFFON. De la collection de M. Feuillet de Conches. — Publiée par M. Flourens.) XXXI AU MÊME. Montbard, le 22 octobre 1750. .... Maupertuis me marque que Voltaire doit rester en Prusse, et que c'est une grande acquisition pour un roi qui a autant de talent et de goût. Entre nous, je crois que la pré- sence de Voltaire plaira moins à Maupertuis qu'à tout autre ; ces deux hommes ne sont pas faits pour demeurer ensemble dans la même chambre1. Les affaires du clergé font aujourd'hui grand bruit. Tous les honnêtes gens admirent la bonté du Roi et crient contre l'orgueil et la désobéissance des prêtres, qui ont refusé net- [1750] DE BUFFON. 49 tement de donner la déclaration des biens qu'ils possèdent. Heureusement on tient ferme, et on leur a déjà fait sentir qu'on les y forcerait2. Ils sont tous renvoyés et retenus dans leurs diocèses , et comme le Roi est à Fontainebleau, diocèse de Sens, l'archevêque3 a cru qu'il lui serait permis d'aller comme à l'ordinaire faire sa cour ; mais il a reçu ordre de rester à son archevêché. Je tiens cette nouvelle de son neveu, dont je suis voisin. Buffon. (Insérée dans le tome II des Mélanges des Bibliophiles français, 6 vol. in-4°, 1827-1829. — Publiée par M. Flourens.) XXXII A SAMUEL FORMEY1. Paris, le 6 décembre 1750. J'ai, monsieur, des excuses sans nombre à vous faire. Quel- que bonté et quelque indulgence que vous ayez, je ne sais ce que vous devez penser de moi , d'abord de ne vous avoir pas remercié de toutes les attentions obligeantes que vous m'avez marquées, et ensuite d'avoir même oublié de vous marquer ma reconnaissance des présents que vous m'avez faits. J'avais envie de prendre un médiateur auprès de vous. Je voulais écrire à M. le président de Maupertuis de vous de- mander grâce pour moi. Il aurait pu vous dire en même temps l'estime particulière que j'ai conçue pour vous, monsieur, et le cas que je fais depuis longtemps des productions de votre esprit. Vous pensez avec une facilité et une fécondité qui me charment, et vous écrivez comme vous pensez. J'ai lu les Songes, l'Existence de Dieu*, etc., avec bien du plaisir, et je voudrais bien voir ce que vous avez écrit au sujet de mon li- vre d'histoire naturelle 3. Mais aucun de nos libraires ne con- naît la Bibliothèque impartiale*. J'ai remis à leur destination les livres que vous venez de m'envoyer et ceux que vous aviez euvoyés précédemment. Le projet du Dictionnaire encyclopédie h 50 CORRESPONDANCE Ll751J que paraît ici depuis quelques jours8. Vous êtes nommé, mon- sieur, avec des éloges qui vous sont dus, et non-seulement comme auteur, mais comme un galant homme, qui sacrifie son bien particulier à l'avantage public. Au reste, cet ouvrage, dont les auteurs m'ont communiqué plusieurs articles, sera bon. On réimprime ici l'Astronomie nautique* et la Vénus phy- sique'1 de M. de Maupertuis. J'aurai l'honneur de lui écrire bientôt et de lui en donner des nouvelles. Je vous offre, mon- sieur, mes services en ce pays-ci, et je vous supplie d'être persuadé de la sincérité de mes sentiments et du désir que j'aurais de vous en donner des preuves. J'ai l'honneur d'être avec la plus parfaite estime, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — Tirée des manuscrits de la Bibliothèque impériale, collection Matter.) XXXIII A M. ARTHUR, MÉDECIN DU ROI, A CAYENNE. Au Jardin du Roi , le 17 février 1751/ J'ai reçu, monsieur, la caisse de curiosités et les échantil- lons que je vous avais demandés et que vous avez bien voulu m'envoyer pour le Cabinet du Roi; je vous en fais, monsieur, tous mes remercîments et j'aurai soin d'en informer le mi- nistre aussi bien que M. de La Porte. Je désirerais fort qu'on voulût se prêter à reconnaître un peu votre zèle et vos ser- vices déjà anciens dans la colonie. Vous ne pouviez nous faire plus de plaisir que de nous envoyer des oiseaux, la suite que nous avons n'étant pas complète, à beaucoup près. J'ai l'hon- neur d'être, avec un parfait attachement, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — Communiquée par M. le docteur Tessereau.) [1751] DE BUFFON. 51 XXXIV A MM. LES DÉPUTÉS ET SYNDIC DE LA FACULTÉ DE THÉOLOGIE. Le 12 mars 1751. Messieurs, J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'é- crire1, avec les propositions qui ont été extraites de mon li- vre, et je vous remercie de m'avoir mis à portée de les expli- quer d'une manière qui ne laisse aucun doute ni aucune incertitude sur la droiture de mes intentions ; et si vous le désirez, messieurs, je publierai bien volontiers, dans le pre- mier volume de mon ouvrage qui paraîtra , les explications que j'ai l'honneur de vous envoyer2. Je suis avec respect, messieurs, votre très-humble et très- obéissant serviteur. BUFFON. (Insérée dans les diverses éditions de YHîstoire naturelle.) XXXV A L'ABBÉ LE BLANC, HISTORIOGRAPHE DES BATIMENTS DE S. M. TRÊS-CHRËTIENNE , EN COMPAGNIE DE M. DE VANDIÈRES 1 , DIRECTEUR GÉNÉRAL DES BATIMENTS, A FLORENCE. Au Jardin du Roi, e 24 avril 1751. ♦Je viens de recevoir votre lettre datée de Florence, 1er avril, et je suis charmé, mon cher ami, de voir que vous commen- cez à vous rapprocher de nous. Le temps où vous devez re- venir en effet ne doit plus être éloigné, et j'aurais voulu que vous m'en eussiez dit quelque chose. Comme vous ne me dites rien non plus de votre santé, je suppose qu'elle est bonne. La mienne n'est pas parfaite ; j'ai depuis près de cinq mois un rhume qui m'incommode beaucoup. Quantité de gens sont dans le même cas; cet hiver a été terrible par les maladies 52 CORRESPONDANCE [1751] que l'humidité continuelle a produites. Encore actuellement, il pleut, et depuis plus de deux mois il n'y a pas eu un seul jour sans pluie. Il y a eu à Paris deux inondations, toutes deux fort grandes ; vous en aurez une idée en vous disant que le terrain qui termine le Jardin du Roi était inondé, et qu'il y avait par conséquent sept ou huit pieds d'eau dans les ma- rais voisins; ils sont encore couverts de plus d'un pied par- tout. Mon premier soin, en arrivant à Paris, sera de deman- der de vos nouvelles ; je vous dis : en arrivant à Paris, parce qu'il n'y a que quelques jours que je suis de retour de Mont- bard, où j'ai passé près de deux mois. Baudot me dit que vous aviez écrit de Florence, et il suppose, comme moi, que vous ne devez pas tarder à revenir. Tous vos amis le désirent ; il y a près de seize mois que vous êtes parti ! Je dînai avant-hier avec M. de La Popelinière ; il vous aime, et nous parlâmes beaucoup de vous. J'ai vu aussi M. le marquis de L'Hôpital2 chez M. Boulongne3, et j'ai pris jour pour l'aller voir chez lui et causer de vous à mon aise. Il parle de vous aussi bien que vous et vos amis pouvez le désirer. J'avais lu à M. et Mme de Bou- longne l'article de votre lettre datée de Naples où vous faisiez l'éloge de cet honnête ambassadeur; il me parut qu'ils en étaient très-flattés. J'ai aussi fait voir à plusieurs personnes votre description du Vésuve1. Comme je l'ai trouvée parfaite- ment bien faite, j'ai eu du plaisir à la lire à un grand nombre de personnes, et entre autres à M. Trudaine et à Mme Dupré. J'ai aussi quelquefois entendu parler de vous pour l'Académie française, et je suis fâché que M. La Chaussée 5, pour exclure Piron, ait tourné les vues de l'Académie sur le marquis de Bissy6, qui, comme vous le savez, a eu la dernière place va- cante ; car il me paraît qu'on désire Piron, et il aurait mieux valu pour vous qu'il y fut entré que d'avoir à y entrer. Je ren- contrai hier le marquis de Senneterre l'aveugle chez M. d'An- cereine; il parla beaucoup et parla bien de vous, aussi bien que le bonhomme duc de Cadrousse. La nouvelle édition de vos lettres a bien fait dans le monde ; la réputation que cet [1751] DE BUFFON. 53 ouvrage mérite s'affermit tous les jours. J'ai dîné aujourd'hui à la Bibliothèque du Roi avec Duclos7, qui, comme vous le sa- vez, est devenu un homme de la cour. Il vient de donner un ouvrage qui essuie bien des jugements divers; pour moi , je le trouve bon et très-bon, quoiqu'il y ait quelques défauts. Beaucoup d'esprit, peu de modestie, peut-être faute d'hypo- crisie, un logement au Louvre, la place d'historiographe , et surtout la faveur de Mme la marquise de Pompadour, en voilà plus qu'il n'en faut pour avoir des ennemis ; aussi M. Duclos en a-t-il beaucoup. Je trouve que son livre est l'ouvrage d'un homme d'esprit et d'un honnête homme. Nous parlâmes de vous ; il en dit beaucoup de bien, et je crois que vous pouvez compter sur lui. Je dis à M. l'abbé Sallier que vous lui faisiez des compliments par ma lettre; il m'a chargé de vous en re- mercier. M. Daubenton m'a prié de la même chose. Je n'ai pas encore vu M. Doussin; mais je sais qu'il se porte bien, et nous savons tous deux que c'est un homme excellent. On a écrit de Berlin que Maupertuis crache le sang et qu'il est dan- gereusement attaqué ; j'en suis véritablement affligé. Il paraît une critique aussi amère que mauvaise contre le livre du pré- sident de Montesquieu. Il n'est pas non plus encore hors d'af- faire avec la Sorbonne; pour moi, j'en suis quitte à ma très- grande satisfaction. De cent vingt docteurs assemblés, j'en ai eu cent quinze, et leur délibération contient même des éloges auxquels je ne m'attendais pas 8. Je vous remercie, mon cher ami, de tout ce que vous avez eu la bonté de faire pour moi. Je ne savais pas que j'eusse été reçu à l'Académie de Bolo- gne ; si cela est, je vous en ai l'entière obligation, et j'écrirai au P. Jacquier pour lui marquer aussi la reconnaissance que je lui dois; mais je n'ai point encore reçu de lettre d'a- vis9. Il m'est venu il y a trois jours, par la voie de M. le car- dinal de Tencin, une lettre de M. Zanotti10, par laquelle il me remercie au nom de l'Académie. Je lui ai envoyé mon livre , mais il ne parle pas de ma nomination. Je vous prie même de vous en instruire plus particulièrement. Nous n'avons pas 54 CORRESPONDANCE [1751] voulu vous charger de commissions pour le Cabinet; lorsque vous serez de retour, nous nous servirons bien volontiers de vos amis et de vos connaissances en Italie, et nous demande- rons par votre moyen les choses qui nous manquent. J'aurai soin de retirer ici la caisse que vous m'annoncez, et de con- server pour vous la petite lampe, et nous distribuerons les graines suivant vos intentions. On est ici fort occupé du ju- bilé. L'affaire du clergé pour le vingtième n'est point encore finie; l'archevêque de Sens et l'évêque d'Auxerre11 se sont traités comme des fiacres dans leurs mandements. M. de Ma- lesherbes, qui a la librairie12, en est fort en train et la mène bien. Le Dictionnaire encyclopédique entrepris par MM. d'A- lembert13 et Diderot14 va bien; il y a déjà plus de mille sous- criptions de reçues. Le premier volume est presque achevé d'imprimer. Je l'ai parcouru ; c'est un très-bon ouvrage. Adieu, mon cher ami. Je vous embrasse et j'espère que vous viendrez bientôt. Buffon. (Inédite. — De la collection du British Muséum. — M Flourens en a pu- blié divers passages.) XXXVI A M. FEUILLET, MAIRE ET SUBDÊLËGUÊ A LA FÈRE EN PICARDIE. Montbard, le 29 septembre 1751. Vous me faites, monsieur, beaucoup d'honneur de me con- sulter au sujet de votre entreprise, et je suis très-flatté des po- litesses dont votre lettre est remplie; mais vous me supposez peut-être plus de lumière que je n'en ai sur cet objet, et je ne crois pas, monsieur, que je puisse rien dire que vous n'ayez pensé vous-même. Je connais comme vous, monsieur, la machine dont vous vous servez et les effets qu'on en peut attendre; je viens même d'acheter tout nouvellement celle qui était àDrancy près le Bourget, pour l'envoyer à MM. les élus de Bourgogne, qui veulent s'en servir pour trouver [1751] DE BUFFON. 55 du charbon de terre. L'entreprise de Mme de Lailly, à qui cette machine appartenait, n'a pas réussi ; elle a trouvé des sables mouvants et des roches presque impénétrables ; elle a été forcée d'abandonner son entreprise après avoir eu de l'eau d'abord à soixante et dix pieds. Comme il s'en fallait de cinq pieds que cette eau ne montât au niveau de la surface du terrain, elle a voulu forer plus profondément et jusqu'à deux cent cinquante pieds, ce qui n'a servi qu'à faire per- dre la première eau sans en trouver d'autre. Le succès de ces opérations est donc incertain et dépend beaucoup du hasard. Il n'y a pas des veines d'eau partout, et, plus on descend, plus la probabilité d'en trouver diminue. Cepen- dant, puisque vous me demandez mon avis, je vous dirai, monsieur, que je ne voudrais pas que vous abandonnassiez encore votre entreprise, et que vous ne devez pas encore perdre toute espérance. Je connais la matière de la cou- che que vous percez , on m'en a envoyé plusieurs échantil- lons ; c'est une vraie marne , c'est-à-dire une poussière de pierre à chaux, et cette marne est mêlée de débris de plantes dans lesquelles celle qu'on appelle vulgairement la queue de renard est la plus abondante. Cette couche de matière ne contient point de coquilles de mer, et, quoiqu'elle soit très-anciennement déposée dans le lieu où vous la trouvez , elle est cependant beaucoup moins ancienne que les cou- ches ordinaires du globe qui contiennent des coquilles, et toutes sont fondées sur la glaise ou sur le sable. Je présume donc qu'au-dessous de cette énorme épaisseur de marne vous devez trouver de la glaise ou du sable: j'entends par glaise la matière dont on fait les tuiles et les briques. Je vous conseille donc, monsieur, de ne point abandonner votre entreprise jus- qu'à ce que vous ayez percé en entier le lit de marne. Vous n'aurez point d'eau tant qu'il durera; mais, si la glaise est des- sous, vous aurez de l'eau dès que vous y serez arrivé, et si malheureusement vous ne trouvez que du sable, vous aban- donnerez alors; car il n'y aura plus aucune espérance. Si la 56 CORRESPONDANCE [1752] matière de la couche vient à changer, envoyez-m'en un échan- tillon, et je vous dirai ultérieurement mon avis. Au reste, je ne crois pas que vous foriez longtemps sans trouver la fin de cet amas prodigieux de marne, et vous êtes en droit d'espérer de l'eau tant qu'il ne sera pas percé tout entier. Je ne vous dirai rien pour vous, monsieur; c'est louer votre zèle que de l'encourager. J'ai l'honneur d'être, avec tous les sentiments qui vous sont dus, monsieur, votre très-humble et très-obéis- sant serviteur. Buffon. (Cette lettre a appartenu à M. Duriveau, officier du génie, demeurant à la Fère. Imprimée avec son autorisation, en 1828, dans une publication de la Société royale d'Agriculture, elle a été insérée en partie dans un Recueil de fac-similé, publié par J. Cassin en 1834. Cette lettre, qui appartient actuel- lement à la ville de Dijon, montre, d'une façon certaine, à quelle époque remontent les premiers essais entrepris pour le forage des puits artésiens; elle donne, de plus , l'opinion de Buffon sur le succès probable de ces sortes d'entreprises, et renferme une dissertation scientifique sur la nature des ter- rains dans lesquels de semblables recherches peuvent présenter quelque chance de succès.) XXXVII AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Le 22 juillet 1752. Je vous envoie ci-joint, mon très-cher Ruffey, une rescrip- tion de 658 livres, et je vous supplie de me faire le service de toucher cet argent et de payer pour moi 657 liv. 6 s. 6 d. que je dois au procureur Regnault l'aîné, vis-à-vis le palais, pour deux années d'arrérages. Ne manquez pas, je vous en prie , de tirer quittance de ces deux années échues au 1er janvier dernier, et envoyez-moi cette quittance ; car il faut être en règle, surtout quand on a affaire à un procureur. M. Durand m'a dit vous avoir envoyé vos livres. Nous faisons tous les jours de belles expériences sur le tonnerre1. C'est moi qui les ai fait connaître et exécuter le premier. Si vous avez dessein de les répéter, vous n'avez qu'à faire élever dans [1752] DE BUFFON. 57 votre jardin une perche de vingt ou trente pieds de hauteur, sceller avec du plâtre un cul de bouteille cassée au-dessus de la perche, en sorte que le creux soit en haut, poser sur ce creux une verge £n fer longue d'un pied ou deux et très-poin- tue, et la maintenir par un contre-poids, comme Ton tient en équilibre un marmouset d'ivoire sur un petit guéridon; en- suite attacher à la verge de fer un long fil d'archal dont vous conduirez l'extrémité dans votre galerie d'assemblée; vous ferez avec ce fil de fer, lorsqu'il y aura de l'orage, toutes les épreuves que l'on fait avec les machines électriques. J'ou- bliais de vous dire que, pour empêcher le creux de la bouteille de se remplir d'eau (ce qui détruirait l'effet) , il faut mettre par-dessus un entonnoir en fer-blanc. Mais je ne pense pas que vous êtes trop habile pour vous faire tant de détail. Les nuées sont souvent électriques sans tonnerre , et le moment où il y a le plus d'électricité, c'est lorsque l'éclair brille. L'abbé Nollet meurt de chagrin de tout cela8. Adieu, mon cher monsieur, donnez-moi de vos nouvelles et aimez-moi toujours. Buffon. (De la collection de M. le comte de Vesvrotte. — Publiée en partie par M. Foisset en 1842, dans sa Vie du président de Brosses.) XXXVIII AU MÊME. Août 1752. Je vous remercie *et vous remercie encore, mon cher Ruf- fey, de votre bonté, de votre amitié et de la quittance que vous m'avez envoyée. Il n'y a rien à craindre, et au contraire, à mettre la barre de fer au-dessus de la maison. J'en ai une ici au-dessus de mon logement1 ; mais j'aurais préféré la mettre dans le jardin, s'il n'eût été public; et, pourvu que la pointe de la verge surpasse de deux ou trois pieds la hauteur des bâtiments qui environnent votre jardin, elle ne manquera jamais de réussir. Je crois seulement avoir oublié une circon- 58 CORRESPONDANCE [1752] stance: c'est qu'il faut mettre au-dessus de la perche une boîte de six pouces et carrée, remplie de résine, dans laquelle résine, au lieu de plâtre, vous infixerez le cul de la bouteille cassée ; et ne pas oublier l'entonnoir renversé pour couvrir le cul de la bouteille et la boîte ; il faut, en effet, que le fil de fer que vous attacherez au-dessus de l'entonnoir à la verge de fer, et que vous amènerez dans votre galerie, ne touche à rien et soit soutenu par des cordons de soie. Si, au lieu d'une pointe de fer, vous mettez une pointe d'argent, vous verrez que le feu électrique des nuages rendra cette pointe d'un beau jaune doré. Voilà, comme vous voyez, une singulière façon de faire du vermeil ; mais, sans plaisanterie, cette expérience est jolie, et prouve que le feu du tonnerre n'est pas tout à fait du sou- fre; car le soufre rend l'argent noir. Il y aurait aussi une belle expérience à tenter, mais je n'en ai pas le temps: ce serait de savoir si l'électricité ne serait pas le phlogistique des chi- mistes2. Pour cela il faudrait faire fondre du plomb dans un vaisseau de verre, le remuer jusqu'à ce qu'il fût calciné en poussière jaune, et ensuite l'électriser continuellement, pour voir si l'on ne viendrait pas à le revivifier en métal par le moyen de l'électricité ; j'en doute, mais cependant cela vaut la peine d'être tenté. Piron, que j'ai rencontré hier, n'a refusé d'être de votre société que parce qu'il a cru que cela l'enga- geait à quelque thème en vers ou en prose ; je lui ai dit que non, et il m'a dit qu'en ce cas il consentait à être mis sur la liste 3; mais il ne faut pas non plus oublier l'abbé Le Blanc. Il ne m'en a pas parlé, et c'est de moi-même que je pense à lui; et, comme vous avez quelque amitié pour lui, vous devez y penser aussi, et à l'abbé Sallier, comme étantde la province ; car il me semble que le plan de votre société est bien vaste : 1° la ville; 2° la province; 3° le royaume; 4° toutes les nations. Adieu, mon cher monsieur, vous pouvez être sûr des tendres et respectueux sentiments qui m'attachent à vous pour ma vie. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) [1752] DE BUFFON. 59 XXXIX A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Au Jardin du Roi, lundi 18 septembre 1752. Je vous ai, mon très-cher monsieur, tout autant d'obliga- tions que si vous m'eussiez envoyé la dispense ; votre avis est aussi sûr. L'évêque est arrivé vendredi soir; samedi matin j'ai eu la dispense, non pas sans peine, mais enfin je l'ai, et nous partons demain mardi pour aller coucher à Sens. Le mercredi nous coucherons à Cussy-les-Forges, jeudi nous se- rons à la Maison-Neuve, entre sept et huit, et je serai comblé de joie si je vous y trouve. N'oubliez pas d'envoyer le perru- quier à la Villeneuve, où nous irons coucher le jeudi, et j'es- père que le vendredi matin la cérémonie sera faite et que nous reviendrons à Montbard le même jour, et vous verrez, mon cher monsieur, que je me soucierai encore moins des critiques de mon mariage1 que de celles de mon livre2. J'ai marqué à Mlle de Malain les obligations qu'elle vous a. Adieu, à jeudi, sept ou huit heures à la Maison-Neuve. Je vous embrasse bien tendrement , mon très-cher monsieur. J'emporte votre habit dans ma malle. BUFFON. (Inédite. — Appartient à la ville de Semur et est conservée dans sa Bi- bliothèque.) XL AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Montbard, le 12 décembre 1752. Je vous renvoie, monsieur et très-cher ami, l'écrit que vous m'avez communiqué. Je le trouverais bon si je n'en étais pas l'objet; mais j'y suis loué beaucoup plus que je ne mérite, et cela suffit pour m'engager à vous supplier de ne le 60 CORRESPONDANCE [1753] pas faire imprimer ! ; car du reste vous avez très-bien saisi le fond des systèmes et les circonstances des hypothèses, et la manière dont vous les défendez est fort bonne, fort simple et fort naturelle. Il n'y a que le commencement et la fin de votre ouvrage que je regarde comme peu utiles à la question. Je n'avais pas besoin, mon cher ami, de cette nouvelle preuve de votre amitié et de vos sentiments pour moi ; je vous en remercie cependant de tout mon cœur, et je vous supplie d'être bien persuadé de tout l'attachement et de l'amitié sin- cère avec lesquels je serai toute ma vie votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. Je pars après-demain pour Paris. Donnez-moi, je vous en prie, de temps en temps de vos nouvelles. (Inédite, r-r De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) XLI AU MÊME. Montbard, le 25 mars 1753. Je vous envoie, mon cher Président, une lettre de M. Pa- gny1, qui a grande envie d'aller à Dijon faire un cours de physique, et je crois que vous le favoriserez volontiers en lui donnant votre belle salle pour faire des expériences, et même un logement si cela ne vous incommodait pas. Yous pourriez, mon cher ami, lui procurer aussi des leçons en ville. Si rien ne s'oppose à ce projet, ayez la bonté de lui écrire vous-même ; son adresse est dans sa lettre. Comme Mme de Ruffey est venue à Montfort8, nous avons espéré pendant quelque temps d'avoir l'honneur et le plaisir de vous voir à Montbard ; mais elle est partie et elle a em- porté avec elle toutes nos espérances. Adieu, mon très-cher [1753] DE BUFFON. 61 monsieur; je vous suis toujours plus inviolablement attaché que personne. Buffon. (Inédite. •— De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) XLII AU MÊME. Montbard, le 4 juillet 1753. Je ne doute pas, monsieur et cher ami, de l'intérêt que vous prenez à ce qui me regarde, et c'est avec autant de plai- sir que de reconnaissance que je reçois les nouvelles marques d'amitié que vous me donnez au sujet de mon élection à l'A- cadémie française. C'est la première fois que quelqu'un a été élu sans avoir fait aucune visite ni aucune démarche, et j'ai été plus flatté de la manière agréable et distinguée dont cela s'est fait que de la chose même, que je ne désirais en aucune façon1. Je suis bien fâché d'avoir des compliments bien diffé- rents à vous faire sur la mort de M. de Vesvrotte 2 et sur celle de la pauvre Mme de Chomel3. Je sais que Mme de La Forest* est bien affligée et qu'elle revient au premier jour à Montfort. Vous viendrez peut-être la consoler. En ce cas, je me flatte que j'aurais le plaisir de vous voir, et Mme de Buffon vous en prie avec autant de sincérité que d'empressement. Je suis à Montbard pour jusqu'au 15 d'août, que je retournerai à Paris pour ma réception. Je ne sais pas trop encore ce que je leur dirai5; mais il me viendra peut-être quelques inspirations comme à Marie Alacoque, et je ne parlerai pas d'elle de peur du coq-à-1'ane6. Je vous prie d'assurer Mme deRuffey de tout mon respect. Vous connaissez, monsieur et cher ami, tous les sentiments du tendre et inviolable attachement avec lesquels je suis votre très-humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) 62 CORRESPONDANCE [1753] XLIII A LA SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE, FONDÉE A DIJON PAR LE PRÉSIDENT DE RUFFEY. Montbard, le 8 juillet 1753. Messieurs, Le compliment que vous avez la bonté de me faire est un nouveau suffrage aussi précieux pour moi que celui d'aucune autre compagnie. Il est des temps où les honneurs sont plus doux, et c'est quand on voudrait honorer une Société1 qui nous honore. J'étais dans ce cas, et je suis très-satisfait d'a- voir au moins un titre à vous offrir, et quelque chose à join- dre aux sentiments de respect avec lesquels je suis , mes- sieurs, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — Tirée des archives de a Société, aujourd'hui entre les mains de M. le comte de VesTrotte.) XLIV A MM. DE L'ACADÉMIE DE DIJON. Monthard, le 16 juillet 1753. Messieurs et illustres confrères, C'est avec autant de respect que de sensibilité que je re- çois le compliment que vous avez la bonté de me faire au sujet de mon élection à l'Académie française. J'aurais été bien fâché de ne pouvoir compter votre suffrage parmi ceux dont on a bien voulu m'honorer, et je ne puis, mes- sieurs , vous en faire mes remercîments autrement que par les assurances de mon zèle, de ma reconnaissance et [1753] DE BUFFON. 63 de mon dévouement. C'est dans tous ces sentiments que j'ai l'honneur d'être, Messieurs et illustres confrères, Votre très-humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Tirée des archives de l'Académie, publiée en 1819, par C. X. Girault.) XLV AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. 7 août 1753. J'ai reçu, mon cher Président, la petite rescription de 290 li- vres, et lorsque je serai à Paris, je demanderai un livre d'ex- plication sur l'usage du microscope pour vous l'envoyer. J'ai fait quelques changements à mon discours1, et entre autres, j'ai ôté le considéré et considérable dont, en effet, on pouvait faire une mauvaise épigramme. Je vous embrasse bien sin- cèrement, et je vous suis attaché pour ma vie. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) XLVI A L'ABBÉ LE BLANC. Montbard, le 23 novembre 1753. J'ai reçu, mon cher ami, votre compliment avec d'autant plus de sensibilité que vous êtes plus en droit de penser que j'avais tort avec vous de ne vous avoir point parlé de mon mariage. Je vous remercie donc très-sincèrement de cette marque de votre amitié, et je ne puis mieux y répondre qu'en vous avouant tout bonnement le motif de mon silence. Il en 64 CORRESPONDANCE [1753] était de cette affaire comme de quelques autres, sur lesquelles nous ne pensons pas tout à fait l'un comme l'autre; vous m'eussiez contredit ou blâmé, et je voulais l'éviter, parce que j'étais décidé et que, quelque cas que je fasse de mes amis, il y a des choses qu'on ne doit pas leur dire ; et de ce nombre sont celles qu'ils désapprouvent, et auxquelles cependant on est déterminé. Au reste, je ne doute nullement, mon cher ami, de la part que vous voulez bien prendre à ma satisfac- tion, et je serais très-fâché que vous eussiez vous-même quel- que soupçon sur ma manière de penser. Les mauvais propos ne me feront jamais d'impression, parce que les mauvais propos ne viennent jamais que de mauvaises gens. Mme de Buffon, qui connaît votre ancienne amitié pour moi et qui vous a lu plus d'une fois, me charge de vous faire ses com- pliments et de vous dire qu'elle aime beaucoup vos lettres. Je compte partir le 15 décembre pour retourner à Paris, où j'espère vous voir souvent et vous renouveler l'assurance de mon attachement. BUFFON. (Inédite. — Une copie de cette lettre, dont l'original est perdu, appartient à M. V. Cousin, qui a bien voulu nous la communiquer. — M. Flourens en a publié des extraits.) XLVII AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Paris, le 24 décembre 1753. Mme de Buffon m'écrit, monsieur et cher ami, qu'elle a reçu une feuillette de vin blanc que vous avez eu la bonté de m'envoyer ; je vous en fais tous mes remercîments, et je vous promets bien d'en boire à votre santé. Mais, quelque désir que j'aie qu'elle soit bonne, je vous avoue que je ne pourrai boire ici assez longtemps pour vider ce tonneau : il n'y a que vous au monde qui envoyiez des essais d'un pareil vo- lume. J'espère être de retour à Montbard dans le commence- [1754] DE BUFFON. 65 ment de février, pour y rester jusqu'à Pâques. Je n'ose espé- rer de vous y voir; mais la première fois que vous viendrez à Montfort, tâchez d'amener M. Lardillon, qui vous est fort atta- ché, et que je désespère d'avoir sans votre secours. L'abbé Le Blanc vous a adressé une belle lettre 1 sur un beau sujet et bien nouveau2, et sur lequel il aurait dit encore de meilleures choses s'il avait eu plus de temps. Le jour de la réception n'est pas encore fixé 3. Mandez-moi si je vous ai donné les premiers volumes de Y Histoire naturelle in-12, afin que je vous envoie le septième et le huitième qui vont paraître \ Je vous supplie de faire agréer les assurances de mon res- pect à Mme de Ruffey. C'est avec les sentiments de la plus tendre amitié et du plus entier attachement que je serai toute ma vie, monsieur et cher ami, votre très-humble et très- obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte; appartient au- jourd'hui à M. de La Porte.) XLV1II AU MÊME. Montbard, le 26 août 1754. J'attendais , mon cher Président, que vous fussiez hors du tourbillon , pour vous répondre et vous remercier de ce que vous avez bien voulu me donner de vos nouvelles, et de celles de vos amusements et de vos voyages. Les nôtres se sont bor- nés à aller jusqu'à Montfort, où vous ne venez plus, et où je crois cependant qu'on ne serait pas fâché de vous voir, mal- gré la mauvaise humeur qu'on laisse un peu paraître sur votre compte. J'eus même ces jours passés une espèce de querelle à ce sujet, mais qui se termina bien. Je suis fâché de votre brouillerie , d'abord à cause de Mme de Ruffey, et ensuite à cause de moi, parce que cela vous éloigne de Montbard. 66 CORRESPONDANCE [1755] Il y a déjà du temps que je vous dois de l'argent pour du vin blanc et du vin rouge que vous m'avez envoyé ; faites-moi le plaisir de me marquer la somme, et je vous la ferai tenir à Dijon. Si vous avez fait quelque pièce de vers sur r avène- ment du prince de Gondé, j'espère que vous me ferez l'ami- tié de me l'envoyer. M. le docteur Daubenton doit arriver dans quinze jours, et il sera peut-être bien aise d'avoir le se- cret du chartreux de Nancy pour conserver les oiseaux. L'abbé Le Blanc vous aura sans doute envoyé sa traduction du livre de M. Hume sur le commerce, dont j'ai été fort content1. Mme de Buffon, qui a pris beaucoup d'estime et d'attache- ment pour Mme de Ruffey, me charge de vous faire ses com- pliments. Elle espère toujours que nous pourrons nous revoir ici. Adieu, mon cher Ruffey; je vous embrasse et suis de tout mon cœur votre très-humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) XLIX AU MÊME. Le 6 janvier 1755. Je vous offre, mon cher Président, mes vœux pour vous et pour tout ce qui vous est cher. Je vous envoie une res- cription de 200 livres pour les deux queues de vin que vous m'avez envoyées. Je l'ai trouvé bon, et dans quelque temps je vous prierai de m'en envoyer du pareil, si vous en avez encore. Le discours de d'Alembert à l'Académie, quoique bon, n'a pas réussi à l'impression autant que je l'aurais désiré; celui de Gresset est devenu célèbre par une tirade assez hors de propos contre les évêques ; vous les avez tous deux sans doute, et vous pouvez en juger1. L'abbé d'Olivet* se dit fort de vos amis, et j'ai quelque peine à le croire; tant de gens disent qu'il n'est nullement aimable, que je me suis laissé persuader. [1755] DE BUFFON. 67 Donnez-moi, mon cher Ruffey, des nouvelles de votre santé, de vos occupations, de votre Académie, et comptez que de vous tout m'intéresse. Mes respects, je vous supplie, à Mme de Ruffey. Ce n'est pas d'aujourd'hui et ce sera pour toujours que je suis, mon cher Président, dans les sentiments les plus sincères et les plus inviolables , votre très-humble et très- obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) AU MÊME. Paris, le 23 mai 1755. J'ai reçu, mon cher Président , avant mon départ de Mont- bard, les deux queues de vin rouge et la feuillette de vin blanc que vous m'avez envoyées. J'ai goûté l'un et l'autre, et j'en suis fort content. Je vous ferai toucher dans quelque temps les 225 livres à quoi monte, je pense, le prix de ce vin, savoir 200 fr. pour le rouge et 25 fr. pour la feuillette de blanc; et tous les ans, si cela vous convient, je prendrai auprès de vous ma petite provision. On nous a dit que votre voyage d'Italie était un peu différé, et que votre santé était bonne ; je suis cependant peiné de vous entendre plaindre de ces faiblesses de tête, vous qui l'a- vez bonne, et qui, par votre goût pour les lettres et pour toutes les bonnes choses, avez dans vous-même une ressource sûre contre l'ennui1. Personne n'a ici de nouvelles de l'abbé Le Blanc ; il boude tout le monde parce qu'on ne l'a pas nommé de l'Académie française pendant son absence. On dit seulement qu'il revient incessamment de Dresde assez peu content. Je suis bien aise que vous soyez en liaison avec Voltaire; c'est en effet un très-grand homme , et aussi un homme très-aimable. 68 CORRESPONDANCE 1755J Adieu, mon cher Président; donnez-moi de vos nouvelles, et comptez que personne ne vous est plus sincèrement et plus inviolablement attaché que je le suis. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LI A L'ABBÉ LE BLANC. Le 26 novembre 17 55. Dans tous les temps, mon cher ami, vos lettres me font un extrême plaisir, et si j'avais eu un peu de loisir, je vous au- rais fait réponse plus tôt; mais depuis mon retour, j'ai eu des affaires et non pas des occupations, et je n'ai pu trouver le temps de causer avec vous. Mme de Buffon, qui vous fait mille compliments, a eu quelques jours après son arrivée une fièvre assez violente pendant trois jours ; elle est à présent parfaitement rétablie, et nous parlons souvent de vous avec intérêt et plaisir, et nous nous promettons bien de vous en- gager à venir nous voir. Voilà M. Duclos secrétaire de l'Aca- démie, et j'en suis très-aise. N'y aurait-il pas des gens à qui ce choix n'a pas été trop agréable? Ce qu'il y a de vrai, ce- pendant, c'est que personne ne convient mieux que lui à cette place, qui est fort importante pour le bien de la Compagnie. MM. Daubenton vous font mille compliments. Lorsque vous verrez M. Gagnard1, faites-lui mention de moi, je vous en prie. Ne m'oubliez pas aussi auprès de M. de LaBonnerie; ce sont deux hommes tous deux respectables et très-estimables, et l'amitié qu'ils ont pour vous me fait un très-grand plaisir à moi-même. Adieu, mon cher ami ; c'est avec le plus sincère et le plus inviolable attachement que je serai toute ma vie votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Tnédite. — Tirée de la Bibliothèque impériale, cabinet des Estampes, Iconographie. — M. Flourcns en a publié un extrait.) [1755] DE BUFFON. 69 lu AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Le 26 novembre 1755. C'est avec un grand plaisir, mon cher Président, que j'ai reçu de vos nouvelles. J'aurais voulu vous dire combien j'ai eu de regret de ne m'être pas trouvé à Montbard dans le temps de votre passage, et combien j'aurais eu de joie de vous voir et de causer avec vous. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour engager Durand à donner tous ses soins à votre ouvrage1 ; mais c'est un homme qui promet tout ce qu'on veut, et je suis bien fâché que vous soyez mécontent. Ce que vous lui repro- chez, cependant, dépendait plutôt du réviseur que du libraire, et comme le fond de l'ouvrage est très-bon, je suis persuadé que les inexactitudes typographiques ne feront aucun tort au succès ni même au débit du livre. Je vous dois, mon cher Président, un cinquième volume de Y Histoire naturelle*, et je suis fâché que vous ne l'ayez pas encore; mais à peine sor- tait-il de la presse lorsque j'ai quitté Paris, et je ne pourrai l'envoyer à mes amis qu'à mon retour. Ce volume ne contient guère que de petites choses, mais que votre amitié vous a fait trouver passablement bonnes. Mme de Buffon , qui partage mes regrets de ne vous avoir pas vu, me charge de vous faire de très-humbles compliments. Pour moi , mon cher Président, je ne vous dirai jamais assez combien je vous suis attaché et dévoué pour ma vie. BUFFON. Mes respects , je vous en supplie, à Mme la Présidente de Brosses. Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) 70 CORRESPONDANCE [1755] LUI AU PRESIDENT DE RUFFEY. Le 29 novembre 1755. J'aurais bien désiré, mon cher Président, que vous eussiez accompagné Mme de Ruffey dans son petit voyage ; nous avons eu l'honneur de la voir, et je n'ai pu m'empêcher de lui témoigner mes regrets. Nous avons bu à votre santé et de votre vin. Je vous serai bien obligé si vous voulez bien m'en envoyer une queue et demie de rouge et une ou deux feuillettes de blanc. Joignez-y, je vous supplie, la note de ce que je vous dois, afin que je vous fasse tenir cet argent. Je vous dois aussi le cinquième volume de Y Histoire naturelle; mais je ne pour- rai vous l'envoyer que dans six semaines, à mon retour à Paris. C'est toujours et pour ma vie que je suis, mon cher Président, dans les sentiments les plus inviolables et les plus tendres , votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte; appartient ac- tuellement à Mme de Ganay.) LIV AU MÊME. Montbard, le 21 décembre 1756'. Je serais bien aise , mon cher Président , de recevoir quel- quefois de vos nouvelles; je serais encore plus content si je pouvais vous voir de temps en temps. On m'a dit que vous pourriez bien être chez Mlle de Thil2 ces jours-ci; pour- quoi, si vous étiez si près de nous, ne viendriez-vous pas à Montbard? Mme de Buffon le désire autant que moi, et [1757] DE BUFFON. 71 tous deux nous pouvons vous assurer qu'à Montfort même vous trouveriez, comme nous, bonne mine, bonne chère et bon feu. Venez donc nous voir si vous le pouvez, et je vous ré- ponds de nous et de nos voisins. Nous partons après les Rois, et le temps des fêtes de Noël et de l'an serait délicieux avec un dévot comme vous. Je vous embrasse bien tendrement, et mille respects à Mme de Ruffey. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LV AU MÊME. Montbard, le 20 août 1757. Je serai enchanté, mon cher Ruffey, d'avoir le plaisir de vous voir à Paris, et je serais désolé si nos arrangements ne s'accordaient pas avec les vôtres. Nous comptons rester à Montbard jusqu'à la Saint-Martin, et à Paris depuis la Saint- Martin jusqu'à Pâques ; ainsi il faudrait avancer de quelques mois le voyage que vous projetez. Pourquoi ne viendriez-vous pas même à Montbard ? Nous voyons rarement Mme votre belle-mère 1. Enfin, puisque vous ne venez ni ne voulez venir, nous irons vous voir; car nous comptons passer à Dijon deux ou trois jours vers le 8 ou le 10 du mois prochain. Nous logerons chez mon ami, M. Yarenne2. J'ai averti mon père au sujet de vos 150 livres, et il faudra bien qu'il vous les paye. Mes respects à Mme de Ruffey. Je serai toute ma vie, dans les sen- timents de la plus tendre amitié et du plus inviolable atta- chement, monsieur et cher ami, votre très-humble et très- obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) 72 CORRESPONDANCE [1758 LVI AU MÊME. Le 6 janvier 1758. J'ai été enchanté, monsieur et cher ami, de recevoir de vos nouvelles, et, quoique je n'aie jamais douté de vos sentiments pour moi , le renouvellement m'en est infiniment agréable ; aussi devez-vous compter sur les miens comme vous étant très-anciennement et très-inviolablement dévoués. Je serai bien fâché si votre voyage de Paris tombe dans un temps où je serais à Montbard ; en ce cas , je n'aurais pas d'autre res- source que de vous prier d'y passer et d'y rester quelques jours avec MM. vos enfants. Je compte retourner en Bour- gogne dans cinq semaines au plus tard, et je ne pourrai re- venir qu'après les couches de ma femme , sur lesquelles elle compte pour le mois d'avril ou de mai. Je ne vous écris pas de ma main, parce que je suis encore assez considérablement incommodé d'une douleur de rhumatisme dans le bras droit, qui m'a empêché d'écrire pendant longtemps. Il n'est point du tout démontré par M. de Vaucanson ni par d'autres que l'articulation des mots ne puisse être formée par une machine; je crois, au contraire, qu'on peut démontrer que la chose n'est pas impossible1 ; mais cela n'empêche pas que votre automate n'ait un petit garçon enfermé dans une de ses cuisses. Notre archevêque est exilé et parti de ce matin pour aller à la Roche en Périgord , chez M. son frère 2. Mes respects, je vous supplie, à Mme de Paiftey. Vous con- naissez depuis longtemps, mon très-cher monsieur, mon tendre et sincère attachement pour vous. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) [1758] DE BUFFON. 73 LVII AU MÊME. Montbard, le 3 juillet 1758. Je n'ai pu, mon cher monsieur, répondre plus tôt au com- pliment que vous avez la bonté de me faire1. Des douleurs de rhumatisme, que j'avais eues pendant les grands froids de cet hiver, se sont renouvelées dans les chaleurs de cet été, et m'ô- tent entièrement l'usage de la main, et j'apprends par Mme de La Forest, qui a eu la bonté de m' envoyer un remède imman- quable, dont cependant je n'ai point encore fait usage, que Mme de Ruffey est affligée d'un mal pareil qui l'empêche de marcher. Yous sentez bien, monsieur, toute la part que j'y prends ; je vous prie de le lui dire en l'assurant de mon res- pect. Mme de Buffon lui fait aussi mille tendres compli- ments; sa santé va assez bien ; cependant elle n'est pas encore rétablie, et ne pourra relever que dans huit ou quinze jours. Je vais écrire à M. l'abbé Le Blanc, qui a eu grand besoin de votre amitié et de vos consolations dans les circonstances où il vient de se trouver2. Comme ma santé ne me permet pas de partir pour Paris, je suis déterminé à demeurer ici encore quinze jours; ainsi j'espère que nous pourrons l'y voir à son retour de Dijon. Je voudrais bien que vos affaires vous per- missent d'être de la partie; j'aurais un grand plaisir à passer quelques jours avec vous. J'ai l'honneur d'être, avec une très- sincère amitié et un respectueux attachement , monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) 74 CORRESPONDANCE 1 1758] LVIII AU MÊME. Montbard, le 25 décembre 1758. Je vous envoie, mon cher Président, une petite caisse par le carrosse , dans laquelle vous trouverez un exemplaire pour vous et pour le président de Brosses du septième volume de YHistoire naturelle. J'y ai mis aussi cent écus dans un rouleau que je vous supplie de remettre à M. Perchet1, syndic des États ; c'est pour du vin qu'il m'a fourni, et il vous en donnera quittance. Vous trouverez aussi dans cette caisse différentes choses que l'abbé Le Blanc m'a prié de vous faire passer. Il ne cesse de se louer de votre amitié et des bontés de Mme de Ruffey. Assurez-la de mes respects et de ceux de ma femme. Nous ne faisons que d'arriver de Paris , et nous passons ici l'hiver. Donnez-nous de vos nouvelles. Vous connaissez les sentiments de tendre et inviolable attachement que je vous ai voués. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LIX A L'ABBÉ LE BLANC. Le 6 novembre 1759'. Je ne doute pas, mon cher ami, que vous n'ayez pris grande part à mes peines, et j'en ai la plus grande reconnaissance. Notre pauvre malade vous assure aussi de la sienne. Quoique en convalescence, elle souffre encore; la faiblesse, suite insé- parable d'une violente maladie, le chagrin d'avoir perdu son enfant2, la laissent dans un état triste et fâcheux. Nous espé- [1759] DE BUFFON. 75 rons que le temps dissipera cette langueur. Je n'attends que son rétablissement pour l'emmener à Paris, et j'aurai beau- coup de plaisir à vous revoir; j'espère que ce sera vers le 12 ou 15 de décembre. Le docteur et sa femme3 vous font mille compliments. Je vous embrasse, mon cher ami, et suis de tout mon cœur votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection du British Muséum.) LX AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Montbard, le 21 novembre 1759. Il faut que vous me pardonniez, mon cher Président ; j'écris très-rarement, pour ne pas fatiguer mes yeux, qui sont deve- nus très-faibles depuis un an1. Je ne doute pas que vous n'ayez pris grande part à mes peines; j'ai perdu un enfant qui commençait à se faire entendre , c'est-à-dire aimer. Sa mère a aussi couru le plus grand danger; elle n'est encore qu'en convalescence. Elle me charge de vous remercier et Mme de Ruffey de l'intérêt que vous avez pris tous deux à sa situation. Quand elle sera rétablie, je compte l'emmener à Paris passer l'hiver. Nous ne nous y promettons pas un sé- jour agréable; tout y est cher, tout y est triste. Je viens d'en- voyer ma vaisselle à votre Monnaie2 ; il vaut encore mieux qu'on ait demandé de l'argent aux gens aisés que d'avoir sur- chargé les pauvres. Yous qui êtes si honnête et si bon, ne gé- missez-vous pas sur leurs malheurs? Adieu, mon cher ami; conservez-moi des sentiments qui me sont et seront toujours bien précieux. Donnez-moi de temps en temps de vos nou- velles , et soyez convaincu que personne ne vous est plus in- violablement attaché que moi. Mes respects à Mme de Ruffey. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) 76 CORRESPONDANCE [1760 LXI AU MÊME. Montbard, le 4 août 1760. J'ai été enchanté, monsieur et très-cher ami, de voir Mme de Ruffey et d'apprendre de vos nouvelles; mais je suis toujours fâché que vous ne l'accompagniez pas dans les pe- tits voyages qu'elle fait dans ce pays-ci ; car j'aurais grand plaisir à vivre avec vous et à vous renouveler souvent les sentiments de mon ancien et très-sincère attachement. Nous avons été on ne peut pas plus content de mesdemoiselles vos filles, tant pour la figure que pour le maintien. Je ne vous dis rien de l'esprit, parce que des deux côtés elles ont de quoi tenir, et que Mme de Ruffey me paraît leur donner beau- coup de soins et les aimer beaucoup. Le mot ignée, quoique bon, n'est point encore d'usage ; ainsi je ne puis pas vous dire comment on doit le prononcer. Si l'on suit le génie de la langue, il faut le prononcer inniée, et c'est ainsi qu'on le prononcera s'il devient usité; mais comme il ne l'est point encore, et qu'il vient du latin igneus, je crois qu'on doit conserver sa prononciation latine, et faire sentir le g; comme aussi je crois qu'il faut le souligner en l'écrivant ou en l'imprimant. Mes compliments, je vous prie, et mes amitiés sincères à M. Michault. Mme de Buffon me charge des siens pour vous ; je la quitte ces jours-ci pour aller faire un tour à Paris. Elle a été voir MM. vos fils à notre dernier voyage1; j'irai les voir moi-même à celui-ci; car je m'intéresserai toute ma vie à tout ce qui vous appar- tient, et c'est dans ces sentiments, et avec un inviolable at- tachement, que j'ai l'honneur d'être, monsieur et cher ami, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. —De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) [1761] DE BUFFON. 77 LXII A LEBRUN1. Au Jardin du Roi, le l«f décembre 1760. Je vous remercie, monsieur, de la belle ode2 que vous avez eu la bonté de m'envoyer; je l'ai lue avec un extrême plaisir, et j'y ai trouvé plusieurs traits qui supposent un beau génie et une âme tout aussi belle. Dans votre lettre , monsieur, vous avez mis entre le génie et le bel esprit une distinction bien forte3, mais qui n'en est pas moins juste ni moins heu- reusement appliquée. Si elle déplaît à quelques beaux, elle plaira à tous les bons esprits. J'ai l'honneur d'être, avec beaucoup d'estime et de consi- dération, monsieur, votre très-humble et très-obéissant ser- viteur. BUFFON. (Publiée, en 1811 , dans les OEuvres complètes de Lebrun.) LXIII AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Paris, le 22 janvier 1761. Je n'ai pas répondu dans le temps, mon cher Président, aux marques obligeantes de votre souvenir et de votre amitié, parce que j'étais malade et très-affligé de la perte de mon ami l'abbé Sallier1, que je regretterai toute ma vie. J'ai eu un rhume violent dont je ne suis pas encore quitte, et avec cela, il a fallu faire deux réponses et les prononcer en public2, la première à M. de La Condamine 3 et la seconde à M. Watelet4, qui vien- nent d'être reçus à l'Académie française. J'ai envoyé à M. Va- renne un exemplaire du discours de La Condamine et de ma réponse pour vous être remis. Celle à M. Watelet n'est pas en- 78 CORRESPONDANCE [ 1761] core imprimée, et je compte vous l'envoyer aussi; vous ver- rez que je ne m'en suis tiré qu'à force d'être court. Nous avons encore deux autres places à remplir; l'une paraît destinée h M. de Limoges*, et je désirerais beaucoup que notre ami l'abbé Le Blanc pût obtenir la seconde. Je n'en désespère pas absolu- ment, et je suis persuadé que vous en seriez fort aise. Mes respects et les compliments de Mme de Buffon à Mme de Ruffey. Conservez-moi les mêmes sentiments d'amitié dont vous m'avez toujours honoré, et soyez sûr que personne n'est avec un plus sincère et plus inviolable attachement que je le suis , mon cher Président , votre très-humble et très-obéis- sant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXIV AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Paris, le 11 février 1761. M. de Fontette 4, que j'ai trouvé dimanche à Versailles, pourrait vous dire, mon cher Président, que ma première question, lorsque je l'ai vu, a été de demander si vous n'étiez pas encore à Montfalcon2. Je le croyais, et ne voulant pas qu'il vous en coûtât 6 fr. de port pour quelques plates paroles3, je me suis abstenu de vous les envoyer. Ne me grondez donc pas, je vous en supplie, car ce serait à tort. D'ailleurs, je ne veux pas que la nécessité des attentions diminue la confiance que j'ai dans votre amitié; elle m'est trop chère pour que je puisse imaginer de la perdre. L'abbé Le Blanc est en effet tout de bon sur les rangs pour l'Académie française, et quoi- qu'il y ait beaucoup de gens qui sollicitent, les uns pour Mar- montel, les autres pour Saurin4, les autres pour Batteux3, pour Trublet, etc., je crois que l'abbé Le Blanc sera élu, et je lui ferai part du désir que vous avez qu'il réussisse. [1761] DE BUFFON. 79 La succession de l'abbé Sallier ne consiste qu'en mobilier, et je ne crois pas, lorsque tout sera vendu, qu'il y ait plus de 30 ou 35000 livres0. Sur cette somme, il a fait ôter un legs d'environ 10 ou 12 000 liv. qu'il a fait à Mme de Monconseil7, à laquelle il a donné sa vaisselle et argenterie ; ensuite des legs de 4 à 5000 liv. pour des domestiques; un autre de 2000 liv. pour son exécuteur testamentaire. Otez encore 3 ou 4000 liv. de petites dettes, et au moins encore autant de frais funéraires, d'inventaires et de scellés, et enfin ce qu'il en coû- tera pour les réparations d'un bénéfice où ni lui ni son pré- décesseur bénéficier n'avaient jamais été depuis plus de cin- quante ans ; je crains qu'il ne me reste pas assez pour faire le bien que j'avais projeté, qui était de donner à un pauvre ne- veu, que son oncle n'avait jamais connu , autant qu'il aurait eu s'il fût mort intestat. Je laisse toute cette affaire à discuter entre l'exécuteur testamentaire et les économats, et je pars la semaine prochaine pour retourner à Montbard, où j'espère demeurer jusqu'au mois de juin ou de juillet, et où vous de- vriez bien venir passer vos vacances de la Pentecôte; car je sais d'avance que vous n'en aurez point cette automne, puis- que vous présiderez à la chambre des vacations. Mes respects, je vous supplie, à Mme de Brosses8, et tous mes compliments à M. votre frère9. Il me semble que, depuis que Voltaire réside en Bourgogne10, il est devenu furieusement babillard. Voyez seulement son épître à Mme de Pompadour, sa réponse à M. Déodatie, ses missives au sujet du roman de Rousseau ", dans lequel, par parenthèse, je trouve aussi bien du rabâchage, et vous m'avouerez que nos beaux esprits sont plus abondants que jamais, je ne dis pas en idées, mais en paroles. Mes mau- vais yeux m'empêchent de lire, et ceci m'en dégoûte. Adieu , mon cher Président, je vous embrasse bien sincè- rement. BUFFON . (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) 80 CORRESPONDANCE [1761] LXV A L'ABBÉ LE BLANC. Montbard, le 23 mars 1761. J'ai été aussi surpris qu'indigné de cette élection à l'Acadé- mie française ! que vous m'avez apprise, mon cher ami. Vous avez raison : c'est plus contre Duclos, contre Voltaire et contre d'autres que l'on agit, que contre vous et que contre les au- tres aspirants. C'est le temps du régime des médiocres ; mais, quoiqu'ils soient en grand nombre et que ce nombre aug- mente chaque jour par le succès de leurs cabales, il faut espé- rer qu'ils ne réussiront pas toujours, et je sais bien bon gré à Saurin d'avoir vu tranquillement la plate préférence qu'ils ont donnée à l'abbé Trublet. Je voudrais, mon cher ami, que vous eussiez un peu de cette tranquillité ; les choses change- ront de face, et peut-être à l'heure que nous y penserons le moins. Donnez-moi des nouvelles de la seconde élection2; car quelque dégoûté que je sois de l'Académie, j'y prendrai toujours intérêt à cause de vous. Mme de Buffon me charge de vous faire mille amitiés de sa part , ainsi que Mme et M. Daubenton; il compte arriver à Paris d'aujourd'hui en quinze jours. Je ne puis, mon cher ami, que vous renouveler les assurances du sincère et inviolable attachement avec le- quel je serai toute ma vie votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection du British Muséum. — M. Flourensen a publié un fragment.) [1762] DE BUFFON. 81 LXYI A M. DE PUYMAURIN Au Jardin du Roi, le 16 janvier 1762. J'ai reçu, monsieur, la petite caisse que vous avez eu la bonté de m'envoyer par la messagerie de Toulouse, et il faut que vous me permettiez de me plaindre de ce que vous en avez payé le port. C'était bien assez de la chose même, sans augmenter encore vos dons de l'argent qu'il vous en a coûté. Ces pétrifications m'ont fait grand plaisir, et tiendront bien leur place au Cabinet du Roi, où nous en avons déjà quelques- unes de semblables. La composition de l'ivoire, qui est par fibres croisées, à peu près comme les mailles des bas, est très-reconnaissable dans les morceaux que vous m'avez en- voyés. L'épaisseur des couches qui se séparent les unes des autres est aussi très-bien marquée, et, en les comparant avec d'autres, on pourra en tirer des indications sur l'accrois- sement annuel des défenses de l'éléphant. Je ne puis donc, monsieur, vous remercier assez de ce présent; mais je ne voudrais pas vous engager à vous défaire en ma faveur de ce qui vous reste, à moins que vous n'ayez la bonté de me de- mander en échange les choses qui pourraient vous être agréa- bles. Il est singulier que ces défenses d'éléphant se soient trouvées à si peu de profondeur; elles ont apparemment été roulées et entraînées avec les terres du sommet du coteau, où il est vraisemblable qu'elles étaient autrefois plus profon- dément enterrées. On trouve de ces défenses fossiles dans plusieurs provinces de l'Europe, et jusqu'en Sibérie. A l'é- gard des cornes de cerf, elles sont très-communes dans cet état de pétrification, et il n'est pas étonnant qu'on en trouve dans le pays de Comminges2 et dans les contrées adjacentes, quoiqu'il y ait plus de deux cents ans que cette race d'animaux y soit détruite; c'est probablement parce qu'on y a, depuis 6 82 CORRESPONDANCE [1762] ce même temps, détruit les forêts et défriché les terrains cou- verts de bois. On voit par le traité de Gaston Phœbus 3, comte de Foix, que de son temps le cerf y était commun, et qu'il y avait même alors des rennes en France, puisqu'il donne la manière de les chasser, et qu'il en fait un article particulier sous le titre de chasse du rangier. Cependant les rennes ran- giers sont aujourd'hui relégués bien loin de nous, et ne se trouvent guère qu'en Laponie et au delà du cinquante-cin- quième degré de latitude nord. Je ne puis, monsieur, que vous offrir mes services, et vous assurer de la reconnaissance et du respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très-humble et très-obéis- sant serviteur. Buffon. (Cette lettre, dont nous devons la connaissance à l'obligeance de M. La- roche-Drillière, a paru en 1808, dans le journal du département de la Haute- Garonne. Elle a été publiée par le baron de Puymaurin, fils de celui à qui elle est adressée. Le baron de Puymaurin, membre de la chambre des députés pendant toute la durée de la Restauration, mourut le H février 1841 ; il était né à Toulouse, le 5 décembre 1757.) LXVII AU PRESIDENT DE RUFFEY. Paris, le 11 février 1762. J'ai remis aujourd'hui, mon cher monsieur, à notre ami le président de Brosses , les tomes huitième et neuvième de mon ouvrage que je vous prie d'agréer, et qu'il s'est chargé de vous envoyer par la première occasion qu'il pourra trou- ver. Vous devriez bien faire comme lui , et venir quelquefois passer l'hiver à Paris; car je suis affligé toutes les fois que je pense au peu d'occasions que nous avons de nous voir. Ce- pendant, mon cher monsieur, cela ne diminuera jamais les sentiments de la tendre amitié et du respectueux attache- ment que je vous ai voués. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) [1762] DE BUFFON. 83 LXVIII FRAGMENT D'UNE LETTRE A GUYTON DE MORVE AU1. Mars 1762. .... Le vrai bonheur est la tranquillité; le premier moyen de se le procurer est de la donner aux autres, et de laisser, comme disent les moines, mundum ire quomodo vadit. Au lieu que, sous le prétexte et même dans la vue de faire plus de bien, on fait nécessairement mille fois plus de mouvement qu'on n'en ferait ; et c'est ce mouvement qui trouble et perd tout. .... Les règlements2 de vos nouveaux élus font gémir tout le monde. Ils ont si fort serré la mesure pour le payement des impôts, qu'il faudra mettre en prison la moitié de la province et achever de ruiner tous les pauvres, si l'on veut mettre à exécution ces beaux règlements. (Ce fragment, tiré de la correspondance de Buffon avec Guyton de Mor- veau, a été publié par M. Bernard d'Héry, dans son édition des OEuvres de Buffon, Paris, an xi.) LXIX AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Paris, le 13 mars 1762. Permettez-moi, mon cher Président, de vous envoyer ci- joint une rescription de 465 liv. que je vous prie de donner à M. Jobard, trésorier des gages du Parlement1, pour paye- ment de quatre quittances qu'il vous remettra pour les années 1756, 1757, 1758 et 1759 de la capitation de mon père. Vous voudrez bien ensuite m'envoyer ces quatre quittances de M. Jobard. J'ai cru , mon cher monsieur, que vous me ren- driez volontiers ce petit service ; je ne doute pas même que , 84 CORRESPONDANCE Ll 762] dans l'occasion, votre amitié ne m'en rendît de plus grands. Vous devez maintenant avoir reçu mes deux volumes ; car Brosses n'a pas voulu me les rendre, en me disant pour raison que M. de Neuilly2, qui est parti ces jours derniers, s'en était chargé pour vous. J'ai beaucoup vu et j'aime beaucoup notre ancien premier président3; il a beaucoup d'esprit, et n'est pas fanatique comme les trois quarts de votre Parlement. C'est une chose bien singulière que des gens se mettent dans la tête qu'en acquérant une charge de vingt ou trente mille francs, ils acquièrent en même temps la qualité de tuteurs des rois. C'est bien assez de l'être de sa propre personne , et il me pa- raît que celui de ces Messieurs qui a fait le libelle aurait mieux fait de prendre un tuteur qu'une charge4. Je suis enchanté de ce que vous n'êtes point dans cette vilaine bagarre, qui donne fort mauvaise opinion de nos têtes dijonnaises. Je vous embrasse, mon cher Président, avec toute la sincérité de l'attachement et des sentiments que vous me connaissez depuis si longtemps et que je vous ai voués pour toute ma vie. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXX A GUENEAU DE MONTBEILLARD. 20 mars 1762. Grand merci, mon cher bon ami, de ce que vous avez ter- miné l'affaire de mon ordonnance; c'était un service impor- tant pour moi dans les circonstances présentes. Voici une lettre pour M. Salvan que vous aurez la bonté de lui remettre. Je le prie de retenir les 10 000 liv. qu'il m'avait avancées, et de me renvoyer la reconnaissance que je lui en ai don- née. Je lui marque aussi que j'ai tiré sur lui un mandat de 6863 liv. 2 s. 10 d. que la veuve mère Lucas lui pré- [1762] DE BUFFON. 85 sentera le 3 ou le 6 de ce mois pour faire un payement qui échoit le 8, et je compte que M. Salvan ne manquera pas d'acquitter ce mandat de 6863 liv. 2 sous 10 deniers. Et h l'égard des dix mille livres qui restent sur le montant de l'ordonnance de 26 863 liv. 2 sous 10 deniers, je prie M. Sal- van de me garder cette somme de 10 000 liv. et de me mar- quer dans quel temps il lui conviendra de me la payer ; car je ne voudrais pas le presser de me donner ces dix mille li- vres, puisqu'il a eu la bonté de m'avancer pareille somme que j'ai gardée plus d'un mois. Je suis très-flatté, mon bon ami, que vous ayez adopté mes corrections. Vous en trouverez moins dans le second cahier de la copie que j'ai l'honneur de vous envoyer ci-joint; mais vous en trouverez beaucoup plus dans le troisième et dernier cahier, que je vous renverrai dans quatre ou cinq jours. Vous verrez même peut-être avec regret que j'ai sabré de longues tirades tout entières; mais il n'y a pas une correction ou suppression dont je ne puisse vous donner la raison, et, si j'étais auprès de vous, je crois que vous seriez de mon avis. Je vous ai déjà dit, mon bon ami, que l'ouvrage était trop long et que j'avais tâché de le raccourcir et de resserrer un peu le style. Je pense que, tel qu'il est maintenant, l'on n'aura plus de reproche à vous faire. Enfin j'ai traité vos feuilles comme les miennes, et, si j'avais été près de vous, vous auriez pu les rendre encore plus parfaites ; mais il y a mille et mille choses sur lesquelles on ne peut s'expliquer ou s'entendre par lettres; j'espère cependant que vous apercevrez les raisons des abré- viations lorsque vous lirez ce troisième cahier de copie. 11 ne vous était pas possible d'y maintenir le même ton de gaieté, puisque tous les faits en sont assez tristes, et, au défaut de gaieté, j'ai cru qu'il fallait y substituer de la brièveté. C'est à vous maintenant à me corriger moi-même; en relisant votre ouvrage avec attention, vous pourrez encore y semer quelques fleurs1. Puisque votre sort est fixé d'une manière stable , vous reprendrez bientôt votre sérénité et votre 86 CORRESPONDANCE [1763] aimable enjouement2. Vous vous voyez à la vérité obligé à un travail pénible; mais vous, avez toujours travaillé, et je suis persuadé que vous le faites avec tant de facilité que cela vous coûte peu, et sûrement moins qu'à vos amis, aux- quels vous ne pouvez pas donner le temps que les affaires vous prennent. Je suis inquiet de votre ami M. Varenne3. Mandez-moi où en est sa malheureuse affaire. Je vous embrasse tous deux, et je suis, mon cher bon ami, autant à vous qu'à moi-même. Buffon. (Inédite. — De la collection du British Muséum.) LXXI AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Paris, le 14 janvier 1763. J'ai reçu, mon cher Président, avec la plus grande joie, les nouvelles marques de votre amitié; elle me sera toujours également présente, également précieuse, et tous mes regrets sont de n'en pas jouir aussi souvent que je le désire. Il y a longtemps que je n'ai eu le plaisir de vous voir; vous ne ve- nez plus à Paris, vous ne voulez plus venir à Montbard, et j'en suis très-fâché. A votre place, je craindrais moins les raisons de poitrine, et je les écouterais patiemment et uni- quement pour ne pas les entendre. C'est ma méthode avec Mme votre belle-mère ; aussi nous ne sommes pas absolument mal ensemble. Je vous remercie de la liste que vous m'avez envoyée. Vous avez depuis deux ans décoré votre Académie de beaux noms, et en même temps vous l'avez renforcée de bons sujets ; cela vous fait beaucoup d'honneur ; car le tout est dû à votre zèle, et je suis persuadé qu'avec le temps cet établissement, qui a été plus de vingt ans à naître, deviendra très-utile1. [1763] DE BUFFON. 87 J'avais coutume d'envoyer à l'Académie un exemplaire de l'Histoire naturelle, à mesure que les volumes ont paru; mais je ne sais si les derniers, c'est-à-dire le huitième et le neu- vième , ont été envoyés , et je vous supplie de me le faire sa- voir. Je serai toujours enchanté de donner à votre compagnie cette faible marque de mon respect. Recevez aussi, mon cher Président, les sincères assurances de mon tendre attachement, et assurez, je vous en prie, Mme la présidente de Ruffey des mêmes sentiments et de tous nos respects. BUFFON. (Tirée des archives de l'Académie de Dijon, et publiée en 1819, par C. X. Girault) LXXII A LEBRUN. Au Jardin du Roi, le 17 janvier 1763. Vous renouvelez, monsieur, si souvent mes plaisirs, qu'il faut que vous me permettiez de vous en marquer quelque- fois ma reconnaissance. J'ai été enchanté de votre ode sur la Paix. Il y a surtout trois strophes qui sont de la plus grande beauté ; partout des traits de génie, et les sentiments de l'âme la plus honnête ; de la hauteur d'idées , du nerf dans les expressions, de la couleur dans les images et du mouvement dans le style. Votre dernière pièce, quoique d'un autre goût, m'a paru charmante par le bon sel et la plaisanterie fine, aussi bien que par la justesse et la vérité de votre critique. Continuez, monsieur, à cultiver vos grands talents, et vous serez bientôt hors de portée à tous les traits de l'envie. En m'occupant de vous, monsieur, j'oubliais de vous par- ler de moi, et de vous remercier de la place que vous m'avez donnée dans votre dernier écrit1. Assurément je ne la prends 88 CORRESPONDANCE [1763] pas si haut, et je serais fort fâché que le voisinage de mon nom, comme celui de ma personne, pût indisposer ou gêner quelqu'un. Nos grands hommes sont trop délicats, et, malheu- reusement, les petits ont la vie si dure qu'on les écorche sans les faire souffrir. Je suis, monsieur, avec un respectueux attachement, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Publiée en 1811, à la suite des OEuvres complètes de Lebrun.) LXXIII A M. WATELET1. Montbard, le 14 novembre 1763. Mme de Buffon vous remercie avec moi, mon cher ami, et de votre beau présent, et des beaux éloges que votre amitié m'a prodigués. Nous avons lu votre ouvrage avec grand plai- sir< Je ne suis pas juge du fond, mais il me semble que MM. les peintres doivent vous savoir gré de la manière dont vous parlez d'eux et de leurs ouvrages. Je ne réponds pas que les géomètres , les femmes et même quelques philoso- phes le soient autant ; mais apparemment vous ne vous en souciez guère. Vos cinq feuillettes de vin sont parties aujourd'hui, bien reliées et emballées; elles sont adressées à M. de Bou- rière, fermier général , au petit château, rue et chemin de Clichy sous Montmartre, sans passer par Paris, et je compte qu'elles y arriveront dans huit jours, bien conditionnées. Votre ami aura assurément le meilleur vin de Bour- gogne. Je serai de retour à Paris avant la fin du mois ; je compte sur le plaisir de vous y voir souvent et de vous renouveler les assurances de l'attachement et de l'amitié sincère que je [1764] DE BUFFON. 89 vous ai voués, et avec lesquels je serai toute ma vie, mon cher ami, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. —Une copie de cette lettre, dont l'original est perdu, appartient à M. Boutron, bibliophile distingué et possesseur des plus précieux auto- graphes, qui a bien voulu nous en donner communication.) LXXIV AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Au Jardin du Roi, le 15 janvier 1764. Vous ne pouvez vous douter, mon cher Président, du plai- sir que vous me faites lorsque vous avez la bonté de me don- ner de vos nouvelles et de me renouveler les marques de votre amitié. Comptez, je vous supplie, sur le retour de toute la mienne et sur les sentiments de l'attachement le plus sin- cère et le mieux fondé. Je vois que, toujours occupé à faire le bien, vous augmentez la liste de votre Académie de noms illus- tres, que vous en augmentez les richesses par vos travaux, et les revenus par vos soins. En vérité les lettres vous doivent beaucoup, et toute votre conduite est bien respectable. Je vous parle ici, non comme votre ami , mais comme le public, qui rend toujours justice au mérite et encore plus à la vertu. Mes respects, je vous supplie, à Mme de RufTey. Je serais enchanté de voir M. votre fils1, et je n'aurais garde de le dé- tourner de son projet. Mme de Bufïbn me charge de compli- ments pour vous et pour Madame; elle est au cinquième mois de sa grossesse, toujours fort languissante et ne pou- vant pas sortir. Les pensionnaires de l'Académie des sciences sont tenus, par le règlement, de donner deux mémoires par an, et les associés un ; mais il s'en faut bien que cela s'exécute à la 90 CORRESPONDANCE [1764] lettre. Les honoraires, associés libres et vétérans, sont dis- pensés de tout travail. Il faut de la règle dans les com- pagnies ; mais il est encore plus nécessaire d'y éviter la pé- danterie. J'ai beaucoup vu Malteste ici ; mais je n'ai pas encore vu Brosses, et je serais très-aise de l'embrasser et de causer avec lui. Adieu, mon très-cher Président; je serai toujours, avec l'amitié la plus tendre , votre très-humble et très-obéis- sant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXXV AU MÊME. Paris, le 26 juin 1T64. Je ne doute pas, mon cher Président, de votre amitié, ni de la part que vous prenez à ce qui m' arrive1. Je vous remercie donc bien sincèrement des témoignages que vous m'en don- nez aujourd'hui. J'ai laissé ma femme, après trois semaines de couches, en assez bon état de convalescence, et je compte retourner à Montbard dans le mois prochain, toujours re- grettant de ne pouvoir espérer de vous y voir. Toutes les compagnies sont bien difficiles à conduire, et je sais, par ma propre expérience, que le zèle et les bonnes in- tentions nuisent souvent plus qu'elles ne servent. Votre se- crétaire2 était un garçon de mérite; mais je l'ai toujours connu un peu susceptible et assez volage. Je ne croyais pas qu'il eût d'aussi grands torts avec vous, vous qui ne voulez que le bien et avec qui il est si facile de vivre. Vous aviez un autre homme que je croyais plus constant et plus doux, et qu'on m'a dit être néanmoins mécontent, c'est M. Lardillon ; je suis fâché qu'il se soit retiré. Il faut que les compagnies soient pédantes, et il faut au contraire que ceux qui les mènent soient [1765] DE BUFFON. 