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COURS D'HISTOIRE DU CANADA

DU MEME AUTEUR

Les congrégations enseignantes et le

BREVET DE CAPACITE, 1893 (in-12)

Discours et conférences, 1898 (in-8-)

Discours et conférences, 1913 (in-8-)

Le serment du roi, 1901 (in-12)

Jean Talon, intendant de la Nouvelle- France, 1904, couronné par l'Académie française, prix Thérouanne, (épuisé) (in-8-)

Mélanges de polémique et d'études re- ligieuses, politiques et littéraires, 1905 (in-8-)

Le marquis de Montcalm, couronné par l'Académie française, 1911, prix Thiers, triennal (in-8-)

The GREAT intendant, 1912... (in-8-)

Cours d'Histoire du Canada (1760-1791)

volume I, 1919 (in-8-)

Cours d'Histoire du Canada, (1791-1818)

volume H, 1921 (in-8-)

OOUES D'HISTOIRE

DU

CANADA

PAR

THOMAS CHAPAIS

Professeur d'histoire A l'université Laval

TOIVIE III 1S1.5.1S33

/

QUEBEC LIBRAIRIE GARNEAU. Limitée

47, RUE BUADE

1921

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Erwagisîxé oonformôment à Tact* du Parlement du Can&da oOBoer- nant la propriété littéraire et artistique, en l'année mil neuf cent dix-neuf, par THOMAS CHAPAIS. au ministère de lAgricuinire. à Ottawa.

PREMIÈRE LEÇON

Epoque difllcile et complexe. Une tâche ardue s'impose au professeur et aux auditeurs. La situation politique dans le Bas-Canada en 1815. L'attitude de sir George Prévost. Ses efforts pour satisfaire les Canadiens. Le contre-pied de Craig. ^Mgr Plessis et son titre épiscopal. Pierre Bcdard nommé juge. Irritation de Ryland et de l'évêque Moun- tain.— L'Assemblée législative. Son état d'esprit. Cou- rants alternatifs. Sympathie et défiance.^ Loyauté durant la guerre. Ressentiments rétrospectifs. Escarmouches entre Prévost et la majorité.— La passion des représailles. Le juge Sewell. La campagne des impeacbments. James Stuart instigateur. Question personnelle. Esquisse d'un caractère. Actes d'accusation contre Sewell et Monk. Les règles de pratique et la responsabilité pour les coups d'Etat de Craig. Prévost refuse de suspendre les juges. - Mécontentement et blâme de la Chambre.- Motion répara- trice.— Difficultés de la tâche entreprise par la majorité. Rien de criminel dans les règles de pratique. La responsa- bilité des conseillers exécutifs. Principe inadmissible par la métropole en 1815. Conflits entre l'Assemblée et le Conseil. Un bill d'éducation. L'incapacité des juges à siéger au Conseil. Une taxe sur les salaires des fonction- naires.— ^Appréciations favorables de la majorité par Prévost. Les impeacbmexits en Angleterre. La question de respon- is^sabilité écartée. Celle des règles de pratique décidée en faveur des juges. Irritation de la Chambre. Départ de Prévost pour justifier sa conduite à Plattsburg. Sa fin pré- maturée.— Sir Gordon Drummond lui succède. La décision du Conseil privé et la Chambre. Elle persiste dans son attitude.— Crise politique. Prorogation et dissolution.

En abordant la troisième année de ces leçons d'histoire du Canada sous la domination anglaise, j'éprouve le besoin d'adresser mes très sincères remer-

Erwegistré conformément à l'acte du Parlement du Canada coDcer- nant la propriété littéraire et artistique, en l'année mil neuf cent dix-neuf, par THOMAS CHAPAIS. au ministère de l'Agriculture, à Ottawa.

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PREMIÈRE LEÇON

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Epoque difficile et complexe. Une tâche ardue s'impose au professeur et aux auditeurs. La situation politique dans le Bas-Canada en 1815. L'attitude de sir George Prévost. -Ses efforts pour satisfaire les Canadiens. Le contre-pied de Craig. ^Mgr Plessis et son titre épiscopal. Pierre Bcdard nommé juge. Irritation de Ryland et de l'évêque Moun- tain.— L'Assemblée législative. Son état d'esprit. Cou- rants alternatifs. Sympathie et défiance. Loyauté durant la guerre. Ressentiments rétrospectifs. Escarmouches entre Prévost et la majorité. La passion des représailles. Le juge Sewell. La campagne des impeachments. James Stuart instigateur. Question personnelle. Esquisse d'un caractère. Actes d'accusation contre Sewell et Monk. Les règles de pratique et la responsabilité pour les coups d'Etat de Craig. Prévost refuse de suspendre les juges. Mécontentement et blâme de la Chambre. Motion répara- trice.— Difficultés de la tâche entreprise par la majorité. Rien de criminel dans les règles de pratique. La responsa- bilité des conseillers exécutifs. Principe inadmissible par la métropole en 1815. Conflits entre l'Assemblée et le Conseil. Un bill d'éducation. L'incapacité des juges à siéger au Conseil. Une taxe sur les salaires des fonction- naires.— -Appréciations favorables de la majorité par Prévost. Les impeacbmexits en Angleterre. La question de respon- ^ySabilité écartée. Celle des règles de pratique décidée en faveur des juges. Irritation de la Chambre. Départ de Prévost pour justifier sa conduite à Plattsburg. Sa fin pré- maturée.— Sir Gordon Drummond lui succède. La décision du Conseil privé et la Chambre. Elle persiste dans son attitude. Crise politique. Prorogation et dissolution.

En abordant la troisième année de ces leçons d'histoire du Canada sous la domination anglaise, j'éprouve le besoin d'adresser mes très sincères remer-

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ciements aux lidèlcs auditeurs dont l'attention sym- pathique me soutient depuis deux ans. La tâche que nous poursuivons ensemble est ardue. A mesure que nous avançons elle le devient davantage. Les questions se font plus complexes, l'intelligence exacte des situa- tions commande un plus laborieux effort. Dans ces études d'histoire la recherche de la vérité doit être notre objectif suprême. Mais plus les conflits s'aggravent, plus les opinions se heurtent, plus les théories, les doctrines politiques, les intérêts en cause accentuent violemment leurs divergences, et plus la règle d'équité et d'impartialité souveraines qui s'impose à nos cons- ciences est difficile à observer. Le passé a tant de prolongements, tant de répercussions dans le présent. Comment se dépouiller des sentiments, des impressions d'aujourd'hui pour le juger et l'apprécier avec le calme, la pondération et le discernement de la justice? II le faut cependant si l'on veut faire œuvre de critique sérieuse, dégagée de tout préjugé, de tout esprit de système, de toute conception a priori, si l'on veut faire œuvre de sincérité, de loyauté intellectuelle et de pro- bité historique. Cette année, comme durant les pré- cédentes, je compte sur les lumières, sur la rectitude de pensée, sur la largeur d'esprit de cet auditoire d'élite pour me faciliter ma tâche.

Si vous le voulez bien, nous commencerons cette troisième série de notre cours par une étude rapide de la situation politique bas-canadienne au sortir de la guerre de 1812. en étions-nous à ce moment, quel était notre état d'esprit, quelles disspositions animaient notre législature? Toutes les classes et tous les élé- ments se réjouissaient du glorieux résultat de la guerre et de son heureuse issue. Pour repousser l'ennemi de nos frontières menacées, le ralliement s'était fait et

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les efforts s'étaient coordonnés. Pouvait-on voir dans cette unité d'action patriotique un garant de concorde constitutionnelle et parlementaire? On aurait pu raisonnablement l'espérer. La disparition de Craig, l'échec de ses desseins, l'avortement des missions diplo- matiques de R;^Iand, l'avènement de sir George Prévost et ses mesures réparatrices avaient incontestablement [_j>roduit une détente.

Dès son arrivée dans la province le nouveau gou- verneur s'était efforcé de se renseigner sur la situation. Il avait parcouru sans aucun apparat officiel quelques- uns de nos comtés. L'une des premières choses qui l'avaient impressionné était le prestige dont jouissait notre clergé auprès du peuple canadien. Et il s'était convaincu que son prédécesseur avait commis une grave erreur en essayant d'entraîner la métropole dans un conflit politico-religieux au sujet du patronage ecclésiastique (1). Quelques mois à peine après son entrée en fonctions, il demandait à Mgr Plessis de lui communiquer ses vues au sujet de la situation qu'il convenait de faire au chef de l'église catholique cana- dienne, démarche à laquelle le grand évêque répondait par un viiLumineux mémoire sur ce qu'étaient les évêques du Canada avant la conquête, sur ce qu'ils

(1) Le 7 novembre 1811, Prévost écrivait à Ryland: "J'at- tends de jour en jour le courrier contenant les lettres (d'Angle- terre) du mois d'août, avec l'opinion des officiers en loi relativement à la prise de possession du patronage de l'église romaine en cette province. Je ne doute pas que cette opinion ne soit à la fois réservée et modérée, et qu'un arrangement amiable ne soit préféré à l'appropriation d'un droit." History oj Lower Canada, Christie, t. VI, p. 282). Ryland dut assurément considérer ces lignes comme l'indice de dispositions fâcheuses chez le successeur de Craig.

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avaient été depuis, sur l'état il serait à propws qu'ils fussent à l'avenir (1). Et nous avons vu qu'il en était résulté une décision du gouvernement impérial qui comportait pour notre chef ecclésiastique une aug- mentation de ressources très propre à accroître l'efïî- cacité de son action pastorale, et surtout une recon- naissance implicite de son titre épiscopal (2). Ultérieu- rement, sir George Prévost rétablissait dans leurs grades, par un acte solennel, les hommes politiques, officiers de milice, destitués ab irato par sir James Craig (3). Mieux encore, le gouverneur, à la première occasion favorable, appelait à siéger sur le banc de la magistrature et revêtait de l'hermine judiciaire le parlementaire qui avait provoqué toutes les fureurs bureaucratiques, Pierre Bédard, l'adversaire le plus déterminé et la victime de son prédécesseur. (4)

Ces actes significatifs ne pouvaient manquer de désoler la coterie qui avait soutenu et applaudi le

(1) Mandements des évêques de Québec, t. III, p. 79. Vie de Mgr Plessis, par l'abbé Ferland, Foyer Canadien, t. I, p. 155.

(2) Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 119, p. 33; Prévost à lord Batburst, 18 novembre 1812; lord Batburst à Prévost, 2 juillet 1813; Christie, VI, p. 312.

(3) Le 19 octobre 1812 l'assistant adjudant-général pu- bliait un ordre de Son Excellence le commandant en chef, en vertu duquel MM. Pierre Bédard et Joseph-Levasseur Borgia, étaient rétablis dans leur grade de capitaines du premier bataillon de Québec. {Gazette de Québec, octobre 1812.)

(4) Archives du Canada, Q. 121, p. 49; Prévost à lord Batburst, 22 janvier 1813. M. Pierre-Louis Panet, juge de la Cour du banc du Roi à Montréal, est mort le 2 décembre 1812; Prévost a nommé M. le juge Foucher, de la Cour provinciale des Trois-Rivières, à la place de M. Panet, et M. Pierre Bédard à la place du juge Foucher dans ce dernier poste.

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gouvernement arbitraire de Craig. M. Ryland épan- chait dans sa correspondance les amertumes de son cœur. Prévost, après quelque temps, l'avait remercié de ses services comme secrétaire civil du gouverneur, et naturellement cela n'avait pas peu contribué à assombrir l'humeur du fonctionnaire amputé d'un de ses nombreux et plantureux cumuls. Dans une lettre à lord Spencer, un homme politique anglais qu'il avait connu durant sa mission à Londres, il se plaignait vivement du traitement qu'il avait subi. "Ni directe- ment, ni indirectement, écrivait-il, je n'ai entendu assigner une seule raison de la conduite de sir George Prévost envers moi. . . Je suis prêt à admettre, toute- fois, que, par l'ensemble de ma correspondance avec lui durant mon séjour en Angleterre, il a pu constater que mes sentiments à propos du système politique le mieux adapté à l'administration de ce gouvernement sont absolument opposés aux siens. Mais je n'ai essayé à aucun moment de les faire prévaloir auprès de lui. Je ne puis cependant m'empécher de déplorer que ces mesures, considérées pendant les dix ou douze dernières années comme les principaux objets de cette branche de la correspondance coloniale, aient été mises au rancart, peut-être pour toujours. Je sais que le gouverneur actuel de cette province les tient en mince estime, mais ses prédécesseurs immédiats, le lieutenant gouverneur Milnes et sir James Craig, les considéraient de la plus haute importance pour les intérêts de la Cou- ronne et le bien général de cette colonie." (1) Dans une sorte de revue de la situation politique bas-cana- dienne, écrite subséquemment par le confident et l'ambassadeur déconfit de sir James Craig, il spécifiait

(1)— Christie, VI, p. 303.

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plus longuement ses griefs d'ordre public contre sir George Prévost. "Avant son arrivée au Canada, disait M. Ryland, cet officier avait reçu les plus amples infoi mations relativement à toutes les mesures prises par son prédécesseur ou recommandées par lui aux ministres de Sa Majesté afin de combattre les procédés de l'Assemblée et d'assurer à la Couronne une plus grande influence dans la province. Malheureusement il existait dans l'esprit de sir George Prévost un pré- jugé fortement enraciné contre l'ancien gouverneur en chef; et il n'y a que trop lieu de croire qu'il entrait en fonctions avec la prédisposition de jeter du discrédit sur la mémoire de ce dernier et la détermination de poursuivre à tous risques une ligne politique diamé- tralement opposée à la sienne, sur tous les points." M. Ryland énumérait ensuite les actes que l'on pouvait, suivant lui, reprocher à sir George Prévost. Le nou- veau gouverneur avait, presque aussitôt après son arrivée, transformé la composition du Conseil exécutif en y faisant nommer d'un seul coup sept nouveaux membres outre les neuf qui en faisaient déjà partie, ce qui indiquait chez lui le désir de rabaisser le Con- seil qui avait appuyé les mesures de son prédécesseur dans les circonstances les plus difficiles. (1) Sir George

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(1) Les nouveaux membres nommés à la demande de sir George Prévost étaient MM. John Richardson, Jean-Baptiste Hertel de Rouville, John CaldwcII, Ignace-Aubert de Gaspé, James Cuthbert, Charles-Gaspard de Lanaudière, Jacques Perrault et Charles-William Grant. Sir George avait un peu plus tard recommandé d'ajouter au Conseil législatif les messieurs suivants: Antoine-Juchcrcau Duchesnay, James Kerr, Ross Cuthbert, MichacI-IIcnry Pcrcival, John Muir, Olivier Perrault et William-Batchelor Coltman (Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 114, pp. 182, 199.)

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Prévost avait ensuite nommé juge M. Bédard. Aux yeux de M. Ryland, on le conçoit facilement, cette nomination était un scandale. "L'homme dont les écrits, sous l'administration précédente, avaient été déclarés libelles séditieux par les grands jurys de Québec et de Montréal, était élevé sur le banc comme juge provincial des Trois-Rivières, et se trouverait ainsi associé au juge en chef de la province, qui, en sa qualité de conseiller exécutif, avait concouru en 1810 à son incarcération dans la prison de Québec." L'incident de Mgr Plessis, dont Ryland avait conservé un souvenir cuisant, ne pouvait être omis par lui dans cette récapi- tulation de griefs. "Sir George Prévost, écrivait l'ex- secrétaire civil, était parfaitement au courant de tout ce qui avait eu lieu sous les administrations des deux gouverneurs précédents relativement à la main-mise de la Couronne sur le patronage de l'église catholique romaine. . . De plus il connaissait très bien le carac- tère du successeur de Mgr Denaut. Et, en ajoutant au pouvoir que ce prélat avait déjà assumé un revenu qui aurait pu être le prix d'un amoindrissement de son autorité, on devait être assuré que ce dignitaire ecclé- siastique obtiendrait dans la province un degré d'in- fluence supérieur à celui que le représentant de Sa Majesté pourrait jamais espérer. Cependant, pour obtenir une ceitaine popularité personnelle, sans que les intérêts de Sa Majesté en fussent aucunement favorisés, il recommanda que l'allocation de M. Plessis comme surintendant de l'église romaine en Canada fût élevée de deux cents à mille louis sterling annuelle- ment, et cela sans stipuler, semble-t-il, l'abandon d'au- cun des pouvoirs assumés illégalement par ce prélat. . . Ayant reçu du gouverneur communication de la lettre du secrétaire d'Etat autorisant cette allocation, Mgr

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plus longuement ses griefs d'ordre public contre sir George Prévost. "Avant son arrivée au Canada, disait IVI. Ryland, cet ofiicier avait reçu les plus amples infoi mations relativement à toutes les mesures prises par son prédécesseur ou recommandées par lui aux ministres de Sa Majesté afin de combattre les procédés de l'Assemblée et d'assurer à la Couronne une plus grande influence dans la province. Malheureusement il existait dans l'esprit de sir George Prévost un pré- jugé fortement enraciné contre l'ancien gouverneur en chef; et il n'y a que trop lieu de croire qu'il entrait en fonctions avec la prédisposition de jeter du discrédit sur la mémoire de ce dernier et la détermination de poursuivre à tous risques une ligne politique diamé- tralement opposée à la sienne, sur tous les points." M. Ryland énumérait ensuite les actes que l'on pouvait, suivant lui, reprocher à sir George Prévost. Le nou- veau gouverneur avait, presque aussitôt après son arrivée, transformé la composition du Conseil exécutif en y faisant nommer d'un seul coup sept nouveaux membres outre les neuf qui en faisaient déjà partie, ce qui indiquait chez lui le désir de rabaisser le Con- seil qui avait appuyé les mesures de son prédécesseur dans les circonstances les plus difficiles. (1) Sir George

(1) Les nouveaux membres nommés à la demande de sir George Prévost étaient MM. John Richardson, Jean-Baptiste Hertel de Rouville, John CaldwcII, Ignace-Aubert de Gaspé, James Cuthbert, Charles-Gaspard de Lanaudière, Jacques Perrault et Charles-William Grant. Sir George avait un peu plus tard recommandé d'ajouter au Conseil législatif les messieurs suivants: Antoine-Juchcrcau Duchesnay, James Kerr, Ross Cuthbert, Michacl-Hcnry Percival, John Muir, Olivier Perrault et William-Batchelor Coltman (Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 114, pp. 182, 199.)

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Prévost avait ensuite nommé juge M. Bédard. Aux yeux de M. Ryland, on le conçoit facilement, cette nomination était un scandale. "L'homme dont les écrits, sous l'administration précédente, avaient été déclarés libelles séditieux par les grands jurys de Québec et de Montréal, était élevé sur le banc comme juge provincial des Trois-Rivières, et se trouverait ainsi ^1^^ associé au juge en chef de la province, qui, en sa qualité de conseiller exécutif, avait concouru en 1810 à son incarcération dans la prison de Québec." L'incident de Mgr Plessis, dont Ryland avait conservé un souvenir cuisant, ne pouvait être omis par lui dans cette récapi- tulation de griefs. "Sir George Prévost, écrivait l'ex- secrétaire civil, était parfaitement au courant de tout ce qui avait eu lieu sous les administrations des deux gouverneurs précédents relativement à la main-mise de la Couronne sur le patronage de l'église catholique romaine. . . De plus il connaissait très bien le carac- tère du successeur de Mgr Denaut. Et, en ajoutant au pouvoir que ce prélat avait déjà assumé un revenu qui aurait pu être le prix d'un amoindrissement de son autorité, on devait être assuré que ce dignitaire ecclé- siastique obtiendrait dans la province un degré d'in- fluence supérieur à celui que le représentant de Sa Majesté pourrait jamais espérer. Cependant, pour obtenir une ceitaine popularité personnelle, sans que les intérêts de Sa Majesté en fussent aucunement favorisés, il recommanda que l'allocation de M. Plessis comme surintendant de l'église romaine en Canada fût élevée de deux cents à mille louis sterling annuelle- ment, et cela sans stipuler, semble-t-il, l'abandon d'au- cun des pouvoirs assumés illégalement par ce prélat . . . Ayant reçu du gouverneur communication de la lettre du secrétaire d'Etat autorisant cette allocation, Mgr

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Plessis profita de l'occasion pour réclamer que, dans le mandat émis à cet effet, l'appellation de "surinten- dant de l'église romaine" fût remplacée par celle "d'évcque catholique romain de Québec", titre que le gouvernement provincial avait jusque-là refusé de reconnaître, mais que le présent gouverneur n'hésita pas à accorder en dépit des instructions royales, et en violation directe des lettres patentes de Sa Majesté établissant le siège (anglicaii) de Québec." (1)

M. Rj^and n'était pas seul à gémir sur l'attitude de sir George Prévost. Son ami l'évéque piotestant, Ie_dQCteur Mountain, avait vu avec douleur Mgr Plessis proclamé évêque de Québec dans un document officiel. Le 15 décembre 1813, il écrivait à lordBathurst pour appeler son attention sur les termes du mandat le titre de "surintendant de l'église romaine" s'était transformé en celui "d'évêque catholique de Québec, conformément à une dépêche du comte de Bathurst, en date du 2 juillet 1813." Et il ajoutait cette phrase significative: "C'est par respect que je m'abstiens de faire aucun commentaire sur l'opportunité de cette mesure." (2)

Les dispositions et la mentalité de sir George Prévost, manifestés par des actes qui lui valaient l'animadversion de nos adversaires, étaient assurément de nature à lui gagner la confiance de nos représentants \j et de nos chefs. Il l'obtint effectivement. A maintes reprises la majorité canadienne dans la Chambre lui donna des témoignages non équivoques de son estime et de son respect. Elle acquiesça avec empressement, nous l'avons vu, aux principales mesures qu'il recom-

(D— Christie, VI, pp. 331-335.

(2)— Archives du Canada, Q. 126, p. 170.

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manda pour la défense de la province. Mais on se ferait une idée peut-être insufTisamment exacte de la situation politique sous le gouvernement de sir George Prévost si l'on se figurait que cette bonne entente fut absolument sans nuages. Et nous manquerions à notre devoir d'historien si nous ne signalions pas chez la majorité de l'Assemblée un état d'esprit d'une coniplexité singulière. En présence d'une adminis- tration bien disposée, la mentalité parlementaire parut agitée tour à tour par des courants alternatifs de sympathie et de susceptibilité. On sortait des luttes de Craig, du régime des coups de force, des actes arbi- traires et des entreprises attentatoires à nos droits. Et, malgré la satisfaction que ne pouvait manquer d'inspirer la politique réparatrice de sir George Prévost, on conservait des crises antérieures une nervosité per- sistante, une défiance incoercible, un esprit d'animosité rétrospective auxquels on donnait trop facilement carrière. Ces dispositions se manifestèrent à plusieurs reprises. A propos même du conflit anglo-américain, un certain élément de la députation, recruté surtout parmi les jeunes représentants, outrés des coups d'état de Craig, voulut faire prévaloir la politique des bras croisés. "H y aurait eu une réunion secrète à Québec chez M. Lee, assistaient MM. Viger, L.-J.Papineau, Borgia et plusieurs autres, pour délibérer s'il ne con- viendrait pas de rester neutres et de laisser au parti qui dominait le pouvoir oppresseur qui nous gouver- nait à le défendre comme il pourrait, mais M. Bédard et ses amis s'y étaient opposés et le projet avait été abandonné."(l)

(1) Histoire du Canada, Garneau, édition de 18.')2, t. IV, p. 84.

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Pour tout ce qui concernait la guerre, la conduite de la Cliambre fut inspirée par la loyauté la plus sincère et par le patriotisme le plus ardent. Sur d'autres ques- tions le gouverneur expérimenta sa susceptibilité. Dès la première session de 1812,1a majorité ne put résister au désir de récriminer contre les actes de la précédente administration. Au sujet du renouvellement des lois pour assurer la préservation du gouvernement de Sa Majesté, l'Assemblée déclara qu'elle y donnerait toute son attention, "malgré la répugnance que pourrait lui faire éprouver l'abus qu'on avait fait de l'un de ces actes et les mauvais résultats qui auraient pu s'en sui- vre." Sur quoi le gouverneur répondit: "Jenepuis m'em- pêchcr de regretter qu'à cette occasion vous ayez cru ex- pédient de porter votre attention sur des procédés qui ont eu lieu sous aucun de ces actes, et je vous engage ardemment, comme le moyen Is plus efficace d'assurer la tranquilité de la province et de manifester votre ar- deur pour le bien public, de diriger vos soins entière- ment sur l'état actuel des affaires." (l) Ce conseil pro- duisit sur l'assemblée peu d'effet, car elle adopta bien- tôt une résolution décrétant la formation d'un comité pour faire une enquête sur l'état de la province, sur les événements publics qui avaient eu lieu durant l'ad- ministration de sir James Craig et sur leurs causes. Ce comité était composé de MM. Lee, L.-J. Papineau P. Bédard, Viger et Joseph Papineau, auxquels on ajouta subséquemment MM. Bellet, Roi et Blanchet; et ses séances devaient être secrètes. On ignore ce qu'il en advint. Il semblerait que ces résolutions n'eu- rent pas de suite à cause des sollicitudes plus urgentes

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1812, p. 69.

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qui s'imposèrent. (l) Durant la même session le bill re- latif à la meilleure préservation du gouvernement de Sa Majesté et celui qui concernait les étrangers don- nèrent lieu, entre le Conseil législatif et laChambre, à des divergences que des conférences conjointes ne pu- H\lt»\fteV rent concilier. Et ces deux mesures échouèrent. (2) i ^

Les recrmimations contre les abus de pouvoir de sir James Craig pouvaient bien paraître intempestives et oiseuses, dans ce moment de crise nationale; le désaccord entre laChambre et le Conseil à propos de projets de loi plus ou moins importants pouvait bien être consi- déré comme fâcheux et inopportun par sir Georges Prévost. Toutefois, personnellement, il n'était pas atteint par ces incidents. Mais il allait bientôt être mis di- rectement en cause. En ouvrant la session de juillet \^j^ i^p 1812. outre l'adoption de mesures financières néces- '

saires pour faîire face au péril américain, il demandait aux chambres pour le gouvernement le pouvoir de sup- primer toute tentative de désordre et d'insubordina- tion, et de punir immédiatement toute offense pro- pre à interrompre ou à menacer la tranquilité publique. La législature, ajoutait-il, le ferait d'autant plus vo- lontiers qu'elle devait être convaincue qu'en tout temps "sa commission l'autorisait à déclarer la loi martiale en

(1) Christie, II, p. 5.

(2) Ibid. p. 6. Le principal amendement adopté par la Chambre avait pour objet de transférer du Conseil exécutif au gouverneur seul le pouvoir de décréter l'emprisonnement des personnes soupçonnées d'actes entachés de trahison {treasonable practices), et aussi d'insérer ce proviso: "Rien dans cette loi ne sera interprété comme autorisant l'emprisonnement ou la déten- tion d'aucun membre de l'une ou l'autre des chambres du parle- ment provincial." {Journal de la Chambre, 1812, p. 201.) 2

IG COURS d'histoire du canada

lorcc dans toute son étendue. "(l) La majorité goûta fort peu cette déclaration. Durant cette courte ses- sion elle ne prit cependant aucune action à ce sujet. Mais à la session de 1813, l'Assemblée, sur motion de M. James Stuart, visant spécifiquement le discours de sir George Prévost, affirma" que les limites et l'o- pération de la loi martiale en cette province ne pou- \ aient être entendues sans l'autorité du parlement pro- vincial." (2) A ce moment le gou\erneur nous avait déjà donné des témoignages multiples de sa sympathie et de sa sincérité. Ryland était en disgrâce. Les of- ficiers de milice destitués par Craig étaient réintégrés dans leurs grades. M. Pierre Bédard était élevé à la magistrature. Devant ces gages d'une bonne volonté mdéniable, n'eût-il pas valu mieux pour la majorité se borner à un silence suffisamment significatif, et ne donnait-elle pas droit à sir George Prévost de la trou- } \:Êr trop ombrageuse ?

L'état d'esprit que nous avons essayé d'analyser tout à l'heure devait bientôt se manifester sous une forme plus grave. Une des grandes tentations et l'une des grandes erreurs des partis politiques, à la suite des crises aiguës et des luttes violentes, c'est la passion des re- présailles. II ne suffit pas d'être sorti victorieux d'une lutte électorale, constitutionnelle ou parlementaire, il faut que des pénalités soient le corollaire de la défaite; il faut se venger des adversaires. Et, succombant à l'illusion que l'on recherche uniquement le triomphe de la justice, on se laisse trop facilement glisser sur la pente de la persécution. En 1813, le juge Sewell, no-

(1) Journal de la Chambre, 1812, deuxième session. {2)—Ibid., 1813, p. 179.

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nobstant ses dignités et ses fonctions largement rétri- buées, faisait en somme figure de vaincu. Comme Ry- land et comme le Dr Mountain, il avait été l'aviseur de sir James Craig. II avait mis la main aux projets dont le but était l'anéantissement de notre église et le bou- leversement de notre constitution. Et il les avait vus échouer, la métropole refusant de les mettre à exécu- tion. A Craig avait succédé un gouverneur dont la politique était le contre-pied de la sienne. Nous n'avons pas la bonne fortune de posséder la correspondance intime du juge Sewell. Mais nous sommes assuré qu'à l'instar de Ryland et de l'évcque anglican le haut fonctionnaire devait y dénoncer assurément le chan- gement radical qu'avait subie l'administration du Bas- Canada.

Cet échec de nos ennemis ne devait-il pas nous sa- tisfaire? N'était-ce pas assez pour nous d'avoir triom- phé du péril, d'avoir vu se rompre les trames que l'on avait ourdies contre nos droits ? Au lendemain de notre victoire, surtout dans un moment oii notre pays était sous le coup de l'invasion et de la conquête, pouvions- nous espérer servir la cause nationale en entamant une campagne de vindicte politique, et convenait-il de l'entreprendre? On pouvait en douter. Notre cham- bre bas-canadienne jugea différemment. A^ la session de 1813, elle s'engagea dans une longue séri de débats et de procédures' dont l'objet était la mise en accusa- ScweJI tion du juge Sewell, et, corrélativement, de son collègue \a^ ^ montréalais le juge Monk.

Comme il arrive assez souvent dans ces occasions , le mobile d'ordre public se doublait ici d'un mobile d'ordre privé. Il n'est pas sans intérêt de signaler ce dualisme. Les coulisses de l'histoire recèlent souvent des indications qui font mieux comprendre le jeu des

18 COURS d'histoire du canada

acteurs en scène. Le principal instigateur et le ]:)lus acharné promoteur de la mise en accusation, ou, pour nous servir du terme consacré dans la langue parle- mentaire britannique, de Vimpeachment du juge Se- wcll, ce fut M. James Stuart. Or j\I. Stuart avait un vieux compte à régler avec le juge en chef. Cet homme public, qui a joué un rôle si important dans les an- nales politiques et judiciaires de notre province, était le fils d'un loyaliste de l'empire uni, émigré au Canada lors de la révolution américaine. Après avoir fait ses

jd^-V classes au collège de Windsor dans la Nouvelle-Ecosse,

il était venu étudier le droit à Québec, et, particularité ^>fLff_ curieuse, il avait eu pour patron précisément M. Sewell, alors procureur général. Admis au barreau en 1801, il était nommé solliciteur général quatre ans plus tard, lorsqu'il n'avait que vingt-cinq a,ns. En 1808 les électeurs de Montréal et du comté de Buck- ingham l'avaient simultanément choisi pour leur re- "^ présentant. (1) M. James Stuart était un homme

3 0 -1 .-^c» cloué de facultés brillantes. Il possédait des connais- sances étendues et un remarquable talent d'orateur. Sa valeur comme légiste était incontestable. On ad- mirait chez lui une rare souplesse d'esprit, une grande rapidité de conception, une activité intellectuelle cons- tamment en éveil. Les vicissitudes de sa carrière de- vaient démontrer que son caractère n'était pas tou- jours à la hauteur de son talent. Vindicatif, tenace dans

^\ \ ses antipathies et en même temps versatile dans ses

opinions, avec ses qualités et ses défauts c'était unad- \ersaire dangereux et un ami incertain. (2) Sous

(1) Henry Morgan, Sketches oj celebrated Canadians, p. 324.

(2) On trouve clans le Répertoire National un parallèle intéressant entre M. James Stuart et son cousin M. Andrew

COURS d'histoire du canada 19

l'administration de sir James Craig une fâcheuse in- compatibilité d'humeur l'avait mis en conflit avec ce gouverneur autoritaire. Et au mois de mai 19,09 il s'était vu révoqué de ses fonctions. Dans la lettre officielle par laquelle le chef de l'exécutif annonçait au ministre cette destitution, sir James énumérait ses griefs, dont quelques-uns étaient d'une nature très spéciale. M. Stuart, paraissait-il, avait positivement manqué de cour- toisie envers le représentant de la Couronne, et cela sans aucune raison. Il s'était abstenu de toutes rela- lations avec le gouverneur. Il ne s'était jamais ins- crit à l'hôtel du gouvernement, et, malgré sa position officielle, il n'avait jamais assisté aux levers tenus à l'occasion de la naissance du roi. Comme député, il avait négligé de défendre la politique de l'exécutif et voté en faveur de motions dirigées contre le gouver- neur. Dans une certaine circonstance, nommé pour faire partie d'un comité chargé de se rendre auprès de ce dernier, il avait négligé d'être présent. Cette conduite, d'après sir James, était incompatible avec la position d'un officier public et suffisamment repré- hensible pour justifier sa destitution. (1) Celui-ci avait naturellement conçu de cette déchéance une vive irritation. Et quand il eut constaté que le solliciteur général nommé à sa place était M. Stephen Sewell, le propre frère du juge en chef, il joignit dans son ressen- timent le gouverneur et le haut magistrat qu'il con- sidérait comme le conseiller de sa disgrâce.

Stuart, qui siégea aussi dans nos assemblées. M. Aubin en était l'auteur. II manifestait plus d'estime pour le second que pour le premier de ces deux hommes publics.

(1) Archives du Canada, Q. 109, p. 128; Sir James Craig à lord Castlereagb, 1er juin 1809.

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20

COURS D HISTOIRE DU CANADA

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Tout ceci explique l'ardeur et l'acharnement qu'il \ manifesta dans la question des impeacljments. Se fai- sant habilement le porte-parole des animosités de l'As- semblée contre l'aviseur de Craig, il entama la bataille à la session de 1813. Il sembla d'abord restreindre l'attaque à des actes commis par le juge Sewell dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, et demanda une enquête relative à la rédaction et à la mise en vigueur de certaines règles de pratique, qu'il dénonça comme une usurpation de pouvoir de la part des cours de jus- tice. Mais à la session de 1814 il élargit le champ de ses accusations. La question des règles de pratique était surtout d'ordre technique, elle n'intéressait guère que les membres de la profession légale. Il fallait autre chose pour correspondre aux ressentiments poli- tiques de la majorité. Conséquemment, à côté des ac- cusations concernant ces règlements de procédure, figurèrent toute une série de griefs relatifs au rôle joué par le juge Sewell comme aviseur de Craig, dans les dissolutions réitérées du parlement en 1809 et 1810, dans la démission des officiers de milice et d'autres of- ficiers publics, dans la suppression du Canadien, dans l'emprisonnement de MM. Bédard, Blanchet, Tas- chereau, Corbeil, etc., etc. Un comité d'enquête fut nommé. Les officiers de justice furent assignés devant lui pour produire les règles de pratique. Il fit un rapport hostile aux juges. Et finalement la Chambre adopta des résolutions dans lesquelles étaient énumérés dix-sept chefs d'accusation contre M. Sewell, juge en chef du Bas-Canada, et M. Monk, juge en chef de Montréal. Celui-ci était accusé des mêmes empiétements que le premier magistrat de la province relativement aux règles de pratique, tien outre de certains abus d'autorité dans l'exer-

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cice de ses fonctions. Les chefs d'accusation ou Heads oj impeachment se terminaient par un paragraphe dont le texte fait bien comprendre la nature des procédures.-^ adoptées. Le voici: y*Que les susdits crimes et délits I ont été faits et commis par le dit Jonathan Sewell, juge en chef de la province du Bas-Canada, et par le dit Jonathan Seweil s'est traîtreusement, méchamment et mahcieusement efforcé d'aliéner le cœur des sujets de Sa Majesté dans cette province, de causer de la division parmi eux, d'attenter à la constitution et aux lois de cette province, d'y introduire un gouvernement arbitraire et tyrannique en violation consciente des lois bien connues' de cette province. Et ainsi le dit Jonathan Sewell a non seulement violé son propre serment, mais, autant qu'il le pouvait, a violé le ser- ment du roi envers son peuple dont le dit Jonathan Sewell, représentant Sa Majesté dans son office si émi- nent de magistrat, a la garde en cette province. C'est pourquoi les dites communes mettent en accusation {impeach) le dit Jonathan Sewell, se réservant la liber- té de produire en tout temps ci-après d'autres accusa- tions ou mises en accusation contre le dit Jonathan Sewell et d'adopter toutes les conclusions ou deman- des qui peuvent en découler, conformément à la loi et à la justice." (1) L' impeachment du juge Monk se ter- minait de la même manière.

Dans toutes ces procédures c'était M. Stuart qui était l'esprit dirigeant. A ce moment il jouait vrai- ment le rôle de chef de la majorité. (2) Sur sa propo-

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(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1814, appendice E.

(2) On reconnaissait la main de M. Stuart spécialement dans le paragraphe septième de V impeachment du juge Sewell,

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Tout ceci explique l'ardeur et l'acharnement qu'il ^ manifesta dans la question des impeacbments. Se fai- sant habilement le porte-parole des animosités de l'As- semblée contre l'aviseur de Craig, il entama la bataille à la session de 1813. II sembla d'abord restreindre l'attaque a des actes commis par le juge Sewell dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, et demanda une enquête relative à la rédaction et à la mise en vigueur de certaines règles de pratique, qu'il dénonça comme une usurpation de pouvoir de la part des cours de jus- tice. Mais à la session de 1814 il élargit le champ de ses accusations. La question des règles de pratique était surtout d'ordre technique, elle n'intéressait guère que les membres de la profession légale. II fallait autre chose pour correspondre aux ressentiments poli- tiques de la majorité. Conséquemment, à côté des ac- cusations concernant ces règlements de procédure, figurèrent toute une série de griefs relatifs au rôle joué par le juge Sewell comme aviseur de Craig, dans les dissolutions réitérées du parlement en 1809 et 1810, dans la démission des officiers de milice et d'autres of- ficiers publics, dans la suppression du Canadien, dans l'emprisonnement de MM. Bédard, Blanchet, Tas- chereau, Corbeil, etc., etc. Un comité d'enquête fut nommé. Les officiers de justice furent assignés devant lui pour produire les règles de pratique. II fit un rapport hostile aux juges. Et finalement la Chambre adopta des résolutions dans lesquelles étaient énumérés dix-sept chefs d'accusation contre M. Sewell, juge en chef du Bas-Canada, et M. Monk, juge en chef de Montréal. Celui-ci était accusé des mêmes empiétements que le premier magistrat de la province relativement aux règles de pratique, < 1 en outre de certains abus d'autorité dans l'exer-

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cice de ses fonctions. Les chefs d'accusation ou Heads oj impeachment se terminaient par un paragraphe dont le texte fait bien comprendre la nature des procédures,., adoptées. Le voici: ^^Que les susdits crimes et déhts / ont été faits et commis par le dit Jonathan Sewell, juge en chef de la province du Bas-Canada, et par le dit Jonathan Sewell s'est traîtreusement, méchamment et mahcieusement efforcé d'aliéner le cœur des sujets de Sa Majesté dans cette province, de causer de la division parmi eux, d'attenter à la constitution et aux lois de cette province, d'y introduire un gouvernement arbitraire et tyrannique en violation consciente des lois bien connues' de cette province. Et ainsi le dit Jonathan Sewell a non seulement violé son propre serment, mais, autant qu'il le pouvait, a violé le ser- ment du roi envers son peuple dont le dit Jonathan Sewell, représentant Sa Majesté dans son office si émi- nent de magistrat, a la garde en cette province. C'est pourquoi les dites communes mettent en accusation (impeach) le dit Jonathan Sewell, se réservant la liber- té de produire en tout temps ci-après d'autres accusa- tions ou mises en accusation contre le dit Jonathan Sewell et d'adopter toutes les conclusions ou deman- i des qui peuvent en découler, conformément à laIoietJ_ à la justice." (1) L' impeachment du juge Monk se ter- minait de la même manière.

Dans toutes ces procédures c'était M. Stuart qui était l'esprit dirigeant. A ce moment il jouait vrai- ment le rôle de chef de la majorité. (2) Sur sa propo-

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1814, appendice E.

(2) On reconnaissait la main de M. Stuart spécialement dans le paragraphe septième de V impeachment du juge Sewell,

22 COURS d'histoire du canada

sitlon une adresse au prince régent fut votée par la Chambre, afin de soumettre à la Couronne les accusa- tions contre les juges incriminés et demander qu'on leur enlevât leurs commissions. En même temps il rédigeait et faisait adopter une adresse au gouverneur pour le prier de transmettre la communication de l'As- semblc'c à Son Altesse Royale, et de suspendre, pen- dant l'instance, les magistrats mis en accusation, (l) Sir George Prévost se trouvait donc mis en demeure de prendre position dans leconflit entre la chambre et les juges en chefs. Son attitude ne pouvait être dou- teuse et les têtes dirigeantes de l'Assemblée auraient le prévoir. Le gouverneur ne devait pas rendre une sorte d'arrêt préjudiciel contre les juges, sur des accusations qui, d'une part, touchaient à des griefs ju- ridiques d'une gravité douteuse, et, de l'autre, sou- levaient, on le verra dans un instant, une question de politique coloniale extrêmement complexe. II lit donc à l'orateur, qui, accompagné de toute laChambre, était allé lui présenter l'adresse au château Saint-Louis, la ré- ponse suivante: "Je profiterai de la première occasion pour transmettre aux ministres de Sa Majesté votre adresse à Son Altesse Royale le prince régent, ainsi que les articles d'accusation proférés par vous contre le juge en chef de la pro\'ince et le juge en chef du dis- trict de Montréal, mais je ne crois pas qu'il soit expc"- dient de les suspendre de leurs charges, sur une adresse à cette fin émanant d'une seule branche de la législa- ture, basée sur des articles d'accusation sur lesquels le

il était accusé d'avoir conseillé la destitution de bons et loyaux sujets, "et cela, dans un cas particulier, pour procurer l'avancement de son frère."

(D— Journal de la Chambre, 1814, p. 341.

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Conseil législatif n'a pas été consulté et auxquels il n'a pas concouru". (1)

Cette réponse, qui aurait due être prévue, irrita vive- ment les chefs de la majorité. Sur le champ ils firent insérer dans les journaux de la Chambre la riposte sui- vante: "Résolu que les accusations produites par cette Chambre contre Jonathan Sewell et James Monk écuyers, ont été correctement désignées par le terme de Heads oj impeachment; que c'est le droit constitution- nel indisputable de cette chambre d'offrir son humble avis à Son Excellence le gouverneur en chef sur des matières affectant le bien-être des sujets de Sa Ma- jesté dans cette province, sans le concours du Conseil législatif,. . que Son Excellence le gouverneur en chef, par sa dite réponse à l'adresse de cette Chambre, a violé les droits constitutionnels et les privilèges de cette Chambre". (2) C'était raide, surtout lorsque l'on con- sidère que ceci s'adressait à sir George Prévost, dont l'attitude générale nous était si manifestement favo- ^'^■^•

rable, et dont l'administration avait réparé la plupart ,a .^^ ^. j des injustices commises par son prédécesseur. C'était tellement excessif que l'Assemblée, refroidie, s'en aper- \ çut elle-même, et, se ressaississant quatre jours plus tard, essaya de pa'Iier le fâcheux incident en adoptant cette motion aux intentions réparatrices: "Nonobstant les avis pervers et méchants donnés à Son Excellence le gouverneur en chef, au sujet des droits constitution- nels et des privilèges de cette Chambre, et nonobstant les efforts de conseillers mal disposés pour l'induire en erreur et le brouiller avec les fidèles communes de Sa Ma-

(l)— Journal de la Chambre, 1814, p. 329. (2)— Journal de la Chambre, 1814, p. 391.

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24 COURS d'histoire du canada

jesté en cette province, cetteCliambrc n'a aucunement modifié l'opinion qu'elle a toujours entretenue de la sage administration de Son Excellence, et elle est dé- terminée à adopter les mesuies que le gouvernement juge nécessaires pour son support et la défense de la province." (1) Sous une forme plus ou moins heureuse c'était une expression de regret pour la violence de la résolution antérieure. Mais il ne faut pas croire qu'elle fût votée unanimement. Elle ne passa qu'à trois voix de majorité, par douze voix contre neuf, les votes hos- tiles étant ceux de MM. Stuart, L.-J. Papineau, Bor- gia, Pyke, Mure, Bruneau, Bell, Pozer et Huot (2).

Ces incidents montrent quel était le tempérament de la Chambre. Elle ne savait pas assez maîtriser sa rancœur ni mettre une sourdine à son irritabilité. Elle se laissait pousser aux extrêmes par un homme qui exploitait son animosité très compréhensible contre la camarilla bureaucratique, afin de servir ses vengeances personnelles. Cette campagne cV impeachment était une faute. D'abord le moment était inopportun. En pleine guerre, lorsque l'ennemi était à nos portes et que le sang de nos soldats coulait pour la défense du territoire national, notre parlement avait à se préoc- cuper de sollicitudes plus urgentes que celle de discuter des questions de procédures judiciaires, ou de ramener sur le tapis les injustices en partie réparées d'une ad- ministration disparue. En outre la tentative de l'As- semblée était vouée à un échec certain. Et cela pour un double motif. Les impeachmerits s'appuyaient sur deux ordres de griefs, les uns relatifs aux fameuses rè- gles de pratique, les autres relatifs à la responsabilité

(D— Journal de la Cbarnbre, 1814, p. 409. (2)— Journal de la Chambre, 1814, p. 411.

COURS d'histoire du canada 25

des conseillers exécutifs pour les actes arbitraires de Craig. Or ni ceux-là ni ceux-ci ne pouvaient aboutir à un succès auprès des autorités impériales. Essa- j^ons de le démontrer brièvement. \ La rédaction et la mise en vigueur de règles de pra-

tique incriminées ne constituaient assurément pas le forfait que dénonçait avec tant de véhémence M. James Stuart et ceux qui lui faisaient écho. Ces règle- ments se proposaient uniquement de fixer certaines formahtés judiciaires. Quelques-unes spécifiaient les actes qui constitueraient un mépris de cour. Il y en avait qui astreignaient les parties à faire un dépôt pour le transfert des dossiers à la cour de deuxième instance, pour la production de certains plaidoyers, ou pour la garantie des frais dans les procès par jury. D'autres déterminaient les délais requis pour la production des moyens d'appel. (1) C'était un excès d'imagination que de découvrir dans tout cela quelque chose de sub- versif, de contraire à la constitution et aux franchises nationales.

La promulgation de règles de pratique était dési- ^^

rée depuis longtemps. Lors de la nomination de M. J' Sewell comme juge en chef, en 1808, l'organe du parti à.Cf,j,

populaire. Le Canadien lui-même, avait exprimé l'es- poir que le nouveau magistrat pourrait s'occuper de ce travail. "Tous les juges en chef que nous avons eus, disait-il, ont voulu créer du nouveau. . Un d'eux an- nonça à la fin d'un terme qu'il y aurait un code de rè- gles pour le terme suivant et recommanda aux avocats de bien s'y conformer. Au terme suivant le code fut remis à un autre, de celui-ci encore à un autre, et le ju- ge en chef mourut quelque temps après. II est pro-

(1) Journal de la Chambre, 1814, appendice E.

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bable que ce code aurait été longtemps à venir, car ce- lui qui croit qu'un acte de procédure est l'ouvrage d'une vacance doit mettre bien des années seulement avant de s'apercevoir de la difficulté de la tâche. Nous ne pouvons donc qu'être flatté de la promotion ds M.. Sevvell, qui a vu lui-même toutes ces expériences, et nous espérons que ses talents et les connaissances qu'il a dans les anciennes loi du pays le mettront en état de travailler avec succès à un ouvrage si désiré et qui doit faiie tant d'honneur à celui qui y aura réussi." (1) Ce vœu du journal patriote avait été réalisé. M. Sewell s'était sans retard appliqué à la rédaction de ces règles, qui avaient été promulguées en 1809. Et voilà qu'en 1814 la chambre y découvrait un motif de mise en accusation. Evidemment, même en supposant que toutes les règles édictées n'eussent pas été parfaite- ment judicieuses, il n'y avait pas matière à la très grave et très extrême mesure de l'impeachment. L'an- cien leader de la majorité, le patriote qui avait subi la perscK^ution de Craig, M. Pierre Bédard, devenu juge aux Trois-Rivières, était bien de cet avis. II suivait de loin les événements politiques, auxquels il avait pris une si large part pendant sa longue car- rière parlementaire. Et il consignait ses impressions dans une correspondance très suivie avec M. John Neil- son, l'éminent directeur de la Gazette de Québec, qui de- \ait jouer bientôt lui-même un si grand rôle politique. ^ Dans une lettre datée des Trois-Ri\ières, le 23 février ^^814, M. Bédard exprimait l'opinion, conforme d'ail- leurs à celle de son correspondant, que les juges n'avaient eu en vue que de servir les fins de la justice en promul- guant leurs règlements. Il faisait observer que, si on

(D— Le Canadien, 22 août 1808.

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27

les attaquait à ce sujet, ils ne se risqueraient plus à faire ce travail et l'on retournerait dans la confusion étaient les tribunaux quand il n'y avait que des règles non écrites qui changeaient tous les jours. Dans une lettre subséquente il discutait l'attitude de la Chambre et ne dissimulait pas sa conviction que M. Stuart ne s'agitait que dans un but de satisfaction personnelle. Suivant lui le juge en chef méritait des louanges et non des reproches pour son travail sur les règles de prati- que. (1)

Ce qui démontre davantage encore la futilité du grief dont M. James Stuart voulait faire un crime d'E- tat, c'est que les règlements judiciaires si violemment dénoncés devaient rester en vigueur pendant plus de quarante ans. Ironie des choses! M. Stuart lui- même, devenu juge en chef à la place de son vieil en- nemi d'autrefois. devait les maintenir et les apphquer. II devait, dans la révision qu'il en fit en 1850, en con- server quelques-uns presque intégralement. Donnons- en un exemple entre pkisieurs. La treizième règle de pratique édictée par M. Sewell en 1809 se lisait comme suit: "La signification personnelle de tout writ d'appel au procureur qui a comparu dans la cour supérieure pour l'intimé, ou à défaut de telle signification à l'in- timé à son domicile, ou à défaut de tel domicile au procureur ad negotiâ sur record en tel procès, sera

p. ÉCûaGD

(1) Le département des archives fédérales a eu la bonne fortune de mettre la main sur la correspondance de M. John Neilson. Elle couvre une longue et importante période et con- tient un grand nombre de lettres de M. Pierre Bédard. Nous l'avons parcourue avec un profond intérêt. Une partie de cette correspondance précieuse a été cataloguée dans le Rapport sur les Archives pour les années 1913 (pp. 99 à 151), et 1918 (pp. 473 à 559).

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censée une signification valable de tel writ à l'égard de l'intimé." M. Stuart président du comité d'enquête sur les règles de pratique déclarait en 1814: "Cette règle est contraire à la loi et en la faisant la cour d'appel a usurpé une autorité législative.*' (1) r Eh bien, trente ans plus tard, en 1850, M. Stuart, juge en chef à son tour, édictait des règles dont la huitième se lisait comme suit: "La signification peisonnelle de tout bref d'appel à l'avocat qui a comparu dans la cour inférieure pour l'intimé, comme il l'a été ci-devant pratiqué, sera, à défaut de signification légale, considé- rée et reconnue comme signification légale". C'était à peu près le même texte. Et c'était signé "James Stuart juge en chef." (2)Le haut magistrat, parla même, reconnaissait donc que cette règle n'était pas con- traire à la loi, et que la cour d'appel, en l'édictant, n'usurpait aucunement une autorité législative. Il répudiait virtuellement son attitude de 1814.

De tout ceci on peut conclure que cette partie des actes d'accusations contre les juges en chef offrait un point d'appui bien peu solide.

Celle qui avait trait à la part de responsabilité qui incombait à M. Sewell dans les actes arbitraires de sir James Craig ne provoquait pas les mêmes objec- ^.^^^ tions intrinsèques. Il était indéniable que le juge en (^chef avait été l'un des principaux, sinon le principal conseiller de ce gouverneur combatif. Et les griefs de la Chambre contre cette administration autocra- tique n'étaient certainement pas sans fondement. Mais pouvait-on espérer que les autorités impériales

(1) Journal de la Chambre, 1814, appendice E.

(2) Code de procédure civile, par Gonzalve Doutre, 1867, t. I, p. 255.

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allaient admettre que les gouverneurs coloniaux étaient des fonctionnaires irresponsables, et que les membres des conseils exécutifs provinciaux devaient être tenus comptables pour les actes des représentants de la Cou- ronne? C'eût été se méprendre étrangement sur les maximes qui faisaient encore loi à Londres, à cette époque, en matière de politique coloniale. Les mi- nistres britanniques n'étaient pas encore prêts à ad- mettre que le rôle des gouverneurs de colonie pouvait être assimilé à celui du souverain en Angleterre, que ces fonctionnaires régnaient mais ne gouvernaient pas, que la formule the king can do no wrong devait leur être appliquée, et qu'on devait s'en prendre, relative- ment aux actes de leur administration, non pas à eux, qui en même temps détenaient et exerçaient véritable- ment le pouvoir, mais à des conseillers virtuellement nommés et révoqués suivant leur bon plaisir. Non, en essayant de faire punir par les autorités impériales des officiers publics qui n'étaient certainement pas les maîtres du gouvernement, la Chambre anticipait les époques et voulait faire prendre corps à une fiction manifestement contredite par la réalité. Les actes / de Craig, par exemple, ses coups d'état, ses dissolutions réitérées, ses destitutions, ses confiscations, ses arres- tations, étaient bien le fait personnel de ce proconsul militaire, imbu de principes absolument contraires à ceux du gouvernement constitutionnel. M. Sewell, M. Ryland, avaient assurément abondé dans son sens, avaient rédigé pour lui des rapports, avaient accompli pour lui des missions, lui avaient communiqué leurs appréciations et leurs vues. Mais après cela, il n'avait fait que ce qu'il avait voulu faire, ce que sa nature impérieuse et impulsive le portait et le déterminait à faire. Et il eût pu adopter une ligne de conduite

30 COURS d'histoire du canada

entièrement opposée. Rien ne le prouvait si bien que le cas de sir George Prévost, entouré des mêmes hommes, maissuivantuncpolitiquetout à fait différente.

De tout ceci il faut déduire qu'en 1814 essayer de faire destituer un juge par les ministres anglais, parce qu'il avait approuvé et conseillé les actes de Craig, c'était marcher à un échec certain. Et alors, en le tentant, on commettait une fausse manœuvre. On donnait des armes à ceux qui représentaient la majorité canadienne comme un parti voué à tous les excès, prêt à tous les empiétements, et animé contre les officiers de la Couronne d'une passion aveugle et tenace.

Tout cet ensemble de considérations et de cir- constances nous induit donc à tenir pour malencon- treuse la campagne d' unpeacbmeiit entreprise par la majorité contre les juges, à l'instigation de M. James Stuart. Elle était inopportune à cause de la guerre; elle était injuste à cause de l'inanité du grief relatif '*^ \ aux règles de pratique; elle était maladroite à cause de l'impossibilité d'obtenir en ce moment une con- damnation comportant l'admission d'un principe con- traire à toute la tradition coloniale.

Sir George Prévost transmit en Angleterre la demande d'impeachment. La Chambre choisit M. Stuart comme procureur pour aller la soutenir k Londres et vota la somme de deux mille louis à cet effet. Mais le Conseil législatif refusa de con- courir dans cette affectation de crédit.

Durant la même session, l'Assemblée adopta un

3 bill par lequel un agent était nommé pour représenter

la province en Angleterre, et M. le ju^e Bédard fut

désigné pour remplir ce poste. Mais le projet de loi

ne fut pas agréé par le Conseil. Cette chambre avait

l

COURS d'histoire du canada 31

énergiquement protesté contre la mise en accusation k.u p , de MM. Sewell et Monk. Et cette opposition de vues n'améliora pas les relations entre les deux assemblées. 1

Elles étaient déjà suffisamment tendues. Au P'Stet

début de la session, la Chambre avait adopté un projet de loi ayant pour objet d'organiser un système d'ins- "^DS"

truction primaire dont tous les bons esprits reconnais- saient la nécessité. Il était intitulé: "Acte pour parvenir plus efficacement à établir des écoles dans les IL- 1 p ^i paroisses de campagne de cette province pour y ensei- gner les premiers éléments de l'éducation." (1) La loi YCT\)s.c-r créant l'institution royale en 1801 était restée lettre J-^o\)v\-*fï morte et elle ne pouvait produire aucun résultat, au moins pour les Canadiens, dont les convictions religieuses s'accommodaient mal de l'esprit qui l'avait inspirée..^ Ih^llfJlT)! La nouvelle mesure pourvoyait à la constitution par | cjc >' voie d'élection, dans chaque paroisse, de corporations scolaires ayant le pouvoir de posséder, de prélever des fonds, d'engager des instituteurs, etc., Les frais d'é- rection des écoles et d'acquisition des terrains requis devaient être prélevés par chaque paroisse de la même manière que les répartitions pour la construction des églises sur la demande de la majorité des habitants . Une somme n'excédant pas soixante louis courant, à prendre sur les fonds de la province, devait être affec- tée au paiement d'un maître d'école dans chaque pa- roisse qui le demanderait. (2) Ce bill aurait puissam- ment favorisé la diffusion de l'instruction dans les cam- i^ pagnes. Mais il empiétait sur le domaine de la stérile Institution royale, chère au Dr Mountain et à ses

(1) Journal de la Chambre, 1814, p. 95.

(2) Journal de la Chambre, 1814, p. 51.

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32 COURS d'histoire du canada

amis. Ryland le dénonçait comme "un instrument d'insurrection et de révolution." L'influence de ce groupe dominait malheureusement le Conseil. Et le projet de loi y fut rejeté, quoique le gouverneur eût ex- primé son désir de le voir adopter. (1)

Un autre bill de l'Assemblée allait également mou- rir presque en même temps dans la seconde chambre. C'était celui qui avait pour objet de rendre les juges en chef et les juges de la cour du banc du roi incapables d'être appelés, de siéger ou de voter au Conseil législa- tif. (2) Quoiqu'au moment il fut présenté ce bill parût naturellement s'inspirer de sentiments vindica- tifs à l'adresse des juges conseillers, MM. Sewell et Monk, le principe en était incontestablement juste. Nous verrons plus tard que l'Angleterre elle-même en admit le bien fondé.

Les causes de mésintelligence semblaient malheu" reusement se multiplier. Signalons encore la mesure adoptée par l'Assemblée pour taxei les salaires des of- ficiers publics. Ce fut un des épisodes saillants de la politique de représailles à laquelle se laissait entraîner la majorité. Le projet de loi en question était intitu- lé. "Acte pour accorder à Sa Majesté un droit sur les revenus provenant des offices civils et sur les pen-

(1) A briej revieiv oj tbe political state oj Lower Canada during tbe last seven years, by Mr Ryland, May 1814; Christie, VI, pp. 336, 337. Voici quelle était à ce moment la composition du Con- seil: Le juge en chef SewelI, président; le Dr Mountain, évêque anglican; M. Monk, juge en chef de Montréal; MM. R. de St- Ours, F. Baby, Chartier de Lotbinière, Jenkin Williams, Char- les de St-Ours, John Haie, A.-L.-G. Duchesnay, Hertel de Rou- ville, John Caldwell, H.-W. Ryland, James Cuthbert, John Blackwood, W. McGiIIi\'ray.

(2)— Journal de la Chambre, 1814, p. 49.

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sions, pour être appliqué à la défense de la province dans la présente guerre avec les Etats-Unis d'Amérique." (1) Les droits ainsi imposés étaient de 15 pour cent sur les salaires de 1500 louis et au delà, de 12 pour cent sur ceux de 1000 à 1500 louis, de 10 pour cent sur ceux de 500 à 1000 louis et de 5 pour cent sur ceux de 250 à 500 louis. (2) A coup sûr un tel impôt était exorbitant. Sur un salaire de $7,500 le juge en chef Sewell aurait eu à laisser au fisc $1,125, le juge Monk $825, les juges puînés $375, M. Ryland pour ses traitements et ^(x■<^b^'^ sa pension $356. Les employés aux émoluments de $1000 à $1500 auraient eu à verser de $50 à $75. C'é- tait vraiment une proportion déraisonnable. Les -, fonctionnaires visés avaient bien le droit de se plaindre d'une taxation aussi lourdement partiale. Sans doute un grand nombre d'entre eux nous étaient hos- tiles et recevaient des salaires élevés. Mais cela ne suffisait pas pour rendre équitable l'exaction fiscale qu'on voulait leur faire subir. La mesure était ex- cessive et accusait trop clairement l'intention d'infli- ger une pénalité à toute une classe de citoyens parce qu'elle était antipathique à notre cause. Naturelle- ment le Conseil législatif rejeta ce bill de revenu ex- traordinaire I

En somme cette session de 1814 était plutôt fâ- ' ^'^ cheuse. Et, en la prorogeant, sir George Prévost ne put s'empêcher de faire les observations suivantes: "Il m'aurait été agréable de trouver parmi a ous l'unanimité, la diligence et la libérale confiance en moi que les circonstances actuelles, la situation de la pro-

(1) Journal de la Chambre, 1814, p. 381.

(2) Ryland, A briej review, etc.; Journal de la Chambre, 1814 p. 377.

vi»V.

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vince et les assurances contenues dans vos adresses me donnaient lieu d'espérer. J'ai vu avec regret mon attente frustrée avec de sérieux inconvénients pour le service publicl Messieurs de la Chambre d'assemblée, je ne puis que déplorer la manière de procéder adoptée par vous; le résultat a été la perte d'un bill de revenu >^ très productif, et de crédits généreux pour la défense de la province et pour l'amélioration des conditions de la milice. Et je regrette qu'en sacrifiant ces ob- jets désirables vous vous soyiez laissés dominer par des considérations qui vous ont paru plus importantes que la sûreté immédiate du pays et le soulagement de ses défenseurs." Les esprits vraiment politiques dans le parti canadien devaient certainement regretter qu'on eût mis sir George Prévost dans le cas d'adres- ser à l'Assemblée ces reproches.

Cependant ce gouverneur, bien loin de nous être hostile, se portait encore garant de la loyauté cana- dienne, en dépit des embarras que lui créait l'attitude de la Chambre. Dans une lettre au ministre il com- mentait les incidents que nous venons de raconter, la procédure contre les juges, les conflits entre les deux chambres, la perte de mesures financières importantes, il ajoutait: "Toutefois, je n'ai aucune raison de mettre en doute la loyauté de l'Assemblée ni son attachement à la personne et au gouvernement de Sa Majesté."

En réponse à ces informations du gouverneur le secrétaire colonial, lord Bathurst, lui écrivit une lettre indiquant entre autres choses que les chefs d'ac- cusation relatifs à la responsabilité des conseillers exé- cutifs avaient peu de chance d'être admis. Le minis- tre crsait: "Je profite de la première occasion pour déclarer que le gouvernement de Sa Majesté désap- prouve entièrement ces articles qui imputent aux av:s

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de MM. Sewell et Monk les actes de sir James Craig considérés par l'Assemblée comme injustes et illégaux. Le gouvernement ne peut en aucune façon admettre le principe si nouveau et si plein d'inconvénients en vertu duquel un gouverneur de colonie pourrait se débarrasser de sa responsabilité pour des actes faits du- rant son administration, et s'abriter derrière les con- seils de n'importe quelles personnes, quelque respec- tables que soient leur caractère et leurs charges." (1) Lord Bathurst exprimait en même temps les appré- hensions que lui causaient ces procédures extrêmes et ces conflits parlementaires pour la conduite de la guerre et la défense de la province.

Sir George Prévost répondit à cette dépêche par une lettre très importante et que je voudrais pouvoir citer au long. II s'efforçait de rassurer le ministre sur les conséquences de la campagne contre les juges et de la discorde qui en avait résulté. Il rendait té- moignage aux bonnes dispositions de l'Assemblée en- vers le gouvernement et envers ses mesures. Si quel- ques unes de celles-ci avaient échoué c'était plutôt par suite de la mésintelligence entre les deux chambres pour des difficultés de forme et des questions person- nelles. Sir George Prévost exposait ensuite la politique qu'il avait cru devoir suivre depuis son arrivée au Ca- nada. II avait constaté que le parti anglais dans l'as- semblée, vu sa faiblesse, ne pouvait servir d'appui au gouvernement pour l'adoption de la législation jugée

(1) Documents constitutionnels, 1791-1818, p. 470. Nous te- nons à réparer ici une singulière inadvertance- commise par nous dans le deuxième volume de cet ouvrage (p. 46). Contrairement à ce qu'on y lit dans une note, la version française de ces documents a été publiée en 1915.

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nécessaire. Et alors il s'était attaché à gagner le bon vouloir de la majorité canadienne dans l'intérêt du service public. En lui témoignant une juste considé- ration quand l'occasion se présentait, en tenant comp- te de ses intérêts et de ses prétentions, en admettant les Canadiens aux fonctions jusque-là presque entière- ment réservées aux sujets anglais de naissance, en ma- nifestant des égardspour le clergé catholique, et spé- cialement pour son chef, il avait réussi à gagner la confiance du peuple et à obtenir le concours de la Chambre. Les procédures contre les juges étaient dues à un sentiment d'animosité, suite des crises vio- lentes qui avaient marqué l'administration de sir James Craig. Mais on ne devait pas s'en alarmer outr2 mesure. A la Nouvelle-Ecosse le même cas s'était présenté. Les juges avaient été mis en accu- sation. Le Conseil privé avait dirimé le litige et exo- noré les juges. Et tout était rentré dans l'ordre. On pouvait espérer qu'il en serait de même ici.

II y avait cependant dans cette lettre de sir George un passage fâcheux. Le gouverneur y parlait des chefs de l'Assemblée. "Ce sont, disait-il, principalement des avocats qui me paraissent rechercher l'occasion de se distinguer comme les champions du public afin de gagner de la popularité, de se rendre importants aux yeux du gouvernement et de parvenir aux em- plois. Quelques-uns occupent des fonctions conférées par moi. Et j'ai lieu de croire que s'il était nécessaire d'acheter leurs services, tous y seraient disposés." Sir George Prévost pouvait viser ici des hommes comme M. James Stuart et quelques autres, dont la rigidité de principes et le désintéressement étaient peut-être dou- teux. Mais alors il aurait préciser davantage. Nous aimons à croire que ses expressions trahissaient

COURS d'histoire du canada 37

sa pensée et que sa généralisation, offensante si elle était délibérée, était due à un lapsus calami Pour- suivant son examen de la situation, il réitérait l'ex- pression de sa confiance envers la majorité. "J'ai la conviction, écrivait-il, que je ne serai pas désappointé dans mon attente de trouver la majorité désireuse d'ap- puyer toute mesure que je pourrai proposer pour le bien du service public. Je sais qu'une opinion différente prévaut à ce sujet parmi quelques-uns des plus res- pectables officiers du gouvernement de Sa Majesté en ce pays, et qu'ils attribuent aux chefs du parti ca- nadien les motifs les plus criminels et les plus corrom- pus. .. Il est possible qu'il en soit ainsi pour quelques membres de la Chambre, quoique j'en doute beaucoup. Mais quant à la majorité je tiens ce sentiment comme non fondé et j( crois que sa loyauté et son attachement sont à l'épreuve de toute tentative de séduction." Sir Geors^e Prévost terminait ses considérations par un exposé de la politique qu'il croyait la plus opportune et la plus sage, pour empêcher que les conflits entre les deux chambres en vinssent à paralyser la législa- tion, à entraver le service public, et finalement à af- faiblir la lo^^auté et l'attachement du peuple. "Pour prévenir ces maux, disait-il, je ne vois pas de moyens plus efficace que la poursuite de la ligne de conduite '^' conc^iante adoptée par moi enveis les Canadiens, et ' ^^^^^^^ une addition au nombre des conseillers législatifs. En (î) introduisant dans cette chambre des hommes fermes (Xd dif^vx \^ I et modérés, qui, tout en résistant aux entreprises déci- \nod€'\rah dément inconstitutionnelles, sauraient céder opportu- nément aux vœux et aux désirs raisonnables de la chambie basse, la vive animosité qui existe actuelle- ment entre les deux branches de la législature dispa-

38 COURS d'histoire du canada

raitrait dans une laree mesure, et ferait bientôt place à plus de cordialité et de bonne entente." (1)

En somme le programme que sir George Prévost esquissait ici, c'était celui d'une administration gou- vernant avec la majorité et tenant compte de ses vues. Cette politique, souverainement sage et absolument conforme à la pensée des auteurs de la constitution, aurait due être acceptée et suivie par le bureau colo- nial et par tous les gouverneurs du Bas-Canada. Elle eût évité aux hommes d'Etat anglais bien des mécomp- tes et à notre province bien des épreuves.

Dans la première lettre du gouverneur que nous avons citée il y a quelques instants, il annonçait que le juge Sewell avait demandé un congé pour aller se défendre à Londres. II mentionnait aussi la rumeur que, vu le rejet du crédit proposé afin d'envoyer M. Stuart appuyer l'accusation, on prélevait une sous- cription dans le but d'y suppléer.

Cette dernière démarche n'eut probablement pas de suite, car M. Sewell traversa seul en Angleterre. Il n'eut pas là-bas de contradicteur. Le Conseil privé piit connaissance des impeachynents. La question de la responsabilité du juge Sewell pour les actes de Craig fut écartée comme ne pouvant servir de base à une mise en accusation. Quant à celle des règles de pratique, après avoir été soumise aux officiers en loi de la Couronne, elle fut décidée en faveur des juges en chef. Le Conseil privé statua que ces règles étaient dans les limites du pouvoir et de la juridiction des cours de justice d'après les principes légaux, les or- donnances coloniales et les actes de législation. (2)

(1) Documents constitutiojinels, 1791-1818, p. 473. Sir George Prévost à lord Balburst, 4 septembre, 1814. (2) Documents constitutionnels, 1791-181S, p. 476.

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Ce fut au bout d'un an seulement, le 29 juin 1815, que cette décision fut rendue. Et lorsque le ministre des colonies la communiqua au gouverneur du Bas- Canada, ce n'était plus sir George Prévost qui rem- plissait ces fonctions. Après l'échec de l'expédition de Plattsburg, une grave contestation s'était élevée entre lui et sir James Yeo, le commandant des forces navales sur les lacs. Celui-ci avait porté contre sir George des accusations qui mettaient en cause son honneur et sa réputation militaire. Le parti bureau- cratique, mécontent de voir Prévost rompre avec la politique de Craig, s'était empressé de faire écho à ces attaques. Le gouvernement impérial, influencé peut- être par ces clameurs, avait rappelé le général dont la ^Ai, conduite était mise en question. (1) Et sir Gordon '^^ V|UA<. Drummond avait été nommé pour lui succéder. Ce

(1) De retour en Angleterre sir George Prévost demanda la tenue d'une cour martiale afin de défendre son honneur militai- re contre les accusations de sir James Yeo. Pour donner le temps aux témoins résidants au Canada de se rendre à Londres, l'enquête avait été fixée au mois de janvier 1816. Mais dans l'intervalle la santé de notre ex-gouverneur, ébranlée par les fati- gues du service et les anxiétés, déclina rapidement, et il mou- rut le 5 janvier. Sa veuve, lady Prévost, et son frère, ne négli- gèrent rien pour obtenir une enquête devant un comité quelcon- que, afin d'établir que sir George avait fait son devoir. Cette manière de procéder fut considérée impossible. Mais ultérieure- ment le prince régent, dans un document public, rendit homma- ge à la mémoire du défunt, et autorisa sa famille à introduire dans son écusson des additions attestant les services rendus par lui aux Indes et au Canada. Ajoutons que le duc de Wellington manifesta son approbation de la conduite militaire de sir George Prévost, spécialement à Plattsburg, et que le jugement d'un historien comme Alison lui est entièrement favorable. (Morgan, Sketcbes oj celebrated Canadians, p. 171; Christie, History oj Lo- wer Canada, II, p. 247.)

OloboaS

40 COURS d'histoire du canada

fut à ce dernier que Lord Batliurst transmit l'arrêt du nf Conseil prive. II en donna connaissance à la Chambre ^^ au commencement de la session de 1816. Cette déci-

VJimn\C)(\.u sion provoqua dans l'assemblée une vive irritation. Toujours sous l'inspiration de M. James Stuart, elle adopta des résolutions dans lesquelles elle affimait que les mises en accusation des juges en chef lui avaient été dictées par le sentiment de son devoir, qu'elle avait le droit d'être entendue à leur appui, que la résistance du Conseil législatif l'avait empêchée d'être représen- tée à Londres par un agent, qu'elle avait toujours été et qu'elle était encore désireuse d'être entendue, et qu'il importait qu'une humble pétition fût adressée à Son Altesse royale le prince régent, pour en appeler à la justice du gouvernement de Sa Majesté. En d'au- tres termes la Chambre se plaignait de ce que le juge- ment favorable aux juges eût été rendu ex parte. Et sur ce point elle avait raison. Cette attitude avait été prévue, et le gouverneur avait reçu de lord Ba- thurst des instructions précises. Le surlendemain du jour ces résolutions avaient été adoptées, sir Gor- don Drummond se rendait au parlement et prorogeait la session iîislayUer, en annonçant une dissolution im- médiate et des élections générales.

Cinq ans après le départ de Craig nous retom- bions dans une crise politique. La première phase de la campagne de représailles se terminait par un conflit aigu, non plus seulement avec le gouverneur, mais surtout avec le gouvernement Impérial qui avait pris position contre nous. L'absence de Bédard et de Pa- pineau l'ancien se faisait défavorablement sentir. Sous la direction hasardeuse de Stuart nous gaspillions no- tre énergie dans une bataille mal avisée et mal engagée, pas plus que la métropole nous n'avions d'intérêt

COURS d'histoire du canada 41

réel en jeu. Le motif du conflit ne valait pas le mal qu'il causait ni les complications, les inconvénients d'ordre matériel et politique qu'il entraînait.

Heureusement un chef d'exécutif delà bonne école, un homme clairvoyant, équitable et loyal allait venir prendre la direction de l'administration bas-canadienne. , ,

Sir John Coape Sherbrooke, ancien gouverneur de la -^ ' Nouvelle-Ecosse, remplaçait sir Gordon Drummond ^X ^g^p-^ | et entrait en fonctions le 12 septembre 1816.

