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THE LIBRARY

The Ontario Institute for Studies in Education

Toronto, Canada

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JAN 241969

THE ONTARiO INiîlTUTE

FOR rT "ATION

ÉLÉMENS

D'IDÉOLOGIE.

DE L'IMPRIMERIE DE MME Ve COURCIER,

ÉLÉMENS

D'IDÉOLOGIE.

PREMIÈRE PARTIE.

IDÉOLOGIE

PROPREMENT DITE. Par M. DESTUTT Comte de TRACY,

Pair de France , Membre de l'Institut de France et de la Société Philosophique de Philadelphie.

TROISIÈME ÉDITION.

PARIS,

M" Ve COURCIER, IMPRIMEUR-LIBRAIRE,

rue du Jardinet, 12, quartier Saint-Andre'-dcs-Arcs. 1817.

Ouvrages du même auteur, qui se trouvent chez le même JLibraire.

ÉLÉMENS D'IDÉOLOGIE, 4 vol. in-8°. Prix: 22 fr. pour Paris , et 28 fr. francs de port.

Chaque partie se vend séparément, savoir :

ir? partie. Idéologie proprement dite, 3e édition, 1817, 5 fr.

2e partie. Grammaire, seconde édition, 1817, 5 fr.

3e partie. Logique, i8o5,6fr.

4e et 5e parties. Traité de la Volonté et de ses effets, i8i5, 6 fr.

PRINCIPES LOGIQLES, ou Recueil de faits relatifs à l'in- telligence humaine, in-8°, 1817, 2 fr.

AVERTISSEMENT

De lJ Édition de i8o4.

Vjette nouvelle édition est une simple réimpression de la première , qui était épuisée. Cependant j'y ai ajouté des notes et des éclaircissemens qui pour- ront peut-être ne pas frapper le com- mun des lecteurs, mais qui j'espère, paraîtront importans à ceux qui appro- fondissent le sujet. Du reste l'ensemble de l'ouvrage est demeuré le même, car je n'aurais pu en changer que la forme ou le fond.

Or, pour le fond des idées, j'avoue sincèrement que je crois être arrivé à la vérité, et qu'il ne me reste aucun louche ni aucun embarras dans l'esprit sur les questions que j'ai traitées. Mes réflexions postérieurs , mes travaux subséquens, et les conséquences que j'ai tirées des premières données, ont éga- lement confirmé mes opinions; et c'est

VJ AVERTISSEMENT.

avec une sécurité entière que je me crois assuré de solidité des principes que j'ai établis après beaucoup d'hésitations et d'incertitudes.

A l'égard de la manière dont je les ai exposés , elle ne me satisfait pas aussi pleinement. lLe ton de conversation naïve et presque triviale que j'ai pris dans une partie de cet ouvrage, ne m'a pas paru sans utilité alors, vu le moment j'écrivais, et parce qu'il s'agissait d'une science dont on s'était fait beau- coup de fausses idées, et dont on n'avait point encore de traité complet. J'ai cru cet excès de simplicité propre à faire sentir à tous momens, combien le sujet que je traitais est différent de ces mé- ditations abstruses et vaines qui effraient et égarent en même temps l'imagina- tion, et à faire voir combien sont sim- ples les procédés qui peuvent nous con- duire à une véritable connaissance de nos opérations intellectuelles. D'ailleurs celte manière me semblait très-com-

AVERTISSEMENT. Vlj

mode pour éviter de m'ériger en maître dans une matière que je ne faisais qu'é- tudier la plume à la main. En effet, mon but était bien moins de créer un corps de doctrine que de tracer la marche de mes recherches et d'en pré- senter les résultats. Néanmoins ce ton familier, s'il a plu à quelques personnes, n'a pas été approuvé généralement ; et je ne crois plus qu'il ait d'avantages, au- jourd'hui que les têtes sont plus meu- blées de ce genre de connaissances, que beaucoup de personnes les ont appro- fondies et systématisées, et qu'il ne s'agit plus que de rallier un grand nombre d'opinions toutes formées, et dans le vrai peu divergentes entr'elles.

Que l'on ne soit point étonné de m'en- tendre dire que les circonstances sont changées pendant undélai si court. Dans ce temps-ci tout va extrêmement vite et plus vite que nous ne pouvons le croire; et l'existence d'une section d'ana- lyse dans l'Institut national, et d'une

yiij AVERTISSEMENT.

chaire de grammaire générale dans les écoles publiques, malgré qu'elle ait très- peu duré , a donné aux esprits une im- pulsion prodigieuse, et qui ne s'arrêtera point.

Je crois donc que je devrais dès au- jourd'hui changer le ton général de cet écrit, vu sur-tout qu'il est actuellement suivi d'une seconde partie qui lui donne plus de consistance, et dans laquelle j'ai pris une marche plus ferme et plus ra- pide, Mais cette amélioration exigeait, de moi un assez grand travail. Or, je pense que le vrai moment de m'y livrer sera quand j'aurai terminé la troisième partie, de l'achèvement de laquelle je veux m'occuper avant tout. Alors seule- ment l'ouvrage sera complet. Je pourrai d'un coup - d'oeil en embrasser l'en- semble, juger de l'effet général, et ré- tablir l'harmonie entre les diverses sciions. Jusque-là je continuerai à de- mander de l'indulgence pour les défauts dedétail,que je n'ai pu faire disparaître,

AVERTISSEMENT. IX

m'estimant très-heureux si on n'a que de ceux-là à me reprocher.

Néanmoins, en attendant mieux, j'ai cru utile de supprimer la longue réca- pitulation qui terminait cette Idéologie dans la première édition, et de la rem- placer par un Extrait raisonné servant de Table analytique, pareil à celui que j'ai mis à la lin de la Grammaire. Je le crois bien plus propre à montrer l'en- chaînement des idées, et à en faire sen- tir le faible si elles étaient mal fondées ou mal suivies. Or, c'est-là mon princi- pal objet, car on ne peut désirer d'être approuvé qu'autant que l'on a raison. Réussir autrement, c'est être nuisible au lieu d'être *utile 5 et assurément ce n'est pas la peine de travailler pour ar- river à un tel succès.

TABLE

DES CHAPITRES.

Avertissement, pagev

Préface, xiij

Introduction, i

CHAP. Ier. Qu'est-ce que penser? zi

CHAP. II. De la Sensibilité et des Sensations , 28

CHAP. III. De la Mémoire et des Souvenirs, 3/

CHAP. IV. Du Jugement et des Sensations de rapports , 4^

CHAP. V. De la Volonté et des Sensations de désirs , 67

CHAP. VI. De la Formation, de nos Idées com- posées , 74

CHAP. VII. De l'Existence, 107

CHAP. VIII. Comment nos Facultés intellectuelles commencent-elles à agir? i42

CHAP. IX. Des Propriétés des Corps et de leur* Relation, i55

CHAP. X. Continuation du précédent. De la me- sure des Propriétés des Corps», 173

TABLE DES CHAPITRES. XJ

CHAP. XI. Réflexions sur ce qui précède , et sur la manière dont Condillac a analysé

la pensée, page 210

\.

CHAP.. XII. De la Faculté de nous mouvoir, et de ses rapports avec la Faculté de sentir, 229

CHAP. XIII. De l'influence de notre Faculté de vouloir sur celle de nous mouvoir, et sur chacune de celles qui com- posent la Faculté de penser, 23g

CHAP. XIV. Des effets que produit en nous la fréquente répétition des mêmes actes , 253

CHAP. XV. Du perfectionnement graduel de nos Facultés intellectuelles , 284

CHAP. XVI. Des Signes de nos Idées et de leur effet principal, 3c2

CHAP. XVII. Continuation du précédent". Des autres effets des signes, 355

Extrait raisonné de l'idéologie, servant de Table analytique, 089

Nota. Pour soulager l'attention, ces dix-sept cha- pitres peuvent être partagés en trois sections.

La première, composée des chapitres 1, 2, 5, 5, 6, 7 et 8, contient la description de nos facultés intellectuelles.

La seconde, composée des chapitres 9, 10 et il,

Xij TABLE DES CHAPITRES.

renferme l'application de cette connaissance â la con-- naissance des propriétés des corps.

Et la troisième, composée des chapitres 12, i3 i4, i5, 16 et 17, traite des effet3 de la réunion de notre faculté de sentir avec la faculté de nous, mouvoir.

Tin de la Table.

PRÉFACE

De V Édition de 18 o4.

J'offre en ce moment au public un Ouvrage qui m'a coûté beaucoup de travail, et dont je n'attends pas un grand succès pour moi, mais un peu d'utilité pour la science. Je le présente aux jeunes gens comme un plan d'étude, aux con- naisseurs comme un mémoire à consul- ter. Je dois rendre compte à ceux-ci des motifs qui m'ont dirigé, et de la ma- nière dont j'ai envisagé mon sujet.

On n'a qu'une connaissance incom- plète d'un animal , si l'on ne connaît pas ses facultés intellectuelles. ' L'Idéologie est une partie de la Zoologie, et c'est sur-tout dans l'homme que cette partie est importante et mérite d'être appro- fondie : aussi l'éloquent interprête de la nature, BufFon, aurait-il cru n'avoir pas achevé son histoire de l'homme, s'il

XI V PREFACE.

n'avait pas au moins essayé de décrire sa faculté de penser. Je ne prononcerai pas que cette partie de son ouvrage n'est point digne de son illustre auteur; mais j'oserai assurer que c'est celle qui satis- fait le moins le lecteur attentif et l'ob- servateur scrupuleux. Il ne faut pas s'en étonner, puisque de tous les sujets qu'il a traités, c'est celui qui avait été le moins étudié avant lui. Et cela encore devait être. L'homme parsa nature tend toujours au résultat le plus prochain et le plus pressant. Il pense d'abord à ses besoins, ensuite à ses plaisirs. Il s'occupe d'agriculture, de médecine, de guerre, de politique-pratique, puis de poésie et d'arts, avant que de songer à la philo- sophie : et lorsqu'il fait un retour sur lui-même et qu'il commence à réfléchir, il prescrit des règles à son jugement, c'est la logique ; à ses discours, c'est la grammaire; à ses désirs, c'est ce qu'il appelle morale. Il se croit alors au som-

PREFACE. XV

met de la théorie, et n'imagine pas même que l'on puisse aller plus loin. Ce n'est que long-temps après qu'il s'avise de soupçonner que ces trois opérations, juger, parler, et vouloir, ont une source commune ; que, pour les bien diriger, il ne faut pas s'arrêter à leurs résultats, mais remonter à leur origine ; qu'en examinant avec soin cette origine, il y trouvera aussi les principes de l'édu- cation et de la législation; et que ce centre unique de toutes les vérités est la connaissance de ses facultés intellec- tuelles.

Locke est, je crois, le premier des hommes qui ait tenté d'observer et de décrire l'intelligence humaine , comme Ton observe et l'on décrit une propriété d'un minéral ou d'un végétal, ou une circonstance remarquable de la vie d'un animal : aussi a-t-il fait de cette étude une partie de la Physique. Ce n'est pas qu'avant lui on n'eût fait beaucoup

XV j PRÉFACE.

d'hypothèses sur ce sujet, qu'on n'eût même dogmatisé avec une grande har- diesse sur la nature de notre ame; mais c'était toujours en vue, non de décou- vrir la source de nos connaissances , leur certitude et leurs limites, mais de déterminer le principe et la fin de toutes choses, de deviner l'origine et la desti- nation du monde. C'est-là l'objet de la Métaphysique. Nous la rangerons au nombre des arts d'imagination des- tinés à nous satisfaire, et non à nous instruire.

Quelques bons esprits ont suivi et continué Locke : Condillac a plus qu'au- cun autre accru le nombre de leurs ob- servations, et il a réellement créé l'Idéo- logie. Mais, malgré l'excellence de sa méthode et la sûreté de son jugement, il ne paraît pas avoir été exempt d'er- reurs. C'est sur-tout dans cette science que l'on éprouve, ce que- nous aurons lieu d'observer dans la suite, que nos

PRÉFACE» XVij

perceptions purement intellectuelles sont bien fugitives , et que moins l'ob- jet de nos recherches nous ramène sou- vent au témoignage direct de nos sens , plus nous sommes sujets à nous mé- prendre et à nous égarer. D'ailleurs les ouvrages théoriques de Condillac ne sont presque que des morceaux déta- chés, des monumens de ses recherches. Il s'est pressé d'appliquer ses décou- vertes aux arts de parler, de raisonner, d'enseigner : mais il ne s'est point oc- cupé de les réunir, et ne nous a donné nulle part un corps de doctrine complet qui puisse servir de texte aux leçons d'un cours.

Je me suis proposé d'y suppléer. J'ai essayé de faire une description exacte et circonstanciée de nos facultés intel- lectuelles, de leurs principaux phéno- mènes, et de leurs circonstances les plus remarquables, en un mot de véritables

élémens d'Idéologie; et sans m'arrêter

b

XViij PRÉFACE.

aux difficultés de l'entreprise, je n'ai en- visagé que son utilité. Je n'ignore pas cependant que, même dans les sciences les plus avancées et les plus connues, les livres élémentaires sont de tous les plus difficiles à faire. Dans un ouvrage de recherches, pourvu que l'on dise des vérités, on a rempli son but. Dans des élémenscela ne suffit pas : il faut encore disposer ces vérités dans un ordre con- venable, n'oublier aucune de celles qui sont essentielles, écarter toutes celles qui sont surabondantes, faire que toutes s'enchaînent et s'appuient réciproque- ment; enfin, les présenter assez claire- ment pour qu'elles soient entendues par les personnes les moins instruites; et certes c'est-là une assez grande tâche à remplir. Les difficultés sont bien plus grandes encore quand on traite une science comme celle-ci, qui n'a pas été suffisamment cultivée. Souvent, en ren- dant compte d'un fait, on s'aperçoit qu'il

PREFACE. XIX

exige de nouvelles observations, et, mieux examiné, il se présente sous un tout autre aspect : d'autres fois , ce sont les principes eux-mêmes qui sont à re- faire, ou, pour les lier entr'eux, il y a beaucoup de lacunes à remplir ; en un mot, il ne s'agit pas seulement d'expo- ser la vérité, mais de la découvrir. C'est ce que j'ai tâché de faire, sans me flatter d'y avoir toujours réussi.

Cependant il est arrivé de premiè- rement, qu'il y a dans cet écrit beaucoup plus d'idées nouvelles que je n'aurais voulu; je désirerais bien que toutes celles qui m'ont paru justes fussent an- ciennes, je serais bien plus sûr de ne m'ètre pas trompé, et j'aurais bien plus d'espérance de les voir accueillies : secon- dement, que n'ayant pas toujours à énoncer des vérités déjà connues , j'ai souvent été obligé de quitter le ton de la narration pour prendre celui de la dis- cussion, et de donner à certains prin-

b. .

SX PREFACE.

cipes un développement proportionna non pas à leur importance ou à leur difficulté réelle, mais à la crainte de les voir combattus et repoussés, ce qui né- cessairement nuit à l'effet de l'ensemble: troisièmement, qu'assuré de trouver des préventions dans l'esprit de mes lecteurs , j'ai quelquefois été obligé d'aller au-devant, et, pour cela, de dé- ranger l'ordre naturel des idées. Car, quoique Condillac soutienne avec rai- son qu'un auteur doit énoncer claire- ment sa pensée, ne dire que ce qui est nécessaire pour la prouver, et n'avoir aucun égard aux préjugés dominans, et qu'il viendra un temps on ne lui re- prochera pas d'avoir bien écrit, il est pourtant vrai qu'on ne peut pas tou- jours construire, sans auparavant né- toyer le terrain : peut-être même ai-je trop négligé cette précaution; du moins est-il sûr que je l'aurais prise plus sou- vent, si je ne m'étais pas décidé à écrire

PREFACE. XX j

principalement pour les jeunes gens, que je crois encore en général les meil- leurs juges en ces matières.

Cet état de la science est encore cause que, pour bien éclaircir une difficulté, j'ai quelquefois été obligé de suivre une idée plus loin qu'il n'aurait été conve- nable dans des élémens; et cela m'a en- gagé dans des considérations qui paraî- tront trop fines et trop étendues pour les jeunes gens à qui je m'adresse. Au reste, je regarde ce dernier inconvénient comme plus apparent que réel ; car, je le répète, je crois les jeunes gens en gé- néral très-capables de comprendre ces matières, et beaucoup plus disposés à les saisir sous leur vrai jour que bien des hommes instruits qui ont des opi- nions toutes faites, et des habitudes acquises.

De tout cela il résulte que je ne peux pas avoir fait de bons élémens d'Idéolo- gie. Quand je considère à quel degré de

XXlj PREFACE.

perfection sont parvenues les sciences mathématiques , combien il existe de livres élémentaires dans cette partie , et que j'entends tous les jours se plaindre qu'il n'y en a aucun qui satisfasse plei- nement les connaisseurs, je ne saurais me flatter d'avoir atteint ce but dès le premier coup dans la science que j'ai traitée. Mais il fallait bien commencer par quelque chose. Mon ouvrage est une ébauche à perfectionner, un cadre que l'on peut étendre et resserrer, ou même remplir différemment, enfin un point de départ pour ceux qui courront la même carrière à l'avenir : c'est comme tel que je le présente au public. Tout ce que j'en espère, c'est que ceux qui écriront après moi se croiront obligés de me discuter; ce qui fera que bientôt ils auront une langue commune, au moyen de laquelle on pourra les entendre tous; tandis que jusqu'à présent chaque au-

PREFACE. Xxiij

leur a la sienne, qui n'est bien familière qu'à lui.

J'avais encore un autre motif quand j'ai commencé à écrire ce petit Traité. Je voyais que les auteurs de la loi du 5 brumaire an 4, qui ontrendu àlaFrance une instruction publique dès qu'ils lui ont eu donné une constitution , avaient établi une chaire de grammaire générale dans chaque école centrale : je compre- nais par qu'ils avaient senti que toutes les langues ont des règles communes qui dérivent de la nature de nos facul- tés intellectuelles, et d'où découlent les principes du raisonnement ; qu'ils pen- saient qu'il faut avoir envisagé ces règles sous le triple rapport de la formation , de l'expression, et de la déduction des idées , pour connaître réellement la marche de l'intelligence humaine, et que cette connaissance non-seulement est nécessaire à l'étude des langues , mais encore est la seule base solide des

Xxiv PREFACE.

sciences morales et politiques dont ils voulaient avec raison que tous les ci- toyens eussent des idées saines, sinon profondes; qu'en conséquence leur in- tention était que, sous ce nom de gram- maire générale, on fit réellement un cours d'idéologie, de grammaire, et de logique, qui, en enseignant la philoso- phie du langage, servît d'introduction au cours de morale privée et publique. Mais la loi ne pouvait ni ne devait en- trer dans ces détails. Les règlemens d'exécution n'étaient point faits; et je croyais que la plupart des citoyens ne savaient pas ce que l'on voulait faire ap- prendre à leurs enfans, que beaucoup de professeurs mêmes ne se faisaient pas une idée complète de l'enseignement qu'on attendait de leur zèle. D'ailleurs, quand ils l'auraient vu nettement, ils n'avaient aucun livre qui pût leur servir constamment de guide. Je crus donc que je ferais une chose utile de leur of-

PRÉFACE. XXV

frir un texte à commenter, un canevas à remplir ; et je ne doutais pas que bien- tôt, par l'effet même de leurs leçons, les cahiers de plusieurs d'entr'eux ne de- vinssent d'excellens traités, aussi utiles à l'avancement de la science qu'à son enseignement.

Sur ce point je pourrais bien m'être trompé : car je vois qu'à la fureur de tout détruire a succédé la manie de ne rien laisser s'établir, et que, sous pré- texte de haïr les écarts de la révolution, on déclare la guerre à tout ce qu'elle a produit de bon : c'est une mode qui a remplacé nos anciens beaux airs. Autre- fois on ne parlait que de réformes , de changemens nécessaires dans l'éduca- tion; aujourd'hui on voudrait la voir comme du temps de Charleinagne : on ridiculisait l'expérience sous le nom de routine; actuellement on croit donner une haute idée de ses connaissances pra- tiques en affectant du mépris pour les

XXVJ PREFACE.

théories qu'on ignore : on soutient gra- vement que pour bien raisonner il n'est pas nécessaire de connaître ses facultés intellectuelles, et que l'homme en so- ciété n'a nul besoin d'étudier les prin- cipes de l'art social. Il semble que ce soit déjà un usage gothique parmi nous, que celui de cultiver sa raison ,- et de l'affranchir du joug des préjugés. C'est ainsi que l'on a vu des hommes, nova- teurs effrénés, coiffés d'un bonnet rouge, accuser les philosophes d'être des réfor- mateurs timides, et des amis froids du bien de l'humanité, qui maintenant les accusent d'avoir tout bouleversé , et en conséquence travaillent sans relâche à renverser encore les institutions utiles que ces mêmes philosophes sont parve- nus à conserver ou à établir au milieu des murmures et des proscriptions ;

Et des petits péchés commis dans leur jeune âge , Vont faire pénitence en opprimant un sage -,

constans dans ce seul point de toujours

PREFACE. XXVij

persécuter. Cependant j'espère que la sagesse du gouvernement mettra un terme à cette fureur hypocrite ; qu'il dira aux fous qu'il veut bien les laisser jeter des pierres aux gens raisonnables, mais qu'il ne veut pas qu'ils les assom- ment (1), et même que son exemple leur persuadera qu'ils ne doivent pas comp- ter long-temps sur les applaudissemens des spectateurs. Je suis très-convaincu que cela arrivera, et je m'en réjouirai dans ma solitude. Mais comme, au mi- lieu de cette nouvelle lutte, on peut être quelques années sans s'occuper de la science que je traite, et par conséquent de mon ouvrage , il est possible que , quand on le lira, la manie actuelle soit déjà oubliée : c'est pourquoi j'ai voulu en faire mention ici, afin que l'on se rap-

(1) Voyez la fable de La Fontaine, un Fou et un Sage.

C'est fort bien fait à toi ; recois cet e'cu-ci^ Tu fatigues assez pour gagner davantage.

XXVilj PREFACE.

pelle un jour qu'elle a beaucoup retar- dé les progrès de nos études , sans toute- fois refroidir notre zèle, ni altérer notre tranquillité.

J'ai donc continué mon travail, ayant sur-tout en vue les écoles publiques, et particulièrement les écoles centrales. Je crois même qu'eu égard à l'état de la science e taux nombreuses imperfections que je n'ai pu faire disparaître de mon ouvrage, il a besoin, pour être vrai- ment utile, d'être présenté, commenté, peut-être même corrigé, par un habile professeur : car, quoi qu'on en dise, moins u%e science est avancée, moins elle a été bien traitée, et plus elle a besoin d'être enseignée. C'est ce qui me fait beaucoup désirer qu'on ne renonce pas en France à l'enseignement des sciences idéologiques, morales, et poli- tiques, qui, après tout, sont des sciences comme les autres , à la différence près que ceux qui ne les ont point étudiées

PREFACE. Xxix

sont persuadés de si bonne fois de les savoir, qu'ils se croient en état d'en décider (1). Néanmoins je ne renonce pas à l'espérance qu'un bon esprit sans prévention puisse me lire avec fruit, même sans secours étranger. Dans ce cas, je le prie seulement de ne pas s'ar- rêter au premier endroit qu'il ne goû- tera pas , mais d'aller jusqu'au bout avant de me condamner, parce qu'il trouvera souvent plus loin des déve- loppemens subséquens qui éclairciront les difficultés antérieures. Avec cette précaution, je me flatte qu'on me com- prendra assez pour que je sois approuvé, si j'ai raison, ou réfuté en connaissance de cause, si j'ai tort. Ce dernier succès ne paraît pas très-flatteur à obtenir : cependant il est réservé à ceux qui s'ex-

(1) Effectivement tous les hommes les savent plus ou moins, comme ils savent assez de mécanisme pour s'appuyer sur une canne, et assez de physique pour souffler le feu.

XXX PREFACE.

priment avec une précision rigoureuse ; et ce genre de mérite met bien sur le chemin de trouver la vérité.

Il me reste à me justifier de publier la première partie de ces élémens sans la deuxième et la troisième. Sans doute il eût mieux valu ne les pas séparer ; et je regrette vivement de n'avoir pas pu les donner ensemble, parce que je suis très-persuadé que les dernières parties eussent jeté beaucoup de jour sur la première, et donné beaucoup d'appui à ma manière de voir. Cependant je prie le lecteur d'observer que cette partie que je lui soumets en ce moment renferme à proprement parler toute la théorie, et que j'ai voulu pressentir son jugement sur les principes avant de me livrer aux applications. Si j'étais assez. heureux pour recueillir de bonnes cri- tiques, et que ma manière d'analyser la pensée dût être réformée, nécessai- rement ma Grammaire et ma Logique

PRÉFACE. XXX j

en seraient modifiées, et par se trou- veraient tout de suite plus dignes de l'approbation des connaisseurs. C'est-là ce qui m'a décidé; car la perfection est loin de nous : tout ce que je souhaite est de mériter que l'on dise que j'ai fait un peu de bien. Si j'en étais sûr, je me vanterais des excellens conseils que j'ai reçus de plusieurs hommes éclairés avec qui je suis intimement lié, et je dédierais cet ouvrage à un véritable ami à qui je suis particulièrement redevable de ce qu'il peut y avoir de bon dans ce que j'ai écrit. Mais je me refuserai ce plaisir, jusqu'à ce que le public m'ait jugé, ne voulant point associer des noms respectables à un mauvais succès. Je pense que l'on ne devrait jamais mettre d'épître dédicatoire à une première édition.

Peut-être en approuvant ma discré- tion, jugera-t-on qu'au moins j'aurais du citer les auteurs dont je me suis

XXXlj PREFACE.

quelquefois approprié les idées. J'avoue que si je ne l'ai pas fait, c'est que le plus souvent je ne me suis pas rappelé à qui j'étais redevable. Je déclare une fois pour toutes qu'il y a dans cet écrit beau- coup de choses qui ne sont pas de moi ; et je répète que je voudrais bien qu'il en fût de même du reste, et que le tout ne fût qu'un recueil de vérités déjà con- nues et convenues : je m'occuperais avec bien plus de confiance et de plaisir à en tirer des conséquences et à en faire des applications.

ELEME1NS

ÉLEMENS

D'IDÉOLOGIE.

IDÉOLOGIE

PROPREMENT DITE.

INTRODUCTION.

J eunes gens, c'est à vous que je m'adresse; c'est pour vous seuls que j'écris. Je ne pré- tends point donner des leçons à ceux qui savent déjà beaucoup de choses, et les savent bien : je leur demanderai des lumières au lieu de leur en offrir. Et quant à ceux qui savent mal, c'est-à-dire qui, ayant un très- grand nombre de connaissances, en ont tiré de faux résultats dont ils se croient très-sûrs, et auxquels ils sont attachés par une longue habitude, je suis encore plus éloigné de leur présenter mes idées j car, comme Ta dit un

A

2 IDEOLOGIE.

des plus grands philosophes modernes (i)r « Quand les hommes ont une fois acquiescé y> à des opinions fausses, et qu'ils les ont y) authentiquement enregistrées dans leurs y> esprits, il est tout aussi impossible de » leur parler intelligiblement que d'écrire )) lisiblement sur un papier déjà brouillé y> d'écriture. »

Rien n'est plus juste que cette observa- lion de Hobbes. Peut-être verrons- nous bientôt ensemble la raison de ce fait ; mais, en attendant, vous pouvez le tenir pour très- certain. Je serais même fort surpris si votre petite expérience personnelle , quel- que peu étendue qu'elle soit, ne vous en avait pas déjà offert la preuve. En tout cas, la première fois qu'il arrivera à un de vos camarades de s'attacher obstinément à une idée quelconque qui paraîtra évidemment absurde à tous les autres , observez-le avec soin, et vous verrez qu'il est dans une dispo- sition d'esprit telle, qu'il lui est impossible de comprendre les raisons qui vous semblent les plus claires; c'est que les mêmes idées

(i) Hobbes, Traité de la Nature humaine, tra- duction du baron d'Holbach.

INTRODUCTION. 3

se sont arrangées d'avance dans sa tête dans un tout autre ordre que dans la vôtre, et qu'elLes tiennent à une infinité d'autres idées qu'il faudrait déranger avant de rectifier celles-là. Dans une autre occasion vous lui. donnerez peut-être sa revanche. Eh bien, mes amis, c'est de la même manière et par les mêmes causes que l'on s'attache à un faux système de philosophie et à une fausse combinaison dans un jeu d'enfans.

C'est pour vous préserver de l'un et de l'autre que je veux, dans cet écrit, non pas vous1 enseigner, mais vous faire remarquer tout ce qui se passe en vous quand vous pensez, parlez, et raisonnez. Avoir des idées, les exprimer, les combiner, sont trois cho- ses différentes, mais étroitement liées entre elles. Dans la moindre phrase, ces trois opé- rations se trouvent ; elle sont si mêlées, elles s'exécutent si rapidement, elles se renou- yellent tant de fois dans un jour, dans une. heure, dans un moment, qu'il paraît d'abord fort difficile de débrouiller comment cela se passe en nous. Cependant, vous verrez bientôt que ce mécanisme n'est point si compliqué que vous le croyez peut-être. Pour y voir clair, il suffit de l'examiner en

A 2

4 ÏJ3ÉOLOGÎE.

détail- et déjà vous sentez qu'il est néces- saire de le connaître pour être sûr de se faire des idées vraies, de les exprimer avec exactitude, et de les combiner avec jus- tesse; trois conditions sans lesquelles on ne raisonne pourtant qu'au hasard. Étudions donc ensemble notre intelligence, et que je sois seulement votre guide; non parce que j'ai déjà pensé plus que vous , car cela pour- rait bien ne m'avoir servi de rien, mais parce que j'ai beaucoup observé comment l'on pense, et que c'est cela qu'il s'agit de vous faire voir.

On donne difïërens noms à la science dont nous allons parler; mais quand nous serons un peu plus avancés, et que vous au- rez une idée nette du sujet, vous verrez bien clairement quel nom on doit lui donner. Jusque-là tous ceux que je vous suggérerais ne vous apprendraient rien, ou peut-être même vous égareraient, en vous indiquant des choses dont il ne sera point question ici. Étudions donc, et nous trouverons en- suite comment s'appelle ce que nous aurons appris (1).

(i) Cette science peut s'appeler Idéologie, si l'on

INTRODUCTION. 5

Bien des gens croient qu'à votre âge on n'est pas capables de l'étude à laquelle je veux vous engager. C'est une erreur; et, pour le prouver, je pourrais me contenter de vous citer mon expérience personnelle , et de vous dire que j'ai souvent exposé à des en- fans aussi jeunes qu'aucun de vous, et qui n'avaient rien de remarquable pour l'intel- ligence, toutes les idées dont je vais vous entretenir, et qu'ils les ont saisies avec fa- cilité et avec plaisir; mais je vous dois quel- ques explications de plus; elles ne seront pas inutiles par la suite

Premièrement, il n'est pas douteux que nos forces intellectuelles , comme nos forces physiques, s'accroissent et augmentent avec le développement de nos organes; ainsi, dans quelques années, vous serez certainement

ne fait attention qu'au sujet; Grammaire générale, si l'on n'a égard qu'au moyen, et Logique , si l'on ne considère que le but. Quelque nom qu'on lui donne, elle renferme nécessairement ces trois parties ', car on ne peut en traiter une raisonnablement sans traiter les deux "autres. Idéologie me paraît le terme générique, parce que la science des idées renferme celle de leur expression et celle de leur déduction. C'est en même- temps le nom spécifique de la première partie»

6 IDÉOLOGIE.

susceptibles d'une attention plus forte et plus longue qu'aujourd'hui, comme vous serez capables de remuer et de soutenir des fardeaux plus lourds.

Secondement, il est tout aussi sur que certaines facultés se développent avant d'au- tres; et que, comme la souplesse du corps précède sa plus grande vigueur, de même la faculté de recevoir des impressions et celle de se les rappeler se manifestent avant la force nécessaire pour bien juger et combiner ces sensations et ces souvenirs; c'est-à-dire que la sensibilité et la mémoire précèdent l'action énergique du jugement.

Un autre vérité d'observation constante , c'est que toutes ces facultés physiques ou intellectuelles languissent dans l'inaction , se fortifient par l'exercice, et s'énervent quand on en abuse.

Yoilà les faits : c'est toujours d'eux que nous devons partir; car ce sont eux seuls qui nous instruisent de ce qui est ; les vérités les plus abstraites ne sont que des consé- quences de l'observation des faits. Mais que conclure de ceux-ci? rien autre chose, si ce n'est que, dans tous les genres, il faut exercer vos forces et ne pas les excéder;

INTRODUCTION. 7

qu'actuellement vos leçons doivent être courtes et répétées, et que, dans quelque temps, vous ferez en un mois ce que vous ne faites à cette heure qu'en deux. Mais cela s'applique-t-il plus particulièrement à l'étude qui nous occupe qu'à une autre? cela doit-il la faire écarter plus que toute autre? Non assurément.

En effet, tout jeunes que vous êtes, on vous a déjà donné des notions élémentaires de physique et d'histoire naturelle; on vous a fait connaître les principales espèces de corps qui composent cet univers ; on vous a donné une idée de leurs combinaisons, de leur arrangement, des mouvemens des corps célestes, de la végétation, de l'orga- nisation des animaux ; et on a bien fait de vous mettre tant d'objets divers sous les yeux, quoique vous ne soyez pas en état de les approfondir ; cela vous a toujours fourni des idées préliminaires et des sujets de réflexion. Dans tout cela, il est vrai, beaucoup de choses ont frappé vos sens et réveillé votre attention; votre mémoire, sur-tout, a été exercée; cependant votre jugement n'est pas demeuré inactif, car, sans son secours, vous seriez restés dans un

8 IDÉOLOGIE.

véritable état d'idiotisme ; vous n'auriez rien compris à tout ce qu'on vous a dit.

Ce n'est pas tout; on vous a aussi donné quelques leçons de calcul; vous savez les principes fondamentaux de la numération ; cependant il n'y a presque rien à voir, très-peu à retenir de mémoire , presque tout est raisonnement; vous l'avez compris pour- tant : ce que nous avons à dire n'est pas plus difficile.

Il y a plus ; vous avez déjà commencé l'étude du latin; on vous a enseigné quel- ques élémens de grammaire; on vous a expliqué la valeur des mots , leurs relations, le rôle qu'ils jouent dans le discours ; on vous a parlé de substantifs, d'adjectifs, du verbe simple et des verbes composés; vous n'avez pas pu apprendre l'emploi de ces signes sans connaître l'usage des idées qu'ils représente; ou vous n'avez rien compris du tout à tout cela, ou vous savez déjà, au moins confusément, une grande partie de tout ce qui va nous occuper; et, si je ne me trompe beaucoup, la manière dont nous allons reprendre toutes ces matières vous les fera paraître beaucoup plus claires, d'au- tant que ce que nous en dirons ne sera pas

INTRODUCTION. 9

embrouille par les mots d'une langue qui ne vous est pas encore familière.

Enfin, quand vous n'auriez jamais en- tendu parler ni de physique, ni de calcul, ni de latin; quand, de votre vie, vous n'au- riez reçu aucune leçon expresse; quand vous ne sauriez pas lire; quand vous n'au- riez appris qu'à parler, croyez -vous que vous y fussiez parvenus sans faire un grand usage de votre jugement ? Vous n'avez peut- être jamais pris garde à la multitude de choses qu'il faut qu'un enfant étudie pour apprendre à parler; combien il faut qu'il fasse d'observations et de réflexions pour connaître et démêler tous les objets qui l'en- vironnent; pour remarquer et distinguer les voix et les articulations que prononcent ceux qui l'entourent; pour s'apercevoir que de ces paroles les unes s'appliquent aux objets et les désignent, les autres expriment ce qu'on en pense et ce qu'on en veut faire ; pour parvenir lui-même à répéter ces pa- roles et en faire une application juste , et en- fin pour reconnaître la manière de les varier et de les lier entr'ellcs de façon qu'elles deviennent le tableau fidèle de sa pensée. Pesez un peu toutes ces difficultés, et vous

ÎO IDEOLOGIE.

verrez que ce n'est pas sans beaucoup de méditations et de raisonnemens qu'on par- vient à surmonter tant d'obstacles. Aussi, observez un enfant quand il vient de réussir à distinguer les parties d'un objet qu'il ne connaissait pas, à entendre quelque chose qu'on lui dit et qu'il ne comprenait pas, à faire comprendre son idée qu'on ne saisis- sait pas ; voyez comme il est content, quelle joie vive il manifeste; celle d'un savant qui vient de faire une découverte n'est ni plus grande, ni mieux fondée; elle est absolu- ment du même genre, elle naît des mêmes motifs, son succès est du à des efforts tout pareils. Je vous disais, tout à l'heure, que c'est par les mêmes causes que l'on se trompe dans les jeux et dans les sciences ; eh bien ! c'est par les mêmes procédés qu'on apprend à parler, et qu'on découvre ou les lois du système du monde, ou celles des opérations de l'esprit humain, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus sublime dans nos connaissances. .

Mes amis, plus vous aurez d'expérience , plus vous aurez réfléchi, et plus vous serez convaincus qu'en aucun temps de votre vie vous n'avez acquis autant de connaissances

INTRODUCTION. 11

réelles, vous n'avez fait des progrès aussi rapides, que dans les trois ou quatre pre- mières années de votre existence. Ce n'est pas que, comme je l'ai dit, vous ne soyez devenus dans la suite capables d'un juge- ment plus ferme, d'une attention plus sou- tenue; mais c'est que jamais vous n'aurez été aussi constamment occupés d'appren- dre (1). Le plaisir presque unique de la pre- mière enfance est de faire des découvertes; et, dans le reste de la vie, on ne se borne que trop souvent à jouir, tant bien que mal, des choses que l'on connaît à peu près. Ce qui met le plus de différence entre les de- grés de lumières et de talens auxquels par- viennent les hommes, c'est de conserver plus ou moins long-temps, plus ou moins vivement ce premier penchant à l'investi- gation, à la recherche des vérilés quelles qu'elles soient.

(i) On peut ajouter : et jamais vous n'aurez suivi une aussi bonne méthode. L'enfant part des impres- sions qu'il reçoit, et il n'en infère que ce qu'elles pa- raissent lui montrer. Il peut être par inexpérience trop prompt à conclure ; mais du moins il est préservé, par son ignorance même, de la folie de vouloir rien de- viner à priori et par la vertu d'une maxime générale composée d'avance.

12 IDEOLOGIE.

En voulez-vous un exemple? Les exemples rendent les vérités plus sensibles. Vous ai- mez sûrement bien les chevaux : qu'on vous en donne un, et qu'on vous laisse libres; vous courrez dessus des journées entières sans vous embarrasser de savoir ni com- ment il vit, ni comment il meurt , ni com- ment il broie ses alimens, ni ce qu'ils de- viennent , ni quelle est sa structure interne ; sans peut - être seulement remarquer en quoi consiste la différence de ses mouve- mens au pas, au trot et au galop. Ce que vous ferez, emportés par l'attrait du plaisir, un homme plus âgé le fera dominé par ses affaires, ou par l'appât du gain. Combien de gens mènent des chevaux toute leur vie sans faire autant de réflexions peut-être pour les conduire que le cheval pour leur obéir ! Au contraire , donnez un cheval de carton à un enfant : soyez assuré qu'à l'ins- tant même il le tourne et retourne de tous les sens ; il l'examine autant qu'il est en lui; bientôt il va l'éventrer pour voir ce qu'il y a dedans : s'il le traîne , il le regarde à chaque, instant; il veut deviner comment cela se fait : vous voyez souvent à son pe- tit a:r pensif qu'il est bien moins occupé de

INTRODUCTION. l5

l'effet, que de la manière dont il se produit; son plaisir est de chercher; sa vraie passion est la curiosité; et cet utile sentiment serait encore bien plus permanent en lui, si sou vent on ne l'en distrayait pas très-mal- adroitement, et bien plus fructueux, si de bonne heure on ne lui faisait pas abandonner sa logique naturelle pour de faux principes. Mais revenons.