91 fort lestes. Votre ami, M. Le Gouz-Morin3, peut, à cet égard, vous être très-utile, aussi bien qu'à beaucoup d'autres. Rien n'est plus noble que de donner, et surtout de donner ce qu'on aime, et, sûrement, il aimait son cabinet; et, si le sacrifice qu'il en a fait ne lui a pas coûté, il en est d'autant plus digne d'éloges. Le don de M. du Terrail4 est moindre à mes yeux ; car enfin ce n'est que de l'argent, il en a beaucoup, et Ton ne peut être attaché à l'argent autant qu'aux choses de son goût. Ces deux dons feront grand bien à votre établissement, et vos exemples formeront des sujets qui y feront honneur. J'ai deux volumes de mon ouvrage sur l'histoire naturelle à vous re- mettre. Je n'ai pas encore vu M. de Brosses, et je compte m'ar- ranger avec lui pour vous les faire parvenir. Mes respects, je vous supplie , à Mme de Ruffey. Je suis et serai toute ma vie , avec un très-sincère et respectueux attachement , mon- sieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXXVI AU MÊME. Paris, le 24 février 1765. Je n'ai reçu votre lettre , mon cher Président , que plus de six semaines après sa date; ainsi vous ne me saurez pas mau- vais gré du délai de la réponse. Je vois que le bien public et surtout celui de votre Académie vous occupe continuellement; rien n'est plus estimable; mais, en même temps, je ne vou- drais pas que cela troublât votre tranquillité. Il faut tacher de mépriser les tracasseries, ou du moins de ne les pas pren- dre à cœur ; c'est même le seul moyen de les éviter pour la suite, quoique, dans toutes los compagnies, ce soit un mal épi- démique et incurable. 92 CORRESPONDANCE [1765] Vous choisissez très-bien les sujets de vos prix1. Une mé- thode de bonne éducation bien tracée, bien développée, mé- riterait non-seulement des couronnes académiques, mais des récompenses du gouvernement. Vous ne m'avez pas même marqué si vous avez reçu les tomes X et XI2 in-4° de mon ouvrage sur l'Histoire naturelle, jue je vous ai envoyés cet été par notre ami le président de Brosses. Les volumes XII et XIII paraîtront après Pâques, et je crois que vous y trouverez quelques morceaux qui vous fe- ront plaisir. Je retournerai à peu près dans ce temps à Mont- bar d. Il n'y a donc plus d'espérance de vous y voir ; c'est un de mes regrets les plus vifs. Vous étant si anciennement et si sincèrement attaché, il est dur de passer la vie sans vous voir. Recevez au moins les assurances de ces sentiments, et faites agréer mes respects et ceux de ma femme à Mme de Ruffey. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXXVII AU MÊME. Montbard, le 20 août 1765. J'ai fait tout ce que j'ai pu, mon cher Président , pour en- gager M. Daubenton à vous payer ce qu'il vous doit1. Je l'ai beaucoup pressé, et tout ce que j'ai pu obtenir, c'est qu'il vous enverrait ces jours-ci 300 livres à compte des 1200, et il promet en même temps de payer avant Pâques les 900 livres restant. Mandez-moi, je vous prie, s'il a tenu parole pour les 300 livres. Il m'a promis si positivement que vous les re- cevriez avant le 20 d'août, que j'ai peine à me persuader qu'il voulût nous manquer à tous deux en même temps. On nous a dit que M. votre fils l'aîné était à Montfort en bonne santé, et nous espérons qu'il nous fera l'honneur de [1765] DE BUFFON. 93 nous venir voir pendant son séjour. Je vous embrasse , mon cher Président, et suis avec un sincère et respectueux atta- chement votre très-humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXXVIII A L'ABBÉ LE BLANC. Montbard, le 22 septembre 1765. Je vous avoue, mon cher ami. que j'ai bien des torts envers vous, quoique votre lettre ne soit que la seconde, et non pas la troisième, à laquelle je n'ai pas eu l'honneur de faire ré- ponse. J'ai vu l'article du Mercure1 , et d'abord je fus tenté de vous écrire pour remercier M. de La Place2; mais ayant lu une seconde fois, car on relit volontiers ce qui nous flatte, j'ai cru apercevoir des traits de votre style, et d'autres plus évidents de votre cœur, et je vois avec grand plaisir que je ne m'étais pas trompé. Recevez-en, mon cher ami, tous les remercîments que je vous dois. A l'exception de l'éloge qui est trop fort, cet extrait est très-bien fait, et ce que vous dites des orateurs anciens fait bien de l'honneur à votre philosophie. Ma femme, qui vous fait bien des amitiés, a relu l'article dès qu'elle a su qu'il était de vous, et elle l'a trouvé encore mieux qu'à la première lecture. Je suis bien aise de vous avoir cette obligation, et encore bien aise de ne l'avoir point à un autre. Ce que vous m'avez marqué de M. de Bourdonné m'a fait grand plaisir ; car je fais plus de cas de son jugement que de celui de tous les philosophes dont vous me parliez, fussent- ils même de bonne foi. C'est un homme de beaucoup d'esprit et de sens, et qui, de plus, a sur eux l'avantage de connaître le monde et de le bien juger. Faites-lui mes compliments, je vous supplie, lorsque vous le verrez. 94 CORRESPONDANCE [1765] J'ai été très-touché de l'accident arrivé à M. le comte de Saint-Florentin3. Cette nouvelle a fait en province la même sensation qu'à Paris ; il n'y a personne qui n'y ait pris un très-grand intérêt. C'est, entre nous , le seul de nos ministres dont j'ai vu constamment désirer la conservation. J'ai lu un extrait de Y Éloge de Descartes de M. Gaillard *, et je n'ai pas été content du style. Si celui de M. Thomas5 n'est pas meilleur, ce grand philosophe aura été loué avec de pauvres petites paroles 6. Si vous rencontrez M. du Cros, faites-lui nos compliments, et ne nous oubliez pas non pins auprès de notre ami M. Méat; j'espère que sa santé est actuellement bien rétablie. Nous fe- rons vendange ici dans huit ou dix jours, et nous ferons as- sez devin; mais, comme vous savez, ce vin est bien médiocre, et il vaudrait mieux que la grêle fût tombée sur mon finage que sur celui de Beaune, de Pommard ou de Volnay, où il ne reste pas une grappe de raisin. Je vous renouvelle encore mes remercîments, mon cher ami, et les assurances de l'éternel attachement que je vous ai voué. BUFFON. (Inédite. — De la collection du British Muséum.) LXXIX AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Montbard, le 23 septembre 1765. Dans ma solitude, mon très-cher Président, je ne suis sou- vent informé que fort tard des choses qui m'intéressent le plus. Ce n'est que de ces jours-ci que j'ai appris la cruelle perte que vous avez faite de votre fils unique1. Je vous as- sure, mon cher ami, que cette nouvelle m'a causé une vérita- ble douleur; je crois connaître votre cœur, et je me suis peint toute son affliction. Je la partage bien sincèrement; car [1766] DE BUFFON. 95 je vous suis depuis longtemps et pour toujours bien tendre- ment attaché. Je vous envoie ci-joint un ordre pour prendre chez mon li- braire deux nouveaux volumes de l'Histoire naturelle. Je voudrais pouvoir vous donner d'autres marques de mon es- time et de mon amitié, et je regrette souvent de n'être pas à portée de vivre avec vous, et de vous dire combien je vous aime et combien je désire que vous m'aimiez aussi. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) LXXX AU MÊME. Le 11 janvier 1766. Je viens enfin, mon cher Président, d'achever la lecture en- tière de votre excellent ouvrage sur le Mécanisme du langage1, et je ne puis vous dire à quel point j'en suis satisfait. Il m'était bien resté dans l'esprit quelques-unes des idées que vous y avez employées; mais ce n'était que des morceaux d'une mine d'or dont vous venez de tirer toutes les richesses, sans cependant l'avoir épuisée; car nos neveux auront encore à travailler après vous, ou plutôt d'après vous, et je ne déses- père pas qu'on ne voie un jour l'exécution de votre grand projet d'un vocabulaire universel. Je pense comme vous que cet ouvrage serait le compendium de nos connaissances, qui deviendra d'autant plus nécessaire qu'elles se multiplieront davantage, et vous aurez la gloire d'avoir donné le premier non-seulement le projet, mais les moyens d'exécution de cet univers grammatical qu'il ne paraissait pas possible d'établir sur des fondements solides et réels. Vous avez, dès aujour- d'hui, celle d'en avoir démontré la possibilité, et même la fa- cilité. Vous avez encore celle d'avoir employé dans toute la 96 CORRESPONDANCE [1766J suite de votre ouvrage la vraie métaphysique, et la seule qui soit lumineuse, c'est-à-dire la métaphysique tirée de la nature, et d'avoir semé toutes vos pages de vues très-fines dont vous devez vous attendre que quelques-unes échapperont à la plu- part de vos lecteurs. Je ne vous dis rien de la prodigieuse érudition que votre livre me paraît supposer ; j'en ai trop peu pour que mon éloge à cet égard pût vous flatter; mais ce que je peux vous assurer, c'est que les savants, comme les gens du monde, me paraissent s'accorder dans leurs jugements, et que votre ouvrage a l'approbation la plus générale et la plus flatteuse. C'est le seul livre que j'aie lu de mes yeux, depuis plus de six mois, à cause de leur faiblesse; mais je l'ai lu tout entier, avec loisir, plaisir et réflexion, et j'y ai appris mille choses que j'ignorais. Je ne puis donc, mon cher ami, que vous féliciter de tout mon cœur sur cette production, qui vous fera le plus grand honneur à jamais. J'ai outre cela des excuses à vous faire; je vous avoue mon étourderie, qui n'e'st pas pardonnable, et que tout autre que vous aurait eu raison de ne pas me pardonner. Croiriez- vous , mon cher Président , qu'en citant les Terres australes, je ne me suis point rappelé que c'était vous qui aviez fait ce recueil? Comme ce sont des copistes qui me font mes extraits, et que ces extraits sont très-nombreux, j'en fais tirer à me- sure les faits dont j'ai besoin, et dans cet extrait sur les lions marins, je ne pensais qu'aux voyageurs qui ont exagéré les faits, et point du tout à vous, qui avez rédigé leurs relations2. Si cela se fût présenté à mon esprit sur-le-champ , mon cœur aurait écrit : M. le président de Brosses, qui a retranché de ces re- lations une infinité de faits faux ou exagérés, et qui y a substitué un grand nombre de vérités, pouvait encore en retrancher, etc. Voilà la manière dont j'aurais pris la liberté de vous criti- quer, si j'eusse pensé à vous, et je vous promets que je répa- rerai ma faute la première fois que j'aurai occasion de citer les Terres australes. Rien n'est plus honnête et plus doux que la manière dont vous vous plaignez de cette sotte inadvertance [1766] DE BUFFON. 97 de ma part, et j'en ai été pénétré. Je ne puis que vous remer- cier en vous embrassant bien tendrement et de tout mon cœur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) LXXXI AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Au Jardin du Roi, le 20 janvier 1766. Je vous avoue, mon cher Président, que les vers du jeune homme m'ont fort étonné ', et d'autant plus qu'il y a moins de feu et plus de maturité , de raison et de style que cet âge n'en comporte. Vous avez très-bien fait de lui donner une place dans votre Académie; c'est un premier encouragement qui pourra peut-être lui devenir utile. Tous les gens de let- tres doivent s'intéresser à son sort, et je serais fort aise, en mon particulier, de trouver l'occasion d'aider à l'avancement de ses talents, qui sont déjà très-grands, et qui ne peuvent manquer de le devenir encore davantage. Je vous envoie ci -joint un ordre pour que vous fassiez prendre quand vous voudrez, et par qui il vous plaira, les deux nouveaux volumes de mon ouvrage sur l'Histoire natu- relle; j'espère que vous y trouverez des morceaux dont vous serez content. Je suis bien fâché de tous les malheurs qui sont arrivés à notre ami le président de Brosses2; il mérite bien d'être heureux, et s'il est raisonnable, il prendra pour consolation le succès de son ouvrage sur le langage. Il a été goûté de tous les gens qui savent penser, et en mon particulier, je l'ai lu d'un bout à l'autre avec autant de plaisir que d'in- struction. Je suis enchanté de tout ce que vous me marquez au sujet de votre Académie; vous en êtes le père et vous en serez l'âme i 7 98 CORRESPONDANCE [1766] tant que vous vivrez, et on ne saurait donner trop d'éloges à votre noble manière de penser. J'ai entrepris de donner la suite de l'Histoire naturelle en planches enluminées, dont je donnerai les explications lors- qu'il y en aura assez pour faire un volume. Il en a déjà paru quatre cahiers de vingt-quatre planches chacun ; chaque ca- hier coûte 15 liv. en petit papier, et 24 liv. en grand papier. Je ne puis pas vous le donner comme je fais pour mon livre, parce que l'ouvrage appartient à mes peintres et à mes gra- veurs3, et qu'on n'en tire que quatre cent cinquante exem- plaires ; cependant, je serais bien aise que vous l'eussiez et que vous fussiez du nombre de nos souscripteurs. M. de Pu- ligny4, M. du Morey3 et M. Hébert6 ont les premiers cahiers, et vous pourrez les voir chez eux. Je vous embrasse, mon cher Président, et je serai toute ma vie, avec une amitié tendre et un attachement respectueux, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXXXII AU MÊME. Au Jardin du Roi, le 5 février 1766. Je vous remercie, mon cher Président, de la peine que vous vous êtes donnée pour l'affaire de Mme la marquise de Scorailles1; les papiers, en effet, ont été envoyés, et elle m'a chargé de vous faire aussi des remercîments de sa part. Je compte bien, mon cher ami, quoique j'aie cinquante-huit ans depuis le mois de septembre dernier, finir toute Y Histoire naturelle avant que j'en aie soixante-huit2, c'est-à-dire avant que je necommence à radoter; et voici les mesures que j'ai [1766] DE BUFFON. 99 prises pour en venir à bout. Je donnerai en in-4 encore six volumes, dont les matériaux sont prêts pour la plus grande partie. Ces six volumes contiendront, après l'histoire des qua- drupèdes, celle des cétacés et des poissons cartilagineux; en- suite celle des quadrupèdes ovipares et des reptiles , et enfin des matières générales sur les végétaux et les minéraux. Ainsi j'aurai donné en gravure noire tous les animaux dont la forme suffit pour qu'on puisse les reconnaître aisément, et je fais faire en même temps, en planches enluminées , tous les oiseaux qui ont besoin d'être présentés avec des couleurs pour être bien connus, et cela abrège les descriptions plus de moitié. J'ai déjà près de deux cents planches de gravées, dont il en a paru quatre-vingt-seize. Gela fera un ouvrage in-folio en quatre ou cinq volumes qui aura pour titre : Suite de l'Histoire naturelle, par M. de Buffon. Et en effet, je don- nerai une explication assez étendue de chacune des planches, et on reliera cette explication avec les planches, dès qu'il y en aura un assez grand nombre pour faire un volume; et comme il en paraît un cahier de vingt-quatre planches tous les trois mois, je compte que dans quatre ou cinq ans au plus l'ouvrage pourra être entièrement achevé. Il n'y en aura en tout que quatre cent cinquante exemplaires, et si vous voulez que je vous inscrive, il faut me faire une réponse promptement, parce qu'il ne m'en reste plus que vingt-six. Je vous conseil- lerais de le prendre comme M. Hébert, en grand papier, parce qu'il est toujours mieux soigné que le petit papier. D'ailleurs, votre Académie aura nécessairement besoin de ce recueil, qui seul tiendra lieu d'un cabinet entier et complet d'histoire na- turelle, et vous devriez prendre cette dépense non pas sur vous, mais sur les petits fonds de vos dépenses académiques. Si vous voulez les quatre cahiers qui ont déjà paru, il vous en coûtera quatre louis , et je vous les enverrai par la voie de M. Hébert; ensuite, il y aura un louis à donner dans trois ou quatre mois, en recevant le cinquième cahier, un autre louis trois mois après, en recevant le sixième, ainsi de suite, parce 100 CORRESPONDANCE [1766] que chaque cahier coûte un louis, et qu'à ce prix, que j'ai lixé à nos dessinateurs et à nos peintres, ils ont encore bien de la peine à gagner quelque chose au delà de leurs frais. Je serais bien aise de voir notre ami M. de Brosses , et je serais bien content si je pouvais espérer de vous voir aussi, personne ne vous étant plus anciennement et plus sincère- ment attaché que je le suis et le serai toute ma vie. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXXXIII AU MÊME. Avril 1766. J'ai fait partir hier, mon cher Président, par le carrosse de voiture qui arrivera à Dijon jeudi, une petite caisse à l'adresse de M. Hébert, dans laquelle j'ai mis les quatre cahiers de mes planches enluminées, petit papier, pour le payement des- quelles vous m'avez envoyé une rescription de 60 liv. J'y ai joint les volumes X, XI, XII et XIII de mon ouvrage sur l'Histoire naturelle, que je vous supplie de faire agréer à MM. de l'Académie. J'aurais bien voulu leur faire de même un hommage pur et simple de mes planches enluminées ; mais, comme cet ouvrage est pour le compte de mes dessina- teurs, et qu'on ne le tire qu'en très-petit nombre, il ne m'est pas possible d'en donner ; il n'y en a en tout que cent cin- quante exemplaires en grand papier, et trois cents en petit papier. Gomme il n'y a dans la caisse que j'ai adressée à M. Hébert qu'un seul cahier pour lui, et deux autres cahiers , l'un pour M. Rigoley de Puligny, et l'autre pour M. du Morey, et que la principale charge de cette caisse est pour l'Académie, il serait juste que le port qu'il en coûtera à M. Hébert fût partagé. [1766] DE BUFFON. 101 Vous me marquez d'envoyer à M. du Morey la souscription de cet ouvrage ; vous voyez bien bien que ce n'est point une souscription, mais une simple inscription du nom de ceux à qui on la donne, attendu qu'on ne demande point d'argent d'avance, et qu'on ne paye qu'à mesure que l'on reçoit. J'ai donc fait inscrire votre nom pour l'académie de Dijon sur la liste de ceux qui prennent l'ouvrage, et cela est suffisant. Le maire de Montbard 1 doit arriver ces jours- ci à Paris ; je vous promets de lui bien laver la tète et de le presser de nou- veau de satisfaire à ses obligations. Mes respects, je vous supplie, à Mme de Ruffey. C'est avec les sentiments de la plus inviolable amitié que je serai toute ma vie, mon cher Président, votre très-humble et très-obéis- sant serviteur. BUFFON. Gomme la poste presse, je n'ai pas le temps de donner avis à M. Hébert de l'envoi de cette caisse, et je vous prie de l'en faire avertir. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXXXIV AU MÊME. Montbard, le 7 avril 176G. Je n'ai pu, mon cher Président, vous répondre plus tôt, parce que, depuis plus d'un mois, j'ai été attaqué de violentes coli- ques d'estomac qui m'ont beaucoup tourmenté, et qui me réduisent encore aujourd'hui au petit-lait et à la diète. Cepen- dant cela va mieux depuis quatre ou cinq jours , et j'espère que l'air de la campagne et l'exercice feront cesser mon mal, que la vie sédentaire et le trop d'application m'avaient causé. J'ai apporté avec moi les quatre premiers cahiers , grand papier, de nos planches enluminées, que vous avez payés d'à- 102 CORRESPONDANCE [1766] vance à M. Hébert; je les adresse, par le earrosse qui passe ici demain, à Mlle Buisson1, au Logis-du-Roi, pour les faire tenir à Mme la comtesse de Rochechouart2. Il y a longtemps que je connais son goût et toute l'étendue de ses connais- sances en histoire naturelle, et je suis charmé qu'elle se soit déterminée à prendre ces planches enluminées , qui seront quelque jour fort rares; car, comme je vous l'ai dit, on n'en peut tirer que quatre cent cinquante exemplaires , et j'aurai soin qu'on lui fournisse les meilleures épreuves. Je vous prie de faire avertir Mlle Buisson afin qu'elle retire ce paquet, dont je ferai charger la feuille. M. Maret 3 a pris la peine de m'écrire, au nom de l'Acadé- mie, pour me remercier des derniers volumes que je vous ai envoyés ; c'est un hommage trop légitime pour mériter des remercîments, et ce serait à moi à vous en faire de l'accueil toujours très-obligeant que votre compagnie a eu la bonté de faire à mes ouvrages. Je vous embrasse, mon cher Président , et je vous supplie de faire agréer mes respects à Mme de Ruffey. Mme sa sœur est ici chez Mme de La Porest. Nous avons eu de leurs nou- velles souvent ; mais nous n'avons pas encore eu l'honneur de les voir. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) LXXXV A MADAME GUENEAU DE MONTBEILLARD K Le 2 mai 17G6. Pourquoi me laissez-vous dans l'incertitude , madame, sur votre grande opération2? Je ne sais où vous prendre. Ètes-vous à Chevigny3? avez-vous déterminé le temps, le jour de l'ino- culation? Si je n'avais pas d'enfant, je saurais tout ce qui vous intéresse sur cela; car j'aurais été à Chevigny vous en [1766] * DE BUFFON. 103 demander des nouvelles, et je vous supplie de m'en donner, si vous avez un moment où vous ne soyez pas occupée auprès de votre enfant. Je vous félicite de votre courage4 ; je plains tendrement vos inquiétudes, et je souhaite ardemment de savoir tous les détails qui vous concernent5. Je vous les de- mande avec instance. Voilà une lettre pour Mme de Prévôts, que j'attends ici tous les jours. Si vous êtes à Chevigny, je l'enverrai prendre à Semur, si cela vous convient; elle n'aura qu'à me le faire dire. BUFFON. (Inédite. — Communiquée par M. Léon de Montbeillard à M. Beaune, qui a bien voulu, à son tour, nous en donner connaissance.) LXXXVI AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Montbard, le 27 juin 1766. Il n'y a que trois ou quatre jours, mon très-cher Président, que j'ai cessé de souffrir. J'ai eu depuis le mois de mars cinq atteintes d'une violente colique d'estomac, dont la der- nière a duré douze jours et m'avait entièrement abattu. Je me suis mis au régime du lait, et je m'en trouve très-bien ; les douleurs ont cessé et je reprends des forces. Sans une excuse aussi légitime, je vous demanderais pardon, mon cher ami, de n'avoir pas répondu à votre lettre si honnête et toute remplie de sentiments d'amitié, que vous m'avez écrite dans le temps de votre arrivée à Paris. J'ai été aussi extrêmement peiné du contre-temps qui m'a privé du plaisir de vous voir. Je retourne à Paris le 14 du mois prochain, et peut-être alors en serez-vous parti. Vous devriez au moins, mon cher Pré- sident, nous donner un jour ou deux à Montbard; je vous en- verrais des chevaux à la Maison-Neuve, qui vous ramène- raient à Montbard, au cas que vous partiez avant le 10 juillet; car, si vous partiez plus tard, cela ne serait plus possible, 104 CORRESPONDANCE [1 766] étant obligé de partir moi-même le 12 ou le 13 au plus tard. Je vous envoie ci-joint un billet pour M. Daubenton le jeune1, pour qu'il vous fasse tirer une suite de nos animaux et squelettes; et assurément, mon cher ami, je ne permettrai pas que vous payiez les frais de cette petite œuvre, que je se- rai enchanté de mettre dans votre portefeuille. Sainte-Palaye 2 et d'autres de mes confrères de l'Académie française ont pu vous dire combien j'avais fait d'éloges de votre dernier ouvrage, et combien j'ai dit qu'il devait vous mériter une place à l'Académie. Entre nous, il est sûr qu'en fait de grammaire il y a autant d'esprit dans votre livre qu'il y a de matière dans celui de Sainte-Palaye, qui cependant lui a mérité cet honneur. Je vous embrasse, mon très-cher ami, bien sincèrement et de tout mon cœur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) LXXXVII AU MÊME. Montbard, le 1" septembre 1766. De tout mon cœur je vous fais mes félicitations, mon très- cher Président, sur votre heureux mariage1; car je ne doute pas qu'il ne le soit en effet, puisque vous épousez vos amis2, et que votre jeune dame ne peut manquer de tenir de ses dignes parents. Cela me fait d'autant plus de plaisir que j'a- vais fait quelques ouvertures d'un autre côté, et que je devais vous écrire que ces gens-là portaient leurs prétentions trop haut. Nous chercherons ailleurs pour Mlle votre fille3, et ma femme serait enchantée de vous donner des marques de son amitié, qui depuis longtemps est fondée sur la haute estime qu'elle m'a toujours vu faire de voire esprit et de votre cœur. [1767] DE BUFFON. 105 Elle est restée à Paris pour nous arranger dans une nouvelle maison à portée du Jardin du Roi, où j'ai cédé mon logement pour agrandir les cabinets. On m'a traité honnêtement pour mes dédommagements, mais non pas magnifiquement1' , comme on le dit à Dijon; et, en honneur, les motifs de l'intérêt per- sonnel n'ont aucune part ici, et je ne me suis déterminé que pour donner un certain degré de consistance et d'utilité à un établissement que j'ai formé. Tout était entassé ! tout périssait dans nos cabinets faute d; espace. Il fallait deux cent mille livres pour nous bâtir. Le Roi n'est pas assez riche pour cela; son contrôleur général a pris un parti qui ne leur coûtera que quarante mille livres pour l'arrangement du tout, et il me paye le loyer de ma maison; ainsi vous voyez que cela ne fera tout au plus que la fortune du Cabinet, et cela me suffit; car je suis content de la mienne, quoique assez mé- diocre5. Yous n'avez pas encore votre suite de planches des ani- maux et de leurs squelettes, parce qu'il faut que vous l'ayez complète, et qu'on achève de graver les animaux du XVe vo- lume; ainsi vous n'aurez le tout que dans deux ou trois mois. Jouissez, en attendant ces squelettes, d'une belle chair bien ferme et bien fraîche, et, dans les plaisirs de l'amour, n'oubliez pas les douceurs de l'amitié et les sentiments ten- dres et sincères que je vous ai voués pour ma vie. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) LXXXVIII FRAGMENT DE LETTRE AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Montbard, le 17 janvier 1767. .... Je me suis transporté sur les lieux et la chose m'a paru évidente; elle a paru telle aussi à M. Gucneau1, maire de Se- 106 CORRESPONDANCE [1767] mur, qui est un homme éclairé ; M. Guenichot2, conseiller à votre Parlement, qui a bien voulu aussi se transporter sur les lieux, en a jugé comme moi. Mais cette affaire est ici soutenue par des prêtres et a été très-mal conduite par ces pauvres gens, qui n'ont ni ressources ni protections. S'ils perdent leur procès, ils seront non-seulement noyés chez eux, mais tout à fait ruinés 3. Je n'y prends d'autre intérêt que celui de l'huma- nité, et ce motif est bien puissant sur une âme comme la vôtre, et j'y compte plus que si l'affaire vous était recom- mandée par des puissances. Il y a quinze jours que je devrais être à Paris; mais le mauvais temps m'a retenu, et je pars dans deux jours pour revenir à Pâques et retourner au mois de juillet. Je vous dis cela d'avance, mon très-cher Président, dans l'espérance que nous pourrons nous rencontrer. Ma santé me tracasse toujours et n'est pas encore parfaitement rétablie. J'entends dire avec grand plaisir que vous vous trouvez très-bien de votre nou- veau ménage. Je partage vos joies, mon cher ami, et je vous prie de faire passer mes sentiments et mes respects à votre jeune dame. Ma femme est à Paris depuis cinq semaines, où elle arrange notre nouveau logement, rue des Fossés-Saint- Victor4. Mandez-moi si je vous ai envoyé les derniers volumes de Y Histoire naturelle ; le XVe va paraître, mais il ne contient guère que des tables. Thomas doit être reçu jeudi5. Savez-vous que l'abbé Coyer6, avec sa petite prédication, s'est mis sur les rangs? Abbé pour abbé, j'aimerais mieux l'abbé Le Blanc, qui n'a manqué la place que d'une voix, qui est mon ancien ami et un très-hon- nête garçon. Je vous le recommande d'avance ; car il me pa- raît , mon cher Président , que vous ne pouvez pas rater la première place7. Je ne vous souhaite avec cela qu'un fils, parce que j'imagine que ces deux objets suffisent à votre bon- heur, auquel je m'intéresse comme au mien. Au nom de Dieu, faites quelque chose pour mes pauvres gens de Montbard; j'ai leur affaire fort à cœur, parce que [1767] DE BUFFON. 107 je la crois très-juste et qu'ils sont les victimes de la passion des prêtres. Je vous embrasse bien tendrement et de tout mon cœur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses. — Le commence- ment de cette lettre manque.) LXXXIX AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Paris, le 13 février 1767. Ce n'est que depuis quelques jours, mon cher Président, que je suis de retour à Paris et que j'ai reçu votre lettre avec les listes qui y étaient jointes. Je vous remercie d'abord de tous les sentiments d'amitié dont elle est remplie, et je vous sup- plie de me les conserver, comme en étant digne par le retour de tous les miens. Je vous félicite ensuite sur la gloire de votre Académie ; cet établissement n'a pris forme que depuis vos soins, et vous y avez plus fait que le fondateur même. Je suis bien aise que vous ayez été content du mémoire de M. Gueneau1; c'est un homme d'un mérite supérieur, et je regretterai toujours de ce qu'il a voulu se fixer à Semur, sans pouvoir le blâmer d'avoir préféré une vie aisée et tranquille au tumulte de ce pays-ci. J'habite actuellement une assez belle maison rue des Fossés-Saint -Victor, à mille pas de dis- tance du Jardin du Roi, ce qui me donne la facilité d'y aller à pied pour y donner mes ordres. J'ai cédé mon logement pour étendre le Cabinet, qui commençait à s'encombrer au point de ne pouvoir s'y reconnaître. Si vous voyez notre ami le prési- dent de Brosses, je vous prie de lui faire mille tendres compli- ments de ma part, et de le prier de se souvenir des pauvres gens de Montbard dont je lui ai recommandé le procès. Que dites-vous tous deux du discours de M. Thomas à l'Académie française 9 ? On trouve ici qu'il y a bien de la pensée dans les 1U8 CORRESPONDANCE L17^". premières pages, et bien peu dans les dernières. Je vous embrasse, mon cher Président, avec les sentiments d'un ten- dre et respectueux attachement. BUFFON. Mes respects, je vous supplie, à Mme de Ruffey. Dites aussi quelque chose pour moi à MM. vos fils, qui sont maintenant des hommes, et auxquels je souhaite vos talents et vos vertus. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) xc A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Mercredi soir, 6 mai 1767. Même réponse à M. de Morges1 que ma proposition, mon cher monsieur, sinon que je consens à payer les 50 mille li- vres, dans deux années subséquentes : savoir, 25 mille livres en 1769 et 25 mille livres en 1770. J'en serai quitte pour les emprunter alors, et cela ne change rien à mon état2. On m'a dit que Venarey ne relevait pas du Roi, mais de la terre des Grignon3, et cela me déplaît assez. On assure aussi qu'elle doit une redevance à celle de Mussy ; cela me déplairait encore, si M. votre frère* n'en était pas seigneur. Je suis donc bien ré- solu à n'en donner absolument que les 125 mille livres que j'ai offertes et les 2400 livres de pot-de-vin, ou chaîne, et vous pouvez même assurer M. de Morges que, s'il n'accepte pas, on se retirera. Je suis dans une véritable affliction de la perte que nous venons de faire d'une de nos meilleures amies, Mme de Scorailless, qui vient de mourir d'une fièvre maligne; je la regrette bien vivement, et ma femme aura bien de la peine à s'en consoler. Ma santé n'est pas si bien que quand j'ai eu le plaisir de vous voir; il m'est survenu, à propos de botte, deux petites indigestions qui m'ont dérangé, et j'ai cessé de m'oc- cuper la tête depuis ce moment. [1767] DE BUFFON. 109 Bonsoir, mon cher monsieur ; mes tendres respects à vos dames. Je vous embrasse de tout mon cœur, vous estime de toute mon âme, et vous aime autant que vous pouvez le désirer. BUFFON. Je reçois votre seconde lettre dans le moment, à sept heures et demie, et je vous en remercie, mon cher monsieur. J'écrirai à Mme Boucheron demain matin. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye). XGI AU MÊME. Montbard, le 27 mai 1767. Je n'irai pas plus loin, mon cher monsieur, pour la terre de Venarey. C'est une très-grosse affaire qui me gênerait beaucoup ; d'ailleurs, je n'aime à acquérir que les choses dont je peux jouir, et je préfère de petites acquisitions autour de moi, qui me font grand plaisir et conviennent mieux à ma fortune. Cependant je ne retire pas encore ma parole; mais je vous prie de ne point insister. Si dans huit ou quinze jours vous ne recevez aucune réponse, vous voudrez bien alors retirer ma parole. Je vous embrasse, mon cher monsieur; mille et mille respects à vos dames. Buffon. (Inédite. — Communiquée par M. Léon de Montbeillard à M. Beaune, qui a bien voulu nous en donner à son tour connaissance.) XCII AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Montbard, le 17 août 1767. J'ai vu M. de Clugny1, et j'ai reçu votre lettre, mon cher Président. Vous avez très-bien fait de l'agréger à votre Aca- 110 CORRESPONDANCE [1767] demie2; de pareils sujets ne peuvent que lui faire honneur, et il est très-vrai que cet établissement vous doit non-seulement toute sa consistance, mais encore tout son lustre. J'ai vu aussi, aujourd'hui, Mme de La Foret, qui m'a dit que vous veniez incessamment à Viteaux. Vous devriez bien pous- ser jusqu'à Montbard, qui n'en est qu'à six lieues; je serais enchanté d'avoir le plaisir de vous voir et de vous embrasser. Vous le pourriez d'autant mieux qu'on dit que Mme de Ruffey vient passer quelques jours à Montfort. Je suis et serai toute ma vie, mon cher Président , avec les sentiments de la plus tendre amitié et du plus inviolable at- tachement, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) XGIII A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Ce samedi soir, 8 octobre 1767. Il y a un mois, mon très-cher monsieur, que je suis enterré dans ma forge, et j'ai besoin, pour ressusciter, de la présence de mes meilleurs amis. Venez donc avec la chère dame et l'aimable Fin-Fin1, et venez le plus tôt que vous pourrez. Ce charmant moucheron* joindra ses instances aux miennes; elle vous dira des nouvelles de mon fils. Je vous embrasse, mon bon ami, et regrette toujours de vous voir si rarement. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. Geoffroy Saint-Hilaire; publiée par M. Flourens.) [1767] DE BUFFON. 111 XCIV AU 1 ' Montbard, le 11 octobre 1767. Le messager vous remettra six crochets , mon très-cher monsieur, que l'on m'a dit vous manquer. Lalande 1 m'a re- mis la note ci-jointe de la tente et des crochets, que je ne vous envoie que pour la vérifier, n'étant nullement pressé du payement. J'ai écrit à Mme Boucheron que vous enverriez vers le 20 de ce mois une voiture et des chevaux pour charger aux caves de son papa une demi -queue de vin pour vous et une queue pour moi. Je lui marque aussi que nous enverrons les articles projetés vers la fin de la semaine pro- chaine2. J'ai passé avec vous, mon bon ami, et avec votre chère dame, un jour délicieux, et je voudrais bien que tous ceux de ma vie pussent y ressembler. Mon fourneau s'était un peu dérangé pendant mon absence ; mais il est maintenant par- faitement rétabli. Buffon. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) xcv FRAGMENT DE LETTRE AU MÊME. Montbard, le 15 décembre 1767. .... Le plan que j'ai fait faire pour démontrer les limites de la lisière de bois l que me contestent les ursulines de Montbard, sera achevé aujourd'hui, et je compte l'envoyer par le prochain messager avec mes réponses à leurs défenses. Je vous prierai, mon très-cher monsieur, d'engager M. de Mussy à jeter les yeux sur le tout, et vous aurez tous deux assez de 112 CORRESPONDANCE [1768] bonté pour emboucher un peu mon procureur, et pour lui dire de me marquer le nom des juges et le jour auquel l'au- dience a été remise. Par la dernière poste, ma femme écrit qu'elle a eu une très-bonne nuit, et qu'elle commence à se trouver un peu reposée. Je compte partir le lendemain de Noël. Si vous pou- viez m'envoyer d'ici à ce temps quelque chose de votre ou- vrage, cela me ferait grand plaisir. Donnez-moi aussi vos commissions et celles de Mme de Montbeillard , que j'assure de mon sincère et tendre respect. Je remercie Fin-Fin des amitiés qu'il a faites à mon fils, et vous, mon très-cher mon- sieur, je ne vous dirai jamais assez combien je vous estime et vous aime. Buffon. (Inédite. — Conservée dans la bibliothèque de Semur.) XGVI AU MÊME. 20 janvier 1768. Hélas! mon très-cher monsieur, je ne croyais pas que vous dussiez perdre encore de sitôt la chère personne qui cause aujourd'hui vos regrets douloureux1. Il n'y a aucun de vos amis qui ne connaisse votre âme; mais je crois connaître mieux qu'aucun sa noble et tendre sensibilité : aussi nous vous avons plaint et vous plaignons de tout notre cœur. La santé de notre pauvre convalescente n'est pas encore assurée; ses forces reviennent bien lentement, et même ne peuvent toutes revenir dans l'état où elle est. Nous avons vu M. de Montbeillard; sa santé est bonne et ses yeux meilleurs, et j'ai eu bien du plaisir à raisonner fer avec lui ?. J'ai dit à Panckoucke3 que vous ne pouviez guère lui donner de l'agricullure avant dix-huit mois ou deux ans, et il attendra volontiers le temps qui vous conviendra. J'au- [1768J DE BUFFON. 113 rais été enchanté de recevoir un beau coq4 pour étrennes; mais, en quelque temps qu'il vienne, il sera toujours bien reçu. Je ne connais rien de nouveau dans la littérature que la Physiocratie de M. Quesnay5. Il a fait autrefois de la méde- cine pour les individus ; ceci est de la médecine du gouver- nement, c'est-à-dire de l'espèce entière. Je vous en garde un exemplaire, que je vous enverrai ou donnerai à mon retour. Nos poètes se percent d'épigrammes. En voici une bien courte et bonne (si vous connaissiez l'homme!) de Piron contre Poinsinet6 : Pégase constipé s'efforçait un matin : Le petit Poinsinet fut son premier crotlin. Bonjour, mon très-cher monsieur ; mille tendres respects au charmant mouton''; ne m'oubliez pas aussi auprès de Mme Boucheron8 et du beau Fin-Fin. Mme de Messey9 n'est pas encore guérie de son pied brûlé. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) XGVII AU MÊME. Montbard, 1768. Quoique la perte que vous venez de faire, mon cher mon- sieur, fût depuis longtemps prévue, je connais trop votre grande et bonne âme pour douter de votre affliction, et vous ne doutez pas non plus de l'intérêt très-tendre que nous pre- nons à tout ce qui vous touche. La convalescence de notre pauvre petite malade est si lente que j'en suis désolé; elle est toujours dans un état de souffrance très-fâcheux. La mâ- choire est un peu plus ouverte , mais elle ne peut la remuer, et comme depuis si longtemps elle ne mange rien de solide, I 8 114 CORRESPONDANCE [1768] la faiblesse est très-grande. Mes respects, je vous supplie, à sa très-bonne amie. Je vous embrasse, mon très-cher mon- sieur, bien tendrement et de tout mon cœur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) XCVIII AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Janvier 1768. Nous savions déjà, mon très- cher Président, que Mme de Brosses était heureusement accouchée1, et c'est votre ancien premier président2 qui nous l'avait appris. 11 n'eût rien man- qué à notre satisfaction , si elle vous eût donné un héritier. Votre nom n'en a pas besoin pour durer ; mais il est doux de se perpétuer au physique comme au moral, et la santé de Mme de Brosses étant aussi bonne que vos facultés sont promptes à se réaliser, il y a tout à espérer d'un second es- sai qui remplira vos vœux et les nôtres. Nous sommes ici dans l'affliction. Ma femme est sérieuse- ment malade, et d'une maladie qui sera encore longue, et malheureusement toujours douloureuse; sa situation, qui exige tous mes soins, dérange mes projets. Je comptais partir ces jours derniers et aller à Dijon passer deux ou trois jours auprès de vous, et présenter en même temps au Parlement les lettres patentes que j'ai besoin d'y faire enregistrer; c'est au sujet de l'établissement d'une forge et d'autres usines de fer que j'ai commencé d'établir à Buffon et à Montbard3. Je ne pensais pas à cela l'année passée, lorsque vous me fîtes l'honneur d'y venir; mais m' étant occupé pendant l'été et l'automne d'expériences sur la chaleur, et particulièrement sur l'action du feu par rapport au fer, je suis venu à bout de faire avec nos plus mauvaises mines de Bourgogne du fer [1768] DE BUFFON. 115 d'aussi bonne et meilleure qualité que celui de Suède et d'Es- pagne. Cette découverte sera certainement utile à l'État, et pour en tirer quelque produit pour moi-même, je me suis déterminé à établir une forge, d'autant que j'ai suffisamment de bois.... BUFFON. (Inédite. —De la collection de M. le comte de Brosses. — Le reste de cette lettre manque.) XCIX AU MÊME. Paris, le 7 mars 1768. Voici, mon très-cher Président, l'arrêt du conseil et les lettres patentes1 pour ma forge, que vous m'avez permis de vous envoyer, et que vous m'obligerez beaucoup de faire en- registrer au Parlement. Je compte bien que cela coûtera de l'argent, que j'aurai soin de vous rembourser, si vous avez encore la bonté de l'avancer. Après l'enregistrement au Par- lement viendra celui de la Chambre des comptes, qui coûtera peut-être encore plus ; mais je n'y aurai pas de regret, non plus qu'à toute la dépense que je fais pour cet établissement, parce que j'ai trouvé des choses qui me seront profitables, en même temps qu'elles seront très-utiles à notre province. J'au- rai bien du plaisir à vous expliquer tout cela lorsque j'aurai celui de vous voir. Il suffit, pour vous donner une idée de l'utilité, de vous dire que nous ne vendons nos fers en Bour- gogne que 13 liv. le quintal, et qu'on m'offre déjà 24 liv. de celui que j'ai fait fabriquer par ma nouvelle méthode; et en effet, ce fer est d'une qualité supérieure à tous ceux qu'on connaît. Comme je ne lis aucune des sottises de "Voltaire, je n'ai su que par mes amis le mal qu'il a voulu dire de moi; je lui pardonne comme un mal métaphysique qui ne réside que dans sa tête , et qui vient d'une association d'idées de 116 CORRESPONDANCE {_ 1 768j Needham8 et Buffon. Il est irrité de ce que Needham m'a prêté ses microscopes et de ce que j'ai dit que c'était un bon observateur. Voilà son motif particulier, qui, joint au motif général et toujours subsistant de ses prétentions à l'universa- . lité et de sa jalousie contre toute célébrité, aigrit sa bile re- cuite par l'âge, en sorte qu'il semble avoir formé le projet de vouloir enterrer de son vivant tous ses contemporains3. Il sera tout aussi fâché contre vous dès qu'il vous verra à l'Aca- démie *, et j'espère que nous lui donnerons ce chagrin dans peu , quoique toute notre vieillesse académique ait l'air de tenir bon. Mes tendres respects, je vous supplie, à Mme la présidente de Brosses. Ma pauvre femme est toujours dans la même si- tuation de souffrances , et je vous avoue même que je ne suis pas sans inquiétudes pour l'avenir; sa maladie sera certai- nement très-longue. Elle vous remercie beaucoup de la part que vous voulez bien y prendre. J'oubliais de vous dire que je crois qu'il est convenable que j'écrive un mot à M. le premier président5 au sujet de l'enre- gistrement de mes lettres patentes, et je le ferai par le pre- mier ordinaire. C'est avec toute reconnaissance et tout attachement que je serai toute ma vie, mon très-cher Président, votre très-hum- ble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) G FRAGMENT DE LETTRE AU MÊME. Montbard, le 20 avril 1768. J'apprends, presque en arrivant ici, mon très-cher Prési- dent, que mes lettres patentes sont enregistrées au Parlement [1768] DE BUFFON. 117 du 18 de ce mois, et ensuite présentées à la Chambre des comptes, et tout cela par vos bontés et par vos soins, dont je ne puis vous remercier assez. J'écris à M. Hébert, receveur des fermes, de vous rembourser l'argent que vous avez eu la bonté d'avancer. Je suis parti de Paris pour ainsi dire forcé- ment, et je ne compte rester à Montbard que jusqu'au 25 avril. Après quoi j'irai retrouver ma femme, que j'ai laissée à Paris dans un pitoyable état de santé, quoiqu'elle ait eu avant mon départ quelques jours de bons. Je vois, par votre dernière lettre, mon très-cher ami, que vous projetez de venir faire un tour dans ce pays-là. J'en se- rais enchanté; car je n'ai pas de plus grand plaisir au monde que celui de vous voir et de m'entretenir avec vous; mais si vous ne venez à Paris que pour les affaires dont vous char- giez votre ami M. Fargès1, et que vous pensiez que je puisse le remplacer à cet égard, je vous offre tous les services dont je suis capable, et vous ne pouvez me faire plus de plaisir que de les accepter. S'il m'était possible de me dérober à mes tra- vaux pendant quatre jours, et de ne pas risquer d'augmenter un vilain rhume que j'ai pris dans mon voyage, j'irais bien volontiers vous voir à Dijon; mais je n'ose l'espérer. La sai- son et ma santé me contrarient, et avec cela je suis obligé de veiller à des ateliers très-considérables, et qui dans le com- mencement ne peuvent être dirigés que par moi seul. J'ai souvent pensé au nombre immense de choses que vous savez toutes si bien faire en même temps ; je n'ai pas cette même étendue d'activité.... (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses. — La fin de cette lettre manque.) 118 CORRESPONDANCE [1768] CI A GUENEAU DE MONTBEILLABD. 1" août 1768. Le service, mon très- cher monsieur, que vous et Mme de Montbeillard voulez me rendre, est si grand que je n'ose vous y engager un peu et ne puis vous en remercier assez1. Je suis sûr que notre pauvre malade en sera comblée. Elle n'aime personne autant que sa bonne amie, elle me Fa dit mille fois. Mais peut-être refusera-t-elle, parce qu'elle craindra de lui donner la peine du voyage et les tristes soins du séjour. Pour moi, mon cher monsieur, je le désire de tout mon cœur, et, que cela soit ou non, j'en conserverai toute ma vie la plus profonde reconnaissance. Buffon. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) GII AU MÊME. Jeudi soir, 1768. C'est ie service le plus touchant, le plus essentiel que vous puissiez ajouter à tant d'autres dont nous vous avons déjà l'obligation, mon très-cher monsieur, que de recevoir dans mon absence notre pauvre malade pour douze ou quinze jours1. Si je la laissais seule ou dans toute autre main, je se- rais très-inquiet ; et je serai parfaitement tranquille tant que je la saurai près de vous. Gela même pourra contribuer à son mieux être, et ce sera encore un surcroît de reconnaissance ; vous en multipliez chez moi les motifs à chaque instant. Je prendrai votre argent si vous pouvez vous en passer pendant [1768] DE BUFFON. 119 cinq ou six mois; j'aimerais mieux encore le prendre sur un billet rentuel avec des intérêts; mais c'est à vous, mon cher monsieur, à prescrire les conditions. M. Panckoucke vous envoie deux exemplaires, l'un pour vous et l'autre pour Ma- dame, des six premiers volumes de la nouvelle édition de mon ouvrage. Je vous embrasse bien tendrement, et fais mille respects aux dames. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) cm AU MÊME. Août 1768. Seul avec les oiseaux, vous êtes mieux que moi, mon cher monsieur, qui depuis trois jours suis environné de monde1 et ne puis disposer de mon temps. Notre pauvre malade est un peu mieux, sans pouvoir néanmoins desserrer les dents, et souffrant toujours beaucoup, surtout les nuits, pendant les- quelles elle a de la fièvre et beaucoup d'agitation. Je persiste à croire qu'il n'y aura point d'abcès, malgré l'avis des méde- cins; mais, comme il paraît que le foyer du mal est dans les muscles de la mâchoire, la résolution de l'humeur sera peut- être encore longue, et c'est ce qui nous désole. Mille tendres respects à Mme de Montbeillard. Mme de Prévost a bien soin de la malade; toutes deux vous font mille amitiés, et moi je vous remercie et vous embrasse, mon très-cher monsieur, de tout mon cœur. L'expérience sur le fer a pleinement réussi a. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) 120 CORRESPONDANCE [1768] CIV AU MÊME. Montbard, le 16 septembre 1768. Quoique notre pauvre petite malade soit mieux, elle n'est pas encore bien, mon cher monsieur. La mâchoire est toujours serrée au point de ne pouvoir ouvrir la bouche, et la tumeur subsiste, sans douleur à la vérité, ce qui est d'un grand point, mais toujours dure et grosse, en sorte que l'incommodité et l'ennui de ne pouvoir manger peuvent encore durer plusieurs jours. Yenez la voir, mon cher monsieur; je suis bien sûr du plaisir que vous lui ferez. Je ne vous parle pas du mien: j'aurais besoin de vous voir tous les jours pour être parfaite- ment heureux. Il faut parler de tous les oiseaux, gravés ou non gravés ; c'est aussi mon avis comme le vôtre. Je vous embrasse bien sincèrement, mon cher monsieur, et de tout mon cœur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) GV AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Montbard, le 10 janvier 1769. J'ai reçu votre lettre, mon cher Président, avec la liste de Messieurs de votre Académie ; je l'appelle la vôtre, parce qu'en effet, si vous ne l'avez pas créée, vous l'avez au moins ressus- citée et rendue plus florissante qu'on ne pouvait l'espérer. C'est doublement servir sa patrie que d'y répandre en même temps des lumières et des encouragements, et tous les gens bien animés doivent sentir comme moi combien il vous en a coûté de peines, et tout le courage dont vous avez, eu besoin [1769] DE BUFFON. 121 pour surmonter tous les obstacles qu'on opposait à vos vues. Je ne me lasserai jamais de vous réitérer sur cela mes félici- tations, et de vous marquer en même temps les sentiments de l'estime et de l'ancienne amitié que je vous ai vouées. Je suis depuis longtemps dans une situation bien malheureuse. Je ne sais point encore quand elle changera ; car ma pauvre ma- lade est presque toujours au même état de désespoir et de dou- leur. Je sais que vous et Mme de Ruffey avez eu la bonté d'y prendre part. Depuis le jour que vous eûtes la bonté de la voir à Dijon, elle n'a pas cessé de souffrir, et souvent à l'excès. C'est au point que je ne puis même la quitter pour retourner à Paris, où mes affaires me demanderaient depuis près de deux mois. M. de Clugny, qui me paraît être fort de vos amis, et que vous venez de recevoir à votre Académie, me fit le plaisir de me dire de vos nouvelles à son retour de Dijon; c'est un homme de mérite, et duquel je fais grand cas. Mes respects, je vous supplie, à Madame. Je ne vous parle pas de mes vœux au commencement de l'année, parce que dans tous les temps mes sentiments sont les mêmes pour vous, mon cher Président, et que cette année, comme toutes les précédentes, je suis et serai avec un sincère et respectueux dévouement votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. ( Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) CVI AU MÊME. Paris, le 5 avril 1769. Je connais depuis trop longtemps, monsieur, votre amitié, pour pouvoir douter de l'intérêt sincère que vous et Mme la présidente de Ruffey prenez à ma douleur K Ce fut d'abord une plaie cruelle et qui dégénère aujourd'hui en une maladie 122 CORRESPONDANCE [1769] que je regarde comme incurable et qu'il faut que je m'accou- tume à supporter comme un mal nécessaire. Ma santé en est altérée, et j'ai abandonné au moins pour un temps toutes mes occupations. Conservez-moi toujours les mêmes sentiments dont vous m'honorez, et soyez convaincu de ceux du véritable et respectueux attachement avec lequel je serai toute ma vie monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) CVII A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Le 11 mai 1769. Je serais désolé d'avoir manqué, mon cher monsieur, à des amis aussi essentiels et aussi respectables que ceux dont vous me portez les plaintes ; mais elles ne sont pas fondées. Je n'ai reçu aucune lettre de M. le comte de La Rivière1 depuis le décès de ma pauvre femme. Il est vrai que deux ou trois jours auparavant il m'en avait adressé une à Montbard, à la- quelle je chargeai mon frère2 de répondre, et qui me dit s'en être acquitté. C'était, comme je vous le dis, deux ou trois jours avant le cruel événement, et par conséquent avant mon départ pour Paris. Depuis cette lettre je n'ai pas reçu la moindre chose de Thôtes , et je n'ai même su des nouvelles de la maison que par M. le vicomte3, que j'ai vu à Paris quel- quefois. Je crois donc qu'on recevra mes excuses, et me suis déjà arrangé avec le chevalier de Saint-Belin 4 pour aller à Thôtes à la Saint- Jean. Je serais charmé d'aller plus tôt et avec vous; mais mes affaires ne me permettent qu'un jour d'absence pour aller vous voir : c'est le lundi de la Pentecôte que j'aurai cet honneur. Bonjour, mon cher monsieur, je vous embrasse bien sincèrement. [1769] DE BUFFON. 123 Si vous pouvez, mon cher monsieur, nous envoyer quel- ques fripiers ou acheteurs, on vendra ici le linge et quelques autres effets qui me deviennent inutiles, lundi prochain. Je vous remercie d'avoir eu la bonté de m'acquitter tout juste avec la rescription que je vous avais laissée. Je viens de retrouver le portrait de Madame, tel qu'elle l'avait donné à sa pauvre amie, et je le lui reporterai. Je l'as- sure de mon sincère et tendre respect. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) GVIII AU MÊME. Montbard, le 17 mai 1769. je vous envoie, mon très-cher monsieur, tous les livres dont je puis absolument me passer. L'usage que vous en fe- rez me sera aussi agréable qu'utile, et ce sera mettre le com- ble au plaisir que vous me faites, si vous ne différez pas à vous en servir. Le dindon et les autres gallines doivent, comme vous le sa- vez, suivre votre beau et très-bon coq1. J'ai fait à peu près tous les oiseaux de proie, à l'exception des faucons et des hi- boux. Ce n'est donc que sur ces deux genres d'oiseaux que je vous supplie de me faire copier les observations et notices que vous trouverez en parcourant les livres. Faites-moi part, mon cher monsieur, de la réponse du cher abbé *; je me tiens toujours prêt pour lundi, à moins qu'il ne veuille autrement. Je vous remercie de la bonne bière; elle me reste, et le mal d'estomac est passé. Mille tendres respects à vos dames. Son- gez au vendredi de la semaine prochaine pour elles et vos messieurs. Je vous embrasse bien tendrement. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) 124 CORRESPONDANCE [176-9] CIX AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Montbard, le 29 juillet 1769. Ne pouvant vous voir vous-même , mon cher Président , rien ne pouvait m'être plus agréable que la visite de Mme de Ruffey et la vue de Mlle votre fille1, qui est d'une figure char- mante, et qui, sous la conduite d'une mère aussi spirituelle, aussi honnête et aussi respectable en tout, ne peut manquer de devenir excellente. Je m'étais proposé de vous en écrire dès le même jour; mais il me survint des affaires qui m'en ont empêché, et votre amitié toujours prévenante a devancé mon compliment et les remercîments que je dois à Mme de Ruffey de cette marque de ses bontés, et de la part qu'elle prend avec vous à la grâce que le roi a faite à mon fils2, qui m'oblige à ne rien épargner pour qu'il s'en rende digne. Il est difficile de faire, dans des choses importantes, changer les résolutions d'un homme fort3; cela me fait désespérer de vous voir ici de si tôt ; cependant je ne puis imaginer que vous y eussiez aucun désagrément. Mme votre belle-mère vous es- time et même vous respecte, et ce sentiment qu'elle m'a tou- jours montré ne peut qu'augmenter à l'infini, si elle veut ac- tuellement comparer ses gendres. Il y a bien longtemps que mes malheurs et les affaires qui les ont accompagnés et sui- vis m'ont empêché de m'occuper d'aucune étude. Je n'ai donc rien en ordre et qui fût digne de vous être présenté. Je ver- rai avec grand plaisir les productions de nos confrères, et surtout les vôtres. Je vous embrasse, mon cher Président, avec l'amitié la plus sincère et l'attachement le plus respec- tueux. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotto.) [1770] DE BUFFON. 125 ex AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Montbard, le 29 septembre 1769. Je viens maintenant à vous, mon très-cher ami, et je ne veux pas que vous vous donniez la peine de venir à Montbard, puisque j'ai l'espérance de vous aller voir à Dijon; et quand même l'affaire que nous traitons1 viendrait à manquer, je ferai en sorte de prendre trois ou quatre jours dans le temps des fêtes de la Toussaint, pour aller les passer avec vous. Je suis enchanté de vous sentir allégé du fardeau qui vous op- primait2. Avec un peu de temps et quelques grains d'indiffé- rence philosophique, vous reprendrez votre tranquillité et vous sentirez renaître tous vos goûts ; je l'éprouve moi-même. Personne n'a été plus malheureux deux ans de suite: l'étude seule a été ma ressource, et, comme mon cœur et ma tète étaient trop malades pour pouvoir m' appliquer à des choses difficiles, je me suis amusé à caresser des oiseaux, et je compte faire imprimer cet hiver le premier volume de leur histoire. Je vous porterai le discours préliminaire de ce vo- lume, que je serais bien aise de vous lire. Soyez donc plus heureux, mon cher ami; personne ne mérite plus que vous de l'être en tout, et je le serais moi-même si je pouvais y contribuer. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses). CXI AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Paris, le 10 janvier 1770. Je reçois, mon cher Président, toujours avec la même joie, les marques de votre amitié, et je vous supplie d'être per- 126 CORRESPONDANCE [1770] suadé que mon attachement pour vous est aussi sincère qu'inviolable, et que personne ne s'intéresse plus que moi à la durée de votre bonheur. Je dis à la durée, car je suis con- vaincu qu'avec vos vertus, vos lumières et votre noble ma- nière de penser, vous êtes heureux en effet, et que vous n'a- vez besoin que d'une bonne santé pour jouir de tous les biens de ce monde. Je serais enchanté de vous voir à Paris, si vous y venez au commencement de mars ; mais , si vous tardiez jusqu'à la fin de ce même mois, je n'y serai peut-être plus, étant forcé de retourner à ma campagne vers le 25 de mars. "Vous avez très-bien fait de recevoir M. Fontaine1 à votre Académie. C'est un des plus grands géomètres de l'Europe, et je suis fâché que ses procès l'obligent à faire autre chose que de la géométrie. Je vous serai obligé des services que vous voudrez bien lui rendre. Je verrai avec plaisir le premier volume de vos Mémoires2, dans lequel je chercherai d'abord ce qui peut être de vous, et ensuite ce qui sera de notre ami le président de Brosses. Je ne crois pas qu'il soit à présent à Dijon, et le repos de la cam- pagne pourra lui valoir le produit d'un garçon; mais, tant qu'il demeurera à la ville, où l'on est si fort obligé de se par- tager, il pourrait bien ne faire que des filles. Donnez-lui votre recette, vous qui avez fait en ce genre et en bien d'au- tres tout ce que vous avez voulu. Je vous embrasse, mon cher Président, et serai toute ma vie, avec une tendre amitié et un respectueux attachement, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. Mes respects , je vous prie, à Mme la présidente de Ruffey. et à la belle demoiselle que j'ai eu l'honneur de voir à Mont- bard3. Ne m'oubliez pas non plus auprès de M. votre lils. (Inédite. — - De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) [1770] DE BUFFON. 127 CXII AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Montbard, le 12 mai 1770. J'ai, mon très-cher Président, l'honneur de vous envoyer ci-joint les informations que vous avez désirées au sujet de de Mme d'Hervilly1, avant de la proposer à M. de Bellegarde2. Je crois que cette affaire conviendrait à merveille à tous deux, et je désire beaucoup, comme je l'ai mis au bas du petit mé- moire ci-joint, que la jeunesse de la demoiselle n'effrayât pas : car, quoiqu'elle n'ait pas dix-sept ans, elle paraît aussi sérieuse et aussi raisonnable qu'on l'est communément à vingt-cinq. D'ailleurs, sa mère, et sa tante surtout, sont des femmes d'un vrai mérite. Je crois donc, mon cher bon ami, que vous pou- vez faire passer à M. de Bellegarde ces propositions, et l'en- gager, si elles lui conviennent, à donner une réponse et en même temps les informations qu'on lui demande par le mé- moire. Je n'ai pas perdu de vue l'agréable projet de vous aller voir, et je l'exécuterai certainement cet été. Depuis mon retour de Paris, j'ai toujours été incommodé de fluxions et de rhumes dont je ne suis pas encore quitte. Us viennent de recevoir Saint-Lambert3 à l'Académie française. C'est un poète sans poésie, comme ils avaient reçu précédemment l'abbé de Con- dillac\ qui est un philosophe sans philosophie. Et c'est Duclos qui fait seul tous ces beaux choix. Je viens de lire le poème de l'empereur de la Chine, qui a pour titre: Éloge de la ville de Moukden, et j'en suis assez con- tent, quoique cela soit assez mal écrit en français5. Les éditeurs chinois y ont mis des notes historiques et géographiques sur l'origine des lettres chinoises et sur les différentes dynasties de leurs empereurs. Vous entendrez tout cela beaucoup mieux que moi, mon très-cher ami, et, si vous n'avez pas ce livre, 128 CORRESPONDANCE [1770] je vous l'enverrai. C'est toujours dans les sentiments du plus tendre et respectueux attachement que j'ai l'honneur d'être, mon très-cher Président, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) CX1II AU MÊME. Montbard, le 28 mai 1770. Je crois, mon très-cher Président, vous avoir marqué, il y a un an ou deux, que j'avais fait ici une entreprise considé- rable de forges. Je vous en reparle aujourd'hui parce qu'elle n'est point encore achevée, et que les débordements conti- nuels d'eau qui se sont faits cet hiver et ce -printemps, me forcent à des réparations qui exigent absolument ma présence, en sorte qu'il ne me sera pas possible d'aller vous voir à Dijon, du moins de si tôt, quoique j'en aie un extrême désir. D'autre part, je n'ose vous proposer de venir à Montbard, dans la seule crainte de vous incommoder. Ce serait cepen- dant l'affaire d'un petit jour pour venir et d'un autre pour retourner; car je vous enverrais un relais jusqu'à Saint- Seine, si vous le désiriez, et ces mêmes chevaux vous y re- conduiraient pour votre retour. Voyez, mon cher bon ami, ce que vous pouvez faire, et, si cela est impossible, je ferai tout ce qui dépendra de moi pour aller à Dijon vers le com- mencement d'août; et encore cela dépend-il des circonstances, qui me forceront peut-être de faire un tour à Paris dans ce temps, de manière que le plus sûr et le meilleur serait de toute façon le voyage de Montbard , si vos affaires et votre santé vous le permettent. La mienne me demande toujours beaucoup de ménagement. On m'écrit que l'archevêque de Toulouse1 pourra bien remplacer à l'Académie française le duc de Yillars2; d'autres [1770J DE BUFFON. 129 me mandent qu'on ne procédera pas de si tôt à l'élection, et que ce ne sera qu'après la Saint- Martin. Je vois toujours avec peine que les gens qui n'intriguent pas sont reculés, et que Duclos, qui cependant serait fait pour sentir votre mérite, a jusqu'ici préféré des gens bien au-dessous. On devrait vous offrir cette place, et, à vous parler naturellement, vous de- vez vous estimer assez pour ne la pas solliciter. Envoyez toujours le mémoire, je vous supplie. De mon côté, j'ai écrit qu'on n'accepterait pas l'article des cent mille livres payables dans trois ans; qu'on voulait vingt-cinq mille livres mariage faisant, et le surplus d'année en année. J'ai joint à ces conditions la petite note que vous m'avez envoyée. Je vous avoue que je ne connais ce M. d'Hervilly que par Mlle de Chenoise sa belle-sœur, qui est la plus honnête per- sonne du monde, et qui était l'une des amies intimes de ma pauvre femme. Cette demoiselle jouit à Paris d'environ douze mille livres de rentes. J'ai ouï-dire dans tous les temps que le marquis d'Hervilly possède en Picardie plus de quarante mille livres de rentes en fonds déterre. Je ne sache pas qu'il ait fait d'autres entreprises que celle d'une manufacture de beau linge de table, pour laquelle il lui a fallu de fortes avances et qui le gênent dans le moment présent. Yous me direz que c'est le cas, vu la jeunesse de sa fille, d'attendre deux ou trois ans; mais, comme j'ai raconté à Mlle de Chenoise l'his- toire du mariage manqué, et que d'ailleurs elle avait entendu parler du mérite de M. le marquis de ***, elle a déterminé M. d'Hervilly à consentir dès à présent au mariage de sa fille. Au reste, si l'affaire s'engage, nous demanderons des hypo- thèques et des sûretés, et nous ne terminerons rien sans voir bien clair. Je vous embrasse, mon très-cher Président, et vous supplie de faire agréer mes respects à Madame. J'espère qu'à son re- tour des eaux elle comblera vos vœux. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) i 9 130 CORRESPONDANCE [1770] GXIV A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Montbard, le 17 août 1770. Le rhume subsiste, mon très-cher monsieur, malgré les bains, les remèdes, les sirops et la diète ; mais la voix est un peu revenue, et, en continuant ce régime, j'espère que j'en serai quitte dans quelques jours. Si vous m'eussiez dit, mon cher monsieur, que vous avez eu la bonté de donner 500 livres pour moi, je n'aurais pas rapporté ici tout l'argent que j'ai touché à Semur. J'envoie aujourd'hui au P. Ignace1 un effet que j'ai à toucher sur M. Cœur-de-Roi2. Je le charge de vous payer les 500 livres, la quittance en bonne forme, et je vous remercie, mon cher monsieur, d'avoir fini cette petite affaire. Je suis content du gain de mon procès3. La victoire pou- vait être plus complète; mais il faudrait que la justice fût plus juste et prît moins garde aux formes. C'est toujours beaucoup gagner que de cesser d'être tracassé, surtout pour une misère. M. Daubenton le fils4 est aujourd'hui à Buffon. Je ne man- qaeraipas de lui faire part de ce que vous me marquez, et je suis sûr qu'il s'y conformera. Mes tendres respects à vos dames. Agréez aussi, je vous supplie, ceux de mon fils, et les protestations de mon éternel attachement. Buffon. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) [1770] DE BUFFON. 131 GXV AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Paris, le 21 décembre 1770. Vous ne devez pas douter, mon très-cher Président, du dé- sir que j'ai de vous voir sur notre liste. Vous êtes, à toutes sortes de titres, le premier que je voudrais nommer; cepen- dant jusqu'ici je n'ai pu vous rendre service, comme je l'au- rais voulu. Je suis arrivé à Paris le 12, et le lendemain j'ai été pris d'un rhume violent; j'ai, eu deux accès de fièvre, en sorte que j'ai été forcé de garder ma chambre, et qu'encore aujourd'hui je n'en puis sortir. Étant incommodé, je n'avais fait qu'une liste très-courte des amis que je voulais laisser entrer, et précisément M. l'archevêque de Lyon1 est venu et ne m'a pas vu, parce que n'ayant pas encore reçu votre lettre alors, je n'avais pas songé à lui et que j'ignorais même s'il était à Paris. Depuis ce temps-là j'ai envoyé deux fois auprès de lui pour lui faire part de l'impossibilité où j'étais de l'aller voir. La première fois il était à Versailles pour trois jours; la seconde, il a répondu qu'il viendrait auprès de moi lorsqu'il aurait un moment de loisir. Enfin je ne l'ai pas en- core vu. Il en est de même de M. de Sainte-Palaye 2, quoique je lui aie fait part de ma situation. Hier au soir j'ai vu le nom de Mme votre fille3 sur ma liste, et comme je présume que c'est de votre part qu'elle est ve- nue me voir, je suis très-fâché qu'elle ne soit point entrée. Il m'est en même temps revenu de Montbard un billet qu'elle m'avait écrit avant mon arrivée et qui y avait été envoyé. Je vous fais, mon cher ami, le détail de toutes ces circon- stances, pour que vous ne soyez pas étonné du peu que j'ai fait jusqu'à présent dans votre affaire. Plusieurs personnes de l'Académie me sont venues voir, 132 CORRESPONDANCE [1770] aussi bien que tous les aspirants, et voici l'état où j'ai trouvé les choses. Le plus grand nombre, pour M. Gaillard4; le plus petit, pour l'abbé Le Blanc; et c'est encore dans la même si- tuation. Vous sentez bien que je n'ai pas voulu ôter à l'abbé, qui est mon ami, cinq ou six voix dont il est sûr, et que je dois y joindre la mienne, supposé qu'il ne soit pas question de vous. Néanmoins je vous ai proposé à tous ceux que j'ai vus, comme celui qui en était le plus digne à tous égards, et qui par conséquent devait être le premier nommé. Mais, d'un côté, MM. de Foncemagne5 et autres de l'Académie des in- scriptions tiennent pour leur Gaillard; de l'autre, j'ai trouvé une singulière opposition contre vous dans quelques gens de lettres, qui néanmoins sont faits pour vous apprécier; et comme cette opposition m'a étonné, j'ai fait tout ce qui était en moi pour en découvrir la source, et je ne sais si je me trompe ; mais j'ai tout lieu de soupçonner qu'elle ne vient que d'un homme avec lequel vous avez eu des démêlés et qui a une grande influence sur l'escadron encyclopédique 6. M. Duclos m'a bien parlé de vous, mais en même temps il m'a paru décidé pour M. Gaillard. Yoilà tout ce que je sais, et par conséquent, mon cher ami, tout ce que je puis vous dire. Au reste, comme il y a actuelle- ment trois places7, il me paraît aussi impossible qu'injuste que vous n'en obteniez pas une. Les opposants font beaucoup valoir votre non-résidence à Paris8; mais j'ai reconnu que c'était plutôt le prétexte que le vrai motif de leur opposition. Une chose qui peut vous nuire encore, c'est que l'abbé Bar- thélémy se présente, appuyé de toute la faveur du ministère ; et quand on vous nomme avec M. Gaillard et M. l'abbé Bar- thélémy 9, on répond que l'Académie des belles-lettres veut donc absolument envahir l'Académie française, en y plaçant tout à la fois trois membres de son corps. Pour moi, de ces trois places, j'en veux une pour vous et l'autre pour l'abbé Le Blanc, et je me conduirai de mon mieux [1771] DE BUFFON. 133 et invariablement d'après ce point de vue; trop heureux si je puis réussir à vous donner, dans cette occasion, des preuves de mon zèle et de mon dévouement sans réserve. Buffon. A mesure que les choses me paraîtront s'éclaircir ou s'em- brouiller, j'aurai attention, mon très-cher Président, à vous en informer. La première élection ne se fera qu'après les Rois, et peut-être y en aura-t-il deux le même jour. Nommez-moi ceux sur qui vous croyez pouvoir le plus compter. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) GXVI A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Paris, le 2 avril 1771. Il y a longtemps que je vous dois une réponse, mon très- cher monsieur; mais j'ai voulu attendre que je fusse en état de vous écrire quelques lignes de ma main, comme je le ferai à la fin de cette lettre. Je la commence par vous témoigner ma joie du gain de votre procès. Trois semaines de temps qu'il vous en coûte pour vous en être occupé, me paraissent très-bien employées, et vous ne devez pas y avoir regret. Pour moi, mon très- cher ami , j'en ai beaucoup aux autres trois semaines que l'inquiétude de ma maladie vous a fait perdre, et je vous suis comptable non-seulement de ce temps, mais de mille senti- ments que cette inquiétude suppose, et dont je ne pourrai jamais vous témoigner assez ma tendre reconnaissance. Ma santé commence à se fortifier, malgré les froids qui sont fort contraires à la transpiration et à l'avancement de ma convalescence1. Je me tiens actuellement tous les jours sept ou huit heures debout; je dicte des lettres, et je fais quelques petites affaires. Je me promène à plusieurs reprises 134 CORRESPONDANCE [1771] dans mon appartement, où je fais chaque jour dix-huit cents ou deux mille pas. Le sommeil commence à me revenir; car il n'y a pas plus de quinze jours que j'ai commencé à fermer l'œil pour la première fois. Les ardeurs d'urine sont calmées. Je n'ai point encore d'appétit bien décidé, et je commence à prendre de la nourriture sans dégoût; moins j'en prends, mieux je me porte; deux onces de pain, autant de viande et autant de poisson, me suffisent pour mes vingt-quatre heures. J'ai perdu toute ma chair, et il n'y a encore que mon visage qui commence à revenir. Je ne suis pas encore assez fort pour prendre l'air, et j'attends le dégel pour sortir; mais en tout cas je ne crois pas que je puisse partir d'ici pour re- tourner à Montbard avant le 1er mai. J'ai des remercîments infinis à vous faire des soixante bouteilles de vin de Genay 2 que vous avez la bonté de me donner. Je n'en boirai pas d'autres. Mes médecins, dont je suis content, et qui m'ont très-bien conduit, insistent beau- coup sur ce que je boive à mon ordinaire du vin plus faible que nos vins de la haute Bourgogne , et avec mille autres obligations que je vous ai, mon cher monsieur, je vous de- vrai encore en partie le rétablissement de ma santé. Je n'ai pas oublié , mon très-cher monsieur, les deux mille francs que j'aurais dû vous remettre, ou du moins vous offrir dès le mois de février, puisque vous me les aviez prêtés à cette condition. Je vous les offre aujourd'hui, et, si vous le désirez, je vous en enverrai une rescription. Je vous devrai encore de l'autre argent pour nos affaires communes, dont nous compterons quand je serai de retour. Nous ne savons rien que par vous de la rétention d'urine du pauvre docteur Daubenton. 11 faut cependant que cela n'ait pas eu de suite , puisque ni moi ni son beau-frère n'en avons eu aucune nouvelle. On prétend ici que nous aurons un nouveau Parlement la semaine prochaine3; j'en doute encore beaucoup, quoique je le désire. L'établissement des conseils supérieurs 'est loué [1771] DE BUFFON. 135 par tous les gens sensés, et fera réellement un très-grand bien 4. Si le contrôleur général voulait commencer à donner de l'argent et finir de mettre des impôts , tout pourrait en- core aller s. Jamais ce pays-ci n'a été plus cher et plus désa- gréable, et je soupire pour le temps où je pourrai le quit- ter, et passer avec vous les moments les plus heureux de ma vie. Assurez toutes vos dames de mes tendres respects et de toute ma reconnaissance. J'embrasse de tout mon cœur M. de Montbeillard ,' et je n'oublie jamais mon bon ami Fin-Fin. Son petit ami Buffonet le salue et vous présente à tous, ainsi qu'à M. Laude 6, ses très-humbles respects. (Écrit de la main d'un secrétaire. Le paragraphe qui suit est de la main de Buffon.) Depuis ma maladie je n'ai encore pris la plume que pour signer, et je trouve bien doux le premier usage que j'en fais pour vous , mon très-cher monsieur, qui tenez à mon cœur plus que personne. J'ai reçu les cailles, mais je n'ai pu les lire encore. On commence à imprimer les perdrix, et, si je reçois les alouettes avant quinze jours, elles pourront entrer dans le volume et peut-être le terminer. Bonsoir, mon cher bon ami; je compte sur vous comme sur moi-même. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye. M. Flou- rens en a publié un extrait.) CXVII AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Paris, le 29 avril 1771. Je ne doute pas, mon très-cher Président, de la part que vous avez prise à la longue maladie que je viens d'es- suyer. Je suis bien convalescent , mais il s'en faut beaucoup 136 CORRESPONDANCE [1771] que j'aie toutes mes forces. Je suis obligé de me ménager beaucoup sur la nourriture. Je ne puis me chausser, ayant les jambes enflées , et j'ai encore quelques ardeurs d'urine et d'autres petites misères qui cependant vont tous les jours en diminuant, en sorte que j'espère avec le temps un parfait rétablissement. Je compte bien suivre votre avis et travailler un peu moins que je ne l'ai fait jusqu'à présent. Le second volume de mon Histoire des oiseaux va paraître. Je vous dois le premier, et je vous l'enverrai depuis Montbard. Je suis fâché que vous ayez quitté les rênes de votre Aca- démie. Quelque fougueuse que pût être cette compagnie, vous étiez fait pour la régir, tout le monde connaissant votre droiture, votre zèle et même vos bienfaits à son égard. Notre ami le président de Brosses est bien digne de vous remplacer1; mais , comme vous le dites , quelque actif qu'il soit , il n'aura pas le temps de suivre ]es choses d'aussi près qu'il serait né- cessaire , à moins qu'il n'arrive suppression de votre Par- lement, comme il y a tout lieu de le craindre, surtout si vos messieurs ne mettent pas plus de modération dans leurs ar- rêtés et dans leurs remontrances2. Jamais la magistrature n'a été dans un aussi grand danger, et on ne peut se dispen- ser d'avouer qu'il y a de sa faute et qu'elle a poussé ses prétentions beaucoup trop loin. Je compte partir dans huit jours pour Montbard, et peut- être ferai-je un voyage à Dijon dans le mois de juin. L'une de mes plus grandes satisfactions sera de vous y voir et de vous renouveler, ainsi qu'à Mme la présidente de Ruffey, tous mes sentiments d'attachement et de respect. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) [1771] DE BUFFON. 137 CXVIII A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Paris, le 1er mai 1771. Enfin, mon très- cher monsieur, je crois être en état de pouvoir partir, et je me fais un délice de vous revoir. Je compte arriver à Montbard mercredi 8, ou tout au plus tard jeudi 9 de ce mois ; je passe par Noyères, où mes chevaux sont mandés et doivent m'attendre. J'ai grand besoin de re- pos pour achever de me rétablir, ayant essuyé ici des orages de toute espèce. J'ai mille choses à vous dire dans lesquelles il y en a d'importantes, et auxquelles je suis sûr que votre amitié vous fera prendre grande part. J'ai reçu hier le paquet que vous aviez adressé à M. d'Ogny1, et je le remporte avec moi, ne pouvant en faire usage quant à présent. Le second volume des Oiseaux finit par la caille, les pigeons, les ramiers et les tourterelles2, et il sera plus gros que le premier. Après les alouettes il faudrait travailler aux bec-figues, qui forment un genre assez considérable. Je n'ai pas encore mes forces, à beaucoup près; mes pieds et mes jambes enflent dès que je suis debout; je ne puis mettre de souliers, et je n'ai pu rendre aucune visite ; je compte faire mon voyage et arriver en pantoufles. Il y a six jours que je fais d'assez longues promenades en voiture; elles ne m'incommodent en aucune façon, et je continuerai jusqu'à mon départ, afin d'être plus accoutumé au mouvement et au grand air. Je ne vous ai rien dit de Mme de Saint-Belin3, parce qu'elle n'était pas digne d'être regrettée. Les avocats de Paris, qui ne veulent encore donner que des consultations verbales, m'ont assuré que mon fils avait droit à la succession de sa grand'mère, quoique sa mère y eût renoncé par son contrat de mariage. Les avocats de Dijon soutiennent le contraire, et ils 138 CORRESPONDANCE [1771] pourraient bien avoir raison, car le texte de notre coutume que j'ai vu, paraît exclure les descendants d'une femme ma- riée par mariage divis. Je vous fais, mon très-cher monsieur, ainsi qu'à M. de Mussy, mille remercîments des soixante-douze bouteilles de vin de Genay ; je les garderai pour moi seul, et cela me durera long- temps, car je ne bois pas une demi-bouteille de vin par jour. Je trouve que M. et Mme de Montbeillard sont très-bien logés dans cet appartement au rez-de-chaussée de M. de Mas- sol4. Je serai charmé de les y voir, et je leur fais mille ten- dres compliments, et mille respects à vos dames. J'emmène M. Laude et mon fils avec moi. Je lui donne souvent l'aimable Fin-Fin pour exemple de propreté, de politesse et de talent. Je vous embrasse, mon cher monsieur et bon ami, avec autant d'empressement que j'ai d'impatience de vous revoir. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) CXIX A MADEMOISELLE BOUCHERON*. Montbard, le 30 mai 1771. Je suis bien content, ma très-chère demoiselle1, de ce que mon bijou d'Allemagne ne vous a pas déplu, et du projet que vous avez de vous en amuser ; mais il ne vaut pas les remercî- ments que vous avez la bonté de me faire. Je serai bien et plus que payé de vous sentir quelquefois occupée de mes pensées, et je serais encore bien plus flatté si je pouvais vous occuper de mes sentiments et de la tendre et respectueuse amitié que je vous ai vouée. J'espère que vos dames me feront l'honneur de venir vendredi ; faites-leur mes instances et ma cour. S'il * Depuis Mme Daubenton. [1771] DE BUFFON. 139 faut une voiture à quatre, je l'enverrai ; conférez-en avec le cher oncle2, que j'embrasse. On déposera aujourd'hui à Che- vigny un gros jasmin jonquille. C'est avec tout attachement, mon aimable bonne amie, que j'ai l'honneur d'être votre très- humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) GXX A M. MACQUER1. Montbard, le 4 juin 1771. J'ai reçu, monsieur, avec autant de reconnaissance que de plaisir, les choses obligeantes que vous me dites, et j'en vou- drais bien faire pour vous qui vous fussent agréables. Vous êtes bien certain, monsieur, que j'approuverai tout ce que vous ferez, et vous ne devez point être inquiet du serment de fidélité . Vous ne pourrez en effet le prêter qu'à mon retour à Paris ; mais ce délai n'empêchera pas que vous ne soyez traité comme si vous le prêtiez dès à présent, et vous pouvez, mon- sieur, dès que vous le voudrez, prendre le titre et l'exercice de professeur2, et distribuer vos cours comme vous le marquez. J'approuve tout ce que vous jugerez à propos de faire. Je ferai dans tous les temps ce qui pourra dépendre de moi, et je m'em- ploierai auprès de M. le duc de La Vrillière3 pour vous rendre le service que vous me demandez. Agréez, monsieur, tous mes remercîments sur les sentiments que vous me témoi- gnez, et soyez persuadé de la sincérité de ceux avec lesquels j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très-humble et très- obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — Tirée des manuscrits de la Bibliothèque impériale, Supplé- ment français.) IkO CORRESPONDANCE [1771] CXXI A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Montbard, le 5 décembre 1771. Il y a longtemps, mon cher bon ami, que je désire de vous voir, et vous me ferez bien plaisir de venir quand vous pourrez; mais je n'entends pas trop ce que vous voulez dire par le Robinet des suppléments dont vous m'annoncez la visite. Je connais en effet un Robinet qui supplée souvent M. l'inten- dant1. Je connais un autre Robinet qui fait des suppléments à l'Encyclopédie2, et j'aimerais mieux que ce fût le premier que le second qui dût vous accompagner ici. Vous avez raison de dire que ce qu'écrit le Mousquetaire au sujet des paons blancs n'est que du bavardage. M. Hébert, qui est très-bon à entendre sur ce qu'il a vu, ne se souvient guère de ce qu'il a lu ou dû lire ; ainsi vous ne devez pas être étonné de ses méprises. J'aurai ici dimanche M. et Mme de Saint-Belin et M. et Mme Morel de Chatillon3; ils resteront quelques jours, et vous devriez, mon cher ami, venir au plus tard dans ce temps. Je pense absolument comme vous au sujet de Jean-Jacques ;, et j'écrirai en conséquence à Panckoucke. Ma santé s'est soutenue , malgré les tracasseries et le cha- grin qu'on m'a donné bien gratuitement, ou plutôt bien ingra- tement*. Aussi je persiste dans mon régime, et depuis plus de trois semaines je ne mange ni viande ni poisson. Je vous embrasse, mon cher bon ami, de tout mon cœur. Buffon. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) [1771] DE BUFFON. . 141 CXXII A MADEMOISELLE BOUCHERON. Montbard, le 9 décembre 1771. Mon très-cher enfant, si le papa n'accepte pas les choses telles qu'on les lui présente aujourd'hui, il n'y a plus d'espé- rance; j'y ai fait tout ce qu'il était possible de faire, et entre nous on se rend trop difficile, et le papa exige des choses trop dures. Ces derniers articles, qu'il recevra en même temps que vous recevrez votre lettre, seront en effet les derniers ; les pa- rents du jeune homme , et son oncle surtout, sont tout à fait décidés à rompre s'ils ne sont pas bien reçus1. Tâchez donc d'amener le cher papa à les accepter, d'autant qu'ils me pa- raissent très-convenables, et que je pourrais attester la vérité de ce que contiennent leurs réponses. Si cependant, ma chère bonne amie, la chose proposée avec ce M. de Brest était meilleure et plus de votre goût, faites-la, ma tendre amie; je préférerai toujours votre plus grand bon- heur à tout, et même à ce qui contribuerait le plus au mien. J'ai partagé de tout mon cœur les alarmes et les inquié- tudes que vous avez essuyées. Nous espérons tous vous voir en ce pays-ci, et j'en ai eu le regret au moment même où je comptais vous voir arriver avec la chère tante. MM. vos on- cles2 pensent comme moi sur les dernières propositions, et disent que le papa, qui vous aime, ne les refusera pas. Je le désire plus vivement que personne, et vous exhorte à ap- puyer auprès de lui autant que vous le pourrez; et vous pourrez beaucoup, si le cœur vous dit quelque chose. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon. 142 CORRESPONDANCE [1772] CXXIII AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Montbard, le 11 janvier 1772. Je reçois, mon cher Président, avec bien du plaisir, le re- nouvellement de vos tendres souhaits, et je n'en ai pas moins à vous faire hommage des miens. Ils sont vifs et animés, et, si leur succès était attaché au motif qui me les inspire, vous jouiriez de tous les biens que vous me désirez. Le premier et le plus précieux est la santé ; mais je ne ne le possède pas encore ; je le cherche et je ne sais quand je le trouverai. Je ne désespère pas cependant d'y parvenir avec les précautions que je prends, étant dans la ferme résolution de continuer un régime dont j'ai déjà reconnu, quoique lentement, l'utilité. Vous croyez, mon cher Président, et c'est sans doute votre attachement pour moi qui vous l'a fait croire, que je fais face à un très- grand nombre de détails et d'affaires; mais je n'en fais qu'à mon aise, et de celles qui amusent plutôt qu'elles ne fati- guent. Je remets à une saison moins dure que celle où nous sommes, et à un temps où j'aurai plus de forces, mes tra- vaux sérieux et continués. Je compte même aller avant à Paris ; et, quoique le plaisir de vous y voir fût un motif bien séduisant, je ne prévois pas néanmoins pouvoir fixer le terme de mon départ avant la fin du mois prochain; peut-être en- tamerai-je le mois de mars. Je vois, mon cher Président , que vous n'êtes pas intime- ment persuadé de ma confiance dans la médecine; et vous avez raison. Cependant, quoique je ne jure pas par les prin- cipes d'Hippocrate, j'y crois assez pour m'astreindre à cer- taines précautions, et je le dois d'autant plus raisonnable- ment que je m'en trouve assez bien. Je me souviens très-bien, mon cher Président, de la lettre que je vous écrivis l'été dernier, et je savais en vous l'écrivant [1772] DE BUFFON, 143 quel devait être le fruit de l'entêtement du Corps1. J'aurais voulu avoir assez d'empire sur les esprits; je n'aurais pas craint de leur donner moins généralement un conseil dont je prévoyais la nécessité. Mais les têtes étaient échauf- fées , l'esprit d'enthousiasme s'était répandu ; et , quand les choses en sont là, il est impossible de changer les opi- nions. "Vous avez bien vu en conseillant à M. votre fils de continuer son état2. On ne le doit abandonner, comme vous dites très-bien, que quand on ne le peut exercer avec honneur. Mais la voix du véritable intérêt est bien faible au- près de celle de la prévention inspirée par le nombre, et je ne suis pas étonné que l'une ait été préférée à l'autre. On n'aura que trop le temps de sentir qu'on y a mis plus de chaleur que de réflexion. Notre ami commun le président de Brosses doit bien regretter de s'être trop livré3, et je pense comme vous qu'il voudrait être au premier pas. Le désastre général n'est pas moins fait cependant pour inspirer de l'in- térêt. Un malheur, quoique mérité, doit toucher tout citoyen sensible, et à plus forte raison un compatriote. C'est l'effet qu'a produit en moi celui de ceux du Parlement que l'entête- ment a conduits à l'exil. En blâmant la conduite du Corps, j'ai plaint le sort des particuliers. Adieu, mon cher Président; ne doutez jamais des sentiments du tendre attachement avec lequel je serai toujours votre très-humble et très-obéissant serviteur et ami. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) CXXIY A MADAME DAUBENTON. Mai 1772. J'ai vu, ma chère bonne amie, toutes les lettres que vous écrivez à votre mari ; elles sont gaies, charmantes et dignes de 144 CORRESPONDANCE [1772] vous. Je ne cesse de lui faire compliment sur le bonheur qu'il a de vous posséder, et il m'y paraît aussi sensible qu'il peut l'être. Il a été très-flatté du bon accueil et des distinctions qu'on vous a faites; j'en suis moi-même enchanté, et, quoi- que je m'y attendisse, cela m'a fait un extrême plaisir. Je dé- sire votre bonheur comme le mien; je sens que vous êtes heureuse avec le cher papa; je crois que vous serez heureuse avec le cher mari. Marchez donc d'un plaisir à l'autre toujours gaiement, et revenez-nous en aussi bonne santé que vous nous avez quittés. La mienne se soutient. Faites mes homma- ges au cher papa et beau-papa, mes amitiés au cher frère, et ne pleurez pas en les quittant, quoique vous les aimiez bien : car je n'ai pas pleuré en vous voyant partir, quoique je vous aime autant que vous pouvez les aimer. Buffonet* ne m'a pas écrit depuis dix jours. Sa petite co- lère n'a pas duré, car il a proposé à M. Laude* de négocier avec vous et de vous proposer de garder ou de revendre le petit âne qu'il croit que vous lui avez acheté, et que, si vous voulez l'en débarrasser, il vous apportera des coquilles de la mer de Normandie. BUFFON. ( Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) GXXV A GUYTON DE MORVEAU. Montbard, le 26 juin 1772. Puisque vous faites construire, monsieur, un miroir1 com- posé de glaces planes et mobiles en tous sens, je puis vous épargner une partie de la dépense en vous donnant un assez grand nombre de montures qui peuvent porter des glaces depuis quatre pouces en carré jusqu'à un pied. Ces montures sont à Paris, et, je crois, au nombre de cent quarante ou [1772] DE BUFFON. 145 cent cinquante; c'est ce qui me reste de trois cents que j'a- vais fait faire, et dont j'ai donné le surplus à des personnes qui, comme vous, monsieur, ont voulu faire exécuter ce miroir. On s'en est servi utilement pour l'évaporation des sels, et cela coûte en effet beaucoup moins qu'un bâtiment de graduation. N'ayez, je vous supplie, monsieur, aucune répugnance à accepter l'offre que je prends la liberté de vous faire. Si ces montures vous sont superflues, vous en serez quitte pour les remettre au cabinet de physique de l'Académie de Dijon, dont j'ai l'honneur d'être honoraire avec vous, et cette marque d'attention de notre part ne pourra déplaire à nos confrères. Mais je suis persuadé que ces montures que je vous offre étant faites en fer et en cuivre, et de manière à pouvoir être placées sur toutes sortes de châssis, elles vous seront utiles; et dans ce cas je vous demande en grâce de les regarder comme vôtres. Je suis trop âgé, j'ai les yeux trop affaiblis pour que je puisse ja- mais faire de nouvelles expériences en ce genre ; il y en a néan- moins auxquelles j'ai grand regret, et que vous serez en état de faire réussir. Par exemple, je me suis aperçu qu'en faisant tomber les rayons du soleil concentré par cent quatre-vingts glaces à quarante pieds de distance, et en y exposant de vieilles assiettes d'argent que je voulais fondre et que j'avais bien fait nettoyer, elles ne laissaient pas de fumer abondamment et longtemps avant de fondre2. J'aurais voulu recueillir cette matière volatile et peut-être humide, qui sort de ce métal par la seule force de la lumière, en mettant au-dessus un chapi- teau, et le petit appareil nécessaire pour condenser cette va- peur; et je me proposais de faire dessécher ainsi l'argent tant qu'il aurait fourni des vapeurs ; après quoi je me persuadais qu'il ne resterait qu'une chaux ou une terre peut-être diffé- rente du métal même, ce qui serait une espèce de calcination. Je sais qu'on regarde en chimie les métaux parfaits comme incalcinables ; mais je me suis toujours défié de ces exclusions absolues, et je me persuade que, si l'on n'a calciné ni l'or, ni i 10 14b CORRESPONDANCE [1772] l'argent , ni le platine , ce n'est pas réellement qu'ils soient incalcinables, mais qu'on n'a pas trouvé le moyen convenable d'y appliquer le feu3. Si je pouvais espérer, monsieur, d'avoir bientôt la satisfaction de vous voir, j'aurais un grand plaisir à vous communiquer mes idées et à vous faire part du peu que j'en ai déjà rédigé. L'histoire naturelle générale, et l'his- toire particulière des animaux et des oiseaux, m'ont pris bien des années, et, jusqu'ici, je n'ai pu travailler à celle des mi- néraux qu'à bâton rompu et de loin en loin. C'est ce qui fait que je ne pourrai publier de si tôt cette histoire des miné- raux, et que sur certains articles j'aurais grand besoin des conseils des gens éclairés comme vous, monsieur 4. Quelqu'un m'a dit que vous pourriez venir de nos côtés pendant ces vacances. J'en serais enchanté, et, fussiez-vous à plusieurs lieues de distance, j'irais moi-même vous chercher, si ma santé me le permettait. Elle n'est pas assez rétablie pour que je puisse me livrer à une application suivie. J'ai l'honneur d'être, avec un très-sincère et très-respec- tueux attachement, monsieur, votre très-humble et très- obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — Appartient à M. David d'Angers, qui la tient de M. Guyton, de son vivant ingénieur en chef des Ponts et Chaussées à Chaumont.) GXXVI A M. TAVERNE1. Montbard, le 13 octobre 1772. J'ai reçu, monsieur, le portrait de l'enfant noir et blanc que vous avez eu la bonté de m'envoyer, et j'en ai été assez émer- veillé, car je n'en connaissais pas d'exemple dans la nature2. On serait d'abord porté à croire avec vous, monsieur, que cet en- fant, né d'une négresse, a eu pour père un blanc, et que de là vient la variété de ses couleurs. Mais, lorsqu'on fait ré- [1772] DE BUFFON. 147 flexion qu'on a mille et millions d'exemples que le mélange du sang nègre avec le blanc n'a jamais produit que du brun, toujours uniformément répandu, on vient à douter de cette supposition, et je crois qu'en effet on serait moins mal fondé à rapporter l'origine de cet enfant à des nègres dans lesquels il y a des individus blancs ou blafards, c'est-à-dire, d'un blanc tout différent de celui des autres hommes blancs ; car ces nègres blancs dont vous avez peut-être entendu parler, monsieur, et dont j'ai fait quelque mention dans mon livre, ont de la laine au lieu de cheveux, et tous les autres attributs des véritables nègres, à l'exception de la couleur de la peau et de la structure des yeux, que ces nègres blancs ont très- faibles. Je penserais donc que, si quelqu'un des ascendants de cet enfant pie était un nègre blanc, la couleur a pu reparaître en partie, et se distribuer comme nous la voyons sur ce portrait. BUFFON. (Publiée dans les Suppléments de l'Histoire naturelle.) GXXVII A MADAME DAUBENTON. Au Jardin du Roi, le 30 novembre 1772. J'ai reçu, ma très-chère belle amie, avec le plus grand plai- sir, votre charmante petite lettre, où j'ai trouvé des nouvelles de tout ce que mon cœur aime, vous et mon fils. Ma santé me tracasse encore plus ici qu'à Montbard, et, quelque désir que j'aie d'abréger mon séjour, tant par cette raison que par d'autres encore plus touchantes, je vois qu'il me faut encore au moins quinze ou dix-huit jours pour que mon voyage ne soit pas absolument inutile. Si M. votre mari, auquel je vous prie de faire mes amitiés, veut m'envoyer tout l'argent qu'il aura , par le carrosse de jeudi, il me fera plaisir et je lui tiendrai compte du port, et 148 CORRESPONDANCE [1772] il pourra de même m'envoyer ce qu'il aura encore reçu pour le jeudi suivant. On m'a promis la boîte du portrait1 pour dans dix ou douze jours. Si le cher oncle2 vient seul à Paris, M. Panckoucke peut lui donner une grande chambre où il y aurait encore place pour Fin-Fin. M. du Luc3 m'a écrit la lettre du monde la plus honnête et la plus spirituelle ; vous n'avez, mon aimable enfant, que des amis qui vous ressemblent. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) cxxvm A MADAME GUENEAU DE MONTBEILLARD. Paris, le 16 décembre 1772. Vos anciennes bontés pour moi, madame, celles que vous avez aujourd'hui pour mon enfant, les soins que vous dai- gnez lui donner, mille autres motifs fondés sur l'estime profonde et sur le plus tendre respect, remplissent mon cœur et font que je ne pourrai jamais vous exprimer assez les sentiments par lesquels je vous suis attaché. Je n'ai pu lire votre lettre sans le plus tendre attendrissement. Que mon fils serait heureux , s'il pouvait se modeler d'après vous ! Je suis bien sûr au moins qu'il aura beaucoup gagné et qu'il ne peut que gagner encore entre vos mains. Je vous supplie donc, madame, de le garder encore jusqu'à mon retour, qui sera vers la fin de ce mois. M. Dallet part vendredi par le carrosse, pour arriver à Montbard le mardi soir 22. Je prierai votre aimable nièce 1 de le mener à Semur et de vous le présenter le jeudi ou le vendredi. Il prendra possession de mon fils en votre présence2, et M. Hemberger3, auquel j'ai des obligations infinies, sera libre de venir à Paris. Tout cela, madame, est concerté avec votre très-cher mari, qui se porte à merveille. [1772] DE BUFFON. 149 On trouve votre cher fils beau comme un ange et charmant. Mille amitiés les plus tendres à M. votre cher frère4. Mille respects à Mme sa femme et à Mme de Prévôt, que je devrais remercier aussi de ses bontés pour mon fils : ce sont de douces obligations qu'on se plaît à ne jamais oublier. C'est dans ces sentiments et avec ceux du plus respectueux attachement, que je serai toute ma vie, madame, votre très-humble et très- obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — Appartient à la ville de Semur, et est conservée dans sa bi- bliothèque.) CXXIX A MADAME DAUBENTON. Lundi, décembre 1772. Je crois, chère bonne amie, que je ne pourrai partir que dimanche, pour arriver mardi 29. Si vous pouvez mener à Semur M. Dallet, vous me ferez grand plaisir. Il y restera auprès de mon fils jusqu'à mon retour. On doit me remettre demain la boîte et le portrait. Je m'a- muse avec vos petits lévriers; vous aurez le mari et la femme, ils feront une jolie famille. Si M. votre mari a de l'argent, il me fera plaisir de me l'envoyer par le carrosse qui part jeudi prochain, et de m'en donner avis le même jour par la poste. Lucas1 recevra cet argent après mon départ. Les personnes qui vous aiment se portent bien. Je ne suis pas mal moi-même, et de tous ceux que vous pouvez aimer, aucun ne peut vous aimer autant que moi. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Bufîbn.) 150 CORRESPONDANCE [1773] cxxx A M. MAGQUER. Montbard, le 25 janvier 1773. Comme, vous avez monsieur et cher confrère \ travaillé plus que personne sur la matière du platine2, permettez-moi, je vous prie, de vous demander si vous ne regardez pas comme du vrai fer le petit sable noir qui y est mêlé, et que l'aimant attire. Ce qui me fait douter de ce que vous en pensez, c'est que vous dites à la page 250 de votre dictionnaire de chimie3 que ce petit sable noir est aussi attirable par l'aimant que le meilleur fer, mais qu'il est indissoluble par les acidesi infusible et intraitable. Vous pourriez donc, monsieur, ne le pas regarder comme un véritable fer. Cependant je crois avoir des preuves du contraire4. Faites-moi le plaisir de m'éclaircir ce doute par un mot de réponse, et vous m'obligerez beaucoup. Je suis bien aise d'avoir cette petite occasion de vous renouveler les sentiments de mon estime et de l'inviolable attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être, monsieur et cher confrère, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — Tirée des manuscrits de la Bibliothèque impériale, Supplé- ment français.) CXXXI A MADAME DAUBENTON. Le 21 mai 1773. Bonne amie, vous écrivez comme un amour1 et pensez comme un ange. Je vous lis presque avec autant de plaisir que je vous vois, si bien vous savez vous peindre. J'ai un peu tardé à vous donner de mes nouvelles, parce que j'aurais voulu ne vous pas dire que depuis neuf jours je n'ai cessé de [1773] DE BUFFON. 151 tousser et je n'ai pas quitté le coin du feu. C'est la maudite coqueluche, et je vois que la vôtre ne vous traite pas mieux. Cela n'est pas fait pour suspendre la mienne; elles pourraient bien toutes deux durer tant qu'il ne fera pas chaud. Encore si nous pouvions les confondre, il n'y aurait que demi-mal ; mais à soixante lieues on ne s'entend pas tousser. Quoique incommodé, je n'ai pas laissé de faire quelque chose de mes affaires les plus pressées, et j'espère toujours être de retour à la Saint- Jean. J'adorerais les insectes comme les Égyptiens, s'ils ressemblaient au charmant hanneton*. J'ai vu son pro- tégé, la Légion corse*, et je tâcherai de lui rendre quelques ser- vices. On va commencer à imprimer les Oiseaux du cher oncle et les Éléments'' de votre bon ami. Ce nom m'est bien précieux et fait plus de plaisir à mon cœur que tous les titres ou les éloges qu'on pourrait me donner. Votre chère maman aura mon portrait gravé5 que je lui porterai, et que je la remercie d'avoir désiré. Faites donc aussi que je vous remercie pour quelque chose que vous désirerez. Embrassez votre papa pour moi ; dites bien des choses à votre cher mari ; guérissez- vous, écrivez-moi, et comptez sur moi comme sur vous- même, ou tout au moins comme sur le plus fidèle de tous vos amis. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Bufîon.) CXXXII A LA MÊME. Le 6 juin 1773. Chère bonne amie, votre cher papa a eu la bonté de me donner de vos nouvelles jeudi. Remerciez-le pour moi, quoi- qu'elles ne soient pas bonnes; car cette vilaine coqueluche m'inquiète et vous dure trop longtemps. Dites-lui aussi que le sieur Mandonnet ne sera plus échevin1, que Richard sera 152 CORRESPONDANCE [1773] continué premier échevin cette année, et qu'il faut en nom- mer un autre à la place de Mandonnet. Ils recevront sur cela les ordres du Ministre. Surtout qu'ils ne présentent pas un second Mandonnet. J'ai vu votre cher oncle Montbeillard. Il est peut-être ici pour plus de temps que moi; mais son séjour ne peut à la fin que lui être utile. Mon rhume est diminué et je commence à sortir. Votre petit ami vient de dîner avec moi ; il n'a été question que de vous et du petit chevreuil2. Que de plaisir à parler de vous et combien plus à vous revoir! Devinez, bonne amie! Buffon. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) GXXXIII A LA MÊME. Juin 1773. Partez, chère bonne amie, et partez tout de suite pour le joli Beaune. Quittez le vilain Montbard pour aller à la char- mante noce1 où mon cœur vous accompagnera et jouira par moitié de toute la satisfaction que vous y trouverez. Je ne serai de retour que le 15 de juillet tout au plus tôt; tâchez de revenir vers le 25 août tout au plus tard'; et que ce terme de bonne espérance vous fasse ainsi qu'à moi ressentir quelques moments délicieux. Jouissons de ce que nous désirons, en at- tendant mieux. Je crois que vous aurez aussi la satisfaction de voir le raccommodement tant désiré2. Votre cher oncle d'ici n'a point de tort, et l'autre me paraît en avoir; mais la personne qui en a le plus, je veux dire la demoiselle, travaille elle-même pour le réparer. Au moyen de ce mauvais moyen tout réussira, et nous aurons, à ce que j'espère, la satisfaction de voir ces chers amis réunis. La commission nommée pour l'affaire de l'artillerie commence aujourd'hui. Hier au soir le cher oncle a trouvé chez moi le comte de Maillebois8; je l'ai [1773] DE BUFFON. 153 recommandé avec tout le zèle de l'amitié, et je compte qu'il se tirera de cette affaire avec gloire et profit. Mes amitiés à votre papa de Montbard4 et à toute la maison. Dites-lui que, s'il s'intéresse à Pion, il lui dise de m'écrire ou de me voir, et que je pourrai faire son affaire. Celui pour lequel M. Gueneau m'avait écrit lui a manqué de parole, et il en est outré. Dites-moi aussi des nouvelles des échevins. Écrivez-moi du milieu de la noce. Je n'y connais que le cher frère et le papa, mais je m'intéresse à tout ce qui leur appar- tiendra. Adieu bonne amie; point de coqueluche, point de chagrin, bien du plaisir, et soyez bientôt de retour. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) CXXXIV A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Au Jardin du Roi, le 13 juin 1773. Je n'ai pas oublié, mon cher bon ami, la recommandation que vous m'avez faite, ainsi que notre cher abbé de Piolenc1, du fils de M. Perrot de Flavigny, pour remplacer le sieur Rosan, lieutenant de la maréchaussée de Montbard. J'ai vu sur cela M. Boullin; il a la démission de Rosan, et la chose ne tient plus qu.'à l'argent, et c'est toujours trop. J'ai rabattu tant qu'il m'a été possible sur les demandes, et voici tout ce que j'ai pu obtenir, encore sous la condition que M. Perrot ait servi au moins deux ou trois ans. 1° Huit mille livres pour rembourser Rosan. 2° Le quart, c'est-à-dire deux mille livres pour l'agrément; ce qui me paraîtrait un peu trop cher, attendu que le produit de la place n'est que de sept cents livres. Mais il y a une cir- constance qu'il faut laisser ignorer à Rosan et qu'il faut tenir secrète : c'est qu'à commencer du premier octobre prochain 154 CORRESPONDANCE [1773J toutes les places de maréchaussée seront augmentées, et celle du lieutenant de Montbard en particulier, de quatre cents livres, savoir de deux cent cinquante livres pour fourrages, et de cent cinquante livres pour logement. Cela fera donc dans la suite onze cents livres de produit, au lieu de sept cents, et il me semble que les dix mille livres de M. Perrot seront avan- tageusement placées; mais il ne faut pas perdre de temps : car M. Boullin m'a dit qu'il y avait un nommé Pion de Savoisy, près de Montbard, qui était tout prêt de donner cette somme, quoiqu'il ignore l'augmentation prochaine des quatre cent3 livres. Le sieur Ligeret de Semur pourrait bien revenir à la charge, s'il en était informé. Il serait donc nécessaire de m'envoyer une soumission bien cautionnée de MM. Perrot, père et fils, pour que je puisse mettre cette affaire en règle avant mon départ, qui sera vers le 6 ou le 8 du mois prochain2. Mon fils est au collège du Plessis depuis trois semaines ; mais il ne m'a pas encore été possible d'y arranger le petit plan de son éducation. Il ne s'y trouve pas mal et se porte très-bien, à une suite de rhume près qu'il a apporté de Mont- bard et qui, comme le mien et celui de votre chère nièce, ne veut pas désemparer. J'ai été neuf jours sans pouvoir sortir, toussant autant la nuit que le jour, et, quoique cette incom- modité soit diminuée, la moindre variation dans l'air suffit pour me la rendre. Nous sommes tous deux sous presse, et l'on doit vous en- voyer aujourd'hui ou demain vos premières feuilles d'épreu- ves. Je voudrais bien m'occuper du discours, ou plutôt de l'avant-propos que je dois mettre à la tête de votre volume; mais ce pays-ci est trop peuplé pour pouvoir disposer de son temps; je prévois même que je ne pourrai faire qu'une par- tie des choses que j'avais projetées. D'ailleurs on doit une partie de son temps à ses amis, surtout quand ils sont malades, et je n'en sache pas de mieux employé que celui que malheu- reusement je passe auprès de notre ami, M. Varenne3, depuis environ quinze jours. [1773] DE BUFFON. 155 La maladie a commencé par un accès de goutte d'abord vague, ensuite sur les deux pieds, avec des douleurs très-cui- santes et presque continuelles. A mesure que la douleur a di- minué, il s'est formé une tumeur à la région axillaire, qui est à peu près grosse comme un échaudé. Cette espèce de dépôt, qui n'est pas douloureux, ne paraît être aux médecins qu'un effet critique et salutaire. Je le désire de tout mon cœur et je suis assez porté à le croire, malgré le très-tendre intérêt que je prends au malade, parce que depuis que cette tumeur pa- raît, sa santé va mieux. Mais soit qu'il survienne suppuration ou non, la cure sera longue, et il a besoin de toute sa bonne tête et d'une grande patience. Voilà le produit des chagrins que son malheureux fils ne cesse de lui donner4. 11 a eu l'impudence d'envoyer chez moi savoir de mes nouvelles et pressentir si je le recevrais; mais je ne le verrai ni ne lui pardonnerai ses infamies et le mal qu'il a fait à son père. Je me trouve dans le cas, mon très-cher ami, de pouvoir rembourser incessamment les quatre mille six cents livres des capitaux de rente que je dois tant à M. Rouillon qu'à l'hôpital de Semur. Je vous serai donc très-obligé de vouloir bien les en prévenir; après quoi, sur votre réponse, je pourrai vous envoyer une rescription de cette somme, à la- quelle je vous prierai de joindre les intérêts échus qui sont peu de chose, n'y ayant que le courant de l'année, que vous voudrez bien donner pour moi et que je vous rendrai à mon retour. Je souffre de voir ici M. Potot de Montbeillard, qui ne peut que s'y déplaire et s'ennuyer beaucoup, sans pouvoir s'en retourner. Il faut un travail du Maître5 avec le ministre pour décider l'affaire qui le tient ici, et cela sera peut-être encore long. Je n'ai pas eu de peine à bien encourager M. Daubenton le cadet au sujet de votre ouvrage sur les oiseaux; il y était bien disposé, et nous avons pris de concert de petites mesures avec 156 CORRESPONDANCE [1773] le petit Mauduilc, pour vous procurer par nos correspondants des notices sur les mœurs des oiseaux étrangers. Adieu , bon ami ; mille tendres respects à celle que vous voulez bien que je nomme aussi ma bonne amie, et à son aimable compagne, Mme de Prévôt. J'embrasse aussi le cher fils, c'est-à-dire je veux que son papa l'embrasse pour moi. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) cxxxv A MADAME DAUBENTON. Au Jardin du Roi, le 15 juin 1773. Ma santé est encore moins bonne ici dans le beau Paris qu'au vilain Montbard. Ainsi je retournerai le plus tôt pos- sible, et j'espère, bonne et tout aimable amie, que je n'au- rai pas le guignon d'arriver après votre départ pour la noce ; mais, quand même elle me ferait ce tort qui n'est pas petit, j'y prendrai et prends dès à présent le plus grand intérêt; car votre satisfaction , chère enfant , fait une grande partie de mon bonheur. Je n'ai pu rien obtenir pour la Légion corse. La place qu'il désirait chez M. le comte d'Artois était donnée, et nous nous y sommes pris trop tard. Il y a quatre jours que je n'ai vu M. de Montbeillard, et je ne puis vous en dire des nouvelles. M. votre mari, discret à son ordinaire, a donc publié ce que je vous ai marqué sur Mandonnet; je le sais par plu- sieurs lettres du pays. Gela était pourtant aussi inutile à dire qu'il était utile et nécessaire qu'il parlât de Trécourt ' dans la lettre qu'il a écrite à M. de Verdun2. Mais de sa vie il n'a rien su faire à propos que de vous épouser : heureux s'il sentait son bonheur. Dites à M. son père qu'au cas que Man- donnet soit exclu, comme je l'espère, je le prie de présenter [1773] DE BUFFON. 157 le sieur Guérard, marchand de bois3, que je préférerais à tout autre pour cette place d'échevin. Je n'ai pas vu le sieur Pion de Savoisy, qu'il m'a recommandé pour la place de Rosan ; mais je sais qu'il a fait des démarches à l'hôtel Condé. Ce ne sera cependant pas pour lui. Rosan s'en ira, mais sera probablement remplacé par un homme que votre cher oncle Gueneau m'a recommandé; je lui ai écrit à ce sujet. Je vous remercie de tout ce que vous avez dit à M. Hob- ker4; son témoignage peut faire du bien à la réputation de mes forges. C'est vous, bonne amie, qui savez faire les cho- ses à propos, et i' à-propos pour vos amis est tous les jours et tous les moments où il est question d'eux, parce qu'ils sont dans votre cœur, et ce cœur est aussi honnête et aussi sen- sible que l'esprit qui l'anime est vif et délicat. Ceci sans com- pliment et en toute vérité. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon. — M. Flou- rens en a publié un fragment.) CXXXVI A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Paris, le 23 juin 1773. Je pars pour Versailles, où je n'ai pas encore été1, et je n'ai que le moment, mon très-cher ami, de vous dire que j'ai reçu votre lettre et que je suis obligé de rester ici douze ou quinze jours de plus que je n'avais compté; encore bien heu- reux si je puis terminer le reste des affaires qui m'y ont ap- pelé. Cela me donnera au moins le temps de recevoir des nouvelles de nos gens de Flavigny, dont je n'ai point en- tendu parler. Vous trouverez ci-joint la rescription de quatre mille six cents livres avec mon acquit au dos. Ce rembour- sement me fait d'autant plus de plaisir qu'il se trouve dans 158 CORRESPONDANCE [1773] une circonstance qui vous convient. Je ne suis point inquiet de mon billet, puisqu'il est entre vos mains, et vous me l'en- verrez quand vous le jugerez à propos. Nous causerons à mon retour du projet que vous m'annoncez, et qui me sera infiniment agréable, s'il me procure l'avantage de vivre plus souvent avec vous 2. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) CXXXVII A MADAME DAUBENTON. Le 2 juillet 1773. J'ai eu hier au soir, chère bonne amie , votre lettre datée de Semur. Il n'y a rien du bon oncle qui est ici, et c'est une marque qu'il n'y a encore rien de fait pour le raccommode- ment; ce qui me fâche beaucoup, et lui aussi, car il était au- près de moi lorsque j'ai reçu votre lettre. Vous ne partez donc que le 15 , belle amie ; cela achève de me déterminer à partir le 10; j'aurai du moins trois ou quatre jours à vous voir, et cette douce espérance me tient lieu de tout autre plaisir. C'est en effet M. Colas qui parlera dans mon affaire, et s'il est honnête , il parlera comme Mme Nadault chante , c'est-à- dire très-bien1; sinon, je ne l'entendrai pas et lui ferai com- prendre qu'il m'a déplu. J'ai bien peu de temps, charmante amie, d'ici à huit jours, et j'ai encore des affaires sans nombre; mais je suis décidé à laisser ce que je ne pourrai pas faire. Vous voir me tient plus au cœur que de tout posséder. Adieu, chère belle amie, adieu jusqu'au dimanche 11 , jour de fête, pour moi la plus sacrée de ma religion. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) [1773] DE BUFFON. 159 CXXXVIII A GUENEAU DE MONTBEILLARD. Le 26 juillet 1773. Voilà, mon bon ami, la liste de mes juges. Les lettres de M. Le Mulier1 me feront honneur et grand bien; remerciez-le de ma part comme d'un service essentiel qu'il me rend. Je compte que nous emmènerons votre voiture , qui fera nos visites d'honneur à Dijon2. Nous renverrons vos chevaux jeudi coucher à Montbard, et nous arriverons le même jour avec les miens de bonne heure à Dijon. J'ai vu par ce que m'a dit le chevalier de Saint-Belin que mes juges traitent mon affaire plus sérieusement depuis qu'ils sont informés de mon arrivée , et vous m'aiderez plus que personne à me les rendre favorables. Le chevalier ne vient point avec nous; je n'emmène que Mlle Blesseau et deux laquais, ou un, si vous voulez avoir le vôtre. M. le docteur Barbuot3 a bien voulu me promettre d'écrire à M. Barbuot4 le père, qui sera, je crois, le premier opinant de mes juges. Mme votre nièce5 pourra m'envoyer des lettres pour M, Lorenchet6; je vais lui en écrire un petit mot. Lisez, mon cher bon ami, le petit avertissement7 que je dois mettre à la tête du volume des Oiseaux que l'on im- prime actuellement. Je souhaite que vous en soyez content, et je vous le communique pour y ajouter, changer ou retran- cher tout ce qui pourrait vous convenir ou ne pas vous con- venir. Je suis convaincu et très-flatté des bontés de votre chère dame et de l'excellent cœur de votre aimable fils. Je les em- brasse bien tendrement tous deux avec vous, mon très- cher ami. BUFFON. (Inédite. — De la collection de Mme la baronne de La Fresnaye.) 160 CORRESPONDANCE [1773] GXXXIX A MADAME DAUBENTON. Forges de Buffon, le 26 juillet 1773. J'ai toujours différé de vous écrire , madame et chère bonne amie , parce que j'ai été tous les jours sur le point de partir pour Dijon, d'où je comptais vous donner non-seule- ment de mes nouvelles, mais de celles du cher oncle, qui vient avec moi. Nous partons enfin jeudi 29, pour y rester quelques jours. Ma cause se plaide le samedi 31*. Ainsi, bonne amie , si vous voulez me donner des recommanda- tions, envoyez-moi vos lettres chez M. Hébert, où nous se- rons logés. M. Lorenchet est en effet un des juges, et un des meilleurs , quoique de Beaune. Vous ne me ferez pas une querelle de ce mot, vous qui seule suffiriez pour démentir la fausse réputation de cette chère patrie , où d'ailleurs les femmes sont si aimables et la société si différente de celle de notre vilain Montbard. Le portrait que vous me faites de votre jolie belle-sœur2 m'a fait le plus grand plaisir, parce que je regarde comme assuré le bonheur de M. votre frère et celui du très-cher papa. Témoignez à tous les deux l'inté- rêt que j'y prends, et tous les sentiments par lesquels je leur suis attaché. Mme votre belle-mère3 est depuis deux jours malade, à mourir, selon elle, et, selon son médecin, elle n'est qu'in- commodée et malade de peur. On attend aujourd'hui votre cher mari. J'ai reçu toutes vos lettres, j'y ai vu le zèle de votre tendre amitié; je vous en remercie mille fois; elle fait tout mon bonheur et le fera toujours. Jeanneton, dont je me suis informé , est presque entièrement guérie ; mais Caiot est dangereusement malade. Je me promets bien de vous écrire de Dijon le samedi ou [1773] DE BUFFON. 161 le dimanche. Adieu, chère bonne amie; quand aurai-je le bonheur de vous revoir ? Buffon. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) GXL FRAGMENT DE LETTRE A M. LE COMTE D'ANGE VILLER1. Montbard, le 17 novembre 1773. .... Ah! que vous avez un digne et respectable ami dans M. Necker2! J'ai lu deux fois son ouvrage3. Je me trouve d'accord avec lui sur tous les points que je puis entendre. Ses idées sont aussi simples que grandes , ses vues saines et très-étendues ; et tous les économistes ensemble , fussent-ils protégés par tous les ministres de France, ne dérangeront pas une pierre à cet édifice, que je regarde comme un mo- nument de génie. Je n'ai regret qu'à la forme. Je n'eusse pas fait un éloge académique, qui ne demande que des fleurs, avec des matériaux d'or et d'airain. Colbert mérite une partie des éloges que lui donne M. Necker; mais certainement il n'a pas vu si loin que lui. D'ailleurs, l'auteur a ici le double désavantage d'avoir ses envieux particuliers, et en même temps tous ceux qui cherchent à borner l'Académie. En un mot, je suis fâché qu'un aussi bel ensemble d'idées n'ait pas toute la majesté de la forme qu'il peut comporter. Les notes sont admirables comme le reste ; la plupart sont autant de traits de génie, ou de finesse, ou de discernement. Le style est très-mâle et m'a beaucoup plu, malgré les négligences et les incorrections, et les pitoyables plaisanteries que les fem- mes ne manqueront pas de faire sur les jouissances trop sou- vent répétées. (Grimra, Correspondance inédite. — Publiée par M. Flourens.) i 11 162 CORRESPONDANCE [1773] GXLI FRAGMENT DE LETTRE A M. NECKER K Montbard, le 17 novembre 1773. .... Je n'avais jamais rien compris à ce jargon d'hôpital de ces demandeurs d'aumônes que nous appelons écono- mistes, non plus qu'à cette invincible opiniâtreté de nos mi- nistres ou sous-ministres pour la liberté absolue du com- merce de la denrée de première nécessité2. J'étais bien loin d'être de leur avis; mais j'étais encore plus loin des raisons sans réplique et des démonstrations que vous donnez de n'en pas être. J'ai lu votre ouvrage deux fois; je compte le relire encore; c'est un grand spectacle d'idées, et tout nou- veau pour moi.... (Grimm, Correspondance inédite. — Publiée par M. Flourens.) GXLII A MADAME DAUBENTON. Paris, le 4 décembre 1773. Je suis, ma bonne amie, fatigué du voyage, et, de plus, in- commodé par le changement d'air et de nourriture. C'est ce qui fait que je ne vous écris pas de ma main ; mais je ne suis point du tout inquiet de ma situation, parce qu'aux deux derniers voyages, la même chose m'est arrivée. Trois ou quatre jours de repos suffiront pour me remettre, et je ne sortirai pas auparavant. J'ai trouvé mon fils très-bien por- tant, et mieux qu'il n'était à tous égards: il m'a demandé de vos nouvelles, et c'est beaucoup pour sa petite tète qui ne pense encore à rien. J'ai vu aussi le fils de M. de Mussy1, dont j'ai été fort content. J'ai déjà parlé au docteur2; mais ce [1773] DE BUFFON. 163 n'est pas dans une première conversation qu'on peut avec lui tirer quelque chose de positif. Donnez-moi de vos nouvelles, je vous en supplie, et faites passer mes amitiés à votre cher beau-père. Je crois que vous connaissez, ma bonne amie, toute l'étendue de mon attachement et de mon respect pour vous. BUFFON. Mille tendres compliments à vos aimables hôtes. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) GXLIII A LA MÊME. Le 16 décembre 1773. Chère bonne amie, j'ai retardé ma réponse de deux postes, pour vous rendre plus sûre de l'état de ma santé. Elle est ré- tablie après un dérangement qui m'a fait garder la chambre jusqu'à hier. J'ai eu pendant ce temps la visite de tous mes amis; mais tous ensemble ont moins contribué à ma satisfac- tion que votre petite lettre. J'adresse celle-ci à Beaune, où j'imagine que vous êtes encore, parce que j'imagine toujours de préférence ce qui vous fait plaisir. M. Amelot1, qui m'est venu voir hier, m'a demandé de vos nouvelles avec intérêt. Il paraît que MM. Daubenton seraient bien aises de vous voir en ce pays-ci; mais vous savez, bonne amie, qu'ils ne sont ni l'un ni l'autre bien ardents sur rien. Je verrai les femmes, et je voudrais leur inspirer de vous appeler, ou du moins de vous désirer2. J'aurai bientôt une petite boîte à rouge jolie, et digne de vous; donnez-moi vos autres commissions, afin que je puisse vous envoyer le tout en même temps. J'attendais des nouvelles de M. votre beau-père au sujet des quittances de ma capitation, que je lui ai remises. Dites- lui, je vous en supplie, qu'il me fera plaisir de me mar- 1 G4 CORRESPONDANCE [1773] quer où en est cette affaire, et que, s'il a besoin des quit- tances de 1772 et 1773, je viens de les payer ici, et que je les lui enverrai, si cela est nécessaire, pour finir avec M. de Charolles 3. Dites-moi aussi jour par jour, bonne amie, votre marche et les lieux que vous habitez; je donnerais toute ma science pour savoir seulement où vous êtes, et tous mes papiers pour un billet de vous où serait tout ce qui ne s'écrit pas. Adieu, belle amie, je ne puis vous rien dire au delà de ce que vous connaissez de mes sentiments; ils seront aussi durables que les charmantes qualités qui vous les ont acquis. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M.Henri Nadault de Buflbn. — M. Flourene n a publié un fragment.) CXLIV A LA MÊME. Vendredi, 17 décembre 1773. Je reçois à l'instant, madame et chère amie, votre lettre du 15. Je vous adressais la mienne à Beaune, et c'est ce qui m'a obligé d'en déchirer la seconde feuille pour vous l'adres- ser à Dijon. Je suis très-fâché de la situation de M. votre :Nre; il faut néanmoins espérer que sa santé se rétablira, puisqu'il était mieux lorsque vous l'avez quitté. Je vais écrire à M. Hébert pour le prier de faire payer le prix du forte- piano. Vous êtes bien la maîtresse d'en disposer comme il vous plaira; mais il faudrait que cela se fît d'accord avec M. Potot de Montbeillard, parce que je lui ai promis de le lui prêter. Ma santé continue à aller mieux, et je compte qu'elle ne se démentira plus. Vous avez très-bien fait, ma bonne amie, d'écrire au cher docteur; cela ne peut qu'augmenter le désir qu'ils ont de vous voir. J'espère que M. votre beau-père m'é- [1773] DE BUFFON. 165 crira, et que vous continuerez à me donner de temps en temps de vos chères nouvelles, qui font une grande partie du bon- heur de ma vie. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) GXLV A LA MÊME. Ce dernier de l'an 1773. Quinze ou vingt lieues dont vous vous êtes rapprochée en revenant à Montbard, chère bonne amie, me font déjà, un si grand effet de plaisir, que je ne puis mesurer celui que je ressentirais si vous vous déterminiez à faire cinquante lieues de plus. Je vous ai adressé, en attendant, une petite boîte qui vous arrivera mardi 4 par le carrosse, dans laquelle vous trouverez du rouge et la boîte pour le mettre, avec quelques petits pots de pommade de Rome. Ame candide , personne nette et fraîche n'a pas besoin de parfums; mais le petit nez si fin les aime, et j'espère qu'il les agréera. Vous y trouverez en outre un cabaret en porcelaine, dont le dessin sera, je pense, de votre goût1. J'y joins pour votre cœur l'hommage, le don de tout le mien, aujourd'hui fin, demain commen- cement de l'an , et pour toutes les fins , tous les commen- cements des jours et des ans, qui s'épuiseront plutôt que mes sentiments pour vous , la plus digne et la plus aimable des amies. Buffon. (De la collection de M. Henri Nadault de Buflon. -Publié par M. Flourens.) 166 CORRESPONDANCE [1774] GXLVI A LA MÊME. Le 9 janvier 1774. Ne soyez plus fâchée, ma bonne amie ; la chose n'en vaut pas la peine. Mettez la petite boîte au fond du puits; je vous en enverrai, ou plutôt je vous en porterai une autre que vous n'aurez nulle raison de rebuter. Je suis très-décidé à vous tenir parole; j'ai déjà pressé plusieurs affaires en consé- quence de mon projet, et je ferai tout effort pour partir avant le carême, et plus tôt s'il est possible. J'ai la meilleure excuse du monde, car ma santé ne laisse pas de me tracasser. Mon cœur est aussi mal à l'aise; tout me porte vers vous, et je suis vraiment affligé de voir que rien ne peut vous amener ici. Cependant, bien loin de vous blâmer, je vous approuve. Je tâcherai d'échauffer un peu M. le Docteur pour l'affaire de la réhabilitation 1 ; mais, chère amie, vous le connaissez, il ne prend rien à cœur. N'aurait-il pas dû, après ce que vous lui avez écrit, vous témoigner de l'empressement de vous voir, et prendre sur son compte une partie de l'humeur qu'on au- rait eue 2? Trécourt m'a dit très-nettement que, quand même je ne voudrais pas le garder, il ne voulait plus rester avec M. votre mari, et qu'il était décidé depuis plus d'un an à aller à Sens, où on lui fait un parti avantageux. Et cela est très-vrai : car, comme il s'ennuyait ici dans les commencements de mon séjour, il me demanda son congé et voulait aussi me quitter pour s'en aller non pas à Montbard, mais à Sens. Ainsi, ma chère amie, vous voyez qu'il ne compte point du tout se re- mettre au service de M. Daubenton, et je ne sais pas trop moi- même si je pourrai le conserver au mien. Mandez-moi donc quelles sont vos commissions, je veux les faire. J'ai bien songé aux cordes de clavecin ; mais les [1774] DE BUFFON. 167 marchands demandent du détail et des explications que je n'ai pas et que je vous prie de m'envoyer. J'ai souvent le plaisir de parler de vous avec Mme et M. Amelot. Elle m'a dit que vous lui aviez écrit et que vous étiez fort aimable. Vous vous imaginez bien que j'ai fait tout ce que j'ai pu pour la dédire. J'écrirai dans peu à votre cher beau-père. J'attends de votre mari la décision de l'argent de l'hôpital. Pour peu que cela fasse difficulté, il n'a qu'à rembourser, et je comp- terai ici pour lui la même somme au 13 ou 14 février pro- chain. Adieu, bonne et très-chère belle amie; je fais mille et mille vœux pour votre bonheur, et vous prie d'exaucer ceux que je me permets de faire pour le mien. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) GXLVI A LA b Paris, le 14 janvier 1774. Madame et chère amie, j'ai remis dans une petite caisse, qui doit arriver mardi à Montbard par le carrosse, une très- petite boîte pour vous. Cette caisse est à l'adresse de M. Gue- neau de Montbeillard. Vous pourrez la retirer et l'ouvrir pour en retirer cette petite boîte qui est à votre adresse, dans laquelle vous trouverez une autre petite boîte qui vous ré- conciliera avec le métal que vous n'aimez pas, car elle vous paraîtra d'or et cependant elle n'en est pas. Elle coûte 60 li- vres, et j'espère que vous et votre cher mari ne la trouverez pas trop chère. Ma santé est toujours au même état; c'est-à- dire moins bonne qu'à Montbard, et je crois que je n'atten- drai pas le carême pour y retourner. Vous devez être sûre, 168 CORRESPONDANCE [1774] ma chère bonne amie, que l'une de mes plus grandes satis- factions sera de vous revoir. BUFFON. Je reçois dans l'instant une lettre du cher oncle Gueneau, par laquelle il me marque qu'il attend avec impatience cette caisse qui doit vous arriver mardi. Ainsi, bonne amie, ne tar- dez pas à la lui faire passer. Vous pourrez l'envoyer prendre à la voiture par Junot1, qui en sera averti. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buflon.) GXLVIII A LA MÊME. Mardi, 25 janvier 1774. Avec l'esprit d'un ange, il y a, bonne amie, deux petites choses que vous n'avez pas saisies : ma santé comme prétexte, et la petite boîte comme réconciliation avec le métal proscrit. Se peut-il que ma santé soit bonne, si je ne respire pas l'air qui vous environne, et de temps en temps celui qui vous anime? Se peut-il que je sois content de vos commissions, si elles vous gênent au lieu de vous plaire? Je tiens auprès de moi une jolie petite canne que je vous porterai avec le porte- feuille et l'assortiment de cordes ; mais, au nom de Dieu, chère belle amie, comptez donc de moins près avec moi et avec vous; car je serai toujours bien en reste. Comptez aussi le temps en rabattant; je serai auprès de vous, si vous le per- mettez, le lundi 7 du mois prochain. Le carnaval ne sera donc pas si long; je le trouverai bien court, et même le carême et ma vie tout entière, si je la passais près de mon aimable amie. Rien ne m'attache ici que mon enfant, auquel je remet- trai votre lettre demain. Vous êtes bien bonne de lui avoir écrit. Votre joli directeur aurait bien dû me prévenir; la chapelle est donnée depuis quelques jours seulement à un [1774] DE BUFFON. 169 protégé de M. l'évêque de Langres l, qui m'a sur-le-champ demandé mon agrément, et j'y ai consenti: je ne puis donc revenir sur cela ; mais j'en prendrai occasion de lui parler de M. Bienaimé2 pour quelque chose de mieux. Comptez aussi que je parlerai de mon mieux pour la réhabilitation. Adieu, écrivez-moi; vous lire est mon plaisir suprême, lorsque je ne vous vois pas. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) GXLIX AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Paris, le 26 janvier 1774. Les marques de votre amitié, mon très-cher Président, me seront en tout temps également précieuses et chères. Vous m'en avez comblé dans mon dernier séjour à Dijon, aussi bien que Mme de Ruffey, à laquelle j'ai voué depuis long- temps le plus sincère et le plus tendre respect. J'ai aussi été enchanté du caractère, des vertus et de l'honnêteté de M. votre fils. Vous êtes digne d'être heureux, mon cher ami, et vous l'êtes comme père et comme mari. Ce sont là les deux pivots sur lesquels roule le bonheur d'un honnête homme. Les petits dégoûts extérieurs que peuvent lui donner ses envieux, les tracasseries académiques, ne doivent pas l'effleurer, et je vous ai vu avec plaisir fort supérieur à ces misères. Personne n'ignore le bien et le très-grand bien que vous avez fait à votre patrie en soutenant l'Académie prête à tomber. Tout le monde connaît vos vertus, et vos amis en- core plus que les autres savent que vous n'avez jamais eu que des intentions pour le bien. Ainsi vous ne devez pas vous soucier de la contradiction de quelques esprits de travers, qui dans le fond ne peuvent s'empêcher de vous estimer. Je retourne à Montbard dans dix ou douze jours, et je 170 CORRESPONDANCE [1774] pourrai bien faire un voyage à Dijon au mois de mars ou d'avril. Je puis vous protester qu'une de mes plus grandes satisfactions sera de vous y voir et de vous y renouveler les témoignages de la tendre amitié et du respectueux attache- ment avec lesquels je serai toute ma vie, mon très-cher Pré- sident, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) CL A M. LECLERC D'ACCOLAY. Au Jardin du Roi, le 27 janvier 1774. Nous sommes si loin l'un de l'autre, monsieur, que je n'ose pas vous proposer de venir au Jardin du Roi et que je ne voudrais pas aller au faubourg Saint-Honoré sans être sûr de vous y trouver. Je serais cependant enchanté de vous voir et de conférer avec vous, monsieur, d'une affaire de famille dont vous vous êtes entretenu avec M. le comte de La Rivière1. Je ne sais que d'aujourd'hui que vous êtes à Paris ; sans cela j'aurais eu l'honneur de vous prévenir plus tôt, et, comme je n'ai plus que huit jours à rester ici, je vous serai obligé de me marquer le jour et l'heure où je pourrai vous trouver chez vous, et vous assurer des sentiments d'estime avec lesquels j'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très-humble et très- obéissant serviteur. Le comte de Buffon. (Cette lettre a été publiée en 1854 dans l'Annuaire de l'Yonne. L'original appartient à M. Leclerc, juge de paix à Auxerre, homme aussi éclairé qu'obligeant.) [1774] DE BUFFON. 171 CLI A MADAME NECKER1. Montbard, le 22 mars 1774. Madame, J'ai reçu, au retour d'un petit voyage, la lettre pleine de bonté dont vous m'avez honoré. Elle augmente encore mes regrets; mais il me fut impossible de trouver un moment pour aller vous dire adieu, ainsi qu'à M. Necker. Je vous sup- plie de compter tous deux sur les sentiments profonds de l'estime et du respect que vous m'avez inspirés. Je vous pro- teste, madame, que je m'estimerais moi-même davantage, si je pouvais penser en tout aussi bien que vous et lui; mais la première de toutes les religions est de garder chacun la sienne2, et le plus grand de tous les bonheurs est de la croire la meil- leure3. Je n'en ai pas moins eu un plaisir délicieux dans ces conversations où nous n'étions pas tout à fait d'accord, et vous reconnaîtrez, madame, par mon empressement à cher- cher les occasions de vous faire ma cour, la sincérité des sen- timents que je vous ai voués. J'ai reçu des nouvelles de votre charmante amie, Mme de Marchais4, et je compte lui écrire au premier jour. Je vous supplie de baiser pour moi votre aimable enfant5, à laquelle vous m'avez permis de présenter mon fils. J'espère être de retour vers le 20 de mai, et jouir souvent du plaisir de vous voir et de vous donner des marques du très-respectueux atta- chement avec lequel j'ai Thonneur d'être, Madame , Votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite.) 172 CORRESPONDANCE [1774] glu A M. NECKER. Montbard, le 3 septembre 1774. Je serais moi-même inconsolable, monsieur, si vous aviez quelque regret à vos soins ou le moindre doute sur ma recon- naissance *. Je suis bien sûr que vous avez fait tout ce qui était en vous, monsieur, et mille fois plus que je n'ai jamais pu mériter auprès de vous. Indépendamment de ces obligations très-réelles et très-senties que je n'oublierai jamais, je sens avec plaisir tout ce que vous m'avez inspiré d'estime et d'amitié; et Mme Necker, la plus digne et la plus spiri- tuelle des femmes, que j'aime de tout mon cœur et que je respecte de même, me permettra-t-elle comme vous de compter sur son amitié? J'ai l'honneur de lui envoyer ci- joint un petit morceau fugitif, que j'aurais dû laisser fuir en en effet, parce qu'il a peu de valeur2; mais je suis accoutumé à son indulgence, et je voudrais pouvoir faire graver à jamais la lettre et le jugement qu'elle a portés de mon écrit sur le premier chapitre de la Genèse. C'est réellement un chef-d'œu- vre de bon sens, et où le discernement le plus exquis se trouve joint à la politesse la plus noble et à l'honnêteté la plus pure. Je fais passer mes remercîments par vous, mon- sieur, et je vous assure tous deux de la plus sincère et de la plus respectueuse amitié. BUFFON. (Inédite.) [1774] DE BUFFON. 173 CLIII A M. DE GRIGNON, CHEVALIER DE L'ORDRE DU ROI, CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES'. Montbard, le 20 octobre 1774. Je vous fais bien des renier ciments, monsieur, de m'avoir envoyé M. votre fils, et je ne puis vous dire assez combien j'en suis content. Je l'ai trouvé d'un caractère très-honnête, très-aimable, et beaucoup plus instruit qu'on ne l'est ordi- nairement à son âge. Il a grand soin de bien employer son temps, et il a de l'ardeur pour toutes les choses qui peuvent étendre ses connaissances. C'est sans compliment que je vous rends ce témoignage, monsieur. Il avait en vous un très-bon exemple; mais ni le bon exemple ni la bonne éducation ne peuvent donner autant de mérite et de discernement qu'il en a déjà, et vous devez être très-satisfait, ainsi que Mme votre épouse , d'avoir un enfant qui vous fait tant d'honneur. J'espère que j'aurai le plaisir de le revoir; et peut-être vous- même, monsieur, viendrez-vous à Paris cet hiver. Je crois même que les circonstances seront plus favorables qu'elles ne l'étaient pour obtenir du gouvernement la récompense qu'on doit à vos travaux. J'ai l'honneur d'être, avec un très-sincère attachement, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — Appartient à M. de Grignon , qui a bien voulu nous en donner communication.) 174 CORRESPONDANCE [1774] GLIV A VOLTAIRE I", A FERNEY. Montbard, le 12 novembre 1774. Si vous jetez les yeux, monsieur, sur la suscription de ma lettre, vous verrez que, dans le nombre assez petit des êtres de la première distinction, je pense très-hautement et de très- bonne foi que vous êtes le premier. Ce ne sera pas comme le mathématicien de Syracuse, que, par une extrême politesse pour moi, vous avez la bonté de nommer Archimède pre- mier; car jamais il n'existera de Voltaire second : différence essentielle entre l'esprit créateur qui tire tout de sa propre substance, et le talent qui, quelque grand qu'il soit, ne peut produire que par imitation et d'après la matière- J'espérais bien que ma petite note1 trouverait grâce devant vous, mon- sieur ; mais je crois devoir en partie le bon accueil que vous lui avez fait aux mains qui vous l'ont offerte. Je puis vous dire à ce sujet que M. de Florian2 m'a inspiré, dès les pre- miers moments, la plus grande confiance. Je l'ai trouvé si digne d'être de vos amis, que j'eusse désiré le voir assez long- temps pour devenir le sien; et cela serait arrivé, toujours en parlant de vous, monsieur, comme j'en ai toujours pensé, et comme il en pense et parle lui-même, avec celte tendre admi- ration qui ne s'accorde qu'à la supériorité qu'on aime, et qu'on ne peut aimer que quand on ne craint pas de l'avouer. Aussi le dernier trait qui fait la plus douce impression sur mon cœur est votre signature; j'ai ressenti un mouvement de joie en ouvrant votre lettre; j'ai admiré avec plaisir la fer- meté de votre main et la fraîcheur de l'organe intérieur qui la guide. Avec plusieurs années de moins, je suis plus vieux que vous. Autre supériorité dont je suis loin d'être jaloux; mais n'est-il pas juste que la nature, qui, dès vos premières [1774J DE BUFFON. 175 années, vous a comblé de ses faveurs, et dont vous êtes l'an- cien amant de choix, continue de vous traiter avec plus d'é- gards et de ménagements qu'un nouveau venu comme moi, qui n'ai jamais rien obtenu d'elle qu'à force de la tourmen- ter? Vous pouvez en juger, monsieur, puisque vous avez eu la patience de parcourir ces mémoires arides de physique qui servent de preuves à mon Traité des Éléments; et vous n'en êtes pas quitte, car je vous demande la permission de vous envoyer un autre volume qui va bientôt paraître, et qui fait suite au premier. Si je jouissais d'une meilleure santé, je vous proteste, monsieur, que je n'attendrais pas votre visite à Montbard, et que j'irais avec empressement vous porter le tribut de ma vénération; j'arriverais à Dieu par ses saints. M. et Mme de Florian, habitués dans le temple, me serviraient d'introducteurs. Je vais nourrir cette agréable espérance par le plaisir nouveau des sentiments d'estime que vous me té- moignez. Depuis queje me connais, vous avez toute la mienne ; mais elle ne fait qu'un grain sur la masse immense de gloire qui vous environne, au lieu que la vôtre, monsieur, est un diamant du plus haut prix pour moi. J'ai l'honneur d'être, avec autant de respect que d'admi- ration, monsieur, votre très-humble et très -obéissant ser- viteur. BUFFON. (Cette lettre a été publiée par Panckoucke dans la Gazette nationale ou Moniteur universel du 23 décembre 1789. Il en avait eu entre les mains l'original, conservé parmi les papiers de Voltaire. Lors de la mort de Vol- taire, en 1778, Mme Denis lui avait remis tous les papiers de son oncle, Panckoucke se proposait alors de donner une édition complète des œuvres de ce dernier. Des difficultés de fortune et des embarras d'affaires l'empê- chèrent de mettre à exécution cette vaste entreprise, et, l'année suivante, en 1779, il traita avec Beaumarchais, qui acheta l'édition projetée. Les Œuvres complètes de Voltaire furent imprimées par ses soins à Kehl, avec les caractères de Baskerville.) 176 CORRESPONDANCE [1774] GLV A MADAME DAUBENTON. Au Jardin du Roi, le 22 novembre 1774. Je suis arrivé hier matin, madame et chère amie, en assez bonne santé, et j'ai déjà fait dire à Mme Panckoucke par son mari que vous comptiez sur elle pour bien courir ensemble les spectacles1. Tâchez, bonne amie, d'amener ce projet à bien ; c'est aussi l'intérêt de M. votre mari de venir pour ses recou- vrements d'argent 2. J'ai vu Buffonet, et nous avons parlé de vous. Adieu, je vous embrasse, et je vous supplie de compter sur tous les sentiments que vous pouvez et devez attendre de moi. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) CLVI A LA MÊME. Paris, le 9 décembre 1774. J'ai reçu, très-chère dame, votre charmante épître, et je suis enchanté qu'il n'y ait rien de dérangé à votre projet de voyage. Vous pouvez arriver quand il vous plaira; les tapis- siers achèvent aujourd'hui de ranger les petites chambres. Vous, M. votre oncle1, son fils et Jeanneton, ont tous leurs petits meubles. Il n'y a que pour M. votre mari qu'on n'a rien arrangé, parce qu'il m'a dit qu'il m'écrirait d'avance lorsqu'il voudrait venir. Vous pouvez donc partir aussitôt que vous le voudrez, si vous ne craignez pas le froid ; car depuis deux jours il en fait un assez rigoureux ici, et je suis enrhumé d'avant-hier. Vous voudrez bien, madame, ne pas oublier un gros pa- [1774] DE BUFFON. 