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DE LA

SITUATION AGRICOLE
DE LA FRANCE,

ET

DES MOYENS DE L’AMÉLIORER.

Là
es,
LL]

F. | $ DE LA

SITUATION AGRICOLE
-DE LA FRANCE,

ET
DES MOYENS DE L’'AMELIORER ;

PAR M. DE MARIVAULT,

Chevalier de la Légion-d’Honneur, membre correspondant du Conseil
d'agriculture, etc.

Le capital le plus avantageusement
employé par une nation est celui
qui féconde l’industrie agricole.

(Sax, Économie politique. )

A PARIS,

Madame HUZARD , Imprimeur-Libraire, rue de
l’Éperon;, n°. 7;
DELAUNAY , Libraire, Palais-Royal ;
CHEz ( BOSSANGE père, Libraire , rue de Richelieu,
n°. 60 ;
MONGIE aîné, Libraire, boulevart des Italiens,
1.10.

1824.

.
è
nr rare Ré
A 18K A R D ,

MAR 12 Fa

N@

<Yensrry of ae

es

967460 .

om» [MPRIMERIE ec

DE MADAME HUZARD (NÉE VALLAT LA CHAPELLE),

” Rue de l'Éperon Saint-André-des-Arts, n°. 7.

A LA LA A AA AAA DLLD LA AT AAA RAA LS LAVAL LUS LA AAA RAY

AVERTISSEMENT.

Cr Mémoire a paru au mois de juillet
dernier, sous le titre d’Æppel à la pré-
voyance du Gouvernement, des capita-
listes et des rentiers, ou Considérations
sur les moyens d'accroître, dans leur in-
térét et par leur concours , La prospérité
agricole de la France. Écrit à l’époque de
la discussion du projet de loi relatif à la
réduction de lintérêt des rentes payées par
l'État, il était à propos de chercher à fixer
spécialement, sur les matières qu’il traite,
l'attention des capitalistes et des rentiers.

Après avoir fait ainsi, et peut-être assez
inutilement , la part des circonstances,
nous restituons à notre travail son véri-
table titre, celui qui indique le plusexacte-
ment son objet et son but. C’est donc aux
agriculteurs et à ceux dont les méditations
se dirigent vers l’économie politique, que
nous nous adressons aujourd’hui.

Les considérations que nous avons pré-
sentées leur laisseront, sans doute, beau-

1] AVERTISSEMENT.

coup à désirer; mais nous osons nous
flatter de ne nous étre point écartés des
vrais principes , et d’avoir en méme
temps fait reposer nos conséquences sur
des faits authentiquement constatés. Nous
nous sommes d’ailleurs bornés à offrir des
indications, un thème en quelque sorte,
pouvant fournir matière à de nombreux
développemens.

Ce ne serait pas un temps inutilement
employé que celui qui se consacrerait à
les rassembler. L'économie politique n’est
pas, ainsi que quelques-uns le croient,
une science oiseuse. Les affaires publiques
peuvent, il est vrai, se conduire quelque-
fois sans calcul et sans prévoyance; un
mauvais système peut même être adopté
et suivi à l’aide d’une succession de pal-
liatifs, sans qu’on s’aperçoive d’abord des
inconvéniens prévus par les esprits réflé-
chis : de même qu’une maison mal fon-
dée se soutient quelquefois avec le secours
des reprises et des étaies, à la longue ce-
pendant le fond des choses l'emporte,

2? 2 NE Rae PRE TE
alors tout s'écroule. C’est ainsi qu arri-

AVERTISSEMENT. 11}
vent ces grandes crises qui bouleversent
l’ordre social et qui laissent apres elles
des traces si funestes et si profondes...

Il est démontré que les récoltes de céréa-
les consacrées à la nourriture de l’homme
excèdent la consommation qui s’en fait.
En nous appuyant sur les recherches de
M. Garnier (/istoire de la monnaie des
peuples anciens ), pour établir que le fro-
ment ne devrait pas descendre au-dessous
de vingt-cinq francs le setier, d’après la
valeur actuelle du marc d'argent, nous
avons fait remarquer que son taux moyen
ne dépassait pas vingt et un francs : au-
jourd’hui il en vaut à peine dix-huit
(douze francs l’hectolitre) dans les dépar-
temens du centre. Si pendant trois ou
quatre ans aucune circonstance ne permet
de vider les greniers, il descendra à huit
ou dix francs, ou plutôt il deviendra, en
quelque sorte, sans valeur et sans ache-
teurs. Alors (la quotité des ensemence-
mens n'éprouvant pas de diminution ), 1l
y aurait nécessité impérieuse de trouver
remède à un mal qui ne laisserait aux

iV AVERTISSEMENT.
cultivateurs aucune possibilité de satis-
faire aux charges publiques.

Dans un tel état de choses, on peut
s'étonner de voir un agronome qui fait,
à Juste titre, autorilé par ses ouvrages et
par sa qualité de membre de l'Académie
des sciences, choisir, sans aucune modi-
lication , pour épigraphe de son rapport à
la Société royale d'agriculture sur l’éta-
blissement si recommandable de Roville,
cette assertion absolue de Sterne : Celui
qui fait croître deux épis de blé où il
n'en existait qu'un auparavant est plus
utile à l'humanité que les politiques du
monde entier réunis.

Cela est assurément vrai tant que les
produits des terres ne s'élèvent pas au ni-
veau des besoins; mais lorsque le con-
traire existe depuis long-temps, lorsque
chaque récolte ajoute à l’excédant de la
récolte précédente, il est permis de penser
que l’agriculteur qui ferait croître le troi-
sième et sur-tout le quatrième épi super-
flu ne rendrait aucun service. Il mérite-
rait, à son tour, de l'humanité celui qui

AVERTISSEMENT. y
rétablirait léquilibre rompu, en créant
de nouveaux besoins pour l'emploi de ce
superflu. Nous ne considérons pas comme
tel un approvisionnement de réserve égal
à la moitie de la consommation annuelle;
mais nous appelons de ce nom tout ce qui
le dépasse.

Nous sommes loin d'espérer que l’on
puisse obtenir instantanément des habi-
tans des campagnes de renoncer, dans
les années d’abondance, ainsi que nous
le proposons pour relever le prix du fro-
ment, à faire entrer dans leur pain la fa-
rine d'orge et des autres grains secon-
daires ; nous n'avons que trop appris quel
est l'empire des habitudes et celui des
opinions depuis long-temps enracinées.
C'est parce que nous sommes convaincus
de la difliculté de l’entreprise que nous
conjurons les propriétaires éclairés de
donner l'exemple dans leurs possessions.
Ils ne pourraient pas faire usage d’un ex-
pédient plus simple et en même temps
mieux approprié à leurs véritables inté-
rêls, pour remédier à lPexcés des récoltes

V] AVERTISSEMENT.
et en favoriser la vente; toutefois, celui
qui y recourrait seul n’en retirerait nul
profit, parce qu’il n’exercerait aucune in-
fluence sur les prix dans les marchés.

En livrant nos observations au juge-
ment et à la critique du public, nous pou-
vons dire comme Montagne : C'est icy un
livre de bonne foy. Puisse-t-il suggérer
des vues meilleures que celles qui y sont
consignées, et contribuer à convaincre
Jes propriétaires des avantages qu'ils re-
ureraient d’une résidence plus fréquente
dans leurs terres!

Au Blizon (Indre) , le 28 septembre 1824.

On pourra consulter, pour le détail des calculs sur les-
quels reposent nos évualations , les ouvrages suivans :
De l’industrie francaise , par M. le comte CHAPTAL ;
De l'Administration du Commerce et de P Agriculture ,

par M. Axru. Cosraz ;

Mémoires sur les consommations de la ville de Paris, par

M. BenoïsTON DE CHATEAUNEUF;

Tableaux statistiques, publiés par les soins de M. le

Préfet de la Seine ;

Annales de | Agriculture francaise et celles des Voyages;
Barrr, Tableau de la Grande-Bretagne ;

AoxTvÉRAN , Âistoire d’ Angleterre (agriculture );
AntTHur YouxG, Arithmétique politique ; etc., etc.

RAA LV AAA AN AA AI AAA ARR ARE AAA AN A RAA AL AAA RAA AA AA AAA ES

DE LA

SITUATION AGRICOLE

DE LA FRANCE,

ET

DES MOYENS DE L’AMÉLIORER.

À l'époque de la présentation du projet de
loi portant réduction de l’intérèt des rentes à
la charge de l’État, plusieurs orateurs ont cher-
ché à démontrer que son adoption serait d’un
avantage immédiat pour l’agriculture.

Les discussions lumineuses qui se sont en-
gagées dans les deux chambres législatives ont
prouvé que la réduction, telle qu’elle devait
s'opérer, n'aurait pas ce résultat.

Son rejet a replacé provisoirement les choses
dans l’état où elles étaient avant la proposition
ministérielle; mais si, comme tout semble jus-
qu'ici l'annoncer , elle est reproduite avec des
modifications , on doit espérer que le Gouver-

(6)

nement, mieux éclairé sur les moyens de conci-
lier les intérêts du trésor avec ceux des contri-
buables et des rentiers, annoncera, à l'avance,
ses intentions, et accordera aux prêteurs qui ne
voudront pas lui confier leurs fonds à des condi-
tions nouvelles les délais nécessaires pour leur
donner une autre destination.

I n’est donc pas sans utilité de rechercher
comment on pourra employer avec sécurité et
profit ceux qui deviendront disponibles, soit
par cette circonstance probable, soit par la
crainte des oscillations qui sont encore à pré-
voir dans le cours de la rente.

Nous allons essayer de remplir cette tâche
et de développer les avantages incontestables
des placemens en immeubles territoriaux.

Après avoir exposé la situation agricole de
la France et ce qui reste à faire pour l’amé-
liorer, nous examinerons comment on peut
imprimer un mouvement d'accélération à sa
prospérité.

Nous nous bornerons, d’ailleurs, à considérer
les produits de la culture sous leur point de
vue le plus essentiel, {a nourriture de l'homme,
les autres productions n'ayant, à quelques ex-
ceptions près, qu’une convenance relative et
secondaire, se prétant à des modifications nom-
breuses et suivant, dans leurs développemens,

C9
les besoins de l’industrie et du commerce, les

goûts ôu les caprices des consommateurs.
À

DE LA SITUATION AGRICOLE DE LA FRANCE.

Il existe la disproportion énorme des neuf
dixièmes entre le produit annuel des propriétés
dans les départemens dont elle se compose. Il
est de six francs l’hectare là où le sol est hérissé
de montagnes ou couvert de landes ; de douze
à quinze francs au centre : il varie au midi
de vingt-cinq à quarante francs, et de qua-
rante à soixante-dix francs au nord. Dans le
département de la Seine, qui est hors ligne,
il s'élève à deux cent seize francs.

Cette disproportion est rarement due au de-
gré de fertilité du sol cultivé ; elle résulte plus
souvent du climat et des circonstances qui s’y
rapportent, ou de la facilité des débouchés, ou
du nombre d'individus qui , sur une surface
donnée , se livrent aux travaux de la culture.

Ces inégalités tendent, ilest vrai, à s’affaiblir
a mesure que le gouvernement augmente les
moyens de transport; mais comme les spécu-
lations se portent , de préférence, vers les points
Jai règne déjà une grande activité industrielle,
la richesse des contrées pauvres ne s'accroît pas

(69
dans la proporticii de l'amélioration de leur si-
tuation physique : le prix des terres n’y suit
donc pas la même progression que dans les
cantons populeux et réputés fertiles.

Dans ces derniers , d’ailleurs, la construction
des bätimens ruraux est, généralement parlant,
plus solide, plus soignée , mieux entendue. La
culture est entre les mains d'hommes intelli-
gens et aisés, qui peuvent y consacrer des ca-
pitaux suflisans pour en soutenir l'amélioration.
Le propriétaire qui ne veut ou ne peut pas se
livrer aux travaux qu’elle exige, trouve faci-
lement des fermiers à qui il n’a à fournir ni
bestiaux , ni ensemencemens , ni aucune des
avances nécessaires aux colons partiaires, es-
claves obstinés d’une aveugle routine, auxquels
une partie du sol de la France est encore livrée.

On a long-temps et longuement agité cette
question : la grande culture est-elle préférable a
la petite ? On ne s’est pas entendu, parce qu'en
la généralisant trop, on l’avait rendue, en quel-
que sorte, insoluble.

Dans le voisinage des villes, par-tout où beau-
coup de bras réclament de l’occupation, et où
leur travail est assez rarement interrompu et
assez payé pour rendre les économies possibles,
la division des propriétés s'opère par la force
même des choses. Ces petites propriétés sont

(9)

cultivées avec une intelligence , un profit que
les grands tenanciers essaieraient vainement
d'atteindre. Les possesseurs des premières ne
dépensent guère que le temps dont eux et leur
famille n’ont pas l'emploi ailleurs ; les seconds
n'obtiennent du travail qu'à prix d'argent : ces
derniers doivent donc s'attacher à diminuer,
autant que faire se peut, les frais d'exploitation.
De là nait aussi la différence des produits de la
grande et de la petite culture ; l’une et l’autre
se prêtent un appui mutuel et méritent des en-
couragemens.

Ce que l’on peut désirer voir entièrement
disparaître, c’est plutôt cette culture inter-
médiaire , abandonnée à des métayers à moitié
fruit, entre lesquels et le propriétaire s’inter-
pose quelquefois une sorte d'entrepreneurs ,
qui, louant des domaines qu'ils n’habitent ni
ne cultivent, pressurent le colon et fatiguent la
terre mal préparée par des récoltes successives
pendant la courte durée de leur jouissance.

La, tout est à améliorer, et les améliorations,
si elles sont bien entendues, présentent de
grandes chances de bénéfices : mais pour les réa-
liser ces améliorations , il faut trancher dans le
vif; substituer au simple colonage les baux à
long terme, consentis à des fermiers dirigeant
en personne leur exploitation; mieux disposer

( TDu)

les bâtimens ruraux ; opérer la réunion des do-
maines trop circonscrits ; diviser ceux dont
l'étendue est trop considérable ; défricher des
landes , des bruyères ; dessécher des marais et
des étangs ; creuser des rigoles et des fossés d’é-
coulement ; entourer les fermes nouvelles d’'ha-
bitations de journaliers qui puissent fournir à
tous les travaux d’une culture active et soignée ;
accroître le nombre des bestiaux, et sur-tout
en améliorer les races par le secours des prai-
ries artificielles ; car, sans engrais abondans, ce
seraiten vain que le laboureur arroserait de ses
sueurs la terre que sa charrue sillonne.

Les encouragemens accordés en France à la-
griculture ont presque toujours eu pour prin-
cipal but de recommander et d'accroître la
récolte des céréales. Les agronomes les plus
distingués en forment la base de tous les asso-
lemens qu'ils proposent : un des plus dignesd’es-
time et de confiance, M. de Morel Vindé, pair
de France, a posé récemment en principe , dans
ses Observations pratiques sur la théorie des as-
solemens, «qu'on ne peut se dispenser d’avoir,
» toujours et tous les ans , une moitié de toute
» l'exploitation en céréales fournissant pailles
» (dont partie égale en froment d'hiver et en
» céréale de mars ), plus un quart en prairies

CPS . - ? . ec
» artificielles, ces proportions , où d’autres

à:

(11)
» approximatives, étant impérieusement Com-
» mandées par la quantité de fumier , et par
» conséquent de bestiaux qu’exige l'exploita-
» tation. » — Puis il évalue le produit de l'hec-
tare de blé froment à sept cent vingts gerbes.

Nous pensons que, dans la situation présente
de la France et avec ses trente nuilions d’habi-
tans, l'application rigoureuse de ce principe
ne peut avoir lieu, ou que le calcul des pro-
duits en céréales est exagéré, celui moyen de
l'hectare ne pouvant être évalué qu'a quatre
cents gerbes, produisant quinze hectolitres de
grains.

Que ferait-on de l’excédant considérable qui,
en suivant le calcul de M. de Morel Vindé, serait
obtenu en sus de la quantité nécessaire pour
fournir à l’approvisionnement annuel? Son but,
comme le nôtre, est d'entretenir assez de bétail
pour fumer convenablement une exploitation
conduite avec intelligence ; mais la récolte des
grains s’éléverait dans la proportion de celle
des pailles, tandis que cette récolte doit se ré-
gler uniquement sur l'accroissement de la po-
pulation, sans jamais recevoir un mouvement
plus accéléré. Nous indiquerons un autre ex-
pédient, qui nous parait réunir les avantages Si
justement recherchés par M. de Vindé, et qui
n'a pas ses incorivéniens.

(12)

Des récoltes de blé servant à la nourriture de
l’homme.

Il existe en France vingt-deux millions huit
cent mille hectares de terres labourables (frac-
uons négligées) : en les divisant en trois soles,
conformément à la pratique la plus générale,
c’est sept millions six cent mille hectares pour
la culture de chaque année en blé d'automne ;
et pour le produit à quinze hectolitres par hec-
tare, cent quatorze millions d’hectolitres, des-
quels déduisant le cinquième pour les ense-
mencemens et les déchets, ilreste quatre-vingt-
onze millions deux cent mille hectolitres, c’est-
à-dire par individu, pour une population de
trente millions, un peu plus de trois hectoli-
tres, non compris la récolte de l'orge, du maïs,
du sarrasin et de la chätaigne.

En évaluant la consommation moyenne du
pain à vingt onces par jour par individu ( elle
est à peine de seize onces pour lhabitant de
Paris ) (1), c’est par jour trente-sept millions

(1) Suivant M. Benoiston de Châteauneuf, il a été re-
connu que ceux qui mangent le plus de pain frais et

tendre ne sauraienten consommer, par jour, plasde vingt-

(5611)
cinq cent mille livres de pain, ou deux cent cin-
quante mille hectolitres, et par an quatre-vingt-
onze millions , rapport presque exact avec le
calcul que nous venons de présenter (1).

Ainsi, on peut croire que les récoltes du mais,

quatre onces; les médiocres mangeurs , dix-huit; les ou-
vriers et les cultivateurs , quarante-huit : terme moyen,
calculé sur l’ensemble de la population, dix-neuf onces,
et pour les hommes faits, vingt-huit onces ; ce qui est
assez conforme au calcul de M. de la Grange, d’après
lequel il faut par an, pour nourrir un homme fait,
l'équivalent de deux cent cinquante-six kilogrammes de
blé, et de soixante-treize kilogrammes de viande.

En Angleterre, la consommation du pain n’est éva-
luée qu’à douze onces un tiers par jour et par individu,
ce qui fait un peu moins de deux hectolitres par an; mais
on verra que la consommation de la viande y est bien
supérieure à celle qui se fait en France.

(1) Le résultat des tableaux présentés par M. le comte
Chaptal n’élève les récoltes annuelles de froment et de
seigle qu’à quatre-vingt-deux millions d’hectolitres. On
fera observer que, depuis l’époque où ils ont été dressés ,
crand nombre

g
de brasà Pagricultu re, et des améliorations toujours crois-

la cessation de la guerre , qui a rendu un

santes ont dû procurer un supplément de récolte con-
sidérable, Il est à remarquer, d’ailleurs, que ces états ont
été vraisemblablement fournis par les préfets, queles ad-
ministrations locales induisent en erreur. Nous avons été

quelquefois à même de reconnaitre combien les renseigne-

du sarrasin et de l'orge, devraient être, sauf les
années de pénurie, entièrement consacrées à la
nourriture des bestiaux, et cependant ces grains
secondaires servent d’aliment à une partie de
la population de la France. Il y a donc presque
toujours, en froment et en seigle, un excédant
assez considérable. Il avait été, en 1803, de
neuf millions trois cent mille hectolitres : les
exportations s’élevèrent, dans la même année, à
cinq cent soixante-six mille quintaux métri-
ques. Il monta, en 1808, à plus de vingt-deux
millions six cent mille hectolitres , et les

mens qu’elles procurent sont loin de présenter la quotité
effective des récoltes, et il est, dans le fait, difficile
qu’elle leur soit rigoureusement connue.

