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CRITIQUE
DE
LA RAISON PURE
I. ailEVIN — IMPRIMERIE M LÀQICT
EMMANUEL RANT
CRITIQUE
DE
LA RAISON PURE
Traduction J. BARNI Revue et corrigée par P. ARCHAMBAULT
TOME PREMIER
PARIS
ERNEST FLAMMAaiON, ÉDITEUR
26, RUE RACINE» 26
Tolu droits /éservês.
AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR
vie de Kant n'a point de place dans Vhistoire. Son enfance grave et ses études à Kœnigsberg (1724-1746), ses divers préceptorats dans des familles nobles [l746-i7oo)t son long enseignement comme privat-ducent puis comme pro- fesseur titulaire {i7o6-i797), sa vieillesse laborieuse et sa mort sereine {1804) sont des faits sans intérêt pour le socio- logue comme pour le chroniqueur. Sa philosophie est en revanchCy au témoignage d'un de ses meilleurs juges, « un des faits les plus considérables de Vhistoire de l'esprit humain ».
Kant s'est trouvé au confluent de trois principaux courants de pensée : le piétisme dont il avait subi f influence par sa mère et son maître Martin Knutzen et oit il a puisé la foi au devoir et le culte de Vintentim morale ; le ncwtonisme à qui il emprunta une conception rationaliste et à prioriste de la science capitale pour l'intelligence de la Critique de la liaison pure ; la <( philosophie des lumières » qui lui donna une confiance absolue dans la raison et les idéts comme fac- teurs de civilisation et de progrèi^ et fit de lui un admirateur décidé de la Révolution française. Sa tâche fut de réunir ces idées en wœ synthèse, non seulement cohérente, mais origi- nale^ dominée par une conception géniale et toute person- nelle : à savoir, non pas tant le criticisme, comme on Va trop souvent dit, quç IHdéalisme critique, c'est-à-dire Vaffirma-
2- - 1
2 AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR
tion de Vesprit comme législateur et régulateur du monde^ la souveraineté du sujet pensant.
Bans son œuvre colossale, quatre ouvrages surtout attirent Vattention. Dans la Critique de la Raison pure (1781), à laquelle il convient de rattacher les Prolégomènes à toute métaphysique future voulant se présenter comme science (1783), il dôreloppe sa théorie de la connaissance. Toute connaissance ^uppo-e une matière et une forme, c'est-à-dire des faits d'intuition et dus rapports entre ces faits. Ces rap- ports, œuvre du sujet pensant et valables par conséquent pour le seul monde rfes phénomènes, sont de trois sortes : formes à priori de f intuition, catégories de l'entendement, idées de la raison. Us assurent une base ferme à la science, ou connaissance des phénomènes ; mais ils ne peuvent nous permettre d'atteindre aux noumènes ou choses en soi, et toute métaphysique dogmatique se trouve par là condamnée sans appel. Dans la Critique de ia Raison pratique (1788), à laquelle se rattache de même le Fondement de la Méta- physique des Mœurs (1785), Ka t définit une morale du devoir et de la bonne volonté : morale rationaliste, éga- lement distante de l empirisme et du mysticisme ; morale d'autonomie, qui pose la personne humaine comme fin en soi. Il rétablit d'autre part, à titre de croyances, les affirmations religieuses qu'il avait exclues du savoir. Dans la Critique de la faculté de juger (1790), il renouvelle les deux questions du beau et de la finalité et rétablit un passage entre les deux domaines, trop profondément séparés par lui jusque-là, de la natuM et de la liberté, de la connaissance et de l'action. Enfin la Religion dans les limites de la raison (1793) donne la formule d'un christianisme rationalisé, oii le dogme est d'ail- leurs radicalement subordonné à la morale. Il convient d'ajouter, pour que cette notice succincte ne paraisse pas trop injuste, que certaines vues cosmologiques, sociales et pédagogiques de liant sont du plus durable intérêt.
Nous avons cru aider utilement à la vulgarisation de la pensée kantienne et servir la cause de la haute spéculation philosophique en rééditant la traduction, aujourd'hui épTiisée, que Jutes Bar ni a faite de la Critique de la Raison pure. Cette tradition a les plus i^érieuscs qualités .• elle est intelli- gente, claire, aussi aisée et coulanti que le peut être une
AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR :i
traduction de Kant. Mais il faut reconnaître aussi qu'elle est insuffisamment précise, qu'elle jrrend parfois d'excesi^iaes libellés avec le texte, que son vocabulaire philosophique, d'ailleurs mal fixé, a besoin d'être mis en conformité avec le lanijage technique plus rigoureux des philosophes d'aujoiir- d'hui. Corriger ces défauts sans nuire à aucune de ces qua- lités : c'est le but que nous nous sommes proposé dans notre travail de révision. Nous n'avons point visé à faire œuvre proprement scientifique, et l'on ne trouvera pas ici une inter- prétation nouvelle de la pensée kantienne. Mais nous n'avons rien négligé pour fournir à tous un utile et solide instrument de travail.
ISous pensons que Barni eid raison de prendre pour 6 .<; de S'i traduction la seconde édition de /a Critique de la Rai- son pure, et nous l'avons suivi sur ce point. C'est, à nos yeu,i, un devoir élémentaire de loyauté et de respect envers i s morts de considérer comme l'expression définitive de leur pensée celle qu'ils ont présentée comme telle, alors mên\ ■ qu'elle ne nous paraîtrait pas la j^lus satisfaisante. Le taU: de la première édition a d'ailleurs été intégralement conserve par nous, soit en note, soit en appendice.
Parmi les notes de Barni, nom n'avons maintenu que celles qui sont précisément relatives aux différences des deux édi- tioïis. Elles sont annoncées par des lettres : a, b, c... tandis que les notes de Knnt sont annoncées par des chiffres : 1, 2, 3... Nous avons m>s entre crochets [ ] tous les mots ou membres de phrases qui, ajoutés par le traducteur et néces- saires à l'intelligence du texte français» n'ont pas d'équiva- lent dans le texte allemand.
P. A
BAGO DE VERULAMIO*
INSTAURATIO MAGNA. TR^FATIO
De nobis ipsis silemi/s : de re aulem, quœ agituv, pelimus : 7it homines eam non opimonem, aed opus esse coqiteni; oc pro ccrio habeanl, non sectœ nos alicujns, mit placili, sed i/h'liiatis et ampliludinis humanœ fundmnenta moliri. Deinde ut stns commodis aeqiii in commune consulant et ipsi in pm-lcm reniant. Praeterea vt bene sperent nerjue instaurationejn nos- tram vl quiddam in finit um et ultra mortale finrjant, et aninio concipiant, quum rêvera sit infiniti errons fiius et frrmimr'i leqitimuH.
'. Celte épigraphe ne se trouve que dans la 2" édition.
A SON EXCELLENCE
LE MINISTRE d'ÉTAT DU ROI DE PRUSSE
BARON DE ZEDLITZ
Monseigneur,
Contribuer pour sa pari à l'accroissement des sciences, c'est du mcme coup travailler dans Viniérêt de Votre Excellence ; car ces deux choses sont étroitement unies, non seulement par le poste élevé du protecteur, mais encore par les sympathies de l'amateur et du connaisseur éclairé. Aussi ai-je recours au seul moyen qui soit en quelque sorte en mon pouvoir de témoigner à Votre Excellence toute ma gratitude pour la bienveillante confiance dont elle m''honore en me jugeant capable de con- courir à ce but.
Celui qui aime la vie spéculative n'a pas de plus grand désir que de trouver dans l'approbation d'un juge éclairé et compé" lent un puissant encouragement à des efforts qui sont loin d'être sans utilité, quoique cette utilité soit éloignée, et que, pour cette raison, elle soit tout à fait méconnue du vulgaire*.
Tel est le juge auquel je dédie aujourd'hui cet ouvrage, [en le recommandant] à sa bienveUlante attention^; je place sous sa protection tous les autres intérêts de ma carrière littéraire, et suis avec le plus profond respect,
De Votre Excellence,
t.c très humble et très obéissant serviteur.
Emmanuel Kant. Kœnife'sberg, le 20 mars I78f.
a. Cet alinéa lut supprimé dans la 2" édition.
b. Kant rédi{?ea ainsi dans sa 2' édilion le commencement de cet alinéa : « Je recommande cette seconde édition de mon ouvrage à Ja bienveillante attention dont Votre Excellence a daigné honorer la première, ainsi que les autres, etc.. »
PBÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION
(1781)
La raison humaine a celte destinée singulière, dans une partie de ses connaissances, d'être accablée de certaines ques- tions qu'elle ne saurait éviter. Ces questions en effet sont imposées à la raison par sa nature même, mais elle ne peut lour donner une réponse, parce qu'elles dépassent tout à fait sa portée.
Ce n'est pas sa faute si elle tombe dans cet embarras. Klle part de principes dont lusage est inévitable dans le ci>urs de l'expérience, et auxquels cette même expérience donne une garantie suffisante. Avec leur aide, elle s'élève toujours plus haut (comme l'y porte d'ailleurs sa nature), vers des condi- tions plus éloignées. Mais, s'apercevant que, de cette manière, son œuvre doit toujours rester inach(>vée, puisfpie les ques- tions ne cessent jamais, elb^ se voit contrainte de se réfugier dans des principes qui dépassent tout usage expérimental pos- sible, et qui cependant paraissent si dignes de confiance que le sens comnum même se trouve d'accord avec eux. Mais aussi elle se précipite par là dans une obscurité et des contra- dictions qui l'autorisent à conclure qu'il doit y avoir au fond quelques erreurs cachées; erreurs qu'elle ne peut découvrir toutefois, parce que les principes dont elle se seit [alors], sor- tant des limites de toute expérience, n'ont plus de pierre de touche expérimentale. Le champ de bataille où se livrent ces combats sans fin, voilà ce qu'on nomme la Mrtaphyaiqiie.
Il fut un temps où elle était appelée la veine de toutes les sciences; et, si l'on répute l'intention pour le fait, elle méri- tait bien ce titre glorieux par la singulière importance de son objet. Mais, aujourd'hui, il est de mode de lui témoigner un
10 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
mépris absolu, et la dame, repoussée et abandonnée^de tous, s'écrie avec Hécube :
Modo maxima rerum,
Tôt generis natisque potens,...
Nunc trahor exnl, inops.
{Ovide, Métam.)
Sa domination fut d'abord despotique, sous le règne des dogmatiques. Mais, comme ses lois portaient encore les traces de l'ancienna barbarie, des guerres intestines la firent tomber peu à peu en pleine anarchie, et les sceptiques, espèces de nomades qui ont en horreur tout établissement fixe sur le sol, rompaient de temps en temps le lien social. Mais, comme par bonheur ils étaient peu nombreux, ils ne pouvaient empêcher les dogmatiques de chercher à reconstruire à nouveau [l'édifice], sans avoir d'ailleurs de plan sur lequel ils fussent d'accord entre eux. A une époque plus récente, une certaine physiologie de l'en- tendement humain (doctrine de l'illustre Locke) sembla un instant devoir mettre un terme à toutes ces querelles et pro- noncer définitivement sur la légitimité de toutes ces préten- tions. Mais, quoique cette prétendue reine eût une naissance vulgaire, étant sortie de l'expérience commune, et que cette extraction dût rendre ses exigences justement suspectes, il arriva cependant, grâce à cette généalogie, fausse en réalité, qu'on lui avait fabriquée, quelle continua à affirmer ses pré- tentions. Tout retomba ainsi dans le vieux dogmatisme ver- moulu, et, par suite, dans le mépris auquel on avait voulu soustraire la science. Aujourd'hui que toutes les voies (à ce que Ton croit) ont été tentées en vain, il règne dans les sciences le dégoût et un parfait indilTérentisme : [doctrine] mère du chaos et de la nuit, mais dans laquelle est aussi le principe, ou du moins le prélude d'une transformation pro- chaine et d'une rénovation de ces sciences où un zèle mal entendu avait mis l'obscurité, la confusion, la stérilité.
Il est bien vain, en effet, de vouloir affecter de Yindifférence •pour des recherches dont l'objet ne saurait être indifférent h la nature humaine. Aussi ces prétendus indiffcrentisles, quelque soin qu'ils prennent de se rendre méconnaissables eu substituant un langage populaire à celui de l'école, ne man- quent-ils pas^ dès qu'ils pensent un peu, de retomber dans ces mêmes assertions métaphysiques pour lesquelles ils affichaient tant do mépris. Cependant, celte indifférence qui s'élève au sein de toutes les sciences, au moment môme de leur épanouis- seuK'nt, et qui atteint justement celles dont la connaissance
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION H
aurait le plus de prix à nos yeux, si nous pouvions la possé- der, cette indiffc-rence est digne d'attentions et de réflexions. Elle n'est pas évidemment l'etïot de la it'géreté, mais bien de la maturité de jugement^ d'un siècle qui n'entend plus se laiis- ser amuser par une apparence de savoir ; elle est une mise en demeure adressée à la raison de reprendre à nouveau la plus difficile de toutes ses tâches, celle de la connaissance de soi- ménii^ et d'instituer un tribunal qui, en assurant ses légitimes prétentions, repousse aussi toutes celles de ses exigences qui sont sans fondement, non par une d'''cision arbitraire, mais au nom de ses lois éternelles et immuables. Ce tribunal, c'est la Cnlique de la raison pitre elle-même,
Je n'entends point par là une critique des livres et des systèmes, mais celle du pouvoir de la raison en général, i<onsidérée) par rapport à toutes les connaissances auxquelles (lie peut s'élever indépendamment de toute expènence ; par conséquent la solution de la question de la possibilité ou de [impossibilité d une métaphysique en général, et la détermi- nation de ses sources, de son étendue et de ses limites, tout cf'la suivant des principes.
Celte voie, la seule qui ait été laissée de rrtté, est justement celle où je suis entré, et je me flatte d'y avoir trouvé la réfu- tation de toutes les erreurs qui avaient juscjuMci divisé la raison avec elle-même dès qu'elle sort de l'expérience. Je n'ai point éludé ses questions en m'excusant sur l'impuissance de la raison humaine ; je les ai au contraire parfaitement spéci- fit'es d'après certains principes, et, après avoir découvert le point précis du malenlt^ndu de la raison avec elle-même, je tes ai résolues à son entière satisfaction. A la vérit»' i
1. On entend çn et là se plaindre de la pauvreté de la péris, c dans notre siè-lo et d»Ha déiiK'er.ce do foule srienco solide. Mais ji» ne Vois pus ijuo les scloiicos dont les fondements sont bien éln- l)lis, comme les matlicniatiquos, la physique, etc., méritent lo moins du jnonde ce reproche ; il nio semble au contraire, quelles sou- tiennent fort bien leur viville réputation do solidité, et qu'elles l'ont luèitio surpassée dans ces derniers temps. Or, le même osjm il nittntrerait la même efllcacité dans les autres jrenres de oonnui.s- :inres, si l'on s'était a[)pliqué d'abord à en rectillrr les principes. Tant (pi'on ne l'aura pas fait.rindilIVrcnce. le doute, et nn;tl.in( iil nue sévère critique sont plutôt preuves de profondeur de ; Notre siècle est le vrai siècle de la critique : rien ne doit > por. Kn vain la t'elUjion i\ cause do sa saintcU*, et la ' (
cause de sa maje&tc, pretendenl-elles s'y soustraire. ! !it
par là contre elles de jiistes soupçons. et perdent tout u. . .: ,. , . ;i(> sincère eslime cpie la raison n'accprde qu'à ce qui a pu soutenir ^ou libre et public e\anien.
12 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
solution n'est pas telle que pouvait le souhaiter l'extravagante curiosité des dogmatiques : car cette curiosité ne saurait être satisfaite qu'au moyen d'un art magique auquel je n'entends rien. Aussi bien n'est-ce pas à cela que tend la destination naturelle de la raison ; et le devoir de la philosophie était de dissiper l'illusion résultant du malentendu [dont je viens de parler], dût-elle anéantir du même coup les plus accréditées et les plus .aimées des chimères. Dans cette entreprise j'ai eu pour objectif de tout embrasser, et j'ose dire qu'il n'y a point un seul problème métaphysique qui ne soit ici résolu, ou du moins dont la solution ne trouve ici sa clef. C'est qu'aussi la raison pure offre en fait une si parfaite unité que, si son ^principe était insuffisant à résoudre une seule des questions qui lui sont proposées par sa propre nature, on ne pourrait que le rejeter, parce qu'alors on ne saurait plus l'appliquer à aucune autre question avec une entière confiance.
En parlant ainsi, il me semble apercevoir sur le visage du lecteur l'indignation et le mépris que doivent exciter des prétentions en apparence si présomptueuses et si outrecui- dantes ; et pourtant elles sont sans comparaison plus modestes que celles qu'affichent tous ces auteurs de programmes cou- rants qui se vantent de démontrer la simplicité de Vâme ou la nécessité d'un premier commencement du monde. En eiTot, ceux-ci s'engagent à étendre la connaissance humaine au- delà de toutes les bornes de l'expérience possible, ce qui, je l'avoue humblement, dépasse tout à fait la portée de mes facultés. Au lieu de cela, je me borne à étudier la raison même et ses pensées pures ; et pour en acquérir une connaissance détaillée, je n'ai pas besoin de chercher bien loin autour de moi, car je la trouve en moi-même, et l'exemple de la logique ordinaire me prouve qu'il est possible de faire un dénombre- ment complet et systématique de ses actes simples. Toute la question ici soulevée est de savoir jusqu'où je puis espérer d'arriver avec la raison, alors que toute matière et tout con- cours de l'expérience m'est enlevé.
En voilà assez sur la perfection à chercher dans la poursuite de chacune des fins que nous propose, non un dessein arbi- traire, mais la nature même de la connaissance, et de Véten- due à donner à celle de Vensemble de toutes ces fins, c'est-à- dire [en un mot] sur la inalièrede notre entreprise critique.
Au point de vue de la forme, il y a encore deux choses, la certitude et la clarté, que l'on est en droit d'imposer comme conditions essentielles à tout auteur qui tente une entreprise si difficile.
Pour ce qui est de la certitude, voici la loi que je me suis
PHEFACE DE LA PREMIERE EDITION 13
imposée à moi-même : dans cet ordre de considérations, Yoijinion est absolument proscrite, et tout ce qui ressemble à une hypothèse est une marchandise prohibée qui ne doit être mise en vente à aucun prix, mais qu'on doit saisir dès qu'on la découvre. En cll'et, toute connaissance qui a un fondement à priori est marquée de ce caractère, qu'elle veut être tenue d'avance pour absolument nécessaire ; à plus forte raison en doit-il être ainsi d'une détermination de toutes les connais- sances pures à priori qui doit servir elle-même de mesure et par suite d'exemple à toute certitude apodictique (philo- sophique). Ai-je tenu à cet égard ce à quoi je m'étais engagé? C'est ce dont le lecteur seul aura à juger, car il appartient à l'auteur d'exposer ses arrgunients, mais non de juger de leur (•flet sur ses juges. Cependant, pour qu'aucune injuste accusa- lion ne vienne alfaiblir ces arguments, il doit bien lui être permis de signaler lui-même les endroits qui, tout en n'ayant qu'une importance secondaire, pourraient exciter quelque défiance, afin de prévenir le [fâcheux] ellet que la plus légère difficulté à cet égard pourrait avoir sur le jugement d'ensemble du lecteur.
Je ne connais pas de recherches plus importantes, pour établir les fondements de la faculté que nous nommons et en môme temps pour déterminer les règles et les limites de son usage, que celles que j'ai placées dans le second chapitre d(! rAnalytiijue Iranscenduntale sous le litre de Dêduclion des concepls purs de l'enlendcment ; ce sont celles aussi qui m'ont le plus coûté, mais j'espère que ma peine ne sera pas perdue. Celte étude, un peu profondément poussée, a deux parties. L'une se rapporte aux objets de l'entendement pur, et il faut qu'elle montre et fasse comprendre la valeur objective de ses concepls à priori ; aussi tient-elle essenti» ileuient à mon but. L'autre se propose de considérer l'entendement par lui-môme au point de vue de sa possibilité et des facultés de connaître sur lesquelles il repose — par conséquent, au point de vue subjectif. Or, bien que cet examen ait une grande importance relativement à mon but principal, il n'y appartient pourtant pas essentiellement, car la question capitale est toujours dtî savoir ce que l'entendement et la raison, indépendamment do toute expérience, peuvent connaître, et non pas comment it faculté même de penser est possible. Comme cette dernière question est en quelque sorte la recherche de la cause d'un ellet donné, et que, sous ce rapport, elle contient quelque chose de semblable à une hypothèse (bien qu'en réalité il en soit tout autrement, comme je le montrerai dans une autre occasion}, il semble que ce soit ici le cas du me permettre
H CRITIQUE DE LA RAISON PURE
des opinions, et de laisser le lecteur libre d'en suivre d'autres [si cela lui convient]. C'est pourquoi je dois le prévenir [et le prier] de se souvenir que, dans le cas où nia déduction sub- jective n'aurait pas produit en lui l'entière conviction que j'en attends, la déduction objective, qui est sui'tout le but de mes recherches, n'en aurait pas moins toute sa force. C'est ce que suffirait du reste à établir ce qui a été dit pages 92 et 93 *.
Pour ce qui est enfin de la clarté, le lecteur a le droit d'exiger d'aljord la clarté discursive (logique), celle qui résulte des concepts; et ensuite la clarté intuitive (esthétique), celle qui résulte des intuitions, c'est-à-dire d(^s exemples ou autres éclaircissements in concreto. J'ai suffisamment po^irVu à la première. Mais la nature même de mon plan a fait que je n'ai pu donner assez de soins à la seconde et satisfaire sur ce point, à des exigences, moins impérieuses sans doute, mais bien légitimes cependant. Je me suis trouvé presque toujours embarrassé au cours de mon travail sur ce que je devais faire à cet égard. Les exemples et les éclaircissements me sem- blaient toujours nécessaires et se glissaient en effet à leur place dans la première esquisse. Mais considérant bientôt la grandem- de ma lâche et le nombre des objets dont j'avais à m'occuper, et remarquant qu'à eux seuls ces objets, exposés sous une forme sèche et purement scolastigue, donneraient à l'œuvre une étendue suffisante, je ne jugeai pas convenable de grossir encore celle-ci par des exemples et des éclaircisse- ments qui ne sont nécessaires qu'au point de vue populaire ; d'autant plus que cet ouvrage, ne pouvait en aucune façon être mis à la portée et au service du grand public, et que les vrais connaisseurs en matière de science n'ont pas besoin d'un tel secours. Quelque agréable qu'il fût, il pouvait aussi avoir quelque chose de contraire à notre but. L'abbé Terras- son dit bien que si l'on mesure la longueur d'un livre, non d'après le nombre des pages, mais d'après le temps nécessaire pour le comprendre, il en est beaucoup dont on pourrait dire qu'i/s seraient beaucoup plus courts s'ils n'étaient pas si courts. Mais d'un autre côté, lorsqu'on se propose l'intelligence d'un ensemble très vaste de connaissances spéculatives, rattachées cependant à un seul principe, on pourrait dire avec tout autant de raison que bien des livres auraient été plus clairs slls n'avaient pas voulu être si clait's. Car si les moyens employés pour produire la clarté sont utiles dans les détails, ils sont souvent nuisibles dans Venseniblc, en ne permettant pas au
". De l;i luemière édition. II s'ap:it ici du paragraphe intitulé;
Passa fje à J't d<*dnction transoendafitale des catégories.
PRÉFACE DE LA PREMIÈRE EOITlOiN io
lecteur (l'embrasser cet ensemble assez vite, et en recouvrant (le leurs brillantes couleurs les articulations et la structure du système, choses pourtant si nécessaires [à connaître], pour pouvoir en apprécier l'unité et la valeur.
Ce ne doit pas être, ce me semble, une chose sans attrait pour le lecteur, que de joindre ses efTorts à ceux de l'auteur, en se proposant pour but d'accomplir entièrement et d'une manière durable, d'après le plan qui lui est proposé, une M uvrc grande et importante. Or la métaphysique, suivant les iiiécs que nous en donnerons ici, est, de toutes les sciences, la seule qui puisse se promettre, et cela dans un temps très court t't avec très peud'eiïbrts, pourvu qu'on les unisse, une exécution assez complète pour neplus laisser là faire] à la postérité que de disposer le tout d'une façon didactique suivant ses propres vues, mais sans pouvoir en augmenter le moins du monde le contenu. Elle n'est autre chose, en effet, que r inventaire, sys- tématiquement ordonné, de toutes les connaissances que nous devons à la raison pure. Rien ne saurait donc nous échapper ici, puisque les idées que la raison tire entièrement d'elli - même ne peuvent se dérober à nos yeux, mais qu'elles sont mises en lumière par la raison même, dès qu'on en a seule- ment découvert le principe commun. La parfaite unité de cette espèce de connaissances, qui dérivent uniquement de purs concepts, sans que rien d'expérimental, sans même qu'aucune intuition partibulière, propre à fournir une expé- rience déterminée, puisse avoir sur elles quelque influence pour les étendre et les augmenter, cette parfaite unité rend l'intégrité absolue du système non seulement possible, mais aussi nécessaire.
Tocuin habita, et noris quam slt tibi curta supellex.
(Perse.)
J'espère donner moi-même un tel système de la raison [nue (spéculative) sous le titre de Mctaphysique de la nature, et c système, qui n'aura pas la moitié do l'étendue de la (Iritiqu. actuelle, contiendra une matière incomparablement plus riche. Mais il fallait que celle-ci exposât d'abord lessources et les con- ditions de sa possibilité; il fallait d'abord déblayer et aplanir nii sol encore en friche. J'allends ici de mon lecteur la patience et l'impartialité', d'un jiajr, mais là j'aurai besoin de la bonii.' volonté' et du concours iVww auxiliaire', car, si coijipièle qu'ail été dans la Critique l'exposition des principes qui servent d-' basi' au système, !<> développement de ce système exige qu'on ir.imeltf aucun des concepta dérivés. Or nu n.' «s^^nr^it ImIi,'
10 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
à priori le dénombrement de ces concepts, mais il faut les rechercher un à un. Ajoutez à cela que, comme la synthèse entière des concepts aura été épuisée dans la Critique, il faudra en outre que [dans le système dont nous parlons] il en soit de même de Vanalyse. Mais tout cela sera facile, et plus un amusement qu'une peine.
Je n'ai plus à faire qu'une remarque relative à l'impression. Le commencement de cette impression ayant éprouvé quelque retard, je n'ai pu revoir que la moitié environ des épreuves, et j'y trouve encore quelques fautes, mais qui n'altèrent pas le sens, excepté celle de la page 379», ligne 4 à partir d'en bas, ou il faut lire spécifisli (spécifiquement) au lieu de skeplisch (scepliquement). L'antinomie de la raison pure, de la page 42.5 à la page 461», a été disposée à la manière d'un tableau, de telle sorte que tout ce qui appartient à la thèse se trouve^ tou- jours à gauche, et ce qui appartient à l'antithèse, à droite. J'ai adopté cette disposition afin qu'il fût plus facile de les compa- rer l'une à l'autre.
De la première édition.
PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION
(1787)
Dans le Iravail auquel on se livre sur les connaissances ijai sont [proprement l'œuvre] de la raison, on -juge bientôt par le résultat si l'un a suivi ou non la route sûro «Je la science. Si, après toutes sortes de dispositions et de préparatifs, on tombe dans des difficultés (nouvelles] au moment où l'on croit toucher le but; ou si, pour l'atteindre, on est souvent forcé de revenir sur ses pas et de prendre une autre rouU: ; ou bien encore s'il est impossible d'accorder entre eux les diver:^ travailleurs sur la façon dont le bul' commun doit être pour- suivi, on peut être convaincu que cette étude [à laquelle on so livre] est loin d'être entrée dans la voie sùvo de la scionce, mais qu'elle est encore un simple tâtonnement. Or, c'est déjà un mérite pour la raison que de découvrir autant que possible cette voie, dilt-on abandonner comme vaine une grande par- lie du but qu'on s'était d'abord proposé sans réflexion.
Ce qui montre (par exemple] que la logique est entrée drpuis lejj temps les plus anciens dans cette voie certaine, c'est que, depuis Arialoic, elle n'a pas eu besoin de faire un
f>as en arriére, à moins que. Ton ne regarde comme des anié- iorations le retranchement de quelques subtilités inulileH, ou une plus grande clarté dans l'expttsition, toutes choses qu' tiennent plutôt à l'élégance qu'à la certitude de la science, h est aussi digne de remarque que, jusqu'ici, elle n a pu fuir»* nn s(>ul pas en avant, et qu'aussi, srlon toute apparence, elle ^ inble arrêtée et achevée. V.n effet, lorsque ojM'Iain.H nindornes ont pensé l'étendre en y introduisant certains chapitres, soit ije psychologie, sur les diverses farult»'s de conuaitr»' (limapi- nr.ti,>fi r,,-Mvif\. soit fl" .,..-<-.../..;..-..'.. s)ii- rorlL'iiic d<' Ih
18 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
connaissance ou sur les diverses espèces de certitude suivant la diversité des objets (sur l'Idéalisme, le Scepticisme, etc.), soit d'anthropologie sur les préjugés (leurs causes et leurs remèdes), cela provient de leur ignorance de la nature propre de cette science. Ce n'est pas étendre les sciences, mais les dénaturer, que de confondre leurs limites Or celles de la logique sont déterminées très exactement par ceci qu'elle est une science qui expose en détail et démontre rigoureusement les seules règles formelles de toute pensée (que celte pensée soit à prion ou empirique, qu'elle ait telle ou telle origine et tel ou tel objet, qu'elle rencontre dans notre esprit des obstacles accidentels ou naturels).
Si la logique a été si heureuse, elle ne doit cet avantage qu'à son étroite spécialisation, qui l'oblige à faire abstraction de tous les objets de la connaissance et de leur différence, et qui veut que l'entendement ne s'y occupe que de lui-même et de sa forme. Il devait être naturellement beaucoup plus diffi- cile pour la raison d'entrer dans la voie sûre de la science, lorsqu'elle n'a plus seulement affaire à elle-même, mais aussi à des objets. Aussi la logique, comme propédeutique, n'est-elle en quelque sorte que le vestibule des sciences; et lorsqu'il s'agit de connaissances, on suppose sans doute une logique pour les juger, mais leur acquisition, c'est dans ce qu'on appelle proprement et objectivement les sciences qu'il faut la chercher.
S'il y a de la raison dans ces sciences, il faut aussi qu'il y ait quelque connaissance à priori, et [d'autre part] la connaissance de la raison peut se rapporter à son objet de deux manières : ou bien il s'agit simplement de le déterminer lui et son concept (qui doit être donné d'autre part», ou bien il s'agit de le réaliser. Dans le premier cas, on a la connaissance théorique, dans le second, la connaissance pratique de la raison. Dans les deux cas la partie pure de la connaissance, si grande ou si petite que soit son contenu, je veux dire la partie où la raison détermine son objet complètement à priori, doit être d'abord traitée séparément et sans aucun mélange de ce qui vient d'autres sources. C'est en effet le propre d'une mauvaise économie domestique que de dépenser inconsidérément tout ce qu'on reçoit, sans pouvoir distinguer ensuite, lorsqu'on se trouve dans l'embarras, quelle partie des recettes peut sup- porter la dépense, et sur quelle partie il faut la restreindre.
La mathématique et la physique sont les deux connaissances théoriques de la raison qui doivent déterminer à prioti leur objet, la première d'une façon entièrement pure, la seconde du moins en partie, mais aussi dans la mesure [que lui per- mettent] d'autres sources de connaissance que la raison,
PREFACE DE LA SECONDE ÉDITION 10
La mathématique, dès les temps les plus reculés où puisse remonter l'histoire de la raison humaine, a suivi, chez l'admi- rable peuple grec, la route sûre de la science. Mais il ne faut pas croire qu'il lui ait été aussi facile qu'à la logique, où la raison n'a affaire qu'à elle-même, de trouver cette route royale, ou pour mieux dire, de se la frayer. Je crois plutôt qu'elle est restée longtemps à tâtonner (surtout chez les Egyptiens), et que ce changement fut l'eiïet d'une révolution due à un seul homme, qui conçut l'heureuse idée d'un essai après lequel il n'y avait plus à se tromper sur la route à suivre, et le chemin sûr de la science se trouvait ouvert et tracé pour tous les temps et à des dislances infinies. L'histoire de cette révolutwn intellectuelle, beaucoup plus importante cependant que la dé- couverte de la route par le fameux cap, l'histoire aussi de l'homme qui eut le bonheur de l'accomplir n'est pas parvenue jusqu'à nous. Cependant la tradition que nous transmet Diogène Laerce, en nommant le prétendu inventeur de ces élé- ments les plus simples des démonstrations géométriques qui, suivant l'opinion commune, n'ont besoin d'aucune preuve, cette tradition prouve que le souvenir du changement opéri- par le premier pas fait dans celte route nouvellement décou- verte, a dû paraître extrêmement important aux mathémati- ciens, et a été sauvé par cela de l'oubli. Le premier qui dé- montra le tnarifjle isocèle (qu'il s'appelât Thaïes ou de tout autre nom) fut frappé d'une [grande] lumière; car il trouva qu'il ne devait pas s'attacher à ce qu'il voyait dans la ligure, ou même au simple concept qu'il en avait, mais qu'il avait à engendrer, à construire [cette figure], au moyen do ce qu'il pensait à ce sujet et se représentait à priori parconcepts, et que, pour connaître avec certitude une chose à pnori, il ne devait attribuer à cette chose que ce qui dérivait nécessaire- ment de ce qu'il y avait mis lui-môme, en conséquence de son concept.
La physique arriva beaucoup plus lentement à trouver la grande roule de la science; car il n'y a guère plus d'un siècle et demi, que l'essai ingénieux de Bacon deVérulam a en partie provoqué, et, parce qu'on était déjà sur la trace, en partie stimulé encore cette découverte, qui ne peut s'expliquer que par une révolution subite de la pensée. Je ne veux ici consi- dérer la physique qu'autant qu'elle est fondée sur des principes empiriques.
Lorsque Galilée fit rouler ses boules sur un plan inclinéavec une accélération [déterminée et] choisie par lui-même, ou que Torricelli fit porter à l'air un poids qu'il savait être égal à [celui d'unccolonncd'jeauà lui connue, ouque, plus tard, S/f;/*/
20 CRITIQUE m LA PAISQN PURE:
transforma des métaux en chaux et celle-ci à son tour en métal, en y retranchant ou en y ajoutant certains éléments ', alors en fut une [nouvelle] lumière pour tous les physiciens, jis. comprirent que la raison n'aperçoit que ce qu'elle produit elje- m^me d'après ses propres plans, qu'elle doit prendre les devants avec les principes qui déterminent se§ jugements suivant des lois constantes, et forcer la nature à répondre à i^es questions, au lieu de se laisser conduire par elle comme à la lisière ; car autrement nos observations faites au hasard et sans aucun plan tracé davanco ne sauraient se rattacher à une loi néces- saire, ce que cherche et exige pourtant la j-aisop. Celle-ci doit se présenter à la nature tenant d'une main ses principes, qui seuls peuvent donner à des phénomènes concordants l'autorii' de lois, et de l'autre l'expérimentation, telle qu'elle l'imagin d'après ces mêmes principes. Elle lui demande de l'instruirr, non comme un écolier qui se laisse dire tout ce qui plaît au maître, mais comme un juge en fonctions, qui contraint j. témoins à répondre aux questions qu'il leur adresse. L physique est donc redevable de Iheureuse révolution quis'ts opérée dans sa méthode àcetlo simple idée, qu'clledoit chercb' (et non imaginer) dans la nature, conformément aux idées qn la raison môme y transporte, ce qu'elle doit en apprendre, < dont elle ne pourrait rien savoir par elle-même. C'est ajp^ qu'elle est entrée dabord dans le sûr chemin de la scieqc' après n'avoir fait pendant tant do siècles que tâtonner.
La métaphysique est une connaissance rationnelle spécu lative tout à fait à pa.rt, qui s'élève entièrement au-dessi! des leçons de lexpéricnce, en ne ^'appuyant que sur d' simples concepts (et non en appliquant comme les mathém>' tiques ces concepts à l'intuition), et où, par conséquent, ! ' raison doit être son propre élève. Cette connaissance n'a pa rncore été assez favorisée du sort pour pouvoir entrer dan le sûr chemin de la science, et pourtant elle estplus vieille qu ir-ntes les autres, et elle subsisterait toujours, alors mèm que celles-ci disparaîtraient toutes ensemble dans le goulTi dune barbarie dévastatrice. La raison s'y trouve conlinuelh mont dans l'embarras, ne fût-ce que pour apercevoir à prioi (comme elle en a la prétention) ces lois que conllrm^' la pUi~ vulgaire expérience. 11 y faut revenir indéfiniment sur sespa- parce qu'on trouve que la roule [qu'on a suivie] ne condui; pas où l'on veut aller. Quant à mettre ses adeptes d'î^ccord
1. Je ne suis pas Icj exactement le fil de la méthode expérimentale dont les premiers commencements ne sont pas pncore bioi» cmmus.
PRÉFACE DE LA SECONDE EDITION :^1
'iris leurs assoilions, elle t-n est tellement (^'loignée qu'elle
mble plutôt être une firène cxclusivemontdestinée à exercer
s forces des jouteurs ert diss combats de parade, et où aucun
iiampion n'a jamais pu se rendl-e maîirede laplus pctiteplac
! Tonder sur sa victoire Une possession durable. 11 n'y a donc
is de doute que sa mafchc n'ait été jusqu'ici qu'un pur
Mtonhetîients et, ce quily adcpirc, un tâtonnement aurailieu
il:' simples codccpls.
nr, d'où vient qu'ici la science n'a pu ouvrir encore Un < hi'rtiih silr? Cela serait-il par hasard impossible? Pourquoi donc la nature aurait-elle inspiré ù nou-e raison cette infati- gable aideur ri en rechercher la trace, comme s'il s'agissait d'Un de sej; ihU-l'ôls le» plus importants? Bien plus, comme BOlls avons peu de mollis de confiance en notre raison, si, qUand il s'agit de l'un des objets les plus importants de noire icUMositi^, elle ne hous abandonne pas seulement, mais nous leUJ're de faU^Mes istii''rances et finit par nous tromper ! Peut- 6lre jusqu'ici a-t-oh fait fausse route, mais sur quels motifs tbndcr l'espéiancb qU'eU nous livrant à de nouvelles recherches tinus set-oUs ^dUs heureux que ne furent lesautresavant nous? feti voyant cotument les mathénlaliriues et la physique sont devenues, par l'ellet d'une révolution subitt', ce qu'elles sont aujourd'hui, je devais juger l'exemple àssrx Vt marquable pour iètfii amené) (i réfléchirau caraclèrw essentiîld'un changement de méthode qtd a été' si avantageux à ces sciences, et à les imiter ici,- du moins à titre d'essai, autant que le comporte ieUI' analogie, comme connaissances rationnelles, aveclaméta- jill^slque. On a admis jusqu'ici que toutes nos connaissances dévalent se l-égler sur les objets; mais, dans cette hypothèse, tous nos clîol'ts pour établir à l'égard de ces objets quelque JUgemetit à pt'inH el par concept (jui étendit notre connaissance n'ont abouti à rien. Que Ion cherche donc une fois si nous ne serions pas plUsheUlTUX dans les problèmes delà métaphysique, en supposant que les objc.'ls se règlent sur notre connaissance, ce (pli s'accorde déjà mieux ^V(^c C(^ que nous désirons fdémonlrer], ii savoir la possibilité d'une connaissance i^ pHori do ces objets (pil établisse cpielque chose à leur égard, avant ïwi'ùit au'ils nous soient donné». Il en est ici comme de la|)rr- nilère idée do Copcrhiic : voyant qu'il ne pouvait venir h bout d'expli(|uerles mouvements du ciet en admettant que toute la midliludedes étoiles tournait autour du sp(>clatruf, i^ chercha s'il uy réussirait pas mieux en supposant que c'est le s[3ectA- teur qui tourne et que les astres demeurent ituluobiles. Kn métaphysique, on peut faire un essai du même genre au sUjel l'intuition des objets, Si l'inluillon so réglait nécessaire-
22 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
ment sur la nature des objets, je ne vois pas comment on en pourrait savoir quelque chose à priori; que si Tobjet au con- traire (comme objet des sens) se règle sur la nature de notre faculté intuitive, je puis très bien alors m'expliquer cette possi- bilité. Mais, comme je ne saurais m'en tenir à ces intuitions, dès le moment qu'elles doivent devenir des connaissances; comme il faut, au contraire, que je les rapporte, en tant que représentations, à quelque chose qui en soit l'objet et que je dé- termine par leur moyen, je puis admettre [l'une de ces hypo- thèses] : ou bien les concepts à l'aide desquels j'opère cette détermination se règlent aussi sur l'objet, mais alors je me re- trouve dans le même embarras sur la question de savoir com- ment je puis en connaître quelque chose à priori ; ou bien les objets ou, ce qui revient au même, Vexpcrience dans laquelle seule ils sont connus ^ comme objets donnés) se règle sur ces concepts, et dans ce cas, j'aperçois aussitôt un moyen plus simple de sortir d'embarras. En effet, l'expérience elle- même est un mode de connaissance qui exige le concours de l'entendement, dont je dois présupposer la règle en moi-même, avant que des objets me soientdonnés, par conséquent à priori; et cette règle s'exprime en des concepts à priori, sur lesquels tous les objets de l'expérience doivent nécessairement se régler, et avec lesquels ils doivent s'accorder. Pour ce qui regarde les objets, en tant qu'ils sont conçus simplement par la raison, et cela d'une façon nécessaire, mais sans pouvoir être donnés dans l'expérience (du moins tels que la raison les conçoit), nous trouverons en essayant de les concevoir (car il faut bien pourtant qu'on les puisse concevoir), [nous trouverons, dis-je,] plus tard une excellente pierre de touche de ce que nous re- gardons comme un changement de méthode dans la façon de penser : c'est que nous ne connaissons à priori les choses que ce que nous y mettons nous-mêmes. Cette tentative » réussit à souhait et elle promet la marche
{. Cette méthode, empruntée au physicien, consiste donc a rcclierclier les éléments de la raison pure dans ce que l'on peut confirmer ou rejeter au moyen de Vexpârimentation. Or on ne pont, pour éprouver les propositions de la raison pure, sontucttro leurs objets à l'exporiinentation (t omme cela a lieu en pl»\ siquf^ surtout si elles sont hasardées en dehors dos liiiiilos de toiil. expérience possible. Celle épreuve ne pourra donc se faire que sur des concepts et des pnncipes adnus à pivori .- on les cnvisafîera de toile sorte qu'on puisse considérer les niCMiios objets sous deux points de vue dilTèrents : d'un côti' comme dos objets des sens et do l'entendement, c'est-à-dire comme des objets d'expérience, dun autre côté comme des objets que l'on no fait que concevoir, c'est-
PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION 23
assurée d'une science à la première partie de la métaphy- sique, à celle où l'on n'a affaire qu'à des concepts à prion, df»nt les objets correspondants peuvent être donnés dans une expérience conforme à ces concepts. En effet, à l'aide de ce changement de méthode, on peut très bien expliquer la possi- bilité d'une connaissance à priori, et ce qui est encore plus [important], munir de preuves suffisantes les lois qui servent à priori de fondement à la nature, considérée comme l'en- semble des objets de l'expérience; deux choses qui étaient impossibles avec la méthode usitée jusqu'ici. Mais cette déduc- tion de notre faculté de connaître à pnon conduit, dans la première partie de la métaphysique à un résultat étrange, et, en apparence, tout à fait contraire au but que poursuit la se- conde partie : c'est que nous ne pouvons, avec cette faculté, dépasser les bornes de l'expérience possible, ce qui est pour- tant l'affaire essentielle de la métaphysique. D'un autre côté, l'expérimentation nous fournit ici même une contre-épreuve de la vérité du résultat auquel nous arrivons dans cette pre- mière appréciation de notre faculté de connaître à priori : c'est que cette faculté n'atteint que des phénomènes et laisse de côté les choses en soi qui, bien que réelles en elles-mêmes, nous restent inconnues. En effet,- ce qui nous pousse néces- sairement à sortir des limites de l'expérience et de tous les phénomènes, c'est Xincondi lionne, que la raison exige néces- sairement et ajuste titre, dans les choses en soi, pour tout o(^ qui est conditionné, afin a'achever ainsi la série des condi- tions. Or, en admettant que notre connaissance expérimen- tale se règle sur les objets, comme sur des choses en soi, on trouve que l'absolu ne peut se concevoir sans contradiction; nxi contraire, si l'on admet que notre représentation des choses, telles qu'elles nous sont données ne se règlent pas sur ces objets, (considérés] comme choses en soi, mais que ce sont eux plutôt qui, commo phénomènes, se règlent sur notre mode de représentation, alors la contradiction disparaît. Si en con- séquence [on se convainc que] l'inconditionné no saurait s** trouver dans les choses en tant que nous les connaissons (quelles nous sont données , mais en tant que nous ne Ips connaissons p.ns, c'est-h-dire dans les choses en soi, tout cela
à-dire commo dos objel.s de la raison isolée et s'etTorcant de s'élever au-dcs.susdos limites do l'cNporionco. Or, il se trouve qti'eii onvisa^'oant los choses à ce doiihlc point do vue. on tombe d'arcord avec lo piiucipi' do la raison pure, tandis (lu'onvisagi^es sous uti soûl elles donnent lieu à un inévitable oonflil de la raison avec elle-mome : alors rexpérimeulation décide en faveur de l'exacti- tude de celte distinction.
24 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
est là preuve que ce que bous n'avions d'abord admis qu ■ titt-b d'essai est véritablement fottdé K Mais, après avoir refusi ■ à la raison spéculative tout progrès dans le champ du -supra- sensible, il nous reste encore à chercher s'il n'y a pas dans sa cotihaisSance pratique certaines données qui lui permettent de déterminer le concept transcendant de l'inconditionné et de pousser aittsi, conforraéracnt au vœu de la métaphy sique. tiotre cohrtaif^sance à priori au delà de toute expérienc possible, mais seulement au poitit de vue pratique. En procé- dant comme olî vient de voir, la raison spéculative nous a du moihs laissé la place libre polir cette extension [de noire con- naissance], bien qu'elle n'ait pu la remplir elle-même. Il nous est donc encore permis de la remplir, si nous le pouvons, par ses données pratiques, et elle-même nous y invite 2.
C'est dans cette tentative de changer la méthode suivie en métaphysique et d'y opérer ainsi, suivant l'exemple des géo- mètres et des physiciens, une révolution complète, que con- siste l'œuvre de cette Critique de la raison pure spéculative. Cette critique est un traité de la méthode, et non un système de la science elle>-même 5 mais elle en décrit pourtant toute la circonscription, et elle en fait connaître à la fois les limites et toute l'organisation intérieure. C'est que la raison spéculative
i. Cette (expérimentation de la raison a beaucoup d'analogio. avec ce <|ue les chimistes nomment souvent essai de réduction, et en ^c\ié\-A\ procédé synthétique. L'analyse dû nictapltysicien divise la connaissance pure à priori en deux clêtnciits lies UiltPreiils. celui des ciioses comme pliéiio"iiièhe§ et celUI des choses ch soi. La dialectique les réunit de UbUveîlU poUr les nccûrdcr dvëa l'idl^e ra- tionnelle et Uéfcessalre de Vincohditionné, et elle ti oUve que cet accord n'est possible qUe par cette distinction, laquelle par con- séquent est la vraie.
2. C'est ainsi que les lois centrales des mouvements des corps célestes démontrèrent avec une parfaite lertitude ce que Copernic n'avait d'abord admis que comine une hypotlièse, et proiiVor.Mit en même temps la force invisible qui lie le système du tnvii;»lt' (l'attraction ncioionlenne), et qUi n'aurait jaiUais été de.oUviilî . si, conlriiiremciit aU tèmolfîfaage des sens, mais avec vérité cepin- danl, Copernic n'avait eu l'idée de cherclier dans le spectateUr des corps célestes, et non dans ces objets eux-mêmes, l'oxplication des mouvements observés. Quoique le changement de méthode que j'expose dans la critique et qui est analogue à l'hypothèse do Copernic se trouve justillé, dans le traité même, non pas hypothé- tiqueinent, mais apodictiquement, par la nature de nos représen- tations du tetnps et de l'espace et par les concepts élémentaires de renlcndemcnt. je ne le présente dans cette préface que comme une hypotlièse, afin de faire ressortir le caractère essentiellement hypothétique des premiers essais d'une réforme de ce genre.
PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITlOxN 2U
il. ceci de paMlclllîci' qUtlle peut cl doit hiGâiii-i^t- son poUvoil- propt-G suivant les divërS(?§ riiahièrcs doht elle ehoisit les objets de ëti pettsiée, faire au^sl iih dc^ndtnbretnpnt complet d*' toutes les ^çortS dittV'rcntes de se poser des problèmes, et en ti-acet" aihsi tout le plart d'Utt système de m(''iaphysit|Ue. liH ellot, eii ce qui regarde le premier point, rien dans la connais- sance àpHori iie peUt être attribué âUx olijeis, qUe ce que le sujet pensant tire de lui-même ; et, puur ce qui est dU second ^ la raison pure coriMilUe au point do vue des principes de la couhaigsauce, Une unlti' h part et lridi'|3eHdartte où, commi; dâtis Un corps organisé, chattuc irlem^^e existe pout toUs les autres et tous potir chacUH, et où aucun principe ne peut être pris pour certain sous un point de vUe, sans avoir été exa- miné daUJi Vensembîe do sc§ rapports à Tusâge entier de la raison ptirc. AUS&i là métaphysique a-t-elle ce l-at'e bonheur, qui ne satu-all être le partage d'aucun»' science rationnelle ayant afTalre t des objets (car la logique ne s'ocfcUpe qUe de la forme de la peUsée en général), qu'Une fois mise par cette ci-i- litlue dans le sUt' chemin de la science, elle peut embrasser complfrîtenient tout le champ des connaissances qui relèvent d'elle, achever ainsi son œUVt-e et l'abandonner à l'Usage de la l)oslérilé curtiiiin Une possession qui ne peut plus être augniou- téo, puisqu'il he s'agit que de déterminer leë principes < t h s limites lie leur Usage, et qUe b'csl elle-même clUi lesdétcriuiur. Klle est donc tentie k celle perfecUon (*omnie science londa- mettiale cl c'est d'elle qU'iih doit liouvolr dire :
^ii âclùm repuimi, ii tjttid étipo^esset agéudam.
Mais qiu^l est doue, deniàhdera-t oll, te trésor que nous peu-
•ns b'gucr 11 la |)oslériii' dans une métaphysicpie ainsi épun'.' par la critique et par elle aUssi rahieuée a un étal Mv'! tu (■(•Up do'ii t-apldn jeté sur cette œuvre donnera d'abord à pi'user (juc l'utilité an est toute néyalivc, [ou qu'elle sert seu- l'inent ii nous ein|»êclier] de pousser jamais la rai-on spécula- "ve an d»d(i de» limites de l'expérience, et c'est là dans le fa il
i première utilité. Mais cette utilité apparaîtra positive aussi qui remaréjucra que les principes sur lesrin. U <;:Huini, 1 1
lisoU Kpéculailve pour se Uasal*der hot'S de f^' .l'alité pour conséquence inévitable UnU pas / - à y regarder de plus près, la rcstnclion de l'usage de notre rainou. C'est qu'en elîet ces principes menacMil de loUl lalre rentrer dans hm limites de la sensibilité, de laquelle ils re- lèvent proprement, et de réduire ainsi à néant l'usage pur (pratique) de la raison. Or une cfiliquo qui limite la raison
26 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
dans son usage spéculatif est à cet égard bien négative, mais en supprimant du même coup l'obstacle qui en limite l'usage pratique, ou menace même de l'anéantir, elle a une utilité po- sitive de la plus haute importance. [On le reconnaîtra] dès qu'on sera convaincu que la raison pure a un usage pratique absolument nécessaire (l'usage moral», où elle s'étend inévita- blement au delà des bornes de la sensibilité ; car si elle n'a besoin pour cela d'aucun secours de la raison spéculative, elle veut pourtant être assurée contre toute opposition de sa part, afin de ne pas tomber en contradiction avec elle-même. Nier que la critique, en nous rendant ce service, ait une utilité positive, reviendrait à dire que la police n'a pas d'utilité posi- tive, parce que sa fonction consiste uniquement à mettre obs- tacle à la violence que les citoyens pourraient craindre les uns des autres, afin que chacun puisse faire ses affaires tranquille- ment et en sûreté. Que l'espace et le temps ne soient que des formes de l'intuition sensible, et, par conséquent, des condi- tions de l'existence des choses comme phénomènes; qu'en outre, nous n'ayons point de concepts de l'entendement, et partant point d'éléments pour la connaissance des choées, sans qu'une intuition correspondante nous soit donnée ; que, par conséquent, nous ne puissions connaître aucun objet comme chose en soi, mais seulement en tant qu'objet de l'intuition sensible, c est-à-dire en tant que phénomène : c'est ce qui sera prouvé dans la partie analytique de la Critique. Il en résultera que toute connaissance spéculative de la raison se réduit aux seuls objets de V expérience.
Mais, il faut bien le remarquer, il y a ici une réserve à faire : c'est que, si nous ne pouvons connaître ces objets comme choses en soi, nous pouvons du moins Xa^ penser comme tels*. Autrement, on arriverait à cette absurde proposition qu'il y a des phénomènes [ou des apparences] sans qu'il y ait rien qui apparaisse. Qu'on suppose maintenant que la distinction faite
t. Pour connaître un objet, il faut pouvoir prouver sa possibilité (soit par le témoignage de rexpérience de sa réalité, soit à pnori par la raison). Mais je puis 2icnser ce que je veux, pourvu que je ne tombe pas en contradiction avec moi-même, cest-à-cUre pourvu que mon concept soit une pensée possible, quoique je ne puisse répondre que, dans l'ensemble de toutes les possibilités, un objet corresponde ou non à ce concept. Pour [être en droit] d'attribuer à tel concept une valeur objective (une possibilité réelle, car la première n'est quelogiqueK il faudrait quelque chose de plus. Mais ce (piolque chose de plus, il n'est pas besoin de le chercher dans les sources théoriques de la connaissance, il peut bien se rencontrer dans les sources pratiques.
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nécessairement par notre Critique entre les choses comme objets d'expérience et ces mômes choses comme choses en soi n'ait pas été établie, alors il faut étendre à toutes les choses en général, considérées comme causes efficientes, le principe do causalité et, par conséquent, le mécanisme naturel, (comme élément essentiel] de leur détermination. Je ne sau- rais donc dire du même être, par exemple de l'âme humaine, que sa volonté est libre, et que pourtant il est soumis à la néces- sité physique, c'est-à-dire non libre, sans tomber dans une évidente contradiction, puisque, dans les deux propositions, j'ai pris l'âme dans le même sens, c'est-à-dire comme chose en général (comme chose en soi), ne pouvant d'ailleurs, sans une critique préalable, la prendre autrement. Que si, par contre, la Critique ne s'est pas trompée en nous apprenant à prendre l'ob- jet en deux sens différents, c'est-à-dire comme phénomène et comme chose en soi ; que si sa déduction des concepts de l'en- londement est exacte, et si, par conséquent, le principe de causalité ne s'applique aux choses que dans le premier sens, c'est-à-dire en tant qu'elles sont des objets d'expérience, tan- dis que, dans le second sens, ces mêmes choses ne lui sont pas soumises; ab)rs la même volonté peut être conçue sans con- tradiction, d'une part, dans l'ordre des phénomènes (des actions visibles), comme nécessairement soumise à la loi physique et par conséquent comme non libre, et d'autre part, en tant qu'appartenant à une chose en soi, comme échappant à ciîlte loi et par conséquent comme libre. Or quoique, sous ce dernier point de vue, je ne puisse connaître mon âme par la raison spéculative (et moins encore par l'observation empi- rique), ni par conséquent la liberté comme propriété d'un être auquel j'attribue des effets dans le monde sensible, puisqu'il mi! faudrait la connaître d'une manière déterminée dans son existence et non cependant dans le temps (chose impossible, car je ne puis [dans ces conditions] appuyer mon concept sur aucune intuition), je puis cependant penser la liberté, c'est- à-dire que l'idée n'en contient du moins aucune contradiction, dès que l'on admet notre distinction critique de deux modes <le représentation (le sensible et l'intellectuel, ainsi que la limitation qui en découle relativement aux concepts purs de l'entendement, et, par conséquent, aux principes découlant do ces concepts. Admettons maintenant que la morale suppose nécessairement la liberté 'dans le sens le plus strict), comme propiiét(' de notre volonté, en posant // priori comme donfiées de la raison des principes pratiques qui en tirent leur origine, et qui, sans cette supposition de la liberté, seraient absolu- ment impossibles; admettons ^ussi que la raison spéculative ait
28 CRITIQUE DE LA RAÏSOIH PURE
proUVi? (\n'e la libet-l(5 tte se Idi^sc poftH penser: il fatit alors nécessairetticht qUG fciîlto supposition, là supposition rtioràle, cède à celle doul le totlthàlt-t i-enfefme une évidente contra- dlcllun, c'esl-à-dit-e que la liberté, et dvfcc elle la uioralilé (doUl le coUbaire ho i-enferhle par db contiadictioti, qUand ou rie suppose pas pt-i'alabichiettl la libeMc) cèdeht la pldce aU iHcûanisnie dé la tiûhtfe. Mais coUime il ttie suffit, aU point de vue de là rtiot-ale, qUe la liberté ne soit point contradictoire ctt elle-même et qUe pât- conséquent elle puisse du moins ôlrc {it^tlsée; comme aUsî^i, dès qu'elle ne fait point obstacle dU mécanisme naturel de la mêtoe âttioti (prifee etl un autfe serts)j il h'efei bas besoin d'en avoli' une coHhaiësance plus étendue, la morale peut gat'def sa position pendant clUe la physique coriâet-ve là sienne. C'est ce qui n'aUtait pas eUlicU, si la cri- tique ne rioUs avait pas instruits préalablement de hôtt-e iné- vitable ignol'ânCe relativement aux choses en soi, etsi elle n'avait pas borné à de simples phénomènes toute notre cohnrtissnnce théorique. OU peut encofe montrer cette utilité des principes critiques de la raison pure en envisageant les concepts de bien et de là sîmpHmté de notre âriie, mais je laisse cela de côté pour ôire court. Je ne saurais donc ndmeltre Dieu, la liberté et Vimmorlalité selon le besoin qu'en a ma raison dans son Usage pratique nécessaire, sans repousser en mémo temps les prétentions de la raison pure à des vueé irahscen- danles, car, pour atteindt-e à ces vues,- il lUi faUt se servir de principes qui ne s'étetideUt en réalité qu'à des objets de l'exf^é- rieUce possible et qui, si on les aj^plique à une chose qui Ue peut être objet d'une expérience, là transforment récllemeni et toujours ert phénomène, et déclarent ainsi impossible toUte extension pratique dG la raison pure. J'at doHc dU supprimer le savoir pour lui substituer là croyance. Le dogmatisme de la méta- physique, ce préjugé qui consiste à vouloir avancer dans cette scierice sans conilneUcer par UUe critique de la raison pure, voilà Ik véritable source de toute cette incrédulité qui s'oppose à là morale, et qui elle-même. est teUjdUrs très dogmatique. — Si donc il n'est pas iiupossible de létçUer h là postérité Utie métaphysique systématique construite sur le plan de la cri- tique de la raison pure, ce n'est pas urt présent de peU de valeur h lui l'aire; soit que l'on songe simplement h la culture que la raison peut recevoir en général en entrant dahs les Voles certaines de la Sciehce, au lieu de tâtonner dans le vide ci de isc livrer à de vaines divagations [comme elle le fait] en l'aliAencede la critique; soit qu'on cherche Un meilleur emploi du temps pour uh(> jeUneSso a^lde de savoir, que le dogma- tisme ordinaire encoliragc de si bôlitie heure et si forte-
PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION 29
ment à raisonner à perte do. vue sur des choses où elle n'en- tend rien et où elle n'entendra jamais rien, non plus que per- sonne au monde, ou à négliger l'étude des sciences solides pour courir à la recherche de pensées et d'opinions nouvellus; soit surtout qu'on tienne compte do l'inappréciable avantage den finir une bonne fois avec toutes les objections dirigées centre la moralité et la religion, en suivant la méthode de Sacrale, c'est-à-dire ep démontrant clairement l'ignorance des adversaires. En effet, il y a toujours eu et il y aura toujours une métaphysique dans le monde, mais toujours aussi enverra s'élever à côté d'elle une dialectique de la raison pure, car celle-ci lui est naturelle. La première et la plus importante ûiVaire de la philosopJiic est donc d'enlever une J'ois pour toutes h cette dialectique toute pernicieuse inllùence en détruisant la source [môme] des erreurs.
En cette importante réforme dans le champ des sciences, et malgré le pv(\judice qu'en doit éprouver la raison spéculative dans les possessions qu'elle s'était attribuées jusque-là, l'inlérôt général de Ihumanité [n'en est pas affecté], et l'utilité que le monde avait retirée jusqu'ici des doctrines de la raison pure reste la mémo qu'auparavant ; il n'y a que le monopole des écoles qui en souffre, et nullement les inlêrêis humains. Je tlemande au plus obstiné dogmatique si la preuve de la per- manence do notre âme après la mort qui se tire de la simpli- cité d»î la substance; si colle do la liberté de la volonté que l'on oppose au mécanisme universel en se fondant sur les distinctions subtiles, mais impuissantes, de la nécessité pra- tique subjective et objective ; si la démonstration de l'exis- Irnce de Dieu qui se tire du concept d'un èlro souverainement réel (do la contingence des choses changeantes, et de la nérossité d'un premier moteur) ; [je lui d<'mande] si toutes CCS preuves, nées dans les éroh-s, ont jamais pu arriver jus- qu'au public et exercer la moindre inllùence sur ses convic- tions, (h", si cola n'est jamais arrivé, et si l'on no peut espérer que cela arrive jamais, à cause de rincnpucilé de l'inlelli- gence ordinaire des hommes pour d'aussi subtiles spécula- lions; si, au contraire, sur le premier point, cette remar- quable disposition naturelle à lotit homme, qui fait que rien de temporel no saurait le satisfaire (parce que ne suffisant pas aux besoins do sa destinée complète), peut fécule faire naître l'espérance d'une vie ft/hrre : si, sur le second point, la claire représentation do nos devoirs, en opposition à toutes les exi- gences de nos penchants, nous donne soide la coqscience de notre lihcrto; si enfin, sur le troisième, l'ordre raagniflque. la beauté et la prévoyance qui éclatent de toutes parts dans la
30 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
nature sont seuls capables de produire la croyance en un sage et puissant auteur du monde, et une conviction fondée sur des principes rationnels et susceptible de pénétrer dans le public; alors non seulement le domaine de la raison demeure intact, mais elle gagne en considération par cela seul qu'elle instruit les écoles à ne plus prétendre, sur une question qui touche à l'intérêt général de l'humanité, à des vues plus élevées et plus étendues que celles auxquelles peut facilement arriver le grand nombre (lequel est parfaitement digne de notre estime), et à se borner ainsi à la culture de ces preuves que tout le monde peut comprendre et qui suffisent au point de vue moral. Notre réforme n'atteint donc que les prétentions arrogantes des écoles, qui se donnent volontiers (comme elles le font à bon droit sur beaucoup d'autres points) pour les seuls juges compétents et les seuls dépositaires de ces vérités, et qui, s'en réservant la clef pour elles-mêmes, n'en commu- niquent au public que l'usage {quod mecum nescit, soins vult scire videri). Cependant nous n'avons pas cessé d'avoir égard aux prétentions des philosophes spéculatifs. Ils restent les dépositaires exclusifs d'une science très utile au public, quoi- que à son insu, c'est-à-dire de la critique de la raison. Cette science ne peut jamais devenir populaire, mais il n'est pas nécessaire non plus qu'elle le soit ; car, si les arguments fine- ment tissés qui se donnent pour d'utiles vérités n'entrent guère dans la tête du peuple, les objections tout aussi subtiles qu'ils soulèvent n'entrent pas mieux dans son esprit aiais comme l'École et tous ceux qui s'élèvent à la spéculation tombent inévitablement dans ce double inconvénient, la cri- tique est obligée de prévenir une fois pour toutes, par la recherche approfondie des droits de la raison spéculative, le scandale que doivent causer tôt ou tard, même dans le peuple, les disputes où s'engagent inévitablement les physiciens (et, comme tels aussi, les théologiens), et qui finissent par fausser leurs doctrines même, La critique peut seule couper les racines du matérialisme, du fatalisme, de Vathéisme, de Vincrcdulité des esprits forts, du fanatisme et de la superstition, ces fléaux qui peuvent devenir nuisibles à tous, comme aussi de l'idca- lisme et du scepticisyne, qui [du moins] ne sont guère dan- gereux qu'aux écoles et pénètrent difficilement dans le public. Si les gouvernements jugeaient à propos de se mêler des affaires des savants, ils feraient beaucoup plus sagement, dans leur sollicitude pour les sciences aussi bien que pour les hommes, de favoriser la liberté d'une critique qui seule est capable d'établir sur une base solide les travaux de la raison, <jue de soutenir le ridiçulç (Jespotisme 4es écoles, toujours
PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION 31
prêtes à dénoncer à grands cris un danger public, quand on déchire leurs toiles d'araignée, dont le public n'a jamais entendu parler et dont il ne peut pas même, par conséquent, sentir la perte.
La critique ne s'oppose point à ce que la raison suive une méthode dogmatique dans sa connaissance pure, [considérée] comme science (car la science ne peut pas ne pas être dogma- tique, c'est-à-dire strictement démonstrative en vertu de prin- cipes à priori certains) ; mais elle est opposée au dogmatisme, c'est-à-dire à la prétention d'aller de 1 avant avec [le seul secours d'] une connaissance pure (la connaissance philoso- phique), tirée de certains concepts à l'aide de principes tels que ceux que la raison emploie depuis longtemps, sans avoir recherché comment et de quel droit elle y est arrivée. Le dogmatisme est donc la raison pure suivant une méthode dogmatique sans avoir soumis sa puissance propre à une cri- tique préalable. Il ne s'agit donc pas ici, en combattant [le dogmatisme], de plaider la cause de cette stérilité verbeuse qui usurpe le nom de popularité, non plus que celle du scep- ticisme, qui condamne toute la métaphysique sans l'entendre. La critique est plutôt la préparation indispensable à l'établisse- ment d'une métaphysique solide [et fondée] comme science, qui doit être nécessairement traitée d'une manière ddgma- tique, avec un caractère systématique qui satisfasse aux plus sévères exigences, et, par conséquent, sous une forme sculas- tique (et non populaire) ; ce sont là des conditions auxquelles cette science ne saurait se soustraire, puisqu'elle s'engage à accomplir son œuvre tout à fait à priori, et, par conséquent, H l'entière satisfaction de la raison spéculative. Dans l'exécu- tion du plan tracé par la critique, c'est-à-dire dans le syslènio futur de la métaphysique, nous devrons suivre un jour la méthode sévère de l'illustre Wolf, le plus grand de tous les philosophes dogmatiques, qui, le premier, (et c'est par cet exemple qu'il a créé en Allemagne cet esprit de profondeur qui n'est pas encore éteint', montra comment, en établissant régulièrement les principes, en déterminant clairement les concepts, en cherchant l'absolue rigueur des démonstrations, en évitant les sauts téméraires dans les conséquences, on entre dans les voies sûres de la science. Il était par là même supé- rieurement doué pour donner à la métaphysique le caractère d'une science, s'il avait eu l'idée de se préparer le terrain par la critique de l'instrument, c'est-à-dire de la raison pure elle- même. Mais ce défaut lui doit être moins imputé qu à la façon dogmatique de penser de son siècle, et, à cet égard, les phi- losophes, ses contemporains au§si bien ^ue ses devanciers,
32 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
n'ont rien à se reprocher les uns aux autres. Ceux qui rejettent sa niéthode et, du même coup, celle de la critique de la raison pure, ne peuvent avoir d'autre but que de se déjjav- rasser des liens de la science, et de convertir le travail en jeu, la certitude en opinion, la philosophie en philodoxie.
Pour ce qui est de cette seconde édilion, je n'ai pas voulu, comme de juste, négliger l'occasion qu'elle m'offrait de iair^ disparaître,. autant que possible, les difficultés et les obscurité > qui, peut-être bien par ma faute, ont pu donner lieu à certains malentendus dans l'appréciation que des bommes pénétrants ont faite de ce livre. Je n'ai rien trouvé h changer d^ns k- propositions mêmes et dans leurs preuves, non plus que dan- la forme et dans l'pnsemble du plan ; ce qui s'explique e]i partie par le long examen auquel j'avais soumis mon œuvi avant de la livrer au public, en partie par la ns^ture même du sujet, c'est-à-dire par la nature d'une raisop spéculative où Toii trouve une véritable organisation, où tout est organe, où tout existe pour chaque membre et chaque membre pour le tout, i où, par conséquent, il n'y a pas de vice si léger, soit faut (erreur) ou omission, qui ne se trahisse inévitablement dau l'usage. Ce système conserverî^ désormais, je l'espère, cette iji variable fixité. Ce qui mo donne cotte confiance, ce n'est point une vaine présomption, mais l'évidence que produit en lin de compte l'cxpérimcn talion du résultat, soit qu'on s'élèv dos derniers éléments à l'ensemble de la raisop pure, soi qu'on redescende de l'ensemble à chaque partie (car cet en semble ressort pqr lui-môme du but final de la raison dans l domaine pratique) ; tandis que, si l'on essaie d'y changer 1 moindre chose, il en résulte des contradictions, non stulemcu dans le système, mais pour la raison liumaine commune. Mai dans rexfiosilian il y a encore beaucoup à faire, et je me sui eU'orcé de corriger celte édition de manière à dissiper soit 1 malentendu auquel a donné lieu l'esthétique, surtout dans i concept du temps, soit l'obscurité de la déduction des conctp de l'entendement, soit le prétendu défaut d'évidence dans 1* preuves des principes de l'entendement pur, soit enfin la fuus- interprétation des paralogismes do la psychologie rationnell Mes corrections dans la rédaction* no s'étendent pas plus loii
1. ta seule addition véritabîo que je pourrais citer, et encore r. .s'agit-il que du mode de démopstralion, cit celle où j'ai fait (p- 27.. une nouvelle réfutation de ridt'aJwnc psychologique et on ni&u. temps une preuve rigoureuse ( la seule aussi que je croie possibloj de la réalité objective de l'intuition extérieure. Quelque inolVensif
* De la première édition. Voir dan>^ la présente irndueiion tome 1, p. 43^ et siq.
PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION 33
(c'est-à-dire jusqu'à la fin du premier chapitre de la dialectique transccndanlale). Le temps m'a manqué, et d'ailleurs je no sache pas qu'aucun juge compétent et impartial se soit mépris sur le reste. Je nai pas besoin de nommer avec les éloges qu'ils méritent ceux dont j'ai pris les avis en considération ; ils trouveront bien d'eux-mêmes les endroits que j'ai retou- chés d'après leurs conseils. Mais les corrections que j'ai dû faire ont entraîné pour le lecteur un léger dommage, qu'il n'était pas possible d'éviter sans rendre le livre trop volumi- neux. Plus d'un lecteur, en eWci, pourra regretter divers pas- sages qu'il a fallu ou supprimer ou raccourcir, pour faire place à une exposition maintenant plus claire, je l'espère du moins, et qui, sans être essentiels à l'intégrité de l'ensemble, pouvaient cependant avoir leur utilité à un autre point de vu*. Cette nouvelle exposition ne change rien quant au fond dans les propositions et leurs démonstrations mêmes, mais elle s'écarte trop çà et là de l'ancienne, dans la manière de pré- senter les choses, pour qu'il ait été possible de l'y intercaler. Mais ce léger dommage, que chacun d'ailleurs peut réparer s'il le veut, en rapprochant les deux éditions, est compensé, je l'espère, par une clarté beaucoup plus grande. J'ai remarqué avec un plaisir reconnaissant, dans divers écrits récemment publiés (soit à l'occasion de l'examen de certains livres, soit dans des traités spéciaux), que l'esprit de profondeur n't-st pas mort en Allemagne, mais qu'il a été seulement étouffé pen- dant quelque temps par la mode d'une liberté do pensée posant au génie, et que les épines qui couvrent les sentiers de la cri- tique n'ont nullement empêché les esprits courageux et avides «le clarté de s'engager dans une voie qui conduit h une science dii la raison pure, scolastique il est vrai, mais durable à ce litre même, et partant de la plus haute nécessité. Il y a des
«lue l'idéalisme puisse paraître relativement au but essentiel de la lîir'tapfiysique (et on réalité il ne l'est pas), toujours est-ce un scan- dait» pour la pliib)so]tliie et pour la raison liutuainc conunune, <|ii't>n ne puisse admettre qua titre do croijancc roxislonco ilos choses extérieures (d'où nous lirons pourtant toute la uialioro do nos connaissances, mônio pour notre sens intime», et <pie sil plaît à (luclqu'un de le mettre en doute, nous n'ayons point do prou\o siiflisantc à lui opposer. Comme il y a (juelque obscurité dans I oxposition de cette preuve, de la troisième ligne à la sixième, je l'io (pi'on veuille bien modifier cette période :... *
* lo renvoie le reste do la note, c'est-à-dire la correction pro- posée par KauL et los nouvelles explications qu'il y joint, a lon- droit de son ouvrajjfo auquel elles se rapportent et où elles seront beaucoup mieux à leur place. (J. B.)
1. - ;{
34 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
hommes de mérile qui, à la profondeur des vues, ont le bon- heur de joindre le talent d'une exposition lumineuse (dont je ne me sens pas capable) ; je leur laisse le soin de mettre la dernière main à mon œuvre, pour y corriger ce qu'elle peut encore avoir çà et là de défectueux à cet égard. Car le danger n'est pas ici d'être contredit, mais de n'être pas compris. î)e mon côté, je ne puis m'engager désormais à descendre dans toutes les discussions [que cette œuvre pourra soulever], mais je ferai soigneusement attention à tous les avis, qu'ils vienne? damis ou d'adversaires, afin de les mettre à profit dans l'ex' cution du système qui doit suivre cette propédentique. Comni en me livrant à ces travaux, je suis arrivé à un âge tr' avancé (j'entre ce mois-ci dans ma soixante-quatrième anné. je dois être économe de mon temps, si je veux exécuter le pi;! que j'ai formé, de publier la métaphysique de la nature ai ni que Celle des mœurs, afin de confirmer l'exactitude de la cri- tique de la raison spéculative aussi bien que pratique. J'abnii- dounerai donc l'éclaircissement des difflcnîles qu'il n'était guère possible d'éviter d'abord dans une œuvre de ce genre, ainsi que la défense de l'ensemble, aux hommes de mérile qui en ont fait leur afïaire. Tout traité philosophique est vul- nérable d'un certain côté (car il ne saurait être aussi bien cuirassé [et protégé] dans 6a marche qu'un traité malhéma- tique) bien que l'organisation du système, considéré dans son unité, ne coure pas le moindre danger. C'est que, lorsqu'il est nouveau, peu d'esprits sont capables d'en embrasser Ten- scmblo, et un plus petit nombre encore d'y trouver du plaisir, toute nouveauté leur étant importune. Aussi n'y a-t-il pas d'écrit, surtout d'allure libre, oii, en rapprochant certains pas- sages détachés de l'ensemble, on ne puisse faire apparaître des contradiclions, contradielions qui jettent sur lui un jour défa- vorable aux yeux de quiconque ne juge que d'après autrui, tandis que, pour qui s'est élevé à l'idée de l'ensemble, elles sont faciles à résoudre. Mais lorsqu'une théorie a quelque soli- dité, l'action et la réaction qui semblaient d'abord la menacer des î)lU8 grands dangers, no servent avec le temps qu'à en faire disparaître les inégalités, et, si des esprits impartiaux, lumineux et amis de la vraie popularité s'en occupent, à lui donner aussi bientôt toute l'élégance désirable.
Kœnigsberg, avril i787.
INTRODUCTION
De la différence de la con)iaissance pure et de la connaissance empirique.
l] n'est pas douteux que toutes nos connaissances ne
Miniencent avccrexpérience , car par quoi notre laculti^ do connaître serait-elle éveillée (et appelée] à s'exercer, si elle ne Tétait point par des objets qui frappent nos sens et qui, d'un côt»', produisent par eux-mêmes des représentations, et de l'autre, mettent en mouvoraent notre activité intellectuelle [et l'excitentj à les comparer, à les unir ou à les séparer et à mettre ainsi en œuvre la matière brute des impressions sensibles pour [on former] cette connaissance des objets ? Ainsi, dans le temps, aucune connaissance ne précède en nous l'expérience, et toutes
inmencent avec elle.
Mais si toute notre connaissance commence avôc l'expé- rience, il n'en résulte pas qu'elle dérive toute de Texpé- rience. En effet, il se pourrait bien que notre connais* sance expérimentale elle-même fût un composé do ce que nous recevons par des impressions, et de ce que noire propre faculté de connaître tire d'tlle-même (n'étant qu'excitée par ces impressions sensibles), quoique nous
36 CRITIQUE DE LA RAlSOxN PURE
ne distinguions pas cette addition d'avec la matière pre- mière, jusqu'à ce qu'un long exercice nous ait appris à y appliquer notre attention et à les séparer l'une de l'autre.
C'est donc, pour le moins, une question qui exige un examen plus approfondi et qu'on ne peut expédier du pre- mier coup, que celle de savoir s'il y a une connaissance indépendante de l'expérience et même de toutes les impressions des sens. Cette espèce de connaissance est dite à priori, et,*on la distingue de la connaissance empi- rique, dont les sources sont à posteriori, c'est-à-dire dans l'expérience.
Mais cette expression n'est pas encore assez précise pour faire comprendre tout le sens de la proposition pré- cédente. En effet, il y a maintes connaissances, sorties de sources expérimentales, dont on a coutume de dire que nous sommes capables de les acquérir ou que nous les possédons à priori, parce que nous ne les tirons pas immédiatement de l'expérience, mais d'une règle géné- rale que nous avons elle-même empruntée à l'expérience. Ainsi, de quelqu'un qui a miné les fondements de sa maison, on dit qu'il pouvait savoir àpriori qu'elle s'écrou- lerait, c'est-à-dire qu'il n'avait pas besoin d'attendre l'exoérience de sa chute réelle. Et pourtant il ne pouvait pas non plus le savoir tout à fait à priori; car il n'y a que l'expérience qui ait pu lui apprendre que les corps sont pesants, et qu'ils tombent lorsqu'on leur enlève leurs soutiens.
Sous le nom de connaissances àpriori, nous entendons donc désormais non pas celles qui sont indépendantes de telle ou telle expérience, mais celles qui ne dépendent absolument d'aucune expérience. A ces connaissances sont opposées les connaissances empiriques, ou celles qui ne sont possibles qu'à posteriori, c'est-à-dire par le moyen de l'expérience. Parmi les connaissances à priori, celles- là s'appellent pures, auxquelles rien d'empirique n'est mêlé. Ainsi, par exemple, cette proposition : tout chan- gement a une cause, est une proposition à priori, mais non pas pure, parce que le changement est un concept qui ne peut venir que de l'expérience.
I
INTRODUCTION 37
II
Nous sommes en possession de certaines connaissances à priori, et le sens commun lui-même n'en est jamais dépourvu.
Il importe maintenant d'avoir un critérium qui nous permette de distinguer sûrement une connaissance pure l'une connaissance empirique. L'expérience nous en-
igne bien qu'une chose est ceci ou cela, mais non pas qu'elle ne puisse être autrement. Si donc, en premier lieu, il se trouve une proposition qu'on ne puisse concevoir que comme nécessaire, c'est un jugement à priori ; si, de plus, elle ne dérive d'aucune proposition qui n'ait elle- même la valeur d'un jugement nécessaire, elle est abso- lument à priori. En second Heu, l'expérience ne donne jamais à ses jugements une universalité véritable et rigou- reuse, mais seulement supposée et comparative (fondée sur l'éducation), qui revient à dire seulement que nous n'avons pas trouvé jusqu'ici dans nos observations, si nombreuses qu'elles aient été, d'exception à telle ou telle r 'gle. Si donc on conçoit un jugement comme rigoureu-
nient universel, tel par conséquent qu'on ne puisse ' loire à la possibilité d'aucune exception, c'est que ce j'igemcnt n'est point dérivé de l'expérience, mais valable :^\>so\ument à priori. L'universalité empirique n'est donc qu'une extension arbitraire de valeur; d'une proposition
• lui vaut pour la plupart des cas on passe à une autre qui vaut i)our tous, comme celle-ci par exemple : tous les 'orps sont pesants. Lorsqu'au contraire un jugement a
• ssenliollement [le caractère d'june rigoureuse universa- lité, c'est qu'il suppose une source particulière de con- naissance, c'est-à-dire une faculté de connaissance à priori. La nécessité et l'universalité rigoureuse sont donc des marques certaines d'une connaissance (i priori, et <'lles sont insépai-ables. Mais comme dans l'usage, il est parfois plus facile de montrer la limitation empirique des jugements que leur contingence, plus facile aussi d'en
38 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
montrer clairement l'absolue universalité présumée que la nécessité, il est bon de se servir séparément de ces deux critères, dont chacun est par lui-même infaillible. Maintenant, qu'il y ait dans la connaissance humaine des jugements nécessaires et rigoureusement universels, c'est-à-dire des jugeipents purs à priori, c'est ce qu'il est facile de montrer. Veut-on prendre un exemple dans les sciences? On n'a qu'à jeter les yeux sur toutes les propo- sitions des mathématiques. Veut-on le tirer de l'usage le plus ordinaire de l'entendement? On le trouvera dans cette proposition/ que tout changement aune cause. Dans ce dernier exemple, le concept d'une cause contient si évidemment celui de la nécessité d'une liaison nécessaire avec un effet et celui d'une rigoureuse universalité de la règle, qu'il serait tout à fait perdu si, comme Ta tenté Hume, on voulait le dériver de la fréquente association du fait actuel avec le fait précédent et de l'habitude qui en résulte pour nous (et qui n'a qu'une nécessité subjec- tive, par conséquent) de lier entre elles des ro^jrésenta- tions. Il n'est pas nécessaire d'ailleurs de recourir à ces exemples pour démontrer la réalité de principes purs à priori dans notre connaissance ; on pourrait aussi le prouver à priori en montrant qu'ils sont [des conditions] indis- pensables de la possibilité de l'expérience. En effet, où puiserait-elle la certitude, si toutes les règles d'après les- quelles elle se dirige étaient toujours empiriques, et, par conséquent, contingentes? Aussi ne saurait-on donner à des règles de ce genre la valeur de premiers principes. Nous pouvons nous contenter ici d'avoir établi comme une chose de fait l'usage pur de notre faculté de connaître ainsi que les critères qui servent à le distinguer. Mais ce n'est pas seulement dans les jugements, c'est aussi dans les concepts que se révèle une origine à priori. En- levez successivement de votre concept expérimental d'un corps tout ce qu'il contient d'empirique : la couleur, la dureté ou la mollesse, la pesanteur, l'impénétrabilité même, il reste toujours l'espace qu'occupait ce corps (maintenant tout à fait évanoui), et que vous ne pouvez faiic dis[)araître. De même, si de votre concept empi- \'n[\ir (1*1111 objet quelconque, . corporel ou non, vous
INTRODUCTION 30
[•(•tranchez toutes les propriétés que l'expérience vous
< nseigne, vous ne pouvez cependant lui enlever celle qui vous le fait concevoir comme une substance ou comme
. inhérent à une substance (quoique ce concept soit plus déterminé que celui d'un objet en général). Contraints par la nécessité avec laquelle ce concept s'impose à vous,
Ivous faut donc reconnaître qu'il a son siège à priori ns votre faculté de connaître*. i. Dans la première édition, à la place de ces deux premières lions, l'Introduction, qui en tout n'en comprenait que deux Jdéc de la 2>Jiiiosopfiie transcendantale et II. Division de cette hne philosophie) contenait simplement ce qui suit : X L'expérience est, sans aucun doute, le premier produit que nuire entendement obtient en mettant en œuvre la matière brute des impressions sensibles. Elle est donc par cela même le premier ensei^':nement, ensei;,'nenient tellement inépuisable dans son dêve- loppeiuenl que la chaîne des générations futures ne manquera j iiiiais de connaissances nouvelles à recueillir sur ce terrain. Tourlant, elle est loin d'être le seul cliamp où se borne notre ea- tendemeut. Elle nous dit bien ce qui est, mais non pas que cela soit nécessairement et no jjuisse être autrement. Aussi ne nous dunne-t-olle pas une véritable universalité, et la raison, si aviilo de connaissances de cette espèce, est-elle plutôt excitée par elle que satisfaite. Oes connaissances universelles, ayant en mémo I '-iips le caractère dune nécessité intrinsèque, doivent être claires
< t certaines par elles-mêmes indépendamment de l'expérience. "M les nomme pour cette raison des connaissances à priori ; au
iilraire, ce qui est emprunté uniquement a l'expérience n'est !inu. suivant les expressions consacrées, qu'à posteriori, ou il»iriquement. On voit maintenant, et c est une chose très remarquable, qu'à ^ expériences inêmes se mêlent des connaissances qui ont néces- iiemeiit iiac ori},'ino à priori, et qui peut-être ne servent qu'à lier < représentations sensibles. En elTct, si dû ces expériences on irletoatcc (pii appartient aux sens, il reste encore certains iicepts primitifs avec les ju^îsments (jul en dérivent, [concepts et ju{?emenls] (pii doivent se produire tout à fait à priori, c'est-a-diro indépendamment de rex|)érience. piiisqu'ils font quo l'on peut dire, ou du moins <juo l'on croit pouvoir dire, des objets qui appa- raissent aux sens, jilus qiu- n'enseijL-nerait la seule expérience, et que ces assertions impljriuenl une véritable uuiversalHù el iiii.> nécessite ri^ioureuse que Ifi connq-i^jjaiipe purciuent piupirii] saurait produire ».
CRITIQUE DE LA HAiSON PURE
III
La philosophie a besoin d'une science qui détermine la possi- bilifé, les principes et Vétendue de toutes nos connaissance à priori.
Une chose plus importante encore à remarquer que tout ce qui précède, c'est que certaines connaissances sortent du champ de toutes les expériences possibles, et, au moyen de concepts auxquels nul objet correspondant ne peut être donné dans l'expérience, semblent étendre le cercle de nos jugements au delà des limites de ces expériences.
C'est justement dans ces dernières connaissances, qui dépassent le monde sensible et où l'expérience ne peut ni conduire ni rectifier [notre jugement], que notre raison porte ses investigations. Et nous les regardons comme bien supérieures, par leur importance et par la sublimité de leur but, à tout ce que l'entendement peut nous apprendre dans le champ des phénomènes ; aussi, au risxiue de nous tromper, nous tentons tout plutôt que de renoncer à d'aussi importantes recherches, soit à cause de la difficulté, soit par dédain ou indifférence. Ces pro- blèmes inévitables* de la raison pure sont Dieu, la liberté et r immortalité. On appelle métaphysique la science dont le but dernier est la solution de ces problèmes, et dont toutes les dispositions y tendent. Sa méthode est d'abord dogmatique, c'est-à-dire qu'elle aborde avec assurance l'exécution de cette entreprise considérable, sans avoir préalablement examiné si elle est ou non au pouvoir de Ja raison.
