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DESCRIPTIONS PITTORESQUES

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JARDINS

DU GOÛT LE PLUS MODERNE.

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ORNÉES

DE XXVIII PLANCHES.

À LEIPZIG,

CHEZ VOSS ET COMPAGNIE.

1 8 0 2.

Avertissement.

Il étoit réservé au goût raffiné cle notre Siècle de faire subir aussi des changemens avantageux à l’art d’embel- lir les jardins, et de remettre en possession de ses droits cette belle Nature que les François et les Hollan- dois avoient bannie des leurs. Quand on donnoit ci- devant à toutes les parties d’un jardin la roideur des formes géométriques, quand on ne savoit qu’aligner bien méthodiquement des arbres, attrister la vue, en faisant de leur taille svelte des haies monotones, quand tout étoit subordonné aux règles de l’ architecture, qu’un ciseau sacrilège mettoit enfin des bornes au dé- veloppement naturel des arbres, et les défiguroit alter- nativement, sous les formes de colonnes, arcades, obé- lisques, quilles, boules, et autres, on sent aujourd’hui combien il étoit contradictoire d’ avoir adopté les règles

de l’architecture à l’art d’ embellir les jardins, on laisse aujourd’hui au tronc majestueux la liberté de déployer ses formes, ou de suivre dans sa pousse vigoureuse l’ou- vrage de la Nature , on donne aux allées et aux places une forme qui les en rapproche davantage , on traite enfin les jardins comme un paysage, dont on ne veut plus altérer les charmes, en violant ceux de la Nature.

Les avantages de ces changemens sont si évi- dens, et tellement reconnus de tout le monde, qu’on est dispensé d’entrer dans de plus long détails. Quel est en effet l’individu sensible aux beautés rares de la Nature et à ses charmes, qui préférât un jardin mono- tone de France à celui du goût moderne, qui n’aimât mieux s’arrêter dans une plantation de haute futaie, que de se perdre, entre des haies roldcs et sans agrémens, dans des allées qui tournent un' jardin sans qu’on s’a- perçoive et sans contrainte, de préférence à celles tristement alignées, que mesurent les yeux des prome- neurs, et qu’ils retrouvent toujours dans la monotonie, de sorte qu’ils ne peuvent se défendre d’une anxiété qui disparoitroit par un changement de scène? Quel est enfin celui, qui n’éprouve pas plus de satisfaction à suivre les détours d’un fleuve qui serpente dans la

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plaine , qu à voir dans un canal bien droit une eau em- poisonnée, que l’on a privée de son cours naturel?

Il faut convenir aussi que d’après la manière nouvelle d’embellir les jardins, il est très-aisé de se tromper: mais n’y auroit-il pas la plus grande injus-

tice à rejeter une chose, parce qu’on auroit eu la maladresse d’en faire un abus? Ne point faire dans une place dont on a fait choix, des dispositions ana- logues à cette place, seroit manquer de lumières dans la chose même. Ne seroit- il pas en effet ridicule et outré de vouloir faire représenter à un espace borné une contrée déployée en grand, en entassant sur un terrain de peu d’étendue une foule de parties qui ne peuvent rien dire aux yeux, ni faire perspective que sur une place faite pour les contenir? Et si ces parties même étoient trop nombreuses pour les places, quelque spa- cieuses qu’elles fussent, cette profusion ne serviroit en- core qu’à rapetisser le jardin, et lui faire perdre de sa beauté.

Quelque graves que soient ces fautes, rien de plus aisé à les éviter, si l’artiste qui veut orner un jardin, porte dans cette création le sentiment du beau et des convenances, sans s’écarter de l’observation des

règles et des théories, que nous tenons des Allemands et des Anglois. Ce sentiment au tact empêchera l’ar- tiste de jamais dévier du vrai chemin, tandis que sa privation, eût -il déplyoé les connoissances de toutes les règles, ne donneroit à son ouvrage qu’un air de médiocrité.

C’est donc moins pour revenir sur ces règles bien connues d’ailleurs, et dont on a assez souvent parlé, que pour donner aux amis du nouvel art d’em- bellir les jardins une idée plus claire de la chose mê- me, qu’on a esquissé la peinture de ceux qu’on verra par la suite dans le cours de cet ouvrage. Quelque intelligible en effet que soit la manière, dont on puisse faire saisir une règle de la théorie de cet art, quelque exacts que soient les soins que l’on apporte à la des- cription d’un jardin, des mots ne remplaceront jamais l’effet d’un dessin ni d’un tableau, qui donne une idée bien plus prompte et précise de la chose dont on veut s’instruire, que les préceptes fondamentaux de T art ou la description la mieux détaillée.

Nous nous flattons donc d’avoir atteint notre but, en présentant ici les plans esquissés de Mr. Siegel

pour la création des jardins d’un goût moderne. On trouvera d’ autant plus d’ agrémens à ces plans , et on en saisira l’ensemble avec d’autant plus de clarté et de précision, qu’on a représenté les perspectives les plus remarquables, et les batiments formant des parties isolées de l’ ensemble. Latmajeure partie de ces bâtimens sont de l’invention de Mr. Siegel , et quelques uns dans le nombre ont été empruntés des ouvrages Anglois.

Pour ôter à la description de ces jardins le ton de sécheresse et de monotonie, dans lequel il auroit été facile de tomber, et rendre nos tableaux plus ani- més, nous avons pris, dans notre prose, les crayons du poëte. Nous conduirons enfin le lecteur à travers ces jardins comme dans une promenade, pendant laquelle l’ame de chaque homme, imbue de sensations douces, ser apénétrée de celles qui lui feront éprouver alterna- tivement l’effet d’une contrée, ou les charmes de ces détails piquans qui se reproduiront si souvent à ses yeux.

On nTa point également négligé de faire entrer çà et là, dans le tableau des descriptions, les règles générales qu’on doit employer à la création d’un jar- din, dans le caractère principal d’un établissement sem-

blable, de l’harmonie et du contraste des parties, de la disposition des allées et des plantations, de la ma- nière de placer les ponts, les ruines, les ermitages, et tous les autres détails enfin de ce genre. On s’ est particulièrement attachée lorsqu’il a été question des plantations, d’indiquer la manière de grouper les ar- bres et les bosquets, pour que la taille, la feuille et leurs fleurs offrissent en tout temps un coup d’oeil plus piquant, le choix qu’on devoit faire des arbres et la manière de les placer, pour qu’il y ait un en- semble parfait dans toutes les parties. Quand ces rè- gles dont nous venons de parler, n’ auroient point un ordre systématique dans l’ouvrage, ce qui n’auroit pu d’ailleurs se faire sans nuire à la liberté du pinceau, et qu’on ne les trouveroit inserrées que dans les pas- sages qui en auroient fourni l’occasion, tout ami de l’ art saura fort bien les trouver et les abstraire sans peine.

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Les Jardins.

V^ue les premiers accens de ma lyre te soient consacres, saison charmante, qui vient succéder, dans nos plaines, aux frimats qui avoient si long -temps retardé ton retour! Je te salue, o printemps, qui vient rajeunir la Nature , en faisant sentir partout ta douce in- fluente! Les bois se couronnent de verdure, et les sources en- chaînées viennent de briser leurs prisons. L* haleine du zéphyr a soufflé, et le calice des fleurs vient d’éclore, le rossignol a retrou- vé ses accens mélodieux, et tout ressent la puissance d’une créa- tion nouvelle qui promet à l’homme des jouissances douces, aux habitans des airs et des bois des plaisirs nouveaux. L’ alouette matinale a déjà fait retentir l’air de ses chants d’alégresse, et semble célébrer la naissance du printemjis.

Amis , venez voir ses effets dans nos champs ! Ici vous verrez la brebis bêlante et le taureau mugissant, vous serez ar- rêtés par le parfum des fleurs : c’ est pour vous que le ruisseau mur- mure , et que la suave violette frappe agréablement vos sens , voyez comme ces chantres ailés se balancent sur ces cintres fleuris*, en se donnant les premiers baisers de l’amour. Arrachez - vous d’un séjour dont un long hiver a décuplé les ennuis, fuyez ces murs qui vous

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ont servi fie prison, elles affaires qui altèrent votre gaieté: ici Ton respire un air pur qui porte la santé dans les veines, les plaisirs sim- ples y sont Y effet du bonheur et du repos, et le coeur se dilate de joie a la vue des beautés sans nombre d’une riante et fraîche Nature.

trouveront - on ailleurs qu’avec elle les jouissances qu’on cherclieroit vainement dans le fracas du monde? jouiroit-on d’un spectacle plus qu’imposant que celui de ces jardins délicieux, dans tout leur éclat aujourd’hui, et naguères tristes comme le som- bre automne, qui les avoit dépouillés de leurs feuilles? Cette source dont la ceinture glacée avoit la dureté du diamant, roule de- rechef des eaux qui ont la limpidité du cristal. Ces arbres dont l’impitoyable borée arrêtait la sève, forment aujourd’hui des dais de verdure, sous lesquels va soupirer le coeur agité, le verd de l’émeraude a remplacé la couleur flétrie de nos plaines, le temps de la régénération des sucs est à son terme , et la Nature vient d’achever son long sommeil, pour se réveiller plus brillante enco- re, et se revêtir d’une robe nouvelle.

Ce n’est point dans ces jardins symétrisés par l’art, ni asservis à ses règles austères que nous irons chercher les beautés simples qu’il a bannies. Nous n’en trouvons ni dans l’espace mesuré des allées, ni dans ces arbres froidement alignés, ni dans ceux dont on torture les branches à leur naissance , pour en former des haies bien roides, ni dans ces compartimens de fleurs couronnés d’un triste buis , sans élégance, ni majesté, et auxquels on fait prendre

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«les formes artificielles , non moins dén £ ées de goût. Labres dans nos actions comme dans nos pensées, il n’y a que l’indépendance de la Nat'ure qui puisse nous offrir de vraies beautés, si l’art toute- fois n’a point essayé de les mutiler, ouïe mauvais goût de nous les présenter sans grâce* Nous n’adopterons pas tout-à-fait non plus l’idée de ces jardins entièrement pittoresques et romantiques de la création de Salvator Rosa *), Quelques charmes qu’ait d’ailleurs la Nature dans cet état, il lui manqueroit encore ces grâces, sans lesquelles un jardin ne sauroit en avoir j et cesseroit même d’en être un, si l’on négligeoit de faire concourir à ce but l’art seul qui peut en donner. * Ce sont celles qu’ un Claude et un Poussin

*) Les opinions des hommes de l’art sont très - partagées, depuis quelques années en Angleterre, sur la manière d* embellir les jardins. Égarés par Gil- pin qui a cherché, par ses voyages en diverses parties de l’Angleterre et de T Écosse, adonner des règles, pour y assujettir le genre pittoresque et ro- mantique, Knight , Price , et d’autres en ont pris occasion, pour demander que P art fut totalement banni des jardins. Ils adoptent le pittoresque d’un Salvator Rosa dans les paysages, comme la vraie Nature dans l’art de faire des jardins, et ont rejeté, comme un asservissement à ce même art, toutes les règles qu’ u n Bridgewater , un Browne avoient publiées dans ce genre; lorsqu’ heureusement le grand artiste Repton a paru pour défendre leur opi- nion, en disant qu’ on ne sauroit donner à un jardin toute sa perfection, sans faire concourir à son embellissement P art qui doit essentiellement aider la Nature. Voyez Tdbinger Taschcnbiicfi fur Natur - und Gartenfreimde, année 1798. P. 194 et suivantes»

donnent à la Nature , qui nous enchantent dans ces jardins , et le goût ne trouve de jouissances que dans ceux l’art, toujours d’ac- cord avec elle, n’a servi qu’à les embellir.

Tels sont aussi les préceptes d’ un Browne et d’un Repton que vous devez suivre, sans vous régler sur ceux d’un Price et d’un Knight qui exigent que 1’ art ne change rien au désordre de la Na- ture. Quelle différence cependant dans la magie du pinceau ! L’ art ajoute ici à la simplicité de ses charmes, nous contem- plons avec effroi ses efforts gigantesques et les scènes variées de son désordre romantique. Elles parlent à 1* imagination et aux sens qu’elles tiennent en suspens, mais jamais elles nous disent quelque chose au coeur , ni lui donnent ces jouissances , dont il trouve la réalité jusque dans le charme des impressions qu’il reçoit de la beauté d’un spectacle embelli par l’art.

Seroit-ce au bruit d’une cascade tombant impétueusement d’un roc escarpé, seroit-ce à celui du fracas de ses eaux, dont on entend se prolonger l’ écho , que seroit sensible un ami des charmes simples et variés de la Nature? Voyez ces monts sourcilleux qui cachent leurs tètes dans les nues! La verdure n’a jamais couronné ces masses qui bravent orgueilleusement les tempêtes : à peine voit- on croître à leur pied quelques fleurs entre des arbres à demi -dé- pouillés et couverts de mousse. Les châteaux en ruine et quelques vestiges de la féodalité annoncent, par leur vétusté, celle de ces monts. L’onde écumante qui tombe de leur sommet, détruit jus- qu’à la végétation qu’on voyoit à leur pied; elle a déchiré l’herbe

fine que la fraîcheur avoit fait naître : tantôt elle serpente dans un vallon, tantôt elle se précipite sur des cailloux qu’elle entraî- ne, tantôt elle disparoît en faisant quelques détours, et finit par se jeter dans un abîme dont elle creuse le lit profond , sans pou- voir en ressortir.

Quels charmes aurait pour nous la contrée qui nous offri- roit un tel spectacle? Quittons - la pour le vallon paisible et so- litaire que la Nature et l’art ont à l’envi décoré pour le plaisir des yeux! Oue vos sens respirent le paifum des fleurs odoran- tes de ces lieux, le crocus se trouve à côté de la narcisse, la violette au pied de la jacinthe , les nuances variées de tous les verds ajoutent à la magie du tableau, en se confondant avec cel- les de toutes les fleurs!

Quelle vue se présente à nos regards! Une prairie, émail- lée des couleurs brillantes de l’arc-en-ciel, s’étend dans le vallon qü’ eile^ntrlouvre , et se prolonge jusqu’au pied de la colline. Plus loin, cette dernière s’abaisse, et présente à nos regards avides le spectacle de beautés nouvelles. Ici, c’ est le contour ondoyant des montagnes éclairées des rayons d’un soleil couchant, et le reflet de ses derniers feux dans des eaux ridées par un vent frais du soir; là, des chênes aussi vieux que la terre qui les porte, forment une forêt, à laquelle des champs féconds servent de ceinture, plus loin en- fin , le sapin mélancolique invite à la méditation , et cache le pied d’un roc, qui rend la pensée plus male et la réflexion plus austère.

Voyez les allées qui sillonnent ce jardin î Comme les sinuosités qu’elles décrivent invitent l’ami de la Nature à les par- courir ! Combien elles vont lui donner de jouissances nouvelles ! Tantôt elles se perdent dans un bosquet touffu, tantôt le svelte peuplier les borde, ou le pin résineux les remplace: des arbustes fleuris et couvrant de larges tapis de verdure émaillés de toutes les fleurs des champs présentent un groupe enchanteur. La Na- ture ne lit rien de mieux pour ce nouveau Tempé , la magie du pinceau rien de plus doux pour les yeux, on n’y voit rien sans extase, chaque pas qu’on y fait donne une émotion nouvelle, et le coeur déborde d'un sentiment que lui communique l’ivresse de ses sens captivés* j

Que manque - 1 - il à ces lieux embellis par l’art, qui par- tout a laisse des traces de son génie? Amis, il leur manque le mouvement et la vie. Comme tout y est calme ! Comme tout y est silencieux! Si le zéphyr agite légèrement les feuilles, si son haleine semblable à la rosée humecte le calice des fleurs, ou ra- fraîchit l’herbe tendre, il manque au tableau de ces beautés trop calmes le mouvement d’une eau claire, qui descendroit de la colline dans la plaine. Quel effet pour l’ensemble! Quelle vie! Quelle activité nouvelle ! Cette source serpentant d’ abord s’ ou- vriroit un lit plus large et finiroit par se rendre avec fracas dans un lac. Voilà les parties riantes de ce jardin divisées maintenant par les eaux; mais voyez comme pour cacher ses bords, on a pris soin de les planter de bosquets touffus, qui en défendent l’entrée! L’oeil avide de beautés nouvelles suit avec tristesse

ses contours qui lui dérobent des plaisirs nouveaux , lorsqu* un pont les réunit soudain aux parties qu’elles en avoient détachées. Tan- tôt un bois a pris la forme élégante de 1’ art pour opérer cette réu- nion ; tantôt il a été remplacé par la pierre pour former une arche plate, dont la hardiesse étonne en franchissant ses marches, et quel- quefois encore des chaînes sur lesquelles repose ce pont, font ache* ter par un danger factice le plaisir d’avoir dépassé l’espace.

Quelle forme nouvelle vient frapper nos yeux! Quels sont ces modèles d* architecture dont la blancheur contraste si bien avec le verd foncé de ces bosquets variés qu’ on aperçoit, le vallon se resserre? Ici s’élève un temple consacré aux Grâces; des berceaux sont destinés pour les prétresses de leur culte; plus loin, ce bois de myrtes conduit à l’habitation de la Déesse d’ Amathoute , et ces touffes de roses dont la suave odeur parfume au loin l’atmosphè- re, annoncent et le séjour de Flore et celui de la Déesse des jardins.

Comme tout a été ménagé pour le plaisir des yeux et ce- lui de la pensée! Voyez-vous au milieu du vallon cette habitation à demi -cachée dans ce frais bocage? Le chaume qui couvre son toit indique la retraite du sage au milieu de ces jouissances; c’est que dans une chambre éclairée seulement des rayons du soleil à son déclin, il va consacrer quelques heures à la solitude. La distance de cette habitation des autres parties du jardin, la mousse qui la décore, le jonc qui fait partie de sa structure, les tilleuls qui l’om- bragent, le chèvre - feuille qui s’unit à leurs trônes, tout annonce la simplicité du goût qui .n’ a varié la scène qu’en admettant pour toute fleur que l’éclatante jacinthe et la modeste pensée.

Quittons cet asile solitaire pour visiter le reste de ce jardin enclianté! Aux bosquets touffus qui cachoient la chaumière, a suc- cédé un riche tapis émaillé de fleurs, sur lequel on voit s’élever une salle consacrée à l’ Amitié et à l’Amour. Le peuplier, le plan- tane et le tulipier la couvrent à l’envi de leurs ombres; c’est ici que les ris et les grâces ont établi leur empire, c’est le temple véritable des jouissances, le coeur n’y sauroit contredire la Nature, et celui qui n’a point encore aimé, y donne le premier baiser de l’amour.

Jouissons, Amis, de ce spectacle nouveau! Nous venons d‘ être reportés au siècle de l’âge d’or; l’ami donne les étreintes de 1* amitié à son ami , et réveille en lui les premiers souvenirs de 1* en- fance. Amour, Amitié, charmes décevans de la vie, vous nous placez au rang des Dieux, sans envier leur bonheur! Heureux, trois fois heureux est celui dont les goûts se portent vers la Nature et la fraîcheur de ses tableaux! Il n’y a que le sentiment de l’in- nocence qui puisse admettre une telle sympathie , et celui qui seroit étranger à ces charmes le seroit aussi pour ceux de la vertu.

Premier Jardin.

T ie jardin que nous visitons présentement, est dans un vallon spacieux et dégagé, borné par des montagnes. On le voit s’éten- dre dans une plaine, sillonnée de quelques collines et arrosée d’une rivière *). Tout respire en ce lieu la gaieté; tout inspire le contentement et invite aux douces jouissances de la vie.

Cherchons - nous un lieu, duquel la vue puisse en plon- geant dominer le jardin, de la même manière que nous plaçons un tableau dans l’éloignement, pour saisir l’ensemble d’un coup d’oeil, avant de cbercher à en détailler les beautés particulières, nous devons nous rendre sur la montagne, a , située à r entrée du jardin et de laquelle on peut embrasser tous les ob- jets. La vue porte d’abord sur une vaste plaine, décorée de tous les charmes d’une belle nature, à laquelle l’art- n’a prescrit aucune borne, et ouverte sans cesse à la curiosité du voyageur, qui la voit se perdre insensiblement avec les champs qui la bor- dent. On découvre ensuite de riantes prairies, ornées ça et

*) Cette description appartient au premier plan de jardin. Les grandes lettres désignent les bâtimeris et les parties qui sont représentées dans des planches particulières ; les petites et les nombres se rapportent à celles que renferme la description, et sans lesquelles on n’ auroit pu la rendre aussi claire.

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<3e bosquets qui les ombragent, de collines a pente douce, et do rivières qui tantôt les arrosent en serpentant , et tantôt s’ élar- gissent en niasse pour varier le tableau. Des allées nivelées et tracées pour arrêter le curieux dans ces parties , lui font parcou- rir le jardin dans leurs détours multipliés, et le conduisent à di- vers bâtimens et places de repos, pour le livrer à la réflexion de ce qu’il a vu.

Quels charmes ’n* a-t-on pas su donner à cette plaine naguères stérile , et dont la vue attristoit les regards ? Sans uti- lité pour son possesseur, elle n’avoit pas même l'agrément d’un sol quelquefois ingrat, et qui dit cependant parfois quelque chose aux yeux. Privée de toute espèce de verdure, desséchée par un soleil brûlant, que ne tempéroit l’ombre d’aucun arbre, elle ne produisoit qu’une herbe sans fraîcheur, et fanée dès sa naissance. En divers endroits, le sol enfoncé formoit des cavités, l’eau de pluie s’accumulant faisoit des parties marécageuses, l’on ne voyoit croître que des joncs. Cette plaine étoit bien arrosée d’un ruisseau qui la traversoit, mais obstruée dans son cours par les algues qui surchargeoient le sol, l’eau n’avoit point assez de rapidité pour entraîner avec elle celle des bas fonds, ou en faire disparoître une dangereuse et putride humidité.

Qu’a - t - on fait pour tirer parti de cette place aride? On a nettoyé le ruisseau, après l’avoir élargi, pour en faire une petite rivière : les places marécageuses ont été transformées en étangs, et les terres saignées ont été semées et défrichées. On

a, pour utiliser le sol, varié avec soin sa culture, en faisant des prés et des champs, ‘planté des bosquets pour les ombrager, et élevé quelques collines pour couper la vaste plaine. Telles sont les ressources de T art pour créer, là, la Nature offre de tristes nudités, un jardin agréable, lui restituer tous ses char- mes, et à l’homme toutes les jouissances champêtres. Les prés ont remplacé les mares d’eau croupissante, la violette et les ro- ses ont succédé aux joncs, les bosquets entretiennent la fraîcheur, et les oiseaux font de leurs branches touffues le trône de leurs plaisirs. Voyez comme ce ruisseau en humectant le sol émaillé de fleurs , donne de la vivacité aux couleurs , et prolonge leur parfum avec leur vie ! Le zéphyr souffle avec toute la pureté de son haleine du vallon , jadis un air infect précipitoit la mar- che du voyageur , des éminences succèdent à des bois fourrés, dont la riante verdure invite maintenant à visiter l’intérieur, et leur sombre obscurité ne fait qu’ ajouter un charme de plus au tableau.

Pleins de l’idée d’un beau jardin, notre imagination s’exerce sur mille formes toutes plus agréables les unes que les autres. Amis, nous avons excité le désir de jouir de tous ses charmes, hâtons -nous de le satisfaire, descendons de cette col- line , pour entrer dans ce bosquet qui va nous prêter son ombre !

Nous trouvons , à la sortie de cette allée couverte , deux chemins. Celui que nous avons sur la gauche, conduit à un village appartenant au propriétaire du jardin. Laissons ce chemin pour

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prendre celui de la droite, qui mène à un pont de pierres, b , par lequel nous entrons dans le jardin.

Vous voyez la maison, A , qui s’offre a nos regards. Nous ne pouvons toutefois y parvenir qu’en traversant un bois assez fort, c , planté d’une part de tulipiers et de cataîpes, et de l’autre de robines, de cerisiers des Alpes et de baguenau- diers, au-dessus desquels s’élèvent de hauts peupliers. On voit ce bois au pied d’une montagne qui présente quelques terrasses, et se perd dans un petit vallon , qui s’ étend jusqu’ à la rivière.

Voyez près de cette belle pièce d’eau, 2 , la maison de campagne, A , que le propriétaire du jardin a choisie pour sa demeure. La situation du lieu et l’éloignement du village lui ont fait préférer ce séjour, pour y goûter dans la solitude les charmes de la vie champêtre. La simplicité du bâtiment s’ accorde avec la situation de ce lieu , qui fait naître le désir de pouvoir l’habiter, et l’inscription qu’on lit en entrant sur le frontispice de la maison, et qui est tirée de l’Iphigénie de Gôthey nous donne à connoître le coeur du maître :

,, Le plus heureux de tous les hommes, fût - il un Roi ou un mendiant, est celui qui se trouve bien dans son habitation. u

Autour de la maison règne un large tapis de gazon , devant lequel est la pièce d'* eau , dont la glace unie répète toute la partie. On a planté des peupliers sur les côtés , et une allée de ce s mêmes

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arbres sur la droite conduit à un pont, au bout duquel on voit un chemin , qui aboutit aux allées variées du jardin.

La maison a une vue riante et dégagée. Au delà de la pièce d’ eau, on voit une vaste prairie, coupée de quelques allées, et surmontée de divers groupes de bosquets , dans lesquels on a mé- nagé des perspectives variées , et qui donnent à la prairie, par leur ombrage, de fréquens changemens de tableaux champêtres. La plai- ne est encore entrecoupée de collines. Une statue de Flore décore la plus voisine f de ces collines, entourée de peupliers, a travers lesquels on T aperçoit. Une autre colline que Ton remarque s’ étendre par côté , est plantée de diverses espèces d* arbres , devant lesquels on voit le chemin serpenter dans la prairie.