Nous verrons dans notre prochaine leçon com- ment il sut transformer en une situation satisfaisante une situation périlleuse et troublée.

SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER

Garneau, Histoire du Canada, Montréal, 1882, t. III, liv. XIV, ch.i et II. Robert Christie, History oj tbe late Province oj Lower Canada, Québec, 1848, t. II, ch. xviii et xix, t. VI. Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise, Montréal, 1844, liv. II. Perrault, Abrégé de l'histoire du Canada, Québec, 1833, t. III. Kingsford, History oj Canada, t. VIII. Canada and its Provinces, Toronto 1914, t. III, ch. vu et viii. Henry Morgan, Sketcbes oj Celebrated Canadians, Québec, 1862.- Documents re- latijs à l'bistoire constitutionnelle du Canada, par A. Doughty et Duncan McArthur, (1791-1818), Ottawa, 1915.— Tbe letters oj Veritas, Montréal, 1815. Some account oj tbe public lije oj tbe late Lieutenant General Sir George Prévost, etc., Londres, 1823. Mandements des évêques de Québec, Québec, 1888, t. III. Le Ca- nadien, Québec, 1808. Code de procédure civile, G. Doutre, Montréal, 1867, t. I. rfceCanodiaji /nspector, Montréal, 1815. Journaux de la Cbambre d'Asse7nblée du Bas-Canada, 1812, 1813, 1814. ^Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 119, 121, 126, 127, 128-1.

DEUXIÈME LEÇON

La politique de conciliation. Retour triomphal du juge Sewell. La nouvelle Chambre. Conflits en perspective. Sir John Sherbrooke comprend la situation. ^La politique de coercition lui répugne. Sa correspondance avec lord Ba- thurst. Celui-ci lui donne plus de latitude. Le caractère de sir John Sherbrooke. Ce que devait être à ce moment la mentalité d'un bon gouverneur britannique. La race, le milieu et le moment. Un nouvel ordre de choses. Deux forces en présence. La prérogative royale et le privilège parlementaire. La session de 1817. Motifs d'appréhen- sion.— Les impeacbments des juges Sewell et Monk. Com- ment empêcher la majorité de rouvrir la question. Un in- cident favorable. Les secours accordés aux paroisses en détresse. Le rôle de Mgr Plessis. Des explications. Le juge Foucher mis en accusation. Sir John Sherbrooke es- quive une difficulté. L'affaire traîne en longueur. La question du salaire des orateurs. Un terrain de concilia- tion.— Les absents ont tort. On accorde un traitement à MM. Papineau et Sewell. Evolution de la majorité. Vains efforts de M. James Stuart. Son échec et son irritation. Singulier dénouement. Le succès de sir John Sherbrooke. Paroles sympathiques de M. Papineau. Mgr Plessis au Conseil législatif. M. Papineau au Conseil exécutif. Heureux résultat d'une politique modérée. V

Lorsque sir John Coape Sherbrooke arrivait à Québec, le 12 juillet 1816, le baromètre politique an- nonçait des jours orageux. Notre monde officiel ve- nait de célébrer avec éclat le retour du juge en chef Sewell, justifié par le Conseil privé impérial des accu- sations portées contre lui. On lui avait fait une ré- ception triomphale et il avait débarqué au bruit d'une salve de vingt coups de canon. (1) Cette manifesta-

(1) Lettre du juge Bèdard à J. Neilson, 14 juillet, 1816; Rap- port sur les archives du Canada, 1913, p. 45.

44 COURS d'histoire du canada

tion faisait écrire à M. Pierre Bédard que, sans vou- loir critiquer cette espèce de réparation d'honneur, il craignait qu'elle n'irritât davantage l'esprit de parti et qu'elle ne fût considérée comme humiliante pour l'Assemblée. Celle-ci était allée se retremper dans le vote populaire, après la dissolution que lui avait fait subir sir Gordon Drummond, et elle en était sortie composée à peu près des mêmes éléments. S'il y avait eu modification, c'était plutôt dans le sens de la politi- que de représailles. Le parti dirigé par MM. James Stuart et Louis-Joseph Papineau revenait plus nom- breux, plus acharné et plus irrité que jamais. Et tout faisait prévoir à courte échéance de nouveaux conflits. Sir John Sherbrooke, dès son arrivée, se rendit compte de la situation et s'empressa d'exposer au ministre les considérations qu'elle lui suggérait. Ayant pris com- munication de la lettre dans laquelle lord Bathurst avait enjoint à sir Gordon Drummond de dissoudre la législature au cas la Chambre persisterait à agiter la question des impeachrnents, (1) il s'était demandé si ces instructions ne devaient pas être à un moment donné la règle de sa propre conduite. Ceci l'enga- geait à signaler les inconvénients qui pouvaient sur- gir si l'on restreignait la discrétion d'un gouverneur dans ces délicates et difficiles circonstances, de si fré- quente occurrence, il s'agit de diriger une assemblée populaire. Laissé à lui-même, en s'appliquant à dis- cerner les vues et les caractères des parties en cause, ce fonctionnaire pourrait peut-être trouver moyen de faire marcher l'administration sans recourir aux me- sures extrêmes. Le gouverneur informait ensuite le ministre du résultat produit par la récente dissolution.

(1) Documents constitutionnels, (1791-1818), p. 476.

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La chambre nouvelle était plus hostile que la précé- dente, des députés modérés avaient été remplacés par des députés irréconciliables. Sir John Sherbrooke écri- vait cette phrase significative: "Je ne puis éviter de soumettre à Votre Seigneurie mon humble opinion que dans ce pays, la salutaire influence du gouver- nement ne peut se faire sentir comme en Angleterre, le moyen énergique de la dissolution doit presque tou- jours produire plus de mal que de bien." (1)

Le ministre des colonies s'était préoccupé d'avan- ce du résultat possible de l'attitude qu'il avait dictée à ?ir Gordon Drummond. Et coup sur coup, le 31 mai et le 7 juin 1816, il avait écrit au nouveau gouverneur deux lettres que celui-ci n'avait pas encore reçues lors- qu'il communiquait au ministre ses doutes quant à la dissolution. Dans la première loid Bathurst mani- festait l'appréhension que la Chambre récemment élue fût animée des mêmes dispositions que l'ancienne, et il envisageait l'éventualité de sa répugnance à voter les lois fiscales nécessaires au service public. En pré- vision d'une telle attitude, il importait de déterminer aussi exactement que possible le chiffre du revenu placé à la disposition de la Couronne, indépendamment des bills votés d'année en année par la législature, et de retenir pour le gouvernement tous les fonds prove- nant, soit de cette source, soit de toute autre sur la- quelle l'administration pouvait actuellement compter. II précisait ainsi sa pensée: "Si la conduite de la nou- velle Assemblée correspond à celle de la précédente, ré- cemment dissoute, vous verrez évidemment la néces- sité de ne pas défrayer à même les fonds dont peut dis- poser la Couronne aucune dépense à laquelle la légis-

(1) Documents constitutionnels, (1791-1818), p. 494.

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lature a jusqu'ici pourvu hai^itucllcmcnt au moyen de subsides annuels. Et il incombera au gouverne- ment de Sa Majesté de décider, après avoir fait une revue de toutes les charges actuelles de la colonie com- parées avec ses lessources fiscales, jusqu'à quel point les dépenses auxquelles on pourvoyait annuellement pourront être soldées à même les revenus permanents de la Couronne". (1) Ce passage indiquait déjà les prédispositions du bureau colonial relativement à la question des finances.

Dans sa seconde lettre, lord Bathurst, par une sorte d'intuition des perplexités que devait éprouver le successeur de sir Gordon Drummond, lui donnait des directions assez larges relativement à la dissolu- tion. Il lui disait en substance: "Quand vous verrez quelqu'autre moyen de résister aux empiétements de l'assemblée, vous éviterez de recourir à cette mesure extrême. Jusqu'ici le gouvernement a pu compter sur la fermeté du Conseil législatif, et il y a lieu de croire que ce corps continuera à réagir contre l'attitude inconsidérée et violente de la Chambre. Il sera donc désirable que vous vous serviez de son assistance pour faire contre-poids à l'assemblée, plutôt que de mettre votre autorité et celle du gouvernement de Sa Majesté en conflit direct avec elle, lui donnant ainsi un pré- texte de refuser les subsides nécessaires au service." (2) Evidemment les préoccupations financières commen- çaient à occuper une large place dans l'esprit du se- crétaire colonial.

Dans une troisième lettre, datée du 30 septembre

(1) Documents constitutionnels (1791-1818), p. 492; Bathurst à Sherbrooke, 31 mai 1814.

(2)— Documents constitutionnels (1791-1818), p. 493.

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1816, il revenait à la charge. Cette fois il avait reçu la dépêche dans laquelle Sir John Sherbrooke lui avait manifesté son peu d'inclination pour la politique de dissolution. Et il lui donnait les explications suivan- tes: "La raison de nos instructions à sir Gordon Drum- mond", (dans laquelle il lui enjoignait de dissoudre la Chambre si elle persistait dans sa campagne contre les juges), "était l'information, reçue de personnes bien au courant des conditions de la province que le revenu permanent pourrait défrayer, en temps de paix, les dé- penses nécessaiies du gouvernement civil sans l'assis- tance de la législature. Conséquemment on pourrait se dispenser de tenir l'Assemblée en session si elle se montrait disposée à revenir sur les questions qui ont déjà été considérées et décidées par Son Altesse Ro- yale le prince Régent en conseil. Toute cette politi- que de prorogations et de dissolutions répétées tourne sur ce point. Car je crois comme vous que, dans les circonstances présentes, on peut difficilement attendre d'une élection générale une amélioration dans la com- position de l'Assemblée. Ainsi donc si vous étiez d'avis que la session de la chambre ne saurait être re- mise ou que vous possédiez le mojen d'enrayer les effets de sa violence intempérante, vous pourriez vous con- sidérer absolument libre d'exercer votre discrétion dans l'exercice du pouvoir de prorogation ou de disso- lution." (1)

Ecartant toutes les périphrases, si l'on allait au fond de la pensée .du ministre telle qu'il la laissait en- trevoir dans ces lettres, on constatait chez lui une forte tendance à traiter l'assemblée comme quantité négHgeable, pourvu que les revenus mis d'avance à la

(1) Documents constitutionnels (1791-1818), p. 495. 4

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disposition de la Couronne par des lois permanentes fussent suffisants pour solder les dépenses du gouver- nement civil. Dans ce système, la Chambre persistant à s'occuper de questions désagréables au gouvernement impérial, on eût à répétition dissout ou prorogé la Lé- gislature, en recourant toutefois plutôt à la proroga- tion qu'à la dissolution. C'eût été rendre complè- tement illusoire le régime parlementaire que William Pitt nous avait accordé en 1791.

Sir John Sherbrooke était trop clairvoyant pour ne pas comprendre qu'une telle politique était impratica- ble dans les conditions se trouvait le Bas-Canada. Elle ne pouvait avoir pour lésultat que de créer un conflit systématique et permanent entre la chambre populaire et la métropole, ce qui entraînerait de très graves conséquences. Le gouverneur se disait avec assez de raison que la cause immédiate des difficultés présentes n'était après tout qu'une question personnelle. II fallait lechercher l'origine de cette crise dans l'hostilité violente de la Chambre envers le juge en chef. Laissé à lui-même sir John Sherbrooke eût vraisemblablement essayé de la dénouer en faisant agréer à M. Scwell une retraite honorable. Dans une longue et importante lettre datée du 10 octobre 1816, il faisait au ministre un exposé très lucide de la situa- tion. II lui représentait combien le juge Sewell était impopulaire auprès de toutes les classes de la popula- tion canadienne, et dans toutes les parties de la pro- vince. Quel qu'en fût le motif, le fait était indéniable. Le triomphe apparent du haut magistrat n'avait fait qu'accroître ce sentiment. Il était partagé à un très haut degré par le clergé catholique lui-même, qui avait eu beaucoup à se plaindre des opinions et des théories de M. Scwell lorsque celui-ci était procureur général.

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Le gouverneur exprimait l'avis que, si l'on eût jugé op- portun d'entendre les deux parties dans l'affaire de rimpeachment, on aurait pu espérer un dénouement pacifique, même avec un jugement défavorable aux prétentions de la Chambre, celle-ci ne pouvant alors se plaindre qu'on eût rendu contre elle une décision ex parte. Après la victoire du juge devant le Conseil privé, sir John Sherbrooke insinuait qu'il eût été ha- bile d'induire M, Sewell à demander sa retraite. Ce- pendant, puisque le ministre avait décidé de mainte- nir le juge en chef, le gouverneur déclarait qu'il se ren- drait aux désirs du gouvernement impérial en appu- yant le magistrat dénoncé à la fois par la chaire et le barreau, au risque de compromettre son influence au- près du clergé, l'harmonie de la province et le dévelop- pement de ses intérêts. Il mettrait tous ses soins à établir la bonne entente entre lui et l'évêque catho- lique, à qui il avait déjà donné des preuves de ses bon- nes dispositions. Ce serait cependant tromper le mi- nistre que de lui faire espérer un changement de senti- ments dans le clergé et le peuple en ce qui concernait le juge en chef. La discussion n'avait pu les persuader, la coercition ne pourrait qu'enraciner plus profondé- ment leur antipathie. Dans l'opinion des hommes modérés et bien informé, son aurait beau entasser pro- rogation sur prorogation et dissolution sur dissolution, il y aurait plutôt une révolution dans le pays qu'une modification de la mentalité canadienne à l'égard du magistrat détesté.

Après avoir ainsi exposé la situation, sir John Sherbrooke passait aux moyens que l'on suggérait pour remédier au mal. II mentionnait la nomination d'un agent de la province en Angleterre longtemps désirée, mais empêchée par l'opposition du Conseil

l:

50 COURS d'histoire du canada

législatif, le juge en chef exerçait une grande influence. La plupart des colonies étaient représentées dans la métropole. Si un tel agent eût été nommé, l'As- ' semblée aurait pu soutenir devant le Conseil privé sa mise en accusation. Un autre moj'en serait de dé- ^ tacher M. Stuart, le principal instigateur des impeacb-

ûom ments, du parti avec lequel il s'était ligué, et qui sans

lui_perdrait_ vraisemblablement de sa vigueur. On y ^ jtxXJtU parviendrait peut-être par l'appât de l'intérêt person- nel. Mais, suivant l'observation d'un mémorialiste contemporain, c'était une manœuvre bien délicate. Et nous verrons qu'en fin de compte on recourut à une autre tactique, plus propre à atteindre le but désiré.

Cette dépêche du gouverneur (1) mettait en lu- mière son intelligence de la situation et sa juste appré- ciation des caractères et des circonstances. Elle dé- notait chez lui un grand sens gouvernemental. Sous une forme respectueuse, sir John Sherbrooke témoi- gnait au ministre sa répugnance pour la politique de prorogation et de dissolution, et sa préférence pour ^^ une judicieuse politique de conciliation, qui permet-

)yQaa^(or> trait de faire fonctionner normalement l'administra-

tion de la province. Cet officier général, formé dans ,>iiOn [gg camps il avait servi avec une grande distinction

"'^''" . sous Wellington, aux Indes d'abord puis dans la Pé-

^ ninsule (2), avait compris qu'il importait de ne pas

transplanter dans la vie civile la rigueur inflexible de la discipline militaire. Naturellement violent, il put cependant jouer ici un rôle de pacificateur. Nous esti- mons qu'il mérite d'être rangé parmi ceux de nos gou-

(1) Archives du Canada, Q. 137, p. 185.

(2) Memoirs oj Sir John Coape Sherbrooke, Lije and Letters of Viscount Sherbrooke, par A. Patchctt Martin, t. II, p. 539.

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verneurs qui ont le mieux compris la nature de la mis- sion qu'ils devaient remplir comme représentants de la Couronne dans le Bas-Canada.

II n'est peut-être pas hors de propos d'étudier ici brièvement ce que pouvait être la mentalité d'un gou- verneur britannique, placé à la tête de notre adminis- tration coloniale durant cette période de notre histoire. Nous ne parlons pas d'un Craig, nous entendons un gouverneur impartial, clairvoyant et bienveillant. Si vous le voulez bien nous allons faire ensemble un rapi- de inventaire des idées, des prédispositions, des senti- ments qui devaient influer sur ses actes. Disons-nous tout d'abord qu'il eût été anormal de rencontrer chez lui une conception identique à la nôtre relativement aux relations du Canada avec la métropole, des Ca- nadiens avec le pouvoir britannique. II ne pouvait penser, il ne pouvait sentir, il ne pouvait juger exac- tement comme s'il fût sur les rives du Saint- Lau- rent. Anglais, il ne pouvait envisager comme un Ca- nadien les événements et les situations ? Fonctionnaire impérial, il ne pouvait avoir sur le gouvernement de la province les mêmes vues qu'un membre d'une as- semblée coloniale. Relativement à la question de race, on devait s'attendre à ce qu'il fût animé d'un dou- ble sentiment. Fier de sa nationalité anglo-saxonne, des traditions et des institutions sur lesquelles étaient assises la force et la grandeur de son pays, comment n'aurait-il pas en lui-même estimé désirable que les Ca- nadiens finissent par s'assimiler à la langue et aux idées anglaises, et regrettable qu'ils demeurassent réfrac- taires à cette assimilation. Cependant ce désir et ce regret n'irait pas jusqu'à vouloir les angliciser mai- gré eux. Non, puisqu'ils restaient opiniâtrement at- tachés à leur langue, à leur église, à leurs coutumes, il

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serait injuste et impolitique de les violenter. Il fau- drait donc accepter le fait canadien, avec l'espoir plus ou moins incertain que le temps et les circonstances amènerait l'évolution souhaitée. En attendant il im- porterait d'assurer le fonctionnement régulier de l'ad- ministration bas-canadienne. Et, dans ce but, on h^^ s'appliquerait à traiter l'élément qui composait l'im-

' ji ,^,1.^ mense majorité de la population de manière à gagner son concours. Un manitestcrait le plus grand respect pour la religion et le clergé catholiques. Les Canadiens seraient appelés à participer au gouvernement et on leur ouvrirait les fonctions publiques. Mais cette po- litique d'équité ne pourrait aller jusqu'à supprimer ou affaiblir la prérogative de la Couronne. Cette préro- gative, graduellement entamée dans la métropole par les progrès toujours constants du contrôle et de la puissance parlementaires, demeurait un dogme intan- gible quand il s'agissait des coloniesj Là-bas, sous la Régence, durant la longue éclipse intellectuelle du mo- narque qui avait été si jaloux de son autorité, on com- mençait à dire: "Le roi règne et ne gouverne pas. "Mais les ministres britanniques persistaient à croire qu'il était de saine politique de ne pas étendre aux colonies le principe du self government. A leurs yeux le parle- mentarisme n'était pas un article d'exportation. Ici donc, conformément à cette doctrine, le gouverneur gouvernerait. Seulement, lorsqu'il s'appellerait Prévost ou Sherbrooke, il tiendrait compte des vœux de la ma- jorité et s'efforcerait de lui donner des satisfactions rai- sonnables, propres à faire obtenir la législation requise pour l'efficacité de l'administration. Il résulterait de toutcela une situation spéciale. Ce ne serait pas le gou- vernement constitutionnel dans toute sa plénitude, ce serait un moyen terme. Ce ne serait pas le gouverne-

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ment de la majorité, ce serait le gouvernement de la Couronne, dont le représentant, par la loyauté et la sin- cérité de son attitude, obtiendrait le concours de la ma- jorité.

Telles devaient être à ce moment les vues, les idées directrices d'un gouverneur colonial, j'entends d'un bon gouverneur. Espérer, attendre de lui davantage eût été une chimère, et rien de plus dangereux que les chimères en politique. Pour bien comprendre et pour justement apprécier les hommes, l'historien doit avant toute chose ne pas les dissocier de l'épo- que et des circonstances de leur évolution. La théorie deTaine sur la race, le milieu et le moment, qu'il déve- loppa dans une introduction célèbre, excessive et fausse SI on l'érigé en une règle scientifique absolue, a sa va- leur indéniable en histoire comme moyen d'analyse et de critique. C'est en tenant compte de ces éléments qu'on peut arriver à une intelligence plus exacte des événements et des personnages. Ils nous aident à dis- cerner ce qui était possible à tel moment, et ce qui, par contre, était non praticable. Ils nous expliquent pourquoi, par exemple, ni Dorchester, ni Prévost, ni Sherbrooke n'auraient pu dire à la majorité canadienne, envers laquelle ils voulaient cependant être équitables: "Nous allons vous donner la prépondérance absolue dans les conseils exécutifs et législatifs, et nous ne fe- rons rien que d'après vos avis et vos idées." Cela eût constitué un anachronisme. C'eût été le régime qui ne devait triompher qu'après 1841. Ce ne pouvait être le régime de 1818. L'heure du gouvernement respon- sable n'avait pas encore sonné.

Cependant la constitution de 1791 et le dévelop- pement de notre vie politique nous acheminaient len- tement vers ce nouvel ordre de chose. A l'époque

54 COURS d'histoire du canada

que nous étudions, et depuis les crises provoquées par les violences maladroites de sir James Craig, les deux forces rivales étaient en présence. Et chacune était respectivement dans son rôle naturel. Il était naturel que l'Assemblée s'efforçât d'étendre sa juridiction et son pouvoir. II était naturel que les gouverneurs fissent en sorte de maintenir la prérogative de la Cou- ronne et d'empcchcr qu'elle ne fût supplantée totale- ment par l'autorité de la Chambre. Pour que nos ins- titutions pussent fonctionner efficacement, pendant cette période d'un régime que je serais tenté d'appeler semi-constitutionnel, il fallait donc de part et d'autre de la sagesse et de la modération. Demander à nos gouverneurs l'abandon de la prérogative eût été pré- maturé. Mais oïL avait droit d'attendre d'eux l'im- M partialité, l'équité, la largeur d'esprit, le respect des

droits, des convictions, des revendications légitimes de la majorité. Malheureusement le sens politique man- qua souvent aux gouverneurs, et fit parfois défaut à la majorité. Nous verrons la prérogative de la Couronne et la juridiction parlementaire se heurter de plus ^ en plus. Au lieu de coopération il y aura mésintelli- gence, jusqu'à ce que le conflit devenu chronique abou- tisse à une catastrophe finale, qui nous apportera, par un contre-coup étrange, la réalité du gouvernement parlementairejMais lorsqu'il eût été possible d'y at- teindre au moyen d'une évolution pacifique, nous y devions parvenir par la voie des crises et des épreuves douloureuses.

Cette heureuse évolution se fût assurément ac- complie si nous eussions toujours eu des gouverneurs >/ comme sir John Sherbrooke. Son administration ne dura que deux ans, et elle démontra quelle entente favo- rable au bien public pouvait s'établir entre un chef

COURS d'histoire du canada 55

(f exécutif impartial et la Chambre bas-canadienne.] Nous allons étudier son action dans les quatre questions ' principales dont il eut à s'occuper: celle des accusations i5si;Çs contre les juges en chef; celle de la mise en accusation t)\

du juge Foucher, source de nouvelles complications; '^

celle du status de l'évêque catholique; enfin celle des subsides, destinée à engendrer tant de débats et de | conflits. ^

Le tempérament de la Chambre élue en mars 1816 | ne faisait augurer rien de bon pour la session qui de- vait s'ouvrir au commencement de 1817. Il était évident que la majorité de l'Assemblée, dirigée par l'impétueux et vindicatif James Stuart, allait remettre en question l'acquittement ex parte des juges Sewell et Monk. Après la décision du Conseil privé, tribu- nal suprême de l'empire, le ministère britannique ne voulait pas admettre que l'assemblée eût le droit de revenir à la charge. Ceci rendait la situation du gou- verneur extrêmement embarrassante. Si la Chambre persistait à s'occuper des impeachments, il ne pouvait consentir à lui servir d'intermédiaire auprès du gou- vernement impérial, sous peine d'être censuré par ce- lui-ci. II lui fallait donc se mettre en conflit avec la députation. D'autre part le recours aux prorogations ou aux dissolutions réitérées lui répugnait, parce que leur résultat inévitable devait être de paralyser la lé- gislation et d'entraver le progrès de la province. La seule issue satisfaisante était d'empêcher l'Assemblée de rouvrir la question. Mais comment y parvenir? Sir John Siierbrooke, conscient de la difficulté et con- vaincu que la manière forte n'aboutirait qu'à un échec, résolut de demander à la conciliation ce que la coerci- tion n'aurait su obtenir.

Une circonstance particulière lui avait heureuse-

^w-|)e/Kk'^

J

56 COURS d'histoire du canada

ment préparé les voies. Quelques semaines après son arrivée dans la province plusieurs districts s'étaient trouvés menacés de disette par suite de gelées hâtives. Le gouverneur se mit en rapport avec Mgr Plessis, qui adressa une circulaire à ses curés pour obtenir des in- formations concernant l'étendue des dommages et les besoins les plus urgents des populations éprou\ées. Puis, sans perdre un instant, il organisa des envois de (j^„Ô, vivres et de grains pour les semailles futures dans

rtddf W toutes les régions la famine était imminente. (1)

Cette promptitude d'action bienfaisante lui valut la gratitude du peuple et du clergé. Ses relations avec [J] l'évêque de Québec devinrent bientôt excellentes. Il ^yjv en profita pour exposer loyalement à celui-ci ses dis-

positions et son désir d'amener une détente dans la si- tuation politique. Et il réclama son concours pour cette œuvre d'apaisement. Cet appel s'adressait à un hom- me dont la bonne volonté ne pouvait être douteuse. Mgr Plessis considérait comme un malheur la mésin- telligence entre les pouvoirs publics et nos chefs parle- mentaires. En présence de proconsuls césariens com- me sir James Craig, il pouvait se dresser dans toute la force de son caractère et de sa mission pour protéger les droits de son église et de son peuple, et prononcer avec une énergie indomptable le ?îon possumus de la conscience et du droit. Mais lorsque l'autorité civile, renonçant à l'arbitraire, se montrait équitable et loya- le, il croyait accomplir un devoir en facilitant au- tant qu'il le pouvait le retour de la concorde. Con- vaincu que le gouverneur était animé d'intentions

(1) Sherbrooke à Batburst, 22 novembre ISlô; Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 137, p. 30.3; Mandements des évêques de Qué- bec, t. III, p. 138.

COURS d'histoire du canada 57

droites, il n'hésita pas à exercer son influence auprès des membres les plus importants de la députation, pour les prémunir contre le danger des décisions trop promptes et des résolutions trop intransigeantes. (1)

Malheureusement dès le début de la session qui 1 s'ouvrit le 15 janvier 1817, la situation se comphqua d'une nouvelle mise en accusation, dirigée cette fois contre un juge puîné de la cour du banc du roi de Montréal, monsieur le juge Foucher. Le 25 janvier, Puodier M. Cuvillier, député de Huntingdon, traduisit devant la Chambre ce magistrat, coupable, suivant lui, de plu- sieurs actes contraires à ses devoirs et attentatoires à la dignité judiciaire. II est bon d'observer que les faits allégués n'avaient aucun rapport avec la politi- que et concernaient uniquement la conduite du juge envers des avocats et des parties dans des causes plai- dées devant lui. (2) Une enquête fut ordonnée, le comité spécial nommé à cette fin présenta un rapport pi^^^I'W hostile au juge, et la Chambre, s'appuyant sur ces pro- ' cédures, adopta une adresse au prince Régent dans la- quelle on demandait la destitution du magistrat incri- miné. En même temps qu'elle présentait cette adresse au gouverneur pour qu'il la transmit à Son Altesse Ro- ^iQjXçJiyeiiS yale, elle le priait de suspendre de ses fonctions le juge VoG»oO Foucher, en attendant la décision des autorités impé- X'y.p, riales. Cet' incident ajoutait aux embarras du chef de l'exécutif. Désirant obtenir de l'Assemblée l'aban- don ou l'ajournement indéfini des procédures contre les juges en chef, il ne voulait pas heurter de front la

(1) Sherbrooke à Batburst, 1er février 1817; Archives du Ca- nada : Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 134, p. 126.

(2)— Papiers d'Etat du Bas-Canada. Q. 143, p. 292.

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58 COURS d'histoire du canada

majorité. D'autre part il lui répugnait de prendre une décision préjudicielle en suspendant par un acte Kcr Kon exécutif le juge mis en accusation. II résolut de faire prA Vp r une démarche équivalente, mais moins grave. II de-

manda au juge de ne pas siéger tant que la question serait en suspens. Et il annonça qu'il soumettait au prince régent les articles d'impeachment. Pour le mo- **^^'^ ment l'incident était clos. Anticipant quelque peu

' "^ sur les dates, disons immédiatement quelle en fut l'issue.

Le bureau colonial, après avoir considéré le cas, prit une attitude nouvelle. II décida que dorénavant les mises en accusation décrétées par l'Assemblée seraient déférées au Conseil législatif, qui agirait ainsi comme une sorte de haute cour. Durant l'instance il ne pou- vait y avoir d'objection à ce que l'accusé fut suspendu de ses fonctions, eu égard au fait que la cause instruite au Canada n'entraînerait pas de longs délais. Cette décision constituait une innovation dans notre régime. ' ^ ,- Le Conseil législatif se trouvait investi d'une fonction

or qui n'avait pas été prévue par les auteurs de la cons-

fjfrrs, ht/ titution. Quelle serait la procédure à suivre ? Pour ^ donner effet à la dépêche du ministre des colonies,

faudrait-il faire voter une loi par la législature ? Se- rait-il nécessaire d'émettre une commission sous le grand sceau de la Couronne afin de donner aux mem- bres du Conseil législatif le pouvoir judiciaire ? Ou bien devait-on considérer la dépêche ministérielle ''comme investissant directement le Conseil de la juri- diction nécessaire ? La question donna lieu à des opinions divergentes de la part des ofTicicrs en loi de la Couronne dans la province, ainsi que des juges de Montréal et de Québec. Finalement sir John Sher- brooke fit au ministre des représentations relatives au danger qu'il y avait de laisser ces accusations contre

tO'irO'

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les juges en proie à l'esprit de parti, tant clans l'Assem- blée que dans le Conseil. Et il concluait en recom- mandant que, "dans tout cas d'impeachment par la Chambre, le gouverneur reçût instruction de transmet- trêves accusations, avant de les soumettre au Conseil législatif, au gouvernement de Sa Majesté, afin que celui-ci décidât s'il était opportun de permettre l'ins- truction^ de la cause devant ce corps." Ceci amena le ministre à modifier sa décision. Et il informa le gou- verneur que la procédure dans le cas du juge Foucher devrait être la suivante. La Chambre adresserait au représentant de la Couronne toute sa preuve documen taire à l'appui des accusations. Copie de ces accusa tions et de cette preuve seraient communiquée à ce juge afin qu'il pût offrir une réponse et une défense, lesquelles seraient transmises à l'Assemblée de ma- nière à ce qu'elle pût y répliquer. Et le tout serait déféré au prince régent pour détermination ultérieure. Mais cet échange de vues, ces opinions légales, ce va- et-vient de dépêches occupèrent près de deux ans. Quand cette dernière décision du bureau colonial fut commu- niquée à la Chambre durant la session de 1919, l'animo- sité contre le juge Foucher semblait s'être apaisée. L'Assemblée n'adopta aucune procédure. Et en fin de compte le juge reprit ses fonctions judiciaires sans entendre parler davantage de sa mise en accusation. (1) Sa suspension, que je serais tenté d'appeler offi- cieuse, et le message par lequel sir John Sherbrooke annonçait la transmission de l'acte d'accusation en

1 \jd 0^

(1)— Christie, t. II, pp. 296, 301; t. VI, pp. 3.44-366; Papiers d'Etat du Bas-Canada,Q. 143. p. 295; 147 pp. 16-69; 148-1, pp. 148- 157; 148-2, pp. 410; 152-1,-2, pp. 156-163; Documents constitu- tionnels (1791-1818), pp. 507-540.

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60 COURS d'histoire du canada

Angleterre, à la session de 1817, avaient temporaire- ment débarrassé le gouverneur de cette complication. Et c'était essentiel. Ce sursis lui laissait le champ libre pour chercher une solution pacifique à l'autre affaire, beaucoup plus grave, celle des juges Sewell et Monk.

I Dès la seconde semaine de la session, M. James

Stuart l'avait ramenée devant la Chambre. Il avait fait voter une résolution décrétant que l'Assemblée „.>.^^| siégerait en comité général le 22 février, pour prendre

en considération la question des impeachments contre les juges en chef de Québec et de Montréal. Cepen- dant les influences conciliatrices semblaient déjà se faire sentir, car il avait échoué dans deux motions an- térieures dont l'objet était identique. Malgré ces in- dices d'hésitation de la part de la Chambre, le gouver- neur redoutait toutefois de ne pouvoir parvenir à écarter le conflit. Mais à ce moment deux circons- tances vinrent à son aide. M. Stuart fut appelé par des affaires urgentes à Montréal. Et la Chambre adressa au gouverneur une pétition qui lui ouvrit une perspective dont il s'empressa de prohter. _ A la session de 1814, M. Jean-Antoine Panet, ora-

teur de l'assemblée depuis 1792, sauf une interruption e\ de deux ans, ayant été nommé conseiller législatif, le

Ifc^ fauteuil présidentiel était devenu vacant, et M.Louis-

i^yCi^lor Joseph Papineau avait été élu pour le remplacer. Jus-

que-là l'orateur n'avait pas de salaire. Considérant que ceci était une anomalie, les amis de M. Papineau firent adopter un bill décrétant que le président de la Chambre recevrait quatre mille piastres annuellement durant le parlement en cours. Cette loi, réservée pour la sanction royale, fut sanctionnée après un assez long retard. Mais juste à ce moment intervint la dissolu-

COURS d'histoire du canada 61

tion soudaine de 1816. Une nouvelle législature en- trait en existence et tout était à recommencer. Le 11 mars 1817, la Chambre adopta donc une adresse de- mandant au gouverneur de vouloir bien accorder à son président, à même les fonds de la province, un salaire proportionné aux devoirs importants et ardus de sa charge Or, deux ans auparavant, le Conseil législatif avait lui aussi soumis au gouverneur du temps une de- mande analogue pour son président. Evidemment, si l'on donnait un salaire à l'un des orateurs il était dif- ficile de le refuser à l'autre. Sir John Sherbrooke, dans sa réponse à la Chambre, rappela cette démarche an- térieure du Conseil et se déclara prêt à accorder une juste et convenable rémunération au président de l'As- semblée, pourvu qu'il fût assuré qu'on ratifierait une rémunération semblable au président du Conseil. II ne faut pas l'oublier, ce président du Conseil était pré- cisément le juge Se\vell. Lui voter un salaire addi- tionnel c'était se mettre dans une singulière situation si l'on voulait pousser à fond les accusations contre lui. Mais les amis de M. Papineau tenaient énormé- ment à lui assurer le traitement auquel il avait droit '^^V Ils entraînèrent l'adhésion de la majorité, et le 14 mars la Chambre iiemine contrùdicente, assurait le gou- , .

verneur "qu'en faisant bon pour les sommes que Son . Excellence ferait débourser pour le paiement du sa- laire de l'orateur de l'Assemblée, elle ferait aussi bon J- Se-vjç, pour les sommes que Son Excellence ferait débourser pour le paiement du salaire de l'orateur du Conseil législatif." (1) Immédiatement Sir John Sherbrooke informait l'Assemblée qu'en conséquence de ses adresses,

(1) Journal de la Chambre d'assemblée du Bas-Canada, 1817, p. 807.

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62 COURS d'histoire du canada

il attribuait à chacun des orateurs un salaire an- nuel de mille louis courant, ou quatre mille piastres par année, à dater du commencement de ce parlement. Ce résultat comblait les voeux du gouverneur qui dé- sormais pourrait compter sur le bon vouloir de la Chambre et attendre de pied ferme la rent*fée de M. Stuart.

Celui-ci avait pu constater, à son retour de Mont- réal, la vérité du proverbe: "Les absents ont tort". En apprenant ce qui s'était passé, il avait se dire que la majorité échappait à son emprise. Mais il était opiniâtre et intrépide et il monta quand même à l'assaut. Le 22 mars il proposait sa motion pour que la Chambre prit en considération la question des impeacbments. Le débat fut long, mouvementé et dramatique. M. Stuart y déploya toutes les ressour- ces de son éloquence et de sa dialectique. "Jamais cause ne fut soutenue avec plus de puissance ni avec un plus brillant déploiement de talent oratoire", écrit un contemporain. Mais cet effort suprême était voué d'avance à la défaite. L'atmosphère de la Chambre était changée. A l'issue d'un des débats les plus mémorables de cette époque, qui se prolongea jusqu'aux heures matinales, la motion de M. Stuart fut rejetée, et par 22 voix contre 10 on adopta un ^^ I amendement de M. Ogden décrétant que la prise en

considération des impeacbments serait remise à la pro- chaine session. C'était ce que nous appelons de nos jours le six monlhs hoist, ou, en termes moins parlemen- taires, l'enterrement de première classe. Humilié de sa défaite et furieux de n'avoir pas été suivi jusqu'au bout par la majorité, dont, pendant deux ans, il avait paru être le leader, M. James Stuart s'en retourna à Montréal le lendemain du vote qui marquait l'avorte-

COURS d'histoire du canada 63

ment de sa campagne. (1) Et il ne devait reparaître'^ à la Ch^rm^fe que bien des années plus tard, et dans un rôle très différent, celui de champion de l'administra- tion et d'adversaire acharné du parti populaire. Tem- pora mutantur et nos mutamur in illis.

Il n'est pas indifférent de noter que, dans le dé- bat final, M. Stuart avait raison quant à la question de forme. Son argumentation était sans réplique lorsqu'il reprochait au ministère d'avoir fait rendre en faveur des juges une décision ex parte. Comme l'avait fait observer sir John Sherbrooke, on devait regretter que les accusateurs n'eussent pas eu l'occasion d'être entendus devant le Conseil privé. Il en allait autre- ment quant au fond de la question, quant au mérite et à l'opportunité des mises en accusation. Le fou- gueux dénonciateur ne pouvait appuyer ses attaques

(1) Christie, t. II, p. 290; Journal de la Chambre d^Assem- blée du Bas-Canada, 1817, pp. 905-907; Pierre de Salles Later- rière, A Political Account oj Lower Canada, p. 59. Le nom de l'auteur ne figure pas sur ce livre, il est signé: A Canadian. On y trouve une page curieuse sur l'incident politique raconté plus haut. "L'orateur de la Chambre basse, écrit M. Laterrière, en soutenant les accusations des Communes (c'est-à-dire de hi Chambre d'Assemblée) contre l'orateur du Conseil législatif, ris- quait de perdre un salaire de 1,000 louis, par année, que la Cham- bre lui avait voté et que le gouverneur était disposé à sanction- ner pourvu que la même somme fût votée à l'orateur du Conseil. La Chambre ne pouvait refuser de voter ce dernier salaire, à moins que son orateur, sacrifiant son propre intérêt, ne l'enga- geât à maintenir fermement sa détermination qu'elle avait prise dans une question son honneur et le bien public étaient en jeu. Malheureusement l'orateur, M. Papineau,. adopta une vue différente. II fit entendre à la Chambre qu'après la décision du Conseil privé en Angleterre il était dangereux de pousser plus loin l'affaire, que la persistance dans V impeacbment provo- querait une dissolution, et que dans la situation critique de

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64 COURS d'histoike du canada

que sur des motifs futiles, en ce qui concernait les rè- gles de pratique, ou sur des griefs politiques réels, mais d'une telle nature qu'il était impossible pour le gou- vernement britannique de les reconnaître comme de valables raisons cVimpeachrnent.

Cette campagne mal engagée se terminait, il faut bien l'admettre, de façon peu brillante. Résultat inattendu et singulier, le principal personnage visé par l'accusation en sortait avec un accroissement de fortune et de prestige. Malgré tout, mieux valait ce dénouement sans gloire que la prolongation d'une crise dont l'objet ne justifiait pas les risques. En somme la diplomatie de sir John Sherbrooke avait rendu service à la majorité, en la dégageant d'un con- flit malencontreux l'avait poussée un meneur vin- dicatif, qui exploitait ses légitimes rancœurs.

Le gouverneur pouvait se féliciter du résultat de ses efTorts pacificateurs. La session de 1817, ouverte

l'Assemblée vis à vis du Conseil législatif, il serait sage d'ajour- ner la question à une autre session. L'événement devait prou- ver que ceci n'était qu'un subterfuge au moyen duquel la Cham- bre échapperait à toute discussion ultérieure de ce sujet. II est juste d'observer, cependant que, sauf cette exception, toute la conduite de l'orateur, dans sa longue carrière politique, a é^té sans reproche et de nature à lui mériter l'approbation et la con- fiance de ses compatriotes". M. Laterrière ajoute que le gou- verneur dut en outre, dans cette affaire, mettre en œuvre toutes les ressources du patronage. Il fait un grand éloge de M. Stuart qu'il appelle "un homme de génie et de talent supérieur", et dé- clare "regrettable, pour l'honneur de ceux qui lui avaient pro- mis leur appui, qu'ils l'aient abandonné dans un moment criti- que". Ces appréciations, quelles que soient leur justesse, sont celles d'un témoin de visu et auditu. "J'étais présent moi- même au débat, écrit-il, et je parle suivant mes impressions que j'éprouvai k ce moment." (A Political and Historical Account of Lower Canada, pp. .'ïG-Gl.)

COURS d'histoire du canada 65

sous de fâcheux auspices, se terminait dans J'Iiarmo- ''^' ' ^^-'''^ nie. Rien ne fait mieux comprendre la détente qui s'était produite, que le discours prononcé par l'orateur de la Chambre, M. Papineau, le jour de la prorogation, en présentant au gouverneur les bills relatifs aux re- venus et à l'affectation de certains crédits. Quel- ques passages indiquent l'esprit dont il était animé. Un des projets de loi présentés avait pour objet d'inau- gurer l'inoculation de la vaccine. Et cela inspirait à M. Papineau les considérations suivantes: "Ce n'est pas parce que la mère-patrie a donné naissance à l'hom- me de talent, à l'observateur réfléchi et constant qui a fait cette belle découverte, qu'elle a la gloire et le bon- heur d'être appelée la bienfaitrice des nations. C'est parce que ses lumières, l'esprit public, les sentiments généreux sont depuis longtemps généralisés en Angle- terre, que la découverte du docteur Jenner y a été mieux accueillie qu'elle ne l'eût été ailleurs, qu'elle y a en un instant inspiré ce vertueux enthousiasme qui a déjà porté l'usage de l'inoculation de la vaccine dans les quatre parties du monde. Animés par la considé- ration du bien que nous faisons à notre pays en en- courageant l'usage de cette pratique, c'est avec plaisir que nous sentons qu'elle doit fortifier les sentiments de reconnaissance qu'à tant d'autres titres encore nous devons au pays d'où nous est apporté ce bienfait." M. Papineau adressait ensuite au gouverneur ce compli- ment, dont la sincérité n'était pas feinte: "La con- fiance n'est ordinairement que l'ouvrage du temps. Le zèle et le succès avec lesquels, dès les premiers jours de son arrivée. Votre Excellence s'est empressée de secourir les malheureux qui ont éprouvé l'efficacité des sen- timents de pitié qu'ils vous ont inspirés, ont porté la Chambre à vous donner toute latitude dans l'exécu-

6G COURS D HISTOIRE DU CANADA

tion de la loi (relative aux secours ])our les populations des districts éprouvés par la disette). Cette confiance a se fortifier de jour en jour dans l'Assemblée lors- qu'elle a vu votre Excellence donner son attention, déjà exercée si avantageusement dans l'adininistration d'une colonie voisine, à faciliter le développement des ressources de celle-ci." (1) On ne pouvait douter que ces paroles de M. Papineau ne fussent l'écho fidèle des sentiments de l'Assemblée. Elles prouvaient jus- qu'à quel point le gouverneur avait réussi dans son œuvre d'apaisement.

Son succès dans la question des impeachments ne pouvait que l'encourager à persévérer dans cette voie. II a\ait promptement discerné que le point faible dans notre organisme politique à ce moment c'était la composition des conseils exécutifs et légis- latifs. Et il se persuada qu'en introduisant dans ces deux corps des éléments nouveaux, on améliorerait sensiblement la situation. C'est dans cet esprit qu'il proposa la nomination de Mgr Plessis au Conseil législatif et celle de M. Papineau au Conseil exécutif. C'était assurément faire preuve d'une initiative hardie et clairvoyante. L'élévation de Mgr Plessis à notre chambre haute devait être précieuse pour ce corps elle ferait entrer un homme éminent par sa dignité et son autorité, doué d'une haute intelligence et d'une connaissance approfondie des hommes et des choses. A l'appui de cette recommandation, sir John Sher- brooke faisait observer que la nomination de Mgr Plessis inspirerait de la confiance aux Canadiens. Dans une communication ultérieure il appelait l'atten-

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1817, p. 933.

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tion du ministre sur le mémoire présenté par révêque catholique de Québec à sir George Prévost en 1812, dans lequel ce prélat demandait à être reconnu civile- ment. Le gouverneur signalait les obstacles qui avaient jusque-là empêché cette reconnaissance. L'évê- que relevait uniquement de Rome et cela était en contradiction manifeste avec les instructions royales. "Mais, ajoutait le gouverneur, on n'a jamais donné suite à ces dernières et on ne le pourrait faire sans créer des mécontentements dans le pays et sans aliéner le clergé catholique." (1)

La nomination de MgrPIessis au Conseil législatif, agréée par lord Bathurst, fit faire un pas de plus au status civil de Tévêque catholique de Québec. Lorsque le Conseil exécutif fut informé qu'elle était imminente, le juge Sewell reproduisit les objections émises naguère. Nous les connaissons pour les avoir déjà rencontrées au passage. Si l'on appelait Mgr Plessis au Conseil comme évêqu>e catholique romain de Québec, la seule preuve établissant qu'il possédait ce titre était une 'P Ut sis bulle du pape; et la reconnaissance de ce titre sous le grand sceau conférerait à celui-ci, dans l'empire bri- ''^^'' tannique, le droit de nommer à des offices. Cela équi- (XcOOhWi vaudrait à reconnaître la suprématie papale. Natu- rellement le juge en chef citait les lois d'Elisabeth et les instructions royales, qui vous sont suffisamment familières. Conformément à ces vues, il soumettait un projet de mandamus absolument inacceptable par Mgr Plessis. Sir John Sherbrooke ne pouvait laisser ainsi entraver une mesure qu'il avait à cœur. Ecartant le projet du juge en chef, il fit préparer par un homme

(1) Archives du Can.id.i, Sir J'tl.m Sherbrooke à lord Bathurst, 10 avril 1S17. Q. 143, p. \M'.>,.

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de loi, ami de l'évêque, une formule de mandamus qui levait la difTicuIté. Mgr Plessis y était appelé au Conseil législatif par son titre. C'était d'ailleurs ce qu'avait décidé lord Bathurst, dans sa dépêche du 6 juin 1817. "J'ai beaucoup de plaisir, écrivait-il, à vous transmettre le maiidàmus de Son Altesse Royale le prince régent, par lequel il nomme le docteur Plessis au Conseil législatif sous les appellation et titre d'évéque de l'église catholique romaine de Québec." (1) Sans doute le ministre ajoutait que les successeurs de Mgr Plessis ne devraient pas assumer ce titre sans quelque instrument formel qui le leur reconnaîtrait. Mais cette limitation, destinée d^ailleurs à rester non avenue, ne pouvait détruire le fait qu'un acte sous le grand sceau de la Couronne reconnaissait l'existence d'un évêque catholique j-omain sur le siège épiscopal de Québec.

La recommandation de sir John Sherbrooke, relative à la nomination de M. Papineau comme mem- bre du Conseil exécutif, procédait d'une inspiration analogue à celle qui ouvrait les portes du Conseil légis- latif à Mgr Plessis: gagner la oonfiance des Canadiens, rapprocher d'eux l'administration, en les faisant parti- ciper aux responsabilités du gouvernement. Dans la lettre qu'il adressait sur ce sujet au ministre, le gou- fl verneur écrivait: "Le grand mal de ce pays et le plus fécond en discussions a été le défaut de confiance dans le gouvernement exécutif, non pas tant dans le caractère du gouverneur que dans le Conseil qui en est venu à être considéré comme l'aviseur de ce dernier,

(1) Documents constitutinnnels, HTOI-ISIS), p. 560; Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 14:?. pp. 1 et IW.i; 14.5, pp. 66, 78-82; 148-1, p. 117.

COURS d'histoire du canada 69

et dont les mouvements sont surveillés avec une sus- picion jalouse qui tend à entraver tous les actes du gouvernement. Pour combattre cette défiance j'estime qu'un des moyens les plus efficaces serait de nommer l'orateur de l'Assemblée membre de ce conseil, avec la condition qu'il devînt un résident de Québec, afin d'être ainsi au courant de tout ce qui se ferait." (1) C'était une idée politique qui eût pu avoir d'impor- tantes conséquences. L'entrée de M. Papineau au Conseil exécutif, sous un gouverneur comme sir John Sherbrooke, aurait pu être le point de départ de cette évolution constitutionnelle dont nous parlions tout à l'heure. Malheureusement cette nomination, agréée par le ministre, ne devait être faite que trois ans plus -^'^-^^c» tard, lorsque l'heure propice était passée. ft\ 1 v> -

Sir John Sherbrooke voyait son système politique .. a^^ produire les fruits qu'il en avait espérés. Héritant d'une situation difficile et troublée, ayant à rencontrer une Chambre nouvellement élue, pleine de ressenti- ment et d'animosité envers le pouvoir exécutif, il avait fait en sorte de ne recourir ni à l'expédient stérile de la prorogation sub te, ni au procédé funeste de la dis- solution ah irato. Et sans commettre aucun acte con- traire à l'honneur, simplement en répondant avec une bienveillance et un empressement habiles à une demande de l'Assemblée, il avait apaisé sans heurt un conflit qui paralysait l'action législative et administra- tive depuis deux ans. Cet exemple démontrait com- ment un représentant de la couronne, impartial et \^ équitable, pouvait gouverner paisiblement et effica- cement la province bas-canadienne.

(1) Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 143. p. .392.

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de loi, imi de l'évêque, une formule de majidàmus qui Icvit la difficulté. Mgr Plessis y était appelé au Coceil législatif par son titre. C'était d'ailleurs ce qu'aait décidé lord Bathurst, dans sa dépêche du 6 juin 817. "J'ai beaucoup de plaisir, écrivait-il, à vous tmsmettre le majidamus de Son Altesse Royale le prin régent, par lequel il nomme le docteur Plessis au CoaMi législatif sous les appellation et titre d'évêque de l'égse catholique romaine de Québec." (1) Sans doute 1 ministre ajoutait que les successeurs de Mgr Plessis le devraient pas assumer ce titre sans quelque instrurent formel qui le leur reconnaîtrait. Mais cette liiitation, destinée d'* ailleurs à rester non avenue, ne povait détruire le fait qu'un acte sous le grand sceau e la Couronne reconnaissait l'existence d'un évèquecatholique romain sur le siège épiscopal de Québci

l.v. recommandation de sir John Sherbrooke, relativ«à la nomination de M, Papineau comme mem- bre duConseil exécutif, procédait d'une inspiration analoge à celle qui ouvrait les portes du Conseil légis- latif à4gr Plessis: gagner la confiance des Canadiens, rapproler d'eux l'administration, en les faisant parti- ciper j K responsabilités du gouvernement. Dans la lettre l'il adressait sur ce sujet au ministre, le gou- vernei écrivait: "Le grand mal de ce pays et lej plus fépnd en discussions a été le défaut de confianc dans I<jgouvernement exécutif, non pas tant dans caract^ du gouverneur que dans le Conseil qui est ve4 à être considéré comme l'aviseur de ce demi

(l)—ocuments constitutionnels, flTOl-lSlS), p. 560; Paj. d'Etat d Bas-Canada, Q. 143. pp. 1 et 37:3: 145, pp. 66, 148-1, pll7.

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(1)— Archives du CanaH-.- P 143, p. 392. *'• '^"P'"' «^^"^ -'w ft-.^.

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70 COURS d'histoire du canada

Une autre question allait maintenant s'imposer aux préoccupations de sir John Sherbrooke. C'était Ja question des finances, la question des subsides, qui pendant dix-huit ans devait provoquer tant de contro- verses et déchaîner tant de conllits. L'exposition de ce grave et complexe sujet fera l'objet de notre pro- chaine leçon. Nous y verrons avec quelle fermeté et quelle netteté cet excellent gouverneur aborda le dif- ficile problème, et quelle satisfaisante allure il avait déjà su lui donner lorsque, malheurusement, une ma- ladie cruelle le força de quitter son poste à la tête des affaires canadiennes.

SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER

Gaincau, Histoire du Canada. Québec, 1882, t. III, iiv. XV. ch, I. Bibaud, Histoire du Canada, sous la dojnination antilaise, Montréal. 1844. Iiv. II et III. Christic, History of Lower Cana- da, t. II, ch. XXI. t. VI. Perrault, Histoire abrégée du Canada, t. IV. Kingsford. History oj Canada, t. VIII, Canada and its Provinces, t. III. ch. viii. Memoirs oJ sir Jobn-Coape Sherbrooke; Life andLetters of Viscount Sherbrooke, A.Patchett Martin.t. II. Mandements des évêques de Québec, t. 111. A Political and His- torical Account of Lower Canada, A Canadian, Londres, 1830. Ferland. Monseigneur Plessis. dans le Foyer Canadien, t. \. Journal de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada. 1817.

TROISIÈME LEÇON

Une question ardue. Les subsides. Etat de la question en 1817. Un déficit à côté d'un surplus. Double catégorie de recettes et de dépenses. Coup d'oeil rétrospectif. Les revenus de la Couronne et ceux de la législature. Les pre- miers sont insuffisants, les seconds sont surabondants. Les gouverneurs pratiquent l'emprunt forcé. Paiements irrégu- liers.— Remboursement sous sir George Prévost. Nou- veaux emprunts illégaux. Sir John Sherbrooke signale l'a- bus et propose le remède. Demande de subsides à la lé- gislature.— Une date importante. Bonnes dispositions de la Chambre. Un vote de crédits en 1818. Maladresse du duc de Richmond en 1819. Le commencement des difficul- tés.— Un bill de subsides annuel et par articles. Le Conseil le rejette. Conseils néfastes du duc de Richmond. Sa mort tragique. Interrègne Monk-Maitland. Dissolution in- compréhensible.— Une session de treize jours. Singulier imbroglio. Mort du roi George 111. Dissolution et élec- tions nouvelles. Un discours de M. Papineau. LordDal- housie. Un nouveau bill de subsides en 1821. Résolu- tions intempestives du Conseil législatif Rejet du bill. La Chambre proteste contre une série d'abus. Méconten- tement de lord Dalhousie. La session de 1821-22. Le gouverneur demande une liste civile pour la vie du roi. Refus et expHcations de la Chambre. Une autre cause de difficultés. Le partage des recettes douanières entre le Haut et le Bas-Canada. Prétentions divergentes. Ré- clamations et plaintes du Haut-Canada. Appel à la mé- tropole.— Perspective menaçante pour le Bas-Canada.

Nous allons aborder ce soir une question ardue, aride, complexe, qu'il est difficile de rendre, je ne dirai pas intéressante, mais simplement intelligible. Elle est cependant d'une importance capitale, puisqu'elle a été la pierre d'achoppement du régime constitu-

72 COURS d'histoire du canada

tionnel inauguré en 1791, qu'elle a engendré pendant vingt ans des conflits aigus entre le pouvoir exécutif et l'assemblée populaire, entre la colonie et la métro- pole, qu'elle a paralysé le fonctionnement de nos ins- titutions parlementaires, qu'elle a bouleversé notre vie politique et nous a finalement jetés dans un^ crise sanglante nos Iranchises nationales ont failli périr. Cette question, c'est la fameuse et obscure question des subsides, aux enchevêtrements tenaces et aux méandres tortueux. Je vous demande pardon d'avan- ce du pénible travail cérébral que je vais vous infliger. Et en sollicitant plus que jamais votre sérieuse et in- dulgente attention, je vous promets de faire un cons- ciencieux efi^ort pour répandre quelque lumière sur ce sujet ténébreux. Si l'on était encore à l'âge se pra- tiquait l'artifice littéraire de l'invocation mythologi- que, volontiers au début de cette conférence je place- rais une fervente supplication à la muse de la clarté.

Dès le début de son administration, en 1816, sir John Sherbrooke s'était rendu compte de la condition peu satisfaisante de notre budget provincial. Dans une lettre datée du 18 mars 1817, il signalait au minis- tre ce qu'il considérait avec raison une anomalie dé- concertante. L'état du revenu permanent de la pro- vince, comparé à l'état des charges permanentes, accu- sait pour l'année terminée le 5 janvier 1816 un déficit de 19,000 louis, pendant qu'un document oflTiciel indi- quait comme étant au crédit de la législature, le 5 janvier 1817, une somme de 140,000 louis, non affectée à aucun service. (1) Comment expliquer ce phénomène, un déficit budgétaire en face d'un excédent disponible? Voici quel était le mot de l'énigme. Nous avions

(1) Archives du Canada. 0- l-l-^- P- l^^-

COURS d'histoire du canada 73

deux catégories de recettes, et, corrélativement, deux catégories de dépenses. Et la première catégorie de recettes était insuffisante à solder la première catégo- rie de dépenses auxquelles elle était affectée, tandis que la seconde catégorie de recettes excédait de beau- coup la seconde catégorie de dépenses qu'elle devait défrayer. Un rapide coup d'oeil rétrospectif nous fera mieux comprendre cette situation singulière.

Depuis le commencement de la domination an- glaise en 1760 jusqu'en 1774, le gouvernement impé- ^ fs-z-n- ri al avait paye toutes les dépenses d admmistration au / _ Canada. Et durant cette période les seules recettes qu'il en retirât étaient celles que l'on désignait sous le nom de "revenu casuel et territorial" et celles de cer- tains droits d'importation qui existaient sous la domi- nation française. (1) En 1774, un acte du parlement impérial, adopté à la suite de l'Acte de Québec, avait imposé un droit de douane sur les eaux-de-vie, les rums, la mélasse et le sirop, un droit de licence sur les taver- nes et les auberges, avec des dispositions relatives aux amendes et confiscations. Le produit de cet acte, que l'on appela "l'Acte du revenu de Québec", (2) devait former un fonds applicable au maintien de l'adminis- tration de la justice et du gouvernement civil.

C'était parce que l'article 13 de l'Acte de Québec refusait au Conseil législatif institué par cette loi le

(1) La légalité de la perception de ces droits, après le clian- gement de régime en 1763, avait été contestée. (Tbe Maseres Papers, Toronto, 1812, pp. 19, 49-.50. Canada and its Provinces, IV, p. 494.)

(2) Acte du revenu de Québec, 14 George III, ch 88; Docu- ments constitutionnels, 17.59-1791. p. 383. Cette loi abolissait tous les droits imposés par le roi de France sur certaines mar- chandises et les remplaçait par ceux qui y étaient stipulés.

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74 couKS d'histoire du canada

pouvoir d'imposer des taxes dans la province, quelepar- lenicnt impérial adoptait lui-même cette législation liscalc. Il n'avait pas encore renoncé au droit de taxer les colonies, qui piovoqua la guerre de l'indépendance américaine. Il ne l'abandonna que quatie ans plus tard, en 1778, par l'Acte 18 George III, chapitre 12, dans lequel on déclarait que dorénavant le roi et le par- lement de la Grande-Bretagne n'imposeraient plus de taxes sur les colonies, excepté lorsqu'il s'agirait de droits pour la réglementation du commerce. (1) Ce- pendant l'Acte du revenu de Québec passé en 1774 demeurait en vigueui. \ L'acte constitutionnel de 1791 accorda à la légis-

^ lature créée alors le pouvoir de taxer. Et dès 1793 cette dernière imposa des droits sur les vins, dont le produit fut affecté en permanence aux dépenses de J'Assemblée et du Conseil législatif (2). En 1794 lord Dorchester soumit aux chambres des états finan- ciers qui montraient un écait considérable entre les re- venus mis à la disposition de la Couronne et les dé- penses de la province. Conséquemmant, à la sess on de 1795, la législature imposait des droits sur le sucre, la cassonade, le café, les cartes à jouer, le tabac en feuil- les, le sel, ainsi que des droits additionnels sur les eaux- de vie et les vins. Et elle taxa les colporteurs, en mê- me temps qu'elle augmentait le taux de la licence sur les tavernes et les auberges. Puis elle décréta que sur le produit de ces impôts une somme annuelle de 5,555 louis courant serait affectée en permanence au main- tien de l'administration de la Justice et du gouverne-

(1) Financial difficuUiea of Lower-Canada, Québec 1824.

(2) '.i'.i George III, chapitre II. Statuts provinciaux du Bas- Canada. 179:3. t. 1.

COURS d'histoire du canada 75

ment civil (1). Voilà quel était l'ensemble des sources permanentes de revenu qui constituaient la première catégorie de recettes dont nous parlions il y a un ins- tant. En récapitulant nous trouvons que ce fonds était alimenté: par le domaine de la Couronne, autrement dit ''revenu casuel et territorial," qui com- prenait les postes du roi, les forges de Saint-Maurice, le quai du roi, le droit de quint prélevé sur les ventes de I seigneuries, et les lods et ventes; 2'*^ par l'acte impé- ^• rial eu revenu de Québec, de 1774, dont le produitétait affecté au maintien de l'administration de la jus- ^ tice et du gouvernement civil; par l'acte provin- cial de 1793, dont le produit était consacré aux dépenses de la législature; i^ par l'acte provincial de 1795, sur le produit duquel 5,555 louis courant devaient être ap- pliqués au maintien de l'administration de la justice et du gouvernement civil (2).

Mais ce n'était pas tout le revenu de la provin- ce. La loi fiscale de 1795 produisait beaucoup plus que les 5,555 louis affectés en permanence aux dépen- ses judiciaires et administratives. Et le surplus res- tait sans affectation spéciale. En outre la législature avait adopté en 1813 et en 1815 des lois de revenu (3) par lesquelles elle imposait une taxe douanière sur les marchandises importées, une taxe sur le thé, un droit, additionnel sur les liqueurs fortes, les vins, les mélas- ses et les sirops, une taxe sur les encanteurs et une com-

(1) 35 George III, chapitre ix; Statuts Provinciaux du Bas- Canada, 1795, t. I.

(2) Appendice au XXVIe volume des Journaux de VAssem- blée du Bas-Canada, 1817, H. No. 12.

(3)— 52 George III, ch. ii, 55 George m, ch. ii, et 55 George

III, ch. III.

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76 COURS d'histoire du canada

mission sur les ventes à l'encan. Ces diverses mesures fiscales constituaient la seconde catégorie de recettes mentionnée tout à l'heure.

La distinction essentielle qu'il y avait à faire en- tre ces deux catégories, c'était que la première se trou- vait aflectée en permanence aux dépenses du gouver- nement civil et de l'administration de la justice, pen- dant que la seconde n'avait reçu aucune affectation permanente et formait un fonds dont la législature pouvait disposer pour des fins d'utilité publique. En d'autres termes, la première catégorie de revenus était, par suite d'affectations statutaires permanentes, à la disposition du gouvernement pour solder les dépenses judiciaires et administratives. Et la seconde catégo- rie, non totalement affectée (1), laissait des sommes considérables à la disposition de la législature, qui seule pouvait en déterminer l'emploi.

Or voici ce qui était arrivé. Le rendement de la première catégorie de revenus n'avait pas marché du même pas que la dépense à laquelle elle était affectée. Et chaque année le gouvernement impérial avait été obligé, pour boucler le budget de l'administration bas- canadienne, de solder un déficit plus ou moins considéra- ble. -ûiL avait pris l'habitude de payer ce découvert à même le fonds intitulé dans le budget britannique "extraordinaires de l'armée". Ce fonds servait non seulement à l'entretien des troupes dans les colonies mais encore au paiement de maints déboursés qui n'a- vaient rien de militaire. Pendant ce temps les lois fis-

(1) C'est à même cette seconde catégorie de recettes qu'étaient défrayéeslesdépenses pourl'améliorationdu Saint- Laurent, pour les maisons de correction et les asiles d'aliénés, pour la construction des prisons, etc.

COURS d'histoire du canada 77

cales de la seconde catégorie produisaient tous les ans un revenu qui dépassait de beaucoup les dépenses spécia- les votées par la législatuie pour certains travaux et certains services publics (1). Et il s'accumulait ainsi dans la caisse du receveur général un fonds non affecté dont la législature pouvait disposer, mais auquel léga- lement le gouvernement ne pouvait toucher sans un vote de crédit des chambres. C'est ainsi que coexis- taient un déficit pour l'exécutif et un surplus pour la législature.

L'existence de cet excédent constituait une tenta- tion à laquelle le gouvernement ne résista pas toujours. A plusieurs reprises, au lieu de tirer sur les "extraordi- naires de l'armée", les gouverneurs, embarrassés par l'insuffisancede ce qu'on avait fini par appeler "les reve- nus de la Couronne'^ tirài^iitsajîsautorisatiçn^^ pLuâ accumulés de la législature. S'il s'était conformé à son strict devoir, le receveur général aurait pu refu- ser d'accepter les mandats du chef de l'exécutif qui n'avaient pas la sanction d'un crédit ou d'une affec- tation parlementaire. Mais cet officier public ne vou- lait ou n'osait prendre cette attitude, et les paiements irréguliers se multipliaient. EilISIQ^ une occasion se ^\G\f) présenta de régulariser la situation. La Chambre vous vous le rappelez peut-être offrit au gouver- nement de décharger la métropole de la dépense qu'elle encourait pour les colonies, et de voter tous les crédits budgétaires requis pour faire fonctionner l'adminis-

(1) ^Par exemple, la loi adoptée en 1805, afin de pourvoir à la construction de prisons à Québec et à Montréal, avait pro- duit une somme beaucoup plus considérable que la somme dé- pensée. (Canada and its Provinces ; History oj Public Finance, t. IV, pp. .502-503.)

78 COURS d'histoire du canada

tration. ALais l'on était sous le régime de Craig. Cet- te olîrc lut jugée suspecte, le statu quo fut maintenu et les emprunts forcés continuèrent. F.n 1812, sir Geor- ge Prévost constata que le gouvernement s'était ap- proprié, de sa seule autorité, à même le fonds de la lé- gislature, une somme totale de 25,000 louis. 11 en or- donna le remboursement sur "les extraordinaires de l'armée" (1). Mais bientôt la même pratique irrégu- lière recommença, a\ec une recrudescence d'intensité. Le déficit du revenu de la couronne (première catégo- rie) pour les années 1813, 1814, 1815 et 1810 fut com- blé sans vote de crédit à même l'excédent législatif. Dans sa lettre du 18 mars 1817 à lord Bathurst, sir John Sherbrooke l'informait que la somme de ces paie- ments irréguliers, de cette dette non autorisée contrac- tée par le gouvernement envers la législature, s'élevait au chiffre énorme de 120.000 louis, Cette constatation lui inspirait les considérations suivantes: "Votre Sei- gneurie conviendra avec moi, je le crois, que lapratlque de dépenser le revenu provincial pour des services aux- quels la législature n'a pas pourvu a été dès l'origine irrégulière, et qu'il aurait été préférable de suppléer à l'insuffisance du revenu régulièrement affecté pour le paiement des dépenses qui lui étaient imputables, en émettant des mandats sur les "extraordinaires de l'armée", au lieu de laisser s'accroître une dette propre à créer de la confusion, de l'embarras et des malenten- dus." Après avoir signalé le mal, sir John Sherbrooke passait à l'examen du remède: "Votre Seigneurie, écri- vait-il, reconnaîtra comme moi la nécessité de faire cesser l'état de confusion les finances de la province ont été mises par la dépense de ses fonds non affectés

(1)— Archives du Canada, Q. 110, p. :«.

COURS D HISTOIRE DU CANADA 79

durant plusieurs années. Et les questions qui, sur toute cette affaire, me paraissent s'imposer à l'atten- tion de Votre Seigneurie sont les suivantes. Quant au passé, la dette considérable accumulée comme je Fai mentionnée plus haut devrait-elle être remboursée à même les "extraordinaires de l'armée", ou serait-il à propos de prier la législature de légaliser par une affec- tation en bloc les paiements qui l'ont constituée? Et pour l'avenir, le déficit annuel causé par l'excédent des dépenses permanentes sur le revenu affecté en permanence devra-t il être payé sur le fonds des "ex- traordinaires de l'armée"; ou bien serat-il opportun de soumettre à la législature au commencement de chaque session, comme cela se pratique dans la Nou- velle-Ecosse et d'autres colonies, une estimation des sommes qui sont requises pour la liste civile, et de lui demander d'y pourvoir? Sur ces différents points je sollicite instamment Votre Seigneurie de me faire par- venir ses instructions particulières." (1)

Lord Bathurst répondit à cette lettre le 31 août suivant. Relativem.ent à la dette existante, il sembla incliner à considérer que la législature avait tacitement acquiescé aux paiements faits sans autorisation à même son excédent, vu que les documents officiels constatant cette irrégularité lui avaient été soumis tous les ans sans provoquer de sa part aucune protes- tation. Quant à l'avenir, le ministre estimait que le moment était arrivé pour la province d'assumer elle- même le paiement de toutes ses dépenses administra- tives. "On devrait demander tous les ans à la légis- lature, écrivait-il, de voter toutes les sommes requises

(1) Sir John Sherbrooke à Lord Bathurst, 18 mars 1817; Archives du Canada, Q 143, p- 197.

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80 COURS d'histoire du canada

pour la dépense annuelle ordinaire de la province... Relativement aux charges défrayées habituellement à même les "extraordinaires de l'année", je ne vois aucune raison, excepté dans quelques cas spéciaux, de persister dans une politique qui s'établit lorsque le revenu colonial n'était pas suffisant pour solder la dépense annuelle, et qui ne de\Tait pas survivre à l'état de choses qui lui a donné naissance." (1)

Ainsi donc, après sept ans, on en revenait à la pro- position faite par la Chambre en 1810 de voter les subsides nécessaires au fonctionnement de l'adminis- tration. Entre autres raisons de prendre cette atti- tude le gouvernement impérial en avait une très pres- sante. C'était l'état des finances britanniques. La longue lutte soutenue, pendant près de vingt ans, par l'Angleterre contre fa Révolution française et contre Napoléon avait surchargé la nation anglaise d'un écrasant faideau. Au lendemain de Waterloo la dette de la Grande-Bretagne était de 792,033,426 louis sterling. L'intérêt annuel à payei était de 27,233,993. Le commerce du Royaume-Uni avait énormément souf- fert de l'état de guerre et du blocus continental. En présence de cette situation difficile le gouvernement et le parlement avaient compris la nécessité d'adopter une politique d'économie. D'un commun accord, on s'appliquait à diminuer les dépenses du gouverne- ment civil. Et en même temps la conclusion de la paix permettait de réduire considérablement le budget militaire. Les "extraordinaires de l'armée", qui avaient atteint un chiffre énorme, devaient naturellement subir

(1) Lord Batburst à sir John Sherbrooke, 31 Août 1817; Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q.1.51-A. Christie. t. Il p.p. 28.3-298.

COURS d'histoire du canada 81

une forte diminution. (1) Et il devenait difficile de continuer à leur imputer des dépenses coloniales qui normalement n'avaient rien à faire avec ce service. Dans ces conditions, on conçoit l'empressement de lord Bathurst à concourir dans l'idée émise pai sir John Sherbrooke de demander à la législature bas-cana- dienne les subsides requis pour l'administration.

Conformément aux instructions reçues, le gou- vernement fit donc aux Chambres dans le discours ^. du trône prononcé au début de la session, le 7 janvier 1818, la communication suivante: "J'ai reçu les ordres de Son Altesse Royale de m'adresser à la légis- latuie provinciale pour voter les sommes nécessaires pour la dépense ordinaire et annuelle de la province, et je suis persuadé que ces ordres recevront de votre part toute l'attention que leur importance mérite. En conséquence je ferai mettre devant vous un état des sommes requises pour défrayer les dépenses du gouvernement civil de la province pour 1818, et j'ai à vous requérir au nom de Sa Majesté de pourvoir d'une manière constitutionnelle aux fonds nécessaires pour cet objet." (2)

Cette communication marquait une date dans

(1) -Les estimations budgétaire en 1817 étaient de 18,000,000 de louis. (Ceci ne comprenait pas les crédits perma- nents , qui n'étaient pas soumis au vote annuel des chambres) . En 1816 les affectations pour les mêmes services avaient été de 24,887,000. C'était une diminution de 6,886,000 louis. En 1817, les dépenses extraordinaires de l'armée étaient de 6, 171,225 louis, au lieu de 12,873,553, chiffre de 1816, soit une diminution de 6,702,348. {Hansard's Parliamentary Debates 1ère série, t. 34, App. p. xxiii, t. 36, App. p. XXIII ; Annual Register, 1816, 1817.)

(2) Journal de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, ! 818, page 8.

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82 COURS d'histoire du canada

notre histoire constitutionnelle. Pour la première lois le gouvernement de la métropole demandait à no- tre législature coloniale le vote des subsides afin de dé- frayer les dépenses publiques. Nous entrions dans une phase nouvelle, qui devait être féconde en conflits et en crises.

Le 26 février 1818 sir John Sherbrooke faisait mettre devant l'Assemblée les estimations pour les dé- penses ordinaires et permanentes du gouvernement civil du Bas-Canada et du revenu applicable à leur dé- charge. D'après ce document les dépenses étaient estimées à 73,640 louis couiant et le revenu perma- nemment affecté à 33,383 louis, ce qui laissait à voter une somme de 40,263 louis (1).

La Chambre prit en considération le message du gouverneur et nomma un comité pour étudier les comp- tes et les estimations qui l'accompagnaient. Le rap- port de ce comité, qui fut soumis le 24 mars suivant, était très intéressant. Il contenait des informations générales sur plusieurs parties du budget et des re- marques particulières sur quelques articles spéciaux. Il signalait des anomalies et des abus. Par exemple les salaires demandés pour le lieutenant gouverneur du Bas-Canada et l'auditeur dss patentes étaient perçus par des personnes absentes de la province, et consé- quemment incapaîjles de remplir leurs fonctions. Les estimations mentionnaient le traitement d'un lieute- nant gouverneur de Gaspé et celui d'un inspecteur des forets. C'étaient des fonctionnaires sans fonctions, et, pour assigner un teime à ces sinécures, le comité suggérait de transformer leurs émoluments en pen-

(1) Journal de la Chambre, 1818, p. 139. Les estimations budgétaires se trouvent à l'Appendice E, No 1.