Il parait sans doute bien naturel qu'aussitôt après avoir quitté le sol de l'expérience, on n'entreprenne pas de construire l'édifice [de la science] avec les connaissances
a. Tout le reste de l'alinoa. ;i partir d'ici, est une addifi'^n .1.' la seconde édition.
tf
INTRODUCTION 4i
que Ton possède, sans savoir d'où elles viennent et sur la foi de principes dont on ignore l'origine, que l'on s'assure d'abord par de soigneuses investigations des fon- dements de cet édifice, et que l'on commence en outre par se poser préalablement ces questions: Comment donc l'entendement peut-il arriver à toutes ces connaissances à ?yrion? Quelle en est l'étendue, la valeur et le prix? Il n'y a rien dans le fait de plus naturel, si l'on entend par e mot ce qui doit se faire raisonnablement et rationnelle- ent. Mais si l'on entend par là ce qui arrive généralement, en, au contraire, n'est plus naturel et plus facile à com- l'iendre que l'oubli si longtemps commis de cette recher- f'Iie. En effet, une partie de ces connaissances, les mathé- iiiatiques, sont depuis longtemps en possession de la •crtitude, et donnent par là bon espoir pour les autres, «juoique celles-ci soient peut-être d'une nature toute diffé- rente. En outre, dès qu'on est hors du cercle de l'expé- rience, on est bien sur de n'être pas contredit par elle. Le plaisir d'étendre ses connaissances est si grand que l'on ne pourrait être arrêté dans sa marche que par une évidente contradiction, contre laquelle on viendrait se heurter. Or il est aisé d'éviter cette pierre, pour peu que l'on se montre prudent dans ses fictions, qui n'en restent pas moins des fictions. L'éclatant exemple des mathémati- ques nous montre jusqu'où nous pouvons aller dans la connaissance àpriori sans le secours de l'expérience. Il est vrai qu'elles ne s'occupent d'objets et de connaissances que dans la mesure où ils peuvent être représentés comme tels dans l'intuition ;mais on peut aisément négliger celle circonstance, puisque l'intuition dont il s'agit ici peut elle-même être donnée à priori et que, par conséquent. «'Ile se distingue à peine d'un simple et pur concept. En- traînés par cette preuve de la puissance de la raison, notri^ peneliant à ("tendre [nos connaissances] ne voit plus de bornes. La colombe légère, qui, dans son libre vol, f«*nd l'air dont elle sent la résistance, pourrait s'imaginer qu'elle volerait bien mieux encore dans le vide. C'est ainsi que Platon quittant le monde sensible, qui renferme l'intelligence dans de si étroites limites, se hasarda, sur l'S ailes des idées, dans les csnaces vides de l'entende*
42 CRITIQUE DE LA RAISOiN PURE
ment pur. Il ne s'apercevait pas que, malgré tous ses efforts, il ne faisait aucun chemin, parce qu'il n'avait pas de point d'appui, de support sur lequel il pût faire fond et appliquer ses forces pour changer l'entendement de place. C'est le sort ordinaire de la raison humaine, dans la spéculation, de construire son édifice en toute Iiàte, et de ne songer que plus tard à s'assurer si les fon- dements en sont solides. Mais alors nous cherchons toutes sortes de prétextes pour nous consoler [de son manque] de solidité, ou même pour nous dispenser de le soumettre à une épreuve si tardive et si dangereuse. Ce qui, tant que dure la construction, nous exempte de tout souci et de tout soupçon, le voici. Une grande partie, et peut-être la plus grande partie de l'œuvre de notre raison, consiste dans l'analyse des concepts que nous avons déjà des objets. Il en résulte une foule de connaissances qui, bien qu'elles ne soient que des explications ou des éclair- cissements de ce que nous avions déjà pensé dans nos concepts (mais d'une manière confuse), et, bien qu'au fond elles n'étendent nullement les concepts que nous possédons, dans leur matière ou leur contenu, mais ne fassent que les détailler, n'en sont pas moins estimées, du moins quant à la forme, à l'égal de vues nouvelles. Or. comme cette méthode fournit une connaissance réelle à priori, qui a un développement certain et utile, la raison, dupe de cette illusion, se laisse aller, sans s'en apercevoir, à des assertions d'une tout autre espèce, et ollc ajoute à priori aux concepts donnés des idées tout à fait étrangères, sans savoir comment elle y est arrivée et sans même songer à se poser cette question. Je vais donc traiter tout d'aljord de la différence de ces deux espècio do ronnnissances.
IV
t)e la différence des jugements analytiques et des jugements synthétiques.
Dans tous les jugements où est pensé le rapport d'un
INTRODUCTION 43
ujetàun prédicat (je ne parle ici que des jugements alfirmatifs; il sera facile d'appliquer ensuite aux juge- ments négatifs ce que j'aurai établi), ce rapport est pos- sible de deux manières. Ou bien le prédicat B appartient
lU sujet A comme quelque chose déjà contenu (implici- toment) dans ce concept A; ou bien B, quoique lié à ce concept A, est entièrement en dehors de lui. Dans le pre-
iiier cas je nomme le jugement analytique; je l'appelle
ynthétique dans le second. Les jugements (affirmatifs) analytiques sont donc ceux dans lesquelles l'union du prédicat avec le sujet est pensée par identité; ceux où
otte union est pensée sans identité sont des jugements synthétiques. On pourrait aussi nommer les premiers des Jugements déclaratifs [ou explicatifs], et les seconds, des jugements extensifs. Les premiers, en effet, n'ajoutent rien par le prédicat au concept du sujet, mais ne font que le décomposer par l'analyse en ses divers éléments •iéjà conçus avec lui {quoique d'une manière confuse); les seconds, au contraire, ajoutent au concept du suj» t un prédicat qui n'y était pas pensé et qu'aucune analyse n'aurait pu en faire sortir. Par exemple quand je dis : Tous les corps sont étendus, c'est là un jugement analy- tique. Car je n'ai pas besoin de sortir du concept que je lie au mot corps pour trouver l'étendue unie avec lui ; il me suffit de le décomposer, c'est-à-dire de prendre I onscience des éléments divers que je pense toujours en (ni, pour y trouver ce prédicat. C'est donc un jugement .'inalytique. Au contraire, quand je dis : Tous les corps sont pesants, le prédicat est quelque chose de tout à fait différent de ce que je pense dans le simple concept d'un ' orps en général. L'adjonction de ce prédicat donne donc Mil jugement analytique.
Les jugements d'expérience, comme tels, sont tous synthétiques. En effet, il serait absurde de fonder un jugement analytique sur l'expérience, puisque je n'ai pas besoin de sortir de mon concept pour former un jugc- iiiont de cette sorte, ni par conséquent de recourir au témoignage de rexpérieiice. Cette proposition : le corps est étendu, est une pro|)osition à priori, et non un juge- ment d'expérience. En effet, avant dem'adregser à l'expé-
44 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
rience, j'ai déjà dans ce concept toutes les conditions de mon jugement, je peux en tirer le prédicat en vertu du seul principe de contradiction, et j'ai aussi par cela même conscience de la nécessité de mon jugement, chose que l'expérience ne saurait jamais m'enseigner. Au con- traire, je ne comprends point d'abord dans le concept d'un corps en général le prédicat de la pesanteur; mais, comme ce concept désigne un objet d'expérience [qu'il ne détermine qu'] en partie, j'y puis ajouter d'autres par- ties égalemeni tirées de l'expérience, comme apparte- nant à ce concept. Au lieu d'approfondir analytiquement [comme dans le premier cas] le concept du corps en y reconnaissant certains caractères qui tous y sont com- pris, tels que l'étendue, l'impénétrabilité, la figure, etc.; j'étends maintenant ma connaissance et, en retour- nant à l'expérience, d'où j'ai tiré ce concept de corps, j'y trouve la pesanteur toujours unie aux caractères précé- dents, et je l'ajoute synthétiquement à ce concept comme prédicat. C'est donc sur l'expérience que je fonde la pos- sibilité de la synthèse du prédicat de la pesanteur avec le concept du corps, puisque, si l'un des deux concepts n'est pas contenu dans l'autre, ils n'en sont pas moins liés l'un et l'autre, mais d'une manière purement contingente, comme parties d'un [même] tout, c'est-à-dire de l'expé- rience, qui est elle-même une liaison synthétique d'in- tuitions ^.
a. Cet alinéa a remplacé les deux suivants, de la première édition :
« Il résulte clairement de la l") que les jugements analytiques n'étendent nullement notre connaissance, mais qu'ils se bornent à développer le concept que j'ai déjà, et à me le rendre inteili- gihle.à moi même: 2") que dans les jugements synthétiques, il faut (jue j'aie encore en dehors du concept dn sujet quelque autre chose (X) sur quoi s'appuie mon entendement pour joindre à. ce concept un prédica. qui lui appartienne, sans y être contenu.
Les jugements empiriques ou d'expérience n'olTrent ici aucune difficulté. En elTet cette X n'est que l'expérience complète de l'objet que je pense par un concept A, qui n'est qu'une partie de cette expérience. Car, quoique je ne comprenne point déjà dans le concept d'un corps en général le prédicat de la pesanteur, ce concept désigne cependant une partie dune expérience complète, et je puis y ajouter d'autres parties qui appartiennent au même concept. Je puis d'abord connaître analytiquement le concept du
INTRODUCTION
Mais ce moyen d'explication ne saurait nullement s'appliquer aux jugements synthétiques à priori. Pour sortir du concept A et en reconnaître un autre B comme lui étant lié, sur quoi puis-je m'appuyer, et comment cette synthèse est-elle possible, puisque je n'ai pas ici l'avantage de pouvoir recourir au champ de l'expérience? (Ju'on prenne celte proposition : tout ce qui arrive a sa
use. Dans le concept de quelque chose qui arrive je _ ense bien une existence qu'un temps a précédée, etc., et je puis tirer de là des jugements analytiques. Mais le concept d'une cause est tout à fait extérieur au concept de quelque chose qui arrive et différent de lui : il n'est donc pas contenu dans cette dernière représentation. Comment donc puis-je dire de ce qui arrive en général quelque chose qui en est tout à fait différent, et recon- naître que, bien que le concept de la cause n'y soit point contenu, il lui appartient pourtant, et même néces- sairement? Quelle est ici cette inconnue X où s'appuie l'entendement, lorsqu'il croit trouver en dehors du con- cept un prédicat B qui est étranger à ce concept, mais qu'il estime cependant lui être lié ?Ce ne peut être l'expé- rience, puisque le principe dont il s'agit, pour joindre la seconde idée à la première, revêt non seulement une généralité plus grande que l'expérience ne peut fournir, mais aussi un caractère de nécessité, c'est-à-dire [qu'il les joint] à priori et par simples conce|)ts. Or c'est sur de tels jugements synthétiques, c'est-à-dire sur des jugements extensifs que repose le but final de notre connaissance spéculative à priori; car les principes analytiques sont sans doute très importants et très nécessaires, mais ils ne servent qu'à donner aux concepts la clarté indispensable A cette synthèse sûre et étendue qui seule est une acqni- ilion réellement nouvelle.
1 orps. en y reconnaissant certains caractères qui y sont tous compris, comme lotcnduc, linipênétrabilité, la ligure, etc.; mais ici j'étends ma connaissance, et, en retournant à l'expérience qui m'a déjà fourni ce concept de corps, j'y trouve la pesanteur tou- jours unie aux caractères préccdenls. L'expérience est donc celte X (jui se trouve en dehors du concept A et sur hiquelie se fonde la possibilité de la synthèse du prédicat de la pesanteur B avec le concept A ».
46 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Toutes les sciences théoriques de la raison contiennent dès jugements synthétiques qui leur servent de principes'*'
Les jugements mathématiques sont tous synthétiques. Cette proposition semble avoir échappé jusqu'ici à l'observation de ceux qui ont analysé la raison humaine, et elle paraît même en opposition avec toutes leurs conjectures; elle est pourtant incontestablement certaine et de très grande importance dans ses conséquences. En effet, comme on trouvait que les raisonnements des mathématiciens procé- daient tous suivant le principe de contradiction (ainsi que l'exige la nature de toute certitude apodictique\ on se persuadait que leurs principes devaient être connus aussi en vertu du principe de contradiction; en quoi Ton se trompait, car si le principe de contradiction peut nous faire admettre une proposition synthétique, ce ne saurait jamais être qu'autant qu'on présuppose une autre propo- sition synthétique, d'où elle puisse être tirée, mais en elle-même elle n'en saurait dériver.
a. Cette section et la suivante sont encore des additions de la seconde édition. La première ne contenait que les lignes qui suivent avec la note correspondante :
« Il y a donc ici au fond une sorte de mystère* dont l'explica- tion seule peut rendre sûrs et incontestables nos progrès dans le champ de la connaissance intellectuelle pure. Il s'agit de décou- vrir, avec l'universalité qui lui est propre, le principe de la possi- bilité de jugements syntliétiques à priori, se rendre corupte des conditions (|ui rendent possible chacune de leurs espèces, et non pas d'indiquer dans une esquisse rapide; mais de déterminer d'une manière complète et qui suftlse à toutes les applications, toute cette connaissance (qui constitue leur espèce proprei, en la ramenant fi un système suivant ses sources originaires, ses divisions, son étendue et ses limites ».
* « S'il était venu ;\ l'esprit de quelque ancien de poser seule- ment cette question, elle aurait oppose à elle seule une puissante barrière li tous les. systèmes de la raison pure jusqu'à nos jours et elle aurait épargné bien des tentatives inutiles, auxquelles on s'est livré aveuglément, sans savoir de quoi proprement il s'agis- sait. »
INTRODUCTION 47
II faut remarquer d'abord que les propositions propre- ment mathématiques sont toujours des jugements à priori, et non empiriques, puisqu'elles impliquent urte nécessité qu'on ne peut tirer de l'expérience, Si l'on conteste cela, je restreindrai alors mon assertion aux mathématiques ^vires, dont le concept seul implique déjà qu'elles ne con-
nnent point de connaissances empiriques, mais seule- I lient des connaissances pures à priori.
On est sans doute tenté de croire d'abord que cette pro- position 7-f-5=12 est une proposition purement analy- tique qui résulte, suivant le principe de contradiction, du concept de la somme de sept et de cinq. Mais, quand un y regarde de plus près, on constate que le concept de la somme de 7 et de 5 ne contient rien de plus que la réunion de deux nombres en un seul, et qu'elle ne nous fait nullement concevoir quel est ce nombre unique qui Contient ensemble les deux autres. Le concept de douze n'est point du tout pensé par cela seul que je pense cette réunion de cinq et de sept, et j'aurais beau analyser mon concept d'une telle somme possible, je n'y trouverais pas le nombre douze. Il faut que je dépasse ces concepts, en ayant recours à l'intuition qui correspond à l'un des deux, par exemple à celle des cinq doigts de la main, ou (comme [l'enseigne] Segner en son arithmétique), à celle de cinq points, et que j'ajoute ainsi peu à peu au concept de sept les cinq unités données dans l'intuition. En effet, je prends d'abord le nombre 7, et, en me ser- vant pour le concept do 5 des doigts de ma main comme d'intuition, j'ajoute peu à peu au nombre 7, à l'aide de cette image, les unités que j'avais d'abord réunies pour former le nombre 5, et j'en vois résulter le nombre 42. Dans le concept d'une somme =r 7 -|- 5, j'ai bien reconnu que 7 devdt ^trc ajouté à 5, mais non pas que cette somme était égale A 12. La proposition arithméliqu»- est donc toujours synthétique. C'est ce que l'on verra plus clairement encore en prenant des nombres quelque peu plus grands; il devient alors évident que, de quelque manière que nous tournions et retournions nos concepts, nous nn saurions jamais trouver la somme sans recourir à l'intuition et par la seule analyse de ces concepts.
48 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Les principes de la géométrie pure ne sont pas davantage analytiques. C'est une proposition synthétique que celle- ci : entre deux points la ligne droite est la plus courte. Car mon concept du droit ne contient rien qui se rapporte ù la quantité :il n'exprime qu'une qualité. Le concept du plus court est donc complètement ajouté, et il n'y a pa- d'analyse qui puisse le faire sortir du concept de la ligne droite. Il faut donc ici encore recourir à l'intuition : elle seule rend possible la synthèse.
Ce qui nous fait croire généralement que le prédicat de tels jugements apodictiques est déjà renfermé dans notre concept, et qu'ainsi notre jugement est analytique, c'est tout simplement l'ambiguïté de l'expression. Nous devons en effet ajouter à un concept donné un certain prédicat, et cette nécessité est déjà attachée aux deux concepts. Mais la question n'est pas de savoir ce que nous devons ajouter par la pensée au concept donné, mais ce que nous y pensons réellement bien que confusément. Or on voit alors que, si le prédicat se rattache nécessairement à ces con- cepts, ce n'est pas comme y étant pensé, mais au moyen d'une intuition qui doit s'y joindre. Un petit nombre de principes supposés par les géomètres sont il est vrai réel- lement analytiques et reposent sur le principe de contra- diction; mais ils ne servent, comme propositions iden- tiques, qu'à l'enchaînement de la méthode, et ne remplis- sent pas la fonction de véritables principes. Tels sont par exemple les axiomes : a = a, le tout est égal à lui-même, ou (a-}-b) 7 a, c'est-à-dire le tout est plus grand que sa partie. Et cependant ces axiomes mêmes, bien qu'ils tirent leur valeur de simples concepts, ne sont admis en mathématiques que parce qu'ils peuvent être repré- sentés dans l'intuition.
2°) La science de la n^iture {physica) contient des jugements synthétiques à priori comme principes. Je ne prendrai pour exemple que ces deux propositions : dans tous les chan- gements du monde corporel la quantité de matière reste constante; dans toute communication du mouvement l'ac- tion et la réaction doivent cire égales l'une à l'autre. Il est clair non seulement que ces deux propositions sont nécessaires et ont par conséquent une origine à priori»
INTRODUCTION 49
lais encore qu'elles sont synthétiques. Car dans le con- |)l de la matière je ne pense pas la permanence, mais lilement sa présence dans l'espace qu'elle remplit. Je is donc réellement du concept de la matière pour y ajouter à pnori quelque diose que je n'y concevais- pas. ^La proposition n'est donc pas analytique, mais synthé- tique, quoique pensée a priori, et il en est (|£ même de l^iûjUtes les autres propositions de Ici Dnriie mire de In r.Iiv-
I
l*) La métaphysique, mêuic < u > i.^u^-
pn n'a faii que chercher jusqu'ici, mais que la nature "la raison rend indispensable, doit aussi contenir des naissanecs synthétiques à priori. U no s'agit pas seulc- nt dans cette science de décomposer et d'expliquer I ilytiquement par là les concepts que nous nous Taisons ■ riori des choses ; mais nous y voulons étendre notre con- i.^sance à priori. Nous devons pour cela nous servir do principes qui ajoutent au concept donné quelque chose qui n'y était pas contenu et, au moyen de jugcnients syn- thétiques à priori, nous avancer jusqu'à un point où l'ex- périence même nepcutoo;»s suivre, comme par e:^cipple dans cette proposition : Je monde doit avoir un premier commencement, etc. C'est ainsi que jamétaphysique, envi- sagée du moins (lm$ sou but, sa compose de propositions
VI
Problème ijénéral de la raibon pure.
C'est avoir déjà beaucoup gagné que de pouvoir ramener une Ibuie de recherches sous la formule d'un unique pro- blème. Par là, en effet, non seulement nous facilitons noire propre travail, en le déterminant avec précision, mais il devient aisé à quiconque veut le coutrôlier, de juger si nous avons ou non rempli notre dessein. Or le véritable problème de la raison pure est renformé dans cette question : Comment des jugements synthétiques d '^ '"'""' '^nt-ils possibles P
hO CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Si la métaphysique est restée jusqu'ici dans un état précaire d'incertitude et de contradiction, la cause est imputable à ceci uniquement que cette question, peut-être même la différence des jiigements analytiques ei des juge- ments synthétiques, ne s'est pas présentée plus tôt aux esprits. De la solution de ce problème ou de la claire démonstration de l'impossibilité de le résoudre, malgré notre désir d'une explication, dépend le salut ou la ruine de la métaphysique. David Hume est de tous les philosophes celui qui s'est le plus approché de ce problème, mais il est loin encore de l'avoir déterminé avec précision et conçu dans sa généralité. S'arrêtant uniquementà la proposition synthétique delà liaison de l'effet avec sa cause [princi- pium causalitatis), il crut pouvoir conclure que ce prin- cipe est tout à fait impossible à priori. Il résulte de son raisonnement que tout ce qu'on nomme métaphysique n'est qu'une illusion consistant à attribuer à une soi- disant connaissance rationnelle, ce qui, en réalité, est emprunté seulement à l'expérience et tire de l'habitude l'apparence de la nécessité. Il n'auraitjamais avancé une pareille assertion, qui détruit toute philosophie pure, s'il avait eu devant les yeux notre problème dans toute sa généralité; car il aurait vu alors que, d'après son raison- nement, il ne pourrait y avoir non plus de mathématiques pures, puisque celles-ci contiennent des propositions syn- thétiques à priori, et son bon sens aurait reculé devnnt cette alTirmation,
La solution du problème énoncé suppose la possibilité d'un usage pur de la raison dans l'établissement et le développement de toutes les sciences qui contiennent une connaissance théorique à pmn de certains objets, c'est- îi-dire qu'elle suppose une réponse à ces questions :
Comment une mathématique pure est-elle possible ?
Comment une physique pure est-elle possible ?
Puisque ces sciences existent réellement, il convient (!• se demander comment elles sont possibles : qu'elles soient possibles, cela est prouvé en effet par leur réalité même '.
1. On pourrait peut-être moltrc oncoro en doute la nealilé de la physique pure. Mais pour peu que l'on fasse attentio'n aux
INTRODUCTION 51
Mais pour la métaphynque, comme elle a suivi jusqu'ici une marche détestable, et comme on ne peut pas dire qu'aucune des tentatives faites jusqu'à présent ait atteint réellement son but essentiel, il est bien permis à chacun de douter de sa possibilité.
Cependant cette espèce de connaissances ]^eut aussi en un certain sens être considérée comme donnée, et la méta- physique est bien réelle, sinon à titre de science, du moins à titre de disposition naturelle, {métaphysica natu- ralis). En effet, la raison humaine, poussée par ses pro- pres besoins, et sans que la simple vanité de savoir beau- coup y soit pour rien, s'élève irrésistiblement jusqu'à ces questions qui ne peuvent être résolues par aucun usage xpérimental de la raison ni par aucun des principes qui a émanent. C'est ainsi qu'une sorte de métaphysique se lorme réellement che^ tous les hommes, dès que leur raison peut s'élever à la spéculation ; cette métaphysique- là a toujours existé et existera toujours. C'est pourquoi se pose à son sujet cette question : comment la métaphy- sique est-elle possible à titre de disposition naturelle? c'est- à-dire comment naissent de la nature de l'intelligence humaine en général ces questions que la raison pure se pose et que ses propres besoins la poussent à résoudre aussi bien qu'elle le peut?
Comme dans toutes les tentatives faites jusqu'ici pou i- n'soudre ces questions naturelles, par exemple celle de savoir si le monde a eu un corymencement ou s'il exista de toute éternité, on a toujours rencontré d'inévitabh^s
• ontradictions, on rie saurait se contenter de cette simple
• iisposilion naturelle à la métaphysique, [se reposer sans examen sur cette] seule faculté de la raison pure qui ne manque pas de produire une certaine métaphy- sique (quelle qu'elle soit) ; mais il faut qu'il soit possible
(livorsos propositions qui so pr«^sont(^nt au début de la physiiiue proprement dite (de la physique empirique), comme le principe do la permanence de la mémo quantité de maliéro. ou le primipo d'inertie, ou encore, relui do r(';^alité de l'action et de la réut- tion, »'fc., on st^'onvaincra bientôt que ces propositions con>ti- tucnt une pfMjf<ica))t puvani ou rationaWw, (\n\ miuite bien d'ètro exposée à part, comme une science spéciale, dans toute sou étendue, ijue cette étendue 8oit d'ailleurs large ou étroite.
m CRITIQUE DE LA Hai^u.n f^LHh.
d'arriver, sur les objets des questions de nK-npnxsique, à une certitude, soit de connaissance, soit d'ignorance, c'est-à-dire de décider si la raison pure peut ou ne peut pas porter quelque jugement à leur égard, et par consé- quent d'étendre avec confiance [le domaine dej la raison pure, ou de lui fixer des bornes déterminées et sûres. Cette question, qui découle du problème général précé- demment posé, revient à celle-ci : comment la métaphy- sique est-elle possible à titre de science ?
La critique de la raison finit donc nécessairement par conduire à la science ; au contraire l'usage dogmatique de la raison sans critique ne conduit qu'à des assertions sans fondement, auxquelles on en peut opposer d'autres tout aussi invraisemblables, c'est-à-dire au scepticisme.
Aussi cette science ne peut-elle avoir une étendue bien grande et effi*ayante, car elle n'a point affaire aux objets de la raison, dont la variété est infinie, mais simplement à la raison elle-même, aux problèmes qui sortent de son sein, et qui lui so»t imposés non par la nature des choses, fort différentes d'elle-même, mais par sa propre nature. Dès qu'elle a appris à connaître préalablement son pou- voir propre relativement aux objets qui peuvent s^ pré- senter à elle dans l'expérience, il devient alors facile de déterminer d'une manière complète et certaine l'étendue et les limites de l'usage qu'on en peut tenter en dehors de toute expérience.
On peut donc et l'on doit considérer comme nou ave- nues toutes les tentatives faites jusqu'ici pour constituer doiimatiquemcnt une métaphysique. En effet ce qu'il y a d'analytique dans telle ou telle [doctrine de «e genre], c'est-à-dire la simple décomposition des concepts qui résident à priori dans notre raison, ne reprét>ente pas le but de la métaphysique, mais une préparation à c-4itte science, dont l'œuvre propre est d'étendre synthétique- ment ses connaissances à priori. Elle est impropre à ce but puisqu'elle ne fait que montrer ce qui est contenu dans ces concepts, et non pas comment nous y arrivons à priori, et que, par suite, elle ne nous apprend pas à en déterminer la légitime application aux objets de toute connaissance en général. !1 n'y a pas d'ailleurs ^^'>^^^'n de
ïNÎHODUCtiON -33
beaucoup d'abnëgation pour renoncer à toutes ces pré- it niions de r<incienne métaphysique; les contradictions • le la raison avec elle-mênie, contradictions indéniables et même inévitables dans la méthode dogmatique, l'ont ! -puis longtemps discréditée. Ce qu'il faudra plutôt, l'st une grande fermeté, pour ne pas se laisser détour- •r, soit par les difficultés intérieures, soit pas les résis- iices extérieures, [d'une entreprise qui a pour butj de l'aire prospérer et fructifier, suivant une méthode nouvelle et entièrement opposée à celle, qui a été suivie jusqu'à présent, une science dont on peut bien couper les reje- tons poussés jusqu'ici, mais non extirper les racines.
VII
Idée et division d^une science spéciale appelée Critique de la liaison pure.
De tout cola résulte l'idée d'une scioace spéciale *|ui ut s'appeler Critique de la raison pure*. En effet, la ison est la faculté qui nous fouinit les principes de la îinaissance à priori. La raison pure est donc celle qui ulient les principes au moyen desquels nous connais- us (quelque chose absolument ù prfo?'?. Un orQanon de la i tison })ure serait un ensemble do tous ces principes «l'après lesquels toutes les connaissances pures à pnori peuvent être acquises et réellement constituées. tJne application détaillée de cet organon fournirait un système de la raison pure. Mais comme ce système est cho?r très désirée, et comme c'est encore une qut^stion de en général, une extension do mlr. i.ii<i>ii
a. La première édition portait : t qui puisse servir à la crili(n;o (Il lît raison pure >. et à celte premi^rf^ phrase cHe ajontail les livnntes: «Toute conliaissanco ofi ne se niéle rien ii'('han>rer I lil)t'llc jjurc. En outre une connaissance est dite altsolunient |itire, (luancl aucune expérionco ou aucune sensation ne sy mêle, et que. par conséquent, elle est possible tout ii fait à priori. Or la raison est la faculté... »
ri4 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
est possible ici, et dans quels cas elle est possible, nous pouvons regarder comme la propédeutique du système de la raison pure une science qui se bornerait à examiner cette faculté, ses sources et ses limites. Cette science ne devrait pas porter le. nom de doctrine, mais de critique de la raison pure. Son utilité, au point de vue de la spécu- lation, ne serait réellement que négative ; elle ne servi- rait pas à étendre notre raison, mais à l'éclairer, à la préserver de toute erreur, ce qui est déjà beaucoup de gagné. J'appelle transcendantale toute connaissance qui ne porte point en général sur les objets, mais sur notre manière de les connaître, en tant que cela est possible à priori'^. Un système de concepts de ce genre serait une philosophie transcendantale. Mais ce serait encore trop pour commencer. En effet, une pareille science devant embrasser à la fois toute la connaissance analytique et toute la connaissance synthétique à priori, serait beau- coup trop étendue pour le but que nous nous proposons, puisque nous n'avons besoin de pousser notre analyse qu'autant qu'elle nous est indispensablement nécessaire pour reconnaître dans toute leur étendue les principes de la synthèse à priori, la seule chose dont nous ayons à nous occuper. Telle est pour le moment notre [unique] recherche, et elle ne mérite pas proprement le nom de doctrine, mais celui seulement de critique transcendan- tale, puisqu'elle n'a pas pour but d'étendre nos connais- sances, mais de les rectifier et de nous fournir une pierre de touche [qui nous permette de reconnaître] la valeur ou la non-valeur de toutes les connaissances à priori. Cette critique sert donc à préparer s'il y a lieu un organon, ou au moins, à défaut de cet organon, un canon de la raison pure, d'après lequel, en tous cas, pourrait être exposé plus tard, tant analytiquement que synthétiquement, le système complet de la philosophie de la raison pure, que ce système consiste à en étendre ou seulement à en limi- ter la connaissance. Car, que ce système soit possible, et même qu'il ne soit pas tellement vaste qu'on ne puisse
a. Premit're édition : « mais sur nos concepts à prU objets. »
INTRODUCTION ?J5
espérer le construire entièrement, c'est ce qu'il est aisé de reconnaître d'avance en remarquant qu'il n'a pas pour objet la nature des choses, mais rentendement, qui juge de la nature des choses, et encore l'entendement consi- déré au point de vue de sa connaissance à priori. Les richesses qu'il renferme ne sauraient nous rester cachées, puisque nous n'avons pas besoin de les chercher hors de nous, et, selon toute apparence, elles sont assez peu étendues pour les embrasser tout entières, juger de leur valeur ou de leur non-valeur et les apprécier comme elles le méritent... Il ne faut pas non plus* attendre ici une critique des livres et des systèmes de la raison pure, mais celle de la faculté même de la raison pure. Il n'y a que cette critique qui puisse nous fournir une pierre de touche infaillible pour apprécier, dans cette partie, la valeur philosophique des ouvrages anciens et modernes ; autrement l'historien et le critique, dépourvus de compé- tence, ne font qu'opposer aux vaines assertions des autres des assertions qui ne sont pas moins vaines.
La philosophie transcendantaleb est l'idée d'une science*^ dont la critique de la raison pure doit esquisser tout le plan d'une manière architectonique, c'est-à-dire par prin- cipes, en assurant pleinement la perfection et la solidité de toutes les pièces qui composent l'édifice. Elle est le système de tou» les principes de la raison pure d. Si la critique ne porte pas déjà elle-même le titre de philoso- phie transcendantale, cela vient simplement de ce que, pour être un système complet, il lui faudrait renfermer aussi une analyse détaillée de toute la connaissance humaine à prion. Or notre critique est sans doute tenue de mettre sous les yeux [du lecteur] un dénombrement complet de tous les concepts fondamentaux qui consti- tuent cette connaissance pure; mais elh' s'al)sti('nf avec
a. Tout I« reste de cet alinéa est une addition de la secoudo édition,
b. C'est ici que. dans la première édition, commençait la seconde partie de l'introduction sous le titre : Division de fa philosophie transcendantale.
f. Preiniôre édition : « n'est ici qu'une idée d'une science. » (I. Addition de la seconde édition.
56 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
raisoii de soumettre ces concepts mêmes à une analyse détaillée, comme aussi de faire un recensement cOFnpîet de tous ceux qui en dérivent. D'une part, en effet, cette {ana- lyse, qui est loin de présenter la difficulté de la synthèse, détournerait là critique de son but, qui n'est autre que cette synthèse même; et, d'autre part, il serait contraire à l'unité du plan d'entreprendre de justifier la perfecfion de l'analyse et du recensement, choses qui ne semt point du tout nécessaires relativement au but qu'on se propose. Cette perfection dans l'analyse des concepts â priori, aussi bien que dans lé recensement de tousceui qui peu- vent ensuite en dériver, est d'ailleurs chose facile à obte- nir pourvu qu'ils aient été d'abord exposés en détail à titre de principes dé la synthèse, et que Hen tte letW" manque par rapport d ce but essentiel. - ^
A fft critique de la raison pure appartient âoht (oôt ee qui constitue la philosophie transccfidantale, et elle représente l'idée complète de la philosophie transccndan- taie, mais non pas cette science même. Elle ne s'avance en effet dans l'analyse qu'autant qu'il est nécessaire pour juger parfaitement la cOrinaièsance synthétique à primi.
Le principal soin à prendre, dans la division d^une telle science, c'est de n'adrtiettre aucun concept qui contienne quelque élément empirique, ou de faire en sorte que la connaissance à priori soit parfaitement pure. C'est pour- quoi, bien que les principes suprêmes de la moralité et de ses concepts fondamentaux soient des connaissances â priori, ils n'appaMienneht cependant pas à la philoso- phie transcendantâle; car si les concepts du plaisir et de la peine, des désirs et des inclinations, etc., qui tous sotit d'origine empirique, ne servent point de fondement à ses préceptes, du moins entrent-ils nécessairement arec eux dans l'exposition du système de la raison pure, soit comme obstacles que le concept du devoir ordonne de surmonter, soik comme penchants qu'il n'est pas permis de prendre pour mobiles *. La philosophie transcendan-
a. tl y avait simplement dans lît pfcmlfrc édition : « car les concei)ts du plaisir el de la poino. des désirs et dt>s inrlin.tfiôns. dn libre jiriiltre, ofc, (|ni tous sdut d'origfhe empirique, y sout aocv sairenieut présupposes ».
INTRODUCTION 57
le n'est donc qu'une philosophie de la raison pure spécu- lative. En effet, tout ce qui est pratique, en tant qu'im- i«liqu;int des mobiles, se rapporte à des sentiments dont
- sources sont empiriques.
Si l'on veut maintenant diviser cette science d'après le
int de vue universel d'un système en général, elle <ievra contenir, 1°) une théorie des éléments de la raison pure, 2°) une théorie de la méthode de cette même raison. Chacune de ces parties principales a nécessairement ses subdivisions, mais il n'est pas besoin d'en exposer ici les principes. Il suffit, ce semble, dans une introduction, de remarquer qu'il y a deux souches de la connaissance humaine, qui viennent peut-être d'une racine commune, mais inconnue de nous, savoir la sensibilité et Ventende- ment, la première par laquelle des objets nous sont don- >»'■:?, la seconde par laquelle ils sont pensés. En tant li'clle doit contenir des représentations à priori, qui constituent les conditions sous lesquelles les objets nous sont donnés, la sensibilité appartient à la philosophie transcendantale. La théorie transcendantale de la sensi- Itilité doit former la première partie de la science des «'Ii'ments, puisque les conditions sous lesquelles seules l< s objets nous sont donnés précèdent [nécessairement]
Iles sous lesquelles ils sont pensés.
THÉORIE TRANSCENDANTALE DES ÉLÉMENTS
PREMIÈRE PARTIE ESTHÉTIQUE TRANSCENDANTALE
IK' quelque manière etpàv quelque iiipyen qu'une con- naissanc^i puisse se rapporter à des objets, le mode par lequijl elle se rapporte immédiatement à eux et que toute pensée prend comme moyen [pour les atteindre] est l'in- tuition. Mais cette intuition n'a lieu qu'autant que robjet nous est donné, et, à son tour, l'objet ne peyt nous être donné (du moins à nous autres bommos) qu'à condition d'affecter l'esprit d'une certaine manière. La capacité de recevoir (la réceptivité) des représentations des objets grâce à la manière dont ils nous affectent, s'appelle sensibilité. C'est donc au moyen de la sensibilité que des objets nous sont donnés, et seule elle nous l'ournit des intuitions; mais c'est par l'entendement qu'ils sont pensés, et c*est de lui que sortent les coucej)ls. Toute pensée doit, en dernière analyse, soit tout droit {directe), soit par des détours {indi- recte, au moyen de certains caractères), se rapporter à des intuitions, et par conséquent, cbez nous, à la sensibilité, puisqu'aucun objet ne peut nous ^'tre donné autrement.
L'impression d'un objet sur cette capacité de représen- tations, en tant que nous sommes affectés par lui, est (a sensation. On nomme empirique toute intuition qui se rapport'! à l'objet par le moyen de la Bensation. L'objet imléterminé d'une intuition ernpiriquc, s'appelle pbéno- mène.
Ce qui. d«tns h phénomène, correspond i la sensation, je l'appelle matière de cç phénomène; mais ce qui fait que
62 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
le divers qu'il y a en lui est ordonné suivant certains rapports, je le nomme la forme du phénomène. Comme ce en quoi seul les sensations peuvent s'ordonner, ou ce qui seul permet de les ramener à une certaine forme, ne saurait être lui-même sensation, il suit que, si la matière de tout phénomène ne nous est donnée qu'à posteriori^ la forme en doitôtre àp?'ioadans l'esprit, toute prête à s'appliquer à tous, et que, par conséquent, on doit pouvoir la considérer indépendamment de toute sen- sation.
J'appelle pures (dans le sens transcendantal) toutes représentations où l'on ne trouve rien qui se rapporte à la sensation. La forme pure des intuitions sensibles en général dans laquelle tout le divers des phénomènes est perçu par intuition sous certains rapports, est donc à priori dans l'esprit. Cette forme pure de la sensibilité peut encore être désignée sous le nom d'intuition pure. Ainsi lorsque, dans la représentation d'un corps, je fais abstrac- tion de ce qui en est pensé par l'entendement, comme la substance, la force, la divisibilité, etc., ainsi que de ce qui revient à la sensation, comme l'impénétrabilité, la dureté, la couleur, etc., il me reste encore quelque chose de cette intuition empirique, à savoir l'étendue et la figure. C'est là [précisément] ce qui appartient à l'intuition pure, laquelle se trouve à priori dans l'esprit, comme une simple forme de la sensibilité, indépendamment même de tout objet réel des sens ou de toute sensation.
J'appelle esthétique transcendantale ^ la science de tous
1. Les Allemands sont les seuls qui se soient servis jusqu'ici du mot esthétique pour dési^'ner ce que les autres appellent la cri- tique du goût. Cette dénomination se fonde sur une espérance, [malheurousoment] déçue, celle qu'avait conçue l'excellent ana- lyste Haumgarten, de soumettre le jugement critique du beau à des principes rationnels, et den élever les règles à la hauteur d'une science. Mais c'est là une vaine entreprise. En effet, ces règles ou critères sont empiriques dans leurs principales sources, et par conséquent ne sauraient jamais servir de lois et priori propres a ré'gler le goût dans ses jugements, c'est bien plutôt le goût qui est la véritable pierre de touche de l'exactitude des règles. II faut donc, ou bien abandonner de nouveau cette dénomination et la réseA'eir pour cette partio-ci de la cU^osophie qui est uuc véritable srteiic'b (ïtar où Ton se ra'iiprocIreTOit du langage et de
ESTHETIQUE TRANSCENDANTALE 63
les principes à priori de la sensibilité. C'est donc cette science qui doit former la première partie de la théorie transcendantale des éléments, par opposition à celle qui contient les principes de la pensée pure et qui se nom- mera logique transcendantale.
Dans l'esthétique transcendantale, nous commencerons par isoler la sensibilité, en faisant abstraction de tout ce que l'entendement [y ajoute et] y pense par ses concepts, dételle sorte qu'il ne reste rion que l'intuition empirique. Nous écarterons ensuite tout ce qui appartient à la sensa- tion, afin de n'avoir plus que l'intuition pure et la simple forme des phénomènes, seule chose que la sensibilité puisse fournir à priori. Il résultera de cette recherche qu'il y a deux formes pures de l'intuition sensible, comme principes de la connaissance à priori, savoir l'espace et le temps. Nous allons les examiner.
PREMIERE SECTION
DE l'espace
§2, Exposition métaphysique du concept de V espace.
Au moyen de cette propriété de notre esprit qu'est le sens extérieur, nous nous représentons des objets comme étant hors de noug et placés tous dans l'espace. C'est là que leur figure, leur grandeur et leurs rapports récipro- ques sont déterminés ou détcrminablcs. Le sens intime, au moyen duquel l'esprit se perçoit lui-même intuitivement,
la pensoc dos auciens, dans leur céli^bre division de. la connai<- sanci> on at(jOr)Tàxai vorjTot), ou bien l'omployor on commun a\oc la pliilosophio spéculative, et entendre le mot estlietiquo, lanlot clans un sens transcendanlal. et tantôt dans m\ sens nsvcliolo- giquo ».
\l^j'^^A^ ''^^ '^^^'^ /depuis ! ou bien) est une addition de la
setftfnac édition. J. B.
64 CRITIQUE DE LA BAISON PURE
ou perçoit son état intérieur, ne nous donne sans doute aucune intuition de l'àoie elle-même comme objet; mais il l'aut admettre ici une forme détej-minée, qui seule rend possible l'intuition de son état interne et d'après laquelle tout ce qui appartient à ses déterminations internes est représenté suivant des rapports de temps. Le temps ne peut pas être perçu e:!^térieurement, pas plus que l'es- pace ne peut l'être comme quelque chose en nous. Qu'est-ce donc que l'espace et le temps? Sont-ce des êtres réels? SsOpt-çe seulement des déterminations ou même de simples rapports des choses? Et ces rapports sont-ils de telle nature qu'ils ne cesseraient pas de sub- sister entre les choses, alors même qu'ils ne seraient pas perçus comme objets d'intuition? Ou bien sont-ils tels qu'ils dépendent uniquement ^e la forme de l'intuition, et par conséquent de la constitution subjective de notre esprit, sans laquelle ces prédicats ne pourraient être attribués à aucune chose? Pour répondre à ces questions, examinons d'abord le concept de l'espace °-. J'entends par exposition [expositio), la représentation claire (quoique non détaillée) de ce qui appartient à un concept;- cette exposition est métaphysique lorsqu'elle contient ce qui montre le concept comme donné à priori.
i° L'espace n'est pas un concept empirique, dérivé d'expériences extérieures. En effet, pour que je puisse rapporter certaines sensations à quelque cliose d'exté- rieur à moi (c'est-à-dire à quelque chose placé dans un autre lieu de l'espace que celui où je me trouve) et, de même, pour que je puisse me représenter les choses comme en deliors et à côté les unes des autres, et par conséquent comme n'étant' pas seule<iient différentes, mais placées en des lieux, différents, il faut que la repré- sentation de l'espace soit déjà posée comme fondement. Cette représentation ne peut donc être tirée par l'expé- rience des rapports des phénomènes extérieurs : mais cette expérience extérieure n'est ellf^-même possible i>u'au moyen de cette représentation.
2« L'espace est une représentation nécessaire, à priori,
a. I.e. reste de laHnéa est une addition de la seconde édition.
ESTHETIQUE llUAbCE.NDAx\TÂLE 65
qui sert de fondement à toutes les intuitions externes. Il est impossible de se représenter jamais qu'il n'y ait pas d'espace, quoiqu'on puisse bien concevoir qu'il n'y ait pas d'objets en lui. Il est donc considéré comme la con- dition de la possibilité des pliénomènes, et non pas comme une détermination qui en dépende. Il est une repr<isentation à priori servant nécessairement de i'onde- iiient aux phénomènes extérieurs.
;]« •"*. L'espace n'est pas un concept discursif, ou, comme ou dit, un concept universel de rapports des choses en j^énéral, mais une intuition pure. V.n effet, d'abord on no peut se représenter qu'un seul espace, et, quand on parle de plusieurs espaces, on n'entend par là que les parties d'un seul et même espace. Ces parties ne sau- raient non plus être antérieures à cet espace unique qui comprend tout, comme si elles en étaient les éléments (et qu'elles puissent le constituer par leur assemblage); elles ne sont au contraire pensées qu'en lui. Il est essentiellement un; le divers que nous y reconnaissons et par conséquent le concept universel d'espace en gé-néral ne reposent finalement que sur des limitations. Il suit de là que, par rapport à lui, une intuition à priori (non empiri(iue) sert de fondement à tous les concepts que nous en formons. C'est ainsi que tous les principes f,'éometriques, comme celui-ci, par exemple, que dans un triangle la somme de deux côtés est plus grande que
a. Ici se plaçait, dans la première îidition, un paragraphe qui a disparu dans les éditions suivantes. Le voici :
« C'est sur celle néccssilê à priori (juc se fonde la cerlilud.' apodiclique do tous les principes fîéonietiiques, et la piissibililc de leurs constructions à priori. En elVcl, si coUc représentation de resi)aco était un concept iii'(iuiii à posteriori, et puisé dans ' 'xp.Mience e\térieure connnune. les premiers principes de la
ience malh('in:i tique ne seraient rien que des perceptions. Ils auraient donc toute la conlinf,'enrn de la perception, et il n"y aurait pas de ii'Jcessitô à ce qu'entre deu.\ points il ne puisso v avoir qu'une li^'ne droite; mais l'e\p(iri<MJco nous montrerait qu'il on est toujours ainsi. Co qui est dôrivr de l'expcrienc n a aussi qu'une ^'em'ralitc; comparative, celle <pii vient de l'induc- tion. Il faudrait donc se borner à dire que. d'apros les ohsor\a- tions laUcs jusqu'ici, on n'a point trouvé Uesnace uui eût plus de trois dimensions. »
le troisième, ne soHeïit^as de's'coïic*e'pts^^éftéï*â'ù>t'é^ ligne et de triangle, mais de l'inluîtion, et ^'ùn« intuition à priori, avec une certitude âpodîctique.
4° l'espace est représenté comme une grandeur infinie donnée. 1! faut sans doute i^egarder tout concept comme une représentation contenue dans une multitude infinie de t-e présentations diverses possibles (comm^ leur catâc- tère commun), et qui )^àt suite les subsume; mais nul concept ne peut comme tel être considéré [au sens pré- cis des mots] comme contenant en soi iine multitude infinie de représentations. Or, c'est pourtant ainsi que nous pensons l'espace (car toutes les parties de l'espace coexistent à l'infini). La représentation oiiginaire de l'espace «si donc une intuition à priori, «t non pas uti concept *.
§3.
"Exposition transcendantale du concept de l'espace i>.
Montrer comment un certain concept est un principe capable d'expliquer la possibilité à'antres coïinaissances synthétiques à priori, voilà ce que |j'appeïle en faire tine 'expOsifion transcendantale. Or cela s^'^ypose de^^ choses : 40 que des connaissances de cette ^nature df^ùvent rédlt?- ment du concept donné; 2° que ces connaissances ne sont possibles que sous la supposition d'un mode d'expli- cation donné [et trré] de ce concej^t.
La géométrie est une science qtii détermine s^mfhéti- qucment et pourtant â pfion, les propriétés de l'espace. Que doit donc être la re^présentâtion de l'espace pour <ïu'une telle connaissance en soit possible? Il faut qu'il
a. Co pîiragraplie €taft aînS té^gé dans "la première édition oA il portaftle n» 5 :
« L'espace est rep'rèsenté Aonné cam'ttoe "ime grandeur infinie. Un concept général ûe l'espace (qui est cortùaun au pied ailçsi bien qu'à l'atme) ne peut rien déterminer quant k la grandeur. Si le progrès do l'intaitîon-n'ctait pas sans limites, nul concept de rapports ne contiendrait en soi tin principe de son infinité, a
h. Cette exposition ne figurait pas dans la première édition.
i originairement une intuition; car il e^t impossible tirer d'un sifnple conce^it des propos-itions qui le défassent, comlne cela arrive pourtant en gt-amétric (inbi-oductioTi, v). Mais celte intuition doit se trouver en H'o-ias à pHoHt c'e&t-à-diie antérieurement à toute percetp- ti'on d'un objet» et, par conséquent,' être pure et nofl orapi'riqiïe. É-n e^ffet, les proipositions igéo-mé triques, comme eelie-ci par exemjplc : l'espace n'a que trois dimetisiôns, sont toutes a4>odictiques, c'est-à-dire qu'elles impliqtrefit la co-nscitMice de l^ur nécessit^^ mais deteHes ipi'O-jjositions ne |)eTJA"e'nt être des jugements eiïi^piriques ou d'exp('rienco, ni en dériver (introduction, ii).
Mais coaïi ment maintenant peut-il y avoir <Ians l'e^piMl une intuition extérieure qui précède les objets mc^nies et dans laquelle leur concept puisse être déterminé à viH&ri! Cela ne peut t'videHimf'nt ai-river qu'autant qu'elle a son siège dans le sujet, comme la ca/pacité formelle qu'il a d'être affecté par des objets et d'en recevoir ainsi une représentation immédiate, c'est-à-dii'e une intuition, par HJ^wséquont comme forme du sens extérieur en géné-ral.
Notre explicatioTi fait donc &eule com-pfendre la possi- bilité de la géométrie comme science synthétique à pnori. Tout mode d'explication qui n'offre pas cet avantage peut être à ce signe très sûrement disti-ngué du nôtre, quelque '• ssemblance qu'il puisse avoir avec fui en apparence.
Conséquences tirées de ce qid précède.
A — L'esipaceoe ropréscîrte aucime «propriété de« choses en soi, soit qu'on les considère eli elles-niènnes, soit qu'on ]t!S considère dans leurs ra;f»ports etitre elles. <Bn d'aulr«^^' iries, il ne rep«'ésonte nucuTte dé'ècrmination des ohr.-r 5 ,11 soit inlu»rente aux ol^ets 'mêmes, ri ""■ -Mh^isle abs- traction faite ff«; toutes les c€»nditioBs ^ * de l'in- tuHion. En effet M n'y a pas de Atbi [inii.MM-ns, s(*it absolues, soit relatives, ifui puisaefit être intuitivemnit ' "eues ant'Tieureni ' ' "-xistence des cho-
C8 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
quelles elles appartiennent, ei par conséquent à priori. B — L'espace n'est autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c'est-à-dire la seule con- dition suhjective de la sensibilité sous laquelle soit pos- sible pour nous une intuition extérieure. Or, comme la réceptivité en vertu de laquelle le sujet peut être affecté par des objets précède nécessairement toutes les intui- tions de ces objets, on comprend aisément comment la forme de tous les phénomènes peut être donnée dans l'es- prit antérieurement à toutes les perceptions réelles, par conséqueut à priori, et comment, étant une intuition pure où tous les objets doivent être déterminés, elle peut con- tenir antérieurement à toute expérience les principes de leurs rapports.
Nous ne pouvons donc parler d'espace, d'êtres éten- dus, etc., qu'au point de vue de l'homme. Que si nous sor- tons de la condition subjective sans laquelle nous ne sau- rions recevoir d'intuitions extérieures, c'est-à-dire être affectés par les objets, la représentation de l'espace ne signifie plus rien. Les choses ne reçoivent ce prédicat qu'autant qu'elles nous apparaissent, c'est-à-dire qu'elles sont des objets de la sensibilité. La forme constante de cette réceptivité, que nous nommons sensibilité, est une condition nécessaire de tous les rapports où nous perce- vons intuitivement des objets comme extérieurs à nous; et, si l'on fait abstraction de ces objets, elle est une intui- tion pure qui porte le nom d'espace. Comme nous no saurions voir dans les conditions particulières de la sen- sibilité les conditions de la possibilité des choses, mais celles seulement de leur manifestation, nous pouvons bien dire que l'espace contient toutes les choses qui peuvent nous apparaître extérieurement, mais non pas toutes les choses en elles-mêmes, qu'elles soient ou non perçues intuitivement, et quel que soit le sujet qui \v perçoive. En effet, nous ne saurions juger des intuition [que peuvent avoir] d'autres êtres pensants, et savoir si elles sont soumises aux conditions qui limitent les nôtres et qui ont pour nous une valeur universelle. Que si au concept qu'a le sujet nous joignons la limitation d'un jugement rectrictif, alors notre jugement a une valeur
ESTHETIQUE TRANSCENDANTALE C«
absolue. Cette proposition : toutes les choses sont juxta- posées dans l'espace, n'a de valeur qu'avec cette limita- tion restrictive, que ces choses soient prises comme objets de notre intuition sensible. Si donc j'ajoute ici la condi- tion au concept et que je dise : toutes les choses, en tant que phénomènes extérieurs, sont juxtaposées dans l'es- pace, cette règle a une valeur universelle et sans restric- tion. Notre examen de l'espace nous en montre donc la réalité (c'est-à-dire la valeur objective) au point de vue de 1.1 perception des choses comme objets extérieurs; mais il nous en montre aussi Vidéalité au point de vue de la raison considérant les choses en elles-mêmes, c'est-à-dire abstraction laite de la constitution de notre sensibilité. Nous affirmons donc la réalité empirique de l'espace (rela- tivement à toute expérience extérieure possible); mais nous en afïirmons aussi Vidéalité transcendantalCj c'est-à- dire sa non-existence, dès que nous laissons de côté les conditions de la possibilité de toute expérience, et que nous l'acceptons comme quelque chose qui sert defondc- ment aux choses en soi.
D'un autre côté, en dehors de l'espace, il n'y a pas «l'autre représentation sul)jeclive et se rapportant à quel- ({ue rhose d'extérieur, qui i)ui*;se être appelée objective à priori". Il n'est en eiïet aucune de ces rcf réscnlulions
;i. La suite de ccl alinéa était rédige;) de la m;iiiicic t.ui\aiile dans la pieniièro édition : « Aussi cette condition sul).jeeii\o de tous les idienoniènes extérieurs ne peut-elle èlrc coini>arte à aucune autre. Le goût agréable d'un \in n'appartient pas aux pro- priétés objectives de ce vin. c'est-à-dire aux propriétés dun oi)jet ' l'iisidiré comme tel, même) c<»mme pliénoniéne. mais a la naluïo
■ilit'uliére du sens du sujet (pii en jouit. Les couleuis ne sont s des (jualites des corp.s à linluilion desijuels elles se rapiiorlent, lis seulement des modifications du sens de la vue, alVecte dune
1 tainc manière par la lumière. Au coniraire l'espace, commecou- tiition des objets exlérieui's, a[ii)artient nécessairement au plieno- UKMie ou à l'intuition du phénomène. La saveur et les cimleurs no sont nullement des conditions nécessaires sous les(iuelles seules- les choses pourraient devenir pour nous des objets des sens. Co ne sont que des elTets de l'organisation particulière de nos sons, lies accidenlellement au phénomène. Elles ne sont donc pas non plus des représenlalioiis à 2))'iori, mais elles s»^ fondent sur la sensation ou môme, comme une saveur agréable, sur lo sentiment; du plaisir ou de la peine, c'est-à-dire sur un effet de la sensation.
"^O CKIÎÏQUE m LA RAISON PURE
cl'o.ù Von. puisse tirer des propasitions synthétiques àpriori, comme ceUes qui dérivent de l'intuition dan? l'espace (§ 3). Aussi, à parler exacteiifteni, aVnt-elles aucune idéaUté, ( iicaFe qu'eues aient ceci de cooinaun ave€ la représen- tcilion de l'espace,, de dépendFe uniquement de la ccnsti- lution subjective de la sensibilité, pa? exemple delà vue, do l'o-uïe, du toucher; mais les sensations des co<uleurs. des sons, de la clialeuF étant de puces sensations et non des intuitians» ne nous font connaître p>ar eUes-mètaes aucun objefe, du moins à ^novi.
Le but de cette remarque est seulement d'empêché; qu'on ne s'avise de vouloir expliquer l'idéalfiké attribué ' à l'e^pae© par des exemples entièrementjinsttJftsant?. comme les couleurs^ les sav^âurs. etc.^ que l'oJi regard-, avec raison, nojji comn^e des propriétés des choses» mais seulement conimo des modiftcations. du s^jet, et qui peuvent être tort ditÇérentes suivant les différents indi- vidus. I>ans ce dernier cas, en effet, ce qui n'est originai- remenfc qu'un phénomène, par exemple une rose, a^ dans le sens empirique, la valeur d'une chose en soi» bien que. quant à la couleur, elle puisse paraître différente aux différents yeux. Au contraire, le concept transcendanlal des phénomènes dans l'espace nous suggère cette obser- vation critique que rien en général dt> ce qui est perçu dans l'espace n'est une chose en soi, et que l'espace n'est pas une forme des chases considérées en elles-mêmes, mais que les objets ne nous sont pas connus en eux- mêmes et que ce que nous nommons objeis extérieurs consiste dans de simples représentations de notre sensi- bilité dont la forme est Ve&pace, mais dont le véritable corrélatif, c'est-à-dire la ehoso en soi, n'est pas et ne peut pas être connu par là. Aussi bien ne s*en enquiert- oa jamais dans l'expérience.
Aussi tK^rscvnae ne. saurait-il avoir «iprio;-^ ^' > - ' • ■ >
couleuv, o>w celte tViuie saveur, tauilis i,
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aucune scttsation (rien tt'ettHuviquei. touj» ses ukaUVs ci vvtiU'
clt^tcrminaUons peuvent et (toiveul tuèwiètre vejxvéseulesà^j^'
pour (tannev lieu aux caucepks de^s ligures et de Icuis rapv'ds.
Lui seut tK'ut ilouc faire que l<.^s eltuses soient pour nous tles
DEUXIÈME SECTION
DU TEMPS
§4. Ea^position métaphysique du concept du tempa.
1. te iemps m'est pAs un concept empiviquc ou qvii <l«''civc d'une expérience quelconque. En effet, \o, sMunl-
invité ou la sucçessio,u ue touiberaient pas elleâ-naénxes • •us la perception, si la représentation du temps me \\\\ servait à priori, de fontlement. Ce u'est que suus cette sup- position que uous pouvons nous représenteii* uue cUose ( on^ue existant en UU'me temps qu'une autre (cou^me -iuxuUanée) au daus uu autre tenips (comn^^. \^ fti-^çédapt Il lui succédant).
2. te temps est une représentation n^-çessaire qui sert dû londenxent à toutes tes intuitio^is. Ou ue saurait suppJi'i-
iicr te temps tui-ntéute par rapport aux pUénamèncs en
■néral, quoique l'on puisse bien retrancher les pUéno-
nièncs du temps[par la pensée]. Le. temps cstdonc donné
à priori. Sans lui, toute réalité dos phénomènes est impos-
iblo. On peut les supprime^ tous, mais lui-même (comme
Miidition générale de leur possibilit(') ne peut être sup-
(•rimé. n
3. Sur cette nécessité à priori se fonde aussi la possi- h'iité de principes npodictiqucs concernant les rappoi'ts «lu temps, ou d'axiomes du temps en général [commit
ux-ci): le temps n'a qu'une dimension ^ des temps difr<'-
nls ne sont pas simultj^nés, mais successifs (tandis que
I 'S espaces différents ne sont pas successifs, mais simul-
iiiés). Ces principes ne peuvent nas être tirés de l'expé-
<>nce, car celle-ci ne saurait donner ni rigoureuse uni-
sersalité, ni certitude apodieiique. Il faudrait se bornera
dire : voilà ce quVnse.igno l'observation commune^ et non :
voilà ce qui dpit èhe. Ce^ PHRetpçs i)m\ do^c |a vateyr
72 ^ CRITIQUE DE LA RAISON PURE
de règles qui rendent l'expérience possible en général; ils nous instruisent avant l'expérience, et non par elle.
4. Le temps n'est pas un concept discursif, ou, comme on dit, général, mais une forme pure de l'intuition sen- sible. Les temps différents ne sont que des parties d'un même temps. Or, une représentation qui ne peut être donnée que par un seul objet est une intuition. Aussi cette proposition, que des temps différents ne peuvent exister simultanément, ne saurait-elle dériver d'un con- cept général. Elle est synthétique, et ne peut être unique- ment tirée de concepts. Elle est donc immédiatement con- tenue dans l'intuition et dans la représentation du temps.
^. L'infinité du temps ne signifie rien autre chose, sinon que toute grandeur déterminée du temps n'est possible que circonsciite par un temps unique qui lui sert de fon- dement. Il faut donc que /la représentation originaire de temps soit donnée comme illimitée. Or, quand les parties mêmes et toutes les grandeurs d'une chose ne peuvent être représentées et déterminées qu'au moyen d'une limitation, alors la représentation ^entière ne peut être donnée par les concepts (car ceux-ci ne contiennent que des représentations partielles)*, mais il y a nécessaire- ment une intuition immédiate qui leur sert de fonde- ment. ■
Exposition transcendanlale du concept dutcmps^K
Je puis me borner sur ce point à renvoyer le lecteur au no 3 où, pour plus de brièveté, j'ai placé sous le titre d'exposition métaphysique ce qui est proprement trans- cendantal. J'ajoute [seulement] ici que le concept du changement, ainsi que celui du mouvement (comme cliangement de lieu) ne sont possibles que par et dans la
a. Première édition : « car les représentations partielles sont données les premières ». h. Celte exposition a été ajoutée dans la seconde édition.
ESTHÉTIQUE TRANSCENDANTALE 73
représentation du temps, et que, si cette représentation n'était pas une intuition (interne) à pnon, nul concept, quel qu'il fût, ne pourrait nous faire comprendre la pos- sibilité d'un changement, c'est-à-dire d'une liaison de pré-, dicats contradictoiremont opposés dans un seul et même objet (par exemple, l'existence d'une chose dans un lieu et la non-existence de cette chose dans le même lieu). Ce n'est que dans le temps, c'est-à-dire successivement, que deux déterminations contradictoirement opposées peuvent convenir à une même chose. Notre concept du temps explique donc la possibilit*'- de toutes les connaissances synthétiques à priori que contient la théorie générale du mouvement, qui n'est pas peu féconde.
§6.
Conséquences tirées de ce qui précède.
A. — Le temps n'est pas quelque chose qui existe en soi ou qui soit iiihérentaux choses comme une détermination objective, et qui, par conséquent, subsiste quand on lait abstraction de toutes les conditions subjectives de leur Intuition. Dans le premier cas, il faudiait qu'il fût quel- que chose qui existât réeltement sans objet réel; dans le second, étant une détermination ou un ordre inhéjent aux choses mêmes, il ne pourrait être donné avant les objets comme leur condition, ni être, à priori, connu ou perçu intuitivement par des propositions syntliétiques. Hien n'est plus facile, au contraire, si le temps n'est que Ui condition subjective de toutes les intuitions que nous pouvons avoir. Alors, en effet, cette forme de l'intuition interne peut être représentée antérieurement aux objets, cl par consi'quent à priori.
B. — Le temps n'est autre chose que Kn forme du sens interne, c'est-à-dire de l'intuition de nous-mêmes et de noire état intérieui'. Eu efTet, il ne peut être une d('termi- nation des phénomènes extérieurs : il n'appartient ni à une figure, ni à une position, etc.; mais il détermine le
74 CRITIQUE |>E LA lUISOtX PUÏIE
çg.p,p.ort des représentatioas (Jajis notre état iaté^'ieur. Efc, préçisémcçot parce que cette iatiiitioû ijiAtérieure ae fournit aucune figUtPe, ftous clpierctians à çépareç ce défaut par l'analogie; nous çeprésentojxs la suite du temps, par une ligne qui s'étend àî'inûniet do>at les diverses parties cons- tituent unç série qui n'a qu'une diixiensioja., et no,us con- cluons des propt'iétés de cette ligne à celles du temps, ayec cette- seule exception que les parties de la première sont simultanées, tandis que celles du. secojad sont tou- jours successives. On voit aussi par là que la représenta- tion du temps lui-njême est une intuition, puisque toutes ses relations peuveixt ê^re exprimées par uae intuition extérieure.
C. — Le temps est la condition formelle àpnori de tous les phénomènes en général. L'espace, comme forme pure de toute intuition externe, ne sert de condition à priori qu'aux phénomènes extérieupes. Au contraire, comme toutes les représentations, qu'elles aient ou non pour objets des choses extérieures, appartiennent toujours par elles-mêmes, en tant que déterminations de l'esprit, à un état i,ntérieur, et que ce^ élat intérieur, ta^jo^urs soumis à U condition forme Ue c^e VintuitioJi interne, rentre ainsi dans le temps,, le temps est une condition à priori de tous les pJbéftomènes oj;^ général, la condition iwutté- diate des phénomènes intérieurs (de ftotre àwe), et, pav là, même, la co,ndition médiate des phéuan^ènes exté- riewvs. Si je puis dire àp-wp" que tous les pliénoA^ènes sont dans l'espace, et qu'ils sojit déterminés à pvi^ii sui- vant les relations de Tespace, je puis dire d'une manière tout à fait générc^le du principe du sens interne, que tous les phéuouiènes en général, c'est-à-dire tous les objets des sens, sont dans le temps et qu'ils sont nécessairement soumis aux relations du temps.
Si nous faisons ab^straction de notre mode d'intnition interne et de la manière dont, au moyen de cette intui- tion, nous embrassons aussi toutes les intuitions externes dans notre' faculté de représentation, et si, par consé- quent, nous prenons les objets comme ils peuvent être en eux-mêmes, alors le ten^ps n'est vien. \\ n'a de valeur oJljgective que ipel^tiveme^t au\ id^énogiènea, paroç qu<j
ESTHÉTIQUE TRANSCENBANTALE
les phénomènes sont les choses que nous regardons
comme des objets âe nos sens; mais \\ n'a plus (ie vateur
hjective dès qu'on faik abstraction de (a sensibilité de
lotre intuition, ou de ce mode de représentation qui nout)
st propre, et que l'on parte des choses en gtHiéral. Le
il naps n'est donc autre chose qu'une condition subjective
• le notre (tmmaine) intuition (taquette est toujours sen- : ibte, c'est-à-dire [ne] se produit fqu'jautant que nous
(jmmes affectés par des objets) ; en tui-raème, en dehors (kl sujet, il n'est rien. 11 n'est pas moins nécessairement objectif par rapport à tous les phénomènes, par consé- quent aussi à toutes les choses que peut nous offrir l'expé- rience. On ne peut pas dire que toutes les choses sont lans le temps, puisque, tlani le concept des choses en -l'néral, on fait abstraction de toute espèce d'intuition de < ('S choses, et que l'intuition est la condition particulière
• |ui fait rentrer le temps dans ta rt^présentation des
hjets ; mais, si t'on ajoute la condition au concept et tjue ôH dise: toutes tes choses, en tant que phénomènes objets de l'intuition sensible), sont dans te temps, ce prin- ipe a [dans ce sens] sa véritable valeur objecMvo, cf il >t universel à pvion.
Toutes ces considérations établissent donc la rvaHlt' inpirique du temps, c^est-à-dire sa valeur objective par ipport à tous les objets qui peuvent jaiiiais être donnés ' nos sens. Et comme notre intuition est toujours sensible, f ne peut jamais noua être donné dans l'expérience ucun objet qui ne rentre sous la condition du temps. sous combattons donc toute prétention du temps à une n'aHté absohœ, comme si, mén»e abstraction faite de la lorme de notre intuition sensible, il appartenait absolu- ment aux choses, à titre de condition ou de propriéli». hes sortes de propriétés qui appartiennent aux choses m soi ne sauraient jamais d'ailleurs nous être données par lo.s sens. Il faut donc admettre VidéaHté transcendimiafc du temps en ce sens que, si l'on fait abstraction des con- ditions subjectives do l'intuition sensible, il n'est plus ' i'Mi, et qu'il n»> pe>»t être attribué aux choses en soi indépendamment de leur rajjport avec noti'o intuition) oit ^ titre de substance, soit À titre de qualité. Mais cette
70 CRITIQUE DE LA HAISOX PURE
idéalité, de même que celle de l'espace, n'a rien de commun avec les subreptionsdes sensations : dans ce cas on y suppose en effet que le phénomène même auquel appartiennent tels ou tels attributs aune réalité objective, tandis que cette réalité disparaît entièrement ici, à moins qu'on ï^e veuille parler d'une réalité simplement empi- rique, c'est-à-dire d'une réalité qui, dans l'objet, ne s'ap- plique qu'au phénomène. Voyez plus haut sur ce point la remarque de la première section.
§7. Explicatioîi.
Cette théorie qui attribue au temps une réalité empi- rique, mais qui lui refuse la réalité absolue et transcen- dantale, a soulevé chez des esprits pénétrants une objection si unanime que j'en conclus qu'elle doit natu- rellement venir à la pensée de tout lecteur à qui ces considérations ne sont pas familières. Voici comment elle se formule : il y a des changements réels (c'est ce que prouve la succession de nos propres représentations, voulût-on nier tous les phénomènes extérieurs ainsi que leurs changements); or des changements ne sont possibles que dans le temps ; donc le temps est quelque chose de réel. La réponse ne présente aucune difficulté. J'accorde l'argument tout entier. Oui, le temps est quelque chose de réel ; c'est en effet la forme réelle de l'intuition interne. Il a donc une réalité subjective par rapporta l'expérience intérieure, c'est-à-dire que j'ai réellement la représenta- tion du temps et de mes déterminations dans le temps. Il ne doit donc pas être réellement considéré comme un objet, mais comme un mode de représentation de moi- même en tant qu'objet. Que si je pouvais avoir, ou un autre être, l'intuition de moi-môme, sans cette condition de la sensibilité, ces mêmes déterminations que nous nous représentons actuellement comme des changements nous donneraient une connaissance où ne se trouverait
ESTHÉTIQUE TRANSCENDANTALE 77
plus la représentation du temps, ni par conséquent celle du changement. Le temps garde donc une réalité empi- rique, comme condition de toutes nos expériences; mais, d'après ce que nous venons de dire, on ne saurait lui accorder une réalité absolue. Il n'est autre chose que la forme de notre intuition interne '. Si l'on retranche de cette intuition la condition particulière de notre sensi- bilité, alors le concept du temps disparaît aussi, car il n'est point inhérent aux choses mêmes, mais au sujet qui les perçoit intuitivement.
Quelle est donc la cause pour laquelle cette objection a ('■té faite si unanim.ement, et par des hommes qui n'ont rien d'évident à opposer à la doctrine de l'idéalité de l'espace? C'est qu'ils n'espéraient pas pouvoir démontrer apodictiquement la réalité absolue de l'espace, arrêtés qu'ils étaient par l'idéalisme, suivant lequel la réalité des objets extérieurs n'est susceptible d'aucune démonstra- tion rigoureuse, tandis que celle de l'objet de notre sens intime (de moi-même et de mon état) leur paraissait inimédiatemenl claire par la conscience. Les objets exté- rieurs, pensaient-ils, pourraient bien n'être qu'une appa- rence, mais le dernier est incontestablement quelque chose de réel, ils ne songeaient pas que ces deux sortes d'objets, si incontestable que soit leur réalité à litre de représentations, n'appartiennent cependant qu'au phéno- mène, et que le phénomène doit être envisagé toujours sous deux points de vye : l'un, où l'objet est considéré en lui-même (indépendamment du mode d'intuition où nous le percevons, et par cela même sa nature reste toujours pour nous problématique); l'autre, où l'on a égard à la forme de l'iiiluition de cet objet, laquelle doit être cher- chée, non dans l'objot lui-môme, mais dans le sujet auquel l'objet apparaît, et n'en appartient pas moins réel- lement et nécessairement au phénomène de cet objet.
Le temps et l'espace sont donc deux sources où peuvent
f. io puis bien diic (|iio fnos i('|irrsoiit;iti(»ns sont sucfcssivos, mais cela si;<nille sculemt'ut que jai i*onsrioiin' de ces roiuost'iila- tions loiumo dans une suitodo, temps, c rsl-a-dir«Mlaprés la formo du sens intime. Le lemi)s n'est pas pour rcla quehpio rhoso en soi, ni uiOme uuc détcrminatiou objcctiveracût inhérente aux choses-
78 iGt^ïTTOIE DE LA RAISON WRË
être tirées à priori diverses connaissances synthétiques, comme les mathématiques pures en donnent un «xefiapltî éclatant relativement à la connaissa;nce de l'espace et de ses raipports. C'est qu'ils sont tous deux des Cxwmes pures de toute intuition sensible, ^et rend-ent ainsi possibles des propositions synthétiques à priori. Mais ces sources de connaissances à priori se déterminent leurs limites par cela même (qu'elles ne sont que des conditions de la sen- sibilité), -c'est-à-dire qu'elles ne se rapportent aux objets qu'autant qu'ils sont considérés comme des phénomènes et non comme des choses en soi. Les phénomènes for- ment seuls le champ où elles aient de la valeur; en dehors de là, et pour qui sort de ce champ, il n'y a aucun usage objectif à en faire. Cette réalité [que j'attribue] à l'espace et au temps, laissa d'ailleurs intacte la certitude de la connaissance expérimentale, car cette connaissance est toujours également certaine pour nous, que ces formes soient nécessairement inhérentes aux choses mêmes ou seulement k notre inttrition -des clwses. Au contraire, ceux qui soutiennent la réalité aèsoluc de d'espace -et du temps, qu'ils les entendent comme des substances ou comme des qualités, ceux-là se mettent nécessairement e« contradiction avec les principes de l'expérience. En effet, s'ils îe décident pour le premier parti (comme le font ordinairement les physiciens mathématiciens), il leur faut admettre comme étemels et infinis, et comme subsistant par eux-mêmes deux non-êtres (l'espace et le temps), qui (sans être pourtant quelque chose de réel) n'existewt que pour renfermer en eux tout ce qui réel. Que s'ils suivent le second parti (comme font quelques physiciens mathé- maticiens), c'est-à-dire si l'espace et le tem>ps sont pour eux certains rapports des phénomènes (des rapports de juxtaposition ou de succession) abstraits de l'expérience, mais confusément représentés dans cette abstraction, il faut quMls contestent aux doctrines à priori des mathéma- tiques touchant les choses réelles (par exemple dans l'es-pace), leur valeur ou du moins leur certitude apodic- tique, puisqu'une pareille certitude ne saurait être à pos^ terioriy et que, dans leur opinion, les concepts à priori d'é^ace et de temps ne sont que des créations de Vima-
ESÎHÉTlQtË tRANSt:tm3XNTÂtï: 70
gination dont la source doit être réellement cherchée dans l'expérience. C'est en effet, selon eux, avec des rap- ports abstraits de l'expérieuce que l'imagination a formé quelque chose qui contient bien ce qu'il y a en elle de général, mais qui ne satirai't ex'ister satis les ï^strrctions qu'y attache la nature. Ceux qui adoptent la première opinion ont l'avantage de laisser le champ des phéno- mènes ouvert aux propositions WiathéTnatiqùcfs ; ils sont en revanche singulièrernent embarrassés par ces ttiémes conditions, dès que l'entendeTnent veut sortir de ce champ. Les seconds ont sans doute, siit ce dernier point, l'avantage de n'être point arrêter par les représentations <le l'espace et du temps, lorsqu'ils veulent juger des ohjets dans leur rapport avec rcntendeïnetit etnon comme phéno- mènes ; mais ils ne peuvent ni rendre compte de la possi- bilité des connaissances rtiathématiques à priori (puisqu'il leur manque une véritable fntm'tio'n d7)n*o ri, objectivement valable), ni établir un accorA nécessaire entre îes lois de l'expérience et ces affirmations. 'Ûr ces deux difficultés disparaissent dans notre théorie, q^i expliqtre la vénta'ble nature de ces deUx formes originaires de la sensibilité.
Que Vestliétiquc transcendantale ne puisse rien con- tenir de plus que ces deux élén^ents, à savoir l'espace et le temps, cela résulte clairement àc ceci, que tous les autres concepts appartenant à la sen^ihflité supposent quelque chose d'empirique, et ^e même aussi le concept du mouvement, qui réunit les Aeux éléments. €e dernier, en effet, présuppose la perception de ï^elque cliose qui se meut. Or, dans l'espace considéré en soi, il n'y a rien de mobile. 11 faut donc que le mobile soft quclqne cTioso que Vcxpéricnce seule peut trouver dans l*espftcè, par con- séquent une donnée empirique. Par là môm^e, l'esth(''tî(ijne transcendantale ne saurait compter parmi ces données â priori le concept du changcmeni, car ce n*«st pas le temps lui-même qui cTiange, mais quelque ctiose qui est dans le temps. Ce concept suppose donc la perct^ption d'une certaine cliose et de la succession de ses détermi- nations, par conséquent l'expérience.
80 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Remarques générales sur l'esthétique transcendantale.
1. Il est d'abord nécessaire d'expliquer, aussi claireni'?nt que possible, notre opinion sur la constitution de la con- naissance sensible en général, alin de prévenir toij^ malentendu à ce sujet. "%
Ce que nous avons voulu dire, c'est donc que toute notre intuition n'est autre chose que la représentation de phénomènes; c'est que les choses que nous percevons par l'intuition ne sont pas en elles-mêmes telles que nous les percevons, et que leurs rapports ne sont pas non plus en eux-mêmes tels qu'ils nous apparaissent; c'est que, si nous faisons abstraction de notre sujet, ou même seulement de la constitution subjective de nos sens en général, toutes les propriétés, tous les rapports des objets dans l'espace et dans le temps, l'espace et le temps eux-mêmes s'évanouissent, puisque tout cela, comme phénomène, ne peut exister en soi, mais seule- ment en nous. Quant à la nature des objets considérés en eux-mêmes et indépendamment de toute réceptivité de notre sensibilité, elle nous demeure entièrement incon- nue. Nous ne connaissons rien [de ces objets] que la manière dont nous les percevons; et cette manière, qui nous est propre, peut fort bien n'être pas nécessaire pour tous les êtres, bien qu'elle le soit pour tous les hommes. Nous n'avons affaire qu'à elle. L'espace et ]e temps en sont les formes pures; la sensation en est la matière générale. Nous ne pouvons connaître ces formes qu'à priori; c'est-à-dire avant toute perception réelle, et c'est pourquoi on les appelle des intuitions pures; la sensation, au contraire, est l'élément d'où notre connaissance tire le nom de connaissance à posteriori, c'est-à-dire d'intui- tion empirique. Ces formes sont absolument et nécessai- rement inhérentes à notre sensibilité, quelle que puisse être la nature de nos sensations; celles-ci peuvent être
ESTHÉTIQUE TRANSCENDANTALE 81
très différentes. Quand même nous pourrions porter notre intuition à son plus haut degré de clarté, nous n'en
lions point un pas do plus vers [la connaissance dej la 1! iture des objets en eux-mêmes. Car en tous cas, nous ne connaîtrions parfaitement que notre mode d'intuition, c'est-à-dire notre sensibilité, toujours soumise aux conditions d'espace et de temps- originairement inlié- ^' ntes au sujet; quant à savoir ce que sont les objets en
i, c'est ce que nous ne saurons jamais, même avec la ' rtnnaissance la plus claire de leurs phénomènes, seule '-< hose qui nous soit donnée.
Prétendre que toute notre sensibilité n'est qu'une
présentation confuse des choses, qui contient absolu- ment tout ce qu'il y a dans ces choses mêmes, mais seu- lement sous la forme d'un assemblage de caractères et de représentations partielles que notre conscience ne dis- tingue pas les uns des autres, c'est dénaturer les con^cepts de sensibilité et de phénomène, et en rendre toute la théorie inutile et vide. La différence entre une représen- tation obscure et une représentation claire est purement logique et ne i>orle pas sur le contenu. Le concept du droit, par exemple, dont se sert toute saine intelligence, contient, sans doute, tout ce que peut en tirer la plub subtile spéculation; seulement, dans l'usage vulgaire et pratique [qu'on en faitj, on n'a pas conscience des diverses représentations contenues dans ce concept. Mais on ne peut pas dire pour cela que le concept vulgaire soit sen- sible et ne désigne (fu'un simple phénomène ; car le droit ne saurait être un objet de perception, mais le concept en réside dans renlendement et représente une qualité (la qualité morale) des actions, qu'elles possèdent en elles-mt^mes. Au contraire, la représentation d'un corps dans l'intuition ne contient rien qui puisse appartenir à un objet en lui-même, mais seulement le phénomène |l.i manifestation) do quelque chose et la manière dont nous cji sommes affectés. Or, cette réceptivité de notre faculté de connaître, que Ton nomme sensibilité, domeur« tou- jours profondément distincte de la connaissance de l'objet en soi, (luand mémo on parviendrait à pénétrer le l»liénomène jusqu'au fond.
82 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
La philosophie de Leibniz et de Wolf a donc assigné à toutes les recherches sur la nature et l'origine de nos connaissances un point de vue tout à fait faux en consi- dérant la différence du sensible et de l'intellectuel comme purement logique, tandis qu'elle est évidemment trans- cendantale et qu'elle ne porte pas seulement sur la clarté ou l'obscurité de la forme, mais sur l'origine et le con- tenu. La vérité est ainsi, non que la sensibilité nous fait connaître obscurément la nature des choses en soi, mais qu'elle ne nous la fait pas connaître du tout; et, dès que nous faisons abstraction de notre constitution subjective, l'objet représenté, avec les propriétés que lui attribuait l'intuition sensible, ne se trouve plus et ne peut plus se trouver nulle part, puisque c'est justement cette consti- tution subjective qui détermine la forme de cet objet comme phénomène.
Nous distinguons bien d'ailleurs dans les phénomènes ce qui est essentiellement inhérent à leur intuition et a une valeur générale pour tout sens humain, de ce qui ne s'y rencontre qu'accidentellement, et ne dépend pas de la constitution générale de la sensibilité, mais de la dis- position particulière ou de l'organisation de tel ou tel sens. On dit de la première espèce de connaissance qu'elle représente l'objet en soi, et de la seconde qu'elle n'en représente que le phénomène. Mais cette distinction est purement empirique. Si l'on s'en tient là (comme il arrive ordinairement) et que l'on ne considère pas à son tour (ainsi qu'il conviendrait de le faire) cette intuition empirique comme un simple phénomène, où l'on ne trouve plus rien qui appartienne à une chose en soi, alors notre distinction transcendantale s'évanouit, et nous croyons connaître des choses en soi, bien que même dans nos plus profondes recherches sur les objets (du monde sensible), nous n'ayons jamais affaire qu'à des phénomènes. Ainsi, par exemple, si nous disons de l'arc-en-ciel qu'il est un simple phénomène qui se montre dans une pluie mêlée de soleil, et de cette pluie, qu'elle est une chose en soi, cette manière de parler est exacte, pourvu que nous entendions la pluie dans un sens physique, c'est-à-dire comme une chose qui, dons
ESTHETIQUE TRANSCENDANTALE 83
Texpérience générale, est déterminée de telle manière et non autrement dans l'intuition, quelles que soient d'ail- leurs les dispositions des sens. Mais si nous prenons ce [phénomène] empirique d'une manière générale, et que, sans nous occuper de son accord avec tout sens humain, nous demandions s'il représente aussi un objet en soi (je ne dis pas des gouttes de pluie, car elles sont déjà, comme phénomènes, des objets empiriques), la question qui porte sur le rapport de la représentation à l'objet devient alors transcendantale. Non seulement ces gouttes de pluie sont de simples phénomènes, mais même leur forme ronde et jusqu'à l'espace où elles tombent ne sont rien en soi ; ce ne sont que des modifications ou des dispositions de notre intuition sensible. Quant à l'objet transcendantal, il nous demeure inconnu.
Une seconde remarque importante à faire sur notre esthétique trnnscendantale, c'est qu'elle ne se recom- mande pas seulement à titre d'hypothèse vraisemblable, mais qu'elle est aussi certaine et aussi indubitable qu'on peut l'exiger d'une théorie qui doit servir d'organon. Four mettre cette certitude en pleine évidence, prenons quel- que cas qui en montre la valeur d'une manière éclatante et jette une nouvelle lumière sur ce qui a été exposé ,^3^.
Supposez que l'espace et le temps existent en soi objec- tivement et comme conditions de la possibilité des choses elles-mêmes, une première difficulté se présente. Nous tirons à priori de l'un et de l'autre, mais particulièrement de l'espace, que nous prendrons pour cela ici comme principal exemple, un grand nombre de propositions apodictiques et synth<''tiques. Puisque les propositions de la géométrie sont connues synthétiquement à priori et avec une certitude apodictique, je demande où vous pre- nez ces propositions, et sur quoi s'appuie notre entende- ment pour s'élever A ces vérités absolument nécessaires et universellement valables. On ne saurait y arriver qu'au moyen de concepts ou d'intuitions, elles uns et les autres nous sont donnés soit à priori, soit à posteriori. Or les concepts empiriques et l'intuition empirique sur laquelle
a. « Et jette... » additio|i do la seconde édition,
84 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
ils se fondent ne peuvent nous fournir d'autres proposi- tions synthétiques que celles qui sont empiriques et qui, à ce titre de propositions expérimentales, ne peuvent avoir cette nécessité et cette universalité qui caractérisent toutes les propositions de la géométrie. Reste seul le pre- mier moyen, celui qui consiste à s'élever à ces connais- sances au moyen de simples concepts ou d'intuitions à prion ; mais il est clair que de simples concepts on ne peut tirer aucune connaissance synthétique, mais seu- lement des connaissances analytiques. Prenez, par exemple, cette proposition : deux lignes droites ne peuvent renfermer aucun espace, ni, par conséquent, former aucune figure, et cherchez à la dériver du concept de la ligne droite et de celui du nombre deux. Prenez encore, si vous voulez, cette autre proposition qu'avec trois lignes droites on peut former une figure, et essayez de même de la tirer simplement de ces concepts. Tous vos efforts seront vains, et vous vous verrez forcés de recourir à l'intuition, comme le fait toujours la géométrie. Yous vous donnez donc un objet dans l'intuition ; mais de quelle espèce est cette intuition ? Est-elle pure à priori, -ou empirique ? Si c'était une intuitioi\ empirique, nulle proposition universellement valable, et à plus forte rai- son nulle proposition apodictique n'en pourrait sortir ; car l'expérience n'en saurait jamais fournir de ce genre. C'est donc à priori que vous devez vous donner votre objet dans l'intuition, pour y fonder votre propo- sition synthétique. S'il n'y avait point en vous une faculté d'intuition â priori ; si cette condition subjective relative à la forme n'était pas en même temps la condi- tion universelle à priori qui seule rend possible l'objet de cette intuition (extérieure) même ; si l'objet (le triangle) était quelque chose en soi indépendamment de son rap- port à votre sujet; comment po«rriez-vous dire que ce qui est nécessaire, dans vos conditions subjectives, pour construire un triangle, doit aussi nécessairement se trou- ver dans le triangle en soi Y En effet vous ne pouvez ajouter à vos concepts (de trois lignes) aucun élément nouveau (la figure) qui doive nécessairement se trouver dans l'objet, puisque cet objet est donné antérieurement à
ESTHETIQUE TRANSCENDANTALE
votre connaissance et non par elle. Si donc l'espace (ci cola s'applique aussi au temps) n'était pas une simple forme de votre intuition, contenantdes conditions à priori qui seules font que les choses peuvent être pour vous des objets extérieurs, lesquels, sans ces conditions subjec- tives, ne sont rien en soi, vous ne pourriez absolument porter aucun jugement synthétique à priori sur les objets extérieurs. H est donc indubitablement certain, et non pas seulement possible ou vraisemblable, que l'espace et le temps, comme conditions nécessaires de toute expé- rience (externe et interne) ne sont que des conditions himpleraent subjectives de toute notre intuition; qu'à ce point de vue tous les objets sont de simples phénomènes et non des choses données de cette manière telles qu'elles sont en soi ; enfin que nous pouvons dire à priori beau- coup de choses toucliant la forme de ces objets, mais jamais la moindre sur la chose en soi qui peut servir de rondement à ces phénomènes.