Vous voyez donc que vous êtes très-ca- pables de réflexion et de jugement, pourvu que la recherche vous plaise, et ne dure pas trop long-temps. Si vous avez cru le contraire, c'est une erreur dont il faut vous désabuser.

il est encore une chose qu'il faut que vous sachiez, et dont vous verrez bien des preuves par la suite : c'est que l'esprit hu- main marche toujours pas à pas; ses progrès sont graduels; ensorte que nulle vérité n'est plus difficile à comprendre qu'une autre, quand on sait bien tout ce qui est avant. Il n'y a d'inintelligible pour nous que ce qui est trop loin de ce que nous savons déjà ; mais il n'y a pas plus de distance entre la vérité la plus sublime des sciences et celle qui la précède immédiatement, qu'entre

l4 IDEOLOGIE*

l'idée la plus simple et celle qui la suit, comme dans les nombres il n'y a pas plus loin de 9g à 100 que de 1 à 1. La série de nos jugemens est une longue chaîne dont tous les anneaux sont égaux. Il n'y a donc pas de science qui soit par elle-même plus obscure qu'aucune autre : tout dépend de l'ordre que l'on sait y mettre pour éviter les trop grandes enjambées, si je puis m'ex- primer ainsi : trouver cet ordre, quand il n'est pas encore connu , c'est-là le propre du talent, et ce talent est le même qui fait trouver des vérités nouvelles. Nous ver- rons quelque jour en quoi il consiste ; car le bien connaître est le moyen de l'acquérir, et de se préserver de croire que le génie qui invente marche au hasard.

Pour ne pas outrer ce que je viens de dire sur l'enchaînement des vérités, il faut cependant observer qu'il y a tel raisonne- ment où la série de nos jugemens est si longue, qu'il faut une attention peu com- mune pour la suivre toute entière, et qu'il y en a tel autre formé de vérités qui tiennent à tant d'autres , que même , en les connais- sant bien, il faut une force de tête au-dessus de l'ordinaire pour ne pas perdre de vue

INTRODUCTION. 1 5

aucun des élémens qui les composent, ce qui est cependant nécessaire pour n'en pas tirer de fausses conséquences : mais vous ne trouverez rien de tel dans tout ce que nous avons à dire. Nous ne nous proposons que d'examiner avec soin ce que nous fai- sons quand nous pensons, et d'en conclure ce que nous devons faire pour penser avec justesse. Là, les faits sont en nous , les ré- sultats tout près de nous , et le tout est si clair, que nous aurons peine à comprendre comment tant de gens l'ont si fort embrouillé en y supposant ce qui n'y est pas, et y cherchant ce que nous n'y pouvons trou- ver. Ne vous effrayez donc point de cette entreprise, aussi utile que facile, et qui, j'en suis sûr , vous causera plus de plaisir que de fatigue.

Mais, en terminant ces réflexions préli- minaires, je dois encore vous rappeler que celui d'entre vous qui a l'esprit le moins exercé, a pourtant déjà une foule immense d'idées , qu'il en a porté des millions de juge- mens , et qu'il en est résulté une quantité pro- digieuse de connaissances : tout cela est tel- lement innombrable, dans toute la force du terme, qu'assurément il n'y a aucun de

l6 IDÉOLOGIE.

vous qui pût faire rémunération complète de toutes les idées qu'il a conçues, de tous les jugemens qu'il a portés, et de toutes les combinaisons qu'il en a faites ; et dans tout cela vous sentez bien qu'il doit s'être glissé déjà un grand nombre d'erreurs; à la vé- rité elles ont du moins un avantage , c'est qu'elles n'ont pas encore ce caractère de fixité qu'elles acquièrent avec le temps. Néanmoins vous êtes bien loin, pour me servir de l'expression de Hobbes , d'être semblables à des feuilles de papier blanc sur lesquelles on puisse écrire commodé- ment et sans précaution. Il faut partir de l'état vous êtes ; il faut profiter du che~ min que vous avez déjà parcouru; il faut vous mettre en garde contre les fausses routes dans lesquelles vous pouvez être entrés: c'est ce que je crois avoir fait dans ce préambule. En le lisant, bien des gens penseront peut-être que moi, qui vous promettais tout à l'heure de vous enseigner par la suite l'art que l'on nomme méthode, c'est-à-dire l'art de disposer ses idées dans l'ordre le plus propre à trouver la vérité et à l'ensei- gner, j'ai commencé par manquer moi- même aux règles de cet art, en vous par- lant

INTRODUCTION. 1 j

tant de beaucoup de choses dont je ne vous fri point encore donné de notions exactes, en me servant, pour vous en parler, de beaucoup de ternies dont la signification précise n'est pas encore convenue entre nous. Us croiront que j'aurais débuter par vous expliquer magistralement ce que c'est que faculté , pensée , intelligence , sen- sation, souvenir, idée, attention, réflexion, jugement , raisonnement, combinaison , etc.; et par vous donner des définitions positives de tous les termes scientifiques que j'ai déjà employés et que j'emploierai à l'avenir, et ils seront persuadés que de cette manière j'aurais été beaucoup plus clair.

Effectivement, si je m'y étais pris ainsi, peut-être y auriez-vous été trompés vous-- mêmes; peut-être auriez-vous cru dès l'a- bord me comprendre parfaitement, quoique dans le vrai il n'en fut rien. Arous n'êtes pas encore assez avancés pour que je puisse vous faire bien voir d'où vous serait venue cette confiance trompeuse; mais une preuve qu'elle n'eut été qu'une illusion , c'est que quand vous saurez bien ce que c'est que toutes ces choses que nous venons de nom- mer, quand par conséquent vous aurez une

B

l8 IDEOLOGIE.

idée bien nette et bien juste de la significa-» tion des mots qui les expriment, je n'aurai plus rien à vous dire, vous saurez la science qui nous occupe. Or, il est bien évident que c'est ce que je ne pouvais pas opérer dans un petit nombre de paragraphes. Je n'au- rais donc fait, avec toutes mes définitions, que prendre des mots qui n'ont encore pour vous qu'un sens assez vague, et, sans vous donner aucune nouvelle lumière, les rem- placer par d'autres mots nécessairement tout aussi vagues que les premiers. C'est ainsi que l'on s'éblouit, mais ce n'est point ainsi qu'on s'éclaire.

Il n'y a peut-être pas un des termes que je viens de citer, dont vous ne vous soyez déjà servis mille et mille fois. Ils ont donc pour vous un sens quelconque j j'ai donc pu m'en servir en vous parlant, tout comme j'ai fait de termes plus usuels, que vous em- ployez encore plus souvent , quoique cer- tainement vous n'en sentiez pas toujours toutes les nuances. J'ai seulement ne pas faire de ces mots un usage trop fin que vous n'auriez pas compris j car ces termes scien- tifiques ne réveillent pas en vous à beaucoup près autant d'idées qu'en moi, et la signifi-

INTRODUCTION. 1$

cation que vous leur attachez est confuse et indéterminée. Mais à mesure que je vous expliquerai les choses qu'ils expriment, cette signification deviendra et plus claire, et plus précise, et plus complète ; et quand elle sera exactement la même que celle que je leur donne, nous serons au même point; vous saurez la science que nous étudions , autant que moi, et comme moi; nous au- rons fini. Commençons donc par dégrossir, si je puis m'exprimer ainsi; ensuite nous perfectionnerons successivement et gra- duellement.

En effet, mon objet est de vous faire con- naître en détail ce qui se passe en vous quand vous pensez, parlez, et raisonnez : il faut donc qu'auparavant vous ayez pensé , parlé, et raisonné, sans quoi il vous serait impos- sible de m'entendre. Je parlerais éternelle- ment des couleurs à un aveugle-né, et des sons à un sourd et muet de naissance, qu'ils ne sauraient jamais comprendre de quoi il s'agit. Il faut avoir éprouvé une im- pression quelconque , il faut la connaître déjà un peu pour pouvoir en raisonner : c'est la marche constante de l'esprit humain. Il agit d'abord ? puis il réfléchit sur ce qu'il

B 2

20 IDEOLOGIE.

a fait, et il apprend par à le faire mieux encore. Il prend une première connaissance d'une chose, ensuite il la médite; enfin il la rec- tifie et la perfectionne, et de il va plus loin. Il m'a donc fallu commencer par vous parler de ce que vous savez déjà, de ce que vous avez déjà fait; vous inviter à y réfléchir , et vous faire entrevoir le parti que je prétends en tirer, et le but je veux vous conduire, sans rechercher d'abord une précision et une clarté par- faites. Je n'ignore pas que la première fois que vous lirez ces premières pages, sur-tout si vous lisez seuls et sans guides, vous y trouverez des choses que vous ne compren- drez pas parfaitement : mais ce que vous en aurez saisi suffira pour ce que nous allons dire, et aura excité votre réflexion. Quand nous aurons été plus loin , vous y revien- drez : ce que nous aurons vu aura jeté un nouveau jour sur ce commencement, qui à son tour éclaircira ce que nous verrons après; et ainsi successivement, jusqu'à ce que vos idées soient parfaitement détermi- nées : alors nous pourrons faire des défi- nitions rigoureuses , ou plutôt des descrip-

CHAPITRE I. 21

tions complètes j car ce sont les vraies dé- finitions.

Entrons donc en matière , et commençons par examiner ce que c'est que penser.

CHAPITRE PREMIER.

Qu'est-ce que penser?

Vous pensez tous : vous le dites souvent; aucun de vous n'en doute; c'est pour vous une vérité d'expérience, de sentiment, de conviction intime, et je suis bien loin de la nier. Mais vous êtes-vous jamais rendu un compte un peu précis de ce que c'est que penser, de ce que vous éprouvez quand vous pensez, n'importe à quoi? Je suis bien tenté de croire que non ; et bien des hommes meurent sans l'avoir fait, sans y avoir seu- lement songé. Cette insouciance si com- mune devrait bien nous surprendre, s'il n'était pas vrai qu'il n'y a que les choses rares qui aient le pouvoir de nous éton- ner. Essayons de faire ensemble cet exa- men que je vous soupçonne de n'avoir ja- mais fait.

S3 IDÉOLOGIE,

Vous dites tons, je pense cela, quand vous avez une opinion , quand vous formez un jugement. Effectivement, porter un ju- ment vrai ou faux est un acte de la pensée; et cet acte consiste à sentir qu'il existe un rapport, une relation quelconque, entre deux choses que l'on compare. Quand je pense qu'un homme est bon , je sens que la qualité de bon convient à cet homme. Il ne s'agit pas ici de rechercher si j'ai raison ou tort, ni d'où peut venir mon erreur; nous verrons cela ailleurs... : penser, dans ce cas, c'est donc apercevoir un rapport de conve- nance ou de disconvenance entre deux idées, c'est sentir un rapport.

Vous dites encore, je pense à notre pro- menade d'hier y quand le souvenir de cette promenade vient vous frapper, vous affec- ter : penser, dans ce cas, c'est donc éprou- ver une impression d'une chose passée ; c'est sentir un souvenir.

Quand vous desirez, quand vous voulez quelque chose , vous ne dites pas aussi com- munément, je pense que j'éprouve un de- sir, une volonté. Effectivement, ce serait un pléonasme , une expression inutile : mais il n'en est pas moins vrai que désirer et vou-

CHAPITRE I. 23

loir sont des actes de cette faculté intérieure que nous appelons en général la pensée, et que quand nous desirons ou voulons quelque chose , nous éprouvons une impres- sion interne, que nous appelons un désir ou une volonté : ainsi penser, dans ce cas, c'est sentir un désir.

Vous vous servez encore moins de l'ex- pression, je pense, quand vous ne faites qu'éprouver une impression actuelle et pré- sente, qui n'est ni un souvenir d'une chose passée, ni un rapport existant entre deux idées, ni un désir de posséder ou d'éviter un objet quelconque. Quand un corps chaud vous brûle la main, vous ne dites point, je pense que je me brûle, maisy'e sens que je me brûle, ou mieux encore, tout simple- mentje me brûle. Si vous êtes affectés par quelques douleurs internes , celles de la co- lique, par exemple, vous ne dites point, je pense que je souffre, mais je souffre. Ce- pendant le dérangement mécanique qui s'opère dans votre main ou dans vos en- trailles est une chose distincte et différente de la douleur que vous en ressentez; la preuve en est que si ces organes sont para- lysés ou gangrenés, ils peuvent éprouver

$4; IDÉOLOGIE.

de bien plus fortes lésions sans que voua vous en aperceviez : or, cette faculté d'être affecté de plaisir ou de peine à l'occasion de ce qui arrive à nos organes, fait encore par- tie de ce que nous nommons la pensée ou la faculté de penser. Penser , dans ce cas , c'est donc sentir une sensation, ou tout simplement sentir.

Penser, comme vous voyez , c'est tou- jours sentir, et ce n'est rien que sentir. Maintenant me demanderez-vous ce que c'est que sentir? je vous répondrai : C'est ce que vous savez, ce que vous éprouvez. Si vous ne l'éprouviez pas , ce serait bien inutilement que je m'efforcerais de vous l'expliquer : vous ne m'entendriez ni ne me comprendriez. Mais puisque vous avez la conscience de cette manière d'être , vous n'avez besoin d'aucune explication pour la connaître j il vous suffit de votre expérience. Sentir est un phénomène de notre exis- tence, c'est notre existence elle-même : car un être qui ne sent rien peut bien exister pour les autres êtres, s'ils le sentent ; mais il n'existe pas pour lui-même, puisqu'il ne s'en aperçoit pas.

Vous pourriez avec plus de raison me de-.

CHAPITRE I. 25

mander pourquoi, penser étant la même chose que sentir, on a fait deux mots au lieu d'un ? Je vous dirais que c'est parce que l'on a plus spécialement destiné le mot sen- tir à exprimer l'action de sentir les pre- mières impressions qui nous frappent, celles que l'on nomme sensations; et le mot pen- ser à exprimer l'action de sentir les impres- sions secondaires que celles-là occasion- nent, les souvenirs, les rapports, les de- sirs, dont elles sont l'origine. Ce partage entre ces deux mots est mal vu, sans doute; il n'est fondé que sur les idées fausses qu'on s'était faites de la faculté de penser avant de l'avoir bien observée, et il a ensuite cau- sé d'autres erreurs. Mais malgré l'obscurité que ce mauvais emploi des mots répand sur notre sujet, il est clair, quand on y réfléchit , que penser c'est avoir des perceptions ou des idées; que nos perceptions ou nos idées (je ferai toujours ces deux mots absolument synonymes) sont des choses que nous sen- tons, et que par conséquent penser c'est sentir. Nous avons donc actuellement une connaissance générale de ce que c'est que penser. Il nous reste à jentrer daus les détails.

2$ IDÉOLOGIE.

Encore une fois, puisque penser c'est sentir, si les mots de notre langue étaient bien fails ou bien appliqués , nous devrions appeler cette faculté sensibilité , et ses pro- duits sensations ou sentimens; l'expression rappellerait la chose même ; mais ne pou- vant changer l'usage, nous le suivrons, et nous nommerons cette faculté la pensée, et ses produits des perceptions ou des idées. Nous conserverons de même tous les autres termes reçus; nous nous contente- rons de bien déterminer leur signification.

On vous dira , et peut-être on vous a déjà dit, que le mot idée vient d'un mot grec qui signifie image , et qu'il a été adopté parce que nos idées sont les images des choses. Ce peut bien être effectivement la raison qui a fait créer ce mot, et qui l'a fait re- cevoir dans beaucoup de langues ; mais cette raison n'en est pas meilleure ; car nos idées sont ce que nous sentons; et assurément le sentiment de douleur que je sens, quand je me brûle, n'est pas du tout la représen- tation du changement de couleur ou de figure qui arrive à mon doigt. Nous verrons cela encore mieux par la suite; mais, dès ce moment, gardons-nous de l'erreur coin-

CHAPITRE T. 27

mune de croire que nos idées soient la re- présentation des choses qui les causent.

Quoi qu'il en soit , nous avons déjà re- marqué que nous avions des idées ou per- ceptions de quatre espèces différentes. Je sens que je me brûle actuellement, c'est une sensation que je sens; je me rappelle que je me suis brûlé hier , c'est un souve- nir que je sens ; je juge que c'est un tel corps qui est cause de ma brûlure, c'est un rapport que je sens entre ce corps et ma douleur; je veux éloigner ce corps, c'est un désir que je sens. Voilà quatre sentimens , ou, pour parler le langage ordinaire, quatre idées qui ont des caractères bien distincts. On appelle sensibilité la faculté de sentir des sensations; mémoire, celle de sentir des souvenirs; jugement, celle de sentir des rapports; volonté, celle de sentir des désirs. Ces quatre facultés font certaine- ment partie de celle de penser; mais la cotn- posent- elles toute entière? la faculté de penser n'en renferme-t-elle aucune autre? Quoique j'en sois bien convaincu, je ne me permettrai pas de vous l'affirmer encore ; c'est une question que nous traiterons par la suite. Commençons par considérer ces

28 IDÉOLOGIE.

quatre facultés Fane après l'autre; si de cet examen il résulte qu'elles suffisent à for- mer toutes nos idées, il sera constant qu'il n'y a rien autre chose dans la faculté de penser; qu'elles la composent toute entière.

CHAPITRE IL

De la Sensibilité et des Sensations.

JLa sensibilité est cette faculté, ce pou- voir, cet effet de notre organisation, ou, si vous voulez , cette propriété de notre être en vertu de laquelle nous recevons des im- pressions de beaucoup d'espèces, et nous en avons la conscience.

Chacun de nous ne la connaît par expé- rience qu'en lui-même. Il la reconnaît dans ses semblables à des signes non équivoques, mais sans jamais pouvoir s'assurer au juste du degré de son intensité dans chacund'eux : il faudrait qu'il pût sentir par les organes d'un autre. Elle se montre à nous plus ou moins clairement dans les différentes es- pèces d'animaux, à proportion qu'ils ont plus ou moins de moyens de l'exprimer..

CHAPITRE IL «29

Elle ne se manifeste pas de même dans les végétaux; mais aucun de nous ne pourrait affirmer qu'elle n'y existe pas, ni même dans les minéraux; personne ne peut être cer- tain qu'une plante n'éprouve pas une vraie douleur quand la nourriture lui manque, ou quand on l'ébranche ; ni que les parti- cules d'un acide, que nous voyons toujours disposées à s'unir à celles d'un alkali, n'é- prouvent pas un sentiment agréable dans cette combinaison. Je ne veux point par cette observation vous induire à supposer la sensibilité par tout elle ne paraît pas ; car , en bonne philosophie , il ne faut jamais rien supposer; mais je saisque noussommes dans une ignorance complète à cet égard. Quant aux motif que nous aurions de for- mer une conjecture plutôt qu'une autre sur ce point, ils ne sont pas de mon sujet ; je les passe sous silence.

Si nous ignorons l'énergie et les limites de la sensibilité dans tout ce qui n'est pas nous , du moins nous savons un peu mieux par quels organes elle agit en nous. Je n'en- trerai point ici dans des détails physiolo- giques; on a déjà vous donner une idée générale de notre organisation , et vous en

3o IDÉOLOGIE.

ferez quelque jour une étude plus appro- fondie : il me suffira de vous dire aujourd'hui que mille expériences directes prouvent que c'est principalement par les nerfs que nous sentons. Ces nerfs, dans l'homme, sont des filets d'une substance molle, à peu près de même nature que la pulpe cérébrale; leurs principaux troncs partent du cerveau, dans lequel ils se réunissent et se confondent; de , par une multitude de ramifications et de subdivisions qui s'étendent à l'infini, ils se répandent dans toutes les parties de notre corps , ou ils vont porter la vie et le mouvement.

Nous recevons par les extrémités de ces nerfs , qui se terminent à la surface de notre corps , des impressions de différais genres , suivans les differens organes auxquels ils aboutissent.

Ceux qui tapissent les membranes de l'œil sont susceptibles de certains ébran- lemens qui nous donnent les sensations de la clarté et de l'obscurité , et de leurs dif- férais degrés , celles des couleurs et de toutes leurs nuances : ce qui constitue le sens de la vue.

Ceux qui garnissent l'intérieur de la bou-

CHAPITRE II. 5l

che, la langue, le palais, éprouvent aussi certains mouvemens particuliers qui nous occasionnent les sensations des saveurs : ce qui constitue le sens du goût.

Il en est de même de ceux des oreilles, qui nous font sentir les sons, et de ceux du nez, qui font sentir les odeurs : ce qui compose les sens de l'ouïe et de l'odorat.

Remarquez que ce n'est pas sans raison que je dis que ces quatre genres de nerfs éprouvent des mouvemens quelconques qui leur «ont propres; car, de quelque manière que vous excitiez ceux de l'oreille, ils ne vous donneront jamais les sensations de la vue; ni ceux de l'œil, celles du goût ; etainsi de suite.

11 n'en est pas de même du cinquième sens, que nous appelons le tact. Il paraît être général et commun aux nerfs de toutes les parties de la surface de notre corps; du moins il n'en est aucune qui, dans l'occa- sion, ne nous donne plus ou moins les sen- sations de piqûre, de brûlure , de chaud, de froid, celles qu'excite l'approche d'un corps raboteux, oupoli, ou gluant, ou mouillé, etc.. Les organes mêmes par lesquelles nous re- cevons des sensations particulières, telles

*>2 IDÉOLOGIE.

que les goûts, les sons, les saveurs et les couleurs , sont encore capables de nous donner ces sensations plus générales, qu'on peut appeler tactiles. 11 est vrai que ces sensations générales varient non-seulement d'intensité, mais même de nature, dans les différentes parties de notre corps. La même blessure ne nous fait pas partout le même genre de douleur; un léger frottement ne nous donne pas partout la sensation du frissonnement ou du chatouillement; un lé- ger tiraillement , placé ailleurs que dans le nez, ne nous procurerait pas ce léger spasme qui précède et excite l'éternuement. On pourrait donc , si on les observait avec soin, établir des distinctions entre les sensations tactiles des diverses parties du corps, les localiser jusqu'à un certain point, et parta- ger le sens du tact en plusieurs sens dif- férens; mais cela serait peu utile, et d'une exécution assez difficile, parce que ces nuances ne sont pas très -tranchées, et pas exactement les mêmes dans les divers in- dividus. Cependant cela était bon à obser- ver pour vous faire remarquer, ce dont vous verrez de fréquentes preuves dans toutes vos études , que toutes ces classifi- cations

CHAPITRE If. 33

cations que font les hommes pour mettre de l'ordre dans leurs idées, sont très-impar- faites, et qu'il faut s'en servir parce qu'elles sont commodes , mais ne jamais oublier que toujours elles confondent des choses très- distinctes, ou en séparent qui sont très- analogues entf 'elles.

Quoi qu'il en soit, voilà le tableau assez complet de celles de nos sensations qu'on peut appeler externes, parce que nous les recevons des extrémités de nos nerfs, qui sont à la surface de notre corps. Vous re- marquerez que je n'y ai point compris les perceptions de grandeur, de distance , de figure, de forme, de résistance, de dureté, de mollesse , parce que ce ne sont pas des sensations simples, de purs effets de notre sensibilité ce sont des idées composées dans lesquelles il entre des jugemens; c'est ce que je vous ferai reconnaître quand je vous expliquerai la génération de nos idées com- posées. Continuons.

Assez ordinairement, quand on rend compte des effets de la sensibilité, on se borne aux sensations externes que nous venons d'examiner; souvent même on leur donne exclusivement le nom de sensation.

C

54 IDÉOLOGIE.

Cependant, la colique, la nausée, la faim, la soif, le mal d'estomac, le mal de tête, les étourdissemens, les plaisirs que causent toutes les sécrétions naturelles, les douleurs que produisent leurs dérangemens ou leur suppression sont bien aussi des sensations, quoiqu'elles nous viennent de l'intérieur de notre corps; et, par cette raison, on peut les appeler des sensations internes. Mais à quel sens les rapporterons- nous? Osera-t-on bien dire qu'un éblouissement appartient au sens de la vue, le mal de cœur au sens du goût, ou le mal de reins au sens du toucher? non, sans doute. Nous en parlerons donc sans les rapporter à aucun sens, et il n'y aura pas grand mal. Que cela vous prouve seulement l'insuffisance de nos classifica- tions. Toutefois, vous voyez que tout ébran- lement d'un de nos nerfs, soit qu'il soit l'effet du mouvement vital, soit qu'il soit produit par une cause étrangère, est l'oc- casion d'une sensation, et met en jeu notre sensibilité.

C'est pour cela que toutes les fois que

nous faisons un mouvement quelconque

d'un de nos membres, nous en sommes

avertis, nous le sentons. C'est bien encore

%

riiAPrTRR il. 35

une sensation. Elle n'a point de nom, mais elle était bien essentielle à remarquer. Nous l'appellerons la sensation de mouvement.

Enfin, il y a encore d'autres effets de la sensibilité, auxquels on donne communé- ment plutôt le nom de sentiment que celui1 de sensation, et qui pourtant sont bien des résultats de l'état de nos nerfs, fort ana- logues à tous ceux dont nous venons de Taire mention; telles sont les impressions que nous éprouvons quand nous nous sen- tons fatigués ou dispos, engourdis ou agités, tristes ou gais. Je sais que l'on sera surpris de me voir ranger de pareils états de l'homme parmi les sensations simples, sur-tout les trois dernières, que l'on sera tenté de re- garder plutôt comme des effets très-compli- qués des différentes idées qui nous'occupent, et par conséquent comme des pensées, des sentimens très- composés. Cependant, de même que souvent l'on se sent dans un état d'accablement et de fatigue sans avoir au- paravant exécuté de grands travaux, ou que l'on éprouve un sentiment d'hilarité et de bien-être sans un grand repos préalable , on ne peut nier qu'il arrive aussi que très- eouvent nous ressentons de l'agitation, de*

C a

36 IDÉOLOGIE.

la gaîté ou de la tristesse , sans motif. J'en appelle à l'expérience de tous les hommes , et sur-tout de ceux qui sont délicats et mo- biles. L'état joyeux causé par une bonne nouvelle, ou par quelques verres de vin, n'est-il pas le même? y a-t-il de la différence entre l'agitation de la fièvre et celle de l'in- quiétude? ne confond-on pas aisément la langueur du mal d'estomac et celle de l'af- fliction? Pour moi, je sais qu'il m'est arrivé souvent de ne pouvoir discerner si le sen- timent pénible que j'éprouvais était l'effet des circonstances tristes dans lesquelles j'étais, ou du dérangement actuel de ma digestion. D'ailleurs, lors même que ces sentimens sont l'effet de nos pensées, ils n'en sont pas moins des affections simples, qui ne sont ni des souvenirs, ni des juge- mens,ni des désirs proprement dits. Ce sont donc des produits réels de la pure sensibi- lité, et j'ai du en faire mention ici; en un mot, ce sont de vraies sensations internes comme les précédentes.

Il en est de même de toutes les passions , à la différence que les passions proprement dites renferment toujours un désir. Dans la haine, est le désir de faire de la peine j dans

CHAPITRE II. 5f

l'amitié, le désir de faire plaisir; et ces de- sirs dépendent de la faculté que nous nom- mons volonté. Mais l'état doux ou pénible qu'éprouve l'homme qui aime ou hait un autre homme, est une véritable sensation interne. Je crois que tout ceci est entendu. Voilà donc que nous avons passé en re- vue tous les effets que l'on doit attribuer à la pure sensibilité. Je crois bien que vous n'en aviez jamais fait un examen si complet et si scrupleux; et peut-être n'en sentez- vous pas encore beaucoup l'utilité ; cepen- dant cela doit commencer à vous faire un peu mieux démêler ce qui se passe en vous. A. mesure que nous avancerons, vous ver- rez tout se débrouiller successivement sous vos yeux, et l'ordre succéder au chaos; et vous y trouverez toujours plus de plaisir. Mais c'est assez parler de la sensibilité ; passons à la mémoire.

CHAPITRE III.

De la Mémoire et des Souvenirs.

JLa mémoire est une seconde espèce de sensibilité. La première consiste à être af-

58 iim';ologie.

fecté d'une sensation actuelle ; la seconde à être affecté du souvenir de cette sensation. Mais ce souvenir lui-même est une sensa- tion; car c'est une chose sentie, c'est une sensation interne, mais d'un autre genre que celles dont nous parlions tout à l'heure.

En effet, le souvenir d'une sensation n'est point la même chose que la sensation même; quand je me rappelle que j'ai souffert, je n'éprouve pas la même affection que quand je souffre actuellement.il paraît assez vrai- semblable que, quand nous sentons une sensation , le mouvement quelconque qui s'opère dans nos nerfs va de la circonfé- rence au centre; et que, quand nous sentons un souvenir, il se porte du centre à la cir- conférence; ce qui aiderait à le croire, c'est que quand le souvenir est très -vif, il va quelquefois jusqu'à réveiller la sensation elle-même dans la partie elle a été sen- tie; il semble qu'alors, en vertu de ce fort ébranlement tendant du centre à la circon- férence, il y ait une nouvelle réaction de la circonférence au centre qui reproduise le premier mouvement. Mais ce ne sont que des conjectures; le jeu mécanique de

CHAPITRE ni. 5^

nos nerfs a échappé jusqu'à présent à toutes les observations.

J'ai dit que la mémoire consiste à sentir les souvenirs des sensations passées : en- tendez qu'elle consiste aussi à sentir les sou- venirs de nos jugemens, de nos désirs, de toutes nos idées composées; et même de nos souvenirs eux-mêmes , car continuel- lement il nous arrive de nous souvenir d'impressions qui ne sont elles-mêmes que des souvenirs.

On a excessivement admiré cette faculté appelée la mémoire ; et certes ce n'est pas sans raison; mais, pour être juste, il aurait fallu commencer par s'émerveiller de celle nommée sensibilité; car s'il est très-surpre- nant qu'un être quelconque ait la propriété d'être affecté du souvenir d'une impression qu'il a reçue, il ne l'est pas moins que cet être soit capable d'être modifié de tant de manières par l'effet de tout ce qui l'approche, y un et l'autre sont des résultats d'une orga- nisation dont les ressorts secrets sont im- pénétrables pour nous. Tout est également admirable dans la nature, depuis la moindre végétation jusqu'à la plus sublime pensée. Mais se borner à l'admirer et à la célébrer,

40 IDÉOLOGIE.

c'est employer son temps d'une manière très-stérile et qui n'apprend rien. Vouloir la deviner, lui supposer des causes et des ori- gines , est très-dangereux 5 c'est une source inépuisable d'égaremens et d'erreurs. La seule chose utile est d'étudier ce qui est; cela conduit à le connaître et à en tirer tout le parti possible pour notre avantage. Sui- vons donc nos recherches.

On demande s'il est de l'essence de la mé- moire que, quand nous sentons un souvenir, nous sentions qu'il est la représentation d'une impression passée, c'est-à-dire que nous sachions toujours que c'est un sou-r venir. Je réponds que non ; car il m'arrive souvent d'avoir une idée que je crois nou^ velle pour moi, et, le moment d'après, je trouve que depuis long-temps je l'ai écrite quelque part, preuve sans réplique que je puis avoir un souvenir sans avoir en même temps la conscience que c'est un souvenir. C'est-là une preuve de fait bien suffisante, car elle est péremptoire ; cependant on peut en- core y ajouter une preuve de raisonnement. En effet, sentir une impression actuelle à l'occasion d'une impression passée, c'est-là le propre de la mémoire. Mais ensuite re-

CHAPITRE III. 4l

connaître que cette impression actuelle est une représentation de l'impression passée, en est le souvenir, c'est sentir un rapport d'identité ou de ressemblance entre ces deux impressions. Or, sentir un rapport est un acte du jugement. Ce n'est donc pas un effet de la simple mémoire , telle que nous la considérons, séparée et distincte de toute au Ire faculté intellectuelle. On pourrait donc, tout au plus, demander si cet acte du juge- ment est toujours et nécessairement lié à tout acte delà mémoire; or, l'exemple que je viens de citer répond pleinement à cette dernière question.

Ce qui a jeté quelques nuages sur ce point d'idéologie , c'est que quand nous avons le souvenir d'une sensation proprement dite , nous ne manquons jamais de reconnaître que ce n'est pas la sensation elle-même. Quand je pense à une douleur que j'ai éprou- vée, je sen% très-bien, excepté dans des cas fort rares, que ce n'est pas cette douleur elle-même que je ressens. Mais quand il s'agit d'impressions moins différentes entre elles qu'une douleur et un souvenir, ce jn- gementnous échappe souvent; et, quand il a lieu , il est un effet de la faculté de juger, et

4<î IDÉOLOGIE.

non pas une suite nécessaire de celle de se ressouvenir. Je ne crois pas que cela puisse souffrir de contradiction.

J'aurais pu, à propos de la sensibilité, mettre en avant une question fort analogue à celle que je viens d'élever au sujet de la mémoire; mais j'ai préféré de ne vous la proposer qu'après celle-ci, parce que la so- lution en sera plus facile. On demande s'il est de la nature de la sensibilité que quand nous éprouvons une sensation quelconque, nous reconnaissions d'où elle nous vient; c'est-à-dire que nous la rapportions au corps qui en est la cause , ou au moins à l'organe qui nous la transmet. Prenez garde à l'état de cette question; au fond elle n'est pas plus difficile que celle que nous venons de résoudre; mais elle demande cependant un peu plus d'attention, parce que nous ne pouvons pas y répondre directement par un exemple comme à l'autre.

En effet, presque dès les premiers momens de notre existence, nous savons que nous sommes environnés de corps qui agissent sur nous de mille manières; que nous avons nous-mêmes un corps et des organes qui reçoivent leurs impressions; que nous n'a-

CHAPITRE III. 43

vons aucune sensation externe qui ne vienne de l'action de ces corps sur ces or- ganes , et que toutes nos sensations internes sont l'eflet des mouvemens qui s'opèrent dans l'intérieur de ces mémos organes. Toutes ces connaissances précèdent en nous tous les temps dont nous nous souvenons : la preuve en est que nous ne nous rappelons pas de les avoir acquises. En conséquence, nous avons de temps immémorial l'habitude de rapporter nos sensations à tout ce qui les cause; et nous sommes bien tentés de croire qu'il est dans la nature même de toute sensation d'indiquer d'où elle nous vient, et que c'est-Ià une propriété de la sen- sibilité.

A la vérité, les mouvemens très-vagues des enfans dans le premier âge nous indi- quent qu'ils éprouvent des sensations pen- dant quelque temps, avant de savoir doù elles leur viennent. Nous-mêmes, si nous reconnaissons presque toujours quel est l'organe par lequel nousvientune sensation, nous ne distinguons pas toujours le corps qui a agi sur lui, ni il est précisément : enfin nous nous trompons même quelque- fois sur l'organe qui est affecté; il nous

44 IDEOLOGIE.

arrive de prendre l'un pour l'autre. Ces ob- servations indiquent bien qu'il n'est pas ab- solument de l'essence de la sensation de faire connaître d'où elle vient ni par elle vient; qu'on sent souvent sans savoir cela , et que, par conséquent, ce ne sont pas deux choses inséparablement unies. Cependant tous ces faits ne sont pas aussi décisifs que celui que j'ai allégué à propos de la mémoire. On pourrait essayer d'expliquer ceux-ci par les circonstances de notre organisation. A défaut de la preuve de fait, ayons donc re- cours à la preuve de raisonnement , qui nous a déjà réussi. Disons delà sensibilité ce que nous avons dit de la mémoire.

Sentir une sensation est un acte de la sen- sibilité proprement dite; et sentir que cette sensation nous vient d'un tel corps et par tel organe, c'est sentir un rapport entre cette sensation et ce corps ou cet organe; c'est un acte du jugement. Ainsi il est évident qu'il n'appartient pas à la sensibilité proprement dite, et que par conséquent l'un n'est point essentiellement et nécessairement insépa- rable del'autre.Concluonsdonc,quoiquecela répugne à nos habitudes les plus invétérées, qu'il n'y a rien dans la simple- sensation qui

CHAPITRE III. 45

indique d'où elle vient ni par elle vient; et qu'il a pu y avoir un temps nous sen- tions sans juger, sanssa voir que nous avions Un corps et des organes, et sans connaître enfin que nous voyions par l'œil, que nous tâtions par la main, et que ce que nous voyions et touchions était d s corps.

Je dis, qu'il a pu y avoir un temps, et non pas qu'il y a eu un temps. Car en conve- nantde la j ustesse du raisonnement que nous venons de faire, et auquel il me paraît im- possible de se refuser, il est très-possible de demander si ces deux facultés de sentir et de juger ne naissent pas ensemble; si elles ne résultent pas en même temps de notre organisation; si leurs actes ne sont pas tou- jours simultanés et confondus, ce qui pro- duirait le même effet que si elles n'étaient qu'une seule et même faculté : et ensuite on peut demander comment, en supposant que cela ne soit pas ainsi , il se. fait que nous parvenons à connaître que notre corps existe, qu'il en existe d'autres, et que ce sont les causes et les moyens de nos sensations.

Sans vouloir encore traiter à fond ces deux questions secondaires, je dirai, à l'égard

46 IDEOLOGIE,

de la première, que les faits allégués ci- dessus commencent à prouver que la fa- culté de juger ne se développe qu'après celle de sentir et que nous le reconnaîtrons encore plus clairement dans le chapitre sui- vant, où nous allons parler du jugement.

Quant à la seconde question, je vous promets que, quand nous en serons là, je vous montrerai comment nous apprenons successivement et graduellement à con- naître que les corps existent, et qu ils sont les causes de nos sensations; et je me per- suade que l'explication que je vous donnerai de ce phénomène ne vous laissera rien à désirer. Mais, quand même je serais dans l'erreur, quand les explications que je vous donnerai ne seraient pas satisfaisantes, il s'ensuivrait seulement que je me suis trom- pé, que j'ai mal vu la manière dont le fait arrive, qu'il faut la chercher de nouveau* Mais il n'en faudrait pas conclure que la sensation toute seule nous donne la con- naissance de ce qui la cause; car il n'en se- rait pas moins vrai que quand on ne fait uniquement que sentir, on n'apprend pas par ce seul acte d'où vient la sensation : car sentir et juger sont deux choses différentes f

CHAPITRE Iir. 47

qui sont quelquefois séparées. Voilà ce dont il ne faut pas se départir, puisque cela est indubitable. Il ne semble pas que ce soit avoir fait un grand pas que de s'être assuré d'une vérité si simple ; cependant vous ver- rez dans la suite que bien des philosophes s'égarentpour n'y pas faire assezd'attention, et que nous , nous en tirerons des consé- quences très-importantes.

