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EN VENTE A LA MÊME LIBRAIRIE

ENVOI FRANCO AU REÇU DU PRIX (MANDAT OU TIMBRES-POSTE )

DU MEME AUTEUR

Les Quarante médaillons de l'Académie fran- çaise 2 OU

Polémiques d'hier 3 50

LÉON liLOY

Le Désespéré". . . ... 3 50

In Brelan d'Excommuniés 2 00

Christophe Colomb devant les Taureaux . . . 3 50

J.-H. ROSNY

A'ell II. .M, . ." 3 50

Le Bilatéral 3 50

L'Immolation 3 50

Le Termite 3 50

Les Xipéhus 2 00

Jacques LE LORRAIN

*n 3 50

Le Bonsset 3 50

Georges DARIE.N

Bas les Cœurs 3 50

Biribi 3 50

MARCEL LUGUET

Elève-martyr 3 50

En guise damants 3 50

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Tous Quatre 3 50

Confession posthume 3 50

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É V R E L' X , IMPRIMERIE DE CHARLES H E R I S S E Y

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PARIS

NOUVELLE LIBRAIRIE PARISIENNE

ALBERT SAVINE, ÉDITEUR

12, Rue des Pyramides 12, 1891

Tous droits réservés.

Universîfaa IQTHcCA

iens'is

Ce livre, préparé par r auteur lui-même il y a quelques années, devait être dédié au plus ancien de ses amis, son présentateur et son défenseur à /'Opinion publique, en 1849, et le premier éditeur des Prophètes du Passé,

Monsieur Louis HERVÉ.

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MAZZINI

Mort à temps, s'il est mort : car il a joué plus d'une fois au petit bonhomme vit encore, ce grand bonhomme de la Démocratie ; mais, s'il est réellement et décidément mort, bête et venin, il a bien choisi son moment pour dispa- raître. 11 n'était qu'en retard d'un cercueil ; mais, au fond, il était déjà mort, mort sur pied. Ce Vieux d'une Montagne qu'on ne gravissait plus ; cette idole d'une Démocratie athée main- tenant à tous les genres de dieux, ce tranquille Jjipin, non plus assemble-nuages, mais assemble- assassinats, qui trônait là-bas, dans sa brume anglaise, favorable à tous les coquins, et qui, comme Œnone dans l'oreille de Phèdre, souf- flait le crime dans l'oreille des peuples, mais prudemment, lui ! avec une sarbacane de lon- gueur, était tombé à l'état de vieille idole égyp-

l

DERNIERES POLEMIQUES

tienne, aux mains sur les genoux, gardant pour ses besoins personnels ses petits papyrus, qu'il lançait autrefois dans l'espace : momifié, momie, n'ayant plus droit qu'au coup de chapeau à l'enterrement qui passe, et on le lui donne en ce moment, et tout cela depuis quel temps. ô Démocratie ?...

Depuis qu'à la place du poignard qui fait trop peu de besogne à la fois et qui expose sou homme, nous avons le pétrole fait pour la main des femmes et les pelotons d'exécution à l'heure, comme des fiacres !

Ce Damoclès de rois, dont l'épée ne tomba sur le front de personne, Mazzini, fut longtemps sinistre, et c'est bien quelque chose. Un raconte présentement à sa gloire qu'un jour il épouvanta ce héros àlunettes, le sieur Cayour, tremblant à sa vue, sur les jambes, comme un cheval effrayé : beau spectacle! Mazzini eut l'honneur d'être le lièvre terrible de cette grenouille épouvantée. Et pourtant, pour les hommes d'action, pour les hommes poilus, il n'était lâchons tout ! qu'un blagueur. Il n'aurait pas beaucoup pesé dans la main d'un Corse. d'un de ces Corses qui cuirassaient l'Empereur contre les savetiers du poignard. Oh ! pour blaguer, il blasruait très

MAZZINI

Lien, et majestueusement, avec des airs d'encyclique, volés à l'Eglise, en sa qualité d'Ita- lien ; mais le pétrole et les pelotons d'exécution ne sont pas des blagues. Et voilà ce qui a tué Mazzini, ce fainéant du poignard, sans avoir eu besoin de le passer par les armes. Pauvre Maz- zini, exécuté, du coup, comme un archevêque ou comme un bourgeois! Voilà ce qui a détrôné et jeté au rancart, sans cérémonie, cette vieille guenille de roi et de pape démocratiques ; car il a été pape et roi à sa manière, dans le carna- val politique contemporain, cet avocat, qui, pen- dant quarante ans, ô Bêtise humaine! es-tu assez plate ! s'est assis insolemment sur l'o- pinion publique comme sur sa mule et qui l'a fait aller sous lui ! Et cependant, abominable- ment médiocre, quoique abominablement per- vers, ce n'est pas il faut le reconnaître le premier ou le dernier goujat venu, que Maz- zini. .Malheureusement pour lui, hélas ! ce n'est pas un goujat. Il est, après tout, au milieu des siens, et quand on le compare, un mon- sieur. Il est quelqu'un, un aristo, pour parler comme elles , insupportable à toutes les ca- nailles, dans un temps donné, et ce temps est venu. Les lacs de fange ne permettent pas qu'on soit un obélisque, même de boue. Les

DERNIÈRES POLÉMIQUES

canailles, ces Mazzini multiples, qui ne conseil- lent pas l'assassinat de loin, mais le réalisent de près, ne souffrent pas de Mazzini seul : pas plus de Mazzini solitaire que de pouvoir unitaire ; car l'unité, c'est ce qui fait le plus d'horreur à ces multiplicités effroyables ; et elles ont raison , puisqu'elles sont le nombre, acéphale, brutal, étouffant. Pour elles, il faut être comme elles, la bête aux mille pieds. Les canailles, ces inté- ressantes sœurs cadettes de la Démocratie, et qui ne veulent, pardieu ! pas de droit d'aînesse, les canailles, ces monstres anonymes qui ne s'appellent pas plus Mazzini que Robespierre, et qui ne sont personne, n'entendent, sous au- cun prétexte, qu'on soit quelqu'un, le plus mince, le plus maigre quelqu'un, fut-ce Robinson dans son île, et sans Vendredi ! Ces êtres sans tête qui ont coupé la tête aux rois pour les rendre égaux à elles, et je le comprends, c'étaient des ogres qui mangeaient tout! ne respectent pas davantage celle du plus Petit Poucet parmi tous les Petits Poucets ! Tarquin décapitait les pavots ; elles décapiteraient les pissenlits. La Démocratie, la niaise aînée, croyait Mazzini un colosse. Gobe-mouche, qui a avalé cette mon- tagne comme une hostie, et, comme une pierre, l'a gardée sur son gésier d'autruche. Mais les

MAZZINI 5

spirituelles sœurs cadettes, ces canailles aux- quelles, si Dieu ne s'en mêle, appartient l'avenir, ont, à la lueur de leur pétrole, montré l'insigni- fiance de proportions et l'impertinence de cette ombre de grand homme, la bouffonne terreur de Cavour !

Et elles l'ont effacé en l'éclairant.

17 mars 1872.

CUVETTE DE SAINTE-BEITE

Apres toutes'les cuvettes de sang répandu par la Commune, qu'est-ce que peu! nous faire l'in- nocente cuvette de Sainte-Beuve?...

Car le livre que vient de [millier « le dernier de ses secrétaires », n'est pas un livre, mais tout simplement une cuvette, la cuvette dans laquelle Sainte-Beuve se lave et se savonné, comme un beau diable qui voudrait se faire blanc, des deux taches de la fin de sa vie, celle du dîner du Vendredi-Saint : une tache dégraisse! et celle de sa collaboration sénatoriale au Temps : une tache d'encre ! lesquelles taches, à ce qu'il parait, inquiétaient la propreté de ses derniers jours, comme la propret*'' de La Mer- luche (dans Y Avare), celles de sa culotte.

8 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Avant de mourir, en effet, clans des lettres qui n'étaient pas écrites pour être publiées, Sainte- Beuve, qui sentait ces deux cas honteux, avait essayé discrètement du petit lavabo de la petite lessive au blanc forcé, dont il se croyait avoir besoin, ce virginal homme ! Mais c'avait été, entre ses amis et lui, une chose d'intimité et de cabinet de toilette. Aujourd'hui, ce n'est plus cela. Il a été trouvé profitable à sa mémoire de rendre public ce nettoyage, et voilà qu'on nous Ta montré, s'épongeant.

Il

Spectacle peu ragoûtant, du reste, que cette exhibition de Sainte-Beuve au bain, comme la chaste Suzanne, et dont nous aurions ri autre- fois. Mais il s'agit bien maintenant de rire ! il s'agit bien maintenant de Sainte-Beuve et de la culotte de ce La Merluche attardé ! Ces taches- là, qui les voit à présent? Elles ont disparu dans le sans' et la fange qui ont roulé à flots sur nous. Ah ! que c'est loin de nous, Sainte-Beuve et ses petites impiétés ! Nous avons eu Raoul Rigault. Quand les plus hautes œuvres littéraires, s'il y en avait sous jeu. auraient pudeur de paraître

LA CUVETTE DE SAINTE-BEUVE

dans ce temps d'angoisse patriotique et d'inquié- tudes noires, qu'est ce livre Indiscrétions et de Souvenirs, composé des vieux rogatons, secoués parle dernier de ses secrétaires, du portefeuille de son maître ? L'indiscrétion, il n'y en a qu'une. Elle regarde Sainte-Beuve. C'est de le montrer se savonnant.

Et de fait, pourquoi se savonne-t-il? Cela n'a- t-il pas l'air d'une bassesse? Je demande pardon de parler, quand l'Histoire mugit nos malheurs, de cette petite voix flûtée et tremblotante qui s'excuse de ce à quoi l'on ne pense déjà plus : car les ordures se sèchent et disparaissent ; mais, si le dîner du Vendredi-Saint n'est qu'une innocente distraction & honnêtes gens qui vou- laient dîner ensemble et qui avaient oublié quel jour il était ce jour-là, et si la collaboration du sénateur Sainte-Beuve au Temps fut un acte d'indépendance, pourquoi se justifier ? Pourquoi n'avoir pas le courage tranquille de ses actes?... Ou, plutôt, pourquoi ne pas dire bravement les choses comme elles sont? Pourquoi ne pas dire : Oui ! nous avons dîné joyeusement et grassement le Vendredi-Saint, parce que nous sommes des honnêtes gens de l'avenir, et que, devant ce vieux Christianisme qui tombe, mais trop lente-

1.

10 DERN'IÈRES POLÉMIQUES

ment, il fallait affirmer le mépris de ses tradi- tions pour le ruiner plus vite ; et nous l'avons fait crânement, comme des hommes ! Notre dîner n'est pas une distraction, et nous n'avons pas à nous en rincer la bouche. Et si, d'un autre enté. la collaboration sénatoriale au Temps est un acte d'ingratitude héroïque, à force d'indépen- dance, pourquoi savonner coite tache glorieuse? Pourquoi vouloir le bénéfice de ses actes et ne pas en accepter les inconvénients?... Pourquoi ressembler (déjà !) à ces Communards qui font les innocents, qui n'ont rien vu. et qui ne se doutent pas même de ce qu'on veut leur dire, quand on leur dit: « Vous en étiez, de ces coquins ? »

III

Quant à de la littérature, il n'y on a point dans ce blanchissage : aussi n'en parlerons-nous pas.

23 mars 1872.

LA GENEREUSE JEUNESSE

Vous vous le rappelez?... C'est le mot consa- cré que les badauds de la plume se passent de la main à la main, comme la lampe de Lucrèce ; c'est le mot que depuis cinquante ans et plus le Journalisme, bêta et crocodile tout à la fois, n'a pas cessé de répéter, à chaque coup de sifflet, à chaque grognement, à chaque gros sou. à chaque trognon de pomme que cette géné- reuse jeunesse envoyait, trop généreusement, à la tète de ses professeurs !

Eh bien, cette généreuse jeunesse continue ses générosités. Les Polonais seront toujours les Polonais. La jeunesse française sera toujours la généreuse ieunesse. Et rien n'y fera!... mais

1:! DERNIÈRES POLÉMIQUES

rien ! Elle le sera après comme avant les Prus- siens ! L'autre jour encore, cette jeunesse n'a pu résister à l'impétuosité de son généreux tem- pérament, et elle a insulté et sifflé bravement un pauvre professeur désarmé devant elle ; et ses sifflets même ont tellement troublé la tète de ce pauvre professeur, qu'il s'est cru obligé, le brave homme ! de faire la preuve qu'il n'était pas coupable de l'action dont ses terribles élèves l'accusaient : ce qui, selon moi, est implicitement reconnaître le droit de haute et basse justice du sifflet. Anarchie de plus : Anarchie des élèves ! Anarchie du maître ! Tour de Babel ! Confusion î

II

Mais", en tout, c'est éternellement la même histoire. Si ce n'était pas ainsi, quelque chose boiterait... Une goutte d'eau réfléchit le monde. Cette goutte d'eau troublée des Ecoles réfléchit exactement toute la société de ce temps. Les Ecoles semblent loin de nous ; mais le mal vient de plus loin encore... Ces polissons, au moins par l'âge et par la conduite, qui se font conseil des Dix. à cinq cents tètes, contre le

LA GÉNÉREUSE JEUNESSE 13

professeur, et qui croient l'exécuter en le sif- flant, ne sont pas les plus coupables.

Il y a bien plus coupables qu'eux : ce sont leurs pères.

Ce sont leurs pères, auxquels, avant de venir siffler leurs professeurs, ils ont. probablement, fait des cornes dans cette intimité de la famille, devenue maintenant une promiscuité. La famille, en effet, la famille de cette époque de ramollis- sement universel, les législations deviennent aussi lâches que les mœurs, a rejeté les éléments sévères qui entraient dans sa forte constitution autrefois. Plus de moralité spirituelle! Tout s'y est fondu de tendresse animale et physique. En attendant que ces aimables gamins qui sifflent leurs maîtres, les battent, ce qui, si on n'y met ordre, arrivera un de ces jours, ils ont probablement, enfants, de leur jolie petite main, battu leur mère ou leur nourrice, et maman a trouvé peut-être ce petit geste de révolte char- mant, et baisé la menotte rose qui se levait si gentiment contre elle ! Mièvrerie absurde ! Gomme si l'éducation de ce petit pervers qu'on appelle l'homme, ne commençait pas à la pre- mière gorgée de lait qu'il avale ! Nous portons la peine de ces mollasseries de cœur. Combien de fois, pour ma part, n'ai-je pas entendu dire :

! i DERNIÈRES P0LÉMIQ1

« Je veux que mon fils m'aime. Je ne me soucie pas qu'il me respecte. Je veux être, avant tout, l'ami Je mon fils ! » Mais, crétin de tendresse ! vous ries bien plus que son ami : vous êtes son père. Pourquoi voulez-vous abdiquer?...

Mais ils le veulent tous, ('/est une déliques- cence. J'en connais, des pères, qui, par amour paternel, vont au bal Mabille avec les maîtresses de leurs fils. Voilà donc en sont maintenant la paternité, la maternité, la famille ! Le père. l'auguste pater familias du Droit viril et romain ; la mère, cette matrone, adoucie seulement par la chrétienne, et qui a duré jusqu'à la Révolu- tion française, se sont abaissés jusqu'à n'être plus que les amis, les camarades et les com- plices de leurs enfants: et messieurs les enfants comme a dit M. Legouvé, le sentimental flatteur de ces moutards, se sont cru les <\i;aux du père el de la mère. Et comme on juge ses égaux et qu'on peut les siffler, si le cœur >n dil. ils les ont certainement siffles dans la mai- son paternelle ; car la moquerie a bien d'autres formes que le sifflet. Ils les ont siffles. On peut le dire sans avoir peur de se tromper : qui siftle son maître en publie, doit avoir sifflé son père, le premier des maîtres, en particulier. Après cela, quoi d'étonnant, n'est-ce pas? que

LA GÉNÉREUSE JEUNESÏ E T)

l'insolent de la famille devienne l'insolent de l'école.

J'accuse donc hardiment les pères de l'anar- chique sifflet des enfants.

III

Et voilà pourquoi, en tant qu'il faille répri- mer cette anarchie, qui est partout, dans tous les rapports de la vie publique et privée, et il le faut, sous peine, non pas de tomber clans l'abîme, mais d'y couler ! voilà pourquoi nous ne nous laisserons pas troubler, dans cette question du châtiment des écoles, par ces con- sidérations de famille qu'on a fait quelquefois valoir ; car les familles sont aussi coupables que l'écolier rebelle qu'elles ont élevé, et il est juste que la punition remonte jusqu'à elles. Nous ne sommes pas, nous, un toqué d'amnistie. Nous ne voulons pas même de celle du dédain. Nous ne croyons qu'à la répression, qu'à la punition, qu'à la peine. Dès qu'elle est méritée, il faut qu'elle soit, Selon nous, il n'y a plus d'Ecole, ou tout tapageur d'école doit être mis à la porte de l'école il a tapage. Mais ce n'est pas tout :

16 DERNIÈRES POLÉMIQUES

il ne doit pas y rentrer. N'y pas rentrer, sera la punition méritée qui atteindra la famille respon- sable, puisqu'elle a élevé ce polisson tapageur et ne lui a pas appris le respect qu'on doit à ses maîtres.

Demandez plutôt aux républicains ce qu'on aurait fait aux petits Spartiates des bords de l'Eurotas, s'ils avaient sifflé leurs professeurs de gymnastique !

IV

Mais que feront les gens du provisoire ?

M. Dolbeau. tremblant devant les bambins qui l'ont sifflé, a demandé une enquête pour se justifier devant la juridiction de ces bambins. Ce n'est pas très fier. Le mellifluent M. Jules Simon promet de son coté de donner à cette enquête la plus grande publicité. C'est toujours la même basse préoccupation du Pouvoir devant toute cohue; c'est toujours le même embarras quand il faut être net et frapper !

11 s'agit bien de M. Dolbeau ! Il s'agit de sa fonction insultée ; il s'agit de l'autorité qu'il faut

LA. GENEREUSE JEUNESSE

qu'on respecte, sous quelque forme qu'elle soit constituée, depuis la botte de Charles XII jus- qu'au bonnet carré du professeur.

-i avril 1872.

LES ENFANTS JUCxES

L'affaire Dolbeau serait finie, si le gouverne- ment l'avait voulu ; mais elle ne l'est point, grâce à sa mollesse, et elle vient d'entrer dans une nouvelle phase.

Gel hydrophobe d'innocence, M. Dolbeau. qui, dans son honnête rage de se justifier, a demandé une enquête, et M. Jules Simon, qui a promis de faire tomber sur cette très humble enquête le plus de lumière possible, ont, comme nousl'avions annoncé, constitué en tribunal les siffleurs de l'Ecole de médecine.

Et, juges, ils ont jugé, cl même ils ont affiché leur jugement !

Us ont placardé sur les murs de leur Ecole,

20 DERNIÈRES POLÉMIQUES

et Y Opinion nationale, qui, pour se rajeunir, s'est fait le moniteur de ces petits, a placardé dans ses colonnes le jugement de ces turbulents Perrin Dandin et bambins de la révolte :

Lesquels ont déclaré que « M. Dolbeau s'est reconnu coupable en confiant une enquête sur sa conduite, non à ses égaux, mais à une admi- nistration dont les conclusions ne pouvaient que lui être favorables ».

Et comme tout jugement implique un acquit-' tement ou une condamnation : « désormais », dit leur papier, qui devrait être non pas sur le mur, mais au bas du mur, et que Rabelais seul pourrait appeler comme il convient, « désor- mais, le vide se fera autour du professeur et ses doctrines seront prêchées dans un amphithéâtre désert ».

Et qu'on n'en ignore ! La petite pièce judiciaire est complète. Moins les noms pourtant des intré- pides juges, qui ne l'ont pas signée, tout y est. Et maintenant, ô monsieur Jules Simon, miel et cire, qui, comme don Juan éclairant respectueuse- ment monsieur Dimanche pour s'en débarrasser et le mettre à la porte, vouliez éclairer l'enquête de M. Dolbeau avec un candélabre à sept branches, vous doutiez-vous du résultat de cette enquête si vite acceptée par vous pour vous dispenser

LES ENFANTS JUGES 21

de punir ?... Votre candélabre à sept branches ne vous a donc pas servi à voir cela?... Quid dicis, Thomas? disait le père Diafoirus à sa progéniture. Vous n'êtes pas, heureusement, la mienne. Mais permettez-moi de vous dire : Quid dicis, Jidi?

II

. Donc, voilà qui est dit, entendu, infligé ! Si M. Dolbeau remonte dans sa chaire, ces messieurs prendront leur chapeau et iront se promener, et monsieur le professeur restera avec sa courte honte et les banquettes. On aurait bien voulu les lui jeter à la tète, les banquettes ; mais il y a de par le monde un certain général de Ladmirault qui n'est pas le doux Jules Simon et qui a fait dire au doyen de l'Ecole de médecine, pour le raffermir sur sa base tremblante, qu'on pou- vait compter sur lui, en cas de désordre.

Or, les petits Perrin Dandin qui jugent M. Dol- beau ne sont pas des Mathieu Mole, même en herbe ; et ils ont écrit, l'œil sur le général de Ladmirault, cette phrase aussi peu fière que l'enquête Dolbeau : « Soyons calmes maintenant et dans notre intérêt à tous ! » Nous avons sifflé à

DERNIERES POLEMIQUES

temps, sans danger. mais maintenant rem- pochons nos sifflets: Ce « maintenant » esl surtout charmant de naïveté. Ah ! s'il n'y avait pas ce diable de Lad mirant t. nous pourrions encore ne pas être calmes ! Nous pourrions nous montrer de cette bravoure héroïque, dont nous avons donné déjà la preuve, contre un homme tout seul, un pacifique, qui ne professe pas le revolver à la main, et lui appliquer cette vive expression du suffrage universel, ce lâche soufflet du Nom- bre. — du Nombre qui ne risque rien en le don- nant ! Mais Ladmiraull est : un lion qui veille! qui agirait, lui. quand Jules Simon informe : Ladmiraull. le porte-glaive de l'Ordre, qui. dans ce pays-ci, ne se fait que par le glaive. 11 vaut mieux aller nous promener.

Eh bien, qu'ils y aillent ! qu'ils détalent, mais qu'ils ne rentrent pas! Qu'une loi- sortis, ils trouvent à tout jamais la porte d'une École fran- çaise fermée devant eux ! Que leurs familles les gardent et les mènent à promener sur leurs terre-. >i elle-» en ont. Si elles n'en ont pas. s'ils sont obligés de travailler, qu'ils aillent se pro- mener dans les autres Ecoles de l'Europe, ils feront le vide autour des chaires de professeurs qui ne leur conviendront pas ! Car enfin ces juges enfants représentent la justice et la vente

LES ENFANTS JUGES 23

absolue, et la vérité et la justice sont cosmopo- lites.

Etre cosmopolite ! La grande chose qui a rem- placé d'être d'un pays, d'avoir une pairie. Ils pourraient devenir peut-être les grands prévois en tournée du professoral européen !

III

Grotesques, n'est-ce pas? ces conséquences! Grotesques, n'est-ce pas? toutes ces importances déjeunes drôles qui, à l'heure de se faire coura- geusement hommes, oublient qu'ils ne sont que des écoliers! On en rirait comme de la plus burles- que comédie, si on n'en était pas honteux. Hon- teux pour la France du présent, inquiet pour la France de l'avenir ! Et de fait, quels bons soldats préparent pour la guerre future ces insurgés presque au biberon, qui s'essayent, dès l'Ecole, au désordre pour toutes les carrières et dans tou- tes les hiérarchies, et qui certainement n'auront pas plus de respect pour leurs officiers que pour leurs professeurs? Leurs devanciers, ces siffleurs d'un autre âge. nous les avons vus dans cette horrible guerre dont nous saignons encore. Nous les y avons vus soldats émancipés et officiers

"2't DERNILRES POLÉMIQUES

sans autorité ! On est las de le répéter, mais il y a des choses qu'il faudrait enfoncer dans les têtes humaines avec des coins et un maillet : c'est l'oubli dn commandement et l'indiscipline qui ont aidé à nous perdre. Nous les avions cheznou*: nous les avons eus devant l'ennemi. Un témoin oculaire m'a conté qu'un jour, aux avancées, un officier de la garde nationale faite avec des mé- decins et des avocats, sortie presque tout entière des Ecoles, de ces ruches l'on travaille en rébel- lion, — reçut, par manière de plaisanterie, un coup de pied au derrière de la part d'un de ses camarades-soldats qui l'avaient élu officier. L'ofii- cier. qui avait un sabre au coté, l'y laissa! C'était un bon enfant comme M. Dolbeau. Il ne fit pas cependant d'enquête ; mais enfin, quelle que fût la douceur de ce coup de pied au derrière. aussi doux que M. Jules Simon. il donna sa démission d'officier...

Mais, quant à nous, toute la Fiance, nous don- nerons notre démission de la victoire avec des soldats élevés comme ça !

17 avril 1872.

LES AMNISTIARDS

Amnistiards, comme on dit : Communards, et pour les mêmes raisons. L'un n'est pas plus français que l'autre. Mais il ne faut pas des noms français aux choses qui ne sont pas françaises. Les Amnistiards peuvent entrer dans la langue comme les Communards, qui y ont fait effraction et qu'y voilà établis, forçant le diction- naire, le traitant comme un monument. Et, d'ailleurs, les Amnistiards sont des Communards aussi; des Communards en retard, il est vrai, des Communards d'arrière-train et de seconde date, qui n'ont pas brûlé, eux ! qui n'ont pas osé ou qui n'ont pas pu, mais qui, à présent que la chose est faite, veulent qu'on amnistie les brûleurs et qu'on ne parle plus de la brûlure. ii. 2

26 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Or, parmi ces Communards de seconde date, vierges physiquement de pétrole , mais trop indulgents aux pétroleurs pour ne pas être moralement leurs complices, il y a deux journaux, entre tous, le Radical et le Rappel, qui se sont mis, ces jours derniers, à piauler lon- guement sur la nécessité d'une amnistie, et cela avec une lamentation de chien fouetté, plus éplorée et plus affolée que jamais ! Jusque-là, ils n'avaient guères poussé que de gros soupirs langoureux quand il s'agissait d'amnistie, mais aujourd'hui, c'est une clameur plaintive. C'est un double hurlement, en accord parfait, sur la nécessité de l'amnistie, qui doit, disent-ils, apaiser et sauver la France. Le croient-ils vraiment, ces bonnes gens ?

Pour moi, le Radical et le Rappel, avec leur politique d'extinction par l'amnistie, par la dou- ceur, par l'indulgence, la bonté, l'amour et le baiser Lamourette universalisé, me font l'effet de ce pauvre bonhomme qui s'en allait par les rues, tout déboutonné, une torche d'une main, pour brûler le paradis, et de l'autre, un verre d'eau, pour éteindre l'enfer. Ce n'est peut-être pas le paradis que le Rappel et le Radical vou- draient brûler. Us se contenteraient de moins que cela. Mais ils s'imaginent que l'amnistie serait le

LES AMNISTIARDS Ti

verre d'eau, et voilà pourquoi ils la demandent ! Le Radical, le farouche Radical, qui ne craint pas d'être rouge jusqu'au sang, la demande pres- que aussi tendrement que le doux Rappel, d'un rouge déteint jusqu'au rose, à force de pâlir, le brave journal ! Couleur qui lui va bien, du reste, puisque c'est celle de la tendresse, et qu'il est toujours mouillé de ces larmes que M. Hugo verse depuis quarante ans sur le sort des condamnés, si méchamment mis à mort par cette coquine de société !

Et tous les deux, le Radical et le Rappel, unis aujourd'hui comme les deux doigts de la main, doux comme ils voudraient qu'on le fût, Romi- nagrobis enfarinés, élevant leur plainte comme deux aveugles sur le chemin de Jéricho, deman- dent formellementl'amnistie. la suave amnistie! Mais voici le joli et même le comique : au nom de qui la demandent-ils?...

Eh bien, ils la demandent à M. Thiers au nom de sonintelligence politique, à lui. M. Thiers, qu'ils appelleront demain un imbécile, s'il la leur refuse aujourd'hui ! Ils la demandent étonnez-vous ! au nom du préfet de police et de ses rapports qu'ils ont lus et dans lesquels ce préfet de police délicieux, qui va leur faire aimer la police, déclare que Paris n'a jamais été

ÛH DERNIÈRES POLEMIQUES

plus gentil et plus sage que dans ce moment Et plus fort encore : le croira-t-on? ils la deman- dent au nom du général Ladmirault lui-même, qui a assez comme cela de l'état de siège et qui voudrait bien s'en aller î Enfin, ils la demandent au nom de la France tout entière qui brûle une nouvelle manière de brûler !) de se réconcilier avec ses incendiaires et ses voleurs el de les serrer dans ses bras !

Mais, il est juste de le reconnaître, ils ne la demandent pas en leur nom personnel, ces Vmnistiards désintéressés! Ils ne disent pas qu'ils la demandent pour se mettre en mesure avec- la Commune prochaine, et qu'ils se préparent, par une amnistie du passé, une autre amnistie pour l'avenir !

Par exemple, ils ne soufflent pas un mot de cela !

Il

Ah ! l'avenir ! voilà le mot terrible et voilà la question pour tous. Un grand esprit que les pleurards à sentiment du Radical ou du Rappel n'ont jamais lu et auquel, s'ils l'ont lu. ils n'au- ront rien compris. Bonald. disait un jour à la

LES AMNISTIARDS 29

Chambre des pairs avec une simplicité profonde : « Toute amnistie est un déni de jugement envers la société » ; et il avait raison. La société, en définitive, est le juge suprême, et par l'amnistie, vous lui arrachez son droit de juger. D'un autre côté, comme elle est éternelle, comme elle dure encore quand l'individu a disparu, elle est tout, dans cette question d'amnistie, et pour elle le passé est justiciable de l'avenir. Or, en les amnis- tiant, vous volez à l'avenir ses coupables qu'il a le droit et le devoir de punir, et qu'il punit en maintenant la peine dont le présent les a frappés... Mais que sont ces considérations de justice et de société au regard d'esprits qui ne voient jamais en doctrine sociale que le chiffre homme et n'ont plus la notion du bien et du mal, car s'ils l'avaient, ils seraient sévères, et qui, dans leur gâchis enragé d'amnistie, amnistient tout et tous en cet instant, depuis Rochefort jusqu'à Courbet depuis Rochefort, qu'ils voulaient amnistier en le faisant rester en France, jusqu'à Courbet, en faveur duquel ils ont demandé au Jury d'Expo- sition un décret d'amnistie pour avoir fait cette besogne prussienne de renverser la Colonne sculptée dans les canons prussiens?

Oui ! l'amnistie ! l'amnistie ! disent-ils à tue- tète et sur tous les tons, ces Amnistiards. ces

80 DERNIÈRES POLÉMIQUES

indulgenciers. C'est leur « Dieu le veut ! » l'amnis- tie. L'amnistie ! Et la France des coupables sera corrigée de cela seul qu'on ne lui aura pas appliqué de correction ! les liens sociaux seront renoués de cela seul qu'on les aura relâchés ! la législation fortifiée par son affaiblissement même! et la clémence, la clémence bête pour des partis toujours implacables, s'attirera le respect et la reconnaissance de cela seul qu'on croira qu'elle a peur ! En nature humaine, est-ce assez insensé? assez invisible en Histoire ? Cherchez-y dans l'Histoire si jamais gouvernement ou nation a quelque chose à ces concessions impuissantes, à ces grâces qu'on se laisse arracher et qui s'appellent des amnisties !

La clémence de César fut une amnistie et il fut poignardé. L'homme de l'Edit de Nantes, qui avait amnistié les protestants, le fui aussi, Louis XVI, le faible Louis XVI, qui amnistiait son peuple à chaque révolte de son peuple, qui mit le bonnet rouge sur sa tête (amnistie du 10 août ! ) et signa la Constitution civile du Clergé (autre amnistie, plus lâche encore !) , Louis XVI. dont le règne sembla n'être qu'une succession d'amnisties, fut décapité. Et de nos jours, qu'a servi à Pie IX l'amnistie par laquelle il ouvrit son pontificat ? Le poignard qui tua Hossi ne fut

LES AMNISTIARDS 31

pas assez long- pour l'atteindre, à travers Rossi : mais si le Pontife-Roi n'en est pas réduit, à cette heure, à n'être plus que le curé de la paroisse du Vatican, c'est que la tiare, surnaturelle et éternelle, ne se confisque pas comme une cou- ronne. Mais il n'en reste pas moins la preuve éclatante et vivante de l'inutilité de ces amnis- ties qui sèment, à l'aveugle, la miséricorde, pour ne récolter qire l'ingratitude!

Voilà l'Histoire ! Mais le Radical, en sa qualité de radical, doit mépriser l'Histoire, et le Rappel ne la lit pas : il lit M Hugo. Je ne sache qu'un ar- gument qui puisse faire renfoncer dans le ventre de ces messieurs leurs déclamations sur l'amnis- tie; c'est un argument de fait, un argument de l'ordre de ces messieurs, individuel et égalitaire :

Vous voulez l'amnistie, leur dirai-je : mais les exécutés?... C'est une injustice envers vos morts que l'amnistie !... Si on vous l'accor- dait sur vos instances, n'auriez- vous pas peur que les spectres de tous les fusillés des con- seils de guerre ne vinssent, la nuit, vous tirer par les pieds '!...

27 avril 1872.

UN RURAL ECARLATE

Ils ne sont pas rouges, les ruraux... et en voici un écarlate ! Ecarlate d'opinion, écarlate de sentiment, écarlate d'expression : toutes les intensités d'écarlate, il les a, quoique rural, ce rural endiablé ! Auteur déjà connu du Bous- cassié, cette robuste églogue qui monte parfois jusqu'à l'épique, M. Gladel publie à Yinstant même un nouveau livre, de l'haleine du pre- mier, plein de rutilance et de furie pittoresque...

Ce n'est pas que cela m'étonne ; non ! mais c'est que cet éclatant rural soit républicain. Rural et républicain, chose rare ; presque une contradiction ! car les républicains détestent les ruraux, et comme le mot clérical pour désignes

34 DERNIÈRES POLÉMIQUES

les catholiques, rural est un nom qu'ils ont inventé et qui veut être une injure, cinglée par eux, au visage des paysans.

M. Cladel, qui est un paysan et qui s'en vante, et qui a raison de s'en vanter ; M. Cladel, qui s'est voué à les peindre à fond, et qui les a peints une seconde fois dans sa Fête votive de saint Bartholomée Porte-glaive (son livre ac- tuel) avec une énergie plus grande encore que la première fois (dans le Bouscassié), s'est bien gardé, tout républicain qu'il puisse être, d'écrire sur ses deux volumes : « mes ruraux », qui serait ridicule, mais il a mis : « mes paysans », qui dit nettement que dans ses livres il ne s'agit exclu- sivement que des paysans de son pays.

Ce sont bien les siens, en effet. Ce sont bien les paysans de sa province, non de la province à côté... Seulement, disons-le avec une joie qu'il ne partagera peut-être pas, les paysans de ce républicain ne sont pas plus républicains que les autres. Ce sont des républicains comme les autres, des paysans très vrais, très étudiés, très sus, des terriens acharnés qui ne pensent qu'à la terre, heureusement pour eux et pour nous! et qui, s'ils étaient républicains, penseraient à autre chose, mais ne seraient plus alors ces paysans que M. Cladel et moi nous adorons, et

UN RURAL ÉCARLATE 35

qu'il nous a peints d'une touche de flamme, avec tous les enthousiasmes et les bonheurs de l'adoration.

II

Adoration!... c'est bien fort ; mais ce ne l'est pas trop pour exprimer le sentiment qui circule à travers le nouvel ouvrage de M. Cladel. Shakespeare a dit quelque part, en parlant d'un fort orage : que « le vent et la pluie se battaient « à qui serait le plus puissant». Eh bien, flans le livre de M. Cladel, le sentiment et le coloris se battent à qui sera le plus puissant, et ils s'exaspèrent l'un par l'autre ! L'auteur de la Fête votive de saint Bartholomée Porte-glaive un nom de tableau bien plus que de livre ! n'est, à exactement parler, ni un inventeur dans l'ordre du roman ou du drame, ni un esprit d'aperçu qui voit les idées par-dessus les images, ni un écrivain... littéraire. C'est un peintre, un peintre à la plume, et à une plume trempée dans le vermillon, rivale acharnée du pinceau. Le livre éblouissant qu'il publie aujourd'hui

t n'est pas un livre fait avec les combinaisons propres à tout livre, mais un tableau pris du

OO DERNIÈRES POLÉMIQUES

pied des choses, presque contondant de relief, presque poignardant de couleur. Les pusillanimes d'organisation, les vues ophtalmiques, les sens qui se croient délicats parce qu'ils sont faibles, se plaindront de la violence d'une œuvre qui. par la couleur et le style, rappellent Rubens et Rabelais ; mais moi. non ! Je tiens à honneur, pour M. Cladel, de lui signaler son origine, et je veux qu'aristocrate en Art, ce républicain en politique soit lier, comme un paon, d'avoir de tels aïeux !

Peintre à la Rubens et à la Rabelais, peintre de grande nature, peintre de kermesses, de foules, de ruées, de batailles, peintre du tempé- rament physique le plus impétueusement dé- bordé, M. Cladel s'est trouvé républicain comme il est peintre, et pour les mêmes raisons. La République, pour ce peintre genuine, c'est un tableau, une suite de tableaux à la David, mais à un David chauffé à rouge. La République, ce sont des batailles, des fêtes votives aussi, des apothéoses. L'œil de M. Cladel fait gran- diose l'objet en le regardant, et le républicain chez lui est tellement peintre, qu'il rajeuni! et splenditie par la couleur les vieilles rengaines républicaines, quand elles lui tombent sous le pinceau. Magie du talent ! Les choses qu'il

ON RURAL ÉCARLATE 37

devrait le plus avoir en horreur, les choses les plus répugnantes à un grand artiste, les misé- rables vulgarités du Siècle, par exemple, il les inonde d'un ilôt de couleur qui les transfigure, comme la lumière d'or de Murillo ruisselant sur la teigne de son Pouilleux.

III

Ah ! il est bien heureux d'être peintre. S'il ne l'était pas, que serait-il ?... Mais il l'est à un tel degré qu'on est arraché à toute réflexion par la force de sa peinture. Cet homme, je ne dirai pas si naturel, mais si nature, cet artiste d'une forme si sincère et si brave, qui dit tout et n'a peur de rien, qui ne recule devant aucun détail, a est-ce incroyable ? les petits préjugés de deux sous des bourgeois, endimanchés de république. Ainsi, lui, le paysan, le naturel, l'objectif, il déclame comme un professeur de Duruy contre l'ignorance ! il croit à la lumière par les livres ! il veut, lui aussi, l'instruction obligatoire, cette instruction qui n'exalte que l'orgueil et jette l'homme aux livres comme l'enfant à l'eau ! et il ne voit pas que l'instruc- tion obligatoire lui gâterait, que dis-je ? lui

3

38 DERNIÈRES POLÉMIQUES

supprimerait ces chers paysans dont il raffole. et qu'il peint dans toutes les magnificences agrestes, frustes et même brutales de leurs vieilles mœurs.

Il ne voit pas que si on la lui concédait, cette instruction obligatoire, si on lui campait entre les jambes ce cheval de bois sur lequel ils se plantent tous à califourchon pour aller à la con- quête de l'avenir, c'en serait fait à tout jamais de sa peinture, de l'originalité de ses modèles ; c'en serait fait de ses chers paysans ! Ils devien- draient des messieurs, des citoyens. Ils tombe- raient dans les habits noirs de Féval. Et qu'il ne dise pas qu'il peindrait autre chose. 11 sait bien que non, M. Cladel !

Il est un génie de terroir. C'est le sol et le soleil de son sol qui l'ont fait, comme le vin. La patrie, cette patrie qui n'a que quelques pieds d'horizon et qui a porté notre berceau, qui nous entre par les yeux dans le cœur aux premiers moments delà vie, et qui est comme le cœur concentré de l'autre et grande patrie, est entrée trop avant en lui pour que son talent puisse exister sans elle. Comme Antée, il faut qu'il ail sous les pieds ce morceau de terre sacrée pour être fort... Malgré son talent herculéen de peintre, M. Cladel perdrait la moitié de sa [ta-

UN RURAL ÉCARLATE 39

lette s'il ne peignait pas son pays, ou si ce pays perdait lui-même ses mœurs, ses saveurs sécu- laires, sa puissante originalité. L'auteur du Bous- cassic et de la Fête votive est un génie essen- tiellement autochtone. Il se rattache à la grande famille sédentaire des Burns et des Walter Scott, qui n'eurent pas besoin de s'en aller loin de leur pays chercher des inspirations pour en avoir... « Mes peu/sans », dit-il. C'est qu'il les aime, comme on aime, même quand il les déteste, même quand il les accuse d'avarice (leur vice, à eux), qu'il leur reproche et qu'il caractérise avec cette sanglante manière que M. Yeuillol a prise un jour pour de la haine et qui, au contraire, est de l'amour!... Les amants irrités sont ter- ribles... M. Gladel ne ressemble pas à Balzac, qui a l'ait aussi des Paysans, lesquels, eux, n'étaient pas les siens, ni ceux d'aucun pays de France, excepté peut-être des environs de Paris.

lîalzac est un inventeur d'une telle puissance qu'il inventa souvent quand il ne devait qu'ob- server, et cela donne parfois des airs cruels à son génie. M. Gladel, qui n'invente point, aime la réalité de ses paysans, dont il garde le sou- venir et le regret dans l'exil des villes, et qui sont peut-être toute sa poésie : car notre idéal est toujours manqué, et c'est ce qui le fait notre

tO DERNIÈRES POLÉMIQUES

idéal!... Or, quand on aime, on aime en bloc. On ne choisit pas ceci, on ne laisse pas cela. On prend tout. Je ne crois donc guère, en M. Cladel, à ces idées du moraliste républicain. Pour sa libre pensée, parlez-moi de sa libre peinture ! Je ne crois pas plus au libre penseur qu'an mora- liste. M. Cladel est un catholique sans le savoir, comme il est un rural. D'impression et d'enfance, il est de cette religion qu'on peut appeler la re- ligion des peintres, et d'où sont sortis Michel- Ange et Raphaël. M. Cladel ne le croit pas : mais je le lui affirme, moi, dont le métier est de dé- gager du talent qui se sent, la métaphysique qui s'ignore...

Et faites le jeu vous-même sur le livre d'au- jourd'hui, et voyez si M. Cladel est autre chose qu'un peintre, mais un peintre d'une force in- finie ! Dans ce livre, le républicain méprise hau- tement tout ce que les républicains exaltent. Il hait Paris ; il l'appelle : « Cette goule si cruelle « aux âmes naïves. » Il le hait au nom des cam- pagnes, ce Paris dont on voudrait faire la France tout entière, ou du moins la grande Commune de France. L'esprit de ce peintre, qui comprend la diversité, ne veut pas de la monotonie égali- taire ! Dans ce livre encore, le libre penseur est épris des mœurs que le Catholicisme a faites.

UN RURAL BCARLATE 41

Son Mage (une des grandes figures de sa Fête votive) n'est au fond qu'un prêtre catholique pa- ganisé, mais c'est d'un accent qu'une intelligence pénétrée de catholicisme pouvait seule trouver... Homme d'impression bien plus que d'opinion, M. Gladel reviendra par la plus belle des routes celle du Beau, à la Vérité. Le républicain et le libre penseur apparaissent encore dans son livre, mais ils s'y noient dans la couleur au fond de laquelle ils vont sombrer, et quand ce sera fait, rien ne troublera plus cette mer d'écarlate lumineuse.

Et alors vous vous appartiendrez, monsieur Gladel, et nous planterons sur vous notre pa- villon !

IV

Signalons, en unissant, que la Fête votive de M. Gladel est le premier livre littéraire, esthé- tique, désintéressé, qui paraisse depuis nos mal- heurs et surgisse au-dessus de ce fourmillement de livres intéressés, publiés sur la guerre par des généraux qui n'ont imité Soubise que dans sa défaite, car il se tut après Rosbacli.

4 mai 1872.

UN POETE PRUSSIEN

Il s'appelle M. Victor Hugo.

Jusqu'ici on le croyait Français. Démo- crate, c'est vrai, avec la haine inconséquente, folle et plus souvent bête de la démocratie pour tout ce qui a fait, dans le passé, la gloire de la France et la personnalité de la patrie; mais, après tout, malgré les ivresses et les idées fausses, Français pourtant! On le croyait, et il ne Test plus. Tombé sans être Lucifer ! Si la France y tenait, elle pourrait en faire son deuil ! U Année terrible (elle le sera pour lui) est un terrible livre, qui nous montre M. Hugo sous un aspect inal tendu même pour ses ennemis, même

44 DERNIÈRES POLÉMIQUES

pour ceux qui ne savent que trop le désordre de cette tête égarée...

Il le montre... Prussien !

Prussien, avec des mots français et des décla- mations françaises. Prussien sans le savoir ou en le sachant. S'il le sait, il passe à l'ennemi. S'il ne le sait pas, car la gangrène s'ignore. elle ne se sent point , il reste avec nous, mais nous n'en voulons plus ! Seulement, alors, il est... Mettez le mot que nous n'écri- rons pas !

II

Le livre de M. Victor Hugo n'est qu'une élégie enflammée, violente, hypocrite et comminatoire sur les malheurs et les punitions de la Commune. De ses crimes, rien ! Personne n'est coupable, dit-il en toutes lettres. Et si. pourtant ! Quelqu'un le serait, pour peu que ce fou fût logique; mais elle se soucie bien d'être logique, sa malheureuse tête ! Quelqu'un le serait : Versailles et l'armée ! Ceux qui, provoqués par les exécrables assassins de la Commune, ont éteint avec des obus néces- saires les incendies allumés par eux ! Ce serait enfin la France, qui toute ! était avec

UN POÈTE PRUSSIEN 45

Versailles contre la Commune de Paris. En déplorant crocoditement les guerres civiles, le poêle sans sincérité de l'Année terrible n'a de pleurs, d'indignations, de frémissements et de cris, que pour les provocateurs et pour les bourreaux ; mais il n'a pas un mot, pas un sou- pir pour les victimes ! Cette pleureuse des Communards n'a de pitié que pour ceux qui furent sans pitié. Et on l'a dit. Même les hébétés d'admiration pour le génie hébétant du poète l'ont vu et ils l'ont dit! C'est (ont-ils dit) un parti pris, coupable et dangereux. Mais le vrai crime, personne ne l'a vu, et le voici :

Paris était cerné par le Prussien. L'ennemi n'avait pas osé, même pour s'en vanter à ses femmes quand il serait rentré dans son pays, dépasser, en entrant dans Paris, la place de la Concorde, il fut sifflé par des gamins. L'em- pereur prussien ne s'était pas risqué à rendre à Paris la visite faite à Berlin par l'empereur Napoléon, quand il le traversa de part en part, sur son cheval au pas, à la tête de sa garde, le pistolet à la main. Mais il était là, l'ennemi. Nous étions son spectacle. Il avait ses loges à Saint-Denis. Des loges indécentes et inso- lentes ! Il y caressait ses cocodettes, qui sont cosmopolites, comme M. Hugo, et y buvait

4-6 DERNIÈRES POLÉMIQUES

notre vin de Champagne à la mort de la France, lorgnant obstinément dans ce cirque il n'était pas descendu. Eh bien, tout à coup, il y vit... ce qu'on n'avait vu chez aucun peuple, à nulle place de l'Histoire !

Il y vit la ville qu'il haïssait qu'il lui avait été impossible de détruire ! détruite, massa- crée, incendiée par les Communards. Des gens du pays qui agissaient, eux. comme lui, l'en- nemi, n'avait pas osé faire! ! Payée ou non, car qui est entré dans cet abîme de boue? il vit la Commune brûler Paris. Il goûta l'incendie avec son Champagne et fit claquer sa langue après : il le trouva meilleur. Et ceux qui lui donnaient cette joie, qui régalaient ainsi la sen- sualité de sa haine, ces valets de l'ennemi, ces aides de bourreaux oisifs, ces goujats de la Prusse, M. Victor Hugo les inonde de ses larmes, les grandit, les idéalise !

Il est le payeur de la Prusse. Avec son livre, les voilà payés, ces goujats prussiens !

III

Et c'est le crime de M. Victor Hugo. crime de son livre. Nous ne voulons pas l'exa-

UN POETE PRUSSIEN

miner littérairement. Nous dédaignons de des- cendre jusqu'à celte besogne sur sa poésie, du haut du crime qui la rapetisse, qui la souille, et qui la frappe d'une honteuse immortalité. La littérature, quand il s'agit de la patrie ! Nous croyez-vous si byzantins?...