II ^ A l'appui de cette théorie de l'idéalité du sens exté- rieur aussi bien que du sens intime, et par conséquent <hj tous les objets des sens, comme purs phénomènes, on peut faire encore utilement une importante remarque : c'est que tout ce qui dans notre connaissance apparticîii à l'intuition (je ne parle pas par conséquent du sentiment du plaisir ou de la peine, ni de la volonté, qui ne sont pas des connaissances), ne contient que de simples rap- ports, rapports do lieux dans une intuition (étendue , rapports de changement de lieu (mouvement), et des lois qui iléterminent ce changement (forces motrices). Mais ce qui est présent dans le lieu ou ce qui agit dans les choses mêmes en dehors du changement de lieu n'esl point donné par là. Or, de simples rapports ne font point connaitre une chose en soi ; par conséquent il est bien permis de' penser que, comme le sens extérieur ne nous <lonne rien autre chose que de simples représentations de rapports, il ne peut lui-même renfermer dans sa M présentation que le rapport d'un objet au sujet, et non
il. Tout ce qui .suit, Jusqu'à la lin de l'esthétique, est une addition
lie la socynUô édilion.
86 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
ce qui est propre à l'objet et lui appartient en soi. II en est de même de rintuition interne. Outre que les repré- sentations des sens extérieurs y constituent la matière propre dont nous remplissons notre esprit, le temps où nous plaçons ces représentations, et qui lui-même pré- cède la conscience que nous en avons dans l'expérience et leur sert de fondement comme condition formelle de notre manière de les disposer dans notre esprit, le temps, dis-je, renferme déjà des rapports de succession ou de simultanéité, et celui du simultané avec le successif (du permanent). Or ce qui peut être, comme représentation, antérieur à tout acte de penser quelque chose, est l'in- tuition ; et, comme elle ne contient rien que des rap- ports, la forme de l'intuition, qui ne représente rien qu'autant que quelque chose- est déjà posé dans l'esprit, ne peut être autre chose que la manière dont l'esprit est affecté par sa propre activité, ou par cette position de sa représentation, par conséquent par lui-même, c'est-à-dire un sens intérieur considéré dans sa forme. Tout ce qui est représenté par un sens est toujours à ce titre un phé- nomène ; et par conséquent, ou il ne faut point admettre un sens intime, ou le sujet qui en est l'objet ne peut être représenté par lui que comme un phénomène, et non comme il se jugerait lui-même si son intuition était pure- ment spontanée, c'est-à-dire intellectuelle. Toute la diffi- culté est "ici de savoir comment un sujet peut intérieure- ment se percevoir intuitivement lui-même ; mais cette difficulté est commune à toute théorie. La conscience de soi-même (l'aperception) est la simple représentation du moi, et si tout ce qu'il y a de divers dans le sujet nous était donné spontanément par cette seule représentation, l'intuition intérieure s-erait alors intellectuelle. Mais, dans l'homme, cette conscience exige une perception intérieure du divers, lequel est préalablement donné dans le sujet, et le mode suivant lequel il est donné dans l'esprit sans aucune spontanéité doit, en raison de cette différence, se nommer sensibilité. Pour que la faculté d'avoir conscience de soi-même puisse découvrir (appré- hender) ce qui -est dans l'esprit, il faut que celui-ci en soit affecté ; c'est à cette seule condition que nous pouvons
ESTHÉTIQUE TRANSCENDAiNTALE 87
avoir Tintuition de nous-mêmes ; mais la forme de cette intuition, existant préalablement dans Fesprit, détermine dans la représentation du temps la manière dont le divers est réuni dans l'esprit. En effet, celui-ci se perçoit intui- tivement, non comme il se représenterait lui-même immé- diatement et en vertu de sa spontanéité, mais suivant la manière dont il est intuitivement affecté, et par con- séquent tel qu'il s'apparaîtà lui-même, non tel qu'il est. II!. Lorsque je dis que l'intuition des choses extérieures et celle que Fesprit a de lui-même représentent, dans l'espace et dans le temps, chacune son objet, comme il affecte nos sens, c'est-à-dire comme il nous apparaît, je ne veux pas dire que ces objets soient une simple appa- rence. En effet, dans le phénomène, les objets et mêmeles qualités que nous leur attribuons sont toujours regardés comme quelque chose de réellement donné ; seulement, comme ces qualités dépendent du mode d'intuition du sujet dans son rapport à l'objet donné, cet objet n'est pas comme phénomciiç ce qu'il est comme objet en soi. Aussi je ne dis pas que les corps semblent simplement exister hors de moi, ou que mon âme semble simplement être donnée dans la conscience que j'ai de moi-même, lorsque j'aHIrme que la qualité de l'espace et du temps, d'après laquelle je me les représente et où je place ainsi la condition do leur existence, ne réside que dans mon mode d'intuition et non dans ces objets en soi. Ce serait ma faute si je ne voyais qu'une simple apparence dans ce que je devrais considérer comme un phénomène '. Mais
i. Les prédicats du pliéuomène peuvent olro attriliués à l' objet nif-me dans son rap|)ort avec noire sens, par e\enip!o la couleur rouKe ou l'odeur à la rose: mais l'apparence ne peuljamais èlro atlrihuèo comme prédicat à l'objet, précisément parce (pielie. attribue à l'objet en soi ce qui ne lui convient (jue dans son lap- port avec les sens ou en},^'néral avec le sujet, comme par exemple, les deux anses que l'on attribuait primitivement à Saturne. I.o pliénoméne est (piehiue chose qu'il ne faut pas chercher dans l'objet en luisnénie, mais toujours dans le rapport de cet objet au sujet, et qui est inséparable de la reprcsentation (iu(* nous en avons; ainsi c'est avec raison que les prédicats de l'espace et du hinps sont attribués aux objets des sens comme tels, et il n'y a point en cela d'apparence [d'illusion!. Au contraire, quand j'at- tribue il la rose e>i soi la couleur routée. .1, Saturne dos anses, ou
88 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
cela n'arrive pas avec notre principe de l'idéalité de toutes nos intuitions sensibles ; c'est au contraire en attribuant à ces formes de représentation une réalité objective qu'on ne peut échapper à l'inconvénient de tout voir converti en simple apparence. Que ceux qui regardent l'espace et le temps comme des qualités qu'il faut chercher dans les choses en soi pour en expliquer la possibilité, songent à toutes les absurdités où ils s'engagent en admettant deux choses infinies, qui ne sont ni des substances, ni des qualités réellement inhérentes à des substances, mais qui doivent être pourtant quelque chose d'existant, et même la condition nécessaire de l'existence de toutes choses, et qui subsisteraient alors même que toutes les choses exis^ tantes auraient disparu. Ont-ils bien le droit de reprocher à l'excellent Berkeley d'avoir réduit les corps à une pure apparence? Dans leur système en effet, notre propre exiS' tence, qui deviendrait dépendante de la réalité subsistante en soi d'un non-étre tel que le temps, ne serait plus, comme celui-ci, qu'une vaine apparence. Or c'est là une absurdité que personne jusqu'ici n'a osé se charger de soutenir.
IV. Dans la théologie naturelle, où l'on conçoit un objet qui non seulement ne peut être pour nous un objet d'in- tuition, mais qui ne saurait être pour lui-même l'objet d'aucune intuition sensible, on a bien soin d'écarter absolu- ment de l'intuition qui lui est propre les conditions de l'espace et du temps (je dis de son intuition, car toute sa connaissance doit être intuition, et non pensée, qui sup^ pose toujours des limites). Mais de quel droit peut-on procéder ainsi quand on a commencé par faire du temps et de l'espace des formes des choses en soi, et des formes telles qu'elles subsisteraient comme conditions àpriori de l'existence des choses, quand même on supprimerait les choses elles-mêmes? En efTet, puisqu'elles sont les con-^ ditions de toute existence en général, elles devraient être les conditions do l'existence de Dieu. Que si l'on ne veut
à tous les corps extérieurs l'étendue (?n soi, sans avoir égard à un rapport détenniné do ces objets avec le sujet et sans restreindre mon jugement en conséquence, c'est alors que naît l'apparence.
ESTHÉTIQUE TRANSCENDANTALE 89
pas faire de l'espace et du temps des formes objectives de toutes choses, il ne reste plus qu'à en faire des formes subjectives de notre mode d'intuition, soit externe, soit interne. Ce mode est appelé sensible parce qu'il n'est pas originaire, c'est-à-dire tel que l'existence même de l'objet de l'intuition soit donnée par lui (un pareil mode de connaissance, autant que nous pouvons en juger, ne saurait convenir qu'à l'Être suprême), mais qu'il dépend de l'existence de l'objet, et que par conséquent il n'est possible qu'autant que la capacité de représentation du sujet en estaffectée. Il n'est pas nécessaire non plus de limiter à la seiisi- Mié de l'homme ce mode d'intuition [par lequel nous nous représentons les choses] dans l'espace et dans le temps. Il se peut que tous les êtres finis qui pensent aient nécessairement cela de commun avec l'homme (bien que nous ne soyons pas en état d'en décider) ; malgré cette universalité, cette sorte d'intuition ne laisserait pas d'ap- partenir à la sensibilité, parce qu'elle est dérivée {iniuitus derivatus) et non originaire [intuitus originarius) et que, par conséquent, elle n'est pas intellectuelle, comme celle qui, d'après la raison indiquée tout à l'heure, semble n'ap- partenir qu'à l'Être suprême, et non à un être dépendant quanta son existence aussi bien que quant à son intui- tion (laquelle détermine son existence par rapport à des objets donnés). Cette dernière remarque n'a d'ailleurs pour but (|ue de servir d'éclaircissement et non de preuve à notre théorie esthétique.
Conclusion de l'esthétique transcendantale.
Nous avons maintenant une des données requises pour la solution du problème général de la philosophie trans- cendantale : comment des propositions synthétiques à priori sont-elles possibles ? Je veux parler des intuitions pures à priori, espace et temps. Lorsque dans un jugement à priori, nous voulons sortir (\n roncept donné, nous y
90 CRITIQUE DE LA RÂISÔxN PURE
trouvons quelque chose qui peut être découvert à priori» non dans le concept, mais dans l'intuition correspon- dante, et qui peut être lié à ce concept. Mais par la même raison, les jugements que nous formons ainsi ne sauraient ^ s'appliquer qu'aux objets des sens et n'ont de valeur j que relativement aux choses d'expérience possible.
DEUXIÈME PARTIE LOGIQUE TRANSCENDANTALE
INTRObUCTlOIN Idée d'une logique transcendantâle.
De la logique en général.
Notre connaissance découle dans l'esprit do deii\ • urées principales, dont la première est la capacité de recevoir les représentations (la rt^ceptivité des impres- sions), et la seconde la faculté de connaître un objet au moyen de ces représentations (la spontanéité des con- cepts). Par la première un objet nous est donné; par la seconde, il est pensé dans son rapport à cette représenta- tion (comme simple détermination de l'esprit). Intui- tion et concept, tels sont donc les cléments de tout> notre connaissance, de telle sorte que ni les conr<^pls sans une intuition qui leur corresponde do quebiiic manière, ni une intuition sans les concepts ne peuvtiU l\)uniir aucune connaissance. Tous deux sont purs ou finpiiiquos : empiriques, lorsqu'une sensation (qui sup- pose la présence réelle do l'objet) y est contenue; purs, lorsqu'aucune sensation ne se mêle à la représenta- tion. On peut dire que la sensation est la matière de la connaissance sensible. L'intuition pure ne contient par conséquent que la forme sous laquelle quelque chose est perçu ; et le concept pur, que la forme de la pensée d'un objet en général. Los intuitions et les concepts purs ne
94 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
sont possibles qu'à priori, et seuls ils le sont; les empiri- ques ne le sont qu'à posteriori.
Nous désignons sous le nom de sensibilité la capacité qu'a notre esprit de recevoir des représentations, en tant qu'il est affecté de quelque manière; par opposition à cette réceptivité, la faculté que nous avons de produire nous mêmes des représentations, ou la spontanéité de notre connaissance s'appelle entendement. Notre nature veut que l'intuition ne puisse jamais être que sensible [pour nous], c'est-à-dire contenir autre chose que la manière dont nous sommes affectés par des objets. Au contraire, la faculté de penser l'objet de l'intuition sen- sible est Ventendement. De ces deux propriétés, aucune n'est préférable à l'autre. Sans la sensibilité, nul objet ne nous serait donné; sans l'entendement, nul ne serait pensé. Des pensées sans matière sont vides; des intui- tions sans concepts sont aveugles. Aussi est-il tout aussi nécessaire de rendre sensibles les concepts (c'est-à-dire d'y joindre l'objet [donné] dans l'intuition), que de rendre intelligibles les intuitions (c'est-à-dire de les soumettre à des concepts). Ces deux facultés ou capacités ne sauraient non plus échanger leurs fonctions. L'entendement ne peut avoir l'intuition de rien, ni les sens rien penser. La connaissance ne peut résulter que de leur union. Il ne faut pas cependant confondre leurs rôles, et l'on a au contraire grandement raison de les séparer et de les dis- tinguer avec soin. Aussi distinguons-nous la science des règles de la sensibilité en général, ou l'Esthétique, de la science des règles de l'entendement en général, ou de la Logique.
La logique à son tour peut être envisagée sous deux points de vue : ou comme logique de l'usage de l'en- tendement en général, ou comme logique de son usage particulier. La première contient les règles absolument nécessaires de la pensée, sans lesquelles il n'y a aucun usage possible de l'entendement, et par conséquent elle envisage cette faculté indépendamment de la diversité des objets auxquels elle peut s'appliquer. La logique de l'usage particulier de l'entendement contient les règles qui servent à penser exactement sur une certaine espèce
LOGIQUE TRANSGENDANTALE 95
d'objets. La première peut être désignée sous le nom de logique élémentaire; la seconde est Torganon de telle ou telle science. Celle-ci est ordinairement présentée dans les écoles comme la propédeutique des sciences; mais, dans le développement de la raison humaine, on n'y arrive qu'en dernier lieu : on n'y arrive que quand la science estdéjcà achevée depuis longtemps et qu'elle n'at- tend plus que la dernière main ppur atteindre le [plus haut degré d'] exactitude et de perfection. En effet, il faut déjà avoir une connaissance assez approfondie des choses pour [être en état d' ] indiquer les règles d'après lesquelles on en peut constituer une science.
La logique générale est ou pure ou appliquée. Dans la logique pure, nous faisons abstraction de toutes les con- ditions empiriques sous lesquelles s'exerce notre enten- flement, par exemple de l'influence des sens, du jeu de l'imagination, des lois de la mémoire, de la puissance de l'habitude, de l'inclination, etc., par conséquent aussi des sources de nos préjugés, et même en général de toutes les causes d'où sortent ou peuvent être supposées sortir certaines connaissances, parce qu'elles n'ont trait à l'en- tendement que dans certaines circonstances de son appli- cation et que, pour connaître ces circonstances, l'expé- rience est nécessaire. Une logique générale mais pure ne s'occupe donc que des principes à priori; elle est un canon de l'entendement et de la raison, mais seulement par rapport à ce qu'il y a de formel dans leur usage, quel qu'en soit d'ailleurs îe contenu (qu'il soit empirique ou transcendantal). La logique ô'enera/e estappliquée, lors- qu'elle a pour objet les règles de l'usage de l'entende- ment sous les conditions subjectives et empiriques que nous enseigne la psychologie. Ell<; a donc [aussi] des principes empiriques, bien qu'elle soit générale à ce titre qu'elle considère l'usage de l'entendement sans dis- tinction d'objet. Aussi n'est-ellc ni un canon de l'enten- demen on général, ni un organon de sciences particu- lières, mais seulement un catharticon de l'entendement commun.
Il faut donc, dans la logique générale, séparer entière- ment la partie qui doit former la théorie pure de la raison
96 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
de celle qui constitue la logique appliquée (maïs toujours générale). La première seule est proprement une science, mais courte et aride, telle, en un mot, que l'exige l'expo- sition scolastique d'une théorie élémentaire de l'entende- ment. Dans cette science, les logiciens doivent donc tou- jours avoir en vue les deux règles suivantes :
!•) Comme logique générale, elle fait abstraction detouf le contenu de la connaissance de l'entendement, et de- là diversité de ses objets, et elle n'a à s'occuper que de la simple forme de la pensée.
2") Comme logique pure, elle n'a point de principes empiriques; par conséquent (bien qu'on se persuade parfois le contraire), elle ne tire rien de la psychologie, qui ne saurait avoir aucune influence sur le canon de l'entendement. Elle est une doctrine démontrée, et tout doit y être parfaitement certain à priori.
Quant à la logique que j'appelle appliquée (contraire- ment au sens ordinaire de cette expression, qui désigne certains exercices dont la logique pure fournit la règle', elle représente l'entendement et les règles de son usage nécessaire inconcreto, c'est-à-dire en tant qu'il est soumis aux conditions contingentes du sujet, lesquelles peu- vent lui être contraires ou favorables et ne sont jamais données qu'empiriquement. Elle traite de l'attention, de ses obstacles et de ses effets, de Torigine de l'erreur, de l'état de doute, de scrupule, de conviction, etc. I ntrc la logique générale et pure et elle il y a le mémo rap- port qu'entre la morale pure, qui contient uniquement les lois morales nécessaires d'une volonté libre en général, et l'éthique proprement dite [théorie des vertus] qui examine ces lois par rapport aux obstacles qu'elles rencontrent dans les sentiments, les inclinations et les passions auxquelles les hommes sont plus ou moins sounîis. Celle-ci ne saurait jamais constituer une véri- table science, une science démontrée, parce que, comme la logique appliquée, elle a besoin de principes empiri- ques et psychologiques.
LOGlUCE ïKAXSCKMiAMALE 07
II
De la logique transcendantale.
La logique générale fait abstraction, comme nous l'avons indiqué, de tout contenu de la connaissance, c'est-à-dire de tout rapport de la connaissance à l'objet, et elle n'envisage que la forme logique des connaissances dans leurs rapports entre elles, c'est-à-dire la forme de la pensée en général. Mais, comme il y a des intuitions pures aussi bien que des intuitions empiriques (ainsi que le prouve l'esthétique transcendantale), on pourrait bien trouver aussi une différence entre une pensée pure et une pensée empirique des objets. Dans ce cas, il y aurait une logique où l'on ne ferait pas abstraction de tout con- tehu de la connaissance; car celle qui contiendrait uni- quement les règles de la pensée pure d'un objet exclu- rait toutes ces connaissances dont le contenu serait empi- rique. Cette logique rechercherait aussi l'origine de nos connaissances des objets, en tant qu'elle ne peut être attribuée à ces objets mêmes, tandis que la logique géné- rale n'a point à s'occuper de cette origine do la connais- sance, et qu'elle se borne à examiner les représentations, qu'elles soient en nous originairement à pnorz, ou qu'elles nous soient seulement données empiriquement, et cela au point de vue des lois suivant lesquelles l'entendement les emploie et les relie entre elles, lorsqu'il pense. Elle s'occupe donc uniquement de la forme que l'entendement peut leur donner, de quelque source d'ailleurs qu'elles puissent découler.
Je fais ici une remarque qui a son importance pour toutes les considérations qui vont suivre, et qu'il ne faut pas perdre de vue; c'est que le nom de transcendantal ne lonvient point à toute connaissance à priori, mai» seule- ment à celle par laquelle nous connaissons que certaines 1 oprésentations (intuitions ou concepts) sont appliquées ou |tossibles simplement à priori, (et comment elles le sont\
i. — 7
08 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
([Cette expression de transcendantale désigne] la possibi- lité de la connaissance et son usage à /)non.) Ainsi, ni Tespace, ni aucune détermination géométrique à priori de l'espace ne sont des représentations transcendantales ; k connaissance de Torigine non empirique de ces repré- sentations, et la possibilité qu'elles ont néanmoins de se rapporter à pnon à des objets d'expérience peuvent seules être appelées transcendantales. De même, l'application de l'espace à des objets en général serait transcendantale; mais bornée simplement aux objets des sens, elle est empirique. La différence du transcendantal et de l'em- pirique n'appartient donc qu'à la critique des connais- sances et ne concerne point le rapport de ces connais- eances à leur objet.
Dans la présomption qu'il y a peut-être des concepts qui peuvent se rapporter à pmW à des objets, non comme intuitions pures ou sensibles, mais seulement comme actes de la pensée pure, et qui par conséquent sont bien des concepts, mais des concepts dont l'origine n'est ni empirique ni esthétique, nous nous faisons d'avance l'idée d'une science de l'entendement pur et de la con- naissance rationnelle par laquelle nous pensons des objets tout à fait à priori. Une telle science, qui déterminerait l'origine, l'étendue et la valeur objective de ces connais- sances, devrait porter le nom de logique transcendantale; car, en même temps qu'elle n'aurait affaire qu'aux lois de l'entendement et de la raison, elle ne se rapporterait qu'à des objet* à priori, et non, comme la logique générale, aux connaissances empiriques ou pures sans distinction,
III
De la division de h logique générale en Analytique et Dialectique,
Ouest-ce que la venté ? C'est avec cette vieille cl fameuse question que l'on pensait pousser A bout les logiciens et que l'on chercliait à les prendre forcément en flagrant
I.OGIQUE TRANSGENDANTAIEI 99
<lélit de verbiage ou à leur faire avouer leur ignorance, ( par consnquent la vanité de tout leur art. La déllni- on nominale de la vérité suivant laquelle elle est l'ac- urd de la connaissance avec son objet, est ici admise et i;pposée; mais on veut savoir quoi est le critère général t certain do la vérité de toute connaissance. C'est déjà une grande et infaillible preuve de saf(esse et
de lumières que de savoir ce qu'on doit raisonnnl)Iemcnt ' -mandor. En effet, si la question est absurde en soi et jipelle des réponses oiseuses, non seulement ellq eouvri;
.'m; honte celui qui la fait, mais elle a aussi parfois cet
inconvénient déporter à des réponses absurdes l'auditeur
pii n'y prend pas garde, et de donner ainsi le ridicule
jiectacle de deux personnes, dont l'une trait le bouc
omme disaient les anciens), tandis que l'autre tient une
[.assoire. Si la vérité consiste dans l'accord d'une connaissance
avec son objet, cet objet doit être par là môme distingué
• le tout autre; car une connaissance est fausse quand elle
.;*' s'accorde pa« avec l'objet auquel elle se rapporte, con-
iitrelle d'ailleurâ des idées applicables à d'aulres objets,
''un autre c<jté, un crilt'irium universel delà vérité serait
lui qui pourrait ft'a[)pliquer à toutes les connaissances,
ins difclinilion de leurs objets. Mais, puisqu'on y ferait
ilislraclion de tout contenu de la connaissance (de son
ijqiortà son objet), et que la vérité porte précisément
ur ce contenu, il est clair qu'il est tout a fait impossible
! absurde do demander une marque distinctive de la
•rite de ce contenu des connais8anco«, et qu'on ne sau-
lit trouver un signe suffisant à la fois et universel de la
rite. Kt, comme le contenu d'une connaissance a ('.tô,
ommé plus haut sa matière, il est juslo de dire qu'il n'y ; point de rritr-rium universel i\ cherclier pour la vérid' ' ' la connaissance quant à la matière, parce que c'ol ontradictoire en soi.
Pour ce qui est de la connaissance conpidén?© simple-
'lent dans la l'ormo (abstraction faite de tout contenue, il
t clair qu'iine logique, en exposant les règles univer-
l'iles et nécoRsaires de rentendcnjoiit. fournit dans ces
i l'Ules nll^Int» des n-ifrTJS do li v('iili' TnnI r.' nui r>nM-
100 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
tredit ces règles est faux, puisque rentendement s'y met en contradiction avec les règles générales de sa pensée, c'est-à-dire avec lui-même. Mais ces critères ne concernent que la forme de la vérité, c'est-à-dire de la pensée en général; et s'ils sont, à ce titre, tout à fait exacts, ils ne sont pas suffisants. En effet, une connaissance peut fort bien être tout à fait conforme à la forme logique, c'est-à- dire ne pas se contredire elle-même, et cependant con- tredire encore l'objet. Le critère simplement logique de la vérité, a savoir l'accord d'une connaissance avec les lois universelles et formelles de l'entendement et de la raison, est donc bien la condition sine gwa non et par. con- séquent négative de toute vérité ; mais la logique ne sau- rait aller plus loin, et aucune pierre de touche ne pour- rait lui faire découvrir l'erreur qui n'atteint pas la forme, mais le contenu.
Or la logique générale décompose toute l'œuvre for- melle de l'entendement et de la raison dans ses éléments et elle les présente comme les principes de toute appré- ciation logique de notre connaissance. Cette partie de la logique peut donc être nommée analytique, et elle est la pierre de touche, du moins négative, de la vérité, puisqu'il faut d'abord contrôler et juger d'après ses règles la forme de toute connaissance, avant d'en examiner le contenu, pour savoir si, par rapport à l'objet, elle contient quelque vérité positive. Mais, comme la simple forme de la con- naissance, si bien d'accord qu'elle puisse être avec les lois logiques, ne suffit pas, loin de là, pour décider de la vérité matérielle (objective) de la connaissance, personne ne peut se hasarder à juger des objets sur la foi de la logique. Avant d'en affirmer quelque chose, il faut en avoir entrepris en dehors de la logique une étude appro- fondie, sauf à en demander ensuite aux lois logiques l'usage et l'enchaînement au sein d'un tout systématique, ou mieux, à les éprouver simplement d'après ces lois. Cependant, il y a quelque chose de si séduisant dans la possession de cet art précieux qui consiste à donner à toutes nos connaissances la forme de l'entendement, si vide et si pauvre d'ailleurs qu'en puisse être le contenu, que cette logique générale, qui n'est qu'un canon pour
LOGIQUE TRANSCENDANTALE iOl
le jugement, devient en quelque sorte un organon dont on se sert pour en tirer réellement, du moins en appa- rence, des assertions objectives; mais cet usage est dans le fait un abus. La logique générale, prise aussi pour organon, prend le nom de dialectique.
Quelque différente que soit l'idée que les anciens se faisaient de la science et de l'art qu'ils désignaient par ce mot, on peut certainement conclure de l'usage qu'ils fai- saient réellement* de la dialectique, qu'elle n'était autre chose pour eux que la logique de l'apparence. C'était en effet un art sophistique de donner à son ignorance oy même à ses artifice^ calculés l'apparence de la vérité, de manière à imiter cette méthode de construction que prescrit la logique en général et à en mettre la topique à contribution pour faire passer les plus vaines allégations. Or c'est une remarque non moins utile que certaine que la logique générale, considérée comme organon, est toujours une logique de l'apparence, c'est-à-dire toujours dialec- tique. En effet, comme elle ne nous enseigne rien au sujet du contenu de la connaissance, mais qu'elle se borne à exposer les conditions formelles de l'accord de la connaissance avec l'entendement, et que ces conditions sont d'ailleurs tout à fait indifférentes relativement aux objets, la prétention de se servir de cette logique comme d'un instrument (d'un organon) pour élargir et étendre ses connaissances, ou, du moins, en avoir* l'air, cette prétention ne peut aboutir qu'à un pur verbiage, par lequel on affirme avec quelque apparence ou Ton nie à
n choix tout ce que l'on veut.
Un tel enseignement est à tous égards contraire à la dignité de la philosophie. Aussi, si l'on a appliqué le nom do dialectique à la logique, c'est en ce sens qu'elle est une rriiiqxie de Vapparence dialectique, et c'est en ce sens lussi que nous le voudrions voir pris ici.
102 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
IV
De la division de la logique ttanscendantale en analytique et dialectique tratiscendantales.
Dans la logique transceridantale, notfs isolons l'enten- dement (comme dans l'eBihétique transcendantale nous avons isolé la sensibilité)» et nous nd prenons de notre connaissance que la partie de la pensée qui a uniquement son origine dans Fentendettient. Mais l'usage de cette connaissance pure suppose éette condition, que des objets auxqueli* elle puisse s'appliquer nous soient donnés dans l'intuition. En effet> sans intuition, toute notre connais- sance manque d'objets, et elle est alors entièrement vide. La partie de la logique transcendantale qui expose leà éléments de la connaissance pure de l'entetidement et les principes sarta lesquels aucun objet en général ne peut être pensé est l'analytique transcendantale. Elle est en même temps une logique de la vérité. En effet, aucune connais- sance ne peut être en contradiction avec cette logique sans perdre aussitôt tout contenu* c'èst-à-dire tout rapport à quelque objet, par conséquent, toute Vérité. Mais comme il est très attrayant, très séduisant de se servir de ces connaissances et de ces principe» purs de l'entendement sans tenir compte de l'expérience, ou même en sortant des limites de l'expérience, qui seule peut nous fournir la matière à laquelle s'appliquent ces concepts purs, l'entendement court alors le risque de faire, à l'aide de vains sophlslites, un usage matériel de» principes sim- plement formels de l'entendement pur, et de prononcer indistinctement sur des objets qui ne nous sont pas donnés et qui peut-être ne peuvent l'être d'aucune ma- nière. Si donc la logique ne doit être proprement qu'un canon servant à juger l'usage empirique des concepts de l'entendement, c'est en abuser que de vouloir lui accorder la valeur d'un organon d'un usage universel et illimité, et que de se hasarder, avec le seul entendement pui , à
LOGIQUE TRANSCENDANTALE 103
porter des jugements synthétiques sur des objets en général et à prononcer ainsi ou à décider à leur égard. C'est alors que l'usage de l'entendement pur serait dialec- tique. La seconde partie de la logique transcendantale doit donc être une critique de cette apparence dialec- tique ; elle porte le titre de dialectique transcendantale, non pas comme art de susciter dogmatiquement une apparence de ce genre (cet art, malheureusement trop répandu, de la fantasmagorie philosophique), mais comme critique de l'entendement et de la raison dans leur usage hyperphysique, critique ayant pour but de découvrir la fausse apparence qui couvre leurs vaines prétentions et de borner cette ambition, qui se flatte de trouver et d'étendre la connaissance uniquement à l'aide de lois transcendantales, à juger et à contrôler seulement l'en- tendement pur et à le prémunir contre les illusions sophistiques.
PREMIÈRE DIVISION ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE
Cette analytique est la décoinposition de toute notre •onnjaissance à priori dans les éléments de la connais-
■ lïica pure de l'entendement. Il faut dans ce travail avoir 1 gard aux points suivants : 1° que les concepts soient purs et non empiriques; 2» qu'ils n'appartiennent pas à l'intuition et à la sensibilité, mais à la pensée et à l'en- tendement; 3° que ce soient des concepts élémentaires, distincts [à ce titre] des concepts dérivés ou composés des ' oncepts élémentaires; 4° que la table en soit complète
' qu'ils embrassent tout le champ de l'entendement pur. Or, pour que l'on puisse attribuer avec certitude cette intégralité à une science, il ne suffit pas qu'elle se pré- sente comme un agrégat effectué par simples tâtonne- ments : elle n'est possible qu'au moyen d'une idée du tout de la connaissance à priori due à l'entendement, et par la division, précise par là même, des concepts qui la cons- tituent, en un mot au moyen de leur liaison cnuasystème. 1/entendement pur ne se distingue pas seulement de tout
lément empirique, mais encore de toute sensibilité. Il Mii-me donc une unité qui existe par elle-même, qui se
uflit par elle-même, et qui ne peut être augmentr^e par
lucune addition d'un élément étranger. Aussi l'ensemble de sa connaissance constitue-t-il un système qui se ramène à une idée et peut être déterminé par elle, et dont la perfection et l'organisation peuvent Servir de pierre d»' louche à la légitimité et à la valeur de tous les éléments • il! connaissance qui y entrent. Toute cette [première) partie de la logique transcendantale se divise en deux livres, dont le premier contient les concepts, ci le second les principes de l'entendement pur.
LIVRE PREMIER Analytique des concepts.
Sous le nom d'analytique des concepts, je n'entends pas l'analyse de ces concepts ou cette méthode, usitée dans les recherches philosophiques, qui consiste cà décom- poser dans les éléments qu'ils contiennent les concepts qui se présentent et à les éclaircir ainsi ; j'entends la décomposition, jusqu'ici peu tentée, de la faculté même de l'entendement, pour examiner la possibilité des concepts à priori en les cherchant uniquement dans l'entendement, comme dans leur vraie terre natale, et en analysant l'usage pur de cette faculté en général. En effet, c'est là l'œuvre propre d'une philosophie transcendantale ; le rcsto est l'étude logique des concepts [telle qu'elle a lieu] dans la philosophie en général. Nous poursuivrons donc les concepts purs jusque dans leurs premiers germes ou leurs premiers rudiments, lesquels résident préliminai- rement au sein do l'entendement humain, jusqu'tà ce qu'enfin l'expérience leur donne l'occasion de se déve- lopper et qu'affranchis par ce même entendement des conditions empiriques qui leur sont inhérentes, ils soient I xposés dans toute leur pureté.
CHAPITRE !
Du fil conducteur servant à découvrir tous les concepts purs de l'entendement.
Lorsqu'on met en jeu une faculté de connaître, alors, suivant les différentes circonstances, se produisent divers concepts qui révèlent cette faculté et dont on peut faire une liste plus ou moins étendue, suivant qu'on a mis A les examiner plus ou moins de temps et de pénétration. Mais quand cette recherche est-elle achevée? c'est ce qu'il' est impossible de déterminer avec certitude en suivant cette méthode en quelque sorte mécanique. Aussi, les concepts que l'on ne découvre ainsi qu'à l'occasion se présentent sans aucun ordre et sans aucune unité systé» matique. On finit seulement par le» grouper suivant cer- taines ressemblances et paj les disposer en séries suivant la grandeur de leur contenu, on allant dos simples aux composés ; mais ces séries, bien que disposées d'une certaine manière méthodiquement, n'ont pourtant rien de systématique.
La philosophie transcendantale a l'avantage, mais aussi l'obligation de recliercher ses concepts suivant un prin- cipe, parce qu'ils sortent purs et sans mélange de l'en- tendement comme d'une unité absolue et que par consé- quent ils sont nécessairement enchaînés d'eux-mêmes suivant un concept ou une idée. Un tel enchaînement nous fournit une règle d'après laquelle nous pouvons "déterminer à priori la place de chaque concept pur de l'entendement et l'intégrité de leur ensemble, deux choses qui, autrement, dépendraient du caprice ou du hasard.
ANALYTIQUE TRANSCENDANT ALE 111
PREMIÈRE SECTION
DE l'usage logique DE l'ENTENDEMBNT EN GÉNÉRAL
L'entendement a été défini plus haut d'une manière purement négative : une faculté de connaître non sensible. Or nous ne pouvons avoir aucune intuition en dehors de la sensibilité. L'entendement n'est donc pas une faculté d'intuition. Mais, l'intuition mise à part, il n'y a pas d'autre woyen de connaître que les concepts. La connais- sance de tout entendement, du moins de l'entendement humain, est donc une connaissance par concepts, non intuitive, mais discursive. Toutes les intuitions, en tant que sensibles, reposent sur des affections, mais les con- cepts supposent des fonctions. J'entends par fonction l'unité de l'acte qui consiste à réunir diverses repré- sentations sous une représentation commune. Les con- cepts reposent donc sur la spontanéité do la pensée, de même que les intuitions sensibles sur la réceptivité des impressions. L'entendement ne peut faire de ces concepts il'nutre usage que de juger par leur moyen. Or comme, excepté l'intuition, aucune représentation ne se rapporte immédiatement à l'objet, un concept ne se rapporte jamais immédiatement à un objet, mais à quelque autre représentation de cet objet (qu'elle soit une intuition, ou déjà un concept). Le jugement est donc la connaissance médiate d'un objet, par conséquent la représentation d'une représentation de cet objet. Dans tout jugement il y a un concept qui en embrasse une pluralité d'autres et qui, parmi eux, comprend aussi une représentation donnt'e, laquelle enfin se rapporte immédiatement à l'objet. Ainsi, dans ce jugement : toun iea corps sont divifii- hlcs, le concept du divisible se rapporte A divers autres tncepts; mais, entre eux, il se rapporte parliculièrement i celui do corps, lequel, à son tour, se rapporte à cer- tains phénomènes qui se présentent en nous. Ainsi ces objets sont médiatement représentes par le concept de la
112 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
divisibilité. Tous les jugements sont donc des fonctions [qui consistent à ramener] nos représentations à l'unité, en substituant à uïie représentation immédiate une repré- sentation plus élevée qui contient la première avec beau- coup d'autres, et qui sert à la connaissance de l'objet, de sorte que beaucoup de connaissances possibles se trou- vent réunies en une seule. Comme nous pouvons ramener tous les actes de l'entendement à des jugements, l'enten- dement en général peut être représenté comme une faculté de juger. En effet, d'après ce qui a été dit précédemment, il est une faculté de penser. Or penser, c'est connaître par concepts, et les concepts, comme prédicats de jugements possibles, se rapportent à quelque représentation d'un objet encore indéterminé. Ainsi le concept du corps signifie quelque chose, par exemple un métal, qui peut être connu par ce concept. Il n'est donc un concept qu'à la condition de contenir d'autres représentations au moyen desquelles il peut se rapporter à des objets. Il est donc le prédicat d'un jugement possible, de celui-ci par exemple : tout métal est un corps. On trouvera donc toutes les fonctions de l'entendement, si l'on parvient à déterminer d'une manière complète les fonctions de l'unité dans les jugements. Or la section suivante va montrer que cela est très réalisable.
DEUXIEME SECTION
§9. De la fonction logique de Ventendement dans les jugements.
Si Ton fait abstraction de tout contenu d'un jugement en général et que l'on n'y envisage que la simple forme de l'entendement, on trouve que la fonction de la pensée dans le jugement peut être ramenée à quatre titres, dont chacun contient trois moments. Ils sont parfaitement représentés dans le tableau suivant :
ANALYTIQUE TBANSCENDANTALÊ
H3
2 Qualité.
Afflffnalifs.
Négafifs. Indéfinis.
Quantité des jugements.
Universels.
Particuliers.
Singuliers.
3
Relation.
Câtégorkftics.
HYpothétiques.
Dîsjonctifs.
4 Modalité.
Prob!ërtïati(jues. As9ert(Wiq«es. ApOfiictiques.
Camrne cette divîsirm semble s'écarter suif quelqaes points, k la Térité non essentiels, de la iechniqac ùrdi- rrcitre des logiciens, les observations suivantes ne seront pas inutiles pour prévenir un malentendu menaçant.
I. Les logiciens disent avec raison que si l'on regarde r<fsago des jugements dans les raisonnements, on peut traiter les jugements singuliers comme des jugements universels. En cff^t, précisément parce f|tr''ls n'ont pas (l'extension, leur prédicat ne peut être rapporté simple- n>enl à une partie de ce que contient le concept du sujet et être e;xclu du reste. Il s'applique donc à tout ce con- cëffi »ans exception, comme s'il s'agissait d'un concept géfréral, à toute l'extension duquel corrviendrait le prédi- cat. Mais si nous comparons un jugement singulier avec im iirjriricrft général à titre simplement de connaissance ! Mj ('« if,t die vue de la quantité. |nous voyons q»i'^| b' proruItT est au second ce que l'unité est A Tint que, par conséquent, il en est par lui-même eî>> ment distinct. Si donc j'estime un jugement sinj^ulitr {judiciujn ainoutdre), non seulement quant à sa vab-ur intrinsèque, mais encore, comme connaissance en géné- ral, au point «le vue de la quantité qu'il a relativement à d'antres connaissances, il est absolument distinct des
I. — S
114 CRITIQUE DE LA lUISOxN PURE
jugements généraux {judicia communia) et mérite une place particulière dans un tableau complet des moments de la pensée en général (bien que, sans doute, il ne l'ait pas dans une logique restreinte à l'usage des juge- ments considérés dans leurs rapports réciproques).
2. De même, dans une logique transcendantale il faut distinguer les jugements indéfinis des jugements affirma^ tifs, bien que, dans la logique générale, ils soient mis au même rang et ne constituent pas une subdivision parti- culière. Cette dernière, en effet, fait abstraction de tout contenu dans le prédicat (alors même qu'il est négatif), et considère seulement s'il convient au sujet ou s'il lui est opposé. La première, au contraire, envisage aussi le jugement quant à sa valeur ou au contenu de cette affir- mation logique, qui se fait au moyen d'un prédicat pure- ment négatif, et elle cherche ce que cette^affirmation fait gagner à l'ensemble de la connaissance. Si je disais de l'âme qu'elle n'est pas mortelle, j'écarterais du moins une erreur par un jugement négatif. Or, en avançant cette proposition, que l'àme n'est pas mortelle, j'ai bien réel- lement affirmé au point de vue de la forme logique, puisque j'ai placé l'àme dans la catégorie indéterminée des êtres immortels. Mais, commue ce qui est mortel forme une partie du cercle entier des êtres possibles, et que ce qui est immortel forme l'autre, je n'ai dit rien autre chose par ma proposition, sinon que l'âme fait partie du nombre indéfini des êtres qui restent, lorsqu'on a mis à part tout ce qui est mortel. La sphère indéfinie de tout le possible n'est limitée par là qu'en ce qu'on en a écarté tout ce qui est mortel et qu'on a placé l'âme dans la circonscription restante. Cette circonscrip- tion reste toujours indéfinie, malgré l'exclusion faite, et l'on en pourrait retrancher encore un plus grand nombre de parties, sans que pour cela le concept de l'âme y gagnât le moins du monde et fût déterminé affirmative- ment. Ces jugements, indéfinis par rapport à la sphère logique, sont donc en réalité purement limitatifs relative- ment au contenu de la connaissance en général; et, à ce titre, le tableau transcendantal de tous les moments de la pensée dans les jugements ne doit pas les omettre.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE il5
caria fonction qu'y exerce ici l'entendement pourrait bien avoir de l'importance dans le champ de sa connaissance pure à priori.
3. Tous les rapports de la pensée dans les jugements sont ceux : a. du prédicat au sujet, b. du principe à la conséquence, c. de la connaissance divisée à tous les membres delà division. Dans la première espèce de juge- ments, il n'y a enjeu que deux concepts, et, dans la seconde, deux jugements; dans la troisième on considère plusieurs jugements dans leurs rapport entre eux. Cette proposi- tion hypothétique : s'il y a une justice parfaite, le méchant sera puni, implique proprement le rapport de deux pro- positions • il y a une justice parfaite ; le méchant sera puni. Il n'est pas ici question de savoir si ces deux pro- positions sont vraies en soi. La conséquence est la seule chose à laquelle on pense dans ce jugement. Enfin, le jugement disjonctif implique un rapport entre deux ou plusieurs propositions, qui n'est pas un rapport de consé- quence, mais un rapport d'opposition logique, en ce sens que la sphère de l'un exclut celle de l'autre, et en même temps cependant un rapport de communauté, en ce sons que les diverses propositions réunies remplissent la sphère de la connaissance en question. Il implique donc un rap- port entre les parties de la sphère d'une connaissance, f)uisque la sphère de chaque partie sert de complément à a sphère de la connaissance qui donne lieu à la disjonc- tion. Si je dis, par exemple, que le monde existe, soit par l'effet d'un aveugle hasard, soit en vertu d'une nécessité intérieure, soit par une cause extérieure, chacune de ces propositions forme une partie de la sphère de la connais- sance possible relativement A l'existence d'un monde en général, et toutes ensemble forment la sphère entière. Exclure la connaissance de l'une de ces sphères, c'est la placer dans l'une des autres, et, au contraire, la placer dans une splière, c'est l'exclure de toutes les autres. Il y a donc, dans un jugement disjonctif, une certaine commu- nauté de connaissances, qui consiste en ce qu'elles s'ex- cluent réciproquement, mais en déterminant parla même dans V ensemble la véritable connaissance, puisque ré-unies elles constituent le contenu total d'une uaique connais-
il6 CRITIQUE DE LA BAISON PURE
sance donnée. Et voilà tout ce que je crois nécessaire de faire remarquer pour [rintelligence de] la suite.
4. La modalité des jugements est une fonction tout à fait particulière, qui a ce caractère distinctif de n'entrer pour rien dans le contenu des jugements (car, eh deliors de la quantité, de la qualité et de la relation, il n'y a plu- rien qui forme le contenu d'un jugement), mais de n« concerner que la valeur de la copule relativement à 1 • pensée en général. Les jugements sont problématiques lorsque l'on admet l'affirmation ou la négation comme simplement possible (arbitraire); asser toriques, lorsqu'elle est considérée cofnme réelle (vraie) ; apodictiques, quand on la regarde comme nécessaire K Ainsi, les deux juge- ments dont la relation constitue le jugement hypothétique [antecedens et conseqitens) et ceux qui par leur action réci- proque (comme membres de la division) forment le juge- ment disjonctif, ne sont tous que -problématiques. Dctn- l'exemple cité plus haut, cette proposition : il y a un- justice parfaite, n'est pas prononcée assertoriqucmonl. mais pensée seulement comme un jugement arbitraire, qui peut être admis par quelqu'un, et il n'y a que la con- séquence qui soit assertorique. Aussi les jugements de cette sorte peuvent-ils être manifestement faux* et pour- tant, pris problématiquement, servir de eonditionsà la con- naissance de la vérité. Ainsi ce jugement : le monde esè Veffet d\in aveugle hasard, n'a, dans le jugement disjonctif, qu'une signification problématique, c'est-tà-dire que quel- qu'un pourrait l'admettre pour un moment; et pourtant (comme indication d'une fausse route dans le nombre de {ontes celles qu'on peut suivre), il sert à trouver le vrai <lif>min. La proposition problématique est donc celle qui n'exprime qu'une possibilité logique (qui n'est poiiv objective), c'est-à-dire un libre choix qu'on pourrait e; '"lire comme valable, ou un acte purement arbitraire en vertu duquel on l'admettrait dans l'entendement. La pr< ^ position assertorique énonce une réalité oh une vériî
}. Comme si la pensée était, dans le premier cas, une fomtiuii do Veyitcndement : dans le sr,ond. du jvc/enienf: dans îetroisièiii' de la rrf^ii'ov?. Cetle reni«rque setr<yffv«ra eclairei« par la sirit«.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE H7
fogique ; c'est ainsi que dans un raisonnement hypotlié- tique l'antécédent est problématique dans la majeure, et assortorique dans la mineure ; elle montre que la pro- position est déjà liée à l'entendement en vertu de ses lois. La proposition apodictique conçoit l'assertorique comme étant déterminée par ces lois mêmes de l'entendement, et par conséquent comme étant affirmative à priori; clic exprime de cette manière une nécessité logique. Or comme tout ici s'incorpore successivement à l'entende- ment, de telle manière que l'on juge d'abord une certaine chose problématiquement, qu'on l'accepte ensuite asser- toriquement comme vraie, et qu'on l'aflirme enlin comme inséparablement liée à l'entendement, c'est-<à-dire comme nécessaire et apodictique, on peut regarder les (rois fonctions de la modalité comme autant do moment^ do In pensée en générai.
TROISIEME SECTION
§ iO.
Ihs coiicciili: purs de l'entendement ou des catégories.
La logique générale, comme il a déjà été dit plusieurs i^, fait abstraction de tout contenu de la connaissance elle attend que les représentations lui soient donné<»s I illeurs, d'où que ce soit, pour les convertir d'abord en iicopts, ce qu'elle fait au moyen de l'analyse. La logiquo Iranscendantale, au contraire, trouve devant elles une diver- sité d'éléments sensibles à priori que l'esthétique truns- !idantnl«' lui fournit et qui donnent une matière aux iicopts purs de rentondoment ; sans cette matière eH«} lurait point de contenu, et serait par consétiuenl tout à I vide. Or l'ispace et le temps renf«rment sans doulo Il divers de l'intuition pure à prion, mais ils n'eu font s moins partie des conditions de la réceptivité de notre prit, c'est-à-dire des conditions sans lesquelles il ne
118 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
peut recevoir de représentations des objets, et qui par conséquent en doivent nécessairement aussi affecter le concept. Mais la spontanéité de notre pensée exige pour faire une diversité de cette connaissance qu'elle soit d'abord parcourue, recueillie et liée de quelque façon^.. J'appelle cet acte synthèse.
J'entends donc par sî/ni/iès^, dans le sens le plus général de ce mot, l'acte qui consiste à ajouter diverses représen- tations les unes aux autres et à en réunir la diversité en une connaissance. Cette synthèse est pure, quand la diver- sité n'est pas donnée empiriquement, mais à pnon (comme celle qui est donnée dans l'espace et dans le temps). Nos représentations doivent être données antérieurement à l'analyse qu'on en peut faire, et aucun concept ne peut se former aiialytiquement quant à son contenu. Sans doute la synthèse d'une diversité (qu'elle soit donnée empiriquement ou à priori) produit d'abord une .connais- sance qui peut être au début grossière et confuse, et qui par conséquent a besoin d'analyse ; mais elle n'en est pas moins proprement l'acte qui rassemble les éléments [de manière à en constituerj des connaissances et qui les réunit pour en former un certain contenu. Elle est donc la première chose sur laquelle nous devions porter notre attention, lorsque nous voulons juger de l'origine de notre connaissance.
La synthèse en général, comme nous le verrons plus tard, est le simple effet de l'imagination, c'est-à-dire d'une fonction de l'àme, aveugle mais indispensable, sans la- quelle nous n'aurions aucune espèce de connaissance, mais dont nous n'avons que très rarement conscience. Mais l'acte qui consiste à ramener cette synthèse à des concepts est une fonction qui appartient à l'entendement, et par laquelle il nous procure d'abord la connaissance dans le sens propre de ce mot.
La synthèse pure, représentée d'une manière générale, donne le concept pur de l'entendement. J'entends par là cette synthèse qui repose sur un principe d'unité synthé- tique à jor/or2; ainsi notre numération (cela est surtout remarquable quand il s'agit de nombres élevés), est une synthèse qui se fait suivant des concepts, puisqu'elle a lieu
ANALYTIQUE THANSCENDANTALE il-j
d'après un principe commun d'unité (par exemple celui de la dizaine). L'unité dans la synthèse est donc nécessaire sous ce concept.
Il y a une opération qui consiste à ramener par voie d'analyse diverses représentations à un concept (c'est celle dont s'occupe la logique générale) : mais ce ne sont pas les représentations, c'est \a synthèse pure des repré- sentations que la logique transcendantale enseigne à ramener à des concepts. La première chose qui doit être donnée pour que la connaissance à priori d'un objet quel- conque devienne possible, c'est la diversité des intuitions pures ; la seconde est la synthèse que l'imagination opère dans cette diversité, mais qui ne donne encore aucune connaissance. Les concepts qui donnent Vunité à cette synthèse pure et qui consistent uniquement dans la représentation de cette unité synthétique nécessaire forment la troisième chose nécessaire à la connaissance d'un objet, et reposent sur l'entendement,
La même fonction qui donne l'unité aux diverses représentations dans un jugement, donne aussi l'unité à la simple synthèse dtjs représentations diverses dans une intuition^ et c'est cette unité qui, prise d'une manière générale, s'appelle un concept pur de l'entendement. Ainsi le même entendement qui, au moyen de l'unité analytique, a produit dans les concepts la forme logique du jugement, introduit aussi, par la même opération, au moyen de l'unité synthétique des éléments divers de l'in- tuition en général, un contenu transcendantal dans ses représentations, et c'est pourquoi elles s'appellent dos concepts purs de l'entendement, qui s'appliquent à priori à des objets, ce que ne peut faire la logique générale.
D'après cela, il y aura autant de concepts purs de l'en- tendement s'appliquant à priori à des objets d'intuition, qu'il y avait, d'après la table précédente, de fonctions logiques dans tous les jugements possibles ; car ces fonc- tions épuisent entièrement l'entendement et en mesurent exactement la puissance. Nous donnerons à ces concepts, suivant le langage d'Aristote, le nom de catégories, puis- que notre dessein est identique au sien dans son origine, bien qu'il s'en éloigne beaucoup dans l'exécution.
420 CRITIQUE DE LA RAISOxX PURE
TABLE DES CATEGORIES
1« Quantité.
Unité. Pluralité. Totalité. 2« Qualité. 3° Relation.
B^alité. Substance et accidiîiit
{substmtia2iacciden$).
Négation, Causalité et ciépendance
(cause et effet).
Limitation. Comninnanté (actio» ré-
ciproque entre J'agenJt et le patieiitj.
4« Modalité.
PossiHIité -^ Impossibilité, Sxîsteiiçe — Non-existence. Nécessité — Contingence.
Telle est la liste de tous les concepts originairement purs de la synthèse, qui sont contenus à priori dans l'en- tendement et qui lui valent le nom d'entendement pur. C'est uniquement grAce à eux qu'il peut comprendre quelque chose dans les éléments divers de l'intuition, c'est-à-dire en penser l'objet. Cette division est systématiquement dérivée d'un principe commun, à savoir de la faculté de juger (qui est la môme chose que la faculté de penser) : ce n'est point une rapsodie résultant d'une recherche de concepts purs faite au hasard, mais dont l'énuraération ne saurait jamais être certainement complète, puisqu'on la conclut seulement par induction sans jamais songera se demander pourquoi ce sont précisément ces concepts et non point d'autres qui sont inhérents à l'entendement pur. C'était un dessein digne d'un esprit aussi pénétrant qu'Aristote que celui de rechercher ces concepts fonda- mentaux. Mais, comme il ne suivait aucun principe, il les recueillit comme ils se présentaient à lui, et en rassembla d'abord dix qu'il appela catégories (prédicaments). Dans
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 42i
la suite, il crut en avoir trouvé encore cinq, qu'il ajouta aux précédents sous le nom fie post-prédicaments. Mais sa liste n'en resta pas moins incomplète. En outre, on y trouve quelques modes de la sensibilité pure {quando, ubi, sitm, ainsi que prius, simul) et même un concept empi- rique {motus) qui ne devraient pas llgurer dans ce registre généalogique de l'entendement; on y trouve aussi des concepts dérivés {actio, pussio) mêlés aux concepts pri- mitifs, et d'un autre côté quelques-uns de ceux-ci manquent
• mplètement.
Au sujet de ces derniers concepts, il faut encore remar- quer que les catégories, étant les vrais concepts primitiffi do l'entendement humain, sont par là même la soudie do concepts dérivés qui ne sont pas moins purs et dont il esT impossible de ne pas tenir compte dans un systèmo complet de philosophie transcendantale, mais que, dans coi essai purenient critique, je puis me contenter de
mentionner.
Qu'il me soit permis de nommer ces concepts purs, mais dérivés, de l'entendement les prédicables de l'enton- • lomont pur (par opposition auxprédicaments). Dès qu'on a lee concepts originaires et primitifs, il est facile d'y
I jouter le§ concepts dérivés et secondaires, et de dessiner
iilièremenl l'arbre gé?néalogjque de l'entendement pur.
ommeje n'ai point à m'occupeiici delà complète exécu-
on du système, mais seulement des principes de ce
\stème, je réserve ce complément pour un autre travail.
iiiison peut assez aisémentatteindre ce but en prenant les
iiiinuelsd'ontùlogio ot en ajoutant, par exemple, àla caté- ;-;i)rie do causalité, les prédicables de la force, de l'action, (ie la passion ; à la cati'gorie de la communauté, ceux de la présence, de la résistance ; aux prédicaments de la modalité, les prédicables de la naissance, de la iin, du rliungement, etc, Les catégories combinées avec les modes (le la sensibilit(' pure, ou mèuie entre elles, fournissent
une granrle quantité de concopls dé-rivés à priori, (ju'il ne rail pas sans utilité et sans iiiti'rèt de hi^naler et
i'e.xposcr aussi complètement (|ue possible; mai^ c'est là
'K.e peine dont on peut s'exempter ici. ' me dispense aussi à dessoin dans ce traité de donner
122 CRITIQUE DE LA RAISOxN PURE
les définitions de ces catégories, quoique je sois en mesure de le faire. J'analyserai plus tard ces concepts dans la mesure nécessaire à la théorie de la méthode qui m'oc- cupe. Dans un système de la raison pure on serait sans doute en droit de les exiger de moi ; mais ici elles ne feraient que détourner l'attention du but principal de notre recherche, en soulevant des doutes et des objections que nous pouvons très bien ajourner à une autre occasion, sans nuire en rien à notre objet essentiel. En attendant, il résulte clairement du peu que je viens de dire qu'un vocabulaire complet de ces concepts, avec tous les éclair- cissements nécessaires, est non seulement possible mais facile à exécuter. Les cases sont toutes prêtes ; il ne reste plus qu'à les remplir, et dans une topique systématique telle que celle dont il s'agit ici, il n'est pas difficile de reconnaître la place qui convient proprement à chaque concept et de remarquer en même temps celles qui sont encore vides. r
§11*.
On peut faire sur cette table des catégories des obser- vations curieuses, qui pourraient bien conduire-à des con- séquences importantes relativement à la forme scientifique de toutes les connaissances rationnelles. En effet, que dans la partie théorique de la philosophie cette table soit singulièrement utile et même indispensable pour tracer en entier le plan de Vensemble d'une science, en tant que cette science repose sur des principes à priori, et pour la diviser mathématiquement suivant des principes déterminés, c'est ce que l'on aperçoit tout de suite en songeant que la table dont il s'agit ici contient absolument tous les concepts élémentaires de l'entendement et même la forme du système qui les réunit dans l'entendement humain, et que par conséquent elle nous indique tous les moments de la science spéculative que Ton a en vue et même leur ordre, comme j'en ai donné une preuve ailleurs. Voici quelques- unes de ces remarques :
a. Les § 11 et 12 sont des additions delà seconde édition.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 123
Première remarque, — Cette table, qui contient quatre classes de concepts de l'entendement, se divise d'abord en deux parties, dont la première se rapporte aux objets de l'intuition (pure ou empirique), et la seconde à l'existence de ces objets (soit par rapport les uns aux autres, soit par rapport à l'entendement).
On pourrait appeler mathématiques les catégories de la première classe, et dynamiques celles de la seconde. La première n*a point, comme on le voit, de corrélatifs ; on n'en trouve que dans la seconde. Cette différence doit avoir son fondement dans la nature de l'entendement.
Deuxième remarque. — Chaque classe comprend d'ailleurs un nombre égal de catégories, c'est-à-dire trois, ce qui mérite rédexion, puisqme toute autre division à priori fondée sur des concepts doit être une dichotomie. Ajoutez à cela que la troisième catégorie dans chaque classe résulte toujours de l'union de la seconde avec la pre- mière.
Ainsi la totalité n'est autre chose que la pluralité con- sidérée comme unité; la limitation, que la réalité jointe à la négation ; la communauté, que la causalité d'une substance déterminée par une autre qu'elle détermine à son tour; ia nécessité enfin, que l'existence donnée parla possibilité môme. Mais que l'on ne pense pas pour cela que la Iroi- -ième catégorie soit un simple concept dérivé et non un t)ncept primitif de l'entendement pur. En effet, cette union de la première avec la seconde catégorie qui pro- duit le troisième concept, suppose un acte particulier de l'entendement, qui n'est pas identique à celui qui a lieu dans le premier et le second. Ainsi le concept d'un nombre (qui appartient à la catégorie de la totalité) n'est pas toujours possible là où se trouvent les concepts de la pluralité et de l'unité (par exemple dans la représenta- tion de l'infini). De même, de ce que j'unis ensemble le < oncept d'une cause et celui d'une substance, ie necon(;ois l'as par cela seul Vinfluence, c'est-à-dire comment une substance peut être cause de quelque chose dans une autre substance. D'où il résulte qu'un acte particulier de l'entendement est nécessaire pour cela. Il en est do même des autres cas.
124 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Troisième remarque. — Il y a une seule catégorie, celle de la communauté, comprise dans le troisième titre, dont l'accord avec la forme de jugement disjonclif qui lui correspond dans le tableau des fonctions logiques, n'est pas aussi évident que [l'est le rapport analogue] dans les autres catégories.
Pour s'assurer de cet accord, il faut remarquer que, dans tous les jugements disjonctifs, la sphère (l'ensemble de tout ce qui est contenu dans ce jugement) est repré- sentée comme un tout divisé en parties (les concepts subordonnés), et que, comme, de ces parties, l'une ne peut èire renfermée dans l'autre, elles sont conçues comme coordonnées entre elles, et non comme subor- données, de telle sorte qu'elles se déterminent les unes les autres, non pas dans un eeulsens^ comme en une série, mais réciproquement, comme dans un agrégat (si bien qu'admettre un membre de la division, c'est exclure tous les autres, et réciproquement).
Or, dès que l'on conçoit une liaison de ce genre dans un ensemble de choses, alors une de ces choses n'est plus subordonnée, comme effet, aune autre qui serait la cause de son existence, mais elles sont en même temps et réci- proquement coordonnées comme causes se déterminant Tune l'autre (comme dans un corps, par exemple, dont les parties s'attirent ou se repoussent réciproquement). C'est là une tout autre espèce de liaison que celle du simple rapport de la cause à l'effet (du principe à la con- séquence) où la conséquence ne détermine pas à son tour réciproquement le principe, et pour cette raison ne forme pas un tout avec lui (comme le créateur avec le monde). Ce procédé que suit l'entendement, quand il se représente la sphère d'un concept divisé, il l'observe aussi lorsqu'il conçoit une chose comme divisible; et de même que dans le premier cas les membres de la division s'excluent l'un autrii et pourtant se relient en tino sphère, de même il se représente les parties de la chose divisible comme ayant cliacune, à titre do substance, une exis- tence indépendante dog autres et en même temps comme unies en un tout.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 425
§ i2.
îl y a ehcore dans ia philosophie transcendantale des aiicieris un chapitre contenant des concepts purs de l'én- lendement qui, sans être rangés parmi les catégories, '^turnt regardés comme devant -avoir la valeur do con- \tlii à priori d'objets. Mais, s'il en était ainsi, ils aug- iitenteraient le nombre de» catégories, Ge qui ne peut être. Ces concepts sont exprimés par cette proposition si célèbre chez les scolastiques : quod libct eus est iinutn, verum, honum. Quoique dans l'usage ce principe ait abouti à de très singulières conséquences (c'est-à-dire à des pro- positions évidemment tautologiques), si bien que de notre temps on ne l'admet plus guère dans la métaphysique que par bienséance, une pensée qui^s'est soutenue si long- mps, quelque vide qu'elle semble être, mérite toujours lu'on en recherche l'origine et donne lieu de supposer qu'elle a son principe dans quelque règle de l'entende- n»ent ffui, comme il arrive souvent, aura été seulement ni interprétée. Ces prétendus prédicats transcendantaux s choses ne sont rien de plus que des exigences logiques I des critères de toute connaissance des choses en général, laquelle ils donnent pour fondement les catégories de I (}uantité, c'est-à-dire de V unité, de la pluralité, et de la lolahté. Seulement, tandis que les critères n'avraient dû proprement être admis (ju'au sens matériel, c'est-à-dire omme conditions de la possibilité des choses mêmes, les iiciens ne les employaient en réalité qu'au sens formel, ■st-à-dire comme faisant partie des conditions logiques I toute connaissance, et pourtant ils convertissaient, tus y prendre garde, ces critères de la pensée en pro- ; f iétés des (hoses elles-mêmes.
Dans toute connaissance d'un objet, il y a d'abord y imité du concept, que l'on peut appeler umté qualitative
• u tant (jue l'on pense seulement sous cette unité IV'nsemble des éléments divers de la connaissance,
• ummc par exemple l'unité du thème dans un drame, dans un discours, dans une fable. Vient ensuite la vérité
126 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
relativement aux conséquences. Plus il y a de consé- quences vraies qui découlent d'un concept donné, plus il y a de signes de sa réalité objective. C'est ce que l'on pourrait appeler la pluralité qualitative des signes qui appartiennent à un concept comme à un principe com- mun (qui n'y sont pas conçus comme des grandeurs). Vient enfin la perfection, qui consiste en ce que cette pluralité à son tour est ramenée tout entière à l'unité du concept et qu'elle s'accorde complètement et exclusive- ment avec lui ; ce que l'on peut appeler l'intégralité qua- litative (la totalité). Par où l'on voit que ces trois critères logiques de la possibilité de la connaissance en général ne font que transformer ici les trois catégories de la quantité, où l'unité doit être prise d'une manière cons- tamment homogène dans la production du quantum, et cela afin de relier en une conscience des éléments de conscience même hétérogènes, au moyen de la qualité d'une connaissance prise pour principe. Ainsi le crité- rium de la possibilité d'un concept (je ne dis pas de son objet) est la définition, où Vanité du concept, la vérité de tout ce qui en peut être immédiatement dérivé, Vintégra- lité enfin de ce qui en a été tiré, constituent les condi- tions exigées pour l'établissement de tout le concept. Ainsi encore le critérium d'une hypothèse consiste dans l'intelligibilité du principe d'explication admis, c'est-à-dire dans son unité (par laquelle il repousse le concours de toute autre hypothèse); dans la vérité des conséquences qui en dérivent (l'accord de ces conséquences entre elles et avec l'expérience) ; enfin dans Vintégralité du principe d'explication par rapport à ces conséquences, lesquelles ne doivent rien rendre de plus ou de moins que ce qui a été admis dans l'hypothèse, mais reproduire analytique- ment à posteriori ce qui a été conçu synthétiquement à priori, et s'y accorder. Les concepts d'unité, de vérité et de perfection ne complètent donc nullement la liste trans- cendantale des catégories, comme si elle était pour ainsi dire défectueuse ; mais le rapport de ces concepts à des objets étant tout à fait mis de côté, l'usage qu'en fait l'esprit rentre dans les règles logiques générales de l'accord de la connaissance avec elle-même.
CHAPITRE II
De la déduction des concepts purs de l'entendement.
PREMIÈRE SECTION
^ 13. Des principes d'une déduction transcendantale en général.
Quand les jurisconsultes parlent de droits et d'usurpa- tions, ils distinguent dans l'afYaire la question de droit {quid juris) de la question de fait {quid facti) ; et, comme ils exigent une preuve de chacune d'elles, ils appellent déduction la première, celle qui doit démontrer le droit ou la légitimité de la prétention. Nous nous servons d'une foule de ces concepts empiriques sans rencontrer de con- tradicteur, et nous nous croyons autorisés, même sans déduction, à leur attribuer un sens et une signilication supposés parce que nous avons toujours Texpérienro en mains pour en démontrer la réalité objective. D'un jiutre côté, il y a aussi des concepts usurpés comme ceux {\\i bonheur, à^ destin, qui circulent à la vérité, grâce à une complaisance presque générale, mais qui, parfois, soulèvent la question : quid juris, et dont la déduction ne cause pas alors un médiocre embarras, attendu qu'on ne peut citer aucun principe clair de droit, soit de l'expé- rience, soit de la raison, qui en justifie l'usagf.
Mais parmi les nombreux concepts qui fo'rmei\^ le tissu
128 CRITIQUE DE LA RAISO^' PURE
très compliqué de la connaissance humaine, il y en a quelques-uns qui sont destinés à un usage pur à priori (entièrement indépendant de toute expérience), et dont . le droit a toujours besoin d'une déduction, parce que des preuves tirées de l'expérience ne suffisent plus à légitimer un usage de ce genre, et que pourtant on veut nécessai- rement savoir comment ces concepts peuvent se rapporter à des objets qu'ils ne trouvent (ïans aucune expérience. Expliquer comment des concepts à priori (peuvent se rapporter à des objets, voila donc Ce que je nomme la déduction transcendantale des catégories; je la distingue de la déduction empirique, qui montre comment un con- cept a été acquis par le moyen de l'expérience et de la réflexion faite sur l'expérience, et qui, par conséquent, ne concerne pas ta légitimité, mais le fait même d'où résulte l'acquisition de ce concept.
Nous avons déjà deux espèces bien distinctes de con- cepts, mais qui ont cela de commun, que toutes deux se rapportent entièrement à priori à des objets; ce sont les concepts de l'espace et du temps, comme formes de la sensibilité, et les catégories, comme concepts de l'enten- dement. En vouloir chercher une déduction empKriqne, ce serait peine perdue, puisque ce qui fait leur caractère propre, c'est qu'ils se rapportent à leurs objets sans avoir tiré de l'expérience aucun élément pour leur représen- tation. Si donc une déduction d^ ces concepts est néces- saire, il faut toujours qu'elle soit transcendantale.
Cependant, de ces concepts, comme de toute connais- sance, l'on peut cherclier dans l'expérience, à défaut du principe de leur possibilité, les causes occasionneires de leur production. Les impressions des sens nous four- nissent, en effet, la première occasion de déployer, à leur sujet, toute notre faculté de connaitre, et de cons- tituer l'expérience. Celle-ci contient deux éléments très différents, à savoir : une matière de connaissance fournie par les sens, et une certaine forme servant à ordonner cette matière et venant de la source intérieure de l'intui- tion et de la pensée pores, lesquelles n'entrent en jeu et ne produisent des concepts qu'à l'occasion de la premièfe. Beehercher aiftsi les premiers efforts de notre faculté de
AxXALYTIQUE TUA.NSCExNDANTALE 129
connaître, lorsqu'elle tend à s'élever des perceptions particulières aux concepts généraux, c'est là une entre- prise qui a sans doute une grande utilité, et il faut remercier l'illustre Locke d'en avoir le premier ouvert la voie. Mais il est impossible d'arriver par cette voie à une déduction des concepts purs à priori; parce que, pour justitler leur usage futur, qui doit être tout à fait indé'pendant de l'expérience, il faut qu'ils aient un tout autre acte de naissance à produire que celui qui les fait dériver de l'expérience. Cette tentative de dérivation phy- siologique, qui n'est pas, à proprement parler, une déduction, puisqu'elle concerne une question de fait, je la nommerai l'explication de la jiossession d'une connais- sance pure. Il est donc clair qu'il ne peut y avoir de ces concepts qu'une déduction transcendantale, et nullement une déduction empirique, et que celle-ci n'est, relative- ment aux concepts purs à priori, qu'une vaine tentative, dont peut seul s'occuper celui qui n'a point compris la nature propre de cette espèce de connaissance.
Mais, quoiqu'il n'y ait qu'une seule espèce possible de dédurtion pour la connaissance pure à priori, à savoir celle qui suit la voie transcendantale, il n'en résulte pas que cette déduction soit absolument nécessaire. Nous avons suivi plus haut jusqu'à leurs sources, au moyen d'une déduction transcendantale, les concepts de l'espace et du temps, et nous en avons ainsi expliqué et déterminé la valeur objective à priori. Mais la géométrie va son droit chemin à travers de pures connaissances à prion sans avoii' besoin de demander à la philosophie un certi- ficat qui ronslatc la pure et régulière origine do son con- cept fondamental d'»;space. C'est que, dans cette science, l'usage du concept se borne au monde sensible extérieur, dont l'intuition a pour forme pure l'espace, et dans lequel par conséquent toute connaissance gc'ométriqu'^ a une évidence immédiate, puisqu'elle se fonde sur une intuition à priori et que les objets sont donnés à priori (quant à la forme) dans l'intuition par la connaissance même. Les concepts purs de l'entendement, au contraire, font naitre en nous un indispensable besoin de chercher non seulement leur déduction trauîjceudautalc, xuais
I. - D
130 CUlllULE DE LA liAibUA t^LKL
aussi celle de Tespace. En effet, comme les prédicats que l'on attribue ici aux objets ne sont pas ceux de l'intuition et de la sensibilité, mais ceux de la pensée pure à priori, ces concepts se rapportent à des objets en général indé- pendamment de toutes les conditions rie la sensibilité; et comme ils ne sont pas fondés sur l'expérience, ils ne peu- vent montrer dans l'intuition àpriori aucun objet sur lequel se fonde leur synthèse antérieurement à toute expérience. Or, non seulement ils éveillent ainsi des soupçons sur la valeur objective et les limites de leur usage; mais, par leur penchant à se servir du concept d^espace en dehors des conditions de Tintuition sensible, ils rendent ce con- cept équivoque, et voilà pourquoi il a été nécessaire d'en donner aussi plus haut une déduction transcendantalc. Le lecteur doit donc être convaincu de la nécessité ab> solue de [chercher] une déduction transcendantalc de ce genre avant de faire un seul pas dans le champ de la raison pure; car autrement il marcherait en aveugle, et après avoir erré çà et là, il finirait par en revenir à l'ignorance d'où il est parti. Mais il faut aussi qu'il se rende bien compte d'avance des inévitables difficultés [qu'il doit rencontrer], afin qu'il ne se plaigne pas d'une obscurité qui enveloppe profondément la chose même, et qu'il ne se laisse pas trop tôt décourager par les obstacles à vaincre; car il s'agit de repousser absolument toute pré- tention à des vues de la raison pure sur le champ le plus attrayant, sur celui qui est placé en dehors des limites de toute expérience, et de porter cette recherche critique à son point de perfection.
Il ne nous a pas été difficile de faire comprendre comment les concepts dé l'espace et du temps, bien que connaissances à priori, ne s'en rapportent pas moins nécessairement à des objets, et rendent possible une connaissance synthétique de ces objets, indépen- damment de toute expérience. En effet, comme c'est uniquement au moyen de ces formes pures de la sensi- bilité qu'un objet peut nous apparaître, c'est-à-dire deve- nir un objet d'intuition empirique, l'espace et le tepops sont des intuitions pures qui contiennent à priori la con- dition de la possibilité des objets comme pbéjaomènes.
AlNALVilUbt: THA.XSGEMJAMALE i.il
et la synthèse qui s'y opère a une valeur objccliv.;. Les catégories de rentendemeni, au contraire, ne nous représentent aucunement les conditions sous lesquelles des objets sont donnés dans l'intuition; conséquemment des objets peuvent sans doute nous apparaître, sans qu'ils aient nécessairement besoin de se rapporter à des fonc- tions de l'entendement et sans que celui-ci par consé- quent en contienne les ceuditions à priori. De là ré'sultc une difficulté que nous n'avons pas rencontrée dans le champ de la sensibilité, celle do savoir comment des con- ditions subjectives de la pcnsdo peuvent avoir une valeur objective, c'est-à-dire fournir les conditions de la possibi- lité de toute connaissance des objets; car des phénomènes peuvent très bien être donnés sans le secours des fonc- tions de l'entendement. Je prends, par exemple, le con- cept de la cause, qui signifie une espèce particulière de synthèse où à quelque chose A se joint, suivant une règle, quelque chose de tout à l.nt différent B. On ne voit pas clairement à priori pourquoi des phénomènes con- tiendraient quelque chose de pareil (car on ne saurait donner ici pour preuve des expériences, puisque la valeur objective de ce concept doit pouvoir être prouvée à priori) ; et par conséquent il est douteux à priori si un tel concept n'est pas tout à fait vide et s'il a quelque part un objet parmi les phénomènes. Il est clair, en effet, que les objets de l'intuition sensible doivent être conformes aux conditions formelles de la sensibilité résidant à pnoW dans l'esprit, puisqu'autrement ils ne seraient pas poui nous des objets; mais on n'aperçoit pas aussi aisément pourquoi ils doivent en outre être conformes aux condi- tions dont l'entendement a besoin pour l'unité synthé- tique de la pensée. 11 se j>ourrait à la rigueur que les phénomènes fussent de telle nature que l'entendeuient ne les trouvât point du tout conformes aux condition^ de son unité, et que tout fût dans une telle confusion que, par exemple, dans la série des phénomènes il u y eût rien qui fournit une règle à la synthèse et corres- pondit au concept do. la cause et de l'effet, si bien que ce concept serait tout à fait vide, nul et sans signilication. Dans ce ( a.s, hs phénomènes n'en présenit^iait-n! p.is
rS2 CKlTigUE UE LA RAISON PURE
moins des objets à notre intuition, puisque l'intuition n'a nullement besoin des fonctions de la pensée.
Si l'on pense s'affranchir de la peine que coûtent ces recherches en disant que l'expérience présente sans cesse des exemples de cette sorte de régularité dans les phénomènes, qui nous fournissent suffisamment l'occa- sion d'en extraire le concept de cause et de vérifier en môme temps la valeur objective de ce concept, on ne remarque pas que le concept de cause ne saurait être produit de cette manière, mais qu'il doit ou bien avoir son fondement tout à fait à priori dans l'entendement, ou bien être absolument rejeté comme une pure chimère. En effet ce concept exige absolument que quelque chose A soit tel qu'une autre chose B s'en suive nécessairement et suivant une règle absolument générale. Or, les phéno- mènes présentent bien des cas d'où l'on peut tirer une règle suivant laquelle quelque chose arrive ordinaire- ment, mais on n'en saurait jamais conclure que la con- séquence soit nécessaire. La synthèse de la cause et de l'effet à donc une dignité qu'il est impossible d'exprimer empiriquement : à savoir que l'effet ne s'ajoute pas simplement à la cause, mais qu'il est produit par elle et qu'il en dérive. L'universalité rigoureuse de la règle, n'est pas non plus une propriété des règles empiriques, auxquelles l'induction ne peut donner qu'une généralité relative, c'est-à-dire une application étendue. L'usage des concepts purs de l'entendement serait donc tout autre, s'il ne fallait y voir que des produits empiriques.
§ 14.
Passage à la déduction transcendantaîe des catégories.
11 n'y a pour une représentation synthétique et ses objets que deux manières possibles de coïncider, de s'accorder d'une façon nécessaire et, pour ainsi dire, de se rencontrer. Ou bien c'est l'objet qui rend possible la représentation, ou bien c'est la représentation qui rend
ANALYTIQUE TRANSCENDAx\TALE 133
l'objet possible. Dans le premier cas, le rapport est exclusivement empirique, et la représentation n'est jamais possible à priori. Tel est le cas des phénomènes, relativement à ceux de leurs éléments qui appartiennent à la sensation. Dans le second cas, comme la représen- tation ne donne pas par elle-même ^existence à son objet (car il n'est pas ici question de la causalité qu'elle peut avoir au moyen de la volonté), elle détermine cependant l'objet à pnon, en ce sens qu'elle seule permet de con- naître quelque chose comme objet. Or, il y a deux condi- tions qui seules rendent possible la connaissance d'un objet : d'abord l'intuition, par laquelle il est donné, mais seulement comme phénomène ; ensuite le concept, par lequel on pense un objet qui correspond à cette intuition. Mais il est clair, d'après ce qui a été dit plus haut, que la première condition, celle sous laquelle nous ne sau- rions percevoir par intuition des objets, sert en réalité à priori dans l'esprit de fondement aux objets, quant à leur forme. Tous les phénomènes s'accordent donc nécessai- rement avec cette condition formelle de la sensibilité, puisqu'ils ne peuvent apparaître, c'est-à-dire être empi- riquement perçus par intuition et donnés que sous cette condition. 11 s'agit maintenant de savoir s'il ne faut pas admettre aussi antérieurement des concepts à priori comme conditions qui seules permettent, non pas de per- cevoir intuitivement, mais de penser en général quelque chose comme objet; car alors toute connaissance empi- rique des» objets serait nécessairement conforme à ces concepts, puisque sans eux il n'y aurait rien do possible comme objet d'expérience. Or toute expérience contient, outre l'intuition des sens, par laquelle quelque chose est donné, un concept d'un objet donné dans l'intuition ou nous apparaissant. Il y a donc des concepts d'objets eu général qui servent, comme conditions à pHori, de fonde- ment à toute connaissance expérimentale. Par consé- quent, la valeur objective des catégories, comme concept à priori, repose sur ceci, à savoir que seules elles rendent possible l'expi-rience (quant à la forme de la pensée). Elles se rapportent, en cITet, nécessairement et ri priori, à (l.'s objets d'expérience, puisque ce n'est que par elles
i;]i CRITIQUE DE LA RAISON PURE
en général qu'un objet de rexpërience peut être pensé.
La déduction transe endantale de tous les concepts à priori a donc un principe sur lequel doit se régler toute notre recherche, c'est celui-ci. : il faut que l'on recon- naisse dans ces concepts autant de conditions à priori de la possibilité des expériences (soit de l'intuition qui s'v trouve, soit de la pensée). Les concepts qui fournissent I fondement objectif de la possibilité de l'expérience sont par cela même nécessaires. Le développement de l'expé- rience où ils se trouvent n'en est pas la d('duction (il n fait que les mettre au jour), car alors ils ne seraient toit jours que contingents. Sans ce rapport originaire à unr (wpérience possible qu'offrent tous les objets de la con- naissance, eolui des concepts à un objet quelconque n ■ [lourrait être compris.
'\ Faute d'avoir fait cette observation, l'illustre Lockey rencontrant dans l'expérience des concepts purs de l'en- londement, les dériva aussi de l'expérience même, et poussa Vincoméquence jusqu'à entreprendre d'arriver, avec ce point de départ, à des connaissances qui dépasseni de beaucoup toutes les limites de l'expérience. David Hume reconnut que, pour avoir le droit de sortir de l'expérience, il fallait accorder ta ces concepts une ori- gine à priori. Mais il ne put s'expliquer comment il e^^t possible que l'intelligence conçoive comme ifécessaire- inent liés dans l'objet des concepts qui ne le sont pas on soi dans l'entendement, et il ne lui vint pas à l'esprit que
a, Aja place des considérations qui suivent jusqu'à la fin du irna;,M;ipliP, il n'y avait dans la première édition que ce simpl< ; iiiiëa :
« U y a trois sources primitives (capacités ou faculti"'s de l'àiur f[iii contiennent les conditions de la possibilité de toute expérienc*' et qui no peuvent dériver eiles-mèmes d'aucune autre faculté do l'esprit : ce sont le sens, V imagination et \' a perception. De la 1") la si/nopsis des éléments divers faite par le sens ; 2') la si/ntliêsr de ces olénicnts divers opérée par l'imagination: 30) enfin Tirn/^'d.' cette synlliôse par laperception primitive. Outre leurs usages empi- riques, toutes ces facultés ont un usage transcendantal, quine con- cerne que la forme et n'est possible qu'à priori. Dans la pro- iniùre partie, nous avons parlé de ce dernier par rapport au.v o' .'.s- ; nous allons essayer maintenant de saisir la nature des autres facultés. »
ANALÏTIUUK HU.NbC:E.NDA.NrALE 13:;
peut-être l'entendement était, par ces concepts mêmes, l'auteur de rexpérience qui lui fournit ses objets. Aussi 0 vit-il obligé de les tirer de l'expérience (c'est-à-dire de t'tte nécessité subjective qui résulte de quelque associa- tion fréquemment répétée dans l'expérience, et qu'on finit par regarder à tort comme objective, en un mot, de l'habitude.) Mais il se montra ensuite très conséquent, en tenant pour impossible de sortir des limites de l'expé- rience avec des concepts de cette sorte ou avec les prin- cipes auxquels ils donnent naissance. Malheureusement <ette origine empirique à laquelle Locke et Hume eurent ncours ne peut se concilier avec l'existence des connais- mces scientifiques à priori que nous possédons, à savoir
• l'iles des mathématiques pures et de la physique générale, l>ar conséquent elle est réfutée par le fait.
Le premier de ces deux hommes célèbres ouvrit toutes les portes à Vextravagancc parce que la raison, quand une fois elle [pense avoir] le droit de son côté, ne se 1. lisse plus arrêter par de vagues conseils de modération; le second tomba complètement dans le scepticisme quand il crut avoir découvert que ce qu'on tient pour la raison n'est qu'une illusion générale de notre faculté de con- naître. — Nous sommes maintenant en mesure de recher- clier si l'on ne peut pas conduire la raison entre ces deux écueils et lui fixer des limites déterminées, ton» •" laissant ouvert le champ de sa légitime activité.
Auparavant, je rappellerai seulement la définition liis i/égories. Les catégories sont des concepts d'un objef. en général, au moyen desquels l'intuition de cet objet est considérée comme détermiiv^e par rapport ^ l'une des fonctions logiques des jugements. Ainsi la fonction du jugement catégorique est celb; du rapport du sujet au pn-- dicat, comme quand je dis : tous les corps sont divisibles. Mais, au point de vue de l'usage purement logique de
ntendement, on ne détermine pas auquel des dtux ron-
pts on veut attribuer la fonction de sujet, et auquel
• 'Ile de prédicat. En effet, on peut dire aussi : quelque •i visible est un corps. Au contraire, lorsque je fais rcn-
r sous la catégorie de la substance le concept d'un
136 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
corps dans Texpérience ne peut jamais être considérée autrement que comme sujet, et jamais comme simple prédicat. Il en est de même des autres catégories.
DEUXIEME SECTION *
§15. De la possibilité de la synthèse en général.
Les éléments divers des représentations peuvent être donnés dans une intuition qui est purement sensible, c'est-à-dire qui n'est rien que réceptivité, tandis que la forme de cette intuition peut résider à priori dans notre faculté de représentation, sans être autre chose cependant que la manière dont le sujet est affecté. Mais la liaison iconjunctio) d'une diversité d'éléments en général ne peut jamais nous venir des sens, et par conséquent elle ne jteut pas non plus être contenue dans la forme pure de l'intuition sensible. Elle est un acte de spontanéité de la faculté de représentation; et, puisqu'il faut appeler cette spontanéité entendement, pour la distinguer de la sensi- bilité, toute liaison, que nous en ayons conscience ou non, qu'elle embrasse des éléments divers de l'intuition ou divers concepts, et que, dans le premier cas, l'intui- tion soit sensible ou non, toute liaison, dis-je, est un acte de l'entendement. Nous désignerons cet acte sous le nom commun de synthèse, afin de faire entendre par là que nous ne pouvons rien nous représenter comme lié dans l'objet sans l'avoir auparavant lié nous-mêmes [dans l'entendement], et que, de toutes les représentations, la liaison est la seule qui ne puisse nous être fournie par des objets, mais seulement par le sujet lui-même, parce qu'elle est un acte de sa spontanéité. Il est aisé de remar-
a. La rédacKon suivante de cette deuxième S^ection a, dans la deuxième édition do la Critique, remplacé une autre dont on trouvera la traduction en appendice. T. II,
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 137
quer ici que cet acte doit êlrc originairement un et s'appliquer également à toute liaison, et que la décompo- sition, Vanahjse, qui semble être son contraire, la suppose toujours ; car où l'entendement n'a rien lié, il ne saurait non plus rien délier, puisque c'est par lui seul qu'a pu êlrc lié ce qui est donné comme tel à la faculté représen- tative.
Mais le concept de la liaison comporte, outre celui de la diversité et de la synthèse de cette diversité, celui de l'unité de celte diversité. La liaison est la représentation de l'unité synthétique de la diversité ^ La représentation de cette unité ne peut donc pas résulter de la liaison ; mais plutôt, en s'ajoutant à la représentation de cette diversité, elle rend d'abord possible le concept de la liaison. Cette unité qui précède à priori tous les concepts de liaison, n'est pas du tout la catégorie de l'unité (§ 10); car toutes les catégories se fondent sur des fonctions logiques de nos jugements, et dans ces jugements est déjà pensée une liaison, par conséquent une unité de concepts donnés. La catégorie présuppose donc la liaison. Il faut donc chercher cette unité (comme qualitative, § 12) plus haut encore, c'est-à-dire dans ce qui contient le principe même de l'unité de différents concepts au sein des juge- ments, et par conséquent de la possibilité de l'entende- mcnt, môme au point de vue de l'usage logique.
