*î^ï^#"'' av^s^ic^ THE LIBRARY The Ontario Institute for Studies in Education Toronto, Canada m 'tmM w mm.* ^ #^ ,>\L 'J m pilii lii i iif >IM« ■^ •^. ^^^-c *^^^.f — ^, c^,: /Y^-**-*^ DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE f, i' OLVIIAGES DU MÊME AUTEIK Premières ^•" .-- -.'n,.,., ; ; -.vmi..,.! i:: .-..iiin.n t:,,. 1 h .:.(( — — UL linM'jii:, il cdiiiuii,iii-l-' ■: i;. — — DE GÉOMÉiniK, 1' <''tiili()n,iii-rj I ii. ■.<' — — DE COSJIOGRAI'HIK, !2' éditi'Jii, in-1'2 ... Itr. r>0 Menus PROPOS "^ m ik^.ipv.i.; i édilion, in-12 "1 U-. — - édition, in-8 illustrée. . 5 l'r. Simples DiscoiRb slk la rt:i;i;i: et sur l'homme (couronné par l'Académie française), in-l!2 .3 fr. Ce livre est le développement d'une conférence faite pour la première fois, il y a quinze ans, au boulevard des Capucines, et depuis, dans les grandes vilTes de la Belgique et dans un grand nombre de villes en France. L i, KL b MIG.NO.N, i. FELIX HEMENT DE L'INSTINCT DE L'INTELLIGENCE PARIS LIBRAIRIE CH. DELAGRAVE 15, RUE SOUFFLOT, 15 18 80 TABLE DES MATIÈRES pages. Les apparences de l'instinct chez le minéral. — Attraction; af- finité 1 La cristallisation. — La physionomie des corps bruts 7 Les apparences de l'instinct chez le végétal. — Directions de la tige et de la racine. — Expériences de Duhamel. — Plantes parasites 13 Les voyages du pollen. — La renoncule aquatique. — La val- lisnérie. — Les mouvements des plantes. — La sensitive. ... 20 Les plantes sont-elles sensibles? — L'anesthésie des plantes, — Sensibilité générale. — Sensibilité spéciale. — Instinct gé- néral. — Instinct spécial (* 30 L'attrape-mouche. — Les plantes carnivores. — Les drosères et les népenthes. — Ressemblances entre les plantes et les animaux. — La zone frontière 37 Similitudes. — Instinct ou propriété. — Unité d'instinct. — Ma- nifestations diverses. — L'instinct chez les animaux. — Dis- tribution des instincts. — Ordre suivi dans cette étude 42 L'INSTINCT DE CONSTRUCTION. — Le castor. — L'association. — Construction sur pilotis. — L'instinct pris sur le fait par Frédéric Cuvier 50 Les oiseaux. — Le nid de l'hirondellb. — Le nid delà fauvette couturière, du loxia ^du baya. — Opinion de quelques savants 57 Les poissons, — Le nid de l'épinoche 63 L'araignée aquatique. — Une cloche à plongeur 05 L'INSTINCT MATERNEL. — L'instinct maternel cliez les animaux. — Chez l'homme. — Les enfants gâtés. — La poule et les jeunes canards 68 L'INSTINCT MIGRATEUR. — Les poissons. — Harengs et morues. Les voyages du saumon, 73 i\ TABLE DES MATifcUES. page». I.C» oiseaux. — l/hirondcllc joyeuse. — Ln grave cigogne. — La colombe voyageuse 7 G Les niammif«'res. — Les rats du nord 7U Les articulés. — Crabes. — Criquets SI I.NSTI.NCTS HKMARQUABLES DE QUELQUES ARTICULÉS. — Los arai- gnôcs ^" Les abeilles: Habileté. — Ordre. — Travail. — Organisa- tion sociale 91 Los f)»unnis : Les mineurs. — Peuples pasteurs. — l'eupU's conquérants 9S Le fourmi-lion : Son piège. — Patience et ruse .110 Les irhneumons : L'insecte de proie. — Auxiliaire de l'homme. — L'inoculation. — L'auscultation 120 Le perci'-bois : Prévoyance inconsciente 120 L'abeille maronne : Mère phylophago; larve cainivure. — L'injection sous-cutanée. — Les piqûres de morphine.... 123 Les parasites ; Le ténia. — L'œstre 125 Résumé : Caractères distinctifs de l'instinct 129 Les habitudes instinctives : Instinct inné, instinct acquis. — llypolhès»; de Darwin 131 Mouvements instinctifs : Eternuement. — Toux. — Vomis- sements. — Rire. — Clignement des yeux. — Accommo- dation de l'œil. — Chair de poule Ii4 Les aptitudes : Aptitudes. — Localisations céréhralcs. — Dis- positions organiques. — Défaut de pondération.. ,. . . . 149 L'Lntelligence. — Les oiseaux chasseurs et chanteurs. — Ex- périence de Franklin sur les fourmis et de Dujardin sur les abeilles 150 Les rats. — Loups et renards. — L'éléphant. — Le cheval. — Le chien. — Le singe 104 Résumé : Caractères distinctifs de l'instinct et de l'intelli- gence. — L'intelligence chez les animaux et chez l'homme. 195 Le langage : Bruits des insectes. — Chant des oiseaux. — Voix des mammifères. — Gestes et signes naturels. — Pa- role. — Conséquences 204 Résumé i25 KIN OE LA T.XBLE DKS MATIKRKS. AVANT-PROPOS Les animaux et l'homme accomplissent des actes divers que nous nous proposons d'étudier. Parmi ces actes, il en est qui exigent l'interven- tion de l'intelligence, et il en est d'autres qui ne supposent ni réflexion, ni jugement, ni vo- lonté, — les actes instinctifs, — et ce ne sont pas les moins curieux. Le même animal peut d'ail- leurs exécuter les uns et les autres. Certains actes d'abord intelligents deviennent, par suite de la répétition fréquente, des habitudes instinctives. Enfin, il y a des mouvements instinctifs et des aptitudes. Cette variété d^actes qui se ressemblent plus ou moins et qui se mêlent pendant la vie de l'animal, explique la confusion qui a longtemps régné dans ces études et l'obscurité qui enveloppe encore tl AVANT-PROPOS certains points. Les uns n'ont voulu voir dans les animaux que des machines, les autres leur ont attribué une intelligence supérieure à la nôtre. Comme on pouvait le prévoir, la vérité n'est dans aucune de ces opinions extrêmes. Des hommes de génie comme Descartes et BufTon, des observateurs sagaccs comme Leroy, des savants comme Réaumur, Reimarus, Flourens, des es- prits ingénieux comme Condillac, n'ont pas tou- jours su discerner ce qui dépend de l'instinct de ce qui se rapporte à l'intelligence. Avec Milne- Edwards, Blanchard, Darwin, Lubbock, Joly, etc., et les philosophes contemporains, nous parvenons à voir plus clairement et plus nettement les choses. Néanmoins la difficulté de donner les défi- nitions dès le début et de classer les divers actes avant de les avoir examinés, nous fait prendre le parti d'exposer d'abord les faits, de les analy- ser, afin de faire conclure les définitions de cette analyse même au fur et à mesure que les faits en fourniront les éléments. DE L'INSTINCT DE L'INTELLIGENCE Les apparences de rinstinct chez le minéral. — Attraction Affinité. Bien que nous n'ayons à nous occuper que des facultés mentales chez les animaux et chez l'homme, nous ne laisserons pas d'examiner dans la matière minérale et chez le végétal les phénomènes qui offrent une telle analogie avec l'instinct, que certains observateurs ont voulu y voir les rudiments de rinstinct proprement dit. Ne serait-ce d'ailleurs que pour apprécier la valeur de cette hypothèse, la raison nous paraîtrait suffisante pour commen- cer l'étude de l'instinct par celle des phénomènes qui s'en rapprochent. Tout le monde a été témoin des attractions ou des répulsions qui s'exercent entre des corps électrisés ou des aimants. Rien de plus curieux et de plus saisissant, lorsqu'on l'observe pour la première fois. t m LMNSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. que celle lendance de corps bruts à se rapprocli.i comme, sollicités par une sorte de mystérieuse sym- palliie, ou à s'éloigner comme poussés par quelque iiainc secrèle. On est tout surpris de voir des corps qui ne vivent ni ne sentent, se mouvoir dans certaines circonstances. Il y a, dit-on, un mouvement vibra- toire des molécules, — encore n'est-ce là qu'une ÂUraclioii ut icpulsiun des aiiiKinls. bypolbèse; — mais comment ce mouvement intime, secret, invisible des molécules, se transforme-t-il en un mouvement extérieur et visible? Lorsqu'on énonce ces faits en disant que les aimants s'attirent ou se repoussent, selon qu'on met en regard telles ou telles de leurs extrémités qu'on nomme pôles, personne n'a pensé que cet énoncé fût une explication. Il en est de même lorsqu'on dit que la matière attire la matière. On ne saurait voir là que l'expression et non l'explication d'un fait. Les corps célestes s'attirent ; ils se portent les uns ATTRACTION. — AFFINITÉ. 3 vers les inuir es fat ale^nent, involontairement , disons- nous. La lune tourne autour de la terre, et, dans son mouvement, elle est unie étroitement à notre planète; celle-ci, à son tour, circule avec toutes les autres planètes autour du soleil, et reste unie à cet astre non moins étroitement que la lune. Un lien in- visible, qu'on désigne sous le nom d'attraction, règle les mouvements de tous les corps célestes, limite leurs écarts et réalise l'image d'une liberté contenue par la loi. Tous ces astres qui subissent l'attraction de l'astre central et cèdent à leurs attractions réci- proques, tournent sur eux-mêmes, se balancent et tourbillonnent dans l'espace sans qu'aucune colli- sion se produise, malgré le nombre, la variété et la prodigieuse rapidité de leurs mouvements. Un si bel ordie, une harmonie si parfaite, tant d'astres divers emportés dans leur course rapide et néanmoins esclaves de la règle, nous semble le ré- sultat d'une direction qui est dans les astres ou hors d'eux. Les corps célestes ne sont pas des masses com- pactes de matière, mais bien des agglomérations de corps plus petits, et ceux-ci, à leur tour, sont formés de fragments plus petits encore. La plus faible par- celle de matière est un groupement de molécules unies entre elles comme le sont les corps célestes. Gomment ces molécules peuvent-elles rester unies sans se toucher. Où est le Hen qui les attache et l DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. empoche le corps de se réduire en poussière? C'est raltraclion, c'est le môme lien qui unit les mondes entre eux. Entre le groupement des molécules et celui des corps célestes, entre un fragment de ma- tière et l'univers, il n'y a qu'une diiïérence de gran- deur. Voulez-vous que cette vérité devienne évidente à vos yeux? Dans ce fragment, augmentez par la pensée la grandeur des molécules et des intervalles qui les séparent; rendez les uns et les autres cent, mille, un million de fois plus grands. Ce n'est pas assez encore. Le corps que nous tenions à la main a pris dans notre imagination des proportions énormes : les atomes sont devenus visibles, distincts les uns des autres. Continuez à agrandir par la pensée ce corps déjà considérable, et encore, et toujours, et voici que les molécules sont maintenant des mondes répan- dus dans l'espace. Chaque molécule est devenue une planète, des espaces immenses les séparent, le corps s'est transformé en un système planétaire. Si, par un effort d'imagination , vous réduisez la grandeur du soleil, de la terre et des planètes, si vous diminuez dans la même proportion les espaces qui les séparent, vous obtenez d'abord un ensemble de corps séparés par des intervalles sensibles. Dimi- nuez, diminuez toujours, et voici que les corps cé- lestes sont transformés en molécules invisibles, isolées les unes des autres. Le système tout entier est devenu le corps que nous tenions dans la main. ATTRACTION. — AFFINITÉ. 5 11 y a le même rapport entre la petitesse des dernières parties de la matière et les intervalles qui les séparent, qu'entre les planètes et les es- paces interplanétaires; le plus petit fragment de matièi'e est constitué comme l'univers qui les com- prend tous. Ces molécules sont animées de mouvements comme les corps célestes, non moins variés, non moins ra- pides, et d'où résultent les phénomènes qu'on nomme son, lumière, chaleur, électricité. Gomment, en face de ce spectacle tout à la fois imposant par sa grandeur et charmant par ses effets, que nous offre la matière nommée brute, comment ne pas se laisser aller à la pensée d'un pouvoir qui dirige tous ces mouvements, qui gouverne la matière, ou d'un instinct dominateur et inconscient? Cette propriété que possèdent les molécules de se précipiter les unes vers les autres, analogue à la dureté, l'élasticité, la ductilité, etc., est assurément un phénomène inconscient qui a toute l'apparence d'un penchant, d'une sympathie. Mais est-il possible d'ad- mettre un penchant sans l'intervenlion du désir ou de la volonté. Une tendance, soit, dans laquelle on ne saurait voir rien de libre ni de spontané, une tendance fatale qui domine son sujet, qui l'opprime, un instinct, en un mot, ou, si l'on préfère, une pro- priété. DK L'INSTINCT ET DE I/INTELLIGENCE. ¥ ¥ Mieux que la cohésion, raffinilé présente les ca- ractères d'une sympathie; en effet, les corps simples, en formant des corps composés, ne s'associent pas, ne se combinent pas au hasard; un choix involon- taire, si l'on ose parler ainsi, ou, si l'on préfère, une sympathie fatale détermine des unions, des combi- naisons plus ou moins étroites ou intimes. L'hydro- gène, par exemple, ne se combine pas avec un corps quelconque, et, dans les combinaisons qu'il forme avec divers corps, on constate des degrés dans l'affi- nité : tandis que la tendance pour la combinaison est très vive entre l'hydrogène et le chlore, elle l'est moins entre l'hydrogène et l'oxygène, et nulle à fort peu près entre l'hydrogène et le fer. — La nature des corps n'est pas la seule cause qui influe, mais aussi la quantité : l'hydrogène et le chlore ne se com- binent qu'autant qu'on met en présence un poids dé- terminé de chacun de ces corps. On ne saurait pro- duire à volonté un corps composé, formé de poids arbitraires* de chacun des éléments qui le consti- tuent. Enfin, si un corps — l'oxygène par exemple — forme avec un autre corps — le soufre — plu- sieurs combinaisons, les quantités de soufre qui entrent dans chaque combinaison, comparées à la même quantité d'oxygène, sont dans des rapports simples. C'est un poids double, ou triple, ou qua- CRISTALLISATION. 7 druple de soufre qui s'unit à un même poids d'oxy- gène pour former la seconde, la troisième, la qua- trième combinaison. Dans le monde minéral, tout se fait par poids et par mesure; tous les phénomènes sont d'ordre in- stinctif en ce sens qu'ils sont fatals, soumis à des lois invariables et s'accomplissent de la même manière, dans des conditions identiques. La simplicité apparente des minéraux, l'absence d'organes et de forme obligatoire nous trompent et nous portent à croire à la simplicité et à l'uniformité des phénomènes dont ils sont le siège. En y regar- dant de plus près, la diversité et la complication apparaissent plus qu'on ne l'aurait cru d'abord. L'attraction varie avec la masse des corps, avec la distance qui les sépare; la cohésion n'existe pas au même degré dans tous les corps ; l'affinité varie avec la nature des corps entre lesquels elle se manifeste, avec la quantité absolue ou relative de ces corps. il La cristallisation. — La physionomie des corps bruts. Si le minéral n'a pas de forme obligatoire; s'il peut, sans cesser d'exister, passer par les divers états solide, liquide ou gazeux ; s'il peut être amorphe ou 8 DE LMNSTINGT ET DE L'INTELLIGENCE. crislallise, il n'en esl pas moins vrai, qu'on ne doil 1<; considérer comme minéral parlait qifaulanl qu'il se présente sous la forme ré<;ulièrc et géométrique d'un cristal. Li cohésion nous a paru une sorte de manifestation inslinrtivc, et pourtant cotte simple agrégation de molécules qu'elle provoque est bien loin du groupe- ment régulier et invariable qui constitue le cristal ! Nous allons imaginer une expérience naïve, et cependant pleine d'intérêt, pour saisir sur le fait les molécules en train de s'associer. Prenez un morceau de sucre, mettez-le dans un verre d'eau, comme si vous alliez prendre un verre d'eau sucrée, et suivez les diverses phases de l'expérience. D'abord de nom- breuses bulles toutes mignonnes, semblables à des perles, sortent tumultueusement de l'intérieur du sucre d'où les chasse le liquide , restent un instant adhérentes au sucre, s'élancent d'un trait à la sur- face de l'eau, soulèvent la couche superlicielle extrê- mement mince, la crèvent et s'échappent. A peine sont-elles parties que le sucre se désa- grège; il s'écroule, pour ainsi dire, peu à peu; les parcelles se détachent et se perdent dans la masse du liquide. Bientôt tout le sucre a disparu; cepen- dant remarquez que la limpidité, la transparence, la mobilité du liquide ne sont modifiées en aucune ma- nière; rien ne saurait, au premier abord, faire soup- çonner dans le liquide la présence d'un corps solide. CRISTALLISATION. 