177 nier de fruits qui est dans ma cave. Je vous prie d'ordonner à Dauché2 de l'envelopper en entier de foin et ensuite de paille, avec de la corde qui la contiendra autour du panier, afin de prévenir l'effet de la gelée pendant le voyage. Vous au- rez la bonté de faire partir ce panier ainsi fourré avec les autres ballots que vous et M. votre, oncle enverrez au coche d'Auxerre, et je partagerai les frais de la voiture. Je devrais écrire à ce cher oncle; mais j'ai si peu de temps dans ce com- mencement de séjour, qu'à peine je puis me reconnaître. Faites-lui donc savoir qu'il est le maître d'arriver quand il lui plaira, et que le plus promptement sera le mieux. Je vous remercie, très-chère amie, des nouvelles que vous me donnez de votre santé et de celle de mon père. Je ne suis pas mécontent de la mienne, malgré mon rhume, que je vais tâcher de mitonner en vous attendant. Mille compliments à vos messieurs et à M. le docteur, qui attendra probablement une seconde fois le beau temps. Ceux d'ici se portent bien et vous attendent avec impatience. Mme Amelot3, que je n'ai vue qu'un moment, m'a demandé de vos nouvelles. Elle est dans le déménagement, et ne sera rangée que dans huit ou dix jours, à son nouvel hôtel. Mme de Saint-Chamant4 m'a aussi parlé de vous. On va faire un champ de blé pendant deux ans de cette belle pièce d'eau sur laquelle vous avez vogué ; après quoi on y remettra de l'eau et du poisson que le bois flotté a fait maigrir. Buffonet se porte bien et dit qu'il vous aime bien et que vous êtes de ses plus vieilles amies. Je crois, belle dame, que vous ne doutez pas que son papa vous aime encore mieux. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Bufl'on.) 12 178 CORRESPONDANT: [1775] GLYII AU PRESIDENT DE RUFFEY. Au Jardin du Roi, le 6 janvier 1775. Je pense, mon très-cher Président, que, malgré ses injus- tices, la perte de Mme de La Forest a été bien sensible à Mme de Ruffey. Elle était en effet digne d'avoir une bonne mère, puisqu'elle-même est une mère excellente. Je suis fâ- ché de voir que vous ne terminerez pas vos partages sans procès ; il vaudrait mieux céder quelque chose et vous arran- ger à l'amiable. J'ai bien regret de n'être pas actuellement à Montbard,puisque vous résidez à Montfort, et je ne m'en con- sole que par l'espérance que vous me donnez de vous y voir au mois d'avril. Si vous ne vendez pas actuellement les meu- bles, il faut au moins vous défaire de tout ce qui mange, bœufs, chevaux, ânes et mulets, car il y avait de toutes sortes de bêtes dans ce château. Ce que vous avez fait pour le jardin de l'Académie1 vous fait grand honneur et n'est point ignoré. Nos confrères les plus opposés n'ont pu cesser de respecter vos vertus, en même temps qu'ils criaient contre votre prétendu désir de dominer. Pour moi, mon très-cher Président, je n'ai jamais pris le change, et je vous ai toujours honoré et aimé de cœur. On dit ici que M. de Lantenay2 demande la place de pre- mier Président. On dit aussi que M. de Brosses3 y aspire, mais qu'on croit que M. de Layé4 la gardera; il est seulement à craindre que cette concurrence n'empêche une réunion qui serait fort désirable. La table de porphyre ferait des merveilles dans votre beau cabinet; vous verrez, en la mettant en vente, qu'on ne vous en offrira peut-être pas le double d'une table de beau marbre et de même grandeur. Il n'y a rien de nouveau ici, sinon la suppression des cor- [1775] DE BUFFON. 179. vées5 pour les grands chemins, qui est passée au Conseil. Le Roi a marqué dans cette occasion une tendresse de père pour son peuple. Je vous embrasse, mon très-cher Président, bien sincèrement et de tout mon cœur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) CLVIII A M. DE VAINES'. Au Jardin du Roi, le 19 janvier 1775. La lettre, monsieur, que vous avez eu la bonté d'écrire, a mis en mouvement MM. des Eaux et Forêts, qui, sans cela, seraient demeurés dans l'inaction, Je crois donc qu'en con- séquence, M. de Marizy, grand maître, netarderapas beau- coup à donner son avis , et je ne m'attends point du tout qu'il me soit favorable. Tous ces MM. des Eaux et Forêts ont le même langage; ils disent que c'est dépouiller leur ju- ridiction et qu'ils ne peuvent manquer de s'opposer à ma de- mande. Je m'y attends donc; mais avec cela, j'attends tout des bontés de M. le contrôleur général et delà bonne volonté que vous m'avez témoignée2. J'en ai déjà une profonde re- connaissance, et j'ai demandé à notre ami M. d'Angeviller la liberté de vous faire un hommage en vous envoyant mes ouvrages3. Daignez les agréer comme une marque de la haute estime et du respectueux attachement avec lequel j'ai l'hon- neur d'être, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Tirée des manuscrits de la Bibliothèque impériale; publiée par M. Flou- rens.) 180 CORRESPONDANCE [1775] eux AU MÊME. Au Jardin du Roi, le 23 janvier 1775. Rien n'est plus flatteur pour moi, monsieur, que l'accueil que vous avez fait d'avance à mon ouvrage, et la bonté que vous avez de ne pas regarder mon hommage comme un dou- ble emploi , me touche sensiblement. Je mettrais volontiers dans mes titres l'application du beau passage de Cicéron1 que vous citez, si je ne craignais de me trop enorgueillir., et je ne l'adopte que comme une preuve de votre indulgence et une marque de votre estime. Je ferai donc ce qui dépendra de moi pour vous marquer ma reconnaissance et pour mériter quel- que part de votre amitié. C'est dans ces sentiments et avec le plus respectueux atta- chement que je suis et veux être, monsieur, votre très-hum- ble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Tirée des manuscrits de la Bibliothèque impériale; publiée par M. Flou- rens.) GLX AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Paris, le 1er mai 1775. Je vous remercie, mon très-cher ami, de la part que vous prenez à la perte que j'ai faite1. Quoique prévue depuis long- temps, elle n'a pas laissé de m'affecter très-sensiblement; car ma santé n'est pas en trop bon état, et je désire d'aller respirer l'air de Bourgogne, qui me convient mieux que celui- ci. Je serais enchanté si vous veniez à Montfort. Il y a long- temps que je le souhaite, et vos affaires peuvent peut-être [1775] DE BUFFON. 181 s'arranger de façon que cette terre vous restera ; ou, si vous la vendez, vous me feriez plaisir de m'en prévenir d'avance. Mme de Ruffey m'a fait l'honneur de m'écrire au sujet de la chambre des comptes de Dole 2, et j'aurais bien voulu pou- voir lui rendre en cela quelque service; mais M. le comte de Maurepas m'a renvoyé à M. le garde des sceaux 3 et, chez ce- lui-ci, il m'a paru qu'on ne regardait pas l'affaire de la cham- bre des comptes de Dole comme dépendante en aucune façon de celle des Parlements ; et un particulier comme moi ne peut rien sur des choses publiques et de cette espèce. J'ai l'honneur d'être, avec le plus ancien et le plus inviola- ble attachement, mon très-cher monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) CLXI A M. LE COMTE DE TRESSAN1. Au Jardin du Roi, le 3 mai 1775. Monsieur le comte, Je reconnais à votre lettre votre cœur pour vos amis, et je suis très-reconnaissant de tout ce qu'elle contient; mais je ne ferai néanmoins aucune démarche, ni même aucune plainte contre cet homme qui a voulu se donner le plaisir de me con- tredire. Ce serait la première fois que la critique aurait pu m'émouvoir. Je n'ai jamais répondu à aucune, et je garderai le même silence sur celle-ci. Nous avons aujourd'hui élu M. le maréchal de Duras2, et sa réception est pour le 15. Je vous offre deux billets, si vous voulez y assister. Le discours de M. le maréchal sera court3, et le mien aussi ; mais on dit que M. l'abbé Dclille4 lira un chant de son Yirgile; et cela viendra très-bien après ma pauvre prose. Je suis toujours fort enrhumé; sans cela j'aurais eu l'honneur de vous voir. Mes respects, je vous 182 CORRESPONDANCE [1775] supplie, à Mme la comtesse de Tressan et à votre cher et di- gne fils M. l'abbé de Tressan5. C'est dans ces mêmes senti- ments que je serai toute ma vie, monsieur le comte, Votre très-humble et très-obéissant serviteur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le marquis de Loyac, qui a bien voulu nous en donner communication.) / GLXII AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Paris, le 4 mai 1775. Je vous envoie, mon cher Président, un petit discours1 que peut-être vous n'aurez pas le temps de lire, et qui ne vaut pas trop la peine d'être lu. J'imagine bien la multiplicité de vos occupations ; cependant on espérait vous voir ici, et je crois que vous devez en effet y venir. Je reste encore, assez malgré moi, pour faire une drogue pareille à celle que je vous en- voie, en adressant la parole au maréchal de Duras2, que nous avons élu, et qui doit être reçu le 15. Souvenez-vous d'un dîner que vous fîtes au Jardin du Roi avec lui et Mme Saint- Contest3 : ce n'étaient pas des paroles alors, c'étaient de bons effets. Je vous embrasse bien sincèrement et de tout mon cœur. Buffon. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) CLXIII A MADAME DAUBENTON. Le 12 mai 1775. Ma chère bonne amie, vous êtes tout âme et tout courage. Je suis enchanté que les mouvements et la grande f ;itigue du [1775] DE BUFFON. 183 voyage ne vous aient point incommodée; n'ayez donc nulle crainte sur le moment1, vous vous en tirerez sans aucune mauvaise suite. Je ne suis pas encore sûr du temps de mon départ; ma santé n'est pas mal, mais mes affaires n'en finis- sent pas. L'émeute2 n'était rien, et nous sommes ici très-tran- quilles; je voudrais cependant en être hors et vous revoir. J'espère que dans huit jours je pourrai vous le dire positive- ment. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) CLXIV AU PRÉSIDENT DE RUFFEY. Montbard, le 23 juillet 1775. Je ne vous ai jamais accusé, mon cher Président, que de bonnes pensées et d'actions honnêtes, et je voudrais que vous n'eussiez pas à vous plaindre des procédés de votre jolie nièce1, à laquelle j'ai dit et répété plusieurs fois que vous étiez incapable de lui faire la moindre mauvaise chicane, mais qu'il ne fallait pas aussi qu'elle espérât que vous ne soutiendriez pas vos intérêts ; que si sa grand'mère vous avait fait quelque tort, vous aviez plus de lumières qu'il n'en fallait pour vous en apercevoir. Et vous avez en effet très- bien fait de sauver la terre de Montfort, et je ne conçois pas même que vous n'ayez pas des preuves de cette différence de cent trente mille livres, qu'il n'est guère possible d'avoir sous- traites, sans qu'il reste de traces des moyens qu'on a employés pour en venir à bout. Vous voyez bien, mon cher ami, que je suis bien loin de vous blâmer: je connais de tous les temps votre droiture et même votre désintéressement. Je voudrais bien que vos affaires vous rappelassent à Montfort; mais je ne l'espère pas pour le courant de cet été, et je compte retourner 184 CORRESPONDANCE [1775] à Paris vers la Toussaint, pour ne revenir qu'à Pâques. Je vous dis tout cela d'avance, par le regret que j'ai de vous avoir manqué cette fois-ci. Vous êtes bien bon de me parler de mon lils; il arrivera de Paris dans huit ou dix jours, et, comme il doit faire une petite tournée de voyage jusqu'à Chambéry2, je lui ordonnerai de vous aller voir à Dijon, et, si vous êtes à votre campagne, je supplierai Mme de Ruffey de l'y recevoir pour deux ou trois jours; il ne pourrait être en meilleure compagnie. Assurez-la, je vous prie, de mes tendres respects, et soyez sûr de mon inviolable amitié. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Vesvrotte.) CLXV AU PRÉSIDENT DE BROSSES. Montbard, le 26 juillet 1775. Voilà votre petite carte, mon très-cher Président, qui me fait bien plaisir. Je savais qu'Orose vivait en 416, mais j'igno- rais que le fameux roi Alfred, son traducteur, fût delà lin du ixe siècle. Il y a donc neuf siècles entiers que toutes les côtes de la Laponie ont été reconnues, et presque aussi bien indi- quées qu'elles le sont aujourd'hui. Je voudrais bien qu'oneût une carte aussi exacte de la pointe de l'Afrique du temps du roi Néco; mais la mémoire de ce voyage, dans lequel il pa- raît qu'on a doublé dès ce temps le cap de Bonne-Espérance, n'est que dans quelques auteurs et sans aucun détail. Le libraire Frantin l a dû vous aller voir de ma part pour vous remettre le volume qui vous manque. Il n'y a que la reliure qui peut faire ici quelque différence. Si cela était, je pourrai vous remettre à Paris ce premier volume des miné- raux de la même reliure que le's autres, et vous me rendriez celui que Frantin vous aura donné. [1775] DE BUFFON. 185 J'ai des remercîments essentiels à vous faire, mon très-cher ami, de la bonté avec laquelle vous avez accueilli ma pauvre parente Charault. Vous avez rendu justice à sa bonne cause, et je vous en ai la plus grande obligation. Mais on la menace de cassation de votre arrêt, et d'autre part on s'efforce de lui fermer tout accès au Conseil des dépêches, où elle s'est pour- vue en rapport des lettres patentes. Si vous avez occasion d'écrire à M. le Garde des sceaux , rendez-moi le service de lui dire un mot pour le soutien de votre arrêt. Je lui ai déjà écrit deux fois pour cette affaire, et il m'a fait deux réponses fort honnêtes. Je vais encore lui écrire aujourd'hui pour qu'on ne casse pas l'arrêt, au moins sans entendre la partie intéressée ; ce serait une seconde surprise semblable à la pre- mière, car on avait donné les lettres patentes sans aucun avertissement ni communication à l'héritière, qu'elles lésaient si fort. J'ai un mal de têle assez violent depuis trois semaines, qui m'empêche de suivre mes occupations ordinaires. Ménagez votre santé, mon très-cher Président. Vous avez plus d'affai- res que jamais, mais aussi vous avez le talent unique de faire plus en une heure que la plupart des autres n'en font en vingt-quatre. Mes respects, je vous supplie, à Mme la pre- mière présidente. BUFFON. (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses.) CLXVI AU MÊME. Monthard, le 18 octobre 1775. J'écris aujourd'hui, mon très-illustre et cher Président, à M. Dupleix1, pour le presser de terminer l'affaire de Mme Charault, et je vous prie en grâce de lui en parler et delà terminer en effet. Vous savez le très-grand intérêt que 186 CORRESPONDANCE [1775] j'y prends, et je me recommande avec toute confiance aux bons offices de votre amitié, et surtout pour iinir prompte- ment 2. Je serai comblé de vous recevoir ainsi que M. et Mme... 8, et vous aurez des chevaux où il vous plaira de m'en deman- der. Je me fais la plus grande fête de vous voir et de causer à mon aise avec le plus digne de mes amis et le plus savant de nos littérateurs : c'est ainsi que je vous vois, mon très- cher Président , et que je vous embrasse avec autant de respect que de tendresse. BUFFON. Je reçois dans le moment une lettre de M. Gueneau de Mussy, par laquelle il me demande avec instance de vous supplier de faire mettre sa cause contre M. de* Longvoi au rôle immédiatement après celle de M. Versailleux contre Mme de Feillant4. Pardon, mon très-illustre Président , de cette seconde importunité. (Inédite. — Delà collection de M. J. P. Abel Jeandet, à l'obligeance de qui nous en devons communication.) GLXVII AU MÊME. Montbard, le 15 novembre 1775. Mes jours les plus heureux, mon très-cher de Brosses, sont ceux où je reçois des marques de votre amitié et des nou- velles certaines que non-seulement votre santé, mais votre pleine vigueur, se soutiennent. Mme de Brosses est prête d'ac- coucher1; je vous en fais compliment de tout mon cœur, et néanmoins je ne vous dirai pas : « Courage, mon bon ami! » car il me semble que vous voilà très-suffisamment pourvu de postérité, et je sais, du moins par mon expérience, que passé soixante ans il faut devenir économe et même avare de ces molécules organiques que nous pouvions autrefois prodiguer. [1775] DE BUFFON. 187 Vous avez tort de dire que votre sang est appauvri. Vous voyez p que ceci le dément, et si vous entendez par là l'esprit plutôt que le corps, vous vous trompez encore plus : car je vois par votre conduite, par vos discours publics, et même par vos lettres, que vous avez la même bonne tête, la même fraîcheur d'idées, la même gaieté, les mêmes expressions de cœur tou- jours charmantes pour vos amis, et je jouis de tout ceci moi- même en vous le rappelant. Je vous recommande plus instamment qiie jamais l'affaire de Mme Gharault, et je vous confierai sous le sceau de l'ami- tié que j'ai un intérêt personnel à ce qu'elle ne donne que quarante mille livres. Cette femme est ma plus proche pa- rente. Mon fils est son héritier substitué. Il n'y a que des procédés de sa part vis-à-vis de moi ; elle m'a donné toute sa confiance, et la plus grande preuve sont les quarante mille li- vres qu'elle m'a remises entre les mains avec tout pouvoir de les donner pour tout terminer. J'ai cet argent depuis plus de trois semaines, et je le ferai compter le jour même que les agents des villes de Viteaux et de Saulieu signeront leur dé- sistement pur et simple de leurs prétentions. M. l'Intendant (soit dit entre nous) aurait pu me mieux servir qu'il n'a fait; c'est de mon propre mouvement que je me suis adressé à lui. J'ai dit que nous irions jusqu'à quarante mille livres; s'il eût voulu ménager mes intérêts , il aurait pu n'en offrir que trente, sauf à augmenter jusqu'à quarante ; mais il a jugé à propos de partir du point extrême, c'est-à-dire de quarante. Je n'ai pas voulu lui en faire le moindre reproche ; je lui ai seulement marqué que j'étais prêt à donner les quarante mille livres, mais que, si l'on exigeait quelque chose déplus, je retirerais ma parole comme je l'avais donnée. Je lui dis encore que ce n'était point ici une affaire d'arbitrage, mais de simple médiation , pour faire accepter la somme que nous voudrions bien donner; et en vérité, mon très-cher et très- illustre Président, ce n'est pas la crainte qui nous fait agir. Le Conseil est actuellement aussi bien informé que le Parle- 188 CORRESPONDANCE [1775] ment de l'injustice des lettres patentes, et d'autre part il n'y a nulle ouverture à la cassation de votre arrêt. C'est donc par pure charité, et, si vous voulez, par honneur, que Mme Charault fait aujourd'hui ce sacrifice. J'ai eu quelque peine à la déterminer; car ce n'était pas l'avis des avocats de Paris, et il me paraît certain qu'elle conservera ses quarante mille livres, si son offre n'est point acceptée. Mais par les délibérations des deux villes, vous êtes les maîtres d'ordonner que les mêmes offres soient acceptées, et je vous supplie de le faire, en vous protestant que nous ne donnerons pas la moindre chose de plus. Ce n'est pas le cas de nous marchan- der, puisque c'est un don libre et volontaire; et vous me mortifieriez et me feriez tort auprès de ma parente, si vous n'acceptiez pas son offre purement et simplement. Quarante mille livres d'argent comptant pour les deux hôpitaux de Yiteaux et de Saulieu, à partager dès demain par moitié, est un don bien honnête , et rien ne le serait moins que de pré- tendre en exiger davantage. Je quitte avec plaisir les affaires pour revenir h vous, mon bon et très-illustre ami. Que l'espérance de vous posséder trois ou quatre jours à Montbard m'a remué délicieusement! il me semble que j'ai cent mille choses à vous dire, et tout autant de sentiments à vous exprimer. Ramenez promptement votre cher fils en bonne santé à sa tendre maman; cela lui donnera du courage pour vous présenter celui qui est prêt à paraître. Je lui dois des remercîments infinis des bontés dont elle a comblé mon fils, et je les reconnais pour moi-même clans l'éloge qu'elle a bien voulu en faire. Je ne retournerai à Paris que vers le 15 novembre. Je penserai chaque jour à votre voyage de Montbard. En me prévenant deux jours d'avance, je vous enverrai des chevaux. Partant de Dijon à cinq ou six heures du matin, vous pourriez arriver pour dîner, et nous dînerons à notre aise, et je serai comblé de la joie la plus pure. En attendant, je vous embrasse du meilleur de mon cœur, Buffon. [1775] DE BUFFON. . 189 Le retour de M. l'Intendant n'est-il pas encore éloigné? Il me semble que , de concert avec vous , il pourrait ordonner aux maires de Viteaux et de Saulieu d'accepter nos offres. Les pauvres perdent l'intérêt de cet argent, qui est dans mon coffre et dans mon portefeuille en rescriptions. (Inédite. — Communiquée par M. Chambry. — M. Flourens en a publié diffé- rents extraits.) CLXVIII AU MÊME. Novembre 1775. Recevez, mon très-cher Président, avec quelque bonté mon fils qui vous remettra cette lettre, et permettez-lui de faire sa cour à Mme la première présidente , et de faire connaissance avec votre cher enfant1. Je désire que quelque jour ils soient unis par les liens d'une aussi tendre amitié que celle qui m'attache à vous depuis si longtemps, et qui ne finira cer- tainement qu'avec ma vie. Mon fils ne doit rester à Dijon que sept ou huit jours, pour aller ensuite à Lyon et à Chambéry, et je lui ai dit que son premier devoir était d'aller vous ren- dre ses respects. J'ai parole positive par écrit de M. et Mme Charault de donner quarante mille livres , savoir vingt mille livres pour l'hôpital de Viteaux , et vingt mille livres pour l'hôpital de Saulieu. Je les ferai compter à Dijon le jour même qu'on passera le traité, et, si vous me le permettez, j'aurai l'hon- neur de vous envoyer incessamment les conditions très-sim- ples que Mme Charault met à cette libéralité, que je trouve très-honnête de sa part. Mais je dois vous prévenir que, si Ton voulait exiger quelque chose de plus, elle retirerait ses offres; car en vérité elle n'a rien à craindre au Conseil de la suite de cette affaire , et elle a eu bien de la peine à trouver les quarante mille livres d'argent comptant qu'elle donnera, ayant payé précédemment pour deux cent vingt-cinq mille 190 ÔORRESPOMDANCB [1775] - livres de legs et plus de soixante mille livres de dettes et frais de la succession. J'espère de votre amitié que vous vou- drez bien vous intéresser réellement à faire accepter ses offres d'une manière qui lui soit agréable. J'écrirai au pre- mier jour à ce sujet à M. Dupleix. Adieu, mon très-cher et bon ami (Inédite. — De la collection de M. le comte de Brosses. — La fin de cette lettre manque.) CLXIX A M. RIGOLEY. Paris, le. 6 décembre 1775. J'ai reçu, monsieur, votre lettre du 23 novembre, et l'avis que vous voulez bien me donner de l'injonction aux commis du droit de marque des fers par M. Le Secq. Je suis allé pour en conférer avec M. de Boulongne , qui a cette régie dans son département1; mais il est malade depuis dix à douze jours. J'attendrai son rétablissement, et je compte bien de lui parler et même de lui donner un mémoire au sujet de cette odieuse manutention, dans lequel il sera aisé de démontrer que le droit de marque, ruineux pour tous les propriétaires et maî- tres de forges, est en même temps très-peu utile au Roi, et qu'il ne peut pas se soutenir, à moins qu'on n'établisse sur l'entrée des fers étrangers un droit de douze ou quinze livres par mille. Mais il est bien difficile de se faire entendre à l'autorité prévenue et à la finance toujours avide2. M. le comte de Stuart est un fort galant homme , que vous ne serez pas fâché d'avoir obligé. Gomme vous avez de bons yeux pour voir et pour juger, et que M. Potot de Montbeillard et M. de Grignon seront aussi présents à ces essais, je suis bien sûr qu'on pourra s'en rapporter à votre jugement3. Je recevrai avec grand plaisir un exemplaire de votre ou- vrage sur les charbons, et même, si vous le trouvez bon, je [1775] DE BUFFON. 191 l'enverrai prendre chez le libraire quand j'aurai votre ré- ponse. Je compte toujours sur ce que vous m'avez promis, mon- sieur, au sujet du bois de Chaumour; et, si j'en suis adjudi- cataire4, j'en partagerai volontiers la charbonnette. On ne peut rien ajouter aux sentiments de toute la considération et de tout l'attachement av,ec lequel j'ai l'honneur d'être, mon- sieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Buffon. (Inédite. — Appartient à Mme Morel , qui a bien voulu nous en donner communication.) Note 3, p. 18. — Fils de Pierre de La Mare, conseiller au Parlement, et neveu de Jean-Baptiste de La Mare, alors second président au Par- lement. Note k, p. 18. — Chartraire de Montigny, trésorier des états de la province de Bourgogne. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 211 XI Note 1, p. 19. — Pierre Daubenton, avocat au Parlement, maire, châtelain et lieutenant général de police de la ville de Montbard, sub- délégué de l'intendance de Dijon au département de la même ville, colonel des armes de ladite ville et capitaine de l'exercice de l'arque- buse; membre des académies de Lyon et de Dijon, des sociétés litté- raires d'Auxerre et d'agriculture de Rouen, membre honoraire de la société économique de Berne, naquit à Montbard le 10 avril 1703 et mourut le Ik septembre 1776. Son frère, beaucoup plus jeune que lui, et qui faisait alors son cours de médecine à Paris, fut le collabo- rateur deBuffon. Note 2, p. 19. — M. de Montigny, sous les ordres duquel se trou- vait M. Daubenton, en sa qualité de subdélégué de l'intendance, était alors trésorier des états de Bourgogne. La charge de trésorier des états fut pendant plus de deux cents ans dans cette famille. La seigneurie de Montigny avait été érigée, en 1706, en comté pour François Char- traire de Montigny, conseiller au Parlement et trésorier des états. Le dernier maire de Dijon, avant les réformes introduites par la Révolution dans l'administration communale, fut le dernier des Char- traire de Montigny, Marc-Antoine, qui exerça cette fonction du 2k fé- vrier 1790 au 20 novembre 1791. Son élévation donna lieu au quatrain suivant : Par un choix libre et pur, Dijon vous a fait maire. Vous avez su monter les cœurs à l'unisson ; Et la reconnaissance , en votant pour Chartraire , A su mettre d'accord la rime et la raison. Note 3, p. 19. — M. Daubenton avait affermé, moyennant un abon- nement fixe, la perception de certains impôts qui devaient être versés dans la caisse des états de la province. Il s'était trompé dans ses cal- culs ; la difficulté que présentait la rentrée de l'impôt, les charges qui lui étaient imposées, avaient rendu sa position fort précaire, et il em- ploya l'entremise de Buffon près du trésorier des états, pour obtenir d'être déchargé d'une partie de ses obligations. Note 4, p. 19. — Louis Leclerc, écuyer, procureur du Roi et syndic au grenier à sel, bailli de Fontenay, juge-prévôt de la châtellenie de Montbard, conseiller-secrétaire du Roi près la chancellerie de Dijon, 212 NOTES né à Montbard le 11 novembre 1646, mort le Ie' mars 173**, à l'âge de quatre-vingt-huit ans. Il avait été maire et gouverneur de la ville de Montbard, de 1695 à 1697, en attendant que Jean Nadault son pa- rent, qui était titulaire de cet office, eût atteint sa majorité. Le grand-père de Buffon mourut à l'âge de quatre-vingt-huit ans; son père vécut quatre-vingt-douze ans, et le naturaliste quatre-vingt- deux. XII Note 1, p. 20. — Le 6 juin 1735, on représenta pour la première fois sur le Théâtre-Français la tragédie d'Aben-Saïd, dont l'abbé Le Blanc était l'auteur. Aben-Sdid fut joué à la cour et accueilli avec faveur; imprimé l'année suivante , il soutint à la lecture le succès qu'il avait eu au théâtre. (Aben-Said, empereur des Mogols, tragédie en cinq actes et en vers. Paris, 1735, in-8.) Note 2, p. 20.— La Bourgogne était Pays d'états. Avec quelques au- tres provinces elle partageait le privilège de s'occuper seule de la ré- partition des impôts. Les états se réunissaient tous les trois ans, sous la présidence du prince de Condé, gouverneur de la province. Les trois ordres y étaient représentés , la noblesse , le clergé et le tiers. L'évêque d'Autun était président-né de la Chambre du clergé, comme le maire de Dijon était président-né de la Chambre du tiers. La session durait un mois environ. En se séparant, l'assemblée nommait une commission composée de trois membres, pris dans chacun des trois ordres, et qui, sous le nom de Chambre des élus, administrait les in- térêts de la province jusqu'à la nouvelle assemblée. Les élus rendaient alors leurs comptes entre les mains de délégués choisis par les états, et qui prenaient le nom d'Alcades. Dans les réunions générales et dans les solennités auxquelles assistaient les états en corps, l'évêque d'Autun avait le pas sur tous les autres évêques de la province, appelés comme lui à faire partie de l'assemblée. Note 3, p. 20. — Jean Bouhier, sacré évèque de Dijon le 16 sep- tembre 1732, se démit de son siège en 1743, et mourut le 15 octo- bre 1745. Note 4, p. 20. — Gaspard de Thomas de La Valette, pourvu en 1733 de l'évêché d'Autun, fut remplacé en 1748 par Antoine de Malvin de Montazet, depuis archevêque de Lyon et membre de l'Académie française. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 213 Note 5, p. 20.— Louis-Henri duc de Bourbon, prince de Condé, né en 1692, mort le 27 janvier 1740, avait été chef du conseil de régence durant la minorité de Louis XV, et premier ministre à la mort du ré- gent. En 1726, compromis par les intrigues de la marquise de Prie, sa maîtresse, il fut exilé à Chantilly, et le cardinal de Fleury le rem- plaça au ministère. En 1735, il présida les états de Bourgogne, et vit BufFon, auquel il fit un accueil distingué. L'année suivante, il eut un fils, et Buffon, qui n'avait pas oublié l'accueil que lui avait fait le prince lors de son dernier séjour à Dijon , voulut témoigner, d'une manière éclatante, la part qu'il prenait à cet heureux événement. On trouve dans une lettre écrite de Montbard à la date du 16 août 1736, par Daubenton, et insérée dans le Mercure, le compte rendu de la fête improvisée à Montbard pour célébrer la naissance de l'héritier des Condé. « J'ai appris, monsieur, avec le plus grand plaisir, que vous vous disposiez à cheminer du côté de la Bourgogne ; mais je pense que l'envie vous doit prendre en même temps de venir rendre un hom- mage de reconnaissance au vieux Pégase de notre ville. Vous avez éprouvé qu'il vous a été favorable il y a deux ans, etvous avez grande raison de vouloir le revoir, car vous trouverez l'antique habitation des bardes * tout à fait changée. Le chaos du vieux château s'est dé- brouillé ; le Dieu des jardins a regardé l'emplacemeut d'un œil favo- rable, et les choses sont en état d'y pouvoir attirer les Muses et les Grâces même par vos chants. Venez donc, et n'irritez plus l'empres- sement qu'on a de vous voir. « M. de Buffon vous attend avec la plus grande impatience, et vous sait mauvais gré de ne vous être pas pressé davantage. Vous auriez été témoin des réjouissances qu'il a faites au sujet de la naissance du prince de Condé. Il en reçut la nouvelle dimanche dernier, 12 août, à sept heures du matin. L'entier attachement qu'il a pour la maison de Condé le porta aussitôt à marquer sa joie par tout ce qu'on pouvait imaginer de réjouissant dans une petite ville. Son premier mouvement fut d'abord de rendre l'heureux événement public ; il lit transporter les canons de la ville dans les jardins du château, et l'on en fit trois décharges, au bruit de plusieurs tambours et d'une grande mousque- terie qu'on avait assemblée, ce qui fut répété jusqu'à dix-huit fois dans toute la matinée. Ces salves réitérées parurent si extraordinaires dans tous les villages des environs, que la plupart des paysans vin- rent à la ville, croyant que ce fût l'arrivée du prince ou la publication de la paix. * Moins Bardorum, Mont des Bardes, Montbard. 214 NOTES «Sur le midi il fit rassembler tous les instruments de la ville et des environs, qui dans ce pays, où le goût de la musique ne prévaudra jamais sur celui du vin, ne laissèrent pas que de former trois troupes de plusieurs instruments chacune. On en plaça une partie au château, et le reste devant sa maison, qui est, comme vous savez , monsieur, dans l'endroit le plus apparent et le plus fréquenté de la ville ; tout le peuple s'y assembla pour danser en très-grand nombre. « A cinq heures, on disposa par une fenêtre au haut de la grande porte une fontaine de vin, et cet article ne fut pas le moins plaisant de la fête. Elle coula abondamment et sans discontinuer jusqu'à près de minuit, et le bon jus attira mainte fois les acclamations de : Vive le Roi, Leurs Altesses Sérénissimes et le Prince nouveau-né I Grand souper ensuite , où se trouva ce qu'il y avait de mieux à la ville. La compa- gnie était nombreuse ; aussi fallut-il plus d'une table. On y a bu en vrais Bourguignons. Un autre jour, au sujet d'un terrain qui lui était nécessaire et dont on demandait un prix exa- géré, il lui disait : « Il y a des gens qui n'osent demander et à qui on n'ose offrir, espèce de pauvres honteux; il faut, quand leur bien nous peut convenir en quelque chose, le leur payer bien au delà ; on n'a ni à rougir de son aumône, ni à les en faire rougir; on leur laisse l'es- time d'eux-mêmes. •» Pour exécuter ses plans, Buffon ne choisissait pas ses travailleurs parmi les plus robustes et les plus diligents; il re- cherchait de préférence les plus pauvres et les plus nécessiteux. Pour procurer de l'ouvrage à un plus grand nombre de bras, il avait donné ordre que la terre végétale qui venait prendre la place du rocher fût portée à dos d'homme, et il recommandait à ses surveillants de veiller à ce que les hottes fussent petites. Note 4, p. 23. — Il s'agit de la belle édition des œuvres d'Horace, publiée à Londres, en 2 volumes gravés, in-8, en 1733. Cette édition, dont les premières épreuves sont fort recherchées, parut sous ce titre : Q. Horatii Flacci opéra omnia. Londini, œneis tabulis incidit Joan. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 219 Pine. Elle fut reproduite à Paris en 1733 (in-16) et à Londres en 1736 (édition J. Jones. In-8). Note 5, p. 23. — Abraham de Moivre, né en 1667 à Vitri, en Cham- pagne, mort à Londres, le 27 novembre 1754, à l'âge de quatre-vingt- sept ans, appartenait à la religion réformée. Lors de la révocation de l'édit de Nantes, il passa en Angleterre, où il publia des écrits estimés sur la géométrie. L'ouvrage dont parle Buffon a pour titre : Miscel- lanea analylica de seriebus et quadraturis. Cette collection, qui ren- ferme les découvertes faites par de Moivre et les méthodes par lui employées pour y parvenir, est divisée en huit livres qui parurent successivement, d'année en année; le premier volume est de 1730 (in-4). Note 6, p, 23. — Baniche , terme familier, diminutif de Bernarde, comme Catiche et Cateau sont les diminutifs de Catherine, Gothon de Marguerite, etc. Note 7, p. 23. — La tour Saint-Louis, que l'abbé Le Blanc habita lors du séjour qu'il fit à Montbard pendant l'automne de l'année 1734, et dont Buffon avait fait peintre les voûtes d'une couleur qu'elles conservent encore aujourd'hui. Note 8, p. 23. — Jean-François Rigoley de Puligny entra au par- lement de Bourgogne le 4 janvier 1716. Le 14 juin 1720 il résigna ses fonctions en faveur de Benjamin-François Leclerc, qui vint siéger au Parlement à sa place et transmit à son tour, le 13 novembre 1742, sa charge à François-Samuel Rigolier de Parcey. En quittant le Parle- ment, Rigoley de Puligny fut revêtu de la dignité de premier président de la Cour des comptes de Bourgogne. Note 9, p. 23. — Pierre-Louis Moreaude Maupertuis, né le 17 juillet 1698, mort le 27 juillet 1759, se distingua par l'originalité de son ca- ractère au moins autant que par ses nombreuses et importantes dé- couvertes scientifiques. Note 10, p. 23. — ■ Alexis-Claude Clairault, né le 7 mai 1713, mort le 17 mai 1755, fut, avec Euler et d'Alembert, le commentateur de Newton. Ses éléments de géométrie sont encore estimés. 220 NOTES XIV Note 1, p. 23. — Jeanne-Guillemine Bouhier, fille aînée du prési- dent, venait d'épouser Gabriel-Bénigne Chartraire de Bourbonne, pré- sident au Parlement depuis le 9 août 1735. Note 2, p. 24. — Traité de la dissolution du mariage pour cause d'impuissance (Luxembourg, 1735, in-8); ouvrage réimprimé en 1736 avec les Principes sur la nullité du mariage, par Boucher d'Argis. Note 3, p. 24. — Isaac Newton, né en 1642, mort le 20 mars 1727, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, fut le créateur de la philosophie na- turelle. Les découvertes dont il a enrichi la science sont innombrables. Lorsqu'on lui demandait comment il avait fait pour découvrir tant de choses, il répondait : « En cherchant toujours. » Note 4, p. 24. — Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil, mar- quise du Châtelet, née en 1706, morte en 1749, est devenue célèbre par un genre de productions sur lequel on voit peu communément s'exercer l'esprit d'une femme. Elle fut également savante en géomé- trie, en astronomie et en physique; elle savait le latin, l'anglais, l'italien, et a laissé une traduction inachevée des plus belles pages de Virgile. Le marquis du Châtelet, lieutenant général des armées du Roi, était grand bailli de Semur. Sa charge l'obligeait à de fréquents séjours. Le voisinage établit entre Burïon et la marquise des rapports fort suivis et qui furent l'origine d'une sérieuse amitié. Note 5, p. 24. — Jean-Jacques Rousseau, né le 28 juin 1712, mort le 2 juillet 1778, a dit de Buffon : « Je lui crois des égaux parmi ses contemporains, en qualité de penseur et de philosophe; mais en qualité d'écrivain, je ne lui en connais aucun. C'est la plus belle plume de. son siècle. » Note 6, p. 24. — Le président Bouhier fut marié deux fois, la pre- mière en 1702. Sa femme mourut en 1717, après lui avoir donné un fils, mort lui-même en bas âge. 11 épousa en secondes noces Claudine Bouhier de Lanienay, dont le père devint, en 1746, doyen du Parle- ment. Le président Bouhier dans ses Mémoires donne les raisons de cette seconde union en citant ce passage de Pline (liv. X, ép. n) : « Liberos etiam illo tristissimo saeculo volui, sicut potes duobus matrimoniis meis credere. » ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 221 Note 7, p. 24. — Claudine Bouhier, seconde fille du président, épousa Philibert-André Fleutelot de Marlien, né le 10 janvier 1714, et mort doyen du Parlement le 25 janvier 1787 à Versailles, où il avait été mandé au sujet des remontrances présentées par sa compagnie. XV Note 1, p. 25.-— Charles - François de Cisternay Dufay, né le 14 septembre 1698, mort le 16 juillet 1739, fut le prédécesseur de Buffon au Jardin du Roi. D'une famille qui avait depuis longtemps charge à la cour, Dufay choisit de bonne heure la carrière des armes; mais bientôt, poussé par son goût naturel pour les sciences, il quitta le service et s'adonna dès lors sans entraves à sa passion favo- rite. Appelé vers 1734 à succéder à François Chicoisneau , gendre de Chirac, dans l'intendance du Jardin du Roi, il entreprit avec courage l'œuvre régénératrice que Buffon devait, après lui, accomplir d'une façon si brillante. Avant de se mettre à l'œuvre, Dufay fit un voyage en Angleterre et en Hollande, afin de visiter des établissements ana- logues et d'arrêter ses plans. La mort l'empêcha de les réaliser. On a beaucoup loué Dufay d'avoir, à son lit de mort, désigné au ministre Buffon pour son successeur. Des différends scientifiques les divisaient, dit-on; Dufay, oubliant généreusement ses griefs personnels, facilita la nomination de Buffon à un poste qu'il ambitionnait. Celte lettre à l'abbé Le Blanc, du 22 février 1738, écrite un an avant la mort de Dufay, permet de reconnaître que cette division, si toutefois elle a existé, n'était pas ancienne, ou du moins qu'un rapprochement avait déjà eu lieu, à cette époque , entre les deux académiciens. Note 2, p. 25. — Charles Lenox , duc de Richemond , était le fils naturel de Charles II et de la duchesse de Portsmouth. Note 3, p. 25. — A cette époque, Buffon n'a pas encore rompu avec les habitudes des soupers et des veilles, mais il en éprouve déjà de la fatigue et de l'ennui. Une seconde période, toute de travail et de re- traite, va bientôt commencer pour lui et modifier profondément sa vie , jusqu'alors si diversement occupée et partagée entre des études souvent interrompues, et des heures consacrées à la dissipation et au plaisir. Dans la suite, après qu'il fut entré au Jardin du Roi et qu'il se fut retiré à Montbard pour se consacrer à son grand ouvrage , lorsque des amis de sa jeunesse qui l'avaient connu ardent au plaisir, et le 222 NOTE compagnon assidu de leurs veilles prolongées, s'étonnaient devant lui de la rigoureuse exactitude avec laquelle il avait distribué sa vie, il aimait à raconter comment il s'était astreint à cette règle uniforme et sévère. Un manuscrit inédit de M. Humbert-Bazile, long- temps secrétaire de Buffon, manuscrit qui nous a été communi- qué par Mme Beaudesson, fille de M. Humbert-Bazile, renferme, à la page 14 du tome I, le passage qui suit : « Dans ma première jeu- nesse, disait parfois M. de Buffon, j'aimais beaucoup le sommeil, il m'enlevait la meilleure partie de mon temps ; mon pauvre Joseph (son valet de chambre, qui fut à son service pendant soixante-cinq ans\ me fut alors d'un grand secours pour vaincre cette funeste habitude. Un jour, mécontent de moi-même, je le fis venir et je promis de lui donner un écu chaque fois qu'il m'aurait fait lever avant six heures. Le lendemain, il ne manqua pas de venir m'éveiller à l'heure conve- nue; je lui répondis par des injures, il vint le jour d'après : je le mena- çai. «Tu n'as rien gagné, mon pauvre Joseph, lui dis-je, lorsqu'il vint « me servir mon déjeuner, et moi j'ai perdu mon temps. Tu ne sais pas « t'y prendre ; ne pense désormais qu'à la récompense et ne te préoccupe ce nide ma colère ni de mes menaces. » Le lendemain il vint à l'heure con- venue, m'engagea à me lever, insista; je le suppliai, je lui dis que je le chassais, qu'il n'était plus à mon service. Sans se laisser intimider par ma colère, il employa la force et me contraignit enfin à me lever. Pen- dant longtemps il en fut de même ; mais mon écu, qu'il recevait avec exactitude, le dédommageait chaque jour de mon humeur irascible au moment du réveil. » a Un matin, continue M. Humbert, et ceci me fut raconté par Joseph lui-même, le valet eut beau faire, le maître ne vou- lut pas se lever. A bout de ressources et ne sachant plus quel moyen employer, il découvrit de force le lit de M. de Buffon, lança sur sa poitrine une cuvette d'eau glacée et sortit précipitamment. Un instant après, la sonnette de son maître le rappela; il obéit en tremblant. « Donne-moi du linge, lui dit M, de Buffon sans colère , mais à l'avenir « tâchons de ne plus nous brouiller, nous y gagnerons tous deux; voici « tes trois francs qui , ce matin, te sont bien dus ! » Il disait souvent en parlant de son valet de chambre : « Je dois au pauvre Joseph trois « ou quatre volumes de l'Histoire naturelle.» M. de Buffon se plaisait à raconter cette anecdote de sa jeunesse, pour guérir de leur paresse les personnes qui s'y laissaient trop facilement aller. Il ne savait blâ- mer qu'avec douceur, et ses reproches étaient toujours empreints d'une bienveillance habile à en adoucir la sévérité. » Note 4, p. 25. — Il s'agit ici de la belle-mère de Buffon, Antoinette Nadault, qui avait épousé en secondes noces, le 30 décembre 1732, ET ECLAIRCISSEMENTS. 223 Benjamin-François Leclerc. Buffon qui avait d'abord , on l'a vu plus haut, montré un très-vif mécontentement de ce second mariage, se rapprocha peu à peu de sa belle-mère , et , rendant mieux justice aux qualités de son cœur et au charme de son esprit , il lui témoigna par la suite un très-réel attachement. Antoinette Nadault était de deux années seulement moins âgée que lui; de plus, une certaine confor- mité dans les goûts, que tous deux avaient nobles et élevés, fit bien- tôt disparaître chez Buffon le souvenir de ses premières impressions. L'abbé Le Blanc, depuis longtemps reçu familièrement dans la famille de Buffon, sut plaire à Mme Nadault, dont il se montra l'ami le plus constant et le plus dévoué. Il ne fut pas étranger au rapprochement qui réunit Buffon à son père, non plus qu'au changement qui se fit dans son esprit au sujet de celle qui était ainsi entrée dans sa famille contre son gré. Note 5, p. 26. — Mme de La Touche, dont parle Buffon, avait suivi, comme on le verra plus loin (note 3 de la lettre XVI, p. 224), le duc de Kingston en Angleterre. Mariée fort jeune à un homme qu'elle n'aimait pas, que Buffon n'aimait sans doute pas non plus, puisqu'on le trouve, en 1738, occupé à faire une enquête contre lui, elle aurait bien voulu rompre une union qu'elle détestait. M. de La Touche, après quel- ques mois d'indécision, avait porté plainte au criminel contre sa femme et son ravisseur. Le procès fut longtemps à s'instruire. Quels en furent les résultats? Le mari outragé abandonna-t-il les poursuites commen- cées? Nous l'ignorons; nous n'avons pu découvrir quelle fut l'issue de cette triste affaire ; nous savons seulement que le duc de Kingston se maria fort tard; il épousa en 1769 une femme du comté de De- vonshire, à laquelle un caractère exalté et original a donné une sorte de célébrité. Note 6, p. 26. — M. d'Arty, attaché à la maison du prince de Conti, avait épousé la sœur de Mme de La Touche. Il était entièrement dé- voué à ses intérêts, et cherchait avec Buffon les moyens de soustraire sa belle-sœur aux tristes conséquences de sa fuite. Mme d'Arty elle- même devait se montrer indulgente : elle était la maîtresse du prince de Conti ; mais elle sut se faire pardonner sa faute par la constance de sa tendresse et par son dévouement pour un prince dont elle se mon- tra toujours le meilleur conseiller. Note 7, p. 26. — James de Waldergrave fut créé comte en 1729, en récompense des services par lui rendus dans les diverses ambas- sades où il avait montré autant d'habileté que de prudence et de 224 NOTES savoir. Le comte de Waldergrave, son fils, fut le favori de George III et le gouverneur du prince de Galles. Note 8, p. 26. — On se souvient que Bufîon, voyageant en Italie avec le duc de Kingston et le savant Hickman, son gouverneur, puisa dans les entretiens de ce dernier ses premières notions d'histoire naturelle. L'admiration passionnée du gouverneur pour les beautés de la nature , fit sur Bufîon une impression profonde, et le charme qu'il éprouva à son tour en s'associant à ses recherches de naturaliste, fut la première révélation de son goût très-vif pour les profondes études dont la nature peut être l'objet. Hickman, qui avait formé, sans s'en douter peut-être, un grand naturaliste, continuait ses étu- des. Après la pipe, ce qu'il aimait le mieux, c'étaient les insectes. En 1736, Buffon lui envoie des insectes dans de l'esprit-de-vin; en 1738, il lui envoie des courtilières ; bientôt il lui enverra ses ouvrages avec une lettre dont Hickman sera touché jusqu'aux larmes. XVI Note 1, p. 27. — Mme Denis était femme de Louis Denis, à qui l'on doit sur la géographie plusieurs ouvrages estimés. Note 2, p. 27. — Bénigne-Jérôme Baudot, substitut du procureur général au parlement de Bourgogne, dont le fils, Pierre-Louis Baudot, a laissé sur l'archéologie des travaux estimés. Note 3 , p. 27. — Pour expliquer le séjour de l'abbé Le Blanc à Londres au commencement de l'année 1738, quelques mots sont né- cessaires. Pendant l'hiver de 1736, au mois de février, le duc de King- ston, qui faisait de longs séjours à Paris, y devint le héros d'une aven- ture dont les suites déterminèrent le départ de l'abbé. Dans le monde le plus distingué et le meilleur, parmi les femmes à la mode, se faisait remarquer Mme de La Touche, la fille de Mme Fontaine, favorite de Samuel Bernard, la sœur de la célèbre Mme Dupin, alors liée d'une grande amitié avec Buffon, la sœur aussi de la touchante Mme d'Arty, la maîtresse ou plutôt la constante amie du prince de Conti. Le duc était bien jeune, Mme de La Touche sensible et malheureuse; le jeune lord enleva sa maîtresse. Buffon, qui avait été le confident d'une intrigue dont il n'avait pas prévu le dénoùment, usa de toute l'influence de son amitié, et sur le duc de Kingston et sur Mme de La Touche, pour les détourner tous deux de cette scandaleuse ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 225 et téméraire démarche. Il parla en vain ; les deux jeunes gens quittè- rent la France et se réfugièrent en Angleterre, emmenant avec eux, on aura peine à le croire.... l'abbé Le Blanc, qui avait repris près du duc de Kingston ses fonctions de chapelain un instant interrompues. Note 4, p. 27. — Depuis le voyage que Buffon avait fait en Italie dans les années 1730 et 1731 avec le duc de Kingston, il avait formé le projet d'aller en Angleterre. Ce ne fut cependant qu'à la fin de l'année 1738 qu'il vint rejoindre à Londres ses anciens amis, auprès desquels se trouvait encore l'abbé Le Blanc. Buffon demeura plus d'un an en Angleterre, et ce fut au milieu de l'aristocratie anglaise, où le duc l'avait introduit, qu'il prit cette dignité dans sa démarche, cette richesse dans ses vêtements, cette exactitude irréprochable dans sa tenue, cette noblesse habituelle dans son maintien, qui fit dire à Hume, lorsqu'il le vit pour la première fois , qu'il répondait plutôt à l'idée d'un maréchal de France qu'à celle d'un homme de let- tres. Il semble que c'est sous l'influence de ces souvenirs et de ces im- pressions , que Buffon a écrit dans son Histoire de l'homme : « Nous sommes si fort accoutumés à ne voir les choses que par l'extérieur, que nous ne pouvons plus reconnaître combien cet extérieur influe sur nos jugements, même les plus graves et les plus réfléchis ; nous pre- nons l'idée d'un homme, et nous la prenons par sa physionomie qui ne dit rien ; nous jugeons dès lors qu'il ne pense rien. Il n'y a pas jusqu'aux habits et à la coiffure qui n'influent sur notre jugement; un homme sensé doit regarder ses vêtements comme faisant partie de lui- même, puisqu'ils en font en effet partie aux yeux des autres, et qu'ils entrent pour quelque chose dans Vidée totale de celui qui les porte. » Ailleurs il dit, encore dans \' Histoire de l'homme: « Il (l'homme) se soutient droit et élevé; son attitude est celle du commandement; sa tête regarde le ciel et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité ; l'image de l'âme y est présente par la physionomie; l'excellence de sa nature perce à travers les or- ganes matériels, et anime d'un feu divin les traits de son visage ; son port majestueux, sa démarche ferme et hardie, annoncent sa no- blesse et son rang ; il ne touche à la terre que par ses extrémités les plus éloignées; il ne la voit que de loin, et semble la dédaigner.... » On a dit avec quelque vérité qu'en voulant peindre l'homme, Buffon s'était lui-même pris pour modèle. Quoi qu'il en soit, ce sentiment exquis de la dignité personnelle , ces grandes manières que dans la suite Buffon posséda si bien, furent le fruit de son séjour à Londres. Ces qualités de l'homme du monde, plus peut-être que l'éloignement de l'écrivain pour leurs doctrines, lui attirèrent les railleries des en- i 15 226 NOTES cyclopédistes, qui ne pouvaient comprendre un écrivain gentilhomme. Si Bulïon attachait un grand prix à la dignité des manières, aimant la recherche et l'harmonie du vêtement, le soin de la toilette, il ne poussa jamais ce penchant jusqu'à l'exagération ridicule qu'on lui a parfois prê- tée. L'histoire des manchettes de M. de Buffon n'est qu'une mauvaise plaisanterie qui remonte au prince de Monaco, assez malheureux en épi- grammes, et que l'on sourit de voir reproduite par de sérieux biogra- phes , lesquels affirment , de bonne foi , que Buffon ne pouvait écrire que les mains perdues dans des flots de dentelle. Sa garde-robe n'était pas montée avec luxe ; il n'avait d'ordinaire qu'un seul habit de céré- monie coupé à la mode du temps, le plus habituellement de velours rouge, doublé de fourrure et orné de brandebourgs. Il le mit le jour où Drouais fit son portrait; àMontbard, il s'en revotait pour aller entendre la messe à l'église paroissiale; à Paris, aux grands jours, lorsqu'il recevait quelque visite d'importance, ou lorsqu'il allait solli- citer les ministres dans l'intérêt du Jardin du Roi. Les autres jours, il était vêtu suivant son rang, mais simplement et sans faste. Note 5, p. 27. — Robert Smith, né en 1689, mort en 1768, phy- sicien et géomètre , fut professeur à l'université de Cambridge. 11 s'ef- força, de concert avec le célèbre Cotes, son cousin, de répandre et de populariser la philosophie de Newton. Note 6, p. 28. — La Métromanie fut représentée pour la première fois sur le Théâtre-Français, le 7 janvier 1738. Elle eut vingt-trois représentations fort applaudies. Les comédiens cependant avaient longtemps hésité à répéter la pièce de Piron, et, à en croire ce der- nier , il fallut même que M. de Maurepas, à qui elle était dédiée, la fît jouer d'autorité. Voltaire, dont la pièce de Piron rappelle une des plus piquantes mésaventures littéraires, écrivait, peu de temps après ce grand succès (le 25 janvier 1738), à Thiriot : « Je suis bien aise que Piron gagne quelque chose à me tourner en ridicule. L'aven- ture de la Malcrais-Maillard est assez plaisante. Elle prouve au moins que nous sommes très-galants ; car , lorsque Maillard nous écrivait , nous ne lisions pas ses vers; quand Mlle de Lavigne nous écrivit , nous lui fîmes des déclarations. » Note 7, p. 28. — Pierre-Claude Nivelle de La Chaussée, né en 1692, mort le 14 mai 1754, fut membre de l'Académie française ; Maximien, sujet précédemment traité par Corneille, eut vingt-deux représentations. Cette tragédie n'est pas restée au théâtre, malgré la bienveillance avec laquelle elle y fut accueillie. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 227 XVIII Note 1, p. 30. —Depuis plusieurs années déjà Buffon faisait partie de l'Académie des sciences, où l'avaient appelé plutôt les relations et les connaissances utiles qu'il s'était faites dans le monde savant, que des services réellement rendus. Il avait été élu membre de cette com- pagnie le 3 juin 1733, à la place de M. de Jussieu. Il n'était alors âgé que de vingt-six ans; il n'avait rien produit encore, mais on citait ses vues sur des questions de physique et de mathématiques, et on connais- sait de lui quelques expériences qui dénotaient un véritable esprit d'invention. Dès cette époque, on voit Buffon assidu aux soirées de Mme Geoffrin, à celles du baron d'Holbach; il est des soupers de La Popelinière, de l'intimité de la belle Mme Dupin, et point mal non plus avec Mme d'Épinay. Il est au courant des nouveautés théâtrales et littéraires, et en entretient ses amis. Exerçant son esprit sur des sujets variés, il ne reste étranger à aucune des questions scientifiques qui s'agitent autour de lui , et son entrée à l'Académie lui permet bientôt de consigner dans des mémoires les premiers résultats de ses nombreuses expériences. Des comptes rendus sur des recherches tou- chant la force du bois, la chaleur, les fers, etc. , tels furent les premiers essais de sa plume. En 1744, Buffon devint trésorier perpétuel de l'Académie. J'ai sous les yeux la lettre par laquelle le comte de Maure- pas, qui dès cette époque s'était déclaré son protecteur, lui annonce sa nomination ; elle est ainsi conçue : « Marly, 24 janvier 1744. « Je vous informe avec plaisir, monsieur, que, sur le compte que j'ai rendu au Roi de la réunion des suffrages de l'Académie en votre faveur, Sa Majesté vient de confirmer son choix et de vous nommer a la place de trésorier. Vous connaissez les sentiments avec lesquels je suis, monsieur, très-sincèrement à vous. ^ Maurepas. » Cette place fut pour Buffon purement honorifique, car ses longs sé- jours à Montbard empêchaient qu'il pût en remplir les devoirs. 11 se fit adjoindre l'académicien Tillet, qui se chargea sous son contrôle d en exercer les assujettissantes fonctions. Note 2, p. 30. - Jacques Bailly, garde des tableaux du Roi, né en 1701, mort le 18 novembre 1768, père de l'infortuné Jean-Syl- 228 NOTES vain Bailly, avec lequel Buffon fut lié, dans la suite, d'une cordiale amitié. Note 3, p. 30. — La rente payée par Buffon au président Bouhier était établie sur la terre de Buffon. Le président en jouissait à titre d'héritier du président Jacob, mort à Dijon le 8 octobre 170k; ce fut de la succession de ce dernier que Benjamin Leclerc acheta, vers 1720, la terre de Buffon, qu'il vendit ensuite et que son fils racheta en 1733 avec les charges dont elle était grevée. De bonne heure Buffon en prit le nom ; en 1 733, cependant, on voit encore le président Bouhier figurer sur les états du Parlement avec le titre de seigneur de Buffon. A la page 21 de l'histoire du parlement de Bourgogne par Petitot (1 vol. in-f°, 1733), on lit, à l'article qui le concerne : « Jean Bouhier, che- valier, seigneur de Pouilly-lez-Dijon et Buffon , conseiller du Roi en ses conseils, président à mortier. » Note k, p. 30. — Le procureur général près le parlement de Dijon était alors Louis Quarré de Quintin, qui exerça cet office de 1724 à 1750. Il avait eu pour prédécesseur François Quarré de Quintin son père, et eut pour successeur Jean Claude Perreney de Grosbois. Note 5 , p. 30. — Il s'agit ici du savant ouvrage du P. Anselme. La meilleure édition, revue par le P. Ange et le P. Simplicien, augus- tins déchaussés, parut en 1727 sous ce titre : « Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des Pairs, grands officiers de la Couronne et de la maison du Roy, et des anciens barons du royaume; avec les qualitez, l'origine, le progrès et les armes de leurs familles; ensemble les statuts et le catalogue des chevaliers, comman- deurs et officiers de Vordre du Saint-Esprit. Le tout dressé sur titres originaux, sur les registres des chartes du Roy, du Parlement , de la Chambre des comptes, et du Châtelet de Paris, cariulaires, manuscrits de la bibliothèque du Roy et d'autres cabinets curieux. Par le P. An- selme, augustin déchaussé; continuée par M. du Fourny. j> Note 6, p. 31. — Louis Bourguet , né le 23 avril 1678, mort le 31 décembre 1742, appartenait à la religion protestante. Lors de la révo- cation de l'édit de Nantes, il quitta la France et vint habiter la Suisse- Parmi ses nombreux ouvrages, on peut citer ceux qui ont rapport à la métallurgie et à l'histoire naturelle; il a écrit aussi un livre ayant pour titre : Lettres philosophiques sur la formation des sels et des cristaux, et sur la génération organique des plantes et des animaux, à l'occasion de la pierre belemnite et de la pierre lenticulaire, avec un mémoire sur ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 229 la théorie de la terre (Amsterdam, 1729 et 1762, in-12). Cette publica- tion , annoncée comme la préface d'un ouvrage plus complet qui n'a pas vu le jour, traite de la génération des êtres. Buffon, qui s'occupait depuis plusieurs années déjà de ses expériences sur la génération , avait eu entre les mains l'ouvrage de Bourguet, dont le système, du reste , s'écarte complètement de celui qu'il chercha à faire prévaloir. Note 7, p. 31. — Le Cabinet du philosophe, dont il existe un exem- plaire à la Bibliothèque impériale, ne contient que onze feuilles, ce qui justifie le jugement de Buffon : On n'a pas goûté cet ouvrage. Note 8, p. 31. — Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux, né en 1688, mort le 12 février 1763, a laissé parmi ses meilleurs écrits le roman inachevé de Marianne. La Vie de Marianne parut successivement par parties détachées. Souvent reprise, souvent interrompue, elle ne fut pas terminée, non plus que le Paysan parvenu , autre roman de Marivaux que l'on regrette de voir inachevé. Dans la Vie de Marianne, que Buffon juge avec sévérité, se retrouve bien à chaque page le style de Marivaux, manquant de naturel et de grâce; mais on y rencontre aussi des caractères bien tracés et des situations intéressantes. La recherche du style est rachetée par des pensées justes et délicates, et parfois par des aperçus d'une véritable philosophie. Note 9, p. 31. — Adélaïde du Guesclin fut représentée pour la première fois, sur le Théâtre-Français, le 18 janvier 1734. La pièce n'eut pas de succès. Voltaire la remit au théâtre en 1739, après lui avoir fait subir des changements importants ; elle ne réussit pas davantage. Ces échecs successifs ne découragèrent pas l'auteur, et la pièce reparut en 1752, sous le nom du Duc deFoix. Note 10, p. 31. — Méthode des fluxions de Newton, précédée d'un discours préliminaire sur la géométrie de V infini et l'histoire de la dé- couverte des infiniment petits (Paris, de Bure l'aîné, 1740, in-4). Trois années auparavant, Buffon avait déjà donné au public un ouvrage ayant pour titre : Statistique des végétaux. — L'Analyse de l'air. — Expériences nouvelles lues à la société royale de Londres par M. Haies, membre de cette société (Paris, de Bure l'aîné, 1735, in-4). On peut consulter sur ce premier ouvrage de Buffon le Journal des savants du mois d'août 1735, p. 1363 (édit. in-12), et du mois de novembre de la même année, p. 1881 ; ainsi que le Mercure d'avril 1735, p. 729. 230 NOTES XIX Note 1, p. 31. — Jean Hellot, né le 20 novembre 1685, mort le 15 février 1766, fut membre de l'Académie des sciences et enrichit la chimie d'utiles et nombreux travaux. Note 2, p. 31. — Buffon, que des différends scientifiques avaient quelquefois éloigné de Dufay, reconnaissant envers ce dernier de la noblesse avec laquelle , à son lit de mort, il en avait agi à son égard , témoigna toute sa vie un respect profond pour la mémoire d'un homme qui lui avait ouvert la voie de la science. En rendant compte de ses expériences sur les miroirs ardents, BufTon rapporte en partie l'honneur de la découverte qu'il vient de faire à Dufay, avouant que ses travaux en ce genre ont beaucoup aidé à l'heureux résultat au- quel il est lui-même parvenu. Chaque fois qu'il a occasion de citer son nom dans le cours de l'Histoire naturelle, il le fait avec vénération et respect. Note 3, p. 32. — Jean-Frédéric Phélippeaux, comte de Maurepas, né en 1701, mort le 21 novembre 1781, fut ministre à vingt-quatre ans. Il passa vingt années en exil et mourut au pouvoir. Louis XYI l'ayant en 1774 appelé au ministère, le Jardin du Roi rentra dans son département. n Note k, p. 32. — Anne-Claude-Philippe de Levi, comte de Caylus, né le 31 octobre 1692, mort le 3 septembre 1765, fut membre de l'Académie de peinture et de l'Académie des inscriptions. Ce fut un excellent artiste et un bon écrivain ; il consacra généreusement sa fortune à encourager les beaux-arts et à secourir les artistes mal- heureux. Note 5, p. 32. — L'entrée de Buffon au Jardin du Roi fut un des grands événements de sa vie. Son génie , qui jusqu'alors flottait in- certain, a trouvé sa vraie voie; l'histoire naturelle va être créée, et le Jardin, se ressentant de la puissance et de la gloire de son nouvel intendant, prépare et annonce le Muséum. Avons-nous tort de penser que la nomination de Buffon à l'intendance du Jardin, en ouvrant à son esprit une carrière toute nouvelle , a décidé de sa vo- cation? • ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 231 L'histoire de cette nomination est assez curieuse pour être rap- portée ; la voici : Le Jardin royal des plantes médicinales était, on le sait, dans l'ori- gine, une création des médecins de la cour. Des gages y furent atta- chés; mais entre les mains de ces favoris du prince, le Jardin était devenu une ferme à revenus et ne répondait à aucune des vues utiles qui avaient motivé sa création. On voulut remédier à de semblables abus, et la direction du Jardin fut confiée à un homme de cœur, à un marin, jeune, mais plein d'ardeur pour la science, et ayant déjà donné des preuves d'un esprit mûri et d'une intelligence élevée. Dufay fut placé à la tête du Jardin du Roi avec le titre d'intendant; une mort subite et inattendue vint arrêter l'œuvre réparatrice entreprise par Dufay. Sa survivance était depuis longtemps promise à du Hamel du Montceau. Pendant la maladie de Dufay, du Hamel était hors de France : il faisait en Angleterre des expériences sur les bois de con- struction ; les deux de Jussieu , fort de ses amis , s'assurèrent cepen- dant près de Dufay qu'il n'avait pas oublié ses engagements envers son confrère absent. En une heure tout changea. Hellot, de l'Aca- démie des sciences, sachant que Buffon désirait cette charge, entre- prit une démarche hardie ; il alla trouver Dufay mourant. Dufay et Buffon avaient eu ensemble quelques démêlés scientifiques , et il y avait déjà un successeur désigné. Hellot ne se décourage pas cepen- dant; il apporte, toute rédigée, une lettre par laquelle Dufay, revenant sur sa première décision, nomme Buffon pour son successeur : o Lui seul, lui dit Hellot, est capable de continuer votre œuvre; éteignez donc tout sentiment de rivalité, et demandez cet ancien ami pour votre successeur. » Dufay signa la lettre, et lorsque M. de Denainvillers, frère de du Hamel du Montceau, alla demander au ministre la nomination de son frère, M. de Maurepas lui répondit qu'on avait en effet pris des engagements avec eux, mais que son frère aurait une place qui lui conviendrait autant et où il conviendrait mieux. Dufay mourut. Buffon fut intendant du Jardin du Roi, et, à son retour d'Angleterre, du Hamel du Montceau obtint la nomination d'inspecteur général de la marine. Note 6, p. 32. — Claude-Adrien Helvétius , né en janvier 1715, mort le 26 décembre 1771 , fut lié de bonne heure avec Buffon, dont il aimait le caractère et appréciait l'esprit. 11 ne manquait jamais , dans ses inspections de fermier général, de venir passer chaque au- tomne quelques jours à Montbard. Son livre deY Esprit parut en 1758. L'auteur avait espéré que son ouvrage lui ouvrirait les portes de l'Académie ; au lieu des honneurs littéraires qu'il avait ambitionnés, 232 NOTES il rencontra, on le sait, la plus ardente persécution. Buffon, à qui il avait envoyé son livre, et qui avait entrevu, en le lisant, l'orage dont il allait devenir la cause, dit à son ami le jour où il lui demanda son suffrage : « Vous auriez mieux fait de faire un livre de moins et un bail de plus dans les fermes du Roi. » Helvétius était sceptique en amour, et lorsque Buffon dit de l'amour que le physique seul en est bon, on pourrait penser qu'il s'est inspiré de certains chapitres du livre de Y Esprit. Grimm a dit d'Helvétius : « Si le terme de galant homme n'existait pas dans la langue française, il aurait fallu l'in- venter pour lui. Il en était le prototype. Juste, indulgent, sans hu- meur, sans fiel, d'une grande égalité dans le commerce, il avait toutes les vertus de société. » Note 7, p. 33. — Dans un autre fac-similé de la même lettre que nous avons sous les yeux, où plusieurs passages sont supprimés, on trouve le dernier paragraphe de la lettre de Buffon tel que nous l'avons publié, et que ne donne pas Y Isographie. XX Note 1, p. 33. — Edme Doublot,- avocat au Parlement, fut succes- sivement maire et prévôt royal de la ville de Montbard, et élu aux états généraux de la province pour la triennalité de 1747. Il mourut le 14 février 1766. Note 2, p. 33. — En 1736, la province de Bourgogne avait établi à Montbard une pépinière. Agrandie en 1741, elle fut supprimée en 1777. Buffon, que ses recherches sur les bois, et différents mémoires trai- tant de questions d'agriculture et de sylviculture, avaient mis à même d'avoir sur cette matière des connaissances spéciales, fut chargé de la direction de cette pépinière. Pour ses peines, il touchait des États une certaine somme. J'ai sous les yeux différentes lettres écrites pendant l'année 1747 par le R. P. dom Andoche Pernot, abbé de Cîteaux, au marquis deBissy (Anne-Claude de Thiard), élu général delà noblesse de Bourgogne , dans lesquelles il est question d'une augmentation des indemnités accordées par les élus à Buffon. Ces lettres sont tirées de la collection de M. A. Jeandet , à qui j'en dois l'obligeante communi- cation. Elles témoignent de l'influence qu'exerçait dans ce temps sur le vote des Élus d'une province le désir manifesté par un ministre du Roi : lre lettre. « Vous avez entendu, monsieur, les raisons de chacun de MM. de la Chambre , sur lesquelles on appuie le refus qu'on fit à ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 233 M. de Buffon, lorsqu'on y proposa l'augmentation qu'il demandait pour la pépinière de Montbard, dont il a soin ; vous savez qu'on al- légua que ses honoraires allaient au double de ceux qu'on donnait à tous ceux qui étaient pareillement chargés des autres pépinières, et que, dans les conjonctures où la province faisait des dépenses extra- ordinaires pour les troupes, on croyait qu'il convenait de remettre à un autre temps la gratification que pouvait mériter particulièrement M. de Buffon. On ignorait sûrement les intentions de M. le comte de Saint-Florentin ; vous pensez bien qu'au premier signe de ce mi- nistre à la Chambre, toutes les raisons de refus tomberont, et qu'elle ne balancera point à souscrire à ses désirs ; j'en réponds par avance.... » (Dijon, 8 février 1747.) 2e lettre. « J'ai vu, monsieur, la lettre que vous a écrite M. le comte de Saint-Florentin au sujet de M. Leclerc; je n'ai rien aujourd'hui à vous ajouter à ce que j'ai eu l'honneur de vous marquer, par ma der- nière, de mes dispositions à donnera ce ministre, dans toutes les oc- casions, des preuves de ma parfaite déférence. Je présume qu'elles sont les mêmes dans tous les membres de notre Chambre , et qu'ils auront toujours une vraie satisfaction à les montrer à fenvi les uns des autres.... » (Dijon, 21 février.) 