Derrière la maison il y a un sentier qui gagne la montagne, et conduit tantôt le long de sa pente et tantôt aussi à travers des plan- tations , dans lesquelles il se fait jour par mille sinuosités, en côtoyant aussi parfois les champs. On arrive par ce sentier à un banc, e , duquel on aperçoit la montagne derrière le village, dont on voit aussi une partie. Si nous allons plus loin, nous at- teignons immédiatement le pont, par lequel nous sommes entrés dans le jardin, et nous reprenons le chemin qui conduit à la maison.

Quelques agrémens qu’ayent pour nous ces promenades, le possesseur du jardin nous en réserve de plus intéressantes encore. L’ allée' de peupliers à côté de F habitation nous conduira à un pont, B , qu’il a fait construire dans le goût Chinois.

Le nombre de ceux qui deviennent nécessaires dans un jar- din semblable pour lier ses parties entre elles, ou faciliter le passa- ge des rivières et des ruisseaux, exige absolument qu’on jette de la variété dans la construction de ces ponts. On sent combien il serait fastidieux et monotone d’employer toujours en pareil cas le meme style. G’ est donc la Nature et 1’ art qu’il faut faire concou- rir à la variété de ces formes. Tantôt ces ponts doivent être de la plus grande simplicité et sans art, tantôt aussi il est utile de mettre de 1’ élégance dans leur construction. Ici, on doit s’attendre à trou- ver un pont plat sur une rivière; la, on en voit un présenter une arche voûtée. Ici, c’est un pont ordinaire et semblable à ceux que l’on trouve dans les campagnes, construit en bois rond; là, on en trouve un autre de pierres brutes, rapprochées seulement les unes des autres. Ici, un autre s’élève sous la forme d’un escalier, ayant à peu près celle d’une arche; là, on en voit un autre construit en pierres, orné de colonnes et de statues. Ici, il est sur l’eau meme, on balance sur 1* élément; là, il est suspendu par des chaînes. Tan- tôt il est d’une construction ordinaire, et tantôt aussi bâti dans le goût Gothique ou Chinois.

Nous trouverons dans le jardin que nous parcourons le genre de ces ponts multiplié, à mesure que ses parties on les a placés F exigent. On doit avoir dans la construction de ces ponts une attention d’ autant plus particulière, que le défaut de goût pour- rait, en pareil cas, détruire l’unité de l’ensemble, ou nuire au ca- ractère de ses parties, si on ne mettoit pas dans l’exécution de la chose le cachet de vraisemblance, qu’il faut lui conserver. Ne serait-

il pas en effet aussi absurde , de bâtir un pont de la plus grande élé- gance dans une partie, il faudroit se régler sur la simplicité des lieux, que de construire dans ceux la Nature et l’art auroient tout fait pour l’ embellir, un pont de l’exécution la plus ordinaire ? , »

Ici le maître du jardin a préféré un pont Chinois, pour faire mieux et plus agréablement contraster cette partie avec la prece- dente, et la simplicité de la maison de campagne que nous venons de quitter. Cette règle est de nécessité absolue dans les grands jar- dins, pour jeter plus de variétés dans l’ensemble et ne pas tomber dans l’uniformité. L’oeil voit avec plaisir des scènes douces et riantes, quoique souvent répétées ; mais le contraste de celles d’un genre plus élevé et embellies par l’ art frappe bien plus fortement l’imagination. La surprise que donne nn objet auquel on ne s’at- tend pas, cause un genre de plaisir particulier, quand on n’est point tombé dans l’excès. On peut, d’ après cette règle sûre du goût, faire succéder ces parties à d’autres, l’on aura soin d’établir ces contrastes. L’exécution de l’une donnera un caractère plus pro- noncé à l’autre, et il en résultera dans l’ensemble un charme plus réel, que si toutes ces parties se ressemblaient davantage les unes aux autres.

Quelles formes séduisantes la Nature et l’art ne sont -ils point capables de produire en les réunissant! Quelle richesse de moyens n’a-t-on pas dans l’usage que l’on peut en faire, pour capti- ver l’imagination par l’opposition des contrastes!

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Le pont Chinois , B , sur lequel nous sommes pré- sentement, est couvert d’un pavillon ouvert de tous côtés, et sup- porté par quatre colonnes , qui lui donnent l’air le plus riant. De ce pont, nous arrivons sur une petite place dégagée et entourée de toute part de bosquets ; et si nous les tournons à gauche, le premier objet qui va frapper nos regards, est la cabane d.’ un pêcheur, g , assise sur les bords de la rivière.

Vous croyez peut-être que cette cabane de forme carrée, couverte de paille et de roseaux, n’est qu’ un tas de la matière qui la couvre : mais vos yeux ont été trompés ; entrez seulement dans l’in- térieur pour vous en convaincre. Une chambre propre l’ on s’arrête avec plaisir, vous invite a vous y reposer. A côté de la cabane sont suspendus des filets, pour donner le change en la faisant prendre pour l’habitation d’un pêcheur. Pour passer la rivière qui est dans le voisinage , on a pratiqué sur l’eau un pont flottant, à 1* ai- de duquel vous abordez au sentier, que l’oeil a déjà remarqué de l’autre côté de Peau.

Le maître du jardin a montré dans P exécution de cette par- tie, quelle utilité on pouvoit tirer d’un local qu’on veut embellir, et les parties charmantes qui pouvoient en résulter. Il a consacré à l’homme qui, dans l’origine, a donné lieu à cet établissement, et au- quel on doit la fondation du village, un monument aussi frappant que juste du souvenir reconnoissant qu’il en a conservé pour en per- pétuer la mémoire. Cet homme, pêcheur de profession , qui s’ étoit établi en ce lieu , y vécut solitairement plusieurs années , jusqu’ à ce

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qu’il se fût marié. Une inondation l’ayant chassé, lui et toute sa famille, de son tranquille et champêtre asile, il se retira sur une hauteur, il se bâtit la première habitation du village, qui lui dut par la suite sa création. Voici la manière dont on raconte sou histoire :

Quand la place de l’établissement nous sommes étoit encore inculte et sauvage, quand aucun arbre n’ ombrageoit l’her- be desséchée par les rayons du soleil, que l’alouette matinale n’y trouvoit pas un sillon ouvert et déchiré par la charrue pour sa fécon- dité , un pécheur avoit choisi cette solitude, pour s’y bâtir une ca- bane sur les bords de la rivière. Un peu de terre dont il avoit fait un petit verger, pour lui donner quelques fruits , des peupliers qu* il avoit plantés, pour ombrager ce séjour isolé, voilà à quoi sebornoient tous les soins que Paul avoit pris pour l’ embellir. Éloigné des hommes, la Nature étoit tout pour son coeur, elle étoit son ami, sa maîtresse. Quand assis le soir sur le bord de l’eau, il regardoit, après son travail achevé, sa maison, son jardin, le petit coin de terre qu’il avoit défriché, il levoit les yeux pleins de reconnois- sance vers le ciel, de lui avoir accordé une aussi douce existence* C*étoit l’image de la Nature pour l’innocence et la simplicité de ses goûts; bon comme elle, il avoit une joie enfantine de voir jouer les poissons dans la partie de la rivière, qu’il avoit nettoyée des joncs qui obstruoient son cours, et de leur voir saisir la nourriture qu’il leur avoit jetée. Paul étoit heureux enfin parce qu’ il ne connoissoit que la Nature, et que le vrai bonheur n’appartient qu’à ceux qui savent le trouver au sein des plaisirs qu’ elle donne.

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Un souvenir du passé venoit quelquefois attrister Paul, Le temps il jouoit autour de sa mère, réveilla chez lui celui de son enfancç et avec cette idée celle de la solitude il vi- voit. Tout porte à la mélancolie chez les âmes tendres. Le dis- que argenté de la lune qu’il apercevoit à travers ses peupliers, l’air du soir qui agitoit leurs feuilles, faisoient soupirer Paul de se trouver seul en ce lieu solitaire ; et quand le chant du rossignol arrivoit jusqu’à lui, son coeur étoit oppressé d’un sentiment, que redoubloit l’inquiète agitation de ses sens. Concentré dans ces pensées, Paul cherchoit du repos sur les bords de l’onde chérie, qui lui avoit donné de si douces jouissances. Il parcouroit la contrée, pour trouver une diversion à sa peine, mais le sentiment aussi rapide que la pensée avoit fait une impression profonde sur lui, et tout lui disoit qu’il manquoit quelque chose à son coeur.

Un soir que plongé dans ces réflexions, il se promenoit a grands pas dans son jardin, un cri plaintif et des gémissemens, partis du rivage voisin , vinrent frapper l’oreille du bon et sensible Paul. Se précipiter dans sa nacelle et remonter le courant de l’eau, pour arriver au lieu d’où les gémissemens partoient, ne fut qu’un pour cet homme de la Nature. Le silence de la mort régnoit dans le vallon, 1* atmosphère étoit calme , et la lune enveloppée de nuages ne laissoit échapper que quelques foibîes et pâles rayons, lorsqu’il aperçut quelque chose de blanc sur la rive. Notre pécheur s’élance et trouve en approchant une' fille étendue sans mouvement sur la terre. Paul 1* appelle , mais la fille ne répond pas, et son pouls in*

dique cependant qu’elle n’est point sans vie. L'espoir renaît alors dans son coeur: affligé, il la porte dans sa nacelle, et apres l'avoir couverte de ses véteraens, il redescend le courant de la rivière, pour la conduire sous le chaume qu’il habite. Là, le premier soin du pêcheur fut de lui préparer un lit de mousse et d'attendre son réveil, en abandonnant le soin du reste à la Nature. Paul s’étoit éloigné, pour prendre quelque repos sous un arbre, lorsque la réflexion le fit revenir à lui. Ce qui venoit de se passer lui paroissoit un songe. D’où vient cette fille, se disoit -il à lui -même? Qui est -elle? qui? La douce idée de n’être plus seul au monde, d’être heureux peut-être, occupoit délicieusement son coeur.

Les ténèbres avoient à peine fait place au jour, l'aurore laissoit à peine entrevoir sa couleur pourpre sur l’horizon, qu’éveillé par l’inquiétude, Paul étoit déjà levé pour voir si la jeune fille reposoit encore. Un doux sommeil qui fermoit sa paupière fit retirer le vi- gilant pêcheur, pour se mettre à son ouvrage, mais non sans l’avoir regardé avec les yeux du sentiment qui l’animoit déjà pour Amide. Distrait, quoique occupé, il n’avoit pas plutôt caché une plante dans le sein de la terre, qu’il reportoit les yeux sur sa demeure, lorsqu’il aperçut à sa porte la figure angélique qui l’a voit habitée. Un tremblement involontaire saisit Paul, qui laissa reposer sa bêche*- La jeune fille étonnée regarde autour d’ elle : suis - je , s’ écria - 1 * elle? ou? lorsque ses yeux rencontrèrent ceux du sensible et hospitalier Paul. Que sepassoit-il dans son coeur quand elle vint au-devant de lui? Par quel événement, dit -elle à son hôte, suis- je arrivée dans ce vallon solitaire? Qui m’a conduite dans cette paisible et riante habitation ? Dis-moi auparavant, lui répondit

Paul , p a'r quel hasard je t*ai trouvée, sur le rivàge , pâle comme la mort et presque sans vie? Mais viens, ajouta -t- il encore, viens sous mon toit; tu as besoin de repos, du lait et un peu de pain ré- pareront tes forces: voilà tout ce que je peux t’ offrir. Paul ne mit que quelques secondes d’intervalle de P offre à la réalité. La jeune fille mangea; tous deux muets encore, ne se lançoient que des demi- regards, lorsque leurs yeux se rencontrant, il s’ensuivit le discours suivant :

Connois - tu , dit la jeune fille à Paul , le petit hameau situé au delà de cette contrée ? J’y ai passé les premières années de ma vie seulement , parce qu’ à cette époque je perdis les auteurs de mes jours. Un parent qui avoit du bien dans un village éloigné du nôtre, eut pitié de mon malheur et se chargea de mon éducation. Je croissois sous ses yeux, et je plus aux jeunes -gens du village, pour lesquels mon coeur ne me disoit lien; mais mon indifférence éclata surtout pour le fils du parent qui prenoit soin de mon enfance. Aussi violent que grossier, ce jeune homme m’ohsédoit sans cesse et me persécutoit partout il me trouvoit. Le père avec une feinte bonté se rangea du côté de son fils, et employoit tour à tour la dou- ceur et la force pour me mettre dans ses bras. Il avoit déjà fixé ce jour d’effroi, quand il ne me resta que la fuite pour m’y soustraire. Mais aller? - Point d’ ami dans la contrée pour y trouver un asile! Toint He toit hosjntalier je pourrois reposer ma tète! Désespérée et ne voulant cependant point faire le bonheur d’un homme qui m’ étoit odieux, je me sauvai en m’abandonnant à ma destinée. Je m’égarai dans ce vallon,' la fatigue ayant

achevé cT épuiser mes forces, je tombai d’un sommeil semblable a celui de la mort, sur l’endroit de la rive, tu trouvas la pauvre Amide.

Amide î s* écria Paul tout haut , en regardant avec douleur un vase de terre plein de fleurs qui étoit sur une table : et moi aussi, ajouta - t - il, je suis également dans le village que cache cette plaine; et moi aussi, je perdis de Lonne heure les auteurs de mes jours. Des dettes aggravèrent encore le souvenir de leur perte, d’avides créanciers s'emparèrent de la maison paternelle et de tout ce qu'ils y trouvèrent. Abandonné comme je l'étois, j'errai vaine- ment pour chercher un être compatissant que je ne trouvai point. Mon étoile me conduisit dans ce vallon qui me plut. J'y bâtis la cabane Ou nous sommes, et le jardin qui V entoure ; la pêche devint mon patrimoine et j'échange son produit contre le pain qui me nourrit, et le lait qui me désaltère. 11 ne m'a resté pour tout bien de la maison de mon père, que ce vase que je sauvai, parce qu’il me rappeloit les souvenirs de l'enfance toujours chers à mon coeur. Je le reçus en don d’une compagne de mes jeux qui, comme toi, s’ appeloit Amide ; elle avoit la douceur de tes yeux, comme toi, en- core elle avoit un son de voix enchanteur. II ne ni' étoit resté d'elle qu'une idée confuse de ses traits, je te vis Amide, et son image s' est retracée a mon coeur.

Paul n’eut pas plutôt achevé, qn* Amide regardant le va- se avec une joie muette, le saisit et le tenant devant elle: Té- moin innocent de mon premier amour , dit - elle , comme j’ aimois quand je te donnai an petit Paul, j’aime encore.

Paul? s’écria avec étonnement l’intéressant pécheur; Ouel changement s* est opéré dans mon être ! Toi Amide ? toi que j’ai vainement cherchée ? Comment est -il possible que mon coeur ne t’ait pas reconnue, malgré le développement des charmes que je n’avois vus qu’à leur aurore? Tu te ressouviens donc en- core du pauvre Taul ? Comme j’aimai jadis, j’aime encore fut tout ce qu’il put articuler. Amide lui tendit la main, et le sort qui les avoit séparés comme amans , les réunit comme époux.

Amide et Paul vécurent avec une tendresse , que la soli- tude ne fit qu’alimenter, et des enfans qui en furent le gage, cimentèrent un bonheur que rajeunissoit le sentiment pur d’un couple aussi 'fortuné, quand un accident troubla passagèrement leur sérénité.

Paul revenoit un jour d’un village voisin avec plus de célérité que de coutume, comme s’il avoit eu un pressentiment de voir pour la dernière fois le toit paisible qu’il habitoit. Un ciel couvert annonçoit un orage prochain, et l’éclair, son avant- coureur, sillonnoit l’horizon qui étoit partout en feu. Des nua- ges fréquemment entrouverts laissoient échapper la foudre , qui portoit au loin la terreur et la mort. La montagne qui bornoit la plaine avoit disparu, en cachant sa sommité dans leurs flancs. Des torrens de pluie qui succédoient avec impétuosité inondèrent la plaine, en laissant partout des traces de la plus horrible dévas- tation. Tout à coup le vallon ressemblant à une mer débordée, avertit nos habitans du danger qu’ ils couroient. Paul y se résout

enfin à quitter la paisible chaumière qu*il avoit si long- temps ha- bitée, pour se retirer sur la hauteur au delà du ruisseau, mais non sans regarder tristement derrière lui maison et jardin qu’il etoit force d’abandonner. Bon et sensible Paul ! tu ignorois encore que les flots irrités avoient détruit le séjour du bonheur et de la paix.

Pendant que l’inondation continuoit ses ravages, notre pécheur s’étoit construit de nouvelles habitations sur les hauteurs qu’ils avoient choisies. L’eau se retira enfin de la plaine, et des vents desséchans par leur violence ayant achevé de rendre au sol sa solidité, Paul et Amide descendirent dans le vallon pour y visiter leur ancienne demeure. Le lieu ils avoient trouvé tant de jouissances, la cabane cbérie ils avoient vécu, paisiblement, tout avoit disparu: leurs yeux ne purent qu’en mesurer Y espace* mais le souvenir en resta dans leur coeur. Ils regagnèrent, avec le silence expressif de la douleur, les habitations nouvelles qu’ils s’étoient préparées sur l’éminence voisine, et la vue de leurs en- fans dissipa le sentiment de leur tristesse pour faire place à d’au- tres plus doux qui les attendoit.

Ce couple fortuné eut une vieillesse heureuse et longue. Leurs enfans élevèrent d’autres maisons à côté de la leur. Cha- cune fut ornée de son petit jardin. La contrée fut de plus en plus défrichée, sa fécondité paya avec usure les soins des culti- vateurs, et leur nombre augmenta assez par la suite, pour créer le village que vous voyez aujourd’hui au pied de cette col- line.

Quittons toutefois cette partie et au lieu de passer sur le pont flottant, retournons pour traverser le Chinois. Dirigeons - nous nos pas sur la droite , en suivant le chemin qui conduit sur la montagne, nous arriverons à une rotonde, i , de laquelle nous aurons une vue magnifique qui plongera sur le vallon voisin ; mais ne prenons point ce chemin, parce qu’il nous conduiroit hors du jardin, et suivons plutôt P allée qui est devant nous.

Cette allée à laquelle le maître du jardin a fait décrire a dessein des sinuosités sans nombre, se divise en beaucoup d’autres qui vont nous faire apercevoir des situations nouvelles.. Tantôt elles nous mettront dans le cas de nous en approcher, et tantôt sur le point de satisfaire notre curiosité , nous en serons tout à coup éloignés, par la nécessité d’étre fidèle aux règles de P en- semble , pour obtenir partout le résultat qui doit en dériver. Combien cette disposition est supérieure à celle, adaptée dans les jardins de France, les allées, désagréablement prolongées sur une ligne monotone, ne font aucun effet sur l’imagination, et ne laissent rien à deviner à la curiosité , ni aux yeux, parce qu’un coup d’oeil suffit pour embrasser les parties et P ensemble! Ici nos jouissances seront ménagées, nous seront conduits insensible- ment, et nous perdrons souvent de vue un objet pour le retrou- ver avec un plaisir nouveau.

Entrez maintenant dans ce bocage, dont les parties touffues vont affecter différemment vos sens , tantôt en vous enveloppant de leurs ombres, et tantôt en vous offrant des vues ménagées que P art a su y pratiquer.

Je te salue, ombre chérie et sacrée, que mes yeux ont aperçue avec délices, après laquelle soupiroit mon coeur! C’est toi que ma muse va chanter, c’est ta douce obscurité qui m’ins- pire. Tes charmes ont décuplé l’activité de mes sens, pour en jouir: ils se taisent pour livrer mon ame à la méditation, pour exercer ma pensée. Je crois être inspiré des neuf soeurs et voir les Grâces me sourire. Nul bonheur ne sauroit s’assimiler au mien , je vais jouir et penser.

Pourquoi Pâme ne sauroit- elle combiner des idées aussi fortes dans le fracas du monde, qu’au sein de la solitude et d’une obscurité religieuse? C’est que froissée par la variété'Mes objets, elle a besoin de la méditation pour exercer son empire, et donner toute sa force à la pensée. Elle s’élève par la spécula-, tion à la source de la vérité, pour connoître les erreurs de l’hom- me, et s’en préserver. La Nature est un livre elle puise les idées d’un bonheur positif, parce qu’elle n’a pas un charme qui ne lui donne une jouissance, et pas une de ces dernières, qui ne la ramène par la pensée à celui, duquel elles émanent toutes. Fuyez, hommes frivoles, ce séjour enchanteur, vous en feriez 3e théâtre de vos plaisirs, parce que ses voûtes les couvriroient des ombres du mystère, et qu’elles sont consacrées à la réflexion du sage! Ici vous séduiriez l’innocence, et l’homme probe veut s’ oc» cuper des moyens de protéger la vertu: l’absence du crime vous feroit trouver ces lieux monotones , et ils sont tous pour qui sait - penser et jouir. Quels charmes n’ont -ils pas à ses yeux, quand après s’être appésanti sur les devoirs de l’homine en société, il

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examine le groupe de verdure, dont il a fait le confident de ses pen- sées? Ici commence une série de nouvelles jouissances : il détaille les beautés de la voûte silencieuse qui le couvre , il voit le chêne élever majestueusement sa tête, et le bouleau à tronc élancé plier tris- tement ses branches, le pin déployer ses rameaux d’un vert som- bre, pour contraster avec celles de l’éclatant cerisier, le peuplier prendre place à côté du pinastre, l’acacia près du platane, et l’érable, le tilleul et le tulipier tantôt formant des groupes et tantôt isolés.

Voyez comme pour varier la scène et en augmenter les charmes, on a cherché le plaisir des yeux! Comme on a pratiqué les jours dans quelques espaces , en donnant la forme de cintre a ces branches odorantes que 1’ art a contraints de se plier pour orner ces allées! Comme celles-ci sont tantôt obscures, et tantôt à demi- éclairées! Comme le jour et les ombres se confondent! A un groupe, fermé aux rayons de la lumière, succèdent des parties d’un genre opposé. Ici, les allées présentent sur les côtés le jasmin et le tulipier, là, le carmin de la rose offre un contraste de couleur; des bouquets de sureau pendent à côté du lilas pour embaumer l’air, et les fleurs d’un arbuste sont effacées par d’ autres plus brillan- tes encore.

Le goût et la prudence ont présidé à l’ordonnance de ces bosquets. On n’ a point voulu mettre ni une distance égale entre ces arbres, ni leur donner une direction monotone; maison a suivi la Nature, qui forme un groupe sans symétrie, et ne con- çoit point les règles.

Ces bosquets ont été plantes de maniéré, a ce qu’ils fis* sent valoir la beauté réciproque de chaque arbre, en cachant en meme temps leurs défauts. On a pris des mesures dans leur plantation, pour que du plus loin qu’on les apercevroit, ils pré- sentassent un ensemble qui eût la grâce d’un groupe, et que ses contours fissent un bel effet à la vue. Dans les premiers travaux de ce jardin , le maître a sagement pensé aux résultats que produiroient ces plantations, lorsque les arbres et les arbustes grandiroient. Quand les résultats n’ont pas tout-a-fait rempli ses vues, quand un arbre , par exemple , avoit déployé ses branches avec trop de profusion, qu’un bosquet se trouvoit trop clair, un autre riche en bois, ou que la pousse de quelques arbustes n* avoit point répondu à l’effet qu’on s’en étoit promis, on a élagué les branches , rempli les lacunes, ou éclairé les parties trop sombre^ en plantant dans celles qui ne 1* étoient point assez.

Tantôt nous voyons s’étendre un petit bosquet, et tantôt s’élancer, ça et disséminés dans l’espace, quelques arbres de haute futaie ; tantôt on y en voit d’ autres très - épais et venus sans soin. Ici, ces arbres sont mélangés d’arbustes, pour cacher aux yeux ce qui n’ est point à leur proximité , et plus loin, la plantation est clair- semée, pour ménager des jours dans les parties qu’ on trouve daj^s son enceinte.

C* est précisément le cas dans celle nons nous trouvons, en apercevant avec surprise à travers les arbres le bâtiment élégant, C , qui est devant nous, et nous pouvons, en traversant le

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bois, nous rendre si nous voulons à la salle dujardin, à laquelle on a donné la forme d’une mosquée. Ici le bois est très -clair,

h , on voit s’ étendre sur la gauclie et s’ élever sur la droite les montagnes que nous avons déjà vues, couronnées par une roton- de , pour jeter plus de variété dans la perspective.

Plus loin, le chemin serpente dans d’épais bosquets, jusqu’à ce qu’ on soit arrivé sur un pré considérable , entouré partout de bos- quets. Tant d’ objets qui se succèdent , nous font désirer une place de repos, de laquelle nous puissions jouir de la perspective d’un si beau lieu, quand tout à coup nos souhaits sont remplis. L’allée conduit à la sinuosité du bois , nous trouvons une place de repos,

k , dont l’ombre nous invite à nous y arrêter. De là, nous voyons la façade de la mosquée, devant laquelle on a construit deux minarets élevés. La blancheur éclatante de ce bârimeut tranche admirablement avec le vert tendre du pré, et celui plus foncé du bois, qu’on aperçoit derrière la mosquée. A gauche on voit de- vant soi, à travers les arbres, une Diane / . Quelques groupes d’arbres bornent la vue devant nous, et sur les cotés du bâtiment.

Le groupe le plus près de nous est le plus grand , et celui par côté de la mosquée le plus petit. Le premier coupe le pré et le diversifie; le second cache la vue de la rivière et le pont de bois, —if—, qui nous oiFriroit dans sa simplicité, si nous pouvions le voir, le plus grand contraste avec les parties magnifiquement déco- rées que nous examinons. Ce groupe consiste en quelques arbustes, au milieu desquels il n’y a qu’un seul arbre, mais celui-ci se corn-

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pose de plusieurs autres qui s’élevant du bosquet s’attachent si fort à lui par leurs sommets, qu’il paroît à lui seul ne faire qu’un seul arbre.