Nous croyons que celles du froment et du seigle , loin
de rester au-dessous de notre estimation, la dépassent
presque tous les ans , et que, par conséquent , il est bien
rare que les greniers se vident d’une récolte à l’autre : le
bas prix des blés , depuis plusieurs années, vient à l’appui
de notre opinion. Les quatre-vingt-deux millions d’hec-
tolitres qui composeraient , d’après les évaluations ad-
mises par M. le comte Chaptal, le produit net de la ré-
colte en gros blés, fourniraient à une consommation de
dix-huit onces par jour par individu; ce qui s'éloigne
peu des besoins réels, calculés, comme on l’a vu par la
note précédente ; au taux intermédiaire de dix-neuf

ONCES:

(15)
exportations ne dépassèrent pas huit cent cim-
quante-huit mille quintaux métriques, un mil-
lion deux cent quatre-vingt-sept mille hecto-
litres. On voit quelle modique ressource elles
présentent pour l'écoulement du superflu.

Quant aux importations, en 1801, où le dé-
ficit avait été calculé à douze millions d’hecto-
litres (évaluation qui parait très-exagérée),
l'importation ne dépassa pas neuf cent cin-
quante-sept mille quintaux métriques, envi-
ron un million quatre cent trente-cmq mille
cinq cents hectolitres : c'est le taux le plus
élevé de l'importation, qui ne peut être égale-
ment que d’un faible secours, en cas de di-
sette, parce qu'il est rare que, lorsque la France
manque, 1l n'y ait pas aussi pénurie plus ou
moins grande dans les greniers étrangers, et
que l'introduction d’un déficit de douze mil-
lions d’hectolitres exigerait l'emploi prodi-
gieux de deux mille navires de cent quatre-
vingts tonneaux chacun, quantité que le com-
merce de l'Europe aurait peine à fournir sans
nuire à la circulation des autres produits.

En Angleterre, où les besoins sont plus fré-
quens qu'en France, on a importé, année com-
mune, du 1°”. janvier 1792 au 31 décembre
‘505, un million deux cent soixante - douze

mille cinq cent quatorze quarters de blés étran-

(406: :)
sers, environ quatre millions vingt-six mille
hectolitres. À cette époque, on avait imprimé
un grand mouvement à la culture des prairies
artificielles, et diminué dans une proportion
très-sensible celle des blés. De 1804 à 1812,
on a importé huit cent soixante-huit mille trois
cent trente-cinq quarters par année; ce qui a
présenté une diminution de près d’un tiers sur
les importations précédentes, malgré l’augmen-
tation croissante de la population, résultat fa-
vorable , dû à l'amélioration de la culture.

Dans le dix-huitième siècle, antérieurement
aux années citées, elle ne s'était pas élevée au-
dessus du terme moyen de cinq cent soixante
mille quarters; mais alors l'Angleterre était
bien moins peuplée.

Ces données confirment, à peu de chose pres,
l’assertion de Stewart, que le pays à blé le meil-
leur du monde n’a jamais produit de quoi nour-
rir au-delà d’un tiers en sus de ses propres ha-
bitans, et que l’importation la plus élevée de
l'Empire Britannique n'allait pas ordinairement
au-delà de la cinquante-septième partie de ses
besoins annuels.

La consommation des blés ayant des limites
fixées invariablement par la capacité de notre
estomac, les peuples ont été sans cesse avertis,
par l’avilissement des prix dans les marchés, de

i7 )

celles qu'ils devaient mettre à leur culture, et
c’est parce qu'elles ont été atteintes depuis des
siècles, que cette culture n’a pas suivi dans son
accroissement celui de tant d’autres produits.
Elle s'arrête ou rétrograde dès que , pendant
quelques années, une partie de la récolte reste
sans débouchés.

Du capital en bestiaux servant à alimenter les

boucheries.

Sauvegrain estimait qu'il y avait en France,
en l'an XII (1805),
Bœufs:et,vaches, . 1, 41... 6,084,560
Moutons.s … 1,122. 1.êve,.e 2020:307,000
Leur nombre s'élevait en 1812, d’après M. le
comte Chaptal,
Bêtes bovines de tout âge, à. 6,972,975
Moutons et brebis . . .. : « 35,:188,910
Le capital numérique de l'Angleterre était,
en 1804 , de
BŒufS Rs UE er 0000! 184 |
VMäches. 43,588: 2,400,000 |
Moutons. . . . ss 50e + ST ARR 207
En 1813, il était de
EMA , 4:322,654|
Vachesis Mr Urent: 2,800,000|
Moutons et brebis...,. , ,.. 40,865,576

(1010

Sept millions de bêtes à cornes représen-
tent en Angleterre (le poids moyen étant calculé
à six cents livres) quatre millards deux cents
millions de livres pesant ;

Et en France, au poids moyen de quatre
cents livres, deux milliards huit cents millions.

Les bêtes à laine en Angleterre représentent,
au poids moyen de quatre-vingts livres, trois
milliards deux cent cinquante nullions en-
viron ;

Et en France, au poids de trente-six livres,
un milliard deux cent soixante-six millions.

Ainsi, l'Angleterre et le pays de Galles ont,
pour les besoins de la consommation , un
nombre de bestiaux représentant un poids de
sept milliards quatre cent cinquante millions ;

Tandis que la France, pour satisfaire tout-à-la-
fois à sa consommation et à son agriculture , ne
possède à peine que le même nombre de têtes
de gros bétail, d’un poids très-inferieur , puis-
qu'il est, à peu de chose près, dans le rapport
de cinq à neuf.

Et cependant la France contient cinquante et
un millionsneufcentdix mille soixante-deux hec-
tares, tandis qu’on n’évalue la surface des qua
rante comtés de l'Angleterre et du pays de

Galles qu’à quatorze millions neuf cent quatre-

(19)
vingt-six mille sept cent quatre-vingt-deux hec-
tares (1).

Si de cette comparaison nous nous repor-
tons à celle plus essentielle des consommations,
nous trouverons les résultats suivans :

Consommation par jour et par individu :

Pour Londres, cent vingt-deux kilogrammes ;

Pour l'Angleterre et le” pays de Galles, , qua-
tre-vingt-treize kilogrammes.

En France, la consommation n’est , dans la

(1) Le poids moyen des bœufs et vaches consommés à
Paris est de trois cents kilogrammes par tête, les vaches
ne figurant dans le calcul que dans la proportion d’un à
quatorze , ce qui abaisse d’autant moins le poids de ceux-
ci; mais, dans les départemens , on abat, pour les bou-
cheries, plus de vaches que de bœufs et d’un poids bien
inférieur. Comme d’ailleurs nous comprenons les veaux ,
nous croyons que le poids moyen peut être au plus éta-
bli à deux cents kilogrammes. En le portant à trois cent
pour l'Angleterre, nous restons , au contraire, au-des-
sous du poids réel.

La même observation est applicable aux moutons, que.
peut-être nous n’eussions dû évaluer qu’à quinze kilo-
grammes , en ayant égard à l’extrème petitesse de ceux
qui se consomment dans plusieurs cantons. Nous devons
faire , en outre , remarquer qu’en 1812 les bestiaux dé-
pendant des départemens retranchés de la France de-
vaient être compris dans les calculs de M. le comte
Chaptal, et que nous n’en avons pas fait la soustraction.

2.

(20)

capitale, que de quarante-cinq kilogrammes ox
quatre onces par jour, y compris la viande de
porc, et seulement de trente livres ou d’une
once et demie par jour pour les départemens.

Mais il est une autre considération non moins
importante, c'est qu'en Angleterre le poids des
bestiaux livrés à la boucherie, et par consé-
quent le capital qu'il représente , s’est accru
d’une manière incroyable ; ila, d’après M. Mont-
véran, presque triplé de 1784 à 1815, tandis
qu'en France il est resté presquestationnaire, st
on excepte les moutons, dont le poids et la valeur
ont augmenté depuis que l'introduction des mé-
rinos a déterminé beaucoup de cultivateurs à les
nourrir avec plus de soin et d’abondance.

Le docteur Clarke nous fournit les documens
SUIVANS :

Poids ordinaire du bétail vendu au marché
de Smithfield.
ne

EN 1710. EN 1700.

Bœuf. . . -: ‘37olivres.| Bœuf. . . + 800 livres.lf
Veau. . .-. #0 Neau.. :
Mouton, . 28 Mouton. . .

Agneau. . 10 Agneau. Are

(21)
Outre cette augmentation dans le poids, le
nombre des bœufs consommés annuellement à
Londres s’estélevé, en 1795, atrente-deux mille
huit cent cinquante-quatre de plus que soixante-
deux ans auparavant, et celui des moutons à
deux cent sept mille deux cent quatre-vingt-
dix. Depuis cette époque, la différence est de-
venue plus sensible encore (1).

(1) IL résulte des calculs auxquels M. Benoiïston de
Châteauneuf s’est livré, que, depuis 1769, la consom-
mation de la viande a baissé, à Paris, d’un cinquième, loin
d'augmenter avec les consommateurs; et que, quand la
viande de boucherie estmoinsabondante, soit à cause de la
cherté de son prix, soit par toute autre raison, la consom-
mation du porc augmente aussitôt, comme si cette espèce
daliment était toujours destinée à remplacer l’autre.

L'introduction en grand de la culture des pommes de
terre, et la difficulté de pourvoir aux approvisionne-
mens à l’époque du maximum ; ont contribué au chan-
gement qui s’est établi dans les habitudes du peuple.

Il se consomme annuellement , à Paris, environ trois
cent vingt-trois mille six cents hectolitres de pommes de
terre , qui représentent onze kilogrammes de viande par
hectolitre, et qui équivalent à sept mille trois cent quatre-
vingts bœufs du poids de trois cents kilogrammes chacun.
Cette nourriture , substituée à la viande , rétablit la pro-
portion entre la consommation de 1789 et celle des dix
dernières années.

Elle paraît suivre en ce moment le mouvement ascen-

(22)

Tels sontles effets d’une culture perfectionnée
par l'introduction des prairies artificielles, et
par l'adoption d’un judicieux système d’assole-
ment.

Les Anglaisontreconnu,avantnous, que, pour
beaucoup récolter, il fallait beaucoup d'engrais,
et qu'on ne pouvait avoir beaucoup d'engrais
sans élever un grand nombre de bestiaux et
sans avoir des fourrages abondans pour les
nourrir.

Ils ont donc momentanément sacrifié à l’éta-
blissement de prairies temporaires une partie
des terres arables : les grands propriétaires ne
se sont pas bornés à donner l'exemple ; ils l'ont
fortifié en établissant des prix qui se distribuent
avec solennité, et qui sont assez élevés pour
couvrir les dépenses qu’entraine nécessaire-
ment l'amélioration des races.

Le célèbre anatomiste Hunter ayant remar-

qué que les personnes grasses avaient générale-

s mm A

dant de la population ; bornée, dans les dix années anté-
rieures à 1022, auterme moyen desoixante-onze mille sept
cent cinquante bœufs, elle a dépassé , pendant cette an-
née , celui de soixante-quinze mille neuf cents. La pro-

gression a été à-peu-près la même pour les autres espèces
de viande.

( 25 )
ment lès os minces, ce principe a été appliqué
aux animaux domestiques par Backwell et par
plusieurs autres cultivateurs éclairés. Ils se sont
en même temps attachés à rechercher ceux à
large poitrail, comme les plus avantageux pour
l’engrais. L'expérience leur a enseigné à éviter
également les trop grosses et les trop petites
races, et à préférer les animaux tranquilles et
doux.

— L'éducation du bétail est des-lors devenue une
spéculation de boucherie dont les résultats sont
calculés d’une manière si parfaite, que , tout
additionné, frais de production , soins, nourri-
ture, temps nécessaire et transport, il reste un
bénéfice clair pour celui qui élève, ainsi que pour
le nourrisseur.

On a encore appris que les bestiaux destinés
à l’approvisionnement des boucheries pouvaient
s'engraisser à tout äge, et qu'il était avantageux
de les livrer à la consommation plutôt qu'on ne
le fait ordinairement en France.

Lors de la dernière exhibition annuelle du
marché de Smithfield, le bœuf qui a obtenu le
premier prix de vingt guinées n'avait que deux
ans et Onze mois.

Un autre prix de vingt guinées a été accordé

au propriétare d’un bœuf de l’âge de cinq aus

(24)

et huit mois, et du poids de deux mille deux
cent quarante livres (1).

La carcasse des plus forts moutons pesait de
cent cinquante à deux cent dix livres, et un
porc àgé de quinze mois seulement, trois cent
trente-deux hvres.

Ce n'est pas sur ces espèces de monstres qu’on
peut asseoir des calculs ; mais ils font voir jus-
qu'a quel point l’industrie peut, en quelque
sorte, élever à volonté le poids et le degré de
graisse des animaux domestiques. Tous ceux
qui se livrent à ces expériences ne sont pas in-
demnisés de leurs frais; car, à côté de celui qui
obtient le prix, se classent ceux qui l'ont presque
atteint. Toutefois , les récompenses accordées
excitent lémulation et contribuent à l’entrete-
nir. Si quelques individus font des pertes, la
nation y gagne, comme à tout ce qui tend à
élever la production et la consommation.

Lorsque l’une et l’autre se soutiennent, cette

augmentation de richesses publiques exerce la

(1) La Société d'agriculture d'Irlande (farming society)
exige, pour l’admission au concours des prix décernés par
elle, chaque année, qu’un bœuf de deux ans pèse au
moins onze cent vingt livres sur pied; un de trois ans,
quatorze cents livres; enfin qu’il pèse seize cent quatre-

vingts livres, s’il a quatre ans et plus.

(257)
plus heureuse influence sur le bien-être et sur

l'accroissement de la population. |
L’Angleterre en fournit encore la preuve.

Sa population, au temps d'Édouard IE, était
lu b iia en NT 23002478
Du temps d'Élisabeth, de . . . 4,688,000
A l’époque de Charles Il, de. . . 6,000,000

D'après les calculs faits sous le
règne de la reine Anne, de... 8,200,000

Au commencement de la guerre
d'Amérique, en 1775, d'après
Ghalmers, den: 341 100 24 #0 400,000

Ainsi, elle a beaucoup plus augmenté dans le
dernier siècle qu’elle ne l'avait fait auparavant,
dans l’espace de six cents ans.

Le recensement de 1811 n'ayant donné que
dix millions cinq cent deux mille cinq cents ha-
bitans , celui de 1821 en porte le nombre à onze
millions quatre cent trente-six mille deux
cent vingt-six; Ce qui suppose que, dans cet
intervalle , la population s’est accrue, année
moyenne, de 16 + par mille.

L’accroissement a été plus lent en France, qui
présentait, en 1789, une population évaluée à
environ vingt-cinq millions ; en 1806, d’après
les recensemens ofliciels, à vingt-huit millions

neuf cent trente-cinq mille cent vingt-sept (de-

(26)

duction faitedesvilles etvillages détachés en 1814
et 1819) : en 1820 elle s'élevait à trente millions
quatre cent soixante-six nulle cinquante-trois
habitans , auxquels ajoutant, pour l’armée,
cent cinquante mille, on a trente millions six
cent seize mille cinquante-trois individus. La
comparaison de ces deux derniers recensemens
oflve seulement, en quatorze ans, une augmen—

tation de 4 5 par nulle.

L'ensemble de la population des Iles Britan-
niques , y compris le pays de Galles, mais dé-
duction faite des îles de Jersey , Gernesey et
Mann, est de vingt et un millions deux cent qua-
rante-huit mille deux cent quatre-vingts indi-
vidus, selon le recensement de 1821 déja cité :
ils sont répartis sur une étendue de cent vingt
et un nullions trois cent vingt-neuf milles d’An-
gleterre carrés, ou trente et un millions qua-
tre centquarante-huitmille quatrecent soixante-
dix-sept hectares ; ce qui fait, par chaque mille
carré d'Angleterre, ou, pour un hectare qua-
rante-huit ares et demi, cent soixante-quinze
individus, terme moyen; tandis que la France,
sur une surface de cinquante et un millions
neuf cent dix mille soixante-deux hectares,
n'a qu'un individu pour un hectare soixante-
dix ares six dixièmes.

M. le baron Coquebertde Montbret, à qui nous

(27)
empruntons ces. derniers calculs (Ænnales des
voyages), fait observer que, dans cette propor-
tion, la France pourrait voir sa population portée
à trente-cinqmillions d’ämes, sans qu’elle surpas-
sàt spécifiquement celle des Iles Britanniques.

Si elle recevait annuellement un accroisse-
ment égal à celui que celles-ci ont obtenu de-
puis 1801 , il ne faudrait guère plus de dix an-
nées pour qu'elle atteignit ce taux. Rien ne se-
rait plus facile que d'élever les produits agricoles
dans lamême proportion , puisque, outre ceux
a attendrede l'amélioration successive des terres
déjà cultivées, 11 nous reste à défricher plus de
quatre millions huit cent mille hectares de lan-
des et de bruyères.

On s’effraierait donc à tort du mouvement as-
cendant de la population, son accroissement
est même indispensable pour soutenir les amé-
liorations agricoles et industrielles. Heureuse-
ment, 1lest sensible par toute l'Europe, malgré
les émigrations, qui ont favorisé son dévelop
pement extraordinaire dans les États-Unis, où,
en 1755, on comptait seulement un million
cinquante et un mille individus; en 1806, cinq
millions trois cent six mille cent trente-deux, et
qui, en 1823 , en réunissaient neuf millions six
cent Cinquante-quatre mille quatre cent quinze.

De 17709 à 1789, le nombre des naissances, à

(28)

Paris , avait été, année commune , de dix-neuf
mille neuf cent soixante et un, et celui des dé-
ces, de dix-neuf mille neuf cent trente-quatre:
différence, vingt-sept.

De 1809 à 1819, naissances, vingt et un mille
sept cent quatre-vingt-dix-neuf; décès, vingt
etun mille trente-trois : différence, sept cent
soixante-Ssix.

En 16271, naissances : ,2%,2 25100

+. déces" NS PAPERS OA

Eh 1622 7 naissances". "114 0"26 600

eV midéces" PR 09 ae

Ainsi, la population de Paris s’est accrue, par
le seul excédant des naissances sur les morts, en
1821, de deux mille deux cent trente-neuf , et
en 1822, de trois mille cinq cent quatre-vingt-
dix-huit individus.

À Londres, le nombre des décès a éte, du
11 décembre 1821 au ro décembre 1822, de dix-
huitmulle huit cent soixante-cinq; celuidesnais-
sances, de vingt-trois mille trois cent soixante-
treize : différence, quatremille cinqcent sept (1).

(1) La population de Londres étant, d’après létatfourni,
en 1821, par M, Rickman, d’un million deux centsoixante-
quatorze mille huit cents âmes (y compris Westmins-
ter et Southwark), et par conséquent bien supérieure à

celle de Paris, qui n’est que de sept cent vingt mille âmes,
) | Il D 1

(29 )

Dans les maisons où on recoit en France les
enfans trouvés, on n'avait pu conserver , jusqu'à
l'âge de douze ans, que cent vingt-deux enfans
sur mille. Depuis quelques années, on a obtenu
des résultats moins désavantageux. Les sorties,
à cet âge, de cinq cent cinquante et un pour
les années 1816, 1817 et 1918, se sont élevées
à sept cent quarante-deux pour les trois années
suivantes.

À Berlin, le nombre des enfans morts avant la
fin de leur première année, qui était égal au quart
des naissances, n’est plus que du cinquième (1).

on s’étonnera que le tableau des naissances donne à cette
dernière ville un aussi grand avantage. Il ne faut pas ou-
blier que dans les villes de France, et sur-tout dans la
capitale , Les registres de l’état civil sont tenus avec beau-
coup d’exactitude, tandis qu’en Angleterre il n’y a pas
d'officiers publics chargés d’enregistrer ces actes : les ren-
seignemens y sont recueillis par des inspecteurs ( over-
seers), et, en Écosse, par les maitres d’école , et souvent,

sans doute , d’une manière incomplète.
; P

(1) Il est à croire qu’une nouvelle cause de mortalité
serait détruite par la proscription générale et rigoureuse
de la traite des noirs. M. le docteur Andouart vient de
démontrer jusqu’à l'évidence , dans un Mémoire lu par
lui à l’Académie des sciences, que cette affreuse maladie
avait été importée, tant en Amérique qu’en Europe , par

les bâtimens négriers.