§ ic.
De Vunité ordinairement synthétique de Vaperception.
Le je pense doit pouvoir accompagner toutes mes ropré- ntations; car autrement il y aurait en moi quelque
1. Il n'est pas ici qnoslîon de savoir si les représentations mCnies sont i(lenli(|iios. et par oonséqueni si l'une peut être conçue ana- lytiqueiuent au nio,\en de l'autre. La covxcicncc de lune, en tant qu'il s'aRit d'une diversité délémenls. demoure toujours distincte do celle do l'autre, et il n'est ici question que de la synthèse de celle conscience (possible).
138 CRiTlQUE DE LA RAISON PURE
chose de représenté, qui ne pourrait pas être pensé, ce qui revient à dire ou que la représentation serait impos- sible, ou du moins qu'elle ne serait rien pour moi. La représentation qui peut être donnée antérieurement à toute pensée se nomme intuition. Toute diversité d'élé- ments de l'intuition a donc un rapport nécessaire au je vense. Mais cette représentation [: je pense] est un acte de la spontanéité, c'est-à-dire qu'on ne saurait la regarder comme appartenant à la sensibilité. Je la nomme apercep- tion pure pour la distinguer de Vaperception empirique, ou encore aperception originaire, parce que cette conscience de soi-même qui, en produisant la représentation je pe/ise, doit pouvoir accompagner toutes les autres et qui est une et identique en toute conscience, ne peut plus être elle- même accompagnée d'aucune autre. Je désigne encore l'unité de cette représentation sous le nom d'unité trans- cendantale de la'conscience de soi, pour indiquer la pos- sibilité de la connaissance à priori qui en dérive. En effet, les représentations diverses, données dans une cer- taine intuition, ne seraient pas toutes ensemble mes représentations, si toutes ensemble n'appartenaient à une conscience de soi. En tant qu'elles sont mes repré- sentations (bien que je n'en aie pas conscience à ce titre), elles sont donc nécessairement conformes à la con- dition qui seule leur permet de se réunir en une cons- cience générale de soi, puisque autrement elles ne seraient pas pour moi. De cette liaison originaire découlent plu- sieurs conséquences.
Cette identité totale de l'aperception de divers élément:? donnés dans une intuition contient une synthèse de représentations, et elle n'est possible que par la conscience de cette synthèse. En effet, la conscience empirique qui accompagne différentes représentations est par elle-même éparpillée et sans relation avec l'identité du sujet. Cette relation ne s'opère donc -pas encore par cela seul que chaque représentation est accompagnée de conscience ; il faut pour cela que j'unis^ic l'une à l'autre et que j'aie cons- cience de leur synthèse. Ce n'est donc qu'à la condition de pouvoir lier en une conscience une diversité de repré- tuMitations données qu'il m'est possible de me représenter
AiNALYTIQUE TRAxNSCENDAXTALE 130
Videntiié de la conscience dans ces représentations mêmes, c'est-à-dire que l'unité analytique de l'aperccption n'est possible que dans la supposition de quelque uniié synt hec- tique K Cette pensée que telles représentations données dans l'intuition m'appartiennent toutes signilie donc que je les unis ou que je puis du moins les unir en une cons- cience de soi; et quoiqu'elle ne soit pas encore la cons- '•'*^nce de la synthèse des représentations, elle présuppose
Mcndant la possibilité de celte synthèse. En d'autres iirmes, c'est uniquement parce que je puis saisir en une conscience la diversité, de ces représentations que je les appelle toutes mes représentations; autrement le moi serait aussi divers et aussi bigarré que les représentations dont j'ai conscience. L'unité synthétique des éléments divers des intuitions, en tant qu'elle est donnée à priori,
I donc le principe de l'identité de l'aperccption même,
juelle précède à priori toute ma pensée déterminée. Joutelois la liaison n'est pas dans les objets et n'en peut pas être tirée par la perception, pour être ensuite reçue dans l'entendement; mais elle est uniquement une opé- ration de l'entendement, qui n'est lui-même autre chose que la faculté de former des liaisons à priori, et de ramener la diversité des représentations données à l'unité de l'aperccption. C'est là le principe le plus élevé de
iite l.'i connaissance humaine.
ie principe de l'unité nécessaire de l'apcrception est à
L'unile analytique delà conscience s'attache à, tous les con- , , pis communs comme tels. Lorsque, par exemple, je conç-ois \o. roi^v/t; (MU'oïKMal, je me icprésento par là une qualité qui (eomnio cararlorc) peut êliii trouvée quehiue part ou ètro lioe a d'autres représentations; re n'est donc (ju'a la condition de concevoir d'avanco tuie unité svntli(>li(iue possible que je puis me représenter l'unité analytique. Pour concevoir une ro|iresentalion comme ct.mmuuc a dif/VinUfS choses, il faut la re^'ardor comme api»ar- It'M.int a dos choses (pii. malf,no ce caractère couuuun, ont trc quelque rhose dé dillérent; par cons«M|uent il faut la con-
. >ir comme formant une unité synthétique avec d'autres repre- stiilations (n<> fussent-elles que possibles , avant de pouvoir con- cevoir l'unilc annlyUquo de la conscionce qui en fait uu couccptus comniunis. l/unito synthétique de l'aperccption est donc le point le plws élevé auquel il faut rattacher tout usajre de lenleudement. la logique mOmo tout entière et, après tdie, la philosophie trans-
ndanlale; bien plus, cette faculté est l'entendement lui-même.
140 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
la vérité identique, et par conséquent il forme une pro- position analytique, mais il explique néanmoins la néces- sité de la synthèse donnée dans une intuition, puisque sans cette synthèse cette identité totale de la conscience de soi ne peut être conçue. En effet le moi, comme représentation simple, ne donne point de diversité d'élé- ments : celte diversité ne peut être donnée que dans l'in- tuition, qui est distincte de celte représentation, et elle ne peut être pensée qu'à la condition d'être liée en une conscience. Un entendement dans lequel tous les élé- ments divers seraient en même temps donnés par la conscience de soi serait intuitif; le nôtre ne peut que penser, et il doit cherclier dans les sens l'intuition. J'ai donc conscience d'un moi identique, par rapport à la diversité des représentations qui me sont données dans une intuiticm, puisque je les nomme toutes mes représen- tations et qu'elles n'en constituent qu'une seule. Or cela revient à dire que j'ai conscience d'une synthèse néces- saire à priori de ces représentations, et c'est là ce qui constitue l'unité synthétique originaire de l'aperception, à laquelle sont soumises toutes les représentations qui me sont données, mais à laquelle elles doivent être rame- nées par le moyen d'une synthèse.
§ 17.
Le principe de' Vunité synthétique de l*apcrccption est le principe suprême de tout usage de r entendement.
Le principe suprême de la possibilité de toute intuition, par rapport à la sensibilité, était, d'après l'esthétique transcendantale, que tous les éléments divers qu'elle con- tient fussent soumis aux conditions formelles de l'es- pace et du temps. Le principe suprême de cette même possibilité, par rapport à l'entendement, c'est que tous les éléments divers de l'intuition soient soumis aux con- ditions de l'unité originairement synthétique de Taper-
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE lil
ception ^ Toutes les représentations diverses des intuitions sont donc soumises au premier de ces principes, en tant qu'elles nous sont données, et au second, en tant qu'elles doivent pouvoir être lices en une seule conscience. Sans cela, en effet, rien no peut être pensé ni connu, puisque les représentations données, n'étant point reliées par un acte commun de l'aperception, tel que le : je pense, no pourraient être unies dans une même conscience.
L'entendement, pour parler généralement, est la faculté des connaissances. Celle-ci consiste dans le rapport déter- miné de représentations données à un objet. Un objet est ce dont le concept réunit les éléments divers d'une intui- tion donnée. Or toute réunion de représentations exige l'unité de la conscience dans la synthèse de ces repré- sentations. L'unité de la conscience est donc ce qui seul constitue le rapport des représentations à un objet, c'est- à dire leur valeur objective; c'est elle qui en fait des con- naissances, et c'est sur elle par conséquent que repose la possibilité même de l'entendement.
La première connaissance pure de l'entendement, celle sur laquelle se fonde tout l'autre usage de cette faculté, et qui en même temps est entièrement indépendant de toutes les conditions de l'intuition sensible, est donc le principe de l'unité originaire synthétique de l'aperception. Ainsi l'espace, simple forme de l'intuition sensible exté- rieure, n'est pas encore une connaissance; il ne fait que donner pour une connaissance possible les cléments divers de l'intuition à priori. Mais, pour connaître quel- que chose dans l'espace, par exemple une ligne, il faut que je la tire, et qu'ainsi j'opère synthéliqucment une
i. L'espace et le temps et toutes leurs parties sont des intui- tions,]ia.r conséquent des représentations particulières comme la (llversild qu'ils renferment (Voy. F/Hstlielique Iranscendantale). (Iti ne sont donc, pas do siin|»lcs conropts au moyen desipiels la jnômo conscience soit trouvée contenue dans plusieurs représenta- tions, mais co sont plusieurs représentations que Ion trouve con- tenues en une seule et dans la conscience que nous en avons, et î>ar conséquent liées ensemble, dort il suit (juo l'unité de la cons- cience se prosente a nous comme st/nthétiquc et en mùme temps comme originaire. Cette particularité est importante dans lap- plicalioD (Voy. § 25j.
142 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
liaison déterminée des éléments divers donnés ; de telle sorte que l'unité de cet acte est en même temps l'unité delà conscience (dans le concept d'une ligne) et c'est par là d'abord que je connais un objet (un espace déterminé). L'unité synthétique de la conscience est donc une condi- tion objective de toute connaissance; non seulement j'en ai besoin pour connaître un objet, mais aucune intuitioi! ne i^eut devenir un objet pour moi que sous cette condi- tion ; autrement, sans cette synthèse, le divers ne s'unirail pas en une conscience.
Cette dernière proposition est même, comme il a été dit, analytique, quoiqu'elle fasse de l'unité synthétique h condition de toute pensée. En effet, elle n'exprime rien autre chose sinon que toutes mes représentations, dans quelque intuition que ce soit, sont nécessairement sou- mises à la seule condition qui me permette de les attri- buer, comme représentations miennes, à un moi iden- tique, et en les unissant ainsi synthétiq"uement dans une seule aperception, de les embrasser sous l'expression générale : je 2^ense.
Mais ce principe n'en est pourtant pas un pour tout enten- dement possible en général ; il ne l'est que pour celui à qui, dans cette représentation : je suis, l'aperception pure ne fournit pas encore de divers. Un entendement qui, par la [seule] conscience [qu'il aurait] de soi, fournirait en même temps les éléments divers de l'intuition, un entendcm(*nt qui, en se représentant des objets, donnerait du même coup l'existence à ces objets de sa représentation, n'aurait pas besoin d'un acte particulier qui synthétisât le divers dans l'unité de la conscience, comme celu^. qu'exige l'enten- di-raent humain, lequel n'a pas la faculté intuitive, mais seulement celle de penser. Pour celui-ci, le principe énoncé en est bien un indispensable, et il Test si bien que nous ne saurions nous faire le moindre concept d'un autre entendement possible, soit d'un entendement qui serait lui-même intuitif, soit d'un entendement qui aurait pour fondement une intuition sensible, mais d'une tout autre espèce que celle qui se manifeste sous la forme de l'espace et du temps.
I
ANALYTIQUE TKAx\SGENDANTÀLE i43
§ 18.
Ce '-[uu c cbl que l unité objective de la conscience de soi-même.
L'unité transcendantale de l'aperception eat celle qui réunit dans le concept d'un objet tout le divers donné dans une intuition. Aussi s'appelle-t-eile objective et. il faut la distinguer de cette unité subjective de la cons- cience qui est une détermination du sens intime par la- quelle sont empiriquement donnés, pour être ainsi liés, les divers éléments de l'intuition. Que je puisse avoir empiriquement conscience de ces éléments divers comme simultanés ou comme successifs, c'est ce qui dépend de circonstances ou de conditions empiriques. L'unité empi- rique de la conscience, par le moyen de l'association des représentations, se rapporte donc elle-même à un phéno- mène, et elle est tout à l'ait contingenté. Au contraire, la forme purcde l'intuition dans le temps, comme intuition en général contenant divers éléments donnés, n'est soumise à l'unité originaire de la conscience que par le rapport nécessaire qui relie les éléments divers de l'intuition à un : je pense, c'est-à-dire par la syntiièse pure de l'en- tendement, servant à priori de principe à la synthèse empirique. Cette unité a seule une valeur objective; l'unité empirique de l'aperception, que nous n'examinons pns ici, et qui d'ailleurs dérive de la première sous des conditions données in concreto, n'a qu'une valeur subjec- tive. Un homme joint à la représentation d'un mot une certaine chose, tandis qu'un autre y attache autre cliose ; l'unité de la conscience, dans ce qui est ompirique, n'a point, relativement à ce qui est donné, une valeur néces- saire et universelle.
144 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
§19.
La forme logique de tous les jugements consiste dans V unité objective de Vaperception des concepts qui y sont contenus.
Je n'ai jamais pu me satisfaire de la définition que les logiciens donnent du jugement en général, en disant que c'est la représentation d'un rapport entre deux concepts. Je ne leur reprocherai pas ici le défaut qu'a cette délini- tion de ne s'appliquer en tout cas qu'aux jugements catégoriques et non aux jugements hypothétiques et dis- jonctifs (lesquels n'impliquent pas seulement un rapport de concepts, mais de jugements même) : mais en laissant de côté cette méprise de la logique (quoiqu'il en soit résulté bien des fâcheuses conséquences ^), je me bornerai à faire remarquer qu'on ne détermine point ici en quoi consiste le rapport dont on parle.
Mais en c^ierchant [à déterminer] plus exactement le rapport des connaissances données dans chaque jugement, et en distinguant ce rapport, propre à l'entendement, de celui [qui se fait] suivant les lois de l'imagination repro- ductrice (lequel n'a qu'une valeur subjective), je trouve qu'un jugement n'est autre chose qu'une manière de ramener des connaissances données à l'unité objective de l'aperception. La fonction que remplit dans ces jugements la copule est est de distinguer l'unité objective des repré- sentations données de leur unité subjective. En effet, elle désigne le rapport de ces représentations à l'aperception
*.. La long\ie théorie des quatre figures syllogistlqucs ne con- cerne que les raisonnements catégoriques : et, quoiqu'elle ne suit pas autre cliose qu'un art d'arriver, en déguisant des consé(iuencos iniiuédiates iconsequentiac imvieciiatae) sous les prémisses d'un raisonnement pur, à olî'rir l'apparence d'un plus grand nombre de raisonnements qu'il n'y en a dans la première ligure, elle n'aurait eu pourtant par cela seul aucun succès particulier, si elle n'était parvenue a faire reconnaître une autorité exclusive aux jugements catégoriques, comme ceux auxquels tous les autres doivent se rapporter, ce qui est faux d'après le § 9.
ANALYTIQUE TRANSGEiNbANTALE
origuHuie ei leur unité nécessaire, bien que le juj^eaunt Jui-rnème soit empiiiquo et par conséquent contingent, comnie colui-ci par exemple : les corps sont pesants. Je ne veux pas dire par là san^ doute que ces représentations 8c rapportent mcessdmmeni ies unes aux Quives dans l'in- tuition empirique, mais qu'elles se rapportent les unes aux autres dans la synthèse des intuitions grâce à ihmité nécessaire de l'aperception, c'est'à-dire suivant d^a prin- cipes qui déterminent objectivement toutes les représen- tations, de manière à en former une connaissance, et qui ix-mêmes dérivent tous de celui de l'unité transcendan- !e de l'aperception. G!eât ainsi seulement que de ce pport naît un jugement, c'est-à-dire un rapport quia lie valeur objective et qui se distingue assez de cet autre ipport des mômes représentations dont la valeur est purement subjective, de celui, par exemple, qui se fonde $ur les lois de l'association. D'après ces dernières, je ne pourrais que dire ; quand je porte un corps, je sens une impression de pesanteur, mais non pas : le corps est pesant; ce qui revientà dire que ces deux représentations sont liées dans l'objet indépendamment de l'état du sujet, ! que ce n'est pas seulement dans la perception qu'elles jut associées (aussi souvent que cette perception puisse ' tre répétée.)
§20.
Tontea les intuilions sensibles sont soumises aux catégories comme aux seules conditions sous lesquelles le divers puisse en être ramené à l'unité de conscience.
La diversité donnée dans une intuition sensible renlr<^ Il cessairement sous l'unité synthétique originaire (!•' 1 (iperccjition, puisque ri<n<<(? de l'intuition n'ett p( <|ne par elle ^g 17). Or, Tarte de l'entendement par i . I'" divers de représentations données (que ce soient des iiiluilions ou deg concepts) est ramené à une aperception 11 général, est la fon<'tion logique des-jugaments (Jf lU)- mit.» iliv.Tvii't/v ,.,, |..,,,| ,i,,'<-||r «'st dMjuié'e dans iiii''
146 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
intuition empirique, est donc déterminée par rapport à l'une des fonctions logiques du jugement, et c'est par celle-ci qu'elle est ramenée à l'unité de conscience en général. Or les catégories ne sont pas autre chose que ces mêmes fonctions du jugement, en tant que la diversité d'une intuition donnée est déterminée par rapport à ces fonctions (§ 13). Ce qu'il y a de divers dans une intuition est donc nécessairement soumis à des catégories.
KSI. Uemarquç.
Une diversité contenue dans une intuition que j'appelle mienne est représentée par la synthèse de l'entendement comme rentrant dans l'unité nécessaire de la conscience de soi, et cela arrive parle moyen de la catégoriel Celle- ci montre donc que la conscience empirique d'une diver- sité donnée dans une intuition est soumise à une cons- cience pure à priori, de même que l'intuition empirique est soumise à une intuition sensible pure qui a également lieu à priori. — La proposition précédente forme donc le point de départ d'une déduction des concepts purs de l'enten- dement : comme les catégories ne se produisent que dans l'en- tendement Qi indépendamment de la sensibilité, je dois, dans cette déduction, faire abstraction de la manière dont est donné ce qu'il y a de divers dans une intuition empirique, pour ne considérer que l'unité que l'entendement y ajoute dans l'intuition au moyen de la catégorie. Dans la suite (§ 26) on montrera, par la manière dont l'intuition empi- rique est donnée dans la sensibilité, que l'unité de cette intuition n'est autre que celle que la catégorie prescrit, d'après le § 20 précédent, à la diversité d'une intuition donnée en général, et que par conséquent le but de la
1. La preuve se fonde sur la représentation de l'unité de l'intui- tion, par laquelle un objet est donné, unité qui imphque toujours une synthèse de la diversité donnée dans une intuition et qui con- tient déjà le rapport de cette diversité à l'unité de l'aperception.
ANALYTIQUE TRANSGENDANTALE 147
déduction n'est vraiment atteint qu'autant que la valeur à priori de cette catégorie est expliquée relativement à tous les objets de nos sens.
Mais il y a une chose dont je ne pouvais faire abstraction dans la démonstration précédente, c'est que les éléments divers d'e l'intuition doivent être donnés antérieurement à ia synthèse de l'entendement et indépendamment de cette synthèse, quoique le comment reste ici, indéterminé. En effet, si je supposais en moi un entendement qui fût lui-même intuitif (une sorte d'entendement divin, qui ne se représenterait pas des objets donnés, mais dont la représentation donnerait ou produirait les objets mêmes), relativement à une connaissance de ce genre, les caté- gories n'auraient plus de sens. Elles ne sont autre chose que des règles pour un entendement dont tout le pouvoir consiste dans la pensée, c'est-à-dire dans l'acte de rame- ner à l'unité de l'aperception la synthèse de la diversité donnée d'ailleurs dans l'intuition, et qui, par conséquent, ne connaît rien par lui-même, mats ne fait que lier et coordonner la matière de la connaissance, l'intuition, qui doit lui être donnée par l'objet. Mais, quant à donner en outre une raison de cette propriété qu'a notre entende- ment de n'arriver à l'unité de l'aperception à priori qu'au moyen des catégories, et tout juste de cette espèce et de ce nombre de catégories, c'est ce qui est tout aussi impos- sible que d'expliquer pourquoi nous avons précisément telles fonctions du jugement et non pas d'autres, et pour- quoi le temps et l'espace sont les seules formes de toute intuition possible pour nous.
§22.
La catégorie n'a d'autre usinje dans la connaissance des choses que de s'appliquer à des objets d'expérience»
Penser un objet et connaître un objet, ce n'est donc pas une soûle et même chose. La connaissance suppose en effet deux éléments : d'abord le concept, par lequel, en
44S CRITIQUE DE LA RAISON PURE
général, un objet est pensé (la catégorie), et ensuite rin tuitio]^, par laquelle il est donné. S'il ne pouvait y avoii d'intuition donnée qui correspondît au concept, ce concept serait tiien une pensée quant à la forme, mais sans aucur objet, et nulle connaissance d'une chose quelconque nt serait possible par lui. En effet, dans celte suppo^ilioit il n'y aurait et ne pourrait y avoir, que je sache, riui à qu* pût s'appliquer une pensée. Or, toute intuition possibi pour nous est sensible (esthétique); par conséquent 1 pensée d'un objet en général ne peut devenir en nous un connaissance, par le moyen d'un concept pur de l'entei: dément, qu'autant que ce concept se rapporte à desobjel des sens. L'intuition sensible est ou intuition pure (l'espar et lo temps), ou intuition empirique, de ce qui est imm diatement représenté comme réel par la sensation dai; l'espace et le temps. Nous pouvons acquérir par la déter- mination de la première des connaissances à priori d« certains objets (comme dans les mathématiques), mai ces connaissances ne concernent que la forme de c. objets, considérés comme phénomènes-, s'il peut y avoi des choses qui doivent être saisies par l'intuition dnn^ cette forme, c'est ce qui reste à décider. Par conséquent les concepts mathématiques ne sont pas des connaissances par eux-mêmes ; ils ne le deviennent que si l'on suppose qu'il y a des choses qui ne peuvent être représen- tées que suivant la forme de cette intuition sensible pun. Or /a.s c/io.ses ne sont données dans l'espace et dans le temps que comme perceptions (représentations accompagnées de sensation), c'est-à-dire au moyen d'une représentation empirique. Les concepts purs de l'entendement, même quand ils sont appliqués à des intuitions à priori (comme dans les mathématiques), ne procurent donc une connais- sance qu'autant que ces intuitions, et par elles les concepts de l'entendement, peuvent être appliqués à des intuitions empiriques. Les catégories ne nous fournissent donc de connaissance des choses au moyen de l'intuition, qu'autant qu'elles sont applicables «à l'intuition empirique, c'est-à- dire qu'elles servent seulement à la possibilité de la connaissance empirique. Or c'est cette connaissance que l'on nomme expérience. Les catégories n'ont donc d'usage
AXALYïiQUE TRANSCEiNDANTALE 141!
relatiremenl à la connaissance des choses, qu'autant que
ces clioses sont regardées comme des ol.i. (^ rr..vl».'.l•;.>tlr-.^ possible.
§23.
La, proposition précédente est de la plus grande impor- ttvnce ; car elle détermine îes limites de l'usage des con- cepts purs de l'entendement relativement aux objets, comme l'esthétique transcendantale a déterminé les limites de l'usage de la forme pure de notre intuition sen- sible. L'espace et le temps, comme conditions de la possi- bilité en vertu de laquelle des objets nous sont donnés, n'ont de valeur que par rapport aux objets des sens, et par conséquent à l'expérience. Au delà de ces limites ils ne représentent plus rien; car ils ne sont que dans les sens et n'ont aucune réalité en dehors d'eux. Les concepts purs de l'entendement échappent à cette restriction, et ils s'étendent aux objets de l'intuition en général; qu'elle soit ou non semblable à la nôtre, il n'importe, pourvu qu'elle soit sensible et non intellectuelle. Mais il ne nous sert de rien d'»Hendre ainsi les conc<'pts au delà de notre intuition sensible. Car nous n'avons plus alors que des concepts vides d'objets; et, si ces objets sont possibles OU impossibles, nous ne pouvons aucunement en juger par ces concepts, pures formes de la pensée dépourvues de réalité objective, puisque nous n'avons sous la main aucune intuition à laquelle puisse s'appliquer l'unit»' syn- thétique de l'aperception, seule chose que contiennent les concepts, et que c'est de cette manière qu'ils peuvent déterminer un objet. Notre intuition sensible et empirique est donc seule capable de leur donner un sens et une Vrileur.
Si donc on suppose donné l'objet d'une intuition non sensible, on petit sans doute le représontor par tous les pré^licats déjà contenus daiis cetlt- supposition, que rien de û€ qui appartient à /V«C?«7jmi sensiNc ne (ni (^urient; ainsi l'on dira qu'il n'est pas étendu ou qu'il n'est pas dans l'espace, que sa durée n'est pas celle du temps, qu'il ne
i50 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
peut y avoir en lui aucun changement (le changement étant une suite de déterminations dans le temps, etc.). Mais ce n'est pas posséder une véritable connaissance que de se borner à montrer ce que n'est pas l'intuition d'un objet sans pouvoir dire ce qu'elle contient. C'est que, dans ce cas, je ne me suis point du tout représenté la possibilité d'un objet pour mon concept pur, puisque je n'ai pu donner aucune intuition qui lui correspondit, et que j'ai dû me borner à dire que la nôtre ne lui convient point. Mais le principal, ici, c'est qu'aucune catégorie ne puisse jamais être appliquée à quelque chose de pareil, comme par exemple le concept d'une substance, c'est-à-dire de quelque chose qui peut exister comme sujet, mais jamais comme simple prédicat; car je ne sais point s'il peut y avoir quelque objet qui corresponde à cette détermination de ma pensée, à moins qu'une intuition empirique ne me fournisse un cas d'application. Nous reviendrons sur ce point dans la suite.
§24.
De Vapplication des catégories aux objets des sens en général.
Les concepts purs de l'entendement sont rapportés par cette faculté à des objets d'intuition en général, d'intuition sensible en tout cas, que ce soit d'ailleurs la nôtre ou toute autre ; mais précisément pour cette raison, ce ne sont là que de simples formes de la pensée^ qui ne nous font connaître aucun objet déterminé. La synthèse ou la liaison de la diversité qui y est contenue se rapportait uniquement à l'unité de l'aperception et elle était ainsi le principe de la possibilité de la connaissance à priori, ei tant qu'elle repose sur l'entendement, et par conséquenj elle n'était pas seulement transcendantale, mais aussi purement inteHectuellc. Mais comme il y a en nous priori une certaine forme de l'intuition sensible qui repose sur la réceptivité de notre capacité représentativi (de la sensibilité), l'entendement peut alors, comme un(
ANALYTIQUE TRANSCENDANT ALE 151
spontanéité, déterminer le sens intime, conformément à l'unité synthétique de Taperception, par les éléments divers de représentations données, et concevoir ainsi à priori l'unité synthétique de l'aperception des éléments divers de ïintuition sensible comme la condition à laquelle sont nécessairement soumis tous les objets de notre intui- tion (de l'intuition humaine). C'est ainsi que les catégories, ces simples formes de la pensée, reçoivent une réalité objective, et s'appliquent à des objets qui peuvent nous être donnés dans l'intuition, mais seulement à titre de phénomènes; car nous ne sommes capables d'intuition à priori que par rapport aux phénomènes.
Cette synthèse, possible et nécessaire à priori, du divers de l'intuition sensible, peut être appelée figurée {synthesis speciosa) par opposition à celle que l'on concevrait en appliquant la catégorie au divers d'une intuition en géné- ral, et qui est une synthèse intellectuelle, synthesis intellec- tualis.) Toutes deux sont transceudantales, non seulement parce qu'elles sont elles-mêmes à priori, mais parce qu'elles fondent à priori la possibilité d'autres connais- sances.
Mais, quand la synthèse figurée se rapport*^ simplement ,i l'unité synthétique originaire de l'aperception, c'est-à- dire à cette unité transcendantale qui est pensée dans les catégories, elle doit, par opposition à la synthèse purement intellectuelle, porter le. nom de synthèse transcendantale de Vimar/ination. L'imagination est la faculté de se représenter dans l'intuition un objet en son absence même. Or, comme toute notre intuition est sensible, l'imagination appartient à la sensibilité, en vertu de cette condition subjective qui seule lui permet do donner à un concept de l'entendement une intuition cor- respondante. Mais, en tant que sa synthèse est une fonc- tion de la spontanéité, laquelle est déterminante et non pas seulement, comme le sens, déterminahle, et que par conséquent elle peut déterminer à priori la forme du sens d'après l'unité de l'aperception, l'imagination est à ce titre un pouvoir de déterminer à priori la sensibilité; et la synthèse à laquelle elle soumet ses intuitions, conformé^ ment aux catégories, est la synthèse transcendantale da
152 CRITIQUE DE LA lUISON PURE
r imagination. Cette synthèse est un effet de Tentendement sur la sensibilité et la première application de cette faculté (application qui est en même temps le principe de toutes les autres) à des objets d'une intuition possible pour nous. Gomme synthèse figurée, elle se distingue de la synthèse intellectuelle, qui est opérée par le seul entendement, sans le secours de l'imagination. Je donne aussi parfois à l'imagination, en tant qu'elle est sponta- néité, le nom d'imagination pwductrict, dont la synthèse est soumise simplement à des lois empiriques, c'est-â* dire aux lois de l'association, et qui par conséquent ne concourt en rien par là à l'explication de la possibilité de la connaissance à priori et n'appartient pas à la philoso- phie transcendantâle, mais à la psychologie.
C'est ici le lieu d'expliquer le paradoxe que tout le monde a dvi remarquer dans l'exposition de la forme du sens intime (§ 0). Ce paradoxe consiste à dire que le sens intime ne nous présente nous-mêmes à la conscience que comme nous nous apparaissons et non comme nous sommes en nous-mêmes, parce que notre seule intuition de nous-mêmes n'est autre que celle de la manière dont nous sommes intérieurement ûffettcs. Or cela semble contradictoire, puisque nous devrions alors nous consi- dérer comme des êtres passifs. Aussi, dans les systèmes de psychologie, a-t-on coutume de donner comme iden- tiques le sens intime et la faculté de Vaperception {qMe nous distinguons soigneusement).
Ce qui détermine le sehs intime, c'est l'entendement et sa faculté originaire de relier les cléments divers de l'in- tuition, c'est-à-dire de les ramener à une aperception (comme au principe même sur lequel repose la possibi- lité de cette faculté). Mais, comme l'entendement n'est pas chez nous autres hommes une faculté d'intuition, el que, cette intuition fiU-elle donnée dans la sensibilité, il ne peut cependant pas se l'assimiler de manière à relier en quelque sorte les éléments divers de sa propre intuition, sa synthèse, si on le considère en lui-même, n'est autre chose que l'unité de l'acte dont il a conscience, comme tel, même sans le secours de la sensibilité, miws par
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 153
lequel il est îui-mème capable de d(^terminer intérieure- ment la sensibilité par rapport à la diversité que celle-ci peut lui donner dans la Torme de son intuition. Sous le nom de synthèst: transcenduntak ik Cimaqinmion, il
xcerce donc sur le sujet fxissify dont il est la faculté, me action telle que nous avons raison de dire que le
'ns intime en est affecté. Tants'en faut que l'aperception
■t son unité synthétique soient identiques au sens intime, <|u'au contraire, comme source de toute liaison, la pre- mière se rapporte, sous le nom des catégories, à la diver- sité à^sintuilîons en général, antérieurement à toute intui- tion sensible des objets, tandis que le sens intime contient la simple forme de l'intuition, mais sans aucune liaison du divers qui est en elle, et que par conséquent il ne ren- IVrnie encore aucune intuition déterminée. Colle-ci n'est
ossible qu'à la condition que le sens intime ait cons- ' icnce d'être déterminé par cet acte transcendantal de l'imagination (ou par celle influence synthétique de l'en- ' ndcment sur lui) que j'ai appelé syntiièse figurée.
C'est d'ailleurs ce que nous observons toujours en nous. NOUS ne pouvons penser une ligne sans la frtxccv dans la P :nsée, un cercle sans le iiécrUx; nous ne saurions non plus nous représenter les trois dimensions de l'espace sans tirer d'un môme point trois lignes perpendiculaires entre elles. Nous ne pouvons même pas nous représenter le temps sans tirer une ligne droite (qui doit être la représentation extérieure et figurée du temps), et sans porter en même temps notre attention sur l'acte de la -ynlhèse des éléments divers, par lequel nous déteimi- iions successivement le sens intime, et par là sur la suc- ' «ssion de celte détermination qui a lieu en lui. Ce qui produit d'abord le concept de la succession, c'est le mou- v^inenl, comme acte du sujet (non comme détermina- tion d'un objet '), et par conséquent la synthèse des élé-
\. Le mouvoment d'un ohjct dans l'cspïicft n'Jippartifnt pas à tiiiescionce pure, et par ronséquenl a la ^'romotrio : car nous rif pouvons nns savoir à priori, mais stnilonienl par o\pori<>nrc, (pio quolipie chose t'st mobile. Mais le mon\-e»neni. cyMVAXW drscription (Vnn t»sparr. est un aôtn pur <tc la s\nU»rse siircoss»v<^ oihtov |>Mr 1 imagination reproductrice entre les cléments divers contenus
ÎS4 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
ments divers [représentés] dans l'espace, lorsque nous faisons abstraction de cet espace pour ne considérer que l'acte par lequel nous déterminons le sens intime confor- mément à sa forme. L'entendement ne trouve donc pas dans le sens intime ce^te liaison du divers, mais c'est lui qui la produit en affectant ce sens. Mais comment le moi, le ie pense peut-il être distinct du moi qui s'aperçoit lui- même (je puis me représenter au moins comme possible un autre mode d'intuition), tout en ne formant avec lui qu'un seul et même sujet? En d'autres termes, comment puis-j dire quemoi, comme intelligence et suiet pensant, je neme connais moi-même comme objet pense, en tant que je suis en outre donné à moi-même dans l'intuition, que comme je connais les autres phénomènes, non pas tel que je suis dans l'entendement, mais tel je m'aperçois ? Cette question ne soulève ni plus ni moins de difficultés que celle de savoir comment je puis être en général pour moi-même un objet et même un objet d'intuition et de perceptions intérieures. Il n'est pas difficile de prouver qu'il doit en être réellement ainsi, dès qu'on accorde que l'espace n'est qu'une forme pure de phénomènes des sens extérieurs. N'est-il pas vrai que, bien que le temps ne soit pas un objet d'intuition extérieure, nous ne pouvons pas nous le représenter autrement que sous l'image d'une ligne que nous tirons, et que sans ce mode de représentation, nous ne saurions reconnaître l'unité de sa dimension? N'est-il pas vrai aussi que la détermination de la longueur du temps ou encore des époques, pour toutes les perceptions intérieures, est toujours tirée de ce que les choses extérieures nous pré- sentent de changeant, et que par conséquent les détermi- nations du sens intime, comme phénomènes, doivent être ordonncM?s dans le temps exactement de la même manière que nous ordonnons celles des sens extérieurs dans l'es- pace ? Si on accorde que ces derniers ne nous font connaître les objets qu'autant que nous sommes intérieurement afTec-
dans rintuition cxtërieure en général, et il n'appartient pas seu- loiiK^nl à la géométrie mais encore à la philosophie transcendan- talo.
i
ANALYTIQUE TRANSCENDAxMALE 155
tés, il faudra bien admettre aussi, au sujet du sens intime, qu'il ne nous permet de nous saisir nous-mêmes par intui- tion que comme nous sommes intérieurement all'ectés par nous-mêmes, c'est-à-dire qu'en ce qui concerne l'intuition intérieure, nous ne connaissons notre propre sujet que comme phénomène et non dans ce qu'il est en soi *,
vl25.
Au contraire, dans la synthèse transcendantale de la diversité des représentations en général, et par conséquent dans l'unité synthétique originaire de l'aperception, j'ai conscience de moi non pas tel que je m'apparais, ni tel que je suis en moi-même, mais j'ai seulement conscience que je suis. Cette reprcuentution est une pensée, non une intuition. Mais comme la connaissance de nous-mêmes exige, outre l'acte de la pensée qui ramène les éléments divers de toute intuition possible à l'unité: de l'apercep- tion, un mode déterminé d'intuition par lequel sont donnés ces éléments divers, ma propre existence n'est pas sans doute un phénomène (encore moins une simple appa- rence), mais la détermination de mon existence - ne peut
4. Je ne vois pas comment on peut trouver tant de difllcultés a admettre que le sens intime est allecte par nous-mêmes. Tout acte (Vatlention peut nous en fournir un exemple. L'entendement y détermine toujours le sens intime conformément à la liaison qui! pense, à l'intuition interne qui correspond à la diversité contenue dans la synthèse de l'entendement. Chacun peut observer on lui-mOme combien souvent l'esprit est allecte de cette la(;on.
i. Le : je 'pense exprime l'acte par lequel je détermine mon exis- tence. L'existence est donc déjà donnée par la, nuiis non la manit re dont je dois dolcrmincr cette existence, c'est-à-dire dont je dois poser en moi les éléments divers qui lui appartiennent. Il faut pour cela une intuition de soi-même, qui a pour fondement une forme donnée à priori, c'est-à-dire le temps, lequel est sensible et appar- tient à la réceptivité du sujet à déterminer Si donc je n'ai pas en outre une autre intuition de moi-môme «pii donne ce qu'd y a en moi de déterminant, déterminant dont la conscience ne me fait connaître que la spontanéité, et (pii I» donne avant lacte de la délorminalion. tout comme le lemias donne ce <iui est determinable, je ne puis déterminer mou existence comme celle d'un être spon-
io6 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
avoir lieu que selon la forme du sens intime et d'après la manière particulière dont les éléments divers que je lie sont donnés dans l'intuition interne, et par conséquent je ne me connais nullement comme /«suis, mais seulement comme je m'apparais à moi-même. La conscience de soi- même est donc bien loin d'être une connaissance de soi- même, malgré toutes les catégories qui constituent la pensée d\in objet en général, en reliant le divers en une aperception. De même que pour connaître un objet dis- tinct de moi, il me faut, outre la pensée d'un objet en général (dans la catégorie), une intuition par laquelle je détermine ce concept général ; ainsi la connaissance de moi-môme exige, outre la conscience ou indépendam- ment de ce que je pense, une intuition du divers qui est en moi et par laquelle je détermine cette pensée. J'existe donc comme une intelligence qui a simplement cons- cience de sa faculté de synthèse, mais qui, par rapport au divers qu'elle doit lier, étant soumise à une condition restrictive nommée le sens intime, ne peut rendre cette liaison perceptible que suivant des rapports de temps, lesquels sont tout à fait en dehors des concepts de l'en- tendement proprement dit, D'oii il suit que cette intelli- gence ne peut se connaître elle-même que comme elle s'apparaît au point de vue d'une certaine intuition -qui ne peut être intellectuelle et que l'entendement lui-même ne saurait donnei:,), et non comme elle se connaîtrait si son intuition était intellectuelle.
§26.
Déduction trmiscenduntûie de Viisage expérimental qu'on peut faire ginéraiement des concepts purs de ^entendement.
Dans la déduction métaphysique, nous avons prouvé en
lané: mais je no lais que me re|)ï-éseïiter !a spontanéité d' m t pensée, c'est-ii-dire de niv^n acte de délennînatlon. el mon exisleuce n'est jamais d^ètonuinable que. dniie manière sensible, c'est-à-dire comme Texistonre d'un phénOnène. Celte spontanoito fait pour- tant que je mappelle une inlctliycucc.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 157
g^^nôral l'origine à pHoH des catégories par leur accord parfait avec les fonctions logiques universelles de la pensée; dans la dt^duction iramcendantale, nous avons exposé la possibilité de ces catégories considérées corame connaissances à prion d'objets d'intuition en général (§ 20-21). 11 s'agit maintenant d'expliquer comment, par te moyen des catégories, les objets qui ne sauraient se pré- senter qu'à nos sens peuvent nous être connus à priori, et cela non pas dans la forme de leur intuition, mais dans les lois de leur liaison, et comment par conséquent nous pouvons prescrire en quelque sorte à la nature sa loi et môme la rendre possible. En effet, sans cette application des cat<''gories, on ne comprendrait pas comment tout ce qui peut seulement s'offrir aux sens doit être soumis aux lois qui dérivent à priori du seul entendement.
Je ferai remarquer d'abord que j'entends par synthèse de r appréhension cette réunion des éléments divers d'une intuition empirique qui rend possible la perception, c'est- à-dire la conscience empirique de cette intuition (conime pliénomèno).
Nous avons dans les représentations de l'espace et du temps des formes à priori de l'ijituition sensible, tant •'xterne qu'int»'rno, et la synthèse de l'appréheusion des éléments divers du phénomène doit toujours être en bar- nionie avec ces formes, puisqu'elle ne peut elle-mêmo avoir lieu que suivant elles. Mais l'espace et le temps ne sont pas seulement représentés à priori comme des formes de l'intuition sensible, mais comme des intuitions mémos (qui contiennent une diversité), et par conséquent .ivec la détermination de l'unité dos éléments divers qui y sont contenus (voyez l'Esthétique transcondantale) *. Avec
*. L'rtspaoo, représentô pomnio objet (ainsi que cela osl récllenuM»! nécessaire dans lu K'»''>ui(^lrie), oonliont plus que la j^i'-'ci." t^Mc (le l'intulllon, il «-onlient hi synthèse en uno nqireseï i tire (les olomonts divers donnés suivant la forme de 1 ,io.
d« tello sorle que la forme de iintuition Uonnû unitjuu.u'.'ul la divrrsile, et Vintuition formelle l'uniU- do la represenlalion. 61 dans l'ostluilique |:il attril)ué siniplemenl cctle unile a la sensi- l>ilil«\ c'eJail uni<nuMnenl pour indiquer (luello est anlerioure à tout eoneopl. bien (|u'olle supp«»so uuo synthèse qui n appartient l*oint aux sens, mais qui rend d'abord pubuibles loua lei concepts
158 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
(je ne dis pas : dans) ces intuitions est donc déjà donnée à priori, comme condition de la synthèse de toute appré- hension, l'unité même de la synthèse du divers qui se trouve hors de nous ou en nou?, et par conséquent aussi une liaison à laquelle est nécessairement conforme tout ce qui doit être représenté d'une manière déterminée dans l'es- pace et dans le temps. Or cette unité synthétique ne peut être autre que celle de la liaison dans une conscience originaire des éléments divers d'une intuition donnée en général, mais appliquée uniquement, conformément aux catégories, à notre intuition sensible. Par conséquent, toute synthèse par laquelle la perception même est possible est soumise aux catégories; et, comme l'expérience est une connaissance formée de perceptions liées [entre elles], les catégories sont les conditions de la possibilité de l'expérience, et elles sont donc aussi valables à priori pour tous les objets de l'expérience.
Quand donc de l'intuition empirique d'une maison, par exemple, je fais une perception par l'appréhension de ses éléments divers, Vunilc nécessaire de l'espace et de l'intuition sensible extérieure en général me sert de fon- dement, et je dessine en quelque sorte la forme de cette maison conformément à cette unité synthétique des élé- ments divers dans l'espace. Or cette même unité synthé- tique, si je fais abstraction de la forme de l'espace, a son siège dans l'entendement, et elle est la catégorie de la synthèse de l'homogène dans une intuition en général, c'est-à-dire la catégorie de la quantité. La syntlièse de l'appréhension, c'est-à-dire la perception, lui doit donc être entièrement conforme K i
d'espace et de temps. En effet, puisque par cette synthèse (où l'en- tendement détermine la sensibilité) l'espace et le temps sont donnés d'abord comme des intuitions, l'unité de cette intuition à priori appartient à l'espace et au temps, et non au concept de l'enten- dement (§ 20).
1. On prouve de cette manière que la synthèse de l'appréhension, qui est empirique, doit être nécessairement conforme à la synthèse de l'aperception, qui est intellectuelle et contenue tout à fait à priori dans la catégorie. C'est une seule et même spontanéité qui, là sous le nom d'imagination, ici sous celui d'entendement, intro- duit la liaison dans les éléments divers de l'intuition.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 159
Lorsque (pour prendre un autre exemple) je perçois la congélation de l'eau, j'appréhende deux états (celui de la fluidité et celui de la solidité) comme étant unis entre eux par un rapport de temps. Mais dans le temps, que je donne pour fondement au phénomène, considéré comme intuition interne ^ je me représente nécessairement une unité synthétique des états divers ; autrement la relation dont il s'agit ici ne pourrait être donnée dans une intui- tion d'une manière déterminée (au point de vue de la suc- cession). Or cette unité synthétique, considérée comme la condition à priori qui me permet de lier les éléments divers d'une intuition en (jénéral, et abstraction faite de la forme existante de wion intuition interne, ou du temps, est la catégorie de la cause, par laquelle je détermine, en l'appliquant à la sensibilité, toutes les choses qui arrivent quant à leur relation dans le temps en général. L'appré- hension dans un événement de ce genre, et par consé- quent cet événement lui-même, relativement à la possi- bilité de la perception, est donc soumis au concept du rapport des effets et des causes. Il en est de même dans tous les autres cas.
Les catégories sont des concepts qui prescrivent à priori des lois aux phénomènes, par conséquent à la nature, considérée comme l'ensemble de tous les phénomènes {natura materialiter spectata) . Or, puisque ces catégories ne sont pas dérivées de la nature et qu'elles ne se règlent pas sur elle comme sur leur modèle (car autrement elles seraient purementempiriques), il s'agit de savoir comment l'on peut comprendre que la nature [au contraire] se règle nécessairement sur ces catégories, ou comment elles peuvent déterminer à priori la liaison des éléments divers de la nature, sans la tirer de la nature même. Voici la solution de cette énigme
L'accord nécessaire des lois des phénomènes de la nature avec l'entendement et avec sa forme à priori, c'est- à-dire avec sa faculté de lier leséléments divers engénéral, n'est pas plus étrange que celui des phénomènes eux- mêmes ^vec la forme à prion de l'intuition sensible. En effet les lois n'existent pas plus dans les phénomènes qud
i60 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
les phénomènes eux-mêmes n'existent en soi, et les pre- miers ne sont que relativement au sujet auquel les phéno- mènes sont inhérents, en tant qu'il est doué d'entende- ment, comme les seconds ne sont que relativement au même sujet, en tant qu'il est doué de sens. Les choses en soi seraient encore nécessairement soumises à des lois quand même il n'y, aurait pas d'entendement qui les connût; mais Jes phénomènes ne sont que des représen» tations de choses dont nous ne pouvons connaître ce qu'elles sont on- soi. Comme simples représentations, ils ne sont soumis à aucune autre loi de liaison qu'à celle que prescrit la faculté qui relie. Or, la faculté qui relie les éléments divers de l'intuition sensible est l'imagination, laquelle dépend de l'entendement pour l'unité do sa synthèse intel- lectuelle, et de la sensibilité pour la diversité des éléments de l'appréhension. Or, puisque toute perception possiblo dépend de la synthèse de l'appréhension, et que celle synthèse empirique elle-même dépend de la synthèse transcendantale, par conséquent des catégories, toutes les perceptions possibles, par conséquent aussi tout ce qui peut arriver à la conscience empirique, c'est-à-dire tous les phénomènes de la nature doivent être, quant à leur liaison, soumis aux catégories, et la nature (considérée siniplomcnt comme nature en général, ou en tant que 7%atiira formaliter spectata) dépend décos catégories comme du fondement originaire de sa conformité nécessaire à des lois. Mais la faculté de l'entendement pur de prescrire des lois (It priort aux phénomènes, parses seules catégories, n'en saurait prescrire un plus grand nombre que celles sur lesquelles repose une nature en général, considérée comme ensemble de phénomènes soumis à des lois dans l'espace et dans le temps. Des lois particulières, concer- nant des phénomènes donné» empiriquement, sont sans doute soumises à ces catégories, mais elles ne peuvent pas en être tirées complètement. 11 faut donc le secours de l'expérience pour apprendre à connaître ces dernières lois en fjénéral ; mais les premières seules nous instruisent à priori de l'expérience en général et de ce qui peut être connu comme objet d'expérience. ^
AxNALYTIQUE TRANSCENDANTALE 161
§27. Résultat de cette déduction des concepts de l'entendement.
Nous ne pouvons penser aucun objet que par le moyen (les catégories, et nous ne pouvons connaître aucun objet lionsé que par le moyen d'intuitions correspondantes à ces ' «Hicepts. Or toutes nos intuitions sont sensibles, et celte < onnaissance, en tant que l'objet en est donné, est empi- rique. C'est cette connaissance empirique qu'on nonmie expérience. /"/ n'y a donc de connaissance à priori possible pour nous que celle d'objets d'expérience possible^.
Mais cette connaissance, qui est restreinte aux seuls objets de l'expérience, n'est pas pour cela dérivée tout en- tière de l'expérience ; elle contient aussi des éléments qui se trouvent en nous à priori : tels sont les intuitions pures et les concepts purs de l'entendement. Or il n'y a que deux manières de concevoir un accord nécessaire de l'expé- rience avec les concepts de ces objets: ou bien c'est l'expé- rience qui rend possibles les concepts, ou bien ce sont les concepts qui rendent possible l'expérience. La première explication ne peut convenir aux catégories (ni même à l'intuition sensif)Ie pure), puisque les catégories sont des concepts à priori, et que par conséquent elles sont indt's pendautes de l'expérience (leur attribuer une origine em- pirique serait admettre une sorte de generatio aequivoca). Reste donc la seconde explication (qui est comme le
1. Pour que l'on no se scandalise pas trop vite des conséquences fâcheuses et inquiétantes do cette proposition, je veux faire ici cette simple observation : c'est que les catégories dans Ja pemt'c ne sont pas bornées par les conditions de notre intuition sensible, mais qu'elles ont un champ illimité, et que seule la connaissance df co ([ue nous pensons, ou la détermination de lobjet, a besoin d'in- tuition. En l'absence do cette intuition, la pensée de l'objet p«»ut encore avoir ses conséquences vraies et utiles relativement a lV(5rtfircque le sujet fait do la raison ; mais conuno cet usajre ne so rapporte pas toujours à la détermination de l'objet, et par conséquent do la connaissance, mais aussi à celle du sujet et '!< sa volonté, le moment n'est pas encore venu don parler.
r. ~ M
162 CRITIQUE DE LA hAi5)U>i PURE
système de Vépigenèse de la raison pure), à savoir que les catégories contiennent, du côté de Fentendement, les prin- cipes de la possibilité de toute expérience en général. Mais comment rendent-elles possible l'expérience, et quels principes de la possibilité de l'expérience fournissent- elles dans leur application à des phénomènes? C'est ce que fera mieux voir le chapitre suivant, qui roule sur l'usage transcendantal du jugement.
Si quelqu'un s'avise de proposer une route intermé- diaire entre les deux que je viens d'indiquer, en disant que les catégories ne sont ni des premiers principes à priori de notre connaissance spontanément conçus, ni des principes tirés de l'expérience, mais des dispositions sub- jectives à penser qui sont nées en nous en môme temps que l'existence, et que l'auteur de notre être a réglées de telle sorte que leur usage s'accordât exactement avec les lois de la nature suivant lesquelles se déroule l'expé- rience (ce qui est une sorte de système de préformation de la raison pure), [il est facile de réfuter ce système] : (outre que, dans une telle hypothèse, on ne voit pas de terme à la supposition de dispositions prédéterminées pour des jugements ultérieurs), il y a contre ce prétendu système un argument décisif, c'est qu'en pareil cas, les catégories n'auraient plus cette nécessité qui est essentiel- lement inhérente à leur concept. En effet, le concept de la cause, par exemple, qui exprime la nécessité d'une conséquence pour une condition présupposée, serait faux, s'il ne reposait que sur une nécessité subjective arbitraire et innée qui nous forcerait de lier certaines représentations empiriques Suivant un rapport de ce genre. Je ne pourrais pas dire : l'effet est lié à la cause dans l'objet (c'est-à-dire nécessairement), mais seulement: je suis fait de telle sorte que je ne puis concevoir cette représentation autrement que liée ainsi à une autre. Or c'est cela même que demande surtout le sceptique. Alors, en effet, toute notre connaissance, fondée sur la préten- due valeur objective do nos jugements, ne serait plus qu'une pure apparence, et il ne manquerait pas de gens qui n'avoueraient pas cette nécessité subjective (laquelle doit «Mre sentie); du moins ne pourrait-on discuter avec
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 163
personne d'une chose qui dépend uniquement de Torga- •"'-^ation du sujet.
Résumé rapide de cette discussion.
Elle consiste à exposer les concepts purs de l'entende- ment {et avec eux toute la connaissance théorique à priori) comme principes de la possibilité de l'expérience, en regardant celle-ci comme la détermination des phénomènes dans l'espace et dans le temps en général — et en la tirant enGn du principe de l'unité synthétique originaire de l'aperception, comme de la forme de l'entendement dans son rapport avec l'espace et le temps, ces formes origi- naires de la sensibilité.
Jusqu'ici, j'ai cru nécessaire de diviser mon travail en paragraphes, parce qu'il roulait sur des concepts élé- mentaires; mais .maintenant qu'il s'agit d'en montrer l'usage, l'exposition pourra se d<'*velopper en une chaîne continue sans avoir besoin de paragraphes.
LIVRE DEUXIEME Analytique des principes.
La logique générale est construite sur un plan qui s'accorde exactement avec la division des facultés supé- rieures de la connaissance, qui sont ^entendement, le jugement et la raison. Cette science traite donc, dans son analytique, des concepts, des jugements et des raisonne- ments, suivant les fonctions et Tordre de ces facultés de l'esprit que l'on comprend sous la dénomination large d'entendement en général.
Comme la logique purement formelle dont nous parlons ici fait abstraction de tout contenu de la connaissance (de la question de savoir si elle est pure ou empirique), et ne s'occupe que de la forme de la pensée en général (de la connaissance discursive), elle peut renfermer aussi dans sa partie analytique un canon pour la raison, puisque la forme de cette faculté a sa règle certaine, que l'on peut apercevoir à priori, en décomposant les actes de la raison en leurs moments, et sans qu'il y ait besoin de faire attention à la nature particulière de la connais- sance qui y est employée.
Mais la logique transcendantale, étant restreinte à un contenu déterminé, c'est-à-dire uniquement à la connais- sance pure à priori, ne saurait suivre la première dans sa division. On voit, en effet, que Cusage transcendantal de la raison n'a point de valeur objective, et par rons(*qucnt n'appartient pas à la logique de la vérité, c'est-à-dire à l'analytique, mais que, comme logique de l'apparence, elle
166 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
réclame, sous le nom de dialectique transcendantale, une partie spéciale de l'édifice scolastique.
L'entendement et le jugement trouvent donc dans la logique transcendantale le canon de leur usage objecti- vement valable, donc de leur usage vrai, et c'est pourquoi ils appartiennent à la partie analytique de cette science. Mais quand la raison tente de décider à priori quelque chose touchant certains objets, et d'étendre la connais- sance au delà des limites de l'expérience possible, elle est tout à fait dialectique, et ses assertions illusoires ne conviennent point du tout à un canon comme celui que doit renfermer l'analytique.
L'analytique des principes sera donc simplement un canon pour le jugement; elle lui enseigne à appliquer à des phénomènes les concepts de l'entendement, qui con- tiennent la condition des règles à priori. C'est pourquoi, en prenant pour thème les principes propres de l'entende- ment, ]& me servirai de l'expression de doctrine du juge- ment, qui désigne plus exactement ce travail.
INTRODUCTION Du jugement transcendantal en général.
Si l'on définit l'entendement on général la faculté des règle», le jugement sera la faculté de subsumer souk des règles, c'est-à-dire de décider si quelque chose rentre ou non sous une règle donnée {casu8 datae leyis). La logique générale ne contient pas de préceptes pour le jugement, et n'en peut pas contenir. En effet, comme elle fait abstraction de tout contenu de In connaissance, il ne lui reste plus qu'à exposer séparément, par voie d'analyse, la simple forme de la connaissance dans les concepts, les jugements elles raisonnements, et qu'à établir ainsi les règles formelles de tout usage de l'entondenient. Que si elle voulait montrer d'une manière générale commehl on «loit subsumer sous ces règles, c'est-à-dire rlécider si quelque chose y rentre ou non, elle ne le pourrait à son tour qu'au moyen d'une règle. Or, cette règle, par cela même qu'elle serait une règle, exigerait une nouvelli; instruction du jugement; par où l'on voit que si ronlun- demont est susceptible d'être instruit et nourri par des règles, le jugement est un don particulier, qui ne peut pas être appris, mais seulement exercé. Aussi le juge- ment est-il le caractère distinctif «le ce qu'on nomme lo bon sens, et nu mnnquo do bon sens, aucune école no peiit suppléer. Elle peut bien offrir à un entendement borné une provision de règles et greffer en queli|ui» sorte sur lui des connaissances i Irangôres, mais il fnut qu»î l'élève possède déjà par lui-mAme la faculté de s'en
rvir exactement; et en l'absence de ce don de la
168 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
nature, il n'y a pas de règle qui soit capable de le pré- munir contre l'abus qu'il en peut faire <. Un médecin, un juge ou un homme politique peuvent avoir dans la tête beaucoup de belles règles pathologiques, juridiques et politiques, à un degré susceptible de faire d'eux de profonds professeurs en cette matière, et pourtant faillir aisément dans l'application de ces règles, soit parce qu'ils manquent de jugement naturel, sans manquer pour cela d'entendement, et que, s'ils voient bien le général m abstracto, ils sont incapables de décider si un cas y est contenu in concrcto, soit parce qu'ils n'ont pas été assez exercés à cette sorte de jugements par des exemples et des affaires réelles. Aussi la grande, l'unique utilité des exem.ples, est-elle d'exercer le jugement. Car, quant à l'exactitude et à la précision des connaissances de l'enten- dement, ils leur sont plutôt funestes en général; il est rare en effet qu'ils remplissent d'une manière adéquate la condition de la règle {comme casus in terminis) ; et en outre ils affaiblissent souvent cette tension de l'entende- ment nécessaire pour apercevoir les règles dans toute leur généralité et indépendamment des circonstances particulières de l'expérience, dans toute leur suffisance, de sorte que l'on finit par s'accoutumer à les em.pIoyer plutôt comme des formules que comme des principes. Les exemples sont donc pour le jugement comme une roulette pour l'enfant, et celui-là ne saurait jamais s'en passer auquel manque ce don naturel.
Mais, si la logique générale ne peut donner de préceptes au jugement, il en est tout autrement de la logique trans- ccndantale, à tel point que celle-ci semble avoir pour fonction propre de corriger et d'assurer le jugement par des règles déterminées dans l'usage qu'il fait de l'enten-
i. Le défaut de Jugement est proprement ce qu'on nomme stu- l)idité, et c'est \k un vice auquel il n'y a pas de remède. Une tète obtuse ou bornée, à laquelle il ne manque que le degré d'enten- dement convenable et des concepts qui lui soient propres, est susceptible, par l'instruction, de beaucoup d'érudition. Mais, comme le jugement secunda Pctri) manque aussi ordinairement en pareil cas, il n'est pas rare de rencontrer des hommes fort ins- truits, qui laissent fréquemment éclater, dans l'usage qu'ils font de leur science, cet irréparable défaut.
ANALYTIQUE TRAxXSCENDANTALE 169
dément pur. En effet, veut-on donner de l'extension à l'entendement dans le champ de la connaissance pure à priori, il semble qu'il soit bien inutile de revenir à la philosophie, ou plutôt que ce soit en faire un mauvais usage, puisque, malgré toutes les tentatives faites jusqu'ici, on n'a gagné que peu de terrain, ou même pas du tout; mais, [si l'on invoque] la philosophie, [non comme doc- trine, mais] comme critique, pour prévenir les faux pas du jugement [lapsus judicii) dans l'usage du petit nombre de concepts purs que nous fournit l'entendement, alors (bien que son utilité soit toute négative) elle se présente à nous avec toute sa pénétration et toute son habileté d'examen.
La philosophie transcendantale a ceci de particulier qu'outre la règle (ou plutôt la condition générale des règles) qui est donnée dans le concept pur de l'entende- ment, elle peut indiquer aussi en même temps à priori la cas où la règle doit être appliquée. D'où vient l'avantage qu'elle a sous ce rapport sur toutes les autres sciences instructives (les mathématiques exceptées)? En voici la raison. Elle traite de concepts qui doivent se rapporter à priori à leurs objets, et dont par conséquent la valeur objective ne peut pas être démontrée à posteriori, puis- qu'on méconnaîtrait ainsi leur dignité; mais en même temps il faut qu'elle expose, à l'aide de signes généraux mais suffisants, les conditions sous lesquelles peuvent être donnés des objets en harmonie avec ces concepts; autrement ils n'auraient point de contenu, et par consé- quent ils seraient de simples formes logiques et non des concepts purs de l'entendement.
(]ette doctrine transcendantale du jugement contiendra donc deux chapitres, traitant : le premier, de la condi- tion sensible qui seule permet d'employer des concepts purs de l'entendement, c'est-à-dire du schématisme de l'entendement pur; et le second, de ces jugements synlhé- ti<iues qui découlent à priori sous ces conditions des concepts purs de l'entendement et servent de fondement à toutes les autres connaissances à priori, c'est-à-dire des principes de l'entendement pur.
CHAPITRE ï
Du schématisme des conoepts purs de rentendement.
Dans toute subsomptioii d'un objet sous un concept, la représentation du premier doit être homoijèrn à celle du second, c'est-à-dire que le concept doit renfermer ce qui o&t représenté dans l'objet à y subsumer. C'est en effet co que l'on exprime en disant qu'un objet est enfermé sous un concept. Ainsi le concept empirique d'une assiette a quelque chose d'homogène avec le concept purement géo- métrique d'un cercle, puisque la forme rondo qui est pensée dans le premier se laisse percevoir par intuition dans le second.
Or, les concepts purs de l'entendement comparés aux intuitions empiriques {ou même en général sensibles), sont tout à fait hétérogènes, et ne sauraient jamais se trouver dans quelque intuition. Comment donc la 6ub- sompdon de ces intuitions sous ces concept», et par congé" quent l'application des catégories aux phénomènes, est^elle possible, puisque personne ne saurait dire que telle caté- gorie, par exemple la causalité, peut être perçue par le* sens et qu'elle est renfermée dans le phénomène? C'est cette question si naturelle et si importante qui fait qu'une doctrine transcendautale du jugement est nécessaire pour expliquer comment des concepts purs de C entendement peuvent s'appliquer cà des phénomènes en général. Dans toutes les autres sciences, où les concepts par lesquels l'objet est pensé d'une manière générale ne sont pas si
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 17i
cssentielleaient différents de ceux qui représentent cet objet m concrcto tel qu'il est donné, il n'est besoin d'au- cune explication particulière touchant l'application des premiers [les concepts] au second [l'objet],
Or, il est évident qu'il doit y avoir un troisième termo qui soit homogène, d'un côté, à la catégorie, et de l'autre, au phénomène, et qui rende possible l'application de la première au second. Cette représentation intermédiaire doit être pure (sans aucun élémen empirique), et pour- tant il faut qu'elle soit d'un côté intellectuelle, et de l'autre sensible. Tel est le schème Iransccndantal.
Le concept de l'entendement contient l'unité synthé- tique pure de la diversité en général. Le temps, comme condition formelle des représentations diverses du sons intime, et par conséquent de leur liaison, contient une diversité à priori dans l'intuition pure. Or, une détermina- tion transcendantale du temps est homogène à la catégorie (qui en constitue l'unité), en tant qu'elle est universelle et qu'elle repose sur une règle à priori. Mais d'un autre côté «die est homogène au phénomène, en ce sens que- le temps est impliqué ilans chacune des représentations empiriques de la diversité. Une application de la catégorie à des phénomènes sera donc possible au moyen de la détermi- nation transcendantale du temps; c'est cette détermina- tion qui, comme schème des concepts de l'entendement, sert à opérçr la gubsomption des phénomènes sous la catégorie.
Après ce qui a été établi dans la déduction des caté- gories, personne, je l'espère, n'hésitera plus sur la ques- tion de savoir si l'usage de ces concepts purs de reiitm- dement est simplement empirique ou s'il est aussi Irana- cendantal, c'est-à-dire s'ils ne se rapportent à p/ioW qu'aux phé'nomènos, comnie condition d'une t^xpérienci^ possible, ou s'il» peuvent s'éten<lre, comme conditions de la possi» bililé des choses on général, à de>» objets en soi (sans être restreints h notre sonsibilitVt., En effet nous avons vu qui> les concepts sont tout ;V t^it imposj^lbles et qu'ils ne peuvent avoir aucun sens, si un objet n'est pas donné, soit à ces concepts mémos, soit au moin;> aux éléments dont ils go composent, et que ]^nv «-onséqucnt ils ne peu-
172 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
vent s'appliquer à des choses en soi (sans considérer si et comment elles peuvent nous être données.) Nous avons vu en outre que la seule manière dont les objets nous sont donnés est une modification de notre sensibilité. Enfin nous avons vu que les concepts purs à priori, outre la fonction que remplit l'entendement dans la catégorie, doivent contenir aussi certaines conditions formelles de la sensibilité (particulièrement du sens intime), parmi les- quelles la condition générale qui seule permet à la caté- gorie de s'appliquer à quelque objet. Cette condition for- melle et pure de la sensibilité, à laquelle le concept de l'entendement est restreint dans son usage, nous l'appel- lerons le schème de ce concept de l'entendement, et la méthode que suit l'entendement à l'égard de ces schèmes, le schématisme de l'entendement pur.
Le schème n'est toujours par lui-même qu'un produit de l'imagination ; mais comme la synthèse de cette faculté n'a pour but aucune intuition particulière, mais seule- ment l'unité dans la détermination de la sensibilité, il faut bien distinguer le schème de l'image. Ainsi, quand je place cinq points les uns à la suite des autres, c'est là une image du nombre cinq. Au contraire, quand je ne fais que penser à un nombre en général, qui peut être cinq ou cent, cette pensée est plutôt la représentation d'une méthode servant à représenter en une image, con • formément à un certain concept, une quantité (par exemple mille), qu'elle n'est cette image même, chose que, dans le dernier cas, il me serait difficile de par- courir des yeux et de comparer avec mon concept. Or c'est cette représentation d'un procédé général de l'ima- gination, servant à procurer à un concept son image, que j'appelle le schème de ce concept.
Dans le fait nos concepts sensibles purs n'ont pas pour fondement des images des objets, mais des schèmes. Il n'y a pas d'image d'un triangle qui puisse être jamais adéquate au concept d'un triangle en général. En effet, aucune ne saurait atteindre la généralité du concept, faire que celui-ci s'applique également à tous les triangles, rec- tangles, à angles obliques, etc., mais elle est toujours res- treinte à une partie de cette sphère. Le schème du triangle
ANALYTIQUE TRANSCENDANT ALE 173
ïie peut exister ailleurs que dans la pensée, et il signifie une règle de la synthèse de l'imagination relativement à certaines figures pures [conçues par la pensée pure] dans l'espace. Un objet de' l'expérience ou une image de cet objet atteint bien moins encore le concept empirique, mais celui-ci se rapporte toujours immédiatement au schème de l'imagination comme à une règle qui sert à déterminer notre intuition conformément à un certain oncept en général. Le concept du chien, par exemple, lésigne une règle d'après laquelle mon imagination peut c représenter d'une manière générale la ligure d'un (juadrupède, sans être astreinte à quelque forme particu- lière que m'offre l'expérience ou même à quelque imago ])0ssible que je puisse représenter in concreto. Ce sché- niatisrae de l'entendement, relatif .aux phénomènes et à leur simple forme, est un art caché dans les profondeurs de l'âme humaine, et dont il sera bien difficile d'arracher à la nature et de révéler le secret. Tout ce que nous pou- vons dire, c'est que Vimuge est un produit de la faculté empirique de l'imagination productrice, tandis que le schème des concepts sensibles (comme des ligures dans l'espace), est un produit et en quelque sorte un mono- gramme de l'imagination pure à priori, au moyen duquel et d'après lequel les images sont d'abord possibles ; et qu<\ si ces images ne peuvent être liées au concept qu'au moyen du schème qu'elles désignent, elles ne lui sont pas en elles-mêmes parfaitement adéquates. Au contraire, le schème d'un concept pur de l'entendement est quel- que chose qui ne peut être ramené à aucune image; il n'est que la synthèse pure opérée conformément à une règle d'unité suivant des concepts en général et exprimée par la catégorie, et il est un produit transcen- dantal de l'imagination concernant la détermination du .sens intime en général, selon les conditions de sa forme {du temps), par rapport à toutes les représentations, en tant qu'elles doivent se relier à priori en un concept con- formément à l'unité de l'aperception.
Sans nous arrêter ici à une sèche et fastidieuse analyse de ce qu'exigent en général les schèmes Iranscendantaux des concepts purs de l'entendement, nous les exposerons
174 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
de préférence suivant l'ordre des catégories et dans leur rapport avec elles.
L'image pure de toutes les quantités {quantorum) pour le sens extérieur est l'espace, et celle de tous les objets des sens en général est le temps. Mais le schème pur de la quantité {qiiantitatis) considérée comme concept de l'entendement est le nombrey lequel est une représenta- tion embrassant l'addition successive de l'unité à l'unité (homogène à la première)* Le nombre n'est donc autre chose que l'unité de la synthèse que j'opère entre les divers éléments d'tine intuition homogène en général, en intro- duisant le temps lui-même dans l'appréhension de l'intui- tion.
La réalité est dans le concept pur de l'entendement ce qui correspond à une sensation en général, par consé- quent ce dont le concept indique par soi une existence {dans le temps). La négation au contraire est ce dont le concept représente une non-existehce (dans le temps). L'opposition de ces deux choses est donc marquée par la différence d'un même temps, plein ou vide. Et, comme le temps n'est que la forme de l'intuition, par conséquent des objets en tant que phénomènes, ce qui chez eux correspond à la sensation est la matière transcendantale de toug les objets comme citoses en soi (le fait d'être une chose, la réalité). Or chaque sensation a un degré ou une quantité par laquelle elle peut remplir plus ou moins le même temps, c'est-à-dire le sens intime, avec la même représentation d'un objet, jusqu'à ce qu'elle se réduise à- rien (=0 = ncgatio). Il y a donc un rapport et un enchaî- nement, ou plutôt un passage de la réalité à la négation qui rend toute réalité représentable à titre do quantum i et le Èclièmo d'une réalité, comme quantité de quelque chose qui remplit le temps, est précisément cette conti- nuelle et uniforme production de la réalité dans le temps, où l'on descend, dans le temps, de la sensation qui a un certain degré jusqu'à son entier évanouissement, et où l'on monte successivement de la négation de la sensation à une certaine quantité de cette même sensation.
Le schème de la substance est la permanence du réel dans le temps, c'est-à-dire la représentation de ce réel
ANAL i Uuu h 1 1 i Ai> JM.LiN u AiN i ALE
comme d'un substratum de la détermination empirniiK du temps en général, substratum qui demeure ainsi pen- dant que tout le reste change. (Ce n'est pas le temps qui s'écoule, mais en lui l'existence du changeant. Au temps donc, qui lui-raérae est immuable et fixe, correspond dans le phénomène l'immuable dans l'existence, c'est-à-dire la substance, et c'est en elle seulement que peuvent être déterminées la succession et la simultanéité des phéno- mènes par rapport au temps).
Le schème de la cause et de la causalité d'une chose en général est le réel qui, une fois posé arbitrairement, est toujours suivi de quelque autre chose. H consiste donc dans la succession des éléments divers, en tant qu'elle est soumise à une règle.
Le schème de la communauté (action réciproque) ou de la causalité mutuelle des substances relativement i\ leurs accidents, est la simultanéité des déterminations de l'une avec celles des autres suivant une règle générale.
Le schème de la possibilité est l'accord de la synthèse de représentations diverses avec les conditions du temps en général (comme, par exemple, que les contraires ne peuvent exister en même temps dans une chose, mais seulement l'une après l'autre); c'est par conséquent la détermination de la représentation d'une chose par rapport A quelque temps.
Le schème de la réalité est l'existence dans un temps (h'terminé.
Le schème de la nécessité est l'existence d'un objet en tout temps.
On voit par tout cela ce que contient et représente le schème de chaque catégorie : relui de la quantité, la pro- duction (la synthèse) du temps lui-même dans l'appré- hension successive d'un objet; celui de la qualité, la syn- thèse de la sensation (de la perception) avec la représen- tation du temps, ou le fait de remplir le temps; celui de la relation, le rapport qui lie les représentations les unes Qux autres en tout temps (c'est-à-dire suivant une règle de la détermination du temps); enfin le schème de la modalitt' et de ses catégories, le temps lui-même comme '•"rrt'lTfif de l'acte de déterminer si et comment un objet
47G CRITIQUE DE LA RAISON PURE
appartient au temps. Les schèmes ne sont donc autre chose que des déterminations à priori du temps, faites d'après cer- taines règles ; et ces déterminations, suivant l'ordre des catégories, concernent la série du temps, le contenu du temps, l'ordre du temps, enfin l'ensemble du temps, par rap- port à tous les ()bjets possibles.
Il résulte clairement de ce qui précède que le schéma- tisme de l'entendement, opéré par la synthèse transcen- dantale de l'imagination, ne tend à rien autre chose qu'à l'unité de tous les éléments divers de l'intuition dans le sens intime, et ainsi indirectement à l'unité de l'afjercep- tion, comme fonction correspondant au sens intime (à sa réceptivité).Les schèmes des concepts purs de l'entende- ment sont donc les vraies et seules conditions qui per- mettent de mettre ces concepts en rapport avec des objets et de leur donner ainsi une signification. Par conséquent aussi les catégories ne sauraient avoir en définitive qu'un usage empirique, puisqu'elles servent uniquement à sou- mettre les phénomènes aux règles générales de la syn- thèse, au moyen des principes d'une unité nécessaire à priori (en vertu de l'union nécessaire de toute conscience en une aperception originaire), et à les rendre ainsi propres à former une liaison continue constituant une expérience.
Or, c'est dans l'ensemble de toute l'expérience possible que résident toutes nos connaissances, et c'est dans le rapport général de l'esprit à cette expérience que consiste la vérité transcendantale, laquelle précède toute vérité empirique et la rend possible.
Mais en même temps il saute aux yeux que, si les schèmes de la sensibilité réalisent d'abord les catégories, ils les restreignent aussi, c'est-à-dire les limitent à des conditions qui sont en dehors de l'entendement (c'est-à- dire dans la sensibilité). Le schème n'est donc propre- ment que le phénomène ou le concept sensible d'un objet, en tant qu'il s'accorde avec la catégorie (Numerus est quantitas phaenomenon, sensatio realitas phaenomenon, constans et perdurabile rerum substantia phaenomenon. — AETERNiTAs, NECESSITAS, phacnomcna, etc.) Or, si nous écar- tons une condition restrictive, nous apiplifions, à ce qu'il
AINALVilUUE THA.NiSCEAUANTALE 177
semble, le concept auparavant restreint. A ce compte les catégories envisagées dans leur sens pur et indépendam- ment de toutes les conditions de la sensibilité, devraient s'appliquer aux objets en général tels qu'ils sont, tandis que leurs schèmes ne les représentent que comme ils nous apparaissent, et par conséquent ces catégories auraient un sens indépendant de tout schéme et beaucoup plus étendu. Dans le fait les concepts purs de l'entendement conser- vent certainement, même après ({u'on a ftiit abstraction de toute condition sensible, un certain sens, mais seule- ment logique, -celui de la simple unité des représenta- tions; seulement, comme ces représentations n'ont point d'objet donné, elles ne sauraient avoir non plus aucun sens qui puisse fournir un concept d'objet. Ainsi la subs- tance, par exemple, séparée de la détermination sensible de la permanence, ne signifierait rien de plus qu'un quelque «^liose qui peut être conçu comme sujet (sans étfe le prédicat de quelque autre chose). Or, je ne puis rien faire de cette représrnlalion, puisqu'elle ne m'in- dique pas les déterminations que doit posséder la cbose pour mériter le titre de premier sujet. Les catégories, sans sellâmes, ne sont donc que dès fonctions de l'enten- dement relatives aUît concepts, mais elles ne représen- tent aucun obiel. Lcureignificalion leur vient de la sensi- bilité\ qui réalise l'entendement, en même temps quelle le restreint.
^ CHAPITRE II
Système de tous les principes do rentendement pur.
Nous n'avons examiné, dans le chapitre précédent, la faculté transcendantale de juger qu'au point de vue des conditions générales qui lui permettent d'appliquer seule les concepts purs de l'entendement à des jugements syn- thétiques. Il s'agit maintenant d'exposer dans un ordre systématique les jugements, que l'entendement produit réellement àpriori sous cette réserve critique. Notre table des catégories doit certainement nous fournir à cet égard un guide naturel et sûr. En effet, c'est justement le rap- port de ces catégories à l'expérience possible qui doit constituer toute la connaissance pure à priori de l'enten- dement, et c'est par conséquent leur rapport à la sensi- bilité en général qui fera connaître intégralement et dans la forme d'ifti système tous les principes transcendantaux de l'usage de l'entendement.
Les principes à priori ne portent pas seulement ce nom parce qu'ils fournissent le fondement d'autres jugements, mais aussi parce qu'ils ne sont pas eux-mêmes fondés sur des connaissances plus élevées et plus générales. Cette pro- priété cependant ne les dispense pas toujours d'une preuve. En effet, quoique cette preuve ne puisse pas être poussée plus loin objectivement, mais que plutôt elle serve elle-même de fondement à toute connaissance de son objet, cela n'empêche pas qu'il ne soit possible et même nécessaire de tirer une preuve des sources subjec- tives qui rendent possible la connaissance d'un objet en
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 179
général, puisque autrement le principe encourrait le grave soupçon de n'être qu'une affirmation subreptice.
En second lieu, nous nous bornerons à ces principes qui se rapportent aux catégories. Nous écarterons donc, comme n'appartenant pas au champ tracé à notre investi- gation, les principes de l'esthétique transcendantalo, d'après lesquels l'espace et le temps sont les conditions de la possibilité do toutes choses comme phénomènes, ainsi que la restriction de ces principes, à savoir qu'ils ne sauraient s'appliquer à des choses en soi. De mémo, les principes mathématiques ne font point partie de ce système, parce qu'ils ne sont th'és que de l'intuition et non d'un concept pur de l'entendement. Cependant, comme ils sont des jugements synthétiques à priori, leur possibilité trouvera ici nécessairement sa place ; il ne s'agit pas sans doute de prouver leur exactitude et leur certitude apodictique, cela n'est point nécessaire, mais de faire comprendre et de déduire la possibilité de ces con- naissances évidentes et à priori.
Nous devrons d'ailleurs parler aussi du principe des jugements analytiques, par opposition aux jugements syn- thétiques, qui sont proprement ceux dont nous avons à nous occuper, car en les opposant, on affranchit de tout malentendu la théorie des derniers et l'on en fait claire- ment ressortir la nature propre,
- PREMIERE SECTION
nu PRINCIPE SUP1U:.ME DE TOUS LES JUGEMENTS ANALYTIQUES
Quel que soit le contenu de notre connaissance et do quehiue manière qu'elle puisse se rapporter à l'objet, la condition universelle, bien que purement négative, de tous nos jugements en générai, c'est qu'ils ne se contre- disent pas eux-mêmes; autrement ils sont nuls de soi (indépendamment mèm»' de tout rapport à l'objet^. Mais il se peut que notre jugement, sans contenir aucune con- tradiction, unisse des concepts d'une façon que l'objet no
180 CRITIQUE DE LÀ RAISON PURE
comporte pas, ou ne s'appuie sur aucun fondement donn^, soit à priori soit à posteriori, et ainsi un jugement peut être exempt de toute contradiction et pourtant faux et sans fondement.
Or ce principe, qu'un prédicat <|ui est en contradiction avec une chose ne lui convient pas, s'appelle le principe de contradiction. ïl est un critérium universel, quoique simplement négatif, de toute vérité; mais il appartient uniquement à la logique, par la raison qu'il s'appliqUe aux connaissances considérées simplement comme con- naissances en général et indépendamment de leur con-' tenu, et qu'il se borne à déclarer que^ la contradiction les anéantit et les supprime entièrement.
On en peut cependant faire aussi un usage positif, c'est- à-dire ne pas s'en servir seulement pour repousser la fausseté et l'erreur (en tant qu'elles tiennent à la contra- diction), mais encore pour connaître la vérité. En effet, si l? jngenwnt est nnahjtiqtic, qu'il soit négatif ou affirma- tif, on pourra toujours nécessairement en reconnaître la vérité suivant le principe de contradiction. Car le con- traire de ce qui est déjà renfermé comme concept ou pensé dans la connaissance de l'objet en sera toujours iVié avec raison, et le concept lui-même en sera néces- sairement affirmé, puisque le contraire de ce concept serait en contradiction avec k'objet.
Nous devons donc reconnaître au principe de contraâic- iion la valeur d'un principe universel et pleinement suf- fisant de toute connaissance analytique; mais son autorité et son utilité, comme critérium suffisant de la vérité, ne vont pas au delà. En effet, de ce qu'aucune connaissance ne peut lui être contraire sans se détruire elle-même, il suit bien que ce principe est la condition sine qua non, mais non pas le principe déterminant de la vérité de notre connaissance. Comme nous n'avons proprement à nous occuper que de la partie synthétique de notre con- naissance, nous aurons soin sans doute de n'aller jamais contre cet inviolable principe, mais nous n'avons aucun éclaircissement à en attendre relativement à la vérité d> cette espèce de connaissances.
il y a pourtant de ce principe célèbre, mais dépourvu
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE
<le tout contenu et purementformel, une fori^^ule renfer- mant une synthèse qui s'y est glissée par mégarde et sans aucune nécessité. Cette formule, la \oici : il est impos- sible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps. Outre que la certitude apadictique (exprimée par le mot
:iipossible) s'ajoute ici d'une manière superflue puis- (^u'elle doit s'entendre d'elle-même en vertu du principe, ce principe est affeoté par la condition de temps. U dit en quelques sorte : une chose = A, qui est quelque chose = h, ne peut pas être en même temps non B ; mais elle peut être Tun et Tf^utre succeisiveraent (B aussi bien que non B). Par exemple, un homme qui est jeune ne peut
Ire vieux en même temps ; mais le môme homme peut ' tre dans un temps jeune et dans un autre temps non p'une, c'est-à-dire vieux. Or le principe de contradic- tion, comme principe purement logique, ne doit pas limi- lor ses assertions à des rapports do temps; une telle for- mule est donc tout <à fait contraire à son but. Le mal-
ntendu vient uniquement de ce qu'après avoir sépai« un pi'édlcat d'une choso du concept de cette chose, on joint ensuite à ce prédicat son contraire; la contradifCtion iiui en résulte ne porte plus sur le sujet, mais seulement
ur son prédicat, qui lui oiit lié synthétiquement, et elle n'a lieu en réalité qu'autaqt que le premier et le second prédicats sont donnés en même temps. Si je dis : un liomme qui est ignorant n'est pas instruit, il faut qur j'ajoute : en mfime temps; car celui qui est ignorant dans un trtnips peut bien être instruit dans un autre. Mais si je dis : aucun homme ignorant n'est instruit, hi pro- position est analytique, puisque le caractère (de l'icuo- lanfe) constitue ici le concept du sujet, et ainsi cette l>ro[)Osition négative découle immédiatement du principe de contradiction, sans qu'il soit besoin d'ajouter cette condition : en même temp>i. Telle est aussi la raison pour laquelle j'ai changé, comme je l'ai fait plus haut, la for- mule de ce prinri|>e : le caractère analytique de la prupo- ' M . trouve ainsi clairement exprimé.
Î82 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
DEUXIÈME SECTION
DU PRINCIPE SUPRÊME DE TOUS LES JUGEMENTS SYNTHETIQUES
L'explication de la possibilité des jugements synthé- tiques est un problème où la logique générale n'a abso- lument rien à voir, et dont elle n'a pas même besoin de connaître le nom. Mais dans une logique trancendantale, la tâche la plus importante de toutes, et l'on pourrait dire la seule tâche, c'est de rechercher la possibilité des juge- ments synthétiques à priori, ainsi que les conditions et l'étendue de leur valeur. En effet, ce n'est qu'après avoir 'accompli cette tâche qu'elle est en état d'atteindre son but, qui est de déterminer l'étendue et les limites de l'en- tendement pur.
Dans un jugement analytique, je n'ai pas besoin de sortir du concept donné pour établir quelque chose à son sujet. Le jugement est-il affirmatif, je ne fais que joindre au concept ce qui s'y trouvait déjà pensé ; est-il négatif, je ne fais qu'exclure du concept son contraire. Mais dans les jugements synthétiques, je dois sortir du concept donné pour considérer dans son rapport avec lui quel- que autre chose que ce qui y était pensé; par conséquent, ce rapport n'est jamais un rapport ni d'identité ni de contradiction, et à cet égard le jugement ne peut pré- senter ni vérité ni erreur.
Or, dès qu'on admet qu'il faut sortir d'un concept donné pour le rapprocher synthétiquement d'un autre, on doit admettre aussi un troisième terme qui seul peut produire la synthèse des deux concepts. Quel est donc ce troisième terme qui est comme le médium de tous les jugements synthétiques? Ce ne peut être qu'un ensemble où sont renfermées toutes nos représentations, à savoir le sens intime, et la forme à priori de ce sens, le temps. La synthèse des représentations repose sur l'ima- gination, mais leur unité synthétique (qu'exige le juge- ment) se fonde sur l'unité de l'apcrception. C'est donc ici.
ANALYTIQUE TRANSGENDANTALE i^ii
qu'il faut chercher la possibilité des jugements synthé- tiques, et aussi, puisque, à eux trois, ces termes renfer- ment [toutes] les sources des représentations à priori, la possibilité de jugements synthétiques purs; ils seront même nécessaires en vertu de ces principes, s'il en doit résulter une connaissance des objets qui repose simple- ment sur la synthèse des représentations.
Pour qu'une connaissance puisse avoir une réalité objective, c'est-à-dire se rapporter à un objet et y trouver sa valeur et sa signification, il faut que l'objet puisse être donné de quelque façon. Autrement les concepts sont vides; et, si l'on a pensé ainsi quelque chose, on n'a en réalité rien connu par cette pensée ; on n'a fait que jouer avec des représentations. Or donner un objet, lequel doit être non seulement médiatement pensé, mais immédiatement représenté dans l'intuition, ce n'est pas autre chose qu'en rapporter la représentation à l'expé- rience (que celle-ci soit réelle ou simplement possible). L'espace et le temps même sont sans doute des concepts purs de tout élément empirique, et il est bien certain qu'ils sont représentés tout à fait à priori dans l'esprit; mais, malgré cela, ils n'auraient eux-mêmes aucune valeur objective, ni aucune signification, si l'on n'en montrait l'application nécessaire aux objets de l'expé- rience. Leur représentation n'est même qu'un schème se rapportant toujours à l'imagination rep^'oductrice, laquelle appelle les objets de l'expérience, sans lesquels ils n'au- raient pas de sens. Il en est ainsi de tous les concepts sans distinction.