Vous n'avez vraisemblablement jamais observé avec tant de scrupules les divers élémens de votre intelligence, et sûrement vous êtes surpris que l'on découvre des parties distinctes dans des choses qui pa- raissent d'abord aussi indécomposables; et que des choses qui semblent si simples don- nent lieu à tant de questions délicates. Peut- être aussi trouvez-vous ma marche un peu lente, et mes recherches minutieuses; mais soyez sûrs qu'on gagne bien du temps en n'allant pas trop vite, et qu'on ne connaît bien que ce qu'on a examiné en grand dé- tail. Bientôt vous verrez que nous serons récompensés de notre patience. Pour le moment je n'ajouterai rien au peu que je vous ai dit de la mémoire avant cette di- gression. Il me suffit de vous avoir fait

48 IDÉOLOGIE.

connaître exactement ce que c'est , et en quoi elle consiste. Passons au jugement. Quand nous aurons ainsi examiné , pour ainsi dire, pièce à pièce toutes les parties de la faculté de penser, nous les rassemblerons pour les voir agir; et c'est alors que nous ferons des progrès qui seront rapides sans cesser d'être sûrs.

CHAPITRE IV.

Du Jugement et des Sensations de rapports.

jLjA faculté de juger, ou le jugement, est encore une espèce de sensibilité ; car c'est la faculté de sentir des rapports entre nos idées ; et sentir des rapports c'est sentir. Commençons par éclaircir le sens de ce mot rapport; c'est une expression si générale , que , si l'on n'y prenait garde, elle pourrait devenir un peu vague*

Toute circonstance, toute particularité de chacune de nos idées peut être le sujet d'un rapport entre cette idée et toutes les autres.

Le rapport est cette vue de notre esprit,

cet

CHAPITRE IV. 4g

cet acte de notre faculté de penser par le- quel nous rapprochons une idée d'une autre, par lequel nous les lions , les comparons ensemble d'une manière quelconque. Par exemple, quand je juge qu'un cheval court bien, je n'ai pas seulement présentes à l'es- prit l'idée de ce cheval et l'idée de bien courir; je sensquela propriété debien courir appartient à ce cheval. C'est-là un rapport entre cette action et cet animal. De même, quand je juge que Pierre est gai, que Jacques se porte bien, je ne sens pas seulement l'idée de Pierre et celle d'être gai , l'idée de Jacques et celle de se bien porter , je sens de plus que celle d'être gai convient à Pierre, que celle de se bien porter convient à Jac- ques : ce sont des sensations de rap- ports, ce sont des jugemens. Vous trouve- rez la même chose dans tous les exemples que vous voudrez choisir, si vous les ana- lysez bien (1).

(i) Nous expliquerons dans la suite avec plus de précision , que l'acte de juger consiste toujours et uni- quement à voir qu'une idée est comprise dans une autre , fait partie de cette autre, est une des idées qui la composent ou doivent la composer j mais nous n'a- yons pas besoin de cela actuellement. Toutefois, si

D

5o IDÉOLOGIE.

Par cette explication , vous voyez nette- ment en quoi consiste la faculté de juger. Ne me demandez pas comment il se fait que nous la possédons; c'est vraisemblablement ce que nous ne saurons jamais. Il est in- compréhensible sans doute que nous soyons faits de façon à être affectés du rapport de deux sensations ; mais il ne l'est pas moins que nous soyons affectés de ces sensations elles-mêmes et de leurs souvenirs. On pour- rait même dire que le jugement est une con- séquence nécessaire de la sensibilité; car, dès qu'on sent distinctement deux sensa- tions , il s'ensuit assez naturellement qu'on sent leurs ressemblances, leurs différences, et leurs liaisons. Quoi qu'il en soit, le jugement est une partie de la faculté de penser, comme la sensibilité et la mémoire; ce sont trois résultats de notre organisa- tion. Tenons-nous-en là; ne cherchons pas à deviner des mystères; mais parcourons les différentes observations que nous avons à faire sur la faculté de sentir des rapports. Remarquons d'abord qu'elle nous est bien

vous en êtes curieux dès ce moment, voyez la Gram- maire, chapitre premier, de la Décomposition du Discours dans quelque langage que ce soit.

CHAPITRE IVv 5i

nécessaire cette faculté; c'est d'elle seule que nous tenons tout ce que nous savons; sans elle, la sensibilité et la mémoire ne nous seraient d'aucune utilité. Si nous n'avions pas la faculté de sentir des rapports, nous joui- rions et souffririons éternellement par nos sensations et nos souvenirs , sans être ja- mais plus avancés que le premier jour -, nous ne pourrions en tirer aucuns résul- tais ; nous ne saurions jamais ni d'où nous viennent ces sensations , ni comment elles nous viennent, ni quelles liaisons elles ont entre elles, ni. en quoi elles se ressemblent ou différent, ou se tiennent les unes aux autres, ni par quels moyens nous pouvons nous les procurer, ou les éviter; nous se- rions incapables de réunir deux idées pour en former une troisième; nous ne saurions pas même s'il y a des corps et si nous en avons un; en un mot, nous serions des êtres toujours sentans, mais absolument et complètement ignorans de tout ce qui nous entoure et de nous-mêmes; car toutes nos connaissances ne sont que des sensations de rapports, des jugemens. Ceci sera en- core plus clair pour vous quand nous au- rons analysé la manière dont se forment

D 2

02 IDEOLOGIE.

nos idées composées , c'est-à-dire presque toutes nos idées ; mais, dès ce moment, vous devez le comprendre, et un exemple va vous le rendre plus sensible.

Je reçois la sensation de la couleur jaune : je suis affecté; mais cela ne m'apprend rien, j'éprouve seulement une certaine modifica- tion accompagnée de plaisir ou de peine. Ce n'est ensuite que par les sensations de certains rapports que sent mon jugement, ou, comme on dit, par des jugemens que je porte, que je sais que cette sensation me vient par l'œil ; qu'elle est causée par un corps ; qu'elle est un effet de la lumière ; que le même corps qui me la cause, m'en cause d'autres; que je puis en faire tel usage, etc. Ainsi, vous voyez que tout ce que nous savons ne consiste que dans des rapports entre les diverses choses que nous sentons. Voilà donc l'utilité et les fonctions du juge- ment bien établies.

Observons actuellement que pour sentir un rapport il faut déjà avoir eu au moins deux idées; ainsi l'action de la sensibilité proprement dite précède nécessairement, au moins d'un moment, celle du jugement; ces deux facultés ne peuvent pas commen-

CHAPITRE IV. 55

cer à s'exercer précisément dans le même instant. Cela répond clairement, ce me semble, comme je vous l'avais promis, à la première des deux questions que nous nous étions faites dans le chapitre précé- dent (1).

Ceci ne veut pas dire, au reste, que nous ne naissions pas doués de la faculté de juger comme de celle de sentir. L'une et l'autre sont également des résultats de notre orga- nisation ; nous l'avons déjà dit. Ainsi, je n'ai

(1) On pourrait m'objecter que dès la première sensation que nous éprouvons, nous pouvons la juger agréable ou désagréable. Cela est vrai : je crois même que nous le faisons, et je crois de plus que c'est le soûl jugement que nous puissions porter de cette pre- mière sensation, faute d'autres termes de comparaison. Mais ce fait ne détruit pas ce que je viens de dire ; car dans cette première sensation sont renfermées impli- citement deux idées , celle de notre faculté sentante et celle d'une affection qui la modifie ; et ce premier jugement n'est que la perception du rapport que cette affection a avec notre sensibilité, de la modifier en bien ou en mal. Cette perception de rapport peut donc naître tout de suite de notre première affection ; mais enfin elle ne saurait la précéder, elle ne peut que la suivre , et cela suffit pour la vérité de ce que j'avance . Nous reviendrons encore sur cet objet au chap. 8,

54 1BÉOLOGTE.

pas plus de peine à concevoir qu'un enfant qui vient de naître a en lui la capacité de sentir un rapport , qu'à concevoir qu'il a celle de sentir une sensation ; mais je dis qu'il ne peut commencer à* user de l'une qu'après s'être servi de l'autre. L'expérience prouve de plus que celle de juger est la der- nière qui se fortifie, et on pourrait même dire la dernière qui s'éteint. Nous verrons ailleurs quelles circonstances paraissent né- cessaires pour qu'elle commence à. agir.

Remarquons encore que non-seulement il faut avoir deux idées pour sentir un rap- port , mais qu'il n'en faut jamais que deux ; car dans tout rapport il ne peut y avoir que deux termes, savoir, l'idée de laquelle on en rapproche une autre, et celle que l'on en rapproche ; c'est ce qu'on appelle le sujet et l'attribut. S'il y avait plusieurs sujets ou plusieurs attributs, il y aurait plusieurs rapports et par conséquent plusieurs ju- gemens, et non pas un seul. Le sujet et l'attribut peuvent bien, à la vérité, être chacun une idée extrêmement complexe, c'est-à-dire composée d'une foule de parties, mais elle est toujours considérée comme unique ; et, dans chacun de nos jugemens,

CHAPITRE IV. 55

il n'y a que deux idées ou deux groupes d'idées qui soient opposés l'un à l'autre.

Par exemple, quand je dis, l'homme qui découvre une vérité, est utile à l'huma- nité toute entière, je prononce beaucoup de mots, mais je n'exprime qu'un jugement: V homme qui découvre une vérité, est le sujet; est utile à l'humanité toute entière > est l'attribut.Cependant, l'homme, exprime l'idée d'un individu ; qui, une idée de rela- tion ; découvre, l'idée d'une action; une, une idée de nombre; vérité, l'idée d'un pro- duit de notre intelligence. Voilà cinq idées bien distinctes, et chacune d'elles est com- posée de bien d'autres ; mais à elles toutes elles n'en font plus qu'une ; car je ne parle pas seulement de l'homme, ou de l'homme qui découvre, mais de l'homme qui dé- couvre une vérité : c'est-là l'idée complète et unique, quoique très -composée, dont je vais en rapprocher une autre. Il en est de même de l'attribut : est, exprime l'idée de l'existence; utile, une idée de qualité ; à, une idée de relation; l'humanité, l'idée d'une collection d'hommes; tout, une idée de qualité; entière, une autre idée de qua- lité. Cela fait bien six idées, et toutes aussi

56 IDÉOLOGIE.

composées que les premières. Mais, à elles toutes, elles ne font encore qu'une seule idée; car je ne juge pas seulement du sujet qu'il est, qu'il existe, ou qu'il est utile, ou qu'il est utile simplement à l'humanité , mais qu'il est utile à l'humanité toute entière ; ce n'est qu'alors seulement que mon sens est complet, et ce n'est qu'un seul fait que j'af- firme en prononçant tant de mots. Ainsi, comme je l'ai annoncé , cette phrase si longue n'exprime qu'un seul jugement.

Dans celle-ci , au contraire , Pierre et Paul existent; quoiqu'elle soit bien courte, il y a deux jugemens; car il y a trois termes. Je rapproche l'idée d'exister de celle de Pierre et de celle de Paul, qui sont deux idées distinctes et séparées; ce n'est qu'une manière abrégée de dire que Pierre existe, et que Paul existe aussi; ce qui fait deux ju- gemens tellement distincts que l'un peut être juste et l'autre faux.

Il est si vrai que le nombre des jugemens tient au nombre des termes, c'est-à-dire au nombre des groupes d'idées, et non au nombre des idées composant chaque groupe, que quand je dis, le genre humain existe, je n'exprime qu'un seul jugement; quoiqu'il

CHAPITRE IV. 57

y ait bien plus d'idées renfermées sous ces mots, le genre humain, que sous ceux-ci, Pierre et Paul.

Il ne faut pas cependant que la forme de l'expression fasse illusion. Par exemple, quand je dis, un et un font deux, je ne pro- nonce pas deux jugemens; car je ne dis pas que un fait deux , et que un fait encore deux ; mais je dis que un ajouté à un fait deux , phrase dans laquelle il n'y a qu'un juge- ment : aussi n'y voyez-vous quedeux termes. Si l'usage était raisonnable, au lieu de dire un et un font deux, on dirait un et un fait deux comme on dit un ajouté à un fait deux ; puisque, dans un cas comme dans l'autre, il n'y a réellement qu'un sujet unique; mais, dans les langues, l'usage est souvent absurde, parce qu'elles ont été faites avant la science.

Concluons qu'il ne peut jamais y avoir plus de deux termes dans la sensation d'un rapport, dans un jugement.

Maintenant je dois aller au devant d'une difficulté qui pourrait vous embarrasser. On vous a sûrement déjà dit, en vous parlant de grammaire latine ou française, qu'une proposition était l'expression d"uu jugement, et cela est vrai; mais on vous a

53 IDÉOLOGIE.

peut-être dit aussi, car c'est assez l'usage, que toute proposition est composée néces- sairement de trois termes, le sujet, l'attri- but, et la copule ou le lien. Si cela était vrai, cela impliquerait contradiction avec le prin- cipe que je viens de vous démontrer- car comment se pourrait -il qu'il n'y eût que deux termes dans un jugement, et qu'il y en eût nécessairement trois dans la propo- sition , qui n'est que son expression fidèle ? Aussi cela est-il faux, et voici comment on a été induit en erreur.

On a remarqué que , dans toutes les propositions quelconques, le verbe être se trouve ou explicitementeomme dans celle-ci, Pierre est grand, ou implicitement comme dans cette autre, Pierre marche, que l'on peut traduire ainsi, Pierre est marchant. Cette observation est juste ; mais les gram- mairiens, qui ne sont pas toujours idéolo- gistes, sont partis de pour imaginer qu'il y avait je ne sais quelle propriété occulte dans ce verbe être, et qu'il était une espèce de liaison nécessaire entre le sujet et l'at- tribut; ils l'ont appelé lien ou copule, et ils en ont fait un troisième terme de la propo- sition; mais le verbe être ne lie rien, et le

CHAPITRE IV. 59

nom de lien qu'on lui donne est vide de sens. Le verLe être se trouve dans toutes les propositions, parce qu'on ne peut pas dire qu'une chose est de telle manière, sans dire auparavant qu'elle est. Je ne puis ni juger, ni exprimer que Pierre existe grand, sans auparavant juger et exprimer que Pierre existe. Mais ce mot est, qui est dans toutes les propositions, y fait toujours partie de l'attribut; il en est toujours le début et la base ; il est l'attribut général et commun de toutes les choses qui existent, ou dont on parle comme existantes. Il n'y a donc pas trois termes dans la proposition , non plus que dans le jugement dont elle est l'énoncé.

D'autres grammairiens ont cru que le verbe être exprimait l'action de l'esprit qui juge, la persuasion de l'homme qui parle. Mais encore une lois , le verbe être par lui- même n'exprime que l'existence.

Si en outre il exprime l'affirmation , ce n'est qu'accidentellement, c'est par la forme qu'on lui fait prendre. La preuve en est que quand je dis, Pierre être bon, il n'y a pas plus d'affirmation, pas plus de prononcé de jugement que quand je dis, Pierre bon. Le verbe n'exprime l'affirmation nue quand il

6o IDÉOLOGIE.

est à un mode défini. C'est donc dans le mode, et non dans le verbe même, qn'est l'affirma- tion : aussi une phrase n'est jamais une proposition, un prononcé de jugement, que quand il s'y trouve un mode défini énoncé ou sous-entendu. Mais que le verbe exprime ou non l'affirmation, ce n'est qu'un acces- soire, qui ne l'empêche pas de faire toujours partie de l'attribut.

J'ai donc eu raison , et de vous dire qu'il n'y avait jamais que deux termes dans un jugement, et d'analiser, comme je l'ai fait ci-dessus, les énoncés des jugemens que je vous ai cités pour exemples.

Comme la discussion à laquelle je viens de me livrer porte sur un point encore con- testé, j'ai été contraint de l'étendre un peu: elle a du vous paraître longue ; et cependant je crains que vous ne l'ayez trouvée pénible , parce qu'elle est prématurée à quelques égards. Nous y reviendrons quand nous traiterons spécialement de l'expression de la pensée; vous l'entendrez plus complète- ment alors, parce que plusieurs prélimi- naires nécessaires auront été expliqués (i) :

(i) t'oyez la Grammaire ; cliap. 2 <*t 3.

CHAPITRE IV. 6i

mais j'ai dit anticiper un peu; sans quoi ce que l'on a pu déjà vous dire des principes de la grammaire aurait jeté quelques nuages sur la manière dont je vous ai expliqué les sensations de rapports. Cela doit commen- cer à vous montrer combien la science de la pensée, et celle de la parole, sont intime- ment liées, combien elles "sont nécessaires l'une à l'autre, et combien il est dangereux de s'occuper de la manière d'exprimer les idées avant d'avoir étudié la manière dont elles se forment en nous : vous en verrez bien d'autres preuves.

De ce qu'il faut avoir à la fois deux idées, et de ce qu'il n'en faut avoir que deux pour sentir une sensation de rapports, nous de- vons conclure qu'il faut encore que ces deux idées soient présentes à la pensée en même temps d'une manière distincte, et qu'elles ne s'y confondent pas; car, si elles se con- fondaient ensemble, elles ne feraient plus à elles deux qu'une seule idée complexe, comme celles que nous venons de voir, qui, réunies, ne forment qu'un sujet ou un attri- but. Il n'y aurait donc qu'un terme dans la pensée; il ne pourrait pas y avoir sensation de rapport. Exemple : Pour que je sente un

62 IDÉOLOGIE^

rapport entre la sensation de noir et celle de blanc, il faut qu'elles demeurent séparées, et qu'elles ne se mêlent pas de manière à former la sensation de gris; car alors il n'y a plus de terme de comparaison. Retenez cette remarque, elles nous sera fort utile lorsque nous examinerons quand et com- ment notre faculté de juger peut commencer à agir.

Faisons encore, en finissant, une ré- flexion qui a échappé à beaucoup de gram- mairiens et de logiciens, et qui dissipera bien des nuages : c'est qu'il n'y a point de jugement négatif. Dans les propositions né- gatives, la négation se trouve dans la forme de l'expression , mais elle n'est pas dans la pensée. Par exemple, quand je dis, Pierre n'est pas grand, on dit communément que je sens, que je porte un jugement négatif, que je juge que l'idée d'être grand ne con- vient pas à Pierre. Cela n'est pas exact; je fais plus , je sens positivement que l'idée de n'être pas grand lui convient. La négation fait partie de l'attribut; cela est si vrai, que c'est comme si je jugeais que Vidée d'être petit ou du moins d'être de la taille corn-* mune, convient à Pierre; ce qui est incon-

CHAPITRE IV. C5

testablement un jugement positif. Celte dis- tinction pourra paraître minutieuse : cepen- dant elle est très-importante; car l'expres- sion que je combats jette du louche sur l'opé- ration de notre pensée dans le jugement. Je sais, pour moi, qu'elle m'a long- temps empêché de la comprendre nettement. En effet, juger, c'est sentir un rapport, c'est une chose positive : or que serait-ce que sentir qu'un rapport n'existe pas? ce serait sentir une chose qui n'existe pas; cela implique contradiction. Déplus, en adoptant l'expli- cation que je rejette , on est obligé de ne pas faire delà négation une partie de l'attribut, on en fait une modification du verbe; et il faut par conséquent faire du verbe un troi- sième terme, ce qui brouille tout : enfin cela conduit à méconnaître une vérité, la base de tout raisonnement, et que je vous prou- verai dans la suite; c'est que tout jugement consiste à reconnaître que l'idée totale de l'attribut est comprise toute entière dans l'idée du sujet, et en fait partie. Mais nous verrons cela quand nous en serons à la troi- sième partie de ce Cours, à l'histoire de la déduction de nos idées (1). Pour le moment

(i) En attendant, je crois devoir uue explication

64 IDÉOLOGIE.

retenez que tout jugement est positif, que la négation n'existe que dans la forme de l'ex-

provisoire à ceux qui ont déjà étudié la matière , et qui pourraient être surpris de cette dernière assertion. En effet, ils savent que l'idée exprimée par l'attribut doit toujours être une idée plus générale que celle ex- primée par le sujet. On peut bien dire, un homme est un animal; mais on ne peut pas dire, un animal est un homme. C'est pour cela que les anciens logiciens, à tort ou à raison , ont appelé l'attribut le grand terme, et la proposition dans laquelle il entre la majeure, par opposition au sujet, qu'ils nomment le petit terme, et à la proposition qui le renferme , qu'ils nomment la mineure. Cela semble contraire au principe que je viens d'avancer , que l'idée totale de l'attribut est corn-' -prise toute entière dans Vidée du sujet; mais cette contradiction apparente va s'expliquer et s'évanouir par une distinction très-simple.

Il y a deux choses à considérer dans une idée, son extension, ou le nombre des objets auxquels elle con- vient, et sa compréhension, ou le nombre des idées qu'elle renferme. Plus une idée est générale, plus elle convient à un grand nombre d'objets ; mais moins elle retient des idées propres à chacun d'eux : et au con- traire, plus elle est particulière, plus est petit le nombre des objets auxquels elle s'applique; mais plus elle renferme des idées composantes de chacun d'eux. Ainsi, l'idée générale renferme l'idée particulière dans son extension, et l'idée particulière renferme l'idée générale dans sa compréhension. En effet, dans

pression,

CHAPITRE IV. 65

pression, et qu'elle fait toujours partie de l'attribut. Actuellement que vous connaissez suffi-

l'idée à.' animal sont compris tous les individus hommes; mais dans les idées composantes de l'idée homme est comprise l'idée d'être un individu de la classe des ani- maux , d'être un animal.

Or, comme je soutiens que tout jugement consiste toujours à voir que l'idée de l'attribut est une des idées composantes de celle du sujet, est une circonstance qui lui appartient, je me crois en droit de dire que l'idée de cet attribut, bien que plus générale, fait partie de celle du sujet, quoique plus particulière, et que c'est pour cela, et pour cela seul, que nous pou- vons affirmer l'attribut du sujet.

J'en ai d'autant plus de raison , que dès que deux idées sont comparées , dès qu'elles sont la matière d'un jugement, elles ne diffèrent plus que par leur compré~ hension : elles sont toujours parfaitement égales en extension. Quand l'on dit que l'homme est un animal, on entend un animal de l'espèce des hommes, et non pas de l'espèce des singes ou de toute autre. De même quand on dit, cet homme est malade, on entend ma- lade de sa maladie particulière, et non pas de toutes les infirmités qui peuvent mériter à un être sensible le nom de malade. C'est toujours l'extension du sujet qui détermine l'extension de l'attribut. Celle-ci ne peut jamais la surpasser, puisque l'attribut n'est ja- mais dit que des objets auxquels s'applique le sujet;

E

66 IDÉOLOGIE.

samment ce que c'est que la faculté de sen- tir des rapports, nous allons parler de celle de sentir des désirs.

mais elle doit l'égaler, puisque l'attribut est toujours dit de tous les êtres auxquels s'étend le sujet.

Cela nous fait voir pourquoi l'attribut doit toujours être une idée au moins aussi générale que le sujet. C'est qu'on ne peut pas accroître à yolonté l'extension d'une idée (cela en fait une autre idée), au lieu qu'on peut toujours la restreindre de manière à n'être qu'é- gale à celle d'une autre. On ne peut pas étendre l'idée d'animal à tous les êtres, elle deviendrait l'idée d'être, tandis qu'on peut très-bien la restreindre à ne s'appliquer pour le moment qu'aux animaux appelés hommes : elle n'est pas dénaturée pour cela.

Mais ces réflexions nous montrent aussi bien claire- ment combien est fausse cette dénomination de grand ferme donnée à l'attribut d'une proposition, puisque les deux termes sont toujours égaux en extension, et que c'est le sujet qui, par sa nature, est nécessaire- ment le grand terme sous le rapport de la compré- hension.

C'est-là la différence radicale entre l'ancienne logi- que , s'appuyant sur des hypothèses hasardées et des formules vaines, et la nouvelle logique, fondée sur l'observation attentive de la formation de nos idées ; entre la fausse conception de l'art syllogistique et l'exposition vraie du mécanisme naturel de nos dé- ductions.

Au reste, on trouvera, cette explication plus com-

CHAPITRE V. G7

CHAPITRE V.

De la Volonté et des Sensations de désirs.

V ous savez tous ce que c'est que désirer; vous l'avez éprouvé : vous avez senti bien des désirs, et de très-vifs. On donne le nom de volonté à cette admirable faculté que nous avons de sentir ce qu'on appelle des désirs. Elle est une conséquence immédiate et né- cessaire de la singulière propriété qu'ont cer- taines sensations de nous faire peine ou plai- sir, et des jugemens que nous en portons; car dès que nous avons jugé qu'une chose est pour nous ce que nous appelons bonne ou mauvaise, il nous est impossible de ne pas désirer d'en jouir, ou de l'éviter : d'où vous voyez que la seule façon d'empêcher la volonté de s'égarer, est de rectifier le juge- ment qui la détermine.

plète dans la Grammaire, chap. ier et chap. 3 , § 4> et sur-tout'dans la Logique , je me flatte qu'elle ne laissera rien à désirer. Ce n'était pas encore ici le moment de lui donner tous ses développemens.

E 2

68 IDÉOLOGIE»

La volonté n'est, comme nos autres fa- cultés, qu'un résultat de notre organisation; mais elle a cela de particulier, que nous sommes toujours heureux ou malheureux par elle. Je puis bien avoir une sensation ou un souvenir qui ne me fasse ni peine ni plaisir. Lorsque je porte un jugement, ce €[ui m'importe , à cause des conséquences qui en résultent, c'est de porter un juge- ment juste; du reste il m'est égal de sentir tel rapport ou tel autre; ni l'un ni l'autre ne me sont par eux-mêmes agréables ou dé- sagréables à sentir. Le désir, au contraire , exclut l'indifférence; il est de sa nature d'être une jouissance s'il est satisfait, et une souf- france s'il ne l'est pas; ensorte que néces- sairement notre bonheur ou notre malheur en dépendent : et même, si par erreur nous nous avisons de désirer des choses qui nous soient essentiellement nuisibles, c'est-à- dire qui nous conduisent inévitablement à d'autres dont nous voudrions être préser- vés , il est indispensable que nous soyons malheureux; car, de quelque côté que la Chance tourne, il y a un de nos désirs qui n'est pas satisfait. C'est-là une propriété bien remarquable dans la volonté.

CHAPITRE V. 69

Elle en a encore une autre bien incom- préhensible et bien importante; c'est qu'elle dirige les mouvemens de nos membres et les opératious de notre intelligence. L'em- ploi de nos forces mécaniques et intellec- tuelles dépend de notre volonté; ensorte que c'est par elle seule que nous produisons des effets, et que nous sommes une puissance dans le monde. Quand je sens des sensa- tions ou des souvenirs, ce sont des modifi- cations que j'éprouve, elles n'affectent que moi ; quand je porte des jugemens sur ces sensations et ces souvenirs, que j'y sens des rapports, que j'y découvre des vérités, ce sont encore des choses qui se passent en moi, et n'influent que sur moi; mais quand, par suite de. ces jugemens, je ressens des désirs, et qu'en conséquence de ces- désirs j'agis, alors j'opère sur tout ce qui m'envi- ronne. C'est donc ma volonté qui réduit en actes les résultats de toutes mes autres fa- cultés intellectuelles. le ne prétends pas dire néanmoins que toutes nos pensées et tous nos mouvemens soient absolument vo^ lontaires : je sais que beaucoup ont lieu à notre insu, et même malgré nous; et j'exa-. minerai quelque part jusqu'à quel point cl

70 IDEOLOGIE.

suivantquelmode toutes nos facultés dépen- dent de notre volonté. Mais il n'en est pas moins vrai que nous faisons beaucoup d'ac- tions quand nous le voulons, et que, par difïérens moyens , nous nous procurons aussi, à notre gré, beaucoup d'idées, et exécutons beaucoup d'opérations intellec- tuelles.

C'est sans doute la considération de ces effets de notre volonté qui nous a conduits à croire que nous étions plus essentielle- ment actifs dans l'exercice de cette faculté que dans celui des autres ; car si par être actif on entend seulement agir, sentir une sensation, un souvenir, un rapport, est une action tout comme sentir; ainsi nous ne sommes pas plus actifs dans un cas que dans l'autre. Si, au contraire, par être actif on n'entend pas seulement agir, maïs agir libre- ment, c'est-à-dire d'après sa volonté; et si par être passif on entend agir forcément ou contre sa volonté, il n'y a peut-être pas une action dont nous soyons moins les maîtres que de sentir ou de ne pas sentir un désir : ainsi, à ce compte, il n'y aurait pas en nous une faculté plus passive que celle de vouloir. Mais cela rentre dans la

CHAPITRE V. 71

question que je viens de promettre d'exa- miner ailleurs : je ne veux pas la traiter ici, parce qu'elle exige des explications que je ne puis pas encore vous donner, et parce qu'à présent je n'ai pour objet que de vous faire connaître ce que c'est que la volonté.

Une autre conséquence plus juste que l'on tire généralement des effets de la vo- lonté, c'est le désir que nous avons tous que la volonté des autres soit conforme à la nôtre, nous soit favorable, c'est-à-dire qu'ils nous veuillent du bien, qu'ils nous aiment. Ce désir est la source du plaisir que nous goûtons dans l'amitié; il est très-raisonna- ble ; car la bienveillance de nos semblables est pour nous une grande source de bonheur, puisqu'ils agissent d'après leur volonté.

Une suite encore très -juste de ce désir de la bienveillance est celui de l'estime; car nous éprouvons tous que nous sommes très-disposés à vouloir du bien à ceux en qui nous connaissons de bons sentimens et de grands talens.

Et enfin, du désir de la bienveillance et de l'estime des autres naît, avec beaucoup de raison, le bien-être que nous éprouvons quand nous nous sentons animés de mou-

73 IDEOLOGIE.

vemens de bienfaisance , et le malaise qui nous tourmente quand nous nous recon- naissons travaillés de passions haineuses , bien que l'un et l'autre soient encore ignorés ; car nous voyons très-bien en secret que, si nous venons à être connus , dans le pre- mier cas tous les cœurs viennent à nous , et que dans l'autre nous sommes rebutés par tous nos semblables ; et nous entrevoyons confusément qu'il est impossible qu'un jour ou l'autre nos dispositions ne soient pas aperçues , ou du moins soupçonnées. Aussi tous les hommes bons ont l'habitude et les manières de la candeur et de la sérénité , et les méchans celles de la dissimulation et de la défiance ; mais cela même les fait re- connaître.

Ces observations, et un grand nombre d'autres qui y tiennent, demanderaient à être développées avec beaucoup de détails; mais cela composerait un traité de morale, c'est-à-dire de l'art de régler nos désirs et nos actions de la manière la plus propre à nous rendre heureux. Ce n'est point ici le lieu d'approfondir un pareil sujet; je me propose de le traiter quand nous connaî- trons complètement notre faculté de penser

CHAPITRE V. 75

et toutes ses opérations; l'art d'employer toutes nos facultés de la manière la plus propre à nous conduire au bonheur étant la plus belle application de la connaissance de ces facultés, et ne pouvant être, sans cette connaissance , qu'une routine aveugle dénuée de principes. Déjà vous voyez que cet art consiste presque uniquement à évi- ter de former des désirs contradictoires, puisque ce sont des sujets certains de cha- grins; à nous préserver autant que possible des maux physiques, puisque ce sont de vraies souffrances ; enfin , à obtenir la bien- veillance de nos semblables , et à nous con- cilier notre propre approbation, puisque ce sont des biens réels.

Pour le moment, retenez seulement que de même que sans la faculté déjuger nous ne saurions rien, sans celle de vouloir nous ne ferions rien; que nos désirs dirigent nos actions, et sont la cause de presque tous nos plaisirs et nos chagrins ; et que , puis- qu'ils sont la suite nécessaire des jugemens que nous portons des choses, le seul moyen de les bien régler est de porter des juge- mens justes et vrais. Maintenant passons à

74 IDÉOLOGIE.

autre chose; voilà des préliminaires suffi- sais pour aller plus loin.

Il semblerait que ce serait ici le moment d'examiner jusqu'à quel point nos autres facultés sont soumises à notre volonté, et comment notre volonté elle-même est sus- ceptible d'être influencée ; mais il faut au- paravant avoir vu les effets de ces diffé- rentes facultés. Je reviendrai ailleurs sur ce sujet.

CHAPITRE VI.

De la Formation de nos Idées composées.

Jeunes gens, nous voilà arrivés à une époque de nos recherches qui mérite que vous vous y arrêtiez un moment. Vous avez vu avec moi que nous sommes doués de sensibilité, de mémoire, de jugement et de volonté ; vous avez reconnu que sentir des sensations, sentir des souvenirs, sentir des rapports et sentir des désirs, c'est toujours sentir. Quoique je ne vous l'aie pas encore démontré, je vous ai annoncé que ces quatre facultés composaient notre faculté

CHAPTTRE VT. rj5

de penser toute entière ; et je crois qu'en examinant les opérations de votre esprit, vous éprouvez l'impossibilité d'en décou- vrir une qui ne se rapporte pas à une de celles-là ; et que cela commence à vous per- suader que je ne vous ai pas trompés sur ce point. Je vous ai fait connaître avec pré- cision ce qui appartient à chacune de ces facultés, et ce qu'il ne faut pas lui attribuer; j'ai, pour ainsi dire, mis sous vos yeux les traits qui les caractérisent et les distinguent les unes des autres; ainsi, à proprement parler, vous connaissez déjà toute votre fa- culté de penser. Cependant, ou je me trompe fort, ou vous ne voyez pas encore la liai- son de tout cela avec toutes les idées qui meublent vos têtes, avec toutes les pensées qui occupent vos esprits; votre raison et votre conscience intime vous disent bien qu'une intelligence humaine ne peut pas faire autre chose que sentir, se ressouvenir, ju- ger, vouloir, et agir en conséquence ; et en même temps vous sentez que vous faites une quantité de choses qui ne vous parais- sent précisément aucune de celles-là. Vous vous trouvez comme pressés entre deux expériences toutes deux constantes, et qiii

76 IDÉOLOGIE.

pourtant semblent contradictoires; tous éprouvez un embarras singulier, et vous ne savez pas encore comment vous avez formé l'idée Rembarras; vous cherchez, vous réfléchissez, et vous ne savez pas préci- sément ce que c'est que réfléchir, ni com- ment on réfléchit. Expliquons-le en pas- sant; ce sera toujours une idée éclaircie , et cela se retrouvera dans l'occasion.

Réfléchir, être réfléchissant, c'est l'état de rhomme qui désire apercevoir un ou plusieurs rapports, porter un ou plusieurs jugemens; qui, en conséquence de ce désir, s'efforce de se rappeler d'abord des faits entre lesquels il puisse voir une liaison , et ensuite d'autres faits, pour s'assurer si cette liaison est bien réelle, si elle est constante; et qui examine jusqu'à quel point on peut la généraliser , et enfin ce que l'on en peut affirmer sans se tromper ; voilà ce que c'est que réfléchir. JJ embarras est le sentiment, la sensation interne qu'éprouve cet homme quand les faits lui manquent ou quand ils ne lui reviennent pas , ou quand il ne voit pas de liaison entr'eux, ou quand il en aper- çoit qui lui semblent contradictoires, quand enfin il manque de moyens pour asseoir le

CHAPtTRE vr. 77

jugement qu'il désire porter .Vous, par exem- ple, si vous avez pris pour sujet de vos mé- ditations une pêche dont vous avez goûté hier, vous voyez bien qu'elle vous a donné les sensations d'une belle couleur, d'une bonne odeur, d'un goût agréable, que vous l'avez sentie molle au toucher , que vous vous ressouvenez de tout cela : que vous en concluez que cette pêche est i#ure, qu'elle vous sera salutaire, et qu'en conséquence vous desirez la manger, et que vous allez la chercher ou une autre pareille. Vous re- connaissez que, comme nous l'avons dit, il ne s'agit que de sentir des sensations, des souvenirs, des rapports, des désirs, et d'agir en conséquence mais vous ne dé- mêlez pas de même comment , avec ces sen- sations, ces souvenirs et ces rapports, vous vous êtes fait l'idée complète de cette pêche; comment ensuite vous l'avez étendue à tous les fruits semblables, et encore moins com- ment vous avez composé les idées plus gé- nérales encore de bonté, de beauté, de mol- lesse ou de dureté , de maturité , de salubrité, de similitude, de passé, de présent et d'ave- nir. .C'est qu'effectivement ces idées très- composées ne sont pas les résultats d'une

78 IDÉOLOGIE.

seule expérience ; il faut en rassembler plu- sieurs ; et vous ne devinez pas l'usage qu'il en fautfaire. Cela vous jette dans une grande perplexité ; il est bon que vous l'ayez éprou- vée, mais il est temps de vous en tirer.

Pour y réussir, il n'y a que trois choses à vous expliquer, savoir, comment nous apprenons que les sensations que nous éprou- vons sont causées par un objet quelconque, comment elles nous servent à former l'idée complète de cet objet , et comment nous ti- rons de plusieurs de ces idées ce qu'elles ont de commun pour en faire d'autres idées plus générales. Il n'en faut pas davantage pour que vous voyiez naître toutes les idées possibles du petit nombre d'élémens que nous avons examinés.

L'ordre chronologique et généalogique de ces faits demanderait que je vous rendisse compte d'abord du premier. Cependant, quoique le premier, et précisément parce qu'il est le premier , il est le plus difficile à comprendre et comme il pourra nous en- gager daus quelques discussions, je le ré- serverai pour le chapitre suivant, et trai- terai d'abord des deux autres, qui, pour ainsi dire, n'en font qu'un. Retenez que,

CHAPITRE VI. 79

pour être bien compris, il faut toujours partir du point sont les gens à qui l'on parle , et des idées qui leur sont les plus fa- milières. Or, il y a long- temps que vous n'en êtes plus à vos premières sensations , et qu'une longue habitude vous a fait perdre de vue les premiers jugemens que vous en avez portés. Je ne dois donc pas me borner à vous tracer historiquement la filiation des idées d'un homme qui part de l'impression la plus simple et la plus particulière pour arriver à l'idée la plus composée et la plus générale vous ne sauriez vous mettre à sa place 5 vous ne pourriez reconnaître dans ce tableau le portrait de ce qui s'est passé en vous; au contraire, vous avez déjà une multitude d'idées qui sont compliquées , gé- néralisées, combinées plus même que vous ne le croyez. C'est donc dans cet état qu'il faut vous prendre, ce sont ces idées qu'il faut examiner; et lorsque, toujours en re- montant, nous serons arrivés jusqu'à la première, tout sera débrouillé pour vous; l'ordre et l'enchaînement de leur formation ne vous échappera plus.

J'ai déjà fait, dans mon Introduction, des réflexions à peu près semblables, dont

8o IDEOLOGIE,

celles-ci ne vous paraîtront peut-être qu'une répétition inutile ; mais j'aime à y insister i parce qu'on en trouve l'application toutes les fois qu'on a une chose quelconque à ex- pliquer, soit de vive voix, soit par écrit, et qu'elles sont la base de toutebonne méthode.

D'après ces principes, j'ai commencé par vous faire distinguer, dans cette foule d'idées que vous avez, des sensations, des souve- nirs, des jugemens, et des désirs. C'est déjà une manière de les classer et de s'y recon- naître : il ne s'agit plus que de trouver com- ment ces élémens se combinent.