(- 30°)

Ces résultats généraux sont dus à un meilleur
régime alimentaire, à des soins mieux entendus,
à la pratique de la vaccine et à plus d’aisance ré-
pandue dans le peuple.

Hs deviendront plus importans encore lors-
que les efforts du gouvernement concourront
avec ceux des particuliers à aflaiblir la dispro-
portion existant dans la valeur relative du pro-
duit des terres.

M. le rapporteur de la commission nommée
par la Chambre des députés pour l’examen de
la loi sur la réduction des rentes avait dit :

« En multipliant les moyensde circulation, en
desséchant les marais, en fouillant les mines, en
creusant des canaux, on donnera du travail
aux ouvriers el On augmentera la consomma-
Lion. »

Il serait plus vrai de prétendre que l'excès
des récoltes deviendra une cause de paresse. Le
travail ne manque pas plus aux ouvriers que le
blé pour les nourrir. Lorsque l'emploi de trois
ou quatre jours suffit pour assurer les subsis-
lances d’un ouvrier etde sa famille, il fait valoir
ses services, les met à plus haut prix, ou les re-
fuse obstinément. Le propriétaire est place, en
quelque sorte , dans sa dépendance ; ses entre-
prises se ralentissent ou sont entièrement sus-

pendues ; le paiement des impôts absorbe

(31)
ses ressources ; ses embarras vont en croissant.

I à été reconnu que, dans l’intérét commun
bien entendu du propriétaire et du journalier ,
le prix de l'hectolitre de froment ne devrait pas
descendre au-dessous de dix-huit à vingt francs,
pour les départemens qui récoltent au-delà de
leurs besoins.

Sous le règne de Henri IV , le marc d'argent
étant à vingt-deux livres, le prix du setier de
froment était à près de dix livres ; aujourd'hui,
le marc étant à cinquante-cinq francs , le setier
ne vaut qu'environ vingt et un francs : pour
soutenir la proportion, il devrait être à vingt-
cinq. C'est à ce taux commun que. M. le marquis
Garnier l’établit dans les considérations qui ter-
minent son /Jistoire de la monnaie des peuples
anciens. |

La diminution soutenue du prix des blés
prouve évidemment que, depuis la disette de
1816, la progression des ensemencemens et des
récoltes a été plus rapide que celle de la popu-
lation , parce que cette disette a excité à consa-
crer à la culture des céréales une plus grande
quantité de terres. De même, on peut s’atten-
dre que, si la baisse des prix se prolongeait, les
ensemencemens diminueraient, et que, par cette
seule cause et indépendamment de l'influence
des saisons, il pourrait y avoir une nouvelle pé-.

C5)
riode de renchérissement. Cette espece d'inter-
nuttence a été souvent remarquée.

Nous croyons avoir démontré que les récol-
tes de grains sont plus que suflisantes pour nour-
rir la population actuelle de la France ; mais
elles sont mal réparties, parce que les débou-
chés manquent dans quelques-unes des localités
qui ont annuellement un excédant de récolte ;

Qu'une portion de cet excédant resterait
même sans emploi s’il ne recevait pas une au-
tre destination ;

Qu'iln’y a pas, des-lors , lieu de recomman-
der d'augmenter, par préférence, la culture
des céréales destinées à la subsistance de l’homme;

Qu'il convient plutôt d'encourager, par tous
les moyens possibles, l'amélioration des bes-
liaux, sous le double rapport des races et du
nombre ;

Que de cette amélioration naïtra celle des
autres produits de la culture , puisqu'elle four-
nira le stimulant nécessaire , les engrais ;

Qu'elle aura la plus heureuse influence sur
l'accroissement désirable de la population , en
procurant à la partie nombreuse qui mange un
pain grossier une nourriture plus substantielle;

Et comme tout s’enchaine, que cet accrois-
sement de population permettra de faire dispa-

(33)
raitre successivement les méthodes vicieuses ,
entretenues par l'absence des débouchés et par
le malaise des cultivateurs ;

Que le gouvernement doit chercher à élever,
autant qu'il peut dépendre de lui , la valeur des
propriétés dans les départemens où, par ,des
causes diverses, elle reste hors de proportion
avecles ressources que ces propriétés offriraient
à une population plus nombreuse et plus indus-
trieuse. La terre, matière inerte, se prête à
tous les caprices de l'homme ; elle récompense
presque toujours largement un travail intelli-
gent et opimatre , lorsque les produits n’en pé-
rissent pas faute de consommateurs : il faut
donc, avanttout , faciliter les moyens de trans-
port et d'échange.

Ainsi, l'amélioration de la situation agri-
cole de la France est subordonnée aux efforts
réunis de son gouvernement et de ses habitans ;
leur concours soutenu peut, seul, la rendre
durable.

IT.

DE L'ACTION DIVERSE QUE LE GOUVERNEMENT ET LES
PARTICULIERS EXERCENT SUR L'AMÉLIORATION DE
L'AGRICULTURE.

De l'action particulière du gouvernement.

Le gouvernement peut exercer ceite action,

5

(34)
d’une part, par ses institutions, ses réglemens
administratifs et un bon code rural (r); par
ses soins à signaler les pratiques vicieuses , à
propager les bonnes, et à répandre par-tout une
instruction primaire appropriée à la destina-
tion future des enfans des cultivateurs;

De l’autre, par la modération des impôts,
leur égale répartition, établie d’après la valeur
naturelle du fonds, jamais d’après celle que
lui donne l’industrie; la suppression des mo-
nopoles, l’encouragement des échanges, des
transactions, qui favorisent et accélèrent la cir-
culation des capitaux et des produits; par des
récompenses aux succès; par des secours aux
entreprises faites avec discernement, que la
seule intempérie des saisons à fait échouer ;
par un système de douanes, mobile comme
les besoins de l’agriculture et de Pindustrie ,
et toujours calculé d’après les prohibitions, les
droïts ou les franchises établies par les diverses
nations commercantes; enfin, en vivifiant les

(1) « Les pays ne sont pas cultivés en raison de leur fer-
tilité , mais en raison de leur liberté; et si l’on divise la
terre par la pensée , on sera étonné de voir, la plupart du
temps , des déserts dans les parties les plus fertiles, et de
grands peuples dans celles où le territoire semble refuser
tout. » (MoxrrsQuieu, Esprit des lois.)

(35)

parties les plus reculées ou les plus négligées
du royaume par des constructions de ponts,
par l'ouverture de nouvelles routes ou de ca-
naux de navigation, et sur-tout par la répa-
ration si indispensable et si urgente des chemins
VICINAUX.

Quelques-unes de ces indications exigent des
développemens.

1°. La centralisation du gouvernement est as-
surément un grand bienfait pour la France ;
mais ne l’a-t-on pas trop étendue à l’adminis-
tration locale? On doit faire des vœux pour
qu'on abandonne aux conseils généraux de dé-
partemens, rendus à leur première destination ,
les décisions administratives, dont l'application
serait restreinte à chacun d’eux , toutes les fois
qu’elles ne blesseraient pas les lois et les or-
donnances générales, ou ne nuiraient pas aux
départemens limitrophes. Les ministres pour-
raient avoir un droit de veto suspensif; en cas
de doute et de réclamation , le conseil d’état ou
les tribunaux statueraient. Alors la législature
ferait, dans le budget, la part de l’administra-
tion générale et celle des départemens ; les dé-
penses particulières à ceux-ci seraient répar-
lies par leurs conseils ; tout ce qui concerne-
rait les routes départementales, l'entretien ou

9.

(56)

la réparation des chemins vicinaux, serait de
leur compétence.

2°. Pour coordonner l'établissement des che-
mins vicinaux avec un système général de circu-
lation secondaire , il serait désirable qu’une ad-
ministration spéciale fut chargée, pour toute la
France, d'arrêter, sur les rapports des conseils
généraux et l'avis des préfets, leur division par
classes ; d’en fixer le nombre, les directions, les
largeurs, etc.; de prononcer sur les réclama-
tions; d’astreindre les propriétaires riverains à
reculer leurs clôtures ou leurs fossés; enfin,
d'imprimer une grande activité à cette partie
aussi importante que négligée du service public.

Si aux secours à attendre de la population
des départemens, appelée à y concourir par
une combinaison judicieuse de la prestation en
pature et de celle en argent, on ajoutait ceux
qu'il serait possible d'obtenir des troupes de
ligne, des conducteurs de trains d'artillerie où
de convois militaires , exercés à ce genre de tra-
vail, dix années sufliraient pour changer l'aspect
du royaume et vivifier ses parties les plus re-
culées et les plus pauvres : il n’y à plus qu'à

vouloir (1).

(1) Pendant l'impression de cet écrit, le gouvernement

a présenté à La Chambre des députés un projet de loi re-

(37)

En même temps, la direction des ponts et
chaussées aurait à traiter plus libéralement les
départemens, qui, jusqu'à ce moment, ont trop
peu fixé l'attention du gouvernement. L’ouver-
ture de quelques grandes communications nou-
velles y doublerait, en peu d'années, la valeur

latif au contentieux et au mode de régularisation des
dépenses des chemins vicinaux. Ce projet n’aborde pas la
classification, non plus que le système de réparations de
ces chemins. C’est la seconde section d’une loi dont la
première reste encore à rédiger.

M. le Ministre de l’intérieur a fait observer, dans l’ex-
posé des motifs de la loi, qu’elle laissait à administra-
tion les détails qui ne sont pas au-dessus de sa compé-
tence , afin de prévenir ainsi les gênes , les embarras,
qui , dans de telles matières , naîtraient nécessairement
de règles minutieusement uniformes.

Nous pensons avec lui que les dispositions purement
administratives ne doivent pas figurer dans la loi; mais
nous croyons qu’elle ne satisfait pas à foutes les nécessités
qui en sont l’objet.

Il faudrait entrer dans des développemens étrangers au
but principal de ce Mémoire , pour exposer , à cet égard,
toute notre pensée et la motiver. Nous avons pris la li-
berté de la soumettre à Son Excellence, ainsi qu’à la com-
mission de la Chambre des députés, en leur adressant
les dispositions qui , à notre avis et sauf meilleure rédac=
tion , doivent former un précédent indispensable du pra-

jet offert aux méditations des Chambres.

( 38 )

des terres. Que l’on consulte les mercuriales, et
l’on verra que, dans ces départemens, lesfromens
s'y vendent à peine 12 à 13 francs l’'hectolitre,
tandis qu'à des distances plus ou moins rappro-
chées, mais trop difficiles à franchir, la même
mesure se soutient à des prix bien supérieurs.
Il y a pénurie d’un côté, surabondance de l’au-
tre, et cette surabondance est d'autant plus fà-
cheuse, qu’elle porte avecelle le découragement.

3°. Nous puiserons les motifs qui nous en-
gagent à réclamer des routes de préférence à
des canaux, dans les observations que nous
avons pris la liberté d'adresser, il y a deux ans, à
M. le directeur général des ponts et chaussées.

« La Hollande a dû sa richesse intérieure à ses
innombrables canaux : ils étaient de première
nécessité pour elle et une des conditions de son
existence ; on pourrait dire qu'ils ont créé son
sol : c’est par eux, du moins, qu'il a été assaini
et rendu propre à la culture.— Dans un tel pays,
toute la circulation commerciale s’opére par leur
moyen; il n’y a, en quelque sorte, que des
chemins de halage, et il ne fautrien de plus.

» ilien est pas ainsi en France, dont Ja ri-
chesse première repose sur les produits de l'a-
griculiure, et qui, n’ayantpas, comme la Hol-
lande, une surabondance d’eau à comprimer, a

dù s'attacher, avant tout, à procurer au sol les

(39 )

moyens de transport indispensables à ses besoins.
Les bons chemins provoquent et créent lindus-
tie, qui ne peut exister ou se soutenir nulle
partsans débouchés faciles : les canaux sont, hors
quelques circonstances et quelques localités, le
luxe des communications et le résultat d’une
industrie déja florissante et perfectionnée.

» C’est donc avec toute raison que le gouver-
nement a commencé par donner ses principaux
soins à la confection des routes , et c’est encore
à leur amélioration , comme à leur multiplica-
on, qu'il doit s'attacher, en se bornant toute-
fois aux dépenses nécessaires pour assurer, par-
tout et en tout temps, une bonne viabilité, et
en renonçant à ces constructions orgueilleuses
et superflues, dont la dépense, appliquée aux
départemens négligés, eût sufli pour assurer
leur prospérité.

» Il a pu ètre utile, pour mieux fixer l’at-
tention sur l'importance de la navigation in-
térieure , de provoquerla multiplicité des projets
de canalisation , et de fournir ainsi carrière aux
spéculations ; mais à présent que l'impulsion est
donnée, ilimporte de l'arrêter dans de justes bor-
nes, et de prévenir des mécomptes de la part de
ceuxquin'arriventqu'aprèsles capitalistes, et qui
sont, dansla réalité, les vrais bailleurs de fonds.

» [n'y a aucune parité entre les frais qu'exige

( 40 )

la construction des routes et ceux qui résultent
de l’ouverture des canaux de navigation. Les
premiers peuvent être presque rigoureusement
calculés ; maisqui pourrait répondre qu’un canal,
dont la confection exige l’établissement soit de
nombreuses écluses, soit le percement lent et
dispendieux de montagnes de nature diverse, ne
coûtera pas le double ou le triple de la première
évaluation donnée aux dépenses ? Eussent-elles
été rigoureusement calculées, peut-on être aussi
certain de toujours bien évaluer le volume d’eau
qui viendra alimenter le canal ? Des causes
imprévues ne peuvent-elles pas rendre vaines
toutes les espérances ? Sans parler des ébou-
lemens si fréquens , des infiltrations , toujours
subordonnées à la nature variable des cou-
ches inférieures du terrain , ne suflit-il pas du
déboisement des collines, de l'interruption ou
de l’interception de quelques sources , de leur
dérivation par les causes, en apparence, les
moins offensives, et contre lesquelles l'autorité
serait sans action, toutes les fois qu'aucune
prise d’eau immédiate et à ciel ouvert n’au-
rait été effectuée; ne sufhit-il pas, disons-nous,
de ces causes ou inapercues ou imprévues, pour
rendre vaines d'énormes dépenses ?

» Ces considérations démontrent à combien
de réflexions la prudence commande de se l-

(4)

vrer avant d’ordonner l'établissement d’un nou-
veau canal transversal au cours des rivières ; car
c'est principalement à ce genre d'entreprise
qu’elles s'appliquent.

» Il en est de particulières à la situation pré-
sente de la France. Si l'usage des canaux était
trop généralement et trop brusquement subs-
titué à celui des routes, nous verrions s'élever,
ilest vrai, un nouveau genre d'industrie; mais
cette population nombreuse, qui vit du trans-
port par terre des marchandises, que devien-
drait-elle ? Il faut deux ou trois hommes et le
même nombre de chevaux pour conduire un
bateau chargé de quatre à cinq cents milliers;
il faut, au moins , cinquante hommes et cent
cinquante chevaux pour le t ‘ansport par terre
des mêmes quantités. Ainsi, vous auriez dimi-
nué la valeur commerciale des produits du sol,
puisque leur circulation s’établirait à meilleur
compte; vous auriez privé d'emploi une partie
des chevaux de trait, dont l'éducation est un
des principaux revenus de plusieurs départe-
mens, enlevé à une population nombreuse le
travail qui assure sa subsistance , dépensé des
sommes considérables, et cela pour remplacer
des moyens de transport déjà existans, ou qui
pouvaient être facilement établis , par un nou-
veau mode de circulation d’un succès douteux!

(42)

Remarquons, d'ailleurs, qu'il ne convient qu'aux
matières dont le chargement et la conduite
par voiture sont très-difficiles, ou dont la valeur
intrinsèque, étant en raisoninverse du poids, est
sans proportion avec ce qu’il en coûte pour leur
déplacement : tels sont les bois de construction,
les blés, les charbons de terre, les pierres, etc.

» On aurait à appliquer, à bien plus juste titre,
à la multiplication anticipée des canaux ce
que l’on a dit de la substitution des machines
aux bras qui fournissaient les produits des fa-
briques. Ce n’est pas lorsque plusieurs circons-
lances concourent heureusement à accroître la
population, que les gouvernemens doivent pré-
fcrer ce qui tend à restreindre l'emploi des
hommes et celui des bestiaux qu'ils élèvent;
son attention doit plutôt se diriger vers les
inoyens de répartir aussi uniformément qu'il
est possible, par la confection de nouvelles rou-
tes, par la réparation des chemins vicinaux ,
par la navigation ou le flottage des rivières , les
avantages résultant de la multiplicité et de la
facilité des communications : c’est à l'intérêt
particulier qu'il faut abandonner le reste; qu'on
le laisse faire, et on ne pourra craindre qu'il
vejette les méthodes les plus profitables. Les en-
iraves seules lui sont nuisibles : si de mauvais
choix ou de faux calculs sont faits quelquefois

(43)

par l’imprévoyance individuelle , les pertes qui
en résultent sont bientôt réparées par les suc-
cès des masses ; succes qui, seuls, fondent la
richesse des nations et de leurs gouvernemens.

» Cent millions répartis en confection de
routes entre les départemens ou les arrondis-
semens qui en sont privés contribueront plus à
la prospérité générale que trois cents millions
dépensés prématurément à creuser des canaux.
On doit, pour le présent , n'avoir en vue que la
jonction des mers et des grands fleuves, et res-
treindre les exceptions à cette règle aux loca-
lités où l'ouverture d’un canal deviendrait un
moyen, soit d’assainir le sol, soit d'utiliser une
grande quantité de bois de construction, soit
de favoriser des usines d’une très-grande im-
portance, lorsqu'on pourrait, d’ailleurs, disposer
d'une masse d’eau assez considérable pour n’a-
voir presque jamais à redouter l'interruption
de la navigation. »

4°. On indiquera, comme moyen de diminuer
les dépenses et d'accélérer la réparation des rou-
tes, ce qui se pratique dans quelques parties de la
Hollande, où on passe plusieurs fois diagonale-
ment sur les digues, pour en unir la surface et
combler les ornières, des herses à dents de fer,
suivies par des rouleaux oudes ploutres, lorsque
les premiers häles se font sentir au printemps :

( 44 )

l'effet en est prompt et eflicace même dans les
terres fortes. C'est ainsi que la voie publique
sur les digues des iles de la Meuse, formées de
cette espèce de terre, est réparée chaque année.
Cet usage économique pourrait être adopté en
France pour les routes ferrées et les bas-côtés
de celles qui sont pavées. Les chevaux de poste,
ceux des voitures publiques qui retournent à
vide, et dans beaucoup de circonstances deux
petites herses trainantes , fixées par une corde
ou par une chaîne derrière les charrettes des
rouliers, de manière à combler les ornières, à
mesure qu'elles seraient formées , seraient uti-
lement employés pour atteindre ce but : Pessai
ne serait n1 dificile ni dispendieux.

On pourrait aussi astreindre les toucheurs
de bœufs destinés aux boucheries à faire trai-
ner de ces herses par ceux de ces animaux qui
fermeraient la marche. On sait qu'ils sillonnent
transversalement les routes de manière à les
rendre presque impraticables ; la réparation
suivrait ainsi le dommage.

5°. Nous avons établi que les récoltes de grains
étaient, année commune, plus que suflisantes
pour nourrir la population actuelle de la France.