Qu'importe que toute cette vieille poésie qui radote ne soit plus que de la poésie à procédé, ou rien ne tient, ni à clous ni à chevilles, ne bon sens, mais il y a beaucoup de chevilles, et encore plus de clous, en vers ! Qu'importe que le poète de Y Année terrible ne soit plus qu'un rabâcheur ^aurores, de rayons, de gouffres et de ténèbres! Qu'importe sa bassesse enthousiaste avec le peuple, qu'il flatte comme son tyran, à lui ! et comme nous, nous n'avons, certes ! jamais flatté les nôtres ! Qu'importent même ses familiarités- grotesques, si elles n'étaient blas- phématoires, avec Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Tout cela est trop petiot pour que cela nous choque. Mais tout cela, pour d'autres que pour nous, se discuterait et serait matière à dispute, tandis que ceci ne souffre pas de discussion. Ceci est infiniment simple et entre de plain- pied dans tous les esprits : Vous faites plaisir à tous ceux qui ont fait plaisir à la Prusse. Qu'on vous attelle avec le Prussien Courbet !

48 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Vous payez en admiration et en attendrisse- ments les gages des ouvriers d'incendie de la Prusse contre nous ! Cela la dispense de les payer. Quel service vous lui rendez ! Vous n'êtes donc, dans votre Année terrible, qu'un employé volontaire de la Prusse; et s'il y a des gens qui, en vous lisant, ne le comprennent pas ou le nient, c'est que le cosmopolitisme leur a pourri dans le cœur le sentiment de la patrie, comme à vous ! Vous pouvez renoncer à la langue française, qui ne s'en plaindra pas; car depuis longtemps vous l'avez assez éreintée. Ecrivez votre prochain livre en allemand ! Vous le dédierez à cette Allemagne dont vous avez fait dans une pièce spéciale de votre livre : Choix entre les deux Nations, une glorification mons- trueuse à cette place et dans ce moment, quand elle a encore le pied sur nos poitrines.

Vous, c'est ce moment-là que vous choisissez pour le baiser, ce pied oppresseur ! Baisez-le donc et laissezTnous tranquilles !

Vous avez mérité l'Aigle Noir.

13 mai 1872.

UNE PAGE D'HISTOIRE ANCIENNE

DANS L'HISTOIRE MODEREE

Il n'est pas encore temps de l'écrire, mais elle se fait présentement, cette page d'Histoire, derrière les Pyrénées.

Et, en effet, on Don Carlos, ce Charles- Edouard de la Maison de Bourbon, réussira dans sa virile entreprise, on il succombera comme le Charles-Edouard de la Maison de Stuart. Et dans les deux cas la page d'His- toire qu'il élabore en ce moment à coups d'épée sera écrite un jour, brillante et victo- rieuse, ou malheureuse et désespérée : mais dans ce cas-là plus brillante encore ; car l'hé- roïsme dans l'infortune, comme les diamants sous un crêpe, semble briller mieux...

1)0 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Et dans les deux cas ce sera une page éton- nante à sa date, une page d'histoire ancienne tombant comme un aérolithe dans L'histoire moderne, étonnée de rouler parmi ses feuillets une page d'Histoire comme on n'en fait plus ! Et l'étonnement a commencé déjà. Ces grosses bêtes qu'on appelle des partis n'ont rien com- pris du tout à ce qu'ils croient une échauffourée de Don Carlos. Les uns, les queues-rouges de la Démocratie. pour en rire de leur gros rire rouge ; les autres, les pierrots au dé- sespoir du Légitimisme, pour en trembler dans leur sentimentalisme blanc. Entre eux deux , des sceptiques d'esprit, mais empotés jusqu'aux oreilles dans leur siècle comme dans une cruche, font, de leur cùté. de petites gorges chaudes, qui ne sont que froides, sur ce vieux Don Carlos, toujours du xve siècle, toujours de 1452, deux fois revenant, et traité par eus d'anachronisme...

Anachronisme, certes ! je le veux bien, que cette page d'Histoire à laquelle travaille en ce moment Don Carlos. Mais c'est pour cela que je l'aime, moi, cette page d'histoire ancienne, et que surtout je la préfère à toutes celles de l'histoire moderne à laquelle vous travaillez, vous !

UNE PAG 10 I) HISTOIRE ANCIENNE

II

La votre n'a plus un seul prince. Vous l'en avez décapitée. En voici un qui se lève. Evi- demment, c'est un anachronisme ! Un prince qui ait le sentiment de son droit, et qui. pour ce droit, tire l'épée, cela ne s'était pas vu depuis la duchesse de Berry, qui malheureusement se souvint trop qu'elle était femme, quand elle était si bien un homme ! Hélas ! même avant l'héroïque amazone, les princes étaient finis. Le sentiment de la souveraineté, le Droit royal, avaient failli dans leurs faibles cœurs.

Louis XVI ne crut pas lui-même, et ce fut sa manière de ne pas croire à Dieu ; ce fut son crime religieux : car il avait été sacré à Reims, et ce n'était pas pour sacrifier ou diminuer le droit de son fils qu'il l'avait reçu en héritage. Louis XVIII demanda au peuple pardon d'être roi, sa charte à la main. Charles X, l'absolu Charles X (et sous ma plume ce n'est pas une injure), Charles X, qui eut le courage des Or- donnances, mais pas le cœur de les soutenir, s'en alla en exil doutant de ce droit qu'il avait de tenir raide l'épée et la brisant dans les mains

52 DERNIÈRES POLÉMIQUES

de son fils. Louis-Philippe, qui n'était, il est vrai, qu'un fragment de roi, mais qui avait consenti à son échancrure, s'en alla, non pas en roi qui renonce, comme Charles X, mais platement, furtivement, ayant au dos le vent po- pulaire qui l'avait amené et qui le remporta ; et ses fils, jeunes, braves, victorieux, qui pou- vaient nous défaire de la République de 1848 et marcher sur Paris avec l'armée d'Alger, qui les avait vus au feu, prirent, dès que la République eut parlé, modestement le parapluie de mon- sieur leur père, et filèrent, à leur tour, vers l'exil.

Voilà les princes de ce triste temps ! Quand donc il y en a un qui croit en lui et à son droit, qui ne craint pas qu'on l'accuse d'aventure, qui, ne s'humiliant devant personne, ne baise pas les pieds de cet infect suffrage universel qui pue des pieds, et qui joue ce dernier atout du droit, de la fierté, de la noble confiance à quelques fidèles, du mépris du danger, de la chance de mourir, c'est imprudent, je le re- connais, mais c'est beau ! et, quoi qu'il arrive, immortellement beau ! Et Nos Seigneurs les princes de ce temps abaissé peuvent vous envoyer respectueusement leurs cartes, Sire ! car vous avez relevé leur métier de princes, car

UNE page d'histoire ancienne 53

vous avez prouvé que vous avez l'esprit de leur état... qu'ils n'ont plus !

Donc, vous pouvez aller en avant, Sire ! Si vous reprenez votre trône à la pointe de votre épée, comme ce Charles YII (que ce soit un augure !) dont vous portez le nom et le chiffre, ce sera une justice faite par le courage, et une preuve que le Droit royal n'est pas mort, quoiqu'ils s'imaginent en piétiner la tombe, et qu'une monar- chie, quand on désespère des monarchies, peut encore sortir de ces bas-fonds de république dont la vase détrempe le sol de l'Europe amollie ! Si, au contraire et par malheur, ils ont bien jugé, ceux qui vous haïssent et qui vous appellent insolemment: monsieur Don Car- los, comme on disait : madame Veto ou : la femme Capet dans un autre temps d'insolence ; s'ils ont bien jugé aussi, ceux qui vous aiment et qui tremblent pour vous : si votre épée, tirée au soleil de l'Espagne, ne fascine pas, n'aimante pas assez d'épées pour trouer et pour vaincre les masses empilées contre vous, alors vous voilà un exemple et un sacrifice, les deux plus grandes choses que puissent être les hommes ! Et d'être cela dans l'Histoire vaut mieux que les quatre planches d'un trône dans le temps ! Enfin, si vous succombez, Sire, si vous êtes tué les

-)i DERNIKRES POLEMIQUES

armes à la main: ou si. pris, ils vous tuent... Êh bien, Sire, vous serez plus heureux que Charles-Edouard, ce romanesque de l'Histoire plus poétique que les plus grands, qui eut le malheur de mourir prosaïquement en Italie ! Vous, Prétendant, vous mourrez en Roi, ce qui est une manière de l'être ! Votre mort, glorieuse pour vous, servira à la cause de ces monarchies qu'on croit perdues et qui peut-être le sont... Elles ont assez péché pour cela ! Votre mort frappera sur les cœurs qui les aiment et qui voudraient les relever. Et si la méconnaissance et l'abandon du Droit monarchique par ceux qui devaient le représenter et le garder les rend dé- sormais impossibles, vous serez l'épitaphe glo- rieuse des monarchies mortes. Vous ne vous serez pas rendu aux canailles contemporaines, qui veulent passer sur les trônes comme un flot de fange révolté ; et dans la tombe vous empor- terez tout entier le drapeau sous lequel peuples et rois ont combattu et fait la gloire de leur paya... Malheureusement, l'horizon est si noir et le temps si plein de désespérance, que le mieux pour vous et pour le monde qui vous regarde et qui a désappris d'admirer, est peut- être de mourir dans cette lutte suprême que vous n'avez pas redoutée.

UNE PAGE lt HISTOIRE ANCIENNE

Les races qui finissent ont îles devoirs envers la gloire des aïeux. Il ne faut pas, comme Charles-Edouard, mourir en Italie ; il ne faut pas. comme Carloman. entrer au cloître, malgré la majesté et la sainteté de l'endroit. Race de héros, il faut mourir en héros. Vous l'avez com- pris, Sire.

Vous êtes le dernier Roi d'Espagne, le Rey netto : c'est à ce Roi-là, et non à l'autre, sa- voyard ou constitutionnel, que je dis aujourd'hui: Vive le Roi !

22 mai 1872.

ENCORE UN SIGNE DU TEMPS !

Oui ! encore un, mais c'esl le dernier.

Après celui-là, il n'y en a plus. Il n'y a plus que la fin, la fin définitive et suprême, la fin de la France : Finis Galliœ, comme il y a eu la fin de la Pologne : Finis Po/onicV, malgré l'hé- roïsme des Polonais. Et cette dernière étoile, tombée comme dans l'Apocalypse, et l'Apocalypse n'est pas ici de trop, car nous sommes vraiment dans une époque apocalyptique d'absurdités et d'anarchie, ce signe du temps et de notre misé- rable décadence, le voici !

Dans un pays qui fut militaire, dont la meil- leure et la plus grande gloire a été d'être mili- taire, dans cette France que Chateaubriand a

58 DERNIÈRES POLÉMIQUES

appelée : la France soldat, il vient de se rencontrer, pas plus tard qu'hier, un soldat, un officier, un chef, un héros, qui est venu, en pleine tribune, fouler aux pieds la tradition historique et mili- taire, la discipline, l'obéissance dans sa sublime passivité, tout ce qui fait la force, l'honneur, la vertu du commandement et des armées. Le co- lonel Denfert-Rochereau, le défenseur de Belfort, a donné ce triste spectacle, lui qui à Belfort en avait donné un si grand !... Ah ! certes! au mo- ment où les peuples ont leurs folies qui vont les perdre, autant que les rois ont eu les leurs, qui les ont perdus, nous n'avions pas vu encore se dresser, du fond du Charenton social, une plus grande et plus elïrayante démence, et ce qui en fait la grandeur et le danger, c'est le nom de l'homme de cette démence, qui peut la rendre contagieuse, seulement de par la fascination de son nom !

Que si l'homme qui l'a exprimée était un de ces déclamateurs de la gauche, pris dans le tas, que nous importerait ! Nous savons ce qu'ils pè- sent et ce qu'ils signifient. Nous sommes accou- tumés à leurs folies, à leurs niaiseries, à leurs sophismes et à leur patriotisme hypocrite et faux. Ils sont au plain-pied le plus humble ; ce qu'ils disent ne tombe sur personne! Par elle-même;

ENCORE UN SIGNE DES TEMPS o'J

leur parole n'a pas d'importance. Gela ne se re- lève pas. On méprise et on passe. Mais le colonel Denfert n'est point de ces gens-là. C'est un homme taillé dans l'étoffe des grands hommes de caractère, et ce qu'il dit tombe du socle sur lequel nous l'avons tous mis, c'est-à-dire de très haut! Une erreur, un sophisme, une détestable théorie de révolution, comme celle qu'il vient d'articuler à la tribune, ne peut donc point passer sans qu'on y touche, parce qu'elle est couverte et protégée par le bouclier de son nom. Elle ne peut pas passer sans qu'on la flétrisse, par respect pour lui et pour sa gloire ; et plus on la flétrira, cette anarchique théorie, plus à lui, qui ne l'a pas sortie de son cœur, mais de son esprit troublé, empesté par de fausses idées, plus on témoignera de respect!

II

Le colonel, dans cette théorie si peu colonelle, veut que l'obéissance passive soit remplacée par l'obéissance intelligente. Voilà donc comme les hommes d'action et de pratique dans ce temps qui pourrait tout, deviennent des rêveurs ! Il plante la loi derrière le chef pour nullifîer le chef et son commandement. Il appelle L'officier

60 DERNIÈRES POLÉMIQUES

à juger entre celte loi, interprétée par lui, et l'ordre absolu de son supérieur. C'est, en un seul mot, l'examen individuel, c'est le protestantisme introduit dans l'armée; c'est par censéquent la dissolution en un temps donné et qu'on peut calculer, de l'armée qui s'en ira au diable et tombera rapidement par morceaux sous le coup de cette belle théorie.

Le protestantisme fera dans l'armée ce qu'il a fait partout. Il a tué les sociétés religieuses, même celles qui se réclament de lui ; et s'il n'a pas tué le catholicisme, c'est que le catholicisme est fondé sur une idée surnaturelle qui n'est pas à la portée des hommes. Il est présentement en train d'expédier les sociétés politiques. L'armée, cette forteresse d'hommes, bâtie avec le ciment romain de la discipline, avait jusqu'ici résisté à l'action dissolvante de ce protestantisme anti- social, qu'on baptise du nom d'initiative indi- viduelle et éclairée et qui n'est après tout que le plus aveugle enfantement de l'orgueil; mais si on laissait faire le colonel Denfert, c'en serait fait aussi de ce dernier refuse de l'obéis- sance, et, il faut bien le dire, des nations, car à l'heure qu'il est, il n'y a plus de nations que dans les armées. Partout ailleurs, des parlements ! En dehors des armées qui en rappellent les cons-

ENCORE UN SIGNE DBS TE.MI'S 61

titutions anciennes, il n'y a plus de nations. Elles n'existent plus et ne sont plus que des cohues d'atomes, soulevées, pour ne jamais s'u- nir, par ce vent d'en bas qu'ils appellent, ceux qui le font, le suffrage universel !

Et une fois les armées dissoutes, il n'y aurait plus même d'exemple qui pût faire comprendre ces belles cohésions d'hommes unis, obéissants et forts, qu'on nommait des nations autrefois. On en arriverait à ne plus même comprendre l'Histoire...

III

Je sais bien que c'est que nous marchons : mais est-ce au colonel Denfert à nous y pousser? Est-ce ce qu'il a mesuré et ce à quoi il tend, le colonel Denfert? Avec sa théorie sur les yeux, a-t-il vu le but vers lequel forcément elle l'en- traine ? Il ne comprend donc rien à la nature humaine, le colonel! Il se fie aux lumières de ses officiers pour être obéi ! Il se fie à l'attrac- tion du commandement ! Il croit au commande- ment par amour! Mais on n'y croyait pas dans les cloîtres, du temps de la grande foi et des cloîtres, il y avait plus de vertus encore et

62 DERNIÈRES POLÉMIQUES

d'abnégation que dans les camps. Dans les cloî- tres, on avait inventé Yin-pace pour compléter et pour assurer l'obéissance par amour. Il a donc rêvé cela, le colonel, sous les bombes qui pou- vaient sur lui à lielfort! Ah ! si c'est ainsi, l'au- réole vaut mieux que la tète. Je l'aime mieux quand il agit que quand il pense ! Quoi ! lui aussi, cet homme d'action qui a touché et manié des hommes, qui les a menés au feu, et contenus quand ils en sont revenus, il croit aux bourdes contemporaines sur l'instruction et sur les lu- mières, comme s'il était du Radical ou du Rap- pel? Et lui, le glorieux chef de guerre, se rabat jusqu'à n'être plus qu'un monsieur de Y instruction obligatoire ! de cette instruction qu'on oblige à recevoir, et quin' obligera jamais à obéir !

Très certainement c'est l'illusion du colonel Denfert. La science lui a féru l'esprit. Il croit que l'instruction est la source de toutes les ver- tus, et nous avons vu ce quun peu d'instruction a produit dans les casernes de l'Empire ! La fa- culté de lire, qu'on veut faire obligatoire à tous (c'est la chimère de ce temps créé pour tous les genres d'abîme), n'est pas la faculté qu'il fau- drait de choisir et de discerner. L'instruction, par respect pour sa propre personne, discute et ne se soumet qu'après examen préalable. Pen-

ENCORE UN SICNE DES TEMPS 63

dant la discussion, péril!... A l'armée, devant l'ennemi, et même ailleurs qu'à l'armée, on n'a pas le temps d'attendre. L'homme n'a partout que deux minutes à vivre. La rapidité du temps coupe net la discussion, et on meurt de s'y être attardé. Des discussions ont perdu Byzance. Elles nous perdront probablement encore, car tout l'effort des législations imbéciles auxquelles présentement on travaille, c'est de les allonger.

IV

Que tout ceci soit, je ne m'en étonne ; mais qu'un chef de guerre ait de ces notions de dis- cipline... Je me demande ce que les vieux Ro- mains et l'armée Romaine auraient pensé de cela ?

J. B. (l'A

1" juin 1872.

UNE BALAYEUSE

Elle n'est plus prussienne, celle-là. Elle n'est point de ce fameux bataillon de balayeuses qui, avant la guerre, balaya Paris au profit de la Prusse, et que nous, les dupes et les étourdis séculaires, nous laissâmes paisiblement gratter notre sol coupable, qui méritait presque leurs tombereaux !

Non ! la balayeuse que voici, qui a succédé aux prussiennes, se pique d'être française, mais c'est une prétention. Elle le dit, mais ne la croyez pas ! Elle n'est pas de France. Elle est de tous les pays, surtout du pays des chimères. Cette bohème d'hier, en vagabondage dans l'his- toire de France, tour à tour ou successivement

6 3 DERNIÈRES POLÉMIQUES

romaine, grecque, américaine, humanitaire, abstraction, quand elle n'est pas copie, et qui, pour avoir une possession d'Etat, s'est faite dernièrement la fille de tout le monde... par le suffrage universel, la République enfin (puisqu'il faut l'appeler par son nom, comme la peste), la République, toujours et à toute époque provi- soire, est revenue avec le balai qui lui sert de sceptre, et a repris sa besogne de balayeuse providentielle et aveugle ; car elle est tout cela, la République! Comme les esclaves qui, les yeux crevés, battaient le lait, chez les Scythes, la République, en France, balaie, sans y voir, pour quelqu'un qui doit venir...

En 1793. elle balaya et vous savez avec quel balai ! pour un inconnu dont elle ne se doutait pas. Napoléon Bonaparte, et plus tard. en 1849, pour un .Napoléon Bonaparte encore ! Or, en 1872. la voici qui. de nouveau, se remet à balayer, et pour qui ?... Dieu le sait ! mais elle balaie, quoique ce ne soit pas tout à fait de la même manière, tout à fait avec les mêmes robustes bras et le même terrible balai !

UNE BALAYEUSE (57

II

C'est qu'après tout , on n'est pas immortelle, toute République qu'on soit. On vieillit, on s'affaiblit, comme les royautés etles races détes- tées par les républiques. Notre petite et vieil- lote provisoire de Versailles ne ressemble guère à cette robuste et jeune femelle de 1793. qui tricotait si formidablement de son balai sanglant, et pêle-mêle poussait devant elle des têtes de Roi et de Reine. des clergés, des noblesses, l'ancien régime tout entier, ces ordures immondes et immenses, qu'elle jetait dans la hotte du grand chiffonnier social. le bourreau, qui les emportait ! Ce n'est plus cette vigoureuse goujate, au bonnet phrygien, dont le balai, aux crins d'acier, coupait si dru il passait, et faisait la place rouge et nette. Elle n'est plus même celle-là, déjà plus mûre, mais ferme encore, qui balaya en 1849 1e faubourg Saint-Antoine avec les boulets du républicain Cavaignac. ce duc d'Albe de trois jours.

La République d'aujourd'hui, honnête et modé- rée, et de l'âge de la placidité et de la sagesse, ne voulant plus faire peur à personne, a mis

68 DERNIÈRES POLÉMIQUES

son bonnet dans sa poche, lavé son balai rouge, et si elle ne s'est pas livrée à un grand balayage à fond , elle a continué cependant le balayage héréditaire pour lequel elle est faite... Et ce n'est pas des ordures monarchiques qu'elle balaie ! Il en reste si peu sur ce sol démocratisé! Mais ce sont étonnez-vous ! ses propres ordures à elle, comme, par exemple, les restes de la Commune vaincue; car. qui peut nier que la Commune ne soit pas sortie de la République? Seulement l'Histoire le dira dans sa justice, non comme une fille, mais comme un excrément!

Oui ! la fatalité providentielle du coup de balai auquel elle est vouée est plus forte qu'elle, la République! Voyez! Son idéal, hypocrite ou sincère, que m'importe pour le moment! c'était, depuis Robespierre, en descendant bien bas, bien bas. jusqu'à Jules Simon, l'abolition de la peine de mort, en matière politique, et même en toute matière, et elle ne s'en est pas moins servi, de cette peine nécessaire, et à ce point que les républicains qui ne tiennent pas le manche du balai, les républicains, non du balai, mais de la balayure, s'en sont voilé la face. A présent, qu'elle s'en soit assez servie, de cette effrayante peine de mort, que la main lui ait tremblé en l'appliquant, c'est une question que je ne pose

UNE BALAYEUSE 69

pas. L'Histoire jugera, et sur des faits qui sont à naître encore; car toutes les boutures épargnées de l'arbre du mal repoussent toujours, et celles- ci sûrement repousseront!

Xon ! ce que je veux aujourd'hui mettre bien en lumière, c'esl que la République, la meilleure des Républiques peut-être, la République hon- nête et modérée qui a inventé une commission des grâces pour l'honneur de sa philanthropie, n'a pu s'empêcher de donner ce coup de balai, et. en cela, a fait absolument comme les monarchies abhorrées, lorsque les monarchies avaient le courage de leur droit. Si. au lieu d'être une république, elle eût été une monarchie, elle aurait été bien embarrassée, avec l'état de l'opi- nion sur les monarchies, de donner ce grand coup de balai nécessaire ; mais elle (la Répu- blique! a pu faire cette besogne de salut au qompte et au profit des monarchies futures qui n'auront pas à la refaire. Et c'est sa destinée! C'est pour de tels services qu'elle a être mise au monde, la République! Sans cela, le monde n'y comprendrait rien.

Elle seule et de cela seul qu'elle est la République peut toucher impunément et sans que l'opinion se mette à beugler comme une vache enragée, et à la vie humaine, qu'elle a

70 DERNIÈRES POLÉMIQUES

dite inviolable et sacrée, et à la liberté, qu'elle a dite sacrée et inviolable. Elle seule, toujours impunément, peut épargner aristocratiquement les chefs des émeutes populaires et frapper sur le reste sans toucher à la sainte Egalité, pro- fessée ainsi par elle. Elle seule peut faire la part à son balai, en choisissant ceci et cela parmi les ordures fraternelles, et n'en rester pas moins la Fraternité en personne. Et ce qui a lieu dans le grand balayage à fond n'en a pas moins lieu dans le nettoyage du détail. Les obligations pul- lulent sous les Républiques libres. Nous allons les compter.

III

D'abord, l'obligation du service militaire, que je ne blâme certes pas! moi le partisan de tous les despotismes (excepté celui des Assemblées), et à qui, puisque le Pape n'est plus à la tète des souverainetés chrétiennes, un calife conviendrait très bien. L'obligation du service militaire, rude obligation pour une République qui nous avait fait croire au développement à fond de train, par elle, de notre pauvre petite chériede liberté ! La Commune; républicaine en cela très repu-

UNE BALAYEUSE

blique) avait même invente l'incendie gratuit et obligatoire, comme disait agréablement le fameux serrurier de la rue de Yerneuil qu'on a été obligé de fusiller. Mais cette obligation, qu'un jour on reprendra peut-être, n'est pas encore pour aujourd'hui! On se contente pour aujourd'hui de l'instruction gratuite et obliga- toire, et laïque surtout, pour qu'on se sente mieux obligé. Avec toutes ces obligations, la liberté s'en va sous le balai ; et en même temps aussi toutes les petites pagodes en qui elle nous avait fait croire, toutes les petites chinoi- series que nous admirions sur l'étagère des Républiques. Elle est en train de les balayer très proprement et de les enlever très doucet- tement comme poussière et toile d'araignée, avec cet implacable balai qui fait l'hypocrite et qui voudrait bien se donner les airs modestes d'un plumeau !

Lisez, en elîet, le Radical d'il y a deux jours, le Radical, à qui le plumeau-balai de la Répu- blique a fait l'effet d'une étrille sur sa peau poli- tique à'écorché, et tremblez pour les chinoiseries! Le Radical annonce que le droit de pétition va être incessamment restreint. Ce sera l'obligation de ne plus pétitionner ! La mort de toute une charmante littérature! Le Radical s'afflige de

DERNIERES POLEMIQUES

voir le Journal officiel rempli d'arrêtés qui annulent les délibérations des conseils électifs, ou suspendent les conseils électifs eux-mêmes. « Et le jury (lui-même !) qui a eu le tort (tex- tuel) d'acquitter les dix journaux poursuivis par ordre de l'Assemblée, le jury va subir de pro- fondes et regrettables modifications ! » Si le Radical est bien informé, voilà le balai qui va jouer, et qui, après les grands coups, arriverait aux petits, pour achever Yappropriement de cet affreux ménage politique d'une nation, dans l'absence de ses maîtres...

Certes ! ce n'est pas nous qui nous étonne- rons de cela, ou qui le reprocherons à la Répu- blique. Sa raison d'être est là, et n'est que là. La République, qui se sait et se sent provi- soire, balaie utilement pour que le pouvoir mo- narchique , qui est le Saint-Sacrement des nations, puisse passer... si Dieu nous en croit dignes encore î

Dieu a pour habitude de faire faire ses plus grosses besognes par ses ennemis.

17 juin 1872.

LA PREFACE

L AMI DES FEMMES

Ce n'est qu'une préface, mais elle vaut une œuvre et elle en est une.

Cette préface d'une comédie tombée, qui ne relèvera pas cette comédie ; cette préface qui, elle, ne tombera point, et qui, à propos de Y Ami des femmes, est tout un Traité de la femme, n'a pas plus réussi, quand elle a paru, que la comédie qu'elle précède. La renommée de M. Alexandre Dumas fils n'y a rien fait. Tout le monde a été contre elle et l'est encore : les Niais et les Dadais, le fonds social ! les Senti- mentaux, qui deviennent si nombreux qu'il faut bien inventer pour eux un pluriel, les Conve- nables, les Légers, les Galantins et les Pbiisan-

74 DERMÈHES POLÉMIQUES

tins! Les Galantins l'ont trouvée irrespectueuse et même outrageante. Les Plaisantins l'ont prise, comme ils prennent tout, pour une plaisanterie, un peu salée, d'un puissant Malin. « Ce diable d'Alexandre Dumas fils a-t-il de l'esprit et du fouet, et sait-il fouetter sa toupie! » Voilà à peu près ce qu'ils ont dit, mais nul d'entre eux n'au- rait pris à son compte les opinions de cette ter- rible préface, la plus faite pour le scandale qu'on ait vue de mémoire de préface, depuis celle de Mademoiselle de Maupin (dans un genre diffé- rent), ou celle de l'Encyclopédie!

Rien, du reste, de plus naturel que l'impres- sion qu'elle a causée. Nous sommes, en France plus qu'ailleurs, les fils de la femme. « En France, disait Sterne à la lin du xvin0 siècle, il n'y a de salique que la monarchie. » La question de la femme y a toujours tenu une place énorme, non seulement dans les mœurs, mais dans la pensée ; non seulement dans les livres, mais dans les conversations. A toute époque, les penseurs qui expriment les mœurs, en essayant de les modi- lier, et que pour cette raison on appelle « des moralistes », l'ont incessamment posée dans leurs écrits; mais auxix0 siècle, à cette heure présente du xix° siècle, ce sont les femmes elles-mêmes qui la posent dans les leurs; car elles se sont

LA PRÉFACE DE L AMI DES FEMMES 7o

mises à écrire, sans cesser pour cela de parler ! Elles ont invoqué à leur bénéfice le principe d'égalité que la Révolution française avait érigé et proclamé, sans penser à elles. Elles veulent avoir, comme nous, leur petit quatre-vingt-treize moral... ou immoral. Elles ont même élevé des chaires contre nous. Au lieu de tricoter, elles tribunisent... Au milieu de ce dévergondage, le moins aimable de tous ceux qu'elles se soient jamais permis, un moraliste qui a de la griffe, un auteur comique aux yeux tristes et au sourire froid, un grand expérimenté de la femme qui l'a étudiée dans toutes ses cabrioles, a trouvé cette dernière un peu trop forte, et il l'a dit!... Et alors, les voilà qui se plaignent, comme Baron, le comédien, qui se plaignait, à je ne sais plus quel duc, de ce que les gens de ce duc avaient battu les siens, et qui s'attira la réponse :

« Aussi, pourquoi as-tu des gens, mon pauvre Baron ? »

II

Oui! la griffe y est, dans cette préface de M. Dumas fils, mais c'est l'erreur qui coule sous cette griffe, encore plus que le sang. Certes!

76 bERNlÉRES POLÉMIQUES

l'amour-propre de la femme qui a son amour- propre collectif, son amour-propre de sexe, comme elle a son autre amour-propre, son amour-propre de personne, n'a pas été mé- nagé dans cette âpre étude, dans cette anatomie sur le vif ; mais c'est moins L'amour-propre, si in- solemment extravasé, de la femme moderne, que M. Dumas a voulu atteindre, que l'erreur des hommes sur la femme, sur sa fonction et sur sa destinée. M. Dumas fils, qui s'est peint, dit-on, dans Y Ami des femmes, ce Monsieur le Premier d'autrefois, avec elles, qui trouve meilleur de n'être plus maintenant que Monsieur le Second, n'a pas pour moi fait monter ses rancunes, s'il en a, jusqu'à ses idées, dont elles auraient trou- blé probablement la lucidité. En cette préface de Y Ami des femmes, M. Dumas a oublié qu'il était un poète et un homme pour ne se souvenir que d'une chose, c'est qu'il devait, avant tout, dans une question de nature humaine et de société, rester strictement un observateur; et il l'est resté. S'il a pu mettre dans sa création de Y Ami des femmes l'exagération qui, comme le masque antique, est nécessaire aux proportions du théâ- tre, en cette préface, qu'il pourrait signer du nom même de son type, il a été rigoureux de vérité exacte, malgré son atrocité dans l'expression..

LA PR/EFACE DE L AMI DES FEMMES M

pour les Galantins! Je ne fais aucune réserve à cet és;ard. Son étude sur la femme creuse dans la réalité aussi avant qu'on puisse y creuser... et assurément je ne crois pas qu'aucun mora- liste connu ait éclairé et pénétré par plus de per- çante lumière cet être dont la Bible n'a pu dire que dans le sens surnaturel qu'il mettrait le talon sur la tête du serpent, et qui, en attendant, le met naturellement sur la tête et sur le cœur de l'homme, et même de celui-là qui ose et qui sait le juger. Comparez cette étonnante Préface, que je soutiens être une œuvre en soi, cette formidable dissection physiologique, psycholo- gique et sociale de la femme et des divers tem- péraments dans lesquels elle tourne comme les astres dans leur orbite ; comparez-les à tout ce que les moralistes ont concentré ou éparpillé dans leurs œuvres : vous ne trouverez rien de pareil à ce torrent de lumière ramassée, conden- sée et étreinte par la main vigoureuse de M. Du- mas. Et de fait, est-ce La Rochefoucauld, le soucieux et jaune La Rochefoucauld, est-ce l'écla- tant La Bruyère, le fébrile Rousseau, le suave Joubert ; est-ce Chamfort le misanthrope et le misogyne Chamfort. est-ce l'omnipotent Balzac lui-même, qui a écrit tant de choses sur la femme en concordance avec ce que vient d'en écrire

DKRNIKRES POLÉMIQUES

M. Dumas fils, est-ce un d'eux ou tous eux, dans les œuvres de qui vous puissiez trouver un fragment ou plutôt un ensemble de cette lon- gueur et de cette tenue, de cette profondeur et de cette intensité?... Il y a ici une beauté d'effort et une volonté de synthèse qui est bien au-dessus de toutes les beautés d'analyse... C'est tellement complet de thèse posée que j'ai eu raison d'appe- ler ces pages tout un Traité de la femme, et c'est tellement articulé comme pièce de raisonnement, que pour un homme accoutumé au travail mys- térieux de l'engendrement des idées, il ne serait pas très difficile d'indiquer de quelle métaphy- sique, de quelle philosophie générale ce traité est sorti et à quelles il doit aboutir.

Et voilà l'important pour moi! L'important n'est pas pour moi que la préface de M. Dumas fils soit un chef-d'œuvre de vérité de fait, d'ob- servations scientifiques, des agacité de détails, et par-dessus tout cela, d'expression : mais ce qui m'importe, c'est que la vérité du fait n'y soit point une vérité isolée ; c'est que le rayon que je tiens sous mon regard n'y soit brisé ni en avant ni en arrière; c'est qu'il n'y ait pas seule- ment ici qu'une apparence de synthèse, mais que la synthèse y soit réellement, sinon dans la lettre de l'œuvre de M. Alexandre Dumas, au

LA PRÉFACE DF L'AMI DES FEMMES

moins dans la tète qui l'a pensée ! Pour moi, tel est l'intérêt, telle est la question qui résulte de l'écrit nouveau qu'il nous donne. D'ailleurs, si la synthèse, indécise encore, mais que je crois apercevoir émergeant dans ce jeune et robuste esprit, s'y montrait nettement et s'en emparait avec autorité, comme elle affermirait, comme elle confirmerait, à mes yeux, la vérité de fait arrachée à la réalité par la force de l'observa- teur ! Eh bien , c'est cette synthèse, que je crois voir confuse, et que je cherche depuis longtemps déjà dans l'esprit de M. Alexandre Dumas! Pour- quoi donc ne le dirais-je point? de tous les esprits de sa génération. M. Alexandre Dumas fils est celui qui me donne le plus de confiance. C'est celui en qui j'espère le plus. Je sais trop d'où il est parti, et j'ai trop mesuré le chemin qu'il a parcouru pour que je ne le croie pas fait pour monter très haut... Elevé est-ce élevé qu'il faut écrire? par un père qui n'eut que des instincts, et dans un milieu à incendier les mar- bres, — ou même à les pourrir, M. Dumas fils commença la vie intellectuelle bien avant la vie morale. Il eut aussi le libertinage de la pensée de bonne heure, et presque avant la puberté. Du roman, dans lequel il débuta, et dans lequel il jeta ses gourmes d'extrême jeunesse, du roman

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indécent, hardi et casse-cou, qu'il écrivit de celte plume physique et cassante qui est devenue cet instrument, cet emporte-pièce, cette tenaille d'a- cier que Ton sait et dont il vient d'écrire admi- rablement cette préface de l'Ami des Femmes, du roman et par le roman il passa au drame il éclata brusquement, comme un cactus qui rompt ses dures enveloppes. Le théâtre, par les succès qu'il lui valut, semblait être sa vocation; mais j'ai mes raisons pour dire semblait, car je crois le théâtre un art fini, tournant toujours dans la même spirale, comme le vilebrequin dans le vide, quand la planche est percée. Il y fut le premier, sans comparaison avec personne; mais, sentant le néant de cet art fini, il essaya de le renouveler, écrivit les Idées de Madame Aubraij et tomba dans des théories, la ressource des artistes désespérés. Seulement, cet homme, qui est la réflexion comme son père est l'instinct, cet homme qui est arrivé par la pensée aux idées morales qu'on avait oublié de lui donner, cet homme de volonté et de travail, organisé, je crois, pour les grandes choses, sentait en lui s'agiter la faculté synthétique, qui est la faculté des esprits réellement supérieurs, ce besoin d'une philosophie générale qui est la nécessité des grands esprits, et qui. pour les esprits non pas

LA PRÉFACE DE L'AMI DES FEMMES 81

seulement grands, niais bien faits, ne peut être jamais que le Catholicisme, et c'est de ce côté qu'il inclina. Déjà, comme la rose qui, plus tard, doit s'ouvrir, et qui montre sa pointe rose à l'extrémité des enroulements de son bouton, le catholicisme de M. Dumas avait pointé dans les Idées de Madame Aubray, mais il s'épanouit et il embauma, dans son livre des Filles repen- ties.

Pour mon compte, j'en fus enivré. Je dis alors aux libres penseurs que Dumas fils venait à nous. Je me suis trop hâté, sans doute. De l'émotion et de l'accent ne suffisent pas. Il faut une armure à la Foi. Il faut la doctrine, et par la doctrine M. Dumas fils, je le crains, est bien loin d'être catholique encore. Les derniers mots de sa pré- face de Y Ami des Femmes ne me l'ont que trop prouvé. Mais si M. Dumas ne tient pas dans toute son intégralité la synthèse qu'il lui faut pour avoir toutes les puissances de sa pensée, l'idée du moins qui plane sur son travail d'aujourd'hui, si profond et si péremptoire, et dans lequel la femme est toisée d'un œil si ferme, cette idée ne donne aucun démenti à l'idée chrétienne sur la femme, et à notre manière, à nous autres chré- tiens, de la juger !

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III

Et, en effet, le Christianisme n'est doux à la femme que quand il l'a sumaturalisêe . Tout le temps qu'elle reste la créature humaine que cet Africain de Tertullien, aussi dur que M. Dumas, appelle d'un ton si méprisant : un instrument de volupté (instrwncntum voluptatis), le Christia- nisme la voit comme elle est et la met à sa place. Il n'entend pas qu'elle brise l'unité de la société domestique, rompe les catégories sociales et viole la hiérarchie éternelle. Sur ce point, l'au- teur de la préface Je Y Ami des femmes est chré- tiennement irréprochable.

M. Alexandre Dumas iils, moraliste de l'époque la plus préoccupée des sciences physiques, et qui s'est livré à leur étude avec passion, depuis celle de la physiologie générale jusqu'à celle des phy- siologies particulières, M. Dumas, l'homme d'un temps qui ne croit plus qu'à la science, et qui pousse la sienne jusqu'à la chiromancie, car, il faut bien le dire, M. Alexandre Dumas est chi- romancien et touche, avec son bon sens empoi-

LA PRÉFACE DE L'AMI DES FEMMES 80

sonné, à l'astrologie judiciaire, n'en regarde pas moins, avec ce bon sens empoisonné, mais vivant, la destinée et la fonction de la femme comme tous les moralistes chrétiens les ont en- visagées. Il sait tout autant que les plus grands esprits qui aient jamais expliqué les choses hu- maines par le péché originel et par la Chute, quels sont les seuls devoirs de la femme, son inégalité d'institution divine vis-à-vis de l'homme, et sa fonction de sacrifice et d'amour. L'auteur de la préface de Y Ami des femmes est aussi indi- gné de l'orgueil actuel de la femme et de sa ré- volte insensée contre l'homme, qui est la dernière des insurrections et qui devrait faire honte à l'homme des siennes, que pourraient l'être, par exemple, des penseurs catholiques de laforce de de Maistre, de Bonald et de Saint-Bonnet. Les sciences, auxquelles il croit, n'ont point déchris- tianisé son esprit, cet esprit qui est toujours plus chrétien qu'on ne se l'imagine dans une société longtemps chrétienne et dont la tradition morale, quoique affaiblie et méconnue, est comme un second baptême, même à qui n'aurait pas reçu le premier baptême, celui qui est un Sacre- ment.

Ecoutez-le parler, dans ce style qui fait voler les vitres en éclats, comme sous les cinglements

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d'une baguette de fusil : «C'est aujourd'hui « dit-il la femme, et la femme-animal, qui en- « vahit sans distinction de naissance et d'éduca- « tion, de race et de fortune, la société moderne. « Les Barbares descendent des montagnes en « attendant que les sauvages traversent les mers. « L'être fonctionnel chasse l'être idéal. L'être « simple dans son instinct remplace l'être com- te posé dans son sentiment, et la femme se met « en tête de réclamer ses droits au nom de sa « beauté, de ses besoins et de ses organes. Elle « a pris sa supériorité légendaire au sérieux et « la voilà décidée et résolue à manger l'homme! « Elle engage la lutte par tous les côtés, par en « haut, par en bas, par en bas surtout... Il n'y « a pas une famille à cette heure, dans le monde « civilisé, qui n'ait à se défendre contre ce « nouvel ennemi : la femme! » Certes! les grands prédicateurs diraient-ils autrement, du haut de leurs chaires, que ce moraliste d'une so- ciété matérialiste et qui, dans ses études, a brassé assez de matière pour s'en mettre plein les yeux et s'en aveugler?... Excepté le mot « légendaire», que j'ai souligné comme n'étant pas chrétien, l'observateur pose ici la question comme un prêtre et la résout aussi comme un prêtre, quand, après ces rages sur la femme -animal, les plus

LA PRÉFACE DK L'AMI DES FEMMES 80

hardies qu'on ait jamais écrites dans un livre qui n'est pas un livre spécial de médecine, après ces descriptions physiologiques, cyniquement belles (et je me soucie bien de l'adverbe !), mais nécessaires pour les faire rentrer, elles et leur orgueil, dans leur ventre, ces femmes dont le ventre est en somme tout elles-mêmes ! pour leur mettre le nez de leurs folles prétentions dans le sang' et la chair de l'organisation dont elles dépendent, il conclut des divers tempé- raments qu'il expose avec une si éloquente et si brutale réalité, que la virginité religieuse est d'une nécessité absolue et le seul remède qu'il y ait contre le vice originel des tempéra- ments, et qu'il oppose à la iemme-animal, à la femme de la nature, la femme-âme. la femme du monde surnaturel !

L'Eglise n'a pas dit davantage. Elle a dit autrement en bien des choses et même avec un autre accent, mais elle n'a pas dit autrement sur la femme. Elle a dit, elle aussi, dans cet incomparable langage qu'on ne met en regard de celui de personne, que la Virginité était l'axe du monde, et c'est pour cela qu'Elle a multiplié les vierges comme seule elle peut le faire, dans le genre humain ! Sur la Virginité, comme sur le Mariage, qu'il définit d'ordre divin et hors

86 DERNIÈRES POLÉMIQUES

lequel l'amour, dit-il, n'est jamais plus ou moins qu'une prostitution, sur la Maternité, c'est-à-dire sur les trois questions qui sont le triple pivot du monde moral, M. Alexandre Dumas fils a le mérite d'avoir vu comme l'Eglise. Çà et là. sa préface de Y Ami des Femmes contient, je le sais bien, des erreurs navrantes, de ces lézardes intellectuelles qui, tout à coup, fendent une voûte de vérités dont on admirait la hardiesse! Mais il a cela d'avoir pensé, sur les points prin- cipaux de son écrit, comme l'Eglise, et, pour la gloire du penseur, cela est assez, si c'est assez, pour notre regret, à nous, qu'il y ait, à côté de cela, autre chose !

Hélas ! le désordonné des doctrines qui pour l'heure affolent le monde, n'a pas impunément passé par cette tête que je veux croire assez forte pour, dans un temps donné, les rejeter! La préface de Y Ami des Femmes, ce travail qui, comme les grands fleuves, a une source petite, puisque ce travail a été fait sous le coup d'une comédie à peu près tombée. autre chute que celle de la pomme, pour Newton ! la préface àeYAmi 'des Femmes, cette mosaïque de vérités et d'erreurs, mais la vérité domine, a des places d'erreurs que le siècle y a faites bien plus que la pensée de M. Dumas. C'est le siècle.

LA PREFACE DE L AMI DES FEMMES

le xixe siècle, qui a jeté ces pavés d'achoppe- ment dans son œuvre. C'est le siècle, cet énorme badaud qui ne devrait guère en imposer pour- tant à un praticien de la comédie et de la plaisanterie déshabillante de la vigueur de M. Alexandre Dumas, c'est le xixe siècle qui a pla- qué dans sa préface : « que l'humanité est Dieu «en action comme la matière est Dieu en fait », ce qui n'est même plus un pavé, mais une bouse de vache de l'Hegelianisme. C'est le siècle encore qui a écrit : « Il n'y a pas de fin du monde. » C'est le siècle enfin qui a tracé cette grotesque arabesque par laquelle finit cette préface en queue de rat protestant : « Quant au livre qui « contient toutes les vérités, la Bible éternelle à « laquelle Dieu lui-même a travaillé en collabora- it tion avec tous les hommes qu'il a chargés de le « représenter sur la terre, ils l'ont emporté avec « eux : ils l'achèvent en ce moment. Il sera bientôt « traduit dans toutes les langues, et il s'appelle

« LA CONSCIENCE ! »

Et M. Alexandre Dumas fils, le railleur impi- toyable qui a le sentiment du ridicule à une si haute puissance, à cette pétarade, n'a pas ri !

88 DERNIÈRES POLÉMIQUES

IV

Je n'insisterai pas davantage sur ces déshon- neurs d'une pensée que j'estime faite pour la vérité absolue. Je l'ai dit déjà, la faculté syn- thétique cherche sa synthèse dans M. Dumas pour en armer son mâle esprit, et elle ne l'a pas trouvée encore; mais elle la trouvera, et quand elle l'aura trouvée, M. Alexandre Dumas, cet esprit acharné qui mord à si belles dents dans la difficulté, car l'acharnement est le caractère de sa belle intelligence. effacera de sa préface de YAmi des Femmes toutes les erreurs qui en tachent la lumière.

Cette préface le talent de M. Dumas s'est montré dans une proportion inconnue et juvé- nalesque d'énergie, prendra alors sa valeur définitive et son rang immobile d'œ Livre très haute; et malgré les Niais qui n'y ont rien com- pris, les Convenables qui l'ont trouvée par trop indécemment physiologique, les Galantins par trop insolente, et les Plaisantins par trop la revanche d'un mauvais accueil fait à une pièce par les petites dames auxquelles le monde est

LA PRÉFACE DE L'AMI DES FEMMES 89

soumis, elle restera, sous sa forme de préface ou sous une autre , une charge bilan de la femme du xix1' siècle!

ou sous une autre , une charge écrasante au

LITTERATURE ROUGE

La France va être jalouse. Victor Hugo aussi. Il patauge, dit-on, à cette heure, dans son Qua- tre-vingt-treize, comme le diable dans le chaos. Il jauge cette boue et ce sang- dans lesquels il n'y a qu'une tête de Roi son regret peut-être). Eh bien, voici un poème allemand dans lequel on les abat toutes ! Régicide colossal ! Le livre de M. V. Hugo ne sera que l'apothéose du passé ; le poème que nous annonçons est l'apothéose de l'avenir. L'un n'est qu'un souvenir ; l'autre est une espérance, l'espérance incompressible de toute la Démocratie européenne ! C'est la tuerie glorifiée de tous les Rois du monde, à un instant donné et... prochain, par le peloton d'exécution,

Vil DERNIÈRES POLÉMIQUES

cette douce invention de la philanthropie mo- derne, faite pour remplacer cette bête de guillo- tine, qui ne tue qu'un homme à la fois !

Ce poème, en huit chants, qui a la prétention d'être une épopée prophétique et dont l'action se passe en 1909, s'appelle La Dernière Bataille {Die letzte Schlacht). Il s'appellerait mieux Les Derniers Rois. Quoique frénétique d'idée et d'ac- cent, ce poème cochenille est absolument nul... C'est simplement démocratique, atroce et bête ; mais connaissez-vous une combinaison plus puis- sante?... L'atrocité chevauchant la bêtise, ça fait plus rapidement le tour du monde que le drapeau tricolore de Mirabeau !