La possibilitc de Inexpérience est donc ce qui donne une réalité objective à toutes nos connaissances à priori. Or l'expérience repose sur l'unité synthétique des phéno- mènes, c'est-à-dire sur une synthèse par concepts de l'objet des phénomènes en général, et sans laquelle elle n'aurait pas le caractère d'une connaissance, mais celui d'une rapsodie de perceptions qui ne formeraient point entre elles un contexte suivant les règles d'une cons- cience (possible) universellement liée, et qui par consé- quent ne se prétoraiont pas à l'unité Iranscendantale et nécessaire de l'aperception. L'expérience a donc pour
484 CRITIQUE Dg LA RAI^QN PUBE
fondement des principe? [qui détermiajpnt] sa forme à priori, c'est-à-dire des règles générales de Tunité dans la synthèse des phénomènes ; et la réalité objective de ces règles, comme conditions nécessaires, peut toujours être montrée dans l'expérience et même dans la possibi- lité de l'expérience. En dehors de cq rapport, des propo- sitions synthétiques à priori sont tout à tait impossibles, puisqu'elles n'ont pas de troisième terpae, c'est-à-dire d'objet où l'unité eyntl)étique de leurs çoRoepta puisse établir sa réalité objective.
JEncore donc que de l'espace en général, ou des figures qu'y dessine l'imagination productrice, nous connaissions à priori bien des choses par les jugements synthétiques, à toi point que nous n'y avons plus besoin d'aucune expérience, cette connaissç^nce ne serait plus rien et n- naui occuperait que comme ui^ simple jeu de l'esprit, ^i l'on ne regardait pas l'espace comme la condition des phénomènes qui constituent la î][)^tière de rexpérien<'e extérieure. Ces jugements synthétiques purs se rappor- tent donc, bien que d'une manière simplement méaiato» à l'expérience possible ou plutôt à sa possibilité même» et c'est uniquement là-dçssu^ qu'U^ fondent la valeur objec- tive de leur synthèse.
îj*expérienoe, comme synthèse empirique, étant donc dans sa possibilité le seul mode de connaissance qui donne de la réalité à toute autre synthèse, celle-ci, comme connaissance à priori, n'a oUe-mèrne de vérité (elle ne s'accorde avec l'objet) qu'autant qu'elle ne contient rien de plus que ce qui est nécessaire à l'unité synthétique de l'expérience en général.
Le principe même de tous les jugements syntliétiques, c'est donc que tout objet est soumis au:ç conditions nécessaires de l'unité ayntliélique des éléments divers de l'intuition au sein d'une expérience possible,
C'est de cette manière que des jugements synthétiques à priori sont possibles, lorsque nous rapportons à uno connaissance expérimentale possible les conditions ior- raelles de l'intuition à priori, la synthèse de l'imagination et son unité nécessaire au sein d'une aperception trans- cendantale, et que nous disons : les conditions de la pos-
ANALYTIQUE TRANSGENDANTALE i85
sibîlité de Veoepérieme en général sont en même temps celles do la possibiUté des objets de l'expérience, et c'eat pourquoi elles ont une valei^r objective aans un jugement »;yntliwtique à priori.
TROISIEME SECTION
REPRÉSENTATION SYSfÉMATIQUB pE TOUS LBS pRH^C^J^gS SYNTHÉTIQUES DE L*ENTÇNDEMENT l'UR
S'il y a en gépéral des principes quelque part, il faut l'ultribuer uniquement à l'ente ndemeiit pur, qui n'egt pas seulement la faculté des règles par rapport à ce qui arrive, muiiî même la source des principes par lesquels tout (ce qui peut se présenter à nous comi«e objet) est nécessairement soumis à de>s règles, puisque nous ne pourrions jappais sans eux trouver dans les pliénomènes \^ çunnuisçance d'un objet correspondant. Ceitaines lois môme de lu nature, considérées comme des principes de l'usage empirique de l'entendenient, impliquent un caractère de nécessité, et par conséfjmînt au moins cette pi»t'somption qu'elles sont (léteraunées par des principes ayant une valeur à prioH et antérieure à toute expé- rience. Mais toutes les lois de la nature sans distinction sont soumises à des principes . supérieurs de l'enteude- numt, puisqu'elles ne font que les appliquer à des cas partieuliers du phénomène. Seuls par conséquent ces princip».rs l'ournissent le concept qui renferme la condi- tion et en quelque sorte l'exposant d'une rè^de en géné- ral ; nuMs l'expérience donne le cas qui est sonmis à la rè«U>.
Ou ne doit pas craindre ici de prendre des principes ?injpleiuent empiriques pour des principes de l'entende- njent pur, ou réciproqutiiuenl; ear la nécessité, fondée sur des concepts, qui caractérise les principes de l'enlen- deu»ent .et dont il est facile de remarquer l'absence dans tous les prineipes empiriques, si générale qu'en soit la valeur, peut aisément prévenir cette confusion. Mais il y a des principes purs à priori que je ne saurais attribuer
186 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
proprement à l'entendement pur, parce qu'us ne sont pas tirés des concepts purs, mais d'intuitions pures (quoique par l'intermédiaire de l'entendement) tandis que l'enten- dement est la faculté des concepts. Tels sont les principes des mathématiques; mais leur application à l'expérience, par conséquent leur valeur objective et même la possibi- lité de la connaissance à priori de ces principes (leur déduction) reposent toujours sur l'entendement pur.
Je ne rangerai donc pas parmi mes principes ceux des mathématiques, mais bien ceux sur lesquels se fonde leur possibilité et leur valeur objective à priori, et qui par conséquent doivent être regardés comme les principes de ces principes, car ils vont des concepts à l'intuition et non de l'intuition aux concepts.
La synthèse des concepts purs de l'entendement dans leur application à l'expérience possible a un usage ou mathématique ou dynamique ; car elle se rapporte en partie simplement à l'intuition, et en partie à l'existence d'un phénomène en général. Or les conditions à priori de l'intuition sont, relativement à une expérience possible, tout à fait nécessaires, tandis que celles de l'existence des objets d'une mtuition empirique possible ne sont par elles-mêmes que contingentes. Les principes de l'usage mathématique sont donc absolument nécessaires, c'est-à- dire apodictiques, tandis que ceux de l'usage dynamique ne revêtiront le caractère d'une nécessité à priori que sous la condition de la pensée empirique dans une expé- rience, et par conséquent d'une manière médiate et indi- recte. Les derniers n'auront donc pas cette évidence immédiate qui est propre aux premiers (mais leur certi- tude par rapport à l'expérience n'en subsiste pas moins). C'est là d'ailleurs une vérité que l'on comprendra mieux à la fin de ce système de principes.
La table des catégories nous fournit tout naturellement le plan de celle des principes, puisque les principes ne sont autre chose que les règles de l'usage objectif des catégories. Voici donc tous les principes de l'entende- ment :
ANALYTIQUE TRANSCEISDANTALE Jô7
1. Axiomes
de l'intuition.
2. Anticipations 3. Analogies
de la perception. de l'expérience.
4. Postulats
de la pensée empirique en général.
J'ai choisi tout exprès ces dénominations pour faire ressortir les différences qu'il y a entre ces principes au point de vue de l'évidence et de la pratique. Mais on verra bientôt que, pour ce qui est de l'évidence aussi bien que de la détermination à priori des phénomènes d'après les catégories de la quantité et de la qualité (si l'on ne lait attention qu'à la forme de ces phénomènes), les principes de ces catégories diffèrent considérablement do ceux des deux autres; car bien qu'ils comportent les uns et les autres une parfaite certitude, celle des premiers est intuitive, tandis que celle des derniers est simplement discursive. Je désignerai donc ceux-là sous le nom de I)rincipes mathématiques, et oeux-ci sous celui de prin- cipes rfj/namîgwes *. Maison remarquera que je n'ai pas plus en vue dans un cas les principes des mathématiques
1. Toute liaison {conjunctio) est une composition (comjjosilio) ou une connexion (nexiis). La première est une synthèse d'élé- ments divers qui ne s'appartiennent pas nécessairement les uns aux autres, comme, par exemple, les deux triang'es dans lesquels se décompose un carré coupé par la diagonale, et qui par eux- mêmes ne s'appartiennent pas nécessairement l'un à l'autre ; telle osl la syntiiése de Vhoinouène dans tout ce qui peut êtrecxauiiné mathématiquement (et cotte synthèse a son tour peut se diviser i^n synthèse CCajréuation et en synthèse de coalition, suivant (luollo se rapporte a dos grandeurs cxtensives ou à des grandeurs inten- sives). La seconde liaison (nexus) est la synthèse d'éléments illvers ({iii s'appartiennent n ('cessai renient les uns aux autres, comme |iar exemple l'accident par rapport à (|uel(iue substance, ou lelVet par rapport à la cause, et (pii par conséquent, bien qu';i<'/<'- roi/énes, sont représentés comme liés à priori. Je nomme celte liaison dynami(|ue par la raison qu'elle n'est pas arbitraire. IMiisqu'elle concerne la liaison do Vexistence des éléments divers (elle peut se diviser à son tour en liaison physique des phénomènes entre eux et en liaison méta^thysique, c'est-à-dire leur liaison dans la faculté de connaître à priori •).
a) La note qu'on vicnD do lire est une addition de la seconde édition.
«88 CRITIQUE PE LA RAIS!>N PURE
que ceux de la dynamique (physique) générale dans un autre, mais seulement ceiu de l'entendement pur dans leur rapport avec le sens intime (sans distinction des représentations qui y sont données). Si je les désigna comme je le fais, c'est (Jonc plutôt en considération de leur application que de leur contenu. Je vais niaintenant les examiner dans l'ordre où la table les présente.
Axiomes de Vintuition. Principe de ces axiomes : tontes les intuitions sont des grandeurs extensives^.
PREUVE
Tous les phénomènes comprennent, quant à la forme, une intuition dans l'espace et dans le temps qui leur sert à tous de fondement à priori. Ils ne peuvent donc être appréhendés, c'est-à-dire reçus dans la conscience empi- rique, qu'au moyen de cette synthèse du divers par la- quelle sont produites les représentations d'un espace ou d'un temps déterminés, c'est-à-dire par la eompo^ition dos éléments homogènes et par la conscience de l'unité synthétique de ces divers éléments (homogènes). Or la conscience du divers liomogène dans Tintuition en général, en tant que la repré»»enlation d'un objet tut d'abord possible par là, est le concept d'une grandeur (d'un quantum), ha perception même d'un objet comme phénomène n'est donc possible que par cette même unité synthétique des éléments divers do l'intuition sensible donnée, par laquelle est pensée dans le cojicept d'une grandeur l'unité de la composition des divers éléments homogènes ; c'ost-à'dire que les phénomènes soiU tous des grandeurs, et même des grandeurs extensives, puis-
a. La première édition portait : « Pi'inoipe de Ventetidement pur • tous les pivénomènes s^ojit qua,nt ^ leur intuition des gran- deurs exlensivçs. »
ANALYTiULË THANSCENDAxMALE 180
qu'ils sont nécessairement représentés, comme intuitions uans l'espace ou dans le temps, au moyen de cette même synthèse par laquelle l'espace et le temps sont déterminés en général •''.
J'appelle grandeur extensive celle où la repl'éscntatioft des parties rend possible la représentation du tout et par conséquent la précède nécessairement). Je ne puis pas me représenter une ligne, si petite qu'elle soit, sans la tirer par la pensée, c'est-à-dire sans en produire succes- t^ivement toutes les parties d'un point à un autre, et sans ■n retracer enlln de la sorte toute l'intuition. Il en est linsi de toute portion du temps, même de la plus petite, le ne la conçois qu'au moyen d'une progression succes- sive qui va d'Uti moment à un nuire et c'est de l'addition de toutes les parties du tempe que résulte enfiïi uiie gran- deur de temps déterminée. Coltime la simple intuition dans tous les phénomènes est oU Tespnce t)U le temps* tout phénomène, en tant qu'intuition, est une grandeuf' extensive puisqu'il ne peut être connu qu'au moyen d'une synthèse successive (de partie à partie) opérée dans l'appréhension. Tous les phénomènes sont donc perçus dans l'intuition d'abord comme des agrégats (cofnme des multitudes de parties antérieurement données), ce qui n'est pas le cas dé toute espèce de grandeiir^, rtiais de celles-là seulement que nous nous représeîitdh» et que nous appréhendons èxîensivômcnt comme telîeî.
C'est sur cette synthèse successive dtî l'Imagination productrice dans la création des figures qiic se fonde la science mathématique de Tétendue (la gî^ométrie) Avec ses ixiomes exprimant les conditions de l'intuition Sensible à priori qui seules peuvent rendle |TOR!<lble le schcthô d'un concept pur de l'intuitioii extérieure, comnie, pàf exemple, (^l'entre deux poinl-^ on ne peut concevoif qu'une seule ligne droite, ou que deux lignes droites ne renferment aucun espace, etc. Ce sont là des axiomes «jui ne concernent proprement que les grandeurs {qiiantd) comme telles.
a. Tout ce premier paragraphe est imo addition de la secondr édition.
190 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Pour ce qui est de la quantité (quantitas), c'est-à-dire de la réponse à la question de savoir combien une chose est grande, il n'y a point à cet égard d'axiomes dans le sens propre du mot, bien que plusieurs propositions de cette sorte soient synthétiquement et immédiatement certaines [indemonstrabilia) . Car que des quantités égales ajoutées à des quantités égales ou retranchées de quantités égales donnent des quantités égales, ce sont là des propositions analytiques, puisque j'ai immédiatement conscience de l'identité d'une de ces productions de quantité avec l'autre; les axiomes au contraire doivent être des propositions syn- thétiques à priori. Les propositions évidentes exprimant des rapports numériques sont bien synthétiques sans doute, mais elles ne sont pas générales, comme celles de la géométrie, et c'est pourquoi elles ne méritent pas le nom d'axiomes, mais seulement celui de formules numé- riques. Cette proposition *que 7 -|- 5 = 12, n'est nullement analytique. En effet, je ne pense le nombre 12 ni dans la représentation de 7, ni dans celle de 5, mais dans celle de la réunion de ces deux nombres (que je le conçoive Hécessairement dans l'addition des deux, ce n'est pas ici la question, puisque dans une proposition analytique il ne s'agit que de savoir si je conçois réellement le prédicat dans la représentation du sujet). Mais bien qu'elle soit synthétique, cette proposition n'est toujours que particu- lière. En tant que l'on n'envisage ici que la synthèse des quantités homogènes (des unités), cette synthèse ne peut avoir lieu que d'une seule manière, bien que Vusage de CCS nombres soit ensuite général. Quand je dis : un triangle se construit avec trois lignes, dont deux prises ensemble sont plus grandes que la troisième, il n'y a ici qu'une pure fonction de l'imagination reproductrice, qui peut tirer des lignes plus ou moins grandes, et en même temps les faire rencontrer suivant toute espèce d'angles qu'il lui plaît de choisir. Au contraire le nombre 7 n'est possible que d'une seule manière, et il en est de même du nombre 12, produit par la synthèse du premier avec 5. Il ne faut donc pas donner aux propositions de ce genre le nom d'axiomes (car autrement il y en aurait à l'infini), mais celui de formules numériques.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 191
Ce principe transcendantal de la science mathématique des phénomènes étend beaucoup notre connaissance à priori. C'est en effet grâce à lui que les mathématiques pures peuvent s'appliquer dans toute leur précision aux objets de l'expérience; sans lui cette application ne serait pas si évidente d'elle-même, et même elle a donné lieu à certaines contradictions. Les phénomènes ne sont pas des choses en soi. L'intuition empirique n'est possible que par l'intuition pure (de l'espace et du temps) : ce que la {,'éométrie dit de celle-ci s'applique donc à celle-là. Dès lors on ne saurait plus prétexter que les objets des sens ue peuvent pas être conformes aux règles de la construc- tion de l'espace (par exemple à l'infinie divisibilité des lignes et des angles) ; car on refuserait par hî même à l'espace et à toutes les mathématiques avec lui toute valeur objective, et l'on ne saurait plus pourquoi et jus- qu'à quel point elles s'appliquent aux phénomènes. La synthèse des espaces et des temps, comme forme essen- tielle de toute intuition, est ce qui rend en même temps possible l'appréhension du phénomène, par conséquent toute expérience extérieure, par conséquent encore toute connaissance des objets de l'expérience, et ce que les mathématiques affirment de la première dans leur usage pur s'applique aussi nécessairement à la seconde. Toutes les objections à l'encontre ne sont que des chicanes d'une raison mal éclairée, qui croit à tort affranchir les objets des sens de la condition formelle de notre sensibilité, et qui les représente comme des objets en soi donnés à l'en- tendement, bien qu'ils ne soient que des phénomènes. S'ils n'étaient pas de simples phénomènes, nous n'en pourrions sans doute rien connaître à priori synthétique- ment, et par consé(|uent au moyen des concepts purs de l'espace, et la science qui les détermine, la géométrie, erait elle-même impossible.
m CRITIQUÉ DE LA RAISON PURE
tl
Anticipation de la perception. En voici le principe : î)an$ tous les phénomènes le réel, qui est un objet de sensation, a une grandeur inteiisive^ c'est-à-dire un degré '^,
PREUVE
/
La ï^erception est ia conscience empirique, c^est-à-dire la conscience accompagnée de sensation; Les phénomènes, comme objets de la perceptionj ne sont pas des intuitions pures (purement formelles), comme l'espace et le temps (qui ne peuvent pas être perçus en eux-mêmes). Ils eon- tiennent donc* outre l'intuition, la matière de quelque objet en général (par quoi est représenté quelque chose d'existant dans l'espace ou dans le temps), c'est-à-dire le réel de la sensation, considéré comme une représentation purement subjective dont on ne peut avoir conscience qu'autant que le sujet est affecté, et que l'on rapporte à un objet en général, en soi. Or i! peut y avoir une trans- formation graduelle de la conscience empirique en cons- cience pure, où le i'éel de la première disparaisse entière- ment et où il ne reste qu'une conscience purement for- melle [à priori^ du divers contenu dans l'espace et dans le temps ; par conséquent il peut y avoir aussi une synthèse de la production de la quantité d'une sensation depuis son commencement, l'intuition pure = 0, jusqu'à une grandeur quelconque. Et comme* la sensation n'est pas par ellc-nu^me une représentation objective et qu'il n'y a en elle ni intuition de l'espace, ni intuition du temps, elle n'a pas de grandeur extensive ; itiais elle a pourtant une grandeur (et cela au moyen de son appréhension, où la conscience empirique peut croître en un certain temps
a. Première édition : « Le principe qui anticipe toutes les percep- tions comme telles est celui-ci : dans tous les ptiênomènes la sen- sation et le réel qui lui correspond dans Voh']et {realitas pfuieno- 7nenon\ ont une grandeur intensive, c'est-à-dire un depré. »
ANALYTIQUE THANSCENDAxNTALE 103
depuis rienr= 0, jusqu'à un degré donné), et par consé- quent elle a une grandeur intensive, à laquelle doit corres- pondre aussi dans tous les objets de la perception, en tant qu'elle contient cette sensation, une grandeur intensive^ c'est-à-dire un degré d'inlluence sur le sens '■^.
On peut désigner sous le nom d'anticipation toute con- naissance par laquelle je puis connaître et déterminer à priori ce qui appartient à la connaissance empirique, et tel est sans doute le sens qu'Epicure donnait à son expres- sion de ::ooXr,'|tç. Mais, comme il y a dans les phénomènes quelque chose qui n'est jamais connu à priori et qui cons- titue ainsi la différence propre entre la connaissance empirique et la connaissance à priori, et que ce quelque chose est la sensation (comme matière de la perception), il suit que la sensation est proprement ce qui ne peut pas être anticipé. Au contraire les déterminations pures, conçues dans l'espace et dans le temps, sous le rapport soit de la figure, soit de la quantité, nous pourrions les nommer des anticipations des phénomènes, parce qu'elles représentent à priori ce qui peut toujours être donné à posteriori dans l'expérience. Mais supposez qu'il y ait pourtant quelque chose qu'on puisse connaître à priori dans chaque sensation, considérée comme sensation en général (sans qu'une sensation particulière soit donnée), ce quelque chose mériterait d'être nommé anticipation dans un sens exceptionnel. Il semble étrange en effet d'anticiper sur l'expérience en cela même qui constitue sa matière, laquelle ne peut être puisée qu'on elle. Et c'est pourtant ce qui arrive réellement ici.
L'appréhension no remplit, avec la seule sensation, qu'un instant (je ne considère point ici en effetla succession de plusieurs sensations). En tant qu'elle est dans le phé- nomène quelque chose dont l'appréhension n'est pas une synthèse successive, laquelle procède en allant des parties à la représentation totale, elle n'a pas de grandeur extcn- sive ; J'absence de la sensation dans le même instant représenterait cet instant comme vide, par conséquent
.1. Toui ic proiuier paiaijraplio est une iiddiliun de la seconde .'ililiou.
I. - 13
494 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
= 0. Or ce qui correspond à la sensation dans l'intuition empirique est la réalité {realitas phaenomenon) ; ce qui correspond à l'absence de la sensation est la négation = 0. En outre, toute sensation est susceptible de dimi- nution, de telle sorte qu'elle peut décroître et s'évanouir insensiblement. Il y a donc entre la réalité dans le phé- nomène et la négation une chaîne continue de sensations intermédiaires possibles, entre lesquelles il y a toujours moins de différence qu'entre la sensation donnée et le zéro ou l'entière négation. Cela revient à dire que le réel dans le phénomène a toujours une quantité,, mais que cette quantité ne se trouve pas dans l'appréhension, puisque celle-ci s'opère en un moment au moyen d'une simple sensation et non par une synthèse successive de plusieurs sensations, et qu'ainsi elle ne va pas des parties au tout. Le réel a donc une grandeur, mais celte grandeur n'est pas extensive.
Or cette grandeur qui n'est appréhendée que coraînc unité, et dans laquelle la pluralité ne peut être repré- sentée que par son [plus ou moins grand] rapprochement de la négation = 0, je la nomme grandeur intensive. Toute réalité dans le phénomène a donc une grandeur intensive, c'est-à-dire un degré. Lorsqu'on considère cette réalité comme une cause (soit de la sensation, soit d'une autre réalité dans le phénomène, par exemple d'un chan- gement), on nomme le degré de la réalité, comme cause, un moment, par exemple le moment de sa pesanteur, et cela parce que le degré ne désigne que la quantité dont l'appréhension n'est pas successive, mais momentanée. Je ne fais, du reste, que toucher ce point en passant, car je n'ai pas encore à m'occuper de la causalité.
Toute sensation, par conséquent aussi toute réalité dans le phénomène, si petite qu'elle puisse être, a donc un degré, c'est-à-dire une grandeur intensive, qui peut encore être diminuée, et entre la réalité et la négation il y a une «érie continue de réalités et de perceptions pos- sibles de plus en plus petites. Toute couleur, par exemple le rouge, a un degré qui, si faible qu'il puisse être, n'est jamais le plus faible [possible] ; il en est de même tou- jours de la clialeur, du moment de la pesanteur, etc.
ANALYTIQUE TRANSCBNDAxNTALE 105
La propriété qui fait que dans les grandeurs aucune partie n'est la plus petite possible (qu'aucune partie n'est simple), est ce qu'on nomme leur continuité. L'espace et le temps sont des quanta continua, pârc*^ qu'aucune partie n'en peut être donnée qui ne soit ren- fermée entre des liuïites (des points et des instants), et par conséquent ne soit elle-même un espace ou un temps. L'espace ne se compose que d'espaces, et le temps que de temps. Les instants et les^ points ne sont pour le temp- et pour l'espace que des limites, des places où ils hr limitent. Or ces places présupposent toujours des intui- tions qui les bornent ou les déterminent, et l'espate ni le temps ne sauraient être composés de simples places comme de parties intégrantes qui pourraient être données antérieurement. On peut encore nommer ces sortes de grandeurs des grandeurs fluentes^ parce que la synthèse {de l'imagination productrice) qui leâ engendre est une progression dans le temps, dont on a coutume de dési- gner particulièrement la continuité par le mot fluxion [écoulement].
Tous les phénpinènes eii général sont donc des gran- deurs continues, aussi bien quanta leur intuition, comme grandeurs extensives, que quant à la simple perception 'à la sensation et par conséquent à la réalité), comme grandeurs intensives. Quand la synthèse du divers du piiénomène est interrompue, ce divers n'est pas alors proprement un phénomène comrûe quantum, mais un agr(''gat de plusieurs phénomènes, produit par la répéti- tion d'une synthèse toujours interrompue, au lieu de l'être par la simple conlinuation de la syntlièse produc- trice d'une certaine espèce. Quand je dis que 13 thalers représentent une certaine quantité d'argent, je me sers d'une expression tout A fait exacte si j'entends, por ce mot quantité, le poids d'un (lingot d'un] marc de métal fin |n«''- c«>ssaire poui- IVappfi' L'I thalers]; ce n»arc d'argent rst sans doute une grandeur continue dans laquellt* aucune partie n'est la [»ins petite possible, mais où chaque partie pourrait lormer une monnaie qui contiendrait toujours la matière d'une monnaie plus petite encore. Mais si j'entends par cette expression 13 thulers ronds, c'est-à-dire 13 pièces
m CRITIQUE DE LA RAISON PURE
de monnaie {quel qu'en soit le titre en métal d'argent) c'est improprement que j'appelle cela une quantité de thalers; il faudrait dire un agrégat, c'est-à-dire un nombre de pièces de monnaie. Or, comme à tout nombre il faut une unité pour fondement, le phénomène comme unité est un quantum [une quantité] et, comme tel, il est tou- jours un continu.
Puisque tous les phénomènes, considérés comme exicn- sifs aussi bien que comme intensifs, sont des grandeurs continues, cette proposition, que tout changement (tout passage d'un état à un autre) est aussi continu, pourrait être ici démontrée aisément et avec une évidence mathé- matique, si la causalité d'un changement en général ne résidait pas tout à fait en dehors des limites d'une philo- sophie transcendantale, et si elle ne présupposait pas des principes empiriques. Car, qu'il puisse y avoir une cause "qui change l'état des choses, c'est-à-dire qui les détermine en un sens contraire à un certain état donné, c'est sur quoi l'entendement ne nous donne à priori aucune lumière, et cela non seulement parce qu'il n'en aperçoit nullement la possibilité, mais parce que la mutabilité ne porte que sur certaines déterminations des phénomènes que l'expérience seule peut nous révéler, tandis que la cause en doit être cherchée dans l'immuable. Mais, comme nous n'avons ici à notre disposition que les concepts purs qui servent de fondement à toute expé- rience possible et dans lesquels il ne doit rien y avoir d'empirique, nous ne pouvons, sans porter atteinte à l'unité du système, anticiper sur la physique générale, qui est construite sur certaines expériences fondamen- tales.
Nous ne manquons cependant pas de preuves pour démontrer la grande influence qu'exerce notre principe en anticipant sur les perceptions et en les suppléant même au besoin, de manière à fermer la porte à toutes les fausses • onséqucnces qui pourraient en résulter.
Si toute réalité dans la perception a un degré, entre co 'Icgré et la négation il y a une série infinie de dc?,rés toujours moindres; et pourtant chaque sens doit avoir un degré déterminé de réceptivité pour les sensations. 11 ne
AxNALYTIQUE TRANSGENDANTALE 497
peut donc y avoir de perception, par conséquent d'expé- rience, qui prouve, soit immédiatement, soit médiate- ment (quelque détour qu'on prenne pour arriver à cette conclusion), une absence absolue de toute réalité dans le phénomène; c'est-à-dire qu'on ne saurait jamais tirer de l'expérience la preuve d'un espace ou d'un temps vide. Car d'abord l'absence absolue de réalité dans l'intuition sensible ne peut être elle-même perçue; ensuite, on ne saurait la déduire d'aucun phénomène particulier et de la différence de ses degrés de réalité; on ne doit même jamais l'admettre pour expliquer cette réalité. En effet, bien que toute l'intuition d'un espace ou d'un temps déterminé soit entièrement réelle, c'est-à-dire qu'aucune partie de cet espace ou de ce temps ne soit vide, pour- tant, confme toute réalité a son degré, qui peut décroître suivant une infinité de degrés [inférieurs] jusqu'au rien (jusqu'au vide), sans que la grandeur extonsive du phé- nomène cesse d'être la même, il doit y avoir une infinité de degrés différents remplissant l'espace ou le temps, et la grandeur intensive dans les divers phénomènes doit pouvoir être plus petite ou plus grande, bien que la grandeur extensive de l'intuition reste la même.
Nous allons en donner un exemple. Les physiciens, remarquant (soit par la pesanteur ou le poids, soit par la résistance opposée à d'autres matières en mouvement) une grande différence dans la quantité de matière con- tenue sous un même volume en des corps de diverses expèces, en concluent presque tous que ce volume (cette grandeur extensive du phénomène) doit contenir du vide dans toutes les matières, bien qu'en des proportions diffé- rentes. Mais lequel de ces physiciens, la plupart matbé- maticiens et mécanicinns, se serait jamais avisé que, tout on prétendant évitei' les hypothèses métaphysiques, il fon- dait uni((uement sa conclusion sur une supposition de ce genre, alors qu'il admettait que le rec/dans l'espace (je ne peux pas dire ici l'impénétrable ou le poids, parce que ce sont là des concepts empiriques) est pointant identique, et qu'il ne peut différer que par la grandeur extensive, c'est- à-dire par le nombre? A cette supposition, qui n'a aucun fondement dans l'expérience et qui est ainsi purement
498 CRITIQUE DE LA lUlSON PURE
métaphysique, j'oppose une preuve transcendantale qui, à la vérité, n'explique pas la différence dans la manière dont les espaces sont remplis, mais qui supprime entièrement la prétendue nécessité de supposer qu'on ne peut expliquer cette différence qu'en admettant des espaces vides, et qui a au moins l'avantage de laisser à l'entendement la liberté de concevoir encore cette différence d'une autre manière,
i l'explication physique exige ici quelque hypothèse. En V lîet, nous voyons que si des espaces égaux peuvent être parfaitement remplis par des matières différentes, de telle sorte qu'en aucune d'elles il n'y ait nul point où la matière ne soit présente, tout réel de même qualité a néanmoins son degré (de résistance ou de pesanteur), qui peut être de plus en plus petit, sans que la grandeur extensive ou le nomhre diminue, et sans que [de son côté] cette qualité disparaisse dans le vide et s'évanouisse. Ainsi une dilatation qui remplit un espace, par exemple la chaleur ou toute antre réalité (phénoménale), peut, sans jamais laisser vide la plus petite partie de cet espace, décroître par degrés à l'inOni, elle ne remplira pas moins l'espace avec ces degrés plus bas que r^e le ferait un autre phénomène avec de plus éjevés. Je ne prétends pas affirmer ici que telle est en e^ei la raison de la diffé-
"uce des matières quanta leur pesanteur spécifique ; je
'UX seulement démontrer par uï^ principe ^e l'ejitende- iiient pur que la nature de nos perceptions rend possible lin tel mode d'explication, et que l'on a tort de regarder le } écl du phénomène comme étant identique quant au degré et comme ne ditTérant que par son agrégation et sa gran- deur extensive, et de croirts soi-(|isant, que l'on al'lirme cela à priori dM moyen d'un principe de l'entendement.
Toutefois, pour un investigateur accoutumé aux consi- (h'rations transcendantales et devenu par là circonspect.
tte anticipation de la perception a toujours quelque
îiose de choquant, et il lui est impossible de ne pas con- oir quelque doute sur la faculté qu'aurait l'entende-
ent d'anticiper une proposition synthétique telle que • elle qui est relative au degré de toute réalité dans les phénomènes, et, par conséquent, à la possibilité de la différence intrinsèque (\q la sensation elle-même, abstrac-
•V
iti
ANALYTIQUE TRANSCENDANT ALE 199
tion faite de sa qualité empirique. C'est donc une ques- tion qui n'est pas indigne d'examen que celle de savoir comment l'entendement peut ici prononcer à pnon et syn- théti([uement sur des phénomènes, et les anticiper même dansi ce qui est proprement et simplement empirique, c'est-à-dire dans ce qui concerne la sensation.
La qualité de la sensation est toujours purement empi- rique et ne peut être représentée à priori (par exemple, la couleur, le goût, etc.) )lais le réel qui correspond aux sensations en général, par opposition à la négation = 0, ne représente que (Quelque chose dont le concept implique une existence et ne signifie rien que la synthèse dans une conscience empirique en général. En effet, dans le sens intime, la conscience empirique peut s'élever depuis 0 jusqu'à un degré supérieur quelconque, de telle sorte que la même grandeur extensive de l'intuition (par exemple, une surface éclairée) peut exciter une sensation aussi grande que la réunion de plusieurs autres (surfaces moins éclairées). On peut donc faire entièrement abstrac- tion de la grandeur extensive du phénomène et se repré- senter pourtant en un moment cjans la seule sensation une synthèse de la gradation uniforme qu'^ s'élève de 0 à une conscience empirique donnée. Toutes les sensations ne sont donc, comme telles, données qu'd posteriori, mais la propriété qu'elles possèdent d'avoir un degré peut être connue à priori. Il est remarquable que nous ne pouvons connaître à priori dans los grondeurs en général qu'une seule qualité, à savoir la continuité, et tîans toute qualité (dans le réel du phénomène) que sa quantité intensive, c'est-à-dire la propriété qu'elle a d'avoir un d»^gré; tout le reste revient à rexpérien» c
III
Analogies de l'^xpçiience.
En vojci le principe : U expérience n'est possible que par la représentation d'une liaison néce^aire des perceptions".
a. Première édition ; « En voici le principe général : loqs |»}s
200 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
PREUVE
L expérience est une connaissance empirique, c'est-à- ..jre une connaissance qui détermine un objet par des perceptions. Elle est donc une synthèse des perceptions qui elle-même n'est pas contenue dans ces perceptions, mais renferme l'unité synthétique de leur diversité au sein d'une conscience, unité qui constitue l'essentiel d'une connaissance des objets des sens, c'est-à-dire de l'expérience (et non pas seulement de l'intuition ou de la sensation des sens). Dans l'expérience, les perceptions ne se rapportent les unes, aux autres que d'une manière accidentelle, de telle sorte que des perceptions même ne résulte ni ne peut résulter entre elles aucune liaison nécessaire; l'appréhension, en effet, n'est qu'un assem- blage des éléments divers de l'intuition empirique, et l'on n'y saurait trouver aucune représentation d'un lien néces- saire dans l'existence des phénomènes qu'elle assemble au sein de l'espace et du temps. Mais comme l'expérience est une connaissance des objets par perceptions, que, par conséquent, le rapport d'existence des éléments divers n'y doit point être représenté tel qu'il résulte d'un assem- blage dans le temps, mais tel qu'il existe objectivement dans le temps, et que, d'un autre côté, le temps ne peut être lui-même perçu, il suit qu'on ne peut déterminer l'existence des objets dans le temps qu'en les liant dans le temps en général, c'est-à-dire au moyen de concepts qui les unissent à priori. Or ces concepts impliquant tou- jours la nécessité, l'expérience n'est possible qu'au moyen d'une représentation de la liaison nécessaire des percep- tions *.
Les trois modes du temps sont la permanence, la succes- sion et la simultanéité. De là trois lois qui règlent tous les
pliônomônes sont soumis à priori, quant a leur existence, à des rè.t^Mes qui déterminent leur rapport entre eux dans un temps ».
a. Tout ce premier paragraphe est une addition de la deuxlèmi édition.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALF: 201
liipports chronologiques des phénomènes, et d'après les- (luels l'existence de chacun d'eux peut être déterminée par rapport à l'unité de tout le temps, et ces lois sont antérieures à toute expérience, t[u'elles servent elles- mêmes à rendre possible.
Le principe général de ces trois analogies repose sur lunité nécessaire de l'aperception par rapport à toute conscience empirique possible ^de la perception) dans nkique temps, et par conséquent puisque cette unité est un fondement à priori, sur l'unité synthétique de tous les [tiiénomènes au point de vue de leur rapport dans le temps. En effet, l'aperception orfginaire se rapporte au sens intime (à l'ensemble de toutes les représentations) et à priori à sa l'orme, c'est-à-dire au rapport des élé- ments divers de la conscience empirique dans le temps. Or tous ces éléments divers doivent être liés, suivant leurs rapports de temps, dans l'aperception originaire ; car c'est là ce qu'exprime l'unité transcendantale « pno?7" de cette aperception, cette unité sous laquelle rentre tout ce qui doit faire partie de ma connaissance (c'est-à-dire de ma propre connaissance), et par conséquent tout ce qui peut être un objet pour moi. Cette unité synthétique dans le rapport chronologique de toutes les perceptions, qui est déterminée à priori, revient donc à cette loi : toutes les déterminations empiriques du temps sont soumises aux règles de la détermination générale du temps; et les analogies de l'expérience, dont nous avons maintenant à nous occuper, doivent être des règles de ce genre.
Ces principes ont ceci de particulier qu'ils ne s'occu- pent pas des phénomènes et de la synthèse de leur intui- tion empirique, mais seulement de Vcxistcnce et de leur rapport entre eux relativement à celte existence. Or la manière dont quelque chose est appréhendé dans le phé- nomène peut être di'teiminée à priori, de telle façon que la règle de sa synthèse puisse fournir cette intuition à priori dans chaque exemple empirique donné, c'est-à- dire la- réaliser dans cette synthèse même. Mais l'exis- tence des phénomènes ne peut être connue à priori; et, quand nous pourrions arriver par celle voie à conclure quelque existence, nous ne la connaîtrions pas d'une
202 CRITIQUE DE LA RAISa\ PUHE
manière déterminée, c'est-à-dire que nous ne saurions anticiper ce par quoi son intuition empirique ne se dis- ' lingue de toute autre.
Les deux principes précédents, que j'ai nommés mathé- matiques, parce qu'ils nous autorisent à appliquer les mathématiques aux phénomènes, se rapportaient aux phénomènes au point de vue de leur simple possibilités et nous enseignaient comment ces phénomènes peuvent être produits suivant les règles d'une synthèse mathéma- tique, soit quant à leur intuition, soit quant au réel de leur perception. On peut donc employer dans l'un et l'autre cas les quantités numériques et avec elles déterminer le phénomène comme grandeur. Ainsi, par exemple, je puis déterminer à pnori, c'est-à-dire construire le degré des sensations de la lumière du soleil en le composant d'en- viron 200.000 fois celle de la lune. Nous pouvons donc désigner ces premiers principes sous le nom de constitutifs.
\\ en doit être tout autrement de ceux qui soumettent à priori à des règles l'existence des phénomènes. En efîet, comme elle ne se laisse pas construire, ces principes ne concernent que le rapport d'existence, et ne peuvent être que des principes simplement régulateurs. Il n'y a donc ici ni axiomes ni anticipations à concevoir; il s'agit seu- lement, quand une perception nous est donnée dans un rapport de temps avec une autre (qui reste indéterminée), de dire, non pas quelle est cette autre perception et quelle en est la orandeur, mais comment elle est nécessairement liée à la première, quant à l'existence, dans ce mode du temps. En philosophie, les analogies signifient quelque chose de très différent de ce qu'elles représentent en mathématiques. Dans celles-ci, ce sont des formules qui expriment l'égalité de deux rapports de grandeur, et elles sont toujours conslitutivea, si bien que, quand trois memi)res de la proportion sont donnés, le quatrième aussi est donné par là même, c'est-à-dire peut être construit. Dans la philosophie au contraire, l'analogie est régalité de deux rapports, non de quantité, mais de qualité : trois membres étant donnés, je ne puis connaître et donner à priori que le rapport à un quatrième, mais non ce qua- trième membre lui-même; j'ai seulement une règle pour
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 203
le chercher dans l'expérience, et un signe pour l'y décou- vrir. Une analogie dn l'expérience n'est donc qu'une règle suivant laquelle l'unit*' de l'expérience (non la perception elle-même, comme intuition empirique en général) doit résulter de perceptions, et elle s'applique aux objets (aux phénomènes), non comme principe constitutify niais sim- plement comme principe rénulateur. Il en est de même des postulats de la pensée empirique en général, qui con- cernent à la fois la synthèse de la pure intuition (de la forme du phénomène), celle de la perception (de la matière du phénomène) et celle de l'expérience (du rap- port de ces perceptions). Us n'ont d'autre valeur que Celle de principes régulateurs, et se distinguent des principes mathématiques, qui sont constitutifs, non sans doute par la certitude, qui est solidement établie à priori dans les uns et dans les autres, mais par la nature de l'évidence, c'est-à-dire par leur côté intuitif (et par conséquent aussi par la démonstration).
I^lais ce qui a été rappelé dans tous les principes syn- thétiques, et ce qui doit être ici particulièrement remar- qua', c'est que ce n'est pas comme principes de l'usage transcendantal de 1 entendement, mais simplement comme principes de son usage empirique, que ces analogies ont l'Mir signification et leur valeur, et que c'est uniquement
•e titre qu'elle}? peuvent être démontrées; d'où il syit <lije les phénomènes ne doivent pas être subsumés sous les cati'gories en général, mais seulement sous Icqrs schèines. En effet, si les objets auxquels ces princip<.'s doivent être rapportés <'taieht des choses en soi, il serait. absolument impossible d'en avoir à priori quelque con- naissance synthéti((ue. Mais ils ne sont que des phéno- mènes, et l'expérience possible n'est qi^e la connaissance parfaite de ces phénomènes, à laquelle doivent toujours aboutir en définitive tous les principes à priori, {.es prin- cipes dont il s'agit ne peuvent donc avoir pour but «pie les conditions de l'unité de la connaissance empiriuue dans la synthèse des phénomènes. Or cette synthèse n est < onçue que dans le schème du concept pur de l'entende- iu>nt, puisque son unité, comme celle d'une synthèse en
ut'ral, se trouve dans la catégorie [où elle est opérée]
2<i. CRITIQUE DE LA RAISON PURE
par une fonction qui n'est restreinte par aucune condition sensible. Nous serons donc autorisés par ces principes à n'associer les pliénomènes que par analogie avec l'unité logique et générale des concepts et piar conséquent, à nous servir, dans le principe même, de la catégorie; mais dans l'exécution (dans l'application aux phénomènes) nous substituerons au principe le schème de la catégorie, comme étant la clef de son usage, ou plutôt nous placerons à côté d'elle ce schème comme condition restrictive, sous le nom de formule du principe.
A
Première analogie.
Principe de la permanence de la substance: La substance persiste au milieu du changement de tous les phénomènes, et sa quantité n'augmente ni ne diminue daiis la nature^.
PREUVE
Tous les phénomènes sont dans le temps, et c'est en lui seulement, comme substratum (ou forme constante de l'intuition interne), qu'on peut se représenter la simulta- néité aussi bien que la succession. Le temps donc, où doit être pensé tout changement des phénomènes, demeure et ne change pas; car la succession ou la simultanéité ne peuvent être représentés qu'en lui et comme ses détermi- nations. Or le temps ne peut être perçu en lui-même. C'est donc dans les objets de la pecception, c'est-à-dire dans les phénomènes, qu'il faut chercher le substratum qui représente le temps en général et où peut être perçu
a. Première édition : « Principe de la permanence. Tous les phénomènes contiennent quelque cliose de permanent (une subs- tance), qui est l'objet même, et (juelque chose de rtian','eant, qui est la détermination de cet objet, cest-à-dire un mode de son existence. »
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 205
dans Tappréliension, au moyen du rapport des phéno- mènes avec lui, tout cliangement ou toute succession. Mais le substrat de tout ce qui est réel, c'est-à-dire de tout ce qui appartient à l'existence des choses, est la substance, où tout ce qui appartient à l'existence ne peut être pensé que comme détermination. Par conséquent, ce quelque chose de permanent relativement à quoi tous les rapports des phénomènes dans le temps sont nécessaire- ment déterminés, est la substance du phénomène, c'est-à- dire ce qu'il y a en lui de réel, et ce qui demeure toujours le même, comme substratum de tout changement. Et comme cette substance no peut changer dans son exis- tence, sa quantité dans la nature ne peut ni augmenter ni diminuer*.
Notre appréhension des éléments divers du phénomène est toujours successive, et par conséquent toujours chan- geante. 11 est donc impossible que nous déterminions jamais par là si ces éléments divers, comme objets de l'expérience, sont simultanés ou successifs, à moins qu'elle n'ait pour fondement quelque chose qui demeure toujours, quelque chose de durable et de permanent dont tout changement et toute simultanéité ne soient qu'autant de manières d'être (modes du temps). Ce n'est donc que dans le permanent que sont possibles les rapports de temps (car la simultanéité et la succession sont les seuls rapports de temps), c'est-à-dire que le permanent est, pour la représentation empii'ique du temps mémo, le substrat qui rend seul possible toute détermination de temps. La permanence exprime en général le temps, comme le constant corrélatif de toute existence des phénomènes, de tout changement et de toute simultanéité. En effet, le changement ne concerne pas le temps lui-même, mais seulement les phénomènes dans le temps. (De même, la simullan'Mlé n'est pas un mode du temps mémo, puisqu'il
a. Co, premici" parajû:ra|)lic a roiuplaoo colui-ti dans la pronuire ëililion : ■( Tous les plioiiomriios sont dans lo l<Mnps. ('.clui-ci peut dottMMnincr do (I«mi\ n»;ini»'ros lo r;ip|H»rl ipiolTro loui' c.risfrnrr; ils sonl o\i tud'rcssifs on siumlla>tf's. Sous lo pronucr poird do vue. le tout peut olre roprosenlc par une ligne ; et sous le seooud par un cercle ".
206 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
n'y a pas dans le temps de parties sumultanées, mais que toutes sont successives). Si l'on voulait attribuer au temps lui-même une succession, il faudrait encore penser un autre temps où cette succession serait possible. C'est par le permanent seul, que Vexistetice reçoit dans les diverses parties successives de la série du temps une quantité, que l'on appelle la durée. Car dans la simple succession, l'exis- tence va toujours disparaissant et commençant, sans jamais avoir la moindre quantité. Sans ce quelque chose de permanent, il n'y a donc pas de rapport de temps. Or, comme le temps ne peut être perçu en lui-même, ce quel- que chose de permanent dans les phénomènes est le subs- tratum de toute détermination de temps, par conséquent aussi la condition de la possibilité de toute unité synthé- tique des perceptions, c'est-à-dire de l'expérience; et dans ce permanent toute existence, tout changement dans le temps ne peut être regardé que comme un mode de c>' qui demeure et ne chaiige pas. Donc, dans tous les phé- nomènes, le permanent est l'objet même, c'est-à-dire In substance {phaenomenon) ; mais tout ce qui change ou peut changer fait seulement partie des modes d'existence de cette substance ou de ses déterminations.
Je trouve que, de tout temps, non seulement les philo- sophes, mais le commun des hommes, ont supposé cette permanence comme un substrat de tout changement des phénomènes, et ils l'admettront toujours comme une chose indubitable. Seulement les philosophes s'expriment à ce sujet avec un peu plus de précision, en disant : au milieu de tous les changements qui arrivent dans le monde, la substance demeure ; il n'y a que les accidents qui changent. Mais je ne vois nulle part qu'on ait essayé de donner une preuve de cette proposition synthétique; et même elle ne figure que rarement, comme il lui con- viendrait pourtant, en tête de ces lois pures et entière- ment à priorv de la nature. Dans le fait, dire que la subs- tance est permanente, c'est là une proposition tautologi- que. En efîei;, celte permanence est l'unique raison pour laquelle nous appliquons aux phénomènes la catégorie df^ la substance, et il aurait fallu prouver que dans tous les phénomènes il y a quelque chose de permanent, dont le
ANALYTIQUE TKAXSCENUANTALE 207
changeant ne fait que déterminer l'existence. Mais, comme une telle preuve ne peut être donnée dogmatiquement, c'est-à-dire au moyen de concepts, puisqu'elle concerne une proposition synthétique h priori^ et comme on ne s'est jamais avisé de songer que des propositions de ce genre n'ont de valeur que par rapport à l'expérience pos- sible, et par conséquent ne peuvent être prouvées qu'au moyen d'une déduction de la possibilité de l'expérience, il n'est pas étonnant que, tout en donnant cette proposi- tion synthétique pour fondement à toute expérience (parce qu'on en sent le besoin dans la connaissance empirique), on ne l'ait jamais prouvée.
On demandait à un philosophe : combien pèse la fumée? Il répondit- retranchez du poids du bois brûlé celui delà cendre qui reste, et vous aurez le poids de la fumée. Il supposait donc comme une chose incontestable que même dans le feu la matière (la substance) ne périt pas, et que sa forme seule subit un changement. De même la propo- sition : rien ne sort de rien, n'est qu'une autre conséquence du principe de la permanence, ou plutôt de l'existence toujours subsistante du sujet propre des phénomènes. Car, pour que ce qu'on nomme substance dans le phénomène puisse être proprement le substratum de toute détermi- nntion de temps, il faut que toute existence, dans le passé aussi bien que dans l'avenir, y soit uniquement et exclu- sivement déterminée. Nous ne pouvons donc donner à un phénomène le nom de substance que parce que nous sup- posons que son existence est de tout temps; or c'est ce qu'exprime mal le mot permanence, qui semble plut«U se rapporter à l'avenir. Toutefois, comme la nécessité interne d'être permanent est inséparable de celle d'avoir toujours été, l'expression peut être conservée, (iigni de nihilo nihil, in nikilnm nil posse revertiy c'étaient là deux propositions que les anciens liaient inséparablement, et que l'on si'pare maintenant quelquefois mal à propos, en s'imaginant qu'elles s'appliquent à des choses en soi, et que la première est contraire à l'idée que le monde dépend d'une cause suprême (même quant à sa substance). Mnis cette crainte est sans fondement, puisqu'il ])'< i \r\ question que des phénomènes dans le rhamp de
208 CRITIQUE DE LA RAISÔiN PtîRE
rexpérience, dont l'unité ne serait jamais possible si nous admettions qu'il se produisit des clioses nouvelles (quant à la substance). Alors, en effet, disparaîtrait ce qui seul peut représenter l'unité du temps, c'est-à-dire l'identité du substrat, seule cbose où tout changement trouve sa complète unité. Cette perriianence n'est cependant pas autre chose que la manière dont nous nous représentons l'existence des choses (dans le phénomène).
Les déterminations d'une substance, qui ne sont autre chose que des modes particuliers de son existence, s'ap- pellent acctrfen^s. Elles sont toujours réelles, puisqu'elles concernent l'existence de la sul3stance (les négations ne sont que des déterminations exprimant la non-existence de quelque chose dans la substance). Lorsqu'on attribue une existence particulière à ces déterminations réelles de la substance (par exemple au mouvement considéré comme un accident de la matière), on appelle cette exis- tence inhérence, pour la distinguer de l'existence de la substance même, qu'on nomme subsistance. Mais il en résulte beaucoup de malentendus et l'on s'exprimerait avec plus d'exactitude et de justesse en désignant sous le nom d'accident uniquement la manière dont l'existence d'une substance est déterminée positivemenl^ Cependant, en vertu des conditions auxquelles est soumis l'usage logique de notre entendement, on ne peut éviter de dé- tacher en quelque sorte ce qui peut cii&nger dans l'exis- tence d'une substance tandis que la substance reste, et lie le considérer dans son rapport avec ce qui est propre- ment permanent et radical. C'est pourquoi aussi cette catégorie rentre sous le titre des rapports, plutôt comme condition de ces rapports que comme contenant elle- même un rapport.
C'est sur cette permanence que se fonde aussi la légi- timité du concept de changement [proprement dit]. Naître et périr ne sont pas des changements de ce qui nait ou périt. Le changement est un mode d'existence qui succède à un autre mode d'existence du même objet. Tout ro qui change est donc permanent : et il n'y a que son état qui varie. Et vomme cette variation ne concerne que les dé- tiirminations qui peuvent finir ou commencer, ou peut
ANALYTIQUE TRANSGENDANTALE 209
dire, au risque d'employer une expression en apparence quelque peu paradoxale, que seul le permanent (la subs- tance) change, et que le chaniiçeant n'éprouve pas de changement, mais une variation, puisque certaines déter- minations cessent et que d'autres commencent.
Le changement ne peut donc être perçu que dans les substances, et il n'y a de perception possible du naître ou du mourir qu*en tant que ce sont de simples déter- minations du permanent, puisque c'est justement ci; permanent qui rend possible la représentation du pas- sage d'un état à un autre et du non-être à l'être, et que par conséquent on ne saurait les connaître empiri- quement que comme des déterminations variables de ra qui est permanent. Supposez que quelque chose com- mence d'être absolument, il vous faut admettre un mo- ment où il n'était pas. Or, à quoi voulez-vous rattacher ce moment, si ce n'est à ce qui était déjà? Car un temps vide antérieur n'est point un objet de perception. Mais si vous liez cette naissance à des choses qui étaient aupa- ravant et qui ont duré jusqu'à elle, celle-ci n'était donc ((u'une modification de ce qui était déjà, c'est-à-dire du jiormanent. Il en est de même de l'anéantissement d'une chose: il présuppose la représentation empirique d'un Icmpsoù un phénomène cesse d'être.
Les substances (dans le phénomène) sont les substra- (iimsde toutes les déterminations de temps. La naissance des unes et l'anéautissemont des autres supprimeraieni même l'unique condition de l'unité empirique du temps, et les phénomènes se rapporteraient alors à deux espèces de temps dont l'existence s'écoulerait simultanément, ce qui est absurde. En elTot il n'y a qu'un temps, et tous les divers temps n'y doivent pas être considérés comme siniultant's, mais comme successifs.
La permanence est donc une condition nécessaire, qui seule permet de déterminer les phénomènes, comme choses ou comme objets, dans une expérience possible. Mais quel est le critérium empirique de cette permanence nécessaire et avec elle de la substantialité des phéno- MionesY C'est sur quoi la suite nous fournira roccasionde f lire les remarques nécessaire*,
1. — \'i
210 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
B
Deuxième analogie.
Principe de la succession dans le temps suivant la loi de la causalité : Tous les changements arrivent suivant la loi de la liaison dès effets et des causes^.
PREUVE
Le principe précédent a démontré que tous les phéno- mènes de la succession dans le temps ne sont que des changements, c'est-à-dire une existence et une non-existence successives des déterminations de la substance perma- nente, et que par conséquent il n'y a pas lieu d'admettre une existence de la substance même qui suivrait sa non- existence, on une non-existence qui suivrait son existence, ou, en d'autres termes, un commencement ou une fin de la substance elle-même. Ce principe aurait pu encore être formulé ainsi : tout changement d'état {succession) des phénomènes n'est que changement ; car le commencement ou la fin de la substance ne sont pas des changements de cette substance, puisque le concept de changement sup- pose le même sujet existant avec deux déterminations opposées, par conséquent permanent. — Après cet aver- tissement, venons à la preuve.
Je perçois que des phénomènes se succèdent, c'est-à- dire qu'un certain état des choses existe à un moment, tandis que le contraire existait dans l'état précédent. Je relie donc, à proprement parler, deux perceptions dans le temps. Or cette liaison n'est pas l'œuvre du simple sens et de l'intuition, mais le produit d'une faculté synthé- tique de l'imagination, qui détermine le sens intime rela-
a. Première édition: « PiHncipe de la production. Tout ce qui arrive (tout ce qui commence d'être) suppose quelque chose à quoi il succède suivant une rèigle »,
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 211
tivement au rapport de temps. C'est cette faculté qui relie eiitr<^ eux les fleux états, et cela de deux manières pos- sibles suivant que l'un ou l'autre précède dans le temps; car le temps ne peut pas être perçu en lui-même, et c'est [uniquement] par rapport à lui que l'on peut déterminer dans l'objet, empiriquement en quelque sorte, ce qui précède et ce qui suit. Tout ce dont j'ai conscience, c'est donc que mon imagination place l'un avant et l'autre après, mais non pas que dans l'objet un état précède l'autre; en d'autres termes, la simple perception laisse indéterminé le rapport objectif des phénomènes qui se succèdent. Or, pour que ce rapport puisse être connu d'une manière déterminée, il faut que la relation entre les deux états soit conçue de telle sorte que l'ordre dans lequel ils doivent être placés se trouve par là déterminé comme nécessaire, celui-ci avant celui-là après, et non dans l'ordre inverse. Mais le concept qui renferme la nécessité d'une unité synthétique ne peut être qu'un con- cept pur de l'entendement, et il ne saurait se trouve!- dans la perception. C'est ici le concept du rapport de la cause à l'effet, c'est-à-dire d'un rapport dont le premier terme détermine dans le temps le second comme sa con- séquence, et non pas seulement comme quelque chose qui pourrait précéder dans l'imagination (ou même n'être pas du tout perçu). Ce n'est donc que parce que nous soumettons la série des phénomènes, par conséquent tout changement, à la loi de causalité, que l'expérience même, c'est-à-dire la connaissance empirique de ces phéno- mènes, est possible ; par conséquent, ils ne sont eux- mêmes possibles comme objets d'expérience que suivant celte loi'^
1/appréhension du divers dans le phénomène est tou- jours successive. Les représentations des ])arties se suc- cèdent les unes aux autres. Quant à savoir si elles so suivent aussi dans l'objet, c'est là un second point de la rétlexion, qui n'est pas contenu dans le premier. Or on peut bien nommer objet toute chose, et même toute
a. Ces (lejix premiers paragraphes sont une addition do la deuxième édition.
212 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
représentation en tant qu'on en a conscience ; mais, si l'on demande ce que signifie ce mot par rapport aux phénomènes envisagés, non comme des objets (des repr.- Bentations), mais comme désignant seulement un obj( t, c'est là la matière d'une recherche plus approfondie. En tant qu'ils sont simplement, comme représentations, des objets de conscience, ils ne se distinguent pas de l'appré- hension, c'est-à-dire de l'acte qui consiste à les admettre dans la synthèse de l'imagination, et par conséquent on doit dire que ce qu'il y a de divers dans les phénomènes est toujours produit successivement dans l'esprit. Si les phénomènes étaient des choses en soi, personne ne pour- rait expliquer par la succession des représentations do ce qu'ils ont de divers, comment ce divers est lié dau>; l'objet. En effet, nous n'avons affaire qu'à nos représen- tations; il est tout à fait en dehors de la sphère de notre connaissance de snvoir ce que peuvent être les choses en soi (considérées indépendamment des représentations par lesquelles elles nous affectent). Mais, bien que les phéno- mènes ne soient pas des choses en soi, et qu'ils soient néan- moins la seule chose dont nous puissions avoir connais- sance, je dois montrer quelle liaison convient dans le temps à ce qu'il y a de divers dans les phénomènes eux- mêmes, tandis que la représentation de ce divers est tou- jours successive dans l'appréhension. Ainsi, par exemple, l'appréhension de ce qu'il y a de divers dans le phéno- mène d'une maison placée devant moi est successive. Or, demande-t-on si les diverses parties de cette mai- son sont aussi successives en soi, personne assurément ne s'avisera de répondre oui. Mais si, en élevant mes concepts d'un objet jusqu'au point de vue transcen- dnnlal, je vois que la maison n'est pas un objet en soi, mais seulement un phénomène, c'est-à-dire une repré- sentation dont l'objet trancendantal est inconnu, qu'est-ce donc que j'entends par cette question : comment le divers du phénomène lui-même (qui n'est pourtant rien en soi) peut-il être lié? Ce qui se trouve dans l'appréhen- sion successive est considéré ici comme représentation ; et le phénomène qui m'est donné, quoique n'étant pas autre chose qu'un ensemble de ces représentations, est
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE i! ;
considéré comme l'objet de ces mêmes représentationb, c^iiime un objet avec lequel doit s'accorder le concept 'lue je tire des représentations de l'appréhension. On voit tout de suite que, comme l'accord de la connaissance avec l'objet constitue la vérité, il ne peut être ici question que des conditions formelles de la vérité empirique, et que le phénomène, par opposition aux représentations lie l'appréhension, ne peut être représenté que comme un objet de l'appréhension distinct de ces représenta- tions, en tant que celle-ci est soumise à une règle qui ia distingue de tout autre, et qui rend nécessaire une spèce de liaison de ses' éléments divers. Ce qui dans '•' phénomène contient la condition d'^ ^ •'' • r~^glo nér( s- lire de l'appréiiension est l'objet.
Venons maintenant à notre quebtion. Une quelque cliose ■rrive, c'est-à-dire qu'une chose ou un état, qui n'était pas auparavant, soit, c'est co qui ne peut être empirique- ment perçu, s'il n'y a pas eu précédemment un phéno- mène qui ne contenait pas en soi cet état; car une réalité qui succède à un temps vide, par conséquent un comincn- •mf'nt que ne précède aucun état des choses, ne peut pas ; lus être appréhendé par moi que le temps vide lui-même. Tout(î îippr<diension d'un événement est donc une percep- l'on qui succède à une autre. Mais comme dans toute vnlhèse de l'appréhension, les choses se passent ainsi que je l'ai montré plus haut pour le phénomène d'une maison, elle ne se distingue pas encore par là des autres. Voici seulement ce que je remarquerai en outre; si dans un phénomène contenant un (''vénemenl, j'appelle A l'état anti-rieur de la porceidion, et B le suivant, B ne peut que suivre A dans l'appréhension, et la perce|iliûn A ne peut pas suivre B, mais seulement le précéder. Je vois, par exemple, un bateau descendre lu cours d'un lleuvc. Ma perception du lieu où co bateau se trouve en aval du lleuve, succède à celle du lieu où il se trouvait tMi amont, et il est im[)0ssible que, dans l'appridiension de ce phé- nomène, le bateau soit perçu d'abord en aval, et ensuite I II amont. L'ordre de la série des perceptions qui se suc- rrdent dans l'appréhension est donc ici déterminé, et ( lle-mèrae en dépend. Dans lo précédent exemple d'une
S14 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
maison, mes perceptions pouvaient, dans l'appréhension, commencer par le faite de la maison et finir par les fon- dements, ou bien commencer par le bas et finir par le haut, et de même elles pouvaient appréhender par la droite ou par la gauche les éléments divers de l'intuition empirique. Dans la série de ces perceptions, il n'y avait donc pas d'ordre déterminé qui me forçât à commencer par ici ou par là pour lier empiriquement les éléments divers de mon appréhension. Mais cette règle ne saurait manquer dans la perception de ce qui arrive, et elle rend nécessaire l'ordre des perceptions successives (dans l'ap- préhension de ce phénomène).
Je dériverai donc, dans le cas qui m'occupe, la succeS' sion subjective de l'appréhension de la succession objective des phénomènes, puisque la première sans la seconde serait tout à fait indéterminée et ne distinguerait pas un phénomène d'un autre. Seule, celle-là ne prouve rien quant à la liaison des éléments divers dans l'objet, puis- qu'elle est tout à fait arbitraire. La seconde consistera donc dans un ordre des éléments divers du phénomène, tel que l'appréhension de l'un (qui arrive) suive selon une règle celle de l'autre (qui précède). C'est ainsi seulement que je puis être fondé à dire du phénomène lui-même, et non pas seulement de mon appréhension, qu'on doit y trouver une succession; ce qui signifie que je ne saurais établir l'appréhension que précisément dans cette succes- sion.
D'après ce principe, c'est donc dans ce qui en général précède un événement que doit se trouver la condition selon laquelle cet événement suit toujours et nécessaire- ment, suivant une règle; mais je ne puis renverser l'ordre en partant de l'événement et déterminer (par l'appréhent sion) ce qui précède. P]n effet, nul phénomène ne retourne du moment suivant à celui qui le précède, quoique tou- phénomène se rapporte à quelque moment antérieur; un temps étant donné au contraire, un autre temps déter- mJii'^ le suit nécessairement. Puis donc qu'il y a quelque chose qui suit, il faut nécessairement que je le rapporte à quelque chose qui précède et qui le suit selon une règle, c'est-à-dire nécessairement, de telle sorte que l'évé-
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nement, comme conditionné, nous renvoie sûrement à quelque condition qui le détermine.
Supposez qu'il n'y eût rien, avant un événement, que celui-ci dût suivre selon une règle, toute succession pour la perception n'existerait que dans l'appréhension, c'est- à-dire que ce qui précéderait proprement et ce qui sui- vrait dans les perceptions ne serait déterminé que d'une manière subjective et pas du tout objectivement. Nous n'aurions de cette manière qu'un jeu de représentations qui ne se rapporterait à aucun objet, c'est-à-dire que par notre perception aucun phénomène ne serait distingué de tout autre, sous le rapport du temps, puisque la succes- sion, dans l'acte d'appréhender, est toujours identique, et que par conséquent il n'y a rien dans le phénomène qui la détermine, de telle sorte qu'une certaine succession soit rendue par là objectivement nécessaire. Je ne dirais donc pas alors que deux états se suivent dans le phéno- mène, mais seulement qu'une appréhension en suit une autre, ce qui est quelque chose de tout subjectif, et ne détermine aucun objet, et par conséquent ne peut équi- valoir à la connaissance de quelque objet (pas même dans le phénomène.)
Quand donc nous apprenons par expérience que quelque chose arrive, nous supposons toujours que quelque chose a précédé qu'il a suivi selon une règle. Autrement, je ne dirais pas de l'objet : il suit, puisque la seule succession dans mon appréhension, si elle n'est pas déterminée par une règle relativement à quelque chose qui a précédé, ne prouve pas une succession dans l'objet. C'est donc tou- jours eu égard à une règle d'après laquelle les phéno- mènes sont déterminés dans leur succession, c'est-à-dire tels qu'ils arrivent, par l'état antérieur, que je donne à ma synthèse subjective (de l'appréhension) une valeur objec- tive, et ce n'est que sous cette supposition qu'est possible rexj)érience même de quelque chose qui arrive.
Cela, il est vrai, semble contredire toutes les remarques que l'on a toujours faites sur la marche ^c l'usage de notre entendement. D'après ces remarques, c'est seule- ment par la perception et la comparaison de plusieurs événements successifs [trouvés] concordants avec des
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phénomènes antérieurs, que nous sommes conduit» à dé- couvrir une règle d'après laquelle certains événements suivent toujours certains phénomènes, et à nous faire ainsi un concept de cause. A ce compte, ce concept serait purement empirique, et la règle qu'il fournit, à savoir que tout ce qui arrive a une cause, serait tout aussi con- tingente qoe l'expérience elle-même ; son universalité et sa nécessité seraient donc purement fictives et n'auraient pas de véritable valeur générale, puisqu'elles ne seraient pas fondées à priori, mais ne s'appuieraient que sur l'in- duction.. Il en est ici comme des autres représentations pures à priori (par exemple de l'espace et du temps], que nous ne pouvons tirer de l'expérience à l'état de concepts clairs que parce que nous les avons mises dans l'expé- rience, et que nous n'avons constitué celle-ci que par le moyen de celles-là. Mais, si cette représentation d'une règle déterminant la série des événements ne peujt acquérir la clarté logique d'un concept de cause que quand nous en avons fait usage dans l'expérience, la considération de cette règle comme condition de l'unité synthétique des phénomènes dans le temps n'en est pas moins le fonde- ment de l'expérience même, et par conséquent la précède à priori.
Il s'agit donc de montrer par un exemple que jamais, même dans l'expérience, nous n'attribuons à l'objet la succession (que nous nous représentons dans un événe- ment, lorsque quelque chose arrive qui n'existait pas auparavant) et ne la distinguons de la succession subjec- tive de notre appréhension, qu'à la condition d'avoir pour principe une règle qui nous contraigne à observer cet ordre de perceptions plutôt qu'un autre, si bien que c'est proprement cette nécessité qui rend possible la représen- tation d'une succession dans l'objet.
Nous avons en nous des représentations dont nous pou- vons aussi avoir conscience. Mais, si étendue, si exacte et si précise que puisse être cette conscience, ce ne sont toujours que des représentations, c'est-à-dire des déter- minations internes de notre esprit dans tel ou tel rapport de temps. Gomment donc arrivons-nous à leur supposer un objet, ou à leur attribuer, outre la réalité subjective
ANALYTIQUfci TRANSCENDANTALE 211
qu'elles ont comme modifications, je ne sais quelle réalit(3 objective? La valeur objective ne peut signifier un rap- port à une autre représentation (à celle de ce que l'on attribuerait à l'objet); autrement on retombe sur cette ({uestion : comment cette représentation, à son tour, sort- <lle d'elle-même, et acquiert-elle une valeur objective, outre la valeur subjective qu'elle possède comme déter- mination de l'état de l'esprit? Si nous cherchons quelle nouvelle qualité le rapport à un objet ajoute à nos repré- ^iintations et quelle espèce de dignité elles en retirent, nous trouvons que ce rapport ne fait rien autre chose que (le rendre nécessaire U liaison des représentations d'une ( i-rtaine manière et de la soumettre à une règle, et que l'ciproquement elles n'acquièrent une valeur objective <|ue parce qu'un certain ordre est nécessaire entre elles bous le rapport du tijmps.
Dans le synthèse des phénomènes, les éléments divers 'i(is représentations se succèdent toujours les uns aux .litres. Or, aucun objet n'est représenté par là; car, par cette succession, qui est commune à toutes les appréhen- sions, rien n'est distingué de rien. Mais dès que je perçois ou que je présuppose que cette succession implique un I apport à un état antérieur d'où dérive la représentation suivant une règle, alors je me représente quelque chose lomme un événement ou comme arrivant, c'esl-à-dire que je reconnais un objet que je doii placer dans le lemp.s i une certaine place déterminée, laquelle, d'après l'état lutt'rieur, ne peut être autre qu'elle n'est. Quand donc je perçois que quelque chose arrive, cette représen- tation im|)lique d'abord que quelque chose a précéd»'*, puisque c'est précisé;mont par rapport à ce quelque chose d'antr-rieur que le ph(''nomène so coordonne dans le temps, (•'eï«t-à-dire est re|)réBonté comme existant après un temps aiitiM'iour où il n'existait pas. Mais il ne peut, recevoir, dans ce rapport, sa place déterminée dans le temps que parce ((uo, dans l'i'tat antérieur, quelrjue chose est sup- posé (ju'il suit toujours, c'est-à-diro selon une règle; d'où il résulte, en premier lieu, que je no puis renverser la é'rie, en mettant co ((ui arrive avant ce qui précède, et on L.econd li<^M qu*>. l'i'tatqui pr'''"'"i" "♦iiil donné, cet cvénc-
218 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
nement déterminé suit inévitablement et nécessairement. C'est ainsi qu'il s'établit entre nos représentations un cer- tain ordre où le présent (en tant qu'il est arrivé) nous renvoie à un état antérieur comme à un corrélatif, mais indéterminé encore, de l'événement donné, et où, à son tour, ce corrélatif se rapporte d'une manière déterminée à cet événement, comme à sa conséquence, et le lie néces- sairement à lui-même dans la série du temps.
Si donc c'est une loi nécessaire de notre sensibilité, par conséquent une condition formelle de toutes nos per- ceptions, que le temps qui précède détermine nécessaire- ment celui qui suit (puisque je ne puis arriver à celui-ci qu'en passant par celui-là), c'est aussi une loi essentielle de la représentation empirique de la succession dans le temps, que les phénomènes du temps passé déterminent toute exis- tence dans le temps suivant, et que ces derniers n'aient lieu, comme événements, qu'autant que les premiers déter- minent leur existence dans le temps, c'est-à-dire la fixent d'après une règle. Nous ne pouvons en effet connaître empi- riquement cette continuité dans Venchaînement des temps que dans les phénomènes.
Toute expérience comme toute possibilité de l'expé- rience supposent l'entendement; la première chose qu'il y fasse n'est pas de rendre claire la représentation des objets, mais de rendre possible la représentation d'un objet en général. Or il ne le peut qu'en transportant l'ordre du temps aux phénomènes et à leur existence, c'est-à-dire en assignant à chacun d'eux, considéré comme conséquence, une place déterminée à priori dans le temps, par rapport aux phénomènes précédents, puis- que sans cette place ils ne s'accorderaient pas avec le temps même, lequel détermine à priori la place de toutes ses parties. Mais cette détermination des places ne peut dériver du rapport des phénomènes au temps absolu {car celui-ci n'est pas un objet de perception); il faut au con- traire que les phénomènes se déterminent leurs places les uns aux autres dans ie temps lui-même, et les rendent n/'cessaires dans l'ordre du temps, c'est-à-dire que ce qui suit ou arrive doit suivre, d'après une règle générale, de ce qui est contenu dans l'état précédent. De là une série de
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 219
phénomènes qui, au moyen de l'entendement, produit et rend nécessaire précisément le même ordre, le même encliaînement continu dans la série des perceptions pos- sibles, que celui qui se trouve à priori dans la forme de l'intuition interne (dans le temps), où toutes les percep- tions devaient avoir leur place.
Quand donc je dis que quelque chose arrive, c'est une perception appartenant à une expérience possible, que je réalise en considérant le phénomène comme déterminé dans le temps quant à sa place, et par conséquent comme un objet qui peut toujours être trouvé suivant une règle dans l'enchaînement des perceptions. Or cette règle qui sert à déterminer quelq\ie chose dans la succession du temps, est que la condition qui fait que l'événement suit toujours (c'est-à-dire d'une manière nécessaire) se trouve dans ce qui précède. Le principe de la raison suffisante est donc le fondement de toute expérience pos- sible, c'est-à-dire de la connaissance objective des phéno- mènes au point de vue de leur rapport dans la succession du temps.
La preuve de ce principe réside uniquement dans les considérations suivantes. Toute connaissance empirique suppose la synthèse des éléments divers opérée par l'ima- gination, laquelle est toujours successive, ce qui veut dire que les représentations y viennent toujours les unes après les autres. Mais l'ordre de succession (ce qui doit précéder et ce qui doit suivre) n'est nullement déterminé dans l'imagination, et la série de l'une des représentations qui se suivent peut être prise en remontant aussi bien qu'en descendant. Or, si celte synthèse est une synthèse de l'ap- préhension (des éléments divers d'un phénomène donné), l'ordre est déterminé dans l'objet, ou, pour parler plus exactement, il y a ici, dans la synthèse successive, un ordre qui détermine un objet, ordre d'après lequel quel- que chose doit nécessairement précéder, et, ce quelque chose une fois posé, quelque autre chose suivra nécessai- l'ement. Pour que ma perception puisse impliquer In connaissance d'un ('vcnemont ou de quohjue cliose qui arrive réelloment, il faut donc qu'elle soit un jugement empirique où je conçoive que la succession est déter-
220 CniTIQUE DE LA RAISON PURE
mince, c'est-à-dire que cet événement suppose, dans le temps, un autre phénomène qu'il suit nécessairement ou selon une règle. Autrement, si l'antécédent étant donné, l'événement ne le suivait pas nécessairement, il me fau- dj^ait le tenir pour un jeu subjectif de mon imagination, et regarder comme un pur rêve ce que je pourrais m'y représenter encore d'objectif. Le rapport en vertu duquel, dans les phénomènes (considérés comme perceptions possibles), l'existence de ce qui suit (de ce qui arrive) est, nécessairement et suivant une règle, déterminée dans le temps par quelque chose qui précède, en un mot le rap- port de la cause à l'effet, est la condition de la valeur objective de nos jugements empiriques, au point de vue de la série des perceptions, par conséquent de leur vérité empirique, par conséquent encore de Texpérience. Le principe du rapport de causalité dans la succession des phénomènes a donc aussi une valeur antérieure à tous les objets de l'expérience (soumis aux conditions de la succession) puisqu'il est lui-même le principe qui rend possible cette expérience.
Mais il y a encore ici une difficulté qu'il faut écarter. Le principe de la liaison causale entrt les phénomènes est restreint, dans notre formule, à la succession de leur série, tandis que, dans l'usage de ce principe-, il se trouve qu'il s'applique aussi à leur simultanéité et que la cause et l'effet peuvent être en même temps. Par exemple, il fait dans une chambre une chaleur qui n'existe pas en plein air. J'en cherche la cause, et je trouve un fourneau allumé. Or ce fourneau est, co^me cause, en même temps que son effet, c'est-à-dire la chaleur de la chambre, il n'y a donc pas ici de succession, dans le temps, entre la cause et l'effet, mais ils sont simultanés, et la loi n'en reste pas moins applicable. La plupart des causes eftlr cientcs dans la nature sont on même temps que leurs effets, et la succession de ceux-ci tient uniquement à ce que la cause ne peut pas produire tout son effet en un moment. Mais dans le moment où l'effet commence à se produire, il est toujours contemporain de la causalité de sa cause, puisque, si cette cause avait cessé d'être un instant aupa- ravant, il n'aurait pas eu lieu lui-même. Il faut bien
ANALYTIQUE TlUNSCENDANTALE 221
remarquer ici qu'il s'agit de l'ordre du temps et non de 8on cours : le rapport demeure, bien qu'il n'y ait pas eu de temps écoule. Le temps entre la causalité de la cause et son effet immédiat peut ^évaiiowr, (et par conséquent la cause et l'effet être simultanés), mais le rapport de l'un à l'autre reste toujours déterminable dans le temps. Si, par exemple, une boule est placée sur un moelleux coussin et y imprime une légère dépression, cette boule, consi- dérée comme cause, est en môme temps que son effet. Mais je les distingue cependant tous deux par le rapport de temps qu'implique leur liaison dynamique. En effet, quand je place la boule sur le coussin, la dépression de ce coussin succède à la forme unie qu'il avait auparavant; mais si le coussin a déjà reçu (sans que je sache comment) une dépression, cela ne résulte [sûrement] pas [de TaclionJ d'une boule de plomb.
La succession est donc en tout cas Tunique critérium empirique de l'effet dans son rapport avec la causalité de la cause qui précède. Le verre est la cause de l'élévation de l'eau au-dessus de sa surface horizontale, bien que les d«;ux phénomènes soient en môme temps. En effet, dès que je puise de l'eau avec un verre dans un plus grand vase, quelque chose suit, A savoir le changement de la figure horizontale qu'elle avait dans ce vase en une ligure concave qu'elle prend dans le verre.
Cette causalité conduit au concept de l'action, celle-ci au concept de la force, et par là à celui de la substance. Comme je ne veux pas môler ô mon entreprise critique, laquelle ne concerne que les sources de la connaissance synthétique à priori, des analyses qui ne tendent qu'i\ réclaircissemènt (et non à l'extension) dos concepts, je réserve pour un futur système de la raison pure l'examen détaillé de ces concepts. Aussi bien cette analyse se trouvr-t-elle déJA, en une large mesure, dans les ouvrages connus (|ui traitent de ces matières. Mais je ne puis me dispenser de parler du critérium empirique d'une subs- tance, on tant qu'elle semble se manifester, non par la permanence du phénomène, mais par l'action, où ^^M»' '^-' révèle mieux ou plus facilement.
Là oU est l'actioti, c\ [lar conséquent l'activité et ia
222 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
force, là aussi est la substance, et c'est dans celle-ci seulement qu'il faut chercher le siège [de celles-là, qui sontj les sources fécondes des phénomènes. Voilà qui est très bien dit ; mais, si Ton veut se rendre compte de ce que Ton entend par substance et ne pas tomber à ce sujet dans un cercle vicieux, la réponse n'est pas si facile. Comment conclure immédiatement de l'action à la per- manence de l'agent, ce qui pourtant est un critérium essentiel et propre d.* la substance (p/iœnomenon)? Mais, d'après ce qui précède, la solution delà question ne pré- sente pourtant aucune difficulté de ce genre, bien que par la manière ordinaire (de traiter analytiqueraent nos concepts) elle soit tout à fait insoluble. L'action signifie déjà le rapport du sujet de la causalité à l'effet. Or, puis- que tout effet consiste dans quelque chose qui arrive, par conséquent dans quelque chose de changeant que le temps dénote par la succession, le dernier sujet de cet effet est donc le permanent, considéré comme substratum de tout changement c'est-à-dire la substance. En effet, d'après le principe de la causalité, les actions sont tou- jours le premier fondement de toute vicissitude des phé- nomènes, et par conséquent, elles ne peuvent résider dans tout sujet qui change lui-même, puisqu'alors il fau- drait admettre d'autres actions et un autre sujet qui déter- minât ce changement. En vertu de ce principe, l'action est donc un critérium empirique suffisant pour prouver la substantialité, sans que j'aie besoin de chercher la permanence du sujet par la comparaison des perceptions, ce qui ne pourrait se faire par cette voie avec le dévelop- pement qu'exigeraient la grandeur et l'universalité abso- lue du concept. En effet, que le premier sujet de la causalité de tout ce qui naît et périt ne puisse pas lui- môme naître et périr (dans le champ des phénomènes), c'est là une conclusion certaine qui. conduit à la néces- sité empirique et à la permanence dans l'existence, par conséquent au coi>cept d'une substance comme phéno- mène.
Quand quelque chose arrive, le seul fait de naître, abstraction faite de la nature de ce qui naît, est déjà par lui-niême un objet de recherche, Le passage du non-être
ANALYTIQUE TRANSCENDAJNTALE 223
d*un état à cet état même, celui-ci ne contint-il aucune qualité pliénoiut'iiale, est déjà une chose qu'il est néces- saire de iMM-horcher. Ce fait de naître, comme nous l'avons montré dans le numéro A, ne concerne pas la substance {car celle-ci ne naît point), mais son état. Ce n'est donc qu'un changement, et non pas une naissance ex nihilo. Q\ia.nd cette origine est considérée comme l'effet d'une cause étrangère, elle s'appelle alors création. Une création ne peut être admise comme événement parmi les phénomènes puisque sa seule possibilité romprait l'unité de l'expérience ; pourtant, si j'envisage toutes les choses non plus comme des phénomènes, mais comme des choses en soi et comme des objets de l'entendement seul, elles peuvent être considérées, bien qu'elles soient des substances, comme dépendantes, quant à leur existence, d'une cause étrangère ; mais cela suppose une toute autre acception des mots et ne s'applique plus aux phéno- mènes, comme à des objets possibles de l'expérience.
Mais comment en général quelque chose peut-il être changé, ou comment se fait-il qu'à un état qui a lieu dans un certain moment puisse succéder, dans un autre moment, un état opposé? C'est ce dont nous n'avons pas à priori la moindre notion. Nous avons besoin pour cela de la connaissance des forces réelles qui ne peut être donnée empiriquement, par exemple des forces motrices, ou, ce qui revient au même, de certains phénomènes successifs (comme mouvements) qui révèlent des forces de ce genre, et cette connaissance ne peut en être donnée (lu'empiriquement. Mais la forme de tout changement, la ( ondition sous laquelle seule il peut s'opérer, comme événement résultant d'un autre état (quel qu'en soit d'ailleurs le contenu, c'est-à-dire quel que soit l'état qui ' st changé), par conséquent la succession des états mêmes la chose qui arrive) peut toujours être considérée à priori suivant la loi de la causalité et les conditions du temps*.
1. Remarquez que je ne parle pas du changement do certaine* relations en général, mais du changement détat. .Vussi, «juand un corps se meut d'un mouvement unifonno. son elat (de mouve- ment) no cliango jkis ; il change au contraire quand le corps c©8s<} de se mouvoir ou commence de se mouvoir.
224 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Quand une substance passe d'un état A à un autre B, le moment du second est distinct de celui du premier, et le suit. De même le second état, comme réalité (dans le phénomène), est distinct du premier où cette réalité n'était pas, comme B de zéro, c'est-à-dire que, si l'état B ne se distingue de Tétat A que par la grandeur, le change- ment est alors l'avènement de B — A qui n'était pas dans l'état précédent et par rapport à quoi cet état est = 0.
On demande donc comment une chose passe d'un état = A à un autre = B. Entre deux moments, il y a toujours un temps, et entre deux états dans ces moments il y a toujours une différence qui a une grandeur (car toutes les parties des phénomènes sont à leur tour des grandeurs). Tout passage d'un état à un autre a donc tou- jours lieu dans un temps contenu entre deux moments, dont le premier d^Uermine l'état d'où sort la chose, et le second celui où elle arrive. Ils forment donc tous les deux les limites du temps d'un changement, par consé- quent d'un état intermédiaire entre deux états, et à ce litre ils font partie du changement tout entier. Or tout changement a unô cause qui révèle sa causalité dans tout le temps où il s'opère. Cette cause ne produit donc pas son changement tout d'un coup (en une fois et en un moment), mais dans le temps, de telle sorte que tout comme le temps croit depuis le premier moment A jus- qu'à son accomplissement en B. ainsi la grandeur de la réalité (B ~ A) est produite par tous les degrés infé- rieurs contenus entre le premier et le dernier. Tout changement n'est donc possible que par une action con- tinuelle de la causalité, qui, entant qu'elle est uniforme, s'appelle un moment. Le changement n'est pas com- posé de ces moments, mais il en résulte comme leur effet.
Telle est la loi de la continuité de tout changement. Le principe de cette loi est celui-ci : Ni le temps, ni même le phénomène dans le temps ne se composent de parties qui soient les plus petites possibles, et pourtant la chose, dans son changement, n'arrive à son second état qu'en passant par toutes ces parties comme par autant d'éléments. Il n'y a aucune différence dans le réel
AxNALYTIQUE TRANSCEXDANÏALE 22\i
du phénomène, comme dans la grandeur des temps, qui soit la plus petite, et le nouvel état de la réalité, pour s'accroître, passe, en partant du premier où il n'était pas, par tous les degrés infinis de cette même réalité, entre lesquels les différences sont toutes plus petites qu'entre A et B.
II n'est pas besoin ici de rechercher quelle utilité peut avoir ce principe dans l'investigation de la nature. Mais comment une telle proposition, qui semble étendre si loin notre connaissance de la nature, est-elle possible tout à fait à priori, voilà ce qui appelle notre examen, bien qu'il suffise d'un coup d'œil pour voir qu'elle est réelle et légitime, et que par conséquent on puisse se croire dispensé de répondre à la question de savoir com- ment elle est possible. En effet, la prétention d'étendre noti'e connaissance par la raison pure est si souvent dénuée de fondement, qu'on doit se faire une règle géné- rale d'être extrêmement défiant à cet égard, et de ne rien croire, de ne rien accepter en ce genre môme sur la foi (le la preuve dogmatique la plus claire, sans des docu- ments qui puissent fournir une déduction solide.
Tout accroissement de la connaissance empirique, tout progrès de la perception n'est qu'une extension de la détermination du sens intime, c'est-à-dire une progres- sion dans le temps, quels que soient d'ailleurs les objets, phénomènes ou intuitions pures. Cette progression dans le temps détermine tout, et n'est en elle-même déterminée par rien autre chose, c'est-à-dire que les parties en sont nécessairement dans le temps, et qu'elles sont données par la synthèse du temps, mais non avant elle, (rost pourquoi tout passage, dans la perception, à quelque chose qui suit, est une détermination du temps opérée par la production de cette perception ; et comme cette détermination est toujours et dans toutes ses parties une grandeui', il est la production d'une perception qui passe, comme une grandeur, par tous les degrés dont aucun n'est le plus j)etit, depuis 0 jusqu'à son degré df'terminé. Or de là ressort la possibilité de connaître à priori la loi des changements, quant à leur forme. Nous n'anticipons que notre pi'opre adh''><i'^M, 'I-m,} la condition formelle
i. ^ 15
226 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
doit pouvoir être connue à priori, puisqu'elle réside en nous antérieurement à tout phénomène donné.
Ainsi donc, de même que le temps contient la condi- tion sensible à priori de la possibilité d'une progression continue de ce qui existe à ce qui suit, de même l'enten- dement, grâce à l'unité de l'aperception, est la condition à priori qui rend possible la détermination de toutes les places des phénomènes dans ce temps au moyen de la série des causes et des effets, dont les premières entraî- nent inévitablement l'existence des seconds, et par là rendent valable pour chaque temps (en général), par conséquent objectivement, la connaissance empirique des rapports de temps.