COURS d'histoire du canada 83

sions qui prendraient fin avec la vie des titulaires. li- y avait aussi un salaire pour un agent de la province. Qui avait nommé cet agent ? La Chambre avait en vain essayé d'en faire nommer un, mais l'opposition du Conseil législatif avait rendu ses démarches infruc- tueuses. De qui cet agent tenait-Il sa charge? Quels étaient ses attributions et ses services? Il était diffi- cile de discerner pourquoi son salaire serait porté au compte de la province dont il n'était pas l'employé. Au chapitre des pensions, le comité faisait observer que plusieuis personnes qui y figuraient étaient décé- dées. Toutes ces représentations étaient assurément fort pertinentes (1).

Cependant la Chambre était animée des meilleu- res dispositions. Sir John Sherbrooke possédait sa confiance. Comme la session était très avancée, après une assez longue discussion on décida de voter par une résolution les 40,263 louis demandés pour com- bler la différence entre les revenus permanemment af- fectés et la dépense totale. Et l'Assemblés informa le gouverneur qu'elle reprendrait la question l'année sui- vante et ferait en sorte d'accorder les subsides par un bill suivant les formes constitutionnelles (2).

Malheureusement pour la province, sir John Sherbrooke était atteint d'une maladie très grave, qui devait le forcer à abandonner son poste. Le 30 juil- let 1818 il était remplacé par le duc de Richmond. Son nom doit être inscrit parmi ceux des meilleurs repré- sentants de la Couronne que nous ait envoyés la mé- tropole.

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada 1818, p. 193 ; Appendice K.

(2) Ibid, p. 204.

84 COURS d'histoire du canada

Son successeur, d'un rang social beaucoup plus élevé, ne possédait ni sa clairvoyance, ni son jugement droit, ni son esprit de conciliation. On s'en aperçut dès le début de la session de 1819. Après avoir de- mandé à la chambre de régulariser le paiement des dé- penses qu'elle avait, par simple résolution, autorisé sir John Sherbrooke à solder l'année précédente, il sou- mit les estimations budgétaires pour l'année 1819. Quelle ne fut pas la surprise de l'Assemblée en consta- tant qu'elles accusaient une augmentation de plus de 16^000 louis (1)! Un détail indiquera combien le gou- vernement avait été peu judicieusement avisé. Le budget proposait de voter en bloc une somme de 8,000 louis par année "comme fonds de pension à la disposi- tion du représentant de Sa Majesté, pour récompenser des services provinciaux et secourir de vieux et né- cessiteux serviteurs du gouvernement." Une aussi forte somme, demandée en termes aussi vagues, pour être appliquée suivant la discrétion absolue du pou- voir exécutif, devait nécessairement provoquer un sentiment de mécontentement et de défiance. La chambre nomma un comité qui étudia le budget et fit un rapport dans lequel il recommanda en termes éner- giques l'économie et le retranchement, et protesta con- tre l'abus des sinécures et des pensions qui pouvaient devenir dans cette province des moyens de corruption.

Toutefois l'Assemblée était disposée à voter le budget. Mais elle entendait le voter à sa façon. Quelle forme allait-elle donner au bill des subsides, à cet acte législatif que l'on appelle en Angleterre le supply bill?

(1) Rapport du Comité spécial sur l'estimation de la liste civile pour l'année 1819 ; Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1819, Appendice L.

COURS d'histoire du canada 85

C'était pour elle une question nouvelle et une grave question. Plusieurs tendances se manifestèient. Un cer- tain nombre de députés, en petite minorité, étaientd'avis qu'ilfallaitvoterlalistecivilepourla vie du roi, et que,si toutefois on insistait pour le vote annuel, il fallait accor- der les subsides en bloc, sans entrer dans le détail des dif- férents articles de la dépense.^ D'autres, et ceux-là formaient la majorité, prétendaient que le droit de la législature était de voter les subsides chaque année et de les voter article par article, afin d'exercer ainsi sur l'administration un légitime contrôle. Ils soutenaient même que la Chambre devait affecter de cette maniè- re, dans le bill des subsides, non seulement le revenu non affecté d'avance, mais aussi celui qui était perma- nemment affecté par des lois antérieures au soutien de la liste civile, afin d'avoir un pouvoir de révision sur toute la dépense publique. Quelques-uns, enfin, com- me moyen terme, proposaient d'adopter le vote an- nuel, mais seulement par chapitres et non pas par arti- cles. Finalement, ce fut le vote annuel affectant tout le revenu nécessaire à la liste civile et article par arti- cle qui l'emporta (1).

Le bill des subsides fut adopté dans cette forme. Mais il fallait compter avec le Conseil législatif. MM. Sewell, Monk, Ryland, tout le groupe des fonction- naires-législateurs, y possédaient une influence pré- pondérante. Ils ne pouvaient manquer de considé- dérer le bill tel qu'adopté comme un empiétement et une menace. C'était pour eux une perspective peu agréable que celle de voir leurs traitements et leurs

(I) Bibaud, Histoire du Canada sous la domination an- elaise, pp. 20.5-206 ; Garneau, Histoire du Canada, t. III, pp. 219- 220 ; Christie, II. pn. .309-310; Journal de la Chambre 1819.

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80 COURS d'histoire du canada

pensions soumis à la juiidiction d'une Assemblée dont ils étaient les adversaires irréductibles, et qui leur ren- daient avec usure leur antipathie. Ils firent préva- loir leurs vues, et le Conseil législatif, rejetant haut la main le bill des subsides voté par la Chambre, adopta la résolution suivante: "Le mode adopté pour l'octroi de la liste civile est inconstitutionnel, sans exemple et comporte une violation directe des droits et préroga- tive de la Couronne; si le bill devenait loi, il donnerait aux communes non seulement le privilège de voter les subsides mais aussi de prescrire à la couronne le nom— bre et la qualité de ses serviteurs en réglant et en ré- compensant leurs services comme elle le jugerait convenable, ce qui les mettrait sous la dépendance des électeurs et pourrait leur faire rejeter l'autorité de la Couronne, que leur serment de fidélité les obligeait de soutenir." (1)

De son côté le gouverneur, qui était un ultra tory, manifesta à l'Assemblée en termes peu diplomatiques son mécontentement et son irritation. Dans son dis- cours de prorogation, il adressa aux députés une mer- curiale en règle. Il déclara qu'il ne pouvait leur ex- primer sa satisfaction ni son approbation du résultat général des travaux auxquels ils avaient employé un temps précieux ou des principes qui les avaient diri- gés: "Vous avez procédé, ajouta-t-il, sur les documents que j'avais fait mettre devant vous, à voter une par- tie des sommes requises pour le service de l'année J819, mais le bill d'appropriation que vous avez passé était établi, comme il paraît par les journaux de la chambre haute, sur des principes qui ne pouvaient constitution- nellcmcnt être admis, et il a été en conséquence rejeté

{!)— Journal du Conseil législatj, 1810, p. 142.

COURS d'histoire du canada 87

par la chambre haute de manière que le gouvernement de Sa Majesté se trouve dépourvu des ressources pé- cuniaires nécessaires au maintien de l'administration civile de la province pour l'année finissante, malgré l'offre et l'engagement volontaires faits à Sa Majesté par la résolution de votre chambre du 13 février 1810." (1) Cette harangue officielle contenait encore d'au- tres passages le duc de Richmond gourmandait l'as- semblée sans précautions oratoires. On se serait cru retourné aux mauvais jours de Craig.

L'attitude du gouverneur parut d'autant plus of- fensante qu'elle offrait un plus frappant contraste avec la manière de sir John Sherbrooke et de sir George Prévost. Ce haut fonctionnaire était imbu des doc- trines les plus autoritaires et les moins constitution- nelles que l'on pût imaginer. Après la session il écri- vit au ministre des colonies pour dénoncer les princi- pes de l'Assemblée, et proposa une série de mesures destinées à restreindre ses pouvoirs et à fortifier l'au- torité do la Couronne. Il conseillait d'enlever à la Chambre toute juridiction sur la liste civile et de créer un revenu indépendant de la représentation populaire, par voie de législation impériale. Pour parvenir à ce but il recommandait de désavouer deux lois de reve- nu ad optéei récemment par la législature, et de les rem- placer par des lois votées à Londres, qui en mettraient le produit directement à la disposition de la Couronne pour les fins administratives bas-canadiennes sans que notre parlement colonial eût rien à y voir. Il invo- quait comme précédent l'acte impérial du revenu de Québec de 1774, sans réfléchir que subséquemment, en

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1819, p. 267.

88 COURS d'histoire du canada

1778, le parlement britannique a\ait renoncé à tout droit de taxation sur les colonies. Si toutefois ce mode de procéder n'était pas jugé acceptable par le gouver- nement de la métropole, le gouverneur demandait qu'on lui donnât instruction de ne sanctionner aucun bill de subsides à moins que les crédits n'y fussent vo- tés en bloc, d'une manière permanente, et qu'ils ne fussent placés à la discrétion de l'exécutif (1). On ne pouvait pousser plus loin le culte de la prérogative ni le mépris des privilèges pailementaires.

Le duc de Richmond n'eut guère le temps de pour- suivre la politique néfaste qu'il préconisait. Le 28 août 1819; comme il s'en revenait du Haut-Canada il était allé faire une visite officielle, il mourut des sui- tes d'une morsure que lui a^•ait faite un jeune renard, atteint, dit-on, d'iiydrophol^ie. Ce douloureux évé- nement, que rien n'avait pu faire prévoir, ouvrit un interrègne assez confus. Le juge en chef IMonk fut appelé à exercer temporairement les fonctions d'admi- nistrateur, comme le plus ancien membre du Conseil exécutif. Sans motif bien intelligible, au mois de fé- vrier 1820, il ordonna une dissolution de la législature. Les élections ne firent que fortifier le parti canadien. La session avait été convoquée pour le 11 avril. Mais dans l'intervalle M. Monk fut relevé de ses fonctions par sir Pcregrine Maitland (2), lieutenant gouverneur

ri) Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas-Canada. 0-152-1-2; Richmny\d à Bathurst, IS mai 1810; Kingsford. History oj Canada, t. IX.

(1) Sir Pcregrine Maitland était le gendre du duc de Rich- mond. II avait servi avec distinction sous Wellington durant la guerre de la Péninsule et à Waterloo. En 1818, il avait été nommé lieutenant gouverneur du Tl.uit-Canada. Dans l'au-

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du Haut-Canada. Celui-ci avait été nommé admi- nistrateur du Bas-Canada en attendant que lord Dal- housie, promu du gouvernement de la Nouvelle-Ecos- se à celui de toutes les provinces anglaises de l'Améri- que du Nord, pût venir ici occuper son poste. La lé- gislature réunie le 11 avril 1820 ne siégea que jusqu'au u 24. Un assez curieux imbroglio menaçait de paralyser ^ Ct^r'u^/ l'action législative. Le writ adressé à l'officier-rap- porteur du comté de Gaspé accordait pour cette élec- tion un délai de cent jours, à cause de la distance et de la difficulté des communications. Le 11 avril, date de l'ouverture des chambres, le député de Gaspé n'était pas encore élu. La représentation se trouvait incom- plète. Se basant sur ce fait, l'Assemblée adopta une résolution pour se déclarer incompétente et incapable de procéder à la dépêche des affaires. La dernière pro- rogation avait eu lieu le 24 avril 1819. Le 24 avril 1820 les douze mois durant lesquels une nouvelle ses- sion devait commencer, d'après la loi constitutionnelle,

tomne de 1819, lord Dalhousie, alors gouverneur de la Nouvelle- Ecosse, fut nommé gouverneur et commandant en chef des provinces de l'Amérique du Nord. Incapable de se rendre immédiatement à Québec, il envoya à sir Peregrine Maitland l'ordre d'aller prendre le gouvernement intérimaire du Bas- Canada. Le lieutenant gouverneur du Haut-Canada vint en conséquence prêter serment comme administrateur. Mais il ne resta à Québec que deux jours, au commencement de février 1820, et dut retourner à Toronto pour la session de la législature haut-canadienne. Ce fut le jour même du départ de Maitland (le 9 février) que M. Monk émit une proclamation pour dissoudre la Législature. II convoquait en même temps le nouveau parle- ment pour le 11 août. Cette dissolution, concertée apparem- ment entre MM. Maitland et Monk, est toujours restée difficile à expliquer. Le 17 mars, sir Peregrine était de retour à Québec. (Christie, II, pp. 322-323; Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 151-1, 152-1-2, 155-2.^

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seraient expirés. Et si ce jour un député n'était pas élu pour Gaspé on pourrait se demander si la der- nière dissolution de la législature n'avait pas, à cause de ses conséquences, été une violation de la constitu- tion. Telle était la prétention de la Chambre, et elle la communiqua à l'administrateur dans une adresse. Il refusa d'admettre qu'elle fût bien fondée. Mais l'Assemblée persista dans son attitude, s'abstint de toute procédure, et alla jusqu'à fermer ses portes à un messager du Conseil législatif, le maître en chancellerie, quoiqu'il fût porteur d'un bill pour lequel le Conseil demandait le concours de la chambre basse (1). C'était, nous semble- t-i!, pousser à l'excès le formalisme. Quoi qu'il en soit l'imbroglio était embarrassant. II fut dé- noué par la nouvelle de la mort du roi George III. Le décès du souverain était encore à ce moment un motif constitutionnel de dissolution. La session fut donc prorogée par sir Peregrine Maitland, et, après trois mois d'intervalle, de nouvelles élections générales eu- rent lieu au mois de juillet.

La mort de George III était un événement qui ne pouvait manquer de produire une émotion réelle dans tout l'empire. Avec la disparition du vieux monarque s'achevait une phase mémorable de l'histoire anglaise. Son règne, jusque le plus long des annales britanni- ques, marqué par beaucoup de vicissitudes et assom- bri un moment par la perte des colonies américaines, avait en définitive vu prodigieusement s'accroître la puissance et le prestige de la Grande-Bretagne. Les victoires de Wellington et le triomphe de l'intrépide

Cl) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1820 ; Christie, II, pp. 324-325 ; Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 155-1. pp. 114-177.

COURS d'histoire du canada 91

ténacité anglo-saxonne sur le génie militaire de Na- poléon avaient fait briller son couchant d'un glorieux éclat. Pour nous, lorsque nous récapitulions les soi- xante ans de ce règne dont l'aurore avait éclairé le commencement du régime nouveau auquel nous avaient assujettis les décrets providentiels, nous ne pouvions nous empêcher de reconnaître que, nonobstant bien des épreuves et bien des luttes, ils ne nous avaient point inflige les désastres et les luines que nous au- rions pu redouter. Un des nôtres, celui de nos chefs parlementaires dont l'éloquence accroissait chaque jour l'ascendant, M. Louis-Joseph Papineau, se faisait l'interprète de ce sentiment dans une harangue pro- noncée sur les hustings, devant ses électeurs de Mont- réal, le jour de sa réélection unanime au mois de juil- let 1820. Vous aimerez peut-être à entendre un fragment de ce discours, dont l'accent aurait sans doute surpris ses auditeurs s'ils avaient pu pressentir les phi- lippiques prochaines qui devaient en être la contre-

partie. .

"Peu de jours se sont écoulés, disait M. Papineau,' depuis qu2 nous sommes assemblés dans ce lieu pour le même motif qui nous réunit aujourd'hui, le choix de représentants. La nécessité de ce choix venant d'une grande calamité nationale, la mort du souverain bien- \ aimé qui a régné sur les habitants de ce pays depuis qu'ils sont devenus sujets britanniques, il est impossi- ble de ne pas exprimer nos sentiments de gratitude pour les bienfaits que nous^ayons reçus de lui et les sentiments de regret pour sa perte si profondément sentie ici et dans toutes les parties de .l'empire. Et comment pourrait-il en être autrement, quand chaque année de son règne a été marquée par de nouvelles fa- veurs accordées à ce pays. Les énumérer et détailler

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"Telle était la position ' nos pères; voyez le changement. George III, sou rain respecté pour ses qualités morales et son attentu à ses devoirs, succède à Louis XV, prince justemci méprisé pour ses dé- bauches et son peu d'attentio ux besoins du peuple.

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sa prodigalité insensée pour ses favoris et ses maîtres- ses. Depuis cette époque le règne de la loi a succédé à celui de la violence, depuis ce jour les trésors, la ma- rine et les armées de la Grande-Bretagne ont été em- ployés pour nous procurer une protection efficace con- tre tout danger extérieur; depuis ce jour ses meilleures lois sont devenues les nôtres, tandis que notre religion nos propriétés et les lois par lesquelles elles étaient ré- gies nous ont été conservées; bientôt après les privilèges de sa libre constitution nous ont été accordés, garants infaillibles de notre prospérité intérieure, si elle est ob- / ( ser\ée. Maintenant la tolérance religieuse, le procès | M *^ par jur\", la plus sage des garanties qui ait jamais été | i établie pour la protection de l'innocence, la protection contre r^mpjjsonnement arbitraire» grâce au privilège de Vbabeas; corpus, la sécurité égale garantie par la loi à la p)ersonne, à l'honneur et aux biens des citoyens, le droit de n'obéir qu'aux lois faites par nous et adoptées par nos représentants, tous ces avantages sont deve- nus pour nous un droit de naissance, et seront, je l'espè- re, i'Jiéritage durable de notre postérité ! Pour les con- server sachons agir comme des sujets anglais et des hommes indépendants." (1)

Ce discours de M. Papineau, qui nous parait au- jourd'hui étonnant dans sa bouche lorsque nous son- geons aux événements ultérieurs, eut un grand reten- tissement. Il fit le tour de la presse et reçut les hon- neurs de la publicité jusqu'en Angleterre.

Pendant que se tenaient les élections occasionnées par la mort du souverain, le nouveau gouverneur, lord Dalhousie, était venu prendre les rênes de l'administra- tion. II était entré en fonctions le 18 juin 1820. Le

(1) Gazette de Québec, juillet 1820.

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l'histoire de la province depuis tant d'années pren- drait plus de temps que je puis en espérer de ceux à qui j'ai l'honneur de parler. Qu'il suffise donc, à pre- mière vue, de comparer l'heureuse situation nous nous trouvons aujourd'hui avec celle se trouvaient nos ancêtres lorsque George III devint leur monarque légitime.

"Qu'il me sulîise de rappeler que sous le gouver- nement français, gouvernement arbitraire et oppressif à l'intérieur et à l'extérieur, les intérêts de cette colo- nie ont été plus fréquemment négligés et mal adminis- trés que ceux d'aucune autre partie des dépendances françaises. Dans mon opinion, le Canada semble ne pas avoir été considéré comme un pays qui, par la fer- tilité du sol, la salubrité du climat, et le territoire éten- du, pouvait être la paisible résidence d'une popula- tion considérable et heureuse, mais comme un poste militaire dont la faible garnison était condamnée à vivre dans un état d'alarme et de guerre continuelles souffrant fréquemment de la famine, sans commerce, ou avec un commerce de monopole par des compagnies privilégiées, la propriété publique et privée souvent mise au pillage, et la liberté personnelle chaque jour violée, en même temps que chaque année la poi- gnée de colons établis en cette province étalent arra- chés de leur maison et de leur famille pour aller répan- dre leur sang et porter le meurtre et la ruine des rives des grands lacs du Mississipi et de l'Ohio à ccllesdela Nouvelle-Ecosse, de Terreneuve et de la Baie d'Hudson.

"Telle était la position de nos pères; voyez le changement. George III, souverain respecté pour ses qualités morales et son attention à ses devoirs, succède à Louis XV, prince justement méprisé pour ses dé- bauches et son peu d'attention aux besoins du peuple.

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sa prodigalité insensée pour ses favoris et ses maîtres- ses. Depuis cette époque le règne de la loi a succédé à celui de la violence, depuis ce jour les trésors, la ma- rine et les armées de la Grande-Bretagne ont été em- ployés pour nous procurer une protection efficace con- tre tout danger extérieur; depuis ce jour ses meilleures lois sont devenues les nôtres, tandis que notre religio-n nos propriétés et les lois par lesquelles elles étaient ré- gies nous ont été conser^-ées; bientôt après les privilèges de sa libre constitution nous ont été accordés, garants infaillibles de notre prospérité intérieure, si elle est ob- servée. Maintenant la tolérance religieuse, le procès par jury, la plus sage des garanties qui ait jamais été établie pour la protection de l'innocence, la protection contre l'empjisonnement arbitraire, grâce au privilège de Vhabeas corpus, la sécurité égale garantie par la loi à la personne, à l'honneur et aux biens des citoyens, le droit de n'obéir qu'aux lois faites par nous et adoptées par nos représentants, tous ces avantages sont deve- nus pour nous un droit de naissance, et seront, je l'espè- re, l'héritage durable de notre postérité ! Pour les con- server sachons agir comme des sujets anglais et des hommes indépendants." (1)

Ce discours de M. Papineau, qui nous paraît au- jourd'hui étonnant dans sa bouche lorsque nous son- geons aux événements ultérieurs, eut un grand reten- tissement. Il fit le tour de la presse et reçut les hon- neurs de la publicité jusqu'en Angleterre.

Pendant que se tenaient les élections occasionnées par la mort du souverain, le nouveau gouverneur, lord Dalhousie, était venu prendre les rênes de l'administra- tion. II était entré en fonctions le 18 juin 1820. Le

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14 décembre suivant il ouvrait la première session de la législature récemment élue. La question des sub- sides allait se poser avec plus d'acuité que jamais.

Le chef de l'cxécutit demanda au nom du roi le vote d'une somme permanente de 22,000 louis par an- née, pour la vie de Sa Majesté, afm de solder le déficit entre les dépenses j^ermanentes de la liste civile (main- tien du gouvernement civil et administration de la jus- tice) et les recettes affectées en permanence à cette fin. A cette mise en demeure, la chambre répondit que le vœu de ses constituants, son devoir envers la postérité, son attachement pour la constitution, le dé- faut de fixité et l'incertitude du revenu eu égard aux fluctuations du commerce, lui étaient "le pouvoir de faire aucune autre appropriation qu'une appropriation annuelle pour la dépense générale de la province." L'assemblée affirmait en même temps "sa disposition inaltérable de voter annuellement d'une manière cons- titutionnelle. . toutes les dépenses nécessaires du gou- vernement civil de Sa Majesté dans cette colonie." (1)

Lord Dalhousie avait aussi appelé l'attention de la législature sur l'importance de donner un caractère plus permanent aux lois fiscales, qui, jusque là, avaient été votées généralement pour un terme de deux ans seulement. La chambre inséra dans son adresse ce sujet un paragraphe très vague par lequel elle ne s'en- gageait à rien.

Les estimations de dépenses en d'autres termes, le budget qui furent soumises peu après aux cham- bres étaient, cette fois, divisées en chapitres. Dans le premier figurai^^nt les émoluments ou salaire du gou-

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1821, p. 44.

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verneur en dief et des ofliciers attachés à son bureau; le second comprenait la législature et ses officiers; le troisième, le conseil exécutif et ses officiers; le quatriè- me, les juges et tousies officiers de justice;Ie cinquième^ DObôlA*^ ^ le secrétaire et régistrâà'e de la province, et le loyer de son bureau, le receveui^ général et son commis, l'ar^ ^\J^\Ay*ô{:;:^ penteur général et ses employés, l'inspecteur des bois, '

l'auditeur des patentes des terres publiques, l'inspec- teur des comptes et son commis et plusieurs autres em- ployés subalternes; le sixième contenait la liste des contingents pour la législature, l'administration de la' justice et les autres départements publics, etc. Le\ total des estimations s'élevait k44,S77 louis (1). La chambre, après les avoir discutées article par article, i les adopta en leur faisant subir quelques réductions, \ Mais, pour essayer de gagner le Conseil législatif à la doctrine du vote annuel de tous les subsides, elle aban- donna la forme adoptée à la session précédente, et les vota par chapitres au lieu de les voter par articles. Elle dépassa même le chiffre demandé, ajoutant 3,083

louis pour des pensions, et 1,543 louispour l'état-major de la milice. Cette générosité inattendue fut mal ac- cueillie, parce qu'elle dérogeait au principe que tout vote d'argent doit être précédé d'un message du pou- voir exécutif pour en proposer l'adoption aux cham- bres.

Pendant que l'Assemblée délibérait sur les subsi- des, le Conseil législatif réglait virtuellement le sort du bill qui devait lui être envoyé, par le vote d'une sé- rie de résolutions dans lesquelles il déclarait, entre au- tres choses, "qu'il avait constitutionnellernent sa voix

(1) Appendices au Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada. 1820 ; Appendice D.

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dans tout bill d'aides ou de subsides; qu'aucune affec- tation de revenu ne pouvait être faite légalement sans son concours; qu'il n'accueillerait aucun vote d'argent non recommandé par le gouverneur; qu'il ne procéde- rait sur aucun bilI d'appropriation de la liste civile contenant des spécifications par chapitres, ou par items, ni à moins qu'elle ne soit accordée durant la vie de Sa Majesté le roi." (1) Après cela on devait s'atten- dre au rejet par le Conseil du bill adopté par la Cham- bre. C'est ce qui arriva. La Chambre protesta alors contre les résolutions du Conseil, et mit à la disposi- tion du gouverneur par une simple adresse, la somme de 46,000 louis, promettant de passer un bill pour régu- lariser ce procédé à la prochaine session. (2) Mais lord Dalhousie répondit à cette démarche en déclarant que ce vote était absolument inefficact, sans le concours de l'autre branche de la législature. L'imbroglio parle- mentaire ne pouvait être plus complet. Aucrne des deux chambres, comme le fait observer l'historien Christie, ne semblait disposée à abandonner le terrain sur lequel elle s'était cantonnée. L'une refusait de prendre en considération tout bill "d'appropriation" pour la liste civile qui contiendrait des spécifications par chapitres ou articles, ou qui ne s'étendrait pas à toute la vie du roi. L'autre ne voulait pas passer de bill sans ces spécifications, ni pour une période plus longue qu'un an, ni même sans la reconnaissance de son droit d'affecter par son vote annuel les sommes

(1) Christie, II, p. 339; Journaux du Conseil législatif, 1820-21, pp. 105-106. Mgr Plessis et cinq autres conseillers firent enregistrer leur dissidence.

(2) Journal de ta Chambre d'Assemblée du Ras-Canada, 1821, p. 312.

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déjà affectées antérieurement au soutien du gouverne- ment civil. Ces vues et ces déterminations absolu- ment divergentes rendaient impossible la solution de cette difficulté par la législature.

A la fin de cette session, le 14 mars 1821, la Cham- bre adopta une série de résolutions qu'elle transmit au gouverneur pour la considération du gouvernementj impérial. Le texte de cette pièce se trouve dans les journaux de l'assemblée législative pour 1821, à lai page 321. L'assemblée y signalait au gouverneur une foule d'abus et de sinécures. "Elle le priait de suspen-j dre le paiement d'un salaire de 1500 louis accordé àj un lieutenant gouverneur qui n'avait jamais mis le pied dans le pays; déclarait inutile le salaire d'un au- tre nommé pour Gaspé, qui ne résidait point non plus; le priait de ne payer le salaire de 400 louis à un M. Amyot, secrétaire de la province, que lorsqu'il y rem- plirait ses fonctions; déclarait la charge d'agent de la province à Londres sans avantage pour le peuple; posait pour règle qu'aucun salaire ne devait être accordé aux conseillers exécutifs qui ne résidaient point dans le pays, que la réunion d'offices de juge à la cour d'ami- rauté et de juge à la cour du banc du roi était incom- patible sur la même tête, que le cumul de ceux de juge de cette dernière cour et de traducteur français ou d'au- diteur des comptes l'était encore plus; enfin elle le priait de porter remède à tous ces abus comme à celui, le plus grave de tous pour la pureté de la justice, dont se ren- dait coupable le juge de l'amirauté, qui se faisait don- ner des honoi aires par les plaideurs contrairement à la loi, tandis qu'il recevait un salaire de l'Etat." C'est à Garneau que nous empruntons ce résumé. Le gou- verneur, en recevant cette adresse, répondit à la Cham- bre qu'il allait saisir le gouvernement impérial du su-

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jet de ces résolutions. Mais clans son discours de pro- rogation, le 17 mars 1821, il reprocha vivement àl'As- semblce son attitude sur la question des subsides et prononça les paroles suivantes: "Lorsque je vous as- semblerai ici de nouveau, vous y viendrez pour déci- der la question importante de savoir si l'énergie cons- titutionnelle du gouvernement doit être rétablie, ou si vous aurez à déplorer la perspective d'un malheur durable par la continuation de l'état actuel des cho- ses." (1)

Ce fut le 11 décembre 1821 que s'ouvrit la session suivante. Lord Dalhousie dans son discours d'ouver- ture communiqua à la législature cette grave intima- tion: "On a établi dans le parlement britannique, com- me un des principes de la constitution, que la liste civile devait être accordée durant la vie de Sa Majesté, et il m'est commandé de fixer sur vos espiits en cette occasion la recommandation de Sa Majesté que ce principe de la constitution doit êtr3 adopté et mis en exécution dans cette province." (2) C'était péremptoire. La Chambre, déterminée à refuser, voulut faire accompa- gner son refus de résolutions explicatives. Il y était dit que la dépense du gouvernement civil de cette pro- vince faisait la presque totalité de la dépense publique; qu'il n'y avait pas de parité entre la métropole et la colonie; que la prospérité extraordinaire de 1810 avait disparu; que l'état du commerce et de l'industrie était précaire et qu'une diminution considérable avait eu lieu dans les importations et les exportations, et con- séquemment dans le revenu annuel; que cette provin-

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée, 1821. p. 336. {2)— Journal de la Chambre d'Assemblée, 1821-22, p. 8.

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ce était encore dans l'enfance; enfin que les raisons qui avaient engagé le parlement britannique à pourvoir pour la vie du roi à la dépense de sa maison et à la liste civile n'existaient pas dans cette province." (1) La Chambre refusait donc une fois encore de voter les sub- sides comme le demandait le gouvernement. Bien plus, elle résolut de tarir la source qui alimentait le revenu. Elle laissa expirer sans la renouveler une des lois fisca- les qui avaient été édictées pour cet objet, et annonça son intention d'en laisser mourir une autre du même genre l'année suivante. La situation devenait ex- trêmement tendue (2). Les relations entre les deux chambres prenaient un caractère de plus en plus acri- monieux. Un des membres du Conseil, M. Richard- son, était violemment censuré par l'assemblée pour des paroles prononcées par lui dans un débat. (3) Le Conseil ripostait en accusant la chambre d'avoir violé ses piivilèges. Bref, le 18 février 1822, la session de la législature fut prorogée en pleine crise politique.

Si nous analysons maintenant la situation, nous constatons que l'administration bas-canadienne fonc- tionnait en pleine incohérence et en pleine illégalité. L'irrégulaiité signalée par sir John Sherbrooke en 1817 s'était aggravée par le fait même qu'on avait tenté in- fructueusement d'y porter remède et qu'on y persis- tait dorénavant de propos délibéré, après avoir an- noncé qu'on voulait en sortir. Sur l'initiative de ce gouverneur clairv^oyant, le gouvernement impérial avait pris la décision de demander à la législature le

{\)— Journal de la Chambre d'Assemblée. 1821-22, p. 87.

(2)— Christie, II, p. 367.

(Z)— Journal de la Chambre, 1822, p. 137.

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vote régulier des subsides nécessaires au service pu- blic. Il y avait de cela cinq ans, et cependant pas un bill de subsides n'était encore inscrit dans nos statuts. En 1818 le temps avait manqué et la Chambre Q}avait autorisé la dépense par une résolution. En 1819 le duc de Richmond avait alarmé la représentation populaire par une injustifiable et maladroite augmen- tation du budget soumis, et celle-ci a\ait proclamé le principe du vote annuel et par article, que le Conseil législatif et le gouverneur avaient repoussé de concert. En 1820 une dissolution inattendue et inexplicable, décrétée par le juge Monk, administrateur intérimaire, puis la mort du roi, survenue au milieu d'un imbroglio malheureux, nous avaient gratifiés de deux élections générales en quatre mois et d'une stérile session de treize jours. En 1821, lord Dalhousie était entré en scène, et avait essayé vainement de faire accepter par la Chambre le vote d'une liste civile permanente pour la vie du roi. L'Assemblée avait maintenu son atti- tude relativement au vote annuel, et signalé dans une adresse un grand nombre d'articles budgétaires desti- nés à perpétuer d'indéniables abus. Toutefois elle avait autorisé par résolution la dépense d'une somme suffisante pour faire face aux besoins administratifs. Mais le Conseil avait, de son côté, pris catégoriquement position en s'engageant à ne voter jamais qu'une liste civile permanente, pour toute la vie du souverain. Et le gouverneur avait déclaré ne pouvoir accepter l'au- torisation non statutaire de l'Assemblée sans le con- cours de la Chambre haute. Enfin, en 1822, les deux systèmes s'étaient nettement précisés et heurtés. Le gouverneur avait formellement requis, au nom de la Couronne, l'adoption d'une liste civile permanente pour la vie du roi, comme cela était pratiqué en Angle-

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terre. La Chambre avait repondu qu'elle ne pouvait y consentir, alléguant la disparité des circonstances (1). Et, cette fois, elle s'était abstenue de voter une réso- lution d'indemnité anticipée. Elle avait même indi- qué son intention de forcer la main à l'exécutif en s'arrangeant pour frapper de caducité deux des lois de revenu les plus productives. L'administration pro- vinciale se trouvait acculée dans une impasse. N'ayant pu obtenir le vote des subsides, elle ne pouvait toucher à la catégorie du revenu non affecté par le parlement sans violer un principe fondamental de la constitution britannique, sans commettre une illégalité flagrante. Et même au cas elle serait déterminée à passer outre, le tarissement du revenu en le lui interdisant la condamnait à l'inertie. Comment trouver à ce problème une solution satisfaisante ?

Pendant que ces difficultés d'ordre budgétaire et constitutionnel s'acheminaient vers le point culmi- nant où nous les voyons rendues, un autre imbroglio se produisait. Et celui-ci mettait aux prises les deux provinces séparées en 1791, relativement au partage des recettes douanières. Jusqu'à la séparation, il ne pouvait être question d'un tel partage entre les régions inférieure et supérieure de la province, dont les affaires étaient administrées par un gouvernement unique. Mais lorsque deux provinces, celle du Haut et celle du Bas-Canada, eurent été créées par le statut impé- rial de 1791, il fallut délibérer sur la manière dont se-

(1) On trouve à l'appendice K du Journal de la Chambre d'Assemblée pour 1822 un document important qui récapitule les divers incidents de cette controverse. C'est le rapport d'un comité chargé de préparer un projet d'instructions à M. Marryat, nommé agent de la province en Angleterre.

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raient repartis entre elles les droits perçus en vertu des lois fiscales existantes ou de celles qui seraient ultérieu- rement adoptées. La situation était assez embarras- sante. Le seul port d'entrée pour les importations soumises aux droits de douanes était celui de Québec, les vaisseaux devaient faire leur déclaration de car- gaison, et les taxes devaient être payées sur toutes les marchandises importées, môme sur celles qui étaient destinées à la consommation du Haut-Canada. Evi- demment celui-ci avait droit aux recettes provenant des impôts perçus sur les articles importés par ses mar- chands et destinés à sa consommation locale. Autre- ment, le Bas-Canada aurait eu le piivilège inique de taxer le commerce du Haut-Canada, en profitant de sa position géographique, et de garder pour lui seul le produit de ces impositions.

En 1794, on nomma des commissaires représen- tant chacune des deux provinces pour régler cette ques- tion délicate. Et un arrangement fut conclu, en vertu duquel le Haut-Canada, renonçant à édictei lui-même des taxes d'importation, reconnaissait à la législature du Bas-Canada le droit d'en imposer seul, mais avec ^ l'obligation pour celui-ci de verser à la province-sœur

S unhuitième des recettes douanières perçues à Québec. (1^

Cette convention ne dura que deux ans. En 1797 on jugea opportun de conclure un autre arrange- ment. Il fut stipulé, comme en 1795, "que le Haut- Canada n'imposerait aucun droit sur les effets impor- tés dans le Bas-Canada, mais qu'il permettrait que le Bas-Canada imposât sur ces effets tels droits laison- nables qu'il jugerait expédient." Et pour déterminer

(1) Les Statuts provinciaux du Bas-Canada; 3.5 Georges III, ch. III.

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la part de droits dûs au Haut-Canada, on décréta l'éta- blissement à frais communs, au Côteau-du-Lac, d'un bureau serait installé un inspecteur, officier des deux provinces, à qui toutes les voitures et tous les ba- teaux allant du Bas au Haut-Canada feraient rapport des marchandises transportées par eux, ainsi que des droits payés à Québec. Et ce fonctionnaire, se basant sur les entrées dans ses livres, ferait ensuite sa déclara- tion, d'après laquelle serait fixé le chiffre des recettes douanières afférantes au Haut-Canada. (1) Ce régime dura jusqu'en 1817, "le montant des droits à payer au Haut-Canada étant entièrement réglé par le montant des articles sujets aux droits que l'inspecteur du Côteau- du-Lac rapportait comme étant venus du Bas-Cana- da."

En 1817, ce "modus vivendi" qui avait duré vingt ans fut discontinué parce que le Haut-Canada ne le trouvait plus satisfaisant. Des commissaires furent de nouveau nommés par les deux provinces. Après d'assez longues délibérations, ils conclurent la conven- tion suivante. Le bureau d'inspection du Côteau-du- Lac était supprimé et le Haut-Canada devait recevoir \^ un cinquième de tous les droits d'importations perçus ^ dans le Bas-Canada (2).

Une question cependant resta en suspens lors de la conclusion de cet arrangement en 1817. Ce fut celle qui concernait certains arrérages, au sujet desquels les commissaires du Haut-Canada élevèrent une réclama- tion. Celui-ci prétendait que, sous le régime de 1797 à 1817, il avait subi une peite de revenu considérable. II représentait que, pour diverses raisons, toutes es

(1) 37 George III, cli. m.

{2) Les Statuts provinciaux du Bas-Canada. 57 George III, ch. V.

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maichandises expédiées dans le Haut-Canada n'étaient pas déclarées au bureau d'inspection du Côteau-du- Lac. En outre certaines lois de douane, adoptées pai la législature du Bas-Canada et imposant de nou- veaux droits, n'ayant pas été signifiées au bureau du Coteau non plus qu'au gouvernement du Haut-Ca- nada, l'inspecteur avait omis d'entrer dans ses livres des marchandises soumises par cette législation nou- velle à certains droits "ad valorem" ou de tenir comp- te d'articles sur lesquels avaient été imposés des droits spécifiques. De sorte que, suivant les expressions du rapport d'un comité conjoint des deux chambres du Haut-Canada, "cette omission ne fut découverte par cette province que lorsqu'elle eût occasionné dans son revenu une perte clairement constatée de plusieurs mil- liers de livres". En présence de cette réclamation, les commissaires du Bas-Canada déclarèrent qu'ils n'avaient pas de pouvoirs suffisants pour la considérer et la régler, et la difficulté resta sans solution.

La convention de 1817 n'était faite malheureuse- ment que pour deux ans. En 1819 elle ne fut pas re- nouvelée, par suite de la crise législative que traversait alors le Bas-Canada, et le Haut-Canada se trouva pri- vé de la part de recettes douanières à laquelle il avait droit, ce qui lui infligea une pénurie financière très pré- judiciable. Malgré ses plaintes cette situation se pro- longea, et lorsque lord Dalhousie arriva à Québec au mois de juin 1820 la difficulté était encore pendante.

En 1821, les deux provinces nommèrent des com- missaires pour tâcher d'en arriver à un arrangement sa- tisfaisant. Ceux du Bas-Canada étaient MM. L.-J. Papineau, A. Cuvillier, J. Davidson, J. Neilson, G. Garden; ceux du Haut-Canada, MM. Thomas Clarke, A. MacLean, Jonas Jones. Voici quelle était à ce mo-

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ment l'attitude de cjette dernière province. Elle ré- clamait des arrérages s' élevant à plusieurs mille louis pour les droits perdus par l'insuffisance de l'inspection au Côteau-du-Lac et le défaut de signification à ce bureau de plusieurs lois fiscales. Elle demandait le paiement d'un cinquième des droits perçus dans le Bas-Canada de 1819 à 1821, en se basant sur le taux fixé par l'accord de 1817, qui n'avait pas été renouvelé. Enfin pour les deux années prochaines, 1822 et 1823, elle proposait que sa proportion des recettes douaniè- res fût fixée à un quart. Outre ces réclamations, elle prétendait qu'il était juste de lui accorder, à même les revenus territoriaux et permanents de la Couronne af- fectés au soutien du gouvernement civil et de l'admi- nistration de la justice, une somme proportionnelle à celle de la dépense qui lui incombait pour solder ces services (1).

Les commissaires des deux provinces se réunirent à Montréal dans l'été de 1821. Ils se rencontrèrent chez l'un d'entre eux, M. Papineau, orateur de l'Assem- blée législative du Bas-Canada, et eurent plusieurs conférences. Malheureusement ils ne purent parve- nir à s'entendre. Les représentants du Bas-Canada ne se crurent pas justifiables d'accepter les demandes de l'autre province. Pour les arrérages antérieurs à la convention de 1817, ils émirent l'opinion que celle-ci avait été conclusive à toutes fins que de droit; que cependant le Haut-Canada avait reçu du Bas-Canada une somme de plusieurs mille louis, en sus de ce que lui accordait l'arrangement accepté alors, et qu'après cela il ne pouvait plus être question d'arrérages. Quant à la part de recettes douanières réclamée par le Haut- Ci) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1822 ; Appendice H, rapport des commissaires du Bas-Canada.

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Canada pour la période de 1819 à 1821, Us proposèrent de l'établir par des témoignages pris devant la commis- sion et démontrant quelle quantité de marchandises sujettes aux droits avait passé "bonâ fide" du Bas- Canada dans le Haut-Canada pour y être consommée. Ils suggérèrent d'adopter le même mode pour l'année 1821-1822. Et enfin, pour l'avenir, ils soumirent le plan suivant: "I] serait permis, par la législature de l'une et de l'autre province, de procéder avec toutes espèces de marchandises et effets d'une province à l'autre et de les passer franches d'aucun droit en en faisant une entrée régulière à la maison de douane la plus voisine, et en signant une reconnaissance comme quoi ces effets ne seraient ni vendus, ouverts ou con- sommés dans la province par ils auraient passé." Cela revenait à dire que les marchandises importées pour la consommation haut-canadienne ne paieraient aucun droit dans le Bas-Canada, passeraient en transit et en franchise de la province inférieure à la province supérieure, qui leur ferait payer les taxes douanières qu'elle jugerait raisonnables à leur entrée chez elle. De cette façon chaque province aurait été maîtresse de son tarif et auraitprélevéelle-mcmeetindépcndaniment de l'autre ses taxes douanières (1). Le Haut-Canada repoussa cette solution, qu'il représenta comme trop difficile et trop coûteuse d'application pratique, à cau- se de l'étendue de la frontière entre les deux provinces. Les commissaires se séparèrent sans avoir conclu d'ar- rangement. Le Haut- Canada, souffrant de plus en plus de la perte de revenu qui paralysait son administration, s'adressa alors au parlement impérial, en janvier 1822, et lui demanda d'intervenir pour redresser ce grief.

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1822 ; Appendice H.

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Deux questions graves, deux conflits aigus, le conflit budgétaire bas-canadien et le conflit douanier interprovincial, s'imposaient donc à l'attention de la métropole en 1822. En les abordant avec un esprit de sagesse, d'équité et de conciliation, il n'était pas impossible pour les hommes d'Etat britanniques de faire accepter, dans le premier cas, un modxis vivendi et, dans le second cas, un terrain d'entente, capables de rétablir l'ordre et la concorde.

Malheureusement, en présence de nos difficultés, une intrigue dangereuse, dont les fils s'entrecroisaient à travers l'Océan, se préparait à les exploiter au détri- ment de nos intérêts nationaux et religieux. La majo- rité bas-canadienne réclamait avec une énergie crois- sante le régime du selj-i^o^emwent. Pourquoi ne pas la rendre impuissante en la réduisant dans un avenir prochain au rôle de minorité? Le Haut et le Bas- Canada se querellaient au sujet du partage des douanes. Le meilleur moyen de terminer le litige ne serait-il pas d'en supprimer la laison d'être en réunissant les deux provinces sous un gouvernement commun?

Telle fut la genèse de la tentative d'union de 1822, qui fera l'objet de notre prochaine leçon. Nous verrons se nouer l'intrigue, nous la verrons se resserrer, nous la verrons toucher au succès; et, Dieu merci, nous la \'errons enfin échouer pitoyablement devant le magni- fique soulèvement de notre peuple.

SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER

Garneau, HistoireAu Canada, 1882, t. III, liv. XV, ch. r. Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise, 1844, liv. III.— Perrault, Abrégé de l'Histoire du Canada, 1833, t. IV.—

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Kingsford, History oj Canada, t. IX. Christic, History oj Loiver Canada, t. II, ch. XXI, xxii, xxui. Canada and its Pro- vinces, Toronto, 1814, tt. III et IV. Statuts provinciaux du Bas- Canada, 1794, 1797, 1817. Journaux de la Chambre d'Assem- blée du Bas-Canada. 1817, 1818, 1819, 1820, 1820-21, 1822.— Journaux du Conseil législatij du Bas-Canada, 1819, 1820-21. Tbe Maseres Papers, Toronto, 1919. -Tbe Annual Register, Londres, 1816, 1817. Hansard's debates lèro série, tt. xxxiv et XXXVI. Financial Difficulties oJ Lower Canada, Québec, 1824. Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas-Canada, série Q. 119, 143, 151-A. 151-1, 152-1-2, 155-1. 1.52-2.— Gazette de Québec, 1820.

QUATRIÈME LEÇON

La tentative d'union de 1822. M. Edward EUice. Ses accointances canadiennes. Le groupe unioniste montréalais. Le projet d'union des deu.x provinces. Consultations pré- alables.— L'opinion du procureur général haut-canadien. Le cabinet britannique passe outre. Il présente un bill d'union. Une intervention opportune. Le débat aux com- munes.— Attitude de sir James Mackintosh. Il fait ajour- ner le bill.— rZ>e Canada Trade Act. Analyse du projet soumis. Trois articles spécialement iniques. L'inégalité de représentation. -La proscription de la langue française. La collation des ciires. L'agitation au Canada. La pétition. Mission de MM. John Neilson et Louis -Joseph Papineau.— La Chambre d'assemblée et le Conseil législatif condamnent le bill. MM. Neilson et Papineau à Londres. Leur mémoire contre l'Union. On leur fait des promesses. Le bill reste en plan. L'attitude de Lord Dalhousie.— La tentative échoue. Aveux rétrospectifs. Une chanson satirique.

En 1822, parmi les membres de la Chambre des communes anglaise, il y en avait un qui s'intéressait particulièrement aux affaires canadiennes. II repré- sentait Coventry et s'appelait Edward £Ilice. Ce tiUJC^ député avait résidé quelque temps dans notre province. Son père y avait fait un grand commerce et était devenu propriétaire de la seigneurie de Beauharnois, qu'il lui avait léguée. Après son séjour au Canada, M. Edward Ellice était allé se fixer aux Indes Occi- dentales où il avait épousé une fille de lord Grey, le célèbre homme d'Etat qui, pendant de longues années, fut le chef du parti whig. Cette alliance lui donna de l'influence et du prestige. De retour en Angleterre, i! obtint un siège dans !a Chambre des communes.

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gislatuie de pour ir d'une manière plus permanente à la liste civile, ;'; 'ue que je ne vois pas comment une telle mesure pou it le faire disparaître, parce que, supposant que le Canadas fussent unis selon l'échelle actuelle de repré.^ tation, si chaque membre du Haut- Canada consente! à une disposition permanente en faveur de la liste vile, elle ne serait pas encoie adop- tée, et sans expi ler aucune opinion sur la question telle qu'elle se ti ve aujourd'hui dans le Bas-Canada je ne crois nulle nt qu'on ait raison de prévoir que les membres du laut Canada appuieraient en géné- ral cette disposi n dans les termes dans lesquels on exigerait qu'elle it faite." Ces derniers mots étaient extrêmement sig icatifs, sous la plume du procureur général du H.it-Canada. Ils indiquaient que, d'après lui, les «pûtes anglais de cette province ne seraientguèrem< 18 jaloux des privilèges delà chambre populaire que les eprésentants français du Bas-Canada. M. Robinson venait sur cette idée à la fin de son mémoire. Apre avoir formulé ses objections, du point de vue 1 ut-canadien, après avoir rappelé la différence de poulation qui existait entre les deux pro- vinces, différer* qui, dans son opinion, assurerait longtemps la fépondérance au Bas-Canada, après avoir manifesti'sa crainte de voir le sentiment bas- canadien prév;i ir forcément quand il y aurait diver- gence entre le eux sections de la législature unie, il tenait ce franc oyal et généreux langage: "Les habi- tants français Bas-Canada, j'en suis fermement con- vaincu, sont i paisiblement disposés, aussi enclins à se s l'autorité, et aussi loyalement atta-

ches ment britannique qu'aucune portion

1 Majesté; et quelque embarras que urs représentants en refusant de pour-

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voir d'une manière peimai te à la liste civile, ou sur des questions de revenus u autres, quelles qu'elles soient, entre eux et le gr ernement exécutif, il ne faut pas l'attribuer à la p ^ondcrance de l'influence française sur les Anglais, m au désir dont font preuve toutes les assemblées po], lires d'affirmer et d'exer- cer le plus possible la part e pouvoir qu'elles croient leur être accordée par la conitution, et même de l'éten- dre, disposition dont on p«it attendre d'autant plus d'inconvénients qu'un tel orps sera plus démocrati- que. Et je crois que les d(cendants des Anglais, des Irlandais et des Ecossais se)nt plus portés à y persé- vérer que les descendants d< Français. Si donc l'idée que la législature unie sera plus raisonnable sous ce rapport que la présente Itislature du Bas-Canada semblait devoir rendre une nion désirable, je ne crois pas que l'événement justifiai l'attente." (1)

Ce document politique lisait honneur à son au- teur par sa pondération, sa mesure, sa clarté, son esprit de justice, la clairvoyace et la rectitude de juge- ment qui s'y manifestaient àhaque ligne. La lecture d'une pièce aussi fortement aisonnée dut faire léflé- chir les ministres. Au comiencement de juin ils pa- rurent peu disposés à prcpoe- un bill d'Union. Le 10 de ce mois, une résolution d la Chambre des com- munes chargea lord Londoncrry et MM. Wilmot et Brogden de préparer un pro;t de loi "pour réglemen- ter le commerce des province du Haut et du Bas-Ca- nada et pour d'autres objets' Il n'y était pas ques- tion de changement dans 1 constitution. Mais les unionistes et leur champion M. Ellice, redoublèrent à ce moment d'efforts et, p? leurs instances réitérées, réussirent à faire adopter 1ers vues par le gouverne- Ci) Rapport sur les archives madiennes, 1897, p. 2.

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Naturellement les propriétés qu'il possédait dans le Bas-Canada lui faisaient conserver ses relations avec notre province. II était en correspondance suivie avec les chefs du haut commerce montréalais, dont plusieurs, tels que MM. Richardson, Grant, Molson, figuraient parmi nos adversaires les plus violents.

Ce groupe rêvait depuis longtemps la réunion des deux provinces, dans laquelle il voyait un moyen, l'uni- cjue moyen, de se soustraire à la suprématie parlemen- taire d'une majorité canadienne-française. Les diffi- cultés survenues entre le Haut et le Bas-Canada rela- tiv-^ement au partage des droits de douanes, et le con- flit chronique de l'exécutif avec la chambre au sujet dessubsides parurent à ces ennemis de notre nationalité une occasion très favorable à la réalisation de leurs vœux. Ils multiplièrent les démarches dans ce sens et mirent en mouvement les grandes maisons commer- ciales de Londres dont ils étaient les clients. Ils n'ou- blièrent pas M. Ellice, gagné d'avance à toutes leurs vues, qui entreprit sans retard le siège des ministres pour les déterminer à abroger la constitution de 1791 et à réunir les deux Canadas sous une seule législature. Au commencement de 1822 les conspirateurs contre notre constitution entrevoyaient déjà le succès de leur manoeuvre. Des négociants de Montréal, MM. Hart, Logan et compagnie, écrivaient à M. Ellice le 31 jan- vier: "Une bien meilleure mesure, nous l'espéions, sera proposée, et les hommes de commerce déploieront toute l'énergie pour la faire réussir, savoir la réunion des deux provinces. . II n'y a réellement aucun espoir de rendre le Canada utile comme apanage de l'empire britannique en en faisant un asile convenable pour les émigrants, ou développei ses ressources commerciales, excepté par la grande mesure de l'union du Haut et du

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Bas-Canada." (1) Cependant l'intention première du gouvernement parut être de soumettre un bill ayant pour seul objet de régler la question du partage des droits de douanes entre le Haut et le Bas-Canada. Plusieurs officiels canadiens, entre autres le juge Monk, le solliciteur général Marshall, du Bas-Canada, et le procureur-général Robinson, du Haut-Canada, se trouvaient à Londres, dans l'hiver de 1822; les minis- tres les avaient consultés et leurs opinions n'avaient pas été parfaitement concordantes. MM. Monk et Mar- shall avaient approuvé l'union (2). M. Robinson, au contraire, avait nettement émis un avis hostile au pro- jet. Dans un mémoire daté du 23 avril 1822, il avait exposé ses vues avec beaucoup de précision et de clarté. Suivant lui, la réunion des deux provinces n'était pas nécessaire pour régler leurs difficultés financières: "Je ne vois aucune raison de supposer, écrivait-il, qu'il faille une union des législatures pour ces motifs, par- ce que je prétends, en premier lieu, qu'une telle union ne ferait nullement disparaître le point principal du différend, savoir les réclamations du Haut-Canada pour le passé. . Quant aux règlements futurs des re- lations entre les deux colonies, les mesures humblement demandées par le Haut-Canada sont telles qu'on ne croit pas qu'on puisse y opposer aucun système rai- sonnable."

M. Robinson passait ensuite à la question de la liste civile, cause du conflit entre l'exécutif et la Cham- bre dans le Bas-Canada, et il faisait à ce propos cette déclaration remarquable: "Quant au premier des in- convénients mentionnés, savoir l'embarras ressenti à présent dans le Bas-Canada à cause du refus de la lé-

(1) Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 1. (2)— Archives du Canada, Q. 162-1-2, p. 283. 8

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gislatuie de pourvoir d'une manière plus permanente à la liste civile, j'avoue que je ne vois pas comment une telle mesure pourrait le faire disparaître, parce que, supposant que les Canadas fussent unis selon l'échelle actuelle de représentation, si chaque membre du Haut- Canada consentait à une disposition permanente en faveur de la liste civile, elle ne serait pas encoie adop- tée, et sans exprimer aucune opinion sur la question telle qu'elle se trouve aujourd'hui dans le Bas-Canada je ne crois nullement qu'on ait raison de prévoir que les membres du Haut Canada appuieraient en géné- ral cette disposition dans les termes dans lesquels on exigerait qu'elle fût faite." Ces derniers mots étaient extrêmement significatifs, sous la plume du procureur général du Haut-Canada. Ils indiquaient que, d'après lui, les députés anglais de cette province ne seraient guère moins jaloux des privilèges de la chambre populaire que les représentants français du Bas-Canada. M. Robinson revenait sur cette idée à la fin de son mémoire. Après avoir formulé ses objections, du point de vue haut-canadien, après avoir rappelé la difféience de population qui existait entre les deux pro- vinces, différence qui, dans son opinion, assurerait longtemps la prépondérance au Bas-Canada, après avoir manifesté sa crainte de voir le sentiment bas- canadien prévaloir forcément quand il y aurait diver- gence entre les deux sections de la législature unie, il tenait ce franc, loyal et généreux langage: "Les habi- tants français du Bas-Canada, j'en suis fermement con- vaincu, sont aussi paisiblement disposés, aussi enclins à se soumettre à l'autorité, et aussi loj'alement atta- chés au gouvernement britannique qu'aucune portion des sujets de Sa Majesté; et quelque embarras que puissent causer leurs représentants en refusant de pour-

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voir d'une manière permanente à la liste civile, ou sur des questions de revenus ou autres, quelles qu'elles soient, entre eux et le gouvernement exécutif, il ne faut pas l'attribuer à la prépondérance de l'influence française sur les Anglais, mais au désir dont font preuve toutes les assemblées populaires d'affirmer et d'exer- cer le plus possible la part de pouvoir qu'elles croient leur être accordée par la constitution, et même de l'éten- dre, disposition dont on peut attendre d'autant plus d'inconvénients qu'un tel corps sera plus démocrati- que. Et je crois que les descendants des Anglais, des Irlandais et des Ecossais seront plus portés à y persé- vérer que les descendants des Français. Si donc l'idée que la législature unie serait plus raisonnable sous ce rapport que la présente législature du Bas-Canada semblait devoir rendre une union désirable, je ne crois pas que l'événement justifiât l'attente." (1)

Ce document politique faisait honneur à son au- teur par sa pondération, sa mesure, sa clarté, son esprit de justice, la clairvoyance et la rectitude de juge- ment qui s'y manifestaient à chaque ligne. La lecture d'une pièce aussi fortement raisonnée dut faire léflé- chir les ministres. Au commencement de juin ils pa- rurent peu disposés à proposer un bill d'Union. Le 10 de ce mois, une résolution de la Chambre des com- munes chargea lord Londonderry et MM. Wilmot et Brogden de préparer un projet de loi "pour réglemen- ter le commerce des provinces du Haut et du Bas-Ca- nada et pour d'autres objets." Il n'y était pas ques- tion de changement dans la constitution. Mais les unionistes et leur champion, M. Ellice, redoublèrent à ce moment d'efforts et, par leurs instances réitérées, réussirent à faire adopter leurs vues par le gouverne- Ci) Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 2.

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ment. Le 20 juin instruction était donnée au comité Brogdcn, Wilmot et Londonderry d'ajouter au bill qu'on l'avait chargé de préparer des dispositions pour le meilleur gouvernement des deux provinces. Et le même jour M. Wilmot, sous-secrétaire d'Etat pour les colonies, présentait un projet de loi "to make more ef- fectuai provision for the government of the provinces of Lower and Upper Canada, to regulate the trade thereof and for other purposes." La question de l'u- nion des deux Canadas était ofTiciellcment posée par le gouvernement dans la Chambre des Communes. (1) Heureusement qu'un M. Parker, ancien marchand enrichi dans le commerce canadien, et ennemi d'ElIice, avait eu vent de ce qui se passait. Influencé sans doute par son antipathie pour le gendre de lord Grcy et aussi par des motifs d'intérêt public, il avait fait des démarches auprès des ministres pour les empêcher de se rendre aux vues de ce remuant personnage (2). Voyant qu'on allait passer outre, il se tourna alors vers quelques membres importants de l'opposition, entre autres sir James Mackintosh, et leur dénonça le coup de main qui se préparait pour changer la constitution canadienne, sans que les deux législatures intéressées en eussent le moindre soupçon. Sir James Mackintosh avait une grande situation parlementaire. Il jouis- sait d'une réputation méritée comme légiste, comme penseur et comme orateur. Après avoir occupé aux Indes des fonctions importantes, il siégeait depuis 1813 dans la Chambre des communes. Adversaire modé- ré du gouvernement, par son caractère et son talent

{\)—Hansard's Debates, 1822, nouvelle série, t. VII. p. 1199.

(2) Rapport du comité choisi pour s'enquérir sur le gouver- nement civil du Canada, 1828, p. 239.

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cet homme politique exerçait une autorité réelle parmi ses collègues (1).

Le 20 juin, lorsque M. Wiimot eut présenté son pro- jet de loi, sir James Mackintosh se leva aussitôt pour déclarer qu'il verrait avec alarme, à une période aussi avancée de la session, l'adoption d'un bill affectant les droits les plus sacrés du peuple des provinces cana- diennes, et il ajouta qu'il ferait son possible pour em- pêcher cette mesure de passer durant la présente ses- sion (2).

Dès ce moment la Chambre des communes était mise sur ses gardes, et messieurs les unionistes ne pou- vaient plus espérer escamoter l'adoption du projet qui leur tenait tant au cœur.

Le 22 juin le bill présenté par M. Wiimot fut adopte en deuxième lecture et soumis au comité. Le rapport du comité, présenté quelques jours après, fut ajourné pour considération ultérieure le 6 juillet, et le 18 juillet cette importante mesure revint devant la Chambre. M. Wiimot déclara que l'un des objets du bill était de remédier aux griefs du Haut-Canada. "Nous proposons, dit-il, d'établir une union plus inti- me entre les deux colonies en incorporant en une seule leurs deux législatures, afm que la langue anglaise et l'esprit de la constitution anglaise puissent être plus puissamment répandus parmi toutes les classes de leur population. Nul droit ou privilège dont jouit un citoyen dans l'une ou l'autre province n'est affecté en aucune façon par la présente mesure." (3)

(1) Encyclopaedia Britannica, t. XVII, p. 359. i2)—Hansarc['s Debates, 1822, p. 1199. (3)— Hansards' debates,, 1822, p. 1699.

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Ce fut Sir James Mackintosli qui repondit au mi- nistre. Il fit observer à la Clianil^rc que ce qu'il de- mandait au gouvernement c'était six mois de délai quant à cette partie du bill relatif à l'union des deux législatures. Il ne s'opposait nullement au reste du projet de loi. "La Chambre, dit-il, doit consulter les sentiments du peuple du Canada. Est-il convenable qu'une mesure affectant si profondément les libertés et les intérêts pécuniaires de la colonie soit adoptée à la hâte durant cette fin de session ? Est-il tolérable qu'on le lasse sans consulter la législature du Canada." (1)

A ce moment l'u» des principaux instigateurs de la mesure, M. Ellicc, entra en scène. Il proclama avec ostentation sa responsabilité relativement au projet et il s'efforça d'en démontrer l'urgence. "J'ai dès l'ori- gine, décJara-t-il, suggéré cette mesure et insisté pour son adoption auprès des ministres de Sa Majesté. Elle est la seule qui puisse promouvoir les intérêts per- manents des colonies et de la mère-patrie, et elle est infiniment préférable aux autres expédients que l'on a conseillés pour surmonter les difficultés existantes qui ont rendu indispensable un rccouis au Parlement durant la présente session. Voilà pourquoi je sens qu'il m'incombe non seulement d'énoncer les raisons qui ont déterminé mon opinion et ma conduite en cette affaire, mais aussi d'expliquer à la Chambre quelques- unes des circonstances qui ont malheureusement re- tardé l'introduction du bill." Dans la suite de son discours, M. Ellice admit hauiiment que les habitants français du Canada s'opposeraient à la mesure. La Chambre devait tenir pour acquise l'impopularité du projet auprès d'eux. Mais l'union serait saluée avec gratitude par tous les habitants de langue anglaise des

(1)—Ibic[. p. 1702.

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deux provinces. "Même si nous n'intervenions pas, ajouta-t-il, il n'est pas probable que la population an- glaise et américaine habitant les immenses régions ar- rosées par le St-Laurent se soumette longtemps aux lois et au gouvernement de l'oligarchie française qui dirige l'assemblée de Québec. Si le bill n'enlève au- cun droit à la population française, de quelle injustice pourrait-elle se plaindre ?"

M. Ellice avait fait entendre la vraie pensée du clan unioniste. Un autre champion se leva alors pour défendre la cause du Bas-Canada. M. Henry Bright, député de Bristol, protesta ccntie l'injustice dont on nous menaçait. II alla droit au fond du débat et dé- clara sans ambages que "ce bill était purement un bill haut-canadien, ayant pour objet de détruire l'influence du Bas-Canada et de donner une supériorité certaine h la population piotestante sur la population catholi- que. Si l'on enlève au Canada sa législature quelle sé- curité auront les autres colonies anglaises?" (l)

L'énergique lésistance provoquée par la mesure dans la Chambr/ des communcb fit reculer le gouver- nement. Le 23 juillet, lord Londonderry annonça que, vu l'opposition faite au bill, à cette période de la ses- sion, le ministère comprenait l'impossibilité de le faire adopter cette année. La partie du projet de loi con- cernant l'union fut donc retranchée er comité. Le bill devenu simplement The Canada Trade Act (2) fut adopté le 2G juillet. (3) Mais un autre bill concernant

(1) Hansard's Debates, seconde série, t. VII, p. 1708. (2) Hansard's Debates, deuxième série, t. VII, p. 1713.

(3) On trouve cette loi dans les statuts britanniques de 1822; c'est l'acte 3 George IV, chapitre 119. Les articles un à dix- sept concernaient les droits d'importation à payer sur les mar- chandises importées des Etats-Unis dans le Haut et le Bas-

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l'union seule fut présenté le 30 juillet. Il contenait le'; articles du bill originaire relatifs à l'union, tels qi 'amendés par le comité de la Chambre. L'impres- sion du nouveau projet fut ordonnée et S" prise en considération ajournée à trois mois. la prorogation eut lieu le 5 août 1822. Le coup des unionistes était manqué pour cette année. Mais le projet ajourné restait comme une menace. C'est ici le moment d'en examiner les principaux articles et la portée générale.

Le préambule déclarait qu'une législature unie pour les deux provinces devant promouvoir leur sécu- rité et leur prospérité mieux qu'une législature sé-

Canada, les droits sur le rhum importé des Indes Occidentales dans le Bas-Canada, la liberté d'exporter du Canada aux Etats- Unis les produits canadiens, et les remises de droits à payer sur les rhums et les spiritueux des îles importés de Terreneuve, de la Nouvelle-Ecosse et de l'île du Prince-Edouard dans le Canada.

L'article dix-sept avait pour objet d'instituer un mode de procéder au partage des droits de douane entre le Haut et le Bas-Canada. Il pourvoyait à la nomination d'arbitres, un par le Haut-Canada, un par le Bas-Canada, un troisième par les deux premiers ou, à leur défaut, par Sa Majesté. Ces arbitres examineraient les livres, les pièces et les documents, entendraient les témoins, et feraient un rapport basé sur leurs constatations. Là-dessus les commissaires du trésor britannique décideraient, détermineraient les parts respectives et donneraient l'ordre de paiement. Ceci réglerait les difficultés pendantes jusqu'à 1819.

De 1819 à 1824, par l'article vingt-quatre, le Haut-Canada devrait recevoir un cinquième des droits perçus et à percevoir. Après 1824, de quatre ans en quatre ans, la proportion devrait être déterminée par voie d'arbitrage comme ci-dessus.

L'article vingt-huit maintenait en vigueur, nonobstant la volonté de la législature bas-canadienne, les droits existant actuellement en vertu des lois provinciales.

L'article trente et un rendait possible la commutation de la tenure seigneuriale en franc et commun soccage.

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parée pour chacune d'entre ellec, les dispositions de l'Acte de 1791 qui créaient deux législatures étaient abrogées.

L'article deuxième décrétait qu'il y aurait pour les deux provinces unies un Conseil législatif et une As- semblée législative, qui seraient appelés "le Conseil législatif et l'Assemblée des Canadas".

Par les articles troisième, quatrième et cinquième, le Conseil législatif devait se composer des mem- bres actuels des Conseils législatifs du Haut et du Bas- Canada. Le chef de l'exécutif était investi du pou- voir de nommei les conseillers à l'avenir, ainsi que l'orateur du Conseil. Les articles sixième, septième, huitième et neuvième avaient trait à l'Assemblée lé- gislative. Les membre? des assemblées actuelles dans les deux provinces devaient former de plein droit la nouvelle assemblée conjointe, qui resterait en fonc- tions jusqu'au 1er juillet 1825, à moins de dissolution antérieuie. Les comtés existants et leurs divisions restaient les mêmes. Mais l'acte adopté par la Légis- lature du Haut-Canada en 1820, pour porter de 25 à 40 le chiffre de ses représentants, était confirmé, et le gouverneur du Bas -Canada recevait le pouvoir d'éri- ger, par proclamation, de nouveaux comtés dans les townships de l'Est. La représentation du Bas-Cana- da en ce moment était de cinquante. Un proviso di- sait que dans aucune des deux provinces elle ne pour- rait dépasser soixante. Aucun bill pour changer le nombre des représentants dans l'une ou l'autre pro- vince ne pourrait être adopté à moins qu'il ne fût ap- puyé par le vote des deux tiers des membres présents de l'Assemblée et du Conseil.

Les articles dixième, onzième et douzième concer- naient les élections, la nomination et les fonctions des

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ofTicicrs-rapportcurs, ia convocation des chambres, l'émission des ^rits pour l'élection des députés, etc. L'article treizième fixait à une valeur de 500 louis sterling la qualification foncière des députés et la formule du serment à prêter relativement à cette qua- lification. L'article quatorzième pourvoyait à la pénalité qui serait encourue peur un faux serment prêté à ce sujet. L'article quinzième était relatif aux élections contestées. L'article seizième déclarait que deux membres du Conseil exécutif de chaque pro- vince auraient le pouvoir de siéger dans la Chambre, de prendre part aux débats, et de jouir de tous les privilèges, droits et immunités des membres réguliers, excepté le droit de voter. Les articles dix-septième, dix-huitième, dix-neuvième, vingtième, vingt et unième, avaient trait à la première convocation de la nouvelle législature unie et aux convocations subséquentes, au terme de chaque législature, qui était fixé à cinq ans, à la décision de toutes les questions par la majo- rité des membres présents et au vote prépondérant de l'orateur, au serment des conseillers et députés, et à la sanction royale pour les bills.

Les articles vingt-deuxième et vingt-troisième maintenaient toutes les lois et ordonnances actuelle- ment en vigueur dans les deux provinces, ainsi que les droits, privilèges, immunités et avantages des membres des conseils et des assemblées du Haut et du Bas- Canada.

L'article vingt-quatrième était un des plus odieux. II proscrivait la langue française. En voici le texte:

"A compter de l'adoption de cet Acte, toutes les procédures écrites, de quelque natuie qu'elles soient, des dits Conseil législatif et Assemblée, ou de chacun de ces corps, seront rédigés en langue anglaise et en

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aucune autre; à l'expiration de quinze ans après l'adop- tion de cet Acte tous les débats dans les dits Conseil et Assemblée se feront dans la langue anglaise et dans aucune autre."

Telle était la libéralité du ministère britannique à ce moment!

L'article vingt -cinquième ne prêtait pas moins à objection. II commençait par dire que les catho- liques auraient le libre exercice de leur religion et que leur clergé jouirait de tous les droits garantis par l'Acte de Québec. Mais on y avait glissé des mots qui sou- mettaient sournoisement la nomination des curés à la discrétion du gouverneur anglais et protestant. II y était dit que "les curés des différentes paroisses du Bas-Canada, y accomplissant actuellement les devoirs de leur ministère, ou ceux "qui seront ci-après nommés " ou intronisés, avec l'approbation et le consentement " de Sa Majesté exprimé par écrit par le gouverneur " ou le lieutenant-gouverneur," continueraient à jouir de leurs droits", etc. Cela revenait à conféier à un pouvoir protestant la collation des offices du ministère catholique.

Les articles vingt-sixième, vingt-septième et vingt- huitième concernaient certaines restrictions édictées par l'Acte impérial de 1791, les comptes, rapports et documents qui devaient être soumis à la législature, et les salaires des officiers des deux chambres.

Voilà quel était dans ses grandes lignes ce premier bill d'Union, présenté au parlement d'Angleterre dans l'été de 1822 (1).

(1) Bill {as amended by tbe Committee) for uniting tbe Légis- latures oj Lower and Upper Canada ; printed by order of the House of Gommons, 31st July, 1822. Québec, reprinted at the new printing oflBce, 1822.

122 COURS d'histoire du canada

La nouvelle de la tentative faite par les unionistes au parlement anglais parvint au Canada dans le mois de septembre 1822. Elle y produisit, comme il fal- lait s'y attendre, une grande excitation. Les jour- naux anglais et partisans aveugles de l'executif applau- dirent au projet qui avait été soumis à la Chambre des communes, et exprimèrent l'espoir de le voir adopter à la prochaine session. Les journaux qui représentaient l'opinion de la majorité bas-canadienne, comme le Spectateur Canadien, la Gazette Cana- dienne, la Gazette de Québec, poussèrent un cri d'a- larme et "donnèrent l'éveil à la population dont les ins- titutions, les lois et la langue même étaient menacées d'extinction par le projet des ministres britanni- ques."

Lorsqu'il fut connu que ce bill inique avait été ajourné et qu'il était encore temps de faire parvenir au palais de Westminster la voix du peuple canadien, on organisa un vaste mouvement de protestation. C'est à Montréal qu'eut lieu la première assemblée pu- blique contre l'union. Elle se tint le 7 octobre et fut présidée par M. Louis Guy, Monsieur Denis-Benjamin Viger, député, y prononça le principal discours. Il dé- nonça la mesure qui menaçait notre province et signala avec beaucoup de force les injustices qu'elle renfer- mait. L'assemblée nomma un comité de dix-huit des plus importants citoyens de la ville et du district de Montréal, seigneurs, conseillers législatifs, députés, avocats, médecins, négociants, etc. Voici leurs noms: MM Louis Guy, Charles de Saint-Ours, P.-D. De- bartzeh, L. -R.-C. Chaussegros de Léry, C.-M. de Sala- berry, L.-J.Papineau, D.-B. Viger, François Desrivières, Jean Bouthillier, Joseph Bédard, J.-R. Rolland, A.

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Cuvillier, H. Heney, F.-A. Quesnd, Louis Bourdagcs, F. -A. Laroque, Jules Quesnel, R.-J. Kimber (1).

Une assemblée du mcme génie fut tenue à Québec le 14 octobre, et le comité suivant y fut nommé: MM. Louis de Salaberry, J.-F. Perrault, J.-W. Woolsey, A.- L.-J. Duchesnay, L-A. de Gaspé, F.-P.-J. Taschereau, Louis Turgeon, Bowen, J. Plante, A. Stuart, J.-A. Vallières, Jucheieau-Duchesnay, W. Lindsay, Charles de Lér\% P. Burnet, Jean Bélanger, F. Blanchet, John Neilson, Philippe Panet, F. Quirouet, John Gcudie, J.-E. Taschereau, E.-C. Lagutux, Thomas Lee, John Davidson, P.- E, Desbarats, T. Wilson, W. Hendeison, Louis Moquin, F. Têtu (2). Le même jour les appro- bateurs de l'Union tinrent de leur côté une assemblée à Montréal. L'honorable John Richardson, conseiller législatif, francophobe enragé, la présida. Monsieur James Stuart, passé des rangs du parti populaire, dont il avait été l'un des chefs, dans ceux du parti bureau- crate, prononça un discours violent. Suivant lui, "les raisons qu'avaient les Canadiens de s'opposer à la réunion des deux provinces ne pouvaient être fondées que sur des préjugés qu'il fallait extirper, ou sur des intérêts locaux qui ne devaient pas entrer dans la con- sidération de la question". A quoi le Spectateur Cana- dien répondit: "Comme si la langue, les lois, les insti- tutions d'un peuple pouvaient être mis au rang des préjugés; comme si les intéiêts particuliers à un pays devaient être comptés pour rien dans ce pays même!" (3)

(1) Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise p. 235.