Cette vérité n’est malheureusement pas assez
populaire. Un proverbe a consacré en langage
trivial, qu'on parlait en vain raison à ceux qui

(45 )

ne croient pas leur subsistance assurée. La
crainte de la famine est bien plus redoutable
que la famine même ; car les chances de celle-ci
deviennent de plus en plus rares, tandis que
rienne rassure contreleretour de l'autre. Qu’une
terreur panique s'empare des habitans d’une
grande ville, et aussitôt elle se communique
avec la rapidité de éclair : les greniers se fer-
ment , la circulation se ralentit; on éprouve
toutes les apparences de la pénurie au sein
même de l'abondance. D’énormes dépenses
ont été faites en 1816 , année où la récolte fut,
en effet, très-mauvaise, pour tirer des blés de
l'étranger, et ces dépenses ont à peine abouti
à nourrir la population entière de la France
pendant cinq à six jours ! Si l'administration ,
abusée par des états de situation presque tou-
jours au-dessous de la réalité, avait, loin de
partager des inquiétudes trop légèrement con-
cues , employé ses efforts à les calmer et à pro-
téger le commerce, ces énormes sacrifices eus-
sent pu être épargnés. IL s’est perdu alors plus
de grains par les fausses opérations qui furent
faites, ou par l’avidité aussi coupable que mal
entendue de quelques propriétaires et de quel-
ques fermiers ; qu'il n’a été possible d’en im-
porter.

On à proposé, pour obvier à-la-fois à l'exces-

| (46)

sive cherté et à la pénurie, d'établir de grands
magasins publics, remplis par desachats effectués
aux époques où les blés descendent au plus bas
prix, et vidés lorsque ces prix s'élèvent au taux
où l'importation est permise: ces établissemens
dispendieux semblent devoir être restreints aux
très-grandes villes et aux départemens où la ré-
colte annuelle est fort au-dessous des besoins.
Leur dissémination sur tous les points de la
France serait aussi inutile qu'onéreuse.

6°. Jamais peut-être il n’a été plus indispen-
sablement prescrit au gouvernement d'exercer
son influence morale pour modérer les spécula-
tions sur les effets publics et enseigner aux pères
de famille comment ils peuvent, par une sage
prévoyance, garantir de tout risque la fortune
de leurs enfans; mais comment l’eût-il exercée
cette influence, si, pendant deux ans, des ban-
quiers étrangers eussent été les arbitres du
cours des inscriptions? Plus tard, notre sort ne
leur eùt-il pas été indifférent ? Peu leur impor-
tait, après tout, que la fièvre bursale s’apaisät :
n'étaient-ils pas intéressés, au contraire, à
l'exciter , et à enflammer les imaginations par
de séduisans prestiges ?

L'époque actuelle présente de singuliers con-

trastes.
Dans les arts, dans les sciences exactes, on se

(47)
débarrasse de tout ce qui peut compliquer les
rouages, occasionner d'inutiles frottemens, ra-
lentir les effets, ou mettre la confusion dans les
idées ; tous les progres sont marqués par la
simplification des procédés ou des formules.

En matière de finance, on n'arrive plus , en
quelque sorte, à reconnaître que deux et deux
font quatre , sans multiplier les combinaisons
et les calculs. On a réduit en art les plus simples
opérations. Il faut des interprètes pour les mys-
tères de la bourse, comme jadis, dans la vieille
Égypte, pour la langue sacrée des prêtres de
Memphis. ‘

Nourris pendant plus d’un quart de siècle
d'émotions fortes ; sans cesse saisis par des évé-
nemens imprévus, par de grandes catastrophes,
tout ce qui éblouit , tout ce qui émeut l’âme et
ses passions , semble devenu un insatiable be-
soin. Le calme de quelques années importune ;
on y échappe par les jeux les plus hasardeux,
par les spéculations les plus gigantesques ; on
s'attache, de préférence, aux chances les plus
mobiles et les plus promptement connues. Dans
ces loteries nouvelles, la foule qui succombe dis-
paraît sans que son malheur corrige. Une autre
foule se précipite incessamment sur les pas de
ceux que la fortune favorise, et va bientôt gros-
sir, à son tour, le nombre des victimes.

(45)

Cent millions sont en circulation dans les ga-
leries de la bourse ; ils passent, en peu de jours,
par mille mains : les plus téméraires se remplis-
sent, d’autres se vident ; mais que gagne l’État
à tant de mouvement? Fuen , absolument rien ;
il y a déplacement , voila tout. Supposez ce
jeu continué pendant des années, il sera tou-
jours aussi improductif ; 11 n’augmentera pas la
masse des richesses circulantes, et cependant
on le préfére aux opérations qui créent des va-
leurs nouvelles, mais dont l'effet ‘est lent. et
n'éveille pas l'espoir d’un grand lucre!

La Chambre des pairs , en rejetant, par sa ré-
solution éminemment française, une proposi-
tion bonne en elle-même, mais trop précipitée,
et dont le mode d'exécution présentait des in-
convéniens inaperçus, a servi les intérèts de tous
les peuples. Qui eût pu prévoir, eneflet, les
bornes qu'aurait mises à ses exigences ou à ses
spéculations une corporation étrangere, enhar-
die par ses succès, disposant des richesses de
l'Europe, pouvant faire ou détruire les fortunes,
exciter ou diriger toutes les ambitions, imposer
la paix ou la guerre, comprimer l'autorité des
souverains , où la soumettre a ses caprices, ek
Lout soulever, en un mot, par son levier d’or?

Un gouvernement qui perçoit annuellement

un milliard est contraint d'en consacrer la plus

( 49 )

grande partie aux dépenses qui soutiennent son
organisation. Il croulerait s’il cessait d’entrete-
nir sonarmée, samarine, sesroutes , $es Canaux ;
depayerses pensionnaires, ses rentiers , ses nom-
breuxagens. Iluireste peu aconsacrer à descom-
binaisons purement politiques. L'imagination
s’effraie par l’idée d’une association qui, n'ayant
aucune charge à supporter , disposerait des ca-
pitaux libres de toute l'Europe, et se trouvant
mise en mesure de les prodiguer ou de les re-
fuser à son gré, placerait ainsi les destins
du monde dans la balance de ses intérêts. La
force des choses, l'appät insatiable du gain, la
vanité sans cesse excitée par l'importance po-
litique acquise, l'enivrementdu pouvoir, eussent
inévitablement , quoique sans aucune prémé-
ditation , amené ce résultat effrayant.

N'annoncait-on pas déja que par-tout on
préparait des opérations calquées sur celle qui
allait se faire au milieu de nous ? Toutes eussent
été conduites simultanément; car des lettres
de crédit et de circulation eussent suppléé à
l'insuflisance des valeurs réelles. Les profits se
seraient, en fin de compte , concentrés dans un
petit nombre de mains, dirigeant par des fils
invisibles les gouvernemens subjugues et les
peuples appauvris.

Sans doute, de grandes opérations finan-

/
4

16 )

cières ne peuvent se conclure sans le con-
cours-des capitabstes; mais dans un état qui
renferme, comme la France, tous les genres
de ressources, pourquoi les chercher au-delà
de ses frontières et ne pas régler entre nous
nos propres affaires? Que les étrangers pren-
nent part à ces opérations , rien de mieux ; mais
que ce soit comme simples propriétaires d’ac-
uons réparties, et non Comme signataires de
traités; que sur-tout aucune transaction n°’é-
chappe à la publicité et à la concurrence.

Pourquoi mème tous ceux qui se présente-
raientdans un temps déterminé neseraient-lspas
adjoints aux adjudicataires, en réservant seule-
ment à ceux-ci une double ou triple part, pour
les récompenser d’avoir offert les conditions les
moins onéreuses ? Ainsi se trouyeraient distri-
bués entre un grand nombre de personnes les
bénéfices, qui , dans la plupart des stipulations
consenties, ont été abandonnés à quelques sou-
missionnaires privilégiés. On éviterait le scan-
dale de ces gains immoderés, cachés sous le nom
de primes, dont nous venons de signaler les dan-
gers. Leur répartition moins restreinte tourne-
rait à l'avantage de l’état, qui a plus d'intérêt à
compter par milliers, dans son sein, les posses-
seurs d’une fortune de cinquante à cent mille
francs de rente , qu'à accumuler sur les têtes de

Cr
Le
n

quelques financiers nomades des ‘trésors nus
tour-à-tour à la disposition de ceux qui, amis
ou ennemis, en récompensent le plus hbéralc-
ment l'usage.

Alors on préviendrait ces mouvemens désor-
donnés qui ont fait de la*bourse une maison
de jeu plus dangereuse que celles placées sous
la surveillance spéciale de la police. Les capi-
taux flottans qui entretiennent ce jeu recevraient
un emploi productif ; le taux de l’intérèt se
réglerait sur les besoins réels, et une grande
cause de ruine et d’immoralité serait anéantie.

« Fermez la porte au vice, et vous verrez
» les hommes chercher d'eux-mêmes à se dis-
» tinguer par le courage, la prudence, la
» modération , l'intégrité, l'esprit public, la
» magnanimité et la véritable sagesse. Levez un
» autre étendart, et ces mêmes hommes em-
» ploieront tous leurs efforts a réussir, comme
» d’autres auront fait, par la fourberie, les
» basses complaisances, l’artifice, les rapines,
» la prostitution de leurs talens et de leur
» éloquence. Enfin, lorsque la république est
» livrée au brigandage des hommes corrompus,
» quelques-uns de ceux-mèmes qui ont une
» bonne réputation sont tentés de prendre part
» au butin. Or : d
» Dans un pays libre, l'intérêt du prince est

4

(5%)
» évidemment de rétablir la vertu dans ses
» prérogatives, de déposséder le vice, .… etc. »
(Davenanr, Mémoire sur la dette publique de
l'Angleterre, en 1698. )

7°. On comprend dans les monopoles qui nui-
sent également à la consommationtet à la repro-
duction celui qu'exercent les bouchers privilé-
giés deParis. ILest à désirer que, saufles mesures
de police indispensables pour prévenir la fraude,
faciliter les transactions dans les marchés, etem-
pècher le débit des viandes de mauvaise qualité
ou corrompues, ce genre de commerce ne soit
pas assujetti pluslong-temps aux entraves contre
lesquelles il s'élève des réclamations si fondées.

Lorsque le prix de la viande de boucherie ne
sera plus, dans Paris, hors de proportion avec
celui des bestiaux sur pied ; que l'artisan pourra
obtenir pour 40 centimes ce qui lui eoûte 60,
et même plus, la consommation doublera. C'est
moins ce que versent les grands propriétaires
qui remplit le trésor, que la réunion des petits
tributs apportés par la, masse des contribuables :
de même la consommation de la table des ri-
ches, quelque grande qu’on la suppose, a une
influence moindre que celle qui résulte de lac-
croissement du modeste pot-au-feu de la classe
bien autrement nombreuse des petits marchands,
et des ouvriers.

( 53 )

Lorsque les voitures publiques étaient rares
et incommodes, on payait cher et on voyageait
peu : depuis qu’elles se sont multipliées et que
la concurrence a fait baisser les prix, les routes
sont couvertes de voyageurs, et on n'entend pas
dire que les entrepreneurs se ruinent. L'homme
cupide qui spécule sur un bénéfice de dix ou
quinze pour cent vend une fois, pendant que son
voisin qui se contente d’un petit gain vend dix;
en définitive, c’est le dernier qui s'enrichit.

Ce qu'on appelle le bon marché est donc peu
à redouter pour le producteur, toutes les fois
qu'il peut vendre facilement et souvent; car
la richesse réelle consiste dans une consomma-
tion soutenue et dans une reproduction rapide À
plutôt que dans le surhaussement des prix, qui
annonce ou défaut de concurrence, et par con-
séquent pénurie soit réelle, soit factice, ou une
avidité dont il devient nécessaire de détruire les
causes.

La taxation de la viande de boucherie ne re-
médierait pas aux abus qui se sont introduits
dans son commerce. Il y a toujours des diffi-
cultés à déterminer d’une manière positive le
prix moyen. D'ailleurs, il est juste que celui
qui tient à avoir une table recherchée et les
morceaux appelés de premier choix fournisse
la plus grande part des profits du marchand,

(54)
Celui-ci saurait toujours bien s'arranger de
façon à tirer avantage de la taxe. — Un arrêt
du parlement, du 12 mai 1525, nous apprend
qu'à cette époque on se plaignait de ce que
les bouchers, « pour éluder leffet des régle-
» mens, donnaient jusqu’à40 sous d’un mouton
» et 28 livres d’un bœuf, et que, sous ce pré-
» texte, ils vendaient toutes leurs chairs à pro-
» porüon de ce prix-là, quoiqu'ils n’achetassent
» tous les autres moutons, et en plus grand
nombre, qu'a 20 ou 25 sous au plus, et les
» bœufs 17 à 18 livres. » ( Le marc d'argent
valait alors 13 livres 5 sous. ) Decamare, 7'raité

de la Police.

v
=

De l'action des particuliers sur l'amélioration
de l'agriculture.

Cette action, toujours subordonnée, d’ail-
leurs, à celle plus ou moins protectrice du
gouvernement, ne peut être aussi prompte. La
sienne s'étend a-la-fois sur toutes les parties du
royaume : celle des derniers est, généralement
parlant, isolée, partielle, contrariée par mille
préjugés et par mille caprices, sans autre au-
torité que celle que donnent les succès, et par
conséquent d'un effet plus circonscrit et plus
lent.

(55 )

Une institution , une loi nouvelle imprimerit
un mouvement genéral et mettent en Jeu tous
les intérêts : lorsqu'elles les déplacent , il
faut bien, bon gré mal gré, se soumettre à
l'impulsion donnée, et'chercher à se la rendre
profitable. |

On avait dit que la loi de réduction des rentes
réagirait ainsi immédiatement au profit de la-
griculture : la nature de sa classification, la po -
sition sociale et les habitudes de la masse des
réhtiers s’y opposaient. Pour s’en convaincre ,
il a sufli de considérer ce qui s’est passé à Paris
depuis deux mois. C’est, pour ainsi dire, dans
son enceinte ou dans sa banlieue que se sont em-
ployés en acquisition de maisons ou de terrains
pour y batir tous les capitaux déjà disponibles
ou retirés de la trésorerie par les rentiers. On
eùt pu croire qu'ils préparaient des logemens
pour la population entière de la France, qui de-
vait leur rendre en loyers les intérêts que la loi
de réduction leur ferait perdre. Ces spéculations
reussiront à quelques-uns ; mais elles sont trop
générales pour être lucratives pour tous. Les
maisons s’usent et se changent en ruines; la
terre seule se conserve et s'améliore pour celui
qui sait la bien cultiver.

. Toutefois , ces carrières de pierre qui s'élè-
vent des profondeurs dela terre au-dessus de sa

(56)
surface, ces forêts qui viennent les abriter, ces
métaux qui se fondent et se travaillent pour les
orner, ne se déplacent pas sans imprimer un
grand mouvement à la circulation des capitaux.
Les provinces fournissent les matériaux et une
partie des bras qui les emploient : cemouvement
leur deviendra doncutile; maisson effet sera lent
etne se fera, en quelque sorte, sentir que lorsque
les spéculateurs, avertis par des désastres,
reconnaitront qu'on ne peut, sans danger F
amonceler ainsi sur un seul point toutes les
richesses du sol et de l’industrie.

Si les produits en blé sont proportionnés aux
consommations et même les excèdent souvent,
il s’en faut beaucoup que ces consommations
soient judicieusement appliquées et étendues à
tout ce qui peut y contribuer.

En pénétrant plus. avant dans la question,
nous serons amenés à ce nouveau résultat déjà
pressenti À

Que les récoltes des menus grains doivent
être exclusivement réservées pour l'usage des
bestiaux : d’où naît la conséquence que les spe-
culations agricoles qui présentent des avantages
incontestables sont celles qui ont leur amélio-
ration et leur accroissement pour base; c’est, en

effet, au moyen des engrais que les bestiaux

(57)
procurent, qu’on peut se livrer , avec espoir de
succès , à toutes les cultures secondaires.

Pour bien nourrir une grande quantité de
bestiaux , il faut beaucoup de fourrages, qui s’ob-
tiennent par les prairies naturelles, par la créa-
tion de celles appelées artificielles, et en faisant
un grand approvisionnement de paille, et par
conséquent de litière.

Mais comment obtenir cette surabondance
de paille sans étendre la culture des céréales ?

L'usage assez généralement suivi dans les en-
virons de Paris et dans quelques autres localités
répond à cette objection: 4près avoir bien fumé,
on sème dru ; on sacrifie ainsi une partie du pro-
duit en blé pour en obtenir un plus élevé en
paille. En consultant les tableaux statistisques
dus à M. le préfet de la Seine, on vérra, en ef-
fet, que la récolte de froment n’a pas dépassé ,
dans l'arrondissement de Samt-Denis , en 1817,
six fois et demie la semence, et cinq seulement
dans celui de Sceaux. La moyenne, dans tout le
département , a été de 5-62, tandis qu'il existe
un grand nombre de départemens où , sans em-
ployer .autant d'engrais, on recueille huit et
même dix pour un ; mais aussi 1l y a une grande
différence dans la masse des pailles. Ne détrui-
sons pas ce qui est bien; mais tachons de caleu-
ler nos ensemencemens de manière à obtenir ,

(58)
sans diminution dans les approvisionnemens en
grains, et en se réglant d’ailleurs sur la qualité
de la terre, une beaucoup plus grande quantité
de paille pour l’usage des bestiaux.

Il'est , au reste, une observation à faire, c’est
que la différence est moindre dans les produits
obtenus que dans la quantité des semences em-
ployées , et peut se réduire à cet excédant , ou
présenter même un résultat opposé ;

Que douze hectolitres de blé ayant été em
ployés pour ensemencer cinq hectares par le cul-
tivateur du département de la Seine qui met en
sacs un produit net de six et demi, sa récolte
sera de quatre-vingt-dix hectolitres, semences
comprises ;

Qu'un fermier du département de l'Eure ,
par exemple, ait semé sur la même étendue de
terrain dix hectolitres seulement, et ait recueilli
huit pour un , il obtiendra également quatre-
vingt-dix hectolitres : ainsi, le produit net,
dans le prennier cas, ne diffère réellement que
de l’excédant des semences, c'est-à-dire de
deux hectolitres sur quatre-vingt-dix , au lieu
d’être dansle rapport de six et demi à huit. Cette
légere différence est bien amplement compensée
par lexcédant des pailles. |

En supposant que l'ensemencement du même
nombre d'hectares ait employé; dans le dépar-

(59 )

tement de la Seine, dix-huit hectolitres (il a été,
en 1817, de irois hectolitres quatre-vingt-onze
par hectare ) et seulement dix hectolitres pour
les départemens du” centre, ce qui est le taux
commun , nous aurons, pour une récolte de cinq
fois la semence seulement dans le département
de la Seine , un produit de cent huit hectolitres,
et pour celle des départemens, calculée à huit
pour un, .quatre-vingt-dix hectolitres : dans ce
cas , l'avantage serait pour le cultivateur du dé-
partement de la Seine, malgré la différence exis-
tante à son préjudice , dans la proportion de
l’ensemencement: à la récolte.

L’accroissement du nombre des bestiaux, et
sur-tout l'amélioration des races , si nécessaires
pour travailler et féconder les terres arables,
ne le sont pas moins comme ressource alimen-
taire.

Nous avons vu qu'en évaluant la consomma-
tion de viande qui se fait en France, d'apres la
population prise en masse, chaque individu en
recevait a peine une once et demie par jour ; mais
cette répartitionégalen’existe pas. Loin que tous
les ménages aient la poule au pot que le bon
roi leur souhaitait, une partie des habitans des
villes et le plus grand nombre de ceux de la
campagne consomment en pain l'équivalent de

ce qui est servi en viande sur la table des riches.

( 60 )

Ne doit-on pas accorder quelque chose de plus
à celui qui se livre à un travail opiniâtre, et
ne serait-1] pas à désirer que la viande, plus subs-
tantielle que le pain , entrât pour un septième
dans sa nourriture ? Ce genre d’approvision-
nement devrait être au moins triplé. Le cé-
lèbre et malheureux Lavoisier pensait donc
avec raison que, pour assurer le bien-être des
habitans de la France , la consommation de la
viande devait être augmentée, même aux dé-
pens de celle du blé. Nous resterions loin en-
core des Anglais; mais le Francais étant essen-
tiellement panivore, on établirait à tort le cal-
cul proportionnel des bestiaux d’après la quan-
uté que l'Angleterre peut en entretenir.