On a choisi pour cet effet T acacia d’un beau vert clair, en prenant pour les arbustes qui dévoient l’environner, ceux d’une feuille foncée , et dans le fourré desquels on a mis force pieds de jasmin et de rosier. D’après cette ordonnance, le groupe ne fait pas seulement un ensemble parfait, mais il prend encore une forme d’autant plus belle, que la nuance des verts du pré et des arbustes produit une agréable variété- pour les yeux. Si l’on eût choisi, pour ce groupe, des arbres de haute futaie d’une espèce différente, si l’on eût, par exemple, planté l’acacia avec le tilleul, l’érable avec le platane, le hêtre avec le bouleau, ce groupe auroit infiniment perdu de sa beauté, parce que ces arbres, loin de former de sem* blables massifs , auroient occasionné la division de plusieurs de ses parties. Ces arbres auroient produit encore un bien plus mauvais effet, si l’on eût voulu les réunir, attendu la différence qu’il y a souvent dans la taille, les branches et leurs feuilles , telle que celle que l’on remarque dans le sapin, le bouleau, le peuplier et le pla- tane. Autant la réunion de ces arbres peut être agréable dans une place spacieuse, autant auroit - elle été déplacée dans cette oc- currence*

Nous ne pouvons quitter cette place, sans voir le monu- ment en marbre, élevé au milieu du bosquet, derrière la place de repos dont nous venons de parler. Il représente sur un piédestal

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peu élevé une belle figure Je femme. Son bras droit repose sur le tronc d’un arbre. La tête penchée, elle regarde fixement la terre. De hauts peupliers, entourés d’un cintre épais de verdure, pour le- quel on a employé le hêtre rouge et 1* arbre de vie , défendent les approches de ce monument , que le possesseur du jardin a érigé à la mémoire de son ami, qui partagea long -temps avec lui le plaisir d’admirer’ ces lieux, il avoit fait choix de cette place favorite. Devant et à côté de ce monument on a laissé venir des bouleaux à feuilles pendantes, sous l’ombre desquels on a fait croître des roses. Au pied de la figure , et adossée au tronc d’ arbre, on voit une pierre avec 1* inscription suivante :

,,Je n’oublierai jamais celui qui repose ici. Que les roses remplacent le cyprès sur son tombeau! Son sou- venir est dans mon coeur. Je ne le plains pas non plus. Il n’y a qu’un intervalle entre nous, et mon oeil sourit a l’ espoir de le franchir , pour être réunis. u

Arrêtons - nous encore un peu pour nous abandonner à la profonde impression que nous a laissée ce monument. D’une part ce* pré délicieux, avec ses riantes perspectives, devant nous le souvenir de la mort, nous donnent une idée de cette vie, et de quelle manière les extrêmes se touchent. Quittons cette place avec le silence de la reflexion.

Approchons maintenant de la statue de Diane que nous avons vue briller entre les arbres, et devant laquelle de hauts platanes entourent une place à demi - circulaire l . Ici nous

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voyons la Déesse qui prend tant de plaisir dans les forets, et à laquelle on a consacré le bocage et cette place. Elle ne nous apparoît point comme à l’ordinaire, avec l’arc bandé, et prête à décocher une flèche mortelle, son attitude est calme, et elle pense à son frère Apollon , quand fatiguée un jour des plaisirs de la chasse , elle alla à Delphes , et y suspendit dans le temple arc et carquois, pour se distraire avec* les Muses et les Grâces.

lie pré nous paroît plus petit ici , que du monument. Le groupe d’arbres placé au milieu cache la mosquée, et le bois qui avance beaucoup sur la droite, rétrécit encore le pré. Tout autour, le bosquet s’ étend et présente des sinuosités agréables et dégagés , quelquefois rentrantes , formant aussi parfois des ronds de verdure.

Nou3 arrivons en quittant le pré à une plantation de pins blancs de Canada. Devant elle se sépare le chemin m . Nous allons prendre celui de la gauche, parce qu’il traverse cette plantation, et que l’autre nous conduiroit dans une place dégagée. Avant d’arriver au bout, on a un peu éclairé la plan- tation, pour y pratiquer une petite place ouverte, n , en- tourée d’une part de hauts pins blancs de Canada, et de l’autre par un bois nain d’arbres à feuilles. Arrêtons-nous un moment en ce lieu, dont le calme invite si agréablement au repos; mais soyons sages dans l’emploi du temps, et que ce ne soit point aux dépens de celui, dont nous avons besoin, pour rester plus long- temps dans les parties plus belles qui vont suivre !

Le chemin nous conduit encore quelque temps par le bois, enfin nous en sortons pour nous trouver sur une belle prairie. Tout y est calme , et la tranquillité du lieu n* est interrompue que par un doux murmure de I’ eau qui se fait entendre. Nous nous en appro- chons, et nous trouvons pour nous reposer et jouir la petite place, o —, dont des peupliers forment l’enceinte.

Comme on a placé des sièges entre les peupliers, plantes dans une direction alignée sur le chemin , asseyons-nous pour jouir de la belle perspective que nous avons devant les yeux. La prairie s’ étend au loin , tantôt les plantations paroissent , et tantôt elles se retirent. Le groupe fl’ arbres qui est au milieu du pré, paroît ici se séparer en deux.

Ce beau groupe consiste en hauts peupliers, entourés d’ une touffe de cytise des Alpes et de framboisiers odorans, dont les bou- quets de fleurs jaunes et rouges en forme de raisin nuancent les dif- férens verts, au travers desquels elles brillent, et forment avec les fleurs du baguenaudier , que l’on a planté sur les bords du grou- pe, le coup d’oeil le plus agréablement varié.

Jettons -nous les yeux devant le groupe sur la gauche, nous voyons le pré entouré d’un bois de pins blancs de Canada, sur la droite le bosquet s’ ouvre un peu, pour nous laisser apercevoir d’ une part les bords fle la rivière, et au delà les plantations qu’on y a pratiquées , pour borner la vue de ce côté. Tout près de nous et sur la droite, nous avons une partie de la rivière, qui fait une si- nuosité , pour serpenter flans la plain-e.

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Quelle jouissance pour les yeux! Le groupe se présente d’abord au milieu du pré. Dans l’éloignement, on voit contraster le vert tendre avec celui plus foncé du bois de pins blancs qui l’ en- toure. Ce que nous venons de voir fait le fond du tableau. Des deux côtés, le pré est coupé d’arbres et de touffes d’arbustes, rangés toujours d’après la nuance de leurs feuilles. Tout près de nous est le cerisier à grappes , et la barbe de chèvre à côté du sumacli ; à ceux-ci succèdent l’odorant sureau, l’arbre de neige et le chèvre- feuille des Alpes, à côté desquels on voit encore le vinaigrier, le jasmin et le châtaignier nain. Tous ces buissons à arbustes variés ont été plantés de manière que la diversité de leurs couleurs et nuan- ces ne Unît point sur une ligne droite , mais se confondit au contrai- re l’une dans l’autre, pour ne point faire un coup d’oeil désagréable, en entassant les mêmes couleurs. Non - seulement on a évité de fai- re cette faute, mais pour varier encore davantage la scène et donner un ensemble au tout, on a planté, à l’extrémité de la plantation, des peupliers blancs dont la feuille, agitée par le vent, paroît tantôt d’un vert foncé et tantôt aussi d’une couleur argentée. On a mis encore dans leur voisinage des baumiers et des érables de Tartarie, que P on a mélangés de roses jaunes , rouges, et de beaucoup d’au- tres fleurs.

Tout inspire ici la gaieté , et nous livre aux plus douces sensations. L’ame sereine et satisfaite, nous nous asseyons au bord de la rivière , pour jouir mieux encore du plaisir que nous donne la Nature. Un vent doux à qui l’eau a communiqué sa fraîcheur, caress^ nos joues. Notre bonheur est parfait, nos coeurs purs, nous n’avons plus rien de commun avec la planète que nous foulons aux pieds.

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Que l’homme est heureux, o Nature, quand la vue de tes beautés suffit pour épanouir son coeur! Qu’il est digne de celui qui le fait palpiter, quand la joie de se retrouver avec toi, le met au-dessus de l’orgueil et de la vanité! Mille fois heu- reux celui qui fuit un monde corrompu et tout son fracas , pour admirer tes ouvrages ! C’ est chez toi que le sage va chercher une retraite, qu’il apprend à être content de peu, et que la joie pure règne dans son coeur.

Ici, l’ami repose à coté de son ami, ils partagent en- semble les plaisirs innocensr que tu leur donnes ; là, la tendresse réunit des amans qui ne furent jamais plus heureux , et dont les douces jouissances passent avec la rapidité de l’éclair. L’amour ne donna point d’heures plus fortunées, depuis qu’il exerce son empire. Elles ont pour ces amans la couleur des roses , un bai- ser a cimenté leur tendresse et un serrement de main la promes- se d’y rester fidèles.

Voyez -vous ce jeune homme errer dans ce bosquet qui est devant nous ? Son regard triste et baissé désigne qu’il n’ a point encore reçu le premier baiser de l’amour. Il soupire, mais sans connoître encore l’objet qui le fait soupirer. Remarquez le change- ment qui vient de s’ opérer en lui. Le rossignol a chanté , et son regard est déjà moins timide ; ses sens commencent à parler. L’a- louette part à ses pieds et s* élève pour frédonner dans les airs un chant d’alégresse, et la gaieté se peint sur son front. Il prend plai- sir à repaître ses yeux de la douce et tendre couleur des prés* il

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respire maintenant avec délices le doux parfum des violettes et des roses, c’est pour lui que le ruisseau murmure, pour lui que ses eaux ont de la limpidité, c’est pour lui que la Nature s’est rajeu- nie. Voilà ton ouvrage, o Nature! Il sent maintenant ta puissance, il sent que c’est au plaisir qu’il vient d’avoir, aux émotions douces qu’il a reçues, qu’il doit les palpitations qu’il éprouve. C’en est fait, ton triomphe, o Nature! est complet sur son ame; c’est à toi de le remplir. Tu as été le premier objet de ses voeux , celui qui a parlé à son imagination, parle maintenant à son coeur pour qu’il jouisse du repos qu’il trouvera toujours dans ton sein.

Pendant que nous nous abandonnons sur le bord de l’eau à ces douces reveries , ce que ne manquera point de faire en ce lieu quiconque sera vivement occupé du souvenir de son ami , de la Na- ture, ou de sa maîtresse, nous sommes interrompus dans nos sensa- tions par le chalumeau d’un berger, et les bélemens d’un troupeau qui paît de l’autre côté de la rivière. Les sons de cet instru- ment champêtre nous reportent aux temps fortunés de la vie pasto- rale que le Théocrite des Alpes, l’immortel Gesner , a peinte d’une manière si touchante.

Il semble que nous regardons avec plus de plaisir le cris- tal de T eau qui est devant nous, la force qui soulève ses flots ar» gentés, après les avoir abaissés, les arbustes odorans qui embaument ses rives , les violettes qui percent le petit massif de verdure qui leur sert de berceau; il semble enfin que nous épions les secrets de la Nature et de la végétation. Le berger sans crainte pour son

troupeau paroît avoir accordé les 'sons de sa flûte , pour célébrer les beautés du printemps et faire danser les jeunes garçons et les jeunes filles, attirés par l’éclat du soleil couchant et les flots de pourpre qu’il avoit, à son déclin, laissés sur l’horizon, comme les avant-coureurs d’un beau jour.

Un pont de pierre u de la plus grande élégance qui se trouve dans notre voisinage , nous engage à passer de l’autre côté de la rivière. Après avoir parcouru le petit bois, et l’ allée q.ui le tourne, nous avons devant nous une autre iperspec- tive , £ , qui a cette différence avec celle du pré que nous venons de quitter, en ce que nous n’avons vu dans la première que des objets naturels, pendant que celle-ci renferme des bâti- mens dans ses parties boisées. Nous allons nous asseoir sur un siège, v , que nous apercevons entre les arbres, pour con- templer plus à notre aise les beautés de cette partie. L’objet qui va le plus attirer nos regards est le bâtiment, £ , qui est en face de nous , mais duquel nous ne pouvons maintenant nous ap- procher. A gauche nous apercevons sur une colline, une rotonde élégante, d , qui nous cache la vue parce qu’elle est cachée à moitié dans le bois.

Nous poursuivons maintenant le chemin qui nous a con- duits ici, pour arriver sur des pelouses, nous avons par côté tantôt la rivière et tantôt des bosquets. Devant nous il y a une col- line, au pied de laquelle nous allons nous rendre, après nous être arrêtés quelque temps à la place de repos, p , que nous

voyons au bord du chemin, sous de hauts peupliers de Canada, entre lesquels on a placé des rosiers , ‘'pour jouir du coup d’oeil agréable que présente la rotonde , que l’on voit élevée sur la colline.

*<%

Maintenant nous passons la colline, au delà de laquelle se déploie un grand pré, dans l’éloignement et à travers le bois, on aperçoit la maison de campagne au delà d’une pièce d’eau et plus près la statue de Flore. Comme rien n’est plus agréable qu’une pelouse, nous allons jouir un peu des points de vue que nous avons de tous côtés ; et sans nous asseoir, nous allons con- templer à notre aise toutes ces scènes variées. La chose qui cap- tive le plus nos regards est une perspective, D , que nous remarquons au milieu de cliênes élevés , devant nous la rotonde, d , sur une colline insensible , et tous près de nous un pont en escalier, r , dont une arche agréable s’élève au - dessus de T eau.

En allant plus loin nous voyons la statue de Flore f , plus loin, diverses plantations d’arbres et d’arbustes, qui quel- quefois ont des percées , et au milieu du pré un beau groupe de hauts tilleuls, par-dessus lesquels on voit s’élever quelques peu- pliers. Ce groupe coupe un peu la largeur de la prairie, mais sans dérober à la vue la fraîcheur de l’herbe verte que l’on re- marque entre les troncs des arbres.

Quelle richesse! Quelle variété de tableaux! Partout des plantations bien groupées qui décrivent les coutours les plus agréa-

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blés autour d’un pré. Ici tout a été tellement ordonné d’après les lois de la Nature, que nous croyons voir plutôt une véritable con- trée, qu’une plantation soumise à celles de Y art. Le peintre trou» veroit à y exercer son pinceau, et partour de belles formes à étudier. La preuve la plus sûre d’avoir réussi dans le genre pittoresque dans un jardin, dit Watelet , est l’impression qu’il fait sur les gens de 1’ art en le voyant. Si le genre s’ est bien rapproché de la Nature, il aura F approbation du peintre. Ce dernier veut qu’ on l’imite, et quand on a réussi , la scène ne sauroit manquer d’ être agréable.

Pour jouir encore un peu de cette vue, nous passons de- vant le pont en escalier. L’allée que le chemin nous prescrit, est ombragée d’ùn côté par des arbres et des bosquets, dont tantôt elle s’approche, tantôt elle s’éloigne ou qu’elle traverse quelque- fois, tandis qu’elle est bornée de l’autre par la prairie qui olfre les plus agréables perspectives.

Cette allée nous conduit à la colline de Flore, f , dans le milieu de laquelle est la statue de la Déesse , représen- tée en ce lieu comme conservatrice des fleurs et des fruits. La colline est entourée de hauts peupliers , entre lesquels on a planté diverses espèces de roses avec la Ketmie blanche et violette. Tout Y espace entre la statue est orné d’ arbustes et de fleurs de tout genre, qui descendent jusque sur la pente de la colline. Un air doux nous caresse, nous sentons la présence du zéphyr, que les anciens regardoient comme l’époux de Flore, autour de laquelle il folâtroit.

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Les points de vue dont nous jouissons, sont trop agréa- Lies pour pouvoir les quitter de sitôt. Ici nous voyons au delà de la prairie, la maison de campagne et les bois environnans , et de- vant cette maison, T étang dont la clarté de l’eau répète toutes les parties ; nous remarquons la rotonde qui o-IFre aussi de cette colline le coup d’oeil le plus ravissant. Ici l’on aperçoit des arbres former de grands et de petits groupes, des allées cou- vertes d’ un sable jaune serpenter dans la prairie»

Une de ces allées conduit de la colline meme à la prairie ci-dessus. Si nous la prenions, nous serions trop promptement à l’ extrémité du jardin ; et nous avons encore des parties agréa- bles à visiter, que nous devons parcourir. Nous rétrogradons par le chemin qui nous avoit amenés , en traversant une partie du pré, d’où nous apercevons, dans l’éloignement, une cabane de pécheur au delà de la rivière. Quand nous arrivons au bois, nous nous tournons à gauche, cj , et nous entrons dans un sombre bosquet, planté sur une hauteur qui longe la rivière.

Une petite ouverture dans le bois nous laisse apercevoir un pont, t , qui conduit au delà de l’eau. Il est de la forme la plus simple et recouvert d’écorce d’arbre. Nous passons devant le pont , pour suivre le sentier du bois»

Ce bois nous paroît bien sombre. Il n’est composé que d’arbres toujours verts, ce qui le rend d’ autant plus agréable en hi- ver. Tantôt c’ est une plantation d’arbres de vie, tantôt de aiver-

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ses espèces de pins et de sapins. Ici c’est le pinastre d’Ecosse, le pin blanc de Canada , entre lesquels on a planté le cèdre, le genévrier et la sabine. Quelques groupes d’arbustes également verts dans la saison rigoureuse coupent ces parties de bois et bor- dent le chemin , pour y jeter plus de variété. Les feuilles écla- tantes du laurier-cerise alternent avec celles rembrunies du houx panaché de jaune, le buis à tronc élevé contraste avec le buisson ardent, ainsi nommé à cause de la couleur orange de ses baies, et la lauréoîe avec le troène toujours vert. En ménageant une jouis- sance aux yeux pour l’ hiver, on ne l’a point oublié pour le prin- temps : car on trouve, sur le chemin ça et là, l’amandier nain de l’A- sie, à coques parfois pleines et vuides aussi quelquefois , dont les innombrables fleurs vermeilles font l’effet le plus agréable à côté du vert foncé de cette plantation d’hiver.

Nous descendons maintenant de la hauteur dans le petit val- lon où serpente la rivière. De quel genre est le pont, ? , qui s’ offre à nos regards? Voyez! Il est d’un style analogue à la scène que nous avons sous les yeux. Un chêne tortueux en sortant de la terre a servi à sa construction; séparé en deux, il se déploie sur le fleuve et ses branches ont servi de balustres. Le siège que l’on a pratiqué sur ce pont, nous invite à nous reposer. Notre vue plonge à une grande distance sur la rivière, dont les eaux coulent sous nous, en murmurant, et tout autour on aperçoit des pins blancs de Canada et ceux d’Ecosse, qui cachent toute autre perspective. Emus des sensations les plus graves, que nous communiquent la réflexion et les beautés sévères de ce lieu, nous jetons les yeux autour de

nous, et lisons sur une pierre, appuyée au pied d’un arbre, l’ins- cription suivante qui exprime à merveille tout ce que nous sen- tons :

,, Les sombres arbustes qui nous enveloppent d’une obscurité religieuse et profonde , ces bois qui bornent partout nos regards , nous rappellent celle que nous avons sur 1* ave- nir. La vie s’écoule comme les flots qui se succèdent,

et le moment nous devons la quitter, ressemble à l’in- quiétude o^ nous sommes , de trouver le sentier qui doit nous faire sortir du bois. iC

Pleins de ces réflexions , nous nous enfonçons dans le bois , non en prenant le chemin qui aboutit directement au pont, mais celui de la gauche, parce que le premier nous conduiroit en rase campagne, et que le second qui continue dans le bois, est plus conforme à la situation de notre ame. Le bois com- mence à s’élargir de plus en plus, le soleil peut le percer da-

vantage de ses rayons, et avec eux la gaieté déride aussi notre front. Nous regardons en passant ces riantes prairies qui nous ont déjà dilaté de joie notre coeur, et nous retrouvons le pont en forme d’escalier r .

Quelle beauté le possesseur du jardin a observé dans le passage de cette partie mélancolique à une plus gaie! On ne quitte point subitement la première , on n’ est point surpris d’ arriver à la seconde, parce qu’on a bien employé toutes, les gradations. Le bois devient insensiblement moins triste; d’abord, il commence

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à s’éloigner du chemin , et on le quitte ensuite tout* à -fait pour se trouver, sans s’ en apercevoir, dans une belle plaine.

La rotonde, d , que nous avons si souvent vue, et qui donne un si beau coup d’ oeil de tous côtés, se présente de nouveau à nos regards. Nous ne passerons point cette fois impunément devant elle. Nous la visiterons en tournant la colli- ne. Cette dernière a deux terrasses. La première qui s’étend beau- coup , est plantée de petits bosquets, qui réjouissent la vue, soit par la grande variété de la feuille des arbres, soit par la forme d’échiquier qu’on leur a donnée. Ici, 1* érable -’plane et le châ- taignier sauvage se Confondent avec l’alisier; là, on voit paroî- tre sur le bord l’érable de Virginie et celui à fleurs rouges, au pied desquels serpente la grande pervenche à feuilles argentées et dorées , en descendant la colline. C’ est sur la seconde terrasse, plus élevée que la première, que se présente au milieu la rotonde. Cette dernière consiste en six colonnes d’ ordre Ionique qui sont posées sur trois marches et supportent une coupole de la plus gran- de simplicité.

La vue que nous avons ici , est plus bornée que celle de la colline de Flore. Nous n’avons sous les yeux qu’une petite partie de la grande prairie. Le groupe d’arbres qui est au milieu de cette prairie, et les petits bosquets autour de la colline de Flore cachent la vue du côté de la maison de campagne. Nous n’aper- cevons la statue de la Déesse des jardins qu’à travers ces mêmes bosquets, et sur la droite, une plantation considérable d’arbustes

variés et d’arbres de haute futaie achève la perspective. À gauche nous voyons bien la rivière, mais peu de temps, parce qu’elle se perd derechef dans les arbustes, et que sa rive d’au delà est éga- lement plantée d’arbres. Si nous nous plaçons de manière à mettre derrière nous la colline de Flore, la prairie se déploie un peu à nos regards, mais elle est toutefois plantée, tout à l’en- tour, d’arbres qui ne laissent apercevoir aucun jour.

Ces plantations font un si bel effet à la vue, que nous nous déterminons à les visiter. Nous laissons pour* cet effet le chemin qui nous a conduits à la colline, pour prendre l’autre. D’abord, nous descendons, puis nous tournons à droite, quand nous sommes sur la première terrasse de la colline. Ici nous trouvons un chemin , qui de cette dernière nous conduit à tra- vers le bosquet dans la plaine. Immédiatement après, nous en- trons dans un autre , et nous nous engageons dans le chemin qui est devant nous.

C* est au milieu de cet épais et charmant bosquet que nous trouvons ce beau bâtiment, £ —, que nous avons déjà remar- qué , mais seulement en passant. Le maître de ces lieux l’a desti- né pour y loger ses amis , d* il a reçu 1* inscription qu* on lit à cet effet sur son portique : Temple de l’hospitalité. Ce portique, surmonté de quatre colonnes d’ordre Ionique, nous con- duit dans l’intérieur du bâtiment, composé de plusieurs pièces et d’une petite salle à manger.

Un vieux chêne et un tilleul ombragent l'entrée de cette maison, et la place qu’occupent ces arbres, rappelle involontaire-

ment V histoire de Philemon et Baucis > qui donnèrent, au sein de l’indigence et sans les connoître , l’hospitalité aux Dieux qu’ avoient renvoyés les riches. Aussi n’ a- 1- on point manqué de faire revivre cette vertu sous le pinceau, dans les tableaux qui décorent ce tem- ple qui lui est spécialement consacré. Voici la manière dont on ra- conte la chose :

Jupiter un jour descendit sur la terre avec son fils Mercure, pour y visite^les hommes. Le père des Dieux en prit la figure, pour n’ être pas reconnu : nul attribut de sa puissance avec lui, tout fut laissé dans l’Olympe. Mercure y déposa ailes et caducée, et le plus parfait incognito fut mis en usage, pour laisser ignorer leur origine. Les Dieux qui se font hommes, doivent en partager les peines. Le voyage de l’Olympe sur la terre n’en donna point à nos Dieux voya- geurs ; mais arrivés sur cette dernière, il fallut traverser rivières et montagnes, champs et collines, et la fatigue les obligea de s’arrêter enfin dans un vallon délicieux, que la Nature avoit embelli de tous ses charmes. Le riche y avoit sixé son habitation. Voilà ce qu’il nous faut, dit Mercure; ici nous trouverons l’hospitalité. Quel meilleur usage pourroit- 1 -on faire de^sa fortune? et sans attendre davantage, il frappa à toutes les portes pour la demander. L’éton- nement de se voir congédier, fut extrême. Quel égoïsme! dit Jupiter; jouir, et ne pas connoître le doux plaisir de donner. Allons plus loin, mon fils, continua le maître du tonnerre; ces gens s’en repentiront lorsqu’ en parlant de la sorte il aperçut une cabane couverte de chaume. Voyons un peu, dit-il, s’il y a plus de vertu chez le pauvre ; encore cet essai, et si nous sommes refusés.

nous remonterons dans 1* Olympe. Jupiter avoit à peine ache- vé, que se trouvant à la porte de la modeste habitation, nos voya- geurs la virent s’ouvrir au premier bruit qu’ils firent.