(2)—Ibid, p. 236.

(3)—Ibid.

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De part et d'autre on se mit à l'œuvre pour orga- niser le pctitionncment pour et contre l'Union. Mais, craignant que les pétitions n'arrivassent trop tard, les comités constitutionnels antiunionistes de Québec et de Montréal adoptèrent des résolutions de protes- tation qu'ils transmirent immédiatement au ministère biitannique. Ces résolutions étaient identiques. On y prévenait les autorités anglaises que c'était l'intention d'une grande majorité des habitants de la piovince de préparer et de faire présenter aussitôt que porsible à Sa Majesté et aux deux chambres du Parlement, des péti- tions contre "les changements dans la constitution et la foi me du gouvernement de cette province heureu- sement établies." (1)

D'un bout à l'autre du Bas-Canada la pétition de protestation fut signée avec empressement. Elle était énergique quant au fond, modérée quant à la forme et fortement raisonnée. Voici quel en était l'en-tête: "A la très excellente Majesté du roi: la péti- tion des sou?signés, seigneurs, magistrats, membres du clergé, ofTiciers de milice, marchands, tenanciers, et autres habitants de la piovince du Bas-Canada, expose humblement".... La pétition exprimait ensuite la douleur et l'alarme avec lesquelles les signataires avaient appris l'introduction d'un bill dont l'objet était de changer la constitution de 1791. Elle affirmait qu'aucune des autorités constituées en vertu de ce statut ni aucun des sujets de Sa Majesté dans la pro- vince n'avaient jamais sollicité publiquement qu'il y fût fait quelque changement, mais au contraire que toutes les classes du peuple avaient constamment manifesté un attachement inviolable à cette constitu-

(1) Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 19.

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tion, et avaient tout récemment encore exposé avec ardeur leurs vies et leurs fortunes pour sa défense et celle du gouvernement. Il y était dit de plus que l'acte de 1791, modelé sur la constitution de la mère- patrie par quelques-uns des plus grands et des plus sages de ses hommes d'Etat, établissait des pouvoirs suffisants pour léiormer les abus, réparer les toits, apaiser les mécontentements et promouvoir le bien généial de la province, sans exiger l'intervention de la législature suprême, intervention qui, lorsqu'elle avait été exercée, s'était trouvée si pernicieuse en changeant des mécontentements purement locaux et temporaires en mésintelligence dar^gereusf entre les colonies et la métropole.

Quant aux différends entre le Haut et le Bas- Canada relativement à leur revenu, différends qui avaient été publiquement allégués comme le principal motif de l'introduction du bill, la pétition déclarait qu'ils n'étaient pas une suite de la division des deux provinces, mais qu'ils provenaient uniquement de causes temporaires, toujours faciles à faire cesser, soit par des actes des législatures respectives, suivant lesquels chaque province se bornerait à percevoir son propre revenu, chacune d'elle donnant libre passage et toutes facilités au commerce de l'autre, soit par des règle- ments faits dans le parlement du Royaume-Uni, après avoir entendu les deux parties. Ce remarquable docu- ment politique signalait particulièrement les disposi- tions inacceptables de la mesure projetée. "C'est avec la douleur la plus réelle, y lisait-on, que vos pétition- naires voient qu'il y a été introduit à l'égard de la langue et des établissements religieux d'Un si grand nombre des sujets de Votre Majesté des clauses qui doivent faire naître parmi les habitants de cette partie

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de vos domaines des jalousies et des picjugcs funestes à leur repoi et à leur bonheur, et qui paraissent in- compatibles avec la dignité, la sagesse et la justice du gouvernement de Votre Majesté.

"La clause de ce bill qui interdit dans l'Assemblée projetée l'usage de la langue française, la seule que parle et entende une si grande majorité des habitants de cette province, leur feiait perdre indirectement le droit d'être élus à cette Assemblée, équivaudrait pour eux à une privation absolue d'un des plus grands avan- tages qu'aient les sujets de Votre Majesté, gênerait et restreindrait leurs franchises et libertés, en diminuant le nombre des personnes propres à les représenter efficace- ment, et ferait des personnes qualifiées une classe pri- vilégiée au sein d'une colonie britannique.

"Ce bill, en accordant au Haut-Canada, dont la population n'est au plus qu'un cinquième de celle du Bas, autant de membres qu'à cette dernière pour la représenter dans l'Assemblée réunie, établirait en faveur de la minorité une préférence humiliante aux habitants de cette province, contraire à leurs droits comme sujets britanniques et dangereux pour leurs intérêts."

La pétition se terminait comme suit : "Qu'il plaise donc à Votre Majesté que le dit bill ne passe pas en loi et que l'heureuse constitution et la forme de gou- vernement de cette province, établies par le dit statut, soient conservées intactes à vos pétitionnaires et à leur postérité." (1)

La pétition des unionistes de Montréal était bien loin de la pondération et de la dignité qu'on remarquait dans celle que nous venons de citer. Ces "fidèles et loyaux sujets, de naissance ou descendance britanni-

(1) Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 25.

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que," rappelaient l'époque de la conquête du pays par les armes de Sa Majesté et déclaraient que "nonobs- tant la générosité sans bornes dont on avait fait preuve à l'égard des vaincus, en leur reconnaissant leurs lois et leur religion, en les admettant à la participation au gouvernement et à tous les droits des sujets britanni- ques, et par de continuelles démonstrations de bonté à leur égard, nul progrès n'avait été fait vers aucun changement dans les principes, dans la langue, les coutumes et les manières qui les caractérisent comme "un peuple étranger." Etrangers ! dans le pays dé- couvert, évangélisé, fertilisé par leurs aïeux, les Cana- diens-Français ! Toute la pétition des unionistes montréalais était dans cette note: l'Union était néces- saire pour nous anacher notre nationalité.

C'était sans doute cette pièce que visait M. Papi- neau dans la lettre qu'il écrivait à M. Wilmot, au nom du comité constitutionnel de Montréal, le 16 décem- bre 1822. "Le comité, disait-il, ne considère pas com- me nécessaire d'entrer dans le détail des faits qui ca- ractérisaient suffisamment les motifs des amis du pro- jet de loi, mais désire seulement dissiper les odieuses calomnies contre la grosse masse de la population de cette provmce, contenues dans plusieurs écrits desti- nés à être lus en Angleterre. On affirme que l'oppo- sition que manifeste dans cette province la population ainsi stigmatisée n'est l'effet que de préjugés; on parle de son attachement supposé à la France et aux prin- cipes français; on nous appelle étrangers. Etrangers dans notre pays natal ! Le bill en question, disent les amis de l'Union, est de nature à angliciser le pays, qui finira par être peuplé par une race britannique." (1)

(1) Rapport sur les archives canadiennes, 1897, p. 27.

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La pétition du Bas-Canada contre l'Union fut couverte de 60,000 signatures. Des pétitions favora- bles à l'Union furent envoyées de Montréal, de Québec, des Trois-Rivières, de William-Henry et des Cantons de l'Est, mais elles n'émanaient que d'une infime mi- norité. Dans le Haut-Canada les sentiments étaient très partagés, mais la majorité semblait plutôt dé- favorable au projet.

Au mois de décembre 1822, les comités antiunio- nistes de Québec et de Montréal chargèrent MM. John Neilson et Louis- Joseph Papineau d'aller à Lon- dres présenter les pétitions au gouvernement de Sa Majesté et aux deux chambres du Parlement.

Ces deux délégués partirent pour Londres au com- mencement de l'année 1823. Le 6 janvier M. Papi- neau écrivait au secrétaire du gouverneur une lettre dans laquelle il déclarait qu'il ne pourrait être à son poste comme orateur de l'Assemblée, lors de la réu- nion des chambres, et que son absence durerait toute la session. Celle-ci commença le 11 janvier. M. Vallières de Saint-Réal fut élu orateur pour remplacer M. Papineau. Dans le discours du trône lord Dal- housie annonça officiellement aux chambres que le gouvernement impérial, après avoir proposé certains changements clans la constitution du Canada, afin d'unir en une seule les deux législatures du LIaut et du Bas-Canada, avait ensuite ajourné à la prochaine session cette mesure pour donner au peuple de ces pro- vinces l'occasion de faire connaitre ses sentiments à ce sujet. La Chambre ne fut pas lente à délibérer sur la question de l'Union. Et elle adopta une adresse dans laquelle elle représentait combien peu judicieuse serait l'adoption d'un projet en vertu duquel deux provinces ayant des lois, des institutions civiles et religieuses et

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des usages essentiellement différents, seraient soumises à une seule législature dont les décisions mettraient alternativement en danger les lois et les institutions de chacune d'elles. Cette union ferait naître des appré- hensions bien fondées quant à la stabilité de ces lois et de ces institutions, une fatale incertitude sur l'ave- nir du Canada, un affaiblissement de l'énergie et de la confiance du peuple et des liens qui l'attachaient si for- tement à la mère-patrie. L'adresse se terminait par une prière instante à Sa Majesté et à son gouverne- ment de renoncer à une mesure qui avait causé ici tant d'alarmes et qui paraissait contraire à la fois aux intérêts du gouvernement impérial et du peuple de ce pays. M. Ogden, député des Trois-Rivières, se fit le champion de l'Union dans l'Assemblée. Il soutint audacieusement la thèse de l'unification, de la fusion des races, de l'anglicisation des Canadiens. "Ceux-ci, s'écria- t-il, ne peuvent avoir aucun sentiment hostile contre des sujets d'un même souverain, par conséquent aucune répugnance à adopter la langue, les habitudes et le caractère de cette grande famille, et à former dans l'intérêt commun une seule province des deux. . Il faut détruire les préjugés mal fondés pour assurer la bonne harmonie. Il n'est pas nécessaire d'expliquer ce qui a causé l'alarme produite par la mesure soumise à la Chambre des communes; elle est connue du gou- vernement. C'est la jalousie, c'est le manque de con- fiance dans l'honneur et la droiture, qu'on entretient malheureusement avec trop de succès parmi les hom- mes ignorants et inconsidérés; et il est quelquefois du devoir des législateurs de chercher le bonheur du peu- ple même malgré lui." En dépit des efforts de M. Ogden, l'adresse hostile à l'Union fut votée dans la Chambre par 31 voix contre 3. Le Conseil législatif

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vota, lui aussi, une adresse ayant la même portée. II y était dit que l'Union serait accompagnée de maux inévitables, produirait des craintes et des appréhen- sions causées par la discussion et les conflits relatifs à la diversité des réglementations municipales, du lan- gage, des lois, de la religion, des institutions et des in- térêts locaux, qui étaient actuellement établis dans les deux Canadas par des lois provinciales, et que chacun d'eux considérait nécessaires à son bonheur. Cette adresse fut votée au Conseil par une majorité de qua- tre voix (1). Les honorables MM. John Richardson, C.-W. Grant, James Irvine, Rod. Mackenzie et W. B. Felton firent enregistrer dans les journaux du Conseil un protêt contre son adoption.

Dans le Haut-Canada, la législature refusa de se prononcer. L'assemblée vota une adresse dans la- quelle elle disait que la masse du peuple haut-canadien avait fait connaître son sentiment par des pétitions au roi et au Parlement, et qu'elle ne se croyait pas jus- tifiable d'exprimer une opinion sur ce grave sujet, vu surtout qu'elle avait été élue avant que la question fût agitée. Le Conseil législatif rappelait tous les pro- grès faits par le Haut-Canada sous la présente consti- tution, et concluait par une expression de tonfiance dans la sagesse et la justice du parlement impérial. Cette adresse semblait plutôt défavorable à l'Union quoiqu'elle ne contînt pas de déclaration formelle à cet effet. II est important de noter ici que plusieurs pé- titions contre l'Union, recouvertes de nombreuses si- gnatures, avaient été envoyées en Angleterre du Home district, des comtés de Kent et de Wentworth, de

(1) Journal du Conseil législatif du Bas-Canada, 1823, p. 20 ; Journal dt- la Chambre d'Assemblée, 1823, p. 36.

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Stormont et de GIengarr\ , tous sitiu's dans le Haut- Canada (1).

Pendant ce temps, MM. Papineau et Neilson étaient arrivés en Angleterre et avaient commencé à s'acquitter de la mission dont les avait investis la confiance de leurs compatriotes. Ils avaient trouvé le terrain bien préparé. L'écho des énergiques protesta- tions de tout un peuple avait fait une salutaire im- pression sur l'esprit des ministres britanniques. Dès la première conversation que les délégués du Bas-Ca- nada eurent avec M. Wilmot, le sous- secrétaire des co- lonies, celui-ci leur dit confidentielîement: "Restez tranquilles; ne faites part à personne de ce que je vais vous annoncer; le gouvernement ne veut pas de fracas dans le parlement au sujet de l'Union; celle-ci ne sera pas amenée cette session." (2) Sir James Mackintosh, à qui MM. Papineau et Neilson communiquèrent cette information, leur dit qu'ils pouvaient compter sur cette assurance du ministre. "Ils avaient déjà, solli- cité, écrit Garneau, l'appui du chef du parti appelé "les Saints", composé de méthodistes et autres dissi- dents; ils n'allèrent pas plus loin, et sui la demande du secrétaire colonial ils présentèrent un mémoire qui ren- fermait les raisons du Canada contre la mesure et ré- futait celles de ses partisans". Et notre historien ajoute: "Ce mémoire rédigé par M. Neilson, aidé par M. Papineau, est l'un de nos papiers d'Etat les plus no- blement et philosophiquement pensés que l'on trouve dans notre histoire." Si vous le voulez bien, nous allons le parcourir ensemble. MM. Neilson et Papineau

(1)— Archives du Canada, Q. 1&4-1-2, pp. 154-175.

(2) Garneau, Histoire du Canada, Québec, 1882, t. III, p. 248.

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commençaient par exposer qu'ils étaient porteurs de pétitions signées par près des sept-dixièmes de la po- pulation de seize à soixante ans dans les deux provin- ces. Ils représentaient que des législatures locales ne devaient pas avoir juridiction sur un trop vaste terri- toire; que la distance entre le golfe Saint-Laurent et le lac Muron était de 15{)() milles, que les communica- tions étaient difiiciles, et, en certaines saisons, presque impossii)Ies dans plusieurs parties du Canada; que les membres de la législature, dans une province aussi étendue, éprouveraient de grands inconvénients et se- raient soumis à de trop onéreux sacrifices pour se ren- dre aux sessions et y demeurer assidus à leurs devoirs parlementaires. Puis, laissant ces considérations de lieux, de saisons et de distances, ils abordaient un ordre d'objections plus graves. I! est bien connu, disaient- ils, que les lois relatives à la propriété et aux droits ci- vils, que les coutumes, les usages, la religion, et même les préjugés dominants dans les deux provinces, sont essentiellement différents. De part et d'autre les ci- toyens du pays sont fortement attachés à tout cela, et ils en jouissent en vertu des plus solennelles gaianties de la Grande-Bretagne. Leurs codes respectifs de lois ne pourraient être amalgamés, même par le légis- lateur le plus sage, le plus impartial, le plus éclairé, sans mettre en danger la propriété acquise sous l'autorité de ces lois. II y aurait divergence de vues, de tendances législatives; non seulement sur ces sujets, mais aussi sur les questions de taxe, de répartition du revenu pu- blic dans les deux provinces, dont les intérêts sont mal- heureusement opposés. Passant à l'examen des arti- cles, ils faisaient observer que le bill laissait subsister les limites et les administrations distinctes des deux provinces, et ne décrétait l'Union que pour les deux

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législatures; il n'y aurait donc pas diminution de dé- penses, il y aurait plutôt augmentation pour frais de voyages, de correspondance, de transmission des docu- ments, etc. Arrivant enfin aux articles les plus in- justes du bill, ils faisaient valoir longuement et avec une grande force les objections de leurs mandants con- tre la représentation qu'on y accordait à chaque pro- vince, contre la proscription de la langue française, et contre l'ingérence du pouvoir politique dans la colla- tion des cures.

Le bill d'Union favorisait d'une manière inique le Haut-Canada au point de vue de la représentation parlementaire. Par l'Acte de 1791, le nombre des dé- putés avait été fixé à cinquante pour le Bas-Canada et à quinze pour le Haut-Canada, dont la population respective était alors de 200,000 et de 25,000 âmes. Cela faisait pour le Bas-Canada un représentant par 4,000 âmes, et pour le Haut un représentant par 1,667 âmes environ, soit, pour la province supérieure, une représentation proportionnellement plus que double de celle qui était accordée à l'autre. En vertu du statut provincial 60 George HI, le Haut-Canada avait élevé sa représentation au chiffre de quarante, et ce statut était confirmé par l'article septième du bill d'Union. Dans le Bas-Canada, au contraire toutes les tentatives pour augmenter la représentation avaient été vaines. L'opération régulière de l'Acte provincial du Haut- Canada ci-dessus mentionné devait avoir pour résul- tat de porter bientôt la représentation de cette provin- ce au même chiffre que celle du Bas-Canada. Et ce- pendant la population du Haut-Canada n'était qu'un cinquième de celle du Bas-Canada. Ainsi donc, fai- saient observer MM. Papineau et Neilson, une pro- vince distincte, ayant ses intérêts distincts, dont la po-

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pulation n'était qu'un cinquième de celle d'une autre province se trouverait à avoir un pouvoir parlementaire égal quant à l'imposition des taxes et à l'affectation de leur produit aux dépensas locales. Voilà ce qui était évident à la première lecture des articles en question. Mais en réalité la situation faite au Bas-Canada par ce bill était encore pire qu'elle ne paraissait tout d'a- bord. En effet, par l'article 8, le gouverneur avait le droit d'ajouter dix membres à la représentation du Bas-Canada, et s'il le faisait, il semblait entendu que ces dix députés nouveaux seraient donnés à cette par- tie de la province érigée en townships le long de la frontière américaine et peuplée par les loyalistes. Par leur langue, leur religion et leurs intérêts, ces town- ships pouvaient être considérés comme sympathisant fortement avec le Haut-Canada. De sorte que virtuel- lement et dès le début, celui-ci aurait une représenta- tion égale en nombre à celle du Bas-Canada, malgré la disproportion de sa population. Au point de vue de la taxation, au point de vue des affectations budgé- taires, et surtout au point de vue des droits civils et re- ligieux un tel état de choses constituait pour le Bas-Ca- nada une infériorité intolérable.

Nos délégués ne firent pas ressortir moins forte- ment l'iniquité de l'article 24, qui abolissait la langue française, comme langue officielle. "L'usage com.mun de deux langues, disaient MM. Papineau et Neilson dans leur mémoire, est un embarras; mais dans beau- coup de cas il est inévitable. Il en fut ainsi en Angle- terre après la conquête normande, et la mesure mal avisée de cette époque barbare qui proscrivait la lan- gue saxonne eut le sort qu'elle méritait. Le langage de la majorité dans un peuple dont les éléments ont entre eux des relations suivies fmit toujours par pré-

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valoir. La langue anglaise deviendra inévitablement la langue prédominante dans l'Amérique du Nord, avec ou sans textes de loi. II n'y a probablement pas dix membres de la présente Chambre d'Assemblée du Bas-Canada qui ne comprennent pas l'anglais; plu- sieurs le parlent facilement; et dans la province aucun citoyen ayant de la fortune ou une situation un peu notalîle ne néglige de faire apprendre l'anglais à ses enfants. C'est ainsi que les choses changent avec le temps et cèdent aux circonstances. Mais le langage d'un père, ^'une mère, de la famille et des amis, des premières impressions et des premiers souvenirs, est cher à tous. Et cette proscription injustifiée de la langue du peuple canadien a été vivement ressentie dans un pays ce langage a contribué puissamment à conserver la colonie à la Grande-Bretagne à l'époque de la Révolution américaine."

Les députés du Bas-Canada démontrèrent aussi l'injustice de l'article 25, relatif à la collation des cures. Ils le représentèrent comme une attaque mal dissimulée contre les libertés dont les catholiques avaient joui jusque-là sous la domination anglaise, et qui leur étaient garanties par les capitulations, le trai- té de cession, les actes du Parlement, et le gouverne- ment libéral de l'Angleterre. Ils exposèrent que l'Egli- se catholique romaine en Canada avait pour chef un évèque, dont le choix était approuvé par la couronne avant son institution canonique par le Pape; de sorte que l'Etat était sauvegardé contre tout danger, si tou- tefois il y en avait à craindre dans l'âge actuel. Sans avoir aucune autre juridiction le gouvernement avait toujours trouvé le clergé catholique dévoué au main- tien du lien britannique. L'évèque et ses prédéces- seurs avaient constamment exercé, quant aux cures, le

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pou\c)ir de nomination et de révocation. Le roi de France, par un arrêt rendu en conseil d'Etat le 27 mai 1690, avait déclaré les évêques de Québec investis de ce droit, faisant remarquer qu'il leur est naturel. "La règle générale, d'après Blackstonc est, qu'il appartient à l'évéque d'instituer aux offices tous les ecclésias- tiques de son diocèse". Et d'Héricourt, de son côté, dit: "Il faut toujours observer comme une règle cons- tante que l'évêque est le collateur ordinaire de tous les bénéfices de son diocèse, à moins qu'on établisse le con- traire, ou par titres précis ou par une possession cons- tante, qui fait présumer ce titre." Par l'article 25, le régime qui avait existé jusque en Canada semblait ne devoir plus être respecté, et au lieu de laisser, com- me auparavant, la collation des bénéfices à l'Ordinaire, il faudrait obtenir d'abord le consentement par écrit du gouverneur. On devrait donc en conclure que les curés nommés par les autorités conjointes du gouver- neur et de l'évêque ne pourraient plus être révoqués désormais par la seule autorité de celui-ci. Ce serait faire disparaître le pouvoir légitime de l'évêque sur son clergé. II en résulterait inévitablement des désordres dans la discipline de l'Eglise catholique romaine au Canada. Peut-être même en arriverait-on à cette anomalie que, par suite d'un conflit d'opinion entre le gouverneur et l'évêque, un prêtre pourrait percevoir légalement la dîme sur les catholiques de la paroisse après avoir été interdit par son supérieur ecclésias- tique. "Une clause ayant cette portée", déclaraient les mandataires de notre peuple, "ne pouvait manquer d'alarmer l'opinion au Canada, et si jamais on l'appli- quait cela ferait naître inévitablement ces malheureux dissentiments entre catholiques et protestants qui ont désolé fl'autres pa>s, et dont le Canada avait été si

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heureusement exempt sous le gouvernement bienfaisant et éclairé de Sa Majesté."

MM.Neilson et Papineau terminaient îeurmcmoire en demandant au gouvernement de Sa Majesté, pour le cas il jugerait opportun ultérieurement de donner contenance au bill d'Union, de vouloir bien au préa- lable faire deux choses: D'abord engager les gouver- neurs du Haut et du Bas-Canada de faire en sorte qu'il fôt dressé un recensement complet des cités, villes, villages, townships, paroisses, comtés, divisions élec- torales et districts de chaque province. En second lieu, prier le gouverneur du Bas-Canada de recomman- der à la législature et de sanctionner la nomination d'un ou de plusieurs commissaires chargés d'aller sou- tenir en Angleterre le maintien de la constitution ac- tuelle (1).

MM. Papineau et Neilson avaient reçu l'assurance que le bilI d'Union ne serait pas ramené devant le Par- lement durant la session de 1823. Mais quoique les amis de la province de Québec, comme sir James Mac- kintosh, leur eussent affirmé qu'ils pouvaient compter sur cette promesse, on estima plus prudent que l'un d'eux restât à Londres pour surveiller les évé- nements. M. Neilson revint donc au Canada, et M. Papineau séjourna quelque temps encore dans la ca- pitale anglaise. Il y rencontra souvent les adversaires de notre cause, qui, eux aussi, restaient à leur poste. ne se tenant pas pour battus et espérant toujorns for-

(1) Le mémoire de MM. Papineau et Neilson se trouve dans la collection : Papiers d'Etat du Bas-Canada, à Ottawa, vol. 0. 164-1-2, p. 113, et aussi dans l'Appendice K du Jour- nal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1825. Nous croyons à propos de le reproduire à la fin de ce volume.

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cor la main au ministère. M. Garneau raconte à ce propos l'anecdote suivante: "Un soir M. Papineau étant à table chez un ami avec M. Ellice et M. Stuart, l'agent des unionnaires, la conversation tomba sur le Canada. ElIice lui dit: "Vous avez l'air bien tranquille; je crois savoir de bonne source que le cabinet vous a donné l'assurance que la mesure ne reviendrait pas sur le tapis; mais elle y reviendra; je déshonorerai les ministres, j'ai leur parole en présence de témoins." M. Papineau et M. Neilson, (celui-ci n'était pas encore parti en ce moment), allèrent voir aussitôt Sir James Mackintosh quileurrépondit de ne pas s'alarmer; "que M. Ellice était un bavard (braggadacio) sans poids ni influence. Il n'osera jamais agir aussi follement qu'il a parlé. Par l'entremise de quelques-uns de mes amis, je saurai refroidir son ardeur. Nous ne le voyons que parce qu'il estle gendre du comte Grey."(l) Malgré l'hostilité politique, les relations person- nelles restaient courtoises entre les champions des deux causes. M. Papineau fut invité chez M. Ellice et ne crut pas devoir refuser de s'y rendre. Il y rencontia un jour sir Francis Burdett, homme politique de mé- rite, qui occupait une place considérable dans les rangs du parti whig. La discussion rel3ti">'e à l'Union étant revenue sur le tapis, M. Papineau s'exprima avec tant de force persuasive qu'il conquit l'adhésion de sir Francis, apparemment favorable au projet jusqu'à ce moment. Cet homme d'Etat déclara alors que "si la majorité en Canada était aussi grande et aussi hos- tile à l'Union qu'il l'assurait, c'était compromettre le parti whig que de le faire agir contre ses professions si souvent répétées de respect pour les vœux des majorités

(1)— Garneau, Histoire du Canada. 1882. t. III, p. 250.

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et qu'il fallait l'abandonner." En entendant ces paro- les, M. Ellice s'interposa vivement. "Non, s*écria-t-il, c'est une majorité ignorante, lanatisée par les prêtres." Et il se répandit en diatribes contre Saint-Sulpice, le régime des lods et ventes, etc., informant ses auditeurs que, de concert avec M. Stuart, il travaillait à la pré- paration d'un bill destiné à transformer la tenure sei- gneuriale. Il espérait ainsi augmenter les revenus de sa seigneurie de Beauharnois (1).

La session se termina et le bill ne lut pas présen- té; les ministres avaient tenu leur parole. La mission de MM. Neilson et Papineau avait été fructueuse. "Le succès, écrit M. Chauveau, augmenta encore leur prestige. Louis-Joseph Papineau, plus jeune que M. Neilson, avait un tempéram.ent beaucoup plus ardent. L'un était un tribun, l'autre un philosophe. L'un pouvait être comparé à Mirabeau, l'autre à Franklin. De fait M. Neilson, lors de sa seconde mission en Eu- rope, fut appelé le Franklin canadien. Comme lui, M. Neilson avait des dispositions et des idées de l'au- teur de la "Science du bonhomme Richard." (2)

Le gouvernement n'avait pas soumis aux cham- bres le bill d'Union durant la session de 1823. Mais on n'avait pas absolument renoncé au projet, et on délibéra ultérieurement sur son opportunité. En 1824 les ministres l'étudiaient encore. Un volume imprimé à Londres cette année-là, pour leur usage personnel, contenait les principales pièces relatives à cette épi- neuse question, telles que des observations de M. James

(D— Garneau, t. III, p. 250.

(2) François-Xavier Garneau, sa vie et ses œuvres, P.-J.-O. Chauveau, p. CLXXVI.

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Stuart sur l'union projetée du Bas et du Haut-Canada, le mémoire de MM. Ncllson et Papineau, un autre mémoire par le Dr Strachan, doyen anglican du Haut-Canada, ainsi que des pétitions et adresses des Chambres canadiennes, etc. La dernière pièce de cet important recueil est une lettre de M. James Stuart différente des observations du même personnage, ci- haut mentionnées qui est datée de Londres, le 1er juillet 1824. Elle démontre qu'à ce moment le pro- jet d'union était toujours discuté dans les sphères gou- vernementales. Mais ce qui est plus significatif en- core, c'est la première pièce, un projet de bill, beau- coup plus volumineux que celui de 1822, et contenant quarante-sept articles lorsque l'autre n'en comprenait que vingt-huit. Evidemment le cabinet britannique n'avait pas renoncé définitivement à modifier notre constitution. On en demeure tout à fait convaincu à la lectuie des lignes suivantes, contenues dans une lettre de l'honorable R.-W. Horton, (1) sous-secrétaire d'Etat pour les colonies, adressée à M. Canning, le cé- lèbre homme politique, lettre qui se trouve conservée, par le plus grand d'^s hasards, entie deux feuillets d'un

(1) Dans les documents de l'époque, ce sous-secrétaire d'Etat est appelé tantôt R.-J. Wilmot, tantôt R.-H. Horton, tantôt R.-J. Wilmot Horton. Voici ce qui en était. II y avait plusieurs branches de Wilmots. II y avait les Wilmots, baron- nets de Chaddesden, les Eardley-Wilmots, baronnets de Berks- well Hall. L'homme d'Etat dont nous nous occupons ici était le petit-fils de sir Robert Wilmot, qui avait été pendant trente ans secrétaire d'Etat pour l'Irlande. II ajouta à son nom celui de Horton, en 1823. II devint membre du Conseil privé impérial. II succéda ultérieusement au titre de baronnet rous le nom de sir Robert-John Wilmot-Horton. Il fut plus tard gouverneur de l'île de Ceylan. (Debrett's illustrated Baronetage, Knigbtape and Companionage. Londres, édition de 1882).

COURS d'histoire du CANADA 141

exemplaire rarissime que j'ai eu la bonne fortune de consulter: "I send y ou, privately and confidentiâlly, two volumes, privately printed, and containingr the pros and cons upon the great question of Canada union. Pray do me the favor of reading them attentively and let us talk it over at Sudbrook." Tout ceci démontre que M. Ellice n'était peut-être pas aussi vantard que le représentait sir James Mackintosh, et que nos unio- nistes avaient quelque raison de ne pas croire la partie irrémédiablement perdue dans l'été de 1823. Ils avaient des intelligences dans la place, et ils n'igno- raient pas que le gouverneur général du Canada, lord DaIhousie,appu\ait leurs démarches. En effet tout en paraissant ici ofFiciellement en dehors de cette cam- pagne unioniste, il l'appuyait à Londres par sa corres- pondance avec les ministres. Sa lettre du 21 novem- bre 1823, adressée à lord Bathurst, est un long plai- doyer en faveur de l'union des deux provinces. Il s'y déclare en harmonie d'idées avec M. James Stuart quant aux avantages de l'Union. II commente en- sirite quelques-unes des observations faites par celui-ci au sujet des différents articles du bill projeté. Sui- vant lui le procureur général et le solliciteur général des deux provinces déviaient faire partie de l'Assemblée et s'efforcer d'y obtenir des sièges; à défaut de quoi on pourrait choisir deux membres siégeant soit en les nom- mant, soit en donnant avis à la Chambre que le repré- sentant de Sa Majesté leur a donné sa confiance. Lord Dalhousie déclarait de la plus haute importance la proscription de la langue française. Il approuvait aussi l'article vingt-cinq du projet qui donnait à la Couronne la collation des cures. La prérogative du roi en qualité de chef de l'Eglise, disait-il, devrait être exercée dans la province sur l'Eglise catholique com-

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me sur l'Eglise protestante, du moins relativement à la formation des paroisses et à l'installation des minis- tres, et cela serait accepté par les membres du clergé individuellement. Enfin il se proclamait convaincu que l'union était opportune et que la prospérité de deux provinces en dépendait. (1)

Malgré tous les efforts des partisans de ce projet, le ministère britannique ne jugea pourtant pas à pro- pos de revenir devant le Parlement pour demander son adoption. Un de ses avocats, M. Wilmot-Horton, devait reconnaître lui-même quelques années plus tard que cette mesure était défectueuse "en ce qu'elle n'as- surait pas plus explicitement les droits, les privilèges, les immunités et les avantages dont la population fran- çaise jouit sous ses propres lois," et il confessa "qu'une grande partie des objections qu'on y opposait n'était pas sans raison." (2) Le principal instigateur du bill, M. Ellicc, admettait de son côté que la mesure conte- nait, "plusieurs clauses mal avisées." (3) En réalité ce n'était pas le gouvernement lui-même qui en avait conçu l'idée. Le coup était parti du Canada. Nos bureaucrates unionistes avaient trouvé des alliés à Londres. M. Ellice avait exercé sur les ministres une pression énergique pour le forcer à présenter ce bill. Ceci explique pourquoi ils ne s'obstinèrent pas à le faire passer. Ce ne fut que dix-neuf ans plus tard, après les insurrections de 1837 et de 1838 et devx ou

(1) Archives du Canada, Q. 166-3, p. 506.

(2) Rapport sur le gouvernement civil du Canada, 1828, p. 316. Timoignagc de \V. Wilmot-Horton devant un comité de la Chambre des communes.

{3)—Ibid, p. 63.

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tiois ans de régime crexception, que le Haut et le Bas- Canada furent unis sous une seule législature.

Ce projet d'Union de 1S22 fut pour notre peuple la grande question à l'ordre du jour pendant deux ans. Elle passionna tous ceu.v qui s'occupaient des affaires publiques. Elle donna naissance à bien des écrits et à bien des discours. Nos poètes même se mirent de la paitie. Nous trouvons dans les Epîtres et Satires de M. Michel Bibaud une chanson politique datée de 1822 et intitulée /e B?7/ f/e l'Union. En voici quelques vers:

Un certain bill, dont la façon

Etait assez grossière, Aux représentants d'Albion

Fut présenté naguère; Le fil en était noir, dit-on,

La faridondaine, la faridondon, Le tissu noirement ourdi,

Biribi, A la façon de barbari Alon ami.

Le poète faisait allusion, dans une strophe, à la proscription de notre langue:

D'après leur bill dorénavant,

La chose était bien claire, Les Canadiens au parlement

N'auraient plus rien à faire: Il leur fallait parler breton

La faridondaine, la faridondon. S'agit-il d'un "non" ou d'un "oui"

Biribi, A la façon de barbari. Mon ami.

La pièce se terminait par un couplet loyaliste, dans 10

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lequel était exprimée notre conliance en la justice de la couronne:

A Georges, notre souverain.

Adressons nos prières: De nos jaloux qu'il sache enfin

Les trames meurtrières; II nous gouverne en roi breton,

La faridondaine, la faridondon. Et non en bey de Tripoli.

Biribi. A la façon de Barba ri, Mon ami.

Evidemment cela n'était pas du Lamartine, mais c'était très patriotique. Et surtout cela donne une idée des sentiments suscités dans notre province bas- canadienne par la tentative d'étouffemcnt national dont nous avons essayé de retracer l'histoire au cours de cette leçon.

SOURCES ET olvra(;es a consulter

Garneau, Histoire du Canada, 1852, t. III, liv. XV, ch. ii. Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise, liv. III. Christie, History oj Lower Canada, t. II, ch. xxiii, t. III, ch. xxiv.^Kingsford, History oj Canada, t. IX.- Encyclopaedia Britannica, t. XVII. Hansard's Dehates, 1822, deuxième série, t. VIL— Bibaud, Epîtres et Satires, Montréal, 1830.— P.-J.-O. Chauveau, François-Xavier Garneau, sa vie et ses autres, Mont- réal, 1882. Journal de la Chambre d' assemblée du Bas-Canada, 1822, 1825.— Journa/ du Conseil législatif, 1822.— Rapport sur les archives du Canada, 1897. Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 162-1-2, 164-1-2, 166-1-2-3.— /îapport du comité chargé de s'enquérir sur le gouvernement civil du Bas- Canada, Québec, 1828.

CINQUIÈME LEÇON

L'imbroglio constitutionnel. Un intermède. La session de 1823. M. Vallières élu orateur. Les estimations budgétaires. Nouvelle classification.- La chambre, tout en signalant certaines objections, vote les subsides. La session de 1824. Moins d'harmonie. Lord Dalhousie et M. Vallières. La situation financière. Le déficit Caldwell. Divergences dans la Chambre. ^VaUières et Papineau. Intéressantes passes d'armes. Le Canada Trade Act. Etonnante attitu- de de Papineau. Les subsides. Un débat mouvementé. Le vote prépondérant de M. VaUières. M. Neilson veut amender des résolutions inspirées par M. Papineau. Un bill des subsides rejeté par le Conseil législatif. Le conflit entre le pouvoir exécutif et la Chambre. En quoi il consis- tait.— La liste civile annuelle et l'afi^ectation de tout le revenu. Un coup d'œil sur chacun de ces deux aspects de la question. La liste civile en Angleterre et au Canada. Différences de conditions. L'affectation du revenu total. Les raisons politiques de la Chambre. La session de 182.5. Une accalmie. Absence de lord Dalhousie. Adminis- tration conciliante du lieutenant gouverneur Burton. Il obtient les subsides. Une équivoque. Détente momenta- née.— Lord Bathurst blâme sir Francis Burton. Il man- que une heureuse occasion de mettre fin à un malencontreux conflit. L'épisode Bathurst-Burton. Retour de lord Dal- housie.— La session de 1826. Nouvelles divergences. La Chambre refuse les subsides. Prorogation ab ira<o.— Disso- lution et élections. Violente agitation. La majorité est soutenue par l'électorat. Manifeste et harangue de M. Pa- pineau.— La session de 1827. M. Papineau réélu orateur Lord Dalhousie refuse de l'agréer. La Chambre persiste. Prorogation immédiate. Nouvelle crise. Les Canadiens pétitionnent pour soumettre leurs griefs au- parlement im- périal.

Pendant que la question de l'Union se débattait

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en Angleterre, il se produisait ici assez naturellement une sorte d'accalmie politique. L'anxiété ressentie par nos chefs en prtstnce du péril dont nous étions me- nacés faisait concevoir la nécessité d'une attitude plus circonspecte. L'absence de M. Papincau avait eu pour conséquence l'élection d'un nouvel orateur. M. Vallières avait été choisi par la Chambre, et son in- fluence s'était sans doute exercée dans un sens modé- rateur, si l'on s'en rapporte à la marque de confiance que lui donna ultérieurement lord Dalhousie en lui adressant privément une communication importante au sujet de la situation fin-'incière.

La session de 1823 fut calme et fructueuse, com- parée aux précédentes. Api es avoir voté les résolu- tions contre l'union, dont nous avons parlé dans notre dernière leçon, la Chambre étudia et adopta un bon nombre de lois utiles et de nature à favoriser l'inté- rêt public. Les estimations budgétaires fuient pré- sentées dans une forme nouvelle. Elles étaient divi- sées en deux sections, afin de mieux indiquer, suivant le message officiel, quelle était la nature des dépenses générales de la province. La première section com- prenait les salaires et les dépenses contingentes aux- quelles il était pourvu par des lois permanentes et par les autres revenus de la Couronne. Le gouverneur an- nonçait avec satisfaction que le fonds affecté en perma- nence allait être suffisant, ou presque suffisant, pour défrayer ces services. La seconde section s'occupait des dépenses à encourir pour ce que l'on appelait les établissements locaux et provinciaux. La première section comprenait le gouverneur, le lieutenant gou- verneur, et certains oiïiciers qui relevaient de leurs bu- reaux, l'arpenteur général, les iuges et oiïiciers de jus- tice, les conseillers exécutifs, le greffier du conseil et

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le comité d'audition, l'inspecteur des comptes publics, le receveur général, le greffier du terrier. L'estima- tion pour cette classe s'élevait à 32,000 louis sterling. La seconde section comprenait la législature et ses of- ficiers, l'imprimeui des lois, les maîtres d'école, les pen- sions, les loyers et les réparations des édifices publics ainsi que les salaires et déboursés de ceux qui en avaient la charge, la perception du revenu public, le bureau de la Trinité, la milice, les dépenses pour les criminels et les maisons de correction, les dépenses divei ses, incluant celles des grands-voyers et autres officiers purement locaux, etc.; soit une estimation de 30,225 louis ster- ling. Les deux sections formaient une somme totale de 62,000 louis sterling. (1)

Cette classification inusitée fut signalée comme ayant pour objet évident de constituer une classe pri- vilégiée de fonctionnaires, dont les émoluments, quoi qu'il advînt, seraient à l'abri de tout contrôle. Cepen- dant la Chambre, désireuse d'éviter un nouveau con- flit à ce moment, vota les crédits demandés (2). Mais elle crut devoir en même temps affirmer de nouveau ce qu'elle considérait le vrai principe constitutionnel en

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1823, p. 7; Appendice H.

(2) C'est-à-dire les crédits pour la seconde section, pour les "établissements locaux et provinciaux", puisque le revenu af- fecté en permanence par des lois antérieures était considéré comme suffisant pour solder les dépenses de la première sec- tion, celles qui étaient désignées sous les titres généraux de "gou- vernement civil et d'administration de la justice". Le gou- verneur ne demandait le vote des subsides que pour la seconde section ou la seconde classe,la première étant pourvue. Le dé- bat entre la Chambre et l'exécutif avait déjà porté en grande partie et devait encore porter ultérieurement sur ce point.

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( < Inii.l'. ilcriiin/' A (IM'rnyer les dépenses du gou-

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1 ,'^ v'l\vu\\h«v n\at\irest;u\t encore son esprit de con- vmI'h^Iii^vu, \\^^,■^ \les Kills, apjnlés "hills d'indemnité" vl^^>?i lo lu\^rt^v |v\rlou\entaiix\ alin do s;inctionner. de \Y^MUvii5^>» j^M^iV <^^\^> ICxS ^wiemcnts fait^ j\ar l'exécutif <^^> ^s^\^V ISiHV \S,ÎI et \S::.A m^imMcs fonds du trésor. N>ii^\v>^ \^«\^HKnu\ \\i\\ \\t suiviuies eût ot^ adopté, c'est -*- s^v^v -^ "■,',■'- --'.Nn kÎc b îtVîi=JAture, Mab le Con- ^%. „.. -^^,,, A \, ^^ - uvqMtT ocs bBIs à c&use de

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protester et de déclarer qu'il n'entendait pas en adop- ter un semblable à l'avenir.

En somme la session de 1823 avait été satisfaisante. Et en la prorogeant le gouverneur exprima son contente- ment en termes non équivoques: "Il nt me reste, dit-il aux membres de la législature, qu'à vous offrir mes plus chaleureux remerciements pour votre assiduité laborieuse. L'espoir que ie vous avais exprimé ré- cemment a été pleinement réalisé, et vous serez sans doute heureux de recevoir l'assuiance que je considère le résultat de la session à la fois honorable pour vous et utile au pays."

tannique, se lisait comme suit: "Et qu'il soit de plus statué par l'autorité susdite, que les argents ci-devant mentionnés et affec- tés par le présent, seront pris et chargés contre les Jonds généraux de la province, provenant de quel qu'acte ou actes que ce soit en force en icelle, et sur aucun des revenus de Sa Majesté appli- cables aux fins ci-devant mentionnées au présent acte." Statuts provinciaux du Bas-Canada. 3 George IV, 1823, cbap.38.) Le protêt du Conseil législatif prit la forme suivante : "Le Con- seil législatif voit avec une grande inquiétude et surprise que les bills envoyés de l'Assemblée intitulés "Acte pour mettre Sa Majesté en état de défrayer certains arrérages" ... et "Acte qui approprie certaines sommes d'argent"... renferment des ma- tières susceptibles de beaucoup d'objections, en ce qu'ils accor- dent des argents sur les fonds généraux de la province, des fonds d'une semblable dénomination n'existant pas légalement, et en ce que les titres, les préambules et les clauses d'octroi et d'appro- priation sont couchés eit termes si généraux et ambigus qu'ils indiquent encore une présomption ou un dessein de laisser un doute sur le droit oue nrétend avoir l'Assemblée de disposer des argents prélevés et déjà appropriés par un acte ou des actes de la législature impériale ou par Sa Majesté, pour ce qui a rapport aux droits et revenus de Sa Majesté et aux amendes et confisca- tions, ou par un acte ou des actes de la législature provinciale contenant des appropriations permanentes ou dans lesquels les amendes qu'ils imposent ne sont pas réservées pour sa disposi-

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matière budgétaire. Elle adopta consequcmment des résolutions il était dit: "Nulle loi imposant des taxes sur les sujets de Sa Majesté en cette province, pour former un fonds destiné à défrayer les dépenses du gou- vernement civil de Sa Majesté et celles de l'adminis- tration de la justice ou de la législature provinciale, ne doit être considérée comme investissant qui que ce soit du droit d'appliquer les sommes ainsi prélevées, ou d'en faire une affectation et une distribution spéciale, sans le consentement et l'autorisation de la législa- ture." (1) Nous verrons tout à l'heurt quelle était la portée de cette déclaration.

La chambre manifestant encore son esprit de con- ciliation, vota des bills, appelés "bills d'indemnité" dans le langage parlementaire, afin de sanctionner, de régulariser après coup les paiements faits par l'exécutif en 1810, 1820, 1821 et 1822,à même les fonds du trésor, sans qu'aucun bill de subsides eût été adopté, c'est-à- dire sans l'autorisation de la législature. Mais le Con-

se il législatif ne voulut pas accepter ces bills à cause de leur titre: "bills d'indemnité", jugé peu respectueux, et aussi parce qu'ils ne couvraient pas absolument toutes les dépenses soldées par le gouverneur, mais qu'ils étaient limités à celles que l'Assemblée avaient déjà approuvées par voie de simple résolution.

Néamoins, tout en rejetant les "bills d'indemnité", le Conseil législatif n'alla point jusqu'à repousser le bill des subsides voté par la Chambre, malgré la foi me que celle-ci lui avait donnée. (2) Il se contenta de

(1) Journal de la Chambre d'Asseviblée du Bas-Canada, 1823.

(2) L'article par lequel les fonds nécessaires étaient affec- tés, ou "appropriés" suivant la terminologie parlementaire bri-

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protester et de déclarer qu'il n'entendait pas en adop- ter un semblable à l'avenir.

En somme la session de 1823 avait été satisfaisante. Et en la prorogeant le gouverneur exprima son contente- ment en termes non équivoques: "Il ne me reste, dit-il aux membres de la législature, qu'à vous offrir mes plus chaleureux remerciements pour votre assiduité laborieuse. L'espoir que ie vous avais exprimé ré- cemment a été pleinement réalisé, et vous serez sans doute heureux de recevoir l'assuiance que je considère le résultat de la session à la fois honorable pour vous et utile au pays."

tannique, se lisait comme suit: "lit qu'il soit de plus statué par l'autorité susdite, que les argents ci-devant mentionnés et affec- tés par le présent, seront pris et chargés contre les fonds généraux de la province, provenant de quel qu'acte ou actes que ce soit en force en icelle, et sur aucun des revenus de Sa Majesté appli- cables aux fins ci-devant mentionnées au présent acte." (Statuts provinciaux du Bas-Canada, 3 George IV, 1823, cbap.38.) Le protêt du Conseil législatif prit la forme suivante : "Le Con- seil législatif voit avec une grande inquiétude et surprise que les bills envoyés de l'Assemblée intitulés "Acte pour mettre Sa Majesté en état de défrayer certains arrérages" ... et "Acte qui approprie certaines sommes d'argent"... renferment des ma- tières susceptibles de beaucoup d'objections, en ce qu'ils accor- dent des argents sur les fonds généraux de la province, des fonds d'une semblable dénomination n'existant pas légalement, et en ce que les titres, les préambules et les clauses d'octroi et d'appro- priation sont couchés en termes .si généraux et ambigus qu'ils indiquent encore une présomption ou un dessein de laisser un doute sur le droit eue nrétend avoir l'Assemblée de disposer des argents prélevés et déjà appropriés par un acte ou des actes de la législature impériale ou par Sa Majesté, pour ce qui a rapport aux droits et revenus de Sa Majesté et aux amendes et confisca- tions, ou par un acte ou des actes de la législature provinciale contenant des appropriations permanentes ou dans lesquels les amendes qu'ils imposent ne sont pas réservées pour sa di.sposi-

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Mais la session de 1824 ne devait pas être aussi calme ni donner au gouverneur autant de satisfaction. Au moment elle s'ouvrait, lord Dalhousie fit un ef- fort pour s'assuier le bon vouloir de M. Vallières, élu orateur l'année précédente. II lui adressa un mémoire dans lequel il lui exposait longuement ses vues sur la question des finances, et lui communiquait un résu- mé très clair de la situation. Elle n'était pas brillante à ce moment. Le déficit énorme constaté au mois d'août précédent dans la caisse du receveur général, M. Caldwell, mettait l'administration dans une posi- tion extrêmement embarrassante.

C'est peut-être ici le lieu de donnei un aperçu de ce triste épisode. Depuis un an le gouverneur avait pu remarquer que M. CaldwcU était à la gêne poui solder les mandats tiiés sur le trésor. Le receveur général avait d'abord demandé des délais. Finaleirnent, au mois d'août 1823, il s'était déclaré incapable de faire face au paiement des dépenses. Le gouverneur avait alors nommé deux commissaires pour inspecter ses comptes et ses livres, et il avait prêté à la caisse, afin de payer I/es salaires et autres frais d'administration, une somme considérable prise encore une fois sur les ex-

tion future. Le Conseil législatif proteste solennellement contre toutes semblables usurpations et prétentions, soit que ce soit directement ou indirectement, ou dans un langage ou sens clair ou ouvert ... II a concouru dans les dits bills comme une mesure de nécessité qui résulte de l'état très avancé de la session, ... et pour prévenir la détresse générale et individuelle qui aurait inévitablement résulté de la rejection des dits bilIs. Mais en donnant ainsi sa concurrence le Conseil législatif déclare qu'il conserve intacts tous ses droits et privilèges, et qu'il n'admettra plus à l'avenir, dans quelque circonstance que ce puisse être, une procédure si contraire aux règles et à la méthode du Parle- ment." (Journaux du Conseil législatif, 1823, pp. 126, 127).

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traordinaires de l'armée. Au mois de novembre, en attendant les instructions du gouvernement impérial, il avait suspendu M. Caldwell et nommé temporaire- ment M. Edward Haie pour remplir les fonctions de re- ceveur. Voici l'état se trouvait alors la caisse de ce fonctionnaire. D'après ses propres chiffres il était en déficit de 96,117 louis sterling. Cette somme au- rait dû être à la disposition de la législature et elle n'y était plus. En guise de règlement, M. Caldwell devait faire, durant la session de 1824, les propositions sui- vantes à la législature. Il céderait à la province des propriétés évaluées par lui à 32,000 louis courant. Il lui transporterait de plus une somme annuelle de 1,500 louis, payable sa vie durant, et provenant des revenus de sa seigneurie de Lauzon, dont la nue propiiété, pré- tendait-il, était substituée par le testament de son père. En outre, il faisait appel à la libéralité de la lé- gislature en léclamant une rémunération rétrospective pour des services rendus par son père et par lui, ser- vices auxquels ils n'étaient pas astreints par leur char- ge. Il s'agissait de très fortes sommes reçues et payées en veitu d'actes piovinciaux, sur lesquelles ils n'au- raient touché aucun percentage. En évaluant à trois pour cent ce qui avait été accordé au receveur géné- ral du Haut-Canada dans des cas analogues les com- missions sur ces sommes, il lui serait revenu de ce chef des arrérages de 45,471 louis, qu'il aurait fait valoir en compensation partielle de son déficit. Enf i n il se déclarait prêt à verser au trésor une somme additionnelle de 1000 louis par année, s'il était rétabli dans sos fonctions avec un salaire correspondant à leur importance et à leur responsabilité, et cela jusqu'à l'extinction com- plète de sa dette. Disons immédiatement que l'As- semblée refusa d'accepter ces propositions. Suivant

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elle le receveur général était un otlicier impérial, noin- par le gouvernement impérial, et comptable à ce gouvernement seul. La législature n'avait jamais pu exercer sur son bureau aucun contrôle légal. Toutes les sommes d'argent perçues, en vertu des lois de reve- nu ou autiemcnt, sur les sujets de Sa Majesté dans la proN ince devaient être versées entre ses mains. Il se reconnaissait maintenant en déficit de 96,117 louis. Les sujets de Sa Majesté avaient le droit d'espérer que les sommes confiées, conformément aux instructions royales,à un offîcier sur lequel ils n'avaient aucune auto- rité ne seraient pas perdues pour eux, mais leur seraient remboursées pai le gouvernement impérial. Saisi de la question, celui-ci refusa cependant de se reconnaître responsable du déficit de M. Caldwell. Il déclara en même temps que les propositions de ce dernier ne pou- vaient être acceptées, et il donna instruction au gou- verneui de faire intenter des procédures contre l'ex- receveur général. Elles devaient avoir pour objet de faire déterminer judiciairement le chiffre de sa dette et de faire déclarer nulle la prétendue substitution à laciuellc aurait été sujette sa seigneurie de Lauzon.

Ces procès, traînés de tribunal en tribunal, prolon- gés par des appels réitérés, durèrent sept ou huit ans. En fin de compte la seigneurie de Lauzon fut vendue, mais seulement en 1845. Et ce fut la province elle- même qui en fit l'acquii-ition en déduction de ce qui lui était dû. Comme il n'y eut jamais de rembourse- ment pour tout le chiffre du déficit Caldwell, le Bas- Canada encourut une perte de plusieurs milliers de louis en capital et intérêts. Cette affaire fut assuré- ment l'une de celle qui firent le moins d'honneur à l'ad- ministration coloniale de l'époque. On conçoit qu'elle ait servi de thème pendant un grand nombre d'années

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successives à des débats acrimonieux dans la chambre populaire. (1)

Au cours de sa communication à M. Vallièies, datée du 26 novembre 1823, lord Dalhousie signalait le déficit Caldwell comme l'une des circonstances qui rendaient la situation très difficile. "La caisse est vide, disait-il en substance. J'ai été obligé d'avancer 30,000 louis en 1822 et 30,000 louis en 1823 sur les ex- traordinaires de l'armée pour solder la dépense urgente. Je ne puis continuer de recourir à cet expédient. Ne serait-il pas à propos que nous nous entendissions vous et moi, pour essayer de surmonter les difficultés du moment?" Dans la lettre qui accompagnait le mémoire transmis à M. Vallières, le gouverneur faisait cette admission: "On me reproche d'avoir dépensé illé- galement les deniers publics, sans l'autorisation de la législatuie. Je dois admettie que je l'ai fait, mais mon excuse est évidente: j'ai été forcé de le faire pour le bien public. La Chambre refusait de votei les dépenses nécessaires au fonctionnement de la machine gouvernementale que j'étais chargé de conduire. Je n'ai pas osé prendre sur moi de l'arrêter et d'obliger les fonctionnaires publics à agir, sans leur payer le salaire d'où dépend leur existence. Ma conduite a été con- forme à celle de M. Pitt dans des circopbtance? ana logues." (2)

M. Vallières répondit à cette communication avec

(1) L'Histoire de la seigneurie de Lauzon, de M. J.-E. Roy, contient une longue et Intéressante étude sur l'affaire Caldwell. C'est un exposé complet et très documenté de ce cas de mal- versation officielle. {Histoire de la seigneurie de Lauzon, t. IV, ch. XXII et xxiv).

(2)— Christie, t. VI, pp. 396-402.

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une diplomatie courtoise. Il rendait justice aux in- tentions du gouverneur sans se compromettre ni s'en- gager, mais en manifestant tout de même un sincère esprit de conciliation (l).

La présence de M. Papineau, revenu d'Europe après avoir rempli avec succès sa mission, ne pouvait manquer de rendre la session de 1824 plus mouvemen- tée que la précédente. Ce qui donna surtout aux dis- cussions une vivacité et un intérêt particuliers, ce fût le fait qu'elles mirent souvent aux prises l'ancien ora- teur et celui qui l'avait remplacé, M. Papineau et M. Vallières, assurément 1er deux hommes les plus bril- lants de la Chambre.

Le premier débat qui les mit en opposition fut celui auquel donna lieu la prise en considération du Canada Trade Act. Cette législation impérial, on se le rappelle, se composait des dispositions détachées du bill d'union originaire et ayant pour objet de régler les diiïicultés fiscales entre le Haut et le Bas-Canada. Elle faisait aussi revivre une des lois de revenu que notre chambre provinciale avait laissée expirer, et elle en prolongeait une autre dont le terme était proche. Enfin elle autorisait le changement de tenure des terres dans le Bas-Canada. (2) A la session de 1823, la Cham- bre avait demandé des informations au sujet de cet acte impérial, et e'ie avait annoncé son intention de le discuter à la session suivante. Conformément à cette détermination, au mois de janvier 1824, M. Bourdages proposa une série de résolutions l'Acte du commer-

(1) A consulter sur cet épisode Vallicrcs-Dalhousic une étude publiée dans la Presse, de Montréal, le 21 juillet 1900: Notes et souvenirs Un épisode politique peu connu, par Ignotus.

(2) Statut impérial S George IV, chapitre 119.

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ce du Canada était violemment dénoncé. M. Valliè- res les appuya. Voici la thèse qu'il soutint: "Cet acte impose des taxes au pays contre le droit général des sujets britanniques et contre le droit particulier de la colonie. C'est un principe de la loi anglaise que le su- jet ne peut pas être taxé sans son consentement. Comme colonie nous sommes sujets de l'empire, mais le parlement impérial a renoncé au droit de taxer les colonies. On ne pourrait jamais prétendre que la continuation des droits temporaires imposés par la législature coloniale fût un exercice convenable du pouvoir de régler le commerce. Cependant ce n'est pas seulement sous ce rapport que l'acte paraît con- traire aux droits des sujets britanniques. Il va jus- qu'à statuer sur nos afFaircs locales, jusqu'à changer la tenure de nos propriétés, qui sont garanties au pays par la capitulation, par le traité de paix, et par l'acte de 1774." (1)

A la suipiise d'un grand nombre de sespartisans, M. Papineau prit une attitude diamétralement oppo- sée. Il se fit le champion du parlement impérial et de sa juridiction sur les affaires canadiennes. "Il dit que tout membre de la Chambre avait le droit de soumet- tre à sa considération tout ce qu'il croirait avoir trait au bien public, que l'honorable membre qui avait pro- posé les résolutions (M. Bourdages) avait fait usage de ce droit; qu'il était peisuadé de sa loyauté pour son souverain, de son attachement à son pays et de l'hon- nêteté de ses vues; qu'il ne fallait rien moins que cette persuasion pour considérer avec indulgence les réso- , lutions qui avaient été soumises à la Chambre; qu'elles lui paraissaient avancer des principes qui' n'étaient ni

(1) Gazette de Québec, 5 février 1824.

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londcsen droit ni comptables avec l'obéissance duc à la loi; que si nous pouvions prescrire des bornes à l'au- torité souveraine de l'empire et en censurer les actes il lui semblait que les relations de colonie et de métro- pole n'existaient plus. En An^letenc, cette nation la plus libérale de l'Europe à l'égard durégimecolonial, tous les hommes publics soutenaient l'autorité légis- lative suprême du parlement sur les colonies, non seu- lement dans ce qui regarde le commerce mais en d'au- tres matières. 11 était de notoriété que cett*^ autorité s'exerçait tous les ans, et que lorsqu'une colonie était nommée dans un acte du pailement elle était obligée d'obéir. La proposition que nous ne devons obéissance qu'aux lois auxquelles nous avons consenti «me paraît tout à fait insoutenable, puisque le parlement britan- nique a constamment exercé une autorité législative .suprême sur les colonies." (1) ________ —^

Quand on songe à la carrière subséquente de M. Papineau, on ne peut lire ce discours sans étonncmtnt. Est-ce bien le fougueux antibritish, le dénonciateur, passionné du gouvernement impérial, qui parle avec cette révérence de "l'autorité souveraine de l'empire", qui déclare solennellement que la législature coloniale ne peut "prescrire des bornes à cette autorité ni en censurer les actes", sans mettre à néant "les relations de colonie et de métropole?" En lisant cette page de nos annales politiques, on se demande à quel mobile obéissait M. Papineau en cette occasion.

Son attitude provoqua de durs commentaires dans les journaux de son parti. Le Canadian Spectator, or- gane patriote rédigé en langue anglaise, publia ces li- gnes: "We are sorry to observe that Mr Papineau and

(\)—Gay.ette de Québec, 12 février 1824.

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Mr Viger hâve defended that act. Mr Bourdages lias spoken as a fearless and independent représentative ought to do. We hâve not seen Mr Bourdages reso- lutions, but presuming that the^^ embody the prlncl- ples advanced by Mr Speaker (Vallières) and Mr Stuart we are bound to say that they are more becoming a British subject than some doctrine in Mr Papineau's speech. We should wish to know in what, upon prin- ciple, our situation would difFer from that of a Rus- sian or Turkish subject, if, as Mr Papineau would hâve it, we aie forbidden to censure any act of the impeiial Législature. . We differ fundamentally from Mr Pa- pineau when he asserts that England by the Canada Trade Act has exercised a power which she never rehn- quished . . It will be a burning shame if the Province under her présent circumstances will not be allowtd to send able and sufficient agents to London. They should be such as the whole Province can hâve con- iidence in." (P'

M. VaHières léphqua avec une grande éloquence au discours de M. Papineau, dans la séance du 16 fé- viier. Cependant il ne parvint pas à ralher une ma- jorité à l'appui des résolutions originaires de M. Bour- dages, qui dut les retirer. Dans plusieurs votes qui frrent pris sur cette question, M. Papineau l'emporta. Mais à la fin une motion de M. Bourdages pour la no- mination d'un comité chargé de préparer une adresse au roi, dans laquelle des représentations seraient faites à Sa Majesté relativement à l'Acte du Commerce, fut adoptée malgré M. Papineau, qui se trouva en mino- rité.

Le résultat de cette première passe d'armes entre

(1) Tbe Canadian Spectator, 15 février 1824.

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M. Vallières et M. Papincau était donc assez indécis. Le vote sur les srbsides offrit aux deux rivaux une nou- velle occasion de rompre une lance. Le 17 févrici, M. Tascheieau proposa que des subsides fussent ac- cordés à Sa Majesté. Qu'^I^'iit faire IVL Papincau ? Sur la question de l'Acte du conimeice il avait été étonnamment gouvernemental. Continuerait-il à l'être sur la question des subsides ? Si les amis de l'admi- nistration en avaient eu l'illusion, ils furent prompte- ment détrompes. M. Papincau se montra d'une in- transigeance absolue. Sans doute les deux questions étaient différentes. On pouvait refuser de s'attaquei au parlement impérial à propos de l'Acte du commerce, et, sans se contredire, refuser de voter I«s subsides, pour des raisons politiques et constitutionnelles. Ce- pendant le discours prononcé par M. Papincau, dans le premier cas, avait semblé dénoter un état d'esprit qui rendait vraisemblable son consentement au vote des subsides dans le second. Il n'en fut rien. Notre tribun combattit énergiquement la proposition de M. Tas- chereau. Et, particularité piquante, M. Vallières, qui dans le débat précédent s'était montré jaloux de l'au- tonomie coloniale, prêta cette fois son concours à l'ad- ministration. Il y eut ainsi entre ces deux parlemen- taires éminents une sorte de chassè-croisé.

Le débat fut extrêmement intéressant. M. Pa- pincau parla avec une giande énergie. M. Vallières lui répondit par l'un des plus beaux discours de sa car- rière. Il fit "observer que la chambre avait l'année der_ nière voté un subside demandé de la même manière, (1)

(1) Les estimations soumises en 1824, comme celles de 1823, étaient divisées en deux sections ou deux classes : lo Le gouvernement civil et l'administration de la justice ; 2o les éta- blissements locaux et provinciaux.

COURS d'histoire du canada 159

et qu'il n'était rien arrivé depuis ce temps-là qui pût justifier entièrement le refus d'un subside, d'au- tant plus qu'en accordant la motion principale on ne se liait pas quant au montant des subsides ni quant aux précautions nécessaires pour l'avenir." (1) A la fin de cette discussion mouvementée, M. Vallières eut la satisfaction de l'emporter par une voix. La chambre décida d'accorder les subsides par 14 voix contre 13. MM. Bourdages et Neilson votèrent avec M. Vallières.

Mais ce n'était pas tout de décider que des sub- sides seraient votés. Il fallait en déterminer la forme. Ici l'influence de M. Papineau eut plus de poids. Il fit adopter par la chambre une série de résolutions dans lesquelles le gouvernement "était accusé d'avoir commis des prodigalités, d'avoir fait un mauvais usage des deniers publics, de les avoir employés illégalement, c'est-à-dire sans l'autorisation de la législature." Le péculat du receveur général lui fournit le thème d'une philippique véhémente.

Cependant toute la chambre ne se laissa pas sub- juguer par son éloquence enflammée. Et l'on vit M. Neilson, son ami et son collègue dans la mission de Lon- dres contre l'union, se lever poi'r proposer une série de résolutions en amendement aux piemièies. Elles portaient la marque de l'esprit judicieux, calme, pon- déré, qui caractérisait le député du comté de Québec. (2) Ce fut un des premiers indices de la mentalité diffè-

(1) Gazette de Québec, février 1824.

(2) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1824, p. 316. M. Papineau voulait qu'on fit subir aux estima- tions officielles une réduction de 25%, au chapitre des salaires pour les fonctionnaires publics. M. Neilson trouvait que cette manière de procéder n'était pas judicieuse.

11

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rente qui devait, quelques années plus tard, produire une scission irrépaïajjle entre ces deux chefs de la ma- jorité bas-canadienne.

Finalement le bill des subsides fut adopté, la liste civile fut votée pour un an avec une réduction de vingt- cinq pour cent sur les salaires des fonctionnaires et of- ficiers du gouvernement, à commencer par le gouver- neur. Et la somme de 43,101 louis sterling, ainsi vo- tée, était à prendre suivant les termes du bill, "sur les fonds, revenus et deniers applicables au paiement des dépenses de l'administration de la justice et du gou- vernement civil, levés et perçus dans la province en vertu de toute loi, ou de tout statut actuellement en force, ou provenant du revenu casuel et territorial de Sa Majesté." Et dans le cas ces fonds "ne seraient pas suffisants, la différence devait être remplie au moyen des fonds non-appropriés qui pouvaient être entre les mains du receveur général." (1) Comme il était facile de le prévoir, ce bill des subsides fut rejeté som- mairement par le Conseil législatif.

Après l'espèce de trêve observée durant la crise du bill d'union, le conflit entrs l'exécutif et l'Assemblée s'accusait de nouveau avec une recrudescence d'inten- sité. Il n'est pas inutile de s'arrêter ici un moment pour préciser ce qui constituait le nœud du débat. Le bill des subsides de 1824 l'indiquait parfaitement. Le gouvernement, depuis 1820, demandait deux choses: le vote de la liste civile pour la durée de la vie du roi, et la disposition incontestée du revenu casuel et territo- rial ainsi que des recettes affectées par des lois perma- nentes au gouvernement civil et à l'administration de

(1) ^Bibaud, Histoire du Canada snus la domination an- glaise, p. 249.

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la justice. La Chambre repoussait ces deux préten- tions. Elle ne voulait voter la liste civile qu'annuel- lement. Et elle proclamait son dioit d'affecter par le bill des subsides tout le revenu, non seulement celui qui était à la disposition de la législature, mais de plus celui-là même qui avait été affecté spécifiquement par des lois antérieures, y compris et surtout celui qui pro- venait de l'Acte impérial du revenu de Québec (14 George III, chap. 88). Examinons rapidement ces deux aspects du conflit.

D'abord que fallait-il entendre par ce terme "la liste civile", qui revient si souvent dans les documents officiels et dans les pages de nos histoires ? Un au- teur bien connu de droit constitutionnel va nous don- ner la réponse. *'La liste civile, écrit M. Todd dans son grand ouvrage On parliamentary government in En- gland, prit naissance après la révolution de 1688. On l'appliqua alors à défrayer en même temps les dépen- ses de la maison royale et des offices civils du gouver- nement. Dans les colonies, le terme liste civile est appliqué à une disposition budgétaire qui soustrait certaines parties de la dépense régulière de la colonie au vote annuel de la législature." (1) Un autre auteur, May, dans sa Constitutional Historv nj England, écrit ce qui suit: "A l'accession de Guillaume et Marie le Parlement fit une provision spéciale pour la "Liste ci- vile" du roi, qui comprit le maintien de la maison royale les dépenses personnelles du roi, aussi bien que le paie- ment d'officiers civils et de pensions. Le système ainsi introduit fut continué durant les règnes suivants, et la liste civile comprit non seulement les dépenses du

(1) Todd, On Parliamentary Government in England, 1887, t. I, p. 655.

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162

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COURS D HISTOl

163

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162 COURS d'histoire du canada

souverain, mais une partie de la dépense civile de l'Etat." (1)

A l'avènement de George IV, en 1820, la liste ci- vile avait été fixée à la somme de 1,057,000 louis ster- ling, soit S5,287,000. Voici quelles en étaient les char- ges: 1 La "bourse privée" de Sa Majesté, 60,000 louis; les émoluments du lord chancelier, des juges et de l'orateur de la Chambre des communes, 32,955; 3 les salaires des ambassadeurs de Sa Majesté, des mi- nistres plénipotentiaires, des consuls, et les pensions des ambassadeurs et des ministres en retraite, 226,950 louis; 4 les dépenses de la maison de Sa Majesté, dans les départements du "lord steward", du lord chambellan, du maître des écuries, du maître de la garde-robe et du surintendant général des travaux, 209,000 louis; les pensions, limitées par l'acte 22 George III, à 95,000 louis; 7 les salaires de ceitaines charges de l'Etat, et divers autres émoluments; 8 les salaires des commissaires du trésor et du chance- lier de l'échiquier, 13,822; 9 les paiements occasion- nels, etc, 26,000: total, 845,727 louis. (2)

La liste civile en Angleterre était votée pour la vie du souverain. L'acte du parlement qui l'établis- sait au début du règne contenait cette disposition: "And that the said revenues shall bc made payable, . . and be paid to His présent Majesty during his life (which God may préserve)." (3) C'est sur cette pratl-

(1) May, Constitutional History oj England, 1912, t. I, pp. 156-168.

(2) Stalutes oJ tbe United Kingdom, I Geori^e IV, ch. I.

(3) Stalutes oj tbe United Kingdom, I George IV, ch. i, art. 3.

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que du parlement impérial que se fondaient les minis- tres coloniaux et les gouverneurs qui insistaient ici pour faire voter par la Chambre une liste civile permanente. "Voilà ce qui se fait en Angleterre, disaient-ils. Votre constitution est modelée sur celle de la Grande-Bre- tagne. Vous ne sauriez raisonnablement refuser de suivre la règle observée par les communes et les lords britanniques. Pourquoi seriez-vous plus défiants en- vers la Couronne que les représentants du peuple an- glais, si ombrageux quand il s'agit de ses privilèges et de ses franchises?" Cet argument avait une incon- testable force. A cela l'Assemblée répondait "que le mon- tant des dépenses du gouvernement civil de Sa Majesté en cette province était de sa nature variable et sujet à être augmenté et diminué de temps à autre, suivant l'exigence des cas et les changements que nécessitent journellement l'enfance de cette province et l'instabili- té de ses ressources et de son commerce, et qu'à cet égard il n'y avait aucune parité entre la mère-patrie et cette colonie." Elle ajoutait "que la division des pou- voirs, législatif, exécutif et judiciaire, l'indépendance des juges et la comptabilité des officiers du gouverne- ment sont des attributs essentiels de la constitution britannique dont jusqu'à présent cette province avait été privée, et qu'à tous ces égards il n'y avait aucune parité entre la mère-patrie et cette province." Elle faisait encore observer "que les dépenses du gouver- nement civil de cette province faisaient presque la tota- lité de la dépense publique et qu'à cet égard il n'y avait aucune parité entre la mère-patrie et cette pro- vince." Enfin elle déclarait que les "raisons qui ont 'engagé le parlement d'Angleterre à pourvoir pour la vie du roi à la dépense de sa maison et à la liste civile de Sa Majesté et aux dépenses nécessaires pour soute-

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nir l'honneur et la dignité de la Couronne n'existaient pas dans cette province," et, conséqucmment, elle af- firmait une fois de plus la disparité des circonstances entre la Grande Bretagne et le Bas-Canada. (1)

Comme on le voit la Chambre plaidait la diffé- rence des cas. Cette différence était indéniable et pouvait justifier à ce moment l'attitude de nos chefs parlementaires. En outre ils se défiaient de l'admi- nistration. Ils voyaient le Conseil exécutif et le Con- seil législatif composés en grande partie d'un groupe ennemi de nos institutions et de nos traditions natio- nales, de magistrats, de fonctionnaires, d'officiers pu- blics hostiles à nos droits et désireux de réduire à néant notre influence. Et ils considéraient une liste civile permanente, dont ces adversaires acharnés de notre cause seraient les principaux bénéficiaires, comme une sorte de citadelle inexpugnable d'où cette bureaucra- tie trop puissante nous braverait impunément. Voilà ce qui faisait vraiment le fond du débat. Théorique- ment, sur cette question de la liste civile permanente, la position de l'Assemblée pouvait paraître faible. Le parlement britannique en avait depuis longtemps re- connu l'à-propos. Et en soi cette permanente était dans l'ordre. II est rationnel et utile que l'administra- tion judiciaire, que le service diplomatique, que les sa- laires de certains fonctionnaiies, que toute une classe d'officiers essentiels au fonctionnement du gouverne- ment national, soient assurés dans leur stabilité et leur efficacité par des dispositions légales permanentes, et ne soient pas laissés à la merci des fluctuations politi- ques. Nous vivons actuellement sous ce régime. Par- Ci) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1822, 14 janvier.

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courez nos estimations budgétaires fédérales et pro- vinciales. A Ottawa comme à Québec vous y verrez indiquées deux séries d'affectations, les affectations permanentes et les affectations annuelles. Vous cons- taterez que cette intéressante brochure qui s'appelle "le budget" contient deux colonnes, celles des dépen- ses à voter et celle des dépenses déjà votées, ou auto- risées par statut. C'est ainsi qu'actuellement le salai- re des juges, par exemple, constitue une charge perma- nente sur le revenu public. Les subsides pourraient être refusés demain, et l'administration de la justice n'en serait pas entravée. Ceci est absolument raison- nable et exigé par le bien public. Mais le malheur des temps que nous étudions en ce moment c'était la confu- sion des rôles, le cumul des fonctions, le défaut de dis- tinction entre les pouvoirs exécutif, législatif et judi- ciaire. Et c'était cet abus, ce désordre incontestable qui expliquaient l'attitude de l'assemblée.