Les productions et les consommations se rè-
glent , d’ailleurs , d’après les climats : celui de
l'Angleterre, habituellement humide, convient
spécialement à ce genre de produit. Nos dé-
partemens du Nord jouissent, à quelques égards,
du même avantage : ceux du Midi, au contraire,
en sont privés. Si on excepte quelques vallons
privilégiés, les trèfles, dévorés par la sécheresse,
n'y sont que d’une faible ressource. La culture
des luzernes et des sainfoins, dont les racines
pénètrent à une grande profondeur, est cir-
conscrite par la nature même de leur végé-
tation. Elles occupent, en outre, trop long-

‘ (614)

temips la terre pour se prêter a une rofation
régulière et rapide des récoltes. D’autres pro-
ductions précieuses, étrangères aux régions sep-
tentrionales , les remplacent, et ne pourraient
être négligées sans tarir une source féconde de
richesses. Il serait, d’après cela, convenable de
substituer , en partie , dans les départemens
méridionaux , et même dans ceux du centre les
moins fertiles, aux prairies pérennes des plan-
tes annuelles , qui s’associassent , sans déran-
gement, au système d’assolement que ces dé-
partemens ont dù préférer.

Abstraction faite des récoltes sarclées , re-
servées aux Cultures déjà perfectionnées et fa-
vorisées par une population nombreuse, ils ont
le trèfle incarnat ou de Roussillon , qui réussit
également bien au centre du royaume, et qui
n’est pas aussi répandu qu'il devrait l’étre. Ils
ont les vesces et autres légumineuses de la
même famille ; enfin ils trouveraient une res-
source importante et beaucoup trop négligée
dans les céréales d'automne fauchées en vert.

Ce n’est pas sans craindre de blesser le res-
pect religieux dans lequel les cultivateurs fran-
cais ont été élevés pour cette base fondamen-
tale de leur subsistance, qu’on se hasarde à
proposer de mettre la faux dans des champs
de blé avant la maturité des grains ; mais n’y

( 62 )

a-t-1l pas tout-a-la-fois de l’exagération et
de l'irréflexion dans le sentiment qui porte,
presque par-tout, les habitans: de la campagne
à regarder cette spécialité dans l'emploi d’une
petite parte des céréales comme un sacrilége ?
Certes, 1] mériterait le chätiment le plus ri-
soureux celui qui, sous prétexte de nourrir
des bestiaux, préparerait la disette. On a dé-
{ini le droit de propriété celui d'user et d'a-
buser ; toutefois, des bornes doivent être im-
posées à labus, et le droit cesse lorsqu'il
peut devenir cause de dommages pour autrui,
et, à plus forte raison , détruire les élémens
de l'existence. À Dieu ne plaise que ce soit là
notre pensée |

Nous voulonsdire que, sans rien enlever à ce
qui, dans la culture des céréales , est destiné
à la nourriture de l’homme; sans toucher à
celles qui forment la rotation des récoltes et
qui entrent dans le calcul des produits annuels
et réguliers , on peut utiliser une partie des
terres laissées en jachère en y semant, en au-
tomne, soit cumulativement avec des vesces,
des jarosses, des colzas, des rabettes , du trèfle
de Roussillon ; soit isolément , de l'escourgeon
ou orge d'hiver et sur-tout du seigle, pour ètre
fauchés au moment où l’épi sort du fourreau ,
et procurer à toutes les espèces de bestiaux

( 63.)

une nourriture aussi saine qu'abondante à la fin
de laûtomne, ou, mieux encore , au commen
cement du printemps, époque de l’année à la-
quelle les fourrages deviennent rares. Cette mé-
thode pratiquéesurquelques pointsduroyaume,
offre aux nourrisseurs., dans les environs de
Paris, où elle est généralement adoptée , une
ressource, sans laquelle il leur serait impossible
de fournir à l’approvisionnement en lait de la
capitale. Les criblures , les grains de peu de
qualité peuvent ètre employés à cet usage;
seulement 1l est de nécessité absolue de bien
fumer et de semer très-épais : le but serait
manqué sans cette double précaution. IF suf-
firait de consacrer avec intelligence, dans chaque
exploitation, selon son étendue , un-ou deux
hectares de terre à ce genre de produit. S'il
était possible que, dans une année d’abondance,
on mit ainsi à profit, sur tous les points de
la France une portion de l’excédant des ré-
coltes , on serait étonne des améliorations et
des profits durables dont cette simple pré-
caution , annuellement continüée , deviendrait
la source.

Aucune autre ne pourrait être d’un succès
aussi certain, parce qu’elle est applicable à toutes
les localités où les céréales se cultivent , et que,
dans les cantons peu fertiles, les produits les

(64)

plus satisfaisans sont presque toujours attachés
aux ensemencemens faits en automne ; ceux du
printemps sont bien plus casuels.

On répondra : Vous parlez d'améliorer les
races des bestiaux et même d’en accroître le
nombre ; cependant ils sont à vil prix dans les
marchés. Le cultivateur, écrasé sous le poids
des charges publiques et des non-valeurs, est
hors d'état d'entreprendre des améliorations :
d’ailleurs, à quoi le mèneraient-elles , sinon à
abaisser encore le prix de ses productions,
puisque le succès de ses efforts en multiplie-
rait le nombre ?

Ces objections sont plus spécieuses que so-
lides.

D'abord , nous ne proposons d'étendre la
culture des céréales , considérées comme base
de la nourriture de l’homme, qu’en raison de
l'accroissement qui se fera remarquer dans la
population.

En second lieu, on ne contestera pas que la
quantité des substances alimentaires fournies
par les bestiaux’ ne soit hors de proportion
avec les besoins réels, et qu’il est à souhaiter
que la classe qui travaille, et celle non moins
nombreuse des enfans et des vieillards, re-
coivent une nourriture propre à réparer Ou à
ranmeér leurs forces. Garmissez les foires, les

( 65)

marchés d'animaux décharnés, et cela n’est que
trop commun, ou ils ne se vendront pas, ou
vous serez contraint de les livrer au prix le
plus vil. Ces bestiaux, mal nourris, mal soignés,
abandonnés presque toute l’année dans les fri-
ches ou les bruyères, ont surcharge vos étables
sans y laisser, pour ainsi dire, d'engrais pour
vos champs : ils ont été, cela est certain, plus
onéreux qu'utiles.

Qu'à côté de vous un propriétaire intelligent
ait, par des procédés que vous pouviez imiter,
entretenu ses troupeaux dans l'abondance ;
qu'ils aient plus séjourné dans les étables qu'aux
champs; qu'il ait augmenté ses engrais, et par
ses engrais ses récoltes, il trouvera facilement
des acheteurs qui récompenseront son indus-
trie. Îl-pourra vendre à des prix modiques;
mais ses produits seront recherchés, ils seront
doubles, triples des vôtres, et couvriront large-
ment ses avances.

C’est parce que les prix sont bas qu'il faut les
doubler, en doublant lés produits. Si vous ré-
coltez cent hectolitres de blé sur un champ
égal en étendue et en qualité à celui de votre
voisin qui n’en récolte que cinquante, la perte
est entière de son côté. Une circonstance im-
prévue amène-t-elle une hausse? Vous vous en-

Ye Fe

( 66 )
richissez, tandis qu'il reste dans la gêne et s'ap-
pauvrit.

Pourquoi, chaque année, les boucheries des
grandes villes sont-elles, en partie, fournies par
l'étranger, malgré les droits mis à l’importa-
tion ? Cela vient moins encore de l’insuflisance
des bestiaux, que de ce qu’en beaucoup de lieux
ils sont présentés trop maigres aux marchés
pour soutenir la concurrence. Il s’agit done
sur-tout de choisir les plus belles races, et de
les améliorer par une nourriture plus abon-
dante. Les Anglais, qui nous ont devancés dans
le perfectionnement de l’économie agricole, doi-
vent aussi être 1mités dans leur usage de ne pas
attendre l’âge de la vicillesse pour l’engrais.
D’après Sauvegrain, les bœufs sont livrés, au:
plus tôt, à l’âge de huit ans, aux bouchers de Pa-
ris. Beaucoup de cultivateurs les gardent jus-
qu’à douze à treize ans, et quelquefois jusqu’à
quinze : c’est trop. Dans les contrées où ils sont
soumis au joug, les mutations ne doivent pas
être, à la vérité, aussi fréquentes que là ‘où on
élève pour la seule consommation; mais 1l y
aurait plus d'avantage que d’inconvénient à ré-
duire le temps du travail à trois ou quatre ans :
ainsi, dès l’âge de sept à huit ans , ils seraient
remplacés.

Ces mutations plus rapides ne peuvent d’ail-

(67)
leurs avoir lieu qu'avec précaution, et en com-
mencant par multiplier les élèves ; car autre-
ment on arriverait bientôt à n'avoir plus un
nombre de bœufs de sept à huit ans suffisant
pour les besoins annuels.

Sauvegrain, que nous venons de citer, obser-
vait, avec raison, que pour qu'il n'y eùt pas
d'interruption dans le service des boucheries,
il fallait que la quantité des élèves surpassät an-
nuellement celle détruite par la consommation,
parce que les maladies, les épizooties, les sé-
cheresses, doivent nécessairement en diminuer
le nombre. Il avait calculé que si ces diverses
causes enlevaient seulement deux individus
sur cent, par année, en sus de la proportion
moyenne, cette perte se trouverait être, sur
le contingent de la huitième année, de cent
vingt et un mille six cent quatre-vingts bœufs
et vaches; ce qui diminuerait d’autant les res-
sources annuelles.

Nous n'insisterons pas sur l'augmentation du
nombre des moutons, parce qu'il doit se calcu-
ler et se régler plutôt sur les demandes des ma-
nufactures que sur la consommation. Une partie
de la population des campagnes a du dégoût
pour cette espèce de viande, et ce préjugé ab-
surde sera difficilement détruit : il est d'autant

B:

(68)
plus facheux, que les moutons présenteraient
une ressource commode pour la nourriture du
cultivateur, qui pourrait saler ce qu’il n'aurait
pas à consommer dans la semaine.

Les moutons, au reste, ne conviennent pas à
toutes les exploitations ; ils sont presque exclus
de la peüte culture : on peut, des-lors, les con-
sidérer comme un objet de spéculation très-1m-
portant , sans doute , mais cependant local ;
spéculation qui n’offrira peut-être pas de long-
temps les énormes bénéfices qu'en ont retirés
pendant quinze ans, grâce à l'introduction des
mérinos , les fermiers de plusieurs départe-
mens.

Nous sortirions aussi de notre cadre en dé-
veloppant les avantages que les propriétaires
peuvent attendre de l'élève des chevaux : ils
sont nombreux et incontestables. Cette branche
de l’économie rurale n’est pas moins intéres-
sante que celle qui a pour objet l'amélioration
des races bovines : se fondant à-peu-pres sur
les mêmes élémens, 1l suflit de indiquer.

Quant aux cultures que nous avons appelées
secondaires, soit qu’elles se rapportent aux
jouissances personnelles du cultivateur, soit
aux besoins des manufactures et du commerce,
elles ne pourront que réussir lorsque les terres
qui leur seront consacrées recevront des labours

\

(69 )

bien exécutés et des engrais aboudans (1). Nous
avons voulu montrer le but, et non pas déve-

lopper par quels procédés 1l peut être atteint.
Cette tàché a étéremplie par ceux qui ont traite,
ex professo, des procédés variés de la culture.
Ce que nous ne pouvons omettre, c’est de faire
ressortir l'indispensable nécessité de substituer
des constructions nouvelles aux repaires aussi
incommodes que malsains qui , dans une partie
de la France, forment encore les seuls abris des
cultivateurs et de leurs bestiaux. À

L'état déplorable des bâtimens ruraux est,
en effet, après la privation des débouchés, le
plus grand obstacle aux améliorations agricoles
dans les contrées appelées de petite culture,
où les terres sont livrées à des colons qui les
exploitent à moitié fruit.

La , le métayer , étranger, au centre de la
France, aux premiers élémens des arts, ne con-

(1) « C’est pour le fermier anglais un avantage ina/:-
préciable que la consommation des bestiaux soit égale à
celle des grains : cette consommation le met à portée
d'appliquer ses terres aux productions qui leur convien-
nent le mieux. Chaque récolte, loin d’épuiser la terre,
la prépare à la récolte suivante. Son système de culture ,
loin d’appauvrir un champ , l’enrichit, le féconde et lui
conserve toute sa première vigus ur. » ( AnTHuR YounG

Arithmétique politique.)

( 70 )

nait, ne veut connaitre que l’araire, et s'appuie
exclusivement, dans toutes les saisons, dans
tous les sols, sur cet instrument grossier, pour
labourer et ensemencer ses champs. Rarement
on trouve, à côté de son obscur réduit, un loge-
ment commode pour recevoir le maître, ou
pour décider un fermier accoutumé aux ai-
sances de la vie à y transporter, avec sa famille,
les instrumens d’une culture perfectionnée.

La, d'anciennes habitudes, à peine affaiblies
par quelques bons exemples, éloignent le pro-
prictaire de réparer ou de reconstruire ses ma-
sures ; il met sa vanité, non à avoir une pro-
priété bien tenue, mais à la composer d’un
grand nombre d’arpens. Ses économies sont
consacrées à ajouter un champ à un autre, non
à multiplier les produits du premier. Cette
manie , Car c'en est une, s exCuse pas Sa posi-
tion. À quoi lui eüt servi de surcharger ses gre-
niers de denrées qui ne trouvaient pas d’ache-
teurs ? Il préférait étendre ses propriétés, dans
l'attente d’un meilleur avenir. Par-tout où des
communications faciles se sont ouvertes, ces
heureuses localités forment un contraste frap-
pant avec celles où nulle industrie n’a pénétré.

Nous avons dit par quels bienfaits le gouver-
nement pouvait porter cette industrie sur tous
les points du royaume. La tâche des proprié—

(789)

taires est de la féconder, en introduisant sur
leurs domaines, lorsqu'ils ne peuvent pas en
diriger par eux-mêmes la culture, l'usage des
baux à long terme, et en s’aidant, au besoin ,
du secours des capitalistes pour améliorer et
mieux disposer leurs bätimens ruraux. S'ils
veulent préparer à leurs enfans un heureux ave-
mir , ils doivent donc s’astreindre à quelques
sacrifices momentanés. Qu'ils laissent au joueur
le profitrapide et tous ses hasards. La fortune qui
le séduit et l’excite n’est pas celle qui protege
le cultivateur laborieux : l’une, vive et capri-
cieuse aventurière, se fait un jeu de multiplier
les désastres ; l’autre, compagne de la sagesse,
est avare de ses dons, et récompense lentement,
mais surement, d’opimiâtres efforts.

Le fermier intelligent et actif qui se charge
de mettre en valeur une terre depuis long-
temps négligée, ou d'exécuter des défrichemens
pémbles, dépense plus qu'il ne récolte dans les
premières années de sa gestion. Il faut qu'après
avoir recouvré ses avances , il soit libéralement
payé de ses peines par une longue jouissance.
Dix-huit ans est le terme le plus court qu'on
puisse lui prescrire, et il serait mieux encore de
lui accorder vingt-quatre ou vingt-sept ans de
durée. A l'expiration de cette période , pendant
laquelle le fermier peut étre d’ailleurs assu-

(72%) 4
_jetti à une redevance calculée sur la progression
ascendante de ses bénéfices , les variations qui
s’établissent dans la valeur venale des immeu-
bles et de leurs produits nécessitent un contrat
nouveau entre lui et le bailleur.

La France agricole n'aura rien à envier à l’An-
gleterre , lorsqu'a l'introduction générale de ce
système réparateur se réunira un goût plus pro-
noncé pour la campagne. L’aisance répandue
dans la masse de la nation a accoutumé aux
jouissances qui s’attachent à une habitation
commode. Ceux qui ont spéculé sur l'achat et la
revente des propriétés rurales ont beaucoup
détruit; mais personne n’a encore entrepris de
relever les ruines dont ces démolisseurs ont
aisse par-tout des traces. La répartition moins
inégale des fortunes, nos insututions, nos ha-
bitudes nouvelles, exigent que ces ruines se
changent en maisons peu spacieuses, mais bien
distribuées et de bon goût, si communes au-
jourd'hui dans les villes, et dont on s’est fait un
besoin : leur extrême rareté dans les campagnes
éloignées de la capitale a peut-être plus contri-
bué que toute autre cause à nous empêcher
d'imiter l'exemple de nos voisins. Chez eux, ce
qu'on appelle le pied-à-terre est réservé pour
la ville : c’est dans leurs maisons des champs
que les plus riches étalent un luxe productif,

(75)
que tous emploient, en utiles améhorations ,
leur superflu ou leurs économies.

Le nombre des propriétaires étant en Angle-
terre beaucoup plus restreint qu'en France,
pendant qu'une portion laborieuse et éclairée
de la population verse ses capitaux dans le com-
merce, une autre consacre les siens à des en-
treprises agricoles , et ne rougit pas de devenir
le tenancier de celui dont elle est l’égale par
l'éducation , les relations sociales et la for-
tune.

Aïnsi se reportent dansles champs, et s'éten-
dent aux points les plus reculés de l’heureuse
Albion , les methodes perfectionnées, dont la
connaissance est encore si rarement alliée à la
pratique de nos cultivateurs.

Lorsque les propriétaires habiteront leurs
terres une partie de l’année, la consommation
des produits du sol sera beaucoup plus rapide.
Celui qui ne peut dépenser que 12,000 francs
à Paris, en y demeurant toute l’année, est
obligé de mettre la plus grande économie dans
le service de sa table ; il paie une volaille cinq
à six francs : c’est le prix de six, au moins, à
la campagne, où il peut vivre et faire vivre
les siens avec une sorte de profusion, en ré-
servant même une partié de son revenu pour se
procurer, pendant les mois d'hiver, des jouis-

(74)

sances qu'il était forcé de se refuser lorsqu'il ne
quittait pas la capitale.

Paris ne perdra rien à ce changement dans les
habitudes, et les provinces y gagneront beau-
coup, par l'intelligence et les soins que l’on met-
tra, en tous lieux, à remplacer les productions
qu'absorbera l’approvisionnement des habita-
tions champêtres, embellies et vivifiées.

L'auteur des Remarques sur les avantages et
les désavantages de la France et de la Grande-
Bretagne s’exprimait ainsi en 1752 : « On
» peut assurer que la distribution des richesses
» est mal ordonnée dans un état, quand on
» voit les propriétaires de terres occuper à
»: la ville des palais somptueux, tandis que
» leurs châteaux, leurs fermes, leurs villages,
» tombent en ruine; quand les denrées sont
» sans consommateurs dans les provinces, parce
» qu'on ne vit dans ses terres que le temps
» qu'il faut pour recueillir de quoi vivre à la
» ville. » |

« Quelles riches et belles conquêtes (écri-
» vait dermèrement un Anglais) (1)1l reste à
» faire aux Francais sur leur propre territoire !
» Il y a assez de lumières et de capitaux en

(1) Voy. Annales de l'agriculture francaise ; avril 1824.

(75 )
» France pour les faire ces conquêtes; mais,
» pour obtenir de leur sol tous les trésors
» qu'il tent en réserve, il faut que leurs pro-
» priétaires, à l’instar des nôtres, se résignent
» au bonheur de passer leur vie sur leurs pro-
») priétés. »

Rendons désormais ces sévères, mais justes
réflexions, sans application : si elles n’ont pas
cessé d’être vraies pendant un intervalle de
soixante-seize ans, ne méconnaissons pas, du
moins, plus long-temps les avantages de notre
position. Lorsque toutes les contrées de l'Eu-
rope tendent à se suflire à elles-mêmes, quelle
autre est mieux appelée que notre belle France
à concentrer dans son sein tous les élémens
d’uue prospérité durable ? Son heureux climat
ne lui assure-t-il pas presque exclusivement
le privilége de réunir les produits du Nord à
ceux du Midi ?