3e lettre. « A l'égard de l'augmentation de l'honoraire de M. de Buf- fon, tous MM. de la Chambre prétendent qu'il avait protesté, dans le temps qu'on le lui fixa sur un pied au-dessus de celui qu'on donne à tous ceux qui ont pareillement la charge des pépinières, qu'il ne demanderait jamais ni augmentation ni gratification, et qu'on ne pou- vait lui en accorder aucune, à cause des conséquences, sans un ordre positif du ministre.... » [2k mars.) kc lettre. « Nous avons repris en considération, monsieur, la lettre que vous a écrite M. le comte de Saint-Florentin au sujet de M. de Buf- fon ; il a été enfin arrêté qu'on lui augmenterait ses appointements de 300 livres pour sa vie, en reconnaissance des attentions particulières qu'il a sur la pépinière de Montbard. Je me presse de vous donner cet avis, pour vous mettre en état de le faire passer plus promptement à M. le comte de Saint-Florentin, qui a paru prendre quelque part à cette affaire....» (28 mars.) Dans le temps même où la province avait une pépinière à Montbard, en 1760, Pierre Daubenton, frère du collaborateur de Buffon, avait fondé dans cette ville une pépinière d'arbres étrangers. Georges-Louis Dau- benton, son fils, avocat au Parlement et subdélégué de la prévôté de la ville de Paris, continua l'œuvre de son père en lui donnant une 234 NOTES grande extension. Tous les arbres dont eut besoin Buffon, lors de la plantation de ses jardins, furent tirés de cette pépinière. Note 3, p. 34. — On aime à voir Buffon s'associer activement à toutes les entreprises utiles aux intérêts de sa province. Tant que les états de Bourgogne entretinrent une pépinière à Monlbard et que Buffon fut chargé de la surveiller, il s'y consacra avec zèle et exacti- tude. Il multiplia les espèces existantes, propagea les espèces nouvel- les et fournit des instructions détaillées pour les soins à donner à la culture des espèces dont il répandit l'usage. Ce fut lui qui le pre- mier, en Bourgogne, suggéra aux particuliers la pensée de planter d'une façon régulière les routes et les grands chemins qui tra- versaient leurs terres et leurs seigneuries. Des occupations plus graves et des études plus suivies ne tardèrent pas à l'arracher à ces utiles travaux ; mais le temps durant lequel il s'en occupa ne fut pas inutile aux intérêts de la province qui l'avait choisi pour les diriger. XXI Note 1, p. 34. — Claude Lantin, né en 1680, mort le 21 septembre 1756, entra au parlement de Bourgogne le 4 mai 1692. Il mourut doyen de sa compagnie, et laissa des ouvrages estimés. Note 2, p. 34. — Il s'agit ici de la médaille que l'Académie de Di- jon décernait en récompense des ouvrages qui avaient remporté le prix. D'un côté étaient gravées les armes du fondateur, avec ces mots : Hect. Bern. Pouffier. Sen. Divion. primic; de l'autre on voyait Mi- nerve appuyée sur un bouclier aux armes de Dijon, et distribuant trois couronnes , avec cette devise : Certat tergeminis tollere honori- bus; au-dessous étaient les mots Academia Divionensis mdccxi. {Histoire de l'Académie, p. xxvj.) Note 3, p. 35. — Claude Gros de Boze, né le 20 janvier 1680, mort le 16 septembre 1753, fut en même temps membre de l'Aca- démie française et secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Note 4, p. 35. — Edme Bouchardon, né en novembre 1698, mou- rut le 27 juillet 1762, en laissant inachevé le monument élevé à Louis XV, dont la ville de Paris lui avait confié l'exécution. Il dési- ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 235 gna PigaKe pour continuer son œuvre. Le jour où la statue équestre du Roi, placée sur un socle soutenu par quatre Vertus ou Renommées, fut inaugurée sur la place Louis XV, on trouva au pied du monument l'inscription suivante : Grotesque monument, infâme piédestal! Les vertus sont à pied , le vice est à cheval. XXII Note 1, p. 36. — Le docteur Arthur, membre correspondant de l'Académie des sciences, connu par son goût pour les sciences natu- relles et par son zèle pour leur avancement, fut un des premiers cor- respondants du Jardin du Roi. Depuis trois ans seulement Buffon avait remplacé Dufay dans l'in- tendance du Jardin, et déjà il avait groupé autour de lui un certain nombre de savants étrangers et de voyageurs qui envoyaient, des di- vers points du globe, de curieux échantillons pour le Cabinet. Acheter était difficile, car le budget du Jardin du Roi n'était pas alors ce qu'il est aujourd'hui, et parfois même, durant la guerre, l'argent néces- saire au traitement des professeurs venait à manquer; il fallut trouver un moyen d'enrichir les collections sans augmenter les dépenses; ce moyen , Buffon sut le découvrir. Peu de temps après son entrée au Jardin , il avait obtenu du comte de Maurepas , dont l'appui lui fut toujours assuré, la création d'un brevet de Correspondant du Jardin du Roi et du Cabinet d'histoire naturelle. Citer le nom des natura- listes et des voyageurs qui furent tour à tour revêtus de ce titre au- quel ils entendaient faire honneur, c'est dire de quelle utilité il fut pour le développement du Cabinet. A leur tête on doit nommer Poi- vre, le créateur des collections du jardin de Mont-Plaisir à l'Ile-de- France, Commerson et Dombey, les deux intrépides voyageurs. Buffon, qui ne pouvait que bien rarement reconnaître par des gratifications ou par des pensions les services rendus au Cabinet du Roi, était habile à découvrir d'ingénieux moyens d'entretenir le zèle de ses correspondants. Aux uns il promettait son patronage et l'appui de ses amis près du ministre, leur laissant entrevoir que la meilleure manière de faire leur cour était d'enrichir le Cabinet placé sous sa direction; aux autres il parlait de gloire et de récompenses scientifiques. Lorsque l'Histoire naturelle parut, Buffon trouva un nouveau moyen d'encourager le zèle de ceux dont les découvertes enrichissaient chaque jour l'établissement confié à ses soins. Il dési- 236 NOTES gna, dans son immortel ouvrage, à la reconnaissance du public, les hommes qui avaient répondu à son appel. Ce moyen fut le plus puis- sant. Le désir de figurer dans le livre de l'Histoire naturelle fit arri- ver au Jardin du Roi bien des richesses ; les souverains s'en mêlè- rent, et la gloire, la grande renommée deBuffon aidant, les collections du Cabinet se complétèrent petit à petit et formèrent bientôt le bel ensemble qu'on admire aujourd'hui. Note 2, p. 36. — Bernard de Jussieu, né en 1699, mort le 6 no- vembre 1777, fut le plus célèbre des différents membres de cette fa- mille où la gloire scientifique semble héréditaire. Il enseigna la bota- nique au Jardin du Roi comme l'avait fait avant lui Antoine de Jussieu, comme devaient le faire après lui Antoine-Laurent et Adrien de Jus- sieu, si prématurément enlevé aux sciences naturelles dans l'étude des- quelles il marchait avec honneur sur les pas de ses illustres devanciers. Note 3, p. 36. — Les appointements que M. Arthur touchait en sa qualité de médecin du Roi à Cayenne. Note 4, p. 36. — Arnaud de La Porte, gouverneur des colonies, se distingua dans l'exercice de cette charge, dont plusieurs de ses ancêtres avaient déjà été revêtus. Son fils fut intendant général de la marine et ministre de la maison du Roi. XXIII Note 1, p. 37. — Alexis Piron, né à Dijon le 9 juillet 1689, mort à Paris le 21 janvier 1773. Buffon, qui le connaissait et l'aimait, cher- cha en vain à le faire entrer à l'Académie ; il ne put y parvenir, même en retirant sa candidature pour assurer le succès de celle du poëte. Il disait un jour, en parlant de lui : « Je voyais souvent Piron, et j'étais témoin de ses anxiétés la veille des premières représentations de ses pièces; mais qu'est-ce qu'un jour d'attente? les premières représenta- tions des miennes duraient des années 1 » Note 2, p. 37. — Jeanne-Catherine Gaussin débuta au Théâtre- Français en 1731, et quitta la scène en 1763, le même jour que Mlle d'Angeville. On connaît d'elle un mot qui fait plus d'honneur à son esprit qu'à son cœur. Un jour qu'on citait devant elle la liste, assez chargée, de ses amants, elle répondit : « Que voulez-vous? cela leur fait tant de plaisir, et il m'en coûte si peu ! » ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 237 Note 3, p. 37. — André-Hercule de Fleury, cardinal et premier ministre, mourut le 29 janvier 1743; il était né le 22 juillet 1653. Il voulut en vain détourner la France de prendre part à la guerre de la succession d'Autriche ; il fut joué par la politique d'une femme, digne de se mesurer avec lui, et Marie-Thérèse entraîna le cabinet de Ver- sailles dans son parti. Le cardinal de Fleury mourut assez à temps cependant pour ne point voir les désastres de la campagne de Ha- novre. Note 4, p. 37. — Le traité d'Aix-la-Chapelle, signé en 1748, mit fin à la guerre d'une façon peu glorieuse pour la France. Le cardinal, qui avait été entraîné à faire la guerre malgré lui, avait cherché à conclure la paix avant même que les hostilités eussent commencé; et jusqu'à sa mort sa politique consista à négocier des trêves pour gagner du temps , et à proposer des accommodements de nature à préparer la paix. XXIV Note 1, p. 38. — Il est aujourd'hui reconnu que le lac Parime n'a jamais existé. Les inondations temporaires des savanes de la Guyane ont donné lieu à une erreur géographique à laquelle BufFon semble croire. Don Solano, gouverneur de Caracas, a signalé le pre- mier le lac Parime, reconnu après lui par don Antonio Santos. Mais un voyageur moderne, M. Schomburgh, a constaté que ce pré- tendu lac n'était que le produit des déborbements du lac Amven dans la saison des pluies. Dans le mois de décembre et de janvier, époque à laquelle M. Schomburgh le visita, le lac Parime avait à peine une lieue de long et était entièrement couvert de joncs. Note 2, p. 39. — Buffon, souvent accusé de se laisser trop facile- ment emporter par son imagination, aimait cependant à prendre sur toutes choses des indications exactes ; il consultait beaucoup et ne se formait une opinion qu'après s'être entouré de renseignements précis et nombreux sur les points qu'il voulait éclaircir. Cette lettre à M. Arthur, du 10 février 1747, nous montre quelles sont à cette époque les préoccupations de son esprit et sur quel point portent ses études. Les trois premiers volumes de l'Histoire naturelle sont ache- vés, ils paraîtront dans deux ans, et Buffon revoit encore et retouche les pages de son livre qui traitent de la Théorie de la terre. Y a-t-il des coquilles sur les montagnes ? Est-ce là un fait acciden- 233 NOTES tel ou généralement observé ? On sait à quel point cette question préoccupa Buflbn et quelles conséquences il tira, pour son système de la Théorie de la terre, de cette importante découverte à laquelle Vol- taire ne voulut jamais croire. Le système que se forma Buflbn sur ce point ne fut pas , on le sait , invariable, et, dans les Époques de lu nature, il revient sur les premières hypothèses qu'il avait dévelop- pées et soutenues dans la Théorie de la terre. Note 3, p. 39. — Charles-Marie de La Gondamine, né le 28 janvier 1701, mort le k février 1774, fut chargé par l'Académie des sciences, avec Bouguer et Godin, de déterminer la grandeur et la figure de la terre. Leur voyage dura dix ans. De retour en France, les savants qui avaient entrepris cette courageuse expédition se brouillèrent, et La Condamine publia seul le compte rendu du voyage. Ce fut, on le sait, l'homme le plus distrait, le plus original et le plus curieux de son temps. XXV Note 1, p. 39. — On ignore de quelle injustice l'abbé Le Blanc avait eu à se plaindre, à moins qu'il ne fût déjà question des épreuves sans cesse renouvelées que lui suscita sa candidature perpétuelle , mais toujours malheureuse, au fauteuil académique. Note 2, p, 39. — Louis-Jean-Marie Daubenton, né à Montbard le 20 mai 1716, mort le 31 décembre 1799, appartenait à une ancienne famille originaire d'Aubenton en Picardie, et qui compte au quator- zième siècle, parmi ses membres, des chambellans à la cour des ducs de Bourgogne. Des rapports de voisinage plutôt que la conformité des goûts et le penchant des caractères, une sorte de parenté entre les deux familles, rapprochèrent Buffon et Daubenton, qui venait de ter- miner son cours de médecine à Paris. Avec un esprit simple et un ca- ractère naturel, Daubenton était d'une extrême susceptibilité. Sa nature ombrageuse et défiante l'éloigna de Buffon, qui n'avait rien fait pour provoquer de sa part une rupture. En 1767, Daubenton, sur les motifs les moins sérieux, avait cessé sa collaboration à l'Histoire naturelle. Dans la suite, la correspondance de Gueneau de Montbeillard ne permet pas d'en douter, il voulut se rapprocher de Buffon et prendre part à ses travaux; mais de nouveaux arrangements avaient été arrê- tés pour la continuation de l'Histoire naturelle. Buffon, d'ailleurs, avait été profondément froissé du procédé injuste de Daubenton, et le rap- prochement projeté n'eut pas lieu. ET ECLAIRCISSEMENTS. 239 Quelle que fût la cause qui les sépara, il est difficile de penser que deux hommes de caractères si opposés aient pu longtemps travailler à une œuvre commune. Leurs natures différaient du tout au tout. Daubenton est l'homme des détails ; il arrive péniblement et à l'aide de l'observation; sa conviction, lente à se former, suit la démonstra- tion et l'expérience; elle ne les précède jamais. Buffon, l'homme à l'imagination ardente, aux hypothèses hardies, se fatigue des détails et se lasse des expériences. Son génie toujours entreprenant, parfois audacieux, n'attend pas toujours les démonstrations de la science; il va en avant sans s'aider de leur puissant secours, puis s'arrête et re- vient sur ses pas pour les consulter. Deux hommes de cette sorte ne pouvaient longtemps se convenir. Au reste, on doit cette justice à tous deux, que, bien différents en cela de certains savants qui ont mis le public dans la confidence de leurs querelles, ils en cachèrent la cause; et, si leurs rapports cessèrent d'être intimes, du moins ils ne cessèrent jamais d'être bienveillants. Une seule fois Daubenton, em- porté par l'amertume de ses souvenirs, dominé aussi, on doit le dire, par l'esprit du temps, oublia sa réserve passée. En 1795, dans un discours sur les véritables qualités que doit avoir le style du natura- liste, prononcé à l'École normale, il attaqua Buffon. Lisant dans l'his- toire du lion cette phrase : « Le lion est le roi des animaux, » il s'ar- rêta et dit : ce Le lion n'est pas le roi des animaux. Il n'y a point de roi dans la nature. » L'auditoire alla plus loin que le maître, et la salle entière se leva au milieu d'applaudissements frénétiques. Daubenton donna tous ses soins à l'amélioration des laines. Il fonda une bergerie à Montbard, et introduisit les mérinos en France. Durant la Terreur, il demanda une carte de sûreté à sa section, et elle lui fut délivrée sous le nom du berger Daubenton. Il fut président du sé- nat, lors delà création de ce corps; cette distinction lui devint funeste. Frappé d'apoplexie à une des premières séances auxquelles il assista, il fut rapporté chez lui, et mourut quelques jours après, sans avoir repris connaissance. Les professeurs du Muséum voulurent conserver parmi eux le corps de leur doyen. Chacun connaît la modeste colonne enfouie sous les arbres toujours verts de la grande butte qui désigne au promeneur la tombe du savant. Ses obsèques se firent au Muséum avec une solen- nité empreinte des exagérations théâtrales de l'époque. Le procès- verbal en est conservé sur les registres du Muséum. Il se termine ainsi : « Les professeurs se proposent d'ériger sur la tombe de Dau- benton un monument simple qui marque le lieu où ses cendres repo- sent, et de l'entourer d'une corbeille perpétuellement garnie d'arbustes et de fleurs. Ils ont aussi exprimé le vœu et conçu le projet de recueil- 240 NOTES lir et d'orner d'un monument pareil, élevé dans le même lieu, le corps de Buffon, le contemporain, l'ami de Daubenton, et, comme lui, créa- teur des premiers agrandissements et de la première amélioration du Muséum d'histoire naturelle. » Note 3, p. 40. — Daniel-Charles Trudaine, né le 3 janvier 1703, mort le 29 janvier 1769, fut conseiller d'État, intendant générai des finances et membre de l'Académie des sciences. Trudaine de Montigny, son fils, né le 8 août 1747, mourut en 1782 et fut membre honoraire de l'Académie des sciences, intendant des finances, grand voyer de la généralité de Paris et commissaire du conseil au département des ponts et chaussées. XXTI Note 1 , p. 40. — Un grand chagrin mina la vie de l'abbé Le Blanc. Malgré Buffon, qui le porta en tête de sa liste chaque fois qu'une place devint vacante à l'Académie, malgré des amis puissants etzélés qui patronnèrent et appuyèrent sa candidature, l'abbé LeBIanc ne fut pas de l'Académie. Il en mourait d'envie; le fauteuil académique fut l'ambition de toutes ses heures, une ambition toujours trompée, mais toujours soutenue, un rêve qui n'eut point de réveil. En 1749, il pa- raît avoir quelque chance de succès ; l'année précédente, la marquise de Pompadour a promis à Buffon de s'intéresser à lui : il échoue ce- pendant. Dans les lettres qui vont suivre, on entendra souvent Buffon parler de la candidature de l'abbé LeBIanc, et on le verra, avec une constance que rien ne lasse, persister à se faire le champion de son ami , et appuyer de son crédit sa perpétuelle candidature. On trouve dans les mémoires du marquis d'Argenson la mention suivante : « 20 septembre 1749. — L'évêque de Rennes est nommé de l'Acadé- mie, par le crédit du duc de Richelieu; c'est pour faire pièce à la Marquise, qui protégeait l'abbé Le Blanc. » Ailleurs, le marquis d'Ar- genson prétend que la vraie cause pour laquelle l'abbé Le Blanc frappa sans succès aux portes de l'Académie, fut sa naissance obscure. L'abbé était le fils d'un geôlier. Note 2, p. 41. — Nicolas-Joseph Trublet, archidiacre de Saint-Malo, né en 1697, mort au mois de mars 1770, était depuis 1736 le candidat- né de toutes les places vacantes à l'Académie. A chaque vacance il faisait les visites avec un empressement et une bonne volonté qui ne se démentirent jamais. Sa ténacité et sa persistance le servirent; en ET ECLAIRCISSEMENTS. 241 1761, un peu par surprise, un peu par obsession aussi, il fut élu membre de l'Académie française. En 1721, lors de la mort du pape Clément XI, il avait suivi à Rome l'abbé de Tencin, nommé conclaviste du cardinal de Bissy. De cette époque date son attachement pour cette maison et ses relations avec Mme de Tencin, qui ne contribuèrent pas peu à mettre en lumière ses productions, et, bien plus que ses écrits, lui ouvrirent les portes de l'Académie. Quoique ami de la maison, et admis des premiers au nombre des beaux esprits qui y tenaient bureau, il n'en a pas moins porté un jugement sévère sur sa protectrice. Un jour, comme on vantait devant lui le commerce de Mme de Tencin, et spécialement la douceur de son caractère : « Oui, répondit l'abbé; si elle avait intérêt à vous empoisonner, elle choisirait, je n'en doute pas, le poison le plus doux. » Note 3, p. 41. — Les Tencin. Le cardinal archevêque de Lyon, Pierre Guérin de Tencin, né le 22 août 1680, mort le 2 mars 1758; et surtout Claudine-Alexandrine de Tencin sa sœur, née en 1671, morte le 4 décembre 1749. Note 4, p. 41. — Marie-Pierre de Voyer, comte d'Argenson, fils du garde des sceaux de ce nom, naquit le 16 août 1696 et mourut le 22 août 1764. Il fut placé en 1737, par le chancelier d'Aguesseau, à la tête de la librairie, et montra dans cette administration difficile autant de fermeté que de bon goût. En 1743, il remplaça le marquis de Breteuil au ministère de la guerre. En 1749, il réunit au portefeuille du mi- nistère de la guerre le département de Paris, dans lequel rentraient alors la. surveillance des Académies et la direction de l'imprimerie royale. Note 5, p. 41. — Ici commence dans la vie de Buffon une période nouvelle. Les trois premiers volumes de l'Histoire naturelle viennent de paraître, sous ce titre : Histoire naturelle générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roi. Buffon a quarante-deux ans ; une moitié de sa vie s'est écoulée déjà, et il n'est encore connu que par des expériences et des mémoires sur diverses questions de physique et d'économie rurale, et par une traduction. Mais désormais il va tra- vailler sans relâche aux deux monuments qui ont illustré son nom : les volumes de l'Histoire naturelle se succèdent presque sans interruption, d'année en année; le Jardin du Roi s'enrichit de toutes les productions de la nature et recule ses limites. La vie de Buffon se concentre tout entière sur ces deux grandes œuvres. Les lettres qui vont suivre nous permettront d'assister à tous les détails de ces mémorables travaux 16 242 NOTES et de voir quelle part revient à Bull'on et quelle part à ses divers col- laborateurs. Il ne suffit pas à Buffon de fonder un cabinet d'Histoire naturelle, le plus riche et le plus complet qui fut alors; il entreprit de ra- conter l'histoire de chacune des productions qu'il rassemblait de tous les coins du globe. Il fit plus encore : perçant les mystères des temps qui avaient précédé la tradition, impuissante à l'éclairer, il dé- crivit les révolutions du globe et raconta la formation des mondes. Embrassant d'un regard toute l'étendue de son œuvre, il plaça en tête de son vaste ouvrage, comme un majestueux péristyle , sa Théorie de la terre. L'immensité de l'entreprise, les obscurités dont il fallait triom- pher, les détails infinis qu'il s'agissait de coordonner, tâche d'autant plus difficile pour Buffon, qu'il était né myope et que la science de l'observation lui manquait , la brièveté du temps qui lui était laissé, puisqu'il avait atteint son âge mûr et que la vieillesse avec son cor- tège d'infirmités allait l'atteindre , aucune de ces considérations qui auraient rebuté les plus intrépides ne put l'arrêter. Cependant il ne se fait pas illusion, et, dès les premières pages de son œuvre, il en re- connaît la vaste étendue et il avoue en même temps la faiblesse de ses moyens. « Lorsqu'on est parvenu, dit-il, à rassembler des échan- tillons de tout ce qui peuple l'univers; lorsqu'après bien des peines on a mis dans un même lieu des modèles de tout ce qui se trouve répandu avec profusion sur la terre, et qu'on jette pour la première fois les yeux sur ce magasin rempli de choses diverses, nouvelles et étrangères, la première sensation qui en résulte est un étonnement mêlé d'admi- ration, et la première réflexion qui suit est un retour humiliant sur nous-mêmes. » (Discours sur la manière de traiter l'Histoire naturelle.) Les qualités qui lui manquent pour l'œuvre qu'il a entreprise , Buffon les trouve chez l'homme qu'il a associé à ses travaux. Si Buffon aime les grandes hypothèses, s'il se plaît dans les vastes combinai- sons que découvre sa pensée, Daubenton possède le génie de l'obser- vation, la science des détails; tous deux, se complétant l'un par l'au- tre, suivent une voie parallèle , et chacun contribue par la nature de ses recherches à la perfection de l'ouvrage. Personne, au reste, n'était meilleur juge des tendances de son esprit que Buffon lui-même. « L'on peut dire que l'amour de l'étude de la nature suppose dans l'esprit deux qualités qui paraissent opposées : les grandes vues d'un génie ar- dent qui embrasse tout d'un coup d'œil, et les petites attentions d'un instinct laborieux qui ne s'attache qu'à un seul point. » (Même dis- cours.) C'était peindre d'après nature : la première qualité lui était propre, il le sentait bien ; la seconde fut, au plus haut point, celle de Daubenton. « Représenter naïvement et nettement les choses, dit-il ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 243 plus loin , sans les changer ni les diminuer et sans y rien ajouter de son imagination, est un talent d'autant plus louable qu'il est moins brillant, et qu'il ne peut être senti que d'un petit nombre de per- sonnes capables d'une certaine attention nécessaire pour suivre les choses jusque dans les petits détails. » (Même discours.) L'Histoire naturelle parut en 1749, sous le nom de Buffon et sous celui de Daubenton. L'année précédente, l'ouvrage avait été annoncé dans le Journal des savants (année 1748, page 639). Le plan en est im- mense; il comprend l'histoire du globe, et, en lisant ce vaste pro- gramme, on voit combien il s'en faut, malgré sa persévérance et sa force, que Buffon ait pu le remplir. Voici ce programme : « On imprime à l'Imprimerie royale, par ordre du Roi, l'Histoire naturelle générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roi. Cet ouvrage, qui a été fait suivant les vues et par les ordres de M. le comte de Maurepas, en partie par M. de Buffon et en partie par M. Daubenton, l'un et l'autre également chers à la ré- publique des lettres et membres des plus illustres académies de l'Eu- rope, sera divisé en quinze volumes in-4. Les neuf premiers embras- sent le règne animal. Le premier volume , qui est déjà imprimé, contient : 1° une préface qui roule sur l'établissement du Jardin royal et sur le Cabinet d'Histoire naturelle ; 2° un discours sur la manière d'étudier et de traiter l'histoire naturelle ; 3° un second discours qui comprend l'histoire et la théorie de la terre ; « Le deuxième volume, l'histoire des animaux, des végétaux, des minéraux ; l'histoire naturelle de l'homme considéré comme animal • les mœurs qui lui sont naturelles, suivant les différentes races et les différents climats, et la description des pièces d'anatomie du Cabinet du Roi. « Le troisième et le quatrième volume, l'histoire des animaux qua- drupèdes; & Le cinquième volume, l'histoire des quadrupèdes amphibies et des poissons cétacés; a Le sixième volume, la description et l'histoire de tous les poissons de mer, de lac et de rivière; « Le septième volume, l'histoire et la description des coquillages, des crustacés et des insectes de la mer; « Le huitième volume, l'histoire des reptile?, des insectes et des animaux microscopiques ; « Le neuvième volume, l'ornithologie; « Les dixième, onzième et douzième volumes, le règne végétal. On verra, dans le dixième, un système de végétation et un traité d'agri- culture ; 244 NOTES « Le treizième volume, un discours sur la formation des pierres et des minéraux, qu'on a composé pour servir de suite à l'histoire de la terre, la description et l'histoire des fossiles, des pierres figurées et des pétrifications; « Le quatorzième volume, l'histoire des terres, des sables, des pierres communes, des cailloux, des pierres précieuses, avec une mé- thode simple, naturelle, invariable, pour connaître les pierres pré- cieuses. Cette belle partie de l'histoire naturelle sera traitée avec soin : la collection de ces pierres, soit transparentes, soit opaques, qui est au Jardin du Roi, est extrêmement riche. On tâchera de rendre l'ou- vrage digne de la matière ; ce Le quinzième volume, l'histoire des sels, des soufres, des bitumes, et de tous les minéraux qu'on tire du sein de la terre, » • Note 6, p. 41. — Marc-René, marquis de Voyer, fils du comte d'Ar- genson, né le 20 septembre 1722, mort dans le mois d'août 1782, fut lieutenant général et servit avec distinction dans la guerre de la succession d'Autriche. XXVII Note 1, p. 42. — On sait à quel point, dans ces derniers temps surtout, les éditions de l'Histoire naturelle se sont multipliées. Sans entreprendre de donner ici la série complète de ces éditions, nous nous bornerons à signaler les meilleures. L'Imprimerie royale a donné deux éditions principales. L'édition princeps, la plus estimée, en 36 vol. in-4, parut de 1749 à 1789, M. de Lacépède ayant publié le dernier volume des Suppléments. Les quinze premiers volumes de cette édi- tion parurent de 1749 à 1767. Ils comprennent la théorie de la terre, l'histoire de l'homme et celle des quadrupèdes vivipares. De 1770 à 1783 furent publiés neuf volumes sur les oiseaux, et de 1783 à 1788, les cinq volumes de minéraux. Les sept volumes des Suppléments pa- rurent pendant la publication de l'ouvrage principal. De 1774 à 1775, Ruffon donna les deux premiers, qui comprennent la partie expéri- mentale, ainsi que plusieurs mémoires précédemment insérés dans les recueils de l'Académie des sciences. En 1776 parut le troisième volume, comprenant des suppléments à l'histoire des quadrupèdes; en 1777 le quatrième, renfermant de nouveaux détails sur l'histoire de l'homme; en 1778 le cinquième, ouvrage à part qui renferme le Traité des épo- ques de la nature. De 1782 à 1789 parurent le sixième et le septième ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 245 volumes des Suppléments, renfermant des additions à l'histoire des qua- drupèdes. Une seconde édition de l'Histoire naturelle, qui n'est que l'exacte reproduction de la première , fut faite à l'Imprimerie royale en 1752 et années suivantes, mais dans le format in-12. Elle se com- pose de 73 ou de 54 volumes, suivant que la partie anatomique s'y trouve ou ne s'y trouve pas; la suite, par Lacépède, comprend 17 vo- lumes du même format. L'a troisième édition, donnée par l'Imprimerie royale , parut en 1774 et années suivantes. Elle est en 28 volumes in-4. Dans cette édition, les notes anatomiques de Daubenton ont été supprimées, ce qui, dit-on, le blessa profondément et le détermina à cesser sa collaboration. De même que les deux autres éditions, celle-ci est accompagnée de gravures, mais inexactes et d'une mau- vaise exécution. De 1785 à 1791, la célèbre imprimerie des Deux-Ponts donna une édition de l'Histoire naturelle, qui forme 54 volumes in-S. Allamand, professeur d'histoire naturelle à l'Université de Leyde, publia de 1776 à 1779 une édition des œuvres de Buffon en 21 volumes in-4, qui ne renfermait, avec des notes importantes de l'éditeur, que les généralités de l'histoire des quadrupèdes. « J'ai reçu, dit Buffon dans ses Suppléments, la belle édition qu'on a faite de mon ouvrage, et dans laquelle j'ai vu les excellentes additions que M. Allamand y a jointes. » Dans ses Suppléments à Vhistoire des quadrupèdes, Buffon cite fréquemment les observations d'AUamand, et en rapporte parfois des passages entiers. Allamand, de son côté, lorsqu'il apprit que Buf- fon s'occupait d'un supplément à la partie de l'histoire naturelle sur laquelle lui-même avait précédemment fait des recherches et recueilli des observations, s'empressa de lui envoyer des notes qui lui étaient adressées et qui, venues trop tard, n'avaient pu trouver place dans l'édition publiée par ses soins. « M. Allamand, que je regarde comme l'un des plus savants naturalistes de l'Europe, dit Buffon à ce propos, ayant pris soin de l'édition qui se fait en Hollande de mes ouvrages, y a joint d'excellentes remarques et de très-bonnes descriptions de quelques animaux que je n'ai pas été à portée de voir. Je réunis ici toutes ces nouvelles connaissances qui m'ont été communiquées, et je les joins à celles que j'ai acquises par moi-même depuis l'année 1764 jusqu'en 1780. » Lacépède, qui donna en 1789, sous le nom de Buffon, le dernier vo- lume des Suppléments, renfermant des additions à l'histoire des qua- drupèdes, fit paraître sous son nom, de 1787 à 1789, en deux volumes in-4, l'histoire des quadrupèdes ovipares et des serpents. De 1789 à 1803, il publia l'histoire des poissons. Plus tard, il donna lui-même une édition de l'Histoire naturelle, mise dans un ordre nouveau. Elle 246 NOTES comprend 56 volumes in-8 , auxquels doivent s'ajouter 20 autres vo- lumes qui contiennent ses propres travaux. Buffon n'avait point choisi Lacépède pour continuer son œuvre. Il paraît même que, dans les der- niers temps, quelques mois avant sa mort, le chevalier de Buffon son frère, alors second colonel titulaire des Gardes Lorraines, avait ôté associé à ses travaux. Après la mort de Buffon, son frère forma le pro- jet de donner une édition abrégée de l'Histoire naturelle. J'en trouve la pensée dans une lettre écrite par lui au jeune comte de Buffon son neveu, le 23 septembre 1788. « J'ai instruit, lui dit-il, M. Panckoucke de mon projet pour abréger l'Histoire naturelle conformément aux vues de votre père, sous les yeux duquel j'en ai fait un volume. Il vous fera part de mon plan avec lui, qui cependant n'aura lieu qu'autant que vous en agréerez les conditions , que Panckoucke n'a point trouvées contraires ni à ses intérêts, ni aux vôtres. » Ce projet n'eut pas de suite. La meilleure des éditions modernes de Buffon est celle qui a été commencée par Lamouroux et continuée par Desmarets. Elle a paru de 1824 à 1832, en 42 volumes in-8. Bernard d'Héry, en l'an xi, Bau- doin en 1826, Delangle en 1827, Verdière dans la même année, Furne en 1837, etPourraten 1839, ont successivement donné différentes édi- tions de l'Histoire naturelle. De 1829 à 1831 parut une édition revue par Frédéric Cuvier. Georges Cuvier, son frère, le créateur de l'ana- tomie comparée, et dont la renommée efface le nom plus modeste des autres membres de sa famille, avait le projet de donner, suivant ses vues, une édition de l'Histoire naturelle. Dans les mémoires qu'il a laissés sur sa vie, il exprime le regret de n'avoir pu mettre sa pensée à exécution. « Il est fâcheux , dit-il , que mon projet n'ait pu se réa- liser; il aurait empêché les éditions absurdes de Castel et de Sonnini, qui ont fait tant de tort à la science. » De ces deux éditions, l'une, celle donnée par Castel , parut de 1799 à 1802, elle comprend 80 vo- lumes in-8; celle de Sonnini, de 1798 à 1807, est en 127 volumes in-8. Enfin, dans ces derniers temps, M. Flourens , membre de l'Aca- cadémie française et secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, a publié, chez Garnier frères, une édition nouvelle annotée de Buffon avec la momenclature linnéenne et la classification de Cuvier, en 12 vol. grand in-8 Jésus. De nombreuses éditions de l'Histoire naturelle parurent du vivant même de Buffon, soit en France, soit à l'étranger; toutes furent l'exacte reproduction des éditions qui les avaient précédées. Buffon dit à cette occasion : « Comme il s'est écoulé bien des années depuis que j'ai com- mencé de publier mon ouvrage sur l'Histoire naturelle, et que le nom- bre des volumes s'est augmenté, j'ai cru que, pour ne pas rendre mon ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 247 livre trop à charge au public, je devais m'interdire la liberté d'en don- ner une nouvelle édition corrigée et augmentée; aussi, dans le grand nombre de réimpressions qui se sont faites de cet ouvrage, il n'y a pas eu un seul mot de changé. Pour ne pas rendre aujourd'hui toutes ces édi- tions surperflues, j'ai pris le parti de mettre en deux ou trois volumes de supplément les corrections, additions, développements et explica- tions que j'ai jugés nécessaires à l'intelligence des sujets que j'ai traités. » Buffon s'exprimait ainsi en 1774, lorsque parut le premier volume des Suppléments à l'Histoire naturelle. Dans la suite il aurait changé d'avis, et aurait formé le projet, peu de temps avant sa mort, de don- ner une nouvelle édition de ses œuvres, en rangeant les matières dans un ordre nouveau. Dans la préface de l'édition de l'Histoire naturelle donnée en l'an xi par Bernard d'Héry, se trouve la lettre suivante, écrite par le chevalier de Buffon à l'éditeur : « Je puis vous assurer que votre ouvrage est à peu près mis dans l'ordre où Buffon l'aurait placé lui-même, s'il eût vécu plus longtemps. 11 avait le projet de refondre en entier la théorie de la terre avec les suppléments, d'élaguer les er- reurs par le moyen de cette refonte. Il m'avait choisi pour son colla- borateur. Sous ses yeux, j'avais commencé cet ouvrage; mais, à sa mort, j'ai trouvé le fardeau au-dessus de mes forces, et j'y ai modes- tement renoncé. » Note 2, p. 42. — Buffon fait allusion à son système sur la généra- tion, qui occupe la partie la plus importante de son livre. Note 3, p. 42. — Philippe Néricault-Destouches, né en 1680, mort le 4 juillet 1754, entra à l'Académie française le 25 août 1723. Le Glorieux, joué en 1732 sur le Théâtre -Français, est son chef-d'œuvre. Le héros de la pièce, le glorieux, se nomme le comte de Tuffière. C'é- tait, on le sait, le nom sous lequel d'Alembert et les encyclopédistes, mécontents des grands airs de M. de Buffon et des grandes phrases de l'Histoire naturelle, le désignaient entre eux. XXVIII Note 1, p. 43. — Condorcet , faisant l'éloge de Buffon devant l'Aca- démie des sciences, résume ainsi son système sur la génération : b La nature a couvert d'un voile impénétrable les lois qui président à la reproduction des êtres; M. de Buffon essaya de le lever, ou plutôt 248 NOTES de deviner ce qu'il cachait. Dans les liqueurs où les autres natura- listes avaient vu des animaux, il n'aperçut que des molécules organi- ques, éléments communs de tous les êtres animés. Les infusions de diverses matières animales et celle des graines présentaient les mêmes molécules avec plus ou moins d'abondance : elles servent donc égale- ment à la reproduction des êtres, à leur accroissement, à leur conser- vation ; elles existent dans les aliments dont ils se nourrissent, circulent dans leurs liqueurs, s'unissent à chacun de leurs organes pour réparer les pertes qu'il a pu faire. Quand ces organes ont encore la flexibilité de l'enfance, les molécules organiques, se combinant de manière à con- server ou modifier les formes, en déterminent le développement et les progrès; mais, après l'époque de la jeunesse, lorsqu'elles sont ras- semblées dans des organes particuliers, où, échappant à la force qu'exerce sur elles le corps auquel elles ont appartenu, elles peuvent former de nouveaux composés, elles conservent, suivant les différentes parties où elles ont existé, une disposition à se réunir de manière à présenter les mêmes formes, et reproduisent par conséquent des indi- vidus semblables à ceux de qui elles sont émanées. » De tous ses systèmes, celui auquel Buffon semble tenir davantage, et sur lequel il s'étend avec le plus de complaisance est, sans contre- dit, son système de la génération. Nous ne discuterons ni la valeur ni la portée de ce système; mais, comme il occupe une place importante dans l'œuvre de Buffon, nous citerons à ce sujet quelques-unes de ses idées, en choisissant les plus saillantes. Par quel moyen expliquer cette vie sans cesse renaissante et répan- due sur toute la nature, ce principe si vivace, que rien ne peut soit le détruire, soit même arrêter ou ralentir sa puissance ou sa force ? «Le premier moyen, dit Buffon, et, selon nous, le plus simple de tous, est de rassembler dans un être une infinité d'êtres organiques sem- blables, et de composer tellement sa substance, qu'il n'y ait pas une partie qui ne contienne un germe de la même espèce, et qui par con- séquent ne puisse elle-même devenir un tout semblable à celui dans lequel elle est contenue.» [Histoire des animaux.) Note 7, p. 53. — Charles Pineau Duclos, né en 1704, mort le 26 mars 1772, entra à l'Académie française en 1747, et devint secré- taire perpétuel de cette compagnie en 1755. Son premier ouvrage 270 NOTES sérieux fut son Histoire de Louis XI; elle lui valut la place d'historio- graphe de France, que la retraite de Voltaire en Prusse avait rendue vacante. « C'est, dit le chancelier d'Aguesseau, après avoir lu le livre de Duclos, un ouvrage composé d'aujourd'hui avec l'érudition d'hier.» Les Considérations sur les moeurs suivirent. « C'est l'ouvrage d'un hon- nête homme, » dit Louis XV après l'avoir lu. Note 8, p. 53. — Si la liberté de la pensée fut si grande au dix-hui- tième siècle, ce ne fut certes point faute d'institutions destinées à la protéger contre ses propres écarts; le temps est venu où les idées nouvelles sauront se faire jour, et, malgré la surveillance à laquelle toute production de l'esprit était alors soumise , elles se propageront avec rapidité. Le contrôle était sérieux cependant : aucun manuscrit ne pouvait être donné à l'imprimerie que revêtu de l'approbation d'un censeur royal, qui en avait fait l'examen et en garantissait ainsi la moralité. Si un livre paraissait sans avoir subi l'épreuve de la cen- sure, l'auteur pouvait être poursuivi par la Sorbonne, décrété par le Parlement, et l'ouvrage condamné était brûlé par la main du bour- reau sur le grand escalier du palais. La Faculté de théologie, spécia- lement chargée de veiller à ce que la morale et le dogme ne fussent point attaqués, tenait, à cet effet, tous les mois une assemblée dite Prima mensis. Le syndic rendait compte des ouvrages d'où il avait extrait des propositions répréhensibles , et en dénonçait l'auteur à la Faculté. On examinait les passages de l'ouvrage incriminé, on en commentait le sens, on en discutait l'intention, l'auteur était parfois même entendu; puis on votait sur la mesure proposée par le syndic. Si la censure était prononcée, et que le livre eût paru avec approbation, le censeur était interdit. Parfois, le livre de Marmontel et Y Emile de J.-J. Rousseau en sont un exemple, l'archevêque pu- bliait un mandement pour combattre les mauvaises doctrines signa- lées à son attention. La censure de la Sorbonne, on le comprend sans peine, était redoutée à l'égal des plus terribles sentences, et les membres qui composaient ce tribunal sans appel ne furent pas ména- gés par les partisans des nouvelles doctrines. On pourra en juger par un apologue qui eut un grand succès, et dont M. de Lille, capitaine au régiment de Champagne, est l'auteur : Aux portes de la Sorbonne La Vérité se montra; Le syndic la rencontra : « Que demandez-vous, la bonne? — Hélas! l'hospitalité. — Votre nom? — La Vérité. ET ECLAIRCISSEMENTS. 271 — Fuyez, dit-il en colère, Fuyez, ou je monte en chaire Et crie à l'impiété ! — Vous me chassez; mais j'espère Avoir mon tour, et j'attends : Car je suis fille du temps, Et j'obtiens tout de mon père. » Note 9, p. 53. — Quelques années plus tard, Buffon devint mem- bre d'une autre Académie italienne, dont le P, Jacquier faisait égale- ment partie. En 1777, le prince de Gonzague, de retour d'un voyage en France, le fit recevoir à l'Académie des Arcades de Rome. Le brevet qui lui fut envoyé à la suite de cette élection est conçu en termes tels, que, si le nom de Buffon était salué dans son pays des plus vives ac- clamations, on peut se convaincre que sa renommée n'était pas moin- dre à l'étranger. Voici la traduction littérale de ce brevet : « Acte de la promotion solennelle par acclamation à l'emploi de pasteur arcadien de l'illustre et savant comte de Buffon, lors de l'as- semblée générale du 13 février 1777. « Nous, honorables Arcades, nous trouvant assemblés ici pour écouter une des si nombreuses productions littéraires du très-docte P. François Jacquier, dit Diophante Asmiclée , la réunion du jour nous devient doublement agréable et solennelle en raison de la gra- cieuse invitation que vous adresse le magnanime prince D. Louis Gonzague de Castiglione (dit Émirène), domicilié actuellement sur les rivages du royal fleuve nommé la Seine, en vous priant de proclamer votre collègue un des plus grands génies de la France, le Pline de notre temps, le très-célèbre comte de Buffon; voulant par là donner à celui-ci un témoignage réciproque de son amitié, et à nous une preuve du généreux zèle que, même éloigné de nous, il conserve pour le plus grand éclat de notre assemblée. Un si grand génie, auteur en- core vivant de tant d'oeuvres remarquables et utiles à la société, par lesquelles il a mérité l'honneur de se voir élever une statue par l'or- dre du Roi Très-Chrétien, mérite bien de nous toute démonstration extraordinaire de profonde estime. En conséquence, très-illustres Ar- cades, répétons avec joie cette invitation si honorable; que dans ce jour les forets arcadiennes retentissent du nom immortel du comte de Buffon, et qu'il soit acclamé sous les dénominations pastorales d'ylr- chytas de Thessalie. Donnez donc les témoignages accoutumés d'ap- probation et de joie, en déclarant à jamais heureux et agréable le pré- sent jour. « A cette invitation, les Arcades, réunis en grand nombre dans la 272 NOTES salle du Conservatoire, en la présence accidentelle de deux auditeurs du Sacré Conseil de Rote, d'autres membres de la prélature et de la noblesse tant romaine qu'étrangère, de Mme Forester, poëte anglais, du marquis de Brasac, premier écuyer de Madame Victoire, princesse de France, de l'abbé de Prades, précepteur de Son Altesse Royale le duc d'Angoulôme, du marquis de Gulard, de M. Vien, directeur de l'Académie de France à Rome, de l'abbé Constantin, grand vicaire d'Angers, de l'abbé Deshaises, grand vicaire d'Albi , du chevalier de La Porte du Theil, du comte d'Orcey, et de nombreux professeurs des établissements supérieurs d'instruction publique (archigymnases), ont de la voix et du geste exprimé particulièrement leur vive satisfaction, et confirmé la nomination proposée. Ce dont le gardien, pour l'accom- plissement de son ministère, a eu la gloire d'enregistrer l'acte dans les fastes les plus brillants de l'Arcadie. « Donné en pleine assemblée par la chaumière du Conservatoire, dans le bois Parrhasius, le troisième jour après le 10 du mois de ga- mélion, dans le cours de la 11e année de la 638e olympiade, 3e année de la 22e olympiade depuis la restauration de l'Arcadie, « Jour proclamé généralement heureux. « Niviloo Amarinzio, gardien général. « Sous-gardiens I Alkhsm m Uwos, { LlDINIUS THESEE. » Note 10, p. 53. — François-Marie Zanotti, professeur d'astronomie à l'Institut de Bologne, dont il était en outre le secrétaire. Note 11, p. 54. — Parmi les nombreux écrits polémiques auxquels donna lieu, de la part du clergé, la bulle Unigenitus, ceux de l'arche- vêque de Sens (Languet de Gergy) et ceux de l'évèque d'Auxerre (de Levi de Caylus) se firent surtout remarquer par leur violence. L'ar- chevêque de Sens était le représentant du parti de la bulle et son plus chaleureux défenseur; l'évèque d'Auxerre, après avoir adhéré à la bulle Unigenitus, s'était rétracté et était devenu, dans le petit nombre des évêques qui en appelèrent au futur concile, le chef du parti jan- séniste. Charles-Daniel-Gabriel de Pestel , de Levi, de Thubières de Caylus, né en 1669, mort le 3 avril 1754, fut nommé à l'évêché d'Auxerre le 18 août 1704. Ses ouvrages ont été recueillis en dix vo- lumes in-12, et sa vie a été écrite par l'abbé Detey. Note 12, p. 54. — Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Males- herbes, né le 6 décembre 1721, mort sur l'échafaud révolutionnaire ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 273 le 22 avril 179k, devint, en 1750, membre honoraire de l'Académie des sciences. En 1759, il entra à l'Académie des inscriptions, et le 16 février 1775, il fut reçu membre de l'Académie française. Cinq ans après sa mort, en 1798, parurent deux volumes ayant pour titre : Observations de Lamoignon-Malesherbes sur l'Histoire naturelle géné- rale et particulière de Buffon et de Daubenton. L'ouvrage avait été écrit en 1750, dans le temps où les premiers volumes de l'Histoire naturelle venaient de paraître; Malesherbes avait alors vingt-huit ans. Dans cette critique du livre de Bufîon, on trouve des observations remplies de sens, de savoir et de vérité. Malesherbes défend la mé- thode que Buffon attaque: « Je crois, dit-il, que le peu de connais- sance que M. de Buffon a des auteurs systématiques , est ce qui l'a empêché de faire attention à la première et principale utilité de leurs méthodes.» (Tome I, p. 8.) ce Lorsque l'ouvrage de M. de Buffon, dit- il plus loin, fut annoncé au public, il me parut que sous ce titre d'Histoire naturelle générale et particulière, l'auteur promettait un traité complet sur chaque partie de cette science, et ce projet me sembla d'autant plus hardi que M. de Buffon n'avait pas encore paru dans le monde savant comme naturaliste; il était déjà célèbre par plusieurs mémoires lus à l'Académie sur différents sujets d'agricul- ture, de physique et de géométrie, et par une traduction très-esti- mable; mais ces différentes connaissances me paraissaient autant de diversions à l'élude de la nature. » (Tomel, p. 3.) En 1750, Malesherbes, qui succédait dans la présidence de la cour des aides à Guillaume de Lamoignon, son père, élevé à la dignité de chancelier, fut en même temps chargé de la librairie. Partisan des doctrines nouvelles, Malesherbes en favorisa plus qu'il n'en arrêta la propagation. Lorsque YÉmile fut brûlé par la main du bourreau et que Jean-Jacques eut été décrété par le Parlement, l'ouvrage s'im- prima en Hollande. Les épreuves arrivaient en France sous le couvert du directeur de la librairie, qui prenait soin de les voir et de les corriger, avant de les adresser à l'auteur. Le marquis d'Argenson, dont les idées ne sont pas en tout point opposées au parti philosophique, juge cependant avec sévérité Ma- lesherbes comme directeur de la librairie. A la date du 11 mars 1753, se trouve inscrit dans son journal le paragraphe suivant : « Le pré- sident de Malesherbes, qui conduit aujourd'hui la direction des pri- vilèges du roi et la censure des livres, sous son père le chancelier de Lamoignon, s'y prend fort joliment. 11 laisse passer tout ce qui se présente, disant qu'il vaut mieux garder notre argent dans le royaume que de le laisser passer à l'étranger. Puis, quand les ordres d'en haut surviennent pour prohiber, il les public et revient à sa tolérance i 18 27-4 NOTES d'une façon qu'elle reste et règne plus dans la littérature que l'into- lérance. » Malcsherbes ne larda pas, comme tant d'autres, à être emporté par le torrent qu'il ne put maîtriser; mais il a largement expié le tort de ses complaisances philosophiques. On ne se souvient plus aujour- d'hui que de sa courageuse fidélité et de sa mort héroïque. En 1768 il quitta la librairie, en même temps que son père quittait les sceaux. Note 13, p. 54. — Jean Le Rond d'Alembert, né le 16 novembre 1717, mort le 29 octobre 1783, devint membre de l'Académie des sciences en 1741. Jusqu'alors il ne s'était fait connaître que comme géomètre; mais en 1751, lorsqu'il fit paraître, avec Diderot, les pre- miers volumes de l'Encyclopédie, il se plaça, par le discours prélimi- naire de ce grand ouvrage, au premier rang des écrivains de son temps. D'Alembert n'aimait pas Buffon; il n'eut jamais à se plaindre des procédés de ce dernier, mais il ne se sentait de sympathie ni pour sa personne, ni pour son talent. Il ne l'appelait que le grand phrasier, le roi des phrasiers. « Ne me parlez pas, disait-il un jour à Rivarol, de votre Buffon, ce comte de Tuffières, qui, au lieu de nom- mer simplement le cheval, s'écrie: ce La plus noble conquête que « l'homme ait- jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal.... » — Oui, reprit aussitôt Rivarol, absolument comme ce sot de Jean- Baptiste Rousseau qui, au lieu de dire de l'est à l'ouest, s'écrie : Des bords sacrés où naît l'aurore, Aux bords enflammés du couchant. » Note 14, p. 54. — Voir la note 5 de la lettre XXXII, p. 263. XXXVII Note 1, p. 56. — Buffon fit à Montbard des expériences fort com- plètes et fort suivies sur l'électricité. On s'occupaitalors, avecl'intérêt qui s'attache toujours à l'inconnu, de cette science toute nouvelle; on en constatait les premiers effets sans en prévoir les immenses résul- tats, et Buffon, entraîné par cette inclination de ton esprit qui le pousse sans cesse, il le répète souvent dans !e cours de son Histoire, vers les grandes découvertes, ne pouvait rester étranger aux recherches des savants de son temps. Son dernier ouvrage, le dernier produit de sa pensée, fut un livre sur l'électricité. Le jour où, à Montbard, on posa des paratonnerres sur les toitures du château, Gueneau deMontbeillard ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 275 célébra ce grand événement par la pièce suivante, adressée à Fran- klin. Moderne Prométhée, ô sublime Franklin, Du plus puissant des dieux ne crains pas la vengeance; Quand ton art éteignit la foudre dans sa main, Son grand cœur t'en sut gré, tu servis sa clémence. Oui, le Père du genre humain Te doit de la reconnaissance. Eh! quel père, homme ou dieu, ne désire tout bas, Lorsque , pour réprimer ou prévenir des crimes , Son bras s'est élevé sur des enfants ingrats, Ne désire épargner de trop chères victimes, Et qu'un sage, un Franklin lui retienne le bras! Placer des paratonnerres sur sa maison était regardé alors comme une hardiesse dangereuse. Les journaux du temps rendirent compte de la tentative de Buffon à Montbard. En 1783, à Arras, un savant du nom de Vizery de Boisvalé, ayant placé sur sa maison une aiguille aimantée, fut, par sommation d'huissier et par ordre de justice, con- traint de l'enlever ; ses voisins s'étaient effrayés de son audace. Un procès long et coûteux s'engagea, et, par un arrêt solennel, la cause du paratonnerre fut gagnée. Un jeune avocat qui faisait ses débuts dans ce procès, et dont les plaidoiries durèrent trois audiences, eut le plus grand succès. On a oublié le plaidoyer, mais on n'a pas oublié l'avo- cat, qui se nommait Maximilien de Robespierre. Note 2, p. 57. — L'abbé Nollet, né en 1700, mort le 24 avril 1770, physicien célèbre, s'occupa, à l'exemple de l'abbé Le Noble, d'expé- riences sur l'électricité. Il fut jaloux de voir Buffon entreprendre les mêmes recherches, et s'efforça de le décourager. La plupart des instruments de physique qui formaient le cabinet do l'abbé Nollet existent encore, et on peut les voir dans le cabinet de physique de la Faculté des sciences de Montpellier, où ils ne sont plus d'une grande utilité; car la science, depuis l'abbé Nollet, a fait d'immenses progrès. Ces expériences de Buffon sur l'électricité ont été oubliées par ses biographes, par Vicq-d'Azir et Condorcet, dans leurs discours acadé- miques. Elles ont droit de figurer cependant parmi celles dont on doit se souvenir, et de prendre place au nombre des titres scientifiques de l'illustre académicien. 276 NOTES XXXVIII Note 1, p. 57. — A Buffon ne revient pas l'honneur d'avoir le premier découvert l'identité de la foudre et de l'électricité; mais ce fut lui qui le premier tenta l'expérience du paratonnerre, voici dans quelle circonstance. Franklin parlait dans ses lettres à Collinson de la possibilité de cette expérience ; ces lettres furent publiées et connues de Buffon, qui établit aussitôt sur les toitures de sa maison une longue tige de fer, pointue à son extrémité supérieure, et isolée à sa partie inférieure avec de la résine. Dalibard , pressé par Buffon , en éleva une toute semblable à sa maison de campagne de Marly, et c'est chez lui que fut reconnue pour la première fois, le 10 mai 1752, la présence de l'électricité dans l'atmosphère. Le 19 mai de la même année, l'ex- périence réussit pareillement à Montbard. Franklin ne vérifia le même fait, au moyen d'un cerf-volant, que le 22 juin 1752. C'est donc à Buffon et à Dalibard que revient l'honneur d'avoir les premiers dé- montré par l'expérience l'identité de la foudre et de l'électricité an- noncée comme une hypothèse par Franklin. Note 2, p. 58. — Le phlogistique créé par Sthal, médecin allemand, et admis par les chimistes jusqu'à la découverte de l'oxygène, qui eut lieu vers la fin du dix-huitième siècle , était une matière subtile que l'on supposait se dégager des corps en combustion. Lavoisier a dé- montré le premier qu'ils augmentent de poids pendant la combus- tion et absorbent de l'oxygène. L'expérience indiquée par Buffon eût donc été sans résultats. L'identité de la chaleur et de l'électricité est probable; on est assez généralement disposé à les regarder comme des manifestations d'une seule et même cause. Note 3, p. 58. — Piron, sous le patronage de Buffon, entra en 1762 dans la société littéraire fondée par le président de Ruffey. Il ne pro- nonça pas de discours de réception, il ne remercia pas ses nouveaux confrères par un morceau académique, soit en vers, soit en prose; mais il leur écrivit une lettre fort curieuse, dans laquelle se trouvent les passages suivants : « Messieurs, né d'un père aimé de son temps dans votre ville, des grands et des petits, pour sa probité, son désintéresse- ment, son enjouement poétique et sa franchise, je n'eus, avec un peu d'éducation, pour tout héritage que son exemple et un penchant natu- rel à le suivre. A peine eus-je donc la faculté de penser et de raison- ner, que, selon le conseil du sage, l'étude de moi-même fut mon étude ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 277 unique. Elle me procura bientôt le bonheur de me connaître assez pour sentir les bornes où me resserraient la nature, la naissance, la for- tune et, plus que tout, mon caractère particulier, je veux dire mon goût passionné pour la solitude. Dès lors je me sus mettre, et de bonne heure, à ma place; dès lors je m'y fixai.... Aussi quand l'Académie française, assurée que je ne frapperais jamais à sa porte, voulut bien, contre son usage, me l'ouvrir gratuitement, et que M. de Mirepoix, en me la faisant refermer, satisfit également son zèle et mon inclination, je me gardai bien de profiter des facilités qu'il y avait de lever l'inter- dit. Il me rouvrait une retraite que, tout glorieux que je dusse être d'une faveur si distinguée, je n'abandonnais qu'à regret. Car enfin (n'en déplaise à l'amour-propre des hommes !)enlrer dans un corps quel qu'il soit, ce n'est plus devenir qu'un membre et qu'un membre asservi. Dédommagé d'ailleurs par les bontés des maîtres, je regagnai donc ma solitude le plus content du monde.... C'est de cette paisible obscurité, messieurs, qu'il vous plaît de me tirer, comme avait voulu faire la mé- tropole; je me trouve alors dans un cas bien différent.... De telles voix me vont au cœur, et me touchent bien autrement que n'au- raient jamais pu faire toutes celles qui se sont efforcées si souvent ici de réveiller en moi quelque ambition. J'y défère donc bien volon- tiers et bien respectueusement.... » (Publiée par Girault.) XXXIX Note I, p. 59. — Le mariage se fit le 21 septembre , et Gueneau de Montbeillard y assista. Le protocole du contrat est ainsi conçu : « L'an mil sept cent cinquante-deux, le vingt et unième jour du mois de sep- tembre après midi, au lieu de Fontaine en Duesmois, maison seigneu- riale dudit lieu. — Par-devant moi Nicolas Gelot, notaire royal, résidant à Villaine en Duesmois, soussigné, furent présents haut et puissant seigneur Messire François-Henri de Saint-Belin , chevalier, seigneur dudit Fontaine, Dampierre et autres lieux, et, de son autorité, dame Mme Marie-Anne de Roze, son épouse, et de leur commune autorité, demoiselle Marie-Françoise de Saint-Belin leur fille, d'une part. — Messire Georges-Louis Leclerc, chevalier, seigneur de Buffon, Mont- bard, la Mairie et autres lieux, Intendant du Jardin royal des Plantes, à Paris, trésorier perpétuel de l'Académie royale des sciences, et des académies de Londres, de Berlin, etc., fils majeur de messire Benja- min-François Leclerc de Buffon, conseiller honoraire au parlement de Bourgogne, et de dame Anne-Christine de Marlin, ledit seigneur de 278 NOTES Montbard demeurant ordinairement en la ville de Paris, en son hôtel au Jardin du Roi, paroisse Saint-Médard , d'autre part. Lesquelles parties ont fait entre elles les conventions qui suivent ... Fait et passé en présence des parents et amis communs, savoir : de la part de ladite demoiselle future ; de dame Mme Anne-Marguerite de Saint-Belin, relicte de Charles-Joseph Gérard, écuyer, seigneur de Quentrey y demeurant, de présent audit Fontaine, sa sœur. — De messire Fran- çois de Saint-Belin chevalier, et de messire Gabriel de Saint-Belin aussi chevalier, prieur commendataire du prieuré de Saint-Loup du Nord , ses frères. — Et, de la part dudit seigneur futur époux; de M. Louis-Jean-Marie Daubenton , docteur en médecine , des Aca- démies royales de Paris et de Berlin , garde démonstrateur du Ca- binet d'histoire naturelle du Jardin du Roi, demeurant à Paris au même jardin, paroisse Saint-Médard, et de Philibert Gueneau, écuyer, demeurant à Paris, paroisse Saint- Sulpice , et encore en présence de maître Abraham Picard, prêtre, curé dudit Fontaine, et du sieur Nicolas Junot fils, marchand audit lieu, témoins qui ont signé. » Le mariage de Buffon fut un mariage d'amour, à un âge et dans des conditions où il ne s'en fait guère, et, chose plus rare encore, ce fut un mariage heureux.. C'était en 1750. Buffon avait alors quarante-trois ans. Jusqu'à ce jour il n'avait jamais songé au mariage. A en croire son frère le chevalier, il avait même hautement manifesté, dans un grand nombre de circonstances, son intention de garder son indépen- dance et de conserver sa liberté. Gâté par la fortune, occupé du soin de sa renommée, absorbé par ses études, Buffon passait une grande partie de l'année à Montbard, dans la maison paternelle qu'il avait restaurée et agrandie. Une de ses sœurs, Jeanne Leclerc de Buffon, entrée de bonne heure en religion (1725), était alors supérieure du couvent des Ursulines, dont elle dirigea longtemps la maison, sous le nom de sœur saint Paul, avec intelligence et fermeté. La bonne tenue du couvent de Montbard, sa réputation déjà ancienne dans la province, y attiraient, outre les élèves dont les religieuses soignaient l'éducation, quelques dames pensionnaires qui venaient y chercher un refuge contre les disgrâces de la fortune. De ce nombre étaient les deux filles du seigneur de Fontaine, François-Henri de Saint-Belin-Mâlain , toutes deux jeunes (l'aînée avait dix-huit ans à peine), et toutes deux sans fortune. La supérieure de la maison avait pris ses deux jeunes pen- sionnaires dans une grande et singulière affection ; appréciant leurs heureuses qualités et aimant leur conversation naturelle et enjouée, elle les faisait venir souvent près d'elle pour lire et travailler. Buffon aimait sa sœur et venait la voir souvent; il rencontra chez elle les deux ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 279 jeunes recluses. L'une, l'aînée, était d'une grande beauté, et joignait à toutes les qualités de l'esprit celles du cœur. Buffon la distingua, et les visites au couvent se multiplièrent à ce point que la prudente su- périeure crut sage d'éloigner ses pensionnaires. Buffon se fâcha, et, à la suite d'une discussion assez vive, déclara qu'il aimait Mlle de Saint- Belin et qu'il voulait l'épouser. Les deux sœurs reparurent. Pendant deux ans Buffon étudia et apprit à connaître celle dont il avait résolu, dès le premier jour, de faire sa femme, et, à l'heure qu'il avait fixée, il l'épousa , malgré l'opposition et le blâme de ses plus chers amis. De la part de Mlle de Saint-Belin ce fut aussi un mariage d'amour. Malgré une grande disproportion d'âge, elle s'éprit de la gloire de Buffon , et fut toute sa vie sous le charme des qualités solides qu'elle avait découvertes en lui. C'était une femme d'un goût excellent, plus sensible que personne aux plaisirs de l'esprit. Buffon trouva en elle, avec une affection tendre et dévouée, une admiration passionnée pour son génie, et une exquise sensibilité dont mieux que personne il con- naissait le prix. Note 2, p. 59. — Les premiers volumes de l'Histoire naturelle soulevèrent, lorsqu'ils parurent, beaucoup de critiques, aujour- d'hui tombées dans l'oubli. Le silence de Buffon et sa répugnance à répondre aux attaques dont il était l'objet, contribuèrent, au moins autant que la faiblesse des objections, à faire oublier ces écrits. Dans le nombre cependant il en est un qui est resté; il a pour titre : Lettres à un Américain; neuf lettres sur l'Histoire naturelle de M. de Buffon. Hambourg, 1751, 9 parties in-12. « Le véritable auteur, dit le marquis d'Argenson dans ses Mémoires, est M. de Béaumur, de la même Aca- démie des sciences que M. de Buffon, grand ennemi de celui-ci, envieux et jaloux de ses travaux et de ses récompenses. Buffon a été critiqué par les dévots, n'ayant pas assez respecté la physique révélée par la Genèse, et accusé d'avoir donné lieu au système du livre de Telliamed, qui nie le déluge. On y prétend que la terre a été ancien- nement couverte d'eau ; que les plus anciens animaux sont les pois- sons; que tous les coquillages des mers, même de la Chine, que l'on trouve aujourd'hui au milieu de nos terres et de nos montagnes, pro- viennent de cet ancien séjour des eaux, et non du déluge de Noé, comme le croient les dévols. Cette critique a assez de succès dans le monde. 11 faut être bien savant et bien appliqué pour la suivre dans sa physique sublime et calculée. Réaumur s'est adjoint un petit père de l'Oratoire * , qui a rédigé l'ouvrage. Il a évité de faire porter tout * L'abbé de Lignac. 280 NOTES l'ouvrage sur la dévotion et la religion vengée; il censure Buffon sur bien des points, des erreurs, des contradictions, de la vanité d'auteur orgueilleux et superficiel. Véritablement Buffon ne s'était chargé que de donner la description du Cabinet de physique du Boi, et il part de là pour déduire un système de physique général et hasardé, système nou- veau et impossible, quoiqu'il eût lui-même déclamé contre les systèmes généraux. » XL Note 1, p. 60. — Buffon a souvent été représenté comme aimant passionnément la louange et en recherchant les témoignages, même exagérés. Sa lettre au président de Ruffey témoigne de son peu d'em- pressement à profiter de la légitime admiration de ses amis. Nous le verrons encore, dans le courant de sa longue carrière, refuser des té- moignages éclatants d'estime et de considération, et s'étonner de ceux que la reconnaissance publique lui aura décernés. Si alors son cœur en ressentit une douce joie et s'il fut touché jusqu'aux larmes de dis- tinctions qu'il n'avait point sollicitées , peut-on lui en faire un re- proche? Il avait la conscience de son génie, d'accord; mais la vanité est le partage des sots, et cette passion , dont les petits esprits ont le privilège, ne ternit jamais le grand caractère de Buffon. XLI Note 1 , p. 60. — A la lettre de Buffon se trouve jointe la lettre suivante : a Monsieur, « Les bontés dont vous m'avez honoré jusques à présent me font espérer que votre séjour en Bourgogne vous donnera plus de facilité à me rendre avantageux mon voyage de Dijon; ce qui me fait souhaiter de le faire présentement et d'être de retour ici vers le quinze ou le vingt de mars pour les expériences de l'Université. Je vous serais donc très-obligé, monsieur, de prendre la peine de conférer avec M. le pré- sident de Ruffey pour qu'il ait la bonté de m'envoyer l'état- des ma- chines de l'Académie, afin de ne porter à Dijon que celles qui y man- quent pour faire un cours complet. J'espère que vous voudrez bien m'honorer de vos avis, monsieur, pour les machines que j'y pourrais ET ECLAIRCISSEMENTS. 281 porter et qui pourraient y être plus désirées. Procurez-moi, je vous en supplie, monsieur, le plus prompt départ qu'il sera possible, afin que je jouisse plus longtemps de l'honneur de vous voir à Dijon, et que je puisse régler ma conduite sur vos conseils. « J'ai l'honneur d'être, etc. « Pagny. « La remise de l'hôtel de Conti à la ville m'a forcé d'accepter un logement chez M. deBinarville, conseiller au Parlement, ruePoulletier, île Saint-Louis, où je suis, depuis quinze jours. » Note 2, p. 60. — Le château de Monlfort, qui avait appartenu à la belle-mère du président de Ruffey, avant de lui appartenir à lui-même, était une des plus anciennes forteresses de la Bourgogne. C'est au- jourd'hui, malgré les nombreuses mutilations dont on n'a pas songé à le garantir, une des ruines les plus pittoresques du pays. XLII Noie 1, p. 61. — On trouve dans la correspondance littéraire de Grimm le compte rendu de l'élection de Bufîon à l'Académie française et le détail des divers incidents auxquels elle donna lieu. Grimm s'exprime ainsi : 1er juillet 1753. — La place vacante à l'Académie par la mort de l'ar- chevêque de Sens vient d'être remplie par M. de Bufîon, intendant du Jardin du Roi , de l'Académie des sciences, auteur de l'Histoire natu- relle; homme dont l'acquisition ne peut que faire honneur à l'Académie, comme son génie en fait depuis longtemps à la nation. M. de Buffonest allé faire un tour en Bourgogne, d'où il reviendra dans peu avec son discours de réception. Il sera reçu deux ou trois jours avant la fête de Saint-Louis. Cette place était d'abord destinée par l'Académie et par le cri public à M. Piron, auteur de Gustave et de quelques autres pièces, surtout de la Métromanie, qui est un chef-d'œuvre dans son genre, et le seul que nous ayons peut-être depuis la mort du sublime Molière. Deux jours avant celui qui était fixé pour l'élection de M. Piron, le Roi fit mander M. le président de Montesquieu, que le sort avait fait directeur de l'Académie pour cet acte, et lui déclara qu'ayant appris que l'Académie avait jeté les yeux sur M. Piron, et sachant que M. Pi- ron était l'auteur de plusieurs écrits licencieux, il souhaitait que l'Aca- démie choisît un autre sujet pour remplir la place vacante. Sa Majes'é 282 NOTES déclara en même temps qu'elle ne voulait point de sujet de l'ordre des avocats. On dit que ce sont les dévols qui ont rendu ce service à Piron, et M. l'ancien évêque de Mirepoix à leur tête. Piron dit que c'est un coup de crosse qu'il a reçu de sa part, et que ce prélat s'est reconnu dans le mot flasque qui se trouve dans le quatrième vers de la fameuse ode, dont on s'est servi dans cette occasion pour donner l'exclusion à un homme dont les talents auraient honoré l'Académie. M. de Mon- tesquieu ayant déclaré à l'Académie la volonté du Roi, M. le maréchal de Richelieu proposa de différer l'élection de dix jours, pour avoir le temps de chercher un autre sujet digne de remplir cette place. Cet avis fut suivi à la pluralité des voix, quoique M. l'abbé d'Olivet pré- tendît que cette manière était insolite et indécente. Lorsque le jour de l'élection fut arrêté, M. de Richelieu demanda à haute voix si, dans les règlements de l'Académie, il n'y avait point de peines prononcées contre ceux qui employaient des termes insolites et indécents, et par conséquent offensants, pour dire leur avis. M. Duclos dit : Bernard d'Héry, dans sa Vie de Buffon , mise à la fin de l'édition complète de ses œuvres, cite divers fragments de la cor- respondance de Buffon avec Guyton de Morveau ; malgré d'activés recherches, je n'ai pu en découvrir la trace. Note 2, p. 83. — Ces nouveaux règlements concernaient un impôt récemment établi. Le Parlement n'avait pas encore enregistré l'édit du Roi, dont il discutait l'opportunité, lorsqu'il apprit que Jacques Varenne, secrétaire des États, avait, au nom des élus, affermé le nou- vel impôt. Les édits n'ayant force de loi qu'après l'enregistrement, ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 317 c'était contester aux Cours souveraines leur plus important privilège. Le Parlement s'émut et menaça de suspendre le cours de la justice. Ses remontrances furent portées à Versailles, et le marquis de Damas d'Anlezy, porteur des ordres de la Cour, vint au palais procéder à un enregistrement militaire. En 1762, Jacques Varenne fit paraître un Mé- moire pour les élus généraux des élats du duché de Bourgogne; ce n'é- tait que la seconde édition d'un premier mémoire produit devant le Conseil des Finances, pour soutenir les prétentions des élus, augmentée d'unepréface et de pièces justificatives. Le livre de Varenne fut dénoncé au Parlement, qui commença une instruction contre l'auteur. LXIX Note 1, p. 83. — Le nombre des officiers attachés au Parlement peut donner une idée de son importance. Outre les huissiers et autres employés subalternes, on comptait les greffiers-commis, le trésorier des gages, le solliciteur général des affaires du Roi, le receveur des épices, le greffier en chef des requêtes du Palais, un greffier-commis, le greffier des présentations des demandeurs, appelants et anticipants, le greffier des actes d'affirmations des voyages, le receveur des amendes, le commissaire aux saisies réelles, le receveur des consi- gnations , un commis-greffier à la garde des sacs et affirmations, un commis au contrôle , des clercs au greffe de la Cour, un commissaire aux saisies réelles des requêtes du Palais. Note 2, p. 84. — Jacques-Philippe Fyot de La Marche, seigneur de Neuilly, fut pourvu delà charge de conseiller au Parlement et garde des sceaux en la chancellerie près de la même Cour, par lettres pa- tentes du 20 novembre 1722. Il quitta la magistrature pour la diplo- matie, et devint ambassadeur à Gênes. Il mourut à Dijon en 1774, après avoir refusé la place de premier président du parlement de Besançon, que sa mauvaise santé l'empêcha d'accepter. Note 3, p. 84. — Claude-Philibert Fyot de la Marche, né le 12 août 1694, premier président du parlement de Bourgogne le 16 janvier 1745, céda sa charge à son fils, Jean-Philippe Fyot de La Marche, qui en fut pourvu le 29 janvier 1757. Claude-Philibert de La Marche mourut à Lyon le 3 juin 1768. Note 4, p. 84. — Au mois de mars de l'année 1762, le parlement de Bourgogne était en feu. Pendant qu'il instruisait avec vigueur contre 318 NOTES le livre de Jacques Varenne, parut une brochure violente écrite en faveur du Parlement et ayant pour titre : le Parlement outragé. Les élus, attaqués à leur tour, portèrent plainte au ministre, et une lettre du chancelier ordonna au Parlement d'informer contre son défenseur anonyme. L'imprimeur fut poursuivi et mis en prison; on voulut même, pour l'instruction de ce nouveau procès, instituer une commis- sion spéciale; mais l'intendant , M. Dufour de Villeneuve, auquel on en proposa la présidence , ayant refusé de se charger de cette mis- sion, la connaissance de l'affaire fut laissée au Parlement. L'instruc- tion n'avançait point, et tout permet de croire que la Cour y mettait peu d'empressement et de zèle, lorsque le 3 mars 1762, en présence des chambres assemblées, un des plus jeunes conseillers, Louis-Phi- libert-Joseph Joly de Bevy, membre du Parlement depuis sept années (18 janvier 1755), mais alors âgé seulement de vingt-six ans, se leva et, au grand étonnement de tous ses collègues qui avaient appris à l'estimer et à l'aimer, s'avoua l'auteur de la brochure dont on faisait le procès. Il parla ainsi : « Accablé sous le poids d'une faute dont je sens toute l'étendue, je viens vous en faire, messieurs, un aveu tar- dif, peu méritoire peut-être, mais que je crois devoir à la vérité. C'est moi seul qui ai composé le mémoire contre Varenne. Je ne chercherai point d'excuse dans ma jeunesse ; je ne me justifierai point par mes bonnes intentions, par mon dévouement au bien public, par ma sen- sibilité sur l'offense faite à votre honneur. Non, messieurs, en faisant distribuer un ouvrage anonyme, je reconnais que je me suis manqué à moi-même , que j'ai manqué à ma compagnie, dont j'ai blessé les intérêts par mon zèle imprudent. Mon âme, au-dessus de la crainte, n'est sensible qu'à ses remords, n'est pénétrée que de ce sentiment profond et douloureux. Trop fier pour solliciter aucune grâce , trop vrai pour ne pas m'en croire indigne, permettez, messieurs, que je méjuge moi-même; permettez que je prononce sur mon sort, et que, par la démission volontaire de mon office, j'épargne à votre juste sévérité un jugement qui coûterait peut-être à la bonté de vos cœurs. » C'est à la remarquable étude de M. Foisset sur le président de Brosses que nous avons emprunté ce beau morceau oratoire. M. de Bevy fut mandé à Paris et envoyé à la Bastille. Il y demeura huit mois. Le 13 mai 1777, il obtint un office de Président au sein de la compagnie qu'il avait un instant compromise par son imprudente défense. Né à Dijon le 23 mars 1736, le président de Bevy y est mort le 21 février 1822, laissant plusieurs écrits estimés sur le droit, l'his- toire et la littérature. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 319 LXX Notel, p. 85. — MmeNecker a dit, en parlant du style de Gue- neau de Montbeillard : « M. Gueneau de Montbeillard avait une plume d'acier ; il n'a jamais pu imiter parfaitement les traits du doux pin- ceau de M. de Buffon ; il prononçait trop tout ce qu'il écrivait. » Buf- fon, de son côté, reprochait parfois à Montbeillard de ne point assez consulter son oreille en écrivant. Si Gueneau de Montbeillard mérite qu'on relève parfois dans son style un manque de souplesse et d'har- monie, dans certains passages il se rapproche à ce point du style de Buffon, qu'il en imite avec bonheur les plus précieuses qualités, dans cette phrase, par exemple : « Il semble que la nature ait pris plaisir à ne rassembler sur sa palette que des couleurs choisies, pour les ré- pandre, avec autant de goût que de profusion, sur l'habit de fête qu'elle leur avait destina. » (Histoire des Cotingas.) Note 2, p. 86. — Gueneau de Montbeillard venait de gagner un procès dans lequel de graves intérêts de fortune se trouvaient engagés. Note 3, p. 86. — L'instruction commencée contre le livre de Jac- ques Varenne languissait; l'incident auquel donna lieu le zèle incon- sidéré du conseiller de Bevy, et le châtiment qu'il s'était infligé à lui- même, avaient calmé les esprits; tout permettait de penser que cette malheureuse affaire allait se terminer, lorsque la Cour des aides de Paris, alors présidée parMalesherbes, évoqua l'affaire. Dans le ressort de cette Cour rentraient les comtés de Mâcon, d'Auxerre et de Bar-sur-Seine, annexes de la province de Bourgogne ; d'ailleurs, le mémoire de Varenne attaquait sa juridiction; elle prit fait et cause pour le par- lement de Dijon , et condamna au feu le mémoire du défenseur des droits de la province. Dès lors commença, entre le Conseil du Roi d'une part, la Cour des aides et le parlement de Bourgogne de l'autre, une lutte qui montre quelle importance le pouvoir royal attachait à avoir le dernier mot dans ce conflit. Les arrêts du Conseil cassent les arrêts du Parlement et les arrêts de la Cour des aides qui, à leur tour, refusent d'enregistrer les édits et rédigent des remontrances. Jacques Varenne, contre lequel un décret est lancé, se réfugie à Versailles, et la haute protection qui lui est accordée ne peut le mettre à l'abri des ressentiments du Parlement. Ses biens sont placés sous le sé- questre judiciaire, sa charge de secrétaire en chef des États de Bour- gogne est supprimée, et son fils aîné Varenne de Beost en perd la survivance ; sa famille est contrainte de fuir une ville où ses jours 320 NOTES sont menacés. Pour faire cesser une aussi violente persécution, on ne put trouver à Versailles d'autre moyen que d'accorder à Jacques Varenne des lettres de grâce. Elles furent enregistrées à la Cour des aides, le 29 août 1763. Obligé de se soumettre aux usages de la procédure, Jacques Varenne dut se constituer prisonnier et entendit à genoux ces paroles sévères que lui adressa le président Malesherbes: « Varenne, le Roi vous accorde des lettres de grâce, la Cour les en- térine; retirez- vous, la peine vous est remise, mais le crime vous reste. » LXXI Note 1, p. 86 — L'Académie de Dijon doit en effet beaucoup au président de Ruffey. Sa première origine remonte au président Bou- hier, qui , goutteux et infirme, réunissait un jour de la semaine dans sa vaste bibliothèque les hommes qui recherchaient les plaisirs de l'intelligence et aimaient dans le vieux président l'homme qui savait le mieux les faire goûter et comprendre. Sa mort fit un grand vide dans cette société naissante. Richard de Ruffey, un des habitués des réunions de l'hôtel Bouhier, offrit le sien aux membres dispersés de cette société toute de choix, et dont l'habitude avait cimenté les liens. Il fit bâtir, à cet effet, une vaste galerie où il rassembla des anti- quités, des médailles et des livres, tout ce qui encourage l'étude ou la satisfait. Le jour où Richard de Ruffey réunit chez lui les membres épars de la société familière du président Bouhier, elle subit un grand changement. Elle devint vraiment une société littéraire, eut des statuts, des membres non résidents et des associés étrangers. Buffon fut un des premiers élus. La séance d'installation se tint avec une certaine solennité à l'hôtel de Ruffey, le 19 avril 1752. A côté de la société Ruffey existait, depuis 1740, une Académie fondée par un doyen du Parlement, Hector-Bernard Pouffier; mais jusqu'à l'année 1754, époque à laquelle un prix décerné à un mémoire dont Jean- Jacques était l'auteur vint soudain la mettre en relief, elle ne fut ni aussi importante ni aussi nombreuse que la société Ruffey, sa rivale. Charles de Brosses avait la présidence de la société qui se réunissait dans la bibliothèque de Richard de Ruffey ; Michault, con- trôleur des guerres, en était le secrétaire. Le 3 avril 1761, le président de Brosses, ayant été élu par l'Acadé- mie de Dijon, chercha dès lors à réunir en une seule les deux sociétés littéraires dont il faisait simultanément partie. La tache lui fut, au reste, rendue facile; le président de Ruffey n'était point éloigné d'un rapprochement, et l'Académie, de son côté, sentait le besoin d'appe- ET ECLAIRCISSEMENTS. 321 1er à elle de nouveaux membres et de s'assurer ainsi de nouveaux moyens d'amélioration et de succès. Cette réunion se fit en 1762, et, à compter de ce jour, le président deRuffey, malgré quelques froisse- ments et quelques épreuves, toujours réservées aux hommes qui ont pris l'initiative d'une œuvre utile et bonne, se consacra à la prospé- rité de l'Académie, comme il s'était consacré au succès de la société littéraire qu'il avait fondée. L'Académie de Dijon avait augmenté, depuis deux ans, le nombre de ses membres en créant quatre nouvelles classes d'académiciens, deux pour les académiciens résidents, sous le titre d'associés libres, et deux pour les académiciens étrangers, l'une d'académiciens hono- raires et l'autre d'académiciens non résidents. En 1763, le prince de Condé en devint le protecteur, et les séances, qui avaient eu lieu jus- qu'alors dans une des salles de l'hôtel de ville, se tinrent dans une salle de l'Université. En 1774, l'Académie quitta l'Université et vint prendre possession de l'hôtel du président Bouchin de Grand- mont, dont elle avait fait l'acquisition. En 1765, le président de Rufîey lui avait abandonné son riche mé- daillier; il y fonda, dans les années qui suivirent, différents prix, et lui donna, jusqu'à sa mort, d'incessants témoignages de sa sollicitude et de sa libéralité. Membre honoraire de l'Académie, le 16 février 1759, il en fut élu vice-chancelier le 2 mars 176^. Voltaire, rendant justice à son activité et à son zèle pour la prospérité de l'Académie, lui écri- vait le k février 1769 : ce Mon cher Président, les marques de votre souvenir me sont toujours bien chères. Ne verrai-je point cette Aca- démie dont je vous regarde comme le fondateur ? » LXXII Note 1, p. 87. — Lebrun était un admirateur passionné et sincère du génie de Buffon , qui avait encouragé les premiers essais du poëte et qui lui pardonna peut-être de faire des vers, parce qu'il en était quelquefois l'objet. Lebrun, d'ailleurs, malgré l'indépendance naturelle de son caractère, connaissait l'art des flatteries délicates. Je trouve dans une lettre écrite à Buffon en 1778 ces quatre vers qui durent certainement toucher sensiblement le grand naturaliste : L'art forma de sang-froid, sans l'aveu du génie, Les Delilles, lesSaints-Lamberts. Buffon, je l'avouerai, j'aime assez peu les vers ; Mais j'adore la poésie. Lebrun se montra toujours reconnaissant des encouragements que i 21 322 NOTES Buffon lui avait prodigués, et saisit fréquemment l'occasion de célé- brer dans ses vers la prose harmonieuse du meilleur écrivain du dix- huitième siècle. LXXIII Note 1, p. 88. — M. Watelet venait d'envoyer à Buffon une nou- velle édition de son poëme de l'Art de peindre, qui, deux années aupa- ravant, lui avait ouvert les portes de l'Académie. L'Art de peindre parut en 1760 ; il est dédié à l'Académie de peinture, dont M. Watelet était membre à titre d'associé libre, et se compose de quatre chants traitant du dessin, de la couleur, de l'invention pittoresque, et de l'invention poétique. L'ouvrage est précédé d'un discours préliminaire et suivi de réflexions en prose sur les proportions, l'ensemble, l'équi- libre ou le repos des figures , leur mouvement, la beauté, la grâce, l'harmonie, l'effet des passions, etc. Le livre fut imprimé avec un grand luxe et donné au public en deux formats (in-4° et in-12), orné de vi- gnettes gravées par Watelet, d'après les dessins de Pierre. « Si le poëme m'appartenait, disait Diderot, je couperais toutes les vignettes, je les mettrais sous des glaces, et je jetterais le reste au feu. » Buffon en louant l'ouvrage, paraît oublier qu'il a dû le lire deux an- nées auparavant, lorsqu'il reçut M. Watelet à l'Académie française. 11 lui disait alors . « Vous venez d'enrichir les arts et notre langue d'un ouvrage qui suppose, avec la perfection du goût, tant de connaissan- ces différentes, que vous seul, peut-être, en possédez les rapports et l'ensemble; vous seul et le premier, avez osé tenter de représenter par des sons harmonieux les effets des couleurs; vous avez essayé de faire pour la peinture ce qu'Horace fit pour la poésie, un monument plus durable que le bronze. » (Voy. la note 4 de la lettre LXIII, p. 311.) LXXIV Note 1, p. 89. — Frédéric-Henri-Richard de Ruffey , né à Dijon le 29 mai 1750, fut pourvu, le 8 août 1768, d'une charge de conseiller au parlement de Bourgogne. Le 4 mars 1776, il devint président dans la même compagnie, et mourut à Dijon sur l'échafaud révolutionnaire, le 10 avril 1794. LXXV Note 1, p. 90. — La naissance d'un iils, mentionnée sur les re- gistres de la paroisse de Montbard de la manière suivante : « George- ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 323 Louis-Marie, fils de messire Georges-Louis Leclerc , chevalier, sei- gneur de Buffon, la Mairie et autres lieux, de l'Académie française, Trésorier de l'Académie royale des sciences, Intendant du Jardin du Roi, et.de dame Marie-Françoise de Saint-Belin-Mâlain, né de légitime mariage le 22 mai 1764, a été baptisé le même jour par nous, curé de Montbard soussigné, lequel, par un esprit de charité de la part des sieur et dame de Buffon, a eu pour parrain et marraine Guillaume Vigneron et Jeanne Sourdillet, veuve d'Antoine Lepate, deux pauvres de ma paroisse qui se sont soussignés. » Note 2, p. 90. — Le premier secrétaire de l'Académie de Dijon fut Jean-Bernard Michault, précédemment secrétaire de la société litté- raire fondée par le président de Ruffey. En 1764, il fut remplacé dans ce poste par le docteur Maret. Note 3, p. 91. — M. Le Gouz-Morin, ou plutôt Le Gouz de Gerland, né le 17 septembre 1695, mort le 17 mars 1774, fut grand bailli d'épée du Dijonnais. Membre de l'Académie de Dijon, il abandonna à cette compagnie un riche cabinet d'histoire naturelle, et enrichit la salle de ses séances des bustes en marbre des grands hommes de la province; parmi eux figurait le buste de Buffon par Pajou. Le Gouz de Gerland fonda le jardin botanique dépendant de l'Académie, qui existe encore et qui forme une des plus agréables promenades publi- ques de la ville de Dijon. Il eut la plus grande part à l'établissement de l'École des beaux-arts; il laissa en outre quelques écrits estimés. Note 4, p. 91. — En 1760, M. Duret, marquis du Terrail, et la dame de Crussol d'Uzès de Montausier, sa femme, qui devint depuis duchesse de Caylus, fondèrent un prix annuel de quatre cents livres à décerner par l'Académie de Dijon. « L'Académie de Dijon, disent les Mémoires de Bachaumont à la date du 29 octobre 1766, dans les annonces qu'elle avait faites du prix de 1767 sur les Antiseptiques, en avait fixé la valeur à la somme de trois cenîs livres; mais M. le marquis du Terrail, maréchal des camps et armées du Roi, académicien honoraire non résident, ayant fait, conjointement avec sa femme, une donation à l'Académie de Dijon de la somme de dix mille livres, pour fonder à perpétuité un prix de la valeur de quatre cents livres, par acte du 9 avril 1760, l'Académie de Dijon annonce en conséquence au public que son prix de 1767 et tous ceux qu'elle donnera dans la suite seront une médaille d'or de la valeur de quatre cents livres. » Le marquis du Terrail est l'auteur d'un roman assez curieux ayant pour titre : le Franciun ou VAnti-Whish. 324 NOTES LXXVI Note 1, p. 92. — Le sujet du prix proposé par l'Académie de Dijon pour être décerné dans l'année 1766 était le suivant : « Donner un traité élémentaire de morale (à l'usage des collèges), dans lequel les devoirs de l'homme envers la société et les principes de l'honneur et de la vertu soient développés. » Le mémoire couronné fut celui de M. Rose, prêtre de Quingey en Franche-Comté. Note 2, p. 92. — Au sujet des tomes X et XI de l'Histoire natu- relle, qui parurent en 1764, Grimm s'exprime ainsi : ce On comptera parmi les ouvrages qui ont illustré le siècle de Louis XV, YHisloire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roi, entreprise par MM. de Buffon et Daubenlon, de l'Académie royale des sciences, et garde du Jardin du Roi et de son Cabinet d'histoire naturelle. Ces deux hommes célèbres, en réunissant leurs talents et leurs connaissances, ont fourni jusqu'à présent une vaste et belle car- rière. M. de Buffon, après avoir exposé dans des discours généraux ses idées sur la formation, la constitution de l'univers, sur la nature et les révolutions de notre globe, sur l'homme, sur les animaux, s'est attaché à l'histoire particulière de chaque espèce; M. Daubenton y a ajouté la description anatomique et détaillée de chaque animal. Si le travail de M. de Buffon est plus brillant, s'il est reçu avec plus d'empressement de la part du plus grand nombre, qui ne cherche à avoir que des notions générales, il faut convenir que celui de M. Dau- benton sera bien précieux à la postérité; car si jamais la science de la nature peut faire quelque progrès, ce sera par de tels travaux Vé- pétés, comparés et transmis de siècle en siècle.... On a reproché à M. de Buffon une trop grande facilité à créer des systèmes et à s'en engouer; on a dit qu'il voyait moins la nature dans ses opérations que dans sa tête; de savants naturalistes des pays étrangers, et surtout d'Allemagne, où cette science est particulièrement cultivée, ont relevé un grand nombre de ses erreurs. Malgré tout cela, M. de Buffon aura toujours la réputation d'un philosophe distingué; l'élé- vation de ses idées et de son style lui donnera toujours un droit incon- testable à l'emploi difficile et glorieux d'historien de la nature. Si des gens d'un goût sévère lui reprochent un peu trop de poésie dans son style, il faut convenir que ce défaut se pardonne bien plus aisément que la sécheresse et la pauvreté qu'on remarque dans d'autres ou- vrages philosophiques de notre temps.... En lisant les deux nouveaux ET ECLAIRCISSEMENTS. 325 volumes que MM. de Buffon et Daubenton viennent de publier, et qui font le dixième et \e onzième de leur ouvrage, vous aurez occasion de vous confirmer dans toutes ces idées.... L'histoire de l'éléphant et celle du chameau sont les deux morceaux distingués; mais on admire dans tous les articles de M. de Buffon ce coup d'oeil philosophique, cette tête saine et sage, ce style noble, élevé, majestueux, qui enchante et agrandit pour ainsi dire le lecteur.... Dans son discours sur les ani- maux de l'ancien et du nouveau continent, M. de Buffon a exposé une assez belle et grande vue. Il prétend qu'on ne trouve dans l'Amérique que les animaux qui ont pu passer dans ce nouveau continent par le nord de l'ancien. Tous ceux à qui leur tempérament ne permet pas de subsister dans le Nord ne se trouvent pas dans le nouveau monde, parce qu'ils n'ont trouvé aucun passage praticable. Cette conjecture est belle et philosophique; mais il faut bien se garder de lui assigner un degré de certitude qu'elle ne saurait avoir, à cause de la disette des faits et des observations. 3> LXXVII Note 1, p. 92. — Daubenton avait des dettes et ne payait pas ses créanciers. Buffon était au nombre de ces derniers. Sur les comptes de son revenu, en entier écrits de sa main, je trouve, se rappor- tant à l'année 1784, la mention suivante : « Il m'est dû par M. Dau- benton, maire de Montbard, une somme de deux mille sept cents livres au principal, aux arrérages de cent huit livres. » Et sur le livre tenu pour l'année 1787 : « Il m'est dû par la succession de M. Dau- benton.... etc. » Georges-Louis Daubenton, maire-châtelain et lieutenant général de police de la ville de Montbard , neveu du collaborateur de Buffon , naquit le 29 septembre 1739, et mourut au mois de février 1585. Il se mit à la tète d'une pépinière fort considérable que lui avait léguée son père, voulut l'étendre et, en y consacrant une grande partie de son bien, se ruina dans une spéculation dont les résultats ne répondirent pas à son attente. Il avait épousé en 1771 Mlle Boucheron. LXXVIII Note 1, p. 93. — L'article de l'abbé Le Blanc se trouve dans le Mercure de septembre 1765. En voici le passage principal, celui dont Buffon a été le plus frappé : « On ne sait lequel admirer le plus, le peintre ou le philosophe, 326 NOTES dans ces savants tableaux que la première et la seconde vue sur la nature font passer successivement à nos yeux. C'est le spectacle de l'univers entier dont cet illustre académicien expose et fait sentir partout la majesté. Où peut-on déployer en effet plus convenablement toutes les richesses de l'éloquence que dans l'explication de ces pre- mières lois, qui annoncent la sagesse de 1 Être souverain qui en est l'auteur, et qui opèrent les merveilles dont le physicien doit rendre compte? L'admiration qu'elles inspirent ne peut manquer d'échauffer et d'étendre l'imagination de quiconque est capable de les bien con- cevoir : le style alors suit la pensée ; la grandeur des idées entraîne celle de l'expression. De là résulte dans le discours cette sublimité qui a mérité à Platon le titre de divin, et dont on trouve des traits si frappants dans ceux de M. de Buffon. Telle a toujours été la manière des anciens philosophes, lorsqu'ils ont agité ces grandes questions de physique qu'on ne peut expliquer sans remonter à la première cause. Ces maîtres dans l'art de penser n'excellaient pas moins dans celui de la parole. Cicéron, si excellent juge de l'un et de l'autre-, ne se borne pas à louer leur éloquence; quoique différente du celle du bar- reau, il avoue lui-même que, s'il est orateur, il en a moins l'obligation aux leçons des rhéteurs qu'aux exercices du Portique. Il s'appuie encore de l'autorité de Socrate, qui, dans le Phèdre de Platon, dit que Périclès n'a surpassé les orateurs de son temps que pour avoir souvent entendu discourir le physicien Anaxagoras. Il est même probable, ajoute Cicéron, que Démosthène n'est pas moins redevable de sa prééminence aux fréquents entretiens que, comme on l'apprend par ses lettres, il a eus avec Platon. Qu'il nous soit permis de remarquer, en faveur des jeunes gens qui aspirent à se distinguer dans l'art ora- toire, que de tous les philosophes modernes, M. de Buffon est celui dont les ouvrages peuvent le plus contribuer à les y perfectionner. Indépendamment des grandes idées qu'ils pourront y puiser, ils y trouveront continuellement des exemples du genre d'éloquence dont il a donné des leçons dans son discours de réception à l'Acadé- mie française. Nous ne craignons pas de l'avancer, notre langue a , dans ses écrits, un degré de force et un ton de dignité que ne pou- vaient soupçonner jusqu'ici ceux qui n'étaient pas faits pour y at- teindre.... » Note 2, p. 93. — Pierre-Antoine de La Place, né en 1707, mort au mois de mai 1793, obtint en 1762 le privilège du Mercure, comme récompense d'un service rendu à Mme de Pompadour. Sous sa di- rection, le Mercure ne fut pas prospère; les abonnements diminuèrent à ce point que le produit du journal devint insuffisant pour desservir ET ECLAIRCISSEMENTS. 327 les pensions qui y étaient attachées; on dit à ce sujet que le Mercure était tombé sur la place. Note 3, page 94. — Louis Phelyppeaux, comte de Saint-Florentin, fut ministre de la maison du Roi de 1749 à 1775. Louis XV montra toujours un grand attachement pour son ministre, malgré les récla- mations sans nombre auxquelles donnaient lieu chaque Jour les abus qu'il tolérait dans son département. Le Roi lui dit, Un jour que son crédit paraissait menacé : *< Il ne faut pas que vous me quittiez; vous avez trop besoin de moi, et moi de vous. » A la suite d'un accident de chasse arrivé en 1765, le comte de Suint-Florentin perdit la main droite. « Vous n'avez perdu qu'une main, lui dit Louis XV à ce propos, et vous en trouverez toujours deux chez moi à votre service. » Dans le public on fit ainsi l'épitaphe de la main du ministre : Ci-gît la main d'un grand ministre Qui ne signa que du sinistre. Dieu nous garde du cachet Qui met les gens au guichet ! On sait que dans les attributions du ministre de Paris rentrait l'ex- pédition des lettres de cachet. Une comtesse de Langeac en fit, durant tout le ministère du comte de Saint-Florentin, un commerce public. Note 4, p. 94. — Gabriel-Henri Gaillard, né le 26 mars 1726, mort le 13 février 1806. Note 5, p. 94. — Antoine-Léonard Thomas, né le 1er octobre 1732, mort le 17 septembre 1785, s'est fait une réputation littéraire dans un genre à part, et dans lequel excellèrent à leur tour Condorcet et Vicq-d'Azir. dans le genre de l'éloge. Il débuta par un éloge du ma- réchal de Saxe, couronné par l'Académie française en 1759, et finit par l'éloge de Marc-Aurèle. Parmi ses meilleures productions en ce genre, on peut citer l'éloge du chancelier d'Aguesseau et l'éloge de Duguay-Trouin, tous deux couronnés par l'Académie française, le pre- mier en 1760, le second en 17.61; l'éloge de Sully, qui lui valut le même honneur en 1763. Note 6, p. 94. — En 1764, l'Académie française avait proposé pour prix d'éloquence 1 éloge de Descaries. Deux cents mémoires furent envoyés; quinze dans le nombre parurent dignes d'être con- servés; deux enfin se partagèrent les suffrages. Le contrôleur général 328 NOTES Laverdy, pour tirer l'Académie d'embarras, offrit une somme de deux cents écus destinée à constituer un second prix ; l'Académie refusa l'offre du ministre, et la médaille d'or de six cents livres fut divisée en deux prix de trois cents livres; les deux lauréats furent Thomas et Gaillard. LXXIX Note 1, p. 94. — Claude-Sébastien de Brosses, fils du président de Brosses et de Françoise Castel de Saint-Pierre, mourut à Dijon, malgré les soins que lui prodigua le docteur Maret, le 29 mai 1765. LXXX Note 1, p. 94. — Traité de la formation mécanique des langues et des principes physiques de l'étymologie. 2 vol. in-12. Paris, Vincent, 1765, et Terrelonge, an IX (1801). — Traduit en allemand, Leipzig, 1777,in-8°. Le président de Brosses écrivait, en 1761, à M. de Fargès, maître des requêtes, oncle germain de Mme de Brosses, une lettre dans laquelle se trouve le passage suivant : « J'avais composé quelques mémoires sur la matière étymologique pour les séances académi- ques, où ils furent lus. Mais, trouvant moi-même la matière trop abstraite et plutôt philosophique que littéraire, je ne les donnai pas à l'Académie (des belles-lettres), et je les réduisis en forme de traité particulier sous ce titre : De la formation mécanique des langues et des principes physiques de Vètymologie, avec cette épigraphe de Quin- tilien : a Ne quis igitur tam parva fastidiat elementa , » etc. ou cette autre de Lucrèce : « Sicque adopinamur de signis maxuma parvis. » M. de Buffon, qui en avait ouï parler dans les conférences des deux Académies, souhaita de voir ce traité et fut saisi de satisfaction de voir ouvrir un vaste champ de métaphysique qu'il n'avait pas aperçu (par la seule raison qu'il n'avait pas jeté les yeux de ce côté-là, où i! l'aurait vu mieux que personne). 11 loua l'ouvrage au delà sans doute de ce qu'il valait, me pressa fort de le mettre en ordre et de le ter- miner.... » {Le Président de Brosses, par Th. Foisset, p. 549.) ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 329 Note 2, p. 96. — Le passage relatif à l'histoire des lions marins, au sujet duquel le président de Brosses s'était plaint à Buffon de la façon dont il avait combattu son opinion, est ainsi conçu : ce La plus grande espèce est celle du phoque à museau ridé, que plusieurs voyageurs, et particulièrement le rédacteur du Voyage d'Anson, ont indiqué sous la dénomination de lion marin, mais mal à propos, puisque le vrai lion marin porte une crinière que celui-ci n'a pas, et qu'ils diffèrent encore entre eux par la taille et par la forme de plusieurs parties du corps L'on trouve dans le Recueil des naviga- tions aux terres Australes, beaucoup de choses relatives à ces ani- maux , mais les descriptions et les faits ne nous paraissent pas exacts )> (Histoire du grand phoque à museau ridé.) Dans la suite, chaque fois que Buffon eut occasion de citer l'ouvrage du président de Brosses, il le fît en lui donnant toujours les plus grands éloges. LXXXI Note 1, p. 97. — Nicolas-Louis-François de Neufchâteau , né le 17 octobre 1750, mort le 10 janvier 1828, fut tour à tour, et parfois en même temps, homme de lettres et homme politique. Sa carrière po- litique, qui devait le conduire aux premières charges de l'État, com- mença tard ; mais sa carrière littéraire, qui devait embrasser une si grande variété de sujets, commença de bonne heure : à douze ans, il écrivait en vers avec facilité et talent. En 1766, parut à Neufchâteau un recueil in-8° portant ce titre : Pièces fugitives de M. François de Neufchâleau en Lorraine, âgé de quatorze ans. C'est de ce livre, que lui avait envoyé le président de Ruffey, que Buffon dit, après l'avoir lu : a Dans ces vers il y a moins de feu et plus de maturité , de raistfn et de style que cet âge n'en comporte. » A quatorze ans, Fran- çois de Neufchâteau fut académicien , les Académies de Lyon et de Marseille l'ayant successivement appelé dans leur sein. Il fut élu mem- bre de l'Académie de Dijon, le 18 janvier 1765. Note 2, p. 97. — Le président de Brosses venait de perdre son fils unique. Note 3, p. 98. — Le premier peintre dont le souvenir ait été con- servé au Jardin du Roi est le peintre Robert, chargé par Colbert do continuer la collection des fleurs et des plantes peintes sur vélin , commencée par Gaston d'Orléans, père do Louis XIII. Gaston d'Or- 330 NOTES léans avait créé dans son château de Blois un jardin botanique, long- temps dirigé par Morison ; il en fit dessiner les plantes les plus rares. Sa collection fut achetée par le Roi ; déposée d'abord à la Bibliothèque, elle fut remise ensuite au Cabinet d'histoire naturelle. Après Robert, mort en 1684, le peintre Aubriet qui, en 1698, avait accompagné Tournefort dans son voyage en Orient, enrichit cette précieuse col- lection de dessins nouveaux. MlleBasseporte, son élève, continua son œuvre. En 1774, Buffon avait donné sa survivance à un peintre déjà célèbre, Gérard Van Spaëndonck, qui, en 1780, par la mort de Mlle Basseporte, en devint titulaire. Dans la suite on créa pour lui la chaire d'iconographie, et en 1821, il mourut membre de l'Institut. Un nom, le plus célèbre de tous, clôt la liste des peintres qui ont tra- vaillé à la riche et unique collection des vélins conservés au Muséum. Redouté fut appelé par van Spaëndonck pour l'aider dans son travail. En 1822 il succéda à son maître, et occupa à sa place la chaire d'ico- nographie. Les planches enluminées de l'édition de l'Histoire des oiseaux, dont parle Buffon dans sa lettre au président de Ruffey, furent faites avec beaucoup de précision et de soin. Chaque oiseau était dessiné d'après un modèle vivant ou empaillé, mais toujours d'après nature; on ne prit, pour se guider dans ce travail , ni dessins ni gravures. Pendant cinq ans cette entreprise occupa, Buffon l'a dit • lui-même dans l'avertissement placé en tête du premier volume des Oiseaux, plus de quatre-vingts artistes et ouvriers. Cette édition uni- que est aujourd'hui fort rare et très-recherchée. Buffon avait fait encadrer les premiers types de chaque espèce, et ces cadres, com- posés d'un filet d'or fort simple, suspendus les uns près des autres, de façon à ce que la tenture ne parût pas, garnissaient à Montbard plu- sieurs de ses appartements. On y voit encore aujourd'hui deux pièces ainsi décorées. On connaît l'ordre avec lequel Buffon réglait les affaires de sa vie et ses intérêts domestiques ; les dettes lui semblaient une des plus funestes conséquences du désordre; parfois il disait familièrement, en faisant allusion aux affaires du temps : Cela va bien, on paye. Un jour, un souscripteur à l'Histoire naturelle des oiseaux, à qui Pane- koucke en avait vainement réclamé le prix, rencontrant Buffon qui était de sa connaissance, l'aborda, et croyant flatter son amour- propre d'auteur, lui fit un grand éloge de la beauté de l'édition, van- tant la bonne exécution des planches et l'exactitude des couleurs. « Avant de louer l'ouvrage, lui dit froidement Buffon, il faudrait le payer. » Et il le quitta. Parmi le grand nombre de peintres et d'artistes employés par Buf- fon à cette œuvre importante, s'en trouvait un du nom de Touzet, ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 331 élève de l'Académie, mais en même temps doué d'un talent d'imita- tion qui, mieux que ses travaux en peinture, lui valut à la ville et à la cour, où on le fit souvent venir, une certaine célébrité. Buffon rem- mena quelquefois à Montbard , et c'était une véritable bonne fortune pouFceux qui venaientalors le visiter. Voici, au reste, ce que dit Grimm au sujet de ce rare talent : « Ce Touzet est célèbre à Paris depuis quelques années par le talent d'imiter et de contrefaire, qu'il possède au suprême degré. Non-seulement il contrefait toutes sortes de per- sonnages et de caractères avec une perfection qui ne laisse rien à désirer, mais il imite encore à lui seul une collection de bruits et de phénomènes physiques. On le place au milieu d'un salon, derrière un paravent, et l'on entend tuut un essaim de religieuses qui vont à ma- tines : on les entend se lever, se réunir, descendre des corridors dans l'église, chanter l'office, faire la procession, rentrer dans le couvent et se disperser dans les cellules. On distingue 1 âge, le caractère, l'hu- meur, les infirmités de chacune de ces nonnes; on se croit transporté au milieu d'un couvent. La matinée du village, le dimanche, est encore plus surprenante : on se trouve transporté dans un village rus- tique; on assiste au lever du ménager et de la ménagère, à leurs fonc- tions matinales : on les accompagne à l'écurie, à la basse-cour, dans la rue, à la messe ; on entend le sermon ; on les suit dans le presby- tère; on devine le caractère du curé, de sa gouvernante, de son chien même, qui ne jappe pas comme un chien de paysan. Tout cela est d'une vérité surprenante. Ce Touzet observe les plus petites nuances avec une justesse qui confond. Tout le monde a voulu le voir, depuis nos princes jusqu'aux plus petits particuliers; il a même, je crois, représenté ses facéties chez Madame la Dauphine. » Note 4, p. 98. — Claude-Denis-Marguerite Rigoley de Puligny, né à Dijon, le 5 mai 1742, mort le 2 septembre 1769, fut pourvu d'une charge de conseiller au parlement de Bourgogne, le 23 février 1763. En 1769, il succéda à son père dans sa charge de premier président de la Chambre des comptes de Dijon, et mourut peu de temps après avoir été installé dans sa nouvelle dignité. Note 5, p. 98. — Thomas du Morey, ancien officier de cavalerie, chevalier de l'ordre de Saint-Michel, ingénieur du Roi et ingénieur en chef de la province de Bourgogne, a souvent aidé Buffon de ses lu- mières et de ses conseils dans les nonibreu-es constructions qu'il entreprit à diverses époques, soit à Montbard, soit dans les forges de Buffon. Il fournit à Buffon plusieurs renseignements utiles , et lui adressa, sur les minéraux, divers mémoires dont quelques-uns se 332 NOTES trouvent insérés dans cette partie de l'Histoire naturelle. La Bour- gogne lui est redevable d'un grand nombre de constructions impor- tantes, et notamment de l'élégant château d'Arcelot, bâti sous sa direction, de 1762 à 1765. Thomas du Morey fut reçu membre de l'Académie de Dijon, le 26 juin 1772. Note 6, p. 98. — M. Hébert était receveur général des fermes, et en même temps trésorier de l'extraordinaire des guerres. Il réunis- sait en lui deux qualités qui, en général, semblent s'exclure, le goût de la chasse et la patience de l'observation. Il fournit à Buffon un grand nombre de mémoires sur les oiseaux, et son nom est souvent cité dans les volumes de l'Histoire naturelle qui traitent de leur his- toire. Dans une lettre que lui écrit Buffon, en 1778, et qui fait partie de ce recueil, il lui dit en l'engageant à venir le trouver à Montbard : «c Je décrirai des oiseaux et vous en chasserez. » - LXXXÏI Note 1, p. 98. — Charlotte-Louise de Fortia, mariée le 7 mars 1747 à Étienne-Marie, marquis de Scorailles, maréchal de camp en 1744 et lieutenant général en 1748. Le marquis de Scorailles fut élu de la no- blesse aux états généraux de Bourgogne pour la triennalité de 1754, et choisi par le roi., en cette qualité, pour recevoir le prince de Condé. Note 2, p. 98. — On aime chez Buffon cette grande confiance dans l'achèvement de son œuvre, ce robuste courage que ne lassent ni les lenteurs d'un semblable travail , ni les difficultés sans nombre qui viennent chaque jour en retarder l'achèvement. Sa santé devient mauvaise, ses souffrances redoublent, ses forces diminuent, il re- grette les retards que la maladie apporte à ses travaux; mais il ne change en rien son programme et poursuit son but. Le jour où Buffon , s'étonnant lui-même de cette ardeur que rien ne lasse, se demandera pourquoi il fuit le repos; pourquoi, au lieu de jouir paisiblement de sa gloire, il affronte de nouvelles fatigues, il en trouvera la raison dans un penchant de son caractère qui devint sa plus utile vertu. V amour de V ordre, il en fera lui-même l'aveu à Mme Necker, aura été son guide, bien plus que l'ambition de la gloire; en lui obéissant, il se sera mis au-dessus des découragements inséparables de toute tâche laborieuse, et aura consacré sa vie entière à des travaux que la mort seule pourra interrompre. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 333 LXXXIII Note 2, p. 101. — Georges-Louis Daubenton, dont il a déjà été question. (Voy. ci-dessus p. 325). LXXXIV Note 1, p. 102. — En 1762, Mlle Buisson fut impliquée dans l'affaire Varenne. Elle avait été l'éditeur du trop fameux Mémoire pour les élus généraux des Etats du duché de Bourgogne, imprimé chez Desventes, le 26 mai 1762. Tandis que la Cour des aides de Paris lançait un dé- cret de prise de corps contre Desventes, elle recevait une assignation pour être entendue dans celte longue affaire. Desventes fut contraint de quitter Dijon ; Mlle Buisson, plus heureuse, fut renvoyée de toute poursuite. Note 2, p. 102. — Mme de Rochechouart, dame de la Croix-Étoilée, montra un goût très-vif pour l'élude de l'histoire naturelle, et consa- cra des sommes importantes à la fondation d'un cabinet dont elle en- richit, dans la suite, l'Académie de Dijon. Note 3, p. 102. — Hugues Maret, né le 16 octobre 1726, mort le 11 juin 1785 , était docteur en médecine, membre du collège de mé- decine de Dijon, inspecteur des eaux minérales, médecin des épidé- mies de la généralité de Bourgogne, professeur de chimie, correspon- dant de l'Académie des sciences, et membre de la Société royale de médecine. Le 7 décembre 1764, il avait été élu secrétaire perpétuel de l'Académie de Dijon. Hugues-Bernard Maret , duc de Bassano , ministre de l'Empereur, né le 2 mars 1763, mort le 16 mai 1839, est le fils du précédent. M. le duc de Bassano, aujourd'hui grand chambellan et sénateur, est son petit-fils. LXXXV Notel, p. 102. — Elisabeth Potot de Montbeillard se maria fort jeune à Gueneau de Montbeillard; aucun lien de parenté ne l'unissait à ce dernier, malgré la ressemblance des noms, qui provient sans doute d'une même seigneurie possédée à différentes époques par les 334 NOTES deux maisons. Mme de Montbeillard eut toutes les vertus modestes de son sexe : ce fut, de plus, une femme d'esprit, en môme temps que d'une instruction variée et étendue. Elle savait le latin, le grec, l'an- glais et d'autres langues vivantes. S'intéressant aux travaux de son mari, elle l'aidait dans ses recherches, et traduisait pour lui les pas- sages des naturalistes étrangers dont la connaissance lui était néces- saire. Dans le temps que Montbeillard, fatigué des oiseaux, s'occupait de l'histoire naturelle des insectes, elle apprit en trois mois, et en se cachant de son mari , l'allemand que lui-même ne savait pas, et lui apporta un soir la traduction de plusieurs passages de Rhœsel, qu'elle l'avait plusieurs fois entendu regretter de ne point comprendre. Malgré ces occupations sévères de l'intelligence, on remarquait dans Mme de Montbeillard les qualités les plus aimables. A Semur, elle était devenue le lien d'une société toute de choix, dont quelques mem- bres, à l'exemple du chevalier de Bonnard , allèrent plus tard porter ailleurs les charmantes traditions. A cette époque , il y avait encore en province une société dont on cherche vainement la trace aujour- d'hui. Autour de Mme de Montbeillard, se groupait, à Semur, un cer- cle de femmes spirituelles et instruites, parmi lesquelles la marquise du Châtelet ne se trouvait point déplacée. Quant aux qualités du coeur, Mme de Montbeillard les posséda toutes, et l'exquise sensibilité de son âme ne fut pas un des moindres attraits de cette nature d'élite. Familièrement et dans l'intimité on l'appelait le Mouton , tant sa douceur était grande, tant aussi son désir de s'effa- cer pour ne froisser l'ambur-propre de personne était vif et constant. Gueneau de Montbeillard a laissé d'elle ce bel éloge, qu'il ne lui con- naissait qu'une seule passion, la passion du devoir. Elle fut bonne mère, et son fils unique, que Bufîon donnait souvent pour modèle au sien, lui dut les meilleures leçons, celles qui viennent de l'exemple. Elle survécut à son mari, et les soins assidus de sa tendresse mater- nelle cachaient mal à certaines heures les larmes et les regrets de la veuve. Mme de Montbeillard a laissé, un monument de sa tendresse conjugale; elle a écrit une histoire de la vie de son mari. Nous ne sau- rions mieux faire, pour mettre en lumière les rares qualités de l'un et l'autre, que de donner ici cttte biographie; elle est d'ailleurs tout à fait à sa place. En effet, les lettres qui suivent vont montrer Buffon nouant avec Gueneau de Montbeillard des relations que la mort seule pourra rompre. La notice de Mme Gueneau de Montbeillard fut rapidement écrite; quoi qu'il ensuit, elle intéresse vivement et renferme des traits d'une observation profonde, des aperçus d'une délicatesse charmante. Gueneau de Montbeillard était membre de l'Académie de Dijon, et Guyton de Morveau fut désigné pour y prononcer son éloge; mais ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 335 il ne put, ou plutôt ne voulut pas se charger de ce travail, et l'abbé Bertrand, professeur de physique au collège des Godrans, membre aussi de l'Académie, le remplaça à l'improviste. Il écrivit à Mme de Monlbeillard une lettre qui nous a été conservée , et cette dernière répondit à sa demande par la biographie qui suit : A MADAME GUENEAU DE MONTBEILLARD, A SEMUR EN AUXOIS. Madame, L'Académie, consultant la sensibilité démon cœur plus que la mé- diocrité de mes talents , vient de me charger de faire l'éloge de mon immortel ami. Je vous prie, en conséquence, de vouloir bien me faire passer, le plus tôt possible, une notice succincte sur ses premières an- nées et ses premiers travaux; car l'éloge est irrévocablement attaché à la séance du 17 décembre prochain. Ne me demandez pas, je vous prie, par quelle fatalité M. de Mor- veau s'est laissé décharger d'un fardeau aussi glorieux, et ne me ren- voyez point à lui pour avoir les mémoires que vous lui avez communi- qués-, je ne puis à cet égard satisfaire ni votre curiosité ni vos désirs. Je me contenterai de vous faire part de la commission dont l'Acadé- mie a bien voulu m'honorer et du zèle que, j'aurai à la remplir. J'ai l'honneur d'être, avec un profond respect, madame, votre très-humble et très obéissant serviteur. Bertrand. (Inédite. — Appartient à la ville de Semur et est conservée dans sa Biblio- thèque.) BIOGRAPHIE DE M. GUENEAU DE MONTBEILLARD, PAR MADAME DE MONTBEILLARD. Philibert Gueneau de Montbeiliard naquit à Semur le 2 avril 1720, d'une famille noble ; il passa son enfance dans la maison paternelle, fit ses premières études au collège des Carmes , à Semur, avec son frère aîné, M. de Mussy, sous les yeux d'un père tendre, éclairé, qui jouissait dans sa petite ville d'une grande considération, et qui , s'é- tant livré à la jurisprudence, était devenu par ses lumières et par son intégrité l'arbitre de ses concitoyens dans tous leurs différends, mais qui ne laissait pas de trouver le temps de veiller à l'éducation, à l'in- struction de ses enfants, de leur inculquer les grands principes de la 336 NOTES morale et surtout de la justice, en môme temps qu'il leur donnait l'exemple des vertus domestiques. M. de Montbeillard montra de bonne heure beaucoup de pénétra- tion, une extrême sensibilité, une franchise qui tenait non-seulement à la droiture, mais encore à la fierté et à l'indépendance de son ca- ractère. A l'âge de douze ans, il fut mis au collège de Navarre, à Paris, avec son frère. Leur père les y conduisit et les fit entrer le jour de la distri- bution des grands prix, circonstance bien choisie pour exciter l'ému- lation. Elle fit tant d'impression sur M. de Montbeillard, qu'il se la rappelait encore dans les derniers temps de sa vie, et en parlait sou- vent, et toujours avec émotion. Quoique l'indépendance fût un des principaux traits de son carac- tère, ce n'était point esprit de révolte; il se soumettait si aisément à l'autorité légitime et raisonnable, qu'il s'est fortement attaché à quel- ques-uns de ses maîtres dans tous les collèges où il a été. L'exil d'un de ses maîtres de Navarre l'affligea tellement, que son père le fit passer, toujours avec son frère, au collège d'Harcourt. Mais il ne pouvait se plier à certaines routines inévitables dans l'instruction publique, et dont la justesse prématurée de son esprit lui faisait sentir l'inconvénient. Par exemple, quoiqu'il apprît par cœur avec beaucoup de facilité les morceaux qui lui faisaient impression, jamais on ne put l'assujettir à apprendre telle ou telle leçon, et le prix de mémoire est le seul qu'il n'ait jamais remporté; mais il avait souvent les autres. Il lui arriva au collège d'Harcourt une chose assez singulière au sujet du prix de composition; un de ses camarades l'ayant prié de faire son ouvrage, M. de Montbeillard y travailla si loyalement que ce camarade eut le premier prix et lui le second. Cependant, quoiqu'il fût un des bons écoliers du collège, il n'y fit pas une sensation porportionnée à ses grandes dispositions. Son génie avait besoin de liberté pour se déployer, et ne pouvait s'astreindre.à la marche compassée d'une troupe. En 1735, son père le retira de Paris, d'où son frère, qui avait fini ses classes en 1735, àTroyes,était revenu depuis un an. M. de Montbeillard fut mis au collège de l'Ora- toire à Troyes. Il y trouva des maîtres habiles qui saisirent la vraie manière de cultiver ce génie rare, de favoriser son développement, c'est-à-dire de n'y point mettre d'obstacle ; ils l'admirent dans leur société intime, le débarrassèrent par degrés de toutes les entraves du collège; et voyant qu'ils obtenaient d'autant plus de lui qu'ils en exi- geaient moins, ils en vinrent jusqu'à le dispenser de tout travail réglé : il faisait ce qu'il voulait, et quand il avait fini quelque ouvrage, il l'apportait à la classe , où le maître le lisait toujours avec éloge. Ce fut ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 337 donc sous l'influence de la liberté que son génie prit véritablement l'essor. Il fit quantité de petits ouvrages, et même deux poëmes latins assez étendus : l'un sur l'art de dompter le cheval, l'autre sur la fa- brication du papier. Il prit l'idée de ce dernier à une papeterie établie près de Troyes. Il lui fallut pour cet art moderne créer les expres- sions : les auteurs anciens ne pouvaient lui en fournir de modèles. Le talent de la poésie se montre dans tous ses ouvrages, et quoique dans la suite d'autres études l'aient empêché de s'y livrer, son goût l'y ra- menait sans cesse : chaque événement, chaque découverte dans les sciences, chaque circonstance de société, lui inspirait des vers char- mants et quelquefois sublimes. Porté à l'enthousiasme par son génie ardent et sa sensibilité, il se passionna et pour les lettres et pour les maîtres à qui il devait la liberté de les cultiver à son gré; il se passionna également pour leurs opinions, forma le projet d'entrer dans leur congrégation, s'échauffa avec eux des controverses théologiques, et devint un janséniste zélé. Enfin, l'excès du travail, les exercices de dévotion, les veilles, les austérités le firent tomber malade, en 1737, à dix-sept ans. Dès que son père en fut averti , il l'alla chercher, le ramena à Semur : sa ma- ladie fut grave; sa convalescence longue sembla dégénérer en maladie chronique. ïl fut plus d'un an à se rétablir. Pendant ce temps de repos forcé, son esprit, qui ne pouvait rester dans l'inaction, se replia sur lui-même; son imagination calmée lui permit d'examiner de sang-froid les opinions qu'il avait adoptées; il renonça à tout esprit de parti, ses idées se fixèrent : il prit à cette époque le goût de la métaphysique, sans perdre celui des belles-lettres. Rétabli, il alla faire son droit à Dijon. Son goût était décidé pour d'autres études; il n'entreprit celle-ci que par respect pour la volonté d'un père qu'il chérissait, et donna toujours la plus grande partie de son temps aux belles-lettres. Sa pénétration, la justesse de son esprit et surtout les entretiens de son frère, qui faisait une étude approfondie de la jurisprudence, suppléèrent à l'assiduité, et il acquit assez de connaissances en ce genre pour être en état, dans la suite de sa vie, de discuter avec les jurisconsultes des affaires épineuses, de faire d'excellents mémoires dans quelques affaires importantes de ses amis, et d'en terminer plusieurs en qualité d'arbitre. Pendant son séjour à Dijon , il fut fort accueilli par le président Bouhier, et admis dans sa société composée de quelques gens de lettres; et ce célèbre magistrat, qui savait par lui-même que les lettres sont compatibles avec l'étude des lois , fit son possible pour engager M. de Montbeillard dans la rpbc, suivant les vues de sa famille. On a trouvé de lui des lettres fort amicales où il l'y exhorlait. i 22 338 NOTES M. de Montbeillanl revenait passer l'automne dans sa famille , et s'y trouva lorsque son père fut frappé d'apoplexie et de paralysie, en septembre 1741, à la campagne. Cette attaque fut suivie de plusieurs autres, qui le conduisirent au tombeau dans l'espace de six. mois. M. de Montbeillard passa ce temps à la campagne, partageant avec sa mère et son frère les soins qu'exigeait l'état de ce père chéri. Ils ne le quittaient point, le veillaient tour à tour, et dans les moments où quelque lueur de mieux leur laissait plus de liberté d'esprit, ils s'amu- saient à lire de bons ouvrages et à apprendre l'italien. Ce bon père le remarquait avec attendrissement et disait à sa femme : t Je suis heu- reux dans mon malheur d'avoir des enfants qui me servent avec tant d'affection, et à qui des occupations utiles servent de récréation, i Au mois de mars 1742, M. de Montbeillard eut la douleur de voir expi- rer son père. Ce cruel spectacle lui fit une impression qui ne s'est jamais effacée et qu'il exprimait toujours de la même manière, encore dans les derniers temps de sa vie; il disait qu'au moment de la mort de son père, il lui sembla que la terre manquait sous ses pieds. Il resta encore quelque temps auprès de sa mère, puis retourna à Dijon, y fut reçu avocat au mois de juin 1742, et revint à Semur. Après y avoir passé quelque temps, son goût pour les lettres et pour les sciences augmentant toujours, il jugea qu'il trouverait plus de se- cours pour les cultiver à Paris, et obtint de sa mère et de ses autres parents, notamment d'un oncle paternel qu'il regardait comme son se- cond père, la liberté d'y aller demeurer. Il revenait passer l'automne à Semur. Ni le séjour de Paris ni les études auxquelles il se livra n'affaiblirent son attachement pour ses proches. 11 acquit des connais- sances approfondies dans toutes les branches des sciences; il se lia avec les hommes les plus célèbres, s'en fit des amis qu'il a toujours conservés, et dont le nom suffirait pour faire son éloge, MM. de Buffon, Daubenton , Diderot, etc. C'était dans leurs entretiens qu'il se délas- sait d'un travail assidu et qu'il puisait une nouvelle ardeur pour les sciences. Il s'y livrait sans autre vue que de satisfaire son goût, sans aucun projet de se faire connaître, quoique ces mêmes amis l'y exci- tassent. En 1754, ils le déterminèrent à se charger de la collection acadé- mique, dont le premier éditeur, M. le docteur Bériat, venait de mou- rir. L'universalité de ses connaissances le rendait très-propre à con- duire cette entreprise dont l'utilité le frappa, l'entraîna, lui fit fermer les yeux aux peines, aux fatigues de l'exécution. Cette collection, lors- qu'il s'en chargea, était un chaos; M. de Montbeillard le débrouilla, établit un plan dont il rendit compte dans le discours préliminaire du premier volume qu'il donna. On y voit quel travail s'imposait l'édi- ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 339 teur : il fallait dévorer les immenses recueils de toutes les académies étrangères depuis leur fondation, pour choisir dans chaque volume quelques mémoires, et souvent dans de longs mémoires quelques morceaux convenables à son plan , les indiquer avec précision à des coopérateurs dispersés au loin , recevoir leurs extraits lorsqu'ils étaient finis, et comparer ces extraits aux originaux. Il lui en aurait moins coûté de temps et de peine pour faire le tout lui-même. On sait le succès de ce discours; bien des personnes s'obstinèrent longtemps à l'attribuer à M. de Buffon , et lui en faisaient des compli- ments; on ne voulait pas croire que ce fût un début ni qu'un homme capable d'un pareil ouvrage n'en eût encore donné aucun. En effet, quoique ses portefeuilles fussent pleins d'excellents morceaux, il n'a- vait jamais rien donné que le nom Etendue dans Y Encyclopédie, article qui, n'ayant pas beaucoup de lecteurs, ne pouvait le faire connaître. Marié en 1756 à Semur, et parla rendu à sa patrie et à ses proches, il ne fit plus que quelques voyages assez rares à Paris, se renferma dans un petit cercle d'amis; ses liaisons s'étendirent, il se prêta plus à la société , et établit chez lui un concert qui a duré plus de vingt ans. Adopté par l'Académie de Dijon en 1761 , il y lut en 1766 un mé- moire sur l'inoculation, à l'occasion de celle de son fils unique ; il l'a- vait inoculé lui-même avec le plus heureux succès, après avoir fait un voyage à Paris pour conférer avec les plus célèbres inoculateurs et suivre des inoculations. Il donna le premier dans l'Auxois l'exemple de cette salutaire pratique, qui s'est soutenue et répandue de là dans le Nivernais, l'Autunois, etc. Il avait trop connu la tendresse filiale pour ne pas mettre son bonheur à en être à son tour l'objet , et ne pas porter au plus haut degré la tendresse paternelle. Aussi son temps se partageait entre l'éducation de son fils et son travail pour la collec- tion académique ; il s'en occupait au préjudice de ses affaires, mais s'en laissait détourner par les affaires des autres. Une maladie de nerfs, qui lui causa un important retard , lui fit quitter cette entreprise à laquelle il s'était fort affectionné, à cause de sa grande utilité. Il se passionnait pour tout ce qui lui paraissait utile, et lorsqu'il avait imaginé quelque projet de bienfaisance, soit publique, soit parti- culière, il ne pouvait plus s'occuper d'autre chose jusqu'à ce qu'il le vît réalisé ou qu'il en eût tout à fait perdu l'espérance. Dans une année de disette (1771), il fit présenter à l'administration de la charité de Semur, par M. de Mussy, son frère, qui en était membre, un projet pour supprimer la mendicité et pourvoir à la subsistance des pauvres. Ce projet, qu'il avait fort à cœur de faire réussir, et qu'il appuyait de bonnes raisons dans un mémoire, fut fort approuvé par plusieurs 340 NOTES administrateurs; d'outrés y firent des objections , et , quoiqu'il ne fût pas rejeté , il resta sans exécution. M. de Montbeillard, qui avait toujours répugné à se mêler des af- faires publiques, en fut plus dégoûté que jamais, et se restreignit comme auparavant à faire en son particulier tout le bien qu'il pouvait, suppléant aux secours effectifs, nécessairement très-bornés dans une fortune médiocre, par toutes. les ressources d'un esprit fécond, excité par un vif sentiment d'humanité; il faisait môme beaucoup plus de bien en ce genre qu'il ne paraissait en faire : il était l'âme de la plu- part des projets utiles , quoiqu'il ne voulût plus y paraître , et il appuyait ceux dont l'idée était venue de quelque autre avec autant de zèle que ceux dont il était l'auteur. La misère du pauvre le tour- mentait véritablement; les dames de la charité le voyaient avec atten- drissement et même avec quelque étonnement suspendre toutes ses occupations pour entrer avec elles dans les détails les plus minutieux sur les besoins de cette classe souffrante et trop dédaignée. Les jeunes gens qui avaient quelque goût pour les sciences, les lettres, les arts, trouvèrent chez lui tous les secours qu'ils pouvaient désirer, conseils, livres, etc. Sa bibliothèque, précieuse surtout en livres étrangers sur les sciences, leur était toujours ouverte. Après avoir quitté la collection académique, cet ouvrage qu'il avait presque créé, tant il en avait amélioré le plan, M. de Montbeillard pa- raissait bien éloigné de s'engager dans aucune autre entreprise qui l'obligeât encore à prendre des termes fixes. Il ne se serait donc ja- mais déterminé à travailler à l'Histoire des oiseaux sans le motif de l'amitié, auquel il ne savait pas résister. M. deBuffon, convalescent, prétendait avoir absolument besoin d'aide ; il ne demandait que des recherches , des notices, des mémoires. C'était à la vérité le travail le plus pénible pour un homme porté par son génie aux plus hautes spé- culations et à la poésie par sa brillante imagination; mais le senti- ment qui dominait toujours dans M. de Montbeillard fit disparaître les difficultés; il s'engagea, fit plus qu'il n'avait promis, rédigea l'histoire du coq. M. de Buffon, lorsqu'il la lui montra, lui dit : « Vous appelez cela des mémoires, moi je l'appelle une excellente histoire. Faites- m'en beaucoup de semblables et mettez-y votre nom. » C'est ainsi qu'il se trouva engagé. On sait qu'il donna les articles du paon, du coq, etc., sans se faire connaître; que dans les tomes suivants M. de Buffon l'annonça comme son collègue, et que M. de Montbeillard a continué d'y travailler avec lui, jusqu'à l'histoire des oiseaux aquati- ques exclusivement. lin 1777, le prince Gonzague de Castiglione étant venu à Montbard voir M. de Buffon, et ayant su de lui que l'histoire du paon, dont ce ET ECLAIRCISSEMENTS. 341 prince parlait avec enthousiasme, était de M. de MonlbeilJard , voulut faire connaissance avec lui. M. de Buffon l'amena à Semur, et ce prince, sensible et passionné pour les sciences et les lettres, prit, dès la première entrevue, tant d'affection pour M. de Montbeillard, qu'il voulut revenir passer quelque temps avec lui. 11 y resta trois mois, et pendant ce temps M. de Montbeillard tradu'siten français un discours philosophique du prince, écrit en italien. Ainsi, l'ouvrage fut traduit sous les yeux de l'auteur et avec lui, et les notes qui y furent ajoutées eurent son approbation. L'inclination, les sentiments que le prince et M. de Montbeillard avaient pris l'un pour l'autre dès le premier jour, devinrent une amitié constante qu'ils ont entretenue depuis par une correspondance suivie. Ils se séparèrent au bout de trois mois, mais les larmes aux yeux. Le prince engagea le fils de son ami qu'il appelait son frère, à faire un petit voyage en Suisse avec lui; après quoi il le ramena et passa encore quelque temps chez M. de Montbeillard à Semur. De retour en Italie, et se trouvant à Rome au commencement de l'année 1782, il proposa M. de Montbeillard à l'Académie des Arcades, à son insu, l'y fit recevoir et lui envoya le diplôme. M. de Montbeillard, en continuant son travail sur les oiseaux, sen- tait toujours la difficulté de se concerter pour donner les volumes à des jours convenus. Son génie indépendant ne pouvait marcher de front avec personne, pas même avec son intime ami , avec le grand homme à qui il était flatté d'être associé. C'est ce qui lui fit accepter avec empressement la proposition de se charger seul de l'Histoire des insectes, quoiqu'elle exigeât de nouvelles recherches auxquelles il met- tait trop d'exactitude pour qu'elles ne lui fussent pas très-fatigantes. Il s'est malheureusement consumé dans ces travaux préliminaires; il a travaillé encore dans les derniers mois de sa vie , quoique miné par une maladie de poitrine dont il ne jugeait que trop bien les funestes suites, et qui nous l'a enlevé le 28 novembre 1785, laissant tous ses amis inconsolables, à plus forte raison sa famille. Dans sa jeunesse et en différents temps de sa vie, ses amis ont plu- sieurs fois voulu l'engager à se faire connaître davantage, à les mettre au moins à portée d'agir pour lui procurer les places, les décorations auxquelles il aurait pu prétendre. Il entrait quelquefois dans leur idée; mais dès qu'il était question de faire la moindre démarche, de prendre le moindre engagement, son caractère indépendant s'y refu- sait, et les espérances les plus flatteuses perdaient tout leur attrait; il ne voyait plus que les entraves; rien ne lui convenait dès qu'il fal- lait le demander : aussi sa mort n'a fait vaquer ni place ni pension. 11 ne faisait cas de la fortune que comme d'un moyen d'indépendance. 342 - NOTES Nous devons la connaissance de la correspondance de BufFon avec Gueneau de Montbeillard, à Mme la baronne de La Fresnaye, sa pe- tite-fille, qui a bien voulu mettre à nous en donner communication, autant d'empressement que d'amabilité. M. Beaune, ancien conseiller de préfecture, nous a mis à même de la compléter par ses communica- tions obligeantes. C'est grâce à son entremise que nous avons pu en- richir ce recueil du morceau qui précède. L'original appartient à la ville de Semur, et est conservé dans sa bibliothèque. Note 2, p. 102. — Gueneau de Montbeillard, convaincu de l'utilité de l'inoculation, dans un temps où la médecine regardait cette pra- tique comme dangereuse, avait résolu d'inoculer lui-même son fils. Dans un mémoire lu à l'Académie de Dijon, il rend ainsi compte des raisons qui l'ont déterminé : « Je désirais, pour le bien de ma patrie, que l'exemple d'un père inoculant son fils unique y fût tellement dans l'ordre des événements communs, qu'il s'y fît à peine remarquer; cela supposerait que la nation serait plus avancée, qu'elle connaîtrait mieux le prix de la vie des hommes, et qu'elle saisirait avec plus d'empres- sement les moyens de la conserver. Mais puisque le moment n'est pas encore venu, je crois devoir rendre compte de ce que j'ai fait et observé en pratiquant l'inoculation sur mon fils, et des motifs qui m'ont porté à cette entreprise : non que je me persuade que ce fait par lui-même soit fort intéressant pour le public, encore moins que mon avis puisse avoir quelque influence sur ses opinions; mais la vérité, mais l'expérience, mais l'intérêt général et particulier doivent avoir de l'autorité partout où il y a des êtres pensants. Puissent mes compa- triotes écouter enfin leurs voix réunies, profiter de leurs leçons, et se procurer bientôt le bonheur dont je jouis dès à présent! » Ce morceau a été inséré dans les Mémoires de l'Académie de Dijon (année 1766, t. I, p. 367). Note 3. p. 102. — Chevigny est un village situé à une lieue de Semur; Gueneau de Montbeillard y avait une maison de campa- gne. « Nous convînmes d'abord, dit il dans le mémoire précédem- ment cité, que, pour ne point alarmer le public et principalement pour ne nuire à personne, l'inoculation serait faite dans une maison de campagne, isolée de toutes parts.... Ce fut le 7 mai dernier que je fis celte opération, en présence de M. le docteur Barbuot et d'un de ses confrères. » Note 4, p. 103. — 11 y avait un véritable courage en effet à braver les répugnances du public et le blâme de l'opinion pour pratiquer sur ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 343 son Gis unique une opération qu'à cette époque on considérait comme dangereuse et dont on n'osait tenter l'expérience, En 1775, Buffon, recevant le chevalier de Chastellux à l'Académie française, lui disait : « Vous fûtes le premier d'entre nous qui ayez eu le courage de braver le préjugé contre l'inoculation; seul, sans conseil, à la fleur de l'âge, mais décidé par maturité de raison, vous fîtes sur vous-même l'épreuve qu'on redoutait encore; grand exemple, parce qu'il fut le premier, parce qu'il a été suivi par des exemples plus grands encore, lesquels ont rassuré tous les cœurs des Français sur la vie de leurs princes adorés ! Je fus aussi le premier témoin de votre heureux succès. Avec quelle satisfaction je vous vis arriver de la campagne, portant ces impressions qui ne parurent que des stigmates de votre courage. Sou- venez-vous de cet instant! l'hilarité peinte sur votre visage en cou- leurs plus vives que celles du mal , vous me dites : Je suis sauvé, et mon exemple en sauvera bien d'autres ! » Diderot, félicitant Gueneau de Montbeillard sur sa détermination courageuse,, lui écrivait à la date du 27 novembre 1766 : « Vous n'avez pas cru que j'aie été insensible au succès de l'inoculation de votre fils; les anciens vous auraient appelé Bis pater, et cette dénomination aurait fait toute seule plus de conversions que tous les livres du monde. Bis pater, je t'embrasse de tout mon cœur, et ton fils et sa mère. » Qu'auraient dit Diderot et Buffon, s'ils avaient pu prévoir les bienfaits de la vaccine, préservatif bien autrement puissant que ceux de l'inoculation? Note 5, p. 103. — Le Mémoire lu par Gueneau de Monlbeillar(i devant l'Académie renferme tous les détails de l'opération. Il fut com- muniqué à Buffon, qui s'intéressait vivement à cette expérience, comme savant et comme ami de Montbeillard. Gueneau de Montbeillard, par- lant de l'instrument dont il s'est servi pour inoculer son fils, dit « que son grand avantage consiste en ce qu'il est presque tout à lui seul, et qu'il opère toujours sûrement et toujours bien, fût-il conduit par la main novice d'un apprenti, ou par la main tremblante d'un père.... » Plus loin il dit encore : « Mon entreprise ayant été si heureusement justifiée par le succès, il me reste à la justifier par des raisons, aux yeux des personnes prévenues à qui elle pourrait paraître plus cou- rageuse qu'éclairée. « J'atteste que je ne me suis déterminé à inoculer mon fils, que parce que ce parti m'a semble moins téméraire que celui de le laisser exposé à tous les dangers de la petite vérole naturelle. « Le sort de cet enfant « est dans mes mains, me disais-je à moi-même ; j'en dois disposer non 344 NOTES Note 7, p., 106. — A la mort d'Hardion, son confrère à l'Académie des belles-lettres, le président de Brosses, poussé par ses amis, par Buffon avant tous les autres, se mit sur les rangs pour lui succéder à l'Académie française. Sa position dans le monde, ses écrits qui l'a- vaient fait connaître du public, le signalaient depuis longtemps déjà aux suffrages de l'Académie. Lorsque le Président apprit que Tho- mas, appuyé par Voltaire et tout le parti encyclopédique, se mettait sur les rangs, il retira sa candidature. Thomas fut très-sensible à cette démarche et en manifesta sa reconnaissance au Président, dont l'élection au premier fauteuil vacant semblait désormais assurée. LXXXIX Note 1, p. 107. — Le Mémoire sur l'inoculation de son fils, lu par Gueneau de Montbei'llard devant l'Académie de Dijon, à la séance du 21 décembre 1766 (Voy. les notes 2, k et 5 de la lettre lxxxv, p. 342). Note 2, p. 107. — Thomas vint siéger à l'Académie française le 22 janvier 1767. Le jour de sa réception, le comte de Clermont, prince du sang, était directeur, et comme tel chargé de répondre au nouvel élu, En son absence, le prince de Rohan-Gueménée remplit ce devoir en homme de cour et en même temps en homme de lettres. Son dis- cours fut bref et d'un style noble et élevé. Le discours de Thomas fut plus long, mais fort applaudi. On y remarqua un portrait de l'homme de lettres, qu'il place au-dessus de tous ceux qui peuvent apporter quelque gloire ou rendre quelques services à leur pays; au- dessus de l'homme d'État, de l'homme de guerre, du législateur même. On doit mentionner un autre discours académique de Thomas qui eut un grand retentissement dans le public. Le 6 septembre 1770, en qualité de directeur de l'Académie, il eut à répondre au discours de l'archevêque de Toulouse, élu à la place du duc de Villars. A la séance assistait lu comte de Vasa; parmi les académiciens présents se trouvait l'avocat général Séguier, auquel le parti encyclopédique ne pardonnait pas ses réquisitoires contre les livres dénoncés par la 350 NOTES Sorbonne commo dangereux ou immoraux. Un passage du discours de Thomas fut surtout écouté dans un profond silence. Dès les pre- mières lignes on y vit une allusion évidente. Il parlait de ces hommes en place auxquels leur vanité fait désirer d'être de l'Académie, et que leur intérêt pousse ensuite à la trahir en calomniant les lettres; de ceux qui désavouent en public des hommes qu'ils estiment en parti- culier, et qui cherchent à tuer la liberté de la parole pour servir le pouvoir. M. Séguier, en sortant de la séance, alla se plaindre au chancelier Maupeou, qui fit aussitôt demander à Thomas le manuscrit de son discours. Le clergé, de son côté, qui assistait en corps à la séance de l'Académie, se plaignit de ce que Thomas, dont les doctrines philosophiques étaient connues, eût choisi précisément le jour de la réception d'un évèque, rendue plus solennelle par le grand nombre de prélats qui étaient venus rendre honneur au nouvel élu, pour faire une sorte de profession de foi de sa doctrine, et les associer ainsi indi- rectement à ses maximes et à ses idées. L'Académie fit une enquête au sujet de cette affaire ; on donna tous les torts à M. Séguier, et il fut décidé que, sans prendre contre lui une délibération qui soulèverait de nouveaux orages, l'Académie n'aurait plus de communication avec un de ses membres qui se montrait hostile à son esprit, hostile aussi à ses travaux. Le zèle de M. Séguier pour la religion, et ses réquisitoires contre les livres qui, à ses yeux, en combattaient les principes, le firent mettre par le parti encyclopédique au même rang que Fréron, le rédacteur de l'Année littéraire, et l'ennemi le plus acharné et le plus constant des philosophes. On fit à ce sujet l'épigramme suivante : Entre Séguier et Fréron Jésus disait à sa mère : a Enseignez-moi donc, ma chère, Lequel est le bon larron? » L'archevêque de Toulouse , par la façon prudente et sage avec laquelle il agit dans toute cette affaire, s'attira la reconnaissance de l'Académie. De son propre mouvement il fit des démarches auprès du clergé, afin d'empêcher une dénonciation au Roi; et, par un excès de délicatesse, lorsqu'il fut décidé par le chancelier que le discours de Thomas ne paraîtrait point, il retira son manuscrit de l'imprimerie et ne voulut pas, de son côté, que son discours fût publié. Mais M. Séguier ne pardonna pas, et, le jour où l'éloge de MaroAurèle fut lu à l'Académie, il dénonça le livre au chancelier Maupeou, qui s'opposa à l'impression. ET ECLAIRCISSEMENTS. 