Passons maintenant au second aspect du conflit. Ceux d'entre vous. Messieurs, qui me font l'honneur de suivre régulièrement ces conférences, se rappellent sans doute la distinction que nous avons observée entre les deux catégories de revenus. Il y en avait qui prove- naient du fonds casuel et territorial et des lois décré- tant des affectations permanentes, telles que l'Acte impérial du revenu de Québec (14 George III, chap. 88) et l'Acte provincial 35 George III, chapitres 8 et 9. Et il y en avait qui provenaient de lois ne se ren- contraient aucunes dispositions ayant pour objet d'af- tecter en permanence à la dépense publique les recettes qui en seraient le produit.

Si l'on veut toucher du doigt la différence entre le revenu affecté et le revenu non affecté, on n'a qu'à par- courir l'article 17 de la loi 35 George III, chapitre 9.

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On y lit ce qui suit: "Et qu'il soit de plus statué que, des monnaies qui proviendront des droits et taux ac- cordés par cet acte, et des droits accordés par un acte voté dans cette session de la législature, intitulé "Acte pour accorder à Sa Majesté des droits sur les licences de colporteurs", ctc , il sera déboursé et payé an- nuellement la somine de cinq mille cinq cent cinquante cinq louis, onze chelins, un denier et un fiers, monnaie cou- rante de cette province, étant égale à cinq mille livres sterling monnaie de la Grande Bretagne, pour contri- buer plus amplement à défrayer les dépenses de l'admi- nistration de la justice et le soutien du gouvernement civil dans cette province, et toutes et chacunes des monnaies ainsi appropriées seront paj^ées par le receveur général de cette province sur tel ordre ou ordres qui seront de temps en temps émanés par les gouverneurs, le lieute- nant gouverneur ou la personne ayant l'administra- tion du gouvernement de cette province pour le temps d'alors, pour les fins ci-dessus mentionnées et pas d'au- tres, ef le restant s'il s'en trouve, des mo7i7iaies provenantes des taux et droits susdits . . , demeurera et sera réservé entre les mains du dit receveur général pour la disposi- tion future de la législature de cette province."{l) Les mots en italiques font saisir parfaitement la distinc- tion indiquée plus haut. En vertu de cet article, sur le produit de cette loi de revenu, 5,555 louis sont affec- tés en permanence au paiement des dépenses de l'ad- ministration de la justice et du gouvernement civil, le reste est non affecté et la législature seule pourra l'ad- fecter ultérieurement. Le gouverneur n'aura pas le droit de tirer le moindre mandat sur ce reste, et le rece-

(1) Statuts provinciaux du Bas-Canada t. T p. 182.

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veur général n'aura pas le droit d'en payer un sou sans l'autorité d'un vote de la législature.

Voici un autre exemple de revenu non affecté. L'article 12 de l'Acte 55 George III, chapitre 3, "ac- cordant de nouveaux droits à Sa Majesté pour subve- nir aux besoins de la province", se lisait comme suit: "Et qu'il soit statué que tous les deniers, amendes, et confiscations qui seront prélevés en vertu de cet acte, seront payés et demeureront entre les mains du rece- veur général pour la dispositioyi future du parlement provincial." (l) Voilà un cas très clair de revenu non affecté. Pour qu'on pût y toucher, pour que le gou- verneur pût émettre un mandat sur ce fonds afin de payer une dépense, il fallait un vote, une affectation de la législature.

Eh bien, en présence de ces deux catégories de re- venus, la Couronne, le pouvoir exécutif disait à l'As- semblée: "Vous avez le droit d'affecter par votre vote, par le bill des subsides, tout le revenu qui ne l'est pas déjà, mais vous n'avez pas le droit d'affecter le revenu qui l'a été antérieurement par des lois permanentes. Celui-ci a été mis d'avance à ma disposition par des statuts, et je puis l'appliquer au gouvernement civil et à l'administration de la justice, sans avoir besoin de recourir à une nouvelle affectation législative." Cet- te prétention était indéniablement plausible.

Comment l'Assemblée y répondait-elle ? Elle déclarait que les revenus produits par l'Acte impérial de 1774 n'avaient été affectés que par une législation du parlement britannique, et, qu'une constitution par- lementaire ayant été accordée subséquemment à la province, il convenait que le revenu créé- antérieure-

(1) Statuts Provinciaux du Bas-Canada, t. 8, p. 29.

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ment par cet acte devînt sujet à l'afTectation de la lé- gislature. Elle afTirmait que, le revenu permanent ne suffisant plus à solder toutes les dépenses et le gouver- nement étant obligé de demander des ressources addi- tionnelles, la chambre avait le droit et le devoir de con- sidérer en même temps l'ensemble des dépenses et l'en- semble des revenus, et d'afTecter ceux-ci au paiement de celles-là, sans tenir compte de la distinction signa- lée tout à l'heure. Elle représentait enfin, et ceci était son argument le plus fort, que le pouvoir exécutif prétendait déterminer d'une façon tout à fait arbitraire quels étaient les services qui devaient entrer sous ces titres de "gouvernement civil et d'administration de la justice", et qui seraient ainsi défrayés à même le re- venu affecté en permanence, y incluant et en excluant ceux qui lui plaisaient, et favorisant les uns au détri- ment des autres. Et elle soutenait que le remède à cet nbus, c'était de faire disparaitre cette distinction et de soumettre tout le revenu à l'affectation législa- tive. Ici encore la position de l'Assemblée se justi- fiait plutôt par les raisons politiques que par les raisons théoriques.

Dominant tout ce débat, il y avait un principe fon- damental que nous ne saurions perdre de vue, le prin- cipe du légitime contrôle des représentants du peuple sur le revenu des taxes imposées au peuple et payées par lui. M. John Neilson devait l'énoncer dans cette formule brève et saisissante, au cours de son témoignage devant le comité des griefs, quatre ans plus tard: "L'as- semblée de la province a le droit d'approprier et de contrôler tous les deniers qui se perçoivent dans la pro- vince." Lord Bathurst l'oubliait trop dans ses lettres. Il méconnaissait trop son rôle de ministre constitution- nel quand il revenait constamment sur la nécessité de

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maintenir l'intégrité "du revenu de la couronne", de ne pas laisser la Chambre toucher au "revenu du roi". C'était se montrer trop régalien. C'était exagérer la fiction au détriment de la réalité. C'était perdre du vue ce point capital que nous avions ici un gouverne- nement parlementaire, et que, d'après la constitution, les finances de la colonie tombaient normalement sous la juridiction du parlement colonial.

Aux deux causes de difficultés que nous venons d'étudier sommairement, il faudrait ajouter la prati- que adoptée par l'Assemblée dès le début de voter les subsides article par article au lieu de les voter en bloc. Mais ce sujet de contention semblait avoir subséquem- ment perdu de son importance dans le litige entre la Chambre et l'exécutif.

L'issue orageuse de la session de 1824 pouvait faire présager pour l'année suivante une session désagréa- blement mouvementée. Il n'en fut rien. Lord Dal- housie, qui avait obtenu un congé, passa en Europe au mois de juin, et Sir Francis Burton, le lieutenant gou- verneur, (l)prit les rênes de l'administration. C'était

(1) Sir Francis Burton était lieutenant gouverneur du Bas-Canada depuis 1808. Mais il n'était au Canada que depuis 1822. On se rappelle que la Chambre avait fait des représen- tations relativement au salaire d'un lieutenant gouverneur absent de la province. C'est ce qui avait déterminé l'arrivée de sir Francis. Ses qualités personnelles l'avaient promptement rendu populaire. A la session de 1823, la Chambre lui avait voté une augmentation de salaire de 1000 louis sterling (soit 2500 louis en tout) et une somme de 500 louis pour le loyer et l'ameublement d'une résidence. Avant sir Francis Burton, il y avait eu sous le régime britannique six lieutenants gouverneurs de Cuébec ou du Bas-Canada : Sir Guy Carleton en 1766, Hector-Theophilus Cramahé en 1771, Henry Hamilton en 1784, Henry Hope en 1785, Alured Clarke en 1790, Robert Prescott en 1795, Robert-Shoré

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un homme ami delà concorde. Son aménité decaractère, sa bienveillance et son commerce facile avaient prédis- posé les esprits en sa faveur. Les élections générales qui eurent lieu dans l'été de 1824 apportèrent peu de changements au tempérament général de l'Assemblée. La session s'ouvrit le 8 janvier 1825. M. Vallières, qui avait siégé deux ans comme orateur, ne fut pas réélu, et M. Papineau fut replacé dans ses anciennes fonctions. Dans le discours du trône le lieutenant gouverneur fit cette déclaration significative: "Quoi- que j'assume pour la première fois l'administration du gouvernement, j'ai résidé assez longtemps dans la pro- vince pour vous avoir connus presque personnellement. Et je puis déclarer avec la plus vive satisfaction que dans aucune partie des possessions de Sa Majesté je n'ai remarqué un plus ferme attachement à sa personne

Milnes en 1797. Ces fonctionnaires remplaçaient les gouverneurs en chef quand ceux-ci étaient absents, soit temporairement soit définitivement. C'est ainsi que Carleton vint ici d'abord pour administrer les affaires, après le départ de Murray, en 1766, avec le simple titre de lieutenant gouverneur. Murray ne cessa d'être titulairement gouverneur qu'en 1768, et Carleton fut alors nommé gouverneur en chef. Sir Robert -Shore Milnes ne fut jamais que lieutenant gouVerneur. II remplit ici les fonctions de gouverneur après le départ du général Prescott, en 1799 jus- qu'en 1805, ce dernier conservant son titre jusqu'en 1807. De 1805 à 1807 (date de la nomination de sir James Craig,) le gou- vernement fut administré par le président Dunn. A partir de 1786, les gouverneurs de Québec furent toujours gouverneurs en chef de toutes les provinces britanniques, les représentants de la Couronne au Nouveau-Brunswick, à la Nouvelle-Ecosse et dans le Haut-Canada ne furent que lieutenants gouverneurs, et il y en eut un aussi pour le Bas-Canada, sous le gouverneur général. (A consulter sur les lieutenants gouverneurs les Docu- mpits constitutionnels, 1760-1791, pp. 166, 279, 507, 527, et le Hand-Book oj Canadian Dates, de F. McCord).

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et à son gouvernement que ceux dont vous donnez l'exemple; et j'ai conséquemment les meilleures rai- sons de compter sur vos efforts réunis. J'espère, Mes- sieurs, que vous allez vous unir cordialement pour écarter les difficultés passées, et pour en prévenir le re- tour par un arrangement à l'amiable des affaires finan- cières de la province." (1)

La Chambre s'efforça de correspondre à l'appel. De part et d'autre, il y eut de la bonne volonté. Sir Francis Burton soumit les estimations dans une forme différente de celle qui avait été adoptée les années pré- cédentes. La distinction entre deux classes de servi- ces, ceux du gouvernement civil et de l'administration judiciaire, et ceux des établissements locaux et pro- vinciaux, ne fut pas reproduite. Les revenus affectés antérieurement furent évalués à 40,545 louis courant, et une somme additionnelle de 31,456 louis fut deman- dée pour compléter le paiement des dépenses prévues. L'Assemblée se montra satisfaite de cette nouvelle ma- nière de soumettre les estimations budgétaires. Elle y vit ou voulut y voir un abandon de la distinction entre les offices permanents et les offices locaux, et une admission de son contrôle sur le revenu affecté en permanence. Il y avait peut être une illusion, in- consciente ou volontaire. Quoi qu'il en fût elle pro- duisit son effet. Les chefs de la majorité s'efforcèrent de préparer un bill de subsides qui serait agréable au lieutenant gouverneur, et qui, d'autre part, ne compro- mettrait pas leurs prétentions. Il y eut des pourpar- lers discrets (2). Et le résultat fut un bill de subsides

(1) Journal de la Chambre, 1825, p. 12. (2)— Christie, t. III, p. 69.

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qui apparemment ne soulevait pas les mêmes objections que les précédents. Certains articles des estima- tions y étaient su])primés parce que l'Assemblée les ju- geait inutiles. Mais l'article se trouvait édictée l'afTectation budgétaire était conçu en des termes qui éludaient la difliculté principale. II y était dit: "En addition au revenu approprié pour défrayer les dépenses de l'administration de la justice et pour le maintien du gouvernement civil de la province, il sera ajouté et payé à même les deniers non appropriés qui sont main- tenant ou qui pourront se trouver ci-après entre les mains du receveur général de la province telle somme ou sommes qui pourront être nécessaires pour complé- ter une somme n'excédant pas cinquante-huit mille et soixante quatorze louis, deux chelins et onze pence sterling, aux fins de défrayer les dépenses du gouver- nement civil de cette province et de l'administration de la justice, et les autres dépenses pour la dite année commençant le 1er jour de novembre 1824 et se termi- nant le trente et unième jour d'octobre 1825." (1)

Cette formule fort habilement rédigée rencontra la faveur universelle. Le bill des subsides, voté à la Chambre par vingt-deux voix contre une (2), fut agréé par le conseil à une très forte majorité, deux conseillers seulement, MM. Richardsonet Grant, donnant un vote hostile (3). De part et d'autre on se félicita du résul- tat. On proclama la fin des difTicultés qui avaient en- travé le bon fonctionnement de nos institutions. En présentant le bilI des subsides, M. Papineau prononça

(1) Statuts provinciaux du Bas-Canada, t. XII, p. 103; 25 George III, ch. XX vu.

(2) Journal de la Chambre, 1825, pp. 365-366.

(3)— Christie, t. III, p. 70.

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ces paroles: "Qu'il me soit permis au nom des fidèles et loyaux sujets de sa Majesté, ses communes du Bas- Canada. ., d'exprimer leur reconnaissance pour la fa- cilité de l'accès, l'urbanité de l'accueil, la franchise dans les communications, la variété et l'importance des renseignements propres à faciliter leurs travaux légis- latifs qu'ils ont en tout temps obtenus de votre Excel- lence. Depuis l'année mil huit cent dix-huit que cette Chambre avait été appelée pour la première fois à pour- voir annuellement à toutes les dépenses civiles du gou- vernement, des obstacles toujours croissants jusqu'à ce jour avaient empêché qu'elle pût offrir à la sanction royale un bill qui pourvût pleinement à cet objet essen- tiel. Enfin sous de plus heureux auspices, sous votre administration, cet engagement volontaire qu'elle a prise, ce devoir qu'elle a toujours été prête à remplir va s'accomplir à la suite de difficultés trop longtemps prolongées. Vos efforts pour rétablir l'harmonie entre les autorités constitutionnelles ont été couronnée d'un plein succès, qui vous garantit la reconnaissance du- rable de l'Assemblée et du peuple qu'elle représente." (1) Sir François Burton de son côté témoigna en ter- mes chaleureux le contentement qu'il éprouvait : "Ce sera, dit-il, une partie bien satisfaisante de mon devoir de faire connaître à Sa Majesté aussitôt que possible la nouvelle satisfaisante que, par un arrangement ami- cal des intérêts pécuniaires de cette province, vous avez obvié aux difficultés qui, pendant des années suc- cessives, ont troublé l'harmonie qu'il était si désirable ^'établir entre les corps législatifs. Et cet événement, j'en suis persuadé, tendra à rapprocher dans un degré

(1) Journal de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, 22 mars 1825.

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cniinent les liens qui unissent cette province à la mère- patiic."

La session de 1825 se terminait dans une effusion d'allégresse civique et de synipatiiie mutuelle. "Cha- cun, écrit un contemporain, se félicita de voir finir ainsi les dissensions sur les affaires de finance." Le lieute- nant gouverneur écrivait dans cette note au ministre des colonies. Il lui annonçait avec la plus vive satis- faction que les différends existant depuis si longtemps entre les corps législatifs sur la question des subsides étaient terminés à l'amiable. Il ajoutait: "L'Assem- blée a décidément reconnu le droit de la Couronne de disposer du revenu provincial de l'Acte de la Même George III et de certains autres droits dont le produit est déjà approprié par la loi, et à l'avenir il ne sera né- cessaire de demander à l'Assemblée que l'aide qui pour- rait êtie requise pour couvrir le déficit du revenu ci- dessus mentionné pour payer les dépenses du gouver- nement civil et de l'administration de la justice." Et il terminait sa lettre par ces mots: "Il n'y a pas eu de session aussi paisible depuis vingt-cinq ans." (1) Quand nous lisons cette lettre, après la longue étude que nous avons faite du conflit budgétaire, et quand nous la rap- prochons du texte adopté par la Chambre pour le der- nier bill des subsides, nous ne pouvons nous empêcher de signaler que sir Francis Burton se faisait quelque illusion sur la portée véritable de cet acte. La Cham- bre était restée dans l'indéfini; elles'était arrangée pour ne pas reconnaître expressément à la Couronne le droit de disposer du revenu en permanence affecté. Lord

(1) Archives du Canada ; Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 171, p. 12.

COURS d'histoire du canada 175

Bathurst le discerna parfaitement. S'il eût été diplo- mate, il eût profité de cette sorte d'équivoque, de ce malentendu, propice à certains égards, pour laisser expirer tranquillement la controverse fâcheuse la métropole se trouvait engagée avec la colonie. A la rigueur la prétention soutenue par lui depuis 1820 pou- vait paraître implicitement reconnue par l'Assemblée. II eût été judicieux de sa part, nous semble-t-il, de se déclarer satisfait, et de profiter du bill de subsides à la tournure conciliante voté par la Chambre en 1825, pour établir un modus vivendi acceptable à toutes les parties en cause, et assurer ainsi le fonctionnement pai- sible de l'administration bas-canadienne. Lord Ba- thurst ne sût pas saisir l'occasion. II se cantonna dans la conception la plus extrême de la prérogative royale. Il censura .sir Francis Burton pour avoir consenti à ce qui lui paraissait une diminution de cette prérogative. Il protesta contre une mesure qui affectait l'intégrité du "revenu du roi", il réclama pour "Sa Majesté", le droit d'appliquer le "revenu permanent de la Couronne à telles dépenses qu'elle jugerait convenable." Com- me si le produit des taxes payées par le peuple n'eût pas été en réalité la propriété du peuple de cette pro- vince! Lord Bathurst reprochait au lieutenant gou- verneur de n'avoir pas suivi les instructions contenues dans ses dépêches à lord Dalhousie du 11 septembre 1820 et du 17 septembre 1821. II terminait cette lettre d'un ton si absolu par l'intimation suivante: "Comme le bill est limité à une année, je ne crois pas nécessaire de recommander à sa Majesté de le désap- prouver, mais j'enjoindrai au représentant de sa Ma- jesté de ne sanctionner aucune mesure d'une nature

12

17G COURS d'histoike du canada

semblable." (1) Suivant nous cette attitude de lord Bathurst en 1825 fut l'une des fautes les plus regret- tables de sa longue carrière de secrétaire colonial. Dans certaines circonstances, dans la question religieuse, par exemple, il nous avait rendu d'incontestables ser- vices. Mgr Plessis avait eu plus d'une fois à se louer de lui. (2) Mais en cette occasion il manqua de tact, de clairvoyance, de savoir-faire, et sa maladroite in- transigeance entraîna des résultats déplorables. L'ad- ministration de sir Francis Burton avait produit une détente inespérée dans la situation. Le concours des deux chambres était rétabli, la bonne entente régnait entre l'exécutir et l'assemblée. M. Papincau et sir Francis Burton échangeaient des compliments. C'était presque une idylle. Elles sont bien rares, les idylles, en politique. Et lord Bathurst eût profiter de l'idylle Burton pour assurer à la province un avenir de paix et de législation progressive. Il manqua la chance que lui offraient les événements. Et c'est une erreur que l'on pardonne difficilement à un homme d'Etat.

Le lieutenant gou\eriîcur se justifia du reproche d'avoir méconnu les instructions ministérielles, en prou- vant que les dépêches de 1820 et de 1821 à lord Dal- housie ne lui avaient pas été communiquées. Et quant au méri'te de la question il écrivit un long mémoi-

(1) Lord Bathurst à sir Jrancis Burton, 4 juin 1825 ; Ar- chives du Canada, Q. 171, p. 29.

(2) Lord Bathurst appartenait à cette école qui, dans le parti tory, restait fidèle aux idées de Pitt relativement à l'éman- cipation des catholiques. Comme Canning.IIuskisson et plusieurs autres, il était favorable à cette émancipation, qui, en 182.'), était à la veille de triompher (1829).

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re pour défendre la sagesse de son attitude. (1) Lord Bathurst reconnut que son blâme n'était pas fondé, puisque sir Francis Burton ne connaissait pas les ins- tructions données antérieurement au gouverneur. Mais il persista dans son sentiment relativement au bill des subsides de 1825.

Lord Dalhousie, de retour au Canada dans l'autom- ne de cette année, reprit la direction du gouvernement. Au début de la session de 1826, qui fut ouverte le 2 janvier, il parut se réjouir, lui aussi, de la fin présumée des difficultés. "Ce sera pour moi une grande satis- faction, dit-il, de voir que les différends qui ont si long- temps subsisté dans la législature sur les affaires de fi- nance sont enfin terminés et qu'il n'existe plus aucune difficulté pour empêcher l'octroi des aides qu'il est de mon devoir de demander au nom de sa Majesté, pour le soutien de son gouvernement dans cette province." II est difficile de concilier ces expressions si pleines de confiante assurance avec la connaissance que lord Dal- housie devait avoir à ce moment du blâme infligé à sir Francis Burton par lord Bathurst, et de la politi- que intransigeante que celui-ci avait énoncée dans sa lettre du 4 juin précédent. Quoi qu'il en soit il put constater bientôt que l'Assemblée ne se plierait pas à la volonté du ministre des colonies. La communica- tion qu'il crut devoir lui faire delà lettre malencontreuse du 4 juin 1825, lord Bathurst repoussait sur un ton 91 péremptoire l'appaience même d'une ingérence pailementaire dans l'affectation des "revenus du roi", produisit la plus désastreuse impression. (2) L'As-

(1) Sir Francis Burton à lord Bathurst, 25 juillet, 11 août 1825 ; Archives du Canada, Q. 171, pp. 182, 195.

(2)— Journal de la Chambre, 1826, p. 268.

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semblée, conciliée par sir Francis Burton, se cabra de nouveau. Elle adopta une série de résolutions dans lesquelles elle aiïîrmait une fois de plus son droit de contrôle sur l'affectation et la distribution de tout le revenu public. (1) Puis nonobstant la dépêche de lord Batiiurst, elle adopta un bill de subsides absolument semblable à celui de 1825, dont la forme avait été dé- clarée inacceptable par le ministre. Le Conseil légis- latif, qui avait approuvé le bill de l'année précédente, amenda celui-ci conformément aux vues du gouverne- ment. Et le résultat fut que le bill des subsides mou- rut dans son trajet entre les deux chambres, car l'As- semblée, comme on devait s'y attendre, refusa d'accep- ter les amendements du Conseil. (2) En prorogeant la législature lord Dalhousie, après avoir rappelé la dé- pêche de lord Bathurst à sir Francis Burton, prononça les paroles suivantes, qui devaient jouer un grand rôle dans les discussions ultéiieures: "Je n'hésite pas à vous déclarer que je dois adhérer aux ordres et instructions contenues dans ce document, jusqu'à ce qu'ils soient révoqués par Sa Majesté, et que jusque je dois con- tinuer à soumettre les comptes et estimations dans la forme je les ai présentés au parlement provincial durant la présente session, vous montrant une claèse du revenu pour votre information, et une autre classe pour votre appropriation." (3) Les chefs dt l'Assem- blée ne manquèrent pas d'exploiter cette formule et de signaler comme exorbitante la prétention que la

(1) Journal de la Chambre, p. 253.

(2) Christie, t. III, p. 96 ; Journal du Conseil législatif, 1826.

(3) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1826, p. 371.

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chambre populaire n'avait qu'un droit d'"information" sur une proportion considérable du revenu public.

L'imbroglio s'accentuait. De part et d'autre, les parties en présence, le pouvoir exécutif et l'Assemblée, semblaient dire à l'envie: "Mon siège est fait." La session de 1827 ne devait pas améliorer cette situation. Bien au contraire la communication d'une information relative au retrait du blâme infligé à sir Francis Bur- ton, eu égard au fait qu'il n'avait pas connu les ins- tructions antéiieures du ministre, donna une recru- descence aux dispositions hostiles de la Chambre. Elle demanda qu'on lui soumît le texte de la dépêche le lieutenant gouverneur était exonéré sur ce point. Et le gouverneur refusant de produire cette pièce, elle décla- ra que vraisemblablement la justification du lieute- nant gouverneur n'avait pas pour seul motif la raison énoncée dans le message de lord Dalhousie. C'est-à- dire que, suivant elle, l'exonération de sir Francis Bur- ton avait eu pour cause non pas simplement son igno- rance des instructions ministérielles, mais un réel chan- gement d'opinion de la part de lord Bathurst sur le mé- rite de la question. En d'autres teimes celui-ci aurait modifié SCS vues relativement au bill des subsides de 1825, et reconnu la sagesse manifestée par le lieutenant gouverneur en sanctionnant ce biil. Si vraiment la Chambre était sous cette impression elle était à coup sûr dans l'erreur, car lord Bathuist était plus obstiné que jamais dans son attitude. (1) Cet incident pouvait faire augurei que le conflit n'était pas près de finir. Les estimations furent encore soumises dans une forme nouvelle. Elles accusaient aussi pé-

(1) Lord Bathurst à lord Dalhousie, 30 septembre 1825. Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 164-A.

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remptoircment qu'auparavant l'intention de nier à la chambre le droit d'affectation totale que réclamait cette dernière. (1) La réponse de la députation ne pouvait être douteuse. Par un vote de trente-deux contre six elle maintint son attitude antérieure, et dé- clara que les estimations budgétaires telles que soumi- ses ne lui permettaient pas de voter les subsides. (2) Le lendemain, 7 mars 1827, lord Dalhousie venait pro- roger soudainement la session en prononçant un dis- cours où se manifestait une irritation très vive. On eût cru entendre une des harangues comminatoires de Craig. Après avoir complimenté le Conseil législatif il adressait à la chambre une longue mercuiiale. II l'apostrophait avec une véhémence peu conforme au style ofFiciel. "Avez-vous voté les subsides demandés par sa Majesté? Avez- vous donné des raisons que le pays puisse comprendre? Avez-vous répondu aux messages du représentant de sa Majesté? Avez-vous reconnu dans vos procédures la prérogative de la Cou- ronne?" Il terminait en disant qu'il ne lui restait plus qu'à proioger le parlement, malgré les inconvé- nients qui en résulteraient pour la province. (3)

Un^ grande agitation s'ensuivit. M. Papineau et six de ses collègues du district de Montréal publiè- rent un manifeste ils répondaient énergiquement à la harangue de prorogation de lord Dalhousie. Ce der- nier Jut désormais classé par le parti canadien au nom- bre de nos gouverneurs les plus impopulaires. Ce sen-

(1) Journal de la Chambre, 1827, p. 7.5 ; Eslimations bud- gétaires. Appendice H.

(2)—Ibid, p. 313.

(3)— Journal de la Chambre, 1827, p. 316.

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timent d'hostilité fut encore accru par la mise en vi- gueur des anciennes ordonnances de milice, parce que la loi de milice dont le terme expirait n'avait pas été renouvelée avant la prorogation soudaine de la législa- ture. On attaqua leur légalité. Des officiers de milice refusèrent de les reconnaitre. Il en résulta des desti- tutions. Des lettres de protestations peu flatteuses fu- rent adressées au gouverneur. (1) L'excitation des esprits devint de plus en plus grande lorsque le parle- ment fut dissout avant son terme normal au mois de juillet 1827. Les élections qui suivirent donnèrent lieu à de violentes polémiques de presse et à des passes d'armes mouvementées à la tribune populaire. M. Pa- pineau prononça une harangue dans laquelle il dénon- çait l'attitude de lord Dalhousie. Et quand l'élection fut terminée par sa victoire, il adressa à ses électeurs du quartier ouest de Montréal une lettre il se met- tait en scène comme l'adversaire du gouverneur et pro- clamait la défaite de ce dernier. "Vous ne deviez blâ- mer disait-il, l'une ou l'autre autorité constituée (le représentant de la Couronne et l'Assemblée) qu'après un examen léfléchi des faits et des doctrines invoquées par l'une ou par l'autre, tels qu'ils vous ont été expo- sés, avec autant de clarté que J'en étais capable en fa- veur de l'Assemblée, avec autant d'ardeur que possi- ble en faveur du gouverneur par ses partisans. Vous avez décidé de me renvoyer au parlement, fort de ma conviction passée et de votre approbation récente." (2) L'effervescence qui avait marqué l'élection géné- rale de 1827, les incidents qui l'avaient précédée et

(1) Bibaud, Histoire du Canada sous la domination an- glaise, pp. 283-84.

(2)— La Minerve. 2-3 août 1827.

182 COURS d'histoire du canada

suivie, maintenaient l'opinion clans un état d'agitation intense. On attendait avec un intérêt passionné la réunion des chambres. "Ce qui occupait le plus les esprits" suivant un écrivain de cette époque, "c'était le choix de l'orateur de l'Assemblée, ou plutôt la ques- tion de l'acceptation ou du rejet de M. Papineau." (1) Un des organes du parti populaire disait: "Le choix de la personne de M. Papineau est fait depuis longtemps, et la Chambre ne craindra point d'annoncer son choix au gouverneur. Si le gouverneur irrité cassait le parle- ment il se perdrait pour toujours dans l'esprit de cette colonie, se couvriiait d'infamie et s'exposerait à être rappelé en Angleterre." (2) Par contre les gazettes gouvernementales proclamaient que si M. Papineau était choisi, "le gouverneur refuserait de ratifier son élection." (3)

L'ouverture de la session eut lieu le 20 novembre 1827. Mandés dans la salle du Conseil législatif, et in- vités à faire avant toutes choses l'élection d'un orateur, les députés retournèrent au lieu de leurs séances pour y procéder. Sur motion de M. Bourdages, M. Papi- neau fut élu par trente-neuf voix contre cinq. Mais lord Dalhousie avait pris d'avance sa détermination. Mal inspiré par le ressentiment personnel que lui avaient fait éprouver les attaques de M. Papineau, il fit déclarer à la Chambre le lendemain, quand l'orateur nouvellement élu, accompagné des députés, vint lui signifier son élection, qu'il n'approuverait pas ce choix

(1) Bibaud, Histoire du Canada sous la dominalion an- glaise, p. 292.

(2) Le Spectateur Canadien, novembre 1827. (3)— Bibaud, p. 263.

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et invitait la chambre à en faire un autie. Evidem- ment pour cette dernière il ne pouvait être question d'une reculade. Elle déclara que la présentation de la personne élue au chef de l'Etat pour son approba- tion était fondée seulement sur un usage et qu'elle per- sistait dans son choix. Une députation chargée de s'enquérir quand il plairait à son Excellence de lece- voir une adresse à cet effet reçut la réponse que le re- présentant du roi ne pouvait accepter de l'Assemblée ni message ni adiesse tant qu'elle n'aurait pas élu d'o- rateur avec l'approbation de la Couronne. (1) Le soir de ce jour la législature était prorogée.

L'imbroglio était complet. Ce que l'on appela "le rejet de l'orateur" produisit dans la province une sen- sation profonde. Les partisans de l'oligarchie execu- tive triomphèrent. Mais leurs acclamations se per- dirent dans la protestation puissante que fit entendre l'immense majorité du peuple canadien. Les jour- naux firent assaut d'invectives. Des assemblées ora- geuses furent tenues de tous côtés. Bientôt un vaste pétitionnement fut organisé pour soumettre au gouver- nement et au parlement britanniqi^e les griefs de la province. Le fonctionnement de notre organisme politique était suspendu. Nos institutions parlemen- taires étaient paralysées. Les meilleurs esprits parmi nous, sans approuver toutes les tactiques adoptées na- guère ni tout ce qui se disait ou s'écrivait dans nos rangs, se rallièrent à une protestation et à un appel fondé sur les plus légitimes sujets de plainte. Pen- dant que les bureaucrates, que le groupe commercial anglophone, toujours hostile à notre cause, présentaient

(1) -Journal de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, 20, 21, 22 novembre 1827.

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des adresses à lord Dalliousie, une pétition fortement motivée se couvrait de signatures. Quatre-vingt mille Canadiens faisaient entendre leur voix pour deman- der plus de justice, plus d'impartialité, plus de respect de nos droits nationaux, une plus large et plus libéiale Intel prétation de notre constitution, une plus judicieuse entente du régime pailementaire qui nous avait été assuré. Encore une fois le peuple du Bas Canada al- lait frapper à la porte du parlement impérial. Au mois de jan^'ier 1828, MM. John Neilson, Denis-Ben- jamin Vigei et Austin Cuvlllier partaient pour Lon- dres comme délégués de leurs compatriotes, afin de sou- mettre à la métropole nos griefs et en demander le re- dressement.

Dans notre piochaine leçon nous les suivrons en Angleterre, nous étudierons l'objet précis de leur mîs- sion, et nous verrons quelle en fut la fortune devant le gou\ernement et le parlement de la Grande Bretagne.

SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER

Garneau, Histoire du Canada, 1882, t. III, liv. XV, ch. il et III. Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise, liv III. Christic, History oj tbe Province oj Lower Canada, 1850,

t. III, ch. XXIV, XXV, XXVI. Perrault, Abrégé de l'histoire

du Canada, t. IV. Kingsford, History oj Canada, t. IX. J.-E. Roy, Histoire de la seigneurie de Lauzon, t. IV. Ignotus, Notes et Souvenirs, la Presse, Montréal, 1900. Canada and its Pro- vinces, t. III et IV. Alphcus Todd, On Parliamentary Govern- ment in England, Londres, 1887, t. I, ch. v. Sir T.-Erskine May, Constitutional History oj England, Londres, 1912, t. I. F. McCord, Hand-Book oj Canadian dates, Montréal, Dawson, 1888. F. Blanchet, Appel au gouvernement impérial. Qucbec, 1824.

COURS d'histoike du canada 185

Financial difficulties of Lower Canada (extracted from. tbe Québec Gazette), 1824. Esquisse des affaires devant le parlement pro- vincial, dans la sesssion qui doit s'ouvrir le 21 janvier 1826. Sta- tutes of tbe United Kingdoin, 1820, 1822, 1823. Statuts pro- vinciaux du Bas-Canada, t. I, 35 George III, ch. ix ; t. VIII, 55 George III, eh. m; 3 George IV, ch. xxxviii ; 5 George IV, ch. xXvir. Journaux de la Chambre d'Assemblée du Bas- Canada, 1822, 1823, 1824, 1825, 1826, 1827.— Journaux du Con- seil législatif du Bas-Canada, 1822, 1823, 1824, 1825, 1826.— La Gazette de Québec, 1824. Tbe Canadian Spectator, 1824. Le Spectateur Canadien. 1827. La Minerve, 1827. Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 164-A, 171.

SIXIÈME LEÇON.

L'enquête de 1828. Assemblées publiques à Québec et à Mont- réal.— Formation de comités. Les pétitions canadiennes. Analyse des griefs formulés. La composition du Conseil législatif. Conseillers fonctionnaires et pensionnaires Leur dépendance indiquée par leurs votes.- Les revenus et la dépense. Les salaires exorbitant. Le cumul des fonctions. Comparaison entre deux époques. L'instruc- tion publique. L'Institution royale.— La concession et l'administration des terres publiques.- La tenure des terres. L'ingérence du parlement impérial. Plaintes de la mi- norité.— Les bureaux d'enregistrement. La représenta- tion des cantons de l'est. Une délégation canadienne, MAL Neilson, Viger et Cuvillier. Huskisson, secrétaire des colonies. Les fluctuations de la politique anglaise.- La question canadienne soumise aux Communes. Discours de Huskisson. Assertions discutables. Exposé incom- plet.— Un important discours de sir James Mackintosh.- Nomination d'un comité d'enquête. Audition des témoi- gnages.— Un document précieux. Constatation de f. its. Griefs prouves par nos délégués. Une lettre de MM. Neilson, Viger et Cuvillier.- Le rapport du comité de 1828. La légitimité de nos plaintes reconnue. Le départ de lord Dalhousie. Sir James Kempt. Les chambres se réunissent. L'élection de M. Papineau comme orateur sanctionnée. Encore une accalmie.

Le 13 décembre 1827, se tenait à l'hôtel Malhiot une assemblée des électeurs de la cité et des faubourgs de Québec, favorables à la politique suivie par la Chambre. Elle était convoquée pour "considérer s'il ne serait pas expédient de soumettre par une humble péti- tion à Sa Majesté et aux deux chambres du parlement l'état actuel de la province, les abus et griefs existants, et de demander qu'il y soit porté remède et que justice soit faite." A cette réunion, présidée par M. Louis-

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Abruhani Lagiicux, une séiie de résolutions lut adop- tée, et un comité de trente-cinq membres, "électeurs dûment qualifiés par la loi", fut nommé pour dresser et préparer des pétitions conformes à ces résolutions, "avec plein pouvoir de prendre les mesures nécessaires pour les soumettre à la signature des électeurs, les faire mettre au pied du trône, les présenter aux lords et aux communes, et aussi pour les rendre efficaces et les sou- tenir par des témoignages." (1)

La pétition rédigée par les soins du comité conte- nait une longue récapitulation des griefs de la majorité bas-canadienne. Voici quels en étaient les principaux chefs: la composition du Conseil législatif et sa dépen- dance intéressée du pouvoir exécutif; la proportion trop considérable des dépenses comparée aux limita- tions du revenu, excès on grande partie à l'exagéra- tion des salaires et à la muliplication des sinécures: Jjnefficacité dans l'emploi des sommes votées par lajéi gislature pour aider aux progrès de l'éducation, et faci-.

(1) Ce comité était composé comme suit : Messieurs Ama- ble Berthelot, François Blanchet, J.-L. Borgia, J.-B.-E. Bacquet, Robert Blackiston, Michel Borne, J. Bigaouette, Michel Clouet, John Cannon, Joseph Dorion, Etienne Defoy, John Duval, John Fraser, H. -S. Forsyth, Pierre Faucher, Joseph Gagné, A.-R. Hamcl, I I.-S. Huot, Louis Lagueux, Joseph Légaré, père, Louis Lagucux, fils, Jacques Lcblond, Et.-C. Lagueux. J. Langevin, Ignace Légaré, J.-L. Marett, Louis Massue, Joachim Mondera, John Neilson, Vallières de Saint-Réal. Pierre Pelletier, Joseph Roy, Augt. Gauthier, Thomas Lee et Louis Fortier. L'assemblée s'engageait à contribuer et à procurer des souscriptions volon- taires pour couvrir les dépenses nécessaires aux sujets mentionnés. Le comité choisit pour son président M. Vallières de Saint-Rcal, pour ses vice-présidents MK\. Henry-George Forsyth et Louis- Abraham Lagueux, et pour ses secrétaires MM. Hector-Simon Huot et J.-B.-R. Bacquet. (Ga/.elte de Québec, décembre 1827).

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liter l'industrie par l'ouverture et l'amélioration des communications intérieures; la dépense d'une part considérable du revenu public sans l'affectation préala- ble de la législature; la négligence administrative qui avait rendu possible le péculat du receveur Caldwell, et qui permettait à des officiers publics de garder par devers eux de fortes sommes sans en rendre compte; l'emploi des biens des Jésuites à d'autres fins qu'à des fins d'éducation; la mauvaise administration des terres publiques, dont d'immenses étendues avaient été con- cédées à des individus ou à des compagnies qui ne rem- plissaient pas les conditions d'établissement stipulées dans les concessions; les tentatives laites dans le parle- ment impérial pour changer la constitution à l'insu de la province, et l'adoption de lois qui rétablissaient ou continuaient des droits temporaires imposés par la lé- gislature, e^ qui affectaient la tenure des terres con- trairement aux droits les plus chers des citoyens du Bas-Canada. La pétition se terminait par ces lignes: "C'est pourquoi nous supplions très respectueusement Votre Majesté de vouloir bien prendre cette humble requête en votre très gracieuse considération et exer- cer votre prérogati\'e royale de manière à ce que vos fidèles sujets en cette province soient soulagés des dits abus et griefs; qu'il leur soit fait justice et qu'ils soient maintenus et assurés dans la pleine et entière jouissance de la constitution du gouvernement établi par le dit acte de la trente et unième année du règne de Sa Ma- jesté, le roi votre auguste père, sans qu'il soit fait aucun changement quelconque."

De leur côté les citoyens de Montréal avaient tenu des assemblées et préparé une pétition. Elle différait de celle de Québec, principalement en ce qu'elle conte- nait, dans sa première partie, une longue série d'accu-

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sations contre les actes de lord Dalhousic comme chef de l'exécutif, en même temps qu'une demande instante adressée au roi pour le rappel de ce haut fonctionnaire impérial. La seconde partie de la pétition montréa- laise soumettait à la considération de sa Majesté "quel- ques objets de la plus haute importance pour le bien- être du pays." On y mentionnait spécialement l'é- ducation "non encouiagée en ce pays en proportion de ses besoins", et la convenance d'appliquer à cette fin les biens des Jésuites. On se plaignait de ce que les droits de la province eussent été lésés par des lois du parlement britannique établissant des impôts dans la colonie et statuant sur des objets de législation inté- rieure, ce qui, sans doute, était une allusion à l'acte de la tenure des terres. On dénonçait l'abus du cumul, "obstacle considéiable au bon gouvernement de cette province", et l'on signalait les places déjuges du banc du roi, de conseillers exécutifs et législatifs occupés par les mêmes personnes. On représentait que l'accroisse- ment de la population rendait nécessaire un change- ment dans la représentation provinciale, et l'on déplo- rait que des bills votés poui cet objet dans l'Assemblée eussent été rejetés par une autre branche de la légis- lature. On insistait enfin pour la nomination d'un agent provincial accrédité auprès du gouvernement de Sa Majesté, La pétition se terminait comme suit: "Nous supplions humblement Votre Majesté de vou- loir bien ordonner à vos ministres de donner des ins- tructions au gouvernement colonial en vertu desquel- les un bill pour l'augmentation de la représentation puisse être sanctionné, ainsi qu'un bill pour accorder à cette province l'avantage dont jouissent la plupart des autres colonies de Votre Majesté, celui d'un agent

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colonial nommé et député par le peuple de la colonie, pour veiller à ses intérêts en Angleterre." (1)

Evidemment les deux pétitions, tout en ayant un objet commun, n'étaient pas identiques dans leur forme. Lorsqu'on les compare on constate que la pétition québecquoise était à la fois plus complète et moins agressive.

Il nous semble opportun de faire ici une revue rapide des griefs énoncés dans ces documents. Vous les connaissez sans doute dans l'ensemble. Mais il n'est pas inutile de nous arrêter sur les principaux sujets de plainte et d'en préciser la nature et l'étendue. II y avait d'abord la composition du Conseil législatif et sa dépendance de l'administration. Le témoignage rendu par M. John Neilson, quelques mois plus tard, devant un comité de la Chambre des communes, con- tenait à ce su^et des détails très éloquents. Le Conseil législatif comptait à ce moment vingt-sept membres résidant au Canada. Sur ce nombre il y avait quatorze fonctionnaires ou pensionnaires qui recevaient des salaires ou des pensions du gouvernement provincial, et quatre qui en recevaient du gouvernement impérial. Neuf seulement n'émargeaient à aucun budget. M. Jonathan Sewell recevait 900 louis sterling comme orateur, 1,500 louis comme juge en chef de la province, 100 louis comme président du conseil exécutif et de la cour d'appel, 150 louis pour la tenue des cours de circuit, soit ensemble 2,650 louis sterling (ou $13,350); M. James Kerr recevait 900 louis comme juge de la

(1) Le texte des pétitions de Québec et de Montréal se trouve dans le volume intitulé Rapport du comité choisi pour s'en- quérir sur le gouvernement civil du Canada, chez Neilson et Cowan, Québec, 1828, pp. 34.3, 351. 13

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cour du banc du roi, 250 louis comme juge de la coui de vice-amirauté, et 100 louis comme conseiller executif, soit 1,350 louis (ou S6,750). M. Edward Bowen rece- vait 900 louis comme juge de la même cour, et 150 louis pour les circuits, soit 1,050 louis (ou S5,250). Le révérend C.-J. Stewart, le lord évêque de Québec, rece- vait des émoluments d'environ 3,000 louis (ou $15,000). du gouvernement impérial. Sii John Johnson, surin- tendant du département des sauvages, recevait du même gouvernement environ 1,000 louis (ou S5,000) M. John Haie, receveur-général touchait un salaire de 900 louis, outre 100 louis comme conseiller exécutif, soit en tout 1,000 louis (ou $5,000). M. John Cald- well, l'ancien receveur généial, convaincu de péculat, était resté conseiller législatif, et moyennant un verse- ment de 2,000 louis par année, conservait la possession de ses biens, qui lui valait davantage. M. Ryland recevait en salaire et allocations 650 louis comme greffier du Conseil exécutif, plus une pension de 300 louis, formant un total de 950 louis (ou $4,750). M. H. Perceval, collecteur des douanes, recevait en sa- laire et honoraires plus de 3,000 louis annuellement, et 100 louis comme conseiller exécutif, soit au moins 3,100 louis (ou $15,500). M. Louis Gugy, shérif de Montréal, retirait de cette lucrative situation environ 1,800 louis annuellement, (ou $9,000). M. William Felton, agent des terres de la Couronne, se faisait un salaire d'environ 500 louis, (ou $2,500). M. John Stewart, commissaire des biens des Jésuites, recevait des émoluments d'environ 500 louis, outre 100 louis comme conseiller exécutif, soit 600 louis (ou $3,000). M. Thomas CofTin, président des sessions de quartier aux Trois-Rivières, avait comme tel un salaire de 250 louis (ou $1,250). Le Conseil législatif renfermait

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encore trois ou quatre autres pensionnaires ou officiers salariés. Tous ces législateurs, fonctionnaires à un titre quelconque, prélevaient sur les budgets provincial et britannique une somme totale de 17,700 louis sterling ($88,500) (1). Parmi les dix-huit autres conseillers qui émargeaient ainsi au trésor public, sept faisaient partie du Conseil exécutif. Les commissions des officiers civils étaient détenues durant bon plaisir; le gouverneur pouvait les révoquer ou les suspendre à volonté. Les deux tiers du Conseil législatif étaient donc dans la dépendance du pouvoir exécutif. En ces derniers temps sept des membres de cette chambre figurant presque tous parmi les plus indépendants n'assistaient pas ou assistaient rarement aux sessions. De sorte que "les vingt conseillers les moins indépen- dants par leurs emplois publics restaient seuls pour faire les affaires du Conseil". Cet ensemble de cir- constances justifiait amplement la croyance générale que "ces messieurs agissaient sous une autre influence que celle de la convenance ou de l'inconvenance des mesures." On en avait une preuve frappante dans le fait suivant. En 1825, on se le rappelle, un bill des subsides adopté par l'Assemblée avait passé dans le Conseil contre l'opposition de deux membres seule- ment; l'année suivante un bill exactement semblable avait été rejeté unanimement par tous les membres présents. Dans le premiei cas le gouverneur approu- vait le bill, dans le second le gouverneur le désapprou- vait. La conséquence de cet état de choses, était qu'un grand nombre de projets de loi désirés

(1) Rapport du comité choisi pour s'enquérir sur le gou- vernement civil du Canada, chez Neilson et Cowan, Québec. 1828, p. 69.

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par la majorité de notre population et adoptés par la Charnière avalent été rejetés par le Conseil. La péti- tion de Québec les énumérait. Outre les bills de sujjsldes il y en avait une longue liste. Ils avaient pour objet de fournir un recours légal au sujet cjui aurait des réclamations contre le gouvernement, en d'autres termes d'instituer la pétition de droit; de régler certains droits ou honoraires et certaines fonc- tions; de doter les villes de Québec et de Montréal d'institutions municipales; de rendre plus accessible aux citoyens de la province le recours aux tribunaux; de pourvoir à la qualification des juges de paix; de continuer les lois de milice; de remanier et d'augmenter la représentation parlementaire; d'édicter des garanties cfTicaces pour la sauvegarde des fonds publics déposés entre les mains du receveur général; d'assurer l'indé- pendance des juges; de nommer un agent provincial chargé de surveiller nos intérêts en Angleterre, etc., etc. (1) L'énoncé de tous ces faits était bien de nature à établir la réalité du grief allégué dans la pétition relativement à la composition, au défaut d'indépen- dance du Conseil législatif, et à son parti pris d'enrayer la législation élaborée par la chambre populaire.

Les représentations faites au sujet du revenu et de la dépense n'étaient pas moins bien fondées. Les pétitionnaires faisaient observer que, depuis plusieurs années, les revenus des biens-fonds, les profits du com- merce et de l'industrie et la rémunération du travail dans le Bas-Canada avaient considérablement dimi- nué. Dans ces conditions il ne serait pas juste, suivant eux, d'imposer des taxes ou des droits nouveaux sur le

(1) Rapport sur le gouvernement civil, p. 344.

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peuple, et il fallait conséquemment proportionner le budget des dépenses au revenu actuel de la province, "Cependant plus de la moitié de ce revenu, disaient-ils, est employé depuis plusieurs années au paiement des appointements et dépenses des officiers civils. Et et qui augmente notre inquiétude c'est que ces appoin- tements, émoluments et dépenses ont beaucoup aug- menté sans le consentement de la législature, que dans plusieurs cas, ils ont été payés à des personnes absen- tes, qui n'ont rendu aucun service à la province, que, dans d'autres cas ces appointements, émoluments et dépenses sont excessifs, lorsqu'on les compare aux ser- vices dont ils sont la récompense, aux revenus des biens- fonds et aux rémunérations ordinaires que reçoivent des individus doués des mêmes talents, caractère et industrie que ceux à qui ces appointements et émolu- ments sont accordés sur les deniers publics de la pro- vince," Ce grief était d'une justesse incontestable, II suffisait de jeter un coup d'œil sur les comptes pu- blics pour s'en convaincre. Lorsqu'on parcourt ces documents officiels on est forcé d'admettre que les sa- laires payés alors aux officiers publics étaient exorbi- tants. Ainsi quand on compare cette époque avec l'époque actuelle, quand on considère la différence dans les conditions économiques et sociales, dans le coût de la vie et le pouvoir d'achat de l'argent, on ne peut s'em- pêcher de trouver démesurés, en 1828, des salaires de $8,250 pour le juge en chef du Bas-Canada; de $5,250 pour un juge puîné; de $15,000 (y inclus les commis- sions) pour un percepteur de douanes; de $9,000 (y compris les honoraires) pour un shérif de Montréal; de $3,250 pour un greffier du conseil exécutif, de $2,250 pour un agent des biens des Jésuites; de $2,500 pour

196 COURS d'histoire du canada

un agent des terres de la Couronne. (1) Et quant à l'excès des salaires vient se joindre la pratique du cu- mul, en vertu duquel le juge en chef est concurrem- ment orateur du Conseil législatif et membre du Conseil exécutif, des juges puînés sont conseillers législatifs et conseillers exécutifs, des officiers civils en activité de fonction sont en même temps pensionnai! es de l'Etat, comme M. Ryland, alors on se dit qu'il y avait un abus vciitablement scandaleux et que les pétition- naires avaient cent fois raison de le dénoncer. Sur ce point encore le témoignage de M. Neilson devait être très concluant. "Le peuple de ce pays, disait-il, com- mence à regarder autour de soi et à voir ce qui se passe en d'autres parties du monde et particulièrement dans le pays voisin. II voit que les gouvernements sont bien administrés et le sont à bon marché!.. . Dans l'état de New-York, par exemple, la population est tri- ple de la nôtre, et les ressources quatre ou cinq fois plus considérables, et les dépenses pour le soutien du gou-

(1)- Comparez les comptes publics de 1828 avec ceux de 1868, qui contiennent les chiffres officiels relatifs à notre premier exercice budgétaire sous la Confédération. Vous y verrez que dans un Canada agrandi, avec une population triplée et des res- sources quintuplées, le salaire du juge en chef de la province de Québec n'était que de $5,000 ; celui des juges puînés, de $4,000 ; celui du percepteur des douanes, de $3,240 ; celui du shérif de Montréal, de $5,860 ; celui du greffier du Conseil exécutif à Québec, de $1,800 ; ccKii de l'agent des biens des jésuites, de $1,600 ; celui de l'agent des terres de la Couronne, de $1,800 ; En moyenne l'échelle des salaires était de plus d'un tiers moins élevée en 1868 qu'en 1828. Et cependant en 1828 $1,000 valaient probablement un tiers de plus qu'en 1868. Cette comparaison démontre combien les salaires de 1828 étaient excessifs. (A con- sulter les comptes publics du Canada et de la province de Qué- bec pour 1868, et ceux du Bas-Canada pour 1828).

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vernement civil ne sont pas plus élevées que chez nous. Les fonctionnaires salariés du gouvernement civil sont mieux payés que les plus riches propriétaires de fonds, ou que les personnes engagées dans les branches d'in- dustvie les plus profitables; ils deviennent dans le fait par ce moyen les seigneurs du pays. Le plus riche d'entre les propriétaires fonciers ne retire pas plus de 1,500 louis par an, et les individus les plus marquants dans les professions pensent qu'ils font de fort bonnes affaires lorsqu'ils gagnent 1,500 louis par an, et c'est un gain qui ne dure peut-être pas plus de huit ou dix ans."(l) Cet exposé mettait en pleine lumière un des aspects les plus fâcheux de notre administration colo- niale. Il démontrait qu'une proportion considérable du revenu public était absorbée par des salaires, des commissions, de» honoraires, des pensions, dispropor- tionnés avec les services rendus et l'état de notre socié- té, et cela au bénéfice d'une bureaucratie d'où était pratiquement exclus les enfants du sol, les Canac'iens d'origine.

Les pétitions se plaignaient aussi de la politique suivie relativement à l'éducation, et du mauvais em- ploi des sommes votées à cette fin. Ici encore, M. Neilson devait donner dans son témoignage des indi- cations très instructives. Il faisait ressortir l'inanité de la loi de 1801, créant la fameuse Institution royale. Cette législation pourvoyait à la création d'écoles qui seraient sous la direction d'une corporation nommée par le gouverneur. Cette dernière ne fut organisés qu'en 1817. "Il arriva qu'elle fut principalement composée de membres d'une seule religion, l'évêque de l'église d'Angleterre et le clergé de l'église d'Angle- Ci) Rapport sur le gouvernement civil, p. 81.

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terre étaient à la tête de la corporation, et la majorité des membres était de l'église d'Angleterre, Cela ten- dait à confirmer les soupçons que le peuple entretenait par rapport au prosélytisme, et il était inutile après cela de penser à lui faire envoyer ses enfants à l'école." (l)

C'est M. Neilson, un protestant, qui parle ainsi. Ce système devait nécessairement échouer. Suivant ce témoin autorisé on avait dépensé 30,000 louis, ou $150,000 pour le soutenir. Et cependant ces écoles royales n'avaient probablement pas instruit en tout douze cents enfants depuis leur établissement. A plusieurs reprises la Chambre avait adopté des projets de loi pourvoyant à un système plus conforme aux principes et aux croyances de notre peuple. Depuis 1814 cinq ou six bills de ce genre avaient été rejetés par le Conseil législatif. Les membres de ce corps ne voulaient pas entendre parler d'autre loi que de celle de 1801, et la loi de 1801 ne pouvait avoir d'exécution parce qu'elle provoquait la défiance religieuse du clergé et des fidèles. Ce ne fut qu'en 1824 qu'un bill autori- sant l'établissement des écoles de fabrique fut enfin adopté. Relativement à cette question d'éducation les pétitions exprimaient avec raison le regret que les biens des Jésuites eussent été détournés de leur fin originaire.

Les précédentes leçons nous ont suffisamment informé des griefs relatifs à la dépense des deniers publics sans l'autorisation de la législature, et à la négligence administrative qui, seule, avait pu per- mettre à un fonctionnaire de pratiquer audacieusement et pendant quinze ans le péculat. Mais nous tenons à signaler ici spécialement ceux qui se rapportaient

(1) Rapport sur le gouvernement civil, pp. 97, 123, 124.

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à la mauvaise administration des terres publiques, et à la loi passée par le parlement impérial pour auto- riser le changement de tenure dans le Bas-Canada.

Le système de concession et l'administration des terres de la Couronne laissaient énormément à^ désirer. Dès le gouvernement du général Robert Prescott, il y avait eu des abus contre lesquels il s'était élevé et qui avaient déterminé un conflit entre lui et son conseil exécutif. Depuis cette époque la situation n'était pas devenue meilleure. Les Canadiens se plaignaient de ce que l'établissement des terres incultes dans la pro- vince eût été négligé d'une manière inexplicable par le gouvernement. De grandes étendues de terres concédées ou mises en réserves par la Couronne étaient depuis longtemps possédées au milieu ou dans le voisi- nage immédiat des établissements existants, sans que les propriétaires ou détenteurs de ces concessions ou réserves eussent été astreints à accomplir les conditions d'établissement, ni à remplir aucun devoir quelconque à l'égard de ces terres. Il en résultait de grands incon- vénients pour les colons adjacents. Ces concession- naires inertes, dont plusieurs ne résidaient même pas dans le pays, refusaient généralement de vendre les lots qu'ils laissaient incultes, à moins d'un prix exor- bitant. Ils préféraient attendre, les bras croisés, que les travaux et les efforts d'autrui, en développant la ré- gion environnante, eussent accru la plus value de leurs domaines. Leur expectative obstinément stationnaire écartait les nouveaux habitants, retardait l'ouverture des districts, et entravait le progrès de la province. (1)

La question de la tenure des terres était aussi l'une de celles qui provoquaient du mécontentement

(1) Rapport sur le gouvernement civil, p. 96.

200 COURS d'histoire du canada

dans le Bas-Canada. Elle n'était pas nouvelle. Sous lord Dorchester une tentative avait été faite à l'insti- gation d'un seigneur pour obtenir la commutation fa- cultative de la tenure seigneuriale en la tenure dite du franc et commun soccage. Cette démarche avait avorté. Mais les représentants d'un certain élément avaient périodiquement fait entendre des protestations contre le maintien du régime féodal dans le Bas-Cana- da, et s'étaient efforcés de déterminer les autorités à l'abolir ou du moins à en sanctionner la transformation volontaiie. Dans le Canada Trade Act de 1823 il y avait une disposition relative au changement de tenure. Deux ans plus tard, en 1825, le parlement impérial adopta une loi dont l'objet était d'autoriser le change- ment de tenure des terres en Canada, pour la convertir en libre et commun soccage. (1) A la session de 1826 notre chambre d'Assemblée adopta une adresse au roi il était dit que l'introduction en cette province du libre et commun soccage avait toujours été regardée comme un inconvénient, parce qu'elle était inconnue aux habitants du pays et étrangère à leurs lois civiles. "Convaincus, déclarait l'adresse, que l'intention bien- faisante du parlement de Votre Majesté a été de pro- mouvoir l'amélioration des terres de cette province et l'avantage général en détruisant les charges féodales dont sont grevées les terres tenues en fief et en censive, nous regrettons amèrement que cet affranchissement soit effectué par l'introduction d'une tenure étrangère à la jurisprudence et aux mœurs du pays, lorsqu'il pou- vait s'opérer d'une manière infiniment plus avantageu-

(1) 3 George IV, ch. cxix, art. 3i ; 6 George IV, ch. Lix, art. 3 William-Bennctt Munro, Tbe Seigniorial System in Canada, p. 225.

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se au moyen de la belle et libre tenure en franc-aleu, (1) tenure connue dans nos lois et généralement désirée en cette province." La Chambre revendiquait ensuite son autonomie législative. "Nous supplions Votre Majesté de considérer, disait-elle, que les raisons de justice et de prudence qui ont engagé le parlement bri- tannique à établir une législature en cette province devraient suffire pour détourner cettelégislature suprême de l'empire britannique de s'immiscer dans la législa- ture intérieure de ce pays, car outre le péril évident de tomber dans de grandes erreurs et de faire de grandes injustices, en faisant des lois pour un pays si éloigné et pour un peuple dont les besoins, les habitudes et les usages sont si peu connus en Angleterre, nous soumet- tons humblement à Votre Majesté que le pailement ayant établi une législature locale s'est virtuellement dépouillé en sa faveur du droit de législation intérieure, et que, tout en maintenant son autorité suprême, il de- vrait respecter son propre ouvrage et laisser la législa- ture provincialeexercerlespouvoirsqu'il lui adonnés." (2) Cette législation impériale au sujet du change- ment de tenure avait eu pour coiollaire une disposition déclaratoire relativement à l'introduction des lois an- glaises dans les townships. Il en résultait un état de choses anormal. On pouvait en déduire que deux sys-

(1) Voici comment notre jurisconsulte Cugnet définissait le franc-aleu : "Le franc-aleu est un héritage qui n'est sujet à aucuns droits ni devoirs seigneuriaux, tant honorifiques, comme la foi et hommage, que pécuniaires, comme quint, cens ou autres, en reconnaissance de directe seigneurie." (Traité de la loi des Fiefs, p. 34). En réalité le franc et commun soccage ne différait guère du franc-aleu.

(2) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1826, p. 245. Rapport sur le gouvernement civil, p. 82.

202 COURS d'histoire du canada

tèmes de lois différentes se trouvaient en vigueur dans la même province. Et il devait en résulter un conflit de jurisprudence dont on retrouve la trace dans nos recueils de décisions judiciaires, tels que le Lower Ca- nada Jurist, et les Lower Canada Reports. (1)

Pendant que la majorité canadienne-française for- mulait ainsi ses griefs, la minorité anglaise de la pro- vince faisait également entendre sa voix. Les citoy- ens anglais des townships signaient une pétition pour solliciter le parlement impérial de maintenir la loi rela- tive à la tenure des terres et à l'introduction des lois anglaises. Ils se plaignaient aussi de n'être pas repré- sentés dans l'Assemblée. Et ils reprochaient à la Cham- bre de n'avoir pas voulu adopter une législation établis- sant des bureaux publics pour l'enregistrement de tou- tes les mutations de propriétés foncières et de toutes les hypothèques. (2)

La question de l'enregistrement avait été discutée assez longuement dans l'Assemblée. M. Neilson, qui avait d'abord favorisé la mesure proposée, avait finale- ment voté pour la repousser. Il en donna ultérieure- ment des raisons fort plausibles devant la chambre des Communes. (3) La condition actuelle de la province rendait difficile, suivant lui, l'établissement des bureaux pour la conservation des hypothèques. Ce ne fut que douze ou treize ans plus tard, sous le Conseil spécial, que l'ordonnance réglant cette question fut adoptée. Le progrès dans la législation ne peut être que l'œuvre du temps.

(1) Wilcox vs Wilcox, Lower-Canada Jurist, t. II, p. 6 ; Stuart vs Bowman, Lower Canada Reports, t. II, p. 369.

(2) Rapport sur le gouvernement civil, p. .355.

{3)—Ibid.

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Les habitants des townships avaient surtout rai- son d'insister pour obtenir dans la Chambre une repré- sentation qui leur faisait défaut. Ils formaient, d'après leur pétition, un groupe de quarante mille âmes et ils n'avaient pas de députes à eux. Les circonscriptions électorales parmi lesquelles ils étaient répartis éhsaient naturellement comme leurs représentants des hommes appartenant aux anciens étabhssements, plus denses et plus f)euplés. II fallait évidemment un remaniement et une augmentation du nombre des comtés. La Cham- bre avait voulu y procéder. A plusieurs reprises elle avait voté des projets de loi pourvoyant à un recense- ment de la population et à la création de nouvelles divisions électorales, dont quelques-unes auraient été attribuées aux habitants anglais des townships. (1) Mais le Conseil législatif avait rejeté ces bills. Les raisons alléguées étaient que ces remaniements n'au- raient pas donné aux townships, aux Cantons de l'est, comme on devait les appeler plus tard, une représenta- tion assez forte comparée à l'augmentation du nombre des députés de langue française. Les bills de l'Assem- blée adoptaient pour base la population. Ceux qui parlaient au nom des habitants des townships soute- naient que leur situation spéciale rendait nécessaire qu'on leur accordât une représentation plus considéra- ble que celle à laquelle leur aurait donné droit leur po- pulation, (2) On pouvait leur répondre que, dans une province en grande majorité française, il était rationnel et inévitable que le remaniement des circonscriptions électorales, tout en assurant à la minorité anglaise une

(1) Rapport sur le gouvernement civil, p. 92.

(2) Rapport sur le gouvernement civil, pp. 33, 34 ; témoi- gnage de Samuel Gale.

204 COURS d'histoire du canada

représentation proportionnelle équitable, eût pour ré- sultat d'accroître le nombre des députés de langue fran- çaise. Eût-il été raisonnable de décréter que, dans ce remaniement, la population française aurait, par exem- ple, un député par douze mille âmes, tandis que la po- pulation anglaise en aurait un par sept mille ? M. Samuel Gale, un des porte-paroles de la minorité, sou- tint cette thèse devant la Chambre des communes. Cette divergence de vues retarda le remaniement de la représentation jusqu'en 1829.

Voilà en résumé quels étaient les griefs soumis au gouvernement impérial vers le commencement de l'an- née 1828. Les délégués de la majoiité bas-canadienne, MM. Neilson, Viger et Cuvillier, arrivèrent à Londres au mois de mars, et se mirent immédiatement en rela- tion avec le ministère des colonies. Le titulaire de ce département, successeur de lord Bathurst, était à ce moment M. William Huskisson. Le cabinet britan- nique avait pour chef, depuis le mois de janvier de cette année (1828), le duc de Wellington. Le parti tory gouvernait l'Angleterre depuis plus de vingt ans. A la mort de William Pitt, en 1805, un ministère whig pré- sidé par lord Grenville, et connu dans l'histoire parle- mentaire sous le nom de "ministère de tous les talents", n'avait eu qu'une durée éphémère. Démis par le roi pour n'avoir pas voulu s'engager à ne jamais présenter de mesure ayant pour objet de faire disparaître les in- capacités civiles des catholiques, il avait été remplacé en 1807 par le ministère du duc de Portland, recruté dans les rangs du parti tory. A la mort de ce piemier ministre en 1809, M. Spencer Perceval lui avait suc- cédé à la tête de l'administration. Celui-ci avait été assassiné en 1812, et lord Liverpool était devenu le chef du gouvernement. Consolidé par les victoires remportées

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sur Napoléon et par les succès de sa politique exté- rieure, ce ministère avait duré, sans que rien pût l'é- branler, jusqu'en 1827. Durant toute cette longue pé- riode lord Bathurst fut le chef du département colonial. Une cruelle maladie ayant forcé lord Liverpool à démis- sionner, le membre le plus brillant de l'administra- tion, M. George Canning, forma un cabinet dans le- quel il fit entrer un certain nombre d'hommes politi- ques appartenant au parti whig. Ce cabinet de coali- tion eut une courte existence. Au bout de quatre mois une mort prématurée enlevait à ses amis l'émi- nent homme d'Etat, avant qu'il eût eu le temps de déve- lopper son programme. Lord Goderich lui succéda au mois d'août 1827, jnais ne put maintenir unis les éléments que le prestige et la puissante personnalité de Canning avaient groupés. Il devait renoncer à cette tâche au commencement de janvier 1828. Et c'est alors que le duc de Wellington avait été appelé à pren- dre les rênes du pouvoir. (1) M. Huskisson avait oc- cupé le poste de secrétaire d'Etat pour les colonies pen- dant toutes les fluctuations ministérielles des deux der- nières années. Il appartenait à la fraction la plus libé- rale du parti tory et s'inspirait de quelques-unes des idées de Pitt et de Canning, par exemple en ce qui con- cernait la liberté du commerce et l'émancipation des catholiques.

Il prit connaissance des pétitions soumises à la con- sidération du gouvernement. Il conversa avec nos dé- légués. II entendit les exposés de vues contradic-

(1) A consulter pour l'historique des cabinets de 1806 à 1828, la Constitutional History oj England, de May, t. I, chap. I et II; t. II, ch. VIII, et l'ouvrage de Todd, On Parliamentary Government in England, t. I, ch. m.

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toires. Et finalement, après consultation avec ses collè- gues, il résolut de proposer la formation d'un comité chargé d'étudier les pétitions, de scruter les griefs énon- cés, d'entendre les témoignages de personnes au cou- rant de nos affaires, et de faire ensuite au parlement les recommandations voulues. Ce fut le 2 mai 1828 qu'il saisit la Cliambre des communes de cette propo- sition. II prononça un long discours, se rencon- traient avec quelques considérations judicieuses nom- bre d'assertions discutables. M, Huskisson commen- çait par démontrer que le parlement impérial avait le droit d'amender et de modifier l'acte constitutionnel de 1791, si cela paraissait être dans l'intérêt de la pro- vince. II faisait ensuite un bref exposé historique des circonstances qui avaient accompagné et suivi le chan- gement de souveraineté en Canada. II essayait d'es- quisser le régime sous lequel les Canadiens vivaient avant 1763, le régime seigneurial et la coutume de Paris, et il en faisait une appréciation peu favorable. Après avoir donné un aperçu de la situation se trou- vèrent les Canadiens de 1763 à 1774, il rappelait les dis- positions de l'Acte deQuébec,qui leur assurait la liberté religieuse et le maintien de leurs lois françaises. La liberté religieuse était un bienfait qui ne leur serait ja- mais enlevé, il l'espérait. Quant aux lois françaises il semblait croire que, sans l'Acte de Québec, elles au- raient bientôt disparu sous l'influence des entreprises anglaises, vu que suivant lui, elles étaient défavorables au commerce et peu conformes aux principes éclairés du libre négoce. II passait ensuite aux institutions éta- blies par l'Acte de 1791 et représentait que, par la force des choses, la minorité anglaise de la province se trouvait dans une situation d'infériorité à cause du dé- faut de représentation, delà tenure seigneuriale et du

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régime légal qui ne lui convenait nullement. Il faisait allusion au projet d'union au moyen duquel on avait essayé de remédier à cet état de choses, et il admettait la gravité des objections soulevées par cette tentative. Le secrétaire des colonies devait nécessairement traiter spécialement la complexe et embarrassante ques- tion des finances. Il s'efforçait de faire comprendre à la Chambre des communes en quoi consistait le conflit qui mettait aux prises l'Assemblée et l'administration coloniale. Et il exprimait l'opinion que le droit de la Couronne sur le revenu permanent était incontes- table. Une des conséquences du conflit avait été de mettre le représentant du roi dans la nécessité de dé- penser l'argent reqms pour les services publics, sans la sanction de la législature. M. Huskisson n'approu- vait pas formellement cette conduite. "Vivant, avait- il dit, dans un pays les droits de la branche populai- re de la législature sur la dépense des deniers prélevés par son autorité sont absolument et universellement reconnus, je ne me lève pas pour défendre théorique- ment la convenance qu'il y a pour un gouverneur de co- lonie d'affecter le revenu sans la sanction d'un acte de la législature, tel que le veut la loi. Mais on ne sau- rait peut-être s'étonner que, poussé par la nécessité, toute regrettable qu'ellesoit, il ait pris les moyens dis- ponibles de maintenir la tranquillité du poste commis à sa garde. M. Huskisson déclarait qu'il était temps pour le parlement d'interposer son autorité afin d'apai- ser ces conflits et d'établir au Canada un système de gouvernement civil qui donnerait à chacun dans la pro- vince sa juste part dans l'administration des revenus, "un système qui donnerait à l'Assemblée le pouvoir de déterminer l'application de tous les fonds pour l'amé- lioration intérieure de la province, et en même temps

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qui soustrairait à son autorité ce que l'on peut appeler la liste civile." Le secrétaire colonial insistait sur ce point. "Le système que désire voir établir la législa- ture canadienne, disait-il, n'est pas compatible avec l'indépendance et la dignité du représentant de la Cou- ronne ou des juges." (1) En terminant M. Huskisson protestait éncrgiquement contre les idées émises en certains quartiers relativement à l'abandon de la co- lonie par l'Angleterre. Ce discours était assurément peu favorable aux vues de la majorité bas-canadienne. Il laissait de côté tout un aspect de notre problème; ce cumul des offices, cette confusion des pouvoirs, qui solidarisaient illégalement deux branches de la légis- lature, qui iaisaicnt du Conseil législatif une simple succursale du Conseil exécutif, cette extravagance des salaires, des pensions, des commissions, cette con- centration du patronage entre les mains d'une co- terie qui se cantonnait derrière la prérogative royale pour perpétuer les abus, pour défendre ses privilèges, ses prél^endes, ses sinécures et ses fiefs administra- tifs, au nom de la loyauté envers le trône. C'était une des principales sources du mal. L'enquête devant le comité de la Chambre allait le démontrer péremp- toirement.

Le discours de M. Huskisson ne devait pas rester sans réplique. M. Henri Labouchère démontra qu'au lieu d'un Conseil législatif indépendant, comme l'avait voulu M. Pitt, on avait fini par organiser un Conseil législatif rempli de fonctionnaires et d'hommes dont les places lucratives les mettaient à la merci du gouver- nement. Mais notre défense allait être présentée avec

(1) Hansard's parliamentary Debates, second séries, t. XIX, p. :îOO.

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encore plus de force par un autre orateur. Le grand ami de notre province, sir James Mackintosh, ne pou- vait manquer de prendre part au débat. Il prononça en réponse au secrétaire des colonies un de ses plus beaux discours, un discours cloquent, spirituel et d'une grande puissance d'argumentation. II releva l'attaque de M. Huskisson contre nos lois françaises. Celui-ci avait essayé de démontrer les défectuosités de la cou- tume de Paris. Maniant supérieurement le sarcasme, sir James lui posa cette interrogation mordante: "Le très honorable monsieur n'a-t-il jamais entendu parler d'un autre système de lois, dans un autre pays que le Canada, un embrouillamini d'usages surannés est si mélangé et enchevêtré de modernes subtilités, que, malgré leur intelligence les hommes les plus éclai- rés de ce temps et de cette nation, après quarante ans d'investigations à travers ses arcanes, ont été forcés de se déclarer totalement incapables de trouver leur chemin au milieu de ses labyrinthes, et contraints, par leur incertitude sur ce qui était la loi ou ce qui ne l'était pas, à accroître d'une façon ruineuse les frais des plai- deurs? Ce sj'Stème a été appelé la Co?nmon/aii;, la "sa- gesse de nos ancêtres", et on lui a donné divers autres vénérables noms." Toujours dans la même veine sar- castique, sir James Mackintosh, répondant à ce que M. Huskisson avait dit au sujet de notre représenta- tion parlementaire défectueuse, lui demandait s'il n'avaitjamaisentendu parler d'un système de repré- sentation, dans un autre pays que le Canada, qui ne s'appuyait ni sur le principe de la population, ni sur aucun autre règle existant sous le ciel. Laissant de côté l'ironie, il prenait en mains la défense de l'Assem- blée. II rappelait que le Conseil législatif avait rejeté un grand nombre de bonnes mesures adoptées par cette

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dernière. 11 aiïirmait le droit qu'avait la Chambre d'af- fecter, "d'approprier", le revenu, pour nous servir de l'expression usitée dans le langage parlementaire. Et il rappelait que le gouverneur avait approprié sans auto- rité 140,000 louis. Il mentionnait le péculat Caldwell, rendu possible par la plus incroyable incurie adminis- trative. Il accusait le gouvernement de Québec de s'être engagé dans une lutte corps à corps avec le peu- ple. "Je remarque, disait-il, que vingt et un bills fu- rent passés par l'Assemblée en 1827, la plupart dans un but de réforme. De ces vingt et un bills pas un seul n'a été approuvé par le Conseil. Le gouverneur est-il responsable de ceci ? Je dis "oui". Le Conseil n'est guère autre chose qu'un instrument du gouverne- ment." Sir James demandait à la Chambre des com- munes de ne pas attribuer au vice de la constitution les fautes ou la maladresse des gouvernants. Il la met- tait en garde contre l'erreur qui consistait à traiter la minorité anglaise dans la province comme un corps privilégié, et de donner à 80,000 hommes l'influence que 400,000 enfants du sol devaient légitimement pos- séder. (1) Ce discours si fortement raisonné, d'une si vigoureuse dialectique, dut produire une grande impres- sion sur la Chambre des communes.