Supposons d'abord que vous savez com- ment vous êtes parvenus à regarder vos sensations comme des effets des différens êtres qui existent dans la nature : cela nous est permis ; car il n'est pas douteux que vous le faites : et quand un fait est certain, on peut, sans inconvénient, en différer l'expli- cation, et pourtant s'en servir comme d'une chose non contestée. Il ne nous reste donc plus qu'à voir comment, par le moyen de ces sensations, vous formez les idées indi- viduelles des êtres qui les causent, et ensuite des idées plus générales, de classes, de

eenres .

CHAPITRE VI. 8l

genres et d'espèces, et toutes celles qui dé- rivent de celles-là.

Rappelez-vous que dans le chapitre du Jugement, lorsque je voulais vous prouver que dans tout jugement quelconque vous ne comparez jamais ensemble que deux idées, je vous citai cette proposition, L'homme qui découvre une vérité est utile à F hu- manité toute entière, et je vous montrai que le sujet et l'attribut, quoique composés tous deux de beaucoup d'idées différentes , n'en formaient pourtant chacun qu'une seule, qui était la résultante de- toutes les autres. Si vous aviez donné un nom unique à cha- cune de ces deux idées, elles seraient res- tées fixées à jamais dans vos tètes, vous n'auriez plus besoin de les refaire ; et toutes les fois que l'occasion d'employer l'idée d'homme qui découvre une vérité, ou celle ftêtre utile à l'humanité toute entière, se représenterait à vous, vous vous serviriez de ces deux noms comme de tous les autres termes de la langue. Eh bien! c'est ainsi que de toutes les sensations que vous cause un objet, et de toutes les propriétés que vous lui découvrez, vous faites un seul groupe, une idée unique, qui est l'idée de cet être,

F

%2 IDÉOLOGIE.

et que son nom vous rappelle. Reprenons l'exemple de la pêche : supposons que vous la voyez pour la première fois, et que vous n'en ayez pas vu d'autres; elle vous donne la sensation d'une certaine couleur, d'un certain goût; vous reconnaissez qu'elle a une certaine forme, qu'elle présente une certaine résistance molle quand on la presse, ju'elle est portée sur un arbre fait d'une certaine manière, et situé dans tel en- droit. De toutes ces idées, vous formez une idée unique, qui est l'idée de cette pêche, et qui n'est d'abord que l'idée de celle-là, et non de toute autre pêche que vous ne con- naissez pas encore. Dans cet état, cette idée est individuelle et particulière : si vous n'avez l'usage d'aucune langue, le signe de cette idée est l'individu lui-même. Si vous vous faites à vous même un langage qui vous soit propre, vous donnez à votre idée le nom ou le signe que vous voulez; mais ce nom ne représente que l'individu observé. Si vous êtes avec des gens qui parlent fran- çais, et c'est le cas vous vous êtes trou- vés dans votre enfance, ils vous disent que cela s'appelle ime pêche: meàsce mot pêche, qu'ils ont déjà généralisé, et qui est pour

CHAPITRE VI. 83

eux le nom commun à toutes les pêches ima- ginables , n'est encore pour vous que le nom de celle que vous voyez ; il est purement individuel , comme le serait celui que vous auriez créé arbitrairement pour votre usage.

Cette opération de l'esprit, qui consiste à rassembler plusieurs idées pour n'en former qu'une seule, à laquelle on donne un nom qui les réunit, bien que très-commune as- surément , n'a point elle-même de nom dans la langue française : on peut l'appeler con- craire, par opposition à abstraire, nom que l'on a donné à l'opération inverse dont nous allons parler. C'est ainsi que l'on appelle termes concrets les adjectifs, tels que pur, bon, etc., qui expriment une qualité consi- dérée comme unie à son sujet, tandis que l'on appelle termes abstraits les mots pu- reté, bonté, etc., qui expriment ces qua- lités séparées de tout sujet. De même on dit que trois mètres est un nombre concret , et que trois tout court est un nombre abstrait. Nous verrons bientôt ce que nous devons penser de ces dénominations. Continuons.

Voilà donc l'opération par laquelle de plusieurs idées différentes nous formons un groupe qui est l'idée propre et individuelle

F 2

84 IDÉOLOGIE.

de Pètre qui en est la cause. Voyons ac- tuellement celle par laquelle ces idées par- ticulières, et propres à un individu seule- ment, deviennent générales et communes à plusieurs. Revenons à l'exemple de la pêche. Après vous être formé l'idée de cette pre- mière pêche , vous voyez d'autres êtres qui ont à peu près les mêmes qualités qu'elle, qui ont avec elle beaucoup de caractères communs, mais qui en diffèrent cependant à bien des égards , car il n'y a pas deux êtres absolument semblables dans la nature. Toutes les pêches n'ont pas exactement les mêmes couleurs, la même figure,' la même grosseur, le même degré de maturité; elles différent au moins par le lieu , par le temps vous les voyez. Vous négligez ces diffé- rences, vous les écartez, ou, comme on dit, vous en faites abstraction; vous ne consi- dérez ces dernières pêches que par ce qu'elles ont de commun avec la première que vous avez observée; vous prononcez que ce sont encore des pêches : et voilà que l'idée dé- pêche est devenue générale, et n'est plus composée que des caractères qui convien- nent absolument à toutes les pêches. Cette

CHAPITRE VI. 8i3

opération s'appelle abstraire. Ce mot vient de l'ancien mot traire, qui n'est plus d'usage, et qui est synonyme de tirer (1 ) : abstraire , c'est tirer de.... Effectivement, vous tirez de deux ou plusieurs idées individuelles tout ce qui les confond , en rejetant tout ce qui les dis- tingue, et vous en faites une idée commune. Il n'est pas inutile d'observer ici que puis- que l'on a tiré, abstrait, certaines parties de l'idée particulière pour la généraliser, elle n'est plus exactement la même quand elle est devenue générale que quand elle était individuelle. C'est sur cette remarque qu'est fondé le grand principe de logique, qu'on ne peut pas conclure du particulier au général. En effet, de ce qu'une pêche est gercée, de ce qu'un homme est malade, je ne peux pas conclure que toutes les pêches sont ger- cées , que tous les hommes sont malades ; car ce sont des circonstances particulières de l'idée individuelle qui n'ont pas été con- servées dans l'idée généralisée ; au contraire, tout ce que je pourrai affirmer de l'idée gé- nérale, je pourrai l'affirmer des individus:

(1) Tous deux viennent des mots latins traherer abstrahere, qui signifient tirer, traîner, arracher.

86 IDÉOLOGIE.

car toutes les idées qui ont été conservées dans cette idée générale doivent se retrou- ver dans toutes les idées particulières dont elle est abstraite.

Cette opération d'abstraire, ainsi que celle de concraire, est d'un très-fréquent usage : nous leur devons toutes nos idées compo- sées ; mais remarquez bien la différence es- sentielle de leurs effets. L'opération de con- craire nous sert à nous former l'idée des êtres qui existent, et celle d'abstraire à com- poser des groupes d'idées dont le modèle n'existe pas dans la nature, etquinéanmoins nous sont très-commodes pour faire de nou- velles comparaisons et apercevoir de nou- veaux rapports entre les résultats des rap- ports que nous connaissons déjà. En effet, une telle pêche existe réellement, telles et telles autres existent aussi; c'est par l'opé- ration de concraire les sensations qu'elles nous ont données que nous avons formé l'idée de chacune d'elles. Mais une pêche en général, abstraction faite des circonstances particulières qui distinguent chacun de ces individus pêches, une telle pêche n'existe que dans notre esprit, et c'est par l'opéra- tion d'abstraire que nous en avons forme

CHAPITRE VI. 87

l'idée : néanmoins cette idée me sera très- utile si je veux, par exemple, établir la dif- férence entre les pêches et les abricots; car alors je n'ai pas besoin de foire attention à toutes les nuances qui différencient les pêches entr'elles et les abricots entr'eux; je n'ai à considérer que ce qui est commun à toutes les pêches, et ce qui est commun à tous les abricots. Je vois que ces deux groupes d'idées sont différens en certains points, et que par conséquent ces deux classes d'êtres diffèrent constamment à certains égards. Nous traitons ces classes comme des individus, quoique dans le fait il n'existe réellement que des individus iso- lés, c'est-à-dire qu'il n'y a que des êtres individuels qui nous causent des sensa- tions, et qu'il n'existe nulle part en réalité une telle chose, qu'une classe qui puisse agir directement et immédiatement sur nous. Cette opération d'abstraire ne nous sert pas seulement à grouper des individus réels pour les ranger par classes, à généraliser leur idée particulière pour en faire une idée commune à plusieurs ; elle nous sert à en fah»e de même de chacune de leurs qualités, c'est-à-dire de chacune des impressions

88 IDÉOLOGIE.

qu'ils nous causent et de leurs circons- tances. Ainsi, nous sentons successivement que plusieurs choses nous font du bien, nous disons qu'elles sont bonnes. C'est déjà une classification, une généralisation que ces expressions bien et bonnes; car toutes ces choses ne nous font pas le même bien, ne nous sont pas bonnes de la même ma- nière. Ainsi, ce sont des impressions diffé- rentes entr'elles que nous réunissons sous un même point de vue par la ressemblance commune qu'elles ont de nous faire chacune un bien , de nous être chacune ce que nous appelons bonne. Mais ne nous en tenons pas là; de toutes ces choses qui sont bonnes, nous extrayons l'idée de bonté, et nous em- ployons cette idée comme si c'était une chose qui existât indépendamment des êtres dans lesquels elle se trouve; de tout ce qui est utile, nous extrayons de même l'idée futilité; de ce qui est beau, l'idée de beauté. Ce sont ces termes et ces idées qu'on appelle plus communément termes abstraits, idées abstraites. Effectivement, il y a une abstraction de plus; mais, à parler rigoureusement, tout nom généralisé, toute idée d'un individu étendue à plusieurs est

CHAPITRE Vr. 3f)

déjà un mot abstrait , une idée abstraite ; car, dans l'usage qu'on en fait, il y a déjà des particularités de ses élémens qu'on a négligées, et d'autres qu'on a séparées, ti- rées dehors pour ainsi dire, enfin qu'on a abstraites.

Remarquez même que ces deux opéra- tions opposées, concraire et abstraire, se trouvent toujours réunies, et sont néces- saires toutes deux dans la formation de toute idée composée quelconque; car toutes les fois que je forme une nouvelle idée avec divers élémens pris çà et là, si je sépare chacun de ces élémens de circonstances que je néglige parce qu'elles ne sont pas nécessaires à mon objet, si je les abstrais, en même temps je les réunis , je les concrais pour en former l'idée nouvelle. Ainsi j'ab- strais et je concrais en même temps, ou plutôt ce que j'abstrais d'un côté je le con- crais de l'autre; c'est pourquoi je n'aime pas beaucoup ces mots abstraire et concraire. Mais on fait tant d'abus des mots abstrait et abstraction , que j'ai voulu vous faire comprendre ce que l'on peut raisonnable- ment entendre par abstraire et par son opposé concraire.

go IDEOLOGIE.

Ne nous servons plus ni de l'un ni de l'autre; ne séparons plus deux opérations intellectuelles qui, dans la pratique, n'ont jamais lieu l'une sans l'autre; et, sans nous embarrasser de vaines dénominations, ren- dons-nous compte tout simplement de ce que nous faisons quand nous formons nos idées composées.

Je suppose que j'éprouve pour la pre- mière fois la sensation que, dans la suite, j'appellerai le rouge. Si je ne sais ni d'où elle me vient, ni par elle me vient; si je ne fais que la sentir sans y mêler aucun jugement , c'est une pure sensation que j'éprouve, c'est une idée simple que j'ai : nécessairement elle est individuelle et par- ticulière.

Si à cette sensation, à cette pure im- pression, à cette idée simple, je joins la sensation d'un rapport entre un être dont l'existence consiste à me causer cette sen- sation, et moi, dont l'existence consiste à la sentir, cette idée de rouge n'est déjà plus une idée simple ; elle est composée d'une sensation et d'un jugement; mais elle est encore individuelle, c'est-à-dire particu- lière à ce seul fait. Je ne l'ai pas étendue à

CHAPITRE VI. 91

toutes les sensations à peu près pareilles que je puis recevoir de différons autres êtres que je ne connais pas encore.

Il en est de même de la saveur et de l'odeur que peut me faire sentir ce même corps. Si je ne fais que les sentir, ce sont des idées simples; si, de plus, je juge d'où elles me viennent, ce sont des idées com- posées, mais toujours particulières et pas encore généralisées.

Maintenant, que je réunisse ces trois idées, d'une certaine couleur, d'une certaine saveur, d'une certaine odeur, j'en forme l'idée de l'être qui me les cause ; idée déjà plus composée, mais toujours individuelle et particulière; car d'autres êtres peuvent être capables de me faire les mêmes impres- sions, mais je ne les connais pas encore : ainsi je n'ai pas étendu cette idée sur eux. Que je désigne cette idée ou l'être qui me la donne, ce qui est la même chose pour moi, par le mot fraise, ce nom est celui de cette fraise et non des fraises en général, car je ne l'ai pas encore généralisé.

Si je ne connais cette fraise que par ces trois effets, son existence à mon égard n'est composée que de ces trois idées 3 elle

92 IDÉOLOGIE.

est, pour moi, un être capable de me faire sentir ces trois sensations, et rien de plus; car, remarquez -le bien, l'idée d'un être quelconque n'est jamais pour nous que l'assemblage des propriétés que nous lui connaissons; c'est ce qui fait que le même mot n'a presque jamais exactement la même signification pour aucun de ceux qui le pro- noncent; il exprime pour chacun d'eux plus ou moins d'idées, suivant le degré de con- naissance qu'ils ont du sujet. Quand j'aurai observé que cette fraise est de forme coni- que, qu'elle vient à la suite d'une petite fleur blanche, qu'elle est portée sur une petite plante verte, qu'elle est destinée à reproduire cette plante, etc., je joindrai toutes ces propriétés aux premières ; le mot fraise \as renfermera toutes, et mon idée de cette fraise sera plus composée ; au reste elle ne cessera point encore d'être indivi- duelle et particulière; seulement elle sera plus complète.

Quand cette fraise serait le premier être existant qui eût frappé mes sens; quand, par conséquent, son idée serait la première idée d'un pareil être que je compose, elle me fournirait, sans cesser d'être indivi-

CHAPITRE VT. Q,5

Quelle et particulière , l'occasion de créer plusieurs des idées que nous exprimons par les mots appelés adjectifs, et par les sub- stantifs nommés abstraits.

Par exemple, si j'ai appelé le rouge une des sensations qu'elle m'a causée, je dirai que cette fraise est rouge, c'est-à-dire qu'elle est cause, pour moi, de l'impression appelée le rouge.Cet adjectif est l'expression abrégée d'un des jugemens que j'ai portés de cette fraise, d'un des rapports que j'ai remarqués entre elle et moi; il me sert à exprimer que cette fraise a ce rapport avec moi. Si, ensuite, je fais attention que ce rapport a une cause dans la fraise, j'appelle cette cause rougeur de la fraise; c'est une de ses qualités, une des idées qui composent l'idée de cet être.

Si nous avions donné des noms particu- liers aux saveurs et aux odeurs comme aux couleurs, je ferais de même à l'occasion des rapports que cette fraise a avec moi de me causer une certaine odeur et une certaine saveur; car tout rapport donne nécessaire- ment lieu à trois idées, celle du rapport lui-même, celle de son effet, celle de sa cause; si le plus souvent nous ne formons

g4 IDÉOLOGIE.

pas ces idées, ou si nous ne les désignons pas distinctement par des noms particuliers, c'est que cela ne nous est pas utile , ou plu- tôt c'est que les noms particuliers que nous leur avons donnés d'abord, nous les avons étendus à d'autres idées à peu près sem- blables ; qu'ainsi ils sont devenus communs et généraux, et que nous ne nous sommes pas embarrassés de les remplacer par d'au- tresqui soientrestésparticuliers etspéciaux. Mais il n'y a pas un des innombrables rap- ports que chacun des êtres existans ont avec nous , qui ne pût être la source de trois idées particulières , de trois mots particuliers pour les exprimer.

Ainsi , par exemple , cette fraise a avec moi les rapports de me faire trois effets; l'un que j'appelle me faire plaisir , l'autre que j'appelle me faire du bien, le troisième que j'appelle me faire ou me rendre service : j'exprime ces trois rapports en disant qu'elle est belle, qu'elle est bonne, qu'elle est utile , et les causes de ces trois rapports, par les mots beauté, bonté, utilité, qui représentent trois propriétés de la fraise, trois des idées qui composent l'idée de cet être.Mais quand j'aurai généralisé les mots plaisir, bien , ser-

CHAPITRE VI'. g5

vice, qui sont encore l'expression spéciale des effets particuliers de cette fraise sur moi; quand je les aurai étendus à d'autres effets produits par d'autres êtres, effets qui sont analogues à ceux-ci , mais qui ne sau- raient être exactement les mêmes, il ne me reste plus de moyen d'exprimer privative- ment le plaisir que me fait cette fraise, le bien qu'elle me cause , le service qu'elle me rend; de dire la manière particulière dont elle est belle , bonne et utile ; de peindre le genre spécial de la beauté, de la bonté, de l'utilité qui lui sont propres.Voilà à quoi nous sommes réduits actuellement que toutes nos idées sont si travaillées , que tous les mots qui les expriment sont si généralisés. Nous n'en avons plus pour exprimer particuliè- rement chaque chose ; il n'y a plus que les noms propres qui désignent un être à l'ex- clusion de tout autre. Cependant, vous de- vez sentir que tant que cette fraise , que j'ai prise pour exemple, est supposée le seul être que j'aie examiné , non-seulement son nom est un nom propre dans la force du terme, mais toutes les idées qu'elle m'a donné occasion de former ont ce même ca- ractère; elles sont uniques dans leur genre,

§f) IDÉOLOGIE.

les nwts qui les expriment ne s'appliquent qu'à un seul fait; et en même temps vou3 voyez que, sur ce seul être, j'ai créé des idées de bien des espèces. Nous trouverons facilement la manière dont ces idées parti- culières se généralisent.

J'ai beaucoup insisté sur ce premier pas de notre esprit , parce que si vous ne le com- preniez pas bien, vous n'entendriez jamais l'artifice de la composition de nos idées , ni celui du langage qui en est l'expression , ni celui du raisonnement. La plus grande diffi- culté que j'aie éprouvée pour vous l'expli- quer, c'est que les mots manquent à tout moment : comme , par un long usage, nous les avons tous généralisés, on ne sait com- ment s'y prendre pour obliger l'auditeur à les prendre dans un sens restreint et in- dividuel qu'ils n'ont plus ; et malgré tous mes soins, je ne serai pas étonné de n'y être pas complètement parvenu. Si à une pre- mière lecture il vous était resté quelque louche, je vous exhorterais à en faire une seconde, en tâchant de vous bien pénétrer de l'intention que j'ai eue, et en vous re- portant sans cesse à la position est un homme qui forme ces premières combinai- sons;

CHAPITÎIE VI. 97

sons 5 car je ne puis pas faire que nousayonS) pour exprimer les idées de cet homme, d'autres mots que ceux dont nous avons fait depuis un tout autre usage que lui, et qui, par conséquent, ont une autre valeur pour nous que pour lui : et, encore une fois, la science des idées est bien intimement liée à celle des mots; car nos idées composées n'ont pas d'autre soutien, d'autre lien qui unisse tous leurs élémens, que les mots qui les expriment et qui les fixent dans notre mé- moire. Nous examinerons quelque jour les causes et les conséquences de ce fait; mais en attendant, je puis parler d'une idée et du mot qui la représente comme d'une seule et même chose, car tout ce qui arrive à l'un arrive à l'autre.

Voilà donc qu'en conséquence de l'exa^ men d'un seul être, j'ai formé et séparé les unes des autres l'idée de cet être , celles de ses rapports, celles de leurs effets, celles de leurs causes ; et toutes ces idées sont encore particulières. J'ai créé, pour les exprimer, des mots que nous appelons un nom de sub- stance, des noms adjectifs, des noms sub- stantifs abstraits; et tous ces mots sont encore rigoureusement des noms propres

G

98 IDÉOLOGIE.

d'un tel être, d'an tel rapport, et d'un tel effet ou d'une telle qualité. Voyons com- ment ces idées et ces noms vont se géné- raliser.

Après avoir vu cette fraise, j'en vois d'autres; je les examine : elles lui ressem- blent par des qualités constantes, communes à toutes; elles en diffèrent par des circons- tances variables. Je retranche ces circons- tances variables et de l'idée de la première fraise et de celles des fraises que je vois en- suite; je réunis les qualités constantes, et voilà que l'idée et le nom de fraise sont de- venus communs à bien des êtres , et sont généralisés autant qu'ils peuvent l'être.

Par la même raison, les mots belle, bonne, utile, rouge; plaisir, bien , service, le rouge : beauté, bonté, utilité, rougeur, n'expriment plus les rapports de cette première fraise avec moi, leurs produits et leurs causes, mais les rapports, les effets et les qualités des fraises en général : ils sont déjà généra- lisés aussi, mais pas à beaucoup près autant qu'ils peuvent l'être; car dans la suite je les étendrai à bien d'autres êtres, les uns plus, les autres moins, d'après mes obser- vations.

CHAPITRE VI. 99

En effet, après avoir vu ces fraises, je vois une cerise; je fais l'idée de cette cerise comme j'ai fait celle de la première fraise , et l'idée générale de cerise comme l'idée gé- nérale de fraise. Ces cerises sont aussi, pour moi, belles, bonnes, utiles, rouges d'une certaine manière; mais cette manière n'est pas exactement la même que celle des fraises. Si, au lieu de donner aux rapports que je sens entre ces cerises et moi, des noms particuliers et qui leur soient propres, je leur applique ces noms-ci que j'ai déjà donnés aux rapports des fraises avec moi, il est clair que je ne le puis qu'en écartant des uns et des autres les circonstances qui les différencient, et en ne conservant que celles qui leur sont communes. Par conséquent, chaque fois que je généralise davantage un nom, que je l'étends à un plus grand nombre d'êtres, je retranche beaucoup des idées qu'il renfermait dans son sens plus restreint ; il en exprime réellement beaucoup moins. A proportion qu'une idée devient plus géné- rale, elle fait partie d'un plus grand nombre d'êtres, mais elle est une plus faible partie de chacun d'eux.

C'est ce qui se voit bien clairement dans

G 2

400 IDEOLOGIE.

la formation des idées d'espèces, de genres, de classes , qui se composent tout comme les précédentes : la seule différence est qu'un nom nouveau exprime chaque degré de gé- néralisation , et les fait remarquer en les empêchant de se confondre. Je vois un in- dividu, je reconnais toutes les qualités qui lui appartiennent, toutes les propriétés qui le caractérisent, en un mot toutes les im- pressions qu'il me fait; je l'appelle Jacques. Il est clair que ce nom propre est l'expres- sion del'idée complètede cet individu, c'est- à-dire de toutes les idées qui la compo- sent; je le réunis avec un certain nombre d'autres individus, differens de lui à beau- coup d'égards, mais qui ont aussi beaucoup de choses communes; j'en forme une classe d'individus, que je désigne par le nom de Parisiens; je joins ces individus à d'autres qui ont moins de points de ressemblance , j'en forme une seconde classe plus étendue, que je désigne par le mot de Français : je forme ainsi successivement les mots et les idées d'Européen, d'homme, d'animal, et >enfin d'être, qui est le terme le plus général dont on puisse s'aviser, puisqu'il s'étend ù tout ce qui existe. Il est clair que

CHAPITRE VT. IO*

ces idées très-composées vont toujours ren- fermant un plus grand nombre d'individus, ce qui constitue leur extension, mais un moindre nombre de circonstances de clia-t cun d'eux, ce qui constitue leur compré- hension; car quand je dis de Jacques qu'il est un être, je n'en dis qu'une seule chose, c'est qu'il est capable de m'affecter, sans dé^ signer du tout comment; je dis qu'il existe, et rien de plus; quand je dis qu'il est un ani^ mal, je dis de plus que je lui connais vie et mouvement, qu'il se nourrit,, qu'il se re- produit, en un mot , qu'il existe de toutes les manières qui caractérisent un animal; quand je dis qu'il est homme, je dis de plus que je sais qu'il est fait de telle ou telle manière , qu'il a telle qualité qui m'a frappé ; quand je dis qu'il est Européen, Français, Parisien, j'ajoute toujours quelque chose à l'idée; et enfin quand je dis qu'il est Jacques, je dis implicitement tout ce que je sais de lui, et même tout ce qui lui appartient, quand même je ne le connaîtrais pas encore; car je puis fort bien ignorer qu'il est fort, qu'il est aimable, qu'il est malade : mais quand je le saurai, ce sera seulement de nouvelles idées que je devrai ajouter aux nombreuse*

102 IDEOLOGTE.

idées qui composent pour moi celle de Jacques. Cela rentre dans ce que j'ai dit plus haut, qu'un nom signifie toujours plus ou moins de choses pour ceux qui le pronon- cent, à proportion qu'ils connaissent plus ou moins le sujet dont il s'agit; mais cela ne change rien à la vérité que j'ai établie, que l'idée particulière d'un individu ren- ferme toutes les idées qui lui appartiennent, et que l'idée d'un nom de classe ne ren- ferme que celles qui sont communes à tous les individus de la classe, et par conséquent un nombre d'idées d'autant moindre, que les individus sont plus nombreux et la classe plus étendue.

C'est ainsi que des idées de cerise, de fraise, d'abricot, etc> on fait l'idée de fruit, qui ne renferme plus les idées particulières à chacun de ces êtres, mais seulement la propriété qui leur est commune , d'être pro- duits d'une certaine manière par des végé- taux; et si je généralise encore plus le mot fruit) comme on fait dans le sens méta- phorique, en disant, par exemple, que la science est le fruit du travail, que les décou- vertes sont le fruit de la réflexion, ce mot fruit ne renferme plus que l'idée d'être pro-

CHAPITRE Vr. 103

duit par un être quelconque, sans aucune désignation de cause ni de manière.

De même, des idées de verd, de jaune, de rouge, en faisant abstraction de leurs dif- férences, je fais l'idée de couleur, qui n'ex- prime plus que la qualité commune à ces sensations d'être senties par l'œil comme les sons par l'oreille. Des idées de couleur et de son je fais l'idée plus générale de sensation, qui n'est que celle d'être sentie, n'importe par quelle voie.

De même encore, en revenant aux ad- jectifs cités ci-dessus, ce mot rouge, qui n'exprimait d'abord que la manière d'être rouge de la fraise, ensuite des fraises en gé- néral, puis des fraises et des cerises, de- vient petit à petit l'expression de ce que tous les corps rouges ont de commun entr'eux ; la même chose arrive au mot bon. A chaque degré de généralisation il y a des différences négligées, le mot change réellement de si- gnification ; cela est si vrai , qu'il est mani- feste que la bonté d'un homme, la bonté d'un fruit, la bonté d'un cheval, la bonté en général sont pas la même chose. Dans ces quatre cas, les mots bon et bonté sont appliqués à trois idées individuelles diiïé-

104 IDEOLOGIE.

rentes, et à une idée générale. Les idées changeant, en rigueur les mots devraient changer aussi, comme les mots verd, jaune, rouge et couleur; mais aucune langue n'est assez riche pour cela, parce que les incon- véniens d'une telle abondance surpasse- raient ses avantages. Cependant cela était bon à remarquer, pour que vous ne soyez pas dupes des mots , et qu'ils ne vous mas- quent pas la génération des idées lorsqu'ils ne la peignent pas fidèlement.

Quoi qu'il en soit, voilà que vous con- naissez comment se forment toutes celles de nos idées que nous exprimons par des substantifs et des adjectifs. Je pourrais vous expliquer de même la formation de celles qui sont représentées par les autres élémens du discours, tels que les verbes, les prépo^ sitions, etc. ; mais ces détails seront mieux placés quand nous étudierons la grammaire, cJest à-dire la science de l'expression de nos idées. Qu'il vous suffise pour le moment de savoir qu'elles dérivent toutes de celles que nous avons examinées , et qu'elles se for- ment par les mêmes moyens. Vous voyez donc qu'il ne s'agit jamais que de recevoir des impressions, d'observer des rapports,

CHAPITRE VI. 105

de les ajouter, de les retrancher, de tes réu- nir, de les diviser, et d'en former de nou- veaux groupes ; et vous ne devez plus être embarrassés de comprendre comment tant de combinaisons si différentes sont le pro- duit du petit nombre de facultés que nous avons distinguées dans notre faculté de pen- ser. C'était le seul but que je me proposais dans ce chapitre : nous pouvons actuelle- ment passer à un autre objet.

Observons seulement, en finissant, que la marche que nous venons de tracer à l'es- prit humain dans la formation de nos idées composées , est celle que suivrait nécessai- rement un homme isolé et sans secours , qui formerait ces idées et leurs signes pour son usage à lui tout seul. Elle est métho- dique, mais elle est pénible et lente; aussi certainement cet homme ne composerait guère d'idées , et son dictionnaire serait fort court. Toute langue un peu riche' n'a pu être le résultat que des efforts de beaucoup d'hommes et de bien des générations suc- cessives. Mais ce n'est pas par ce chemin que tant d'idées sont entrées dans nos tètes, à nous , jetés dès notre enfance au milieu d'hommes parlant une langue perfectionnée .

lo6 IDÉOLOGIE.

Nous n'avons pas créé ces idées, nous les avons reçues ; leurs signes ont d'abord frappé notre oreille pêle-mêle et au hasard, sui- vant que l'occasion s'en est présentée; nous n'avons eu qu'à en démêler les significa- tions , et à les classer , en profitant bien ou mal d'expériences multipliées ; c'est sur les mots et d'après les mots, que nous avons appris les idées. Cette opération est souvent restée incomplète; de bien des erreurs, bien des fausses liaisons , une grande igno- rance de l'enchaînement de certains résul- tats. On n'en sera pas surpris, si l'on songe que dans un petit nombre d'années de notre première enfance, nous mettons dans nos têtes la plus grande partie des idées qui ont été créées depuis l'origine du genre humain. Quand on fait des provisions si précipitées, il est difficile de les bien connaître et de les bien ranger. Mais en voilà assez sur ce cha- pitre : relisez- le quelquefois pour vous fa- miliariser avec ces combinaisons; et cepen- dant occupons-nous de chercher comment nous apprenons que les sensations qui nous affectent sont causées par un objet quel- conque.

CHAPITRE VIT. IO7

CHAPITRE VII.

De l'Existence.

x enser , c'est sentir ; et sentir, c'est s'aper- cevoir de son existence d'une manière ou d'une autre; nous n'avons pas d'autre moyen de connaître que nous existons. Aussi, si nous ne sentions rien, ce serait bien pour nous l'équivalent de ne pas exister. Une sen- sation est donc une manière d'exister, une manière d'être, et rien de plus ; et toutes nos sensations diverses sont purement et sim- plement différentes modifications de notre être : une sensation est donc une chose qui se passe uniquement en nous. Il en est de même, à plus forte raison, des souvenirs de ces sensations , des rapports que nous apercevons entr'elles, et des désirs qu'elles font naître.

Mais une pure sensation quelconque a- t-elle par elle-même la propriété de nous avertir qu'elle nous vient de quelque chose qui n'est pas nous? C'est une question que nous avons déjà traitée dans le chapitre de la Mémoire, pages 42 et suivantes; et nous

108 IDÉOLOGIE.

nous sommes décidés pour la négative , par cette considération sans réplique, que sen- tir une sensation, c'est sentir ; et que sentir d'où elle nous vient, c'est sentir un rap- port, c'est juger. Ainsi, toute sensation que nous rapportons à un être quelconque n'est déjà plus une pure sensation, elle est ac- compagnée d'un jugement.

Nous nous sommes demandé ensuite si ce jugement est inséparable de la sensation ; et nous avons vu dans le chapitre du Juge- gement, pages 62 et 55, qu'il en est si peu inséparable , qu'il est même impossible que la faculté de juger commence à agir aussitôt que la faculté de sentir.

Il nous reste donc à trouver comment nous avons été conduits à juger que nos sensations sont occasionnées par des êtres qui ne sont pas nous , et si nous avons rai- son de porter ce jugement. Nous appelons corps ces êtres auxquels nous attribuons d'être la cause de nos sensations : pour que> ce jugement soit juste, il faut premièrement que ces corps existent; secondement, qu'ils, soient en effet les causes des impressions que nous ressentons. La première chose a examiner est donc celle-ci, y a-t-il des.

CHAPITRE VIT. 109

corps ? et la seconde , comment le savons- nous?C'est ce dont nous allons nous occuper.

Vous êtes certainement surpris d'une pa- reille question : il ne vous est jamais venu en tête qu'on imaginât de la proposer, et qu'il pût être incertain s'il y a des corps et si vous en avez un; ce doute vous paraît im- pertinent; cependant je suis bien assuré qu'il vous est impossible de le lever^ et que, quelque inébranlable que soit votre opinion à cet égard, vous ne sauriez en démontrer la vérité. Cela seul doit vous prouver que le sujet mérite d'être approfondi; de plus, vous sentez que c'est la base fondamentale de . l'édifice entier des connaissances hu- maines. Car si nous nous trompons sur ce point capital, si l'existence des corps est une illusion, nous vivons entourés de fan- tômes, et toutes nos connaissances ne sont que des chimères. Or^ en matière si impor- tante, il n'est pas permis de se contenter d'un sentiment confus et d'assertions sans preuves.

Je sais qu'un très-grand préjugé en faveur de la réalité de l'existence des corps est la croyance générale de tous les hommes, qui n'en doutent pas, et n'imaginent pas même

110 IDEOLOGIE.

qu'on puisse en douter. Mais, premièrement, cette croyance n'est pas sans exception ; car plusieurs hommes, et de grands hommes, ont pensé et ont soutenu qu'il n'existe réel- lement rien de semblable à ce que nous ap- pelons des corps, et que quand les corps existeraient, nous n'avons en nous absolu- ment aucuns moyens de les connaître : d'ailleurs, quand même une opinion serait parfaitement universelle, ce ne serait pas encore une preuve sans réplique de sa jus- tesse, car le genre humain tout entier peut fort bien se tromper, et ce ne serait peut- être pas la première fois que cela lui fût ar- rivé. Il faut donc en revenir à examiner si l'existence des corps est réelle, et comment nous parvenons à la connaître.

Avec un moment d'attention vous pouvez vous apercevoir que non-seulement la solu- tion de cette question ne se présente pas d'elle-même à l'esprit avec évidence , mais encore qu'elle est assez difficile à trouver quand on y pense. En effet vous venez de voir que toutes nos idées composées ne sont autre chose que des combinaisons de nos sensations, de nos souvenirs, de nos jugemens, et de nos désirs. Il est bien évi-

CHAPITRE VII. 111

dent que ces combinaisons se font en nous sans aucune intervention étrangère ; il ne l'est pas moins que nos sensations de sou- venirs, de jugemens et de désirs sont aussi des choses qui se passent uniquement dans notre intérieur. Or, qu'est-ce qui empêche^ rait qu'il n'en fût de même de nos sensa- tions proprement dites? et que, tandis que nous croyons voir,.entendre, goûter, sentir, toucher des êtres réels et distincts de nous, ces impressions ne fussent que des modifi- cations internes de notre faculté de sentir, des manières d'être produites en elle par des raisons inconnues, mais sans aucune cause extérieure, comme celles que nous éprouvons dans certains rêves ou nous nous croyons actuellement frappés par des corps qui bien certainement sont alors fort éloi- gnés de nous, ou comme celles que nous ressentons même éveillés , dans certaines circonstances, ainsi que nous en avons fait la remarque aux chapitres de la Sensibilité et de la Mémoire.

Cette supposition n'est point absurde. Cependant, si elle était conforme à la vé- rité, cette plume que je crois tenir, ce papier sur lequel je crois en ce moment tracer ces

112 IDEOLOGIE.

mots, mon corps lui-même, que je crois sentir et par lequel je crois sentir, ne sej raient que de vaines apparences résultantes de diverses modifications arrivées et com- binées dans l'intérieur de ma faculté pen- sante quelle qu'elle soit et quelque part qu'elle existe; et, dans le fait, quand la chose serait ainsi, pourvu que ces modifi- cations et leurs combinaisons suivent les mêmes lois, qu'elles soient internes ou ex- ternes, qu'elles viennent du dedans ou du dehors, tout va de même pour moi qui les éprouve. Que vous, à qui je parle, soyez des êtres existans ou idéals; si, dans les deux cas, il doit résulter des mots que je profère que vous me présentiez les mêmes aspects, si je dois suivre les mêmes règles pour produire sur vous les mêmes effets , rien n'est changé pour moi ; et je n'ai, par conséquent, aucun moyen de démêler ce qui en est; je n'ai certitude de rien que des effets que j'éprouve.

A la vérité, actuellement que nous sommes parvenus (nous verrons quelque jour par quels moyens ) à nous comprendre récipro- quement, quand vous me dites que vous sentez comme moi, quand je vous vois

CHAPITRE VII. 110

agir spontanément comme moi, quand vous m'assurez que c'est en vertu d'impressions tout-à-fait semblables à celles que je vous dépeins comme existantes en moi, quand mille expériences continuellement répétées et toujours convaincantes me prouvent la vérité de ces assertions, il m'est bien diffi- cile de vous refuser d'être des êtres sentans et par conséquent existans comme moi. Mais si j'étais le seul être animé sur la terre, et qu'un génie d'une espèce supérieure, supposé doué du talent de se faire entendre à moi, vînt me dire que tout ce que je crois voir et entendre, et tout ce que je crois faire , n'est qu'une suite d'illusions ; que je suis purement et uniquement une vertu sentante, incapable de toute autre chose que d'être affectée successivement de mille ma- nières différentes; que, quand je me meus, je crois me mouvoir; que, quand je touche, je crois toucher : il est bien vraisemblable que ce génie me persuaderait ; il l'est sur- tout que, quand j'oserais douter de sa révé- lation, je ne saurais pas lui en démontrer fausseté.

Cela est si vrai, que, sans que ce génie ait jamais apparu à personne, et malgré toutes

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11 4 IDÉOLOGIE.

les lumières que fournit l'état de société , des sectes entières d'anciens philosophes , hommes doués de beaucoup de pénétra- tion, après y avoir mûrement réfléchi , ont prononcé qu'il nous est absolument et com- plètement impossible d'être jamais parfai- tement surs de rien ; et, à cet égard, la démonstration tant vantée de Diogène, qui, lorsque Zenon d'Elée niait le mouvement, pour toute réponse, se promenait devant lui, ne me paraît pas du tout digne de sa réputation; car il ne niait pas que nous vis- sions une apparence que nous appelons mouvement, mais il niait que nous puissions être sûrs que cette apparence ait quelque réalité ailleurs que dans notre pensée. Cette manière de résoudre la difficulté ressemble beaucoup à .celle d'Alexandre qui coupe le noeud gordien qu'on lui propose de dénouer. Elle est bonne dans le conquérant, car elle remplit son objet; mais je suis persuadé que le philosophe cynique ne s'en fût pas contenté s'il eût pu s'aviser d'une meilleure. Aussi, parmi les modernes encore, Mal- lebranche, un de nos plus beaux génies, a dit que les corps existent réellement; que nous n'en pouvons douter, puisque Moïse

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CHAPITRE VII. Il5

nous a raconté les circonstances de leur création ; mais que nous n'avons pas d'autre moyen de le savoir, et qu'il est absolument impossible qu'aucune de nos facultés intel- lectuelles nous en procure une connaissance directe ; il a même ajouté que ces corps n'existent que dans la pensée de Dieu , ce qui est bien toujours n'exister que dans une pensée. Et Berkeley, autre excellent esprit, a soutenu que le récit de Moïse bien entendu ne prouve pas l'existence des corps, et qu'ils n'existent réellement pas.

