. ■! " V ■ - :<■■ ■ •: ce ç C.c i C i . e v - c <^ < c c ce c .<;c ce S^ C ec ce ^? «C e ce & ce - Ce. .(vr - 'CC C . f '(C c >-,i. c*. " C-^C~'('C ' c-r- C^c-cce r Ve ç'< r«& C ce «r V c , CC5TC S c" -, 5k?c< - «G ee ^J ce - ^ fre ç ^ ce - cCLcrcrc^. , c oc: <3 ^ " ec <:, - > ' ce . c ;°^ ■* c ^>^ sa; e C$T ^'cec cc «ce PS ^<< -^ ecc DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. DE L'IMPRIMERIE DE BEAU, à Saint-Germain-en-Laye. h. éj ^^W£^o (ft-eaj- IL, / j rd,. douez* **> L^^^^^- ^ u<^ jv^. {^2- « < f / / J J Vdj. tk s> Oî.6 "S-ZuK&t- Ce*/***"? 1 S~û -?vi^^t-^w 4 Hwz^cCrvt^L ^aui^jeUV L-^<-^^iLs / S fi. DE LAGRICULTURE EN FRANCE, D'APRÈS LES DOCUMENTS OFFICIELS, PAR M. L. MOUMER, AVEC DES REMARQUES PAR M. RUBICHON. Gratis anhelans, multa agendo nihil agens. Phogd. TOME PREMIER. PARIS, GUILLAUMIN, LIBRAIRE, Éditeur du Journal des Économistes, de la Collection des principaux Économistes da Dictionnaire du commerce et des marchandises, etc. RUE RICHELIEU, 14. 1846 b DE L'AGRICULTURE EN FRANCE La science de l'agriculture , dont nous allons faire F histoire, est encore plus ignorée en France que dans le reste de. l'Europe; cependant les trois quarts des familles de ce royaume sont livrées à l'agriculture, et elles suivent avec persévérance un système faux. Les auteurs de cet ouvrage, croyant l'Angleterre dans le vrai, ont voulu faire connaître le système anglais i et le comparer au système français. Il faut un long espace de temps pour détruire les idées dominantes, et il en faut encore un bien plus long pour élever l'intelligence du pu- blic à saisir la vérité dans tout son ensemble. Jus- qu'alors sa puissance échouera, surtout quand on voudra la mettre en action. D'ailleurs , elles méritent d'être connues, ces belles et vastes entreprises qu'ont faites les gou- vernements anglais et français, de multiplier, de- puis dix ans, des enquêtes sur leur agriculture et sur tant de branches des sciences humaines. ' Voyez l'extrait des Enquêtes officielles faites en Angleterre et publiées à Vienne en Autriche en 6 vol. in-8°, et à Paris, chez Treuttel et Wurtz. 1 ' '2 DE LAGlUCLLTLKb Ei\ FRANCE. \ oilà donc les chefs de la société et des premiè- res familles de chacun des deux royaumes se divi- sant en comités, envoyant des commissaires dans les pays étrangers, comme dans leur propre pays, faisant venir des témoins , interrogeant chacun d'eux sur ce qu'il sait ou sur ce qu'il fait le mieux, et écoutant, avec une patience stoïque, les vérités quelquefois les plus humiliantes. Ces enquêtes , faites en Angleterre et ensuite imitées en France, sont les deux meilleures ou plutôt les deux seules vraies histoires de la société. Tl faut cependant avouer que personne n'a ja- mais pu les lire toutes. D'abord en Angleterre elles consistent en plus de deux cents gros volumes in- folio imprimés en petits caractères , composés de demandes et de réponses sans plan ni méthode. Mais c'est une histoire faite publiquement par la société elle-même. Les faits, leurs causes et leurs conséquences ont été débattus contradictoire- ment, et chacun a pu connaître dans ce débat ce qui regardait sa profession. C'est déjà beaucoup; c'est même tout. Celui qui veut bien connaître son métier, ne peut guère connaître que son métier ; la vie est courte et l'art compliqué. Chaque profes- sion parmi les manufacturiers, les commerçants ou les navigateurs, parmi les militaires, les magistrats ou les agriculteurs, a pu s'assurer de son état de santé ou de maladie. Il faut avouer que les tenta- tives de guéiïson n'ont réussi que rarement. Mais, DE L AGlUCLLTliRE EN l'HANCE. «i dans tous les cas, l1 opinion publique sétant rec- tifiée, ce qui est mal n'a pas empiré. Les enquêtes françaises ne sont pas sur le même plan qu'en Angleterre. Là les administrés ont fait leur propre histoire ; en France ce sont les admi- nistrateurs qui ont fait l'histoire des administrés. Cependant il est juste de dire que dans l'une et l'autre histoire il y a intelligence et bonne foi. Celle de la France est classée avec méthode, et par conséquent beaucoup moins volumineuse. Tout le monde peut trouver le temps d'étudier les tableaux que présente le gouvernement sur l'agriculture dans nos diverses provinces. On n'a pas le même éloge à faire des divers rapports du ministère ; il est imbu des principes de l'école révolutionnaire, et souvent il donne , comme une preuve de pros- périté, ce qui en est une d'adversité. Mais enfin son immense travail nous présente les moyens officiels de faire une analyse qui peut jeter des lumières. Et pourquoi n'entretiendrait-on pas quelque espoir à ce sujet? Les enquêtes commencées en Irlande, et poursuivies depuis une dixaine d'années, ont déjà produit des effets salutaires. Les propriétaires de terres, presque tous protestants, se sont enfin éclairés et ont aperçu que l'oppres- sion qu'ils exerçaient sur les catholiques, était funeste à leurs intérêts matériels. Dès lors l'état du pays s'est amélioré et s'améliore tous les jours. Les enquêtes faites en Angleterre ont également 4 DE L AGRICULTURE EW FRANCE; produit un très-bon effet, mais d'un ordre négatif : elles ont empêché de détruire. M. Pitt n'avait pas eu besoin d'enquêtes pour concevoir et mettre en action le seul système qui enrichisse un empire, celui de l'agglomération des terres. Et c'est ce système-là dont on voulait paralyser Faction. Depuis la paix, nombre d'Anglais pris dans tous les rangs de la société sont venus à Paris, et jugeant de la richesse de la France par la richesse de cette ville , ont cru que la prospérité et la force d'un pays pouvait s'allier avec la démocratie. Leurs idées politiques s'étaient successivement corrompues ou obscurcies, et, en 1830, à l'époque de la révolu- tion , on put croire l'Angleterre ébranlée jusque dans ses fondements. On voulut une réforme. Dans un pays où , comme en France, la dé- mocratie domine depuis des siècles, les tentatives d'arrêter ses envahissements n'aboutissent qu'à les encourager; mais en Angleterre, l'aristocratie domine aussi depuis des siècles , les tentatives de la détruire n'ont abouti qu'à la renforcer. On peut s'en convaincre par les effets de la réforme parlementaire. Avant cette réforme , les plus grandes familles nommaient plus de la moitié de la chambre des communes; la réforme a fait hériter de ce droit tout habitant qui paie 10 livres sterl. d'impôt. De tels électeurs , dont le nombre s'élève à plus de 800,000, nomment le candidat qui paie son EE L AGRICULTURE EH FRANCE. 5 élection le plus cher. Quelques seigneurs don" naient leur droit d'élection au gouvernement , d'autres l'exerçaient, d'autres le vendaient; mais tous choisissaient parmi leurs partisans les hommes à qui ils reconnaissaient le plus de talent. Alors ils se chargeaient de remplir, par certaines for- malités , les conditions d'éligibilité, qui étaient de prouver un revenu de 600 livres sterl. en terre de franc aleu. Les nouveaux électeurs ne peuvent remplir ces conditions pour leur candidat favori. Avant la réforme un homme à talent , quoique sans fortune , pouvait donc entrer au parlement et y obtenir une grande suprématie. Aussi, jamais le parlement anglais n'aura de jours aussi brillants que ceux qu'il a eus sous le premier système d'élection. Aujourd'hui MM. She- ridan , Horne Tooke ou Canning , gens qui étaient sans naissance ni fortune, ne pourraient être élus ; MM. Fox, Pitt, Burke et Windham avaient de la naissance, mais n'avaient pas de fortune; aujour- d'hui ils se trouveraient également exclus. La fortune s'est emparée de l'influence du talent; les discussions sont plus lourdes, mais les délibéra- tions plus solides : il n'y a plus de prestiges. Aussi les tories se sont-ils prêtés de très-bonne grâce à coopérer à toutes ces enquêtes , quoi- qu'elles fussent instituées par les wighs. Ces derniers n'y ont rien trouvé de ce qu'ils cherchaient, et ont trouvé, au contraire, ce qu'ils ne cherchaient pas. G DE L AGRICULTURE EAT EP. \ÎNCE. Si les vérités développées dans toutes ces en- quêtes, et dans ces documents ministériels, ont agi avec tant de force qu'elles ont soumis à leur joug même ces Anglais protestants, spoliateurs et persécuteurs des catholiques Irlandais, pour- quoi des enquêtes semblables ne produiraient- elles aucun effet en France , où F esprit est à présent dégagé de toute jalousie ? On n'y jalouse plus le clergé, il est ruiné. On y jalouse encore moins la noblesse , elle est ruinée. Il n'y a plus de corporations , plus de grands propriétaires , plus de grands héritages , de privilèges, de mono- pole; tout cela est détruit depuis longtemps, et les travaux du ministère nous ont éclairés sur les résultats de toutes ces destructions. Les généra- tions qui nous suivent, sont innocentes de ces méfaits , et certes, ce n'est pas le respect que la jeunesse éprouve pour les gens Agés, qui élèvera chez elle des scrupules pour refaire ce qu'ils ont défait. La France, depuis 50 ans, a produit de grands coupables , et ils ont. eu , comme coopérateurs, beaucoup de gens de bonne foi. Mais à présent qu'on peut étudier et raisonner d'après un ensemble de faits positifs, les gens de bonne foi verront qu'ils sont; tombés dans de telles erreurs, qu'il n'y a que leur ignorance qui puisse tranquilliser leur conscience. Et pourquoi cette multitude de raisonneurs sûr l'économie politique ne se seraient-ils pas rronijiés, DE L AGRICULTURE Efl FRANCE. / eux qui n'ont jamais étudié? Tous les savants qui ont passé leurs veilles à étudier l'astronomie pen- dant les 20 siècles écoulés de Pythagore jusqu'à Copernic, ont cru que le soleil tournait autour de la terre ; malgré cela Us ont fait quelques décou- vertes. Eh bien, nos politiques de bonne foi sont des astronomes de cette époque, ils font encore tourner le soleil; mais n'ayant passé aucune veille, ils n'ont fait aucune découverte. Par les milliers de discours qu'ils ont prononcés, de volumes qu'ils ont écrits, et de lois qu'ils ont rendues, ils ont au contraire fatigué , obscurci et reculé la science de l'économie politique. Que la génération qui nous succède, étudie donc ces lois primitives du monde, que la France a oubliées et perdues. L'exemple de nos malheurs doit , ce nous semble, l'engager a chercher une antre route. LIVRE PREMIER. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. LIVRE PREMIER. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE, CHAPITRE PREMIER. RAPPORT FAIT AU ROI SUR LA STATISTIQUE DE L'AGRICULTURE. « Sire, j'ai l'honneur de présenter à Votre Majesté un nouveau volume de la statistique de la France. C'est le quatrième de la collection et le premier de la partie Agri- culture. Il comprend, dans ses deux tomes, la statistique de la France occidentale, formée de quarante-trois dé- partements à l'est du méridien de Paris. L'étendue et l'im- portance de la matière, la nouveauté des moyens d inves- tigation qu'elle a exigés, et la force des obstacles qu'il a fallu surmonter, justifieront, du moins je l'espère, les dé- veloppements que je vais mettre sous les yeux de Votre Majesté. » J'exposerai d'abord ce qui jusqu'à nos jours avait été fait pour connaître l'agriculture du royaume ; j'indi- querai ensuite par quel ensemble de dispositions combi- nées cette grande exploration vient d'être exécutée, et je terminerai par un aperçu des principaux résultats qu'elle offre aujourd'hui, et qui embrassent la moitié du terri- toire delà France1. 1° Historique « Louis XIV, en prescrivant aux intendants deProyin- ' Depuis ce vnppovi io rote du travail à bt'é pivblîé, 12 DE l' AGRICULTURE Ki\ FRANCE. ces de recueillir les matériaux qui devaient servir à for- mer la statistique générale du royaume, leur recommanda spécialement d'y comprendre les faits relatifs à l'agricul- ture:; mais à cette époque, dont nous sommes éloignés d'un siècle et demi, rien n'était préparé pour des recher- ches aussi vastes et aussi difficiles. Les cartes qui devaient représenter le territoire, différaient entre elles, sur son étendue, de 5,818 lieues moyennes, ou presque d'une sur quatre. Aucun cadastre ne faisait connaître la division physique et agricole du pays ; l'impôt, qui variait d'une province à une autre dans sa forme et dans sa quotité, ne donnait aucune lumière dont on put profiter, pour es- timer même par approximation la quantité et la valeur des produits naturels qu'il atteignait. Les recensements de la population, sans lesquels on ne saurait se faire quel- que idée juste de la consommation, étaient imparfaits et défectueux. Ils étaient opérés, selon les intendances, par tète ou par feux, et l'on ne s'accordait point sur le nom- bre d'individus que chacun de ceux-ci devait nécessai- rement comprendre. Dans leur diversité, les opinions sili- ce sujet augmentaient ou diminuaient la population de près d'un cinquième : ce qui laissait une incertitude de vingt pour cent dans tout ce qui concernait la produc- tion agricole. « Dans un pareil état de choses, on ne pouvait attendre des intendants aucune exploration de l'agriculture des provinces qu'ils administraient ; et, en effet, on ne trouve dans leurs mémoires que quelques faits épars et sans suite, et des généralités dont le vague était trop grand pour permette d'employer des expressions numériques. Cependant le besoin de ces expressions était déjà vive- ment senti dans lès recherches d 'économie sociale dont, ce siècle a donné les premiers exemples ; cl pour suppléer LIV. il DÉ LV PROPRIETE TERRITORIALE » 13 à celle que ne pouvaient lui fournir les documents offi- ciels, Vauban eut recours à un moyen qui nous semble étrange aujourd'hui, mais qui ne laissait pas alors d'être ingénieux. Habitué par la science de la guerre aux calculs et à l'observation, il fit avec détail la reconnaissance to- pographique de quelques parties de nos provinces de l'ouest, et il détermina quelle était l'étendue moyenne de chaque espèce de surface dans un territoire d'une lieue carrée de 25 au degré. Il fut conduit à admettre qu'il y avait dans cette étendue : 2,706 arpents communaux en terres arables, ou. . . 1,142 hectares. ;i00 en vignes 126 500 en pâturages 211 600 en bois 252 252 en maisons, jardins, parcs 106 16 en étangs, marais 6 80 en chemins, rivières 33 236 en communaux et terres vagues ou stériles. . 99 4,690 1,975 » Ce fut d'après ces données, appliquées à la surface entière du royaume, que Vauban supposa le territoire de la France distribué ainsi qu'il suit : Lieues carrées. Hectares. Sur ioou. Terres arables '. . . 15,610 30,834,000 578 Vignes 1,722 3,402,000 64 Terres en culture 17,332 34,236,000 642 Pâturages 2,883 5,697,000 107 Bois et forêts 3,444 6,804,000 128 Maisons, jardins et parcs 1,444 2,852,000 53 Étangs et marais 82 162,000 3 Chemins et rivières. . 451 891,000 17 Communaux, terres vagues et stériles. 1,364 2,673,000 50 Surface totale de la France 27,000 53,315,000 1000 Ces nombres n'étaient nullement, comme on l'a cru 1 i DL L'AGlUCLL.I'Liili b>> ER^JjCE. souvent, des chiffres vrais, exprimant l'état réel du pays; ils n'avaient pour tout fondement qu'une conjecture har- die, qui supposait qu'on pouvait conclure, par assimila- tion , d'un à dix mille. Des chances d'erreurs aussi mul- tipliées firent exagérer l'étendue des terres arables et surtout celle des vignes; mais, par contre, la surface des bois fut considérablement diminuée ; et l'on se se- rait rapproché davantage de la vérité en quintuplant les chiffres de l'étendue des terres vagues ou stériles. » On pourrait croire que des notions plus justes furent acquises, lorsque, sous le règne de Louis XV, les écono- mistes discutèrent avec talent les questions relatives à la production. Il n'en fut point ainsi : les publicistes de ce temps, rebutés sans doute par des recherches stériles dans les archives de l'Etat, se bornèrent à des cas parti- culiers , à des exemples hypothétiques, tels que ceux d'une terre, d'une ferme, dont ils supputaient les pro- duits d'après des données réelles ou vraisemblables, mais qui ne pouvaient être généralisées. "Depuis les tentatives faites par Louis XIV pour arriver à connaître l'étendue de la culture et celle de la produc- tion, il s'écoula un siècle entier sans aucun progrès. Un témoignage irrécusable en est donné par deux hommes célèbres qui, pour suppléer au défaut de toute donnée authentique, furent obligés de recourir aux plus singu- liers expédients. » Un savant agronome anglais, Arthur Young, qui par- courut nos provinces en 1788, ayant vainement cherche, dans les documents de cette époque, des nombres expri- mant l'étendue des différentes parties du territoire, divisé d'après son état physique et agricole, imagina d'obtenir ces données statistiques par le procédé suivant : il porta LIV. 1. DJi LA PRUP1UÉTÉ TElUUTOitlALL. 15 ses belles et nombreuses observations sur une carte gé- nérale de la France, qu'il découpa soigneusement , d'a- près leurs indications ; il pesa chacun des fragments , puis en comparant le poids total de la carte à l'étendue do la surface qu'elle représentait, il détermina le rapport de ces deux termes ; et lé chiffré de chaque poids partiel lui donna celui de chaque espèce de superficie. Sa seule ex- cuse de l'usage d'un pareil moyen, c'est qu'il n'en exis- tait pas d'autre moins défectueux ; et la preuve en est dans celui dont on se servit peu de temps après dans une occasion solennelle. " Le comité de l'Assemblée nationale chargé, en 1790, de préparer l'établissement de l'impôt d'après des bases rationnelles , ne trouvant point dans les archives du royaume les données positives dont il avait besoin, recourut aux lumières d'un savant illustre, Lavoisier, qui , ayant été l'un des fermiers généraux, devait avoir élaboré, avec les avantages d'un esprit supérieur, toutes les notions statistiques qu'on possédait alors sur cette importante matière. » L'écrit que le comité reçut en réponse est un docu- ment rare et curieux, qu'on peut considérer comme don- nant d'une manière officielle la situation de la science économique, relativement à la France, à la fin du siècle dernier. Ce document procède ainsi qu'il suit, en ce qui concerne la statistique agricole du royaume, qui est le seul objet dont on ait à s'occuper ici. Il pose, en premier lieu, comme un fait capital, un accessoire qu'on néglige- rait aujourd'hui, et qu'on ne peut voir, sans suq>rise, de- venir la base de tous les calculs. C'est le nombre des charrues. 11 établit qu'il y en avait alors en France : 6 DE L AGRICULTURE Ei\ 1-itAlNCL. 320,000 conduites par des chevaux, 600,000 — par des bœufs. 920,000 Chaque charrue Arpents. Hectares, conduite par des chevaux , labourait en automne. . 30 ou 15,32 — par des bœufs 15 7,66 — par des chevaux, au printemps. ... * 30 15,32 On concluait de ces nombres qu'il y avait annuelle- ment : Arpents. Hectares. 9,600,000 ou 4,902,910 cultivés par des chevaux, eu automne. 9,000,000 4,596,480 — par des bœufs. 9,600.000 4,902,910 ~- par des chevaux, au printemps. T. 28,200,000 ou 14,402,300 hectares en céréales. On supposait que les jachères avaient exactement l'é- tendue des terres cultivées en automne, et qu'il y en avait conséquemment : Arpents. Hectares. 9,600,000 ou 4,902,910 dans les pays cultivés par des chevaux. 9,000,000 4,596,480 dans ceux cultivés par des bœufs. 18,600,000 9,499,390 hectares en jachères. On admettait de plus, qu'il y avait dans les pays culti- vés par des bœufs, une étendue de terre en vaine pâture double de celle de leurs jachères ; savoir : 18,000,000 arpents ou 9,193,000 hectares en pàtis ou communaux. Ces nombres réunis conduisaient à croire qu'il y avait : Arpents. Hectares. En céréales 28,200,000~ou 14,402,302 En jachères 18,600,000 9,499,390 En vaine pâture 18,000,000 9,193,000 Total des terres labourables. . 64,800,000 33,09/i,C90 — des prés, bois, etc. . . . 40,200,000 20,530,910 Surface totale du royaume. . . . 105,000,000 53,625,600 LtV. I. DK L\ PUOPR1ETE TERRITORIALE. 17 » En examinant ces données statistiques , on trouve qu'aucune d'elles n'avait été acquise par des investiga- tions locales, et qu'elles n'étaient qu'une suite de déduc- tions tirées de l'hypothèse, qu'on peut connaître l'éten- due des terres labourables d'un pays par le nombre plus ou moins exact de ses charrues. C'est ce qu'avaient déjà imaginé quelques-uns des intendants des provinces, en s'efforçant d'exécuter les instructions de Louis XIV ; et l'on voit avec étonnement, qu'à la distance d'un siècle, la statistique agricole était encore réduite à un tel expé- dient, et qu'elle n'avait fait, en réalité, aucun progrès pendant cette longue période. » Cette grande entreprise dut trouver des facilites plus nombreuses quand, en 1810, Napoléon ordonna l'exé- cution d'une statistique générale de la France. Alors l'œuvre capitale de la division du territoire par départe- ments, les opérations du cadastre, l'asiefcte régulière des impôts, les recensements de la population, une adminis- tration centralisée, et la diffusion plus étendue de l'in- struction publique, étaient des auxiliaires qui pouvaient la servir utilement. » Toutefois, on exagéra extraordinairement les effets de ces avantages, lorsqu'on adressa, par une circulaire, trois cent trente-quatre questions statistiques à chacun des préfets, et qu'on exigea des fonctionnaires qu'ils en don- nassent la solution en deux mois, sous peine de desti- tution. Le gouvernement fut trompé complètement dans son attente ; car trois ans après, ayant voulu exposer la situation de l'empire, il fut obligé d'emprunter aux in- ventaires de l'administration des droits réunis les chiffres relatifs aux vignes et à leurs produits, et il ne put donner sur la récolte des céréales, uu'un tableau sommaire où ï. 2 18 DE LAGMCULTUnK HN FtfAjSpE, toutes les espèces sont confondues ensemble , à tous égards, et dans lequel un seul chiffre exprime tous les nombres appartenant à dix ou douze départements. Cette forme, qui fut sans doute nécessitée par l'imperfection des matériaux, ôte toute valeur à ce document, puisqu'elle ne permet de comparer en rien, ni la production d'un dépar- tement, ni celle d'aucune espèce de céréale. Elle ne laisse pas même connaître la totalité des récoltes attribuées alors à notre territoire; car elle mêle aux quatre-vingt- six départements de l'ancienne France les quarante-cinq autres qui lui avaient été réunis, et dont les récoltes, par suite de cette confusion, ne peuvent en être séparées. » L'entreprise de la statistique de la France et la direc- tion qui en était chargée furent supprimées en 1814 ; et la nouvelle administration, qui ne leur épargna pas les repro- ches, résolut de procéder différemment en ce qui concer- nait l'agriculture. Au lieu de tableaux numériques, dont l'exécution était, disait-elle, trop difficile , elle demanda des cahiers d'observations; des situations, auxquelles elle donna le titre bizarre de comptes-moraux. Néanmoins, dès l'année suivante , la nécessité politique d'avoir quelque idée des subsistances disponibles pour la popu- lation du royaume , la fit revenir aux chiffres dont elle avait blâmé l'usage. Dès lors s'établit celui de demander aux préfets des rapports annuels sur les récoltes des cé- réales de leurs départements. Ces rapports, et surtout la collection des prix locaux donnés par les mercuriales, fournissent de3 renseignements qui, dans quelques occur- . -s, peuvent être utiles à l'administration ; niais ils ne constituent point une statistique agricole, comme quel- ques publicistes l'ont supposé, et, pour en être convain- cu, il suffit de considérer leur mode d'exécution. Ll\. I. UK I.V PROPRIETE rGKRITORiALE. I) » La première pièce de cette information manifeste son caractère et. sa portée; c'est un tableau envoyé annuel- lement aux préfets, a dater de 1815, et. qui contint dans ses colonnes huit séries de questions. La première : « Quelle est la population de votre département? » attend una réponse directe et décisive; et en effet le recense- ment, qui remonte du moindre hameau jusqu'à la plus grande ville, donne le pouvoir de satisfaire à cette de- mande par un chiiïre certain. Mais pour les autres ques- tions, dont l'objet n'a jamais été soumis à des investiga- tions semblables, les interrogations sont rédigées d'une tout autre manière. Elles portent textuellement : « A » combien d'hectolitres évaluez-vous le produit de la ré- > coite en froment, en meteil, en seigle ?— A combien éva- » luez-vous la quantité de grains nécessaire annuellement » à la consommation de votre département? — A combien < d'hectolitres évaluez-vous l'excédant des ressources " sur la consommation, ou le déficit existant dans ces » ressources? — A combien évaluez-vous la quantité de •' grains nécessaire pour la nourriture des habitants, celle pour la nourriture des animaux domestiques, etc. ? < » Ni l'expression, ni le sens de ces interrogations ne permet de croire qu'elles puissent réclamer autre chose que des évaluations en masse laissées entièrement à la discrétion des préfets; et il faut bien qu'il en soit ainsi quand on leur demande de séparer, dans la production de telle ou telle céréale, la quantité consommée par les am- ,;.aux de celle qui est consommée par les hommes ; opé- ration qui est pratiquement de toute impossibilité, et qui ne peut être tentée que par le moyen d'estimation arbi- traire, tout à fait en dehors des limites de la statistique. » Les chiffres envoyés en réponse par les préfets, ne '■M DI'J L AGRICULTURE EW IRANCi:. peuvent avoir aucune autre origine; car, à l'exception de la vigne, le cadastre ne fournit aucune donnée sur l'éten- due des cultures; les rôles des impositions n'en donnent point sur la production agricole, et les octrois n'indiquent que les consommations des grandes villes, dont encore une notable partie échappe à leur action. Ainsi les docu- ments officiels ne procurent point de lumières sur l'agri- culture, et, pour en acquérir, il fallait une exploration spéciale qui, jusqu'en 1838, n'a jamais été ni tentée ni même projetée. » Lorsque'fcette exploration fut instituée et prescrite, chacun de ceux qui devaient y concourir se récria sur l'im- possibilité de son exécution. Or, si elle avait existé, rien n'était plus facile que de la reproduire, et puisque tout était à faire, c'est qu'on n'avait jamais cessé de tout igno- rer. On ne connaissait, en réalité, ni l'étendue des cultu- res, ni la quantité des semences qu'elles exigeaient, ni celle des produits qu'elles rapportaient; et les nombres assignés à chacune de ces choses étaient des évaluations a tout hasard, et privées de toute base rationnelle. On peut les apprécier exactement par ce fait remarquable que tel administrateur, qui, depuis 1815, a fourni vingt-trois fois le chiffre des récoltes d'un département, n'aurait pu don- ner celui d'un arrondissement ou seulemen t d'une com- mune. C'est qu'il est très -aisé d'énumérer des masses quand on ne tientnul compte de leurs éléments, et qu'au contraire il est fort difficile d'arriver par l'analyse des élé- ments à la connaissance de la composition des masses. » 11 résulte de ces faits : •> 1° Que, pendant tout le 18c siècle, la statistique agri- cole a tiré exclusivement ses termes numériques d'un sys- tème d'induction si large, que de l'observation d'un ter- LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 21 ritoire d'une lieue carrée on concluait la détermination de toute la surface de la France; que du nombre des charrues on inférait retendue des cultures ; et qu'en com- parant le poids et la superficie de la carte du royaume, on en déduisait la division physique et agricole du pays. » 2° Que, dans des temps moins éloignés, on a substitué à ce système d'induction celui d'évaluations arbitraires, qui donnent d'emblée les totaux de toutes choses, en lais- sant tout à fait inconnus les nombres partiels dont ils doivent être essentiellement formés. D'où il suitque tandis qu'il ne manquait pas en apparence une seule donnée à la statistique agricole d'unîdépartement, il n'en existait aucune sur les différentes parties dont se compose son territoi re. » 11 était réservé, Sire, au règne de Votre Majesté, devoir ramenées enfin dans de meilleures voies, après un siècle et demi de tentatives infructueuses, les investigations qui doivent faire connaître avec certitude et précision l'agri- culture de la France, ce premier des intérêts de l'Etat, cette belle science qui nourrit le peuple , et qui a tou- jours excité les plus vives sympathies de Votre Majesté. 2° Moijens d'exécution de la statistique agricole actuelle. » Le programme de la statistique générale de la France, que Votre Majesté daigna accueillir en 1835, indiquait l'agriculture comme l'une des principales parties de cette grande entreprise, et comme devant prendre place après celles qui faisaient connaître le territoire et la population. Une circulaire du 12 juillet 1836 ordonna aux préfets d'en préparer les matériaux , et leur prescrivit les mesures qu'ils devaient prendre pour arriver à cet objet. !2"2 DK LAGRICULTl RE fejN IHAiNCE. » [/expérience avait enseigné comment, avec la puis- sauce de Louis XIV et la volonté de Napoléon, on pouvait fie pas réussir à exécuter la statistique agricole de la France ; mais elle n'avait indiqué dans aucun pays de l'Europe par quelles dispositions il était possible d'y par- venir. 11 fallut en faire le sujet d'études nouvelles et sé- rieuses, qui conduisirent à considérer, comme étant les principes de la matière : » 1° L'extension des recherches jusqu'aux premiers éléments des nombres, afin d'arriver au plus haut degré de certitude possible ; » 2° L'usage de tableaux dressés uniformément, rem- plis sur les lieux par des chiffres, et certifiés par les fonc- tionnaires qui les ont exécutés; » 3° Une limitation restreinte delà nomenclature deces tableaux, afin que l'étendue du travail ne donne ni mo- tifs ni prétexte pour trouver impossible de l'entreprendre; » 4° Un choix dans les chiffres demandés, qui, pour en diminuer le nombre, exclut ceux qu'on peut obtenir par une déduction rigoureuse, telle que la valeur totale des produits, qu'il est facile de connaître quand on sait quels sont leur quantité et leur prix ; » 5° La multiplication des moyens de révision, de cor- rection et de contrôle , appliqués aux résultats de toutes es opérations sueeessives dont se compose l'investi gâtion. le but et l'utilité deces dispositions seront mieux appréciés par leur application pratique que par leur sim- ple énonciation. > Deux méthodes fort différentes pouvaient être em- ployées dans Pentreprisè de la statistique agricole de la France. L'une. t>rou" te et facile, crmstëte dans des éfa« LIY. I. DE LA PUOl'UlLiE TEUlUTUlllALE. '23 luations de toutes choses, faites en masse, par départe- ment, et plus ou moinsarbitraires. L'autre, longue et com- pliquée, procède au contraire, en recueillant, jusque dans les moindres localités, les données qui lui sout nécessai- res; et c'est en groupant les chiffres de toutes les com- munes que sont formés successivement ceux des cantons, des arrondissements, des départements, des régions , et enfin ceux du royaume entier. Cette méthode ayant été considérée comme la seule qui soit rationnelle, il a été résolu de l'employer pour faire exécuter, dans chacune des 37,300 communes de la France, un cadastre de son domaine agricole, un inventaire de ses produits ruraux, un recensement de ses animaux , et un tableau de ses consommations. .. Pour atteindre à ce but , des instructions ont été adressées aux préfets et transmisas par eux à chacun des sous-préfets et des maires, avec les modifications qu'exi- geait la diversité des lieux. Aces instructions était joint un tableau modèle, dont elles prescrivaient de remplir les colonnes par des chiffres, exprimant en mesures métri- ques, ou en monnaie décimale, l'étendue de chaque es- pèce de culture, des pâturages et des bois, — la quantité et la valeur de leur produits annuels, — et la quantité de chaque sorte de consommation. Le revers de ce tableau indique le nombre des différentes espèces d'animaux do- mestiques, — la valeur de chacun d'eux, — et leur re- venu annuel, moyen et total. Ces données sont complé- tées par celles du nombre des animaux abattus, et par tout ce qui est relatif à la consommation de la viande, soit en quantité ou en valeur , soit en totalité ou par ha- bitant. » Tous les termes numériques réclames pour chaque ï'\ DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. commune ne s'élèvent au plus qu'à 36 ; et dans les lieux où les cultures sont peu variées, ils sont réduits à 30, c'est-à-dire, au onzième du nombre des questions statisti- quesauxquelles il fallait répondre par des chiffres, d'après le programme de 1810. Mais, quelque limitées et simples que soient ces données, le grand nombre de personnes appelées à les fournir a dû faire prévoir le cas où leur re- cherche ne trouverait pas une capacité ou un zèle suffi- sant. Les instructions ministérielles , en investissant le maire de chaque commune de la mission d'en dresser le tableau agricole, ont donc statué que, s'il avait besoin de collaborateurs ou de suppléants, le préfet désignerait à cet effet le directeur des contributions directes, le percep- teur, les agents forestiers, l'instituteur primaire, ou tout autre fonctionnaire public, et qu'il réclamerait l'aide et le concours de tous les citoyens notables , particulière- ment de ceux qui composent les comices agricoles et les sociétés d'agriculture. Cette confiance n'a point été déçue, et dans une multitude d'occurrences, des habitants nota- bles des campagnes, des hommes éclairés, mais étrangers à ce genre de travail, des médecins , des juges-de-paix, des ecclésiastiques, ont prêté volontiers leur assi £Jfo i et ont donné à ces recherches des soins assidus et dé- voués. Néanmoins, une si vaste entreprise, exécutée pour la première fois, et lorsque les connaissances statistiques sont encore si peu répandues, devait rencontrer néces- sairement de grands et nombreux obstacles. Dans plu- sieurs endroits les enquêtes ont été reçues avec défiance, comme devant servir à quelque projet fiscal ; mais ces fausses idées ne se sont point accréditées. En général les 'lilliculiés oui siirui dans les communes rurales : par la L1V. J. 1)E LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 25 (endanceà ré pondre plutôt par des mots que par des chif- fres; par le défaut de notions des mesures métriques; par l'usage commun de caractères presque illisibles ; et surtout par la nouveauté du travail, qui faisait exagérer la puissance du moindre empêchement. Ailleurs, les dif- ficultés ont eu pour causes : l'opinion qu'une telle entre- prise devait être nécessairement exécutée , comme le cadastre, par des agents spéciaux et salariés; — la pré- vention, qui faisait regarder la plupart des maires des campagnes comme incapables d'un travail de chiffres ; — une disposition opiniâtre à modifier le plan général, d'a- près une multitude de points de vue particuliers ; — le défaut d'achèvement du cadastre; — et jusqu'à la nomen- clature des différentes sortes de surfaces du territoire, qui, dans un pays aussi vaste, ne peut être exempte de variation , d'incertitude et de confusion. Il n'est pas inu- tile de signaler ces difficultés, afin de les prévoir une au- tre fois et d'en prévenir les effets. » Pour obvier à celles qui consistent dans des omis- sions ou des erreurs de chiffres, les préfets ont soumis les tableaux des communes à des commissions de révision, formées par cantons et par arrondissements , et à une commission centrale, créée au chef- lieu du départe- ment. De grandes améliorations ont été introduites, dans le travail, par ces réunions d'hommes éclairés /possé- dant la pratique de l'agriculture et la connaissance des localités. > Obtenir de toutes les parties de la France, sans une seule exception, les 37,300 tableaux de la statistique agri- cole, était sans doute l'opération la plus difficile de celte vasteentreprise ; mais il en fallait une autre presqu'éga- lement longue et ardue, pour utiliser ces matériaux ; c'é- 1ê HE LAGRICLLTUUE EN FKA.NCE. tait l'opération de leur dépouillement et de leur transfor- mation. » On ne pouvait, en effet, songer à publier une statis- tique par communes, car elle aurait formé une bibliothè- que de deux cent cinquante volumes in-4° de 300 pages chacun ; et les résultats, qu'il importe tant de connaître, auraient été ensevelis sous la masse énorme des détails. Pour réduire le travail à des proportions convenables, il a fallu décomposer, chiffre par chiffre, les tableaux des communes et en former des tableaux d'arrondissements divisés par nature de produits. Ainsi les chiffres de dix- neuf mille communes de la France orientale ont été ré- duits de manière à être représentés par ceux de cent soi- xante-dix-sept arrondissements ; et huit cent trente mille termes numériques se trouvent convertis en huit ou neuf mille par les additions partielles de leurs éléments. Par exemple, pour ce qui concerne uniquement le froment, d»iux cent quatre-vingt-neuf lignes fournies par l'arron- dissement de Laon sont résumées en une seule, et tous les chiffres, exprimant les détails de cette production, dans les huit cent trente-neuf communes du département de l'Aisne, sont analysés en six lignes dans un tableau qui en expose lidèlement et avec taeiditi les résultats géné- raux. » Au lieu donc d'arriver d'em . ma -estimation arbitraire, à attribuer, comme autrefois, à un départe- ment une production dont la distribution locale n'avait pas même été- recherchée, on remonte, par la méthode suivie dans ce nouveau travail, des chiffres des commu- nes à ceux de l'arrondissement, et de ceux de l'arrondis- sement aux termes généraux, qui font connaître l'agricul- ture du département. LIV. I. DE LA l'KOPUIÉTE TKKRi IOR1ALE. 27 » Sans doute, des opérations numériques aussi éten- dues exigent de grands et persévérants efforts ; mais, outre l'avantage de conduire au but proposé, elles ont encore celui d'agir, comme la pierre de touche, sur les chiffres soumis à leurs épreuves multipliées. Quelques détails succincts montreront quelles sont ces épreuves. » Dans les tableaux des communes, on trouve enregis- trée inévitablement dans la même colonne la production de chacune des diverses cultures. Les chiffres qui l'ex- priment, n'ayant aucun rapport entre eux, n'offrent au- cun moyen de comparaison. Mais les tableaux de dépouil- lement sont pour cet objet d'une tout autre valeur; ils sont divisés par nature de produits, et exposent dans le même cadre, en séries continues , les quantités de fro- ment, de méleil , de seigle, d'orge, etc., données par chaque commune, par telle étendue de culture. Cette étendue, les quantités de semences et de produits, leur prix et leur consommation, sont rapprochés de façon à faire ressortir toute omission, et à rendre apparente toute exagération en plus ou en moins. Ce sont ces témoignages, qui servent à la correspondance journalière du bureau de la statistique générale, pour demander dans, les départe- ments , des vérifications ou des rectifications qui ont lieu dans les localités mêmes où les erreurs ont été commises. » Les tableaux d'analyse, les seuls qui sont livrés à l'impression , fournissent des moyens de révision en- core plus nombreux et plus puissants. Ils sont formés de toutes les additions des tableaux de dépouillement, cl meltent en regard tout ce qui est relatif à choque sorte de culture. On y trouve cinquante espèces de 4ô£ii$ès statistiques jiui sont répétées jâbur ^chaque ar- 28 DE L A G IU CULTURE EN FRANCE. rondissement , et qui exercent les unes sur les autres un contrôle mutuel. Par exemple, en rapprochant du chiffre de la production totale celui de l'étendue de la culture , et en divisant le premier par le second, on obtient la quantité de produit par hectare. Cette quan- tité donnée en hectolitres et en parties d'hectolitre est indiquée dans une même colonne pour tous les arron- dissements ; et dès lors il s'établit entre eux une com- paraison qui ne permet à aucun -chiffre trop faible ou trop fort d'échapper à un examen attentif. » La conversion des quantités en valeurs , par l'ap- plication des prix moyens , corrobore cette épreuve ; car en faisant connaître quelle somme on obtient de la culture d'un hectare dans un arrondissement , elle four- nit une donnée qui doit être analogue à celle qu'on tire d'une pareille opération pour les arrondissements voisins. » Il faut remarquer que le fil de cette analogie est quelquefois rompu brusquement , dans les lieux dont la production s'élève ou s'abaisse extraordinairement. Mais ce sont des exceptions dont la cause est facile- ment trouvée dans une fertilité supérieure bien con- nue, telle que celle de l'arrondissement de Meaux, ou dans le voisinage des grandes villes qui fournissent à la culture d'abondants engrais. » Ce n'est pas à dire que ces épreuves puissent ré- véler une faible atténuation de la production, comme le déficit d'un hectolitre par hectare. Mais elles garan- tissent qu'aucune erreur considérable ne peut s'intro- duire dans cet inventaire de notre richesse agricole ; et lorsque, dans une pareille matière, on peut se flat- ter d'arriver si près de la vérité, qu'il n'y a plus de •chance d'en être séparé -que par un 15e de la distance LIV. î. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 1>U parcourue, on peut croire avoir atteint un degré d'e- xactitude qui n'est pas moindre que celui des docu- ments statistiques , qui ont obtenu l'approbation de la science et l'estime du public. » J'ose espérer, Sire , que vous me pardonnerez ces détails techniques, en reconnaissant que c'est par eux qu'on mesurera le degré de certitude de tant de faits essentiels à la prospérité de la France, cet objet de la constante sollicitude de Votre Majesté. 3° Résultats. » Après avoir rassemblé, par le concours de plus de cent mille collaborateurs, environ dix-huit millions et demi de termes numériques , exprimant des faits agricoles et sociaux , il restait à remplir une tache beaucoup moins vaste , sans doute, mais, s'il se peut, bien plus difficile encore ; celle de classer les résul- tats de tous ces éléments dans l'ordre de la plus grande liaison des choses et des idées, et de les ex- poser d'après une méthode simple et naturelle, qui permît d'en saisir l'ensemble et les différentes parties, de les étudier, sans être obligé de les soumettre à des transformations, et d'y puiser rapidement sans peine des objets de recherches nombreux et variés. Si l'on ne peut se flatter d'avoir satisfait à toutes les conditions de ce problème, on peut assurer du moins qu'on n'a rien né- gligé pour introduire dans ce prodigieux amas de chif- fres l'ordre et la clarté. » Pour décrire agronomiquement la France, il s'of- frait d'abord une division des matières très-facile, qui consistait à enregistrer , sous le titre de chacun des départements, tous les chiffres qui lui appartiennent, 30 DIC L AGRICULTURE EN FRANCE. et à mettre toutes ces statistiques départementales à la suite les unes des autres , dans l'ordre alphabéti- que ; mais par cette distribution on n'eût ohlenu que des notions locales ; la connaissance des faits géné- raux aurait échappé, et il aurait été d'autant plus dif- ficile d'en trouver la trace, que Tordre alphabétique aurait rompu toutes les affinités naturelles , en rap- prochant les départements les plus éloignés, et en éloi- gnant les plus rapprochés. L'ancienne division par pro- vinces n'aurait pas été plus favorable ; et quand bien même elle n'eût pas été totalement hors de question, où L'aurait repoussée, car elle partageait le territoire en parties trop nombreuses et trop inégales , qui ne permettaient d'établir entre elles aucune comparaison. » Dans la nécessité de grouper les départements par régions, pour conserver leur rapport de climat, de sol, de positions géographiques et toutes les autres analo- gies existant entre des populations limitrophes , on a cherché une division large et très-simple, d'une con- ception et d'un souvenir faciles, et tirant sa base de l'ordre naturel. Le méridien de Paris , qui sépare -la France en deux parties presque égales, et le 47e paral- lèle, qui le coupe précisément au centre du royaume, ont fourni le tracé de cette division par laquelle le territoire est partagé en quatre régions, contenant cha- cune vingt-et-un ou vingt deux départements, et ayant à très-peu près la môme étendue et la même population: circonstance essentielle , puisqu'elle rend possible de comparer ensemble les différentes parties du pays, soit j'une avec l'autre, soit deux à deux. Ainsi, de même que l'agriculture de chaque région peut être comparée a c( • :;■ les trois autres régions séparément , on peut LIV. I. L)i; LA PROKJilJSJTE TJmiUTOHilALE. 31 encore, si l'on en reunit deux ensemble, comparer une moitié de la France avec l'autre moitié, et montrer les analogies et les différences qui existent entre elles, soit qu'on oppose le territoire oriental au territoire occiden- tal, soit qu'on rapproche les départements du nord de ceux du midi. » Des subdivisions, qu'on peut admettre ou rejeter à volonté, sont données par ia considération du gisement. Elles rassemblent, dans chaque région, les départements qui bordent les frontières ou les côtes , et ceux qui appartiennent à l'intérieur du pays. II importait de con- stater si ces dissemblances dans la position géographique exercent sur l'agriculture une aussi grande influence que celle qu'elles ont sur la population. chacune des quatre grandes divisions du ter- ritoi rois séries de tableaux statistiques reprodui- sent ions les faits agricoles sous des points de vue dif- férents. » La première série concentre ces faits dans cha- cun des départements auxquels ils appartiennent. C'est une topographie statistique de l'agriculture. » La seconde série énumère tous les o ts ru- raux; chacun d'eux y est l'objet d'un tableau ■.«Via!, et l'indication des localités ne vient qu'en seconùe li- gne. Néanmoins, elle reçoit ici un développement dont il n'y avait point encore d'exemple. La production de chaque sorte de culture est exprimée non-seulement par département, mais encore par arrondissement; ce qui forme une masse de détails complètement inédits. » La troisième série récapitule à la fois les deux au- tres par départements et par produits ruraux. Toute- lois, elle iu» se borne poinl à en résumer les chiffres; elle :V2 DE L 'AGRICULTURE EN FRANCE. les distribue de manière à montrer quels sont les princi- paux éléments de l'économie agricole d'une région. » Elle énonce dans une suite de tableaux, l'étendue des cultures, les semences qu'elles exigent, la quan- tité de produits qu'elles fournissent, celle qui est dis- ponible, celle qui est consommée annuellement, et enfin la valeur de chacune de ces classes soit totale, soit par hectare. ■> Ces trois éries sse complètent les unes les autres. Elles se contrôlent mutuellement ; et, en effet, il serait difficile que des chiffres, considérés sous tant d'aspects, ne décelassent pas les erreurs qu'ils contiendraient. S'il en est qui soient exceptionnels, l'observation les trouve et les saisit aisément au milieu de ces évolutions multi- pliées , et l'on peut reconnaître par quel phénomène est interrompue la chaîne des analogies. » Outre leur but commun et général, ces séries, qui se composent de plus de 200 tableaux statistiques, satis- font chacune séparément à un besoin particulier de la science et du pays. La première est réclamée par la géographie de la France, la seconde par l'agriculture, la troisième par l'économie politique, qui depuis long- temps appelle de tous ses vœux les importantes notions qu'elle doit y trouver. » Les faits numériques dont est formée la statistique de l'agriculture sont rattachés dans un ordre constant à chacune et à toutes les divisions du territoire, de- puis l'arrondissement qui ne contient pas 150,000 hec- tares, jusqu'à la double région qui en comprend plus de vingt-six millions. » Paris, 30 mai 18/t0. Sitjnr Al.. fîOUIN. L1V. 1. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 33 Le ministre termine son rapport en résumant ces faits le plus succinctement possible pour une double région. Mais comme le travail est aujourd'hui complet pour toute la France , on en trouvera l'analyse dans les chapitres suivants. 34 PB L AGIUCLLTLKE EN *11Ai\CK. REMARQUES. Il est un fait dont la notion est très-peu répan- due, quoique consigné dans le premier chapitre de la Genèse, c'est que Dieu adonné à riiomme la terre couverte de subsistances. Si nous suivons Tordre de la création, nous voyons d'abord la for- mation du règne végétal, ensuite des poissons, des oiseaux , des bestiaux et des autres animaux. Ayant ainsi tout préparé pour la nourriture de T homme, Dieu le créa le dernier. Il fallait bien que les choses fussent ainsi , puisque l'intention divine était que les hommes se répandissent sur toute la terre. Et comment auraient-ils pu le faire si, avant de quitter les lieux qui les avaient vus naître, il eût fallu emporter avec eux un approvisionnement dune année pour leur nourriture, et les semences nécessaires pour assurer celles de Tannée suivante ? Aujourd'hui encore, comme à l'époque de la création , les lieux , où les peuples ne se sont pas encore établis, sont couverts de vastes forêts dont les arbres produisent annuellement certains fruits, et dont l'abri sert de refuge aux animaux ; ces forêts sont entrecoupées de clairières, qui servent de pâture aux bestiaux ainsi qu'aux oiseaux. Dans LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 35 certaines contrées, telle que l'Amérique méridio- nale, le nombre des bestiaux s'est multiplié à un tel point que souvent ils encombrent le passage des voyageurs. La terre présentée ainsi aux hommes, ils ont pu entreprendre son défrichement : mais tous les peuples ne l'ont pas fait d'après les mêmes prin- cipes. Les nations savantes sont les plus anciennes dont l'agriculture nous soit connue. Nous n'avons que très-peu de détails sur celle des Chaldéens ; mais le système des Egyptiens en agriculture nous est aujourd'hui aussi connu que s'il existait en- core. Nulle famille particulière ne pouvait posséder aucune partie du sol : il appartenait tout à l'Etat, et certaines familles étaient, dans un ordre hiérarchique, chargées de le cultiver. Ce royaume fut donc traité comme une seule exploi- talion. Le Nil et la vallée dans laquelle il coule, ayant deux ou trois cents lieues de longueur, furent étudiés à chacun de leurs étages. Les savants, qui procédaient à ces études, n'avaient aucun motif pour sacrifier les intérêts de ceux qui habitaient près des sources du fleuve, aux in- térêts de ceux qui habitaient près de son embou- chure. L'intérêt général devenait leur seul guide. Ce n'est pas, après Bossuet, le plus grand des écrivains, que nous entreprendrons d'ajouter aux descriptions qu'il a déjà faites. Il avait profondé- ment étudié et encore plus profondément médité 36 L>E L AGRICULTURE EU FRANCE. tous les auteurs qui , depuis Moïse jusqu'à Poiuponius Mêla , ont parlé de l'Egypte. Ce qu'ils n'ont pas dit, il l'a deviné, et nous croyons qu'il a deviné juste. Ecoutons : « Ceux qui ne savent » pas jusqu'à quel point on peut ménager la » terre , prennent pour fable ce qu'on raconte » du nombre des villes d'Egypte. La richesse » n'en était pas moins incroyable. Il n'y en avait » point qui ne fût remplie de temples magni- » fiques et de superbes palais. L'architecture » y montrait partout cette noble simplicité, et » cette grandeur qui remplit l'esprit. De longues » galeries y étalaient des sculptures que la Grèce » prenait pour modèles. Thebes le pouvait dis- » puter aux plus belles villes de l'univers. Ses » cent portes chantées par Homère sont connues » de tout le monde, etc., etc. » Comment Bossuet, sans préambule, sans ana- lyse, franchissant d'un seul bond toutes les idées intermédiaires, vient-il attribuer au succès de l'agriculture le succès de l'architecture dans la grandeur et la multiplicité des villes, des palais, des colonnes, des statues, des obélisques, des pyramides, des labyrinthes et des sépultures ? Qui a dit cela avant lui? Et si ce n'était l'exemple de F Angleterre depuis 50 ans, comment com- prendrions-nous aujourd'hui même, que de l'art de ménager la terre, dépendent les succès de l'a- griculture et de tous les autres arts de la vie? Dans LIV. 1. DE LA. PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 37 sa modestie, il donne même comme vérité recon- nue, comme axiome public ce que lui seul savait, et cela au même moment où Colbert avait pro- duit une grande excitation dans l'esprit public en organisant les éléments de l'industrie, de la navi- gation et du commerce ; et dans le moment où le pavillon français commençait à se montrer dans les pays nouvellement découverts. Bossuet fut si profondément frappé du système de l'agricul- ture en Egypte qu'il émit le vœu que Louis XIV fit explorer ce pays. « Maintenant que le nom » du Roi pénètre aux parties du monde les plus » inconnues et que ce prince étend aussi loin les » recherches qu'il fait des plus beaux ouvrages de » la nature et de l'art, ne serait-ce pas un digne » objet de cette noble curiosité, que de décou- » vrir les beautés que la Thébaïde renferme dans » ses déserts, et d'enrichir notre architecture des » inventions de l'Egypte ? » Ce vœu a été rempli depuis, et la magnificence des monuments qu'on a trouvés, a répondu à la magnificence de ses paro- les. Comment ne pas s'émerveiller de ce qu'un pays, qui ne contient qu'un sixième de la superfi- cie de la France, put nourrir vingt-cinq millions d'habitants, tenir 400,000 hommes de troupes, et par un caprice de Sésostris , conquérir le monde connu jusqu'au delà du Gange? ses armées marchèrent ensuite de l'Euphrate au Danube et revinrent au bout de neuf ans chargées de dé- pouilles. 38 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. On conçoit que sous un système où chaque famille exerçait une profession pour le compte et au profit de l'État, et où personne ne pou- vait en changer, ni en ajouter une autre, l'Etat seul pouvait s'enrichir. Mais s'il n'y avait point de familles riches, il n'y avait point de pauvres, puisque les aliments et toutes les choses néces- saires à l'existence étaient distribués par l'Etat à chaque famille, sans en excepter celle du Souve- rain, comme cela se pratique en Europe à l'égard des troupes. Ce système, le plus beau et le plus solide auquel l'espèce humaine ait été soumise, dura 1,600 ans et fut ensuite détruit par les invasions des Perses et des Romains. Parmi les modernes il n'a été renouvelé qu'au Paraguay par les jésuites. L'inondation, seul principe de la fertilité du sol , devait être réglée , quant à sa durée et à son élévation. Tout le pays était divisé en grandes zones par d'immenses digues combinées avec les barrages établis dans le lit du fleuve, depuis ses étages supérieurs jusqu'à la mer. Pour exécuter ces travaux, pour les entretenir, pour ouvrir et fermer chaque barrage et verser ainsi sur chaque zone la hauteur d'eau nécessaire et la maintenir le temps voulu, le pays était soumis à des lois qui lui imposaient de telles servitudes que la force des choses en avait fait comme une seule propriété territoriale sous la riiain d'un seul chef. LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 39 On comprend pourquoi on ne cultivait que le règne végétal , quoiqu'il épuise la terre : le limon , que déposaient les inondations , répa- rait annuellement l'épuisement que le sol avait éprouvé. Ce système de culture était tellement exclusif que la Genèse nous dit que les Égyptiens avaient en abomination les peuples pasteurs. Il est vrai que leur voisinage ne se composait que de ces peuples, nomades et pasteurs, contre lesquels il fallait constamment se défendre. Mais ce plan de faire d'un royaume une seule propriété ne pouvait être applicable aux peuples du Nord , auxquels les pays couverts de forets fournissaient des bestiaux en surabondance. Ces peuples furent régis par deux systèmes qu'il faut signaler. Les Norwégiens , les Suédois, les Danois et les peuples de la rive droite de l'Elbe ne con- naissaient qu'un système féodal absolu , c'est-à- dire que les seigneurs des fiefs n'avaient pas le droit de faire à leurs vassaux aucune concession perpétuelle de terres. Lorsque, dans le cinquième et le sixième siècle, les Romains, pour se défen- dre chez eux contre l'invasion des barbares, reti- rèrent leurs troupes de l'Angleterre , les Danois l'envahirent ret la soumirent à leur système territorial sans exception. Il en fut de même lorsque dans le neuvième et le dixième siècle ils finirent par s'établir en Normandie. 40 DE L'AGRICULTURE EN FRANCK. Guillaume le Conquérant, ayant débarqué en 1060 et gagné la bataille de Hastings, s'empara de tous les fiefs que possédait la couronne, lais- sant les seigneurs Anglo-Saxons en possession des leurs ; mais ceux-ci , soutenus par les Écos- sais , prirent les armes contre lui. Guillaume les ayant vaincus fut inexorable contre eux. Tous les prélats comme tous les seigneurs furent dé- pouillés de leurs biens; il distribua entre les chevaliers normands les fiefs confisqués, et encore aujourd'hui , ils sont possédés par leurs descen- dants. Lorsque les Européens ont découvert les deux Amériques, les gouvernements se sont éga- lement regardés comme seuls propriétaires des terres du pays, et les ont concédées à des particu- liers, gratuitement d'abord, puis à titre onéreux quand la population s'est accrue. Les propriétaires ne cultivant pas eux-mêmes ne firent que des concessions temporaires aux cultivateurs. Ce système fut d'abord absolu , mais il se relâcha sous Cromwell ; à cette époque , les propriétaires des fiefs furent forcés de laisser les aventuriers, que la guerre civile avait créés, s'établir sur les bords des communaux, en leur abandonnant quatre ou cinq arpents du sol. Le nombre de ces familles, sous le nom de borderers, s'était élevé en Angleterre à plusieurs centaines de mille, lorsque les lois de clôture les induisirent à vendre leurs propriétés foncières. Tout le sol LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 41 s'est donc trouvé de nouveau aggloméré entre les mains des grands propriétaires. On peut voir dans le 2e volume des Extraits des Enquêtes, quel a été l'effet de cette agglomération. Le 3e et dernier système que le sujet nous force à signaler, est celui qui régit encore à peu près tout le continent de l'Europe. Les peuples, qui habitaient l'espace entre l'Elbe et le Rhin sous le nom de Francs , envahirent les Gaules ; les chefs de ces peuples prenaient les deux tiers du sol , et en laissaient un tiers à leurs vassaux. Il en était de même des peuples situés sur les bords de l'Oder et du Danube, enfin de tous ces peuples auxquels les Romains donnaient le nom de barbares, parce qu'ils n'avaient pas pu les conquérir ou en conserver la conquête. Ces derniers envahirent l'Italie et l'Espagne. Ayant imposé aux peuples envahis leurs lois, il se trouve qu'aujourd'hui tout le continent de l'Europe est régi par le même système territorial , sauf quel- ques modifications peu importantes que le temps et les révolutions ont apportées. Il suffit de dire que dès l'établissement des souverainetés sur le continent de l'Europe , le tiers du sol a pu être légalement acheté par 100 arpents, et vendu ou divisé par dix, cinq, ou même un arpent; que, d'après ce système, ce tiers du sol s'est vu bientôt couvert de nom- breuses familles et que leurs propriétés indivi- 42 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. duelles ont été un obstacle insurmontable aux travaux d'ensemble qu'exige la culture des deux autres tiers; que ces deux intérêts, toujours en présence, ont toujours été en hostilité, et qu'en résultat l'un des deux devait à la suite du temps triompher de l'autre ; et en effet la petite pro- priété , en Angleterre , a été absorbée par la grande, et en France, la grande par la petite; et cela sans exception dans l'un et l1 autre pays. Voilà les deux extrêmes : les autres États ont encore de grands et de petits propriétaires. Mais ou bien il faut repousser toutes les leçons de l'expérience, toutes les lois de l'analogie, ou bien dans un temps donné, les grandes propriétés auront dévoré les petites , ou les petites dévoré les grandes. Les enquêtes des Anglais nous ont développé les effets de leur système , et afin de donner à choisir aux autres Européens , nous présentons dans cet ouvrage les extraits des pièces officielles publiées en France. Ils pourront connaître les causes el les effets du système français L'humanité, a dit Pascal, est un homme qui apprend toujours. Cette assertion est vraie si elîe s'applique à l'homme en corporation , mais ra- dicalement fausse appliquée à l'homme comme individu, et le rapport cité ci-dessus en est une preuve. On peut croire les hommes quand ils s'accusent. Les ministres, qui ont coopéré à ce L1V. 1. DE 1A PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 43 beau et immense travail, ont été d'ardents pro- pagateurs des doctrines politiques que la ré- volution a fait triompher, et ils conviennent que le gouvernement et ses agents sont, depuis Louis XIV, dans les idées les plus fausses, ou dans la plus complète ignorance de la chose la plus essentielle pour la société, savoir, des pro- duits du travail du peuple et de ses ressources en subsistances, logements ou vêtements; de ma- nière que le ministère a été obligé de mettre 100,000 personnes à l'oeuvre pour obtenir quel- que lumière à ce sujet. Les vérités primitives étant oubliées, il a complètement raison ; mais il a tort lorsqu'il accuse le siècle de Louis XIV d'avoir été dans la même obscurité à cet égard. Sous Louis XIV, il existait des Etats de pro- vince, tels que ceux de Languedoc ou de Bre- tagne, qui avaient une connaissance approfondie des pays qu'ils administraient. Il existait des cor- porations des arts et métiers qui étudiaient jus- qu'aux plus petites fractions des produits en peaux, en cuirs, laines, ou graisses que la corporation devait manufacturer. Il y avait par- dessus tout, trois mille maisons d'ordres religieux répandues sur la surface de la France qui constituaient l'ordre moral et matériel de ses habitants ; et ces trois sortes de corporations, vieillissant sans mourir, s' enrichissant chaque année d'expérience, n'oubliaient rien, et apprenaient toujours, comme le dit Pascal. 44 DE LAGRICULTURE EN FRANCE. D'ailleurs, à cette époque, la dissolution de la France ne faisait que commencer. C'est aux maladies du corps humain que nous devons Fart et les découvertes de la médecine. Sous Louis XIV, les connaissances que donne la sta- tistique n'étaient qu'un objet de pure curiosité, tandis qu'aujourd'hui , elles sont d'une impé- rieuse nécessité ; et Dieu veuille que les con- naissances, que nous obtenons de nos fautes et de leurs résultats , puissent, nous en faire décou- vrir et appliquer le remède. CHAPITRE II. DU TERRITOIRE. La statistiqvie officielle divise la France en quatre régions à peu près égales comme il suit : « Le méridien de Paris et le 47e parallèle, qui forment la délimitation des quatre grandes régions du royaume, ne peuvent fournir nécessairement qu'un tracé géné- ral, el qui ne saurait avoir d'exactitude rigoureuse qu'en morcelant les départements, opération tout à fait inad- missible. Il s'ensuit inévitablement que la ligne des limites est dépassée, dans un sens ou dans un autre, par le territoire des départements. Pour obvier, autant que possible, à cet inconvénient , qui se retrouve d'ail- .leurs dans toutes les divisions territoriales dont le gise- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 45 ment est la base, on a posé comme principe que , sauf un petit nombre de cas exceptionnels, tout département appartiendrait à la région où se trouve son chef-lieu, et qu'on éviterait, s'il était possible, de séparer les dépar- tements limitrophes qui ont des analogies dans la nature de leur sol et de leurs productions. Voici les départements qui forment chacune des qua- tre régions. Nord occidental. — 21 départements. 9 départements maritimes : Somme , Seine -Inférieure , Calvados, Manche, Ille-et-Vilaine, Côtes-du-Nord, Finis- tère, Morbihan, Loire-Inférieure. 12 départements intérieurs : Oise, Eure, Seine-et-Oise, Seine, Orne, Eure-et-Loir, Loiret, Mayenne, Sarthe, Loir- et-Cher, Maine-et Loire, Indre-et-Loire. Nord Oriental. — 21 départements. 9 départements frontières : Nord, Pas-de-Calais, Arden- nes, Meuse, Moselle, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Doubs, Jura. 12 dépanements intérieurs : Aisne, Marne, Meurthe, Seine-et-Marne, Aube, Haute-Marne, Vosges, Yonne, Côte- d'Or, Haute-Saône, Cher, Nièvre. Midi Occidental. — 21 départements. 5 départements maritimes: Vendée, Charente-Inférieure, Gironde, Landes, Basses-Pyrénées. 13 départements intérieurs : Deux-Sèvres, Vienne, In- dre, Charente, Haute-Vienne, Creuse, Dordogne, Corrèze, Lot-et-Garonne, Lot, Gers, Tarn-et-Garonne, Tarn. 3 départements frontières : Hautes-Pyrénées, Haute-Ga- ronne, Ariége. 46 DE LAGK1CLLTLUE EN EKÀNCE. Midi Oriental. — 22 départements. 4 départements frontières . Ain, Isère, Hautes -Alpes, Basses-Alpes. % départements maritimes : Var, Bouches-du-Bhône,Gard, Hérault, Aude, Pyrénées-Orientales. 12 départements intérieurs : Allier , Saône-et-Loire , Bhône, Puy-de-Dôme, Loire, Cantal, Haute-Loire, Ardè- che, Drôme, Aveyron, Lozère, Vaucluse. L'étendue de chacune des espèces de sol qui forment le territoire de la France, varie beaucoup d'une région à l'autre. On trouve des éclaircissements sur cet objet TABLEAU, par région, de V étendue de chaque ÉTEXDUE EN" HECTARES ÉTENDUE du pays du pajs du pays du pays du sol du sol de Je plaines ou de de bruyères de riche de craie Nord occidental. . . montagnes. de coteaux. Diontagucsi ou de landes. terreau. ou calcaire. 336,3Q4 12,114,933 336,38u deuxième degré inclusivement. Seront observés pour l'exécution de cette disposition les articles 1051 et suivants du code civil jusques et y compris l'article 1074. » — Les deux premiers articles du projet qui établissaient un droit de primogéniture furent rejetés, et le troisième, relatif anx substitutions, passa sans altération, et conti- nue à être exécuté en Fratice. Ainsi, en substituant au premier degré la partie de ses biens dont il est permis de disposer, on peut charger la personne à qui l'on donne, de conserver et de rendre à ses enfants ; et en substi- tuant au second degré, on charge ceux-ci de conserver et de rendre à leurs propres enfants ou à tel de leurs en- fants. Le projet des ministres donna lieu à des discussions sur l'état de la propriété foncière en 1826. Nous allons présenter un extrait de ce qui a été dit d'officiel à ce sujet. « La commission nommée par la chambre, dit M. le rap- LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. %% porteur à la Chambre des pairs , a demandé au minisire de Sa Majesté les documents dont la connaissance pour- rait contribuer à déterminer le législateur. * Ces demandes ont eu principalement pour objet de savoir : » 1° Quel a été, dans un nombre d'années quelconque, le nombre des dispositions de la portion disponible, coril- parativement au nombre d'ouvertures de successions; » 2° Dans quelle quotité de fortune ces dispositions de la portion disponible ont généralement eu lieu ; » 3° Quel a été, depuis l'institution des majorats,et an- née par année, le nombre de ces actes ; » 4° Quel est le nombre de familles payant plus de 300 francs de contribution foncière; » 5° Si le partage égal a diminué, depuis dix ans, le nombre des éligibles, et. en quelle quantité. » Les moyens ont manqué au ministère pour fournir plusieurs de ces documents; et il résulte des explications qui nous ont été données, qu'en y employant même beau- coup de temps et de recherches, il serait fort difficile de connaître avec quelque exactitude le nombre des famil- les payant plus de 300 francs de contribution directe, parce que les cotes ou les articles qui concernent cha- cune de ces familles sont souvent disséminés dans les rôles de beaucoup de communes et de départements ; qu'il serait impossible de déterminer dans quelle propor- tion l'égalité de partage a pu faire diminuer, depuis un certain temps, le nombre des éligibles, parce que diffé- rentes autres causes ont contribué à faire varier ce nom- bre. » On voit dans une lettre écrite à M. le garde-des-sceaux par M. le directeur de l'administration des contributions 60 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. directes, que les opérations du cadastre, les dégrève- ments de 1803, 1805, 1818, 1820 et 1821, et surtout la réparation d'une multitude de négligences, d'omissions et d'erreurs, qui, dans les temps modernes, a été effec- tuée sur les matrices et les rôles, ont pu modifier singu- lièrement le nombre des cotes de 300 francs et de 1 ,000 francs sans qu'on puisse en rien conclure pour ou contre le morcellement des propriétés. » Mais M. le garde-des sceaux nous a procuré une note précise du nombre des testaments qui ont été exécutés dans la ville de Paris pendant le cours de l'année 1825, et des dispositions qu'ils renferment au sujet de la quo- tité disponible. » Il nous a remis un état fort détaillé de toutes les do- tations héréditaires accordées et de tous les majorats établis depuis les statuts du mois de mars 1808 jusqu'au 26 février dernier. » La commission vient vous offrir le résultat de ses dé- libérations. >• Après quelques considérations générales, M. le rappor- teur, parlant de la cause de la division des propriétés en France, dit : « Déjà et assez longtemps avant la révolution de 1791, la rapidité du mouvement commercial s'était appliquée aux biens immobiliers, comme aux autres, et, sous quelques rapports, elle avait contribué à modifier l'ordre politique comme celui des familles. » En effet, en s'exerçantsur les terres décorées du titre de noblesse, elle avait porté la confusion dans la posses- sion de ces titres, et préparé la décadence de la noblesse elle-même. » En s'appliquant aux biens appelés propres par les cou- LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 61 tûmes , c'est-à-dire aux biens qui étaient advenus par succession, et qui devaient toujours revenir aux descen- dants de celui qui, par ses travaux, en avait enrichi la famille, ce même mouvement procurait à ceux qui le possédaient un moyen facile de les dénaturer, et d'élu- der la loi qui leur défendait d'en disposer. » Après la chute de l'ancienne monarchie, les causes de la division des propriétés devinrent bien autrement actives. Il nous suffît, Messieurs , de vous rappeler l'abo- lition de toutes les préférences, exclusions et distinc- tions coutumières, relatives à la nature et à la transmis- sion des biens, l'égalité absolue des partages entre tous les successibles, puis la vente des domaines de la cou- ronne, celle des biens du clergé, des biens des émigrés, des biens des déportés et condamnés, enfin le partage des biens communaux ; il suffît, disons-nous, de vous rappeler ces grandes mesures pour vous mettre à portée d'en apprécier les effels sur le morcellement et la mobi- lité des propriétés foncières. » La loi du 17 nivôse an 2 n'avait permis aux parents de disposer d'une faible partie de leurs biens qu'à condi- tion que ce serait en faveur d'un étranger et qu'ils en dépouilleraient leur propre famille. » L'outrage fait à l'autorité paternelle et à la nature par cette loi, fut vengé par celle du 4 germinal an 8 (mars 1800), rendue en la première année du gouverne- ment dit consulaire, qui après avoir été vivement combat- tue au tribunat, donna de nouveau aux pères de famille la faculté de disposer, dans certaines limites, en faveur de leurs successibles. » Cette faculté fut depuis étendue par le code civil ; ce code qui, sous plusieurs rapports , fut un grand bienfait, 62 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. voulut même prévenir le morcellement des propriétés, en autorisant les pères et mères à partager eux-mêmes leurs successions entre leurs enfants. 