Les états dont le négoce faisait la seule res-
source ont pu étonner le monde par la har-
diesse de leurs entreprises et l’éblouir par leurs
richesses ; mais déshérités par les nations en
même temps commerçantes, manufacturières
et agricoles, auxquelles ils ont frayé le che-
min , que leur reste-t-il?.... Des palais, dont
les vastes débris marqueront, seuls, leur place,
elapprendront aux générations futures les vicis-

(76)

situdes des destinées humaines. Les splendeurs
de Venise, de Gênes ont disparu sans es-
poir de retour, tandis que l'or de leurs navi-
gateurs, échangé contre des marbres stériles,
fécondait les champs des peuples agriculteurs.
La Hollande doit autant ce qu’elle conserve de
son ancienne prospérité au territoire que le
génie de ses premiers habitans a fait surgir du
sein des flots, qu'a ses entrepôts et à ses comp-
toirs.

Le commerce extérieur le plus actif ne peut,
dans ses résultats, entrer en comparaison avec
celui qui se fait des productions du sol et de
l'industrie par un grand peuple réuni sous les
mêmes lois. Vingt années d’une guerre rui-
neuse et cruelle, pendant lesquelles nous avons
été, en quelque sorte, réduits à nos seules
ressources intérieures, l'ont suffisamment prou-
vé : ces ressources se sont agrandies par nos
privations mêmes.

Sans doute , les peuples du Nouveau-Monde,
qui se créent un gouvernement et une patrie ,
auront long-temps encore à envier à la vieille
Europe ses manufactures et ses arts; mais,
à la longue, ils deviendront nos rivaux. L’An-
gleterre elle-même, malgré tous les avan-
tages de sa position , verra insensiblement de-
tourner, en partie, les sources exotiques de

f

(7#)

sa prospérité; car, en définitive , les demandes
se restreindront aux objets que le sol refu-
sera. Heureuses alors les nations qui auront
plus à donner qu'à recevoir !

Il dépend de la France de se placer au pre-
mier rang, et c'est à ses industrieux habitans
à le lui conserver , en s’attachant à la culture
des productions dont son climat lui assure le
privilége.

Pendant long-temps, l’intérèt élevée, retiré
des placemens fixes dans les fonds publics, a
présenté, il est vrai, un appât auquel il était
difficile de résister : maintenant que cet appt
est réservé pour les spéculations plus avan-
tureuses, les pères de famille doivent tourner
leurs regards vers le seul moyen qui leur reste
de préserver de tout risque le patrimoine de
leurs enfans.

Si on mettait en comparaison, d’un côte, le
tableau de ceux qui, il y a un siècle, avaient
fondé toutes leurs espérances sur les eflets pu-
blics, ou sur le commerce; de l’autre, celui des
propriétaires de terres, on serait épouvanté
du sort presque général des premiers. Ceux-ci,
après avoir jeté un éclat passager , ont disparu
pour toujours, ou n’ont laissé après eux que
désespoir et misère ; les autres, en grand nom-
bre, ont échappé au naufrage. On citerait à

(78)
peine, parmi les négocians ou les financiers, dix
familles séculaires. On compterait par centaines
les héritiers des possesseurs fonciers qui ont con-
servé l'existence honorable de leurs pères en
dépit de nos crises politiques.

En admettant que le retour des désastres
éprouvés successivement par les rentiers depuis
l'application du système de Law est impos-
sible , le capital qu'ils placent en rentes ne
peut, dans l’espace d’un siècle , recevoir le
moindre accroissement; s’il est remboursé , la
condition la plus favorable sera de l'être au
pair, calculé d’après celle du placement.

Le propriétaire le moins soigneux peut, au
contraire, être certain que son capital suivra ,
dans son accroissement , les proportions qui
s'établissent et se succèdent dans le prix des
choses vénales. Ce capital pourra être, a la vé-
rité , sensiblement accru, sans qu'il soit, dans
la réalité beaucoup plus riche; mais, au moins,
il ne s’appauvrira pas, et cette supposition est
la plus défavorable.

Depuis la découverte de l'Amérique jusqu'au
commencement du dix-neuvième siècle, le nu-
méraire en circulation en Europe a, suivant
M. de Humboldt, doublé tous les cent ans.
Par suite de cette augmentation , le prix des
denrées , des fermages , des loyers, etc., a éga-

(79 )

lement doublé au bout de chaque siècle , et
l'augmentation du revenu des terres est, géné-
ralement parlant , d’un pour cent par année.

Quelques circonstances peuvent bien déran-
ger momentanément ce calcul : par exemple,
depuis que les mines d'Amérique produisent
moins , les Anglais ont importé plus de matière
métallique dans l'Inde , pour y encourager plu-
sieurs genres de culture. Il a fallu payer ces
produits avec des métaux enlevés au commerce
européen ; mais la proportion sera au moins ré-
table si les capitalistes qui spéculent, en ce mo-
ment, à grands frais, sur l'extraction des mines
d’or du Pérou, réussissent dans leur entreprise.
En outre, les valeurs métalliques ont un puis-
sant et commode auxiliaire dans les billets des
banques publiques.

Aussi est-il constant que le prix des fermages
a doublé en Angleterre depuis 1789, et que la
hausse n’a pas été moins rapide dans les envi-
rons de Paris et dans un assez grand nombre
de nos départemens. La valeur des immeubles
s’y est accrue dans des proportions plus fortes
encore, abstraction faite des ventes, qui, étant
en dehors de toutes les hypothèses raisonnables,
se rattachent à des spéculations particulières plus
ou moins bien calculées.

( 80 )

Nous sommes donc fondés, par les faits et par
les autorités les plus respectables , à dire qu'au-
cun placement ne présente plus de solidité et un
résultat définitif plus favorable que celui qui est
fait en immeubles territoriaux.

EL

DES MOYENS D IMPRIMER UN MOUVEMENT D ACCÉLÉRA—

TION À LA PROSPÉRITÉ AGRICOLE DE LA FRANCE.

Nous avons dit que l’action des particuliers
sur l'amélioration de l’agriculture manquait
d'ensemble et de rapidité ; c’est à les lui pro-
curer qu'il convient de s'attacher.

On y parviendra en créant des associations
agricoles pratiques, pouvant réunir de nom-
breux capitaux, disposer d’une grande éten-
due de terrain, et suivre, dans leurs opérations,
des plans fixes et raisonnés.

On a vu quelques personnes acheter en com-
mun et mettre en lambeaux, pour les reven-
dre , de grandes propriétés ; mais aucune, du
moins depuis longtemps (1), n’a essayé de

(1) Dans le dernier siècle , des Canadiens furent attirés:
en Poitou pour y défricher une vaste étendue de bruyères,
entre Montmorillon, Angles et Lussac.

En 1768, M. Bruté de Rémur essaya aussi de faire cul-
tiver , en Bretagne, les landes de Belle-Ile.

Ces opérations échouèrent, parce qu’elles avaient été
( » P il

( 8x)
former des colonies au sein même du royaume.
Ce serait cependant une noble tâche.

Elle a été entreprise dans celui des Pays-Bas,
et les succès déja obtenus par la compagnie
de Fredericks-Oord, instituée depuis 1818, sont
d’un bon augure pour celles qui se formeront
parmi nous. Dés la fin de 1822, cette société,
qui compte au moins vingt-quatre mille sous-
cripteurs, avait réuni dans ses colonies plus
de deux mille cinq cents individus orphelins
indigens , enfans trouvés où abandonnés ; elle
venait de contracter avec le gouvernement pour
le placement de quatre mille autres enfans,
et pour celui de cinq cents ménages pauvres.

Des institutions de même espèce ont été
fondées dans les États Autrichiens, et à Fre-
derichs-Felde , près de Berlin ; d’autres vont
l'être dans le Wurtemberg, en Danemarck , etc.

Ces actes de bienfaisance s’associeront fa-
cilement à des opérations calculées de ma-

aussi mal conçues qu’elles furent mal conduites. Les çca-
pitaux disponibles s’absorbèrent en constructions des
bâtimens nécessaires à de vastes exploitations et en achats
de bestiaux, avant d’avoir des fourrages pour les nourrir.
Ii fallait, au contraire, commencer par des essais de dé-
frichemens , et proportionner successivement les bes-

tiaux et les bâtimens aux besoins déjà éprouvés.

6

( 834)

niére à assurer aux actionnaires un placement
avantageux de leurs capitaux , si le gouverne-
ment leur accorde son appui, et il est de son
intérêt de ne pas le refuser. La société de Fre-
dericks-Oord a réduit sur-le-champ la dépense
qui était à la charge du gouvernement pour
l'entretien des pauvres, des orphelins et des
enfans trouvés, de six millions de florins à
quatre muilions ; en même temps elle lui a
donné l'assurance que, dans vingt ans, toute
celte dépense serait épargnée.

Sans doute, on ne doit pas s'attendre à re-
produire en France un établissement exacte-
ment calqué sur celui qui existe en Hollande,
une foule de considérations y mettraient obs-
tacle ; mais on peut, en le modifiant, faire
encore beaucoup de bien. Une tendance salu-
taire se fait remarquer par - tout aujourd'hui
vers l'amélioration du sort du pauvre, par les
ressources qu'offre l’agriculture ; sous ne vou-
drons pas rester, à cet égard, en arrière des
autres nations, et laisser sans emploi nos im-
menses terres incultes, et les jeunes bras que
nous pouvons faconner au travail.

C'est en partie dans de telles intentions
que des projets ont été plus d’une fois concus,
et des demandes faites pour la création de fer-
mes expérimentales, où l'application des meil-

(83)
leures théories et des pratiques reconnues les
plus parfaites fût, en quelque sorte, démon-
trée sur le terrain.

Les essais de ce genre ont été rarement heu-
reux, et cela ne peut guere arriver autrement
lorsqu'ils n’ont pas , comme les haras , les pé-
pinières , ou comme à Rambouillet, un but
spécial et unique. La vacherie accolée aux ber-
geries de cet établissement n’a favorisé en rien
l'amélioration des races bovines, tandis qu'on
eut obtenu des succès remarquables en réu-
nissant les plus belles au centre des départe-
mens qui emploient les bœufs au labourage,
et en y distribuant annuellement des taureaux
et des génisses de choix aux cultivateurs les
plus zélés.

De même, cette spécialité est indispensable
pour assurer le perfectionnement des cultures,
Aussi, les expériences faites dans un seul lieu
sur un grand nombre de végétaux, ou sur
une grande variété d’instrumens aratoires, ont-
elles été rarement concluantes.

Les fermes expérimentales, montées presque
toujours avec luxe, dirigées et conduites sans
économie, ne peuvent, d'ailleurs, offrir des
modeles à suivre pour les exploitations par-
üculières. Le but qui détermine à créer ces
fermes peut être presque toujours atteint plus

6.

((84:)
complétement , et avec moins de dépense par
des distributions de prix. On en jugera par
l’heureuse imfluence des sociétés d'agriculture ,
et, sûur-tout de celle d'encouragement.

Ces sociétés, qui ne disposent cependant que
de sommes modiques , ont rendu beaucoup
de services. fs eussent été plus signalés encore,
si les récompenses n'avaient: jamais été accor-
dées qu’à des efforts et à des succès durables.
Le charlatanisme les a quelquefois usurpées au
préjudice du cultivateur modeste et laborieux,
qui n'a pas cru devoir se soumettre à la for-
malité :très-génante et souvent illusoire des
procès-verbaux exigés. Il y a dans ces exi-
gences unvice auquel il convient de chercher
à remédier.

Nous ne proscrivons pas les expériences ;
nous croyons , au contraire, que le gouverne-
ment doit s’emparer de toutes celles qui, n’é-
tant pas immédiatement productives , seraient
onéreuses pour les particuliers ; mais ces expé-
riences peuvent se suivre sans former des éta-
blissemens permanens. Quelques exemples ex-
pliqueront mieux notre pensée.

Il serait d’une haute importance pour nous
affranchir d'üne partie des tributs payés à lé-
tranger ;d’acclimater le: coton herbacé , le
phormium tenax ; ou lin de la Nouvelle-Zé-

( 85.)

lande , l'arbre à thé, etc., etc. Des essais ont
déja été faits , mais sans assez de suite pour as-
surer la conquête de ces plantes : elle sera le
prix d’une grande persévérance. Combien de
végétaux exotiques renfermés d’abord dans
des serres et traités comme des plantes dé-
licates , ont réussi plus tard en pleine terre,
et font aujourd’hui l’ornement de nos jardins ?
Déjà la graine du phormium a müri en France ;
les tentatives faites dans quelques cantons pour
y introduire la culture du coton ont aussi laissé
des espérances.

Le gouvernement pourrait affermer successi-
vement et temporairement un petit nombre
d’arpens de terre, dans les localités jugées les
plus convenables à l'introduction de ces vé-
gétaux , et en confier le soin à des hommes in-
telligens, qui se consacreraient à leur culture,
et dont les observations seraient soigneuse-
ment enregistrées. On étendrait, selou les es-
pèces, les expériences du midi au nord, ou du
nord au midi; lorsque le succès ne serait plus
douteux , des distributions de graines ou de
plants seraient faites aux cultivateurs dignes
de cette distinction. %

Dans beaucoup de départemens, on cultive
des espèces de vigne dont le raisin a peu de
qualité. Il appartiendrait encore à une admi-

(86)

nistration paternelle et prévoyante de trans-
porter au milieu des vignobles à améliorer,
des cépages choisis entre ceux qui donnent le
meilleur vin, de les multiplier et de les dis-
tribuer ensuite aux vignerons. Des bienfaits
divers se répandraient ainsi sur tous les points
du royaume.

Quant au perfectionnement des animaux do-
mestiques , 1l peut s’opérer par un moyen bien
simple et qui, sans être très-dispendieux , don-
nerait au gouvernement une grande réputa-
tion de munificence.

Il paierait très-hibéralement aux propriétai-
res les animaux présentés par eux au concours,
qui auraient été jugés dignes des prix et des
mentions honorables. Les plus distingués de-
viendraient le partage des arrondissemens où
le perfectionnement serait moins avancé que
dans les lieux d'achat, mais cependant déjà
sensible. La répartition des moins beaux s’effec-
tuerait entre les cantons qui feraient les pre-
miers pas vers l’amélioration. Les récompenses
et les encouragemens se proportionneraient
ainsi au succès et au zèle ; ils seraient par-tout
excités , et on arriverait peu-à-peu à faire dis-
paraitre les races abàtardies, dont l'entretien
est plus à charge qu’à profit.

Cinq à six cent mille francs consacrées an

(870)

nuellement à de tels encouragemens , où à des
expériences de la nature de celles que nous
avons indiquées, seraient placés par le gou-
vernement à haut intérêt ; car ses revenus
s’accroissent par la prospérité des cultivateurs.

C'est aux plus éclairés d’entre eux que serait
abandonné le soin d'instituer des fermes mo-
dèles ou exemplaires, à Vinstar de celle qui
s'élève à Roville, département de la Meurthe.
Cet établissement ne peut manquer de pros-
pérer sous la direction d’un agriculteur aussi
recommandable et aussi instruit que M. Mathieu
de Dombasle. L'intérêt des actionnaires y fera
rejeter promptement les méthodes vicieuses, et
les cultures ou trop dispendieuses, où impro-
ductives ; les pratiques qui seront préférées ins-
pireront confiance au cultivateur : naturelle-
ment défiant , souvent il reiette les conseils,
parce qu'il craint d'être trompé par celui qui
les donne ;:mais lorsque la réussite des mé-
thodes nouvelles lui est entièrement démontrée,
son intérêt le porte à en faire l'essai. Il s’é-
.tablira donc, dans sa pensée et dans son estime,
une différence entre les résultats de la culture
adoptée pour une ferme expérimentale, mon-
tée aux frais du gouvernement, et de celle
dirigée par des actionnaires qui, comme lui,

doivent envisager les produits non d'apres

( 88 )

leur variété ou leur supériorité, mais sur le
bénéfice net qu'ils procurent. De tels établis-
semens ne peuvent étre trop encouragés.

Leur multiplication contribuera à répandre
parmi ceux qui se chargent des opérations ma-
nuelles de la culture l'usage des procédés
adoptés par les praticiens éclairés. Il n’y a
rien de plus à faire pour la génération qui a
dépassé l’âge de l’enseignement. Quant à celle
qui la suit, c’est sur-tout au gouvernement à
lui procurer des avantages dont jusqu'ici les
enfans des simples cultivateurs ont été privés.

Ils seront suffisamment préparés à bien rem-
plir leur destination future, lorsque, dans les
écoles primaires, on aura mis entre leurs mains,
mème pour apprendre à lire, des livres qui
exposeront avec autant de brièveté que de
clarté (en remplaçant le langage et l'appareil
de la science par des explications mises à por-
iée de leur intelligence ), le but .et les effets
des labours et des engrais, l’action de l’air et
de la lumière , les principes qui doivent di-
riger dans la construction et dans l'emploi de,
la charrue et des autres instrumens aratoires ;
comment les terres se subdivisent; pourquoi
leur culture doit se régler sur leur qualité ou
primitive, ou modifiée par des amendemens ;

. , . 4 E #
sur les circonstances relatives au climat, à leur

(89 ) |
exposition , à la profondeur de la couche cul-
tivable, enfin à la nature des plantes qu’elles
recoivent ; des livres où on leur fera connaître
quels soins exigent les animaux domestiques,
quels services on peut en attendre, et combien
il est necessaire de préférer les espèces, et
dans chaque espèce les races qui peuvent pro-
curer le plus d'agrément et de profit par leur
dépouille ou par leur travail.

Ces notions générales inculqueront aux en-
fans des idées justes, et les accoutumer ont à
l'observation et à la réflexion. Lorsqu’ une
charrue ou un troupeau leur sera confié,
l'application de leurs lecons viendra d’elle-
même se présenter à leur pensée ; car c’est
parce que rien ne rompt, pour le laboureur
dans, son enfance, la chaîne d'idées, ou plu-
tôt de préjugés et de pratiques vicieuses dont
il hérite de ses pères, qu’il est si difficile de
changer plus tard ses habitudes. Ceux qui ayant
quitté, jeunes , le toit paternel, ont recu d’au-
ires impressions, se décident plus facilement
à y renoncer, et cela vient à l’appui de notre
remarque.

On ajouterait au bienfait, en entremélant
cette Instruction élementaire des préceptes in-
dispensables pour former des hommes religieux;
et combien cette tâche serait belle et facile,

(90 )
lorsqu'on aurait sans cesse à les entretenir
des merveilles de la création! Il y aurait alors
réellement de lPinstruction et de la religion dans
les campagnes , tandis qu’on n’y trouve le plus
souvent aujourd'hui qu'ignorance grossière et
superstition. Quelques individus pourraient per-
dre à ce changement ; mais la morale et la
société y gagneraient beaucoup.

On entend répéter fréquemment que le
nombre des jeunes gens instruits est devenu
trop considérable ; qu'il n’y a plus assez d’états
pour tous : on en tire la conclusion que l’ins-
truction trop répandue est inutile ou dange-
reuse ; c’est une étrange erreur. Lorsque cette
instruction deviendra plus générale encore ,
on cessera de croire que les étudians qui sor-
tent des colléges doivent tous devenir, ou juges
ou avocats, ou médecins ou notaires ; on re-
connaîtra qu'il faut aussi des connaissances pre-
muères pour être mécanicien habile, pour se
faire uu nom dans les arts, et pour bien cul-
tiver son champ ou celui des autres.

On verra alors à la tête des exploitations
rurales des hommes instruits , bien élevés,
laborieux, qui allieront aux travaux rustiques
les habitudes sociales des citadins, et qui trou-
veront dans le séjour tranquille de leur maison
des champs, et au sein de leur famille, le repos

MATE LE)
et le bonheur qu'ils eussent vainement cherchés
dans les villes.