Sans exagérer le nombre des sectateurs de cette singulière opinion, je pourrais- peut-être ranger encore parmi ceux qui ont nié l'existence des corps, ou qui en ont douté, tous les partisans des idées innées, quand même ils n'auraient pas tiré expres- sément cette conséquence de leur système; car quand on pense ( et c'était l'opinion gé- nérale avant Locke ) que toutes nos idées existent en nous au moment de notre nais- sance , et que quand nous les recevons ou les composons nous ne faisons que nous en ressouvenir, il ne paraît ni nécessaire, ni morne naturel de supposer que ces impres-

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tl6 IDÉOLOGIE»

sions soient causées en nous par des êtres réellement existans.

Quoi qu'il en soit, il est certain que beau- coup de philosophes, et nommément tous ceux qui ont reconnu que nos sensations sont la source de toutes nos idées, ont cru fermement, comme le vulgaire, que ces sensations sont excitées en nous par l'action des corps sur nos organes, et que ces corps et ces organes sont des êtres bien réels; mais ils n'ont pas toujours été très-heureux à expliquer comment nous apprenons à reconnaître cette existence , et pourquoi nous en sommes certains; on peut même dire que cette question n'a encore jamais été parfaitement éclaircie.

Le plus souvent on s'est contenté de dire en général que nos sensations ont la pro- priété de nous apprendre d'où elles nous viennent, et que dans la sensation la plus simple est renfermée cette connaissance; ce qui est dire implicitement que l'action de sentir, qui bien sûrement nous fait con- naître notre propre existence, nous révèle aussi celle d'un autre être et du rapport qu'il a avec nous, et que ce jugement ou le sen- Itmentde ce rapport est inséparable de la

CHAPITRE VII. 117

sensation simple. C'est-là une assertion et non pas une démonstration.

Aussi, quand on a voulu entrer dans les détails, on a été fort embarrassé de détermi- ner à quelles sensations en particulier pou- vait s'appliquer cette maxime, et à quelle espèce de sensations appartenait réellement ce tte propriété de nous apprendre Fexistence des corps.

D'abord personne n'a songé à dire que cela convînt à aucune des sensations que nous avons nommées internes : elles n'ont paru que de simples affections de plaisir ou de peine, qui à elles seules ne pouvaient nous apprendre que notre propre exis- tence.

Ensuite, parmi nos sensations externes , on est encore généralement convenu que celles de l'odorat, de l'ouïe et du goût, ne pouvaient nous faire connaître par elles- mêmes l'existence des corps extérieurs : il est trop visible que nous éprouvons sou- vent des affections de ce genre sans l'inter- vention d'aucun corps étranger, et que même, lorsque ces corps en sont les causes, nous ne connaissons pas le plus souvent d'où, elles nous viennent.

Il8 IDEOLOGIE.

L'article de la vue a souffert plus de dif- ficulté; la plupart des idéologistes ont cru , il est vrai, que quand des rayons de lumière frappent notre œil, il nous est impossible de méconnaître que l'objet qui nous renvoie ces rayons est la cause de cette impression, et que, puisque ces faisceaux de lumière frappent différens points de notre œil les uns à côté des autres, et occupent ainsi une certaine étendue dans notre organe, nous sommes forcés de les rapporter de même les uns à côté des autres dans une certaine portion de l'espace, et par conséquent de reconnaître que l'objet qui nous les envoie est étendu, est un corps.

Je ne peux pas ici discuter à fond cette opinion, parce qu'il faudrait que vous con- nussiez bien ce que c'est que la propriété des corps appelée l'étendue, dont ces phi- losophes ne se sont jamais fait une idée bien nette, et que vous ne pouvez le comprendre complètement qu'après les explications que je vais bientôt vous donner de la manière dont nous la connaissons. Mais je puis dès ce moment vous faire part des deux objec- tions générales que l'on fait à ceux qui pré- tendent que les impressions de la vue nous

CHAPITRE VIT. 119

apprennent nécessairement l'existence des corps et leur étendue. Elles sont déjà, sui- vant moi, une réfutation sullisante.

On leur a dit, premièrement, les corps ne frappent pas l'œil plus immédiatement que le nez et l'oreille; les rayons lumineux nous arrivent au travers de l'air comme les ondulations sonores et les particules odo- rantes; toute la différence, c'est que ceux- ne nous arrivent qu'en ligne droite, tandis que celles-ci nous parviennent par toute sorte de chemins. Or, ces particules odo- rantes, ces ondulations sonores partent, comme les rayons lumineux , de chfférens points des corps; elles frappent difïérens points de l'oreille et du nez, comme ceux-ci difïérens points de l'œil : cependant , vous convenez que ces émanations odorantes et sonores ne sont pas capables de nous faire juger qu'il y a des corps, et des corps éten- dus. Il ne parait pas vraisemblable que la particularité de venir à nous en ligne droite donne cette propriété aux rayons lumi- neux.

Secondement, on a ajouté, et ceci est pé- remptoire, quand on vous passerait ce j,re~ mier point, vous n'eu seriez pas plus avancé;

120 IDEOLOGIE.

car il est bien manifeste que le même corps apparaît à notre œil de mille manières dif- férentes , suivant qu'il est éclairé d'une ma- nière ou d'une autre, vu de plus près ou de plus loin, ou de plus haut ou de plus bas, ou d'un côté ou d'un autre : or, laquelle de toutes ces manières d'être vu est la vraie manière d'être de ce corps? il est clair que la sensation visuelle seule ne nous met pas à même de la décider : elle ne nous ferait donc jamais connaître l'existence réelle de ce corps , quand même on vous accorderait qu'elle nous apprend à elle seule d'où elle nous vient.

Il y a quelque chose de plus singulier en- core dans le sens de la vue, c'est que nous avons l'expérience irrécusable que la sensa- tion visuelle nous trompe quelquefois com- plètement; elle nous fait voir des corps il n'y en a pas; les effets de la réfraction des diffërens milieux et ceux de la réflexion des miroirs nous font voir réellement les objets ils ne sont pas; ce bâton à demi plongé dans l'eau n'est pas je le vois; ce beau paysage n'est pas dans ma glace. Dans les cabinets de physique, par l'arrangement de quelques miroirs concaves, on me fait voir

CHAPITRE VII. 121

un objet an milieu de la chambre; je passe la main à l'endroit cet objet paraît être avec toutes ses formes et toutes ses cou- leurs, et je m'assure qu'il n'y arien du tout dans cet endroit. Ce n'est pas ici le moment d'expliquer ces effets; mais ils suffisent pour prouver qu'un sens qui sur le même être nous fait continuellement des rapports diffërens, et qui crée souvent pour nous des êtres absolument imaginaires, n'estpas propre à nous assurer de la réalité de ceux qu'il nous montre.

Reste donc les sensations tactiles. Tout le monde convient que ce sont celles-là qui nous donnent des connaissances vraies de l'existence réelle des corps, et que ce sont elles qui nous apprennent ensuite à rap- porter à ces mêmes corps les impressions qu'ils font sur nos autres sens, et à nous faire des idées justes de ces rapports : je ne nie pas qu'il n'en soit ainsi; mais comment cela se fait-il? c'est ce qui mérite expli- cation.

En effet, il ne paraît pas que les sensations tactiles aient par elles-mêmes aucune pré- rogative essentielle à leur nature qui les dis- tingue de toutes les outres. Qu'un corps

122 IDEOLOGIE.

affecte les nerfs cachés sous la peau de ma main, ou qu'il produise certains ébranle- mens sur ceux répandus dans les mem- branes de mon palais, de mon nez, démon œil, ou de mon oreille; dans les deux cas c'est une pure impression que je reçois, c'est une simple affection que j'éprouve ; et Ton ne voit point de raison de croire que l'une soit plus instructive que l'autre, que l'une soit plus propre que l'autre à me faire porter le jugement qu'elle me vient d'un être étran- ger à moi. Pourquoi le simple sentiment d'une piqûre, d'une brûlure, d'un chatouil- lement, d'une pression quelconque me don- nerait-il plus de connaissance de sa cause que celui d'une couleur, ou d'un son , ou d'une douleur interne? il n'y a nul motif de le penser. Tant que nous sommes immo- biles, que nous n'agissons pas nous-mêmes , que nous ne faisons que recevoir passive- ment les impressions qui surviennent, celles qui affectent notre tact ne nous éclairent pas plus que les autres. Voilà donc encore le toucher passif reconnu aussi incapable que les autres sens de nous faire soupçon- ner l'existence des corps. Au premier aperçu, on sent confusément

CIIAP1TRH VII. 125

qu'il ne doit pas en être de même quand, au contraire, c'est nous qui agissons, qui nous mouvons, qui allons, pour ainsi dire , chercher les impressions; mais on ne dé- mêle pas toujours bien les raisons de la dif- férence. En effet, cette condition toute seule ne suffit pas encore pour nous éclairer.

Car d'abord, supposons pour un moment que nous aj^ons la faculté de nous mouvoir comme nous l'avons, mais sans que les mouvemens de nos membres produisent en nous aucune sensation interne, sans que nous les sentions, sans par conséquent que nous en soyons avertis et que nous en ayons aucune conscience. Dans cet état, je remue mon bras, ou plutôt mon bras remue, mais je l'ignore. Il va rencontrer un corps résis- tant, doué d'inertie, mais je n'en sais rien. J'éprouvebien, si l'on veut, de la part de ce corps, i'eiïèt que nous nommons résistance; mais cette résistance n'est point pour moi une opposition à ce que nous appelons mouvement, puisque je ne sais pas ce que c'est que le mouvement, ni que j'en fais.. Bien loin de : elle n'est pas même à mon égard, dans cette supposition, la cessation du sentiment intérieur que nous cause le

124 IDEOLOGIE.

déplacement des parties de notre corps , puisque, dans l'hypothèse , ce sentiment n'a pas lieu, et que nous nous mouvons sans rien éprouver, sans être avertis de rien, sans avoir la conscience de rien. Etant ainsi or- ganisé, l'impression que je recevrais d'un corps résistant ne pourrait donc consister que dans une sensation de chaud, ou de froid, ou de mouillé, ou dans toute autre sensation uniquement relative au tact pur et passif. Elle serait une impression aussi simple et aussi peu instructive que toutes les autres. Je n'en pourrais encore rien conclure.

A la vérité, si vous ajoutez à cette faculté de nous mouvoir, la circonstance que chaque mouvement de nos membres produise en nous une sensation interne, vous verrez naître un nouvel ordre de choses : car dès que je sens quelque chose quand mes mem- bres se meuvent, dès que j'éprouve une certaine manière d'être pendant qu'ils se meuvent , je suis nécessairement averti quand cette manière d'être commence et quand elle cesse. Rentrons donc dans l'hy- pothèse réelle, et examinons soigneusement les effets qui en résultent.

CHAPITRE VII. 125

Non-seulement nous nous mouvons, mais nous sentons quelque chose quand cela ar- rive. Quand un de nos membres s'agite, nos nerfs sont ébranlés , nous recevons une sen- sation que nous avons nommée sensation de mouvement. Quand le mouvement cesse, la sensation cesse. C'est déjà beaucoup, mais ce n'est pas encore tout pour l'objet qui nous occupe. En effet, mon bras se meut, je ne sais pas «encore que c'est mon bras, ni même que j'ai un bras; mais j'é- prouve quelque chose qui est la sensation de ce mouvement. Mon bras rencontre un corps qui l'arrête , ma sensation de mouve- ment cesse , je n'éprouve plus cette manière d'être; j'ensuis averti, il est vrai; mais ne sachant pas qu'il y a des corps, je ne sais encore rien du tout de la cause de cet effet; ainsi me voilà, avec la faculté de me mouvoir et la sensation que me cause le mouvement, tout aussi ignorant qu'avec les sensations tactiles passives, et toutes les autres, que nous avons déclarées insuffisantes pour nous apprendre l'existence des corps. Du moins il n'est pas prouvé que je sois nécessaire- ment conduit, par ces changemens de ma- nière d'être, à reconnaître que ce qui cause

126 IDÉOLOGIE.

la cessation de ma sensation de mouvement, est un être étranger à mon moi. J'ai pensé jadis que cela était ainsi, mais je crois que je m'étais trop avancé.

Il faut donc , pour rendre cette découverte inévitable, appeler encore à notre aide une autre de nos facultés, et c'est la faculté de vouloir. Avec celle-là, il ne nous manquera plus rien. Car lorsque je me meus, que je perçois une sensation en me mouvant, et que j'éprouve en même temps le désir de percevoir encore cette sensation ; si mon mouvement s'arrête, si ma sensation cesse, mon désir subsistant toujours, je ne puis méconnaître que ce n'est pas un effet de ma seule vertu sentante; cela impliquerait contradiction, puisque ma vertu sentante veut de toute l'énergie de sa puissance la prolongation de la sensation qui cesse.

A la vérité, si je m'aperçois tout de suite que la cessation de cette sensation que je désire continuer, n'est pas un effet de la puis- sance de ma vertu sentante, de ma volonté, de mon moi, je puis fort bien ne pas m'a- percevoir si promptement qu'elle est l'effet de la puissance d'un autre être, et ne pas découvrir tout de suite l'existence de cet

CHAPITRE VIT. 127

autre être. Mais quand j'aurai fréquemment éprouve que très-souvent cette sensation se prolonge autant que je le veux, et que dans d'autres cas elle cesse subitement en tout ou en partie malgré moi, il est impos- sible que plutôt ou plus tard je ne vienne pas à soupçonner que ce dernier effet a une cause, et à faire de cette cause un être qui n'est pas moi. Je puis et je dois sans doute me tromper fréquemment , d'abord sur les circonstances adjacentes, et porter ce jugement sans beaucoup de discernement. Par exemple, ne connaissant ni mon corps ni les corps étrangers, ni leur configuration, n'ayant même aucune idée de forme ni d'étendue, je ne dois pas distinguer quand mon mouvement est arrêté uniquement par la limite de l'extension possible à mes mus- cles et par la disposition de mes articulations qui s'y refusent, ou quand il l'est par l'oppo- sition d'un corps tout-à-fait séparé du mien. Mais dans les deux cas je porte un juge- ment également juste, en pensant, en sen- tant que la cessation de ma sensation de mouvement est l'effet d'un être différent de ma volonté.

Ensuite dans tous les cas cet effet est

128 IDÉOLOGIE.

produit, soit par un corps absolument dis- tinct du mien , soit par un de mes membres qui s'oppose au mouvement d'un autre, je ne puis manquer à la longue de remarquer que le sentiment de cette cessation de mou- vement est toujours accompagné de di- verses sensations tactiles, ou visuelles, ou auriculaires, et quelquefois olfactives, et de faire de ces sensations les propriétés de l'être qui cause, malgré ma volonté, la ces- sation du sentiment de mouvement que je voudrais continuer. Enfin, je ne puis man- quer non plus de m'apercevoir que cette cessation de mouvement n'est pas toujours absolue, qu'elle n'éprouve souvent que cette modification que plus instruit j'appellerai changer de direction, qu'il y a des limites à la puissance de cet être qui s'oppose à ma sensation de mouvement, que les confins de sa puissance sont ce que nous nommons sa surface, que ce sont eux qui constituent ce que nous appelons sa forme ; et que si je ne puis pas franchir ces confins , et passer au travers de ce corps, je puis tourner autour et le circonscrire, et par conséquent déter- miner le mode d'existence, ou ce que nous appelons l'étendue de cet être, qui, ou est

tout-

CHAPITRE VIT. ] 29

tout-à-fait étranger à mon moi sentant et voulant (ce sont les corps extérieurs), ou quelquefois lui obéit (c'est notre propre corps), mais toujours en est distinct et agit sur lui de beaucoup de manières.

Nous verrons dans la suite par quelles expériences successives nous distinguons le corps par lequel nous sentons et qui obéit à notre volonté, de tous ceux qui nous sont entièrement étrangers; comment nous démêlons les propriétés de celui-là et de tous les autres; dans quel ordre nous dé- couvrons ces propriétés . et quelles relations elles ont entr'elles. Mais pour le moment il nous suffit d'avoir bien reconnu que la prin- cipale de ces propriétés , la première connue et avérée , est celle de s'opposer à la conti- nuation du sentiment que nous causent nos mouvemens , malgré que nous voulions le prolonger. Celle-là est vraiment fondamen- tale ; car elle nous assure, d'une manière certaine qu'il y a un être qui n'est pas nous : et elle constitue l'existence réelle de cet être. Cette existence devient pour nous une conséquence immédiate et nécessaire de notre sentiment de vouloir, et de la con-

I

l5o IDEOLOGIE.

trariélé quïl éprouve, deux choses dont nous sommes bien assurés.

Il n'est pas du tout nécessaire, pour la vérité de cette conclusion , que nous puis- sions expliquer d'une part ce que c'est que ce sentiment de vouloir, et comment il se fait que nous en soyons capables; et de l'autre, pourquoi tous les êtres qui tombent sous nos sens sont doués plus ou moins du pouvoir de résister au mouvement, et en quoi consiste cette puissance. Ce sont deux faits incompréhensibles pour nous, et dont les causes nous sont complètement incon- nues, mais deux faits bien constans; et il ne l'est pas moins qu'être voulant et être résistant, c'est être réellement, c'est être; et que l'être voulant, quoiqu'ignorant en- core qu'il y a du mouvement et des êtres , quand il éprouve que souvent il peut à vo- lonté se donner la sensation qui résulte du mouvement de ses membres, et que sou- vent il ne le peut pas quoiqu'il le veuille, doit, dans ce dernier cas, conclure qu'il y a des êtres résistàns ; que cette conclusion doit le conduire à une connaissance plus détaillée de ces êtres, et que tout lui prouve

r

CHAPITRE VII. l5l

postérieurement que cette première con- clusion est légitime.

Cet effet de la réunion de notre faculté de vouloir avec celle de nous mouvoir et de le sentir, étant une fois reconnu et avoué, on est tenté de croire d'abord que toutes les autres sensations de l'être doué de volonté, peuvent le conduire à la connaissance des êtres qui causent ces sensations, tout comme celle de mouvement dont nous venons de parler. Cependant je ne le pense pas, parce qu'il y a une différence essentielle ; sans doute je puis bien désirer de prolonger ou de renouveler une sensation visuelle, ou tactile, ou auriculaire, ou olfactive, tout comme la sensation d'un mouvement; mais si je suis supposé ignorer tout, et le mou- vement, et les êtres, et moi-même, je ne puis rien faire en conséquence de ce désir ; car je ne puis pas le satisfaire immédiate- ment. Je ne saurais me donner directement la sensation de telle odeur, de telle couleur, de tel son, ou telle autre impression. Tout ce que je puis, est de faire un mouvement de ma main, ou de mes yeux, ou de tout autre organe, pour me la procurer. Mais pour cela il faut que je sache que ces mou-

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l52 IDÉOLOGIE.

vemens sont propres à produire cet effet. Or, qui me l'apprendra d'abord?

Au contraire, pour la sensation directe qui résulte en nous des mouvemens de nos membres, il n'y a pas lieu à ce ricochet. Toute douleur, toute souffrance , tout mal- aise seulement, fait naître en nous le désir, le besoin même de nous remuer, de nous agiter. Ce sentiment de mouvement est un soulagement, un vrai bien-être. Nous jouis- sons tant qu'il dure; nous pouvons ordinai- rement le prolonger à volonté. Quand il est suspendu malgré nous, ce n'est pas par nous. C'est donc par quelque chose qui n'est pas nous, et qui tantôt agit sur nous, tan- tôt n'y agit pas; et bientôt le mouvement lui-même nous fait connaître ce quelque chose par une multitude d'expériences dont celle-ci est la base. Il n'y a ni cascade ni embarras.

Les mouvemens vagues des en fans nou- veau-nés, bien observés, me paraissent une preuve que les choses se passent ainsi dans leurs têtes. On les voit souvent s'agi- ter uniquement pour le plaisir de remuer. C'est une satisfaction pour eux, et ils sont très-fàchés quand on les en prive. On les

CHAPITRE VII. l55

voit aussi s'agiter quand ils éprouvent de la douleur; et ils se dépitent violemment si quelque chose les en empêche. Enfin, on les voit s'agiter encore lorsqu'ils désirent quel- que chose, parce que tout désir non satis- fait est aussi une souffrance. Mais leurs mouvemens n'ont pas d'abord une direction plus déterminée dans ce dernier cas que dans les deux autres. Ils ne commencent à prendre une tendance marquée vers l'objet de leur désir, que quand ils ont appris à démêler et à distinguer les différens corps, à les reconnaître pour les causes des im- pressions qu'ils reçoivent, et à sentir que ce n'est pas vaguement telle impression qu'ils désirent éprouver, mais tel objet, cause de cette impression, qu'ils veulent posséder et dont ils veulent jouir.Or, je crois qu'ils n'arrivent à ce degré de connaissance que par la route que nous avons indiquée.

On pourrait dire, il est vrai, qu'indépen- damment de la sensation interne que cause tout mouvement, ces mouvemens fortuits peuvent leur faire rencontrer par hasard une sensation externe qui leur plaise, une sensation visuelle par exemple ; que ces mouvemens peuvent même se trouver di-

2 34 IDEOLOGIE.

rigés de manière à prolonger cette sensation prête à échapper; à suivre, par exemple, une lumière qui passe devant leurs yeux ; et que cette expérience répétée peut les conduire à faire avec intention ces mêmes mouvemens exécutés d'abord au hasard. On pourrait même le soutenir avec plus d'avantage des sensations tactiles. Un enfant étend son bras uniquement pour l'étendre. Il rencontre une chaleur douce qui lui fait plaisir; il retire ce bras et l'étend de nou- veau, il retrouve cette même chaleur; ou bien il le laisse étendu et il ressent cons- tamment cette sensation agréable.

De cet effet, répété plusieurs fois, il peut résulter, dira-t-on, qu'il apprenne à étendre son bras dans l'intention d'éprouver cette sensation, ou à le laisser dans la position il l'éprouve afin qu'elle continue. Je n'oserais pas affirmer qu'il soit absolument impossible que cela arrive; mais je crois que c'est extrêmement difficile, parce que je ne vois pas quelle liaison cet enfant, ignorant tout, peut établir entre cette sen- sation qu'il éprouve et le mouvement de ses organes nécessaire pour se la procurer, à moins qu'il ne s'aperçoive du mouvement

CHAPITRE TH. l55

de ces mêmes organes ; et alors nous voilà revenus à la nécessité du mouvement senti. La sensation externe n'est plus que la cause occasionnelle de l'action de sa volonté j la sensation interne du mouvement est seule cause de la connaissance du moyen de se procurer cette autre sensation désirée.

D'ailleurs, je vois bien notre nouveau-né arrivé à désirer une sensation et à savoir, dans quelques cas, se la procurer en com- mençant par s'en donner une autre qu'il à reconnu conduire à celle-là. Mais je ne vois pas du tout comment il parviendrait à ap- prendre que la sensation qui est son but, et que celle qui est son moyen, sont causées par des êtres distincts de son moi, et à dé- couvrir qu'il y a des corps et qu'il en a un. Il me semble qu'il ne peut y réussir pour son propre corps que par l'observation de la souplesse ou de la rigidité de ses organes; et, pour les corps étrangers à lui, que par l'application immédiate de ces mêmes or- ganes sur eux ; et alors nous voilà encore revenus, non-seulement à la nécessité d'un mouvement senti et voulu, mais encore à celle d'un sentiment de résistance éprouvé; à quoi il faut ajouter qu'on ne saurait com-

1$6 IDÉOLOGIE.

prendre comment le mouvement d'un or- gane pourrait être senti si ses parties n'é- taient pas douées d'une certaine force de résistance au mouvement.

Il me paraît donc prouvé, que nous sommes très -assurés de l'existence des corps, c'est-à-dire d'êtres qui ne sont pas notre moi sentant et voulant, et qui lui obéissent ou lui résistent plus ou moins; que c'est à la faculté de vouloir, jointe à celle de nous mouvoir et de le sentir, que ;nous devons la connaissance de ces corps et la certitude de la réalité de leur existence 5 que, pour que ces facultés produisent cet effet, il faut que ces corps soient doués d'une certaine force de résistance au mou- vement. Action voulue et sentie d'une part, et résistance de l'autre ; voilà, j'ose n'en pas douter, le lien entre les êtres sentans et les êtres sentis ; c'est-là le point de contact qui assure très-certainement ceux-là de l'exis- tence de ceux-ci, et je ne leur en vois pas d'autre qui soit possible.

De cette vérité, si c'en est une, comme je le crois très-fermement, il résulte deux conséquences singulières; l'une, qu'un être complètement immatériel et sans organes,

CHAPITRE VI r. 107

s'il en existe, ce que nous ne pouvons savoir, ne peut absolument rien connaître que lui- même et ses affections, et ne saurait en au- cune manière se douter de l'existence de la matière et des corps ; l'autre , que pour nous à qui on a tant dit sans preuves que si nous étions tout matière nous ne pourrions pen- serai est démontré au contraire que, si nous étions totalement immatériels et sans corps, nous ne pourrions pas penser comme nous faisons, et nous ne saurions rien de tout.ee que nous savons. Peut-être saurions-nous des choses toutes différentes. Mais qui nous le dira? et qui osera nous apprendre com- ment nous serions si nous étions d'une ma- nière que nul de nous n'a pu ni éprouver ni observer, et dont nul de nous ne peut même concevoir la possibilité 5 et d'ailleurs de quoi cela nous servirait-il?

Tels sont, suivant moi, les résultats in- contestables de l'examen auquel nous venons de nous livrer. Maintenant il reste à voir s'il ne nous laisse pas encore quelque chose à désirer.

J'avais un double but à atteindre. Je devais faire voir, d'une part, que c'est à tort que l'on attribue à toutes nos sensations propre-

l38 IDÉOLOGIE.

ment dites, ou à certaines d'entr'elles, la propriété de nous faire connaître les êtres qui les causent; et de l'autre, que cependant nous avons un moyen certain de connaître ces êtres, et que leur existence n'est point une illusion. Il s'agissait de prouver aux hommes trop confians, que tant qu'on ne fait que sentir des sensations on n'est as- suré que de sa propre existence; et aux hommes trop sceptiques, que quand on sent que Ton veut, que l'on agit en conséquence, et que l'on éprouve une résistance à cette action sentie et voulue, on est certain non- seulement de son existence, mais encore de l'existence de quelque chose qui n'est pas soi.

Le premier point sans doute n^est pas sans intérêt ; car de nous former une idée fausse de la nature de nos sensations, nous ferait rencontrer beaucoup d'obstacles à bien connaître les propriétés des corps et la génération de cette connaissance. Cepen- dant, quand je serais dans l'erreur à cet égard, et quand nous aurions bien plus de moyens que je ne crois d'être assurés de l'existence des êtres qui ne sont pas nous, l'existence de ces êtres n'en serait que plus

CHAPITRE VII. l3g

certaine, et le fondement de nos connais- sances ne serait pas ébranlé.

Le second point, au contraire, est d'une toute autre importance; car s'il n'était pas vrai que quand je sens un désir, quand je fais en conséquence de ce désir une action que je sens aussi, et quand j'éprouve une résistance à cette action, je suis certain d'une existence autre que celle de ma facul- té de sentir, j'aurais, contre mon intention, prouvé que nous ne sommes jamais sûrs de cette seconde existence, en prouvant que tous autres moyens de la connaître sont insuffisans; mais j'avoue que je n'ai pas cette inquiétude, et que je crois avoir établi ce second point d'une manière incontestable; car il est bien constant que ma volonté c'est moi, et que ce qui résiste à ma volonté est autre chose que moi.

Toutefois l'on voit que pour que cette résistance me soit connue pour être une véritable résistance, il ne suffit pas que je sente un désir; il faut que ce désir soit suivi d'une action, que je sente cette action aussi quand elle a lieu, et que tantôt elle ait lieu librement, tantôt elle éprouve une. op- position. Voilà pourquoi, pour avoir con-

l4o IDÉOLOGIE.

naissance d'autre chose que de ma vertu sentante, il fallait que j'eusse la faculté de faire des mouvemens , et pourquoi la pre- mière manière dont les êtres autres que moi m'apparaissent, c'est par la propriété qu'ils ont de résister aux mouvemens que je fais faire à la portion de matière qui obéit à ma volonté et par laquelle je sens.

Cette propriété fondamentale des corps que nous nommons force ^inertie est donc nécessairement la première par laquelle nous les apercevons. Elle est la¥ base de toutes celles que nous leur connaissons et que nous joignons ensuite à celle-là pour former l'idée complète de chacun de ces êtres. Sans elle nous n'aurions pas connu les corps étrangers à nous, ni même le nôtre. Nous ne nous serions pas seulement aperçus de nos mouvemens; car c'est la résistance de la matière de nos membres au mouve- ment, qui nous occasionne cette sensation de mouvement. Ainsi , si la matière avait pu être non résistante, nous n'aurions cer- tainement jamais rien connu que nous, et nous n'aurions connu de nous que notre vertu sentante. Il n'est même pas aisé de

CHAPITRE VIT. l4l

concevoir comment nous aurions pu sentir quelque chose, quoi que ce soit. .

Autrefois j'ai été plus loin; j'ai soutenu que si nous ne connaissions d'existence que celle de notre vertu sentante, si nous ne connaissions pas les autres êtres, nous ne ferions éternellement que sentir des impres- sions, et que nous ne parviendrions jamais à sentir des rapports et des désirs; qu'ainsi, dans cette supposition, nous n'aurions ni jugement ni volonté. Je suis très-convaincu que j'avais tort. Cependant cela mérite exa- men ; non pas assurément que je pense que mes opinions aient assez d'autorité pour qu'une erreur de ma part vaille la peine d'une discussion solennelle, mais parce que ceux qui auraient adopté mon ancienne opinion me diraient : Vous avez prouvé autrefois qu'on ne peut vouloir que quand on connaît les corps; vous montrez au-: jourd'hui qu'on ne peut connaître ces corps qu'en vertu de mouvemens sentis et voulus. Il s'ensuit que nous ne pouvons jamais les connaître, et que tout ce que vous aVez dit là-dessus porte à faux. Ce raisonnement serait irréplicable. Aussi , quand j'ai dit que notre volonté ne peut naître tant que nous

#

l42 IDÉOLOGIE.

ne connaissons pas l'existence des corps, j'ai soutenu en même temps que des mou- vemens involontaires suffisent pour nous apprendre cette existence. Aujourd'hui que je conviens que ce dernier point n'est pas prouvé, et que je pense que des mou- vemens voulus sont nécessaires pour con- naître l'existence des êtres autres que nous , je dois faire voir que nous pouvons vouloir avant d'avoir cette connaissance. Ce sera l'objet du chapitre suivant; ensuite nous reviendrons à l'examen des diverses pro- priétés des corps.

CHAPITRE VIII.

Comment nos Facultés intellectuelles commencent-elles à agir ?

Après nous être fait une idée générale de la faculté de penser ou de sentir, et des fa- cultés qui la composent; après avoir reconnu par quel emploi de ces facultés nous for- mons nos idées composées, et comment nous apprenons avec certitude qu'il existe autre chose que notre moi, il est temps d'examiner comment ces facultés commen-

CHAPITRE VIII. l43

cent à agir. Je vais d'abord exposer com- ment je raisonnais quand je pensais que nous ne pouvions commencer à sentir des désirs qu'après avoir porté le jugement que nos sensations nous viennent des corps.

Je disais : il n'est pas douteux qu'on ne peut avoir des souvenirs et porter des ju- gemens avant d'avoir reçu des impressions: ainsi la sensibilité proprement dite est né- cessairement la première de nos facultés intellectuelles qui commence à agir.

D'un autre côté , il n'est pas moins vrai qu'une sensation pure et simple ne nous apprend rien que notre propre existence. Quand on ne fait uniquement que sentir, sans mélange d'aucune connaissance, on re- çoit une impression quelconque , on éprouve une certaine manière d'être : la vertu sen- tante, l'existence personnelle est modifiée d'une telle façon, et voilà tout. Enfin, il est encore vrai que pour porter un jugement il faut avoir à la fois à comparer deux idées , et deux idées différentes l'une de l'autre : ainsi une première sensation ne peut donner lieu à aucun jugement.

Maintenant, qu'à cette première sensation il vienne s'en joindre une autre, quelque

l44 IDÉOLOGIE.

différente de la première qu'on la suppose pour nous, qui connaissons leurs circons- tances, leurs propriétés, les corps qui les occasionnent, les organes qui les trans- mettent; quand on ignore tout cela, il est bien vraisemblable qu'on n'est pas en état de séparer Tune de l'autre ces deux sensa- tions qu'on éprouve en même temps : faute de moyens de les distinguer, elles doivent paraître à elles deux ne faire encore qu'une sensation. Malgré tout ce que nous savons d'avance, quelque chose d'analogue à cela nous arrive tous les jours, lorsque les don- nées nous manquent pour juger : ainsi, par exemple, quand j'éprouve le goût d'un sel, je ne distingue pas ceux de l'acide et de l'ai- kali qui le composent; quand le noir et le blanc se mêlent, j'ai la sensation de gris, et je ne distingue pas les couleurs compo- santes; quand je sens un pot-pourri bien fait, je sens l'odeur du pot-pourri, et ne discerne pas celle de chaque fleur; quand j'entends un son, souvent je ne discerne pas chacun des sons harmoniques qui le com- posent; quand je suis poussé par une force , j'ignore si c'est une force unique ou la ré- sultante de plusieurs autres; quand enfin

CHAPITRE VIII. l45

je sens une douleur interne, il m'est impos- sible de dire si elle est seule ou formée de plusieurs, c'est-à-dire de la lésion de plu- sieurs points sentans; et si elle change de nature, je ne saurais affirmer si ce n'est pas plusieurs de ces douleurs compo- santes qui disparaissent, ou d'autres qui s'y joignent.

Fondé sur ces motifs, on peut et on doit donc croire qu'une seconde sensation ve- nant se joindre à la première, ne donnera pas plus de prise qu'elle à l'action du juge- ment, et que toutes celles qui surviendront se confondant de même ensemble, jamais, par l'effet de sensations simultanées, le ju- gement ne peut commencer à agir tant que ces sensations sont de simples impressions dénuées de toute connaissance de leurs causes.

A la vérité ces sensations peuvent bien nous donner des souvenirs; mais il est ma- nifeste que ces souvenirs sont aussi de ^simples impressions, et que s'ils viennent plusieurs ensemble , ils feront le même effet que les sensations dont ils sont les images, ils se confondront de même : ainsi point d'ac- tion encore de la part du jugement.

K

ï46 IDÉOLOGIE.

A cette heure, supposons qu'à une sensa- tion simple actuellement présente, vienne se joindre un souvenir d'une sensation pas- sée, se confbndra-t-il avec elle ou non? Si l'on songe qu'il n'y a rien dans la nature de la mémoire qui nous avertisse qu'un souve- nir est un souvenir, que nous-mêmes qui le savons bien, il nous arrive pourtant d'avoir des souvenirs sans savoir que ce sont des souvenirs , 'on n'hésitera pas à prononcer qu'un souvenir fera le même effet qu'une sensation actuelle, qu'il se confondra de même avec la première sensation, et qu'il n'y a encore rien à attendre de cette com- binaison pour la naissance de l'action du ju- gement.

On doit donc conclure que tant qu'on ne connaît pas les circonstances , les causes , les moyens de ses sensations; tant qu'on ignore i'existence des corps et celle de ses propres organes, l'action du jugement ne saurait commencer.

Or, on ne peut désirer qu'en conséquence* d'un jugement; on ne peut donc former un désir que quand on à porté au moins un ju- gement : ainsi tant qu'on n'a pas eu la sen- sation de mouvement, on ne juge ni ne

CHAPITRE VIII. l47

■désire , on sent son existence , et voilà tout.

Mais qu'un hasard, quel qu'il soit, me fasse faire un mouvement, je le sens; qu'une douleur quelconque me fasse remuer le bras, j'ai le sentiment que je me meus, j'é- prouve la sensation de mouvement; mon bras rencontre un corps, il est arrêté : je ne sais encore ni ce que c'est que ce corps, ni ce que c'est que mon bras; mais ma ma- nière d'être change : au lieu de la sensation de mouvement, j'éprouve celle de résis- tance : je ne puis les éprouver ensemble ; et elles sont trop opposées pour que, quand j'éprouve l'une et que je me rappelle l'autre, je puisse confondre cette sensation et ce souvenir. Je les distingue donc ; je sens entr'euxun rapport de différence, je porte un jugement; en conséquence de ce juge- ment, j'en porte d'autres, je forme des de- sirs, etc. Ainsi c'est à cette époque que commence le développement de toutes nos facultés, et c'est à la seule sensation de mou- vement que je le dois.

On ne saurait nier que ce raisonnement ne soit très-conséquent ; mais il part d'un principe qu'on ne peut établir par aucunes

K a

l48 IDÉOLOGIE.

preuves directes , et qui n'est qu'an emploi abusif de deux idées généralisées. On dit : Une sensation pure et simple ne nous ap- prend rien que notre propre existence (1). Sans doute cela est vrai de l'action de sentir en général, et de l'existence en général; c'est-à-dire que quand on ne fait rien que sentir, on ne sent que sa propre existence : c'est certain. Mais une sensation réelle n'est pas l'action de sentir en générai; elle est un fait particulier; elle ne nous fait pas sentir notre existence en général, mais une ma- nière d'être déterminée; elle est opérée par un certain mouvement de nos organes sen- tans, de nos nerfs. Or, qui est-ce qui pour-

(0 Si je voulais stipuler les intérêts de mon amour- propre , je pourrais dire que ce principe hasardé n'est pas de moi; qu'il se trouve dans le Traité des Sensa- tions, de Condillac, et que je n'ai fait que le pousser à l'extrême. Mais qu'importe à la science que le germe d'une erreur soit de moi ou d'un homme plus habile que moi? Ce qui est utile, c'est de voir ce qui a pu égarer cet homme habile. D'ailleurs , si je voulais re- jeter sur lui une faute dans laquelle son autorité a pu m'entraîner, je devrais commencer par lui restituer tout ce que je lui dois, c'est-à-dire presque tout ce que je sais , et même ce qu'il ne m'a pas appris direc- tement , puisqu'il m'a mis sur le chemin de le trouver.

CHAPITRE Vllf. l49

rait assurer que dans le mouvement de nos nerfs qui produit en nous l'effet appelé une telle sensation , il n'y a pas des circonstances qui font que nous ne pouvons conlbndre ce mouvement avec un autre mouvement ana- logue, et qui produisent en nous la sensation d'un rapport de différence entr'eux, c'est- à-dire ce que nous appelons un jugement? Assurément personne n'oserait prononcer que cela n'est pas.