9 A quel degré de ténuité doit être réduit le sucre pour défier ainsi la vue la plus perçante et se dissimu- ler dans d'invisibles pores? Il n'y a pas là une dissé- mination du solide dans le liquide, un mélange plus au moins intime, car la craie, le plâtre, réduits en poussière impalpable et mêlés au liquide, resteront en suspension pendant quelques instants, puis se dé- poseront presque en totalité. Il y a donc une aftinité plus ou moins grande du liquide pour le solide, car le même liquide dissout les différents corps en proportions variables, et il en est même qu'il ne dis- sout pas. La dissolution est donc un mélange dans des con- ditions particulières. Il semble que les corps, à un très grand état de division, acquièrent des pro- priétés qu'ils n'ont pas d'ordinaire et que leurs affini- tés réciproques s'en trouvent exaltées. C'est un com- mencement de combinaison, ce n'est pas encore la combinaison, car ce corps dissous peut être séparé du liquide simplement par l'évaporation de ce der- nier. Chauffez légèrement de l'eau sucrée, et non seulement vous retrouverez la totalité du sucre après que l'eau se sera dissipée en vapeur, mais vous l'ob- tiendrez sous forme de cristaux d'une régularité par- faite, si l'opération a été bien conduite. Entin un liquide ne dissout pas des quantités quel- conques d'un corps solide. On ne saurait faire dis- soudre dans un verre d'eau au delà d'une certaine quantité de sucre. Cette limite atteinte, tout fragment tO DE L'INSTINCT ET DE I/INTELLIGKNCK. de sucre ajoute se dépose au fond du verre. Toutefois si Tcau est cliaude, sa puissance dissolvante est plus îrrande, tout en restant limitée. Quand un liquide renferme ainsi tout ce qu'il peut dissoudre d'un corps, on dit qu'il en est saturé. On retrouve ici les conditions de nature, de nom- bre, de poids, de proportions auxquelles sont sou- mises les associations minérales. ¥ ¥ Chauffez maintenant la dissolution, légèrement et conlinùmcnt, de manière que l'eau s'évapore avec lenteur. Au bout d'un certain temps, l'eau aura dis- paru, mais le sucre restera et se déposera en masse informe au fond du vase. Dans cette masse informe dans l'ensemble, le microscope permettra de décou- vrir des cristaux infiniment petits. Si avant l'évaporation, vous avez soin de disposer dans l'eau un fil tendu verticalement, les molécules du sucre, disséminées dans l'eau, se dégagent de l'étreinte des molécules aqueuses, à mesure que celles- ci se dissipent dans l'atmosphère, et viennent se fixer sur le fil. Celui-ci est bientôt recouvert de poussière cristalline. Détachez cette poussière et ne laissez qu'un seul de ces cristaux microscopiques; le mieux venu, le plus régulier. Ce cristal unique devient, à partir de ce moment, un centre d'attraction. Il appelle à lui CRISTALLISATION. 11 toute la poussière cristalline répandue dans la masse liquide; chaque fragment infiniment petit se précipite sur le cristal, se juxtapose, se soude à lui et le grossit sans en altérer la forme. Les arêtes restent nettes, les faces unies, les angles invariables. Chaque corps a sa forme cristalline propre ; le sel cristallise en cube, l'alun en octaèdre, Feau en Cristnl de sel. Cristal d'eau. Cristal d'alun. prisme hexagonal. Cette forme est la physionomie du corps, car elle permet tout à la fois de le recon- naître et de prévoir sa composition. Le nombre des formes est naturellement considé- rable ; mais, outre qu'un certain nombre d'entre elles se ressemblent, qu'elles ne diffèrent que par la grandeur des angles et les dimensions relatives des arêtes, on peut, en les groupant avec intelligence, les ramener à six familles, ayant chacune un chef, un type de la forme duquel dérivent toutes les formes des cristaux de la même famille. Les cristaux peuvent former des groupements, 15 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. lanlôt réjîuliers comme les étoiles de la neige, si j^p„,|,p.Mo.^. XT DE CONSTUCCTION. — LES OISEAUX. hl est, dans ces actes, fatal, nécessaire, inné, parfait, invariable^ propre à V espèce, intransmissible à d'autres animaux. II Les oiseaux. — Le nid de riiirondellc. — Le nid de la fauvette couturière, du Loxia, du Baya. — Opinions de quelques savants. Les oiseaux apportent dans la construction de leurs nids les mômes soins, la même habileté, le même art que les castors dans la construction de leurs cabanes, avec la même imperfection apparente dans les outils employés. Quoi de moins propre, en effet, que le bec, les pattes et le corps de l'oiseau pour exécuter ces nids si variés et si merveilleusement appropriés à leur but. L'oiseau sait pourtant coudre, tisser, feutrer, maçonner avec des outils imparfaits. Chaque espèce procède d'une manière unique et construit de temps immémorial un type unique de nid. Toute la gent ailée vit dans le même milieu , l'air est son domaine, — les rapports entre oiseaux sont donc fréquents et leurs regards perçants leur permettent de voir tout ce qui se passe autour d'eux et au loin; enfin, ils construisent leurs nids à la même époque, avec les mêmes éléments à fort peu près, à l'aide des mêmes outils : le corps, le bec et les griffes, et cepen- dant les nids sont variés, caractéristiques, reconnais- 58 DE L'INSTINCT ET DK L'INTELLI(;ENCE. sables. On no saurait confondre relui de IMiirondelle avec celui du bouvreuil et ces deux-là avec celui da la mésange et de tant d'autres oiseaux. Ainsi, malgré. la vie commune, des rapports constants, une manière de vivre semblable, les mêmes organcis, ils ne se co- piont pas et ne s'cmprunlont rion de leurs procédés. Nous retrouvons encore ici l'instinct immuahley __ fatal^ parfait, 'propre ~~^ T: à une espèce ai qui ne -_____^ peut chanfjer (Tadapia- M lion. Examinons mainte- nant quelques-uns des^ nids les plus curieux : Chaque année , au, retour des hirondelles, nous sommes témoins des travaux auxquels se livrent ces sympathi- ques oiseaux pour con- struire leur nid ou ré-? parer celui qu'ils ont occupé la saison précé- dente. C'est par becquées que l'oiseau apporte 1^ terre destinée à la construction ; il l'imbibe de sa salive gluante, qui donne de la consistance et fait adhérer chaque becquée à la précédente. La pre^ DE L'INSTINGT DE CONSTRUCTION. — LES OISEAUX. 59 mière est appliquée contre le mur, sous la corniche qui doit servir de plafond. Chaque becquée nouvelle s'ajoute aux autres et augmente retendue de la paroi courbe de chaque côté, jusqu'à ce qu'il en résulte un globe plus ou moins régulier. Dans la paroi extérieure, un trou, une lucarne est ménagée pour pénétrer dans le nid ou en sortir. L'hirondelle profite du voisinage des moulures et place quelquefois son nid dans une encoignure. Elle semble ainsi en modifier la forme, tandis qu'elle ne fait que profiter du cadre qui lui est offert. Enfin, pour donner plus de soUdité à sa construction, elle entremêle des brins de paille, des filaments de di- verse nature. Une sorte de fauvette d'Afrique, Vortholome cou- turier, doit son surnom à sa remarquable habileté à coudre ensemble deux feuilles pour faire son nid. Cet oiseau détache une feuille de l'arbre, la rapproche d'une autre fixée à l'arbre, bords à bords; perçant ensuite les feuilles, il glisse dans les trous des liens qu'il file lui-même, soit avec du coton, soit avec toute autre bourre végétale. Entre les deux ou trois feuilles ainsi cousues se trouve le petit espace dont il fait son nid, après avoir introduit un peu de bourre à l'intérieur. Grâce à ce nid de feuilles, qui se dis- tingue difficilement dans le feuillage, il échappe avec sa famille à bien des ravisseurs. Un grand nombre de petits oiseaux du même pays, w d:-: i;instinct et de i/intëllicence. le loxiUy le bai/ay etc., suspendent leurs nids àl'ex- Irémilê de rameaux flexibles cl n'y arrivent qu'en vo- lant. Ils échappent par cet artilice à leurs ennemis, serpents, écureuils, singes, etc., qui n'oseraient s'a- venturer sur le fragile et souple rameau suspenseur. Pour suspendre son nid l'oiseau rassemble une certaine quantité de brins d'herbe, dont il fait une sorte de ficelle ou de natte qu'il fixe par une des extrémités au rameau choisi. Aux brins libres qui pendent à l'autre extrémité d'autres brins sont rat- tachés, puis d'autres encore, avec lesquels il fa- brique un tissu, une sorte d'étoile dont est fait le nid. Le nid varie avec l'oiseau; tel oiseau, tel nid : tantôt en forme d'œuf, tantôt semblable à une poire ou à une bouteille, il est suspendu et se balance comme un fruit à long pédoncule. ¥ ¥ Il nous paraît superflu de multiplier les excmj)les, ce qui précède sulfit pour confirmer ce fait que cha- que espèce a son nid propre, caractéristique, recon- naissable, construit sur un type unique, et souvent malgré l'identité des matériaux, des moyens et du but. En un mot, les caractères de l'instinct dominent dans la nidification. On a au contraire une assez grande difficulté à saisir ce qu'on appelle les varia- tions qui pourraient tenir à la différence des climats, lesquelles résultent de certaines circonstances lo- cales ou de certaines précautions accidentelles. L'INSTINCT DE CONSTRUCTION. — LES OISEAUX. Gl On s'clonne, par exemple, de voir le loriot em- ployer dans la construction de son nid des objets em- pruntés à l'industrie humaine. La plupart des oiseaux qui vivent dans le voisinage de nos demeures ne nous dérobent-ils pas des fds de nature diverse ? M.Pouchet se demande comment devait faire le loriot avant que l'industrie lui eût fourni les matériaux qu'il em- ploie; mais il nous semble que, pas plus que les au- tres oiseaux, le loriot ne songe à prendre un fd de laine, de soie ou de coton ; ce qu'il cherche, c'est un fd, ou plutôt un corps long et étroit, de la forme du fil, assez souple, assez résistant pour l'usage au- quel il le destine. C'est la forme du lien qu'il recherche ainsi que certaines qualités générales qui se trouvent dans un grand nombre de liens, et non un lien d'une certaine nature. Il le prend où et comme il le trouve. L'oiseau a vécu à une époque où les fils industriels n'existaient pas, mais il a toujours eu à son service des fds naturels. Faut-il voir là une variation, une modification apportée dans la construction du nid? Ce que nous disons du fil on peut le dire de tout ce que l'industrie a introduit dans le monde, et que les animaux nous empruntent. Nous ne sau- rions voir dans l'acquisition de nouveaux maté- riaux une modification plus sérieuse que l'intro- duction dans les nids d'une môme espèce, habitant des pays différents, d'éléments végétaux propres à chaque pays. L'oiseau cherche un corps d'une cer- tô DK L'INSTINCT ET DE LINTEL LICENCE. laine forme, remplissant certaines conditions : il le trouve en Europe comme en Amérique, eu Afrique comme en Asie ; mais naturellement il ne l'emprunte pas toujours aux mêmes plantes. Quel est donc le molil'qui a porté la fauvette cou- turière à coudre des feuilles pour se faire un nid? — Qu'elle échappe ainsi à ceitains ennemis, c'est pos- sible ; on ne saurait conclure cependant qu'elle l'a faîl dessein. N'y a-t-il donc pas d'autres moyens pour at- teindre le même but? Pourquoi cette seule fauvette possède-t-elle cette merveilleuse habileté? Pourquoi ces oiseaux auraient-ils plus de prévoyance que leurs ennemis n'auraient de ruses? Nous ne voyons dans le prétendu talent de l'oiseau que des manifestations instinctives; nous n'y voyons que l'instinct avec son caractère fatal, dominateur, parfait, etc. Nous ne pouvons partager l'opinion de M. Milne Edwards, qui veut y voir l'instinct dans les traits généraux et l'intelligence dans le détail. En- core moins, avec M. Wallace, y verrrions-nous des manifestations dues uniquement à l'intelligence. Ce naturaliste pense que les choses se passent chez les oiseaux comme chez nous : qu'il y a un enseignement, une tradition, que l'oiseau apprend à construire. Or, toutes les observations faites jusqu'à présent sur les oiseaux comme sur les autres animaux portent à conclure le contraire. Les serins qui couvent en L'INSTINCT DK CONSTRUCTION. - L'ÉPINOCUE. OS cage font un simulacre de nid bien qu'on leur four- nisse un nid tout fait. Le castor et, nous le verrons plus tard, les insectes, séparés de leurs parents avant qu'ils aient pu en recevoir aucun conseil, se con- duisent comme tous leurs semblables dans les diverses circonstances de la vie. L;n enfant isolé de ses parents construirait-il une maison comme un castor sa butte? Non; au contraire, il redeviendrait sauvage et semblable à nos premiers ancêtres, ainsi qu'on a pu l'observer dans quelques rares occasions. Répétons encore une fois notre question : pour- quoi chaque espèce d'oiseau construit-elle un nid caractéristique etn'imite-t-ellepasles nids des autres oiseaux, lorsque tous ces oiseaux se trouvent dans le même milieu, qu'ils emploient des matériaux identiques et qu'ils se servent des mêmes instru- ments de travail. III Les poissons. — Le nid de l'cpinoclic. S'il est un animal qui semble peu pourvu des or- ganes nécessaires pour la construction d'un nid, c'est assurément le poisson. Eh bien, malgré cette impuis- sance relative, l'épinoche et l'épinochette se montrent d'une habileté et d'une adresse remarquables. Ces deux petits poissons habitent les eaux douces; r,l hE I/INSTINCT ET DE I/INTELLIGENCE. on les iciiconlrft en grand noml)r<' dans les fossés aux oaux vives. Les «'j)incs dont leur corps esl armé leur ont valu le nom qu'ils portent. Ils sont souvent parés de brillantes couleurs. Légers, remuants, vils. L'épinoche. agiles, ils s'élancent plutôt qu'ils ne nagent et s'avan- cent par des bonds saccadés et rapides. Leur queue est constamment animée d'un mouvement vibratoire qui rappelle celui d'un éventail qu'on agite. L'JNSTINCT DE CONSTRUCTION. — L'ARAIGNÉE AQUATIQUE. 65 M. Blanchard a fait un tableau fidèle et animé du travail auquel se livre répinoche pour construire son ind. x\près avoir choisi l'endroit où il veut l'établir, le mâle pénètre dans la vase, la tête la première, et s'enfonce de plus en plus jusqu'au point de dispa- raître. Il tourne alors rapidement sur lui-même et pratique un trou cylindrique, puis il se met en quête de filaments végétaux qu'il saisit avec la bouche et qu'il porte à son trou. Là, il les dépose, pèse dessus avec son corps, les enchevêtre, les tasse, de manière à former un tissu feutré. Il continue ainsi jusqu'à ce qu'il ait formé une sorte de manchon; il achève alors son ouvrage en lissant les parois et en les lubréfiant à l'aide d'un liquide épais et visqueux qui suinte de ses flancs. Le nid est prêt, l'incubation va suivre. Nous ne le suivrons pas dans ce nouveau travail d'ailleurs fort intéressant. Ce n'est pas notre objet. On n'apoint encore trouvé, que nous sachions, une épinoche qui procède autrement que les autres, et parmi tant de poissons témoins des travaux de l'épi- noche, quel est celui qui l'a imitée? IV L'araignée aquatique. — Une cloche à plongeur. Terminons par l'exemple qui n'est pas le moins intéressant, la construction du nid de l'araignée aquatique. 5 66 DE LiNSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. Cette araignée est petite, de couleur brune, légè- rement velue; elle vit dans l'eau ou à la surface de l'eau, sur les feuilles des plantes aquatiques. Gomme elle est organisée pour respirer Tair en nature, il lui en faut toujours une petite provision dans l'eau où elle fait de fréquentes stations. Comment va-t-elle s'y L'araig[iiée aquatique. prendre? Observons-la : la voici qui nage sur le dos comme un nageur qui fait la planche; pendant ce temps elle rassemble entre ses menus poils de mi- croscopiques perles d'air qui lui donnent un aspect brillant et argenté; ceci fait elle plonge, rassemble cette enveloppe aérienne et en fait une bulle unique L'INSTINCT DE CONSTRUCTION. — L'ARAIGNÉE AQUATIQUE. 