Et voilà pourquoi il faut en parler. Le dan- ger redouble toujours, quand il y a bêtise. Les oies humaines ouvrent leur bec et avalent... Voyez ! il s'est tout de suite trouvé, en France, un traducteur pour mettre dans la langue la plus claire du monde cette exécrable rêverie al- lemande, qui serait morte étouffée sous son texte allemand, comme un escargot dans sa coquille. Le traducteur lui-même est convaincu de la bê- tise de son poète, et, plus spirituel, puisqu'il est français, s'en excuse un peu, mais c'est à cela même qu'il se fie : car ce traducteur s'appelle avec une touchante modestie : un «petit coque-

LITTÉRATURE ROU'GE 93

licot républicain », el pour lui comme pour tous ceux qui ont l'idolâtrie républicaine, il ne s'agit ni Je littérature, ni de génie, ni d'orthographe, mais de la République universelle de l'avenir !

II

L'auteur de cette platitude qui a l'honneur d'être une infamie et de cette infamie qui a l'hu- miliation d'être une platitude, se nomme Stampft, Frédéric Stampft, à Dusseldorf. Il écri- vaillait quelque chose au secrétariat de l'Acadé- mie des Sciences de sa ville natale, quand la guerre de la Prusse contre la France le prit et en fit un officier dans la landwehr. Il ne le fut pas longtemps... C'était un Prussien, comme beaucoup de Français, qui n'avait ni gouverne- ment ni patrie. C'était un humanitaire. Il bayait aux corneilles de l'humanité. Heureux de voir Napoléon pris à Sedan par les Prussiens, il au- rait voulu que Guillaume eût été pris par les Français. Pauvre sot ! on aurait fait l'échange ! C'est à Sedan (nous dit son traducteur, comme s'il s'agissait d'une grossesse), qu'il « conçut l'idée » de sa Dernière Bataille. Indiscipliné, et dégradé justement, après enquête, on l'incor-

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pora comme simple soldat dans le 4e régiment de son arme ; mais un tel châtiment ne suffisant pas encore à un tel révolté, on le condamna à quinze ans de forteresse. Il put s'en échapper, se sauver en Suisse, il mourut à trente-cinq ans, après avoir pondu sa Dernière Bataille, cet œuf rouge qui n'est pas un œuf de Pâques ! L'idée même de cette Dernière Bataille en 1909 , cette idée d'exploiter l'avenir, ne lui appartient pas. Ce n'est pas une idée nouvelle. Granviile a fait un poème en prose intitulé : Le Dernier Homme. La Godwin , femme de l'athée Shel- ley, écrivit un roman sous le même titre, et Th. Campbell une ode magnifique qui s'appelle aussi Le Dernier Homme [The last mari). Qui n'a pas fait son dernier quelque chose ?En dégringolant bien bas, nous trouvons madame Collet, cette chaussette bleue, qui a fait Le.* Derniers Marquis.

Quant au détail, l'invention de ce poème de Stampft ne lui a pas brisé la cervelle.

En ce temps-là, dit-il, il n'y a plus que deux empires: l'empire de l'Est et l'empire de l'Ouest; autrement dit : l'empire de Russie et d'Allema- gne. L'Allemagne esta Guillaume 111. La Russie est à Nicolas II. Le char de ces autocrates, comme dit Stampft-Prudhomme, est traîné par

LITTÉRATURE ROUGE 98

un attelage de Rois, et, dans l'attelage de Guil- laume, se trouvent entre autres Louis-Philippe III,

héritier des Bourbons, et Napoléon V, Roi de Corse. Et tous « ces pur sang dit le poète obéissent au moindre claquement de langue de leurs maîtres respectifs », quand la guerre éclate tout à coup entre les deux grands monarques de l'Est et de L'Ouest, mais immédiatement étouffée par deux grands hommes de l'Internationale de 1909, qui se nomme YUniou, et qui n'a rien ajouté aux errements de ï Internationale d'au- jourd'hui. C'est, comme aujourd'hui, toujours le nombre auquel on apprend qu'il est le nombre et qu'il peut se révolter sans danger, puisqu'il est le nombre. Dans le poème de Stampft, il se ré- volte enfin et massacre à coups de fusil tous les Rois et tous les princes du monde, enfermés dans un cirque comme des bètes féroces, tableau final de ce poème, qui n'a été entrepris, certaine- ment, qu'en vue de ce dernier tableau !

Et voilà tout. Est-ce assez piètre, littéraire- ment? \ù Internationale devenue l'héroïne d'un poème et agissant contre la Royauté par la main de deux grands hommes de fabrique moderne, dont l'un est un relieur et l'autre un gantier ! Ne voilà-t-il pas un sujet de riche Epopée ? Mais

06 DER.\'.-Kt> POLÉMIQUES

qu'importe à la Démocratie, qui demain peut- être fora un nom au haineux imbécile auteur de cette sanglante billevesée!... qu'importe à la Démocratie, pourvu qu'elle se retrouve tout en- tière avec ses aspirations, ses espoirs, ses pro- jets, ses pratiques ténébreuses, dans une œuvre misérable, il est vrai, de talent et d'intelligence, mais dont pour elle le fanatisme couvre l'ineptie ! Ce livre de Stampft est un renseignement et un enseignement à la fois. Il chante la pensée des républicains de l'avenir. Tuer les Rois un à un ne leur suffît plus. Ils rêvent mieux, et leur rêve poétique est de les immoler tous d'un seul coup avec le faste du supplice.

Les Rois s'il en existe encore sont pré- venus.

[il avril 187:^.

LETTRES A. Ll PRINCESSE

Eh bien, non ! non !

Vous aurez beau dire, messieurs mes amis du Gaulois, en mon àme et conscience, les Lettres à la Princesse, que vous avez vantées sur le titre, qui est joli et qui fait rêver, et sur le nom de Sainte-Beuve, tout flambant neuf dans sa re- nommée, ces lettres sont... mauvaises. Elles sont insignifiantes et mal tournées, et ne feront aucun honneur à la mémoire de Sainte-Beuve; que dis-je ? elles vont la compromettre. Un légataire pieux envers cette mémoire aurait caché cela. Il n'aurait jamais permis à ces petits papiers de sortir du tiroir qui les garde. Mais il a fallu faire de ces petits papiers de petits écus pour mettre dans le petit boursicot1.

1 La connaissance personnelle qu'il fit, dans l'hiver de 1888, H

98 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Ton! est là.

Mais Sainte-Beuve, lai, n'y est pas, le Sainte-Beuve de ses livres, qui y met donc tout, dans ses livres, pour qu'il ne lui reste absolu- ment rien à mettre dans ses lettres : car il n'y a rien, absolument rien, que l'embarras de les écrire pendant qu'il les écrit et le débarras de les avoir écrites quand elles sont finies! Elles sont lourdes et pataudes, ces lettres, et leurs amabi- lités les plus grandes sont l'amabilité, à tout bout de champ et à toute minute, de M. de Pourceau- gnac dans la pièce : « Madame, je suis bien votre serviteur ! »

Qui me l'aurait dit, je ne l'aurais pas cru. Comment! Sainte-Beuve? Oui! Sainte-Beuve! faisant, en lettres, un pareil fiasco? Des lettres, c'est si charmant, et c'est si facilement char- mant! Pourvu qu'on ait un peu d'entrain, un peu de grâce, un peu de vie, on écrit toujours bien une lettre ! on tourne toujours bien un billet, un pauvre petit amour de billet, qui fait la pirouette et s'en va ! Et quand c'est à une femme qu'on écrit ! Et quand cette femme est une princesse ! Et quand cette princesse est celle

du dernier secrétaire de Sainte Beuve, changea totalement sur son compte l'impression de Barbey d'Aurevilly. 11 eut cer- tainement modiflé ces lignes. (Note de l'éditeur.)

LETTRES A LA PRINCESSE 99

que vous savez et à qui écrivait Sainte-Beuve ! N'y avait-il pas une inspiration, toute une source de coquetteries pour r homme le moins soucieux de plaire et le rendre, cet homme heu- reux, bien séduisant, à bon marché ?

II

Mais voilà ce que dans ses lettres ses in- croyables lettres ! le pauvre Sainte-Beuve n'est jamais. Il s'y dit heureux de l'honneur qu'on lui fait, mais il n'en est pas pour cela plus sédui- sant. Il n'y a ni aisance, ni abandon, ni finesse, ni élégance, ni primesauterie, quoiqu'il s'y dise heureux de cet honorable bonheur. Il y est res- pectueux, et c'est tout, mais monotone et de pe- tite bourgeoisie dans les formes de son respect. Dans ce respect qui le fige, on le sent, il perd tout grand air et même tout agrément de con- tenance. Il fait perpétuellement l'effet d'un homme assis délicatement sur le bord de sa chaise, qui brosse sans interruption son chapeau avec la manche de son habit pour qu'il soit plus lisse, cet honnête chapeau... et que les poils en soient mieux couchés... Il faut que tout se couche aux pieds de la Princesse ! Ah ! Voltaire,

100 DERNIÈRES POLÉMIQUES

es-tu? Rappelez-vous Voltaire ! Voltaire avec les princesses! Voltaire écrivant aux princesses de cette plume osée et légère qui se permettait tout et qu'il avait, ce monstre de tact! Vol- taire, qui, de tous les hommes peut-être, eut le mieux ce don qu'il faut avoir avec les femmes pour les enlever même vertueusement, et que saint Grégoire de Nazianze, qui, pour être un prêtre, n'était pas un cuistre, appelait « le grand don de familiarité ». Il est vrai que Voltaire n'était pas Cogé, le professeur Coge pecus, comme il l'appelait, et que Cogé aurait peut-être écrit à la Princesse comme Sainte-Beuve le professeur. C'est le professeur, en effet, qui surplombe Sainte-Beuve dans ces Lettres a la Princesse. Je crois bien qu'il s'en serait tiré, sans la gaucherie immémoriale du professeur. Le professeur avait enfin été plus fort que l'homme du monde : car il avait été homme du monde, Sainte-Beuve, pas tout à fait comme d'Orsay, mais il l'aArait été... Je l'ai vu. moi qui vous parle, en habit bronze, couleur qui se raccordait mélodieusement à ses cheveux aventurine, et galantisant chez la prin- cesse Belgiojoso (une autre princesse !). Mais l'ha- bit noir du professeur avait succédé à l'habit bronze du dandy et sépulcrisé ses élégances. Il avait aussi aimé les femmes, Sainte-Beuve,

LETTRES A LA PRINCESSE 101

pas tout à fait comme Lovelace, mais discrè- tement, dans un coin, avec l'air honteux de Jean- Jacques derrière la chaise des demoiselles; et aimer les femmes apprend à leur écrire! Mais le professeur a tout empâté de l'homme du monde, de l'amoureux, du correspondant des princesses, et n'a laissé à la place qu'un très humble et très obéissant serviteur qui offre son respect, et son dévouement, et ses sentiments, toujours de la même manière. L'amour est un grand rabâcheur. L'embarras aussi.

Mais au moins c'est ce néant épistolaire de Sainte-Beuve qui me donne la plus grande idée de la bonté de la Princesse qui a pu lire toutes ces lettres et même qui y a répondu ! Les bonnes femmes comme les grandes femmes savent s'ennuyer. Mme de Maintenon savait suppor- ter l'ennui affreux que lui versait sur la tête et le cœur le vieux Louis XIV; mais quelle raison, si ce n'est sa bonté, la Princesse que voici pou- vait-elle avoir de supporter avec sourire l'ennui que lui crachinait incessamment Sainte-Beuve dans la petite pluie de ses lettres, et pour lui ré- pondre jusqu'à la fin, jusqu'au jour de son ingratitude, quand il la quitta pour M. Xefftzer (drôle de goût!) qui ne l'avait pas nommé séna- teur!! Jusqu'à ce jour odieux, elle avait essuyé

102 DERNIÈRES POLÉMIQUES

tout, ses très humbles serviteurs, ses morosités de vieillard, ses détails sur sa santé qui se détra- quait, et les mornes et horribles angoisses d'un matérialiste poltron, qui tient à sa matière et qui sent qu'elle le quitte, et que l'enterrement civil, ce chacal! est qui l'attend...

III

Certes ! l'amitié, et surtout le talent, ont le droit de tout dire; mais, ici, l'amitié a fini par une trahison etîe talent ne s'est pas donné, une seule fois, la peine de naître, en ce recueil beaucoup de gens iront vainement le chercher. Comme épistolier, Sainte-Beuve est donc abso- lument nul. Il dit partout et sur tout aussi pla- tement que M. Jourdain : « Nicole, apporte-moi mes pantoufles. » Presque tous les hommes de lettres laissent derrière eux des correspondances dans lesquelles ils mettent le meilleur de leur âme. Sainte-Beuve en laisse une dans laquelle il n'y a rien de son àme, et il y a de bonnes raisons pour cela! Il ne laisse que... Rabelais dirait le mot trop pittoresquement vif, mais mérité. Je n'accepte pas Sainte-Beuve, comme critique, sur le pied triomphal il est admis; mais enfin il

LETTRES A LA PRINCESSE 103

fut un critique, et je me demande ce qu'il aurait dit de ses Lettres à la Princesse, si elles avaient été d'un autre que de lui et qu'il eût été obligé de les juger. C'est se moquer du mort et des vivants que de publier pareille chose. Mesurez- les, si vousvoulezen voir l'abaissement, mesu- rez-les, ces lettres, aux correspondances de Vol- taire, de Mme du Deffant, du prince de Ligne, de Lord ByroD, de de Maistre, de Joubert et de tant d'autres épistoliers fameux. Je le répète, cette publication est tout à la fois imprudente et hon- teuse. Je prends la responsabilité de cette opinion sur ma tète ; et qu'on réagisse ou qu'on re- gimbe, peu m'importe!

Comme le Taciturne, je maintiendrai !

13 avril 1873.

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À* A t

LES BOTTES DE FOIN

Les Romains en mirent une longtemps au bout d'une lance et s'en servirent comme d'un éten- dard. Plus tard, ils y sculptèrent, en or ou en argent, de petites images de la Victoire. Mais longtemps la botte de foin les guida et ils la sui- virent...

Eh bien, cette manière de se faire un étendard, quand on n'en est pas arrivé à sculpter des Vic- toires au bout de sa lance, nous l'avons encore dans ce temps de République, si peu romaine pourtant !

Et, pour l'heure, la botte de foin, c'est Ba- rodet !

Ah ! le pauvre, homme ! le pauvre homme!

LES BOTTES DE FOIN

Les Romains en mirent une longtemps au bout d'une lance et s'en servirent comme d'un éten- dard. Plus tard, ils y sculptèrent, en or ou en argent, de petites images de la Victoire. Mais longtemps la botte de foin les guida et ils la sui- virent...

Eh bien, cette manière de se faire un étendard, quand on n'en est pas arrivé à sculpter des Vic- toires au bout de sa lance, nous l'avons encore dans ce temps de République, si peu romaine pourtant !

Et, pour l'heure, la botte de foin, c'est Ba- rodet !

Ah! le pauvre, homme ! le pauvre homme!

106 DERNIÈRES POLÉMIQUES

S'il croit que c'est pour ses mérites, sa consis- tance, son poids et sa surface, que les républi- cains — les frères et les amis cornent et cla- baudent, à l'heure qu'il est, si furieusement sa candidature, il est dans une fameuse illusion, le pauvre homme! Et ce n'est pas nous seuls, mo- narchistes, qui l'en tirerons ; ce n'est pas nous seuls qui l'avertirons qu'il est le plus piètre gro- tesque qu'ait jamais épousé la Démocratie, cette femme à pitres... Ce sont ses propres amis: les amis de Job, à ce Job politique ! Ils en parlent, eux, comme nous en parlerions, nous! Ils crèvent, eux, à beaux pieds, la vessie de son importance, si, par hasard, il s'en fait une de ce qu'on souffle et qu'on sonne, à présent dans son nom, comme dans une trompe de carnaval. Le Corsaire, qui est un de ceux qui ont le plus enflé cette cornemuse, disait hier, avec l'insolente fran- cbise de la plus méprisante protection : « Tout le monde sait que ce n'est point la personnalité de M. Barodet qui est enjeu... M. Barodet n'est pour nous quun instrument dialectique (sic). » Dialectique ! voilà un mot qui flattera cet ancien pion d'école primaire... Etre quelque chose de dialectique! cela le fera rêver... Mais, au fond, le Corsaire a raison. N'importe guère, en effet, pour personne, la personnalité de Barodet. de

LES BOTTES DE FOIN 107

ce zéro barré, qui cependanl devrait être quel- que chose dans un parti les zéros sont plus forts que les unités. Non ! ce qui importe, c'est qu'il soit un instrument dialectique, le cornet à bouquin avec lequel le porcher ramasse ses mar- cassins domestiques sur la lisière du bois, en d'autres termes, la botte de foin des Romains, la botte de foin que les partis suivent et qu'ils mangent après!

II

Car on les mange, ces bottes de foin. C'est immanquable. C'est leur destin. Les partis qui les suivent finissent toujours par les manger. Hélas ! que j'en ai vu dévorer de ces bottes de foin politiques. On en a avalé bien d'autres que le Barodet, la plus maigre des bottes dont on puisse faire ripaille. Ces démocrates affamés que l'odeur du foin met en appétit, n'ont-ils pas avalé la botte de foin Hugo, que Rochefort, quand elle nétaitqu'à moitié avalée, appelait du foin mouillé, capable de donner des coliques et des flatuosités au ventre. Majestueux de la République ! ils au- raient avalé Rochefort lui-même, si on ne le leur avait pas ôté du râtelier... Ils ont à moitié botte

108 DERNIÈRES POLÉMIQUES

dévoré Gambetta, ce Girondin qui veut être Mon- tagnard et qui rate. Ils le ruminent encore. Il leur revient d'un estomac dans l'autre. Mais la botte de foin Barodet, mise par-dessus, va le faire descendre ! Barodet enfin, qui est encore au bout du bâton, en descendra, un de ces jours, pour prendre la même route que cet infortuné Gambetta, disparu dans la baleine sans être pro- phète comme Jonas ; il coulera le long du canal intestinal de la Démocratie, qui n'est plus celle- qu'autrefois on a comparée à Voltaire et qui ne mange plus ses enfants que quand ils sont changés, par elle, en bottes de foin !

Alors, Barodet, que ferez-vous et que serez- vous, une fois avalé et digéré par votre délicieuse petite maman, la Démocratie ? et que restera- t-il de votre intéressante personne, Barodet, si ce n'est ce qui reste d'un matelot, dans les airs infectés, sur un rivage des anthropophages ont passé ?

III

Laissons Barodet sous cette forme, qui sera sa forme définitive, je le lui prédis avec gaieté, et éloignons-nous, du vinaigre des quatre voleurs

LES HOTTES ME FOIN 109

dans nos mouchoirs de poche. La question d'au- jourd'hui, malgré le train qu'on fait, n'est point Barodet. Elle est plus haute que lui. Elle est plus haute que tous les croquants démocratiques, que tous les polichinelles de parti sur la bosse des- quels on flanque des étiquettes. Elle est plus haute même que cet accident d'une élection qui peut devenir une catastrophe...

La question pour nous est celle-ci, et c'est l'argument le plus terrible et le plus à fond contre les républiques : Y a-t-il quelque chose de plus révoltant et de plus dégoûtant, pour des esprits fiers et de nobles hommes, que ces systèmes de gouvernement personne n'est pris pour sa valeur propre, mais chacun peut être choisi malgré la valeur qu'il n'a pas? Oui! y a-t-il quelque chose de plus répugnant pour un homme qui se sent et qui a du sang géné- reux sous les ongles, qu'un état de choses l'on met fastueusement sur le pavois le premier bonhomme à la Callot venu, comme le sin°e sur le dos du dauphin?... Et encore le dauphin ne savait pasqu'il eùl un singe sur son dos ; -il l'avait ramassé dans le flot comme un homme. Quand Louis XIV prit Chamillard, ce n'était point parce qu'il jouait bien au billard, comme l'a dit Voltaire, ce jour-là rédacteur du Charivari; c'est qu'il le

110 DERNIÈRES POLÉMIQUES

croyait un homme d'État; c'est qu'il se trompait comme le dauphin. Mais la Démocratie sait très bien que le grimacier qu'elle nous offre est un singe et qu'elle a affaire à un singe. Et elle ne se donne même pas la peine de mentir, la Dé- mocratie. Elle dit cyniquement comme le Cor- saire : <( Prenez mon singe! c'est plus commode qu'un homme. Un homme nous gênerait. » Ah ! ne vous y trompez pas ! telle est l'essence de la Démocratie ! Pour elle, les personnalités ne sont rien, parce qu'un jour elles peuvent être tout ! Un homme d'une grande personnalité est toujours odieux ou suspect à toute république. Ce qu'il lui faut, à ce gouvernement qui n'est que l'orga- nisation de l'envie, ce sont des marionnettes qu'on puisse jeter au sac quand on en a cassé les fils, ce sont des fantoches, ce sont des Barodet. Le cardinal de Richelieu lui-même, à cet âge heureux du monde, ne balancerait pas Barodet.

Et ils se croient fiers, les républicains ! Ils peuvent être plus ou moins habiles, mais je leur interdis la fierté.

Je ne leur interdis pas le foin!

17 avril 1873.

LES

ÉLECTEURS BARODET À L'ODÉON

S'il ne s'agissait que du drame du Petit Mar- quis et de ses auteurs, je me tairais. Je ne suis plus un critique de théâtre. J'ai chanté cette chanson joyeuse. Il ne s'agit donc pas pour moi de Coppée l'élégiaque, à qui le sifflet, ce polisson de sifflet, a répondu . Il ne s'agit pas de M. Dartois, au nom dramatique, son compa- gnon... de sifflet dans cette galère du théâtre. Mais il s'agit du public que j'adore ; il s'agit du suffrage universel concentré dans le cirque bes- tial (car on y est livré aux bétes) d'une salle de spectacle ; il s'agit de bêtise populaire ; il s'agit des faiseurs de Barodet, appelés à juger des choses de l'esprit et s'en tirant comme des

112 DERNIÈRES POLÉMIQUES

choses politiques ! Eh bien, c'est mon affaire à moi! et comme dit le comte Almaviva, dans le Barbier de Séville, au vieu>: Bartholo, sur le ventre duquel il tape : « Bataille , c'est mon jeu ! »

Il a donc été, ô joie pour moi ! malgré ma sympathie personnelle pour Coppée, ce qu'il est toujours, le vieux Public, ce docteur Bartholo, Barbe-à-croc, Barque à l'eau, qui est encore le juge Bridoison par-dessus le marché ; qui est tout à la fois le tuteur et le juge, le tuteur trompé de toutes les pupilles qu'il croit char- mantes, et le juge imbécile qui condamne tou- jours de travers et avec quel aplomb ! ce qu'il n'a pas compris, ce délicieux Public, aux sentiments niais, dont la cervelle est dans le cœur, contrai- rement aux hommes d'Etat qui ont, eux, le cœur dans la tète, disait Napoléon Ier, et qui s'est révolté tout à coup contre son Benjamin, parce que son drame n'était pas la mouillette qu'il aurait voulu tremper dans de vertueuses larmes.

Le sifflet de mercredi à l'Odéon doit donc s'ap- peler le Sifflet du cœur.

LES ÉLECTEURS BARODET A l'oDÉON 413

II

Le drame l'avait tout d'abord saisi cependant, le vieux bonhomme, le Prudhomme éternel! Il ne s'attendait point de la part de l'élégiaque qui s'appelle Coppée à un drame, de la don- née la plus virile, si virile qu'elle en est au- dacieuse. Il s'était mis en fête. Il avait préparé ses vieilles bontés pour l'auteur sentimental du Passant, et il s'apprêtait à recommencer de sa voix de chantre ses brava ! /«■une homme. Mais l'homme qui a poussé tout à coup dans M. Cop- pée l'a contrarié. Il ê'est trouvé dégotté de son rôle de père noble et de protecteur du tout jeune homme auquel il voulait de sa lourde patte spa- tulée caresser la joue imberbe, mais à qui la barbe est, ma foi ! venue, et au troisième acte de ce drame sur lequel il ne comptait pas, et qui l'avait figé de son énergie, voilà que, sans dire gare, il s'est cabré comme un cheval dans son écurie; car même une rosse est capable de peur !

Il a donc eu peur, ce vieux Public, cet épicier qui veut s'attendrir pour s'amuser, mais qui hait l'énergie. L'idée de la pièce de MM. Coppée et Dartois l'a effaré. Pour moi, elle est superbe,

114 DERNIÈRES POLÉMIQUES

cette idée! Un homme de cœur à passions pro- fondes s'est cru trompé par la femme qu'il a épousée par amour et qu'il a comblée de tous les dons de la vie. Il croit que le fils de cette femme n'est pas son fils, et dans la douleur de cette dé- couverte, il a la force de se taire, de se masquer pendant vingt ans, et d'élever ce fils pour les ripailles futures de la plus monstrueuse ven- geance. C'est un duc, lui, ce n'est pas un épicier, et il y a de l'aristocratie dans sa vengeance. Il ose se faire le corrupteur de ce fils qu'il hait. Il se dévoue à sa corruption. Il le suit partout, dans tous ces horribles mauvais lieux l'homme laisse Min âme et finit par laisser sa chair. Il le pousse dans tous les bras et dans toutes les fanges. Il ne lui donne pas même le temps de respirer une gorgée d'air pur et de vertu. 11 le pourrit enfin sur le pied, de manière à ce qu'il puisse tomber par morceaux et qu'au dernier morceau de ce fils, tué et putréfié par toutes les passions qui tuent et qui putréfient, il dise, en le lui rappor- tant, à la mère : « Voilà le lils qui n'était pas de moi, et voilà ce que j'en ai l'ait ! » Certes! une telle donnée peut être affreuse ; mais, pour tout ce qui se sent de la flamme dramatique dans le ventre, elle est de la plus terrible beauté. Oueles jeunes auteurs n'aient pas été de taille à lutter

LES ÉLECTEURS BARODET A L'ODÉON 115

victorieusement avec elle, que leurs quatre mains aient faibli sur la corne du taureau, qu'ils ont prise, du moins, s'ils n'ont pas renversé la bête, ce n'est pas la question pour moi, qui ne suis pas aujourd'hui critique de théâtre. La question pour moi, c'est la beauté crâne de cette donnée qui a, pendant deux actes et demi, empoigné tous les cœurs de la salle, et à laquelle tous ces faibles cœurs épouvantés, n'en pouvant plus sous cette étreinte, ont fait un écart et ont impétueusement échappé.

III

Qu'ils y eussent échappé plus tôt ; qu'ils n'eussent pas, dès le premier acte, supporté la scène de l'orgie, le fils s'abîme devant son père impassible dans la triple dégradation des femmes, du jeu et du vin ; qu'ils n'eussent pas supporté cette donnée, plus cruelle que celle d'A- trée, car le sang du fils qu'il fait boire au père est du sang qu'il n'a pas souillé, je ne m'en serais pas étonné. Mais c'est quand le public toute la salle a pendant deux actes et demi accepté ce père et sa vengeance, que tout à coup, démoralisé par le sentiment, il «se soulève, parce

'MO DERNIÈRES POLÉMIQUES

que ce père est fidèle à sa haine et à sa vengeance, et les auteurs fidèles à leur donnée, en faisant envoyer le fils par le père au rendez-vous il va certainement être tué! C'est ici, pourtant, et non plus tard, que les sentiments niais ont fait explosion, et que le public, le vieil épicier, s'est démené furieusement dans son caveçon de vertu el de paternité indignées. Cependant, la situation était moins inattendue et moins forte que tout ce que le bonhomme cabré avait avalé jusque-là. En effet, un amour partagé par une fille inno- cente et charmante arrache le jeune libertin aux influences effroyables de son père. Il est sauvé. Et c'est alors que le père, trompé dans les espoirs. les lenteurs et les saveurs de son atroce ven- geance, se résout d'en finir d'un coup avec ce fils exécré et à l'envoyer tuer par un mari ou- tragé, puisqu'il ne peut plus le pourrir. Certai- nement, pour qui sait comprendre, la situation est moins effroyable qu'au premier acte, quand le père dévoile le projet de son infâme vengeance ; niais qu'est-ce que cela fait au public, la logique d'un caractère ou d'un drame? Je le voyais qui, depuis quelques instants, soufflait comme unmar- souin, et c'est ce souffle de marsouin qu'il a poussé dans son sifflet. Et quel tapage !

Il a sifflé comme il siffle quand il ne corn-

LES ÉLECTEURS BARODET A L'ODÉON 11'

prend plus. Il a sifflé comme il siffle quand il a tort; car c'étaient, quand il a commencé de sif- fler, les auteurs qui avaient raison ! Il a sifflé comme la vertu bourgeoise et les sentiments bourgeois grotesquement scandalisés. Aune pre- mière représentation, il aurait comme cela sifflé Yago et Tartufe; car ce sont, eux, des scélérats! et même plus odieux que ce père qui saigne, lui, qui, depuis vingt ans, boit le sang- de son cœur en silence, et qui n'est, en somme, qu'un passionné terrible, mais qui n'est ni un abject, ni un scélérat ! Il a sifflé pour le désagrément de ces pauvres jeunes auteurs qui n'ont pas aimé cette musique, mais pour mon plaisir particulier, à moi; car toute bêtise de cet animal de public est un argument de plus cou Ire le suffrage uni- versel, contre la royauté de la foule imbécile, qui siffle aujourd'hui une œuvre qu'elle aurait applaudir à la place même elle l'a sifflée, et qui demain nommera avec applaudissements Barodet !

20 avril 1873.

LE PAPE PIE IX

Il va mieux, nous dit la Diplomatie dis- crète. — Non ! il est plus mal, dit le Journa- lisme indiscret. Mais qu'il vive ou qu'il meure, peu importe à la durée delà sainte Eglise! Peu importe à la Papauté!

S'il meurt, ce sera un saint de plus dans cette magnifique liste de Saints qui furent des Papes, coupée à toutes places par de grands hommes qui cumulent, et qui,;pour être de grands hommes, n'en sont pas moins des Saints ; mais ce ne sera point un échec pour la Papauté, comme se l'ima- ginent ceux qui dansent déjà sur sa tombe. La Papauté, qui n'est pas un Pape, fût-ce le plus grand de tous, n'en continuera pas moins, après

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la mort de Pie IX. d'être ce qu'elle a été tou- jours : la clef de voûte de tous les gouverne- ments de ce monde, qui sans elle sont ce que vous voyez : l'Anarchie et la Bêtise dans les in- telligences, en attendant quils soient, dans la réa- lité de l'Histoire, les Jacqueries et la Cruauté...

Car nous y touchons, à ces instants terribles. Nous en sommes au Proscenium grotesque, cela étant une loi en politique que le grotesque pré- cède toujours l'atroce. Barodet, cette caricature. Barodet, ce Caboche gai des canuts de Lyon, doit précéder un autre sinistre Caboche, parmi les Maillotins des temps futurs !

Est-ce que les pantins du i Septembre, ces affreux comiques, n'ont pas précédé les pantins sanglants de la Commune, ces tragiques affreux ?..

II

Pie IX, par la poitrine duquel tous les cœurs catholiques respirent, n'empêchera pas pourtant, le jour que cette poitrine cessera de battre, le catholicisme de respirer. 11 mourra certainement un jour ou l'autre, et que nous fait l'heure 1 mais il n'emportera pas avec lui l'Eglise éter- nelle, ainsi que l'ont dit tant de prédictions

LE l'APE pu: IX 121

imbéciles! Lui, le seul grand homme du xixe siècle, de par sa fonction et contrairement aux Rois qui ont perdu le sens de la leur, peut mou- rir en paix et justifier l'ancien mot : Le Roi est mort! Vive le Roi! que tous les Rois, l'un après l'autre, ont fait mentir. Et, en etïet, de toutes les monarchies de la terre, il n'y a que la Papauté qui ait le droit de dire d'elle, dans l'écrou- lement moral de ce misérable monde, ce que les monarchies ne disent plus.,

Le Roi est mort... Ah! il est bien mort quand c'est un grand homme ! Depuis Louis X1Y, le Roi, qui était l'Etat, était bien complètement mort, et la France avait beau rabâcher la vieille formule : Le Roi est mort! Vive le Roi ! elle n'en ranimait pas la poussière. Il était bien mort, et savez-vous pourquoi? C'est qu'il ne croyait plus en lui. C'est qu'il avait perdu la vertu de son sacre. C'est que le scepticisme de son peuple l'avait envahi. C'est que les foules, qui se disent souveraines, le faisaient trembler... C'est qu'il se laissait couper la tête, comme Louis XVI, jeter à l'exil, comme Charles X et même comme Louis-Philippe, ce quasi-Roi révolutionnaire, qui aurait avoir, pour résister, du moins quel- ques gouttes de sang du Comité de Salut public dans les veines, et qu'ils sont tous ainsi, les

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pauvres Rois Je ces derniers temps, depuis ceux qui décampent jusqu'à ceux qui n'osent pas venir, depuis ceux qui attendent que la Pro- vidence les apporte dans son tablier à leurs peu- ples, jusqu'à ceux qui se font reconduire à la frontière de leur royaume d'un jour, avec des flambeaux de gala et des mousquetons, comme les messieurs Dimanche de la Royauté!

Mais la Papauté, elle! n'a jamais donné de ces lâches spectacles. Elle n'a jamais douté, comme les Rois, que Dieu fût sur sa tête et qu'elle fût la pierre angulaire du monde. Elle est restée Dieu l'a mise. Elle a été, à toutes les époques de l'Histoire, insultée, persécutée, opprimée, exilée, mais, du fond de son exil, elle a lancé sa foudre. qu'elle fût, elle a toujours été sans défaillance, la Papauté. Pie IX, ce doux vieil- lard, qui avait commencé son règne par cette faiblesse d'une amnistie dont mourut Rossi poi- gnardé, a retrouvé dans la conscience de sa fonc- tion et dans la tradition du Saint-Siège la force des plus énergiques pontifes qu'ait jamais vus la Papauté. Dieu pourtant l'avait fait et pétri d'une bonté et d'une suavité angéliques, le con- traire, à ce qu'il semble, de ce qu'il faut qu'un homme soit dans des temps d'épreuves furieuses et de haine ; mais c'était sans doute pour nu mirer

LE PAPE PIE IX 12o

davantage que l'homme n'est plus rien quand il devient LE PAPE, et que de ce creuset de la Papauté toutes les âmes sortent égales entre elles et douées de la môme incoercible vigueur pour le service de Dieu. Un Hildebrand, dans les cir- constances de nos jours, montrerait moins la force delà Papauté que le doux et vieux Pie IX, aussi énergique, à cette heure, aussi Pape que le serait Hildebrand. Et que dis-je ? il Test peut-être davantage ; car Hildebrand mou- rant ne disait-il pas dune bouche amère : « J'ai aimé la justice et j'ai haï l'iniquité. Voilà pour- quoi je meurs dans l'exil ! » tandis que Pie IX, qui n'a pas moins haï l'iniquité et aimé la justice que le grand Grégoire VII, Pie IX, captif au Vatican presque autan tque Louis XVI au Temple, mourra sans jeter ce cri-là!

III

Il peut donc mourir. Il peut donc s'en aller. Quand Dieu voudra le prendre, nous n'aurons qu'à enregistrer un grand pontife de plus dans l'histoire de l'Eglise romaine, dans cette histoire tout Pape devient grand dès que grandissent les circonstances. Nulle anxiété ne planera pour

Ii24 DEKNIKRES POLÉMIQUER

nous sur l'élection du Pape qui doit le suivre. Nous sommes certains que, quel qu'il soit, il suffira aux temps futurs, quelles que soient leurs menaces et leur atrocité ; car il se pourrait bien qu'ils fussent atroces...

Et Pie IX lui-même sait si Lion, par sa propre expérience, que la tiare grandit toujours le front sur lequel elle tombe, qu'il peut s'en aller de ce monde aussi calme et aussi serein qu'il y a vécu.

24 avril 187:.'..

ARISTOPHANE A PARIS

Il y était, hier, sur la scène, mais s'il y revenait, à cette heure, en pleine réalité, en pleine rue, en plein salon, en plein comité, que dirait-il, Aristophane?... Que dirait-il de notre charmante société et de l'instant plus charmant encore nous sommes, dans cette charmante société ? Lui paraîtrait-elle, pour l'heure, assez anarchique comme cela, assez ridicule, assez en- nuyeuse, à lui, ce pauvre Aristophane, qui n'était pas déjà si content d'Athènes, de la démocra- tique Athènes, la France d'alors, quand il vivait 1 Que dirait-il, Aristophane, le comique, entre ces deux personnages comiques qui défraient en ce moment le beau Paris e1 le passionnent : Barodet

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et Réinusat, Rémusat et Barodet ? Pour qui vote- rait-il des deux , Aristophane ? Serait-ce pour Barodet? Serait-ce pour Rémusat? Rémusat ne lui plairait guère; car c'était un conservateur et un aristocrate qu'Aristophane, qui était pour la vieille Athènes contre la nouvelle Athènes, et il ne voterait certainement pas pour Rémusat, qui sacrifie, lui, la vieille monarchie à la république nouvelle ; mais que diable ! il ne serait pas non plus pour Barodet ! Il détestait les Barodet d'A- thènes, ce clérical d'Athènes; car il était clérical comme Yeuillot, Aristophane. Il n'aimait pas non plus en politique les charcutiers, les cor- royeurs, les faiseurs de cuirs. Comment pourrait- il supporter ceux que Barodet fait peut-être, et, s'il n'en fait pas, ceux qu'il vend ; car pourquoi ne serait-il pas commissionnaire en cuirs, le com- missionnaire Barodet? Barodet ne vaut pas cer- tainement Socrate, dont je ne suis .pas fou, du reste, et contre lequel j'aurais été aussi, comme Aristophane, si j'avais été à Athènes du temps d'Aristophane. Barodet ne vaut pas Socrate, et Aristophane a tué très bien et sans ciiruë Socrate, en le fourrant dans un panier. Mais comment tuerait-il et en le mettant dans quoi Barodet?

ARISTOPHANE A PARIS 127

Oui ! voyons, vousl'imaginez-vous? Que ferait- il, Aristophane, s'il était à Paris, clans cette heure d'anarchie et de bavardage Paris tout entier piaille et partage sa piaillerie entre le triste Rému- satetlerutilant Barodet ? Rirait-il ferme de ce qu'il verrait et entendrait, ou, s'il avait le cœur moins grec que français, en pleurerait-il : car il parait que les poètes comiques rient souvent des choses, pour n'avoir pas à en pleurer?... Admirerait-il comme un grec frivole le calibre du bon sens français et de la fierté d'un peuple qui passait autrefois pour fier et spirituel, et qui, de tous ses gens d'esprit, de tous ses lettrés, de tous ses soldats, va choisir précisément pour le repré- senter Childebrand Rémusat ou Barodet Childe- brand, et qui prétend faire tourner le poids de l'Etat sur l'un de ces deux gonds énormes, le gond Rémusat ou le gond Barodet?... Ah ! je ne sais pas ce qu'il ferait ou ce qu'il dirait, Aris- tophane ; mais peut-être, de dégoût et d'ennui, détournerait-il sa noble tète de ce spectacle qu'il ne voudrait pas reproduire, et laisserait-il le soin de cette comédie à Sardou !

128 DERNIÈRES POLÉMIQUES

II

Triste, plate et écœurante comédie, en effet! Triste pièce que cette comédie électorale, qui dure plusieurs jours comme un drame allemand, et dans laquelle tout le monde, excepté Barodet, peut dire, avec l'humeur peccante de la mère Jourdain aux gens qui la bernent : « Oui! vrai- ment, nous avons grande envie de rire, grande envie de rire nous avons ! » Seul, il rit et peut rire dans sa barbe, Barodet ! Comédie fatigante et ridicule pour ceux qui la jouent, encore plus ennuyeuse et fatigante pour ceux qui ne la jouent pas. Comédie honteuse pour tout le monde, Paris, cette petite Pologne, montre son néant politique, et les Parisiens, hypocrites de patrio- tisme, sont, au fond, plus divisés que feu les Polonais ! Comédie tintamarresque et ridicule jouée en l'honneur du suffrage universel : grand steeple-chase électoral personne n'est arrivé à l'heure, excepté Rémusat et Barodet! Champignons politiques d'un jour, tués le joui- suivant comme s'ils s'étaient mangés eux-mêmes ! Muscades escamotées, paraissante! disparaissant! Eparpillement d'idées, dissolution d'opinions,

ARISTOPHANE A PARIS 129

déliquescence entraînant tout dans un flot inces- samment montant d'inconséquences, d'irrésolu- tions et de sottises ! Partis scindés, déchirés et rapprochés comme les lèvres d'une plaie sai- gnante qui ne se refermera pas ; cohue de la conservation, qui reste cohue malgré la peur du spectre rouge, qui n'est plus un spectre, mais qui pourrait hien être un revenant, voilà l'étoffe et voilà l'emploi de cette comédie du suffrage universel les coquins, qui ne sont pas plus politiques que nous, s'entendront ensemble comme larrons en foire pour nommer Barodet et compléter cette comédie de la foire, que tu ne voudrais pas signer, ô mon pauvre et grand Aristophane!

Ah ! tout cela n'est-il pas humiliant et amer !... Que j'en souffrirais pour mon compte, si je n'a- vais pas pris le parti du dégoût vis-à-vis des farces du suffrage universel et de la royauté populaire ! si j'étais autre chose qu'un simple observateur qui, au jeu, marque les points de la partie! Pour moi, en effet, Barodet et sa queue, car nous allons voir une queue de Barodet, re- courbée, comme celle du monstre d'Hippolyte, en replis tortueux, ne sont point l'intérêt palpitant de la situation présente, quoiqu'ils soient certai-

130 DERNIÈRES POLÉMIQUES

nement un danger. Pour moi, il est certain que Barodet sera le vainqueur dans ces jeux olym- piques du suffrage universel les canailles donnent le laurier. Au colonel Stoffel, cette noble épée, qui ne fut pas un colonel de la Com- mune, les voyous de Paris préféreront naturel- lement le pion Barodet. Mais c'est peut-être tant mieux, cela ! On se demande si, à la fin, l'élec- tion d'un Barodet ne portera pas au suffrage uni- versel un coup funeste, et s'il ne doit pas un jour périr sous ces Barodet répétés.

Eh bien, à ce prix-là, j'accepterais Barodet !

27 avril 1873.

LE ROBESPIERRE

DES HONNÊTES GENS

Ce n'est pas M. Thiers.

Le Robespierre des honnêtes gens ! Il y a longtemps que j'y pense... Mais s'il y a un temps et un moment pour l'appeler de tous nos vœux, c'est celui-ci, après Barodet. Le Robespierre des honnêtes gens ! c'est ce qu'il nous fallait après la Commune, mais ce qu'il nous faut plus que jamais après la Commune ressuscitée; car la voici ressuscitée. C'est un Robespierre des honnêtes gens, des honnêtes gens menacés par la dernière canaille. Oui ! disons-le hardiment, ce qu'il nous faut, c'est un Robespierre, mais des honnêtes gens! Le Robespierre qui fut

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celui des coquins, n'en avait pas moins la notion de l'ordre dans une société désordonnée. Le Robespierre que nous détestons, n'en avait pas moins l'instinct de l'ordre et le besoin de l'unité. C'était (et ce sera son honneur dans l'Histoire) l' anti-canaille et l'anti-athée, le contraire de tout ce que le monde et ses tribuns sont à présent. et voilà pourquoi nous regrettons que les hon- nêtes gens n'aient pas à leur tète un Robespierre ! Et les mots ne nous font pas peur. Nous ne sommes pas un imbécile philanthrope. Pour nous, ce n'est pas le sang qu'il fit couler qui est le crime de Robespierre : c'est la cause qui le fit couler !

II

Le Robespierre dos honnêtes gens ! Malheu- reusement, les honnêtes gens ces bêles qui ont peur de toute énergie ! ne voudraient pas d'un Robespierre. LU Robespierre des honnêtes gens, oui! mais il faudrait qu'il eût une épée ! Robespierre, qui avait l'énergie d'un soldai, n'en est pas moins mort, comme Louis XVI. pour n'en avoir pas porté une. M. Thiers, qui fait croire quelquefois aux historiens qui ont des distrac-

LE ROBi:*l'IERRE DES HONNÊTES GENS 133

tions qu'il est une tête d'homme d'Etat, n'a pas d'épée non plus, et il périra par ce manque d'épée ; car on ne gouverne la France, cette nation sol- dat, qu'avec un glaive. C'est nous qui le lui pré- disons. M. Thiers n'est qu'un avocat comme Robespierre, mais il n'a ni la vue rectiligne de Robespierre, ni sa volonté fanatiquement froide, ni sa foi à soubassement d'envie, mais sa sou- plesse, à lui, sa finesse, son tact, toutes ces qua- lités bonnes pour des jours heureux, suffisent- elles pour les jours mauvais? et pour la gloire qu'il aurait pu rêver, M. Thiers, suffiront-elles devant l'Histoire?...

C'est un avocat que M. Thiers. Robespierre l'était aussi. Mais Robespierre ne l'était que de situation et de hasard de naissance. Il était du Tiers, comme on disait dans ce temps-là, et il n'avait pas le crâne assez large pour accepter les hiérarchies sociales de ce temps. C'était un homme de facultés élevées et de sentiments mes- quins, né avec une tête de maître et un cœur de domestique, et voilà pourquoi il se révolta contre ses maîtres... Mais M. Thiers, lui, qui ne se révolte contre rien, et qui veut ou croit concilier tout, n'est qu'un avocat, non plus seulement de position, mais de nature. C'est un avocat de pied en cap. Il a écrit l'histoire de l'Empereur, qui

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méprisait tant les avocats et qui supprima leur gouvernement par ce sublime coup de pied dans le cul du 18 Brumaire, mais on ne change point sa nature. M. Thiers, qui joue à la redingote grise avec sa redingote marron, n'a pas pris, en écrivantl 'histoire de ["Empire, l'esprit soldat que cette histoire aurait lui donner. On a pu le croire un moment. M. Thiers, courageux à l'émeute et s'y montrant à cheval sous Louis- Philippe, a pu faire croire qu'il était sorti soldat de l'histoire qu'il écrivait alors, mais l'avocat qui est sa nature et son talent l'a bientôt repris et a étouffé en lui les nobles velléités du soldat. De son impuissance, à M. Thiers. De s;i situation d'aujourd'hui. De son règne, dans l'Histoire des temps futurs, qui s'appellera le règne de l'avocasserie; du maquignonnage, des ruses de palais, des tours de procureur, des dis- cours! Et ce règne même sera l'avocasserie vain- cue par l'avocasserie ! car les ennemis de M. Thiers qu'il n'a pas su tuer, et qui le tueront, sont des avocats. Gambetta lui coupera le sifflet, un de ces jours; Gambetta, obligé à son tour de taire sa gueule démocratique pour parler le royal langage du Peuple-Roi, devant quelque autre claque-dent, devant quelque autre cliquette, devant quelque autre borborygme de cruche, dans ce pays livré,

LE ROBESPIERRE DES HONNETES GENS 135

en attendant les Muets de l'action, aux bavarde- ries et aux mensonges de ces dentistes qu'on appelle des avocats !

III

Mais les Muets de l'action viendront. Barodet, qui triomphe aujourd'hui, est un de ces Muets qui n'ont pas besoin do, parler, mais qui agiront de manière à renfoncer la parole inutile dans le ventre épouvanté des avocats. M. ïhiers doit sentir que la sienne, si brillante qu'elle soit, sera vaincue par le pataquès révolutionnaire qu'il doit haïr autant que nous. Cette nomina- tion de Barodet, trop bruyante pour qu'elle no croie pas être le glas du pouvoir de M. ïhiers, doit lui inspirer bien des mépris inquiets... Ah! certainement, il n'est pas Robespierre, M. ïhiers. Il n'en a pas l'affreux courage, ni cette netteté politique qui coupe tout, même les tètes, et qu'il aurait pu avoir, lui, sans être un Robespierre, le lendemain de la Commune battue, et sans autre glaive que le glaive de la justice. A ce lende- main, quand il pouvait tout, il a mieux aimé n'être que l'avocat qu'il fut toute sa vie, au risque d'être, comme Robespierre, distancé par les

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Hébert du lendemain, au risque d'un Tallien possible, qui n'aura même pas la peine de faire, comme l'autre, le geste de le poignarder !