11 chercha à conser- ver quelques biens dans les familles, en permettant des substitutions, mais seulement en faveur des petits-en- fants et des neveux du testateur. Enfin, des dispositions additionnelles vinrent, quelques années après, autoriser la transmission héréditaire des biens formant la dotation d'un titre de noblesse. ■> Mais ces dispositions n'ont que faiblement arrêté le mouvement déjà imprimé à la propriété foncière. » D'une part, les pères de famille, excepté dans quelques provinces méridionales, ont rarement usé de la faculté d'avantager l'un de leurs enfants ; » Sur mille quatre-vingt-un testaments qui ont reçu leur exécution à Paris, dans le cours de 1823, il n'en est que cent quarante- sept qui renferment des dispositions de la portion disponible, savoir, cinquante-neuf au profit des enfants des testateurs et quatre-vingt-huit au profit des personnes étrangères. » Presque partout, ces mêmes pères de famille ont négligé de faire eux-mêmes le partage de leurs biens. Qu'arrive-t-il? C'est que l'ouverture de chaque succession est suivie d'un partage réel. Dans ce partage, on se garde bien de compenser en argentée qui peut manquer à cha- cun des co-partageants pour égaliser les lots; mais cha- cun s'obsiine à vouloir une portion dans chaque espèce de biens, dans chaque champ, dans chaque pré, dans chaque vigne, même dans la gmnge cl la maison d'habitation j et, si quelque impossibilité absolue s'oppose àcette division, les biens sont vendus par lieitalion et passent dans une autre famille. LIV. i. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. f)3 "D'autre part, les dotations héréditaires accordées et les majorais institués depuis 1808 jusqu'au 26 février der- nier, n'affectent qu'une bien petite partie du territoire de la France , car le revenu total n'en est que de 4,593,355 francs, dont 1,116,746 francs sont en biens provenant du domaine extraordinaire, et 2,300,357 francs en biens- fonds, appartenant h des particuliers; tout le reste est en rentes sur l'État ou en actions de la Banque. On y re- marque 307 majorais hors de la pairie, institués sur les biens personnels des particuliers, soit en fonds de terre, soit autrement, savoir, 165 avant la restauration, 99 de- puis la restauration pour obtenir des titres , 43 pour perpétuer des titres précédemment obtenus. » Il est vrai que l'économie des pères de famille, l'in- dustrie des commerçants et manufacturiers , les dona- tions et les successions elles-mêmes, ont recomposé et recomposent, chaque jour, un grand nombre de proprié- tés dont quelques-unes sont très -importantes. Mais aussi beaucoup de grands propriétaires séduits, soit par le luxe des villes, soit par les chances des spé- culations, soit par la commodité de la propriété mobi- lière, ont abandonné leurs fermes, leurs terres, le ma- noir paternel à la cupidité dévastatrice de ce qu'on ap- pelle des bandes noires, ou ont eux-mêmes directement profité de l'ardeur que mettent les habitants des campa- gnes à devenir propriétaires, pour dépecer ces biens et les vendre par petits lots. » Cet état de choses, Messieurs, est-il avantageux, et faut-il s'en féliciter dans l'intérêt général ? Présente-t-il, au contraire, de graves inconvénients, et le gouverne- ment du roi doit-il chercher à le corriger ? Telle est main- tenant la première question à résoudre. 64 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. » Peut être le morcellement et la mobilité de la proprié- té foncière ont-ils, dans les premiers temps, produit des résultats avantageux , nous ne disons pas seulement pour les perceptions de la régie du domaine, mais aussi pour les progrès de l'agriculture et de l'industrie , et pour l'augmentation de la masse des richesses générales. » Des terres incultes , mises pour la première fois en valeur, ont rapporté d'abondantes récoltes. Des chaumiè- res nouvelles ont grossi les villages ; l'amour de la pro- priété a dû la féconder, et les parcelles mêmes des fer- mes et des métairies ont pu être louées plus cher par le propriétaire qui les a disloquées. » Les adversaires du morcellement conviennent de ces faits, et la Chambre des pairs elle-même semble les avoir reconnus, dans une adresse au Roi, qu'elle vota en 1814, après avoir entendu l'exposé de la situation du royaume. « L'accroissement du nombre des propriétaires, la créa- » tion de nouveaux produits et de nouvelles richesses, » l'accélération du mouvement des capitaux, voilà, di- » sait-elle, ce que l'on a vu naître au milieu des orages » de la révolution.» > D'ailleurs l'acquisition des propriétés par le peuple des campagnes, a été un lien très-fort pour l'attachera son état et à ses foyers. Elle a contribué à le rendre pai- sible, à le garantir de certaines séductions, et supplée, en quelque sorte, à ce qui lui manque du côté des senti- ments religieux et des mœurs. » Toutefois, n'est-il pas un terme où il importe que la subdivision et le mouvement des propriétés trouvent des obstacles, et ce terme n'est-il pas déjà dépassé ou près de l'être? Ce qui était bon pour détruire, peut-il l'être éga- lement pour édifier ? Un mouvement qu'on regardait L1V. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 65 comme indifférent, ou même comme utile sous des gou- vernements d'une nature incertaine, ne doit-il pas être dirigé et contenu lorsqu'il s'agit de fonder et de conso- lider les institutions monarchiques ? » Et. d'abord, sous le rapport même de l'économie pu- blique, le morcellement excessif des propriétés a des inconvénients; car il en résulte, comme le disait dans cette chambre un noble duc (M. le duc de Lévisï dont vos seigneuries n'ont pas oublié la proposition , que beaucoup de terrain se perd en limites improductives, en communications inutilement multipliées, et pourtant insuffisantes. i » Plus les propriétés sont morcelées et se croisent les unes les autres , plus aussi il s'élève de contestations ruineuses entre les possesseurs ; et voilà pourquoi les procès de cette nature sont, proportionnellement à la population, incontestablement plus multipliés dans les pays de petite culture que dans les autres. » Ce n'est que dans des domaines de quelque étendue qu'on entretient des bestiaux et des troupeaux considé- rables. Là seulement on peut se livrer à d'utiles essais en agriculture, exécuter les grands travaux nécessaires pour arrêter les sables de la mer, pour contenir les fleu- ves dans leur lit naturel. Eh ! qui est-ce qui ira creuser dans un petit champ dont la transmission héréditaire ne sera pas même assurée au delà d'une génération, un ca- nal qui, à la longue, pourra être productif, mais dont l'entreprise exigera d'énormes sacrifices ? Qui s'avisera d'y bâtir une de ces habitations imposantes qui perpé- tuent les souvenirs des ancêtres, en même temps qu'elles font la gloire des beaux-arts et la splendeur du pays ? » Un riche manufacturier meurt, après avoir élevé ses f. 5 / f :" 66 DE L AGRICULTURE EN FRANGE. entants dans la science de son industrie. Tous veulent avoir leur part dans sa manufacture; mais elle ne peut se diviser ; il faut donc l'aliéner pour en partager le prix, et l'enlever ainsi à toute la famille : cela n'est-il pas dé- plorable? » On a remarqué que les pays de petite culture, ceux où la propriété est le plus morcelée, sont communé- ment les plus peuplés , parce que la culture y emploie plus de bras. Mais aussi ce sont ceux qui ont le moins de superflu à fournir pour les arts, le commerce, la guerre ; et l'expérience prouve qu'ils ne sont pas les plus riches. L'égalité de partage dans les successions peut faire multiplier les mariages ; mais ces mariages et leurs fruits languissent dans une condition où la gêne et la détresse vont toujours croissant.» Dans le corps de son discours le rapporteur, dévelop- pant les inconvénients de l'instabilité des familles, qu'a- mène le morcellement des terres, ajoute : < Un écrivain qu'on n'accusera pas de trop de penchant pour les idées aristocratiques et monarchiques, J. J. Rous- seau a lui-même signalé les dangers qui résultent de la mobilité des fortunes. « Rien n'est plus funeste aux » mœurs et à la république, dit-il, que les changements » continuels d'état et de fortune entre les citoyens, chan- » gements qui sont la preuve et la source de mille dés- » ordres qui bouleversent et confondent tout , et par » lesquels ceux qui sont élevés pour une chose se trou- » vaut destinés pour une autre, ni ceux qui descendent ni ceux qui montent, ne peuvent prendre les maximes » ni les lumières convenables à leur nouvel étal , el » beaucoup moins en remplir les devoirs.'» LIV. I. DE LA PROPUIETE TE1UUTOKIA.LF. 67 L'orateur, discutant les avantages de la loi projetée, continue ainsi : « Quant aux majorats , si leur multiplication pouvait avoir des effets désastreux, les substitutions mêmes tendraient à les restreindre. Elles présentent pour con- server les biens un moyen beaucoup plus commode que les majorats. Les pères de famille, à coup sur, le pren- dront de préférence, et éviteront les embarras d'une substitution graduelle et perpétuelle , qui ne peut être établie qu'avec l'intervention de l'autorité suprême, avec de nombreuses charges , et sur des biens affran- chis de toute sorte d'hypothèques. » Le gouvernement lui-même sera de plus en plus porte à restreindre aux familles illustres l'usage des majorats. Dans l'ancienne monarchie ils n'existaient que pour les chefs-lieux des duchés-pairies , et pour un très-petit nombre de terres auxquelles le roi avait accordé cette prérogative par des lettres patentes vérifiées et enre- gistrées. » Enfin, les appréhensions que cause la mise hors de la circulation d'un trop grand nombre de propriétés fon- cières, semblent peu fondées. Pourrait-on ne plus comp- ter pour rien l'impulsion déjà donnée aux habitudes, au mouvement de la société ; l'influence d'un commerce progressif, et toute l'activité des transactions civiles? » Ce mouvement continuera sans doute longtemps en- core ; et malgré les barrières qu'on cherche à oppo- ser à la mobilité d'un certain ordre de fortunes, l'excès de cette mobilité sera peut-être, pendant bien des géné- rations, ce qu'on aura le plus à craindre. » Toutefois, Messieurs, la commission a pensé qu'un amendement, mais un seul, devait être fait à l'article C8 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. relatif aux substitutions. Elle propose de déclarer que si le grevé vient à décéder sans laisser de biens libres suf- fisants à l'existence de ses enfants non appelés à la sub- stitution, et si ces enfants n'ont pas de biens personnels qui y suppléent, les tribunaux Leur attribueront, à titre de pension alimentaire, une part du revenu des biens substitués, en raison de la valeur de ces biens ; mais que cette pension cessera s'ils acquièrent des biens qui en tiennent lieu, c'est-à-dire, s'il leur en advient par do- nation ou succession, ou s'ils en acquièrent des produits de leur travail.» M. le garde-des-sceaux, défendant l'article Ie* du projet de loi, dit : » Puisque le désir d'arrêter le morcellement de la pro- priété foncière est le motif principal de la disposition que nous discutons , il faut évidemment, pour que la nécessité de cette disposition soit démontrée , en pre- mier lieu, que le morcellement soit réel et même exces- sif; en second lieu qu'il soit nuisible à l'Etat. » Occupons-nous donc d'abord de la réalité du morcel- lement. » Si je rappelle le spectacle qu'offrait, dès l'année 1815, le sol de la France, quelle impression, Messieurs, ne de- vra-t-il pas faire sur vous ? » Sur le nombre des taxes qui partageaient le sol de la France, combien, s'élevaient jusqu'à mille francs? Dix- sept mille ! — Combien s'élevaient jusqu'à cinq cents francs? Quarante mille! » Combien qui ne s'élevaient pas au-dessus de vingt francs? Huit millions ! » Que répondre à cela ? Que ces calculs ne sont pas exacts ? C'est M. le duc de Caëte qui nous les fournit , LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 6îJ et personne, que je sache, ne conteste la fidélité de cet habile administrateur. » Que depuis 1815 l'état et la distribution du sol ont changé? Ils ont changé en effet, mais de quelle ma- nière ? Le nombre des taxes de vingt francs a aug- menté d'un neuvième, celui des taxes de mille francs a diminué d'un tiers. » Que beaucoup de propriétaires paient plusieurs taxes, et que, par conséquent, le nombre des taxes ne prouve pas celui des propriétaires? Sans doute; mais écoutez sur ce point M. le duc de Gaëte : « Ce tableau , qui » donne une idée de Y extrême subdivision des biens-fonds » en France, présente le nombre des taxes, et non celui » des contribuables, parce que l'on n'a pu distinguer » ceux qui possèdent dans plusieurs communes ou dans » plusieurs départements. Il prouve cependant que » Y immense majorité des propriétaires se compose de ceux » qui paient moins de 50 francs en principal et centimes » aildilionnels réunis. » » M. le duc de Gaete rapproche et combine ensuite plusieurs considérations et plusieurs probabilités ; puis il conclut : Les neuf dixièmes des contribuables paient moins de cinquante francs, et, sur le dernier di- xième, vingt- trois mille seulement paient plus de cinq cents francs ! » Encore faut-il se ressouvenir, d'un côté, que les cen- times additionnels sont confondus dans ce calcul , et que le projet de loi les exclut; et, d'un autre côté, qu'il s'agit de 1815, et que la division du sol a fait depuis cette époque d'énormes progrès. » Je rapporterai, à ce sujet, un fait remarquable. On raconte que le territoire delà petite vflle de Sainle-Marie- 70 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. (Basses-Pyrénées) était divisée dès l'année 1820, en huit cent soixante-quatre taxes d'impôt foncier. Dans ce nombre, on en comptait quatre cent cinquante-quatre qui n'excédaient pas vingt, centimes, et qui étaient impo- sées sur des propriétés dont le revenu net n'excédait pas cent centimes. » Tels sont les faits, Messieurs ; examinons maintenant les témoignages. » Je place, comme il convient, celui de vos seigneuries au premier rang. Lorsqu'on vous proposait, en 1819 et 1820, des mesures analogues à celles que nous vous avons soumises, qu'alléguait-on pour en établir la né- cessité? On se fondait sur le morcellement des terres, sur ses progrès et sur ses dangers. » Que fîtes-vous alors, et comment accueillîtes-vous ces propositions ? Vous les accueillîtes avec la plus grande faveur, et vous leur accordâtes votre assentiment. Vous étiez donc déjà convaincus, Messieurs , de la réalité du morcellement, ou plutôt vous l'attestiez et vous l'affirmiez, puisque vous avertissiez la couronne de la nécessité d'en arrêter les progrès. » Après un témoignage si positif et si imposant , il doit m'ètre permis de citer celui des Conseils généraux. Je ne puis comprendre, je l'avoue, les reproches que vient de leur adresser l'orateur auquel je succède , et qui coopéra si longtemps à leur composition. » Ce n'est pas, assurément, que je prétende qu'on dût adopter aveuglément, et sans examen, les opinions théoriques qu'ils exprimeraient sur les difficultés sou- vent compliquées du droit civil. » Mais s'agit-il de cela ? Point du tout. Je ne demande point aux Conseils généraux ce qu'ils pensent de la LIV. I. DE LA PROPRIETE TEUIUTOKI A"LE. 71 i question des rapports, de la représentation , des majo- f rats et de la quotité disponible; et s'ils nous le disent, je leur en sais gré ; mais j'examine, et j'ai besoin , pour ] accueillir leur avis , que d'autres avis le confirment. Or, Messieurs, je ne crains pas de le dire, on ne sau- rait trouver des témoins plus fidèles et plus dignes de confiance, des juges plus intègres et plus compétents du fait matériel qu'il nous importe de vérifier. Qui pourrait nous apprendre mieux que les hommes hono- rables dont les Conseils généraux se composent, si le sol de leur département se morcelle, et quelles sont l'é- tendue et la rapidité du morcellement ? » Personne sans doute. Or qu'attestent-ils sur ce point? Vingt-sept Conseils généraux (et je ne parle que de leur dernière session , pour n'être pas accusé d'abuser de mes avantages), vingt-sept Conseils généraux, placés dans les diverses parties de la France, ont formelle- ment exprimé le vœu que la législation des successions fût promptement modifiée , afin d'arrêter la division excessive de la propriété foncière. » Et dans quelles circonstances ce vœu remarquable a-t-il été exprimé? L'avait-on provoqué? Nullement. A-t-il été concerté ? Pas davantage. C'est librement et spontanément que les Conseils généraux l'ont émis. N'est-ce pas un gage infaillible de sincérité et d'exac- titude ? » Qu'en doit-on conclure ? Ou je me trompe étrange- ment, Messieurs, ou la seule conclusion admissible est que la certitude du morcellement devient de plus en plus évidente et incontestable. Mais est-il vrai qu'il soit dangereux? Je ne veux point parler des inconvé- nients qui en résultent pour la culture des terres : 72 de l'agriculture en France. cette partie de la question est épuisée. Je ne parlerai pas davantage de ses effets malheureux dans les années d'abondance et dans les temps de disette : tout a été dit, et depuis longtemps, sur ce point. » Je dirai seulement qu'à mesure que la propriété foncière se divise, elle s'affaiblit, et qu'elle ne peut s'affaiblir sans perdre insensiblement l'influence qui lui appartient. » Mais considérons la question sous un autre aspect, dit plus loin M. ld Garde-des-Sceaux : « L'extrême division de la propriété foncière n'est-elle pas encore dangereuse pour les libertés publiques? Je n'ai pas le temps de tout dire, et vous n'avez pas celui de tout écouter. J'indique donc plutôt que je n'approfondis les inconvénients. Mais, au défaut des développements que je supprime, permettez-moi de citer ici quelques mots que j'emprunte encore à un publi- ciste étranger , et qui méritent d'être écoutés avec attention : » On fait maintenant en France, dit avec beaucoup de raison (Malthus) le judicieux auteur des Principes de l'économie politique considérés dans leur application pratique; on fait maintenant en France une effrayante épreuve des effets que peut produire l'extrême division des propriétés. La loi de succession, dans ce pays, partage également les biens de toute nature entre les enfants d'un même père, sans distinction de sexe et sans droit de primogéniture, et n'en rend qu'une faible portion susceptible d 'être léguée par testament... Si ♦ cette loi continue à régler, dans ce royaume, la trans- mission des héritages, et si l'on n'imagine aucun moyen de l'éluder, il y a tout lieu de croire que le pays sou- ♦ LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 73 mis à ces habitudes sera, au bout d'un siècle, aussi re- marquable par son extrême indigence que par l'extrême égalité des propriétés. Il n'y aura plus guère d'autres per- sonnes riches que celles qui recevront un salaire du Gou- vernement. Dans cet état de choses, ne pouvant comp- ter sur l'influence naturelle de la propriété pour arrêter tout à la fois le pouvoir de la couronne et la violence du. peuple, il est impossible de croire qu'un gouverne- ment mixte, tel que celui qui vient d'être établi en France, parvienne à se maintenir... Un pays soumis à la législation que nous venons de décrire semble être la patrie naturelle du despotisme militaire. » M. le Garde-des-Sceaux ayant cherché à prouver que le partage égal détruit la famille , dit : » Je m'arrête, Messieurs ; les questions que vous agitez sont trop vastes et trop élevées pour qu'on puisse tout dire en une seule fois. Souffrez seulement, que je re- commande ces derniers mots à votre mémoire. Lorsque la reine Anne voulut opprimer les catholiques d'Irlande, elle abolit pour eux, et pour eux seuls, le droit de primogéniture ; quand les auteurs de nos discordes civiles voulurent détruire la noblesse et la monarchie de France, ils établirent l'égalité des partages et sup- primèrent les substitutions. » Puis il cite ce passage de Hume à l'appui de ce qu'il vient de dire : « Mais ce qui se fit de plus important clans cette session , fut un bill très-sévère, ayant pour objet d'empê- cher V accroissement du papisme. Ce bill portait, entr'au- tres choses, que tous les biens des familles papistes seraient partagés également entre les enfants, malgré toutes dispositions contraires, à moins que les person- 74 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. nés en faveur desquelles ces dispositions auraient été faites ne se fussent réunies à l'Église d'Angleterre.» M. le Ministre des finances, président du conseil, dé fendant la loi dit : » On a demandé d'abord où était la preuve du mor- cellement excessif des terres auquel le projet a pour but de remédier. Mais est-il donc besoin de preuve pour un pareil fait? N'est-ce pas la Chambre elle-même qui en a signalé les dangers à l'attention du gouver- nement ? Les délibérations des Conseils généraux récla- ment chaque année un remède prompt pour un mal dont les progrès sont immenses. Quel est le proprié- taire qui ne voie partout les châteaux s'abattre et les terres se dépecer autour de lui? Dans quelque sens qu'on traverse la France, on remarque l'influence de cette division indéfinie, et le voyageur peut la recon- naître jusque dans l'abandon de ce moyen de transport qui ne convenait qu'à la richesse des grands proprié- taires. » Après avoir expliqué pourquoi il est impossible au gouvernement de se procurer des renseignements pré- cis sur le progrès du morcellement des terres , il ajoute : «< Les relevés que je vais présenter ont été faits sur les rôles de plusieurs départements présentant ensemble une population moyenne de 363,580 indi- vidus. » Sur ce nombre, les rôles présentaient : En 1815. . . . 149,314 contribuables. En 1826. . . . 161,732 Augmentation. . . . 12,418 LIV. ï. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 75 •» Ils étaient distribués ainsi : Payant moins de 20 fr. d'impôt : En 1815. . . . 116,433 En 1826. . . . 133,903 Augmentation. . . . 17,470 Payant de 20 à 80 fr. d'impôt : En 1815. . . . 9,616 En 1826. . . . 8,985 Diminution. . . '. . 631 Payant de 30 à 50 fr. d'impôt : En 1815. . . . 9,243 En 1826. . . . 7,915 Diminution 1,328 Payant de 50 a 100 fr. d'impôt : En 1815. . . . 7,519 En 1826. . . . 6,083 Diminution 1,436 Payant de 100 à 500 fr. d'impôt : En 1815 5,623 En 1826 i 3'6A9 P^ant de 10° Ù 300 } A 229 en 18,40. ( 5§0 _ de 300 à 5Q0 j 4,^~y Diminution. . . . 1,394 Payant de 500 à 1000 fr. d'impôt : En 1815. ... 578 En 1826. ... 411 Diminution 167 Payant 1000 fr. et au-dessus : En 1815. ... 302 En 1826. . . . 206 Diminution 96 ■■> Il faut d'abord observer qu'évidemment le nombre 76 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. des cotes portées sur les rôles ne donne pas le nombre exact des propriétaires; mais, quelle que soit l'impor- tance de cette considération, si l'on supposait que la comparaison de ces deux relevés pût donner une idée exacte de la division progressive des terres, on trou- verait qu'en dix ans le nombre des cotes au-dessous de 20 fr. s'est accru d'un neuvième environ , et que celui des cotes au-dessus de 1,000 fr. a diminué d'un tiers; ce qui serait loin d'offrir un résultat satisfaisant. On aura sans doute remarqué l'augmentation considé- rable du nombre général des cotes dans cet intervalle, mais on ne saurait en induire la preuve d'une division des terres dans cette proportion ; cette augmentation pouvait avoir plusieurs causes indépendantes du morcel- lement, et entr autres le perfectionnement des rôles, la confection du cadastre dans plusieurs communes , la restitution des biens confisqués, la nécessité de justifier de l'impôt pour être admis à l'élection, et la multiplicité des constructions nouvelles établies depuis quelques an- nées. Au reste, au milieu de ces causes diverses de va- riation, il est difficile de rien saisir d'assez précis pour servir de base à l'importante mesure sur laquelle la Chambre est appelée à délibérer : heureusement que le projet s'appuie sur des fondements plus solides, et que des considérations d'un bien autre ordre se pré- sentent pour former la conviction de la Chambre. On vou- drait savoir cependant quelle peut être en définitive l'in- fluence de la loi d'égalité dans les partages. Pour ap- précier cette influence, peut-être suffirait-il de se rap- peler dans quel esprit et au milieu de quelles circon- stances cette loi a été faite; mais si l'on veut des chiffres, qu'on païenne un exemple, et l'on verra qu'à V:> LIV. I, DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 77 Paris, sur sept mille six cent quarante-neuf successions ouvertes en mil huit cent vingt-cinq , six mille cinq ; cent soixante-huit se sont ouvertes ab intestat, et sur les mille quatre-vingt-un testaments qui ont réglé les '• autres, cinquante-neuf seulement contenaient des dis- j positions avantageuses en faveur d'enfants; les autres ne | portaient que des libéralités envers des étrangers. » Le ministre, après avoir répondu à diverses objec- tions, dit : « Si les fortunes se recomposent, il n'en est pas de même des propriétés. On peut bien diviser la terre, mais il est impossible de la réunir lorsqu'elle a été divisée. Les plus grands sacrifices seraient quelquefois sans résultats pour le succès d'une pareille entreprise. L'homme s'attache natu- rellement au sol qu'il a acheté ou recueilli dans la ; succession de ses pères. Plus son héritage est petit, et | plus il tient quelquefois à le conserver. Vous le couvririez I d'or que vous n'en obtiendriez pas la cession. Aussi ne ■ voit-on nulle part de grande propriété se former de débris de celle que l'on divise; et il est vrai de dire que dans tous les pays les vastes domaines ont été formés pour la plupart à l'époque de la conquête. La petite propriété, sans doute, n'est pas un mal, et le projet ' lui fait une part suffisante ; mais il importe que la pro- priété moyenne se conserve, et que la grande ne se j * démembre pas entièrement. Tel est le but du projet de 4 loi. Tout l'effet qu'on peut en attendre est d'arrêter un peu le progrès du mal et de maintenir plus longtemps l'état actuel des choses ou un état à peu près sembla- éble. 11 faut, pour l'apprécier, connaître bien quel est cet état. Pendant le cours de la révolution, les propriétés du clergé et des anciennes corporations ont été vendues a 7K L A€KICULTURE EN FRANCE. sur la propriété foncière, voici d'abord le tableau qui in- dique le nombre d'hectares imposables et non-imposa- bles, le nombre des maisons et la contribution foncière en principal. 3 S5 z / «■ o o eo t> o o o CO eo o lO CM o CO oo F- LO Ci «a- co o o CO 00 o o l> H 1 ta 1 cm" CO -=f «ri OS co LO Ci o 00 co LO f- Z Z J «ST CO -u LO o LO 00 CÔ ■5T o" LO CO r- (M eo o ■sa o — 1 00 ci LO lO c^ co o u | fi \ Ci LO LO eo 5 M) CCS CM CM (M LO CM CM CM ' " " ""'" ~cm ~o *-j ~«H ~~ 1 c^ «!* oo Ci co CM o -3 3 eo CO o co CO CM Ci o o H „ 2 ira oo LO CO Ci CM l> o O "O H i 'S. «o o CM O * (O CO I> o CM 00 "1 -H <*> 5 l eo l> t> oc lO rf F» (M CM lO CO X- 00 «J a 1 ^ e ° S \ CM eo o CO LO CO _-, m o 1 o CO eo Ci LO (M 00 r^ LO o Ci 00 o CO Ci lO Ci LO - ' 1 3 IO cT CO eo LO Ci LO l> eo » h I eo (M -TX LO co (M eo CO «ri o LO ■CT oo Ci oo 00 O l S CM «ri «n «n eo cm CO co z \ 5 1 *_l o 1^ o 'O F- co Ci O i> o c» F- "O X co 1> co -a- <= 1 ce »o «!« 00 00 cî oo o - LO CO co co S j .= «rt «n CM cm" fi \ CO ^_l ,-, CO F- -a 1^ oo o CM I> CO f eo Ci o Ed CM LO LO c* l> eo o CM S 1 5 otf r^" o oo" lo" C LO? CO 00 (M o co CM eo oc (M LO c^ =- oo o F" lO f CM o 00 00 g; \ cm" c-r M 10 en oT , «ri «H -ïr «n SN CM -=T VJ "ra • ~ "c3 co c ~ 75 .E — jô = a • eu o u u u 0 u o 5 o cy o u -s .- « n •- o _ Z se r< s y Ê -™. ■ rr ~ — LIV. I. UE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 97 Ce tableau montre que la superficie imposable est de. . 49,878,208 Et la superficie non imposable de 2,890,402 Superficie totale de la France 52,768,610 C'est-à-dire que sur 1,000 hectares, 945 sont imposa- bles et 55 ne le sont pas. Ces derniers se composent des forêts et domaines de l'État; des routes, chemins, rues; enfin des rivières, lacs et ruisseaux. On voit encore par ce tableau que les maisons et bâ- timents imposables sont au nombre de 6,863,556. Mais il faut observer que ce chiffre comprend : 82,940 moulins à vent et à eau; 4,425 forges et fourneaux ; 38,314 fabriques, manufactures et autres usines. La 5e colonne du tableau précédent indique le total de la contribution foncière en principal. Les colonnes 6 et 7 indiquent la partie de cette contri- bution afférente aux propriétés non bâties et aux pro- priétés bâties, et il en résulte que sur une contribution foncière de 1,000 fr. Les propriétés non bâties en paient 793 Les propriétés bâties 207 Total 1000 Le travail publié par le ministre sur l'agriculture mon- tre la cote moyenne d'un hectare de terre et d'une mai- son dans chaque région de la France, c'est-à-dire ce qu'ils paient moyennant l'impôt foncier en principal. On I. 7 98 r>E l'agriculture es prasce. peut déduire ees cotes du tableau précédent ; On trouve que la cote moyenne est, dans le \ORD OCCIDENTAL. Par hectare Par maison ou inrpos. usiue impoe. Pour les 9 départements maritimes 3 f. AU c. 3 f. 75 c. Pour les 12 intérieurs 3 28 10 28 Pour les 21 du nord occidental 3 36 6 95 NORD ORIENTAL. Pour les 9 départements frontières 3 23 4 08 Pour les 12 départements intérieurs 2 36 3 80 Pour les 21 du nord oriental 2 68 3 93 Midi occidental. Pour les 5 départements maritimes 1 73 4 34 Pour les 13 départements intérieurs 2 14 2 43 Pour les 3 départements frontières 2 00 3 12 Pour les 22 du midi occidental 2 00 3 07 Midi oriental. Pour les 4 départements frontières 1 75 2 21 Pour les 6 départements maritimes 2 19 6 09 Pour les 12 déparlements intérieurs 2 07 3 74 Pour les 22 du Midi oriental 2 04 4 06 Pour les 42 départements du nord ensemble. . . 3 02 5 60 Pour les 43 départements du raidi 2 02 3 55 Pous les 85 départ, de la France continentale. . . 2 51 4 71 Pour la Corse 0 17 0 78 Pour toute la France 2 47 4 69 Ceci indique, que le propriétaire d'une maison ou usine de la valeur moyenne sur toutes celles de la France, paie 4 francs 09 centimes de contribution foncière, et le pro- priétaire d'un hectare, aussi de la valeur moyenne, paie 2 francs 47 centimes. Mais cette valeur moyenne varie LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 99 beaucoup d'une localité à l'autre, puisque le propriétaire paie moyennement 3 francs 46 centimes par hectare, dans les neuf départements maritimes du nord occidental , tandis qu'il ne paie que 1 franc 73 centimes dans les cinq départements maritimes du midi occidental et 0 f. 17 centimes en Corse. On peut donc acquérir quelques lumières sur la divi- sion des terres en France en étudiant le tableau suivant, par régions, des cotes comprises aux rôles de la contri- bution foncière de l'année 1835. Ces cotes sont divisées par séries d'après leur quotité comme le ministre les a présentées dans la statistique de la France au volume in- titulé Territoire et population. 100 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. eo 10 00 o CO CO es m o es o -a- eo c^ es *n *h "^ eo CM O o LO o -a- «_< — , lO ÎO CO Ci SN t> co -a- o I> l> 00 l-O G5 o es -^r ss CO to Ci 00 lO co CO I> o *H c^ I> i> o o -^T -■rr -o -*u •H *H ^H CO CO Tî O 'ri A3 û "3 -3 2 b Pu U LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 101 On appelle cote foncière, l'impôt que paie un proprié- taire pour toutes les propriétés foncières qu'il possède dans une même commune. Le tableau précédent indique que le nombre de ces cotes était, en 1835, de 10,893,528 Ce nombre était, d'après la statistique officielle, en 1826, de 10,296,693 Et en 1815, de 10,083,751 Ce nombre a donc augmenté annuellement : Dans la période de 1815 à 1826, de 21,294 Et dans la période de 1826 à 1835 , de 59,683 D'après les données officielles du tableau précédent, ies personnes qui s'occupent de statistique, et le gouver- nement français calculent que le nombre des familles propriétaires s'élève à 5,446,763 qui se divisent ainsi : 2,602,705 familles dont le revenu a pour limite. 50 francs. 875,997 100 757,126 200 369,603 • . . . 300 342,082 500 276,615 4,000 170,579 2,000 23,777 5,000 16,598 10,000 6,681 au-dessus de 10,000 Total 5,440,763. A ces détails, nous pouvons encore ajouter que, d'a- près des renseignements fournis en 18:26 par les préfets au ministre des finances la cote moyenne de tous les propriétaires qui payaient Moins de 20 francs était seulement de 5 fr. 95 c. De 20 à 30 25 30 De 30 ù 50 39 15 De 50 a 100 69 20 De 100 à 300 16! 00 De 300 à 500 383 GO De 500 à 1,000 683 30 De 1,000 et au-dessus 1,726 50 102 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. On croirait difficilement, qu'il y a en France plus de quatre millions de propriétaires tellement pauvres qu'ils ne paient que 5 francs 95 centimes de contribution foncière, si, d'un autre côté, on ne savait, qu'il y a des dispositions légales, qui permettent de se soustraire à la contribution par la déclaration d'un abandon perpétuel qui doit être fait à la mairie et dont l'acte ne donne lieu qu'à un simple droit d'enregistrement de 2 francs; dispositions souvent exécutées, et que le préfet du département des Basses-Al- pes, a rappelées dans une circulaire du 30 septembre 1835, adressée à de malheureux cultivateurs, réduits à aban- donner leurs biens par suite de la demande de l'impôt. Aux détails déjà donnés sur l'état de la propriété fon- cière, on peut encore ajouter que, d'après les documents statistiques publiés en 1835, la France, au 1er septem- bre 1834, était partagée en 123,360,338 parcelles; mais comme on peut objecter qu'un domaine d'un seul tenant est divisé sur le cadastre en plusieurs parcelles, il faut chercher d'autres preuves du morcellement. Or tout le monde convient que c'est par les mutations que la propriété immobilière peut s'agglomérer ou se diviser. C'est sans doute pour cela que le ministre de l'a- griculture et du commerce, dans la partie de la statisti- que officielle intitulée Division de la propriété, donne le tableau de la valeur des biens meubles et immeubles transmis de 1826 à 4835, par héritage, donation, par vente ou cession. Mais avant de présenter l'analyse de ce tableau, rappe- lons ce que M. le ministre de l'intérieur a dit à ce sujet à la Chambre des pairs dans la séance du 31 mars 1826, lorsqu'il défendait la loi sur le. droit d'aînesse et les substitutions : -Sous le rapport de 1 économie politique, nous axons LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 103 ajouté que la loi amenait une trop grande division du sol. Quelles que soient les idées particulières que chacun ait adoptées sur cette matière, quelque favorable que l'on puisse être à la division, tout le monde conviendra sans peine qu'elle doit avoir des bornes. Quelques personnes se sont plu à détailler avec une sorte de prédilection les résultats de la petite culture ; mais on reconnaît sans doute que si le sol entier y était livré, ce serait un étal déplorable. La population agricole ne tarderait pas d'ê- tre livrée à la misère. Je n'ai pas besoin de le prouver. La culture emploierait trop de bras ; les arts manque- raient de ceux dont ils ont besoin ; ce mal réagirait sur l'agriculture elle-même, qui se trouverait privée des con- sommateurs que les arts lui fournissent. L'orateur que je remplace à cette tribune a cru que ce serait un excellent état de choses que celui où tous les habitants seraient propriétaires; en y réfléchissant davantage, j'espère qu'il reconnaîtra qu'un tel état n'est ni bon en soi, ni possible avec une population nombreuse. Le meilleur état de cho- ses est celui où le travail se divise , où les productions sont variées, où les échanges faciles vivifient toutes les branches d'industrie » Nous nous sommes convaincu que la législation ac- tuelle sur les successions doit diviser tous les jours da- vantage le sol de la France; et par conséquent nous rap- procher de plus en plus d'un morcellement tel que tout le monde le regarderait comme un néau. Nous avons côn^ clu de la qu un changement étaiTTndispensable. Le projet de loi que nous présentons ne peut être combattu que de deux manières ; il faut dire ou que le mal que nous re- doutons ne se réalisera pas avec la loi actuelle, ou que le 104 CE L* AGRICULTURE EN FRANCE. remède que nous proposons est trop actif et produirait un autre mal contraire. » Examinons ces deux questions : » Quels sont les effets infaillibles de la loi actuelle sur la division du sol ? » On se plaint de ce que le gouvernement n'avait pas fourni de renseignements positifs sur les faits tels qu'ils existent. Ces renseignements, toujours difficiles à réunir, à séparer des éléments qui ne doivent pas y entrer, sont souvent assez fautifs, et il est aussi facile de faire des so- phismes , ou de tomber dans des erreurs avec des états et des chiffres qu'avec des raisonnements. L'existence du mal auquel nous avons voulu porter remède, nous a été signalée par des avertissements venus de toutes parts; les I étrangers comme les nationaux se sont occupés avec anxiété des progrès successifs de la division du sol ame- née par nos partages égaux. Tous les esprits prévoyants sont préoccupés depuis dix ans de ces graves questions. Nous avons espéré que vous seriez frappés comme nous d'une sorte de notoriété aussi incontestable. Quoi qu'il en soit, les raisonnements peuvent suppléer aux chiffres. Nous allons tacher d'en établir d'assez simples, pour être faciles à saisir. » Dans la succession où il n'y a qu'un enfant, son bien s'augmente de tout ce que la mère avait apporté. »Si deux enfants succèdent au père, la fortune de la fa- mille reste la même, en supposant que la dot de la mère ait été égale à la fortune du père. » S'il y a plus de deux enfants, et c'est le cas le plus or- dinaire, la fortune diminue. » On ne peut raisonner que sur un état moyen ; un des Ll\. 1. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 105 nobles pairs qui a combattu le projet de loi, a admis que le cas le plus ordinaire était celui où trois enfants venaient au partage du bien de la famille. En admettant cette sup- position, nous ne serons pas soupçonné de choisir une hypothèse trop favorable à notre système. » Dans la supposition qu'on a faite, et que nous adop- tons, il est facile de voir que pour toutes ces familles pri- ses ensemble, chaque partage doit diminuer d'un tiers la fortune du père; mais il peut y avoir des moyens de réparer la perte causée par le partage, et de reporter la fortune au même niveau. Considérons les effets de ces moyens, il ne peut y en avoir que trois : » Les successions collatérales ; » Les donations étrangères; » Et les acquisitions. » Les successions collatérales ne peuvent rétablir l'état ancien, qu'en supposant que les ascendants des enfants qui excédaient le nombre de deux rendissent par l'extinc- tion de leurs branches ce qu'elle avait enlevé par le par- tage. » Or, il ne peut pas en être ainsi ; il y a des branches qui se perpétuent, puisque la population augmente; dans les autres, la fortune qu'elles ont reçue s'évapore en grande partie et de mille manières. Si l'on en excepte la famille qui a vécu sous le même toit, on ne peut nier que l'esprit ] de famille ne se soit affaibli dans ces derniers temps. Il serait superflu de rechercher les causes de ce fait ; mais tous ceux qui ont connu les anciennes mœurs doivent se rappeler combien le lien de famille, entre les collatéraux même assez éloignés , conservait plus de force qu'il n'en a aujourd'hui. » Parmi les personnes privées d'enfants, quelques-unes 106 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. dissipent leurs biens par insouciance ; d'autres les trans- portent dans des familles étrangères par des donations entre époux, à des domestiques, à des établissements pu- blics. Je ne dis pas que rien de tout cela soit un mal en soi, au contraire, plusieurs de ces dispositions sont sans doute honorables et utiles; mais il n'en est pas moins vrai que les successions collatérales ne rendent à la famille qu'une bien faible partie de ce qu'elle avait perdu par les par- tages. » Les donations pourraient être considérées comme un moyen de réparer les pertes du partage, si c'était, en général, les petites fortunes qui vinssent par cette voie améliorer les fortunes au moins médiocres. Mais c'est précisément le contraire qui a lieu : les donations descen- dent presque toujours du riche au pauvre, et cela doit être. » Ainsi, elles ne peuvent tendre qu'à augmenter la di- vision, au lieu de l'arrêter. Il faut en dire autant des mutations par vente. Ce genre de mutation serait un ob- obstacle à la division s'il réunissait les petites propriétés aux grandes. Il produit l'effet contraire; il tend à mor- celler les grandes propriétés en petites. Pour juger de ce qui se passe en réalité, il ne faut que recueillir un fait notoire. Toutes les fois qu'un domaine s'aliène, le ven- deur choisit nécessairement le système qui lui présente le prix le plus avantageux. Or, il est constant que, dans la généralité de la France, plus un immeuble est petit, et plus il se vend à un taux élevé. Ainsi les petites proprié- tés ne se vendent que pour rester telles, et la vente mor- celle les grandes; elle concourt donc avec le partage égal à la division indéfinie de notre sol. Le mal que nous avons prévu est donc réel, et doit tendre sans cesse a s'accroîtro. LIV. I. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 107 » Il ne reste plus qu'à juger si le remède proposé n'est pas de nature à produire d'autres inconvénients. Repre- nons le cas que nous avons admis comme le plus ordi- naire, celui où les enfants succédant au père' sont au nombre de trois : l'aîné aura, suivant le projet actuel, un quart du bien de la famille par préciput, et un autre quart par le partage auquel il a droit. Il conservera une fortune égale à celle de son père, en supposant la dot de la mère égale à cette fortune. Le projet ne tend ainsi qu'à conser- ver les familles dans l'état dans lequel elles se trouvent aujourd'hui, et tel que l'ont amené jusqu'ici les lois de partage égal, et les différents actes delà révolution. 11 semble difficile d'accuser un tel projet d'exagération ; on a objecté que le système du projet de loi augmente- rait la division du sol sous un autre rapport, en atténuant la part héréditaire des cadets ; sans doute dans notre système il y aura de petites propriétés : il y en a tou- jours eu; et ce n'est pas un mal en soi pourvu qu'à côté d'elles il se conserve un nombre de fortunes moyennes ou plus considérables, égal à celui qui existe actuellement, et à maintenir ces fortunes à leur niveau actuel : c'est tout ce qu'on peut demander à une législation raisonnable. » Depuis ce discours , prononcé en 1826, le gouverne- ment a recueilli et publié dans la statistique de la France, la valeur des biens transmis par héritage, par donation, par vente ou cession jusqu'en 1835. Il résulte de ce do- cument officiel que la valeur des immeubles transmis après décès des propriétaires, Par mutation en ligne directe, a été dans les cinq ans : De 1826 à 1830, de 3,255,674,326 fr. De 1831 à 1835, de 3,4H,462,06O Total pendant les dix ans 6,670,136,386 108 DE L' AGRICULTURE EN F11ANCE. C'est-à-dire de 29 pour cent de la valeur de toutes les mutations qu'ont éprouvées les biens immeubles dans ces dix ans, s'élevant à 23,348,286,54 1 ; et de 17 pour cent de la valeur de toute la propriété foncière, en l'estimant à 39,514,925,000 fr. Par mutation entre époux : De 4 826 à 1830 382,752,544 fr. De 1831 à 1835 402, 727,901 ïolal pendant les dix ans 7S5,4S0.4^5 C'est-à-dire de 3 pour cent des mutations des biens immeubles, et de 2 pour cent de la valeur de toute la propriété foncière. Par mutation en ligne collatérale : De 1826 à 1830 791,476,741 fr. De 1831 à 1835 819,715,107 Total pendant les dix ans 1,611,191,908 C'est-à-dire de 7 pour cent de la valeur de toutes les mutations des biens immeubles et de 4 pour cent de la valeur de toute la propriété foncière. Entre personnes non parentes : De 1826 à 1830 82,097,506 fr. De 1831 a 1835 124,454,860 Total pendant les dix ans 206,552,366 C'est-à-dire de 1 pour cent de la valeur de toutes les mutations des biens immeubles, et de 1/2 pour cent de la valeur de la propriété foncière. En faveur d'établissements publics : De 1826 à 1830 30,827,128 fr. De 1831 à 1835 13,099,634 Total pendant les dix ans, 43,926,762 C'est-à-dire de 2/10 pour cent de la valeur des muta- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 109 tions des biens immeubles, et de 1/10 pour cent de la valeur de toute la propriété foncière. Mais il faut obser- ver que la valeur des immeubles transmis aux établisse- ments publics par le décès des donateurs n'a pu être sé- parée de celle des biens qui leur ont été donnés par des personnes vivantes : cette dernière catégorie est de beaucoup inférieure à l'autre. La valeur des biens immeubles transmis entre-vifs , à titre gratuit, Par mutation en ligne directe, a été : De 1826 à 1830 918,739,560 fr. De 1831 à 1835 1,033,77/1,202 Total pendant les dix ans 1,972,513,762 C'est-à-dire de 8 pour cent de la valeur de toutes les mutations qu'ont éprouvées les biens immeubles dans ces dix ans, ou de 5 pour cent de la valeur de toute la pro- priété foncière. Entre époux : De 1826 à 1830 3,55/1,625 fr. De 1831 à 1835. 3,420,928 Total pendant les dix ans 6,975,553 En ligne collatérale : De 1826 à 1830 59,803,620 fr. De 1831 à 1835 58,738,066 Total pendant les dix ans 118,541,686 Entre personnes non parentes. De 1826 à 1830. . 23,138,234 fr. De 1831 à 1835 24,030,177 Total pendant les dix ans 47,168,411 Les trois articles précédents forment une fraction qui ne s'élève pas à un pour cent de la valeur de toutes les mutations. 110 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. La valeur des biens transmis, entre-vifs, à titre oné- reux. Par ventes autres que celles ci-après : De 1826 à 1830 5,166,056,897 fr. De 1831 à 1835 5,393,269,178 Total pendant les dix ans 10,559,326,075 C'est-à dire de 45 pour cent de la valeur de toutes les mutations qu'ont éprouvées les biens immeubles dans ces dix ans, et de 27 pour cent de la valeur de toute la propriété foncière. [ Par ventes de domaines de l'État : De 1826 à 1830 14,731,873 fr. De 1831 à 1835 118,909,165 Total pendant les dix ans. . , . . • 133,641,038 Ce qui fait un peu plus de 1/2 pour cent de la valeur to- tale de toutes les mutations. Par licitations et soultes de partage : De 1826 à 1830 424,217,654 fr. De 1831 à 1835 363,834,914 Total pendant les dix ans 788,072,568 C'est-à-dire de 3 pour cent de la valeur de toutes les mutations, et de 2 pour cent de la valeur de toute la pro- priété foncière. Par ventes antérieures à la loi du 28 avril 1816 ; et par échanges, retours, etc. De 1826 à 1830 183,117,564 fr. De 1831 à 1835 221,642,017 Total pendant les dix ans. ..... 404,759,581 C est-à-dire de 2 pour cent de la valeur de toutes les mutations, et de 1 pour cent de la valeur de toute la pro- priété foncière. LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 1 1 1 Réunissant les valeurs de toutes les mutations dont les causes viennent d'être déduites, on trouve qu'elles sont exprimées par le tableau suivant : TABLEAU RÉCAPITULATIF de la valeur des biens immeubles transmis dans les 10 ans, de 1826 à 1835, par héritage, donation, vente ou cession. Do 1826 6 1830. De 1831 à 1835. Bans les dix ans. Par héri- tage. 4, 542,828,245 fr. 4,774,459,622 fr. 9,317,287,867 fr. Par dona- tion. 1,005,236,039 1,139,963,373 2,145,199,412 Par vente ou cession. 5,788,123,988 6,097,675,274 11,885,799,262 Total des mutations. 11,336,188,272 12,012,098,269 23,348,286,541 Il résulte de ce tableau que la valeur des mutations qu'ont éprouvées les biens immeubles pendant dix ans a été de 23,348,286,541 ; c'est-à-dire de 59 pour cent de la valeur de toute la propriété foncière, et cette proportion de 59 s'est divisée ainsi qu'il suit : Par héritage 23 1/2 ou 40 pour cent de la valeur totale des mutations. Par donation. ...... 51/2.. 9 Par vente ou cession, . . 30 .... 51 Total 59 100 Pour compléter ce sujet nous donnons le tableau de la valeur des biens meubles transmis de 1826 à 1835 par hé- j ritage, donation, vente ou cession. I1 112 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. De 1826 à 1830. De 1831 à 1835. Dan» les dix ans. Par héri- tage. 2,428,768,787 fr. 2,661,318,154 fr. 5,090,086,941 fr. Par dona- tion. 1,291,532,237 1,359,829,045 2,651,361,282 Par vente ou cession. 2,049,634,995 1,987,152,843 4,036,787,838 Total. 5,769,936,019 6,008,300,042 11,778,236,061 Les mutations des biens meubles se sont donc élevées à la valeur de 11, 778, '236,061 francs, en dix ans, ce qui est 51 pour cent de la valeur des mutations des biens im- meubles. Il est bon de remarquer que les meubles se composent principalement de récoltes sur pied , de coupes de bois ; de ventes .publiques de marchandises par courtiers de commerce, et aux congrégations hospitalières , de cons- titutions, cessions et délégations de rentes ou pensions ; de cessions de créances à terme, d'actions, et autres cessions sujettes à un droit d'enregistrement et qui sont distinctes du négoce ordinaire du pays. Ces diverses mutations de propriété donnent lieu à un nombre énorme d'actes passés devant les notaires. Voici ce que dit à ce sujet le ministre de la justice dans son rapport au roi, daté du 10 avril 1842 : « Le nombre des notaires en exercice dans tout le royau- me pendant l'année 1840, était de 9,945 : 414 de la pre- mière classe, 1 ,431 de la seconde, et 8,130 de la troisième. Ils ont reçu ensemble 3,431,553 actes de toute nature; c'est 3H actes par notaire ; et un acte pour 10 habitants (environ 98 sur 1000) si on les compare à la population totale du royaume. Cette proportion est exactement celle du département de la Seine; mais elle varie beaucoup LIV. I. DE LA PROP1UÉTÉ TERRITOR? A-LE. 113 dans les autres départements. Ainsi, dans la Corse, on ne compte qu'un acte pour 36 habitants; dans les Côtes-du- Nord, les Landes, la Haute-Saône, 1 pour 21, 20, 19 ; dans le Finistère, l'IUe-et-Vilaine, le Doubs, la Moselle, les Vos- ges, le Morbihan, 1 pour 17, 16, 15; dans l'Indre-et-Loi- re, Loir et-Cher, Eure-et-Loir, au contraire, le rapport est d'un acte pour 6 habitants ; il est d'un acte pour 7 ha- bitants dans la Nièvre, Seine-et-Marne , Seine-et-Oise , l'Yonne, le Puy-de-Dôme, Tarn-et-Caronne. REMARQUES. Dans l'esquisse que nous avons donnée de l'his- toire de France depuis Philippe-Auguste, nous avons tâché de dire par quels moyens le trône et la bourgeoisie ont affaibli le clergé et détruit la no- blesse. Une révolution devait éclater, et, en éclatant, devait attaquer et renverser le pouvoir ; et comme le pouvoir se trouvait exclusivement dans les mains des parlements, cette institution a été pulvé- risée du premier jour, quoique essentiellement ré- volutionnaire, ayant été, dans son principe, hostile au clergé et à la noblesse, en favorisant intention- nellement les classes inférieures. La société, telle qu'elle était instituée, fut radicalement détruite. Chacun des corps qui la composait fut laissé à ses propres forces. Le clergé et la noblesse n'étant pas précédemment autant affaiblis qu'ils devaienti'ëtre, la révolution n'a point produit à la longue les ré- l. S 114 DE l'aCR!CL'LT"CRE EN FRANCE. sultats qu'on en attendait. Les destructions, de- puis cinquante ans, ont été immenses ; mais le clergé en a moins souffert que la noblesse, la no- blesse moins que la bourgeoisie, la bourgeoisie moins que les artisans, et les artisans moins que les paysans ; et ceci est dans Tordre naturel : dans une épidémie, les faibles souffrent ou périssent avant les forts. Les tableaux précédents nous en donnent la preuve. Pour bien saisir ceci, il faut comparer les trois systèmes divers qui régissaient la tenure des terres en France. Les deux zones du midi étant dans la même catégorie, nous ferons observer d'abord que le premier parlement, établi en province , c'est- à-dire la première hostilité du trône et de la bour- geoisie con tre le clergé et la noblesse, eut lieu à Toulouse. Tout individu eut droit de posséder des terres. Voyons-en les effets sur l'ensemble de la société. L'impôt sur les terres en France est aujour- d'hui fixé d'après leur produit annuel. Un hectare de terre paie 2 fr. dans le midi. Cet impôt, d'après les rapports de l'administration, représente la dixième partie du revenu ; donc le produit moyen d'un hectare de terre, est, dans le midi delaFrance, de 20 fr. La seconde catégorie se compose du nord orien- tal, soit la Flandre. Quand Louis XIV en eut fait la conquête, la noblesse réclama ses privilèges : ils consistaient en ce que les ventes de la propriété LtV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 115 foncière se trouvaient interdites. La loi n'accordait au créancier que les revenus de son débiteur pen- dant vingt-neuf ans. A quoi Louis XIV répondit qu'il n'avait pas acquis cette province par achat ou par alliance, qu'il l'avait conquise, et que son droit de conquérant l'autorisait, comme mesure fiscale, à la soumettre à la coutume de Paris, cou- tume aussi destructive de la société que le droit ro- main. Ce n'est donc que depuis cent cinquante ans que cette destruction est commencée, tandis qu'elle l'est depuis cinq cents ans dans le midi ; aussi le revenu d'un hectare y produit 26 fr. 80 cent., au lieu de 20 fr. 20 cent., dans le midi. Les Normands, en s'établissant en Normandie, conservèrent leur système féodal ; il fut beaucoup moins attaqué que celui du reste de la France. La noblesse vivait sur ses terres, ou à Caen, séparée du parlement, qui était établi à Rouen, ville de ma- nufacture. Elle a donc pu parer plus facilement les coups, et conserver ainsi quelques familles et quelques propriétés. La révolution est venue éga- liser, en Normandie comme ailleurs, les partages des terres. Mais la destruction en Normandie n'a que cinquante ans de date, aussi le revenu d'un hectare de terre y est-il aujourd'hui de 33 ï\\ 60 cent. ! Nous arrivons au second tableau de ce chapitre \ qui donne le nombre es cotes de la contribution ' foncière, et nous fi\OLS i attention du lecteur sur 116 DE l' AGRICULTURE EPf FRANCE. /celles de 1,000fr. et au-dessus, dont le ministre a annoncé que la moyenne était de 1 ,726 fr., ce qui suppose donc, cyprès lui, 17,260 fr. de rente. Le nombre de gens de 17,000 fr. de rente en propriétés foncières est donc de 1,494 et 1,788 dans les ré- gions du midi, tandis que, dans celles du nord oriental, il est de 3,248, et dans le nord occidental |de 6,831 . D'après le travail officiel du ministre, il se ■ trouve, en somme, qu'en France l'hectare de terre I dans chaque région produit d'autant plus que la w région contient plus de riches propriétaires. Si on passe à la colonne des cotes de 500 fr. à 1 ,000 fr. , ce qui, d'après le document officiel, sup- pose 6,833 fr. de rente, état assez aisé en France, on verra que la région, autrefois féodale, en contient 14,684; la région de la coutume de Paris, soit le nord oriental, 7,273, et les deux régions du droit écrit, 5,636 et 5,601. Au reste, en donnant le nombre relatif des grands propriétaires qui restent en France, notre intention est d'indiquer les pays où il est le moins difficile de revenir à un meilleur système. Mais partout les dif- ficultés sont énormes; on en peut juger par les 5,200,000 cotes au-dessous de 5 fr., ce qui indique 2,000,000 et demi de familles, dont la valeur moyenne en propriétés foncières ne s'élève pas à 30 fr. ; et ce nombre de malheureux attachés à la glèbe s'augmente toujours dans une progression croissante, puisque le nombre des cotes ne s'étant LiV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 117 élevé de 1815 à 1825 que de 2 pour %, s'est élevé de 1825 à 183j de G pour °/n- Youlantsuivre l'analyse des pièces officielles don- nées dans cet article, nous laisserons à part le dis- \ cours de M. le ministre de l'intérieur. On ne peut dire mieux et conclure plus mal. La loi dont il défendait le projet ne valait pas les frais de tant d'éloquence. La France est peuplée de 7,000,000 de familles, dont les trois quarts, soit 5,200,000, vivent par l'agriculture. Sur ce nombre, il y en a au moins 4 millions qui sont propriétaires de terre. Voilà une plaie profonde; 4,000,000 de familles répu- blicaines et affamées ! La moitié de ce nombre paie en moyenne 6 francs, et obtient donc , par son travail, un revenu de (>0 francs, d'après le dire du fisc. Mais il est une autre plaie bien plus profonde : ce sont les parcelles dispersées à de grandes distances les unes des autres. Si ces 4,000,000 de familles avaient leurs propriétés telles quelles, en un seul tenant, le mal serait encore grand, mais le remède serait moins difficile. Dans cette supposition, les 13,3G1 grands propriétaires, qui paient une cote de 1,700 fr. , dont les propriétés seraient agglomé- rées, pourraient successivement s'étendre dans leur voisinage par héritages ou achats ; mais cela est devenu impossible : les propriétés de ces 13,361 sont divisées en des centaines de parcelles, tout 118 DE LAGRICULTURE EN FRANCE. comme celles des paysans; et cette division s1 accroît annuellement, surtout depuis la restauration. Nous passons au tableau officiel des mutations en propriétés foncières, qui, en dix ans, s'élève à plus de 23,000,000,000, c'est-à-dire à plus de la moitié de la valeur de la propriété foncière dans tout le royaume ; et qui, comme M. Malthus Ta si bien prédit, doit amener le gouvernement à être le seul propriétaire. On en peut juger par les cir- culaires des préfets, qui indiquent aux paysans le moyen d'abandonner leurs terres pour ne pas payer l'impôt; c'est de lui donner 40 sols pour faire en- registrer l 'abandon ; sans quoi leurs meubles sont saisis. Sur ces 23,348,000,000 de fr. de mutations, il en est 9,317,000,000 d'une calamité naturelle. La mort d'un père fait hériter ses enfants. Les do- nations des 2,145,000,000 de fr. sont faites dans un but de conservation. Mais les 11,885,000,000 de fr. de vente ou de cession tous les dix ans, ce qui est plus du quart de la valeur de la propriété fon- cière en France, doit être regardé comme un cri d'alarme et de détresse pour l'agriculture française ; car ces ventes divisent le sol en de bien plus petites parcelles que les héritages mêmes. Quand le mal se fait par des malfaiteurs, on peut le combattre ; mais lorsque les gens de bien se mêlent à eux, le mal est sans remède. A l'époque de la Restauration, en 1815, il ne restait en France qu'un seul pouvoir légitime, celui de la royauté ; LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 119 mais en 1 830, le pouvoir était moins en harmonie avec le pays que quinze ans avant; la société était en hostilité avec lui; la Restauration avait accru de beaucoup le nombre des complices de la révolu- tion. Arrive donc 1830. Les grandes dévastations dans les propriétés territoriales étaient finies. Les dévastateurs ne furent plus obligés de former des associations nombreuses. De grands capitaux n'é- taient plus nécessaires ; un seul homme de loi suf- fisait pour compléter la division des terres d'une commune, et, en juges, en greffiers, en avocats, en avoués, en notaires, en gardes champêtres ou huis- siers, la France en compte 80,000 d'officiels, tous salariés par le gouvernement ou par le public, tan- dis que, en Angleterre, il n'y a qu'un cinquième de ce nombre de gens de loi, quoique en propriétés! rurales elle ait une valeur quadruple de celle de la; France. Ici, dès qu'un père meurt, les légistes vien- nent envahir l'asile de sa famille désolée pour y porter de nouvelles désolations. Il leur suffit d'exciter la cupidité d'un de ses membres pour pulvériser la terre paternelle. Que les générations futures n'aillent pas croire que les destructions que permettait ce système n'aient pas été prévues. Jamais époque n'a produit de publicistes plus éclairés. Qu'on lise les discours ou les écrits de MM. Pitt, Burke, Canning et Mal- thus, en Angleterre; de MM. Gentz, Mallet etBran- dès, en Allemagne; de MM. Cazalès, de Bonald, de 120 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. Maistre et des abbés Royou, Geoffroy et de laMen- nais, en France, et on verra que tout a été prévu et prédit. Bonaparte, fidèle au concordat qu'il avait fait avec le pape, n'avait jamais aliéné les bois du cler- gé. Cette réserve présentait une ressource future pour le sacerdoce et faisait espérer que nos autels se relèveraient. Mais à l'époque de la Restauration, le gouvernement français fit cette sinistre annonce, qu'il allait mettre en vente les bois de l'État, bois dont le clergé avait été propriétaire dépouillé. Des personnes, du nombre desquelles nous nous hono- rons d'avoir été, tous électeurs et éligibles, s'as- semblèrent, et afin de rester étrangères à la compli- cité de cet acte sacrilège, ruineux comme mesure de finance, se promirent de ne jamais profiter de leurs droits de citoyens, promesse qu'elles ont reli- gieusement tenue. Ayant vu les immenses avantages que les Anglais ont obtenus par l'agglomération des terres, ils envoyèrent une humble requête au Roi. Ils traitèrent surtout cette question vitale ; ils touchèrent ensuite nombre de points, et ils termi- nèrent en demandant de faire disparaître ce nouvel instrument de mort qui rappelait des souvenirs hu- miliants à la famille royale ainsi qu'à tant de per- sonnages honorables. Par respect pour leur Roi, ils tinrent secrète cette supplique : elle passa en- tre les mains d'un ministre d'état fort spirituel. Il la parodia et la publia dans une chanson , LIV. 1. DE LA. PROPUlÉlÉ TERRITORIALE. 121 dont le refrain de chaque couplet devenait im- pératif : Nous demandons au surplus D'être à l'avenir pendus, Ainsi que naguères L'on pendait nos pères. Pareille saillie excita beaucoup de gaîté à la cour. Elle se tempéra cependant quelques jours après que Bonaparte débarqua de File d'Elbe. Mais l'inexorable révolution ne nous a pas même fait cette concession d'être pendus comme nos pères. 122 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. CHAPITRE V. DES IMPÔTS MIS SUR LES MUTATIONS DE LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE. On peut encore tirer quelques lumières sur l'état de la propriété foncière en France des Rapports faits au roi sur l'administration des finances. Nous allons donner un ex- trait de ces deux ministres des finances en 1839 et 1840. RAPPORT FAIT EN 1839. L'enregistrement est un des impôts les plus anciens et les plus productifs. Pour faire apprécier les causes dont il subit l'influence, il peut être utile d'indiquer les rela- tions existantes entre les revenus qu'il procure et les faits généraux qui constituent la richesse et la prospérité du pays. Toutes les circonstances qui affectent la fortune et la prospérité publique ou privée réagissent plus ou moins directement sur le produit des droits d'enregistrement : cependant ces droits ne forment pas un tout homogène ; les causes d'augmentation et de diminution varient sui- vant les différentes espèces de droits. L'élévation progressive du produit des droits sur les ventes d'immeubles est, sans contredit, une conséquence immédiate et certaine d'une situation prospère. La cause la plus commune de ces ventes est, en effet, d'une part, le besoin de capitaux pour l'industrie ; d'autre part, lepen. chant naturel des capitaux, acquis par l'industrie, àsecon- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 123 solider en biens fonds. On vend, pour se procurer des moyens de travail ; on achète pour réaliser les capitaux que ce travail a créés. Les ventes d'immeubles sont ainsi d'autant plus nombreuses, d'autant plus importantes, que le travail est une nécessité plus générale, que l'indus- trie demande et produit plus de capitaux. A une époque de paix intérieure, lorsqu'une libre carrière est ouverte à toutes les industries, dans un état de société où le travail est en quelque sorte la loi universelle des individus et des familles , les transmissions de cette nature doivent ten- dre incessamment à se multiplier, et par suite le produit des droits d'enregistrement auxquels elles sont soumi- ses doit s'accroître proportionnellement. Cependant l'aug- mentation du produit de ces droits peut être accidentel- lement le résultat de circonstances malheureuses : la dé- tresse de l'agriculture , les souffrances du commerce amènent les adjudications sur saisie immobilière, et mul- tiplient les ventes volontaires à vil prix ; mais l'augmen- tation due à de semblables causes serait nécessairement passagère et serait inévitablement suivie d'une prompte diminution. La propriété foncière fournit des capitaux à l'industrie de deux manières; par l'aliénation ou par l'emprunt hypo- thécaire. L'élévation du produit des droits d'enregistre- ment sur les obligations , est donc , comme celle du produit des droits sur les ventes d'immeubles, le résultat de l'abondance des capitaux et de l'activité des affaires. Cependant le prêt hypothécaire peut être onéreux pour le propriétaire qui parfois n'emprunte que parce qu'il ne trouve pas à vendre; et si le négociant est réduit à four- nir un gage hypothécaire, c'est une marque certaine de l'affaiblissement du crédit. On compren d'ailleurs parmi 124 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. les droits sur les obligations, ceux qui se perçoivent sur les billets à ordre et les lettres de change, dont l'enregis- trement n'a lieu qu'en cas de protêt ou d'assignation. On a observé que les départements qui présentent une diminution aux droits sur les ventes d'immeubles, four- nissent assez souvent une augmentation aux droits sur les obligations. Une observation analogue peut être faite à l'égard du droit sur les libérations : le produit de ce droit est géné- ralement en rapport inverse de celui des droits sur les ventes d'immeubles ; quand les capitaux sont abondants et le prix de la propriété foncière élevé , le propriétaire, pour se libérer, préfère vendre à emprunter, et alors le produit des droits de libération diminue. Les donations entre-vifs ont leur principe dans les af- fections de personnes ou de familles ; cependant le pro- duit des droits établis sur les transmissions de cette na- ture n'est pas tout à fait indépendant de certains faits gé- néraux. D'abord, les sept neuvièmes des donations ont lieu par contrats de mariage ou par des partages d'ascen- dants, qui ne sont que des successions anticipées. L'ac- croissement de la population, les progrès de l'aisance gé- nérale, ne sont point aussi sans influence sur le nombre des transmissions à titre gratuit. D'un autre côté, le chef de famille est d'autant plus disposé à se démettre de tout ou partie de ses biens, que les moyens de travail sont plus recherchés et le travail lui-même plus productif; enfin les progrès de l'agriculture augmentent le revenu des terres, qui sert de base à la perception du droit d'en- registrement sur les donations entre- vifs. Les produits des droits qui se perçoivent sur les ventes d'immeubles et môme sur les donations entre-vifs subis- LIV. 1. DE LA PliOPlUElE TERB$lTORiALE. L25 sent plus ou moins l'influence journalière des circon- stances, et se ressentent de la mobilité de l'opinion et des intérêts industriels. Les causes qui ont action sur le pro- duit des droits de mutation par décès sont sujettes à moins de variations; ce droit participe de la nature de l'impôt direct, par l'inévitable périodicité de sa percep- tion. Le progrès de la population, la division des proprié- tés , l'amélioration du sort de la classe ouvrière , et par suite la diminution du nombre des prolétaires, la créa- tion de nouveaux capitaux par l'industrie, l'accroisse- ment du revenu foncier, tels sont les faits généraux aux- quels est subordonnée l'élévation du produit des droits d'enregistrement sur les mutations par décès. Sans doute quelques successions considérables, une mortalité ex- traordinaire peuvent troubler accidentellement l'action de ces causes générales, et intervertir la marche naturelle des choses; mais l'augmentation du produit des droits de mutation par décès n'en a pas moins une base assurée dans le développement régulier et continu de tous les élé- ments de prospérité matérielle. Les résultats qui vont être exposés ci -après pour cha- que nature de perception, feront remarquer une aug- mentation sensible dans les droits de mutation par décès pendant les années 1835, 1836 et 1837. Un fait non moins grave, non moins digne d'intérêt que l'élévation graduelle de ce produit, c'est l'augmenta- tion du nombre des déclarations de successions propor- tionnellement à celui des décès. On ne déclare que les successions qui présentent un actif. Le chiffre moyen des décès est environ de 800 à 840,000 par année ; celui des dé- clarationsdesuccessions, qui, enl836, avait été de 407,000, s'est élevé, en 1837, à 427,000. Ainsi le nombre des décla- 126 DE L'AGRICULTURE ES FRANCE. rations dépasse la moitié des décès ; résultat qui paraîtra satisfaisant si l'on considère que dans les 800 à 8i0,000 décès annuels il y en a un tiers au moins d'individus de vingt ans et au-dessous ; ensuite , l'augmentation du nombre des déclarations de successions est d'un vingtiè- me; tandis que l'accroissement moyen du nombre des dé- cès est à peine d'un cinquantième par année. C'est la dé- monstration matérielle de la diminution successive du nombre des prolétaires, signe le plus certain d'améliora- tion sociale. Le développement industriel et commercial, l'activité des affaires accroissent nécessairement le nombre des procès, et, par suite, contribuent à l'augmentation du produit des droits proportionnels sur les condamnations, et des droits fixes sur les actes judiciaires et extra-judi- ciaires. Malheureusement, d'autres causes concourent à ce résultat: on a remarqué que les départements les plus pauvres sont ceux qui , proportionnellement, donnent, pour ces sortes de droits, les recettes les plus élevées. Quant aux droits fixes sur les actes civils et adminis- tratifs , l'accroissement du nombre de ces actes est la conséquence naturelle de l'activité et de l'extension des affaires. En résumé, l'augmentation du produit des droits sur les transmissions de toute nature, notamment des droits de mutation par décès, atteste qu'en 1837 les éléments de prospérité matérielle du pays ont continué d'être en voie de progrès et d'amélioration. Cependant la faible aug- mentation du produit des droits sur les ventes d'immeu- bles, proportionnellement à l'importance de ce produit, la diminution que présente le droit sur les libérations, et l'élévation extraordinaire du produit des droits sur les LIV, t. DE LA PBOPRIÉTÉ TERRITORIALE. 127 actes judiciaires et extra-judiciaires, indiquent que, du- rant ce même exercice, des circonstances, des faits plus ou moins graves ont neutralisé l'influence de la prospé- rité générale sur les produits de l'enregistrement. De ces faits, les plus saillants sont : la crise commerciale des Etats-Unis d'Amérique , la stagnation du commerce avec l'Espagne, et le bas prix des vins dans un grand nombre de départements. A ces causes générales se joignent les causes particu- lières qui vont être indiquées en même temps que les ré- sultats qu'elles ont produits. RAPPORT FAIT EN 1840. Vente de meubles. Nombre d'actes en 1838 328,943 Augmentation sur 1837 10,649 Produits en 1838 8,858,803 fr. Augmentation sur 1837 dans certains départements. . 