M. Wilmot-Horton, l'ancien sous-secrétaire d'Etat pour les colonies, qui avait présenté le bill d'union en 1822, prit aussi la parole. II se prononça en faveur de l'anglicisation des colonies britanniques. M. Stanley, un des membres les plus brillants de la Chambre, fit un discours dans lequel il ne ménagea pas le Conseil légis- latif et se montra plutôt favorable à la cause de la ma-

(1) Hansard's parliamenlary Debates, second séries, t. XIX, p. 318.

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jorité. M. Hume parla clans le même sens. Finale- ment la motion de M, Huskisson pour la formation du comité fut adoptée unanimement.

Voici les noms des députés de la Chambre des com- munes qui en firent partie: Les très honorables W. Huskisson,C. Wynn, S. Bourne, V. Fitzgerald, Wilmot- Horton; les honorables E. Stanley, J.-S. Wortiey; sir W. Tindal, sir James Mackintosh, lord F.-L. Gower, le vicomte Sandon, MM. T -F. Lewis W. B. Baring, J.-E. Denison, T.-H. Villiers, M. Fitzgerald, T. Loch, Archibald Campbell, J.-A. Fazakerley, T. Wallace, H. Labouchère.

Le comité commença ses travaux le 8 mai 1828, et termina l'audition des témoignages le 15 juillet. Il consacra vingt séances à l'examen des témoins qui fu- rent appelés à déposer devant lui. Les principaux fu- rent MM. John Neilson, Denis-Benjamin Viger, Austin Cuvillier, Samuel Gale, Edwaid Ellice, Simon McGil- livray, Wilmot-Horton, James Stephen. Les repré- sentants des intérêts divergents furent entendus les uns après les autres. MM. Neilson, Viger et Cuvillier exposèrent les griefs des Canadiens français, MM. E. Ellice et McGillivray firent connaître les vues et les réclamations de l'élément anglo-canadien. Les té- moignages furent très intéressants et fournirent au comité une source d'informations extrêmement instruc- tives. Les théories, les vues, les sentiments des deux groupes ethniques que les événements avaient mis en contact et trop souvent en opposition dans le Bas Canada purent se manifester librement et délibérément. Il en résulta un document pailementairc de la plus haute importance. Le volume de trois cent quatre- vingt-huit pages qui contient le rapport de ce comité de 1828 et le compte-rendu de la preuve reçue devant

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lui est d'une inappréciable valeur pour notre histoire politique.

Quand on le parcourt avec un esprit dégagé de parti pris, on constate que de part et d'autre il y avait des torts mais qu'ils étaient de gravité inégale. En quelques circonstance et sur quelques points, la ma- jorité avait probablement trop abondé dans son pro- pn sens. En certains cas elle aurait peut-être pu faire da\ antage pour donner satisfaction à la minorité. On poi vait prétendre qu'elle mettait tiop de lenteur à adc pter telle ou telle mesure utile demandée par les ha- bitants des townships. Mais en somme l'enquête n'é- tablissait nullement que la majorité canadienne-fran- çaise de l'Assemblée essayait d'opprimer la minorité anglaise. Par contre il ressortait de l'ensemble des té- moignages que les griefs des Canadiens étaient nom- breux et sérieux. L'immixtion des juges dans la poli- tique, la composition peu satisfaisante et le défaut d'in- déoendance du Conseil législatif, le monopole des offices et des salaires détenus par un petit groupe de privi- légiés cupides, l'ostracisme des Canadiens dans la ré- partition des principales fonctions officielles, la dépen- se systématique des deniers publics sans l'autorisation des représentants du peuple, tout cela avait été établi d'une manière irréfutable par MM. Neilson, Viger et Cuvillier. Nous avons déjà donné dans la première partie de cette leçon un aperçu de leurs témoignages. Leurs dépositions claires, précises, basées sur des faits et des chiffres, devaient produire une grande impression sur des esprits impartiaux. Lorsque M. Neilson dé- montrait que dix-huit conseillers législatifs sur vingt- sept étaient des fonctionnaires plantureusement rétri- bués, qui se partageaient entre eux $88,000 du revenu public, et que, sur onze conseillers exécutifs, sept étaient

couKS d'histoire du canada 213

en même temps conseillers législatifs, tandis que trois autres étaient des employés du Conseil législatif; (1) lorsque M. Viger prouvait que, sur onze juges, dans une province composée de 400,000 Canadiens français et de 80,000 anglais, il y avait huit juges de langue anglaise et trois seulement de langue française, et que les juges anglais étaient inféodés à un parti politique, siégeant en cour le matin, l'après-midi au conseil exécutif et le même jour au conseil législatif, faisant les bills, en or- donnant l'exécution, et ensuite rendant des décisions sur l'observation ou la non-observation de ces lois (2); lorsque M. Cuvillier soumettait un résumé lumineux de la question des finances (3), exposait les irrégularités commises par le gonverneur dans l'affectation illégale du revenu, et faisait toucher du doigt la disparité entre les conditions oùsetrouvaientlaCouronneenAngleterre et l'administration provinciale canadienne au sujet de la liste civile; toutes ces représentations et ces démons- trations ne pouvaient manquer d'éclairer le jugement et d'influencer l'opinion des hommes intelligents qui composaient le comité.

Le résultat démontra avec quelle habileté et quelle efficacité MM. Neilson, Viger et Cuvillier avaient fait valoir notre cause et soutenu la légitimité de nos griefs. Après deux mois et demi d'enquête et de délibérations laborieuses, le comité adopta un rapport qui dans son ensemble justifiait d'une manière éclatante nos reven- dications. Nos représentants avaient assurément rem-

(1) Rapport du comité choisi sur le gouverne tnent civil du Canada, chez Neilson et Cowan, Québec, 1828, pp. 69 et 114.

i2)—Ihid, pp. 141, 144.

(.3)— //.{J, pp. 164, 167.

214 COURS d'histoire du canada

porté une grande victoire. Ils avaient même réussi à modifier les idées de quelques hommes politiques qui, au début, avaient paru peu favorables aux récla- mations de la majorité bas-canadienne. C'est ainsi que MM. Huskisson et Wilmot-Horton semblaient s'ctre ralliés à nos vues. Dans un débat provoqué le 14 juillet par la présentation d'une nouvelle pétition relative aux affaires canadiennes, ils avaient parlé de manière à prouver qu'ils comprenaient notre situa- tion. Une lettre de nos délégués, datée du 22 juillet 1828, annonçait ces heureuses nouvelles aux divers comités des pétitionnaires dans les districts de Québec, de Montréal et des Trois-Rivières. "Après un délai qui doit vous avoir causé autant d'inquiétude qu'à nous-mêmes", écrivaient MM. Neilson, Vigcr et Cu- millier, "ce nous est une tâche bien agréable que d'avoir à vous annoncer que le comité de la Chambre des com- munes sur le gouvernement civil du Canada doit faire son rapport ce soir. Nous n'avons encore pu nous pro- curer une copie de ce rapport, mais nous pouvons dire qu'il est décidément favorable aux désirs des pétition- naires. Nous souhaitons qu'il règne comme ici, par toute la province, un esprit de conciliation, le désir d'éviter tout ce qui peut affaiblir en Canada la confian- ce du sujet dans la constitution établie ou détourner l'attention publique de l'avancement du bien-être com- mun, par le canal des autorités constitutionnelles, et nous désirons surtout qu'il n'y ait aucune manifesta- tion de joie publique, ni rien qui puisse heurter les sen- timents de ceux dont les vues ont différé de celles des pétitionnaires pour qui nous avons l'honneur d'agir. Nous croyons à propos de faire remarquer que plusieurs messieurs d'ici, qu'on a supposés en Canada entretenir des préjugés défavorables à la population du Bas-Ca-

COURS d'histoire du canada 215

nada, s'en sont par leur conduite montré les amis. M. Huskisson et M. Wilmot-Horton, le 14 courant, dans la Chambre des communes, ont parlé décidément en faveur du peuple du Bas-Canada, sans aucune distinc- tion. Nous nous considérons comme ayant complété notre mission. MM. Neilson et Cuvillier se proposent de faire voile de Liverpool pour New- York, dans le Caledonia, capitaine Rogers, le 1er du mois prochain. M. Viger va faire un tour sur le continent. Nous avons l'honneur d'être vos très humbles et obéissants servi- teurs, J. Neilson, D. B. Viger, Austin Cuvillier." (1)

Le texte du rapport justifiait ces déclarations de nos délégués. II était conçu dans un véritable esprit d'impartiaHté et d'équité. II déclarait désirable que la population des townships obtint une représentation adéquate, et qu'à cette fin, dans le remaniement néces- saire des divisions électorales, on tint compte à la fois de la population et de l'étendue des circonscriptions. II se prononçait en faveur de l'adoption des formalités les plus simples et les moins dispendieuses pour le transfert des terres tenues en franc et commun socca- ge, d'après les principes de la loi d'Angleterre. Et il recommandait l'établissement d'un système d'enre- gistrement des contrats relatifs aux terres soccagères.

Le rapport reconnaissait comme un des obstacles à l'avancement du pays la pratique de concéder degran- des étendues de terres à des individus tenant des situa- tions officielles dans la colonie, qui s'étaient soustraits aux conditions d'établissement stipulées dans la con- cession. Et il recommandait la perception d'un droit sur toutes les terres non améliorées ni habitées, en con- travention à ces conditions.

(1) Affaires du pays depuis 1828, Québec 1834, p. 1.

210 COURS d'histoire du canada

Ce document contenait un passage bien satisfai- sant pour nous. Nous tenons à le citer: "Le comité ne peut trop fortement exprimer l'opinion il est que les Canadiens d'extraction française ne soient le moins du monde troublés dans la jouissance paisible de leur religion, de leurs lois et privilèges, tels qu'ils leur sont garantis par les actes du parlement britannique, et bien loin d'exiger d'eux qu'ils tiennent leurs terres d'après la tenure anglaise, il est d'avis que lorsque les terres en seigneurie seront occupées, si les descendants des premiers colons préfèrent encore la tenure en fief et seigneurie il ne voit aucune objection à ce qu'on leur accorde, en cette dernière tenure, d'autres portions de terres inhabitées dans la province, pourvu que ces terres soient séparées des townships, n'y soient pas en- clavées." (1)

Relativement à la question des finances, le comité prenait en considération les circonstances se trou- vait le Bas-Canada, l'esprit de la constitution, la posi- tion et la nature du gouvernement local, les pouvoirs, les privilèges et les devoirs des deux branches de la légis- lature. Et tout en reconnaissant que, d'après l'opi- nion des officiers en loi, le droit légal d'affecter les reve- nus provenant de l'acte impérial de 1774 appartenait à la Couronne, il en venait à la conclusion que les vrais intérêts de la province seraient mieux consultés si l'on plaçait la recette et la dépense de tout le revenu public sous la surveillance et le contrôle de la Chambre d'As- semblée. (2) On conçoit quelle satisfaction profonde

(l) Rapport du comité choisi pour s'enquérir sur le gouver- 7iement civil du Canada, p. 3.

(2) Rapport .... p. 4.

COURS d'histoire du canada 217

une telle déclaration dut faire éprouver aux chefs de la majorité.

Le comité émettait cependant l'avis que pour les salaires du gouverneur, des conseillers exécutifs et des juges, il convenait de les assurer d'une façon perma- nente et de les soustraire au vote annuel. Mais il limi- tait aux émoluments de ces offices le privilège de l'af- fectation statutaire. Et il ajoutait: "Quoiqu'on ait recommandé l'octroi de salaires permanents à un nom- bre de personnes liées au gouvernement exécutif plus considérable que celui qu'il a renfermé dans sa recom- mandation, votre comité n'hésite pas à avancer qu'il n'est pas nécessaire d'en comprendre un si grand nom- bre, et si les officiers^i-dessus énumérés sont placés sur le pied recommandé, il est d'opinion que tous les reve- nus de la province (les revenus territoriaux et hérédi- taires exceptés) soient mis sous le contrôle et à la dis- position de la législature." (1)

Le comité faisait un pasde plus. Comme coi ollaire de la recommandation précédente, il se prononçait caté- goriquement pour l'élimination des juges des conseils législatifs et exécutifs, à l'exception du juge en chef dont la présence pouvait être nécessaire dans certaines circonstances. (2)

Il insistait aussi, fortement, sur l'importance qu'il y avait à ce que la majorité des membres du Conseil législatif ne fut pas composée de personnes en place sous le bon plaisir de l'exécutif. (3)

A propos du déficit Caldwsll, le rapport recom-

(1) Rapport p. 4.

{2)~Ibid, p. 5. {S)—Ibid.

218 COURS d'histoire du canada

mandait qu'il fût pris à l'avenir.par des cautionnements suffisants et par une audition régulière des comptes, les précautions nécessaires pour prévenir le retour de semblables pertes, (l)

Le comité exprimait l'opinion que les revenus des biens des Jésuites devaient être appliqués à l'éducation générale. (2)

Quant à la question de l'union des deux Canadas, dont plusieurs témoins avaient parlé, il déclarait n'être pas prêt dans les circonstances présentes à recomman- der cette mesure.

Le rapport contenait en outre de longues considé- ations sur les réserves du clergé, qui agitaient surtout l'opinion dans le Haut-Canada.

Enfin relativement aux accusations personnelles contre lord Dalhousie le comité s'abstenait de tout commentaire.

En résumé le rapport admettait la légitimité de nos principaux griefs et comportait l'intimation d'y porter remède. Les journaux de Québec et de Mont rèal, organes de la majorité bas-canadienne, comme la Gazette de Québec, la Minerve, le Spectateur Canadien, avaient bi'^n le droit de pousser un tri de victoire. Ce document significatif, émané d'un comité composé de membres éminents des Communes britanniques, cons- tituait vraiment pour nous un événement mémorable.

Ce qui accentua encore l'etTet qu'il produisit, c'est qu'il coïncida avec le rappel de lord Dalhousie, nommé au poste considérable de commandant des forces an- glaises dans les Indes. Sans doute ce n'était pas une disgrâce, mais c'était une permutation à laquelle on

(1) Rapport p. 6.

(2)—Ibid.

COURS d'histoire du canada 219

ne pouvait s'empêcher d'attribuer un sens particulier dans les circonstances. Lord Dalhousie disparaissait. Un comité de la chambre des Communes nous donnait raison sur des points d'importance majeure. Un nou- veau gouverneur, sir James Kempt, nous arrivait libre et non compromis. (1) II convoquait pour le 21 no- vembre les chambres qui n'avaient pas siégé depuis le 23 novembre précédent. II informait l'assemblée qu'il lui commurtiquerait Içs causes de la convocation parle- mentaire "lorsqu'un orateur seiait dûment élu et ap- prouvé". Séance tenante, M. Papineau, élu mais non approuvé, un an plus tôt, déclarait que l'Assemblée avait déjà procédé à l'çlection de son orateur, reléguant soigneusement dans une ombre propice la date lointaine de cette cérémonie mouvementée. Sur quoi, sans plus de retard, l'orateur du Conseil législatif, au nom du gou- verneur, informait M. Papineau que son Excellence, confiant en ses talents, en sa loyauté et en sa discrétion, approuvait et confirmait son élection. (2)

La crise Dalhousie était terminée. Une détente se produisait encore dans notre situation politique. Une nouvelle chance d'organiser enfin le fonctionne- ment normal de nos institutions parlementaires s'of- frait une fois de plus à notre administration et à notre législature.

Nous verrons dans notre prochaine leçon com-

(1) Sir James Kempt était lieutenant-gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, quand il fut envoyé à Québec ; il occupait ce poste depuis 1820.

(2) Sir James Kempt avait d'avance discuté la question avec M. Papineau, et ils en étaient arrivés à une entente. (Kempt à Murray, 22 novembre 1828; Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 183-1, p. 172.

220 COURS d'histoire du canada

ment, après une trop courte trêve, furent trompes les espoirs que pouvait légitimement faire concevoir l'is- sue heureuse de l'enquête sur nos griefs devant le co- mité de 1828.

SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER

Garneau, Histoire du Canada, 1881, t. III, liv. XV, ch. m. Bibaud, Histoire du Canada sous la domination anglaise, 1844, liv. IV. Perrault, Abrégé de l'bistoire du Canada, t. IV.-^T.-P. Bcdard, Histoire de cinquante ans. Christic, History oj tbe late Province oj Lower-Canada, 1850, t. III. Kingsford, History oj Canada, t. IX. Canada and its Provinces, tt. III et IV. Sir T. Erskine May, Constitutional History oj England, 1912, tt. I et II. Todd, On Parliamentary Government in England, 1887, t. I. Hansard's Parliamentary Débutes, nouvelle série, t. XIX. Les Comptes publics du Canada, 1868. Les Comptes publics de la province de Québec, 1868. Cugnet, Traité de la loi des Fiejs, Québec, 177.5. William-Bcnnctt Munro, Tbe Seigniorial System in Canada, New-York, Longmans, Green and Co., 1907, ch. xii, Tbe Lower Canada Jurist, t. II. Tbe Lower Canada Reports, t. IL Rapport du comité cbargé de s'enquérir sur le gouvernement civil du Ba.s'-CanaJa, Québec, Neilson et Cowan, 1828. Journaux de la Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, 1826, 1827, 1828. La Ga/.ette de Québec, 1828.— La Minerve, 1828. Le Spectateur Canadien, 1828. Archives du Canada : Papiers d'Etat du Bas- Canada, Q. 182-2, 183-1, 184-1-2-3-4.

SEPTIÈME LEÇON

\.

La division du parti canadien. Le gouvernement de sir James Kempt. Une trêve politique. Les difficultés de la situa- tion.— Sir James Kempt et les partis. Une lettre à sir George Murray. La session de 1828-29. La question des finances. Message de sir James et réponse de la Chambre. Les estimations budgétaires.- Un bill de subsides voté par les deux chambres. Le remaniement des comtés.^ Les ex- pulsions de M.Christie. La session de 1829-30. Maintien de la trêve. Les craintes de sir James Kempt. Un bilI de subsides encore une fois voté. L'esprit pacifique du juge Sewell. Appréciations de M. Papineau. Sir James Kempt et le Conseil législatif. II adresse une dépêche au ministre. Une faute d'impression malencontreuse. Le départ de sir James Kempt et l'arrivée de lord Aylmcr. La mentalité du nouveau gouverneur. Dispositions excellentes envers notre cause. En Angleterre. Les changements de minis- tère.— Lord Goderich ministre des colonies. Une politique de conciliation. Lettre significative de lord Aylmer. MM. Papineau et Neilson proposés pour le Conseil exécu- tif.— Leur refus. La session de 1831. Une proposition du gouvernement impérial. Une liste civile de 19,500 louis. Estimations réduites. La Chambre refuse un vote permanent. Des résolutions proposées par M. Neilson. Appréciations favorable de lord Aylmer. Les amendements de M. Bourdages. Un message peu banal de lord Aylmer. Un bill de subsides voté et sanctionné. Accusations contre M. James Stuart. Sa suspension. Le cas des juges Flet- cher et Kerr. La session de 1831-32. Une dépêche mémo- rable de lord Goderich. L'abandon du revenu de la Cou- ronne par la loi Howick.^ Une liste civile de 5,900 louis. Refus de la Chambre. Une faute. L'attitude de M. Neil- son.— La question des juges. L'élection du Conseil légis- latif.— Le bill des notables. Fâcheuse ligne de conduite de MM. Papineau et Bourdages. Le clergé maltraité par la majorité. Evolution regrettable. Alarmants symp- tômes.

222 COURS d'histoire du canada

On a souvent et justement rcpicsenté comme une trêve politique le gouvernement de sir James Kempt. Après avoir rempli avec succès les fonctions de lieute- nant gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, il arrivait ici animé d'un sincère esprit de conciliation. Le rapport du comité de la Chambre des communes avait produit une détente dans notre situation politique. Le nou- veau chef de l'exécutif (1) s'efforça d'en accentuer les effets. Il ne négligea rien pour démontrer son impar- tialité et son désir de rendre justice à tous. La posi- tion était diflicile. Les ressenti m^^nts causés par l'ad- ministration de lord Dalhousie étaient encore vivaces et demandaient incessamment à s'épancher en récri- minations et en accusations rétrospicctives. Dans ses lettres à sir George Murray, successeur de M. Huskis- son, sii James Kempt décrit son embarras. A ceux qui demandent des enquêtes, il répond qu'il ne peut intervenir dans les actes de la dernière administration. Il essaie, reprèsente-t il, de rester en dehors de tous les partis et de se concilier tout le monde, mais c'est bien difficile ici l'esprit de parti a si longtemps régné. Le temps et la patience peuvent seuls apporter un lemède radical au mal. Cependant le gouverneur informe le ministre qu'aucune réforme efTicace ne peut être effec- tuée tant que le conflit financier ne sera pas réglé. II

(1) Sir James Kempt avait reçu une commission provisoire qui le chargeait d'administrer le Bas-Canada. Quoiqu'on lui eût fait comprendre qu'il serait nommé gouverneur des provinces britanniques, il semble qu'on n'ait jamais fait cette nomination. Le 10 juillet 1830, trois mois avant l'expiration de son terme d'office, il écrivait au ministre qu'il n'avait reçu aucune commis- sion en qualité de gouverneur en chef, sa commission provisoire étant simplement d'administrer la province. (Kempt à Murray, 6 novembre 1828 ; 10 juillet 1830 ; Q. 182-2, p. 57, 195-1-2, p. 48).

COURS d'histoire du canada 223

est difficile de se renseigner, car il n'y a pas deux per- sonnes qui aient la même opinion. (1)

Pendant les deux années que dura son admini;s- tration, le caractère de sir James Kcmpt ne se démentit pas. II ne cessa de jouer le rôle de modérateur, rôle parfois ingrat et périlleux. Par sa prudence et son tact il réussit à écarter les crises et à gagner du temps pour permettre au gouvernement impérial de réaliser au moins quelques-unes des réformes promises.

La question des finances était toujours la plus ar- due. Le 28 novembre 1828, le gouverneur communi- qua à l'Assemblée les instiuctions reçues du bureau co- lonial. Les ministres de Sa Majesté étaient à étudier les moyens de régler Tes difficultés relatives à l'affec- tation du revenu, "de manière à sauvegarder la préro- gative de la Couronne et les privilèges constitutionnels de la législature." En attendant on déclarait qu'à même le revenu régulièrement affecté au gouverne- ment civil et à l'administration de la justice, qui s'éle- vait à 38,000 louis, on paierait les salaires des officiers administrant le gouvernement et des juges, mais qu'on ne procéderait à l'affectation du reste disponible "qu'après avoir été infoimé des vues de laChambre concernant la manière la plus avantageuse de l'appli- quer au service public." Le message officiel contenait le passage suivant: "Sa Majesté a ordonné à Son Ex- cellence d'informer l'Assemblée qu'un plan pour arran- ger d'une manière permanente les affaires de finances du Bas-Canada est déjà projeté, et Sa Majesté ne doute nullement qu'on ne puisse parvenir à un résultat capa- ble de contribuer au bien-être général de la province

(D -Archives du Canada: Papicr<; cVEtut du Bas-Canada, Q. 183-2, p. liZi.

15

224 couKS d'h;sioike du canada

et de satisfaire ses fidèles sujets canadiens." (1) En présence de cette communication, la Chambre ne vou- lut pas s'abstenir de proclamer de nouveau son droit d'affecter tout le revenu. "Elle ne doit, répondit-elle, en aucun cas ni pour aucune considération quelconque, abandonner ou compromettre son droit naturel et cons- titutionnel, comme une des branches du parlement pro- vincial représentant les sujets de Sa Majesté dans cette colonie, de surveiller et contrôler la recette et la dépense de tout le revenu public prélevé dans cette province." (2) Il était peut-être excessif de dire qu'aucune consi- dération, dans aucun cas, ne saurait induire l'Assemblée à faire des concessions. Cependant, après avoir affirmé le principe qu'elle s'efforçait de faiie triompher depuis sept ou huit ans, la Chambre ne commit pas la faute de refuser les subsides. Elle vota les estimations budgétaires soumises par sir James Kempt, en leur faisant subir toutefois quelques retranchements. Le bill adopté à cette fin fut rédigé en des termes analogues à celui de 1825, que lord Bathurst avait blâmés. Un autre bill fut aussi voté pour couvrir les dépenses de l'année 1828, durant laquelle il n'y avait point eu de session com- plète. Ces deux mesures budgétaires obtinient, quoi- qu'avec peine, l'assentiment du Conseil législatif. Sur le bill relatif à l'exercice de 1828 le Conseil se divisa moi- tié pour moitié, et le projet de loi ne fut emporté que grâce à une manœuvre extrême de l'orateur, le juge en chef Sewell, qui, ayant déjà voté une fois comme membre du Conseil, prétendit avoir droità un vote pré- pondérant comme président. Sur le bill relatif à l'e.xer-

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 28 novembre 1S28.

(2) Ibid . 5 décembre.

COURS d'histoire du canada 225

cice de 1829, la majorité afTirmative fut de deux voix, soit une division de 9 contre 7. (1) On pouvait peut- être entrevoir dans ces votes une amélioration de men- talité chez la chambre haute. Comme préhminaire de ces décisions, le Conseil avait adopté le 9 décembre, à une voix de majorité, une résolution ayant pour objet de rescinder celle par laquelle il s'était d'avance lié les mains, en 1821, en s'engageant à "n'adopter aucun bill d'appropriation de la liste civile contenant des spécifications par chapitres, ou par ilems, ou à moins qu'elle ne fût accordée pour le temps de la vie du roi." (2) Notons qu'une des mesures les plus importantes de cette session 1828-1829 fut celle du remanie- ment des comtés. Elle créait quarante-quatre divi- sions électorales. Trente quatre avaient droit à deux représentants chacune, huit avaient droit à un, et les cités de Québec et de Montréal respectivement à qua- tre. Les cantons de l'est, par cet arrangement, al- laient avoir huit députés dès la session suivante. (3)

(1)— Journal du Conseil législatif du Bas-Canada, 1828-29 pp. 301,304.

(2)— Journal du Conseil législatif, 1828-1829, p. 55.

(3) Dans le bilI tel qu'adopté par l'Assemblée le nombre des députés était de quatre-vingt-neuf. Les comtés de Kamou- raska, Bellechasse, Richelieu, Saint-Hyacinthe, Rouvillc, Cham- bly, Laprairie, l'Acadie, Deux-Montagnes, Terrcbonnc, Mont- réal, Berthier et Saint-Maurice, perdirent un représentant cha- cun, en vertu d'un amendement du Conseil législatif; et, en même temps, ceux de Rimouski, de Beauce, de Mégantic (douteux), de Lotbinière, de Sherbrooke, de Missisquoi, de La Chenaye et d'Orléans en gagnèrent un chacun. Le total se trouvait en défi- nitive de quatre-vingt-quatre. Leprincipe introduit danslaloipar les amendements du Conseil accordait deux représentants aux comtés de 4,000 habitants et au delà,et un représentant aux com-

226 COURS d'histoire du canada

Sir James Kempt écrivait à ce propos que les townships étaient satisfaits de la représentation qui leur était ac- cordée. (1) Aux élections générales suivantes, sur quatre-vingt-quatre députés vingt-deux furent de lan- gue anglaise, soit plus d'un quart de la représentation totale, lorsque la population anglo-saxonne ne s'élevait pas à plus d'un sixième. Une autre réclamation des habitants des cantons allait aussi recevoir satisfaction. A la session de 1829-1830, la législature adopta une loi pour établir des bureaux d'enregistrement dans les comtés de Drummond, de Sherbrooke, de Stanstead, de ShefTord et de Missisquoi.

Cependant ces actes de législation, inspirés par un esprit de bon vouloir, étaient entremêlés de résolu- tions excessives. L'Assemblée ne pouvait prendre sur elle d'oublier ses griefs contre lord Dalhousie, et contre ceux qu'elle considérait responsables à un degré quel- conque des fautes reprochées par elle à ce dernier. M. Robert Christie, député de Gaspé, président des ses- sions de quartiers à Québec, devait en être l'un des plus mémorables exemples. Au cours de l'étude en comité d'un bill pour la "qualification" des juges de paix, on produisit contre lui l'accusation d'avoir provo- qué, par ses représentations auprès de l'ex-gouverneur, la démission de MM. Neilson, Quirouet, Blanchet et Bélanger, députés, comme membres de la commission

tés de plus de l.OOO et de moins de 4, 000. Un comté dont la popu- lation était au-dessousde 1,000 devait voter avec le comté voisin dont la population était la plus faible. Le bill originaire donnait un député par 5,000 âmes environ. {Ca/.ette de Québec, 1829. RappoT. sur les Archives canadiennes. 1S2S, p. VI. Christie, III. pp. 2.54 -2Ô()).

(1) Archives du Canada: Papiers d'Ftat du Bas-Canada Q. 18S-1, p. 138.

COURS d'histoire du canada 227

de la paix. Des témoignages furent entendus et un rapport basé sur ks faits établis fut soumis à la Cham- bre. La conséquence fut que M. Christie, en dépit de sa demande d'enquête contradictoire, fut expulsé de la législature et déclaré coupable de "haut mépris pour la Chambre et indigne de servir et d'avoir un siège comme membre d'icelle." Ce fut le commencement d'un duel mouvementé entre l'Assemblée d'une part, M. Christie et le comté de Gaspé de l'autre. Le député expulsé retourna devant ses électeurs. Il fut réélu, fut réexpulsé à la session de 1830, encore élu, encore expulsé en 1831, et ainsi de suite pendant quatre ans. M. Christie fut chassé de la chambre à cinq reprises différentes. (1) Il y ava*it un réel abus de pouvoir. Notre assemblée bas-canadienne aurait se rappeler le cas du célèbre John Wilkes, député deMiddIesex, ex- pulsé trois fois de la Chambre des communes. Celle-ci cependant, treize ans plus tard, avait ordonné d'effa- cer de son journal la dernière résolution adoptée par elle contre l'agitateur, la déclarant "subversive du corps entier des électeurs du royaume." (2)

En dépit de ces incidents, l'administration de sir James Kempt fut relativement heureuse. Le gouver- neur faisait preuve d'une grande circonspection et d'un remarquable savoir-faire. Il entretenait d'excellentes relations envers les chefs de la majorité. Il tempérait les ardeurs agressives de la presse francophobe, à Qué- bec au moins. (3) Il s'efforçait de concilier l'opinion /

(1) History oj ihe laie Province of Lower Canada. CI:ristie, t. m, pp. 240, 260, 309, 362, 435, 559.

(2) Lecky. Histors^ of Ensland during the eigbteenth cen- tury, t. IV, p 218. Rapport sur les Archives du Canada, 1899, p. X.

(3)— Christie, III, p. 217.

228 COURS d'histoire du canada

catholique et canadienne- française. Il faisait en sorte d'améliorer la composition du Conseil législatif en y faisant entrer des Canadiens éminents comme M. Denis-Benjamin Viger, l'un des délégués de 1828, M. de Bcaujeu et M. Louis Guy. Il n'hésitait même pas à suggérer la nomination de deux chefs de la majorité, dont l'un était M. Papineau lui-même, comme mem- bres du Conseil exécutif. (1)

La trêve déterminée par le rapport du comité de la chambre des communes et favorisée par l'attitude fie sir James Kempt, ne fut pas rompue à la session de 1829-1830. Des extraits du message adressé à l'As- semblée le 29 janvier et de la réponse de la chambre peuvent donner une idée de la situation. "Son Excel- lence, lisait-on dans la communication officielle, a reçu ordre d'exprimer l'espoir et la confiance qu'a Sa Ma- jesté que laChambie d'assembléeaccordera en aide des revenus de la Couronne tels subsides dont il est besoin pour le support du gouvernement de Sa Majesté, se reposant sur l'assurance gracieuse de Sa Majesté, qu'il va être immédiatement pris des mesures pour amener, sous l'autorité du parlement, un arrangement amical de contestations qui ont duré trop longtemps pour les vrais intérêts et le bien-être de la province." A cela, conformément à une motion proposée par M. Neilson et appuyée par M. Bourdages, la Chambre répondit: "Nous prendrons au plus tôt en considération le dit messaee,dans la vue d'accorder teissubsides qui seront jugés nécessaires, dans l'espoir et la confiance que les droits inhérents des sujets de sa Majesté en cette pro- vince de contrôler par le moyen de leurs représentants

Cl) Archives du Canada; Papiers d'Etal du Bas-Canada, O. 19.5-1-2. p. 319.

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la dépense et de régler raffectation de tous les deniers payés par eux pour les usages publics seront établis sur une base ferme et permanente." (1) Comme on le voit la politique du moment était toute d'expectative. A certains jours la majorité trouvait que les réformes se faisaient attendre bien longtemps. On aurait voulu que le gouverneur accentuât davantage son attitude libérale et antibureaucratique. M. Papineau écrivait privément: "Sir James Kempt parle, il éciit d'or, mais il a la faiblesse de n'oser jamais rien faire de décisif." Le gouverneur lui-même sentait la difficulté de la si- tuation. Le 2 mars 1830 il écrivait au ministre une lettre peu optimiste. L'orage, suivant lui, pouvait éclater incessamment. Sir James déclarait qu'il se croyait assis sur un baril de poudre sans savoij quand l'explosion se produirait. On se querellait au sujet de \ieilles affaires qu'il croyait oubliées. Il essayait d'agir comme médiateur et de garder son sang-froid afin de ne pas venir en collision avec l'une ou l'autre chambre. Il ajoutait que si le gouvernement impérial se propo- sait de renoncer à l'appropriation des revenus de la Couronne, sir John Colborne (le lieutenant gouver- neur du Haut-Canada) et lui-même estimaient qu'on devait le faire de bonne grâce pour ne pas maintenir une agitation et une discussion éternelles. (2)

Les appréhensions de sir James Kempt ne se réali- sèrent pas. La session de 1830 se termina sans en- combre. La Chambre continua sa confiance au chef de l'exécutif, et vota les subsides dans la même forme que l'année précédente, eu égard, dit-elle, à sa conviction

(l)— Affaires du pays depuis 1228, Québec. 18.34, p. 9.

(2) Archives du Can.ida; Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 193-3, p. 377.

230 COURS d'histoire du canada

intime "que Son Excellence l'administrateur faisait des efforts sincères pour établir dans la province un système de gouvernement impartial, conciliant et cons- titutionnel." Au Conseil législatif le bill des subsides fut voté par une voix de majorité, grâce à la tactique du juge Scwell, qui déploya toutes ses ressources de procédurier parlementaire pour assurer l'adoption de la mesure. Sans son influence, le lord évêque de Québec, qui n'avait pas siégé une seule fois depuis le commen- cement de la session, ne serait pas venu voter ; et ce fut précisément la voix de ce dignitaire qui assura la majo- rité. (1) "Le juge en chef voudrait la paix sur ses vieux jours", écrivait M. Papineau en signalant les dispositions nouvelles de cet adversaire si longtemps irréductible de la cause canadienne. Les conseillers hostiles au bill des subsides enregistrèrent un protêt dans lequel ils le représentaient comme entaché des mêmes vices constitutionnels que les bills antérieure- ment rejetés par la chambre haute.

En somme la session de 1830 se terminait d'une manière satisfaisante. "Elle est la plus importante dans ses résultats qu'il y ait jamais eu, déclarait M. Papineau lui-même. La chambre y aura acquis une réputation et une influence durables. Nous savons ré- sister à sir James Kempt et savons le soutenir quand il le faut."

Cependant la publication d'une dépêche du chef de l'exécutif provoqua des commentaires fâcheux, vers la fin de son administration. Sur la demande du mi- nistre des colonies il lui avait communiqué ses vues relativement aux conseils exécutifs et législatifs. II n'était pas prêt, disait-il, à suggérer aucun changement

(D— Christie, III. p. 270.

COURS d'histoire du CAiNADA 231

fondamental dans leur constitution générale. Mais il lui semblait désirable d'introduire graduellement dans le Conseil législatif une forte proportion de membres qui ne détiendraient pas de charges sous le bon plaisir de la Couronne. Et les juges l'exception du juge en chef de la province) ne devaient à l'avenir avoir de sièges ni dans l'un ni dans l'autre de ces corps. Il con- viendrait même de faire entrer dans le Conseil exécutif un ou deux membres les plus distingués de l'Assemblée afin d'inspirer à la chambre populaire de la législature confiance dans le gouvernement local, ce qui importait grandement à la paix, à la prospérité et au bonheur de la colonie. Sir James Kempt mentionnait ensuite les trois nouveaux membfes qu'il avait recommandés pour le Conseil législatif, MM. Viger, de Beaujeu et Hatt, propriétaires fonciers et hommes de la plus gran- de respectabilité. Et il ajoutait: "Bien qu'il soit très difficile de choisir un grand nombre de sujets dans les mêmes conditions, cependant j'espère qu'il sera pos- sible d'en trouver un nombre suffisant pour remplir les vacances qui se produiront dans l'unou l'autre conseil." En somme cette dépêche avait du bon. Elle rappe- lait combien il était à désirer que le Conseil législatif devint plus indépendant du pouvoir exécutif. Elle proposait d'écarter les juges de cette chambre ainsi que du Conseil exécutif. Elle suggérait la convenan- ce d'ouvrir ce dernier corps aux chefs de la majorité. Malheureusement, par une déplorable malchance, une faute d'impression avait donné à la dernière phrase citée plus haut un sens restrictif qu'elle n'avait pas dans le texte. Après la mention des trois nominations récentes de conseillers, au lieu des mots: "Bien qu'il soit difficile de choisir un grand nombre de sujets dans les mêmes conditions", on avait imprimé: "Bien qu'il

232 COURS d'histoire du canada

soit difficile de choisir un plus grand 77om6redesujets." Le mot greater avait été substitué à celui de great. (1) Ceci équivalait à dire qu'en dehors des trois conseillers nommés on ne pouvait pas en trouver d'autres possé- dant les quahtés requises. Et c'était assez pour chan- ger profondément la signification de la phrase. II n'en fallait pas plus pour soulever les susceptibilités du parti populaire. La dépêche suscita de vives criti- ques. Une assemblée publique eut même lieu à St- Charles, sur la rivière Chambly, pour protester contre la dépêche de sir James Kempt. Les rectificationsqui suivirent produisirent néanmoins leureffet, et lorsque sir .lames abandonna son poste à l'automne de 1830, il reçut des adresses sympathiques signées par M. Papi- neau et les principaux chefs de la majorité.

Lord Aylmer, appelé à lui succéder, (2) entrait en fonctions dans un moment difhcile. Deux ans s'étaient écoulés depuis le rapport du comité de 1828. Et le gouvernement impérial avait fait encore peu de choses pour exécuter ses recommandations. Le nouveau gouverneur était destiné à une administration ora- geuse. Une série d'événements fâcheux et d'incidents regrettables devait le mettre violemment en conflit avec la majorité de la chambre populaire. II a été consé- quemment fort maltraité par nos historiens, et son nom a été classé à côté de ceux de Craig et de Dalhousie.

(1)— Christic, III, p. 291.

(2) Lord Aylnier ne reçut d'.iborcl qu'une commission pro- visoire pour administrer la province, comme cela avait eu lieu pour sir James Kempt. II fut administrateur du 20 octobre 1830 au 3 février 1831. A cette dernière date, ayant reçu sa commis- sion de gouverneur en chef, il prêta serment en cette qualité. (Archives du Canada, Q. 19.')-l-2, p. :«.5, 197-1-2, p. 75).

COURS d'histoire du canada 233

Et cependant quand on entre, comme nous l'avons fait, dans l'examen approfondi de sa correspondance, on est forcé de se dire qu'il ne méritait pas l'animadversion dont il fut assailli. L'étude des dépêches et des documents ne nous permet pas de concourir dans les jugements rigoureux dont il a été l'objet. Il a commis des erreurs de jugement, sans aucun doute. Mais il a surtout été victime des circonstances. Et la justice nous im- pose le devoir de déclarer qu'il avait des intentions droites, des dispositions bienveillantes envers les Cana- diens français et qu'il était animé d'un grand désir d'impartialité et d'équité. (1)

Au moment ou il inaugurait son administration, lord Goderich succédïiit à sir George Murray comme secrétaire colonial. D'importants événements poli- tiques venaient de se passer en Angleterre. Le cou- rant réformateur qui se faisait sentir depuis quelques années et l'ébranlement causé à travers le détroit par la révolution de juillet en France avaient mis un terme à la longue domination du parti tory. Lord Welling- ton et M. Peel avaientconstatéqu'ilsnepouvaientcomp- ter sur l'appui de la Chambre des communes élue au mois d'août 1830. ils avaient donné leur démission et un nouveau ministère, un ministère whig présidé par lord Grey, avait pris en main l'administration du Royaume-Uni. Le premier et le principal article de son programme était la réforme parlementaire, qui

(1) A l'appui de cette appréciation nous pourrions multi- plier les citations. Mentionnons les lettres de lord Aylmer à lord Goderich, du 17 janvier, du 7 février, du 5 mars, du 28 mars, du 5 avril, du 6 avril, du 7 avril, du 20 avril, du 26 août 1831; du 26 janvier, du 5 février, du 1.5 décembre 1832. On trouve ces lettres dans les volumes 0- 197-1-2 à Q. 203 de la série rcpitrs d'Etat du Bas-Canada, aux archives c''Otl; wa.

234 COURS d'histoire du canada

allait s'accomplir après de longs débats, api es une crise ministérielle, une démission du cabinet suivie d'un prompt retour, une dissolution du Parlement et un ap- pel à la préiogative royale pour vaincre la résistance de la chambre des lords (1;. Lord Goderich naguère l'ho- norable M. Frederick Robinson ancien collègue de M.Canning,et ancien premier ministre d'un cabinet de coalition, était entré dans legouvernementde lord Grey comme secrétaire colonial, poste qu'il avait déjà occupé quelques mois en 1827. Plus encore que son prédéces- seur c'était un homme conciliant et pondéré. Dès son entrée au ministère des colonies, il se proposa de mettre un terme aux difficultés canadiennes, en réali- sant toute une série de réformes et de concessions im- portantes. Son premier conseil à Lord Aylmer fut d'entamer des relations amicales avec nos principaux personnages populaires. Cet avis coïncidait singuliè- rement avec les intentions du gouverneur. Le 17 jan- vier 1831, celui-ci écrivait au ministre que d'avance il s'était conformé à ses vues. Son objectif était de dé- montrer son entière impartialité. Il attendrait ensuite patiemment le résultat de ses efforts. Il avait cru d'abord, faisait-il observer, que l'opposition au gouver- nement dans l'Assemblée provenait du désir de rompre le lien biitannique, mais en examinant les choses de près il acquérait de plus en plus la conviction que les Canadiens de toutes conditions étaient fortement at- tachés à Ilfi mère-patrie. La vraie politique à suivre était de se concilier la bonne volonté des Canadiens en satisfaisant leuis préférences pour les lois et les insti- tutions d'origine française, chose d'autant plusnéces-

(1) Todd. On Parliamentary Government in England, t. I, cil. iir.— May, Constitutional History of England, t. II.

COURS d'histoire du canada 235

saire que ce que l'on appelait le parti anglais procla- mait constamment que le dessein arrrêtéde l'Angleterre était de les supprimer. (1) Une pareille lettre nous donne de lord Aylmer une idée bien différente de celle que nous en avions jusqu'ici. Poursuivant le même ordre d'idées, au mois de février il profitait de deux va- cances pour proposer à lord Goderich de nommer MM. Papineau et Neilson au Conseil exécutif. (2) C'était ouvrir les portes du gouvernement aux deux chefs du parti populaire. Si cette démarche eût réussi, quel cours différent elle eût sans doute imprimé aux événe- ments ultérieurs! Le contact entre le chet de l'admi- nistration et ses nouveaux conseillers eût pu atténuer bien des aspérités, supprimer bien des malentendus, prévenir bien des conflits. On aurait pu s'entendre pour faire prévaloir les formules acceptables et les so- lutions judicieuses. Des concessions mutuelles fussent devenues possibles pour parvenir à faire enfin fonction- ner normalement nos institutions parlementaires. In- sensiblement et par l'enchaînement naturel des faits, on aurait pu arriver sans presque le percevoir à la pra- tique du gouvernement lesponsable, quinze ans avant la victoire de ce principe sous le ministère de LaFon- taine et de Baldwin.

Disons immédiatement que lord Goderich agréa l'idée de lord Aylmer déjà émise par sir James Kempt. MM. Papineau et Neilson furent nommés conseillers exécutifs, mais refusèrent d'accepter, en

(1) Archives du Canada; Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 197, 1-2, p. 28.

(2) Archives du Canada; Papiers d'Etat, du Bas-Canada, Q. 197, 1-2, p. 7.3. Rapport sur les archives canadiennes, 1899, p. XII.

23(5 COURS d'iustoike du canada

alléguant que les règlements de la Chambre ne le leur permettait pas. (1) Ils pouvaient peut-êtie mieux mesu- rer les difficultés de la sitiation que nous n'en sommes capables aujourd'hui. Mais leur acceptation eût en- traîné, nous scmble-t-il, de si heureuses conséquences, que nous ne saurions nous empêcher de regietter leur refus.

Pour mieux faire comprendre l'état d'esprit et les dispositions de lord Aylmer, ajoutons encore que douze mois après il recommandait la nomination de onze nou- veaux membres au Conseil législatif, dont huit Cana- diens français et quatre membres de l'Assemblée. Tous moins un étaient indépendants de l'administration.

II nous semble impossible de nier qu'il n'y eût des preuves évidentes de bon vouloir. Notons qu'à ce lion vouloir du gouverneur correspondait éminem- ment celui du ministre. Lord Goderich avait vrai- ment à cœur de mettre fin à nos conflits constitution- nels. Membre d'un cabinet de réfoirme, il entendait être un ministre colonial réformateur. Et il ne tarda pas à le démontrer.

Au commencement de la session de 1831, lord Ayl- mer soumit à la chambre une communication relative à la question des finances. Le gouvernement impérial annonçait sa détermination de renoncer à l'affectation du revenu de la Couronne, perçu en vertu de l'Acte du

(1) La législature avait adopte en 1830 un bill décrétant que quiconque acceptait une position comportant émoluments sous la Couronne ne pouvait siéger dans l'Assemblée comme re- présentant. Ce bilI n'avait pas été sanctionné en Angleterre. Le 15 février 1831, la Chambre avait adopté une résolution ana- logue. M. Papineau avait déjà été nommé une fois membre du Con.seil exécutif en 1820. Mais il avait donné sa démission peu de temps après.

COURS d'histoire du canada 237

revenu de Québec (14 George III, chapitre 88) et d'un autre acte, soit une somme d'environ 38,000 louis, mo- yennant le vote permanent d'une liste civile de 19,500 louis, consacrée à payer les salaires du gouverneur, des juges, ainsi que certaines pensions et dépenses contin- gentes. En même temps, dans les estimations budgé- taires soumises par le chef de l'exécutif, se trouvaient supprimées, par suite des instructions du bureau colo- nial, une série d'articles que la chambre avait refusé d'inclure dans son vote l'année précédente. Tout ceci constituait sans doute un premier pag dans la voie des concessions. (1) Mais la majorité ne le jugea pas suffi- sant. Et elle adopta un rapport dans lequel on disait que deux années s'étaient écoulées depuis l'enquête de 1828, que les propositions actuelles ne correspondaient pas avec les recommandations du comité de la Cham- bre des communes, et que par conséquent il était expé- dient de ne faire aucune allocation permanente ulté- rieure pour les dépenses du gouvernement. (2)

Peu après l'adoption de ce rapport, M. John Neil- son présenta une série de résolutions qui furent votées par la Chambre. Elles contenaient un nouveau résu- mé de nos griefs, déjà énoncés dans nos pétitions de 1828, relativement aux obstacles qui entravaient le progrès de l'éducation, à la mauvaise régie des terres publiques,

(1) Nous lisons dans une lettre inédite de M. Papineau, en date du 23 février 1831 : "Aujourd'hui nous avons un message sur les finances qui leur déplaira (aux bureaucrates), et à nous aussi, quoique, il y a quelques années, nous aurions pu nous en contenter". Une bienveillance, dont nous sommes très recon- naissant, nous a donné accès à quelques lettres inédites de M. Papineau, qui jettent un jour intéressant sur toute la période que nous étudions en ce moment.

(2) Affaires du pays depuis 1S2S, p. 1.5.

238 COURS d'histoire du canada

au pouvoir exercé par le parlement impérial dans la réglementation du commerce, au défaut d'organisation municipale, à la confusion résultant du mélange des lois, à la question de la tenure foncière, à l'immixtion des juges dans la politique par suite de leurs fonctions législatives et executives, à l'exclusivisme dans la ré- partition des emplois et à l'ostracisme d'une classe de la population, au manque de comptabilité et de res- ponsabilité dans le maniement des deniers publics, à la composition défectueuse du Conseil législatif, etc. (1) L'adresse basée sur ces résolutions contenait le passage suivant: "Quoique le peuple de cette province souffre de cet état de choses et s'efforce de le faire changer, il n'en est pas moins reconnaissant de l'avantage dont il jouit sous le gouvernement de votre Majesté, et surtout de sa politique plus libérale adoptée depuis deux ans à l'égard de cette colonie ; il éprouve cepen- dant un sentiment bien pénible lorsqu'il voit que les espérances dont on l'avait flatté après un long cours de souffrances et d'outrages ont été considérablement diminuées par les délais que l'on a apportés à redresser un grand nombre de sujets de plaintes contenues dans son humble requête au Roi et au parlement en mil huit cent vingt-huit." (2) Ces résolutions étaient le fruit de la pensée politique de M. Neilson. Elles con- tenaient son programme d'action constitutionnelle. C'était sur ce terrain qu'il entendait s'établir et de- meurer. Et les événements ultérieurs devaient dé- montrer qu'à ce moment il prenait délibérément

(1) Journ.il de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1831. p. 351.

(2) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1831, p. 379.

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position et ne se laisserait pas entraîner au delà des limites qu'il traçait ici.

Lord Aylmer suivait d'un œil attentif ce qui se passait en Chambre. L'annonce des résolutions de M. Neilson l'avait d'abord inquiété. Mais la pro- duction de leur texte le rassura. Le 5 mars il les trans- mettait à lord Goderich avec une note décidément approbative. Elles étaient, affirmait-il, beaucoup plus modérées qu'il n'avait lieu d'espérer. Les plaintes qui y étaient exprimées reposaient sur de bonnes rai- sons. Si l'on en supprimait les causes le gouvernement serait bien vu du peuple. L'excitation de surface se calmerait peu à peu. IJ régnait présentement une tranquillité qu'il ne tenait qu'au gouvernement de maintenir. (1) Cette lettre confirme encore ceque nous disions tout à l'heure relativement à la mentalité de Lord Aylmer, et prouve qu'il sympathisait vraiment avec nos revendications.

' Dans la Chambre, les vues de M. Neilson n'étaient pas partagées complètement par tous les membres de la majorité. Quelques-uns auraient voulu aller plus loin que lui. On essaya d'introduire dans ses résolu- tions deux paragraphes par lesquels on attaquait non pas seulement la composition, mais la constitution même du Conseil législatif. IVL Neilson ne pouvait consentir à cette addition, qu'il Jugeait sans doute aventureuse. Ce qu'il visait ce n'était pas des change- ments constitutionnels mais des réformes adminis- tratives. Et devait être la cause de la scission et de la rupture prochaines. La majorité se divisa sur cette tentative d'addition aux treize résolutions primitives.

(1) Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 197-1-2, p. 140.

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240 coLKb d'histoire du canada

Plusieurs votes furent pris. Les deux résolutions complémentaires furent adoptées. (1) Mais finalement M. Neilson réussit à écarter des adresses au roi et au parlement les propositions considérées par lui intem- pestives. (2) Il y avait dans cet incident un indice significatif. Deux courants divergents commençaient à se faire sentir dans le parli populaire.

Lorsque l'Assemblée demanda au gouverneur de voi'loir bien transmettre ces adresses au roi et aux deux cliambrcs britanniques, il l'accueillit avec la plus vi\e cordialité, exprimant la conviction qu'elles au- raient les meilleurs résultats. 11 insista même, avec une effusion qui tranchait sur le stvie ordinaire des harangues oflicielles, pour s'enquérir si c'était bien tout, si l'exposé était complet, si la Chambre avait vraiment formulé toutes ses plaintes. Et il termina en exprimant le vœu ardent que les mesures provoquées par cette démarclie eussent pour conséquence le réta- blissement d'une harmonie parfaite. Cette réponse, qualifiée "d'excentrique" par un de nos historiens, (3) n'en était pas moins l'expression sincère des sentiments de lord Aylmer. Il s'était déjà efforcé de travailler, dans la sphère de sa juridiction, à la réforme des abus. Dans ses communications à l'Assemblée il l'informait que, par ses soins, certains griefs étaient en voie de redressement. Il voulait sans doute faire allusion à la présence des juges dans le Conseil législatif. En effet, quelque temps après, une déclaration fut faite en Chambre comportant que deux juges-conseillers

(l)— Journal de la Chambre, 1831, pp. 3.54, 355, 361.

(2)—IbiJ., p. 377.

(3)— Christie. t. III, p. 330.

COURS D HISTOIRE DU CANADA 241

n'avaient pas prêté serment ni pris leurs sièges à cette session et que son Excellence avait signifié à un troisième de se retirer, de sorte que le juge en chef seul demeurait dans la Chambre haute. C'était un nouveau progrès dans la réforme.

La Chambre n'avait pas voulu d'une hste civile permanente. Mais elle n'entendait pas refuser les subsides, et elle adopta le budget de la même manière que les années précédentes. C'était le bill de 1825 qui servait de type. Le Conseil léfïislatif l'accepta à la majorité d'ime voix.

En somme, la session de 1831 n'avait pas vu se pro- chire la dénonciation la trêve. Elle avait eu toute- fois ses épisodes mouvementés. M. Christie avait été expulsé pour la troisième fois. M. James Stuart, le procureur général, avait été mis en accusation. On lui reprochait certains actes commis durant l'élec- tion de William-Henry, la perception oppressive de certains honoraires sur des renouvellements de com- missions notariales, des procédures ayant pour seul objet d'accroître ses émoluments, des poursuites vexa- toires contre diverses personnes, etc. La Chambre adopta une adresse au roi pour demander sa démission, et elle sollicita le gouverneur de suspendre le fonc- tionnaire évincé. Lord Aylmer accéda à cette requête, donnant ainsi une nouvelle preuve de son impartialité. Les juges Kerr et Fletcher furent mis en cause mais par des plaignants de langue anglaise pour partialité et dénis de justice.

La législature fut prorogée le 31 mars 1831. Lors- qu'elle se réunit de nouveau le 15 novembre suivant, des événements importants s'étaient produits. Lord Godcrich avait affirmé d'une manière éclatante sa po-

242 COURS d'histoire du canada

litique de conciliation. II avait adressé à lord Aylmer, pour communication à l'Assemblée, une dépêche daïis laquelle il acquiesçait à peu près complètement aux résolutions Neilson. Ce long et mémorable document était daté du 7 juillet 1831. Le ministre des colonies commençait par laire la déclaration suivante: "L'expo- sé des vues de l'Assemblée permet de faire l'induction satisfaisante qu'il reste à peine une seule question sur laquelle les désirs de cette bi anche de la législature ne soient pas en harmonie avec la politique que sa Majesté a été avisée de suivre, et cela me donne la flatteuse espé- rance de l'ajustement prompt et efficace de ces difficul- tés qui ont si fortement embarrassé les opérations du gouvernement local." (1) Ce n'était pas de vaines paroles. La dépêche de lord Godeiich établissait le plus favorable terrain d'entente que l'on pût désirer. Jamais depuis quinze ans le gouvernement impéiial n'avait à ce point manifesté la résolution de satisfaire les léclamations de l'Assemblée. Sur la question des biens des Jésuites et de l'éducation, sur la question de la régie des terres publiques, sur la question de la pré- sence des juges aux conseils législatif et exécutif, sur la question des institutions municipales, sur la question de la tenure des terres, en un mot sur toutes les ques- tions en litige, le ministre se rangeait aux vues de l'As- semblée, ou indiquait un mode de transaction satisfai- sant. Et en même temps, il pouvait annoncer non seulement une ré^-olution mais un acte dont il était im- possible de méconnaître la portée. II avait fait adopter à la dernière session du parlement britannique une

(1) Lord Godericb à lord Aylmer. 7 juillet 1881; Journal de le Chambre d' Assemblée du Bas-Canada, 1831-32, p. 20.

COURS d'histoire du canada 243

loi (l) par laquelle était abandonnée sans réserve à la lé- gislature du Bas-Canada l'affectation du revenu de la Couronne, pour laquelle l'Assemblce guerroyait depuis 1818. C'était une victoire incontestable, qui pouvait faiie présager les plus heureuses conséquences. Sans doute l'Assemblée allait s'empresser d'en profiter, en correspondant aux avances qu'on lui faisait? Hélas! nous touchons ici à l'une des plus grande erreurs que nos chefs parlementaires aient commises durant la lutte constitutionnelle ils étaient engagés. En letour de l'abandon du revenu de la Couronne, le gouvernement demandait l'adoption d'une liste civile de 5,900 louis, couvrant simplement les salaires du gouverneur, de son secrétaire civil, du secrétaire de la province, du procu- reur généial et du solliciteur général. (2) On laissait l'administration de la justice (3) en dehors de la liste ci- vile, de même que certaines pensions et certains contin-

(1) Cette loi fut désignée sous le nom de Howick Act, parce qu'elle fut présentée dans la Chambre des Communes par lord Howick, sous-secrétaire des colonies. Lord Howick était le fils de lord Grey.

(2) Journal de la Chambre d'Assemblée, 1831-32, p. 300.

(3) Un projet de loi intitulé: "Bill pour rendre les juges en cette province incapables de siéger et de voter dans les conseils exécutifs et législatifs, pour assurer l'indépendance des juges en cette province et pour d'autres fins y mentionnées", fut adopté par la Chambre à cette session. Il pourvoyait d'une manière per- manente au salaire des juges. Ce bill fut accepté par le Conseil législatif. M. Papineau avait essayé d'y faire insérer un article pour exclure le juge en chef de la chambre haute, mais M. Neil- son soutint qu'il valait mieux se conformer à la recommandation du comité de 1828 et faire une exception en faveur du chef de notre magistrature. Cette opinion prévalut. Le bill et cela lui porta malheur déterminait sur quels fonds les salaires des juges seraient payés et spécifiait que ce serait à même "le revenu casuel et territorial et le revenu maintenant affecté par des actes du

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gents qu'on y avait inclus jusque-là. En un mot on abandonnait au vote de l'Asseniblce tout ce qu'on lui avait conteste, et l'on dépassait en libci alité les recom- mandations du comité de 1828. La liste civile deman- dée était insignifiante par son chiffre, et soulewiit bien peu d'objections eu égard à la catégorie de fonction- naiics dont elle rendaitpcrmanents les salaires. Néan- moins l'Assemblée commit la faute de ne pas l'accepter. Elle refusa la victoire qu'on lui offrait, s'engageant ainsi dans une voie qui devait nous conduire à une crise désastreuse.

M. Neilson ne pouvait voir avec satisfaction l'orientation que subissait le parti dont il avait été jusque l'un des chefs les plus influents. Il était d'avis que les propositions de lord Goderich nous offi aient l'occasion de réaliser les principales réloimes réclamées par nous. Dans un discouis qu'il prononça ttois ans plus tard, ofi vit clairement quels étaient ses sentiments en 1831. En outre l'attitude que la Chambre semblait déjà disposée à prendre relativement au Conseil légis- latif lui paraissait une fausse manœuvre (1). Après

parlement provincial au paiement des dépenses de l'adminis- tration de la justice et au soutien du gouvernement civil, et sur tout autre revenu public de la province qui pourra être ou venir entre les mains du receveur général". {Journal de la Chambre, 1831-32, p 282.— Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 201-1, p. 30.— Pour les débats de la Chambre et l'attitude respective de MM. Papineau et Neilson, voir le Canadien du 28 janvier et du 12 février 1832}. Ce bill relatif aux juges fut réservé par lord Ayl- mer, mais il en recommanda la sanction. Le ministre des colo- nies ne jugea pas à propos de suivre cet avis, et le bilI ne fut pas sanctionné.

(1) Le 10 janvier 1832, M. Bourdages soumit des résolu- tions dont un des objets était de rendre le Conseil législatif élec- tif. Après un long débat, dans lequel M. Papineau soutint éner-

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avoir proclamé, comme M. Papineau, comme les autres chefs du parti populaire, les bienfaits de la constitution de 1791, il ne voulait pas se déjuger et attaquer l'une des dispositions fondamentales de cette constitution. Dès lors la rupture était proche. Déjà on avait pu en discerner des avant-coureuis. En 1825 M. Neilson s'était séparé de M. Papineau sur la question de la ré- duction du budget dans une proportion de vingt-cinq par cent. En 1831, les divergences s'accentuaient. Pour le malheur de notre cause, de graves questions de principes allaient opérer une division dans nos rangs et rompre le faisceau de nos forces nationales. L'une de ces Questions fut celle de l'admission des notables aux assemblées de fabriques. Sa nature, sa portée d'or- dre religieux et social, le regrettable conflit qu'elle sou- leva entre le parti populaire et le clergé, nous imposent l'obligation de l'étudier spécialement avec vous pen- dant quelques instants.

Dans la plupart des paroisses du Bas-Canada, l'élection des marguilliers et la reddition des comptes se faisaient dans une assemblée des marguilliers anciens et nouveaux, à laquelle n'assistaient pas les francs-te- nanciers. On se conformait ainsi à un usage et à des règlements qui dataient de Mgr de Laval. Le 5 dé- cembre 1660, l'illustre fondateur de notre église cana- dienne avait rendu l'ordonnance suivante:

"Nous, François, par la grâce de Dieu et du Saint- Siège, évêque de Pétrée, Vicaire apostolique en la Nou- velle-France, sur ce qui nous a été représenté que plu-

giquement cette proposition pondant que M. Neilson la combat- tait, celui-ci fit échouer les résolutions Bourdages par une majo- rité de 37 contre 22. {Journal de la Chambre, 1831-32, p. 278— Bibaud. Histoire du Canada, t. III, pp. 79-86; le Canadien. 1er et 4 février 1832.)

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sieurs difficultés et inconvénients se trouvaient en l'élection des marguilliers de l'église Notre-Dame de Québec, à raison que tout le peuple était publiquement invité et admis pour délibérer à la dite élection, Nous avons ordonné et ordonnons par ces présentes que doié- navant l'élection des nouveaux marguilliers de la dite église se fera par ceux qui seront en charge et par les anciens qui, pour ce sujet, seront avertis de se trouver à l'assemblée, par la pluralité des voix et par suf- frages secrets on élira un nouveau marguillicr. Nous voulons aussi que la présente ordonnance soit insérée au registre des dites élections. Donné à notre demeure ordinaire, ce cinquième jour de décembre 1660."

Cette ordonnance avait été appuyée par un arrêt du Conseil souverain rendu le 12 février 1675. Il y était ordonné aux marguilliers de Québec "de se conformer, tant pour la régie des affaires de fabrique, que pour l'au- dition et reddition des comptes, à l'usage suivi dans toutes les églises de France, il ne se décide rîen dans les affaires ordinaires qu'à la pluralité des voix des marguilliers qui sont en charge, et dans les cas extraor- dinaires qu'en y appelant les anciens marguilliers, etc., le curé toujours présent."

En 1677, l'intendant Duchesneau rendit une or- donnance ayant la même portée, pour la paroisse de Montréal. De sorte que, à Québec et à Montréal, et dans toutes les paroisses qui furent créées par la suite, la règle etiacoutumes'établiient conformément à la déci- sion de Mgr de Laval. Les marguilliers étaient élus par les marguilliers anciens et actuels seulement, et les comptes de fabrique se rendaient devant des assemblées composées de la même manière.

Cependant, dans quelques paroisses, l'usage con- traire s'était introduit, c'est-à-dire qu'on admettait

COURS D HISTOIRE DU CANADA 247

un certain nombre de paroissiens reconnus comme no- tables aux assemblées de fabrique pour l'élection des marguilliers et la reddition des comptes. Mais ces paroisses étaient l'exception.

Or, en 1830, il se fit un mouvement pour que l'ex- ception devînt la règle. Dans deux ou trois endroits, à Lotbinière, entre autres, et aux Trois-Rivières, des esprits brouillons avaient soulevé des contestations au sujet de l'élection de marguilliers à des assemblées de fabrique les notables n'avaient pas été admis. Et des procès avaient été intentés contre les fabriques pour faire déclarer nulles ces élections. Ces incidents fâ- cheux servirent de prétexte à une agitation peu jus- tifiée. Des pétitions furent adressées à la Chambre, en 1831, par des paroissiens de Sainte-Marie de Mon- noir, de Saint-Jean-Baptiste de Rouville, de Saint- Hilaire, de Saint-Louis de Lotbinière. (1) Elles furent renvoj'ées à un comité qui les examina, et finalement, un député, le célèbre M. Louis Bourdages, doyen de la Chambre, l'un des chefs de la majorité patriote, présen- ta un bill pour faire admettre d'une manière générale les notables aux assemblées de fabrique. Ce bill ne fut pas adopté durant cette session. Lorsque la légis- lature fut prorogée, le 31 mars 1831, il n'avait pas en- core subi ses trois lectures.

L'attitude prise par M. Bourdages et par un grand nombre de représentants causa une vive émotion dans le clergé. L'innovation que l'on voulait décréter fut considérée par celui-ci comme un empiétement sur les droits de l'Eglise et des tabriques. Plusieurs membres du clergé prirent la plume pour défendre ces droits. De leur côté, les partisans de la mesure se lancèrent dans

(1)— Journal de la Chambre, 1831, pp. 80, 74, 90, 138.

248 COURS d'histoire du canada

Tarènc. Les colonnes de la Minerve, de la Gazette de Québec, du Canadien, débordèrent d'articles pour et contre l'admission des notables aux assemblées de fabrique.

Les esprits s'échauffaient. On se demandait quelle attitude la majorité de la Chambre allait prendre à sa prochaine session, car on prévoyait bien que la ques- tion allait revenir devant la législature. Jusque-là, les chefs du parti populaire qui dominait dans l'Assem- blée avaient eu les sympathies et l'appui moral du clergé, qui avait toujours fait énergiquement son de- voir quand il s'était agi de défendre nos droits et nos libertés. Cette heureuse union allait-elle donc faire place à une scission malheureuse ? Quel parti allait embrasseï, par exemple, M. Papineau, le président de la Chambre, le grand orateur canadien, le chef recon- nu de la majorité ?

La session s'ouvrit le 15 novembre 1831. Et l'in- certitude ne fut pas de longue durée. M. Bourdages s'empressa de présenter de nouveau un bill dont nous Cl oyons utile de reproduire ici le texte:

"Bill pour rétablir l'uniformité dans les assem- blées de fabiiques de cette province, et déclarer quels paroissiens ont droit d'y participer en certains cas.

"Vu qu'il a régné beaucoup de diversité dans la pratique, dans la manière dont les assemblées de fabri- que ont été tenues en cette province, et vu qu'il devient nécessaire d'y rétablir l'uniformité, et de déterminer quelles personnes auront droit d'y participer en cer- tains cas.

"Qu'il soit donc statué ici, et il est par le présent statué et déclaré que tous et chaque marguilliers an- ciens et nouveaux, cure, ou prêtre faisant fonction de curé, missionnaire, et tous et chaque propriétaires dans

COURS d'histoire du canada 249

les paroisses de campagne, et dans la paroisse de la ville de Trois-Rivières, professant la religion catholique ro- maine, et tous et chaque marguilliers anciens et nou- veaux, curé ou prêtre faisant fonction de curé, et tous et chaque propriétaires possédant, dans les paroisses des cités de Québec et de Montréal, des immeubles de la valeur annuelle de trente livres courant, et dans la paroisse de St-Roch, de la cité de Québec, de la valeur annuelle de douze livres courant, professant la religion catholique romaine, sont et seront propies, et auront droit d'assister, de voter et délibérer aux assemblées de fabriques, pour l'élection de nouveaux marguilliers, pour la reddition des comptes des marguilliers, sortis de charge, et pour dépenses extraordinaires, et pour tous règlements du gouvernement teinporel de l' église." (l)

On remarquera les derniers mots, mis par nous en italiques. Ils donnaient au bill une portée tiès géné- lale et très fâcheuse. Le projet de loi constituait vrai- ment un petit parlement paroissial. II allait plus loin encore. Il admettait à peu près tous les habitants de la paroisse à l'administration de la fabrique. Et par il faisait de la fort malencontreuse démocratie.

Au moment ce bill était présenté par M. Bour- dages, la Chambre était saisie d'une pétition imposante signée par les évêqucs et le cleigé du Bas-Canada, solli- citant instamment l'Assemblée de rejeter toute mesure de ce genre. Il y était dit qu'on y voyait avec alarme une démarche qui préjudicierait gravement aux lois, aux usages et aux coutumes ecclésiastiques, ainsi qu'à la paix et à la tranquillité des paroisses. (2)

(1) Ce texte est reproduit du Caiiadieii, nuniérf) du 7 dé- cembre 1831.

(2)— Journal de la Chambre, ].S:n-,32, p. 113.

250 COURS d'histoire du canada

La pétition avait été présentée au début de la session commencée en novembre 1831. Et le bill de M. Bourdages avait aussi été proposé dès les premieis jours qui suivirent la réunion des chambres. Immé- diatement deux courants d'opinion se dessinèrent par- mi les députés. Les esprits conservateurs, respec- tueux des traditions et des coutumes, enclins à soute- nir les idées de discipline, d'ordre et d'autorité, sans cesser d'être partisans d'une sage liberté et amis de la cause populaire, se sentaient plutôt disposés à penser comme le clergé sur cette question, et à appuyer son attitude. Parmi ces députes, on remarquait au pre- rnier rang M. Neilson. 11 était considéré à bon droit comme l'un des membres les plus éminents de la cham- bre et comme l'un des chefs du parti patriote. Quoi- que écossais et protestant, il avait toujours fait cause commune avec les Canadiens français et s'était distin- gué dans la lutte en faveur de nos franchises constitu- tionnelles. Mais, tout en appuyant les revendications légitimes du peuple et de ses repiésentants, il n'avait rien du novateur ni du radical. C'était un homme pon- déré, ennemi des aventures et de la licence, et réfrac- taire aux théories excessives avec lesquelles quelques- uns de nos chefs commençaient à se monter la tête. M. Neilson était en ce moment à l'apogée de sa popula- rité et de son prestige. On organisait précisément vers ce temps-là, en son honneui, un dîner public accompa- gné de la présentation d'une coupe en argent portant une inscription flatteuse, comme témoignage de la gra- titude canadienfie. (1)

Un autre député marquant, AI. Duval, avocat de Québec, était à peu près dans les mêmes idées que M.

(1) Le Canadien, 11 janvier 1832.

COURS D HISTOIRE DU CANADA 251

Neilson. Comme celui-ci> il n'aimait pas les excès, et, comme lui également, il devait trois ans plus tard se séparer de M. Papineau sur les 92 résolutions. Il mon- ta subséqueniment sur le banc, et mourut, après 1867, juge en chef de la cour d'appel.

MM. Mondelet, Philippe Panet, Quesnel, Later- rière, Huot, manifestèrent aussi sur cette question des opinions beaucoup pkis modérées que celles de la majorité avec laquelle ils matchaient encore. La plu- part devaient finir par se séparer de M. Papineau, soit sur la question de l'élection du Conseil législatif, soit sur celle des 92 résolutions, soit sur celle des subsides.

Mais la majorité du.parti populaire était bien loin de partager les vues des députés que nous venons de mentionner. Et d'abord, le leader du parti, le domi- nateur de l'Assemblée, l'orateur, au double sens du mot par sa fonction et par son éloquence, M.Louis- Joseph Papineau, allait manifester sans détour les principes avancés qui le guidaient déjà. M. Bourda- ges, qui tonnait depuis un quart de siècle contre les abus du gouvernement, était lui aufesi, quoique d'une manière assez inconsciente, saturé d'idées fausses. Le malheur de beaucoup d'hommes de ce temps fut d'avoir fait leurs études légales dans des auteurs pétris des pré- jugés de la -^'ieille école gallicane et parlementaire, et d'avoir trop souvent charmé leurs loisirs avec les pires ouvrages des écrivains impies du XVI Ile siècle. Nos avocats et nos notaires étaient particulièrement expo- sés à ce péril.

M. Lafontaine, à ses débuts, eut beaucoup à souf- frir de cette dangereuse influence. Ce furent les épreuves, l'expérience chèrement acquise, et l'étude, qui rectifièrent plus tard ses opinions.

252 COURS d'histoire du canada

L'iniluencc de MM. Papineau et Bourdages devait naturellement entraîner le gros de la majorité dans le sens contraire à la requête du clergé.

La bataille s'engagea à la séance du 2 décembre 1831. M. Bourdages ouvrit le feu. Il prononça des paroles regrettables. "L'an passé, dit-il, les plaintes de quelques paroisses pouvaient être attribuées à la conduite de quelques curés seulement, mais maintenant que le corps entier du clergé prend fait et cause dans cette affaire, elle se présente, cette année, sous un point de vue bien plus important. Il est maintenant ques- tion de savoir si les droits des paroissiens doivent cé- der aux droits arbitraires que veut exercer le clergé. Les lois canoniques défendent aux curés de s'occuper du temporel: ils ont assez à faire du spirituel. Il est temps que la législature s'occupe enfin à régler le pou- voir temporel du clergé. . Les Canadiens commen- cent à vouloir connaître la manière dont leur argent est dépensé par le clergé!" (1)

Ce fut M. Dumoulin, dcputé des Trois-Rivières, qui répondit à cette diatribe du vieux patriote égaré par les préjugés. Il invoqua la coutume et la raison et demanda dans quel but on voulait proposer des remèdes pour un mal qui n'existait pas.