67 qu'elle fixe à un brin d'herbe. Elle remonte ensuite à la surface, recommence son manège, et grossit la bulle à chaque nouveau plongeon. Lorsque celle-ci est suffisamment grosse, elle s'en sert comme d'un moule sur lequel ellejette des fils enchevêtrés, tissés, et formant une cloche d'une soie fine et douce à reflets chatoyants, semblable par sa forme et ses di- mensions à un petit dé à coudre. Des fils auxiliaires tendus de la cloche aux brins d'herbe maintiennent le fragile édifice suspendu dans l'eau. L'animal s'établit alors dans cette demeure, où il attend, au passage, les petits insectes aquatiques dont il fait sa proie. Si la cloche vientà se vider par accident, l'araignée recommence son travail; fair est-il vicié, elle vide la cloche par un mouvement de bascule et la remplit à nouveau. Le père de Lignac vit ces choses en 1744, et depuis cette époque bien d'autres observateurs, et en dernier lieu M. Blanchard, ont pu les voir à leur tour. Les argyronètes n'ont rien changé à leur ma- nière de vivre et de procéder dans la construction de leur nid. Toujours la même habileté, la même pré- cision, la même perfection, la même fatalité : c'est bien encore de l'instinct. L'INSTINCT MATERNEL L'instinct inalorncl cncz le.> animaux. — Chez l'homme. — Les enfants gâtés. — La poule et les jeunes canards. L'instinct maternel est peut-être le plus général, le plus absolu des instincts, comme il est un des plus nécessaires. Il y a toutefois des lacunes : certains animaux, les poissons par exemple, en sont à peu près dépourvus; par contre, d'autres animaux, les oiseaux, nous le montrent dans sa plus complète ex- pression. Ni la taille, ni le rang occupé dans la hiérarchie animale ne sont en rapport avec le degré de développement de cet instinct : chétifs insectes, énormes mammifères, tous rivalisent de tendresse et d'attachement pour leurs petits. Les oiseaux surtout ont le privilège de captiver notre attention et d'exciter notre sympathie par les sacrifices qu'ils s'imposent, le dévouement dont ils font preuve, et par les gracieux spectacles et les scènes touchantes dont leurs nids sont le théâtre. L'être mobile par excellence se con- damne à une douloui^euse immobilité afin de protéger ses œufs d'abord, ses petits ensuite contre les intem- péries. Il ne redoute ni les privations ni les dangers, L'INSTINCT MATERNEL. 69 et on n'admire pas moins sa résignation que son courage. Si quelque ennemi veut lui ravir ses oisil- lons, il n'hésite pas à combattre et, s'il est impuissant dans la lutte, il nous émeut profondément par ses cris d'angoisse et de désespoir. De môme la chatte à laquelle on a dérobé ses petits fait retentir l'air de ses cris déchirants; elle les cherche de tous côtés, elle les appelle, et elle excite notre pitié par sa dou- leur si vive et si vraie. On n'essaierait pas impuné- ment d'arracher ses lionceaux à la mère lionne; elle devient terrible lorsqu'on les lui prend par surprise ; on n'affronterait pas sans danger sa fureur légitime. Les singes, d'une laideur hideuse, d'un aspect repous- sant, que leurs grimaces rendent comiques, de- viennent touchants lorsqu'ils caressent leurs petits et montrent tous les signes d'une tendresse ma- ternelle vraiment humaine. Cette uniformité, celte invariabilité, cet excès même dans l'affection est précisément le signe carac- téristique de l'instinct. L'animal aime sa progéniture absolument, parfaitement, invariablement. Il n'est pas moins soumis au despotisme de l'amour paternel qu'aux autres formes de l'instinct; il aime comme il fait son nid ou sa cabane, fatalement. N'en voyons- nous pas une preuve entre autres dans l'indifférence qui succède à tant de témoignages de tendresse et de dévouement. Le respect, la reconnaissance, l'amour filial sont inconnus chez les animaux. Dès que les 70 DK L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. petits sont en âge de se nourrir seuls, de vivre sans l'aide de leurs parents, tout lien est rompu entre les parents et les enfants. La famille n'existe pas, mais seulement une association temporaire qui ne duro que le temps indispensable pour assurer la perpétuité de l'espèce. La veille encore unis étroitement, ils deviennent tout d'un coup étrangers les uns aux autres, quelquefois ennemis. L'homme seul honore son père et sa mère ; chez lui les liens se transforment sans s'affaiblir. Si les choses ne se passent pas ainsi, si nous voyons l'autorité paternelle méconnue, l'amour filial éteint, nous pensons avec raison qu'il y a là une anomalie, une dérogation à la loi naturelle- L'homme seul peut être un fils ingrat ou dévoué, seul il peut être un père bon et juste ou dénaturé, parce que seul il est libre et responsable, et qu'il y a pour lui seul mérite ou démérite selon le cas. Il n'est pas moins vrai que quelquefoischez l'homme, plus souvent chez la femme, l'instinct se montre si puissant qu'il étouffe la raison. L'être libre cesse de l'être dès que l'instinct se montre. Cet exemple meten évidence la coexistence possible, chez le même être, de l'instinct etdel'intclligenceetmontrequ'àunmo- ment donné l'un peut dominer l'autre. Ne sommes- nous pas constamment témoins des excès de la ten- dresse paternelle ou maternelle qui nous valent ces enfants mal élevés auxquels on applique, comme aux fruits qui leur ressemblent, les épithètes de gâté et L'INSTINCT MATERNEL. 71 de pourri. Des parents intelligents, raisonnables, sensés dans le cours ordinaire de la vie, perdent tous ces avantages dès qu'il s'agit de leurs enfants. Leur ugement s'obscurcit, leur intelligence se voile, la raison les abandonne ; ils sont sans volonté, dominés par l'instinct, et ne savent plus se soustraire à des actes qui feront leur propre malheur et le malheur de ceux qu'ils aiment ou qu'ils croient aimer. On voit clairement par cet exemple que si, chez Fhomme, on rencontre l'instinct et l'intelligence, c'est néanmoins la raison qui doit toujours l'empor- ter, car, tandis que l'instinct est si sûr et si favorable à l'animal, dont il est le seul guide, il est au contraire fatal à l'homme, que la raison doit toujours guider. Nous ne saurions passer sous silence, à propos de l'instinct maternel, l'anecdote si connue de la poule à qui l'on donne à couver des œufs de cane. On sait qu'elle n'établit pas de différence entre ces œufs étrangers et les siens, qu'elle les couve les uns et les autres avec les mêmes soins, la même sollicitude, la même abnégation. Le jour de l'éclosion arrive et la poule continue à remplir son rôle maternel. Poussins et canetons courent autour d'elle, poussant de petits cris joyeux. Tout à coup, les canetons aperçoivent une mare, et, dominés par leur instinct, ils se jettent à l'eau. Vainement la mère adoptive pousse des cris I 7S DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. de terreur, vainemenl elle s'écrie dans son lanp^age : < Imprudents, vous allez vous noyer! » Elle appelle inutilement ces enfants qu'en son sein elle n'a point portés. Ceux-ci, qui n'ont jamais vu de canards à la nage, auxquels on n'a jamais appris à nager, courent î\ l'eau inslinelivemont, s'y jettent sans effroi et s'y maintiennent avec assurance. N'est-ce pas encore là un instinct? L'INSTINCT MIGRATEUR De tout temps on a observé les migrations des oiseaux : nous saluons chaque année avec plaisir le retour des hirondelles dans nos parages; les chas- seurs connaissent Fépoque du passage des canards sauvages; nous avons vu quelquefois les grues en bataillons serrés traverser notre ciel; mais si les migrations des oiseaux ont plus particulièrement attiré notre attention, un grand nombre d'animaux appartenant aux autres classes de vertébrés ou aux articulés émigrent également. La migration paraît être une des formes les plus générales de l'instinct; il importe de s'assurer si elle en possède les carac- tères. Les poissons. — Harengs et morues. — Les voyages du saumon. Les pêcheurs n'ignorent pas les migrations des harengs et des morues, qui leur assurent des profits si faciles à réaliser. Ils ont intérêt à connaître les 74 D£ L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. liabiludes ou les instin cts de ces poissons ; c'est cepen- dant aux naturalistes qu'il faut nous adresser si nous voulons des renseignements précis. Les recherches les plus récentes portent à penser que ces poissons n'ont pas parcouru de grandes distances lorsqu'on les voit apparaître en masses innombrables. Ils habite- raient les mers du nord dans dos régions voisines de celles où ils se rassemblent. Au printemps principale- Lc liareng. ment, à l'époque du frai, on les rencontre dans la Baltique, la mer du Nord et la Manche, en bandes incalculables formant une couche épaisse qui couvre une surface de plus de deux mille hectares. Pendant la nuit, par un beau clair de lune, leurs écailles brillantes reflètent la lumière argentée des rayons lunaires et la mer apparaît phosphorescente : c'est Véclair du hareng. Les harengs déposent leurs œufs en frottant leur ventre sur le sable, puis ils disparais- sent dans la haute mer après avoir laissé bon nombre des leurs dans les filets. Les morues abondent dans les mers du nord, sur la L'INSTINCT MIGRATEUR. — POISSONS. 75 côte orientale de l'Amérique. A certaines époques elles se réunissent, comme les harengs, en nombre immense partout où l'eau est peu profonde, et en par- ticulier sur les grands bancs de Terre-Neuve. Elles ne déposent pas leurs œufs sur le sable sous-marin, comme font les harengs; elles les pondent en pleine eau, où ces œufs restent en suspension. Voilà sans La morue. doute pourquoi ces poissons recherchent au moment de la ponte les eaux peu profondes, et pourquoi mâles et femelles ne se séparent pas à ce moment, ainsi que font les autres espèces. (Sars.) A l'époque de la ponte, les saumons quittent la mer et pénètrent dans les cours d'eau, qu'ils re- montent jusque dans le voisinage de la source. Les rapides, les chutes ne sont pas pour eux des ob- stacles invincibles et ils en triomphent par des moyens bien imprévus. Les saumons entrent dans les fleuves 76 DE LINSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. en troupes nombreuses, s'avancent avec ordre, se groupant en ti iangle à la manière des oiseaux voya- geurs, la pointe en avant occupée par les plus gros, qui ouvrent la marche, et nageant avec une très p^rande rapidité. Si des rochers ou un barrajçe se trouvent sur la route du saumon, il plie son corps en arc de cercle, puis, se débandant vivement, il frappe Teau avec force et rebondit comme une balle élas- tique jusqu'à une hauteur de trois, quatre et cinq mètres. Il retombe en amont, passant ainsi par-dessus robslacle. Les saumons remontent bien haut dans les fleuves, cherchant dans les ruisseaux aux eaux vives un abri pour leurs œufs, une retraite paisible, un lieu calme et sûr pour les petits qui naîtront. Dans le sable du ruisseau ils creusent des trous ou des sillons et y déposent leurs œufs, puis retournent à la mer, épuisés par les fatigues du voyage. Ils reviennent chaque année, comme les hirondelles, aux lieux où ils ont déjà frayé. Telle est l'explication rationnelle qu'on a donnée de ces curieux voyages accomplis périodiquement dans les mêmes conditions. II Les oiseaux. — L'hirondelle joyeuse. — La grave cigogne. — La colombe voyageuse. Un grand nombre d'oiseaux semblent fuir les fri- mas et chercher un ciel clément, les hirondelles. L'INSTINCT MIGRATEUR. — OISEAUX. 77 par exemple, que nous voyons arriver au printemps dans nos régions et qui nous quittent à l'automne; elles retournent au Sénégal, sur la côte occidentale de l'Afrique, après avoir traversé la Méditerranée et une partie de l'Afrique. Un vol rapide et soutenu leur permet de franchir d'aussi grandes distances. Néan- moins, malgré une dépense de forces considéraule et une organisation merveilleusement propre au vol, il en est qui succombent. Parfois, épuisées de fatigue, elles s'abattent sur les navires (Pouchet) ou sur les îles qu'elles rencontrent pour se reposer, et repren- nent leur vol dès qu'elles ont recouvré leurs forces. Les cigognes accomplissent également de longs et pénibles voyages : au printemps elles arrivent dans le nord et le nord-est de l'Europe, dans la Lorraine et l'Alsace. On les voit aussitôt établir leurs nids sur toutes les parties élevées de nos demeures ou de nos édifices: elles reviennent volontiers, comme les hiron- delles, aux nids qu'elles ont déjà occupés et qu'un res- pect superstitieux des habitants leur conserve. Cet oiseau «au long bec emmanché d'un long cou», ainsi que sont les échassiers, se promène gravement et lentement au milieu des terres labourées et hu- mides, où il trouve sa nourriture habituelle d'in- sectes, de reptiles, de vers, etc. De temps à autre, la 78 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. cigogne se repose, et, grike ù un mode spécial d* ar- ticulation des os de la jambe, elle peut se tenir debout sur une seule patte; même elle dort dans cette singu- lière position. Les services qu'elle rend, la douceur de ses mœurs, sa tendresse maternelle, et sans doute aussi la mauvaise qualité de sa chair, ont contribué î\ lui assurer la protection dont elle jouit chez tous les peuples. Aux approches de l'hiver, après s'être rassemblées en troupes nombreuses, les cigognes nous quittent et regagnent l'Orient, d'où elles étaient venues. Grâce à la rapidité de leur vol leur voyage s'accomplit dans un temps relativement court. On a pu observer chez quelques cigognes vivant en domesticité ce qu'on sait du castor privé : elles sont inquiètes au moment des migrations, et tour- mentées sans doute par leur instinct, auquel elles ne peuvent plus obéir; n'ayant plus la force nécessaire, elles n'osent sans doute se fier à leurs ailes devenues impuissantes à la suite d'une longue domesticité. Des naturalistes voyageurs (Wilson, Audubon) ont décrit les passages de la colombe voyageuse à travers le continent américain, au nord des États-Unis. C'est un spectacle fort curieux que cette nuée d'oiseaux qui s'étend sur plusieurs lieues de longueur et sur un kilomètre de largeur environ. L'air en est rempli, le L'INSTINCT MIGRATEUR. — MAMMIFÈRES. 79 soleil éclipsé, et l'ombre projetée par la nuée vivante répand une douce obscurité. Ce demi-jour règne tant que dure le passage, parfois plusieurs jours. Pendant ce temps, la fiente blanchâtre de ces pigeons tombe en si grande abondance qu'on croirait à une chute de neige. Au terme de leur voyage les pigeons s'abattent sur une forêt; ils en peuplent tous les arbres; bran- ches et rameaux en sont couverts et cèdent sous le poids du grand nombre. Les arbres sont bientôt dé- pouillés, le sol est jonché de leurs débris. Les habitants des villes voisines se livrent alors à une chasse sans attrait qui n'est (fu'une tuerie cruelle : fusils, bâtons, pierres, tout engin est bon pour mettre à mort la malheureuse volatile rompue de fa- tigue et qui n'a plus la force de fuir. m Les mammifères. — Les rats du nord. Nous pourrions multiplier les exemples de migra- tions; bornons-nous à citer, parmi les rongeurs, les campagnols ou rats des champs, et les lommings ou rats de Laponie. Les premiers, déjà intéressants pour leur instinct constructeur, habitent le Kamt- chatka, ils se réunissent quelquefois au printemps en masses innombrables, couvrant une vaste étendue de terrain, et se dirigent vers l'ouest; les lemmings, 80 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. non moins nombreux, descendent de la Laponie et gagnent la Norvège, la Suède et même l'Allemagne, à r.'ipproche des hivers rigoureux. Les uns et les autres suivent dans leur marche une ligne droite in- llcxible, gravissant ou tournant les collines selon Le campagnol lemmings. qu'elles soiit moins ou plus élevées, traversant les terres cultivées qu'ils ravagent : rien n'arrête leur marche, ni les habitations, ni les cours d'eau, ni même les détroits. Les uns et les autres reviennent dans leur pays, les premiers au commencement, les autres, à la fm de l'hiver, non sans avoir laissé dans L'INSTINCT MIGRATEUR. — ARTICULÉS, 81 le trajet un grand nombre des leurs morts de froid, de faim ou dévorés par les renards et les martres. [V Les articulés. — Crabes. — Criquets. Certains crabes, nommés crabes de terre ou gécar- cins, seraient soumis à des migrations analogues, et descendraient des montagnes où ils résident habi- tuellement vers les rivages de la mer, où ils vien- draient pondre leurs œufs, marchant toujours en ligne droite, en allant comme en revenant, et offrant Taspect d'une troupe réguUère et disciplinée. Y Qui n'a entendu parler des nuées de criquets, im- Criquet commun. proprement nommés sauterelles, qui s'abattent dans certaines régions, particulièrement en Afrique. Ils 82 4)E L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. tombent, plutôt qu'ils ne volent, comme une pluie chassée par le vent. Est-ce une véritable émip^ration? Il est permis (Fcn douter et de croire à Teffet d'une trombe plutôt qu'à la marche régulière d'animaux obéissants à un instinct. Faut-il voir dans ces migrations des actes réfléchis et volontaires, c'est-à-dire des manifestations de l'in- telligence? Au premier abord on est tenté de ré- pondre affirmativement; mais l'instinct se révèle lorsqu'on observe que les oiseaux, et en général les migrateurs, voyagent à des époques fixes, et conti- nuent à séjourner dans une contrée lors même que Tâpreté du climat eût dû les en chasser, ou émigrent prématurément lorsqu'une prolongation accidentelle de beaux jours devrait les convier à prolonger leur séjour et à retarder leur départ. Si les hirondelles retardaient ou avançaient leur départ selon que la belle saison se prolonge plus ou moins, si elles accomplissaient leur voyage à petites journées, si elles le fractionnaient de ma- nière à s'avancer progressivement vers le but, si elles s'avançaient sur la terre ferme et ne traversaient pas d'un coup d'aile tout l'Atlantique, si, d'un autre côté, elles avançaient ou retardaient, selon le cas, leur retour dans notre pays, on pourrait croire de L'INSTINCT MIGRATEUR. 