332,106 Diminution sur 1837 dans d'autres déparlements. 212,241 Résultat en augmentation pour 1838 119,865 Les causes d'augmentation sont la surveillance appor- tée à l'exécution des dispositions de la loi du 22 pluviôse an 7, sur les ventes de meubles aux enchères ; l'usage plus répandu parmi les petits propriétaires de vendre leurs récoltes sur pied, par adjudication publique ; de plus nom- breux congéments dans les départements de l'ancienne Bretagne ; des constitutions et cessions de rentes ; des cessions de créances à termes, plus nombreuses et plus importantes qu'en 1837, par suite de l'abondance des ca- pitaux ; des nominations d'officiers publics et ministé- riels en plus grandnombre. On attribue les diminutions à moins de ventes publi- 128 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. ques de marchandises par les courtiers de commerce et après faillite; à l'établissement des comptoirs d'escompte de la banque de France, qui facilitent les emprunts et préviennent les saisies. RAPPORT FAIT EN 1839. Ventes d'immeubles. En 1837 . 79,348,552 fr. Augmenlalion sur 1836 dans 47 déparlements. . . 3,204,450 Diminution sur 1836 dans 39 départements 2,555,106 L'augmentation pour 1837 est de 649,344 L'augmenlalion résulte de l'élévation croissante dit prix des propriétés foncières, par suite des progrès de l'agri- culture ; de l'amélioration des voies de communication et de l'abondance des capitaux; de V accroissement du nom- bre des ventes, par l'effet des progrès de la division des propriétés, des ventes en détail de grands domaines et des opérations cadastrales. Dans un seul département (la Somme), l'augmentation est présentée comme le résultat de la crise commerciale qui aurait forcé de vendre des immeubles pour se procurer des capitaux. La diminution est attribuée au placement des capitaux dans les entreprises industrielles ; aux effets de la crise commerciale des Etats-Unis d'Amérique ; à la nullité ou faiblesse des récoltes, au bas prix des denrées, principa- lement des vins; au ralentissement des ventes en détail ; presque partout aux simulations de prix de ventes et à l'insuffisance des moyens de répression fournis contre ces fraudes par la législation existante. Les sociétés industrielles ont pu nuire aux droits sur les ventes d'immeubles de deux manières : les capitaux, en se dirigeant vers ces entreprises, se sont détournés LIV. I. DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. 129 de la propriété foncière ; ensuite, l'apport d'un immeuble en société est un mode d'aliénation, et dans l'état de la législation, cette aliénation ne supporte qu'un droit fixe d'enregistrement. RAPPORT FAIT EN 1840. Ventes d'immeubles. Nombre d'actes en 1838 1,176,863 Augmentation sur 1837 13,237 Produits en 1838 85,622,449 fr. Augmentation sur 1837 dans 65 départements. . . . 6,756,S15 Diminution sur 1837 dans 21 départements 482,917 Résultat en augmentation pour 1838 6,273,898 L'augmentation résulte de l'élévation du prix de la propriété foncière, par suite des progrès de l'agriculture ; de l'abondance des capitaux ; de l'abaissement de l'inté- rêt de l'argent; du discrédit des actions des compagnies industrielles, qui a rapporté les capitaux sur la propriété foncière ; de l'ouverture de -nombreuses voies de commu- nication, qui répandent du numéraire dans le pays, ac- croissent la valeur des propriétés limitrophes, facilitent les défrichements et dessèchements ; des ventes en détail, des ventes faites par les émigrants pour l'Afrique et l'Amé- rique; dans deux départements seulement, l'augmenta- tion est la conséquence de nombreuses saisies immobilières. La diminution a pour causes, soit des crises commer- ciales ou de mauvaises récoltes , soit l'absorption, dans certains départements, des capitaux que les habitants des campagnes employaient en acquisition d'immeubles dont la vente avait lieu en détail. Le produit du droit sur les ventes d'immeubles, qui forme depuis longtemps à peu près la moitié du produit I. 9 1 13(1 DE L'AGRICULTURE E> FRANCE. du droit d'enregistrement, subit l'influence de toutes les circonstances qui viennent fortifier ou altérer la con- fiance publique ; accélérer l'expansion ou le resserrement des capitaux; amener la hausse ou la baisse du prix de toutes choses; et, enfin, accroître ou diminuer les échan- ges des valeurs de toute nature. C'est la situation du moment qui agit principalement sur ce produit ; on peut expliquer les variations par les événements de chaque année, presque de chaque mois. Le produit de l'enregis- trement sur les ventes d'immeubles, qui avait été de 68,639,793 fr. en 1828, s'est élevé en 1838 à 85,622,449 fr. Il en résulte une augmentation de dix-sept millions en dix ans. KAPPORT FAIT EN 1840. Donations en tre-v ifs . ^Nombre d'actes en 1838. Augra0" sur 1837. Dimon. En ligne directe 173,899 1,394 Entre époux 5,356 105 » En ligne collatérale 15,422 225 » Entre personnes non parentes. 8,155 203 Totaux 202,832 1,724 203 Produits en 1838. Augm"" sur 1837. Dinr". En ligne directe 6,028,834 f. 295,322 1". 326,754 f. Entre époux 42, ,70 15,303 12,531 En ligne collatérale 1,240,987 295,408 167,585 Entre personnes non parentes. 784,634 174,091 122,495 Totaux 8,096,925 f. 780,124 f. 629,635 f. Résultat en augmentation pour 1838 150,759 fr. En ce qui concerne les donations en ligne directe, la di- minution porte principalement sur les partages anticipés, faits en vertu des articles 1075 et 1076 du Code civil. Elle peut être attribuée à des difficultés qui s'étaient élevées Ll\. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 131 relativement à l'application des droits d'enregistrement aux actes de cette nature, et qui ont contribué à les ren- dre moins nombreux; difficultés qui ont été aplanies par un arrêt de la cour de cassation. Les causes qui ont fait augmenter les droits sur les donations entre époux, entre collatéraux et entre person- nes non parentes, proviennent des libéralités plus nom- breuses et plus importantes en 1838 qu'en 1837, cir- constance tout-à-fait accidentelle et indépendante de l'accroissement progressif du revenu des terres et de la prospérité générale des affaires. Le motif le plus ordinaire des donations en ligne collatérale et entre personnes non parentes est la nécessité où se trouvent des célibataires, des veufs sans enfants d'un âge avancé, de se démettre de leurs biens ruraux, à la charge, par les donataires, de les nourrir et entretenir le reste de leur vie. Les dona- tions sont, par cette raison , plus communes dans les pays agricoles que dans ceux d'industrie, dans les cam- pagnes que dans les villes. Ainsi dans le département de la Seine il n'y a eu, en 1838, que 207 donations entre-vifs en ligne collatérale, tandis qu'on en compte 579 dans le département du Puy-de-Dôme. La même différence se rencontre proportionnellement pour les donations entre personnes non parentes. RAPPORT FAIT EN 1840. Successions. Nombre de déclara lions en 1838. Diminution sur 1837. En ligne directe 309,860 .'14,183 Entre époux 81,310 2,778 En ligne collatérale 94,022 2,029 Entre non parents 17,188 842 Totaux 502,380 19,832 132 DE L'AGRICULTURE EN FRAiNCE. Produits en 1838. En ligne directe. . . 8,470, 67/i fr. Entre époux 3,(348,524 En ligne collatérale. 16,743,768 Entre non parents. . 3,875,047 Augmon sur 1837. Dim»«. 127,757 fr. 1,125,722 fr. 175,986 459,600 978,188 2,783,481 681,908 708,998 Totaux. . . . 32,738,013 1,963,839 5,077,861 Résultat en diminution pour 1S38 3,114,022 fr. Cetle diminution considérable dans les produits s'ex- plique par celle de 19,832 dans le nombre des déclara- tions de successions. Il paraît en effet qu'en 1837 le chif- fre des décès a, par suite de nombreuses épidémies, dé- passé de beaucoup celui de 1838. Les successions, ouvertes en 1838, ont été en outre moins importantes, notamment en ligne collatérale, que celles dont la déclaration a eu lieu en 1837. Une autre cause de diminution , spéciale aux succes- sions en ligne directe, ce sont les partages anticipés faits par des pères et mères entre leurs enfants, et dont Tu- sage, depuis la faveur accordée par la loi du 16 juin 1824, se propage dans les familles. Les droits perçus sur ces actes sont pris par anticipation sur le produit des droits de succession. Il existe des inégalités remarquables entre les déparle- ments , relativement au nombre de déclarations et au produit des droits de successions entre époux. Ces muta- tions sont très-nombreuses dans les départements de l'an- cienne Normandie, très-rares dans ceux de l'ancienne Bretagne, où les habitants des campagnes ne font presque jamais de contrats de mariage ; plus fréquentes dans Jes départements où le régime de la communauté est géné- ralement suivi, que dans ceux où le régime dotal est éta- bli, et qui étaient anciennement soumis au droit écrit. LÎV. I. DE Là PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 133 Les départements où la propriété est le moins divisée et ceux où le droit de primogéniture s'est maintenu dans les mœurs, sont aussi ceuxoù s'ouvrent le plusdesucces- sions en ligne collatérale. Le produit des droits sur ces successions, qui était en 1828 de 10,969,842 francs, s'est élevé en 1838 à 16,743,768 francs : c'est, en dix années, une augmentation d'environ 6il7e», qui est due, indépen- damment des causes générales et ordinaires à la loi du 21 avril 1832, qui a élevé la quotité de ces droits. Celles des successions entre personnes non parentes, qui pro- duisaient en 1828 seulement 1,853,515 francs, ont donné en 1838 3,875,047 francs, c'est-à-dire que le produit a plus que doublé. On peut spécialement apprécier, par cette différence, les résultats de la loi du 17 avril 1831. Cette loi a aboli les privilèges créés précédemment en faveur des legs et donations faits aux communes et aux établis- sements publics, qui ne doivent pas plus être affranchis de l'impôt de l'enregistrement que de la contribution fonci ère. RAPPORT F ATT EN 1840. Baux et Antichrèses. Nombre d'actes en 1838 220,930 Augmentation sur 1837 8,649 Produits en 1838 1,615,073 fr. Augmentation sur 1837 dans 56 départements. . . . 137,256 Diminution sur 1837 dans 30 départements 20,223 Résultat en augmentation pour 1838 117,033 Les augmentations sont causées par le renouvellement de baux importants, notamment de l'octroi de plusieurs villes , par l'accroissement du revenu des terres, et par les défrichements qui sont la conséquence de l'ouverture de nouvelles voies de communication. On attribue les diminutions au progrès du morcelle- 134 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. ment de la propriété, au développement donné à l'instruc- tion primaire qui multiplie les baux sous seing-privé , aux fausses évaluations dans les baux à mi-fruits, et au soin que prennent les propriétaires de ne pas faire enregistrer les baux afin de ne point fournir de base à la perception des droits de mutation, ainsi qu'à la répartition de l'impôt foncier. Le produit des droits d'enregistrement des baux s'est élevé, en 1837, moins haut qu'en 1828 ; il est donc resté stationnaire durant cette période de dix ans qui a vu s'ac- croître toutes les autres espèces de produits. L'augmen- tation assez considérable qui s'est manifestée en 1838, ne peut, ainsi qu'on vient de le voir, être attribuée qu'à des circonstances purement accidentelles. Il est reconnu que le but qu'on s'était proposé en réduisant, par l'article 1er de la loi du 16 juin 1824 , le droit d'enregistrement des baux, est absolument manqué. RAPPORT FAIT EN 1840. Obligations. Nombre d'actes en 1838 835,066 Diminution sur 1837 9,611 Produits en 1838 7,129,432 fr. Augmentation sur 1837 dans 43 départements 174,105 Diminution sur 1837 dans 43 départemenst 242,058 Tiésultat en diminution pour 1838 67,953 Les causes d'augmentation sont, dans quelques locali- tés, des crises commerciales qui ont amené l'enregistre- ment d'effets négociables, et le discrédit des actions in- dustrielles qui a reporté les capitaux vers la garantie hy- pothécaire. Quant aux causes do diminution, oc sont: la sécurité LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 135 des affaires qui a permis de placer sur simples billets ; les caisses d'épargnes, les comptoirs d'escompte de la Banque de France ; l'usage gui se répand des actes d'ouverture de crédits avec la garantie hypothécaire , lesquels, d'après la jurisprudence de la cour de cassation, ne sont sujets qu'au droit fixe d'enregistrement. Pour apprécier ces causes, il convient de remarquer qu'en résultat, pour 1838, le produit des droits sur les obligations hypothécaires a augmenté de plus de 30,000 francs, etqu'il y a eu diminution de 110,000 fr. sur le pro- duit des droits d'enregistrement des lettres de change et billets à ordre, qui ne sont soumis à cette tormalité qu'en cas de poursuites. RAPPORT FAIT EN 1840. Libérations, Nombre d1actes en 1S3S . G08,82S Augmentation sur Ï837 19,168 Produits en 1838 A,087,50/i fr. Augmentation sur 1837 dans 59 départements 180,508 Diminution sur 1837 dans 27 départements 25,605 Résultat en augmentation pour 1838 154,903 Les augmentations sont attribuées à l'abondance des capitaux, à l'aisance générale, et au prix élevé des céréa- les, des laines et des bestiaux. Des causes contraires ont produit des diminutions dans d'autres localités. Les progrés de l'instruction primaire, et les moyens mis en usage par les notaires pour éviter le droit de libération, ont pu contribuer à ce résultat. L'état de gène de la propriété foncière, la crise com- merciale, et plus d'activité delà part des tribunaux pa- raissent avoir produit l'augmentation. 136 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. Quant à la diminution , elle provient de l'amélioration des affaires et de la réduction du nombre des procès. Le nombre des actes judiciaires enregistrés , qui, en 1836 était de 2,028,874, s'est élevé en 1837 à 2,102,131 ; il y a donc eu augmentation de 73,257 actes et juge- ments. Celui des actes extra-judiciaires de 4,823,432, en 1836, a monté en 1837, à 5,189,930, ce qui donne en plus pour 1837, 366,498 actes. Ainsi que je l'ai déjà fait observer, le nombre des actes extra-judiciaires est proportionnellement plus considéra- ble dans les départements pauvres que dans certains dé- partements riches ; par exemple, dans l'Ardèche, l'Avey- ron et la Corrèze, il se fait plus d'actes de cette espèce que dans l'Aisne , le Nord et le Pas de-Calais. RAPPORT FAIT EN 1840. Condamnations, Collocations, Liquidations, Actes judiciai- res et extra-judiciaires. Nombre d'actes en 1838. Augm°" sur 1837. Condamnations, collocalions, liquidations. 298,363 49,090 Actes judiciaires (droits fixes) 1,422,808 30,675 Actes extra-judiciaires 4,816,314 29,527 Droits de greffe 747,875 7,964 Totaux 7,285,360 87,856 Produits en 1838. Augm. sur 183S. Dép. Dim. Dép. Condamnations , collo- cations, liquidations. 1,503,026 f. 84,676 f. 48 95,739 f. 3« Actesjudiciaires (droits fixes) 4,090,623 110,248 49 29,658 37 Actes extra-judiciaires. 8,471,427 142,171 54 133,379 32 Droits de greffe. . . . 4,293,760 155,908 58 121,047 28 Totaux 18,359,436 f. 493,003 f. 379,823 f. Résultat en augmentation pour 1838 143,180 f. L1V. I. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 137 L'augmentation a été causée par l'accroissement natu- rel des affaires , par des crises commerciales dans quel- ques localités , par l'activité des tribunaux, et par l'aug- mentation du personnel des juges dans certains sièges. Les diminutions sont attribuées à la situation généra- lement prospère de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, et aux conséquences de la loi du 25 mai 1838, sur les justices de paix. II est naturel, en effet, de penser que cette loi, qui fa- cilite les conciliations et étend la compétence des juges de paix, doit avoir pour résultat de diminuer le produit des droits sur les actes judiciaires et extra-judiciaires, ou au moins d'en arrêter les progrès. Toutefois, l'exécu- tion en était encore trop récente à la fin de 1838, pour qu'il fût possible d'apprécier exactement ses conséquen- ces sous ce rapport. RAPPORT FAIT EN 1840. Droits et Demi-droits en sus, Amendes fixes de contraven- tion à l'enregistrement. Nombre d'articles en 1838. Augmentation sur 1837. Droits en sus 151,667 9,925 Amendes de contraventions. . 21,085 1,525 Totaux 172,752 f. 11,450 f. Produits en 1838. Augm. Dép. Dim. Droits en sus 1,754,707» f. 175,519 f. 47 171,270 f. Amendes de contraventions. 171,522 24,783 36 8,139 Totaux- 1,926,226 f. 200,302 f. 179,409 f. Résultat en augmentation pour 1838 20,893 f. Ces augmentations sont dues au zèle et à l'activité des préposés, qui luttent incessamment contre tous les moyens employés par les officiers publics et par les con- I3& DE L'AGRICULTURE ES FRANCE. tribuables pour éviter ou atténuer la perception des droits d'enregistrement. En considérant d'un point de vue général les produits de l'enregistrement pendant l'exercice 1838, on trouve que tous ceux dont le sort est intimement lié au bien- être du pays, ont obtenu de l'augmentation, spécialement le droit sur les ventes d 'immeubles qui s'est accru de plus de 6 millions, et le droit sur les libérations. Au contraire, les produits qui pouvaient recevoir de l'accroissement de circonstances malheureuses , ou ont diminué, ou n'ont présenté que de faibles augmentations ; tels sont le droit sur les obligations, qui offre une diminution de 67,953 francs, portant presque entièrement sur les billets à or- dre et les lettres de change, et les droits sur les actes ju- diciaires et extra -judiciaires, qui n'ont augmenté que de 78,353 fr. La seule diminution vraiment remarquable est celle de 3,113,889 fr. sur le produit des droits de mu- tation par décès; mais, par suite de l'élévation extraordi- naire du chiffre des décès et de l'ouverture de très-riches successions, ces produits avaient donné, en 1837, une augmentation à peu près égale à la diminution qui a eu lieu en 1838, et qu'on doit attribuer à des causes acciden- telles, tout-à-fait indépendantes de la prospérité géné- rale du pays. RAPPORT FAIT EN 1839. Hypothèques , Inscriptions de créances , Transcriptions d'actes de mutation. En 1837 1,774,690 f. Augmentation daHS 48 départements 143,814 Diminution dans 38 départements 81 ,250 L'augmentation pour 1837 est de. i 62,564 La souffrance de ta propriété, la crise commerciale, la LIV. I. DE LA. PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 130 transcription des actes de donation, à titre de partage anticipé, pour lesquels le droit proportionnel ne se per- çoit que lors de la formalité au bureau des hypothèques; l'accroissement du nombre des ventes d'immeubles et des obligations hypothéaires , sont autant de causes aux- quelles l'augmentation peut être attribuée. La diminution vient de ce que les avantages du régime hypothécaire sont encore peu appréciés dans quelques départements, et de ce que dans d'autres, les formalités hypothécaires ont été plus nombreuses , ou pour des actes plus importants en 1836 qu'en 1837. RAPPORT FAIT EN 1840. Hypothèques, Inscriptions de créance, Transcription d'actes de mutation. Nombre d'articles en 1SSS 946,358 Augmentation 54,246 Produits en 1838 1,857,084 fr. Augmentalion dans 50 départements 164,177 Diminution dans 36 départements 81,783 Résultat en augmentation pour 1838 82,394 L'augmentation provient de l'activité des affaires, du renouvellement décennal des anciennes inscriptions , et des progrès du régime hypothécaire. La diminution est le résultat du défaut d'appréciation dans quelques départements des avantages du régime hypothécaire et de la transcription, en 1837, d'actes im- portants, tels que constitution de société, licitations et partages anticipés. 140 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. REMARQUES. Les erreurs dans Tordre intellectuel peuvent se réparer; ainsi sous la république, le fanatisme des Français avait pour but la liberté et l'égalité ; sous T empire, la gloire et les conquêtes ; sous la restau- ration, le crédit public et T agiotage; enfin, sous le régime actuel, l'industrie et les chemins de fer; et tout cela avec plus de bonne foi que la postérité ébahie de tant d'absurdités, ne pourra le croire. Si tout cela n'a laissé aucune trace de bien, il n'en est guère resté de mal d'après ce proverbe fran- çais : « Morte la bète, mort le venin. » Mais les erreurs dans l'ordre matériel font subir à la société leurs dernières conséquences. Ce qui est perdu ne se recouvre jamais. L'intelligence peut passer de l'erreur à une autre erreur sans être es- sentiellement lésée, ou de l'erreur à la vérité, et, dans ce dernier cas, elle devient plus éclairée qu'elle ne l'aurait été ; de sorte que si le fanatisme fran- çais était dans quelque temps, agglomération de terres et perpétuité de possession, cette vérité ré- tablirait plus solidement que jamais ce qui est susceptible de réparation ; mais la destruction de nos bois, l'éboulement de nos terres et l'écroule- ment de nos rochers, depuis la restauration, enfin certaines de nos erreurs dans Tordre matériel sont irréparables. LIV. I. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. ! i î Telles seront les réflexions de tout lecteur qui étudiera les deux rapports précédents faits par- deux différents ministres des finances. Il est des impôts qui, parleur nature, prouvent lesadversités et même la dissolution de la société : comme ceux sur l'enregistrement, les hypothèques, le timbre, le greffe, les amendes, la loterie ou les cartes. Nous ne signalerons que celui sur l'enregistrement qui dit tout. En 181 G, il produisit 105,000,000, en 1826, 136,000,000 et en 1840 175,000,000. Voilà ce que chaque ministre a appelé à chaque époque prospérité matérielle. Il s'agit donc d'ana- lyser la nature de cet impôt de l'enregistrement donné comme preuve de la prospérité matérielle. Les impôts sont de deux sortes; ceux qui portent sur des objets créés par la récolte ou par l'industrie, tels que les vins, les huiles, les chandelles, les cuirs, les peaux, les laines, les métaux, ou miné- raux employés aux bâtiments; ceux-là n'attaquent que le revenu et varient d'après les quantités créées. Les autres, tels que l'impôt foncier et l'enregistre- ment attaquent le capital. Si la terre ne donne au- cune récolte, l'impôt foncier qui la frappe est pris sur le capital ; mais l'enregistrement est dans tous les cas une confiscation d'autant plus cruelle qu'elle se fait à l'époque de la plus grande adver- sité, à la mort du chef de la famille ou de la ruine qui le force à vendre son patrimoine. Eh bien ! en France, les impôts sur les adversités des habitants, c eux qu'on peut remarquer comme l'équivalent li'i DE L AGRICULTURE EN FRANCE. d'une confiscation, sont dans une proportion de 66 pour cent de 'tous les autres. La production est si chétive, si précaire, qu'elle n'entre dans les impôts que pour 34 1/3 pour cent. En Angleterre, au contraire , la production créée entre pour 85 pour cent, tandis que ce que nous appelons l'équi- valent de la confiscation ne s'élève qu'à 15 [pour cent. Le ministre qui a fait un rapport sur l'enregis- trement, ne voit pas les choses du même oeil que nous, car à la première page, on lit : « L'élévation )» progressive du produit des droits sur les ventes » d'immeubles est, sans contredit, une conséquence » immédiate et certaine d'une situation prospère.» Quelques pages plus loin on trouve ce paragraphe extraordinaire, qui, s'il commence par une asser- tion des plus fausses, finit par une des plus vraies ; le voici : « Le développement industriel et commercial, » l'activité des affaires, accroissent nécessairement » le nombre des procès, et, par conséquent, con- » tribuent à l'augmentation du produit des droits » proportionnels sur les condamnations, et des » droits fixes sur les actes judiciaires. Malheureu- » sèment, d'autres causes concourent à ce résultat : » on a remarqué que les départements les plus » pauvres sont ceux qui proportionnellement don- » lient, pour ces sortes de droits, les recettes les » plus élevées. » Parmi les causes de l'augmentation des produits LIV. I. DE LA FJIOP1UÉTL (TERRITORIALE, iïù de T enregistrement, on remarque encore rasage plus répandu parmi les petits propriétaires de vendre leurs récoltes sur pied par adjudication publique ; l'accroissement du nombre des ventes en détail des grands domaines ; les progrès de la division de la propriété, des donations entre personnes non pa- rentes, d'après la nécessité où se trouvent des gens âgés de se démettre de leurs biens ruraux, à la charge par le donataire de les nourrir et entretenir le reste de leur vie. Tout lecteur qui, comme nous, aura eu la pa- tience de lire ces rapports, trouvera que la vie est trop courte pour réfuter des gens qui d'ailleurs se réfutent eux-mêmes. Nous allons citer un fait tiré des comptes des fi- nances de l'Angleterre, fait dont nous avons été témoin. Dès l'aurore de la révolution française, l'Angle- terre se vit, comme le reste de l'Europe, menacée dans son existence. M. Pitt, voulant se mettre sur la défensive, proposa au parlement de faire un em- prunt dont l'intérêt serait payé par un accroisse- ment d'impôt sur le savon et les chandelles. M. Fox l'attaqua vivement et lui prouva que l'accroisse- ment d'impôt qu'il demandait ne suffirait pas à la dépense qu'il proposait ; et en effet, à cette époque, dès 1789, l'Angleterre ne consommait que 52 mil- lions de livres de chandelles, et 38 millions de livres de savon. A quoi le jeune financier répondit : 144 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. » C'est à présent au ministère à prendre les mesures » nécessaires pour élever la production du savon et » des chandelles au niveau des dépenses de l'inté- » rêt de l'emprunt. » Il fit un raisonnement simple. Si l'agriculture est la seule source de la richesse d'un empire, les bestiaux sont les seules sources des richesses de l'agriculture; l'éducation des bestiaux exige de grands capitaux. Il faut les procurer. A cette époque, la banque d'Angleterre avait le privilège exclusif d'émettre dans tout le royaume des billets de banque exempts du droit de timbre; il restreignit ce privilège à douze lieues de Londres, et il accorda à toute maison de banque qui s'établi- rait hors de ce rayon, le même avantage qu'avait la banque d'Angleterre. Il ne s'en établit pas moins de 700 dans l'intérieur du royaume. Les grands propriétaires de terres s'y associèrent; le gouvernement accepta comme argent leurs bil- lets de banque. Les capitaux fondés sur des valeurs fictives s'élevèrent au niveau des besoins, ne coû- tèrent que peu d'intérêts, et créèrent des capitaux réels. Les lois de clôture se multiplièrent, les petits » propriétaires ne purent suffire aux dépenses mises à leur charge, les terres furent agglomérées, dé- frichées, encloses, bâties et percées de routes et de canaux; et en 1839, cinquante ans après, la con- sommation et conséquemment la production du (savon s'était élevée de 40,000,000 à plus de 170,000,000; les chandelles ont suivi une bien LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 14$ plus grande progression; mais l'impôt sur le sa- von suffisant à la dépense, le parlement, en 1829, . les a affranchies de toute taxe. Voilà ce qu'on peut / appeler prospérité matérielle avec plus de raison I que l'accroissement du produit de l'enregistre-/ ment, qui devrait avoir un nom tout opposé. L'An- j gleterre produit donc quatre fois plus de graisses qu'il y a cinquante ans; ce qui veut dire quatre fois plus de viande, quatre fois plus de peaux, quatre fois plus de cuirs, quatre fois plus de laines, quatre fois plus d'engrais, quatre fois plus de grains; et, conséquemment, elle a quatre fois plus de manufactures et de commerce. Comme dans cet intervalle de temps, la popula- tion n'a que doublé, il se trouve que chaque fa- mille consomme le double de savon, de chandelles, de viande, de grains, de vêtements en laine et en cuir, de ce qu'elle consommait il y a cinquante ans. Et comme nous avons vu, dans les extraits des en- quêtes, que la fabrication des briques a suivi la même progression quant au nombre, nous pou- vons dire avec certitude que le peuple anglais est deux fois mieux logé qu'il ne l'était alors. A cet égard, il doit immensément à M. Pitl; il était financier, tandis que la pauvre France n'a jamais eu que de pauvres comptables. Le système de ce véritable homme d'état, était, dans toutes ses mesures, l'inverse de celui de la France; un système de dilatation. En France c'est T. • 10 Î4G DE LAGlil CULTURE KN FRANCE. celui de la centralisation. Bonaparte surtout Pa- vait établi , et cette centralisation était nécessaire a son vaste plan de conquête. Pas un jeune homme ne pouvait lui échapper. Il ne mettait pas, à beau- coup près, autant de prix à V argent. Il a fallu que la Restauration employât des hommes aussi mé- diocres qu'elle Ta l'ait, pour appliquer aux finances < le système de centralisation, que Bonaparte avait j établi pour le recrutement. M. Pitt, afin d'accroî- j Ire les productions de l'agriculture, avait détruit | la centralisation de la banque de Londres, fait éta- blir 700 banques dans les provinces, et avait ainsi procuré des capitaux à l'agriculture sur le pied de 3 pour °/0 d'intérêt ; tandis que le premier mi- nistre des honnêtes gens avait créé à Paris une corporation d'usuriers, le syndicat des 86 rece- veurs-généraux de la France. Ce club d'agioteurs pompait le dernier écu qui pouvait rester chez les capitalistes de la province, les balances de tous les établissements publics, enfin jusqu'aux caisses des régiments. Il était devenu impossible à un agricul- teur de se procurer sur hypothèque de l'argent, à moins de 7 à 8 pour u/0. La révolution de 1830 détruisit immédiatement cet absurde établissement, et, depuis cette époque, l'agriculture a pu trouver quelque chétive ressource, mais cependant rien qui puisse parer la ruine que cause le morcellement du sol. Et vraiment, lorsqu'on réfléchit sérieuse- ment à ce qui s'est fait pendant la Restauration, LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. i '\ 7 on ne peut s'empêcher de voir la vengeance inexo- rable que Dieu a exercée sur la France, en mainte- nant des hommes qui gouvernent des populations entières dans un pareil état d'ignorance. Sont-ce les fautes du règne de Louis XIV que Dieu punit? Sont-ce les temps de la Régence, ou ceux de Louis XV? Est-ce la Révolution, ou la Restaura- tion? Hélas ! c'est tout, car tout Ta mérité, et rien n'annonce que cette vengeance doive s'arrêter. H 8 DE L AGRICULTURE EN FRANCE, CHAPITRE VI. DES HYPOTHÈQUES. Le i) juin 1840, un député du Vàr a fait un rapport ait nom de la commission chargée de l'examen du projet de loi relatif aux ventes judiciaires de biens immeubles. H trace l'histoire de la saisie immobilière en France comme il suit : « Les biens du débiteur étant le gage commun de ses. créanciers, il est nécessaire que chaque créancier puisse, à défaut de paiement, faire réaliser ce gage et le convertir en argent. Le droit qui lui appartient, quand il l'exerce- sur des immeubles, est l'expropriation forcée; le mode par lequel il accomplit cette expropriation est la saisie immobilière. » Si le créancier pouvait s'emparer du gage, de sa pro- pre autorité, la fortune du débiteur et les droits des au- tres créanciers seraient livrés à sa discrétion. La justice doit donc intervenir pour opérer la dépossession et la rendre régulière. » Cependant, la législation romaine, qui, dans les pre- miers temps, avait étendu le droit du créancier jusqu'à la disposition de la personne du débiteur, avait dû ne pas accorder une plus grande protection à la propriété •> aussi conférait-elle, dans certains cas, au créancier, le pouvoir de vendre lui-même le bien qui lui avait été hypothéqué. Mais plus communément, il ne pouvait que LIV. I. DE LA. PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 149 Taire mettre l'immeuble à l'enchère ; la vente s'en fai- sait sub hastà, de l'autorité du prêteur. De là, le nom de subhastation , sous lequel ces ventes étaient désignées dans un grand nombre de nos anciennes provinces. » Les Etablissements de saint Louis, une ordonnance de François 1er, publiée en 1539, et surtout Ledit de 1551, ouvrage du chancelier Lhospital, ne permirent plus l'ex- propriation que par autorité de justice. Ce dernier édit devint le droit commun de la France ; et il en a été ainsi jusqu'à la Révolution. Mais ses dispositions incomplètes se modifiaient par de nombreuses coutumes et par des règlements locaux. Les règles peu sûres et extrême- ment compliquées qui en résultaient constituaient le procès exécutorial, connu sous le nom de décret. On sait que les formalités de cette procédure semblaient combi- nées pour ajouter à la ruine des débiteurs honnêtes, et fournir à ceux qui ne l'étaient pas le moyen de se jouer longtemps des efforts de leurs créanciers. Dans plusieurs provinces, le décret n'était pas observé, ou les change- ments apportés à l'édit de 1551 étaient tellement pro- fonds, qu'il en résultait une procédure et des effets en- tièrement différents. » Ainsi dans une partie de la province de Flandre, la vente du fonds et de la propriété était interdite; le créan- cier ne pouvait faire vendre en justice que les prolits et revenus des biens de son débiteur pendant 29 ans. Une faveur non moins considérable était accordée aux débi- teurs dans le ressort du Parlement de Toulouse; l'individu dont le bien avait été adjugé par décret conservait {ten- dant dix ans le droit de le reprendre sur son créancier, en remboursant le prix de l'adjudication. Cette faculté, mii apportait tant d'incertitudes dans la transmission de 150 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. la propriété s'appelait rabattement. Elle existait dans d'autres ressorts sous des noms différents ; mais la durée en était généralement réduite à une ou deux années. » Quelques provinces réunies à la France après 1551, ou qui avaient stipulé auparavant la conservation de leurs privilèges , suivaient, pour l'expropriation, des formes très-abrégées ; on attachait avec raison la plus grande importance à la conservation de ces formes, que plu- sieurs ordonnances spéciales avaient fait respecter sur de très-vives et de très-pressantes réclamations. » La Bresse pratiquait un système des subhastations, qui ne consistaient qu'en trois criées successives ; à la troi- sième criée, le bien était adjugé au dernier enchérisseur; les enchères y étaient reçues sans ministère de procu- reur. Le saisi n'y jouissait du droit de retrait que pen- dant six mois. » En Béarn et en Navarre un mode non moins facile était adopté. Après quatre criées, qui avaient lieu à de très-courts intervalles, le juge les déclarait régulière- ment faites. Venaient ensuite , dans un délai de neuf jours, l'enchère et l'adjudication sur le dépôt d'une mise à prix par le poursuivant. Un mois environ suffisait à l'accomplissement de cette procédure expéditive. Le saisi avait un an pour reprendre son bien. » La Provence admettait le créancier à se faire colloquer de l'autorité du juge, sur le bien de son débiteur, et d'a- près l'évaluation qu'en avaient faite des estimateurs ju- rés. Cette transmission s'opérait en peu de temps et pres- que sans frais. » Nous ne rappelons pas ici ces exemples, qu'il serait facile de rendre bien plus nombreux, pour exciter a les LlV. ï. DE LA PROPIUÊTE TERRITORIALE. 151 Suivre. Leurs divers modes trouveraient aujourd'hui un écueil, et dans la valeur des propriétés importantes, dont il est nécessaire d'entourer la vente de plus de publicité, et dans les droits des créanciers inscrits qu'il serait fa- cile de purger et d'éteindre au moyen de procédures aussi sommaires ; mais nous les citons parce qu'on y trouve la preuve qu'il est possible d'adopter des com- binaisons qui obtiennent l'assentiment public , parce qu'elles assureront à la poursuite un prompt résultat, en accordant au malheur du débiteur de justes ménage- ments, et à la propriété une suffisante protection. » Ces systèmes d'expropriation, aussi variés que nos anciennes coutumes, ont reçu une première et impor- tante modification par la loi du 25 août 1792, qui a pro- noncé l'abolition de tous les droits de retrait, rachat ou rabattement, après une adjudication publique. » La seconde loi, du 11 brumaire an 7, a ramené le procès exécutorial à l'unité dans toute la France. Un commandement a trente jours, des affiches en des lieux déterminés, non accompagnées d'annonces dans les journaux , et qui valaient saisie des biens dont le détail s'y trouve énoncé ; une notification de ces affiches dans les cinq jours suivants aux saisis, ainsi qu'aux créanciers inscrits ; l'adjudication dans la quinzaine, et au plus tard dans le mois : telle est la procédure infiniment simple que les législateurs de cette époque substituèrent au décret forcé. » L'expérience démontra bientôt qu'elle était surtout défectueuse sous deux rapports. Le débiteur de bonne foi qui n'élevait pas de contestations se trouvait dépos- sédé lorsqu'à peine il était averti, tandis que celui, qui savait en faire naître pouvait provoquer d'interminables 152 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. longueurs, en faisant succéder une difficulté à une autiv parce que cette loi avait abandonné au droit commun le règlement des incidents de toute nature auxquels l'ex- propriation forcée pouvait donner lieu. » Malheureusement les auteurs du Code de procédure, préoccupés des inconvénients de la loi du 11 brumaire an 7, n'ont pas assez évité l'excès contraire. Dans la crainte de faire une loi trop peu prévoyante , ils l'ont surchargée de délais exagérés et de procédures dont la raison ne comprend pas toujours l'utilité. Des réclama- tions unanimes se sont élevées contre une législation qui manquait son but essentiel. La sûreté des conventions forme la base de la richesse publique. S'il est trop diffi- cile de ramener les conventions à exécution, le crédit se trouve altéré dans son principe. Le possesseur de capi- taux ne les livre qu'avec défiance, et se dédommage, par la dureté des conditions qu'il impose, des difficultés dont la loi le menace pour le moment où il voudra son rem- boursement. A force de sollicitude pour chaque débiteur on nuit à tous ceux qui auraient intérêt à le devenir. » La commission espère que le projet réalisera ce qu'on peut raisonnablement en attendre. 11 abrège les détails, retranche les formalités reconnues inutiles, diminue ainsi la masse des frais, apprend au débiteur qui peut encore payer, que sa dépossession est imininenle s il manque à ses engagements, et promet de produire en général cet effet comminatoire, qui sera le résultat le plus heureux d'une loi de cette nature; elle servira le crédit moins en- core par les saisies, qui pourront plus aisément être con- duites à leur terme, que parle plus jjrand nombre des expropriations qu'elle préviendra. Comme l'annonce l'exposé des motifs, le projet rem- Liv. i. de la Propriété territoriale. 153 place vingt-trois actes de procédure par douze ; huit mois à un an de durée dans la poursuite, par quatre à huit mois au plus; une dépense de 6 à 700 francs en moyenne, par une taxe d'environ 300 fr. » La commission a reconnu qu'il ne serait pas possihle de porter plus loin le retranchement des formalités et l'abréviation des délais, sans donner lieu aux reproches si justement adressés à la loi qui a précédé le Code de procédure. » Le Garde des Sceaux, en présentant cette même loi à la chambre des pairs, le 1 1 janvier 1840, avait donné une idée de l'état de la petite propriété en France en disant : <> Le point de vue général est et doit être le même dans toutes les ventes qui se font en justice. Toutes veu- lent économie et célérité , sans préjudice cependant des garanties de publicité et de sincérité. Ce problème est plus facile à poser qu'à résoudre. » Pour quelques-unes des formalités du Code de procé- dure, la réprobation était tellement universelle et juste, qu'il n'y avait point à hésiter. De ce nombre étaient les publications multipliées, l'adjudication préparatoire et les divers actes qui donnent droit à des écritures, des vacations et des perceptions superflues. » Là n'était point la difficulté; mais il s'agissait, avant tout, de savoir si la loi serait générale, c'est-à-dire, si elle s'appliquerait à tous les immeubles, sans distinction de leur importance. » Des statistiques, malheureusement trop fidèles, prou- vaient que des ventes avaient eu lieu sur des mises à prix de 5 /V., et avaient été consommées par des prix qui s'élc- i-aiciit depuis 10 jusqu'à 100 fr. non compris les frais, qv> ■emportent toujours de 100 à 600 francs. 154 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. » 11 y a dans ce fait la manifestation d'une plais mcurà* ble, mais les adjudications dont les prix dépassent 500 fr. sont les plus nombreuses, môme dans les pays où la pro- priété est le plus morcelée, et c'est là qu'il faut appliquer le remède. •> Les difficultés, sans doute, sont graves, mais elles ne sont pas insurmontables. C'était un devoir pour le gou- vernement de venir en aide à la petite propriété, dont les intérêts sont si nombreux et si respectables; l'amour de la terre est un sentiment qui mérite d'être encou- ragé. » On a dû proscrire la clause connue sous le titre de clause d'exécution parée ^ soit parce qu'elle avait pour ré- sultat de mobiliser en quelque sorte les propriétés, soit parce qu'elle pèse de tout son poids sur les petits proprié- taires, soit parce que les formes protectrices de la loi et la garantie des tribunaux sont d'ordre public. D'ail- leurs, la tolérance de cette clause eût atteint trop impar- faitement son but, puisqu'il ne pouvait être question que des obligations conventionnelles, et qu'on n'aurait pas remédié aux ventes qui se font après décès, dans les cas d'indivision ou autrement. » Indiquer des formes spéciales, c'eût été donner à pen- ser qu'il est dans la procédure générale des précautions et des actes que l'on eût pu retrancher sans toucher aux formes absolument nécessaires. » Comment déterminer d'ailleurs l'importance relative des immeubles? La contribution foncière n'est pas une base uniforme d'évaluation, l'expertise dégénère en abus; il a donc fallu, et c'est ce qu'on a fait, réduire les formalités au nombre strictement nécessaire, n'admettre en un mot que les actes dont l'utilité était démontrée LIV. 1. 1)L LA l'ROl'lUiiiE TElUUTOttlALE. 155 C'est là une des considérations principales qui dominent le projet. » Ainsi il n'yaura plus d'adjudication préparatoire ; tou- tes les publications sont supprimées 5 une seule est main- tenue en matière de saisie immobilière , par des motifs qui seront expliqués à leur place ; l'expertise, dans tous les cas où elle était obligatoire, sera facultative ; en lin il n'y aura plus qu'une seule apposition d'affiches, qu'une seule insertion dans les journaux. * Dans le rapport fait à la chambre des pairs , le 23 mars 1810, au nom d'une commission spéciale, chargée de l'examen de ce projet de loi relatif aux ventes judiciaires de biens immeubles, l'auteur, après avoir dit que, dans un tel sujet, la prévoyance de l'économiste doit se placer à côté des lumières du jurisconsulte, ajoute : « On se plaint généralement, et nous n'osons pas dire à tort, que les capitaux sont détournés de la propriété territoriale, et ne viennent que dans de faibles propor- tions au secours de la petite comme de la grande cul- ture. On préfère les jeter dans les hasards des spécula- tions, les livrer imprudemment aux chances de la bourse, ou les laisser improductifs. Il n'est pas rare de voir un ca- pitaliste prêter à un commerçant ou à un industriel, sur billet à faible intérêt, ce qu'il refuse au propriétaire qui met à sa disposition, par la voie de l'hypothèque, la plus sûre des garanties. S'il divise son placement , l'argent coûte toujours plus cher à la propriété qu'au commerce et à l'industrie. » La raison de cette différence, nuisible à la propriété, tient à ce que, au moyen de l'imperfection de nos lois sur le prêt, l'hypothèque et l'expropriation, les garanties que présente la propriété immobilière sont chanceuses Î5() de l'agriculture en frangé. presque plus apparentes que réelles. Le prêteur reçoit une hypothèque, mais l'irrégularité d'un bordereau d'in- scription peut la lui enlever ou lui faire subir un procès* S'il évite ce danger, c'est trop souvent pour tomber dans celui plus redoutable d'un privilège ou d'Une hypothèque occulte. Enfin, après avoir triomphé de ces inconvénients toujours imminents, il ne reste plus au créancier non payé qu'à faire réaliserl'hypothèque par la vente du gage. Alors commencent les inextricables embarras d'une procé- dure compliquée, dangereuse, puisque, en cas de nullité, les frais restent à sa charge, et qui, réunis aux vicissitu- des de l'ordre ou de la distribution du prix, après l'ad- judication, ne font qu'éloigner, d'une manière indéfinie, le terme du remboursement. Triste destinée des capita- listes, qu'on ne saurait blâmer de chercher à donner une autre direction au placement de leurs capitaux ! Pour avoir voulu entourer la propriété de trop de garanties, on a tari la source destinée à la vivifier, à l'aider, à l'en- richir. » Le moyen de faire cesser ou du moins d'atténuer beau- coup cette désastreuse cause de la ruine de l'industrie agricole se présentait naturellement à l'esprit. 11 fallait s'occuper de la réforme de celles de nos lois qui tiennent au placement des capitaux. La loi sur les hypothèques a suffisamment exercé, depuis plus de trente ans, l'ardente et judicieuse critique des jurisconsultes et des hommes pratiques voués à l'économie sociale. La question à cet égard est bien posée ; elle est tout entière dans la publi- cité complète, absolue, et la non publicité de l'hypothè- que, ou dans le système mixte du Gode civil. Le choix pouvait être difficile; mais il n'était plus possible de te ciaider sans favoriser la fausse et nuisible direction des L1V. I. DE LA PROPRIE1E TERRITORIALE. t5l7 capitaux. A côté, ou plutôt après la loi hypothécaire, se présentait la réforme de nos lois sur les ventes judiciai- res. Là, tout le monde était d'accord. La loi actuelle est surchargée de formalités inutiles , nuisihles par leur complication, en opposition avec l'objet qu'elles se pro- posent d'atteindre. Elles imposent d'énormes dépenses et rebutent les plus intrépides plaideurs, elles ajoutent des mois, des années aux délais que le créancier avait voulu accorder à son débiteur. » Ces considérations justifient l'empressement que le gouvernement a mis à étudier la matière des saisies im- mobilières, et le scrupule avec lequel il s'est entouré des lumières et de l'expérience des magistrats de tous les degrés, de l'opinion des facultés de droit et des plus kha- biles jurisconsultes. Mais plus les travaux auxquels il s'est livré inspirent de confiance et satisfont l'esprit , plus ils laissent à regretter qu'ils n'aient pas été étendus à la loi hypothécaire. En commençant par là cette ré- forme indispensable, le Gouvernement aurait dissipé la plupart des obstacles que la procédure des saisies immo- bilières devait rencontrer. La part des créanciers hypo- thécaires, de toute espèce, aurait été faite. On aurait su, d'avance comment ils devaient figurer dans ces pour- suites, et, ce qui était indispensable, d'après quels prin- cipes se régleraient les effets des adjudications judiciai- res, tant à leur égard que vis-à-vis des adjudicataires; vous sentirez plus tard cette lacune : c'est une des plus graves difficultés qu'on pût léguer à votre commission, Elle ne l'a pas découragée; cependant, elle n'aurait pu s'arrêter devant cet obstacle sans faire le sacrifice des principaux avantages attachés à la réforme législative provoquée par le projet. » i 58 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. Le rapporteur ayant expliqué, comment le projet de loi facilite et abrège les formalités pour l'expropriation forcée, de manière à rendre la procédure plus rapide et moins coûteuse, poursuit : » La disproportion qui peut exister entre la modicité de la créance et l'exagération des frais de saisie immo- bilière aurait fait désirer à quelques bons esprits que le droit de saisir immobilièrement fût, dans certains cas, limité dans son exercice, par exemple, quand la créance serait inférieure à 300 fr. Avec plus de réflexion on s'a- percevra que cette restriction serait injuste. Pour une petite fortune, ces 300 fr. forment un capital considéra- ble dans lequel il deviendrait impossible de rentrer, si l'on adoptait une semblable exception. Tous les biens d'un débiteur sont le gage de son créancier, de celui à qui il est dû 300 fr. comme du capitaliste qui en a prêté 3,000 ou davantage ; et cependant ce gage serait enlevé au petit créancier, puisque, sous ses yeux, le débiteur jouirait sans pouvoir en être dépouillé. Vainement alors on ferait intervenir le magistrat. C'est de la loi que le créancier doit tenir son droit, et non de la justice, qui n'est appelée qu'à le déclarer, à pourvoir ou à contrain- dre à son exécution.» Et comme les biens des mineurs présentaient de plus grandes difficultés pour l'expropriation , le rapporteur dit : « Des lenteurs, beaucoup de lenteurs, et une série de frais souvent inutiles, étaient les principaux défauts que l'expérience a signalés dans la vente des biens immeu- bles appartenant à des mineurs. Le projet s'est proposé de faire cesser ces embarras : vous jugerez s'il a ré- ussi. » L1V. I. DE LA PROPRIETE TERRITOUIVXF.. 1 n . . r -. «.« . 1 6,296,431 Portes et fenêtres 629,045 ) Ces 6,296,431 fr. forment 71 pour cent du revenu réel de la propriété foncière, sans compter l'enregistrement, les impôts indirects et la prestation en nature. Comment est-il possible que, par un tel état de choses, l'agriculture française soit progressive et jouisse de quelque prospé- rité? » Les principales assertions de M. le baron de Morogues sont confirmées dans le septième volume du Journal des travaux de la société française de Statistique universelle, page 163 ; voici en quels termes : » Il résulte des renseignements officiels fournis, il y a deux ans, par le directeur général de l'enregistrement, que la somme des hypothèques dont est grevée la pro- priété foncière s'élève à 11 milliards 233 millions, non compris les hypothèques légales. D'un autre côte il fut constaté pendant l'enquête ouverte lors de la création de la caisse hypothéquaire, que le taux de l'intérêt réel des prêts sur hypothèque variait de 5 à 12 et même à 15 pour cent. Le taux moyen ne paraît pas devoir être ac- tuellement au-dessus de 8 pour cent. La propriété fon- cière payerait donc une masse annuelle d'intérêts égale à 900 millions. . » Il est bon d'ajouter à ces deux autorités, que, dans un discours prononcé à la tribune de la chambre des dépu- LIV. I. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 1 fi 1 tes, le H avril 1833, un pair de France , préfet du départe- ment de la Seine, disait que les créances hypothécaires qui existaient alors s'élevaient à 580 millions d'intérêts. Dans un travail fait en 1842, sur l'état de la produc- tion des bestiaux en Allemagne, par ordre du ministre de l'agriculture , M. Moll , professeur au conservatoire royal des arts et métiers, signale diverses institutions établies dans les pays étrangers pour procurer des capi- taux aux agriculteurs, et il termine cette section de sort travail par ces mots : « En présence de ces avantages si importants dont jouit l'agriculture étrangère, il est pénible d'envisager le triste état du crédit foncier en France : ces obstacles nombreux que la législation oppose à l'emprunteur, ces frais énor- mes qui absorbent d'avance une bonne partie du prêt ; ces intérêts usuraires de 8, 10, 12 pour cent, et enfin, pour couronner l'œuvre de notre système, et comme pour fournir la preuve que la nécessité ne connaît pas d'entraves, cette effroyable dette hypothécaire, de onze milliards, qui pèse sur la propriété immobilière de la France , dette dont un quart au moins a été absorbé par les frais divers et les retenues anticipées, et dont la rente, que M. le marquis d'Audiffret estime à plus de 500 mil- lions, forme un second impôt foncier presque double du premier. » En 1844, M. le Garde des Sceaux a publié 3 gros volu- mes intitulés : Documents relatifs au régime hypothécaire. On trouve dans ce travail les questions présentées par le ministère à l'administration de l'enregistrement. Voici les faits principaux contenus dans les réponses : I. 11 16*2 DE L AGRICULTURE EN F 11 A JN CE. Les inscriptions hypothécaires non rayées ni périmées, existantes sur le registre des bureaux des hypothèques , s'élevaient : Au V* juillet 1840, à 12,544,098,600 (Y. Au 1er juillet 1832 à 11,233,265,778 Augmentation en huit années 1,310,832,822 Ce capital de plus de 12 milliards et demi, qui était ins- crit au registre des hypothèques au 1er juillet 1840, com- prenait pour environ 1,230,000,000 fr. de créances éven- tuelles au profit du trésor public, des communes et des établissements publics, des femmes, des mineurs et des interdits, et de tous autres particuliers. Ces créances ont pour cause le privilège de l'État sur les biens des compta- bles publics, des hypothèques légales , des cautionne- ments, des garanties d'éviction, etc, etc. ; l'intérêt ni le capital n'en sont exigibles, on ne peut les considérer comme une charge qui diminue le revenu de la propriété foncière. Les inscriptions concernant des créances ac- tuelles et liquides se réduisent ainsi à onze milliards trois cent mille francs. L'administration est fondée à croire, qu'il y a au moins compensation entre les créances encore inscrites quoique remboursées, et cellescqui ne sont pas inscrites; dans les huit années écoulées de 1832 à 1840, le chiffre des ins- criptions s'étant accru de plus de 1,300 millions, l'admi- nistration pense qu'il a continué à s'accroître dan s les an- nées suivantes. Cette présomption se fonde sur ce que les transmissions d'immeubles à titre onéreux, sont la source la plus abondante des inscriptions d'hypothèques; d'au- tre part, sur ce que la somme des valeurs immobilières f,lV. I. DE LA PROPRIÉTÉ f ERRiTôitlALE. 161 transmises par vente, a été constamment en croissant ; le prix des ventes montait :: En 1S41 , à 1,382,418,^90 fr. En 1832, il n'était que de 1,086,997,147 Augmentation. 295,421,343 L'importance de ces ventes s'est donc accrue en dix ans de plus d'un quart en sus. Mais comme les prix sont presque toujours atténués pour diminuer les droits d'en, registrement, l'administration évalue que le mouvement de valeurs opéré annuellement par les ventes d'immeu- bles, s'élevait, en 1842, à deux milliards de francs. L'administration croit qu'il faut chercher ailleurs que dans les charges de la propriété foncière, les causes des nombreuses mutations dont elle est l'objet. Ces causes, l'administration de l'enregistrement a dû les étudier, par- ce qu'elles exercent une puissante influencé sur les pro- duits de l'impôt dont la perception lui est confiée ; ce sont, savoir : l'abondance des capitaux créés par l'indus- trie etle commerce, et qui se consolident en immeubles ; la division du sol, qui accroît le nombe des propriétaires et multiplie les transactions, l'élévation en capital des biens ruraux, proportionnellement au revenu net; par suite, la tendance de la propriété petite et moyenne à sortir des mains du propriétaire qui ne perçoit que la rente, pour se classer dans celles du cultivateur, qui accumule les bé- néfices du propriétaire, du fermier et même parfois du cultivateur; la spéculation des ventes en détail qui met la propriété à la portée de l'ouvrier des campagnes, pour qui elle fait l'office de caisse d'épargnes, etc. La totalité des prêts hypothécaires s'est élevée, terme moyen, en 1840, 1841, 1842, à 506,802,994 fr. par an. 164 DE L'AGRICULTURE EN FRANCK. L'administration estime que ces prêts pouvaient monter à 400 millions en 1832. C'est une augmentation d'un quart en sus. Les ventes d'immeubles et les prêts hypo- thécaires ont donc marché de pair ; et, suivant le témoi- gnage unanime des conservateurs des hypothèques et des préposés de l'enregistrement, c'est un fait qui peut être considéré comme certain, qu'une grande partie de ces emprunts (les trois quarts dans certains départements) est employée à payer les termes échus du prix d'acquisitions antérieures d'immeubles. Les prêts hypothécaires se sont divisés ainsi qu'il suit en 1841 : 155,226 prêts de 400 fr. et au dessous montant à. 3(5,640,928 fr. 89,803 de 400 fr. à 1,000 fr 62,421,267 84,553 au dessus de 1,000 fr 392,513,625 329,576 Total des prêts hypothécaires montante. 491,575,820 L'administration, répondant aux questions du Garde des Sceaux, dit que l'intérêt stipulé dans les contrats hy- pothécaires est généralement de 5 pour cent, et elle éta- blit que les droits d'enregistrement, de transcription, d'inscription et de timbre, les riais annuels de mutation d'immeubles à titre onéreux, ou de prêt hypothécaire, pendant l'année 1841, Se sont élevés ensemble à la somme de 106,414,063 fr. A la question, Quel est le montant de l'impôt foncier, l'administration répond : D'après l'état A annexé au bud- get des recettes de l'exercice J843, l'impôt foncier s'élève Dépenses générales, départementales, communales, secours, non va- leurs et réimpositions a 271,036,940 fr. Les Cours royales et les Facultés de droit, répondant. LiV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 165 dans ce même ouvrage, aux questions de M. le Garde des Sceaux, ont quelquefois dépeint l'état de la propriété fon- cière en France. Ainsi, pag. liv de l'introduction, on lit : Cet examen lui démontre ( à la Cour royale d'Angers), 1" que l'extrême morcellement de notre sol rendrait fort difficile et fort chanceuse l'importation en France des lois de l'Autriche et de la Bavière ; 2° que les renseignements nous manquent, pour apprécier les avantages et les incon- vénients de ces lois 5 3° que, porter les actes de l'état ci- vil sur les registres des hypothèques, serait une opération immense et superflue pour les cinq sixièmes , car le tiers des Français seulement possède des propriétés foncières, et la moitié de ces possesseurs, dont la cote de contribu- tions ne dépasse pas 5 f., est dans l'impuissance d'obtenir un prêt sur hypothèque; 4° qu'il serait également inutile d'inscrire au bureau des hypothèques toute transmission d'immeubles et d'imposer ainsi la publicité à un nombre considérable d'actes concernant des biens qui ne seront presque jamais frappés d'hypothèques, puisque leur va- leur est inférieure aux seuls frais d'expropriation. La Cour royale de Besançon trouve la justification .le notre régime hypothécaire, dans la facilité qu'ont nos grands propriétaires fonciers de se procurer des capitaux, même au-dessous de 5 pour cent, à Bàle et à Genève. La Cour royale de Nancy (page lxi) dit, que les frais auxquels donnent lieu les prêts sur hypothèque pour de petites sommes, entraînent un intérêt de 13, 15 et 20 pour cent. Page 22. La Cour royale de Bordeaux dit : La vente volontaire ou forcée de fonds soumis à l'hypothèque, tel est le dénouement obligé de tout contrat hypothécaire. Page 473 ; la faculté de droit de Strasbourg dit : Ajoti- ?G6 DE LAGIllCULTliltE EN FRANCE. tons que la tenue de registres fonciers, pareils à ceux don? nous avons parlé, présenterait en France, des difficultés matérielles presque insurmontables. 11 est tels arrondisse- ments où il existe des millions de parcelles d'immeu- bles; comment faire pour établir un compte à chacune des parcelles? Et puis, l'action incessante delà loi, en matière de successions, amène chaque jour le fractionnement d'un grand nombre d'immeubles. Nous terminons ce chapitre, en résumant les impôts et hypothèques qui pèsent sur la propriété foncière, suivant tin membre du conseil général de la Seine. Contributions directes en principal et centimes additionnels (budget 1845) 273,701,080? fr. Portes et fenêtres 33,317,096 Droits d'enregistrement, timbre, hypotlièqnes ; au moins. . ' 200,000,000 Total 507,018,17(5 Auxquels il faut ajouter les intérêts des créances hypoluécaires 600,000,000 REMARQUES La Révolution a décidément vicié l'intelligence des Français comme administrateurs. Il a passé des milliers d1 hommes sur le théâtre des ministères, des assemblées publiques, de la diplomatie, du conseil d'Etat ou des préfectures, et pas un seul d'entre eux n'a laissé dans l'administration aucune trace, de son passage. Tous ceux qui, depuis cin- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 167 qtiante ans, ont voulu faire le bien, ont échoué, et cela sans exception ; tous ceux qui ont voulu faire le mal ont réussi, et cela encore sans exception. Le ministère des honnêtes gens avait certaine- ment une tendance pour consolider l'existence des familles, et il a proposé des mesures qui, non seu- lement étaient inefficaces, mais encore qui don- naient de la durée et même de la perpétuité à l'état désordonné où elles se trouvaient alors, et où elles se trouvent encore aujourd'hui, puisque les terres auraient été fixées dans les familles avant d'agglo- mérer les parcelles. Le ministère de 1840 a pro- posé une loi qui accélère la destruction encore plus que toutes celles qui l'ont précédée, et elle se trouve claire, nette, précise et surtout efficace. Devant pareilles chambres elle a naturellement passé d'emblée. Le Garde des Sceaux qui l'a propo- sée, les deux commissions qui l'ont examinée, les deux rapporteurs, ainsi que les orateurs qui l'ont discutée dans les deux chambres, sont, comme on se l'imagine bien, les chefs de cette phalange des 80,000 gens de loi dont nous avons déjà parlé, et c'est de leur bouche même que le public va juger quel a été et quel est encore l'esprit de la magis- trature en France, depuis saint Louis jusqu'à nos jours. Qu'on lise avec attention les rapports précédents; on verra qu'il n'y est jamais question de famille : ces gens de loi ne connaissent d'autres rapporte 168 DE L'AGRICULTURE EBi FRANCE. dans la société que ceux du créancier et du débi- teur. Le premier est un capitaliste usurier, le se- cond est un propriétaire de terre, si utile et si né- cessaire à la société, qu'on devrait croire que ceux qui administrent la justice exerceraient toute leur influence pour le soutenir. Tout au contraire. Pre- nant l'ensemble de la société, les capitalistes, de tout temps, se sont composés de bourgeois; les grands propriétaires du sol, de nobles et de moi- nes. De la main des nobles et des moines, les gran- des propriétés territoriales ont passé en parcelles entre les mains des paysans. N'importe; le créan- cier qui est riche, fort, et qui vit dans les villes où il trouve des ressources, doit, d'après nos légistes, être soutenu contre le paysan, qui est pauvre, faible, et vit isolé dans des campagnes sans res- sources. Les deux commissions, d'après les rapporteurs, ont regardé comme de grandes injustices les faveurs autrefois accordées aux débiteurs dans certaines provinces. Ils ont blâmé les incertitudes et les lon- gueurs qu'il y avait pour les transmissions territo- riales, et ont applaudi aux coutumes des provinces qui hâtaient cette transmission, comme en Bresse, en Béarn, en Navarre et en Provence, où un mois suffisait pour déposséder un homme. Fort heureu- sement, d'après les rapporteurs, les lois de la ré- volution ont simplifié la procédure et ramené, à cet égard, l'unité dans toute la France. Us de- L1V. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TËRRITORIAL-Ii. Ifi9 mandent donc de corriger le Code Napoléon, qui donne aux débiteurs des délais, suivant eux, exagérés, et veulent rétablir cette simplicité ré- volutionnaire, qui faisait que la dépossession d'un débiteur était imminente. Tel sera donc l'effet de la nouvelle loi qu'ils proposent : dépouiller un propriétaire de terre en quatre mois au lieu de huit. Le Garde des Sceaux, en présentant cette même loi à la chambre des pairs, a parlé dans le même esprit, a demandé de réduire les formalités et les frais pour les saisies immobilières à ce qui est strictement nécessaire, et pour les accélérer il suf- fira d'une seule apposition d'affiches, d'une seule insertion dans les journaux. Mais par une inconsé- quence dont on ne peut se rendre compte, il a dit là, et dans ses divers rapports, qu'il y avait dans la propriété foncière la manifestation d'une plaie incurable -, que toutes les fois qu'une propriété foncière était mise à l'enchère, elle y était subdivi- sée en plus petites parcelles, parce que les petites superficies se vendaient plus cher ; que sur une mise à prix de 5 francs, il s'était vendu par licita- tion des propriétés foncières, de 10 francs jusqu'à 100 francs, et que le nombre des procès, pour les usurpations de terrain, avait plus quej doublé de- puis l'année 1835. Tout homme qui peut loger deux idées dans sa tète, va demander si chaque mutation du sol amène | 170 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. son morcellement. Si ce morcellement et les pro* ces qui en sont la suite sont une plaie incurable, pourquoi élargissez-vous et approfondissez-vous la plaie en faisant faire, en quatre mois, les désas- tres qui en demandaient huit ? Mais le ministre propose encore mieux; il pro- met à la chambre des pairs que, vu la triste desti- née des créanciers hypothécaires, il présentera une loi qui leur donnera la même facilité et la même promptitude qu'aux créanciers qui font dessaisies mobilières. On a vu, par le tableau précédent, que le revenu net de la propriété foncière était officiellement évalué à 1,580,000,000, mais que ce revenu était grevé de 600,000,000 pour les intérêts des sommes hypothéquées, indépendamment de dettes considé- rables non hypothéquées, de 300,000,000 d1 im- pôt foncier, et 200,000,000 de frais d'enregistre- ment. Et c'est au milieu de ces inextricables diffi- cultés qu'éprouve l'agriculture française , que le premier magistrat du pays propose de faire fon- dre à pas de charge sur elle tous les usuriers qui formaient les bandes noires. Il faut expliquer le motif secret de tant de fu- reur. Les bandes noires ont acheté les grandes terres à bon marché, les ont dépecées, et les ont vendues très-cher aux paysans. Mais les grands propriétaires , connaissant les chevaliers d'industrie auxquels ils avaient affaire, ont exigé en argent LlV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 17 î Comptant la moitié au moins du prix stipulé, et ils ont reçu l'autre moitié du paysan qui, pour sa sécu- rité, n'a jamais payé son lot qu'au vendeur primitif. Ils n'ont donc rien perdu. Mais le paysan, sans bes- tiaux pour soutenir la fertilité du sol, s'est trouvé dans l'impossibilité de solder la bande noire, de laquelle il a acheté, et qui a pris hypothèque sur ce terrain. Voilà de quelle source provient la plus grande partie de cette hypothèque de 1 1 ,000,000,000 en valeur positive, qui pèse sur les 39,000,000,000 de la valeur supposée du sol. De fait, à peu d'exceptions près, tous ces mar- chands de terres se sont ruinés. Ce commerce est découragé, mais le gouvernement a un intérêt po- litique de le relever. Le voici : Un nombre malheureusement trop grand de nos anciennes familles nobles a pris part, sous la Res- tauration, dans les assemblées délibérantes ou ail- leurs, à toutes les mesures fatales à la prospérité de la France; mais en 1830, leur antique honneur a prévalu, et, à l'exception de quelques membres, la noblesse française s'est retirée des fonctions pu- bliques et s'est abritée sur ses terres qu'elle n'au- rait jamais dû quitter. Elle compte de quarante à cinquante familles par département. Là, elles sont un objet très-sérieux de jalousie et de crainte à la pairie, à la cour et à la royauté bourgeoise, puis- que tel est le titre dont elle se pare. Les nobles ne prennent plus part aux affaires publiques, leur 1/2 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. fortune s'est rétrécie, malgré leur économie. Il reste quelques vestiges de manoirs; mais te gou- vernement cherche à les en dépouiller, en don- nant à leurs créanciers les moyens faciles de se faire rembourser. Tel est le but politique de la loi pour la haute région des légistes. Quant aux milliers de ceux qui appartiennent aux régions in- férieures, ils poursuivent avec acharnement la spo- liation du pauvre en faveur du riche, par cette raison toute simple que le riche peut les payer, et que le pauvre ne le peut pas. LIV. 1. DE LA PIUMMUÊTK TElîlUTORIALE. 173 CHAPITRE VII. DU MORCELLEMENT DES TERRES ET DE LA DISPERSION DES PARCELLES. On voit parles chapitres précédents, que la législa- tion française a deux effets ; le premier de diviser les ter- res et par conséquent de diminuer le nombre des familles qui possèdent de grandes superficies de sol , en augmen- tant le nombre de celles qui en possèdent de petites. Cette sorte de division donne lieu aux questions de la grande et de la petite propriété. Mais quelle que soit leur importance, on s'aperçoit qu'elles ne sont que des questions accessoires, quand on réfléchit sur le second effet de la législation. Il a pour ré- sultat de morceler les terres et d'en disperser les mor- ceaux. Il est une conséquence forcée des lois qui permettent de diviser entre les héritiers ou les acheteurs non seulement chaque propriété territoriale, mais encore chaque champ et chaque parcelle. La division des terres entre les familles aurait une li- mite : le nombre des familles. Mais le morcellement des terres et la dispersion des morceaux n'en ont aucune. Une propriété d'un hectare peut se composer de mille sillons, tous séparés les uns des autres et enclavés dans les sillons d'autrui. Voici donc la tendance de la législation : à chaque gé- nération, que la propriété d'une famille soit d'un hectare ou de cent, le nombre des parcelles dont elle se compose 174 de l'agriculture en frange. augmente ; l'étendue de chacune diminue 5 elles sont de plus en plus ispersées et enclavées dans les parcelles Cet état de choses présente d'énormes inconvénients signalés par beaucoup d'auteurs. Nous citerons d'abord M. Antoine de Roville, dans le Nouveau Dictionnaire d'A- griculture à l'article Morcellement des terres. 