Au contraire, chacun sait que beaucoup de sensations ont par elles-mêmes la pro- priété de nous être agréables ou désagréa- bles. Or, qu'est-ce que trouver une sensation agréable ou désagréable , si ce n'est pas en porter un jugement, sentir un rapport entre elle et notre faculté sentante? et sentir ce rapport entre une sensation et nous , n'est-ce pas sentir en même temps le désir d'éprou- ver cette sensation ou celui de l'éviter ? Toutes ces opérations peuvent donc se trou- ver et se trouvent réellement réunies dans un seul fait, dans la perception d'une seule sensation quelconque : j'ai donc eu tort de le nier, et d'avancer que nos facultés de juger et de vouloir ne peuvent commencer à agir que quand nous ayons éprouvé la

l5o IDÉOLOGIE.

sensation de mouvement et celle de résis- tance.

D'ailleurs, si on me l'accordait, je me trouverais avoir prouvé une chose absurde, c'est que jamais nous ne pouvons commen- cer à juger ni à vouloir. Car aucun fait di- rect ne prouve que les deux sensations de mouvement et de résistance doivent faire mieexceptionàlaloi générale. Il n'y a même pas sentiment de résistance proprement dit, quand il n'y a pas auparavant sentiment de volonté. Dans cet état, Une peut exister que la sensation du mouvement et celle de sa cessation ; or, ces deux sensations, bien que très-opposées, ne le sont guère plus que celles de blane et de noir, de chaud et de froid; et on ne paraît pas suffisamment fon- dé à affirmer des unes ce que l'on nie des autres.

Au contraire, un fait constant démontre que le sentiment de vouloir, que la sensa- tion d'un désir, peut précéder en nous la sensation de mouvement; car chacun de nous sait qu'un résultat constant de notre organisation, et probablement de celle de tous les êtres sentans, c'est qu'une douleur quelconque, sur- tout si elle est vive, nous

CHAPITRE VI IL l5î

fait éprouver le besoin de nous remuer, de nous agiter, très-indépendamment de toute connaissance de l'effet qui en arrivera, et même malgré la certitude que l'effet sera nuisible. Or, qu'est-ce que ce besoin , si ce n'est un désir? il est irréfléchi sans doute, mais il n'en est pas moins un désir, et un désir très-vif. Il n'y a donc pas à craindre que nous ne puissions pas désirer de nous mouvoir avant de savoir ce que c'est que le mouvement; et il est très-possible que le premier de tous les mouvemens faits par chacun de nous ait été accompagné de vo- lonté.

Mille faits viennent à l'appui de ceux-là. Cette manière d'envisager les objets nous met sur la voie de comprendre comment certaines circonstances de notre organisa- tion, provenant de la différence destempé- ramens, des âges, des maladies, ont tant d'influence sur nos jugemens et nos pen- chans, et de concevoir ce que c'est que les déterminations instinctives (1), qui autre- ment sembleraient renverser toutes les

(i) Ce sont des sensations qui renferment jugement et désir.

l52 IDEOLOGIE.

idées que nous nous faisons de la manière d'agir de notre faculté de penser. Mais nous en parlerons ailleurs.

A cette heure concluons que ma nouvelle théorie est fondée sur des faits positifs , et que la première ne portait que sur un rap- port aperçu entre deux idées généralisées, dont je m'étais servi sans m'en douter, comme si elles étaient deux êtres réels. Cela doit vous montrer, jeunes gens, combien il est aisé et dangereux d'abuser de pareilles idées, quoiqu'il soit utile et nécessaire de s'en servir.Nous avons bienfait, sansdoute, pour étudier notre faculté de sentir, de dis- tinguer les différentes fonctions que nous avons pu reconnaître en elle , de considérer séparément la sensation, le souvenir, le ju- gement, le désir, en général; mais il ne faut jamais oublier que ce que nous avons ainsi séparé par la pensée se trouve souvent con- fondu et réuni par le même fait, et que c'est toujours des faits réels dont il faut partir. Au reste tout ce que nous venons de dire ne détruit rien de ce que nous avions établi pré- cédemment au sujet de la sensibilité, de la mémoire, du jugement, et de la volonté:

CHAPITRE VIII. l55

cela nous montre seulement leurs effets sous leur vrai jour.

Il reste donc constant que nous ne voyons pas que les sensations sans action nous prouvent certainement une autre existence que la nôtre ;

Que le mouvement sans volonté ne paraît pas suffisant non plus pour nous donner cette certitude j

Que la volonté peut précéder le mou- vement ;

Que le mouvement volontaire nous donne seul un vrai sentiment de résistance ;

Que le sentiment de quelque chose qui résiste à une action que nous voulons, nous prouve invinciblement la réalité d'une autre existence que celle de notre vertu sentante ;

Que nous savons donc avec certitude qu'il y a des corps, et que la première propriété que nous leur connaissons est la force d'inertie.

Voyons actuellement comment celle-là nous fait découvrir toutes les autres, et nous fait composer certaines idées dont on ne s'est jamais bien rendu compte, faute de connaître la manière dont nous les formons:

l54 IDEOLOGIE.

ce sera la meilleure preuve que nous avons réellement trouvé la base de toute exis- tence réelle, et l'origine de toute connais- sance certaine.

Je dois convenir auparavant que j'aurais pu arriver plus promptement aux résultats que nous venons de trouver. Mais il s'agis- sait d'opinions fort contestées; }'avais à me réfuter moi-même sur deux points ; j'ai cru devoir donner un peu d'étendue à leur examen, et je suis persuadé d'ailleurs que cette discussion n'est pas sans utilité à d'au- tres égards : au reste on peut la passer si l'on veut- mais alors il ne faut pas lire l'un sans l'autre les chapitres VII et VIII. II faut s'en tenir à ce résultat , que quand un être organisé de manière à vouloir et à agir sent en lui une volonté et une action, et en même temps une résistance à cette action voulue et sentie, il est assuré de son existence et de l'existence de quelque chose qui n'est pas lui.

Voilà le lien entre notre ?noi et les autres êtres; c'est la volonté et l'action sentie réunies. L'une sans l'autre ne suffirait pas. Un être sentant et même voulant qui n'agi- rait pas, ne pourrait connaître que lui-

CHAPITRE IX. l55

même, que sa vertu sentante et voulante; et un être qui agirait, mais sans le vouloir ou sans le sentir, ne s'apercevrait pas en- core que quelque chose lui résiste, et par conséquent existe.

CHAPITRE IX.

Des Propriétés des Corps et de leur Relation.

XL demeure donc convenu que tant que nous ne faisons que sentir, nous ressou- venir, juger, et vouloir, sans qu'aucune ac- tion s'ensuive , nous n'avons connaissance que de notre existence, et nous ne nous con- naissons nous-mêmes que comme un être sentant, comme une simple vertu sentante, sans étendue, sans forme, sans parties, sans aucune des qualités qui constituent les corps.

Il demeure encore constant que dès que notre volonté est réduite en acte, dès qu'elle nous fait mouvoir, la force d'inertie de la matière de nos membres nous en avertit, nous donne la sensation de mouvement, ce qui peut-être ne nous apprend encore rien

l56 IDÉOLOGIE.

de nouveau; mais lorsque ce mouvement, que nous sentons, que nous voudrions con- tinuer, est arrêté, nous découvrons certai- nement qu'il existe autre chose que notre vertu sentante. Ce quelque chose c'est notre corps, ce sont les corps environnans, c'est l'univers et tout ce qui le compose.

Sans doute nous ne savons pas d'abord ce que c'est; nous ne distinguons dans le principe, ni les corps étrangers à nous, ni notre propre corps; mais enfin nous sommes assurés que nous existons, et que quelque chose existe qui n'est pas nous. Cette certitude est comprise dans le senti- ment même de résistance.

La propriété de résister à notre volonté est donc la base de tout ce que nous ap- prenons à connaître; et nous ne la décou- vrons que par les effets qui suivent notre volonté, par nos mouvemens. Cette pro- priété est la force d'inertie des corps, qui n'a lieu et ne se découvre que par leur mobilité.

Si la matière avait pu exister parfaite- ment immobile , nous n'aurions rien senti ; et quand nous aurions senti, nous n'aurions pas agi, nous n'aurions connu que notre sentiment. Si la matière avait pu être par-

CHAPITRE IX. l57

faitement mobile, absolument non résis- tante (1), nous n'aurions rien senti encore, puisque toutes nos sensations sont le produit de la résistance de nos organes à l'action des corps, et de la résistance de ces corps à leur action les uns sur les autres; et quand nous aurions pu sentir et agir, nous aurions agi sans en être avertis; nous n'aurions ja- mais découvert l'existences des corps ni celle de nos organes.

Mais dès que nous pouvons agir et nous en apercevoir, le vouloir et éprouver résis- tance, l'univers va naître pour nous. Sem- blable à ce point animé qu'on observe dans l'œuf les premiers jours de l'incubation, et qui, imperceptible d'abord, se développe, s'accroît, et devient un animal parfait, nous

(i) On peut regarder comme presqu'absolument non résistante la matière de la lumière , celle des queues des comètes et celle de la lumière zodiacale, puisqu'elles ne font aucun obstacle sensible au mou- vement des corps célestes qui les traversent. Voyez Y Exposition du Système du Monde, de M. Laplace, page 286 de l'édition in-4°. Cependant il faut bien que ces matières soient capables d'une résistance quelconque , puisqu'elles produisent des sensation» visuelles.

ï58 IDÉOLOGIE.

allons voir notre sentiment s'étendre, se répandre dans tous nos membres, s'aper- cevoir de leurs formes , de leurs limites , de leurs fonctions, découvrir tout ce qui l'entoure, le juger, le connaître, le conver- tir à son usage, et le soumettre à sa volonté.

La mobilité et Y inertie sont donc à notre égard les deux premières qualités des corps, celles sans lesquelles notre organisation ne saurait subsister, sans lesquelles nous ne pouvons rien sentir, nous ne pouvons rien connaître, sans lesquelles nous ne pouvons pas même concevoir ce que serait l'exis- tence de l'univers.

Observez cependant que ces deux pro- priétés des corps en nécessitent une troi- sième , c'est celle en vertu de laquelle ces corps en mouvement ont la puissance d'a- gir sur les autres corps , de les déplacer ; c'est, pour me servir des expressions de d'Alembert (1), Cette force qu'ont tous les corps en mouvement de mettre aussi en mouvement les autres corps qu'ils rencon- trent. D'Alembert reconnaît bien cette force pour être une propriété des corps j mais il

(i) Art. Corps, ancienne Encyclopédie.

CHAPITRE IX. l5(J

ne lui donne point de nom : je l'appellerai la force d'impulsion; et, contre l'avis de d'Alembert, je la reconnaîtrai pour une propriété du premier ordre, c'est-à-dire gé- nérale et invariable, et toujours existante, quoiqu'elle ne s'exerce pas toujours, parce que, comme l'inertie, elle se retrouve tou- jours la même dans tous les corps dans les mêmes circonstances. Je dirai donc que V impulsion (prise ainsi comme puissance et non pas comme effet) est dans les corps cette propriété par laquelle, lorsqu'ils sont en mouvement, ils communiquent de leur mouvement aux autres corps qu'ils rencon- trent; de même que V inertie est cette pro- priété qui fait qu'un corps ne reçoit jamais de mouvement d'un autre corps qu'en le dépouillant d'une quantité de mouvement égale à celle qu'il en reçoit. Ce sont deux qua- lités correspondantes, dont Tune ne peut exister sans l'autre , et ni l'une ni l'autre n'au- rait lieu sans le mouvement.

La mobilité, l'inertie et l'impulsion sont donc trois propriétés inséparables. Nous verrons bientôt comment nous apprenons à calculer leurs effets : nous ne faisons d'a- bord que les sentir.

i6o IDÉOLOGIE.

L'idée de mouvement n'est pas d'abord pour nous cette idée composée dont nous nous rendons compte , en disant que le mou- vement est l'état d'un corps qui passe d'un lieu dans un autre. Un lieu est une portion de l'espace; l'idée de lieu dérive de celle d'é- tendue, que nous n'avons pas encore. Le mouvement n'est donc d'abord pour nous qu'une sensation simple , une manière d'être. Je me meus, je le sens, et voilà tout. Voyons ce qui en arrive.

Je m'agite en divers sens, je n'éprouve aucune opposition; tout ce que je rencon- tre, fût-ce un fluide éthéré, delà lumière, de l'air même, n'est rien pour moi, puis- qu'il ne me donne pas le sentiment de résis- tance à ma volonté : c'est le néant absolu ; je ne sais pas même que c'est-là ce qu'à tort ou à raison j'appellerai le vide quand je con- naîtrai le plein; je ne sais pas que je traverse ce vide, puisque j'ignore qu'il est étendu et qu'il y a au monde quelque chose qui soit étendu.

Bientôt le mouvement que je voudrais continuer, qui n'est qu'une manière d'être que je voudrais prolonger, cesse malgré moi ; ce qui l'arrête n'est pas moi , mais c'est

quelque

CHAPITRE IX. l6l

quelque chose, c'est un être, et cet être est un corps. J'ignore sans doute que ce corps est étendu, qu'il a des parties, une forme, une figure; il ne me semble qu'un point, qu'une vertu résistante, comme je ne me parais à moi-même qu'une vertu sentante : je sais seulement de lui qu'il existe.

Je ne prétends pas même que ce soit dès la première expérience que je parvienne à ce faible résultat ; mais que ce soit après une ou après mille, peu importe, il suffit que j'aie trouvé la route.

Parmi ces nombreuses expériences, il y en aura sûrement une où, pressant cet être et glissant sur sa surface, je sentirai que je me meus sans cesser de sentir cet être. Dès- lors cet être cesse de n'être qu'un point; je lui reconnais des parties les unes à côté des autres, je juge qu'il est étendu; car la pro- priété d'être étendu est bien en elle-même la propriété d'avoir des parties distinctes, des parties situées les unes hors des autres; mais c'est par notre mouvement que nous la connaissons ; elle est, par rapport à nous, la propriété d'être touchée continuement pendant que nous faisons une certaine quan- tité de mouvement. Voilà donc Yétendue

L

î6* IDEOLOGIE.

connue; c'est une nouvelle propriété des corps dépendante de leur résistance au mou- vement, de leur existence par rapport à nous. Elle en est une conséquence si immé- diate, que, quand une fois nous la connais- sons, nous ne pouvons plus concevoir rien qui en soit totalement privé. Nous pouvons bien supposer qu'un corps est excessive- ment petit, admettre que son étendue est réduite autant que possible, même jusqu'au point d'être imperceptible à nos sens ; mais nous ne pouvons l'imaginer absolument nulle, sans anéantir le corps lui-même. Ja- mais aucun être humain ne comprendra réellement comment existerait un être qui n'existerait nulle part et n'aurait point de parties. C'est s'abuser soi-même que de se persuader qu'on comprend pareille chose ; j'en appelle à la conscience intime de tous ceux qui scruteront de bonne foi leur propre intelligence.

Aussi, quand j'ai dit que tant que nous ne faisons que sentir sans agir, nous ne eous paraissons à nous-mêmes qu'un point, qu'une vertu sentante, et que, quand nous sentons résistance à notre volonté, l'être qui s'y oppose ne nous semble d'abord qu'un

CHAPITRE IX. l65

point, qu'une vertu résistante, je me suis servi de deux mots abstraits que nous sommes habités à employer comme des êtres réels, afin de rendre ma pensée pres- que sensible. J'ai voulu rendre manifeste que nous sentions uniquement que nous avions une volonté et que quelque chose lui résistait, et que nous ne savions rien de plus; mais je n'ai pas prétendu établir que nous crussions être un point mathématique, ni que nous nous fissions une idée d'une vertu quelconque existante sans apparte- nir à aucun être : cela est impossible. C'est pourquoi, en même-temps que nous décou- vrons la propriété d'être étendu dans ce qui résiste à notre volonté, nous la découvrons dans notre moi qui sent; il s'étend et se ré- pand , pour ainsi dire , dans toutes les parties par lesquelles il sent et qui se meuvent à son gré. Nous apprenons l'étendue de notre corps comme celle des autres corps, et nous la circonscrivons par les mêmes moyens. Il est même vraisemblable que c'est la pre- mière dont nous nous apercevons ; car le corps qui nous appartient ne diffère des au- tres, à notre égard, qu'en ce que c'est par lui que nous sentons; du reste, il fait comme

L 2

l64 IDÉOLOGIE.

eux résistance à nos mouvemens j et il paraît bien que quand un de nos membres s'appuie et frotte contre un autre, la double sensation que nous recevons dans la partie qui se meut et dans celle qui résiste, doit nous donner plus d'avantage pour reconnaître ce qui arrive dans cette occasion, que quand il s'agit d'un corps étranger qui ne nous rend rien. Cette conjecture tirerait une nouvelle force de l'examen physiologique de la ma- nière dont s'opère nos sensations, et de la correspondance qui existe entre les divers organes de la sensibilité ; mais ce n'est pas ce dont il est question actuellement : nous y reviendrons quand il en sera temps. Pour le moment y il suffit d'avoir expliqué ce que c'est que l'étendue de notre corps et des au- tres, et montré que nous ne la connaissons que par l'effet combiné de la mobilité et de l'inertie des corps.

L'étendue, dans ce sens, est une propriété des corps ; mais nous donnons souvent une autre signification au mot étendue. Lorsque nous en faisons le synonyme du mot espace, il exprime une autre idée; il semble alors que ces deux termes, étendue, espace, re- présentent un être réellement existant. Ce

CHAPITRE IX. l65

n'est cependant véritablement qu'une idée abstraite dont nous sommes dupes. Voyons comment nous la composons, c'est le seul moyen de la connaître et de faire qu'elle ne nous égare plus, car toute illusion disparaît quand on se comprend.

Je fais une certaine quantité de mouve- ment pour arriver d'un point d'un corps à d'autres points du même corp6. je dis que ce corps est étendu. Que l'on ôte ce corps, il me faudra toujours la même quantité de mouvement pour aller du lieu était un de ces points matériels à ceux étaient les autres 5 je dirai qu'il y a la même étendue , le même espace entr'eux; seulement, comme je puis me mouvoir en tout sens dans cet es- pace, ce que je ne pouvais faire avant, j'a- jouterai que cet espace est vide au lieu d'être plein , comme je dis d'un coffre qu'il est plein ou vide suivant qu'il y a dedans quelque chose ou rien. Mais un coffre consiste dans les parois qui le composent, indépendam- ment de ce qu'il renferme , et l'espace n'a point de parois. Or, qu'on me dise ce que c'est qu'un coffre vide qui n'a point de pa- rois , si ce n'est le néant absolu. Aussi avons- nous vu que tant que nous nous mouvons

l66 IDEOLOGIE.

sans résistance, ce que nous rencontrons n'est absolument rien. L'espace est donc la propriété d'être étendue considérée séparé- ment de tout corps à qui elle puisse appar- tenir : c'est une idée abstraite ; c'est le néant personnifié par la faculté que nous avons de nous mouvoir quand aucune chose ne nous en empêche, quand le rien nous le permet : nouvelle preuve que c'est en nous mouvant que nous découvrons s'il existe quelque chose ou rien autour de nous, au- tour de notre faculté de sentir et de vouloir. En voilà assez sur l'étendue : passons à ses conséquences. Plusieurs propriétés gé- nérales et communes à tous les corps ne sont que des dépendances nécessaires et immédiates de celle d'être étendu: il suffira de les indiquer. Telles sont celles d'être di- visible, d'avoir une certaine forme, d'être impénétrable.

. Dès qu'un être est étendu , il est nécessai- rement divisible, car puisqu'être étendu c'est avoir des parties telles qu'il faille faire un mouvement pour aller de l'une à l'autre, on peut toujours s'arrêter au milieu de ce mouvement, et par se trouver entre une de ces parties et l'autre, et par conséquent

CHAPITRE IX. 167

la séparer, la diviser. La divisibilité, la pos- sibilité d'être divisé, résulte donc inévita- blement de la propriété d'être étendue.

Il n'en résulte pas moins la nécessité d'a- voir une certaine forme, ce qu'on appelle être figuré. Aucun corps ne peut être étendu à l'infini, car il n'en existerait pas d'autres. D'ailleurs , nous ne pouvons nous faire une idée réelle de l'infini dans aucun genre ; c'est encore une idée abstraite qui ne peut avoir aucune existence positive; c'est celle d'un bâton qui n'aurait qu'un bout, ou même qui n'aurait pas de bouts. Tout corps a donc des limites. Nous appelons surface de ce corps l'assemblage des points qui le terminent, c'est-à-dire passé lesquels il ne nous em- pêche plus de nous mouvoir. La disposition de cette surface constitue ce qu'on appelle la forme ou la figure de ce corps. On em- ploie ces deux mots indifféremment, et on a tort ; on devrait appeler exclusivement forme d'un corps la manière d'être étendu que nous lui reconnaissons par le tact en nous mouvant autour de lui, et réserver le mot figure pour l'impression que cette forme l'ait sur notre œil. La même forme présente plusieurs figures , suivant qu'elle est vue d'un

l68 IDÉOLOGIE.

côté ou d'un autre; mais elle fait toujours la même impression sur le tact , ce qui prouva encore que c'est-là sa vraie manière d'être, et que c'est la résistance à nôtre mouve- ment qui nous fait connaître la manière d'être réelle des corps.

Puisqu'un corps est étendu ou n'est rien , il faut absolument qu'il soit impénétrable , c'est-à-dire qu'un autre corps ne puisse pas occuper la portion d'espace qu'il remplit, à moins qu'il ne la lui cède ; car s'ils occu- paient tous les deux en même temps le même lieu , ils ne seraient plus que comme un, l'un des deux serait anéanti, il n'y aurait pas co- existence.

Aussi lorsque nous voyons deux corps s'unir de manière qu'ils occupent moins d'espace que lorsqu'ils étaient séparés , nous en concluons qu'un des deux ou tous deux sont poreux, c'est-à-dire qu'ils renferment entre leurs parties solides ou réelles, des es- paccs vides dans lesquels se sont logées les parties solides ou réelles de l'autre corps. C'est aussi ce que nous prouve directement l'augmentation de poids à volume égal, qui résulte toujours de pareille union. Mille ex- périences prouvent que tous les corps con-

CHAPITRE IX. 169

nus sont poreux ; ainsi la porosité est encore une propriété générale des corps ; elle est une conséquence de l'étendue , mais elle n'en est pas une conséquence nécessaire ; car on peut très-bien concevoir un corps dont les parties ne laisseraient aucun intervalle entre elles. Si cela n'arrive jamais, il faut sans doute qu'il y ait quelque raison 5 mais elle nous est inconnue.

Les corps sont donc poreux ; mais ils pour- raient ne pas l'être , au moins suivant nos moyens de les connaître. Au contraire, il faut absolument qu'ils soient étendus pour que nous les connaissions, puisque nous ne les connaissons que par le mouvement^Dès qu'ils sont étendus , il est nécessaire qu'ils soient impénétrables ; et c'est cette impéné- trabilité qui fait que l'un résiste au mouve- ment de l'autre, ce qui constitue l'inertie, et que l'autre communique de son mouve- ment à celui-là, ce qui constitue l'impulsion. Tel est l'enchaînement des propriétés prin- cipales que nous découvrons dans les corps, à partir du premier moment nous sommes conduits nécessairement à juger qu'ils exis- tent. Je vais maintenant expliquer comment nous apprécions et mesurons les uns par les

170 IDÉOLOGIE.

autres les effets sensibles de ces propriétés, et cette explication me fournira de nouvelles preuves que c'est bien ainsi que nous appre- nons à les connaître, et que j'ai bien démêlé ce qu'elles sont pour nous.

Auparavant, observons que ce que j'ai dit de l'inertie de la matière ne signifie pas du tout qu'elle soit essentiellement passive et qu'elle ait besoin, pour être mue, d'un prin- cipe d'action étranger à elle, ni même qu'elle ait plus de tendance au repos qu'au mouve- ment. Je trouve , au contraire , que les faits conduisent à une conclusion opposée; car, quand même on ne regarderait pas la pro- duction des êtres animés comme une dé- monstration suffisante que l'activité est pro- pre à la matière et inhérente à sa nature , et qu'elle ne fait que se manifester par l'or- ganisation , on ne peut au moins nier que l'attraction ne soit une tendance au mouve- ment existante à tous les instans dans toutes les particules de la matière. J'entends ici par le terme général d'attraction, non-seulement la force de gravitation en vertu de laquelle tous les corps célestes pèsent les uns sur les autres, et tous les corps terrestres pèsent vers le centre du globe , mais encore toutes

CHAPITRE IX. 171

ces attractions particulières qui produisent les combinaisons chimiques, l'adhésion, la cohésion, etc. Or, toutes ces forces tou- jours agissantes et les phénomènes qu'elles produisent, me montrent qu'il n'y a nulle part de repos absolu dans la nature, et qu'il n'y a même jamais de repos relatif que par l'effet de forces contraires qui se balancent; d'où je conclus que ce n'est pas le repos , mais le mouvement, qui est l'état naturel de la matière ; et si je n'avais craint de trop choquer les idées reçues, j'aurais mis l'ac- tivité à la tête des propriétés des corps, et je n'aurais regardé la mobilité que comme une conséquence de l'activité. Au reste, ce ne sont pas les classifications que nous fai- sons qui sont importantes; ce qui est essen- tiel est de bien voir les phénomènes, et dans le cas présent de ne pas se faire une idée fausse de l'inertie, laquelle ne consiste qu'en ceci : c'est que quand un corps reçoit du mouvement, le corps qui lui en donne en perd une quantité égale à celle qu'il lui com- munique. Passons à une autre observation. La durée est encore une propriété com- mune à tout ce qui existe, c'est-à-dire à tout ce qui sent ou est senti. Différente en cela

173 IDEOLOGIE.

de toutes les autres propriétés des corps, elle pourrait même appartenir à des êtres sans étendue, si nous pouvions en connaître ou même en concevoir de tels (voyez l'Ex- trait raisonné). Par cette raison, nous n'a- vons pas besoin de connaître autre chose de nous-mêmes que notre propre sentiment pour nous faire l'idée de durée : notre seule existence suffit. Je sens une impression ac- tuelle; dès que je puis porter le jugement que je l'ai déjà sentie, je puis prononcer que j'existe actuellement, que j'existais alors, et que j'ai continué d'exister dans l'intervalle. Tout cela est compris dans l'acte de recon- naître cette impression. Dés ce moment j'ai donc l'idée de durée, qui n'est autre chose que celle d'une succession d'impressions. Lorsque je connais d'autres existences que la mienne, quand j'aperçois un objet et que je m'assure que c'est bien le même que j'ai déjà vu, je lui applique cette idée de durée, je dis que cet objet a duré : cela ne souffre pas de difficulté. Mais si j'acquiers ainsi Vidée de durée, je n'acquiers pas de même la possibilité de mesurer cette durée ; car la succession de mes impressions n'est ni assez uniforme ni assez invariable pour me servir

CHAPITRE X. 175

de mesure ; d'ailleurs je n'ai aucun moyen pour constater les limites de la durée de chacune. Je n'ai donc pas l'idée de temps, qui n'est que celle d'une durée mesurée (1). Nous allons voir comment elle nous vient, en examinant comment nous mesurons les effets sensibles des propriétés des corps. Nous commencerons par l'étendue.

CHAPITRE X.

Continuation du précédent; de la Mesure des propriétés des Corps.

■lN ous l'avons déjà dit, la propriété d'être étendu consiste à pouvoir être touché con- tinuement par notre main qui se meut. Un corps n'est étendu que parce qu'il a des parties telles, qu'il faut faire une certaine quantité de mouvement pour aller des unes aux autres. Mais comment évaluons- nous, mesurons-nous la quantité de son étendue? La manière en est simple et directe. Nous

(1) Cette définition du temps, qui m'a été contestée, est celle de Locke. Essai sur l'Entendement humain, liy. II, chap. 14.

iy4 IDÉOLOGIE.

comparons cette étendue à une portion fixa et déterminée d'étendue que nous prenons pour terme de -comparaison , c'est-à-dire pour unité; tels sont les pieds et les mètres, et tous leurs analogues, ainsi que toutes les mesures de surface et de capacité ou soli- dité qui en dérivent ; car ce que nous appe- lons mesurer la longueur, la surface ou la solidité d'un corps , n'est autre chose que reconnaître la quantité de mètres ou de par- ties de mètre linéaires, carrés ou cubes que contient ce corps ; et le premier élément de toutes ces mesures est une quantité fixe d'étendue en longueur, telle qu'un pied ou un mètre. Or, qu'est-ce pour nous qu'un pied ou un mètre? C'est la représentation constante de la quantité de mouvement que notre main a faire pour se porter depuis l'extrémité de ce mètre qui a commencé à lui faire éprouver le sentiment de résistance, jusqu'à l'autre extrémité elle a cessé d'é- prouver cette résistance. Concluons donc que nous mesurons l'étendue par l'étendue même; mais n'oublions pas que l'unité fon- damentale de toutes ces mesures nous est donnée par le mouvement, et n'est autre ciiose que la représentation permanente

CHAPITRE X. 175

d'une certaine quantité de mouvement. Pas^ sons à la durée.

La durée est, comme nous l'avons dit, une propriété commune à tout ce qui sent ou est senti, et qui appartient à tous les êtres, même indépendamment de l'étendue. Il s'a- git maintenant de reconnaître comment nous la mesurons. Sans doute , nous ne la mesurons que par elle-même ; car mesurer une chose quelconque , c'est la comparer à une quantité déterminée de cette même chose , que l'on prend pour terme de com- paraison, pour unité. Ainsi, mesurer, éva- luer une longueur, un poids, une valeur, c'est trouver combien elles contiennent de mètres, de grammes, de francs, en un mot, d'unités de même genre; et on ne peut pas évaluer une distance en grammes, ni un poids en francs, ni dire qu'une valeur est plus grande ou plus petite qu'un poids ou qu'une distance , et réciproquement. Mesu- rer la durée, c'est donc l'évaluer en unités de durée. Mais nous avons déjà remarqué que la propriété des* êtres appelée durée, bien différente en cela de celle appelée éten- due, ne nous donne par elle-même aucun moyen de constater d'une manière exacte

I76 IDÉOLOGIE.

et durable les limites de chacune de ses par- ties. Ces parties sont fugitives et transitoires; elles ne coexistent pas ensemble; leurs divi- sions ne sont marquées par rien; il n'y en a par conséquent aucune qui soit détermi- née avec assez de précision pour servir d'unité. Que faisons-nous donc pour parta- ger la durée en temps, c'est-à-dire en quan- tités de durée mesurées avec justesse? Nous avons recours au mouvement; c'est lui, et lui seul, qui nous rend perceptibles les di- visions de la durée. Aussi, prenez-y garde, les temps sont toujours marqués par quel- ques mouvemens opérés; leurs subdivisions seraient arbitraires et incertaines si elles ne se rapportaient au mouvement de quelques astres ou de quelques machines. Nous me- surons donc la durée par elle-même comme toutes choses; mais c'est le mouvement qui nous la rend commensurable.

Maintenant il reste à voir comment le mouvement, qui est en lui-même aussi fugi- tif, aussi transitoire , aussi peu susceptible de divisions fixes et permanentes que la durée, peut devenir pour elle la base et le moyen d'une mesure exacte ; car le mou- vement, sans doute, ainsi que toute autre

chose ,

CHAPITRE X. 177

chose, ne se mesure que par lui-même; et s'il n'est pas susceptible de divisions déter- minées et invariables, comment peut -il servir d'échelle et de terme de comparaison pour évaluer des quantités d'une autre es- pèce? C'est que le mouvement s'opère dans l'étendue, qu'il parcourt l'étendue, qu'elle le représente et le constate. En effet, comment voyons -nous qu'un jour, une heure, une minute, une seconde, sont écoulés? c'est parce que le soleil, une aiguille de montre, la verge d'un pendule, ont parcouru un cer- tain espace ; parce que l'eau d'une clepsydre, le sable d'une horloge, ont laissé vide une certaine portion d'étendue. Ainsi, par l'in- termède du mouvement, les parties de la durée se trouvent manifestées par les par- ties de l'étendue , et par elles participent à l'avantage inestimable qu'ont celles-ci de pouvoir être divisées et mesurées de la ma- nière la plus rigoureuse et la plus invariable. Mais, me direz-vous, nous voyons bien que c'est toujours un mouvement opéré qui nous rend sensiblel a quantité de durée écoulée, et toujours une étendue parcourue qui constate le mouvement opéré; mais cela ne suffit pas encore pour que l'étendue soit

M

1<7<3 IDEOLOGIE.

la mesure fixe de la durée ; il faudrait pour cela que la même quantité d'étendue par- courue répondît toujours exactement à la même quantité de durée écoulée ; et pour que cela arrivât, il faudrait que nous n'eus- sions égard, dans la mesure du temps, qu'à un seul mouvement d'une vitesse connue et uniforme^

Je réponds que c'est aussi ce que vous faites sans vous en apercevoir. En effet, prenez-y garde, dans la mesure de la durée, l'unité c'est le jour; toutes les périodes plus longues sont des multiples de celle-là , toutes celles qui sont plus courtes en sont des frac- tions : toutes sont plus ou moins arbitraires, aussi toutes varient à notre gré. L'année renferme plus ou moins de jours, suivant que nous préférons de la rapporter au soleil ou à la lune ; le jour seul est un temps qu'on ne peut ni augmenter ni diminuer, parce qu'il est déterminé par la nature des choses et ne dépend pas de nos conventions. Or, à parler rigoureusement, qu'est-ce qu'un joAir? Ce n'est pas le temps qui s'écoule entre deux levers du soleil dans les climats ce lever avance ou retarde, c'est l'intervalle de deux levers du soleil dans les pays cet

CHAPITRE X. 1(79

intervalle est toujours le même ; c'est le temps que la terre met à tourner sur son axe; c'est, par conséquent, le temps qu'un point de son équateur emploie à parcourir la totalité de ce grand cercle de la sphère. Ainsi voilà une durée, un mouvement et une étendue qui sont toujours les mêmes et qui se correspondent toujours exactement. Voilà la véritable unité qui peut servir et qui sert de terme commun de comparaison pour la mesure de ces trois espèces de quan- tité. Il ne reste plus qu'à voir comment nous l'employons pour évaluer chacune d'elles.

Pour l'étendue, nulle difficulté, nous l'a- vons déjà vu. Cette propriété des corps a exclusivement à toute autre le précieux avantage d'être susceptible de la division la plus commode, la plus durable, la plus précise, la plus distincte, la plus constante, la plus inaltérable , en un mot, la plus inac- cessible à toute cause d'erreur. Aussi rien n'est-il plus aisé que de la mesurer : on en prend une portion quelconque et on y rap- porte toutes les autres. Il est avantageux, et satisfaisant que cette portion soit une frac- tion connue de la circonférence du globe terrestre; cela sert h pou\uir \a retrouver

M r>

l8o IDÉOLOGIE.

toujours si l'étalon en était perdu; mais quand elle serait de pure convention , elle pourrait toujours servir de mesure.

Pour la durée, c'est, comme nous l'avons dit, par l'intermédiaire du mouvement qu'on rapporte ses parties aux parties de l'étendue; et , dans tous les mouvemens possibles , c'est celui de la terre sur son axe qui sert de type. Ainsi une heure, un siècle, une minute, ne sont autre chose que tant de milliers de lieues parcourues par un point de l'équateur de la terre dans sa révolution diurne. Que les mouvemens plus ou moins accélérés de toutes nos machines à mesurer le temps ne vous fassent donc pas illusion; l'étendue qu'ils parcourent sert, comme nous l'avons dit, à constater qu'ils sontfaits; mais qu'elle soit plus ou moins grande , cela est fort indif- férent, parce qu'elle ne sert pas directement de mesure, mais seulement à rapporter le mouvement qu'elle constate à la mesure commune de toute durée, le mouvement de la terre sur son axe. C'est pour cela qu'une heure est également représentée et mesurée et par l'aiguille qui fait le tour du cadran pen- dant ce temps , et par celle qui n'en fait que la douzième partie, et par celle qui le par-

CHAPITRE X. l8i

court soixante fois tout entier ; car qu'est-ce qu'une heure? c'est la vingt-quatrième partie de la révolution de la terre , c'est la vingt- quatrième partie de sa circonférence par- courue par un des points de sa surface; ainsi tout mouvement qui s'opère vingt- quatre fois pendant la durée d'un jour, marque exactement une heure, quel que soit l'es- pace qu'il parcoure. Peu importe la grandeur du cadran de ma montre ; elle n'est destinée qu'à m'apprendre que chaque fois que telle aiguille en a fait le tour, la terre a effectué la vingt-quatrième partie de sa révolution , un point de l'équateur a parcouru tant de millions de mètres. Nous voyons donc com- ment la durée est mesurée par le mouve- ment, et comment il la rend appréciable avec exactitude , parce qu'il rapporte à une quantité invariable d'étendue le temps qui sert de terme de comparaison à tous les autres. Cela nous fait déjà apercevoir aussi comment nous mesurons parfaitement le mouvement lui-même malgré ses innom- brables variétés. C'est ce qui nous reste à développer.

La mobilité est une propriété des êtres qui diffère essentiellement de la durée, en

182 IDÉOLOGIE.

te point que, parmi les êtres possibles, elle ne peut appartenir qu'à ceux que nous ap- pelons corps, c'est-à-dire à ceux qui sont étendus ; car des êtres qui n'auraient aucune étendue, s'il nous était possible d'en conce- voir de tels, n'occupant aucun lieu, ne pour- raient en changer.

Le mouvement est l'exercice de la pro- priété appelée mobilité; c'est un effet des corps comme la couleur ou la saveur; je ne dis pas comme l'attraction (1), l'inertie ou l'impulsion; car de ces trois choses, les deux premières ne consistent qu'en tendance ou en résistance au mouvement, et la troisième n'est que sa communication ; ainsi elles ne sont que des dépendances du mouvement, et leur intensité ne s'évalue que par le moyen du mouvement qu'elles produisent ou em- pêchent : ce sont donc des sujets de consi- dérations secondaires. Mais ici c'est le mou- vementlui-même qui nous occupe.Comment

(1) Je comprends toujours sous ce mot générique, non-seulement la gravitation céleste et la pesanteur terrestre, mais encore toutes les attractions et affi- nités particulières, en un mot, toutes les tendances quelconques d'un corps Vers un autre.

CHAPITRE X. l8o

semesure-t>il? voiià la question qu'il s'agit de résoudre.

On voit d'abord que cet effet des côrftè appelé mouvement, .est parfaitement repré- senté par cet autre effet des corps appela étendue ; car puisque la propriété d'être étendu n'est pour nous que la propriété d'être parcouru par le mouvement^ les par- ties de l'étendue répondent très-bien et très- exactement aux parties du mouvement fait pour les parcourir. Ainsi la quantité d'éten- due parcourue constate rigoureusement la quantité de mouvement fait.

Je dis que l'étendue constate et représenté très-bien les mouvemens faits, mais non pas qu'elle mesuré le mouvement; car, il ne iatit jamais l'oublier, mesurer une chose quel- conque, c'est la rapporter à une quantité" de cette même chose qui est connue et dé- terminée, et qui sert de terme de comparai- son, de mesure. Le mouvement ne saurait être excepté de cette règle générale; on ne peut pas plus, quoiqu'on en dise, mesurer du mouvement avec de l'étendue ou de la durée, que celles-ci avec des valeurs ou des poids. Mesurer le mouvement, évaluer son intensité, n'est et ne peut être que le rap-

l8<± IDÉOLOGLE.

porter à un mouvement dont l'énergie soit connue : c'est ce qu'on appelle déterminer sa vitesse.