Alors, comme la Chambre siégeait en comité, M. Papineau prit la parole. Il prononça un discours vio- lent. Parlant de la pétition du clergé: "On a présenté à la Chambre, s'écria-t-il, la requête la moins excu- sablequ'on lui ait jamais soumise. Cette requête prouve jusqu'à quel po-int l'amour du pouvoir en a aveuglé les auteurs, pour ne pas avoir senti l'exagération de leurs prétentions, pour ne pas s'apercevoir que la mauvaise

1() Le Canadien, 7 décembre 1831.

COURS d'histoire du canada 258

application qu'ils font des lois économiques dévoile au monde leur ignorance absolue des lois constitution- nelles. Ce clergé se croit encore le maître de l'auto- rité civile, croit encore pou\oir exercer une plénitude de pouvoir dont il a abusé, et dont, après en avoir été dépouillé, il ne doit jamais rede\^enir le possesseur. Il faut distinguer entre l'Eglise et ses droits temporels. L'autorité ecclésiastique, quant à ces droits, n'est va- lide qu'autant qu'elle l'obtient de l'autorité civile. Le terme Eglise est susceptible d'une infinité de significa- tions; mais indubitablement l'Eglise n'est qu'une aide du pouvoir civil quant au temporel. Elle n'en est in- dépendante que par rapport au dogme." (1)

M. Duval donna la contre-partie de cette haran- gue malheureuse. "D'après le droit français, dit-il, les paroissiens ne possédaient pas les droits que les résolu- tions veulent leur accorder. Dans tous les cas ils ont cotitribué à la construction ou à la réparation des églises, les paroissiens ont le droit de choisir des syn- dics. Il n'en est pas de même du reste de l'adminis- tration des biens de fabriques, parce que ces biens ap- partiennent de droit à l'Eglise."

M. Lagueux, se levant après M. Duval, dit une infinité d'énormités, entre autres celle ci: "Le clergé se rappelle ces temps de barbarie, où, dans la plénitude de son pouvoir, il foulait aux pieds tous les pouvoirs."

M. Quesnel essaj^a de prendre une attitude conci- liante. Dans son opinion, il n'y avait pas lieu à une législation sur la matière.

M. Papineau sentit le besoin de payer une seconde fois de sa personne. Il fut aussi virulent que dans son premier discours. "La population de la. campagne,

(1) Le Canadien, 7 décembre 1831.

254 COURS d'histoire du canada

s'écria-t-il, ne peut pas se garantir de l'influence dan- gereuse du clergé. Il est prouvé que l'esprit de corps domine le clergé dans cette question. Jamais procès d'individu à individu n'a été si odieux que cette lutte du clergé contre les droits du peuple." (1)

M. Neilson n'avait pas participé à cette première rencontre. II se réservait pour la fin de la bataille. A la séance du 23 décembre, il prit la parole et combattit énergiquement le bill. Nous n'avons qu'une brève analyse de son discours. II dit en substance que "la fabrique était administrée par des agents reconnus par les lois; elle était une corporation, et on pouvait avec autant de droits attaquer les banques. Les fonds des fabriques ne provenaient ni de taxes, ni de cotisations, mais de contributions volontaires. Adopter le bill, ce serait arracher l'administration des mains de per- sonnes que reconnaissait la loi, pour la donner à des gens inconnus par la loi." (2)

Plusieurs votes furent pris et donnèrent une ma- jorité en faveur du bill. Enfin, au moment suprême où, après la troisième lecture, la motion pour "que le bill passe" était proposée par M. Bourdages, M. Neil- son présenta un dernier amendement qui aurait fait échouer la mesure en arrivant au port. II y était pro- posé de renvoyer le bill et tous les procédés sur icelui pour s'enquérir "si les dits bills et procédés sont con- traires aux capitulations du Canada, au traité de ces- sion de 1763, à l'acte du parlement anglais de 1774, à la constitution de cette province, et aux lois et usages sur les fabiiques reconnues par l'acte de 1824, à l'in- violabilité de la propriété privée, et à cet exercice libre

(1) Le Canadien, 7 décembre 1831. {2)~Ibid., 31 décembre.

COURS d'histoire du canada 255

des différentes religions, qui, de droit, appartient à tous les sujets de Sa Majesté dans cette province." (1) Cette habile manœuvre fut repoussée par un vote de 28 contre 21. Enfin le bill fut définitivement adopté par 30 voix contre 19. (2)

Le projet de loi était passé à la Chambre. Mais il lui restait à subir une autre épreuve, celle du Conseil lé- gislatif. La Chambre haute comptait à ce moment trente membres, dont vingt et un protestants et neuf cathoHques. Comme on le voit, le Conseil était en grande majorité protestant. Pouvait-on espérer que les représentations du clergé y seraient favorablement accueilHes ?

L'attitude hostile de* la Chambre et de ses chefs avait soulevé une vive indignation dans les cercles ecclésiastiques. Le langage violent, les principes erro- nés de MM. Papineau, Bourdages, Lagueux, avaient été l'objet des plus vives critiques. Comment ! ces hommes en qui on avait eu jusque-là tant de confiance, que l'on avait soutenus et applaudis comme les cham- pions les plus sûrs de l'idée nationale, ces hommes pro- fessaient des opinions fausses, inadmissibles, sur les relations de l'Eglise et de l'Etat ! On s'était donc trompé sur leur valeur réelle; leur jugement, leurs prin- cipes, laissaient donc beaucoup à désirer , et leur direc- tion pouvait devenir funeste ! Tels étaient les senti- ments qui agitaient le clergé, et qui trouvèrent leur ex- pression la plus précise, la plus frappante, dans une com- munication publiée le 26 décembre 1831 par la Ga- zette de Québec, et signée: La Raison.

L'auteur de cet écrit n'était pas le premier venu;

{!)— Journal de la Chambre, 1831-32, p. 204. {2)—Ibid.

17

256 COURS d'histoire du canada

c'était M. l'abbé Painchaud, le fondateur du collège de Sainte-Anne de la Pocatière; et sa communication était applaudie par des hommes distingues, tels que M. Jé- rôme Demcrs, l'un des directeurs les plus éminents du séminaire de Québec. Ce qui nous paraît spécialement digne d'y être signalé, c'est d'abord un ton de désen- chantement à l'égard de la Chambre et de ses chefs, d'appréhension quant à leurs piincipcs, et de désaffec- tion pour la personne des hommes publics qui \iennent de prendre une attitude si inattendue. C'est ensuite une expression de confiance en la sagesse du Conseil législatif, un appel à son intervention protectrice, et le vœu qu'il puisse jouer le rôle de corps modérateur, qu'il triomphe des attaques de l'Assemblée législative, qu'il conserve son autoiité et son indépendance en face des empiétements de la branche populaire. Cette position hardie, prise par un homme comme M. Painchaud, porte-voix du clergé en cette circonstance, était un grave symptôme. Jusque-là, en effet, le Conseil légis- latif avait été fortement antipathique à la grande majo- rité des Canadiens français. Dans trop d'occasions il avait fait obstacle à des réformes vraiment utiles, et contrarié les légitimes aspirations de ceux qui luttaient pour nos franchises. Et voilà que, malgré les fautes commises par la chambre haute, un corps aussi impor- tant que le clergé proclamait son utilité par suite des craintes que faisaient concevoir les tendances et les principes de la majorité "papineautiste". "On a vu notre chambre prétendre supprimer le Conseil législatif ou l'organiser de manière à pouvoir le maîtriser au be- soin", écrivait le correspondant ecclésiastique de la Ga/.ette, faisant évidemment allusion au projet de ren- dre le Conseil électif. Et il ajoutait immédiatement: "Ce serait un malheur, une anomalie qui fait peu d'hon-

COURS d'histoire du canada 257

neur aux cerveaux qui l'ont conçue, et le clergé surtout doit faire des vœux pour le maintien de ce corps hono- rable." Il y avait un signe des temps, bien compré- hensible, et qui aurait faire réfléchir M. Papineau et ses amis.

Enfin l'écrit qui nous occupe contenat une phrase encore plus significative. La voici: "Le clergé cana- dien, n'ayant plus rien à espérer de la Chambre d'assem- blée, fera sagement d'en dénouer le fil de ses espéran- ces pour l'attacher à l'exécutif." (1) C'était net et ca- tégorique. Dès 1831, le parti populaire, entraîné par ses chefs dans plusieurs entreprises excessives, était donc menacé de perdre l'appui moral du clergé, qui ne tournerait point le dos à la cause nationale, mais qui demanderait à d'autres influences, à d'autres moyens, à une tactique moins aventureuse, l'amélioration de la situation politique. Tout cela était extrêmement sérieux.

MM. Papineau et Bourdages étaient directement visés dans la lettre de M. Painchaud. C'était évidem- ment d'eux qu'il s'agissait quand l'auteur mentionnait la disparition possible de certains députés, ajoutant qu'on y perdrait peut-être du côté du talent, mais qu'on aurait compensation du côté du caractère, "ce qui pourrait consoler de l'absence de certains hommes qui ont déjà perdu dans l'opinion publique beaucoup plus qu'ils ne pensent, et que leur dernière démarche vient de mettre en évidence."

Nous avons donné une spéciale importance à cet écrit, parce qu'il jette une vive lumière sur la situation et l'état des partis dans notre province bas-canadien- ne en 1831.

Cl)— La Ga/.ette de Québec, 10 décembre 1831; Vie de C.-F. Painchaud, par N.-E. Dionnc, p. 109.

258 COURS d'histoire du canada

Le blll des notables fut soumis au Conseil le 28 décembre. Malgré la gravité de la question, dix mem- bres seulement étaient présents. Sir John Caldvvell proposa que le projet fut imprimé. M. Felton proposa en amendement que la prise en considération du bill fût renvoyée au 1er août suivant. C'était purement et simplement le six months hoist. Sir John Caldwell s'éleva contre cette proposition radicale et cette exécu- tion sommaire. D'après lui, le moins que le Conseil pouvait faire c'était d'attendre l'expression de l'opi- nion publique sur la mesure; on pourrait peut-être mo- difier le projet de manière à rendre justice entière tant au clergé qu'au peuple.

M. Cuthbert se leva pour combattre le bilI. Chose étrange, il était le seul conseiller catholique présent à la séance. L'absence des autres était-elle due à l'éloi- gnement de la capitale, à la négligence ou à la prémédi- tation ? M. Cuthbert traita la question assez lon- guement. "Les mêmes individus, dit-il, qui cher- chaient depuis longtemps à saper la constitution et à introduire des principes démocratiques et républicains levaient à présent la main contre l'auteL Contre leurs réclamations venaient celles de tout le clergé sans une seule exception." L'honorable conseiller terminait en disant qu'il y avait eu certains mécontentements, peut- être dans dix paroisses, et que, pour ces dix paroisses, on voulait introduire une innovation non désirable dans cent cinquante-cinq autres.

Mais ce fut l'honorable J. Sewell, juge en chef de la province, qui porta le coup de mort à la progéniture de M. Bourdaeres. "Le projet, dit-il, substituait à la pratique suivie une absurdité. Comment regarde- rait-on en Angleterre l'appel de la masse de la popula- tion d'une paroisse à la régie d'une somme d'argent

COURS d'histoire du canada 259

donnée à la paroisse ? Le projet faisait venir la popu- lation à délibérer parmi ceux qui la représentaient; sur le même principe, la population de Québec et de Montréal pourrait être introduite dans la Chambre d'Assemblée, quand il s'agirait d'afFaiies elle se trou- vait intéressée. Le projet était contraire au traité de 1763. L'acte de 1774 permettait le libre exercice de la religion catholique. C'était aux cours à se saisir des différences et à déclarer quel était l'usage. En détrui- sant la discipline de l'Eglise, on frappait la religion même." (1) Dans la bouche d'un protestant, dans la bouche du juge Sewell, l'ancien adversaire de Mgr Plessis, ces paroles avaient une giande portée.

La cause du clergé était gagné»-. Le vote sur la proposition de M. Felton le six months boist, fut pris avec ce résultat: Pour, les honorables MM. Sewell, Haie, Cuthbert, Grant, Gugy, Felton, Stewart et Moffat; contre, les honorables sir John Caldwell et Hatt. (2) Le bill des notables était renvoyé aux ca- lendes grecques.

En votant contre cette mesure, le Conseil législa- tif avait probablement été mu à la fois par un principe, par une antipahtie, et par un calcul. Par un principe: corps éminemment conservateur, il devait voir d'un mauvais œil tout mouvement tendant à démocratiser une de nos institutions, quelle qu'elle fût. Par une antipathie: les chefs parlementaires du mouvement, les tenants du bill dans l'Assemblée avaient été surtout MM. Bourdages et Papineau, tous deux dénonciateurs virulents de la chambre haute. Enfin par ur calcul:

(1) Le débat au Conseil législatif se trouve dans le numéro du Canadien du 12 janvier 1832.

(2)— Le Canadien, 31 décembre 1831.

200 COURS d'histoire du canada

en soutenant le cierge contie la Chambre, le conseil accentuait la scission malheureuse qui s'était produite entre ces deux lorces, et affaiblissait conséquemment ses adversaires, les chefs de la majorité dans l'Assem- blée législative.

La question en resta pour le moment. Plus tard nos évéqucs permirent l'admission des paroissiens aux assemblées de fabriques dont l'objet était l'élec- tion des marguilliers et la reddition des comptes. Cette permission date de 1843. La nouvelle coutume qui s'introduisit par suite de ces ordonnances épiscopales fut sanctionnée par un statut, en 1860. Aujourd'hui notre loi dit que les assemblées de fabrique pour l'élec- tion des marguilliers sont convoquées "suivant l'usage de la paroisse", et que "les seules personnes qui ont droit d'}^ voter sont les paroissiens tenant feu et lieu". (Statuts Refondus, art. 4384). Les villes de Montréal et de Québec suivent toujours l'ancien usage. (1)

Ce que le clergé combattait surtout en 1831, t'était la prétention, affiché par les réformateurs, d'introduire une sérieuse innovation dans l'économie interne des fabriques, sans la participation et l'avtu de l'autorité religieuse. Messieurs Papineau et Bourdages auraient comprendre que l'Eglise avait un mot à dire dans une question il s'agissait de l'admmistration des biens ecclésiastiques. C'était le principe gallican de la suprématie du pouvoir civil en cette matière qui soule- vait le clergé.

Ce conflit fut nuisible à plus d'un point de vue. II laissa dans nos rangs des traces profondes. II inspira à une foule de citoyens bien pensants des doutes sé-

(1) Pagnucio, Etudessur de la liberté religieuse en Canada, pp. 200-21G; J.-F. Pouliot, Droit paroissial, pp. 381-83; P.-B. Mignault, Le droit paroissial, p. 243.

I

COURS d'histoire du canada 261

rieux sur la sagesse et la rectitude de jugement de nos chefs parlementaires. Plusieurs de ces derniers s'é- taient montiés sous le jour le plus fâcheux. De réfor- mateurs ils se transformaient en démagogues. On pou- vait dorénavant se demander si le mouvement politi- que dirigé par eux n'allait pas nous conduire à une im- passe dangereuse, à de périlleuses extrémités. Sans doute il y avait dans les rangs du parti populaire des hommes pondérés et clairvoyants, capables de faire un judicieux discernement entre les redressements pos- sibles et les transformations irréalisables, et d'orienter notre barque à travers les écueils vers le port fortuné du self-government. M. Neilson et le groupe qui com- mençait à se rallier autour de lui pouvaient inspirer cet espoir aux bons esprits, aux Canadiens partisans des réformes et ennemis des aventures. Mais réussiraient- ils à refréner les violents et à faire prévaloir chez nous les conseils de la sagesse politique ?

On pouvait se poser cette question à la proroga- tion de la législature, le 25 février 1832. Nous étions parvenus à un tournant de notre lutte constitutionnel- le. Deux routes s'ouvraient devant nos pas. Allions- nous choisir celle de la tactique patiente et sûre ou celle de l'outrance aveugle et inefficace ? Les leçons de l'année prochaine nous apporteront la réponse.

SOURCES ET OUVRAGES A CONSULTER

Garneau, Histoire du Canada, 1882, t. III, liv. XVI,ch.i. Bibaud, Histoire du Canada, t. III, liv. II et V. Perrault, Abrégé de l'histoire du Canada, t. V. Kingsford, History oj Canada, t. IX.

262 COURS d'histoire du canada

Canada and ils Provinces, t. III, ch. ix, t. IV, ch. ii et ill. Sir Erskine May, Tbe Constitutioiml History of England, 1912, t. II,. Alphoiis Todd, On Parliamentary Government in England, t. I, ch. Ht. Locky, History oj England in tbe 18tb Century, t. IV, ch. XV. Bédard, Histoire de cinquante ans. Christie, History of Lower Canada, t. III, ch. xxx, xxxi. Rapport du comité choisi sur le gouvernement civil du Bas-Canada, 182S.— Affaires du pays de- puis 1828, Québec, 1834. Financial difficulties oj Lower Canada, Québec, 1824. Pagnuelo, Etudes historiques et légales sur la liberté religieuse en Canada, Montréal, 1872. Jean-François Pouliot, Le droit paroissial de la province de Québec, 1919. P.-B. Mignault, Le droit paroissial, Montréal, 1883. Journal de la Chambre (TAssemllée du Bas-Canada, 1828, 1829, 1830, 1831, 1831-32.— Journaux du Conseil législatif du Bas-Canada, 1829, 1830, 1831, 1S31-32. —Statuts provinciaux du Bas-Canada, 1829,

1830, 1831.— La Gazette de Québec, 1831. 1832.— Le Canadien,

1831, 1832.— Archives du Canada: Papiers d'Etat du Bas-Canada, Q. 183 à 201.

APPENDICES

I

Observations de MM, L.-J. Papineau et John Neilson sur le projet de réunir les législa- tures DU Haut et du Bas-Canada (1)

Londres, 10 mai 1823. Monsieur,

Conformément à votre désir, nous avons mainte- nant l'honneur de vous soumettre nos observations sur le projet de réunir les Législatures des deux Pro- vinces du Haut et du Bas-Canada, et sur les clauses du Bill qui a été préparé à cet effet, tel qu'il a été amen- dé par un Comité de l'honorable Chambre des Commu- nes et imprimé par son ordre le 31 juillet dernier.

A l'appui de nos observations, nous avons joint une copie du Bill tel que réimprimé dans le Bas-Canada en français et en anglais, et répandu dans cette Pro- vince, avant la signature des requêtes en opposition à cette mesure.

Avant d'entrer en matière, nous avons à nous excu- ser du délai qui a eu lieu, et de ne vous transmettre ces observations qu'après une demande réitérée de votre part.

Le Gouvernement de Sa Majesté ayant, dans la dernière Session du Parlement, consenti à suspendre la mesure projetée pendant un tems suffisant pour don- ner occasion aux Sujets de Sa Majesté dans les Cana- das de faire connaître leurs sentimens à cet égard, et leur opinion ainsi que leurs principales objections à ce Bill étant manifestées dans les documents suivants, maintenant en la possession du Gouvernement de Sa Majesté, savoir:

Premièrement La Requête des habitans du Bas- Canada,

(1) Appendices du Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1825; Appendice K.

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Secondement Celle de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada,

Troisièmement Celle du Conseil Législatif du Bas-Canada;

Nous nous étions flattés qu'il ne serait pas néces- saire de faire part au Gouvernement de Sa Majesté de nos propres observations sur une mesure que les neul- dixicmcs des liabitans et toutes les autorités constitu- tionnelles de la Colonie à laquelle nous appartenons prient si instamment Sa Majesté d'abandonner "comme remplie des plus graves inconvénients." Copies des documents cités plus haut se trouvent dans un Appen- dice sous la lettre (A).

Nous avons aussi l'honneur de vous informer qu'on nous a confié des requêtes de trois Districts entiers du Haut-Canada contre cette mesure, savoir:

Du Home District,

Du District de Newcastle,

Du District de Londres ;

Ainsi que dix autres requêtes de différents Comtés situés dans presque chacun des autres Districts de cette Province, et signées par huit mille quatre-vingt-dix-sept personnes, la plupart électeurs et propriétaires de biens- fonds.

Nous prenons aussi la liberté de remarquer que, quoique l'on ait demandé à la Législature du Haut- Canada de donner son approbation à cette mesure, elle a néanmoins refusé de le faire, en référant aux requêtes des habitans de la Province, dont la majorité est déci- dément opposée à l'Union proposée. On trouvera ci- joint sous la lettre B des copies de cinq de ces requêtes, savoir: de celle du Home-District, du Comté de Kent dans le District de l'Ouest, du Comté de Wentworth dans le District de Gore, et des Comtés de Stormont et de Glengarv dans le District de l'Est, ainsi que des résolutions de l'Assemblée et du Conseil Législatif de cette Province.

Il résulte de ces documents que jamais aucun Bill introduit dans le Parlement, concernant les Colonies, n'a autant que celui-ci rencontré une opposition aussi

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générale de la part de ceux que devaient affecter ses dispositions. La population du Bas-Canada est esti- mée à cinq cent mille âmes, celle du Haut-Canada à cent vingt mille. Le nombre d'hommes de seize à soixante ans dans les deux Provinces est d'environ cent mille, des quels près de soixante-dix mille ont réclamé contre cette mesure sous quelque forme que ce soit. Et si un petit nombre d'individus l'ont appuyée par leurs requêtes, on doit faire attention que personne dans l'une ni l'autre Colonie n'avait jamais, avant que l'on y eût appris que le Bill actuel était sous la consi- dération du Parlement, publiquement sollicité cette mesure, ni découvert les maux qu'ils prétendent exister maintenant, et qui, selon eux, rendent cette mesure nécessaire. Si ce Bill a été en aucune manière approuvé par des personnes désintéressées et sans préjugés, ayant des rapports permanents d'intérêt dans les Colonies, c'est plutôt parce qu'elles le considéraient comme une mesure du Gouvernement, que par son mérite intrin- sèque. L'examen des signatures apposées aux requêtes des deux Provinces prouvera que l'opposition à cette mesure n'est pas particulière à aucune classe des sujets, mais qu'elle s'étend au contraire à toutes les classes, et nous avons l'honneur de vous assurer, tant par nos connaissances personnelles que par des informations certaines que nous avons, que la très-grande partie des pétitionnaires sont des propriétaires indépendants, et qu'ils forment la grande majorité des électeurs légale- ment qualifiés dans les deux Provinces.

Chacun dans les Canadas est prêt à admettre qu'il est essentiel pour la connexion et le bonheur des Do- maines britanniques qu'il existe au centre de l'empire une autorité législative suprême, soumise néanmoins aux restrictions qu'elle s'est elle-même imposées. Les habitants du Bas-Canada ont défendu cette autorité, lorsque toutes les autres Colonies anglaises de l'Améri- que septentrionale se sont révoltées avec succès contre elle. La distance à laquelle les Colonies sont situées les prive de toute participation directe dans la branche représentative de la Législature suprême, et la diffé-

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rence qui existe entre la Grande-Bretagne et les Colo- nies par rapport à l'état des propriétés, de la société et des circonstances locales, fait qu'il est difficile pour une Législature constituée seulement dans la Mère- patrie, à mille lieues de distance, de régler avec avan- tage les affaires intérieures des Colonies. Lorsqu'il s'agit de changer leurs constitutions établies, il ne peut être convenable d'agir contre le gré et les prières sou- mises et unanimes des habitans de tout rang et de toute description d'une colonie loyale.

Du moins, dans des cas semblables, devrait-il être nécessaire, de la part de ceux qui proposent de tels changements, de prouver au Gouvernement et au Parle- ment qu'ils ont des raisons pressantes pour intervenir, fondées sur des inconvénients actuels résultant des constitutions existantes, au lieu d'alléguer les avantages possibles qu'ils se promettent et qu'une funeste expé- rience doit apprendre à regarder comme illusoires. On ne doit sans doute jamais perdre de vue que la sûreté de la personne et des propriétés du sujet, est fondée sur la constitution établie dans chaque pays et que l'idée seule de changements importans et subits dans la constitution, surtout sans la participation, l'aveu ou même la connaissance de ceux que ces changements doivent principalement affecter, porte les plus vives atteintes à leur tranquillité et à leur bien-être.

La mesure proposée par le Bill n'a pour objet rien moins que l'anéantissement de deux incorporations locales établies par acte du Parlement, avec pouvoir de faire des lois suivant les limites qui leur étaient assi- gnées, pour n'en faire à l'avenir qu'une seule incorpo- ration de même nature, dont la sphère comprendra les limites actuellement assignées aux deux autres, tandis que pour tout autre objet du gouvernement, on con- serve les mêmes limites et des intérêts distincts et sépa- rés.

Il est évident et essentiellement utile pour des Législatures locales et subordonnées, que leurs limites ne soient pas trop étendues. En eff^et, la nécessité de leur établissement résulte uniquement des circonstances

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particulières et des besoins du pays pour lequel elles sont constituées; les connaissances locales sont une qualification indispensable des membres qui les com- posent. Les aldermen et les cclievins de Londres ne formeraient probablement pas la meilleure Législature locale possible pour Dublin, et vice versa. Les membres de ces deux Corporations réunies en une seule, assem- blés tantôt à Londres, tantôt à Dublin, ou dans quel- qu'autre lieu intermédiaire, ne pourraient guère faire que du mal, dans leur capacité législative, à moins sans doute qu'ils ne s'entendissent pour rendre illusoire leur nouvel acte d'incorporation, en faisant séparément des lois, les uns pour Londres, les autres pour Dublin.

Les parties habitées du Haut et du Bas-Canada, depuis la Baie des Chaleurs et Gaspé jusqu'au Sault Sainte-Marie, situé entse le lac Supérieur et le lac Huron, s'étendent déjà, du nord-est au sud-ouest à plus de quinze cents milles. Dans cette étendue de pays les communications sont en partie par terre, en partie par eau, soit en bateaux, sur la glace, sur la terre ou sur la neige, suivant les saisons, dont le commencement varie, entre les deux extrémités, de quatre mois dans l'année. La communication entre le Bas-Canada et les districts de Londres et de l'Ouest dans le Haut-Canada est, de fait, plus difficile et moins assurée à certaines époques de l'année qu'entre Montréal et Québec. Les membres des Assemblées dans les Colonies ne peuvent générale- ment retirer de leur situation aucun avantage particu- lier. C'est un fardeau public très-onéreux, et il est bien connu qu'on trouve à peine dans les Colonies de l'Amé- rique du nord un particulier qui ne soit forcé d'exercer son industrie pour le soutien de sa famille. Les membres des Législatures ne peuvent donc remplir leurs devoirs publics que dans l'hiver, temps auquel leursoccupations privées leur donnent quelque relâche. L'hiver commence dans le Haut-Canada et les chemins d'hiver y sont pra- ticables un mois et demi plus tard que dans le Bas- Canada; il y a la même différence pour le commence- ment du printemps et de l'été. Lorsque la neige com- mence à tomber et que les rivières se gèlent l'automne,

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et lors de la fonte des neiges et de la glace le printemps, il y a dans les deux pro\inces un espace d'environ un mois pendant lequel il est prcsqu'impossible de voyager. La différence des saisons, la distance des lieux, les diffi- cultés, les dangers et les frais de voyages au siège des Législatures réunies, dans le seul temps de l'année que le peuple ou ses représentans peu\ent consacrer à leurs affaires publiques, font une masse d'obstacles qui ne leur laisserait qu'un vain simulacre de ce système de GouNcrncmcnt qui a été jusqu'ici suivi dans les Colo- nies anglaises, qui a été solennellement promis aux sujets britanniques qui s'établiraient en Canada, par la pro- clamation de Sa Majesté du sept Octobre mil sept cent soixantc-et-trois, et qu'ils ont toujours cru leur être in\ iolai)lement garanti par un acte solennel du Parle- ment Britannique. Ils trouveraient leur situation d'au- tant plus pénible, que parmi les inconvénients résultant d'un pareil état de choses, ils ne pourraient s'empêcher de remarquer, sur leurs frontières méridionales, les Etats-Unis d'Amérique divisés, dans la même étendue, en sept états et territoires distincts pour la facilité du gouvernement et de la Législation locale.

Ce n'est pas seulement à cause de la distance des lieux et de la différence du climat et des saisons, que la mesure projetée serait subversive des droits et des inté- rêts du sujet dans les Canadas. C'est un fait constant que, non-seulement les lois qui règlent les propriétés et les droits civils dans les deux Provinces, mais encore les coutumes, les habitudes, la religion et même les pré- jugés y diffèrent essentiellement. Les habitans de cha- cune d'elles tiennent fortement à toutes ces choses, dont la jouissance leur est solennellement assurée de la part de la Grande-Bretagne. Le plus sage, le plus désinté- ressé, le plus savant législateur, pourrait à peine amal- gamer leurs codes respectifs sans danger pour les pro- priétés acquises sous ces lois différentes. Tout change- ment aux lois anciennes, toute loi nouvelle aura des rapports avec celles qui sont en force dans l'une ou l'autre Province, et, selon qu'ils affecteront l'un ou l'autre code, seront vus d'un œil jaloux et préjugé, et

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adoptés sans connaissance suffisante par une partie au moins des membres de la Législature. Les Repré- sentants des deux Provinces se trouveraient enfin forcés de faire des lois séparément pour chaque Province res- pectivement. Le gouvernement et les intérêts des deux- Provinces demeurant distincts, et les dépenses des Colonies étant surtout pour des objets locaux, il n'est guère à supposer que les membres de la Législature réunie fussent toujours guidés par des principes de jus- tice et d'équité dans l'assiette ou la distribution des impôts. La population des deux Provinces a malheu- reusement des intérêts différents quant aux impôts. Les habitans du Haut-Canada, vu leur distance de la mer et le défaut d'un marché étranger pour la vente des produitsdeleur agriculture, ont en grande partie cessé d'être consommateurs dea espèces de marchandises sur fesquelles se prélèvent les impôts au port de Québec. Ils ont substitué au rhum lewhiskey deleur propre ma- nufacture; au sel qui venait par le Saint- Laurent, le sel des Etats-Unis ou celui de leurs propres salines; au thé de l'Angleterre celui des Etats-Unis, et les établisse- mens du Haut-Canada n'étant séparés du territoire américain que par des lacs et par une rivière navigable, la contrebande ne peut être réprimée avec succès. Le Haut-Canada est donc intéressé à continuer de préle- ver un impôt sur ces articles, objets de consommation dans le Bas-Canada, et il est naturel que chaque Pro- vince désire s'en approprier la plus grande partie pos- sible. Il est difficile de faire la distribution du revenu colonial pour des objets locaux, dans un territoire même très-limité: comment la Législature coloniale pourroit- elle faire ce partage avec justice, entre deux Provinces distinctes, dont les habitans n'ont rien de commun si ce n'est le titre de sujets anglois.

Voilà, Monsieur, les objections générales contre la mesure projetée: nous allons maintenant examiner en détail l'acte qui doit la mettre à exécution, ayant toujours référence à la copie du Bill ci-jointe.

Clauses 1, 2, 3, 4, 5 et 6.

Nos observations générales s'appliquent aux deux

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premières; nous ajouterons seulement que ce Bill lais- sant les deux Provinces séparées quant au gouvernement et aux limites, telles qu'elles ont été divisées par le 31e Geo. III, il n'en peut résulter aucune réduction dans les dépenses nécessaires du Gouvernement. Les dépenses réelles seraient augmentées par l'accroisse- ment des frais de voyage et de correspondance, pour la transmission des lois, de documents publics, pour faire venir les témoins, etc. Les devoirs de l'Exécutif dans chaque Province, et les départements correspondants en Angleterre, ne seraient aucunement diminués par une simple union législative. Si les institutions et les circonstances locales pouvaient permettre une réunion entière des deux Provinces, elle ne pourrait devenir utile qu'en faisant vaquer les sièges dans le Conseil Législatif et dans l'Assemblée, et en nommant des Con- seillers Législatifs qui pussent remplir leurs fonctions avec assiduité et qui ne fussent pas presque tous choi- sis parmi les membres de l'Exécutif, et parmi les Juges en particulier, dont les devoirs en Canada sont suffisants pour absorber tout leur tems. Par ce moyen, la com- position du Conseil Législatif pourrait devenir plus analogue à celle de la Chambre des Lords en Angle- terre, et dès lors plus en état de s'accorder mieux avec le corps électif. Quand à continuer les pouvoirs des membres de la Chambre d'Assemblée pendant une année au-delà du tems pour lequel il avaient été élus par le peuple, cela sans doute était une erreur: car l'on ne peut supposer que l'on se proposât de consti- tuer des Représentants du peuple du Canada, par acte du Parlement Impérial.

Clauses 7, 8, 9, 10, 11, et 12.

Ces clauses pourvoyaient à la représentation du peuple dans la Législature projetée des Canadas. Lors de l'établissement de la Constitution actuelle de ces Provinces par l'acte de la 31e. Geo. III, chap. 31, on composa l'Assemblée du Bas-Canada de cinquante membres et celle du Haut de quinze. La première de ces Provinces avait alors environ 200,000 habitants, la seconde environ 25,000, ou un huitième de l'autre.

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Ce fut aussi la proportion du Revenu, donnée au Haut- Canada par le premier accord entre les deux Provinces. La représentation du Haut-Canada était alors double de celle du Bas, eu égard à la population. L'acte du Haut-Canada, de la 60e, Geo. IH, confirmé par la septième clause du Bill projeté, a porté le nombre des Représentants de cette Province à quarante, tandis que le Bas-Canada n'en a que cinquante, et que toute tentative pour en augmenter le nombre a jusqu'à pré- sent été infructueuse dans le Bas-Canada. On a pourvu par le même acte du Haut-Canada, et cette disposition est sanctionnée par la clause susdite, à une augmentation régulière et progressive de la repré- sentation de cette Province, proportionnée à sa popu- lation, ce qui bientôt la fera égaler en nombre celle du Bas-Canada, à moins qu'iL ne plaise au Gouverneur d'augmenter celle-ci jusqu'au nombre de soixante mem- bres; et même avec cette augmentation, la représen- tation du Haut-Canada égalerait bientôt celle du Bas- Canada, puisqu'il est réglé par la neuvième clause que le nombre des représentants ne sera pas changé, si une minorité des membres, égale au tiers des mem- bres présents, s'y oppose à la seconde ou troisième lecture du bill. Si lors de l'union entre l'Ecosse et l'Angleterre, ou entre la Grande-Bretagne et l'Irlande, on eût annoncé au peuple anglais que l'Ecosse et l'Irlande, ou toutes deux ensemble, auroient dans Is Chambres des Communes un nombre de membres égal à celui de l'Angleterre, et avec une restriction semblable, il est probable qu'il auroit éprouvé une inquiétude aussi vive que celle causée par ce Bill dans le Bas-Canada. Le Haut-Canada reconnaît, et l'acte de Commerce du Canada, récemment passé, admet que la population de cette Province n'est qu'un cin- quième de celle du Bas-Canada: le nombre d'élec- teurs qualifiés dans les deux Provinces suit à peu près la même proportion, parce que les pères de famille dans l'uneetl'autre Province sont presque tous propriétaires. Si l'on compare la richesse relative des deux Provinces avec la population, l'avantage est en faveur du Bas-

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Canada. Par le Bill en question, on donne à une pro- vince distincte, ayant réellement des intérêts différents, n'ayant que le cinquième de la population de l'autre, pas plus du cinquième d'électeurs, et moins d'un cin- quième des richesses de l'autre, on lui donne un pou- voir égal dans la levée de l'impôt et dans sa distribution pour les dépenses locales. Voilà ce qui paraît à la première inspection de ce Bill et de l'Acte de Commerce; mais, en réalité, la situation du Bas-Canada sous l'opé- ration de ce Bill serait encore pire qu'elle ne le paraît même par ces deux actes. Les dix membres que le Gouverneur est autorisé par la 8e. clause d'ajouter à la représentation du Bas-Canada, peuvent à son choix être ajoutés ou ne l'être pas: s'il les ajoute, il semble que l'on veuille les donner exclusivement aux town- ships situés le long des frontières des Etats-Unis, et formant dans le Bas-Canada une continuation des établissements américains. Ces townships sont encore en partie séparés par des terres incultes des anciens établissements du Bas-Canada le long du St-Laurent. Ils ont peu de rapport et peu d'intérêts communs avec la masse des sujets de Sa Majesté dans le Bas-Canada. On manufacture dans ces townships, ou l'on y reçoit des Etats-Unis, comme dans le Haut-Canada, une partie des articles qui paient un droit d'entrée au port de Québec. Ils ont plus d'affinités avec la population du Haut-Canada qu'avec celle du Bas. Ainsi, si l'on accorde dix membres à ces townships, comme l'Acte n'exige que six townships pour former un comté, qui auront dans cette partie de la Province le droit d'en- voyer un membre, quelle que fût sa population, la re- présentation des deux Provinces pourrait être consi- dérée comme dès à présent égale. Un petit nombre de votes peut donner à la représentation du Haut- Canada le pouvoir d'établir toutes les nouvelles taxes, de manière qu'elles affectassent exclusivement le Bas- Canada, ou de disposer de tout le revenu à l'avantage du Haut-Canada et de ces townships. II est bien probable que les sentimens de libéralité et de justice que l'on reconnaît exister dans la grande majorité des

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habitants du Haut-Canada, et que ce sentiment com- mun d'opposition au Bill actuel, qui unit maintenant les deux Provinces, pourraient empêcher l'excès de l'injustice que semblent devoir produire les dispo- sitions du Bill, mais la possibilité de ce résultat ne saurait justifier le Bill même.

Au surplus ce n'est pas par rapport à leurs propriétés seulement que les habitants du Bas-Canada redoutent la passation de ce Bill. Les Capitulations, le Traité de Cession de 1763, les Actes de la 14e. et 31e. Geo. III., leur ont assuré leurs propriétés, leurs lois civiles, leur religion et des droits et privilèges souvent diffé- rents, et quelquefois opposés à ceux qui ont prévalu ou qui prévalent encore dans les autres colonies anglaises. La Constitution actuelle leur assure la jouissance pleine et entière de tous ces droits, sans aucune diminution ni altération, à moins que la majorité des électeurs qua- lifiés dans toute la Province ne consente à les changer par le moyen des représentants choisis par eux. Le Bill projeté, en faisant entrer dans la Législature les re- présentants d'un pays accoutumé à un ordre de choses différent, préjugés peut-être contre l'ordre établi dans le Bas-Canada, et en donnant à cette popu- lation qui n'est que le quart ou le cinquième de l'autre en fait de nombre, de propriétés et d'électeurs, une majorité ou tout au moins une égalité de votes dans la seule branche de la Législature coloniale dans laquelle le peuple du Bas-Canada ait une participation directe, met certainement en péril ces droits de propriété, ces lois et privilèges particuliers dont nous avons parlé plus haut. Car qu'on ait établi quelques restrictions dans certains cas, contre l'infraction de ces droits ainsi garantis, ils n'ont pas néanmoins tous le même degré de protection. Les habitants du Bas-Canada trouveraient très-difficile de réclamer avec succès ces privilèges particuliers, quand la Législature colo- niale les aurait une fois envahis. Leurs propriétés et leurs personnes pourraient être pendant un certain temps à la merci de la minorité d'une population, pré- jugée et intéressée, ayant le pouvoir de la majorité dans

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l'Assemblée représentative, et l'appui de toute l'auto- rité législative, executive et judiciaire. Clauses 13, 14 et 15.

Ces clauses sont surtout remarquables par la quali- fication de cinq cents livres de propriétés foncières, qu'elles exigent pour les membres de l'Assemblée; la constitution actuelle n'en requérant aucune. Les pétitionnaires tant pour que contre ce Bill, dans le Haut-Canada, ont objecté à cette qualification, comme étant trop forte. II n'en est pas question dans les requêtes en opposition dans le Bas-Canada, il n'a jamais existé aucune qualification quant à la propriété. Dans le fait il y a rarement eu dans l'Assemblée du Bas- Canada un membre qui ne fût qualifié, et au delà, de la manière requise d'après ces clauses. Les membres n'étant pas payés, et déboursant l'un dans l'autre de trente à cinquante livres pendant chaque session, et généralement sans l'espoir le plus éloigné d'en retirer aucun avantage personnel, aucun individu, s'il n'avait plus de cinq cents livres de biens-fonds, ne voudrait de cet emploi, ou s'il le voulait, ne trouverait les élec- teurs disposés à le nommer. Ces clauses sont indiffé- rentes en elles-mêmes, à moins qu'elles ne comportent censure injuste contre les électeurs. Au surplus ces détails devraient être laissés à la Législature coloniale, comme par l'acte de la trente-unième George III. Clause 16.

Cette clause autorisant le Gouverneur à nommer des Conseillers Exécutifs qui auraient droit de siéger et discuter, mais non de voter dans l'Assemblée, a excité de tous côtés de vives réclamations dans le Haut- Canada. Elle a été regardée dans le Bas-Canada comme une déviation singulière de la constitution anglaise, dans ses principes et dans la pratique, ou comme contenant une opinion injuste du peuple, ou une censure du gouvernement colonial et de ses officiers. Il n'y a rien qui empêche les Conseillers Exécutifs d'être élus dans l'une ou l'autre Province, comme membres de l'Assemblée, à moins que les me- sures de l'administration coloniale ou la conduite de

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ses employés ne fussent telles, qu'elles les rendissent particulièrement désagréables aux électeurs. Clauses 17 et 18.

On a pensé que le siège de la Législature devait être fixé, et la notificalion suffisante mieux définie. Le Gouverneur, voyant l'étendue des deux provinces et la difficulté des communications, pourrait abuser de cette prérogative, qui lui est accordée conformément à l'usage suivi en Angleterre, en assemblant la Légis- lature dans un endroit peu de membres pourraient se rendre. Mais ce n'est pas l'abus de pouvoir dans les actes émanants directement du Gouverneur, qui est le plus à craindre dans les colonies. La 19e. clause, étendant la durée du parlement une année au delà du temps maintenant fixé par la loi, a été réprouvée de tout côté, comme une violation de la constitution actu- elle des Canadas, et une tentative contre les fran- chises reconnues du peuple. Clauses 19, 20, 21 et 22.

Ces clauses paraissent être purement de forme et analogues à la constitution actuelle. Clause 23.

Cette clause est une tentative directe pour détruire un des privilèges les plus essentiels réclamés et exercés par toutes les Assemblées coloniales et constamment admis par la Couronne. Le droit d'emprisonner pour mépris a toujours été regardé par ces corps, ainsi que par les cours et les magistrats, comme indispensable à l'exercice de leurs fonctions, et ne peut, comme le veut cette clause, être objet de législation entre des autorités coordonnées.

Clauses 24 et 25.

Ces clauses ont été vues de très-mauvais œil dans le Bas-Canada. Il est embarrassant d'avoir deux langues en usage à la fois: dans bien des cas pourtant cela est inévitable. Il en était ainsi en Angleterre après la conquête par les Normands, et l'acte impru- dent qui dans ces temps barbares proscrivit l'usage de la langue saxonne eut le sort qu'ils méritait. Dans un état composé de peuples de langues différentes,

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mais ayant des rapports fréquents, la langue de la majorité l'emporte à la fin, et la langue anglaise de- viendra sans doute la langue dominante dans l'Amé- rique du nord avec ou sans le tecours d'aucune loi. Il n'y a peut-être pas dix membres de la Chambre actuelle d'assemblée dans le Bas-Canada qui n'enten- dent pas l'anglais; plusieurs le parlent avec facilité. Il n'y a pas un homme de quelque rang et de quelque fortune dans la colonie qui ne fasse apprendre l'anglais à ses enfants. C'est ainsi que les peuples changent avec le temps et les circonstances. Mais la langue d'une mère, d'un père, de la famille, de ses amis, de ses premiers souvenirs, est chère à tout le monde; et cette interférence inutile dans la lanp;ue du peuple du Canada a été vivement sentie dans un pays cette langue a été, sans contredit, une des causes qui ont le plus contribué à conserver cette colonie à la Grande- Bretagne à l'époque de la rébellion des Américains. La 25e clause, vu son rapport avec la précédente, a, peut-être, été mal entendue; elle a été considérée comme une attaque indirecte contre les libertés dont les catho- liques-romains ont joui jusqu'ici sous le gouvernement anglais en Canada, et qui leur sont garanties par les capitulations, par le traité de cession, par des actes du parlement, et par la pratique libérale du gouvernement britannique. L'évêque à la tête de l'église romaine en Canada est approuvé par la couronne avant de rece- voir l'institution canonique du pape. L'état est donc ainsi prémuni contre le danger qui pourrait résul- ter (si l'on pouvait dans les temps actuels en craindre aucun) de la nomination d'une personne qui ne con- viendrait pas comme chef de cette église dans la colo- nie. Sans avoir un contrôle plus étendu, le gouver- nement a trouvé en toute occasion le clergé romain dé- voué à l'union de ces provinces à l'empire britannique, et exerçant toute son influence pour la conserver. L'é- vêque et tous ses prédécesseurs ont uniformément nom- mé et démis les curés. Le roi de France, par son ordre en conseil en date du vingt-sept mai mil six cent quatre- vingt-dix-neuf, déclare que les évêques de Québec

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sont revêtus de ce droit, qu'il nomme expressément leur droit naturel. La règle générale, suivant Blacktsone, est que "c'est à l'évêque qu'il appartient de conférer "tous les bénéfices ecclésiastiques dans son diocèse." "Il faut toujours observer comme une règle constante "que l'évêque est le collateur ordinaire de tous les béné- "fices de son diocèse, à moins qu'on n'établisse le con- "traire, ou par des titres précis, ou par une possession "constante qui fait présumer ce titre." D'Héricourt, Lois ecc siastiques, . e. part., ch. 5.

Par la clause actuelle il paroîtrait que ce' droit exis- tant et exercé en Canada jusqu'à ce jour ne sera plus considéré comme valable, mais qu'au lieu de laisser comme ci-devant la collation des bénéfices à l'ordinaire, il faudra préalablement obtenir le consentement par écrit du gouverneur. On doit en inférer que les curés, nommés concurremment par le gouverneur et l'évêque, ne seront plus révocables par l'autorité séparée de ce dernier comme ci-devant, ce qui ôte à l'évêque (qui lui-même est approuvé et pensionné par la couronne) tout contrôle «ur son clergé. Une manière de procéder si différente de l'usage constant de la colonie ne peut guère manquer de nuire à la discipline de l'église catholique-romaine en Canada. Si le gouverneur et révêque différaient d'opinion, cela pourrait mettre le curé en état d'exiger et de recevoir la dîme de ses paroissiens, même après avoir été, sur leur requête, interdit par l'évêque et rendu incapable de remplir les devoirs religieux en considération desquels il a droit à la dîme. Une clause qui est censée devoir produire un tel résultat, n'a pu manquer de causer de l'inquiétude en Canada, et, si elle était jamais en exécution, elle ferait indubitablement naître ces malheureuses diffi- cultés entre catholiques et protestants qui ont agité d'autres pays, et dont le Canada a toujours été heu- reusement exempt, sous le gouvernement bienfaisant et éclairé de Sa Majesté. Si l'usage jusqu'ici paisible- ment et heureusement suivi était supposé mal fondé en loi, cette prétention devrait être la matière d'un ju-

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gement des cours de justice, et non d'un acte du par- lement.

Clauses 26, 27 et 28.

La dernière de ces clauses demande seule quelques observations. La continuation des salaires des offi- ciers des Lép"islatures, à être pris sans doute sur les fonds des colonies, prescrite par cette clause, quelque juste quelle puisse être par rapport à ces officiers, devrait être laissée à la Législature coloniale. Cela ressemble à une appropriation, par le parlement impérial, du revenu prélevé sur le sujet dans les colonies, en oppo- sition à l'acte déclaratoire de la 18e. Geo. III, confirmé par la constitution actuelle des Canadas; et c'est parce que cet acte déclaratoire est considéré comme le palla- dium de la sûreté des propriétés du sujet dans les colo- nies, et de tous ses autres droits, que de toutes parts on a fait entendre des réclamations contre cette clause.

Les objections générales contre ce bill, telles que nous les avons déduites, peuvent être présentées sous les ch<^fs suivants, savoir:

lo. La satisfaction avec laquelle chaque province jonit de la constitution actuelle, satisfaction démontrée par le défaut de toute plainte publique contre elle, aussi bien que de tout allégué d'inconvénients qui pourraient en résulter, avant que l'on apprît dans les colonies la nouvelle de l'introdi'ction du bill actuel dans le par- lement.

2o. Le défaut de preuve de l'existence d'aucun in- convénient grave résultant de la constitution établie.

3o. Le danger qui existe en général de faire des chan- gements dans une constitution établie, surtout lorsque la législature est dans l'impossibilité de connaître les circonstances locales des pays que ces changements doivent affecter.

4o. La répugnance manifestée par les habitants des deux provinces.

5o. L'impossibilité d'obtenirlebut de l'établissement d'une législature locale et subordonnée dans un pays nouveau et d'une si grande étendue, si différent dans

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son climat, dans ses besoins, et sous tant d'autres rapports.

60. Les différences entre les codes de lois, les cou- tumes et usages locaux, établis depuis longtemps, et l'opposition des intérêts des deux provinces.

Les clauses statuantes du bill, selon nous, sont sujettes aux objections suivantes:

lo. Elles ne tendent pas à diminuer les dépenses dans les colonies, ni à remédier aux abus, ni à rendre le gouvernement plus simple et plus facile.

2o. Elles mettent en péril ou détruisent les justes droits qu'ont les sujets de Sa Majesté dans le Bas- Canada, par la constitution actuelle, de n'être pas taxés, et de ne pas voir les impôts levés sur eux distri- bués, sans leur consentement par le moyen de leurs représentants.

3. Elles attaquent le 'droit, dont ils jouissent sous la garantie la plus solennelle, de conserver les lois et les institutions existantes, à moins qu'ils ne consentent à les altérer par leurs représentans.

4o. Elles imposent des qualifications inutiles aux personnes qui seront élues à l'avenir pour servir dans les assemblées, et prolongent la durée des législatures coloniales au delà du temps fixé maintenant par la loi.

5o. Elles introduisent parmi les représentants du peuple, sans l'aveu des électeurs, des officiers de l'exé- cutif, ce qui est sans précédent dans les domaines bri- tanniques.

60. Elles détruisent un privilège reconnu dans toutes les assemblées coloniales, sans lequel elles ne peuvent exister indépendamment des autres autorités.

7o. Elles proscrivent la langue de la grande majo- rité du peuple dans l'assemblée de ses représentans, et mettent en question un privilège lié à la religion, exercé utilement, paisiblement et sans interruption sous le gouvernement de sa Majesté, pendant plus d'un demi-siècle.

80. Finalement, elles sanctionnent l'appropriation de l'impôt levé sur le sujet dans les colonies sans le consentement de ses représentants.

280 couKS d'histoire du canada

En référant aux débats pendant que ce Bill et celui du Commerce du Canada étaient en agitation devant la Chambre des Communes, nous ne trouvons aucuns motifs allégués pour l'introduction du Bill actuel après la passation de l'autre, qui contient les arrange- ments relatifs aux difficultés qui existaient entre les deux Provinces; et l'existence de la Constitution actuelle des deux Provinces pendant près de trente ans, sans qu'il se soit élevé aucune difficulté par rapport au com- merce ou au revenu, est la meilleure preuve que ces difficultés n'étaient pas une suite nécessaire de la divi- sion de l'ancienne Province de Québec. Il n'est ni nécessaire ni praticable que les habitants de pays différents, situés près de grandes rivières formant leur sortie naturelle et commune vers la mer, soient réunis sous le même gouvernement. L'Europe nous montre plusieurs pays ainsi situés, même sous desgouver- nements indépendants, dans lesquels il n'y a jamais eu de malentendu par rapport au commerce et au revenu. On voit dans les Etats-Unis un grand nombre de gouver- nements locaux n'ayant aucune communication à la mer, si ce n'est à travers d'autres états. S'il étoit in- dispensable que des pays ainsi situés fussent placés sous une législature locale unique, les Etats-Unis d'Amé- rique auraient la meilleure raison possible d'annexer les Canadas à ces Etats, qui ont maintenant sur les bords du Saint-Laurent une population plus considé- rable que celle de toute l'Amérique anglaise. La Constitution actuelle des Canadas a néanmoins pourvu à l'arrangement des difficultés qui pourraient s'élever entre les deux Provinces par rapport au commerce et au revenu. Les deux Pro^'inces peuvent regretter peut-être que les plaintes récentes du Haut-Canada n'aient pas été communiquées à la législature du Bas- Canada, et que cette Province n'ait pas eu, comme le Haut-Canada, un commissaire en Angleterre pour soutenir ses droits, avant qu'on eût décidé sur ces plaintes. Maintenant la chose est décidée, et la loi en opération, et nous n'avons pas appris qu'il existât aucune représentation de la paît des autorités consti-

COURS d'histoire du canada 281

tutionnelles de l'une ou de l'autre Province à ce sujet. Tout ce qui a rapport au partage du revenu entre les deux Provinces est maintenant placé entre les mains de l'Exécutif des Colonies et du Gouvernement de Sa Majesté en Angleterre, et ce doit être au moins un sujet de congratulation réciproque pourles habitants des deux provinces, de voir cela entre les mains de personnes qui n'ont aucun intérêt à diviser d'une manière injuste le produit des taxes, et que l'on a mis de côté de cette manière un moyen puissant d'exciter des difficultés entre ceux dont l'intérêt le plus cher est d'être en bonne intelligence.

Nous avons, il est vrai, entendu alléguer dans les colonies des motifs de changements dans la consti- tution du Bas-Canada; mais comme ils sont frappés au coin de l'esprit de parti, des préjugés et même de la haine contre les habitans de cette province, on ne peut jamais croire qu'ils aient aucun poids auprès du gouver- nement britannique. On en a appelé au droit de con- quête, contre un peuple dont les deux dernières géné- rations sont nées sujets britanniques; on a supposé attachés à un peuple et à un gouvernement étrangers ceux qui, deux fois, ont risqué leurs fortunes et leurs vies pour conserver l'allégeance qu'ils doivent à la cou- ronne britannique; ni les calomnies, ni les faussetés n'ont été épargnées contre des hommes qui ont uni- formément suivi le sentier de l'honneur et du devoir, et qui, si les liens qui les unissent à l'empire britannique étaient malheureusement rompus, ne pourraient man- quer de sentir que, nés et habitant dans l'Amérique du nord, ils en suivraient les destinées.

Nous regrettons d'être dans la nécessité de requérir votre indulgence pour une aussi longue lettre. Nous avons abordé cette question avec répugnance; mais l'ayant entrepris, nous devions, pour rencontrer vos vues, le faire complètement et librement.

Nous Sommes assurés que le gouvernement de sa Majesté donnera la plus sérieuse attention à un objet si intimement lié avec les intérêts, le repos, et le bien- être futur de plus d'un million de sujets anglais, habi-

282 COURS d'histoire du canada

tants des colonies de l'Amérique du nord. II ne nous appartient pas de peser et discuter les intérêts de ce grand et glorieux empire. Le Canada a toujours eu le bonheur d'éprouver par lui-même que l'Angleterre a constamment mis au rang de ses intérêts les plus chers le soin de conserver les droits et de faire le bon- heur de tous les sujets de sa Majesté.

Si le gouvernement de sa Majesté jugeait conve- nable, à quelque époque plus reculée, de soutenir ce bill, nous demandons avec respect:

lo. Qu'il soit donné instruction aux gouverneurs des deux provinces de recommander aux législatures res- pectives et de sanctionner une loi en vertu de laquelle on ferait un recensement exact et sous serment de la po- pulation des cités, villes, villages, townships, paroisses, comtés, divisions et districts dans chaque province, le- quel serait transmis en Angleterre avant de procéder de nouveau sur une semblable mesure.

2o. Que le gouverneur du Bas-Canada reçoive ins- truction de recommander à la législature et de sanc- tionner une loi pour nommer un ou plusieurs commis- saires qui se rendraient en Angleterre pour y être en- tendus au Soutien de la constitution actuelle de la province

Nous suggérons qu'il est indispensable aux fins de la justice de donner de semblables instructions, vu que des bills pour promouvoir ces objets ont été depuis plusieurs années constamment opposés par les conseils provinciaux de la couronne.

Nous avons l'honneur d'être, Monsieur, Vos très humbles et obéissants serviteurs,

L.-J. PAPINEAU. (Signé) JOHN NEILSON.

R. Wilmot, écuyer, M. P. sous-secrétaire d'état au département des colonies.

COURS d'histoire du canada 283

II

Rapport du Comité Choisi pour S'enquérir de l'Etat du Gouvernement civil du Canada. (1)

Votre comité a commencé son investigation sur l'état du gouvernement civil du Canada, par examiner les diverses pétitions des habitants des deux provinces, qui lui avaient été référées par la chambre. La pétition des Townships de la province inférieure, portant environ 10,000 signatures, se plaint du manque de cours dans leurs propres limites, et de l'administration des lois françaises dans les lois françaises. Qu'ils ne sont pas représentées dans la. Chambre d'Assemblée du Bas-Canada; et que des émigrés d'extraction anglaise ont été détournés de s'établir dans la province. Et finalenient ils demandent une union législative entre le Haut et le Bas-Canada.

Votre comité ensuite a examiné la pétition signée par environ 87,000 habitants du Bas-Canada, établis sur les seigneuries, qui se plaignent de la conduite arbitraire du gouverneur de la province— de l'appropriation illégale qu'il a faite de l'argent public de prorogations et dis- solutions violentes du parlement provincial et des obs- tacles qu'il a mis à la passation de plusieurs actes utiles, dont ils font l'énumération.

Ils se plaignent aussi de ce qu'un receveur-général a été maintenu dans l'exercice de ses fonctions, pen- dant plusieurs années après que son insolvabilité avait été connu au gouvernement. Qu'il avait existé de semblables abus à l'égard de la charge du shérif, et il est de plus avancé que les droits des pétition- naires ont été injuriés (2) par quelques actes du parle-

(1) Québec: réimprimé par ordre de la Chambre d'As- semblée du Bas-Canada, chez Neilson et Cowan, 1828.

(2) Signalons, une fois en passant, la fâcheuse incorrection de cette traduction. Ici on met "injuriés" pour "lésés". Nos lecteurs ont remarquer que toutes les citations de

284 COURS d'histoire du canada

ment impérial, surtout par l'acte de commerce du Canada et l'acte passe dans la sixième année du règne de Sa Majesté, chap. 59, qui affecte la tenuredes terres.

Pour plus amples connaissances des griefs dont on se plaint, votre comité prend la liberté de renvoyer aux pétitions qui se trouvent dans l'Appendice.

Avant que votre comité en vienne à expliquer ou discuter ces sujets importants, il croit devoir dire que les pétitions du Haut-Canada furent aussi référées à sa considération. Ces pétitions demandent, que les produits de la vente de certaines terres, réservées pour un clergé protestant, ne soient pas appliquées à l'usage exclusif du clergé de l'église d'Angleterre, (dont les membres répandus par toute la province seraient, en contradiction aux représentations de l'ar- chidiacre Strachan, en bien petit nombre comparati- vement aux autres églises,) mais qu'ils soient appli- qués au maintien du clergé protestant d'autres dénomi- nations, et à l'éducation générale.

Comme ces pétitions paraissent comprendre les principaux sujets de l'agitation récente des provinces du Haut et du Bas-Canada, votre comité a cru que la meilleure marche qu'il avait à suivre était d'examiner des témoins à l'égard de chaque pétition successivement, et en communiquant à la chambre les informations qu'il a recueillies, et les opinions qu'il a été induit à former, à l'égard du gouvernement civil du Canada, il traitera les différents sujets, autant que possible, dans l'ordre qu'il les a examinés.

Votre comité a examiné le système particulier de loi établi dans le Bas-Canada, et sur lequel la pétition des Townships a particulièrement porté son attention. Votre comité est entré dans un examen très détaillé sur ce sujet, et il en est venu à trouver qu'il existe de- puis longtemps de l'incertitude sur des points de loi relatifs à la tenure de la propriété foncière en cette partie de la province. Il paraît que peu de temps après

textes traduits de l'anglais en français laissent beaucoup à désirer. Nous avons les reproduire tels qu'on les trouve dans les documents officiels.

COURS d'histoire du canada 285

la cession de la province, le roi d'Angleterre, dans une proclamation en date du 7 octobre 1763, (qui se trouve dans l'Appendice), déclara entre autres choses, "que tous les habitans de la province et tous ceux qui iraient s'y établir, pouvaient se reposer sur la protection royale pour la jouissance des avantages des lois d'Angleterre," et il annonça qu'il avait donné des ordres pour l'érec- tion de cours de judicature, avec appel à Sa Majesté en conseil.

En l'année 1774, fut passé le premier acte du par- lement, pour pourvoir au meilleur gouvernement de cette partie des possessions britanniques. Cet acte conserva la loi criminelle d'Angleterre. Mais il fut statué, que dans toutes les matières relatives à la pro- priété et aux droits civils, on recourrait aux lois du Canada, comme règle de décision à l'égard d'iceux, et que toutes les causes qui seraient instituées dans aucune cour de justice à être établie en la province seraient, à l'égard de la propriété et de ces droits, déter- minées conformément aux dites lois et coutume du Canada. II y a cependant une exception à cette concession des lois françaises, c'est "qu'elles n'auraient pas d'application aux terres qui avaient été, ou qui seraient depuis concédées en franc et commun soccage".

Après un intervalle de dix-sept ans, cet acte fut suivi de l'acte constitutionnel de 1791. Les disposi- tions de cetacteimportantnetouchentausujetsouscon- sidération qu'en ce qu'il pourvoit, à l'égard du Bas- Canada, à ce qu'on concédera des terres en franc et com- mun soccage, si on le désire. Et de plus, que telles concessions seraient sujettes aux changements que, d'après la nature et les conséquences de la tenure soccagère, pourra faire la législature provinciale, avec l'approbation et le consentement de Sa Majesté; mais on n'a fait aucun de ces changements.

Après avoir examiné la manière dont on a appliqué ces dispositions législatives dans la province, il paraît qu'il a existé non-seulement des doutes sur la vraie manière de les interpréter mais qu'il a été de pratique générale dans la colonie de transporter la propriété ré-

286 COURS d'histoire du canada

elle dans les townships d'après les formes canadiennes; et qu'elle a descendu aux héritiers selon cette loi, dont elle a subi tous les incidents. En 1826, le parlement britannique passa un acte qui mettait sa propre inter- prétation de ces statuts hors de dispute. Cet acte, communément appelé l'acte de tenure du Canada, déclara que la loi anglaise était la règle par laquelle on devait ci-après régler et administrer la propriété réelle dans les townships. En offrant aucunes recom- mandations sur des points si difficiles et si importants, votre comité connaît pleinement sa position désavan- tageuse et l'incapacité il se trouve, par le manque d'informations techniques et locales suffisantes, pour entrer avec succès dans tous les détails cempliqués du sujet en question. Cela ne l'empêchera pas cependant d'offrir, comme son opinion, qu'il serait avantageux de retenir les dispositions déclaratoires des actesde tenures à l'égard des terres tenues en franc et commun socca- ge; que les hypothèques soient spéciales et que dans le mode de transport des terres, on adopte les formalités les plus simples et les moins dispendieuses, d'après les principes de la loi d'Angleterre; le mode existant dans le Haut-Canada, étant probablement sous tous les rapports, le meilleur qu'on pût choisir; qu'on établisse comme dans le Haut-Canada, l'enregistrement des contrats relatifs aux terres soccagères.

Votre comité est de plus d'opinion qu'il faudrait trouver des moyens pour mettre en opération effective la clause de l'acte de tenure qui pourvoit au changement de tenure; et il n'a aucun doute de l'inexpédience de retenir les droits seigneuriaux de la couronne, dans la vue d'en retirer du profit. Ce serait un petit sacri- fice de la part de la couronne, et qui ne pourrait souf- frir comparaison avec l'avantage qui résulterait à la colonie d'une pareille concession.

En addition à ce qui précède, il paraît à désirer d'étal)lir une juridiction compétente pour entendre et décider les causes qui s'élèveront sur cette espèce de propriété; et de former dans les townships des cours de circuit pour les mêmes objets.

COURS d'histoire du CANADA 287

Le comité ne peut trop fortement exprimer l'opinion il est que les Canadiens d'extraction française ne soient, le moins du monde, troublé dans la jouissance paisible de leur religion, de leurs lois et privilèges, tels qu'ils sont garantis par les actes du parlement britan- nique, et bien loin d'exiger d'eux qu'ils tiennent leurs terres d'après la tenure anglaise, il est d'avis que lorsque les terres en seigneurerie seront occupées, si les des- cendants des premiers colons préfèrent encore la tenure en fief et seigneurie, il ne voit aucune objection à ce . qu'on leur accorde, en cette dernière tenure, d'autres portions de terres inhabitées dans la province, pourvu que ces terres soient séparées des townships, et n'y soient pas enclavées.

Votre comité désire en venir maintenant au système représentatif du Bas-Canada, et à l'égard de cette bran- che de son enquête, tous les partis semblent convenir de la nécessité de quelques changements. Il désire faire ressouvenir cette chambre que par les dispositions de l'acte de 1791, la division de la province pour faciliter l'exercise de la franchise élective fut laissée au gouver- neur; et il paraît que sir A. Clarke régla la représenta- tion sur la population, comme la seule base de ses calculs, et forma un comté de toute portion de terre qui offrait un nombre donné d'habitants. Sur le lit- toral du Saint-Laurent chargé d'une population dense, une petite étendue de terrain suffisait pour un comté, tandis que dans les parties plus éloignées il fallait une vaste étendue de territoire, pour obtenir la popu- lation requise. De cette manière il est arrivé que les comtés de Kent, Surre\^, Montréal, Leinster et War- wick, ne forment pas réunis la même étendue de ter- rain que le seul comté de Buckinghamshire. De plus le petits comtés consistent entièrement en terres tenues en seigneurie.

L'assemblée avait passé un bill, dont l'objet était d'augmenter en nombre l'assemblée représentative. Ce bill ne fut pas passé en loi, et il paraît avoir été basé sur le même principe, et renfermait la même erreur que l'arrangement originaire de sir Alured

19

288 COURS d'histoire du canada

Clarkc. Il a été déposé par un des témoins que la division proposée aurait donné une augmentation disproportionnée aux représentans des seigneuries.

En formant un système représentatif pour les habi- tants d'un pays, qui embrasse graduellement dans ses limites des territoires nouvellement habités et étendus, 11 doit nécessairement résulter de grandes imperfec- tions, si l'on prend d'abord la population comme base unique. Dans le Haut-Canada on a élevé un système représentatif sur les bases combinées du territoire et de la population nous pensons qu'on pourrait adopter ce principe avec avantage dans le Bas-Canada.

Un des obstacles qu'on donne pour arrêter grande- ment l'avancement du pays, c'est la pratique qui a prévalu de concéder de grandes étendues de terre à des individus qui tenaient des situations ofFicielIes dans la colonie, et qui se sont soustraits aux conditions de l'octroi, qui les obligeaient de pourvoir à la culture des terres; conditions jusqu'à présent tout-à-fait négli- gées, malgré le pouvoir de confiscation en ce cas dont a été récemment revêtu le gouvernement; et tout en croyant qu'on pourrait, avec certaines modifications, faire un usage avantageux de ce pouvoir, nous sommes néanmoins d'avis qu'on devrait adopter un système semblable à celui qu'on suit dans le Haut-Canada, et qui consiste à prélever annuellement un droit léger sur toutes les terres non améliorées ni habitées, en contra- vention aux conditions de l'octroi.

Il est maintenant du devoir de votre comité d'en venir aux pétitions signées par les habitans des sei- gneuries, et aux objets Importans qu'elles renferment. Il a cru à propos d'entendre M. Nellson, M. Vlger et M. Cuvillier, membres de l'assemblée du Bas-Canada, qui avalent été envoyés en ce pays pour chercher le remède aux maux dont se plaignaient les pétition- naires.

Par le témoignages de ces Messieurs, nous avons appris avec le plus profond regret que les disputes qui s'étaient élevées entre le gouvernement et la chambre d'assemblée, originant, à ce qu'il parait,

COURS d'histoire du canada 289

de doutes sur le droit d'appropriation et la reddition des comptes d'une portion considérable des revenus publics, ont conduit l'administration des affaires pu- bl ques en cette colonie à un état de confusion et de dilFiculté qui demande un remède prompt et décisif.

Dans la vue de se mettre complètement au fait des points de cette dispute, votre comité a soigneusement examiné les différentes sources du revenu prélevé dans le Bas-Canada, et il a examiné aussi les documents publics, ce qui l'a mis en état de découvrir les procédés successifs adoptés par les parties contendantes dans le cours de ces disputes. Votre comité prend la liberté de référer aux témoignages de M. Neilson et de M. Wilmot Horton, pour l'état détaillé de l'origine et des progrès de ces difficultés.

Sur cet important sujet, votre comité a senti qu'il ne serait pas sage de borner sa vue à l'examen critique du sens précis que comportent les paroles des différents statuts- il jette plutôt les yeux sur les circonstances se trouve le Bas-Canada— sur l'esprit de la constitu- tion— sur la position et la nature du gouvernement local et sur les pouvoirs, les privilèges et les devoirs des deux branches de la législature.

Bien que d'après l'opinion donnée par les officiers de la couronne, votre comité doive conclure que le droit légal d'approprier les revenus provenant de l'acte 1774 appartient à la couronne, il est préparé à dire que les vrais intérêts des provinces seraient mieux con- sultés, en plaçant la recette et la dépense de tout le revenu public sous la surveillance et le contrôle de la chambre.

D'un autre côté, tout en recommandant cette con- cession de la part de la couronne, votre comité est for- tement convaincu de l'avantage de rendre le gouver- neur, les membres du conseil exécutif et les juges, indépendants des votes annuels de la chambre d'as- semblée, pour leurs salaires respectifs.

Votre comité n'ignore pas les objections qu'on peut raisonnablement faire, en principe, contre la pratique de voter des salaires permanents à des juges amovibles

2t)0 COURS D HISTOIRE DU CANADA

au bon plaisir de la couronne; mais convaincu qu'il serait inexpédient que la couronne fut dépouillée de ce pouvoir de destitution, et ayant bien considéré l'inconvénient public qui pourrait résulter de les laisser dans la dépendance d'un vote annuel de l'assem- blée, il s'est décidé à recommander en leur faveur un vote permanent.

Quoique votre comité connaisse qu'on ait recomman- dé l'octroi de salaires permanents à un nombre de per- sonnes, liées au gouvernement exécutif, plus considé- rable que celuiqu'il a renfermé dans sa recommandation, il n'hésite pas d'avancer qu'il n'est pas nécessaire d'en comprendre un si grand nombre, et si les officiers ci-dessus énumérés sont placés sur le pied recomman- dé, il est d'opinion que tous les revenus de la province, (les revenus territoriaux et héréditaires exceptés,) soient mis sous le contrôle et à la disposition de l'As- semblée législative.

Votre comité ne peut terminer ses observations sur cette branche de son enquête, sans appeler l'atten- tion de la chambre à la circonstance importante que, dans le progrès de ces disputes, le gouvernement local a cru nécessaire, pendant un bon nombre d'années, d'avoir recours à une mesure que la plus absolue né- cessité pouvait seule justifier, savoir l'appropriation annuelle, faite de son autorité privée, de sommes con- sidérables de deniers de la province se montant à une somme de pas moins de £140,000 sans le consente- ment des représentans du peuple, sous le contrôle desquels la constitution a placé l'appropriation de cet argent.

Votre comité ne peut s'empêcher de regretter for- tement, que, dans une colonie anglaise, on ait laissé subsister un tel état de choses, pendant un si grand nombre d'années, sans faire au parlement aucune communication à ce sujet.

Votre comité a entendu des témoins sur tous les différents points des objets de sa référence, et relatifs à l'office du receveur général, des shérifs, et aux biens des jésuites. Les faits de l'affaire du receveur général

COURS d'histoire du canada 291

M. Caldwell, sont détaillés dans le témoignage de M. Neilson.— M. Caldwell a failli en 1823 pour £96,000 de l'argent public de la province. D'après notre exa- men des comptes de l'assemblée, on n'a pu trouver de décharge du trésor plus récente que 1814 quoiqu'il soit établi quelques balances jusqu'en 1819, et il appert par des documents alors produits que son insolvabilité avait été connu longtemps avant sa suspension.

Votre comité recommande pour l'avenir de prendre des mesures, par des cautionnemens suffisants et une audition régulière des comptes, pour prévenir le retour de semblables pertes et difficultés en la province.

A cause de la liaison de cet objet avec cette branche de l'enquête, votre comité recommande de prendre les mêmes précautions à l'égard des shérifs, vu qu'il paraît qu'en peu d'années il y a eu deux exemples de l'insolvabilité de ces officiers, pendant qu'en vertu de leur charge ils avaient en main des sommes d'argent considérables.

A l'égard des biens appartenant ci-devant aux jésuites votre comité regrette de n'avoir pas plus de renseignements, mais il parait à désirer que les reve- nus en soient appliquées à l'éducation générale.

L'un des plus importans sujets de son enquête a été l'état des conseils législatifs des deux Canadas, et la manière dont ces corps ont répondu aux fins de leur institution. Votre comité recommande fortement de donner à ces corps un caractère plus indépendant; que la majorité de leurs membres ne soit pas composée de personnes en places sous le bon plaisir de l'exécutif; et il est d'avis que toutes autres mesures, qui tendront à lier d'intérêt avec les colonies cette branche de la constitution, seront suivies des plus heureux résultats. Quant aux juges, à en excepter le juge en chef seul, dont la présence peut être nécessaire en certaines occasions, votre comité est décidément d'opinion qu'il leur aurait mieux valu de ne s'être pas immiscés dans les affaires de la chambre. Sous les mêmes rapports,

292 COURS d'histoire du canada

il parait à votre comité qu'il n'est pas à désirer que les juges siègent dans le conseil executif.

Votre comité désire graver dans la mémoire le prin- cipe qui, selon son avis, doit être appliqué à tous les changemens à faire dans la constitution des Canadas, qui leur a été accordée par un acte formel de la légis- lature de 1791. Ce principe est de Jîorner, autant que possible, les altérations qu'il serait désirable de faire par aucun acte britannique subséquemment, aux points qui, d'après les relations qui existent entre la Mère- Patrie et les Canadas, ne peuvent être ajustés que par l'autorité souveraine de la législature britannique; et il est d'opinion que tous les autres changements soient opérés, s'il est possible, par les législatures locales elles-mêmes, et en s'entendant amicalement avec le gouvernement local.

Votre comité a entendu sur la grande question de l'union des deux Canadas une longue suite de témoi- gnages, auxquels il désire appeler l'attention de la cham- bre. Vu la disposition générale des esprits qui paraît prévaloir dans ces colonies à l'égard de cette question inportante, votre comité, sous les circonstances pré- sentes, n'est pas préparé à recommander cette mesure.