83 leur part à une prévision subtile des phénomènes météorologiques. Une telle faculté serait la marque d'une vive intelligence ou d'une propriété analogue à celle du flair du chien; elle leur permettrait de prévoir longtemps d'avance des phénomènes que nous ne pouvons pas prédire, malgré tous les calculs et toutes les ressources de la science! Mais le départ des hirondelles est réglé d'avance et en dehors, nous ne dirons pas de toute prévision, mais de leurs prévisions. Il n'est pas le résultat d'une déli- bération motivée et l'effet de la volonté. En quittant nos régions, elles vont d'un trait vers les pays où eUes doivent passer le reste de l'année. Elles traversent les mers, suivent en toute sécurité des routes inconnues et courent inutilement des dangers sérieux. Elles s'arrêtent lorsqu'elles succombent à la fatigue; mais c'est pour se remettre bientôt en marche, moins sou- cieuses de prendre un repos indispensable que d'at- teindre un but qu'elles ne visent pas. Vainement on cherche la volonté qui détermine cette marche fatale, tout dans jes migrations est marqué au sceau de l'instinct; on en reconnaît la fatalité, la nécessité, l'invariabilité, la sûreté. Accorder le don de la prévision du temps à l'hi- rondelle ne nous paraîtrait pas moins extraordinaire que d'attribuer aux animaux à fourrure le pouvoir d'accroître l'épaisseur de leur fourrure en prévision d'une saison rigoureuse, comme cela arrive, ou d'at- tribuer au ver 6/anc (larve de hanneton), la pre- S4 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. science du temps, parce qu'il s'enfonce d'autant plus profondément dans le sol que le froid doit être plus vif. • • Si les singes se déplacent, c'est après avoir dévasté la région où ils s'étaient un instant établis; ils ne quittent une localité que pour aller à la recherche d'une autre où ils trouveront une nourriture sufii- sante, et ils y séjourneront jusqu'à ce qu'ils en aient épuisé les ressources. Ils imitent ainsi les peuples pasteurs, avec celte différence que ce ne sont pas leurs troupeaux, mais eux-mêmes qui se déplacent pour trouver leur pâture. Cette manière d'agir est con- forme à une raison inférieure, celle du sauvage, et il n'y a rien d'exagéré à supposer qu'ils jugent et déli- bèrent pour se déterminer à agir ainsi. •k -k Non seulement on ignore la cause des migrations, mais on ne saurait expliquer même le mode d'après lequel elles s'accomplissent. — Pourquoi jes lemmings s'avancent-ils en ligne droite? — Pourquoi les grues et les cigognes volent-elles en formant un triangle? On en a donné une raison qui est inadmissible. On dit que chaque grue placée en tête fend à son tour l'air pour toute la troupe, et après avoir rempli son office pendant un certain temps, elle L'INSTINCT MIGRATEUR. 85 passe à l'arrière. On raisonne comme si toutes les grues ne formaient qu'un tout, tandis que chacune vole pour son propre compte. Toutes les troupes d'oiseaux ne volent pas groupées de la même ma- nière. Les oiseaux ne s'imitent pas les uns les autres dans leurs instincts respectifs. Y A coup sûr la marche des chenilles procession- naires ne saurait être justifiée par des raisons ana- logues. On sait qu'une chenille seule marche en tête de la colonne, qu'elle est suivie de deux ou trois autres, celles-ci à leur tour de cinq ou six autres, et enfin vient la foule, plus ou moins pelotonnée. Les migrations, on le voit, par la manière dont elles s'accomplissent aussi bien que par les circon- stances qui les accompagnent, présentent les carac- tères de l'instinct. Elles ne sont pas commandées par la raison, dirigées par l'intelligence, mais au con- traire exécutées fatalement, sans l'intervention de la volonté, toujours de la même manière et de la meilleure, par les mêmes moyens, avec l'incon- science du but. Les migrations des oiseaux, dit M. Vogt, si connues M DE LMNSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. et lanl admirées comme résultats d'un prétendu instinct inné et merveilleux, s'expliquent parfaite- ment par des raisons de subsistance. L'oiseau fait son nid là où il trouve la nourriture la plus abon- dante et la plus convenable pendant le temps où il doit soigner sa progéniture ; la plupart de nos oi- seaux de passage, qui nichent dans le nord, y cher- chent les insectes nécessaires à l'alimentation de leurs petits, insectes qu'ils ne sauraient trouver dans le midi pendant les sécheresses de l'été. Sans doute la migration ne se fait pas sans raison; le but de l'instinct n'est pas douteux; c'est l'in- conscience du but, l'invariabilité et l'imperfectibilité des moyens qui constituent l'instinct. M. Vogt paraît vouloir identifier les migrations avec de simples déplacements et les faire dépendre des moyens de locomotion, tandis que la migration consiste dans l'aller et le retour périodiques de l'ani- mal, et à des époques fixes, et non dans l'invasion progressive d'une contrée. Nous pourrions continuer à examiner les instincts spéciaux ; il nous semble maintenant préférable de voir l'ensemble des manifestations instinctives que présentent certains articulés : les arachnides et les insectes. Elles comptent parmi les plus curieuses, les plus étranges et les plus complètes. INSTINCTS REMARQUABLES DE QUELQUES ARTICULES LES ARAIGNEES L'araignée vulgaire sera l'objet de notre premier examen. La ménagers ne voit pas sans ennui ces toiles tendues dans les angles des plafonds ou le long L'araignée des jardins. 4es corniches, mais le naturaliste et l'artiste admi- rent l'habileté du petit animal qui construit avec beaucoup d'art son fragile édifice. Le corps des ara- chnides, on le sait, se compose de deux parties, la 88 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. première se compose de la lôte el de la poitrine réunies (céphalothorax), la seconde est l'abdomen. Elles possèdent quatre paires de pattes et huit yeux disséminés sur la tôte. A Textrémité inférieure de rabdomon on peut voir les filières, sortes de petites mamelles d'où sort le liquide épais et visqueux qui devient un lil soyeux en se séchant au contact de Fair. Ce fil, d'une grande finesse, est formé d'un grand nombre d'autres fils incomparablement plus déliés et que le microscope seul permet de voir. Le liquide est filtré à travers de nombreux trous microscopiques comme l'eau à travers les trous de la pomme d'un arrosoir, puis ces divers jets se rassemblent avant de sortir par l'ouverture unique de la mamelle. L'araignée dévide pour ainsi dire son fil, et jette d'abord quelques brins destinés à former une sorte de charpente qui encadrera la toile proprement dite. Elle fixe à ce cadre les extrémités des fils équidistants qui viennent comme autant de rayons se réunir à un centre. Elle unit ensuite ces rayons par des fils trans- verses qui forment les côtés de polygones concentriques équidistants ; le réseau est terminé. — Si un rayon de soleil vient se jouer dans ce filet élégant, régulier et léger, la lumière blanche, en se heurtant contre les fils, se décompose en nombreux arcs-en-ciel, dont les brillantes couleurs se montrent successivement par groupes variés selon l'inclinaison ou l'étendue des rayons de la toile. L'ARAIGNÉE. 89 Dans rhabileté innée de Touvrière et surtout dans le lien nécessaire entre la sécrétion du fil et la con- struction du réseau, on voit une manifestation de l'instinct ; l'araignée fait sa toile comme l'oiseau fait son nid, mais elle produit les matériaux de construc- tion, tandis que l'oiseau les emprunte au monde exté- rieur. L'araignée est une petite machine à faire de la toile^ ou plutôt le réseau qu'on désigne sous ce nom ; mais c'est une machine qui fonctionne d'elle-même, qui n'exige pas une intervention étrangère. Il ne faut pas de mécanicien pour la mettre en mouvement. Impossible pour elle de se soustraire à l'obligation de faire un réseau : c'est le réseau obligatoire. Toutes les araignées d'une même espèce le font de la même manière et sur le même plan, de même que toutes les hirondelles de nos pays font des nids sem- blables et reproduisent un type unique. C'est tou- jours avec le même art, la même sûreté dans le coup d'œil qu'elles disposent leurs fils. La toute jeune araignée sans expérience comme la vieille arai- gnée. Point d'enseignement, point de progrès ; la per- fection du premier coup. Cette petite machine ani- mée fait toujours sa toile à l'aide des mêmes éléments, qu'elle tire d'elle-même et qu'elle ne saurait mo- difier, puisqu'ils proviennent d'une sécrétion. Toutes ses semblables répètent le même travail ; aucun 90 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. changement ni dans la façon, ni dans l'exécu- tion, ni dans la matière première. Elle ne peut pas plus modifier la matière du fil que nous celle de nos cheveux. Singulière intelligence, si c'était de l'intelli- gence, qui ne serait propre qu'à faire de la toile et une toile d'une certaine nature. L'araignée maçonne^ avec une organisation pres- que semblable, procède tout autrement. Elle creuse un trou dans la terre, une sorte de puits, pour en faire sa demeure; elle le revêt in- térieurement d'une tenture tissée avec son fil. Puis elle ^^ ^ §^1^"^^ pétrit un peu de terre dont W ^ il elle fait un couverclequi sera la porte de sa cachette; en- fin, à l'aide d'une charnière L'araignée maçonne. élastique et souple formée de fils, elle fixe le couvercle au trou de manière qu'il tourne comme une porte sur ses gonds. Jamais une maçonne ne fait de toile comme une épeire, et jamais épeire ne s'est transformée en maçonne; mais chaque espèce obéit à son instinct depuis qu'il y a eu des araignées dans le monde. Voilà bien l'instinct avec ses caractères : fatal, né- LES ABEILLES. 91 cessaire, parfait, invariable, propre à une espèce, ne pouvant changer d'adaptation. Si cet exemple ne figure pas parmi ceux qui ont été cités plus haut à propos de l'instinct de cons- truction, c'est parce que l'organisation même de l'a- raignée suppose l'instinct. Les glandes qui sécrètent la matière du fil, ainsi que les filières, font partie de son corps au même titre que ses yeux et ses mem- bres. Elle ne saurait à volonté faire ou ne pas faire de fil, ni le faire plus ou moins fin, puisque la finesse est déterminée par la dimension des filières. Une fois en possession de son fil, elle pourrait, il est vrai, modifier sa toile, en faire varier la forme et la tex- ture; or ceci n'a pas lieu pour une même espèce. LES ABEILLES Habileté. —Ordre. — Travail. —Organisation sociale. Nous allons reconnaître la même fatalité, la même nécessité dans l'instinct de l'abeille. L'abeille ne sé- crète-t-elle pas la cire dont elle fait ses alvéoles? Elle ne la fabrique pas avec des matériaux étran- gers, elle la produit naturellement toute faite; sa volonté, si tant est qu'elle ait une volonté, ne peut intervenir, pas plus que dans toute autre ex- crétion ou sécrétion. C'est entre les anneaux de son abdomen qui se produit l'exsudation de la cire. 9i DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. Si l'araignée est une filière, Tabeille est un laminoir. La plaque de cire irrégulière qui sort de l'abeille est la cause de la ruche, cela est fatal. Si Tabeille ne fai- sait point de cire, elle pourrai! construire ou ne pas construire de ruche; la cire, matière première des alvéoles, suppose la ruche ; celle-ci est h conséquence de celle-là. Mais n'anticipons pas; procédons avec ordre et Chantons ce peuple industrieux qui préparc le miel; OU du moins examinons la part qui revient à l'in- stinct dans l'accomplissement des merveilleux tra- vaux de ces insectes. Chez les insectes, le corps est divisé en trois parties {tête, thorax, abdomen); ils ont trois paires de pattes et portent sur la tête de fins appendices semblables à des cornes souples et déliées, les antennes. La plupart sont pourvus d'ailes et tous sont sujets à des métamorphoses plus ou moins com- plètes, c'est-à-dire qu'au sortir de l'œuf ils n'ont pas la forme définitive sous laquelle ils nous sont fami- liers. Ainsi les papillons commencent par être c le- nilles et l'abeille qui vient de naître est un petit ver. Chez les abeilles, l'instinct se révèle tout d'abord par l'existence de la société. Une femelle unique, objet des soins, des attentions, des égards, nous allions dire du respect de la communauté, donne nais- sance à un peuple entier qui ne compte pas moins de LES ABEILLES. 93 huit à dix mille individus. Ces abeilles issues d'une mère unique, élevées dans la même ruche, ne se sépareront pas lorsqu'elles seront parvenues à l'âge adulte; elles formeront une société nouvelle (essaim). L'association est la condition absolue de la vie de ces intéressants insectes et de l'exécution de leurs travaux. Nulle ne peut se soustraire à cette obligation de la vie en commun; on ne voit point d'abeille solitaire construire une ruche et préparer du miel, bien qu'elle puisse produire à elle seule et la cire et le miel. Et d'ailleurs pour qui sont ces apprêts, pour qui la ruche, le miel? Quel est le mobile de cette activité ingénieuse et féconde, sinon l'élevage des enfants de la communauté ? Il faut donc que l'abeille soit fé- condée; or une seule mère abeille pondant plusieurs milliers d'œufs, ce n'est pas un couple d'abeilles qui suffirait à nourrir et à élever dix mille enfants. L'as- sociation est nécessaire. Aucune assemblée n'en a jeté les bases et formulé les statuts. • On voit quelquefois des animaux former des as- sociations temporaires et qui paraissent être le résultat d'une délibération. Les castors, par exemple, se réunissent pour construire leur chaussée; les loups, lorsqu'ils sont affamés, concentrent leurs efforts pour attaquer une proie redoutable; les oiseaux se rassemblent pour accomplir leurs U DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. voyages périodiques. Il y a donc dos rassemblements provoqués par la nécessité de la défense ou de l'at- taque, ou par suite d'un besoin pressant à satisfaire ou d'un péril à éviter. Ce sont là des associations libres qui n'ont que faire avec rinstincl. Les loups une fois rassasiés, les birondelles parvenues au terme de leur voyage, les castors après l'achèvement de leur con- struction, en un mot, lorsque le besoin a été satis- fait, le péril conjuré, les obstacles franchis, la société se dissout et les animaux reviennent à leur mode or- dinaire d'existence, à la vie de famille. La société des abeilles, au contraire, est perma- nente, car toute l'économie de la ruche repose sui Abeille femelle. Abeille neutre ou ouvrière. Abeille inâlc. la constitution des abeilles en société. L'essaim se compose toujours, au début, d'une femelle unique, de quelques centaines de maies et de dix à quinze mille neutres ou ouvrières — selon qu'on les consi- LES ABEILLES. 