11 n'est pas un agronome qui n'ait déploré les suites inévitables et souvent-désastreuses de cet état de choses, consacré par notre ordre social actuel ; état de choses d'autant plus difficile à réformer qu'il s'appuie sur le plus saint, le plus inviolable des principes sociaux, celui de la propriété, et d'où résulte cette parcellation pro- gressive et indéfinie des propriétés rurales. Cette division, ces morcellements en petites pièces, qui existent depuis longtemps et qui se répètent sans cesse, surtout dans les bons terrains, sont, personne ne le con- teste, un des obstacles les plus difficiles à vaincre, rela- tivement à Tintroduction des pratiques perfectionnées, et en ce qui concerne la production de tous les objets que la grande culture doit nous fournir. Aussi est-ce presque exclusivement à la grande culture que s'appliquent les observations suivantes , consignées dans un excellent travail de M. Carnier-Deschesnes : « Il en résulte d'abord la perte du temps que met le laboureur à se porter successivement sur tous ses héri- tages, situés souvent à de grandes distances les uns des autres, lorsqu'il s'agit de les labourer, et de leur don- ner plusieurs façons; de les ensemencer, sarcler et éehardonner; d'y voilurer et régaler les engrais ; d'y faire la récolte, et d'en transporter les produits dans son habitation. LIV. I. OE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 175 » A cette perte de temps, qui est la plus grande perte que les hommes puissent faire, se joignent une augmen- tation des frais de culture ; la multiplicité superflue des chemins de déblai ; la difficulté de surveiller et de gar- der les récoltes; la facilité et la tentation des petites an- ticipations frauduleuses, la fréquence et l'impunité des délits, les occasions plus multipliées des procès, etc. Ajoutez les dégâts qui arrivent inévitablement, lors des semailles , sur chacune des petites pièces contigues, semées par différents cultivateurs, à cause de l'enjambe- ment que font nécessairement les chevaux ou les bœufs de la charrue sur la pièce attenante, déjà semée; puisque pour semer l'autre, il faut que l'un des animaux attelés, entre lesquels se trouve la raie formée par le soc, foule le terrain adjacent, sans quoi il resterait toujours une raie non semée; et à cause du passage répété des attelages sur les pièces ensemencées, pour arriver aux suivantes. Mais il en résulte surtout l'impossibilité pour chacun de cultiver son champ comme il le voudrait ; d'y établir le cours de moissons qu'exigerait ou permettrait la qua- lité du sol ; d'y planter des haies et des arbres, devenus aujourd'hui si nécessaires , d'y faire des prairies arti- ficielles, d'y former des enclos pour le pâturage, de se dégager de la vieille et funeste erreur de§ jachères ; puis- que celui qui, mieux instruit des choses de la nature, aurait la volonté et les moyens de cultiver tous les ans la totalité de ses terres, suivant un mode approprié aux lois de la végétation, et aux convenances locales, ne le pour- rait pas lorsque ses pièces de terre, ainsi disséminées, sont enclavées dans celles de ses voisins qui y font des jachères, et où s'exerce l'usage pernicieux de la vaine pâture. ï 7 G DE LAGKÏCULTUUË EN FRANCE. Celui qui ferait autrement verrait ses cultures livrées au ravage continuel des bestiaux de tout le village, et si, "pour s'en préserver, il faisait les frais d'enclore ses pièces de terre, il verrait indubitablement ses clôtures violées chaque jour par les autres habitants qui n'en au- raient pas. D'ailleurs, quand même ces clôtures réussiraient, on voit combien cela entraînerait de dépense, et ferait perdre de terrain à la culture, par la surface qu'occupe- raient les murs, les haies et les fossés, toujours plus grande en raison de la petitesse des enclos répétés. Ainsi la division excessive des pièces de terre a été cause qu'on n'y a point fait de prairies artificielles et de pâturages. De ce défaut de pâturages et de prairies artificielles sont venus, pour y suppléer, l'usage des jachères, le droit de vaine pâture dans une même commune, et souvent celui de parcours d'une commune à une autre. Les jachères, la vaine pâture et le parcours ont à leur tour rendu impossible la formation des prairies artificiel- les et des pâturages qu'on avait cru faussement qu'ils pourraient remplacer; et ces usages, outre leur inutilité, sont ensuite devenus funestes à l'agriculture ; ils ont pris le caractère d'une sorte de tyrannie à laquelle les uns sont forcés de soumettre leurs lumières et leur vo- lonté pour un»1 meilleure culture ; et qui, chez les autres, perpétue l'ignorance et la misère, en leur offrant de pe- tits avantages qui les trompent. Ces abus, produits par la division excessive dts terres, ont servi en même temps à la perpétuer en faisant naître l'intérêt et l'habitude de les diviser toujours ; parce que, dans l'impossibilité où chacun se trouve ainsi d'établir. L1V. J. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 177 dans sa propriété disséminée, des moyens pour le pâtu- rage des bestiaux, il n'a plus songé qu'à y cultiver du grain, et que pour nourrir chétivement des bestiaux sans lesquels on n'obtient point de récoltes; chacun s'est fié sur la vaine pâture, et peut-être aussi sur la facilité qu'elle donne de les faire pacager sur les cultures d'autrui, et dans les bois, comme l'expérience le prouve malheureu- sement tous les jours. Aussi Thaër remarque-t-il, en parlant des domaines, même étendus, composés de pièces séparées par un grand nombre de propriétés étrangères, que, dans l'opinion de tout agriculteur éclairé, ils n'ont qu'une valeur inférieure de plus de moitié à celle des fonds réunis, et dont on peut jouir sans réserve. Cette observation s'applique ex- clusivement, au reste, aux lieux livrés à la grande cul- ture, et où la répartition de la population la rend seule praticable. Si telle est la conséquence des morcellements d'un domaine appartenant à un seul propriétaire, la division portée à l'excès n'en entraîne pas de moins graves, lors- qu'elle a lieu sur des terres qui passent à des mains diffé- rentes. Un agronome distingué du Pas-de-Calais, M. Pin- chon, a tracé pour l'ancien Boulonnais le tableau de la petite propriété, telle que l'ont faite ces divisions et ces subdivisions sans limites ; tableau d'autant plus digne d'attention qu'il se rapporte à une partie du royaume où l'agriculture est, en général, dans l'état le plus florissant. Laissons-le parler : « Les propriétés trop divisées, dit-il, possédées par plu- sieurs particuliers, ne suffisent point à leurs besoins ; les terres en sont partout, en général, mal tenues. Les pro- priétaires étant pour la plupart des hommes de peine, | [. 12 178 UL L'AGRICULTURE LA i'RAKCE. vont travailler à la journée dans les grandes fermes ou dans les ateliers des villes et des bourgs. Us font labourer leurs champs par des étrangers, avec des chevaux de louage ; aussi les façons en sont-elles négligées : le dé- faut d'engrais s'aperçoit à la médiocrité des récoltes. La totalité des grains est consommée dans les familles ; il n'y a jamais d'excédant à porter sur les marchés. Le manque presque absolu de ressources se fait apercevoir à l'extérieur et au dedans des petites propriétés. Les mai- sons paraissent toujours en ruine ; si l'on y multiplie des animaux, ce ne sont que des poules, ou tout au plus de chétifs dindons. Les vaches, réduites à l'herbe des gran- des routes, y sont d'une maigreur extrême; les planta- tions y sont presque nulles, les chemins vicinaux im- praticables, et les fossés versent leurs eaux de toutes parts.» Ici, comme dans une partie de ce qui précède, il est essentiel de remarquer que ces observations ne peuvent s'appliquer avec justice qu'aux lieux où les petites proprié- tés, soumises à la grande culture, ne peuvent, à cause de leur éloignement des grands centres de consommation, être exploitées différemment des champs qui les entou- rent. Nous pourrions accumuler une foule d'exemples et de témoignages analogues. Les inconvénients de cet état de choses sont tels que les agriculteurs les plus distingués ne cessent d'écrire sur les moyens d'y remédier. M. Mathieu de Dombasle, en tr'autres, adonné en 1824, un article sur ce sujet, dans la lre livraison des Annales de Roville. Voici comment M. Berthier de Roville résume, dans le troisième volume de la seconde série de la Maison rus- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 171) tique du xixc siècle, ce qui a été publié sur les réunions territoriales : » Quelle confusion ne serait-ce pas, s'il n'existait dans les villes aucune rue pour en diviser les quartiers, et si chaque maison manquait d'issue ? » Eh bien ! au détriment de l'agriculture, la première de toutes nos industries, ce chaos existe pour les nom- breux territoires ruraux, morcelés, enclavés, qu'on ren- contre en France, et dont la presque totalité des lam- beaux, assujettis les uns envers les autres, sont privés de chemins qui y donnent accès. » Signaler les graves inconvénients qui en résultent, c'est attirer l'attention de nos hommes d'État sur une partie malheureusement si peu étudiée , et généralement si peu comprise, de notre législation rurale. » Dans un tel état de choses, l'abus du morcellement ne peut qu'en augmenter la confusion ; et la culture des terres, qui en souffre déjà, en éprouver encore plus de malaise. » Il est notoire que, sur un domaine composé d'une grande quantité de petites pièces (et l'on en compte tant de cette espèce en France), les attelages perdent un temps infini pour se transporter de l'une à l'autre, soit pour cultiver, soit pour récolter. Il y a à craindre les an- ticipations de la part de quatre ou cinq voisins pour cha- que pièce, si minime qu'elle soit; il y a perte de temps pour la surveillance des travaux, et perte de temps bien plus grande encore, par les longues et coûteuses démar- ches que nécessitent ces anticipations, près de la justice de paix; de plus, on sait que les procès fomentent les haines, divisent les familles et engloutissent la portion la plus claire du bénéfice d'une exploitation. 180 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. » Le cultivateur le plus ordinaire, sait que, à surface égale, il faut moins de semence pour les grandes pièces que pour les petites. Cette différence est d'un huitième en plus pour les petites; et si l'on calculait sur ce taux ce que l'on perd avec les territoires désunis, morcelés et en- clavés qui sont en France, le résultat démontrerait com- bien cet objet seul mérite l'attention du Gouvernement. » La confusion d'un territoire découpé, enclavé, est un obstacle insurmontable aux améliorations foncières de toute espèce. » Corriger les vices inhérents à la texture du sol sur de petites pièces, vouloir y faire des clôtures, y établir des fossés de dérivation , un système d'irrigation et des asso- lements raisonnes, sont choses impossibles , lors môme que les pièces ne seraient pas enchevêtrées; car le culti- vateur qui ferait de pareilles dépenses d'amélioration n'y trouverait que de la perte. » On ne serait pas plus heureux si l'on voulait creuser des tranchées, des puisards, des boitouls, sur une pièce même de trois hectares. » Cette partie de l'agriculture doit rester stationnaire jusqu'à l'époque où, propriétaires et exploitants, égale- ment instruits, guidés par une saine appréciation des in- convénients que présentent le morcellement et l'enche- vêtrement, inspirés par leurs véritables intérêts, consen- tiront à provoquer eux-mêmes les réunions que la loi doit favoriser. » Jusqu'à cette heureuse époque, qu'à son honneur le conseil-général de la Meurtrie a appelée de tous ses vœux dans ses trois dernières sessions, les connaissances les plus positives, l'activité la plus soutenue, ne peuvent rien sur un territoire composé de lambeaux enclavés, et le EIV. I. OE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 18 1 cultivateur le plus consommé s'y trouve livré, pieds et poings liés, à l'incorrigible routine. Ce cultivateur peut encore moins tenter des améliorations sur les varrois, propriété fortuite et par conséquent très-précaire *. En vain le code rural de 1791 a posé pour premier principe, que le sol de la France est libre comme ceux qui T habitent, que les propriétaires sont maîtres de varier à leur gré la culture et l'exploitation de leurs terres; en vain les lois actuelles donnent la faculté de clore ; on n'ose pas en profiter, et nos campagnes gardent des mar- ques de désordre et de servitude. Nos terres sont libres en droit et en théorie; elles ne le sont pas en réalité, malgré la destruction en France du régime des fiefs. Comme le dit si énergiquement François de Neufchà- teau, sur nos nombreux territoires ruraux morcelés, désunis, enchevêtrés, l'agriculture froissée par tant d'en- traves, que multiplient autour d'elle le parcours et la vaine pâture, ne peut pas plus se développer ou grandir qu'un enfant qu'on garrotterait au berceau avec des liens de fer. Aussi, quoi qu'on en dise, est-elle encore à peu près ce qu'elle était il y a deux siècles. En effet, tout ce que l'on peut proposer pour améliorer de pareils terri- toires, sans en changer d'abord la distribution, ne sau- rait rien produire, et devient illusoire. C'est cet état de misère qui a fait placer la France à l'avant-dernier échelon de l'échelle agricole par M. Jacob, délégué du parlement anglais pour constater l'état de l'agriculture dans chacun des États de l'Europe. 1 Dans plusieurs départements, on a conservé la coutume de distribuer, tons les ans, des masses de prairies par variations. Les prés sujets à ces partages se nomment varrois. Leur jouissance alternative entre tous ceux qui y ont droit, n'est jamais qu'annuelle pour le même individu. 182 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. Si l'on veut réellement nous faire parvenir au haut de l'échelle, il faut provoquer, faciliter et obtenir enfin la réunion des territoires (aujourd'hui véritables échiquiers ou cartes d'éhantillons) , ainsi que cela s'est pratiqué en Europe partout où l'on a désiré voir fleurir l'agriculture. Avantages qui résultent des réunions. Si tous les numéros d'un territoire parviennent à être affranchis de servitudes les uns envers les autres ; si la culture en devient libre au moyen de la suppression , alors possible, du parcours et de la vaine pâture ; si, à raison de l'indivisibilité de chaque sillon ou numéro, le plan d'un territoire réuni suffit pour maintenir le cadas- tre sans le secours d'une administration coûteuse, la di- vision indéfinie qu'autorise le code civil de la pièce de terre la plus minime se trouve arrêtée, et tous les incon- vénients que nous signalons disparaissent. L'abus du morcellement est poussé si loin qu'en com- pulsant le registre cadastral de la commune d'Argenteuil (Seine-et-Oise), on trouve que la surface de son territoire, de 1,550 hectares, est divisée en 3G, 885 parcelles; ce qui donne en moyenne 4 ares par parcelle. Si on scrute plus attentivement ce registre , on trouve que, sur quelques points, la subdivision y est poussée bien au-delà ; exemple: Numéros Contenance Revenu de la parcelle. en centiares. en centimes, 491 /|0 21 492 70 62 1,526 45 09 1,534 62 32 1,551 70 06 11 en est au moins de même dans la majorité des coin- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 183 mîmes de la Meurthe, si la contenance des parcelles n'y est même pas encore moindre. Droit qu'on a de forcer les réunions. Tous les publicistes initiés dans l'économie rurale ré- clament , en faveur de notre pauvre agriculture , l'adop- tion des réunions, mesure si salutaire réalisée depuis plus de deux siècles, dans presque tous les états de l'Eu- rope. Parmi les nationaux qui ont démontré les avanta- ges et la nécessité de les opérer en France , on voit en tête notre célèbre Victor Yvart, le premier agriculteur et le premier agronome de son temps, et François de Neuf- château, l'homme le plus érudit qui ait traité la question. Leurs écrits dont on a profité ici, et ceux de quelques autres, ont donné lieu à des discussions qui ont rendu la mesure des réunions plus intelligible. M. de Rambuteau a dit récemment dans son Economie publique de l'agriculture, page 211 de la Maison rustique du xixe siècle. « Toutes les servitudes rurales d'intérêt public ou com- munales, tels que le parcours et la vaine pâture, l'essarte- ment, l'alignement, le curage des fossés et canaux, le pas- sage par les terres enclavées, le droit d'ordonner ou de permettre les réunions de propriétés morcelées, lorsqu'elles sont jugées utiles, toutes ces modifications à l'exercice du droit de propriété rentrent dans les attributions de la puissance législative ou dans les pouvoirs réglementaires de l'administration.» Que, dans l'intérêt de la France et pour sa véritable prospérité, le Gouvernement prenne donc l'initiative pour les réunions, la puissance législative ne pourra s'empê- cher d'en prononcer l'exécution. J84 DE LAORICULTURE EN FRANCK. Avant de les provoquer, que le Gouvernement , pour s'assurer de leur utilité et en constater les avantages, en- voie à l'étranger des personnes capables d'étudier l'éco- nomie rurale, législative et administrative des pays les mieux cultivés; qu'il nous procure les statistiques agrico- les de chacun de nos départements. Sans blâmer les mis- sions scientifiques données par le ministère, on peut dire sans hésitation, que celles que nous proposons ici en fa- veur de l'agriculture , seraient pour nous d'un intérêt plus réel. Les personnes envoyées à l'étranger confirmeront à leur retour que, dès 1591, on a procédé aux réunions dans le canton de Berne, et successivement depuis dans les autres cantons de la Suisse ; qu'on les a généralisées dans le Danemarck en 1758, dans la Prusse, en 1763 ; que la Suède en jouit, à dater de la même époque; qu'elles existent en Angleterre de temps immémorial ; qu'elles ont eu lieu en Ecosse, où il suffisait de la demande d'un seul propriétaire pour qu'elles fussent ordonnées ; qu'elles sont établies depuis longtemps en Autriche ; enfin par- tout où l'on a pu apprécier l'importance de l'agriculture, et où, par conséquent, ce premier des arts prospère. Les rapports des délégués ministériels à l'intérieur nous apprendront que les réunions opérées jusqu'à ce jour en France sont très-peu nombreuses, mais aussi , c'est que dans aucun temps le Gouvernement n'y a songé. Celles qui existent sont dues aux efforts et aux sacrifices de particuliers qui savaient en prévoir les heureuses con- séquences. La première a été faite à Rouvres, près de Dijon , en 1705. Ce n'est qu'en 1771 qu'ont eu lieu celles de Neuviller, Roville et Laneuville-devant-Bayon (Meurthe : LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 185 celles de Nonsard (Meuse), de Tard et Maiiien, aussi près de Dijon, et de quelques communes de l'arrondissement de Langres (Haute-Marne) ont été opérées vers la même époque. Sous l'empire vint le tour d'Essarois, près de Chàtillon-sur-Seine (Côte-d'Or). Enfin , sans parler de quelques autres communes de ce dernier département qui sont en pourvoi à ce sujet, Cirey, près de Pontarlier, vient de réunir son territoire. En l'an VIII (1800), plusieurs communes du canton de Lenoncourt (Meurthe), firent des démarches pour la ré- union des leurs. La mort de M. Grandjean, président, et celle de M. Collât, juge de paix de ce canton, empêchè- rent de donner suite à ces démarches. En 1804, M. Marquis disait, dans sa Statistique de la Meurthe : « Si l'on veut l'amélioration de l'agriculture, le Gouvernement doit favoriser la réunion des terres au- jourd'hui disséminées à l'infini, et attaquer enfin le mal dans sa source en supprimant le droit de parcours et de vaine pâture. » Malgré les préjugés il surgira de bien des côtés de nou- velles réunions si le Code rural, que le Gouvernement doit à la France , les ordonne et les facilite , partout où elles sont nécessaires et où on les demandera. Obstacles prétendus qui s'opposent aux réunions, et facilité de les vaincre. On met en avant contre cette mesure le coût de l'enre- gistrement, l'article 2,114 du code hypothécaire, la dé- pense qui en résulte, ainsi que l'opposition de certains propriétaires. Si l'article 2,111 du Code hypothécaire dit positivement <{ue les hypothèques suivent les immeubles dans quelques 186 DE LAGRICULTURE EN FRANCE. mains qu'ils passent, ce qui paralyse les opérations agri- coles en s'opposant aux échanges et aux réunions, il est bien facile d'y parer, surtout pour les échanges et ré- unions ; il suffit de déclarer que les hypothèques, en cas de réunions, se transportent de droit sur les ter- rains concédés au débiteur, en échange de ceux qu'il abandonne. Dans ce cas, il y a d'autant moins à craindre pour le créancier, que son débiteur, en échange de son terrain, ne saurait en recevoir qu'un absolument de la même valeur. Le conseil général de la Meurthe, qui dans la session de 1834, n'avait pas cru devoir se prononcer sur les ré- unions, est revenu sur cette question importante dans sa session de 1835 ; après avoir longuement délibéré, il a sollicité du Gouvernement, comme il l'a fait depuis, et comme il vient de le faire encore dans sa session de 1838, la prompte confection d'un Code rural complet, en de- mandant que ce code indiquât la marche à suivre pour être autorisé à réunir un territoire enclavé et le mode d'y procéder. Ne voulant rien forcer, il a proposé l'as- sentiment de la moitié plus un des propriétaires du terri- toire, quelle que fût rétendue de leurs champs, pour ob- tenir une réunion ; il a aussi émis le vœu que la loi à in- tervenir sur les réunions tranquillisât les créanciers hy- pothécaires, en statuant, par une simple disposition, que tout échange consommé de la sorte emporte nécessaire- ment le transport des hypothèques préexistantes, etqu'on exemptât de tous droits de timbre et d'enregistrement toutes les pièces et actes qui concerneraient l'opération. Le roi de Prusse a accordé des primes et fait différents avantages aux communes réunies, quoique l'opération fût forcée ; le Gouvernement français peut et doit en ac- LIV. t. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 187 corder à son tour, avec d'autant plus de raison que les réunions chez nous seront facultatives. Parcours et vaine pâture. Il existe de temps immémorial, dans quelques parties de la France, une servitude légale appelée droit de par- cours, en vertu de laquelle les habitants de deux ou de plusieurs communes voisines envoient leurs troupeaux en vaine pâture d'un territoire sur l'autre. f. La vaine pâture est le droit réciproque que les habitants d'une même commune ont d'envoyer leurs bestiaux paî- tre sur les terres les uns des autres, lorsqu'il n'y a point de fruits et lorsqu'elles ne sont pas mises en défends par la loi ou par l'usage des lieux. Après avoir expliqué que ces droits ne peuvent être supprimés jusqu'au moment où les réunions auront été effectuées, M. Berthier, auteur d'un écrit sur ce sujet, cite l'opinion du conseil général de la Meurthe, qui en répon- dant aux questions du ministre de l'intérieur dit : « Comme pour abolir la vaine pâture et en hâter la sup- pression sur les nombreux territoires du royaume qui sont morcelés, enclavés et privés de chemin pour arriver aux parcelles qui les composent, il est indispensable d'o- pérer la réunion de pareils territoires, puisqu'en les af- franchissant de toutes les servitudes les uns envers les autres, la réunion en aura fait aboutir tous les champs, de toute leur largeur, sur des chemins bien dirigés. Le Gouvernement, pour satisfaire à des besoins aussi impé- rieux qu'éprouve l'agriculture, facilitera et encouragera la réunion des territoires, sur la demande à en faire par les propriétaires, à la majorité que fixera le chapitre du 188 DE L'AGRICULTURE ETN FRANCE. code rural qui traitera des réunions, chapitre qui doit ar- rêter en même temps le mode d'y procéder. » Conservation du cadastre. Déjà dans la session de 1837 , sur le rapport de sa com- mission d'agriculture, le conseil général delà Meurthe s'était prononcé ainsi à ce sujet : « Le conseil général , consulté par le ministre sur le meilleur moyen de conserver le cadastre, n'en connaît pas de plus efficace que d'admettre pour toute la France le plan d'un territoire, enchevêtré précédemment, qu'on aurait réuni, ou l'équivalent ; en adoptant, sur le plan cadastral d'un territoire qui n'a pas besoin de l'être, la division de pièces , d'une contenance au-dessus de 50 ares, en sillons d'une contenance à fier, sillons qui se- raient numérotés par ordre et déclarés indivisibles. Le conseil le propose. » Pour arriver à cet état de choses qu'exige la conserva- tion du cadastre , les agents qu'on emploie seront long- temps encore occupés ; mais le but atteint , on n'aura plus besoin de leur concours, et le cadastre sera éternel ; car les mutations n'auront plus lieu que par numéro. L'opération du cadastre, tel qu'il s'exécute d'après les instructions existantes, ne suflit que pour une année. Procéder au cadastre d'une commune sans en avoir fait précéder le travail de celui de la réunion, c'est se con- damner à le recommencer sans cesse. Les propriétés se morcellent avec tant de rapidité que le plan cadastral d'une commune se surcharge en liés peu de temps de notes et de chiffres subdivisionnaircs. les états des seclions ne sont plus aujourd'hui ce qu'ils LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 18!) étaient hier ; et si Ton voulait se faire une idée de la mo- bilité des choses humaines, on n'aurait qu'à consulter les matrices des rôles. Il s'agit donc de donner de la fixité au cadastre, dont le renouvellement entraînerait des frais annuels considé- rables. Les réunions, en prescrivant l'indivisibilé du sillon, auront pour effet nécessaire la permanence du cadastre , lequel , dès ce moment, n'occasionnera plus la moindre dépense ; ce qui prouve que les intérêts du fisc , dans cette circonstance , sont inséparables de ceux des particuliers. Le cadastre peut être , par ce moyen , ce qu'il est en Chine , depuis un nombre de siècles , le plus beau mo- nument de la sagesse humaine , non seulement pour établir la perception de l'impôt sur des fondements équitables ; mais pour tout ce qui peut accroître la ri- chesse publique. Conclusions. Tous ceux qui connaissent tant soit peu les travaux de la campagne et auxquels la question de l'impôt n'est pas tout-à-fait étrangère ; ceux qui , après avoir réfléchi sur les considérations qu'on vient de signaler , n'auront pas résolu d'avance de sacrifier aux préjugés et à la routine les intérêts les plus chers à la nation ; toutes ces person- nes, dis-je, ne pourront s'empêcher de reconnaître le besoin et l'urgence d'opérer les réunions là où elles sont nécessaires. Le cadastre, tel qu'il existe aujourd'hui, sans pouvoir y porter remède , ne fait que constater les maux que cause l'enchevêtrement, et l'impossibilité de son maintien , à moins de frais énormes à continuer tous es ans, sans diminuer en rien et en augmentant même 100 DE L' AGRICULTURE EN FRANCE. la confusion, le chaos que présente un territoire rural enchevêtré. Les objections qu'on élève contre les réunions n'ont pas la moindre valeur si on les examine sérieusement. Elles en ont d'autant moins, qu'au lieu de forcer cette opération capitale, comme on en aurait le droit, on se borne à demander que le Code rural la facilite. Cette facilité obtenue , beaucoup de communes s'em- presseront de solliciter l'autorisation de réunir leur ter- ritoire, et l'instruction qui va se répandre provoquera bien d'autres demandes de ce genre. L'auteur qui vient d'être cité prétend que le morcelle- ment des terres s'accroissant chaque jour en France, le nombre des contestations à leur sujet s'accroît aussi dans une proportion considérable. Comme ces contestations sont portées devant les juges de paix, il doit y arriver , si l'assertion de l'auteur est vraie, une grande augmentation dans le nombre des affaires qui sont dévolues à ces tribunaux. L'existence de ce fait est signalée dans le Rapport sur la justice civile et commerciale fait au roi le 10 avril 1842 par M. le Garde-des-Sceaux. Voici le passage qui a rap- port à cet objet. « Si l'on rapproche du total des affaires introduites devant les justices de paix, en 1840, le nombre de celles qu'ils avaient eu à juger les années précédentes, on trouve qu'elles ont presque doublé pendant les sept der- nières années, en s'élevant à 904,219 , en 1840, au lieu de 491,797 en 1834. Quelques explications deviennent ici nécessaires pour qu'on ne se méprenne pas sur la va- leur relative de ces nombres , et que l'on n'attribue pas exclusivement à un accroissement réel du chiffre des LIV. T. DE LA PROPRIETE TEKRITOMALK. 1 0 l affaires, ce qui est dû, en partie, à des relevés plus exacts. » C'est en 1834 qu'il a été demandé, pour la première fois , aux juges de paix, de rendre compte de leurs tra- vaux. Ces magistrats, en général , n'avaient point de re- gistres réguliers, sur lesquels pussent être recueillis avec exactitude les éléments des états qu'ils devaient fournir ; de là, pour eux, la nécessité de les puiser dans les mi- nutes des jugements et dans quelques notes d'audience , qui ne faisaient pas mention de toutes les affaires. Aussi les états des premières années se ressentirent in- évitablement de cet état de choses, et beaucoup de con- testations qui avaient occupé les tribunaux de paix fu- rent omises ; mais, peu à peu , des registres ont été éta- blis dans toutes les justices de paix, et leur tenue ré- gulière a mis les magistrats à môme de mieux se rendre compte de leurs travaux, et d'en donner, à la fin de l'année, un résumé plus fidèle et plus complet. Ce qui prouve l'exactitude de cette observation, c'est que l'ac- croissement des affaires, pendant les dernières années, a surtout porté sur les causes introduites par compa- rution volontaire, celles qui , arrangées plus facilement, laissaient moins de traces de leur passage dans les gref- fes. Le nombre de ces affaires est presque quintuplé en 1840, tandis que le nombre des procès introduits par citation s'est accru de 30 pour cent seulement. » Mais , tout en faisant ainsi la part à une plus grande exactitude , il est impossible de ne pas reconnaître qu'il y a eu une augmentation réelle dans les travaux des tri- bunaux de paix ; elle se révèle d'une manière incontes- table par le nombre des citations , et surtout par celui des jugements rendus, qu'il était facile de constater en 192 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. 1834, puisque les minutes étaient à la disposition des ju- ges de paix, et dont tout porte à croire, par conséquent , qu'il a été rendu compte exactement à toutes les époques. » J'ai déjà eu l'honneur de faire connaître à votre Ma- jesté que le nombre des citations était de près d'un tiers plus élevé en 1840 qu'en 1834 ; celui des jugements a suivi la même progression à peu près , puisqu'il était de 208,187 en 1834 , et qu'il est de 281,813 en 1840 ; diffé- rence de 35 pour cent entre les deux totaux. » Cet accroissement s'est fait sentir principalement depuis 1838; et quelque considérable qu'il paraissse , il s'explique très bien par l'extension de la compétence des tribunaux de paix, par la facilité que la loi du 25 mai 1838 a donnée aux plaideurs d'arriver sans frais devant la jus- tice ; enfin, par l'augmentation de la population et les dé- veloppements incessants de l'industrie, du commerce et des transactions de toute espèce qui doivent néces- sairement engendrer de plus nombreux différends. » Pour compléter ce qui vient d'être dit sur les justices de paix ; nous ferons encore un extrait du Rapport pré- senté au roi le 29 mai 1843 , sur l'administration de ta justice civile et commerciale pendant l'année 1841. Le ministre fait d'abord une rectification relative au rapport de l'année précédente en disant qu'un grand nombre d'affaires portées en 1810, comme introduites devant les tribunaux de paix par la comparution volon- tairedes parties, ont été mal classées, puisque les juges de paix ont été appelés à en connaître, non comme juges , mais comme conciliateurs. Aussi ont-elles été inscrites, en 1841 , en conciliation, devant ces magistrats, hors de l'audience. Puis il s'exprime ainsi : « Le nombre des affaires portées en 1841 devant les LIV. I. DL LA PROPRIETE TERR1TOJUALE. 193 2,846 tribunaux de paix du royaume pour recevoir juge- ment, a été de 656,312. Il en a été introduit : 518,570 ou 79 p. "/„ par citation. 137, 742 ou 21 p. °;„ par la comparution volontaire des parties. 656,312 Total des affaires portées pour recevoirjugement" Les mêmes tribunaux ont eu à s'occuper en outre de 8,299 affaires qu'ils n'avaient pu terminer en 1840. 167,115 affaires ou 25 p. °;0 ont été jugées contradictoireraent. 102,933 ou 16 p. °;„ par défaut. 266,885 ou 41 p. °/0 terminées par arrangement à l'audience. 118,441 ou 18 p. °70 abandonnées. 655.374 affaires terminées. 9,237 sont restées en suspens le 31 décembre 1841. Plus loin le ministre ajoute : « Outre les affaires dont les juges de paix ont connu , comme juges ou comme conciliateurs , conformément à la loi, ils ont été appelés à donner leur avis, hors de l'audience, sur 637,995 contestations que les parties sou- mettaient volontairement à leur arbitrage. Ils ont réussi à en concilier 473,236 et à éviter ainsi aux parties les frais d'instances judiciaires. » Le nombre des avertissements délivrés par les juges de paix pendant l'année 1841, suivant le vœu de la loi du 25 mai 1838, a été de 1,470,864. » Comme, dans ce qui précède , on a beaucoup parlé de la difficulté de conserver le cadastre , dans l'état actuel de la législation sur les terres ; il est bon de donner à ce sujet quelques explications. Voici ce que dit M. Hennet , commissaire royal du cadastre, dans son rapport au mi- nistre de> finances, daté du 6 novembre 1817 : I. 13 194 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. Mutations. « L'allivrement de tous les propriétaires étant fixé ir- révocablement, le cadastre devait encore suivre chaque propriété ou portion de propriété dans tous les change- ments de propriétaires qu'elle pouvait éprouver , ou , en d'autres termes , rétablir tous les ans l'allivrement de chaque propriétaire, d'après les augmentations ou les réductions qu'il a éprouvées. Cette opération s'exécute à l'aide d'un livre de mutations , lequel n'est qu'une con- tinuation ou un volume subséquent de la matrice cadas- trale; il se l'orme de feuilles absolument semblables. L'opération consiste à rayer sur la matrice l'article d'un propriétaire qui vend ou qui acquiert , et à lui former dans le livre des mutations un article augmenté de ce qu'il a acquis, ou diminué de ce qu'il a vendu. Ainsi, à quelque époque que ce soit , un propriétaire trouve dans la matrice , ou dans un des volumes subséquents, la liste complète des propriétés qu'il possède actuellement , et cela sans ratures et sans renvois. Ce procédé, qui offre de grands avantages, a, comme tous les autres, son in- convénient ; c'est que, dans le cas où un propriétaire qui a cent articles de propriétés , en vend une seule à un au- tre propriétaire qui peut avoir un nombre égal d'articles , il faut recopier les deux cents articles. Le système des mutations est donc , sous quelques rapports , susceptible de perfectionnements , et l'administration s'en occupe ; mais restât-il même tel qu'il est, on voit qu'il suit par- faitement tous les changements de propriétaires. Son seul défaut est que son extrême clarté, son extrême exac- titude, exigent un grand travail. » LIV. T. DE LA. PROPRIÉTÉ TERKITOKIALE. Ï95 Le passage du rapport de M. Hennet qui vient d'être cité, donne une idée des difficultés qu'on éprouve à con- server le cadastre, en reportant sur les plans et matrices toutes les mutations et les divisions de parcelles , au fur et à mesure qu'elles ont lieu:" c'est ce qu'on appelle le système de conservation successive. Un autre système de conservation a été proposé; il consiste à reviser les plans et matrices une fois tous les quinze ou vingt ans ; c'est ce qu'on appelle la conservation périodique. L'administration hésite à résoudre cette question, quoique les conseils généraux et la chambre des députés demandent chaque année une loi qui règle cette matière. On lit ce qui suit , dans le rapport fait à cette chambre au nom de la commission du projet du budget pour l'exercice de 1843 : « La commission a appris avec regret que les opinions de l'administration n'étaient pas encore définitivement fixées sur les points principaux qui doivent être décidés par une loi sur la conservation du cadastre. Elle renou- velle le vœu souvent exprimé qu'il soit pris, le plus ; Lot possible , les mesures pour assurer cette conservation. » REMARQUES. Ce qu'on nomme opinion publique, n'est autre chose qu'un assentiment général de la société à certains principes religieux ou politiques. Et vrai- ment, on peut dire que lWngleterre n'a aucun as- ty.*it* *v. FRANCE. contient près de 3,000,000 de familles, est d'une opinion unanime quant au sujet que nous traitons : l'agriculture. Il n'est peut-être pas un seul individu dans la Grande-Bretagne, qui croie même possible qu'une portion1 essentielle de l'exploitation des terres en Europe , et la totalité en France , soit livrée à des habitants de chaumière. S'ils ne com- prennent pas la division des propriétés rurales, ils comprendraient bien moins encore leur morcelle- ment, eux qui savent que les bestiaux forment un revenu plus considérable que la récolte en substan- ces végétales. Il est vrai que les voyageurs anglais, qui chez eux ont fait des articles de journaux sur notre agriculture, l'ont prônée au-delà de la leur. Mais lord Wellington et une partie des officiers qui traversèrent la France en 1815 ont dessillé les yeux de leurs compatriotes à cet égard. Il est donc en Angleterre, sur l'agriculture, une opinion publique bien arrêtée. Il y a là une con- viction unanime. Il n'en est pas de même en France. Nous allons tâcher d'en développer la rai- son. Deux autorités se combattent. La première est celle du gouvernement et de son administration. A partir du souverain jusqu'au plus humble garde champêtre, il y a unanimité d'opinion, et les corps intermédiaires entre ces deux autorités, telles que les chambres, le ministère, les diplomates, le con- seil d'Etat, les préfets ou la magistrature, procla- ment affirmativement notre accroissement de ri- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. "201 chesses. Le roi Fa déclaré dans son dernier dis- cours, à l'ouverture de la session, et un des mem- bres des plus savants et des plus influents de la chambre des pairs corrobora cette déclaration, en assurant que le peuple français est le peuple le mieux logé, le mieux habillé et le mieux nourri de l'Europe ; son frère , un des premiers juriscon- sultes de la France, confirma ce fait à la chambre des députés. Qui pourrait, qui oserait contredire pareilles autorités? Les gens qui sont à la tète d'une société et qui la gouvernent, doivent y voir plus loin et plus clair que ceux qui sont à la suite et qui sont gouvernés. Tout le monde est porté à croire les choses qui sont agréables ; la France croit donc à cette pros- périté matérielle qu'on annonce. Pour donner son assentiment à pareille proposition, il faut d'abord analyser -ce que c'est que prospérité matérielle. Sur 100 familles, il en est un sixième, soit 17, qui sont propriétaires de tout ce qui existe. On peut nommer cette catégorie le public. Les cinq autres sixièmes, soit 83 familles sur 100, vivent au jour le jour du travail que leur distribue le premier sixième, et cette catégorie de la société se nomme le peuple. C'est donc lui qui est le plus soulagé par la prospérité du pays, et le plus fati- gué par son adversité ; son seul besoin est à peu près sa subsistance : elle engloutit à elle seule les neuf dixièmes de ce qu'il gagne. Si le prix en aug- 202 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. mente plus que celui du travail, il éprouve déci- dément: la seule adversité qu'il puisse éprouver. Si le prix du travail augmente plus que celui de la subsistance, il éprouve la seule prospérité qu'il puisse éprouver ; et nous répéterons jusqu'à satié- té , que ces prix dépendent absolument d'un fait : si les produits de l'agriculture s'accroissent plus que la population, il y a prospérité; si la population s'accroît plus que les produits de l'agriculture, il y a adversité, nous entendons pour les masses : soit les cinq sixièmes des familles. Quant au pre- mier sixième, il n'y a que peu à s'en occuper à cet. égard ; pour l'honneur de l'humanité, ses peines et ses jouissances proviennent surtout de l'ordre intellectuel, la religion, les sciences, les arts, la littérature, les spectacles, les voyages, le pouvoir, la fortune, les honneurs ou la réputation. Si le lecteur veut fixer ses idées sur ces défini- tions, il ne reste plus qu'à bien connaître les faits qui nous sont présentés par ceux qui se sont occu- pés de ces sortes de sujets. Outre les pièces offi- cielles que publie le gouvernement, nous avons une autre autorité sur ce qui regarde les subsis- tances., c'est celle du Dictionnaire d'Agriculture. Sur les points où ces deux autorités sont d'accord, nous tenons avoir obtenu la certitude. Ce Diction- naire fut publié pour la première fois en 1770, par ses deux premiers auteurs, l'abbé Rozier et M. Latourette. L'utilité de l'ouvrage le fit beau- LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 203 coup admirer. Il établissait dans un ordre nou- veau l'état de la science au moment de sa publica- tion. Il fut très-répandu, et les agriculteurs distin- gués voulurent coopérer à sa continuation. Ce zèle pour le bien public a duré jusqu'à ce jour, car, dans leur modestie, grande partie des au- teurs n'ont pas mis leur nom aux articles qu'ils ont donnés. Cet ouvrage est donc fait, vu, revu et corrigé par plusieurs générations d'hommes pra- tiques, isolés les uns des autres, et conséquem- ment sans esprit de parti dans le sujet qu'ils trai- tent, certains d'ailleurs d'être immédiatement critiqués ou repoussés s'ils contredisaient l'expé- rience de leurs collaborateurs. Cet ouvrage tient donc de la nature des enquêtes anglaises ; ces ar- ticles sont, en général, simples, clairs, naturels et faciles à comprendre comme la vérité. Telle est notre seconde autorité. Chacune des deux a fait une exposition de l'état de la France. Nous allons en faire l'analyse dans le cours de cet ouvrage, observant préalablement que les optimistes sont les gouvernants , et les pessimistes les gouvernés. Voilà pour la nourriture du corps. Quant à celle de l'âme, il n'y a guère plus d'harmonie; les gou- vernants trouvent la prospérité dans l'université, et les gouvernés dans le sacerdoce. Nous devons ajouter, pour assurer la confiance du lecteur, que ces deux catégories d'autorités, quoique différentes d'opinion, sont très-souvent d'accord sur les faits ; 204 DE LAGRICULTURE EN FRANCE, seulement ils n'en tirent pas. les mêmes conclu- sions. On en peut juger par le chapitre qu'on vient de lire. Les auteurs du Dictionnaire, dont nous avons extrait les opinions, entre autres M. Deschènes, homme dont l'éloquence est inspirée par le cœur autant que par la raison, déplorent la confusion, l'anarchie, le chaos et la tourmente dans lesquels vivent nos paysans français. Le ministre, en effet, dans son rapport au roi, dit, comme on vient de le- voir, que, devant les juges de paix, il y a eu 4,470,864 contestations, et que le nombre des procès devant les tribunaux de première instance, qui, en 1834, était de 208,187, s'est élevé, en 1840, à 281,813, soit de 100 à 135, et que cela est dû au développement incessant de l'industrie, « du commerce et des transactions de toute espèce » qui doivent nécessairement engendrer de plus » nombreux différends, et enfin à l'accroissement » de la population. » Quel pitoyable remède ils proposent ! celui des réunions des parcelles, et cela en nous avouant que nous avons 2,000,000 de familles de paysans qui, pour se nourrir, consomment ce qu'ils produisent. Mais pour cette nourriture il leur faut un morceau de vigne, un morceau de terre pour cultiver du grain, un autre, pour les légumes, un autre pour te- nir une chèvre, et ces terrains ne peuvent être con- tigus, car il faut une parcelle au sommet du coteau LIV. 1. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 205 pour la vigne, et l'autre au bord de la rivière pour l'herbe. Aussi toutes ces théories , à partir du pre- mier ministre jusqu'au garde champêtre, n'ont pas même pu tempérer cette rapidité de destruc- tion qu'on annonce. La France marche à l'état de l'Irlande, tandis que l'Irlande, revenant de ses er- reurs, marche à celui de l'Angleterre. Dans ce royaume, la subsistance de l'empire est assurée par le corps de la noblesse ; et, supposant que, cédant aux tentations auxquelles elle est néces- sairement exposée, elle dissipe sa fortune, la cul- ture et la récolte de ses terres n'a pas à en souffrir ; les travaux d'ensemble une fois finis, c'est le fer- mier qui est chargé d'exploiter sa ferme ; et si celui-là n'est pas laborieux, sobre et économe, il est expulsé de la ferme par son propriétaire, qui, pour être vicieux lui-même, n'en est pas plus indulgent pour les vices des autres. Les hommes qui ont une action immédiate sur les productions de la subsistance du pays, sont dans la dépen- dance d'un enseignement et d'un contrôle, tandis qu'en France ils ne sont que dans celle de la rou- tine. En résultat, aller confier la subsistance d'un empire à des paysans, à des sauvages corrompus, ruinés et sans talents, c'est vraiment un délire, qui ne peut se qualifier. Qu'on en juge par les délibérations précitées du conseil général de la "206 DE L' AGRICULTURE EN FRANCE. Meurthe. Ce département se compose de la Lor- raine et des trois évèchés. Ils avaient à peu près les mêmes lois et les mêmes coutumes que la Flandre, lorsque ces deux localités furent an- nexées à la France, et qu'on substitua la coutume de Paris à leurs coutumes. Le pays n'étant pas d'abord d'une grande fertilité, il est tombé à peu près au dernier degré de misère par le morcelle- ment successif du sol. Le conseil général s'en émeut; mais de qui se compose le conseil géné- ral , depuis que le clergé et la noblesse ont été expulsés des affaires publiques? Il se compose des babiles du parti, et on va voir qu'ils n'ont pas gagné en intelligence ce qu'ils ont perdu en moralité et en argent. Ecoutons leurs réponses au ministre de l'intérieur, qui les a consultés sur le cadastre. Le savant aréopage veut que la France soit divisée et cadastrée par sillons d'un demi-hec- tare, que chaque sillon atteigne des deux bouts à un sentier, et, pour donner de la fixité à la pro- priété territoriale, il propose, que chaque sillon soit indivisible (voyez le féodal). Dans ce cas, la France serait cadastrée en 100,000,000 de par- celles au lieu de 1 50,000,000, qu'à présent elle a à peu près. L'auteur, qui dépeint si bien tous les incon- vénients du morcellement des terres, s'est laissé entraîner par l'opinion publique lorsqu'il a dit : « Le cadastre peut être, par ce moyen, ce qu il LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. '207 » est en Chine depuis un nombre de siècles, le » plus beau monument de la sagesse humaine, » non-seulement pour établir la perception de » l'impôt sur des fondements équitables, mais » pour tout ce qui peut accroître la richesse pu- » blique. » Il faut cependant remarquer que la Chine, cadastrée, suivant ses désirs, contient 250 à 300,000,000 d'habitants, et qu'il en est résulté qu'une poignée de ïartares en a fait la conquête. Ils en occupaient le trône, ils composaient l'armée, et gouvernaient à leur gré, lorsque 20,000 Anglais sont venus dernièrement en faire l'invasion avec beaucoup de facilité, et cela parce que la Chine s'est mise dans le cas d'avoir un cadastre parcel- laire. Si ce savant relit les lettres édifiantes , ou le récit des ambassades de lord Macartney et de lord Amherst, il verra que l'excessive division des propriétés rurales empêche les Chinois d'avoir des bestiaux , et que les nourritures y sont devenues si rares, que la loi permet d'exposer les enfants à leur naissance, aux bords des canaux ou des riviè- res. Depuis nombre de siècles, il en a péri des mil- lions. Et dernièrement, lorsque l'empereur a voulu expulser les missionnaires, qui, pour faire des catholiques, sauvent les enfants ainsi exposés, il les a sévèrement blâmés, dans son édit, pour avoir violé les lois d'un pays qui ne peut mainte- nir son existence que par cette destruction. 208 DE LAGRICULTURE EN FRANCE. Voilà le système où la France marche : et qu'on ne prenne pas ceci pour une exagération ; que T administration veuille bien nous dire quel est F accroissement du nombre des enfants- trouvés depuis cent ans, et combien d'entre eux arrivent à Tâge de deux ans, et nous verrons que, propor- tionnellement à la population, leur nombre a quintuplé, et leur mortalité décuplé. Si M. Burke vivait encore, il dirait des gens qui manipulent la France depuis la Restauration, ce qu'il disait des membres de l'assemblée constiîuante lorsqu'elle fit sa législation sur les propriétés territoriales : « Le sol de la France disparaîtra de la carte de » l'Europe ; ces gens,-là sont trop fous pour être » criminels, et trop criminels pour être fous. » LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 209 CHAPITRE VIII. DE LA VAINE PATURE , DU PARCOURS ET DE QUELQUES AUTRES SERVITUDES. C'est sur les terres dont les récoltes sont enlevées, mais surtout sur les prairies, jachères, pâtures et pâtis que s'exerce le droit de vaine pâture dont il a déjà été parlé. Le revenu annuel du produit de ces sortes de terres ne va donc pas toujours aux propriétaires du sol. Pour com- pléter les idées qu'on peut se former sur la distribution de ce produit, nous allons citer quelques passages d'un Rapport fait, le 10 juin 1838, à la Chambre des Députés, au nom de la Commission chargée d'examiner une pro- position sur la suppression du parcours et de la vaine pâture. « Messieurs, le parcours et la vaine pâture excitent des plaintes vives et incessantes. On les regarde comme l'une des causes qui affligent l'agriculture et en arrêtent les progrès. Leur suppression doit contribuer puissamment à développer les nouvelles méthodes de culture, et le lé- gislateur ne peut trop se hâter de la prononcer. » Telle est l'opinion de la plupart des agronomes, des sociétés d'agriculture, des commissions instituées pour la réforme du Code rural, et qui a été répétée parla plu- part des conseils d'arrondissement et de département. » Pourquoi des réclamations qui paraissent aussi una- nimes n'ont-elles pas encore été satisfaites, et comment se fait-il que la mesure qu'elles ont pour objet, n'a pas 1. 14 210 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. été introduite jusqu'à présent dans notre législation, si elle est destinée à produire des effets généralement aussi avantageux? » C'est que l'on s'est aperçu des immenses difficultés de son exécution. La grande variété des usages, des habitu- des et des besoins des différentes localités, l'état et les nécessités de leur agriculture ont fait penser avec raison qu'il y aurait imprudence et danger à appliquer à toutes les parties de la France agricole une disposition de loi uniforme et absolue. Le Gouvernement a senti'que l'a- bolition du parcours et de la vaine pâture est un de ces moyens que le temps seul peut mûrir et préparer, que la nécessité seule peut légitimer, et qu'il faut calculer la fa- veur ou la résistance qui doit s'attacher à une mesure aussi importante, avant de la soumettre à la sanction du pouvoir législatif. Aussi voyons-nous que ce n'est pas lui qui a voulu en prendre l'initiative, malgré qu'il eût consulté, depuis longtemps, les lumières de toutes les ad- ministrations et des hommes les plus éclairés.» Ici le rapporteur explique le but de la proposition, et éta- blit ensuite quelle est la législation actuelle. Le parcours est une servitude réciproque de paroisse à paroisse et qui entraîne avec elle le droit de vaine pâture. Elle continue d'avoir lieu lorsqu'elle est fondée sur un titre ou sur une possession autorisée par les lois et les coutumes. Le droit de vaine pâture est, d'après la législation ac- tuelle, exercé provisoirement sur les prairies naturel- les et indéfiniment sur toutes les autres propriétés aux- quelles il s'applique. Lorsqu'il n'est pas accompagné de la servitude du par- cours, il ne peut exister que là où il est fondé sur un titre particulier ou sur un usage immémorial. L1V. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 21 ( « Après avoir maintenu le parcours et la vaîne pâture, dit le rapporteur, le législateur a tâché d'affranchir de ces deux usages les propriétés, et d'en restreindre l'exercice autant que possible. » Un premier moyen d'affranchissement, c'est la clô- ture, qui résulte essentiellement du droit de propriété (art. 4 et 5 de la loi du 6 octobre 1731. » Un second moyen, c'est la renonciation à la récipro- cité du parcours (art. 17). » La clôture affranchit aussi du droit simple de vaine pâture, (art. 3), ainsi que du droit de vaine pâture récipro- que ou non réciproque entre particuliers, si ce droit n'est pas fondé sur un titre (art. 7). » Un troisième moyen de s'affranchirde ce droit, quand il est fondé sur un titre, môme dans les bois, entre parti- culiers, c'est le rachat (art. 8). » Les principales mesures restrictives sont écrites dans les articles 8, 9, 10, 13, 14, 15, 16, 18 et 19 de la môme section, et dans les articles 18, §11; 22, 24 et 25 du titre IL » Enfin, un des moyens les plus efficaces, qui contribue le plus à restreindre la vaine pâture sur les prairies natu- relles, dans les années où il y a espérance de faire des regains, c'est l'arrêté du 25 thermidor, an 3, qui suspend provisoirement l'exercice de ce pâturage jusqu'après la levée des regains dans plusieurs départements, et celui du 19 thermidor, an 4, qui autorise tontes les administra- tions centrales (aujourd'hui les préfets) autant que besoin sera, à maintenir provisoirement les dispositions de l'ar- rêté du 25 thermidor, an 3. » Nous devons faire remarquer aussi que la loi de 1791 a autorisé les conseils municipaux à déterminer la quan- '212 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. tité de bétail que les propriétaires ou fermiers peuvent envoyer au troupeau en commun ou faire garder par troupeau séparé , dans les pays de parcours ou de vaine pâture. Cette quantité doit être proportionnée à l'étendue des terrains que ces propriétaires ou fermiers exploitent dans la même commune (art. 12 et 13, section 4K » Pour ménager les intérêts de la classe pauvre des campagnes et l'aider dans ses besoins, le législateur a in- troduit dans la loi une disposition toute d'humanité. C'est celle de l'art. 14, qui permet à tout chef de famille, do- micilié, qui n'est ni propriétaire, ni fermier d'aucun des terrains, sujets au parcours ou à la vaine pâture, de met- tre sur ces terrains, soit par troupeau séparé, soit en trou- peau en commun, jusqu'au nombre de six bêtes à laine et une vache avec son veau. La même permission est ac- cordée au propriétaire ou fermier à qui la modicité de son exploitation n'assurerait pas cet avantage. » On comprend toute l'importance de cette disposition, qui fournit aux pauvres des moyens d'existence précieux. C'est avec le lait que la vache donne que le père et la mère nourrissent leurs enfants. C'est avec la toison des brebis qu'ils se procurent des vêtements, et le prix du veau sert à l'achat de quelques objets nécessaires à la subsistance. » C'est dans cet état de notre législation que laCham- hre a reçu la proposition que nous sommes chargés d'examiner. Comme elle renferme une innovation pro- fonde dans nos lois rurales, le Gouvernement ne pouvait se dispenser de la soumettre à l'examen des conseils gé- néraux et de consulter les préfets. La Chambre va voir la manière dont ils ont envisagé la mesure que la proposi- tion a pour objet. » LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 213 Le rapporteur cite alors toutes les délibérations des conseils généraux; nous ne donnons que celles qui peu- vent jeter du jour sur l'état de la propriété territoriale en France. Ardemies. « Le conseil général pense que le parcours, fondé sur la réciprocité, peut être supprimé sans incon- vénient et sans porter atteinte au droit de vaine pâture. » L'exercice de celle-ci est utile aux propriétaires et aux classes pauvres. Aux premiers, parce qu'elle leur procure un excellent engrais qu'ils n'achètent pas, et que, dans ce département , une portion de la nourriture du bétail est fondée sur l'usage de la vaine pâture, et enfin, parce que les jachères causent , dans la produc- tion , une suspension et un retard qui sont nécessaires à la nature des terres que l'on y cultive. » Aux secondes , parce que la suppression leur porte- rait un grand préjudice ainsi qu'aux propriétaires de pe- tits troupeaux. ■ Il est facile de voir que la propriété de ces troupeaux se trouverait déplacée. Elle se concentrerait entre les propriétaires des terres , à l'exclusion de nombreuses familles parmi lesquelles il faut travailler à étendre l'es- prit de propriété si utile au repos de la société. » La proposition de loi est en sens contraire des prin- cipes de l'humanité. Elle compromettrait la tranquillité publique pour une question dont il n'est possible d'ob- tenir une solution complète que du temps et du dévelop- pement de l'industrie agri cole. » Meurthe. « Le Code rural, qui doit comprendre l'abo- lition du parcours et de la vaine pâture, est vivemeni sollicité. Il ne sera pas complet, s'il ne contienl des disposU 214 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. lions propres à faciliter , sur un territoire , la réunion des propriétés désunies , morcelées , enchevêtrées , sans chemins , pour arriver aux parcelles qui composent ce territoire. Sans cette réunion, on ne peut espérer les avantages que l'on attend de la suppression du parcours et de la vaine pâture. » Cette opération a moins pour but de réunir les ter- rains épars d'un même propriétaire , que celui d'obtenir que chacun des champs du territoire aboutisse, de toute sa longueur , sur un chemin bien dirigé. » C'est le moyen de l'affranchir de toute servitude , et de toutes entraves envers ses voisins. » Lozère. « Il n'y a pas de délibération du conseil général. » Les renseignements qui ont été fournis à la Com- mission sont favorables à la suppression du parcours. Elle est désirée partout. » Il n'en est pas de même de la vaine pâture. » Son abolition froisserait une niasse énorme d'inté- rêts, et porterait un coup mortel à l'agriculture , déjà si pauvre et si arriérée dans ce département. » Nul doute que cette mesure n'excitât un méconten- tement général. » Elle causerait une lésion trop vive et trop cruelle des intérêts les plus chers pour que la population n'en mur- murât pas et n'y vît peut-être une atteinte profonde aux droits de propriété. Il est douteux qu'elle se soumît avec docilité aux prescriptions de la loi nouvelle, et qu'il fût possible de l'y contraindre. » L'abolition peut être prononcée en principe, mais appliquée sans restriction à la Lozère, elle en amènerait infailliblement la ruine. » L'exercice de ce droit devrait être facultatif, là où LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 215 îa généralité des habitants le jugerait nécessaire. Tels sont les vœux du pays. » Seine et Marne. « La mesure peut causer les plus grands embarras à l'administration , dans son exécution , si la loi paraît trop tôt. » Le conseil général pense qu'il conviendrait de la faire précéder de mesures législatives et gouvernemen- tales propres à disposer les esprits à en reconnaître l'utilité. » Le moyen le plus prudent serait de faire accepter, par les populations rurales , des pratiques d'agronomie dont la conséquence pût être de rendre la suppression presque indifférente, en sorte qu'elle eût lieu de fait avant de l'être de droit. » On est effrayé des conséquences de l'exécution d'une loi qui viendrait enlever à la vache du pauvre la nourri- ture que la vaine pâture lui fournit , et au cultiveur aisé ou riche les avantages qu'elle lui procure. » Une autre cause d'opposition à la suppression , et peut-être aussi grave , parce qu'elle est matérielle et le résultat de notre législation , c'est l'extrême division de notre propriété foncière, qui est telle, qu'elle aurait pu faire naître le droit de vaine pâture, si celle-ci n'était pas très ancienne et due à des concessions. » Enfin, la troisième cause qui existe contre la sup- pression , c'est l'absolue nécessité de ce mode de pâtu- rage. » La loi est impuissante contre la routine des campa- gnes , du moins par voie directe. » Elle l'est aussi contre la division des propriétés, parce qu'elle se détruirait elle-même. » Ainsi , avant de prononcer : Le parcours et la vaine '210 DE i/ AGRICULTURE ES FRANCE. pâture sont abolis , la loi doit aviser aux moyens de procurer des compensations aux usages de ces deux droits. C'est à l'action gouvernementale à lui préparer les voies. La vente de la location des communaux aux indi- gents leur procurerait un moyen de nourrir leur bétail. Parmi les moyens de préparation, on pourrait employer ceux qui sont indiqués dans les articles 4 et 5 de la proposition. » L'exemple donné par les cultivateurs de nourrir leurs bestiaux àl'étable; quelques récompenses honorifiques qui leur seraient accordées; des mesures restrictives et la réunion des parcelles en une masse ou en un très- petit nombre de masses, sont les seuls moyens qui peu- vent amener le résultat que l'on désire. » Loire-Inférieure. « L'abolition a paru, à la commission du conseil général, bonne et utile. Cependant, elle a l'ait des observations sur les effets que la mesure doit produire, et sur les moyens de l'exécuter. «i Dans ce département, il existe de vastes plaines en [ prairies , dont la précieuse surface se trouve, morcelée en tant de fractions et entre un si grand nombre de proprié- taires, qu'il est impossible de l'enclore, et que toute fic- tion de défensibilité devient impuissante, chaque pro- priétaire ne pouvant envoyer ses bestiaux sur son terrain qu'en passant sur plusieurs autres, et la garde des animaux de chacun sur sa fraction de pré étant évi- demment impraticable. » Il ne faut pas se dissimuler que c'est surtout pour les vastes et importants terrains de ce genre que se fait la loi nouvelle, et que si l'on n'y insère pas les moyens de vaincre cette difficulté, on s'expose à un fâcheux a vertement. LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 217 » Ces embarras seraient levés , au moins en grande partie , si l'on pouvait amener les masses de propriétaires à faire tracer un système de chemins et sentiers qui des- servit le plus possible de cantons de terres Iractionnés. » Le rapporteur ajoute que la Commission a pris des renseignements précis sur l'effet que pourrait avoir la loi proposée, dans ce département, et il exprime ainsi l'opi- nion qu'elle s'est formée : « En examinant attentivement l'esprit qui anime la population des campagnes , et surtout l'empire tout- puissant de la routine chez les hommes qui repoussent encore tout projet d'amélioration réelle, et pour lesquels un ancien usage équivaut à un droit acquis et im- prescriptible , la question devient des plus graves pour ce département, parce qu'elle touche aux intérêts d'une immense partie de sa population, et qu'elle peut mettre en jeu des passions à peine éteintes. On a vu des propriétaires tenter inutilement de se clore. La résis- tance n'a pas même cédé souvent devant les décisions des tribunaux. Malgré les améliorations apportées au système d'agriculture, depuis quelques années, par les grands propriétaires , les petits agriculteurs sont loin de reconnaître les vices de la vaine pâture ; au contraire, ils la'considèrent comme une ressource inappréciable pour la partie pauvre qui élève des moutons , des vaches , etc., etc. Son abolition serait donc fort mal accueillie par la population des communes rurales. D'ailleurs , la question touche à celle des biens communaux, sur l'em- ploi desquels il a été impossible, jusqu'à présent, de se concilier. » On voit (pie, sur les 86 départements qui composent la France , il v en a : 218 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. » Trente-sept pour lesquels la loi est indifférente 37 d Seize qui sont d'avis de s'en remettre aux autorités départe- mentales ou locales, quant à la suppression ou au maintien. 16 » Dix-huit 'pour lesquels la loi paraît utile 18 » On pour lequel elle n'est plus utile que pour les terres en friches et incultes 1 » Deux pour lesquels on ne l'approuve que pour les prés, et où elle serait contraire aux intérêts agicoles quant aux terres. 2 » Et douze où elle est regardée comme contraire à ces intérêts. 12 86 » La Chambre remarquera la différence qui existe entre ces résultats, et ceux qui ont été présentés par les Rapports de la Commission précédente. » Ce n'est pas que les deux Commissions n'aient examiné d'une manière consciencieuse les documents ; mais la première n'ayant pas eu ceux plus récents qui ont été communiqués à la seconde, les résultats ne pou- vaient être les mêmes. » Il n'est pas sans importance de faire remarquer la variété des faits, des intérêts, et conséquemment des opinions dans les départements même où la sup- pression du vain pâturage est regardée comme utile. » Ainsi, dans celui des Bouches-du-Rhône , on la de- mande pour les terrains en friches et incultes, et que les propriétaires n'ont pu mettre en culture jusqu'à présent. » Dans l'Oise, on ne l'admet que pour les prairies naturelles, les friches, les landes et bruyères, et on la repousse quant à tous les autres terrains. » Dans la Somme , on demande le maintien de la vaine pâture pour la race ovine. » Dans la Côte-d'Or, on admet des délais successive- ment prolongés par des ordonnances royales , sur la de- mande des conseils municipaux. LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 219 » Dans l'Isère, trois arrondissements sont à peu près affranchis de la vaine pâture. Elle n'existe plus que dans quelques cantons de l'arrondissement de Vienne. » Dans la Haute-Loire, la vaine pâture n'est en pra- tique que dans la partie composée de l'ancienne pro- vince d'Auvergne. » Dans l'Eure , la suppression ne peut avoir lieu , quant aux terres, que dans un délai de cinq à dix ans. » Dans tels départements on trouve bon que le vain pâturage n'ait pas lieu après le coucher du soleil, et dans tels autres on ne conçoit pas qu'il puisse être interdit , attendu que la chaleur excessive qui y règne ne permet le pacage que pendant la nuit. » Dans celui-là , ce sont les petits propriétaires et la classe pauvre , et dans celui-ci, ce sont les gros fermiers et les grands propriétaires qui demandent le?maintien de l'état actuel. » Nous pourrions multiplier les citations pour prouver le peu d'accord qui existe , dans les différentes loca- lités, sur les dispositions du projet de loi. Nous ne vou- lons pas fatiguer la Chambre par le récit des modilica- tions et des amendements qui sont proposés par certains conseils généraux , ou par les autorités de certains dé- partements, souvent même par certains conseils d'ar- rondissement d'un même département. » La Chambre sera convaincue , sans doute, que cha- que département a délibéré selon les intérêts , les usages et les habitudes de sa localité ; et ce sera probablement pour elle un motif de penser que l'opinion du conseil général d'un département où le droit de vaine pâture est peu exercé ou presque tombé en désuétude, n'est pas *2'20 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. d'un grand poids, quant aux principes de l'abolition, re- lativement aux départements où l'usage a conservé toute sa force , et où il est soutenu par les habitudes et les intérêts agricoles. Mais une considération qui mérite toute l'attention de la Chambre , est celle qui se réfère à l'opportunité du projet de loi , et aux effets qu'il produi- rait dans un grand nombre de départements. » Votre Commission, Messieurs, a examiné scrupu- leusement toutes les pièces qui lui ont été communi- quées , et elle ne craint pas qu'on lui oppose la plus légère contradiction, quand elle assure qu'il y a trente- neuf départements où la loi projetée serait reçue avec mécontentement , danger, et même résistance. » Voici l'analyse fidèle des opinions qui se manifes- tent dans ces départements sur la suppression du vain pâturage. » Les mœurs sont faites à cette coutume, plus pré- cieuse, sans comparaison, à ceux qui en profitent, qu'elle ne paraît onéreuse à ceux qui en éprouvent le préjudice. Malgré les efforts de quelques hommes éclairés, on ne peut la considérer comme entièrement dépréciée dans l'opinion publique. » L'excessive division de la propriété foncière attache à l'existence de la vaine pâture l'intérêt d'une multitude d'agriculteurs. » La classe agricole regarde encore comme funeste au bétail Tusage de le nourrir à l'étable. Comme le sol ne présente souvent que de rares et maigres pâturages, il s'ensuit la nécessité de demander aux terres dépouillées de leurs récoltes des moyens d'à mélioralion que ne saurait fournir la trop faible quan- tité de fourrage sec et artificiel. Lue loi qui abolirait la LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 221 vaine pâture serait donc funeste à beaucoup d'intérêts, Klle se trouverait de plusieurs années en avant des connaissances et des pratiques agricoles. On rencontre- rait une désobéissance obstinée , et l'usage se perpétue- rait longtemps encore malgré la loi , au risque même de quelques collisions individuelles. ■> L'abolition proposée serait d'autant moins opportune que, depuis plusieurs années, les cultivateurs qui n'a- vaient pas de troupeaux , en entretiennent , et que ceux qui en possédaient , les ont considérablement augmen- tés , parce qu'ils trouvent, dans le produit des laines, une compensation du bas prix des céréales. Ce serait un coup funeste pour une classe nombreuse et peu éclairée de citoyens, et pour une branche importante de l'indus- trie agricole. » L'usage est trop ancien et intéresse trop de monde pour qu'il puisse être supprimé sans inconvénient. » Ce n'est pas le moment de s'occuper de la propo- sition. » Du glanage et de Végrapîllage. Outre la vaine pâture et le parcours, il existe d'au- tres servitudes dans beaucoup de départements, tels sont le glanage et Végrapillage. Ecoutons MM. les inspecteurs de l'agriculture en France, parlant en 1813, du départe- ment des Hautes-Pyrénées, dans le travail que publie le ministère : » Le glanage est en vigueur dans tous les arrondisse- ments; dans beaucoup de localités, notamment à Bagnè- res , et dans la plaine de Tarbes, on le regarde comme une source d'abus. La loi défend, il est vrai, qu'on ne puisse glaner avant le lever et après le coucher du soleil, "222 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. et en dehors de la surveillance du garde champêtre, mais ces règlements sont très-peu respectés, du moins pour la récolte du maïs. A peine a-t-on commencé la cueillette des épis, tous les pauvres des environs se jettent dans le champ ; c'est une véritable invasion ; des troupes entiè- res sont sur les talons: des moissonneurs; elles ne se contentent pas de prendre les épis faibles ou oubliés, elles se jettent encore sur les tiges non dépouillées et il faut presque engager une lutte pour sauver la récolte de ce brigandage : cette violation audacieuse des droits du propriétaire appelle toute l'attention des autorités. « Le grapillage existe dans le département, il n'est au- torisé qu'autant que les propriétaires de la commune ont achevé leurs vendanges. Dans certains cantons , notam- ment à Vie, à Maubourguet et à Castelnau, le grapillage est exercé par les pâtres, qui vont faire pacager leurs moutons dans les vignobles. Les bergers de ces localités sont un des plus grands fléaux qu'ait à redouter l'agri- culture du pays. Ne possédant pas un centiare de ter- rain , sans fortune pécuniaire, ils n'ont pour tout bien que des troupeaux de botes à laine, de race chétive, qu'ils ne sauraient nourrir à leurs frais, et qu'ils font vivre aux dépens des propriétaires. Haies, fossés, prés, champs, vi- gnes et récoltes, rien n'est sacré pour cette classe de gens essentiellement nomades. La maraude a lieu surtout pendant la nuit; et malheur à qui ose se plaindre de ces envahissements , la vengeance ne tarde pas à se faire sentir; elle atteint le propriétaire et ceux qui ont dirigé les poursuites ; on coupe leurs vignes, on saccage leurs récoltes. Les dommages causés par ces espèces de Vanda- les deviennent souvent irréparables. » LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 223 Mauvais gré. Ecoutons encore MM. les inspecteurs de l'agriculture, parlant en 1843, d'une autre espèce de servitude qui exis- te dans plusieurs départements du Nord : « L'agriculture du département du Nord a encore à dé- plorer, dans le canton d'Orchies, le plus grave de tous les abus, le mauvais gré. Par suite d'une coalition tacite en- tre les cultivateurs de ce canton , coalition cimentée par la peur et la crainte d'une vengeance presque certaine de la part des intéressés ou de leurs adhérents, les pro- priétaires ne peuvent disposer de leurs biens ruraux à titre de vente ou de location ; ils sont obligés de céder à vil prix ou de traiter, au préalable, d'une large indemnité avec le fermier occupant; d'où il résulte que nul acqué- reur ou fermier étranger ne se présente , et que les pro- priétés, dans ce canton, tombent chaque jour bien au- dessous de leur valeur réelle. » Cet abus enraciné aux environs de Péronne (dépar- tement de la Somme ) , dans la localité désignée sous le nom expressif de Sans-Terre, existe depuis un temps im- mémorial dans l'arrondissement de Douai; il s'infiltre de plus en plus dans les mœurs des habitants et gagne in- sensiblement dans les communes adjacentes, exemptes autrefois de la contagion. Jusqu'ici les mesures essayées pour combattre ce fléau sont restées sans succès : l'action de la justice se trouve paralysée, d'une part, parce qu'il n'existe aucun moyen légal de contraindre les autorités locales à faire cultiver les biens du propriétaire frappé du mauvais gré; de l'autre, parce que lorsqu'un fermier se 224 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. présente, on ne trouve personne qui ose témoigner en justice des crimes ou des délits dont celui-ci est toujours la victime. » REMARQUES - C'est de toutes les parties du globe qu'à l'épo- que de la Restauration, 600,000 Français rentrè- rent chez eux. Ils avaient éprouvé les plus grandes adversités comme les plus grandes prospérités ; ils avaient coopéré à d'immenses affaires en destruc- tion comme en construction, par terre comme par mer, civiles ou militaires. Jamais l'espèce humaine n'avait passé 25 ans dans un aussi grand mouve- ment d'attaque comme de défense. Il y avait deux camps, mais leurs états-majors n'éprouvaient entre eux ni haine, ni désir de vengeance, et jamais Paris n'avait contenu plus de gens d'affaires et d'expérience. Je ne le connais pas , répondit Louis XIV à un ministre qui lui désignait quelqu'un pour rem- plir une place. Nous disons que c'était précisément la raison pour laquelle il devait être préféré ; il y avait là une preuve suffisante, que l'homme dési- gné n'était ni ambitieux, ni intrigant, ni courtisan. Si Louis XVIII ainsi que Charles X, n'avaient ja- mais nommé, pour mener les affaires de la France, LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 225 que des gens qu'ils ne connaissaient pas, leur dy- nastie serait encore sur le trône. Comment des gens de mérite auraient-ils tenté de rompre ces phalanges d'hommes médiocres qui entourent tou- jours le Souverain, lorsque lui, et lui seul, peut les écarter d'un signe. La médiocrité et l'intrigue triomphèrent; des gens de loi, des maires de province l'emportèrent sur les hautes capacités qui existaient alors. C'est en vain qu'en 1815, après la bataille de Waterloo ; en 1820, après un événement que nous ne vou- lons pas rappeler ; en 1823, au retour de la guerre d'Espagne que l'armée était si dévouée à la royauté ; en 1824, que Louis XVIII mourut, le trône pouvait faire le signe qui eût sauvé la France ; il ne fut pas fait. Cet historique nous a paru nécessaire pour faire connaître au lecteur combien l'état des chx> ses, à cette époque, était différent de ce qu'il est aujourd'hui. Les rapports ci-dessus nous disent que, pour les remèdes proposés à létat désespérant de nos pâtis et pâtures, on rencontrerait une déso- béissance obstinée; que le désordre se perpétuerait malgré la loi, et que, pour des motifs divers, il y aurait résistance et collision dans toute la France, Qu'on fasse donc attention que ces conseils gé- néraux, se composent de gens qui se mettraient eux-mêmes à la tète des myriades qui entreraient ï. 15 226 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. dans cette résistance. Aujourd'hui que la noblesse et les grands propriétaires de terres, se sont fort heureusement retirés du Gouvernement, les con- seils généraux se composent de gens qui ont ga- gné quelqu' argent au commerce des terres et qui ambitionnent le peu de propriétés territoriales qui sont encore agglomérées , afin de les morceler. Il est vrai que si ces gens là acceptaient la loi, les paysans seraient plus puissants qu'eux , comme ils sont plus puissants que les Chambres, et les Chambres plus puissantes que le Sous'erain, con- firmant le proverbe d'Epictète qui disait : je suis esclave, mais je le suis moins que mon maître. Aux quatre époques de 1815 à 1825 que nous venons de citer, on sortait d'une guerre d'exter- mination; le nombre des hommes au-dessus de 20 ans, qui seuls peuvent résister, n'était que de deux millions; aujourd'hui il est de 6 dans sa pro- portion naturelle; les terres ne s' étant pas encore partagées , et la misère n'étant pas arrivée au point où elle est, ces deux millions d'hommes, trouvaient à se marier, et obtenaient une opulence relative. Alors le trône avait une armée, étrangère d'abord, et nationale ensuite ; ces éléments d'ordre, actifs ou négatifs, existaient et aujourd'hui ils n'existent plus. Le sol de la France par son morcellement se trouve sous le joug de servitudes réciproques dont il paraît impossible de l'affranchir. Certes ce ne sont pas les pouvoirs qui existent qui feront cette L1V. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 227 entreprise ; il faut du temps et de longues études pour d'aussi profondes innovations. Un roi deman- dait à Eucîide une voie courte pour arriver aux connaissances de ce mathématicien ; il répondit : il n'y a pas de route royale qui mène à la géométrie. 228 de l'agriculture en fhance. * CHAPITRE IX. DU déboisement des montagnes. Les contrées montagneuses de la France, telles que les Vosges, le Jura , les Alpes et les Pyrénées ont éprouvé des effets désastreux par suite des grandes destructions de bois qui ont lieu depuis des siècles sur les revers incli- nés des montagnes. Le Dictionnaire d'Agriculture, dans son article Déboisement du sol, cite le passage suivant d'un mémoire de M. Baudrillart, qui lui-même s'ap- puie d'un travail spécial de M. Dugied. Voici comment il s'exprime: ■ Destruction des forêts sur les Alpes. « Suivant un mémoire de M. Dugied, ancien préfet du département des Basses-Alpes, on évalue la contenance des terrains improductifs de ce département à 430,613 hectares; ce qui forme plus de la moitié de sa superficie. A une époque ancienne, la majeure partie de ces terrains était couverte • Passant à la description des moyens de communica- tion l'auteur dit : « 11 n'y a que deux grandes routes royales qui parcourent les Alpes françaises dans le sens de leur longueur; celle de Briançon à Gap, qui suit le bassin de la Durance en passant par Embrun, et 23'2 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. celle de Grenoble à Digne par le bassin du Drac Celle-ci vient rejoindre la première sur les bords de la Durance, à la hauteur de Sistéroh, et se prolonge obli- quement vers Nice, au travers du département des lias- ses-Alpes, par Barème et Castellane. C'est un des plus beaux travaux du gouvernement actuel , et l'on ne sau- rait lui comparer que la route de Grenoble à Briançon par la vallée de la Romanche, en cours d'exécution , et que j'ai pu suivre dans toute sou étendue. Une nouvelle route, parallèle à la ligne du Drac et à celle de la Durance, mais encore très-peu fréquentée parce qu'elle traverse un pays sauvage, s'élève à des hauteurs plus considérables que le Simplor. et le mont Saint-Gothard. 11 ne s'agit donc que de relier ces grandes artères par des communica- tions départementales , aujourd'hui très-insutfisantes et que nous prouverons bientôt être au-dessus des ressour- ces de deux de ces départements. On se ferait toujours une idée très incomplète de la viabilité dans les Alpes, si l'on supposait que le régime des routes n'y est exposé qu'aux éléments de dégradation communs aux autres parties du territoire. Les ingénieurs des Alpes sont tou- jours sur le pied de guerre ; l'hiver pour déblayer la voie, au printemps pour la rétablir, en été pour la dé- fendre des ravages des torrents. Un vent chaud, qui fait brusquement fondre les neiges , un orage suivi de pluies diluviennes, un troupeau de chèvres ou de moutons qui fait rouler une grêle de pierres , une avalanche qui tombe en travers du chemin , suffisent pour intercepter le pas- sage. La nature abrupte et souvent effrayante du terrain ne permet pas d'éviter des pentes dangereuses et force les ingénieurs de suspendre les routes sur des précipices, dont la vue seule occasionne le vertige. Les ouvrages LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 233 d'art se multiplient à chaque pas sous forme de ponts , de digues, de chaussées, de tunnels, où la poudrejouesou rôle comme dans les batailles. Malgré ces efforts conti- nuels, la circulation est très-souvent interrompue, et il se passe peu de mois sans que des aventures tragiques vien- nent jeter l'inquiétude et la terreur au jsein des populations. » On devine aisément que la cherté des transports est la conséquence nécessaire d'un tel état de choses. En dehors de la ligne des routes royales, il n'y a plus que des sentiers décorés du nom trompeur de chemin de grande communication. Ces sentiers , à peine praticables aux mulets , présentent en tout temps des dangers inconnus dans les pays de plaine. La rencontre imprévue de deux bètes de somme chargées suffit pour déterminer leur chute au fond des précipices. » Décrivant l'action des torrents sur une partie de ces terrains, l'auteur s'exprime ainsi: « Le sol, dépouillé d'herbes et d'arbres par l'abus du pacage et par le déboi- sement, porphy.isé par un soled brûlant , sans cohé- sion, sans point d'appui, se précipite alors dans le fond des vallées, tantôt sous forme de lave noire, jaune ou rougeàtre, puis par courants de galets, et môme de blocs înormes qui bondissent avec un horrible fracas, et pro- luisent dans leur course impétueuse les plus étranges bouleversements. Lorsqu'on examine d'un lieu élevé aspect d'une contrée ainsi ravinée , elle présente l'image Je la désolation et de la mort. D'immenses lits de cail- oux roulés, de plusieurs mètres d'épaisseur , couvrent ui loin l'espace, débordent sur les plus grands arbres , .es cernent , les couvrent jusqu'au sommet, et ne laissent jas même au laboureur une ombre d'espérance. Il n'y a "ien de plus triste à voir que ces échancrures profondes 234 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. des flancs de la montagne, qui semble avoir fait irrup- sion sur la plaine pour l'inonder de débris. A mesure que ces flancs se creusent sous l'action du soleil qui réduit le roc en atomes, et de la pluie qui les charrie, le lit du torrent s'exhausse quelquefois de plusieurs mètres par année , jusqu'au point d'atteindre le tablier des ponts et de les emporter. On distingue à de grandes distances , au sortir de leurs gorges profondes , ces torrents étalés en éventails de 3,000 mètres d'envergure , bombés vers leur centre, inclinés sur leurs bords, et s'étendant comme un manteau de pierres sur toute la campagne. » Plus loin : « La description sommaire que nous ve- nons de faire des montagnes et de l'action des torrents, a déjà mis en relief les caractères distinctifs de la con- trée. C'est un pays de pâturage dans les régions supé- rieures , et de petite culture dans les vallées. Les forêts y sont fort rares et méritent à peine le nom de taillis. Généralement composées d'essences résineuses qui ne repoussent point du pied, et dont on ne peut abattre les vieux sujets sans endommager les petits, livrées en outre au bon plaisir de la toute-puissance communale, car elles appartiennent pour leur malheur aux communes, elles ont bientôt disparu sous la hache du bûcheron et sous la dent des animaux. Ce qui en reste ne suffit plus aujour- d'hui aux besoins les plus urgents des populations. Dans une foule de localités , ce n'est pas seulement la futaie qui a péri , ce sont les broussailles , les buis , les genêts, les bruyères, dont les habitants se servaient tout à la fois pour faire du combustible , de la litière , et par consé- quent , des engrais. Le mal s'est aggravé à un tel point que les propriétaires ont dû réduire de moitié, souvent des trois cinquièmes, le nombre de leurs bestiaux , faute LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 235 de l'élément indispensable pour les entretenir. En même temps que leur pauvreté croissait avec le déboisement, les habitants, désormais placés dans l'impossibilité de nourrir leurs moutons pendant toute l'année, se sont vus obligés de louer leurs pâturages à des propriétaires de troupeaux , de la plaine du Rhône, qui viennent pendant la saison chaude, chercher dans les Alpes une nourriture que la Camargue et ses prairies salées ne fournissent plus. Moyennant une rétribution fixée par tête de bétail , les communes abandonnent aux pâtres de la Crau, et même du Piémont, la jouissance de leurs domaines, qui sont dévastés avec une rapidité inouie. Le dommage est d'autant plus grand et plus irréparable que des tor- rents s'emparent du sol et le sillonnent profondément , aussitôt qu'il est déboisé. Les végétaux, grands ou petits, disparaissent , même dans les propriétés communales qu'on essaie de garder. Une loi du 20 juillet 1837 ayant mis à la charge des communes tous les frais de surveil- lance et de conservation des forêts, ou, pour mieux dire, du sol forestier, dont l'étendue est souvent immense et le produit nul dans ces régions, les frais de garde sont au-dessus des ressources des localités, et les habitants sont les plus ardents à détruire ce qu'ils considèrent comme leur propriété collective. Cette funeste tendance s'est manifestée principalement au commencement de la révolution française, et n'a fait depuis que s'accroître sous l'empire de la nécessité; elle est parvenue aujour- d'hui à son comble, et il faut se hâter d'y mettre un terme , si Ton ne veut pas que le dernier habitant soit forcé de quitter la place avec le dernier arbre. Quiconque a visité la vallée de Barcelonette , celle d'Embrun , du Verdon, et cette Arabie Pétrée des Hautes-Alpes , qu'on loti DE LAGRICLLTURE EN FRANCE. nomme le Dévoluy, sait qu'il n'y a pas de temps à per- dre, ou bien, dans cinquante ans d'ici , la France sera séparée du Piémont, comme l'Egypte de la Syrie, par uu désert. » Puis l'auteur fait cette réflexion : « Et pourtant , si quelque jour cette contrée , aujourd'hui si triste , était rendue à elle-même, quelle ne serait pas sa richesse, rien que par le moyen des troupeaux ! Les Alpes sont la terre promise des bètes à laine; elles y prospèrent comme dans un véritable Eldorado. Les moutons qui arrivent de la Camargue, exténués, amaigris, dépouillés, y respirent un air qui les ranime en peu de temps ; ils y multiplient avec une fécondité étonnante. Il ne s'agirait que déré- gler leur domaine pour qu'ils devinssent la providence du pays, au lieu d'en être le fléau. >< Après avoir donné des preuves de cette assertion, l'au- teur dit : « Mais toute la région des Alpes n'est pas ré- duite à attendre son salut d'une lutte aussi longue et aussi difficile avec les éléments. À mesure que l'on des- cend vers la zone méridionale, soit dans le bassin de la Durance, soit dans celui du Verdon ou de la Bléone, la Provence apparaît déjà , riche de ses vergers d'a- mandiers, de pruniers et de ses champs de vignes. La culture y est plus riche et les irrigations savamment ap- propriées à la disposition du sol arable. Les maisons de campagne abondent surtout dans la vallée de Digne , l'une des plus riantes des Basses-Alpes. Quoiqu'on n'y éprouve pas, en certaines saisons, les brouillards hu- mides qui couvrent les montagnes du Daupliiné, le dé- boisement y est moins général que dans le Dévoluy , dans la vallée de Barcelonette, et aux environs d'Em- brun , de Ghorges, de Savines. Cependant , l'arrondisse- LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 237 ment de Lastellane tout entier est réduit à un délabre- ment sur lequel j'aurai à appeler l'attention de l'Acadé- mie, comme sur le théâtre le plus curieux peut-être de toute la France , en matière de faits économiques. Là , dès qu'on est hors de la route nouvelle qui conduit de Digne à Antibes par Grasse , on trouve des populations plus éloignées de l'influence française que les îles Mar- quises , et l'on y pourrait faire, au moment où je parle, le plus intéressant voyage de découvertes. L'importation d'une brouette y produirait autant de sensation qu'une locomitive. On y vit sans cesse sous la menace des ava- lanches de neige en hiver, et des torrents furieux en été. On ne sait pas ce que nous entendons par routes départe- mentales et chemins de grande communication. Les communications ne sont ni grandes ni petites ; elles n'existent pas. On a vu le préfet, bloqué par une crue du Var, avec son conseil de révision , et menacé de revenir au chef-lieu de son département en passant par les états Sardes. » L'auteur voulant démontrer l'impuissance des com- munes pour empêcher le déboisement du sol, dit : « Dans l'état présent des choses, les éléments de destruction s'accroissent réellement à vue d'œil. On cite des torrents dont le lit s'est exhaussé de trois mètres en moins d'une année; et depuis ma dernière lecture, j'ai reçu d'un haut fonctionnaire des Basses-Alpes la triste nouvelle que le Var avait emporté une partie de la vallée d'Entrevaux, sur l'extrême frontière de ce département. Les désastres se multiplient en progression géométrique, à mesure que les pentes se déboisent. Les terres supérieures roulent criblées en galets dans le fond des vallées qu'elles cou- vrent de leurs débris, et la ruine du dessus, comme disait 238 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. un paysan , sert à précipiter la destruction du dessous. Rien ne peut arrêter cette fatale décadence. Aucun par- ticulier n'est assez riche pour défendre sa propriété , aucune localité, sa fortune territoriale. Bien plus, les uns et les autres sont condamnés à joindre leurs efforts à l'ennemi commun et à compromettre leur avenir pour sa- tisfaire les besoins les plus impérieux du présent. Quelle puissance pourrait forcer les malheureux habitants? du col de la Grave, en Dauphiné, par exemple, à respecter les rares touffes de buis ou de genêt qui poussent sur leur sol , lorsqu'ils sont réduits à chauffer leurs fours avec de la bouse de vache ? Quelle démonstration éco- nomique arrêterait, sur le bord d'un pâturage conserva- teur , les bergers qui y conduisent leurs troupeaux af- famés, ces troupeaux qui leur procurent tout à la fois la nourriture et le vêtement ? » .. L'auteur montre que les défrichements sont une des plus grandes causes de la déperdition du sol. « Com- ment , dit-il , pourrait-on leur reprocher cquitablement les défrichements qui hâtent la déperdition de leur sol, lorsque ces défrichements sont le seul moyen qu'ils aient de rendre à la culture ce que les torrents leur ont enlevé? » Voilà la véritable plaie de toute cette région des Alpes françaises qui s'étend de la Savoie à la Méditerranée. Je ne parle pas de la diminution des sources, qui se fait sen- tir principalement dans les Basses-Alpes et dans les mon- tagnes du Var. Les hauteurs du Dauphiné, généralement couronnées de nuages ou de glaciers, offrent en été de vastes nappes de verdure, qu'il suiïirait de mieux proté- ger ou de diviser par réserves, pour y voir naître bientôt une végétation luxuriante et vigoureuse. Mais les Alpe3 L1V. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 239 de Provence sont devenues effrayantes. On ne peut se faire une juste idée, dans nos latitudes tempérées, de ces gorges brûlantes où il n'y a plus môme un arbuste pour abriter un oiseau, où le voyageur rencontre à peine çà et là, dans l'été, quelques tiges desséchées de lavande, où toutes les sources sont taries, où règne un morne silence à peine interrompu par le bourdonnement des insectes. Tout-à-coup, si quelque orage éclate, ces bassins crevas- ses voient descendre du haut des montagnes des masses d'eau qui dévastent sans arroser, qui inondent sans ra- fraîchir, et qui laissent la terre plus désolée de leur pas- sage qu'elle ne l'était de leur absence. Enfin l'homme se retire le dernier de ces affreuses solitudes, et je n'ai plus trouvé cette année un seul être vivant dans de chétives oasis , où je me souviens très-bien d'avoir reçu l'hospi- talité, il y a près de trente ans. » Le mal n'est pas partout aussi intense ; mais, comme nous l'avons déjà dit, il tend à se généraliser. Toute la vallée de la Haute-Durance est dans un état de décadence visible. Le Buëch, le Drac, le Verdou, l'Asse, le Var et cent autres torrents dont les noms figurent à peine sur les cartes , poursuivent l'œuvre de destruction avec une rapidité qui ne connaît plus de limites. » Pour démontrer complètement qu'il faut mettre un terme au défrichement des terres et prendre des mesures générales pour reboiser les Alpes, l'auteur montre que les choses sont au point que plus de cent communes sont menacées d'une ruine prochaine, inévitable et infail- lible; que les travaux à faire pour les endiguements sont immenses , et que la tâche est au-dessus des forces des communes. Il donne ensuite une idée des travaux exé- cutés par la description suivante : 240 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. » Dans l'état, présent de la législation, tous les efforts tentés par les nécessités de la défense n'ont abouti qu'à des procès interminables entre les propriétaires des deux rives, sans cesse disposés à rejeter les uns sur les autres le fléau des inondations, et condamnés à s'indemniser réciproquement d'un dommage dont ils sont innocents. Plus on étudie ces positions, plus on est étonné de l'iso- lement dans lequel la loi force les habitants de vivre dans une région où l'association serait leur seul moyen de salut. 11 n'y a rien de plus bizarre et de plus singu- lier , en effet, que l'aspect des travaux décousus qui sont éparpillés sans ordre et sans système sur le bord des torrents et des rivières torrentielles dans toute la lon- gueur de la ligne des Alpes. Tantôt ce sont de longs épis en travers , disposés comme les dents d'une crémail- lière ; tantôt des levées en perré , ici des murs en pierres sèches; plus loin des constructions en maçonnerie; ailleurs des coffres en bois , des gabions à fascines rem- plis de pierres, des éperons de toutes sortes; mais de système , point. Nous ne craignons pas de dire qu'il y a toute une législation à créer, que les éléments en exis- tent , presque tous éprouvés par le temps et par l'expé- rience, et qu'il ne leur manque que d'être coordonnés. Il ne faut pas non plus perdre de vue que l'État a d autant plus de raisons de rester le maître absolu et le directeur de ces travaux que leur exécution la plus parfaite entraîne chaque jour des conséquences inattendues. C'est ainsi que les endiguements , exécutés dans le cours supérieur de l'Isère par le gouvernement Sarde , ont donné aux crues de cette rivière, aujourd'hui plus resserrée entre ses rives, une force d'écoulement extraordinaire et pleine de dangers nouveaux. Quand les cours d'eaux sont de LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. "24 l moindre importance et que l'endiguement de leur partie inférieure n'est pas accompagné de plantations dans la région élevée d'où ils dépendent , les eaux se précipitent toujours avec leur masse inépuisable de cailloux roulés dont elles tapissent le fond du lit qui s'exhausse ainsi continuellement, et qui finit par dominer toutes les terres cultivées. » La plupart des campagnes des Hautes et Basses- Alpes sont aujourd'hui menacées par ces atterrissements progressifs , et il n'est pas rare de voir les torrents dé- passer les barrières qui les contiennent, et retomber de toute leur hauteur en manière de cataractes, j'ai presque dit en forme de douches , sur les terres qu'on leur a dis- putées. Le torrent des Mouleltes , qui menace aujourd'hui d'une ruine imminente la vallée et la ville de Chorges, près de Gap, offre l'exemple le plus pittoresque et le plus effrayant de cette disposition. Chaque année les habitants dépensent des sommes considérables pour élever leurs digues que le torrent déborde impitoyablement, en s'é- tendant dans la banlieue comme un éventail de 3,000 mètres d'ouverture. Ils y ont englouti plus de 100,000 fr. de dépenses , et le mal ne cesse de s'accroître. Le savant ingénieur M. Surrell, qui a donné la théorie de ces rava- ges et proposé d'habiles moyens d'y remédier, assure que l'exhaussement successif des digues du Drac a déjà coûté , seulement depuis quinze ans , plus de 000,000 fr., et que si ces digues étaient surmontées , une partie de la ville de Grenoble serait submergée. De tels travaux sont donc au plus haut degré de la compétence exclusive de l'État. Il y faut sa puissance et sa prévoyance, sous, peine de vivre d'expédients et de palliatifs, qui ne fon qu'ajourner d'affreuses catastrophes. Ce n'est pas aux 1. 16 242 de l'agriculture en framce. efforts des communes qu'ont été abandonnés l'assainisse- ment des marais Pontins , ni ces magnifiques endigue- ments du Pô et de l'Adige , qui protègent les campagnes de la Lombardie. « La haute intervention de l'Etat , que nous appelons de tous nos vœux , aurait pour effet principal de généra- liser des travaux qui doivent se prêter un mutuel appui et s'exécuter avec ensemble sur une grande échelle pour être réellement efficaces. Depuis quelques années , la destruction du territoire Alpin s'opère avec une rapidité et une intensité incroyables. Tant que les arbres et les végétaux qui retenaient le sol sous le réseau de leurs racines ont opposé quelque résistance à l'action des eaux , le mal était partiel et isolé ; on souffrait sur quel- ques points, on respirait sur quelques autres: aujour- d'hui on est atteint partout. Le défrichement a complété les ravages du parcours et du déboisement. La dévasta- tion marche d'un pas de géant ; les instruments de ruine se sont perfectionnés et étendus. Ils ont gagné de la force en se succédant et en se combinant ; on ne triomphera d'eux que par des combinaisons d'une puissance égale à la leur; mais il faut se hâter, car l'œuvre d'anéantisse- ment croît à vued'œil. Rien ne peut arrêter, sur une terre dénudée , ces avalanches d'eau , de pierres et de neiges, qui sont comme les machines colossales du tra- vail de la destruction. Nos pères les ont vues naître et nos enfants grandir sous leurs yeux. Puisqu'on sait comment elles se sont développées , on peut leur opposer des obs- tacles capables d'en arrêter l'essor. Puisque c'est le dé- boisement qui dispose la terre à s'écrouler, il faut planter pour la retenir. Puisque ce sont les troupeaux qui em- pêchent le reboisement , il faut cantonner les troupeaux. L1V. I. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 24 3 Puisque les défrichements favorisent les éboulements , il faut imposer à la culture des conditions et des limites. Enfin , puisque des endiguements partiels, sans ordre et sans système, n'opposent qu'une résistance insuffisante aux débordements, il convient de les soumettre à des règles générales qui embrassent le régime des cours d'eau tout entiers. Les travaux des particuliers dé- passent rarement en efforts et en prévoyance il 'étendue d'une génération ; l'État seul est assez puissant pour veiller sur l'avenir et pour faire des avances à la pos- térité. Que peuvent des particuliers avec leurs faibles capitaux et le besoin des jouissances promptes, comman- dées par la brièveté de leur vie ! L'État, qui dure, a seul le pouvoir de créer les choses durables. Dans les Al- pes, plus qu'ailleurs, lui seul est capable de se me- surer avec la nature ennemie, avec l'espérance de la dompter. » L'auteur termine son rapport en proposant de substi- tuer, dans ces quatre départements, une législation spé- ciale sur les terres à la législation générale du pays et de restreindre la circulation des troupeaux; puis de planter en bois chaque année 7 à 8,000 hectares de terrain aux frais de l'État qui dépenserait pour cet objet une somme annuelle de 400,000 francs. Revenons maintenant au Dictionnaire d'Agriculture , pour donner au lecteur une idée de ce qui se passe dans les Pyrénées. Destruction des forêts sur tes Pyrénées. La destruction des forêts sur les Pyrénées n'a pas été moins rapide et moins désastreuse. Celles de ces forêts 244 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. qui appartenaient au domaine., vers la fin du x\ie siècle, se composent d'environ 250,000 hectares. Louis XIV char- gea une commission de les reconnaître. Les procès-ver- baux de la visite qui en fut faite en 1670 constatèrent que leur contenance avait diminué de moitié dans l'espace d'un siècle. Cependant, à cette époque, elle se portait en- core à environ 125,000 hectares ; mais les incendies ac- cidentels et ceux causés par les pâtres pour augmenter les pâturages , les abus du parcours et les défrichements ayant continué depuis 1670 jusqu'à la fin de la révolution' le sol des anciennes forêts domaniales des Pyrénées s'est trouvé , à cette dernière époque , réduit à 40,000 hectares : de sorte que, dans l'espace de deux cent cin- quante ans , elles ont perdu les deux tiers de leur conte- nance. Les bois des communes et des particuliers , sur ces montagnes , ont éprouvé des réductions non moins considérables. Ces forêts, qui présentaient autrefois, et même sous Louis XIV, des ressources immenses pour la marine, sont aujourd'hui , dans quelques parties, insuffisantes pour satisfaire aux besoins des communes , et le produit de plusieurs forêts domaniales se trouve au-dessous des frais de conservation. Le travail officiel que le gouvernement publie sous le titre de Agriculture française, confirme les faits avancés. Messieurs les inspecteurs de l'agriculture, parlant du département de la Haute Garonne, disaient en 1843 : « Le morcellement des propriétés commence avec l'arrondissement deSaint-Gaudens ; il devient plus sen- sible à mesure qu'on avance dans le canton d'Aspet ; il s'accroît encore dans celui de Saint-Béat, et parvient à son dernier terme dans le canton de Bagnères-de-Lu- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 245 chon. Les habitants de cette localité, non contents d'a- voir partagé en tous sens le fond étroit qui forme cette vallée, ont successivement défriché les coteaux, puis les montagnes inférieures ; aujourd'hui ils en sont réduits à transporter leur funeste industrie à des hauteurs telle- ment escarpées , que la position de celui qui les cultive ou qui y moissonne n'est pas sans danger. 11 est facile de prévoir l'époque où ces terrains seront entièrement dépouillés de terre végétale, par suite des orages qui y éclatent chaque année. Tôt ou tard la misère ne peut manquer de faire justice de ces envahissements insensés, si l'on n'y remédie par le reboisement ou par des pâtu- rages permanents. De tels abus réclament une prompte répression. » Parlant du département des Hautes-Pyrénées , MM. les inspecteurs disent : « A mesure qu'on s'enfonce dans les montagnes le sol se morcelle davantage et se fractionne en parcelles telles que le cultivateur le dispute jusqu'au moindre rocher dont la surface se couvre d'un peu de terre végétale ; la culture ne s'arrête que là où la rapi- dité des pentes ne permet plus à l'homme de porter son industrie. » REMARQUES. Dans les pays qu'on regarde comme riches les habitants peuvent être pauvres , comme dans le* pays qu'on regarde comme pauvres , les habitants peuvent être riches. Cette assertion paraissant pa- radoxale il faut la développer par un exemple. 24,6 DE L AGIUCLLTURE EN FltAJNCE. Nous ne pouvons le prendre en France ou il n'y a plus ni pays, ni habitants riche*. Nous le pren- drons en Autriche : elle est divisée en 15 provin- ces. De ce nombre, la Lombardie passe pour être la plus riche, et la province des confins militaires la plus pauvre. La Lombardie est située au pied des Alpes ; c'est par une pente douce que vingt ri- vières, depuis le Po jusqu'à l'isonzo, lui apportent des moyens d'irrigation. Et là, comme en France et en Espagne, les Arabes, pendant le court espace de temps qu'ils ont occupé le pays, y ont commen- cé de superbes travaux hydrauliques. Le pays s'é- tend de Testa l'orient sous le degré le plus propice à l'agriculture, le 4 5e degré de latitude; les terres sont dune fertilité rare, et les habitants laborieux ; mais on y a laissé diviser le sol. Cette division, là comme partout, y a multiplié les mariages précoces, et la population s'est tellement accrue qu'elle y est de 6,618 habitants par lieue carrée de 1 5 au degré. Les bestiaux ont disparu. Cette partie du sol qui ne peut être irrigé ou planté, s'y est épuisée, et la population y est tombée dans la misère ; cependant le pays est riche, puisqu'en résultat il y a une sur- abondance sans exemple de produits , si nous comptons par lieue carrée et non par habitant. L'autre bout de la chaîne, dans ce puissant em- pire autrichien, se compose des confins militaires. Le gouvernement, pour s'opposer aux invasions des Turcs, v distribua à chaque chef de1 famille lé- L1V. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 247 ' tendue de terre nécessaire pour nourrir la quantité de chevaux relative à son grade, et former une for- midable cavalerie. A la mort de ce chef, les terres ne peuvent se diviser, car dès lors elles ne pour- raient plus remplir le but de la concession. Cette société d'agriculteurs militaires se compose donc de gens qui commandent et d'outrés qui obéissent. Mais en Lombardie l'agriculture est libre comme en France ; elle n'a point de chef, et une agricul- ture sans chef est comme une famille sans père, ou une cité sans magistrats. Danslesconfinsmilitaires, legénéral veille àceque les colonels élèvent des chevaux en qualités et en quantités relatives à leur grade. Le colonel remplit les mêmes fonctions près des officiers ; les officiers près des sous-officiers, et les sous-officiers près des soldats. La quantité de terre concédée étant rela- tive au nombre et aux grades des individus enrô- lés , les populations sont nécessairement plus dis- persées; mais elles ont quatre fois plus de terrain à cultiver qu'en Lombardie. Le nombre des habi- tants par lieue carrée dans les confins militaires n'est que de 1 ,612 c'est-à-dire moins du quart de la Lombardie, qui en a 6,618; aussi ces sociétés ainsi organisées ne contiennent pas de familles pauvres, et cela est vrai à ce point que, d'après les recensements du gouvernement, il y a dans les con- fins militaires 554 bœufs ou vaches (10 moutons comptant pour un bœuf) sur chaque 1 ,000 habi- '248 DE LAGRICULTLRE EJV FRANCE. tants, tandis qu'il n'y en a en Lombardie que 176. * Il serait bien cependant d'indiquer quelquefois au public la valeur qu'il doit mettre à ses opinions, en lui indiquant l'état de bévue dans lequel il est sur les questions les plus simples et les plus graves; il regarde, ainsi que le fisc, les paysans lombards comme les paysans les plus riches, et les habitants des confins militaires comme les hommes les plus pauvres de l'Autriche; et c'est précisément, le con- traire. Il est parfois dans ce monde des hommes à qui l'élévation d'âme et la pureté de cœur inspi- rent la vérité, même dans les sciences qu'ils n'ont pas étudiées. Ainsi Vauban, Bossuet et Lagrange ont dit en termes différents que le peuple le plus riche est celui qui mange le plus de viande. Mais des gens d'un pareil calibre ne voient que l'hom- me, tandis que nos matérialistes d'aujourd'hui ne voient que la lieue carrée. Cet état de choses dans les confins militaires n'est, sous un autre nom, que le système féodal appliqué à l'agriculture, c'est-à-dire, que de fait, le fils aine, au décès de son père, remplira seul les de- voirs et jouira seul des droits de la succession qu'a- vait reçue son père, et que ses frères recevront une autre concession aux mêmes charges. Supposons que le gouvernement autrichien ait la sagesse d'élargir ce ruban de territoire qu'il a établi sur les frontières de la Turquie, et que ce système envahisse la Hongrie Pt la Transylvanie, en L1V. I. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 249 donnant naturellement aux anciens propriétaires des grades militaires, relatifs à retendue de leurs propriétés; il formerait un système d'agriculture comme celui de la Grande-Bretagne, et les agricul- teurs auraient, comme en Angleterre, la puissance de mettre le sol à l'abri des attaques périodiques que lui font les éléments. Si les vallées étaient me- nacées par des écroulements des montagnes ou par des inondations, toutes les hauteurs seraient plan- tées d'arbres ; leurs racines formeraient dans l'in- térieur des terres des liens indissolubles et leur couronnement diviserait les nuages. Supposons que le sage législateur qui a orga- nisé l'agriculture dans les confins militaires, eût voulu appliquer ce même système en Lombardie, pour arrêter les invasions des Français, il n'y aurait jamais réussi. La population n'est pas même orga- nisée de manière à empêcher la destruction. Enva- hie depuis des siècles par le droit écrit, tel paysan avait défriché un sol sur le sommet des Alpes, tel autre sur les coteaux et tel autre , dans la vallée, aux bords de la rivière. Il n'y a et il ne peut y avoir aucun ensemble entre eux. Le propriétaire sur la montagne coupe ses arbres, bêche le sol qui bien- tôt disparait et s'écroule avec des pierres et des ro- chers pour couvrir les coteaux de manière à ne laisser aucun espoir de réparation, et tous ces dé- combres remplissant le lit des eaux , elles vont inonder le fond des vallées. '250 DE LAGRIcULTUKE EN FRANCE. Il est donc telle organisation sociale qui mène à la préservation et à l'amélioration de la superficie de notre globe : telle est celle des confins militai- res de l'Autriche. Il est également telle autre or- ganisation sociale qui mène à la destruction irré- parable de la superficie de notre globe : telle est celle de la Lombardie. Nous avons cru devoir taire ce long préambule pour développer cette vérité, peu observée par les historiens et les savants, quoi qu'ils en aient tant d'exemples ; c'est que si Dieu a donné à l'homme la faculté d'améliorer et d'embellir la superficie de ce globe, il lui a également donné les tristes moyens de le ruiner de fond en comble, sans lui laisser aucun moyen de le réparer. Dans l'antiquité, l'a- griculture sur les rives du Nil, de l'Euphrate et du Tigre s'exploitait dans un svstème d'ensemble, et il ne nous reste que quelques pierres, quelques marbres, quelques inscriptions pour faire éclatera nos yeux la gloire de ces empires. Ces destructions n'ont eu d'autres causes que la destruction de ces corporations qui organisaient les travaux d'ensem- ble. Et nous modernes, n'avons-nous pas aussi de terribles exemples de destruction, d'abord en Es- pagne? Abandonnée par les Romains, cette belle portion de l'Europe s'est trouvée envahie, au nord, par les (ioths, au sud, par les Maures, peuples qui ne pouvaient avoir rien de commun. Ees Goths, accoutumés aux frimas du Nord , trouvant insup- L1V. I. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 251 portables les chaleurs qu'on éprouve dans les plai- nes de l'Espagne, se fixaient sur les montagnes où les forets leur servaient d'asile ainsi qu'à leurs troupeaux. Les Arabes, accoutumés à des climats plus brûlants encore que ceux de l'Espagne, s'é- tablissaient dans les plaines ou les vallées, et pou- vant se recruter plus facilement que leurs ennemis, si loin du lieu de leur naissance , renouvelaient journellement leurs attaques. Dans leurs succès, ils ne manquaient jamais d'incendier les bois. Ce système, suivi avec persévérance pendant 800 ans, a élevé sur les montagnes et dans les vailées de l'Espagne , les mêmes monuments de décombres qu'a trouvés, comme on vient de le lire, M. Blan- qui dans les Alpes, notre patrie commune. En Espagne, comme dans les Alpes, la circulation des eaux et même des habitants a été arrêtée. Que de leur embouchure , on remonte à la source de l'Ebre, duMinho, du Douro, du Tage, de la Gua- diana ou du Guadalquivir, on trouvera qu'a partir de la mer, ces beaux fleuves n'ont que quelques lieues de navigables , et quelquefois même ils sont à sec pendant six mois de l'année. Quant à ces immenses structures de la création, ces chaî- nes de montagnes qui traversent l'Espagne dans tous les sens , au lieu d'être comme autrefois couronnées par des arbres qui attiraient des pluies périodiques et fournissaient aux vallées des sour- ces pures , elles sont à présent tellement déchar- '252 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. nées et desséchées qu'à leur pied même, le voya- geur altéré a souvent de longs espaces à parcourir pour trouver un verre d'eau. Ensuite, nos débiles historiens reprochent, à ce pays héroïque de ne plus avoir des populations aussi nombreuses que sous les Romains. Certes non, il ne les a plus ; où en est la cause, sinon dans la fermeté et la persévérance de sa foi? Mais le croissant a été abattu, la Croix a triomphé ; voilà quel était son grand objet : il a été rempli. Il n'est pas de peuple ancien ou mo- derne qui ait une aussi belle histoire que le peu- ple espagnol; il n'a tiré son épée que pour défen- dre ou étendre le christianisme. Sa lutte contre les Maures ne fut pas terminée qu'il alla répandre son sang dans le Nouveau-Monde, et le fit avec ce même succès que la noblesse de l'entreprise méritait. Si à présent nous arrivons à parler des destruc- tions qui se sont faites et se continuent en France, nous n'avons pas une aussi belle histoire à faire ; nous ne sommes pas martyrs ; loin de là. Ce n'est pas à des passions nobles et élevées; ce n'est pas à à nos convictions religieuses que nous devons la ruine de nos montagnes, de nos coteaux et de nos vallées, c'est à nos passions basses et viles, à notre esprit de rapine contre le clergé et de jalousie con- tre la noblesse. A l'époque de l'invasion des Francs dans les Gaules, il n'y avait guère de culture que dans les LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 253 vallées et sur les bords des rivières. Cette portion du sol suffisait à la nourriture d'une population peu nombreuse. Les coteaux et le sommet des montagnes, couverts de bois et de pâtis, devinrent l'asile et la propriété de ces peuples pasteurs qui envahirent la France, et cela d'autant plus que les seigneurs de fiefs, se faisant la guerre entre eux, bâtissaient leurs manoirs sur des hauteurs, à l'effet de voir arriver l'ennemi et de mieux se défendre. Leur passion en temps de paix était de se livrer à la chasse. Ils n'auraient pu le faire dans des plaines habitées par les hommes et. désertées par les bëtes fauves. D'ailleurs elles étaient coupées de beau- coup de marais ou d'étangs. C'était donc sur les coteaux que les abbayes, les monastères et les sei- gneurs établissaient leur demeure et leur juridic- tion. Leur code ne fut point et ne pouvait être uniforme; il devait être aussi varié que les loca- lités, et, en effet, il en était ainsi. Les parlements habitaient les principales villes ; comme elles sont situées sur le bord des rivières, la chicane péné- trait difficilement et avait peu d'accès sur les hau- teurs. La noblesse avait joui de plus de liberté pour fonder des établissements religieux qui seuls pouvaient vaincre les difficultés que présente l'as- sainissement d'un pays dans les lieux escarpés. Ce n'est que lentement , mais c'est progressive- ment que la société s'est formée dans les pays de montagne . "254 DE L'AGRICULTURE ETN FRANCE. Les choses se passaient ainsi tranquillement, lorsque les rois voulant ôter à la noblesse le droit exclusif de lâchasse, et ne croyant pas les parlements de provinces assez forts pour cela, détruisirent la juridiction de la noblesse sur les eaux et forêts et l'attribuèrent à un corps particulier de magis- trats dont le séjour serait à Paris, et le titre serait Grand-Maître des eaux et forêts. La France a donc été successivement divisée en 20 généralités, qui chacune a eu un grand-maître. 11 a, jusqu'à l'é- poque de la Révolution, jugé en première instance tous les procès ou les difficultés qui s'élevaient au sujet des eaux et forêts. Sous François Ier, cette magistrature devint vé- nale comme les autres, et cette vénalité donna à toute la magistrature française une force de des- truction que le clergé et la noblesse ne purent tempérer. Les charges restèrent héréditaires dans les mêmes familles. D'après leur coût elles ne don- naient qu'un intérêt de 3 pour 0/o. Le public re- gardait donc avec raison que la justice en France était rendue gratuitement. Cette magistrature des eaux et forêts se compo- sait de vingt gros bourgeois, vivant a Paris dans le Marais, et qui par là avaient un titre et une certaine importance dans le monde. Chacun d'eux achetait une généralité et devenait le juge des Or- dres religieux et des plus grandes maisons de France, puisque leurs propriétés se composaient LIV. I. UK LA PROPRIÉTÉ TEItRl 10RIALE. 255 surtout de forêts et de bois. Cette hiérarchie, d'une intolérable ineptie, soulevait d'incessantes récla- mations. C'est cette juridiction qui a mis succes- sivement les Alpes et les Pyrénées dans cet état de destruction que nous présentent les rapports précédents, surtout celui de M. Blanqui. S'il est une juridiction qui doive être locale, c'est certes celle des eaux et forêts. Chaque loca- lité, présentant une physionomie différente, exige une législation spéciale. C'était donc à Paris que ce grand-maître, à l'exclusion de tous autres ju- ges, décidait de toute contention en matière de forêts, de bois, de pêche, de chasse, des buissons, des garennes appartenant aux Ordres religieux et à la noblesse. Les communaux, les landes, les ma- rais, les pâtis, les pâturages, les rivières flottables et navigables ', leurs affluents et leurs courants, leur curage, les droits de passage, de patronage, les constructions ou démolitions d'écluses , de moulins, etc., étaient sous son lointain contrôle. Tl n'existe plus, mais on peut bien croire que ce n'est pas la Révolution qui a dépouillé Paris d'un avantage pécuniaire quelconque. C'est le conseil d'État qui s'est emparé de cette juridiction. Que dans les Alpes et les Pyrénées une chaleur instantanée cause subitement une fonte de neige, les torrents d'eaux, pour l'issue desquels on n'a su rien prévoir, entraînent dans leur chute les bois, les terres, les rochers, renversent les bâti- '256 de l'agriculture en frakge. ments, poussent en avant les bestiaux, et couvrant les vallées inférieures, changent le lit des eaux et brisent ainsi toutes les relations du fermier avec le propriétaire ou avec son voisinage. Les uns récla- ment leurs arbres entraînés, celui-ci ses bestiaux, un autre son champ qu'il ne reconnaît plus, et toutes les dissensions, que ces cataclysmes ou bour- rasques élèvent, doivent être jugées sur le rapport d'un officier inférieur, par ce bonhomme du Ma- rais qui n'a jamais vu ni Alpes, ni Pyrénées, ni bourrasques , ni cataclysmes. Il a été élevé en Touraine, sur les bords de la Loire, dont les eaux sont si paisibles qu'à peine l'on distingue le sens dans lequel elles coulent. Cette juridiction était devenue si importante que les appels qu'on faisait de ses sentences se portaient devant le Parlement de Paris seul ; et cette cour devait se composer du premier prési- dent et des sept plus anciens conseillers; elle pre- nait alors le nom de table de marbre. Nous pouvons parler à ce sujet avec connais- sance de cause. Pendant les dix ans qui ont pré- cédé la Révolution, notre principale occupation a élé l'exploitation des forêts situées dans les monta- gnes des Alpes : elles appartenaient à la généralité de Grenoble, et leurs bois étaient surtout desti- nés aux constructions de la Marine royale à Tou- lon. Nous succédions à nos ascendants , qui de- puis plus d'un siècle suivaient la même entreprise, LTV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 257 -et nous pouvons dire qu'une juridiction établie à Paris rue Ste-Avoye est une privation absolue de toute justice. La justice mal rendue est une plaie vive faite à la société , que le temps peut guérir ; la privation de justice est au contraire une plaie mortelle. Les Parlements, pendant 500 ans, ont exterminé de leur mieux clergé et noblesse; eh bien ! il est dans Tordre des possibilités, plus ce- pendant-que des probabilités, que ces deux or- dres se relèvent ; mais il n'est dans Tordre ni des possibilités ni des probabilités de relever les Al- pes écroulées, ou d'enlever les décombres qui couvrent les vallées. Faute de juridiction, les communes s'étaient d'abord arrogé le droit d'en- lever les bois morts des forets. Trente ans de jouissance, sans opposition, rendaient ce droit légal et traditionnel. Le droit sur les forets fut ensuite d'y prendre le bois nécessaire au chauffage et aux constructions des habitants de la commune : tren- te ans de jouissance, sans opposition, rendaient ce droit légal et traditionnel. Les propriétaires du sol voisin de la forêt prétendirent que les arbres faisaient tort à leur culture. Certains édits furent cités comme appuyant le droit d'élaguer les ar- bres, et cette fois les cultivateurs voisins des fo- rêts eurent le fonds et la superficie; allant ainsi d'usurpation en usurpation, les forêts disparais- saient faute de juridiction. Les bois situés sur la hauteur sont destinés à être embarqués sur le boid r. 17 258 DE L'AGRICULTURE EJN FRANCE. des rivières; niais, faute de juridiction , personne n'est obligé d'accorder le passage dans des pays surtout où il n'y a presque point de chemins vici- naux ; et nous avons vu de belles et grandes forets dont les arbres se sont couronnés et les bois pour- ris, faute de passage. Il est juste d'observer qu'à présent la loi autorise assez le passage pour l'ex- ploitation des bois, seulement il ne reste plus de bois à exploiter. Le Gouvernement confisqua et administra les forêts dès Tan 1789. Mais de cette époque, il a eu tant d'autres destructions à poursuivre que celle- là avait été négligée. C'est donc de la Restauration qu'ils ont reçu le coup de grâce. On peut en ju- ger par le manifeste que publia le ministère des honnêtes gens avant son départ. Il se félicite d'a- voir continué et augmenté les ventes des bois à ce point que l'enregistrement qui, en 1817,, ne produi- sait pas 4 millions de francs, en a produit plus de cinq et demi en 1826, et que le total vendu de- puis 10 ans s'élevait à 2 GO, 000 hectares; c'est-à- dire, d'après le rapport officiel cité dans un cha- pitre suivant, que cette superficie de 260,000 hec- tares qui produisait 52 fr. l'hectare entre les mains de la couronne, n en produit aujourd'hui pas même 24 entre les mains des particuliers. Eh! en fait d'administration économique, pro- ductive, juste, tutélaire pour le pauvre comme pour le riche, qu'allons-nous parler de la cou- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ 1 KT.RITORIALE. 3S9 Tonne ou des particuliers lorsque des siècles d'ex- périences, en sécurité et en prospérité, se sont écou- lés dans certaines parties des Alpes sous F adminis- tration des ordres de saint Bernard et de saint Bruno. Vers la fin du XIe siècle, ces deux grands personnages, pour ne pas dire ces deux anges, s'é- tablirent dans les Alpes. Les deux monastères du Grand et du Petit Saint-Bernard , d'dbord fondés par ce saint, multiplièrent leurs établissements dans ces pays de tempêtes et de tourmentes ; c'est à la même époque que saint Bruno fonda l'ordre des Chartreux. Saint Hugues, alors évèque et prince de Grenoble, lui fit de considérables concessions de montagnes, précisément dans cette même bran- che des Alpes, avec défense aux pâtres d'y mener leurs troupeaux sans leur consentement. C'est au pied de cette chaîne de montagnes que coule l'Isère, à partir de la Savoie où elle prend sa source, jusqu'au Rhône où elle se jette près de Romans. C'est donc jusqu'à l'époque de la Ré- volution, époque de 700 ans de durée, que ces saints anachorètes se sont succédé, sans interrup- tion, pour planter des bois là où il en manquait , pour entretenir et maintenir ceux qui existaient • pour échelonner les terrains, afin d'éviter lesébou- lements ; pour faire serpenter et pour diviser les eaux qui, en se réunissant, se précipitaient en tor- rents. Et lorsque ces êtres conservateurs descen- daient dans la vallée, c'était pour changer la di- 260 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. rection de l'Isère, faire des digues, des ponts , des chaussées, des dessèchements. Ce sont leurs tra- vaux persévérants et protecteurs qui ont formé cette vallée du Grésivaudan, la plus célèbre de la France par sa beauté et sa fertilité. La grande Chartreuse était séparée du reste de l1 univers par des murs qui reliaient entre elles des montagnes inaccessibles. Là se trouvait établi le siège de la contemplation, du silence et de l'austé- rité. C'était là que se formaient les néophytes des- tinés, un jour ou l'autre, à être mis à la tète des fermes que l'Ordre fondait. Les propriétaires de ces pays scabreux sollicitaient encore dernière- ment cet Ordre d'accepter des concessions, parce que lui seul avait les capitaux nécessaires pour ouvrir les routes et maîtriser les eaux. Tout pays que ces hommes de bien et de paix venaient habi- ter se regardait à l'abri des misères humaines ; tou-> jours il y avait de l'ouvrage et du pain , des con- seils et des consolations, des remèdes et des mé-> decins. Là se trouvaient les semences et l'art de semer. Ces heureux habitants des montagnes, ne con-1 naissant pas plus le monde qu'ils n'en étaient con- nus, sentaient leur travail sanctifié par la présence, les préceptes et les exemples de ces pieux anacho- rètes dont les chants et les prières nocturnes succé- daient aux fatigues et aux privations de la jour- née. Eux possédant tout, ne jouissaient de rien; LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TEIUUÏOIUALE. 261 ïe peuple , ne possédant rien , jouissait de tout. C'est dans cet état d'innocence et de bonheur que se sont formées les populations qui occupent les crêtes de cette partie des Alpes. Accoutumées, en hiver, de descendre dans la plaine, et de se répandre dans toute la France, elles y ont acquis, surtout celles de la Savoie, une réputation de sin- cérité, d'honneur, de bravoure et de piété supé- rieure à celle des habitants de la vallée. Il nous est fâcheux de n'avoir pas à faire les mê- mes éloges des habitants de la partie des Alpes qui s'étend de Briançon à Nice. Les guerres con- tinuelles que la France a eues avec l'Autriche, pour établir et maintenir sa prépondérance en Ita- lie, y ont fait bâtir des forts et entretenir des troupes. La chaîne des Alpes, de Briançon à Nice, va du Nord au Midi, et il y a quelquefois une va- riation de 30 degrés de chaleur de l'une à l'autre localité. Les pasteurs et leurs troupeaux font donc régulièrement deux fois l'année leur voyage sur cette ligne. De là des contentions entre eux et les propriétaires de la localité. Le Gouvernement seul a été assez fort pour soumettre les pasteurs aux règlements ordonnés. Les tentatives des Char- treux de s'établir dans ces localités où ils étaient également appelés ont été inutiles. La force publi- que seule a pu maintenir ces pays-là dans quelque état de préservation, tandisque la persuasion était la seule arme des Chartreux sur cette ligne, Mais 262 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. soit la force, soit la persuasion, tout a disparu dès F aurore de la Révolution. La dissolution de l'Ordre des Chartreux fut pro- noncée avec celle des autres Ordres. Dans le dan- ger qu'elles craignirent , la ville de Grenoble et toute la vallée du Grésivaudan en furent émues et se concertèrent pour solliciter une exception en leur faveur, et en effet obtinrent un sursis de cette frénétique Constituante. Il ne fut pas long ; la révolution, inexorable comme la mort, extermine une fois ou l'autre. Deux ans après, la destruc- tion commença sur cette ligne. Mais ses ravages cependant ne peuvent se comparer aux désastres qu'ont dépeints les autorités que nous avons ci- tées. Rappelons ce qu'ont écrit M. Dugied préfet des Basses-Alpes, M. Surrell l'ingénieur en chef, et M. Blanqui remplissant la mission spéciale que lui a donnée l'Académie des Sciences morales et politiques. « Nos pères ont vu naître des calamités nouvelles et nous les voyons s'agrandir. Plus de la moitié du terrain de, ce département, soit 430,000 hectares, est nue. Avant la Révolution , elle était couverte de bois. Le voile se lève et l'homme découvre qu'il est l'auteur de cette dé- solation par la destruction des bois et les défrichements du sol. Plus de rosées, et à certaines époques, des torrents d'eau qui emportent les terres défrichées. Autrefois , la température était plus douce, les eaux mieux dirigées et LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 263 les vallées sans encombre étaient fertiles. Mais à présent elles sont couvertes par des cailloux , ou par l'écrou- lement de blocs énormes qui bondissent. Les arches des ponts se remplissent. Plus de broussailles ni même de bruyères. Le nombre des bestiaux est réduit de moitié et ce qui reste est exténué. » Les Alpes de Provence sont devenues effrayantes. Dans une partie, pas un homme, pas même un oi- seau, et les désastres se multiplient dans une progres- sion géométrique. Cent communes sont menacées d'une ruine infaillible , et tous les efforts tentés par la légis- lation n'ont abouti à rien. » Certes, voilà des maux bien graves qui nous sont signalés, à diverses époques, par des auteurs éga- lement bien graves. Mais les lecteurs n'ont guère dû s'en alarmer, puisque M. Blanqui les a préve- nus, en forme de préface, qu'il avait la conviction intime que le remède existait, qu'il était prati- cable, simple et à la disposition du pays. Et pour relier ensemble, comme l'auteur le dit, les gran- des artères de montagnes échancrées sur la ligne de Briançon à Nice, ligne de plus de 100 lieues, il borne sa demande à une dépense annuelle de 400,000 fr. que ferait le Gouvernement. Nous croyons que pareille somme ne payerait pas même les frais de bureau ; que dix fois cette somme et même cent fois serait encore inefficace. Le seul moyen de salut pour les pays de mon- tagne est d'en confier l'exploitation à ceux qui 264 DE LAGRlCULTUilE EN FUANCE. l'ont faite avec tant de succès pendant tant de siè- cles, les Ordres religieux. Et on s'étonne qu'un homme d'autant de zèle pour son pays que M. Blan- qui, ne mentionne pas même les services qu'ils ont rendus dans sa province ; et nous le disons avec une profonde conviction : La France, éclairée par ses malheurs, or abandonnera ses doctrines de squelettes éclectiques qui paralysent le cœur et étourdissent la raison , pour rétablir ces hommes de paix et de bien qui répandent sur les malheu- reux les consolations et les soulagements, avec au- tant d'abondance et d'ampleur que les joies et les bénédictions sur les heureux. LIV. I- DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 265 CHAPITRE X. DES DIVERS MODES DE L^ EXPLOITATION DU SOL. Il n'a jamais été publié de pièces officielles sur le nombre des propriétaires en France , ni sur les divers modes de l'exploitation du sol. Les mutations, les divi- sions et subdivisions sont si fréquentes que la plupart des communes anciennement cadastrées ont renoncé à les suivre. Cependant, cet objet est si important que nous présen- tons dans ce chapitre le résultat des travaux d'un homme éclairé, laborieux, qui a voyagé dans une partie de l'Eu- rope pour en connaître les ressources , M. Lullin de Chàteauvieux. Les nombres qu'il donne et les conclu- sions auxquelles il s'arrête ne sont point disputées. L'auteur, combinant les listes électorales avec les re- levés des taxes que paie la propriété foncière, et admet- tant que chaque famille se compose de 5 individus , conclut que le nombre des familles propriétaires en France est de 4,800,000 divisées comme il suit : Familles. Hectares cuit ivablcs. lfeclarc&'cuUivalile 8,000 possédant chacune 355 soit 2,840,000 15,000 180 2,700,000 (>7,000 84 5,(528,000 110,000 5(5 «5,460,000 220,000 35 7,700,000 480,000 H (5,720,000 3,900,000 3 04 aies 14,252,000 4,*00,00O 4(3,000,000 "26G DE LAGlllCULTURE EN FRANCE. L'auteur croit donc qu'il y a 4,800,000 familles en France qui possèdent ensemble 46,000,000 d'hectares cultivables ; le reste de la superficie du pays se compose de terres non susceptibles de culture , et de terres appar- tenant à l'État ou aux communes. » Bien qu'une telle statistique, dit-il, ne repose que sur des moyennes , et que toutes les gradations en soient par conséquent exclues, nous pensons néanmoins qu'elle représente aussi exactement que possible l'Etat de subdi- vision dans laquelle est aujourd'hui la propriété en France. » 11 est utile de remarquer, d'après ce qui a été expliqué dans un chapitre précédent , que chacune de ces familles propriétaires n'a pas en général les terres agglomérées, mais qu'au contraire ces terres se composent de parcelles entièrement distinctes et séparées les unes des autres. Il faut dire encore que le ministre de l'intérieur, dans l'exposé des motifs de la loi des céréales, n'estimait en 1834 le nombre des propriétaires en France qu'à quatre millions. M. Lullin de Chàleauvieux, après avoir expliqué les coutumes de chaque classe de propriétaires , conclut que les différents modes de l'exploitation des terres se divisent ainsi : r Cultivées par des fermiers a rentes fixes, soit par un seul bail, soit par des baux parcellaires 8,470,000' hectares. 2° Par des métayers à moitié fruit 44,530,000 3° Par l'économie des propriétaires 20,000,000 Total 43,000,000 Bois appartenant en général à des personnes payant plus de 200 fr. d'impositions. . . 3,000,000 Total de la superficie cultivable 40,000,000 LIT. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. '267 Des terres exploitées par l'économie des propriétaires. L'auteur commence ses réflexions par les 20,000,000 d'hectares cultivés par l'économie des propriétaires. 11 les divise en deux classes : la première comprend une superficie de 9,752,000 hectares et appartient à de très petits propriétaires 5 la deuxième de 10,248,000 est pos- sédée par des gens qui paient de 25 à 200 fr. d'imposi- tions. Laissons-le parler : « La classe des très-petits propriétaires, c'est-à-dire ceux dont l'impôt ne s'élève qu'au maximum de 25 fr. emporte entre eux une superficie de 9,752,000 hectares. Ils sont possesseurs du manoir au titre commun auquel tous les Français possèdent maintenant. » La terre qu'ils cultivent est donc un capital à eux. Ils ont ainsi : 1° la rente de ce capital ; 2U le profit du travail qu'ils appliquent à sa culture, c'est-à-dire que si la rente de la terre est au 3 p. %, le bénéfice du travail qu'ils y appliquent est de 4 p. °/0. En sorte qu'ils éva- luent le revenu de leur propriété au 7 p. °[0 par l'effet d'un calcul fautif, en ce qu'ils ne s'aperçoivent pas que le profit de leur travail aurait également lieu s'ils l'opé- raient pour autrui. Cette déception vient de ce qu'ils ne se paient pas ce travail à eux-mêmes et de ce qu'ils peuvent y appliquer des journées qui resteraient sans emploi. » Cette dernière considération est juste dans un très grand nombre de cas où le travail du journalier n'est pas demandé en raison du mode d'exploitation et du trop grand nombre de bras attachés à l'agriculture en France. Il en résulte que la culture de ces 9,752,000 hectares 268 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. s'exécute sans exiger d'avances pécuniaires et sans pro- duire de circulation : sans avances, puisque les cultiva- teurs pourvoient sans frais à toutes les œuvres de la cul- ture ; et sans produire de circulation, parce qu'ils ne cultivent leur héritage que dans le seul but d'en obtenir l'assortiment des productions dont ils ont personnellement besoin pour leur propre consommation. » Leur industrie se développe dans l'art de compléter cet assortiment qui consiste ordinairement en fruits, en légumes , chanvre , pommes-de-terre , huile , vin et céréales. Rien, dans leur culture, n'est ainsi le résultat d'un calcul sur la plus-value de telle ou telle récolte ; mais celui de leurs habitudes et de leurs convenances. Leurs assolements ne peuvent jamais être dirigés que par ces deux mobiles. » Il ne faut donc pas se flatter que cette classe de cul- tivateurs puisse jamais adopter un système de culture dont le but immédiat ne serait pas celui de pourvoir di- rectement aux besoins de leur consommation. Ce qu'ils peuvent faire, et ce qu'ils ont fait en partie, c'est de travailler plus soigneusement leurs parcelles de terre, de les défoncer à la bêche pour y planter des pommes-de- terre, auxquelles ils font succéder quelquefois de la lu- zerne, plus souvent le blé et le trèfle. Mais le trait frap- pant de cette petite culture est, partout où le climat permet de cultiver la vigne, l'ardeur avec laquelle ces proprié- taires profitent de tous les emplacements dont il leur est possible de disposer, quelque rocheux ou stériles qu'ils soient, pour y planter de la vigne. C'est évidem- ment leur tendance, et avec le temps il ne restera pas une bruyère en pente , pas une côte abrupte qui ne se couvre de vignobles. Le vrai motif en est que la vigne seule LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 269 permet aux petits propriétaires d'obtenir, sur des super- ficies très-bornées , une denrée vendable, et par consé- quent un moyen de retirer , en outre de leur consomma- tion , un revenu en argent de leur petit héritage. » 10,248,000 hectares sont aussi cultivés par l'économie des propriétaires payant de 25 à 100 fr. d'impositions, et dont les domaines ont en moyenne une superficie de 13 hectares. » Cette classe de cultivateurs est très bien placée pour opérer des améliorations et adopter des assolements mieux entendus et plus productifs que 'ceux auxquels l'ancien ordre de culture les astreignait: 1° en ce qu'é- tant propriétaires incommutables , ils ont un grand in- térêt à fertiliser leur sol, et la possibilité d'attendre ce résultat de l'effet de ces assolements ; 2° sur ce que l'é- tendue de leur domaine, après avoir pourvu à leur con- sommation , leur permet de livrer au marché un excé- dant de produits , ce qui leur donne un appât et par con- séquent un mobile pour tenter des améliorations, dont le produit doit pour eux se réaliser en entier au mar- ché ; 3° enfin , en ce que cette classe de propriétaires comprend un grand nombre d'aubergistes, de maîtres de poste, d'entrepreneurs de roulage, etc., c'est-à-dire d'états pour lesquels on est obligé de se pourvoir de fourrages que l'industrie est tenue de rembourser d'a- près le cours du marché. Or, en se les procurant sur son propre domaine , loin de subir la perte que la consom- mation rurale fait éprouver au commun des cultivateurs sur le prix vénal des fourrages , ceux-là profitent au con- traire de cette différence; c'est-à-dire qu'ils ont des en- grais dont le prix est payé d'avance par leur industrie. » Aussi remarque-t-on que les terres appartenant à ces 270 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. propriétaires industriels sont de beaucoup plus avan- cées en améliorations, et nous pourrions citer celles d'un grand nombre de maîtres de poste qui seraient en état de pouvoir déjà servir de modèles. De la culture par des métayers. » 11,530,000 hectares, situés pour la majeure partie dans les départements du centre , de l'ouest et du midi, sont cultivés à moitié fruit par des métayers. Cette nom- breuse classe de cultivateurs est généralement fournie par celle des petits propriétaires, lesquels, afin d'élargir le champ de leurs travaux , quittent le toit paternel pour aller exploiter un domaine plus étendu. >• Mais ils n'apportent dans cette entreprise aucun au- tre capital que celui du travail de leur famille. C est la seule avance qu'ils soient tenus de faire , puisqu'ils ne doivent aucune rente au propriétaire, et que celui-ci leur fournit le cheptel et les terres ensemencées. >> Le but réciproque de leur contrat est d'assurer , d'une part, au propriétaire, que ses terres seront culti- vées sans peines et sans avances de sa part, et qu'il aura pour la rente de son capital la moitié des céréales ou du vin qu'elles auront, produit, et de l'autre, au métayer qu'il vivra amplement lui et sa famille, au prix de leurs sueurs, sur la moitié restante des productions du do- maine. >' Ces conditions s'opposent nécessairement à ce qu'il ne se fasse ni amélioration, ni changement de culture dans un tel système d'exploitation , puisque le métayer ne peut faire au domaine aucune avance de temps ni d'argent ; il est lié par la nécessité. Le propriétaire, à soi* LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. '11 I tour, ne pouvant obtenir de rente de sa terre que par la moitié des céréales que le métayer doit lui livrer, a sti- pulé d'avance l'ordre et la quantité qu'il doit en semer. » Pour que les propriétaires se départissent à cet égard de leurs droits , il faudrait leur supposer des notions d'agriculture assez étendues pour apprécier les avantages qu'un système d'exploitation mieux entendu finirait par avoir pour eux, et pour les décider à faire les avances de temps et d'argent qui pourraient seules opérer ce chan- gement. » Mais ce cas est rare , parce que la plupart des proprié- taires qui font exploiter à moitié fruit sont à la fois peu aisés , ignorants en agriculture , et presque toujours oc- cupés d'affaires qui leur sont étrangères. » La pire des conditions pour l'amélioration de la cul- ture est sans contredit celle des grandes propriétés qu'on trouve surtout dans les départements du centre , et que leurs propriétaires ont affermées pour une rente fixe à un fermier général, lequel est pour l'ordinaire notaire, avoué ou quelque chose d'approchant , lequel , n'étant nullement agriculteur, se borne à subdiviser la terre entre un nombre proportionné de métayers. Ces cultiva- teurs ne trouvent chez un tel fermier ni secours ni pitié, lis n'en reçoivent aucun encouragement, car il n'a qu'un but prochain , celui de ne faire aucune avance et de li- vrer le plus tôt possible au marché la part de produit. » La culture à moitié fruit n'a plus les mêmes inconvé- nients lorsqu'elle s'applique au vignoble, ainsi qu'il en est généralement , parce que le cultivateur français a une telle prédilection pour cette culture, qu'il y apporte un courage et des soins qu'il ne met point ailleurs , et. parce que le propriétaire ne se refuse guère à des améliorations 272 DE LAGRICULTURE EN FRANCE, qui, sur une superficie bornée, peuvent l'indemniser largement. » Nous avons préconisé nous-même l'exploitation à moitié fruit , telle qu'elle l'est dans les départements de la Vendée, torsque des propriétaires attachés à leurs do- maines, y passant une grande partie de leur vie, en con- fient la Culture à des métayers qui, pour la plupart, sont nés dans ces domaines et se croient destinés à y mourir. Filleuls du père de celui qui possède aujourd'hui la terre qu'ils labourent , ils voient le parrain de leurs fils , et mettent en communauté avec lui l'affection pour cette terre, la confiance qu'ils ont l'un dans l'autre, et l'intérêt qu'ils ont à la voir prospérer. Le cheptel étant à moitié entre eux , on les voit se rendre à la foire prochaine, pour y vendre, après de longs pourparlers , le poulain, la génisse ou le bœuf qu'ils y ont fait conduire. » Si le propriétaire consent à faire quelques avances, le métayer l'en dédommage par un surcroît de soins et de travail ; mais ces cas sont loin de se représenter dans la généralité de la France. Là , pour le plus souvent, le mé- tayer est en hostilité de position avec des propriétaires qui manquent d'affection pour des propriétés dont leurs habitudes les éloignent autant que leur goût. » Cette culture à moitié fruit est si usitée en France qu'il est bon d'appuyer l'opinion de M. Cbateauvieux, de celle 'de M. de Morogues sur cette même nature d'exploitation. -Le fermage à moitié fruit, dit-il, qui toujours exige une grande surveillance ou une dépense de régie considéra- ble, est le plus mauvais de tous, soit pour le proprié- taire qui en est très souvent dupe, quand il n'est pas à même de surveiller son fermier, soit pour le locataire LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 27.