Votre comité croit néanmoins à désirer qu'il soit fait entre les deux Canadas quelque arrangement satis- faisant, et s'il est possible d'une nature permanente, a l'égard de l'imposition et du partage des droits pré- levés dans le Saint-Laurent. II espère cependant que lorsque sera apaisée l'irritation qui existe mal- heureusement, un pareil arrangement pourra se faire à l'amiable.

II nous reste maintenant à mettre devant la chambre le résultat de nos recherches sur les réserves du clergé, qui paraissaient être, d'après les allégués des pétition- naires du Haut-Canada, la cause de beaucoup d'anxiété et de mécontentement en cette province.

Par l'acte de 1791, le gouverneur reçoit ordre de faire

d'entre les terres de la couronne dans les dites provinces,

l'assignation et appropriation de terres pour supporter

et maintenir un clergé protestant en icelles, en propor-

COURS d'histoire du canada 293

tion convenable avec la quantité de terre en icelles, qui en aucun temps ont été concédées par ou sous l'autorité de Sa Majesté. Et il est de plus pourv'u. que telles terres ainsi assignées et appropriées seront, autant que la circonstance et la nature du cas pourront le permettre, de la même qualité que les terres à l'égard desquelles elles sont ainsi assignées et appropriées, et seront, autantque les dites terres pourront être estimées, lors de la concession de telles terres, égales en valeur à un septième des terres ainsi concédées.

Les instructions ainsi données ont été strictement mises à effet de bonne heure, et le résultat en est que les proportions séparées de terre ainsi réservées sont éparses sur toutes les parties déjà concédées.

Les auteurs de cet acte espéraient sans doute que, les autres parties de termes concédées étant cultivées et en train d'amélioration, les parties réservées produi- raient un revenu, et que des profits ainsi réalisés on pourrait former un fonds considérable pour le main- tien d'un clergé protestant. Cette attente cependant n'a pas encore été ni ne paraît pas devoir être réalisée de sitôt; car à en juger par les renseignements que le co- mité a pu se procurer sur le sujet, il ne doute nullement que ces terres réservées, dispersées telles qu'elles sont maintenant sur la face du pays, retardent plus que toute autre circonstance l'avancement de la colonie, situées comme elles sont en positions séparées en chaque town- ship, et placées entre les habitations actuelles dont les habitans n'ont aucun moyen d'ouvrir des chemins à travers les bois et les marais, qui les séparent de cette manière de leurs voisins; la réserve de ces portions de terres désertes a dans le fait beaucoup plus diminué la valeur des six parties concédées à ces colons, que l'amélioration des terres défrichées n'a augmenté la valeur des réserves; cela devient frappant par les résul- tats des tentatives qu'on a faites pour disposer de ces terres. II s'est formé dans la province une corporation composée du clergé de l'église d'Angleterre, qui a été autorisée à concéder ces terres pour un terme n'excé- dant pas 21 ans. Il parait que, dans la province

294 COURS d'histoire du canada

inférieure seulement, la qualité totale des réserves du clergé est de 488,594 acres, dont 75,639 acres sont concédés à bail, dont les conditions sont qu'on payera annuellement pour chaque lot de 200 acres, 8 minots de blé ou 25s., pour les 7 premières années, 16 minots ou 50s., annuellement pendant les 7 années suivantes, et 24 minots ou 75s., annuellement pendant les 7 der- nières années. Sous ces circonstances, la rente nomi- nale des réserves du clergé est de £930 par an; la re- cette actuelle des trois années n'a été que de £50 par an. La grande différence qui se trouve entre la re- cette nominale et réelle vient de la grande difficulté qu'il y à a recueillir les rentes, et aux tenanciers qui se cachent. Nous sommes aussi informés que les ecclé- siastiques résidents agissent comme agents locaux pour la levée des rentes; qu'une somme de £175 avait été déduite pour les dépenses de la levée des rentes; et qu'à la date de la dernière communication à ce sujet il restait £250 entre les mains du receveur-général^ étant le produit entier de tout le revenu de 488,594 acres de terre.

On a fait la tentative de disposer de ces biens par vente. La compagnie du Canada établie par la 6, Geo. IV, chap. 75, était convenue d'acheter une grande partie de ces réserves à un prix à être fixé par des com- missaires; 3s. 6d. l'acre fut le prix de l'estimation, et à ce prix l'église refusa de disposer de ces terres.

C'est pourquoi le gouvernement est entré en arran- gement avec la compagnie, et il a été depuis passé un acte autorisant la vente de ces terres à aucune per- sonne qui désirerait en acheter, pourvu que la quantité vendue n'excède pas 100,000 acres chaque année.

Votre comité ne doute nullement que la réserve de ces terres en main-morte ne soit un obstacle sérieux à l'avancement de la colonie; il pense qu'on devrait faire tous les efforts possibles pour les mettre entre les mains des personnes qui y rempliront les obligations du défri- cliement, et qui les mettront généralement en culture.

Il ne peut y avoir de doute que la valeur, quelle qu'elle soit, doit être appliquée au maintien d'un clergé pro-

1

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testant. Et votre comité regrette de voir que pour la présente génération et même pour celle qui suit, il n'y ait pas lieu d'espérer que les produits en suffiront pour cet objet, dans un pays la terre inculte est concédée en Jee pour presque rien, aux personnes qui désirent s'y établir on doit espérer difficilement, à l'exception de quelques lots avantageux, de trouver des tenanciers responsables qui voudront les prendre à bail et qu'on trouvera à vendre ces terres pour plus qu'un prix no- minal.

Votre comité cependant voit avec plaisir que le principe de la vente progressive de ces terres a été sanctionné par un acte du parlement impérial. II ne peut s'empêcher de recommander dans les termes les plus forts, la convenance et l'utilité de pourvoir par la suite aux besoins nécessaires de la religion en ces provinces, par d'autres moyens que par la réserve d'un septième des terres, selon les dispositions de l'acte de 1791. II observera aussi que les mêmes objec- tions s'élèvent contre la réserve du septième qui en pratique paraît avoir été réservé pour l'avantage de la couronne, et sans doute il doit arriver un teinps ces terres réservées auront acquis une valeur considé- rable, par la culture des terres environnantes mais cette valeur aura été acquise aux dépens des vrais in- térêts de la province, et contribuera à retarder le cours de l'amélioration générale, qui est la vraie source de la prospérité nationale. Votre comité est donc d'opinion que le gouvernement ferait bien de considérer si ces terres ne pourraient pas être aliénées permanement, sujettes à la réserve d'une rente modérée, (soit en grain ou en argent, selon qu'on le demanderait), qui com- mencerait après la 10e ou 15e année d'occupation.

II n'est pas préparé à autre chose qu'à offrir cette suggestion, sur un sujet qui lui paraît digne d'une investigation plus soigneuse qu'il n'est en son pouvoir de donner; mais de cette manière ou d'une autre, il est pleinement persuadé qu'on doit disposer sans délai et permanemment des terres ainsi réservées.'

II paraît qu'il y a de nombreux prétendants à une

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propriété si vaste et si improductive. L'acte de 1791 ordonne que les profits provenant de cette source, seront appliqués au soutien d'un clergé protestant, et il s'est élevé des doutes pour savoir si l'acte commande au gouvernement de les appliquer exclusivement à l'usage de l'église d'Angleterre seule, ou d'y faire participer l'église d'Ecosse. Les officiers en loi de la couronne ont donné leur opinion en faveur des droits de l'église d'Ecosse à une telle participation, ce à quoi votre comité concourt entièrement ; mais il s'est aussi élevé la question de savoir si le clergé de toutes les dénomina- tions de chrétiens, les catholiques exceptés, ne pourrait pas être compris.

II n'appartient pas à votre comité d'émettre une opinion sur l'exactitude que comportent légalement les paroles de l'acte. Il ne doute pas cependant que l'intention de ceux qui amenèrent la mesure devant le parlement, ne fut de doter le clergé de l'église d'Angle- terre de presbytères et de glèbes y attachées, à la dis- crétion du gouvernement local; mais à l'égard de la distribution du produit des terres réservées généra- lement, il est d'opinion de laisser au gouvernement le droit d'appliquer l'argent au profit d'aucun clergé protestant, s'il le trouve à propos.

Le comité n'a pas grande raison d'espérer que le revenuannuel k provenirdecettesource puisse vraisem- blablement, à aucune époque à laquelle il jette les yeux, suffire à supporter un clergé protestant dans ces pro- vinces. Mais il se hasarde de presser la considération du sujet de la part du gouvernement de Sa Majesté, dans la vue defixerd'une manière satisfaisante pour la province le principe d'après lequel le revenu de ces terres doit être appliqué; et dans l'application juste et prudente de ces fonds, le gouvernement sera néces- sairement influencé par l'état de la population, sous le rapport des opinions religieuses, au temps la décision aura lieu. Pour le présent, il est certain que les membres de l'église d'Angleterre forment une bien petite minorité dans la province du Haut-Canada. De la part de l'église d'Ecosse, il a été fait de fortes récla-

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mations à cause de son établissement dans l'empire, et vu le nombre de ses adhérents dans la province. A l'é- gard des autres sectes religieuses, le comité a rencontré beaucoup de difficulté à s'assurer exactement de la proportion numérique qu'elles ont les unes avec les autres ; mais les témoignages le portent à croire que ni l'église d'Angleterre, ni l'église d'Ecosse ne forment le corps religieux le plus nombreux dans la province du Haut- Canada.

L'attention du comité ayant été appelée sur l'éta- blissement de l'université de Kiyig's Collège à York, clans le Haut-Canada, il a cru devoir examiner la charte accordée à ce collège. Cette charte fut accordée sous le'grand sceau, et il est à observer qu'elle n'impose pas aux étudiants l'obligation de souscrire aux 39 articles, ce qui a été fait à l'égard des autres collèges de l'Amé- rique Septentrionale. Votre comité voit qu'il y est pour^'u, entre autres arrangements pour la condvite et le gouvernement de cette institution, que l'archi- diacre de York, pour le temps d'alors, sera en tout temps, en vertu de son office, président du dit collège.

II est de plus ordonné, qu'il y aura dans le dit col- lège ou corporation un conseil, qui sera appelé et connu sous le nom de conseil du collège, composé du chancelier, du président et de sept professeurs en arts et facultés dans le dit collège, et que les dits tels professeurs seront membres de l'église d'Angleterre et d'Irlande, et avant leur admission, souscriront aux 39 articles de la religion. Toute la conduite du col- lège est confiée à ce conseil. Votre Comité est le plus fortement persuadé de l'avantage qui résulte- rait à la province de l'établissement d'un collège des- tiné à l'éducation générale; il regrette seulement que cette institution soit constituée de manière à borner considérablement le cercle de son utilité.

Votre comité pense qu'il n'est pas à douter que la conduite et le gouvernement du collège devant être confiés à des membres de l'église d'Angleterre, on ne montre inévitablement de la prédilection pour les mem- bres de cette église dans le choix des professeurs; et

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dans un pays une partie seulement des hal)itans adhèrent à cette église, cela créera nécessairement des jalousies et des soupçons d'intervention reli- gieuse.

Pour ces raisons et d'autres encore, votre comité désire émettre l'opinion il est qu'il résulterait un grand bien à la province d'un changement dans la constitution de ce corps.

Il pense qu'on devrait nommer deux professeurs de théologie, dont l'un de l'église d'Angleterre et l'autre de celle d'Ecosse (aux leçons de qui ceux qui se destineraient aux ordres sacrés seraient obligés d'assister respectivement) mais qu'à l'égard du président, des professeurs, et des autres personnes liées à l'établissement, on ne devrait requérir aucune profession de foi quelconque.

Que dans le choix des professeurs on ne devrait suivre d'autre règle, n'avoir d'autre objet en vue, que de nommer les personnes les plus éclairées, et les plus sages, et qu'à l'égard de la religion ils signe- raient une déclaration, qu'en autant qu'il serait né- cessaire dans le cours de leurs leçons de toucher à des sujets religieux, ils reconnaîtraient distinctement la vérité de la révélation chrétienne, mais qu'ils s'abs- tiendraient d'inculquer aucunes doctrines particu- lières.

Quoique votre comité ait disposé maintenant des objets les plus importants de sa référence, il sait qu'en examinant les pétitions et les témoignages, on rencontrera beaucoup d'autres matières dignes de considération.

Le comité croit aussi nécessaire d'observer que les renseignements du Haut-Canada n'ont pas été aussi amples ni aussi satisfaisants que ceux qu'il a eu l'a- vantage de recevoir du Bas-Canada. Votre comité cependant désire fixer l'attention du gouvernement sur l'acte de sédition, (s'il n'est pas encore expiré,) dont le rappel paraît avoir été depuis longtemps l'objet des efforts de la Chambre d'Assemblée du Haut-Canada.

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Votre comité désire aussi appeler l'attention du gouvernement sur le mode dont les jurys sont compo- sés dans les Canadas, dans la vue de remédier aux défectuosités qui peuvent exister dans le système ac- tuel.

Votre comité regrette que l'époque avancée de la session il a été nommé ne lui ait pas permis d'en- trer dans les détails de toutes les parties des sujets qui lui ont été référés. Il croit aussi que si les Assem- blées législatives et le gouvernement exécutif du Canada peuvent être mis sur un meilleur pied, on trouvera dans la province un moyen de remédier aux moindres griefs. Néanmoins il est disposé à recomman- der d'accorder la demande du Bas-Canada pour la nomination d'un agent, de la même manière que sont nommés les agents des autres colonies, qui ont des législatures locales ;*et que le même avantage soit étendu au Haut-Canada, si la colonie le désire.

Dès le commencement de son investigation votre comité a vu que son attention devait être dirigée sur deux branches distinctes d'enquête: lo Jusqu'à quel degré les difficultés et les mécontentements qui existent depuis longtemps dans les Canadas, sont dus aux imperfections du système de lois et de constitu- tions établies en ces colonies; 2o jusqu'à quel degré ces maux devaient-ils être attribués à la manière dont le système existant était administré.

Votre comité a clairement émis l'opinion il était qu'il y avait dans ce système des défectuosités sérieuses et a hasardé de suggérer plusieurs altérations, qui lui ont paru nécessaires ou convenables. Il admet aussi pleinement, que d'après ces circonstances et beau- coup d'autres le gouvernement de ces colonies, sur- tout le Bas-Canada, n'a pas été une tâche aisée; mais il sent qu'il est de son devoir de dire qu'il est d'avis que c'est à la seconde des causes ci-haut men- tionnées, que sont dues en grande partie ces difficul- tés et ces mécontentements. Il désire faire bien res- souvenir qu'il est complètement convaincu que ni les suggestions qu'il a pris sur lui de faire, ni aucune autre

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amélioration dans les lois et les constitutions des Ca- nadas ne seront suivies de l'effet désiré, à moins qu'on ne suive envers ces colonies loyales et impor- tantes un système de gouvernement impérial, conci- liatoire et constitutionnel.

Votre comité avait clos son enquête et reconsi- dérait son rapport, lorsqu'il est devenu de son devoir d'entrer dans une nouvelle enquête à l'égard d'une pétition à lui référée par la chambre, et signée par les agents, qui avaient apporté en ce pays la pétition de 87,000 habltans du Bas-Canada, dont il a été fait mention dans une partie précédente du rapport.

Cette pétition et la preuve dont elle est accompagnée contiennent les allégations les plus graves contre l'administration de lord Dalhousie, depuis le temps que ces Messieurs sont partis de la colonie.

Ces plaintes tombent principalement sur la desti- tution d'un grand nombre d'officiers de milice, à cause de l'exercice constitutionnel de leurs droits civils sur la réorganisation subite et étendue de la commission de la paix pour servir (comme il est allé- gué) à des fins politiques; sur le système vexatoire de libelle, à l'instance du procureur-général et sur l'es- prit oppressif et inconstitutionnel avec lequel ces poursuites ont été conduites.

Votre comité a senti jusqu'ici qu'il s'acquitterait mieux et plus avantageusement de ses devoirs, en s'abstenant de commenter sur la conduite officielle des individus; mais il ne peut s'empêcher d'appeler l'attention sérieuse et immédiate du gouvernement de Sa Majesté à ces plaintes et ces allégués.

Votre comité croit devoir insister et de la manière la plus pressante auprès du gouvernement de Sa Ma- jesté, sur la nécessité qu'il voit de faire une enquête stricte et prompte sur toutes les circonstances qui ont accompagné ces poursuites, dans la vue de donner à cet égard des instructions conforme à la justice et à la saine politique.

COURS d'histoire du canada 301

Votre comité apprend avec le plus vif regret qu'il s'est récemment élevé dans le Haut-Canada, entre le gouvernement local et l'assemblée législative, des disputes qui ont amené une clôture brusque de la session de la législature en cette colonie.

III

DÉPÊCHE DE LORD GoDERICH EN DATE DU 7 JUILLET

1831, SUR LES Griefs de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada. (1)

Downing Street, 7 juillet 1831.

MlLORD,

J'ai reçu et mis devant le Roi les dépêches de votre Seigneurie du 5, 6 et 7 avril dernier. Nos 24, 25 et 26.

C'est avec une vive satisfaction que Sa Majesté a reçu de votre Seigneurie l'assurance du changement favorable qui s'était opéré dans la disposition géné- rale de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada vers la fin de la dernière session, et le rapport que vous faites du vif attachement que le peuple entier a pour la personne et le gouvernement de Sa Majesté.

Il a aussi gracieusement plu au Roi d'exprimer son approbation des efforts que Votre Seigneurie a faits pour constater avec précision toute l'étendue des griefs dont l'Assemblée croit avoir droit de se plaindre; et supposant, de concert avec votre Seigneurie, que l'a- dresse de l'Assemblée présente l'entier développe- ment de ces griefs, l'exposé qu'on y trouve des vues de ce corps permet de faire l'induction satisfaisante

(1) Journal de la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada, 1831-32. pp. 20 et suivantes.

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qu'il reste à peine une seule question sur laquelle les désirs de cette branche de la Législature ne soient pas en harmonie avec la politique que Sa Majesté a été avisée de suivre, et cela me donne la flatteuse espérance de l'ajustement prompt et eflicace de ces difficultés qui ont si fort embarrassé les ODcrations du gouvernement local.

Rien ne peut être plus agréable au Roi que de se rendre aux désirs raisonnables du corps représenta- tif du Bas-Canada, et lorsque les serviteurs de Sa Majesté ont la satisfaction de sentir que, sur quelques- uns des points les plus importants mentionnés dans l'adresse de l'Assemblée, ses désirs ont été antici- pés, ils se flattent que les instructions que je vais maintenant vous donner feront éclater encore da- vantage le désir ardent qu'ils ont d'allier à l'exercice convenable et légitime de l'autorité constitutionnel- le de la couronne, une vive sollicitude pour le bien- être de toutes les classes de ses fidèles sujets en cette province.

Je vais procéder à passer en revue les divers points contenus dans l'adresse de l'Assemblée au Roi.

J'observerai l'ordre qu'elle a suivi, et pour être plus clair, je ferai précéder chaque instruction suc- cessive que j'ai ordre de Sa Majesté de donner à vo- tre Seigneurie, d'une citation de l'exposé que la Chambre d'Assemblée elle-même a fait sur chaque point.

Premièrement. On représente que les progrès de l'éducation parmi le peuple, à la faveur de l'encou- ragement accordé par des actes récents de la Lé- gislature, ont été grandement retardés par la diver- sion des Biens des Jésuites destinés dans l'origine à cette fin.

Le gouvernement de Sa Majesté ne nie pas que les Biens des Jésuites n'aient été, à la dissolution de cet ordre, appropriés à l'éducation du peuple, et j'ad- mets volontiers que les revenus qui peuvent provenir de ces biens doivent être regardés comme inviolable- ment et exclusivement applicables à cet objet.

I

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II est à regretter sans doute qu'aucune partie de ces fonds ait jamais été appliquée à d'autres fins, et quoique précédemment les prédécesseurs de votre Seigneurie aient eu à lutter contre des difficultés qui furent la cause et l'excuse de ce mode d'appro- priation, je ne me sens pas maintenant appelé à en- trer dans la considération de cette partie du sujet.

Si cependant je puis me fier aux rapports qui ont été faits à ce départenent, les loyers des Biens des Jé- suites ont été, ces années dernières, dévoués exclusi- vement aux fins de l'éducation, et ma dépêche en date du 24 décembre dernier, marquée "separate", indique suffisamment que les ministres de Sa Majesté avaient résolu d'adhérer strictement à ce principe plusieurs mois avant l'adoption de la présente adresse.

La seule question pratique qu'il reste à considérer est de savoir si l'appropriation de ces fonds pour les fins de l'éducation tombera aux mains de Sa Ma- jesté ou entre celles de la Législature Provinciale. Le Roi confie ce devoir, de bon cœur et sans réserve, à la législature, dans la pleine persuasion que parmi les différents plans qui pourront lui être présentés à cette fin, elle fera le choix qui permettra d'avancer avec le plus d'efficacité les intérêts de la Rehgion et des saines connaissances parmi ses sujets; et je ne puis douter que l'Assemblée ne voie la justice de continuer à maintenir sous la nouvelle distri- bution de ces fonds les établissements d'éducation auxquels ils sont maintenant appliqués

Je vois que certains bâtiments faisant partie des Biens des Jésuites, qui autrefois servaient de collè- ge, ont été depuis employés constamment comme casernes pour loger les troupes du Roi. Il y aurait évidemment de grands inconvénients à essayer d'opérer un changement immédiat à cet égard, et je suis con- vaincu que l'Assemblée verrait elle-même avec chagrin une mesure qui pourrait diminuer l'aise ou mettre en danger la santé des troupes du Roi. Si cependant l'Assemblée était disposée à procurer des casernes suffi- santes de manière à assurer d'une manière permanente

20

304 COURS d'histoire dit canada

ces objets importants, Sa Majesté est préparée (sur l'accomplissement d'un tel arrangement à la satisfaction de votre Seigneurie) à consentira ce que les bâtiments en question soient affectés à la même destination que celles h laquelle les fonds généraux des Biens des Jé- suites sont sur le point d'être rendus.

Je craindrais qu'on n'eût conçu des idées mal fon- dées sur la valeur et les revenus des Biens des Jé- suites. Dans ce cas, comme dans la plupart des autres, le secret pourrait avoir donné lieu à l'exagé- ration comme une conséquence naturelle. Si la demande qu'a faite l'assemblée d'un compte des re- venus de ces biens eût été accordée, cela aurait pro- bablement remédié à beaucoup de méprise. Le chagrin que j'ai de l'effet de votre décision à refuser ces comptes ne m'empêche pas cependant de sentir la convenance et le poids apparent des motifs qui ont guidé votre jugement; désavouant cependant tout désir de secret, j'ai à donner instruction à Votre Seigneurie de mettre ces comptes devant l'Assem- blée de la manière la plus détaillée, au commence- ment de sa prochaine session, et de fournir à la Cham- bre toutes les informations et explications qu'elle pourra demander à ce sujet.

Comme il parait qu'on a recouvré la somme de £7154. 15. 43^ sur les biens de feu M. Cakhvell, à raison des réclamations de la couronne contre lui concernant les Biens des Jésuites, Votre Seigneurie fera mettre cette somme à la disposition de la Légis- lature pour les fins générales. La somme de £1280. 3. 4, qui a aussi été recouvrée à raison des mêmes biens devra aussi être mise à la disposition de la Lé- gislature, mais, d'après les principes qui viennent d'être posés, elle devra être regardée comme étant exclusivement applicable aux fins de l'éducation.

Secondement. La Chambre d'Assemblée repré- sente que les propres de l'éducation ont été arrêtés par le refus des octrois de terre promis pour les écoles en l'année 1801.

En consultant le discours prononcé cette année

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par le gouverneur d'alors aux deux Chambres de la Législature provinciale, je trouve qu'il fut réelle- ment fait un engagement de la nature de celui dont l'adresse fait mention. Ainsi, comme de raison, la Couronne est liée, et il faut qu'il soit maintenant mis à effet; à moins qu'il ne se rencontre quelques cir- constances que j'ignore, qui peuvent avoir annulé l'obligat'ion contractée en 1801, ou qui peuvent en avoir rendu l'accomplissement impossible à présent. S'il existe réellement de telles circonstances, Votre Seigneurie m'en fera rapport incessamment, afin de considérer ultérieurement la marche qu'il convient de suivre.

Troisièmement. Le rejet par le Conseil Législa- tifs de divers bills en faveur de l'éducation est don- né comme le dernier df's obstacles aux progrès de l'éducation.

Sur ce point il est évident que le gouvernement de Sa Majesté n'a le pouvoir d'exercer aucun contrôle, et qu'il ne pouvait intervenir dans le libre exercice de la volonté du Conseil législatif sans violer les maximes les mieux reconnues de la constitution. Jusqu'où ce corps peut avoir vraiment résisté aux désirs de l'Assemblée sur ce sujet, c'est ce sur quoi je n'ai pas d'informations exactes, et il ne me convien- drait pas d'émettre une opinion sur la sagesse ou la convenance d'aucune décision de cette nature qu'il peut avoir formée. L'Assemblée cependant peut être assurée que toute influence légitime que peut exercer le gouvernement de Sa Majesté sera tou- jours employée à favoriser, dans toute direction, toutes les mesures qui auront pour objet l'instruc- tion religieuse, morale ou littéraire du peuple du Bas- Canada.

Quatrièmement. L'adresse procède à exposer que la régie des terres incultes de la Couronne a été vicieuse et injudicieuse, et gêne encore l'établissement de ces terres.

Ce sujet a engagé et occupe encore toute mon at- tention, et je me propose de communiquer au long

306 COURS d'histoire du canada

sur le sujet avec votre Seigneurie, dans une dépêche séparée. Les considérations qui se rattachent à l'établissement des terres incultes sont trop nom- breuses et trop étendues pour être convenablement encadrées dans une dépêche qui embrasse tant d'au- tres sujets de discussion.

Cinquièmement. L'exercice par le parlement de son pouvoir de régler le commerce de la Province occasionne, dit-on, une incertitude dommageable dans les spéculations mercantiles, et des fluctuations préjudiciables dans la valeur des biens fonds et aux différentes branches d'industrie liées au commerce,

II est flatteur de voir que cette plainte est accom- pagnée de l'aveu franc que le pouvoir en question a été exercé avec avantage en plusieurs occasions pour la prospérité du Bas-Canada. C'est, je crains, une conséquence inévitable de la connexion qui sub- siste heureusement entre les deux pays, que le par- lement exige quelquefois du corps mercantile du Bas-Canada quelques sacrifices mutuels pour le bien général de tout l'empire. Je n'essaierai donc pas de nier que les changements survenus dans la politique commerciale de ce royaume depuis quelques années n'aient pu produire des inconvénients et des pertes occasionnels à ce corps, puisqu'on pourrait à peine faire mention d'un seul intérêt particulier, dans la Grande Bretagne, dont on n'ait exigé quelques sa- crifices, pendant la même période. Tout ce que peut faire la Législature sur un sujet comme celui-ci, est une progression constante, quoique graduelle, vers les grands objets qui sont le but d'un système éclairé de règlements commerciaux. Le relâchement des restrictions imposées au commerce des colonies britanniques, et le développement de leurs ressour- ces n'ont jamais été perdus de vue au milieu des changements auxquels l'adresse fait allusion, et j'at- tends avec conhance de la candeur de la Chambre d'Assemblée qu'elle admettra que, dans l'ensemble, on a fait des progrès assez marqués vers ces grandes fins. Elle peut être assurée que le gouvernement de

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Sa Majesté adhérera constamment à ces principes dans toute modification des lois existantes qu'il pourra par la suite avoir occasion de recommander au Parlement.

Sixièmement. L'Assemblée dans son adresse procède à exposer que les différentes villes, parois- ses, townships, places extra-paroissiales et comtés de la province, souffrent du manque de pouvoirs lé- gaux suffisants pour régler et régir leurs affaires lo- cales.

Je suis bien aise qu'il se présente maintenant une occasion de faire éclater le désir du gouvernement de Sa Majesté de coopérer avec la Législature locale au redressement de tout grief de cette nature. Les trois bills que Votre Seigneurie a transmis pour la signification du bon plaisir de Sa Majesté, passés dans la dernière session de l'Assemblée pour établir les divisions paroissiales de la Province, et pour in- corporer les cités de Québec et de Montréal, seront confirmés et finalement passés en loi par Sa Majesté en conseil, sous le plus court délai possible, et j'es- père me trouver sous peu en état de transmettre à Votre Seigneurie les ordres en conseil nécessaires pour cette fin.

Je regrette bien sincèrement que le bill passé pour l'établissement légal des paroisses dans le mois de mars 1829 soit venu à tomber, par le délai qui est survenu dans la transmission de sa confirmation officielle par le Roi en Conseil, plusieurs mois s'étant écoulés après son arrivée en ce royaume avant que cette formalité pût être observée; et la maladie pro- longée de Sa feue Majesté en a encore retardé davan- tage la prise en considération par le Roi en conseil.

Si la Législature coloniale est d'avis qu'il faille des dispositions additionnelles pour mettre les autorités locales des comtés, des cités ou des paroisses en état de régler les affaires qui les intéressent plus immédia- tement, que Votre Seigneurie sache qu'il vous est libre de sanctionner au nom de Sa Majesté toutes

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lois bien considérées qui pourront vous être présen- tées à cette lin.

Septièmement. J'en viens au sujet de plainte suivant, savoir, que le mélange de difTérens codes de lois et règles de procédure dans les cours de justice ont jeté de l'incertitude et de la confusion dans les lois qui protègent et régissent la propriété.

Le mélange dont l'adresse fait mention vient, d'après ce que j'en connais, du code criminel an- glais qui a été maintenu par le statut britannique de 1774 et des divers actes du Parlement qui ont, introduit dans la province la tenure soccagère, et soumis toutes les terres ainsi tenues aux règles d'alié- nation et de succession des lois anglaises.

Comme simple matière de fait, il ne peut y avoir de doute, que l'infusion de ces parties des lois d'An- gleterre dans le code provincial n'ait été dictée par le désir le p us sincère d'avancer le bien-être général du peuple du Bas-Canada. Cela a été le cas sur- tout pour les lois criminelles, et c'est ce qui paraîtra assez clair par le langage de la onzième section du Statut 14 Geo. III, Chap. 83, touchant les avantages qui doivent résulter de la substitution de la tenure soccagère aux services féodaux; je puis remarquer que le parlement ne ouvait guère être mu que par a conviction sincères des avantages de cette mesure, d'autant plus que les maximes d'après lesquelles il procéda s'accordent avec les opinions de presque tous les écrivains qui ont traité ce sujet en théorie et des hommes d'état dans leurs opérations pratiques. Ce n'est pas que je veuille démontrer la justesse de ces vues, mais je pense qu'il importe beaucoup de faire remarquer que les erreurs qu'elles embrassent, s'il y en a, ne peuvent être attribuées qu'à un zèle sincère pour le bien de ceux que les dispositions lé- gislatives en question affectent plus immédiatement.

J'admets pleinement, cependant, que c'est un sujet de politique locale et intérieure, et à l'égard duquel le jugement délibéré des hommes éclairés de la province doit avoir beaucoup plus de poids que

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toute autorité extérieure quelconque. Votre Sei- gneurie communiquera au Conseil et à l'Assemblée la disposition entière de Sa Majesté de concourir avec eux à toutes les mesures qu'ils jugeront les plus propres à assurer un examen calme et étendu de ces sujets sous tous les rapports. II restera alors aux deux Chambres à rédiger les lois qui peuvent être nécessaires pour rendre le code provincial plus uniforme et mieux adapté à l'état actuel de la société dans le Bas-Canada. L'assentiment sera donné avec la plus vive satisfaction à toutes lois rédigées à cette fin et qui en faciliteront l'accomplissemeut. II est possible qu'un ouvrage de cette nature pût être ex- écuté avec plus d'avantage par des commissaires qui seraient spécialement désignés à cette fin. Si telle est l'opinion de votre seigneurie, vous suggérerez ce mode de procédé aux deux Chambres de la Lé- gislature provinciale, qui j'en suis bien convaincu, consentiront volontiers à encourir toutes dépenses quelconques qui seront la conséquence d'une pareille entreprise, à moins qu'elles ne fussent elles-mêmes en état d'imaginer un autre plan d'investigation et de procédés, qui serait à la fois aussi effectif et aussi économique.

Huitièmement. L'administration de la justice est devenue, dit-on, inefficace et inutilement dispendieuse.

Comme les tribunaux provinciaux tiennent leur constitution actuelle de statuts provinciaux, et nulle- ment de l'exercice de la prérogative de Sa Majesté, il n'est pas au pouvoir du Roi d'améliorer le système de l'administration des lois ni de diminuer les frais de justice. Votre Seigneurie, cependant, assurera à la Chambre d'Assemblée que Sa Majesté est non seulement dans la disposition, mais qu'elle a même le désir de coopérer avec elle à toutes les améliora- tion du système judiciaire, que suggéreront la sagesse et l'expérience des deux Chambres. Votre Seigneu- rie sanctionnera immédiatement tous bills qui pour- ront être passés à cette fin, si ce n'est dans le cas très improbable qu'ils ne donnassent lieu à quelques

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objections qui paraîtraient concluantes. Et dans ce cas même vous réserverez tous les bills passés pour améliorer l'administration de la justice à la si- gnification du bon plaisir de Sa Majesté, au lieu de les rejeter sur le champ.

Neuvièmement. L'adresse expose alors que la confusion et l'incertitude dont la Chambre se plaint ont été augmentées de beaucoup par des actes affec- tant les biens fonds de la colonie, passés dans le parle- ment du Royaume Uni, depuis l'établissement de la Législature provinciale, sans que les intéressés eussent eu même l'occasion d'être entendus, et sur- tout par une décision récente sur un de ces actes dans la cour d'appel provinciale.

II ne peut y avoir sur ce sujet aucune dispute en- tre le gouvernement de Sa Majesté et la Chambre d'Assemblée. La Chambre ne saurait exposer en termes plus forts que ceux dans lesquels il est dispo- sé à la reconnaître la convenance de laisser exclusi- vement à la Législature du Bas-Canada la passation de toute loi qui pourra être nécessaire pour régir la propriété dans cette province.

On ne peut nier qu'à une époque antérieure, le gouvernement britannique n'eût une opinion diffé- rente, et que le livre des statuts de ce royaume con- tient, touchant les terres du Bas-Canada, divers rè- glements qui auraient peut-être été passés avec plus de convenance dans la province même. Je croirais cependant qu'on n'a invoqué l'intervention du Par- lement que dans des cas d'urgence et de nécessité supposée, et que ce n'a jamais été sans répugnance que les ministres de Sa Majesté ont introduit de tels actes.

Le Statut 1, Guil. 4, chap. qui a passé à l'instance du gouvernement de Sa Majesté dans la dernière session du Parlement, a jusqu'à un certain point anticipé les plaintes dont je fais maintenant men- tion et en prévient le retour, en autorisant la Lé- gislature locale à régler tout ce qui a rapport aux incidents de la tenure soccagère dans la province.

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sans égard pour aucune différence réelle ou suppo- sée qui pourra se trouver entre ces règlements et les lois d'Angleterre. S'il y a d'autres parties des sta- tuts britanniques, relatives à ce point, auxquelles le Conseil et l'Assemblée objecteront, le gouverne- ment de Sa Majesté sera prêt à recommander au parlement de les révoquer,

Dixièmement. II est dit que plusieurs des juges des cours de la province se sont trouvés mêlés et ont pris une part publique dans les affaires et les dis- putes politiques de la province, tenant à la fois des offices sous bon plaisir et des situations incompa- tibles avec la due exécution de leurs fonctions judi- ciaires.

Sur ce point encore il est très flatteur pour les ministres de la Couronne de voir qu'ils ont en grande partie remédié d'avance à la plainte de la Chambre d'Assemblée. Dans la dépêche que j'adressai à vo- tre Seigneurie le 8 Février, No. 22, il a été pris tous les arrangements qui pouvaient être suggérés et s'ef- fectuer par l'autorité de Sa Majesté pour retirer les juges de la province de toute connexion avec ses af- faires poHtiques, et pour les rendre indépendants et de l'autorité de la Couronne et du contrôle des autres branches de la Législature, les plaçant ainsi dans la même position exactement que les juges de cours suprêmes à Westminster.

Les juges eux-mêmes ont, à ce qu'il paraît, con- couru, avec une louable promptitude, à donner effet à ces recommandations, en cessant d'assister au Conseil Exécutif. Ainsi il ne reste plus à faire, pour terminer toute discussion sur ce sujet, qu'une alloca- tion permanente pour les juges par la Chambre d'as- semblée, [laquelle allocation, sans excéder une juste rétribution, devra être suffisante pour leur assurer une existence indépendante dans les rangs qu'ils doi- vent occuper dans la société d'après la dignité de leur charge.

Je ne sache pas qu'aucun juge dans le Bas-Canada tienne aucun office, autre que celui de conseiller

312 COURS d'histoire du canada

exécutif, durant bon plaisir, ou qui soit sous aucun rapport incompatible avec la due exécution de ses fonctions officielles. Si tel cas existe votre Seigneurie aura la bonté de me faire incessamment rapport de toutes les circonstances qui peuvent l'accompagner afin que les instructions nécessaires sur le sujet soient données. Dans l'intervalle, je puis dire sans réserve, qu'il ne peut être permis à aucun juge de retenir aucun office de la nature de ceux dont parle ici l'Assemblée, en combinaison avec cette position indépendante sur le banc à la quelle j'ai fait allusion.

Onzièmement. L'adresse expose ensuite que, pen- dant une longue suite d'années les offices exécutifs et judiciaires ont été presque exclusivement accor- dés à une classe de sujets dans la province, et spé- cialement de ceux qui se trouvaient avoir, par la pro- priété ou autrement, le moins de liaison avec la po- pulation fixe du pays, ou qui se sont montrés le plus opposés aux droits, libertés et intérêts du peuple. Il est ajouté que plusieura de ces gens profitent des moyens que leur fournissent leurs situations pour em- pêcher la coopération constitutionnelle et la bonne intelligence d'exister entre le gouvernement et la Chambre d'Assemblée, et pour exciter entre eux la mésintelligence et la discorde, tandis qu*ils sont né- gligents dans leurs différentes situations à avancer les affaires publiques.

Je rapporte ainsi au long le langage de l'adresse, car je suis prêt à la rencontrer dans toutes ses parties de la manière la plus directe, et en même temps dans l'esprit le plus conciliatoire. Ce n'est pas du tout le manque de cet esprit qui me porte à vous recommander de suggérer à la considération de la Chambre d'As- semblée jusqu'à quel point il est possible pour Sa Majesté d'entendre clairement et de redresser efii- cacement un grief qui lui est exposé en termes si indéfinis. Si l'on peut nommer quelque officier pu- blic qui se soit rendu coupable d'un abus de ses pou- voirs et d'une négligence dans ses devoirs tels que le comporte la citation qui précède, Sa Majesté se hâtera de venger l'intérêt public en le destituant

COURS d'histoire du canada 313

du service. Si on peut montrer que le patronage de la couronne a été exercé d'après des principes étroits et exclusifs, on ne peut trop les désavouer et les abandonner. Surtout s'il est vrai que la popula- tion fixe de la colonie ne jouisse pas d'une pleine participation à tous les emplois publics la Chambre d'Assemblée peut être assurée que Sa Majesté ne peut désirer que des distinctions aussi odieuses soient systématiquement maintenues.

II est hors de mon pouvoir de rien avancer au de- là de cet exposé général. J'ignore entièrement les cas particuhers auxquels les expressions générales de l'Assemblée s'appliquent. Tout ce que je puis dire, c'est que depuis le temps qu'il a plu à Sa Ma- jesté de me confier les sceaux de ce département, il ne s'est présenté aucune occasion d'exercer le patro- nage de la Couronne dans le Bas-Canada à laquelle l'Assemblée puisse faire allusion, et les recherches que j'ai faites ne me fournissent aucun cas particu- lier d'une date phis reculée que ces paroles semble- rait désigner.

Douzièmement.- Le sujet de plainte suivant est développé dans les termes qui suivent: Qu'il n'y a pas une responsabihté suffisante à l'égard de ceux qui occupent ces places, ni de comptabilité conve- nable pour ceux qui ont le maniement des deniers pu- blics, d'où sont résultés le mauvais emplois et la perte de sommes de deniers considérables, soit pour le pu- bhc soit pour les particuhers, par la faute de fonction- naires entre les mains desquels ces sommes étaient déposées en vertu de la loi, sans remède efficace et sans que ces sommes aient été remboursées jusqu'à ce jour, nonobstant les humbles représentations de vos pétitionnaires.

II serait impossible, sans violer la vérité, de nier qu'à une époque qui n'est pas très reculée, le public et les particuliers n'aient souffert des pertes par suite de ce que les comptables publics n'avaient pas donné de cautions suffisantes, et encore plus par le manque d'un systèmeiconvenable d'apurement et d'audition de ces comptes de cautions. Je vois cependant que dans

314 COURS d'histoire du canada

sa dépêche du 29 Septembre 1828, Sir George Murray s'expliqua sur ce sujet en termes auxquels je trouve qu'il serait difficile de pouvoir utilement rien ajouter. 11 s'exprime ainsi: "Les plaintes qui sont parvenues " à ce bureau au sujet des siiretés insuffisantes que " donnaient le receveur général et les shérifs pour " la due application des derniers publics qui sont entre " leurs mains, n'ont pas échappé à l'attention la plus " sérieuse des ministres de la Couronne. La sûre- *' la plus efficace contre les abus de cette nature " serait d'empêcher qu'il ne s'accumulât des sommes " considérables entre les mains des comptables pu- " blics, en les obligeant de présenter leurs comptes " à quelque autorité compétente à de courts inter- " valles, et de payer immédiatement la balance éta- " blie. La preuve d'avoir ponctuellement rempli " ce devoir devrait devenir une condition indis- " pensable de la réception de leurs salaires et de leur " continuation en office."

" Dans la colonie de la Nouvelle-Galles méridio- nale, il a été établi un règlement de cette nature, d'après les instructions de Sa Majesté au gouverneur de cet établissement,et il en est résulté un grand avan- tage public. Si on introduisait une semblable pratique dans le Bas-Canada, à l'égard du bureau du rece- veur général et des shérifs, la seule difficulté qui resterait serait de trouver une place de dépôt sûre pour les balances qu'ils auraient en caisse. Je suis autorisé cependant à dire que les Lords commis- saires de la trésorerie de Sa Majesté se tiendront responsables envers la province de toute "somme " que le receveur général ou le shérif pourront ver- " ser entre les mains du commissaire 'général. " Votre Excellence proposera donc au Conseil Lé- " gislatif et à l'Assemblée de passer une loi qui obli- " géra ces offiiciers à rendre compte de leurs rec?ttes " à de courts intervalles, et à verser les balances qui " seront entre leurs mains entre celles du commis- " saire général, à condition que cet officier sera " tenu, à demande, de fournir des lettres de change "sur la trésorerie de Sa Majesté, pour le montant

COURS d'histoire du canada 315

" de ses recettes. Je me flatte que la Législature " verra dans cette proposition une preuve du vif dé- " sir qu'a le gouvernement de Sa Majesté d'appli- " quer, autant que la chose sera praticable, un re- " mède efficace, à tout cas de grief réel.

Si les instructions précédentes se sont trouvées insuffisantes pour remédier au mal dont elles parlent, je puis assurer Votre Seigneurie du concours cordial du gouvernement de Sa Majesté à toute mesure plus efficace qui pourra être recommandée à cette fin, soit par vous-même, soit par l'une ou l'autre branche de la législature provinciale.

Les pertes que la province a souffertes par la défal- cation de feu M. Caldwell est un sujet que le gou- vernement de Sa Majesté voit avec le plus profond regret, qui se trouve encore augmenté par la péni- ble conviction de son incapacité de donner aux re- venus provinciaux aucune compensation égale à une perte aussi considérable. Tout ce qu'il est en son pouvoir de faire, il l'a fait de bon cœur, par l'ins- truction qui est donnée à votre Seigneurie, dans la première partie de cette dépêche, de mettre à la dis- position de la Législature, pour les fins générales, la somme de £7154, 15, 4}/2, recouvrée sur les biens de M. Caldwell. J'espère que l'Assemblée acceptera ceci comme une preuve du vif désir qu'a le gouver- nement de Sa Majesté de consulter de son mieux les intérêts pécuniaires de la province.

Treizièmement. L'adresse expose aussi "que les " maux résultant de cet état de choses ont été con- " sidérabiement aggravés par les lois passées dans " le parlement du Royaume-Uni sans même la con- " naissance du peuple de ce pays, qui ont rendu per- " manents^des impôts fixés temporairement par la " Législature provinciale, et laissant entre les mains " d'officiers publics sur lesquels la Chambre d'As- " semblée ne peut exercer aucun contrôle efficace, " des sommes considérables prélevées dans la pro- " vince, pour être employées par des personnes qui " ne sont pas assujetties à un système suffisant de " comptabilité".

316 COURS D HISTOIRE DU CANADA

Je vois que cette plainte a rapport à la 21e clause du Statut 3. Geo. 4 cliap. 119. Les droits mention- nés dans cet acte sont continués jusqu'à ce que le Conseil législatif et l'Assemblée du Bas-Canada aient passé un acte pour les révoquer ou altérer, et jusqu'à ce qu'une copie d'un tel acte ait été trans- mise au gouverneur du Haut-Canada, et ait été mise devant les deux Chambres du Parlement et ait reçu l'assentiment de sa Majesté. Le préambule de l'acte donne pour motif de sa passation la nécessité d'ob- vier aux maux que soufTrait la province supérieure par suite de l'exercice d'un contrôle exclusif par la Législature du Bas-Canada, sur l'importation et l'ex- portation du port de Québec.

Je reconnais sans réserve que la nécessité de se porter médiateur entre les deux provinces a pu seule justifier une pareille intervention de la part du parle- ment; et que si l'on peut fournir quelque garantie suffisante contre le recours de pareilles difficultés cet acte devra être révoqué. On supposa en 1822 que la position géographique particulière du Haut- Canada, qui ne peut communiquer avec la mer que par une province tout-à-lait indépendante de lui, d'un côté, ou par un état étranger, de l'autre, ren- dait la passation d'une loi aussi singulière nécessaire pour le protéger. Je serai bien flatté d'apprendre qu'une telle nécessité n'existe pas à présent, ou qu'on peut raisonnablement espérer qu'elle ne se présen- tera plus à l'avenir, car aussitôt que le gouvernement de Sa Majesté aura par devers lui des preuves suf- fisantes de ce fait, il recommandera au Parlement la révocation de cette partie du statut auquel se rapporte l'adresse de la Chambre d'Assemblée.

Les ministres de la couronne proposeraient même au parlement de révoquer l'acte en question, sur la simple preuve que la Législature du Haut-Canada pense qu'une telle protection est superflue. Peut- être que ce point pourrait s'arranger par des com- munications qui s'échangeraient entre les législatures des deux provinces.

Les ministres de la couronne sont prêts à coopé-

COURS d'histoire du canada 317

rer le plus pleinement possible à toute mesure que les deux Législatures concourront à recommander pour l'altération ou la révocation du Statut, 3. Geo. 4, chap. 119 sect. 28.

Quatorzièmement. Le choix des conseillers législatifs, et la constitution de ce corps, qui forment le dernier sujet de plainte de l'adresse, sont un sujet sur lequel je me bornerai à dire ici qu'il sera l'objet d'une commu- nication séparée, en autant que c'est un sujet trop étendu et trop important pour être commodément embrassé dans ma présente dépêche.

Le tableau précédent des questions amenées par la Chambre d'Assemblée, me paraît justifier entièrement les espérances que j'ai exprimées au commencement de cette dépêche, de voir se terminer promptement avec efficacité et à l'amiable des discussions de lon- gues années. Ce sérail faire injure à la Chambre d'Assemblée que de lui supposer un esprit assez con- tentieux pour maintenir la contestation sur quelques détails mineurs et insignifiants, après l'exposé par lequel je viens de faire ressortir l'accord général qui règne entre les vues du gouvernement de Sa Majesté, et les siennes propres sur un si grand nombre de ques- tions de politique canadienne. Il ne reste à la vérité que peu de chose à débattre, et ce peu, j'en suis con- vaincu, sera discuté dans des sentiments de bien- veillance et de bonne volonté réciproque, et avec le plus ardent désir de resserrer les liens qui unissent les deux pays. Sa Majesté regardera comme une des distinc- tions de son règne les plus dignes d'envie d'avoir contribué à un résultat si grand et si désirable.

Votre Seigneurie profitera de la première occasion qui se présentera pour transmettre à la Chambre d'As- semblée une copie de cette dépêche.

J'ai l'honneur d'être MILORD.

De votre Seigneurie, le très obéissant serviteur,

(signé) GODERICH. (Pour copie conforme) H. CRAIG, Secrétaire.

TABLE DES MATIERES

Pages PREMIERE LEÇON

Epoque difficile et complexe. Une tâche ardue s'impose au professeur et aux auditeurs. La situation politique dans le Bas-Canada en 1815. L'attitude de sir George Prévost. Ses efforts pour satisfaire les Canadiens. Le contre-pied de Craig.- ^IMgr Plessis et son titre cpiscopal. Pierre Bédard nommé juge. Irritation de*RyIand et de l'évêque Moun- tain.— L'Assemblée législative. Son état d'esprit. Cou- rants alternatifs. Sympathie et défiance. Loyauté durant la guerre. Ressentiments rétrospectifs. Escarmouches entre Prévost et la majorité. La passion des représailles. Le juge Sewell. La campagne des impeacbinents. James Stuart instigateur. Question personnelle. Esquisse d'un caractère. Actes d'accusation contre Sewell et Monk. Les règles de pratique et la responsabilité pour les coups d'Etat de Craig. Prévost refuse de suspendre les juges. Mécontentement et blâme de la Chambre. Motion répara- trice.— Difficultés de la tâche entreprise par la majorité. Rien de criminel dans les règles de pratique. La responsa- bilité des conseillers exécutifs. Principe inadmissible par la métropole en 1815. Conflits entre l'Assemblée et le Conseil. Un bill d'éducation. L'incapacité des juges à siéger au Conseil. Une taxe sur les salaires des fonction- naires.— Appréciations favorables de la majorité par Prévost. ^Les impeacbments en Angleterre. La question de respon- sabilité écartée. Celle des règles de pratique décidée en faveur des juges. Irritation de la Chambre. Départ de Prévost pour justifier sa conduite à Plattsburg. Sa fin pré- maturée.— Sir Gordon Drummond lui succède. La décision du Conseil privé et la Chambre. Elle persiste dans son attitude. Cri.se politique. Prorogation et dissolution.... 5

21

320 TABLE DES MATIERES

Pages DEUXIEME LEÇON

La politique de conciliation. Retour triomphal du juge Sewell. La nouvelle Chambre. Conflits en perspective. Sir John Sherbrooke comprend la situation. La politique de coercition lui répugne.^ Sa correspondance avec lord Ba- thurst. Celui-ci lui donne plus de latitude. Le caractère de sir John Sherbrooke. Ce que devait être à ce moment la mentalité d'un bon gouverneur britannique. La race, le milieu et le moment. Un nouvel ordre de choses. Deu.v forces en présence. La prérogative royale et le privilège parlementaire. La session de 1S17. Motifs d'appréhen- sion.— Les impeacbments des juges Sewell et Monk. Com- ment empêcher la majorité de rouvrir la question. Un in- cident favorable. Les secours accordés aux paroisses en détresse. Le rôle de Mgr Plessis.— Des explications. Le juge Foucher mis en accusation. Sir John Sherbrooke es- quive une difficulté. ^L'affaire traîne en longueur. La question du salaire des orateurs. Un terrain de concilia- tion.— Les absents ont tort. On accorde un traitement à MM. Papineau et Sewell. Evolution de la majorité. Vains efforts de M. James Stuart. Son échec et son irritation. Singulier dénouement. Le succès de sir John Sherbrooke. Paroles sympathiques de M. Papineau. Mgr Plessis au Conseil législatif. M. Papineau au Conseil exécutif. Heureux résultat d'une politique modérée 43

TROISIEME LEÇON

Une question ardue. Les subsides. Etat de la question en 1817. Un déficit à côté d'un surplus. Double catégorie de recettes et de dépenses. Coup d'oeil rétrospectif. Les revenus de la Couronne et ceux de la législature. Les pre- miers sont insufi&sants, les seconds sont surabondants. Les gouverneurs pratiquent l'emprunt forcé. Paiements irrégu- liers.— Remboursement sous sir George Prévost. Nou- veaux emprunts illégaux. Sir John Sherbrooke signale l'a- bus et propose le remède. Demande de subsides à la lé-

TABLE DES MATIERES 321

Pages

gislature. Une date importante. Bonnes dispositions de la Chambre. Un vote de crédits en 1818. Maladresse du duc de Richmond en 1819. Le commencement des difficul- tés.— Un bill de subsides annuel et par articles. Le Conseil le rejette. Conseils néfastes du duc de Richmond. Sa mort tragique. Interrègne Monk-Maitland. Dissolution in- compréhensible.— Une session de treize jours. Singulier imbroglio. Mort du roi George IIL Dissolution et élec- tions nouvelles. Un discours de M. Papineau. LordDal- housie. Un nouveau bill de subsides en 1821. Résolu- tions intempestives du Conseil législatif.- Rejet du bill. La Chambre proteste contre une série d'abus. Méconten- tement de lord Dalhousie. La session de 1821-22. Le gouverneur demande une liste civile pour la vie du roi. Refus et explications de la Chambre. Une autre cause de difficultés. Le partage des recettes douanières entre le Haut et le Bas-Canada. Prétentions divergentes. Ré- clamations et plaintes du Haut-Canada. Appel à la mé- tropole.— Perspective menaçante pour le Bas-Canada 71

QUATRIEME LEÇON

La tentative d'union de 1822. M. Edward Ellice. Ses accointances canadiennes. Le groupe unioniste montréa- lais.—Le projet d'union des deux provinces.^ Consulta- tions préalables. L'opinion du procureur général haut- canadien. Le cabinet britannique passe outre. II pré- sente un bill d'union. Une intervention opportune. Le débat aux communes. Attitude de sir James Mackintosh. II fait ajourner le bill. Tbe Canada Trade Act. Analyse du projet soumis. Trois articles spécialement iniques. L'inégalité de représentation. La proscription de la langue française. La collation des cures. L'agitation au Canada. La pétition. Mission de MM. John Neilson e.t Louis- Joseph Papineau.— La Chambre d'assemblée et le Conseil législatif condamnent le bill. MM. Neilson et Papineau

322 TABLE DES MATIERES

Pages

à Londres. Leur mémoire contre l'Union. On leur fait des promesses. Le bill reste en plan. L'attitude de lord Dalhousic. La tentative échoue. Aveux rétrospectifs.— Une chanson satirique 108

CINQUIEME LEÇON

L'imbroglio constitutionnel. Un intermède. -La session de lg23. M. Vallièresélu orateur. Les estimations budgétaires Nouvelle classification. La chambre, tout en signalant certaines objections, vote les subsides. La session de 1824. Moins d'harmonie. Lord Dalhousie et M. Vallicres. La situation financière. Le déficit CaldwcII. Divergences dans la Chambre. Vallières et Papineau. Intéressantes passes d'armes. Le Canada Trade Act. Etonnante attitu- de de Papineau. Les subsides. Un débat mouvementé. Le vote prépondérant de M. Vallières. M. Neilson veut amender des résolutions inspirées par M. Papineau. Un bill des subsides rejeté par le Conseil législatif. Le conflit entre le pouvoir exécutif et la Chambre. En quoi il con.sis- tait. La liste civile annuelle tt l'afTcctation de tout le revenu. Un coup d'œil sur chacun de ces deux aspects de la question. La liste civile en Angleterre et au Canada. Différences de conditions. L'affectation du revenu total. Les raisons politiques de la Chambre. La session de 182.^. Une accalmie.— Absence de lord Dalhousie. Adminis- tration conciliante du lieutenant gouverneur Burton. Il obtient les subsides. Une équivoque. Détente momenta- née.— Lord Bathurst blâme sir Francis Burton. -Il man- que une heureuse occasion de mettre fin à un malencontreux conflit. L'épisode Bathurst-Burton. Retour de lord Dal- housie.— La session de 1826. Nouvelles divergences. La Chambre refuse les subsides. Prorogation ab irato. Disso- lution et élections. Violente agitation. La majorité est soutenue par l'électorat. Manifeste et harangue de M. Pa- pineau.— La session de 1827. M. Papineau réélu orateur. Lord Dalhousie refusc^de l'agréer. La Chambre persiste. Prorogation immédiate. Nouvelle crise. Les Canadiens

TABLE DES MATIERES 323

Pages

pétitionnent pour soumettre leurs griefs ;iu parlement im- périal 144

SIXIEME LEÇON

L'enquête de 1828. Assemblées publiques à Québec et à Montréal. Formation de comités. Les pétitions canadien- nes.— Analyse des griefs formulés. La composition du Con- seillégislatif. Conseillers fonctionnaires et pensionnaires- Leur dépendance indiquée par leurs votes. Les revenus et la dépense.- Les salaires exorbitants. Le cumul des fonctions. Comparaison entre deux époques. L'instruc- tion publique. L'Institution royale. La concession et l'administration des terres publiques. La tenure des terres. L'ingérence du parlement impérial. Plaintes de la mi- norité.— Les bureaux d'enregistrement. La représenta- tion des cantons de l'est. Une délégation canadienne, MM. Neilson, Viger et Cuvillier. Huskisson, secrétaire des colonies. Les fluctuations de la politique anglaise. La question canadienne soumise aux Communes. Discours de Huskisson. Assertions discutables. Exposé incom- plet.— Un important discours de sir James Mackintosh.-^ Nomination d'un comité d'enquête. Audition des témoi- gnages.— Un document précieux. Constatation de faits. Griefs prouvés par nos délégués. Une lettre de MM. Neilson, Viger et Cuvillier. Le rapport du comité de 1828. La légitimité de nos plaintes reconnue. Le départ de lord Dalhousie. Sir James Kempt. Les chan bres se réunissent. L'élection de M. Papineau comme orateur sanctionnée. Encore une accalmie 187

SEPTIEME LEÇON

La division du parti canadien.— Le gouvernement de sir James Kempt. Unetrêve politique. Les difTicuItés de la si- tuation.— Sir James Kempt et les partis. Une lettre à sir George Murray. La session de 1828-29. La question des finances. Message de .sir James et réponse de la Chambre.

324 TABLE DES MATIERES

Pafîes

Les estimations budgétaires. Un bill de subsides voté par les deux chambres. Le remaniement des comtes. Les ex- pulsions de M.Christie. La session de 1829-30. Maintien de la trêve. Les craintes de sir James Kempt. Un bill de subsides encore une fois voté. L'esprit pacifique du juge Sewell. Appréciations de M. Papineau.^ Sir James Kempt etIeConscil législatif.^ Il adresse une dépêche au ministre. Une faute d'impression malencontreuse. Le départ de sir James Kempt et l'arrivée de lord Aylmer.^ La mentalité du nouveau gouverneur. Dispositions excellentes envers notre cause. En Angleterre. Les changements de minis- tère.— Lord Godcrich mini.stre des colonies. Une politique de conciliation. Lettre significative de lord Aylmer.— MM. Papineau et Neilson proposés pour le Conseil exécu- tif.— Leur refus.^ La session de 183L Une proposition du gouvernement impérial.^ Une liste civile de 19,500 louis. Estimations réduites. La Chambre refuse un vote permanent. Des résolutions proposées par M. Neilson.- Appréciations favorable de lord Aylmer. Les amendements de M. Bourdages. Un message peu banal de lord Aylmer. Un bill de .subsides voté et sanctionné. Accusations contre M. James Stuart. Sa suspension. Le cas des juges Flet- cher et Kerr. La session de 1831-32. Une dépêche mémo- rable de lord Goderich. L'abandon du revenu de la Cou- ronne par la loi Howick. Une li.ste civile de 5,900 louis. Refus de la Chambre. Une faute. L'attitude de M. Neil- son.— La question des juges. L'élection du Conseil légis- latif.— Le bill des notables.— Fâcheuse ligne de conduite de MM. Papineau et Bourdages. Le clergé maltraité par la majorité. Evolution regrettable. Alarmants symp- tômes 220

TABLE DES NOMS DE PERSONNES

Alison, 39. Amyot (M.), 97. Aubin (W.), 19.

Aylmf.r (lord), 221, 232, 233, 234, 235, 236, 239, 24 0' 241, 242, 244.

B

«

Baby (F.), 32.

Bacquet (J.-B.-E.), 188.

Baldwin, 235.

Baring (W.-B.), 210.

Bathurst (lord), 8, 12, 33, 35, 38, 40, 43, 44, 45, 46,

56, 57, 67, 68, 78, 79, 80, 81, 88, 145, 168, 175, 176,

177, 179, 204, 205, 224. BÉDARD (Joseph), 122.

BÉDARD (Pierre), 6. 8, 11, 13, 14, 16, 20, 26, 27. BÉDARD (T.-P.), 220, 262. BÉLANGER (Jean), 123, 226. Bell (M.), 24. Bellet (M.), 14. Bfrthelot (Amable), 188. Beaujeu (M. de), 227, 230. BiBAUD (Michel), 41, 70, 85, 108, 123, 143, 144, 160,

181, 182, 184, 220, 245, 261. Bigaouette (J.), 188. Blackiston (Robert), 188. Blackstone, 136. Blackwood (John), 32.

Blanchet (le Dr F.), 14, 20, 123, 184, 188. 226. BoRGiA (Joseph-Levasseur), 8, 13, 24, 188. Borne (Michel), 187.

320 lABLE DES NOMS DE PERSONNES

BouRDAGES (louis), 123, 154, 155. 157, 159, 182, 221, 228,245,247,248.249. 250.251. 252, 254. 255, 257, 258, 259, 200.

BOURNE (S.), 211.

BouTH ILLIER (Jean), 122.

BowEN (Edward), 123, 192.

Bright (Henrv), 117.

Brogden (M.), 113, 114.

Bruneau (M.), 24.

Burdett (sir Francis), 135.

BURNET (P.), 123.

Burton (sir Francis), 145, 169, 171, 173; 174, 175, 17G, 177, 178, 179.

Cai.dwell (John), 10, 32, 144, 150, 151, 152, 153, 188,

192, 210, 217, 242, 203. Canning (George), 140, 205, 234. Cannon (John), 189. Campbell (Archibald), 211. Carleton (sir Guy), 169, 170. Castlereagh (lord), 19. Chauveau (P.-J.-O.), 139, 144. Christie (Robert), 7, 9, 12, 14, 32, 40, 41, 59, 63, 70,

80, 85, 89, 90, 96, 99, 108, 144, 153, 171, 172, 178,

184, 220, 221, 226, 227, 230, 232, 241, 262. Clarke (Alured), 169. Clarke (Thomas), 104, 288. Clouet (Michel), 188. Coffin (Thomas), 192. Colborne (sir John), 229. Coltman (William-Batchelor), 10. CORBEIL (M.), 20. Craig (Henry), 317. Craig (sir James), 6, 7, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 16, 17,

19, 20, 25, 26, 28. 30, 35, 36, 38, 39, 40, 50. 53, 56,

78, 170, 180, 232. Cramahé (Hector-Theopîiilus). 169. Cugnet (J.-F.), 200, 219. CuTHBERT (James), 10, 32, 258, 259.

TABLE DES NOMS DE PERSONNES 327

CUTHBERT (Ross), 10,

CuviLLiER (Austin), 57, 104, 123, 184, 186, 204, 211, 213, 214, 215,288.

D

Dalhousie (lord), 71, 89, 93, 94, 96, 98, 100, 104, 109, 128, 141, 145, 146, 150, 153, 164, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 184, 186, 190, 217, 218, 219, 222, 226, 233, 300.

Davidson (J.), 104, 123.

Debartzch (P.-D.), 122.

Debrett, 140.

Defoy (Etienne), 188.

Demers (l'abbé Jérôme), 256.

Denault (Mgr), 14.

Denison (J.-É.), 211.

Desbarats (P.-E.), 123.

Desrivières (François), 122.

DioNNE (Dr N.-E.), 257.

DoRCH ESTER (lord), 53, 94, 200.

Dorion (Joseph), 188.

DouGHTY (Arthur), 41.

DouTRE (Gonzalve), 28, 41.

Drummond (sir Gordon), 6, 40, 41, 44, 45, 46, 47.

DucHESNAY (Antoine-Jiichereau), 10.

Duchesnay (A.-L.-J.), 32, 123.

DucHESNEAU (l'intendant), 246.

Dumoulin (M.), 252.

DuNN (le président), 170.

DuvAL (John), 188, 250, 253.

Ellice (Edward), 109, 110, 116, 117, 138, 139, 141, 142, 211.

Faucher (Pierre), 188. Fazakerley (J.-A.), 211.

328 table des noms de personnes

Felton (W.-B.), 130, 192,, 258 259. Ferland (l'abbé), 8, 70. Fitzgerald (M.), 211. Fitzgerald (V.), 211. Fletcher (le juge), 241. Forsyth (Henry-George), 188. Forsyth (H.-S.), 188. FoRTiER (Louis), 188. F'oucHER (le juge), 8, 43, 57, 59. Franklin (Benjamin), 139. Fraser (John), 188. Fletcher (le juge), 221, 241.

Gagné (Joseph), 188.

Gale (Samuel), 203, 211.

Garden (G.), 104.

Garneau (F.-X.), 13, 41, 70, 85, 97, 108, 131, 138, 139,

144, 184, 220, 261. Gaspé (Ignace-Aubert de), 10, 123. Gauthier (Augustin), 188. George III (le roi), 71, 90, 92. George IV (le roi), 162. Goderich riord), 205, 221, 233, 234, 235, 239,241,242,

24'i,301. 317. Goudie (John), 123. Gower (F.-G.-L.), 211.

Grant (Charles-William), 10, 110, 130, 172, 259. Grenville (lord), 204. Grey (lord), 109, 138, 233, 242. GuGY (Louis), 192. Gugy (M.), 259. Guy (Louis), 122, 228.

H

Mâle (Edward), 151. Hale (John), 32, 192. Hale (M.\ 259.

I

TABLE DES NOMS DE PERSONNES 329

Hamel (A.-R.), 188. Hamilton (Henry), 169. Hart (M.), 110. ' Hait (M.), 231, 299. Heney (Hugues), 123. Henderson (W.), 123. HÉRICOURT (d'), 136. HopE (Henry), 169. Horton (R.-W.), 141. HowiCK (lord), 221, 243. Hume (M.), 210. HuoT (H.-S.), 188, 251. HuoT (M.), 24.

HusKissoN (W.), 186, 204, 205, 206, 207, 209, 211, 214, 215, 222.

I

Ignotus, 184. iRyiNE (James), 120.

Jenner (le Dr), 65. Jones (Jonas), 104. Johnson (sir John), 192. Juchereau-Duchesnay, 123.

Kempt (sir James), 186, 219, 221, 222, 223, 224, 225,

227, 228, 229, 230, 231, 232, 235. Kerr (James), 10, 191, 221,241.

KiNGSFORD (William), 41, 70, 88, 108, 144, 184,220,261. Kimber (R.-J.), 123.

L

Labouchère (Henri), 208, 211. Lagueux (E.-C), 123, 188. Lagueux (Louis), 188.

330 TABLE DES NOMS DE PERSONNES

Lacueux (Louis, fils), 188.

Laglîeux (L.-A.), 188, 253. 255.

La Fontaine, 235, 251.

Lamartine, 144.

Lanaudière (Charles-Gaspard de), 10.

Langevin (J.), 188.

Laroque (F.-A.), 123.

Laterrière (Pierre de Sales), 63, 64, 251.

Laval (Mgr de), 245, 266.

Leblond (Jacques), 188.

Lecky (E.-H.), 227, 262.

Lee (M.), 13, 14.

Lee (Thomas), 123, 137.

LÉGARÉ (Ignace), 188.

LÉCARÉ (Joseph), 188.

LÉRY (Charles de), 128.

LÉRY (L.-R.-C. de), 122.

Lewis (T.-F.), 211.

Lindsay (W.), 123.

Liverpool (lord), 204, 205.

Loch (T.), 211.

Logan (M.), 110.

Londonderry (lord), 114, 117.

Lotbinière (Chartier de), 32.

Louis XV, 92.

M

Mackintosh (sir James), 109, 114, 115, 116, 131, 138,

141,180,209,211. Mackenzie (Roc!.), 130. MacLean (A.), 105. Maitland (sir Peregrine), 71, 88, 89. Marett (J.-L.), 188. Marryatt (M.), 101, Martin (A. Patchett), 50. Marshall (M.), 111. Masures (F.), 73, 108. Massue (Louis), 188. May (sir t. Erskine). 16L 162, 184,205, 220,234, 262.

TABLE DES NOMS DE PERSONNES 331

McArthur (Duncan), 41. McCoRD (F.), 170, 181. McGiLLIVRAY (W.), 32, 211. MiGNAULT (.P.-B.), 260, 262. MiLNES (sir Robert Shore), 9, 169, 170. Mirabeau, 139. MoFFAT (M.), 259. MOLSON (M.), 110.

MONDELET (M.), 251.

Mondore (Joachim), 188.

MoNK (le juge), 6, 17, 20, 21, 23, 31, 32, 33, 35, 43, 55,

60, 71, 85, 88, 89, 100, 111. Moquin (Louis), 123. Mountain (l'évêque), 6, 12, 16, 31, 32. Moquin (Louis), 123. Morgan (Henry), 18, 39, 41. Mountain (l'évêque), 6. 12, 16, 31, 32. MuiR (John), 10.

MuNRO (William-Bennett), 210 220. Mure (M.), 24.

MuRRAY (sir George), 221, 222, 233, 314. Murray (James), 170.

N

Napoléon (l'empereur), 80, 91, 305.

Neilson (John), 26, 27, 43, 104, 109, 123, 138, 131, 133, 134, 137, 138, 139, 140, 145, 159, 184, 186, 188, 191, 196, 197, 198, 202, 204, 211, 213, 214, 215, 221, 226, 227, 235, 237, 238, 239, 240. 242, 243, 244, 245, 2.50, 251, 254,261, 263, 283, 288, 289, 291.

O

Ogden (M.), 69, 129.

Pagnuelo, 260, 262. Panet (Jean-Antoine), 60.

332 TABLE DES NOMS DE PERSONNES

Panet (Pierre-Louis), 8.

Panet (Philippe), 123,251.

Papineau (Joseph), 14, 40.

Papineau (I..-J.), 13, 14, 24, 43, 44, 60, 61, 63, 65, 66, 68, 69, 71, 91, 93, 104, 109, 122, 127, 128, 131, 133, 134, 137, 138, 139, 140, 145, 146, 154, 155, 156, 157, 158, 170, 173, 176, 180, 181, 182, 186, 219, 221, 222, 229, 230, 232, 235, 237, 243, 244, 245, 248, 251, 252. 253, 255, 257, 259, 260, 263, 282.

Parker (Wilham), 114.

Peel (RoJjert), 233.

Pelletier (Pierre), 188.

Perceval (Spencer), 204.

Percival (Michael-Henrv), ]().

Perrault (Jacques), 10.

Perrault (J.-F.), 41, 70, 108, 123, 184, 220, 261.

Perrault (Olivier), 10.

PiTT (William), 48, 153, 204, 205, 208.

Plante (J.), 123.

Plessis (Mgr), 6, 7, 11, 12,43, 56,66, 67, 68, 96, 176, 259.

PoRTLAND (le duc dc), 204.

PozER (M.), 24.

Prescott (Robert), 169, 170, 199.

Prévost (ladv), 39.

Prévost (sir George), 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 16, 21, 23, 28, 30, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 4J, 52, 53, 67, 71, 78, 87.

Pyke (M.), 24.

QuESNEL (F.-A.), 123. QuESNEL (Jules), 123. QuiROUET (F.), 123, 226.

R

RiCHARDSON (John), 10, 99, 110, 123, 129, 172. RiCHMOND (lé duc de), 72, 83, 87, 88, 100. RoBiNSON (le procureur général), 111, 112. Roi (M.), 14.

<

table des noms de personnes 333

Rolland (J.-R.), 122. Rou VILLE (J.-B. Hertel de). 10, 12. Roy (J.-E.), 153, 184. Roy (Joseph), 188.

Ryland (H.-W.), 6, 7, 9, 10, 11, 12, 16, 17, 29, 32, 33, 85, 192, 196.

Saint -Ours (Charles de), 32, 122.

Saint-Ours (R. de), 32.

Saint-Réal (Valhères de), 128, 145, 140, 150, 153, 154,

155, 157, 158, 159, 170, 188, 191. Salaberry (C.-M. de), 122. Salaberry (Louis de), 123. S AN don (le vicomte), 211. Sewell (le juge), 6, 16, 17,18, 20, 21, 23, 25, 26, 27,

28, 29, 31, 32, 33, 35. 38, 43, 48, 49, 55, 60, 61 67,

69, 85, 105, 221, 224, 230, 258, 259. Sewell (Stephen), 19. Sherbrooke (sir John Coape), 41, 43, 44, 45, 46, 47,

48, 49, 50, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 61, 63, 64,

66, 67, 68, 70, 71, 72, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84,

87, 99. Spencer (lord), 9. Stanley (E.), 210, 211. Stephen (James), 211. Stewart (C.-J), 192. Stewart (John), 192. Strachan (le rév.), 140, 284. Stuart (Andrew), 19, 123. Stuart (James), 6, 16, 18, 19, 21, 24, 25, 27, 28, 30,

36, 40, 41, 43, 44, 50, 55, 60, 61, 62, 63, 64, 123,

138, 139, 140, 141, 220, 241. Stuart vs Bow.man, 202.

Taine (Hippolvte), 53. Taschereau (F.-P.-J.), 123.

334 table des noms de personnes

Taschereau (J.-E.), 123.

Taschereau (M.), 20, 158.

Têtu (F.), 123.

TiNDAL (sirW.), 211.

ToDD fAlplicus), 161, 184, 205, 220, 234, 262.

Turgeon (Louis), 123.

V

Vallières (J.-A.), ]23.

Veritas (lettres de), 41.

ViGER (D.-B.), 13, 14, 133, 157, 184, 186, 204, 211,

213, 214, 215, 218, 231, 288. ViLLIERS (F.-H.), 211.

W

Wallace (T.), 211.

Wellington (le duc de), 39, 50, 88, 204, 205, 233.

WiLCOx vs WiLCOx, 202.

Williams (Jenkln), 22.

WiLMOT, 113, 114, 115, 127, 134, 282, 289.

WiLMOT-HoRTON, 140, 142, 210, 211, 214, 215.

WiLSON (T.), 123.

W^ooLSEY (G.-W.), 123.

WORTLEY (J.-T.), 211.

Wynn (C), 211.

Yeo (sir James), 39.

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