Et c'est précisément pour cela que cet impuis- sant avocat d'Aix nous fait présentement souhai- ter un autre Robespierre que l'avocat d'Arras. Ce serait celui des honnêtes gens. Ce serait le dictateur d'une Convention conservatrice, et encore un dictateur armé ! Mme de Staël disait pour le diffamer, et elle ne le diffamait pas autant qu'elle le croyait, la pauvre femme : « Bonaparte est un Robespierre à cheval. »

Eh bien, c'est ce Robespierre-là qu'il nous faudrait !

2 mai 1873.

LA MONTAGNE CONSERVATRICE

Eh bien, tout le monde est d'accord pour Tlieure et pour la première fois ! et on le répète assez à M. Thiers sur tous les tons ! Son gou- vernement, qui, sous le nom malheureux, si cruellement compromis et compromettant de République, n'en est pas moins le gouvernement, l'ordre, la police, la dernière force sociale, bien diminuée, oh ! certes ! bien diminuée, mais qui nous reste, —son, gouvernement est battu honteusement, incapablement, à plate couture ! Il a reçu du Barodet sur les deux joues. Il n'en a pas reçu un; il en a reçu sept. Excepté dans le Morbihan, cette vieille terre bretonne, qui nous a envoyé peut-être son dernier royaliste. sa

s-

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dernière goutte de sang royaliste épuisé, et qui ne recommencera probablement plus, toutes les élections ont été au radicalisme absolu, à la commune, à la mort du pays, au partage !

Pendant que l'anarchique parti conservateur sybaritisait en province pendant ses vacances et faisait le beau sur les lauriers qu'il n'a pas cueillis, le parti du désordre, qui nous donne des leçons d'ordre et d'amitié, agissait à nous faire rentrer sous terre de honte si nous avions du cœur... La lice démocratique, de plus en plus féconde, mettait bas sept petits de plus ; car le Barodet, à présent qu'il a fait son bruit, n'est qu'un doguin comme les autres de l'affreuse ventrée. Et ce n'est pas fini. La chienne est pleine encore. D'autres élections se préparent. D'autres doguins sortiront de la bête inépuisable et menaçante. Tout le monde prévoit ce danger. Tout le monde le dit. Tout le monde le crie. Et vous verrez que personne ne fera rien pour le conjurer ! Car c'est le caractère de mitre temps et e'est celui des sociétés qui sont perdues que tout le monde dise stupidement et même spirituelle- ment : « Le danger esl là! » et passe pour s'en aller à ses petites affaires : «Nous brûlerons de- main! » et que ce soit si certain qu'on se ré- signe à l'incendie.

LA MONTAGNE CONSERVATRICE 139

Ah ! les populations imbéciles et entêtées qui s'en viennent rebâtir leurs maisons consumées dans la lave même qui les a englouties, sont cer- tainement moins bêtes que nous !

II

Voyons ! est-ce fini, avant la fin dernière ? Mourrons-nous dans cette suprême bêtise?,.. Vous allez revenir à Versailles, conservateurs auxquels des destructeurs sont nés pendant votre absence, allez-vous nous donner encore le spec- tacle de vos désunions, de vos tiraillements, de vos batailles indécises comme vous, de vos arle- quinades de nuances, qui finissent par n'être plus des couleurs du tout, de vos fusions, qui sont des fontes, de vos impossibilités d'être un, monarchistes inconséquents, sans unité, en face d'une République qui sait être une et qui vous frappe et vous accable de son unité ? Vous n'êtes pas tous des avocats, quoiqu'il y en ait beau- coup parmi vous... Vous ne jouez pas à l'équi- libre entre les partis comme les pouvoirs per- sonnels et titulaires. Vous n'êtes, vous, personne. Vous êtes une masse, une chose collective et s;ms nom. Vous ne devez pas avoir peur de

140 DERNIÈRES POLÉMIQUES

cette responsabilité qu'acceptent seuls sans pâlir les grands hommes qui sont faits pour elle ! Vous n'avez pas celle-là à craindre. Vous pouvez avoir de la conscience sans avoir peur de la conscience que vous avez. Eh bien, conservateurs incohé- rents, resterez-vous dans votre incohérence sé- culaire ? Vous tuera-t-on derrière cette porte ?... Sous les coups de tampon qui viennent de vous frapper, ne vous ramasserez-vous pas ? Ne vous durcirez-vous pas? Ne ferez-vous pas le bloc stator de la résistance?... Ne ferez-vous pas, à vous tous, monarchistes, autoritaires, anti- républicains, quelque chose d'mt comme la Ré- publique, qui ne devrait pas l'être si ses prin- cipes la gouvernaient au lieu de ses passions, et pour lutter contre l'unité de la République avec la puissance aussi de votre propre unité?...

Et si le danger que nous courons tous vous donnait cette force, ô Convention des conserva- teurs ! formez-vous en Montagne. Vous êtes encore la majorité. Combien de temps allez-vous l'être encore?... Ah ! puisqu'ils aiment les Mon- tagnes, et qu'en politique ils les ont inventées, il faut leur en faire une, conservateurs, sous laquelle nous puissions les écraser, quoiqu'ils ne soient pas des Titans, ces nabots delaDémocratie !

Et M. Thiers vous laissera faire, je n'en doute

LA MONTAGNE CONSERVATRICE 141

pas. Il est trop habile pour ne pas sentir à pré- sent que sa position est minée. Il sait que tout le peloton de la finesse est dévidé. Il doit être avec vous, conservateurs ! S'il ne s'y met pas, emportez -le dans vos bras monarchiques et sau- vez-le de la République vraie qui va mettre le pied sur lui et sur sa République artificielle ! Mais je ne crois point qu'il vous résiste. Il a trop de l'homme politique pour ignorer est la force, et quel service, à un certain jour et à une cer- taine heure, elle peut rendre à un pauvre pouvoir embarrassé.

Dans tous les cas, conservateurs, vous aurez sauvé la patrie !

Si vous sauvez, par-dessus le marché, M. Thiers, tant mieux! A ce prix, j'accepte le salut de cet homme qui aurait pu faire tant pour nous et qui ne l'a pas fait. A ce prix, certes ! je ne m'y oppo- serai pas.

4 mai 1873.

LES DAMES DE LA HALLE

Il n'y a plus de Dames Je la Cour ; mais il y a encore des Dames de la Halle. En cet odieux temps de la République, c'est tout ce qui nous reste de la vieille monarchie, des vieilles mœurs et de la vieille société française.

Avec le torrent des mœurs nouvelles qui en- gloutit et efface tout, on les oublierait, mais il y a des jours elles se révèlent. La semaine dernière, elles se sont révélées. Il s'agissait de leur curé qui venait de mourir, ce vertueux M. Simon, curé de Saint-Eustache, qu'elles avaient sauvé deux fois du fusil des assassins, pendant la Commune. Encore des jours elles s'étaient révélées ! et vaillamment révélées ! Elles adoraient cet admirable curé qui avait le bon-

1 i4 DERNIÈRES POLÉMIQUES

heur de les avoir dans sa paroisse ; aussi, déso- lées de sa mort, mais reconnaissantes de sa vie, elles ont accablé ses saints restes des plus belles fleurs de leur Halle, tout le temps qu'a duré l'exposition de son corps, selon la coutume des curés de Paris. Elles l'ont traité, ce bon et no- ble curé, comme autrefois elles traitaient le Roi et la Reine de France ; car autrefois, aux grandes fêtes françaises, il était d'usage qu'elles offris- sent au Roi et à la Reine les plus belles Heurs de leur monarchie.

Elles y ont mis un luxe de princesses, renou- velant chaque jour les superbes fleurs dont elles paraient la chapelle ardente de ce Roi de leurs cœurs, de ce curé qui, de tous les Rois qu'elles aimèrent, est le seul qui leur fut resté !

II

Car elles aiment les Rois, elles les ont toujours aimés, les Dames de la Halle. Elles ne furent jamais, elles, des républicaines. Ce n'est pas dans les rangs de ces femmes à la vertu et aux cœurs robustes comme leurs bras, qu'on eût trouvé d'impudiques Déesses de la Liberté <>u d immon- des Déesses de la Raison, à planter, nues, sur

LES DAMES DE LA HALLE 145

un char ou sur un autel. Parmi les Dames de la Halle, le royalisme est de tradition et de tra- dition séculaire. Pendant tout le temps que Louis XVI resta emprisonné au Temple, elles ne manquèrent jamais à lui envoyer, tous les jours, leurs fruits les plus magnifiques et les plus chers, et elles imposaient tellement aux républicains, ces femmes qui étaient l'honneur du peuple, après tout, et que, pour cette raison, il fallait respec- ter, qu'on n'intercepta pas une seule fois les fruits offerts au tyran par de telles esclaves...

Et ne vous méprenez pas, cependant ! C'est la Royauté encore plus que les Rois qu'elles aiment.

Quand l'Empereur fit finir du vent de son épée les brailleries de cette Révolution qui se coucha à plat-ventre à ses pieds et s'essuya, à ses bottes, de la fange et du sang dont elle était souillée, les Dames de la Halle furent à l'Empereur Napo- léon Ior ce qu'elles avaient été à Louis XIV. Bo- naparte ou Bourbon signifie pour elles la tradi- tion, la monarchie, la vieille forme sociale à la- quelle elles n'entendent pas renoncer ; car elles sont les filles de leurs mères. Or, leurs mères étaient, à certains jours, les commères du Roi de France, et c'est un titre auquel de vraies Fran- çaises, comme elles, ne pourront volontairement renoncer jamais.

h. y

146 DERNIÈRES POLÉMIQUES

III

Le temps le leur a pris, ce titre charmant, tout plein de la bonhomie des vieux âges, mais elles espèrent parbleu! bien, j'en suis sur, que le temps le leur rapportera. Je l'espère autant pour elles que pour moi, qui crois que la France ne peut être qu'une monarchie, et tout est impos- sible, excepté cela. Pour ma part, je les ai tou- jours aimées, ces braves commères du Roi de France, ces poissardes, comme on les nommait autrefois avec amitié ; car c'est depuis que la Dé- mocratie fait sa tête, comme elles diraient gaie- ment, que cette expression familière est devenue une injure. Je les aime même tellement que le jour l'Empereur Napoléon III épousa made- moiselle Eugénie de Montijo, j'entendis plusieurs fois des hommes politiques, audacieusement démocrates, affirmer qu'il aurait plutôt, puis- qu'il n'épousait pas la fille d'une tète couronnée, épouser une belle fille du peuple, choisie parmi ces filles saines, pures et fortes, des Halles de Paris, et j'avoue que cette idée, tout audacieuse qu'elle fût, ne me déplaisait pas... Les commères du Roi pouvaient bien devenir femmes de Roi. C'était

LES DAMES DE LA HALLE 147

hardi et fier. Pierre le Grand épousa bien une fille du peuple, qui devint presque aussi grande que lui. Le doge épousait la mer Adriatique ; l'Empereur eût épousé la France dans une des plus simples filles de son peuple. Cela l'eût peut- être changée, cette France plus orageuse et plus perfide que la mer ! Elle aurait peut-être repris, au cœur de cette fille du peuple, qui eût été sa fille, cet amour de la Royauté qu'elle n'a plus dans son cœur, et lui serait redevenue fidèle!

Et de fait, s'il y a encore quelque part, dans cette France perdue, un fort sentiment tradition- nel pour la grandeur et l'honneur de ce pauvre pays, c'est dans ce groupe de femmes qui, aux jours des calamités et des hontes, empêchent les Fonçais de tremper leurs mains dans le sang d'un prêtre, ou qui, aux jours elles le perdent ce prêtre vénéré, osent le pleurer et honorer pu- bliquement sa mémoire à la face de ce pays hos- tile aux prêtres ! S'il y a du respect, de la tra- dition et des sentiments avec lesquels on fait de F Histoire, de la noble Histoire, c'est dans l'àme de ces femmes-là qu'il faut les chercher. Le sou- venir de ce que les Dames de la Halle ont été pendant la Commune, quand elles sauvèrent leur curé Simon, doit être incessamment évo- qué et mis comme un pied qui les fait dispa-

148 DERNIÈRES POLÉMIQUES

raître sur les autres femmes de ce temps, qui font les belles diseuses et cfui se donnent les airs peut-être de les mépriser ! Que sont, en effet, comparativement à ces courageuses héroïnes, les jours qu'il faut l'être, et qui font leur métier sim- plement et honnêtement le reste du temps, que sont tous les bas-bleus et toutes les pétroleuses dont le monde est plein ; car c'est sous cette double rubrique, c'est dans cette double catégorie qu'on peut ranger maintenant toutes les femmes qui se réclament de la Démocratie! Oui! toutes, bas-bleus à quelque degré que ce soit, et pétro- leuses ! Qui n'est pas l'une est l'autre. Il n'y a de différence entre elles que par l'orthographe et par l'énergie. Mais, en réalité, c'est la même race maudite. Les unes pensent le mal. Les au- tres l'accomplissent. Les unes préparent la cui- sine et les autres la font. Mais c'est la patrie qui est mangée dans cette horrible cuisine-là !

Heureusement que nous avons à leur opposer les Jeanne Hachette futures de la Halle. Quel est donc le superficiel quil'autre jourappelait la Halle « le ventre de Paris » ?

Il se trompait. Avec ces femmes, c'en est, par- dieu 1 le cœur.

8 mai 1873.

LE MOMENT

Il est tout parfois, en politique comme à la guerre.

Le passage du Rubicon pour César, le 18 Bru- maire pour Bonaparte, furent ce moment qui est tout, et le lendemain de la Commune l'aurait été pour M. Thiers, s'il l'avait voulu ! Que dis-je? il serait devenu, lui, un grand homme, à meil- leur marché que César et que Bonaparte ; car César n'avait derrière lui que sa dixième légion dont il fût sûr et Bonaparte que ses grenadiers, tandis qu'au lendemain de la Commune, M. Thiers avait derrière lui toute la France, qui espérait tout, et devant lui la Commune vaincue, qui s'at- tendait à tout.

Situation unique, sans pareille dans l'Histoire !

150 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Dieu n'a jamais tenté mieux un homme de se faire aisément grand homme, mais M. Thiers a résisté à la tentation.

Eh bien, ce moment perdu par M. Thiers se retrouve aujourd'hui pour l'Assemblée, pour cette majorité conservatrice de l'Assemblée qui est encore la majorité et qui demain peut cesser de l'être. Le moment est venu pour elle de faire son coup d'Etat et de prendre à la nuque l'occa- sion qu'a manquée M. Thiers.

Aux insolentes injonctions des comités démo- cratiques qui ordonnent à leurs candidats de de- mander immédiatement la dissolution de l'As- semblée, — c'est-à-dire sa mort certaine, à l'Assemblée! qu'elle réponde en proclamant fièrement sa permanence !

Et qu'elle retourne le serment du Jeu de Paume contre le despotisme de la Démocratie ! qu'elle rende le coup pour coup d'un jeu de paume mo- narchique au jeu de paume delà Révolution!

II

Mais fera-t-elle cela? En aura-t-elle l'audace? En aura-t-ellele bon sens ?... Il n'y a plus autre chose à faire. C'est le dernier moment, le mo- ment qui est tout, qui sauve tout ou perd

LE MOMENT 451,.

tout: va-t-elle le laisser échapper?... Malheureu- sement je ne crois pas beaucoup en elle. Je ne crois pas aux Assemblées. Je suis de l'avis de ma- dame Roland, qui, toute républicaine qu'elle fût, les a souffletées, les Assemblées, quand elle a dit : « Lorsque les hommes sont réunis, leurs oreilles s'allongent. » En toutes choses, en politique, en littérature, en art, en guerre, il n'y a que des grands hommes, auxquels toutes les assem- blées du genre humain, quand ils manquent, ne suppléeraient pas. D'ailleurs, si la majorité con- servatrice de l'Assemblée avait senti en elle quelque chose de ce génie de gouvernement, de cette instantanéité dans X action nécessaire qu'ont eue rarement, mais qu'ont eue quelquefois pour- tant des Sénats ou des Assemblées, est-ce qu'elle aurait attendu jusqu'à ce moment pour agir? Est-ce qu'elle ne devait pas, dès l'élection Barodet, être tombée comme la foudre à Ver- sailles? Est-ce que le tocsin de cette élection, que voici suivi de bien d'autres tocsins, ne devait pas l'y soutirer avec la force du plus redoutable de tous les dangers?... Est-ce qu'elle aurait attendre une convocation légale qu'elle savait bien qui ne viendrait pas? Est-ce qu'elle n'aurait pas pris une initiative? Est-ce qu'elle n'aurait pas fait ce que la Convention savait faire quand la

152 I)ER\IÈKi:S POLÉMIQUES

patrie était en danger? Est-ce que la peur des braves qui les réunit quand la peur des lâches les disperse, n'aurait pas l'arracher à la pro- vince et reprendre sa souveraineté, et tout cela même sans illégalité et sans risque, puisque en- fin M. Thiers est son mandataire, et qu'elle est, elle ! la Souveraineté !

Elle ne l'a pas fait. Elle est restée tranquille, tranquille, non ! Epouvantée peut-être, mais d'une épouvante inféconde, de cette peur froide qui ôte le cœur et à laquelle les anciens, pour qu'elle ne s'abattît pas sur leurs cœurs, dressaient des autels! Carily a deux épouvantes : l'une qui n'agit pas, aux bras rompus, aux vertèbres dis- soutes, et l'autre qui saute sur ses armes, et cette épouvante-là, je la souhaite à la France; car peut-être le meilleur moyen de la sauver à l'heure nous sommes, c'est de lui faire peur ! et honte aussi!

III

Oui! honte aussi... Car la voilà, la France, en proie plus que jamais à la vermine de la Démo- cratie, dont nous nous sommes cru imbécile- ment guéris après la Commune, et qui repousse, comme si ce mal honteux était incurable. La

LE MOMENT ISo

France est présentement le lion du poète, mangé par la vermine. Elle a cette effroyable maladie pédiculaire qu'ont les peuples corrompus aussi bien que les hommes. Les poux de la Démocra- tie la dévorent. On n'a pas su les écraser. De- puis la Commune, les hideuses petites bêles ont repullulé. Elles viennent de se remontrer en ces élections folles, qui en présagent encore de plus folles et dans lesquelles toute cette vermine qui ronge la France lui sortira par tous les pores!

Et c'est le moment de l'écraser, si nous ne voulons pas être mangés complètement par elle. Ah! certes! moi qui crois plus aux hommes qu'aux Assemblées, je regrette bien que M. Thiers, dans cette crise suprême nous voici, n'ait pas l'ongle qu'il faut pour l'écraser. Mais la France, la France représentée par l'Assemblée, ne le re- trouvera-t-elle pas. cet ongle de lion qu'elle avait autrefois? Ne le promènera-t-elle pas sur cette vermine qui infecte ses lianes pour s'en nettoyer et la faire tomber morte à ses pieds, sous cet on- gle purificateur et terrible?... Pauvre France! ne serait-elle le lion du poète que par sa ver- mine?

Serait-ce donc maintenant sa seule manière d'être lion?...

15 mai 1*7::.

L'ACADÉMIE SANS CANDIDATS

Elle n'en a plus, à ce qu'il paraît; c'est une grande nouvelle.

La république des lettres a donc des embarras et des malheurs comme les autres républiques ! Elle a, comme les autres républiques, des impos- sibilités de vivre et des institutions qui s'en vont, plus ou moins mélancoliquement, à tous les diables!

Ainsi l'Académie française est en train de prendre ce chemin-là. L'Académie française, cette république des Quarante, créée par le ca- price d'un cardinal despote, qui avait malheu- reusement du Trissotin sous sa robe rouge, et qui trouva drôle de fonder sur le nombre et le

156 DERNIÈRES POLÉMIQUES

vote ce gouvernement littéraire qui ne devait rien gouverner du tout, bien avant qu'on boutât là-dessus nos amours de gouvernements politiques; l'Académie française est, pour le moment, aussi embarrassée que la république conservatrice de M. Thiers, et menacée de ne pas se conserver davantage !

Accident imprévu ! phénomène qu'on ne soup- çonnait pas! C'est par son dernier acte de gou- vernement que l'Académie a fait autour d'elle ce qu'on n'avait jamais vu, l'épouvante des candidatures : un vrai désert de candidats ! Depuis l'élection sans pareille de M. de Yiel- Castel, nommé avec une unanimité de suffrages que n'aurait jamais eue un homme de génie, l'Académie n'a plus de candidats, elle qui en était assiégée, elle qu'ils auraient volontiers grimpée comme les truands grimpent le portail de la cathédrale dans Notre-Dame de Paris!!!

Est-ce que l'élection Yiel-Castel aurait été l'élection Barodet de l'Académie? Est-ce qu'elle crèverait de cette élection-là ? Gracieuse ressem- blance et gracieux présage ! Et après tant d'autres élections ridicules auxquelles elle a parfaitement résisté, cette dure-à-tuer d'Académie, est-ce sous celle-là qu'elle mourrait et que serait enterrée.

L'ACADÉMIE bAi\S CANDIDATS 157

comme on dit chrétiennement, « la vieille syna- gogue?... »

II

Et cependant M. de Viel-Castel Barodet ou non littéraire est aussi digne que tout autre de se prélasser à l'Académie. Il n'y est pas, après tout, une monstruosité, M. de Viel-Castel. Il n'est pas une telle honte pour l'Académie qui l'a nommé, qu'après lui, paf ! tout à couple can- didat manque... comme si c'était un affront que de s'y présenter, le chapeau dans la main, derrière M. de Viel-Castel! Eh pardieu! M. de Viel-Castel vaut bien M. Housset, ou M. de Lo- ménie. ou même monsieur d'Aumale, un autre hi>torien et un autre écrivain de la même Revue des Deux-Mondes que M. de Viel-Castel, et de la même farine de pois gris ! Et je ne vois pas aussi pourquoi il n'aurait pas à son tour, M. de Viel- Castel, son petit académicien à faire comme il a été fait, son petit Viel-Castel quelconque à nom- mer et à introduire à l'Académie ! Mais il s'a- git bien de raison. Il s'agit de fait, et le fait est dans toute son impertinence.

Depuis M. de Viel-Castel, il n'y a plus de can-

158 DERNIÈRES POLÉMIQUES

didats à l'Académie ! Comme Ariane sur son ro- cher, comme la sœur Anne sur sa tour, elle guette à tous les points de l'horizon s'il vient des candidats et elle ne voit personne ! Dessèchement subit et tarissement sur place de candidats ! M. de Viel-Castel les a fait rentrer tous dans le ventre de la France littéraire, dont ils étaient toujours prêts à sortir, comme les abeilles du taureau pourri d'Aristée, dès qu'un immortel décampait ! Or, en voici un (M. Saint-Marc Gi- rardin) qui a filé l'autre jour, et qui offre même à celui qui le remplacera l'occasion d'un bien joli discours à faire, et personne ne bouscule personne pour le remplacer! Personne ne se présente dans la noble attitude obligée devant messieurs les grands électeurs!... L'Académie, qui avait des candidats à revendre, n'en a plus ! elle n'en voit pas poindre un seul dans les trente- neuf escaliers qu'elle les forçait à monter et à descendre pour solliciter ses trente-neuf voix ! car elle voulait qu'on les sollicitât humblement, avec une patience de mendiant, stoïque aux rebuffa- des, CONTRAIREMENT A SON PROPRE RÈGLEMENT qu'elle

avait mis dans sa poche, comme Charles X ne put pas mettre, lui ! sa Charte dans la sienne... Mais Charles X n'était qu'un Roi, un pleutre de Roi, et l'Académie est une république ! une

l'académie sans candidats 159

république qui s'ajustait si parfaitement à notre vanité française, cette f reluque tte de vanité fran- çaise, qu'on n'aurait jamais réclamé en faveur d'un règlement qui, observé, l'aurait privée de ses candidats et de leurs révérences, et de ses insolences, à elle, pour ceux qui la sollicitaient; de ses soufflets à Lacordaire, ce moine égaré à sa porte, avant qu'il entrât, et de ses soufflets à de Musset, après qu'il fut entré. Soufflets dehors, soufflets dedans, et partout platitudes candida- taires !

III

Seulement, voilà qui est fini. L'orgueilleuse est punie par elle a péché. Plus de soufflets, plus de platitudes, plus de candidats!

Il y a cependant encore en France quelques gens d'esprit plus ou moins dépravés ils le sont parfois, ces gueu^ de gens d'esprit, qui humaient naguère le fauteuil et en avaient la fantaisie, mais ce saut (sans aucun calembour) de M. de Viel-Castel qui, comme un clown éblouissant, tout terne qu'il est du caoutchouc de la Revue des Deux-Mondes, leur a passé par- dessus le corps et la tête avec une si insolente

160 DERNIÈRES PULEMlgUES

facilité, les a terriblement refroidis... Je n'en- tends plus parler ni de M. About, ni de M. de Pontmartin, ni de M. Arsène Houssaye, ni de personne. Tous envolés comme des moineaux francs, ces pieoreurs d'Académie ! Dites-moi ils sont passés? Abandonnée comme une vieille femme quelle est depuis longtemps, comme elle doit cruellement maudire, l'Académie, ce diabo- lique M. de Yiel-Castel qui l'a tant compromise et qui, par la faveur dont elle l'a comblé, a fait s'enfuir tout ce qui lui restait de fidèles! Com- ment va-t-elle s'y prendre pour faire revenir ces hommes de goût dégoûtés?... Va-t-elle faire la presse des candidats, comme on fait en Angle- terre la presse des matelots? Va-t-elle renverser les deux rôles? De sollicitée par les candidats devenir une solliciteuse de candidats? De déses- poir, va-t-elle retourner à ceux qu'elle a désespé- rés?... Va-t-elle se rejeter à l'infortuné Philarète Chaslesqui meurt de ses rigueurs, lentement, il est vrai, mais qui en meurt, et couronnera- t-elle la vieille flamme de cet éternel Céladon, pour avoir un candidat encore, dans son veu- vage et dans sa rase de candidats ?

Il est vrai que les gens d'esprit lui manquant, il lui resterait les imbéciles pour candidats, à l'Académie, et si les imbéciles eux-mêmes viel-

l'académie sans candidats- 161

castelisés ne voulaient plus mordre à la grappe de l'Académie, elle aurait, en dernier désespoir, les femmes qui déjà la guignent avec convoitise; les bas-bleus qui se prétendent troussés pour elle. Seulement, combien exigerait elle de can- didates pour faire la monnaie du moindre de ses candidats ?

N'importe ! Pauvre Académie ! Tombée en quenouille, enjuponnée, finie, morte sur pied, faute de candidats ! C'est triste, mais ce serait gai, n'est-ce pas? si l'autre république, comme celle-ci, discréditée, dépopularisée, sous Y usé du mépris public, allait périr aussi faute de can- didats !

19 mai 1873.

EL REY NETTO

J'avais d'abord pensé à écrire : « Un homme à des hommes » , en parlant de la belle lettre écrite par don Carlos à son général Dorregaray après la victoire d'Eraul, et que toute l'Europe lit en ce moment avec admiration.

Mais quoique homme et des hommes soient rares dans ce temps épuisé de tout, de cœur comme de raison, ce n'est pas Y homme, malgré son énergie, ce n'est pas don Carlos et ce ne sont pas les hommes qui combattent pour lui qu'il faut voir dans la lettre de don Carlos.

Non ! ce qu'il faut y voir, c'est LE ROI, le Roi absolu, le Rey netto, comme dit la nette aussi et magnifique expression espagnole : et ce sont LES SUJETS !

104 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Le Roi et les sujets ! Cette chose ancienne et auguste que le inonde a désapprise et qui a été pendant des milliers d'années la loi glorieuse et toute-puissante du monde. C'est le Roi comme on n'en avait pas vu depuis Louis XIV; car tous les porteurs de couronne dans les lignées royales, depuis Louis XIV, n'ont pas su les porter et ont plié dessous, portefaix éreintés, et les sujets ont été encore plus rares que les Rois dans ces der- niers temps de révolte et d'anarchie, des législateurs, à genoux devant le Nombre, ont consacré cette immense bassesse qui est aussi une immense bêtise, que le dernier goujat est un souverain pour sa trente-millionième part de royauté !

11

Mais ici plus de trente-millionième ! L'Espagne a retrouvé un Roi. La vieille Espagne affaiblie par des Reines, en rupture de ban avec la loi qui aurait la gouverner; la vieille Espagne, qui avait fini par passer par l'étranger pour arri- ver à la Commune, a. dans le tohu-bohu ridicule etsanglantdesa révolution, reconnu la voix d'un Roi parlant a ses sujets. de vrais sujets! qui

EL REY NETTO 165

font mieux que de se faire tuer puisqu'ils obéis- sent, et qui obéiront encore quand ils n'auront plus à se faire tuer... Spectacle inespéré ! l'Es- pagne vient de reconnaître ce qui fit autrefois sa gloire et sa fortune : des sujets fidèles à leur Roi, des Rois fidèles à leurs sujets ! Gomme cela doit, au milieu de toutes les ignominies et de toutes les misères dont elle est affligée encore, sembler bon à ce grand cœur de l'Espagne qui semblait ne battre plus et qui vient de ressusci- ter !

Et comme elle est royale, cette voix de Roi, commeelle est distincte ! Gommeonl'entendbien! comme on la comprend bien ! comme elle dit bien ce qu'elle veut dire ! comme elle diffère des autres voix, des voix de ces faux souverains qui, en ce moment, parlent aux pauvres peuples et leur débagoulent cet affreux margouillis politique qu'ils sont obligés de leur débiter! Car ils y sont obligés, et c'est leur honte ! Ce qui fait la honte d'un pouvoir, en effet, c'est l'impossibilité il est d'être jamais clair... Mais la lettre de don Carlos n'a point de ces entortillages. Elle ne gueuse pas de popularité, comme les pouvoirs mendiants des peuples modernes. Elle n'a pas de réserve ; elle n'a pas d'habiletés : cette coqueluche des lâches ! Elle ne prend pas la

166 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Révolution pour ce qu'elle se donne : la Liberté. Elle la prend pour ce qu'elle est : la Révolution! Elle dit : // faut anéantir la Révolution dans notre pays. Et cela sera ! Je l'anéantirai.

C'est clair, limpide, acéré et coupant comme l'épée du Cid !

III

Et comme cette voix qui ressort sur les autres voix s'élève bien à temps ! On l'avait déjà en- tendue. Mais comme, affilée par cette victoire d'Eraul, on va l'entendre mieux ! Elle vibre dans sa netteté, sans phrases, à l'heure les phrases vont, en France, tout à coup monter comme une tour de Babel immense, et les avocasseries parlementaires faire entendre leurs clameurs sans fin. Quel contraste de l'une aux autres ! Est-ce que cette voix héroïque du Droit victo- rieux, qui dit franchement ce qu'il fera demain, si Dieu le remet à sa place, frappera vainement l'oreille de la France, amoureuse du comman- dement autrefois, comme de la trompette, et elle, l'ancienne nation militaire, ne la fera pas rêver un peu ?...

Hélas ! peut-être non... Nous en avons tant

EL REY NETTO 167

fait que Dieu, qui envoie à l'Espagne des pré- tendants effectifs, des prétendants qui ne sont pas des merlettes de blason, sans becs et sans griffes, ne nous donnera probablement pas une telle fortune. Nous, nous payons notre crime d'avoir mis la Révolution dans le monde. Les autres nations l'auront étouffée que nous l'au- rons gardée chez nous, et qu'aucune épée n'y coupera le nœud terrible que l'épée du Cid est en train de couper en Espagne, aux mains de don Carlos. L'Espagne, la vieille Espagne méri- tait cela, du reste. De toutes les nations que nous avons empoisonnées de nos doctrines de perdition, c'est celle-là qui s'est le plus long- temps débattue contre elles. L'Esprit monar- chique et la Foi religieuse n'ont jamais en Es- pagne entièrement péri, et c'est ce qui en reste qui dit aujourd'hui par cette jeune bouche de don Carlos, pure de toute politique qui transige :

« Il faut anéantir la Révolution dans notre pays et nous l'anéantirons ! »

Grande parole, qui ne sort pas d'une tète de soldat élevé par un moine, mais d'une tête de prince qui sait quil est le roi, et qui, pour la tête des Rois qu'elle a coupée et qu'elle voudrait bien couper encore, prendra la tête delà Révolu-

168 DEKNIÈKES POLÉMIQUES

tion.Don Carlos sait, et qui ne sait pas à cette heure que pour la paix et le salut des peuples il faut que la Révolution soit partout anéantie ? Car partout il en reste seulement un tronçon, elle a, monstrueux reptile, l'horrible faculté de se reproduire tout entière. S'il fut jamais, à ce qu'il semble, un homme taillé pour venir à bout de l'épouvantable Python, ce fut Napoléon Ier, et il a suffi d'un tronçon épargné pour qu'elle se reformât contre lui tout entière et le tuât pour ne l'avoir pas tuée, cet homme si fort, à qui on fit accroire que la Révolution était sa mère, ce qui lui fit trembler la main !

Mais un Roi. de race royale, comme don Carlos, ne se croira pas parricide. Ce que Napoléon ne pouvait pas faire peut-être, il le pourra, lui, si Dieu lui accorde la victoire définitive, et, je n'en doute pas, dût-il s'y briser, il le fera... Il y a, qui sait? en ce jeune homme, si simplement décidé à faire sa fonction de Roi dans sa justice la plus terrible, le grand homme futur de l'Espagne; car l'Espagne, comme toutes les nations tombées, ne se relèvera que par un grand homme. Il en faut pour constituer les peuples, pour les faire durer, et s'ils périssent faute de grands hommes, pour les relever et les reconstituer. Que l'orgueil

EL REY NETTO 169

de l'égalité se mette à braire devant cette loi de l'Histoire! Qu'importe! Aucune institution, au- cune assemblée, aucun groupement ne peut remplacer le moindre grand homme. « Quand il n'y en a plus, disent-ils effarés, les Egalitai- res, que deviennent donc les peuples? » Mais, imbéciles, que devient l'homme, quand il a le choléra morbus ?

1er juin 1873.

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LA COLONNE

Elle était une gloire. Elle va en être une se- conde. C'est la victoire qui l'avait élevée; c'est la victoire qui la relève. La victoire de ces derniers jours ! La victoire remportée encore une fois sur l'ennemi, et quel ennemi ! L'ennemi du dedans, plus odieux que l'ennemi du dehors !... Nous allons donc la revoir debout ! et que ne puissions- nous l'appuyer, pour les écraser mieux, sur la poitrine de tous les ennemis de la France, cet airain vaincu, comme disait son inscription su- blime, fourni par l'Ennemi ! Et abattu par un ennemi, pire que le premier !

Et que le Dieu de la France soit béni ! Nous allons revoir cet airain vaincu et maintenant

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doublement victorieux que nous aurions pu ne revoir jamais; car les misérables qui rabattirent avaient allumé assez d'incendies dans Paris pour le faire fondre dans leurs abominables flammes !

Mais ils n'y pensèrent pas. Et voilà pourquoi nous allons revoir ce Phénix d'airain. Et tout de même qu'il datait, dans les airs, le règne d'un soldat, il va y dater aussi l'élévation d'un autre soldat à la tête d'un pays la meilleure forme de sceptre sera croyez-moi! toujours une épée !

Ce n'est donc pas seulement aujourd'hui une colonne relevée... Ce sont les rele vailles de la France !

II

Et cela tout de suite a été compris. Le premier acte et la première pensée d'une Assemblée fran- çaise qui avait repris son énergie, et qui voulait marquer noblement sa souveraineté, devaient être pour la Colonne. Toutes les autres questions pouvaient attendre, non cette question de la Co- lonne! Question d'honneur dans un pays d'hon-

LA COLONNE 173

neur. On pouvait ne pas relever tous les autres monuments sur lesquels ont passé les flots de feu de la Commune. Ces monuments n'étaient, après tout, que de l'art, du luxe et des pierres, des splendeurs de civilisation qui sont l'éclat, mais qui ne sont pas l'honneur des peuples ! Oui! on pouvait laisser, et même j'aurais assez aimé qu'on laissât ces ruines horribles au milieu de nous pour n'y plus jamais toucher, à ces ruines excommuniées et maudites, et qu'ainsi jusqu'à ce que le temps, la poussière et le sol les eus- sent dévorées, elles fussent entrées éternellement dans les yeux des Parisiens futurs, comme la signature des faussaires qui les firent et qui se vantaient d'être les meilleurs amis de Paris. C'eût été assurément une idée qui n'eût manqué ni de portée ni de grandeur, que cet enseigne- ment de l'enfer, éternel comme l'enfer, que cette honte donnée à boire à ses descendants, pour les dégoûter de recommencer une telle honte, par un peuple qui aurait eu cette force et cette sévé- rité paternelles ! Mais la Colonne, elle, n'est pas un monument comme les autres. La Colonne fait partie de l'honneur de la France, et mise à bas, notre honneur semble à bas comme elle. La Colonne ! Mais ce n'est pas uniquement un signe de victoire, c'est bien plus ! Son bronze est bien

lu.

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plus que du simple bronze. Le sang de ceux qui le prirent à l'ennemi sur les champs de bataille l'a imbibé, l'a pénétré, et en a fait une chose hu- maine et vivante. Ne vous y trompez pas ! C'est le sang- de la France qui est dedans, le sang incorporé avec lame et l'honneur de la France ! Ceux donc qui ont touché à cela, souillé cela et renversé cela, sont des parricides, et si l'His- toire leur donne un jour le nom qu'ils méri- tent, elle les appellera les Parricides de la Co- lonne!

III

Oui! des parricides... et si nous étions un peuple fort, ils en auraient déjà porté la peine... Tenez! vous, les républicains, demandez aux anciens Romains, s'ils avaient eu comme nous leur Colonne, ce qu'ils auraient fait à ceux qui eussent osé l'abattre ?... Pour mon compte, je n'ai pas grand goût pour ces républicains de Rome, mais enfin leur àme valait mieux que leur République, mais ils étaient le Peuple-Roi. mais ils aimaient violemment leur Louve de Mère... Eh bien, supposez que chez les Romains des scélérats et des sacrilèges eussent renversé le

LA COLONNE 175

bronze sacré fait de la dépouille des ennemis de Rome , quel supplice croyez-vous qu'ils eus- sent infligé à la horde impie? L'auraient-ils précipitée du Capitole ? l'auraient-ils jetée au Tibre, cousue dans l'affreux sac de cuir, avec le coq, le chat sauvage et le serpent des adultères et des parricides? ou plutôt, comme le crime au- rait eu sa nouveauté terrible, auraient-ils inventé pour le punir quelque nouveau terrible sup- plice?... Et puisque c'était un crime qui n'était pas Romain, lui auraient-ils infligé un châti- ment barbare, comme ils disaient de tout ce qui n'était pas Romain?... Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que nous, les fils de Brennus, qui avons vaincu Rome, nous avons dans notre His- toire un crime que les Romains n'ont pas dans la leur, et que nous n'avons pas puni encore.

Est-il possible de le punir comme il faudrait, maintenant?... Grime anonyme et collectif, exé- cuté au grand soleil , mais par des êtres qui s'appelaient la foule, l'irresponsable et détestable foule, à présent dispersée, retombée, à quelques pas de son action, dans le néant d'où sort toute foule. Chose amère et dérisoire ! Nous pouvons relever la Colonne. Nous ne pouvons la faire relever à ceux-là qui l'ont abattue ! Nous ne

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pouvons leur imposer cette expiation vengeresse et juste. Foulque d'Anjou, un homme duo autre âge, fit un jour mettre à genoux devant lui son fils révolté, la selle de son cheval sur le dos. Il pouvait y avoir plus beau. C'eût été de faire rap- porter sur leur dos aux ren verseurs de la Colonne les pièces d'airain dont elle est faite, et de leur infliger de la reconstruire avec les mêmes mains qui l'eussent renversée !

Mais ces abjectes mains n'ont pas sur elles, pour qu'on puisse les reconnaître, la goutte de sang que ne pouvait effacer des siennes la femme de Macbeth. Il n'y a pas de sang dans ce crime d'airain... Ce n'est pas le sang qui a coulé ici, comme il a coulé autre part ! Mais c'est l'honneur, comme disait de Quiberon l'orateur anglais, qui a coulé par tous les pores, oui ! par tous les pores, môme de ce bronze ! Un seul nom surnage à présent sur la mémoire du crime englouti, et c'est le nom de Courbet, l'Erostrate de la Co- lonne, plus coupable et plus imbécile que les stupides Erostrates qui ont si bestialement brûlé Paris! Courbet, le faux artiste, qui trouvait laide celte fière Colonne, s'élançant droite vers Dieu, comme un Te Dpioii de victoire pour les veux ravis, comme la flamme d'un encensoir

LA COLONNE 17"

inextinguible ; Courbet, qui restera à jamais le titulaire du crime de la Colonne, dans une exé- crable immortalité !

IV

Est-ce assez que cette exécrable immortalité pour châtier un homme dont la basse vanité fait ripaille, peut-être, de l'idée d'être, même dans le mépris, immortel?... Est-ce assez?... Un jour, le grand maréchal Ney dit à Louis XVIII qu'il lui rapporterait son Empereur à lui, Ney ! Napo- léon Ier, dans une cage de fer, et il faut toute la gloire de la Moskowa pour couvrir ce mot cruel ; non pour l'effacer. Mais cette idée d'une cage de fer s'était déjà réalisée dans l'Histoire. Louis XI, pour un crime moins grand que celui de Courbet, mais dans lequel il s'agissait d'un crime de tra- hison contre la patrie, fit enfermer La Balue dans une cage de fer : seulement ce fut au fond d'un cachot et dans les ténèbres ! Il ne le montrait pas à la France ! Tandis qu'il faudrait, disait un homme indigné l'autre jour, montrer à toute la France le citoyen Courbet, scellé dans une cage de fer sous le socle de la Colonne. Et celui qui parlait ainsi ajoutait à ce supplice toute la fange

178 DERNIÈRES POLÉMIQUES

de l'esprit moderne, en ajoutant : « On le ferait voir pour de l'argent. »

Certes! la faiblesse de nos jours décrépits re- culera devant un châtiment si mâle, mais l'His- toire est qui se chargera de la cage.

Et je vous réponds qu'elle sera de fer !

6 juin 1873.

LES SINGES A L'ACADEMIE

Et c'est même mieux que des singes ! C'est la théorie simiesque qui y est entrée dans la per- sonne, très simiesque aussi, m'a-t-on dit, car je n'en ai jamais eu la vue réjouie, de M. Littré.

Seulement cette théorie et son apôtre, l'un portant l'autre, ont trouvé à qui parler, et qui leur a parlé, non en langage de singe, mais d'homme qui sent son àme et son espèce.

Vous avez lu cette réponse de M. Franz de Ghampagny à M. Littré, et il m'est impossible de ne pas revenir sur cette réponse. Tout à l'heure, je vous dirai pourquoi. M. de Champagny est l'auteur d'un chef-d'œuvre : Y Histoire des

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Césars, cette douzaine de monstres qui don- neraient presque raison à la théorie de Darwin et de Littré; car ils étaient certainement des singes enragés. Mais la contemplation de ces hideuses bêtes, à laquelle il a bien fallu se livrer pour en écrire l'Histoire, a été une raison de plus pour que M. de Champagny sentit mieux tressaillir en lui, par l'horreur, son àme im- mortelle, et pour qu'il en affirmât avec certitude l'immortalité ! C'est un spiritualiste et un chré- tien que M. de Champag-ny, ou plutôt c'est un chrétien ; car il n'y a de spiritualistes que les chrétiens : les autres ne sont que des blagueurs de philosophie, et ils valent juste l'abjection de ce mot ! et quoique académicien, il s'est souvenu qu'il était chrétien et catholique en pleine Aca- démie, entre M. Guizot, le protestant, et M. de Rémusat, le philosophe, le navet philo- sophique, comme dit M. Veuillot, et à la place même que M61 Di panloup (qui s'est enfin souvenu qu'il était évèque) a laissée vide pour ne pas s'y trouver face à face avec M. Littré !

Eh bien, je trouve cela courageux, spirituel et charmant !

LES SINGES A L' ACADÉMIE 181

II

Certes î le langage de M. de Champagny est peut-être un peu bien doux. Il a peut-être trop sucré la liqueur amère qu'il voulait faire avaler à M. Littré. Mais qui sait? il voulait peut-être lui épargner les grimaces de son espèce. Il en aurait trop fait, et c'eût été une démonstration. M. Franz de Champagny s'est souvenu qu'il était de l'Académie, dans le temple du compliment éternel et officiel, sous cette coupole ils se frottent tous les uns les autres pour se rendre heureux et pour justifier le vieux proverbe. Pauvre M. de Champagny ! il sentait ses bricoles d'académicien. Il fallait se remuer dedans, et ce n'est pas commode ! Il fallait parler dans l'intonation sans timbre de ces catarrheux, éteints de voix, qui toussotent à l'Académie et qui détestent qu'on y parle haut ! Très certai- nement M. de Champagny n'y a pas parlé comme il aurait parlé ailleurs, mais si ce n'a pas été haut, c'a été net, et un peu de netteté dans ce pays de l'embrouillamini académique a, par le contraste, fait l'effet du plus vibrant coup de tonnerre, à faire dégringoler tous les singes de leur cocotier !

h. il

182 DERNIÈRES POLÉMIQUES

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Ainsi, qu'il se tienne averti, le sieur Littré. M. de Ghampagny lui a dit et l'Académie n'a pas protesté qu'il n'est entré à l'Académie que parce que l'Académie, comme le dauphin, l'a pris pour un homme. On lui a coupé la queue ainsi qu'à sa théorie, et l'opérateur lui a dit galamment : « Vous voilà comme nous! et c'est pour cela que nous vous recevons, non pour autre chose, entendez-le bien ! Nous vous rece- vons pour votre Hippocrate que vous avez traduit, et pour votre dictionnaire qui est un dictionnaire d'une langue d'homme et non pas un diction- naire de langue de singe ! Avec cela, vous avez passé ! Mais si vous n'étiez que l'orang-outang éduqué pour lequel vous vous donnez, nous ne vous prendrions pas même avec des pincettes ! Et dites-le bien aux gens, si cela s'appelle des gens, qui partagent vos idées, à cette race d'animaux qui ont l'orgueil d'être des bêtes, dites- leur bien que leurs théories sont mises à la porte de l'Académie, et que personne de vautré dans ces immondices n'y entrera désormais qu'après avoir été, comme M. Littré par M. de Champagny, préalablement nettoyé. »

Il l'a, en effet, M. de Ghampagny, délicatement nettoyé en son langage académique, baigné et même parfumé, pour qu'il ne sentit pas trop le

LES SINGES A L'ACADÉMIE 183

fauve, et tout le monde a joui de cette toilette faite en publie ; mais il n'y a pas eu assez de brosse, après le bain, de la part de M. de Cham- pagny. Et pour ma part, je le regrette, il ne l'a pas assez frotté aux bonnes places, aux oreilles, par exemple. Pas assez de brosse ! L'étrille a manqué.

III

Mais l'enseignement y est complet, si le plai- sir n'y est pas de même. L'enseignement y est et il faut le faire ressortir. La question reli- gieuse se pose même à l'Académie, c'est-à-dire l'on pouvait la croire le moins. La ques- tion religieuse, qu'on croit finie et qui n'est jamais finie, car elle est immortelle, comme nous, se relève dans les préoccupations du temps, et ce sont ceux qui la disaient et qui la vou- draient finie qui nous obligent à la relever ! Spectacle qu'il faut indiquer du doigt à ceux-là qui ne le voient pas ! Pendant que l'Académie excommunie à sa façon, très peu papale, mais enfin excommunie les singeries des philo- sophes athées et leurs théories singesses, les électeurs de la municipalité de Lyon, cette ville qui semble descendue des aïeux de M. Littré, in-

184 DERNIÈRES POLÉMIQUES

timent Tordre à leurs municipaux de ne rien vo- ter en faveur des choses religieuses et des insti- tutions religieuses. Rien de plus expressif, rien de plus probant en faveur de la question religieuse, dont tout peuple, s'il a vie au cœur, doit se préoccuper. La haine contre la religion d'un côté, cette haine qui s'exaspère, prouve que l'a- mour et le respect pour cette religion reviennent de l'autre et que sur ce terrain-là nous pourrions avoir à lutter... Tant mieux ! du reste. Il faut mieux se battre pour Dieu que pour la Républi- que.

Et quand je vous disais qu'à présent, ce sont les relevailles de la France !!...

12 juin 1873.

LES PETITS GRANDS HOMMES

Qu'est-ce que Rivarol en dirait?...