Deux mortels fortunés, Philemon et Baucis, avoient oc- cupé cette cabane dès l’ enfance et y avoient vieilli dans le bon- heur et la joie. Ces vertueux hôtes saluèrent cordialement nos voyageurs, en les invitant à prendre sur deux sièges qu’avança Philemon , le repos dont ils. paroissoient avoir besoin. Dans cet intervalle, Baucis faisoit du feu avec des feuilles sèches et des branches de fagots sur un âtre, en cherchant à rallumer une étincelle de la veille, qu’ elle avoit encore vue briller dans les cendres. Vite la table, dit Baucis a Philemon, quand le frugal repas des voyageurs fut prêt; et celle-ci fut à peine placée, qu’on leur servit du lait, des oeufs et des légumes dans des plats de terre. Baucis, toujours empressée, apporte enfin un peu de vin dans un vase de bois. Le coeur, dit -elle à ses hôtes, donne tout ce qui est au delà du besoin, et cette boisson vous rendra les forces dont vous avez besoin. Cette naïveté fit rire des Dieux habitués au nectar ; mais la fatigue ne leur fit pas trouver moins bonne ce que leur offroit la vertu, et Jupiter but d’un trait ce qu’on lui avoit présenté. La tempérance n’est pas celle des Dieux. Que faire en pareille occasion ? Donner une preuve de sa toute - puissance , et c* est ce que fit le maître de l’Olympe, en faisant un signe à Mercure que le vase étoit plein.

Baucis! dit Philemon qui s’ étoit aperçu du miracle. Philemon! dit Baucis, en joignant les mains, parce qu’il ne lui

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avoit pas plus échappé qu* à son vieil époux. La présence des Lieux qu’ils venoient de sentir, les mit aux genoux des voya- geurs, devant lesquels ils se confondirent en excuses de les avoir aussi frugalement traités. Jupiter les releva. Ceux qui parlent comme vous, dit-il ^ et donnent ce qu’ils possèdent de bon coeur, ceux qui protègent les inconnus, exercent l’hospitalité envers les voyageurs et les traitent en amis, sont dignes de la protection des Dieux, aussi doivent - ils s’attendre à recevoir de leurs mains le prix de ces vertus. Voyez , ajouta Jupiter , comment ils châ- tient par contre ceux qui les ont méconnus, et qui se croient sous les lambris dorés à labri de leurs coups! Venez!

Notre couple a ces mots suivit la divinité en courroux, en gravissant comme il pouvoit dans un âge aussi avancé, la mon- tagne la plus voisine de leur cabane. Quel spectacle les atten- doit! À l’instant le tonnerre gronde, la foudre éclate, une tem- pête affreuse fait sortir le torrent du vallon de son lit: il ravage, il entraîne tout avec lui, des masses d’eau inondent la contrée qui perd jusqu* à la dernière trace de sa végétation , et la cabane de Philemon résiste. Pendant que ce vertueux couple adoroit la puissance des Dieux , en pleurant sur le sort de ceux qui étoient devenus l’objet de leur colère, quel miracle nouveau vient frap- per leurs regards! La cabane venoit d’être transformée en un temple, l’or brilloit naguères on voyoit des roseaux, des co- lonnes avoient remplacé ses supports, et le marbre ses murs de torchis.

Dieux puis&ans, s’écria Philemon, laissez -nous vivre en- core quelques jours et accordez- nous la grâce d’en consacrer le

reste à votre culte. Ouvrez -moi votre coeur, dit Jupiter, et s* il y a quelques souhaits qui puissent le réjouir, parlez, ils se- ront exaucés. Point d’autre, maître puissant de l’Olympe, répon- dirent à l’unisson les deux vieillards, que celui de n’ être jamais séparés, et de mourir ensemble quand nous toucherons à notre dernière heure. Jupiter exauça leurs yoeux, et les Dieux quit- tèrent la terre.

Cet heureux couple vécut encore un grand nombre d’an- nées , dans un bonheur que rien ne troubla sur la terre. Phile- mon se consacra au service du temple de Jupiter, en conservant toujours la crainte des Dieux, et on ne savoit lequel on devoit admirer le plus dans 1* exercice de leurs devoirs , de leur fidélité ou de leur vertu.

Un jour qu’étant devant leur temple, ils goûtoient un repos qui annonçoit la sérénité de leur ame, il s’éleva un petit vent agréable et frais qui couvrit la plaine d’un léger brouillard. Qu’ est -ce? s’écrièrent à la fois les deux époux qui s’aperçurent que la promesse des Dieux alloit s’accomplir: courons vite au tem- ple pour les remercier; et en prononçant ces mots, Philemon alloit s’acheminer, lorsqu’il se sentit attaché au sol. Le lierre avoit en effet déjà pris racine à ses pieds, et le voeu qu’avoient fait depuis si long -temps ces deux époux d’être réunis, alloit être exaucé. Quel fut l’étonnement de Philemon, de voir en levant les yeux, les feuilles du tilleul remplacer les cheveux de sa Baucis , et celle-ci de voir le lierre ombrager la tête de son époux! La tendres-

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se n’eut plus qu’un signe à donner à la tendresse, et de l’oeil qui l’ avoit décoché, sortit immédiatement une branche qui le remplaça; une voix presque éteinte par la métamorphose leur permit encore les derniers adieux, et 1' écorce recouvrit et ferma pour toujours T organe oui les avoit prononcés.

Après avoir payé quelque tribut au souvenir de ce couple fortuné, et fait un déjeuner que nous avoit préparé l’hospitalité du maître, après une longue promenade , nous prenons congé du tem- ple , en faisant le tour du bosquet dont il est entouré. Le che- min dans lequel nous sommes, nous conduit à celui qui mène à la rotonde. Laissons -le toutefois à gauche, pour tourner la colline adroite, dans un chemin ombragé, enceint d’ une part de bosquets clairs , et bordé de 1* autre par des champs et des prés.

Ici le chemin se partage en deux allées , desquelles nous choisissons celle qui nous conduit à travers la prairie et un bois d’ au- nes et de peupliers de Canada. w . Après avoir un peu marché, le bois commence à s’éclaircir. Dans l’éloignement, on remarque à travers quelques branches pendantes la surface d’une eau semblable à une glace. Pendant que nos yeux se récréoient, nous sortons tout à coup du bois , et une contrée énchanteresse F se présente à nos regards. La gaieté nous accompagne , et nous voyons avec plaisir, que le maître du jardin a fait établir une place de repos, * x , à l’ombre de vieux tilleuls, pour jouir mieux de la beauté de ce lieu.

Nous avons maintenant devant nous un charmant lac, i Si la vue est un peu resserrée sur ses bords , par les arbres

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et les bosquets qui les bordent, elle n’en est pas moins variée,* et l’obscurité que jette l’ombre de ces plantations sur ses rives, fait ressortir davantage le charme de l’eau, dont la limpidité contraste merveilleusement avec elle.

Au delà du lac, nous avons en face la perspective du vil- lage, et nous découvrons la tour de l’église qui dépasse la sommité des bosquets. Plus avant, les collines les plus voisines descendent en pente douce jusqu’à Peau, et l’on n’a point manqué de garnir

leurs pieds de peupliers et de sureau en fleurs , en pratiquant un sen»

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tier qui serpente au milieu de ces arbres. A gauche nous aperce- vons à travers le bosquet une élégante place de repos , G , que l’on a placée sur le bord de Peau. La rive qui de l’endroit nous P avons aperçue, tourne autour de nous, est plantée de bou- leaux-peupliers du Canada, saules pleureurs, saules jaunes, et d’o- liviers. L’ escarpement du rivage a donné lieu à un autre orne- ment: comme on a craint qu’il n’occasionnât quelque chute, on l’a environné partout d’ une élégante balustrade en fer.

A notre droite s* étend un bois, mélangé de pinastres et de pins, entre lesquels on a placé un petit monument, représenté par un vase appuyé sur un piédestal de la plus grande simplicité. Un jeune homme , fils unique des deux plus respectables habitans du village, et qui donnoit les plus grandes espérances, se noya dans ce lac , apres avoir sauvé un de ses amis qui , en voulant se baigner, fut par imprudence entraîné au fond du lac. Cet acte de générosi- té qui lui valut son malheur, a donné lieu à ce touchant monument,

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dont r inscription indique le motif. Le possesseur du jardin , en le faisant ériger, a cru devoir donner cette marque d’ estime aux parens du jeune homme qu’il aimoit.

Nous ne pouvons voir ce monument sans être vivement af- fectés , et d’un sentiment de tristesse. Quoiqu’il ne fasse point évanouir le doux plaisir que nous goûtons en ces lieux, leur beauté ne peut toutefois chasser la réflexion de voir toutes nos jouissances toujours empoisonnées d’un douloureux souvenir. Cet événement nous rappelle et la brièveté de notre existence, et les fleurs déta- chées de leurs tiges par un vent d’été. Le pauvre jeune homme! il vécut ce que vivent les roses.

Des pensées sérieuses et gaies se confondent maintenant et nous mettent dans une plus heureuse situation d’esprit. Le bruit de 1* eau du lac que nous entendons de loin, le son d’une voix qui part du village , tout concourt à la maintenir. Nous apercevons de jeunes garçons et de jeunes filles qui se jettent dans des nacelles, qui s’y trouvent amarrées , pendant que les pères passent d’un air occu- pé devant eux avec des filets dans une autre. Nous remarquons, qu’on fait des préparatifs pour une pêche qui doit avoir lieu sur le lac»

Nous nous approchons de la balustrade de fer, pour admi- rer l’adresse, avec laquelle les vieux pêcheurs jettent leurs filets, pour mettre de l’harmonie dans leur manoeuvre, et la faire accorder avec les voix de la jeunesse du village, qui partent des autres na-

celles. Ils nous invitent à prendre part à leur joie, et à être les témoins des heureux succès qu’ ils se promettent de leur pêche.

Quoique le maître de ces lieux fasse plus de cas de ses vassaux qu' Hortensius qui leur préféroit ses poissons, quoiqu’il ne sacrifie point toute sa fortune , comme LucuLlus , pour les entretenir dans une eau constamment fraîche , il n’ est moins jaloux que ces Romains, de voir servir sur sa table des poissons succulens, et défaire tous les frais nécessaires pour satisfaire sa sensualité. Le plaisir de les voir prendre, et d’assister commodément à ce genre d’ amuse- ment, l’a engagé à faire construire au bord du lac le pavillon élé- gant qu'indique la lettre £ , duquel la vue plonge sur tout ce lac, en lui donnant la satisfaction de voir en même temps les travaux de ses ouvriers.

Ne le troublons point ici dans ses plaisirs innocens , puis- qu* il a su respecter les nôtres; et nous allons quitter cette partie du jardin, quand nous ayant aperçu, il nous appelle pour partager la joie que va lui donner ce divertissement. Nous répondons à son invitation , en prenant pour aller à lui un chemin qui nous conduit entre une pelouse et un bosquet à un beau pont de pierre, z , nous reçoit le maître du lieu, pour nous conduire au pavillon, dont nous venons de parler.

Cette place délicieuse , consacrée au repos , a une ouver- ture au milieu, dans lequel deux colonnes d’ordre Ionique suppor- tent la toiture, et offre de chaque côté de l’ouverture un petit cabi-

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net avec des sofas. Indépendamment de sa destination primitive d’ observer de ce lieu les pêches qui se font sur le lac , il sert encore à monter de cet endroit en gondole , quand on veut en faire le tour, ou longer la rivière , pour examiner de les belles parties du jar- din, qu’elle traverse entièrement.

Nous allons poursuivre notre promenade, parce que la pêche est achevée , quand notre hôte nous invite à partager la fru- galité ds un repas, dont le résultat de la pêche doivent faire les frais. Nous acceptons, parce qu’une invitation sans contrainte exige, qu’on use de la même cordialité pour y répondre.

Remarquons cependant encore une fois, avant de le suivre, la vue G , qui s’ olfre ici aux regards, et qui diffère entière- ment de celle, dont on jouit du pavillon, x , quoique ce soit sur le même lac. Ici l’on voit le village que nous avons en partie sur la gauche, et en partie devant nous, et la jolie pelouse qui s’élargit a la droite vers le bord du lac, plantée de vieux tilleuls,

qui nous ont naguères couverts de leur ombre, quand nous avons

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voulu prendre quelque repos. A quelque distance de là, nous aper- cevons à travers les sapins le monument érigé à la mémoire du jeune homme, dont nous avons raconté 1’ histoire. Un chemin qui tourne le lac, longe la rive, l’on a dispersé çà et quelques bancs pour s’asseoir, et derrière le village, on voit s’élever la montagne, de la- quelle nous avons vu une grande partie du jardin, en commençant notre promenade dans ces lieux enchantés.

Nous voilà maintenant à l’extrémité du jardin. L’allée qui nous a conduits à l'élégant pavillon, nous fait entrer dans un

petit bois, planté de tulipiers, de catalpes et d’ oliviers, derrière les- quels on voit s* élancer des peupliers qui dépassent tous les arbres. A peine avons -nous vu le dernier, que nous avons devant les yeux le pont , par lequel nous sommes entrés dans le jardin.

Quoique nous n* ayons pas à beaucoup près visité toutes les allées du jardin, nous en avons parcouru les plus belles parties; et nous avons pris pour cet effet les plus longues allées, pour atteindre notre but. On n’a pratiqué les autres que pour l’agrément et la commodité de se rendre avec plus de célérité aux parties, auxquelles on veut arriver de la maison de campagne , ou faire de plus courtes promenades, sans être dans la nécessité de parcourir entièrement le jardin. Ces allées ont été faites encore, ou pour croiser des par- ties, à l’effet de les réunir plus promptement à d’autres, ou pour conduire hors du jardin , et sont alors destinées pour les voyageurs, qui viennent de ce côté pour se rendre au village. L»es parcourir toutes, eût exigé un temp^trop considérable, sans éviter d’ailleurs tous les objets que nous avions déjà vus.

Second Jardin.

(^uel charmant paysage s’offre à nos regards ! Que ce vallon est beau! Et toi, o Nature! quelles formes enchanteresses ne prends - tu pas pour le plaisir des yeux et varier toutes les jouissances de l’homme sur la terre? Si vous êtes sensibles encore aux charmes de la beauté, si votre coeur ne s’est point tout- à -fait corrompu au milieu des cités, quittez, amis, ces enceintes, l’atmosphère est aussi dangereux que les vices, et venez repaitre vos yeux du ^grand spectacle que va vous offrir la Nature. Ici l’on respire un air pur, embaumé du parfum des violettes et des roses , les forces se décu- plent, la santé circule davantage avec le sang dans les veines, et le retour du printemps va mettre le comble à toutes ces jouissances.

La première chose qui frappe les regards, est une plaine qui se déploie pompeusement devant nou| Un courant majestueux qui la traverse, décrit tantôt de larges rives, dans lesquelles il roule des eaux bruyantes, et tantôt perdant de sa force en les partageant, forme des bras, dont la destination est d’arroser les parties les plus éloignées du terrain. Ici l’on voit s’élever des collines, et plus loin de vieux chênes et des sapins noirs qui les couvrent. Là, le vert tendre des prés affecte agréablement la vue, et contraste avec le bleu azuré de l’ onde ; puis c’ est une colline couverte d’arbres ou de bosquets, ou une maison élégante que l’on découvre à travers la verdure rembrunie qui la cache. La Nature et l’art sont ici dans un accord parfait , pour donner à ce lieu le cachet

de toute leur grandeur. C’est initiés dans tes mistères , o Natu- re! que nous allons continuer à détailler tes beautés, et entrer dans le jardin qui nous promet de nouvelles jouissances.

Le premier jardin que nous avons parcouru, s’est offert sous des formes agréables et riantes que l’ on retrouvoit dans tou- tes ses parties ; celui - ci nous présente des objets d’un plus grand genre *). Si nous avons vu dans le premier jardin une petite rivière serpenter à travers les .prairies et les bosquets, ici, c’est un torrent large qui traverse la contrée. Là, nous n’avons remar- qué que des paysages agréables et toute la fraîcheur des scènes champêtres, ici, nous n’avons sous les yeux que celles de l’histoire qui nous reporte à ses temps les plus reculés. Tout agissoit en- fin immédiatement sur nos sens dans nos premières promenades, et tout se réunit ici pour parler à l’imagination.

Il faut que l’ artiste sache donner à chaque position du jardin un caractère prononcé. La contrée indique souvent elle* même la place convenable à ce but ; tantôt montueuse et toute unie, elle paroît aussi tantôt agréable ou sauvage. L’artiste doit suivre la Nature , pour ne rien créer qui lui soit disparate , et faire accorder tous les embellissemens au caractère du lieu. En donner un sauvage et sombre à une contrée riante et d’ une beauté calme, placer des rocs nuds , ou de grandes montagnes sur un sol uni et agréable, exposeroit l’artiste à tomber dans des excès qu’il

‘) Cette description appartient au second plan de jardin*

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doit nécessairement éviter. Il iroit toutefois trop loin , s* il vou* loit employer toujours le même genre pour caractériser P objet principal. Un jardin qui n’ offriroit aucune variété , ne sauroit avoir d’agrémens, et P ennui naîtroit bien certainement de P uni- formité, si tous les objets qui frapperoient notre vue, faisoient le même effet 6ur notre imagination et sur nos sens. Il y aura donc une nécessité absolue , de mettre dans les parties variées d’ un jar- din de ce genre, des modifications du caractère principal, et d’y apporter les nuances que comporte un semblable but. Plus ce jardin sera grand, plus il sera nécessaire de varier ces nuances, et pas une de ses parties ne doit ressembler à P autre, quoiqu’elles doivent toutes s’accorder au caractère de l’ensemble.

Pendant que nous nous approchons du jardin, nous attei- gnons une allée, a - , qui conduit dans un bosquet. A gauche nous apercevons une charmante petite colline , surmontée de peu- pliers , dont les cimes s’élèvent au-dessus des touffes ou massifs de verdure qui nous entourent, et à droite nous voyons, entre des plata- nes et des bouleaux, les ruines d’un bâtiment Grec, A , qui font ici un très -bon effet, et contrastent de la manière la plus agréa- ble avec la simplicité du paysage que P on a devant soi.

On n’ est point tenu à suivre les règles de la plus grande exactitude , pour placer des ruines qu’ on ne doit voir que dans un certain éloignement, ou qui ne sont destinées qu’à donner une pers- pective isolée. Elles n’ exigent que quelques pans de muraille, d’a- près la nécessité P on s’ est mis de les faire voir d’ un lieu, ou de plusieurs points de vue à la fois.

Il en est au contraire tout autrement de celles que l’on doit voir de près, tourner sous toutes les faces, ou visiter intérieure- ment, et ces ruines offrent déjà de plus grandes difficultés. L’or- donnance ou la construction doit en être telle qu’on les prenne pour les ruines véritables d’une maison. Elles ne doivent pas seulement représenter les formes extérieures d’un temple, d’un vieux château, d’un couvent, ou d’un dôme; non - seulement on doit les reconnoî- tre sous toutes les faces , mais les parties isolées doivent être si par- faitement exécutées , que dans celles qui présentent le tableau de la destruction, on doit deviner ce qu’il en manque, et pouvoir se faire une idée parfaite de 1* ensemble.

Il n’ est pas également plus aisé , de poser les pierres assez savamment pour faire illusion et faire croire qu* elles appartiennent réellement à de vieux murs. Les fentes ou crevasses doivent paroî- tre naturelles, les pierres conserver l’apparence de la décomposition parla nuit des siècles, le revêtement des murs tantôt se détacher, tantôt tenir ferme , et leur rupture ne rien présenter qui ressemble à l’art. On aura aussi l’attention de ne rien laisser apercevoir dans les décombres des murs écroulés , qui ne puisse justifier la vraisem- blance qu’il faut observer dans ces parties.

Il est encore un autre genre de ruines , pour lesquelles on se sert de vieux murs , quand l’intention du maître est d’y placer au milieu un bâtiment neuf , ou qu’il se contente d’y faire construire seulement une salle. On n’ a besoin pour ces sortes de ruines, que de leur donner la figure qu’elles doivent avoir, l’intérieur dépendra du but que l’ on a eu dans la construction du bâtiment.

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Nous trouvons ici ce genre de ruines. A . Elles doi- vent offrir les restes d’un temple d’ordre Dorique, dont il s’est en- core conservé quatre colonnes du portique antérieur, et quelques parties du mur de la cellule. On a continué ce mur, en y ajoutant quelque bâtisse, pour faire en ce lieu une auberge, et offrir aux pro- meneurs , fatigués de leurs courses , un séjour agréable ils puis- sent se reposer et y faire un repas , assaisonné par la gaieté et la joie d’ avoir visité ces lieux.

Au milieu du charmant bosquet nous sommes, nous voyons descendre de la colline une eau transparente comme le cristal, b , roulant rapidement sur le gravier, pour se jeter dans la rivière qui en est assez près. Un petit pont nous a transportés au delà. Le bosquet s’est élargi: à droite et à gauche, on voit se

déployer de larges pelouses, que des arbres en groupe ne font qu’em- bellir. Devant nous se fait remarquer une élévation, dont la pente est chargée de touffes de verdure, au delà desquelles on aperçoit la maison de campagne qui se présente avantageusement. Comme elle est devenue l’objet principal de notre attention, nous allons monter la colline pour nous en approcher.

On a placé cette maison au milieu du jardin. L’élévation sur laquelle elle est construite, lui donne de tous côtés de belles perspectives, et on voit s’élargir de ce point diverses allées, qui aboutissent à plusieurs parties du jardin.

Il y a devant la maison un gazon, qui s’étend jusqu’à la pente qu’on voit à la colline par devant. Cette pente est couverte

d’arbustes assez bas et plantés de cette manière, pour avoir , de la place du gazon et de la maison de campagne, une vue dégagée sur la belle contrée qui se développe aux regards. Les prés qu’on aper- çoit ici, et qui se réunissent aux bois de haute futaie et aux bos- quets, sont deux fois coupés par une rivière, qui n’est elle -meme qu’un bras de la grande qui traverse tout le jardin. D’un côté, nous voyons à travers les arbres un temple magnifique G , et de P autre des prés et des bois , dont le mélange offre le coup d’ oeil le plus agréable.

D errière la maison de campagne et ces bois , on remarque à droite des plantations touffues , tandis que sur la gauche les arbres et les bosquets le sont moins , pour ménager des vues. Il y en a une surtout, à travers une allée de hauts peupliers, que l’oeil perce pour plonger sur le jardin au delà de la rivière , et sur un batiment, z , destiné à servir de logement au jardinier. Deux petits pa- villons , bâtis sur la pente de la colline, sont pour les enfans du maî- tre du jardin , et pour les amis étrangers qui viennent le voir. On remarque autour de ces bâtimens quelques sapins élevés et dispersés çà et là, sur les troncs desquels grimpe la vigne sauvage.

Les plantations touffues qui ceignent des deux côtés la mai- son de campagne, sont bordées d’arbres à feuilles pointues, tels que pins blancs de Canada et pinastres d’Ecosse, pour avoir sous les yeux de la verdure, meme en hiver. On les a mélangés d’arbres et d’arbustes, dont les feuilles changent de couleur en automne, et offrent des nuances charmantes, tels que l’érable de Virginie, le chêne

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rouge , le sumach et le cornouiller blanc. Dans la partie la plus proche de la maison, on a planté des arbustes qui verdissent de bonne heure au printemps et portent des fleurs d’ une odeur dou- ce , comme le sureau , le cerisier à grappes , le bois de Ste. Lu- cie et le pommier de Virginie. Devant la maison de campagne et sur la pente de la colline, on a mis également des arbres à fleurs printanières, tels que l’abricotier, le pêcher et l’aman- dier nain.

On s’est, d’après ce plan, donné dans chaque saison de l’année une perspective agréable de la maison de campagne; et pour embellir encore davantage ces parties, autant que pour donner aux yeux un spectacle varié de toutes les couleurs, on voit paroî- tre , sur les bords de ces plantations , les fleurs que produit chaque saison: au printemps, les violettes, les jonquilles, les jacin-

thes, les narcisses, celles de Constantinople et les muguets; en été la giroflée, celle de muraille, la julienne, les tubéreuses, les bal- samines, le réséda et la monarde; et en automne, la scabieuse, le pavot, le pied d’alouette et la mauve.

Quand nous aurons examiné toutes les plantations autour de la maison , quand nous aurons bien vu de la colline toutes les beautés qui ne laissent jamais tarir nos jouissances, rendons- nous à l’invitation de notre conducteur qui veut nous faire connoî- tre l’intérieur de la maison du maître de ces lieux. Depuis long- temps son extérieur , et le portique de six colonnes d’ ordre Do- rique , qui réunit les deux ailes qui reposent sur des fondemens

d’ ouvrage rustique , avoient attiré notre attention. Nous sommes curieux de connoître les dispositions intérieures de ce bâtiment, dont le maître, dit -on, au lieu de le décorer d’arabesques, a préféré un genre qui lui a paru plus intéressant.

Voyons d’abord le rez-de-chaussée: il n’y a que la cuisine et le logement des domestiques. Puisqu’il en est ainsi, montons au premier étage par un large et bel escalier. Une pe- tite antichambre qui communique à la cage d’ escalier , nous con- duit dans la galerie derrière le portique.

Les murs de cette galerie sont très - simples , et n’ont reçu qu’une couleur verd-pâle. Sur les piliers, vis-à-vis des colonnes , on remarque des copies en plâtre de statues antiques. On voit sur les deux premiers une Minerve et la petite matrone d* Herculanum ; les suivans portent Ganymède et Apollino devant lui, et ceux du milieu, les deux groupes d* Amour et Psyché, Caunus et Biblis.

Nous nous sommes arretés pour examiner l’arrangement plein de goût de cette galerie , et jouir aussi de la vue char- mante que 1* on a sur les bosquets et les prés. Tournons à droi- te , une porte nous ouvre 1* entrée d’ une salle magnifique , qui règne le long d’une aile entière, et prend la place de deux éta- ges pour avoir une élévation analogue à sa grandeur.