95 dère au point de vue du sexe ou des fondions. — Le chef est la femelle. Elle s'élève dans les airs escortée par les mâles, et, la fécondation opérée, elle descend suivie de son escorte, que la population ouvrière égorge impitoyablement. La mission unique de la femelle est de pondre, celle des ouvrières est de construire la ruche, de vaquer à tous les soins de l'intérieur et à Tapprovisionnement de la société. Depuis bien des siècles, poètes et naturalistes ont décrit les mœurs des abeilles. Virgile a pu com- mettre des erreurs de détails, sans doute; comment aurait-il pu connaître ce que le microscope a révélé? Mais il n'a rien ignoré de ce qu'on peut découvrir par une observation inteUigente et attentive. Or, de tout temps on a vu les abeilles vivre comme au- jourd'hui, et leur société, constituée de la même manière, a toujours été soumise aux mêmes règles inflexibles. Les caractères de l'instinct se montrent encore dans la construction de la cellule et des rayons ou gâteaux. La première n'a changé ni de forme ni de grandeur. Le modèle en est invariable comme la ma- tière première dont elle est formée. Seules les ou- vrières peuvent les construire ; leurs fonctions sont obligatoires, par cette raison qu'elles seules possèdent des organes conformés en vue de ces fonctions. En effet, leurs jambes de derrière ne présentent-elles pas cet enfoncement qui a été nommé la corbeille ^ parce 96 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. qu'elles y rassemblent le pollen, et au-dessous n'y a-t-il pas cette autre partie de la jambe qui est poilue, dont elle se sert comme d'une brosse pour Fragment de rayon montrant les cel- lules de face. Patte postérieure d'abeille des- sus et dessous. Fragment de rayon coupé en tra- vers et montrant les cellules dans le sens de la longueur. rassembler le pollen? la bouche n'est-elle pas armée de manière à faire l'office de plusieurs outils? enfin ne portent-elles pas, dans les intervalles des quatre derniers anneaux de l'abdomen, les organes qui sécrètent la cire? Tout est déterminé, tout est prévu, tout est fatal. Les fonctions ne sont pas volontaires, elles résultent de l'adaptation, de l'appropriation des LES ABEILLES. 97 organes. L'ouvrière est bien nommée — elle seule travaille, — et pour qu'elle ne soit pas détournée de son travail, un célibat naturel est la conséquence de son organisation. Certes, cette dernière aptitude né- gative ne saurait s'expliquer par la sélection! Quel plus étrange paradoxe que la conservation par l'héré- dité de l'inaptitude à la fécondation! Tout est déter- miné de même pour les mâles et pour la femelle, si bien déterminé qu'une femelle venant à manquer, on €n crée une nouvelle, mais une seule par ruche. Les mâles fécondent, la mère pond, les neutres travail- lent et ont en partage le gouvernement et le soin de la colonie. Constitution sociale, diversité et nombre des in- dividus de chaque sorte, mode de construction des cellules et des rayons, répartition des fonctions, adaptation des organes aux fonctions, phases diverses (le l'évolution de l'essaim, perfection et invariabilité dans les voies et moyens : tout rappelle l'instinct. Dans cette ruche qui vient d'être édifiée, cinquante mille berceaux environ attendent les œufs de la mère abeille. Celle-ci, au retour de son voyage aérien, parcourt les rayons, examine attentivement chaque cellule, et si elle est satisfaite de son examen, elle y pond un œuf. Quinze cents œufs sont ainsi pondus dans une seule journée, et chose singulière, ces œufs se succèdent dans un certain ordre : œufs d'ouvrières 7 08 DE L'INSTINCT ET I)K I/INTELLICKNCE. loiil d'abord, puis œufs de mAles, et enfin œufs de mère; ccl ordre n'est trouble que si l'époque de la fécondation varie. Assunîmont il n'y a là ni prévi- sion, ni acte volonlairc. — Pendant qu'elle remplit ainsi ses fonctions, la mère abeille est l'objet des allrniions, des soins, nous allions dire, de la véné- ration des ouvrières; aussi Virj^ile en avait fait un roi, et de nos jours on l'appelle encore la reine. Nous ne suivrons pas l'essaim dans toutes ses pliases, nous ne décrirons pas les troubles qui nais- sent quelquefois dans la colonie, notre intention n'étant que de recueillir les traits de la vie et des mœurs des animaux qui se rapportent à l'instinct. LKS I-OURMIS Los mineurs. — Peuples pastours. — Peuples conquérants. Si intéressantes que soient les abeilles, à notre point de vue les fourmis le sont plus encore. On ne saurait voir cbez nul autre insecte plus de diversité et de singularité dans les manifestations instinctives. Il s'y mêle des actes d'intelligence évidents dont nous nous occuperons plus loin. Les fourmis vivent en société comme les abeilles, et la société se compose également d'individus de LKS FOUIIMIS. 91) diverse nature; mais tandis que le plan de la ruche est unique, nous avons affaire à des fourmilières différentes selon que les fourmis sont charpentières , ou mineuses, ou maçonnes. Au premier abord on ne découvre pas dans une fourmilière ce qu'on s'attend à y trouver, c'est-à- dire une construction remarquable sous le rapport de la bonne distribution des diverses pièces, des dégagements faciles, de la solidité de la construc- Foiirmi mineuse. X^^^^^. ,.^ Fourmis rouges : femelle et neutre. tion, etc. Un peu d'attention nous montre, sinon l'élégance et la régularité de la ruche, au moins une installation commode et une bonne distribution des locaux. En outî'e, on remarque la bonne disposition des matériaux de construction au point de vue de la solidité de l'édifice; mineuses ou charpentières, les fourmis procèdent comme nos ingénieurs dans la construction des galeries en vue^de l'exploitation des mines, et assurément elles n'ont pas imité les Ira- 100 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. vaux de nos ingénieurs. Les matériaux les plus variés servent au boisage cl au muraillemcnt : ce sont des «crains de blé, des fétus de paille, des IVagmenls de bois, des débris d'insectes. Tout leurcslbon, pourvu qu'elles y trouvent la forme, les dimensions et la solidité convenables. — Dira-t-on aussi que les four- milières sont modifiées parce qu'on y trouve des dé- bris de l'industrie bumainc qui autrefois ne pou- vaient s'y trouver! — Dans certains cas, comme on le verra plus loin, elles apporteront certaines modi- fications et prendront des mesures qui montreront qu'elles n'obéissent pas seulement à l'instinct. C'est parce qu'ils ont trouvé dans les fourmilières ces substances si diverses que les observateurs su- perficiels ont cru à des préjugés qui régnent encore, et que notre grand fabuliste n'a pas peu contribué à entretenir. De même, la dénomination impropre à' œufs de fourmis donnée aux cocons des fourmis est cause que certaines gens croient que ce sont réelle- des œufs de fourmis, et ne sont pas surprises, dit Blanchard, de voir les fourmis pondre des œufs plus gros qu'elles. La fourmi rousse construit la fourmilière dont nous venons de parler. La fourmi noir cendré n'emploie que la terre dans sa construction; elle en fait une sorte de mortier, avec lequel elle élève des piliers et des murs et édifie une habitation à plusieurs étages. La fourmi fuligineuse creuse le bois, le rabote, le LES FOURMIS. 101 polit pour construire sa fourmilière à plusieurs étages, dont les plafonds-planchers ont l'épaisseur d'une mince carte de visite. /i. Fourmis noir cendré neutre et femelle. Toutes les fourmis vivent sur la terre ; elles se ren- contrentdonc en vaquant à leurs travaux, et cependant elles ne s'empruntent pas leurs procédés et ne s'imi- tent pas mutuellement. La chose est d'autant plus sur- prenante que les fourmis ne diffèrent guère que par leurs dimensions et que leurs instruments de travail sont sensiblement les mêmes. On ne voit pas de dif- férences organiques qui puissent expliquer les dif- férences si caractéristiques qu'on remarque dans leurs travaux. Ainsi l'instinct n'est pas modifiable et ne se transmet pas, même d'une espèce à une autre très voisine. Ces insectes ont un soin tout particulier de leurs petits : ils les soignent, ils les nettoient, leur donnent labecquée, les conduisentàlapromenade par les beaux jours. Si quelque danger les menace, on les leur voit saisir entre leurs mandibules et les transporter sans leur faire aucun mal, ce qui surprend d'autant plus que le corps de ces petits insectes est d'une consis- 101 DE flNSTINÇT ET DE L'INTELLIGENCE. lance molle et que les mandibules des fourmis sont dures. Ne voit-on pas la clialle inquiète emporter SCS petits dans ses crocs sans les blesser? Toutes les lourmis ont un goût marqué pour un liquide que produisent les pucerons, et la manière dont elles se conduisent envers ces petits insectes, le soin qu'elles en prennent, les attentions dont ils sont l'objet de leur part excitent un étonnemcnt et un intérêt légitimes. Les pucerons sont fort petits; on peut néanmoins les voir à l'œil nu. La tète rappelle assez celle descri- Puccron de rosier, mâle et femelle. quels, l'abdomen est trapu, rien de gracieux en lui. A l'extrémité du corps, à la partie supérieure, on remarque deux appendices qui ressemblent à des tuyaux de lorgnettes. 'Les uns ont des ailes, d'autres LKS FOURMIS. 10;i n'en ont pas. Ils pullulent partout; sur les arbres et sur les arbustes, fixés à la surface des feuilles et de récorce, dont ils pompent les sucs, lien est, comme le puceron des pommiers (p. lanigère)^ qui se sont ac- quis une déplorable célébrité par leurs ravages. Le phylloxéra est un proche parent de ces animaux. Le puceron du rosier fait le désespoir des jardiniers. Ces petits êtres, qu'on serait tenté de croire inof- fensifs si l'on ne regardait qu'à leur taille, sont puis- sants par le nombre et semblent prendre à tâche de prouver que le monde appartient aux petits. Bonnet, de Genève, nous a laissé un journal exact, comme il dit, de la vie d'uu puceron qu'il avait séquestré. Grâce à une observation de chaque in- stant, continuée avec une inaltérable patience pen- dant de longs jours, il a pu suivre toutes les phases de la vie de ce petit animal, s'intéressant à ses moindres mouvements, et, comme il le raconte avec une bonhomie qui n'est exempte ni de finesse ni d'esprit, observant les actions les plus intimes et les plus secrètes de son petit solilaire. Il put ainsi con- stater plusieurs changements de peau survenus dans l'espace d'un mois environ ; mais, chose plus étrange et jusqu'alors inconnue, il vit cet être isolé donner naissance, dansTinrervalle de trois semaines environ, à quatre-vingt-quinze petits; puis chacun de ces der- niers, également isolés, sans aucun rapport avec ses congénères, donner naissance à son tour à un nom- lai DE LMNSTINCT KT DK L'INTELLIGENCE. lue à peu près égal de nouveaux pucerons, et cela pendant dix générations consécutives. Or, tandis que ces femelles produisent des petits vivants pendant la belle saison, vers Tautomne les couples de pucerons produisent des œufs. C'est ce que Bonnet put constater, au (;rand élonnemcnt du monde savant. On connaissait des animaux viviparea, c'est-à-dire dont les petits naissent vivants ; on con- naissait les ovipares j qui pondent des œufs; mais on ignorait que les deux modes de propagation pussent se rencontrer chez le môme animal, et surtout on ne savait pas que des femelles isolées pouvaient donner naissance à des petits. On s'explique maintenant la rapidité avec laquelle quelques pucerons peuvent infester nos jardins et devenir redoutables malgré leur petitesse. Suspen- dons maintenant celte digression pour revenir à nos fourmis. Voyez-vous quelques fourmis courir affairées sur un arbuste : suivez-les des yeux; si l'arbuste donne asile à des pucerons, vous serez témoins d'un curieux manège. La fourmi s'approche du puceron avec pré- caution, lui signale sa présence en le touchant légè- rement avec ses antennes; elle semble le caresser LES FOURMIS. 105 délicatement en promenant doucement ses antennes sur la partie postérieure du corps du puceron. Le puceron ne paraît pas insensible à ces caresses. Bien- tôt des gouttelettes d'un liquide blanchâtre perlent aux extrémités des petits appendices, comme le lait sort des mamelles. En un mot, la fourmi vient de traire le puceron. Elle boit ce lait de puceron, dont elle paraît friande. Chaque fourmi recommence le même manège avec plusieurs pucerons jusqu'à ce qu'elle soit rassasiée, puis elle prend une gorgée de lait qu'elle porte aux jeunes fourmis ou aux larves. Les fourmis ne s'arrêtent pas là : elles emportent quelquefois les pucerons à la fourmilière , sans doute pour n'avoir pas le souci d'aller à la traite au dehors, et peut-être afin de pouvoir, par tous les temps, disposer de leur petit troupeau. Gela les oblige tout naturellement à construire une étable dans la fourmilière et à pourvoir à la nourriture des pucerons. Elles traitent les pucerons comme nous notre bétail, si ce n'est qu'elles en prennent plus de soin encore. Lorsque l'étable est prête, les fourmis s'en vont en chasse. Chacune d'elles s'approche d'un puceron, le chatouille jusqu'à ce qu'il abandonne la feuille dont il puisait le suc; alors elle le saisit doucement par le milieu du corps avec ses mandibules et l'em- porte, quoiqu'il soit parfois plus gros qu'elle. lor, i)i: i;iNSTiNCT kt i>k l'intelligence. Hien ne manque aux pucerons captifs de la four- milière; ils paraissent contents de leur sort. Les IbiuMuis les soij'nent, les d«'*placent lorsque cela est nécessaire, et ne s'en occupent pas moins ni avec moins de tendresse que de leurs propres enfants. Il n'a pas été nécessaire, on le voit, de promulguer dans la société des fourmis une loi protectrice des ani- maux. Faut-il voir là une supériorité?... Nous étions sur le point de voir des manifestations d'intellip^ence dans la conduite des fourmis à l'égard dos pucerons, et voici que nous sommes frappés de la sagesse exem- plaire, mais trop uniforme, de leurs mœurs. Cette affection toujours égale, cette tendresse sans impa- tience, cette bonté sans lassitude, ce dévouement sans relâche, tant de vertus sans un seul vice ne se rencontrent pas chez les créatures; il faut en chercher la cause au dehors et non dans la volonté de l'animal, ce qui nous ramène à l'instinct. Bien avant la Fontaine, les animaux auraient pu servir à l'éducation des hommes si on les eût mieux connus. La Fontaine les a fait parler pour nous in- struire, mais il leur a prêté des qualités qu'ils n'ont pas. Combien il eût été préférable que, dans sou ma- gique langage, il nous en eût décrit les mœurs vraies ! La poésie n'aurait rien perdu à servir la vérité. Cette perfection que nous retrouvons si souvent dans leurs actes, nous y tendons par des efforts qui nous valent LtS FOURMIS. 107 quelque mérite, laiidi? que les animaux, qui la pos- sèdent sans l'avoir acquise, n'en ont pas conscience et n'en tirent aucun avantage moral. •k -k Toutes les fourmis ne sont pas des peuples pas- teurs, paisibles, laborieux, économes et n'ayant pas d'histoire. L'espèce nommée 'polyergue roussâtre forme des tribus guerrières qui attaquent les autres fourmis afin de s'emparer des enfants, dont elles font plus tard des esclaves. Ce petit être semble n'avoir rien à envier à l'homme : tout à l'heure il pratiquait la vertu, et maintenant il s'abandonne à ses instincts féroces. Serait-ce que la guerre n'est pas moins né- cessaire au monde que la paix ! Les fourmis guerrières semblent procéder comme nous dans la formation et la marche de leur armée ; elles vont à la guerre, non comme une foule tumul- tueuse, mais dans un ordre parfait; les rangs se pressent sans se confondre. Lorsqu'elles ont atteint une fourmilière de fourmis noires, l'altaque commence et les choses ne se passent pas autrement que dans nos batailles, lorsque nous combattons corps à corps. La lutte est féroce, le mas- sacre complet. C'est un champ de bataille avec tous les incidents habituels : il y a des morts, des mou- rants et des blessés. 