L'un s'appelle Manzoni, l'autre Rattazzi. Poète l'un comme l'autre est ministre. Petits tous deux partout, mais grands en Italie, ils sont tout à l'heure, par leur mort ou plutôt par leurs enter- rements, plus grands que par leur vie. Manzoni, l'auteur du Comte de Carmagnole, une pièce du niveau des tragédies de Baour-Lormian et de Carrion-Nisas, Manzoni, l'auteur des Sposi pro- messi, une imitation si pénible de Walter Scott qu'il en avait gardé une courbature, achevait de vivre depuis trente ans dans sa courbature et dans une obscurité méritée ; et M. Rattazzi, à la tête de l'État, quoiqu'il fût parlé de lui tous les

186 DERNIÈRES POLÉMIQUES

jours dans le Parlement italien, était, ma foi! aussi obscur.

Mais les voilà morts et l'Italie, qui a besoin de bruit, bat du tambour sur leurs cercueils! L'Ita- lie, à la langue éclatante, qui n'est plus l'Italie d'autrefois, la Fontanarose Italie qui met sur tout des plumets de soixante-quinze pieds de hau- teur, nous donne aujourd'hui ces deux défunts que, de leur vivant, on voyait à peine, pour des grands hommes de la hauteur de ses plu- mets !

Ses journaux, en ces derniers temps, n'ont plus été que des systèmes compliqués de trom- pettes funèbres sonnant la mort de Manzoni. Ni pour Byron, ni pour Walter Scott, en Angleterre, ni pour Chateaubriand et Lamartine en France, il n'a été fait de cérémonie comparable à celle que fait présentement l'Italie autour de la tombe de Manzoni, son Mamamouchi littéraire ! Funérail- les inouïes de faste et d'étalage, multiplication de catafalques, pavoisements de deuils, arcs de triomphe, dégorgement d'adresses et déborde- ment de larmes officielles, bacchanales de regrets, cris de la Patrie, qui n'est plus une Niobée per- dant fièrement ses fils en silence, mais une

Hécube changée en chienne, prolongeant au loin

i •.

LES PETITS GRANDS HOMMES 187

ses hurlements. Telle la chose a lieu, parce que la mort a soufflé sur Manzoni et éteint ce pauvre vieux bougeoir de peu de talent, dont la vie et l'àme tremblaient depuis longtemps sur la bobèche, et telle elle va recommencer, àcoup sûr. parce que Rattazzi,qui n'est pas Mirabeau, meurt à son tour, et, malheureusement, n'emporte pas avec lui, comme Mirabeau, les lambeaux de sa monarchie.

C'est bien de pleurer ses grands hommes, mais encore faut-il qu'ils soient grands!

II

S'ils étaient seulement de demi-grandeur! Mais les demi-grandeurs comme les grandeurs complètes manquent à l'Italie. Alfleri, par exem- ple, était un de ces hommes demi-grands que l'Italie pouvait pleurer très naturellement, sans affectation, sans prétention et sans hypocrisie. Il honorait sa terre natale sans la faire pourtant rayonner... d'un génie de plus, mais après Al- fieri, je ne vois personne. Monti a disparu comme une lune de quelques soirs, mais qui a fait son temps, et qui est allée vont les lunes... Leo- pardi, en l'honneur duquel on a beaucoup miaulé,

488 DERNIÈRES POLÉMIQUES

n'avait du léopard que dans son nom. Son ta- lenta 'avait pas la peau brillante et constellée de ce sultan des forêts. Ce poète de la Mort était mort-né. Ce poète du Néant était un néant lui- même... Il n'y avait donc plus que Manzoni, un homme d'un autre âge, l'octogénaire Manzoni; mais si cela va bien à Michel- Ange, ce marbre qui taillait des marbres, d'être octogénaire, cela allait moins bien à ce poète de colle-à-bouche de Man- zoni ! N'importe! faute de grives, on tue des merles en France. En Italie, quand on n'a pas d'aigles, on prend des butors; seulement, on les proclame trop aigles : c'est à faire honte aux vieilles aigles romaines.

Il n'y a que les oies du Capitole qui seraient contentes.

III

Rattazzi et Manzoni! Deux soleils crevés, dit l'Italie, qui se croit dans les ténèbres. Moi je dis : deux lanternes vénitiennes. On verra, après les enterrements de théâtre qu'on leur fait pour l'heure, la place qu'ils auront l'un et l'autre dans l'histoire politique et l'histoire littéraire de leur pavs ! Médiocres esprits, sans éclat, sans hauteur et sans imposance, la place qu'ils y

LES PETITS GRANDS HOMMES 189

tiendront, je ne la leur chicanerais pas si l'Italie n'avait pas l'impudence de leur en donner une autre imméritée, et non par générosité pour eux, mais par égoïsme pour elle. L'Italie, qui fut grande autrefois, mais à qui on peut demander ce qui resterait d'elle si elle n'avait pas d'aïeux, veut toujours avoir des grands hommes, et quand elle n'en a pas, elle en fabrique en carton verni. C'est le pays du masque. Elle confectionne des masques de héros, de poète, de ministre, de grands hommes en tout genre ! Elle en campe un sur le nez vivant de son Garibaldi, et deux autres sur les nez morts de Manzoni et de Rat- tazzi, et la mascarade est complète! Ce pays de la mascarade, ce pays des carnavals de Venise et de Rome, est toujours le même, dans le chagrin ou dans la joie.

Et il fait en ce moment le carnaval des cer- cueils.

IV

Le prince Humbert, à ce qu'il paraît, a joué un rôle dans la fête mortuaire donnée à Rattazzi. Il tenait de sa main de prince héritier du Roi d'Italie l'un des cordons du poêle qui recouvrait

u.

190 DERNIÈRES POLÉMIQUES

le grand ministre du grand Roi son père. Dans ce pays les proportions furent pratiquées dans les arts, mais les autres sont parfaite- ment inconnues, il n'a semblé disproportionné à personne que le prince Humbert fit le qua- trième dans ce quadrille de cercueil. Rattaz/.i était le ministre constitutionnel de son père, Roi constitutionnel, et il n'y a pas, dans ce cas-là, si loin du prince au ministre ! Il n'y a que la main, et la main tient les cordons du poêle comme elle donnait des poignées de main au ministre ou lui sucrait peut-être son café quand il était vivant : Louis -Philippe, qui avait la fierté d'un Roi constitutionnel avant de l'être, sucrait bien le café du général Foy et il le lui apportait dans l'embrasure d'une fenêtre afin qu'il le prit chaud, et Louis-Philippe d'Orléans

valait bien le prince Humbert! D'ailleurs ce sont de ces mœurs charmantes qui penchent

vers l'égalité populacière et bien -aimée dont présentement les peuples et les princes sont également fous. Ce sont des mœurs constitution- nelles et l'Italie est constitutionnelle, et elle est lîère d'être constitutionnelle. Et pour sa peine, elle n'a plus de grands hommes que des grands hommes constitutionnels !

16 juin 1873.

L'ORDRE MORAL

Il avait déclaré qu'il n'en répondait pas et qu'il ne répondait cet homme puissant que de l'ordre matériel, comme si l'ordre matériel pouvait exister sans l'ordre moral plus d'une minute; car la minute qui suit celle-là, on n'en est jamais sûr.

Et c'est ainsi qu'il entendait l'imitation de cet Empereur Napoléon, dont il nous a écrit l'his- toire ! Mais est-ce que l'Empereur Napoléon n'avait pas doublé la police de Fouché de l'âme de l'homme qui avait relevé les églises? Est-ce que l'Empereur Napoléon n'avait pas refait jus- tement l'ordre moral en même temps que l'ordre matériel ? Est-ce que l'ordre politique n'est pas

192 DERNIÈRES POLÉMIQUES

fait de ces deux autres ordres et n'est-ce pas de ces trois ordres réunis qu'est faite, à son tour, cette Trinité qu'on appelle « un gouvernement » ?

Mais c'est qu'aussi la première condition pour donner l'ordre moral à un peuple, c'est d'y croire, c'est d'en avoir un au fond de sa propre conscience. Or, sa conscience, à lui, qui Ta vue, depuis qu'il est au monde, briller de la lumière fixe de toute conscience, au milieu de la mosaïque tournante dhabiletés et d'expédients qui fut toujours le fond de son être?... Scepti- que, mais non embarrassé, comme l'âne du juste milieu entre la botte de foin de la révolution et la botte de foin de l'autorité, respectueux seu- lement pour le fait qui le boucle, élève de Talley- rand dont il a porté la béquille, après 1 830, quand il n'était encore qu'un petit garçon, un petit Almanzor politique, il n'a jamais été capable que d'un ordre éclopé, qui boitait comme la jambe de son maître, et il nous l'a donné, cet ordre, sur une jambe qui n'était qu'un équilibre, un équilibre à faire trembler !

Et comme, au lieu d'être, au pouvoir, un Tal- leyrand, ainsi que le premier, silencieux et mono- syllabique, ce n'était qu'un Talleyrandinet, qui parlait toujours et semblait avoir la langue atta- chée par le milieu pour parler des deux bouts,

l'ordre moral 193

comme la femme de Scott dans les Chroniques de la Canoncjate, il a tellement épouvanté la France par cette déclaration qu'on ne lui deman- dait pas : que l'ordre moral lui était impossible, que, ma foi! elle a soufflé et qu'il est tombé comme s'il n'avait eu qu'une jambe, lui non plus !

II

De cette façon, la preuve a été instantané- ment faite que ce qu'il ne pouvait, d'autres le pourraient ; que d'autres répondraient de ce dont il ne savait répondre ; car l'ordre moral, nous avons déjà commencé de l'avoir. Et pour cela, il n'a fallu au pouvoir nouveau que de déclarer le contraire de ce que déclarait M. Thiers. A cette première parole seule, la sécurité est rentrée aussitôt dans les âmes et l'opinion s'est raffermie. L'ordre moral, sur lequel la politique sceptique de M. Thiers ne pouvait rien, n'a eu besoin, pour s'attester, que de la conviction qu'il en faut un de la part de ceux qui gouvernent. M. Thiers, ce politique à lunettes, mais qui les a sur le front, au lieu de les avoir sur les yeux, quand il s'agit de voir certaines choses, ne voyait pas ou ne voulait pas voir (car qui sait jamais quoi

194 DERNIÈHES POLICMlyi'ES

que ce soit de ces âmes ambiguës ?)que la France, abîmée de malheurs, voulait se reprendre de toute la force de ses bras désespérés à cette Croix qui a sauvé le monde et qui peut la sauver encore. Ces pèlerinages d'il y a quelques mois, insultés par la canaille rouge, rouge d'opinion en attendant qu'elle soit rouge de sang, et des masses formidables d'hommes se portaient, comme on se porte aux autels, après des jours de fléaux, n'avaient rien appris à cet homme qui n'avait dans sa petite tête qu'une notion d'ordre de garde champêtre ou de commissaire de police. Il n'était ni d'une école de philosophie, ni d'une école d'histoire, ni d'une école politi- que, à savoir que l'ordre moral, impossible à son gouvernement, n'avait de soubassement et de racine que dans l'idée religieuse, et que l'idée religieuse en France est traditionnellement, his- toriquement et nécessairement catholique. Sans cela, sans cette ignorance, cet homme, respec- tueux pour les faits, aurait-il traité ce fait énorme de l'enterrement civil, dont les athées rou^i >s font une catapulte de parti, de niaiserie, textuel- lement de niaiserie, indigne d'occuper sa vaste capacité d'homme d'Etat?...

Car il faut qu'on le sache (nous autres jour- naux nous préparons l'Histoire), M. Thiers n'a

l'ordre moral 195

pas voulu ou n'a pas osé toucher aux enterre- ments civils. Cela brûlait, à ce qu'il parait, pour la lâcheté de sa main, et ce n'est pas un Scsevola, que M. ïhiers ! Mis en demeure de s'opposer à ces scandaleuses et provocantes parades des enterrements civils, qui ne sont même pas de la liberté de conscience en matière religieuse, mais en matière d'athéisme, M. Thiers a répondu par ce mot, qui est delà monnaie de singe: Niaise- rie! comme s'il n'y avait pas des niaiseries dont l'homme d'État doit s'occuper quand elles sont dangereuses. Avait-il peur? N'avait-il pas peur? S'il avait peur, ce brave homme d'Etat, c'était de la Rouge ! S'il n'avait pas peur, la Rouge lui plaisait donc ?... Qu'il choisisse ! Pour mon compte, je crois aux deux.

III

Eh bien, un homme un homme qui n'est pas président de la République et un président à qui on a passé tout ce qu'il a voulu, qui a été investi par les circonstances de plus d'autorité que Louis XIV, mais un homme qui n'est qu'un simple préfet, a fait dans la ville de Lyon, la ville écarlate, ce que n'a pas osé faire M. Thiers: il a réglementé les enterrements civils. 11 a près-

196 DERNIÈRES POLÉMIQUES

crit, avec la prudence et la force d'un homme de plus d'Etat que M. Thiers, la manière dont auraient lieu ces débauches d'athéisme mortuaire qu'avec la liberté des cultes et la liberté d'aucun culte, il faut, dans ces malheureux temps, sup- porter ! Symptôme d'ordre moral, parce qu'il est un symptôme d'ordre religieux. Et il n'est pas le seul !

Jamais M. Thiers, qui a traité les enterrements civils de niaiseries, n'aurait suivi ou fait suivre par ses fonctionnaires les processions du Saint- Sacrement, aimées de la France, de la grande France, la France de la majorité, puisque le nombre est la raison de tout, dans ce monde nu- mériquement imbécille ! Or, ces processions his- toriques ont repris. On les a vues dimanche dernier par toute la France, et dimanche pro- chain on les y verra encore. Elles ont reparu, ces vieilles, grandes et triomphantes solennités de nos pères, depuis que M. Thiers n'est plus là. Elles ont reparu et elles attestent l'ordre moral qui va revenir tout entier dans sa splendeur et dans sa force.

Mais que dans les rayons de ce Saint-Sacre- ment, qui en est le symbole, M. Thiers nous semble un pauvre petit lumignon !

21 juin 1873.

LES PELERINAGES

Qui donc disait que les questions religieuses n'étaient plus des questions et que l'esprit mo- derne, si supérieur à l'esprit du Moyen Age, les avait tuées et en avait jeté la cendre aux vents : Ludibria vends! Qui donc le disait ?... Tout le monde. Depuis le jour Lamennais, désespéré, publiait son : Indifférence en matière de Religion, jusqu'à l'heure de malheur suprême qui s'est abattue sur la France, cette France, catholique comme elle était France, avait senti plus de quarante années une de ces sécheresses de cœur que les mystiques connaissent et que les nations qui furent ferventes connaissent aussi. Certaine- ment elle n'était pas encore athée jusqu'à la

J 98 DERNIÈRES POLÉMIQUES

moelle, cette vieille France de Clovis ! Mais l'a- théisme, ce dernier mot de toutes les philosophies impies, l'athéisme, avec son instruction laïque et obligatoire, espérait bien qu'elle le deviendrait. Des livres, en effet, l'athéisme était passé dans les faits. La Commune, pour qui les prêtres n'é- taient plus des hommes, mais des soutanes (rap- pelez-vous le mot de Rigault : Soutanes, levez- vous!), la Commune avait été le triomphe de l'a- théisme ; car Robespierre lui-même, avec sa sotte fête de l'Etre suprême, avait affirmé Dieu, et après la Commune, ce n'était pas le sceptique voltai- rien qui menait la France qui eût été capable d'arrêter l'athéisme, lequel, au moins, affirme quelque chose. Eh bien, malgré ce travail de l'enfer et le lâche pouvoir qui ne l'aurait pas em- pêché, voilà que la France, revenant au senti- ment historique de son être, se rejette dans les bras du Dieu qu'elle semblait n'aimer plus et redevient chrétienne avec l'enthousiasme du Moyen Age de ce temps de l'amour de Dieu !

Les pèlerinages à Notre-Dame de Lourdes fu- rent le premier symptôme de ce réveil de la France.

Et aujourd'hui qu'au sceptique, qui ne croyait pas même à lui, car c'est lui qui a pris la fuite et on n'a pas eu la peine de le chasser pour qu'il

LES PÈLERINAGES Ï9i)

s'en allât, a succédé un pouvoir qui croit en Dieu, les pèlerinages à Paray-le-Monial sont le second symptôme, plus éclatant que le premier, de cette régénération de la France dans la foi de ses pères, et ont, par des faits de cet ordre : vingt- cinq mille communions, attesté, qu'on me passe le mot! le recommencement de la foi.

Des pèlerinages, comme au bon vieux Moyen Age dont nous nous sommes tant moqués du haut de notre suffisance de progressifs ! Des pè- lerinages, après la Commune et M. Thiers, et probablement parce que nous les avons eus !...

C'est ainsi que souvent, dans ce monde, le diable fait les affaires de Dieu.

II

Et que l'observateur ne perde rien des détails de ces étonnants pèlerinages. Ces vingt-cinq mille communions, qui vont se doubler, sont déjà quel- que chose, mais le but du pèlerinage est peut- être plus surprenant encore. C'est la dévotion au Sacré-Cœur, cette dévotion instituée au xvur siècle par une humble fille et bafouée par Vol- taire comme le dernier ridicule que le Christia- nisme pûi se donner! Jusque-là, il n'était quin-

200 DERNIÈRES POLÉMIQUES

fàme, mais alors il devint bouffon, au dire de ce bouffon qui, pour le rendre tel, se mit à boui- fonner sur cette dévotion nouvelle et jusque sur le nom de la sainte fille qui l'avait fondée et qui, elle, avait gardé le nom de son père, quand Vol- taire, l'apostat en tout, reniait celui du sien. Alacoque, du reste, valait bien Arouet. Il la ba- foua donc, cette fille que l'Eglise avait nommée bienheureuse et qui fit son bonheur satanique, à lui ; il la bafoua avec cette gaieté flétrissante, qui est le propre ou le malpropre de son génie. Dans cette France, hélas ! si frivole, le rire est l'arme la plus terrible qu'on puisse trouver con- tre tout ce qui est grand, la dévotion au Sacré- Cœur était restée toujours, même à des yeux chré- tiens, mais chrétiens avec poltronnerie, un peu tachée de ce rire de Voltaire, qui était aussi un crachat. De toutes les dévotions aux saintes cho- ses, elle était une des plus insultées ; il fallait être moine ou religieux pour ouvertement la pratiquer. Et cependant c'est cette dévotion au Cœur de Jésus qui a inspiré ce formidable pè- lerinage de Paray-le-Monial qu'on peut regarder comme une démonstration de la France entière ! C'est ce Cœur de Jésus qui a été placé sur toutes les bannières et que le zouave Charette avait tracé sur ses drapeaux ! C'est lui, ce Cœur de Jésus .

LES PÈLERINAGES -01

plus ridicule que Jésus lui-même, aux yeux per- vertis et sacrilèges de Voltaire, qui a été salué, acclamé, invoqué par ces masses d'hommes qui priaient pour la France et avaient raison de prier le Cœur de Jésus de leur donner du cœur pour elle; car, après les malheurs et les lâchetés dont nous avons été coupables, ce dont nous avons le plus besoin, c'est de cœur!

III

Rien donc de plus en situation, de plus chré- tien,— de plus français, que ces pèlerinages qui nous font rentrer, du même coup, et dans la foi de nos pères et dans le sillon de notre Histoire. En redevenant chrétiens, nous redevenons plus pro- fondément français. A Paray-le-Monial , nous avons prié le Dieu de sainte Clotilde de nous accorder des Tolbiac, et nous ne les avons pas attendus, comme Clovis, pour nous convertir. Nous avons là, comme au Moyen Age, fait pré- céder par des pèlerinages nos croisades futures ; car pas de doute, pour tous ceux qui savent voir de loin, qu'on ne soit obligé, un de ces jours, de défendre cette Croix que l'athéisme croyait

202 DERNIÈRES POLÉMIQUE*

abattue, qui n'était qu'humiliée et que nous ve- nons de relever.

Tout le dit, tout l'annonce aux esprits atten- tifs. Les niais croyaient l'ère des questions reli- gieuses finie, mais le Christianisme donné, les luttes religieuses doivent être éternelles ; car l'essence de la vérité c'est de faire se révolter l'erreur contre elle. Elle peut la punir, mais non la supprimer I Cet abominable phénix renaît toujours. Est-ce que, dans ce temps impudent et étourdi, qui s'est si fort vanté de sa tolérance et de sa civilisation européenne, on aurait prévu, il y a dix ans, parmi les imbécilles du progrès, que Bismarck, ce mandarin chinois de Prusse, persécuterait le catholicisme aussi férocement que tous les persécuteurs que ce soit ? Est-ce qu'en France on aurait cru, il y a quelques dizaines d'années, que l'homme des Révolution- naires serait, pour ces sycophantes de liberté, précisément ce même Bismarck, et par la raison qu'il est le persécuteur du catholisisme et l'en- nemi de Rome ? Non ! certes ! on ne l'aurait pas cru. Le fanatisme religieux faisait sourire les sages et le revoici qui se montre à nouveau ; car les athées sont, à leur manière, des fanatiques religieux. Allez ! ce n'est pas nous seuls qui fai- sons du Moyen Age avec nos pèlerinages ! Ils en

LES PÈLERINAGES 20o

font aussi, les athées de France et les prussiens, avec leurs haines et leurs persécutions actuelles. Pour nous comme pour eux, il n'y a, et qu'on le sache bien! il n'y aura jamais en Europe, comme au Moyen Age, que des romains et des

albigeois.

26 juin 1873.

A MONSIEUR DE GASTYNE

'ADMINISTRATEUR DU TRIBOULET

« 1" décembre 1880.

« Mon cher Monsieur de Gastyne,

« Je vous remercie de mettre votre Triboulet à ma disposition, pour le cas je voudrais ré- pondre à l'article de M. Zola publié hier dans le Figaro .

« Mais je ne profiterai pas de votre offre obli- geante : je ne répondrai point M. Zola. J'ai pour cela des raisons plus hautes que lui. Pour- quoi lui répondrais-je ? Il ne discute pas mes idées sur Goethe. Ce n'est pas Goethe qui l'inté- resse. C'est sa personne à lui, M. Zola, et la mienne ; la sienne pour la surfaire, la mienne pour la blesser. Seulement, il ne l'a pas blessée. Je suis de bonne humeur après l'avoir lu, et aussi calme que Frédéric de Prusse, qui disait d'un

12

206 DERNIÈRES POLÉMIQUES

placard imbécille contre lui : « Mettez-le donc plus bas, on le lira mieux ! »

« Je n'ai pas à me défendre des ridicules que M. Zola me trouve. Etre ridicule aux yeux de M. Zola, c'est mon honneur, à moi ! Je ne suis pas dégoûté !... Parbleu ! je ne suis pas du ton- neau qu'il aime ! je sens autre chose que ce qu'il brasse. Cul-de-Plomb qui a de bonnes raisons pour haïr la souplesse, il me reproche d'être une espèce de clown en littérature et il ne sait pas combien il me fait de plaisir, en me compa- rant à un clown!

c Les clowns, il ne sait pas combien je les aime, moi l'habitué des samedis du Cirque, et qui trouve le Cirque beaucoup plus spirituel que le Théâtre-Français II ne sait pas combien je les admire, ces gaillards-là, qui écrivent avec leur corps des choses charmantes de tournure, d'expression, de précision et de grâce, que M. Zola avec son gros esprit n'écrirait jamais!

« Je refuse donc la passe d'armes dont vous m'offrez le terrain, mon cher Monsieur de Gas- tyne. Je ne veux pas renouveler la scène de Va- dius et de Trissotin chez Philaminte, que refait toujours plus ou moins un auteur, quand il défend son amour-propre. Il n'y a que le public qui' gagne à ces spectacles, parce qu'il se moque

A MONSIEUR DE GASTYNE 207

des acteurs. Ces combats de coqs des amours- propres, je les ai toujours haïs et méprisés. L'honneur, la dignité des duels, c'est le silence dont on les enveloppe. La galerie n'y vaut rien et elle diminue toujours un peu ceux qui se sont battus pour elle.

«Agréez, mon cher Monsieur de Gastyne, etc., etc.

« J. Barbey d'Aurevilly »

DES CAUSES DU SUCCÈS

DE « JEAN BÀUDRY »

Il a été grand et il a été légitime. Aujour- d'hui, — puisque c'est mon jour de chronique, entre deux représentations, je veux l'expli- quer, ce succès, qui n'est pas tout entier la Critique l'a placé... Cette exhumation d'une reprise, qui a fait l'effet d'une résurrection, n'en était pas une. Une résurrection, c'est un mira- cle, et M. Jacquerie n'en fait pas. Il est bien le saint Jean du dieu Hugo, mais son dieu ne l'a point armé du don des miracles. Un miracle n'a pas d'autre cause que la puissance et la volonté de celui qui le fait, et voilà pourquoi M. Vac- querie n'a jamais été un thaumaturge !

Non ! le succès de Jean Baudry, que tout Pa- ris — le Paris de Panurge ira voir à la file et applaudira en feu de file, a des causes nom- breuses et appréciables, et que des esprits d'un peu d'observation et de portée auraient pu pré-

12.

210 DERNIÈRES POLÉMIQUES

voir... La Critique en a relevé déjà plusieurs avec justesse; mais la cause efficiente, la cause toute- puissante de ce succès, personne ne l'a vue et ne l'a signalée, et c'est peut-être ce farceur de Tri- boulet, grave pour deux minutes, qui la dira...

II

Cette cause du succès de Jean Baudry, ce n'est donc ni les acteurs, qui ont été bons, dans l'in- dividualité de leur rôle et dans l'ensemble de leur jeu, ni l'opinion politique de l'auteur, qui était représentée dans la salle et dominante, ni la valeur même de la pièce, très élevée de ton, de sentiment, sans la moindre grimace de l'au- teur de Tragaidabas et très correcte dans ses deux profils; forte d'ailleurs de la force qu'on a la faiblesse d'aimer au théâtre, l'entente du mé- tier, que M. Yacquerie sait aussi bien, par- dieu! que les ajusteurs de ces mécaniques qu'on appelle des drames, et qui est la gloire de M. Du- mas. Ce n'est pas même la réaction commençant enfin contre l'ignoble naturalisme, qui pousse la littérature dramatique du côté tout, dans un siècle matérialiste, menace de se précipiter. Ce sont évidemment les causes secondes du grand succès de Jean Baudry, qui fleurit sur beaucoup

DES CAUSES DU SUCCÈS DE « JEAN BAUDRY » 241

de racines, mais ce n'en est pas la cause pre- mière et profonde, la racine mère. « Tout finit par des chansons », dit Figaro ; mais tout finit aussi par de la métaphysique dans ce monde, qui n'est pas si matériel qu'on le croit. Eh bien, c'est la métaphysique consciente et fausse de l'auteur de Jean Baudry et la métaphysique inconsciente et non moins fausse du public de samedi soir au Théâtre-Français, qui se sont donné, qu'on me passe le mot! le baiser sur la bouche, dont la salle entière a électriquement frémi d'un plaisir vrai, mais méprisable, parce que basse en était la source, parce que ce plai- sir venait de la plus mauvaise et de la plus ridi- cule erreur de ce temps !

III

Et cette erreur, c'est la Philanthropie, cette Philanthropie inventée par l'athéisme qui nous dévore, et qui ne se cache plus, mais qui, il y a quarante ans, Tartufe ou Jocrisse, se cachait. Il eut des commencements si lâches ! Ils étaient alors, il y a quarante ans, une troupe de benêts, très glorieux, qui se disaient encore spiritua- listes et qui, par politesse pour eux-mêmes, adoraient l'humanité et voulaient en être les

212 DERNIÈRES POLÉMIQUES

bienfaiteurs et les apôtres. L'humanité, c'était pour eux le croc-en-jambe dont ils allaient se ser- vir contre Dieu, pour le jeter bas de la croyance humaine et pour le remplacer. Et ils l'ont rem- placé! C'est une chose avouée et avérée main- tenant qu'il n'y a pas d'autre Dieu que l'homme, et que même c'est l'homme, un jour qu'il était ivre, qui a fait Dieu ! Or, en sa qualité de Dieu, ce diable d'homme peut tout. Il peut créer une âme à qui n'en a pas, et une virginité à qui n'en a plus. M. Hugo, dans sa Marion Delorme, a refait une virginité aune coquine :

Et l'amour m'a refait une virginité!

et M. Yacquerie, dans son Jean Baudry, a refait une àme à un coquin. Puisqu'on ne rejoue plus Marion Delorme, je n'ai rien à demander à M.' Hugo sur la manière dont s'y est pris ce rafis- toleur sublime. Mais puisqu'on reprend Jean Baudry, je me permettrai de demander à M. Vac- querie par quels procédés son Jean Baudry refait une âme à son coquin; car, dans la pièce, il n'en dit pas un traître mot. Il se vante de la chose, ah! oui! Il en est heureux, il en rayonne, il va en crever d'orgueil attendri, mais cet im- mense Humanitaire ne donne pas le plus petit renseignement sur les voies et moyens employés

DES CAUSES DU SUCCÈS DE * JEAN BAUDRY » 213

par lui pour incruster une âme dans le polisson qu'il a ramassé volant dans la rue et la main dans sa poche, et dont il a fait un honnête homme, croit-il, le pauvre homme! Il est vrai que dans l'honnête homme, de la fabrique de Jean Baudry, se retrouve le polisson et le vo- leur, plus tard, à la fin de la pièce... Preuve que l'humanité n'est pas Dieu tout à fait et manque son coup et se moque de M. Vacquerie, comme M. Vacquerie s'est moqué peut-être de nous...

Mais, nous, nous l'avons mérité, puisque nous l'avons applaudi !

IV

Nous avons applaudi cette thèse impie, la thèse de l'homme créé par la vertu du petit doigt d'un autre homme, en dehors de Dieu, cette vieillerie, dont je ne me souviens pas d'a- voir entendu vibrer le nom une seule fois dans toute la pièce. Nous l'avons applaudie incons- ciemment, parce que ce qu'elle exprimait était démontré dans nos âmes. Nous avions tous, dormant dans la pensée, tranquille comme une certitude, cette idée que nous pouvions tous faire, comme Jean Baudry, des petits d'âme, en les léchant, commp l'ourse lèche ses oursons.

214 DERNIÈRES POLÉMIQUES

pour les nettoyer, avec la langue bien pendue d'une éducation suffisante! Aussi avons-nous tout de suite accepté l'aventure assez improbable de cet armateur du Havre-de-Grâce (c'est bien dans cette ville qu'il devait habiter ! ! !) qui, sorti de la mer, comme le cheval de Neptune, emporte les petits voleurs sur son dos pour les tirer de la fange et les monter dans la lumière, sans qu'on sache pourquoi il se donne tant de peine, cet étonnant armateur! et quel passé il a eu et quelle âme il a pour faire un métier qui, d'ordi- naire, n'est pas celui des armateurs. Il n'y a qu'un prêtre, en effet, qui puisse faire le métier que fait Jean Baudry. Je conçois très bien, par exemple, sans explication préalable, ce calotin de saint Vincent de Paul, qui fait en grand et en masse ce que fait Jean Baudry en petit. Lui, saint Vincent, c'est un usurier qui prête à la petite semaine du Ciel. C'est Dieu qui le payera au double. Il n'est pas désintéressé, le matois... Il a une soutane pour ramasser les enfants per- dus, dont il fait «les enfants trouvés». Une sou- tane! cela se voit, se touche et s'entend tout de suite, une soutane... C'est l'uniforme delà bonté; car un prêtre qui ne serait pas bon, manquerait à son uniforme.

La bonté de Jean Baudrv, de ce saint Vincent

DES CAUSES DU SUCCÈS DE « JEAN BAUDRY » 215

de Paul en habit noir sans cette bête d'épithète de saint, qui n'est plus saint Vincent alors, mais Yami Vincent, est moins facile à voir, saute moins aux yeux, lui, obstiné de bonté in- compréhensible, qui, pour finir, ne se contente pas de pardonner au voleur de bourse d'autrefois, voleur de sa femme à présent, et qui tout à coup détache de son cœur cette femme qu'il aime, aussi facilement qu'on détache une ileur de sa boutonnière, pour la donner à son voleur, abso- lument, d'ailleurs, comme le père prodigue de l'autre jour, qui faisait la même chose, tant ce radoteur de théâtre est oblige de rabâcher î Nous avons applaudi cet armateur de bonté et de dévouement, quelle armature ! comme s'il était nous, idéal et possible. Et quand nous battions si fort des mains, c'était nous-mêmes que nous applaudissions. Nous applaudissions la bonté que nous croyons avoir, la bonté sim- plement humaine, sécularisée et laïque, qui montre bien que nous pouvons être, de par la na- ture, les égaux de ces faquins de Saints qui sont les aristocrates de Dieu et qui ne valent pas mieux que les autres aristocrates. Voilà ce que nous avons applaudi à outrance ! Et c'est le secret intime du succès de M. Vacquerie ! C'est l'esprit moderne, c'est l'esprit du moment, qui

210 DERNIÈRES POLÉMIQUES

applaudissait, l'autre soir, à sa pièce. Ce n'était point les acteurs qu'on applaudissait; ce n'était pas le républicain du Rappel, l'ami de M. Hugo, l'esprit, le style précis et dompté de la pièce ; ce n'était pas la littérature de ce vrai lettré, de ce dernier des lettrés du Romantisme mort au champ d'honneur ! Et ce qui applaudissait aussi dans la salle, ce n'était ni la littérature, ni la politique, ni les cœurs touchés par l'action du drame, non ! non ! c'étaient toutes les sottises du temps, le pédantisme athée, l'orgueil huma- nitaire, la philanthropie hypocrite, et ces imbé- cilles préjugés qui dansent maintenant la pavane devant nous et se croient des institutions : l'en- seignement laïque, l'instruction obligatoire et la morale indépendante !

Y a-t-il de quoi être fier?... Un jour, Phocion, applaudi comme M. Vacquerie, devint inquiet. « Est-ce que j'aurais dit une sottise?... » se de- manda-t-il. M. Auguste Vacquerie n'aura pas ce scrupule. Il croit à l'intelligence et à la loyauté des applaudissements qu'il a mérités. Mais moi qui ne vois pas, comme lui, la nature humaine, moi pour qui elle n'est qu'une canaille tortue, que Dieu seul peut dessouiller et redresser, rien

de plus ! j'aimerais mieux des sifflets

10 décembre 188

IGNOTUS IGNOTUM INVOCAT

Hier, dans un article d'assez de talent pour que le Figaro puisse en vivre pendant quinze jours, celui-là qui signe Ignotus, et qui n'est ignoré de personne, a dit un mot sur un Igno- tus, bien autrement ignoré que lui... Il fut sans doute un jour, et il n'est pas très loin dans le passé, l 'Ignotus du Figaro méritait ce nom et pouvait se tenir inaperçu sous son masque. Mais le talent qui est une lumière l'a traversé, comme le rayon traverse le globe de la lampe, et cette lumière a fait voir, en plein, le visage que ce masque cachait. L'Ignotus dont je veux parler aujourd'hui n'a pas, lui, de Figaro à son service dans lequel il puisse, à force de talent,

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rayonner, et c'est peut-être cette circonstance qui a touché le généreux Ignotus du Figaro, lequel a conquis sa lumière et aime à en jeter, en passant, une éclaboussure à une obscurité. « M. Ernest Hello a-t-il dit à propos d'un « très bel article, signé de ce nom et publié dans « la Civilisation, est un auteur mi de Bretagne « et mi de Paris, une sorte de Druide chrétien aux « cheveux gris, parfois halluciné, souvent inspiré « étonnamment par les chênes, ces pères enra- « cinés dans le granit breton », et on croit, après ces quelques traits, que le portrait tout entier va suivre, mais il ne vient pas! Ignotus nous a laissés le bec dans l'eau. Il éteint tout à coup sa goutte de lumière, et les lecteurs du Figaro, qui tettent, avec une curiosité si excitée, cette vache aux renseignements, trouveront que ce n'est pas assez comme cela de renseignements sur cet homme qui, en plein Paris du xixe siècle, se permet d'apparaître comme un druide, et c'est pourquoi, moi qui connais Hello, mieux qu 'Ignotus peut-être, je me permettrai, non pas d'achever le portrait qu'il a commencé, mais s'il le continue jamais de lui préparer sa pa- lette.

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Et d'abord laissons le druide, même chré- tien. Laissons les roses aux rosiers, et le drui- disme à M. Henri Martin, cet historien grotesque qui ne voit partout que druides et demande à la République d'en établir un collège dont il serait le chef ! Ernest Hello est un chrétien tout sim- plement. Il n'y aaucun druidisme dans son affaire. Seulement ce qui trouble Ignotus et ce qui en troublera bien d'autres, c'est qu'Ernest Hello est un chrétien mystique, et qu'on a perdu tout à fait le sens de la mysticité. Dans ce temps d'igno- rance religieuse, de scepticisme imbécile et d'im- pertinente civilisation, personne ne comprend le mystique, ce raffiné dans l'ordre divin, et voilà pourquoi on le travestit ! On en fait aujourd'hui un druide. Demain on en fera quelque bonze ou quelque fakir. La caricature, qui tient tout le monde à la gorge, y a saisi aussi le bon Ignotus, malgré sa bienveillance. Puisqu'il est de Bre- tagne, ce mystique Hello, eh bien, mettons que ce soit un druide, avec les chênes, et les gra- nits, et toute la vieille ritournelle ! Et l'imagi- nation qui aime ces carnavals, voit mon pauvre

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418 DERNIÈRES POLÉMIQUES

rayonner, et c'est peut-être cette circonstance qui a touché le généreux Ignotus du Figaro, lequel a conquis sa lumière et aime à en jeter, en passant, une éclaboussure à une obscurité. « M. Ernest Hello a-t-il dit à propos d'un « très bel article, signé de ce nom et publié dans « la Civilisation, est un auteur mi de Bretagne « et mi de Paris, une sorte de Druide chrétien aux « cheveux gris, parfois halluciné, souvent inspiré « étonnamment par les chênes, ces pères enra- « cinés dans le granit breton », et on croit, après ces quelques traits, que le portrait tout entier va suivre, mais il ne vient pas! Ignotus nous a laissés le bec dans l'eau. Il éteint tout à coup sa goutte de lumière, et les lecteurs du Figaro, qui tettent, avec une curiosité si excitée, cette vache aux renseignements, trouveront que ce n'est pas assez comme cela de renseignements sur cet homme qui, en plein Paris du xixe siècle, se permet d'apparaître comme un druide, et c'est pourquoi, moi qui connais Hello, mieux qu 'Ignotus peut-être, je me permettrai, non pas d'achever le portrait qu'il a commencé, mais s'il le continue jamais de lui préparer sa pa- lette.

IGNOTUS IGNOTUM ÏNVOCAT 219

II

Et d'abord laissons le druide, même chré- tien. Laissons les roses aux rosiers, et le drui- disme à M. Henri Martin, cet historien grotesque qui ne voit partout que druides et demande à la République d'en établir un collège dont il serait le chef ! Ernest Hello est un chrétien tout sim- plement. Iln'y aaucun druidisme dans son affaire. Seulement ce qui trouble Ignotus et ce qui en troublera bien d'autres, c'est qu'Ernest Hello est un chrétien mystique, et qu'on a perdu tout à fait le sens de la mysticité. Dans ce temps d'igno- rance religieuse, de scepticisme imbécile et d'im- pertinente civilisation, personne ne comprend le mystique, ce raffiné dans l'ordre divin, et voilà pourquoi on le travestit ! On en fait aujourd'hui un druide. Demain on en fera quelque bonze ou quelque fakir. La caricature, qui tient tout le monde à la gorge, y a saisi aussi le bon Ignotus, malgré sa bienveillance. Puisqu'il est de Bre- tagne, ce mystique Hello, eh bien, mettons que ce soit un druide, avec les chênes, et les gra- nits, et toute la vieille ritournelle ! Et l'imagi- nation qui aime ces carnavals, voit mon pauvre

420 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Hello en robe blanche, la serpette d'or à la ceinture, arpentant Paris pour les badauds qui trouvent la chose très piquante sur la foi d'Igno- tus et du Figaro, tandis que le druide inventé pour l'intérêt et le plaisir de la galerie est un homme moderne, qui a autant d'esprit que vous et qui n'est pas plus ridicule ! Il a le malheur, il est vrai, d'être catholique, ce qui ne mène à rien maintenant, pas même à la célébrité. Mais c'est un homme du catholicisme le plus haut et dont les livres, inconnus en raison même de leur supériorité, sont des chefs-d'œuvre d'élo- quence, de doctrine et de sentiment. Ces chefs- d'œuvre, allez ! ne lui ont été inspirés par aucun chêne. Coupez toute cette chesnaie, mon cher ïgnotus, ou sortez-en au plus vite ! L'halluciné qu'on a la bonté d'ajouter au druide toujours pour divertir l'assemblée n'est pas plus que le druide dans ce charmant garçon d'Hello. C'est un esprit net, positif et droit, qui, comme tous les contemplateurs religieux du reste, va plus avant que les autres hommes dans la connais- sance des choses humaines. Àvez-vous lu son livre de V Homme, il se montre un moraliste aussi vaste qu'il est profond ? Avez-vous lu ses études sur Shakespeare, d'une beauté telle qu'il Y a peu de chose dans la Critique contemporaine

IGNOTUS IGNOTUM INVOCAT 221

qu'on puisse décemmen t et. justementleur compa- rer?.. . Hello pourrait avoir très bien le pédantisme de ses vertus ou de son génie ; eh bien, le joyeux garçon ne l'a pas! Cet enthousiaste dans la foi, ce docteur en mysticité, est un homme du monde plein de gaieté, d'aisance et de reparties. De très bonne maison, il a le ton de ceux qui ont le bonheur car c'en est un encore d'être bien nés. A le voir passer dans la rue, distrait parce qu'il est préoccupé, traînant son infortuné par- dessus qui croule de son bras vers la terre, le chapeau en arrière comme un anglais, ayant la seule piété qu'eût jamais Sainte-Beuve, la piété de son éternel parapluie, la tête au vent dans ses longs cheveux ébouriffés (qui, par parenthèse, ne sont pas gris, mon cher Ignotus), on ne dirait jamais ce qu'il devient, le soir, dans un salon. Spirituellement laid, quel- que peu voûté et la tête de côté comme Ville- main, avec son nez à l'ouest illustré par Balzac, il n'a pas la méchante physionomie de cet affreux cuistre, parvenu en trois temps, mais la bonne humeur qu'on n'attendrait pas d'un homme qui n'arriverait peut-être pas en trente- six ! Tel il est, cet Hello dont jeveux le portrait par Ignotus, Ignotus ignotum invocat. Pour moi, j'ai fait ce que j'ai pu pour cet homme qui aime

222 DERNIKRES POLÉMIQUES

la gloire comme Y amoureux de la Reine aimait la Reine. J'ai fait ce que j'ai pu une fois, deux fois, dix fois, mais j'ai, à ce qu'il paraît, la main malheureuse. J'ai ouvert ses livres. J'en ai exalté les beautés. J'ai dit que cet homme, trop ignoré, méritait la gloire, et qu'il ne l'avait pas peut-être par l'unique raison qu'il la méritait. Amère plaisanterie de la destinée! L'univers entier connaît Zola, et Hello, qui a écrit des choses sublimes, nul ne sait son nom... A tout hasard, dans ce monde renversé, je l'écris sur la marotte de Triboulet pour qu'on le voie.

Au fait, Triboulet, c'est le bouffon d'une Reine, qui s'appelle la Justice !

18 décembre 1880.

UN HOMME PLUS GRAND

QUE SON FAUTEUIL

I

« Mais alors, il n'y entre pas... » Pardon ! et très bien ! mais à l'Académie. Il n'y a qu'à l'Aca- démie qu'on viole la loi mathématique « que le contenant est toujours plus grand que le con- tenu ». Il n'y a que dans cet antique garde- meuble d'Académie qu'on puisse contempler des hommes plus grands que leurs fauteuils, mais qui, par un curieux phénomène, se rapetissent jusqu'à pouvoir y tenir !

Cela s'est vu depuis longtemps et cela se voit toujours. Que d'hommes qui n'auraient jamais s'asseoir dans les fauteuils de l'Académie, et qui s'y sont assis, sans même faire crier leurs bras vermoulus !... Le caoutchouc n'est pas plus

--4 DERNIÈRES POLÉMIQUES

souple... Nous y avons vu Lamartine. Hugo, de Vigny, toute cette phalange intrépide qui avait levé le bouclier contre la littérature que repré- sentait l'Académie, et même, plus tard, nous y vîmes l'élégant de Musset, avec cet affreux frac vertàpalmes jaunâtres, qui paya, lui, pour tous les autres, et à qui M. Mole, de son doigt de pédant, allongea les oreilles, comme à un éco- lier coupable, dans son discours de réception ! C'est que, dans ces fauteuils-là, on ne s'assied pas comme dans les autres fauteuils. C'est par les genoux qu'on y entre. Il y a toujours assez de place pour y mettre les deux genoux...

II

Aujourd'hui, c'est M. Maxime Du Camp! M. Maxime Du Camp, l'homme le moins fait par son genre de talent, par ses idées, par sa fierté, pour aspirera cet honneur sénile de l'Académie ! M. Maxime Du Camp, le plus engagé des écri- vains contre elle; car il a dit de l'Académie, dans ses livres, de ces paroles qui sont des choses, et des choses mortelles! et il n'en est pas moins descendu de la hauteur de ce mépris qu'il a fait justement tomber sur l'Académie, pour aller

UN HOMME PLUS GRAND QUE SON FAUTEUIL 2:25

s'asseoir humblement clans un de ces fauteuils méprisés, l'on ne s'assied qu'en s'aplatissant. Franchement, c'est à ne rien comprendre à la logique humaine ! C'est à ne rien comprendre à la consistance du caractère, et aussi ce qui du moins est comique, au milieu de tant de tris- tesses, — c'est à ne rien comprendre non plus à l'étonnante fascination exercée par cette vieille momie d'Académie sur les esprits qui semblent le plus vivants!... « Agenouille-toi là-dessus, vieille Ducaille ! » disait un jour Sophie Arnould au duc de La Vallière en jetant son cordon bleu par terre. « Agenouillez-vous là-dessus », dit l'A- cadémie aux écrivains qui ont méprisé ses fauteuils, en mettant par terre les livres dans lesquels ils les ont méprisés, et ils obéissent comme la vieille Ducaille! Seulement, ce n'est pas ici Sophie Arnould qui met à genoux la vieille Ducaille, c'est la vieille Ducaille qui met à ge- noux Sophie Arnould !

III

Ridicule spectacle! Et pourquoi?... Il faut au moins de grandes raisons quand on se dés- honore... Mais quels avantages trouvent à être

22(5 DERNIÈRES POLÉMIQUES

de l'Académie des hommes supérieurs par le talent à ce petit groupe, dans lequel ils mendient une quarantième place?

S'ils n'étaient rien , je comprendrais qu'ils voulussent être académiciens ! Mais ils sont quelque chose. Ils n'ont pas, eux, besoin d'un titre pour cacher la valeur absente et qui y fait croire les imbéciles ! Les esprits qui sentent leur néant doivent adorer tout ce qui empêche de voir leur creux ; mais quand on vit par le ta- lent et qu'on en a en soi la forte, lumineuse êl tranquille conscience, à quoi bon jalouser et vouloir cette position d'immortel qui fait rire ceux qui doivent mourir ?

Et surtout quand on est soi-même un autre immortel qu'un immortel d'Académie, un autre homme que ceux-là qui le sont pour rire ou pour faire rire, et dont on est obligé d'écrire les noms sur le dos de leur fauteuil pour qu'on sache un jour qui s'est assis ! Il y a les im- mortels vrais et les immortels d'Académie, qui ont l'étiquette et qui n'ont pas le sac! Eh bien, pour moi, je le dis hautement, et je vais le prouver, M. Maxime Du Camp a le sac de l'immortalité ! Je nejuge aujourd'hui ni ses œu- vres, ni son talent. Ce que j'écris ici n'est pas littéraire et n'a pas besoin de l'être, du reste.

UN HOMME PLUS GRAND OLE SON FAUTEUIL "2*21

Mais pour des raisons bien plus hautes même que son talent, il est immortel, et non pas à la façon d'une Académie. Il Test à la façon d'un homme qui a eu dans Tordre du temps l'héroïque initiative d'écrire l'histoire qu'il a écrite, le 'pre- mier de tous et à la première heure, les pieds et la main encore dans les flammes de cette histoire qui, désormais, dans le souvenir des hommes, ne s'éteindra plus !