Les murs de cette salle sont recouverts en stuc de marbre. Des pilastres d’ordre Ionique et d’un marbre jaune, ressemblant

au Giallo anticuy s’élèvent sur un fond verd, pareil a celui de Verde antico , et tournent tout autour, vers les piliers entre les fenêtres , et vers le long côté sont placées les entrées de la salle. Ces pilastres toutefois sont plus éloignés de ce côté vers le poêle que vers les fenêtres, pour pouvoir y placer entre et de chaque coté un grand tableau.

L’histoire de l’Empereur Henri IV. a donné lieu à ces deux tableaux. Le maître du lieu n’a voulu ni sujet de la fable, ni pas un de l’histoire des Romains et des Grecs, parce que, quelque grands et beaux qu’ils soient, ils ont été souvent représen- tés. Il a cru qu’il seroit plus intéressant pour un Allemand de trouver dans cette peinture un sujet de l’histoire de ses pères; et il a choisi dans cette confiance le règne du malheureux Henri IV. si fécond en événemens extraordinaires. Comme leur nature étoit surtout capable de froisser le coeur, on a saisi pour peindre ces tableaux, des scènes déchirantes qu’avoit occasionnées la guerre entre ce Prince et le monstrueux fils qui persécutoit son père et lui disputoit la couronne.

Un de ces tableaux représente l’Empereur, lorsque trompé paVlesj flatteries de son fds , il lui pardonne, et le second, le plus haut degré de la perfidie de ce fils dénaturé.

Cache tes rayons, astre étincelant, aux forfaits qui vien- nent d’éclater, aux forfaits dont il n’y avoit pas d’exemples, de- puis que la terre est sortie du cahos ! Et toi, globe lumineux, qui

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promènes ton disque argenté au milieu de l’obscurité des nuits, refuse ta clarté au monstre qui vient de souiller la terre d’un crime nou- veau! Le fils vient de s’armer contre son père, pour le dépouiller de son trône, et peut-être delà vie. Tel étoit le cas du mal- heureux Henri. Ce Prince qui venoit d’ apprendre en Bavière la révolte de son fils, prenoit des mesures pour châtier son ingratitu- de, et il en coûtoit encore à son coeur de faire justice d’ un enfant dénaturé, qui avoit foulé aux pieds tous les liens du sang et de 1’ a- initié. Entouré d’un petit nombre d’amis fidèles, qui 1* avoient suivi jusqu’ au Rhin , et auxquels il avoit confié sa douleur, assem- blez, leur dit-il, une armée, pour marcher contre le rébelle, près de Mayence celui qui a foimé le dessein de me détruire, campe avec la sienne. Le fils coupable y avoit, dans l’intervalle, réuni les Princes, lorsqu’il apprit que l’armée de son père approchoit de son camp. La lâcheté qui se fait compagne du crime , porta la ter- reur dans son sein. Il connoissoit la bravoure de son père autant que ses vertus. Il savoit qu’on étoit attaché au vieux Henri , et que sa présence suffiroit pour détacher de son parti ceux qui y étoient en- trés. De la foiblesse à la perfidie, il n’y a qu’un pas; il le fran- chit pour essayer encore son pouvoir sur le coeur de Henri. Sans dissoudre son armée, il alla au-devant de son père, qui s’avançoit de Coblence contre lui. Celle de l’Empereur campait dans une vaste plaine, quand on vit arriver son fils dans sa tente. Qui es- tu , lui dit le vieux Prince, et comment as - tu le courage de paroî- tre à mes yeux? La .Nature ne t’a -t- elle point dit toute l’énor- mité de ta faute? Ne reconnois-tu donc plus ton fils, répondit îe Prince de mauvaise foi? O oui, dit l’Empereur, je te recon-

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nois bien , je vois en toi le parjure qui a violé ses sermens , le fils ingrat auquel j’ai donné le jour pour me déchirer le sein, celui qui me promit aux pieds des autels, quand je lui ceignis le diadème, de ne jamais prétendre à la couronne tant que je vivrois , et qui veut ni’ arracher aujourd’ hui et mon sceptre et 1’ empire. Vous avez raison , dit l’astucieux Henri , mais si le remords amène à vos pieds le fils coupable , (et en disant ces mots il se jetoit aux genoux de H^nrï) ce fils peut -il espérer de calmer un père outragé? Séduit par ceux qui te haïssent, je n’ai suivi ni l’ instinct de mon coeur, ni celui de l’ambition, en prenant les armes contre toi; et si de per- fides conseils ont abusé de mon innocence, dis -moi les moyens de regagner ta confiance ? * O fils abusé, dit le vieux Henri à son fils qui avoit trouvé le chemin de son coeur! Puis -je bien, ajouta ce Prince loyal , en lui tendant la main , puis - je bien croire à la bon- ne foi de ton retour? Ton coeur sera -t- il l’organe de tes expres- sions, et ta conduite la caution de tes promesses, quand les Prin- ces qui me détestent, voudront pour servir ton ambition te faire 1* instrument de leurs projets? Peux- tu, lui répondit le jeune Prince, refuser la grâce du pardon à celui qui vient avouer sa faute, en s’ abandonnant a la clémence, refuser une grâce qui le sau- ve et te répond éternellement de lui? Approche, dit l’Empereur attendri de cette scène; tes remords , mon fils, rendent une nouvel- le vie à ton père. J’ oublie le crime qui t’a armé contre lui, appro- che de mon sein, donne -moi la main, Henri , et qu’ ainsi réunis, nous poursuivions les ennemis de l’empire. Henri mit la main dans celle de son père , et lui fit un serment nouveau de rester fidè- le au père et à l’Empereur,

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C’est ce moment qu’ a choisi le peintre pour faire la répu- tation <3e son pinceau. La scène représente sur le devant le camp de l’Empereur, l’on voit assemblés ça et des hommes de guer- re. Sur le devant on aperçoit la tente de l’Empereur. Devant cette tente est Henri et son fils a ses pieds. Le père lui tend la main, en signe de pardon et pour l’aider à se relever.

Cependant la scène change bientôt de face. Le jeûné Henri tâche de persuader son père de dissoudre son armée, sous le prétexte, que les Princes de l’empire assemblés à Mayence pourroient croire qu’il vouloit employer la violence, et qu* elle lui devenoit inu- tile, n’ayant plus d’ennemis. Le loyal Empereur s’en rapportant à son fils , dissout son armée et ne garde que trois cents hommes avec lui. Les deux Princes se rendent ensemble à Bingen. Il de- voit rester dans cette ville , lui dit son fils' Henri , parce que les Évêques ne permettroient pas à un excommunié d’entrer à Mayen- ce. Le fils de l’Empereur se rendit ensuite dans cette ville, après avoir fait les promesses les plus sacrées à son père: mais à peine l’eût -il quitté, que Henri fut retenu comme otage et rigoureusement gardé. Cette perfidie fut couronnée de celle qui déclara le fils Em- pereur à la place du père, et on dépêcha à Bingen les Archévêque* de Mayence et Cologne avec l' Évêque de Worms, pour dépouiller le crédule et malheureux Henri de toutes ses dignités.

Le fils avoit juré de rester fidèle à son père , et la mauvaise foi lui fit encore violer son serment. Henri , abandonné de tous ceux qu* il airnoit , étroitement gardé dans sa prison, soupiroit à Bingen

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sur le malheur de sa destinée. suis «je? disoit ce malheureux Prince: l’empire étoit naguères mon domaine, et cette main qui commandoit aux Rois , n’ a pas le pouvoir maintenant , de briser les verrous qui m’enchaînent. Pendant qu’il s* abandonnait à des plaintes amères , qui l’eussent rendu le plus malheureux des hom- mes, si son esprit ne 1* eût soutenu dans son malheur, la porte de la chambre de ce Prince s’ouvrit, et offrit à ses regards les Evêques qu’on lui avoit députés de Mayence. Les Princes assemblés te font savoir, lui dirent -ils, qu’ après t’avoir déposé de ta dignité, ils ont mis la couronne impériale sur la tête de ton fils. Mon fils?

- s’écria Henri d’un ton plein de douleur, en regardant le ciel.

Est * il possible? Non! Comment se pourroit-il que celui qui m’a si tendrement embrassé il y a quelques jours, à qui j’ai par- donné, quand il a imploré sa grâce, comment seroit-il possible, dis-je, que celui qui m’a juré trois fois le serment de fidélité, fut aussi scandaleusement coupable? - Est -il bien vrai, et comment se peut -il qne les Princes qui se sont obligés de rendre la justi- ce, puissent condamner l’Empereur, leur maître, sans l’entendre? De quel droit le repoussent - ils ? Mais non! Vous vous

trempez , je ne puis en croire ce que vous me dites. Rien n’est plus vrai, répondirent les Évêques, et nou? avons l’ordre de reprendre les attributs de la dignité, dont tu t’es rendu indi- gne. Savez -vous, misérables, à qui -vous parlez? dit l’Empe-

reur. Ne reconnoissez - vous plus votre maître, celui à qui vous êtes lié par le devoir et les sermens? Ton excommunication nous en a dégagés, répartirent les députés. Eh bien, leur dit alors Henri y si vous ne voyez plus en moi votre Empereur,

respectez au moins le vieillard accablé de chagrins, songez au temps, il vous a comblés de bienfaits, à celui vous ne recherchiez que mes bonnes grâces. Nous ne sommes que les organes de la volonté des Piinces, ajoutèrent les Évêques, et de celle de ton fils qui demande la couronne. Soit! dit le mal- heureux Henri y en prenant la couronne et la mettant sur sa tête blanchie au sein de l’honneur et des vertus. Soit! je suis pré- paré à boire le calice de la vie jusqu’à la lie, mais je prends Dieu à témoin, que vous me dépouillez d’une couronne que j’ai portée avec honneur. Si la colère céleste vous atteint un jour, songez au vieillard que vous abreuvez d’amertumes jusqu’au tombeau. Quant à celui que j’appelois autrefois mon fils, il ne sauroit échapper à la vengeance divine. Allez maintenant!

Cette scène a donné lieu au second tableau. On y voit Henri avec ses ornemens royaux devant les trois Évêques , dont l’un d’eux est occupé à lui ôter la couronne de dessus la tête.

Le plafond de cette salle est d’un bleu pâle, et on n’y voit pas sans plaisir quatre rosettes de stuc blanc, d’ partent quatre lustres magnifiques. On peut de la fenêtre du milieu pas- ser sur un balcon qui règne le long d’une grande partie de la salle. Ce balcon repose sur six colonnes*

De la salle nous arrivons dans trois chambres à recevoir a côté l’une de l’autre, dont deux sont très -vastes, et celle du milieu qui 1* est moins sert de cabinet.

Les deux chambres sont peintes et leurs omemens em- pruntes de la nature. Les murs de la première sont partagés en plusieurs bandes et en champs que l’ on voit entre elles , et qui sont garnis de bordures tout simples ; sur ces bandes s’ élèvent d’un fond rougeâtre des tiges de jonc et de roseau, auxquelles pendent ça et quelques espèces de poissons, peints d’après na- ture. Les champs produisent des paysages, et on voit sur le devant de grands arbres, sur les branches desquels on voit per- chée une variété d’oiseaux. Le plafond représente l’air, sur le- quel on a peint des oiseaux au vol.

On a peint l’autre chambre comme un berceau, raison pour laquelle on lui a donné aussi un plafond rond et boisé. Le berceau est composé de roses, chèvre - feuille, clématite et de lycium, qui se tournent de la manière la plus variée sur les côtés et paroissent pendre d’ en haut. On a ménagé des jours, en quelques endroits, il y a des pots de fleurs, qui en offrent de plusieurs genres.

On a peint sur les murs du petit cabinet, placé entre les deux chambres dont nous avons parlé, les plus jolies par- ties du jardin que nous visitons maintenant. On a donné au

plafond la couleur d’un rouge pâle. Ses bandes qui servent de bordures aux scènes de jardin qui y sont peintes , sont ornées de fleurs et de plantes, et sur la muraille, opposée à la fe- nêtre , on lit au - dessus du tableau 1’ inscription suivante ;

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,, C’ est au sein de la Nature que sont les heureuses et pu- res jouissances. u

De la seconde chambre nous rentrons dans 1* antichambre, par laquelle nous arrivons à l’escalier que nous descendons. Le logement du maître occupe 1* autre aile du bâtiment. Ses chambres très - simplement ornées n’ offrent aux regards que des gravures et des desseins de parties des beaux jardins de Wôrlitz et de Weimar.

Nous quittons la maison pour nous trouver sur la colline, dans l’intention de continuer notre promenade; mais de quel côté dirigerons - nous nos pas, entourés de tant d’objets d’agrémens? Xje chemin , c , que nous avons devant nous , paroît nous demander la préférence. Nous continuons celui de la colline, environnée du bosquet qui ceint la maison de campagne.

Nous descendons insensiblement. Le bosquet s* ouvre, mais bientôt nous en trouvons un autre. Un bois de bouleaux se déploie devant nous, et le parfum qu’il nous envoie, est trop agréa- ble, pour pouvoir nous dispenser de le visiter. Nous n’y avons pas fait beaucoup de chemin, quand nous apercevons sur la gau- che et à travers les troncs blancs des bouleaux, une petite caba- ne obscure, d -, qui attire toute notre attention. Comme nous trouvons un chemin qui y mène, nous allons le prendre, et nous venons de nous convaincre, qu’on a placé ici l’habitation so- litaire d’un ermite.

Quelque ordinaire qu’il soit aujourd’hui qu’on fasse usa- ge d’une partie semblable dans les nouveaux jardins, elle n’en a

pas moins toujours le même agrément, parce qu’elle fait impres- sion sur l’imagination, pourvu qu’elle ait une situation agréable et analogue à son caractère. On se reporte vivement aux temps re- culés, à ceux mêmes la superstition rétrécissent la pensée , par- ce que le coeur étoit alors le sanctuaire de la candeur et de la fidélité.

Un ermitage exige dans un jardin une partie mélancolique et solitaire; on peut le placer dans les montagnes, dans les bois, pourvu qu’on ne puisse pas 1’ apercevoir tout de suite. On peut lui donner la forme d’une mauvaise cabane, le faire ressembler à un tas de bois ou de racines , et le placer enfin dans un antre de rocher, dans une colline de terre ou de pierre, pourvu qu’il règne dans cette partie une simplicité et une négligence essentielle, sans qu’on puisse deviner l’art.

La cabane solitaire d’ un ermite que nous trouvons ici, est faite avec des racines d’arbres, et semble n’être qu’un tas de ces mêmes racines, recouvertes par le dessus de paille, qui sert de toit à la cabane. On ne voit tout autour que des pins et des sapins sombres, qui la bordent et la dérobent à la vue; et sur le devant seulement quelques bouleaux minces, qui permettent de voir à travers quelques prairies.

Nous allons y entrer pour nous reposer un peu. Les murs sont revêtus de paille , et bordés tout autour avec des pom- mes de pin. Dans un coin est le buste de la Madonne, et en dessous une petite table avec des livres. On voit sur les côtés

clés bancs de joncs. Nous nous asseyons, et pendant que nous nous abandonnons à nos réflexions, nous voyons sur le mur op- posé une inscription, empruntée du Tasse par Gothe , et qui fait d’autant plus d’impression sur nous, que nous la trouvons dans un lieu si religieux et si solitaire:

,,Ah! comme nous oublions d’obéir a la pureté de l’ins- tinct de notre coeur! Un Dieu nous fait entendre tout doucement sa voix, qui nous montre clairement ce que nous devons saisir ou abandonner.

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A l’instant nous apercevons les livres, qui sont sur la table, et nous voulons savoir, en quoi consiste cette petite bi- bliothèque. Le premier livre que nous ouvrons , contient parmi d’autres sujets, l’histoire de l’homme qui vécut autrefois comme ermite dans cette contrée, et en mémoire duquel on a bâti cet ermitage. Notre curiosité est trop forte pour attendre plus long- temps à nous instruire , et nous lisons ce qui suit.

Le son de la cloche venoit de retentir dans les airs , pour appeler les fidèles à Y église, un silence religieux régnoit dans les groupes qu’on voyoit s’acheminer au temple, le luxe a voit fait travailler plusieurs jours avant les fêtes de Tâques, pour paroître, les hommes avec l’habit de drap neuf et la veste de panne, les femmes avec la jupe de bure et le tablier de tamise; on avoit dé- pouillé sur la route l’aubépine, pour se faire des bouquets, mis à contribution toutes les baies, pour avoir une branche de ver- dure, et l’église résonnoit déjà du chant des cantiques que les

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fidèles avoient entonnes pour la fête , quand le religieux Ferdi- nand qui venoit d’arriver, s’approcha dévotement de l’autel. Rien n’ avoit encore parlé à son coeur, que celui qu’il avoit de- vant les yeux sur la croix, et la vue d’une Madonne, à laquelle il adressoit ses prières, dissipoit tous les chagrins qu’il pouvoit avoir, en lui donnant une existence nouvelle.

Concentré en lui -meme, et appuyé vers un pilier, Fer- dinand pensoit à la destinée qui 1* avoit conduit ici, et remercioit la Sainte du bonheur et de la joie qu’elle lui avoit préparée. Son image lui sonfioit avec le plus doux des regards. Jamais son coeur ne s’étoit senti si ému, jamais regard de Sainte n’ avoit en- core aussi fortement enchaîné ses sens , et 1* imagination ardente de Ferdinand la lui représentoit pleine de vie. Occupé de ces pensées, et abîmé, les yeux baissés, dans une méditation pro- fonde , ce jeune homme ne les élevoit que pour penser avec ex- tase au bonheur suprême, après lequel son coeur avoit tant sou- piré, et qu’il possédoit maintenant, ce bonheur, l'objet de tant de voeux , qu’il avoit si souvent accentués dans sa douleur et ses peines.

Pendant que les yeux de Ferdinand ne faisoient que voya- ger de sa place à la Sainte, le hasard les arrêta sur une fille age- nouillée devant elle, dont la ressemblance étoit parfaite avec l’i- mage de la Sainte. Vainement s’ efforça - t - il , pour ne point éta- blir de comparaison à détourner les yeux, la bouche et les traits de cette fille T enchaînoient comme par une puissance invisible.

Ferdinand regarde encore la Sainte, mais quelque gracieux que lui parût son sourire, il se sentoit déjà trop foible pour ne point reporter les yeux sur celle , dont tous les traits ressembloient si fort à l’objet de son culte. C’est un don de ma protectrice, se dit Ferdinand, qui ne voyoit plus que la Sainte dans Clémen- tine. Y avoit-il alors quelque chose au-dessus du bonheur de con- sacrer sa vie au service des Saints , et de s’ y engager par un voeu, si aisé à remplir, depuis que sa Sainte avoit pris la ligure et les traits de Clémentine? Ferdinand, transporté, s* avança davantage, mais à peine la fille T eut- elle vu, que ses yeux s’arrêtèrent sur les siens; enchaîné d’étonnement, il y puisoit le plaisir qui pas- soit par torrent par tous ses nerfs, il ne se sentoit plus, ne savoit ce qui s’étoit opéré en lui, tous les objets s’évanouirent à ses regards, et ce n’est que Clémentine seule qu’il considère atten- tivement.

La jeune fille cependant alloit quitter le pied de l’autel et se disposoit lentement à sortir, quand le jeune homme crut voir planer un ange devant lui. Dans l’incertitude s’il doit la suivre, ou non, Ferdinand hésite encore à prendre une résolution. Le regard de Clémentine lui. promet bien son pardon, s’il la suit, mais un scrupule l’arrête. La Sainte ne pourroit- elle pas se ven- ger, ou lui retirer les grâces dont elle l’ avoit comblé? De quel oeil verroit-elle son infidélité? Ces idées firent place à d’autres, et Ferdinand suivit Clémentine qui s’étoit arrêtée au parvis de l’église, pour regarder encore une fois derrière elle. Cela redou- bla le courage du jeune homme, qui la regardant sans cesse, ré-

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solut à tout prix de lui dire ce qu’ elle lui avoit inspiré. A quoi lui auroit servi le silence? Il ne pouvoit guérir son coeur, et il étoit trop tard aussi pour renoncer à cette pensée.

Près de l’église et dans un riant vallon on voyoit une fontaine claire,, entourée de tilleuls. C’ est que se. rendit Clé- mentine, sous l’ombre des arbres touffus, pour y rêver le plus doux des rêves, car jamais elle n’ avoit senti ce qui occupoit si tendrement son coeur, depuis qu’elle avoit vu Ferdinand. Libre et dégagée de toute passion , Clémentine n’ avoit jamais éprouvé le sentiment, dont elle se sentit pénétrée , lorsque ce jeune homme chanta à côté d’elle à l’église. Pour la première fois la fatigue la fit asseoir sur un ga- zon, et son oreille attentive seulement aux impressions tendres de P ame , ne perdoit rien du chant du rossignol , qui venoit de fixer son attention.

Que faisoit alors Ferdinand? S’avançant lentement et avec timidité, à 1’ aide de sombres et épais bosquets, il s’ étoit approché de Clémentine. Il l’a vue maintenant, il lui est impossible de fuir, et toutes les Saintes auroient vainement employé leur puissance pour l’y faire renoncer, sans réussir. Le jeune homme tombe aux pieds de Clémentine. Ange ou mortelle, lui dit Ferdinand, tu vois à tes pieds un jeune homme, qui entraîné par la religion, et en extase devant l’image d’une Sainte, a trouvé l’objet de son culte dans tes traits. Puisses -tu, o fille céleste, me pardonner, en écoutant le voeu qu* a formé mon coeur! Puisses -tu, o Clémentine, me dicter des lois éternelles, et me permettre de te consacrer ma vie! Que pouvoit

répondre la jeune fille? Son coeur étoit à* accord pour 1* écouter, elle se baissa et lui jettant un regard plein d’ amour , elle lui tendit la main pour le relever. Une vie nouvelle coula dans les veines de Ferdinand, le sein de Clémentine s* élevoit avec plus d’agitation, tous deux respiroient avec plus de volupté l’atmosphère qui les envi- ronnoit, c’ étoit comme si des anges planoient autour de leur subs- tance, et le coeur contre le coeur, la bouche sur la bouche, Ferdi- nand et Clémentine scellèrent le lien d’un amour religieux et d’une pureté qui dut plaire à la divinité qui entendit leurs sermens.

Nos jeunes gens passoient ainsi les heures fortunées qui les avoient liés pour la vie , en y pensant sans cesse. La solitude, vraie source de la piété, nourrissoit encore ces réflexions chez ces pieux amans. Contens du produit de l’ouvrage de leurs mains, leur coeur ne connoissoit d’autre besoin que celui de s’aimer, ni de joie plus pure, après leurs occupations, que celle de contempler le spectacle delà Nature, au déclin d’un beau jour. C’ étoit dans ces douces méditations qu’ils épanchoient dans le sein de la divinité lés expres- sions de leur reconnoissance : tout leur servoit de temple pour l’a- dorer, tantôt c’ étoit un vallon , tantôt une éminence; au retour de leurs promenades, ils cueilloient des simples dans les prés, leurs coeurs religieux n* avoient d’autres plaisirs que celui de la Natu- Te, et rien ne leur en donnoit davantage que la vue d’une belle contrée.

Un jour qu’ils se promenoient dans le vallon, et qu’un vent frais, venu de l’Est, dilatoit les poumons de la chaleur bru-

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lante du jour, que le rouge du soir donnoit quantité de reflets aux campagnes, et que l’alouette s'élevait encore dans les airs, pour faire entendre ses derniers chants d’alégresse, il survint tout à coup un orage qui obscurcit l’horizon. Les nuages , chassés par les vents en sens contraire, occasionnoient dans l’air un choc perpétuel qui le rendoit plus effrayant encore; chargés des parties sulfureuses qu’ avoient pompées les rayons du soleil sur la terre, ils portoient dans leurs flancs la foudre qui grondoit au loin. L’oiseau timide rasoit la terre et redoutoit son élément. L’ éclair fendant la nue, portoit la terreur et la mort avec lui, et mille feux croisés éclairoient le vallon comme en plein jour. Fuyons, mon ami, disoit Clémen- tine à Ferdinand, fuyons! Le ciel s’ouvre et la terre tremble, com- me si elle vouloit servir la colère de Dieu , pour nous engloutir. Nos amans alloient fuir, quand le chêne qui les couvroit, opposoit à l’orage la vigueur des années et plioit jusqu’à terre sans rompre, mais sans leur donner aussi le temps de 1* abandonner un instant. Cependant le vallon s’obscurcissoit davantage, le tonnerre augmen- tait, et son bruit, répété par T écho des montagnes voisines, parois- soit devoir bientôt prendre fin dans des masses d’eau qui tom- boient du firmament, quand un éclair, détaché de la nue, atteint Clémentine et fait du toit qui la couvre son tombeau. Ferdinand, étourdi , tombe à ses côtés sans respiration et sans vie, mais sans pressentiment toutefois de son malheur. La lune cependant ve- noit de percer les nuages, les ténèbres fuyoient, et ses rayons éclairoient doucement le vallon tranquille et solitaire, quand Fer- dinand reprit connoissance et ouvrit les yeux à la lumière. Quel- le expression et quel pinceau pourroient rendre sa douleur l

Clémentine à ses cotés sans mouvement et sans vie! Clémentine! l’épouse chcrie , la Lien aimée de son coeur! Un serrement de main, un baiser, peut-être, la réveillera du sommeil elle paroit encore plongée ? Ferdinand, essaie tous les moyens de la tendresse, et Clémentine n’y répond pas? Il tourne autour de cette ombre adorée, il pleure, il soupire, élève les regards au ciel, il appelle à son secours, et Clémentine ne répond pas? Quelle terre a nourri l’être insensible qui ne partageroit pas sa douleur ?