351 XG Note 1, p. 108. — M. de Morges, conseiller d'honneur au parlement de Grenoble, était seigneur de Venarey, terre située à une très-petite distance de Montbard, avec un château tout nouvellement bâti en 1730 par Mme de Brun. Le projet d'acquisition dont parle cette lettre ne se réalisa pas. Note 2, p. 108. — Buffon voulait acheter une terre pour son fils. Le fermier de ses forges lui ayant fait perdre, dans une gestion peu habile, des sommes importantes, ce projet ne se réalisa qu'en 1784, époque à laquelle Buffon acheta la terre de Quincy. Note 3, p. 108. — Le seigneur de Grignon était alors Jean-Baptiste- Antoine Bretagne d'Orain, fils d'un conseiller au parlement de Bour- gogne. Note 4, p. 108. — François Queneau, écuyer, maire de Semur, avait acheté, en 1749, de Marie Bruslard, duchesse de Luynes, la sei- gneurie de Mussy-la-Fosse, dont il prit le nom. Note 5, p. 108. — Mme de Scorrailles, dont il a été précédemment question (voy. la note 1 de la lettre lxxxii, p. 332) fut, avec Mme de Montbeillard, la plus intime et la plus fidèle amie de Mme de Buffon. M. de Scorrailles, son fils, servit dans le même régiment que le jeune comte de Buffon, et devint, avec un autre compagnon d'armes, le chevalier de Contréglise, son plus constant ami. Mme de Scorrailles appartenait à une des plus anciennes familles de la Bourgogne, dont une branche subsiste aujourd'hui avec honneur à Chalon-sur-Saône XGII Note 1, p. 109. — Jean-Étienne Bernard de Clugny, né le 20 no- vembre 1729, mort le 18 octobre 1776, entra au parlement de Bour- gogne le 26 novembre 1748. En 1760, il fut nommé intendant à Saint- Domingue; en 1764, il devint intendant de la marine à Brest; de là il fut envoyé à Perpignan; puis, en 1766, à Bordeaux, où il remplaça M. Esmangard. Le président de Brosses, prononçant l'éloge de Bernard de Clugny devant sa compagnie, a laissé de lui le portrait suivant : 352 NOTES oc Durant sa jeunesse passée à Dijon dans le sein du Parlement^ il avait montré tout le feu, toute la véhémpnce que donne cet âge, tout le talent que la nature accorde, toutes les connaissances, toute la capacité qu'on n'acquiert qu'avec le temps. Une figure agréable, uneélocution nette, un discernement prompt, un travail clair et facile, le goût du monde et l'esprit des affaires le rendaient également propre à la magistrature et à la société. 11 n'avait jamais exercé aucun emploi sans être jugé digne d'un plus considérable. » Note 2, p. 110. — Le 7 août 1767 , Bernard de Glugny fut reçu membre honoraire de l'académie de Dijon. Cette compagnie ne tarda pas à se féliciter de son choix; car M. de Clugny lui fit parvenir, à diverses reprises, des objets curieux, et notamment une fort belle col- lection de coquillages, de plantes marines et de poissons desséchés, qui fut placée dans son Cabinet d'histoire naturelle. XGIII Note 1, p. 110. — Fin-Fin est le nom sous lequel sera le plus souvent désigné le fils de Gueneau de Montbeillard; le fils de Buffon est le plus souvent aussi appelé Buffonet. Note 2, p. 110. — Le charmant moucheron, terme familier qu'em- ployait Gueneau de Montbeillard pour désigner Mlle Boucheron (Mme Daubenton) sa nièce. Il l'appelle aussi quelquefois le charmant hanneton. Ces sobriquets, qui donnent une assez juste idée de la per- sonne, se retrouveront souvent dans la correspondance de Buffon. XGIV Note 1, p. 111. — Joseph-Jérôme Lefrançais de Lalande , né a Bourg en Bresse le 11 juillet 1732, mort à Paris le k avril 1807, aimait la popularité et l'astronomie à ce point que plusieurs fois on le vit faire sur le Pont-Neuf un cours d'astronomie au public, qui s'arrêtait pour l'écouter. 11 avait soin d'annoncer dans les journaux, la veille, que de telle heu;e à telle heure un astronome serait sur )e Pont-Neuf pour expliquer te! ou tel phénomène céleste. Par la suite la police, que les rassemblements dont il était la cause finirent par inquiéter, lui fit défendre de faire aucune démonstration ailleurs qu'à lObser- vatoire. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 353 Note 2, p. 111. — Il s'agit d'un mariage dont s'occupaient alors Buffon et Gueneau de Montbeillard. On verra par la suite Butfon en- tamer d'autres fois encore avec son ami des négociations de cette nature ; son désir d'obliger l'empêchait de songer à la responsabilité que sa bienveillante entremise lui faisait encourir. XGV Note 1, p. 111. — Butfon était seigneur engagiste du domaine du Roi à Montbard, dans lequel se trouvaient compris des bois impor- tants. XCYI Note 1, p. 112. — La mère de Gueneau de Montbeillard venait de mourir. Note 2, p. 112. — Potot de Montbeillard, beau-frère de Gueneau de Montbeillard, entra de bonne heure au service, et se distingua dans l'arme de l'artillerie par 6on savoir et parson habileté. Buffon, dans le temps où il s'occupait de ses expériences sur les fers, sur la force et sur la durée de la chaleur, eut recours aux conseils de Potot de Montbeillard. 11 cite son nom, à plusieurs reprises, dans l'Histoire naturelle, comme celui d'un homme dont l'expérience lui fut utile, et dont l'opinion doit être écoutée. Buffon dut à Potot de Montbeillard l'idée d'une de ses plus in- téressantes expériences sur la chaleur, celle qui consiste à observer la force et la durée du calorique sur un grand nombre de boulets de différents calibres, rougis au feu. Dans une lettre de Gueneau de Montbeillard envoyée de Paris à sa femme, on trouve sur son beau- frère le passage suivant : «M*** a persuadé à M. de Buffon que ton frère lui avait donné des faits faux au sujet de ces boulets rOugis au feu pour les diminuer, et qu'il les lui avait donnés tels par esprit de cabale. M. de Buffon a eu l'honnêteté de ne m'en point parler ; s'il m'en parle, je justifierai l'accusé tant qu'il ne me sera pas prouvé qu'il a tort, je veux dire un tort de méchanceté; car c'est celui qu'on lui impute. » Buffon ne crut pas aux mauvaises intentions qu'on vou- lait prêter à Potot de Montbeillard. Toute sa vie il l'honora de son estime et de son amitié et se servit de son crédit chez les ministres pour contribuer à son avancement. A la mort- de Potot de Montbeil- lard, arrivée au mois de décembre 1778, il 'obtint du Roi une pcn- i 23 354 NOTES sion pour sa veuve et ses enfants, qui n'avaient qu'une médiocre fortune. Note 3, p. 112. — Gueneau de Montbeillard fournit différents articles d'agriculture à V Encyclopédie, dont Panckoucke était l'éditeur. Charles- Joseph Fanckoucke, né le 26 novembre 1736, mort le 19 décembre 1798, attacha son nom aux deux plus grandes œuvres du dix-huitième siè- cle : il fut l'éditeur de l'Histoire naturelle et de YEnci/clopédie. D'une hardiesse extrême, il se lança dans d'importantes entreprises de librairie qui ne furent pas toutes heureuses, et dont sa fortune se ressentit. Ce fut d'ailleurs un éditeur modèle; il se conduisit toujours généreuse- ment avec les auteurs dont il publia les ouvrages, et de ce côté, ses af- faires n'en allèrent pas plus mal. Il a laissé une brochure sur le-moijen d'augmenter le bonheur d'une partie de la nation sans nuire à personne, dans laquelle il parle surtout de la bonne organisation des spectacles (1781), et un livre ayant pour titre : De V homme et de la reproduc- tion des différents individus, qui peut servir d'introduction et de dé- fense à l'Histoire naturelle. Les derniers volumes de ce grand ouvrage furent payés par lui jusqu'à 12000 livres. Durant toute sa vie, Buffon n'eut qu'à se louer de son éditeur, et jamais un nuage ne vint troubler les relations qui s'étaient établies entre eux. Note 4, p. 113. — L'article du coq fut le premier que fournit Gue- neau de Montbeillard à l'Histoire naturelle; il venait de succéder à la collaboration de Daubenton. On pourra suivre désormais la part qu'il prendra à la rédaction des volumes de l'Histoire naturelle qui vont successivement paraître. A mesure que Buffon avançait dans sa vaste entreprise, il compre- nait mieux l'immensité de la tâche qu'il s'était imposée. Accablé par les recherches sans nombre auxquelles l'obligeait la nature de ses étu- des , obligé de dépouiller les mémoires des naturalistes étrangers et des correspondants du Cabinet, il sentit bientôt qu'il ne pourrait suffire à de semblables travaux, et chercha dans une collaboration les moyens de les continuer. Les premiers volumes de l'Histoire naturelle avaient paru sous son nom et sous le nom du docteur Dau- benton, son compatriote et alors son ami. Le travail que fournit Dau- benton pour l'Histoire naturelle fut bien plutôt un travail à part qui enrichit l'ouvrage, qu'une collaboration utile qui en hâta l'achèvement: cette collaboration, au reste, fut de courte durée. Le docteur, avec un cœur droit et une intelligence très -profonde, était cependant d'une extrême susceptibilité. Son amour-propre s'offusquait de peu, et une fois prévenu, il était impossible de le faire revenir. Quelle fut la cause ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 355 qui l'éloigna de Buffon? Je l'ignore, mais elle fut des plus insignifiantes, et jamais Buffon n'en a parlé à ses amis ; jamais il ne s'est plaint d'un procédé dont il avait cependant droit de s'étonner. En effet, ce fut lui qui tira Daubenton de son obscurité, lui aussi qui le fit entrer au Jar- din du Roi, et à certains jours, Daubenton, lui rendant justice, se plai- sait à dire : « Sans Buffon, je n'aurais pas passé dans ce Jardin cin- quante années de bonheur. » La cause de cette séparation ne fut pas l'édition de l'Histoire naturelle qui parut à l'Imprimerie royale, en 1774, et dans laquelle ne se trouvent pas les notes anatomiques de Daubenton. On voit que bien avant cette époque la collabora- tion de Daubenton avait cessé. S'il s'est montré blessé d'un pro- cédé auquel, mieux que personne, il savait bien que Buffon était demeuré étranger, il a eu tort. Le libraire Panckoucke, sans consulter Buffon et pendant un long séjour de ce dernier à Montbard, cédant aux instances répétées d'une certaine classe de lecteurs qui deman- daient la suppression des triparties de M. Daubenton, eut l'idée de cette édition et la livra au public. Ce fut une entreprise de librairie, et non point un complot contre l'œuvre de Daubenton. Cuvier, en faisant son éloge, dit : « Daubenton oublia tellement les petites injustices de son ancien ami, qu'il contribua depuis à plusieurs parties de l'His- toire naturelle, quoique son nom n'y fût plus attaché.... » C'est une erreur; Daubenton ne se rapprocha jamais de Buffon, et comme ce dernier, loin de s'être rendu coupable envers lui de petites injustices, dont il serait difficile de citer un seul exemple, avait toujours mis son plaisir à lui rendre service, il ne chercha point à reconquérir une amitié qu'il avait perdue sans motif. Privé de l'aide de Daubenton, Buffon s'adressa à Gueneau de Mont- beillard. Celui-ci, à la prière de son ami, rédigea l'article du coq. Mme de Montbeillard nous apprend avec quel désintéressement ces premiers travaux furent entrepris et avec quelle bonne foi Buffon leur rendit justice. Je trouve, dans la correspondance de Gueneau de Montbeillard, deux lettres dans lesquelles il se plaint des procédés de Daubenton à son égard. Le caractère doux et prévenantde Montbeillard, sa simpli- cité et sa modestie, assez grandes pour ne donner d'ombrage à l'amour- propre de personne, ne permettent pas de penser que les torts fussent de son côté. Si Daubenton se conduisit ainsi avec Montbeillard, dont il n'avait reçu que des marques d'affection et d'estime», s'étonncra- t-on désormais de ses procédés envers Buffon? On comprendra peut- être alors qu'il est inutile d'attribuer à Buffon des torts qu'il n'eut jamais, la retraite de Daubenton s'expliquent tout naturellement par la susceptibilité maladive de son caractère et par son mécontentement 356 NOTES de voir une œuvre, entreprise en commun, ne pas mériter à l'un et à l'autre la même part d'éloges. En 1773, Gueneau de Montbeillard, qui était alors à Paris, écrivait à Semur deux lettres dans lesquelles se trouvent les passages suivants : A MADAME GUENEAU DE MONTBEILLARD, AU CHÂTEAU DE SEMUR, EN AUX01S. a Lundi, sept heures du matin, 11 janvier 1773. « .... A propos de froid, il fait bien froid au Jardin du Roi; notre docteur surtout est à la glace ; il ne peut être fâché que de ce que je me suis chargé d'une besogne qu'il ne voulait point faire ; car je ne veux pas croire qu'il soit mortifié de ce que mon travail a eu quelque succès. Quel que soit son motif, il aura bien honte lorsqu'il saura le fond de mes procédés, si jamais il daigne s'en informer.... » « Le 22 janvier 1773. c: .... Je travaillai hier six heures d'horloge aux oiseaux, et tous les jours j'en ferai autant jusqu'à mon départ. Notre homme cherche à se rapprocher, mais je suis indigné. Il me boude pour avoir eu les pro- cédés les plus nobles; il aura bien honte quand il les saura, mais il ne sera plus temps. Je n'ai jamais travaillé aux oiseaux que lorsque j'ai été assuré par lui-même qu'il n'y travaillerait jamais. S'il savait ce secret, il ne pourrait me blâmer, et s'il en savait un autre, il n'oserait me regarder. C'en est assez là-dessus; n'en parlons plus. Encore un mot cependant : le docteur m'offrit bien connaissance de quelques faits relatifs à l'ornithologie et qu'il croyait nouveaux ; j'ai reçu cela très- froidement ; il m'offrit de l'argent, je ne l'acceptai point.... » (Les deux lettres d'où ces passages sont extraits appartiennent à la ville de Semur. J'en dois la communication à l'obligeance de M. Beaune.) Note 5, p. 113. — François du Quesnay, le chef de la secte des Eco- nomistes, dont Turgot fut le plus fougueux partisan, naquit en 16% et mourut le 16 décembre 111 k. En 1768, il fit paraître son livre de la Phtjsiocratie ou constitution naturelle des gouvernements (in-8 pu- blié par Dupont de Nemours). « Dans cet ouvrage, l'alcoran des éco- nomistes, l'auteur se propose de substituer dans toute l'administration supérieure du royaume, relative aux impositions et au commerce, des principes universels et constants de calcul et d'intérêt général à l'action du gouvernement, et une liberté indéfinie à la variation arbi- traire des règlements. (La Harpe, Correspondance littéraire.) j> ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 357 Note 6, p. 113. — Buffon, en envoyant à son ami l'épigramme de Piron sur Poinsinet, lui dit : « En voici une bien courte et bonne (si vous connaissiez l'homme!).» Pour qu'on puisse sentir le sel de l'épi- gramme, l'homme en effet doit être connu. Antoine-Alexandre-Henri Poinsinet, né à Fontainebleau le 17 no- vembre 1735, mort à Cordoue le 7 juin 1769, fit représenter avec des succès bien divers un grand nombre de pièces de théâtre. Il s'était vanté d'avoir été joué le même soir sur trois théâtres de Paris. Il était connu sous le nom de Poinsinet le Mystifié, pour le distinguer de son cousin, Poinsinet de Sivry, qui, parcourant la même carrière, écri- vit beaucoup pour le théâtre. « Ses amis, dit Grimai, lui ont donné le nom de Mystifié, terme qui n'est pas français, qui n'a point de sens, et qui, inventé et employé par certaines gens, ne mériterait pas d'être remarqué, si M. d'Éon ne l'avait employé en dernier lieu dans sa fa- meuse et étrange apologie. » Le mot mystifié a donc été inventé pour le poëte Poinsinet, et on ne saurait croire à combien de mystifications l'exposèrent sa vanité et son amour-propre. Un jour (février 1768), dans le bon temps de l'Opéra, au bal de la nuit, alors qu'il revenait du théâtre où une de ses pièces avait été sif- flée, Mlle Guimard et un grand nombre des demoiselles de l'Opéra as- saillirent le poëte qui n'avait pas de masque et le frappèrent à tour de bras. Lorsqu'il demanda pourquoi on le tourmentait ainsi : « Pour- quoi as-tu fait un mauvais opéra? » répondirent ces demoiselles ; et elles le frappèrent de nouveau. Le lendemain on vit entrer dans la salle, avec une démarche lente et consternée, la tête basse et les bras pendants, les trois principaux personnages de sa pièce. Ils mar- chaient en se suivant d'un pas d'enterrement et, arrivés sous le lustre, tous trois tombèrent à plat. C'est dans cette même soirée que parut une bande de masques portant un immense nez de carton, au bout duquel était suspendue une croix de Saint-Louis. Le public apprit ainsi qu'une promotion, depuis longtemps annoncée, n'aurait pas lieu. On fit apprendre le russe à Poinsinet en lui persuadant que l'impé- ratrice Catherine le destinait à une haute fortune. Lorsqu'il fut en état de parler cet idiome difficile, il s'aperçut que son professeur lui avait enseigné le bas-breton. Un autre jour, ses amis, parmi lesquels se trouvaient Palissot de Montenoy, lui persuadèrent que le roi de Prusse l'avait choisi pour lui confier l'éducation de son fils aîné, à la condition qu'il renoncerait à sa religion. On lui fit faire une abjuration solennelle entre les mains d'un ministre prétendu. Cette comédie dura plusieurs mois, eut plusieurs représentations et plusieurs actes, et peu s'en fallut que le Parlement ne se chargeât de lui donner un dénoù- 358 NOTES menl sérieux. Une autre fois on lui persuada qu'il avait tué un homme en duel, et il alla aussitôt se constituer prisonnier à Saint-Lazare. Il composa les paroles d'un grand nombre d'opéras dont Philidor fit la musique; l'opéra ô'Emelinde, fait avec sa collaboration, donna I eu aux couplets suivants : La Muse gothique et sauvage De Poinsinet, La Muse a fait caca tout net; A Philidor rendons hommage, Et réservons le persiflage A Poinsinet. Le soir, sur le théâtre de la Foire, on appela Poinsinet. Un âne pa- rut. Gilles vint à son tour et s'approcha pour le caresser. « Ah 1 comme il est propre! comme il est net! » L'âne fit ses ordures, et tous les acteurs de s'écrier : « Point si net ! Point si netl » Les mystifications dont cet auteur fut accablé devinrent si nom- breuses et tellement publiques, qu'on les recueillit dans un ouvrage de plus de 300 pages sous ce titre : Vie de Jean Monnet. Cepen- dant il est resté de Poinsinet une pièce intitulée Le cercle ou la soirée à la mode, représentée pour la première fois sur le Théâtre- Français, le 7 septembre 1764. C'est une critique des mœurs du temps, où l'on trouve des aperçus pleins de finesse et de nouveauté. II était attaché au prince de Condé, et fut le principal organisateur des fêtes et des représentations données à Dijon, lorsque ce prince y vint tenir les États, en 1766. En 1769. il partit pour l'Espagne à la tête d'une troupe de comédiens; il allait, disait-il, y remplir la charge d'inten- dant des menus plaisirs de Sa Majesté Catholique. Il se fit alors ap- peler don Antonio Poinsinelto ; mais peu de temps après son arrivée, il se noya en se baignant dans leGuadalquivir. « C'est » disent les Mé- moires du temps, » un des personnages les plus singuliers qu'on pût voir, qui, à beaucoup d'esprit et de saillies joignait une ignorance si crasse, une présomption si aveugle, qu'on lui faisait, croire tout ce qu'on voulait en caressant sa vanité. La postérité ne pourra jamais comprendre tout ce qui lui est arrivé en pareil genre; les tours qu'on lui a joués et auxquels il s'est livré dans l'ivresse de son amour-pro- pre sont d'une espèce si singulière et si nouvelle, qu'il a fallu créer un mot pour les caractériser; notre langue lui doit de s'être enrichie du terme de mystification, terme généralement adopté, quoi qu'en dise M. de Voltaire, qui voudrait le proscrire, on ne sait pourquoi. » Note 7, p. 113. — Diderot, écrivant le 29 décembre 1766 à Gueneau de Montbeillard une longue lettre au sujet d'un service que ce dernier ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 359 ve il de lui rendre, terminait ainsi : « Je vous salue et vous em- brasse, Mme Diderot en fait autant ; je présente mon respect, et je baise le bout de la patte de celle que vous appelez votre mouton. j> Note 8, p. 113. — Catherine Potot, fille de Michel Potot, maire de Semur en 1693, et sœur de Mme de Montbeillard, avait épousé Fran- çois Boucheron , conseiller auditeur de la Chambre des Comptes de Dôle. Elle mourut au mois de juillet 1769. Elle est la mère de Mme Daubenton, à laquelle Buffon écrivit ces billets si gracieux et si galants qui ont été insérés dans notre recueil, et qui n'en sont pas la partie la moins intéressante. Note 9, p. 113. — La famille de Messey est illustre en Bourgogne. Guillaume de Messey, chef de cette maison, avait épousé en 1280 Philiberte, fille de Raoul de Buxy. XGY1II Note 1, p. 114. — De son second mariage avec Jeanne-Marie Legouz de Saint-Seine, le président de Brosses eut quatre enfants : le pre- mier fut une fille, Agathe-Augustine de Brosses, mariée à Charles- Esprit du Bois, baron d'Aisy, maréchal de camp. Note 2, p. 114. — Claude-Philibert Fyot de La Marche, né le 12 août 1694, mort le 3 juin 1768, fut premier président du parlement de Bourgogne, du 16 janvier 1745 au 19 janvier 1757. Note 3, p. 114. — L'établissement des forges de Buffon fut fait dans l'intérêt du progrès des sciences, et non pas dans un intérêt privé. Après des peines sans nombre et l'achèvement d'immenses travaux, Buffon parvint à grand'peine à tirer des quatre cent mille livres environ em- ployées à leur construction un revenu de deux pour cent. La lettre adres- sée au président de Brosses montre la pensée qui le dirigea dans cette vaste entreprise; il voulait continuer des expériences commencées, et opérer sur de grandes masses. Pendant longtemps ses forges furent un immense laboratoire, dans lequel il travailla sans relâche. Dans un de ses Mémoires sur la fusion des mines de fer, il dit à ce sujet : ce J'ai voulu travailler par moi-même, et consultant plutôt mes désirs que ma force, j'ai commencé par faire établir sous mes yeux des forges et des fourneaux en grand, que je n'ai pas cessé d'exercer continuellement depuis sept ans. » Ses diverses expériences sur le progrès de la chaleur dans les corps, pour lesquelles il emploie un grand nombre de globes 360 NOTES de fer chauffés à des températures différentes, ses expériences sur les effets de la chaleur obscure, commencées dès 1772, celles sur la pesan- teur du feu et sur la durée de V incandescence, dans lesquelles il opère sur d'immenses brasiers et sur des torrents de fumée, furent toutes faites aux forges de Buffon. Aucune difficulté n'arrêtait son courage, aucune dépense ne coûtait à sa générosité. Des fourneaux d'une grande puissance étaient construits pour faciliter une expérience difiicile, pour éclaircir un point incertain ; puis, la curiosité du savant satisfaite, on les détruisait, sans qu'on entendît jamais Buffon regretter le prix qu'il slui avaient coûté. Les forges de Buffon furent souvent choisies par le gouvernement pour diverses expériences d'un intérêt général. En 1768 notamment, le ministre de la marine chargea Buffon de faire dans ses forges des essais dans la vue d'améliorer les canons de la ma- rine. Le vicomte de Morogues, homme d'un grand mérite et possédant sur cette matière des connaissances spéciales, lui fut adjoint. Buffon fournit au ministre plusieurs mémoires importants, fit des décou- vertes utiles, et demanda des instructions nouvelles; mais, dans l'in- tervalle, le ministre de la marine ayant changé : « Je n'ai plus, dit-il, entendu parler ni d'expériences, ni de canons. » (Histoire naturelle, Partie expérimentale.) En 1780, Buffon entreprit dans ses forges, par ordre du gouvernement, de nouvelles expériences; elles devaient avoir pour résultat de faire connaître quelles provinces fournissaient alors les fers les plus propres à être convertis en acier par la voie de la cémentation. MM. de Grignon et Guyton de Morveau prirent souvent part à ces recherches et à ces essais. Le jour où les forges de Buffon furent achevées, Gueneau de Montbeillard fit graver sur la porte d'en- trée l'inscription suivante : Vénus, pour adoucir un empire sauvage, Va régner désormais dans cette autre Lemnos; Forgerons, redoublez d'efforts et de courage, Car dans les forges de Paphos Avec bien moins de bruit on fait bien plus d'ouvrage. En temps ordinaire, Buffon employait dans ses forges trois ou quatre cents ouvriers. Elles produisaient chaque année environ huit cents milliers de fer; elles ont fourni toutes les grilles qui entourent aujour- d'hui encore le Jardin des Plantes. « On voit à Buffon, dit un auteur contemporain, deux belles forges construites en 1769, dont la première est composée d'un fourneau pour la fonte des mines, de deux chauffe- ries avec leur marteau, d'une fonderie, d'une batterie à tôle. Toutes ces usines sont placées au bas d'un rocher élevé de dix-huit pieds au- dessus du niveau de la rivière, et sur lequel sont situés les bâtiments ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 3G1 du maître et des forgerons, les magasins, halles, dépôts, écuries, de eorte qu'ils sont à l'abri des plus grandes inondations : c'est l'ensemble d'une construction solide et régulière, et aussi vaste que commode. La seconde forge, à un demi-quart de lieue plus haut, à la jonction des deux rivières (la Braine et l'Armançon), est composée d'une chaufferie avec son marteau, et d'un martinet. Riche minière en grain et en roche sur la crête d'une montagne, élevée de 180 pieds au-dessus de l'Armançon, et dont la mine se tire entre les roches jusqu'à plus de 80 pieds de profondeur. Brocard a deux ordons. On y fabrique du fer marchand de toute espèce, et de la meilleure qualité; fer en battage, carillon et verge ronde, fer coulé, feuillards, tôle de différents échan- tillons L'église vient d'être réparée et augmentée par les soins du P, Ignace Bougot, desservant. » (Description du Duché de Bourgogne, par l'abbé Courtépée.) M. Humbert-Bazile, parlant des forges de Buffon, s'exprime ainsi dans son manuscrit déjà cité (tome I, p. 253) : « J'ai vu dans les forges de Buffon sept marteaux en activité; on y fabriquait alors des fers de tous les échantillons, tels que tôlerie, acier, etc. L'édifice prin- cipal a une façade imposante; un escalier à double rampe aboutit en face du haut fourneau; des deux côtés se trouvent deux portiques élevés, dont l'un conduit aux chaufferies et l'autre aux soufflets. La roue qui communique le mouvement a cinquante pieds de diamètre; des seaux fixés aux aubes montent l'eau nécessaire à l'arrosage des vastes jardins qui décorent les abords de la forge. A l'extrémité de la grande cour se trouve une chapelle où l'abbé Mignot, prêtre attaché à la paroisse de Montbard, venait célébrer la messe chaque dimanche. De chaque côté du porche qui conduit du grand escalier au fourneau se trouvent deux niches, et l'aspect de celte entrée vraiment mo- numentale est si majestueux, que l'on a vu, dans le temps où elle fut construite, des gens de campagne ôter leur chapeau, pensant que c'était un édifice consacré au culte. » xcix Note 1, p. 115. — Buffon eut, peu de temps avant sa mort, au sujet de l'extraction du minerai de fer nécessaire à l'alimentation de ses forges, un procès avec le marquis de La Guiche, héritier du président de Rochefort. Parmi les pièces produites au procès se trouve un Mé- moire au grand Conseil présenté par Buffon, et qui donne la date précise des lettres patentes autorisant la construction de ses usines. Le Mémoire commence ainsi : « Sur la requête présentée au Roi étant 362 NOTES en son Conseil, par le sieur comte de Buffon, contenant que par arrêt du conseil d'État du Roi et lettres patentes expédiées sur icelui le 2 février 1768, il a été autorisé à construire des forges à fer dans sa terre de Buffon pour la consommation de ses bois, de ceux de Sa Majesté, et des mines répandues dans les différents territoires situés dans les environs. Appuyé de ces titres, le suppliant a construit les forges les plus considérables de toute la province, y ayant réuni tous les différents genres de fabrication, et cet établissement lui a coûté plus de 330 000 livres. Depuis seize ans, le comte de Buffon a tiré, pour l'aliment de ses forges, des mines d'Étivay, territoire situé à deux lieues de ses usines, dans la même province de Bourgogne. Il a joui paisiblement de cette faculté fondée sur l'usage constant établi parti- culièrement dans les provinces de Bourgogne, de Champagne, de Lorraine et autres, qui rend commun entre les forges circonvoisines le droit de tirer des mines de fer du même territoire. Ce n'est que sur la foi de ces titres et de cet usage que le sieur comte de Buffon s'est déterminé à former un établissement aussi considérable » Note 2, p. 116. — Jean TurbervilleNeedham, né à Londres en 1713, mort à Bruxelles le 30 décembre 1781, s'est fait connaître par les observations microscopiques auxquelles il s'est livré et par les théories auxquelles elles l'ont conduit. En 1745, dans un voyage qu'il fit à Paris, il se mit en rapport avec Buffon, qui s'occupait de recherches sur les mystères de la génération et sur les animaux spermatiques ; il lui fit part de ses propres études sur ce sujet et lui prêta ses loupes et ses instruments, beaucoup plus parfaits que tous ceux dont Buffon avait jusqu'alors fait usage. Voici, au reste, comment Buffon parle de la coopération que Needham lui apporta : « J'avais fait connaissance avec M. Needham, fort connu de tous les naturalistes par les excellentes observations microscopiques qu'il a fait imprimer en 1745. Cet habile homme, si recommandable par son mérite, m'avait été recommandé par M. Tolkes, président de la Société royale de Londres; m'étant lié d'amitié avec lui, jecrus que je ne pouvais mieux faire que de lui communiquer mes idées; et comme il avait un excellent microscope, plus commode et meilleur qu'aucun des miens, je le priai de me le prêter pour faire mes expériences » En 1766, Needham fit paraître un livre dans lequel il combat Voltaire et attaque son incrédulité au sujet des miracles. Sur ce terrain, Needham devait être battu : Voltaire lui répondit par des pamphlets remplis de verve et de méchanceté; il critiqua à son tour, mais de façon à se faire écouter, les découvertes microscopiques de Needham, se moquant d'une des plus importantes, de l'existence de petites anguilles dans ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 363 le blé ergoté. Sur ce point, attaquer Needham, c'était indirectement attaquer Buffon. Leurs recherches avaient été faites en commun, et les découvertes de l'un avaient confirmé les découvertes de l'autre. Buffon ne répondit point et ne voulut pas engager une querelle où, sans contredit, Voltaire n'aurait pas été le plus fort. Note 3, p. 116. — A cette époque, Buffon et Voltaire vivaient sé- parés, séparés d'opinions, séparés aussi par la nature même de leur talent, par les allures si différentes de leur génie. Buffon cependant, malgré les vives attaques dont il fut à plusieurs reprises l'objet de la part de Voltaire, n'y répondit qu'une seule fois, et encore, quelques années plus lard, déclara-t-il s'en être aussitôt repenti. En 1774, un rapprochement eut lieu, on verra par la suite dans quelles circonstances, et à compter de ce jour Buffon s'interdit, même dans sa correspondance, toute allusion relative à Voltaire ; en public il parla de lui avec considé- ration, rendant hommage à son génie et justice à son talent. En 1775, le 15 novembre, dans son discours en réponse au duc de Duras, élu membre de l'Académie française, après avoir blâmé l'habitude prise par les littérateurs et les poètes qui choisissent pour sujet de leurs productions les fables de l'antiquité, il dit, en désignant Voltaire : « Un d'entre vous, messieurs, a osé le premier créer un poè'me pour sa nation, et ce second génie (le premier dont il a parlé est Homère) influera sur trente autres siècles. J'oserais le prédire, si les hommes, au lieu de se dégrader, vont en se perfectionnant ; si le fol amour de la fable cesse enfin de l'emporter sur la tendre vénération que l'homme sage doit à la vérité, tant que l'empire des lois subsistera, la Henriade sera notre Iliade. Car, à talent égal, quelle comparaison, dirai-je à mon tour, entre le bon grand Henri et le petit Ulysse, ou le fier Aga- memnon? entre nos potentats et ces rois de village, dont toutes les forces réunies feraient à peine un délachement de nos armées? Quelle différence dans l'art même! N'est-il pas^plus aisé de monter l'imagi- nation des hommes que d'élever leur raison? de leur montrer des mannequins gigantesques de héros fabuleux, que de leur présenter les portraits ressemblants devrais hommes, vraiment grands? » Nous ne donnons pas cette appréciation de Buffon comme un oracle de goût, mais comme une simple politesse à l'adresse de Voltaire. La Henriade, quoi qu'il en dise, a prodigieusement vieilli, tandis que Yllliade jouit et ne cessera de jouir d'une jeunesse éternelle. Note 4, p. 116. — On a précédemment vu (note 10 de la lettre lxiv, p. 314.) que le président de Brosses ne pouvait p;;s compter sur Vol- taire pour sa candidature à l'Académie. Chaque fois que, porté par ses 364 NOTES amis, il se met sur les rangs, Voltaire agit contre ses intérêts avec une passion dont sa correspondance porte la trace. Les motifs de son opposition systématique et violente aux désirs légitimes du Président étaient de la nature la plus futile. Il avait acheté par bail emphythéotique du Président sa terre de Tournay. Lorsque le contrat fut passé, des coupes venaient d'être faites dans la propriété, et les bois en prove- nant avaient été vendus par le Président à un sieur Baudy. Voltaire, qui savait que ces bois n'appartenaient plus au propriétaire de Tour- nay, agit cependant comme si la propriété lui en eût été transmise; il fit sa provision, sans vouloir tenir compte du prix à l'acquéreur. Baudy réclama, et le président de Brosses, auquel il porta sa plainte, écrivit à Voltaire. « Je ne prends ceci, disait-il dans sa lettre, que pour le dis- cours d'un homme rustique, qui ne sait pas que l'on envoie bien à son ami et à son voisin un panier de pêches et une demi-douzaine de geli- nottes, mais que, si l'on s'avisait de la galanterie de quatorze moules de bois et de six chars de foin, il le prendrait pour une absurdité con- traire aux bienséances, et il le trouverait fort mauvais. «Voltaire négo- ciait, mais ne payait pas. Le président de Brosses, pour mettre un terme à cette étrange contestation, assigna Baudy qui, à son tour, appela Vol- taire en garantie. Voltaire s'emporta, menaçant le président et le dénon- çant à ses amis et au garde des sceaux. Enfin, 150 livres furent remises au curé de Tournay pour les pauvres, et le président de Brosses oublia cette mesquine discussion, dont Voltaire conserva toute sa vie un amer souvenir. • Note 5, p. 116. — Jean-Philippe Fyot de La Marche, né le 2 août 1723, mort le 22 octobre 1772, succéda à son père dans sa charge de premier président du parlement de Bourgogne, dont il avait la survi- vance, le 19 janvier 1757. Il avait été reçu conseiller dans la même compagnie le 30 avril 1743, et président à mortier le 25 juin 1745. Au mois d'avril 1772, il se démit de sa charge, et la mort suivit de près sa retraite volontaire. Note 1, p. 117. — François de Fargès, intendant des finances et conseiller d'État, mort en 1791, était l'oncle de la première femme du président de Brosses. CI Note 1, p. 118. — Buffon, que ses affaires rappelaient à Montbard, ET ECLAIRCISSEMENTS. 365 avai laissé à Paris sa femme, attaquée d'une cruelle maladie qui ne lui permettait pas d'affronter les fatigues du voyage. Le mal empirant, et Buffon ne pouvant quitter Montbard, M. et Mme de Montbeillard s'of- frirent pour aller tous deux donner leurs soins à Mme de Buffon. Mme de Montbeillard écrivit même à son amie pour lui faire part de son désir et il fut répondu à son offre affectueuse par la lettre qui suit : « Galerie du Louvre, ce mercredi. SXIV Note 1, p. 130. — Antoine Bougot, plus connu sous le nom do P. Ignace, naquit à Dijon en 1721, et mourut à Buffon le 1er juillet 1798. Il appartenait à une famille estimable et considérée. Fort jeune il abandonna la maison paternelle pour s'attacher à la fortune d'une troupe de saltimbanques qui parcouraient la France. Bientôt revenu de ses erreurs, il entra dans l'ordre des capucins, où il prit le nom de religion de R. P. Ignace. Longtemps frère servant, il devint frère quêteur, puis gardien des capucins de Châtillon-sur-Seine, et enfin gardien des capucins de Semur. Pendant un carême, le P. Ignace vint prêcher à Montbard; il dîna au château et sut plaire à Buffon, qui l'at- tacha à sa personne. Depuis ce jour le P. Ignace ne voulut plus être appelé que : le capucin de M. le comte de Buffon. Buffon obtint l'érection d'une cure dans sa terre, et le P. Ignace en fut nommé desservant. On raconte de lui des traits et d^s plaisanteries qui n'étaient pas toujours du meilleur goût, mais qui avaient le privilège de distraire le grave auteur de l'Histoire naturelle. Du reste, si le plaisir que causait au P. Ignace l'honneur d'être attaché à la personne d'un grand homme, le fit parfois tomber dans quelques travers , ils ont été grandement exagérés par les écrivains qui en ont évoqué le souvenir. Souvent admis à la table de son bienfaiteur, il conservait, quel que fût le nombre et la qualité des convives, son franc-parler. Un jour, au dessert, alors que l'on aimait à provoquer ses reparties, il répondit à un grand sei- gneur, le baron d'Anstrud, qui lui demandait auquel de ses yeux il donnait la préférence; ce Au moins rouge, monsieur le baron. » Une année, dans un de ses voyages, Buffon l'emmena avec lui; un jour qu'il avait un discours à prononcer à l'Académie, il le fit monter dans son carrosse, et asseoir dans son fauteuil académique. Le P. Ignace conserva le souvenir de cette journée, qu'il regarda comme une des plus glorieuses de sa vie, racontant que, durant la séance, le public n'avait cessé de s'occuper de lui, et que, lorsqu'il monta dans la voiture de l'académicien, sa curiosité n'était pas encore satisfaite. En 1770, les toitures de la capucinière de Semur tombaient en ruine; le P. Ignace vint, au nom des religieux de son ordre, implorer la bienfaisance de Buffon, qui lui donna par écrit la permission de faire prendre dans ses ET ECLAIRCISSEMENTS. 383 bois autant d'arbres propres à la charpente qu'il pourra en être enlevé pendant un jour seulement. Le P. Ignace conserve l'ordre, attend le départ de Buffon, et ayant requis le concours de toutes les voitures des paysans de la seigneurie, enlève en un jour plus de charpente que n'en eût demandé la reconstruction entière de son couvent. On a con- servé à Montbard le souvenir d'un grand nombre d'anecdotes de ce genre dont le P. Ignace fut le héros. Quoi qu'il en soit, et malgré son laisser-aller, il montra toujours pour Buffon, son bienfaiteur, un dé- vouement tendre et désintéressé. J'en citerai un seul exemple. Buffon, qui se faisait coiffer chaque matin dans son cabinet de travail, ne s'habillait cependant, lorsqu'il n'avait personne à recevoir, qu'après son repas. Souvent, sans y prendre garde, il se mettait à table en robe de chambre et se coiffait la tète d'un chapeau galonné. La com- tesse de Buffon, qui avait d'abord beaucoup ri de cette bizarre toilette, insista bientôt près de son mari pour qu'il fit l'emplette d'une coiffure plus en harmonie avec sa toilette du matin. Le P. Ignace entendit ce reproche, partit pour Dijon et acheta, parmi les plus chers et les plus beaux, un bonnet de velours. Depuis ce jour, chaque fois qu'il venait à Montbard, il apportait son bonnet. Plusieurs mois se pas- sèrent, Mme de Buffon gardait le silence. Un jour cependant elle adressa de nouveaux reproches à son mari. Buffon répondit en souriant que c'était de sa part un oubli, et qu'à son premier voyage à Dijon, il achèterait une autre coiffure. Alors le P. Ignace, qui ce jour-là dînait au château, tira de dessous sa robe avec un soupir de satisfaction son riche bonnet et l'offrit à Buffon. Depuis six mois il le portait sur lui, attendant l'heure avec patience, et se disant chaque soir, en quittant Montbard et regardant son bonnet : répondit l'abbé Delille. Note 6, p. 132. — Le président de Brosses avait nettement posé ET ECLAIRCISSEMENTS. 387 cette fois sa candidature à l'une des trois places vacantes à l'Acadé- mie. Il trouva de la part de Voltaire une opposition ardente et échoua. La correspondance de ce dernier témoigne de la passion qu'il apporta dans cette affaire et montre quels moyens il mit en œuvre pour enlever au président de Brosses une distinction que ses écrits lui avaient de- puis longtemps méritée. Le 10 décembre 1770 il écrit à d'Alembert : « On dit que le président de Brosses se présente. Je sais qu'outre les Fétiches et les Terres australes, il a fait un livre sur les langues, dans lequel ce qu'il a pillé est assez bon et ce qui est de lui est détestable. Je lui ai d'ailleurs envoyé une consultation de neuf avocats, qui tous concluaient que je pouvais l'arguer de dol à son propre parlement. Il a eu un procédé bien vilain avec moi, et j'ai encore la lettre dans laquelle il m'écrit en mots couverts que, si je le poursuis, il pourra me dé- noncer comme auteur d'ouvrages suspects, que je n'ai certainement point faits. Je puis produire ces belles choses à l'Académie et je ne crois pas qu'un tel homme vous convienne. » Le 9 janvier 1771, il écrit au maréchal de Richelieu : « Je suis obligé d'importuner mon héros pour des bagatelles académiques. ... Mais on me mande que vous voulez avoir pour confrère un président de Bourgogne nommé de Brosses. Je vous demande en grâce, Monseigneur, de ne me le donner que pour successeur. Il n'attendra pas longtemps, et vous me feriez mourir de chagrin plus tôt qu'il ne faut, si vous protégiez cet homme. » Note 7, p. 132. — Trois places étaient presque en même temps de- venues vacantes à l'Académie française, par la mort de Moncrif, du président Hénaut et de l'abbé Alary. Note 8, p. 132 — Ce règlement de l'Académie, qui exigeait la rési- dence, avait déjà été négligé dans plusieurs circonstances, et notam- ment lors de l'élection du président Bouhier, qui ne cessa pas d'habiter Dijon , où le retenaient les devoirs de sa charge. Note 9, p. 132. — L'abbé Barthélémy, né en 1716 en Provence, mort à Paris en 1794, devint garde du cabinet des médailles de la Bi- bliothèque du Roi en 1753, et enrichit beaucoup ce magnifique musée. Il était entré à l'Académie des inscriptions et belles-lettres en 1747; mais il ne put arriver à l'Académie française qu'en 1789, et c'est son ouvrage le plus populaire, le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, pu- blié en 1788, qui lui en ouvrit les portes. On voit par la lettre de Buffbn que, dès 1770, l'abbé Barthélémy aspirait au fauteuil académique, fort de l'appui du ministère, c'est-à-dire de M. de Choiseul qu'il avait connu à Rome, et qui eut le bon goût de protéger ce véritable savant. 388 NOTES CXVI Note 1, p. 133. — Au commencement du mois de février, Buffon fut atteint d'une maladie grave qui fit craindre pour ses jours. Un instant on désespéra de le sauver. On lit dans les Mémoires de Bachaumont, à la date du 16 février 1771 : «M. de Buffon de l'Académie française, dont les ouvrages lui assurent l'immortalité, est à toute extrémité; ce sera une grande perte pour les lettres. » Durant cette cruelle maladie, M. Laude, gouverneur du jeune Buffon, et Charles-Benjamin Leclerc, prieur de l'abbaye du Petit-Cîteaux et vicaire général du même or- dre, qu'on avait appelé en toute hâte près de son frère, tinrent tour à tour Gueneau de Montbeillard au courant des différentes phases du mal. Ces lettres sont un bulletin complet et quotidien des crises suc- cessives par lesquelles Buffon passa dans cette terrible maladie, dont sa forte constitution finit cependant par triompher. Elles ont trait à un des principaux événements de sa vie, et à ce titre ne nous parais- sent pas dépourvues d'intérêt; nous les rapportons ici : « Paris, le 13 février 1771. « Je vous laissai sans doute, monsieur, dans la plus cruelle inquié- tude, en .vous apprenant la maladie de M. de Buffon; mais ma seconde lettre ne la diminuera pas malheureusement. L'état de M. de Buffon est très-critique; les selles sont sanguinolentes et d'une fétidité in- concevable, et les médecins regardent ces deux caractères comme pro- duits par un vice intérieur qui doit donner les plus vives alarmes. Je sens, monsieur, quel coup je vais porter à la sensibilité d'un de ses meilleurs amis, et j'ai moi-même le cœur déchiré en vous annonçant le danger où est M. de Buffon. Mais je n'ai pu me dispenser, quelque douloureuse que soit ma commission , de vous en informer; c'est là le moment, monsieur, d'en instruire M. le chevalier de Saint-Belin. En- voyez chez lui, si vous voulez bien, et prenez, dans cette triste cir- constance, les mesures que votre prudence et votre attachement vous suggéreront respectivement. Le médecin a passé cette nuit auprès de M. de Buffon , et c'est d'après une longue conversation que je viens d'avoir avec lui , que je vous fais ce détail affligeant. J'écrivis il y a trois jours à Dom Leclerc, prieur du Petit-Cîteaux, et je l'attends au- jourd'hui ou demain au plus tard. Depuis le plus mal de M. de Buffon, je suis retenu au lit par la goutte, qui me tourmente d'autant plus ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 389 cruellement que je ne peux vaquer qu'aux choses qui demandent des réponses. « Je n'ai pas le courage de vous en écrire plus long, monsieur, et il n'y en a que trop. ce Laude. j> « Le 15 février, une heure après midi. « M. le Prieur, monsieur, contre mon espérance et la sienne pro- pre, arrive dans le moment. J'en suis très-charmé, et sa présence ne peut qu'être très-nécessaire dans une circonstance comme celle-ci. M. de Buffon a pris tantôt une petite médecine qui lui a fait rendre des glaires, sans aucun sang. Hélas! monsieur, nous serions sûre- ment dans des inquiétudes moins vives, s'il se fut déterminé plus tôt à en faire usage. Mais c'est beaucoup d'avoir fait un pas; puisse-t-il ramener un peu l'espoir! « Laude. j> t Paris, le 18 février 1771. « M. le Prieur, monsieur, a bien voulu se charger de vous faire le détail de la maladie et du traitement de M. de Buffon, qui est maintenant absolument sans danger. Cette révolution est d'autant plus heureuse qu'elle était inattendue; mais elle est certaine. Je n'ai le temps, monsieur, que de vous écrire un mot pour m'unir d'inten- tion à la joie que cette heureuse nouvelle va porter dans votre cœur et dans celui de votre chère famille, à qui je dis comme à vous, mon- sieur, les choses les plus tendres et les plus respectueuses. t M. le Prieur fera réponse pour moi à M. Le Mulier. « Je viens d'écrire cette heureuse nouvelle à M. le chevalier de Saint-Belin , et je prie M. Daubenton de lui envoyer la lettre par un exprès. « Laude. s On lit dans les Mémoires de Bachaumont, à la date du 18 février 1771 : « M. de Buffon est hors d'affaire, et l'on en est d'autant plus aise, que personne n'aurait pu continuer comme lui son ouvrage im- portant et original sur l'histoire naturelle. » o Paris, le 18 février 1771. « Le 25 février, dix heures du matin, 1771. a II est bien agréable d'écrire, mon cher monsieur, quand on n'a que de bonnes nouvelles à donner et que l'on peut ouvrir son cœur à la joie avec ses amis. M. de Buffon nous met dans ce cas-là. Le concert, le souper et le bal ont fait effet jusqu'ici , et le convalescent n'en est que mieux. Souffrez donc que j'aie l'honneur de vous remercier même en son nom de cette marque de votre amitié. Nous avons cependant éprouvé un petit revers causé par un peu trop de mangeaille , qui a manqué à nous faire repentir de nous être laissé succomber aux effets d'une faim insupportable. Nous en avons été quittes pour la peur et pour quelques sermons qui jusqu'à ce moment ont fait impression. Si le B. P. Ignace prêchait aussi onctueusement , on l'appellerait saint Ignace de Dijon. Cette nuit a été tranquille et parfaite, et ce matin notre malade est entièrement bien. Il ne nous faut à présent que des forces, et nous travaillons à les faire augmenter chaque jour. « J'écris par ce même ordinaire à M. le chevalier de Saint-Belin qui s'est retiré à Fontaine, où je lui adresse ma lettre. « M. Laude vous présente son tendre respect ainsi qu'à votre maison. Permettez-moi , monsieur, de vous en offrir autant et de vous charger de vouloir bien le faire agréer à Mme de Montbeillard , Mlle Bouche- ron , M. votre fils, etc. J'ai l'honneur d'être, monsieur, votre très- humble et très-obéissant serviteur. « F. de Buffon, le Prieur. » « Je ne vous envoie pas de bulletin ; l'impression en est arrêtée depuis hier. Buffonet vous baise les mains à tous. » « Paris, le 11 mars 1771. « Je partage bien vos inquiétudes, monsieur, sur l'état de M. de Buffon, et je trouve, comme vous, sa convalescence trop lente. Je n'ai point eu l'honneur de vous écrire, parce que M. le Prieur s'était chargé de vous en donner régulièrement des nouvelles : sans cela, monsieur, je n'aurais sûrement laissé passer aucune poste sans vous 392 NOTES en faire parvenir. L'élat actuel de M. de Buffon, comparé avec les premiers jours de sa convalescence, esta mon avis moins bon. Il était faible, à la vérité, et exténué par le mal, mais il ne souffrait plus. Depuis plus de quinze jours il a repris des forces, et en a maintenant assez ; mais il a depuis ce terme, et même a eu avant, des douleurs dans les voies de l'urine qui n'ont fait qu'augmenter ; celles de l'anus sont moins considérables. Il a rendu et rend encore plus ou moins abondamment , par le canal de l'urètre, des graviers et des glaires dont la sortie lui a causé des douleurs très-vives, et deux fois des faiblesses, qui ne furent cependant que momentanées. Hier M. Des- cbesnet introduisit son doigt, le plus avant qu'il put, dans le canal in- testinal, et trouva de la dureté le long et à la marge de l'anus, du côté droit ; mais il ne trouva point de dépôt : il est cependant certain qu'il y en a un. On le vit clairement dans une garde-robe d'hier la nuit, dans laquelle M. de Buffon, sansbeaucoup de douleur, et sans aucune autre matière, rendit une assez grande quantité de pus , qui avait été comme annoncée, dans les garde-robes précédentes, par quelques par- celles sanguinolentes et quelques taches purulentes. Il y a donc lieu de croire, monsieur, que le siège du mal est plus haut que l'endroit qu'a sondé M. Deschesnet , et qu'il est voisin de la vessie, à laquelle sans doute il s'est communiqué. Il y a plus de dix ou douze jours que les médecins insistent sur la nécessité des injections et de l'usage du lait ; mais M. de Buffon, qui sent renaître ses forces, imagine qu'elles seules le rétabliront, et refuse constamment toute espèce de remèdes. Il argumente fortement avec ses docteurs, et finit par ne rien croire et ne rien faire. Cette sécurité afflige ses amis, et je vous avouerai, monsieur, que je ne serai tranquille que quand elle diminuera, et que M. de Buffon sera déterminé au régime qu'on lui propose, et auquel la nécessité l'amènera tôt ou tard. Voilà l'état présent de votre illustre ami, monsieur, et vous ne trouverez pas dans ce détail de quoi vous rassurer. Il ne faut cependant pas qu'il redouble vos craintes. Les médecins regardent ce double accident comme un mal local, et le pus que M. de Buffon rendit avant-hier comme une évacuation salutaire. Ils ne sont inquiets que de l'opposition de M. de Buffon, qui recule beaucoup sa guérison en s'opiniàtrant à rejeter tout remède propice. Il paraît encore par la vivacité alternative des yeux de M. de Buffon, par le teint animé qu'il a certains jours, et par la brièveté de sa pa- role, qu'il y a un fort agacement dans les nerfs. Il y a des jours où ces caractères ne sont presque pas sensibles. Ma plus grande crainte est la réunion des graviers, dont les suites seraient très-fâcheuses. « Ma santé, monsieur, quoique bien faible, est en bon train, et je voudrais n'avoir que le soin de la rétablir; il ne m'occuperait pas ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 393 beaucoup. Recevez, monsieur, avec votre bonté ordinaire, les com- pliments de M. le Prieur, l'amitié de son neveu et l'assurance du sincère et respectueux attachement avec lequel je serai toujours, mon- sieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. Au sortir du lit de justice, les membres du nouveau Parlement dînèrent à Versailles chez le chancelier, qui les conduisit ensuite en toute hâte à Paris, où il les installa et reçut leur serment. Le lendemain courut dans Paris un vaudeville commençant par ce couplet : Enfin un parlement tout neuf, Qui vient d'éclore comme un œuf, À déjà la science .... eh bien ! De prendre des vacances. Vous m'entendez bien. Bien d'autres couplets suivirent. Les avocats refusèrent de plaider de- vant la nouvelle cour, et les mémoires écrits par Beaumarchais contre Goezman achevèrent de la discréditer. Note 4, p. 135. — Un édit du mois de février 1771 avait créé dans le ressort de l'ancien parlement de Paris dix conseils supérieurs qui avaient hérité de toutes ses attributions. Un grand nombre de bail- liages refusèrent de reconnaître l'autorilé des nouveaux conseils, qui ne tardèrent pas à être supprimés. 39G NOTES Noie 5, p. 135. — L'abbé Terray était alors contrôleur général des finances. Il chercha à combler le déficit du Trésor par les moyens les plus simples : en augmentant les impôts et en diminuant les charges de l'État. Il réduisit les rentes de toute nature, même les pensions servies par l'État, de un à trois dixièmes, ce qui fit dire à un plaisant, un soir où l'on étouffait au parterre de l'Opéra : « Que l'abbé Terray n'est-il ici ! il nous réduirait d'un tiers. » Il assujettit à de nouvelles finances toutes les charges publiques. Les opérations de l'abbé Terray, qui ruinèrent un grand nombre de particuliers, tandis que le contrô- leur général ouvrait un crédit illimité à la comtesse du Barri, déchaî- nèrent contre lui la haine publique. L'abbé Terray ne s'en inquiétait guère : « Il faut bien les laisser crier, disait-il, puisqu'on les écorche. j> La rue Vide-Gousset ne s'appela plus que la rue Terray. Un particulier du nom de Billard ayant fait une banqueroute scandaleuse, on trouva un matin sur la porte du contrôle général cette inscription : « Ici l'on joue au noble jeu de billard. » On disait que l'abbé Terray était sans foi, qu'il enlevait l'espérance et réduisait à la charité; on disait en- core, en faisant allusion à sa laideur : Midas avait des makis qui changeaient tout en or : Que notre contrôleur n'en a-t-il de pareilles ! Pour l'État épuisé ce serait un trésor; Mais, hélas! de Midas il n'a que les oreilles. Note 6, p. 135. — M. Laude était à cette époque précepteur du fils deBuffon. On a vu (p. 388 et suiv.), par les lettres qu'il adressa àMont- beillard durant la maladie de son ami, qu'il savait écrire, et qu'il était attaché au père de son élève par les liens de l'affection et de la re- connaissance. GXVII Note 1, p. 136. — Le président de Ruffey était alors chancelier de l'Académie de Dijon. Fatigué d'un emploi qui lui avait suscité mille contrariétés avec les académiciens ses confrères, il avait manifesté l'intention de se retirer et avait, en même temps, désigné le président de Brosses pour son successeur. Ce ne fut que le 3 janvier 1772, et alors qu'il venait d'être envoyé en exil à la suite des résistances du Parlement, que le président de Brosses fut élu à la place du président de Ruffey. Note 2, p. 136. — Depuis le 20 janvier 1771, l'ancien parlementde Paris n'existait plus; la juridiction du parlement nouveau avait été amoin- ET ECLAIRCISSEMENTS. 397 drie, et dix conseils supérieurs avaient été créés dans le ressort de cette cour souveraine. Les différents parlements du royaume ne tar- dèrent pas à prendre parti pour le parlement de Paris. Le cours de la justice^ était partout suspendu. Les chambres demeurèrent assem- blées, occupées à discuter et à rédiger des remontrances dont la vio- lence étonne, et dont les termes nouveaux et les pensées hardies étaient bien faits pour surexciter les esprits. Le k février 1771, le par- lement de Dijon rédigea une protestation contre le nouveau tribunal installé à Paris, ainsi qu'une lettre au Roi pour lui porter les plaintes de son parlement de Bourgogne au sujet des dernières mesures prises par Sa Majesté. Cette lettre hardie qui posait, en fait- de droit poli- tique, d'assez singuliers principes, fut rédigée par le conseiller de Bévy, avec le concours du président de Brosses. La lettre au Roi ainsi que la protestation du Parlement furent envoyées aux princes et aux pairs , qui avaient de leur côté protesté contre les mesures prises à Paris par le chancelier Maupeou. Le k et le 25 mars, nouveaux arrêts du parlement de Bourgogne ordonnant à tous les officiers du ressort de ne point obéir aux arrêts rendus par les prétendus conseils supérieurs. Le 13 avril, de nouvelles protestations et de nouvelles remontrances furent rédigées; le 1er mai, fut rendu un arrêt plus violent que tous ceux qui l'avaient précédé ; il fut imprimé , tiré à un grand nombre d'exemplaires , affiché et distribué dans tout le ressort. Le 13 juillet, sur la dénonciation qui en fut faite. aux chambres assemblées parje conseiller de Torcy, le Parlement fit brûler, par la main du bourreau, trois apologies du chancelier. De pareils actes d'opposition, poussés jusqu'à ce degré de violence, ne pouvaient manquer d'entraîner la suppression cïu Parlement; chacun s'y attendait, et ceux-là même qui devaient souf- frir de cette mesure s'étonnaient de la lenteur mise par la cour à punir une résistance dont ils avaient compris toute la portée, et dont ils attendaient avec une certaine impatience les trop tardifs effets. CXYIII Note 1, p. 137. —Claude-Jean Rigoley, baron d'Ogny, né le 12 oc- tobre 1725, mort le 10 août 1793, entra au parlement de Bourgogne le 21 juillet 1745. Son office fut supprimé en 1765, et en 1770 il devint intendant général des postes. En 1787, on ajouta à sa charge celle de Directeur général des Postes du royaume, qui valait plus de 50 000 li- vres de revenu, et dont le duc de Polignac s'était démis, à la prière 398 NOTES de la Reine. Lorsque Roland occupa le ministère de l'intérieur, il retira au baron d'Ogny le service des Postes, dans lequel furent alors intro- duites d'importantes réformes. Note 2, p. 137. — En marge d'un manuscrit où sont consignées les observations recueillies par Gueneau de Montbeillard sur les tourte- relles, dans le temps où il écrivait leur histoire, on lit les vers sui- vants : Oiseaux plaintifs et plus heureux que nous, Vos cœurs sont faits pour la tendresse; Vous vous aimez, vous vous baisez sans cesse : Ah ! que vos passe-temps sont doux l Vous vous aimez, vos amants sont fidèles; Plaintives tourterelles, De quoi vous plaignez-vous? Note 3, p. 137. — Renée de Golombet de Cissey, mariée à Joseph François de Saint-Belin, seigneur de Fontaine, aïeule de la comtesse de Buffon. Note 4, p 138. — Cette maison, originaire de Beaune, a donné, dans l'espace de cent ans, trois conseillers au Parlement et cinq prési- dents à la Chambre des Comptes. Jean de Massol, qui vivait vers 1630, a laissé des écrits estimés. CXIX Note 1 , p. 138. — Mlle Boucheron , qui devient bientôt après Mme Daubenton, était la nièce de Gueneau de Montbeillard ; elle ha- bitait la ville de Semur, à une très -petite distance de Montbard. Buffon la vit tour à tour dans la famille de son oncle et dans la fa- mille de son mari, et lui voua un attachement qui dura pendant toute la vie de celle qui l'avait inspiré. C'était du reste une femme de cœur et d'esprit, écrivant avec une facilité charmante et possédant le rare talent de plaire et d'attacher. Belzy Daubenton, que Buffon appelle souvent dans sa Correspondance la charmante Brfzy et qui épousa par la suite le jeune comte de Buffon , est sa fille et n'eut pas d'autre institutrice que sa mère. Mme Daubenton fit en môme temps l'édu- cation des filles de M. Coutts, riche banquier anglais; l'une d'elles, misse Burdett-Coutts, réunit aujourd'hui sur sa tête les trois plus grandes fortunes de l'Angleterre. Note 2, p. 139. — Gueneau deM)ntbeillard. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 399 cxx Note 1, p. 139. — Pierre-Joseph Macquer, né en 1718, mort en 1784, vint en 1771 occuper au Jardin du Roi la chaire de chimie, que la retraite deBourdelin avait laissée vacante. Depuis plusieurs années déjà, avec Maloin, il suppléait Bourdelin dans son cours ; ses travaux en chimie, la réputation que lui firent comme professeur ses leçons au Jardin du Roi, l'avaient de bonne heure signalé à l'attention de Buffon, qui saisit avec empressement la première occasion qui s'offrit de l'at- tacher définitivement aux écoles du Cabinet. Macquer fut membre de l'Académie des sciences, et appelé comme chimiste à diriger les travaux de la manufacture de Sèvres. A la mort de Macquer, Fourcroy, protégé par Bucquet, et qui avait Berthollet pour concurrent, fut choisi par Buffon pour lui succéder. Le brevet qui nomme Fourcroy professeur de chimie au Jardin du Roi est conservé dans les archives du Muséum. Il montre quelle était l'étendue des pouvoirs dont Buffon était revêtu; il montre aussi que les professeurs du Jardin étaient nommés par l'intendant seul, sans le concours du ministre. Ce brevet est ainsi conçu : e « Nous Georges-Louis Leclerc, Chevalier, Comte et Seigneur de Buffon, la Mairie, les Berges et autres lieux, Vicomte de Quincy, Marquis de Rougemont, l'un des Quarante de l'Académie Française, Trésorier perpétuel de l'Académie Royale des Sciences de Paris, des Académies de Londres, Edimbourg, Berlin, Pétersbourg, Florence, Philadelphie, Boston, etc., Intendant du Jardin et du Cabinet du Roi. A tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. « Sur ce qui nous a été représenté que l'office de professeur de chi- mie aux écoles du Jardin du Roi.... est actuellement vacant par le dé- cès du sieur Macquer, et qu'il est nécessaire de nommer un successeur capable de remplir les fonctions de cet office de professeur de chimie anx écoles dudit Jardin. En conséquence et en vertu des pouvoirs à nous accordés parle Roi, ainsi qu'à nos prédécesseurs Intendants du- dit Jardin royal de nommer et présenter à Sa Majesté, tous les officiers qui dépendent de cet établissement, nous nous sommes dûment informés de la personne et de la capacité du sieur Antoine-François Fourcroy, docteur en Médecine de la Faculté de Paris, comme aussi de sa bonne vie et mœurs et religion, et nous l'avons, sous le bon plaisir de Sa Majesté, nommé » 400 NOTES Note 2, p. 139. — On vient de le dire, Buffon nommait seul aux différents emplois du Cabinet du Roi, et disposait sans contrôle des différentes chaires de professeurs attachées à cet établissement. La liste des hommes éminents qui se sont distingués dans les différentes bran- ches de l'enseignement donné au Muséum , durant la longue et glo- rieuse dictature de Buffon, témoigne de son discernement et de son impartialité. La chimie y est tour à tour enseignée par Bourdelin, par Rouelle, par Maloin, par Macquer et enfin par Fourcroy. La chaire de botanique, si longtemps et si dignement occupée par Antoine de Jussieu, est donnée à Lemonnier, auquel succède à Antoine-Laurent de Jussieu. Dans la chaire d'anatomie, Hunauld a Win slow pour successeur, et Antoine Ferrein, dont Portai fut le suppléant, fait place à Antoine Petit; les noms de Duverney et de Mertrud se rattachent encore à cette partie de l'enseignement. Les deux Daubenton, les deux Thouin, Lacépède, dont Buffon encou- ragea les débuts, Van Spaendonk qui enrichit les herbiers du Muséum, et qui en devint un des professeurs, sont encore des noms qui appar- tiennent à l'histoire du Jardin du Roi pendant l'administration de Buffon. On ne doit pas oublier non plus les noms de ces naturalistes voyageurs institués par Buffon, et dont les découvertes ont fait faire de si grands pas à la science. Poivre que Buffon fit connaître, Dombey en faveur duquel il obtint une pension, Commerson, Bougainville, Sonnerat, Dolimieu, Sonnino, Arthur et d'autres encore, font partie du groupe d'hommes éminents dont Buffon s'entoura pour achever l'œuvre qu'il avait entreprise. Il fut heureux dans ses choix parce qu'il fut toujours impartial. Parfois on le vit offrir à des savants avec lesquels il différait d'opinion, à des hommes qui avaient critiqué sa méthode, des postes auxquels les appelait la spécialité de leurs travaux. Dans ces différents choix, il consulta toujours l'opinion et ne se laissa jamais aller à ses répu- gnances ou à ses sympathies personnelles. Ce que. Buffon fit au Jardin du Roi pour le bien-être matériel et l'augmentation des richesses de cet établissement, il le fit au même degré pour la perfection de l'en- seignement et le bon choix des professeurs chargés de le distribuer. Note 3, p. 139. — Louis Phelyppeaux, comte de Saint-Florentin et, depuis 1770 , duc de La Vrillière, dont il a été déjà précédemment question (voy. p. 327) , fut ministre pendant cinquante ans. En 1740 il devint membre de l'Académie des sciences, et en 1757 de l'Aca- démie des belles-lettres. Le jour où Diderot vint lui annoncer son voyage en Russie : Note 2, p. 146. — Buffon, admirateur passionné de la nature, ex- cuse ses caprices et cherche à expliquer ses plus étranges productions. C'est chez elle une surabondance de sève ; ces créations bizarres sont des témoignages de sa puissance et de sa force. Les singularités et les monstres par lesquels la nature étonne et surprend parfois notre esprit, servent à mieux faire comprendre la parfaite harmonie qui règne dans son œuvre, à faire ressortir davantage les merveilleuses proportions des êtres qu'elle produit. « Les vrais caractères des erreurs de la nature sont, dit-il , la disproportion jointe à l'inuti- lité. Toutes les parties qui, dans les animaux, sont excessives, sura- bondantes, placées à contre-sens, et qui sont en même temps plus nuisibles qu'utiles, ne doivent pas être mises dans le grand plan des vues directes de la nature, mais dans la petite carte de ses caprices, ou si l'on veut de ses méprises, qui néanmoins ont un but aussi direct que les premières, puisque ces mêmes productions extraordinaires ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 421 nous indiquent que tout ce qui peut être est, et que, quoique les pro- portions, la régularité ., la symétrie régnent ordinairement dans tous les ouvrages de la nature, les disproportions, les excès et les défauts nous démontrent que l'étendue de sa puissance ne se borne point à ces idées de proportion et de régularité. » (Histoire des oiseaux , Les Toucans.) CXXVII Note 1, p. 148. — Il existe un portrait de Buffon en miniature, par Sauvage. C'est une grisaille exécutée avec un grand talent. Ce portrait a été souvent reproduit soit sur des tabatières, soit sur des boîtes. Mme Daubenton en possédait un que Buffon lui avait envoyé. D'au- tres ont été offerts par lui aux personnes qui, à différents titres, con- tribuèrent à l'agrandissement du Jardin du Roi. Note 2, p. 148. — Gueneau de Montbeillard, qui venait à Paris pour hâter l'achèvement de son histoire des oiseaux. Note 3, p. 148. — Le comte du Luc, lieutenant général des armées du Roi (1759), homme de cour et homme d'esprit, conserva toute sa vie un grand crédit à Versailles sans avoir jamais exercé soit des grandes charges à la cour, soit des emplois éminents en province. CXXVIII Note 1, p. 148. — Mme Daubenton. Note 2, p. H8.