IV

Il est le premier, et parce qu'il est le pre- mier, il a l'immortalité de la première place. Tous les autres qui viendront après lui pourront l'imiter, le recommencer, le modifier, l'expliquer, le réfuter même. Mais tous dépendront de lui, ressortiront de lui, ne pourront se passer de lui, même pour dire autrement que lui. Il faut que ceux qui sont contre lui comptent avec lui. Il est le premier. Il est la source. Il est la source de tous les récits qui vont suivre. Les flots peu- vent se révolter et remonter contre leur source. Ils ne la dévorent pas. Elle reste la source, la source éternelle! Certes! c'est un immense bonheur pour un historien d'écrire le premier une

~21H DKRNILRES POLÉMIQUES

histoire qui n'existait pas hier, comme M. Du Camp a écrit la sienne quand tout en brûlait et en fumait encore... Pour un historien, il n'y a pas de bonheur plus grand. Je ne parle pas de l'intrépidité de l'historien qui a égalé le courage des plus intrépides, quand il a osé écrire cette histoire terrible sous les cent mille fusils qui l'a- justent déjà, en attendant l'heure de tirer, qu'avec son coup d'œil d'historien il doit voir venir ! Je ne parle pas de la bravoure ni du talent de cette histoire. Il y a dans les choses humaines beau- coup de bravoure et de talent perdus, et si ce n'est pas la gloire de l'homme, c'est la gloire de Dieu ! Mais ce qui ne sera pas perdu pour l'his- torien delà Commune, c'est dans un récit néces- saire dont l'humanité ne pouvait se passer, d'être arrivé à temps, comme on arrive à temps dans la bataille et du môme coup dans la victoire et l'im- mortalité! Si noussommes destinés à continuer la monstrueuse histoire dont les premières vêpres ont été chantées, tout le pétrole des millions d'Omars qui brûleront les bibliothèques ne brû- leront pas l'histoire qui parle par la bouche (on ne nous enlèvera pas celle-là!), et cette bouche, n'y en eût-il qu'une seule, n'oubliera pas le nom du premier historien de la Commune et dira le nom de Du Camp, que ses ennemis, qui

UN HOMME PLUS GRAND QUE SON FAUTEUIL 229

en rugissent, sentent, dès tout à l'heure, im- mortel.

Et c'est de cette position magnifique et sûre dans la postérité, c'est de cette immortalité qui ne peut pas ne pas être, qu'il s'est ravalé, ce noble et courageux homme, jusqu'à l'immortalité, ridi- cule et postiche, d'un académicien !

25 décembre 1880.

LES

BAS-BLEUS DE LA RÉPUBLIQUE

Je les aimais mieux sous les monarchies. Ils étaient plus gais alors ! Ils n'étaient que littéraires et ridicules, mais leur ridicule ne déplaisait pas. Il nous amusait, nous qui nous gaussons de ces petites grimaces humaines que Ton appelle des prétentions. On n'a jamais trop de ridicules sous la main quand on aime à rire, et à môme ces dames on en cueillait de beaux bouquets ! Les hommes insultés d'être imités par elles se vengeaient bien innocemment par de la moquerie des ambitions à contresens de ces pauvres folles qui ne voulaient plus se contenter d'être belles et charmantes, mais qui voulaient être hommes un peu, par-dessus le marché!

r23^ DERNIERES POLÉMIQUES

D'ailleurs, cette manie rapportait des chefs- d'œuvre. Molière en riait dans ses Femmes savantes, et Lord Byron, qui ne riait guères, égayé, riait aussi dans sa comédie des Bas-bleus. Mais à présent, que diraient Byron et Molière ?... A présent, ce n'est plu^ littéraires qu'elles veulent être : ce n'est plus hommes un peu : c'est hommes tout à fait, hommes comme nous. Et ce n'est plus ni gai, ni ridicule : c'est odieux, ennuyeux, monstrueux... et républicain !

Et avec cela, qu'elles ont bien choisi leur moment pour vouloir être hommes! Les hommes d'à présent sont si jolis !

II

Tels ils sont aujourd'hui, les Bas-bleus de la République! Ils ne le sont plus jusqu'aux jarre- tières. Ils le sont par-dessus la tète ! Leurs bas sont devenus une gaine. Les femmes mainte- nant sont bleues de partout et de pied en cap, égales de l'homme, férocement égales, et toutes prêtes même à dévorer l'homme demain... Ma- dame Adam, qui, pour l'instant, est la reine de cette rucheintellectuelle. est un bas-bleu sterling

LES BAS-BLEUS DE LA RÉPUBLIQUE 233

à douze volumes, un bas-bleu petit manteau bleu, qui ne porte pas des potages chez les pauvres, comme le petit manteau bleu légendaire, mais qui donne, en son domicile, mieux que des potages; madame Adam, qui a fondé un petit tourne-bride pour les dames dans sa Revue littéraire, et un autre tourne-bride pour les hommes dans son salon; madame Adam, qui inspire des jalousies effrénées et dépravantes aux bas-bleus sans salon, qui trouvent que ce n'est pas assez qu'un livrepour y étaler leur esprit et leurs grâces, est de beaucoup le meilleur de ces bas-bleus républicains... Elle a encore, tout bas-bleu qu'elle est, un sourire attardé de jolie femme sur ses lèvres, dévouées, hélas ! maintenant, aux lectures et aux confé- rences. Elle est la seule parmi les bas-bleus qui ait conservé ce dernier vestige, ce dernier bout de rayon de l'auréole d'une femme qui a plu autrefois... Mais les autres!... Les autres bas- bleus, sans sourire et sans salon, n'ont pas de bouche pour les usages aimables... Vomissantes gargouilles de déclamations bêtes ou atroces, elles sont bleues jusqu'aux lèvres, qu'elles ont bleues comme de vieilles négresses. Il y a mademoi- selle Hubertine Auclerc, indigo foncé, made- moiselle Hubertine Auclerc, cette contribuable révoltée, qui se croit un Hampden en jupes...

23i DERNIÈRES POLÉMIQUES

Il y a mademoiselle Louise Michel, ce bas-bleu lyrique, à indigo sanguinolent.

Il y a enfin madame Graux (car je ne peux pas les nommer toutes), qui a fait un livre sur la Révolution française, avant d'avoir écrit cette fa- meuse lettre qui vaut mieux que son livre pour sa renommée; madame Graux, au plaisant res- pect rétrospectif pour feu son mari, M. Duver- gïer de Hauranne, et signant toujours à la barbe méprisée du sieur Graux, son nom de Duvergier de Hauranne, malgré ses secondes et justes noces.

Echantillons choisis que ces dames, dans le bas-bleuisme républicain ! J'en pourrais citer une foule d'autres, mais à quoi bon ? Je leur ferais plaisir peut-être ; car ce qui les ronge et les mange, ces malheureuses affolées, c'est l'en- ragement de la publicité, et je ne veux d'aucune manière être pour ces dames ce qu'elles sont pour nous, dit le grave Tertullien, « instrurnen- tûm voluptatis ». Et puis, d'ailleurs, ce ne sont pas telles et telles qui sont à présent des bas- bleus ! Ce n'est pas seulement un groupe de vaniteuses en démence ! C'est tout le monde ! C'est l'époque entière qui est bas-bleu, femmes et hommes! Oui! il s'est rencontré des hommes que l'on croyait virils, à qui leurs femmes ont

LES BAS-BLEUS DE LA RÉPUBLIQUE 235

jeté leur jupon sur la tète, comme Alexandre jeta son manteau sur la tête de Bucéphale, pour lui mieux grimper sur le dos !

III

Enjuponnés ainsi par la tôle et par-dessus leurs toques, on a vu de majestueux professeurs, per- suadés, les Jocrisses ! qu'ils faisaient une juste et grande chose , faire passer des examens scientifiques et littéraires à des fillettes qu'il fallait, haut-la-main, renvoyer à leurs poupées, et sans broncher et pompeusement les recevoir avocats et médecins, en leur débitant, après leur thèse, des compliments sur leur science, leur force de tête et leur courage! Humiliant spec- tacle pour un peuple qui fut mâle et salique et qui n'entendait pas que la femme fût Roi jamais dans une nation de mâles! Certes! si on avait retroussé de la pointe d'un pied irrespectueux la robe de ces professeurs d'un si auguste sérieux dans une pareille bouffonnerie, on aurait trouvé à coup sûr dans leurs vilains souliers de pion, les affreux bas-bleus de leuis femmes ! Les journaux eux-mêmes, les blagueurs, racontent ces examens avec les plus badaudes des admirations imbéciles, ausj ble-J que les petites (.lies peuvent le désirer.

236 DERNIÈRES POLÉMIQUES

car l'huile de cette cuistrerie s'étend partout, même en Angleterre, le pays du mariage for- tement hiérarchisé, la femme n'est pas encore l'égale du mari, mais le droit politique et impertinent de la femme a trouvé déjà son groupe tout prêt dans le Parlement ! Quant à la France, le Bas-bleuisme, qui n'était pas politique avant l'établissement républicain, est devenu « l'égalité civile et politique » tombée du Code dans nos mœurs, et quand les mœurs ne font pas -les lois, et que les lois veulent faire les mœurs, elles les font comme vous le voyez : anarchiques et grotesques ! Le Bas-bleuisme s'y étale dans tous les esprits. C'est le Bas-bleuisme qui veut que la femme « vote et tue » et tue même au vitriol ; car on l'acquitte pour cette action cruellement lâche et basse, qui mériterait le talion de Moïse dans une société énergiquement organisée pour la justice. C'est le Bas-bleuisme qui fait grouiller sentimentalement des tètes qu'on croyait jusque-là passablement équi- librées... C'est le Bas-bleuisme entin qui fait sur la femme raisonner des hommes comme des femmes...

Abailards intellectuels, qui se sont laissés opérer par leurs Héloïses et qui chantent la même chanson de la même voix qu'elles !

LES BAS-BLEUS DE LA RÉPUBLIQUE 23"

Car la question du divorce, ne vous y trompez pas! c'est encore le Bas-bleuisme. Le Bas- bleuisme dans la famille, le Bas-bleuisme partout et toujours; car c'est l'égalité civile et politique de la femme, qui se donne pour peser le même poids spécifique que l'homme dans toutes les relations de la vie. M. Naquet, qui n'est pas Tirsis, mais qui n'en est pas moins le Roi des jnaris, M. Naquet, avec la question du divorce, dont il s'est fait un plumet, au fond, n'est pas, comme on pourrait le croire, un législateur phi- lanthrope, mais un bas-bleu, un pauvre petit bas-bleu, que sa femme conseille peut-être, en vue de l'avenir, cette fine madame Naquet... C'est un bas-bleu aussi que M. Alexandre Dumas, Vomi des femmes , le préfacier d'assistance publique, qui fait l'aumône de ses préfaces à toutes les indigentes de talent qu'il rencontre (il en tient chez lui un bureau); c'est un bas- bleu que M. Dumas, qui nous a fait un éloge si fabuleux de Y Appel aux femmes, livre d'un bas- bleu émancipateur de Russie ! qui nous a vanté comme un chef-d'œuvre celte platitude roma- nesque de Typhaine, ou par parenthèse l'héroïne, elle, ne s'émancipe pas. C'est un bas-bleu aussi comme M. Naquet; car c'est le sentiment qui le tient sans quille sache sur la question du divorce,

238 DERNIÈRES l'OLÉMIQUES

cet observateur qui affecte d'être anti-sentimental sur tout le reste, et qui ne se préoccupe que des conséquences de sensibilité et de bonheur pour la femme et pour le mari dans la loi à faire sur le divorce... Vue misérable et terre à terre! Qui ne voit pas, en effet, dans l'indissolubilité du mariage, la famille, la race, l'intérêt des enfants qui est l'intérêt de la race à perpétuité, ne voit rien de ce qu'il faut voir, et il n'y a plus sur cette question première qu'un bas-bleu à la place d'un législateur !

Et cette teigne du Bas-bleuisme qui ronge toutes les têtes est si dévorante, qu'elle viendrait à bout de la chevelure de Samson. Tenez ! Je lisais dernièrement un livre énergique, d'un esprit que j'aime, malgré ses opinions que j'ab- horre : Crête rouge, du rouge Cladel,de l'écarlate Cladel, un républicain de bronze rougi à la four- naise, mais qui, le croiriez-vous? a reçu sur son bronze les amollissantes influences du Bas- bleuisme républicain ! Eh bien, ce n'est pas Crète rouge que devrait s'appelerce livre robuste : c'est Crête bleue ! Car c'est le Bas-bleuisme dans l'ordre de l'action et de l'héroïsme, que le roman de Cladel. L'homme y est la femme, et la femme y est l'homme. Ce sont les sexes renversés. C'est la mascarade que veulent les bas-bleus dans

LES BAS-BLEUS DE LA RÉPUBLIQUE 239

toutes les sphères, même dans celle du plus audacieux des courages ! Excepté la force de la griffe que n'aurait pas une main de femme, le livre pourrait être écrit par un bas-bleu insolent qui dirait aux hommes : « Vous voyez bien qu'en bravoure même, nous vous valons, quand nous ne valons pas plus que vous ! »

Il est vrai qu'il y a Jeanne d'Arc, dans l'His- toire, — mais Jeanne d'Arc, ce n'est pas une femme, c'est un archange, qui tient l'épée de Dieu pour le compte de la France! c'est un être surnaturel auquel nous croyons, nous, et auquel ne croient pas les bas-bleus !

l"r janvier 1881.

LE PUITS ARTESIEN

DES PETITS PAPIERS

Il y en a encore ! Il y en a toujours ! Ils sau- tent de partout comme des sauterelles ! Mais ceux-ci ne sont pas politiques. Ils sont intimes, et de quelle intimité ! Ce sont des lettres d'amour, déjà légèrement écrémées dans l'odieux roman Elle et Lui, mais dont on veut nous donner aujourd'hui le lait avec la crème, quitte à gratter le fond du tiroir, qui est le fond du pot de ce lai- tage aux canthàrides. C'est le Figaro qui a annoncé la publication de toute cette correspon- dance, et ce n'est pas ce qui étonne que le Figaro l'ait annoncée avec l'impassibilité de l'an- noncier, car l'annonce est l'annonce et le Figaro est son prophète, mais c'est que M. WollV qui

14

242 DERNIÈRES POLÉMIQUES

n'est pas cependant un puritain, se soit insurgé dans une indignation sentimentale et vertueuse, car ces deux choses y sont, contre Tan- nonce de son patron le Figaro.

Eh bien, cela l'honore, M. Wolfî, et cela prouve son indépendance! Il a, certes! raison de protester contre le débit de cette marchandise d'indiscrétion et de scandale, qui va se vendre cher sur place, par ce temps de pornographie. Je pense comme lui que c'est le plus infâme, le plus funeste et le plus honteux des commerces. Mais je ne le pense pas pour les mêmes raisons que M. Wolff, je ne le pense pas parce qu'il s'agit principalement ici d'Alfred de Musset et de madame Sand ; d'Alfred de Musset, mort du trop d'absinthe que madame Sand lui a fait boire, et de madame Sand, cette forte travail- leuse, la mère Gigogne de quarante volumes et qui est morte de sa belle mort, elle, en tenant le por- trait de ses petits enfants dans ses mains glacées.

Touchant détail pour M. Wolff attendri! J'eusse mieux aimé un crucifix.

II

Pour moi, c'est bien moins Alfred de Musset et madame Sand que je vois dans cette infamie

LE PUITS ARTÉSIEN DES PETITS PAPIERS 243

dune correspondance amoureuse publiée même longtemps après la mort de ceux qui l'écrivirent, et dans laquelle des chacals déterreurs comptent sur quelque régal de pourriture ! Mais, ce que je vois, c'est tout le monde, intéressé à ne pas souf- frir ces déterrements! Eux, madame Sand et Alfred de Musset, vont payer leur gloire et les hontes publiques, quand elle en eut, de leur re- nommée. Ni l'une ni l'autre n'ont jamais eu la discrétion des fautes de leur vie. Célèbres tous deux de leur vivant, ils furent aussi fiers de la célé- brité de leurs amours que de la célébrité de leurs œuvres. Ils ne se cachaient pas de s'appartenir. Toute la terre le savait. Ils avaient le faste de leur coupable liaison. L'amant se vantait de sa maîtresse et la maîtresse de son amant, dans un temps les livres mêmes de cette femme, qui avait laissé son mari, proclamaient la légiti- mité de l'adultère ! Plus tard, après le faste de l'amour, il y eut l'éclat de la rupture, et pour y ajouter, la femme, toujours plus mauvaise que l'homme quand elle est mauvaise, écrivit son affreux livre à'Elle et Lui, qui faisait pis que de dire tout, en ne disant pas tout... Certes! ce qu'on trouvera dans la correspondance qu'on veut exhumer part quelques détails d'alcôve peut-être), n'apprendra pas beaucoup de choses

244 DERNIÈRES POLÉMIQUES

qu'on ignore. Le monde est fixé sur ces deux grands désordonnés de la vie. Mais si la publi- cation des correspondances ensevelies dans le secret des familles passait dans nos mœurs, pour déshonorer la mémoire d'êtres qui se sont peut- être purifies clans d'obscurs repentirs et qui n'ont pas eu le cœur de brûler d'imprudentes et folles lettres, ce serait de toutes les corruptions la plus criminelle, et elle atteindrait le cœur de ces familles et l'honneur même de la société.

Et n'allez pas croire que ce soit une hypo- thèse ! Cette corruption-là est très tentante pour notre siècle corrompu. Il n'y a pas que le génie et le talent qui puissent faire envie dans cette misérable société qui n'a plus d'autre sentiment vivant dans le bas-fond de ses entrailles. Les premiers venus, allez ! ont leurs envieux et leurs curieux, qui voudraient, pour en abuser, percer le mystère de leur vie. Pour ma part, j'ai connu un de ces curieux malfaisants. Je n'écrirai pas son nom ici, mais je l'ai connu. Sous prétexte d'autographes (la manie du temps si facilement coupable), il ramassait des lettres de n'importe qui partout il en pouvait dénicher et il en tenait sous clef, pour l'occasion, tout un maga- sin formidable. « Ce sont des dossiers que j'ai sur des gens qui ne s'en doutent pas », disait-il

LE PUITS ARTÉSIEN DES PETITS PAPIERS 245

parfois avec rire, et c'est ainsi qu'il se créait des correspondances à publier après la mort, comme on va publier aujourd'hui, si on n'y met ordre, celle de madame Sand et du malheureux Alfred de Musset.

III

Eh bien, je dis que c'est un danger public ! Je dis que c'est une immoralité profonde et très en harmonie, du reste, avec toutes les immoralités de ce temps. Il est hors de doute, en effet, que nous nous dégradons de plus en plus, que nous nous abaissons et descendons jusqu'aux sentiments les plus canailles, et certai- nement s'il fut un sentiment qui mérite cet hor- rible nom, c'est la curiosité, cette habitude de valet, la curiosité de ce que l'homme cache avec le plus de soin, la curiosité de son vice. Or cette curiosité malsaine n'a jamais été poussée aussi loin que dans cette époque, où, ne vous y trom- pez pas! parmi les choses qui l'ont excitée, les plus coupables sont les journaux. Ah! les jour- naux sont coupables de tant de choses. N'ont-ils pas inventé le reportage? Le reportage qui nous fait écouter aux portes, quand nous ne pouvons

li.

246 DERNIÈRES POLÉMIQUES

pas nous les faire ouvrir. Cette chose d'hier, le reportage, dont nul journal ne serait assez hardi pour aujourd'hui se passer, a développé énor- mément, en l'alimentant, cette fringale de curio- sité qui nous dévore et qui nous porte à extraire, par exemple, d'une poussière de vingt-cinq ans, des correspondances ensevelies, si elles nous promettent encore un regain de vieux scandales. Alors ces journaux s'émeuvent de ces corres- pondances et ils les annoncent. Mais n'en dou- tez pas ! ils seraient eux-mêmes très capables de les publier dans leurs feuilles, si pareilles corres- pondances pouvaient jamais courir la chance de ne pas trouver d'éditeur.

Et l'opinion et l'indignation de M. Wolfî ne pèseraient pas plus que cela dans le Figaro. Il en serait pour ses frais et le Figaro ferait les siens !

8 janvier 1881.

LES FILLES

Nous allons bien ! Elles sont partout, et elles vont entrer, jupes au vent, jusque dans le Collège de France, en la galante personne de M. Deschanel, l'historien des filles de la Grèce.

« Aimez-vous la moutarde?... on en a mis par- tout ! »

Et de cette moutarde des Filles qui pique et réveille son palais blasé, le siècle présent, tombé en pornographie comme on tombe en enfance, raffole! Ah! ce n'est plus les filles que Bé- ranger, le grivois Béranger, chantait dans une chanson de noces :

Faites des filles! Nous les aimons !

248 DERNIÈRES POLÉMIQUE?

Celles-là, c'étaient l'innocence promise de loin à l'amour ! Mais ce sont de tout autres filles, faites, hélas ! aussi par nous; car l'homme est toujours, d'une façon ou d'une autre, l'abomi- nable père de la corruption de la femme. C'est Adam qui. maintenant, rend à Eve sa séduction et son péché. C'est Adam qui, maintenant, ra- valé jusqu'à Eve, la tentatrice Eve, tient la pomme et triomphe comme le serpent. L'homme fait la fille avec les filles qu'il a défaites. Il fait du vice avec de l'innocence... Il fait la fille après avoir arraché, une par une, à la femme, toutes ses vertus; il fait la fille qui n'a plus que le nom de son sexe pour tout nom, qui a honte de celui de son père, quand elle peut avoir honte, et qu'on appelle: la fille, comme on dit de toute es- pèce d'animal : la bète !

Cette fille-\k a multiplié, en ces derniers temps, d'une façon étrange, comme une nouvelle plaie d'Egypte; seulement avec cette différence que les plaies d'Egypte faisaient crier l'homme à Dieu pour en avoir la délivrance, et que de celle-ci la pire de toutes! les hommes meurent en ado- rant ce qui les tue. . .

Et s'ils la lèchent, cette plaie, ce n'est pas comme les lions leurs blessures, pour laguérir.

l?:s FILLES 249

II

Cerles ! pour nous qui croyons à la Chute, la corruption n'est pas d'hier dans le monde et n'a rien qui doive beaucoup nous étonner. La fille, cette rose empoisonnée de cantharides, a apparaître de bonne heure dans l'humanité, et peut-être même dans le buisson virginal des roses de Saron il s'en sera glissé quelques-unes ! La fille, cette marchande de son corps, qui le vend après l'avoir donné, a fait son commerce dans l'antiquité la plus haute. Elle souille à leur origine toutes les nations de l'Histoire. A Baby- lone, on la trouve déjà maquillée comme à Paris, avec ces pendants d'oreille symboliques et éter- nels, qui sont les premiers anneaux de la chaîne par laquelle elle traîne les hommes! En Grèce... demandez à M. Deschanel ! Deschanel ! Duha- mel ! Le livre de l'un est comme la maison de l'autre... Au Moyen Ace, malgré l'admirable Christianisme du Moyen Age, les filles sont tel- lement nombreuses qu'on les oblige à porter une ceinture dorée pour les reconnaître, et l'or de la ceinture en exprimaitl'infamie. Dans les temps modernes, elles ont continué de fleurir avec

250 DERNIÈRES POLÉMIQUES

l'impudence du faste et le faste de l'impu- dence, et le xviii0 siècle en a été le bou- quet le plus superbe qu'on ait, jusque-là, jamais vu. Mais tout cela n'est pourtant pas la fille encore, telle que nous l'avons à présent, après tant de siècles d'une débauche si cul- tivée. Nous sommes arrivés à la fille pour la fille, à la fille (pure ou impure, comme il vous plaira). Des complexités delà courtisane d'autre- fois, cette Mille-fleurs qui, par la force de ses parfums, faisait comprendre ses ivresses, nous en sommes venus à ce miracle de simplicité, à la fleur anémique qui ne sent plus rien, à cette fleur bête du camélia que nous passons à nos orgueilleuses boutonnières et qui suffit à la pla- titude de nos mauvaises mœurs !

Aujourd'hui, pour régner sur le monde, il ne s'agit plus d'être le diable devenu femme, comme Sophie Arnould, ou toute autre verseuse de Champagne et d'amour àtant la bouteille ! Il ne s'a- git que d'être la première venue, qui n'ait ni esprit, ni manières, ni manèges, ni chatteries, ni diable- ries, ni rien de plus que d'être fille, pour faire porter aux hommes la queue de sa robe (et de la robe qu'ils ont payée), et pour avoir des cau- dataires comme des cardinaux !

LES FILLES 2ol

III

Et à ce bas prix elle règne, et je l'ai dit, elle est partout. Elle a l'ubiquité ! Sa robe emplit et couvre le monde comme une cloche à cornichons. Elle est en loge ou au balcon dans les avant-scè- nes des spectacles, chargée de diamants comme l'âne de reliques. Elle est au Bois, conduisant, même à quatre chevaux, et saluée comme si elle était quelqu'un quand elle n'est rien que quel- que chose... Elle s'étale dans les milieux physi- ques. Elle, physique, qui a besoin d'espaliers pour que mieux on la voie ! Quoi d'étonnant? Mais elle entre aussi dans nos mœurs, et dans l'esprit du siècle, cette goule qui voudrait avaler la société entière! Et, par parenthèse, cela ne serait pas la perle de Cléopàtre qu'elle avalerait! Il n'y a pas maintenant une pièce de théâtre ou un roman elle ne s'étale comme au Bois. Elle est le fond des arts et de la littérature. Pradier l'a sculptée quand elle n'était qu'une lorette encore, et Garpeaux lui a fait danser le cancan sa vraie danse à elle ! sur la façade de l'Opéra. Elle a dans les journaux toute une cour de bons petits jeunes gens qui lui font des médaillons sous

DERNIERES I'OLEMDjUHS

son nom de fille, et qui les soignent comme des miniatures de princesse... Que dis-je? elle a un journal, à son usage, écrit et illustré spécialement pour elle : La Vie parisienne ! Il y a quelques jours, on la voyait dans le Mariage d'Olympe. Hier, elle soupait dans Jack, cette pièce nouvelle dont Triboulet vous parlera demain.

Et dans cette polissonnerie morale contre l'im- moralité du divorce qui s'appelle ironiquement : Divorçons! madame Céline Chaumont, qui con- naît le public de son temps, n'a pas manqué de faire de la jeune mariée une vraie fille, qui revient, par tous les sentiers de la fille, à son époux ! Et c'est même parce qu'elle y exagère la fille qu'elle a tant de succès et qu'elle lance si haut la pièce de M. Sardou sur la raquette endiablée de son jeu. Dans la salle, du reste, nul œil de femme ne se baisse devant ce jeu déhonté. Aussi folles que les hommes, les femmes ouvrent de grands yeux passionnés sur la fille, partout elle est, comme sur un phénomène intéressant, et elles l'admirent souvent, hélas ! pour plus tard l'imi- ter... Les filles sont les rétiaires des femmes honnêtes... Elles les roulent dans le filet de leurs cheveux ! Au Cirque, n'y a-t-il pas un jour, entre tous, dans la semaine, les femmes du

LES FILLES 253

monde se donnent rendez- vous pour les voir?... Elles prennent modèle sur leurs toilettes. Elles les étudient. Elles les envient et elles en rêvent... Elles trouvent pour elles des noms in- dulgents. Autrefois, il y a quelques années, on les appelait des « panthères » (était-ce à cause du mal qu'elles font ?), puis ce fut des « lorettes », un joli nom pour cacher une vilaine chose, une fleur sur un bubon... Mais ce n'était pas assez caressant pour ces adorables drôlesses et on a inventé : « les belles petites », qui est le nom de l'idolâtrie du moment. Balzac est le dernier écri- vain qui leur ait fait porter leur nom opulent et historique de « courtisanes », mais il n'y a que son Esther, la création idéale de sa tête de génie, qui puisse porter ce nom-là.

Cherchez à présent des Esthers et trouvez-en si vouspouvez,parmiles/^//e.s, contemporaines! Cher- chez des « torpilles » par le charme, des femmes mancenillier par cette influence magnétique, partie on ne sait de quelle source mystérieuse del'àme, à travers les sens enivrés. Les filles ac- tuelles ne sont « torpilles » que par leur engour- dissante bêtise, contagieuse pour qui les appro- che ; ou « torpilles » encore parce qu'elles font sauter, en fait de fortune, les vaisseaux les mieux, cuirassés !

h.

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DERNIÈRES POLÉMIQUES

IV

Jusqu'ici elles n'étaient que dans les mœurs françaises. Sur le bras de M. Deschanel. elles entrent au Collège de France ! Elles n'étaient qu'un amusement ; elles vont devenir un ensei- gnement. Scandaleuse bouffonnerie ! Et c'est l'A- cadémie qui les a poussées au Collège de France de sa chaste main. L'Académie apostate de ses vieilles traditions, l'Académie quia rejeté Piron de son sein pour avoir écrit Y Ode àPriape dans un jour de délire lyrique.

S'il vivait, à cette heure, soyez sur qu'elle ne le rejeterait pas, et peut-être lui ferait-elle réci- ter son Ode, dans son discours de réception.

15 janvier 1881.

LA LÉGION D'HONNEUR

Ont-ils le projet de la déshonorer, elle qui représente en France l'honneur même? Mais si la chose qu'on dit est vraie, les plus coupables envers elle sont encore ceux-là qui la donnent ! Un journal indigné s'en plaignait hier. Ceux qui la donnent, disait-il, si par hasard ils l'avaient eue avant d'être au pouvoir, poussent mainte- nant l'insolence jusqu'à ne plus la porter. Par- venus de la République, ils méprisent cette épave de l'Empire ramassée comme une aubaine en- core, après le naufrage de l'Empire, et jetée superbement par eux qui la dédaignent, moins aux serviteurs de l'État qui la méritent qu'aux serviteurs de leurs personnes qui ne la méri-

286 DERNIÈRES POLEMIQUES

tent pas... Impudent spectacle! Ils oseraient payer leurs créatures avec cette monnaie su- blime, inventée par l'Empereur pour payer le dévouement à la patrie et le sang versé pour elle, et c'est ainsi qu'ils donneraient à l'étoile que Byron appelait l'étoile des Braves, et qui l'est toujours, pour ciel, des poitrines de valets !

Certes! le cœur peut se soulever décela... Mais l'esprit est obligé de convenir qu'ils ont double- ment raison, ces républicains égalitaires, qui, après avoir égaré la Légion d'honneur sur des poitrines indignes d'elle, mettent honteusement la leur dans leurs poches. Ils sont dans la double logique de leur tradition et de leur intérêt. Est-ce que, de tout temps, les républicains n'ont pas haï les décorations de toute la force de la plus orgueilleuse envie?... Est-ce que du temps de Washington, quand la République américain!1. un moment en proie à l'admiration et à la recon- naissance, voulut fonder YOrdre de Cincinna- tus, il ne s'éleva pas comme un tonnerre parmi les républicains de toute la terre d'alors, contre cette distinction qui puait sa vieille monarchie, et qui menaçait d'infecter la pure aurore de cette première des modernes Républiques? Est- ce donc que les pavots de Tarquin, qu'il fallait

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abattre partout, allaient refleurir, en décorations, sur le cœur des hommes?...

Ah! ce fut alors un fier frémissement le long de l'échiné républicaine ! Aujourd'hui, chez nous, après deux Monarchies, la Monarchie de droit divin et la Monarchie Impériale, de droit divin encore, car pour ceux qui croient à la main de Dieu dans l'Histoire, l'aigle de Napoléon, avec son épée dans sa griffe, est aussi envoyé du Ciel que la colombe de Glovis ; aujourd'hui, les républicains, victorieux moins par leur génie que par les fautes de ces deux Monarchies, se replacent dans leur idée et dans leur tradition de supprimer tout signe de distinction et de décoration parmi les hommes, et ils se repla- cent aussi dans leur intérêt, jamais oublié, de se servir des décorations tout le temps que, selon eux, les hommes croiront à cette duperie. Pour ces petits Machiavels de la République, en moyens de gouvernement il n'y a pas de bassesse, et d'ailleurs, prostituer la Légion d'honneur serait peut-être la meilleure manière de la tuer. Et pour la tuer, ils la prostituent ! Seulement, quoi qu'ils fassent, et comme l'aristocratie est humai- nement éternelle, et môme dans leurs cœurs, et qu'elle repousse du sol rasé par eux et des hommes humiliés sous le même niveau, ces

258 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Egalitaires insensés, el pour le coup, inconsé- quents, qui veulent tuer l'aristocratie, s*en cons- tituent une entre eux, en ne portant pas leur Légion d'honneur. Leur élégance, leur aristo- cratie à eux, leur honneur même, est de ne plus la porter !

II

Jamais plus insultant outrage n'a été fait à un Ordre par des hommes qui en sont triplement les ennemis, et qui le détestent parce que c'esl un Ordre, parce que cet Ordre est d'institution impériale, et qu'il porte ce grand nom de Napo- léon qui a fait rentrer sous terre une Républi- que, mais qui ne l'a pas. hélas! empêchée d'en ressortir... Nous souffrons tons, et peut-être devons-nous tous mourir du vice même de notre naissance... L'institution de laLégion d'honneur mourra peut-être de la sienne. Elle fut fondée dans le plus noble luit que pût atteindre le génie politique d'un homme; mais celle institution a le môme vice que son père, et ce vice, il faut bien le dire, c'esl la gouttelette du venin révolu- tionnaire qui roulait dans le sang de l'homme le mieux fait pour gouverner les autres hommes el pour s'en faire, avec enthousiasme, obéir.

la légion d'honneur 259

Malheureusement, ce beau génie fanatisant et autoritaire de Napoléon ne fut pas absolu, et l 'idée fatale des transactions et des fusions poli- tiques l'énerva malgré sa force. L'Empereur crut toujours et c'est ce qui l'a perdu à la possibilité d'une alliance entre le feu et l'eau, entre la Révolution et la Monarchie. Jacobin, il l'avait été, Jacobin converti, il est vrai, mais toujours un peu Robespierre à cheval, comme l'a si bien dit madame de Staël, il crut pou- voir enlever cette bague de la pointe de son épée et au galop de son cheval de guerre, mais il la manqua toujours! Il fît son Gode avec cette idée, y mêlant la législation de Louis XIV avec la lé- gislation révolutionnaire. Il fit, avec cette idée encore, sa Légion d'honneur, cette institution d'égalité civile et politique, qui récompensait de la même manière des services rendus, lesquels ont leur rang et leur hiérarchie, comme les hommes, et qui les confondait dans l'unité anarchique de la même gloire...

Ce n'était plus un Ordre; ce fut une confusion ! Napoléon couvrit, en effet, tous les genres de services et de dévouements du même ruban, qui n'aurait être rouge que pour ceux qui le rougissaient de leur sang... et l'idée de ce rap- prochement et de cette union des partis, dont

260 DERNIÈRES POLÉMIQUES

cette grande tète positive, si peu faite pour rê- ver, avait la rêverie, fut si opiniâtrement préoc- cupante dans son esprit, qu'elle le poussa jus- qu'à l'ingratitude pour ce qu'il aimait le mieux, pour ces soldats, instruments de sa gloire et de sa puissance, confondus sous le même ruban que ceux-là qui servaient la France, je le veux bien ! mais qui ne mettaient pas héroï- quement leur vie au jeu... Cela dut lui coûter furieusement, cette ingratitude militaire. Mais l'homme d'Etat, qui a son cœur dans sa tête (disait-il souvent), l'y étouffa, et il sacrifia tout à ce qu'il croyait la France et ce qui n'était que deux partis, qu'il ne rapprocha pas et qu'on ne rapprochera jamais !... Nous autres, venus après lui, ne nous sentons-nou- pas aussi ennemis, en ce moment, que nos pères l'étaient, au lende- main de la Révolution française.'... Telle fut la faute, la seule faute politique de Napoléon, et l'Histoire, qui ne la lui a pas reprochée, à coup sur. un jour, la lui reprochera. Restreinte à des soldats, l'institution de la Légion d'honneur au- raiteréé une aristocratie militaire, sans laquelle les gouvernements monarchiques se trouvent tou- jours désarmés. Mais étendue à toute la.France, sous la dénomination vague de services rendus, die n'a plus été qu'une institution démocratique'

LA LÉGION D'HONNEUR 261

qui, par le nombre seul de ses légionnaires, trop multipliés chaque jour, se déconsidère et finira, dans le sentiment public, peut-être par mourir.

IV

L'aurait-il prévu, ce grand homme?. .. Aurait- il prévu que dans un temps donné, sa Légion d'honneur pouvait être déshonorée?... Il n'avait pas vu que cette institution qui n'était ni mili- taire, ni aristocratique, ni monarchique, mais qui voulait être tout cela, en voulant être révo- lutionnaire par-dessus le marché, ne pouvait avoir de solidité d'aucune sorte. Il n'y avait qu'une monarchie pure pour créer ce qu'on appelle un Ordre et l'entourer de ces prestiges qui SDntla force des Ordres comme des Sociétés. Napoléon, qui croyait à peine, n'entoura pas son institution de la Légion d'honneur des majes- tueuses cérémonies d'une religion à laquelle la Révolution ne croyait pas. Rappelez-vous l'ordre de Saint-Louis, par exemple, et comparez! Rap- pelez-vous la communion, le serment sur les Evangiles, le coup du plat de l'épée sur l'épaule de celui qu'on faisait chevalier, le baiser des frères d'armes, et comparez ces choses, magni-

15.

~2irl DERXliRES POLÉMIQUES

Tiques et sacrées, au simple ruban de la Légion d'honneur el au brevet qui donne le droit de le porter! Assurément, Napoléon, cet homme de taille d'Epopée, était capable de comprendre la grandeur et la force de ces Ordres chrétiens qui s'appuyaient sur le glaive et la croix: mais il avait affaire à la Révolution... Et voilà pourquoi il fit entrer dans une espèce de farandole uni- verselle, l'artiste, le prêtre, le soldat, le juge, l'industriel, tout le monde enfin, tout le monde, sans même spécialiser personne par la couleur variée du ruban, que demanda Charles Fourrier, ce grand esprit faux, et ce jour-là juste: mais, sans sortir de la Révolution, il aurait pu mieux s'inspirer.

Il y avait, dans ce temps-là, une sublime dis- position législative qui disait que tout grenadier. pour entrer dans la Garde des Consuls, devait avoir reçu trois blessures à la poitrine.

Ce n'était pas vague, cela, c'était net ! et de quelle netteté! (l'était déjà la Légion d'honneur avant l'institution napoléonienne de la Légion d'honneur.

Pour celle-là, il aurait été impossible à la Ré- publique et à l'ambition, aux intrigues et à l'envie des républicains, de jamais la déshonorer !

23 janvier 1881.

LE CATHOLICISME INSULTE

II ne s'agit ici que du catholicisme et du catho- licisme seul. Il a été grossièrement insulté, cette semaine, dans le Figaro. On le sait, le Figaro, jour- nal sans doctrine, est bien plutôt qu'un journal une place publique l'on vient déposer les articles les plus contradictoires. C'est l'anarchie du temps présent. Eh bien, le Figaro, dans un de ses der- niers articles, cyniquement intitulé : « Le Mar- quis de Sade », a outragé le catholicisme, en qui pourtant beaucoup de ses abonnés croient en-

core

Il s'est permis cette bouffonnerie insolente et monstrueuse, plus monstrueuse que l'affreux marquis qui était l'objet de son article, de

264 DERNIÈRES POLÉMIQUES

poser en principe que c'était notre religion à nous, que c'était le catholicisme, c'est-à-dire la religion la plus haute et la plus pure que les hommes aient vue sur la terre, qui produisait les de Sade, qui les plantait, et qui les faisait fleurir. Pour lui, ils sortaient d'elle. Ils sortaient nécessairement de cette religion de toutes les puretés, de toutes les continences, de toutes les mortifications, de toutes les vertus qu'elle exalte et qu'elle surnaturalise ! et ils en sor- taient précisément parce que cette sublime re- ligion est tout cela. Si elle était, au contraire, la religion de l'impureté, de la débauche et du priapisme païen, ils n'en sortiraient pas...

Alors, il en sortirait des saints! Voilà la thèse du Figaro.

II

Certainement, il faut l'aberration universelle des pauvres cerveaux de ce temps-ci pour qu'on puisse lire de pareilles choses dans un journal qui respecte, je ne dis pas sa dignité, mais le peu qu'il a de bon sens! Cela est vraiment stu- péfiant d'audace et de délire! Hébétés parles plus ignobles doctrines, les idiots du matéria- lisme contemporain, qui sont partout, même au

LE CATHOLICISME INSULTÉ &65

Figaro, ne voient plus dans l'idée religieuse qu'une maladie de l'esprit humain qui a, comme toutes les maladies, son action et sa réaction nécessaires. Quand l'idée religieuse est le catho- licisme, l'action, c'est la pureté des vierges, et la réaction, c'est l'immondice des de Sade! Gela ne manque jamais. Cela se suit. C'est la réac- tion naturelle et la révolte de la réalité humaine contre l'idéal et contre l'impossihie ! Pour le Figaro, ceci est clair de toute la clarté d'une bêtise. Ceux-là qui s'appellent des naturalistes, en littérature, ne peuvent pas évidemment com- prendre l'idée surnaturelle, telle que toutes les religions du monde l'ont toujours entendue, et particulièrement le catholicisme, qui l'a fait couler et entrer plus large et plus puissante par le canal des Sacrements, dans l'humanité. Les contempteurs de toute spiritualité dans les choses de ce monde ne se préoccupent que du fait qui les défie et dont la cause première doit leur échapper à jamais. Ils ne voient, ces myopes, que le fait, et ils appellent science de le décrire, et c'est même en littérature leur métier. L'en- seignement moral que la religion tire de ces faits, ils s'en moquent avec leur suffisance de pédants et leurs jabotages de dindons ! Mais leur moquerie en rencontre une autre qui mange la

266" DERNIÈKES POLÉMIQUES

leur comme le serpent d'Aaron dévora les autres serpents, et c'est la nôtre, à nous, qui ne croyons pas que la science ne soit que la description du fait, et qui, quand il s'agit d'un livre, mettons ailleurs sa moralité ! Nous la mettons la place le catholicisme, nous la mettons dans les consé- quences inévitables que l'esprit humain doit en tirer, d'après les lois qui le régissent; nous la mettons enfin dans l'enseignement.

III

L'enseignement est tout, en effet, dans les choses humaines, et les choses humaines ne sont rien sans lui. Cet imbécile naturalisme qui se butte le nez contre le fait et qui se l'y écrase avec impassibilité, ne sérail rien s'il n'enseignait pas quelque chose. Mais il enseigne qu'il n'y a, en littérature, que le fait, son étude et son ana- lyse. Gela est radicalement faux en soi. Mais ce n'est pas cette fausseté en soi qui fait le danger et l'immoralité d'une pareille thèse, c'esl son en- seignement. Les livres les plus dangereux et les plus immoraux sont ceux donl l'enseignement fait du bien le mal et du malle bien ; et quoique les livres de de Sade (puisqu'on en ose parler) soient immondes et rendus plus immondes encore

Lfi CATHOLICISME INSULTÉ 267

par la langue dans laquelle ils sont écrits, leur crime et leur danger sont bien moins leurs abo- minables tableaux que les abominables sophis- mes qui les accompagnent; car de Sade esta toute page de ses livres l'exécrable apôtre des horreurs qu'il décrit. Il les prêche! Or, si à côté de la description du péché, fut-elle violente, rensei- gnement du catholicisme était écouté, cet ensei- gnement, qui de tous les enseignements est le plus pur, empêcherait les de Sade de naître, et ils ne naissent même que quand il n'est plus! Et l'Histoire, du reste, l'a bien prouvé au xvme siècle. C'est l'athéisme qui a fait le marquis de Sade, après Diderot et Voltaire. Ce n'est pas ce qui restait alors de catholicisme parmi nous. Allez ! c'est quand il n'y a plus que des faits pour l'intelligence déshonorée et qui a perdu des aspirations plus hautes que ces faits analy- sés, mais impénétrables, qu'apparaissent les mar- quis de Sade, se vautrant dans la boue de ces faits ! Les théoriciens du fait à décrire peuvent reconnaître alors dans ces écrivains hideux pour <]ui la boue même est un fait, de hardis appli- cateurs de leur théorie, et si eux ne vont pas aussi loin que ces exécrables descripteurs dans leurs descriptions, ce n'est pas, croyez-le bien ! le dégoût ou l'épouvante ou un reste de noblesse

268 DERNIÈRES POLÉMIQUES

dans leur esprit qui les arrête sur la pente ter- rible... Ils ne croient qu'à lamatière! Pourquoi s'arrêteraient-ils? À une époque les pouvoirs publics sont des Impuissances et au lieu de mener les nations sont menés par elles, dans un temps l'immoralité roule partout et s'étend comme un fleuve débordé, que risqueraient-ils, en effet? Mais s'ils s'arrêtent avant d'arriver au Sadisme, c'est qu'ils n'ont ni fureur de tempé- rament, ni résolution de volonté dépravée, mais, honteusement dans la matière sans àme dont ils sont pétris, c'est qu'ils se trouvent avoir je ne sais quelle lâcheté organique qui n'en peut faire jamais que des de Sade avortés !

Ils ne sont que cela, taudis que l'écrivain ca- tholique qui peint, comme eux, le péché, le peint, comme Bossuet le peindrait s'il avait à le peindre, parce qu'il est toujours prêt à en tirer l'enseignement chrétien, parce qu'il ajoute tou- jours la moralité de l'idée chrétienne à sa pein- ture de l'excès... Et quand même l'Art lui défen- drait de l'exprimer, on sentirait encore au fré- missement de son pinceau que c'est une horreur salutaire ou l'indignation qui le font trembler!

Voilà ce qu'il fallait dire au Figaro pour le rappeler au sentiment du respect!

29 janvier 1881.

LES MOUTONS DE PANURGE

DU CRIME

Du temps de Panurge, ils ne sautaient que dans la mer. A présent, ils sautent dans le vitriol, et ce n'est pas eux qui s'y brûlent: ils y brûlent les autres ! Si ce n'était qu'eux, on les laisserait faire, mais ce sont les autres et on ne les en empêche pas! Depuis le premier qui, dans ces derniers temps (car c'est une idée et un crime modernes), a trouvé ingénieux et facile de se servir du vitriol comme d'un instrument de haine et de vengeance, comptez, si vous pouvez, com- bien nous avons eu de vengeances au vitriol ! Hier encore, pas plus tard qu'hier, des journaux nous ont appris qu'un mouton de Panurge de plus a sauté; mais celui-ci a. du moins, une pe-

270 DERNIÈRES POLÉMIQUES

tite originalité. Il n'est pas mouton tout à fait comme les autres. Il est d'une autre bergerie... C'est un mari, un amoureux mari, qui a vitrio- lisé sa femme pour le motif le plus aimable... tout uniment parce que cette revêche lui refu- sait, aurait dit Prudbomme, l'exercice de ses droits d'époux... Il a cru que le vitriol serait un bon moyen de faire cesser des résistances qui le contrariaient, cet honnête homme ! C'était un bon républicain. Il s'est souvenu de la formule républicaine : « La fraternité ou la mort! » et il a dit à sa femme : « De l'amour ou du vitriol ! »

II

Les juges, dans cette cause tragique et comi- que tout à la fois, ont admis, comme presque toujours, les circonstances atténuantes qu'ils admettent, quand ils n'acquittent pas. Cependant, dans l'espèce, il y avait préméditation. Le mari avait plusieurs fois menacé sa femme de la ter- rible fiole. Dans l'absence de texte de loi positif et déterminant, ils ont fléchi devant la peine. Le crime au vitriol, qui est bien le crime le plus lâche, le plus cruel et le plus facile des crimes, la législation, que je sache, ne l'a pas prévu. Cette

LES MOUTONS DE PANURGE DU CRIME 274

myope humanitaire n'en a prévu ni la lâcheté, ni l'horreur, ni la facilité. Il faut bien le dire, à part les lois révolutionnaires, qui furent des lois d'exception, la législation formulée dans nos Go- des et dont on a fait trop d'honneur à Napoléon, est la fille du xvme siècle, de ce siècle immo- ral et philanthrope, qui croyait, comme son cory- phée Rousseau, que l'homme naît bon et que la société le déprave, et qui a produit Beccaria. C'é- tait alors fini des mœurs sévères, qui font la gloire des peuples forts, et des législations sévè- res et des grands criminalistes du passé. Même la mollesse de la nouvelle législation sans force qui succédait à des législations vigoureuses, fut encore trouvée trop dure pour la mollesse des peuples énervés et affaiblis. Ce n'est pas seule- ment l'abolition de la peine de mort qui est ac- tuellement demandée par des niais en nature hu- maine, mais toute une législation d'indulgence et de pitié pour les coupables, qui doit effroya- blement les multiplier. Et dans cette disposition générale des esprits, rien d'étonnant qu'on se soit trouvé surpris et désarmé en face de crimes nouveaux, sur la possibilité desquels le législa- teur, dupe d'une fausse philosophie, n'avait pas étendu sa prévoyance, et l'assassinat (car c'est bien u\\ assassinat) par le vitriol en est un !