Les babitans du village qui cbérissoient Ferdinand, lisent le désespoir dans ses yeux, en venant à ses cris, et le signe muet de la douleur profonde qui l’accable, en les baissant sur celle qui en étoit l’objet, leur donne bientôt a connoitre toute l’étendue de sa perte. Envain essaie - t - il encore de rappeler Clémentine à la vie. Soins inutiles! Le froid de la mort avoit effacé les couleurs qu’on voyoit sur ses joues, la pâleur avoit remplacé l’incarnat des roses, et un doux sommeil avoit fermé pour toujours ses yeux à la lumière, sans leur ôter cette tendres- se angélique qui avoit fait un être céleste de Ferdinand. Amis ! dit ce jeune homme aux sensibles babitans qui l’entouroient, e’est ici, c’est à ses côtés (et en disant ces mots il indiquoit du doigt le corps inanimé de Clémentine), que je trouverai le repos éternel, dont a besoin mon coeur déchiré! La fortune ni les joies de ce monde ne peuvent désormais avoir de prise sur cette ame, détachée de tout ce qui ne ressemble point à Clémentine. C’est sur sa tombe, amis, que je fais le serment de vivre dans une

solitude profonde , que rien ne sauroit troubler! Et vous, intelli- gences célestes, médiateurs épurés qu’a choisis la divinité pour remplir ce poste éminent entre elle et les hommes , écoutez mes voeux, et portez -lui le serment que je viens de faire, de consacrer le petit cercle des jours qui me restent à vivre, dans le jeûne et la prière! L’ ombre fortunée de Clémentine planera sans cesse autour du désolé Ferdinand, et si de la voûte azurée elle voyoit mes forces diminuer, et mon courage s’éteindre, elle intercéderoit pour rauii de son coeur, et le rendre digne de retourner bientôt d’où il est parti, au sein de la divinité.

Ferdinand eut a peine achevé de parler, que tendant la main à ceux qui 1* entouroient et leur promettant de les comprendre dans ses prières , il prit un congé éternel des âmes tendres et sen- sibles qui compatissoient à ses peines. Puis creusant de ses mains une tombe à Clémentine, dans l’endroit meme, la mort la lui avoit enlevée , il se construisit ensuite une cabane, formée de bran- ches de chêne, pour y adorer l’Etre suprême, auprès duquel il espé- roit retrouver bientôt ce qu’il avoit perdu sur la terre.

La dévotion de Ferdinand et ses vertus lui donnèrent bien- tôt la réputation d’un Saint dans la contrée. C’étoit à lui qu’on at- tribuoit sa fertilité. Tout le village honoroit celui , que dans son enfance il avoit déjà aimé ; et pour ôter à cet homme pieux et juste jusqu* au sentiment du besoin dans sa retraite , une fille aussi inno- cente que son coeur lui portoit le lait et les fruits, dont il faisoit usage pour sa nourriture ordinaire.

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Un jour portant à T ordinaire le repas frugal de Ferdinand qui ne commençoit jamais sa journée , sans chanter dès T aurore un cantique en l’honneur des Saints, la jeune fille fut étonnée d’enten- dre régner le plus grand silence dans la cabane , et se contenta de placer sur un siège devant la porte le présent ordinaire de la com- munauté. D’abord, elle crut peut- être que Ferdinand dormoit en- core , lorsque par un mouvement de curiosité ayant regardé par la fenêtre , elle l’aperçut agenouillé devant son autel sans sentiment et sans vie. Il étoit endormi du sommeil des justes. La petite fille, effrayée, courut avec la légèreté du vent porter cette nouvelle au vil- lage, qui vint bientôt se convaincre qu’il avoit cessé d'être, en vi- sitant pour la dernière fois l’homme qu’il honoroit comme son pa- tron. Jeunes et vieux, tous payèrent à sa mémoire le tribut de leur sensibilité , en versant des larmes sur sa tombe qu’ on plaça, d’après ses voeux, à côté de sa Clémentine. Les cloches du village annoncèrent bientôt la perte que venoit de faire la contrée,* on ac- compagna ses restes, au chant des cantiques qui prouvoient la tris- tesse des assistans , et on voit chaque année renouveller les offran- des, pour intercéder le Saint en faveur de ceux qui l’avoient connu comme homme.

Comme un sentiment de tristesse douce nous a retenus en ce lieu plus long- temps que nous ne l’avons projeté, et que nous avons encore beaucoup d’autres parties du jardin à visiter , et plus attrayantes peut-être, nous nous hâtons de quitter ces lieux. Si nous prenions le chemin qui nous a conduits ici, nous serions trop promptement hors du jardin, et ce n’est point notre intention: fai-

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sons mieux , retournons sur nos pas , et puisque nous en avons maintenant trois devant nous, qui se réunissent, choisissons celui du milieu, e qui^ est en face. Le bois de bouleaux com- mence à s’épaissir maintenant par le taillis qui prend de la hauteur. Il s’étend jusqu’au bord de la rivière, et aussitôt que nous sommes à la proximité de cette dernière, nous arrivons à un pont simple, f , construit dans le goût rustique, et sur lequel on tra- verse la rivière. Au delà s'élève une colline, dont un sombre bosquet orne la croupe. Tout autour on voit des pins blancs de Canada, à côté de diverses espèces de pins, dont le mélange avec des platanes réjouit agréablement la vue. Au milieu de la colli-

ne, on aperçoit un élégant temple rond, au milieu duquel on voit sur un piédestal la statue d’Apollon de Belvedère.

C’est à ce Dieu qu’on a consacré le temple, ainsi que le bosquet C . Le premier est à demi -ouvert. Six colon- nes d’un ordre Ionique qu’on remarque sur le devant, soutien- nent à l’aide d’un mur à demi- circulaire, en lui servant d’orne- ment, une coupole de la plus grande simplicité. Entre les deux colonnes du milieu, on lit sur une table de marbre, placée a cet effet, l’inscription suivante: Dédié à Apollon. On a planté autour du temple quelques pieds de lauriers - cerises, et les lau- riers ordinaires qui ne supportent point en plein champ les ri- gueurs de l’hiver, sont encaissés pour former pendant l’été un bosquet analogue à la divinité , dont cet arbre est 1’ attribut.

A peine avons -nous fait un pas dans le bosquet, que nous nous sentons inspirés de la divinité qui domine en ce lieu. L’har-

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monie nous environne, et le zéphyr qui se glisse furtivement à travers les feuilles de laurier, porte la joie dans notre coeur, et nous fait écrier :

O puissant Apollon, source inépuisable de beauté! Tu nous inspires à la fois la terreur et la joie, tu remplis nos âmes d’étonnement et d’admiration, soit que redoutable et puis- sant tu appuies ta droite pour tuer un mortel avec une de tes flèches , soit que chargé du soin d’éclairer la terre, ta vigilance te fasse surprendre le paresseux Titon dans les bras d* Aurore, ou qu’ amoureux d’ une Nymphe tu cherches à la devancer à la course, pour obtenir le prix de l’amour et de la beauté: tout ce qui échappe à la terre, tombe doucement sous les coups de tes flèches. Mais si tu inspires de la terreur, o divin Apollon, ton arc n’est pas toujours bandé pour effrayer les hommes, et ton regard a quelquefois la douceur de celui de l’amour, soit que tu joues du cistre , ou que tu tires des sons harmonieux de ta lyre pour faire danser les Muses et les Grâces; alors le cha- grin fuit, et une joie divine s’empare de nos âmes pour chan- ter tes louanges, o puissant Apollon 1 Tu réunis à l’effroi que tu inspires, la douce harmonie qui rapproche les humains de tes autels, soit que la reconnoissance les y amène, pour célébrer dans un hymne ta douce influence sur leurs corps épuisés , ou que la crainte te fasse adresser leurs prières, pour adoucir l’ai- rain brûlant qui dessèche la terre et leurs moissons. Descend de ton char étincelant, o Apollon, source inépuisable de beauté! Fais nous entendre les accords de ta lyre, il n’y a qu’elle qui puisse entretenir une joie intarissable dans nos coeurs.

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À peine avons- nous porté notre offrande au Dieu de musique et des Muses, que nous continuons nptre chemin qui serpente derrière le temple en montant la colline, f , et en s’écartant du pont de construction ordinaire. Une partie sombre du bosquet, qui n’a que très - peu de jour, nous arrête encore un peu; mais tout à coup nous descendons de la colline, sur une prai- rie , qui nous laisse voir à droite la rivière principale qui perce le jardin , et un de ses bras sur la gauche.

Rendons -nous à cette place de repos g , que l’on a

pratiquée sous de hauts pins de Canada , pour y jouir de la belle vue \ % qu’elle nous offre. A notre droite s’élève une colline boisée ça et la

de pins d’Ecosse, mélangés de diverses espèces d’autres pins et de hauts peupliers d’ Italie. Devant nous se déploient des prés , qui s’ étendent jusqu* aux bords de l’eau, vers lesquels on aperçoit des arbres variés dans leurs espèces , et quelques broussailles. Ces prés sont entrecoupés au milieu par un groupe d’arbres, qui consiste en touffes d’un vert clair, desquelles on voit s’élever quelques pins blancs de Canada. Du pied de la grande colline jusqu’ à la rivière, on remarque quelques tilleuls déployer leurs branches, à travers les- quelles ou découvre de l’ autre côté de l’ eau le bâtiment élégant __ E que l’on y a construit.

C’est ici que pour la première fois la rivière se présente dans sa plus grande largeur à nos regards. Tantôt nous la voyons entière et tantôt elle s’y dérobe, en passant derrière des bois plan- tés su .es bords. Ici des vagues majestueuses donnent l’idée d’un

fleuve agite par la tempête; là, c’est une glace unie se réflé- chissent les rayons du soleil, en donnant à ces eaux toutes les cou- leurs de l’arc-en-ciel; plus loin, ce sont des poissons qui s’élancent hors de l’onde, qui présente en retombant mille perles aussi bril- lantes que l’émeraude, ou bien c’est un vent frais qui veut rider la surface de l’eau, qui lui oppose ses vagues, et que la contradiction fait diviser en mille tourbillons , qui donnent l’image du fort vis-à- vis du foible.

Maintenant que nous avons respiré l’air rafraîchissant de l'eau, et joui de toute la pureté de celui qui nous environne, nous allons continuer notre chemin, et voilà déjà qu’un joli pont de pierre h nous indique qu’il faut le passer, pour traverser la rivière. De l’autre côté nous trouvons une plantation d’arbres variés de l’Amérique septentrionale, et nous avons à peine le temps de nous tourner à droite, i , qu’une contrée plus austère a déjà frappé nos regards. Devant nous est la rivière et le bruit

de ses eaux, et au delà on voit les ruines d’un château fort, *

D , autour duquel s’étend comme pour l’enceindre un antique bois de chênes.

La contrée est trop belle, les points de vue trop sédui- sans , pour ne pas faire une pause ici. Nous allons profiter de la place x que nous offre un chêne, pour ne rien perdre de la beauté de ses détails. Plus nous regardons , plus notre cu- riosité augmente, pour visiter le château crénelé que nous avons si près de nous; nous ne pouvons y résister, et pour la satisfaire,

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nous sommes déjà sur le chemin qui y conduit. En arrivant vers l’eau, nous nous tournons vers la barque k que nous trou- vons sur la rive opposée. Nous voilà abordés et cheminant déjà dans F ombre religieuse d’une chênaie, et c’est au milieu de l’épais- se forêt de ces arbres que nous arrivons à l’objet de tous nos voeux.

Au milieu des murs en ruine de ce château qui appartenoit au temps de la féodalité , on voit en traversant les restes de cet édi- fice, des demi -voûtes suspendues menacent de vous écraser, en foulant ce que la vétusté a déjà fait écrouler, une chambre spacieuse qui a résisté à la caducité , et qu’on a arrangée pour une salle de jardin. Les murailles de cette salle sont recouvertes d'un lambris, sur lequel ou a appliqué un gris clair. On ne voit pour tout orne- ment contre ces murs que des armures, des casques, des drapeaux, et au milieu de tous ces restes de l’âge de la bravoure et de la loyau- té, une table avec une inscription. Cette inscription nous apprend, que le maître de ces lieux, pour honorer la mémoire d* un de ses an- cêtres , avoit fait élever le château fort pour servir de monument à la bravoure de ce preux, qui avoit déjà donné dans sa jeunesse les plus grandes marques de valeur, en délivrant son père d’une capti- vité qu’il avoit eu le malheur d’éprouver à la suite d’une guerre, à laquelle il avoit pris part avec tous ses vassaux.

Notre conducteur nous fit alors le détail de l’histoire de ce brave chevalier. Le vieux Géron c’ étoit le nom de son père a’étoit armé pour marcher avec les siens en Franconie. Tous les chevaliers qui l’avoient suivi dans son expédition, avoient revu leurs

foyers , Géron seul ne revint pas , et personne ne pouvoit deviner pourquoi il n’ étoit pas de retour. La Dame du château, son épouse, vivoit solitairement et dans les larmes avec son fils, fruit unique de la tendresse de son époux. Chaque jour elle espéroit entendre la trompette annoncer son retour, et les ponts-levis s’abaisser avec leurs chaînes pour le faire entrer; chaque jour avant le coucher du soleil, elle montoit sur la tour crénelée , pourvoir si elle n’aperce- vroit point Géron dans la plaine, et ses regards perçans plongeoient jusqu’au pied des montagnes, d’où elle auroit pu voir descendre son honoré Seigneur et époux. Soins inutiles! Géron ne revenoit pas, et la maîtresse du château alloit concentrer sa douleur avec son fils, en l’entretenant de bonne heure du souvenir de son père, jusqu’à ce qu’il fut en âge de le venger un jour.

Nous touchons bientôt à la sixième année du départ de ton père , dit un jour cette épouse désolée à son fils , et la ten- dresse ne l’a point encore ramené ni dans les bras de ta mère, ni dans ceux du fils, qui faisoit toutes ses espérances. Vois, mon fils, les preux qui nous environnent ! Les uns à la tête de leurs vassaux sont en guerre contre leurs voisins, ou prennent le plaisir de la chas- se; les autres sont engagés dans des expéditions éloignées, ou font retentir les murs de leurs manoirs, des accens de la joie, au retour de leurs chevaleresques exploits: il n’y a que dans le château de Gé- ron où 1’ on voie régner le silence de la mort. peut rester ton père avec la tendresse qu’il me porte? A quel malheur serois-je réservée, si je ne devois point le revoir dans ces murs? Il y a long -temps, répondit Guillaume à sa mère, que ce silence a pour

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moi quelque chose d’insupportable; il n’y a que l’idée de te laisser seule, qui ait enchaîné ma volonté, il n’y a que celle de ta solitude et de te voir sans appui, qui m’ait empêché de chercher mon père et de le ramener dans tes bras: mais je ne puis y résister davantage. Il faut que je sache il a dirigé ses pas , il faut que je sache ce qui l’empêche de se trouver avec nous. Ta valeur m’enchante, mon fils: mais ton bras trop foible encore peut -il se promettre ce que dé- sire ton coeur? Ce dont il est plein, ce bras, tout foible qu’il est, saura bien se le donner, répartit le jeune homme. Géron m’a donné les premières leçons de la valeur et de l’ambition que doit avoir un noble chevalier , c’ est pour lui que je ferai mes premières armes, c’est pour lui que je tirerai l’épée dont il m’a ceint.

Guillaume le jour suivant parut tout armé devant sa mère. Dieu te soit en aide, dit le jeune guerrier, je pars pour cher- cher celui que tes larmes demandent, et je ne reverrai ces murs que pour le ramener dans tes bras. Cette main et Guillaume la lui tendoit en articulant ces mots cette main devient la caution de la parole que je t’engage de ne prendre aucun repos , de n’éviter aucu- ne rencontre que je ne 1* aye trouvé et serré contre mon sein! Dieu te benisse , Téoda! De la même manière que tu entends mon pale- froi s’agiter, le courage fait le même effet dans tous mes membres, et le sang bouillonne d’impatience dans mes veines. Adieu, Guil- laume! Le ciel entend ton serment, qu’il te donne le courage et la force de l’accomplir! Adieu, mon fils! Tu ne peux rendre la joie au coeur déchiré de ta mère , qu’ en lui rendant son fidèle et tendre Géron.

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Téoda avoit à peine achevé de parler que Guillaume étoit déjà sur son destrier. Sa mère, montée sur une tour, accompa- gnoit encore des yeux le jeune homme qui faisoit toutes ses espé- rances , en s’ entretenant avec une de ses femmes , lorsque tout a coup elle le perdit de vue. Un écuyer fidèle lui avoit répondu des jours de son fils. Une valeur acquise dans les dangers lui avoit donné une expérience capable d’y soustraire une jeunesse trop impétueuse ; et cette raison avoit décidé la mère pour le vieux Conrade, que son époux depuis sa jeunesse estimoit comme le meilleur de ses guerriers. Maintes rencontres qu’eurent nos preux, ne servirent qu’ à confirmer cette opinion , partout la victoire s'at- tachoit aux pas du brave Guillaume et de son écuyer; et chaque occasion périlleuse ne faisoit qu’enfla m mer son courage, pour rem- plir le but que ce jeune homme s’ étoit proposé*

Un an s’ étoit écoulé que Guillaume n’avoit encore pu rien découvrir des traces de son père. Vainement il avoit, dans sa route, visité maints châteaux pour en avoir des nouvelles. Plu- sieurs chevaliers avoient bien vu le vieux Géron, mais aucuns ne savoient ce qu’il étoit devenu. Guillaume désolé erroit partout, et l’espoir n’ avoit point encore consolé son coeur. Un jour que concentré dans son chagrin , il avoit abandonné les rênes à son palefroi, il entra dans un bois, dont l’épaisseur et l’ombre furent un motif de plus pour s’y enfoncer. L’obscurité de ce lieu lui plaisoit, et le silence ne faisant qu’alimenter sa douleur, il péné- troit toujours plus avant, quand un bruit aigu de trompettes le réveilla de la rêverie il étoit plongé. Soudain cet instrument

guerrier le rendit à lui -meme et chassa de son ame les tristes sou- venirs, dont il étoit préoccupé. Allons, dit Guillaume à son écuyer, courage! Hâtons -nous d’arriver au lieu, d’où partent ces sons, qui me donnent un nouveau courage, en m* offrant un nouvel espoir; et en disant ces mots, 110s preux galopent en donnant des deux à leurs chevaux. Le bois s’étend, les arbres sont plus isolés, et le taillis qui les remplace, ne leur dérobe plus que les objets les plus éloignés.

Le bois en s’ouvrant devant eux, couronnoit des deux cotés le sommet des montagnes voisines, qui servoient de rempart à un vallon de la plus grande beauté. Au milieu du vallon s’ é- levoit un rocher isolé , sur la crête duquel nos chevaliers errans aperçurent un château. D’un côté étoit une prairie entourée d’un bois; plus loin, on voyoit un torrent sortir en bouillonnant du pied du roc et se précipiter dans le vallon, et sur les bords de la rivière un champ vaste et spacieux avec des barrières et des sièges , couverts des plus riches tapis , qui s’ élevoient en am- phithéâtre, pour ne rien dérober à la vue du spectacle imposant que promettoient de semblables préparatifs. Ailleurs on voyoit la place décorée de bannières et de boucliers; un côté du champ clos étoit fermé par des tentes magnifiques qui appuyoient aux barrières du camp , et les intervalles étoient occupés par des lan- ces et des écus d’un travail précieux, qu* augmentoit encore l’é- clat de l’acier qui avoit servi à la fabrication de ces armes. Guil- laume n* eut pas plutôt aperçu ces préparatifs, que la joie de son coeur lui avoit déjà dit ce qui alloit se passer en ces lieux. Il

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étoit clair qu’il alloit assister à un tournoi, et que son étoile l’avoit réservé pour une occasion, l’homme et le preux che- valier pouvoient étaler à la fois la bravoure et toutes les qualités.

Pendant qu’il descendoit la montagne, la trompette se fit entendre pour la seconde fois , et ce fut le signal pour faire pren- dre place à la foule sur les sièges qui lui étoient préparés, quand Guillaume aperçut aussi les chevaliers qui sortoient pompeusement du château. Le jeune homme retint son cheval, pour voir passer la file. Les chevaliers étoient en avant , parés de leurs armes, accompagnés des Dames de leurs pensées, et chacun d’eux por- toit sur son casque le bracelet de sa maîtresse , qui leur inspiroit le courage de vaincre tous les dangers. Après et au milieu d’eux suivoit le maître du château, Albert, magnifiquement vêtu , et son fils, Sigéfroi, à ses côtés, pour lequel alloit se donner le tournoi, en réjouissance de ses exploits et de la gloire que ce preux s’étoit acquise dans une expédition , dont il étoit de retour avec ses che- valiers ; puis venoient ensuite les écuyers avec les couleurs <le leurs maîtres , et ce cortège magnifique étoit fermé par une musique guerrière, qui célébroit les hauts faits de tous ces preux, et la gloire qui les attendoit au milieu de la victoire dans cette écla- tante journée.

Puisses -tu célébrer aussi la tienne!— disoit Guillaume en soupirant au bruit de cette musique guerrière qui retentissoit jus- qu’à son coeur.— Mais comment aurai -je le courage de confondre ma cuirasse avec celles de tous ces guerriers? Comment oserai -je

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paroître avec un casque que jamais main de Damoiselle n’ a orné? Pourquoi pas, dit le fidèle Conrade, un coeur que relève un courage pareil au vôtre, n’a besoin des ornemens étrangers, que la vanité a attachés sur le casque de ces chevaliers. Prenez courage , et allons au-devant d’eux. Pas encore, répondit Guillaume, pas encore, laissons engager la lutte, et quand le tournoi sera com- mencé, et que les chevaliers chevaucheront dans la lice, c’est alors que nous nous approcherons discrètement de la barrière.

Cependant cette dernière s’ouvre, le tournoi commence, les coursiers font trembler la terre sous leurs pieds, les chevaliers courent l’un sur l’autre, les écuâ brillent, et les lances volent en éclats. Honneur et gloire aux fils des braves! s'écrient les hé- rauts d’armes, dont les voix retentissent jusque dans le vallon. Sigéfroi, le fier Sigéfroi, se montre brave partout, et partout cou- ronné des mains de la victoire , personne n’ a résisté à sa lance, et tous les chevaliers ont été mis hors de combat.

Ce fut le temps que choisit Guillaume, pour s’approcher du camp, en demandant qu’il lui fut permis de couiir contre le vainqueur. La demande du jeune homme jeta toute l’assemblée dans l’étonnement. Sois le bien venu, qui que tu sois , lui dit Albert , en faisant ouvrir la barrière ; ton air annonce ton origine, et ton courage le droit que tu as de prendre place au milieu de nous. Sigéfroi ne se laissa pas prier deux fois, et se recom- mandant à la Dame de ses pensées, il part comme un éclair, et la course commence.

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Couvert de son bouclier d’or, Sigéfroi, la lance en arrêt et au poing, court sur Guillaume en pressant son coursier. Celui- ci reçoit le choc sans s* émouvoir, la lance de son adversaire vole en éclats sur son bouclier, lorsque Guillaume courant sur Sigéfroi à son tour, le choque si rudement, qu’il lui fait perdre les étriers, et le jette sur le sable. Le jeune homme n’est pas plutôt sûr de la victoire, que sautant de son destrier avec la légèreté d’un faon, il aide au vaincu à se relever, en lui tendant la main, le salue com- me un ami, et le reconduit vers son père.

Qui es -tu, lui dit Albert, et quelle aventure t’a conduit en ces lieux? Viens te reposer avec nous de la fatigue que tu viens d’ avoir , reçois de la main de ces nobles Dames le prix du tournoi et de ta bravoure, et dis -nous maintenant, s’il n’ y a point d’indiscrétion à te demander la raison qui nous a procuré le plaisir de te voir au milieu de nous. Je ne veux et ne puis me reposer, répondit courtoisement Guillaume, en remerciant Al- bert de P hospitalité qu’ il lui offroit. Il y a loin du repos au but que j’ai à remplir. Je n’ai cherché aucune aventure, en errant en ces lieux. Mon nom est Guillaume, et tu vois en moi le fils du vieux Géron , absent depuis long -temps de chez lui, et que ma tendresse cherche vainement depuis plus d’ une année. La preuve la plus sensible que tu puisses me donner de ton amitié l’unique voeu qu’il soit permis à mon coeur de former, c’est de s’avoir ce qu’est devenu Géron. Donne m’en, si tu peux, des nouvelles , si tu veux avoir des droits à la reconnaissance la plus expansive. Sois le bien venu , répondit Albert avec vivacité,

fils du vieux Géron, sois le tien venu, de t’annoncer en héros. Ton père étoit mon ami; c* étoit dans mon château que je le vis pour la dernière fois, lorsqu’il se rendoit avec les siens en Fran- conie. Beaucoup de chevaliers en revenoient pour retourner au sein de leurs familles; mais Géron n’a point eu ce bonheur, quoi- qu’il ne soit point resté dans la mélée. Le bruit court qu’un che- valier, au pouvoir duquel il étoit tombé, a employé la ruse pour le retenir en captivité. -

Un chevalier? dit Guillaume. Peut- on donner ce nom à un homme coupable d’une telle infamie? Dis -moi, Albert, le nom du traître, nomme - moi la place de son manoir, pour que j’aille le punir de sa lâche témérité! Je ne connois rien de sa tragique histoire, que ce que je viens de t’en raconter, répondit Albert, et le nom du traître m’a resté toujours aussi inconnu que sa demeure. Ah! interrompit Sigéfroi, je me rapelle d’avoir vu, dans mon expédition, un vieux château, où, comme on le disoit alors, étoit retenu captif, depuis longues années, un preux chevalier, mais personne toutefois ne savoit son nom, pas plus que celui du maître barbare , qui avoit manqué aussi essen- tiellement aux lois de la chevalerie.