1U8 DE L'INSTINCT ET DE I/INTELLIGENCE. La bataille terminée, les fourmis belliqueuses pénètrent par toutes les issues dans la fourmilière, s'enji:ay;enl dans les couloirs el s'emparent des larves, qu'elles emportent. Ces larves deviendront des four- mis esclaves ou serviteurs des fourmis conquérantes. Devenues adultes, elles nourrissent leurs vainqueurs, les soignent comme leurs enfants, si bien que les vainqueurs deviennent les véritables esclaves, car ils sont incapables de vivre seuls et se laissent même mourir de faim si on leur enlève leurs esclaves. D'ail- leurs ces fourmis esclaves ne chercbcnt nullement à écl^apper à leurs maîtres pour reconquérir une liberté qu'elles n'ont jamais connue. Elles se sentent chez elles et on famille : ce sont des domestiques attachées à la maison. Ilûtons-nous de dire qu'on ne voit pas, comme dans la société humaine, despotisme d'un côté, sujétion de l'autre, mais association librement consentie. On a vu pendant uûe ftiigration les maîtres porter leur soi-disant esclaves dans leurs... bras. Où l'on voit la marque de l'instinct, c'est dans ce fait que les fourmis belliqueuses sont toujours vain- queurs et ne deviennent jamais esclaves. Seules elles sont propres à la guerre, aucune autre espèce n'a les mêmes mœurs. Certaines races humaines ont pu se créer des aptitudes ou plutôt des habitudes militaires. LES FOURMIS. 109 car rinslinct guerrier est dans l'homme; il n'en est pas moins vrai que tous les peuples font ou ont fait la guerre, que tous passent par des phases analogues pendant leur évolution, que toute société humaine est un organisme qui naît, se développe et se trans- forme, comme tout organisme, en manifestant une succession de phénomènes analogues. Les peuplades uniquement guerrières ne se sont pas perpétrées : c'était un accident sans conséquence, un phénomène passager. Tout peuple vainqueur est vaincu à son tour par ses ennemis ou par la civilisation. La fourmi guerrière n'est que guerrière; encQre est-elle impuissante ta enseigner son art aux fourmis qu'elle attaque, et qui n'ont pas d'ailleurs les armes naturelles de leurs vainqueurs. Seuls les peuples humains passent par des alternatives de paix et de guerre et sont tantôt conquérants, tantôt subjugués. Dans l'humanité seule il •y a un art de la guerre dont les procédés et l'outillage varient avec la science, à laquelle il fait de continuels emprunts. Cet art a ses règles que tous les peuples sont appelés à connaître. Quand l'homme triomphe, c'est par l'inteUigence, puisque c'est par elle qu'il crée les engins dont il fait usage, et c'est encore grâce à l'intelligence qu'il dresse le plan de la bataille et qu'il affronte résolu- ment la mort. Seul l'homme connaît la suprême satisfaction que cause le sacrifice de soi-même. Seul il peut être martyr d'une idée, et contraindre à la mort son corps qui se révolte. no DE L'INSTINCT ET DK flNTELLIGENCK. La fourmi guerrière, toujours vainqueur, par les uiômcs moyens, atteint toujours le même hul. Elle n*a point la furie «lu couihal, elle ne lulie pas pour une idée, elle ne connaît pas la gloire. Elle accom- plit une fonction à laquelle ses organes et son ins- tinct la condamnent. LE FOURMl-I.IO.N S:)ii i>i»''gc. — Palieiico et ruse. L*insecte élégant qui ressemble à la demoiselle, le fourmi-lion^ a été d'abord une larve trapue. Rien ne pouvait faire supposer une métamorphose aussi complète. L'insecte parfait a la taille assez bien prise, le corps long, de couleur noire avec des pla- ques jaunes; les ailes étroites, longues, transpa- rentes, parcourues de nombreuses nervures noires et tachetées de blanc. La larve au contraire, de couleur grise, a une petite tête plate et un ventre énorme; aussi se déplace-t-elle difficilement. Sa bouche est armée de puissantes mandibules qui lui servent à égorger sa proie, dont elle suce le sang et les entrailles. Bien qu'on le nomme lion des fourmis, cet ani- mal n'a pas les allures de son homonyme et ne s'é- lance pas sur sa proie, confiant dans sa force. Il LE FOURMI-LION. 111 Iriomphe par la patience, la ruse, et l'ingéniosité au moins apparentes. Il chasse au piège, mais le piège qu'il construit est un chef-d'œuvre. Après avoir choisi un endroit sablonneux, il y creuse un trou conique ou en forme d'entonnoir, la base en haut, à la surface du sol, le sommet en bas. 11 commence par tracer un premier sillon circulaire d'une régularité irréprochable, dont les dimensions sont sensiblement les mômes pour tous les fourmis- lions, c'est-à-dire de huit centimètres de diamèti'e. Entrant alors dans le cercle, il se place contre le bord intérieur, creuse le sol avec ses pattes de devant, rassemble le sable déblayé sur sa tète aplatie, puis, lorsque la charge est suffisante, il imite le mouve- ment d'épaules de l'homme qui, portant un fardeau, le jette à terre, et rejette ainsi sa charge au dehors du cercle. Il marche à reculons, et, suivant le con- tour du cercle, il continue son travail jusqu'à ce qu'il ait fait le tour complet. Il creuse alors un se- cond sillon, intérieur, concentrique et tangent au premier, et par conséquent plus petit. Mais au lieu d'avancer dans le môme sens, il tourne en sens con- traire, peut-être afin de se servir alternativement tantôt des pattes du côté droit, tantôt de celles du côté gauche. Il procède de la même manière, creu- sant, rejetant les déblais et marchant à reculons. Un troisième sillon également concentrique est ainsi tracé à l'intérieur des deux autres et au contact du second. Il poursuit sa tache jusqu'à ce qu'il soit par- Il* DK L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. venu au centre. Il recommence ensuite en creusant tle plus en ])lus prorondéinent, à mesure qu'il s'ap- proclie du contre, de manière à méuaj^er une pente uniforme et à donner au trou la forme conique. Lorsque le puits est achevé, sa plus grande profon- deur est d'environ cinq centimètres. Le fourmi-lion a soin d'enlever tous les grains un peu gros et qui sont pour lui comme des pierres de taille; il les rejette au dehors du trou lorsqu'il en trouve pendant son travail, ce qui exige do sa part des efforts considérables. On lo voit quelque- fois, nouveau Sisyphe, remonter à plusieurs re- prises la pierre qui a roulé plusieurs fois sur les pentes; mais, plus heureux que Sisyphe, il aban- donne son travail s'il rencontre dans le sol de fré- quents obstacles de la même nature, et s'en va, sur un autre point, chercher un lieu plus propice à son dessein. Les pentes du trou sont régulières, rapides, unies, tapissées d'un sable fin et uniforme. Le piège est achevé : sa forme est toujours la même, avec les mème^ dimensions, la même régularité, la même perfection ; il emploie les mêmes procédés, les mêmes moyens. Le fourmi-lion fait seul des pièges semblables, les exécute sans instruction préalable, sans expérience LE FOUUMl-LION. 113 possible; ce qu'il n'a pas appris, il ne l'apprend pas à d'autres, et, chose singulière, les fourmis, malgré leur intelligence apparente, n'ont pas ap- pi'is elles-mêmes à s'en défier, et doivent succomber fatalement pour que le fourmi-lion ne meure pas de faim. Voilà bien les caractères de l'instinct. Examinons maintenant le fourmi-lion en embus- cade : Il est là, au fond de Tentonnoir, enfoncé dans le sable, ne laissant voir qu'une partie de sa tète, avec ses deux pinces puissantes et relative- ment énormes — nos carnassiers les mieux armés ne le sont certes pas autant que le fourmi-lion — mal- heur à la fourmi imprudente ou curieuse qui s'ap- proche de ces bords dangereux! Si du haut du pré- cipice elle jette un coup d'œil interrogateur, un grain de sable, lancé adroitement, comme la pierre d'une fronde, l'atteint à la tête et l'étourdit. Elle chancelle et cherche à fuir le danger; avant qu'elle ait fait un mouvement, un nouveau projectile l'a de nouveau atteinte, et, glissant sur la pente ra- pide, elle roule au fond du trou, où le fourmi-lion la saisit, la déchire, la dévore, et rejette au loin les débris qui pourraient éloigner une nouvelle proie. iU DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. Le fourmi-lion, sihabile pour construire ce piè^^e et pour faire la chasse aux fourmis, ne peut appli- quer son habileté et son adresse à autre chose qu'à ce qu'il fait. Ce n'est même pas l'instinct d'un in- secte, c'est celui de sa larve, instinct dont l'animal parfait n'a aucun souvenir et dont il n'a pas occa- sion de se servir, ayant d'autres organes et un autre genre de vie. Ainsi, l'instinct se manifeste d'une ma- nière différente dans les divers états d'un même in- secte. Explique qui pourra comment le même ani- mal, la même source de vie, à travers les formes diverses qu'elle revêt, peut adapter à chaque forme des habitudes et une manière de vivre particulières avec les organes appropriés. LES ICHNEUMONS L'insecte de proie. — Auxiliaire de l'homme. — 'L'inoculation. — L'auscultation. Le jardinier voit avec terreur les chenilles de la piéride qui dévorent ses choux. Il n'en restera bien- tôt plus de ces feuilles larges et plantureuses : le petit animal broute constamment et ne cessera de brouter que lorsqu'il aura atteint son développement complet de larve. Tout à coup on aperçoit au-dessus du plant un insecte assez gracieux : sa tête fine est 1 L'ICIINEUMON. 115 rehaussée par d'élégantes antennes, délicates, sou- ples, déliées, d'une mobilité extrême ; ses petits yeux sont vifs, sa taille est svelte, son abdomen un peu lourd. Il plane en imprimant un rapide mouvement vibratoire à ses ailes légères et brillantes. Observez à l'extrémité du corps ces longues soies fines mais Pictide de choux. résistantes, l'une d'elles est creuse comme un tube oi pointue comme une aiguille, par là sortent les ceuTs de l'animal : cet insecte est un ichneumon {niicrog aster). L'ichneumon plane au-dessus des choux comme un oiseau de proie, et dès qu'il aperçoit une che- nille, il fond sur elle, l'étreint de ses six pattes, et, recourbant son abdomen, il plonge son aiguille dans le corps de la chenille. En même temps, un œuf glisse dans le conduit et pénètre par la bles- sure dans le corps de la chenille. Il vient à la ilG DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE. charge à plusieurs reprises et chaque fois dépose un nouvel œul'. (l'est là, on en conviendra, un singulier instinct. Si Ton observe avec attention le manège de l'animal, on s'aperçoit, non sans éton- nement, que l'iehneumon pond un nombre d'amis proportionné au corps de la chenille. Aussi la ponte,, commencée dans le corps d'une chenille, s'achève quelquefois dans le corps d'une autre. L'ichneumon vise-t-il un but, ou plutôt voit-il le but qu'il atteint en mesurant ainsi le nombre de ses œufs au corps de sa victime? On i)Ourrail le croire, car la chair de Larves d'iclincuiiioii dévorant une chenille. la chenille est destinée à servir de pâluie aux lai'ves ou vers qui vont sortir des œul's. Il faut donc des provisions en quantité suffisante pour que les larves ne meurent pas de faim. En admettant que l'ichneumon agisse avec con- naissance de cause, on n'en saurait dire autant des larves, qui en dévorant la chenille ne touchent pas d'abord aux organes essentiels, dont la perle entraî- nerait celle de l'animal lui-même. Elles ont soin de contourner ces organes, de ne pas entamer la peau qui doit leur servii' d'abri. Dans l'intérêt des larves- L'ICH?03 sociétés qui ressemljlent môme fort peu à des sociétés humaines avec l'ensemble des moyens de défense et de gages de sécurité. La construction d'une fourmilière, d'une ruche ou d'un nid n'est pas une œuvre d'art ou le résultat d'une industrie : on se souvient de ce qui a été dit à ce sujet et comment l'invariabilité dans l'exécution et dans les moyens employés écarte l'hypothèse d'une intervention volontaire de la part de l'animal. Et qu'y a-t-il de commun entre ces groupements à mode invariable, femelle, mâles, neutres, — avec égor- gement des mâles, etc. — , des fourmis ou des abeilles, et les sociétés humaines si variées dans leurs formes et soumises à des lois qu'elles se donnent et qu'elles modifient ? Trouve-t-on chez les singes ou cliez les chiens les débris d'objets qui accusent un art, une industrie, une science quelconque, plus ou moins analogues à ceux que nous avons recueillis dans les abris ou les tombes de l'homme primitif ? N'est-ce pas le cas d'ap- pliquer à ces animaux supérieurs, en le retour- nant, l'adage latin : tout ce qui est humain leur est étranger. / 204 DK I/INSIINCT Kl I)K I/INTKIJ.KIKNCK I.E LANC. AC. K Bruits des insectes. — Clumt des oiseaux. — Voix des iiianiniifèros. (lestes et signes naturels. — Parole. — Conséiiueiices. Nous avons peut-être une dernière ressource pour juger de la valeur relative des intelligences, dans l'exa- men comparatif du langage des bêtes et des hommes. Existe-t-il un langage des animaux? On comprend l'importance de la solution de cette question. Le langage n'est-il pas le moyen de faire connaître ce qui se passe en nous, d'exprimer ce que nous sentons, ce que nous pensons, ce que nous voulons; en un mot, de ti^aduiie extérieurement ce qui se passe intérieurement, et dès lors n'est-il pas possible, dans une certaine mesure, déjuger de l'ac- tivité interne par les manifestations externes, ou, si Ton préfère, de préjuger les sensations, les senti- ments, les pensées d'un être par ce qu'il nous en dit ou nous en exprime. Si la môme intelligence anime et éclaire les hommes et les animaux avec des différences d'inten- sité, on doit remarquer une certaine ressemblance entre les manifestalions des mêmes phénomènes in- ternes et conclure à l'identité des causes par l'iden- tité des effets. Le cri de douleur poussé par un ani- mal ou par un homme ne trompe pas sur la cause qui Fa provoqué. De quelque part que vienne ce cri, nous nous sentons émus, parce que nous avons com- L'INTELLIGENCK 205 pris qu'il exprimait une souffrance. Malheureuse- ment, dans le problème qui nous préoccupe, tout n'est pas aussi facile que l'interprétation extérieure des émotions. On a vu plus haut que toutes les fois qu'un animal nous a paru comprendre, comparer, apprécier, vouloir, nous l'avons déduit de certains actes, et non pas observé directement. Distinguons d'abord, entre les diverses manifesta- tions, celles qui sont involontaires ou instinctives, de celles qui sont volontaires ou intelligentes ; celles qui sont des propriétés de celles qui sont des actes. Un certain nombre d'animaux ont à leur service des signes de reconnaissance qui ont pour eux les avantages d'un langage, mais auxquels nous ne sau- rions donner ce nom. Le grillon, par exemple, cet insecte bien connu par son cri monotone qui lui a valu le surnom fami- lier de cri-cri, paraît produire ce bruit pour appeler sa compagne ou pour la charmer : placé au bord de son trou, sur le seuil de sa porte, car il ne s'aven- ture pas au loin, il ne cesse pas son éternel cri-cri; s'il appelle sa compagne, elle se montre bien indif- férente à son appel, et s'il la charme, il faut avouer qu'elle n'éprouve pas la satiété inséparable d'un long usage. Ce n'est pas une voix sortant d'un larynx, comme on est toujours tenté de le croire; ce bruit •200 DK L'INSTINCT ET DE LMNTELLir.ENCE Strident est protluil par le IVollemcnt des cuisses contre le corselet. Le crrilloii. Les criquets, les sauterelles font entendre des bruits analogues mais moins perçants et se rappro- I.e criquet voyagoni*. chant du ronron, du bourdonnement; c'est aussi le résultat du frottement tantôt des ailes, tantôt des L'INTELLIGKNCE 207 jambes, et, sans doute pour ces animaux, ce sont des moyens de communication sans grande portée; l'équi- valent d'un appel, ou, par exemple, de la phrase : « Je suis là . » Ce qu'on nomme le chant de la cigale est un bruit assourdissant et somnifère pour lequel les Grecs et les Latins ont montré un goût absolument injustifia- ble, à en croire leurs poètes. Ce bruit est produit par La cigale. un appareil spécial qui occupe une partie du ventre de l'insecte. On peut le comparer à un tambour de basque ou à une timbale. C'est en effet une membrane ou peau tendue qui vibre sous l'action des muscles. Pendant que la femelle prépare le nid commun, en perçant, à l'aide de sa tarière, le tronc ou les branches d'un arbre, afin de creuser la cavité qui doit recevoir les œufs, le mâle, immobile, fait entendre son bruit qui paraît charmer la femelle et l'exciter au travail. D>: L'INSTINCT Kl l)K L'INTELLIGENCE ¥ Ces bruits no seraient-ils pas pour ces insectes réquivalent de nos arts d'aj^rément ? avec celte différence toutefois qu'ils seraient fatals, puisqu'ils