Dès que l'agriculture sera honorée et pro-
tégée comme elle devrait l'être, ces heu-
reux changemenss’introduirontinsensiblement.
Nous sommes dans un état transitoire , dont
l'influence s'étend aux hommes comme aux
choses. Rien n’est précisément à sa place, mais
tout tend à la prendre ; l'équilibre se rétablira
entièrement dès qu'il y aura en tous lieux
sécurité et protection pour tous. Celui qui se
voue à l’agriculture est ami du repos par
sentiment et par intérêt ; il respecte les lois
et leur obéit scrupuleusement. Ses opinions
politiques ou religieuses sont inoffensives; mais
il tient à ce qu’elles soient respectées. IL fuit
ceux qui, pour faire du zèle, exigent de lui
plus que la loi ne commande ; il abandonne
ses pénates pour conserver son indépendance.
Voilà pourquoi tant de propriétaires sont venus
chercher successivement dans la capitale , sous
la protection immédiate du gouvernement ,
la tranquillité qu'ils ne trouvaient plus dans
les petites villes ou dans les campagnes. Le
remède à ce mal est facile à appliquer , et sans
doute rien ne sera négligé pour soustraire ,
enfin, les hommes tranquilles et honnêtes à
la tyrannie de ceux qui, arborant tour-à-tour

\

(92 )
les couleurs les plus opposées, se font un mé-
rite , trop souvent récompensé, de la persécu-
tion, de la délation et de l'intolérance.

Ces considérations ramènent naturellement
aux associations agricoles, qui peuvent, seules,
participer d’une manière eflicace avec le gou-
vernement au bonheur d'améliorer ‘le sort
des habitans des campagnes. L'influence d’un
propriétaire isolé est toujours très-circonscrite;
mais lorsqu'une communauté d'intérêts s’éta-
blit entre des actionnaires disposant de ca-
pitaux considérables, l'attention publique étant
fortement excitée par leurs entreprises, la con-
currence à y prendre part multiplie les chances
de succes.

S'agit-il, par exemple, de faire prévaloir le
système des baux à long terme : vainement ,
peut-être, un propriétaire cherchera-t-il, dans
un canton où ces transactions sont insolites,
un fermier en qui il puisse placer sa confiance ;
si, au contraire, un grand nombre de fer-
mages sont à stipuler chaque année , et Si Sur-
tout des encouragemens se distribuent aux plus
zélés et aux plus habiles, une nouvelle carrière
sera ouverte à l'industrie, et il y aura à choi-
sir entre ceux qui se présenteront pour Ja
parcourir. Alors on verra des hommes Joi-
gnant à de l'instruction le ton et les manieres

(95)

de la bonne compagnie préférer à une vie
oisive ou dissipée les occupations champètres,
et se disputer, en quelque sorte, les habita-
tations commodes dont on aura parsemé des
possessions, que nous supposons acquises au
centre de contrées, jusqu'ici répudiées et dé-
sertes, mais cependant peu éloignées, ou d’une
route, ou d’un canal, et réunissant aux ma-
tériaux propres aux constructions les amen-
demens que le sol réclame. Il en existe plu-
sieurs de ce genre qui n’attendent que des bras
intellisens pour égaler presque en fécondité
quelques-unesde celles qui sont les plus recher-
chées aujourd’hui.

Une amélioration en provoque une autre,
et à mesure que la population s'accroît , une
foule de ressources d’abord inapercues s’of-
frent comme d’elles-mêmes , non-seulement
pour ses besoins, mais pour ceux d’une po-
pulation nouvelle, important avec elle son in-
dustrie. On peut arriver ainsi graduellement
à sextupler , dépenses déduites, la valeur des
fonds ruraux.

Nous avons dit que les récoltes de froment
et de seigle suffisaient presque toujours à la
consommation : on doit donc mettre au nom-
bre des services que rendrait une association
agricole riche de capitaux et de lumières

( 94)
celui de désaceoutumer , par l'exemple qu'elle
donnerait dans ses possessions, les cultivateurs
de emploi ( à leur usage) du sarrasin, du maïs
et de l'orge.

Ces farineux , ne concourant plus à la fabri-
cation du pain que dans les cas très-rares de
pénurie, le prix du froment et du seigle serait
ramené et se soutiendrait habituellement au-
dessus de celui auquel il ne doit pas descendre,
dans l'intérêt bien entendu du producteur et
du consommateur. Les grains secondaires vien-
draient alors augmenter les ressources alimen-
taires , indispensables pour mieux nourrir les
bestiaux, et favoriser le perfectionnement dont
nous avons exposé la nécessité.

L’Angleterre consomme annuellement la
quantité énorme de quatre millions deux cent
cinquante mille quarters d'orge pour alimenter
ses nombreuses brasseries. La bière étant, en
quelque sorte, en France une boisson de fan-
taisie, la plus grande partie de l'orge qui s’y ré-
colte pourrait être livrée aux animaux domes-
tiques. Cette ressource suppléerait par-tout, et
particulièrement dans les localités sèches, à
l'insuffisance des päturages et des prairies. Ainsi
de précieux avantages résulteraient de l’aban-
don d’une coutume qui ne devrait plus appar-
tenir qu'aux contrées où les produits du sol

(95 )
sont, par l’apreté indomptable du climat, res-
treints dans d’étroites limites.

Si la culture des céréales ne doit s'étendre
qu’en raison de l'accroissement successif de
la population, il est urgent, d’un autre côté,
de comprendre immédiatement dans les spé-
culations agricoles, outre l'amélioration des
bestiaux de boucherie et des produits divers
que réclament le commerce et les fabriques,
la multiplication des chevaux et le perfection-
nement de leurs races.

Nous payons, tous les ans, à l'étranger une
très-forte somme pour la remonte de nos ré-
simens de cavalerie, et pour fournir d’atte-
lages nos voiturés de luxe, tandis que quelques
années de soins persévérans nous affranchiratent
de cet onéreux tribut; mais on n’arrivera à
cet important résultat que par un ensemble
de vues et de moyens réservés à une société
imprimant à ses agens une direction uniforme
et bien calculée.

Un des grands inconvéniens attachés à la
condition presque solitaire du laboureur est
de ne pouvoir s’entourer facilement des infor-
mations nécessaires pour régler ses travaux
d’après les convenances particulières que cha-
que année fait naître tour-à-tour. Il suit un

système immobile et non interrompu d’asso-
x

( 96 )
lement, parce qu'il ignore ce qui se passe loi
de lui, quel produit reste sans consommation,
quel autre est avidement recherché. Tous les
renseignemens qui l’intéressent sous ce rap
port ont été jusqu'ici réservés au négociant.
Des feuilles publiées sous le nom de Prix cou-
rans instruisent, jour par jour, celui-ci de
tout ce qui peut contribuer à le diriger dans ses
opérations. Celles de l’agriculture devraient
aussi avoir leur régulateur ; car, pour être lucra-
tives, 1l faut qu’elles se combinent sur les de-
mandes du commerce et de l’industrie.

Celui qui possède une propriété de quelque
étendue doit donc être exactement informé des
variations du prix, soit des produits du sol,
soit des bestiaux, dans les foires les plus re-
nommées, et du résultat des récoltes tant en
France que dans l'étranger. I ne s’agit plus
seulement pour lui de semer du ble ; il faut, s’il
ne veut pas se condamner à la diminution pro-
gressive de son revenu, qu'il cherche de nou-
velles ressources dans la culture des plantes
textiles, oléifères ou tinctoriales ; qu'il fouille
ses champs et mette leurs couchés diverses à
contribution, pour approprier à ses besoins et à
ceux de ses voisins, par d’heureuses combinai-
sons, les terres infertiles, mais qui peuvent
fournir des vases à son usage, des conduits pour

(97)

les eaux, des matériaux pour les constructions;
que, la sonde à la main, il fasse jailir des
sources pour arroser ses prairies, découvre
des bancs de marne ou de pierre calcaire pour
amender ses terres arables, des gisemens de
charbon fossile ou de minerai de diverses sortes
pour fonder des usines.

Des associations agricoles telles que nous
les supposons organisées, ayant des moyens
nombreux de s’entourer d'informations utiles
et d'entretenir une active correspondance, dis-
posant en même temps de capitaux considé-
rables, profiteront de ces ressources dans toute
leur plénitude : elles pourront s’aider, en ou-
tre, des lumières de ceux qui se sont déjà
fait un nom dans les arts par une applica-
tion productive des découvertes de la chimie,
de cette science créatrice, qui a doublé de-
puis trente ans les richesses industrielles de
l'Europe, et qui, enfantant chaque jour de
nouveaux prodiges, semble devoir arriver à
recomposer tout ce qu'elle analyse et décom-
pose.

D’autres avantages leur sont encore assurés.
Ce n’est pas un des moindres que de pouvoir
se modeler sur ce qui se pratique dans les mai-
sons de commerce et dans les fabriques, pour
régler, d’un côté, la comptabilité et l’écoule-

( 98 )
ment de ses produits; de l’autre, pour prescrire
à leurs fermiers une division ingénieuse du tra-
vail et des cultures.

Dans de tels établissemens, tout peut devenir
cause de produit; les plantes adventices, qui
nuisent à celles cultivées, aussi bien que les
débris ou les fanes de ces dermières, les unes
par leur incinération, les autres par leur en-
fouissement , ou en concourant à ces mélanges
de substances fertilisantes désignées sous le
nom de compost.

Une grande: exploitation rurale peut être
comparée à une vaste manufacture : dans l’une,
on recueille la matière première ; dans l’autre,
on la met en œuvre. L'ordre, l’économie, la
discipline, la surveillance, l'emploi des agens de
toute espèce, peuvent y reposer sur les mêmes
bases. C’est le seul moyen de simplifier et de
coordonner toutes choses.

Il existe cependant une différence essen-
tielle entre la manufacture agricole et celle
où se travaillent les matières recueillies par le
cultivateur. On peut calculer rigoureusement
les produits de la seconde, et en obtenir cons-
tamment d’identiques par l'adoption de pro-
cédés invariables , tandis que rien n’est moins
susceptible d’être réduit en système absolu
que les opérations de la culture. Leurs résul-

( 99 )
tats se compensent , il est vrai, par le terme
moyen de plusieurs récoltes ; mais ils diffe-
rent souvent de l’une à l’autre.

Nous repousserons donc ces théories qui im-
posent des assolemens assujettis à une rotation
constante , Ou qui proscrivent rigoureusement
les jacheres. |

Les modeles nombreux d’assolemens que les
agronomes ont préconisés sont à considérer
comme des exemples plus au moins mgénieux,
dont le choix doit subir , chaque année et dans
chaque localité, des modifications.

Quantaux jacheres , il est constant, en thèse
générale, que la terre peut fournir, sans in-
tervalle, de nouveaux fruits lorsqu'on lui res-
titue ce qu’elle a perdu de ses principes fer-
tlisans. ;

Mais a-t-on bien calculé ce qu'il faudrait
de bras pour les supprimer complétement et
à toujours ? À-t-on supputé ce que l’on ferait
des produits obtenus sur vingt-trois millions
d'hectares constamment cultivés, et dont un
quart recevrait des plantes sarclées ? Sait-on
de quelles sommes s'augmenteraient les frais
de culture, et si la surabondance des appro-
visionnemens les solderait par-tout sans perte ?
N'a-t-on pas trop méconnu la nécessité de dis-
poser, de loin à loim, de plusieurs SaisSOns ,

7.

( 100 })

pour renouveler les labours de défoncement ,
et pour exposer successivement toutes les mo-
lécules de la terre à l’action divisante de l'air,
du soleil , de la gelée, de la neige, de la pluie
même, et détruire les semences des plantes
nuisibles, qui, malgré les soins les plus assidus,
finissent toujours par se multiplier ?

On a compris, à la vérité, dans la culture
perfectionnée ces assolemens à long terme, qui
établissent une rotation très-lente , dans la-
quelle on fait entrer des sainfoins, des luzernes,
des ray-grass, etc., retournés au bout de six
ou sept ans; mais n'est-ce pas là une jachère
aussi caractérisée que celle qui résulte de l’u-
sage de laisser, comme dans le Holstein, dans
le Mecklenbourg , et dans plusieurs cantons de
la France, une partie des terres en päturage ?
Aurait-on restreint l'application du mot jachère
à l'assolement triennalpur, justementréprouvé,
et dans lequel la terre , après avoir donné, pen-
dant deux années, du blé, se repose, ou plutôt
ne rapporte rien la troisième? Alors c’est le
mot qui aurait été mal défini, mal expliqué.

On est, aureste, presque généralement con-
vaincu, aujourd’hui, de l'inconvénient des pro-
positions présentées impérieusement comme
des axiomes. Les agriculteurs éclairés ne sont
plus à reconnaître que, si le: système d’asso-

(#07)
lement triennal a de grands inconveniens, il n’y
en a pas MOINS à s'enlever les moyens de multi-
plier les labours, et par conséquent à se re-
fuser à interrompre , de temps en temps, la
série des cultures.

Les livres sont la pour offrir des témoi-
gnages de ce qui a réussi, et pour éclairer la
route , non pour la prescrire. Leurs conseils ne
doivent jamais prévaloir sur les lecons de l’ex-
périence ; elle devrait sur-tout être toujours
consultée par une association qui, opérant sur
des bases très-larges , ne pourrait errer sans
s'exposer à de grandes pertes.

Ses succes seraient incontestables si, se bor-
nant à employer le tiers de ses capitaux en
acquisitions , elle consacrait successivement les
deux autres à créer des villages ; à les peupler
d'ouvriers laborieux , intelligens et de bonnes
mœurs, choisis entre ceux dont le travail sa-
üsferait aux besoins des cultivateurs ; à opé-
rer des défrichemens ou des améliorations bien
conçues ; à récompenser des efforts bien di-
rigés , des succès remarquables ; à établir des
embranchemens pour arriver commodément
aux grandes routes , et si elle faisait toutes ces
choses (ce qui n’est pas impossible), sans le
concours de ces états -majors nombreux et
d'ostentation, qui, souvent, ont absorbé la plus

(11089

grande part des bénéfices des compagnies.
Combien ont péri qui eussent prospéré si
leur adminisiration eüt été moins fastueuse !
Le luxe qui multiplie les consommations ne
peut êlre trop excité dans un État riche de
territoire , de population et d'industrie; mais
celui qui s'attache à l'agent de la reproduc-
tion et le dévore devient une cause inévi-
table de désastres.

Nous ne prétendons pas que les bénéfices
égaleraient , dès la première année , ceux qu’un
autre emploi de capitaux procurerait ; ils se
feraient , sans doute, attendre un peu : en se-
raient-ils, pour cela, moins assurés et moins
recherchables ?

Un négociant qui fait construire un navire
pour être employé à transporter des marchan-
dises aux Indes, à la Chine, et spéculer en
même temps sur des retours ; des capitalistes
qui entreprennent d'élever d'immenses édifi-
ces , de fonder une manufacture , de creuser
un canal, savent que l’intérèt de leur argent
ne leur rentrera qu'à l'expiration de quelques
années. Cette considération ne les arrète pas;
elle n'arrête pas non plus les actionnaires qui
se disputent le partage des mêmes chances,
et cependant elles sont soumises à des Vi-

cissitudes plus multipliées que celles qui me-

{ 506.)

nacent l'acquéreur d’un fonds de terre. Les élé-
mens de la spéculation des premiers sont ou pé-
rissables, ou sujets aux avaries ; les valeurs des
seconds se renouvellent, chaque année, entre
les mains du cultivateur habile ; elles s’accrois-
sent et s’améliorent par l'usage, les habitations
excepices : aussi la sûreté du gage a-t-elle fait
préferer de tout temps, à produit égal, la pro-
priété foncière à celle d’une maison, d’une fa-
brique , ou d’un effet public négociable à cours
incertain.

Pourrait-on hésiter dans le choix, lorsqu'a
la sécurité attachée à la propriété se jonidra
l'appàt de la spéculation ? Car, l'une s’adjom-
drait à l’autre, dans les transactions d’une com-
pagnie qui choisirait , pour les féconder et y
appeler une population industrieuse , les par-
ties de la France encore incultes ou négligées,
mais placées cependant favorablement pour des
améliorations lucratives.

Nous dirons donc au spéculateur : continuez
des opérations plus ou moins hasardeuses ,
puisqu'elles entretiennent ces émotions vives,
ces alternatives d'illusions et de craintes, sans
lesquelles vous ne pouvez vivre ; mais songez
à vos enfans ; consacrez, dans leur intérêt, une
partie de vos gains à des acquisitions terri-
toriales ; elles seront, pour vous comme pour

(104 )
eux , le port dans le naufrage, si vos espérances
viennent à être décues. Après avoir été battu
par l'orage, vous sentirez mieux le prix d’une
vie calme et retirée, et vous vous féliciterez :
de votre prévoyance.

Nous dirons à celui qui a mis toute sa for-
tune en rentes : leur intérêt peut être réduit ;
leur capital est exposé à des altérations; il
s’affaiblira entre vos mains, ou du moins il
ne suivra pas la progression croissante des au-
tres valeurs négociables. Avec les cent mille
francs inscrits en votre nom sur le grand-
livre, vous n’obtiendrez lus dans un demi-
siècle que la moitié de ce que vous pourriez
acquérir aujourd'hui; vous vous appauvrissez
tous les jours sans vous en douter. Échangez
une partie de vos rentes contre des immeubles
indestructibles, vous créerez ainsi, à votre pro-
fit, une caisse de réserve, qui s’accroitra dans
la proportion de l’avilissement de la valeur du
capital de vos rentes.

Nous montrerons enfin à tous ceux dont le
cœur bat plus vite à l’idée du bonheur de la
patrie le monde placé dans une de ces situa-
tions rares qui changent le commerce, les re-
lations et les habitudes; les colonies des deux
hémisphères prêtes à défendre ou à proclamer
leur indépendance, malgré la lutte d’une vieille

(1057

politique, qui peut ralentir , mais non compri-
mer entièrement une force répulsive toujours
agissante ; presque toutes les nations euro-
péennes se repliant sur elles-mêmes et cher-
chant dans leur sein les élémens de leur future
opulence. S'ils savent mettre à profit ce grand
monvement, ils ne demanderont pas en vain
à la terre des fruits plus variés et plüs beaux,
à l'industrie plus de merveilles.

Les recherches qui ont été faites, lors du pro-
jet de remboursement des rentes, ont prouvé
qu’elles appartenaient, en majeure ie aux
habitans de la capitale. Les inconvéniens atta-
chés à ce genre de placement, les pertes qu'ils
ont éprouvées à plusieurs époques, ne les en
ont pas dégoütés, parce qu'ils ne connaissent
aucun emploi plus commode de leurs capitaux ;
leur gage est placé en quelque sorte sous leur
main ; ils peuvent disposer de leurs fonds tous
les jours et à toute heure, c’est la le point im-
portant pour eux : aussi lorsqu'ils veulent ache-
ter des terres, les cherchent-iisdans les départe-
mens qui les avoisinent. Ce choix se conçoit faci-
lement : prendre tousles embarras d’une gestion
dont l’objet est éloigné et ne peut être facile-
ment surveillé les sortirait du cercle de leurs
habitudes. Quand on achète un fonds de terre,
il faut, à la vérité, remplir des formalités gè-

(:186 )

nantes; procéder à des inventaires, à des con-
frontations; traiter avec des fermiers, des ré-
gisseurs; poursuivre la rentrée des revenus;
en consommer une partie en réparations ;
éprouver des non-valeurs; se charger en un
mot d’une foule de soins insupportables pour
celui qui, ne désirant pas quitter la ville, est
privé des ressources et des agrémens attachés
au séjour de la campagne.

Mais s’il devenait aussi facile d'employer ses
capitaux en terres qu'en rentes; si à la garan-
tie morale offerte seule aux preneurs de celles-
ci se joignait la sûreté d’un gage matériel, in-
déplacable ; s’il existait, pour la propriété
comme pour la rente, un livre où s’inscrirait
le titre de participation; si les cessions ou les
mutations se constataient par un simple trans-
fert; si enfin l’action délivrée et le coupon d’ac-
tion pouvaient se négocier comme des inscrip-
tions, on doit croire qu’alors 1l se manifes-
terait de l’empressement à prendre part à un
placement qui donnerait l'espoir d’un accrois-
sement de capital, et ne laisserait aucune crainte
sur sa diminution.

Peu importerait aussi aux intéressés que les
immeubles acquis fussent plus où moins éloi-
onés de leur résidence, pourvu que les revi-

5
remens s’opérassent sans peine. Ils jouiratent,

(07)

avec une garantie de plus, des privilèges ré-
servés jusqu'ici aux rentiers.