Sigéfroi alors indiqua, comme il put, au fils de Géron le pays et la distance, pouvoit être situé ce château, et le che- min qui pouvoit y conduire. Dieu vous soit en aide, sit Guil- laume, pensez à moi, comme à un ami; le sort m’appelle, là, peut-être une meilleure fortune me fera retrouver un père. Nulle prière ne put arrêter le bouillant jeune homme, et il partit

avec un sentiment de joie qui fit place à tout autre dans son coeur, pour affronter de nouveaux dangers. Courant par monts et par vaux, Guillaume, le généreux Guillaume, avoit employé deux lunes à fouiller tous les lieux, il avoit porté ses pas. Pas une montagne qu’il n’eût franchie, pas un bois qu’il n’eût visité, pour trouver la prison, languissoit son père , et qui ne pouvoit lui échapper, d’ après 1* exacte description que lui en avoit faite Sigéfroi. Soins superflus! Pas un château ne s’ofîïoit à ses re- gards; la contrée aride et sauvage n’ avoit pas même un village, personne ne pouvoit lui donner des nouvelles de la demeure qu’il cherchoit. Plus Guillaume avançoit, plus les objets qu’il avoit sous les yeux, attristoient son coeur; il n* apercevoit presque plus de végétation , et des rocs pelés sembloient avoir remplacé les grâces de la Nature et toutes ses beautés.

Un jour qu’ après avoir long - temps voyagé dans cette Thébaïde , il venoit enfin de la quitter , pour entrer dans un val- lon que bordoit un bois, un cri qui en sortoit , vint frapper les oreilles du chevalier, qui pressa son cheval pour arriver au lieu, d’où il étoit parti. Un sanglier furieux résistoit à celui qui vou- loit lui faire mordre la poussière, et l’attaquoit dans les formes. Guillaume mit bientôt fin à ce combat inégal , et délivra le che- valier, en étendant le dangereux animal à ses pieds, d’un coup de revers qu’il lui donna. Prends cette main, dit l’inconnu à Guillaume, en signe de P amitié que nous venons de contracter, et suis -moi. J’espère que tu ne me refuseras point une preuve de la tienne, en restant autant que cela pourra te plaire chez

mol* On arriva. Un repas frugal que firent les deux chevaliers, fit faire, en bannissant la contrainte, une plus prompte connoissan- ce , et après le repas , on conduisit Guillaume dans la chambre, il devoit reposer. 1/ écuyer ne tarda point à rejoindre le fils du brave Géron. - Savez -vous, lui dit Conrade, que nous sommes dans le manoir de celui qui vous a privé de votre père? Guil- laume regarde son écuyer avec les yeux de l’étonnement. Qu’est- ce que tu dis, Conrade? Comment pourrois-je m’arrêter en cet affreux séjour et y goûter un moment de repos? Mais sais-tu bien ce que tu dis? ajouta Guillaume. J’en suis sûr, répondit T écuyer. Vous étiez à causer avec Edgar, lorsqu’ en approchant du château, la description que vous en avoit faite Sigéfroi, vint se représenter à ma mémoire. C’est le même à ne pas s’y méprendre: un vieux château sur la pente d’un roc, peu d’ arbres tout autour, un sentier étroit, par lequel on s’en approche, en traversant un vallon, plus loin une tour élevée tombant en ruine , et séparée du château, cette même tour s’élevant sur un rocher, duquel s’échap- pe une cascade pour se précipiter dans le vallon. Souvenez- vous, Guillaume , et voyez si j* ai raison ; mais écoutez encore. Comme je me promenois autour du château, pendant que vous étiez avec le chevalier, tout à coup j’aperçus une foible lumière dans cette tour. Je retourne sur mes pas, pour demander si quelqu’un l’ha- bitoit. On me dit qu’il y réside depuis long -temps un chevalier, dont on ignore le nom. Sur la demande que je fis si ce n’étoit point Géron, cela peut être, m’a-t-on répondu; quant à moi, je n’ ai vu personne , et le maître du lieu a défendu de s’ approcher de

cette tour.

Je frissonne, ami! dit Guillaume, quand je pense a ton récit. C'est effroyable! Viens, ô viens, et qu'à cette heure en- core nous allions visiter cette tour! Lo disque argenté de la lune ëclairoit le vallon , elle les conduisit à ce lieu redouté. Guillaume trembla d’indignation, en voyant la tour. Je frissonne, lui dit en- core une fois le fils de Géron , quand je pense à tout ce que tu m’as dit. Vois! Une foible lumière dont les rayons percent difficilement l’obscurité! Une voix lugubre qui retentit à la voûte de sa prison! Paix! Écoutons! Une prière? Qu’ entends -je ? Il prie pour sa femme, pour son fils , Conrade ! il prie pour Téoda et Guillaume! Ai -je bien entendu? C’est lui, Conrade, ami fidèle, c’est lui! Géron n'entends -tu pas la voix de celui, pour qui tu pries, la voix de ton fils , à qui tu devras bientôt la liberté et la vie ?

Pendant que nos preux faisoient d’incroyables efforts pour briser les verrous de la prison , les pas des chevaux se firent en- tendre , et la lueur des flambeaux précédoit Edgar qui s’ approcha, accompagné de ceux qui lui avoient rapporté ce qu'avoit dit Conra- de, et la sortie de Guillaume avec son écuyer dans une heure avan- cée de la nuit. Qui appelle? dit Edgard. Quoi! chevalier ici à cette heure ? Je te cherche pour te ramener. Ces lieux sont ef- frayans pendant la nuit; tu pourrois facilement, ne les connoissant pas , tomber dans quelque précipice et être maltraité des esprits qui apparoissent ici sous les formes les plus redoutables. Reviens sur tes pas, ces lieux sont sacrés; nul étranger n’ose sous la plus gran- de peine s* approcher de cette tour. Mon glaive en a ramené plus d’un indiscret. Je n’ai peur ni de tes esprits, ni de tes menaces.

répondit Guillaume, ouvre -moi cette tour et rends à la lumière ce- lui que tu y tiens enchaîné. Apprends que je suis le fils de Géron, venu pour le délivrer de sa captivité. Je t’ai sauvé la vie, rends -la moi à ton tour , et ouvre la porte de cette prison. Qui garde un trésor , ne le donne pas volontiers , répondit Edgar. Que t’ a fait, dit Guillaume, le brave chevalier que tu retiens dans les fers? De quel prix peut -il être entre tes mains? Donne -moi une rançon, et je vais te faire ouvrir la porte de la tour, j* ai renfermé ton père; donne -moi la femme qu’il a prise pour épouse, que j’aimai quand elle étoit fille encore, et que ses flatteries ont dérobée à ma tendresse; à ce prix j’ouvrirai la tour. Homme vil! Comment as- tu l’audace de parler ainsi au fils, qui a fait le serment de sauver son père? Vois! C’est sur la pointe de mon épée qu’est écrite la ran- çon que je destine à ton avarice et à ta brutalité. Courageux jeune homme! ton bras n’est point en état de se mesurer avec celui d’un chevalier. Laisse ton épée dans ton fourreau, laisse la reposer,

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crois moi , la mort est au bout de la mienne. A bas de ton palefroi ! s’écria Guillaume, ne se possédant plus de colère; à bas! te dis -je, mon bras est assez fort, et mon épée assez accoutumée à vaincre, pour punir l’insolent orgueilleux qui ose me braver ainsi.

Guillaume n’eut pas plutôt achevé de parler, que fondant avec impétuosité sur Edgard , il le contraignit de se mettre en dé- fense. Les épées brillent, les écus retentissent, et il s* engage d’ a- bord un combat a outrance. Edgard lève son épée de toutes ses forces, pour en décharger un coup sur Guillaume, qui l’esquive, et en rend un si furieux à son adversaire que son casque s’en-

tr* ouvre du coup. Edgard eut à peine éprouve la force du fils de Géron, que tournant subitement le dos, il s’ enfuyoit à toute bride vers son manoir, lorsque Guillaume eut encore le temps de lui en porter un second, avant qu’il ne put tout - à - fait se dérober à sa vengeance. Lâche, lui cria alors le chevalier, tu n’es pas digne de mourir de mes mains, ni d’avoir la mort des braves! Voyez, dit Guillaume aux hommes d’armes d’Edgar, qu’il avoit empêches de le suivre, quel maître vous servez, et de quelle manière j’ai châtié son insolence! Suivez - moi maintenant, et ouvrez cette tour! On exécuta ses ordres avec le respect et la promptitude qu’ inspirent la valeur , et après avoir brisé les verrous des portes de la tour, qui renfermoit Géron, ils se retirèrent avec P étonnement de la crainte, pour laisser le champ libre à Guillaume et à son fidèle écuyer.

Géron qui avoit prêté P oreille au bruit du combat qui ve- noit de se livrer, entendant peu de temps après briser les portes de sa prison, sortit avec peine de la place qu’il occupoit. Elles furent à peine ouvertes, que Guillaume tomba aux pieds du vieillard qui étoit derrière la porte. C’est lui, oh! c’est bien lui, dit ce vertueux jeune homme, mon pere ! Est -il possible, s’écria Gé- ron, que ce soit toi, mon fils, que je vois en ces lieux? Viens, mon fils, viens que je te serre dans mes bras! Qui t’a conduit ici? ne cessoit de demander le respectable vieillard. Le motif de te délivrer, répondit Guillaume. Il y a long -temps que j’erre dans cette contrée pour trouver ta prison, et P épée que tu me ceignis, t’a enfin délivré -du fourbe Edgard qui avoit forgé tes chaînes.

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Le traître! Il a pris honteusement la fuite, pour se mettre en sûreté derrière ses murs. Qu* il y jouisse du repos des lâches , s’ il y en a pour eux, et hâtons -nous de quitter ce sinistre vallon, qui prête ses ombres coupables, pour dérober aux yeux le repaire de ce bri- gand !

Guillaume n* eut pas plutôt achevé , qu* il aida son père à monter le cheval que le lâche Edgard avoir abandonné dans sa fuite* Le jour commençoit à paroître ; mais la nuit n’avoit pas encore replié ses voiles dans le vallon, et on n’apercevoit encore que la crête des montagnes, dégagée des ténèbres , lorsque nos chevaliers se mirent en route. Quelque fatigué que fût le vieux Géron, on ne prit aucun repos, que F on ne fût arrivé au château d’Albert. Là, après avoir raconté ses aventures, en finissant par celle de la délivrance de son père, on n’oublia ni le récit de Conrade , ni la sortie du château, ni les bravades du lâche Edgar, ni la surprise du vieux Géron de se voir délivré par son fils. Albert ne pouvoit se lasser de voir le brave Guillaume, ni son fils assez se féliciter d’avoir un tel compagnon d’armes. Après avoir comblé ses hôtes d’attentions, Albert dut céder à leur impatience de revoir leur manoir, mais non sans leur promettre, d’aller chaque année les voir pour célébrer la mémoire d* un aussi mémorable événement.

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Déjà ils avoient laissé derrière eux une distance considé- xable, le soleil avoit déjà trois fois doré le sommet des montagnes, et l’aurore mouillé de ses pleurs les plaines de la contrée qu’ils tra- versoient, quand on aperçut les tours du château de Géron, qui

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firent palpiter de joie le coeur de Guillaume. Une voix mélodieuse qui partoit du bois, fit prendre le galop au chevalier, pour voir qui pouvoit ainsi chanter. Son coeur lui disoit que ce ne pouvoit être que celle de sa mère: et descendant de son destrier, il alla directe- ment au lieu, d’où partoient ces sons. C’ étoit Téoda, en effet, qui tous les jours venoit tromper l’ennui de sa douleur en ces lieux, en attendant, avec une femme de sa suite, 1* arrivée de son fils , de tout ce qui lui restoit sur la terre, pour la consoler de 1’ absence et peut- être de la mort de son époux.

Chante la chanson du retour! lui dit Guillaume, en l’a- bordant, je t’amène celui que nous pleurions, et tu reverras dans tes bras celui que je fis le serment de retrouver au péril de ma vie, en affrontant tous les dangers. D’ici déjà tu peux le voir, là, bas! Ne Je vois -tu pas sur ce haut palefroi? Téoda ne pouvoit revenir de son étonnement; la joie l’avoit rendue stupéfaite, elle sentoit, mais elle ne voyoit pas. Le vieux Géron qui pendant ce temps -là ne cessoit d’avancer, étoit déjà descendu de cheval et se trouvoit dans les bras de sa femme, sans qu’elle l’eût aperçu. Le généreux Guillaume , témoin de la scène attendrissante de ses parens, goûta la double joie d’un bon fils et d’un brave. Nulle expédition, à son avis, ne pouvoit honorer davantage les armes d’un chevalier, que celle d’avoir sauvé son père; et content d’a- voir satisfait à son devoir et à son coeur, il remonta à cheval, pour porter au château la nouvelle du retour de Géron.

Nous nous réjouissons, comme ce bon jeune homme, et nous sentons, qu’il avoit bien mérité le monument que lui a fait éléver le

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maître de ces lieux. Cette action étoit en effet bien plus digne de l’honneur de passer à la postérité, que s’il n’eût fait répandre que du sang dans les combats , pour acquérir de la gloire.

Le chemin qui serpente du château en ruine jusque dans la chenaie, nous en fait bientôt sortir, pour nous conduire dans une par- tie champêtre, et sur une prairie que l’on a plantée d’arbres fruitiers. Ces arbres , loin d’ être symétriquement alignés , ont été plantés sans ordre, pour les laisser croître avec toute la liberté d’une plante de la nature, de manière que l’ensemble ressemble à un petit bois, placé pour 1’ agrément de la vue , en enrichissant le propriétaire de ses fruits.

On voit sur les bords de ce bois des arbres de la plus haute venue, tels que des pommiers, noyers et poiriers, placés comme pour servir de ceinture à mille autres espèces plus petites, comme pruniers , abricotiers , cerisiers , pêchers et autres indigènes. Çà et on a formé des groupes variés de plus grands , pour trancher da- vantage par le coup d’oeil sur les autres, et , le bois avoit des éclaircis , ou offroit des places qui eussent paru trop vuides , on a mis des arbustes de toute espèce, des fleurs et des roses en profusion.

On voit briller, vers le fleuve à travers les arbres, les peti- tes et basses habitations des pêcheurs, que l’on a placées en ce lieu pour la peche du fleuve. De l’autre côté nous apercevons un village appartenant au maître du lieu, et quelques autres que nous travers

sons , a côté des plantations des arbres fruitiers, et nous arrivons a un joli bâtiment, E , que sa situation a fait appeler la mai- son d’eau.

Ce pavillon est une place de repos d’un style Chinois. Un fondement élevé, dans lequel sont attachés les réservoirs des pé- cheurs , fait le premier étage de cette maison. Un petit escalier y conduit du côté de la terre, et on descend par deux plus grands à la rivière. Sur ce fondement s’élève un pavillon Chinois de huit co- lonnes qui font un octogone, en laissant partout des échappées de vue. Ce bâtiment est surmonté d’un toit qui le déborde,* et on a fait placer tout autour une très -élégante balustrade en bois, pour pouvoir y respirer le frais en sûreté.

L* oeil est enchanté des vues charmantes que l’on a de tous

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côtés. A droite et à gauche on a devant soi le fleuve, dans lequel se répètent les prairies et les plantations qui le bordent. Au delà du fleuve et toujours dans le meme perspective , on voit un pré considé- rable, entrecoupé çà et par divers groupes d’arbres, et le bosquet d’Apollon lui servir de bornes. Pas loin de ce dernier s’élève la grande colline que nous avons déjà vue, couronnée d’un Belvédère à son sommet. Sa croupe est tapissée de fleurs, dont la variété dans les couleurs tranche admirablement avec le vert de pré. Son pied est couve t de réséda et de la rue à fleurs jaunes, dans une fleuraison perpétuelle en éié; çà et on voit paroître, au milieu de ces derniè- res, le pied d’ alouette bleu et blanc. A ces plantes succèdent ensuite des arbustes de plusieurs espèces, que l’on a mélangés de fleurs qui

étaient leurs couleurs , les unes en été , et les autres en automne. C’est dans ce mélange que se trouve la magie du pinceau, et le goût, décorateur de ces lieux, a placé pour cet effet la couleur de chair a côté de la rose, le bleu foncé de la pensée à côté de la narcisse, la violette à côté du jasmin, le jaune éclatant à côté du pourpre, et toutes ces nuances se confondent encore parfois avec le blanc et le jaune paille, qui paroissent se fondre dans la masse de toutes ces couleurs variées.

La colline reçoit un tel éclat de ce tableau, que nous allons no\is en approcher, pour en jouir de plus près. Comment faire? Le fleuve est entre elle et nous : mais voilà 1* obstacle levé , car une gondole l d’un goût Chinois qui se trouve à côté de la mai- son d’eau, va satisfaire notre curiosité, en nous y transportant. Nous descendons 1* escalier du fleuve , et déjà nous sommes dans la barque enchantée qui s’ est offerte à nos regards. Quel calme sur 1’ onde ï Le vent n’a que la force nécessaire, pour rendre le passage plus prompt, sans fatiguer les rameurs, et nous voilà sur la rive opposée. Ici le chemin serpente dans la plaine entre les prairies et les arbres, et nous montons enfin la colline, qui parfume l’air de l’odeur de ses plantes, pour approcher du Belvédère, m , qui fixe depuis long -temps nos regards.

On a planté ici des tilleuls de la plus belle venue, aux- quels on a fait décrire un cercle, et dont les couronnes forment une coupole de verdure. La vigne sauvage et le chèvre -feuille s’unissent alternativement au tronc de chacun de ces arbres, au

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pied desquels on a planté quelques rosiers; et la prévoyance du maître a su faire placer des bancs dans l’ intérieur de ce Belvé- dère, pour y délasser les promeneurs curieux; de s’y arrêter pour la beauté du site.

Quelle est belle en effet la perspective que donnent les objets qui sont près de nous, ou dans l’éloignement de ce lieu! Après avoir plongé la vue au delà du tapis émaillé de mille fleurs qu’offre la pente de la colline, elle s’arrête d’abord sur des prés qui alternent perpétuellement avec des plantations qui s’étendent jusqu’au fleuve. Une grande partie de ce dernier s’étend devant nos regards, et nous le voyons rouler majestueusement ses eaux à tra- vers cette belle possession. De l’autre côté de la rive, nous avons la vue de ces immenses plantations d’arbres à fruits, champs, et prairies, et dans le fond du tableau, le village avec ses jardins, que des bois bordent tout à l’entour. Portons-nous nos regards d’un autre côté, nous avons devant nous le bosquet d’Apollon, qui se perd dans de légères plantations, à travers lesquelles nous apercevons les bois et les prés, le long desquels serpente un bras du grand fleuve. Les bâtimens du jardin sont cachés par les ar- bres, et nous n’en avons aperçu qu’un, la maison d’eau, de la- quelle nous sommes venus ici: mais dans le temps même que nous en parlons, nous en remarquons un autre plus petit, que nous n’avions point encore vu dans nos promenades, et que nous dé- couvrons à la faveur de quelques branches d’arbres, que le vent semble n’ avoir agitées que pour nous donner une jouissance de pins.

Nous descendons la colline pour chercher ce bâtiment. Nous laissons de côté un chemin que nous trouvons sur la gauche, parce qu’il nous reconduiront au temple d’Apollon, et nous pre- nons celui de la droite qui descend la colline. Nous voilà au pied, avec deux chemins nouveaux devant nous. Que faire? Notre in- décision n* est pas longue, et nous choisissons celui qui en nous conduisant par la droite dans le bosquet, n , nous porte sur une petite colline.

Nous ne nous sommes pas plutôt tournés, que nous aper- cevons le bâtiment que nous avions remarqué du Belvédère; et nous trouvons un pavillon charmant, F , bâti dans le style Turc. Des peupliers du Canada, qui sont plantés sur la pente de la grande colline, la décorent de la manière la plus agréable, et de petits bosquets qui se réunissent à celle sur laquelle nous nous trouvons, forment un cercle, au milieu duquel on a construit ce pavillon. Des plantations de pinastres, arbres de vie et sapins, entourent la place libre qu’on aperçoit par devant, et l’on a mis partout en profusion, entre ces arbres, le jasmin, le cytise des Alpes et le baguenandier.

Quelques charmes que présente déjà cette partie délicieu- se du jardin, on a jugé à propos encore d* en relever l’éclat, par des groupes de roses que l’on a semées çà et là. On voit paroî- tre avec avantage , des bosquets qui ceignent cette place , la rose d’Autriche ou la rose Turque, qui fait le plus grand effet avec ses feuilles jaunes au dehors, et le rouge couleur de feu de celles

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du dedans. On voit alterner ces roses avec celles de Mai, dont les petites fleurs d’un rouge tour- à -tour vif et tendre contrastent admi- rablement avec la couleur foncée de ses feuilles; et sur le bord de ces bosquets on a planté et mélangé des roses à cent feuilles, des roses veloutées et la petite rose à feuilles de pimprenelle.

A côté et entre les arbres qui entourent ce pavillon, on voit de. hauts arbustes de cette espèce, la rose de Francfort, celle qui s’attache aux arbres, et une troisième espèce d’une fleur ordinaire, mais ayant des feuilles qui embaument l’atmosphère de leurs par- fums. Comme si l’on eût voulu étaler toutes les richesses de Flore en ce genre, on aperçoit tout -fait dans l’ombre, et garantis de la pluie par les branches des péupliers , quelques pieds de r oses jaunes bien remplies, et tout près du pavillon, de hauts rosiers à fleurs rayées tantôt de rouge et blanc, tantôt de blanc et rouge, et d’au- tres enfin portant des roses veloutées, dont la couleur approche d’un bleu foncé et semble achever la nuance de toutes ces couleurs pour le plaisir des yeux.

On a décoré la place libre qus on voit devant le pavillon de divers groupes de roses. Ici vous voyez une touffe de ces fleurs blanches qu’on ne se fatigue de voir sous aucune couleur; au milieu d’elles, des roses moussues, bordées d’autres marbrées ou rayées de rouge et blanc. Là, autour de la magnifique rose blanche d’É- cosse, une profusion d’autres rouges à cent feuilles ferment un cercle, dans lequel on voit briller çà et la rose musqué, celle de Damas à feuilles couleur de chair. Entre ces deux groupes , on en a placé

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un autre de roses de Bourgogne, mélangées de la jaune églantine au parfum suave. Pas loin de celles-ci, on voit la rose de Virginie avec des touffes de fleurs, auxquelles se joignent la rose de Fran- ce, la Caroline, et celles qui fleurissent tous les mois de l’année.

Ce séjour enchanteur nous enchaîne, et nous ne pouvons nous décider à quitter ces lieux. La place , destinée a reposer les promeneurs, près du pavillon, nous séduit, et nous en profitons, pour nous y arrêter et jouir délicieusement des charmes qui capti- vent assez nos sens , pour adresser un hymne à cette Reine des fleurs, en nous écriant:

Grâces te soient rendues, o Rose charmante, beauté périssable, mais dont le souvenir est cternel ! Chaque prin- temps te fait éclore avec des grâces nouvelles , et tu sers d’ob- jet de comparaison au poëte, quand son pinceau broie des couleurs fraîches et riantes; il en a paré l’aurore, quand on la voit ouvrir les portes au soleil, avec des doigts de rose, et ton incarnat se retrouve encore sur le front de l’innocence. Qui pourroit être insensible à ta beauté , rose charmante et fraîche comme la rosée du matin, quand on se ressouvient de la Déesse qui te donna l’existence? Consacrée à l’amour dès ta naissance , ta couleur devint la livrée de la jeunesse et des grâces: on ne donna pas une fête, l’on ne vît une guir- lande de roses; il n’exista pas une Hébé , qu’on ne comparât à tes boutons, pas un amant heureux, que tu n’ eût couronné, pas un dais de verdure, auquel il n’eùt suspendu des roses pour sa maîtresse. Venus ne se contenta point de te donner

«ne couleur qui feroit le plaisir éternel des yeux, elle y ajou- ta, pour faire de toi la reiire des fleurs, la suavité du parfum qu'on respiroit dans ses temples, à Cythère et Paplios. C’est lui qui vient d'enivrer mes sens, et de porter dans mon ame le sentiment du plaisir. Quelque place que t’assigne l’hom- me , ta beauté te donne toujours un trône et tu fais le déses- poir du peintre qui veut imiter tes couleurs. Avec quelle simplicité tu enchaînes le goût de l’ame sensible aux charmes de l’innocence! Il aura vu mille fleurs plus éclatantes, et pourtant il a porté la main sur la rose qui a défendu tige et boutons, en punissant le coupable qui vouloit dérober une jouissance aux yeux. Ainsi donc le zéphyr se balancera en- core sur tes feuilles et pénétrera ton sein , pour nous embau- mer de ton parfum; la rosée t’humecteras de ses pleurs, pour te conserver ta beauté et faire éclore tes boutons. Ou’un vent impitoyable ne l’arrache point aux lieux qu’elle embel- lit! Qu’un zéphyr éternel caresse plutôt amoureusement son sein! Et vous peupliers, que les grâces de votre taille ont toujours fait planter il y avoit des roses, c’est à vous que je confie leur sûreté, défendez -les delà violence des tem- pêtes , que le bruissement de vos feuilles , toujours agitées par le moindre vent, les garantisse des ardeurs d’un soleil brûlant! C’est à vous que je les confie!

Plus nous nous arrêtons dans cette place, plus eile nous parort agréable; et nous avons d’autant plus de peine à nous en séparer, que le soir approche et que le petit bosquet voisiu retentit

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déjà des sons "harmonieux du rossignol. Combien il doit être dé- licieux de passer ici la soirée d’un beau jour serein en été! Re- gardons bien encore une fois ces groupes de roses, pour en gar- der long -temps la mémoire et occuper agréablement notre imagi- nation. Nous prenons ensuite le chemin qui conduit au bosquet* en passant derrière le pavillon.