dépendent de l'ori^anisation de Tanimal, et en outre invariables, exclusivement propres à l'animal; en un mot ces bruits rentrent dans la catégorie des instincts. Les mouches, les cousins, les abeilles, et surtout les bourdons bourdonnent ; d'autres insectes produi- sent également des bruits divers qui ne sortent point de leur gosier et sont le résultat (les vibrations produites soit par leurs ailes, soit par d'autres or- ganes; faut-il voir là un signe de reconnaissance? à l'aide do ce bruit Abcillr. ces insectes parviennent-ils à se rassembler? C'est possible, mais avouons que le vo- cabulaire d'un semblable langage est bien limité. Il n'est pas douteux que certains insectes échangent quelques idées ; nous avons eu l'occasion de l'obser- ver pour les fourmis et les abeilles. La nature de leurs travaux les oblige souvent à réunir leurs efforts pour accomplir une tache. A ce moment, ainsi que nous en avons déjà fait l'observation, les fourmis se communiquent leurs impressions, s'éclairent mu- tuellement sur les moyens les plus propres à attein- L'1-NTELLIGENCE 209 dre le but qu'elles se proposent. Or, c'est à Taide de leurs antennes, qui sont sans doute des organes de sens multiples, qu'elles causent ou qu'elles échan- gent les quelques pensées, toujours les mêmes, qui ont trait à leurs travaux et à leur existence de chaque jour. Il y a là l'équivalent d'un langage, mais Pimpossi- bilité où nous sommes de connaître les propriétés des antennes et la nature des communications échan- gées, ne nous permet pas de comparer ces moyens de communication avec le langage. Le résultat est le même, mais comment suivre le travail interne qui s'accomplit chez des êtres aussi différents de nous à tous les points de vue: différence détaille, d'organi- sation, de sens, de système nerveux, d'aptitudes, etc? Il est trop évident que les éléments de comparaison nous manquent et qu'on ne saurait que s'aventurer dans le champ des hypothèses en allant plus loin. Le chant des oiseaux est peu éloigné de la voix humaine. Ce n'est plus un bruit comme celui produit par les insectes, et auquel l'animal qui le fait enten- dre paraît indifférent. Il sort de la poitrine de l'oi- seau et il est produit par un larynx analogue au nôtre. Entre l'oiseau et nous, il n'y a pas de diffé- rence aussi profonde qu'entre nous et les articulés. Certains sont des animaux domestiques, — la poule 14 iJO DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE par exemple ; — Tobsi^rvation de leur manière de vivre et de leurs mœurs est relativement aisée, nous sommes donc sur un terrain assez favorable. Le cliant proprement dit est Tapanaj^c du mâle qui paraît s'en servir pour charmer la l'emelle. Au printemps, en même temps que le mule revêt un plus beau plumage, sa voix acquiert toute retendue, la beauté et le charme qu'elle comporte. — Son ra- mage se rapporte à son plumage. | — La femelle, en cfiet, n'y est pas insensible; silencieuse, elle prête une oreille attentive et ravie. Si plusieurs maies sont réunis autour d'elle, ils s'évertuent à montrer leur talent de chanteur, ils rivalisent pour la vigueur, la pureté des notes, la souplesse, retendue, la sonorité de la voix; ils semblent lutter pour un prix de chant qu'elle doit leur décerner; il s'agit évidemment de lui plaire et de conquérir ses bonnes grâces. Le chant varie avec l'espèce ; ce n'est pas une lancine commune à tous les oiseaux et à l'aide de laquelle ils peuvent tous s'entendre. Non, le serin, le rossignol, le roitelet clianlent dans des langues diiïérenles; tout au plus comptc-t-on quelques oiseaux imitateurs, mais qui imitent comme le perroquet, sans compren- dre ce qu'ils répètent. Quelques oiseaux ajoutent à leur chant ce qu'on peut appelei" leurs gestes. Pendant qu'ils chantent. L'INTELLIGENCE 211 ils exécutent une sorte de danse, hérissent leurs plumes, allongent leur cou, font les beaux comme dans d'autres occasions ils font les terribles; en un mot, par ces attitudes, ces mouvements qui nous paraissent bizarres, ils cherchent évidemment à augmenter leurs avantages. Ces mouvements sont également propres à chaque espèce, ils sont inva- riables et innés, et à ce titre se rapprochent des mouvements instinctifs. Outre ce chant, sorte d'art d'agrément dont il vient d'être question, que certains oiseaux seule- ment possèdent, et parmi ceux-ci, le mâle exclusi- vement, les oiseaux ont une voix que font entendre mâles et femelles, à l'aide de laquelle ils peuvent échanger leurs idéeSy se révéler mutuellement leurs impressions, et qui serait le langage des oiseaux. Langage restreint, il est vrai, mais précis. Ainsi, lorsque la nuit arrive et que les oiseaux gagnent leur nid, si l'un d'eux fait attendre l'autre, ce der- nier rappelle d'une voix tour à tour inquiète, plain- tive, pressante, impérative; il semble dire à sa compagne ou à son compagnon : a Yiens-tu ? — Ne viens-tu donc pas? — Viens donc. — Voyons, dé- cidément viens-tu? » Tout le monde a vu la poule entourée de ses pous- sins : elle leur adresse sans cesse de petits cris ma- 412 DK L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE ternels qui semblent dire: «Par ici, enfanls; ne vous éloignez pas trop, » et les petits de l'aire entendre un petit cri qui semble dire : a Nous voici, nous voici. » Si elle craint quelque danger, aussitôt elle fait entendre un cri (\m est l'équivalent d'un ordre maternel: « Enfanls, approchez, » et les poussins de courir auprès d'elle. Quelquefois ce sont ces der- niers, effrayés à tort, qui jettent de petils cris de ter- reur et semblent dire : « Maman, maman, » mais elle, plus calme, les rassure d'une voix grave : « Ce n'est rien, n'ayez pas peur. » Si le coq rassemble ses poules, c'est aussi par un cri qui est l'équivalent d'un ordre de maître. I Tous ces cris peu variés se rapportent aux usages de la vie chez les oiseaux, ils sont bornés comme leurs besoins, comme les incidents de leur existence si unie, si peu accidentée. La douleur, la joie, la colère, la tendresse, l'inquiétude ont leur cri expres- sif et c'est tout. Serait-ce là un langage ? Les mammifères ont également des voix non moins variées que celles des oiseaux et qui ont reçu les noms de rugissement, mugissement, glapissement, miaulement, aboiement, etc. La hauteur des sons. L'INTELLIGENCE 213 leur intensité, leur timbre, varient chez les divers animaux; les modulations, le caractère, l'ampleur de la voix, changent en passant d'une espèce à une autre. Chaque voix est propre à l'espèce et ne peut être ni comprise ni imitée par les autres. Certains, le bœuf par exemple, ont une voix simple, un très petit nombre de phrases incessamment répétées. Le plus souvent, ils s'abstiennent de pousser leurs cris. Le cheval hennit d'un petit nombre de manières. L'élé- phant, la girafe sont le plus souvent muets. Le singe pousse de véritables cris qui n'ont rien d'humain. Le plus souvent l'enfant qui vient au monde jette des cris de douleur. La voix du chien est la plus nuancée, il a un aboiement pour l'expression de chaque émotion, de chaque sentiment, de chaque sensation. Il exprime ainsi la joie, la douleur, la colère, la plainte, la ter- reur. Il possède toute la gamme des sentiments. Il est en outre prodigue d'un geste singulier qui n'ap- partient guère qu'à lui : ce sont les mouvements de sa queue par lesquels il marque son affection, son con- tentement, son désir déjouer et de plaire. Au balan- cement régulier et rapide de sa queue, on reconnaît les dispositions amicales du chien ; si, au contraire, il s'approche en grondant, « serrant la queue et portant bas l'oreille )), il doit éveiller nos défiances. Il nous renseigne ainsi sur les gens qui nous visitent, et l'on a pu dire plaisamment que la queue du chien est le balancier de son cœur. ^U DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE En somme, les animaux ont un langage dans leurs voix et leurs gestes ou leurs altitudes, il est vrai que ce langage n'exprime que des émotions et des senti- ments : rintelligcnce n'intervient pas dans sa forma- tion, le corps seul parle pour ainsi dire, et laisse en quelque sorte échapper simultanément des cris et des gestes inslinclils. En mènit tomps que l'animal reçoit un coup ou même si l'on fait mine de vouloir le frapper, il fait un mouvement instinctif pour éviter le coup, et pousse un cri de douleur ou d'alarme qui n'est pas moins instinctif que le mouvement. L'enfant, dans les mêmes circonstances, n'agit pas autrement. Dès que le chien aperçoit son maître après une absence, il court à lui en faisant entendre des aboie- ments joyeux; dès que l'enfant aperçoit ses parents, il se jette dans leurs bras en marquant sa joie par des cris et des caresses. Les mouvements sont sou- dains; les cris sont subits; nul intervalle entre les deux: c'est une explosion qui n'admet ni la réflexion, ni le jugement, ni la détermination. Ainsi quand, sous le coup d'une émotion, comme la colère, la dou- leur ou la joie, nous lançons les interjections ah ! oh ! ave ! l'expression est fatale, instinctive. On dirait que la voix part du corps, comme un ressort qui se détend subitement, sous l'influence du trouble qui s'empare de nous. L'INTELLIGENCE tîl5 Le langage de l'enfant et de certains hommes qui, malgré un âge avancé, sont restés enfants faute de culture, est analogue sinon semblable au langage des animaux; ce que l'un exprime, l'autre l'exprime également, et l'expression est la même pour les mêmes sensations ou sentiments exprimés. Un cri de douleur poussé par l'enfant et par l'animal ne diffère que par des particularités qui tiennent de la différence d'organisation. 11 en est de même des mouvements ou des gestes de l'un et de l'autre, «comme ceux qui sont provoqués par la frayeur, la €olère, etc. Les cris ou les interjections, les gestes ou les mouvements, tels sont les commencements de tout langage. Il ne faut pas attacher d'importance à la di- versité des voix, aux qualités du son produit, à son ampleur, à la succession et à la valeur relative des notes, à la modulation, au rythme, en un mot, à tout ce qui différencie les voix. Ce qui importe, c'est de constater la relation entre le cri et la sen- sation, ou entre la manifestation externe et l'acte interne. Là est la partie commune entre les deux langages. On ne saurait attendre de l'animal qu'il s'exprime comme nous avec des organes différents; sent-il comme nous, non au même degré mais de la même manière ? Tel est le fait à établir, et dans les limites où nous nous plaçons, nous n'hésitons pas à répondre oui. La douleur est chez lui comme chez l'homme une impression pénible ; le degré dans la 216 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGKNGK sensibilité peut seul diirérer. 11 soufl're connue nous et il y a équivalence sinon identité entre les deux cris. Le bœuf mugit, le chien aboie, l'enfant crie: chacun parle sa langue et la parle à sa manière, cha- cun rend une môme émotion par dos cris dillérenls comme les hommes de nationalités dilïerentes. On peut môme prévoir rpie les hommes possédant des larynx idcnliques, et ressentant des impressions identiques, doivent pousser des cris identiques, et conclure de l'unité d'organisation à l'unité du lan- gage primitif. Le langage primitif n'est pas celui que les philo- logues désignent sous ce nom. Il s'agit pour nous du langage de l'homme primitif, aussi éloigné des langues dites primitives que les événements historiques le sont de la période préhistorique, langage dont il existe des traces introuvables dans toutes les langues, traces que l'on ne parviendrait à découvrir qu'à l'aide d'une analyse linguistique analogue à l'analyse spec- trale. Il existe également des gestes instinctifs et pri- mitifs au même degré et qui ont fait partie du lan- gage primitif. Ainsi, on sait que tous les sourds-muets ont un ensemble de signes naturels et non artificiels, non appris. Placez en présence deux sourds-muets qui ne se connaissent pas, qui ne se sont jamais vus, ils parlent aussitôt par signes. Le signe est d'un usage général : deux personnes ne parlant pas la môme langue, et ne pouvant en conséquence échanger L'INTELLIGENCE 217 leurs idées par la conversation, emploient sans hési- tation les silènes naturels. 'O' Tandis que le langage animal est fixe, invariable, réduit aux éléments dont nous avons parlé, le lan- gage humain va poursuivre son développement paral- lèlement à celui de l'esprit humain. L'homme ajoute à son langage comme il ajoute à son esprit, et la per- fection de l'un correspond à la perfection de l'autre. Chaque conquête nouvelle de l'esprit humain en- traîne comme conséquence un accroissement et un perfectionnement dans le langage. L'animal traduit ses impressions par ses cris, mais il ne nomme pas les corps qui l'environnent : les eaux, la terre, les étoiles, le soleil, ni les objets qu'il voit ou qu'il touche, comme la maison, le feu, les ali- ments, ni les êtres qui lui sont chers, comme le père et la mère. Au contraire, l'enfant, l'homme primitif attache un nom à toute chose; c'est un son imitatif, une sorte d'onomatopée qui rappelle plus ou moins pour lui la chose représentée : le concret d'abord, l'abstrait, le général ensuite. L'intelligence de l'enfant et de tout esprit inculte est fermée aux abstractions; la métaphysique ne leur convient pas. Il faut un état de civilisation très avancée chez un peuple pour que les idées générales se manifestent ainsi que le langage qui leur convient. L'esprit humain est ainsi fait. L'homme voit les objets, il les perçoit, il en a l'idée, 218 l)K I.INSTINCTET DE L'INTELLIGENCE il est frappé par une propriété saillante de [robjet cl il rappelle cette i)ropriété par un son. On croit souvent (fuc les cnl'ants généralisent parce que, leur attention ayant été appelée sur un objet, ils désignent tous les objets semblables lorsqu'on les invite à en désigner un seul ainsi : ils appel- lent papa tous les bommes indistinctement. Comment M. Taine a-t-il pu s'y tromper? On montre à un enfant un portrait déterminé, celui de son père, puis, à un autre moment, on lui demande de montrer le portrait et il se tourne alors vers un tableau quelconque. — Ce n'est pas une généralisation; l'enfant ne voit qu'un tableau unique dans tous les tableaux. Avant un cer- tain âge, il lui est impossible de discerner ce qu'il y a sur un tableau. Nos paysans traversent les galeries du Louvre avec indifférence et préfèrent de beaucoup un dessin grossier avec des enluminures, aux toiles des maîtres, qu'ils ne comprennent pas plus que les symphonies de Mendelssohn et l'algèbre. L'enfant qui reste f^oid à la vue des poupées de nos jours, chefs- d'œuvre inutiles, se passionne pour une grossière poupée taillée dans le bois en quelques coups de hache. On ne saurait admettre que l'enfant à qui l'on dit: « Montre papa! » comprend le sens de ces mots; au- tant vaudrait dire qu'il comprend le verbiage dont on L'INTELLIGENCE 219 se sert avec lui comme de langage. Ce sont des sons, des intonations qu'il entend et dont il comprend le sens. Nous som^mes forcés de recommencer à par- courir avec nos enfants les étapes qu'ont parcourues nos ancêtres. Il serait au moins imprudent d'em- ployer trop tôt avec eux notre langage civilisé. Ainsi, dès l'origine, l'homme se distingue des ani- maux par son langage et, par conséquent, par ses idées. A peine avons-nous poussé quelques cris, préludes du langage humain, que nous parlons, Nous ne restons pas longtemps au même niveau que Tani- mal; nous le dépassons tout de suite; nous commen- çons par un travail de dénomination : nous étiquetons toute chose. C'est là une œuvre purement intellec- tuelle et dont l'intelligence de l'animal est incapable. Aucun aboiement, mugissement ou cri n'est employé à désigner un être ou un objet. Nous sommes donc autorisé à conclure que le cerveau de l'animal n'est pas le siège d'un travail analogue à celui qui se pro- duit dans le cerveau de l'homme. L'animal voit des images, et il éprouve pour ces images et pour ce qui en émane et frappe ses divers sens, des impressions diverses qui lui inspirent les cris d'éloignement ou de désir. Le chien sent un mets dont l'odeur lui est agréable; il le mange sans s'informer en lui-même du nom