} qu'il met k] même de devenir fripon, et pour lequel il est d'ailleurs le plus onéreux, à moins que le proprié- taire n'accorde quelques conditions favorables que nous allons bientôt indiquer; sans cela ce mode de fermage usité dans les anciens baux engage le preneur à détruire le sol de la métairie, et le gêne perpétuellement dans son exploitation, à cause de la surveillance continuelle que doit exercer sur lui le bailleur ou son régisseur, qui peuvent être très-exigeants sans l'être encore assez pour s'exempter d'être trompés trop souvent. » Le mode de fermage à moitié est devenu une des causes principales de la détérioration du sol de la Solo- gne. En effet, le métayer, plus intéressé aux produits des denrées secondaires dont il garde la totalité , sacrifie les premières aux secondes; il envoie paître ses oies et ses dindes sur ses blés, parce que le profit entier de ses volailles, dont il trouve une vente assurée sans en ren- dre compte, lui semble plus avantageux que celui de la moitié de ses grains; et il vend à huit jours ies veaux, dont il ne lui revient qu'une portion du prix, pour éviter de les nourrir plus longtemps avec un laitage qui toui- ne entièrement à son bénéfice. Il en est de même à l'é- gard de ses génisses : il les fait porter trop tôt aux dé- pens de leur croissance, afin d'avoir plus tôt le laitage, et par là, les races des bêtes à cornes se rapetissent et se détériorent à chaque génération. » Mais ces inconvénients, quelque grands qu'ils soient, continue M. de Morogues, ne sont pas les plus graves que le mode de location à moitié ait fait naître ; le plus fâcheux de tous est la vente et la déperdition des em- paillements qui, bien que défendue par la plupart des baux, est presque générale, et prive alors le cultivateur 1. 18 274 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. de la possibilité de faire de la litière à ses bestiaux et d'ob- tenir le fumier dont ses champs, perpétuellement altérés, auraient un si grand besoin pour devenir productifs. » Il résulte de cet abus que le fermier cherche, en se- mant une plus grande quantité de terres en blé, à se dé- dommager de la modicité des récoltes qu'il obtient sans fumier et qui, la plupart du temps, manquent entière- ment par l'effet de la ruine du sol et de la mauvaise exécution des labours. Une grande partie des terres finis- sent ainsi par être abandonnées comme totalement im- productives, quand l'incapacité et la rapacité mal en- tendue de celui qui les cultive sont les véritables causes de leur stérilité. » Par suite de cette manœuvre fausse, j'ai vu, en So- logne, chaque année, de vastes champs perdus pour la culture, et dont le propriétaire, voyant son métayer se ruiner en les faisant valoir, sans cependant pouvoir lui fournir la moitié qui lui revenait pour son fermage , s'est déterminé à réduire le nombre de ses exploitations par des réunions mal conçues, lesquelles tout en sem- blant pallier le mal pendant un petit nombre d'années n'ont fait que l'aggraver de la manière la plus funeste. Un temps est arrivé où les meilleures terres conservées dans les fermes réunies ont été ruinées à leur tour, et alors le sol déprécié ne trouvant plus personne pour le faire valoir, la ferme s'est changée en une maison d'ou- vriers ; les troupeaux ont été abandonnés, et le mal qui s'en est suivi a été accru par une réunion nouvelle dont le résultat doit devenir encore plus désolant que celui de la première. >» Aux deux autorités précédentes nous en ajouterons en- core une autre : voici comment M. Mathieu de Dombasle LIV. I. DE LA PîiOIMUÉTÉ TERRITORIALE. 275 termine l'article sur les baux à partage de fruits, qu'il a insérés dans les Annales agricoles de Roville. « J'ai indiqué les principaux moyens accessoires , à l'aide desquels on pourrait hâter les progrès de la res- tauration agricole dans une partie fort considérable du royaume; mais il ne faut pas que les propriétaires ou- blient qu'une révolution radicale dans le système des baux, est la base des moyens par lesquels cette restaura- tion peut être amenée. Les terres doivent être affermées sous une redevance fixe, parce que, sans cela, il est im- possible que le fermier applique à l'exploitation un ca- pital quelconque ; le bail doit être stipulé pour un long terme, parce que autrement le fermier ne peut raisonna- blement y employer qu'un capital modique, et serait évi- demment dupe, s'il se livrait à des avances pécuniaires pour le genre d'amélioration qui peut seul accroître la valeur du domaine, en augmentant- ses produits pour l'avenir. L'influence du bail à partage de fruits est tellement désastreuse par la nature même du contrat, que s'il était possible que cet usage s'introduisit généra- lement dans la Flandre ou dans l'Alsace, il est hors de doute que les terres de ces riches provinces seraient, dans un très-court espace de temps, réduites, sous le rapport des produits et de la valeur vénale, au niveau des parties les plus mal cultivées du Berry et du Poitou ; et réciproquement il est, dans ces dernières provinces, tel domaine de 300 hectares, en sol naturellement fertile rap- portant aujourd'hui au propriétaire un revenu net d'une couple de mille francs, qui pourrait, dans moins de 2 ans, par les moyens que j'ai indiqués et par l'emploi d'un capital de 150 ou 200,000 francs, être amené à pou- voir se louer facilement, comme beaucoup de terres dans 270 DE L AGRICULTURE EN FliANCÈ. la Flandre, à raison de 100 francs l'hectare, c'est-à-dire être porté à quinze fois le produit net actuel. » Après M. Mathieu de Dombasle nous pourrions en- core citer l'opinion de MM. les inspecteurs de l'agricul- ture en France, exprimée dans le travail dont le minis- tère a commencé la publication, lis font une peinture énergique des inconvénients du métayage qui n'est pas surveillé par le propriétaire, à la page 69 du volume Agriculture du Tarn. Mais comme il est temps de passer à un autre sujet, nous dirons seulement d'après leur au- torité, que quelquefois les propriétaires résidant en ville ne donnent leurs terres à moitié fruit , que sous la con- dition que les récoltes seront vendues sur pied. (Voyez vol. Isère, page 33 ; Nord, page 32.) Des fermiers à rente fixe. « 8,470,000 hectares sont cultivés par des fermiers à rente fixe. La plus grande partie de cette surface, dit M. de Chàteauvieux, appartient aux départements de l'est, mais surtout à ceux du nord de la France. Ces fer- miers ont un intérêt immédiat à perfectionner leur cul- ture, parce qu'ils ne doivent au propriétaire qu'une rente fixe, et que tout le bénéfice des améliorations leur appartient exclusivement. Accoutumés qu'ils sont à faire de l'agriculture une spéculation, ces fermiers sont dispo- sés à la considérer sous ce point de vue, et par cela même à calculer les résultats des changements qu'ils peuvent y opérer. » Leurs fermes étant plus vastes et demandant la pré- sence d'un capital circulant , l'action rurale y est plus animée, mieux ordonnée, el par conséquent mieux dis- posée pour exécuter les combinaisons que demande l'é- LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 277 tablissement d'un nouveau cours de récoltes. Mais ces nouveaux cours, ayant pour but essentiel d'augmenter â la longue le produit brut des récoltes, en fertilisant les terres par une plus grande abondance d'engrais, cet ef- fet est progressif et lent, comme tout ce qui se fait en agriculture. Le plus court des assolements au moyen desquels on l'obtient, comprend une révolution de qua tre années; il en faut le double avant d'avoir pu y assu- jettir tout un corps de ferme; il faut doubler encore ce terme avant que la répétition de cet assolement y ait ap- porté une fertilité nouvelle ; c'est donc une entreprise de seize années, qui devrait être exécutée par un fer- mier dont le bail n'en dure que buit ou neuf. « La loi du bon sens et les besoins d'une agriculture dont le temps appelle les développements exigeraient donc que la durée légale des baux fût de dix-huit an- nées. Mais leur brièveté n'est pas le seul des reproches que méritent les baux à ferme ; ils pèchent surtout par les conditions de culture qu'ils imposent aux fermiers. » Pour l'ordinaire, ces baux sont rédigés par le notaire du lieu, d'après un modèle qui repose depuis cent ans dans son étude. Le but de ce modèle a précisément été de garantir les propriétaires contre toutes les innovations que pourraient tenter les fermiers. Il en résulte que tous les changements dans l'ordre et le cours des récoltes leur sont sévèrement interdits ; en sorte qu'en se tenant à la lettre des baux , aucune amélioration rurale ne serait possible. » L'instruction agricole des grands propriétaires pour- rait seule faire cesser ce grave inconvénient , en leur faisant comprendre que toutes ces conditions réglemen- taires sont aussi funestes pour eux que pour l'agriculture 278 1>K l'aGBICULTUHE EN FRANCE. dont elles arrêtent la marche. Il suffit d'établir dans le bail les clauses qui garantissent la conservation des ob- jets qui doivent survivre au terme du fermage , tels que les bâtiments, clôtures, arbres, vignobles, prairies, etc., etc. Tout le reste est non-seulement inutile, mais nuisible. » C'est à cette instruction qu'il faudrait recourir; mais elle est malheureusement plus étrangère aux grands propriétaires de la France qu'à ceux de nul autre pays. Et lorsque nous parlons d'instruction agricole, nous n'en- tendons pas par là que ces propriétaires acquièrent rien de ce qui tient à la pratique rurale, ni à l'application même des théories au terrain, mais de cette connaissance sommaire qui permet d'apprécier d'un coup d'œil la na- ture de sa propriété , les convenances de sa division par- cellaire , l'aptitude qu'aurait chacune d'elles à se prêter à telle ou telle nature de culture , les avantages qui pour- raient résulter de tels ou tels changements apportés dans la tenue des corps de ferme, comme dans l'adoption des fermages parcellaires pour le tout ou partie des do- maines, la convenance de défricher ou d'implanter en bois telle portion de fermes , ou d'en améliorer d'autres par des irrigations, lorsqu'on est assez heureux pour avoir des terres à portée d'un cours d'eau , etc., etc. •> C'est par cette connaissance de ses propres affaires , par la juste appréciation des bénéfices qu'on a droit d'attendre d'une entreprise agricole , que les grands pro- priétaires peuvent provoquer des améliorations que leurs fermiers ne sauraient exécuter sans leur concours et qu'on a quelque droit d'attendre d'eux. » Les faits et les conséquences qu'établit M. de Château- vieux sont confirmés par les plus célèbres agronomes qui LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 279 ont concouru à faire le Dictionnaire de l Agriculture . Il y est dit : « Il est des baux dont la durée dépend d'un événement incertain, ceux, par exemple, qui sont faits pour la vie du preneur, ou jusqu'à la mort du bailleur , ou enfin jus- qu'à l'époque de la vente du domaine. » Les baux à vie sont peu communs en France ; mais ceux dont ta durée dépend de la vente du domaine sont prévus par la loi et ij sont assez fréquents. C'est la pire des stipulations, puisque le fermier, sans cesse menacé d'ex- pulsion , ne peut rien entreprendre avec sécurité, et que cette clause l'avertit d'avance de l'intention où est le propriétaire , et par conséquent le tient toujours sous le coup de la perte des capitaux qu'il voudrait hasarder pour des cultures dont les rentrées sont un peu lentes , et ce sont celles qui sont les plus avantageuses au fer- mier et à la ferme. Dans cette situation, il est impossible que le fermier ne se mette pas toujours en état de sortir du domaine avec un bénéfice quelconque, c'est-à-dire que l'on perpétue les inconvénients qu'entraînent les changements des fermiers. Ce n'est donc que par des raisons très-graves que l'on se décide à rester dans un état aussi précaire. Outre les baux dont la durée est indéterminée par une convention expresse , on compte en France un grand nombre de baux expirés et qui se pro- longent par un consentement réciproque sous-entendu,, que la loi appelle tacite reconduction. Tous les fermiers qui se trouvent dans ce cas n'éprouvent pas cet état d'in- quiétude, qui est le propre de ceux à bail indéterminé ; il s'établit souvent des habitudes de confiance entre eux et le propriétaire, qui finissent par dissiper tous les dou- tes; et bien souvent des familles qui ont occupé un do- 280 DE L AGRICl LTUKR KIS FLIANCE. inaine de père en fils depuis de longues années, se fiant au caractère moral de ceux à qui il appartient, ne s'y re- gardent pas comme moins en sûreté , que si elles avaient un bail authentique. On en a vu même recevoir avec dé- plaisir l'offre d'un pareil acte ; c'était pour eux limiter une possession qu'ils s'étaient accoutumés à regarder comme indéfinie. » On ne peut nier que dans bien des cas la tacite re- conduction ne soit un puissant stimulant pour engager le fermier à l'activité et à une bonne conduite. Ainsi, quand un ordre d'assolements et de travaux est bien établi et qu'on n'a à exiger que sa continuation, la crainte d'un congé est sans doute très-forte sur un fermier, et l'en- gage à s'observer lui-même; mais d'autres fois aussi, cet état est celui d'un sommeil léthargique , quand le propriétaire est peu exigeant, qu'il est lié par les avances qu'il a faites à son fermier et qu'il craint de perdre en le renvoyant. D'ailleurs, dans aucun cas, on ne peut s'at- tendre à ce que celui-ci mette de grands capitaux en frais de culture pour l'avantage d'une propriété qui peut lui échapper à chaque instant ; ou doit donc préférer les beaux qui ont un terme limité. » Du bail général. Le bail général d'une terre de quelque étendue, ren- fermant ordinairement plusieurs domaines et plusieurs natures de propriétés différentes, se fait par un proprié- taire qui ne peut entrer dans les détails qu'exige la sur- veillance de ses fermiers ou la régie de sa terre. Jl est fait à nu fermier général qui n'a qu'une somme à donner pour fermage, après avoir fourni des cautions ou bypo I.V. !. I>E LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 281 thèques suffisantes pour assurer l'exécution des clauses de sa location. Le preneur est chargé de faire tout valoir selon l'espèce d'exploitation la plus convenable, de disposer des coupes et des ventes de bois, d'entretenir les bâtiments de maître, les plantations, les jardins et les corps de ferme ; il a le droit de sous-bailler partiellement, soit par corps -de-ferme , soit par petits lots ; on lui permet de changer la nature des exploitations d'une manière réglée par avance , afin de les rendre plus profitables ; on l'au- torise à planter des vignes , à faire des prés , à affermer par petits lots à défricher, et généralement à jouir comme le propriétaire lui-même, à la charge de payer les fermages et les impôts, d'entretenir et de rendre la terre dans le meilleur état possible. On spécifie exactement dans les baux de ce genre l'âge que devront avoir les coupes des bois à l'expiration du bail, le nombre d'arbres de chaque nature et de chaque âge, dont les plantations seront formées , les futaies qui seront réservées, et généralement tout ce qui concerne la conservation et l'amélioration des objets affermés. Le bail général est fort usité dans le Midi et le centre de la France; il est presque indispensable pour ceux qui ne s'occupent pas d'agriculture et qui habitent loin de leurs terres, sans pouvoir les surveiller, ni s'y rendre à époques fixes. Il est avantageux pour ceux qui ont le bonheur de traiter avec des fermiers généraux riches, probes et intelligents: mais il est quelquefois difficile d'empêcher ou de prévenir la détérioration de la terre par un fermier peu délicat ou inhabile , qui peut enlever des arbres sans qu'on s'en doute, en vendre ou en faire périr un grand nombre, faire mal entretenir les bâtiments ou '282 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. ne faire que des replâtrages et constructions peu solides avec de mauvais matériaux dont il ménage l'emploi. Le bail général a encore l'inconvénient de mettre les fermiers partiaires sous la dépendance immédiate d'un homme souvent rapace qui les obère et les ruine sans ménagement , pour profiter le plus possible de la courte durée de sa jouissance, et qui, par ce même motif, apporte tous ses soins à tirer le plus possible du lieu qui lui est affermé, sans craindre de ruiner les terres, de détruire les bois par le pacage, d'user les vignes et les arbres fruitiers en leur faisant rapporter trop de fruits. La plupart des publicistes anglais attribuent la misère des Irlandais à la coutume qu'ont les grands propriétaires de louer des domaines d'une étendue immense à des fer- miers généraux qui sous-louent à de petits fermiers qu'ils pressurent et ruinent par leurs exactions, afin de s'enri- chir avec rapidité. C'est là un grave inconvénient des baux généraux sous le rapport politique, et ils en ont un qui n'est guère moindre pour le bailleur, qui rarement voit améliorer sa propriété entre les mains d'un fermier général , qui veut en tirer le plus grand revenu et y faire le moins de dépense possible. Un fermier général ne cherche que rarement à amélio- rer un domaine qui lui sera retiré ou loué plus cher à l'expiration de sa jouissance, en raison môme des amé- liorations qu'il aura faites et des dépenses qu'elles lui auront occasionnées; il s'habitue à se regarder comme maître du lieu où il habite, mais comme maître usufrui- tier seulement, et c'est aussi en usufruitier qu'il exploite; c'est là très-certainement l'une des principales causes de la stagnation de l'industrie agricole dans ceux de nos dé- partements qui sont formés des anciennes provinces du L1V. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. '283 lierry, de la Touraine, du Nivernais, et dans la plupart de nos départements du Midi, où l'usage de louer de grandes terres à des fermiers généraux est très-répandu. Les propriétaires de ces terres, ou ne les habitant pas, ou ne s'y rendant que pour chasser, s'y divertir et en rapporter l'argent que leur fermier leur compte, ne peu- vent rien connaître ni surveiller; leur terre se détériore sans qu'ils puissent s'en apercevoir; ils ignorent sa valeur et le parti qu'ils en pourraient tirer; ils font des dettes à Paris, et quand il faut les payer, leur fermier général est là pour leur avancer de l'argent jusqu'au jour où, les pro- priétaires se trouvant fortement endettés envers lui , ce fermier leur achète leurs terres à moitié ou au quart de ce qu'il les revendra, quand, quelques années après, il les aura remises en bon état et sera parvenu à en montrer ou même à en exagérer la véritable valeur. Bail congêablr. ou bail à convenant. Dans le travail que publie aujourd'hui le ministère sur l'agriculture française, MM. les inspecteurs donnent les explications suivantes sur cette espèce de bail : « Le bail à convenant, disent-ils, est une institution particulière à la Bretagne, et qui date des temps féodaux ; voici son origine : les seigneurs, continuellement occupés dans les guerres intestines, ne pouvaient se livrer à l'agri- culture. Le besoin d'augmenter leurs revenus et de tirer parti de leurs terres leur donna l'idée de cdncéder à leurs vassaux des terres incultes, à la condition de les défri- cher, de les enclaver par des talus, et d'y construire des habitations. La concession était temporaire, assujettie à une redevance annuelle très-modérée, et donnait droit au 284 DR LAGllICULTURE EN FRANCE. seigneur de rentrer dans sa propriété, en remboursant au convenancier ses frais de premier établissement et ses travaux d'amélioration , lesquels avaient été prévus et arrêtes d'avance dans l'acte de concession . Le seigneur pouvait, au renouvellement du bail, élever le chiffre de la rente ou changer le colon, et le renvoyer moyennant remboursement ; mais il profitait rarement de cet avan- tage, et l'on en voit la preuve aujourd'hui, puisque la plupart des convenants qui existent encore portent la même rente que les baux primitifs et sont, depuis un temps immémorial, dans les mêmes familles de cultiva- teurs. » Quand le colon, par ses économies, était parvenu à se former un capital, il requérait souvent le seigneur de convertir, moyennant une somme , son bail à convenant en bail à féage. Par ce nouveau bail , le colon devenait le vassal du seigneur, mais il ne pouvait plus être évincé de sa terre, qui n'était assujettie qu'à une rente féodale fixe, et à un droit de mouvance ou de mutation, en cas de transmission de la propriété. » La loi du 6 août 1791 a profondément altéré le prin- cipe du bail à convenant. Nul ne pouvant plus être vassal d'un autre, le convenancier acquit le droit d'exiger du propriétaire le remboursement des avances par lui faites sur la propriété, lorsqu'il entendait la quitter. 11 s'ensui- vit, d'une part, que pour rendre le congéement onéreux au propriétaire, et s'assurer une jouissance certaine de la propriété, le colon se livra à des réparations et améliora- lions hors de proportion avec les bornes du domaine; et d'autre part, que pour éviter cet inconvénient, le proprié- taire réduisit la longue durée des baux à convenant à la courte durée des baux à ferme, ce qui empêchai! le colon LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 285 de faire des dépenses dont il n'aurait pu recueillir le bé- néfice pendant un délai si bref. Enfin , le morcellement de la propriété, la médiocrité des fortunes, ont amené des demandes d'augmentation de la rente convenancière à chaque renouvellement des baux , et incité la plupart des colons à demander leur congéement. Aujourd'hui les neuf dixièmes des convenants sont congédiés, et le con- géement se poursuit chaque jour. » 11 est certainement impossible de nier que le bail à convenant, corroboré par le bail à féage, ne répondît parfaitement au but que s'étaient proposé les anciens seigneurs, d'attirer sur leurs terres incultes une popula- tion intéressée à les enclaver, défricher et améliorer; mais ces institutions , qui étaient en harmonie avec l'esprit du temps , ne sont plus compatibles avec nos lois, et bientôt elles auront complètement disparu. » Nous revenons à M. de Chàteauvieux , et donnons les conclusions qu'il tire des faits qu'il a établis et qui sont confirmés par les autres auteurs : « Résumons. Les 9,752,000 hectares cultivés par les propriétaires au-dessous de 25 francs d'impôt ne peuvent jamais être soumis qu'à la petite culture plus ou moins perfectionnée par les soins qu'ils y apportent, mais tou- jours étrangère au système rationnel des cultures al- ternes. » Il en est de même des 14,530,000 hectares dont l'ex- ploitation est confiée à des métayers, car ils sont vis-à-vis de cette exploitation dans des conditions dont les consé- quences sont les mêmes. Leurs moyens d'amélioration sont en quelque sorte plus bornés encore que ceux des petits propriétaires , en ce qu'ils sont obligés d'appliquer à de plus grandes superficies des forces à peu près pa- 280 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. reilles. Us ne peuvent donc pas manier ces superficies avec le détail et les soins que les plus petits cultivateurs peuvent apporter aux leurs. « Ce n'est donc que sur les 8,470,000 hectares cultivés par des fermiers, ainsi que sur les 10,248,000 hectares exploités par des propriétaires dont l'impôt s'élève de 25 à 200 fr. ; ce n'est que sur ces deux catégories d'exploita- tion rurale qu'on peut s'attendre à voir s'opérer des amé- liorations résultantes de l'application des systèmes dont plusieurs fermes à ce destinées offrent déjà le modèle; c'est-à-dire sur les deux cinquièmes de la surface cultivable du royaume. » Capital d'exploitation. D'après M. le baron de Morogues, à l'article Blé du Dic- tionnaire d'Agriculture, en 1814, les progrès de l'agricul- ture étaient déjà tels en Angleterre que pour y exploiter une ferme de 300 acres ou de 121 hectares d'étendue, il fut constaté par le parlement britannique, qu'il fallait au fermier un capital de 4,000 liv. sterl., valant alors 88,000 francs de notre monnaie ; cette somme était le double de celle que cette même exploitation exigeait vingt ans auparavant. En 1822, une exploitation rurale exigeait donc un capital aussi grand qu'une manufacture, et pourtant elle rapportait un bien moindre revenu. <• Malheureusement , en France, dit le même auteur à l'article Capital d'exploitation, nous sommes pour l'ordi- naire bien loin d'appliquer à l'exploitation de notre sol des capitaux comparables à ceux qu'y mettent les fer- miers anglais; et à cause de cela les améliorations s'y font avec une bien plus grande lenteur.' On ne peut guère espérer qu'un fermier de la Beauce, entrepreneur LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRLTOKJALE. 287 d'une exploitation de cent hectares d'étendue , y apporte un capital de plus de douze ou quinze mille francs dans le moment actuel. C'est, comme on voit, cent vingt ou cent cinquante francs par hectare, somme bien faible pour le mettre dans le cas d'améliorer et de supporter des chances défavorables; c'est bien pire en Sologne : le fer- mier d'une ferme de trois cents hectares y passe pour fort riche s'il possède un capital de la valeur de 6,000 fr. Ces fortunes sont rares parmi les fermiers de la Sologne , et pourtant elles n'élèvent le capital du fermier qu'à 20 francs par hectare, dans un pays où il faudrait beau- coup d'argent pour améliorer le sol et pour défricher ce qui n'est pas en culture. » « Il n'y a pas longtemps, dit encore le même auteur à l'article Culture, que l'agriculture anglaise a acquis le haut point de perfection où elle est parvenue. Dans les neuf dixièmes de la France, les bonnes méthodes de cul- ture sont encore presque inconnues , d'inutiles jachères y sont conservées, et à peine l'art des assolements , base de toute bonne culture , est-il bien connu d'un vingtième de nos cultivateurs. » Après avoir cité M. le baron de Morogues, nous allons chercher ce qui a rapport à ce sujet dans le travail de MM. les inspecteurs d'agriculture, publié par le mi- nistère : Département de l'Isère. « Les assolements, dans le département de l'Isère, disent-ils, varient suivant la nature du sol , les ressources du cultivateur, son plus ou moins d'industrie et les dé- bouchés qui l'entourent. Bien que l'on ait à constater des progrès réels dans l'art de faire succéder les récoltes dans •288 DE LAGUICULTIJRE EN FliASCE. ce pays , on ne peut se dissimuler qu'il n'y ait encore beaucoup à faire sous ce rapport dans la plupart des com- munes. Si la division des propriétés explique naturelle- ment la diversité des assolements qu'on y suit, elle ne saurait justifier l'épuisement que l'on fait subir au sol par des récoltes répétées de grains. En général , c'est là le vice capital de la culture du département de l'Isère; les prairies artificielles, et partant les bestiaux, ne sont pas en rapport avec l'étendue des exploitations rurales ; de là , la pénurie de fumier qui se fait sentir chez un grand nombre de cultivateurs, et qui, dans beaucoup de loca- lités, ferait regretter la suppression des jachères comme moyen de réparer les forces du sol. Les faits suivants ser- viront de preuve à cette vérité trop peu reconnue en France, que la petite culture, loin d'être favorable à l'amé- lioration de la terre, tend directement à son épuisement lorsque les capitaux ne répondent pas à l'industrie du cultivateur. » Département du Tarn. MM. les Inspecteurs, après avoir dit que les grande» fermes de 50 hectares ne possédaient en charrues , araires, charrettes et instruments aratoires qu'une valeur de 465 francs, ajoutent : .. Du reste , nulle avance en numéraire; le propriétaire prête souvent la semence, fournit le bétail : des chances de la récolte dépend entièrement le sort du métayer. » Résumant ensuite l'état des exploitations rurales dans la partie basse du Tarn, et dans la montagne , ils disent . « Des deux côtés, insuffisance du bétail relativement aux besoins des exploitations ; aussi , ne peut-on se tirer d'affaire avec ces faibles ressources, qu'en appelant à son secours la j'adhère H les friches. » LIV. 1. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 289 Parlant plus loin des propriétaires paysans qui mettent eux-mêmes la main à l'œuvre en s'aidant d'un ou deux valets, MM. les Inspecteurs disent : « Cette classe grandit tous les jours. Si l'on songe à l'impossibilité presque absolue où se trouvent aujour- d'hui les métayers d'adopter les méthodes perfectionnées qui exigent des avances de fonds et un capital de roule- ment plus considérable; si l'on tient compte des obstacles sérieux que le fractionnement des exploitations oppose aux propriétaires qui voudraient chercher une carrière profitable dans la culture du sol, on est amené à penser que tout espoir d'une agriculture progressive dans le département du Tarn repose sur les pages (paysans). » Département de la Haute- Garonne. « Le nombre des fermiers, disent MM. les Inspecteurs, est tellement restreint dans le département, qu'on pour- rait le passer sous silence, s'il ne témoignait des efforts tentés par certains propriétaires pour adopter un meil- leur système d'exploitation. En effet, la plupart de ceux qui ont affermé leurs biens ruraux y ont renoncé et re- viennent aux usages du pays. Il ne pouvait en être autre- ment : d'une part, la division des terres , dont les incon- vénients augmentent à mesure que les successions ouvertes amènent le morcellement des propriétés; de l'autre, le défaut de capitaux , qui se fait sentir de tous côtés dans un pays où l'industrie et le commerce ne jouent qu'un rôle très-secondaire, sont autant d'obsta- cles graves contre lesquels la meilleure volonté devait se briser. Sauf de rares exceptions, les fermiers , après six ou neuf ans de jouissance, abandonnaient le sol dans un f. 19 290 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. état déplorable, et le propriétaire se trouvait heureux de résilier un bail dont souvent il n'avait perçu aucun fruit. » Département des Côtes-du-Nord. MM. les inspecteurs de l'agriculture donnent une idée complète des faibles capitaux dont dispose l'agriculture de ce département. Ils divisent les fermes en deux caté- gories, les plus grandes et les plus petites : L'étendue moyenne des plus grandes fermes est de. . . 39 hectares, des plus petites 9 Le capital foncier, c'est-à-dire le fonds territorial, les arbres forestiers , les bâtiments, et ce qui est immobilisé en fumiers, paille et fourrage , est estimé : Pour les grandes fermes, à 27,700 fr. Pour les petites, à. . . . , 7,200 Le capital d'établissement , c'est-à-dire les meubles , les instruments, les chevaux, bœufs, vaches et moutons, est estimé : Pour les grandes fermes , à 2,381 fr. Pour les petites, à 1,049 Le capital de roulement, c'est-à-dire la valeur des journées des fermiers , des domestiques , des ouvriers employés occasionnellement; le prix de l'achat annuel de la paille, des fourrages et des semences, est estimé : Pour les grandes fermes, à '. . . 1,887 fr. Pour les petites/, à 772 Département du Nord. Ce département est placé à la tête de notre agriculture. « Les partisans exclusifs du morcellement des pro~ LIV. I. DE LA PROPRIÉTÉ TEIIRITOMALK. 29>l priâtes , disent MM. les Inspecteurs, prétendent que nulle part la position du cultivateur n'est aussi heureuse que dans les pays où la division des terres est arrivée à son comble; l'état actuel du département du Nord réfute complètement cette utopie. Partout où les terres sont très -divisées, il y a pénurie des capitaux, la culture ne se soutient qu'à force de main-d'amvre. » REMARQUES. lîii continuant ce traité expérimental d'écono- tnie politique , nous supposons toujours que le lecteur connaît l'Extrait des enquêtes faites en Angleterre , ce qui lui évite, ainsi qu'à nous, de fastidieuses répétitions. Cependant voulant amener cet important sujet de la culture des (erres à une comparaison entre l'Angleterre et la France, nous réveillerons son souvenir sur le système anglais. D'abord un corps de 35,000 familles propriétai- res à perpétuité de presque tout le sol, occupé à organiser les travaux publics utiles à l'ensemble des fermes dans chaque localité. Qu'on observe qu'aucune de ces familles ne peut avoir l'ambi- tion d'acheter ou d'usurper par un moyen quel- conque la propriété de son voisin, quelque dissipé ou dissipateur qu'il soit, puisqu'elle est défendue par les droits de substitution et de primogéni- ture. 292 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. En second lieu un corps de fermiers se livrant chacun à l'exploitation de la ferme qui lui est dé- volue, et ayant les moyens de le faire avec effica- cité par les capitaux abondants qu'il peut se pro- curer. Ceux-là sont également à peu près à per- pétuité, s'ils ne sont ni dissipés ni dissipateurs. Mais dans tous les cas , ils sont propriétaires à perpétuité de leur mobilier et de leurs bestiaux, dont le revenu est (chose peu croyable) plus con- sidérable que celui de la ferme. Enfin un troisième corps se compose des ou- vriers agriculteurs établis avec leur famille dans une chaumière sur la ferme, en nombre suffisant pour en faire l'exploitation. Voilà l'organisation que nous avons vue s'éten- dre et se perfectionner sous nos yeux de la ma- nière la plus arrêtée pendant une longue suite d'années. Mais depuis la paix, il s'est successive- ment formé un quatrième corps d'hommes vivant par l'agriculture et qui, en ajoutant à la fortune des autres, marche aux mêmes prospérités que les trois autres corps. C'est le corps des marchands de bestiaux. On a pu voir par l'étude des enquêtes du par- lement qui a appelé les propriétaires et les fer- miers, que lorsqu'une ferme venait à vaquer, il se présentait un grand nombre de concurrents, et que celui qui l'emportait sur les autres était celui qui mettait le plus de bestiaux sur la ferme. Mais L1V. I. DE LA PROPRIETE TERRITORIALE. 21J3 acheter et vendre à des époques fixées par les sai- sons lui coûtait souvent beaucoup d'argent et tou- jours beaucoup de temps. Il se connaissait peu en bestiaux, il connaissait encore moins si la qualité des nourritures que sa ferme produisait était con- venable à telle ou telle race. Si la saison était plu- vieuse et que son terrain fût bas, le troupeau était exposé à la pourriture ; s'il y avait sécheresse et que son terrain fût élevé, le troupeau souffrait de la faim. Ces inconvénients ont suscité un esprit d'entreprise. Il s'est présenté des gens qui ont contracté avec divers fermiers, placés dans diver- ses situations , pour remplir les conditions du bail en leur fournissant les bestiaux, à la charge de payer ou de recevoir les sommes stipulées. Ces hommes achètent des agneaux on des veaux , et les mènent dans les localités qu'ils ont rete- nues. Si la saison est pluvieuse, on voit les trou- peaux déserter les lieux bas pour aller sur les hauteurs ; si au contraire il y a sécheresse , ils descendent des hauteurs. Depuis que ce nouveau système s'étend, dit une célèbre société d'agriculture, les épidémies ont tellement diminué en Angleterre qu'on a un juste espoir de les voir disparaître absolument, par- ce que l'expérience a créé une science nouvelle sur l'application de telles subsistances à telle race de bestiaux. Le fermier se borne donc à présent à préparer la terre de manière à produire la "294 ME L'AGRICULTURE EN FRANCE. nourriture que son fournisseur en bestiaux lui commande; il n'a plus d'animaux à acheter ni à vendre; s'il se mêle de commerce, ce n'est que pour l'engraissement à l'étable qui lui procure un stimulant puissant, et ses contrats avec les bou- chers lui assurent la vente à une époque fixe. Yoilà l'Angleterre quant à l'agriculture, voilà les effets de la hiérarchie , voilà l'ordre. Ici il y a sim- plicité, intelligence, grandeur, bonheur et solidité. En théorie les philosophes jusqu'à ce jour ont regardé les habitants des campagnes comme les hommes les plus calmes, les plus innocents et les plus heureux de l'espèce humaine , et le fait a justifié leurs pastorales. Les villes étaient moins tranquilles; cependant elles l'étaient. Mais, de- puis 50 ans, la tourmente qui, en France, a d'a- bord éclaté dans les villes, semble ne s'y être apaisée que pour envahir les campagnes et y dé- ployer toutes ses fureurs : qu'on en juge par les chapitres précédents. Quelle confusion , quelle anarchie, quel boulversement! M. Luliin de Chà- teauvieux et d' autres savants ont parcouru la France et donné une opinion fondée sur des piè- ces officielles d'une notoriété publique. Nous al- lons ici rappeler en nombres ronds les principales catégories qu'ils ont établies sur notre agriculture et sur nos agriculteurs. Des travaux statistiques laits à diverses repri- ses , saccordenl ru cela qu'il y a en France 5(5 L1V. I. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 295 millions d'hectares cultivables, dont 3 millions en forets ; restent donc 43 millions ainsi divi- sés. Hectares. 3,000,000 de familles cultivant leur propriété d'un peu plus de 3 hectares, possédant ensemble à peu près. . 10,000,000 800,000 familles cultivant leur propriété d'un peu moins de 13 hectares, soit 10,000,000 1,000,000 de familles faisant exploiter leur sol par des culti- vateurs aux conditions suivantes : Par des métayers à mi-fruit , environ 15,000,000 Par un bail général donné à un intermédiaire avec faculté de sous-louer 3,000,000 Par un bail spécial à un fermier sans la faculté de sous-louer 5,000,000 4,800,000 familles cultivant 43,000,000 Chacune de ces catégories ne soumet pas les agriculteurs aux mêmes angoisses ; mais ne sem- ble-t-il pas que pour démentir plus directement les professeurs , les journalistes ou les gens de loi entre les mains desquels la France est tombée , il faille que la classe la plus malheureuse soit celle dont ils ont le plus prôné l'état, celle des petits propriétaires de terre ? Nous allons, dans Tordre du tableau ci-dessus, parler d'abord de ces trois millions de familles qui paient un impôt foncier de 25 centimes jus- qu'à 25 francs. Elles composent à peu près la moitié de la population du royaume, et occupent aujourd'hui près du quart du sol cultivable. Par l'action du code civil, leur nombre augmentejour- 290 DE T., AGRICULTURE EN FRANCE. nellement et elles en occuperont le tiers, la moi- tié, et enfin le tout d'ici à un temps donné. Nous bornant au moment présent, il est deux calamités inhérentes à l'état de ces familles : ce sont d'abord celles qu'elles éprouvent, ensuite celles qu'elles font éprouver. D'abord ce sont el- les seules que le non-paiement d'impôts force de faire l'abandon de leurs terres, afin de sauver leur triste mobilier; ce sont principalement elles que le fisc est obligé de poursuivre pour le paiement des impôts; ce sont elles qui, à la mort de leur chef, sont les plus grevées par les frais d'enregis- trement et le morcellement du sol paternel, elles sur qui pèsent le plus lourdement les onze mil- liards d'hypothèques ; et enfin ce sont elles qu'attaquent le plus souvent les huit millions d'actes judiciaires et extra-judiciaires, c'est-à-dire les saisies immobilières qui se font. Mais c'est sur- tout cette classe d'hommes qui ressent le plus vi- vement cette calamité inconnue jusqu'à nos jours, le manque de travail ; car ces trois millions de familles possédant dans certains pays presque tout le terrain, et n'en pouvant retirer que cinquante jours de subsistances dans l'année, n'ont plus dans leur voisinage de propriétaires qui les occupent ; fixées comme elles le sont sur un point donné par leurs lambeaux de terre , elles ne peuvent non plus aller chercher au loin le travail qui les ferait vivre. Non, les angoisses, les flétrissures ou les hu- LIV. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 297 miliations de ces trois millions de familles, n'attei- gnent pas les paysans irlandais eux-mêmes dans leur dénuement le plus absolu. Du moins ceux-ci savent combattre et mourir, car ce qui étonnera toujours le plus les observateurs est la patience ainsi que la fortitude dans l'adversité dont Dieu a doué les Français. Mais si cette classe de petits propriétaires de terre éprouve beaucoup de calamités, elle en fait encore éprouver bien davantage à la France en empêchant toutes les agglomérations de terrains, et les travaux d'ensemble qui en seraient la con- séquence. Cette classe, telle pauvre qu'elle soit, forme en France un État à part ; elle ne dépend de personne et personne ne dépend d'elle. Isolée et abandonnée, elle s'irrite contre ses supérieurs ; elle regarde un grand propriétaire de terre com- me un usurpateur. Suivant elle, tout homme qui de ses mains ne bêche pas la terre n'a pas le droit de la posséder. Elle est hostile à la charrue qui la prive de travail, et au bétail qui pour pâturer la prive de terrain. Comme cet abîme continue à se creuser , on frémit de calculer ce que seront, ce que feront ces trois millions de familles d'ici à une époque peu éloignée. L'Angleterre, étant séparée de l'Irlande par la mer, n'a pas été gênée dans ses mouvements, mais la nouvelle Irlande que la France s'est créée s'étend sur toute sa superficie, et menace sérieu- 298 de l'agriculture eh frahce. sèment l'existence de tons les propriétaires q-tiî habitent les campagnes. Après avoir parlé des dix millions d'hectares possédés par trois millions de familles, nous devons dire que les 800,000 familles qui possèdent les autres dix millions, soit treize hectares chacune, sont dans une position moins défavorable. A la mort de leur chef, elles morcèlent moins leurs parcelles que les très-petits propriétaires, parce que le père a pu avoir les moyens nécessaires pour écarter les co- héritiers en leur faisant apprendre un métier qui ne pouvant s'exercer que dans les villes, le fait sor- tir de la campagne. Cette classe d'agriculteurs a parfois quelque denrée à vendre, mais encore on peut préjuger l'état d'inanition où se trouve no- tre sol, lorsqu'un observateur aussi clairvoyant que M. de Chàteauvieux vient représenter comme notre plus grande ressource en subsistance, les terres qu'exploitent des maîtres de poste ou des aubergistes, gens établis sur les grandes routes, à trois lieues de distance les uns des autres ; ils n'ont pas même chacun dix chevaux, et l'engrais qu'ils pourraient fournir est perdu, puisqu'ils pas- sent huit à dix heures par jour à parcourir les grands chemins. Sur les 43 millions d'hectares de terres cultiva- bles en France, nous avons analysé les deux lots de* 10 millions cultivés par les propriétaires mé- mos du sol ; il faut à présent pari er des 23 millions LIV. I. DE LA l'HOPRlÉTÉ TERRITORIALE. '2W restants : 15 millions nous sont donnés comme étant cultivés à moitié fruit entre le propriétaire et le métayer ; les écrivains sur l'agriculture s'ac- cordent tous à dire que l'exploitation à mi-fruit est le plus mauvais parti qu'un propriétaire puisse prendre ; et de là de touchantes homélies sur leur sort, et de graves traités de morale sur les par- tages équivoques de récoltes que font les mé- tayers. Mais tout cela est peu fait pour exciter nos sympathies, parce que ces écrivains sont en gé- néral propriétaires, et comparativement riches, et les métayers, qui n'écrivent pas, sont pau- vres. Ces riches se trouvent être les notaires , les avoués, les huissiers ou les gardes champêtres de la paroisse, c'est-à-dire appartiennent à cet ordre inférieur de gens de loi, qui dévore la paroisse, comme l'ordre supérieur dévore la France. Nous nous permettons donc de supposer un degré égal de moralité entre les deux parties contractantes, le propriétaire et le métayer, et nous nous applau- dirons de voir que la famille du métayer est beau- coup plus heureuse que celle du très-petit pro- priétaire du sol dont nous avons parlé au com- mencement de cette remarque. Il est vrai que le bonheur de cette catégorie de familles est pris dans lt-s négations. D'abord elles n'ont jamais la douleur d' abandonner leur lambeau de terre, puisqu elles n'en ont point. A la mort de leur chef elles ne voient pas la justice tomber sur leurs ca- 300 DE LAGRICULTURE EN FRANCE. banes puisqu'elles n'ont rien. Les huissiers ne peuvent saisir leurs récoltes pour le non-paie- ment de l'impôt foncier ou des intérêts hypothé- caires, puisque cela regarde le maître; et enfin si cette famille de métayers trouve à mieux se placer, elle peut se transplanter : en résultat elle a autant d'indépendance qu'en peut avoir le pauvre. Restent donc les huit millions d'hectares à rente fixe. Ils peuvent se diviser en deux classes : l'une est affermée par un bail général à un intermé- diaire qui sous-loue le sol au plus haut prix pos- sible. C'était le mode usité en Irlande, mode si oppressif et si ruineux pour les habitants du pays que le parlement Anglais a rendu une loi pour le défendre, vu que cette entreprise était faite en Ir- lande comme elle l'est aujourd'hui en France par les gens de loi dont à leur gré nous avons déjà trop parlé. L'autre mode de louer à rente fixe se trouverait le plus sage et le plus humain, si le propriétaire voulait accorder un bail qui permît à son fermier l'essai des nouvelles découvertes en assolement ; et voilà ce que nos institutions mêmes ne permet- tent guère. A leur décès, les propriétaires ont en moyenne, comme les autres pères de famille , trois enfants co-héritiers, ils savent que la ferme doit être dé- mantibulée en trois portions, et ils ne veulent pas l'engager pour un long ternie. L1V. 1. DE LA PROPRIÉTÉ TERRITORIALE. 30 î En somme, pour peu que le lecteur applique ses pensées à l'état des choses déduites dans les pages précédentes, il s'expliquera facilement cette preuve de l'infériorité de notre agriculture , qui a été donnée par l'extrait des enquêtes anglai- ses, d'après des chiffres positifs : c'est que cent familles livrées à l'agriculture en France ne nour- rissent, après s'être nourries elles-mêmes , que trente familles, tandis qu'en Angleterre elles en nourrissent trois cents. Et on peut ajouter cette autre observation que ce nombre proportionnel de 30 familles en France diminue, et que le nom- bre de 300 en Angleterre augmente journellement. Voilà l'état où devaient nous conduire les pré- jugés et les passions qui ont aveuglé nos ancêtres. Ceux-mêmes dont les intentions et les mœurs sont les plus pures, ont écrit les ouvrages les plus sub- versifs de l'ordre politique établi en Europe. Ce que Fénelon fait dire à Mentor dans son Télémaque, ouvrage traduit dans toutes les langues, et que les précepteurs mettent entre les mains des princes, a exalté la tête de tous les rêveurs de bonne foi. Sur tant de principes erronés que donne ce roman poli- tique citons celui qui regarde surtout l'objet que nous discutons : «Il ne faut permettre à chaque fa- » mille dans chaque classe, de pouvoir posséder que » l'étendue de terre absolument nécessaire pour » nourrir le nombre de personnes dont elle est >; composée. Cette règle étant inviolable, les no- 202 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. » bles ne pourront faire des acquisitions sur les » pauvres ; tous auront des terres, mais chacun » en aura fort peu, et chacun sera excité par là » à les bien cultiver. » Telle est l'opinion presque exclusivement ré- pandue en France ; et à l'époque de la Restaura- tion, en 1814, nombre d'hommes, qui avaient cependant un certain genre de capacité, s'épou- monèrent pour développer cette idée classique, en prouvant combien il serait heureux que cha- cun de ses habitants possédât le terrain néces- saire pour nourrir sa famille, idée précisément aussi sage que serait celle de faire en sorte que chaque famille manufacturât ses vêtements et bâ- tît son logement. Le gouvernement voulut main- tenir la France telle qu'elle était, il dit même que la durée de ces nouvelles institutions représenta- tives qui nous sont si chères en dépendait; ces grands politiques demandèrent seulement, que dans le sein de l'immense territoire de la France, on voulût bien permettre le modeste prélève- ment de quelques grandes propriétés, imitant en cela la discrétion de Sancho-Pansa , qui , arri- vant au célèbre festin de Gamache , se borna à demander la permission de tremper son pain dans une des marmites de viande qui bouillaient; mais le ministère ne fut pas si heureux que Sancho Pansa. FIN DU LIVRE PREMIER. LIVRE SECOND. DES PRODUITS DE L'AGRICULTURE. LIVRE SECOND. DES PRODUITS DE L'AGRICULTURE. CHAPITRE PREMIER. DE LA DIVISION AGRICOLE DU TERRITOIRE. Les chiffres et les faits exposés dans ce chapitre sont extraits du travail publié sur l'agriculture du royaume par le ministère français. Les méthodes d'investigation employées pour exécu- ter la statistique agricole de la France ont été les mêmes dans chaque département. Voici comment elles sont expliquées : « 11 a été dresse , pour chaque commune , un tableau formé de la réunion des nombres donnés par l'inspection de chaque champ , de chaque prairie, de chaque bois, considérés dans leur étendue, leur production et leur re- venu brut. Ce tableau, exécuté par les maires, véritié par des commissions cantonales et par des commissions d'ar- rondissement et de département, contrôlé par le préfet et révisé par le bureau de statistique générale, est devenu l'unité fondamentale du travail , la base de toutes les opérations, et l'élément primitif de tous les calculs. Les matériaux fournis par cette investigation préparatoire sont composés de 37,234 documents numériques, qui, joints à plusieurs séries de tableaux complétifs, forment I. 20 306 DE L'AGRICULTURE EH FRANCE. une masse de plus de 80,000 pages de chiffres, in-folio. « La statistique par commune, exécutée au moyen dos opérations indiquées ei-dessus, comprend dans ses détails près de 20 millions de termes numériques ; sa vaste éten- due n'aurait point permis de s'en servir usuellement. Pour atteindre ce but , il a fallu la resserrer en une sta- tistique par arrondissement, réduire proportionnellement toutes ses parties à moins d'un centième, et faire repré- senter par un seul nombre 101 quantités ou valeurs, exprimées par autant de termes différents dans le travail préparatoire. Ainsi, par exemple, dans le département de l'Aisne, chaque nombre d'arrondissement est formé de l'addition de 161 autres nombres, et chaque nombre départemental est composé de 839, ajoutés les uns aux autres, dans 64 séries. » Le degré de certitude des chiffres statistiques est plus ou moins rigoureux, selon la nature des objets qu'ils expriment. Ainsi, avec les formes perfectionnées de notre comptabilité financière, on doit admettre comme irréfra- gables les nombres qui établissent des valeurs reçues ou payées. Les opérations du cadastre donnent des résultats qui sont rendus moins sûrs par les changements surve- nus depuis qu'elles ont été faites, et aussi par le défaut de fixation et d'uniformité dans la nomenclature des différentes sortes de surface. Dans les recensements gé- néraux de la population et dans ses mouvements an- nuels, on ne peut, à cause de la population flottante, arriver à des termes numériques rigoureusement vrais. 11 y a moins de chances encore d'y parvenir lorsqu'il s'agit de la production agricole, qui varie incessamment selon les lieux, les temps, le travail, l'habileté, l'op- portunité des soins et une foule d'autres influences. On liv. ir. dks produits de l'agriculture. 307 distingue môme, parmi les chiffres qui expriment les différents produits , une diversité remarquable dans le degré de certitude de chacun d'eux. Les céréales, qui forment les cultures les plus anciennes, les plus vastes, les plus importantes, sont parfaitement connues, et les termes qui en indiquent l'étendue, les semences , la pro- duction, ne sont presque jamais défectueux; au con- traire, ceux qui donnent la quantité de vin, d'eau-de-vie, de bière, de cidre, fabriqués annuellement, ne sont que des termes fort au-dessous de la réalité, attendu le gas- pillage des vendanges, la consommation sur place, et surtout la fraude. La division extrême de la culture des pommes de terre, et la diversité infinie des produits des jardins, agissent d'une manière analogue. Quant aux cul- tures secondaires, telles que le colza, la betterave , le houblon, la garance et les plantes textiles, outre l'obsta- cle de leur répartition en une multitude de parcelles , il y a encore celui de la nouveauté de leur introduction dans beaucoup de localités, ce qui laisse des doutes sur le chiffre de leurs produits. » Il est presque superflu de remarquer que toutes ces causes n'affectent que le degré rigoureux d'exactitude des termes numériques et non leur vérité utile, et que, presque toujours, il suffit de connaître les faits agricoles, par approximation , pour en obtenir les résultats qu'on recherchait. » Le tableau suivant offre la géographie agricole du territoire divisé en quatre grandes régions. Les trois premières colonnes de ce tableau présentent l'étendue en hectares de terrains occupés par les céréales, les vignes et les cultures diverses; la 4e l'étendue des vergers, pépi- nières, oseraies, etc. Ensuite, dans les quatre suivantes, 308 L)fc L AGRICLL1UHE fci\ FRANCE. on voit celle des pâturages ; les jachères y sont comprises puisque les herbes naturelles qui y croissent servent à la nourriture des animaux. La 9e colonne indique la super- ficie des bois de toute nature ; puis vient la surface totale du domaine agricole. La 11e indique la grandeur des espaces occupés par les bâtiments , les communications par terre et par eau , les lacs , ruisseaux , etc. , etc. La dernière colonne donne la somme des étendues occupées par les objets énumérés dans les autres; c'est la superficie totale. On remarquera que le dernier chiffre diffère dans plusieurs lignes de celui donné dans les tableaux précé- dents. Cette légère différence existe dans la statistique officielle ; elle tient à ce que, dans ce tableau, on a tenu compte des décimales, ce qu'on n'a pas fait précédem- ment. LIV. II. 1)£S l'UOntUlTS DE L' AGRICULTURE. 309 a o n> 3 D O CD g z 0 "1 CL s 0 g & 0 3 0 ci 0 2b 23 0 0. 0 O 0 0 O S' ST o_ nt 5.' S" 3 s Ci a a a Ci Ci £.- • • • î- rc • • • • H» OS e» Jt >J InS OS JS- ** rt \ o oo 30 50 *> "os 0 «5 t o ri co Jl ^J co Ci J=- to 1 © tsO 30 oo X _os 0 en _po H» "ci en 1 i Ci 30 ^j 30 0 co CO 0 00 1 3 ■ B ko -i -j 1 J Ot k» ^* ~J 00 ^, »=• I eo "éo ' s» 4S> Ci 00 KS h» 2? 1 § î / s ^J Ci JD Ci ■J vj eo ts» o co 00 to 00 0 OS Jl i. K» t^» 1 O 1 a «J O 0 J eo D Os ^1 OS Os 0 eu . S> co <1 0 H» -J 0 o Si OO s ■C'- CO O t>s to i» ^1 -1 o X w> Ci M) 0 h* OO rv tO — ►* O <1 JB- Pi" w x> c- 1 O tsS h* tf> K» S \ ►^ < D 00 »J» 0 O s ? CO CO ( r. 10 00 00 Cl Ci c 3 '. 00 >J e o 00 1-3 Ci J=> 42- *» < ji Ci < 9 Ci •J M> en «O C 7» Os < D t-4) Ci Ji« O oo ~1 H» e ? ta 00 h» en ^J 1 H ►^. Li. h^» » ■ On On ( jS hi» K» ^s On Ci 3. "° f M <1 -J < o <1 00 k* JS- os i! i- F I 2! ci ' en ! < £> Ci 00 0 en ►^ 0 ai < 3> 42- 3 OS Iî> Cl M» ►^ ? » f "8 1 A H 1 Cl 42- < 3i co < O 00 00 H» OS en ES o < » »=■ X OS OS On Os 0 •?* i Ci j « 00 ^ .— 1^» ^k / a ) » On ÏÏ' i w / = ES ij> 1 v9 o o 0 o g 00 ( T> to OS u> l-i» 1 to Jf Ci 1 i OS Ci Cl >J en S *o 1 s eo 1 c O o 1 to Ci 0 CO t-s n h» I c n Ci ( » S C/3 o 1 c S O ( a <1 OS 0 en K» *J | C 4T M ► 0 0 CO H» Cl f t o 42- t o Ni CO OS CO eo OO OO 4 i- 4i- l-S ►^ _OS k» s oo > Cl <9 C- OS CO 0 os £ 0) o 3 o -1 M Ci Ci en 42- 4 i- CO ji .c- t- 0 00 Ci « c» _ en < » Ci 35 0 00 -0 0 0 en 3! co i en co OS 4i- 0' o -T en o Ci t-3 <1 N) *s> ? en *=■• 1 vS NS h^. u» ^ ^i. o o J1 J^- u> i° 10 H" Ci 30 o 1 2- l-S "ci 00 OS 00 en °* °~ H» 35 42. 3a co OT 0 00 CO 42. X Ci JS os 'O _0s Cl Cl 8 s. = 2- O 4 2- ja> i tO <1 fc- J2- ^J o o eo -n •fc- ^1 ^J Cl ^] us -1 On i os OS 0 0 0 to I NS jh h^ h^ I H» 0 Ci en j>> en en 8 43» M h*- U) 0 en en os o *3 Os L.T *> <1 Ci 00 0 00 42- en J? ïi- &- 42- Si <] ~. ^» CO -J «J 4=> O X oo M OT 0 OS 0 en i en en i Ki ki» H» fc^ ^ K3 J* 33 en OS 5*° i* S>3 •^ ^j j: oc lA To OS 00 c- Ci -J co CC oc en S : -- O i1- «J „►- ô; h^- !l -- ^î CC ^ 2 ' 310 DE L'AGRICULTURE EN l'RAIVCË. 11 résulte de là que, sur la totalité du pays, qui est d'en- viron 52,700,000 hectares, il y en a 20,891,000 occupés par les cultures, en rangeant dans cette classe les prairies artificielles ; Ci' qui, sur 10,000 hectares, donne la proportion de. 3,959 hectares. Mais cette proportion s'élève à 5,386 c'est-à-dire à plus de la moitié de la superficie totale, si l'on ajoute aux terres actuellement cultivées les jachères et les plantations diverses comprises sous les noms de vergers, pépinières, oseraies, aulnaies, etc. Dans le nord pris en masse, cette proportion est de. . 6,089 Tandis que dans le midi elle n'est que de 4,82b Cette proportion des terres en cullure varie dans cha- que partie du pays : elle est, sur 10,000 hectares , Danslenordoccidental.de 6,384 Dans le nord oriental, de 5,803 Dans le midi occidental, de 5,326 Dans le midi oriental, de 4»322 Si l'on se borne à énumérer les cultures proprement dites, on trouve qu'il y a dans toute la France 19,:il4,741 hectares cultivés , c'est-à-dire 3,660 hectares sur 10,000. • C'est encore plus d'un hectare en culture pour chaque couple d'habitants. « Le choix et la diversité des cultures, dit le ministre dans son rapport, sont déterminés, non-seulement par les exigences du climat et du sol , mais encore par les besoins et surtout les habitudes des populations. » Les deux tableaux suivants se rapportent aux cultures qui ne sont données qu'en niasse dans le précédent. LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 311 S S — ce ^ H* t* c- M 5 O OS 09 CS O Or 00 3 J=> w CS ta to J2» tO O t.3 Cl O s» OS O o 1 M> 00 C5 oo w Ol I G3 js3 jr* ^* Cl es OS NS to ►i» > o CD Os o io oo c- ^> i5* =• o a> W Cl 00 CT en w 1 oo CT <1 i- Ci o H P3 g O M O en n 53 > C H en M 2Ï a m o H > 58 312 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. / CM c° o CJ -3- Cl eo CO CJ 1 w i ° t^ o l> CJ eo j ! <=> CO eo c^ CO o t> <3 H r ?" es" ■s? oo cî eo CM GÎ cr o H 32 o ira CM O O CO *CT j °. r-> CJ t^ t> CO o- 1 CM •îf CO [ CO *H ira 1 rt t> CM CM «ç* 1 •*?* 9 Cl oo CO o eo LO 00 «a c S — '5 £ 1 '° 1 "* CJ -et ira r^ CO CO CM 00 eo LO co LO*" CM CJ •cH CM eo LO «5 CO -=r «ST 1 <=r I • 3 o 1 <£ l^ i t^ a 1 LO c> !M CM 1 CM CC < a 3 ■ ^ CO 1 oo 00 1 oo . , l> l> r- l> .^4. 1 *3- H a . 1 (M -sr ON -=T I> r- u l> CJ eo l> Ci CO co SJ Li f "S m T^ O _ ^ -cr ira LO Ci W oo eo CM ira w •a ■3 00 eo CO 00 CJ ce H CM r^ O co co CO co CO CM o CM Cfi • m ira co CO o CD l> r^ as - o o o o co o CD ira CM » J c^ «N co o l> r~ 00 > / •ît (M CM t> •M CJ CJ S j CJ LO •et en ' t^ o I> co i> eo o «r< a *ï 00 O tM CJ «er eo eo CD CD _j CJ CJ CJ CJ O O s eo eo ira lo CJ ira LO CJ C CD es *H ^^ «H ■*t -sr «-I cm 00 eo «ri CM CO a eo •ST eo ira r- 00 CO O ifi 00 eo o CO CM CD co Cd 1 ~ i* LO o" ira o -i* ,J [> !> S a z 1 w eo ^r «^i ira LO CC ira CO 00 oo "«*■ CM "5T CO ' m eo r- r^ co -5T LO CD H ■5 __" eo cT o 00 CJ 00 o IM •a 00 r» ira CD J -CT o O ira era ira CJ CJ •r< •^ ■^ (M CM O CJ I> eo ira o LO I> CM C^ CJ O CJ L^ es -a- o o ■erl eo CO ira CM CM o 00 ■H CJ eo eo co r> t^ LO LO ■et *1 29 France conliiMMitale. 52,972 1,027,353 7,250,654 368,706 8,699,685 n 21,554 83,311 " 104,865 France 52,972 1,048,907 7,333,965 1 368,706 8,804,550 D'après ce tableau, l'étendue des bois et forêts est : Dans le nord, d«' 4,424,056 hectares. Et dans le midi, de '(,275,629 316 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. C'est dans le Nord Oriental que se trouve la plus grande étendue de forêts, et c'est dans le Nord Occiden- tal que se trouve la plus petite. Les bois appartenant à l'Etat occupent une superficie de plus d'un million d'hectares, et beaucoup plus de la moitié se trouve aussi dans le Nord Oriental. Enfin , le sol forestier occupe 368,706 hectares dont près des trois quarts sont dans le Midi. REMARQUES. 11 n'est pas de lésions dans Tordre intellec- tuel qui n'aient des conséquences funestes clans Tordre matériel, comme il n'est pas de lésions dans Tordre matériel qui n'en attirent dans Tordre intellectuel. Si nous avons mal agi, nous penserons mal ; si nous avons mal pensé, nous agirons mal. Notre orgueil exigera que notre doctrine justifie nos actes, ou que nos actes jus- tifient notre doctrine, et sans qu'ils s'en doutent, les peuples, comme les individus, s'enfoncent en vieillissant dans un chaos de désordres intellec- tuels et matériels; alors il ne leur est plus pos- sible de distinguer la nature et encore moins le remède de leurs maladies. Ces réflexions s'appli- quent à notre agriculture. La tendance des lois de la France a été de- puis 600 ans de sortir de l'ordre naturel. Elles LIV. II. DES PRODUITS DE L' AGRICULTURE. 317 ont voulu établir ce qu'on a appelé la liberté et l'égalité, c'est-à-dire que chaque individu pût librement et également acheter ou vendre de la terre; la laisser inculte ou la cultiver à sa ma- nière ; en couper les arbres , en détruire les bestiaux et diviser le terrain entre ses enfants. Ces faits ont-ils précédé ou suivi les opinions? Peu importe. Les opinions et les faits étaient hors de l'ordre naturel. L'agriculture n'a été fondée ni par la liberté ni par l'égalité; elle a été fon- dée par la hiérarchie qui donne aux uns le droit de commander et impose aux autres le devoir d'obéir. Dieu ne nous a pas donné la terre en parcelles, il nous l'a donnée couverte de hautes montagnes comme de profonds abîmes, couverte de mers immenses comme de grands fleuves, couverte de grandes forets, de grandes plaines, de grandes vallées, de grands déserts comme de grands marécages. Et quand le Créa- teur a fait l'homme roi de ce globe, c'était à la condition de le gouverner selon l'esprit de la créa- tion. Et comment l'homme, dans l'isolement où le met la liberté et l'égalité, pourrait-il manœu- vrer ces vastes éléments à son usage et leur faire assurer sa subsistance lorsqu'il ne peut même les considérer sans s'épouvanter ou se décou- rager? L'agriculture n'a donc pu se fonder sur la liberté et l'égalité; elle s'est fondée sur la lue- j .'il 8 DE L'AtiUIGDLÏkltE ER F1UNCE. rarchie. C'est là ce qu'a bien senti la sage an- tiquité. La subsistance d'une société étant par- tout son premier besoin et même son seul besoin absolu dans les pays chauds, l'Etat a été le seul agriculteur et a pu faire servir chaque localité à la prospérité de l'ensemble. Les Romains, indifférents ou plutôt hostiles aux intérêts des pays conquis, ne l'étaient pas pour ceux de Rome, centre et instrument de leur pouvoir; ils employaient donc leurs escla- ves à l'agriculture, et par là donnaient de l'en- semble à ses travaux. Dans cette localité , elle jouissait ainsi des avantages que présente l'action du droit de commander et du devoir d'obéir. Mais le code de lois qu'ils avaient établi, dans les pays conquis, énerva tellement ce droit et ce devoir que les peuples pasteurs du Nord, qui, par la nature de leur système agricole, avaient conservé intacte cette institution sociale de commandement et d'obéissance , purent fa- cilement envahir et conquérir les provinces de l'Empire romain d'abord et bientôt après la capitale. D'une autre part, le Christianisme, en affran- chissant successivement les esclaves, énervait les moyens d'organiser les travaux d'ensemble. Mais I le Christianisme, en détruisant cette hideuse or- J ganisation sociale de l'esclavage, dont le seul I moteur s<* trouvait dans la force, substitua une L1V. II. i>ES PRODUITS DE i/ AGRICULTURE. 3 I i) organisation sociale dont le seul moteur était la persuasion : j'entends parler des Ordres religieux. Là, sans combats, sans victoires, sans prisonniers comme sans conquêtes et sans contraintes, le / système du droit de commander et du devoir d'obéir s'établit naturellement. L'agriculture de l'Europe fut fondée par eux sur de tels travaux d'ensemble que maintenant notre impuissance nous force de les admirer. On a détruit les ordres religieux; mais, dans chaque contrée, l'agricul- ture a conservé d'autant plus de force qu'ils y ont été plus puissants. Le pays de l'Europe, qui donne le plus de produits avec le moins de tra- vail, est l'Angleterre, parce qu'il s'y était fondé - G,000 couvents. Déjà dans le 8P siècle, ils avaient formé les plus beaux sites de l'Angle- terre. Leur système d'agriculture a survécu à leur existence. Le pays de l'Europe, au contraire, qui donne le moins de produits avec le plus de tra- vail est la France, parce que, n'ayant jamais eu au delà de 3,000 couvents, les parlements purent exercer sur la société une action plus forte que le Christianisme, surtout dans le Midi. Le droit romain y avait été établi deux siècles avant les parlements. Du premier jour de leur établissement, il fut l'instrument dont ils se ser- virent pour attaquer et détruire les droits de main morte qui protégeaient l'existence du cler- gé , et les lois féodales, introduites par la cou- 320 DE i/ AGRICULTURE EN FRANCE. I quête, qui protégaient l'existence de la noblesse. On verra par la suite que les pays de la France les plus pauvres sont ceux où les parlements ont L été le plus anciennement établis. Tous ont eu le même esprit de destruction, mais tous n'ont pas eu le même succès. Le parlement de Toulouse, comme le plus ancien, a pu mettre le sol en poussière, tandis que celui de Rouen n'a pu le mettre qu'en lambeaux. Quoiqu'il soit vrai de dire que ces corps ont attaqué la société, dès qu'ils ont existé, leur plus ou moins d'antiquité n'est pas la seule raison de la différence qui se trouve entre le Nord et le Midi de la France. Nous avons déjà dit que la féodalité des peu- ples situés entre le Rhin et l'Elbe n'était pas absolue; un tiers des terres, il est vrai, était concédé aux vassaux. Mais les deux tiers appar- tenaient à perpétuité , par droit de primogéni- ture, aux seigneurs. Ce système trouva une forte opposition dans le droit écrit établi depuis long- temps dans le Midi de la France, déjà très-peu- plé sous les Romains; et il finit par succomber. Il n'en fut pas de même clans cette partie du Nord que le ministère a appelée la zone orientale. La nature du lieu s'y opposa : le terrain étant très-bas, se trouvait en hiver couvert d'eau, et il fallut les travaux immenses et persévérants des moines anglais qui, à cette époque, vinrent s\ LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 3"2ï établir, pour le rendre susceptible d'être pâturé. Nous avons vu des cartes topographiques faites dans le xive et le xve siècle par les ordres religieux; elles nous prouvent que, depuis Amsterdam jus- qu'à Dunkerque, le labourage n'y était pas connu. En été, dès que les eaux étaient écoulées et la terre desséchée, les pâturages étaient couverts de bé- tail; mais dès que les pluies de l'automne arri- vaient, les bestiaux remontaient les rives du Rhin et paissaient dans les vallées des diverses monta- gnes qui l'avoisinent. Il ne pouvait donc alors y avoir de petite culture. Ce tiers de la superficie des terres que le seigneur du fief laissait aux vassaux était oc- cupé en main-morte par les moines, ce qui pour l'agriculture produisait les mêmes effets qu'une féodalité absolue. Par ce système de travaux d'ensemble, ces pays obtinrent de si grandes richesses que nos oreilles retentissent encore du commerce des villes anséatiques ; et, en effet, à cette époque, leurs manufactures en laine et en cuirs habillaient toute l'Europe. Mais pour manufacturer des laines et des cuirs, que les autres ne pouvaient pas manu- facturer, il fallait d'abord produire des laines et des cuirs que les institutions des autres pays ne leur permettent pas de produire. Ces pays- là avaient donc des moyens de production que les autres n'avaient pas, et voilà ce que nos histo- 1. 21 3*22 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. riens ne nous ont jamais dit. On peut croire, au reste, qu'ils ne s1 en doutaient guère. Cependant ils devaient savoir qu'à ces époques-là, où on était encore religieux, loyal et vrai, les peu- ples de ces pays éprouvèrent tant de re- connaissance envers le clergé que, par acclama- tion, ils voulurent donner la souveraineté à cet ordre. C'est alors que se sont formées ces quinze principautés ecclésiastiques, dont la destruction fera la honte de ces congrès de la Restauration; car jamais sujets ne furent plus heureux que les leurs, sous leur gouvernement économe, paternel et charitable. Le peuple ne payait point d'im- pôts, le produit des terres de l'évèché suffisait à la dépense publique. Louis XIV fit successivement la conquête de cette zone orientale , et successivement s'y éta- blit la coutume de Paris, coutume plus puissante par la destruction du clergé, de la noblesse et con- séquemment de l'agriculture, que le droit écrit lui- même. Quand la révolution éclata, cette coutume de Paris avait près de deux siècles de durée, et cette zone du Nord oriental , quoique favorisée du meilleur sol de l'Europe, était déjà devenue moins riche que la zone du Nord occidental , c'est-à- dire, la Normandie. Cette province, envahie par les peuples situés de la rive droite de l'Elbe jusqu'en Danemarck et en Suède, était, comme nous l'avons dit, d'une LIV. II. DES PRODUITS DE LAC. RICULTURE. 323 féodalité absolue. Le seigneur du fief était pro- priétaire de tout le fief. La Normandie, quoique réunie à la France, un siècle avant la Flandre, avait moins perdu de ses richesses, parce qu'elle avait mieux défendu ses coutumes contre le par- lement de Rouen. Bien qu'il fut établi cent ans avant celui de Douai, il n'avait jamais pu effec- tuer les mêmes destructions. Les lois de la révolution, abolissant toutes les coutumes , ont établi par toute la France le même système de destruction, le partage des ter- res; mais il n'a p^ts trouvé partout le même état de choses : si dans les deux zones du Midi la nouvelle loi a trouvé que chaque parcelle de terre avait un hectare de superficie , elle a trouvé qu'elle en avait cinq dans la zone orientale du Nord, soit la Flandre, et dix dans la zone occi- dentale, la Normandie. Nous avons cru devoir établir d'abord ces faits, et nous croyons nos réflexions justifiées parle rap- port sur les divisions agricoles de la France, insé- ré au commencement de ce chapitre; ce travail doit être d'autant moins suspect au lecteur, qu'il est fait par le ministère français composé des plus ardents propagateurs de la division des terres. Et encore faut - il reconnaître le service important qu'ils ont rendu à la France pour avoir enfin une fois douté de leurs propres lumières, et s'être livrés à l'immense travail qu'ils lui ont pré- t 324 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. sente sur cette division agricole. Ils ont eu vrai- ment du courage et du dévouement, lorsqu'ils ont entrepris de se jeter dans ce chaos pour tâcher de le débrouiller; et aussi vous disent-ils qu'il leur a fal- lu l1 assistance des 37,000 gardes champêtres, des 37,000 maires et de leurs corps municipaux; que pour faire vérifier le travail de ces centaines de mille magistrats, ils ont employé 2,834 commissions de cantons; et que celui des 2,834 commissions de cantons a été revu par les 365 commissions d'arrondissements, et celui des 365 commissions d'arrondissements par 86 commissions de dépar- tements; et, enfin, celui des 86 commissions de départements par le bureau de la statistique gé- nérale, lequel bureau, aidé par les notaires, ingé- nieurs et même les médecins, fait aujourd'hui une branche essentielle du ministère. Ce travail resserré n'en a pas moins formé une masse de 80,000 pages de chiffres in-folio, et cela pour connaître le nombre de chaque champ, de cha- que prairie et de chaque bois. Ici nous rappellerons au lecteur qu'il a vu dans les enquêtes faites en Angleterre, que deux maisons anglaises, faisant commerce des grains, avaient, chacune séparément pour leur compte, voulu connaître chez eux cette division, et que, pour cela, ils avaient un agent dans chaque dis- trict qui, chaque année , les instruisait de la quantité de champs cultivés en froment. L'une L1V. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 325 et l'autre étaient arrivées à un tel degré de pré- cision dans la connaissance du nombre des champs et de leurs produits, que le gouver- nement s'adressait à eux pour son instruction ; et comme eux, simples particuliers, trouvaient quelquefois de la résistance à leurs procédés, le gouvernement leur avait donné l'autorité néces- saire par un titre d'inspecteur, fonctions qu'ils ont remplies et qu'ils remplissent encore gratui- tement. Mais il faut dire que l'Angleterre n'est pas divisée en 150 millions de parcelles sans clô- ture; que tous ses champs sont enclos, et que leur superficie ne peut pas varier d'une année à l'autre. Ce travail des ministres , en France, a été fini en 1842, ce qui nous donne l'histoire de la France pour cette année-là ; mais aujour- d'hui rien de ce qui était n'existe plus, et il faudrait probablement 100,000 pages in-folio de chiffres au lieu de 80,000 pour le con- naître. 326 de l'agriculture en FRANCE. CHAPITRE II. DES PRODUITS RURAUX DE LA FRANCE. Après avoir présenté dans le chapitre précédent la géo- graphie agricole de la France , nous allons exposer dans celui-ci quels sont les produits des terres désignées dans le travail du ministre sous le nom de cultures. Nord occidental. . . . Midi occidental. . . . QUANTITÉ TOTALE DES SEMENC Fromcut. Epeau- tre. Méteil. Seigle. Orge. A^oinei 3,365,064 3,436,638 2,602,966 1,982,170 D 14,859 » 893 844,716 542,906 300,373 243,721 1,196,362 982,058 1,084,287 1,871,277 880,140 993,653 348,772 320,327 2,700,5 3,025,2 541,3| 748,3 Midi 6,801,702 4,585,136 14,859 893 1,387,622 544,094 2,178,420 2,955,564 1,873,793 669,099 5,725.8 1,289,6( France continentale. . 11,386,838 54,942 15,752 9 1,931,716 711 5,133,984 5,438 2,542,892 32,723 7,015,4| 11,441,780 15,752 1,932,427 5,139,422 2,575,615 7,015,5 Ce tableau montre combien dans le Nord de la France on emploie plus de semences qu'on ne le fait dans le Midi. Ainsi on sème : LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 327 « On n'avait pas encore, dit le ministre, calculé avec exactitude la masse des céréales prélevée chaque année sur la production pour l'ensemencement des terres. Elle est beaucoup plus grande qu'on ne l'imagine communé- ment. » Voici le tableau officiel de la quantité de toutes les semences, même de celles des prairies artificielles, em- ployées annuellement en France. Les chiffres expriment des hectolitres, sauf les exceptions indiquées à la tète des colonnes. EMPLOYÉES ANNUELLEMENT, EN HECTOLITRES. Maïs. Tommes de terre. Sarrasin. Légumes secs. BelleraTes Colza. 6,418 11,478 544 1,419 Chanvre. Lin. Prairies artificielles. 6,347 17,972 82,370 35,800 2,410,568 3,895,313 1,719,941 2,237,636 373,640 34,301 71,818 71,796 105,195 209,621 136,135 86,864 116,171 251,730 29,814 47,165 145,550 122,113 105,541 77,492 127,146 52,834 68,834 2,519 10,936,021 9,632,717 4,394,636 4,117,032 24,319 18,170 6,305,881 3,957,577 407,941 143,614 314,816 222,999 367,901 76,979 17,896 1,963 267,663 183,033 179,980 71,353 20,568,738 8,511,668 42,489 303 10,263,458 3,797 551,555 7 537,815 2,078 444,880 12 19,859 » 450,696 103 251,333 1,139 29,080,406 10,655 42,792 10,267,255 551,562 539,893 444,892 19,859 450,799 252,472 29,091,061 Dans le Dans k EN FROMENT. 6,801,702 hectolitres. 4,585,136 28 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. EN METEIL. Dans le Nord 1,387,622 hectolitres, Dans le Midi 544,094 EN SEIGLE. Dans le Nord • . . . . 2,178,420 Dans le Midi davantage 2,955,56^ EN ORGE. Dans le Nord 1,873,793 Dans le Midi 669,099 EN AVOINE. Dans le Nord 5,725,803 Dans le Midi 1,289,686 EN MAIS OU MILLET. Dans le Nord 24,319 Dans le Midi davantage 218,170 EN POMMES DE TEfiKE. Dans le Nord. . 6,305,881 Dans le Midi 3,957,577 Si l'on continue à comparer le Nord au Midi pour les autres semences en sarrasin, légumes secs, betteraves, colza, chanvre, lin, et prairies artificielles, on verra que le tableau précédent indique toujours des quantités beau- coup plus grandes dans le Nord, à l'exception, comme on l'a vu , du seigle et du mais. Si l'on compare entre elles les deux régions du Midi, on verra que les quantités semées dans le Midi oriental sont beaucoup plus faibles, à l'exception cependant du seigle , des pommes de terre, des betteraves et du colza; et encore est- il bon de remarquer que la culture des bet- teraves et du colza est peu étendue dans les deux régions du Midi. LîV. N. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 329 Il s'en faut de beaucoup que l'on trouve des différences aussi fortes entre les deux régions du Nord. Le méteil , le seigle, le sarrasin, le chanvre, le lin et les prairies artificielles emploient moins de semences dans le Nord oriental, tandis que le froment, l'épeautre , l'orge, l'avoine, le maïs, les pommes de terre, les légumes secs, les betteraves, le colza sont semés dans cette région en plus grande quantité. Avant d'extraire du travail du ministre ce qui a rapport aux quantités de la production annuelle des cultures , nous copierons d'abord ce qu'il dit au sujet de la certi- tude des chiffres qui vont être donnés. Voici comment il s'exprime dans le troisième tome de la Statistique agri- cole de la France. « On peut considérer la connaissance des produits ru- raux comme acquise complètement en tout ce qu'elle a d'essentiel. Il n'en est point ainsi des pâturages et des bois. L'étendue des cultures principales et leur produc- tion sont déterminées avec le degré d'exactitude que com- portent de tels sujets. Les chiffres de la consommation , qui ont été obtenus séparément, confirment ceux de la production, en concordant avec eux. Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait point d'erreurs ; mais elles sont renfermées dans d'étroites limites ; elles n'affectent point les résultats généraux , et il faut attendre, pour procéder à leur cor- rection, que le cadastre ainsi que la carte de la France soient complètement achevés, et que la statistique soit devenue une science usuelle; quelques années y pour- voiront. » II y a moins de certitude en ce qui concerne les cul- tures secondaires, soit parce que leur produit est moins connu, soit parce qu'il est plus irrégulier. Dans beaucoup 330 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. de cas, les difficultés tiennent à la nature des choses. A l'égard des jardins, c'est la diversité de leurs productions qui empêche d'en connaître la valeur. La destination des betteraves change leur valeur. On ne peut déterminer l'étendue de la culture des mûriers, parce qu'à ceux plantés en quinconces s'ajoutent ceux plantés en espa- liers ou en bordures. Il en est ainsi des pommiers à cidre, qui rarement sont réunis en vergers. Enfin une partie des cultures industrielles étant en parcelles de moins d'un hectare, dispersées dans tout le pays, on a grand'peine à les agrouper pour en former un ensemble dont toutes les parties se correspondent. » « La production énumérée dans les tableaux suivants, dit encore le ministre dans le tome 1er, est celle d'une année ordinaire ; elle s'accroît dans les années abon- dantes , et diminue plus ou moins dans les années mau- vaises ou médiocres ; mais ces variations ne correspon- dent nullement aux expressions d'une demi-récolte, de trois quarts de récolte, dont on se sert communément , et qui sont vraies tout au plus pour quelques communes et non pour aucune étendue de pays considérable. La diver- sité introduite progressivement dans les cultures, depuis un demi-siècle, permet d'obtenir d'un produit ce qu'un autre a refusé de donner ; et les plus grandes intempéries ne causent, en définitive, que des disettes partielles et locales, auxquelles remédient la libre circulation des grains et l'afiluence que garantissent les hauts prix. Ces effets bienfaisants doivent être surtout attribués à l'ex- tension du jardinage, et à la culture des pommes de terre et des légumes secs, qu'on ne saurait assez encou- rager. Le grave inconvénient de la différence de prix des céréales, selon les différentes régions du royaume, dis- LIV. 11. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 331 paraîtra aussitôt que les transports à bon marché auront été rendus possibles par des communications plus nom- breuses, plus étendues et plus rapides. » Dans son rapport au Roi , le ministre revient encore sur ce sujet : « Aucune question d'agronomie et d'éco- nomie politique et sociale, dit-il, ne peut égaler l'impor- tance de celle qui est posée et résolue ici. Il s'agit de la subsistance de la population , du bien-être et de la ri- chesse du pays. » Après ces explications du ministre , nous donnons les deux tableaux suivants qui expriment en hectolitres , sauf les exceptions indiquées à la tète des colonnes , les quantités de la production annuelle et totale des cultures en céréales, vignes, vergers et cultures diverses. 3 32 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. Nord occidental. . Nord oriental. . . Midi occidental. . Midi oriental. . . Nord. Midi. France continentale. Corse France. QUANTITE DE LA PRODUCTION ANNUELLE ET VIGNES. — 21,960,498 21,^67,060 14,982,361 10,744,544 43,427,558 25,726,905 69,154,463 403,599 69,558,062 Epeautre. Méleîl. 132,055 4,072 132,055 4,072 136,127 136,127 5,423,330 3,461,396 1,735,995 1,204,193 8,884,726 2,940,188 11,824,914 4,534 7,679,416 4,844,301 6,354,596 8,894,300 12,523,717 15,248,896 27,772,613 39,087 11,829,448 27,811,700 Orge. 6,059,276 6,370,278 2,140,756 1,873,720 12,429,554 4,014,476 16,444,030 217,432 16,661,462 Nord occidental. Nord oriental. . Midi occidental. Midi oriental. . QUANTITE DE LA PRODUCTION ANNUE Pommes de terre. Légume se ci. Nord. Midi. France continentale. Corse France. 24,510,985 34,025,511 17,004,066 20,640,152 58,536,496 37,644,218 96,180,714 53,271 5,992,896 306,113 1,312,554 858,081 6,299,009 2,170,635 96,233,985 8,469,644 144 629,348 1,354,825 906,103 554,790 1,984,173 1,460,893 3,445,066 15,811 Betteraves. Houblon. 3,281,853 10,328,953 797,499 1,332,176 166,655 721,634 » n 13,610,806 2,129,675 888,289 15,740,481 888,289 210 8,469, 7S8 3,460,877 15,740,691 888,289 LIV. II. DES PRODUITS DE L' AGRICULTURE. 333 TOTALE DES CULTURES EN CÉRÉALES ET EN HECTOLITRES. BIÈRE CIDRE forte , petite et mélangée. groa et petit. VIGNES. Avoino. Mais. TOTAUX. Vins. Eau-de-vie. 21,078,583 232,798 62,433,901 3,940,313 52,922 527,378 p. |t 10,406,961 19,685,159 446,305 56,406,554 8,068,210 113,187 3,115,615 461,505 3, 561,817 6,036,880 34,812,405 12,553,632 485,838 75,430 10,041 4,574,093 894,297 28,189,219 12,051,635 436,855 166,942 2,440 40,763,742 679,103 118,840,455 12,008,523 166,109 3,642,993 10,868,466 8,135,910 6,931,177 63,001,624 24,605,267 922,693 242,372 12,481 48,899,652 7,610,280 181,842,079 36,613,790 1,088,802 3,885,365 10,880,947 133 9,984 674,769 169,433 » » » 48,899,785 7,620,264 182,516,848 36,783,223 1,088,802 3,885,365 10,880,947 LLE ET TOTALE DES CULTURES DIVERSES. — HECTOLITRES. Coka. CHANVRK. LIN. Tabac. Garani < . Oliviers. Châtaigne- Graine. l'Masse. Graiuc. 355,141 Filasse. 753,632 485,135 19,9:>0,561 17,778,033 7,677 n » 31.691 1,307,368 481,402 18,189,288 178,633 11,511,082 53,967 24,025 » 21,775 51,179 332,481 14,101,805 191,135 7,237,965 26,025 » » 2,416,492 167,184 372,247 15,284,206 7,960 229,077 29,289,115 » 136,315 152,900 697,413 2,060,900 966,537 38,109,849 533,774 61,644 24,025 » 53,466 218,363 704,728 29,386,011 199,095 7,467,042 26,025 136,315 152,900 3,113,905 2,279,363 1,671,265 67,495,860 732,869 36,756,157 87,669 160,340 152,90C 5,167,371 » 376 11,216 4,525 737,394 119,244 1,228 » 14,431 311,211 2,279,363 1,671,641 67,507,076 36,875,401 88,897 160,340 167,330 3,478,582 - — _ 3.J4 DE L* AGRICULTURE EN FRANCE. Nous réservant dans un autre chapitre de traiter des produits disponibles et de la consommation de chaque localité, nous ferons remarquer que la masse des céréales produite , année moyenne en France , Est de 481,842,079 hectolitres. Les 42 départements du nord en produisent. 118,840,455 Tandis que les 43 du midi n'en fournissent que 63,001,624 Les céréales appropriées plus particulièrement à la nourriture de l'homme, savoir : le froment, Fépeautre, le méteil et le seigle , rapportent : Dans le nord 64,96S,056 hectolitres. Tandis que dans le midi ils ne produisent que 43,920,061 Total . . 108,888,117 Les autres céréales , c'est-à-dire l'orge , l'avoine et le maïs, plus particulièrement destinés à la nourriture des animaux, donnent : Dans le nord 53,872,399 hectolitres. Et dans le midi seulement 19,081,563 Total 72,953,962 « Les céréales, dit le ministre, qui constituaient autre- fois toute la subsistance de la population, deviennent progressivement d'une nécessité moins absolue depuis qu'elles ont pour auxiliaire la culture de la pomme de terre et des légumes secs , et les produits des jardins. Les soins donnés à ces productions fournissent maintenant chaque année une masse de subsistances vraiment pro- digieuse. » On voit par le tableau précédent que la récolte eu pommes de terre est : L1V. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. ii3i) Dans le nord , de 58, 530,496 hectolitres. Tandis qu'elle n'est dans le midi que de. . . 37,644,218 La culture en grand deslégumes secs en fournit 3,445,066 Dans tout le royaume la vigne rapporte au delà de 36 millions d'hectolitres, 12 millions dans le Nord, et plus de 24 millions dans le Midi. Cet avantage du Midi sur le Nord est compensé par plus de 14 millions d'hec- tolitres de bière ou de cidre produits principalement dans le Nord. La betterave occupe , comme on l'a vu, plus d'espace dans le Nord : Aussi la production y est-elle de 13,610,806 quint, met. Tandis que dans le midi elle n'est que de. . . 2,129,675 Le colza donne dans le nord 2,000,900 hect. graines Tandis que dans le midi il n'en donne que. . 218,363 Le chanvre, le lin et le tabac présentent des différences semblables en faveur du Nord ; la garance , les oliviers , les châtaigneraies donnent au contraire de grands pro- duits dans le Midi, comme on peut le voir dans les ta- bleaux précédents. Si l'on compare les tableaux qui expriment l'étendue de chaque culture avec ceux qui donnent la quantité des semences et de la production annuelles, on ne tardera pas à s'apercevoir que les étendues ne sont nullement proportionnelles, ni à la quantité de semences, ni à la production annuelle. Par exemple , l'étendue semée en froment est plus petite dans le Nord occidental qu'elle ne l'est dans le Midi occidental , et au contraire la quan- tité de semences est plus grande, puisqu'on sème an- nuellement : Dans le nord occidental 3,365,064 hectolitres. Et dans le midi occidental 2,602,966 330 DE LAGRICULTUBE EN FRANCE. Il serait facile de citer d'autres exemples qui prouvent que la quantité de semences jetée sur un hectare varie beaucoup d'une région à l'autre. Il en est de même pour la production annuelle de chaque hectare ; par exemple, le travail officiel montre qu'on récolte en froment : Dans les 22 départements du midi oriental. . 10,744,544 hectolitres. Et dans les 13 départements Intérieurs du midi occidental, seulement. 9,156,997 et cependant le froment occupe plus de surface dans ces 13 derniers départements. Il est donc très-important de rechercher combien chaque hectare de terre reçoit de semence dans chaque localité, et combien il produit annuellement. C'est ce que le ministre a fait non-seulement pour chaque région, mais encore pour chaque département, et même pour chacun des 363 arrondissements de la France. Les tableaux suivants, extraits de la statistique agricole de la France, donnent pour chaque région la quantité moyenne par hectare des semences et de la production annuelle des cultures en hectolitres et centièmes d'hecto- litres, c'est-à-dire en hectolitres et litres , sauf les excep- tions indiquées à la tète de chaque colonne. L1V. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 33: 3 si a s S" te — - 1 Nfc N3 M „. te E 1 O 1 >« 1 © te ° 1 50 O o o GO s> 25 Ci- 00 "' 1 B- ■" ce 'O ^4 O ? 1 o te O te 1 o *> to CO •e^ g-T* | « H *» .0 e te •vl CH CO ~* -J 1 5 - ^j "" Cr; 00 Co co -* — w 3 PB» co co -i -• ^j Ci >■ Co WJ O' e c,-- te > e S9 ce co ce co -i CO ^J —• s c"? ?5 W «J -^1 -O P te te n Ci o vj 00 ~*.t 00 M « _^ — o te _ B \ 1 - g C/. > Pi £> M e e -J te 2 1 ~ ""* te jj ^i --! co es ? 1 C w ! ►*■ _ _ _. _ _ 1 ■«- 1 te ce NO O £». o o C0 £> g-ts ? !* CA te te ■ o B* O ^i te O' V cr M 2 ! 1 _ — kO -* o te _ te ;e 3 > tO CC O » o es "— _ 2 cr - cr pa 25 o o — o « o- v -i c.-- CI' ? 1 B \ 1 F / 1 * _ _^ _ _ _ 1 2! 1 © o p -J tO te ■e 00 o es co oo ?V o H O o — 'O OS oo CO ■** rf> te -- -; -- 1 O te te KO iB» - te te te CO 3 > . -J - 00 i M ■J* O o g V H r^ P* ^ ■e» ■■£ «£* sJ *» *- O *- en • o co %. l^ o o ce O 00 c/t »t! te CP te OS o es ^ CO *> £ - te ce to te - te te 5 ^1 co co oo co | C Co «• *> te ce ce •e ■e ? H Ti M en CO •-I »£* te c- oc S-S 1 ? Q CO o co l-' Q C-i co --< a 1 ^ © '■O O — - O o> 00 ^> co > O i "*" p p "co o co c P p CO efc p C0 2 v )' 25 3 30 Ci oo ~j co *-l u' — ? r s s 1 S >■ Q ic *» - -c 1 ? Oi O ce •»J i^- c-, — -o ? 1 n3 Cs -.' C5 *• CO cs es C' eo - ce — S e ce ifis te 00 te O 5PI «JS S ? ! 5 ! 1 "^ o Os Ji es le &.! ■o OS - \ 3 " 3 'r | - 18,82 2 Seine (Paris.) » î) » 18,34 3 4 Somme (Amiens.) Seine-et-Oise (Ver- sailles.) Oise (Beauvais.) » » » 16,31 16,22 16,13 6 " Seine - et - Marne (Melun. ) „ „ 15,71 7 Seine-Inf. (Rouen.) » » » 15,61 8 1 " Bas - Rhin ( Stras- bourg.) „ „ 15,33 1 9 » Pas-de-Calais (Ar- ! ras. ) » >i 14,71 | ; ni Finistère ( Quim - per.) H „ () 14,67 il » Aisne (Laon .) » » 14,64 j 12 Eure-et-Loir (Char- tres.) B „ }) 14,54 | 13 Côtes- du-Nord(St- Brieuc.) 14,17 1 14 Eure (Evreùx.) >; t> „ 14,00 | 1 15 1 " Haut - Rhin (Col - mar. ) „ „ 13,39 ' 16 >' " " Puy-de-Dôme(Cler- mont-Ferrand ) 12,99 17 Maine-et-Loire (An- gers.) M „ 12,67 i 18 » » » Isère (Grenoble.; 11,93 i 19 Orne (Alençon) » ,i „ 11,85 | , 20 » Meurthe (Nancy.) » » ll,B2 ■ 1 21 ISaiïhe(LeMans) » >i M 11,37 | 22 » Ardennes(Mezières) » )/ 11,37 i ! 23 Loire-Inf. (Nantes.) )> » 11,31 ! 24 Calvados (Caen.) u „ ), 11,23 | i 22 » Mosplle (Met/ „ » 11,22 20 » » » Rhône (Lyon ) 11.04 27 ■ " » " Botiches-du- Rhône (Marseille. 10,92 ! 28 » Vosges (Epltial.) » » 10,90 29 Mayenne (Laval.; » » » 10,90 : 30 Illeet-VllaineiRen- nes.) y „ „ 10,81 31 " " Hautes - Pyrénées (Tarhos.) 10,80 ; 32 Indre - et - Loire 33 (Tours.) » » » 10,42 Manche (St-Lô.) M „ » 10,05 ! 34 » >l „ Hérault (Mont r-ell.) 10,03 i 35 Loiret (Orléans. | » „ » 9,98 1 36 " Haute - Saône (Ve- soul.) „ D.9S i 37 i " lina (Lons-le-Saul- mier.) „ }> 9,65 38 » » » Ande(Careassonne) 9,62 39 >i Côte-d'Or (Dijon ) » u 9,42 40 » " " Pyrénées- Orienta- les (Perpignan.) 9,42 , I' " " Vendée (Bourbon- Vendée. ) „ 9,42 ! 12 " )> Tarne-«t- Garonne (Montauban.) „ 9,36 ^H _/'__ » Gard (Nimea.) 9,36 i~ — TTI M le produit moyen disponible par hectare la France. — En hectolitres. 343 ORDRE de fertilité NORD OCCIDENTAL. NORD ORIENTAL. MIDr OCCIDENTAL. MIDI ORIENTAL. PRODUIT disponible pat hertare SUITE. 44 Marne ( Châlons - 45 sur-Marne.) » ,, 9,27 46 47 48 Morl>ihan(Vannes.) Yonne (Auxerre ) » Hautes-AlneKfGap.) Saône - et - Loire 9.26 9,23 9,12 1 49 (Mâcon.) 9,07 50 » Allier (Moulins.) 9,04 8,97 51 " Ariége (Foix.; u " » Haute - Loire l Le 52 >• „ Haute - Garonne Puy.) 8,82 53 » » (Toulouse.) Gironde ( Bor - * 8,70 54 » » deaux.) Haute-Vienne (Li- " 8,68 55 » » moges.) Basses - Pyrénées » 8,67 56 57 » Aube (Troyes.) (Pau.) » 8,57 8,41 58 » Douhs (Besancon.) " Ain (Bourg, i 8,41 8,38 8,36 59 60 " Cher (Bourges'.) ■ ., » ■ fil " Gers (Auch. ) „ 8,28 62 63 » Hte-Marne (Chau- Deux-Sèvres(Niort) Tarn (Alby.) " 8,26 8,22 64 ), mont.) Meuse ( Bar - le - '• y 8,16 65 » Duc.) t> Basses - Alpes ("Di- 8,12 66 » » Indre ( Château - gne.) 8,1 i 67 roux . ) u 8,09 68 » " Charente (Angou- Vaucluse(Avignon) 8,09 69 » ,, lême.i Charente- Inférieu. » 8,01 70 71 Lolr-et-Cher(Blois) * (La Rochelle.) Lot - et - Garonne " 7,92 7,91 72 (Agen.) 7.86 73 " " Vienne (Poitiers.) » 7,85 j 74 " » Var (Dragnigitun i 7,67 75 , » Drome i Valence i 7,56 1 '6 " u Ardeche (i rivas, i 7,53 1 77 " Coirèze (Tulle.) » 7,48 ; 's 79 « Nièvre (INevers.) " Aveyron (Rodez-) 7,35 7,2ii " -^~ » Landes ( Mont-de- 1 80 Marsan.) „ 7, 13 8! " » Creuse (Guéret ) Dordogne ( Péri - " 6,45 ) 82 gueux.) >] 6,31 83 » » " Cantal (Auriliac.) Loire ( Mnnthri 6,24 84 son.) 6,07 85 ,, Lot (Cahors.) Lozère (Monde.) 5,27 5,18 344 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. Ce tableau montre quelle énorme différence il y a d'un département à l'autre pour le produit disponible par hectare cultive en froment. Dans le département du Nord ce produit est de dix-huit hectolitres 82 litres ; dans celui du Lot il n'est que de 5 hectolitres 18 litres. Trois ré- gions se composent, comme on sait, de 21 départements, et le Midi oriental, de 22. Sur ces 21 départements, le Nord occidental eu a 20 qui produisent plus de 9 hecto - litres par hectare; le Nord oriental en a 15 ; le Midi occi- dental n'en a que trois, tandis que sur les 22 du Midi oriental il y en a 1 J . Cette table, qui représente pour le froment le produit disponible par hectare, représente aussi avec assez d'exactitude l'ordre de fertilité pour les cultures princi- pales, c'est-à-dire que les départements en tète de la liste produisent beaucoup plus par hectare semé que ceux qui sont inscrits les derniers. Cette question est trop impor- tante pour que nous ne cherchions pas à donner une idée des différences de fertilité que le travail du ministre signale. Nous prendrons à cet effet dans chaque région le premier département pour le comparer à celui qui se trouve au milieu et au dernier de la liste. Nous compare- ions donc entre eux pour le Nord occidental la Somme , l'Orne, et le Loir-et-Cher. Nous laissons de côté le dépar- tement de la Seine, parce qu'il a peu d'étendue, et qu'il est dans une position tout-à-fait exceptionnelle. Nous comparerons pour le Nord oriental les départements du Nord, de la Haute-Saône et de la Nièvre; pour le Midi occidental, les Hautes-Pyrenees , le Tarn et le Lot; enfin, pour le Midi oriental, le Puy-de-Dome, l'Allier et la Lo- zère. Tous ces départements sont les premiers , les on- zièmes et les derniers de chaque colonne , et nous allons LTV, II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 345 voir que leur produit par hectare diffère dans les cul- tures principales autant que dans la culture du fro- ment. L'hectare semé en froment donne, semence déduite. NORD OCCIDENTAL. Dans les départements de la Somme. Oint. Loir-et-Cher. le produit disponible par hectare est : b h i Pour le froment, de 16 8 1 11 85 7 94 Pour le méteil 14 76 10 83 a «8 Pour le seigle 14 30 10 14 6 95 Pour l'orge 16 83 9 48 7 77 Pour l'avoine 19 87 10 53 7 89 Pour les pommes de terre 128 95 96 27 58 98 Telles sont les cultures principales, et l'on voit que leur produit par hectare est, semence déduite, beaucoup plus petit dans l'Orne qu'il ne l'est dans la Somme, et encore plus petit dans le Loir-et-Cher. Continuons la vérification de notre table, MORD ORIENTAL. Dans les départements du Nord. Haute-Saône ^Nièvre. le produit disponible par hectare est : i, h h Pour le froment, de 18 82 9 98 7 26 Pour le méteil 18 39 8 44 6 75 Pour le seigle 16 58 9 41 7 37 Pour l'orge 29 73 8 75 7 89 Pour l'avoine 37 34 10 53 '.'50 Pour les pommes de terre 154 49 94 89 68 25 C'est-à-dire que chaque hectare de terre donne dans le département du Nord un produit disponible double el même triple de ce qu'il donne dans les deux autres. La même loi se vérifie encore dans le 346 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. MIDI OCCIDENTAJ.. Dans les départements des Hles-Pyrénées. Tarn. Lot. le produit disponible par hectare est : u ht Pour le froment, de 10 80 8 22 5 48 Pour le méteil 42 48 9 14 6 44 Pour le seigle 12 25 8 83 6 19 Pour l'orge 12 53 10 54 7 70 Pour l'avoine 12 19 9 40 8 fil Pour les pommes de terre (î0 85 On voit donc encore ici que le département du Lot où le produit disponible est le plus petit pour le froment, présente aussi le plus faible produit pour les autres cul tures, à l'exception de celles en pommes de terre. Il ne nous reste plus à considérer que le Mini ORIENTAI.. Dans les départements du Puy-de-Dôme. Allier. Lozère. le produit disponible par hectare est : i, i, h Pour le froment, de 12 99 9 0/| 5 27 Pour le méteil ] 'i /|8 7 fifi 5 95 Pour le seigle 8 (54 7 95 fi 08 Pour l'orge 1G 17 9 24 « 51 Pour l'avoine 12 92 10 83 5 39 Pour les pommes de terre 79 10 75 30 87 90 On voit donc encore que, dans cette région, les pro- duits disponibles par hectare sont beaucoup plus faibles pour toute espèce de culture dans les départements où l'hectare produit le moins en froment. Cependant , il faut remarquer que certains départe- ments font exception. Le Finistère, par exemple, donne pour le méteil. le seigle, l'orge, l'avoine, les pommes de terre, des produits par hectare qui le rapprochent beau- coup du département le plus fertile , qui est le Nord. Le Puy-de-Dôme, la Vendée, le Morbihan, les Basses-Pyré- nées seraient placés plus haut dans l'échelle pour fous les L1V. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 347 produits autres que le froment. Au contraire les départe- ments de .Seine-et-Marne, de l'Eure, de la Haute-Marne seraient placés plus bas. Les produits disponibles en pommes de terre varient énormément d'un département à l'autre. Dans les dix premiers numéros do notre table chaque hectare rap- porte plus de 120 hectolitres ; mais dans le Bas-Rhin il en rapporte 21 2, tandis que dans la Sommeil n'en rap- porte que 129. Dans les dix derniers numéros, le Cantal rapporte par hectare 146 hectolitres, et l'Aveyron 120; mais la Loire n'en rapporte que 53 , la Dordogne 33 , et les Landes 24. Ceci suffit pour donner une idée parfaitement exacte de cet état de choses; il est temps de passer à une autre question, celle de la valeur par hectare de chacun des produits ruraux. Cette valeur dépend des prix dans chaque localité, ou plutôt dans chaque grange ; il est par conséquent beaucoup plus petit que celui de commerce ou de marché. Ecoutons ce que dit à ce sujet le ministre dans le troisième tome de la Statistique agricole. « 11 n'est pas inutile de rappeler que, parmi les données statistiques, celles qui expriment les quantités méritent la prééminence sur celles qui indiquent des valeurs. Les premières sont des énumérations de faits matériels , des chiffres de compte, dans lesquels l'erreur est palpable. Les autres sont des appréciations, des applications d'un prix dont la détermination est souvent difficile et hasar- dée, surtout s'il représente une moyenne. Voici comment on a procédé ici pour éviter autant que possible ces in- convénients. Lue investigation a constaté quels sont, dans les :t7,000 communes du royaume, les quantités et les prix moyens de toute production rurale. La valeur de chaque production a élé fixée par le prix qu'on y met 348 DE LAGRICULTUBE EN FRAUCE. dans la localité. Ce pris, est donc celui de première main, et non un prix de marche et de commerce, qui s'augmente par les transports . les frais de vente . les gains mercan- tiles et la concurrence. One autre circonstance, qui rend moindres encore les prix adoptes, c'est qu'ils appartien- nent à l'année 1839. qui est une époque d'abondance beaucoup plus favorable que les années suivantes. Pour rapprocher, si l'on veut . tes termes acquis par les prix de productions de ceux soumis à l'influence des éventua- lités ou à la plus-value des grands centres de consomma- tion, on peut ajouter, selon les occurrences, un ou deux dixièmes aux valeurs primitives, et les modifier ainsi très-facilement, pour les l'amener à des termes d'actua- lité. Il faut, dans quelques cas, distinguer les prix de production de ceux de consommation. Ainsi . ceux des vins diffèrent l'un de l'autre notablement . attendu que les premiers s'appliquent aux campagnes qui produisent beaucoup et consomment peu. et qu'ils ne peuvent être rendus communs aux villes qui ne produisent point et consomment beaucoup. Tes prix des vins exportés sont pareillement très-différents de ceux des vins consommés, parce qu'ils sont de qualités supérieures. » Ainsi, d'après ces explications et les notes qu'on lit à [a tète des tableaux de la statistique officielle, les prix qui ont été recueillis sont ceux des lieux de productions. On a obtenu ensuite les prix moyens des arrondissements, ceux des départements, et enfin, ceux de chaque région et de la France entière . en multipliant les quantités pro- duites dans ehaque localité par le prix des lieux de pro- duction, en additionnant ensuite les valeurs partielles et en divisant la somme par la somme des quantités pro- duites • ce qui. comme on le voit, est souvent fort différent de la moyenne entre les prix . qui s'obtiendrait en addi- Ï.TV. 11. DES PRODUITS I)F. T. AGRICULTURE. .149 tionnanl toutes les valeurs de l'unité de mesure et en divisant par leur nombre. T Q >»j S s 2! o 2 o O a o O o S 2 w a. a, ¥■ o o. Si 2 o 2* a. o o. a! s nT • * • * >-* M» ** 1 ' * ** 1 ja. ^j. i^» **■ 1 §•« \ in © © **» Cn t) • i 1 -• 2 3 99 00 © oc I 3- © © T* OS Cn s ? a w Oi ut ! a en 1 C Cl en © 1 ►»■ H» •" i "►i. ~-« f K9 os US 1 0: ta. s us 1^» s K 1 - 2 * j US ^ £ «> *>- © © 5. r^ O C.T tn 1 © Cl © c en © - a" l o C" H so t?* ^ ha. "* 1 ^. Ui- ^. OS O ? O Ce 1** ~1 s 1 ' en Cl -■ 1 © © © Cn Cn in • > GO ÇO v- 1 je ôt «c X a o ce r -.r © © cc - s X - *5> ■c 1 &■ © •^1 OS OC ° ! o © © ■ © © in © Cn 1 3! O »*1 tfk la. — **» ►*• .^ — w. / U» £> f~ 1 tj ti 1 '-3 w* t-b ►i ■ 1 *"' 1 © «i Cn 1 © in en © \- 33 Ci (C y j- £> y f- Oî X o -, V j B ^ © s* © 1; -~J © «O ^» ^w ? S? j *'■ r^ o 5 en w' © in O'i en w^ Cn en ' ! g A 1 •*■ i _ __ ta. bai ^* *•£■ -= 1 ^c - * \ OC es ce ~J US îîï ] = P C7I ! c Cn 1 in Oi = wl cn ■ T? F 1 i l 1 US | rC M KS i us l* us 1 - n ! US . • :■ © te *° © ~- © £ > S oa i> in 3: 1 **" Lj «s .s- ; en 1 Cn © W 1 ii -' © — 1 5 99 H ! ' -*■ I — ►*■ | — ^. ^. i -, «3 © 3 » I F cc OS «C 1 f: 1 i l B3 33 en ~"' i = V 1 © « 1 - en © Cn aï ■>! I " > 1 © If S 1 © © "je © ! -:. © ôc "© *cc ir3i i! •^> i -■ © i © © * » en © '' i r. - 1 M ■ te US I i~ [i 1 s t.ord, de 14 fr. 75 c. Et dans le Midi, de 15 35 LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 351 Ces différences entre le Nord et le Midi sont encore peu de chose comparativement à celles que le travail montre dune région à l'autre, et des départements frontières ou maritimes aux départements intérieures. Nous en don- nerons pour exemple le prix du froment. L'hectolitre vaut dans le Nord oriental 14 fr. 35 c Et dans le Midi oriental 19 00 Mais dans les 12 départements intérieurs du Nord orien- tal, il ne vaut que 14 23 Et dans les 6 départements maritimes du Midi oriental, le prix s'élève à 21 30 Et de même que nous avons vu que là où l'hectare cultivé en froment donnait le plus pelit produit disponi- ble, là aussi le produit disponible des autres cultures était le plus faible ; de môme là où le prix du froment est le plus élevé, le prix des autres produits est en géné- ral le plus fort. Ainsi , les 12 départements intérieurs du Nord oriental diffèrent des 6 départements maritimes du Midi oriental pour le prix du méteil, de 11 fr. 35 à 15 fr. 95 ; pour le prix du seigle, de 8 fr. 80 à 12 fr. 85 ; pour le prix de l'orge, de 7 fr. 65 à 10 fr. 60; pour le prix de l'avoine, de 5 fr. 85 à 8 fr. 00 ; pour le prix des pommes de terre, de 2 fr. 20 à 3 fr. 40 ; pour le prix du sarrazin, de 6 fr. 25 à 8 fr. 70; pour le prix des légumes secs, de 14 fr. 00 à 18 fr. 75. Le maïs fait exception. Le prix de l'hectolitre de ce grain est de 10 fr. 90 dans les 12 départements intérieurs du Nord oriental, et seulement de 9 fr. 80 dans les 6 dé- partements maritimes du Midi oriental. Mais il faut ob- server que cette culture ne peut avoir beaucoup d'ex- tension dans le Nord , et que le prix de 9 fr. 80 est de 352 DE LAGRICULTURE EN FRANCE. beaucoup au-dessous du prix moyen du Midi en masse, lequel est de 9fr. 10. Le vin est aussi à meilleur marché dans les 6 départe- ments maritimes dont nous parlons. Pour connaître la valeur des semences et du produit de chaque hectare pour les différentes cultures, il faul multiplier les quantités par les prix, c'est le résultat de cette opération que présente le travail du ministre. Seu- lement , il faut observer que les décimales négligées dans les prix et dans les quantités, font que les résultats présentés dans les tableaux suivants différent un peu de ceux qu'on obtiendrait, si l'on faisait les multiplications, sans avoir égard à cette circonstance. LIV. il. DES l'HODlUTS DK LAGRICULTURE. 353 -? O o ? s S! o g S o 3 o 5." »1 si £- o m 5 S. "■* c_ c <-B tu o o o o o o J5' rr 2 o S" Cl a' p 1 re Cl sT es fD OS US Os OS OS 0s to 03 OS - \ 4S- US OS CO ^ fci p» pi US ta ^^ f^- us „ co 00 o ^3 On CO 05 r vj -J o US 4B- o. P3 *> C> Ol en ^ Cl c» us G o Ol o US en Ol o Ol o ^* (■=" p. v^. tss ^. us s _© _© _p _© 5 on K- 13 "oo = co Ol ce Ol B co ? > o o o o o o ? > _ ^ 1 ^ t^- ^. <1 ■o co te- co w jj ' Cl ^J Ci c o "ôo co o o « o o o o r* > US ^ us Ml us OS tsS us us z Cl ce o Ol Cl to 4S- Cl ta o co o "co US ^3 -O © t-s Ol us Oi o o J^ Ol o ™ B- H f m m o ta h^ ^, ^ [ù ta. ►i. u> h^» v— ns Cri US Ol OS Cl Ol ts 3 ** o ^ us o ** OO oo o c en n C CO c» ^ o co ■O oo co O 1 «i \ en- Oi o ci •o CO o o o Ol ? o \ H» p" ►^ S / > CO (-=» H» H» H» 1^ o co Os •ft- f> en <1 2° S* i2" a. / t-1 1 R H © t^i co Os » us i^J~ H» h^ B J» 5* co co <1 OS en ^3 OO 1 " o co o li © o p" K9 <1 O 1 » 1 S» £J 1 » tr1 o o co co te- en -o On en > ^ 1^ &»■ ^ ^ ^» ^ „ o o h=" OS © us P ■ 3 T) en es to CO . en t>» O co ■ n 53 00 Ol OS -J CO o •j Cl O Ol Ol o te- en © en © o " ci ►^ K* t* u- ►^ ►=" H» ►*» ►=» B *s- o f> .c~ fe- ■o bS OS Ol 2 ^ i o H Ol £> Ol co te« o © <1 o > H Os © 00 en o © 4^- en Ol O H O t» ^ h^ l» p. _ \ o ^3 o CO o o C0 co ►i- o US o 05 us *i- US © ^o P3 1 t> Cl Ol o o: e*s os OS 2 en Ol en oo © © Ol On en " 09 Ol OS Os en en OS Ol JS- a S ai \ G ta o 00 Cl Ol o On IJ) OS OS o T J G ** o ^* ■— Ol Ol Cl Oi o ? 1 l= G IJ» ^ *=» ^ ^ Ua. h=» ^ h^> -3 / o ►=» ►^ te- OS O CO Ol f Os t-S OS © oo os Ji~ 1 O O o te" o O H» CO Cl g. / Oi O o us co en en o o US K- us h* OS F» w OS i-S to ^! ^3 h» ■o US © en ^.1 en t ' 3* M OS U3 Oi Cl tsS Cl Ji, On n 1 O- a te» OS ^3 00 en co © © On C_ b Ol On o — ^s us en en o o !. 23 354 DE LAG IUCULTURE EN FUAJNCE. Nord occidental. . Nord oriental. . . Midi occidental. . Midi oriental. . . . Nord. Midi. France continentale. Corse France. VALEUR PAR HECTARE DES SEMENCES ET DE LA POMMES DE TERRE. ! Produit. 26,50,269,75 31,30 273,50 13,47 131,00 22,65 208,80 29,27 271,66 17,73 168,65 23,55 219,25 14,50'203,60 23,53 219,20 ce. Produit. 6,45 6,75 4,13 7,05 0,50 5,09 6,14 9,10 6,14 103,60 59,80 72,40 84,10 100,86 76,96 94,25 187,20 94,25 LEGUMES SECS. nce. Produit , 39,60 30,40 19,92 25,20 33,52 21,76 236,90 107,50 132,40 161,25 27,27 36,35 27,30 211,27 142,53 174,75 277,15 175,15 JARDINS. Produit. 436,70 468,50 346,90 510,00 454,93 405,45 435,05 479,00 435,55 BETTERAVES. ce. Produit. 15,75 13,25 9,71 15,20 14,55 11,71 13,09 9,00 13,09 475,35 569,30 278,40 425,25 538,10 327,77 502,60 231,00 502,55 Ce tableau montre que le plus haut prix des produits du Midi ne compense pas le déficit que le Midi présente comparativement au Nord dans la récolte par hectare. Le Nord sème en froment par hectare , Une valeur de 33 fr. 29 c, et récolte 212 fr. 55 c. Le Midi sème 31 93 et récolle seulement. . . . 179, 12 Ces tableaux présentent des différences quelquefois plus fortes pour leméteil, le seigle, l'orge, l'avoine, le maïs, la vigne, les pommes de terre, le sarrazin, les lé- gumes secs, les jardins et toute espèce de culture, à l'exception, cependant, du chanvre, dont la valeur par LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. Ji>0 PRODUCTIO HOUBLON. N ANNUELLE DES , CULTURES DIVERSES, EN FRANCS. COLZA. CHANVRE. LIN. TABAC. Produit. GARANCE. Produit. Produit. Se- mence. Produit. Se- mence Produit. Se- mence. Produit. 1,200 2,45 294,60 37,10 433,15 51,80 554,85 820,80 S 1,182,50 2,85 321,15 42,15 550,65 53,35 821,15 978,60 1,404,65 » 2,05 196,55 48,21 435,65 55,88 436,35 477,60 s » 1,65 183,85 46.55 574,00 52,45 432,15 » 596,45 1,151,25 2,72 312,01 39,53 484,36 52,21 644,13 953,39 1,404,65 * 1,68 186,58 46,70 497,80 55,72 435,95 477,60 596,45 1,191,25 2,47 294,65 42,51 489,90 53,liS 586,45 n 636,65 » » » 35,80 358,55 40,00 399,35 687,20 » 1,191,25 2,47 294,65 42,51 489,85 53,10 585,35 792,80 636,65 hectare donne, semence déduite, une très-légère diffé- rence en faveur du Midi. Si l'on compare les régions entre elles , on s'apercevra facilement que la valeur du produit de l'hectare dans le Midi oriental est de beaucoup plus grande que cette même valeur dans le Midi occidental , et que la diffé- rence dépasse considérablement ce qu'on pouvait atten- dre du plus de fertilité du Midi oriental , ce qui provient de ce que non-seulement le produit de l'hectare est plus grand dans le Midi oriental , mais encore de ce que les prix y sont beaucoup plus élevés. 11 est bon de remarquer encore que les 13 départe- 35G DE L'AGRICULTURE EI\ FRANCE. ments intérieurs du Midi occidental sont ceux ou la va- leur du produit de l'hectare est la plus faible, tandis que les 9 départements maritimes du Nord occidental sont ceux où elle est en général la plus élevée. REMARQUES. Dieu a non-seulement condamné tons les hommes au travail , mais il a fixé Tordre dans lequel ils travailleraient. Il a voulu que le tra- vail de quelques-uns se trouvât dans le droit de commander, et que le travail de tous les au- tres se trouvât dans le devoir d'obéir : telle est la condition par laquelle l'homme peut mainte- nir son existence. Si on analyse le mécanisme des diverses industries , on trouve qu'une mine est exploitée par un entrepreneur et cent ou- vriers; un seul commande, et cent obéissent. Le minerai est porté à l'usine pour être réduit en fer; c'est encore un entrepreneur qui commande, et cent ouvriers qui obéissent. Le fer est porté chez le fabricant qui le transforme en outils; c'est toujours aux mêmes conditions; et c'est encore aux mêmes conditions qu'un bâtiment se construit, qu'une manufacture s'exploite, qu'un canal se creuse ou qu'une route se confectionne : c'est aux mêmes conditions que le navigateur, MV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 357 le militaire, le magistrat ou l'administrateur exis- tent ; aux mêmes conditions que la science se découvre et se perpétue , que les arts fleuris- sent , et que la religion gouverne : un com- 1 mande, et cent obéissent dans une hiérarchie ^ différente. On ne voit là en pratique ni liberté ni égalité; un seul est privilégié par son talent ou sa fortune, et ces cent inférieurs n'ont sou- vent pas même le privilège de se choisir un maître. Et pourquoi les agriculteurs seraient- ils seuls soustraits à cette loi hiérarchique de commandement et d'obéissance, loi qui tou- jours et partout sans exception règle toutes les professions de la vie? Et comment les modernes ont-ils hasardé d'appliquer leurs nouvelles théo- ries à la production des subsistances, produc- tion qui , à rigoureusement raisonner, est la seule absolument nécessaire ; car l'homme peut se passer de tout dans les climats chauds , ex- cepté de subsistance? Dieu a soumis l'homme à | la faim, et c'est elle seule qui le force à vivre en société et qui l'y maintient. Sans cet aiguil- lon impérieux, aucun travail ne serait absolu- ment nécessaire , et conséquemment il n'y aurait plus de liens entre les hommes, plus de hiérarchie, plus de subordination, en un mot, plus de so- ciété. Travailler et obéir est une condamnation irrémissible. Les peuples les plus éclairés à cet égard sont donc ceux qui ont le plus adouci cette 358 DE LAGU1CULTUKE EN FRANCE. j condamnation, en organisant leur agriculture de I manière à obtenir le plus de subsistance, parce / qu'à elle seule elle forme précisément les trois / quarts de la richesse et couséquemment de la j dépense d'un peuple , et cela dans la ville la plus opulente comme dans le hameau le plus pauvre. Certes, il est tel riche qui, en logement, ameublement, vêtement ou objets de luxe dé- pense un million de fois plus qu'un homme du peuple : en cela il n'a pas de limites ; mais la bienfaisante Providence a voulu lui en fixer quant à la subsistance : le riche peut manger cinq fois, dix fois plus qu'un homme du peu- ple; mais la fatigue de son estomac l'arrête bien- tôt. Sans cette impuissance, il ne resterait rien pour les pauvres. Et il en est par milliers dont la subsistance prélève quatre-vingt-dix sous sur cent qu'ils gagnent. La sécurité, la paix et le bonheur d'une so- ciété repose donc exclusivement sur les succès de l'agriculture. Qu'une récolte soit mauvaise ou bonne, que les subsistances soient chères ou bon marché, le riche assouvit d'abord sa faim, et ne s'inquiète guère de ce qui reste pour les autres. Donc, s'il y a surabondance, c'est le peuple seul qui eu jouit; s'il y a disette, c'est le peuple seul qui en souffre. Ces souffrances, lorsqu'elles proviennent de la fausse organisation de l'agriculture, ne sont pas LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 359 des souffrances locales et momentanées ; ce n'est pas une inondation, un ouragan que la paroisse voisine peut venir soulager; ce sont des souf- frances d'abord imperceptibles, mais elles s'éten- dent et s'accroissent d'une manière lente, sûre et constante. Elles attaquent les plus pauvres dans les hameaux , puis dans la paroisse , puis dans les bourgs, et enfin dans les villes; en- suite elles atteignent l'artisan d'un talent mé- diocre , et enfin les artisans les plus habiles; de manière que, depuis 100 ans, en France, il n'est pas dans le peuple une seule profession dont le salaire n'ait été graduellement diminuée par rapport au prix des subsistances, et qui conséquemment ne soit plus ou moins frappée. Et comment les riches, les chefs de la société trouveraient-ils des remèdes à ces souffrances, s'ils n'en ont jamais connu l'existence, ou plutôt s'ils ont*pris pour prospérité ce qui était adversité? Le temps amena l'ébranlement de la société; et comme ce fut sous les pieds des riches que les volcans s'ouvrirent, ils furent engloutis dans toute leur ignorance. Les débris de leurs fortunes, ainsi que leur pouvoir, tombèrent entre les mains de gens sans aveu , sans feu ni lieu; eux, en effet, se sont trouvés mieux que jamais ; aussi depuis cin- quante ans ils étourdissent le bon sens du public de leurs forfanteries sur la prospérité de la France. Le malaise, au milieu de cette anarchie, s'est accru à un tel degré qu'il a fallu en chercher la source, 360 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. et c'est de leurs propres mains que la France reçoit ce compte. Ils ont divisé la France en quatre zones; nous allons les réduire à deux. Dans celles du Nord , pays originairement gouverné par des lois féodales plus ou moins mitigées , dont les vestiges produi- sent encore quelques effets, la direction du travail en agriculture est, dans certaines localités, con- duite sur le principe de commandement et d'obéis- sance. Dans les deux zones du Midi, le droit ro- main a attaqué et vaincu le système féodal. La direction du travail a donc été conduite sur le principe de liberté et d'égalité. Par le tableau précédent, nous voyons que la superficie des deux zones du Nord est d'un ving- tième moins étendue que celle des deux zones du Midi. Ces dernières, situées à 5 degrés d'une lati- tude plus chaude, ont une végétation tellement plus précoce et plus active, qu'une partie des*val- lées donne deux récoltes par an. Avant d'aller plus loin, il est juste de dire que sur 100 familles de population dans le Midi, il y en a 130 dans le Nord. Si donc, d'après la partie du rapport du ministre contenue dans ce chapitre, nous distri- buons cette récolte de subsistances par familles , nous trouvons que, dans le Midi, la direction du travail est telle, que si ce travail de 100 familles produit 100 hectolitres de grains, il en produit 130 dans le Nord en froment, 250 en seigle, 380 en avoine, 230 en sarrasin. LIV. 11. DES PRODUITS DE l' AGRICULTURE. 3GÎ Il est vrai que lorsque le Midi récolte en seigle 100, le Nord n'en récolte que 70, et nous verrons bientôt que c'est un désavantage de plus. Dans l'état d'erreur où est le public au sujet des subsistances, nous avons cru devoir faire cette comparaison entre le Nord et le Midi, c'est-à-dire entre le produit du travail dans un pays où le sys~ tème féodal a laissé quelque trace, et le pays du droit écrit , où il n'a , pour ainsi dire , jamais existé. Nous allons à présent prendre la France dans son ensemble ; dans cette analyse , nous ex- ceptons l'avoine, grain qui est presque exclusive- ment consommé par les chevaux. Le ministre a établi ses données en multipliant la quantité de chaque sorte de subsistance par le prix qu'elle vaut sur les lieux, et leur produit net lui indique la proportion pour laquelle chaque chiffre entre dans l'ensemble. Supposant donc un nombre de 100 rations de subsistances en nourri- ture végétale pour les hommes et les animaux , Son travail représente le froment et le méleil comme faisant une pro- portion de 60 Le seigle, de 14 Les pommes de terre, de 10 L'orge, de 7 Le maïs, de A Le sarrasin, de 3 Les légumes secs , de 2 100 Tous ces calculs établis et prouvés avec beau- 3G2 DE LAGRCÏJLTURE EN FRAKCE. coup de soins et de talent , le ministre s'occupe d'abord de la semence ; il s'étonne et déplore que le froment et les autres grains ne rendent plus que G pour 1. Et, en effet, tous les mémoires des intendants , et les écrits des économistes avant la révolution, établissent la récolte de tous les grains à 10 pour 1 de la semence. Il en était à peu près de même en Angleterre en 1790; mais les choses y ont aussi bien changé. On peut voir par l'enquête faite en 1836 à ce sujet, que, grâce aux nouvelles découvertes dans l'édu- cation des bestiaux, leur engrais a porté la multi- plication du grain à 22 pour 1. Elle n'est aujour- d'hui dans aucun pays de l'Europe réduite aussi bas qu'en France ; mais le code Napoléon la fait successivement descendre. Qui d'ailleurs jamais , en France, a pensé à employer les nouveaux in- struments aratoires? Nos ouvriers sauraient les faire; mais il est bien certain que nos paysans ne sauraient pas et ne voudraient pas s'en servir. En résultat, nous avons GO millions d'hectoli- tres de froment à consommer , et le ministre re- garde cela comme une quantité prodigieuse. Pour nous il y a également prodige, c'est comment une portion aussi congrue parvient à tenir ensemble le corps et l'âme de plus de 33 millions d'habitants qui travaillent avec autant d'acharnement que le font les Français ; et le prodige s'augmente encore quand on réfléchit qu'il n'y a pour le peuple près- LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 363 que plus d'autres subsistances. Nous avons d'ail- leurs moyen de soumettre le prodige à un calcul comparatif tout matériel. L'enquête officielle faite en Angleterre, précisément à la même époque que le travail du ministre, établit que la récolte en fro- ment est de plus de \ 8 millions de quarters ; que depuis long-temps on fait chaque année plus de froment blanc et moins de froment rouge, dont la qualité est inférieure ; que le boisseau qui , en moyenne, pesait autrefois 56 livres, pèse aujour- d'hui 62; que ce boisseau produit toujours moins de son et plus de farine; que cette farine prenant plus d'eau produit toujours un pain plus nutritif. Dans cette enquête, nos charitables voisins nous avertissent que notre froment est toujours plus lé- ger, produit plus de son, moins de pain, et surtout est moins susceptible de conservation. Ici ils ont tort; la qualité de notre froment s'est améliorée , mais moins que la leur. La mesure qui, en France, pesait autrefois 100 livres, en pèse aujourd'hui 103 ; mais en Angleterre elle s'est élevée de 100 à 110. Or, le ministre établit que l'hectolitre de fro- ment pèse 74 kilogrammes, et comme le quarter pèse 222 kilogrammes, il se trouve être juste de 3 hectolitres. Donc, en 1836, l'Angleterre, peu- plée de 13 millions et demi d'habitants, récoltant 18 millions de quarters ou 54 millions d'hectoli- tres, la ration de chaque habitant était annuelle- ment de plus de 3 hectolitres de froment, tandis / 364 Dli L AGlilCULTUIiE EU FllANCE. qu'en France la récolte de 60 millions n'en don- nait pas même deux de froment inférieur à ce- lui de l'Angleterre. Il est un autre trait à observer, c'est que chaque année , en France , cette ration diminue, et qu'en Angleterre elle augmente. Encore un mot à ce sujet. D'après le recense- ment précédent, l'Angleterre, en 1836, avait un nombre de 2,744,000 familles, sur lesquelles il y en avait 761,000 livrées à l'agriculture. Chaque famille agricole produisait donc 70 hectolitres de % froment de première qualité ; tandis que si nous répartissons nos 60 millions de récolte entre 4,800,000 familles d'agriculteurs que nous avons, chacune d'elles en produit 12 1/2; et d'après le principe que le ministre a fixé , chaque famille 1 d'agriculteurs en France a produit la valeur de 188 francs, et en Angleterre six fois davantage. Cette proportion peut s'appliquer à toutes les pro- ductions du règne végétal. ! Parlons à présent du seigle, qui sur 100 rations ' de nourriture végétale en offre 14. Mais ce grain | forme une nourriture si équivoque pour la santé f de l'homme, que le gouvernement a fini par dé- fendre d'en mettre dans le pain des soldats, des marins, des prisonniers et des galériens. Et ceux qui élèvent et engraissent les bestiaux se gardent bien de leur en donner. L'orge, le sarrasin et le mais sont des substances tellement inférieures que leurs farines ne peuvent LIV. II. DES PRODUITS DE LAG11ICULTUKE. ,}G5 entrer dans la composition du pain ; et cependant le pain a été promis à l'homme à la condition, il est vrai, de l'obtenir à la sueur de son front; mais en France il subit la condamnation dans toute sa sévérité, et en résultat n'obtient pas ce pain pro- mis, car tout cet étalage de productions en grains, que présente le ministre, n'équivaut pas à la moi- tié de ce qui est nécessaire pour soutenir nos labo- rieux agriculteurs. Mais ici le ministre, dans son rapport, nous trouve des consolations, et c'est en baissant les yeux que nous osons les répéter : « Les céréales, » dit-il, qui constituaient autrefois toute la sub- » sistance de la population , deviennent progressi- » vement d'une nécessité moins absolue depuis » qu'elles ont pour auxiliaire la culture de la » pomme de terre, des légumes secs et les produits » des jardins. Les soins donnés à ces productions I » fournissent maintenant chaque année une masse I » de subsistances vraiment prodigieuse. » Notre première remarque sur cet étrange para- graphe est d'observer qu'en France la cour, les administrateurs, les diplomates, les gens de loi, enfin tout ce qui parle ou agit dans les affaires publiques, énoncent la même opinion et sont de la meilleure foi du monde. Nous aussi nous som- mes de bonne foi ; et nous disons que rien ne nous prouve l'état de dégradation où est tombée l'intel- ligence en France, à ce sujet, chez des hommes, \ 366 DR L AGRICULTURE EN FRANCE. qui, sur tout autre sujet que celui dont ils parlent constamment depuis qu'ils sont au monde, ne lais- sent pas d'avoir une certaine droiture dans l'es- prit. Qu'on leur parle de choses dont ils ne se sont jamais occupés, et le cri de la nature ne dé- viera guère de ce qu'indique le sens commun. Une masse de subsistances vraiment prodi- gieuse ! A quoi s'applique cette exclamation ? Est- ce relativement au petit nombre d'hommes qui sont occupés à les produire ? Mais nous employons 4,800,000 familles là où l'Angleterre en emploie 701,000 qui en produisent bien davantage, car j elles ont à nourrir (J0 millions d'animaux. Est-ce / relativement au peu de superficie ? Mais nous < avons 53 millions d'hectares, et l'Angleterre n'en a que 20 millions. Est-ce en résultat relativement à la ration qui en reviendrait à chacun si elles étaient également distribuées? Mais dans ce cas chaque individu n'aurait annuellement qu'un hec- tolitre trois quarts de froment, et la ration de chaque soldat est de quatre hectolitres ; et encore le maréchal Gouvion-Saint-Cyr prétend-il dans ses Mémoires que le soldat n'est pas assez nourri. Mais quand le public ainsi que le ministre vient journellement s'applaudir d'avoir substitué au fro- ment la production et par conséquent la nourri- ture des pommes de terre et des légumes secs, il ne voit pas que c'est précisément avoir substitué l'alir rnent des bestiaux à l'aliment des hommes. I L1V. II. DES PRODUITS DE l' AGRICULTURE. 3b] CHAPITRE III. DES PATURAGES ET DES PRAIRIES,, DES FORÊTS ET DES ROIS. Après avoir donné une idée des produits désignés dans le travail du ministre sous le nom de produits ruraux, nous allons en extraire ce qui a rapport aux produits des pâturages, qui comprennent, comme nous l'avons déjà vu, les prairies naturelles, les prairies artificielles, enfin les pàtis, communaux, landes et bruyères. Voici ce qu'on lit dans la Statistique officielle au sujet de l'exactitude des chiffres qui y sont présentés. « L'étendue des prairies artificielles est énoncée avec exactitude ; mais leurs produits, qui sont du trèfle, de la luzerne et du sainfoin, varient en qualités et en valeurs selon ces espèces, et, comme on n'a pu en tenir compte séparément, les termes généraux qui ont été adoptés ne peuvent être que des approximations. » Les prairies naturelles, les pâturages, et même une partie des pâtis diffèrent seulement, parce que leurs herbes sont destinées pour être fauchées, ou sont aban- données sur pied aux bestiaux. Cette différence n'est point assez absolue pour établir des distinctions perma- nentes; et le cadastre a souvent enregistré sous le nom de prés des terrains qui prennent celui de pâturages dans les tableaux des communes, et vice versa. » Les pàtis n'ont pu être séparés des landes, des bruyères et des terres vagues. L'évaluation de leurs pro- 3(58 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. duits n'a point en lieu par communes, comme pour tous les autres articles, mais en masse, par arrondissements. Cette opération abrégée est justifiée par leur peu de valeur. » Les jachères sont généralement des terres destinées à la culture des céréales, mais qui, dans l'ancien système de rotation, sont laissées en friche, chaque troisième an- née ou plus longuement, pour recouvrer par le repos leur première fécondité. Les herbes, qui y croissent spontané- ment, les changent en pâturages pour le bétail et surtout les troupeaux; c'est là l'état ordinaire des jachères, et l'on conçoit que la quantité de leurs produits ne peut être déterminée; la valeur en est fort minime, et l'on n'a pu la donner que par des estimations faites par arrondisse- ment. Dans quelques parties de la France, on a substitué aux jachères des cultures alternes, qui élèvent considéra- blement la valeur des produits, lors même qu'elles sont temporaires et partielles ; circonstances qui ont pour effet de leur laisser, par continuation, la dénomination de jachères. On reconnaîtra, au revenu quintuplé ou décuple de ces sortes de jachères, les départements où ces impor- tants progrès ont eu lieu. >■ Le tableau suivant exprime la quantité annuelle, totale et par hectare, ainsi que la valeur par hectare, de la pro- duction des prairies naturelles et des prairies artificielles, qui, parmi les superficies destinées à la nourriture des animaux, sont les seules qui soient susceptibles d'évalua- tion, comme le ministre vient de l'expliquer. LIV. II. DES PRODUITS DE l' AGRICULTURE. 369 a! a o n o 1 «s ►si 1 1 55 o c. g 2! o i s? o "1 Q. n o o es S' - o 5" p o o_ et 3 o S' s o o o ai a 3 s B9 ? • _» _ o o j> en to CO to to Cn u< o *» O Ci 00 S. *° co — • t c co oo o C u >> o o . O O i» sa to ►-» < n en oo ^4 co en O ci oc to ci • p» «5 en co oo ^ oo oo O -i Co CO *• Cn oo 1 to CO Ji -J to to en W> ci Ci o X to oo co Ut Cl / 3 0> o Ci B» "to Ci ^i *. ^1 ? s S- 0 H ^1 to *- C> o ^1 Cl Ut Ut l t m O *" V co O ^1 «o Co Ci -* l -B n) H _ _ U1 c a to to CO *^ *^ H C3 t-1 to to o ^J ** co Cl H M O ** *- ~i Ci co 4> ^1 CO H F3 o co to ^i *- co CO C- fi o os to c- ^1 ^J ^1 *■ to a >■. u> co to r> co Ci co ^1 Cl o o Cn co O o CO to Ut ^1 x to tt- *^ oo ^* to to to o to co CO to to ^ ^ to \ O 53 G Ut ,7* Cn c- en ** *- *> Ci s S -• \ c s'to* S* o Cl O ri C" ^1 Cn rjl Ut » c "■ ci Os Ci O — *» O o f||| to to to o co to CO CO to " B "^ CO *» co -J O _ÇO Ut jo CO liei-- ! ' §-» c_ ; S H "co *• "o o OO co co co Cl 71 W ■^1 CO OO CO co -*■ oo Un i° ' u. T" n ^ o — D ■ O t . O I 3= ^ © Cn o o o CO Ci ^« ^j ç ù# O to o to o "oo to oo O 00 s= » 1 C- m ^ o Cît o -o — Cn O O en 2 ™ t6 r s» > L-1 EU to to to I o to >o co co CO 3 . *• 4^- ** 1 33 CO •^1 Cn ■b. co 1 "O 3 W ] » >— S» »a c Co cn "co C" Cl Cl O 1© P ? / g.SB [ S> PS o o o 1 X to en *- O Ut B o - o 1 r P3 d a. 1 " tr. &i a<5 O Ct -c to to co o co CO o 0-- co V n o >■ co C" to 3 to oo Ut " *^ — & to oo to vi o To to Ut 1 o en o Cn . P» to en Cn en Ut - 1 1 3 S» a H co ^ CO . |8» co to Cn to g- M ci oo -J < 3 *• ^1 *« ^1 o en Cn en c rj *• Cn Ut en Ut o h*. M. - S oo co c » oo oo Ci ce *o ? / m o en c O ** oo co to co S "| / Co - Cn X s>» O O o __o I 24 3i70 DE L AGRICULTURE K1S FRANCE. On voit par ce tableau que les prairies donnent en foin : Dans le Nord de la Frauce 90,647,339 quint, met. Et dans le Midi 61,774,948 ce qui est en faveur du Nord une différence d'environ 29 millions de quintaux. Cependant les prairies naturelles ne produisent que I millions de quintaux de plus dans le Nord. Mais la récolte des prairies artificielles donne : Dans le Nord 36,372,207 quint, met. Et dans le Midi . seulement -, 10,858,442 Une seconde partie du tableau présente la récolte par bectare de ces deux sortes de prairies. Cette récolte est pour les prairies naturelles : Dans le Nord, de 25 50 quint, met. Et dans le Midi, de 34 61 Pour les prairies artificielles : Dans le Nord, de 30 89 Dans le Midi, seulement de 27 21 11 est bon cependant de remarquer que parmi les qua- tre régions, il n \ a que dans le Nord occidental que le produit par bectare des prairies naturelles soit sensible- ment plus élevé; et cette différence tient à la fertilité des prairies des 9 départements maritimes, qui produisent moyennement 30,25 quintaux métriques, car les 12 dé- partements intérieurs n'en produisent que 22,27. Quant aux prairies artificielles, leur produit par bectare diffère beaucoup d'une région à l'autre, comme on peut le voir dans le tableau précèdent; et c'est la région du Midi occidental qui présente les plus faibles produits : ils sont de 25,31 quintaux métriques, tandis que dans le UV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 371 Midi oriental ils s'élèvent à -29,33, et dans le Nord oriental à 32,38. Les différences d'une localité à l'autre sont encore, bien plus sensibles, puisque les 9 départements frontières du Nord oriental produisent moyennement 35,64 par hec- tare, tandis que les 12 départements intérieurs du Midi occidental n'en produisent que 23,46. Le travail du ministre montre aussi que la production par hectare varie encore plus d'un département à l'au- tre. Dans le département du Nord elle est de 43,95 quin- taux métriques, dans le Finistère de 56,64, tandis que dans la Sarthe elle n'est que de 19, dans les Lôtes-du Nord de 21,22, dans la Mayenne de 20,52 , dans le Tnrn- et -Garonne de 14,53. < '.es chiffres sont si différents entre eux et si différents des moyennes, qu'ils paraissent bien propres à prouver que des individus isolés ne peuvent se faire aucune idée juste de la production d'une étendue considérable de pays en la déduisant de la production d'une localité isolée. La troisième partie de ce tableau donne la valeur par hectare de la production annuelle des pâturages. Les ja- chères, pâtures et pâtis y sont compris. La valeur du produit de l'hectare en prairies naturelles est : Dans le Nord, de 110 fr. 84 r. Et dans le Midi, de 109 98 il faut se rappeler que les prix sont toujours ceux des lieux de production. L'est dans le Nord oriental que la valeur de la produc- tion par hectare est la plus grande; elle s'élève à 117 fr. C'est au contraire dans le Midi occidental que cette va- leur est la plus petite ; elle n'est estimée qu'à 106 fr. 80 c. 372 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. Les prairies artificielles donnent par hectare un pro- duit annuel estimé : Dans le Nord, à 132 fr. 12 c. Et dans le Midi, ù 120 74 Mais il faut en déduire la valeur de la semence, qui est de 3 fr. plus élevée dans le Midi. C'est encore le Midi occidental où cette valeur est la plus faible : elle n'y est que de 105 fr. 25 c. ; tandis que dans le Nord oriental elle est de 141 fr. 25 c, nombre dont il faudrait encore déduire le prix de la semence, qui est de 1 franc 61 centimes plus élevée dans cette région. Les nombres du tableau précédent indiquent combien la valeur du produit d'un hectare en prairies artificielles varie d'une partie de la France à l'autre. Les différences entre les départements sont encore plus fortes; car dans le département du Nord cette valeur est de 235 fr. 15c, tandis que dans celui du Cher elle n'est que de 85 fr. 60 c, et dans celui de la Sarthe de 53 fr. 20 c. La valeur du produit annuel de l'hectare en jachères dépend beaucoup , d'après ce qu'a dit le ministre, de la valeur des cultures alternes qui occupent cette espèce de terrain à des intervalles de temps plus ou moins longs dans certains départements où les nouvelles théories d'agriculture ont été mises en pratique. Cependant il faut remarquer que cette valeur n'est : Dans le Nord, que de 13 fr. 44 c. Tandis qu'elle est dans le Midi, de. ... 1/| 08 C'est dans le Midi occidental qu'elle est la plus élevée, et dans les deux légions du Nord et du Midi qu'elle esl la plus basse. Mais les moyennes diffèrent beaucoup des nombres sur lesquels elles sont prises, et il est bon de LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 373 dire que cette valeur est dans le département du Nord de 82 fr. 15 c., et dans le département de la Meuse de 2 fr. 50 c., ce qui montre que le mot de jachère s'ap- plique dans le premier des départements à des terrains qui produisent, et dans le second à des terrains presque, improductifs. La dernière colonne du tableau exprime la valeur an- nuelle, des terrains laissés en pâtures et pàtis. Elle com- prend toutes les terres non cultivées qui ne sont pas éva- luées dans les colonnes précédentes. La valeur du produit annuel de l'hectare n'est pas estimée au dixième de celle des prairies naturelles ; elle est plus grande dans le Nord qu'elle ne l'est dans le Midi. La moyenne, prise sur toute la France, est de 9 fr. 55 c; mais dans le Nord cette moyenne est de 1 i fr. 41 c, et dans le Midi de 8 fr. 8i- c. C'est dans le Nord oriental qu'elle est la plus élevée; elle ne va pas à moins de 16 fr. 20 c. ; dans les trois autres régions elle ne diffère que de 8 fr. 90 c. à 8 fr. 80 c. Mais elle varie beaucoup d'une localité à l'autre, puisque dans le Nord occidental elle est : Pour !es 9 départements maritimes, de. . 6 fr. 20 c. Et dans les 12 départements intérieurs, de 15 00 Dans son rapport au roi, le ministre, après avoir ex posé tous les nombres qui expriment l'étendue, le pro- duit annuel et la valeur des pâturages de l'ensemble des deux régions orientales de la France, ajoute : <• L'amélioration de cette partie essentielle du domaine agricole est un objet du plus haut intérêt, et dont il im- porte de s'occuper incessamment. » Le tableau suivant présente la quantité annuelle de la production des bois ; puis de la quantité et de la valeur de cette production par hectare. 374 DE L AGRICULTURE EW FRAKCK. — -— o 35 B oc »?5 55 Ifl 1 a Ci kà J5 | 1 s 2 8 8*8 -S S se r-~ en CM «4 « o « 1 u « 4 £ * s." es ~ — « *~ CM ?Q es 1 g « o j o >o uô uo CM ■jr O K5 ifl î * Ci * eu *o -o OO CM ro i g il» i F s o irt >T5 ■-•5 1 -3 o - i r~- r» r- •*- QB » s «M CM CV a CM > ^ Ci O iB o ' * 1 M ' 3 » * 1 1 K o = -o "J ^ « eo «* CM oc oo Ci j «J cm ^ •* M CM OO Ci -9" °i I é-1 o 2 - s .ï <© i i >e • V "* o •n " tf) CM cr> oo CO i 1 S! - a ; O o o CM Cl Ci -* Cv. o ! 1 o T a L» / s rc 00 O i^ ce -o t^ •Ci oc Ci j c .g z '2 N "a | ^ CM CM 10 CM . << CM O co O o o H O t^ CM S S — CM — fÔ C0 H a L « cm ~ ta Ci ■c oo C0 « CM O t^ v* co oo V* CO i U- i." i «s O O» OO Ci 00 00 ■J C 1 3 *^ 3 eo Ci Ci i^ CM 1^ Ci o o iK i c _ .y CM t^ O O0 CM CVJ ■ O 3 i^. •ri « Ci CM oo s* CM SE u 24 Dans le Midi 2 82 C'est dans le >iord oriental que chaque hectare de forêt produit le plus; c'est dans le Midi oriental qu'il produit le inoins. I.a troisième partie du tableau donne la valeur par hec- tare du produit des bois. Les prix sont toujours ceux des lieux de production , et par conséquent la valeur du transport n'y est pas comprise. L'hectare en forêts rapporté : Dans ie Nord •><> fr. «2 e. et .12 fr. ô5 c. Dans 1»- Midi lô 84 et 15 18 C'est encore dans le .Nord oriental que cette valeur est la plus grande Elle s élève pour les bois de la couronne a V2 IV. T.") c. ; pour les bois de l'État, à 37 fr. 15 c, et poul- ies bois des communes et des particuliers, à S% IV. 90 c. Le ministre, dans son rapporl, qui n'embrasse, comme nous l'avons déjà dit, que la France orientale . remarque combien sont faibles les produits des forêts de ces deux 376 ue l'agriculture EN FRANCE. régions; ce qu'il faut attribuer, dit-il, aux usages qui grèvent un grand nombre d'entre elles, et à l'état de di- lapidation où sont tombées celles avoisinant des popula- tions concentrées. REMARQUES Naturellement nous avons dû suivre, dans celle analyse du travail que le ministre a fait sur l'agri- culture. Tordre qu'il y a suivi ; mais il eût beaucoup mieux fait de commencer par ce chapitre. En por- tant ce jugement, nous sommes appuyés par la Genèse; elle nous dit que Dieu , après avoir créé la terre, créa immédiatement les herbes verdoyan- tes. L'ordre divin est toujours simple ; il était sim- ple que la création des herbes précédât celle des animaux qui devaient en être nourris, comme; la création des animaux précéda celle de l'homme, qui devait y trouver une partie de sa subsistance. L'herbe, voilà le principe, le fond, l'âme de l'agriculture. Telle fut l'opinion de Caton. C'est donc en comparant la qualité et la quantité de celte sorte de production, qu'on peut juger de la richesse de chaque État de l'Europe. Et s'il plaît à l'Angleterre d'employer sa fortune à opprimer le globe, c'est de l'herbe, exclusivement de l'her- be, qu'elle en tient les moyens. La Providence fait dépendre l'existence de l'homme de sa subsistance , et l'herbe est le seul LIV. 11. DES PRODUITS DE h AGRICULTURE. 377 moyen de produire cette subsistance ; aussi cette providence a voulu que tous les points de ce globe susceptibles d'être habités par l'homme, produi- sissent spontanément l'herbe ; que ses espèces en fussent variées , à ce point qu'un sol couvert de pierres, comme un sol couvert d'eaux, que le sommet des montagnes comme le fond des préci- pices, pussent en produire ; qu'il y eût des herbes dont la végétation bravât le froid des régions du pôle, comme la chaleur des régions de l'équateur. Tandis que le froment, auquel nous mettons, et avec raison, tant de prix, ne peut se cultiver que du 30e au 55e degré, et encore n'est-il qu'une con- séquence de la production de l'herbe. Les animaux qu'elle nourrit fournissent l'engrais nécessaire à la végétation de ce grain. Nous ne parlons ici que de cette herbe produite spontanément sans aucun travail. Or, si les culti- vateurs d'un pays organisent leurs travaux et leurs talents pour transformer leurs pâturages en prai- ries, chaque pays comme chaque famille peut dé- cupler ses produits et conséquemment sa fortune. Mais cette fortune ne peut s'élever, se conserver et s'accroître encore que dans le cas où la société su- bit les conditions d'une discipline persévérante ; car il n'y a eu aucune exagération dans l'assertion qu'ont faite tant de célèbres agriculteurs anglais, qu'il fallait cinquante ans pour fonder une bonne ferme; et, par cette expression, ils entendent tou- l 378 DE L'AGRICULTURE EN FRA1VCE. jours que les quatre cinquièmes de la superficie sont en prairies. D abord, soit pour les irrigations ou Jes dessèchements, ou encore les canaux, il a fallu maîtriser les eaux a partir du sommet des sources jusqu'au fond des vallées , toujours au moins à dix lieues, et quelquefois à cent lieues de distance : il a fallu régler le cours de ces eaux ; et pour cela que de ponts, que de chaussées* que d'é- cluses a construire! Et pour se procurer tant de matériaux, que de routes il a fallu percer, que de carrières il a fallu ouvrir, (pie de mines il a fallu creuser! Il a fallu ensuite diviser la superficie de cette ferme de deux cents hectares en cent carrés, et enclore chaque carré de haies ; il a fallu remuer et nettover la terre de 12 à 30 pouces de proton- deur: il a fallu apporter sur le sol quelques pouces de hauteur en substance calcaire, si le terrain est argileux, et vice \ersa: il ;i fallu ensuite trouver Therbe qui convient au sol, et la race du troupeau qui convient à 1 herbe. Qu'on ajoute a cela la con- struction des bâtiments nécessaires au logement des hommes et des bestiaux ; puis tan I de fautes. cF er- reurs a corriger , d accidents, de mécomptes qui ne pouvaient se presoii . e1 qu ou u a pas le temps de réparer. Mais la plus grande difficulté a vaincre est celle de se procurer un grand capital et de résister à la tentation de venir partager les élégantes jouis- sances des x i 1 1 es pendant une jeunesse qui ne se renouvellera plus. L!V. II. DES PRODUITS DE L'AGRICULTURE. 