— Depuis la mort de la comtesse de Buffon, à laquelle elle était attachée par les liens d'une tendre amitié, Mme de Montbeillard n'avait pas cessé de prodiguer au fils de son amie les soins les plus af- fectueux et les plus empressés. Le fils de Mme de Montbeillard était à peu près du même âge que celui de Buffon ; tous deux recevaient des leçons des mêmes maîtres, et Buffon avait dans Mme de Montbeillard une telle confiance, qu'au mois de novembre 1772, lorsqu'il partit pour Paris, il laissa son fils avec M. Hemberger son gouverneur, à Semur, près de celle dont il avait appris à connaître la tendresse et le dévoue- ment. Buffon envoyait à son fils un nouveau gouverneur. M. Hember- ger, qui lui avait jusqu'à ce jour donné ses soins, était plus fort en musique qu'en pédagogie; et si sa qualité de musicien le faisait re- 422 NOTES chercher dans la société de Serrfur, et notamment dans la maison de Gueneau de Montbeillard, Buffon craignait que l'éducation de son fils ne s'en ressentît. Quelques fragments de la correspondance de Gueneau de Montbeil- lard avec sa femme feront voir quelle part prennent chacun d'eux à tout ce qui intéresse soit Buffon, soit son fils. On est touché en re- cueillant les témoignages de cette affection profonde qui unissait Montbeillard à Buffon; on aime à suivre les détails de ce tendre attachement , si simple dans sa manifestation , et dont la délica- tesse égale toujours la sincérité. « Mercredi matin, 16 décembre. « Enfin le choix est fait, mon cher Mouton : il est tombé sur l'homme de Valogne; et il faut avouer que cet homme, sans être à beaucoup près un aigle, est cependant celui qui méritait la pré- férence sur ceux qui se sont présentés. Un esprit médiocre, l'air du collège, peu de conversation, beaucoup d'embarras, voilà l'homme. Mais il y a à parier que c'est un homme sûr du côté des mœurs, de la conduite et même du caractère et du bon sens; et ces qualités sont préférables à de plus brillantes, vis-à-vis d'un père qui veut confier son enfant à quelqu'un. Quoi qu'il en soit, cet homme doit partir bientôt pour Montbard, et de Montbard pour Semur. Tu le recevras bien, mon cher Mouton; tu disposeras bien le petit bon ami en sa faveur; tu installeras M. Dallet dans le lit non de M. Hemberger, mais dans un lit de la petite maison, en attendant que M. Hemberger soit parti. Ils se connaissent déjà (le gouverneur et l'élève), et ils seront bientôt accoutumés ensemble. Ils resteront jusqu'au retour de M. de Buffon, et jusqu'à ce qu'il les redemande. Voilà, mon cher Mouton, toute l'histoire de ce gouvernement. Tu donneras à M. Hemberger pour son voyage ce qu'il te demandera, et je lui payerai ici ce qui lui reste dû. Il pourra partir dès que M. Dallet sera arrivé , et le plus tôt sera le meilleur, soit par le carrosse de Montbard, soit par le coche d'eau, en lui facilitant tous les moyens. Je dis que le plus tôt possible sera le meilleur, parce que je serais bien aise qu'il arrivât pendant que je suis ici, et même pendant que M. de Buffon y est. Il fera bien d'écrire à M. Pasquier une lettre bien honnête, en partant pour Paris, et de se ménager la protection de M. de Montigny. Je voudrais qu il prospérât , mais il faut pour cela employer toutes ses ressources ; il faudra que Montbeillard et tous ceux qui veulent du bien à M. Hemberger le re- commandent aussi. Baise bien tendrement le petit bon ami, dont on est si content. Nos amitiés à tous nos parents et amis et voisines. J'ai ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 423 vu M. Nicolas, je le verrai encore bientôt, et j'en rendrai compte à sa maman. Dis-moi des nouvelles de Mme de Mussy. Voilà un petit mot pour mon fils. Je t'embrasse, mon cher Mouton, du plus tendre de mon cœur. » a Paris, le 21 décembre 1772. c Je ne te recommande pas notre ami Buffonet, comme tu ne me recommandes pas ton Fin-Fin. Tiens surtout la main à ce qu'il ait le ton honnête avec ses inférieurs, et que lesdits inférieurs soient sourds, absolument sourds lorsqu'il ne prend pas avec eux le ton honnête. Il me paraît que c'est ce que le papa a le plus à cœur. Le digne papa partira le jour de Noël et arrivera pour la seconde fête ; et quand il sera reposé, il ira lui-même reprendre son fils. Il faut tirer parti de cela pour engager notre bon ami à faire des progrès dans ses différents genres d'occupations, et dans la politesse, afin de donner à son excellent papa la satisfaction de le retrouver plus avancé et meilleur qu'il ne l'avait laissé. « Adieu, mon cher Mouton, je te baise tendrement; Fin-Fin en fait presque autant et à Buffonel. Il faudra m'informer de la marche de M. Hemberger, et lui dire d'aller descendre chez le sieur Gaillardin, rue de Savoie, hôtel de Bourgogne, quartier Saint-André-des-Arcs. J'enverrai au-devant de lui si je sais comme il vient. M. de Buffon a déjà songé à lui procurer quelque chose. Adieu donc; nous saluons M. Hemberger. » « M. Hemberger sera peut-être parti quand celte lettre arrivera ; s'il ne l'était pas, tu lui feras mes compliments. J'ai peur que le coche d'eau ne soit trop froid. Il aura sans doute vu M. de Buffon et lui aura remis le précieux dépôt. « M. de Buffon a dû arriver hier mardi à Montbard. Embrasse-le bien tendrement pour moi, comme je t'embrasse, et la princesse. » « Notre Allemand est arrivé, mon cher Mouton, en bonne santé, non par le coche comme on l'attendait, mais par la diligence : il en est descendu, a pris un fiacre et s'est fait conduire chez notre ami Gaillardin , sans s'informer au bureau du coche , tout voisin de celui des diligences, s'il n'y avait pas quelqu'un qui l'attendît. C'eût été trop demander d'un homme qui n'a pas plus de raison qu'un Allemand. Au moyen de cette allemanderie, une voiture et mon la- quais, que j'avais envoyés au-devant de lui au port Saint-Paul, l'ont attendu pendant quatre heures inutilement. Le voilà arrivé; il a déjà vu prendre leçon à mon fils et a été recommandé au maître , nous allons le recommander à bien d'autres. » 424 NOTES « .... J'ai remis ta lettre à Hemberger, que je ne vois presque pas. M. Guillaumot lui a proposé de le prendre pour montrer à sa fille, et lui aurait fait faire connaissance avec tous les virtuoses de Paris, qui la plupart sont ses amis; il aurait fait valoir sa musi- que, etc. C'était, à mon avis, une occasion unique pour son avance- ment. Hemberger a vu autrement ; il aime mieux faire des symphonies pour l'électeur de Mayence, qui le prendra à coup sûr à son ser- vice, sur la recommandation d'une sienne sœur qui y est déjà, et, en passant, il s'arrêtera sans doute quelque temps à Semur. Voilà son plan, qui n'est peut-être pas bien réfléchi; mais il y tient, et j'en suis bien aise pour notre musique. » « Lundi 11 janvier 1773, 7 heures du matin. « Il ne faut pas se presser de renvoyer bon ami Buffonet à Mont- bard, puisqu'il se plaît avec toi. Je sais d'ailleurs que tu te plais avec lui lorsqu'il est raisonnable, et qu'il l'est presque toujours. J'ai bien prié le papa de ne pas te l'enlever si tôt, et l'ai assuré que ce se- rait une véritable privation pour toi. « .... Bon ami Buffonet, vous aurez un jouet comme vous le désirez par la première occasion. M. Hemberger vous aime toujours tendre- ment, et il est très-sensible à l'amitié que vous lui témoignez. Il est arrivé en bonne santé : il a déjà vu l'Opéra, la Comédie-Italienne, le Concert de Saint-Georges, un autre encore, et aujourd'hui il verra le Concert des Amateurs; mais il aimerait mieux vous voir que tout cela. » « Je suis bien aise, mon cher Mouton, que le papa ait trouvé notre petit bon ami changé en bien; c'est le plus grand service qu'on puisse rendre à un enfant de lui ôter de mauvaises habitudes, de lui en donner de meilleures, et lui donner le goût des bonnes choses; et ce sera une grande satisfaction pour toi d'avoir rendu un peu de ce service à l'enfant de ta pauvre bonne amie, qui le sentirait sûrement, si on sentait quelque chose dans le tombeau. De toutes les fables, c'est celle que je regrette le plus. » (Ces divers fragments sont extraits de la Correspondance de Gueneau de Montbeillard , conservée dans la Bibliothèque de la ville de Semur.) Note 3, p. U8. — Hemberger est l'auteur de plusieurs compo- sitions musicales estimées. Il composa en l'honneur de Bufîon, sur des paroles de Gueneau de Montbeillard, un morceau qui fut exécuté à ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 425 Paris non sans quelque succès. Il a pour titre : Bouquet à M . le Comte deBuffon, à quatre parties chantantes, avec accompagnement de violons, deux flûtes, deux cors de chasse, alto et basse, par son très- humble, très-obéissant et très-reconnaissant serviteur F. A. Hember- ger. Gravé par Niquet. Note 4, p. 149. — Potot de Montbeillard, capitaine d'artillerie. CXXIX Note l,p. 149. — François Lucas dut àBuffon la place de conserva- teur des galeries du Jardin du Roi, en même temps que celle d'huissier de l'Académie des sciences. Ce fut son homme de confiance; durant ses longues absences de Paris, Bufîon chargeait Lucas de veiller aux intérêts du Jardin. Quelques biographes ont avancé que François Lucas était le fils naturel de Bufîon. Rien ne peut justifier cette assertion. Lucas fut toute sa vie dévoué aux intérêts de son protecteur, qui, pour recon- naître ses bons soins, lui laissa dans son testament une marque de son souvenir : « Je donne et lègue, » y est-il dit, « au sieur Lucas, huissier de l'Académie des sciences, une somme de trois mille livres une fois payée, en reconnaissance des services assidus qu'il m'a tou- jours rendus. » — Jean- André-Henri Lucas , fils du précédent, né en 1780, mort le 6 février 1825, a publié divers ouvrages. cxxx Note 1, p. 150. — Bufîon était le confrère de Macquer à l'Académie des sciences. Note 2, p. 150. — Macquer fut, parmi les chimistes, un des premiers qui étudia le platine, nouvellement découvert et apporté en Europe; mais il ne put reconnaître la nature des métaux qui s'y trouvent com- munément réunis. Note 3, p. 150. — Le Dictionnaire de chimie de Macquer fut son plus important ouvrage. Il est précieux à consulter en ce qu'il fixe l'état exact de la science à cette époque, où la chimie n'avait pas en- core accepté la loi de Lavoisier. Note 4, p. 150. — Le minerai de platine contient le plus souvent, 426 NOTES avec de l'osmiure d'iridium et des composés de palladium, de rhodium, d'iridium, du fer titane qui est parfois magnétique et indissoluble par les acides ; cependant, lorsque la proportion du fer contenue est assez considérable, le fer titane est soluble dans l'eau régale. GXXXI Note 1, p. 150. — Mme Daubenton écrivait en effet à merveille et avec la plus grande facilité. Je trouve, sur un album qui lui a appar- tenu, les lignes suivantes : « Beauté, don précieux de la nature, bril- lante image des perfections de son auteur, c'est par toi, c'est par ton charme irrésistible que l'on vit tant de fois un jeune enfant dompter les lions farouches, et la faiblesse même triompher de la force et du courage. Souveraine de l'univers, exerce à jamais sur nous le plus doux des empires, règne sur nos esprits qui se plaisent à t'admirer sans pouvoir te comprendre; sur nos cœurs, dont nous ne jouissons pas sans toi; sur -nos sens, dont tu nous rends l'usage délicieux. Comble surtout de tes faveurs les mortels courageux qui se sont consacrés à ta défense, en- veillant sans cesse pour repousser les traits de ta plus cruelle ennemie ; mais cache-toi sous un voile impénétrable aux yeux de l'homme insensible, de l'homme au cœur dur, près de qui tes cé- lestes appas ont besoin d'une recommandation étrangère. » Parfois Buffon eut recours à la plume de Mme Daubenton, rendant ainsi un éclatant témoignage aux grâces de son style et à la facilité de sa pensée. Il l'employa surtout à sa correspondance, dont les exigences le fatiguaient. Les petits sujets, nous aurons souvent occasion de le remarquer, répugnaient à son esprit; il aimait peu à écrire, soit pour ses affaires, soit pour celles du Jardin du Roi, soit pour répon- dre à ses nombreux correspondants, et faisait appel, pour ménager son temps, à des secours étrangers. Mme Nadault, sa sœur, avait, comme Mme Daubenton, la mission de le suppléer dans cette partie de ses occupations de chaque jour, souvent fort chargée, « C'est votre département, ma petite sœur, lui disait-il en l'appelant près de lui. Je dois reconnaître que vous vous en tirez mieux que moi. » Les quelques lettres de Mme Nadault qui nous sont parvenues, témoi- gnent de la vérité du jugement porté sur elle par son frère. Elle écri- vait près de Buffon, assise devant une petite table, lui donnant à si- gner les lettres qu'elle venait d'écrire, sans que ce dernier songeât la plupart du temps à en prendre lecture. L'imagination surtout était, parmi les qualités du style, celle que ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 427 Buffon estimait le plus. Lorsqu'un ouvrage l'avait frappé, il témoignait le cas qu'il en faisait par une expression qui lui était familière: «C'est un bon ouvrage, disait-il, il y a de l'idée! » Il n'aimait pas les courtes périodes, les phrases brèves et coupées; il disait de cette façon d'é- crire : « C'est un style asthmatique. » C'est en effet une manière qui lui est inconnue. Les longues périodes sont fréquentes dans Buffon ; ce sont elles qui communiquent à son style cette majesté toujours sou- tenue qui distingue son génie. Si les longues périodes donnent au style de la dignité et de l'ampleur, parfois cependant elles nuisent à sa clarté- Buffon, qui en avait com- pris le danger, avait un moyen sûr de reconnaître si sa pensée avait été clairement rendue. Il assemblait quelques amis, souvent choisis parmi ceux qui paraissaient devoir être mauvais juges d'une œuvre d'esprit; pendant qu'ils prenaient lecture de son ouvrage, il épiait sur leur physionomie l'impression produite, et notait avec soin, pour les corriger ensuite, les passages où sa pensée avait été mal comprise. « II n'y a, disait-il souvent, homme si simple, dont les observations ne soient bonnes è consigner et dont on ne puisse tirer parti. » Le style de Buffon, toujours élevé, toujours sublime (ses critiques ont dit toujours tendu), n'est jamais au-dessous de la hauteur de la pensée. Dans une œuvre sérieuse, Buffon voulait, outre le fond, ren- contrer la forme. Il a dit dans son discours de réception à l'Académie française : « Les ouvrages bien écrits seront les seuls qui passeront à la postérité. » — « Le style est l'homme même, » dit-il dans un autre pas- sage. Ce mot de Buffon a fait fortune, il est devenu une maxime sou- vent répétée. C'est qu'il est d'une grande vérité. Le style, pris dans son acception véritable, doit en effet rendre avec toutes ses nuances, et même avec ses égarements ou ses défauts, la pensée de l'écrivain. Le style, pour faire impression et assurer aux ouvrages de l'esprit quelque durée, doit avoir deux qualités essentielles : l'inspiration et la nou- veauté. Il doit porter le caractère de l'œuvre, être pénétré du génie qui inspire l'écrivain. L'homme qui copie ou qui imite, quelque parfait que soit son ouvrage, ne sera jamais qu'un écrivain mé- diocre; il pourra atteindre à la grâce ou à la facilité du style, mais il n'en aura ni le génie, ni l'originalité : l'originalité du style, sa puis- sance et sa force viennent de l'inspiration. Buffon, dont les écrits sont demeurés un des monuments les plus parfaits de notre langue, a donné la clef de sa méthode dans son Discours à V Académie. Les règles qu'il a posées sont devenues la grande loi de tous ceux qui préten- dent à l'art si difficile de bien écrire, et le morceau qui les renferme est lui-même un modèle ; c'est une page de la plus haute éloquence. On peut dire, avec Mme Necker, que « ce discours de M. de Buffon 428 NOTES sur les difficultés et les beautés du style enregistrera pour jamais les titres de l'Académie dans le temple de la Renommée. » Note 2, p. 151. — Le charmant hanneton, nous le savons déjà, c'est Mme Daubenton elle-même. Elle avait été ainsi baptisée par son oncle, et le nom de hanneton lui resta, comme celui de mouton était resté à la douce et indulgente compagne de Gueneau de Montbeillard. Note 3, p. 151. — La Légion corse est un cousin de Mme Daubenton, un neveu de Potot de Montbeillard, capitaine de cavalerie. Entré par les soins de son oncle dans la légion étrangère formée lors de la con- quête de la Corse, il désirait obtenir un poste sédentaire dans la mai- son d'un prince du sang. Buffon, sur la recommandation de Mme Dau- benton, s'intéressa à sa demande ; il espéra un instant le placer dans la maison de M. le comte d'Artois, mais il écho'ua, et ce ne fut que quelques années plus tard qu'il put le faire entrer dans la petite écurie du Roi. Note 4, p. 151. — Le premier volume des Suppléments à l'Histoire naturelle parut en 1774. Ce premier volume des Suppléments ren- ferme, avec le résultat de différentes expériences faites par Buffon, la suite de la Théorie de la terre et V Introduction à l'Histoire des miné- raux, dont la première partie traite des Éléments. Pendant que Buffon travaillait aux Suppléments de l'Histoire naturelle, le corps principal de l'ouvrage, contenant l'Histoire des oiseaux, à laquelle travaillait Gueneau de Montbeillard, continuait à paraître. Note 5, p. 151. — ■ C'est le portrait gravé par Chevillet en 1773, d'après le tableau de Drouais. Cette gravure, placée en tête de la nouvelle édition de l'Histoire naturelle donnée à cette époque, est, tant par la perfection du burin que par la ressemblance et le fini du dessin, le meilleur des portraits gravés de Buffon. CXXX1I Note 1, p. 151. — La fortune assez considérable de Buffon, les soins qu'elle exigeait, les intérêts nombreux qu'il avait à défendre', lui atti- rèrent de nombreux procès. Le 2 novembre 1772, à une réunion du maire et des échevins de la ville de Montbard, se trouvait, parmi les pièces à examiner, une re- quête de Buffon à l'intendant de la province, pour obtenir que les murs ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 429 des terrasses de ses jardins fussent reconstruits aux frais de la ville, qui en avait causé la chute en faisant élever dans leur voisinage une maison pour le curé. Au lieu de discuter avec ses collègues la demande qui leur était transmise , Mandonnet, premier échevin, s'emporta en paroles violentes contre Buffon, disant que c'était un homme terrible, que son avidité était si grande que, s il pouvait atteindre au Père éternel il lui prendrait son chapeau ou son manteau, que c'était un tyran et un usurpateur. Si M. de Buffon était mort lors de sa dernière 7naladie, disait-il en s'animant, la ville de Montbard y aurait beaucoup gagné. M. de Buffon ne méritait pas les honneurs que la ville lui avait rendus au retour de son dernier voyage à Paris. (Archives de l'hôtel de ville de Montbard.) Une enquête eut lieu au sujet de ces propos, et il intervint une sentence qui condamna Mandonnet. (Voir p. 444, note 1, de la lettre cxxxix). Note 2, p. 152. — Buffon avait un grand nombre de chevreuils dans ses bois, et souvent les gardes en prenaient de jeunes que l'on élevait au château, et qui vivaient en liberté dans les jardins. Le chevreuil de Montbard était, du reste, renommé à l'égal de ses grives, dont les ducs de Bourgogne se montrèrent autrefois très-friands. « J'habite souvent , dit Buffon dans l'histoire du chevreuil, un pays dont les chevreuils ont une grande réputation. » Un jour, à Ver- sailles, Louis XV fut pris de la fantaisie de manger du chevreuil de Montbard; il en envoya demander à Buffon. Ce dernier ne put of- frir que la moitié d'un chevreuil et supplia le Roi de ne voir dans l'envoi de cette pièce, si peu digne d'être offerte à Sa Majesté, que l'empressement que l'on avait au Jardin du Roi de répondre sans retard à son désir. Le Roi, à son tour, envoya au naturaliste la moitié d'un pâté qui avait été servi sur sa table le matin, auquel il avait lui-même travaillé avec le duc d'Aumont et qu'il avait trouvé excel- lent, a De cette manière, dit-il , M. de Buffon ne regardera plus à m'envoyer une moitié de chevreuil. » Un autre jour, au mois de dé- cembre 1775, ayant tué à la chasse des bécasses d'une espèce rare (des bécasses rousses) , il ordonna qu'elles fussent envoyées au Jardin du Roi en ajoutant : «M. de Buffon seul est digne de manger ces oiseaux. » Buffon remercia le Roi et plaça les bécasses parmi les collections du Cabinet. Louis XV, on le sait, avait un goût prononcé pour les sciences naturelles, et ce prince avait à Trianon un jardin botanique dont il cultivait lui-même les plantes avec le plus grand soin. A différentes reprises Buffon fit ou répéta devant lui quelques-unes de ses plus im- portantes expériences, et notamment celle des miroirs ardents. Le Roi , qui n'aimait pas Voltaire, malgré la protection avouée dont il 430 NOTES jouissait près de la favorite, témoigna toujours une affectueuse estime à Buffon, qui était loin d'être aussi bien vu par Mme de Pompadour. Cependant ils étaient en bons termes, et la marquise eut même pour le naturaliste des attentions qui , venant d'elle, pouvaient être re- gardées comme les témoignages d'une véritable faveur. (Voir p. 253, note 2 de la lettre xxix.) CXXXIII Note 1, p. 152. — Le frère de Mme Daubenton faisait à Beaune un mariage d'inclination. Les deux familles, qui avaient d'abord ré- sisté à une union projetée en dehors de leurs vues réciproques, y con- sentirent ensuite de bonne grâce, et célébrèrent, dans des fêtes qui durèrent plusieurs jours, le mariage de leurs enfants. Note 2, p. 152. — Les deux oncles de Mme Daubenton, Gueneau de Montbeillard etPotot deMontbeillard, beau-frère de ce dernier, avaient été divisés par des intérêts de famille. Une de leurs nièces avait con- tribué par de faux rapports à entretenir une mésintelligence qui répu- gnait également au cœur loyal et sincère de tous deux. Mme Dau- benton parvint, avec l'aide de Buffon, à rapprocher les deux frères; mais elle resta brouillée avec la jeune parente qui avait amené cette désunion. Note 3, p. 152. — Yves-Marie Desmarets, comte de Maillebois, fils du maréchal de ce nom, lieutenant général, gouverneur de Douai, membre honoraire de l'Académie des sciences, né en 1715, mort le 14 décembre 1791, est surtout connu par ses démêlés avec le maréchal d'Estrées au sujet de la bataille d'Hastembeck. En 1789, il se prononça énergiquement contre les plans de réforme; lors de la détention du Roi, il rédigea un projet de contre-révolution, dans le temps où Mme de Staël proposait un plan d'évasion des Tuileries. Dénoncé en 1790 au comité des recherches de l'Assemblée nationale, il s'enfuit dans les Pays-Bas, où il mourut l'année suivante. Note 4, p. 153. — Le papa de Montbard, c'est Pierre Daubenton, maire de la ville. CXXXIV Note 1, p. 153. — L'abbé de Piolenc était lié d'une amitié très-vive avec Gueneau de Montbeillard, et était en même temps de la société ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 431 intime de Buffon. Ce fut un homme de bien. Il était frère du marquis de Piolenc, comte de Montbel, à qui on doit plusieurs observations sur les oiseaux, insérées dans l'Histoire naturelle. Les deux frères, issus d'une famille venue de la Provence et qui compte parmi ses membres des premiers présidents et présidents aux parlements de Provence et du Dauphiné, habitaient Semur l'hiver, et allaient passer la belle saison dans leur terre de Montbel et d'Épine, en Savoie. La fille du marquis de Piolenc a épousé Antoine-Athanase Royer- Collard, professeur à la Faculté de médecine de Paris et frère du cé- lèbre Royer-Collard (Pierre-Paul). M. Albert-Paul Royer-Collard, professeur à la Faculté de droit de Paris, ayant réuni sur sa tête les anciennes propriétés de la famille de Piolenc, le roi Charles-Albert lui accorda le droit de prendre les armoiries de cette maison , et lui reconnut en même temps le titre héréditaire de marquis de Montbel et d'Épine. M. Royer-Collard, fier du nom qu'il porte, s'est toujours abstenu de prendre les titres qui avaient appartenu à la famille de son aïeule maternelle. L'oncle de M. Royer-Collard, le marquis de Piolenc, actuellement vivant, sans enfants, est le dernier représentant du nom de cette famille. Note 2, p. 154. — En sa qualité de seigneur engagiste du domaine du Roi à Montbard, Buffon nommait à un grand nombre d'emplois ; pour d'autres plus importants, il avait seulement un droit de présenta- tion. Note 3, p. 154. — Trois années avant cette grave maladie, durant laquelle Buffon prodigua à son ami d'enfance les soins les plus affec- tueux, Jacques Varenne avait pu craindre un instant, comme nous l'avons vu précédemment (note 2 de la lettre lxxxviii , p. 347) , d'être de nouveau en butte aux persécutions du Parlement, dont il n'avait pas craint d'attaquer les privilèges. Il s'agissait de son livre intitulé : Registre du parlement de Dijon durant la Ligue, qui fut sup- primé, mais non poursuivi, grâce à la dissolution du parlement de Dijon, qui eut lieu l'année suivante. Note 4, p. 155. — Varenne de Beost, fils aîné de Jacques Varenne, accusa son père, dans des mémoires rendus publics, de lui avoir pré- féré son frère Varenne de Fenille, et d'avoir répondu par la froideur et les mauvais procédés au constant dévouement dont il n'avait cessé de lui donner des preuves dans le temps de ses malheurs. Il est vrai que les^poursuites dirigées contre son père lui avaient enlevé la survivance de la charge de secrétaire en chef des États de Bourgogne, et que, loin 432 NOTES de se plaindre du préjudice que lui avait causé la lutte de ce dernier avec les cours souveraines, le jour où il comparut devant la cour des aides pour faire enregistrer ses lettres de grâce, Varenne de Beost voulut l'accompagner pour partager avec lui la honte d'une pareille cérémonie. Mais de graves désaccords l'éloignèrent par la suite d'un père auquel il avait donné un témoignage aussi éclatant de son dévouement, et il ne craignit pas d'initier le public à des démêlés de famille qui auraient dû être tenus secrets. Note 5, p. 155. — Le frère de Mme de Montbeillard était alors à Paris pour solliciter un avancement mérité. Dans l'arme de l'artillerie, le ministre ne pouvait nommer à aucun emploi avant de s'être entendu avec le grand maître, qui seul avait droit de présenter les candidats aux différents postes vacants. M. de Montbeillard, appuyé par Buffon, sollicitait en outre sa nomination à un poste d'inspecteur des manu- factures d'armes, cfue ce dernier lui fit obtenir durant l'administration de M. Necker. Note 6, p. 156. — Mauduit, docteur régent de la Faculté de mé- decine de Paris, et membre de la Société royale,, fut un des pre- miers savants qui s'occupèrent du magnétisme et en prouvèrent l'in- contestable utilité. Buffon, qui écrivait vers le même temps un traité sur l'aimant, eut recours à ses lumières; il consulta beaucoup aussi l'abbé Le Noble, qui lui avait offert un aimant artificiel du poids de seize livres, lequel en portait deux cent cinquante. En outre de ses travaux de physique fort étendus et très-variés, le docteur Mauduit s'occupait avec succès d'histoire naturelle, et avait formé un cabinet fort curieux, presque aussi riche que celui que le prince de Gondé avait établi à Chantilly. « Ce M. Mauduit est furieusement riche, » écrit de Paris, à la date du 26 avril 1775, Gueneau de Montbeillard, qui travaillait alors, sous les yeux de Buffon, à l'histoire des oiseaux. Buffon dit de lui dans l'histoire du coucou de Chine (Histoire naturelle des oiseaux étrangers) : « C'est le nom que M. Mauduit a imposé à cette espèce nouvelle dont il m'a donné com- munication, ainsi que de tous les morceaux de son beau cabinet, dont j'ai eu besoin, avec un empressement et une franchise qui font autant d'honneur à son caractère qu'à son zèle pour le progrès des connais- sances. » ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 433 GXXXV Note 1, p. 156. — Jacques Trécourt fut neuf ans secrétaire du comte de Buffon; à compter du jour où il cessa de remplir près de lui les fonctions de secrétaire, il devint son homme d'affaires, le fut aussi de son fils, de sa belle-fille, et mourut pauvre, emportant l'estime de tous ceux qui l'avaient connu. C'était un petit homme, sec et droit, irréprochable dans sa tenue, portant, aux jours où l'usage en avait disparu, une perruque poudrée à frimas et un habit de velours noir, coupé à la française, avec des boutons d'acier. On n'approche pas impunément de la personne d'un grand écrivain. Trécourt, en copiant les manuscrits de Buffon, fut pris du désir d'écrire pour son compte; on a de lui divers mémoires manuscrits sur des objets d'histoire na- turelle, qui ne manquent ni d'érudition ni de clarté. Durant la Ter- reur, il adressa, non sans quelque courage, à la Convention, diffé- rents mémoires dans lesquels il défend le jeune comte de Buffon , son maître, que son dévouement fut*impuissant à sauver. Quelques fragments de la correspondance que le comte de Buffon en- tretint avec lui dans ces temps malheureux, feront voir quelle entière confiance il avait dans le dévouement de Trécourt, et à quel point il comptait sur son zèle et sur son activité à le servir. Ils révèlent en outre un des traits les plus étranges de cette funeste époque, où ceux même qu'elle opprima ne parlent que de leur dévouement et de leur reconnaissance envers la République, et, confiants dans l'hon- neur des hommes qui la gouvernent , s'impatientent de la longue du- rée de leur détention, lorsque les portes de leur prison ne doivent s'ouvrir que pour l'échafaud. En 1791, le comte de Buffon écrit de Paris à Trécourt : « J'ai prêté mon serment militaire, et les journaux d'ici l'ont imprimé ; j'ai suivi en cela les principes que j'ai professés depuis le commencement de la Révolution, et je l'ai prêté avec plaisir et résolution de l'exécuter ; malgré les désagréments que certaines gens cherchent à me donner en Bourgogne, je ne varierai jamais sur ce point. » Le 1er juin 1793, le comte de Buffon apprend à Brienne, chez le comte de Loménie, que son nom vient d'être porté sur la liste des ci- toyens qui ont émigré du département où ils ont leur domicile, et que les scellés ont été apposés à Montbard. « Je vous envoie, mon cher monsieur, écrit-il à Trécourt à ce pro- pos, un certificat de civisme; vous le produirez à votre district. Je ne l'ai pas fait viser au district de Brienne, afin de vous l'envoyer plus i 28 434 NOTES promptement. Si on exigeait cette formalité, j'en enverrais un autre visé; mais j'espère que cela sera surabondant et que, d'après le cer- tificat que j'ai envoyé, celui de non-émigration du département où j'ai mon domicile, et celui du ministre de la guerre, tout sera fini et que cette lettre trouvera les scellés levés. » ce II est bien étonnant, lui dit-il dans une autre lettre, qu'à Sernur on vous fasse tant de difficultés et que le district me traite ainsi. Que leur ai-je donc fait? Ne suis-je pas patriote constant? Ne leur en ai-je pas donné mille preuves? N'ai-je pas aussi prouvé bien clairement que je ne crois pas aux revenants?» Après son arrestation il écrit encore: « Voilà bien trente-sept jours que cela dure, et je commence à trouver que c'est un peu long. Vous vous étonnerez sans doute de mon arrestation; car vous savez, à n'en pas douter, que personne n'est meilleur patriote que moi. Dès que je pourrai parvenir à faire examiner mon affaire , je suis bien sûr de sortir; mais là est le difficile, à cause de l'immensité des affaires. Au reste, je n'en aimerais qu'un peu mieux la République, malgré toute celte petite aventure , s'il était possible que mon amour pour elle augmen- tât. Quand on n'a pas mérité son sort, il faut prendre patience; le moment où on obtient justice vous dédommage de tout , et ce moment arrivera pour moi. Adieu. » Lorsque le séquestre est mis sur ses biens, et que sa jeune et mal- heureuse femme, se trouvant sans ressources, est obligée, pour vivre, d'avoir recours à la générosité de quelques amis , un mois à peine avant sa fin tragique, le comte de Buffon, plein de confiance dans sa délivrance prochaine, écrit encore à son homme d'affaires, qui faisait des démarches pour obtenir que son maître pût prendre des arrange- ments relatifs à ses biens : « J'ai reçu pour réponse de l'administration de police, cher citoyen, qu'il y avait défense de l'autorité supérieure de donner les permis- sions nécessaires pour que des notaires puissent entrer dans les mai- sons d'arrêt ou de santé. Mes amis ont consulté l'autorité supérieure et l'administration de police , et la réponse a été qu'il n'était pas pos- sible d'accorder particulièrement une chose de cette espèce, mais que je devais être tranquille, que tout ce qu'on ferait était nul et serait détruit à ma sortie, si on passait outre malgré ma détention , qui raisonnablement ne pourrait passe prolonger. D'un autre côté j'ai lieu de penser que maintenant cette détention sera de courte durée, et qu'après quatre mois d'arrêt, je sortirai de là bien pur et en bon et loyal patriote. » Plus loin il dit encore : « N'ayez nulle espèce d'inquiétude relative- ment au séquestre qu'on vient de mettre sur mes biens. Je ne conçois ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 435 pas pourquoi, mais nous l'éclaircirons et le ferons lever. C'est de la peine de plus, mais je sens qu'il faut la prendre avec patience, et que dans un moment comme celui-ci, où la première république du monde se fonde pour des milliers de siècles de gloire, de splendeur et de prospérité, les individus sont bien peu de chose et ne peuvent être étonnés d'être froissés par le mouvement révolutionnaire et la marche des événements. Je ne m'en plains pas pour ce qui me regarde. J'ai fourni tout ce qui a été nécessaire pour être rayé de la liste infâme où une erreur m'avait fait mettre. » On sent bien, dans ce passage empreint des exagérations du temps, qu'il y a là une phrase destinée aux geôliers par qui la lettre sera lue. Cette lettre est à la date du 23 prairial an II (11 juin 1793), et le 7 thermidor (10 juillet), moins d'un mois après, deux jours avant la chute de Robespierre, le comte de Buffon montait sur l'échafaud. Durant tout le temps de sa longue captivité , qui suivit de quelques jours la célébration de son second mariage, sa jeune femme ne resta pas non plus inactive. Le 25 ventôse (15 mars 1793), elle écrit à Tré- court : « Je vous envoie, citoyen, une lettre que mon mari vous a écrite du Luxembourg ; je ne puis rien faire pour son élargissement que je n'aie reçu les pièces que je vous ai demandées: je les attends avec impatience. S'il vous est possible de faire encore attester ce que je vous ai demandé par quelques membres du club , cela serait encore mieux, ou par le comité de surveillance. » A la date du 5 germinal (25 mars 1793), elle lui écrit encore : Note 4, p. 157. — M. Hobker, métallurgiste anglais distingué, vint visiter les forges de Buffon en l'absence du propriétaire. Il fut reçu à Montbard par Mme Daubenton ; et, de retour à Londres, il lut de- vant la Société royale un mémoire sur leur organisation , et sur les procédés employés par Buffon pour améliorer les fers nationaux. CXXXVI Note 1, p. 157. — Buffon, pendant sa longue carrière, ne 66 montra que fort rarement à Versailles ; il ambitionnait peu les faveurs de la ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 439 cour. Sa fortune eut des bases plus solides. Ses travaux ne s'accom- modaient guère d'ailleurs de la vie de courtisan, ce qui ne l'empêcha pas d'obtenir tout le crédit qu'on ne pouvait refuser à sa haute position littéraire et à la noble indépendance de son caractère. Il savait à l'occasion défendre énergiquement la solitude dans laquelle il avait besoin de s'enfermer. En voici un exemple peu connu. On vint un jour de Versailles au Jardin du Roi, à franc étrier, le demander au château. On voulait avoir l'avis du savant sur une question qui préoc- cupait fort une princesse du sang royal. C'était pendant le temps du carême; on avait servi sur la table de l'Altesse un mets inconnu; elle en avait mangé. La princesse avait-elle fait gras ou bien avait-elle fait maigre? Telle était la grave question sur laquelle Buffon était consulté. Le savant refusa de se déranger. L'Altesse fut au désespoir; mais le Roi, qui sut l'aventure, en rit beaucoup, et blâma toutefois la démarche qui avait été faite sans son aveu. Louis XV, qui voyait s'avancer l'orage dont l'avenir était gros, mais qui en même temps avait trop de paresse d'esprit pour imposer silence aux funestes doc- trines qui le préparaient, eut toujours dans une estime singulière Buf- fon, qui s'était constamment tenu hors des cercles philosophiques. Aussi, lorsque l'on conçut le dessein de lui élever une statue, Louis XV décida-t-il que les fonds nécessaires seraient prélevés non pas sur le crédit des bâtiments de la Couronne, mais sur sa cassette privée, vou- lant ainsi témoigner de la part qu'il désirait prendre à ce témoignage d'une faveur éclatante. Lors de l'érection de ses terres en comté, Buffon, encore souffrant des suites de la cruelle maladie dont il relevait à peine, mécontent aussi des procédés injustes dont on avait usé à son égard, ne se hâta pas de faire ses visites à Versailles. Ce ne fut qu'un an après son entier rétablissement qu'il accomplit ce devoir. Sa visite eut alors un double but : remercier de la distinction dont on lavait jugé digne, et faire sa cour au nouveau roi. La faveur dont il avait joui à la cour de Louis XV ne lui fut pas retirée; son crédit s'accrut même du peu de sympathie que montrait Louis XVI pour les doctrines d'un parti dont Buffon avait toujours vécu séparé. Le Jardin du Boi pro- fita grandement de cette faveur nouvelle, et le jour où Louis XVI ac- corda à Bernardin de Saint-Pierre la direction du Jardin des Fiantes, il lui dit, en voulant lui témoigner la grande estime qu'il avait pour son caractère : « Je nomme en vous un digne successeur de M. de Buf- fon.» Un autre jour il disait encore, en parlant de l'auteur de l'Histoire naturelle : a On le nomme le Pline des Français, mais il serait plus juste de nommer Pline le Buffon des Romains. » Depuis cette démarche nécessaire faite à Versailles le 23 juin 1773, Buffun ne parut plus que 440 NOTES deux fois à la cour : ce fut en 1775, pour présenter au roi les deux discours qu'il devait prononcer, en sa qualité de directeur de l'Aca- démie, à la réception du chevalier de Chatelux (15 avril) et à celle du maréchal duc de Duras (15 mai). Note 2, p. 158. — Gueneau de Montbeillard, vivement pressé par Buffon, avait enfin paru consentir à venir se fixer à Paris. Les amis que sa liaison intime avec l'auteur de l'Histoire naturelle et ses pro- pres travaux lui avaient faits dans les lettres , l'accueil qu'il avait reçu à Paris lors de son dernier séjour, l'engageaient également à se fixer dans une ville où il était déjà connu et apprécié. Au mo- ment de se décider il hésita; les liens qui le retenaient dans sa ville natale furent plus forts que les conseils et les instances de l'amitié. Gueneau de Montbeillard resta àSemur. Lorsque Buffon revenait sur un projet qu'il eût aimé à voir se réaliser dans l'intérêt de l'amitié, Gueneau de Montbeillard lui répondait : « Vcus-même avez contribué à changer ma résolution. Ici je vous vois chaque jour, plus que je ne vous verrais à Paris où vous allez peu et où le tourbillon vous em- porte; je n'ai donc désormais aucune raison qui m'engage à aban- donner ma chère patrie 1 » CXXXVII Note 1, p. 158. — Mme Nadault chantait en effet fort bien. Benja- min Leclerc de Buffon, son père, était lui-même un excellent musi- cien; il fut le maître de tous ses enfants. Il reprochait à Buffon, son fils aîné, de ne pas comprendre la musique, et de ne point avoir l'o- reille juste. Il était très-vif, et souvent à Dijon, dans des concerts auxquels il avait été invité, il s'écriait tout à coup, à haute voix : « Cela est faux, archifaux ! » Mme Nadault fut d'un grand secours à son frère, qui la plaça de bonne heure à la tête de sa maison. Le jour où la renommée de Buffon dans tout son éclat eut attiré à Montbard des illustrations de plus d'un genre, elle en fit les honneurs avec un charme dont quelques écrivains contemporains nous ont conservé le souvenir. Personne, du reste, ne pouvait mieux convenir à cette mission toute de confiance. Joignant à une éducation parfaite un tact exquis, elle possédait au plus haut point le talent si rare de mettre chacun à son aise. C'était parfois une tâche difficile; à Montbard, en effet, se rencontraient les représentants des opinions les plus opposées. Mme Nadault avait su faire de la mai- son de son frère un terrain neutre où chacun se trouvait à l'aise, sans ET ECLAIRCISSEMENTS. 4kl gôner personne. Avec beaucoup de sens et de justesse, elle avait un esprit gai, toujours en éveil, et une certaine inconstance d'humeur qui ne nuisait pas à son originalité. Sa conversation, naturelle et en- jouée, avait mille charmes, et souvent des saillies vives et spirituelles avec le sel le plus fin. Elle trouva parfois dans son esprit ou dans son cœur de ces heureux à-propos qui semblent le privilège de certaines natures généreusement douées. J'en citerai un exemple. En 1784, lorsque le prince Henri de Prusse vint à Montbard, Buffon, accompagné de sa sœur, lui fit visiter ses jardins. Arrivé sur la plaie-forme de l'ancien château, non loin du cabinet de travail de Buffon, le prince s'arrêta. D'anciennes pièces d'artillerie étaient rangées sur le rempart; il se mit à les examiner. « Mon prince, dit aussitôt Mme Nadault, si elles eussent été en état de servir, Votre Altesse les eût entendues saluer son arrivée. — Parbleu, petite sœur, lui dit Buffon lorsqu'ils furent seuls, vous avez eu là un heureux à-propos, on ne pouvait dire mieux ! » Mme Nadault était d'un excellent conseil; Buffon, qui était son aîné de plus de trente ans, y eut souvent recours. Mme Necker, dont la nature aimante et sensible avait avec le caractère de la sœur de Buffon de nombreuses ressemblances, lui témoigna une constante amitié. Catherine-Antoinette Leclerc de Buffon mourut à Montbard le 21 juin 1832; elle était née à Buffonle29 mai 1746, et avait épousé, le 24 juillet 1770, Benjamin -Edme Nadault, son cousin germain, conseiller au par- lement de Bourgogne. M. Humbert-Bazile, aux pages 23 et 361 de son manuscrit déjà cité, parle de la sœur de Buffon en ces termes : «Mme Nadault était de petite taille, mais elle avait une tournure distinguée et bien prise; sa figure était ronde, mais bien coupée cependant; elle avait des yeux remplis d'expression. Vive et enjouée, elle contribuait par le charme de son esprit à l'agrément de la société de Montbard. Excellente musicienne, elle conserva longtemps toute la fraîcheur et toute la souplesse de sa voix. J'ai vu Mme Nadault dans tout son éclat; elle m'a donné de sa- lutaires conseils lors de mon départ pour Paris avec son frère, inten- dant du Jardin du Roi, en 1781. Après la mort de M. de Buffon et avec la pension qu'il lui avait laissée , Mme Nadault jouissait d'un revenu de 6000 livres de rentes. D'une grande simplicité dans ses goûts , la meilleure part de son revenu était consacrée à de bonnes œuvres; elle le réservait pour faire des heureux, et jamais on n'implora en vain sa générosité. Elle a conservé toute sa vie la vivacité de son es- prit, et son grand usage du monde donnait, même dans la vieillesse, à ses moindres actions une grâce toute particulière. Ce fut vraiment une femme remarquable. A soixante-dix-sept ans, elle vint un soir chez 442 NOTES Mme Hivert, ma parente, pour lui offrir ses vœux à l'cccasion de sa fête. Elle chanta un duo avec sa petite-fille en s'accompagnant sur sa guitare, et on s'étonnait de trouver encore sa voix fraîche, flexible et bien conduite. « C'est pour vous que je chante, dit-elle à Mme Hivert, « mais c'est bien pour la dernière fois. » Et elle a tenu parole, car on ne la vit plus faire de musique depuis cette soirée. » CXXXVIII Note 1, p. 159. — Jean-François Le Mulier de Bressey, né le 9 fé- vrier 1714, mort le 26 septembre 1783, entra au parlement de Dijon, le 19 février 1737. Après vingt-quatre ans d'exercice, il obtint des lettres d'honneur, et résigna ses fonctions en faveur de Jean Le Mulier son fils, qui fut reçu le 3 mars 1761 avec dispense d'âge. M. Le Mulier, quoique ne faisant plus à cette époque partie du Parlement, y avait conservé un grand crédit, et avait laissé dans sa compagnie les plus honorables souvenirs. Note 2, p. 159. — Une cause importante ne se plaidait pas au Par- lement sans que, auparavant, les plaideurs eussent été visiter leurs juges. Les visites d'honneur se faisaient avec une certaine pompe; chaque partie était accompagnée de ses parents ou de ses amis. Saint- Simon parle ainsi de cette ancienne coutume, qui se maintint tant que subsistèrent les parlements: « L'intérêt, qui amène la bassesse, avoit introduit, depuis plusieurs années, la coutume de se faire accompagner aux jugements des grands procès. Nous parûmes donc de part et d'au- tre, à l'entrée des juges au Conseil , avec une nombreuse parenté. Je causois dans la pièce du Conseil avec quelques juges, tandis que M. de Brissac étoit à la porte à les voir entrer. Il lui échappa quelques bêtises sur Mme de Mailly, la dame d'atour, et tous les Bouillon qui étoient avec nous, et bavardoit avec les juges qui entroient, avec affectation, pour empêcher Mme de Saint-Simon de leur parler.... » Note 3, p. 159. — Le docteur Barbuot, à qui Buffon accordait une grande confiance, habitait Semur et était originaire d'une famille de Flavigny, dont un membre, Jean Barbuot, docteur en médecine, mort en 1665, à l'âge de trente-cinq ans, a fait imprimer en 1661 une bro- chure, écrite en latin, sur les vertus des eaux minérales de Sainte- Reine. Note k, p. 159. — Philippe Barbuot de Palaiseau, né le 16 mars ET ECLAIRCISSEMENTS. 443 1730, mort le 1er mai 1815, fut conseiller au parlement de Bourgogne, le 18 juin 1751. Note 5, p. 159. — Mme Daubenton, le charmant hanneton. Note 6, p. 159. — Louis-Étienne Lorenchet de Melonde, né à Beaune, fut pourvu, le 12 janvier 1762, d'un office de conseiller laïque, sur la résignation de Jean-Claude Perreney de Grosbois, promu à la dignité de premier président du parlement de Besançon. II mourut en 1797. • Note 7, p. 159. — Cet avertissement est ainsi conçu : « J'en étais au seizième volume in-4° de mon ouvrage sur l'histoire naturelle, lorsqu'une maladie grave et longue a interrompu pendant près de deux ans le cours de mes travaux. Cette abréviation de ma vie, déjà fort avancée, en produit une dans mes ouvrages. J'aurais pu donner, dans les deux ans que j'ai perdus, deux ou trois autres volumes de VHistoire des oiseaux, sans renoncer pour cela au projet de VHistoire des miné- raux, dont je m'occupe depuis plusieurs années. Mais me trouvant au- jourd'hui dans la nécessité d'opter entre ces deux objets, j'ai préféré le dernier comme m'étant plus familier, quoique plus difficile, et comme étant plus analogue à mon goût, par les belles découvertes et les grandes vues dont il est susceptible. Et pour ne pas priver le public de ce qu'il est en droit d'attendre au sujet des oiseaux, j'ai engagé l'un de mes meilleurs amis, M. Gueneau de Montbeillard, que je re- garde comme l'homme du monde dont la façon de voir, de juger et d'écrire, a plus de rapport avec la mienne ; je l'ai engagé, dis-je, à se charger de la plus grande partie des oiseaux; je lui ai remis tous mes papiers à ce sujet.... Il a fait de ces matériaux informes un prompt et bon usage, qui justifie bien le témoignage que je viens de rendre à ses talents : car ayant voulu se faire juger du public sans se faire con- naître, il a imprimé, sous mon nom, tous les chapitres de sa composi- tion, depuis l'autruche jusqu'à la caille, sans que le public ait paru s'apercevoir du changement de main ; et parmi les morceaux de sa façon, il en est, tel que celui du paon, qui ont été vivement applaudis et par le public et par les juges les plus sévères.... » A compter de ce jour, tous les articles fournis à l'Histoire naturelle par Gueneau de Montbeillard furent signés de son nom, malgré la ré- sistance de ce dernier, qui prétendait ne fournir à son ami que de simples notes. Buiïon l'avait ainsi voulu. Vivre, pour Buiïon, c'est travailler; une cruelle maladie, une longue 44') NOTES convalescence ne lui laissent d'autres regrets que d'avoir perdu du temps et négligé ses travaux. On va le voir de plus en plus s'isoler des ambitions et des intérêts qui s'agitent autour de lui, se retirer à la campagne et se consacrer à ses études favorites. II a regardé l'é- preuve qu'il vient de subir comme un avertissement salutaire, et hâtera avec un courage nouveau l'achèvement d'une œuvre pour la- quelle il craint que les forces ne viennent à lui manquer tout d'un coup. CXXXIX Note 1, p. 160. — Buffon était en procès avec la ville de Montbard, dont les échevins, dirigés par Mandonnet, saisissaient avec empres- sement toutes les occasions de lui faire de l'opposition. Il s'agissait cette fois d'un terrain sur lequel Buffon avait fait construire un petit hôtel qu'il destinait à son frère le chevalier, et que les habitants de Montbard réclamaient comme propriété communale. La contestation fut portée devant le Parlement. L'avocat de la ville produisit au procès un mémoire qui lui valut les éloges de celui contre qui il était dirigé. Le jour où se plaida sa cause, Buffon assista à la séance du Parlement dans une lanterne grillée. Lorsque l'avocat de la ville prit la parole, il commença son plaidoyer par un pompeux hommage rendu au génie du grand homme contre lequel il se voyait contraint de plaider. « Sortons, dit Buffon à Gueneau de Montbeillard qui l'accompagnait; car si je juge de la fin par le commencement, je vais être bien ar- rangé ! » 11 perdit son procès; mais l'arrêt du Parlement ne fut point exécuté, et, l'année suivante, les habitants abandonnèrent de bonne grâce le terrain qu'ils avaient précédemment refusé. Note 2, p. 160. — Mme Potot de Montbeillard. Note 3, p. 160. — Mme Daubenton, qui était de son nom Bernarde Amyot. CXL Note 1, p. 161. — Charles-Claude de Flahaut, comte de La Billar- derie d'Angeviller, directeur général des bâtiments du Roi, jardins, ma- nufactures et académies, maréchal de camp, commandeur de l'ordre de Saint-Lazare, et membre de l'Académie des sciences, était un des gen- ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 445 tilshommes de la Manche, attachés à l'éducation des enfants de France. Mme d'Angeviller, née Laborde, est connue par plusieurs essais lit- téraires : lui-même montra toujours un goût prononcé pour les sciences et la littérature. Il avait formé à grands frais un cabinet de minéra- logie, qu'il céda en 1780 au Cabinet d'histoire naturelle. Il écrivait à ce sujet à l'abbé Delille : « M. de Buffon a enlevé mon cabinet.... je n'y ai pas de regret et vous savez que je n'avais fait des sacrifices considérables que dans ce seul objet.... » Il lui recommande en même temps de ne point parler de cette cession, parce qu'il est inutile, dit-il, quelle soit connue. Le comte d'Angeviller eut la confiance de deux rois et fut le favori de deux règnes. Il est vrai de dire que sa charge de directeur des bâtiments le mettait dans le cas d'avoir avec le chef de l'État les rapports les plus fréquents et les plus agréables. Abusant parfois de la faveur dont il jouissait, non content des charges de toute nature dont il était revêtu, il sollicitait et obtenait encore la survi- vance des gens en place. Il s'était fait nommer comme survivancier à la charge de conseiller d'État d'épée, dont le comte de Vergennes était titulaire : il en fut revêtu à sa mort. Il s'était en outre fait donner la charge d'intendant du Jardin du Roi en survivance de Buffon; mais, lorsque la place devint vacante, il n'osa en prendre possession et la fit transporter sur la tête de son frère. Les arts lui durent une protection éclairée, et les artistes des faveurs accordées avec discer- nement, distribuées avec choix. Quelques sages mesures furent prises sous son administration. Ce fut lui qui obtint de Louis XV que chaque année une somme importante serait consacrée à des tableaux d'his- toire, genre alors en décadence dans l'école française , et que devait illustrer bientôt le peintre David. En 1777, il fit transporter aux Inva- lides les plans en relief des places fortes de France, exposés dans la grande galerie du Louvre, qu'il destinait à recevoir les richesses sans nombre en statues et en tableaux qui se trouvaient dispersées sans soins et sans goût dans les différentes résidences royales. Il voulait en outre y exposer les ouvrages des artistes vivants commandés ou achetés par le Roi, et former ainsi une galerie consacrée à 1 École française moderne. Ces deux idées se sont réalisées depuis le comte d'Angeviller; mais il est bon de se souvenir qu'il en eut la première pensée. Il en eut une moins heureuse, qui s'est reproduite de nos jours avec plus de succès, et qu'il put réaliser alors, parce que sa mise à exécution ne demandait pas un grande dépense. Il couvrit de gazons les principales places de la ville. Il en mit sur la place Louis XV, qui, appelée jusqu'à ce jour la plaine Louis XV, fut alors trouvée trop étroite et incommode dans le temps de la foire Saint-Ovide, qui s'y tenait chaque année. Il en mit dans la cour du Louvre, jusque devant 446 NOTES la porte de l'Académie française, ce qui donna lieu à cette mauvaise plaisanterie : Des favoris de la muse française D'Angeviller a le sort assuré : Devant leur porte il a fait croître un pré, Pour que chacun y pût paître à son aise. Après avoir joui d'une grande faveur et avoir, pendant deux règnes, présidé en maître à l'administration des beaux-arts, le favori de deux rois vit un jour venir l'orage. Il fut surpris à l'improviste, et s'enfuit sans avoir pu assurer son avenir. Il s'arrêta en Russie. Pour lui l'exil fut rigoureux; entièrement ruiné par la Révolution, il n'avait pour vivre qu'une fort modeste pension que lui fit Catherine II; il mourut en 1810, presque dans la misère. Il y a de lui, parmi les miniatures du Louvre, un portrait qui dut être ressemblant : c'est bien l'homme de cour qui sent son crédit assuré, de la plus fine tournure et de la meil- leure mine, portant haut la tête, et fort cavalièrement un fr.ic à la mode. Ce n'est plus le seigneur évaporé du temps du feu roi; c'est le favori de Louis XVI ; ce n'est point encore l'émigré malheureux de Saint-Pétersbourg. Bien que Buffon eût eu fort à se plaindre de M. d'Angeviller, il en- tretint cependant avec lui, en apparence du moins, les meilleurs rap- ports. Le comte d'Angeviller lui écrivit, lors du mariage de son fils, la lettre suivante : «Versailles, le 5 janvier 1781. « Mon cher et respectable ami, j'ai reçu la lettre par laquelle vous me faites part du mariage de M. votre fils, et je m'empresse de vous marquer la part que Mme d'Angeviller et moi y prenons. Nous vous sommes attachés par un sentiment trop profond l'un et l'autre, pour ne pas former les vœux les plus sincères pour le bonheur de votre enfant; c'est en faire en même temps pour le vôtre. Je n'ai pas mis le pied à Paris depuis un siècle; vous croyez bien que, si j'y avais été, un de mes premiers soins aurait été d'aller vous chercher. Je n'ai appris cependant qu'il y a peu de jours que vous y étiez et que vous y étiez en bonne santé, et sans aucun ressentiment du mal qui vous a tant fait souffrir. Si je puis y aller passer quelques jours, un de mes premiers soins sera d'aller vous porter l'hommage de Mme d'An- geviller et celui de la vénération profonde, de l'attachement tendre, profond et inaltérable que je vous ai consacré, et dont j'ai l'honneur de vous assurer pour la vie, mon cher et respectable ami. » (Inédite. — De la collection de M. Henri Nadault de Buffon.) ET ECLAIRCISSEMENTS. 447 Note 2, p. 161. — ■ Ce fut M. d'Angeviller qui mit Buffon en rapport avec M. et Mme Necker. La lecture de l'Histoire naturelle , dont Mme Necker aimait le beau langage, lui avait inspiré pour son auteur une profonde admiration; elle désira vivement le connaître, et M. d'Angeviller fut chargé de lui en ménager les moyens. On verra, par la suite, quelle place importante cette liaison tint dans la vie de Buffon, et, en reconnaissant combien elle eut pour lui de douceur et quel charme elle répandit sur ses dernières années, on saura peut-être quelque gré à M. d'Angeviller, qui lui causa un si vif chagrin en pri- vant son fils de la survivance de l'intendance du Jardin, d'avoir ainsi indirectement réparé les suites de cette intrigue de cour. Note 3, p. 161. — L'ouvrage dont il est ici question est Y Éloge de Colberl , par Necker, qui obtint, le 25 août 1773, le prix d'éloquence décerné par l'Académie française. Cet ouvrage, le premier de Necker, qui était alors ministre de la République de Genève à Paris, eut un grand retentissement. En même temps qu'il annonçait un écri- vain ingénieux, il signalait à l'attention publique un homme profon- dément versé dans les questions de finance et de crédit. «L'Éloge de Colbert, dit Grimm, fait dans ce moment la plus grande sensation, et la postérité en parlera sans doute encore avec admiration , longtemps après qu'on aura oublié les clameurs que l'envie et l'esprit de parti excitent aujourd'hui contre lui.... L'Éloge de Colbert est suivi de notes. Ces notes ne sont pas des recherches isolées sur quelques circon- stances de la vie de Colbert ou sur quelqu'une de ses opinions parti- culières ; elles forment un système d'administration politique plein de vues utiles et, quoique fort court, plus complet peut-être que tout ce que nous avons vu dans ce genre. » CXLI Note 1, p. 162. — Jacques Necker, dont le nom se rattache à l'épo- que la plus orageuse des derniers jours de la monarchie, naquit en 1732, et mourut le 9 avril 1804 , dans la retraite, après avoir connu tout ce que la popularité a de plus enivrant et tout ce que la haine publique a de plus amer. Note 2, p. 162. — Buffon n'était pas partisan du libre échange; on en verra plus loin un nouvel exemple. Son jugement sur la secte éco- nomiste peut paraître sévère; en l'appuyant du témoignage d'hommes 443 NOTES qui l'ont vue à l'œuvre, il ne sera plus que juste. On lit dans les Mé- moires de Bachaumont, à la date du 20 décembre 1767 : ce II s'est formé à Paris une nouvelle secte, appelée les Économistes ; ce sont des philosophes politiques, qui ont écrit sur les matières agraires ou d'administration intérieure, qui se sont réunis et prétendent faire un corps de système qui doit renverser tous les principes reçus en fait de gouvernement et élever un nouvel ordre de choses. Ces. messieurs avaient d'abord voulu entrer en rivalité contre les Encyclo- pédistes et former autel contre autel; ils se sont rapprochés insensi- blement : plusieurs de leurs adversaires se sont réunis à eux, et les deux sectes parurent confondues dans une. Quesnay, ancien médecin de Mme la marquise de Pompadour, est le coryphée de la bande; il a fait, entre autres ouvrages, la Philosophie rurale. M. de Mirabeau, l'au- teur de l'Ami des hommes et de la Théorie de l'impôt, est le sous-di- recteur. Les assemblées se tiennent chez lui tous les mardis, et il donne à dînera ces messieurs. Viennent ensuite M. l'abbé Baudot, qui est à la tête des Éphémérides du citoyen; M. Mercier de La Rivière, qui est allé donner des lois dans le Nord et mettre en pratique en Russie les spéculations sublimes et inintelligibles de son livre de l'Ordre naturel et essentiel des Sociétés politiques; M. Turgot, inten- dant de Limoges, philosophe pratique et grand faiseur d'expériences , et plusieurs autres, au nombre de dix-neuf à vingt. Ces sages mo- destes prétendent gouverner les hommes de leur cabinet par leur in- fluence sur l'opinion, reine du monde. » « Une secte s'est élevée, disait dans le môme temps l'avocat Lin- guet, qui s'est piquée surtout de diriger les princes et de maîtriser la subsistance des peuples; secte qui compte pour rien la vie des hommes, et qui a osé, pour fondement de sa croyance, établir que les denrées seules pouvaient être comptées pour quelque chose par la politique ; secte qui a toujours le mot d'économie à la bouche et qui favorise , sinon directement par ses principes, au moins certainement par ses conséquences, la plus effroyable dissipation; secte d'autant plus dan- gereuse, qu'elle s'attache à exciter le fanatisme; qu'elle séduit de belles âmes par l'apparence et la noblesse imposante de ses mystiques spéculations; qu'en affectant de la fierté elle s'insinue avec adresse dans le cabinet des grands; que ses adeptes parviennent à l'opulence en parlant beaucoup de la misère des autres : monstrueux mélange, enfin, de la frivolité française et de la pédante, de l'inhumaine incon- séquence des Anglais.... » Enfin Grimm , à la date du 1er janvier 1770, juge ainsi cette secte nouvelle : « Il s'est élevé depuis quelque temps, dans le sein de cette capitale , une secte d'abord aussi humble que la poussière dont ET ECLAIRCISSEMENTS. 449 elle s'est formée, aussi pauvre que sa doctrine, aussi obscure que son style, mais bientôt impérieuse et arrogante ; ceux qui la composent ont pris le nom de Philosophes économistes. On les a appelés' les Capu- cins de l'Encyclopédie, en réminiscence de ce que ces bons pères étaient jadis réputés les valets des autres. » Le docteur Quesnay était le chef du parti économiste. Les premières réunions des membres de la nouvelle société se tinrent dans le petit entre-sol que le docteur occupait au-dessous de l'appartement de Mme de Pompadour, dont il était le médecin. L'abbé Baudot, secrétaire de la société, rédigeait un journal, les Éphémérides du citoyen, destiné à répandre et propa- ger ses maximes. GXLII Note 1, p. 162. — François-Pierre-Marie Gueneau deMussy, avocat au Parlement, devint maire de Montbard. Avant d'entrer en fonc- tions , il demanda à Buffon la réforme de certaines mesures qu'il regardait comme contraires aux intérêts de la ville. Il eut trois fils, dont l'un fut Phihbert Gueneau de Mussy, membre de l'ancien conseil royal de l'instruction publique. Fontanes l'avait, dès 1808, appelé près de lui, et profita de ses conseils pour organiser l'Université impé- riale. L'autre, François Gueneau de Mussy, fut longtemps chargé delà direction de l'École normale supérieure. Il était en même temps mé- decin de l'Hôtel-Dieu et du roi Charles X; son fils Henri est attaché comme médecjn à la famille d'Orléans. Buffon cite dans divers pas- sages de l'Histoire naturelle le nom de M. de Mussy, major d'artille- rie au service de la Hollande; je n'ai pu savoir s'il appartenait à la famille Gueneau de Mussy. Note 2, p. 162. — Chaque fois qu'il est parlé du docteur, il s'agit de Jean-Marie Daubenton, garde démonstrateur du Cabinet du Roi. CXLIII Note 1, p. 163. — Antoine-Jean Amelot de Chaillou entra jeune dans une carrière qui tôt ou tard conduisait au Conseil, la carrière des intendances. Intendant de la province de Bourgogne, de 176k à 1774, il eut, en cette qualité, lors de la suppression du parlement de Dijon, en 1771, à signifier à cette cour les ordres du Roi. Lorsque, quelques années plus tard, Amelot fut appelé au Conseil, il obtint le dépar- i 29 450 NOTES tement de Paris, dans les attributions duquel rentrait la direction do l'Opéra. Un règlement nouveau, qu'il y voulut introduire , causa une grande fermentation dans l'Académie royale de musique, et Sophie Arnoux lui dit un jour à ce sujet : « Vous devez cependant savoir, Monseigneur, qu'il est plus facile de composer un parlement qu'un opéra. » Note 2, p. 163. — La famille Daubenton avait à cette époque de nombreux représentants. Le chef de la maison avait eu douze enfants. Louis-Jean-Marie Daubenlon, de l'Académie des sciences, et garde démonstrateur du Cabinet d'histoire naturelle, le collaborateur de Bufîon, avait épousé, le 21 octobre 1754, Marguerite Daubenton, sa cousine germaine, ainsi qu'on l'a dit précédemment (note 3 de la lettre lix, p. 303). Il n'avait point d'enfants. Edme-Louis Daubenton , son cousin, garde et sous-démonstrateur du Cabinet, membre de l'Académie de Nancy, habitait avec son parent le Jardin du Roi. De son mariage a,vec Mlle Adélaïde deBouttevilain de LaFerté, il avait eu une fille unique, Zélie Daubenton. Si au Jardin du Roi on s'occupait de sciences, on y écrivait aussi des romans, et bien mieux, on trouvait le moyen d'en faire. Marguerite Daubenton était une femme d'une intelligence distinguée et d'un cœur excellent, mais d'une imagination romanesque et d'un esprit exalté , comme le té- moigne son roman de Zélie dans le désert (Voy. la note ci-dessus rap- pelée). Zélie Daubenton, privée de bonne heure des soins de sa mère morte fort jeune, fut élevée par sa tante. L'éducation d'une jeune fille et les soins qu'elle exige convenaient peu à sa nature; aussi, pendant que la tante écrivait des romans, la nièce faisait-elle le sien. Antoine Petit, qui occupait une chaire d'anatomie au Cabinet d'his- toire naturelle, avait introduit au Jardin du Roi, pour le suppléer dans ses cours, un jeune homme récemment arrivé de Valognes à Paris. Vicq-d'Azir, quoique fort jeune, avait publié sur l'anatomie et la médecine des mémoires qui le firent remarquer. Antoine Petit lui destinait sa succession; mais Bufîon en avait disposé à l'avance en faveur d'Antoine Portai, membre de l'Académie des sciences, et Vicq-d'Azir, qui avait perdu l'espoir de voir réussir son projet, dut quitter le Jardin du Roi. Ce premier échec ne le troubla pas cependant ; il professa, à l'École de médecine, un cours â'Anatomie humaine comparée avec celle des animaux. Ses leçons attirèrent un nombreux auditoire, succès qu'on ne vit pas sans envie ; la jalousie fit bientôt fermer au jeune professeur 1rs portes de la Faculté. Sans se laisser dé- courager, Vicq-d'Azir ouvrit à ses élèves son propre domicile. Il de- meurait alors rue des Fossés-Saint- Victor, tout près du Jardin du Roi. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 451 Pendant son court séjour au Muséum, Daubenton l'avait introduit dans sa famille, et Mlle Zélie Daubenton n'avait point oublié le jeune homme à qui son oncle prédisait un brillant avenir. Un soir d'été, passant avec sa tante devant la maison de Vicq-d'Azir, elle fut prise d'un évanouis- sement subit. Vicq-d'Azir, on le sait, était médecin ; il fut appelé pour lui porter secours. Mlle Daubenton fut transportée dans sa maison, et quelques mois après, en 1773, elle devint Mme Vicq-d'Azir. Ce ma- riage porta bonheur au jeune savant : en 1774, il entra à l'Académie des sciences, et en 1788, à la mort de Buffon, il lui succéda à l'Aca- démie française. Depuis plusieurs années il était le candidat de l'Aca- démie. On lit à ce sujet dans les Mémoires de Bachaumont, à la date du 7 janvier 1787 : - « On n'a pas manqué de lancer des brocards contre l'Académie française, depuis qu'elle paraît décidée à écouter les sollicitations du docteur Vicq-d'Azir, pour remplacer l'abbé de Boismont *; voici surtout une épigramme qui court et amuse les oisifs de la nation : Sait-on pourquoi l'Académie, A trente concurrents divers Du bel esprit, en prose, en vers, Ayant la brillante manie, Préfère un certain médecin, Exercé dans l'anatomie, Connaisseur en épidémie, Le fameux Vicq-d'Azir enfin? Elle craint l'épizootie **. » Note 3, p. 164. — Buffon fait allusion au lieutenant général civil et criminel au bailliage de Charolles, qui était alors Etienne Déprez, seigneur de Crassier, chevalier de l'Ordre militaire de Saint-Louis. CXLY Note 1, p. 165. — Les cadeaux de porcelaine étaient alors à la mode. La porcelaine de Sèvres, quoique dans sa nouveauté, avait déjà atteint un degré de perfection inouï. Ce fut le 24 juillet 1748, qu'une ordonnance royale, rendue sous l'influence de la marquise de Pompadour, établit au château de Vincennes une manufacture pour la fabrication de porcelaines, dans le genre de celles de Saxe. Peu de * Rulhières, protégé par Monsieur, près duquel il remplissait les fonctions de secrétaire de ses commandements, l'emporta cette fois sur Vicq-d'Azir. ** Épizootie veut dire épidémie sur les bêtes à cornes; les cures de Vicq- d'Azir dans ce genre de maladie ont fait en grande partie sa réputation de médecin. 452 NOTES temps après sa fondation, la nouvelle manufacture fut transportée à Sèvres> et ses produits en prirent le nom. L'entretien de Sèvres exi- geait de grandes dépenses, et, pour engager les courtisans à ache- ter de ses produits, on exposait chaque année dans la galerie de Versailles ce qui avait été fabriqué de plus parfait. Louis XV dit un jour à l'abbé de Vernon, conseiller au Parlement, en lui montrant un service marqué à un prix fort élevé : « Achetez cela, l'abbé, c'est fort beau. — Sire, répondit l'abbé, je ne suis ni assez riche, ni assez grand seigneur. — Prenez toujours, reprit le Roi, une abbaye payera votre marché. » Bufîon avait reçu de nombreux cadeaux de ce genre; la main qui les avait donnés ajoutait encore à leur valeur. Il avait fait construire à Montbard, en face de sa maison , sur la première terrasse de ses jardins, un cabinet destiné à recevoir cette précieuse collection. C'était une construction d'un genre alors nouveau, une sorte de kiosque, aujourd'hui démoli. On la nommait le dôme. Au-dessus d'une grotte de stuc, dont l'intérieur était décoré de coquilles groupées avec art et incrustées dans l'enduit, s'élevait un pavillon à deux étages. Des rampes de pierre habilement ménagées et ornées de vases de marbre et de statues conduisaient de la grotte aux étages supé- rieurs ; des volières et des massifs de fleurs en décoraient les abords. Le dernier étage était appelé le Cabinet des porcelaines. Sur des rayons en bois des îles, qui garnissaient entièrement les murs, étaient rangés les divers et nombreux cadeaux que Bufîon avait reçus des souverains et des princes français ou étrangers, soit en œuvres d'art, soit en por- celaines de prix. Ce cabinet renfermait un grand nombre de pièces. Après la fin tragique du fils de Buffon, le mobilier de Montbard fut vendu au profit de la nation; les richesses que renfermait le dôme furent estimées comme de la faïence commune et achetées à vil prix. Un inventaire fort exact, dressé à Montbard, lors de la mort de Bufîon, nous a conservé la liste de ces objets précieux. Buffon, qui était fier de ses porcelaines, faisait toujours servir le café dans le dôme, le- quel n'était qu'à quelques pas du château. A la page 127 de l'inventaire, se trouvent les détails suivants qui nous ont paru dignes d'être sauvés de l'oubli, et qui donneront une idée des richesses de cette collection, dont le prix serait aujourd'hui très-élevé : DÔME. c Devant et derrière le dôme, il y a des doubles pentes sablées et bordées de treillages peints en vert, par lesquelles on parvient au pied de cet édifice qui est élevé sur un massif environné de murs garnis de ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 453 treillage semblables à ceux qui recouvrent les quatre faces de l'édifice et à ceux qui bordent les pentes sablées. GROTTE. « Une grotte marbrée et en compartiments, garnie de rocaille, de coquillages et d'autres productions marines, avec des bordures et pi- lastres formés par des lames de talc et de verre de glace et différents ornements de cuivre doré. « Un gros bloc de marbre sculpté sert de tablette à cette grotte , au-devant de laquelle est suspendu un vase ovoïde de cristal, taillé à facettes, orné de cuivre au-dessus, et représentant une lanterne ou une lampe. « Le plafond et partie des côtés ornés de petits coquillages rangés en compartiments et incrustés dans le plâtre comme ceux de la grotte même. « Un banc de bois, en forme de fauteuil, sur lequel plusieurs per- sonnes peuvent tenir assises. « De chaque côté de la grotte , deux grandes volières de fil de fer maillé, ayant neuf faces en comptant celles des portes soutenues par des montants ou petits cylindres de fer, ornées* d'un peu de cuivre vers le haut et terminées chacune par un chapiteau de tôle peinte en vert, au-dessus duquel il y a un oiseau. Ces volières sont meublées de leurs juchoirs, augettes et petits paniers en très-mauvais état. « Sur le premier palier de l'escalier du dôme est un passage en forme de cintre, dans lequel il y a une autre volière de fil de fer maillé, ayant au-dessous une porte de bois, et intérieurement un ju- choiret des augettes. CHAMBRE AU PREMIER ÉTAGE DU DÔME. « Escalier à plusieurs paliers , garni de plomb en lames dans une partie de sa hauteur, bordé de chaque côté par des rampes de fer peintes en vert et faites en forme de portiques, comme celles qui sont de chaque côté des principaux paliers. « Dans la chambre dont il s'agit, il s'est trouvé une vieille commode avec trois tiroirs fermant à clef et garnis de leurs anneaux de fer. « Une cuvette et un pot à l'eau de faïence. « Un lit de camp avec ses sangles, garni d'indienne pareille à la courte-pointe ; une cartalogne de laine blanche, deux matelas de laine, 454 NOTES couverts de toile bleue et blanche, un traversin couvert de coutil bleu et blanc. Les deux dossiers sont garnis d'indienne et la paillasse cou- verte de toile. « Plusieurs plans des forges, du château et jardins de Quincy, cloués sur les murs. « Deux dessus de porte représentant des ruines d'Egypte. « Une tapisserie de papier de plusieurs couleurs. « Huit portraits dans des bordures dorées. « Deux globes anglais, l'un céleste, l'autre terrestre, montés sur bois et couverts de leurs robes. « Deux tables divisées en plusieurs cases venant de la salle à man- ger. « Dix fauteuils et deux chaises couverts de différentes étoffes de couleur. TERRASSE DERRIERE LE PREMIER ETAGE DU DOME. « Cette terrasse, qui est soutenue par des piliers de pierre , est pa- vée de grands carreaux de pierres de taille et couronnée d'une rampe de fer façonnée en portique. a Sur cette terrasse, une grande volière carrée de fil de fer maillé, dont la porte ferme à clef, meublée intérieurement de juchoirs et d'augettes. Les nappes de fil de fer qui forment cette volière, sont assujettis à des barreaux de fer assemblés en forme de châssis, et sont à très-grandes mailles. DEUXIÈME ETAGE DU DOME. Cabinet des porcelaines. ec Six fauteuils de canne peints en gris, garnis de coussins de vieux taffetas à carreaux rouges et blancs. « Quatre rideaux en cinq pièces de vieux taffetas à carreaux rouges et blancs pendant à leurs tringles , devant la porte vitrée et devant la croisée. « Dans l'angle, à droite en entrant, il y a une encoignure composée de cinq rayons de bois peint couleur de chair. « 1er Rayon supérieur. Un vase de cuivre doré, en forme d'urne. « 2e Rayon. Une jatte de porcelaine bleue du Japon, ornée de fleurs jaunes. ET ÉCLAIRCISSEMENTS. 455 « 3e Rayon. Une jatte de porcelaine festonnée et ornée de fleurs d'or sur fond blanc. « 4e Rayon. Deux tasses avec leurs soucoupes de terre noire d'An- gleterre, ornées de fleurs d'or. « 5e Rayon. Une petite tasse avec sa soucoupe de porcelaine de Saxe. «, rue de Fleurus, 9. «BUOTHfc Otiavien*!*. ♦ La Bibliothèque Université d'Ottawa Echéance Ceiui qui rapporte un volume après la dernière date timbrée ci-dessous devra payer une amen- de de cinq cents, plus deux cents pour chaque jour de retard. The Library University of Ottawa Date due For failure to return a book on or before the last date stamped below there will be a fine of five cents, and an extra charge of two cents for each additional day. ■"& a39003 00^331S6b 13* >*t CE Qï 0031 .C88A3 1360 V00 1 COO filFF-CNt GECF ACC# 1292G88 CORRESPOND