272 DERNIÈRES POLÉMIQUES

Il a épouvanté une minute par son atrocité physique... Mais les peuples qui ne croient qu'à la mort, et qui, pour celte raison, répugnent à la donner, ne voient pas l'atrocité morale qui cons- titue vraiment le crime et le fait plus grand, et pour cette raison, le moment de l'horreur est bientôt passé. Ce n'est qu'une sensation ! Ceci, du reste, explique très bien l'indulgence des cri- minalistes modernes et des Codes, qui deviendront certainement, avant peu, des pourrissoirs publics, faisant eux-mêmes la besogne qu'ils devraient toujours rendre impossible... Dans un siècle comme le noire, sceptique, superficiel et sans moralité d'aucune sorte, on ne réfléchit pas as- sez sur la profondeur de lâcheté qu'il faut à une âme pour inventer un crime pire que la mort et qui peut la donner, et qui ne sera pas puni de mort, quoiqu'il la mérite. Les autres assassinats, si on réussit à assassiner, ont cela de certain que qui les ose les payera de sa tèle, et il y a un affreux courage mais enfin il y a un courage à courir cette chance et à la braver.

Mais, dans l'assassinat par le vitriol, dans l'as- sassinat par défiguration, on a dix chances contre une que la peine de mort ne sera pas appli- quée (et depuis qu'on joue du vitriol comme du revolver, elle ne l'a pas été), et que la ven-

LE> MOUTONS DE l'ANURGE DU CRIME

geance ne sera pas achetée au prix coûteux de la vie. Voilà pour la lâcheté, l'ignominieuse lâcheté ! De plus, la profondeur de la lâcheté elle- même, dans un pareil crime, n'a d'égale que la bassesse qu'il faut pour s'y résoudre et l'accom- plir. Quoiqu'une législation bien faite ne doive jamais admettre comme atténuation la vengeance, cependant, il y a des vengeances qui gardent, en s'accomplissant, un reste de générosité et de noblesse. Au xvi° siècle, par exemple, dans ce temps les passions avaient encore un peu de la grandeur des siècles chevaleresques du Moyen Age. une femme avait l'énergie de tuer son mari infidèle d'un coup de poignard, mais elle ne lui défigurait pas avec du vitriol sa mai- tresse ! Ceci est un crime des misérables temps actuels. Et l'amour maternel, donné, dans un procès récent et célèbre, à ce crime pour motif, l'amour maternel qui ne veut pas que jamais la maîtresse du mari devienne la belle-mère des enfants, n'aurait point relevé un pareil crime. Il aurait été regardé comme indigne d'une femme qui a du sang aristocratique dans les veines et de l'élévation dans le cœur, tandis qu'à présent, il a été absous ! L'époque s'y est reconnue. C'est là, en effet, un crime bas, démocratique <d gou- jat... Quant à la cruauté que suppose l'assassi-

274 DERNIÈRES POLÉMIQUES

nat au vitriol, qui peut la nier ?... Elle révolte même les imbéciles qui s'apitoient sur les cou- pables. Ce n'est plus un assassinat, c'est une tor- ture, dans laquelle le tortionnaire se joint au bourreau !

Eh bien, le croira-t-on ? ce crime odieux et lâche n'est pas puni!... C'est une mauvaise plai- santerie que la punition dont on le frappe. On a condamné à mort Billoir, et à juste titre, mais, selon moi, il est moins lâchement coupable que la femme qui s'embusque dans un coin pour je- ter du vitriol à la tête d'un homme, ou que l'homme, plus lâche que la femme, puisqu'il de- vrait être plus brave, qui jette du vitriol à la tète de sa maîtresse, parce qu'elle ne veut plus de lui. Billoir tuait la sienne et il la coupait en morceaux après l'avoir tuée, pour cacher son crime ; mais il fallait encore pour cela une cer- taine vigueur de muscles et d'àme réprouvée. < >r. en France, le plus grand crime est la lâcheté ! el les lâches, femmes et hommes, qui tirent au vi- triol dans la figure, sachant bien que ceux qu'ils aveuglent ne se défendront pas, méritent vrai- ment plus que le coup de guillotine qui n'est qu'une chiquenaude sur le cou. disait le ma- térialiste Danton.

LES MOUTONS DE PANURGE DU CRIME 275

III

Ils méritent ce qu'ils ont fait... Mais comme on ne le leur inflige pas, ils se multiplient, ces moutons de Panurge du crime. Ils ne sont plus même les moutons de Panurge. Ils sont des sin- ges de Darwin, se singeant, tous, les uns les autres. A mes yeux, tous les législateurs ne sont guères que des coupeurs de cheveux en quatre, ou des trembleurs devant l'opinion qu'ils de- vraient élever jusqu'à eux, au lieu de s'abaisser jusqu'à elle. Il n'y a jamais eu dans toute l'His- toire qu'un grand législateur, et c'est Moïse. Il a dit : « Œil pour œil, dent pour dent » ; la seule punition qui soit intelligente et juste. C'est la peine du talion, la seule peine. Vitriol pour vi- triol ! Ah ! vous avez lâchement jeté du vitriol à la tête d'un être vivant et sans défense ? Eh bien, on vous en fera tomber légalement dans les yeux ou sur votre face, la même quantité. (Eil pour œil, dent pour dent. Il n'y a pas dans le monde d'autre justice ! Et puisque vous aimez l'égalité, messieurs les républicains, en voilà une que nous voulons !

Triboulet n'est pas égalitaire, mais il demande

cette égalité-là !

:> février 1881 .

LE TREMBLEMENT

i

C'est lui, qui, à présent, gouverne ! C'est lui, le blême, l'effaré, le honteux tremblement! C'est le tremblement devant le suffrage universel qui a fait tomber, tout à coup dégonflée, la forte résolution de toute une Assemblée de législa- teurs, voulant une loi qu'ils disaient mûre et nécessaire, et qui, de fait, était dans la logique de la Révolution, qui nous mène et qui nous malmène! Conscience, fierté, majesté de ces législateurs ! Il n'a fallu qu'un mot, moins qu'un mot, un index tendu vers l'électeur qui, dans un avenir très prochain, va leur demander leur compte, comme à de mauvais domestiques, et ça été assez pour que tremblant dans leur peau de députés ils se trouvent si bien, Us

]6

278 DERNIÈRES POLÉMIQUES

lâchent tout sur cette grande question du divorce, comme s'il s'agissait d'un ballon.

« Il ne faut pas ont-ils pensé, tous ces trem- bleurs, discuter et voter une loi, peut-être populaire à Paris, mais scandaleuse et révol- tante pour ces imbéciles de paysans dont nous dépendons et que le divorce blesserait dans leurs sentiments et leurs habitudes séculaires. » Mais le moment des élections passé et le tremblement obéi, ces poltrons en face de l'électeur, ce millio- nième de Louis XIV en sabots, qui a pour toute cravache un bulletin de vote, et qui s'il n'entre pas au Parlement n'en fait et n'en défait pas moins les Parlements actuels, reprendront im- médiatement leur assurance et leur idée, et la loi écartée reviendra...

Elle reviendra et il est impossible qu'elle ne revienne pas, parce qu'elle est (je l'ai dit) essen- tiellement révolutionnaire, et qu'il faut que nous buvions jusqu'à la dernière goutte cette coupe amère de la Révolution, pour nous en dégoûter comme ces chameaux (dirait le grand historien Mathieu) qui boivent l'eau qu'ils ont troublée, et parce que la logique des principes posés une fois, et plus forte que les hommes, est irrésistible, et qu'elle ramène et courbe toujours sous son pied les poltrons et les inconséquents !

LE TREMBLEMENT ^79

II

Elle reviendra, malgré les mœurs et les tem- péraments de ce pays qu'on oppose à cette loi funeste, et malgré Yhorreur qu'elle inspire aux femmes, puisqu'on a, dernièrement, donné cette raison de la répugnance du moment que tout le monde semble éprouver pour le divorce! Mais est-ce que le caractère de la Révolution n'a pas toujours été de mettre les mœurs en contradic- tion avec les lois? Est-ce qu'elle n'est pas accou- tumée à cette tyrannie?... Est-ce qu'elle n'a pas toujours prétendu faire fléchir les mœurs sous les lois? Est-ce que, pour elle, les lois ne doivent pas modifier les mœurs anciennes, et en créer même de nouvelles?... C'est leur prétention éter- nelle, à ces législateurs révolutionnaires, de tout faire à coups de décrets et de tout demander au chiffon de papier dont ils sont idolâtres. Ils croient faire des mœurs, en les décrétant!... Est-ce qu'ils ne voulaient pas décréter des mœurs, quand ils décrétaient la Liber lé, YEgalité, la Fraternité parmi les hommes, avec sanction de guillotine si on n'acceptait pas ces mœurs, par ordonnance et par décret?

280 DERNIERES POLÉMIQUES

Et d'ailleurs, ils se soucient bien des moeurs d'un peuple, c'est-à-dire de ses coutumes, de son tempérament, de son passé, de son histoire, eux, ces despotes législatifs, qui s'imaginent que tout se fait à la main comme un Code, et que le Code terminé, tout est dit. Dans un temps donné, si on l'applique vigoureusement, il aura fait les mœurs selon ces rêveurs qui ne com- prennent rien au cœur de l'homme ni à l'His- toire ! Quant à l'argument tiré de l'horreur que le divorce inspire aux femmes, ne vous y fiez pas ! Il n'est pas sûr ! Cette petite horreur s'éva- nouira dès qu'elles auront, pour accepter ou pour désirer le divorce, le moindre intérêt de cœur, de passion ou de vice. Ce sont les femmes encore pures qui ne veulent pas du divorce, mais « fragilité, ton nom est femme », disait Shakespeare, et les impures pour qui le divorce est spécialement fait, dompteront très bien la petite horreur qu'elles en ont.

Et la loi, écartée aujourd'hui, reviendra pour bien d'autres raisons encore. Elle reviendra parce qu'elle est fondée sur le plus grand des préjugés modernes, qui est de sacrifier l'intérêt social à l'intérêt de l'individu. Et je ne dis pas l'intérêt de l'Etat, qui n'est jamais, presque ja- mais l'intérêt social, quoi qu'il ait l'impudence de

LE TREMBLEMENT 281

le dire et qu'il veuille le faire tenir en lui, comme un grand cercle dans un petit, absurdité géomé- trique ! En ces derniers temps, l'individualité humaine, surchauffée par de sacrilèges et d'in- cendiaires philosophies, est si folle d'elle-même qu'elle ne voit plus qu'elle, et qu'elle se prend pour la société tout entière. Dégager donc cette individualité de tous les liens qui la gênent, cela s'appelle « l'émancipation des peuples ! » Or, ni la race, ni la famille, ni tout ce qui est étreinte pour les hommes et ce qui jadis en faisait un faisceau, n'est actuellement la visée du législa- teur, parce que ces choses étreignantes nuisent au développement de cette individualité qui tend à empiéter sur l'individualité des autres et à s'entre- manger avec eux dans la plus dévorante des anarchies... La loi du divorce doit revenir en- core, parce qu'elle est l'expression, non pas de la raison qui voit plus haut que le bonheur pour but dans la vie, mais de la sensibilité qui ne veut rien souffrir même de ce qu'elle mérite; car ce sont nos fautes qui le plus souvent font nos mal- heurs, et si elles ne les font pas toujours, elles les font, du moins, plus profonds ! La fausse sen- timentalité, née d'une fausse philanthropie, est au demeurant une des plus grandes forces qu'il v ait au service de l'idée du divorce. En effet, ce

lu.

282 DERNIÈRES POLÉMIQUES

n'est pas, croyez-le bien! quand une sociélé tom- bée en décadence larmoie comme une vieille sur la dureté des devoirs qu'elle accomplissait autre- fois et qu'elle voudrait épargner à ses petits en- fants, dont elle radote, ce n'est pas à cette heure de l'Histoire que nous pouvons remonter vers l'énergique sagesse des législateurs du pas>é !

III

Eniin, la raison supérieure à toutes les autres, la raison qui suffirait, fut-elle seule, à expliquer l'obligation pour la République de mettre, qui qu en grogne, hommes ou femmes, le divorce dans les lois qu'elle fait, c'est que le divorce est un acte d'athéisme absolu, et la manifestation de mépris et de haine la plus solennellement et audacieusement satanique contre le Dieu que nous autres chrétiens nous adorons. Le divorce tue la famille qui est l'œuvre de Dieu ! Il la tue en la dispersant. Le mariage n'est pas seulement pour l'Eglise ce qu'il est pour l'Etat, une néces- sité philosophique et même "physiologique, sans laquelle une société serait livrée à ions les débor- dements et à toutes les bâtardises. L'Eglise, pour nous exprimer davantage la nécessité de ce lien

LE TIŒMBLKMKNT

283

qui doit être éternel, l'a surnaturalisé. Elle en a fait un, sacrement, et c'est le sacrement, c'est L'idée même du sacrement contre laquelle se dressent avec le plus d'acharnement les législa- teurs de la République. Ah! si le mariage, fut-il indissoluble, n'était rien de plus qu'une institu- tion civile, ils lui passeraient son indissolubilité peut-être... Mais le sacrement! Le sacrement! C'est impossible ! C'est le voile de pourpre divine qui fait écumer et mugir ces taureaux stupides de l'incrédulité.

Pour l'instant, il est vrai, on ne les entend plus. Les voilà doux, silencieux, tranquilles. Ils se détournent de leur chemin pour suivre une tout autre venelle. La peur de l'électeur, leur maître, leur fait rentrer au ventre leurs beugle- ments sur cette grande question du divorce, que l'électeur chrétien ne comprend pas comme eux. Mais tout ceci ne durera pas. Ils reviendront des élections, et le projet de loi repoussé reviendra avec eux et la loi mémo! Le jour passé, on se moque du saint, dit le proverbe italien \ Il giorno passato, il santo gabbato. L'élection passée, le saint sera moqué...

13 février 1881.

SANS DOT

C'est le „cri d'Harpagon dans la comédie. Eh bien, il faudrait que ce fût le cri du législateur dans la loi !

C'est la passion de l'avarice, la passion la plus basse, qui soit dans la nature humaine, qui pousse ce cri si comique dans la comédie. Ce serait le désintéressement le plus noble et le plus intelligent, qui pousserait ce cri dans la loi!

Et jusqu'ici personne n'y a pensé ! C'est le des- tin des idées les plus simples et les plus fécondes qu'on passe auprès d'elles sans les voir. Depuis siv grands mois que tout le monde roule son pe- tit caillou de Sisyphe sur la question du divorce, personne n'a eu cette idée-là! Personne non plus,

286 DERNIÈRES POLÉMIQUES

parmi ces légifaiseurs qui se croient des légis- lateurs, dans cette discussion sur le divorce, que la lâcheté politique de tous ces mendiants devant le suffrage universel a interrompue, personne n'a exprimé l'idée radicale de l'abolition de la dot, introduite hardiment au Code, et qui serait une loi préventive des inconvénients du mariage, d'une bien autre efficacité que la médication tar- dive et dangereuse du divorce!... Et pourtant, puisqu'il leur manquait, à tous ces esprits rac- courcis, la grande raison déterminante de lin- dissolubilité, la raison vraiment législatrice de l'intérêt de la race que le législateur doit vou- loir éterniser dans sa pureté et dans sa force, autant du moins que le génie de l'homme peut éterniser quelque chose; puisque pour eux, ces Épicuriens, le bonheur domestique est tout, et qu'ils n'ont vu que cela dans cette discussion du divorce, qui restera la honte de l'esprit hu- main au xixe siècle, comment n'ont-ils pas songé à l'abolition de la dot, de la dot, qui est la cause première de toutes les corruptions conjugales? Quel manque de regard! quelle dis- traction et quel oubli ! Ont-ils donc cru que cette suppression de la dot les menaçait ?... Mais qu'ils se rassurent ! Cette loi nécessaire n'aurait pas d'effel rétroactif, et ils pourraient.

SANS DOT 281

en toute sécurité d'égoïsme, manger en paix la dot et la fortune de leurs femmes; seulement, s'ils en avaient eu l'intelligence et le courage, ils auraient fait une loi qui eût été la meilleure garantie du bonheur et de la moralité conjugale de leurs enfants.

II

Oui ! disons-le bien haut, puisqu'on ne Ta pas encore dit : la loi qu'on aurait pu attendre de législateurs qui auraient eu de la longueur dans le regard et de la décision dans la pensée, c'était la loi de la suppression de la dot, dans le ma- riage. Supprimer la dot serait un véritable coup d'Etat dans la législation et les mœurs, et peut- être un coup de génie, puisque cette suppres- sion de la dot atteindrait les mariages d'argent, cupides et dégradants, dont nos mœurs sontdés- honoréescomme jamais mœurs nele furent ; car ce déshonneur est moderne. Les mœurs anciennes, comparées aux nôtres, ne connaissaient pas ce iléau. Quand la société était chrétienne et che- valeresque, les mariages dans cette société étaient chrétiens et chevaleresques comme elle. C'est à partir surtout de Louis XIV, qui ruina sa no-

288 DERNIKRES POLÉMIQUES

blesse de province en l'attirant à sa cour, que les mariages d'argent commencèrent à se pro- duire avec impudence; et, comme il faut un mot à l'impudence, pour oser l'être, on appela cela « fu- mer ses terres! » Saint-Simon vit le mal et le dit, comme il disait tom% et le vieux Mirabeau, unsiè- cle après Saint-Simon, en constata les ravages. C'est le vieux Mirabeau qui disait, en pensant à ces infâmes mariages d'argent : « s enversailler », pour s encanailler ; car c'était pour lui la même chose ! Mais ne croyez pas que, nécessités par la ruine de tantde gentilshommes, ces mariages d'ar- gent fussent une dégradation particulière à la noblesse. LaRévolution, qui se vante de tant de vertus, cette Sentimentale sanglante, qui refaisait les mœurs en coupant les tètes, a tué laroyauté et la noblesse, mais n'a pas tué les mariages d'argent; et jamais ils n'ont été plus florissants que depuis elle. Ils sont à [trésent tellement passés dans nos mœurs, qu'ils n'ont plus besoin d'être impudents pour s'avouer et se vanter d'être. Ils n'ont plus besoin de la plaisanterie, qui fait passer tout en France, pour cacher leur honte... qu'on ne sent même plus . L'inégalité des fortunes a rempla- cé l'inégalité des rangs, et, à quelque degré so- cial qu'on soit placé, tout le monde maintenant se marie comme la noblesse se mésalliait!

SANS DOT 289

Et c'a été un abaissement universel. Fierté dans lhomme, pudeur dans la femme, tout y a passé ! On s'est vendu et acheté, départ et d'au- tre... Je ne crois pas qu'il y ait jamais eu dans les mœurs d'un peuple un plus ignoble spectacle! Il a dégoûté jusqu'aux moralistes d'un siècle sans morale, de ce corrupteur et corrompu xvni0 siècle. Il a fait lever le cœur à Chamfort, qui n'était pas une bégueule chrétienne, ce phi- losophe, qui disait que pour être un homme il fallait savoir avaler des crapauds, mais qui n'a- vala pas celui-là! Le mariage d'argent, dans une société qui fut chrétienne, est cent fois plus odieux que le marché des esclaves dans une so- ciété musulmane. Paris vaut moins sur ce point que Constantinople. C'est là, comme ici, égale- ment de la chair vendue, mais le marché des Turcs est honnête, tandis que le nôtre est sans loyauté. La marchandise humaine, que nous achetons, dans les mariages d'argent, échappe presque toujours par l'adultère aux conditions de son ignominieux marché...

III

Mais l'adultère, avec tous les crimes qui en sont l'affreuse conséquence, n'est encore que la

il. 17

290 DERNIÈRES POLEMIQUES

moindre des corruptions qu'engendre le mariage d'argent. Il y a pis que l'adultère : c'est le ma- riage qui a préparé l'adultère, qui l'a fait de longue main, et qui l'a rendu presque inévi- table... Et c'est le mariage d'argent qui est ce mariage-là ! Dans le mariage d'argent, la pure- té de la femme, les pudeurs divines de la jeune fille, sont plus perdues et plus souillées lorsque c'est l'homme qui achète la femme, et les fiertés de l'homme plus humiliées et plus aplaties quand c'est la femme qui achète l'homme, que dans l'a- dultère lui-même, qui ne vient qu'après, et qui ramasse, pour s'en régaler, toutes ces souillures! Prostitution sur prostitution! Le premier pas dans la corruption est, comme tous les premiers pas, celui qui coûte le plus à une àme saine, et l'adultère n'est que le second. Mais si ce pre- mier pas, la loi le souffre, et, en constituant la dot, le protège et même le provoque, alors cela devient une chose effroyable et terrible pour les mœurs qu'elles soient corrompues par la loi !

Eh bien, voilà l'histoire actuelle de notre mi- sérable société! La loi, qui devrait les réprimer, excite dans les âmes les plus basses convoitises, au lieu de ces désirs et de ces aspirations plus nobles qu'elles avaient autrefois. Matérialiste £omme elle est athée, laloi nese préoccupe plus

SANS DOT

291

que des intérêts matériels. L'intérêt matériel de la femme est plus pour le législateur que ses intérêts spirituels, dans une société qui n'a plus dame et qui veut l'éteindre partout celte àme est encore. Les êtres que la loi régit sont comme elle; ils éteignent en eux la vie qui y fut si longtemps et qui se composait de ces choses su- blimes : la reliaion, l'enthousiasme et l'amour ! L'amour, qui a résisté davantage, s'en va maintenant comme les deux autres, et demain, si on ne ravive pas sa source sacrée, demain peut- être il ne sera plus !

IV

Certes ! ce n'est pas les divorciers de l'heure présente qui la raviveront avec leur divorce. Ils ajouteront à la dissolution d'un monde qui se désagrège de toutes parts, en divisant un peu plus des cœurs divisés. Ils continueront d'ac- complir ce que l'individualisme qui nous ronge a commencé depuis si longtemps. Us pulvérise- ront un peu plus ce ciment humain avec lequel on fait les peuples. Ils ajouteront quelques atomes au tourbillon de poussière que nous sommes, et rien de plus!... Leurdivorce d'aujourd'hui n'ar-

"29ll DERNIÈRES POLÉMIQUES

rêtera pas la dispersion de cette poussière. C'est parla famille, dont sont sorties les nations fortes etqui était le nœud môme de leur cohésion, que le monde périra, entraîné avec elle dans une inco- hérence universelle, si on ne la refait pas avec des lois sévères. L'abolition de la dot en serait assurément une pour une société amollie qui ne croit plus qu'à l'argent et aux jouissances qu'il donne. Le « sans dot! » écrit dans le Code la fe- rait sans doute crier un peu; mais, allez toujours, législateurs! L'homme et la femme, qui ne sont actuellement que les entretenus du mariage, re- deviendraient ce qu'ils doivent être. L'homme ne devrait sa femme qu'à elle-même, et ne voudrait qu'elle seule. 11 ne l'emporterait plus dans ses bras comme un sac d'écus. Elle, pour vivre, au- rait besoin du bras qui l'emporte...

Et la famille, refaite ainsi, peut-être referait la France !

23 février 1881.

LE GÉNIE DANS L'OBSCURITÉ

Ce n'est pas assurément celui-ci! Si Victor Hugo eut parfois du génie, il n'eut jamais d'obs- curité. Presque dès le berceau, il fut célèbre. Pour lui, l'histoire a menti ! Les poètes ont menti ! Sa poésie elle-même a menti ! L'obscurité et l'in- fortune ne sont pas, comme on l'a cru longtemps, la plus belle auréole du génie. Ce n'est pas sur ce double fond noir que ressort et que resplendit le mieux sa lumineuse tête. Ils l'ont assez chaulé pourtant ; ils s'en sont vantés, ces fanfarons et ces menteurs de poètes!... Ils ne pensaient pas ce qu'ils disaient quand ils parlaient de la beauté du génie dans l'infortune et dans l'obscurité. La gloire, la meilleure gloire pour eux, ce n'est

294 DERNIÈRES POLÉMIQUES

pas la méconnaissance des sots et l'ingratitude des temps ils vivent. Non pas! c'est l'accla- mation des sots, an contraire. C'est le tonnerre tout-puissant de l'applaudissement des imbéciles. C'est le bonheur immédiat, indiscuté, perma- nent, fastueux, étalé sur toutes les coutures, le bonheur carré et cubique des parvenus et des Turcarets. C'est la gloire faite du vivant d'un homme pardes valets de chambre décorateurs. Sa gloire préparée, drapée, arrangée comme une scène de Mamamouchi. C'est enfin la gloire qu'on fera au Victor Hugo de dimanche, à Victor Hugo qui croira peut-être à la sincérité de ce tapage com- ploté,— comme Louis XIY, mystifié par lapins insolente des flatteries, a cru à l'ambassade Siam !

Et il y croira, cela est sûr, et comment voulez-vous qu'il n'y croie pas? Voltaire, qui avait plus d'esprit que lui, Voltaire, son précur- seur dans ce genre de fêtes, qu'on va renouve- ler aujourd'hui, crut bien à la vérité du triomphe, arrangé par les conspirateurs de son génie. Il y crut, lui qui ne croyait à rien ! Il y montra des attendrissements de Jocrisse. Il pleura presque, quand il donna, au nom de Dieu et de la liberté, sa bénédiction au fils de Franklin. Il ne croyait pas à la bénédiction du Pape; mais il crut à la

LE GÉNIE DANS LOBSCURITÉ 29")

sienne, et cela aurait le réconcilier avec toutes les bénédictions. Sycophante, saltimbanque et dupe de lui-même! Raillerie du Seigneur Dieu, qui rit parfois, disent les Saints Livres. Victor Hugo, à peu près du même âge que Voltaire, aura probablement la même crédulité. Il assis- tera sans rire et peut-être tout en larmes à la bousculade de ses admirateurs, ramassés par toute la France, dans les wagons que les compagnies des chemins de fer, très littéraires comme on sait, ont mis à la disposition de cette fête, machinée comme un opéra. Ce jour-là, Victor Hugo, le républicain, se croira, de bonne foi, le roi du Suffrage universel! Il croira aux vingt mille poignées de main qu'il sera peut- être obligé de donner à la foule, comme feu Louis-Philippe, ce maquignon de la poignée de main, les donnait. Seulement Louis-Philippe les donnait, mais n'y croyait pas! Il était plus fort...

II

C'était un homme politique, qui savait que la poignée de main dont il se salissait était de la politique, cette horrible Malpropre qui tache

296 DERNIÈRES POLÉMIQUES

tout! Mais Victor Hugo n'est pas un homme politique, quoiqu'il ait voulu l'être; il est un poète, et c'est comme poète qu'il avalera tout ce qu'on lui versera dimanche ! Il s'imaginera que toute cette ruée et cette huée de braillards qui vont lui donner l'aubade et la sérénade de leurs brailleries, ce sont des admirateurs et des pas- sionnés du grand poète. Il pensera à Pétrarque, couronné au Gapitole, et il se fera l'effet d'être le Pétrarque du xixe siècle. Et il se trompera cruellement; car si Pétrarque n'avait été que le sonnettiste de Laure, s'il n'avait pas été un chargé d'affaires entre gouvernements, c'est-à- dire un commissionnaire politique, s'il n'avait pas été l'ami de Rianzi, le Garibaldi de son temps, il n'aurait pas été couronné au Capi- tule et les lauriers de sa couronne seraient res- tés autour des jambons du seigneur Pape, qui voulut bien en priver pour lui sa table pontifi- cale mortifiée. Et même Pétrarque aurait l'avertir ! Il aurait lui souffler à cette oreille que la vieillesse n'a pas endurcie et à cette mé- moire que l'âge n'a pas affaiblie, dit-on, que ce n'est pas le poète des Orientales et de la Légende des Siècles à qui on fait ce couronnement sans couronne, ce couronnement républicain ! Les masses qui chantent la Marseillaise ne voient en

LE GÉNIE DANS LOBSCURITÉ 29"

M. Hugo qu'un poète à la Marseillaise, et qui la referait au besoin, si on ne l'avait pas. « Si nous ne l'avions pas, il faudrait l'inventer! »

L'artiste, le lyrique ou le dramatique, le romancier, le penseur et le pensif, comme il s'ap- pelle, ils s'en soucient bien ! Pour eux ce n'est qu'un antique attardé qui croit en Dieu, dont il radote, un Bondieasard, une vieille barbe, une vieille guitare défoncée, un des Bur- graves d'une pièce tombée, et ils passeraient silencieusement sous ses fenêtres, ils seront demain, s'il n'avait pas écrit Napoléon le Petit et les Châtiments !

Voilà pour eux la gloire de l'homme! Et en- core, dans ces Châtiments et dans ce Napoléon le Petit, qui sont pour eux toute sa littérature, ce qu'ils aiment, ce qu'ils admirent, ce qu'ils ap- plaudissent, ce n'est pas, croyez-le bien! la poé- sie qui y flambe, non! c'est l'injure, l'injure effrénée, empoisonnée, qui y contamine jusqu'à cette flamme céleste ! Ce n'est pas l'expression d'un Verbe quelquefois sublime, c'est le fond de haine et de ressentiment sur lequel ce Verbe s'allume! C'est l'exagération, c'est le mensonge, c'est le déshonneur de l'histoire écrite avec les passions d'un homme qui peut-être, de fureur de n'être pas le ministre d'un Empereur, s'esl

17.

298 DERNIERES POLÉMIQUES

retourné et s'est fait le Juvénal de son règne. Ils ont trouvé dans la haine et le ressentiment du poète une expression qu'ils n'auraient jamais inventée. Et voilà pourquoi ils l'adoreront di- manche, parce que ce sera s'adorer eux-mêmes, eux ! parce que ces Narcisses de la rue se regar- deront dans l'expression du poète et s'y trou- veront beaux ! et que sa fête sera leur tète ! et sa glorification à lui, la glorification de leur foule et de leur bassesse ! Hommage, il est vrai, de l'impuissance à la puissance, que la puissance, insultée par cet hommage, mérite, puisqu'elle n'a pas la fierté de le dédaigner !

III

Ab ! la fierté, la fierté plus haute et plus belle même que le génie, va manquer ici. Elle n'aura pas sa noble palpitation, dans cette fête que la Flatterie donne à l'Orgueil! C'eût été cependant fier et grand à Victor Hugo d'en avoir repoussé l'idée, et de l'interdire à ses gens... Il n'y a pas, dit-on. de héros pour leurs valets de chambre, mais il paraît que si, pourtant! Il y en a pour eux, quand ils profitent de la gloire de leur maître, qu'ils s'imaginent, parce qu'ils en profi-

LE GÉNIE DANS LOBSCURITÉ 299

tent, partager... Seulement, comment Victor Hugo, dont l'œil grossit tout, dont le génie élé- phant donne à tout des proportions colossales, et qui rit comme Quasimodo dans une grimace im- mense, quand il rit, n'a-t-il pas vu l'étoffe d'une farce énorme dans cette pourpre d'une fête qui tombe un jour de Carnaval?... Comment n'a-t-il pas compris que c'était dangereux de faire dire aux farceurs qui se mêlent toujours à tous les triomphes, que le bœuf gras, qui marchait autre- fois, ce jour-là, sera remplacé par un bœuf gras qui ne marche pas et qu'on ira voir à domicile?...

En vérité, nous qui ne tenons à Victor Hugo que par notre nom de Triboulet, nous sommes tenté de mettre des pleureuses demain sur nos manches bariolées de bouffon, par tristesse de cette kermesse tout le monde va sauter si follement en honneur et gloire de Hugo. L'obscu- rité de la fin du Dante nous plaît mieux. L'exilé de Florence ne bénéficia ni de son exil, ni de son retour dans sa patrie. L'exilé de Jersey a béné- ficié de l'un et de l'autre, et cela ajoute la fierté du génie du Dante, la fierté de sa destinée. Et Racine aussi, Racine, qui se prépara, les six der- niers mois de sa vie, dans la solitude de Port- Royal, à paraître devant son Dieu, nous touche

300 DEKNIÈRES POLÉMIQUES

plus profondément que l'homme qui, vu son grand âge, pourrait mourir dans les tintamarres de demain.

27 février 1881.

LES

BÉBÉS SOUS LA RÉPUBLIQUE

Allons! Il faut en convenir, ils vont bien, les bébés, sous la République, sous ce soleil de République qui mûrit tout, qui avance tout. Ils vont bien ! Ils progressent. Ils s'élancent vite et furieusement à l'homme. En quelques jours, ils nous changent merveilleusement de monstres et de monstruosités. Ils empêchent le blasé du crime. Nous avons eu la majesté des vieillards de Bordeaux. Nous avons maintenant l'innocence de ces amours d'enfants!... Car ce n'est pas seu- lement des bébés d'hier, comme cet adolescent qui vient d'ouvrir le ventre à un garçonnet de six ans, qui tuent à Vâge heureux do quatorze ans. l'âge de Colette dans les romances. On a

/>02 DERNIÈRES POLÉMIQUES

plus jeune que cpla dans la tuerie : on a des bébés d'aujourd'hui, de vrais bébés, qui tuent très bien, non pas « à peine au sortir de l'enfance », mais presque au sortir du berceau ! A propos justement de ce Chérubin sanglant, d'âge de page, et qui vient de se mettre hors de page par un égor- gement, des journaux ont rappelé ces deux charmants bébés qui tout récemment aussi ont tué, pour un sou, leur petit camarade, l'un d'eux lui tenant, de force, la tète sous l'eau pour qu'il fût noyé plus vite, pendant que l'autre, avec une prudence déjà virile, faisait le guet...

Un joli groupe, n'est-il pas vrai? que ce petit groupe de trois enfants au bord de l'eau, dont un dedans, pour ceux-là qui aiment les idylles !

II

Car il y a partout de ces gens-là. Il y a partout des bêtats à idylle ! et ce n'est pas ici qu'ils vont manquer... Leur première horreur une fois passée, ils s'attendriront de réflexion, n'en dou- tez pas ! sur ces pauvres bébés du crime sur l'inconscience de ces Innocents de l'assassinat, qui n'ont pas le discernement de ce qu'ils font,

LES BÉBÉS SOUS L.V RÉPL'IÎLIQUE 303

quand ils égorgent, et, en fin de compte, ils lâ- cheront ce grand mot dépravant « d'irresponsa- bilité ». qui, dans un temps donné et prochain, rendra toute répression impossible! Les bêtats à idylle, qui ont, en politique, inventé les amnisties, si nombreux dans le monde, le sont même dans le droit criminel. J'en connais qui voudraient le fleurir d'indulgences. Griminalistes idiots, qui n'entendent rien à la nature humaine, sur laquelle ils devraient fermement tabler, ils se laissent pénétrer plus ou moins par ces idées amolissantes qui tombent en ce moment de partout sur l'esprit humain, comme une de ces douces pluies qui mouillent tout et pénètrent tout, en attendant de tout pourrir ! Née du cerveau matérialiste de quelque médecin, cette idée « d'irresponsabilité » qui frappe la législation au profit de la médecine et qui doit substituer aux guillotines renversées de vastes établissements de guérison pour d'iri- guêrissables fous, se lève maintenant, menaçante, dans tout procès criminel.

Je l'ai vue presque au moment de triompher dans l'infâme procès delîordeaux. Heureusement, les grondements de la Bêle populaire, moins lâche dans son sentiment instinctif de la justice que ceux-là qui devraient en avoir le plus le cou- rage, ont replacé en équilibre les esprits ébranlés

304 DERNIÈRES POLÉMIQUES

par les théories de médecins, qui ne sont pins comiques comme au temps de Molière, mais tragiques à présent, et tout aussi ignorants ! Dans le procès qu'on va faire à l'adolescentule assassin du malheureux petit éventré, Vidée médicale et philanthropique de l'irresponsabilité reparaîtra certainement infatigable et avec plus de force que jamais, et c'est ainsi que les médecins vont avoir une occasion de plus de déclarer le criminel irresponsable et de continuer leur apostolat maté- rialiste, qui consiste à bestialiser l'esprit humain. Eh bien, c'est là-dessus qu'il faut insister ! C'est là-dessus que Triboulei doit lever et faire retomber sa marotte ! Dans le tohu-bohu nous roulons tous, cul sur tête, Triboalet, ce bouffon qui, de dégoût, est parfois sérieux, ce fou du Roi, qui peut servir au peuple, se fait aujour- d'hui l'avertisseur de ceux-là qui s'en vont, en tournant sur eux-mêmes, à l'abîme, et il se permet une initiative que ne prendraient jamais les législateurs ! Ce n'est pas la première fois, du reste. Il n'y a pas longtemps (si vous vous le rappelez^ qu'il posait la question de la dot. à propos de divorce, une question de droit civil, comme aujourd'hui il va poser une question de droit pénal. Et ce n'est pas non plus la première question de droit pénal qu'il pose ! Car rien ne

LES BÉBÉS SOTS LA RÉPUBLIQUE 30o

le décourage, ce diable de Triboulet ! Dans le vide sans écho d'un temps sourd à toute énergie, il a demandé pour le lâche crime du vitriol, qui est le crime du temps, la peine du talion, qui serait à la fois une expiation et une épouvante, les deux grands caractères d'une loi de châtiment bien faite. Et aujourd'hui, quitte à ne pas être entendu davantage, il ne craint pas de demander pour les crimes de ces enfants, qui osent le crime, une législation qui ne soit pas une légis- lation de pères imbéciles...

En effet, le Code qui nous régit encore, ce Gode d'un autre temps qui croyait à l'homme nativement bon et à la société dépravatrice, a vu l'enfant dans le crime et a eu pitié de son âge. Il n'a pas vu le crime dans l'enfant, qu'à présent, en ce temps de progrès dans le mal, il faut voir... L'enfant monstrueux par la prématurité de son crime était autrefois une exception. Il ne l'est plus. Il se multiplie, il est en train de devenir la règle dans une société qu'on a déca- pitée de son Dieu, le seul être qui pût empêcher le monstre de naître et de pousser dans l'âme de l'enfant! Aujourd'hui, les monstres se succèdent avec une effrayante rapidité, et il n'est plus permis à la société et à la loi de les traiter uni- quement comme des phénomènes, comme des

306 DERNIÈRES POLÉMIQUES

cas pathologiques réservés à l'observation médi- cale pour l'avancement d'une science honteuse qui n'avance jamais. Le péril de la société est d'une autre importance que cela ! et il faut être une société moderne pour l'oublier... L'antiquité, la fataliste antiquité, était plus virile que les fatalistes de ce temps, qui mettent leur honneur à ne plus comprendre la liberté de l'homme, comme le Christianisme l'entendait. Athènes, cette république d'Athènes, que nous avons l'impertinente fatuité de croire imiter, n'a certai- nement jamais vu de médecin plaider de l'irres- ponsabilité du forfait commis par l'enfant dans lequel il pointait un monstre. A Athènes, le législateur n'eut peut-être jamais affaire, comme nous, à des jouvenceaux de quatorze ans, curieux de voir sortir des boyaux d'un ventre d'enfant écartelé. comme le son ou le sable d'un ventre de poupée défoncée ! L'Histoire nous dit seule- ment qu'un jour le législateur, c'était Solon, je crois, rencontra dans Athènes un bébé, bien inférieur aux nôtres, mais qui avait trouvé inté- ressant de percer les yeux d'un moineau avec le poinçon de sa mère, et sans jugement et sans procès, il le mita mort, malgré son âge. Il étouffa le monstre qui allait grandir, et il l'épargna à sa patrie et à l'honneur du genre humain !

LES BÉBÉS SOUS LA RÉPUBLIQUE 30"

III

Certes ! ce n'est pas nous, pauvres et chétifs modernes, qui nous élèverons jamais jusqu'à l'énergie de Solon. Ce n'est pas nous, qui tremblons en portant le pouvoir quand on nous l'a mis dans la main, qui nous élèverons jusqu'à cette décision rapide et suprême de l'homme d'Etat, qui voit dans l'enfant criminel le futur fléau pour les hommes et qui l'écrase dans l'œuf de son enfance, comme un principe certain et funeste de contagion ! Et je le comprendrais, du reste, si nous étions chrétiens encore, si nous avions encore dans la poitrine quelque fibre de Christianisme déchiré. Avec sa noble conception de la liberté humaine, le Christianisme ne croyait pas aux monstres, du moins à ceux-là qui sont éternels et absolus. Il avait, pour en faire des hommes, l'enseignement, la prière, la pénitence et la grâce... Mais nous, fils d'une loi athée, qui devrions être conséquents à cette loi, nous, aussi païens que Solon lui-même et qui ne croyons. qu'à la matière, nous n'osons pas appli- quer à la matière le seul châtiment qu'elle comprenne, sous prétexte que cette matière n'a

308 DERNIÈRES POLÉMIQUES

d'existence et d'agencement que depuis quelques jours. Nous en respectons les quelques atomes! On abat le chien qui a la rage, et on ne demande ni l'âge du chien ni l'âge de la rage ; mais l'âge de l'enfant monstrueux arrête net, et, pour le sauver, on le déclare irresponsable, comme la rage et le chien qui le sont aussi, et les hommes restent foudroyés par ces crimes d'enfants qu'ils devraient, eux ! sans hésitation et sans rémission, impitoyablement foudroyer !

S mars 1880.

TOUT EST PERDU...

FORS L'HONNEUR!

C'est ce qu'aurait pu crier, en mourant, ce souverain qui vient de mourir à son poste de Souverain.

Il y est resté, en effet, malgré cinq tentatives successives d'assassinat sur sa personne, mal- gré les menaces incessantes de ceux qui croyaient l'épouvanter et le faire tomber du trône par l'é- pouvante, — malgré les conseils de ceux qui l'ai- maient plus pour sa personne que pour sa gloire, et qui lui conseillaient de laisser une couronne qui faisait de son front impérial une cible ajus- tée perpétuellement par des assassins invisibles et inévitables ; mais il n'a écouté que son lion-

3 10 DERNIERES POLÉMIQUES

neur de souverain et il est mort à son poste de souverain et pour le compte de ce principe qu'il incarnait dans sa personne : LA SOUVERAI- NETÉ !

Il savait bien qu'il y mourrait. Il n'en doutait pas. Il en était certain. Mais qu'importe ! Il sa- vait que tout était perdu pour lui d'abord, mais peut-être, après lui, pour sa race, et après sa race, peut-être pour la Russie, qui n'est plus maintenant la sainte Russie, mais la régicide Russie; tout perdu, même pour la Royauté et pour les sociétés, qui se sont appuyées, pendant des siècles, sur cet angle divin de la Royauté : vision terrible de peut-être, qui a hanter ses derniers jours ! Seulement, si tout était perdu, il fallait que l'honneur de la Souveraineté ne pérît pas avec le reste, et, en mourant pour lui, il l'a sauvé !

Il avait donc le droit de pousser ce cri che- valeresque : « Tout est perdu, fors l'honneur! » plus que François Ier, après une seule bataille per- due, dans laquelle même il se rendit. Alexandre II est mort, lui, après combien de batailles perdues, hélas ! par la Royauté, en Europe? et il est mort sans se rendre; car se rendre, c'eût été abdiquer!

TOUT EST PERDU... FOUS i/llONNEUR 311

II

Et il n'abdiqua pas. Grande chose ! Il est resté Empereur, quand les abdications semblent si faciles, dans ces jours mauvais pour tout Pou- voir, et quand le scepticisme universel fait dou- ter jusqu'aux Rois de leur droit et leur fait lâcher leurs couronnes, de lassitude ! Il est resté volontairement Empereur dans un misérable temps il y n'a pas que des femmes qui abdi- quent, mais l'on a vu un jeune homme, de race héroïque, n'imiter de Charles-Quint, dans le pays de Charles-Quint, que son abdication, et encore sans le monastère ! Alexandre II, qui pouvait être fatigué de son métier de sou- verain fait pendant des années, n'a pas rejeté le fardeau longtemps porté du manteau impérial, et, bien loin de le rejeter, il l'a serré plus étroi- tement autour de lui, voulant mourir dans ce manteau, comme il y était éclos. Bel exemple donné aux souverains de l'heure présente, qui peuvent tout perdre de leurs monarchies et de leurs souverainetés personnelles, mais fors /' hon- neur de la SOUVERAINETÉ !

Encore une fois, voilà la vraie gloire d'Alexan- dre II ! Nous n'aurions que cela à louer dans ce

31:2 DERNIÈRES POLÉMIQUES

monarque, que ce serait assez pour expliquer la place rayonnante qu'il aura certainement dans l'Histoire. Ce ne sera ni la magnanimité impru- dente de l'émancipation prématurée de son peuple qui la lui donnera, ni la politique noblement opi- niâtre de sa race à laquelle nul descendant de Pierre le Grand ne saurait faillir sans déroger, ni les succès de ses armées dans les dernières guerres contre les Turcs, ni tout ce qui ferait la gloire d'un autre Empereur qui aurait vécu comme lui et qui ne serait pas mort comme lui. Non ! sa gloire, par-dessus toutes ses autres gloi- res, sera d'être mort à son poste d'Empereur ! De- puis qu'il y a été si atrocement massacré, on s'est rappelé de toutes parts, et avec une juste raison, ce qu'il avait fait pendant son règne pour la gloire et le bonheur de son peuple, ingrat comme tous les peuples, et on s'est demandé avec une prévoyance inquiète ce qui allait advenir de la Russie et de la politique du règne nouveau, qui vient de commencer, et tout cela était inévitable ; tout cela était de situation. Mais, selon moi, on n'a pas vu assez le côté sublimement pratique de cette mort d'Alexandre, qui doit redonner du cœur aux Rois qui sentent le leur faiblir, dans cette lâche période de défaillance. En effet, si, comme on pourrait le craindre, tout est perdu

TOUT EST PERDU... FORS LHUNNEUR 313

des monarchies, il faut que ce soit fors l 'honneur ! dans l'Histoire ! Si le pouvoir monarchique doit un jour tomber, comme tant de choses qui tom- bent, il faut au moins que la Souveraineté n'y soit jamais, jamais déshonorée ! Alexandre II, gloire à lui ! n'a pas voulu qu'elle le fût ! et il s'est sacrifié pour elle. .

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Rien de plus beau. Or, l'Histoire a son esthé- tique aussi. Elle a sa beauté qui semble inutile à ces myopes qu'on appelle des utilitaires, et qui est nécessaire pour que l'esprit humain ne s'é- croule pas et reste ce qu'il est. Les causes per- dues gagnent toujours leur procès devant l'His- toire, si elles ont tini avec honneur... Rien n'est plus beau que la cause perdue des Stuart après Culloden. Jamais drapeau n'a été plus glorieuse- ment enterré que le drapeau de la Vendée, dans les plis duquel Larochejacquelein s'entortilla pour aller mourir le cœur sur la bouche même du ca- non (jui le tua! A Waterloo, qui fut sa fin, Na- poléon retrouva sa gloire et ses soldats vaincus s'y couronnèrent, a dit un poète, « de cyprès plus beaux que des lauriers ! » Les causes per-

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314 DERNIÈRES POLÉMIQUES

dues et mortes jettent plus de flammes dans l'Histoire que les causes qui ont triomphé. Elles y restent éternellement honorées, parce que c'est pour leur honneur, non pour le succès, qu'elles ont péri. Alexandre II y représentera aussi une cause qui pourrait bien être perdue... la cause de la Souveraineté, ce principe divin, dans son unité et son essence, de toute monarchie, et il est mort pour cette cause comme jamais aucun n'est mort pour la sienne. Tous se sont engloutis dans le moment môme de leur défaite; mais sa mort, à lui, a duré des années, depuis le pre- mier assassinat manqué sur sa personne jusqu'au dernier, qui a réussi ! Il était mort, et il se sen- tait mort, et la chose dans sa grande àme était accomplie, et du fond de cette mort, qu'il tenait aussi certaine que si elle était venue, il a conti- nué intrépidement de régner! Son martyre a été plus long que le martyre du Temple, mais il n'a fait, lui, aucune concession à la Révolution qui l'avait condamné dans une de ses Conventions lâchement anonymes et secrètes, en attendant ses Conventions au grand jour.