C
Troisième analogie.
Principe de la simultanéité suivant la loi de l'action réciproque ou de la communauté : Toutes les substances, en tant quelles peuvent être perçues comme simultanées dans l'espace, sont dans une action réciproque universelle^.
PREUVE
Les choses sont simultanées lorsque, dans l'intuition empirique, la perception de l'une et celle de l'autre peu- Tent se suivre réciproquement (ce qui ne peut avoir lieu dans la succession des phénomènes, dans le temps comme on l'a montré dans le second principe). Ainsi je puis commencer par la perception de la lune et passer de là à celle de la terre, ou réciproquement commencer par la perception de la terre et passer de là à celle de la lune; et précisément parce que les perceptions de ces objets peuvent se suivre réciproquement, je dis qu'ils existent
a. Première édition -. « Principe delà communauté. Toutes les substances, en tant qu'elles sont simultanées, sont dans une com- niunautë universelle (c'est-à-dire dans une action réciproque) ».
AiNALYTIQUE TRANSCENDANTALE 227
simultanément. La simultanéité est donc Texistence de choses diverses dans le même temps. Or on ne peut per- cevoir le temps lui-même pour conclure, de ce que les choses sont placées dans le même temps, que les percep- tions de ces choses peuvent se suivre réciproquement. La synthèse de l'imagination dans l'appréhension ne présen- terait donc chacune d'elles que comme une perception qui est dans le sujet quand l'autre n'y est pas, et réci- proquement; mais elle ne nous apprendrait pas que les objets sont simultanés, c'est-à-dire que l'un existant, l'autre aussi existe dans le même temps, et que cela est nécessaire pour que les perceptions puissent se suivn' réciproquement. Un concept intellectuel de la succession réciproque des déterminations de ces choses existant simultanément les unes en dehors des autres, est donc nécessaire pour pouvoir dire que la succession réciproque des perceptions est l'ondée dans l'objet et pour se re[)ié^ senter ainsi la simultanéité comme objective. Or le rap- port des substances dans lequel l'une contient les déter- minations dont la raison est contenue dans d'autre, est le l'apport d'influonco; et quand réciproquement la seconde < ontient la raison des déterminations de la premi<;re, t 'est le rapport de la communauté ou de l'action réci- proque. La simultanéité des substances dans l'espace no peut donc être connue dans l'expérience que si l'on sup- pose leur action réciproque; cette supposition est donc .'lussi la condition de la possibilité des choses mémo <omme objet de l'expérience».
Les choses sont simultanées en tant qu'elles existent us un seul et même temps. Mais comment connail-on «lu'elles sont dans un seul et même temps V Quan<l l'ordrn dans la synthèse de l'nppréhension de ces choses diverses est indilTérent, c'est-à-dire quand on peutallerde A à E par B C I), ou r.»ciprof(uement de E à A. En ctîel, s'il y avait succession dans le temps (dans l'ordre qui commence par A et qui Unit par E), il serait impossible de commencer par E l'appréhension dans la perceptioîi et (]^ v>''\voiirr\(]er v»m"s A. pui^^que A <'ippn?-l'"ï"''-n'' in
;i. 1,0 paraj,'iaplie «lui precoctf n'osi pas dans la i»roniuM.> edUKur
228 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
temps passé, et que par conséquent il ne pourrait être un objet d'appréhension.
Or admettez que, dans une diversité de substances con- sidérées commes phénomènes, chacune soit absolument isolée, c'est-à-dire qu'aucune n'agisse sur les autres et n'en subisse réciproquement l'influence, je dis que la simultanéité de ces substances ne serait pas alors un objet de perception possible, et que l'existence de l'une ne pourrait, par aucune voie de la synthèse empirique, con- duire à l'existence de l'autre. En effet, si on les conçoit comme séparées par un espace entièrement vide, la per- ception qui va de l'une à l'autre dans le temps détermi- nerait bien l'existence de la dernière au moyen d'une perception ultérieure, mais elle ne pourrait distinguer si le phénomène suit la première objectivement ou s'il lui est simultané.
11 doit donc y avoir, outre la simple existence, quelque chose par quoi- A détermine à B sa place dans le temps, et réciproquement aussi B sa place à A, puisque ce n'est qu'en concevant les substances sous cette condition qu'on peut les représenter empiriquement comme existant simul- tanément. Or cela seul qui est la cause d'une chose ou de ses déterminations en peut déterminer la place dans le temps. Chaque substance (ne pouvant être conséquence qu'au point de vue de ses déterminations) doit contenir la causalité de certaines déterminations dans les autres substances et en même temps les effets de la causalité des autres substances en elle, c'est-à-dire que toutes doi- vent être (immédiatemsnt ou médiatement) en commu- nauté dynamique, pour que la simultanéité puisse être connue dans une expérience quelconque. Or tout ce sans quoi l'expérience des objets d'expérience serait elle-même impossible, est nécessaire par rapport à ces objets. Il est donc nécessaire à toutes les substances considérées au point de vue du phénomène, en tant qu'elles sont simul- tanées, d'être en communauté générale d'action réciproque. Le mot Gemeinschaft [communauté] est équivoque en allemand, et peut signifier la même chose qu'en latin le mot communia, ou le mot commercium. Nous nous en ser- vons ici dans le dernier sens, comme désignant une com-
ANALYTIQUE TRANSCENDAxNTALE 220
munauté dynamique sans laquelle la communauté locale [communio spatii) ne pourrait être elle-même connue empi- riquement. Il est facile de remarquer dans nos expé- riences que les influences continuelles dans tous les lieux (4e l'espace peuvent seules conduire notre sens d'un objet à un autre; que la lumière qui joue entre notre œil et les corps produit une communauté médiate entre nous et ces corps, ot en prouve ainsi la simultanéité; que nous ne pouvons changer empiriquement de lieu (percevoir ce changement), sans que partout la matière nous rende possible, à elle seule, la perception de nos places, et que c'est uniquement au moyen de son influence réciproque que celle-ci peut prouver sa simultanéité, et par là (il est vrai, d'une manière simplement médiate) la coexistence des objets [depuis les plus rapprochés] jusqu'aux plus éloi- gnés. Sans communauté, toute perception (du phénomène dans l'espace) est détachée des autres, et la chaîne des représentations empiriques, c'est-à-dire l'expérience, re- commencerait à chaque nouvel objet, sans que la précé- dente pût s'y rattacher le moins du monde ou se trouver avec elle dans un rapport de temps. Je n'entends point du tout réfuter par là l'idée d'un espace vide; car il peut toujours être là où il n'y a point de perceptions, et où par conséquent il n'y a point de connaissance empirique de la simultanéité; mais il ne saurait être alors un objet pour notre expérience possible.
J'ajoute encore ceci, pour plus d'éclaircissement. Tous l's phénomènes, en tant que contenus dans une expé- rience possible, sont nécessairement dans l'espriten com- munauté (communio) d'aperception ; et pour que lesobjels puissent être représentés comme liés et comme existant simultanément, il faut qu'ils déterminent réciproque- ment leurs places dans le temps et forment ainsi un tout. Mais, pour que celte communauté subjective puisse reposer sur un principe objectif ou être rapportée aux l)h<''nomènes comme substances, il faut que la perception de l'un, comme principe, rende possible celle de l'autre, et réciproquement, afin que la succession, qui est toujours dans les perceptions comme appréhensions, ne soit pns attribuée aux objets, mais que ceux-ci puissent être rcpré-
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sentes comme existant simultanément. Or, c'est là une influence réciproque, c'est-à-dire une communauté cojn- mcrcium) réelle des substances, sans laquelle le rapport empiriqu&de la simultanéité ne saurait se trouver dans l'expcrience. Par cette communauté les phénomènes, en tant qu'ils sont les uns en dehors des autres et cepen- dant liés, forment un composé {compositum reale), et des composés de cette sorte il peut y avoir bien des espèces. Les trois rapports dynamiques d'où résultent tous les autres sont donc ceux d'inhérence, de conséquence et de composition.
Telles sont les trois analogies de l'expérience. Elles ne sont autre chose que des principes de la détermination (le l'existence des phénomènes dans le temps, d'après ses trois modeSy c'est-à-dire d'après le rapport au temps lui- même comme à une grandeur (grandeur de l'existence, ou durée), le rapport dans le temps comme dans une série (succession), enfin le rapport dans le temps comme dans l'ensemble de toutes les existences (simultanéité). Cette unité de la détermination du temps est entièrement dyna- mique : le temps n'est pas considéré comme ce en quoi l'expérience déterminerait immédiatement à chaque exis- tence sa place, ce qui est impossible, puisque le temps absolu n'esë pas un objet de perception où des phéno- mènes pourraient être réunis ; mais la règle de l'enten- dement, qui seule peut donner à l'existence des phéno- mènes une unité synthétique fondée sur des rapports do temps, détermine à chacun d'eux sa place dans le temps, et par conséquent la détermine à priori et d'une manière qui s'applique à tous les temps et à chacun d'eux.
Nous entendons par nature (dans le sens empirique), l'i-nchaînoment des phimomènes [liés], quant à leur exis- tence, par des règles nécessaires, c'est-à-dire par des lois. Ce sont donc certaines lois, et des lois à priori, qui ren- dent d'abord possible une nature; les lois empiriques ne peuvent avoir lieu et être trouvées qu'au moyen de l'ex- périence, mais conformément à ces lois originaires sans lesquelles l'expérience serait elle-même impossible. Nos analogies présentent donc proprement l'unité de la nature
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dans Tenchaînement de tous les phénomènes sous certains exposants, qui n'expriment autre chose que le rapport du temps (en tant qu'il embrasse toute existence) à Tunité de l'aperception, unité qui ne peut avoir lieu que dans une synthèse l'ondée sur des règles. Elles signifient donc toutes trois ceci : tous les phénomènes résident dans une nature et doivent y résider, parce que, sans cette unité, à priori, toute unité d'expérience, et par conséquent toute détermination des objets de l'expérience, serait impos- sible.
Mais il y a une remarque à faire sur le genre de preuve que nous avons appliqué à ces lois transcendantales de la nnture et sur le caractère particulier de cette preuve; et cette remarque doit avoir aussi une très grande impor- tance comme règle pour toute autre tentative de prouver à priori des propositions intellcclnolles et en même temps syntliétiques. Si nous avions voulu prouver dogmatique- ment, c'est-à-dire par des concepts, ces analogies, à savoir que tout ce qui existe ne se trouve que dans quelque ciiose de permanent, que tout événement suppose dans le temps précédent quelque chose à quoi il succède suivant une règle, enfin que dans la diversité des choses simul- tanées, les états aussi sont simultanés, en relation les uns avec les autres suivant une règle (en commerce réci- proque), toute notre peine alors eût été absolument perdue. Kn elTpt, on ne peut aller d'un objet et de son existence à l'existence d'un autre ou à sa manière d'exister par de simples concepts de ces choses, de quelque manière qu'on les analyse. Que nous restait-il donc? La possibilité de rexpérience, comme d'une connaissance où tous les bjels doivent pouvoir enfin nous être donnés, pour qu(^
iir représentation puisse avoir pour nous une réal'l») objective. Or dans cet intermédiaire, dont la forme essen- tielle consiste dans l'unité synthétique de Taperception de tous les phénomènes, nous avons trouvé des conditions ') priori de l'universelle et nécessaire détermination chro- nologique de toute existence dans le phénomène, condi- iions sans lesquelles la détermination empirique du liiiips serait elle-même impossible, et nous avons obtenu liiisi des règles de l'unité synthétique à priori au moyen
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desquelles nous pouvons anticiper l'expérience. Faute de recourir à cette méthode, et par suite de cette fausse opi- nion que les propositions synthétiques que l'usage expé- rimental de l'entendement recommandait comme ses principes doivent être prouvées dogmatiquement, il est arrivé qu'on a souvent cherché, mais toujours en vain, une preuve du principe de raison suffisante. Quant aux deux autres analogies, personne n'y a songé, bien qu'on s'en soit servi toujours tacitement ^ C'est qu'on n'avait pas pour se guider le fil des catégories, qui seul peut découvrir et rendre sensibles toutes les lacunes de l'en- tendement, dans les concepts aussi bien que dans les principes.
IV
Les postulats de la pensée empirique en général.
40 Ce qui s'accorde avec les conditions formelles de l'expérience quant à l'intuition et aux concepts est pos- sible.
2® Ce qui s'accorde avec les conditions matérielles de l'expérience (de la sensation) est réel.
3'> Ce dont l'accord avec le réel est déterminé suivant les conditions générales de l'expérience est nécessaire (existe nécessairement).
1. I/iinilé do l'univers, où tous les phénomènes doivent être lies, est évidemment une simple conséquence du principe tacitement admis du commerce de toutes les substances existant simultané- ment. En cllet, si elles étaient isolées, elles ne constitueraient pas un tout comme parties; et si leur liaison d'action réciproque des éléments divers) n'était pas nécessaire pour la simultanéité même, on ne pourrait conclure de celle-ci, comme d'un rapport purement idoni, a cellc-la, comme à un rap])ort réel: aussi bien avons-nous montré on son lieu que la communauté est proprement le principe il»' In possibilité d'une connaissance empirique de la coexistence, cl que par conséquent on ne conclut proprement de celle-ci à celle-là que comme à sa condition.
ANALYTIQUE TRANSCENDAxNTALE 233
Eclaircissement.
Les catégori(3S de la modalité ont ceci de particulier qu'elles n'augmentent nullement, comme détermination de l'objet, le concept auquel elles sont jointes comme prédicats, mais qu'elles expriment seulement le rapport à la faculté de connaître. Quand le concept d'une chose est déjà tout à fait complet, je puis encore demander si cette chose est simplement possible, ou si el]e est réelle, ou, dans ce dernier cas, si elle est en outre nécessaire. Pas une détermination de plus n'est conçue par là dans l'objet lui-même, mais il s'agit seulement de savoir quel est le rapport de cet objet (et de toutes ses déterminations) îivec l'entendement et son usage empirique, avec le juge- ment empirique et avec la raison (dans son application à l'expérience).
C'est précisément pour cela que les principes de la modalité ne font rien de plus que d'expliquer les con- cepts de la possibilité, de la réalité et de la nécessité dans leur usage empirique, et en même temps aussi de restreindre les catégories à l'usage purement empirique, sans en admettre et en permettre l'usage transcendantal. En effet, si elles n'ont pas seulement une valeur logique et ne se bornent pas à exprimer analytiquement la forme de la pensée, mais qu'elles se rapportent aux choses, à Icui" possibilité, à leur égalité ou à leur nécessité, il faut (lu'elles s'appliquent à l'expérience possible et à son unité synthétique, dans laquelle seule sont donnés les objets de la connaissance.
Le postulat de la possibilité des choses exige donc que h- concept de ces choses s'accorde avec les conditions for- melles d'une expérience en général. Mais celle-ci, à savoii- la forme objective de l'expérience en général, contient toute synthèse requise pour la connaissance des objets. Un concept qui contient une synllièse doit être tenu pour vide et ne se rapporte à aucun objet, si cette synthèse n'appar- tient à l'expérience, soit comme tirée de l'expérience, auquel cas ce concept s'appelle un concept empiriqièe, soit
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comme condition à priori de l'expérience en générai (de la forme de l'expérience), auquel cas il est un concept pur, mais qui appartient pourtant à l'expérience, puisque son objet ne peut être trouvé que dans l'expérience. En effet, d'où veut-on tirer le caractère de la possibilité d'un objet pensé au moyen d'un concept synthétique à priori, si ce n'est de la synthèse qui constitue la forme de la connais- sance empirique des objets? C'est sans doute une condition logique nécessaire que, dans un concept de ce genre, il n'y ait point de contradiction, mais il s'en faut que cela suffise pour constituer la réalité objective du concept, c'est- à-dire la possibilité d'un objet tel qu'il est pensé par le con- cept. Ainsi, il n'y a point de contradiction dans le concept d'une figure renfermée entre deux lignes droites, car les concepts de deux lignes droites et de leur rencontre ne renferment la négation d'aucune figure ; l'impossibilité ne tient pas au concept en lui-même, mais à la construc- tion de ce concept dans l'espace, c'est-à-dire aux conditions de l'espace et de sa détermination, conditions qui, à leur tour, ont leur réalité objective, c'est-à-dire se rapportent à des choses possibles, puisqu'elles contiennent à priori la forme de l'expérience en général.
Montrons maintenant l'utilité et l'influence considé- rable de ce postulat de la possibilité. Quand je me repré- sente une chose qui est permanente, de telle sorte que tout ce qui y change appartient seulement à son état, je ne puis, par ce seul concept, connaître qu'une telle cliose est possible. Oii bien, quand je me représente quelque chose qui doit être de telle nature que, dès qu^'il est posé, quelque autre chose le suit toujours et inévita- blement, je puis sans doute le concevoir sans contradic- tion ; mais je ne saurais juger par là si une propriété de ce genre (comme causalité) se rencontre dans quelque objet possible. Enfin, je puis me représenter des choses (des substances) diverses constituées de telle sorte que l'état de l'une entraîne une conséquence dans l'état de l'autre, et réciproquement; mais qu'un rapport de ce genre puisse convenir à des choses quelconques, c'est ce que je ne saurais déduire de ces concepts, lesquels ne contiennent qu'une synthèse purement arbitraire. Ce
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n'est donc qu'autant que ces concepts exprimant à priori les rapports des perceptions dans chaque expérience que l'on reconnaît leur réalité objective, c'est-à-dire leur vérité transcendantale, et cela, il est vrai, indépendam- ment de l'expérience mais non pas indépendamment (le toute relation à la forme d'une expérience en général et à l'unité synthétique dans laquelle seule des objets peuvent être connus empiriquement.
Que si l'on voulait se faire deï nouveaux concepts de substances, de forces, d'actions réciproques, avec la matière que nous fournit la perception, sans dériver de l'expérience môme l'exemple de leur liaison, on tombe- rait alors dans de pures chimères et l'on ne pourrait i ^connaître la possibilité de ces conceptions fantastiques ;iu moyen d'aucun critérium, puisque l'on n'y aurait noint pris l'expérience pour guide et qu'on ne les en aurait point dérivées. Des concepts factices de cette espèce ne sauraient recevoir à priori le caractère de leur possi- bilité, ainsi que les catégories, comme conditions d'où dt'pend toute expérience, mais seulement à posteriori, comme étant donnés par l'expérience elle-même. Or leur possibilité doit être connue à posteriori et empirique- ment, ou elle ne peut pas l'être du tout. Une substance qui serait constamment présente dans l'espace, mais sans le remplir (comme cet intermédiaire entre la matière et l'être pensant que quelques-uns ont voulu introduire), ou une faculté particulière qu'aurait notre esprit d'avoir l'intuition de l'avenir (et non [tas seulement de le con- clure), ou enfin la facult''; qu'il aurait d'être en commerce de pensi'os avec d'autres hommes, quelque éloignés qu'ils fuss»;nt, ce sont là des concepts dont la possibilité est tout à fait sans fondement, puisqu'elle ne peut être londéci sur l'expérience et sur les lois connues de l'expé- rience, et que sans elles on n'a plus qu'une liaison arbitraire de pensées qui, quoique ne renfermant aucune contradiction, ne peut prétendre à aucune réalité objec- tive, par conséquent à la possibilité d'un objettel que celui que l'on conçoit ainsi. Four ce qui est de la réalité, il va sans dire qu'on ne saurait la concevoir m concreto sans recourir à l'expérience, puisqu'elle ne peut se rapportre
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qu'à la sensation, comme matière de l'expérience, et non à la forme du rapport, avec laquelle l'esprit pourrait toujours jouer dans des fictions.
Mais je laisse de côté tout ce dont la possibilité ne peut être déduite que de la réalité dans l'expérience; et je n'examine ici que cette possibilité des choses qui se fonde sur des concepts à priori. Or, je persiste à soutenir que CCS choses ne résultent jamais de ces concepts en eux- mêmes, mais seulement de ces concepts comme condi- tions formelles et objectives d'une expérience en général. Il semble à la vérité que la possibilité d'un triangle puisse être connue par son concept même (il est certai- nement indépendant de l'expérience); car dans le fait, nous pouvons lui donner un objet tout à fait à priori, > c'est-à-dire le construire. Mais, comme cette construction n'est que la forme d'un objet, le triangle ne serait tou- jours qu'un produit de l'imagination, dont l'objet n'au- rait encore qu'une possibilité douteuse, puisqu'il fau- drait, pour qu'il en fût autrement, quelque chose de plus, à savoir que cette figure fût conçue sous les seules con- ditions sur lesquelles reposent tous les objets de l'expé- rience. Or, c'est seulement parce que l'espace est une condition formelle à priori d'expériences extérieures, et que cette même synthèse figurative par laquelle nous construisons un triangle dans l'imagination est absolu^ ment identique à celle que nous produisons dans l'appré- hension d'un phénomène, afin de nous en faire un concept expérimental, que nous joignons à un tel concept la représentation de la possibilité d'une chose de cette espèce. Et ainsi la possibilité des grandeurs continues, et même des grandeurs en général, les concepts en étant tous synthétiques, ne résulte jamais de ces concepts eux- mêmes, mais de ces concepts considérés comme condi- tions formelles de la détermination des objets dans l'expérience en général. Où trouver en effet des objets qui correspondent aux concepts, sinon dans l'expérience, par laquelle seule des objets nous sont donnés? Toute- fois, nous pouvons bien connaître et caractériser la possibilité des choses, sans recourir préalablement à l'expérience même, en l'envisageant simplement par rap-
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 237
port aux conditions formelles sous lesquelles quelque chose est en général déterminé comme objet dans l'expé- rience, par conséquent tout à fait à priori; mais ce n'est toujours que relativement à l'expérience et dans ses limites [que nous la connaissons et la caractérisons].
Le postulat, relatif à la connaissance de la réalité des choses, exige une perception, par conséquent une sensa- tion, accompagnée de conscience — ndn pas il est vrai immédiate, — de l'objet même dont l'existence doit être connue; mais il exige aussi que cet objet s'accorde avec quelque perception réelle suivant les analogies de l'ex- périence, lesquelles représentent toute liaison réelle dans une expérience en général.
On ne saurait trouver, dans le simple concept d'une chose, aucun caractère de son existence. En effet, encore que ce concept soit tellement complet que rien ne man- que pour concevoir une chose avec toutes ses détermina- tions intérieures, l'existence n'a aucun rapport avec toutes ces déterminations; mais toute la question est de savoir si une chose de ce genre nous est donnée, de telle sorte que la perception en puisse toujours précéder le con- cept. Que le concept précède la perception, cela signifie simplement que la chose est possible; la perception qui fournit au concept la matière est le seul caractère de la réalité. Mais on peut aussi connaître l'existence d'une chose ayant de la percevoir, et par conséquent d'une manière relativement à priori, pourvu qu'elle s'accorde avec certaines perceptions suivant les principes de leur liaison empirique (les analogies). Alors, en effet, l'exis- tence de la chose est liée à nos perceptions dans une expérience possible, et nous pouvons, en suivant le fil de ces analogies, passer de notre perception réelle à la chose dans la série des perceptions possibles. C'est ainsi que nous connaissons, par la perception de la limaille «le fer attirée, l'existence d'une matière magnétique péné- trant tous les corps, bien qu'une perception immédiate «le cette matière nous soit impossible, à cause de la cons- titution de nos organes. En effet, d'après les lois de la sensibilité et le contexte de nos perceptions, nous arri- verions à avoir dans une expérience l'intuition immé-
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diate de cette matière, si nos sens étaient plus délicats, mais la grossièreté de ces sens ne touche on rien à la forme de l'expérience possible en général. Là donc où s'étend la perception et ce qui en dépend suivant des lois empiriques, là s'étend aussi notre connaissance de l'existence des choses. Si nous ne commencions pas par l'expérience ou si nous ne procédions pas en suivant les lois de l'enchaînement empirique des phénomènes, c'est en vain que nous nous flatterions de deviner ou de péné- trer l'existence de quelque chose.
Mais l'idéalisme "■ élève une objection contre ces règles de la démonstration médiate de l'existence ; c'est donc ici le lieu de la réfuter.
Réfutation de l'idéalisme.
L'idéalisme (j'entends l'idéalisme matériel) est la théorie qui déclare l'existence des objets dans l'espace ou dou- teuse et indémontrable, ou simplement fausse et impos- sible. La première doctrine est l'idéalisme problématique de Descartes, qui ne tient pour indubitable que cette affirmation empirique (assertio) : je suis ; la seconde est Vidéalisme dogmatique de Berkeley, qui regarde l'espace avec toutes les cJioses dont il est la condition inséparable comme quelque chose d'impossible en soi, et par consé- quent aussi les choses dans l'espace comme de pures fictions. L'idéalisme dogmatique est inévitable quand on fait de l'espace une propriété devant appartenir aux choses en soi; car alors il est, avec tout ce dont il est la condition, un non-étre. Mais nous avons renversé le principe de cet idéalisme dans l'esthétique transcendan- tale. L'idéalisme problématique, qui n'affirme rien à cet égard, mais qui allègue seulement notre impuissance à démontrer par l'expérience immédiate une existence en dehors de la nôtre, est rationnel etr-annonce une façon de penser solide et philosophique, qui ne permet aucun
a. Toute cette réfutation de l'idéalisme, Jusqu'aux réflexions sur le troisième postulat, est une addition de la deuxième édition-
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 239
jugement décisif tant qu'une preuve suffisante n'a pas été trouvée. La preuve demandée doit donc établir que nous n'imaginons pas seulement les choses extérieures, mais que nous en avons aussi l'expérience ; et c'est ce que l'on ne peut faire qu'en démontrant que notre expérience interne, indubitable pour Descartes, n'est possible elle- même que sous la condition de l'expérience extérieure.
THÉORÈME
La simple conscience , mais empiriquement déterminée, de ma propre existence, prouve Vexistence des objets extérieurs dans l'espace.
PREUVE
J'ai conscience de mon existence comme délciinincL' dans le temps. Toute détermination de temps suppose quelque chose de permanent dans la perception. Or, ce permanent "^ ne peut pas être une intuition en moi. En effet, tous les principes de détermination de mon exis- tence qui peuvent être trouvés en moi sont des représen- tations et, à ce titre, ont besoin de quelque chose de per- manent qui soit distinct de ces représentations et par rapport à quoi leur changement, et par conséquent mon existence dans le temps où elles changent, puissent être tli terminées i>. La perception de ce permanent n'est donc
1. .lai suivi ici la nouvelle rcdaclion que Kant, dans la der- nière note do la prt*face de sa 2» édition, (voir plus haut, p. 33', prie le lecteur de substituer à celle phrase du texte : « Or, ce per- manent ne peut ôtro qiielque chose en moi, puisque mon existence dans le temps ne peut être déterminée que par ce permanent lui- même ». J. It.
h. A la correction :i laquelle je viens de me conformer, Kant a joint, dans la note rappolc; plus haut, les observations suivantes, qui trouvent ici leur vraie idace :
•< On objectera sans doute contre cette preuve, que je n'ai lmm(^- diatemcnt conscience que de ce qui est en mol, cest-à-dire de ma
' /ifésentation des choses extérieure», et que par conséquent II
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possible que par une chose existant hors de moi, et non pas seulement par la représentation d'une chose extérieure
reste toujours incertain' s'il y a ou non hors de moi quelque chose qui y corresponde. Mais j'ai conscience par Vexpérience inlé- j'ieure de mon existence dans le tenii^s (par conséquent aussi, de la propriété qu'elle a d'y être déterrainable), ce qui est plus que d'avoir simplement conscience de ma représentation, et ce qui pourtant est identique à la conscience etnpiviqiie de tnon exis- tence, laquelle n'est déterminable que jJc^^ rapport à quelque chose existant hors de moi et lié à mon existence. Cette cons- cience de mon existence dans le temps est donc identiquement liée à la conscience d'un rapport à quelque chose hors de moi, et par conséquent c'est l'expérience et non la action, les sens et non l'imagination, qui lient inséparablement l'extérieur à mon sens intérieur; car le sens extérieur est déjà par lui-même une relation de l'intuition a quelque chose de réel existant hors de moi, et dont la realité, à la ditîérence de la Jiction.. ne repose que sur ce qu'il est inséparaWement lié à l'expérience intérieure elle- même, comme à la condition de sa possibilité, ce qui est ici le cas. Si à la conscience intellectuelle que j'ai de mon existence dans cette représentation -.Je suis, qui accompagne tous mes juge- ments et tous les actes de mon entendement, je pouvais joindre en même temps une détermination de mon existence par l'intui- tion intellectuelle, la conscience dun rapport à quelque chose d'extérieur à moi ne ferait pas nécessairement partie de cette déter- )nination. Or, cette conscience intellectuelle précède sans doute, mais l'intuition intérieure, dans laquelle seule mon existence peut être déterminée, est sensible et liée à la condition du temps, et cette détermination, et par conséquent aussi 1 expérience inté- rieure elle-même, dépendent de quelque chose de permanent, qui n est pas en moi, et par conséquent ne peut être que quelque chose hors de moi, avec quoi je dois me considérer comme étant en relations. La réalité du sens externe est ainsi nécessairement liée à celle du sens interne pour la possibilité d'une expérience on général; c'est-à-dire que j'ai tout aussi sûrement conscience qu'il y a hors de moi des choses qui se rapportent à mon sens, que j'ai conscience d'exister moi jnême d'une manière déterminée dans le temps. Quant à savoir à quelles intuitions données corres- pondent réellement des objets hors de moi, qui par conséquent appartiennent au sens extérieur et non à l'imagination, c est ce qui, dans chaque cas particulier, doit être décidé d'après les règles qui servent à distinguer une expérience en général (même l'expé- rience interne) de 1 imagination: mais le principe est toujours qu'il y a réellement une expérience extérieure. On peut encore ajouter ici la remarque suivante : la représentation de quelque chose ÛQ permanent dans l'existence n'est pas identique à la repré- sentation permanente; celle-ci, en elTet, peut être très changeante el très variable, comme toutes nos représentations et même celles do la matière, et cependant elle se rapporte a quelque chose de per-
ANALYTIQUE TRANSCBNUANTALB 2H
à moi. pqj^ cp^s^quellt la déterrniûîition de mon exis- t''^ce ilar|s je temps n'est possible que par l'existence ds Pl^^Qses réelles que je perçois hors de moi. Mais, comme CQl^Q conscience dans le temps est nécessairement liée à ]i\ çfi^:^^cience de l«i possibilité de celte détermination du tepips, plie esit aussi nécessairement liée à l'exis- tence dps cjiqses jiors de nioi, conime à la ci)nditiQn delà détrrinination du temps; c'est-à-dire que la conscience de n^;^, prppre pxjstence est en même temps une conscience immédiate de l'existence d'autres choses hors de moi.
Premier^ W^iarquç. — On remarquera dans la preuve prépcdonte q^e le jeu de i'idéalisine est retourné, à bien pins juste titre, contre ce sy^t^me. Celui-ci admettait que la seulp expérience iinniédiat^ e§t l'expérience interne et que l'on ne |ait'*que conclura de là à l'exi*tence de choses extéi'ieuies, mais qu'ici, comme dans tous les cas où J'on cQflplut d'elTets donnés à des causes déknninàcs, la conclusion est incertaine, parce qvie la cause de§ re- présentations peut aussi être en nous-mêmes, et que peut-être nQus Ips attribuons l'aussement à des choses "xtérieurps. Or, \\ est dén^Qntfé ici que l'expérience exté- H ure est proprement immédiate!, et que c'est çeuleinent
iiKinonl, qui pa|- co^scqucnt aoit Ptrp ime cj^ose 4isttncte de toutes mes représentations, une chose extérieure dont l'existencj est nécessairement comprise dans la dcHenni nation de mapropro existence et no constitue avec elle qu une seule' expérienco. J|ui n'aurait jaiuais ijeu intéritmrçuiçnt si elle notait pas aussi exté- rieure (en partie). Quant au copipie^t. nous ne pouvons pas plus rexpli(pjer ici que nous ne pouvons expil(iucr coipmenl nous con- cevons en général ce qui subsislo dans 1^ Icnips et par sa simul- lanéitu avec ^e variable produit le c^)ncept du clianj?eniont ".
I. (.a consvionce v»«'i<?ci'a^e dq |c\islcnce des choses extérieures iKst pas supposée mais prouvée dans le théorème précédent, «pio. nous glissions apercevoir ou ncm la possibilité de cotte existence. I.a ipicstiou touct>anl cette deiniéro serait de sa\oir si nousnavons qu'un sens ipternç. ''t pa^i ^Q ^<^m exleni.' miis sipipleujent une imagination extérieure. 0r, il est clîjii ne pour que ^ous
puissions nous imaginer quelque cho extérieur, il faut
que nous avons déjà un sens externe, et (|ii;iiusj nous distin^uion.s iuunédialeuH'nt la siuiple réceptivité dune intuition externe do la spimtanéile ((ui caractç'ri'ie toute iuui^'ination. |:n otTet. supposer <iue nous ne lassions qi^imaginor un sens externe, ce ser.iit sup- primer la faculté même d'intuition qui doit être déterminée par l'ina.'Zination.
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au moyen de cette expérience qu'est possible non pas, il est vrai, la conscience de notre propre existence, mais la détermination de cette existence dans le temps, c'est-à- dire l'expérience interne. Sans doute, la représentation ie suiSy exprimant la conscience qui peut accompagner toute pensée, est ce qui renferme immédiatement en soi l'existence d'un sujet; mais elle n'en renferme aucune connaissance, par conséquent aucune connaissance empi- rique, ou, en d'autres termes, aucune expérience. Il faut pour cela, outre la pensée de quelque chose d'existant, l'intuition, et ici l'intuition interne ; c'est par rapport à cette intuition, c'est-à-dire au temps, que le sujet doit être déterminé; et cela même exige nécessairement des objets extérieurs, de telle sorte que l'expérience interne elle- même n'est possible que médiatement et par le moyen de l'expérience externe.
Deuxième remarque. — Tout usage expérimental de notre faculté de connaissance dans la détermination du temps s'accorde parfaitement avec cette preuve. Non seulement nous ne pouvons percevoir aucune détermination de temps que par le changement dans les rapports extérieurs (le mouvement) relativement à ce qu'il y a de permanent dans l'espace (par exemple le mouvement du soleil rela- tivement aux objets de la terre); mais nous n'avons même rien de permanent que nous puissions mettre comme intuition, sous le concept d'une substance, sinon la matière; et même cette permanence n'est pas tirée de l'expérience extérieure, mais elle est supposée à priori^ par l'existence des choses extérieures, comme la condition nécessaire de toute détermination de temps, par consé- quent aussi à titre de détermination de notre sens interne relativement à notre propre existence. La conscience do moi-même dans la représentation Je n'est point du tout une intuition, mais une représentation purement intel- lectuelle de la spontanéité d'un sujet pensant. Ce Je ne contient donc pas le moindre prédicat d'intuition qui, on tant (|ue permanent, puisse servir de corrélatif à la détermination du temps dans le sens interne, comme est par exemple Vimpênélrahil'té dans la matière, eu tant qu'intuition empirique.
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troisième remarque. — De ce que l'existence d'objets extérieurs est nécessaire pqur qu'une conscience déter- minée de nous-mêmes soit possible, il ne s'ensuit pas que toute représentation intuitive des choses extérieures <.n renferme en même temps l'existence, car cette repré- sentation peut bien être le simple effet de l'imagination (comme il arrive dans les rêves ou dans la folie) ; mais, môme alors, elle n'a lieu que par la reproduction d'an- ciennes perceptions extérieures, lesquelles, comme nous l'avons montré, ne sont possibles que parla réalité d'ob- jets extérieurs. Il a donc suffi de prouver ici que l'expé- rience interne en général n'est possible que par l'expé- rience externe en général. Quant à savoir si telle ou telle prétendue expérience ne serait pas une simple imagina- tion, c'est ce que l'on découvrira au moyen de ses déter- minations particulières et à l'aide de son accord avec les critères de toute expérience réelle.
Enfin, pour ce qui est du troisième postulat, il se rap- porte à la nécessité matérielle dans l'existence et non à la nécessité purement formelle et logique dans la liaison les concepts. Or, comme nulle existence des objet:^ des <ns ne peut être connue tout à fait à priori, mais seule- ment d'une manière relativement à priori, c'est-à-dire par r.'ipport à un autre objet déjà donné, par conséquent • ricore par rapport à u!ie existence comprise déjà quelque \)avi dans l'ensemble de l'expérience dont la perception donnée est une partie, la nécessité de rexistence ne peut j.imais être connue par des concepts, mais seulement par a liaison avec ce qui est perçu suivant les lois générale^^ lo l'expérience. D'un autre côté, comme la seule existence qui puisse être reconnue pour nécessaire sous la condi- tion d'autres phénomènes donnés est celle des effets résul- tant de causes données d'après les lois de la causalité, ce n'est pas de l'existence des choses (des substances), mais seulement de leur état que nous pouvons connaître la nécossilc et cela en vertu des' lois empiriques de la causalité, au moyen d'autres états donnés dans la percep- tion. Il suit de là que le critérium de la nécessité réside uniquement dans cette loi de l'expérieuce possible, à
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savoir, que tout ce qui arrive eist déterminé à priori dans le phénorpène pg^r sa pause. I^ous ne connaissons donc dans la nature que la nécessité des effets dont les causes nous sont données ; le signe de la nécessité dans l'existence ne s'étend pas au delà du cl^arnp de rexpértçnçe possible, et înême dans ce champ il ne s'applique pas à l'existence des choses comme substances, puisque celles-ci ne peu- vent jamc^is être considérées pomme des effets empi- riques ou comme quelque cbose qui arrive et qui naît. La nécessité ne concerne donc que les rapports des phéno- mènes suivant la loi dynamique de la causalité, et que la possibilité qui s'y fonde, de conclure à priori de quelque existence donnée (d'une cause) à une autre existence (à l'elîet). Tout ce qui arrive est hypothétiquement néces- saire; c'est l(à un principe qui soumet le changement dans le monde à une loi, c'est-à-dire à une règle de l'existence nécessaire, sans laquelle il n'y aurait pas même de nature. C'est pourquoi le principe : ri^n n'arrive par un hasard aveugle [in mundo non dam" casus] est nne loi à priori de la nature. Il en est ^q même de celle-ci : il n'y a pas dans la nature de nécessité aveugle, mais une néces- sité conditionnelle, par conséquent intelligente {non datinr fatum). Ces deux principes spnt des lois qui soumettent le jeu des changements à une nature des choses (comine phé- nomènes) ou, ce qui revient au même, à l'unité de l'en- tendement dans lequel ils ne peuvent appartenir qu'à l'expérience considérée comme unité synthétique des phénomènes. Us sont tous deux dynamiques. Le premier est proprement une qonséqyence du principe de la cau- salité fdans les analogies de l'expérience). Le second appartient aux principes de la modalité, qui ajoute à la détermination causale Je concept de la nécessité, mais d'une nécessité soumise à une règle de l'entendement. Le principe de la continuité interdisait dans la série des phénoniènes (de$ changements) tout saut Un mundo non datur saltus], et en même temps, dans l'ensemble de toutes les intuitions empiriques dans l'espace, toute lacune, tout hiatus entre deux phénomènes^ {non datur hiatus) ; car on peut énoncer ainsi le principe : il ne peut rien tomber dans l'expérience qui prouve un vacuum, ou qui seulement
AXALYTIQiJE TIUNSCENDANtALE 24o
le permeltë comme uhe partie de la synthèse empirique. En effet, polir ce qui est du vide qiie Ton pelit coticovoir eh deliors du champ de l'ex|)érience possible (du monde), il n'est p.as du ressort du pur cntehdement, qui protioncG uniquement sur les questions concernant l'utilisation deS jdlénomènes donnes dans la connaissance iempiHqiie, et c'est tin pfobième pour la raison idéaliste, taquelle Sdirt de la sphère d'une expérience possible poui- juger lolii bfe qui environne et lirnite cette sphère même ; c'est bai" cohséqueril dans la dialectique trariscchdàntcile qu'il doit êlt*e e.^aminé. NoUs pourrions aisément i-eprésentét* ces qUatfë pi-ihcipes [îh muûdô non datuf' hîâttiS, n'ôh dàtiir sditUs, non ditiir câsiis, non datàlr fàtum), comme toUs les autt-es principes d'ot-igine traiiscéhdâhtale, dahs h^Ur oindre, côUrormétnent A l'ordre des catégories, et assimiler A chacUn sd place; mais le lecteur déiâ exerce le fera Ah lui-même ôli trouvera aisément le fil conducteur héces- éall-e pour cela. Ils s'accordent tous d'ailleurs eh ce poiht, et en ce poittt seul, qu'ils ne souitreht rien, dahs la syhth^se empirique, qui jmisse l'àire obstacle ou porter atteinte .-1 l'ëUtendement et <\ rericbafnehlent côhlihu de tous les phéhomèhes, c'est-;\-direà l'ithité de èescohccpts, cai* c'est eh lui seulement qu'est possible l'Unité de l'expé- rlehcc 01^ toutes les percopliohs doiveht dvoir leUr place. Le ch.irtip de \A possibilité est-il plus grand qUe tëlUi qui cohtiehl tout le réel, et celui-ci \ son tour est^il phi'; grand <|ue belUi de ce qUl est hécessàire? t'e sont lA d<- belles questions, dont la solUtioh e>t synthétique, mais (|Ui rcssortissent uniciUenii'Ut du tribunal de la raisoh. Eh eltet, elles reviehuent A peu près à dehiander si toules cliOseè, comme phé^nomènes, àppdrliehhent A l'ensembhî ci au eonte.tte d'une expérience unique doht toute pr-rcep- tioh ilohhéo est une partie qui ne peut être liée A d'autres pliéhomèhes, oU bien si mes perceptions peuvent appar- tenir (dans leur cnchalnetueht général) n qUelque chose de plus qu'à une seUle expérience possible. î/chtende- ment hc donne à priori A l'expérience en péliéral que la règle, suivant les conditions subjectives ot formelles, soit de lA sehsibilité, soit de l'Aporceptioh, qui seUles rendeht possible cette expérience. Quand même d'autres fortties
2,6 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
de l'intuition (que l'espace et le temps), ou d'autres formes de l'entendement (que la forme discursive de la ])ensée, ou celle de la connaissance par concepts: seraient possibles, nous ne pourrions d'aucune l'acon les penser ni les rendre compréhensibles par concepts ; et, le pus- sions-nous, toujours n'appartiendraient-ils pas a l'expé- rionce, comme à la seule connaissance où les objets nous i-ont donnés. Peut-il yavoir d'aiiUcs perceptions que celles qui en général constituent l'ensemble de notre expérience possible, et par conséquent peut-il y avoir un tout autre champ de la matière ? c'est ce que l'entendement ne sau- rait décider, n'ayant affaire qu'à la synthèse de ce qui est donné. D'ailleurs la pauvreté de ces raisonnements ordi- naires par lesquels nous produisons un grand empire de la possibilité, dont toute chose réelle (tout objet d'expé- rience) n'est qu'une petite partie, cette pauvreté saute aux yeux. Tout réel est possible; de là découle naturelle- ment, suivant les règles logiques de la conversion, cette proposition toute particulière : quelque possible est réel, ce qui paraît revenir à ceci : il y a beaucoup de possible qui n'est pas réel. Il semble à la vérité que Ton puisse ainsi mettre le nombre du possible au-dessus de celui du réel, puisqu'il faut que quelque chose s'ajoute à celui-là pour former celui-ci. Mais je ne connais pas cette addi- tion au possible ; car ce qui devrait y être ajouté serait impossible. La seule chose qui pour mon entendement puisse s'ajouter à l'accord avec les conditions formelles de l'expérience, c'est sa liaison avec quelque perception ; et ce qui est lié avec une perception suivant des lois empiriques est réel, encore qu'il ne soit pas immédia- tement perçu. Mais que dans l'enchaînement général avec ce qui m'est donné dans la perception, il puisse y avoir une autre série de phénomènes, par conséquent plus qu'une expérience unique comprenant tout, c'est ce que l'on ne peut conclure de ce qui est donné, et ce que l'on peut encore moins conclure sans que quelque chose soit donné, puisque rien ne se laisse jamais penser sans matière. Ce qui n'est possible que sous des conditions simplement possibles elles-mêmes, ne l'est pas à tous égards. Mais c'est à ce point de vue général que l'on envi-
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 247
sage la question, quand on veut savoir si la possibilité des choses s'étend au delà du cercle de l'expérience.
Je n'ai fait que mentionner ces questions pour ne laisser aucune lacune dans ce qui appartient, suivant l'opinion commune, aux concepts de l'entendement. Mais dans le fait, la possibilité absolue (qui est valable à tous égards) n'est pas un simple concept de l'entendement, et ne peut ♦Hre d'aucun usage empirique ; elle appartient unique- ment à la raison, qui dépasse tout usage empirique pos- sible de l'entendement. Aussi avons-nous dû nous con- tenter d'une remarque purement critique, laissant d'ail- leurs la chose dans l'obscurité, jusqu'à ce que nous la reprenions, plus tard pour la traiter d'une manière plus étendue.
Avant de clore ce quatrième numéro et avec lui le sujet de tous les principes de l'entendement pur, je dois indi- quer encore le motif qui m'a fait appeler sans hésitation du nom de postulats les principes de la modalité. Je ne prends pas ici cette expression dans le sens que lui ont donné quelques philosophes récents, contrairement à celui des mathématiciens, auxquels elle appartient pro- prement, c'est-à-dire celui-ci : postuler, c'est donner pour immédiatement certaine une proposition, sans la justifier ni la prouver. En effet, accorder que des propositions synthétiques, si évidentes qu'elles soient, puissent, sans déduction et à première vue, emporter une adhésion absolue, c'est ruiner toute critique de l'entendement. Comme il ne manque pas de prétentions hardies, auxquelles ne se refuse pas même la foi commune (mais sans être pour elles une lettre de créance), notre entendement serait ouvert à toutes les opinions, sans pouvoir refuser son assentiment à des sentences qui, quelque illégitimes (ju'elles fussent, demandeiaient, avec le ton de la plus parfaite assurance, à être admises comme de véritables axiomes. Quand donc une détermination à priori s'ajoute synthéti(iuement au concept d'une chose, il faut nécessai- rement joindre à une proposition de ce genre, sinon une preuve, du moins une déduction de la légitimité de celte assertion.
Mais les principes de la modalité ne sont pas objective»
248 CRITIQUE DE LA RAISON t»tjilE
iiiëtil sttithétiqiies, ^tlis(îiié les prédicats de là^bsslbiHb', de la réalité et dfe là hécëssité h'ëtêrtdënt pétS lettibitis dii tïionde lé concept âtiqilél ils s'appliquent, eh tljoiitant quelque clibsë à la i^ëpt-êsëiitatibn de i'bbjet. i!§ ti'ëh èont pas moins synthétiques; màiâ Ils ne le sbnt qde d'Uhe liiànièl-e subjective, c'ëst-à-dire qu'ils applit[uënt ail cbh- bept d'urte chose (dii réel); dont Ils ne disent rléli d'ail- leurs, la faculté de conriàltbe bii il â son origine ç[ ém siège. Si ce concept cohcbrde simplement datis rentcndfe- inent avec les cbhdllions forilielles de rbxpériéticei son objet est appelé possible; s'il feSt lié â la perception (à la Sensation, comrlie matière dés Sens) et dn'il soitdétierininé pài- elle dU moyen dfe l'enténdëttlent, l'objet feSt dit I-éël; si enfin il est déterminé par l'enchaînement des pét*eep- tldhs suivant des cohcëpts, l'oi3jet se noinme nécessaire. Lés principes de là modalité h'ëipriment donc, tolichànt ail concept, i'ieri àUtl-e those qbe l'aëte de là faculté de connaître par lequel il est pt*oduit. Ob On appelle postulat dans les mathéhiatîqiiëS, iiîlë proposition pi^atique qui he contient i'ien que la synthèse par laquelle nous nous don- nons d'abord un objet et ëh produisons lé cbncepi; pftr exëiTiple, décrire d'UHpbîht donné, avec Uhë ligne donnée, un cët'fcle sut* une SUrfâbë. Uhë pi^opbsitibn de ce gehhë ne peut paS être démontrée, puisquë le procédé qu'elle exige ëst pt-écisément celui par lëqUël hOus produisons d'âbol'd le concept d'Uhe telle figUre. î^bus pouvons donc, avec iliênlë droit, pOstUlët- les principes de là modalité, puisqu'ils n'étendent pas leUt* tohbëpt des choses, mais qu'ils Se bornent à montrer cbiihnëht en général II est lié ici à la faculté de coïiiiditr'ë <.
1. Par la réalité d'uhe chose j'a^ilr nié sans doute plus (Juela possibilité, mais noh pas dans là choSTS; ëh élïet, la choSéhb sau- rait rontenh- dans la réalité plUs qll'il n'iitalt contenu dahs sa possibilité complète. Mais, conlme la. possibilité n'était (fuime posiUon de la chose par rapport à l'entendement là spn iisa;.'e empirique), la réalité est eh hiêihe iëiiips une liâisOh de cette cMbsD avec la perception.
ANALYTIQUE TRANSGENDANtÀlE 249
nEMAhQUE GÉNÉRALE SUR LE &tSTÈME DES t^t^L^CiPES
G*eèt ùhë chb^é t^ës dighê à^ rl*iîia^rîUl^ que iious tife puissions âpei'icbTtJir par là catégorie seule la poèsibilitô d^lUbiihe cfiosfe, rtiàis tjUè nous ayohà toiijourg besoin d'avoir à notre porté'e Une intuition pour t découvrir lu idéalité objective du cortcbpt pUr de l'entendetuént. Que l'bh prenne par excrtl|11e les càlégorieê de la relation. Cotnitieht 1« ^Uel(|Ue chose peut-il exister uhiituetnent cbrtiUie sujet et rtou pas comme simple détermination d'dUtt^e clloèé, c'est-à-dire cohiment peUl-1l être subs- -tàtlce, oU 2^ colnmerit, parce que quelque clioâé est, une autre chose doit-elle êti'e, par conséquent comment qucl- '(|Ufe fchose eh i^énéral peut-il être ràUse, ou 3° comment, (Juahd plusieurs cliOSes sont par cela que l'une d'elles bîciste, il eh résulte quelque cliOsé pour les autres, et bébi^îroqUeitieht, 'et comment peut-il y avoir un commerce de substances de cette façon; c'est ce que de simples con- teî)tà ne sauraient montrer. 11 eneste^tactemont de môme pOUr les autres catégories, par exeiîlpîe de la que.-lion d^ savoir portuncnt une chose [îetit être idi-htique û plusieurs ëtlseUible, c'efet-rUdire être une quantité, ejc. Tant qu'Oii itiàhque d'intuition on ne sait pas si par les catégories on pëtise un objet, et si hiême en loUie drcaslou 11 se trouve Uh objet pour leub rbuvetiit-; par m l'on toit qu'elles Ue
sont pas du tout des cotmnissanccs, mais de simples fo7'mc:< de la pensée serVàht a tninsfoimer eh cOhnaisèauces dos intuitions données. Il en résulte qu'aucune proposition syttthéfique ne peUt être tirée de seules rati'-gories. Quand je flis par etetllple qUe dans toute e.tistehce il y a urte substance, c'est-à-dire quelque chose qui ne peut exister que comme sujet et non ]ms comme sitnple prédirai, ou qu*itne chose est un quanturii, etc., il n'y a rien là qui puisse nous servir à aller au delà d'Uh con''ept donné» et à lui rattacher un autre concept. Aussi n'a-l-on jamais li'ussi à prouver ijat* de simples concepts de l'entende-
250 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
ment une proposition synthétique, celle-ci par exemple : tout ce qui existe d'une manière contingente a une cause. On ne pourrait jamais aller plus loin qu'à démontrer que sans celte relation nous ne saurions comprendre l'exis- tence du contingent, c'est-à-dire connaître à priori par l'entendement l'existence d'une telle chose ; il n'en suit pas que cette relation soit aussi la condition de la possihilit ' (les choses mêmes. Si l'on veut se reporter à notre prouve du principe de causalité, on remarquera que nous n'avons pu le prouver que par rapport à des objets d'expérience possible : tout ce qui arrive (tout événement) suppose une cause, et que nous n'avons pu ainsi le prouver que comme un principe de la possibilité de l'expérience, par consé- quent de la connaissance d'un objet donné dans l'intuition empirique et non par de simples concepts. On ne peut nier cependant que cette proposition : tout ce qui arrive doit avoir une cause, ne soit évidente pour chacun par de simples concepts, mais alors le concept est déjà entendu de telle sorte qu'il ne contient pas la catégorie de la modalité (comme quelque chose dont la non-existence se laisse concevoir), mais qu'il contient celle de la relation (comme quelque chose qui ne peut exister que comme conséquence de quelque autre), et en ce cas nous avons une proposition identique : tout ce qui ne peut exister que comme conséquence a sa cause. Dans le fait, quand nous avons à donner des exemples de l'existence contin- gente, nous en appelons toujours à des changements et non pas seulement à la possibilité d'en concevoir le con- traire^. Or le changement est un événement qui comme tel
i. On peut concevoir ajsément la non-existence de la matière mais les anciens n'en concluaient pourtant pas à sa continjïenci» A l'Ile soûle, môme, la vicissitude de l'existence et delà non-existoni . tlun état donné d'une chose, en quoi consiste tout chanj^einent, u piouvo pas la contingence de cet état, comme par la réalité de son contraire ; par exemple le repos d'un corps qui suit lemouvemont ne prouve pas la contingence de ce mouvement, par cela que le repos est le contraire du mouvement. Car ce contraire n'est oppo.si' ici à l'autre que logiquement et non réellement. Pour prouver la contingence du mouvement, il faudrait prouver qu'au liea d'être en mouvement dans le temps précédent, il eut été possible que le corps fût alors en repos. 11 no sufllt pas qu'il lait été ensuite, car alors les deux contraires peuvent très bien coexister.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 2ol
n'est possible que par une cause, et dont par conséquent la non-cxislcnce est possible en soi; l'on reconnaît ainsi la contingence à ce que quelque cliose ne peut exister que comme effet d'une cause. Quand donc une cliose est admise comme contingente, c'est une proposition analy- tique de dire qu'elle a une cause.
Mais il est encore plus remarquable que pour com- ])rendre la possibilité des cboses en vertu des catégories, et par conséquent pour démontrer la rénlité objective de c^s dernières, nous avons besoin non pas seulement d'in- tuitions, mais même toujours d'intuitions extérieures. Pre- nons par exemple les concepts purs de la relation, voici ce que nous trouvons : 1*^ Pour donner dans l'intuition quelque chose de permanent qui corresponde au concept de la substance (et pour démontrer ainsi la réalité objec- tive de ce concept), nous avons besoin d'une intuition dans l'espace (celle de la matière) parce que seuU'espace a la détermination du permanent, tandis que le temps et par suite tout ce qui relève du sens intérieur s'écoule sans cesse. 2° Pour représenter un changement, comme intuition correspondante au concept de la causalité, il nous faut prendre par exemple le mouvement, <à titre de chan- gement dans l'espace, et c'est par là seulement que nous pouvons nous rendre saisissables les changements dont aucun entendement pur ne peut comprendre la possibi- lité. Le changement est la liaison de déterminations con- tradictoirement opposées entre elles, dans l'existence d'une seule et même chose. Or comment est-il possible que d'un état donné d'une chose résulte dans celte chose un état opposé au premier, c'est ce que non seulement aucune raison ne peut comprendre sans exenjple, mais ce qu'elle ne peut même se rendre intelligible sans une intuiti'n, et cette intuition est celle du mouvement d'un point dans l'espace, dont l'existence en différents lieux (comme série de déterminations opposées) nous lait seule d'abord saisir intuilivement le changement. En effet, pour que nous puissions concevoir même des changements int('rieurs, il faut que nous nous représenlions d'une manière figurée le temps, en tant que forme du sens , intime, comme une ligne, et le changement intérieur par
252 CRITinUfe bÉ LÀ i\A\^m PUftfe
le tt'acé de cette ligtle {qui est nxi moùvemetll) ; pat* con- séquent lloûs nous retrdOhs saisissàblè ntitré existence intcrieure propre datis ses diJïéi'ertls otats pd^ tjtin intui- tion extérieure. Ld raisoii propl-e eti est c^ue tout cli;i! genieiit sUpjDOSe quelque chose de pët'îtlànëht daiis l'inti; tion, à seule fin de poUvdit- êti^e j)ei%'U coiîirtie cliauge- ment, et qu'aUcunc itltuitioii perniatiéiite tie sereiicohtre dans le seiis iiitimc. Ënflîi la càtégoi-ic de la cômrinihûHtc ne peut éit-e cortiprise, qUâht à sA possibilité, pai^lasculi- raisOti, et jiàr cOilséclileilt là réalité objectirb dé ce-cti cept né peut être àflerçUe satls intuitioii et iliêrtliB sa! ititUitioU e.ttérieuirè datis i'eèpacé. Eii eiTfei cdtnhienttei; oti concevoir cominé possible tjue, pîtisieUrs substaticr^ existàtit, de l'existence de l'uiic quelque cllbsè hësuUfe dans celle de l'àUtre (à titre d'elîet) pdi- uiie action ^é^; proqUe, et qu'ai iisi, parce qu'il y d datis là prëtnici quelque cîiosë qui hë peut êlt*e cornpris par là seule f?xis- teuce des aiitres, il doive eti être de inêiiie pour toutes? car cela est nécessaire pOur qu'il y ait cOmtnutiaUté, niais ' ne jieUt se coiti^rendre de choses dont chacuhe subsiste ■d l'état coUIplètemetit isolé. Aussi Leibnitz, tout eil attri- buant Une coiUmuilâUté aux substances du hioiide, illais aux sUbstaiices coriçUes coriimë_ elles peuvent l'être jiar l'etitetideilient seul, eut-il besOiil'de recourir d l'itltchtci'- tion de la diVitiité, cài- ce comttierce de substances i parut justetiiëiit iticompbéhetlsîble j^ar leur seule exi tetice. Mais noUs pouvons tioiïï» retidre saisîsfeable la po sibilité de la cottlUlUrtauté (des substances COiriine p!i nomènefe) en iloUs les i-Cfirésentant dans l'espace, fi, conséquent dans l'Intuition extérieure. CelUi-ci eil oil coritieiit déjà à priori des rapj3orts extérieurs foritiel coniitie conditions de la possibilité des rapjjorts réels o soi (dans l'action et la i^éaction, f)ar suite dans lacoihriv haute). 11 est tout aussi facile de prouver que la po^sil lité des choses cotnUie grandeurs, et par consétjUent ! t-éalité objective des catégories de la grandeur, ne pei être représentée qUe dans l'ititUition extérieure ethe peu. être appliquée ensuite au sehs irttirne qu'au moyen dt- rette intuition. Seulement poUb éviter les longueurs, je finis en laisser les exemhles à la réflexion dU lecteut*. \
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 2o3
Toute cette remarque est d'une grande importance non seulement pour confirmer notre précédente réfutation de Tidéalisme, mais surtout pour nous montrer, quand il sera question de la connaissance de soi-même par la simple conscience intérieure, et de la détermination de notre nature sans le secours d'intuitions empiriques exté- rieures, les limites de la possibilité d'une telle connais- sance.
Voici donc la dernière conséquence de toute cette sec- tion. Tous les principes de l'entendement pur ne sont rien de plus que des principes à ;)r?on de la possibilité de l'expérience, et c'est à celle-ci que se rapportent toutes les propositions synthétiques à priori, et leur possibilité n^êine repose çqf ppt^e l'çj^tipf).
CHAPITRE m
Du Principe de la distinction de tous les objets en général en phénomènes et en noumènes.
Jusqu'ici nous n'avons pas seulement parcouru le pays de l'entendement pur en en examinant chaque partie avec soin, nous l'avons aussi mesuré et nous avons assigné à chaque chose en ce domaine sa place. Mais ce pays est une île que la nature elle-même a renfermée dans des bornes immuables. C'est le pays de la vérité (mot sédui- sant), enfermé d'un vaste et orageux océan, empire de l'illusion, où maint brouillard, maints bancs de glace en fusion présentent l'image trompeuse de pays nouveaux, attirent le navigateur parti à la découverte» l'entraî- nant en des aventures auxquelles il ne pourra plus s'ar- racher, mais dont il n'atteindra jamais le but. Avant de nous hasarder sur cette mer, pour l'explorer dans toute son étendue, et reconnaître s'il n'y a rien à y espérer, il ne sera pas inutile de jeter encore un coup d'œil sur la carte du pays que nous voulons quitter, et en premier lieu de nous demander si nous ne pourrions pas nous contenter de ce qu'il nous offre, ou même si nous n'y serions pas contraints, au cas où il n'y aurait point au delà de terre où nous pourrions nous établir; et ensuilo quels sont nos titres à la possession de ce pays et com- ment nous pouvons nous y maintenir contre toutes les prétentions ennemies. Bien que nous ayons déjà répondu suflisammentà ces questions dans le cours de l'Analytique, une révision sommaire des solutions données fortifiera peut-être la conviction, en réunissant en un point leurs moments.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 255
Nous avons vu, en effet, que tout ce que Tentendement tire de lui-mèrae, sans l'emprunter à l'expérience, ne pouvait avoir pour lui aucun autre usage que celui de l'expérience. Les principes de l'entendement pur, qu'ils soient constitutifs à pnori (comme les principes mathéma- tiques), ou simplement régulateurs (comme les principes dynamiques), ne contiennent rien que le pur sclième pour l'expérience possible; car celle-ci ne tire son unité que de l'unité synthétique que l'entendement attribue origi- nairement et de lui-même à la synthèse de l'imagination dans son rapport à l'aperception, unité avec laquelle les phénomènes, comme data pour une connaissance pos- sible, doivent être à priori en rapport et en harmonie. Or quoique ces règles de l'entendement soient non seule- ment vraies à priori, mais la source même de toute vérité, c'est-à-dire de l'accord de la connaissance avec ses objets, par cela même qu'elles contiennent le principe de la possibilité de l'expérience, considérée comme l'ensemble de toute connaissance où des objets peuvent nous être don- nés, il nous semble cependant qu'il ne suffit pas d'exposer ce qui est vrai; il faut encore exposer ce que l'on désire savoir. Si donc, par cette recherche critique, nous n'ap- prenons rien de plus que ce que nous avons '^pratiqué de nous-mêmes dans l'usage pui'cment empiri(jue de l'enten- dement et sans nous engager en des investigations aussi subtiles, l'avantage qui en résulte ne parait pas mériter tant d'application et de préparatifs. On peut répondre, il est vrai, qu'aucune curiosité n'est plus préjudiciable à l'ex- tension de notre connaissance que celle de vouloir tou- jours connaître l'utilité d'une recherche avant de s'y être engagé et avant qu'il soit possible de se faire la moindre idée do cette utilité, l'eùt-on d'ailleurs devant les yeux. Seulemetit il y a un avantage que le disciple ''' plus diflicile et le plus morose peut saisir et prendre cœur dans une investigation transcendantale de ce lire, c'est que l'entendement qui est exclusivement •iipé de son usage empiriiiue et qui ne rélléchit pas ■I" It's sources de sa propre connaissance, peut bien iH'liojiner, mais il est incapable d'ujie chose, à savoir de se déterminer à lui-même les limites de non usage,
256 CRITIQUE m LA RAISON PURE
et de savoir ce qui peut se trouver au sein ou en dehors de sa sphère, car il faut pour cela justement ces profondes recherches que nous avons instituées. S'il ne peut distinguer si certaines questions sont ou non de son, horizon, il n'est pas sûr de ses droits et de sa propriété et il doit s'attendre à des leçons diverses et humiliantes, quand il transgresse incessamment (comme il est inévi- table) les limites de son domaine et se jette dans les erreurs et les chimères.
Que donc l'entendement ne puisse faire de tous ses principes à priori, en réalité de tous ses concepts, aucun autre usage qu'un usage empirique, et en aucun cas un usage transcendantal, c'est là une proposition qui, lors- qu'on se pénètre de sa vérité, amène à de graves consé- quences. L'usage transcendantal d'un concept dans un principe quelconque est de le rapport r aux choses en général et en soi; l'usage empirique au contraire l'applique simplement aux phénomène^, c'est-à-dire à des objets d'une expérience possible. Il est aisé de voir qu'en toutes circonstances ce dernier usage seul peut trouver place. Tout concept exige d'abord la forme logique d'un concept (de la pensée) en général, et ensuite la possibilité de lui donner un objet auquel il se rapporte. Sans ce dernier il n'a pas de sens et est complètement vide de contenu, bien qu'il puisse toujours représenter la fonction logique qui consiste à tirer un concept de certaines données. Or un objet ne peut êtrp donné à un concept autrement que dans l'intuition, et si une intuition pure est possible à priori antérieurement à l'objet, cette intuition elle-même ne peut recevoir son objet, et par conséquent sa valeur objective, que par l'intuition empirique dont elle est la forme pure. Tous les concepts et avec eux tous les prin- cipes, tout à priori qu'ils puissent être, ge rapportent à des intuitions enipiriques, c'est-à-dire aux données d'une expérience possible. Sans cela ils n'ont point de valeur objective, et ne sont qu'un jeu de l'imagination ou de l'entendement avec leurs représentations respectives. Que l'on prenne seulement, par exemple, les concepts des mathématiques, en envisageant d'abord celles-ci dans leur intuition pure : l'espace a trois dimensions» entre
ANALYtlQUÈ TÎ\ANSCENDANTALE 257
deux points on ne peut tirer qu'une ligne droite, etc. Quoique tous ces principes et la représentation de l'objet dont s'occupe cette science soient produits tout à fait à •priovi dans l'esprit, ils ne signifieraient pourtant rien si nous ne pouvions montrer leur signification dans des phénomènes (des objets empiriques). Aussi est-il néces- saire de rendre sensible un conce])i abstrait, c'est-à-dire de montrer l'objet qui lui correspond dans l'intuition, parce que sans cela le concept (comme on dit) n'aurait pas de sens, c'est-à-dire ne signifierait rien. Les mathématiques remplissent cette condition parla construction de la figure qui est un phénomène présent aux sens (bien que produit à vriori). Le concept de la quantité, dans Ja même science, cherche son soutien et son sens dans le nombre, et celui-ci, en outre, dans les doigts et dans les grains des tablettes à calculer, ou dans les traits ou points alignés sous les yeux. Le concept reste toujours produit à priori avec les principes ou les formules synthétiques qui en résultent; mais leur usage et leur application à quelque objet ne peuvent être cherchés en définitive que dans l'expérience dont ils contiennent à priori la possibilité (quant à la forme).
Ce qui montre clairement que toutes les catégories, tous les principes qui en sont formés sont dans le même < as, c'est que nous ne pouvons définir une seule de ces catégories, c'est-à-dire faire comprendre la possibilité de son objet, sans en revenir aux conditions de la sensibi- lité, par conséquent à la forme des phénomènes, aux- quels elles doivent être restreintes comme à leurs seuls objets. Otez en effet ces conditions, elles n'ont plus de sens, c'est-à-dire de rapport à aucun objet, et il n'y a plus d'exemples pour se rendre à soi-même saisissablo ce qui est proprement pensé comme chose dans ces concepts.
•' En traçant plus haut la table des catégories, nous nous sommes dispensés de les définir les unes après les autres, parce que notre but, borné à leur usage synthé- tique, ne rendait pas ces définitions nécessaires, et que
a. Los li^'iios siii\aiilts a\(.H- la uole qui s'y rattache s'intcrca- lïCicDt ici claus la premiéie cdilion.
1. -. 17
258 CRITIQUE DE LÀ RAISON l^Llît.
quand une entreprise est inutile, on ne doit pas assumer une responsabilité dont on peut se dispenser. Ce n'était pas pour nous un faux-fuyant, mais une règle de pru- dence très importante que de ne pas nous attarder à définir tout d'abord, et dé ne pas chercher ou simuler la perfection ou la précision dans la détermination du con- cept, quand nous pouvions nous contenter de tel ou tel caractère, sans avoir besoin d'une énumération complète de tous ceux qui constituent le concept entier. Mais on voit à présent que la raison de cette prévoyance était encore plus profonde, en particulier puisque nous n'au- rions pas pu définir les catégories quand nous l'aurions voulue Si l'on écarte toutes les conditions de la sensibi- lité, qui les signalent comme des concepts d'un usage empirique possible, et qu'on les prenne pour des concepts de choses en général (par conséquent comme ayant un usage transcendantal), il n'y a plus rien à faire à leur égard que de considérer la fonction logique dans les jugements comme condition de la possibilité des choses elles-mêmes, mais sans pouvoir montrer le moins du monde où elles peuvent avoir leur application et leur objet, et par conséquent comment elles peuvent avoir un sens et une valeur objective dans l'entendement pur sans le concours de la sensibilité.
Personne ne peut définir, le concept de la grandeur en général que par exemple de cette manière : la grandeur est la détermination d'une chose qui permet de conce- voir combien de fois un est conte n^i dans cette chose. Mais ce combien de fois se fonde sur la répétition suc- cessive, par suite sur le temps et sur la synthèse (des éléments homogènes) dans le temps. On ne peut définir la réalité par opposition à la négation qu'en songeant à
i. J'entends ici la définition réelle qui ne se borne pas à ajou- ter au noai (Vuno chose d'autres mots plus couipréhensiblps, mais celle qui contient une marque claire, propre à faire toujours reconnaître sûrement V oh'}et (de finitum) et rend possible l'appli- cation (lu concept défini. I/explication réelle serait donc celle qui nous rend clair non seulement un concept, mais aussi sa r^^ Uté objective. Les définitions mathématiques qui nous montrent dans l'intuition l'objet conforme au xoncept sont de cette der- nière espèce.
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 2; j
lu temps (comme l'ensemble de toute existence) qui en ' st rempli ou bien est vide. Si je fais abstraction de la iiernianence, laquelle est l'existence en tout temps, il ne
lie reste pour le concept de la substance que la repré- :.entation logique du sujet, représentation que je crois réaliser en me représentant quelque chose qui peut exister simplement comme sujet (sans être le prédicat de quelque chose). Mais outre que je ne sache pas de fonditions qui puissent permettre à cette prcrogativc' logiijue lie convenir en propre à quelque chose, il n'y :■. rien d'autre à en faire, et l'on n'en peut tirer aucune con- ^équence, puis-que aucun objet pour l'usage de ce concept n'est déterminé par là et que par suite on ne sait si ce ••oncept peut signifier en général quelque chose. Quant .'lu concept de la cause, (si je faisais abstraction d'un temps où une chose succède à une autre chose suivant une règle), je ne trouverais dans la pure catégorie rien do plus sinon qu'il y a quelque chose d'où Ton peut con- clure à l'existence d'une autre chose, et alors non seule- ment la cause et l'effet ne pourraient être distingués l'un de l'autre, mais encore, comme ce pouvoir de conclure exige des conditions dont je ne sais rien, le concept n'aurait pas de détermination qui lui permît de s'appli- quer à quelque objet. Le prétendu principe : tout contin- gent a une cause, se présente il est vrai avec assez de gra- vité, comme s'il portait en lui-même sa propre dignité. Mais que je vous demande ce que vousentendezparcontingentet que vous me répondiez : c'est ce dont la non-existence est possible, je voudrais bien savoir à quoi vous préten- dez reconnaître cette possibilité de la non-existence si vous ne vous représentez une succession dans la SLérie des phénomènes, et dans cette succession, une existence suc- cédant à la non-existence (ou réciproquement), c'est-à-dire un changement; car de dire que la non-existence d'une
Iioso n'est pas contradictoire en soi c'est faire un pauvre
ppel à une condition logi^ju»; qui certes est nécessaire ni concept, mais qui est tout à fait insuffisante pour une possibilité réelle. C'est ainsi que je puis bien supprimer par la pensée toutes les substances existantes sans me con- tredire, mais je ne pourrai en conclure à la contingence
260 CKITIUCE DE LA RAISON PURE
objective de leur existence, c'est-à-dire à la possibilité de leur non-existence en soi. Pour ce qui est du concept de la communauté, il est facile de comprendre que, comme les pures catégories de la substance aussi bien que de la causalité ne permettent aucune définition qui détermine l'objet, la causalité réciproque dans la relation des subs- tances entre elles n'en est pas susceptible. Personne n'a pu encore définir la possibilité, l'existence et la nécessité que par une tautologie manifeste, toutes les fois qu'on a voulu en puiser la définition dans l'entendement pur. Car l'artifice de substituer la possibilité logique du con- cept (laquelle résulte de ce qu'il ne se contredit pas lui- même) cà la possibilité transcendantale des choses (laquelle résulte de ce qu'un objet correspond au concept) ne peut . tromper et satisfaire que des esprits sans perspicacité K
i. En un mot tous ces concepts ne peuvent être justifiés par rien, et leur possibilité réelle ne peut être par suite démontrée, si l'on fait abstraction de toute intuition sensible (la seule espèce dintuilion que nous ayons), et il ne reste plus alors que la possi- bilité logique, cest-à-dire que le concept (la pensée) est possible, mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit : la question est de savoir s'il se rapporte à un objet et par suite s'il peut signilier quelque chose •.
a, La note qu'on vient de lire a été ajoutée par Kant dans la deuxième édition. Dans la première, après l'alinéa auquel elle correspond, se plaçait celui-ci qui a été supprimé dans la deuxième :
« Il y a quelque chose d'étrange et même d'absurde en soi à par- ler d'un concept qui doit avoir une signilication, mais qui ne serait susceptible d'aucune détînition. Mais c'est là une situation parti- culière aux catégories : elles ne peuvent avoir de signification déterminée, ni de rapport à un objet qu'au moyen de la condi- tion sensible universelle, et cette condition ne peut être tirée delà catégorie pure puisque celle-ci ne peut contenir que la fonction logique qui consiste à ramener la diversité sous un concept. Or cette fonction, c'est-à-dire la forme du concept, toute seule, ne saurait nous faire connaitre et distinguer quel est l'objet auquel il se rapporte, puisqu'il y est justement fait abstraction de la con- dition sensible sous laquelle en général des objets peuvent y être rapportés. Aussi les catégories ont-elles besoin, outre le pur concept de l'entendement, de déterminations concernant leur application à la sensibilité en général ischèmes), sans quoi elles ne sont pas des concepts par lesquels un objet est connu et dis- tingué des autres, mais seulement autant de manières de penser un objet pour des intuitions possibles et de lui donner sa signifi- cation (sous des conditions encore requises), c'<îst-à-dire de 1»
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 261
Il s'en suit donc incontestablement que l'usage des con- cepts purs de l'entendement ne peut jamais être transcen- dantal, mais qu'il est toujours empirique; que les principos de l'entendement pur ne peuvent se rapporter qu'aux conditions d'une expérience possible, aux objets des sens, mais en aucun cas aux choses en général (sans égard à la manière dont nous pouvons les saisir par intuition).
L'analytique Iranscendantale a donc cet important résultat de montrer que l'entendement ne peut faire à priori en aucun cas qu'anticiper la l'orme d'une expé- rience possible en général et que ce qui n'est pas un phénomène ne pouvant être un objet d'expérience, l'en- tendement ne peut jamais dépasser les bornes de la sen- sibilité en deçà desquelles seulement un objet peut nous être donné. Ses principes sont simplement des principes de l'exposition des phénomènes, et ce nom orgueilleux que prend l'Ontologie, prétendant donner une connais- sance synthétique à priori des choses en général dans une doctrine systématique (par exemple le principe de causalité;, doit faire place au nom modeste d'analytique de l'entendement pur.
La pensée est l'acte qui consiste à rapporter à un objet
définir : elles ne peuvent être définies elles-mômes. La fonction logique du jug:ement en général .- unité et pluralité, afflnnalion et négation, sujet et prédicat, ne peut être délinie sans (pie l'on tourne dans un cercle, car la déllnition par elle-même devrait <?t>*e un juf^enient et par suite contenir déjà cette fonction. Mais les catégories pures no sont rien autre chose que les représenta- tions des choses en gênerai, en tant que ce qu'il y a de divers dans leur intuition doit être pensé au moyen de l'une ou l'autre de ces fonctions logiipies : la grandeur est la détermination qui no j)eut Mo pensée que par un jugeuient qui a la qiumtilé en lui ijudi- inn commune) ; la réalite, celle qui ne peut être i)ensée que par uu jugement afiirrnatif; la substance, ce qui, relativement à lin- tuition, doit rester le dernier sujet de toutes les autres détermi- nations. Quanta savoir ce cpie sont les choses relativement aux- quelles on doit se servir de telle fonction plutôt que de^MIe autre, c'est ce qui reste ici indéterminé ; par conséqtient, sans la condition do l'intuition sensible à qui elles apportent sa synthèse, les caté- gories n'ont aucun rai)port à un objet indéterminé. Elles ne l)euvent en détlnir aucun et n'ont pas par conséquent en elles- inènies la valeur de concepts objectifs, b
262 CRITIQUE DE LA RAISOiN PURE
une intliitioh donnc^e. Si la nature de cette intuilioh n'est donnée d'aucune manière, l'objet est alors simplement transcendantal, et le concept de l'entendement n'a qu'un usage transcendantal, c'est-à-dire qu'il n'exprime que l'unité de la pensée d'un divers en général. Au moyen d'une catégorie pure dans laquelle on fait abstraction i' toute condition de l'intuition sensible, c'est-à-dire de la seu ; intuition qui soit possible pour nous, on ne détermin donc aucun objet, maison exprime suivant divers mod la pensée d'un objet en général. 11 faut encore, pour fair usage d'un concept, une fonction du jugement qui sul sume sous lui un objet, c'est-à-dire au moins la conditic formelle d'un ^donné dans l'intuition. Si cette conditicin de la faculté de juger(le schème) manque, toute subsomr tion est impossible, puisque rien n'est donné qui puisï- être subsumé sous le concept. L'usage purement transcen dantal des catégories n'est dotic pas dans le fait un usagf, il n'a pas d'objet déterminé, ni même d'objet détermi- nable dans sa forme. îl suit de là que la catégorie pure ne suffit pas non plus à former aucun firincipiî synthétique à priori, que les principes de l'entendement pur n'ont qu'un usage empirique, et en aucun cas un usage trans- cendantal, et qu'en dehors du champ de l'expérience pos- sible il ne peut y avoir de principe syntliétique à priori. Il peut donc être sage de s'exprimer ain.siiles caté- gories pures, sans les conditions formelles de lasensibilit ont une signification purement transcendantale. m;i elles n'ont pas d'usage transcendantal, parce que «,- dernier est impossible en soi, toutes les conditions d'un usage quelconque (dans les jugements) manquant, à savoir les conditions formelles de la subsomption d'un objet possible sous ces concepts. Comme (à titre de cal"- gories pures) elles ne doivent pas avoir d'usagtî empirique, et comme elles ne peuvent en avoir de transcendantal. elles n'ont aucun usage, quand on les isole de toute sen- sibilité, ^'est-à-dire qu'elles ne peuvent être appliquées à aucun objet possible : elles sont plutôt simplement la forme pure et l'usage de l'entendement relativement aux objets en général et à la pensée, sans qu'on puisse par leur seul moyen penser ou déterminer quelque objet.
ANALYTIQUE ÏUA.\SCENDA.\TALE 263
II y a cependant ici un fond d'illusion qu'il est difficile 'éviter *. Les catégories ne se fondent pas quant à leur
a. Ce passage, jusqu'à l'alinéa qui commence ainsi : « Si jo re- 1 ! anche toute pensée, etc. » a remplacé dans la deuxième édition elui que voici :
'( 0» appelle phénomènes des manifestations [sensibles] que nous concevons comme des objets en vertu de l'unité des catégories. Que si j'admets des choses qui soient simplement des objets et (|ui pourtant puissent être données en cette qualité même à l'intui- tion, non pas ii est vrai à l'intuition sensible \en quelque sorte roram ùitellechcaH intuitu), il faudrait appeler ces choses des noumènes (intelWjibUia) .
On devrait penser que le concept des phénomènes limité par l'Esthétique transcendantale met déjà par lui-même la réalité objective des phénomènes à notre portée et justilie la distinction des objets en phénomènes et en noumènes, par suite du monde on monde sensible et en monde intelligible hnundus sensibilis et inlellif/ibilis), en ce sens que la dilference ne porte pas simple- ment sur la forme logique delà connaissance obscure ou claire d une seule et même chose, mais sur la manière dont les objets peuvent être donnés originairement à notre connaissance, et (1 après laquelle ils se distinguent essentiellement les uns des uitres. Enellet, (juand les sens nous représentent quelque chose seulement comme il apparaît, il faut pourtant que ce quelque chose soit par lui-même quelque chose en soi, l'objet d'une intui- tion non sensible, c'est-à-dire de l'entendement, ou encore il doit y avoir une connaissance possible où Tonne trouve plus aucune sensibilité et qui seule ait ime réalité absolument objective, en ce sens que les objets nous soient représentés par elle tels qu'ils sont, tandis (|ue dans l'usage empirique de notre entendement les choses ne sont connues que comme elles nom apijo missent. 11 y aurait donc, outre l'usage empirique des catégories (lequel est limité aux conditions sensibles), un usage pur et ayant pourtant une valeur objective, et noUs ne pourrions afUrmer ce que nous avons avancé jusqu'ici, que nos connaissances purement intol- loctuelles ne sont en général rien autro chose que des princi|)es servant a l'exposition des phénomènes, et n'allant pas à jtriori au delà de la possibilité fouiiclle de l'expérience : ici enelVet s'ou- vrirait devant nous un tout autre champ, un mohdo serait en quf^hiuo sorte conyu dans l'esprit (peut-être même intuitivement l)ervu) qui pourrait occuper notre entendement pur non moins que l'autre et même boaiu-oup plus noblenjent.
Toutes nos ie|)résenlatlons S(mtdanslo fait rapportées à quelque objet |)ar l'onlendoment, et comme des phénomènes ne soTit rien que des représentations, l'entendement les rapporte à quchpie chose comme à un objet de l'intuition sensible . mais ce quoique chose n'est sons ce rapport que l'objet transcendantal. Or par là il faut eiilondre quelque chose = X dont nous ne savons rien du tout et <' '"' '■" •■"■' I ■' -iMi^sIa disposition artnollo de nolro ciiltiido-
264 CUIÏIQUE DE LA RAISON PCKE
origine sur la sensibilité comme les formes de rintiiitlon, l'espace et le temps : elles semblent donc autoriser une
ment) nous ne pouvons rien savoir, mais qui ne fait que servir, comme corrélatif de l'unité d'aperception, à l'unification du divers dans l'intuition sensible, [opération] par laquelle l'entendement unit ces éléments dans un concept d'objet. Cet objet Iranscendantal ne peut nullement se séparer des données sensibles puisqu'alors il ne resterait plus rien qui permît de le concevoir. 11 n'est donc pas un objet de la connaissance en soi, mais seulement la repré- sentation des phénomènes sous le concept d'un objet en général déterminable par ce qu'il y a en eux de divers.
C'est précisément pour cette raison que les catégories ne repré- sentent aucun objet particulier donné à l'entendement seul, mais qu'elles servent seulement à déterminer l'objet transcendantal (le concept de quelque chose en général) par ce qui est donné dans la sensibilité, pour faire reconnaître ainsi empiriquement des phé- nomènes, sous des concepts d'objets.
Quant à la raison par laquelle, n'étant pas encore satisfait du substratum delà sensibilité, on a encore attribué aux phé- nomènes des noumènes que le seul entendement i)ur peut con- naître, voici sur quoi simplement elle repose. La sensibilité ou son champ, je veux, dire le champ des phénomènes, sont eux-mêmes limités par l'entendement, de telle sorte qu'ils ne s'étendent pas aux choses en soi, mais seulement à la manière dont les choses nous apparaissent en vertu de notre constitution subjective. Tel était le résultat de toute l'esthétique transcendantale, et il suit naturellement du concept de phénojiiènes en général que quelque chose doit lui correspondre qui ne soit pas en soi un phéno- mène, puisqu'un phénomène n'est rien en soi et en dehors de notre mode de représentation. Par conséquent, si l'on veut éviter un cercle perpétuel, le mot de phénomène indique déjà une relation à quelque chose, dontà la véritéla représentation immédiateest sen- sible, mais qui doit être quelque chose en soi, même indépendam- ment de cette constitution de notre sensibilité (surla([uelle se fonde la forme de notre intuition), c'est-à-dire un objet indépendant de notre sensibilité.
Or, de là résulte le concept d'un noumène, qui il est vrai n'est nullement positif et n'indique pas une connaissance déterminée do (pielque objet, mais simplement la pensée de quelque chose en général, pensée dans laquelle je fais abstraction de toute forme de l'intuition sensible. Pour qu'un noumène signifie un ob}et véritable, distinct de tous les phénomènes, il ne suffit pas que j'affranchisse ma pensée de toutes les conditions de l'intuition sensible, il faut que je sois fondé à admettre une autre sorti' d'intuition que cette intuition sensible, sous laquelle un objet de cette sorte puisse étredonné ; car autrement ma pensée serait vide, encore qu'elle n'impliquât aucune contradiction. Nous n'avons pas pu, il est vrai, démontrer plus haut que l'intuition sensible esi la seule intuition possible en général, mais nous avons démontre
ANALYTIQUE TRANSGENDAXTALE 265
application qui s'étende au delà de tous les objets des sens. Mais d'un autre côté elles ne sont rien d'autre que des formes de la pensée exprimant le pouvoir logique d'unir àpnoridans une conscience les éléments divers donnés dans l'intuition, et c'est pourquoi, si on leur retire la seule intuition qui nous soit possible, elles ont encore moins de sens que les' formes sensibles pures ; par celles-ci du moins un objet est donné, tandis qu'une manière propre à notre entendement de lier le divers ne signifie plus absolument rien si l'on n'y ajoute cette intuition dans laquelle seule ce divers peut être donné. Pourtant, quand nous désignons certains objets sous le nom de pîiéno- mènes, d'êtres sensibles (phaenomena), en distinguant la manière dont nous les appréhendons de leur nature en soi, il est déjà dans notre idée d'opposer précisément, à ces phénomènes, ou ces mêmes objets envisagés du point de vue de cette nature en soi, quoiqu'elle ne soit pas donnée à notre intuition, ou d'autres choses possibles qui ne sont nullement des objets de nos sens ; nous les consi- dérons comme des objets simplement conçus par l'enten- dement, et nous les appelons êtres intelligibles (.Yowmeïia). Or on demande si nos concepts purs do l'entendement ne
(pi'elle est la seule possible 2^ou'r nous, et nous ne pouvions pas dcinoiilrcr non i)lus qu'une autre espèce d'intuition est possible; et bien que notre pensée puisse faire abstraction de la sensibilité, il reste toujours à savoir si ce ne serait pas encore là une simple forme d'un concept ou si après cette séparation il reste oncoie un objet.
L'objet auquel je rapporte le phenoniènc en jîénéral est l'objet transcendantal, c'est-à-dire la pensée complètement indélermint'e de quelque cbose en général. Cet objet ne peut pas s'appeler le noumène car je ne sais pas de lui ce (ju'il est en soi. et je n'en
• aucun concept, sinon celui de l'objet d'une intuition sensible -féiiéral, (jui par consé(iuent est le même pour tous les pliéno-
I nés. Il n'y a point do catéfîories (jui le fassent concevoir, car les catégories ne valent (\\ie pour l'intuition empirique, en ce quelles la ramènent à un concept d'objet en général. Un usage pur delà catégorie est il est vrai possible, c'est-à-dire sans con- tradiction, mais il n'a en vérité aucune valeur objective, puisque la catégorie ne se rai)porte à aucune intuition qui pourrait en rece- voir l'unile d'un objet; car la catégorie est une simple fonction de la pensée qui no me fournit aucun objet, mais par laquelle
' uienient peut être pensé ce qui est donné dans l'intuition ».