Au bas de la colline nous trouvons deux allées ou che- mins , quand nous sommes descendus. L’un d’eux conduit à tra- vers les prés à un élégant pont de bois que nous laissons de côté, parce qu’il nous meneroit à l’habitation du maître; mais nous prenons celui, o , qui longe le bois, et conduit à un pont tournant, p , par le moyen duquel nous nous trouvons tout k coup de l’ autre côté de l’ eau.

Le chemin que nous avons pris, s’étend dans une plan- tation d’arbres de diverses espèces, propres à l’Amérique septen- trionale, au milieu desquels on voit s’élever çà et des peupliers blancs et quelques baumiers. En quittaut ces plantations, on s’approche du fleuve, dont deux bras s’élargissent ici pour en- tourer la partie du jardin, dans laquelle nous sommes. Une pe- tite place à demi - circulaire qu’achèvent de ceindre des oliviers exhalant une odeur douce, et des acacias mélangés de roses, nous invite à faire une pause en ce lieu sur trois sièges, que nous trouvons comme à souhait, et que l’on a placés autour de la Sta- tue d’une Vénus couchée, q , qui s’oflfe à nos regards dans cette place.

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Quelque petite qu’elle soit, le courant du fleuve îa rend non - seulement très -animée par le bruit de ses eaux, mais encore par les vues riantes que l’on a de cette place dans les jardins, et surtout sur la rive opposée. En face de nous, nous apercevons une allée de peupliers, qui aboutit au logement du jardinier, z , et nous avons par côté la vue des prés, jardins potagers, et les plantations d’arbres fruitiers. La barque que l’on remar- que en ce lieu, n’a été placée que pour rapprocher les deux rives, et faciliter au jardinier un passage plus court , quand les soins de son état le mettoit dans le cas de se transporter plus rapidement de la partie ou il se trouvoit dans une autre.

Nous continuons notre promenade, en traversant toujours les plantations, d’où nous venons de sortir; et le chemin nous conduit à un pont de bois avec des marches, r , qu’embel- lissent des deux côtés des bosquets touffus, mélangés de saules pleureurs. Quand nous sommes au delà du pont, nous entrons dans un bois de platanes et de bouleaux. Le chemin qui serpente à travers, nous conduit à une place de repos que l’on a eu soin de mettre au milieu. Nous ne nous y arrêtons que le moment nécessaire pour y respirer la douce odeur du bouleau. Le cliarme de ce lieu solitaire nous y eût peut-être retenus plus long -temps, niais un bâtiment que nous découvrons a travers les troncs d’ar- bre, nous fait quitter la place pour nous rendre dans sa proximité. Pendant que nous sortons du bois, et que nous nous tournons sur le pré, nos regards rencontrent un temple, G , dont l’ins- cription nous apprend qu’il est dédié aux Muses et aux Grâces.

Ce temple, auquel conduisent cinq marches qu*il a d* é- lévation , est hâti sur le pré et caché par moitié dans le bosquet. Sa forme carrée est surmontée d’une coupole, qui a une ouver- ture dans sa partie supérieure, d’où il reçoit le iour qui l’éclaire. Sou entrée est décorée d°un portique qui repose sur quatre colon- nes d’ ordre Ionique ; et son extérieur magnifique nous promet que l’intérieur n’aura pas des parties moins intéressantes à voir.

Au milieu du temple s’élève sur un piédestal peu élevé le groupe des trois Grâces, non toutes nues, comme on a coutu- me de les représenter, mais légèrement drapées, telles que les ar- tistes du bas âge nous les montrent, ou telles encore que Socrate doit nous les avoir représentées. Ici sont les trois Déesses qui distribuent aux hommes le don agréable de plaire, Aglaja, Thalie et Euphrosine, se tenant par la main, et annonçant dans leurs re* gards les impressions douces qui les animoit.

Au pourtour de la coupole nous remarquons Jupiter dans les nuages, avec Eurynome, cette belle fille de l’Océan, dans ses bras. De leurs caresses vinrent un jour au monde les trois Grâ- ces, et nos deux amans jettent des regards de bienveillance sur leurs tendres filles. Dans 1* éloignement on aperçoit Mnémosyne, soeur du vieux Saturne, qui de concert avec Jupiter donna nais- sance aux neuf JVlusçs, et elle semble prier le maître des Dieux, de permettre à ses filles de s’associer les trois Grâces,

Aussi les voit -on ici ensemble, et un seul temple leur servir d’ enceinte , de la même manière que les Grecs réunissoient

sauvent les Mases et les Grâces dans un même temple. On a peint les neuf soeurs sur les murailles intérieures de F édifice, dans un fond d’un rouge pâle, telles qu’on les trouve dépeintes dans les antiquités d’ llerculanum.

Clio , Muse de l’histoire, tient un manuscript à demi- ouvert dans sa main. Euterpe , qui protège la musique, joue de la flûte. Thalie, qui aime les jeux comiques, et que l’on révère comme l’auteur de la comédie, tient d’une main un masque co- mique et de l’autre une marotte. Melpomène , qui s’attriste vo- lontiers, et à laquelle nous devons l’art de la tragédie, tient d’une main un masque tragique et s’appuie de l’autre sur une massue. Terpsicore, qu’encensent les danseurs, joue d’une lyre. Erato, qui chante les chansons de l’amour, tient une grande lyre, dont elle tire des sons harmonieux qui enchantent. Polyhymnie, sur les lèvres de laquelle siège l’éloquence, met l’index de la main droite sur la bouche. Uranie, assise et dont les regards mesurent le cours des astres, tient dans une main, un globe céleste, et de l’autre une petite baquette, avec laquelle elle indique le globe, et Calliope , qui n’entonne que des chansons héroïques ou guerriè- res , tient des deux mains un parchemin roulé.

Quel sentiment s’empare de nos coeurs, en entrant dans ce temple des Muses et des Grâces! Notre imagination s’é- chauffe, et inspirés tout a coup par la présence des Déesses que nous avons devant les yeux, nous nous en croyons environnés en chantant:

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O Muses, soeurs divines! Quelles jouissances n* avez- vous pas préparées a 1* homme qui vous encense et reconnoit votre pouvoir sur la terre? Appelé à celles des beautés de la Nature, il ne lui reste pas une faculté que vous n’exerciez en- core chez lui, au profit de son esprit ou de son coeur. Histo- rien, il perce la nuit des temps, pour séparer la vérité du men- songe, et livre à la postérité les événemens de son siècle. Le masque de Thaîie lui sert à corriger les moeurs, et Melpomène a faire pleurer sur un cerceuil. Les sons harmonieux d’un lyre lui donnent 1* ame d* un Orphée pour son Eurydice , ou les grâ- ces dé Terpsicore pour enchanter les yeux: ou T éloquence en fait le premier homme de son pays, ou la poésie vient d’asservir la rime à la pensée, pour chanter la louange des Dieux, ou celle de sa maîtresse. Il n’y a point de planète, o Muses! dont vous n’ayez fait l’empire de l’homme, soit qu’entonnant la trompette lyrique et guerrière sur la terre, il redise les exploits de ceux qui l’ont illustrée, ou qu’arme du télescope, Uranie lui découvre encore la marche des globes lumineux qui roulent majestueuse- ment sur sa tête. O Muses, soeurs divines, restez avec nous ! L homme ne met pas un chef d’ oeuvre au jour , qui ne soit un encens brûlé sur vos autels. Il ne vous rend pas un hommage, qui ne soit la source d’ un plaisir pur dans son coeur. Par vous enfin, il échappé au chagrin de la réflexion, pour se livrer au talent , qui enchaîne la pensée et décide de sa réputation. Et vous, Grâces charmantes , compagnes chéries des neuf soeurs, n abandonnez point non plus le mortel qui vous invoque! \ous avez toujours déridé le front du sage, gardez soigneuse-

ment votre empire! Et comment pourroit - t- on plaire, sans avoir le cachet des Grâces?

Nous quittons ce sanctuaire, pénétrés des sentimens que nous avoit inspirés ce lieu, en jetant encore un regard sur tout ce qui 1* environnoit. Comme tout est gracieux , entraînant ! Comme tout est bien analogue et calqué sur 1* ensemble que demandoit cette par- tie du jardin, consacrée aux Muses et aux Grâces! Le fleuve que des bois variés bordent sur ces deux rives , tourne autour du pré, sur lequel nous sommes maintenant. Devant nous, au delà de 1’ eau, on voit se déployer un pie, entouré de plantations, et au delà de celui- ci, dans l’éloignement des arbres et des collines terminent la perspective, la maison du maître de ces beaux lieux.

Il semble que les Muses et les Grâces ayent en effet tenu les crayons , quand il a dessiné le plan de ce jardin. Comme elles lui avoient fourni les plus belles fleurs , et que la reconnoissance les lui avoit fait mettre en ce lieu, il a voulu se conserver de son habi- tation la vue du temple des Déesses , à qui il sacrifie.

Heureux celui qui , chéri des Grâces et inspiré des Muses, auroit eu le bonheur d’ habiter ces lieux depuis son enfance, sans que rien jamais ait troublé son repos! Ici l’or et la vanité qui font cou- rir tant d’insensés , émousseroient leurs traits : souvent ils obstruent le chemin de leur propre fortune. Ici nul embarras pour y arriver, elle est toute faite, parce qu’on n’a désiré que le repos! Que d’ autres , entraînés par le fracas du monde , y cherchent une dissi-

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patïon qui abrège la moitié de leur pénible vie! Le maître de ces lieux gémira sur leurs folies, et quelques amis que sa possession et sa moralité y enchaîneront , composeront le cercle de toutes ses jouis- sances. Voilà son Eden sur la terre! Peu de besoins, et surtout point de factices, l’aversion du' bruit lui a fait désirer la retraite. Il n’a trouvé le repos qu’en lui -même, et n’a suivi que les impul- sions de son coeur , en faisant de la Nature son tout, son ami, sa maîtresse. La musique, en charmant ses loisirs , fortifie son esprit, et réjouit agréablement ses sens. La poésie ajoute à ses jouissances, en donnant plus de finesse au sentiment et à la pensée. Quel asile pourroit trouver le chagrin dans le séjour des Muses et des Grâces ? Il fuit à l’approche de la joie, qui prend sa source dans la Nature.

Nous nous hâtons de rentrer dans le bosquet, et un pont de pierre s se présente comme à souhait, pour nous transpor- ter de l’autre côté de l’eau. Le chemin que nous trouvons sur la rive opposée, nous mène à l’extrémité du jardin. Quelques gondo- les toutefois que nous trouvons amarrées près du pont , éveillent en nous le plaisir de naviguer sur le fleuve , et de voir encore une fois, de l’eau même, les parties les plus intéressantes de ce jardin, en suivant le cours qu’il décrit autour d’elles.

Nous voyons venir à nous de la cabane élégante de pêcheur, H , construite ingénieusement de troncs d’arbre sur la rive du fleuve, celui qui l’habite, et à qui on a confié le soin des gon- doles. Que nous veut cet homme? Nous en offrir une? Vous avez deviné. Nous l’acceptons, et nous voilà déjà sur les bancs de ce bâ- timent.

Nôtre navigation commence, et la gondole vient de quitter la rive. Nous remontons le fleuve, t , la charmante par- tie, — G , que nous venions de quitter, s’offre encore à nos re- gards. En tournant l’arche, nous nous trouvons précisément au centre de cette partie , qui nous fait remarquer d’ un côté la maison de campagne, et de l’autre le temple des Muses et des Grâces. Aus- sitôt que nous avons passé le pont à marches, nous entrons dans le grand courant du fleuve, que nous quittons bientôt, pour entrer dans le second de ses bras , désigné par la lettre u

Notre petit bâtiment se balance toujours en avançant entre de riantes prairies et des bosquets, jusqu’à ce que nous trouvant à peu de distance du pont, J , bâti dans le goût rustique, nous ayons tout à coup la belle perspective du temple d’Apollon C . Sous le pont meme nous revirons, pour entrer dans le grand fleuve, dont nous approchons aussitôt que nous avons laissé derrière nous le pont de pierre h . Ici nous avons la vue du château en ruine D ; mais dans le temps meme que nous le considérons, la gondo- le revire, et nous faisons voile en remontant le fleuve w . Les sons d’une musique éloignée viennent frapper nos oreilles. Plus nous nous éloignons , plus nous nous rapprochons de cette musique, et enfin nous découvrons que ces sons harmonieux partent de la mai- son d’ eau E .

Nous nous arrêtons un peu en ce lieu , pour recevoir dans notre gondole les musiciens qui viennent du village, et qui sont bien aises de regagner, à 1* aide de notre barque, leurs habitations,

en traversant le jardin. Les sons des hautbois, des flûtes, et des cors de chasse nous inspirent tellement de joie, que nous chantons une chanson, imitée d’une épigramme de Gcitke.

Nous nous balançons avec plaisir sur les vagues tranquilles de l’eau; elles fuient en laissant briller un cristal aussi pur que l’ar- gent, et nous déployons tous les mouvemens de la joie entre les deux rives. Les balancemens de notre gondole ressemblent à ceux du berceau, ses mouvemens nous amusent infiniment ; et sans souci pendant notre vie, elle n’est qu’un balancement perpétuel entre le berceau et la tombe.

Nous voilà arrivés au son de la musique et du chant à la maison de pécheur, - H , nous abordons pour débarquer. Le chemin qui serpente ici entre des prés et des bois, nous conduit hors du jardin, et nous nous retrouvons à l’hôtellerie, A , nous faisons un repas de campagne simple et frugal , en jouissant en- core en liberté des charmes d’ une belle soirée.

Réflexions

sur les Ouvrages de construction dans les jardins.

v^/uand on seroit tenté d’envisager dans 1* embellissement des jardins les ouvrages de construction qui s’y exécutent, comme des accessoires et non comme une des parties essentielles de leur formation; on ne sauroit s’ empêcher de convenir, qur un jardin perdroit beaucoup de ses agrémens, si ces constructions n’a voient pas lieu. Une maison de campagne, ou l’habitation d’un maître, le logement d’un jardinier, une orangerie et une serre chaude sont, comme on le voit d’abord, de la plus grande nécessités Malgré l’existence de ces bâtimens, tantôt le besoin, et tantôt le luxe demanderont davantage. Le premier exigera des ponts, pour passer les rivières; une salle d’été, pour partager avec une société les plaisirs de la Nature; des pavillons, des berceaux ar- tistement arrangés, pour y trouver un refuge contre une pluie inopinée; des places enfin , dans lesquelles on puisse, après une promenade fatigante et longue, trouver un repos agiéable, et de s’y occuper des jouissances que l’on vient d’avoir.

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Ces ouvrages de construction font non seulement les dé- lices du possesseur, mais encore celles du voyageur qui les visite, tantôt par la variété des situations, et tantôt par le caractère pro- noncé de quelques scènes, comme c’est souvent le cas dans l’or- donnance des parties, ou des plantations, concourant aussi par- fois à P embellissement du jardin.

Un jardin auroit souvent des parties qui sembleroient avoir beaucoup de ressemblance entre elles, si l’architecture ne venoit au secours , pour y mettre de la variété. Elle fait encore le mê- me effet, pour faire disparoître l’uniformité d’une perspective; et nul doute assurément qu’elle ne remplisse à merveille cette la- cune, si le goût a l’ attention de varier les jouissances de l’ oeil, par la construction de quelque bâtiment , qui apportera un con- traste à la monotonie fatigante, on 1* auroit mis sans cela, d’errer sans cesse sur une plaine qui n’ auroit eu que l’horizon pour bornes.

L’avantage principal des constructions est celui de donner un caractère plus prononcé à la partie que P on veut disposer. Si ce caractère n’est point assez distinct dans quelques unes, ou qu’il soit tout- à -fait manqué, il n’y a que les constructions qui puissent le leur donner, et les rendre plus intéressantes. Ces par- ties au contraire, qui en ont déjà un qui soit marquant, ne peu- vent manquer d’en recevoir un ton plus imposant et plus majes- tueux. La beauté d’un site, par exemple, que distingueroient de beaux arbres d’une belle venue, le voisinage d’un fleuve ou d’ une pièce d’eau considérable, ne pourroit qu’être embellie par l’érec- tion d’un temple. La simplicité d’une scène champêtre aura un

relief de plus , en la décorant d’ une cabane ; et une contrée mé- lancolique, dans laquelle on aura placé un ermitage ou une petite chapelle, ajoutera un prix infini à l’intérêt que doit exciter cet- te partie.

Si les bâtimens qu’on élevera dans le jardin d’un homme opulent, ne doivent servir uniquement qu’a l’orner, ou animer une Nature morte pour les yeux et sans agrément, on peut alors employer sans distinction tous les genres d’ architecture qu’on vou- dra. Tantôt on employera les formes élégantes du genre Grec, ou celles d’un style Gothique, tantôt on prendra celles d’un goût Turc ou Chinois. Quoiqu’ on ne soit nullement gêné sur le choix, on abuseroit toutefois étrangement de cette facilité , si on jetoit trop de variétés entre ces genres de construction et les scènes, dont on voudroit relever l’éclat, ou les faire contraster avec elles. Sous le point de vue du contraste, cette variété peut quelquefois faire un très -bon effet; mais il en seroit l’opposé au contraire, si elle étoit trop multipliée, ou qu’il y eût une contradiction ma- nifeste entre les parties qui doivent avoir de la cohérence: car on ne trouveroit alors ni harmonie , ni caractère prononcé dans aucu- ne, et les scènes se trouvant amenées comme par hasard, et à la suite l’une de l’autre, le jardin seroit d’autant plus dénué d’a- grément, qu’ indépendamment de ce qu’on auroit manqué à toutes les règles du goût , on n’ y verroit aucun ensemble.

Un autre abus qu’ on doit éviter encore dans un jardin, c’est celui de ne point trop y multiplier les bâtimens. Si l’on voyoit, par exemple, à chaque instant, un pavillon, un monument, une place de repos, il est certain que l’oeil, fatigué de ces répétitions, ne

trouvèrent plus de plaisirs, et que ces édifices n’ auroient plus d’in- fluence sur l’imagination. Beaucoup de parties d’un jardin peuvent se passer de bâtimens. D’autres parties seront assez belles, si les constructions de ceux qui sont dans le voisinage, se laissent remar- quer dans P éloignement, fussent- ils même à demi-cachés dans la ver- dure. Il est déjà quelquefois suffisant, pour introduire une variété agréable, de ménager une perspective sur des prés, des bois, des eaux, et souvent même ces parties ont assez de beautés, pour avoir le caractère d’ une scène. Si 1* on vouloit placer, dans toutes les par- ties, des bâtimens, il en résulteroit alors que le jardin sembleroit n’a- voir été créé que pour ces derniers , et les accessoires être devenus l’objet principal. Cette raison doit faire sentir la nécessité de sub- ordonner le goût que l’on auroit de faire construire, à celui de l’em- belissement des jardins.

Il n’est pas nécessaire , non plus, que ces bâtimens parois- sent toujours. On jouit souvent d’un coup d’oeil agréable, quand on les voit parfois de côté, ou cachés par moitié dans un bos- quet, ou une partie de leur longueur interrompue par des planta- tions, ou quand on n’ en aperçoit encore dans une partie qu’une du bâtiment, dont la décoration appartient à une autre scène. Rien ne donne un coup d’oeil plus pittoresque à ces bâtimens, que quand ils sont entoures de bois ou de verdure, et qu’on les aperçoit de temps à autre briller a travers les troncs d’arbre, à l’effet de piquer la cu- riosité, qui ne manquera pas de les chercher, pour avoir un plai- sir de plus.

On a donné , il est vrai , beaucoup de modèles variés de bâtimens de ce genre dans les deux jardins, dont il a été fait la des»

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cription; mais malgré ces modèles, on y a joint encore les onze Planches suivantes, pour donner aux amis de l’art, dans l’embellis- sement des jardins, de nouvelles idées sur les constructions qu’on peut y faire exécuter. On a fait mention quelquefois de ces idées, sans en faire l’objet d’une planche, et quelquefois aussi on n’en a fait aucunement mention. Notre intention n’ a point été , non plus, en donnant l’idée de ces plans, qu’ils devinssent un motif ou un prétexte d’augmenter le nombre des bâtimens que nous avons déjà, on s’est contenté, en les exposant aux yeux des amis de l’art et de la Nature , de leur donner des modèles du genre de construction qu’ on pourroit employer ,"*et faire ici une collection réunie de plans et d’i- dées, qu’on ne trouveroit qu’éparses en divers ouvrages sur l’art ou la manière d’embellir les jardins.

Quoiqu’ on donne dans la description des jardins celle des maisons de campagne, ou habitations du maître, qui y appartiennent nécessairement, on trouvera cependant dans la première et se- conde Planche de cet ouvrage, attendu que cette habitation est pourtant le bâtiment principal d’un jardin , que nous l’avons enrichi de quelques idées nouvelles, pour donner un choix plus varié dans 1* exécution de ces bâtimens. La première maison a plus de simplicité que la seconde. Celle-ci exige plus de terrain, et donne un espace plus vaste, pour augmenter le nombre des chambres de 1* habitation ; mais celui des étages remplacera la place dans la dernière , dont la circonférence sera plus circonscrite.

La salle de jardin que l’on voit dans la troisième Plan- che, a de chaque côté un petit cabinet, dans lesquels il peut se ras-

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sembler une petite société , quand la grande se trouve réunie dans le grand sallon.

Le bâtiment de la quatrième Planche, auquel on a don- né la forme d’une chapelle Gothique, est destiiiée à servir de loge- ment au jardinier, auquel on a joint la serre chaude. La cuisine est immédiatement près de cette dernière, pour faire servir le meme foyer au chauffage des deux en même temps. Au second étage , au- dessus du logement du jardinier, on trouve encore plusieurs cham- bres, et le grenier qu’ on voit sous le toit, sert à la conservation des semences, comme encore à faire sécher différentes herbes ou plantes. La serre chaude emploie da.ns sa hauteur le second étage et une par- tie même du grenier, ce qui donne la facilité d’y conserver des plan- tes d’une très -grande élévation. Le plafond ou plancher supérieur doit être voûté et boisé, d’ après la forme du toit et de la grande fenêtre cintrée du devant. La forme de ce plancher peut contribuer aussi à l’augmentation de la chaleur dans quelques parties de ce bâ- timent, attendu que la chaleur qui s’élève vers de semblables pla- fonds, frappe les angles, qui la répercutent, effet qu’on ne peut jamais se promettre d’un plancher ordinaire et droit.

Comme il y a parfois dans un jardin une fontaine, chose de la plus grande importance pour des places qui n’ont aucune eau courante, ou qui sont trop éloignées de 1’ eau, il est nécessaire alors de donner à cette fontaine une jolie forme, analogue à la place, dans laquelle on l’ aura mise. La cinquième Planche donne pour cet effet le modèle d’une semblable fontaine d’un style Turc. Un mur carré enferme l’espace, dans lequel sont les tuyaux destinés à con- duire l’eau, qui tombera d’une manière naturelle, ou que la pompe

fera monter d’après les besoins. On a pratiqué trois nicbes aux trois côtés de ce mur, dans lesquelles l’eau arrive par les tuyaux, pour re- tomber dans des bassins placés autour de cette fontaine; et l’entrée de cet édifice se trouve dans le quatrième côté.

Par la raison qu’on ne cultive point en terre toutes les fleurs, on a l’attention de mettre les plus belles et les plus rares dans des pots , afin de les distinguer des autres et en avoir un soin particulier. Pour les faire paroître toutefois avec plus d’ avantage, que quand elles sont en terre, on les met sur <les échafauds qui re- présentent des tablettes les unes au-dessus des autres. On en trou- vera le modèle dans ceux de la sixième Planche. .Le premier est dans le genre Chinois, et couvert d’un toit léger qui garantit ces fleurs du soleil et de la pluie. Six colonnes , entre lesquelles on a suspendu des guirlandes, forment un demi- cercle, et supportent une coupole à demi -ouverte et d’une très- grande élégance dans ses or- nernens, En dehors et autour des colonnes , on a placé ces écha- fauds à gradins, dont le dernier entre sous le pavillon ; et au milieu de celui-ci on voit, sur un piédestal rond, une statue de Flore, ce qui fait de 1’ ensemble un temple consacré à cette Déesse des fleurs.

La septième Planche représente une volière et une mai- son de cignes, la première d’un style Turc, et la seconde d’ un goût Chinois. C’ est dans le dernier genre que sont aussi les gondoles, que 1’ on voit dans la huitième Planche.

La volière consiste en huit colonnes, qui forment un octo- gone, surmonté d’ un toit plat. L’espace que l’on remarque entre chaque colonne, est occupé par une grille de fil d’archal, et l’on a pratiqué dans un des côtés une porte, pour pénétrer dans l’intérieur.

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On voit jaillir une petite fontaine au milieu. La maison des cignes a quelque chose de semblable à une gondole.

Les ponts que l’on voit dans un jardin, peuvent avoir dif- férentes formes , et on doit mettre dans leur construction d’autant plus de variété, qu’on la subordonnera d’abord à l’étendue ou gran- deur du jardin, et ensuite à la nécessité, l’on se sera trouvé d’en faire faire sur des rivières et des ruisseaux, soit pour la décoration du jardin, soit pour la facilité de se transporter d’un lieu à un autre. On a parlé dans la description que nous venons de faire de deux jar- dins , de plusieurs modèles en ce genre , et d’ autres assez connus, pour être dispensés d’en donner une esquisse. Comme on a toute- fois fait mention de quelques uns en pierre et en bois , sans décrire leur forme, on a représenté quelques ponts dans la neuvième Planche. Le premier d’un genre Gothique est en pierre; et les deux autres en dessous sont légèrement construits en bois , et d’une exécution très - élégante.

La dixième et la onzième Planches offrent la forme de quelques bancs et sièges de jardin, que l’on y place en été, avec 1* at- tention de les retirer dans l’arrière-saison, pour les garantir de la pluie ou des intempéries de l’air. On fait cês sièges d’un bois ten- dre, et on leur donne une couleur verte ou grise passée à l’huile.

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