379 Qui donc peut, qui a pu remplir toutes ces con- ditions, sinon les ordres religieux ? Toujours dans la force de I âge, ils n'ont ni adolescence ni cadu- cité ; et ils ont fait dans cette ingrate Europe tout ce qu'il y a de bon et de beau. Si donc il faut le talent, la science, la fortune de plusieurs généra- tions d'hommes de bien pour élever cette con- struction d'une ferme, sera-ce pour qu'à la mort du propriétaire elle tombe en destruction sous la plume d'un robin? Voilà pourtant l'histoire de la France. Notre clergé et notre noblesse avaient fait de grands travaux, on peut le dire en dépit des contradicteurs. Si depuis dix ans nos gens de loi ne détruisent plus rien de grand , c'est qu'ils ont fini de tout détruire il y a vingt ans. Eh effet, que nous dit le travail du gouvernement français? sur cent hectares il y en a dix de prairies, dont sept de prairies naturelles produisant un reVenu net de 1 10 francs l'hectare, et -i d'artificielles en produi- sant 105. Oue nous dit le travail du gouvernement anglais? Sur cent hectares il y en quatre-vingts de prairies, et il n'y a plus de jachères. Et notre mi- nistère ose avouer qu'en France sur chaque cent hectares il y en a trente de jachères, pâtis ou pâ- turages dont le revenu moyen est de 12 francs l'hectare ! Et cependant abondance, richesse, force, puissance, tout cela ne s'obtient que par l'agricul- ture; et les succès de l'agriculture ne s'obtiennent que par des prairies, et les prairies ne s'obtiennent ■ 1 380 DE LAGRICULTURE EN FRANCE. que par l'agglomération du sol et de la perpétuité de possession; et celte agglomération et cette per- pétuité ne s'obtiennent que par les droits de main morte, de primogéniture et de substitution. » Le public en France s'irrite de ce que, malgré le progrès des lumières, on ose énoncer cette doc- trine ; et en Angleterre elle est popidaire même parmi les radicaux. Mais en Angleterre les gens de mauvaise foi sont éclairés par l'expérience; et en France les gens de bonne foi ont livré leur in- telligence à des journalistes et à des légistes. Nous croyons devoir rendre ce service au lecteur, de lui dire quels sont en pratique les effets de ces nobles institutions, qui à la première vue paraissent en effet dépouiller les enfants cadets en faveur du fils aine. D'après les pièces officielles, sur cent chefs de famille qui meurent il en est d'abord quatre- vingt-trois dont l'héritage n'est pas même de vingt louis. Ces quatre-vingt-trois ne laissent presque rien, ou ne laissent rien, ou laissent moins que rien. Les cadets de ces 83 familles n'ont pas à se plain- dre du privilège de leur frère aîné ; tous également pauvres, ils n'ont pour vivre que leur travail. Sur ce nombre de cent décédés il n'y a donc que A dix-sept héritages ; sur ces dix-sept il en est seize qui ne consistent qu'en propriétés mobilières , comme marchandises , vaisseaux , fonds publics, actions, créances ou argent; et cette nature de pro- priétés n'est pas soumise aux droits de primogéni- LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 381 ture. Le décédé a eu un droit illimité d'en disposer à son gré, même aux dépens de ses enfants. Sur ces seize décédés il en est près de cinq qui sont morts abintestat. Ce sont en général des personnes qui n'avaient qu'un enfant, ou qui, n'ayant point d'en- fants, n'ont qu'un collatéral du premier degré , ou si elles en avaient plusieurs, ont voulu les laisser se partager également la valeur de la propriété ; et jusqu'ici la philantropie la plus susceptible n'a pas le droit de se lamenter. Il reste donc onze hérita- ges, sur ceux-là il en est dix en propriétés mo- bilières que les décédés ont pu léguer à leur gré. Laissant les exceptions à part, ils les ont léguées à leur fils aîné, et souvent même ils les ont substi- tuées à l'aîné des mâles pour deux générations, comme ils en avaient le droit ; mais on doit obser- ver qu'ils n'étaient point forcés de le faire et qu'ils pouvaient partager également entre tous leurs en- fants. Le plus souvent même ils ont obligé l'aîné de payer certaines légitimes aux autres enfants. Jus- qu'ici encore la philosophie ne se récrie pas beau- coup. Un homme a gagné sa fortune, et elle lui pardonne s'il la joue ou s'il la dissipe ; pourquoi n'aurait-elle pas la même indulgence s'il la distri- bue mal? Il nous reste donc à parler d'un héritage sur cent qui se compose à la fois de propriétés mobilières et de propriétés territoriales. Les décédés ont pu disposer de leurs propriétés mobilières à leur gré, 382 de l'agriculture en frasce. mais il n'en a pas été de même de leurs propriétés territoriales; et c'est ici que commencent et finis- sent les abus tant lamentés par cet intelligent pu- blic français. Ces propriétés foncières sont soumises aux droits de primogéniture et de substitution. A peu d'exceptions près, le décédé n" a pu et son hé- ritier ne peut les vendre pour paver les créanciers, ni les partager entre ses enfants. Sur cent, il en est donc quatre-vingt-dix-neuf qui sont régis par des lois que la philanthropie moderne excuse ou même adopte : elle ue s'apitoie que sur cette famille unique sur cent. Voyons quel est son sort. Le chef de cette famille a laissé en mourant trois enfants; tel est le nombre moyen dans toute l'Europe. Un seul est héritier? celui-là ne se plaint pas, il se marie comme les autres hom- mes, suivant son rang et eonséqueinment avec une fille de propriétaire de terre : elle ne se plaint pas de n'avoir point de dot, puisqu'elle épouse un hé- ritier qui apporte celle de ses frères et sœurs. Sur les trois enfants, il \ en a donc deux qui n'ont aucun droit aux lamentations du public français. l,n résultat, sur trois cents enfants qui naissent dans la Grande-Bretagne, il en est un qui ne par- ticipe pas a la fortune de sou père; mais il est le frère ou la sœur des plus riches propriétaires du monde ; et ces propriétaires sont les distributeurs de tous les bons emplois du pays. Tels scrupuleux qu'ils soient dans leur choix, le sang parle et parle LIV. If. DES PRODUITS J»E L AGRICULTURE. 383 haut. Le mérite de leur lrere cadet leur paraît au moins égal à celui de tout concurrent. Ces cadets obtiennent donc de préférence les emplois que pré- sentent l'Église, Tannée, la marine, la magistra- ture ou l'administration. Les rétributions de ces emplois ont été fixées par les aînés à de telles som- ' mes, que souvent ces frères cadets arrivent à de plus hautes fortunes que leurs aînés. Nous n'ou- blierons pas les sœurs qui n'ont pas trouvé à épou- ser des propriétaires de terre. 11 n'y a pas de couvents en Angleterre; il s'agit donc de se marier sans dot. Mais comme elles ap- partiennent aux familles les plus anciennes et les plus puissantes, elles trouvent facilement à le faire, à la charge de déroger et d'épouser un simple ro- turier : ce qui, en Angleterre, est tout au plus un mariage légitime. F.nsuitesi l'héritier fait tant pour placer son frère, il fera bien quelque chose pour placer son beau-irere; si au contraire la sœur reste célibataire, il lui fera une pension. On se demande avec honte qui a pu enraciner dans l'esprit public des préjugés aussi ridicules sur le droit de primogéniture, et fausser, affaiblir, avi- lir l'intelligence des Français à ce degré d imbéci- lité unanime jusqu'à sapito\er sur le sort de la classe la plus puissante de l'Europe par sa fortune, son antiquité, son influence et son pouvoir; tandis que f espèce humaine fourmille de pauvres, de ma- lades ou d' infirmes? Le droit de primogéniture n'est 384 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. autre chose qu'une paternité prolongée; peut-être est-elle moins sentie et d'une protection moins ef- ficace : mais le protégé est plus âgé, et jouit donc d'une raison, d'une force ou d'un talent que ne peuvent avoir ni l'enfance ni l'adolescence. Tous ces avantages aujourd'hui sont publiquement et légalement méconnus, mais la France ne pouvait rien attendre de mieux des écrits de ses journalistes ou des discours de ses bandes assemblées , comme électeurs, éligibles ou élus par le peuple ou la cour, composées de gens qui, ayant tout détruit, se sont détruits eux-mêmes, et sont pour la plupart arrivés à une médiocrité de fortune si humiliante qu'ils sont obligés de solliciter du Pouvoir le morceau de pain qui leur est nécessaire. Si, en France, avant la Révolution, il y avait beaucoup de gens à idées fausses , il y en avait aussi beaucoup d'autres à idées justes. Faire une maison et perpétuer une famille , même en dépit des lois, était un objet d'ambition chez beaucoup de gens, surtout dans certaines provinces ; mais aujourd'hui en pratique, nous voyons, d'après les pièces officielles, que généralement un père ne fait pas pour son fils-aîné même ce que la loi permet, et elle ne permet presque rien pour sauver sa fa- mille et l'empire. En somme, les subsistances forment les trois quarts de la dépense, et conséquemment de la ri- chesse d'un pays. La certitude de la récolte, la L1V. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 38Ô quantité, la qualité des subsistances reposent exclu- sivement sur la quantité et la qualité des prairies. La quantité et la qualité des prairies reposent exclu- sivement sur l'agglomération du sol et la perpé- tuité de possession. Donc, il en faut prendre son parti. Or, toute famille qui possédera à perpétuité un sol aggloméré , c'est-à-dire une ou plusieurs terres sera une famille noble, quelle que soit son origine; d'abord, en présence d'une famille qui a plusieurs pages dans l'histoire, mais qui n'a rien de plus, ensuite en présence d'une famille même beaucoup plus riche, mais qui n'a que des proprié- tés mobilières, lesquelles peuvent se jouer, se dis- siper ou se vendre. Et qui étudiera avec quelque attention les immenses travaux qu'ont faits, depuis dix ans, les gouvernements français et anglais, se convaincra intimement que noblesse et subsistance sont synonymes, et que se vanter de n'avoir point de noblesse, ainsi qu'on le fait en France, c'est se vanter de se nourrir de la manière la plus ignoble ainsi que le font 6 millions de familles en France sur 7 qu'elle contient. Le Christianisme, en détruisant l'esclavage, ne livra pas plus au hasard le peuple pour sa nourri- ture matérielle que pour sa nourriture intellec- tuelle. Si, dès lors, les ordres religieux jouirent du droit de main-morte, la noblesse jouit du droit de primogéniture et de substitution. L'Angleterre dé- truisit les ordres religieux. On a vu par les en- î. 25 386 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. quêtes quels en furent les funestes effets dans Tordre moral ; mais elle conserva les droits de pri- mogéniture et de substitution ; et on a pu voir également quels en sont les effets salutaires dans Tordre matériel. Nous concluons qu'il n'est pas loisible aux hommes de se faire des lois à leur choix. Dieu y a pourvu avantageusement; et lors- qu'un corps politique se défait de son clergé ou de sa noblesse, c'est aux risques et dépens de sa force ou dé son existence, tout comme si un individu se défaisait volontairement de ses bras ou de ses jambes. LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. o87 CHAPITRE IV. RECENSEMENT DES ANIMAUX DOMESTIQUES. Continuant à analyser le travail du ministre, nous ar- rivons au recensement des animaux domestiques. Sous ce titre on trouve le nombre de chaque sorte d'animaux, les prix moyens, la valeur totale, le revenu moyen donné par chaque animal , et le revenu total donné par chaque sorte d'animaux. Écoutons d'abord ce que le ministre dit de la certitude des chiffres qu'il présente. « Les chiffres de ces tableaux n'ont pas entre eux le même degré de certitude. On peut donner une très-grande confiance au recensement des animaux domestiques, qui est le document le plus essentiel. Les prix moyens s'ac- cordent assez bien avec la réalité des choses ; leurs va- riations résultent des espèces supérieures, comme celle des mérinos, ou des espèces perfectionnées, telles que celles provenant des haras. La valeur totale des animaux est formée de leur prix moyen, multiplié par leur nom- bre. Une opération analogue donne le revenu total par la détermination du revenu moyen; mais les chiffres de celui-ci ne doivent être regardés que comme des indica- tions, attendu que, sur ce sujet, les matériaux n'ont pas été parfaitement satisfaisants. Cependant, il convient de remarquer que les défectuosités se bornent aux moyen- nes locales, et qu'elles s'effacent dans les moyennes qui présentent des termes généraux, formés de l'aggloméra- 388 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. lion d'une multitude de chiffres, parmi lesquels dominent les nombres exacts. » Le ministre revient encore sur ce sujet dans le tome troisième de sa publication. « Les animaux élevés et multipliés par l'agriculture , dit-il, sont l'objet de cette seconde partie. Leurs espèces différentes ont été recensées par commune, en 1839, pour fournir les matériaux numériques dont est formé ce tra' vail. Quel que soit le soin qu'on y ait apporté, le degré de certitude des chiffres de chacune de ces séries varie selon la nature de leurs objets. Le dénombrement des différen- tes sortes d'animaux mérite toute confiance ; il peut conte- nir dans certains départements quelques omissions, mais les résultats généraux, qui comprennent une masse de Nord occidental. . . Nord oriental. . . . Midi occidental. . . Midi oriental. . . . NOMBRE DE CHAQUE SORTE Taureaux. Bœufs. Vaches. Veau*. TOTAL BÉTAIL. Béliers. Moutons. Brebis. 100,148 55,763 138,662 99,593 514,991 361,618 747,521 326,572 1,957,126 1,651,381 926,063 946,456 747,742 560,062 414,838 334,514 3,320,007 2,628,824 2,227,084 1,707,135 102,829 70,278 213,921 177,132 2,569,432 2,151,004 2,113,393 2,597,589 2,793,212 2,958,145 5,190,122 3,696,778 Nord Midi 155,911 238,255 876,609 1,074,093 3,608,507 1,872,519 1,307,804 749,352 5,948,831 3,934,219 173,107 391,053 4,720,436 4,710,982 5,751,357 8,886,900 France continentale. 1 39/j,166 4,860 1,950,702 18,136 5,481,026 20,799 2,057,156 9,693 9,883,050 53,488 564,160 11,555 9,431, 418 30,762 14,638,257 166,689 399,026 1,968,838 5,501.825 2,066,849 9,936,538 575,715 9,462,180 14,804,946 LIV. II. DES PRODUITS DE L' AGRICULTURE. 339 cinquante-un millions de têtes de bétail et d'autres es- pèces, n'en sont pas affectés. Les prix ont été relevés par commune, et sontconséquemment des prix de production plus bas que ceux des marchés ; ils rendent nécessaire- ment la valeur totale des animaux inférieure à celle qui ressortirait de l'application de ces derniers prix. Quant au revenu brut, donné par les animaux domestiques, c'est un sujet complexe et difficile qui a besoin d'être exploré de nouveau en détail, et peut-être plus d'une autre fois, avant que d'être considéré comme bien connu. » Après ces explications nous présenterons ici le ta- bleau du nombre de chaque sorte d'animaux domestiques existant en France dans l'année 1839. •'ANIMAUX DOMESTIQUES EN 1839. - Àgneaui. TOTAL. des MOUTONS. Porcs. Chèvres, Chevaux. Juments. Poulains. TOTAL des CHEVAUX. Mules et Mulets. Aura et Anessrs. ,549,721 ,587,710 ,151,276 941,705 7,015,194 6,767,137 9,668,712 8,413,204 1,115,239 1,381,796 1,359,227 996,562 100,777 144,027 191,627 409,347 521,945 475,787 134,621 132,945 510,621 371,066 196,730 110,133 137,258 141,171 43,502 25,888 1,169,824 988,024 374,853 268,966 26,036 18,279 106,128 216,394 81,226 81,472 132,401 113,256 ! 137,431 092,981 13,782,331 18,081,916 2,497,035 2,355,789 244,804 600,974 997,732 267,566 881,687 306,863 278,429 69,390 2,157,848 643,819 44,315 322,522 162,698 245,657 ! ,230,412 78,177 31,864,247 287,183 4,852,824 57,897 845,778 118,522 1,265,298 6,332 1,188,5.30 5,681 347,819 4,816 2,801,667 16,829 366,837 7,004 408,355 | ! 5,164 ,30S,589 32,151,430 4,910,721 964,300 1,271,630 1,194,231 352,635 2,818,490 373,841 413,519 il 390 DE LAGRICULTURE EN FRANCE. « Les principales espèces d'animaux domestiques ap- partenant spécialement à l'agriculture, dit le ministre dans son rapport au roi, forment une immense population qui, dans la partie orientale de la France, s'élève à près de 25 millions de tètes. Le bétail en forme moins d'un cinquième, les troupeaux trois cinquièmes, les porcs un dixième, les chevaux un vingtième, etc. « Dans la France orientale , les départements du Nord ont beaucoup plus de têtes de bétail et de porcs, et trois à quatre fois autant de chevaux que ceux du Midi. Ils ont moins de moutons, de chèvres, de mulets et d'ànes. » Ces paroles du ministre ne Rappliquant qu'à la partie orientale de la France, nous allons analyser tout le tableau précédent en commençant par le bétail. La France possède 9,936,538 tètes de bétail ; Mais le Nord pris en masse en possède. . 5,948,831 Tandis que le Midi n'en a que 3,934,219 Cependant le Nord ne possède que. . . 155,911 taureaux. Tandis que le Midi en a 238,255 Il en est de même pour les bœufs. On n'en compte dans le Nord que. . . . 876,609 Tandis que le Midi en possède 1,074,093 C'est donc par le nombre des vaches et des veaux que le Nord est supérieur au Midi ; et en effet il y a : Dans le Nord. . ; 3,608,507 vaches. Et dans le Midi seulement 1,872,519 Les veaux gardés pour l'élève sont : Dans le Nord au nombre de 1,307,804 Et dans le Midi de 749,352 Ce sont ces derniers qui doivent remplir les vides que les maladies et la boucherie font dans la population du LIV. II. DES PRODUITS DE L' AGRICULTURE. 301 bétail ; mais il est facile de voir qu'il n'existe aucune pro- portion fixe entre les nombres de chaque sorte de bêtes à cornes. Car, prenant l'ensemble de la France, on trouve que sur cent tètes il y a : 4 taureaux, 20 bœufs, 55 vaches et 21 veaux. Mais dans le Nord les proportions sont différentes ; elles se trouvent de : 3 taureaux, 15 bœufs, 60 vaches, 22 veaux. et dans le Midi de : 6 taureaux, 27 bœufs, 48 vaches, 19 veaux. C'est dans le Nord oriental que le nombre des taureaux et des bœufs est le plus petit, comparativement à celui des vaches; car, dans cette région, il y a, sur 100 bêtes de bétail : 2 taureaux, 14 bœufs, 63 vaches, 21 veaux. C'est au contraire dans le Midi occidental que le nom- bre des taureaux et des bœufs est le plus grand, compa- rativement au nombre des vaches. On trouve dans cette région, sur 100 têtes de bétail : 6 taureaux, 34 bœufs, 41 vaches et 19 veaux. , Dans les cinq départements maritimes du Midi occiden- tal, le nombre des bœufs est à peu près aussi grand que celui des vaches, et il est plus grand dans les six départe- ments maritimes du Midi oriental. Si l'on consulte le travail du ministre, on verra que cer- tains départements du Midi possèdent beaucoup de bœufs comparativement au nombre des vaches. C'est ainsi que le département de l'Aude A 17,179 bœufs. El seulement, ,.,,,,.... 7,729 vaches. 3i)"2 de l'agriculture en fratvce. Le département de la Vienne Possède 43,772 bœufs. Et seulement 11,930 vaches. Quelques départements du Midi présentent pour le bé- tail une rareté extraordinaire ; le département des Bou- ches-du-Rhône dont la population est de 362,325 âmes, et dont la surface, de 512,991 hectares, comprend les ar- rondissements de Marseille, d'Aix et d'Arles, Ne possède en tout que 130 taureaux. 1,166 bœufs. •1,510 vaches. 701 veaux. Total. . . . 3,507 tètes de bétail. Le département de Vaucluse dont la population est de 246,071 âmes, et la surface de 347,377 hectares, ce qui comprend les arrondissements d'Avignon , Carpentras, Apt et Orange, Ne possède que. 12 taureaux. 722 bœufs. ZJ50 vaches. 255 veaux. Total. . . . 1,439 têtes de bétail. Et dans ce dernier département, l'arrondissement d'O- range dont la population est de 67,443 âmes, et la surface de 97,312 hectares ne possède en bétail que 60 bœufs, 68 vaches et 4 veaux, en tout 1 32 têtes de bétail. .Nous avons vu que, dans certaines parties du Midi, le nombre des bœufs était beaucoup plus grand que celui des vaches; c'est le contraire dans certaines parties du Nord. Dans les neuf départements frontières du Nord oriental il y a sur 100 têtes de bétail 1 taureau, 12 bœufs, 64 vaches et 23 veaux. Mais si l'on consulte le travail du minisire, LIV. II. DES PRODUITS DE L'AGRICULTURE. 393 on verra que, dans quelques départements, le nombre des bœufs est excessivement petit comparativement à celui des vaches. Si l'on additionne la Somme, la Seine-Infé- rieure, l'Oise, l'Eure, la Seine-et-Oise, la Seine, le Pas-de- Calais, la Seine-et-Marne, on trouvera que, dans ces huit départements, formant plus de 4,200,000 hectares, il n'y a que 3,732 bœufs, pour 645,488 vaches, c'est-à-dire, la proportion d'un bœuf pour 173 vaches. Les arrondissements présentent des différences encore plus frappantes ; par exemple, dans le département des Côtes-du-Nord, l'arrondissement de Dinan dont la surface est de 130,391 hectares et la population de 111,995 âmes, ne possède que 15 bœufs sur [34,716 vaches. Dans Seine- et-Oise, l'arrondissement d'Etampes, dont la superficie est de 80,018 hectares et la population de 41,062 âmes, ne possède point de bœufs et a 10,932 vaches. Dans Eure-et- Loire, les arrondissements de Chartres, Chàteaudun et Dreux, dont la superficie est ensemble de 471,619 hec- tares et la population de 239,529 âmes, ne possèdent que 34 bœufs et ont cependant 57,823 vaches. Dans le Loiret, l'arrondissement de Pithiviers, dont la superficie est de 1 18,932 hectares et la population de 60,828 âmes, possède 32 bœufs et 19,662 vaches. Dans Seine-et-Marne, l'ar- rondissement de Fontainebleau dont la surface est de 134,673 hectares et la population de 71,974 âmes, ne pos- sède que 4 bœufs contre 14,648 vaches; celui de Provins dont la surface est de 116,760 hectares et la population de 51,017 âmes, possède 1 bœuf et 16,352 vaches. Passons maintenant à la partie du tableau précédent qui donne le recensement des moutons. La France pos- sède, en y comprenant la Corse, 32,151,430 moutons; m;iis il n'en e\is(<- : 394 de l'agriculture m france. Dans le Nord que 13,782,331 Tandis qu'il y en a dans le Midi. . . . 18,081,916 C'est le Midi occidental qui en contient le plus grnad nombre, et le Nord oriental le plus petit. Les agneaux sont compris dans ce recensement. Il y en a dans toute la France 7,308,589. Le Nord en contient 1 million de moins que le Midi. La proportion sur 100 bêtes ovines est dans toute la France de : 2 béliers, 29 moutons, /j6 brebis, 23 agneaux. Dans le Nord : 1 bélier, 34 moulons, l\1 brebis, 23 agneaux. Dans le Midi : 2 béliers, 26 moutons, 49 brebis, 23 agneaux. On voit donc que le nombre proportionnel des agneaux est le même, mais que le Midi possède plus de brebis et de béliers que le Nord , tandis que le nombre proportionnel des moutons est plus petit. Le nombre des porcs est, dans toute la France, de 4,910,721, qui sont répartis à peu près également entre le Midi et le Nord. Le nombre des chèvres est de 964,300 ; mais le Midi en possède deux fois plus que le Nord. C'est dans la région du Midi oriental que leur nombre est le plus grand. Le recensement des chevaux comprend tous ceux qui existent , qu'ils soient employés à l'agriculture ou h d'autres travaux; leur nombre, dans toute la France, est de : Chevaux 1,271,630 Juments 1.194, 231 Poulains 352,635 Total. . . . 2,818/(96 LIV. II. DES PRODUITS DE L' AGRICULTURE. 395 Il en existe : Dans les 42 départements du Nord. . . . 2,157,848 Et dans les 43 du Midi 643,819 Le Nord possède donc trois fois plus de chevaux que le Midi ; mais le nombre des poulains y est quadruple puis- qu'il y en a : Dans le Nord 278,429 Et dans le Midi 69,369 Sur 1 00 chevaux il y a dans toute la France : 45 chevaux, 42 juments, 13 poulains. Dans le Nord : 46 chevaux, 41 juments, 13 poulains. Dans le Midi : 42 chevaux, 47 juments, 11 poulains. En jetant un coup d'oeil sur le tableau, on verra que le plus grand nombre de chevaux est dans le Nord occidental, et le plus petit dans le Midi oriental. 11 s'en faut de beaucoup que le déficit des chevaux du Midi soit compensé par le plus grand nombre de mules et mulets, ânes et ânesses dont le recensement est exprimé dans les deux dernières colonnes du tableau. La France possède en tout 373,841 mules et mulets. Le Nord en a ; . . . . 44,315 Et le Midi 322,522 Le nombre des ânes et ânesses est dans toute la France de 13,519, sur lesquels : Le Nord en possède 162,698 Et le Midi. . . 245,657 Pour satisfaire à la nécessité de recueillir les nombres du tableau précédent, un recensement des chevaux a été 396 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. exécuté à Paris, en 1839, par la Préfecture de police. En voici le résultat, tel que le ministre le présente dans son travail. 11 est bon de rappeler que la superficie de l'arron- dissement de Paris est de 3,424 hectares, et sa popula- tion, en 1836, sans compter la population flottante, est de 909,126 âmes. Il s'est donc trouvé en 1839 : Chevaux d'agriculture. 72 — de trausport., 3,845 — de roulage 559 — de messageries 1,753 — de voitures de place 4, 432 — de voilures particulières 5,775 — de selle 983 Total. . . . 17,469 qui se divisaient en 9,400 chevaux et 8,069 juments. Il y avait de plus 24 mules et mulets, et 290 ânes et ànesses. Le département de la Seine qui est partagé en trois ar- rondissements savoir : Paris, Saint-Denis et Sceaux, dont la superficie totale est de 47,548 hectares, et la popula- tion, en 1836, de 1,106,891 âmes, possédait.- EN BÉTAIL. Taureaux 59 Bœufs 28 Vaches 15,939 Veaux 300 Total du bétail. . . î 6,326 EN TROUPEAUX. Béliers 7S Moutons 24,070 Brebis 2,678 Agneaux 1,418 Total des troupeaux. . . • 26,244 Porcs 4»07> Chèvres 969 LIV. II. DES PllODLITS DE L AGRICULTL KE. 39" EN CHEVAUX. Chevaux.. 21,240 Juments 15,003 Poulains 28 Total des chevaux. . . 36,271 auxquels il faut ajouter 61 mules ou mulets et 1732 àues ou ànesses. On a coutume de comparer le nombre des animaux à la population humaine. Nous avons donc dressé le tableau suivant qui donne le nombre proportionnel de chaque sorte d'animaux domestiques existant en France pour 1,000 habitants. Le recensement des animaux est de 1839 comme on l'a déjà vu, celui des habitants est de 1836. 199 DE LAGltlCULTUKE E\ FRANCE. p S i / * 1 1 O -. o — l es en W. / "• X — ~ — -— — es "~ •< X 1 M CS " O CN es ~ CO ■ a Dd m o SE oo oo oo a - * n 1 - •- 2 ? 2 -■ 1 3 M i ■ - 1 ^ 1* i^ CN o PO ■tnei ni 1 o o a> oo 1 3 S 1* g ■••"••1 1 O - ■ > ci o 1 - i s 1 ? ■xne*u9\ I m oo - I (o es o o i .i| ie \ 12 I s; ' I \1 "5 S 3 s s - 3 o o i s fe H S SI Ll\. 11. DES PRODUITS OE L AGRICULTURE. 398 D'après ce tableau, il y a 296 tètes de bétail pour 1,000 habitants dans l'ensemble de la France, savoir : 12 tau- reaux, 59 bœufs, 164 vaches et 61 veaux. Mais le Nord en possède 3io Tandis que le Midi n'en a que 271 Et cependant, le nombre des taureaux et des bœufs, réparti sur chaque 1,000 habitants, est beaucoup plus petit dans le Nord qu'il ne l'est dans le Midi ; c'est donc principalement, comme on l'a vu, le nombre des vaches et des veaux qui est plus grand dans le Nord. Si l'on compare les régions entre elles, on verra que pour 1,000 habitants, le Nord occidental a 323 têtes de bétail; le Nord oriental, 308; le Midi occidental, 312, et le Midi oriental, 232. Dans les 9 départements maritimes du Nord occiden- tal, le tableau précédent montre qu'il y a 398 têtes de bétail pour 1,000 habitants, tandis que, dans les 6 dépar- tements maritimes du Nord oriental, il n'y en a que 42, savoir : 1 taureau, 19 bœufs, 16 vaches et 6 veaux. Si l'on examine la partie du tableau qui a rapport aux moutons , on verra que, dans toute la France, chaque 1,000 habitants correspondent à 958 moutons, savoir: 17 béliers, 282 moutons, 441 brebis, 218 agneaux; mais les proportions sont très-différentes dans les diverses parties de la France. Ainsi 1,000 habitants correspon- dent : Mouton». Dans le Nord a , • . . 733 Dans le Midi à 4,243 Dans le Nord occidental à G83 Dans le Nord oriental à. . 792 Dans le Midi occidental ù 1,353 Dans le Midi oriental à , . 1,140 Dans les 9 départements frontières du Nord oriental à. . 377 Dans les 13 départ, intérieurs, du Midi occidental à . . 1,607 400 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. Si nous passons aux autres animaux, nous verrons que la France possède pour 1,000 habitants 146 porcs et 29 chèvres; mais le Nord n'en a que 133 et 13, tandis que le Midi en possède 162 et 41. Le nombre proportionnel des chevaux est de 84 dans toute la France, savoir: 38 chevaux, 36 juments et 10 poulains; mais le Nord est, relativement à sa popula- tion, beaucoup mieux partagé que le Midi, puisque 1,000 habitants correspondent : Dans le \ord à 115 chevaux. Et dans le Midi seulement à !\l\ C'est dans le Nord oriental que ce nombre est le plus grand. On y compte pour 1,000 habitants 56 chevaux, 43 juments, 17 poulains; en tout 116. C'est dans le Midi oriental que ce nombre est le plus petit ; il se trouve de 18 chevaux, 1 5 juments, 3 poulains ; en tout 36. On croirait que le nombre des mules et mulets , ânes et ânesses, peut compenser le déficit en chevaux du Midi sur le Nord ; mais dans toute la France on ne compte, avec les jeunes animaux, que 11 mules et mulets pour 1,000 habitants, et 12 ânes et ânesses. La proportion , pour le Nord, est de 2 mules ou mulets, et 9 ânes et ânesses; pour le Midi, de 22 et 17. Si donc, comparant le Nord au Midi, on jugeait de la richesse par le nombre proportionnel des animaux pour 1,000 habitants, on pourrait dire que le Nord est plus riche en vaches, en veaux, en chevaux, juments, pou- lains, tandis que le Midi est plus riche en taureaux, bœufs, béliers, moutons, brebis, agneaux, porcs, chèvres; mules et mulets, ânes et ânesses. Mais le nombre doit être combiné avec la qualité pour établir des idées pré- L1V. II. DES PRODUITS DE LAGRICUL'iLlUi. 401 cises ; car une plus grande quantité d'animaux de races inférieures peut ne pas équivaloir à un plus petit nombre de races perfectionnées. Nous allons donc chercher, dans le travail du ministre, des éléments plus justes de com- paraison entre les diverses régions de la France. Or, on peut juger de la qualité par la valeur, et le ministre présente dans son travail le prix moyen de chaque sorte d'animaux domestiques existant en France en 1839. Ces prix ont été relevés dans chaque commune séparément, comme cela a été expliqué. 1. 26 i02 DE EAGlilCILTLKE EJN EttAiNCE. 1 - i O o o o o o O O o s s O o o o o o O o o ï — ™ Z a o * s ! cT <3> 1^ es 00 a o Ci OO »* es ira <* 00 oo OJ oo O o o o 1 o O O O ° 1 O o O ° O O O o o 1 C/5 ■-O t^ CO JB CO Ci oo es CJ g g es es es o es t^ t^ •ai t^ -" *■ ~ es 1 '■* -" "" -* "" O o O O O o O o O PS - « O o o o o o o o o É- S ta vft cr, uO o es ■o o r- o 1 CD t~- «O CO r- co r^ oo r~. O o O o O O O O O O o o o o o O O O 09 c 3 »n Iffl r^ Ci oo r> O CO M OO CD "3" t »* ■* v* O «* Çf » O o O O O O O o O O o o O o o O o o H OO 00 oo 00 >n o es r> es f= I-> t^ oo oo r-« CO t^ O K O g i/5 o o O O O o o O oo t^ a O r^ CO o c<: Q ^3 r» o t> o Ci Ci Ci CO C5 H J *1 — o o o o o O o O O " o o o o o o o O O 1 - 5 \ / l o o oo oo uO o H0 oo ifi oo CO C3 OS CO ro oo es oo O o O 'A *n m o O o <î ^ •xno^iiSv •10 es t^ O o r» r- 0 H 00 r^ oo *» 00 oo ta es O ri 'O O o >-0 O o o O O r^ o r» vr es O es O CD CO «o oo es t^ e» o os H '-' »■" *■* Iffl O o m O o o o o O »* f^ O o m o UO M ta o o o C"') o oo CO oo -— < ■A ■-1 uO uO O o o ira O o % o »" OO co o «3 es o O Q Î3 CN O tx CN CN oo es es es es '■" es «î O O O O O o O O O O o o O O O o O o o S ti o r^ oo es es Ci en Ci I> oc C5 oc ^ o CO ao •o 00 O o O O o o O o O O o O O o O o o O 2 "1 1 es co uo t^ cî ** 00 oo •j< • o CO »a< <* uO o o o J O o o O o o o O o S § O o O O o o c O o 3 rt H S 05 05 oo co o r-^ m r^ «3" ~ o a oo 00 00 CO 00 «-■0 00 • • • • ci "H a> s -■fl s ^3 .« o V T3 c rs C "3 .ï 'S _çu o o "5 « o o o o V 03 -3 -p .,,, ._ -O ._• u s C3 ai U a î9 O S -a rs O t3 S SB £ S S s S Ë u Ë LIY. II. DES PRODUITS DE LAG1UCLLTURE. 403 Ce tableau montre que le prix moyen d'un taureau, qui est en France de 84 fr., est de 80 fr. dans le Nord, et de 87 fr. dans le Midi. Le prix d'un bœuf est de 153 fr. en France, de 147 fr. dans le Nord et de 159 fr. dans le Midi. Le prix moyen d'une vache est de 89 fr. en France, de 92 fr. dans le Nord, et de 82 fr. dans le Midi; celui d'un veau, de 25 fr. dans le Nord, de 26 fr. dans le Midi. Mais c'est surtout pour les moutons que les différences de prix sont fort grandes. Le prix moyen d'un bélier est de 16 fr. 05 cent, dans toute la France, de 24 fr. dans le Nord, de 12 fr. 80 cent, dans le Midi. Les moutons, les brebis, les agneaux sont aussi d'une valeur beaucoup plus grande dans le Nord. Les porcs et les chèvres dif- férent peu entre eux. Les chevaux , les juments et les poulains sont d'une valeur plus grande dans le Nord. Mais si , au lieu de comparer les prix moyens du Nord, pris en masse, à ceux du Midi, on compare entre eux les prix dans les différentes régions , on trouvera , surtout pour les moutons et les chevaux, d'énormes différences. Ainsi, un bélier qui n'a dans le Midi occidental qu'une valeur de 11 fr. 35 cent., en a une de 26 fr. 15 cent, dans le Nord oriental ; et cette valeur s'élève jusqu'à 34 fr. 20 cent, dans les 12 départements intérieurs du Nord occidental, tandis qu'elle s'abaisse à 10 fr. 60 cent, dans les 13 départements intérieurs du Midi occidental. Les moutons, les brebis, les agneaux, les chevaux, ju- ments et poulains, présentent des différences sembla- bles. Ces nombres, qui sont les moyennes de plusieurs dé- partements réunis, ne donnent pas encore une idée assez exacte de l'état de l'agriculture du pays et des variations lOl DE LAG1UCULTUU1!; LiN FRANCE. qu'éprouvent, d'un département à l'autre, les valeurs des animaux et par conséquent le perfectionnement des races. Nous allons donc comparer entre eux le dépar- lement du Calvados et celui du Morbihan ; ils sont tous deux des départements maritimes, situés dans la région du Nord occidental. Le prix moyen de chaque animal est porté ainsi qu'il suit dans le travail du ministre. liai,, le Dans le Calvados. Morbihan. Un taureau vaut moyennement. ... 112 fr. 33 fr. Un bœuf. 196 104 Une vache 125 47 Un veau 42 10 Un bélier 23 7 Un mouton 19 6' «30 Une brebis ! o o 00 m o (M « o M ira o C5 te «?H « C ffl ■S QJ .5 K K -3 .- ._ s- "3 T3 LIV. ÏI, DES PRODUITS DE L' AGRICULTURE. 407 On voit donc que la valeur totale des animaux domes- tiques tétait, dans l'année 4839, pour toute la France, de 1,870,572,369 fr. Dans le Nord de 4,111,455,894 Dans le Midi de. 749,622,080 La valeur totale du bétail, des moutons, des porcs et des chèvres, était : Dans toute la France de.. .;..;, 4,372,236,469 Celle des chevaux, mules et mulets, ânes et anesses. . • 498^335,900 En jetant un coup d'œil sur le tableau, on verra com- ment ces différentes valeurs sont réparties. En comparant les chiffres de ce tableau avec ceux qui indiquent le nombre des animaux, on s'apercevra facilement que la plus grande valeur ne correspond pas toujours au plus grand nombre. Ainsi, dans le Nord : 13,782,331 moutons valent. ..... 476,632,749 fr. Tandis que dans le Midi , 18,081,916 moutons ne valent que. . . 136,005,431 fr. Dans les 9 départements maritimes du' Nord occiden- tal, 053,938 chevaux valent 75,332,705 fr. Dans les départements intérieurs, 515,886 chevaux valent 92,772,368 fr. Il est inutile de multiplier les exemples; ceux-ci suffi- sent pour montrer que le nombre proportionnel de chaque sorte d'animaux domestiques existants , pour 1 ,000 habitants, est une indication erronée de la richesse. On arrive à des résultats plus exacts en comparant à la population la valeur totale de ces animaux. 408 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. Si l'on fait ce calcul; on trouvera que le capital total réparti entre tous les habitants donnerait , pour chacun d'eux les nombres de la table suivante. En bétails,! En cheTaux, NORD OCCIDENTAL. troupeaux En porcs. a » total. et chevre§. Dans les 9 départ8 maritimes.. . 35 fr. 4 fr. 15 fr. 54 fr. 12 départ» intérieurs. . . 36 4 19 59 Moyenne du Nord occidental. ,36 4 17 57 NORD ORIENTAL. Dans les 9 départ8 frontières.. .31 5 16 52 12 départ9 intérieurs.. .47 6 22 73 MIDI OCCIDENTAL. MIDI ORIENTAL. Dans les 4 départ8 frontières. . . 6 départ" maritimes.. . 12 départ9 intérieurs. . . Moyenne du Midi oriental. . . . Moyennedes 42 départ9 du Nord, des 43 du Midi. .... de la France continentale. Moyenne de la Corse 28 de toute la France. . Moyenne du Nord oriental. . . 37 6 19 62 Dans les 5 départ9 maritimes.. . 40 7 10 57 13 départ9 intérieurs.. . 43 6 9 58 3 dépari9 frontières.. .33 5 7 45 enne du Midi occidental.. . 41 6 9 56 30 t\ 12 46 23 5 26 54 31 6 7 44 29 5 13 47 36 5 18 59 35 6 11 52 36 5 15 56 28 6 12 46 36 5 15 56 La valeur totale de tous les animaux domestiques, répartie sur la population, donne donc pour chaque ha- LIV. II. DES PRODUITS DE l' AGRICULTURE. 409 bitant en France 56 francs, dans le Nord 59, dans le Midi 53," dans le Nord occidental 57, dans le Nord orien- tal 62, dans le Midi occidental 56, dans le Midi orien- tal 41. Les différences les plus grandes sont entre les 12 départements intérieurs du Nord oriental et les 12 dé- partements intérieurs du Midi oriental. Dans les premiers, le capital qui représente les animaux domestiques donne pour chaque habitant 73 fr., et dans les seconds 44 fr. Le travail du ministre, en présentant le revenu moyen de chacun des animaux domestiques dans les différents arrondissements de la France, peut encore faire juger de la qualité comparative des animaux, car le ministre dit dans son rapport, qui ne traite que de la partie orientale de la France : Le revenu moyen de chaque animal est généralement plus élevé dans le Nord où les espèces ont été améliorées. Le tableau suivant est un résumé des chiffres officiels. 410 DE T, AGRICULTURE EN FRANCE. / ^ O o l-O O o irt o g O C/5 CM C<1 o CJ5 t^ t^ en S 00 1 ta r | ? | V«T cf Ci CM co 10" 00 d 00 CM CM CM CM — — ■— m i« Q o iO o ° 1 O c ira Cn o r^ - ' CM s> co - - s s O Ci t^ O r~. 1^ 1^ =c o 1 o ira co O o o >s> rt ira o o O •.1 O o O C in né ira (S O IS (C C ira w •stiïcfnoj va o oT CM o" o *» es CM — CM CM es es es CM o o o Kj O O O c O H on •sjuattinf o o CM m "-„ o O c 1*. o" o O o" o 9! o C5 1^ •tf1 o 00 m r^ es i^ o Q o • O .- ._-• O o «5 S ira o O 6^ CM •* co Q O •*ne\oq;} ri *» r^ oc es" m « i.o" es 00 era 00 O o o co en H5 • n O O ifl o o 1-1 ira •ss.ua.p O in C0 Cl ira co es o *» o «ÏP t-^ o o o es o ..o o ,~ O O X5 O c i« -ri 1 -saioa o r^ C0 m i^ 1^ CM S "^, C/5 o o O o EÇ iO O ■~ o a Q < o O O o O o o ira o \ •xni'3ii3v ■ ^ o t^ o O ^ - «f ** fe5 D o CS CM — — es" -T es - es" .o ..T in o o o iO u0 in •sir[3.iii o 1^ o t^ CM -~5 co O - •■ u ■ -. ■* eô" CO 1.-5 Cî >* CN «r •ri O O o ira o 1 ^ ■ 0 1 '" —i •suoino]^ O *T C5 -"„ a °- "t o 1 *'" < o • o es c; >fl co •* ■* lO O o O c o O ira .ra ■w iz; z o •s,i3[]9ii O •* co es O CM O t- >ra t^. 00 m .~r r> ci ~T v» o C in o i-O ^o o = ira en O ri «r co c^ es ~ •uit.H Q 13 es es CM CM 00 CM — — < •-< - ■ ■*•" — '"" *™ .ra • ra O O O o O - ira w CO o en oc o_ o O •sstpejv n _T o en e* cm"~ en" cT o >* *3< en C0 ^r C0 co es C0 o ^ O O ira o «o c o O co CS t^- CO 00 Z 00 ta •çjnaiçj co vî- O O CO O t^ >> co C0 ci M CO co es co o 'O o O O o ir> r O 1 r- CM ^T o .~D c CO W 1 •vruv.ini'j \ CM O ■■o o iT CO *3- c \ es co es es ev CM CM es es • 9) CS "« "as a c "n C "« r ■j2 -a 'S C a; "2 '3 c 3 cj o O o o o 3} V -3 -j3 — — .-' O g -3 -5 E 72 3 3 S g C ii h h c Ê LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 4M Comparant le Nord de la France au Midi pris en masse, on voit que le revenu moyen que donne chaque animal domestique est en général beaucoup plus élevé dans le Nord. Le revenu brut d'un taureau est en France de 24 fr. 30 cent.; dans le Nord de 25 fr. 40 cent. ; dans le Midi de 25 fr. 65 cent. Celui d'un bœuf, en France, de 31 fr. 80 cent.; dans le Nord de 33 fr. 75 cent. ; dans le Midi de 30 fr. 30 cent. Celui d'une vache, de 39 fr. 05 cent., de 42 fr. 80 cenl. et de 32 fr. Mais les troupeaux présentent des différences beaucoup plus sensibles. Le revenu brut d'un bélier est en France de 4 fr. 55 cent. ; mais il est dans le Nord de 7 fr. 60 cent. , tandis que dans le Midi il n'est que de 3 fr. 25 cent. Celui d'un mouton est dans toute la France de 4 fr. 45 cent. ; mais dans le Nord il s'élève à 5 fr. 95 cent., et il n'est dans le Midi que de 3 fr. Celui d'une brebis, qui est dans le Nord de 5 fr. 20 c. , n'est dans le Midi que de 3 fr, 35 cent. Un agneau rapporte moyennement 2 fr. 65 cent, dans le Nord, et seulement 1 fr. 70 cent, dans le Midi. Les chevaux présentent, pour le revenu brut, des dif- férences aussi frappantes; elles sont : pour les chevaux delO'pfr. 20 cent, à 62 fr. 45 cent.; pour les juments de 86 fr. 10 cent, à 50 fr. 50 cent.; pour les poulains de 25 fr. 60 cent, à 20 fr. 70 cent. Les nombres présentés dans le tableau précédent sont des moyennes prises entre plusieurs départements où le revenu brut de chaque animal est fort différent de l'un à l'autre. On en peut juger par la comparaison que nous allons faire entre le Calvados et le Morbihan, qui, comme 41 '2 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. on l'a déjà fait observer, sont tous deux dans la même région et dans les départements maritimes. Dans )r> Dans le Calvados. Morbihan. Un taureau donne un revenu moyen de. 35 fr. lOf. 10 c. Un bœuf. 60 24 30 Une vache 61 25 25 Un veau- 22 5 45 Un bélier 8 25 2 75 Un mouton 6 85 3 50 Une brebis 7 70 2 85 Un agneau 4 15 2 10 Un porc 19 19 05 Une chèvre 4 50 3 55 Un cheval 78 26 75 A reporter 299 f. 60 c. 120 f. 25 c. Nord occidenlal. . . . Midi occidental . . . Midi oriental. .... REVENU TOTAL DONNÉ PAR CHAQUE Taureaux. Bœufs. Vaclies. Veaux. TOTAL du Bétail. 2,247,176 1,714,602 3,638,066 1,999,647 17,043,837 12,528,049 22,653,096 9,864,172 85,802,770 68,620,991 28,603,452 31,338,919 8,900,992 7,233,167 5,116,005 3,822,688 113,994,775 90,096,809 60,010,619 47,025,426 Nord. ...*.... Midi 3,961,778 5,637,713 29,571,886 32,517,268 154,423,761 59,942,371 16,134,159 8,938,693 204,091,584 107,030,045 France continentale. . 9,599,491 96,086 62,089,154 487,545 214,366,132 423,962 25,072,852 80,385 311,127,629 1,087,978 France 9,695,577 62,576,699 214,790,094 25,153,237 312,215,607 llv. n. des propuits de l'agriculture. 113 Dans Dans le Calvados, le Morbihan. Report 299 f. 60 c. 120 f. 25 c. Une jument 71 27 30 Un poulain M H 25 Total. . . . 421 45 168 20 Ces énormes différences entre le revenu moyen donné par chaque animal sont encore une preuve que la richesse en animaux ne consiste pas seulement dans le nombre, et qu'il faut avoir égard à la qualité. C'est sans doute dans ce but que le ministre, dans son travail , présente le revenu total de chaque sorte d'animaux domestiques dans tous les arrondissements de la France. Les deux tableaux suivants sont les résumés des chiffres officiels. ORTE D'ANIMAUX DOMESTIQUES. — FRANCS. Béliers. Moutons. Iircbis. Agneaux. TOTAL des Moutons. Porcs. Chèvres. 725,270 16,403,302 15,781,205 4,195,919 37,105,696 18,574,853 409,829 589,047 11,631,582 14,035,730 4,167,773 30,424,132 23,101,061 946,381 705,506 6,122,700 15,837,431 3,658,922 26,324,559 20,832,398 823,598 567,583 8,024,058 13,882,029 3,227,067 25,700,737 16,269,591 2,999,470. 1,314,317 28,034,884 29,816,935 8,363,692 67,529,828 41,675,914 1,356,210! [,273,089 14,146,758 29,719,460 6,885,989 52,025,296 37,101,989 3,823,068 2,587,406 42,181,642 59,536,395 15,249,681 119,555,124 78,777,903 5,179,278 20,384 5 t ,675 388,724 34,536 495,319 649,107 269,023 2,607,790 42,233,317 59,925,119 15,284,217 120,050,443 79,427,010 5,448,301 414 L)E L AGRICULTURE EN FllAJNCL:. P < < a w H Pd o us P c * O oo «* r^ _ "° £ iO 00 i^ es eo o eo es o eo es tra CO Oi ** eo H m 00 lO m o C5 H 'W oo œ o C5 wi ce eo O O a O lO C3 CJ5 (S •o U O >* 1^ «* « *T es t^ - t^ ** o CJ5 eo CvS m « ' ^ «5 o o r^ o eo oo es O OO o r^ oo O r^ O O es ~ oo es r-» O s* v)< «I o o I-O o es es U0 LO O H = S « I o eo t^ O es es oo O ' « >a< eo .ro ^ cr> eo i^ S s «O o O (O eo t-O « o t^ eo m o «* m -» ,M ~ es ** sr v: O O « sO O Ci iT. ~ — _, _ ^ es -. »- -3< PS r^ -* _ O o •o •* O) es es oo VT O oo es O oc «* eo »<* o o «o eo r^ CO Ci »* eo l/s o eo «» oo es eo o cv •rt •* o 00 us »fl O eo eo t^ "" 00 oo S fc s s £ s HV. II. DliS P110DL1TS DE l'aGRICUXiTURE. ilô Les animaux domestiques donnent donc dans loute ia Fiance un revenu total de 767,251,851 fr., dont 508 mil- lions dans le Nord et 256 millions dans le Midi. Le bétail, les troupeaux , les porcs et les chèvres rap- portent : Dans le NôrJ 314,653,536 fr. Dans le Midi. ... - 199,986,398 Les chevaux, mules, mulets, ânes et ànesses rappor- tent : Dans lé Nord 193,402,285 fr. Dans le Midi 55,922,793 Le bétail, qui rapporte 114 millions dans le Nord occi- dental, n'en donne que 90, 60 et 47 dans les trois autres régions. Les troupeaux, qui donnent 37 millions dans le Nord occidental , en donnent 30, 26, 25 dans les autres ré- gions. Le revenu total des chevaux, qui est de 113 millions dans le Nord occidental , est de 73, 14 et 19 dans les trois autres parties du royaume; de sorte que le revenu brut de ces animaux, Qui est dans le Nord de 186,987,060 fr. N'est dans le Midi que de 33,6/(1,685 11 est vrai qu'il faut y ajouter le revenu des mules et mulets, ânes et ânesses, qui est plus grand pour le Midi. Cependant l'excédent n'est que d'environ 16 millions. Il est bon de remarquer encore que dans le Nord , 13,782,331 moutons donnent un revenu de. . 67,529,828 fr. Tandis que dans le Midi , 18,081,916 moutons ne donuent que 52,025,296 fr. Ce qui lient sans doute, comme le ministre l'a dit, à 416 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. ce que dans le Nord les espèces ont [été améliorées. Pour estimer la richesse en animaux dans chaque pays, nous avons déjà comparé au nombre des habitants la valeur totale de chaque sorte d'animaux domestiques; peut-être arrivera-ton à des résultats plus exacts en comparant le revenu à la population. Le revenu moyen des animaux domestiques , réparti sur tous les habitants, donne pour chaque personne : NORD OCCIDENTAL. Dans les 9 départ8 maritimes. 12 départ8 intérieurs.. 21 départements. . . NORD ORIENTAL. Dans les 9 départ8 frontières.. 12 départ" intérieurs. 21 départements.. . . MIDI OCCIDENTAL. Dans les 5 départ8 maritimes. 13 départ6 intérieurs.. 3 départ» frontières.. 21 départements.. . . MIDI ORIENTAL. Daus les 4 départ* frontières.. 6 départ8 maritimes.. 12 départ8 intérieurs.. 22 départements.. . . Dans les 42 départ8 du Nord.. 43 départ" du Midi.. Dans la France continentale.. Dans la Corse. ... Dans toute la France. Eu bœufs, En chevaux, moutons , Eu porcs. ânes tolil. chèvres. et mulets. 14 fr. 15 15 12 15 11 14 9 12 11 7 11 9 13 2 fr. 2 2 7 fr. 15 11 23 fr. 32 28 8 10 23 28 26 17 20 13 18 11 3 17 20 16 10 2 5 17 15 2 10 27 11 3 4 18 13 2 8 23 16 2.°. LIV. II. DES PRODUIS DE L'AGRICULTURE. 417 Il résulterait de là que la richesse en animaux, en ayant égard à la population humaine, serait exprimée dans le Nord par 27, et dans le Midi par 18. Les deux régions du Midi, prises dans leur ensemble, différeraient peu l'une] de l'autre; il en serait de même des deux ré- gions du Nord. La partie de la France la plus riche en animaux serait les 12 départements intérieurs du Nord oriental, où le revenu, réparti sur la population, donne 32 fr. pour chaque individu ; au contraire, la partie la plus pauvre serait les 12 départements intérieurs du Midi oriental, où ce revenu ne donnerait que 16 fr. pour cha- que individu. REMARQUES Ici nous arrivons au fond de la question : la ri- chesse ou la pauvreté, la force ou la faiblesse, les victoires, les conquêtes comme les défaites, la na- vigation, les manufactures, le commerce plus ou moins étendu d'un pays peuvent s'expliquer par la quantité et la qualité des troupeaux qu'il élève. Nous avons donc, parce dénombrement d'animaux, un moyen facile de comparer les forces effectives de chaque état du continent de l'Europe ; puisque la France, outre l'immense travail qu'elle a fait sur la quantité, la qualité, la valeur, le revenu, le poids, le prix, la distribution et la consommation des ani- maux domestiques, a fait faire chez les étrangers le même travail, ou plutôt a fait vérifier le leur ; car I. 27 418 DE L AGRICULTURE EN FRANCE. nombre d'états avaient précédé la Fiance à cet égard. La comparaison des divers pays du conti- nent de l'Europe nous sera d'autant plus facile qu'ils sont tous dans la même catégorie, c'est-à-dire, qu'ils marchent tous à un état de dissolution. La seule différence qu'ils offrent, c'est qu'ils vont plus ou moins vite, la France passant la première et la Hollande arrivant la dernière ; mais tous marchent au même but. C'est-à-dire , que chacun de leurs gouvernements a adopté telles institutions moder- nes qui font annuellement augmenter la population des hommes plus que la production des subsistan- ces. Nous y reviendrons ailleurs. L'Angleterre, non seulement, est une exception à cet état de choses, mais il s'y produit dans ce mo- ment une révolution inaperçue par les autres états de l'Europe qui feraient mieux de l'étudier, de la concevoir et de l'imiter que de se préoccuper, comme ils le font, de tant de systèmes dérisoires et ruineux au sujet des douanes , des traités de commerce, ou des chemins de fer. Nous supposons toujours qu'on a fait précéder la lecture de cet ouvrage de celle des enquêtes sur l'Angleterre, et, que le présent rapport du minis- tère français confirmera dans cette idée, qu'en fait de bestiaux, le nombre est peu de chose en compa- raison de la qualité. En effet , laissant les excep- tions à part, et ne calculant que le total des bes- tiaux de telle ou telle province, le ministère trouve LIV. II. DES PRODUITS DE L' AGRICULTURE. 419 des différences d'un à deux, à trois et même à quatre, différences sur la qualité plutôt que sur la quantité. Il n'en est pas de même en Angleterre. Les dif- férences en qualité n'ont plus aucune espèce de li- mites. Car s'il est tels veaux ou tels agneaux qui se vendent un louis le jour de leur naissance, il en est tels qui se vendent cent louis. Comme l'agriculture, en Angleterre, est organisée de manière que, sur- tout depuis 20 ans, les agriculteurs tendent à sub- stituer ceux de cent louis à ceux d'un louis, et que les agriculteurs de l'Europe restent stationnaires à cet égard ou plutôt qu'ils laissent leurs troupeaux se détériorer, on peut prévoir que, d'ici à vingt ans, les richesses de chaque état de l'Europe auront tellement diminué et celles de l'Angleterre telle- ment augmenté qu'il n'y aura plus de comparaison à faire. Telle est la révolution qui s'opère mainte- nant et dont nous entreprenons d'esquisser l'his- toire. Dans l'antiquité, comme parmi les modernes, près du pôle comme sous la zone torride, les peu- ples pasteurs ne mangent que très-peu de viande. Les veaux et les agneaux mâles sont , dès leur naissance, envoyés dans les villes et consommés par les riches seulement. Les plus beaux ayant été mis en réserve pour la propagation du troupeau, on n'élève guère que les femelles. C'est donc leur lait, leur beurre et leur fromage qui font la pria- 420 I»E L AGRICULTURE Lj\ FRANCE. eipale nourriture des familles. Les taureaux et les béliers, les vaches et les brebis meurent de leur mort naturelle, ou ils ne sont tués que pour leur enveloppe. Leurs carcasses forment une nourriture si médiocre que les pays qui, comme l'Espagne ou l'Allemagne, s'occupent d'obtenir des laines fines, ne regardent pas la viande de leurs brebis comme une ressource alimentaire, et les Arabes préfèrent la chair de leurs chevaux. Le système des peuples nomades n'a pu se con- tinuer dans les pays où les populations humaines se sont multipliées et concentrées à poste fixe. Le soin des bestiaux et la nourriture qu'ils fournis- sent n'ont plus été d'un intérêt commun. Chaque famille privée a pu posséder et élever des trou- peaux sur le sol qu'elle possédait, ou les envoyer paître sur les communaux destinés à cet usage. Alors chacun, suivant son talent, son capital ou l'étendue de sa propriété, a pu s'occuper d'amélio- rer les races, les faire croiser, leur faire passer l'hi- ver dans les plaines, l'été dans les montagnes; enfin, préférant la nourriture que donne leur chair à celle que donne leur laitage, les tuer plus jeunes après les avoir livrés à l'engraissement. Laissant à part de rares exceptions, on peut dire que ce système est tout moderne, et ne s'est guer^ suivi que dans les états de l'Europe, et, dans tous, avec des succès divers, suivant les diverses institu- tions qui ont régi les propriétés territoriales et fa- LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 4"2 1 vorisé plus ou moins l1 agglomération ou la division du sol. Les lois féodales se sont trouvées particulière- ment favorables à l'éducation des troupeaux , parce qu'elles concentrent et perpétuent sur la même tête de grandes étendues de terre. Dès la con- cpiète de Guillaume, ce système fut absolu. Cepen- dant, l'Angleterre sous Cromwel s'en était écar- tée ; les propriétaires de fiefs avaient permis à des bûcherons, des bergers, des jardiniers, d'enclore cinq ou six arpents de terre sur les confins des communaux et d'y bâtir une chaumière. Cette nouvelle population avait tellement gagné de terrain que, à l'époque de la paix d'Amérique, il existait presque dans chaque fief un hameau, dont les habitants avaient des intérêts absolument opposés à ceux des grands propriétaires comme à ceux de leurs fermiers et de leurs ouvriers ; ces peti- tes républiques, indépendantes et isolées, occupaient les espaces les plus nécessaires aux ouvrages pu- blics, étant situées sur le bord des grandes routes. Le gouvernement sentit la nécessité de changer ce système à tout prix, surtout pour faire rentrer dans la hiérarchie de l'agriculture ces républicains en haillons. On étendit sur tout le royaume le système du partage des communaux et on le soumit aux règlements les plus stricls; toute cette populace de petits propriétaires fut obligée de vendre son ter- rain, et de sortir de l'ornière où elle végétait. Le 422 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. travail ayant ainsi changé de direction se trouva tellement lucratif pour les habitants de ces hameaux que, comme par un charme, ils arrivèrent presque subitement à F aisance. Alors les grands proprié- taires, débarrassés de toute entrave, ne parlaient et ne s'occupaient que d'agglomérer des terrains, de construire des bâtiments, des fermes, ou des granges, de percer des routes , d'établir des ponts et surtout de creuser des canaux, pour se procurer les matériaux que ces entreprises exigeaient. On peut dire que, dès la paix avec les États-Unis d'A- mérique, en 1785, jusqu'à la paix avec la France, en 1801 , les propriétaires en Angleterre ont été absor- bés par ces occupations et par le besoin des capi- taux qu'elles demandaient. Ce fut pendant cette période de temps que M. Pitt encouragea l'établis- sement des banques privées et qu'il accrédita le papier monnaie. Tous ces maigres communaux , qui furent alors défrichés, ne pouvaient fournir à l'éducation des bestiaux et encore moins au perfectionnement des races. Les agriculteurs n'y pensaient même pas; ils se bornaient à cultiver des légumes et des grains inférieurs ; le froment ne pouvait alors entrer que dans une rotation de sept ou huit ans. D'ailleurs, les bourses et le crédit s'étaient épuisés à des entre- prises dont les produits étaient encore incertains et lointains; de sorte que, pendant cette époque de vingt-cinq ans, où l'agriculture a, pour ainsi dire, < LIV. II. DES PRODUITS DE L' AGRICULTURE. 423 viré de bord et pris une route opposée, c'est à peine si l'accroissement des subsistances a suivi celui des populations. Il y eut nécessairement beaucoup de fausses entreprises et conséquemment beaucoup de faillites et de discrédit dans ce papier monnaie, qui était le véhicule de ce nouvel état de choses. La philanthropie, qui toujours voile sa haine contre le clergé et la noblesse par son amour affecté du jj peuple, éleva sa plaintive voix sur cette destruction générale des hameaux. M. Burke, un des hommes les plus humains qui aient existé, ne s'y laissa pas prendre; il disait : « Nous suivons, il est vrai, une route nouvelle et allons un peu vite , mais nous marchons, éclairés par un flambeau bien lumineux; nous faisons le contraire de ce qu'a fait en France la Constituante et les autres assemblées que la Ré- volution a produites. » Qu'eût dit le grand homme s'il avait vu la Restauration ? Ce système d'un retour inopiné aux principales institutions de la féodalité produisit l'effet le plus salutaire pour les campagnes ; il y fixa plus que jamais les grands propriétaires déterre; et n'enten- dant que peu toutes ces nouvelles entreprises, ils y attirèrent des savants en agriculture, des médecins vétérinaires, des ingénieurs, des architectes, des mé- caniciens , des banquiers , enfin tous les genres de talents qui devenaient nécessaires. Il se forma une société distinguée dans les campagnes ; leur mélan- colique solitude se dérida. Les dédains aristocrate- 4 21 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. ques se firent des bornes moins étroites ; le seigneur du manoir admit à sa table un ingénieur ou un ar- chitecte de Londres, et cette ville lui servait d'ex- cuse vis à-vis de ses voisins. C'est alors que se for- mèrent, presque dans chaque comté, des académies ou des sociétés d'agriculture. Là, à des époques périodiques, chaque membre venait apporter l'his- toire de ses expériences dans toutes les parties de l'art de la culture. C'est de ce moment qu'il se fit de grandes découvertes dans cette science , et la plus grande découverte fut celle d'apprendre qu'on ne savait rien. Dans le fait, plus on découvrait, plus on trouvait a découvrir. C'était donc une nouvelle armée d'agriculteurs qui se formait et se disciplinait sans aucun plan arrêté sur l'emploi de ses forces. Jusqu' au moment où cette formation a été complétée, la propriété territoriale n'a guère présenté que des dépenses onéreuses aux proprié- taires, et avantageuses seulement à leurs employés. Le code des Romains n'avait pas eu le temps de s'établir en Angleterre. La propriété territoriale n'y était donc pas encore entamée ou attaquée lorsque les Saxons l'envahirent. Ces derniers , comme les Normands, qui leur succédèrent, ne con- naissaient que le droit féodal. 11 est souvent ques- tion, dans les chroniques du moyen âge, des in- nombrables troupeaux de bœufs sauvages qui se réfugiaient dans les forets dont l'Angleterre était alors entièrement couverte, et qui, ne trouvant pas LIV. II. DES PRODUITS DE L'AGRICULTURE. 425 à se nourrir dans les forêts pendant les gelées ri- goureuses , se répandaient dans les endroits cul- tivés et y détruisaient tout. La noblesse, dont les occupations et les plaisirs ont toujours été la guerre et la chasse, montait à cheval et se rassemblait pour repousser ces troupeaux dans les forêts. En été, elle se donnait le mâle plaisir de les attaquer. Cet amu- sement a dû diminuer au fur et à mesure que les forêts sont tombées; mais les propriétaires l'ont fait durer le plus longtemps possible. Encore au- jourd'hui, il est quelques grands seigneurs dans le nord de la Grande-Bretagne , entre autres le duc de Hamilton, qui ont préservé et font élever ces races primitives de taureaux pour se donner la même jouissance de combattre ces indomptables animaux, qui attaquent jusqu'à ce que leur der- nière goutte de sang soit répandue. Il fallait leur opposer des chevaux intrépides ; et c'est pour cela que la noblesse s'est adonnée, en Angleterre, à l'é- ducation des chevaux et au perfectionnement de leurs races, longtemps avant qu'on n'y ait pensé en France, quoique les nobles n'y fissent la guerre qu'achevai. Mais étant toujours éloignés de leurs terres pour défendre ou leur pays ou ses alliés, ils ne pouvaient s'occuper des mêmes soins que la noblesse anglaise. Les races de chevaux et leur croisement ont donc été depuis très-longtemps un objet d'étude et de dépense en Angleterre; cet animal était arrivé 426 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. au plus haut degré de perfectionnement , puisque cet illustre cheval, l'Eclipsé, mort il y a plus de cinquante ans, n'a jamais eu d'égal depuis cette époque, quoiqu'il ait laissé une nombreuse progé- niture. D'ailleurs, le cheval n'est pour la richesse de l'Angleterre que d'une importance secondaire, parce que les transports s'y font surtout par eau. Les races de bœufs et de moutons avaient peu attiré l'attention des agriculteurs du siècle dernier, non pas qu'il n'y ait eu quelques essais isolés; mais les essais n'avaient été jusqu'alors que des objets de curiosité et de dépenses. La preuve en est que le célèbre M. Backwell, qui a consacré sa longue exis- tence au perfectionnement des races de bœufs et de moutons, a plusieurs fois été obligé de demander des secours d'argent au parlement, qui les lui a ac- cordés. Ses efforts et sa persévérance ont été cou- ronnés par des succès peu croyables. Nous avons vu des vaches pesant 25 quintaux, et dont les jam- bes étaient si courtes que leurs mamelles, grosses comme une outre pleine, auraient traîné à terre si elles n'eussent été soutenues par une toile attachée sur le dos. H avait tellement étudié les secrets de la génération des animaux que, pour le comté de Gloucester où l'industrie des fermiers se portant sur la fabrication des fromages, ils ne veulent que des brebis, sur cent naissances d'agneaux, il était par- venu à obtenir 84 femelles, tandis que, dans celui de Lincoln , où les fermiers visent au poids de la L1V. II. DES PRODUITS DE L'AGRICULTURE. 427 viande et de la laine il obtenait 84 mâles. Mais ces découvertes , telles extraordinaires qu'elles aient été, n'ayant jamais été mises en pratique par la gé- néralité des fermiers, on peut dire que la théorie seule était découverte et n'avait encore pu influer sur la richesse du pays, parce que l'accroissement de la richesse dépend de l'accroissement des pro- ductions d'un usage commun. L'état du sol et la culture du règne végétal en fourrages ou légumes n'avaient pas atteint ce degré de perfection néces- saire pour élever et maintenir ces races délicates d'animaux. Un Écossais, M. Smith, est venu et a poursuivi deux objets : le premier, de défendre la terre con- tre l'ardeur du soleil en été ; le second, de la défen- dre contre les inondations des pluies de l'hiver. Il les a atteints , et l'Angleterre ne voit pas de li- mites aux richesses que son agriculture peut lui donner. M. Smith a perfectionné un système de dessèchement des terres, connu de temps immémo- rial. Il établit dans chaque champ, de la partie la plus élevée à la partie la plus basse, des conduits souterrains dont le fond est à 30 pouces de la sur- face du sol et le dessus à 1 5 pouces. Ces conduits sont à 12 pieds de distance les uns des autres. Ils sont formés par des rangées de tuiles concaves ou remplies de petites pierres sèches, dont les inters* tices laissent l'écoulement aux eaux. La grande dé- couverte de M. Smith, qui convient à tous les sols. 42$ DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. mais surtout aux sols argileux, consiste à tenir ces conduits voisins de la surface du sol, et à labourer la terre à une profondeur telle qu'elle atteint le dessus des conduits. Ce labourage se fait par deux charrues qui se suivent dans la même raie ; la pre- mière est à oreilles et renverse la terre ; la deuxième est sans oreilles et ne fait que la soulever et la bri- ser. Dans les grandes pluies, l'eau ayant pénétré à 15 pouces de profondeur, et la terre en ayant retenu tout ce qu'elle en pouvait retenir, le surplus s'est immédiatement écoulé dans les conduits dont le fond est 30 pouces de profondeur, et a suivi son cours; ainsi plus d'inondations. Pendant les plus grandes chaleurs, la tige des plantes est brûlante; mais la racine, aspirant l'eau ainsi conservée par une terre bien divisée, la végé- tation n'en est que plus forte : ainsi point de séche- resse. L'eau, l'air et les plantes qui pénètrent faci- lement toute l'épaisseur labourée l'ont bientôt ren- due terre végétale. Ce système si simple et si vrai fut immédiate- ment compris, et ceux des fermiers qui cultivaient un sol de plus de 1 5 pouces en firent bientôt l'ex- périence, surtout pour former dans les terres les plus difficiles des prairies, non pas seulement des légumineuses mais des graminées. Sur une rotation de dix ans elles en prennent cinq, et sous ce système les produits des végétaux ont gagné de quantité et LIV. U. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 429 de saveur. L'herbe n'a plus cette aigreur que donnent les marécages, ou la dureté que donne la sécheresse. Les coupes de fourrages ont ainsi pu se renouveler ; les fermiers ont renoncé à faire pâturer les bestiaux, vu qu'exposés à l'air, ils ont souvent à souffrir delà chaleur, du froid ou de l'humidité. De tous côtés , on a donc bâti des étables où les bes- tiaux s'engraissent comme par enchantement; et l'engraissement qui, antérieurement, élevait leur poids dans la [proportion de 100 à 120 livres au bout d'une année, l'élève à présent de 100 à 150 au bout de huit mois. L'ébranlement est donné sur toute la surface de la Grande-Bretagne ; du Nord au Midi , il n'est plus question que d'amener le sol à la faculté d'engraisser les animaux. Le froment qui, de 10 pour 1 , s'était élevé, comme nous l'a- vons dit, à rendre 22 pour 1 , est arrivé à rendre 30 et 40 dans les fermes établies sous le système de M. Smith. C'est à présent que les découvertes de Bakewell sont en pleine pratique. Il s'est établi dans la Grande-Bretagne plusieurs centaines de fermiers qui, en concurrence les uns des autres, appliquent et bornent leur industrie à l'éducation et au per- fectionnement des taureaux et des béliers, afin de les louer aux autres fermiers pour perpétuer les troupeaux. Ces haras, répandus sur toute la surface de cette île, sont calculés sur la nature des localités et des nourritures qu'elles peuvent donner. 430 DE L'AGRICULTURE EN FRANCE. Nous terminerons ce chapitre par une conclu- sion qui, probablement, paraîtra ridicule au lecteur, mais qui n'en finira pas moins par attirer ses reflexions. Ces deux genres de bestiaux, le bœuf et le mouton, forment la plus grande partie des richesses d'un pays, non point par leur nombre ou leur poids, mais par la quantité des graisses et la qualité d'engrais qu'ils donnent. Le pays le plus riche est, en résultat, celui qui produit le plus de graisses. Et nous avons déjà observé que la Grande- Bretagne en produit aujourd'hui quatre fois plus qu'il y a cinquante ans, et que, dans cinquante ans, elle en produira quatre fois plus qu'aujourd'hui, si toutefois elle n'arrive pas à une progression plus forte. Nous avons cru devoir rendre compte de la créa- tion de cette formidable corporation de l'agricul- ture, dont la puissance n'a eu d'exemple que dans l'antiquité, mais dont la solidité n'en a jamais eu. Les Chaldéens et les Egyptiens, régis par le même sys- tème d'agriculture, étaient entourés et attaqués par les peuples de l'Asie, alors innombrables; mais quel est le peuple en Europe qui peut attaquer l'Angle- terre, pays qui, pendant les vingt cinq ans de guerre de la Révolution , avait une force armée de 700 mille soldats ou marins, et qui indépendamment tenait à sa solde tous les états du continent qui voulaient accepter ses subsides. Malgré tous ces sacrifices, elle n'a jamais demandé à ses créanciers LIV. II. DES PRODUITS DE L AGRICULTURE. 431 de délai pour les intérêts qu'elle doit; au contraire, elle a, depuis la paix, comme on le voit par le récit ci-dessus, adopté un nouveau système pour T ac- croissement de ses forces, et cela d'une manière inaperçue par l'Europe, et nous le dirions, par elle- même ; car on doit se rappeler que le premier ministre, il y a deux ans, établit un impôt de deux à trois pour cent sur certains revenus. Il en estima le produit à 3 millions 2 cent mille livres sterling; etnous voyons, par les dernières pièces qu'il a pré- sentées au gouvernement, que ce produit a été de 5 millions 100 mille livres sterlings, ce qui fait un accroissement de 60 pour cent. Nous avons, depuis plus de cinquante ans, vu ce colosse menaçant se former et s'accroître ; d'ailleurs, il s'est signalé lui- même par ses actes impérieux jusqu'à en être hu- miliant pour les princes de l'Europe. Mais qui les soutiendra? Sera-ce des courtisans, des ministres, des diplomates, des magistrats ou des administra- teurs qui, ensemble, ne font qu'un club de Jacobins employant le reste de leurs forces à attaquer les tristes vestiges du clergé et de la noblesse, comme le feraient des professeurs ou des journalistes, et tout cela pour réduire leurs peuples à la famine? FIN DU PREMIER VOLUME. TABLE DES MATIÈRES DU PREMIER VOLUME. Pages. Dp. l'Agriculture en France. — Avant-Propos. . 1 yti £"*/** LIVRE PREMIER. De la propriété territoriale. Chapitre premier. Rapport fait au roi sur la statistique de l'agriculture 11 1° Historique Il 2° Moyens d'exécution de la statistique agricole ac- tuelle 2t 3° Résultats 29 Remarques. 34 »«vg^£f*l& 50 fa jtTtm^^' Remarques S0 *J~4£«lf'< Chap. IV. De la propriété foncière depuis 1826. . .■ 95 Tableau de la Propriété et Contribution foncière de la France 9G Tableau récapitulatif de la valeur des biens immeu- bles transmis dans les 10 ans, de 1826 à 1835, par héritage, donation, vente ou cession. . . J 1 1 Remarques 113 Chap. V. Des impôts mis sur les mutations de la propriété foncière 122 Rapport fait en 1839 Ibid. Rapport fait en 1840. Vente de meubles 127 Id. fait en 1839. Vente d'immeubles. ... 1 28 Id. id. Vente d'immeubles. . . . 129 Id. id. Donations entre vifs. . . . 130 I. . 28 434 TABLE DES MATIERES. Pages. Rapport fait en 1840. Successions 131 Id. id. Baux et Antichrèses. . . . 133 Id. id. Obligations 134 Id. id. Libérations .135 Id. id. Condamnations, Collocations, Liquidations , Actes judi— t*"*"** * ■• ciaires et extra-judiciaires. 136 Id. id. Droits et demi-Droits en sus, Amendes fixes de contra- vention à l'enregistrement. 137 Id. fait en 1839. Hypotbèques , Inscriptions de créances , Transcriptions d'actes de mutation. . . 138 Id. fait en 1840. Hypothèques, Inscriptions de créances , Transcriptions „ ,. ; - i „ d'actes de mutation. . . 139 Remarques. . 140 Chap. VI. Des Hypothèques 148 Remarques 166 ' Chap. VII. Du morcellement des terres et de la dispersion. des* parcelles 173 Avantages qui résultent des réunions 182 Droit qu'on a de forcer les réunions 183 Obstacles prétendus qui s'opposent aux réunions, et facilité de les vaincre l8ô Parcours et vaine pâture 187 Conservation du cadastre 188 Conclusions 199 0J' Mutations 194 Remarques. ..." 195 Chap. VIII. De la vaine pâture, du parcours et de quel- ques autres servitudes 20J Du planaire et de l'égrapillage 221 Du mauvais gre — ° Remarques ^4 Chap. IX. Du déboisement des montagnes 229 TABLE DES MATIÈRES. 435 Page». Destruction des forêts sur les Alpes Ibid. Destruction des forêts sur les Pyrénées. . . . 243 Remarques. C#*£+^ ^A>U-w^Cj « tff+y9^ 245 £SltL**?f* Chap. X. Des divers modes de l'exploitation du sol. . 265 ' *lvJ Des terres exploitées par l'économie des proprié- taires 267 De la culture par les métayers 270 Des fermiers à rente fixe 276 Du bail général. , 280 Kail congéable ou bail à convenant- 283 Capital d'exploitation 286 Département de l'Isère 287 Département du Tarn 288 Département de la Haute-Garonne 289 Département des Côtes-du-Nord 290 Département du Nord Ibid. Remarques 290 LIVRE SECOND. Des Produits de l'Agriculture. Chapitre Premier. De la division agricole du territoire. 305 Remarques 316 Chap. II. Des produits ruraux de la France 326 J^O n0^**' ' Tableau indiquant, pour le froment, année com- mune, le produit moyen disponible par hectare de chacun des départements de la France. . . 342 Remarques 356 f*/*»^*»*»»- i Chap. II. Des pâturages et des prairies, des forets et des **^l £*»»*~L- bois - 367 Remarques 376 Chap. IV. Recensement des animaux domestiques. . . 387 Remarques 417 FIN DE LA TABLE. >o^> 1 ""S^i >> -3->J> S> ~* j > >J ~> a3 J> > • J> > » > > ' 3 3E> I> 8> :> ^> "A ^^. <^° >^>> > ^ ^ ' ->,_>3 ^ 3xo> : -j~2 - 3 3 ^>z > 3 J>J >I3 : ;3 .;> aj> 11 .^>^>^V^' <"^> 3 > ;> ,^> 5 1 ^ 3>1 3 M m. l m >-• >. >■ ...»J "3 > ^3 .*■ •->> > ^ ^ iT^>>i ^> 3 > -, ^ ->3 -> 3) O - - > y 'Z> ~Z> > -£>•> > s- ?^>;^ 33 ?> » > j>:^> ~-> > - x> 3> > ^ HD 1945 M8 t.l Kounier, L. De l'agriculture en PVance PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY > a -5> > f> - > > j> "> ~> ?à£tf 1 > ~> J -> > > > J > > 5 J 3 ;> -> .-> > 5 > ) > :> î > > j> O ? :> ->■> 1 3 3 > >J? ? SsSSkSSj