260 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
pourraient avoir un sens par rapport à ces derniers, t ■ en être une sorte de connaissance.
Mais dès le début se présente ici une équivoque qui peut occasionner une grave erreur : c'est que l'entendemenl. appelant simplement phénomène un objet considéré sou im certain rapport, et se faisant en dehors de ce rapport, en même temps, une représentation d'un objet en soi, s.' persuade qu'il peut aussi se faire des concepts de ce genre d'objets et, comme l'entendement n'en fournit pas d'autres que les catégories, que l'objet au moins dans ce dernier sens doit pouvoir être conçu par de purs concepts de l'entendement. Il est ainsi amené à prendre le concept entièrement mdc^ermme d'un être intelligible, conçu comme quelque chose de tout à fait en dehors de notre sensi- bilité, pour le concept déterminé d'un être que nous pour- rions connaître de quelque manière par l'entendement.
Si par noumène nous entendons une chose, en tant qu'elle n'est pas un objet de notre intuition sensible, en faisant abstraction de notre manière delà percevoir, cette chose est un noumène au sens «éârafif. Mais si nous enten- dons par Là un objet d'une intuition non sensible, nou:=5 admettons un mode particulier d'intuition, à savoir l'in- tuition intellectuelle, mais qui n'est point la nôtre et dont nous ne pouvons pas même envisager la possibilité;, ce serait alors le noumène darts le sens positif.
La théorie de la sensibilité est donc en même temps celle des noumènes dans le sens négatif, c'est-à-dire de choses que l'entendement doit concevoir en dehors de ce rapporta notre mode d'intuition, par conséquent comme choses en soi et non plus seulement comme phénomènes, mais en comprenant dans cette abstraction qu'il ne peut faire aucun usage de ces catégories d'un tel point de vue, puisque celles-ci n'ont de sens que par rapport à l'unitô des Intuitions dans l'espace et dans le temps : or elles ne peuvent déterminer cette unité au moyen de concepts de liaison à priori qu'en vertu de l'idéalité de l'espace et dU temps. Là oi\ ne peut se trouver cette unité [de temps], dans le noumène par conséquent, là cosse absolument tout usage et même toute signification des catégories, car la possibilité des choses qui doivent répondre aux catégories
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 267
iM^ peut être envisagée. Je ne puis mieux faire à cet égard jue de renvoyer à ce que j'ai dit au cominencement de !a lemarque générale du précédent chapitre. On ne saurait dt-montrer la possibilité d'une cliose par le fait que son ' oncejit n'implique pas contradiction : il faut encore ^'appuyel sur une intuition qui lui corresponde. Si donc nous voulions appliquer les catégories à des objets qui lie sont pas considérés comme phénomènes, il nous lau- trait leur donner comme fondement une autre intuition ([ue l'intuition sensible, et alors l'objet serait un nou- mène dans le sem positif. Or comme une telle intuition, je .eux dire l'intuition intellectuelle, est tout à fait en dehors le notre facult»; de connaître, Tlisage des catégories ne peut en aucune façon s'étendre au delà des bornes des objets de l'expérience. Il y a bien sans doute des êtres ititefligibles correspondant aux êtres sensibles; il peut même y avoir des êtres intelligibles auxquels notre faculté d'intuition sensible n'ait aucun rapport, mais nos con- cepts intellectuels, en tant que simples formes de la pensée pour notre intuition sensible, ne s'y appliquent en aucune façon. Ce que nous appelons noumèno ne doit donc être entendu (ju'au sens négatif ~
Si je retranche d'une connaissance fiupiiiiiur iuuli' pensée ([formée] au moyen des catégories) il ne reste au- cune connaissance d'un objet, car par la simple intuition rien n'est pensé; et de ce que se produit en moi cette affec- lion de ma sensibilité, il ne s'ensuit aucun rapport de celte représentations quelque objet. Que si au contraire je supprime toute intuition, il reste toutefois encore h forme de la pensée, c'est-à-dire la manière d'assigner un objet à ce divers d'une intuition possible. Les catt'gorics ont donc beaucoup plus de portée quel'inluition sensible, parce qu'elles pensent des objets en général, sans égard à la manièi'c particulière dont ils peuvent être donnés (à la • nsibilité). Mnis idlesne d(''terrninent pas pour cela une jdus grande sphère d'objets, puisqu'on ne saurait admettre (|ue des objets en général puissent nous être donnés sans présupposer une autre sorte d'intuition (|ue l'intuition sensible, ce à quoi nous ne sommes nullement autorisés. J'appelle problématique un concept qui ne renferme
208 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
pas de contradiction et qui, comme limitation de con- cepts donnés, se rattache à d'autres connaissances, mais dont la réalité objective ne peut être connue d'aucuae façon. Le concept d'un noumène, c'est-à-dire d'une chose qui doit être conçue, non comme objet des sens, mais comme un? chose en soi (uniquement par le moyen de l'entendement pur) n'est nullement contradictoire, car on ne peut affirmer de la sensibilité qu'elle soit la seule espèce d'intuition possible. En outre ce concept est nécessaire pour que l'on n'étende pas l'intuition sensible jusqu'aux choses en soi, et que par conséquent on res- treigne la valeur objective de la connaissance sensible (car le reste, où elle n'atteint pas, on l'appelle justement noumène, afin de bien indiquer par là que celte sorte de connaissance ne peut étendre son domaine sur tout ce que pense l'entendement). Mais en définitive la possibilité de tels noumènes n'est pas imaginable, et en dehors de la sphère des phénomènes, il n'y a plus (pour nous) que le vide. En d'autres termes nous avons un entendement qui s'étend problématiquement plus loin que cette sphère, mais nous n'avons aucune intuition, nous n'avons même pas le concept d'une intuition possible, par laquelle des objets pourraient nous être donnés et l'entendement employé assertoriquement au delà du champ de la sensi- bilité. Le concept d'un noumène n'est donc qu'un concept limitatif, destiné à restreindre les prétentions de la sensi- bilité, et par suite, il n'a qu'un usage négatif. Ce n'est pas cependant là une fiction arbitraire, il se rattache à la limitation de la sensibilité, sans pouvoir toutefois établir rien de positif en dehors de son champ.
La division des objets en phénomènes et en noumènes et du monde en monde sensible et en monde intelligible ne peut donc être donnée dans un sens positif, bien qu'on puisse certainement admettre celle des concepts sensibles et intellectuels, car on ne peut assigner à ces derniers aucun objet, et ils ne peuvent être donnés pour ayant une valeur objective. Quand on s'éloigne des sens, comme7>t faire comprendre que nos catégories (qui seraient pour des noumènes les seuls concepts restants) signifient encore quelque chose, puisque, pour qu'elles aient un rapport
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à quelque objet, il faut quelque chose de plus que l'unité (le la pensée, à savoir une intuition possible à laquelle ces catégories puissent être appliquées? Le concept d'un noumène pris d'une manière simplement problématique reste malgré tout, je ne dis pas seulement admissible, mais inévitable, comme concept limitant la sensibilité. Mais alors, loin que le noumène soit un objet intelligible particulier pour notre entendement, un entendement auquel il appartiendrait est encore un problème: le pro- blème'de [savoir comment l'entendement pourrait] con- naître un objet non discursivement au moyen des caté- gories, mais intuitivement dans une intuition non sen- sible, alors que nous ne pouvons nous faire aucune idée de la possibilité d'un tel objet. Notre entendement ne reçoit donc ainsi qu'une extension négative, c'est-à-dire que s'il n'est pas limité par la sensibilité, s'il la limite au contraire en appelant noumènes des choses en soi (envi- sagées autrement que comme phénomènes), il se pose aussi à lui-même des limites qui l'empêchent de les con- naître par le moyen des catégories, par suite de les con- cevoir autrement que comme quelque chose d'inconnu. Je trouve cependant dans les écrits des modernes les expressions de monde sensible et de monde intelligible ' em- ployées dans un sens qui s'écarte entièrement de celui des anciens, et qui n'offre sans doute aucune difficulté, mais où l'on ne trouve rien qu'une vainc logomachie. D'après ce sens, il a plu <à quelques-uns d'appeler l'en- semble des phénomènes, en tant qu'il est saisi dans l'intuition, le monde sensible, et en tant au contraire qu'on en conçoit renchaînemcnt suivant des lois univer- selles, d'appeler cet ensemble le monde intelligible, l'astronomie théorique qui se borne à observer le ciel
Il ne faut pas substituer :i celte oxprossion celle de nw)\fh'.
'cllcctuel ooiunic on a coutunie do le faire dans les ouvrafj;es allemands : car il n'y a que Jes connaissances qui soient intel- lectuelles ou sensibles. Ce qui ne peut Otre qu'un objrl de l'une ou do l'autre intuition, les objets par cons»Mpient. doit ttre appelé (mal^Té la dureté de l'expression) intelligible ou sensible *.
* Cette note dont j'abro^^c la dernièro phrase pour n'en con- server quo ce qui s'applique a notPie lanf;ue et pput se Iradiiiro eu français, est une addition do la deuxième édition. — J. B.
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étoile représenterait le premier monde, et Tastronoraie contemplative au contraire (expliquée d'après le système de Copernic ou d'après les lois newtoniennes de la gravi- tation) donnerait l'idée du second. Mais un tel renverse- ment des termes n'est qu'un subterfuge sophistique auquel on a recours pour échapper à une question incom- mode, en détournant à son gré le sens des mots. L'enten- dement et la raison ont sans aucun doute leur emploi à. l'égard des phénomènes, mais on demande s'ils cj^ ont encore un autre quand l'objet n'est pas un phéj^çpène (un noumène), et c'est dans ce sens que l'on entend l'objet quand on le conçoit comme intelligible en lui- même, c'est-à-dire comme donné à l'entendement seul et nullement aux sens. La question est donc de savoir si outre cet usage empirique de l'entendement (que l'on trouve même dans la représentation newtonienne du monde) un usage transcendantal est encore possible qui s'applique au noumène comme à un objet, et c'est la question que nous avons résolue négativement.
Quand donc nous disons que les sens nous représen- tent les objets tels qu'ils apparaissent, et l'entendement tels qu'ils sont, cette dernière expression doit être prise non dans un sens transcendantal, mais dans un sens em,pirique, c'est-à-dire qu'elle désigne les objets tels qu'ils doivent être représentés comme objets de l'expé- rience, dans l'enchaînement général 'des phénomènes, et non pas suivant ce qu'ils peuvent être en soi, indépen- damment de toute relation à une expérience possible et partant à la sensibilité en général, ou comme objets de l'entendement pur. En effet cela nous demeurera tou- jours inconnu, à ce point que nous ne savons si une telle connaissance transcendantale (extraordinaire) est possible en général, du moins comme connaissance soumise à nos catégories ordinaires. Ce n'est qu'en shinissant que Ventendement et la sensibilité peuvent déter- miner en nous des objets. Si nous les séparons, nous avons des intuitions sans concepts, ou des concepts sans intuitions : dans les deux cas des représentations que nous ne pouvons rapporter à aucun objet déterminé.
Si après tous ces éclaircissements quelqu'un hésite
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encore à renoncer à l'usage purement transcendantal des catégories, qu'il essaie de s'en servir pour une affirma- tion synthétique. Je ne parle pas des assertions analy- tiques, qui ne font pas faire un pas de plus à l'entende- ment, et où, comme celui-ci n'est occupé que de ce qui déjà est pensé dans le concept, il laisse indécise la question de savoir si ce concept en soi se rapporte à des objets ou s'il signifie seulement l'unité de la pensée en général (laquelle fait complètement abstraction de la manière dont l'objet peut être donnée); il lui suffit de connaître ce qui est contenu dans son concept; à quoi son concept peut-il se rapporter? peu lui importe. Qu'on fasse donc cet essai sur quelque principe synthétique et soi-disant transcendantal tel que celui-ci . tout ce qui est existe comme substance, ou comme détermination inhérente à la substance, tout contingent existe comme effet d'une autre «hose, c'est-à-dire de sa cause, etc. Maintenant je demande où l'on prendra ces propositions synthétiques, si la valeur des concepts n'est pas relative à une expé- rience possible, mais s'étend aux choses en soi [aux non- mènes)! Où est ici le troisième terme qu'exige toute pro- position synthétique pour lier l'un à l'autre des concepts qui n'ont entre eux aucune parenté logique (analytique)? Ou ne prouvera jamais une telle proposition, et qui plus est on ne pourra jamais justifier la possibilité dune assertion pure de ce genre, sans avoir égard ù l'usage empirique de l'entendement, et sans renoncer ainsi com- plètement au jugement pur et dégagé de tout élément sen- sible. Le concept d'objets purs, simplement intelligibles, est donc entièrement vide de principes qui fondent son application, puisqu'on ne peut imaginer aucune manière pour ces objets de nous être donnés, et la pensée problématique qui leur laisse cependant une place ouverte ne sert, comme un espace vide, qu'à limiter les principes empiriques, sans renfermer ni indi- quer un autre objet de la connaissance en dehors de leur sphère.
APPENDICE
De l'amphibolie des concepts de la réflexion résultant de l'usage empirique de l'entendement et de son usage transcendantal.
La réflexion [reflexio) ne s'occupe pas des objets mêmes pour en acquérir des concepts, mais elle est l'état de l'esprit où nous nous préparons à découvrir des condi- tions subjectives qui nous permettent d'arriver à des concepts. Elle est la conscience du rapport de représen- tations données à nos différentes sources de connais- sance, lequel permet seul de déterminer exactement leur rapport entre elles. La première question qui se présente avant toute étude de notre représentation est celle-ci : dans quelle faculté de connaître se rencontrent-elles? Est-ce par l'entendement, est-ce par les sens qu'elles sont liées et comparées? Il y a bien des jugements qu'on admet par l'habitude, ou qu'on lie par inclination; mais parce qu'aucune réflexion ne les précède ou ne les suit pour en faire la critique, on les tient pour des jugements qui ont leur source dans l'entendement. Tous les juge- ments n'ont pas besoin d'un e.r amen, c'est-à-dire n'exigent pas que l'attention remonte aux principes de la vérité; car quand ils sont immédiatement certains comme celui- ci par exemple rentre deiix points il ne peuty avoir qu'une ligne droite, on ne saurait indiquer une marque plus immédiatede la vérité que la chose même qu'ils expriment. Mais tous les jugements, c'est-à-dire toutes les comparai- sons ont besoin de réflexion, c'est-à-dire exigent qu'on dis- tingue à quelle faculté appartiennent les concepts donnés.
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L'acte par lequel je rapproche la comparaison des représentations en général de la faculté de connaître où elle a lieu, et par lequel je distingue si c'est comme appartenant à l'entendement pur ou à l'intuition sen- sible qu'elles sont comparées entre elles, je l'appelle réflexion transcendaniale. Mais les rapports suivant les» quels les concepts peuvent se rattacher les uns aux autres dans ua état d'esprit sont ceux d'identité et do diversité, de convenance et de disconvenance, d'intérieur et d'ej-térieur, enlin de déterminable et de détermination {ma- tière et forme). L'exacte détermination de ces rapports repose sur la question de savoir dans quelles facultés de connaître ces concepts se rattachent les uns aux autres, si c'est dans la sensibilité ou dans l'entendement. Car celte dernière différence entraîne une grande différence dans la manière dont on doit, penser les concepts. •
Avant de prononcer un jugement objectif quelconque, nous comparons les concepts pour arriver à Videntité (de plusieurs représentations sous concept) en vue d'un juge- ment universel, ou à la diversité, pour produire des juge- ments particuliers, à la contenance, ce qui donne lieu à des jugements affirmatifs, ou à la disconvenance, ce qui donne lieu à des jugements négatifs, etc. D'après cela nous de- \ lions, ce semble, appeler concepts de comparaison (con- ceplus comparalionis) les concepts indiqués. Mais comme, quand il ne s'agit pas de la forme logique des concepts mais de leur contenu, c'est-à-dire de la question de savoir bi les choses mêmes sont identiques ou diverses, si elles conviennentou non, etc., les choses peuvent avoir un double rapport à notre faculté de connaître, c'cst-à-dir<î piiuvent se rapporter à la sensibilité et à l'entendement, et que la manière dont elles se raltachentles unes aux autres dépend de Ofiie situation; la réflexion transcendantale. c'est-à-dire le rapport des représentations données à l'un ou l'autre mode de connaissance, pourra seule déter- «liner leur rapport entre elles, et la question de savoir Bi les choses sont identi<{ueg ou diverses, si elles se con- viennent ou non, etc., ne pourra être décidée immédiat<^- ment parles concepts ««x-mêmes, au moyen d'une simple /comparaison (c^mparaiio). On ne |»ourra la résoudre qu'en
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distinguant le mode de connaissance auquel elles appar- tiennent au moyen d'une réflexion ireflexio) transcendan- tale. On peut alors dire que la réflexion logique est une simple comparaison, puisqu'on y fait abstraction de la faculté de connaître à laquelle les représentations don- nées appartiennent, et on doit les prendre comme équi- valentes pour ce qui est de leur siège dans l'esprit; au contraire la réflexion transcendantale (qui se rapporte aux objets mêmes) contient le principe de la possibilité de la comparaison objective des représentations entre elles; elle est par suite très différente de l'autre, puisque la faculté de connaître à laquelle elles appartiennent n'est pas la même. Cette réflexion transcendantale est un devoir auquel ne saurait se soustraire qui veut porter à priori quelque jugement sur les choses. Nous allons l'entreprendre maintenant, et nous n'en tirerons pas peu de lumière pour déterminer la fonction propre de l'en- tendement.
1» Identité et diversité. — Quand un objet s'offre à nous plusieurs fois, mais chaque fois avec exactement les mêmes déterminations (qualité et quantité), il est, si on le consi- dère comme un objet de l'entendement pur, toujours le même, non pas plusieurs objets, mais une seule chose [numerica identitus); si au contraire il est envisagé comme phénomène, il ne s'agit plus de comparer les concepts, mais quelque identique que tout puisse être à ce point do vue, la diversité des lieux qu'occupe le phénomène dans le même temps est un principe suffisant de la diversité numérique de l'objet (des sens). Ainsi dans deux gouttes d'eau on peut faire abstraction de toute diversité intrin- sèque (de qualité ou de quantité) et il suffit qu'on les aperçoive en même temps dans des lieux différents, pour les regarder comme numériquement distinctes. Leibnitz prenait les phénomènes pour des choses en soi, par con- séquent pour des intelligibilia, c'est-à-dire pour des objets de l'entendement pur (bien qu'il les désignât du nom de phénomènes à cause des représentations que nous en 'avons), et à ce point de vue son principe des indiscernables (principium identibatis indiscernibilium) était certainement inattaquable. Mais comme ce sont en fait des objets de la
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sensibilité, et que l'usage de l'entendement. à leur égard n'est pas pur mais simplement empirique, la pluralité et la diversité numériques sont déjà données par l'espace même, comme la condition des phénomènes extérieurs. En effet une partie de l'espace, quoique parfaitement sem- blable et égale à une autre, est cependant hors d'elle, et elle est précisément pour cela une partie différente de cette autre partie qui s'ajoute à elle pour constituer un espace plus grand, et il en doit être de même de toute chose qui est en plusieurs endroits de l'espace à la fois, quelle qu'en puisse être l'homogénéité.
2° Convenance et disconvenance. — Quand la réalité ne nous est représentée que par l'entendement pur {réalitas noumenon), on ne conçoit pas qu'il puisse y avoir entre les réalités aucune disconvenance, c'est-à-dire un rapport tel que, unies dans un sujet, elles suppriment réciproque- ment leurs effets, et que 3 — 3=0. Au contraire les réalités phénoménales {realitas phœnomenon) peuvent cer- tainement être opposées entre elles et, unies dans le même sujet, annihiler les effets l'une de l'autre en tota- lité ou en partie, comme par exemple deux forces mo- trices agissant sur une même ligne droite, en tant qu'elles tirent ou poussent un point dans des directions opposées, ou comme le plaisir et la douleur qui se font équilibre.
'6^ Intérieur et extérieur. — Dans un objet de l'entende- ment pur, il n'y a d'intérieur que ce qui n'a aucun rap- port (au point de vue de l'existence) à quelque chose d'autre que lui. Au contraire les déterminations inté- rieures d'une substantia phœnomœnon dans l'espace no sont qu'un ensemble de pures relations. Nous ne con- naissons la substance dans l'espace que par les forces qui agissent en certains points de cet espace, soit |)our y attirer d'autres forces (attraction), soit pour h's empêcher d'y pénétrer (répulsion et impénétrabilité). D'autres propriétés constituant le concept de la substance qui apparaît dans l'espace et que nous appelons matière, nous n'en connaissons pas. Comme objet de l'entendement pur au contraire, toute substance doit avoir des détermi- nations intérieures et des forces qui se rapportent à sa réalité- intrinsèque. Mais que puis-je concevoir comme
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accidents intérieurs, sinon ceux que me présente mon gens intime, c'est-à-dire ce qui est en lui-même une pensiu^ ou analogue à la pensée? Aussi Leibnitz faisait-il de toutes les substances, par le fait qu'il se les représentait toutes comme des noumènes, et même des cléments de h\ matière, après en avoir retranché tout ce qui peut signi- fier quelque relation extérieure^etpar suite /a composition, des sujets simples doués de la faculté représentative, en un mot des monades.
4° Matière et forme, — Ce sont là deux concepts qui servent de fondement à toute autre réflexion^ tant ils sonl liés inséparablement à tout usage de l'entendement. Le premier signifie le déterminable en général, le deuxième sa détermination (l'un et l'autre dans le sens transcen- dantal, puisqu'on fait abstraction de toute diversité de ce qui est donné et de la manière dont il est déterminé). U< logiciens appe-laient autrefois matière le général, etforni!' la différence spécifique. Dans tout jugement on peut ap- peler matière logique (du jugement) les concepts donnas et forme du jugement leur rapport établi au moyen de la copule. Dans tout être les éléments constitutifs [essentialia) en sont la matière; la manière dont ces éléments sont unis dans une chose est la forme essentielle. En outre, par rap- port aux choses en général, la réalité illimitée était regardée comme la matière de toute possibilité et sa limitation (sa négation) comme la forme par laquelle une chose se dis- tingue d'une autre suivant des concepts transcendantaux. L'entendement en effet exige d'abord que quelque chose soit donné (au moins dans le concept) pour pouvoir h' déterminer d'une certaine manière. La matière précèd donc la forme dans le concept de l'entendement pur, < c'est pourquoi Leibnitz admettait d'abord des choses (dr monades), et ensuite une faculté représentative inhérent à ces choses, sur laquelle il pût fonder leurs rapporî extérieurs et le commerce de leurs états (c'est-à-dire »i leurs représentations). L'espace et le temps étaient donc possibles, le premier uniquement par le rapport des substances, le second par renchaînenient de leurs déter- minations entre elles comme principes et conséquences. 11 en devrait être dans le fait ainsi, si l'entendement pur
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pouvait être rapporté immédiatement aux objets, et si l'espace et le temps étaient des déterminations des choses ( n soi. Mais s'ils ne sont que des intuitions sensibles, 'Inns lesquelles nous déterminons tous les objets seule- ment à titre de pliénomènes, la forme de l'intuition (comme constitution subjective de la sensibilité) précède loute matière (les sensations), et par conséquent l'espace
( le temps précèdent tous les phénomènee et tontes les ionnées de l'expérience» et bien plus rendent cette expé-
ience possible. Le philosophe intellectualiste ne pouvait
upporter que la forme dût précéder les choses mêmes et déterminer leur possibilité ; cette remarque était tout à IViit justCj comme il l'entendait, admettant que nous per- • cvons les choses telles qu'elles sont (encore que notre I oprésentation en soit confuse). Maift comme l'intuition
•nsible est une condition toute particulière et subjective, qui sert * priori de fondement à toute perception et dont la l'orme est à l'origine, la forme seule est donnée par L'ile-méme; et bion loin que la matière (ou les choses mêmes qui apparaissent) doive servir do fondement (conmie on devrait le juger d'après 1<3S seuls concepts), la possibilité suppose au contraire une intuition for- melle (l'espace et le temps) comme donn*.^»'.
Remarque sur Vamphibolie des concepts de la réflexion.
Qu'on me permette de désigner sous le nom de lieu trans- ctnidantal la place que nous assignons à un concept, soit Mans la sensibilité, soit dans l'entendement pur. Do cette manière on appellerait topique trunscendantalcia. détermi- nation de la place qui convient à chaque concept suivant l'usage qui lui est propre, et l'indication des règles à suivre pour déterminer ce lieu pour tous les concepts. Cette doc- trine, en distinguant toujours à quolle faculté de connaître h'R concepts appartiennent en pro(»re, nous j»r('scrverait in- i iilliblem<mt des surprises de riMibuidement pur et des illusions qui en résultent. On peut appeler lieu loyique tout concept, tout titre dans lequel rentrent plusieur.s connais-
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sances. Tel est le principe de la topique logique d*Ari$tote, dont les rhéteurs et les orateurs pouvaient se servir pour chercher, sous certains titres de la pensée, ce qui conve- nait le mieux à la matière proposée et pour en raisonner avec une apparence de profondeur, ou en bavarder abon- damment.
La topique transcendantale ne contient au contraire que les quatre précédents titres de toute comparaison et de toute distinction, et ces titres se distinguent des catégories en ce qu'au lieu de l'objet considéré suivant ce qui cons- titue son concept (quantité, réalité) ils représentent uni- quement, dans toute sa diversité, la comparaison des représentations qui précèdent le concept des choses. Mais cette comparaison réclame d'abord une réflexion, c'esWi- dire une détermination du lieu auquel appartiennent les représentations des choses comparées, car il s'agit de savoir si c'est l'entendement pur qui les pense, ou la sen- sibilité qui les donne dans le phénomène.
On peut comparer logiquement les concepts sans s'in- quiéter de savoir à quoi se rattachent leurs objets, s'ils appartiennent à l'entendement comme noumènes ou à la sensibilité comme phénomènes. Mais si avec ces concepts nous vouions arriver aux objets, nous avons besoin aupa- ravant d'une réflexion transcendantale qui détermine pour quelle faculté de connaître ils doivent être objets, si c'est pour l'entendement pur ou pour la sensibilité. Sans cette réflexion, je fais de ces concepts un usage très incertain, et ainsi se produisent de prétendus principes synthétiques que la raison critique ne peut reconnaître, et qui ont uniquement leur racine dans une amphibolie transcen- dantale, c'est-à-dire dans une confusion de l'objet de l'entendement pur avec le phénomène.
Faute d'une telle topique transcendantale, trompé par Famphibolie des concepts de la réflexion, l'illustre Leibnitz construisit un système intellectuel du monde, ou ])lutôtil crut connaître la constitution intime des choses, en se bornant à comparer tous les objets avec l'entende- ment et avec les concepts formels et abstraits de la pensée. Notre table des concepts de la réflexion nous procure cet avantage inattendu de mettre devant nos yeux
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le caractère distinctif de sa doctrine dans toutes ses part'ies, et en même temps le principe fondamental de cette façon de penser qui lui est propre, et qui repose simplement sur un malentendu. Il comparait toutes choses entre elles au moyen des seuls concepts, et il ne trouva, comme il est naturel, d'autres diflérences que celles par lesquelles l'entendement distingue ses concepts purs les uns des autres. Les conditions de l'intuition sensible qui portent en elles leur propre différence, il ne les tenait pas pour originaires, car la sensibilité n'était pour lui qu'une espèce de représentation confuse et non point une source particulière de représentations ; il voyait dans le phénomène la représentation de la chose en soi, mais une représentation distincte, quant à la forme logique, de la connaissance par entendement, puisqu'en particulier, par faute habituelle d'analyse, elle introduit dans le concept de la chose un certain mélange de repré- sentations accessoires que l'entendement sait en écarter. En un mot Leibnitz intellectualisait les phénomènes comme Locke avait, avec son système de noocjonie (s'il m'est permis de me servir de cette expression), sensualiscle^ concepts de l'entendement, c'est-à-dire les avait donnés comme des concepts de la réflexion, empiriques mais abstraits. Au lieu de chercher dans l'entendement et dans la sensibilité deux sources tout à fait séparées de repré- sentation, mais qui ont besoin d'être unies pour produire des jugements sur les choses ayant une valeur objective, chacun de ces deux grands hommes s'attachait seulement à l'une d'elles, celle qui dans shi\ opinion se rapportait immédiatement aux choses mêmes, tandis que l'autre ne; faisait que confondre ou ordonner les représentations d« la première.
Leibnitz comparait donc entre eux les objets des sens pris comme choses en général, uniquement dans l'enlen- doment :
i° En tant qii'ils doivent être jugés, par celle faculté» identiques ou indifférents. Or comme il n'avait devant les yeux que les concepts de ces objets et non leur place dans l'intuition, dans laquelle seule les objets peuvent être donnés, et qu'il laissait tout à fait hors de son attention le
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lieu Iransrendantai de ces concepts (c'est-à-dire la ques- tion de savoir si l'objet doit être rangé parmi les phéno- mènes oii pafmi les choses en soi), il ne pouvait manquer d'étendre son principe des indiscernables, qui n'a d« valeur que pour les concepts des choses en général, aux objets des seits [mundus phaenomenon), et de croire qu'il n'avait pas par là médiocrement étendu la connaissance de \â tlatiire. Sans doute, si je connais une goutte d'eau comme une chose en &oi, dails ses déterminations intrin- sèques, je ne puis laisser tenir aucune autre chose pour différente d'elle, si tout le concept de la seconde est iden- tique à celui de la preinière. Mais si cette goutte d'eau est iin phéhomène daris l'espacej il n'a pas seulertietit sa place dans l'entendement (parmi les concepts) mais dans l'intuition extérieure sensible '(l'espace)» et coinme les lieux physiques sont tout à fait indifférents aux détermi- nations intrinsèques des choses, un Heu = b peut i'ecc- voir une chose absolument semblable à une autre sise en un lieu = a, tout aussi bien que si la première était intrinsèquement distincte de la seconde. La différence des lieux, sans autres conditions, et déjà par elle-même^ rend non seulement possible mais nécessaire la pluralité et la distinction des objets, comme phénomènes. Cette loi appa- rente des indiscernables n'est donc pas une loi de lé. nature. Ce n'est qu'une règle analytique, ou comparaison des choses par simples concepts.
2" Le principe que les réalités (coranie simples affirma- tiotis) ne sont jamais logiquement contraires les unes aux autres est un principe tout à fait vrai quant au rapport des concepts» mais qui ne signifie rien, soit à l'égard de la nature, soit d'une façon générale à l'égard d'une chose en soi (dont nous n'avons d'ailleurs aucun concept)* Car il y a une contradiction réelle là où A — B = 0, c'est-à- dire là où, deux réalités étant liées dans un sujet» l'une supprime l'effet de l'autre, comme les obstacles et les oppositions de la nature le mettent incessamment bous nos yeux, choses qui reposant néanmoins sur des forces doivent être appelées realitates phaenomena. La mécanique générale peut donner la condition empirique de cette contradiction dans une règle à prioH, en observant Toppo*
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sitlon des directions suivies : une condition dont le concept iranscendantal de la réalité ne sait rien du tout. Bien que M. de Leibnitz n'ait pas proclamé ce principe avec toute la pompe d'un principe nouveau, il ne s'en est pas moins servi pour des affirmations nou- velles, et ses successeurs l'ont introduit expressément dans leur système leibnitzien-wolfien. D'après ce prin- cipe, par exemple, tous les maux ne sont que des suites do la limitation des créatures, c'est-à-dire des négations, parce que la négation est la seule chose qui soit contra- dictoire à la réalité (ce qui est vrai en effet dans le simple con<îept d'une chose en général, mais ce qui ne l'est plu» dos choses considérées comme phénomènes)» Pareillement les disciples de ce philosophe trouvent, non seulement possible, mais aussi naturel de réunir en un être toute réalité, sans avoir à craindre aucune opposition, parce qu'ils n'en connaissent pas d'autre que celle de la con- tradiction qui rend impossible le concept d'une chose, et oublient celle du dommage réciproque qui se produit quand lin principal détruit l'eftet d'un autre, mais que nous ne pouvons nous représenter sans en demander les conditions à la sensibilité.
3" La monadologie de Leibnitz n'a pas d'autre princip»^ pînon que ce philosophe représentait la distinction de ! intérieur et de l'extérieur uniquement dans son rap- port à l'entendement. Les substances en général doivent avoir quelque chose dintérieur qui soit par suite affranchi (le tout rapport extérieur et donc du toute composition. Le simple est donc le fondement de l'intérieur des choses • n soi. Mais l'intérieur de leur état ne peut pas tonsister non plus dans le lieu, la figure, le contact ou lo mouve- ment (déterminations qui sont toutes des rapports exté- rieurs), et nous ne pouvons par conséquent attribuer aux
Mbstnnces aucun autre état interne que celui par lequel noua déterminons notre gens même, en ce qu'il a d'in- time, l'état des rcpvcseptfitionf. C'est ainsi qu'on en arrive A constituer la trame do l'univers avec des monades dont la foire active ne consista» qu'en représentations, par les- (luelles elles n'agissent proprement qu'en elles-mêmes. Mais par la même raison son principe du commerce
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possible des substances eatre elles devait être une har- monie préétablie, ne pouvant pas être une influence physique. En effet puisque toute substance n'a affaire qu'à l'intérieur d'elle-même, c'est-à-dire qu'à ses représenta- tions, l'état des représentations d'une substance ne pou- vait se trouver dans un rapport d'action avec celui d'une autre substance, mais il fallait qu'une troisième cause, influant sur toutes ensemble, fit correspondre leurs états entre eux, et cela non par une assistance occa- sionnelle et donnée dans chaque cas particulier [systema assistentiae), mais par l'unité de l'idée d'une seule cause valant pour tous les cas, dont elles reçussent toutes, suivant des lois générales, leur existence et leur perma- nence, par suite aussi leur correspondance mutuelle.
4° Le fameux système de Leibnitz sur le temps et Fespace, qui consistait à intellectualiser ces formes de la sensi- bilité, avait tout simplement sa source dans la même illusion de la réflexion transcendantale. Si je veux me représenter par le simple entendement les rapports exté- rieurs des choses, cela ne peut avoir lieu qu'au moyen d'un concept de leur action réciproque, et si je dois lier l'état d'une chose à un autre état de cette même chose, il faut nécessairement que je me place dans l'ordre des principes et des conséquences. C'est ainsi que Leibnitz se représentait l'espace comme un ordre déterminé dans le commerce des substances, et le temps comme la série dynamique de leurs états. Mais ce que tous deux semblent avoir de propre et d'indépendant des choses, il l'attribuait à la confusion de ces concepts qui fait regarder comme une intuition existant par elle-même et antérieure aux choses mêmes, ce qui n'est qu'une forme de rap- ports dynamiques. L'espace et le temps étaient donc pour lui la forme intelligible de la liaison des choses en soi (des substances et de leurs états). Quant aux choses mêmes, il les regardait commedes substances intelligibles {sabstantiae noumena). Il voulait pourtant faire passer ces concepts pour des phénomènes, parce qu'il n'accordait à la sensibilité aucun mode propre d'intuition, mais qu'il cherchait même la représentation empirique des objets dans l'entendement, et qu'il ne laissait aux sens que la
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misérable fonction de confondre et de défigurer les représentations de l'entendement.
Quand bien même nous pourrions juger synthétique- ment des choses en soi à l'aide de l'entendement pur (ce qui est impossible d'ailleurs), cela ne pourrait se rap- porter aux phénomènes qui ne nous représentent pas des choses en soi. Je ne devrai donc jamais dans ce dernier cas, dans la réflexion transcendantale, comparer mes concepts que sous les conditions delà sensibilité, et ainsi l'espace et le temps ne sont pas des déterminations des choses en soi mais des phénomènes ; ce que les choses peuvent être en soi, je ne le sais pas et je n'ai pas besoin de le savoir, puisqu'auc^p^^^ chose ne peut jamais se pré- senter à moi autrement qlc dans le phénomène.
Je procède de même à l'égard des autres concepts de la réflexion.. La matière est substantia phaenomenon. Ce qui lui convient intérieurement, je le cherche dans toutes les parties de l'espace qu'elle occupe et dans les eirets qu'elle produit, et qui ne peuvent être à la vérité que des phénomènes des sens extérieurs. Je n'ai donc rien qui soit absolument intérieur, mais quelque chose seulement qui ne l'est que d'une manière relative, et qui lui-même se compose à son tour de rapports extérieurs. Mnis ce qui dans la matière serait absolument intérieui n't.'St qu'une simple chimère, car la matière n'est nulle jiart un objet pour l'entendement pur, et l'objet trans- crndantal qui peut être le principe de ce phénomène que nous nommons matière est simplement quelque chose dont nous ne comprenons pas la nature, ni ne savons ce qu'elle peut être, quand même on pourrait nous le dire, l^u effet, nous ne pouvons comprendre que ce qui implique dans l'intuition quelque chose de correspondant a nos mots. On se plaint de ne pas apercevoir l'intérieur des cfioses : si l'on veut dire par là que nous ne compre- nons point par l'entendement pur ce que peuvent être en soi les choses qui nous apparaissent, c'est là uno plainte tout à fait injuste et déraisonnable, car on vou- drait connaître les chos^'s, par suite les saisir intuitive- ment, sans le secours des sens; c'est-à-dire qu'on voudrait avoir une faculté de connaissance toute différente de
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celle de l'homme» non seulement par le degré» mais aussi par l'intuition et la nature, c'est-à-dire encore qu'on vou- drait être non plus des hommes mais des êtres dont nou ne pouvons même pas dire s'ils sont possibles, et à plu^. forte raison comment ils seraient constitués. Dans l'in- térieur de la nature, c'est l'observation et l'analyse dr phénomènes qui pénètrent, et l'on ne peut savoir ju- qu'où ce progrès peut aller avec le temps. Mais toutes ces (iuestions d'ordre transcendantal qui dépassent la nature ne pourraient jamais être résolues, quand bien môme la nature tout entière nous serait dévoilée, puisqu'il ne nous est pas donné d'observer notre propre esprit av' une autre intuition que celle de notre propre sens intim< . C'est en effet en lui que réside le secret de l'origine de notre sensibilité. Le rapport de cette sensibilité à un objet et ce qui est le principe transcendantal de cette unité sont sans aucun doute trop profondément caché^^ pour que nous, qui ne nous connaissons nous-mêmes qu parle sens intime, c'est-à-dire comme phénomènes, nous puissions employer un instrument d'investigation si impropre à trouver jamais autre chose que phénomènes sur phénomènes quand nous voudrions en découvrir la cause non sensible.
L'utilité que présente cette critique des. conclusion- tirée des seuls actes do la réflexion, est qu'elle démontre clairement le néant de tous les raisonnements sur des objets, quand on les compare entre eux seulement au point de vue de l'entendement, et en même temps qu'elle confirme un point sur lequel nous avons particulière- ment insisté, à savoir que bien que les phénomènes ne soient pas compris à titre de choses en soi parmi les objets de l'entendement pur, ils n'en sont pas moins les seules choses où notre connaissance puisse trouver une réalité objective, c'est-à-dire où une intuition corre8pon<1 au concept.
Quand notre réflexion est purement logique, nous nous bornons à comparer nos concepts entre eux dans Ten- tendement, afin de savoir si ces deux concepts coptien- nent la même chose, s'ils sont ou non contradictoires, si quelque chose est intrinsèquement contenu dans le cou-
ANALYTIQUE TRANSCENDANTALE 2Ro
cept ou s'y ajoute, et lequel des deux est donné, lequel ausiii n'a de valeur que comme une manière de penser le concept donné. Mais quand j'applique ces concepts à un objet en général (dans le sens transcendantal) sans le déterminer' davantage pour savoir si c'est un objet de l'intuition sensible ou de l'intuition intellectuelle, aussitôt se manifestent des restrictions (pour nous empôciier de sortir de ce concept) qui en interdisent tout usage empi- rique et nous prouvent par là môme nue la représenta- tion d'un objet comme chose en général n'est pas seule- ment peut-être insuffisante, mais que, en l'absence de toute détermination sensible, et en dehors de toute con- dition empirique, elle est contradictoire en soi ; qu'il faut donc (dans la logique) ou faire abstraction de tout objet, ou, si l'on en admet un, le concevoir sous les conditions de l'intuition sensible; qu'ainsi l'intelligible exigerait une Intuition toute particulière, que nout» ne possédons pas, et faute de celle-ci, cet intelligible n'est rien pour nous ; enlin que les phénomènes ne peuvent être des objets en soi.
En effet, si je conçois simplement des choses en géné- ral, la diversité des rapports extérieurs ne peut, à la vérité, constituer une diversité des choses elles-mêmes; bien plutôt elle la présuppose, et si le concept de l'une de ces choses n'est pas intrinsèquement distinct de celui de l'autre, c'est une seule et même chose que je place dans des rapports divers. Do plus, par l'addition d'une simple affirmation (réalité) à una autre, le positif est augmenté, rien ne lui est enlevé ou n'est en lui annulé, par conséquent le réel dans les choses en général no peut être contradictoire,... etc.
Les concepts de la rriK.MDii. ri.miui: iKXis i.isuns montré, ont, par l'effet d'une certaine confusion, une telle inlUiencesur l'usage de l'entendement, qu'ils ont pu con- duire l'un des plus pénétrants de tous les philosophes à un prétendu système de la connaissance intellectuelle qui entreprend de déterminer ses objets sans le secours Mes sens. Justement 4 cause de cela, l'analyse de la
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cause trompeuse de l'amphibolie des concepts est fort utile à qui veut déterminer et fixer les bornes de l'enten- dement.
Il est bien vrai de dire que tout ce qui convient en gé- néral ou répugne à un concept convient ou répugne à tout le particulier compris dans ce concept [dictum de omni et nullo). Mais il serait absurde de modifier ce prin- cipe logique de manière à lui faire signifier ceci : tout ce qui n'est pas contenu dans un concept général ne l'est pas non plus dans les particuliers qu'il renferme, car ceux-ci ne sont des concepts particuliers que parce qu'ils renferment plus que ce qui est pensé dans le concept général. Or, à la vérité, c'est sur ce principe qu'est fondé tout le système de Leibnitz : il s'écroule donc avec lui, en même temps que toute l'équivoque qui en résulte dans l'usage de l'entendement. _
Le principe des indiscernables se fondait proprement sur cette supposition que, si une certaine distinction ne se trouve pas dans le concept d'une chose en général, il ne faut pas la chercher non plus dans les choses mêmes, et que par conséquent les choses qui ne se distinguent pas déjà les unes des autres dans leur concept (relative- ment à la qualité ou à la quantité) sont parfaitement identiques [numéro eadem). Mais comme dans le simple concept d'une chose on fait abstraction de maintes con- ditions nécessaires pour une intuition, il arrive que, par une singulière précipitation, on regarde ce dont on fait abstraction comme quelque chose qui n'existe nulle part, et l'on n'accorde à la chose que ce qui est contenu dans son concept.
Le concept d'un pied cube d'espace est en soi identique oïl et si souvent que je le conçoive. Mais deux pieds cubes ne sont pas moins distincts uniquement par leurs lieux (numéro diversa) ; ces lieux sont les conditions de l'intuition dans laquelle l'objet de ce concept est donné, et ces conditions n'appartiennent pas au concept, mais à toute la sensibilité. Pareillement, il n'y a aucune contradiction dans le concept d'une chose quand rien de négatif n'y est uni à quelque chose d'affirmatif, et des concepts simplement affirmatifs peuvent, en s'unissant,
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produire une négation. Mais dans l'intuition sensible, où la réalité (par exemple le mouvement) est donnée, se trouvent des conditions (directions opposées) dont on fai- sait abstraction dans le concept du mouvement en général, et qui rendent possible une contradiction, il est vrai non logique, c'est-à-dire qui de quelque chose de purement positif font un zéro = 0. On ne pourrait donc dire que toutes les réalités sont en harmonie entre elles, par cela seul qu'entre leurs concepts il n'y a pas de contradic- tion <. Au point de vue des simples concepts, l'inté- rieur est le substrat de tous les rapports ou détermina- tions externes. Quand donc je fais abstraction de toutes les conditions de l'intuition et que je m'en tiens sim- plement au concept d'une chose en général, je puis faire abstraction de tout rapport externe, et il doit cependant rester un concept de quelque chose qui ne signifie aucun rapport, mais seulement des déterminations internes. Or il semble résulter de là que dans toute chose (toute subs- tance) il y a quelque chose qui est absolument intérieur et qui précède toutes les déterminations externes, en les rendant avant tout possibles ; que par conséquent ce substrat est quelque chose qui ne contient pas de rapport externe, donc quelque chose de simple (car les choses cor- porelles ne sont toujours que des rapports, au moins de leurs parties entre elles); et puisque nous ne connaissons de déterminations absolument internes que celle du sens intime, il résulte aussi que ce substrat n'est pas seule- ment simple, mais qu'il est aussi (d'après l'analogie de notre sens intime) déterminé par des représentations ^ ce qui revient à dire que toutes choses seraient proprement
\. Si l'on voulait recourir ici au subterfuge accoutumé, en (lisant que les réahtés intelligibles (réalitatcs noumcna) du moins no peuvent être opposées les unes aux autres, il faudrait en tous cas citer un exemple de réalités pures et non sensibles, afin que l'on comprît si ce nom représente en général quoNiuo chose ou rien du tout. Mais aucun exemple ne peut ôlro lire d'ailleurs que de l'expérience, qui n'olTre jamais que des phéno- mènes {phacnomena). Ainsi cette proposition ne signillo rien, sinon que le concept qui no renferme que dos afllrmations ne renferme rien de négatif, proposition dont nous n'avons jamais douté.
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des monades ou des êtres simples doués de représentations. Cela ne souffrirait pas non plus de contradiction, si quelque chose de plus que le concept d'une chose en général ne faisait partie des conditions sous lesquelles seules des objets peuvent être donnés à l'intuition externe et dont le concept pur fait abstraction. Car avec ces condi- tions apparaît qu'un phénomène permanent dans l'espace (l'étendue impénétrable) peut contenir de simples rap- ports, et par conséquent nulle intériorité absolue, et cependant être le premier substrat de toute perception extérieure. Au moyen des simples concepts, je ne puis à la vérité penser rien d'extérieur sans quelque chose d'in- térieur, précisément parce que des concepts de rapports supposent des choses données absolument et sont impos- sibles sans elles. Mais comme il y a dans l'intuition quelque chose qui ne se trouve nullement dans le concept d'une chose en général, et que ce quelque chose met à notre portée le substrat qui ne peut être connu par de simples concepts, à savoir un espace qui, avec tout ce qu'il renferme, se compose de purs rapports formels ou même réels, je ne puis dire : puisque sans quelque chose d'absolument intérieur, aucune chose ne peut être repré- sentée par de simples concepts, il n'y a non plus dans les choses mêmes, contenues sous ces concepts, et dans leur intuition, rien d'extérieur qui n'ait pour fondement quelque chose d'absolument intérieur. En effet si nous avons fait abstraction de tontes les conditions de l'intuition, il ne nous reste à la vérité dans le simple concept que l'inté- riorité en général et le rapport de ses parties entre elles, par lequel seule est possible l'extériorité. Mais cette néces- sité qui se fonde uniquement sur l'abstraction, ne trouve point place dans les choses, dans la mesure où elles sont données dans l'intuition avec les déterminations indi- quées, qui expriment de simples rapports, sans avoir pour fondement quelque chose d'intérieur, précisément parce qu'elles ne sont pas des choses en soi, mais simplement des phénomènes, Ce que nous connaissons dans la matière se réduit à des rapports (ce que nous nommons déter- minations intérieures en elle ne l'est que relativement); mais parmi eux il en est de suffisants par eux-mênjes, et
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de permanents, par lesquels un objet déterminé nous est donntj. Qu'en faisant abstraction de ces rapports je n'aie plus rien à penser, cela ne supprime pas le concept d'une chose en tant que phénomène, non plus que le concept d'un objet in abstracto, mais bien toute possibilité d'objet qui serait déterminable par simples concepts, c'est-à-diro d'un noumène. A la vérité il est surprenant d'entendre dire qu'une chose ne se compose entièrement que de rapports, mais aussi une chose de ce genre n'est qu'un pur phéno- mène, et ne peut être pensée par de simples catégories; elle consiste même dans le simple rapport de quelque chose en général au sens. De même, on ne peut, en com- mençant par de simples concepts, concevoir les rapports des choses in abstracto, qu'en considérant l'une comme la cause des déterminations qui se produisent dans l'autre, car tel est notre concept intellectuel des rapports mômes. Mais, comme nous faisons alors abstraction de toute intuition, alors disparaît aussi tout un mode suivant lequel les éléments du divers peuvent se déterminer réci- proquement leur lieu, autrement dit la forme de la sensi- bilité (l'espace), qui pourtant vient avant toute causalité empirique.
Si, par des objets purement intelligibles, nous compre- nons ces choses qui sont conçues par des catégories pures^ sans aucun schéma de la sensibilité, des objets de ce genre sont tout à fait impossibles. Car la condition do l'usage objectif de tous nos concepts intellectuels est uniquement notre mode d'intuition sensible, par lequel des objets nous sont donnés, et si nous faisons abstrac- tion de ce mode, ces concepts n'ont plus aucun.rapport à un objet. Quand même nous admettrions un autre mode d'intuition que notre intuition sensible, les fonctions de notre pensée seraient à son égard sans aucune valeur. Si nous entendons parla uniquement des objets d'une intui- tion sensible, mais auxquels nos catégories à dire vrai ne s'appliquent pas, et dont par conséquent nous n'avons aucune connaissance (ni intuition, ni concept), on doit sans douté admettre des noumènes dans ce sens tout négatif: ils ne signifient en effet rien d'autre que ceci, que notre mode d'intuition ne s'étend pas à toutes choses mais
I. — 10
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seulement aux objets de nos sens, que par conséquent sa valeur objective est limitée, que par conséquent encore il reste de la place pour quelque autre intuition et par là aussi pour des choses qui en seraient les objets. Mais alors le concept d'un noumenon est problématique, c'est-à-dire qu'il n'est que la représentation d'une chose dont nous ne pouvons dire ni qu'elle est possible, ni qu'elle est impos- sible, puisque nous ne connaissons d'autre espèce d'intui- tion que notre intuition sensible, ni d'autres espèces de con- cepts que les catégories, et que ni celle-là ni celles-ci ne sont appropriées à un objet extra-sensible. Nous ne pou- vons donc pas étendre le champ des objets de notre enten- tendement au delà des conditions de notre sensibilité, d'une manière positive, et admettre en dehors des phéno- mènes encore des objets de la pensée pure, c*est-à-dire des noumènes, puisque ces objets n'ont aucun sens positif qu'on puisse indiquer. Il faut reconnaître en effet au sujet des catégories qu'elles ne suffisent pas à elles seules pour la connaissance des choses en soi, et que sans les data df la sensibilité elles ne seraient que les formes purement subjectives de l'unité de l'entendement, mais n'auraient pas d'objet. La pensée, il est vrai, n'est pas en soi un pro- duit des sens, et à ce titre elle n'est pas limitée par eux. mais elle n'a pas pour cela un usage propre et pur, indé- pendant du concours de la sensibilité, parce qu'elle serait alors sans objet. On ne peut pas même donner le nom de noumène à un objet de ce genre, parce que le nom de noumène signifie le concept problématique d'un objet pour une intuition tout autre, et un entendement égale- ment différent, qui constitue lui-même un problème. Le concept d'un noumène n'est donc pas celui d'un obje! mais le problème inévitablement lié à la limitation «1 notre sensibilité, celui de savoir s'il peut y avoir des objet absolument indépendants de l'intuition qui lui est proprr question à laquelle il ne peut être fait que cette répons indéterminée : puisque l'intuition sensible ne s'appliqu« pas indistinctement à toute chose, il reste de la place pour d'autres objets, ils ne peuvent donc pas être niés absolument, mais faute d'un concept déterminé (puisque aucune catégorie n'est bonne pour cela), nous ne saurions
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non plus les affirmer à titre d'objets de l'entendement.
L'entendement limite donc la sensibilité, sans étendre pour cela son propre domaine, et, en l'avertissant de ne pas prétendre s'appliquer à des choses en soi, mais de se borner aux phénomènes, il conçoit pour lui un objet en soi, mais simplement comme un objet transccndantal qui est la cause du phénomène (qui n'est pas par. suite lui- même un phénomène), mais qui ne peut être conçu, ni comme quantité, ni comme réalité, ni comme subs- tance, etc., (parce que ces concepts exigent toujours des formes sensibles où ils déterminent un objet), et de qui nous ignorons absolument par suite s'il se trouve en nous ou hors de nous, s'il disparaît en même temps que la sensibilité, ou si, celle-ci écartée, il subsiste encore. Si l'on veut appeler cet objet noumène, ])our la raison que la représentation n'en est pas sensible, on est bien libre, mais comme nous ne p<3uvons y appliquer aucun con- cept de notre entendement, cette représentation reste pour nous vide et ne sert à rien, sinon à indiquer les limites de notre connaissance sensible, et à laisser un espace libre que nous ne pouvons combler avec aucune • xpérience possible, ni avec l'enlendement pur.
i.a critique de cet entendement pur ne nous permet donc i>.ii de nous créer un nouveau champ d'objets, en dehors de ceux qui peuvent se présenter à lui comme phéno- mènes, et de nous aventurer dans des mondes intelligibles, ni même dans leur concept. L'erreur qui nous égare ici '. la manière la plus spécieuse, et qui peut être excusée
us doute, non justifiée, consiste à rendre l'usage de 1 .'utendement, contrairement h sa destination, transccn- dantal, et à croire que les objets, c'est-A-dire des intui- iions possibles, doivent se régler sur des concepts, et non ! s concepts 8ur des intuitions possibles (comme sur les
nies conditions qui fondent leur valeur objective^ La
luse de cetli^ erreur h son tour est que l'aperreption et ivcc elle la pensf'-e précède tout ordre déterminé possible des représentations. Nous concevons donc quelque chose en général, et nous le déterminons d'une manière sen- sible d'un côté, mais nous distinguons pourtant l'objet en général et représenté in abstracto de cette manière de le
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saisir dans l'intuilion. Il nous reste alors une manière de le déterminer, uniquement par la pensée, laquelle n'est il est vrai qu'une simple forme logique sans contenu, mais semble pourtant être une manière pour l'objet d'exister en soi {noumenon), indépendammentde l'intuition qui est bornée à nos sens.
Avant de quitter l'Analytique transcendantale, nous devons ajouter encore quelque chose qui, sans avoir par soi-même une importance extraordinaire, pourrait sem- bler indispensable à l'achèvement du système. Le concept le plus élevé, par où l'on a coutume de commencer une philosophie transcendantale, est la division en possible et impossible. Mais comme toute division suppose un concept divisé, il faut qu'un concept plus élevé encore soit donné et ce concept est celui d'un objet en général (pris d'une manière problématique, et abstraction faite de la question de savoir si il est quelque chose ou rien). Puisque les catégories sont les seuls concepts qui se rap- portent en général à des objets, la distinction d'un objet relativement à la question de savoir s'il est quelque choso ou rien, suivra l'ordre et la direction des catégories.
1° Aux concepts de tout, de plusieurs et de un, e^t opposé celui qui supprime tout, c'est-à-dire aucun, et ainsi l'objet d'un concept auquel ne correspond aucune intuition qu'on puisse indiquer est rien, c'est-à-dire que c'est un concept sans objet, comme les noumena qui ne peuvent être rangés dans -les possibilités, bien qu'on ne doive pas pour cela les tenir pour impossibles {en$ rationis), ou bien comme certaines énergies nouvelles, que l'on conçoit bien il est vrai sans contradiction, mais aussi sans exemple tiré de l'expérience, et qui par consé- quent ne peuvent être rangées parmi les possibilités.
2° La réalité est quelque chose, la négation n'est rien ; c'est en effet le concept du manque d'un objet, comme l'ombre, le froid {nihil privativum).
3° La simple forme de l'intuition, sans substance, n'est pas un objet en soi, mais la condition purement formelle de cet objet (comme phénomène), comme l'espace pur et le temps pur {ens imaginarium), qui sont à la vérité quelque
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chose comme formes d'intuition, mais qui ne sont pas eux-mêmes des objets pour cette intuition.
4° L'objet d'un concept qui se contredit lui-même n'est rien, parce que le concept rien est l'impossible : telle est par exemple une figure rectiligne de deux côtés {iiihil negativum).
LetableaVide cette division du concept de rien (car la division parallèle du quelque chose suit d'elle-même) serait donc tracé ainsi :
RIE??
comme :
1. Concept vide sans objet,
eus rationis.
2. Objet vide de concept, 3. Intuition vide sans objet,
nihil privativum. eus imaginarium.
4. Objet vide sans concept,
nihil negativum.
On voit que l'être de raison (n" 4) se distingue du non- (tre (n° 4) en ce qu'il ne peut être rangé parmi les possi- bilités, n'étant qu'une fiction (bien que non contradictoire), tandis que le second est opposé à la possibilité, le concept /se détruisant lui-même. Mais tous deux sont des concepts vides. Au contraire le nihil privativum (n° 2) et Vens imagi- narium (3) sont des data vides pour des concepts. Quand la lumière n'est pas donnée aux sens, on ne peut se repré- senter aucune obscurité; quand on ne perçoit pas d'être ' ttMidu on ne peut se représenter l'espace. La négation aussi bien que la simple forme de l'intuition, sans un i^'cl, ne sont pas des objets.
DEUXIÈME DIVISION DIALECTIQUE TRANSCENDANTALE
INTRODUCTION
De l'apparence transcendantale.
Nous avons nommé plus liaut la dialectique en général une logique de l'apparence. Gela ne veut pas dire qu'elle soit une théorie de la vraisemblance, car la vraisemblance est une vérité, mais une vérité insuffisamment fondée, dont la connaissance est sans doute défectueuse, mais n'est pas trompeuse pour cela, et par conséquent ne doit pas être séparée de la partie analytique de la logique. Encore moins peut-on tenir pour la même chose \e phéno- mène et Vapparence. En effet la vérité ou l'apparence ne sont pas dans l'objet en tant qu'il est perçu intuitivement, mais dans le jugement sur ce même objet, en tant qu'il est pensé. On peut donc dire très justement que les sens ne trompent pas; mais ce n'est pas pour cette raison qu'ils jugent toujours exactement, c'est parce qu'ils ne jugent pas du tout. Par conséquent c'est uniquement dans h; jugement, c'est-à-diro uniquement dans le rapport do l'objet à notre entendement, qu*il faut placer la véritti .mssi bien que Terreur, et partant aussi l'apparence, en laut qu'elle nous invite à l'erreur. Dans une connaissance <|ui s'accorde parfaitement avec les lois de l'entendenienl, il n'y a pas d'erreur. Il n'y en a pas non plus dans une représentation des sens (parce qu'elle ne contient pas de jugement.) Aucune force de la nature ne peut s'écarter de «es propres lois. Aussi ni l'entendement par lui-même (sans être influencé par une autre cause), ni les sens par eux-mêmes ne se trompent. L'entendement ne le peut pas
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parce que, dès qu'il n'agit que diaprés ses propres lois, l'effet (le jugement) doit nécessairement s'accorder avec elles. C'est dans l'accord avec les lois de l'entendement que consiste la partie formelle de la vérité. Dans les sens il n'y a point de jugement, ni vrai ni faux. Comme nous n'avons point d'autre source de connaissance que ces deux-là, il suit que l'erreur ne peut être produite que par l'influence inaperçue de la sensibilité sur l'entendement, par quoi il arrive que les principes subjectifs du juge- ment se rencontrent avec les principes objectifs, et les font dévier de leur destination. Il en est ici comme d'un corps en mouvement : de lui-même il suivrait constam- ment la ligne droite dans la même direction; mais vienne à l'influencer une autre force agissant dans une autre direction, il décrit une ligne courbe. Pour bien distin- guer l'activité propre de l'entendement de la force qui s'y mêle, il est nécessaire de considérer le jugement erroné comme une diagonale entre deux forces qui déterminent le jugement suivant deux directions différentes, qui enfer- ment pour ainsi dire un angle, et de résoudre cet effet composé en deux effets simples, celui de l'entendement et celui de la sensibilité. C'est ee qui doit se produire dans les jugements purs à priori par le moyen de la ré- llexion transcendantale, qui (comme nous l'avons déjà montré) assigne à chaque représentation, dans la faculté de connaître, la place qui lui convient, et permet ainsi de distinguer l'influence de la sensibilité sur l'entendement. Notre objet n'est pas ici de traiter de l'apparence empi- rique (par exemple des illusions optiques) que présente l'application empirique des règles d'ailleurs justes de l'entendement, et où le jugement est égaré par l'influence de l'imagination; il ne s'agit ici que de cette apparence transcendantale, qui influe sur des principes dont l'appli- cation ne se rapporte pas du touL à l'expérience, auquel cas nous aurions encore au moins une pierre de touche pour en vérifier la valeur, mais qui, malgré tous les aver- tissements, nous entraine hors de l'usage empirique des catégories et nous abuse par l'illusion d'une extension de V entendement pur. Nous nommerons les principes dont l'application se tient dans les limites de l'expérience pos-
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sible immanents, mais ceux qui sortent de ces limites, nous les appellerons transcendants. Je n'entends point par là l'usage transcendantal ou abus des catégories, qui n'est que l'erreur de notre faculté de juger lorsqu'elle n'est point sui'fisamment bridée par la critique, et qu'elle ne prête pas assez attention aux limites du terrain où l'enten- dement pur peut équitablement s'exercer; j'entends ces principes effectifs, qui prétendent renverser toutes ces bornes et s'arrogent tout un nouveau domaine où l'on ne reconnaît plus de démarcation. Aussi le transcendantal et le transcendant ne- sont pas la môme chose. Les principes de l'entendement pur que nous avons plus haut exposés n'ont qu'un usage empirique et non transcendantal, c'est-à-dire dépassant les limites de l'expérience. Mais uq v)rint:ipe, qui repousse ces limites et nous enjoint même de les franchir, s'appelle un principe transcendant. Si notre critique peut réussir à découvrir l'apparence de ces prétendus principes, alors ceux qui n'ont qu'un usage (;m[)irique pourront être nommés, par opposition à ces derniers, les principes immanents de l'entendement pur. L'apparence logique, qui consiste simplement dans l'imitation de la forme de l'entendement (l'apparence dçs paralogismes), résulte uniquementd'un défaut d'attention .lux. règles de la logique. Aussi se dissipe-t-elle complète- iiient dès que cette règle est appliquée au cas présent, l/apparence transcendantale au contraire ne cesse pas par cola seul qu'on Ta découverte et que la critique trans- cendantale en a clairement montré la'vanité (par exemple l'apparence qu'offre cette proposition : le monde doit avoir un commencement dans le temps). La cause en est qu'il y a dans notre raison (considén-e subjectivement comme un pouvoir de connaissance de l'homme) dea règles et des maximes fondamentales de son application, qui ont tout à fait l'apparence de principes objectifs et font que la nécessité subjective d'une certaine liaison de concepts en nous, exigée j)ar l'entendement, passe pour une nécessité objective de la d«'ternjination des choses en soi. C'est 14 une illusion (jui ne peut être évitée, pas plus que nous ne saurions faire que la mer ne nous paraisse plus élevée à l'horizon qu'auprès du rivage, puisque nous la voyons
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alors par des rayons plus élevés, ou pas plus que l'astro- nome lui-même ne peut empêcher que la lune lui paraisse grande à son lever, bien qu'il ne soit pas trompé par cette apparence.
La dialectique transcendantale se contentera donc de découvrir l'apparence des jugements transcendants et en même temps d'empêcher qu'elle ne nous trompe; mais que cette apparence aussi se dissipe (comme le fait l'appa- rence logique) et qu'elle cesse d'être une apparence, c'est ce qu'elle ne pourra jamais obtenir. Car nous avons affaire à une illusion naturelle et inévitable, qui repose elle-même sur des principes subjectifs et les donne pour des principes objectifs, tandis que la dialectique logique, pour résoudre les paralogiques, n'a affaire qu'à une faute dans l'application des principes, ou bien à une apparence tout artificielle dans leur imitation. Il y a donc une dia- lectique de la raison pure naturelle et inévitable : ce n'est pas celle où s'engage un ignorant faute de connaissances, ni celle qu'un sophiste a ingénieusement imaginée pour tromper les gens raisonnables, mais celle qui est insépa- rablement liée à la raison humaine et qui, même quand nous en avons découvert l'illusion, ne cesse pas de se jouer d'elle et de la jeter à chaque instant dans des erreurs momentanées, qu'il faut constamment dissiper.
De la raison pure comme siège de ^apparence transcendantale.
A. De la raison en général.
Toute notre connaissance commence par les sens, passe de là à l'entendement et finit par la raison. II n'est pas en nous de faculté au-dessus de cette dernière, pour éla- borer la matière de l'intuition et pour la ramener à la plus haute unité de la pensée. Comme il me faut ici donner une définition de cette faculté suprême de connaître, je me trouve dans un certain embarras. Il y a d'elle, romme
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de l'entendement, un usage purement formel, c'est-à-dire l'usage logique, quand la raison fait abstraction de tout le contenu de la connaissance; mais elle a aussi un usage réel puisqu'elle contient elle-même la source de certains concepts et de certains principes qu'elle ne tire ni des sens, ni de l'entendement. Sans doute le premier de ces pouvoirs a été défini depuis longtemps par les logiciens : le pouvoir d'inférer médiatement (par opposition à celui d'iulérer immédiatement, consequentiis immcdiatis), mais le second qui produit lui-même des concepts n'est pas encore expliqué par là. Puis donc qu'il y a bien lieu (le distinguer dans la raison une faculté logique et une faculté transcendantale, il faut chercher un concept plus élevé de cette source de connaissances, un concept qui comprenne les deux autres sous lui; cependant nous pouvons espérer, d'après l'analogie avec les concepts de l'entendement, que le concept logique nous donnera en même temps la clef du transcendantal, et que le tableau (les fonctions des concepts de l'entendement nous fournira l'n même temps la table généalogique des concepts de la raison.
Dans la première partie de notre Logique transcendan- tale, nous avons défini l'entendement la faculté des règles ; nous distinguons ici la raison de l'entendement en la dé'i- nissant la faculté des principes. ' L'expression de principes est équivoque et d'ordinaîre elle ne signifie qu'une connaissance qui peut être em- ployée comme principe sans être un principe par clle- nième, dans son origine. Toute proposition universelle, lïit-elle tirée de l'expérience (par induction), peut servir de majeure dans un raisonnement; mais oUe n'est pas pour cela un principe. Les axiomes mathémuti(iues, par exemple celui-ci qu'entre deux points il ne peut y avoir qu'une ligne droite, sont bien des connaissances univer- selles à priori et reçoivent à juste titre le nom de principes par rapport aux cas qui peuvent être subsumés sous eux. Mais je ne puis dire pourtant que je connais en général et en elle-même, par principes, cette propriété de la ligne droite; loin de là, je ne la connais que dnn« l'intuition pure.
302 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Je nommerai donc connaissance par principe celle où je reconnais le particulier dans le général par concepts. Ainsi tout raisonnement est une forme de l'acte de dériver une connaissance d'un principe. En efîet, la majeure donne en tout cas un concept qui fait que tout ce qui est subsumé sous la condition de ce concept est connu par là même suivant un principe. Or, comme toute connaissance universelle peut servir de majeure dans un raisonnement, et que l'entendement fournit des propositions universelles à priori de ce genre, ces propositions peuvent aussi rece- voir le nom de principes à cause de l'usage qu'on en peut faire.
Mais si nous considérons ces principes de la raison pure en eux-mêmes, dans leur origine, ils ne sont rien moins" que des connaissances par concepts. En effet, ils ne seraient même pas possibles à priori, si nous n'y introdui- sions l'intuition pure (c'est le cas de la mathématique) ou les conditions d'une expérience possible en général. On ne saurait conclure que tout ce qui arrive a une cause du concept de ce qui arrive en général; c'est bien plutôt ce principe qui nous montre comment nous pouvons avoir de ce qui arrive un concept expérimental déterminé.
L'entendement ne peut dont nous fournir de connais- sances synthétiques par concepts, et ces connaissances sont proprement celles que j'appelle, au sens absolu, principes, bien que toutes les propositions universelles en général puissent être appelées des principes par com- paraison.
If y a un vœu bien ancien et qui s'accomplira peut-être un jour, mais qui sait après quelle attente? c'est que l'on parvienne à découvrir à la place de l'infinie variété des lois civiles les principes de ces lois, car c'est là seule- ment que gît le secret de la simplification des codes. Mais les lois ne sont ici que des restrictions apportées à notre liberté d'après les conditions qui seules lui permet- tent de s'accorder constamment avec elle-même, et par conséquent elles nous rapportent à quelque chose qui est tout à fait notre propre ouvrage et dont nous pouvons être les causes par le moyen de ces concepts mêmes. Mais demander que les objets en soi, la nature des
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choses soit soumise à des principes et doive être déter- minée d'après de simples concepts, c^est demander, sinon l'impossible, du moins quelque chose de dérai- sonnable. Quoi qu'il en soit sur ce point (car c'est en- core une recherche à faire) il est clair au moins par là que la connaissance par principes (prise en elle-même; est quelque chose de tout à fait différent de la simple connaissance de l'entendement, et que si celle-ci peut en précéder d'autres dans la forme d'un principe, elle ne repose pas en elle-même (en tant qu'elle est synthétique) sur la simple pensée, et ne renferme pas quelque chose d'universel par concepts.
Si l'entendement peut être défini : la faculté de ramener les phénomènes à l'unité au moyen de règles, la raison est la faculté de ramener à l'unité les règles de l'entende- ment sous des principes. Elle ne se rapporte donc jamais immédiatement à l'expérience ou à un objet, mais à l'en- tendement, aux connaissances diverses duquel elle s'efforce de donner une unité à priori par le moyen <!«• certains concepts; cette unité peut être appelée rationnelle et diffère essentiellement de celle qu'on peut tirer de l'entendement.
Tel est le concept général de la faculté de la raison, dans la mesure où il est possible de le faire comprendre en l'absence des exemples qui ne pourront être employés que plus tard.
B. De V usage logique de la raison.
On fait une distinction entre ce qui est immédiatement eonnu et ce que nous ne faisons qu'inférer. Que dans une ligure limitée par trois lignes droites, il y ait trois angles, c'est là une confiaissanre immédiate; mais que ' «s angles pris ensemble soient égaux à deux droits, ce n'est qu'une conclusion. Comme nous avons constamment le besoin d'inféier, et que cela devient en nous par là même une habitude, nous finissons par ne plus remar- quer cette distinction et, comme il arrive dans ce qu'on
304 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
appelle les illusions des sens, nous tenons souvent pour quelque chose d'immédiatement saisi ce qui n'est que conclu. Dans toute inférence, il y a une phrase qui sert de principe, et une seconde qui en est tirée, la conclusion, enfin l'intermédiaire (la conséquence) qui lie indissoluble- ment la vérité de la dernière à celle de la première. Si le jugement conclu est déjà renfermé dans le premier, en sorte qu'il puisse en être tiré sans l'entremise d'une troi- sième idée, l'inférence est dite alors immédiate [corne- quencia immediata). J'aimerais mieux l'appeler inférence de l'entendement. Mais si, outre la connaissance qui sert de principe, il est encore besoin d'un autre jugement pour opérer la conclusion, alors on parle d'inférenco de la raison [ou raisonnement]. Dans cette proposition : tous les hommes sont mortels, sont déjà renfermées ces propositions : quelques hommes sont mortels, ou bien rien de ce qui est immortel n'est homme, et ces proposi- tions sont des conséquences immédiates de la première. Au contraire, cette proposition : tous les savants sont mortels, n'est pas renfermée dans le premier jugement, car l'idée des savants n'y est pas comprise, et elle ne peut en être tirée qu'au moyen d'un jugement intermé- diaire.
Dans tout raisonnement, je conçois d'abord une règle (major) au moyen de l'entendement. Ensuite je subsume une connaissance sous la condition de la règle (minor) au moyen de la faculté du jugement. Enfin je détermine ma connaissance par le prédicat de la règle {co7iclusio) et par conséquent à priori, au moyen de la raison. Aussi le rapport que représente la majeure comme règle entre une connaissance et sa condition constitue-t-il les di- verses espèces de raisonnements. Comme on distingue trois sortes de jugements, en considérant la manière dont ils expriment le rapport de la connaissance dans l'enten- dement, il y a aussi trois sortes de raisonnements : les catégoriques, les hypothétiques et les disjonctifs.
Si, comme il arrive d'ordinaire, la conclusion se pré- sente sous la forme d'un jugement, pour savoir si ce jugement ne découle pas de jugements déjà donnés par lesquels un tout autre objet est conçu, je cherche dans
DIALECTIQUE THANSCENDANTALE 305
iitendement l'assertion de cetttj conciusion, afin ûm wiv si «lie ne se trouve pas déjà dans l'entendement sous certaines conditions d'après une règle gt'n'^rale. Si je trouve une telle condition, et si l'objet de la conclu- sion se laisse subsumer sous la condition donnée, cette comlition est tirée d'une règle qui vaut auf^si pour d'autres obj'els de la cotinaissunce . Par où Ton voit que la raison, dans le raisonnement, cherche à ramener la gralv^ variété des connaissances de l'entendement au plus p iif nombre de principes (de conditions générales) et à y oiv-'nn^ ainsi la plus haute unité.
C. De l'usage pur tie la misdn.
t'eut-oii iboiff la laison, et est-elle p«r suite une
source propï-e de concepts et de jugements qui ne décou-
leht que d'elle, et se rapporte-t-elle ainsi à des objets?
ou bien n'est-elle qu'un pouvoir subalterne, imprimé à
des connaissances données, une certaine forme, que l'on
appelle logique, et qui coordonne des règles inférieures
par d'autres plus élevées i^dont la condition renferme
dans sa sphère celles des précédentes) autant qu'on peut
l'aire en les comparant entre elles? Telle est ta ques-
u que nous avons maintenant à traiter seule» avant
l'iite autre. Dans le fait, la diversité des règles et l'unité
1 s principe*, voilà ce qu'exige la raison pour mettre
iitendement parfaitement d'accord avec lui-même, de
iiième que l'enteîidement ramène à des concepts le divers
de l'intuition et y met une unitt\ Mais un tel principe
prescrit point de loi aux objets et il ne contient pas
fondement de la possibilité de les connaît!^ e^ de les
lincr comme tels en général. Il n'est qu'un «^ !"•
ive de cette économie dans l'usagt^ des liche-,
de noire entendement, qui consiste k ramener rtniploi
général des concepts au plus petit nombre possible, par
la comparaison qu'on on fait, sans que l'on soil par là
ijutorisé à exiçer des objets eux-mêmes une unité si bien
faite pour la commodité et Textenwon de notre entende-
I. - 2U
30G CRITIQUE DE LA RAISON PURE
ment, et à attribuer à cette maxime en même temps une valeur objective. En un mot, la question est de savoir si la raison en elle-même, c'est-à-dire la raison pure, con- tient à priori des principes et des règles synthétiques et en quoi ces principes peuvent consister?
Le procédé formel et logique de la raison dans ces rai- sonnements nous fournit à ce sujet déjà une indication suffisante, pour trouver le fondement sur lequel repose le principe transcendantal de cette faculté, dans la con- naissance synthétique que nous devons à la raison pure.
D'abord, le raisonnement ne concerne pas des intui- tions qu'il ramènerait à des règles (comme fait l'enten- dement avec ses catégories), mais il concerne les concepts et les jugements. Si donc la raison pure se rapporte à des objets, elle n'a pas de rapport immédiat à ces objets et à leur intuition, elle n'a de tel rapport qu'avec l'entendement et ses jugements qui sont, eux, directement en contact avec les sens et leur intuition, pour en déter- miner l'objet. L'unité de la raison n'est donc pas l'unit' d'une expérience possible, elle est essentiellement dis- tincte de celle-ci, comme de l'unité propre à l'entende- ment. Le principe que tout ce qui arrive à une cause n'est point du tout connu et prescrit par la raison. Il rend possible l'unité de l'expérience et n'emprunte rien à la raison qui, sans ce rapport d'une expérience possibl<\ n'aurait pu avec de simples concepts fournir une unit<- ^synthétique de ce genre.
En second lieu la raison, dans son usage logique, rlierche la condition générale de son jugement (de la conclusion) et le raisonnement n'est lui-même autre chose qu'un jugement que nous formons en subsumant sa condition sous une règle générale (la majeure). Or comme cette règle doit être soumise à son tour à la tnème tentative de la part de la raison et qu'il faut ainsi «herchor (par le moyen d'un prosyllogisme) la condition de la condition, aussi loin qu'il est possible d'aller, on voit bien que le principe propre de la raison en général dans son usage logique est de trouver, pour la connais- sance conditionnée de r»ntendement, l'élément incondi- tionné qui doit en accomplir l'unité.
DIALECTIQUE TRANSCENDANTALE 307
Mais cette maxime logique ne peut être un principe de la raison pure qu'autant qu'on admet qu'avec le condi- tionné est donnée aussi (c'est-à-dire contenue dans l'objet et dans sa liaison) toute la série des conditions subor- données, laquelle est par conséquent elle-même incon- ditionnée.
Or un tel principe de la raison est évidemment synthé- tique, car le conditionné se rapporte bien à une condition mais non à Tinconditionné. 11 en doit dériver aus?i diverses propositions synthétiques, dont l'entendement pur ne sait rien, puisqu'il n'a affaire qu'aux objets d'une expérience possible, dont la connaissance et la syn- tlièse sont toujours conditionnées. Mais pour ce qui est de l'inconditionné, s'il a réellement une place, nous pouvons vraiment l'examiner en particulier dans toutes les déterminations qui le distinguent de toutes conditions et par suite il doit donner matière à maintes propositions synthétiques à priori.
Les propositions fondamentales qui dérivent de ce prin- cipe suprême de la raison pure seront transcendantes par rapport à tous les phénomènes, c'est-à-dire qu'il sera impossible d'en faire un usage empirique qui lui soit adéquat. Il se distinguera donc tout à fait de tous les principes de l'entendement (dont l'usage est parfaitement immanent, puisqu'ils n'ont d'autre tlièm'e que la possibilité de l'expérience). Ce i)rincipe que la série des conditions (dans la synthèse des phénomènes, ou même de la pensée des choses en général) s'élève jusqu'à l'incondilionné, a-t-il ou n'a-t-il pas de valeur objective, et quelles sont les conséquences (|ui en découlent relativement à l'usage empirique de l'entendement? Ou plutôt, n'y aurait-il nulle part aucun principe rationnel de ce genre ayant une valeur objective, mais seulement une prescription logique qui veut qu'en remontant à des conditions tout jours plus élevées, nous nou>; rapprochions de l'inté- grité des conditions, et qu'ainsi nous apportions daii^ notre connaissance l'unité rationnelle la i)lus haute qu'il nous soit possible.? N'est-ce pas, dis-je, que ce besoin de la raison est tenu simplement par malentendu pour un principe trauscoudaulal do la raison pure exigeant
308 CRITIQUE DÉ LA RAISON PURE
témérairement cette intégrité absolue de la série dr conditions dans les objets eux-mêmes? Et, dans ce cas, quelles sont les fausses interprétations et les illusions qui peuvent se glisser dans les raisonnements dont la majeure est tirée de la raison pure (et peut-être est plutôt une pétition qu'un postulat), et qui s'élèvent de l'expé- rience à ses conditions? Voilà ce que nous avons à examiner dans la dialectique tratiscendantale, qu'il s'agit maintenant de développer en partant de ses sources, les- quelles sont profondément cachées dans la raison hu- maine. Nous la diviserons en deux parties principales, dont là première traitera des concepts tramcendants et la seconde des ratsonnemenls transcendants et dialectique
LIVRE PRExMlER Des concepts de la raison pure.
Quoi qu'il en soit de If^ possibilito des concepts qui dérivent de la raison pure, ces conoepls ne sont pas seu- lement des concepts céiléclns, i|s sont conclus. Les con- cepts de l'entendement sont aussi, à priori, antérieurs ù l'expérience en vue do laquelle ils sont pensés, mais ils r.o contiennent rien de plus que l'unité de la réHe-xion -iir les pliénomènes, en tant que ceux-ci doivent faii»^ partie d'une conscience empirique possible. La connais- sance et la détermination d'un objet ne sont possibles que par eux. Us fournissent donc la première matière de la conclusion, et il n'y a point avant eux de concepts à
iori d'objets, d'où ils pourraient être conclus. Au con-
lire leur réalité objective se fonde uniquement sur ce que, connue ils constituent la forme intellectuidle de luute expérience, leur application doit toujours pouvoir t he montrée dans l'expérien*'
Mais l'expression mèn»o de tMiu v,.t ralii.iuiel montre déjà d'avanco quo ce concept ne supporte pas d'être ren- t\;rmé dans les limites do l'expérience, car il concernt' une connaissance dont toute connaissance empirique ne < «institue qu'une partie (et peut-être aussi l'ensiMiible «b^ 1 «xpérienco possible ou de sa syntb^so empiriquei et à laquelle jamais l'expérience réelle n'est complètement ad<'quate, bien qu'elle en fasse toujours partie. Les con- cepts de la raison servent à oompretuh'o, comnie les con- cepts de l'entendement à entendre (les perceptions^. Ren- feruiant l'inconditionné, ils conoernent quelque chose
310 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
sous quoi rentre toute expérience, mais qui en elle- même n'est jamais un objet de rexpérience, une chose à laquelle la raison conduit dans les conclusions qu'elle tire de l'expérience, et d'après laquelle elle estime et mesure le degré de son usage empirique, mais qui ne sera jamais un membre de la synthèse empirique. Si cependant les concepts ont malgré cela une valeur objec- tive, ils peuvent être nommés eonceptus ratiocinati (con- cepts rigoureusement conclus); dans le cas contraire, ils ont au moins une apparence subreptice de conclusion et peuvent être appelés eonceptus ratiocinantes (concepts empiriques). Mais comme ce point ne peut être décidé que dans le chapitre des raisonnements dialectiques de la raison pure, nous ne saurions encore le prendre ici en considération. En attendant, de même que nous avons nommé catégories les concepts purs de l'entendement, nous désignerons sous un nom nouveau les concepts de la raison pure, et nous les appellerons idées transcen- dantales : nous allons éclairer et justifier cette appella- tion.
PREMIERE SECTION
DES IDÉES EN GÉNÉRAL
Malgré la grande richesse de nos langues, le penseur se voit souvent embarrassé pour trouver une expression qui convienne exactement à sa pensée, et faute de ceti' expression il ne peut la rendre intelligible aux autres, i bien plus, à lui-même. Forger de nouveaux mots est u prétention de légiférer dans les langues qui réussit rai ment. Avant d'en arriver à ce moyen douteux il est pi sage do chercher dans une langue morte et savante si on n'y trouverait pas l'idée en question avec l'expression qui lui convient, et dans le cas où l'antique usage -de cette expression serait devenu incertain, par suite de la négli- gence de ses auteurs, il vaut encore mieux consolider vn elle la signification qui lui était propre (dnt-on laiss- !■ douteuse la question de savoir si on l'entendaH ah
DIALECTIQUE TRANSCENDANTALE 311
exactement dans le même sens) que de tout perdre en se rendant inintelligible.
Pour cette raison, si pour exprimer un certain concept, il ne se trouve qu'un seul mot qui dans l'acception reçue convienne à ce concept, qu'il importe grandement de dis- tinguer de tout autre concept voisin, il est sage de ne pas le prodiguer ou de ne pas l'employer simplement par souci de variété à titre de synonyme, à la place d'un autre, mais de lui conserver soigneusement sa significa- tion particulière ; autrement ih arrive facilement que l'expression n'ayant pas occupé suffisamment l'attention, elle se perd dans la foule des autres qui ont des sens bien •lifférents, et la pensée qu'elle aurait pu seule conserver >o perd avec elle.
Platon se servait du mot idée de telle sorte qu'on voit bien qu'il a entendu par là quelque chose qui non seule- ment ne dérive pas des sens, mais dépasse même les concepts de l'entendement dont s'est occupé Aristote, puisqu'on ne saurait rien trouver dans l'expérience qui y corresponde. Les idées sont chez lui les types des choses elles-mêmes, et non de simples clefs pour des expériences possibles comme les catégories. Dans son opinion, elles dérivent de la raison suprême, d'où elles ont passé dans la raison humaine, mais celle-ci ne se trouve plus dans son état primitif et ce n'est qu'avec peine qu'elle peut rappeler aujourd'hui, bien obscurcies, ses anciennes idées, par la réminiscence (qui s'appelle la Philosophie^ Je ne veux pas m'engager dans une recherche littéraire pour déterminer le sens que le sublime philosophe alta- <• liait à son expression. Je rema^rque seulement que, soit dans le langage ordinaire, soit dan:? les écrits, il n'est pas impossible d'arriver, par le rapprochement des pensées qu'un auteur a voulu exprimer sur son objet, à le rom- prendre mieux qu'il ne s'est compris lui-même, faute d'avoir suffisamment déterminé son idée et pour avoir été conduit ainsi à parler ou même à penser contre son but.
Platon voyait tr^s bien que notre faculté de connaître sont un besoin beaucoup plus élevé que celui d'épeler des phénomènes d'après une unité synthétique pour pou-
312 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
voir les lire comme une expérience, et que notre raison s'élève naturellement à des connaissances trop hautes pour qu'un objet que Fexpérienee est capable de donner puisse y correspondre, mais qui n'en ont pas moins leur réalité et ne sont pas de pures chimères. Platon trouvait ses idées surtout dans tout ce qui est pratique *, c'est-à- dire dans ce qui repose sur la liberté, laquelle de son côté est soumise à des connaissances qui sont un produit propre de la raiéon. Celui qui voudrait puiser dans Texpc- rience les concepts de la vertu ou (comme beaucoup Pont fait réellement) donner pour tj^pe à la source de la con- naissance ce qui ne peut servir en tout cas que d'exemple pour une explication incomplète, devrait faire de la vertu un fantôme équivoque, variable avec le temps et les cir- constances, et inutilisable comme règle d'activité. Au con- traire, chacun s'aperçoit que si on lui présente un certain homme comme type de la vertu, il trouvé dans son propre esprit le véritable original auquel il compare ct^ prétendus types et d'après lequel il le juge lui-même. C'est là ridée de la vertu, au regard de laquelle tous le? objets possibles de l'expérience peuvent bien servit d'illustrations (comme témoignages montrant qu'oî^t pra ticable dans une certaine mesure ce qu'exige le conec) de la raison) mais non de modèle. De ce qu'un homni n'agit jamais d'une manière adéquate à ce que contien le pur concept de la vertu, il ne faut pas conclure qu cette idée a quelque chose de chimérique. En effet, tout jugement sur la valeur ou la non-valeur morale n'e^l possible qu'au moyen de cette idée ; par suite elle sert de fondement à tout progrès vers la perfection morale, si loin d'ailleurs que les obstacles, dont le degré est impos- sible à déterminer, rencontrés dans la nature huïpalne, nous en tiennent écartés.