Tels seraient les avantages inappréciables at-
tachés à l'existence de grandes associations agri-
coles, que nous supposons organisées de ma-
nière à admettre concurremment l'intervention
du peut rentier et du riche capitaliste.

Il n'existerait peut-être pas de moyen plus
naturel d'arriver à empècher le trop grand
morcellement des propriétés. Si on demandait
pourquoi la plainte à cet égard est devenue si
vive, on aurait peut-être à répondre qu’elle
est provoquée par cette prévision, qui aver-
tit les partis des prétextes plausibles qu'ils
ont à faire valoir pour arriver à un but sou-
vent mal déguisé. En réalité, la subdivision a.
été moindre qu’on ne serait autorisé à l’affir-
mer au premier aperçu. Celle qui s’est faite
depuis la vente des biens appelés nationaux
prend sa source dans un sentiment d’attache-
ment à son héritage et en même temps de
- défiance, qui distingue le paysan : des champs
qui pouvaient échoir sans partage à un des
héritiers ont été divisés, parce qu'ils préten-
daient qu'une portion avait plus de valeur que
l'autre, ou qu'elle était de nature à leur don-
ner des produits différens : chacun d'eux veut
avoir sa part des vignes, des chenevières, des

( 108)
jardins, des maisons même, pour, disent-ils,
obtenir la plus grande égalité des lots.

Les ventes par détail ont peu contribué, ex-
cepté dans le voisinage des villes, au morcel-
lement dont on s'afflige avec raison ; plus d’une
fois même elles ont favorisé des réunions aussi
utiles aux propriétaires que désirées par eux.

Le moyen de remédier à la trop grande sub-
division que l'intérêt des héritiers provoque
a été souvent cherche. M. Garnier Deschènes
a, en particulier , traité la question avec talent
dans plusieurs mémoires que la Société royale
d'agriculture a recueillis. Son travail n’a que
mieux confirmé la difficulté de l’entreprise ; 1l
y a des inconvéniens qui sont insurmontables
par le secours des lois, ou que, du moins, dans
leur langage précis, elles ne peuvent tous énu-
mérer et atteindre. Comment déterminer le
point où devrait s'arrêter la subdivision ? Car
nous ne supposons pas qu'on ait sérieusement
l'intention de rétablir le droit d’aînesse; le re-
mède serait pire que le mal.

Un champ considéré comme une simple par-
celle dans certains cantons passera ailleurs
pour une grande pièce. Que de classifications à
faire pour déterminer à quel point sa division
devra s'arrêter, soit dans la banlieue des villes,
soit à la proximité des simples villages, soit

( 109 )
enfin loin des habitations , et pour la régler d’a-
près la culture particulière à chaque arrondis-
sement, à chaque commune ?

Assimilerez- vous la possession dans l'an-
cienne châtellenie de Lille à celle dans la Beauce
cu le Poitou ? le maraîicher des environs de
Paris qui fait vivre sa famille sur un quart d’ar-
pent au petit cultivateur qui, dans la Sologne
ou les Landes, retire à peine sa subsistance des
deux hectares qu'il cultive ? le propriétaire du
sommet glacé des montagnes d'Auvergne à
l'heureux possesseur d’un petit coin de terre de
la riche Limagne ? Cependant , dans ce dernier
exemple , les héritages de l’un et de l'autre se
touchent.

Ce qui est en quelque sorte au-dessus du
pouvoir de la loi s'obtient par la force même
des choses, qui fait qu'à côté de l’homme la-
borieux et économe se trouvent le dissipateur
et le paresseux, dont les héritages se trans-
mettent au premier en échange de ses écono-
mies. L’inégalité desfortunes territoriales étant,
comme celle de toute autre espèce, un résultat
obligé des passions. diverses qui nous maïtri-
sent, ou des talens qui nous distinguent , le
gouvernement peut, en facilitant les mutations
et les échanges ; en accordant une réduction des
droits de succession lorsqu'il ne serait fait au-

“

( 116»)
cune subdivision des pièces de terre, ét une plus ”
forte encore lorsqu'une petite propriété rurale
passerait à un seul héritier (sans lésion de lin-
térêt des autres), arrêter les progres du mal
et même attendre une situation meilleure , im-
possible à obtenir par des moyens coercitifs.

Si son action pouvait s'étendre plus loin, ce
serait à la faveur des changemens qu'apporte-
rait au mode de possession la création des as-
sociations agricoles, dans lesquelles là partici-
pation et la solidarité des actionnaires s’établi-
raient sur la valeur du gage fourni.

Ne pourrait-on pas, en effet, être inscrit
parmi eux, en offrant de mettre sa propriété
à la disposition commune des sociétaires, pour
un prix déterminé, payable en actions? Ceux
qui ne voudraient pas être chargés des embar-
ras d’une gestion stipuleraient des contrats de
cette nature. Il arriverait donc successivement
que beaucoup de parcelles se joindraient à la
masse des immeubles régis au compte commun
des actionnaires. Lorsque ces concessions pa-
raitraient offrir des avantages, il serait aisé
au gouvernement de les provoquer. Cette idée,
qui a , sans doute , besoin d’être développée et
mürie, pourrait conduire à la solution de la
question. |

114 /}

Des moyens d'organiser Les associations agri-
coles.

Les différences existant dans les positions
de fortune de ceux qui peuvent concourir à
des associations influent nécessairement sur le
mode de leur organisation et sur la distribu-
tion des capitaux qu'on y consacre.

Les grands capitalistes préfèrent, en général,
porter leurs spéculations sur un objet spécial et
bien détermine ; 1ls aiment à se rendre entière-
ment maîtres de l'opération qu'ils se décident
à entreprendre. Comme ils se réunissent en
petit nombre pour faire les fonds , ils s’en ré-
servent le classement.

Leur but est de rentrer le plus promptement
possible dans leurs avances, et d'abandonner
les risques à ceux entre lesquels les actions se
répartissent. S'ils conservent un intérêt dans
des entreprises , il s'établit uniquement sur une
portion des bénéfices réalisés; leurs capitaux re-
couvrés reçoivent un autre emploi. Nous n’a-
vons point à nous occuper de ce genre d’affaires,
dont le succès se détermine par le degré de
confiance qu'inspirent ceux qui s’y adonnent.

Dans les associations que nous avons particu—
liérement en vue, le capital doit se former de
la masse des souscriptions individuelles, faites

(270079
sans l'intermédiaire des grands capitalistes. Cha-
que actionnaire y participe immédiatement, en
proportion de sa mise, à tous les bénéfices qui
viennent grossir le capital employé. Elles doi-
vent donc être le partage de ceux qui n’ont pas
des sommes considérables à leur disposition.

Ces associations peuvent se subdiviser en
deux classes.

Nous comprenons dans la première celles qui,
rejetant rigoureusement toutes les chances in-
certaines , conviennent spécialement à celui
qui ne doit rien abandonner au hasard : cir-
conscrites dans des bornes étroites, elles sont
les moins lucratives; toutefois elles peuvent
être encore avantageuses, si les actionnaires

consentent à réserver momentanement une par-

tie du produit pour des améliorations. Il serait
alors possible d'arriver, par des acquisitions
faites avec discernement , à doubler la valeur
du capital de l'association , et à répartir entre
les actionnaires un dividende qui leur procure-
rait ün intérêt élevé de leur première mise. Si,
au contraire, aucuue réserve ne s’opérait sur
le produit annuel des premières années, on
n'aurait pas, nous croyons en avoir fourni la
démonstration , de craintes à concevoir sur la
diminution de la valeur du fonds; mais on serait
contraint, tôt ou tard , d’en venir à des appels

(A4)
sur le reyenu annuel pour faire face aux répa-
rations et méme aux reconstructions successi-
ves des bätimens ruraux; ce serait donc un
très-faux calcul que de ne pas commencer par
quelques sacrifices.

On concoit que pour organiser sur ces bases
une association agricole, 1l faudrait s'astreindre
à n’acquérir.que des propriétés dont le produit,
établi par des baux authentiques, serait à l'abri
de toute réduction.

La seconde classe d'association laissant, au
contraire, une certaine latitude aux specula-
tions, convient mieux à ceux dont le revenu est
déja proportionné à leurs besoins et qui ne li-
vrent que leur superflu : en ce sens, on a dit
avec raison que le premier écu était plus difficile
à gagner que le second million.

Lorsqu'une partie seulement des capitaux
disponibles est employée en acquisitions, et
qu'une autre s'applique aux dépenses relatives à
des défrichemens, à des constructions de bäti-
mens ruraux ou à des établissemens industriels,
les profits se règlent sur le plus ou le moins
d'intelligence dans le choix et dans la direc-
üon des entreprises. Quelque chose est, si
l'on veut , confié au hasard; mais tout n’est pas
aventureux dans ces spéculations, et lorsque,

dans la balance, la chance des succès l'emporte,
8

Cr14)
celui qui vise plutôt à accroître ses capitaux que
ses revenus peut intervenir avec assurance.

… Quune grande terre produisant net cin-
quante mille francs, soit payée douze cent mille,
si, par une dépense extraordinaire de cent mille
écus, son revenu peut être doublé, les action-
naires seront évidemment excités à se conten-
ter, pendant quelques années, d’un faible in-
térêt pour arriver à en retrer un de sept et
demi ; ils se trouveront amplement dédomma-
gés de leur léger sacrificé*par le profit durable
qu'il leur procurera. Nous avons dit que la va-
leur des terres différait de près des neuf dixièmes
d’un département à un autre , ainsi notre sup-
position n'est pas exagérée ; 1l arriverait même
indubitablement que, dans beaucoup de cas, le
bénéfice s’élèverait au-dessus de la supputation
que nous venons de prendre pour exemple.

C’est par de telles associations que s’opére-
raient successivement les différentes améliora-
tions dont nous avons cherché à faire entrevoir la
convenance et la possibilité. On parviendrait,
par leur moyen, à améliorer le sort des orphe-
lins, des enfans trouvés, ainsi que d’un grand
nombre d'hommes industrieux tombés dans la
détresse. Elles viendraient, sous ce rapport, au
secours du gouvernement, intéressé, des-lors ,
à leur accorder sa protection.

( 115 )

Nous ne développerons pas ici le mécanisme
de ces associations; leur organisation est né-
cessairement subordonnée à des modifications
déterminées par l'importance et l'étendue de
leurs opérations. Il appartient d’ailleurs aux
intéressés eux-mêmes de la régler. Il nous suf-
fira d'ajouter qu’elles devraient éviter d’admi-
nistrer par régie, mème intéressée, et de pour-
voir à l'entretien des ménages qui feraient va-
loir leurs possessions. Ce mode d’administra-
tion entrainerait presque inévitablement des
dépenses onéreuses et rendrait d’ailleurs leur
comptabilité très-compliquée. Le compte de
leur gestion deviendrait, au contraire, clair et
facile, s’il se formait sur des baux authentiques
et si les surveillans étaient restreints au nom-
bre strictement nécessaire pour assurer l’exé-
cution des conditions de ces baux.

Lorsqu’elles entreprendraient des défriche-
mens, des constructions, des travaux quelcon-
ques d'amélioration, il y serait procédé par
voie d’adjudication et avec l'autorisation préa-
lable de la majorité des actionnaires. Il y au-
rait alors garantie et sécurité pour tous les in-
téressés, qui connaîtraient à peu de chose
près, à l'avance, leur part dans le dividende an-
nuel, et qui n'auraient à redouter aucune mal-
versation. Au reste, ceux qui seraient disposés

#

(410)
à former des associations de cette nature pour-

raient consulter les statuts des compagnies déja
| organisées dans diverses contrées de l'Europe.

l’agriculture de la France (nous l’avons ex-
posé) est loin d’avoir atteint le degré de per-
fection auquel elle peut prétendre : entre les
causes qui en arrêtent les progrès, nous rap-
pellerons : x

L’excessive disproportion de la valeur des
terres ;

La surabondance ou l’emploi peu judicieux
et mal réparti des récoltes de céréales (1);

La trop courte durée des baux ;

Le mauvais état des constructions rurales et
des chemins vicinaux ;

(1) Depuis la première publication de ce mémoire, j'ai
eu communication de celui que M. le chevalier Le Noble,
ancien ordonnateur des guerres , a fait paraître , en 1822,
sous le titre d’'Examen général et détaillé des consomma-
tions de blé en France, avec indication des moyens pro-
pres à remédier à la surabondance et aux disettes. Nous
différons essentiellement dans la manière d’envisager la
question et de la résoudre. Je me refuse à croire à la né-
cessité des dépenses qu’entrainerait Pétablissement de
l'administration, et des immenses magasins qu’il réclame.
Après avoir Ju son ouvrage, je persiste dans mes asser-

tions,

(117)

L'insuffisance des grandes routes, particulie-
rement au centre et dans une partie du midi de
la France ;

La nécessité d'améliorer les races des bes-
tiaux de boucherie et d’en accroître la con-
sommation; celle de donner également plus de
soin à l’éléve des chevaux.

Pour remédier au mal, le Gouvernement doit
concourir à l'introduction des améliorations
que nous avons indiquées.

Son action particulière sera bienfaisante, s’il
protège sans acception d'opinions, ni de po-
sition sociale; si son administration est mesu-
rée, sage et paternelle; si, en maintenant la
centralisation indispensable pour conserver à
l'État son nerf, sa considération et sa prospé-
rité, 1l accorde aux départemens, non de vieilles
coutumes et d'anciens priviléges, mais des con-
seils généraux choisis directement par les as-
semblées électorales, et délibérant seulement
sur leurs intérêts locaux bien définis et rigou-
reusement déterminés par une loi; si cette loi
s'attache sur-iout à réprimer la tendance fu-
neste vers le fédéralisme, qui a son origine dans
l'espérance quenourrissent quelques ambitieux,
de parvenir, en s’arrogeant la direction pres-
que souveraine des départemens, à se rendre
à-la-fois redoutables aux administrés et plus

(‘rr87)
indépendans de la couronne. De là au gouver-
nement féodal il n'y aurait plus qu'un pas.
Comme le danger ne serait pas moins grand
pour le trône que pour les libertés publiques,
on doit espérer qu'il sera prévenu.

D'un autre côté, l'adoption des bonnes mé-
thodes de culture, et tous les avantages qui en
dérivent, ne pourront devenir efficaces (notre
conviction à cet égard est intime) que lorsque
de grandes associations agricoles étendront, en
tous lieux, leur active influence.

Il se pourrait que le bonheur de faire res-
sortir l'importance de ces résultats et adopter
les moyens de les atteindre füt réservé à une
plume plus éloquente et plus persuasive; mais
j'aurai encore à n'applaudir d’avoir hasardé de
publier mes observations, si elles contribuent
à conduire au but que je me suis proposé, l’ac-
croissement de la prospérité de ma patrie.

ERRATA.

Page 26, ligne 20, au lieu de : ce qui fait par chaque
mille carré d'Angleterre , ou, pour un hectare quarante-
huit ares et demi , cent soixante-quinze individus , terme
moyen ; lisez : ce qui fait un individu pour un hectare
48 z,-ou cent soixante-quinze par’ chaque mille carré
d'Angleterre.

Page 42, ligne 17 , son attention, /sez : leur attention.

OUVRAGES NOUVEAUX

Qi se trouvent chez Mme, Huzarp , libraire.

L'AULOU DUT UNUUUES ASE)

ANNALES agricoles de Roville, ou Mélanges d’agri-
culture, d'économie rurale et de législation agricole; par
C.-T.-A. Mathieu de Dombasle, directeur de l’établisse-
ment agricole exemplaire de Roville. Paris , 1824. In-8°.
Prix :0 fr. , et 7 fr. 5o cent. franc de port.

ÉDUCATION (de l’) des vers à soie , d’après la mé-
thode du comte Dandolo, parM. Matthieu Bonafous ,
deuxième édition. Paris, 1824, in-80., fig. Prix : 3fr. 5oc.,
et 4 fr. franc de port. .

MANUEL théoriqueet pratique du jardinier, contenant,
dans un nouvel ordre, la description , l’usage , Les pro-
priétés des légumes et des arbres à fruit de toute espèce,
etc., etc. ; ouvrage orné de planches, dédiéà M. Thourin,
professeur de culture au Muséum d'histoire naturelle de
Paris, par C. Baïlly, son élève. Paris, 1824 , 2 vol. in-18.
Prix : 5 fr., et 6 fr. 50 c. franc de port.

NOUVEAU TRAITE sur la laine et sur les moutons;
par MM. le vicomte Perrault de Jotemps , Fabry fils et
F. Girod(de l’Ain), toustrois copropriétaires du troupeau
de Naz. Paris , 1824 , 1 vol. in-8°. Prix : 4 fr. , et 5 fr.
franc de port.

OBSERVATIONS sur la nomenclature et le classe-
ment des roses , suivies du catalogue de celles cultivées;
par M. J.-P. Vibert , à Chenevières-sur-Marne. Paris,
1824. In-8°. Prix : 1 fr. 5o c. , et fr. 75 c. francde port.

RECHERCHES sur lesdifférentes races de bêtes à laine
de la Grande-Bretagne, et particulièrement sur la nou-
velle race du Leicestershire ; par M. le baron de Morte-
mart- Boisse. Paris, 1824 , in-8. , fig. Prix : 1 fr. 25 c.,
et 1 fr. 5o c. franc de port.

MANUEL théorique et pratique du vigneron francais,
ou PArt de cultiver la vigne, de faire les vins, les eaux-
de-vie et vinaigres; par M. Thiébaud de Berneaud, orné
de figures. Paris, 1824, in-18. Prix : 3 fr., et 3 fr. 6oc.
franc de port.

ANTOLOGIA, giornale di scienze, lettere e arti,
auno IV. Firenze , 1824. Ptix : 36 fr. , et 42 fr. franc de

port. (Les numéros de janvier, février et mars ont paru.)

L’'AMI de la nature, ou Choix d’observations sur
divers objets de la nature et de l’art , etc. ; par G. Tos-
can. Paris, an VIIL, in-8°. , fig. Prix : 3 fr., et 4fr. franc
de port.

(Dans cet ouvrage se trouve l’histoire du lion de la mé-
nagerie du Nu d'histoire naturelle et de son chien. }

MÉMOIRE sur le houblon , sa culture en France , son
analyse, etc.; par MM. Payen et Chevallier. Deuxième
éd ne Paris, 1823 ,in-8°. Pr: X:1 fr890 c.) etufr.
75 c. franc de port. e. Ve ju

ESSAI sur l’état actuel de l’agriculture dans le Jura ,
des améliorations qu ’elle a reçues depuis trente ans, et
celles dont elle paraît encore susceptible; par S. Guyé-
tan. Lons-le- Saulnier , 1822, in-8°., avec carte coloriée.
Prix 7iér:s"et6 fr. 50 c. franc dé port,

NOTICE sur les chèvres asiatiques à duyetdé câches
: mire, et sur un premier essai tenté pour augmenter leur
duvet et lui donner des qualités nouvelles, etc.; par
M. Polonceau. Versailles, 1824. Prix : 2 fr. 50 cent. ,
et 2 fr. 75 cent. franc de port.

SUR IA FABRICATION du muriate de chaux, con-
sidéré comme engrais ; par M..C. Pajot des Charmes,
Paris, 1824. In-8°. Prix: 1 fr. , et 1 fr. 15 cent. franc
de port.

PRINCIPES sur la culture de la vigne en cordons, sur
la conduite des treilles et la manière de faire le vin; par
un propriétaire. Chatillon-sur-Seine , 1822. In-6°. , fig.
Prix : 1 fr. 25 cent. , et 1 fr. 5o cent. franc de port.

COMPTABILITÉ (de la) dans une entreprise indus-
trielle , et spécialement dans une exploite ruräle ; par
D Ci de Crraur. Toulouse, 182.4, in-8°. Prix : Bo C.s
et 65 c. franc de port.

Sous presse, pour paraître fin de juillet 1824.

CALENDRIER du bon cultivateur, ou Manuel de
l’agriculteur praticien ; par CETIEA; Mathieu de Domn-
Paie. Deuxième édition, in-12.