X-es mathématiciens disent cependant que la vitesse d'un mouvement est le rapport «ntre l'espace parcouru et le temps em- ployé ; mais on devrait leur demander d'ex- pliquer quel rapport ils peuvent découvrir entre deux choses d'une nature aussi diffé- rente, et par conséquent aussi incommensu- rables que l'étendue et la durée, et comment il se fait que ce rapport soit l'expression exacte de la mesure d'une troisième chose totalement différente des deux premières. Ils prétendent qu'ils trouvent l'expression de cette vitesse en divisant l'espace par le temps; mais je leur demanderai comment ils s'y prennent pour diviser l'une par l'autre deux quantités concrètes d'espèces diffé- rentes, et trouver au quotient une quantité d'une troisième espèce ; car ils savent bien qu'on ne peut diviser une quantité concrète quelconque que de deux manières, ou par une quantité de même espèce, ce qui donne pour quotient un nombre abstrait qui ex- prime combien de fois le diviseur est con- tenu dans le dividende; ou par un nombre

CHAPITRE X. l85

abstrait, auquel cas le quotient est un nom- bre concret de l'espèce du dividende, et qui y est renfermé autant de fois que le diviseur contient l'unité. Or, ils savent aussi que de l'étendue ne peut pas renfermer de la durée , et que le nombre qui exprimerait un rapport si extraordinaire ne peut pas être une quan- tité de mouvement. Je n'ai pas connaissance qu'aucun d'eux nous ait donné la solution de cette difficulté, qui cependant n'a pu manquer de les frapper. Nous allons facile- ment suppléer à leur silence au moyen des observations que nous avons déjà faites sur l'étendue et la durée.

En effet, nous avons vu, d'une part, que le temps qui sert de mesure commune à toute durée , et dont tous les temps possibles ne sont que des multiples ou sous-multiples, est celui de la révolution diurne de la terre sur son axe, et que les limites et les divi- sions de ce temps appelé jour ne deviennent perceptibles que par le mouvement que fait un point de l'équateur pendant ce temps; d'une autre part, que tout mouvement est très-bien représenté par l'espace parcouru. Rapporter l'espace parcouru par un mouve- ment à la portion de durée qu'il a employée.

186 IDÉOLOGIE.

c'est donc réellement comparer ce mouve- ment au mouvement connu d'un point de Péquateur pendant la révolution diurne de la terre. Or, c'est-là véritablement le mesurer; car mesurer une quantité quelle qu'elle soit, c'est toujours la comparer à une quantité connue de même espèce qui sert de mesure commune. Voilà pourquoi on peut dire sans erreur, quoique ce soit une très-ma,uvaise manière de s'énoncer, que l'on a la vitesse d'un mouvement en divisant l'espace par le temps, locution vicieuse que l'on exprime

par ces caractères f V = ^ ) qui, en l'abré- geant, déguisent encore davantage le fond de la pensée.

Voulez-vous la preuve que cette formule a réellement le sens que je lui donne, quoi- qu'elle ne le fasse pas apercevoir d'abord? Appliquons-la à un cas particulier. Suppo- sons qu'il s'agisse d'un mouvement qui par- court dix mille mètres en six heures, vous aurez pour expression de sa vitesse cette

fraction I0(.o^èt-, laquelle ne signifie absolu- ment rien ; ou si vous faites la division, vous aurez le nombre i666,()6, qui n'est ni des mètres, ni des heures, ni du mouvement, et

CHAPITRE X. 187

qui ne saurait exprimer que des heures soient comprises dans des mètres, car cela est impossible. Ainsi il n'a réellement aucun sens; ainsi vous ne pouvez rien conclure du tout de ces deux expressions vagues, si ce n'est que ce mouvement est double d'un autre qui serait exprimé par cette fraction

'"'aTeuT''? ou Par ce nomDre 853,55, qui en est le quotient. Vous aurez donc, par cette manière d'opérer, le rapport de ces deux mouvemens; mais vous n'aurez jamais l'ex- pression de la valeur ni de l'un ni de l'autre, quoique la formule vous annonce qu'on trouve la vitesse d'un mouvement en divi- sant l'espace par le temps.

Au contraire, au lieu d'évaluer le temps en heures, exprimez-le par l'espace que parcourt pendant ces heures un point de l'équateur terrestre, vous aurez ces deux fractions _2^^L_ et ">•"<"""*'•, (1): et

10. 000. 00a met. 20.000.000 met. V ' '

(1) J'observe que les dénominateurs de ces deux fractions ne sont exacts qu'en supposant l'équateur égal au méridien, ce qui n'est pas exactement vrai ; mais je n'ai pas tenu compte de cette différence , parce qu'elle ne fait rien à mon raisonnement, et que je vou- lais avoir des nombres ronds.

l83 IDÉOLOGIE.

en faisant les divisions vous trouverez ces deux nombres abstraits 0,001 et o,ooo5,qui non-seulement vous donnent le rapport de ces deux mouvemens entr'eux, mais encore vous apprennent la valeur réelle de chacun d'eux, en vous montrant que l'un est le mil- lième et l'autre les cinq dix -millièmes du mouvement d'un point de l'équateur, qui est la mesure commune ou l'unité (1).

(1) Ne pouvant attaquer directement la preuve que je donne du peu d'exactitude qu'il y a à dire qu'en di- visant l'espace par le temps on trouve la vitesse, on essaiera peut-être de l'atténuer en disant qu'un effet semblable a lieu lorsqu'on trouve la densité d'un corps en divisant son poids par son volume.

Je réponds que ce second exemple confirme encore mon assertion. En effet, dans celui-ci on suppose que, la pesanteur étant la même dans toutes les parties de la matière, le poids d'un corps est proportionnel au nombre de ses parties matérielles. Considérant le vo- lume comme un nombre abstrait, on divise par lui le poids de ce corps, et on trouve combien il pèserait sur une quantité de volume prise pour unité , et par- conséquent qu'il est deux ou trois fois plus dense qu'un autre corps qui pèse deux ou trois fois moins sous le même volume. Ainsi, on a le rapport de densité de ces deux corps , mais on n'a la mesure réelle de la den- sité d'aucun des deux. Pour cela il faudrait connaître un corps parfaitement dense, savoir ce qu'il pèserait

CHAPITRE X. 189

Je ne prétends pas dire, au reste, que pour les objets qu'on se propose dans la pratique, cette manière fût aussi commode que celle dont on se sert; mais je l'ai exposée avec détail, afin de bien développer le sens de l'ex- pression usitée et pour achever de prouver ma thèse, savoir, qu'on ne peut évaluer un mouvement, c'est-à-dire déterminer sa vi- tesse , qu'en le comparant à un mouvement connu, et que c'est véritablement ce qu'on fait en rapportant l'espace parcouru au temps employé; car c'est réellement compa- rer ce mouvement au mouvement de rota- tion de la terre, qui, par cette opération, se trouve devenir la mesure commune de tous les autres, ou l'unité de mouvement, commç le temps qu'il emploie, le jour, est l'unité de durée.

sous pareil volume, prendre ce poids pour unité, et y rapporter le poids des deux autres corps comme nous rapportons les divers mouvemens au mouvement d'un point de l'équateur, quand nous croyons ne les rapporter qu'à une quantité de durée. On trouve la même chose dans tous les exemples analogues , car il sera toujours et éternellement vrai qu'on ne peut me- surer des quantités quelconques que par une quantité de même nature qu'elles, prise pour unité.

190 IDEOLOGIE.

Concluons de tout ceci que c'est par senti- ment que nous connaissons le mouvement;

Que c'est lui qui nous fait connaître l'é- tendue;

Que l'étendue se mesure par elle-même, sans intermédiaire , avec une commodité extrême, à cause de la netteté et de la per- manence de ses divisions;

Que l'étendue représente parfaitement le mouvement opéré, puisque cette propriété des corps ne consiste qu'en ce qu'ils peuvent être parcourus par le mouvement;

Qu'en conséquence de celte circonstance, le mouvement rend la durée mesurable en rapportant ses divisions à celles de l'é- tendue ;

Que, par la même raison , le mouvement lui-même devient mesurable; mais que quand on croit rapporter l'espace qu'il par- court à la durée, on le rapporte réellement à l'espace parcouru par un mouvement pris pour unité;

Que l'unité d'étendue peut être choisie arbitrairement, quoiqu'il soit très-avanta- geux qu'elle soit une portion connue de la circonférence de la terre ;

Mais que l'imité de temps est nécessaire-

CHAPITRE X. 191

ment le temps de la révolution diurne de lu terre, et Punité.de mouvement le mouve- ment d'un point de l'équateur pendant cette révolution.

Concluons enfin que si nous sommes par- venus à bien démêler l'artifice de la mesure des effets sensibles de ces trois propriétés des corps, l'étendue, la durée et la mobilité, il faut que nous ayons bien reconnu ce qu'elles sont pour nous, et comment nous les découvrons.

Jeunes gens pour qui j'écris , vous trou- verez peut-être que voilà un bien faible ré- sultat pour une si longue discussion , et qu'il n'était pas besoin d'un si grand appareil pour établir un petit nombre de vérités si simples, fondées sur des faits si constans et si connus. Cependant, si vous saviez combien on a di- vagué sur ces notions d'espace, de temps, de mouvement, d'existence, sur la matière et ses propriétés, et combien les meilleurs esprits et les plus grands philosophes ont accumulé de raisonnemens inintelligibles et d'hypothèses absurdes sur de pareils su- jets, vous vous feriez une autre idée de la facilité avec laquelle nous nous y retrou- vons, et vous sentiriez vivement quel jour

1Q2 IDÉOLOGIE.

jetterait sur les premiers principes de toutes les sciences, une analyse complète de nos facultés intellectuelles, si elle pouvait être une fois parfaitement bien faite, puisque la simple ébauche que j'ai essayé d'en tracer dans cet ouvrage, écarte déjà tant de diffi- cultés et dissipe tant d'obscurités.

Au reste, on peut tirer beaucoup de con- séquences précieuses du petit nombre de vérités que nous venons d'établir.

La première qui se présente, et qui est principalement relative à la pratique, c'est qu'il serait très-utile que toutes les mesures de l'étendue fussent des portions décimales de l'équateur terrestre, et qu'il serait aussi très-commode que l'unité de temps, le jour, fût de même divisé en parties décimales. Par ces trois espèces de quantités, si dif- férentes entr'elles, mais qui ont des relations si multipliées , l'étendue, le mouvement et la durée, seraient toujours exprimées par des quantités décuples ou sous-décuples les unes des autres; et toutes les comparaisons que l'on est perpétuellement obligé d'en faire se réduiraient presque à ajouter ou à retran- cher quelques zéros ; cela aurait d'ailleurs le très -grand avantage de rappeler bien

mieux

CHAPITRE X. ig3

mieux les rapports que nous avons recon- nus entr'elles, et même la nature de cha- cune d'elles.

Mais un autre sujet de réflexions bien plus importantes , c'est cette admirable propriété qu'a l'étendue de pouvoir être partagée en parties distinctes avec une précision, une netteté et une permanence qui ne laissent rien à désirer. C'est à cette circonstance que doivent leur certitude les sciences qui trai- tent de l'étendue et de ses effets- car d'abord il en résulte qu'on peut la mesurer avec la plus grande sûreté et la plus extrême jus- tesse ; et de cette perfection de mesure il arrive qu'on peut la représenter sans altéra- tion et sans confusion , en en diminuant pro- digieusement toutes les proportions. C'est- l'effet de l'art de lever des plans, et de tous les genres de dessin. L'étendue est la seule propriété des corps que l'on puisse exprimer ainsi sur une échelle de convention plus pe- tite que la réalité.

De la perfection de ces mesures il arrive encore que l'on peut en évaluer rigoureuse- ment et commodément toutes les circons- tances, c'est-à-dire les rapports et les pro- priétés des angles, des figures et des lignes

N

ig4 1DLOLOGIE.

qui les coupent ouïes terminent : c'est l'objet de la géométrie pure. Aussi voyons-nous que, seule entre toutes les sciences, elle est d'une certitude absolue, et que toutes les autres participent plus ou moins à ce pré- cieux avantage , à proportion qu'elles peu- vent ramener une plus ou moins grande partie des sujets qu'elles traitent à être ap- préciables en parties de l'étendue.

Ainsi le mouvement étant, comme nous l'avons vu , très-bien représenté par l'éten- due, tout ce qui concerne sa force, sa direc- tion, les lois de sa communication, est par- faitement démontré, et la science qui en traite est encore d'une certitude géomé- trique.

Par la même raison , nous connaissons et mesurons la durée avec exactitude et sans crainte d'erreur; et tout ce qui, dans les corps et leurs propriétés, peut s'évaluer en durée, en mouvement, en étendue, est par- faitement mesuré et démontré, tandis que tout ce qui n'en est pas susceptible reste toujours dans une sorte de vague et d'in- certitude faute de mesures précises.

Dans un être quelconque, nous pouvons déterminer avec justesse et sûreté son âge,

CHAPITRE X. 195

qui est la quantité de sa durée; sa figure et sa position , qui sont des circonstances de son étendue; son volume, qui est la quan- tité de cette étendue; son poids, qui est une tendance au mouvement; sa densité rela- tive , qui est le rapport entre son poids et son volume, et tous les effets analogues à ceux-là ; nous avons pour tout cela des me- sures précises qui toutes, en dernière ana- lyse, se rapportent à l'étendue; et tous les raisonnemens que nous ferons sur l'accrois- sement, la diminution ou les combinaisons de ces propriétés, auront facilement le ca- ractère de la certitude, parce qu'ils porteront sur des bases fixes; mais il n'en est pas même de certaines autrespropriétés, comme la couleur, la saveur, la beauté, la bonté et mille autres pareilles. Comment en fixer la quantité avec précision ? Cela est impos- sible. Il y aura donc toujours un certain vague dans la détermination de leurs élé- mens et de leurs rapports, et tous les rai* sonnemens que nous ferons sur les consé- quences à en tirer demanderont de grands ménagemens , et ne seront susceptibles de certitude qu'en les restreignant dans cer-

I96 IDÉOLOGIE.

taines limites, et en ayant égard à une foule de considérations.

Prenons pour exemple la lumière. Sa vi- tesse , sa direction , ses réfractions , ses ré- flexions , la divergence et la coïncidence de ses rayons, tout cela peut se mesurer rigou- reusement, et l'on en peut conclure avec certitude les points ces rayons doivent se rencontrer, les effets qu'ils doivent pro- duire, la grandeur et la position des images qu'ils doivent former, etc.; mais on ne peut pas de même apprécier les rapports des cou- leurs entr'elles. On peut bien dire que l'une est plus vive que i'autre ; que le bleu et le jaune réunis font du vert; mais comment apprécier leurs nuances? comment évaluer la quantité qu'il faut de deux d'entr'elles pour en faire une troisième ? Les mesures man- quent; il y a du vague.

Il en est de même des sons ; la vitesse de leur propagation, leur direction, leur ré- flexion, la dispersion ou la concentration de leur force qui en résulte, se déterminent avec facilité et sûreté : cela se rapporte aux propriétés de l'étendue ; mais les rapports harmoniques de ces sons entr'eux, nous ne pourrions pas plus les préciser que ceux des

CHAPITRE X. 197

couleurs, si nous n'avions pas découvert qu'ils sont proportionnels à la longueur des cordes qui les produisent, à la durée de leurs vibrations. Par les voilà ramenés à des mesures d'étendue, et ils se calculent rigou- reusement.

La même chose se remarque dans toutes les parties de la physique. Toutes les fois que nous pouvons peser ou mesurer, esti- mer en poids ou en volume un être ou un effet quelconque, nous avons l'expression précise de leur quantité, parce qu'elle est rapportée à l'étendue ; quand nous ne le pou- vons pas directement , nous y arrivons en- core si, par un artifice quelconque, nous faisons que leur existence se manifeste par quelques mouvemens opérés dans l'étendue. C'est ainsi que nous évaluons l'électricité d'un corps par les degrés de l'électromètre; sa chaleur, par ceux du thermomètre ou du pyromètre; son humidité, par ceux de l'hy- gromètre. En effet, les parties des mouve- mens de ces machines sontbien comparables entr'elles ; il n'y a pas d'ambiguité ; la seule incertitude qui nous reste est de savoir si ces portions de mouvemens sont bien pro- portionnelles à la quantité des matières me-

ig8 IDÉOLOGIE.

surées (l'électricité, le calorique et l'eau), et à leurs autres effets. Prenons un autre exemple qui rendra ceci encore plus clair.

L'activité d'un médicament ne se mani- feste que par des mouvemens opérés dans l'individu vivant qui l'a pris ; mais personne n'a de mesure juste pour apprécier la vertu purgative de ce médicament ni son rapport avec celle d'un autre médicament ; cepen- dant nous avons une échelle approximative pour y parvenir, c'est la quantité de volume ou de poids de chacun d'eux nécessaire pour produire les mêmes effets; et cette mesure serait complètement satisfaisante, si les ef- fets purgatifs, bienfaisans, malfaisans, etc., étaient constamment proportionnels aux quantités relatives à l'étendue auxquelles on les compare ; alors il en arriverait comme des valeurs des différentes marchandises, qui, par elles-mêmes, ne sont pas suscep- tibles de mesure précise, mais qui, étant toutes réduites en poids d'un même métal, sont appréciées avec la plus grande justesse.

Il en est de même dans les objets dont traitent les sciences morales et politiques. Nous n'avons point de mesures précises pour évaluer directement les degrés de l'énergie

CHAPITRE X. 19g

des scnlimens et des inclinations des hom- mes, de leur bonté ou de leur dépravation, ceux de l'utilité ou du danger de leurs ac- tions, de l'enchaînement ou de l'inconsé- quence de leurs opinions. C'est ce qui tait que les recherches dans ces sciences sont plus difficiles et leurs résultats moins rigou- reux. Cependant les opinions, les actions, les sentimens des hommes sont suivis d'ef- fets dont un grand nombre , tels que les va- leurs que nous venons de prendre pour exemple, sont appréciables d'après des me- sures parfaitement exactes; et la juste me- sure des effetè sert à estimer les causes. D'ailleurs, dans tous les cas on n'arrive pas à une évaluation qui ne laisse rien à dé- sirer, et par conséquent il existe une latitude plus ou moins grande règne l'in- certitude, il y a aussi de certaines limites en-deçà desquelles on est sur qu'est la vérité, et au-delà desquelles on est certain de tom- ber dans l'erreur. Ainsi , par exemple , il peut être impossible de déterminer de combien tel sentiment individuel ou telle organisa- tion sociale est préférable-à tel ou telle autre; mais il est impossible de méconnaître que l'une conduit à des résultats absolument

200 IDEOLOGIE.

mauvais, et l'autre à des résultats absolu- ment bons ; or , cela suffit pour qu'on ne puisse pas dire que ces sciences sont com- plètement incertaines, sans déclarer que l'on est soi-même complètement ignorant. Au demeurant, sans entamer la question du de- gré de certitude des différentes sciences, question qui est du nombre de celles pour la solution desquelles nous manquons de mesures précises, l'on voit que toutes ces sciences sont plus ou moins certaines à pro- portion que les objets dont elles s'occupent sont plus ou moins réductibles à des quan- tités appréciables par des mesures parfaite- ment exactes, et que, de toutes les espèces de quantités, l'étendue est celle qui possède le plus éminemment ce précieux caractère (1).

(i) Observez encore, je vous prie, que la possi- bilité d'appliquer le calcul aux objets des différentes sciences, est aussi proportionnelle à la propriété qu'ont ces objets d'être plus ou moins appréciables en me- sures exactes ; car, pour calculer un effet quelconque , il faut l'exprimer en nombres, et pour pouvoir l'ex- primer en nombres, il faut qu'il soit comparable à une mesure, à une unité fixe, et que ses différens degrés soient bien déterminés, sans quoi tous les nombres qu'on y appliquerait ne signifieraient absolument rien ;

CHAPITRE X. 201

J'ai lu, il n'y a pas long-temps, dans un ouvrage de métaphysique, estimable à beaucoup d'égards, cette phrase singulière :

et on ne peut se servir, pour l'évaluer, que des mots plus, moins, peu, beaucoup , et autres adverbes de quantité qui n'ont qu'une valeur indéterminée. C'est ce qui se remarque d'une manière bien pénible dans la conversation des gens qui ont l'habitude de s'ex- primer d'une façon inexacte ; ils vous disent qu'un homme a cent fois plus de talent qu'un autre; c'est comme s'ils vous disaient seulement qu'il en a beau- coup plus ; et le moment après ils vous diront qu'un lieu est prodigieusement plus éloigné qu'un autre: ils devraient vous dire qu'il est deux, trois, quatre fois plus loin.

On me dira que , dans les nombres abstraits , l'unité n'a aucune valeur déterminée , d'accord ; aussi aucun nombre abstrait n'a-t-il jamais une valeur détermi- née ; seulement les rapports de chacun d'eux avec le nombre un sont fixés de la manière la plus précise et la plus invariable, et cela suffit pour les calculer, c'est-à-dire pour les comparer; car tous les calcula que l'on fait sur les nombres abstraits ne sont jamais que des comparaisons établies entr'eux, et ces nombres ne prennent une valeur réelle que quand on en donne une au nombre un; mais pour adapter ces nombres à un effet quelconque , il faut que les parties de cet effet soient aussi nettement distinctes entr'elles que ces nombres le sont entr'eux.

Il demeure donc Yrai que la possibilité d'appliquer

202 IDÉOLOGIE.

Le toucher, ce sens vraiment géométri- que, etc. On voit que l'auteur a voulu dire que le toucher est le sens qui nous pro- ie calcul aux objets d'une science , est proportionnelle à la propriété qu'ont ces objets d'être plus ou moins appréciables en mesures exactes; voilà pourquoi la géométrie jouit éminemment de cet avantage , et après elle graduellement celles qui traitent plus ou moins de sujets réductibles en mesures de l'étendue.

Cette remarque nous montre combien est grande l'erreur de certains écrivains qui croient donner une grande force à leurs raisonnemens et augmenter beau- coup la certitude d'une science , en introduisant une multitude de chiffres et de calculs dans des sujets qui n'en sont pas susceptibles. S'ils avaient commencé par trouver le secret de ramener le sujet qu'ils traitent à des mesures précises, d'étendue, par exemple , sans doute ils auraient fait un pas immense ; mais sans celui-là tout ce vain appareil mathématique est char- latanerie pure.

Nous avons un exemple d'un genre bien différent, mais qui confirme mon dire, dans les efforts qu'ont faits nos grands chimistes modernes pour exprimer en nombres l'intensité de l'affinité de certains acides pour certaines bases , afin de nous rendre sensible le jeu des affinités doubles. Ils ont usé des ménagement les plus adroits dans la détermination des nombres par lesquels ils ont exprimé les affinités des différera; acides , afin qu'il arrivât toujours que les sommes re- présentant les affinités victorieuses fussent supérieure*

CHAPITRE X. 2o3

cure les mesures les plus exactes et les rapports les plus précis; mais il aurait du ajouter que cela n'est vrai que lorsqu'il est employé à la connaissance de l'étendue ; car les sensations des piqûres, des brûlures, du froid, du chiud, des frottemens, des chatouillemens, et bien d'autres sont aussi des perceptions que nous devons au sens du toucher; et il n'est pas plus aisé d'éva- luer l'intensité de ces sensations, et d'établir des rapports exacts entr'eiles , que lors- qu'il est question des sensations de cou- leurs, de saveurs, ou d'odeurs, que nous

à celles des affinités vaincues; et à force de tâtonne- mens ils sont parvenus à ce que les nombres assignés aux différens acides ne représentassent pas mal , au moins dans beaucoup de cas , les degrés de puissance de ces acides. Mais dans le fait, faute de trouver des mesures exactes de ces degrés de puissance, ils ne peuvent pas se servir de ces nombres pour les calculer rigoureusement; et ils sont trop éclairés pour l'entre- prendre , et pour croire que l'emploi de ces chiffres donne un nouveau degré de justesse à leurs belles ob- servations, et de sûreté à leurs excellens raisonnement. Une quantité quelconque est donc calculable à pro- portion qu'elle est réductible directement ou indirec- tement en mesures de l'étendue, car c'est-là la pro- priété des êtres la plus éminemment mesurable.

204 IDÉOLOGIE.

devons à d'autres sens. Ce métaphysicien aurait donc bien fait de remarquer, si tou- tefois il s'en est aperçu, que ce n'est pas le toucher qui est un sens vraiment géométri- que, mais bien l'étendue qui est une pro- priété éminemment métrique, c'est-à-dire mesurable : cela aurait eu un sens plus clair et plus instructif. J'observerai à cette occasion que, si les mots étaient bien faits, la science de l'étendue ne s'appellerait pas géométrie, qui veut dire mesure de la terre, ce qui ne convient qu'à l'arpentage, mais bien cosmométrie , puisqu'elle sert à me- surer le monde entier, ou mieux encore ?nétrie tout simplement, puisque de toutes les sciences, c'est celle qui jouit le plus complètement de l'avantage de posséder des mesures parfaites, et d'en fournir aux autres.

J'ai beaucoup insisté sur cette propriété de rétendue, parce qu'elle n'a pas été assez remarquée jusqu'à présent; qu'on n'a pas encore fait voir nettement en quoi elle con- siste; qu'on n'a pas imaginé d'en déduire la cause du degré de certitude des diverses sciences, et qu'en général on a été porté à attribuer ce plus ou moins de certitude à

CHAPITRE X. 205

la manière de procéder de ces sciences que l'on croyait fort différente , tandis que nous verrons à l'article de la Logique que la marche de l'esprit humain est toujours la même dans toutes les branches de ses con- naissances, et que la certitude de ses juge- mens est toujours de la même nature et a toujours des causes semblables.

Après cette longue digression sur la me- sure des propriétés des corps , je reviens à ce que j'ai dit de l'enchaînement de ces pro- priétés. Je pense que, pour les ranger dans un ordre réellement méthodique, il faudrait mettre au premier rang la mobilité, non- seulement parce quelle est la source de tous les effets que les corps produisent les uns sur les autres, et que, nommément dans les êtres animés, elle est la cause de la faculté de sentir et de se mouvoir, mais encore parce que toutes les autres propriétés des corps sont nécessairement dépendantes de celle-là , puisqu'elles n'auraient pas lieu sans elle; ou y sont essentiellement relatives, puisqu'elles ne nous sont connues que par le mouvement.

On doit placer ensuite l'inertie et V im- pulsion, qui n'auraient pas lieu sans la mo-

206 IDÉOLOGIE.

bilité, et ne sont que des circonstances de son existence.

Après, vient F attraction, qui n'aurait pas lieu non plus sans la mobilité, mais n'en est pas une conséquence nécessaire.

Je comprends sous ce nom général d'at- traction la gravitation céleste, la pesanteur terrestre, et les affinités chimiques avec leurs dépendances , l'adhésion , la cohé- sion, etc. : ces forces internes existantes dans chaque particule des corps me prouvent que la matière est essentiellement active ; et si elle ne l'était pas, je ne comprends pas comment elle serait mobile, car je ne puis concevoir d'où viendrait le commencement d'un mouvement quelconque.

Vient ensuite l'étendue, qui n'est ni une circonstance ni un effet de la mobilité, mais qui ne nous est connue que par elle, et n'existe pour nous que par sa relation avec le mouvement.

De l'étendue dérivent nécessairement la divisibilité, la forme ou figure, et l'im- pénétrabilité, comme aussi laporosité, qui en est une conséquence générale, mais non pas nécessaire.

Enfin vient la durée, propriété qui est in-

CHAPITRE X. 207

dépendante de la mobilité, dont la seule sac- cession de nos sensations nous donne l'idée, mais que nous ne pouvons mesurer que par le mouvement, lequel n'est lin-même constaté que par l'étendue qu'il nous a fait connaître; ensorte que l'étendue, la durée et le mouvement se servent réciproque- ment de mesure, ou plutôt que la mesure de tous trois s'exprime en parties d'étendue. Tel est l'enchaînement que j'aperçois entre les propriétés que nous reconnaissons dans les corps. Je suis persuadé que si les physiciens, au lieu de les ranger à peu près indifféremment, comme ils ont toujours fait, s'étaient occupés de les classer ainsi dans un ordre bien systématisé, ils nous auraient donné des idées plus nettes de ce que les corps sont pour nous * mais pour cela , il aurait fallu remonter, comme nous venons de le faire, à l'origine de nos connaissances. Aussi l'enseignement de toute science de- vrait-il réellement commencer par nous expliquer comment nous connaissons les objets dont elle traite, ce qui prouve que l'examen de nos opérations intellectuelles est l'introduction naturelle à tous les genres d'études. On me dira peut-être qu'il n'est

208 IDÉOLOGIE.

pas nécessaire de remonter si haut pour donner des notions exactes des phénomènes particuliers; cela se peut. Cependant, si je voulais citer de nombreuses erreurs en phy- sique provenant de fausses idées métaphy- siques, les exemples ne me manqueraient pas; et, même en géométrie, je pourrais dire que si les géomètres sont mécontens avec raison de la plupart des définitions de la ligne droite, et des démonstrations des propriétés des parallèles, et du peu de liai- son qu'ont entr'elles plusieurs des pre- mières vérités de la géométrie, la cause en est qu'ils ne se sont pas fait une idée nette de la nature de l'étendue, et de la manière dont nous la connaissons. S'ils étaient re- montés jusque-là , ils auraient vu tout dé- river de l'idée première de la ligne physique tracée sur un corps par un autre corps qui se meut d'un des points de ce corps à un autre, en conservant toujours la même di- rection ou en en changeant; et toutes leurs propositions élémentaires sur les lignes droites, les lignes brisées, les lignes courbes, les angles et leur mesure, les parallèles et leurs sécantes , les intersections des cercles et des sphères, etc., se seraient enchaînées

d'elles-

CHAPITRE X. 209

d'elles-mêmes et liées très-étriotement. A la vérité je ne puis qu'indiquer ce que j'avance ici : pour le démontrer, il me faudrait faire un petit traité de géométrie élémentaire , et cela m'éloignerait du sujet que je traite; mais je suis persuadé que les personnes éclai- rées qui ont réfléchi sur ces matières ne me dédiront pas. D'ailleurs il n'est pas néces- saire de démonstrations bien détaillées pour prouver que quant à l'origine d'une re- cherche quelconque on laisse un point ob- scur quel qu'il soit, il n'est pas possible qu'il n'en résulte quelqu'inconvénient dans un moment ou dans un autre : or, c'est à cette assertion que je me borne, et elle me suffit pour établir la nécessité d'étudier nos fa- cultés intellectuelles. Revenons donc à cette étude, qui est notre objet principal, et dont les autres ne sont que des applications ; et commençons par nous assurer que nous ne nous sommes pas égarés jusqu'à présent dans l'analyse que nous avons faite de ces facultés. Pour cela, comparons-la avec celle qui est la plus généralement approuvée.

O

210 IDEOLOGIE.

CHAPITRE XL

Réflexions sur ce qui précède _, et sur la manière dont Condillac a analysé la Pensée.

IVJLEsjeunesamis, pour avanceravec sûreté dans une recherche quelconque, rien n'est plus utile que de jeter de temps en temps un coup-d'œil en arrière sur le chemin que l'on a parcouru; cela est d'autant plus à pro- pos en ce moment, que nous sommes déjà plus avancés dans notre carrière que peut- être vous ne le croyez vous-mêmes.

En effet, après vous avoir donné une idée générale de la faculté de penser ou sentir, et du but que je me propose en l'exami- nant, je vous ai fait remarquer qu'elle con- siste à sentir des sensations, des souvenirs, des rapports et des désirs.

Vous avez vu que ces impressions pre- mières suffisent à former toutes nos idées les plus compliquées et les plus abstraites, et à nous assurer de la réalité de notre existence et de celle de tout ce qui nous entoure.

CHAPITRE XI. 2il

Je vous ai même expliqué comment ces facultés élémentaires naissent les unes des autres, ou plutôt qu'elles ne sont que des modifications d'une faculté unique, celle de sentir. C'est ainsi, je crois, qu'il faut en- tendre le principe de Condillac, que toutes les opérations, ou, comme il dit souvent, toutes les facultés de rame ne sont tou- jours que la sensation transformée; prin- cipe profond et fécond, qui jusqu'à présent donnait lieu à beaucoup de discussions, parce que cette manière de l'énoncer laisse peut-être quelque chose à désirer.

Je vous ai montré de plus en quoi con- siste tout ce que nous savons des propriétés des corps, et que la manière dont je les considère explique très-facilement la géné- ration et la nature de plusieurs idées qui ont toujours beaucoup embarrassé les métaphy- siciens, et qui n'embarrassent si peu les autres hommes que parce qu'i's ne se met- tent pas en peine de savoir ce qu'ils font quand ils pensent et qu'ils raisonnent; chose cependant assez nécessaire pour bien pen- ser et bien raisonner, quelque sujet que l'on traite.

Quoi qu'il en soit, il résulte de ce petit

O 2

212 IDEOLOGIE.

nombre d'observations, que, si nous ne nous sommes pas égarés, nous avons déjà une idée nette de l'instrument universel de toutes nos découvertes, de ses procédés, de ses effets, de ses résultats, et du principe de toutes nos connaissances; ce qui n'était peut-être pas encore arrivé, et ce qui ne peut être inutile aux progrès ultérieurs de l'esprit humain.

Sans doute nous sommes loin d'avoir fait une histoire complète de l'intelligence hu- maine ; il faudrait des milliers de volumes pour épuiser un sujet si vaste, mais du moins nous en avons fait une analyse exacte ; et le peu de vérités que nous avons recueil- lies est, si je ne me trompe, dégagé de toute obscurité, de toute incertitude, et de toute supposition hasardée, ensorte que nous pou- vons y prendre une entière assurance : d'où il arrive qu'étant certains de la formation et de la filiation de nos idées, tout ce que nous dirons par la suite de la manière d'exprimer ces idées, de les combiner, de les enseigner, de régler nos sentimens et nos actions, et de diriger celles des autres, ne sera que des conséquences de ces préliminaires, et repo- sera sur une base constante et invariable ,

CHAPITRE XI. 2l5

étant prise dans la nature même de notre être. Or, ces préliminaires constituent ce que l'on appelle spécialement l'idéologie ; et toutes les conséquences qui en dérivent sont l'objet de la grammaire, de la logique, de l'enseignement, de la morale privée, de la morale publique (ou l'art social), de l'édu- cation et de la législation , qui n'est autre chose que l'éducation des hommes faits. Nous ne pourrons donc nous égarer dans toutes ces sciences qu'autant que nous per- drons de vue les observations fondamen- tales sur lesquelles elles reposent.

Il paraîtrait, par ce résumé, que nous n'avons plus rien à dire sur l'Idéologie pro- prement dite : et effectivement, si je n'avais égard qu'à ma feçon de voir, j'aurais bien peu de choses à ajouter à ce qui précède. Je me contenterais de vous rappeler que ma manière de décomposer la pensée satisfaisant à l'explication de tous les phénomènes qui sont explicables, vous ne pouvez plus vous refuser à convenir qu'il n'y a dans toutes nos idées que des sensations , des souvenirs^ des jugemens et des désirs; et après quel- ques observations générales sur les rapports de l'idéologie et de la physiologie , }e vous-

2l4 IDEOLOGIE.

proposerais de passer à l'étude de l'expres- sion de nos idées.

Mais vous avez pu remarquer que dans l'établissement de ma théorie idéologique, je ne me suis occupé que des faits sur lesquels elle est fondé, sans m'embarrasser des sys- tèmes des auteurs qui ont écrit sur ces ma- tières , et sans me mettre en peine d'en dis- cuter presque aucuns. Or, avant d'aller plus loin 7 il est bon que vous ayez une idée des opinions les plus accréditées : pour cela il suffira que nous examinions celle de Con- dillac, parce qu'elle est le fond commun de toutes les autres, qui n'en sont guère que des variantes.

Vous saurez donc que ce philosophe jus- tement célèbre, que l'on peut regarder comme le fondateur de la science que nous étudions, et qui jusqu'à présent en tient le sceptre (1), a jugé à propos, d'après Locke ,

(1) Avant Condillac, nous n'avions guère, sur les opérations de l'esprit humain, que des observations éparses plus ou moins fautives : le premier il les a réunies et en a fait un corps de doctrine ; ainsi ce n'est que depuis lui que l'idéologie estvraiment une science. Il l'aurait encore bien plus avancée, si, au lieu de dis- séminer ses principes dans plusieurs ouvrages, il Ici

CHAPITRE XT. 21 5

de partager l'intelligence de l'homme ou sa faculté de sentir, en entendement et en vo- lonté; puis il reconnaît comme parties inté- grantes de l'entendement, l'attention, la com- paraison, le jugement, la réflexion, l'imagi- nation, et le raisonnement, auquel il joint ensuite la mémoire, qu'il partage même quel- quefois en réminiscence, mémoire propre- ment dite, et imagination (dans ce cas le mot imagination n'a pas le même sens que ci-dessus); enfin, il distingue dans la vo- lonté le besoin, le malaise, l'inquiétude, le désir, les passions, l'espérance, et la volonté proprement dite. On peut voir cette divi- sion dans sa Logique, part, première, chap. 7 ; dans les leçons préliminaires de son Cours d'Études, art. 2; dans son Essai sur l'ori- gine des Connaissances humaines, part, pre- mière, chap. 2 et 3, et dans plusieurs

avait rassemblés dans un traité unique qui contînt son système tout entier ; mais , quoiqu'une mort préma- turée l'ait empêché de rendre cet important service à la raison humaine, il n'en est pas moins le guide !e plus généralement suivi par tous les bons esprits de nos jours, et il a la gloire d'avoir puissamment con- tribué à les former.

2l6 IDÉOLOGIE.

autres endroits de ses ouvrages : elle n'est pas partout exactement la même.

Voilà bien des parties distinctes dans cette seule chose que nous appelons la pen- sée. Les disciples de Condillac, etCondillac lui-même, y en ont quelquefois ajouté d'au- tres, et souvent en ont retranché : ces va- riations indiquent déjà qu'il y a de l'arbi- traire dans ces divisions , et qu'elles ne sont pas manifestement commandées par les faits ; mais pour en être tout -fait cer- tains , il nous suffit de nous rendre un compte exact de la signification de tous ces termes.

Je vois d'abord comme en parallèle et presque en opposition l'entendement et la volonté. Je comprends bien que l'on ex- prime par le mot volonté cette faculté, ce pouvoir que nous avons de ressentir des désirs, des penchans pour certaines ma- nières d'être, et de l'éloignement pour d'au- tres : c'est aussi l'usage que nous avons fait de ce terme, et je le crois fondé; mais je ne vois pas de même pourquoi on grouperait sous le seul mot entendement des choses aussi distinctes que sentir, se ressouvenir, et juger.

CHAPITRE XI. 217

En effet, on peut dire que nos connais- sances ne consistent proprement que dans les jugemens que nous portons des impres- sions que nous recevons ; qu'ainsi, rigou- reusement parlant , il n'y a de tout cela que le jugement qui appartienne à l'entende- ment; et qu'il faudrait ne placer que lui sous ce titre, tandis que la sensibilité, et même la mémoire , iraient très - bien se ranger avec le désir , qui est un effet im- médiat et nécessaire de l'impression reçue.