Il n'avait souffert aucun bonnet rouge sur sa tête, comme ce saint Louis XVI, qui en souffrit un, en pensant, sans doute, à la couronne d'é- pines de No tre-Seigneur Jésus-Christ. C'étaitJbien

TOUT EST PERDU... FORS L'HONNEUR 315

le fils de Nicolas, le seul souverain qui ait mé- rite de s'appeler un souverain, depuis Louis XIV et Napoléon ! []n jour, son père l'avait entendu, quand il était enfant, demander grâce, dans un de leurs jeux, à son frère, plus robuste que lui, et qui l'étreignait, et il le punit sévèrement, parce qu'il pouvait devenir Czar un jour, et qu'un Czar ne doit jamais, quoi qu'il arrive, demander grâce à personne ! Il n'a pas oublié cette leçon. Il n'a, ni en changeant de politique, ni en abdiquant, demandé grâce aux assassins de la Révolution qui devaient l'éventrer, et il est resté le Czar et il est mort le Czar !... Et je voudrais être aussi sûr maintenant du salut du monde que de sa gloire.

21 mars 1881.

LE RÉGICIDE UNIVERSEL

Cela va paraître certainement incroyable et terrible, mais, il faut bien le reconnaître, il est pour l'heure, le Régicide, en train de devenir universel. L'horreur qu'a causée l'éventrement du Czar, mort glorieusement à son poste, cette horreur dont l'Europe a senti le frisson passer sur elle, comme un frisson de mort sociale, est déjà dissipé et n'y fera rien ! Ils vont tout à l'heure enterrer Alexandre II avec une pompe digne de lui et de l'impériale Russie, qui aime en- core, dit-on, ses Empereurs, quoiqu'elle les tue, mais on n'enterrera pas le Régicide avec Alexandre! On jetterait dans sa tombe, si on pou- vait les saisir, tous les nihilistes de Russie,

18.

318 DERNIÈRES POLÉMIQUE?

comme on jeta des hommes et des femmes vi- vants dans la vaste tombe d'Attila, qu'il n'en exis- terait pas moins, le Régicide ! Il a la vie plus dure que ceux qu'il tue. Il n'en aurait pas moins, à cette heure, les colossales proportions qu'il a prises dans ces temps magnifiques de civilisation et de progrès, car autrefois c'était un crime presque toujours solitaire, et à présent il est collectif, et il n'en continuerait pas moins de s'étendre, comme le fléau d'une peste, sur la vaste échelle de toutes les monarchies, pour en exterminer les Rois !

Allez! il ne donnera pas sa démission sur le tombeau d'Alexandre. Il ne la donnera sur au- cun tombeau. Depuis Charles Ier, assassiné par son Parlement d'Angleterre, et Louis XVI, as- sassiné par la Convention, le Régicide, cet assas- sinat des Rois et le Roi des assassinats, n'a pas cessé, en tuant les Rois, de travailler pour le compte des peuples. Ils s'en vantent assez, eux! Ils en sont assez fiers ! Il a pu interrompre par- fois un instant, mais il n'a jamais cessé de faire sa tragique besogne... Aujourd'hui, il vient d'a- jouter à la liste de ses assassinats la mort par- ticulièrement atroce d'Alexandre : mais ne croyez pas qu'il arrête sa poussée sanglante à travers le monde épouvanté! Non pas ! La Révolution

LE RÉGICIDE UNIVERSEL 319

qui l'inspire n'a jamais eu de plus horribles espé- rances. Elle ne s'est jamais crue plus près des cer- titudes qui doivent l'enivrer. Jamais cette abo- minable Lucrèce Borgia de la Révolution, aussi atTreuse et malheureusement plus vraie que la fausse Lucrèce Borgia inventée par Hugo, ne s'est sentie plus près de pouvoir dire, après le souper vengeur et savoureux du meurtre d'Alexandre : « Vous êtes tous conda/nnés, mes- seigneurs, et vous serez tous exécutés et morts demain ! »

II

Demain... c'est bien tût ; mais qu'importe ! Elle a bien l'idée qu'elle les tuera tous un jour et cela suffit à lui réjouir le cœur, à cette douce Lucrèce ! Seulement, tués, le fussent-ils tous. que cela ne tuerait pas encorde Régicide et qu'il n'en resterait pas moins dans nos cœurs et dans nos mœurs, nos mœurs, hélas! si épouvantable- ment égalitaires, puisque cet horrible démon du Régicide est le fils même de l'égalité dont les peu- . pies modernes sont fous ! Elargi comme l'orgueil des hommes, le Régicide a plus maintenant à im- moler que les rois chefs d'Etat et conducteurs de

320 DERNIERES POLÉMIQUES

peuples, les rois de naissance et de dynastie. Il a bien d'autres rois à supprimer encore. Il frappe également tous ceux-là qui sans être rois por- tent cependant, parmi les hommes, sur leur noble front la couronne de quelque chose... Il frappe tous ceux-là qui deviennent quelqu'un dans l'ab- jecte foule, qui n'est personne, et qui s'affirment à quelque degré que ce soit par le génie ou par le caractère, par les lumières ou par les ver- tus ! Il frappe enfin et toujours implacable- ment — toutes les supériorités personnelles, plus hautes que la foule, acéphale et jalouse, qui décapite tout pour mettre tout à son niveau. Ce n'est donc plus seulement maintenant une affaire de Rois que le Régicide! C'est une affaire d'égalité, pour l'humanité tout entière ! C'est cette frénésie d'égalité que la Révolution souflle présentement sur le monde. C'est l'effroyable prétention d'un siècle fait à son image, et qui gardera, Dieu merci ! sur sa face de siècle, la trace indélébile du Régicide et des assassi- nats dans l'Histoire ! C'est enfin l'orgueilleuse volonté qu'il a d'être, au nom d'une égalité chimérique, mais forcenée, le justicier et le bourreau de toute supériorité personnelle, par la raison qu'au fond toute supériorité person- nelle est une royauté à sa manière, et qu'il ne

LE RÉGICIDE UNIVERSEL 321

doit plus y avoir, dans le monde moderne des Républiques, aucune espèce de royauté !

Chose monstrueuse, il est vrai, mais toute monstrueuse qu'elle soit, rêvée pourtant, désirée et scélératement voulue par les peuples, et qui si possible ne serait rien moins qu'une dé- capitation de l'humanité et le régicide du genre humain !

III

Ce serait le monde perdu, mais ceux-là qui le perdraient, ceux-là, les égarés d'esprit que la chose monstrueuse attire, ont, il faut l'avouer, très bien fait ce qu'il fallait faire pour la faire accepter au monde, malgré sa détestable mons- truosité. « Le diable est logicien », dit Dante. Ceux qui lui ressemblent sont, comme le diable, des logiciens! Puisque la question était d'amener un monde autrefois organisé et hiérarchique sous le niveau bête et brutal d'une égalité im- possible, ils s'y sont bien pris, pour la résoudre, comme ils devaient s'y prendre. Ils ont com- mencé par Dieu lui-même... C'était commencer comme il fallait. Ils sont partis de Dieu pour mieux arriver jusqu'à l'homme, et ils ontétédes

322 DERNIÈRES POLÉMIQUES

athées avant d'être des régicides et des assassins. C'était la vraie route et ils l'ont suivie ! Avant de décapiter l'homme de sa propre personnalité, ils ont décapité Dieu de sa personnalité divine; car un Dieu qui n'est pas personnel n'est pas un Dieu, et le déisme, disait Bossuet, n'est qu'un athéisme déguisé, un athéisme men- teur et lâche ! Dans leurs thèses insensées de métaphysique et leurs philosophies funestes, ces philosophies qui engendrent toujours la pratique et la politique des peuples, ils ont procédé comme des hommes qui ont en eux l'é- pouvantable génie révolutionnaire, et c'est en niant résolument le Dieu personnel et son ac- tion directe sur le monde qu'ils ont posé le prin- cipe de toute destruction, et qu'ils sont arrivés du régicide de Dieu au régicide des Rois, et du régicide des Rois au régicide de toute supé- riorité personnelle, le dernier et le plus dégra- dant des régicides, parce qu'il est, celui-là, la mortde tout ce qui s'élève, et qu'il supprimerait jusqu'aux grands hommes dans l'humanité !

Et leur logique, à ces diaboliques logiciens, a été si abominablement implacable, qu'ils ont fini par la retourner contre eux-mêmes, comme le scorpion son dard, et contre ceux-là qu'ils croyaient le plus des grands hommes et qu'ils

LE RÉGICIDE UNIVERSEL 323

avaient longtemps le plus glorifiés ! Ils ont fini, ces révolutionnaires, absurdement fanatiques d'une égalité furibonde à laquelle ils sacrifient tout, par être des régicides contre les leurs et par décapiter après leur mort leurs grands hommes révolutionnaires au profit d'un peuple qui ne se croyait pas plus grand qu'eux quand ils vivaient, etdont,pour le faire paraître plus grand, ils n'ont pas craint de guillotiner la mémoire. Ah ! des Nihilistes, il n'y en a pas qu'en Russie. Le Régi- cide est dans tous les esprits de ce misérable temps ! Michelet l'historien, qui n'eût pas é ven- tre de Gzar, mais qui a souvent éventré la vérité, Michelet, le grand artiste, qui n'aurait pas voulu qu'on le décapitât, lui, de son talent et de sa gloire, a été un Nihiliste en Histoire. Il fut, en ses dernières années, dans son Histoire de la Révolution, l'assassin réfléchi des hommes de la Révolution, qu'il en trouvait trop les Rois sans doute. Dans sa populacière histoire, il a osé dire que le peuple seul avait tout fait de cette Révo- lution qu'il admire. Ce ne furent ni Mirabeau, ni Danton, ni Robespierre, ni Marat, le plus grand révolutionnaïrement de ces héros révolu- tionnaires. Non ! ce fut le peuple, le peuple qui fit tout, le peuple pris dans tous les ruisseaux des faubourgs, la sainte canaille, les goujats su-

o24 DERNIÈRES POLÉMIQUES

blimes, et, régicide contre les Rois de la Révolu- tion, Michelet les a dédaigneusement poussés dans son histoire, au panier silencieux du bour reau, et à cet abîme qui doit peut-être englou- tir le monde moderne... le gouffre de l'égalité !

IV

Car il nous dévorera Ions, si Dieu ne nous en- voie pas pour le fermer quelque grand homme échappé au massacre et au régicide universel ! Les grands hommes sont les derniers rois de ce monde, ce sont les rois d'après les rois, les rois éternels et qui ne mourront qu'avec l'humanité. Il n'y a maintenant qu'un de ces grands hommes qui puisse fouler aux pieds la vile égalité hu- maine et nous sauver !...

29 mars 1881.

RELIGION D'ETAT

DE LA RÉPUBLIQUE

Car elle en a une, cette athée ! Elle qui, avant d'être la République, se vantait d'être la Libre Pensée et s'insurgeait avec une sainte horreur de liberté, dans les écrits de tous ses philosophes, contre les Religions d'État, ces instruments, disaient-ils, du double despotisme, religieux et politique, des anciennes monarchies, n'a pas craint de s'en faire une à son usage et de l'im- poser brutalement et impudemment à la France!

Elle n'a pas craint les soufflets brûlants qu'elle s'est appliqués à elle-même sur ses belles joues de République, en imitant bassement, puisque c'est avec hypocrisie, les monarchies flétries par

u. 19

326 DERNIÈRES POLÉMIQUES

elle, proclamant, par le déshonorant spectacle qu'elle donne aujourd'hui, ce qu'elle a tant nié autrefois, et ce que nous tiendrions pour vrai, nous, avant comme après la dégradation possihle de toutes les Républiques du monde : c'est qu'il faut une religion d'Etat pour gouverner les hommes, et si. on n'en a pas une faite avec la grande affirmation de Dieu, on s'en fait une avec sa négation sacrilège... On s'en fait une avec de l'athéisme plutôt que de n'en pas avoir. Et c'est ce qu'elle a fait, la République ! Seulement, les religions d'Etat des anciennes monarchies étaient la conséquence glorieuse de leur foi et de celle de leurs peuples, tandis que la religion d'Etat de la République est la plus triste inconséquence de son orgueilleuse incrédulité !

II

Et c'est la honte présente pour elle... La honte, en attendant l'exécration des crimes qu'elle pourra, qui sait?... faire plus tard. L'ignominie pour elle, c'est de mentir à une incrédulité pendant si longtemps et si fastueusement exprimée! C'est de se montrer fanatique, religieusement fanatique à son tour, dans l'exercice de son pouvoir, aines

LA RELIGION D'ÉTAT DE LA RÉPUBLIQUE O^T

avoir philosophiquement bombardé tous les fana- tismes de la terre ! Ce n'est pas simplement, non ! d'avoir fait de la négation de Dieu une re- ligion d'État contre ceux qui l'affirment ; Louis XIV a dragonne les protestants et les a chassés de France, parce que, rebelles et conspi- rateurs, ils troublaient profondément son Etat et le livraient à l'ennemi et aux idées ennemies, et, certes ! Louis XIV a bien fait. Les républicains d'aujourd'hui, qui ont remplacé Louis XIV, dans la France démonarchisée, chassent, en ce mo- ment, de leurs cloîtres et de leurs hôpitaux, les religieux et les filles de charité, et tout ce qui est chrétien deviendra peut-être pour eux ce qu'étaient les protestants pour Louis XIV; car qui d'entre nous sait précisément à cette heure la persécution de leur religion d'Etat peut aller?. . . Pour nous, royalistes et chrétiens, c'est une chose horrible, mais nous ne sommes pas assez lâches pour leur reprocher avec une mélancolie bête cette religion d'Etat avec laquelle ils veulent créer, disent-ils (nous verrons bien !), l'unité d'une France nouvelle.

S'il n'y avait que cela, nous serions assez mâles pour les absoudre... Ils veulent faire, en effet, ces républicains, de la Révolution la Reine du monde, et ces menteurs de tolérance, ces con-

3^8 DERNIÈRES POLÉMIQUES

tempteurs de la religion d'Etat des vieilles mo- narchies, s'y prennent comme s'y prenaient les gouvernements monarchiques, quand ils vou- laient que la Royauté restai la Reine du monde. c'est-à-dire intégralement la Royauté. Ils n'ont pas lu l'Histoire en vain... Ils y ont appris qu'il n'y a pas pour eux. d'autre manière d'implanter et de cercler la France dans le carquois de fer d'une république, que de rejeter impitoyablement tout ce qui n'entre pas dans la mesure de ce car- quois. Certainement, ils n'ont pas tort de le croire. On ne fait un peuple qu'en le compri- mant. Tous les gouvernements qui se sentaient des gouvernements l'ontcru. Charlemagne.quifit baptiser de force les Saxons, l'a cru. L'Inquisi- tion d'Espagne l'a cru. Louis XIV l'a cru. Ils ont tous voulu faire cette grande chose : l'unité d'un peuple, mais la gloire, dans cette question im- mense, c'est de réussir !

Ont-ils cru, eux, ces ennemis imbécilles de Charle- magne, de l'Inquisition d'Espagne, de Louis XIV. qu'ils réussiraient en les imitant?... Nous leur eu portons le défi! Qu'ils fassent comme Louis XIV, s'ils peuvent ! Nous autres royalistes absolus , nous aimons tant les pouvoirs forts et les nations unitaires, que nous serions hommes à pardonner leur rigueur a ces vieux tolérants corrigés de la

LA RELIGION D'ÉTAT DE LA RÉPUBLIQUE 329

République... Mais ce qu'il est impossible de leur pardonner, ce qui est bas et vil comme le men- songe et comme l'inconséquence, ce qui doit fa- talement se retourner contre eux devant la France d'aujourd'hui et devant l'Histoire de demain, c'est d'avoir toujours et partout insulté la reli- gion d'Etat avant de s'en servir eux-mêmes, et, du seul fait de s'en servir, d'avoir renié solennel- lement la Libre Pensée, dont ils se sont dit si longtemps et si pompeusement les fils ! Fanfa- rons d'impiété et d'indifférence méprisante pour toutes les religions, c'est de trembler encore devant celle-là qu'ils ont le plus cruellement ou- tragée, — celle de ce Christ qui n'est rien, disent- ils, et qui les met en fureur comme s'il était quelque chose de formidable ! Enfin, pour des athées aussi résolus qu'eux, c'est de tâtonner lâchement dans les persécutions qu'ils risquent chaque jour, et que les chrétiens au cœur ferme souhaiteraient leur voir oser avec plus d'énergie; car si les persécutions qui commencent, et qui ne sont pas encore atroces, allaient le deve- nir, peut-être emporteraient-elles plus vite, dans leur atrocité, la République!

3 avril 1881.

LES BOURREAUX TAQUINS

DE LA RÉPUBLIQUE

Un jour, dans cette admirable guerre de Ven- dée que Napoléon, qui s'y connaissait, appelait « une guerre de géants », le général Forestier, entre deux engagements, surprit dans un caba- ret quelques grenadiers de la République, attar- dés là comme ils se seraient attardés sur le champ de bataille, cet autre cabaret l'on boit du feu ! Or, parmi ces grenadiers de la République qui se sauvèrent tous à l'approche de Forestier, trop en force pour qu'ils pussent résister, il y en eut un qui ne se sauva pas et qui resta la tête dans sa main et le coude sur la table, devant son verre à moitié vidé. Forestier

332 DERNIÈRES POLÉMIQUES

alla à lui, le sabre haut : « Crie vive le Roi ! ou meurs! » lui dit-il. Mais le grenadier ne bougea pas, et gardant sa nonchalante attitude, qui devint sublime : « Tue-moi, répondit-il au gé- néral royaliste, mais ne me fais pas souffrir

Eh bien, c'est ce que nous disons maintenant à la République : « Tue-nous, mais ne nous fais pas souffrir ! »

Forestier était un héros : « Va te faire tuer par un autre! » dit-il au grenadier intrépide. Mais la République, qui n'est pas une héroïne, la Répu- blique qui nous tient et qui ne nous lâchera pas, de sa propre volonté du moins, se contente de nous faire souffrir.

Elle n'est pas capable de nous tuer. Non ! Des républicains d'une autre espèce que ceux qui nous gouvernent, les républicains de l'intransi- geance etde l'avenir, nous tueront peut-être, mais pas les républicains de la République actuelle, les républicains de l'opportunisme, ces Girondins de race éternelle en France, ces juste milieu qui ne veulent jamais le crime qu'à moitié... Ils ne nous tueront pas, mais, en attendant que les intransigeants nous tuent, ils nous feront souf- frir ! Us se délecteront voluptueusement à nous faire souffrir ! Et, bourreaux taquins à qui le génie audacieux de la grande persécution manque.

LES BOURRRAUX TAQUINS DE LA RÉPUBLIQUE 333

ils ne seront jamais avec nous que les plus lâches, les plus petits et les plus hypocrites des persé- cuteurs !

II

Ils n'ont, en effet, ni la franchise de leurs des- seins, ni la bravoure de leur haine. Nous qu'ils détestent, nous savons très bien ce qu'ils veulent; mais eux, ils savent très bien ce qu'ils n'osent pas.. . Pour eux, ces bourreaux taquins, encore plus taquins que bourreaux, qui ont raccourci la persécution àleur taille, ça a été une espèce de petit massacre à leur usage que cette expulsion de quelques prêtres de leurs maisons quand, dans le fond de leur cœur, ils auraient voulu chasser tous les prêtres de France ! ! Tour ces taquins de la persécution qui n'ont que le courage de leurs taquineries, c'était une Saint-Barthélémy ano- dine, où le sang n'avait pas coulé, mais leur honneur, comme disait un jour Sheridan d'une lâcheté anglaise qui n'avait pas coûté une goutte de sang à l'Angleterre. Seulement ils se sou- cient bien de leur honneur, à eux, ces impos- teurs de liberté qui sont allés chercher, pour frapper quelques pauvres prêtres, dans les légis-

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334 DERNIÈRES POLÉMIQUES

lations les plus despotiques de vieilles lois tom- bées en désuétude, qu'ils n'auraient pas osé in- venter.

Aujourd'hui que la chose est faite et que ce martyre de l'expulsion a été sans danger pour eux, ils s'enhardissent à demander une loi qui oblige les séminaristes au service militaire ; car les séminaristes sont des prêtres futurs, et ce qu'ils veulent manger, ces chacals, c'est toujours du prêtre ! Ces ennemis du principe chrétien, sur lequel depuis qu'elle existe a vécu la France, ces athées qui voudraient tuer Dieu dans son culte, n'ont en vue que les prêtres seuls, les prêtres qui ont toujours été la tête de la France, et c'est à cette tête-là qu'ils ont visé. Cette loi odieuse et ridicule de l'obligation militaire pour ceux-là qui sont déjà des militaires au service de la France, puisqu'ils sont les soldats du Christ . ils viennent même de la demander avec la gaieté de la taquinerie, de la taquinerie qui jouit intimement de cela seul qu'elle vexe et impa- tiente... car ils savent bien que ce n'est pas encore cette loi qui tuera le sacerdoce en France, et que, pour cela, il faudra s'y prendre mieux un de ces jours !

Ils le savent bien, mais en attendant qu'on tue ce clergé qu'ils exècrent, ils aiment à lui

LES BOURREAUX TAQUINS DE LA RÉPUBLIQUE 335

faire d'ignobles misèrei. Ils aiment à lui mar- cher sur les pieds en attendant que d'autres qu'eux lui marchent sur le cœur... Leur mi- nistre, parlant de cette loi qu'ils demandent, n'a-t-il pas l'autre jour fait le joli cœur impie en disant cette bêtise vulgaire : qu'à ses yeux le prêtre ne différait pas d'un autre homme, ce qui rappelle le mot du barbier de Chamfort : « Je ne suis qu'un pauvre merlan, mais, allez ! je ne crois pas à Dieu plus que vous. » La Chambre, en effet, ne croit pas plus à la différence du prêtre et des autres hommes que le merlan mi- nistériel, et c'est bien là-dessus qu'il a compté ! Il connaît sa Chambre. Il la connaît comme le cocher connaît son écurie. Pour lui, comme pour elle, l'important, c'est de vexer le prêtre, de le vexer n'importe comment, ce prêtre détesté ! et de mettre au tas des petites persécutions diri- gées de partout contre lui, cette petite persécu- tion encore...

C'est la mouche introduite dans le nez du lion pour le faire rugir, sans danger pour le vil in- secte...

III

D'utilité à cette misérable loi, il n'y en a pas; car elle n'est au fond que le plus abject procédé

336 DERNIÈRES POLÉMIQUES

de la lâcheté et de la l|aine, et d'une haine qui s'amuse bassement des ignobles malices qu'elle fait, ne pouvant faire pis... Certes! on ne per- suadera jamais à personne que deux mille sol- dats, sortis des séminaires, ajoutent beaucoup au contingent annuel et militaire de la France, et que ce soit cette considération patriotique qui ait provoqué la détermination de cette loi qu'on va discuter. On ne persuadera jamais à per- sonne que cette loi, faite contre des prêtres, ait été faite pour la patrie et en vue de l'intérêt supérieur de la patrie, et qu'elle soit autre chose qu'une insolente provocation à toute une classe d'hommes qui n'y répondra pas, et qui se lais- sera, avec la résignation chrétienne et religieuse du prêtre, opprimer... Ces bourreaux taquins et farceurs de la République trouvent très drôle, dans leur haine du prêtre, de le mettre entre l'Église et l'Etal et de l'écraser entre deux. Àh ! l'Église défend à ses clercs l'emploi des armes ! Eh bien, l'État, lui, le leur prescrira! Nous ver- rons alors la grimace que fera l'Eglise, quand nous aurons jeté un pareil chat dans les jambes du sacerdoce! L'Eglise veut que, pour devenir des prêtres, ses clercs soient élevés dans la pu- reté de l'enseignement et des mœurs; et l'Etal interrompra d'autorité cet enseignement dan- la

LES BOURREAUX TAQUINS DE LA RÉPUBLIQUE 337

distraction forcée du métier de soldat et de la caserne.

Cette loi, qui ne serait qu'inutile, si elle n'é- tait pas la plus cruelle, la plus impertinente des plaisanteries, n'a pas môme pour prétexte le des- potisme des circonstances et les impérieuses né- cessités des temps de guerre. Elle n'est pas faite pour ces temps-là. Quand ces temps-là viennent, l'Eglise, malgré son horreur du sang, n'a pas horreur de celui qui coule de ses veines, et le seul évéque qui représente l'Eglise dans cette Chambre républicaine a su le rappeler à l'odieux ministre qui l'oubliait. Quand il s'agit de mourir pour la patrie, le prêtre, qui ne peut être soldat, sait être martyr. Dans cette guerre dont nous saignons encore, on les a vus, brancardiers in- trépides, aller aussi avant dans le feu que nos soldats qui tombaient, mais c'était pour les ra-

masser :

14 avril 1881.

LE FANATISME MODERNE

C'en est fait ! Les fanatiques de Saint-Péters- bourg ont vécu. Ils ont été pendus, comme ils méritaient de l'être ; car la mort du tué doit engendrer nécessairement la mort du tueur, selon la justice séculaire telle que l'ont entendue les Codes de toutes les nations. Mais dans ces temps nouveaux, empestés de fausses philoso- phies et de fausses clémences, on a pu douter un moment du supplice de tous les coupables dans ce crime du meurtre du Czar... L'idée de leur nombre troublait les esprits, l'idée aussi de ces deux femmes, impliquées dans cette atrocité collective. Mais Alexandre III a élé ce qu'il devait être : il a été inflexible. Il ne pouvait

3*0 DERNIERES POLÉMIQUES

vraiment pas faire cet outrage au cercueil chaud encore du sang de son père, d'un peu de pitié pour ses assassins.

Des deux femmes coupables et condamnées, une a été momentanément épargnée parce qu'elle est grosse de plusieurs mois, et l'on a respecté la vie et l'innocence du malheureux enfant qui n'a pas choisi l'affreux ventre dans lequel il a eu le malheur de naître... L'autre femme, la noble, és"ale aux hommes dans le crime, a été égale aux hommes dans le supplice. Et c'est ainsi qu'Alexandre III, succédant à son père, a com- mencé son règne avec l'intrépidité de son père, resté Empereur comme lui, Alexandre III, sera Empereur, sous les menaces des assassin- '.

Et, en effet, c'est les assassins qu'il faut dire : ce n'est pas seulement les assassins d'Alexandre II. puisqu'il n'y a pas que ceux qui l'ont tué et qu'il doit en repousser d'autres à mesure qu'ils tuent et qu'on les tue ! puisqu'ils sont tous, ces as- sassins, une phalange cachée et disciplinée, au nombre inconnu, mais certain, et toujours en armes !... Pour trouver la pareille de cette pha- lange mystérieuse, il faut remonter jusqu'au Moyen Age et passer d'Europe en Asie. Seule- ment, le fanatisme des assassins du Vieux de la Montagne avait au moins sa raison d'être

LE FANATISME MODERNE 341

et même sa noblesse, puisqu'il était un fanatisme religieux ; tandis que le fanatisme des nihilistes, de cette armée aux chefs qui se cachent, c'est le fanatisme de l'envie, le seul fanatisme dont les peuples modernes soient capables et soient dignes de porter le nom.

II

L'envie, en effet, la détestable envie, la plus vile et la plus hideuse des passions de l'humanité, n'est pas nouvelle dans nos âmes. De tout temps, les moralistes l'y ont vue, et Dieu sait comme les poètes l'ont représentée et peinte dans leurs vers! Elle existe donc de toute éternité, comme l'homme déchu, et par le fait de sa déchéance ; mais si vous parcourez l'Histoire, elle n'a jamais au grand jamais existé avec la force qu'elle a aujourd'hui. Le serpent, le serpent immonde, qui se traînait dans l'ombre et la fange de nos cœurs, est maintenant une hydre immense qui lève ses mille têtes insurgées du fond de l'âme de tous les peuples ! Python énorme d'un temps qu'il dévore, et qui, malheureusement, hélas! [tour le tuer n'a plus de Dieu, l'envie, qui n'exis- tait que dans quelques àmes, comme la vipère

'à't± DERNIÈRES POLÉMIQUES

dans son trou, est devenue le vice universel. Ce n'est pas comme elle le dit la fille de l'Orgueil parce qu'elle en est sortie. Elle n'en est sortie que parce qu'elle est son excrément, mais venue d'en bas, elle a, grâce à nos mœurs modernes, exaltatrices de toutes nos vanités, contracté l'intensité d'un fanatisme dans nos âmes appauvries de tout, mais puissantes encore par là, scélératement puissantes !

Principe des révolutions dernières de notre histoire, l'envie a pris des proportions tellement incommensurables qu'on peut la comprimer... peut-être, mais l'étouffer, impossible ! Elle a grandi comme les chiens de la lice. Elle est devenue menaçante et plus que menaçante, puis- qu'elle a commencé de mordre, mais comme le dogue qui, sous le fouet, ne lâche pas une fois ce qu'il a pris, le crime accompli, elle menace encore de recommencer. Elle tue des Gzars et les prévient à l'avance insolemment qu'elle les tuera, si dans trois mois ils n'ont pas payé ces épou- vantables billets à ordre, comme, après les Czars tués ou avilis, ce qui est la même chose, s'ils obéissent, elle tuera les nobles et les riches. Elle tuera les beaux, elle tuera les heureux, elle tuera les spirituels, elle tuera enfin tout ce qui a une supériorité quelconque dans la vie ! Elle

LE FANATISME MODERNE 343

a dit, un jour, par la plume deProudhon, qu'un savetier est plus qu'un Homère, et par la bouche d'un communard, incendiaire de Paris, à qui moi-même je l'ai entendu dire : « que l'incendie du Louvre n'était qu'un coup manqué, mais qu'on recommencerait »', parce que la gloire des faiseurs de chefs-d'œuvre comme Raphaël et Michel-Ange n'avait pas le droit d'exister dans la société égalitaire que ces fanatiques de l'envie promettent à l'avenir!

Voilà donc le fanatisme moderne ! Voilà le fanatisme qui a remplacé tous les autres fana- tismes de cette vieille humanité décrépite et dégradée ! II* y en avait d'autres autrefois. Il y avait le fanatisme de la patrie et de sa gloire. Il y avait le fanatisme militaire. Il y avait le fana- tisme religieux. Et tous valaient certainement mieux que cet ignoble fanatisme de l'envie, qui est le seul fanatisme à portée de nos âmes basses d'aujourd'hui! En ce siècle nain qui a rapetissé tout, le crime lui-même a perdu de sa grandeur. Les femmes vous envoient du vitriol à la tète et s'enfuient ! ou elles vous tirent des coups de pistolet dans le dos ! et l'envie elle-même, qui est une femme, est sans bravoure. Son fanatisme tremble en frappant, puisqu'il se cache, puis- qu'en préservant sa tête, Scœvola sans héroïsme,

DERMKRK> POLÉMIQUES

ce fanatisme n'expose que sa main ! Ali! le fanatisme religieux, que ce siècle de polissons impies méprise, était plus grand... Jacques Clé- ment, le fanatique religieux, ne se cacha point, lui. Il mit sa vie au jeu résolument, sachant qu'il la perdrait.

Il frappa Henri III au venlre. mais avec l'acier d'un brave couteau, et non pas avec des bombes lâches, jetées de loin dans les jambes d'un géné- reux Empereur qui courait au secours des Cosaques qui mouraient pour lui. Le moine, ce fanatique de moine, s'agenouilla aux pieds de Henri pour mieux le frapper, mais il ne se releva pas d'à genoux, et il attendit tranquille- ment sans bouger les quarante-cinq coups d'épée qui le tuèrent aux pieds du Koi et qui pour lui étaient le martyre ! Ravaillaç, qui poignarda Henri IV, ne s'enfuit pas, ni Damiens non plus. Damiens, le meurtrier impossible, l'homme au canif et l'instrument d'un fanatisme plus liant que le sien, Damiens le roué et l'écartelé, quand les fanatiques de Saint-Pétersbourg n'ont été que pendus ! Certes! il y avait dans de pareils fana- tiques, à travers l'odieux de leur crime, quelque chose de hardi, de sacrifié et de presque cheva- leresque, qui n'existe [tas dans les fanatiques de l'envie, criminels anonymes qui se masquent

LE FANATISME MODERNE 345

contre le danger et pour échapper au supplice.

Tenez ! rappelez-vous ! a-t-on assez ri du fouet que recevaient, en France, les pages du Dau- phin, quand le Dauphin avait fait une faute!... Eh bien, le nihilisme qui joue au Roi et au Roi absolu, fait absolument la même chose; et on ne rit plus, parce que la chose est terrible ! Le pou- voir exécutif du nihilisme a, comme le Dauphin, des pages qui reçoivent sur leur derrière le fouet qu'il mérite.

C'est lui qui mériterait le plus la corde et ce sont d'autres que lui qui sont pendu*.

17 avril 1881.

BAS-BLEUS ET RATES

C'est Triboulet qui le premier, parmi les jour- naux, a décomposé le nihilisme et l'a réduit à ses éléments primitifs. Il n'a pas eu, le joyeux bouffon, une seule minute Téblouissement de la terreur... Bas-bleus et Ratés, a-t-il dit, voilà au fond le nihilisme ! Voilà à quoi peut se réduire cette monstruosité sanglante qui frappe présen- tement de terreur cette immense Russie qu'on croyait si forte ! Bas-bleus et Ratés, quels enne- mis ! Ils devraient faire pitié à un gouvernement digne de ce nom et ils font épouvante. Bas-bleus qui veulent être des hommes et qui ratent; Ratés, eux, ratés de naissance, et dont cette plate huma- nité est faite de toute éternité ! Mais à ce compte-

DERNIERES POLÉMIQUES

là, il y a partout des nihilistes. Ce n'est pas seulement une société secrète, mais tout un monde visible, à ciel ouvert, et en plein soleil ! Ce n'est pas seulement en Russie qu'ils existent, c'est partout; car partout, en ce moment, les Bas-bleus et les Ratés font masse, et s'ils ne procèdent nulle part avec le même fanatisme qu'en Russie, c'est que partout ailleurs ils s'épanouissent et s'étalent dans le ridicule heu- reux de leurs prétentions triomphantes, ce qui leur épargne la peine et l'horrible courage de l'atrocité !

Et pourquoi seraient-ils atroces, en effet ? Pourquoi ces grotesques nihilistes de France tourneraient-ils au terrible ?... Ici, tout leur sourit. Tout leur réussit. Tout les porte ils veulent aller, dans leur plus folle espérance ! De ce côté de l'Europe, ils sont à l'exception de quelques vieux Gaulois qui n'ont pas perdu l'esprit de leur race et qui se moquent d'eux la coqueluche universelle. En Angleterre, cette terre natale des Bas-bleus, ce pays qui les a nommés et les a tenus sur les fonts du baptême, ils sont à la veille d'obtenir les droits politiques pour lesquels ils clabaudent, et soyez sûrs qu'ils les obtiendront ! 11 y a tel homme d'Etat, imbé- cillisé par eux, qui votera pour eux en plein Par-

SAS-BLEUS ET RATES 349

lement ! En France, ce pays anti-politique de la galanterie, les femmes peuvent tout impuné- ment se permettre, ils s'imposent de très haut aux hommes de gouvernement qui se croient des hommes d'Etat, de l'Etat que nous sommes ! Ils s'imposent de très haut à ces bouviers qui con- duisent le stupide troupeau au gouffre qui doit l'engloutir. Ils comptent, sans peur du sifflet ou de l'éclat de rire, avec mademoiselle HubertineAu- clerc par exemple, ou ils tremblent devant made- moiselle Louise Michel, cette Théroigne de Méri- courtsansbeautéet qu'on ne fouettera pas, comme l'autre! Madame Adam, bas-bleu plus doux, qui est à madame Tallien ce que mademoiselle Michel est à Théroigne, fait des Revues qu'on lit, ce qui est plus fort que de les faire! madame Adam, la Minerve de cette république sans Jupiter main- tenant, a eu la puissance de disgracier les pauvres chefs de cette république qui ont fini par lui dé- plaire, à cette femme de goût ! Certes ! si la pendue de ces derniers jours, en Russie, avait eu à Saint-Pétersbourg l'importance, la position et la fortune de madame Adam à Paris, elle n'aurait pas eu l'héroïsme de la pendaison qu'elle a subie. Voilà pour les Bas-bleus ! Quant aux Ratés, ils ont en France un bien autre succès encore. Ils ont, eux, ce à quoi les Bas-bleus aspirent. Ils sont par-

20

350 DERRIÈRES POLÉMIQUES

tout, à tous les étages de ce gouvernement qu'ils occupent de la base jusqu'au faîte. Il faut inventer des mots pour des choses si nouvelles ! C'est le Ratisme qui nous gouverne. L'Opportunisme n'était que le degré qui nous conduisait au Ra- tisme, et, du reste, nous méritons son gouver- nement, puisque, plus bas que lui, nous le lais- sons nous gouverner, tout en le jugeant et en le méprisant comme la dernière des choses mépri- sables !

II

Pourquoi donc ces Bas-bleus et ces Ratés de France assassineraient-ils nos maîtres, puisqu'ils sont plus forts que nos maîtres, et que nos maîtres, dansées temps l'on a inventé le gouvernement du nombre, sont sortis de leur nombre, à eux?... Ils disentdegros mots et l'ont degrandes menaces, mais ce ne sont que de gros mots ! Verba et voces et prœterea nihilllls sont jaloux des Ratés qui sont arrivés, avant eux. au pouvoir, dans cette république que l'on peut appeler « Ratapolis » :

Ratapolis était bloquée...

(hélas! elle l'a été!), etqui, certainement, si on leur faisait passer des examens, à ces Ratés du

BAS-BLEUS ET RATÉS 351

pouvoir, le seraient peut-être autant que ceux- qui les envient?... Ce sont de gros mots comme les Ratés en peuvent dire, eux qui n'en savent dire ni de puissants ni de spirituels ! Ce sont de gros mots comme en écrit cette charcutière de Louise Michel, quand elle dit que : « Quand le cochon est gras, on le tue », ce qui n'est qu'une phrase, du reste, unevilaine et orde phrase comme la démocratie en vomit et voudrait nous en faire avaler. Allez! mademoiselle Louise Michel, cette Charlotte Corday manquée de la démocratie, ne renouvellera point l'assassinat d'un autre Marat dans son bain. Et pourquoi, en effet? Dans la folie qui transporte le temps actuel, la dicta- ture de Gambelta peut conduire, qui sait? aussi bien qu'autre chose, au consulat de Louise Michel le bas-bleu, qui, comme tout bas-bleu, n'est qu'un homme raté, très digne de ce temps et aussi ca- pable que les autres de le gouverner ... No faut- il pas que nous épuisions toutes les folies? Der- nièrement, on a, dit-on, envoyé (était-ce elle?) à Ciambetta un œuf de Pâques dans lequel il y avait un poignard, un llacon d'acide prussique, un revolver et une petite guillotine, avec cet aimable avertissement : « qu'il périrait par une de ces trois choses après les vendanges »; mais que ce soit elle ou non, à mon sens ce n'est

352 DERNIÈRES POLÉMIQUES

rien de plus que la plaisanterie sinistre de quel- que Raté jaloux, mis en veine par ce qui se passe en Russie, Ton n'envoie pourtant pas à l'Empereur de ces petits meubles à choisir, quand on le menace de mort prochaine.

C'est qu'en Russie, les Bas-bleus et les Ratés sont exaspérés et l'exaspération les a rendus tragiques. En France, ils sont puissants, ils sont heureux. Us font des livres. Ils ont des réputa- tions et des places. Ils sont l'état-major de ce pays qui ne sait plus d'aucune façon est la force et que toutes les médiocrités attirent et dominent. Pourquoi donc s'insurgeraient-ils ? En Russie, les Bas-bleus et les Ratés meurent de vanité rentrée et d'un orgueil extravagant qui les étouffe. En Russie, ils n'ont pas, comme en France, cette vaste soupape des Conférences publiques dans laquelle ils puissent dégorger leur envie et leurs haines contre une société qui les réduit à rien, ces nihilistes ! Leurs livres, s'ils en font, n'ont pas le retentissement des livres que font chez nous les Bas-bleus et les Ratés, si aisément célèbres ! Sans talents supé- rieurs qui appellent le regard sur eux, mais bour- rés de connaissances prises dans les enseigne- ments des écoles el des gymnases, et qui, tombant dans ces tètes ma] faites, le- raussenl un peu

BAS-BLEUS ET RATÉS 353

plus, Bas-bleus et Ratés retournent leur science contre une société dans laquelle ils n'ont pas leur place. Trissotins et Philamintes qui ne sont plus littéraires, comme les gredins reliés en veau qui divertissaient Molière, ils sont devenus les affreux Trissotins et les abominables Phila- mintes de l'assassinat politique et scientifique, mais ils n'en sont pas moins pour cela des Phi- lamintes et des Trissotins !

Certes ! quand on y réfléchit, il est absolument impossible de croire que la Russie, qui aime ses Empereurs comme elle aime Dieu, ne viendra pas à bout de cette poignée de scélérats, et de scélérats qui ne sont en somme que l'insurrec- tion effrénée des médiocrités contre toute supé- riorité, et qu'Alexandre en aurait moins raison que son aïeul, Nicolas 1" de glorieuse mémoire, qui, à son avènement au trône, trouva devant lui à l'état de révolte une partie de son armée, en proie aux sociétés secrètes, et que son intrépide énergie sut leur arracher!

Avril 1881.

•20.

PAUL ET VIRGINIE AU « FIGARO

A moi! Comte, deux mots! mais ce n'est pas un comte, c'est un quidam! Il y a peu de jours, un écrivain, comme il en passe au Figaro, a signé de ce nom de Quidam, au profit des roman- ciers contemporains et même du roman, une petite théorie qui, sous des formes affectées de bonhomie, a l'impertinence de vouloir être un conseil. Ce quidam, avec l'autorité du nom qu'il cache et d'un talent quil ne peut pas cacher, met aimablement une main, tout à la fois modeste et protectrice, sur l'épaule des plus retentissants romanciers d'aujourd'hui, et il a la bonté de les avertir de la baisse accélérée, devant l'opinion, de leurs ouvrages, et de la nécessité pressante

356 DERNIÈRES POLÉMIQUES

de changer immédiatement leur manière, s'ils veulent être lus désormais et goûtés du public qui commence à se dégoûter d'eux. Ce n'est pas, du reste, ce dégoût qui m'étonne, mais c'est le moyen que ce quidam donne aux romanciers pour conserver la faveur publique : « Faites- nous, leur dit-il, faitos-nous maintenant du Paul et Virginie! C'est l'heure! » Faites-nous du Paul et Virginie! Comme si cela se faisait, comme si c'était facile ! Après être descendus jusqu'à M. Zola, remontons vers Bernardin de Saint-Pierre! 11 n'y a plus que du Paul et Vir- ginie qui puisse réussir à cette heure et se vendre triomphalement sur la place; car la vente d'un livre, c'est la juste mesure de son mérite et de son succès, et le quidam ajoute finement : «Après tout, le public n'est pas si bête ! » en croyant le représenter.

Ce conseil, qui ne manque pas de bouffonne- rie, de faire du Paul et Virginie et des romans vertueux comme on fait de petits pâtés chauds, ne mériterait que la gaieté de ceux qui aimeront à rire de la fatuité, doublée de sottise, d'un con- seil qui, comme le public (dirait quidam), n'est peut-être pas si bête qu'il en a l'air. Mais il y a plus sérieux que cela. L'article du quidam qui sait? est peut-être une préface commandée

PAUL ET VIRGINIE AU « FIGARO » 35"

par le Figaro, ayant en poche quelque Paul et Virginie qu'il veut lancer. Réaction prévue î Nous allons certainement vers des placements de vertu et de sentiment dans le Figaro ! Et ma foi ! je n'aurais rien à dire de cette rubrique d'économie qui n'a rien de littéraire, si elle n'im- pliquait pas un outrage à la littérature que je ne puis pas supporter. C'est, en effet, appliquer impudemment aux. lettres l'idée de ce suffrage universel, qui, à présent, trouble tout, abaisse tout, empêche tout ! C'est la royauté acceptée bassement des masses imbécilles, substituée à l'oligarchie des esprits qui ne sont jamais que quelques-uns! C'est enfin le despotisme de la pièce de cent sous pour ceux-là qui croient que le succès, le mérite et même la gloire, ne sont jamais, en somme, qu'une affaire de trottoir, et, à tout prix, le raccrochage du public !

II

Mais heureusement, les œuvres de l'esprit, fût-ce des romans, ne tombent pas toutes dans la poêle à frire de la cuisine aux théories commerciales de Quidam (serait-ce un libraire, par hasard ?) et le tripotage de ses conseils. Les

358 DERNIÈRES POLÉMIQUES

romanciers qui no sont pas seulement des roman- ciers de feuilleton, même quand ils paraissent en feuilleton, ont d'autres manières de faire ce qu'ils font que ce que M. Quidam leur conseille do faire. Pour peu qu'ils aient le moindre talent, ils ne s'assoient pas à leur table de travail et ils ne relèvent pas leurs manches en se disant : « Il faut leur faire aujourd'hui du Paul et Vir- ginie. Nous avons déjà fait du Zola, après avoir fait du Balzac. Eh bien, après avoir fait du Zola, faisons du Bernardin! Soyons de petits Bernar- dins de Saint-Pierre ! Changeons de casaque comme le maître Jacques de la comédie, pour recevoir les ordres de notre Harpagon de public, dont nous sommes les valets, non pas à deux fins, mais à toutes fins. » Mais l'homme de talent ne valète derrière personne! Il a une fierté égale à son talent. Quand il n'a pas de talent, il a la vanité qui lui fait répudier les imitations et sou- tenir même qu'il n'imite pas quand il imite. Il a son idéal quelconque, bas ou noble. et il le voit cl il le réalise, dans la proportion exacte de son talent. Le désintéressement de tout ce qui n'est pas son idéal est la gloire de son inspiration. Or, l'idéal du romancier comme de tous les écrivains qui touchent h la nature humaine, c'est de la pénétrer avec profondeur et

PAUL ET VIRGINIE AU « FIGARO » 350

de l'exprimer avec éclat en l'agrandissant avec lame ou le génie qu'on a. On fait ce qu'on peut. On ne prend conseil de personne. Il n'y a pas de conseil. Il n'y a pas de rhétorique. Il n'y a pas de genres. Le Roman ne s'emprisonne pas dans un genre. 11 n'y a pas en roman de genre sentimental, de genre vertueux, de genre immo- ral; car l'immoralité est une tache en littérature, et la Morale et la Beauté dans les chefs-d'œuvre sont des sœurs. Cette vieille distinction des genres est usée comme un vieux bas dans lequel le Quidam d'aujourd'hui met sa jambe, et qui montre trop la pauvreté du mollet qu'on n'a pas.

Je voulais seulement glisser cela ici, non pas pour tourmenter le goût très insignifiant de M. Quidam pour les choses innocentes, mais simplement pour l'honneur des romanciers con- temporains et du roman.

-i novembre 1883.

TABLE DES MATIERES

Mazzini 1

La Cuvette de Sainte-Beuve 7

La Généreuse Jeunesse H

Les Enfants Juges 19

Les Amnistiards 25

Un Rural écarlate 33

Un Poète Prussien 43

Une Page d'Histoire ancienne dans l'Histoire mo- derne 49

Encore un signe du temps 57

Une Balayeuse 65

La Préface de l'Ami des Femmes . 73

Littérature Rouge 91

Lettres à la Princesse 97

Les Bottes de Foin 105

Les Électeurs Barodet à l'Odéon 111

Le Pape Pie IX 119

Aristophane à Paris 125

Le Robespierre des honnêtes gens 131

La Montagne conservatrice 137

Les Dames de la Halle 142

Le Moment 149

21

362 TABLE DES MATIÈRES

L'Académie sans Candidats 155

El Rey Netto 163

La Colonne. ... 171

Les Singes à l'Académie 179

Les Petits Grands Hommes 185

L'Ordre Moral 191

Les Pèlerinages 197

A Monsieur de Gastyne, administrateur du Triboule.t 205

Des causes du succès de Jean Baudry 209

Ignotus ignotum invocat 217

Un Homme plus grand que son fauteuil 223

Les Bas-bleus de la République 231

Le Puits Artésien des Petits Papiers 241

Les Filles . 247

La Légion d'Honneur 255

Le Catholicisme insulté 263

Les Moutons de Panurge du Crime 269

Le Tremblement 277

Sans Dot : 285

Le Génie dans l'Obscurité 293

Les Bébés sous la République 301

Tout est perdu... lors l'Honneur ! :'09

Le Régicide universel 317

La Religion d'État de la République 325

Les Bourreaux taquins de la République . ... 331

Le Fanatisme moderne 339

Bas-bleus et Ratés :^7

Paul et Virginie au Figaro 355

879 X8d,

ÉVREUX, IMPRIMERIE DE CHARLES II É R I S S E Y

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La Bibliothèque

Université d'Ottawa

Échéance

The Library

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