1. 11 étondait aussi gans doute son concept aux connaUsanfc- spéculatives, si du moins elles étaient pures et cowplètemenl <> priori, et même à la niatliématique. quoiqu'elle nait pas son objet ailleurs que dans rexpérience possible. Je ne puis le suivi. ici, pas plua que dans la deduclion mystique de ces idotvs, ou dan les exaspérations par lesquelles il les hypo.stasiait; cependant ' langaj^'e élevé dont il usait dans ce domaine est susceptible d'un interprétation plus modérée et conforme à la nature dos i l!ose>
DIALECTIQUE TRANSCENDANTÂLE 31 a
La hépubtique de Platon est, comme exemple soi-disani éclatant de perfection imaginaire qui ne peut prendre naissance que dans le corvoau d'un penseur oisif, devenue proverbiale et Brucker trouve ridicule cette assertion du l»hilosophe que jamais un prince ne gouverne bien s'il fie parti^-ipe aux idées. Mais il vaudrait mieux s'attache* davantage à cette pensée et (là on cet homme é minent nous laisse sans secours) faire de nouveaux elTorls pour la mettre en lumière, que de la rejeter comme inutile, sous ce très misérable et fâcheux prétexte qu'elle est impraticable. Une constitution ayant pour but la phts grande liberté humaine fondée sur des lois qui permettraient à la Hberié de chacun de pouvoir snhf;ister en accfyrd avec celle des autrea, (je ne parle pas du plus grand bonheur pos- sible, car il en découlera naturellement), c'est là au moins une idée nécessaire, qui doit servir de prinripe non seulement aux premiers plans que Ton esquisse d'une constitution politique, mais encore à toutes les lois, et dans laquelle on doit faire abstraction de tous les obstacl. s présents, lesquels résultent peut-étro bien moins inévi- tablement de la nature humaine, que du mépris des vrai^ > idées en matière de législation. En effet ii ne peut rien y avoir de plus préjudiciable et de plus indigne d'un philo- sophe que d'en appeler, comme on fait vulgairement, à une expérience soi-disant contraire, car cette expérience n'aurait jamais existé si l'on avait pris des mesure», en se conformant aux idées, en temps opportun, et si à leur )dace des concepts grossiers, justement parce qu'ils sont puisés dans l'expérience, n'avaient pas rendu inutile tout l»on dessein. Plus la législation et le gouvernement seraient conformes à cette idée, plus les peines seraient rares et il est tout à fait raisonnable d'affirmer comme Platon que dans une constitution parfaite elles no seraient plus du tout nécessaires. Quoique celte chose ne puiss(> jamais se réaliser, ce n'en est pas moins une idée jusli' que celle qui pose ce maximum comme le type que Ion doit avoir en vue pour rapprocher, en s'y conformant, toujtuirs davantage la constitution légale des hommes do la perfection la plus haute. En efTet, le «legré le plus élevé où s'arrête l'humaRité, non plus que la distance infran-
3U CRITIQUE DE LA RAISON PURE
chissable qui sépare toujours l'idée de sa réalisation, per- sonne ne peut ni ne doit les déterminer, car là il s'agit de la liberté qui peut toujours franchir la limite assignée.
Mais ce n'est pas seulement dans les choses où la raison humaine montre une véritable causalité et où les idées sont de véritables causes efficientes (des actions et de leurs objets), c'est-à-dire dans les choses morales, c'est aussi dans le spectacle de la nature que Platon trouve et avec, raison des preuves évidentes de ce que les choses tirent leur origine des idées. Une plante, un animal, l'or- donnance régulière du monde (sans doute aussi tout l'ordre de la nature) montrent clairement que cela n'est possible que d'après des idées; qu'à la vérité aucune créature individuelle, sous les conditions individuelles de l'existence, n'est adéquate à l'idée de la plus haute perfec- tion dans son espèce (dans la mesure même où l'homme diffère de l'idée d'humanité qu'il porte en son âme comme modèle de ses actions) ; que cependant chacune de ces idées n'en est pas moins déterminée immuablement et complètement dans l'intelligence suprême, qu'elles sont les causes originaires des choses et que seul l'ensemble formé par leur liaison dans l'univers est absolument adé- quat à l'idée que nous en avons. A part ce qu'il peut y avoir d'exagéré dans l'expression, cet essor de l'esprit du philosophe pour s'élever, de la contemplation de la copie que lui offre l'ordre physique du monde, à cet ordre architectonique qui se règle sur les fins, est une tentative digne de respect et qui mérite d'être imitée. Mais par l'apport à ce qui concerne les principes de la morale, de la législation et de la religion, où les idées rendent pos- sible l'expérience elle-même (celle du bien) quoiqu'elles n'y puissent jamais être entièrement exprimées, cette tentative a un mérite tout particulier qu'on ne méconnaît que parce qu'on en juge d'après les mêmes règles empi- riques qui doivent perdre toute valeur de principes en face des idées. En effet, si, à l'égard de la nature, c'est l'expérience qui nous donne la règle, et qui est la source do la vérité, à l'égard des lois morales c'est l'expérience, holas ! qui est la mère de l'apparence et c'est se tromper grossièrement que de tirer de ce qui se fait les lois
DIALECTIQUE TRANSCENDANTALE 315
de ce que je dois faire ou de vouloir les y restreindre. Mais au lieu de nous livrer à toutes ces considérations, dont le développement convenable fait la dignité propre de la philosopliie, occupons-nous à présent d'un travail beaucoup moins brillant mais qui n'est pas non plus sans mérHe. 11 s'agit de déblayer et d'affermir le sol qui doit porter le majestueux édifice de la morale, ce sol où l'on rencontre des trous de taupe de toutes sortes creusés par la raison en quête de trésors, sans succès, malgré ses bonnes intentions, et qui menacent la solidité de cet édi- fice. L'usage transcendantal de la raison pure, ses prin- cipes et ses idées, voilà donc ce qu'il nous importe de ronnaîlrt^ exactement pour pouvoir déterminer l'inlluenco de la raison pure et en apprécier la valeur. Cependant, avant de quitter cette introduction, je supplie ceux qui ont la philosophie à cœur (et le cas est moins fréquent qu'on le dit), je les supplie, s'ils devaient se trouver con- vaincus par ce que je viens d'écrire et par ce qui suit, de prendre sous leur protection l'expression d'idée ramenée à son sens primitif, afin qu'on ne la confonde plus désormais avec les autres expressions dont on a coutume de se servir pour désigner toutes les sortes de représentations dans le plus insouciant désordre, et que la science n'y perde plus. Il ne manque pourtant pas d'expressions qui sont exclusivement appropriées à chaque espèce de représentations, sans que nous ayons besoin d'empiéter, pour exprimer l'une, sur le domaine de l'autre. En voici une échelle graduée. Le terme générique est la repr('!sentation en général [repraesentatio]. Après elle vient la représentation avec conscience (pcrceptio). Une perception rapportée» uniquement au sujet, comme une modification de son état, est une sensation {cognitio) ; une perceptio^i objective est une connaissance {co(jnitio). La connaissance à son tour est ou une intuition ou un concept [intititus vel conceptus). La première se rapporte immédiatement à l'objet et est singulière, le second ne s'y rapporte que.médiatement, au moyen d'un signe qui peut être commun à plusieurs choses. Le concept est soit empirique soit pur, et le concept pur, en tant qu'il a sa source uniquement dans l'entendement (non dans une
aie CRITIQUE DE LA RAISON PURE
simple image de la sensibilité) s'appelle notion. Un concept formé de notions et qui dépasse la possibilité de l'expé- rience est Vidée, c'est-à-dire le concept rationnel. Quand on est une fois accoutumé à ces distinctions, on ne peut plus supporter d'entendre appeler idée la représentation de la couleur rouge. Elle ne doil même pas être appelée notion (ou concept de l'entendement).
DEUXIEME SECTION
DES IDÉES TRANSCENDANTALES
L'analytique transcendantale nous a donné un exemple de la façon dont la simple forme logique de notre con- naissance peut contenir la source de purs concep.t:j à priori, qui nous représentent des objets antérieurement à toute expérience, ou plutôt qui expriment l'unité syn- thétique qui seule rend possible une connaissance empi- rique des objets. La forme des jugements (convertie en concept de la synthèse des intuitions) a produit des caté- gories qui dirigent tout usage de l'entendement dans l'expérience. Nous pouvons espérer de même que la forme des raisonnements, appliquée à l'unité synthétique de l'intuition, ù l'exemple des catégories, contiendra la source de concepts particuliers à priori, que nous pou- vons nommer concepts purs de la raison, ou idéei truus- cendantaies, et qui déterminent tout l'usage de l'entende- ment, d'après des principes, dans l'ensemble de l'expé- rience tout entière.
La fonction de la raison dans ses raisonnements réside dans l'universalité de la connaissance par concepts, et le raisonnement lui-même n'est qu'un jugement qui ^t déterminé à priori dans toute l'étendue de sa condition. La proposition : Caïus est mortel, pourrait être tirée simplement par l'entendement de l'expérience. Mais je clierche un concept contenant la condition sous laquelle est donné le prédicat (l'assertion en général) de ce juge- naent (c'est-à-dire ici le concept d'homme), et après avoir
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subsumé sous cette comiition prise dans toute son extension (toUs les honinves sont mortels), je détermine en conséquence la connaissance de mon objet (Caïus est mortel).
Nous restreignons donc, dans la conclusion d'un rai- sonnement, un prédicat à un certain objet, après l'avoir j)r''alablcment conçu dans la majeure dans toute son extension sous une certaine condition, et c'est cette quan- tité complète de l'extension, par rapport à une telle con- dition, f^u'on appelle l'universalité {universalitas)'. A cette universalité correspond dans la synthèse des intuitions la totiîdt^é nmiversitas) des conditions. Le concept rationnel transcendantal n'est donc que celui de la totalité des con- ditions d'un conditionné donné. Or comme V inconditionné seul rend possible la totalité des conditions, et que réci- proquement la totalité des conditions est elle-même tou- jours inconditionnée, un concept rationnel pur peut être défini en général le concf>pt de l'inconditionné, en tau! qu'il sert de principe à la synthèse du conditionné.
Or, autant l'entendement se représente d'espèces de rapports au moyen des catégories, autant il y aura aussi de concepts rationnels purs; il y aura donc à chercher un conditionné d'abord pour la synthèse catéqoyHque dans un nijcty en sceoml lien pour la syntlièso hypothétique des membres d'une série, en troisième lieu pour la synthèse disjonctive des parties dans un système.
Il y a en effet tout juste autant d'espèces de raisonne- ments, dont chacun par le moyen des prosyllogismes tiMul à l'inconditionné : la première à un sujet qui ne soit plus lui-même pnMicat, la seconde à une supposition qui ne suppose rien au ilelà, la troisième à un agré'gal des m<'mbres de la division qui ne laisse rien à demander do plus pour la parl'aite division du concept. Les concepis rationnels purs de la totalité dans la synthèse des condi- tions sont donc nécessaires, du moins comme problèmea servant à pousser «utant que possible l'unité de l'enlen- dement jusqu'à l'inconditionné, et c'est dans la nature de la raison humaine qu'ils sont fondés; il se peut du reste que ces concepts transcendanlaux n'aient point m concicto d'usage qui hni' -oit appiuj'''' . • t n'aient point
M8 CRITIQUE DE LA RAISON PDRE
d'autre utilité que de mettre l'esprit sur la direction où son usage, s'étendant aussi loin que possible, ne laisse pas de rester parfaitement d'accord avec lui-même.
Mais en parlant ici de la totalité des conditions et de l'inconditionné, comme du titre commun à tous les con- cepts rationnels, nous rencontrons une expression que nous ne saurions éviter d'employer, mais dont nous ne pouvons nous servir sûrement à cause de l'ambiguïté pro- duite par le long abus qu'on en a fait. Le mot absolu est du petit nombre de ceux qui dans leur sens primitif étaient appropriés à un concept, avec lequel aucun autre mot de la même langue ne cadre exactement, et dont la perte, ou ce qui est de même importance, l'usage incertain entraîne nécessairement la perte du concept même ; et il s'agit ici d'un concept qiji, par le fait qu'il occupe beaucoup la raison, ne saurait lui faire défaut sans un grand dommage pour tous les jugements transcendantaux. Le mot absolu est aujourd'hui le plus souvent employé pour indiquer >;iraplement que quelque chose est considéré d'une chose c)i soi, et a par conséquent pour elle une valeur intrin- >cque. Dans cette acception, V Q\]}rGs?,\o\\ absolument possible signifierait ce qui est possible en soi [interne], et c'est le moins dans le fait qu'on puisse dire d'un objet. D'un autre côté, on l'emploie aussi quelquefois pour désigner que quelque chose est valable à tous égards (d'une manière illimitée, comme par exemple le pouvoir absolu) et eu ce sons l'expression absolument possible signifierait ce qui est possible à tous égards, sous tous les rapports, ce qui est le plus que l'on puisse dire de la possibilité d'une chose. Or ces sens se rencontrent parfois ensemble. Ainsi, par exemple, ce qui est impossible intrinsèquement l'est aussi sous tous les rapports, c'est-à-dire absolument impossible. Mais, dans la plupart des cas, ils sont infini- ment éloignés l'un de l'autre, et je ne puis conclure en aucune façon de ce qu'une chose est possible en elle- même qu'elle l'est pour cela à tous les égards, par consé- quent absolument. Je montrerai même dans la suite, au sujet de la nécessité absolue, qu'elle ne dépend en aucune manière, dans tous les cas, de la nécessité interne, etque par conséquent elle ne doit pas être regardée comme son
DIALECTIOUE THANSCEiNDANTÂl.E 310
équivalent, Sans doute, si le contraire de quelque chose est impossible intrinsèquement, il l'est aussi sous tout rapport, et par là absolument impossible : mais la réci- proque n'est pas vraie; de ce qu'une chose est absolu- ment nécessaire je ne puis conclure que son contraire soit intrinsèquement impossible, c'est-à-dire de la nécessité absolue d'une chose je ne puis conclure à sa nécessité intrinsèque, car cette nécessité intrinsèque dans cer- tains cas est une expression tout à fait vide à laquelle nous ne saurions attacher le moindre concept, tandis que la nécessité d'une chose à tous égards (pour tout le pos- sible) implique des déterminations très particulières. Or, comme la perte d'un concept de grande application dans la philosophie spéculative ne peut laisser le penseur indifférent, j'espère qu'il ne verra pas non plus avec indif- férence les précautions prises pour la détermination et la conservation de l'expression dont dépend ce concept.
Je me servirai donc du mot absolu dans ce sens étendu, en l'opposant à ce qui n'a qu'une valeur comparative ou n'a de valeur que sous un certain rapport, car cette der- nière valeur est restreinte à des conditions, tandis que la première est sans restriction.
Or le concept rationnel transcendantal ne se rapporte jamais qu'à la totalité absolue dans la synthèse des con- ditions et jamais il ne s'arrête à ce qui est inconditionné absolument, c'est-à-dire sous tous les rapports. En effet, la raison pure abandonne tout à l'entendement qui s'applique immédiatement aux objet de l'intuition ou plu- tôt à la synthèse de ces objets dans l'imagination. Elle Sf réserve seulement l'absolue totalité dans l'usage des con- cepts de l'entendement, et cherche à étendre l'unité syn- thétique qui est pensée dans la catégorie jusqu'à l'incon- "litionné absolu. On peut donc désigner cette totalité sous le nom dunité rationnelle des phénomènes, comme celle qu'exprime la catégorie est appelée unité intcllccluellc. Ainsi la raison ne se rapporte qu'à l'usage de l'entende- ment, non pa»^, il est vrai, en tant qu'il contient le prin- cipe d'une expérience possible (car la totalité absolue dos • onditions n'est pas un concept utilisable dan^ l'expé- lionco), mais pour lui prescrire de se diriger en vue d'une
320 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
ccrtaiue unité, dont l'entendement n'a aucun conee|)t et qui tend à embrasser en un tmit absolu tous les actes de rentendeinent, par rapport à chaque objet. Aussi l'usage (objectif des concepts purs de la raison est-il toujours trcmsc-endant^ tandis que celui des concepts purs de l'en* tendement, d'après sa nature, doit toujours être immu- lient ^ puisqu'il se borne simplement à l'expérience pos- sible.
J'entends par idée un concept rationnel nécessaire auquel ne peut correspondre aucun objet donné par les sens. Ainsi les concepts purs de la raison que nous exa- minons maintenant sont des idées transcendant aies. Ce sont des concepts de la raison pure, car ils considèt^nt toute connaissance empirique comme déterminée par une totalité absolue des conditions. Ils ne sont pas imaginées arbitrairement, mais ils nous sont donnés par la natut^ même de la raison, et ils se rapportent d'une manière nécessaire à tout l'usage de l'entendement. ïl« sont enfin transcendants et dépassent les limites de toute expérience, où il ne saurait se trouver un objet adéquat à l'idée trans- cendantaie. Lorsqu'on nomme une idée, on dit beaucof(p eu égard à l'objet (comme objet de l'entendement pm\ mais on dit très peu eu égard au sujet (c'est-à-dire relative- ment à sa réalité sous une condition empirique^ prét^isé- ment parce que, comme concept d'un maximum, elle ne peut jamais être donnée m concreto d'une manière adé- quate. Or comme c'est ici proprement tout le but que poursuit l'usage simplement spéculatif de l'entendement et <îue si l'on ne fait qu'approcher d'un concept qui dans la pratique ne peut cependant Jamais être atteint, c'est tout comme si le concept était manqué tout à fait, on dit d'un concept de ce genre qu'il n'est qu'une idée. Ainsi on l>ourrait dire que la totalité absolue de tous les phéno- mènee n'est qu'une idée; car comme nous ne saurions jamais nous ligurer riende pai^il, elle reste un problètîïe sans solution. Au contraire comme dans l'usa^çe pratique de l'entendement il n^^^ s'agit que de l'exécution de cer- taines règles, l'idée de la raison prati<|uc peut toujours ê!r(^ donnée réellement, in concreto, bien que partielle- ' même elle est la condition indispensable de tout
DIALECTIQUE IRANSCENDANTALE 321
usage pratique de la raison. La réalisation de cette idée est toujours bornée et défectueuse, mais dans des limites qu'il est impossible de déterminer, et par conséquent elle est toujours soumise à l'influence du concept d'une absolue perfection. L'idée pratique est donc en tout cas hautement féconde, et elle est tout à fait nécessaire en ce qui concerne les actions réelles. En elle, la raison pure trouve la causalité nécessaire pour produire réellement ce que contient son concept; aussi ne peut-on dire avec le même dédain de la sagesse : elle n'est qu'une idée; mais précisément parce que elle est l'idée de l'unité nécessaire de toutes les fins possibles, elle doit servir de règle à toute pratique, comme condition originaire, ou tout au moins restrictive.
Quoi qu'on puisse dire des concepts transcendantaux de la raison : ils ne sont que des idées, nous ne devrons les tenir en aucune façon pour superflus et vains. En effet, si aucun objet ne peut être déterminé par eux, ils peuvent du moins servir à l'entendement, dans le fond et en secret, de canon qui lui permette d'étendre son usage et de le rendre uniforme; et par là il ne peut connaître d'objet en plus de ceux qu'il connaîtrait au moyen de ses propres concepts, mais il est mieux dirigé et conduit plus avant dans cette connaissance. Je n'ajoute point ici que peut-être ces idées servent à rendre possible un passage des concepts de la nature aux connaissances pratiques de l'entendement. Il faut remettre l'explication de tout cela à plus tard.
Mais pour no pas nous écarter de notre but, laissons ici de côté les idées pratiques, et considérons par suite la raison uniquement dans son usage spéculatif, en restrei- gnant encore celui-ci à ce qu'il a de transcendantal. Il nous faut suivre ici le chemin que nous avons pris plus haut dans la déduction des catégories, c'est-à-dire exa- miner la forme logique de la connaissance rationnelle, et voir si par hasard la raison n'est point par là source do concepts qui nous font regarder des objet-s en eux-mêmes comme synthétiquement déterminés à priori par rapport à telle ou à telle fonction de la raison.
La raison considérée comme la faculté de donner une
I. — 21
322 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
certaine forme logique à la connaissance est la faculté d'inférer, c'est-à-dire déjuger médiatement (en subsumant la condition d'un jugement possible sous la condition d'un jugement donné). Le jugement donc est la règle géné- rale (la majeure, major). La subsomption de la condition d'un autre jugement possible sous la condition de la règle est la mineure (??22nor). Enfin le jugement réel qui exprime l'assertion de la règle dans le cassubsumé est la conclusion (conclusio). En effet la règle exprime quelque chose de général sous une certaine condition. Or la condition de la règle se trouve dans un cas donné. Donc ce qui avait une valeur universelle sous cette condition doit être consi- déré comme ayant de la valeur également dans le cas donné (qui renferme cette condition). On voit aisément que la raison arrive à une connaissance par une série d'actes de l'entendement qui constitue une série de con- ditions. Si je n'arrive à cette proposition : tous les corps sont changeants, qu'en partant de cette connaissance plus éloignée (où le concept de corps ne se trouve pas encore, mais qui en contient la condition) : tout composé est changeant, et en allant de celle-ci à cette autre plus rap- prochée qui est soumise à la condition de la première : les corps sont composés, pour passer enfin à une troi- sième qui unit la connaissance éloignée (le terme chan- geant) à la connaissance présente : donc les corps sont changeants, je passe par une série de conditions (pré- misses) pour arriver à une connaissance (conclusion). Or toute série dont l'exposant (que ce soit d'un jugement catégorique ou hypothétique) est donné pouvant êti'e poursuivie, ce même procédé rationnel conduit par suite à la ratiocinatio polysyllogistica, laquelle est une série de raisonnements qui peut être indéfiniment continuée, soit du côté des conditions iper pi^osyllogismos), soit du côté du conditionné {per epysyllogismos).
Mais on remarque bientôt que la chaîne ou la série des prosyllogismes, c'est-à-dire des connaissances pour suivies du côté des principes et des conditions d'une con- naissance donnée, en d'autres termes la série ascendante des raisonnements, doit se comporter à l'égard de la faculté de raison tout autrement que la série descendante.
DIALECTIQUE TRANSCENDÀNTALE 323
c'est-à-dire la progression que suit la raison du côté du conditionné par le moyen des épisyllogismes. En effet, puisque dans le premier cas la connaissance [conclusio] n'est donnée que comme conditionnée, on ne saurait arriver rationnellement à cette connaissance que si Ton suppose donnés tous les membres de la série du côté des conditions (c'est-à-dire la totalité de la série des pré- misses), car ce n'est que dans cette supposition que le jugement en question est possible à priori. Au contraire, du côté du conditionné ou des conséquences, on ne con- çoit qu'une série future et non une série déjà entièrement supposée ou donnée, on ne conçoit donc qu'une progres- sion virtuelle. Si donc une connaissance est regardée comme conditionnée, la raison est forcée de considérer la série des conditions, suivant une ligne ascendante, comme achevée et donnée dans sa totalité. Mais si cette même connaissance est regardée en même temps comme la con- dition d'autres connaissances, qui constituent entre elles une série de conséquences suivant une ligne descendante, la raison peut toujours demeurer tout à fait indifférente ^ sur la question desavoir jusqu'où s'étend cette progression aparté {.osteriori, et même sien général la totalité de cette ; série est possible ; elle n'a pas besoin en effet d'une telle «'■'•le pour la conclusion présente, puisque cette conclu- ii est déjà suffisamment déterminée par ses principes arte priori. Soit donc que, du côté des conditions, la ie des prémisses ait un point de départ comme condi- M "Il suprême, ou qu'elle n'en ait pas, et qu'elle soit ainsi ' parte priori sans limite, elle doit toujours cependant I tenir la totalité des conditions, à supposer même que is ne puissions jamais parvenir à l'embrasser, et il lut que la série entière soit vraie sans condition, pour '! it^ le conditionné, qui en est regardé comme une con- picnce, puisse être tenu pour vrai. C'est là ce qu'exige raison, qui présente sa connaissance comme déter- minée à priori et comme nécessaire, soit en elle-même, auquel' cas il n'est pas besoin de principe, soit quand celte connaissance est dérivée, comme un membre d'une série de principes qui est en ell'^-Tn<''in<^ vraie san^ romli- tions.
324 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
TROISIÈME SECTION
SYSTÈME DES IDÉES TRANGENDANTALES
Nous n'avons pas à nous occuper ici d'une dialectique logique qui fait abstraction de tout le contenu de la con- naissance et ne fait que découvrir la fausse apparence dans la forme du jugement, mais d'une dialectique trans- cendantale qui doit contenir tout à fait à priori l'origine de certaines connaissances dérivées de la raison pure et de certains concepts dont l'objet ne peut certes pas être donné empiriquement, etqui par conséquent sont complè- tement en dehors du pouvoir de l'entendement pur. Nous avons, du rapport naturel qui doit exister entre l'usage transcendantal de notre connaissance, aussi bien dans les raisonnements que dans les jugements, et son usage logique, conclu qu'il ne doit y avoir que trois sortes de raisonnements dialectiques, lesquels ont rapport aux trois sortes de raisonnements par. lesquels la raison peut aller de principes à des connaissances et qu'en tout sa fonction propre est de s'élever de la synthèse condi- tionnée à laquelle l'entendement reste toujours attaché à une inconditionnée qu'il ne peut jamais atteindre.
Or les genres de rapports que l'on rencontre en nos représentations sont 1») le rapport au sujet, 2°) le rapport à l'objet, et ces objets peuvent être considérés comme des phénomènes ou comme des objets de la pensée en général. Si l'on joint cette subdivision à la première, on verra que le rapport des représentations dont nous pou- vons nous faire un concept ou une idée dans son en- semble est triple : 1°) le rapport au sujet, 2») le rapport à la diversité de l'objet dans le phénomène, 3°; le rapport à toutes choses en général.
Or tous les concepts purs en général ont à s'occuper fl l'unité synthétique des représentations, mais les coi; cepts de la raison pure (les idées transcendantales) s'o< cupent de l'unité synthétique inconditionnée de toute
DIALECTIQUE TRANSCENDANTALE 325
les conditions en général. Par suite, toutes les idées transcendantales se laissent ramener en trois classes, dont la première contient Vunité absolue (inconditionnée) du sujet pensant ; la seconde, Vunité absolue de la série des conditions du phénomène ; la troisième, Vunité absolue de la condition de tous les objets de la pensée en général.
Le sujet pensant est l'objet de la. psychologie ; l'ensemble de tous les phénomènes, le monde, celui de la cosmologie, et ce qui contient la condition suprême de la possibilité de tout ce qui peut être pensé d'être de tous les êtres), l'objet de la théologie. La raison pure nous fournit donc l'idée d'une psychologie transcendantale (psychologia rationalis), d'une cosmologie transcendantale {cosmologia rationalis), enfin d'une théologie transcendantale tthéo- logia transcendant >i lis . La plus simple esquisse de l'une ou l'autre de ces sciences ne peut être tracée par l'en- tendement, quand bien même il s'aiderait de l'usage logique le plus élevé de la raison, c'est-à-dire de tous les raisonnements imaginables, de manière à s'avancer d'un objet auquel cet usage s'applique, d'un phénomène, à tous les autres, jusqu'aux membres les plus éloignés de la synthèse empirique : cette esquisse n'est qu'un produit pur et véritable ou bien un problème issu de la raison pure.
Quels sont les modes de concepts rationnels purs com- pris sous ces trois titres de l'ensemble des idées transcen- dantales ? C'est ce que le chapitre suivant exposera d'une manière complète. Ils suivent le fil des catégories. Car la raison pure ne se rapporte jamais directement aux objets, mais seulement aux concepts que l'entendement en donne. Ce n'est d'ailleurs qu'après une explication com- plète que l'on pourra comprendre clairement comment la raison, uniquement par l'usage synthétique de la même fonction dont elle se sert pour les raisonnements catégoriques, est conduite nécessairement au concept de l'unité absolue du sujet pensant; comment le procédé logique qu'elle emploie dans les raisonnements hypothéti- ques la conduit de même à l'idée de l'inconditionné absolu dans une série de conditions données; enfin comment la simple forme du raisonnement disjonctif appelle iuévita-
326 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
blement le concept suprême de la raison, celui d'un être de tous les êtres, doctrine qui au premier regard paraît extrêmement paradoxale.
De ces idées transcendantales, il n'y a pas à propre- ment parler de déduction objective possible, comme celle que nous avons pu donner des catégories. Car en fait elles n'ont aucun rapport à quelque objet qui pût dans le donné leur être adéquat, précisément parce que ce ne sont que des idées. Mais nous pouvions entreprendre de les dériver subjectivement de la nature de notre raison, et c'est aussi ce que nous avons fait dans le présent cha- pitre.
On voit aisément que la raison pure n'a d'autre but que l'absolue totalité de la synthèse du côté des conditions (Soit d'inhérence, soit de dépendance, soit de concurrence) et qu'elle n'a pas à s'inquiéter de l'intégrité absolue du côté du conditionné. Elle n'a besoin en effet que de la première pour supposer la série entière des conditions, et la donner ainsi a priori à l'entendement. Dès qu'il y a une condi- tion donnée intégralement (et inconditionnellement), il n'est plua besoin d'un concept rationnel pour faire pro- gresser la série, car l'entendement descend alors de lui- même de la condition au conditionné. De la sorte, les idées transcendantales ne servent qu'à s'élever dans la série des conditions à l'inconditionné, c'est-à-dire aux principes. Pour ce qui est de descendre vers le condi- tionné, il y a bien un usage logique très étendu que fait notre raison des lois de l'entendement, mais il n'y a poip' là un usage transcendantal, et si nous nous faisons u! idée de la totalité absolue d'une synthèse de ce genre (du progressus), par exemple de la série tout entière de tous les changements futurs du monde, ce n'est là qu'un êti de raison {em rationis) qui n'est qu'arbitrairement conç; et qui n'est pas supposé nécessairement par la raison. En effet, pour concevoir la possibilité du conditionné, il faut bien supposer la totalité de ses conditions, mais non celle de ses conséquences. Un tel concept n'est donc pas une idée transcendantale, seule chose dont nous ayons ici à nous occuper.
Enfin on remarquera aussi qu'entre les idées transcen-
DIALECTIQUE TRANSGENDAxMALE 327
dantales elles-mêmes éclate une certaine harmonie et une certaine unité, et que la raison pure, par le moyen Mo ces idées, réduit toutes ses connaissances à un sys- me. C'est une démarche si naturelle d'aller de la con- naissance de soi-même (de l'âme) à celle du monde, et de s'élever au moyen de celle-ci à celle de l'être suprême, qu'elle semble analogue au progrès logique qui porte la raison des prémisses à la conclusion ^ Y a-t-il ici une véritable parenté, comme celle qui existe entre le pro- cédé logique et le procédé transcendantal? c'est encore là une de ces questions dont on doit attendre la solution jusqu'à la suite de ces recherches. Nous avons pour le moment et tout d'abord atteint notre but : en tirant les concepts transcendantaux de la raison, que les philo- oplies mêlent habituellement à d'autres sans les séparer viivant leur nature des concepts de l'entendement, de L'tte situation équivoque, en donnant leur origine et en môme temps leur nombre bien déterminé, au-dessus du- quel il ne peut plus en être d'autres, en parvenant à les présenter dans leurs enchaînements systématiques, nous avons jalonné et circonscrit un champ particulier pour la raison pure.
I. La métaphysique n'a pour objet propre de ses recherches (lue trois idées : Dieu, la liberté et l'immortalité, en sorte que le second concept, lié au premier, doit conduire au troisième comme à une conclusion nécessaire. Tout ce d'ailleurs dont celte science s'occupe n'est pour elle qu'un moyen d'arriver à ces» idées et à leur réalite. Elle n'en a pas besoin pour etayer la connaissance de la nature, mais pour s'élever au-dessus de la nature. Si l'on pénétrait dans ces objets, la théologie, la morale et par l'union des premières la religion, c'est-à-dire les lins les plus élevées de notre existence, ne dépendraient que de la raison spéculative et de rien autre chose. Dans une représen- l;ttion systématique de ces idées, l'ordre cité serait, comme i>rdre synthétique, le plus convcnanlo. mais dans le travail qui doit nécessairement précéder celui-ci. l'ordre analytique, qui est l'inverse du premier, est plus conforaie à noire but. qui est do nous élever de ce (pie l'expérience nous fournit itnmédia- tement, c'est-à-dire de la psi/chologic, à la cosmologie et de là jusqu'à la connaissance de Dieu, et parla d'exécuter notre vasle plan». , V
a. Cette note est une addition de la deuxième édition. — J. B.
LIVRE DEUXIEME
DES RAISONNEMENTS DIALECTIQUES DE LA RAISON
On peut dire que l'objet d'une idée purement transcen- dantale est quelque chose dont on n'a nul concept, quoique la raison produise nécessairement cette idée sui- vant ses lois originaires. C'est qu'en effet, d'un objet adé- quat aux exigences de la raison, il n'y a point de con- cept intellectuel possible, c'est-à-dire de concept qui puisse être montré et devenir l'objet d'une intuition dans une expérience possible. On s'exprimerait mieux cepen- dant, et l'on serait moins exposé à être mal compris en disant que, de l'objet qui correspond à une idée, nous ne pouvons avoir aucune connaissance, mais que cependant nous pouvons en avoir un concept problématique.
Or, la réalité transcendantale (subjective) des concepts purs de la raison a du moins ce fondement que nous sommes conduits à le telles idées par un raisonne- ment nécessaire. Il y a donc des raisonnements qui no contiennent pas de prémisses empiriques et au moyen desquels, de quelque cliose que nous connaissons, nous oncluons à quelque chose dont nous n'avons aucun oncept, et à laquelle nous attribuons pourtant de la réalité objective, par l'effet d'une inévitable apparence. Ces sortes de raisonnements, à considérer leur résultat, méritent .plutôt le nom de sophismes que celui de raisonnements; toutefois, à cause de leur origine, ils peuvent bien porter <•' dernier nom, car ils ne sont pas n«'^s d'une manière fac- tice ou accidentelle, mais ils résultent de la nature de la
330 CRITIQUE DB LA RAISON PURE
raison. Ce sont des sophismes, non de l'homme, mais de la raison pure elle-même, et le plus sage de tous les hommes ne saurait s'en affraucliir; peut-être, à la vérité, après bien des efforts, parviendra-t-il à se préserver de l'erreur, mais non à se délivrer de l'apparence qui le poursuit et se joue de lui sans cesse.
Il n'y a que trois espèces de raisonnements dialectiques, autant quil y a d'idées auxquelles aboutissent leurs con- clusions. Dans les raisonnements de la. première classe, je conclus du concept transcendantal du sujet, qui ne ren- ferme point de diversité, à l'absolue unité de ce sujet lui- même, mais sans en avoir de cette manière aucune espèce de concept. Cette conclusion dialectique, je l'appellerai paralogisme transcendantal. La stcnvie classe \e conclu- sions sophistiques repose sur le concept transcendantal de la totalité absolue des conditions d'un phénomène donné en général : de ce que, d'un côté, j'ai toujours un concept contradictoire de l'unité synthétique absolue de la série, je conclus à la vérité de l'unité opposée, dont je n'ai pourtant non plus aucun concept. J'appellerai anti- homie de la raison pure l'état de la raison dans ces con- clusions dialectiques. Enfin, dans la troisième espèce de raisonnements sophistiques, je conclus de la totalité des conditions nécessaires pour concevoir des objets en général, en tant qu'ils peuvent m'être donnés, à l'unité synthétique absolue de toutes les conditions de la possi- bilité des choses en général, c'est-à-dire de choses que je ne connais pas au moyen de leur simple concept trans- cendantal, à un être de tous les êtres, que je connais moins encore par un concept transcendant, et de l'absolue nécessité duquel je ne puis me former aucun concept. Je donnerai à ce raisonnement dialectique le nom d'idéal de In raison pure.
CHAPITRE I Des paralogismes de la raison pure.
Le paralogisme logique consiste dans un raisonnement laux quant à la l'orme, quel qu'en soit d'ailleurs le con- tenu. Dans un paralogisme transcendantal c'est un prin- cipe fondamental qui nous fait conclure faussement quant à la forme. Ainsi cette espèce de raisonnement a son fon- dement dans la nature de la raison humaine, et elle en- traine une illusion inévitable, mais non inexplicable.
Nous arrivons maintenant à un concept qui n'a pas été compris plus haut dans la liste générale des concepts transcendantaux, mais qu'il faut y rattacher, sans qu'il y aiti lieu cependant de modilier en rien cette liste et de la déclarer incomplète. Je veux parler du concept, ou, si l'on aime mieux, du jugement : je pense. 11 est aisé de voir qu'il est le véhicule de tous les concepts en général, et par conséquent aussi des concepts transcendantaux, qu'ainsi il y est toujours compris et est lui-même trans- cendantal, niais qu'il ne peut avoir de titre particulier, parce qu'il ne sert qu'à présenter toute pensée comme appartenant à la conscience. Moi, en tant que pensant, je suis un objet du sens intime et m'appelle dnie. Ce qui est un objet des sens extérieurs s'appelle corpu. Le mot moi, en tant qu'il désigne un être pensant, indique donc déjà l'objet de la psycliologie : celle-ci peut être appelée science rationnelle de l'âme lorsque je ne veux savoir de l'dme rien de plus que ce qui, indépendamment de toute expérience (laquelle me détermine plus particulièrement
332 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
et in concreto) peut être conclu de ce concept moi, en tant qu'il se présente dans toute pensée.
Or, la psychologie rationnelle est bien réellement une entreprise de ce genre ; car, si le moindre élément empi- rique de ma pensée, si quelque perception particulière de mon état intérieur se mêlaient aux connaissances fonda- mentales de cette science, elle ne serait plus une psycho- logie rationnelle, mais empirique. Nous avons donc déjà devant nous une prétendue science, construite sur cette seule proposition : je pense, et dont nous pouvons parfai- tement rechercher ici la solidité ou l'inanité, conformé- ment à la nature d'une philosophie transcendantale. Il ne faut pas s'arrêter à ce que dans cette proposition, qui exprime la perception de soi-même, j'ai une expérience interne, et en conclure que la psychologie rationnelle, qui est construite sur ce fondement, n'est jamais pure, mais qu'elle est fondée en partie sur un principe empi- rique. Car cette perception interne n'est que la simple représentation : je pense, qui rend possible tous les con- cepts transcendantaux mêmes, où l'on dit : je pense la substance, la cause, etc. En effet, l'expérience interne en général et sa possibilité, ou la perception en général et son rapport à une autre perception, ne peuvent être re- gardés comme des connaissances empiriques, si quelque distinction particulière ou quelque détermination n'est pas donnée empiriquement; on ne doit y voir qu'une connaissance de l'empirique en général, et cela rentre dans la recherche de la possibilité de toute expérience, recherche qui est assurément transcendantale. Mais le moindre objet de la perception (le plaisir ou le déplaisir, par exemple) qui s'ajouterait à la représentation géné- rale de la conscience de soi-même changerait aussitôt la psychologie rationnelle en psychologie empirique.
Je pense, voilà donc l'unique texte de la psychologie rationnelle, celui d'où elle doit tirer toute sa science. On voit aisément que, si cette pensée doit se rapporter à un objet {à moi-même), elle n'en peut contenir que des pré- dicats transcendantaux, puisque le moindre prédicat empi- rique altérerait la pureté rationnelle de la science et son indépendance par rapport à toute expérience.
DIALECTIQUE TRANSCENDANTALE 333
Nous n'avons qu'à suivre ici le fil des catégories. Seu- lement, comme dans ce cas, une chose : le moi, en tant qu'être pensant, nous est d'abord donnée, sans changer Tordre des catégories entre elles, tel qu'il a été présenté plus haut, nous commencerons ici par la catégorie de la substance, qui représente une chose en elle-même, et nous suivrons à rebours la série des catégories. La topique de la psychologie rationnelle, d'où doit dériver tout ce qu'elle peut contenir, est donc la suivante :
l" L'âme est un^e substance,
20 Simple, quant à 3° Numériquement identique, c'est-
sa qualité, à-dire imi7é (non pluralité), quant
aux différents temps où elle existe,
40 En rapport avec des objets possibles dans l'espace ^.
C'est de ces éléments que résultent tous les concepts de la psychologie pure ; il suffit de les réunir, sans avoir aucun autre principe à reconnaître. Cette substance, con- sidérée uniquement comme objet du sens interne, donne le concept de V immatérialité ; comme substance simple, celui de V incorruptibilité ; son identité, comme substance intellectuelle, donne la personnalité; et les trois choses ensemble constituent la spiritualité. Son rapport aux objets dans l'espace donne le commerce avec les corps. Elle représente donc la substance pensante comme le principe de la vie dans la matière, c'est-à-dire comme une âme [anima), et comme le principe de ranimalitc.
i.Lcleclenr qnine découvrirait pas assez aisément lésons psycîio- lofs'ique de «-es expressions dans leur abstraction londamenlalc, et demanderait pourciuoi lo dernier attribut de l'amo appartient à la catégorie de l'existence, les trouvera sufllsaminent expliquées et justitlées dans la suite. Au reste, si dans cette section, conimo dans tout le cours do cet ouvrage, j'ai eu recours aux expressions latines, de pri^férence aux expressions allemandes correspon- dantes, contrairement au bon ffoùt et au style élégant, je puis invoquer à cela une excuse : j'ai mieux aimé en elTet sacrifier quelque chose de l'élégance du langage que d'embarrasser le tra- vail des écoles de la plus petite obscurité.
334 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
L'âme renfermée dans les limites de la spiritualité repré- sente l'immortalité.
De là quatre paralogismes d'une psychologie transcen- dantale, que l'on prend faussement pour une science de la raison pure traitant de la nature de notre être pensant. Comme fondement, nous ne pouvons rien lui donner d'autre que cette simple représentation, vide par elle- même de tout contenu, moi, dont on ne peut même pas dire qu'elle soit un concept, mais qui est une simple conscience accompagnant tous les concepts. Par ce « moi », par cet « il », ou par cette « chose qui pense », on ne se représente rien de plus qu'un sujet transcendantal des pensées = X. Et ce sujet ne peut être connu que par les pensées, qui sont ses prédicats : isolément, nous ne pou- vons en avoir le moindre concept. Nous tournons donc ici dans un cercle perpétuel, puisque nous sommes obligés de nous servir d'abord de cette représentation du moi pour porter un jugement quelconque touchant le moi : inconvénient qui en est inséparable, car la cons- cience n'est pas une représentation qui distingue un objet particulier, mais une forme de la représentation en géné- ral, en tant qu'elle mérite le nom de connaissance. C'est d'elle seule en effet que je puis dire que par elle je pense quelque chose.
Il doit d'abord sembler étrange que ce qui conditionna ma pensée en général, et qui n'est par conséquent qu'une qualité de mon sujet, s'applique en même temps à tout ce qui pense, et que nous puissions prétendre fonder sur une proposition qui paraît empirique un jugement apo- dictique et universel, tel que celui-ci : tout ce qui pense est constitué comme la conscience déclare que je le suis moi-môme. La raison en est que nous attribuons néces- sairement à priori aux choses toutes les propriétés consti- tuant les conditions qui seules nous permettent de leâ^ concevoir. Or, je ne puis avoir la moindre représentation d'un sujet pensant par aucune existence extérieure, mais seulement par la conscience de moi-même. Je ne fais donc rien autre chose que de transporter ma propre cons- cience à d'autres objets, qui ne peuvent être représentés comme êtres pensants qu'à cette condition. Mais cette
DIALECTIQUE TRANSCENDÂXTALE 335
proposition : je pense, n'est prise ici que dans un sens problématique. On ne se demande pas si elle peut impli- quer la perception d'une existence (comme le cogito, ergo sum de Descartes). On l'envisage au point de vue de sa soûle possibilité, afin de voir quelbs propriétés peu- vent découler d'une proposition si simple relativement à son sujet (que celui-ci puisse exister ou non».
Si nous donnions pour fondement à notre connaissance rationnelle pure de l'être pensant en général quelque chose de plus que le cogito, si nous appelions à l'aide les observations que nous pouvons faire sur le jeu de nos pensées et les lois naturelles du moi pensant que l'on en peut tirer, il en résulterait une psychologie empirique, une espèce de physiologie du sens intime, qui pourrait peut-être servir à en expliquer les phénomènes, mais non à découvrir des qualités qui ne feraient pas partie de l'expérience possible (comme celle de la simplicité), ni à nous donner quelque connaissance apoclictique relative eî la nature de l'être pensant en général. Ce ne serait pas une psychologie rationnelle.
Or, comme la proposition je pense (prise probîématiquc- ment) contient' la forme de tout jugement de l'entende- ment en général et qu'elle accompagne toutes les caté- gories comme leur véhicule, il est clair que les conclu- sions qu'on en tire ne peuvent renfermer qu'un usage simplement transcendantal de l'entendement, excluant tout mélange de l'expérience, et du succès duquel, d'après ce que nous avons montré plus haut, nous ne saurions nous faire une idée avantageuse. Nous le suivrons donc d'un œil critique à travers tous les prédicaments de la psyciiologie pure *, mais en évitant, pour plus de brièveté, <lo rompre le lien de l'argumentation.
Voici d'abord une reri^arque générale qui peut servir à appeler plus particulièrement l'attention sur l'espèce de raisonnement dont il s'agit ici. Je ne connais pas un
a. A partir d'ici jusqu'à la (In du chapitre. la pitMniore édition •sentait un examen des paraiogismes de la psyc'ioloixie rali»)n- lie cpio Kant a entièrement modillé dans la seconde, et que , ,\:, i,M..t,M- à la lin de ce volimw •■ ■'•'-.> <•.> son étendue.
J. H.
336 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
objet par cela seul que je pense; mais c'est seulement en déterminant une intuition donnée relativement à l'unité de la conscience, détermination qui constitue toute pensée, que je puis connaître un objet. Je ne me connais donc pas moi-même par cela seul que j'ai conscience de moi comme être pensant : il me faut avoir conscience de l'intuition de moi-même, comme déterminée relative- ment à la fonction de la pensée. Tous les modes de la conscience de soi dans la pensée ne sont donc pas en eux-mêmes des concepts intellectuels d'objets (des caté- gories), mais de simples fonctions logiques, qui ne font connaître à la pensée aucun objet, et par conséquent ne me font pas non plus connaître moi-même comme objet. Ce qui constitue l'objet, ce n'est pas la cons- cience du moi déterminant, mais celle seulement du moi déterminable, c'est-à-dire de mon intuition intérieure (en tant que le divers qu'elle contient peut être lié confor- mément à la condition générale de l'unité de Tapercep- tion dans la pensée).
1» Or, dans tous les jugements, je suis toujours le sujet déterminant du rapport qui constitue le jugement. Que le moi qui pense ait toujours dans la pensée la valeur d'un sujet, de quelque chose qui n'est pas seulement attaché à la pensée à titre de prédicat, c'est là une proposition apodictique et même identique ; mais elle ne signifie pas que je suis, comme objet, un être subsistant par moi- même ou une substance. Cette dernière proposition a un bien autre portée. Aussi exige-t-elle des données qui n peuvent être trouvées dans la pensée, plus peut-être qu je ne trouverai partout ailleurs dans l'être pensant en tant que je l'envisage simplement comme tel.
2° Que le moi de Taperception, et par conséquent K moi dans toute pensée, soit quelque chose de singulier, gui ne puisse se résoudre en une pluralité de sujets, et que par conséquent il désigne un sujet logiquement timple, c'est ce qui est déjà impliqué dans le concept de la pensée. C'est par conséquent une proposition ana- lytique. Mais cela ne signifie pas que le moi pensant &oi^ une substance simple, ce qui serait une proposition syn thétique. Le concept de la substance se rapporte toujoui
DIALEGTIQCE TRAx\SCENDANTALE 337
à des intuitions ; or en moi les intuitions ne peuvent être qu»; sensibles, et par conséquent elles sont entière- ment hors du champ de l'entendement et hors de sa pensée, dont pourtant il s'agit exclusivement quand on dit que le moi dans la pensée est simple. Aussi bien serait-il étrange que ce qui exige ailleurs tant de précau- tions, pour discerner, dans ce que présente l'intuition, co qui est proprement substance, et à plus forte raison pour reconnaître si cette substance peut être simple {comme quand il s'agit des parties de la matière), il serait surpre- nant, dis-je, que cela me fût donné directement ici, dans la plus pauvre de toutes les représentations, comme par une sorte de révélation.
3° La proposition qui exprime l'identité de mon moi
.us toute diversité dont j'ai conscience est également contenue dans les concepts mêmes, et est par conséquent analytique. iMais cette identité du sujet, dont je puis avoir conscience dans toutes ses représentations, ne relève pas de l'intuition dans laquelle le sujet est donn^ comme objet. Elle ne peut donc signifier l'identité de la personne, c'est-à-dire la conscience de l'identité de notre propre substance, comme être pensant, dans tout changement d'état. Pour prouver celle-ci, il ne suffit plus d'analyser la proposition . je pense; mais il faudrait divers juge- ments syntliétiques fondés sur l'intuition donnée.
4° Dire que je distingue ma proi)re existence, comme celle d'un être pensant, des autres choses qui sont hors de moi (et dont mon corps aussi fait partie), c'est encore là «ne proposition analytique, car le« autres choses sont celles que je conçois comme distinctes de moi. Mais cette conscience de moi-même est-elle possible sans les. choses hors de moi par lesquelles des représentations mo sont données, et par conséquent puis-je exister simplement comme être pensant (sans être honirae)V C'e«t ce que je lie sais point du tout par là.
L'analyse de laconscience de moi-môme dans la pfnsëc en général ne me fait donc pas faire le moindre pas dans la connaissance de moi-même comme obj<^. C'est à tort que l'on prend le développement logique de la pens^'e en général pour une détermination métaphysi<nie de rofejét.
I. - 22
338 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Ce serait une grosse pierre d'achoppement pour toute notre critique, et même la seule qu'elle eût-à redouter, si l'on pouvait prouver à priori que tous les êtres pen- sants sont en soi des substances simples, qu'à ce titre par conséquent (ce qui est une suite du même argument) ils emportent inséparablement la personnalité et qu'ils ont conscience de leur existence séparée de toute matière. Car alors nous aurions fait un pas en dehors du monde sensible, nous serions entrés dans le champ des noii- mènes, et personne ne nous contesterait plus le droit de nous y étendre de plus en plus, d'y bâtir et d'en prendre possession, chacun dans la mesure où sa bonne étoile le favorise. En effet, dire que tout être pensant est comme tel une substance simple, c'est là une proposition synthétique à priori, puisque, d'une part, elle sort du concept qui lui sert de principe et ajoute à la pensée en général le rnode d'existence, et que, d'autre part, elle joint à ce concept un prédicat (celui de la simplicité) qui ne peut être donné dans aucune expérience. Les proposi- tions synthétiques à priori ne seraient donc pas seulement praticables et admissibles par rapport à des objets d'ex- périence possible et comme principes de la possibilité de cette expérience, elles pourraient aussi s'appliquer à des choses en général, considérées en elles-mêmes. Consé- quence qui mettrait fin à toute notre critique et nous forcerait à retourner à l'ancienne méthode. Mais le danger n'est pas si grand, à regarder la chose de plus près.
Dans les procédés de la psychologie rationnelle, il y a un paralogisme qui domine, et qui est représenté par le syllogisme suivant :
Ce qui ne peut être conçu que comme sujet n'existe aussi que comme sujet et est par conséquent substance;
Or un être pensant, considéré simplement comme tel, ne peut être conçu que comme sujet;
Donc il n'existe oussi que comme sujet, c'est-à-dire comme substance.
Dans la majeure, il est question d'un être qui peut être conçu sous tous les rapports en général, et aussi par con- séquent tel qu'il peut être donné dans l'intuition. Mai- dans la mineure il n'est plus question du même être
DIALECTIQUE TRANSGENDANTALE 339
qu'autant qu'il se considère lui-même comme sujet uni- quement par rapport à la pensée et à l'unité de la cons- cience, mais non pas en même temps par rapport à l'in- tuition, qui donnerait cette unité comme objet à la conscience. La conclusion est donc tirée per sophisma figurae dictionis, c'est-à-dire par un raisonnement cap- tieux ^.
Ainsi ce fameux argument se résout rigoureusement en un paralogisme. C'est ce que l'on comprendra clairement si l'on veut bien se reporter à la remarque générale sur la représentation systématique des principes et à la section des noumènes, où il a été prouvé que le concept d'une chose qui peut exister en soi comme sujet, et non pas seulement comme prédicat, n'emporte avec lui aucune réalité objective; c'est-à-dire qu'il est impossible de savoir si quelque objet y correspond, puisqu'on n'aperçoit pas la possibilité d'un tel mode d'existence, et que par consé- quent nous n'en avons absolument aucune connaissance. Pour que ce concept, sous le nom de substance, désigne un objet qui puisse être donné, pour qu'il devienne une connaissance, il faut donc qu'il ait pour fondement une intuition constante, condition indispensable de la réalité objective de tout concept et condition par laquelle seule un objet est donné. Or, dans l'intuition intérieure, nous n'avons rien de constant, puisque le moi n'est que la conscience de ma pensée. Si donc nous nous en tenons à
1. La pensée est prise dans les deux prémisses en des sens tout différents. Dans la majeure, elle s'applique à un objet en général (tel, par conséquent, qu'il peut être donné dans l'intuition); dans la mineure au contraire, on ne l'envisage que dans son rapport à la conscience de soi, et par conséquent il n'y a plus ici d'objet conçu; mais c'est seulement le rapport à soi comme sujet qu'on se représente (comme la forme de la pensée). Dans la première, il s'agit des choses, qui ne peuvent être conçues autrement que comme sujets; dans la seconde, au contraire, il ne s'agit plus des choses, mais (puisque l'on fait abstra tion de tout objet) de la pensée, dans laquelle lo moi sert toujours de sujet à la cons- cience. On no saurait donc en déduire cette conclusion : je ne puis exister autrement que comme sujet, mais celle-ci seulement : jo ne puis, dans la pensio de mon existence, me servir do moi que comme d'un sujet du jugement, proposition identique qui ne révèle absolument rien sur le mode de mon existence.
340 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
la pensée, il nous manque la condition nécessaire pour appliquer au moi con^nie être pensant le concept de la substance, c'est-à-dire d'un sujet existant en soi, et la simplicité de la substance, qui y est liée, s'évanouit avec la réalité objective de ce concept, pour se transformer en une unité purement logique et qualitative de la cons- cience de soi dans la pensée en général, que le sujet soit ou non composé.
Réfutation de Vargument de Mendelssohn en faveur de la permanence de Vâme.
Ce philosophe pénétrant découvrit aisément l'insuffi- sance de l'argument par lequel on prétend ordinairement prouver que l'âme (une fois admis qu'elle est un être simple) ne peut pas cesser d'être par décomposition. Il vit bien que cet argument ne démontre pas Nécessairement la permanence de l'âme, puisqu'on pourrait encore admettre qu'elle cessât d'exister par extinction. Il chercha donc, dans son Phédon, à écarter de l'âme cette manière de finir, qui serait un véritable anéantissement. Pour cela, il se flatta de prouver qu'un être simple ne peut pas cesser d'exister : comme un tel être ne peut pas être diminué, disait-il, ni par conséquent perdre peu à peu quelque chose de son existence, de manière à se trouver ainsi réduit à rien (puisqu'il n'a pas de parties, ni par conséquent de pluralité), il ne devrait y avoir aucun temps entre le moment où il est et celui où il ne serait plus, ce qui est impossible. — Mais il ne songea point que, même en accordant à l'âme cette simplicité de nature qui fait qu'elle n'a pas de parties placées les unes en dehors des autres, ni par conséquent de grandeur exten- ^ Ive, on ne saurait cependant lui refuser, non plus qu'à n'importe quel être, une grandeur intensive, c'est-à-dire un degré de réalité relativement à toutes ses facultés ( t même en général à tout ce qui constitue l'existence •> que ce degré peut décroître de plus en plus indéfini- ment, et qu'ainsi la prétendue substance (la chose dont
DIALECTIQUE TRANSCENDANT ALE 341
la permanence n'est d'ailleurs pas assurée) peut se ré- duirt à rien, sinon par décomposition, du moins par une f^raduelle diminution [remi^sto) des ses forces, (par con- somption, s'il m'est permis de me servir de cette expres- sion). En effet, la conscience même a toujours un degré qui peut toujours diminuer * : il en est de même par conséquent de la faculté d'avoir conscience de soi, comme on général de toutes les autres. — La permanence de l'âme, considérée simptcment comme objet du sens intime, reste donc indémontrée, et même elle ^st indé- montrable, bien que dans la vie, où l'être pensant (comme homme) est en même temps pour soi un objet des sens externes, elle soit claire en elle-même. Mais cela ne suffit pas à la psychologie rationnelle, qui entre- prend de prouver par simples concepts l'absolue perma- nence de l'âme au delà de cette vie '^.
1. Ce qui constitue la clarté ce n'est pas, comme le disent les logiciens, le lait d" avoir conscience d'une représentation ; car un certain deyré de conscience, mais trop faible pour donner lieu au souvenir, doit se rencontrer mètue dans beaucoup de représentations obscures, puis(jue, s'il n'y avait point du tout de consciente, nous ne ferions aucune dillerence dans la liaison des représentations obscures, ce (juc pourtant nous pouvons faire pour les caractères de maints concepts (connue ceux de droit et d'équité, ou ceux que lo musicien assotie lorsqu'il groupe ensemble plusieurs notes dans une fantaisie). Mais mie représen- tation est claire lorsque la conscience que nous en avons sufllt pour que nous ayons aussi cotisciencc de la diffi'rencc qui la distingue des autres. Que si elle suflit à nous les Itiirc distin^'uer sans nous donner la conscience do «etlc distinction, la reprt'icnla- tion doit encore être appelée obscLire. Il y a donc nn nouibro inlini de déférés dans la conscience jusqu'à Sci; u.
2. Ceux qui. pour mettre en avant une i ; issibllité,
s'ima^'inent avoir assez fait en nous dollant u .., une ci>n-
tradiction dans leurs hypothèse.s (conuno font tous ceux qui croient apercevoir la possibilité de la pensée mémo après cette vie, bien qu'ils n'en trouvent doxemplos que dans les inluiiions empiriques de la vie actuelle», ceux-là peuvent être mis dans un
^'rnr' '••as par d'autres possibilités qui n ' ' : '; lo
ni( iile plus hardios. Telle est colle do In me
S"' t>le en plusieurs sub'^tances. et reci; . t do
la reunii>n (coalition) de plusieurs substances en mw .sinipl»-. En effet, si la divisibilité suppose un compose, elle ne suppose p'Uirtnnt pas nécessairement un romposo do substances, mais seuIcMMtit i.n compose de uegrès(de divers poiïvoirs) de l'àme. Or, de mCi-io
342 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Si donc nous prenons nos propositions précédentes comme formant un enchaînement synthétique, ainsi qu'il convient de les prendre en tant qu'elles sont valables pour tous les êtres pensants dans le système de la psycho- logie rationnelle, et si, partant de la catégorie de rela* tion avec cette proposition : tous les êtres pensants sont comme tels des substances, nous parcourons à rebo*urs Ig. séries des catégories jusqu'à ce que le cercle en soit
que l'on peut concevoir toutes les forces et toutes les facultés de l'àme, mêiile celle de la conscience, diminuées de moitié, mais de telle sorte qu'il reste toujours quelque substance, on peut aussi se représenter sans contradiction cette moitié éteinte comme con- servée, non pas dans l'àme, mais en dehors d'elle; et, comme ici tout ce qui est réel en elle et par conséquent a un degré, en un mot comme toute son existence a été diminuée de moitié, sans que rien ne manque, il en résulterait alors une substance particulière en dehors d'elle. En effet, la pluralité qui a été divi- sée existait déjà auparavant, non comme pluralité de substances, mais comme pluralité dans la realité qui forme le quantum de l'existence de chacune, et l'unité de la substance n'était qu'une manière d'exister, qui n'a pu être changée en une pluralité de substance que par cette division. De même plusieurs substances simples pourraient à leur tour se réunir en une seule, où rien ne périrait, si ce n'est la pluralité de subsistance, puisque cette unique substance renfermerait le degré de réalité de toutes les précédentes ensemble. Peut-être les substances simples, qui nous donnent le phénomène dune matière non pas sans doute par reflet d'une influence mécanique ou chimique, mais par une influence inconnue de nous, et dont le degré seul constituerait le j)hénomène), produisent-elles les âmes des enfants au moyen d'une semblable division dijnamique des âmes des parents, consi- dérées comme grandeurs intensives, qui répareraient leurs pertes en s'unissant à une nouvelle matière de la même espèce. Je suis bien éloigné d'attacher la moindre importance ou valeur à ces rêveries; aussi bien les principes établis plus haut dans l'ana- lytique nous ont-ils suffisamment enjoint de ne faire des caté- gories (par exemple de celle de la substance) qu'un usage empirique. Mais si, sans qu'aucune intuition permanente lui donne un objet, et uniquement parce que l'unité de l'apercep- tiondansla pensée ne lui permet aucune explication par le com- posé, le rationaliste est assez hardi pour faire de la simple fa- culté de penser un être subsistant par lui-même, quand il ferait bien mieux d'avancer qu'il ne saurait expliquer la possibilité d'une nature pensante, pourquoi le matérialiste, bien qu'il ne puisse pas davantage invoquer l'expérience en faveur de ses liypothèses, ne se croirait-il pas autorisé h une égale hardiesse et no ferait-il pas de son principe un usage contraire, tout en conservant l'unité formelle du premier?
DIALECTIQUE TRANSCENDANTALE 3i3
fermé, nous arrivons enfin à l'existence de ces êtres. Dans ce système, non seulement ils ont conscience de cette existence, indépendamment des choses extérieures, mais ils peuvent encore la déterminer par eux-mêmes, (relativement à la permanence, qui fait nécessairement partie des caractères de la substance). Mais de là suit que la conséquence inévitable de ce système, c'est Vidéa- lisme, du moins l'idéalisme problématique : si l'existence des choses extérieures n'est pas nécessaire à la déter- mination de notre propre existence dans le temps, c'est tout à fait gratuitement qu'on l'admettra et l'on n'en pourra jamais donner une preuve.
Si au contraire nous suivons la méthode analytique, si nous prenons pour fondement le « je pense » comme une proposition donnée renfermant déjà en elle une existence, ce qui revient à prendre pour fondement la modalité, si nous décomposons cette proposition pour en savoir le contenu, et savoir si et comment ce moi déter- mine par là son existence dans l'espace ou dans le temps, alors les propositions de la psychologie rationnelle ne partiront pas du concept d'un être pensant en général, mais d'une réalité, et c'est de la manière dont on le con- çoit, après en avoir abstrait tout ce qui est empiriaue, que l'on déduira ce qui convient à un être pensant en général. C'est ce que montre la table suivante :
10
Je pense 2° 3<»
comme sujet, comme sujet simple,
40
comme sujet identique dans chaque état de ma pensée.
Or, comme la seconde proposition ne détermine pas si je ne puis exister et être conçu que comme sujet, et non comme prédicat d'un autre sujet, le concept d'un sujet est pris ici dans un sens purement logique, et il reste à savoir s'il faut ou non entendre par là une substance. Mais dans la troisième proposition, l'unité absolue de l'aperception, le
344 CRITIQUE DE LA RAISOxX PURE
moi simple est déjà, pour la représentation à laquelle se rapporte toute liaison on toute séparation qui constitue la pensée, quelque chose d'important de soi, quoique je n'aie encore rien décidé sur ta nature ou la subsistance du sujet. L'aperception est quelque chose de réel, et sa simplicité est déjcà impliquée dans sa possibilité. Or il n'y a dans l'espace rien de réel qui soit simple; car les points (qui sont la seule chose simple qu'il y ait dans l'espace) ne sont que des limites et non quelque chose qui serve, comme partie, à constituer l'espace. De là suit donc l'impossibilité d'expliquer la nature du moi (comme sujet simplement pensant) par les principes du matéria- lisme. Mais comme, dans la première proposition, mon existence est considérée comme donnée, puisqu'elle ne signifie pas : tout être pensant existe (ce qui exprimerait une nécessité absolue de ces êtres, et par conséquent en dirait beaucoup trop), mais seulement : j'existe pensant, cette proposition est empirique et ne peut détermim mon existence qu'au point de vue de mes représentation dans le temps. D'un autre côté, comme j'ai besoin ici (h quelque chose de permanent, et que rien de permanent et que rien de semblable, en tant que je me pense, n m'est donné dans l'intuition interne, il est impossible ci déterminer par cette simple conscience que j'ai de moi même la manière dont j'existe, si c'est à titre de subs- tance ou d'accident. Si donc le matérialisme est insuffi- sant à expliquer mon existence, le spiritualisme ne l'est pas moins; et la conséquence qui sort de là c'est qv nous ne pouvons rien connaître, de quelque manière qu ce soit, de la nature de notre âme, en ce qui concerne 1 possibilité de son existence séparée en général.
Et comment d'ailleurs serait-il possible de sortir de l'expérience (de notre existence actuelle) à l'aide de l'unité de la conscience, que nous ne connaissdn que parce qu'elle est pour nous la condition indispen sable de la possibilité de l'expérience,, d'étendre nin notre connaissance à la nature de tous les êtres pensant en général au moyen de cette proposition empiriqiK mais indéterminée par rapport à toute espère d'intuition . U^ pense?
DIALECTIQUE TRANSCENDANT ALE 345
La psychologie ratioïineHe n'existe donc pas comme doctrine ajoutant quelque chose à la connaissance de nous-mêmes. Elle existe seulement comme discipline fixant dans ce champ les bornes infranchissables à la raison spéculative; elle l'empêche, d'une part, de se jeter dans le sein d'un matérialisme sans àme et, d'autre part, de se perdre follement dans un spirituaiisme qui n'a pour nous aucun fondement dans la vie. Dans ce refus de notre raison de donner une réponse satisfaisante aux questions indiscrètes qui dépassent notre vie, elle nous montre un avertissement de détourner notre étude de nous-mêmes de la spéculation transcendantale, qui est infructueuse, pour l appliqii<T à l'usage pratique, seul iVcond. Tout en s'appliquant uniquement à des objets d'expérience, cette dernière méthode n'en tire pas moins de plus haut ses principes, et elle détermine notre con- «iuite comme si notre destinée s'étendait infiniment nu delà de Texpérience et par conséquent de cette vie.
On voit par tout cela que la psychologie rationnelle ne lire son origine que d'un pur malentendu. L'unité de la conscience, qui sert de fondement aux catégories, est prise ici pour une intuition du sujet en tant qu'objet, et la catégorie de la substance y est appliquée. Jlais celte unité n'est autre que celle de la pensée, qui par elle seule ne donne point d'objet, et à laquelle par conséquent no s'applique pas la catégorie de la substance, qui suppose toujours une intuition donnée, de telle sorte qu'ici ce sujet ne peut être connu. Le sujet des catégories ne sau- rait donc recevoir, par cela seul qu'il les pense, un con- cept de lui-même comme d'un objet de ces catégories; car, pour les penser, il lui faut prendre pour fondement la pure conscience de lui-même, qui a diî cependant être expliquée. De même le sujet dans lequel la représ»'ntation du temps a originairement son fondement ne peut dct''r- miner par là sa propre existence dans le temps; cl, si cello dernière chose est impossible, la première, c'est-à-dire la re- présentation de soi-même (comme être pensant en général) ne saurait non plus avoir lieu au moyen des catégories •.
1. Le « je ponso » est, comme on l'a déjà dii
346 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
Ainsi toute connaissance cherchée en dehors des limites de l'expérience, alors même qu'elle intéresse au plus haut degré l'humanité, tant qu'on la demande à la philosophie spéculative, se résout en une espérance illusoire. Mais cette sévérité de la critique, en même temps qu'elle dé- montre l'impossibilité de décider dogmatiquement, tou- chant un objet de l'expérience, quelque chose qui soit hors des limites de l'expérience, rend à la raison un ser- vice qui n'est pas sans importance pour l'intérêt qui la préoccupe, en l'assurant contre toutes les assertions pos- sibles du contraire. Elle a deux moyens en effet d'obtenir ce but : ou bien de démontrer apodictiquement sa propo- sition ; ou bien, si cela ne réussit pas, de chercher les causes de cette impuissance. Or, si ces causes résident dans les bornes nécessaires de notre raison, l'adversaire
empirique et renferme la proposition « j'existe ». Mais je ne puis pas dire : tout ce qui pense existe,- car alors la propriété de la pensée ferait de tous les êtres qui la possèdent autant d'êtres nécessaires. Mon existence ne peut donc pas non plus être consi- dérée, ainsi que Descartes l'a cru, comme déduite de la proposi- tion « je pense » (puisqu' autrement il faudrait supposer avant elle celle majeure : tout ce qui pense existe), mais elle lui est identique. Celte proposition exprime une intuition empirique indé- terminée, c'esl-à-dire une perception ice qui i^rouve par consé- quent que déjà la sensation, qui appartient à la sensibilité sert de fondement à celte proposition d'existence); mais elle précède l'expérience qui doit, au moyen des catégories, déterminer l'objet de la perceplion, par rapport au temps. L'existence n'est donc pas ici une catégorie, celle-ci se rapportant toujours non à un objet d'une manière indéterminée, mais à un objet dont on a un concept et dont on veut savoir s'il existe ou non en dehors de ce concept. Une perception indéterminée ne signifie ici que quelque chose de réel qui est donné, mais seulement pour la pensée en gênerai, et non par conséquent comme pliénomène ou comine chose en soi (noumène), queh^ue chose en un mot qui existe en fait et qui est désigné comme tel dans la proposition « je pense ». Car il est à remarquer que, si j'ai appelé la proposition « Je pense » une proposition empirique, je n'ai point voulu dire par là que le je soit dans cette proposition une représentation empi- rique, c'est bien plutôt une représentation purement intellectuelle, puisqu'elle appartient à la pensée en général. Sans doute, sans une représentation empirique qui fournit à la pensée sa matière, l'acte «t je pense « n'aurait nas lieu = mais l'élément empiriqiie u'est que la condition de l'application ou de l'usage de la faculté intellectuelle pure.
DIALECTIQUE TRANSCENDANTALE 347
se trouve nécessairement soumis à la même loi qui ordonne de renoncer à toute affirmation dogmatique.
Le droit et même la nécessité d'admettre une vie future, suivant les principes de l'usage pratique de la raison uni à son usage spéculatif, ne se trouvent d'ailleurs nulle- ment compromis par là; car la preuve puremeni spécu- lative n'a jamais pu avoir la moindre influence sur la raison commune de l'humanité. Cette preuve repose sur une%pointe de cheveu, si bien que l'école elle-même n'a pu la maintenir qu'en la faisant tourner sans fin sur elle-même comme sur une toupie, et qu'à ses yeux même elle ne fournit pas une base solide sur laquelle on puisse bâtir quelque chose. Les preuves qui sont à l'usage du monde conservent au contraire ici toute leur valeur. Elles gagnent plutôt en clarté et en force naturelle de persua- sion, en repoussant ces prétentions dogmatiques et en plaçant la raison dans son véritable domaine, à savoir l'ordre des fins, qui est en même temps un ordre de la nature. Alors la raison, comme faculté pratique et par elle-même, sans être bornée aux conditions de ce second ordre, se trouve fondée à étendre le premier, et avec lui notre propre existence, au delà des limites de l'expérience et de la vie. A en juger par analogie avec la nature des êtres vivants dans ce monde, pour lesquels la raison doit nécessairement admettre en principe qu'il n'y a pas un organe, pas une faculté, pas un penchant, rien onlin qui soit inutile ou en désaccord avec son usage, et par consé- quent non adapté à un but, mais que tout, au contraire, est exactement approprié à sa destination dans la vie; à en juger par cette analogie, dis-je, l'Iioinme, qui pourtant peut seul contenir en lui le dernier but final de toutes ces choses, devrait être la seule créature qui fît exception au principe. En effet, les dispositions de sa nature, par quoi je n'entends pas seulement les talents et les inclinations qu'il a reçus pour en faire usage, mais surtout la loi morale, sont tellement au-dessus de l'utilité et des avan- tages qu'il en pourrait tirer dans cette vie, qu'il apprend de la loi môme à estimer par-dessus tout la simple cons- cience de l'honnêteté des sentiments, au pn-judice de tous les biens et même de cette ombre qu'on appelle la gloire,
348 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
et qu'il se sent intérieuremeut appelé à se rendre digne, par sa conduite dans cette- vie et en foulant aux pieds tous les autres avantages, de devenir le citoyen d'un monde meilleur dont il a l'idée. Cette preuve puissante, à jamais irréfutable, à laquelle se joignent la connaissance toujours croissante de la finalité qui se manifeste dans tout ce que nous avons sous les yeux, la vue de l'imraer site de la création, et par conséquent ausai la conseien^ de la possibilité d'une certaine extension illinutée de nos connaissances, ainsi que le penchant qui y correspond, cette preuve subsiste toujours, quand même nous devrions désespérer d'apercevoir la durée nécessaire de notre exis- tence par la connaissance purement théorique de nou- mémes.
Conclusion de la solution du paralogisme psychologique.
L'apparence dialectique dans la psychologie rationneiJ. vient de ce que l'on confond une idée de la raison (l'idée d'une intelligence pure) avec le concept indéterminé à tous égards d'un être pensant en général. Je me conçois moi- même en vue d'une expérience possible, en faisan* abstraction de toute expérience réelle, et j'en conch que je puis avoir conscience de mon existence même on dehors de l'expérience <'t des conditions empiriques de cette existence. Je confonds donc Vabstraction possible '^ mon existence empiriquement déterminée avec la pi tendue conscience possible d'une existence du moi pt : sant isolé; et je m'imagine connaître ce qu'il y a en n.i de substantiel comme un sujet transcendantal, tandis q je n'ai dans la pensée que l'unité de la conscience q; sert de fondement à tout acte de détermination considtM comme simple forme de la connaissance.
Le problème qui a pour but l'explication de l'union <" l'àme avec le corps n'appartient pas proprement à cei' psychologie dont il est ici question, puisque celle-ci propose de démontrer la personnalité de l'âme même < dehors de cette union (après la mort), et qu'ainsi elle <
DIALECTIQUE TRANSGENDANTALE 349
transcendante, dans le sens propre du mot, bien qu'elle s'oc- cupe d'un objet de l'expérience, mais seulement en tant qu'il cesse d'être un objet de l'expérience. Cependant cette question, même peut recevoir dans notre doctrine une réponse satisfaisante. La difficulté qu'elle a soulevée consiste, comme on sait, dans la prétendue liétérogénéito de l'objet du sens intime (de i'àme et de ceux des sens xtérieurs, attendu que l'intuition du premier ne suppose i 'autre condition formelle que le temps, tandis qiie celle îles seconds suppose en outre l'espace. Mais, si l'on songe qu'il n'y a pas entre ces deux espèces d'objets de diffé- rence intrinsèque, qu'ils ne se distinguent qu'en tant que l'un apparaît à l'autre extérieurement, et que par consé- iient ce qui sert de fondement, comme chose en soi, à ( tte manifestation phénoménale de la matière, pourrait icn n'être pas d'une nature si hétérogène, alors la diffî- ulté s'évanouit, et il n'en reste plus d'autre que de savoir ( omment est possible en général une union de substance.'^. Or la solution de cette dernière diflicuJtéest tout à fait en dehors du champ de la psychologie; et même, comme le lecteur en jugera aisément d'auprès ce qui a été dit dans l'analytique des formes constitutives et des facultés, elle -t sans aucun doute hors du champ de toute ^Oûûaissance Limaine.
Remarque ijénérale concernant le passage de la psychologie ratioiinelle à la cosmologie.
La proposition : je pense, ou : j\ .xi.^vc ,-. ;*.-.. iit. «^l une proposition empirique. Mais ijne telle jvroposition a pour fondement une intuition empirique, et par conséquent ■nissi l'objet pensé comme phénomène. M semble donc résulter de notre théorie que l'dme tout entière, même dans la pensée, se transforme en phénomène, et qu'ainsi notre conscience même, n'étant plus qu'une pure appa- rence, ne soit plus rien de réel.
La pensée, prise en elle-même, n'est qu<^ U fondion logique et par conséquent la simple spontanéité [de l'es- prit] dans la liaison des éléments divers d'une iutuitioa
3o0 CRITIQUE DE LA RAISON PURE
purement possible, et elle ne présente nullement le sujet de la conscience comme un phénomène, par la raison bien simple qu'elle n'a pas égard à l'espèce de l'intuition, ou à la question de savoir si elle est sensible ou intellec- tuelle. Je ne me représente ainsi à moi-même, ni comme je suis, ni comme je m'apparais; mais je ne- me conçois que comme je conçois en général tout objet où je fais abstraction de la nature de l'intuition. Quand je me repré- sente ici comme sujet des pensées ou même comme prin- cipe de la pensée, ces modes de représentation ne dési- gnent pas les catégories de la substance ou de la cause; car celles-ci sont des fonctions de la pensée (du jugement) appliquées déjà à notre intuition sensible, et dont je ne saurais sans doute me passer pour me connaître. Or je ne veux avoir conscience de moi que comme pensant, je laisse de côté la question de savoir comment mon propre moi est donné dans l'intuition, car alors il pourrait bien n'être qu'un simple phénomène pour moi qui pense, mais non pas en tant que je pense. Dans la conscience que j'ai de moi-même dans la pure pensée, je suis Vêire même; mais par là rien de cet être ne m'est encore donné p penser.
Au contraire, si la proposition : je pense, signilit f existe pensant, elle n'est plus une fonction purement logique; elle détermine le sujet {lequel est en même temps objet) par rapport à l'existence, et elle ne saurait avoir lieu sans le sens intime, dont l'intuition ne donno jamais l'objet comme chose en soi, mais simplement comme phénomène. Dans cette proposition, il n'y a don plus seulement spontanéité de pensée, il y a en outi réceptivité d'intuition, c'est-à-dire que la pensée de moi même est appliquée à l'intuition empirique de ce mêni sujet. C'est donc dans cette dernière que le moi pensan devrait chercher les conditions de l'application de st fonctions logiques aux catégories de la substance, de 1 cause, etc., pour pouvoir non seulement se qualifier soi- même par le moi comme un objet en soi, mais aussi déterminer le mode de s^n existence, c'est-à-dire si reconnaître comme noumène. Mais cela est impossible, puisque l'intuition empirique intérieure est sensible, ne
DIALECTIQUE TRANSCëKDANTALE 351
fournit que des données phénoménales, lesquelles n'ap- portent rien à l'objet de la conscience pure qui fasse con- naître son existence séparée, et ne peuvent servir qu'à l'expérience.
Supposez que nous trouvions plus tard, non pas dans l'expérience, mais dans certaines lois de l'usage de la rai- son pure, établies à priori et concernant notre existence (je ne parle pas de règles purement logiques), une occa- sion de nous supposer tout à fait à priori dictant des lois à notre propre existence et même déterminant cette existence, nous découvririons par là une spontanéité qui nous per- mettrait de déterminer notre réalité sans avoir besoin des conditionsde l'intuition empirique, et remarqui-rions alors que dans la conscience de notre existence, il y a quelque chose d'à priori qui peut servir à déterminer, au point de vue d'une certaine faculté interne et de sa relation avec un monde intelligible (que nous ne faisons il est vrai que concevoir), notre existence qui d'ailleurs n'est généralement déterminable que du point de vue sensible.
Néanmoins, cela n'avancerait pas le moins du monde les tentatives de la psychologie rationnelle. En effet, grâce à cette merveilleuse facii'té qui me révèle avant tout la conscience de la loi morale, j'aurais bien un principe purement intellectuel pour déterminer mon existence, mais par quels prédicats? Uniquement par ceux qui me seraient donnés dans l'intuition sensible. J'en reviendrais donc au point où j'en étais dans la psychologie rationnelle, c'est-à-dire que j'aurais toujours besoin d'intuitions sen- sibles pour donner une signification à mes concepts intel- lectuels de substance, de cause, etc., sans lesquels je ne puis avoir aucune connaissance de moi-même. Or ces intuitions ne peuvent m'aider à m'élever au-dessus du champ de l'expérience. Cependant, au point de vue de l'usage pratique, qui pourtant ne s'adresse jamais qu'à des objets d'expérience, je serais fondé à appliquer ces- concepts à la liberté et à son sujet, conformément à la signification analogue qu'ils ont dans l'usage théorique. Je n'entends rien d'autre p ir là, on effet, que les fonc- tions logiques du sujet et du prédicat, du principe et de la conséquence, conformément auxquelles sont déter*
352 CRITIQUE DE LA RAISOX PURE
minés les actes ou les effets conformes à ces lois [morales], de telle sorte que, bien qu'ils dérivent d'un tout autre principe, ces actes et ces effets peuvent toujours être expliqués, ainsi que les lois de la nature, par les caté- gories de la substance et de la cause. Cette remarque n'a d'autre but que de prévenir la confusion à laquelle e>t facilement sujette la doctrine de l'intuition de soi-même comme phénomène. Nous aurons dans la suite l'of^'^-'^i'-'n d'en faire usage.
FIN DU TOME PREMIER
TABLE DES MATIERES
DU TOME PREMIER
Avant-propos du traducteur 1
JPréface de la première édition (1781) 9
Préface de la seconde édition (1787^ 17
Introduction 3.j
/, De la différence de la connaissance pure et de la
connaissance empirique 3.)
il. Nous sommes en possession de ceitaims connais- sances à priori, et le sens commun lui-même n'en
• est jamais dépourvu 37
\\\ . La philosophie a besoin d'une science qui dëter- mine la possibilité, les principes et l'étendue de
toutes nos connaissances à priori 40
IV. ï)l' la différence des jugements analytiques et des
jugements synthétiques i2
V Toutes les sciences théoriques de la raison conlien» lient des jugements synthétiques qui leur servent
de principes. . •. i^t
M. Problème général de la raison pure 4'J
\ii. Idée et division d'une science spécial»' appelée Cri- tique de la Raison pure . i
THÉORIE TRANSCENDANTALE DES ÉLÉMENTS
PREMIÈRE PARTIE. ESTHÉTIQUE TRANSCENDAN- TALE. § 1" 61
Première Section. De l'Espace 6.3
^ 2. l'exposition méiaphysique du concept de l'espace . 63
;' '■). I.xposition iranscendantale du concept de l'espace. 60
'.onséquences tirées de ce qui précède 67
1. -',!
354 TABLE DES MATIÈRES
Deuxième Section. Du temps 71
? 4. Exposition métaphysique du concept du temps. . 71
§ 5. Exposition transcendantale du concept du temps . 72
§ 6. Conséquences 73
§ 7. Explication 76
§ 8. Remarques générales sur l'esthétique transcendan- tale 80
DEUXIÈME PARTIE. LOGIQUE TRANSCENDANTALE. 91
Introduction. Idée d'une logique transcendantale . . 93
I. De la logique en général 93
II. De la logique transcendantale Ti
III. De la division de la logique générale en analytique
et dialectique . 98
IV. De la division de la logique transcendantale en ana-
lytique et dialectique transcendantales iOl
PREMIÈRE DIVISION. Analytique transcendantale . . . 105
Livre Premier. Analytique des concepts lOâ
Chapitre I. Du fil conducteur servant à découvrir y tous les
concepts purs de l'entendement 110
Ire Section. De l'usage logique de l'entendement en gé- néral m
2me Section. § 9. De la fonction logique de l'entendement
dans les jugements 112
3«>c Section. § 10. Des concepts purs de l'entendement ou
des catégories ll~
§ 11 122
g 12 123
CflAPiTRE II. De la déduction des concepts purs de Venten-
dement ....... 127
l»e Section. § 13. Des principes d'une déduction transcen- dantale en général . . - .127
l 14. Passage à la déduction transcendantale des caté- gories . ...... 132
2'ne Section. § 15 De la possibilité de la synthèse en gé- néral . • "136
g 16 De l'unité originairement synthétique de Taper-
ception. - . ... 137
l 17. Le principe de l'unité synthétique de l'apercep- tion est le principe suprême de tout usage de l'en- tendement . . 140
§ 18. Ce que c'est que l'unité objective de la cons- cience de soi-même ...... 143
TABLE DES MATIERES 355
l 19. La forme logique de tous les jugements consiste dans l'unité objective de l'aperception des concepts
qui y sont contenus 144
l 20. Toutes les intuitions sensibles sont soumises aux catégories comme aux seules conditions sous lesquelles le divers qu'il y a en elles puisse être
ramené à l'unité de conscience r<
l 21. Remarque M
g 22. La catégorie n'a d'autre usage dans la connais- sance des choses que de s'appliquer à des objets
d'expérience ir
§ 23 n
§ 24. De l'application des catégories aux objets des
sens en général loO
§ 25 155
g 26. Déduction transcendantale de l'usage expéri- mental qu'on peut faire généralement des concepts
purs de l'entendement i*
g 27. Résultat de cette déduction des concepts de l'en- tendement 10!
Résumé rapide de cette discussion 1«;.:
Livre deuxième. Analytique des principes ii
Introduction. Du jugement transcendantal en général . It.:
Chapitre premier. Du schématisme des concepts purs de
l'entendement . . 170
Chapitre IL Système de tous les pnncipes de l'entende- ment pur 178
l" Section. Du principe suprême de tous les jugements
analytiques n9
2™e Section. Du principe suprême de tous les jugements
synthétiques ... 182
âme Section. Représentation systématique de tous les prin- cipes synthétiques de l'entendement pur. ..... Ih
1. Axiomes de l'intuition 1^^^
2. Anticipations de la perception i''-i
3. Analogies de l'expérience. . !''<•
A. ^0 analogie : Principe de la permanence de la substance 204
B. II'n« analogie : Principe do la succession dans
le temps suivant la loi de la causalité 210
C IIl'"'' analogie : Principe de la simultanéité suivant lu loi (!<• l'.uiiou n'cinrocui'" «ui <îr la communaut»
356 TABLE DES MATIÈRES
4. Les postulats de la pensée empirique en général. 232
Réfutation de l'idéalisme 238
Théorème 239
Remarque générale sur le système de^ principes . 249 Chapitre III. Du principe de la distinction de tous les
objets en général en phénomènes et 7îoumènes ..... 254 Appendice De l'amphibolie des concepts de la réflexion résultant de l'usage empirique de l'entendement et
de son usage transcendantal . .' 272
Remarque sur l'amphibolie des concepts de réflexion. . 277
DEUXIÈME DIVISION. Dialectiql^e transcendantale. . 29.5
Introduction 297
J. De l'apparence transcendantale 297
II. De la raison pure comme siège de l'apparence trans- cendantale 300
A. De la raison en général 300
B. De l'usage logique de la raison 303
C De l'usage pur de la raison ... 305
Livre Premier. Des concepts de la raison pure . . 309
1»'' Section. Des idées en général 310
2"^^ Section. Des idées transcendantales 31(3
3"i« Section. Système dts idées transcendantales . . 324 Livre deuxième. Des raisonnements dialectiques de
la raison . ... 329
Chapitre premier. Des paralogîsmes de la raison pure. . . 331 Réfutation de l'argument de Mendelssohn en faveur de
la permanence de l'âme 340
Conclusion de la solution du paralogisme psycholo- gique 3i8
Remarque générale concernant le passage de la psycho- logie rationnelle à la cosmologie 349
E. GREVIN — I.MPRI.MliRIE DE LAGNY
r I I
I
Kant B
. . . 2776
oritique de la raison pure. .F7
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Vj*r
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