qu'il porte. Quand il aura faim, il demandera 220 hK L'INSTINCT ET DE l/INTELLIGENCI sa pàlée, non nne pàtce déterminée par des aboie- ments; l'enfant demandera du chocolat, de la soupe, ou tout autre aliment déterminé qu'il aime. H y a donc une langue primitive, ébauche informe de toutes les lanp^ues, composée d'un petit nombre de niots répondant au petit nombre des idées, et déjà, cette langue originelle dont on ne retrouve presque plus de traces, surpasse de beaucoup le prétendu lan- gage des animaux les plus intelligents; elle le surpasse d'autant que les idées de l'homme primitif surpassent elles des animaux. Aux gestes ou signes naturels qui accompagnent et complètent le langage oral rudimentaire, l'homme ajoute des signes écrits, dessin ou écriture, et pro- bablement le dessin d'abord, comme étant de sa na- ture plus concret que l'écriture. — Cette dernière n'a peut-être consisté à l'origine qu'en représentations figuratives des objets. — Voilà comment s'est opérée la succession des opérations mentales qui ont contribué à la formation du langage : d'abord l'idée provoquée par un objet extérieur, sa forme orale associée au geste, sa forme représentative ou écrite. Il ne s'est pas produit d'idées générales à l'origine. L'INTELLIGENCE 221 Ce travail considérable, riiomme a pu seul l'accom- plir ; aucun animal ne saurait exécuter quelque chose d'analogue ou d'approchant. L'écriture et le dessin ne sont-ils pas d'ailleurs interdits à l'animal de par son organisation, en admettant môme que la parole fût possible pour lui. Or, à quelque point de vue qu'on se place, quelques idées qu'on professe, la logique ne nous permet pas d'admettre que l'animal conçoit ce qu'il ne saurait exprimer. Qui n'exprime pas de pensée n'a pas de pensée. Les manifestations externes sont le reflet du travail interne ; rien n'est dans le langage qui n'ait été préalablement dans Tin- lelligence. Les arguments tirés du langage corrobo- rent les conclusions déjà formulées plus haut sur la faible capacité intellectuelle de l'animal. •k •k k Le singe possède bien une main, mais cette main n'est point faite pour tenir une plume ou un crayon. La main du singe est au service du corps: par elle, l'animal grimpe et saisit ses aliments ; la main de l'homme est surtout aux ordres de l'esprit : par elle, il dessine, il calcule, il écrit, et l'organe est si bien sous la domination de l'esprit, que si la main est ab- sente, le pied, quoique moins bien disposé, la rem- place. De la sorte, l'homme qui ne possède que deux pieds parvient h faire ce que le singe ne saurait exé- cuter avec ses quatre mains. Itl. LI.NMIM.I 1.1 l)K l.'IMhl.Lh.KM.K Le sourd-muet, Tavcu^le, avec un sens do moins parviennent à développer leur intclliiTcnee parce qu'ils ont une intelligence susceptible de développe- ment. Un sens manque-t-il dans l'homme, les autres le suppléent et acquièrent une sensibilité exception- nelle par le fait d'un exercice plus fréquent. L'in- telligence l'exige; c'est elle qui gouverne et non le corps. L'aveugle apprécie les formes sans les voir, comme le sourd juge les sons sans les entendre. Ainsi, bien que les sens soient les serviteurs de l'intelli- gence pour la renseigner sur le monde extérieur, l'intelligence sait, au besoin, se priver du concours de l'un d'eux pour connaître les notions qu'elle ac- quiert ordinairement à l'aide de celui-là même. L'ab- sence d'un sens ne la laisse pas au dépourvu. Privée d'un de ses outils, elle transforme ceux qui lui restent de manière à remplacer celui qui lui manque. Qu'on cesse donc de voir dans des dispositions organiques seulement la raison du développement de l'intelli- Si les dispositions organiques suffisaient, l'aptitude que possède le perroquet devrait lui permettre de r-ommuniquer avec l'homme, mais le perroquet n'i- mite que des sons dépourvus de sens pour lui. S'il est vrai qu'un mot dit par un homme révèle une L'INTELLIGENCE 22:) idée, et que l'idée s'est en quelque sorte frayé un passage au dehors au moyen de la parole, la réci- proque n'est pas vraie : la parole venant du dehors ne crée pas l'idée au dedans. Le perroquet restera donc ce qu'il est, un oiseau qui imite des sons arti- culés dont il ne comprend pas le sens, e( les hommes continueront à appeler perroquets ceux d'entre eux qui, comme ces oiseaux, parlent sans comprendre ce qu'ils disent, ou retiennent à l'aide de la mémoire ce que leur intelligence ne s'est pas approprié. L'intelligence do l'animal est donc, comme nous l'avons dit, essentiellement limitée ; déjàpeu étendue de sa nature, elle n'est susceptible que d'un dévelop- pement très restreint. Le monde est, pour elle, réduit aux impressions, aux sentiments qui naissent de la vie ordinaire. Nulle aspiration, nul travail qui ait son origine dans l'esprit. A proprement parler, l'animal ne pense pas, c'est-à-dire qu'il ne fait pas un travail dont l'esprit seul fasse les frais. Dès qu'elle n'est plus surexcitée, son intelligence, d'activé qu'elle était, devient passive, jusqu'à ce qu'une nouvelle cause provoque son activité. Aussi, croyons-nous que les animaux ne connaissent pas l'ennui, « l'ennui, ce triste tyran de toutes les âmes qui pensent, contre lequel la sagesse peut moins que la folie », ditBuffon. Ils n'éprouvent pas ce malaise qui résulte du défaut iJi DK L'INSTINCT ET DK L'INTELLIGENCE d'activité de l'esprit, de cette absence d'intérêt pour les choses; la conscience du temps échappe à rani- mai ; il ne le trouve ni lonj? ni court-; il n'en a aucune mesure. Gomme les sauvages, comme les enfants, il n'éprouve pas de lassitude dans ses jeux et prolonge son repos au delà du besoin. 11 n'y a pas pour lui cette différence de situation morale que nous sentons dans le passage du travail à roisivelé ou inverse- ment. L'uniformité n'a rien qui Fincommode. Sa vie n'est point une chaîne dont les événements sont les anneaux, mais une suite d'événements qui ne se lient pas ; tout entier à celui du moment, ceux qui sont accomplis ne sont pas dans le passé, et il n'en pré- voit pas d'autres dans l'avenir. Passé, avenir, n'exis- tent pas pour lui. 11 m'est souvent arrivé, en voyant une voiture qui stationne pendant un long- temps, de réfléchir à l'état de l'esprit du cheval et du cocher. Le premier n'éprouve aucun ennui; l'autre baille, s'étire ou trompe son ennui en lisant ou en donnant un libre cours à ses pensées. Le cocher s'ennuie d'ail- leurs plus ou moins, en raison de l'activité de son esprit. Qu'on attribue le fait à la Providence ou à une nature inconsciente, on ne peut qu'admirer cette heureuse rencontre de l'absence d'ennui chez un animal qui n'aurait aucun moyen de s'en défendre et qui serait ainsi fatalement condamné à la souffrance. A cet égard, les animaux sont comme les insensés qui ne s'ennuient pas non plus. Comme ils ne de- viennent pas fous, et que la fohe prouve la raison, en L'INTELLIGENCE 225 ce qu'elle est la raison troublée, les animaux ne sont pas raisonnables : on ne perd que ce qu'on possède. L'animal n'est jamais inférieur à lui-même; l'homme qui s'enivre descend au-dessous de tous les animaux. Le premier est irresponsable, le second est au contraire responsable. En outre, les affections du cerveau qui provoquent les variétés de la folie chez l'homme, sont des dégénérescences qui ont leur source dans les chagrins, les préoccupations, les émotions profondes, etc. Or, je ne sache pas qu'on ait retrouvé dans les cerveaux d'animaux des traces analogues d'atrophie, de dégénérescence, de décom- position de la matière cérébrale. Lorsque l'homme est atteint dans son intelligence, on en sait les causes, on voit le progrès de la maladie, on en prévoit le terme, et on en trouve la cause matérielle dans l'état du cerveau après la mort. RESUME En résumé, entre l'intelligence de l'animal et celle de l'homme, il n'y a pas de différence d'essence ou de nature, en ce sens que l'une et l'autre mani- festent des phénomènes de sensibilité, d'entendement et de volonté. L'intelligence de l'animal présente ce caractère singulier que, réduite à elle seule, elle est passive ; 226 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE son activité ne s'éveille que spus rinflucnce des phé- nomènes extérieurs. L'intelligence de Tanimal se meut dans une sphère étroite dont elle n'atteint même pas toujours les limites, si ce n'est sous notre impulsion, car l'animal n'aspire à aucun idéal, il n'a aucune idée de la per- iection, et par conséquent nul désir d'en approcher. Quel mohile pourrait le pousser vers un hut qu'il ignore ! N'est-ce pas pour notre seul profit que nous cultivons son intelligence? Mais lui, quel bien en ressent-il? Quel avantage en tire-t-il? L'avantage qu'il a, l'animal n'en sait rien. L'activité mentale de l'animal est circonscrite dans l'espace et dans le temps. Aucun infini ne le tourmente. 13e l'espace, il ne conçoit que ce qu'en embrassent ses sens, et quant au temps, il est tout entier au mo- ment présent. Le champ de son action est borné à ses besoins, à ses appétits, à ses affections; aucun souvenir d'un passé qu'il oublie, aucune inquiétude d'un avenir qu'il ignore. On ne se représente pas un animal dont l'horizon intellectuel serait plus vaste; il y aurait entre ses moyens d'action, ses organes et son intelligence un défaut d'harmonie qui ne se rencontre nulle part dans la nature. Quelles tortures morales ne résulteraient pas de l'union d'une âme humaine avec un corps d'animal ! Les auteurs de la métempsycose avaient-ils I L'INTELLIGENCE 227 mesuré toute la portée cruelle d'un pareil châti- ment ! L'intelligence de l'homme traverse cette phase qui répond à l'intelligence de l'animal, dans la première enfance, dans celte période qui s'écoule de la nais- sance à la troisième année environ, période dont nous n'avons conservé aucun souvenir et qui est restée obscure pour chacun de nous. Tout se bornait alors dans notre esprit à une succession d'impres- sions aussitôt eiïacées que senties. Ainsi disparaissent sans laisser de traces les images que la lumière fait naître sur la plaque photographique, lorsqu'elles n'ont pas été fixées. Et pourtant, pendant cette période nous avons vécu, pensé, agi. Quelqu'un peut donc penser, ne se pouvant connaître. Notre réflexion ne s'appliquait qu'aux sensations éveillées par les choses extérieures; notre esprit ne se repliait pas sur lui-même; il ne se percevait pas percevant (Broussais). L'animal reste enfant; son intelligence ne traverse pas de phase nouvelle. Chez l'homme, au contraire, l'inteUigence ne cesse pas de se modifier et de s'éten- dre. A un certain moment de notre enfance, une lueur perce l'obscurité relative de notre esprit. C'est l'éveil 228 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE de la consoioncc, du moi, de la porsonnalilé. La lueur, d'abord laiblo, allisre par le travail de la pensée, est devenue lumière. A partir de ce moment, nous avons conservé le souvenir de nos actions, nous en avons compris l'importance relative, nous y avons attaché une idée de mérite et de démérite, nous nous sommes senti libre et responsable, nous sommes devenu un être moral. L'animal, lui, pas plus que le très jeune enfant, ne discerne ni le bien ni le mal; il donne librement carrière à ses appétits, cherche à satisfaire largement ses goûts, et ne voit rien au delà du plaisir qu'il recherche ou de la douleur qu'il fuit. Il n'éprouve ni satisfaction ni remords. Il semble quelquefois regretter d'avoir fait le mal, tandis qu'il redoute seulement le chîllimcnt qui en est la conséquence. Pour lui, point de mérite ni de démérite, point de liberté ni de responsabilité; l'animal n'est pas un être moral. Dès que nous sommes sorti des limbes de l'intel- ligence, de cette première période sans individualité, notre développement se poursuit, et, s'il ne dévie pas, notre sensibilité devient plus vive, notre savoir plus étendu, notre raison plus ferme, notre con- science plus délicate. L'intelligence de l'homme, essentiellement perfectible, est toujours en activité et souvent en progrès. L'INTELLIGENCE 229 Devenu homme, nous puisons dans la conscience de notre imperfection, et dans l'idée que nous avons de la perfection, le désir, le besoin, la volonté de nous perfectionner encore. Chaque homme ne combat pas d'ailleurs, pour lui seul, l'ignorance et le mal; l'humanité tout entière bénéficie des efforts de cha- cun de ses membres. Il existe pour ainsi dire deux hommes : l'homme simple et l'homme complexe ou l'humanité. Tous deux poursuivent simultanément leur marche et accomplissent leur évolution, tous deux sont perfectibles. Mais le premier est un être conscient et libre, tandis que l'autre n'est qu'une résultante. Comment pourrions-nous nous résigner à voir la marche ascensionnelle du premier subitement inter- rompue par la mort, à voir l'évolution de l'être moral et responsable tout à coup suspendue, pen- dant que l'humanité inconsciente et irresponsable serait immortelle! L'arbre meurt, dira-t-on, la forêt subsiste; les individus disparaissent, les espèces per- sistent. C'est la loi naturelle, fatale, inexorable. L'individu est toujours sacrifié ; les espèces seules sont permanentes. Et quand cela serait vrai de la nature entière, il serait permis de réclamer une exception en faveur de Fhomme. Où existe-t-il un être libre et responsable comme fhomme et possé- dant la notion du bien et du mal? Qui partage avec lui la souveraineté du globe ? Qui peut lui être corn- ^l'M) DE L'INSTINCT KT DE L'INTELLIGENCE paré pour prétendre aux mômes espérances? Quel ôlre pourrait aspirer à un monde qu'il ne conroil pas? L'animal n'éprouve pas ie désir de connaître la vérité ni la justice; il ne voit point venir la mortel la mort ne le surprend pas. Il vit jusqu'au dernier de ses instants, sans inquiétude, comme sans espérance. Sa vie, composée d'épisodes qui se succèdent, sans lien entre eux, ne saurait être comparée à la vie continue de l'homme, à la succession des événements formant un tout dont la conscience de la personnalité est le lien. Pour l'ame de l'animal que serait l'im- mortalité, sinon la continuation du même état, sans modification, sans amélioration ; une éternité uni- forme? A quoi bon l'espace à qui ne se meut pas; à quoi bon l'avenir à qui n'espère pas ? L'homme a soif de vérité et de justice. Il pressent la perfection sous toutes ses formes et ne voit rien que d'imparfait autour de lui. La beauté ne lui ap- paraît qu'incomplète; la vérité, relative; la justice, la bonté, la vertu, infirmes par quelque côté; et pourtant il conçoit une beauté parRiite, une vérité absolue, une justice infaillible. Comment étouffer cette aspiration suprême vers l'idéal entrevu ! Gom- ment se ravir la noble espérance de l'approcher, si- non de l'atteindre! Eh quoil rien au delà de cette tombe muette ! La mort, la mort complète, absolue, sans espérance ! Et le salaire de nos efforts, et la ré- compense de tant de vertus enfantées par l'espoir de \ r L'INTELLIGENCE 231 rimmortalilé, faut-il donc y renoncer? Sans doute il est un juge en nous qui nous blâme ou nous ap- prouve, qui trouble le méchant comblé par la for- tune, et console le juste accablé par le malheur, mais cela ne suffit pas : c'est une compensation à l'injus- tice; ce n'est pas la justice. Et la tâche commencée, l'œuvre inachevée ne doit- elle pas être accomplie? N'avons-nous pas à pour- suivre notre amélioration brusquement suspendue au moins en apparence? Ecoutons le poète : La mort est un sommeil, c'est un réveil peut-être. Ne renonçons pas à cet espoir de voir, par delà les ténèbres^ de la tombe, l'aurore d'une nouvelle vie» Ce n'est pas là seulement une consolation pour les exilés de la terre qui croient à leur réunion fu- ture avec ceux qu'ils ont aimés. Il y va de notre di- gnité, car c'est de l'esprit et non du corps que nous la tenons; tout ce qui relève l'esprit la relève. Il y va aussi de l'avenir des peuples : comment un peuple pourrait-il se désintéresser de compter ou non dans son histoire les vertus, les dévouements, les sacri- fices inspirés par l'espoir des récompenses éter- nelles! FIN- l'ÀKlS. — tMPIUMERIE K M I L K MARTINET, KUE MIGNON, 2. ■\ o&^3 -M ^^The R. W. B. Jackson Library OISE y}îé em *:^>.fr wm 5ir, < 4^ i/î 0J ^