D'un autre côté, si on considère que sen- tir et vouloir sont des modifications sou- daines , et pour ainsi dire forcées , et que se ressouvenir et juger portent un caractère de plus de réflexion , on pourrait ranger la volonté avec la sensibilité comme en étant une dépendance, et laisser ensemble sous un autre nom , la mémoire et le jugement, et tout ce qui y tient; ce qui produirait en- core une autre distribution. Peut-être pour- rait-on encore avec plus de raison observer que la sensibilité et la mémoire sont les fa- cultés qui fournissent au jugement et à la volonté les sujets sur lesquels ils s'exercent; qu'elles sont intimement liées; et que sous ce point de vue il convient de les réunir

2l8 IDÉOLOGIE.

comme étant le principe de tout, et de lais- ser ensemble le jugement et la volonté, les regardant comme des conséquences.

Enfin, si l'on fait attention que tout désir quelconque est le produit d'une sorte de dis- cernement des qualités d'une chose , on trou- vera que la volonté elle-même appartient à l'entendement plus que la sensibilité et la mémoire; et cela produira un nouvel arran- gement, ou détruira toute division. Il y a donc, je le répète, bien de l'arbitraire dans celle adoptée.

Le vrai est qu'il vaut mieux ne pas réu- nir forcément sous des titres fantastiques des choses aussi différentes entr'elles que la sensibilité , la mémoire, le jugement, et la volonté , et que nous devons les lais- ser aussi distinctes et séparées dans nos nomenclatures qu'elles le sont dans le fait(i).

Si de cette division générale nous passons

(1) On peut conserver la division Entendement et Volonté ; mais alors il faut ranger sous l'un de ces mots tout ce qui a rapport à savoir et à connaître, et sous l'autre tout ce qui est relatif à vouloir et à agir. Mes trois premiers volumes sont un traité de la pre- mière partie -} mon quatrième est le commencement

CHAPITRE Xr. 219

aux détails, je vois d'abord Y attention à la tête des facultés qui composent {'entende- ment: mais l'attention est-elle donc une fa- culté particulière? consiste-t-elle dans une opération de l'esprit distincte de toutes les autres? je ne le crois pas. Etre attentif à quoi que ce soit, c'est apporter à une chose quelconque le soin nécessaire au succès. L'attention est l'état de l'homme qui veut surmonter une difficulté ; c'est une manière d'être , produite par l'énergie de la volonté 5 c'est un effet et non pas une cause ; et je ne vois aucune action spéciale : j'aimerais autant faire une faculté de la tristesse ou de la fatigue. Mais, dit-on, quand je fais atten- tion à une sensation, j'en ai la conscience, et toutes les autres disparaissent. bien ! les autres sont nulles , et vous avez une sen- sation : voilà tout. Vous auriez de même la perception d'un souvenir, d'un rapport, ou d'un désir. Aussi, dit-on, l'attention devient successivement tout cela. Dans ce cas-là elle n'est rien par elle - même , et il est

de la seconde , que je n'ai pu terminer, et qui devrait aussi former trois volumes, comme on peut le Yoir à la fin de ma Logique.

220 IDEOLOGIE.

inutile d'en parler ; c'est aussi à quoi je conclus.

Vient ensuite la comparaison : c'est, nous dit-on, une double attention, une attention qui se porte sur deux objets à la fois; soit. J'ai déjà dit ce que je pense de l'attention. Mais comment comprendre la comparaison séparée du jugement? Juger n'est-ce pas sentir un rapport entre deux objets? et sentir un rapport entr'eux n'est-ce pas les comparer? aussi ajoute-t-on que nous ne pouvons comparer deux objets sans les ju- ger. Pourquoi donc séparer deux choses in- séparables? Je ne vois toujours laque deux actions, sentir et juger. La comparaison est jugement, ou n'est que sensation ; elle n'est donc rien en elle-même. Passons à la ré- flexion.

Nous avons déjà vu, chapitre VI, p. 76, ce que c'est que réfléchir; il est inutile de le répéter ici : il suffit de remarquer que la réflexion n'étant qu'un certain usage que nous faisons de nos facultés intellectuelles , elle n'est point elle-même une faculté parti- culière.

J'en dirai autant de l'imagination , qu'on fait consister à rassembler dans un seul objet

CHAPITRE XI. 221

fantastique les qualités de plusieurs objets réels. Cela n'a pas besoin de preuves.

Quant à cette autre imagination qui con- siste à avoir des souvenirs si vifs, que les objets semblent actuellement présens, nous avons déjà observé, au chap. III, qu'elle n'est que la mémoire, ou l'effet de la mémoire, qui va jusqu'à réveiller la sensation même. Elle n'a donc pas besoin d'un nom particu- lier, non plus que la réminiscence, que l'on fait consister à avoir des souvenirs et à sen- tir que ce sont des souvenirs. Celle-là est la mémoire unie à un jugement.

Reste donc le raisonnement, qui est, dit- on , une suite de jugemens implicitement ren- fermés les uns dans les autres. J'en conviens ; et j'en conclus que ce n'est qu'une répé- tition de l'action de juger, et non une faculté particulière.

Voilà pourtant à quoi se réduisent toutes ces subdivisions si multipliées de ce qu'on ap- pelle entendement. Je n'y retrouve jamais, en les analysant, que des sensations, des souvenirs et des jugemens; et je suis tou- jours plus convaincu qu'elles ne sont pro- pres qu'à embrouiller la matière, en créant des êtres imaginaires, et en en confondant

222 IDEOLOGIE.

de très-réels. Voyons s'il en sera de même de la volonté.

On place à la tête des opérations intel- lectuelles que l'on rapporte à la volonté, une affection nommée le besoin, que l'on nous dit être une souffrance. Quand cette souffrance est faible, on l'appelle malaise; et quand elle nous prive du repos, on lui donne le nom ^inquiétude. On nous pré- sente cela comme trois opérations distinctes, et l'on fait intervenir la réflexion et l'ima- gination pour transformer ces opérations en une quatrième, que l'on appelle le désir. J'avoue que je ne comprends rien à cette explication 5 je ne vois encore que deux choses , souffrir et désirer ; et ces deux choses je les connais bien par expérience. Souffrir, est une manière d'être, un produit de la sensibilité; c'est l'effet d'une impression reçue : et cette impression est telle , qu'elle me fait porter le jugement distinct ou im- plicite que je dois l'éviter, d'où il suit que j'en conçois le désir. Dans la puissance de concevoir des désirs consiste uniquement ce que j'appelle volonté.

Notre auteur, au contraire, comprend encore parmi les opérations dépendantes de

CHAPITRE XL 225

la volonté, les passions, l'espérance , la vo- lonté proprement dite , et jusqu'à la crainte, la confiance, la présomption.

11 est vrai qu'il nous explique que les passions sont des désirs devenus habituels, que l'espérance est le désir joint à un juge- ment, et que la volonté, dans le sens res- treint, est encore le désir joint à un autre jugement. Ainsi ce ne sont pas des im- pressions élémentaires , mais des affections composées, dans lesquelles il n'y a que le désir qui appartienne réellement à la faculté appelée volonté.

Pour la crainte, la confiance, la présomp- tion, etc., ce n'est pas la peine de nous y ar- rêter : il est trop manifeste que ce sont des manières d'être, des états de l'homme, ré- sultant de l'emploi bon ou mauvais de toutes ses facultés ; et que des résultats si compli- qués ne peuvent jamais être regardés comme des élémens.

Je persiste donc à penser que la manière dont Condillac a décomposé notre intelli- gence est vicieuse; et que plus on y réflé- chira, plus on se convaincra que la pensée de l'homme ne consiste jamais qu'à sentir

224 IDÉOLOGIE.

des sensations, des souvenirs, des jugemens et des désirs (1).

Au reste, l'examen auquel nous venons de nous livrer peut nous fournir des réflexions importantes. La première qui se présente, c'est que le grand idéologiste dont j'ose ici combattre quelques idées , a le mérite émi- nent d'avoir le premier bien reconnu ce que c'est que penser.

Il dit dans vingt endroits, et nommément dans ceux que je viens de citer : Les facul- tés de Vaine naissent successivement de la sensation. Elles ne sont que la sensation qui se transforme pour devenir chacune d'elles. Toutes les opérations de Vame ne sont que la sensation même qui se trans- forme différemment, etc. ... Et, ce qui est plus précis encore, il dit, dans sa Logique , chapitre 7 : Toutes les facultés que nous venons d'observer sont renfermées dans la faculté de sentir. Assurément c'est bien

(1) Pour l'intelligence complète de cette discussion , que j'ai tâché de resserrer, j'invite le lecteur à relire l'Analyse de la Pensée, par Condillac, dans un des endroits cités ci-dessus, et sur-tout dans le chap. 7 de la première partie de sa Logique , elle est le plus détaillée, et que j'ai eu principalement en vue.

dire,

CHAPITRE XI. 225

dire, non-seulement comme Locke, que toutes nos idées viennent des sens, mais en- core qu'elles ne sont que des sensations de différentes espèces. Cependant cela n'est pas complètement net, et souvent les ex- plications subséquentes obscurcissent en- core ces traits de lumière. J'aurais donc mieux aimé qu'il dît : Sentir est un phéno- mène de notre organisation, quelle qu'en soit la cause ; et penser n'est rien que sentir. Ce que nous appelons la faculté de penser, la pensée, n'est autre chose que la faculté de sentir, la sensibilité prise dans le sens le plus étendu. Toutes nos idées , toutes nos perceptions sont des choses que nous sentons, c'est-à-dire des sensations, aux- quelles nous donnons differens noms, sui- vant leurs differens effets et leurs differens caractères.

Alors, au lieu d'expliquer péniblement comment la sensation devient mémoire, jugement, volonté, et mille autres choses, il aurait dit tout simplement, comme nous, que notre faculté de sentir ou penser con- siste à sentir des sensations proprement dites, des souvenirs, des rapports, des de-

P

aag idéologie.

sirs, et tout ce qu'il aurait jugé à propos dV distinguer.

Je crois ces deux manières de s'exprimer bien identiques. Cependant, telle est la con- séquence de présenter la même idée sous un aspect ou sous un autre, que quand, par la suite de mes observations et de mes ré- flexions, j'ai été conduit à conclure que foutes nos idées ne sont que des sensations diverses, et que penser, sentir et exister ne sont pour nous qu'une seule et même chose, j'ai cru fermement ne l'avoir pas appris de Condillac; et peut-être beaucoup de ses sec- tateurs ne conviendront pas que je dise la même chose que lui, ni par conséquent que j'aie raison.

Il y a plus; je suis persuadé que s'il avait rédigé son propre principe sous la forme que je lui donne, cet excellent esprit qui lui a fait éliminer tant d'idées fausses et vagues, l'aurait amené nécessairement à ne plus re- connaître dans la pensée toutes ces opéra- tions parasites qu'il y admet encore, et qui ne font qu'embrouiller l'analyse qu'il en a laite, ce qui a été un vrai malheur pour la science. Au reste, peut-être a-t-il cru s'être fait entendre suffisamment; peut-être n'a-t-il

CIIAPIIRR XT. 227

pas voulu s'expliquer d'avantage. Quoi qu'il en soit, je persiste à soutenir qu'à lui seul appartient l'honneur d'avoir découvert que penser n'est rien que sentir, et que toutes nos idées ne sont que des sensations di- verses dont il ne s' agit que de démêler les différences et les combinaisons. J'ai débar- rasse* cette grande vérité de quelques nuages qui l'obscurcissaient encore un peu; j'en ai tiré quelques conséquences de plus, et voilà tout.

La réflexion que nous venons de faire sur Condillac en amène naturellement une autre plus directement relative à la science, c'est qu'il est bien extraordinaire que depuis le temps que les hommes pensent et cherchent à se rendre compte de leurs idées, ce soit une découverte nouvelle de savoir que pen- ser est la même chose que sentir; et qu'il est encore plus surprenant que le même homme qui a été capable d'apercevoir cette vérité, ait pu ensuite se tromper sur le nombre et l'espèce des opérations distinctes qui composent cette faculté de sentir, et des sortes de sensations réellement différentes entr'clles que nous lui devons.

II semble en effet, au premier coup-d'œil,

P 2

328 IDEOLOGIE.

que rien au monde ne devrait être plus aisé* sinon de connaître les causes de la pensée, du moins d'en observer les effets ; il paraît que il n'y a pas même possibilité à l'er- reur; car de quoi s'agit-il pour chacun de nous? de se rendre compte de ce qu'il fait tous les jours, à tous les momens ; d'en exa- miner les détails, de s'en tracer un tableau fidèle. 11 n'est question de rien combiner, de rien inventer, encore moins de rien suppo- ser. Il n'y a que des faits à recueillir , et ces faits se passent en nous; chacun est pour lui-même le champ le plus riche en obser- vations et le sujet de ses expériences les plus instructives; enfin tout consiste à savoir ce que l'on sent. Qui pourrait jamais croire, s'il n'y était forcé par l'expérience de tous les siècles et par la sienne propre, que ce soit une entreprise dans laquelle aient échoué les meilleurs esprits? Cependant, non-seulement la difficulté d'y réussir n'est que trop certaine, mais même elle est telle, qu'il faut déjà être fort avancé pour voir nettement en quoi elle consiste. Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent a pu nous mettre sur la voie, mais ne suffit pas pour bien éclaircir l'état de la question; il faut

CHAPITRE Xir. 229

donc que nous considérions encore notre pensée sous d'autres aspects, et que nous examinions quelques-uns des principaux phénomènes qu'elle présente. C'est ce que nous allons faire dans le chapitre suivant.

CHAPITRE XII.

De la Faculté de nous mouvoir et de ses rapports avec la Faculté de sentir.

1VJ.es jeunes amis, je vous ai montré quels sont les élémens de nos idées ; je vous ai ex- pliqué comment ces élémens forment toutes nos idées composées, et je vous ai fait voir en quoi consiste la réalité de l'existence des êtres que ces perceptions nous font con- naître; j'ai ajouté à ces explications quel- ques applications et quelques discussions qui me paraissent satisfaisantes ; ainsi je crois avoir rempli la tâche que je m'étais imposée, de vous apprendre ce que vous faites quand vous pensez. Cependant, avant de quitter ce sujet, je crois devoir encore examiner avec vous quatre objets impor- tuns, savoir : jusqu'à quel point notre

25o IDEOLOGIE.

faculté de penser est dépendante de notre volonté 5 20 quelles modifications apporte dans notre pensée la fréquente répétition de ses actes; ce que, dans l'état actuel de la raison humaine, la faculté de penser des hommes en société doit au perfectionne- ment graduel de l'individu et à celui de l'es- pèce; 4° l'influence de l'usage des signes sur ces deux espèces de perfectionnement. Ces quatre nouvelles manières de considérer nos facultcsintellectuellesnousapprendrontàles mieux connaître, et nous donneront la solu- tion de plusieurs questions, et entr'autres de celle que nous nous sommes propesée dans le chapitre précédent, savoir en quoi con- siste la difficulté que tout homme éprouve à se rendre compte de ce qui se passe en lui quand il pense.

Pour réussir dans ces recherches, il faut agrandir le champ de nos observations. Nous ïie de von s plus no us borner à examiner notre iaculté de penser, isolée et abstraite des autres circonstances de notre existence, il faut considérer notre individu tout entier et dans son ensemble. Deux phénomènes prin- cipaux s'y font remarquer; l'un est cette capacité, ce pouvoir que nous avons de re-

CHAPITRE XII. 25l

cevoir des impressions, d'avoir des percep- tions, en un mot, d'éprouver des modifica- tions dont nous avons la conscience. C'est ce que nous appelons la faculté de penser ou de sentir, en prenant ce mot dans le sens le plus étendu.

L'autre est cette capacité ou ce pouvoir que nous avons de remuer et de déplacer les différentes parties de notre corps, et d'exécuter une infinité de mouvemens tant internes qu'externes , le tout en vertu de Forces existantes au-dedans de nous, et sans y être contraints par l'action immédiate d'au- cun corps étranger à nous. C'est ce que nous appelons la faculté de nous mouvoir.

Ces deux phénomènes sont également le résultat de notre organisation ; nous pou- vons bien les diviser par la pensée pour examiner séparément et successivement les effets de l'un et de l'autre; mais, dans la réa- lité, ils sont inséparables : le premier, au moins, ne peut exister sans le second ; car quoiqu'il soit vrai qu'il s'opère beaucoup de mouvemens en nous sans que nous en ayons la conscience, sans qu'ils nous causent la moindre perception, il est certain que nous ne pouvons concevoir aucune perception

202 IDEOLOGIE.

produite en nous, même la plus purement intellectuelle , sans un mouvement quel- conque opéré dans quelqu'un de nos or- ganes. Ainsi, à prendre les choses telles qu'elles sont, nous ne devons regarder l'ac- tion de penser ou sentir que comme un effet particulier de l'action de nous mouvoir, et la faculté de penser que comme une dépen- dance de la faculté de nous mouvoir. Celle-ci mérite donc bien de fixer notre attention.

J'ai dit que nous avons le pouvoir de faire des mouvemens en vertu de forces exis- tantes au-dedans de nous, et sans y être contraints par l'action immédiate d'aucun corps étranger. Je ne prétends pas pour cela qu'il existe en nous un principe essentielle- ment actif et vraiment créateur d'une force absolument nouvelle , indépendante de toutes celles qui existent dans le monde, en- sorte qu'en vertu de notre énergie propre la quantité du mouvement se trouve aug- mentée d'un moment à l'autre dans l'univers par notre action. Au contraire, et cela est essentiel à remarquer, des expériences ri- goureuses prouvent que quand un homme se suspend à la corde d'une poulie, il n'agit sur elle qu'en vertu de son poids et ne peut

CHAPITRE XIT. 253

rien au-delà ; que quand il pousse contre un mur ou contre un fardeau, il réagit contre le terrain sur lequel il s'appuie avec une force égale à celle qu'il applique à la résis- tance ; qu'il en est de même quand il soulève un poids ; qu'enfin il n'agit jamais que comme poids, ou comme ressort, ou comme levier, à la manière des êtres inanimés, et qu'il ne crée proprement aucune force nouvelle. Ce- pendant, il n'est pas moins certain qu'un corps vivant n'a pas besoin de l'application immédiate d'un corps étranger pour être mu, et que bien qu'il lui faille un point d'ap- pui pour opérer un effet quelconque , et qu'ainsi son action ne soit qu'une réaction, il a au -dedans de lui le principe de cette action.

Il y a plus ; l'expérience prouve aussi que nos muscles, dans l'état de vie, soulèvent des poids de beaucoup supérieurs à ceux qui seraient capables de les déchirer dans l'état de mort. C'est donc quelque chose que la vie c'est elle qui fait aussi que tant qu'un corps en est doué, il a la force d'assimiler à sa substance les corps avec lesquels il est en contact d'une manière convenable, tan- dis que dès qu'il est mort, ce sont tous les

254 IDEOLOGIE.

élémens qui le composent qui se dissolvent» se séparent , et vont former de nouveaux mixtes avec les êtres environnans, suivant de nouvelles lois d'affinités. Cette force vi- tale, nous ne savons pas en quoi elle con- siste; nous ne pouvons nous la représenter que comme le résultat d'attractions et de combinaisons chimiques , qui , pendant un temps, donnent naissance à un ordre de faits particuliers, et bientôt, par des circonstances inconnues, rentrent sous l'empire de lois plus générales, qui sont celles de la matière inorganisée. Tant qu'elle subsiste, nous vi- vons, c'est-à-dire que nous nous mouvons et que nous sentons.

Cette force vitale produit donc la faculté de faire des mouvemens ; mais comment s'exécutent ces mouvemens? c'est ce que nous ignorons. Nous savons bien que les muscles sont ceux de nos organes qui en sont les instrumens immédiats, et que quand une partie quelconque de notre corps se meut, c'est par l'effet de la contraction du muscle qui l'attire de ce côté ; nous savons encore que si ce muscle se raccourcit, c'est par l'affluence des liqueurs dans les nom- breux vaisseaux qui l'arrosent, lesquels se

CHAPITRE XII. 235

dilatent et obligent la fibre à se raccourcir. Mais qu'est-ce qui imprime celte direction à ces fluides? nous l'ignorons, comme nous ignorons leur nature, leur origine et le prin- cipe de la circulation par laquelle ils entre- tiennent notre vie. Toutefois il reste certain que, tant que nous sommes vivans, notre organisation, au moyen de combinaisons la plupart inconnues, produit beaucoup de mouvemens apparens, et un bien plus grand nombre de mouvemens internes, qui n'ont pour cause immédiate aucun corps étranger au nôtre ; et que plusieurs de ces mouvemens produisent en nous le phénomène que nous appelons sentir, tandis que d'autres ont lieu sans que nous en ayons la moindre con- science.

Si de ces premières observations sur la faculté de nous mouvoir, nous passons à l'examen de ses rapports avec celle de pen- ser ou sentir, nous voyons bien que c'est principalement par nos nerfs que nous sen- tons; et que toutes les fois que nous avons une perception quelle qu'elle soit, ce n'est guère qu'en vertu d'un mouvement quel- conque opéré dans l'intérieur de ces nerfs ou de quelqu'un des principaux points dans

336 IDÉOLOGIE.

lesquels ils se réunissent. Mais qui nous dira quelle est la nature de ce mouvement et en quoi précisément il consiste? c'est assu- rément une connaissance à laquelle nul homme n'est encore parvenu. Tout ce que nous avons pu faire jusqu'à présent, a été de remarquer quelques circonstances et quelques effets de ces mouvemens.

A plus forte raison ne pouvons-nous pas déterminer la différence du mouvement qui s'opère dans les nerfs de notre œil lorsque nous voyons du bleu ou du rouge, ni dans ceux de notre oreille quand nous entendons un son grave ou aigu , ni dans ceux de notre nez quand nous sentons une odeur ou une autre, ni dans ceux de la peau de notre main ou d'une autre partie de nôtre corps quand nous sentons une piqûre ou une brûlure, une douce chaleur ou un chatouillement agréable ; mais nous devons croire que toutes les fois que le même nerf nous procure une sensation différente, il faut qu'il ait éprouvé un ébranlement différent et qu'il se passe en lui et dans l'organe cérébral un mouvement particulier; et aussi que chacun de ces nerfs a une manière d'être mu et d'agir sur le cer- veau qui lui est propre, puisque toutes ou

CHAPITRE XII. 207

presque toutes les impressions produites par chacun d'eux différent entr'elles plus ou moins , ensorte qu'aucune ou presqu'aucune des perceptions qui nous viennent par un nerf n'est exactement la même que celle que nous devons à un autre nerf. La preuve en est qu'aucune de nos différentes sensations, même de celles qui ont le plus d'analogie en- tr'elles, ne sont complètement semblables.

Malgré ces différences vraisemblables entre les divers mouvemens nerveux qui produisent chacune de nos sensations pro- prement dites, ils ont ensemble un point de ressemblance , c'est de partir tous de l'extré- mité de nos nerfs la plus éloignée du centre commun, et de se diriger vers ce centre, tan- dis que ceux qui nous occasionnent les per- ceptions que nous nommons souvenirs, ju- gemens, désirs, sont purement internes, et peut-être même se portent du centre vers la circonférence.

Raisonnant sur ceux-ci comme j'ai fait çur les premiers , je suis conduit à croire que le mouvement quelconque en vertu duquel j'ai le sentiment d'un souvenir, ne saurait être le même que celui par lequel je perçois un j ugement , ni celui-ci le même que

238 IDEOLOGIE.

celui qui me donne le sentiment d'un désir et en outre, chaque perception de chacune de ces classes doit être produite par un mou- vement particulier. Elles sont trop différen- tes entr'elles pour être les effets de causes identiques. Je conçois donc que toutes ces affections sont les résultats d'autant de mou- vemens divers qui se passent en moi , et qui sont si fugitifs et si fins, que je ne puis les apercevoir que parleurs produits, mes per- ceptions. On voit par ces réflexions quelle prodigieuse quantité de mouvemens diffé- rens s'opèrent en nous, sans compter même tous ceux, peut être très-nombreux aussi, qui ne sont la source d'aucune perception. Je ne pousserai pas plus loin ces obser- vations sur la faculté de nous mouvoir; elles sont suffisantes pour l'objet que je me pro- pose. Il s'agit maintenant de voir quelle est l'influence de notre volonté sur tous ces mouvemens et sur les effets qu'ils pro- duisent.

CHAPITRE XIII, 2JC)

g-- -t

CHAPITRE XIII.

Zte V influence de notre Faculté de vouloir sur celle de nous mouvoir, et sur cha- cune de celles qui composent la Faculté de penser.

V ous avez vu, chapitre V, combien elle est importante pour nous cette faculté de former des désirs, puisqu'elle est la cause de tous nos plaisirs et de toutes nos peines , suivant que ces désirs sont ou ne sont pas accomplis. Elle n'est pas moins remarquable par cette heureuse circonstance, que nos désirs exercent souvent un grand pouvoir sur nos actions et sur nos pensées. Il est donc intéressant d'examiner la nature et les limites de ce pouvoir, et jusqu'à quel point il s'étend sur nos différentes facultés. Les réflexions contenues dans le chapitre pré- cédent nous permettant de ne regarder do- rénavant l'action de penser que comme une circonstance qui accompagne souvent celle de nous mouvoir, nous allons d'abord par- ler du pouvoir de notre volonté sur celle-ci, et ensuite nous dirons en peu de mots quelle

24o IDÉOLOGIE.

est son influence sur chacune de nos facultés intellectuelles.

On peut distribuer tous nos mouvemens en plusieurs classes , eu égard aux degrés de dépendance ils sont de notre volonté. Ces espèces de tableaux détaillés des phéno- mènes de notre existence sont d'une grande utilité pour nous en faire prendre des idées justes, en nous accoutumant à y remar- quer des circonstances auxquelles le plus souvent on ne fait aucune attention.

Beaucoup de nos mouvemens s'exécutent en nous sans que nous en ayons jamais la moindre connaissance. De ce nombre sont presque tous les mouvemens qui entretien- nent et renouvellent à chaque instant notre vie; et ce sont par conséquent les plus né- cessaires à notre existence. Nous étant com- plètement inconnus, il n'y a pas de doute que notre volonté n'a sur eux aucun empire.

Il en existe d'autres dont quelquefois nous avons la conscience, et qui quelquefois aussi s'exécutent à notre insu. Dans ce dernier cas ils rentrent dans la première classe ; mais lors même qu'ils nous sont connus, tantôt ils sont absolument volontaires , tantôt ils s'exécutent sans que nous nous en mêlions;

souvent

CHAPITRE XIII. 24l

souvent même ils ont lieu malgré notre vo- lonté expresse de les empêcher.

Il en est encore que nous faisons toujours volontairement et d'autres toujours malgré nous. Enfin, il en est que notre organisation nous rend constamment impossibles , même lorsque nous desirons le plus de les faire.

L'empire de notre volonté sur notre faculté de nous mouvoir, est donc très - différent dans les differens cas, et souvent resserré dans des bornes très-étroites. Remarquons encore, en terminant cette énumération de nos mouvemens , que ceux qui sont le plus soumis à notre volonté, tels que ceux qui consistent dans l'usage ordinaire de nos membres, sont eux-mêmes le produit d'une foule d'autres mouvemens internes qui ont lieu sans notre volonté expresse, ou même sans que nous le sachions 5 ensorte que ce n'est proprement que les résultats qui s'o- pèrent parce que nous le voulons, mais que les mouvemens qui y préparent s'exécutent d'eux-mêmes, à quelques nuances près, sui- vant les cas.

Si de la faculté de nous mouvoir nous pas- sons à nos facultés intellectuelles, la réflexion précédente y trouve encore bien plus d'ap-

Q

242 IDÉOLOGIE.

plications. Sans doute, comme nous l'avons déjà dit, toutes nos perceptions sont des produits de mouvemens opérés au-dedans de nous ; mais aucuns d'eux ne se laissent apercevoir ; et quand nous desirons ré- veiller en nous telle ou telle perception, nous sommes assurément bien incapables de faire avec attention aucun des mouve- mens internes nécessaires pour la produire. Ils nous sont même si complètement incon- nus, que nous n'en ferons aucune mention ici. Nous allons seulement indiquer en peu de mots jusqu'à quel point et dans quel sens on peut dire qu'il dépend de nous d'éprouver telle ou telle impression, d'exercer telle ou telle de nos facultés intellectuelles. Com- mençons par la sensibilité proprement dite. Il ne dépend pas de nous de ne pas per- cevoir les sensations, c'est-à-dire de ne pas sentir les ébranlemens que les corps exté- rieurs causent dans les organes de nos sens, ou ceux que les parties mêmes de notre corps excitent les unes dans les autres par leur action mutuelle. Il ne dépend pas de nous davantage de modifier les impressions qu'elles nous font, c'est-à-dire de trouver agréables ou désagréables celles qui ne le

CHAPITRE XIIT. 243

sont pas; mais il dépend de nous, jusqu'à un certain point, d'appliquer tellement notre attention à quelques-unes de nos percep- tions , que les autres deviennent comme nulles pour nous. Cela arrive souvent à tous les hommes ; il y en a même chez qui ce pouvoir est porté à un grand degré : ce sont ceux qui sont occupés de passions violentes ou de méditations profondes. C'est à quoi se réduit l'influence de la volonté sur la sensi- bilité proprement dite.

Quant à la mémoire, nous éprouvons que le souvenir de certaines perceptions nous vient souvent, non-seulement sans que nous le voulions, mais même quoique nous desi- rions l'écarter; mais nous éprouvons aussi qu'il nous revient lorsque nous cherchons à nous le procurer. Ainsi, la mémoire est tantôt indépendante, tantôt dépendante de la volonté. Nous verrons dans la suite quels sont les moyens d'augmenter le pouvoir de la volonté sur cette faculté; pour le moment nous nous bornons à l'énoncé des faits. Usons-en de même à l'égard du jugement.

Le j ugemen t est indépendant de la volonté en ce sens qu'il ne nous est pas libre, quand nous percevons un rapport réel entre deux

Q a

S44 IDÉOLOGIE.

de nos perceptions, de ne pas le sentir tel qu'il est, c'est-à-dire tel qu'il doit nous pa- raître en vertu de notre organisation, et tel qu'il paraîtrait à tous les êtres organisés comme nous , s'ils étaient exactement dans la même position. C'est cette nécessité qui constitue la certitude et la réalité de tout ce que nous connaissons ; car s'il ne dépendait que de notre fantaisie d'être affectés d'une chose grande comme si elle était petite, d'une chose bonne comme si elle était mau- vaise, d'une chose vraie comme si elle était fausse, il n'existerait plus rien de réel dans le monde, du moins pour nous ; il n'y aurait ni grandeur ni petitesse, ni bien ni mal, ni faux ni vrai : notre seule fantaisie serait tout. Un tel ordre de choses ne peut pas même se concevoir, il implique contradiction. Notre j ugement est donc bien indépendant de notre volonté en ce sens ; mais il en dépend en ce que, comme nous l'avons vu, nous sommes maîtres, jusqu'à un certain point, de consi- dérer telle perception et de rappeler tel sou- venir plutôt que d'autres, et de donner notre attention plutôt à un de leurs rapports qu'à un autre. Ainsi c'est à proportion que nous soumettons notre sensibilité et notre mé-

CHAPITRE XIII. «45

moire à l'action de notre volonté, que celle-ci devient maîtresse des opérations de notre jugement.

Enfin, on peut demander, et on demande souvent , si notre volonté elle - même est libre, si elle dépend de nous, c'est-à-dire, à parler exactement, si elle dépend unique- ment d'elle-même. Il est bon de commencer par éclaircir cette expression, et par voir pourquoi nous mettons ainsi notre moi à la place de notre volonté, et pourquoi nous nous identifions davantage avec cette fa- culté qu'avec toute autre, comme si celles de percevoir des sensations, des souvenirs, des rapports , délie de faire des mouvemens, n'étaient pas nous , ne nous appartenaient pas, ne faisaient pas partie de notre moi comme celle de former des désirs. La rai- son en est simple. Jouir et souffrir est tout pour nous; c'est notre existence toute en- tière, et nous ne jouissons et souffrons ja- mais qu'autant que nous avons des désirs et qu'ils sont accomplis ou non. Nous n'exis- tons donc que par eux et par la faculté d'en former. Quand quelque chose se fait contre notre désir, nous voyons bien que ce n'esÊ pas nous qui l'opérons. Nos désirs et toutes

2«±6 IDÉOLOGIE.

les actions qui en sont les conséquences* sont donc toujours la même chose que nous; et tout ce qui n'est pas eux ou n'en dérive pas, est étranger à nous, ne fait pas partie de notre moi. La question proposée se ré- duit donc à celle-ci : Notre volonté dépend- elle uniquement d'elle-même? ce qui est la même chose que de demander , pouvons- nous vouloir sans cause , et uniquement parce que nous voulons vouloir? Ainsi pré- sentée, cette question n'est pas difficile à résoudre, comme il arrive toujours quand les questions sont bien posées, c'est-à-dire que leurs vrais élémens sont bien énoncés; car pour résoudre une question, il ne s'agit jamais que de porter un jugement; et quand les deux idées à comparer sont connues et présentes, le jugement est tout de suite porté. Dans le cas actuel, il ne s'agit que de voir s'il est dans la nature de notre volonté d'entrer en action sans être mue par rien, si un de- sir peut naître en nous sans cause : il est bien clair que non. En effet, si nous consi- dérons le désir abstraitement, si nous n'y voyons qu'une perception, nous ne pouvons le concevoir que comme une conséquence nécessaire du jugement qu'une perception

CHAPITRE XIII. 247

précédente est pour nous bonne ou mau- vaise à éprouver, désirable ou non; et ce jugement, que comme la suite inévitable de la manière dont nous a affecté cette percep- tion quand nous l'avons éprouvée. Si, au contraire, nous regardons nos désirs, ainsi qu'ils sont en effet, comme les résultats de certains mouvemens inconnus qui se pas- sent dans les organes de l'être animé, et qui lui font éprouver une manière d'être qu'il appelle désirer, il est certain que tout désir suit nécessairement du mouvement des or- ganes qui a la propriété de le produire , et que ce mouvement des organes n'est pas un acte de la volonté, mais est lui-même occa- sionné par d'autres mouvemens antérieurs. Ainsi, ni sous le rapport idéologique, ni sous le rapport physiologique, il n'est possible de concevoir le désir autrement que comme une suite nécessaire de faits antérieurs; et en général il ne nous est pas possible de com- prendre un acte quelconque qui soit son principe et sa cause à lui-même. Ainsi, ceux de notre volonté sont forcés et nécessaires comme ceux de toutes nos autres facultés, et comme ceux de tous les autres êtres ani- mes ou inanimés qui existent dans la nat 1 1 re .

248 IDEOLOGIE.

Cette vérité, au reste, ne fait pas que nous ayons tort d'attribuer à la faculté de vouloir l'extrême importance que nous y attachons dans nous et dans les autres, d'en porter les jugemcns que nous en portons et de nous conduire comme nous le faisons à son égard.

Nous n'avons pas tort de nous identifier à notre propre volonté, et de dire indiffé- remment, il dépend de moi ou il dépend de ma volonté de faire telle ou telle chose, je ne suis pas le maître de cela, ou cela ne dé- pend pas de ma volonté, car comme souffrir et jouir est tout pour nous, et que nous ne souffrons et jouissons jamais qu'autant que notre volonté est accomplie ou contrariée, elle est bien un être identique avec notre moi.

Nous n'avons pas tort d'attacher une extrême importance à la volonté dans les autres êtres sentans et voulans,et de l'iden- tifier avec leur moi; et eux, à leur tour, n'ont pas tort d'y attacher une extrême im- portance en nous et de l'identifier avec notre moi; car notre volonté a la puissance de di- riger presque toutes nos actions, et sur-tout toutes celles par lesquelles nous influons sur eux. Ainsi , pour eux, notre volonté ou nous

CHAPITRE XIII. 24g

c'est bien exactement la même chose , ex- cepté dans certains cas qui forment des exceptions assez rares.

Ils n'ont pas tort non plus d'attacher une idée de mérite ou de démérite, un sentiment d'amour ou de haine à notre volonté éclai- rée ou stupide, bienveillante ou malveillante à leur égard ; car si nous n'avons pas le pou- voir de vouloir uniquement parce que nous voulons vouloir, nous avons jusqu'à un cer- tain point, comme nous l'avons dit, celui d'attacher notre attention à telle ou telle perception, de multiplier et de rectifier les jugemens que nous en portons et en vertu desquels nous avons des volontés. Or, que nous soyons portés à ces recherches par le ridicule pouvoir de les désirer sans motifs ou par des circonstances inconnues, peu importe à ceux qui ne sont affectés que des résultats , et qui ne peuvent accorder leur estime qu'à la justesse qui y brille et leur amour qu'au bien qui en résulte pour eux. En effet, une chose quelconque n'est ni esti- mable ni aimable par la cause qui la produit, mais par l'effet qui en résulte; et si nous disons communément que c'est l'intention seule (c'est-à-dire la volonté) qui fait tout le

fl5o IDÉOLOGIE.

mérite d'une action , et que c'est l'intention seule dont on peut savoir bon ou mauvais gré, c'est uniquement parce que, comme nous l'avons déjà remarqué, nous identifions avec raison les autres avec leur volonté , comme nous nous identifions nous-mêmes avec la notre; et cette expression ne signifie autre chose si ce n'est qu'un individu n'est estimable et aimable qu'à proportion que sa volonté est éclairée et bienveillante. Or, cela est tout aussi vrai dans l'hypothèse que sa volonté est l'effet nécessaire de causes inaperçues, que dans la supposition absurde qu'elle est un effet sans cause.

Par la même raison , notre principe ne détruit point la justice des punitions et des récompenses; au contraire, il l'établit plus solidement ; car si notre volonté est déter- minée nécessairement par desjugemens an- técédens, il est juste et raisonnable de lui fournir des motifs de se porter au bien ; au lieu que si elle naissait sans cause, les puni- tions et les récompenses n'auraient aucune influence sur ses déterminations futures, et les unes ne seraient qu'une vengeance pué- rile, et les autres que l'expression d'une reconnaissance inutile.

CHAPITRE Xlir. 25l

Ce sont sans doute les motifs que je viens de développer qui, aperçus confusément par tous les hommes, les ont conduits à porter tous, sur leur volonté et celle de leurs sem- blables, des jugemens qui sont très-justes au fond, quoiqu'ensuite l'ignorance des causes qui déterminent invinciblement cette vo^ lonté , et l'envie de ne pas se croire les instrumens passifs des circonstances envi- ronnantes , les aient portés à imaginer que leur volonté est une création qui se produit spontanément en eux, et à ne jamais remon- ter à une cause antérieure de leurs actions que quand celle-là n'a pas lieu. Concluons donc que notre volonté n'a pas le pouvoir de former tel ou tel désir sans motif et par un acte purement émané d'elle ; mais qu'ayant, jusqu'à un certain point (quelle que soit la cause qui la mette en action), le pouvoir d'appliquer notre attention à une perception plutôt qu'à une autre, de nous faire retrou- ver un souvenir plutôt qu'un autre, de nous faire examiner tel rapport d'une chose plu- tôt que tel autre, tous actes qui sont les élé- mens de ses déterminations, elle influe, non immédiatement, mais médiatement sur sa direction ultérieure.

252 IDÉOLOGIE.

Je ne traiterai point ici à la manière des scholastiques la question tant débattue de la nécessité et de la liberté; je pense, avec Locke, qu'être libre c'est avoir le pouvoir d'exécuter sa volonté , et que toutes les fois qu'on donne un autre sens à ce mot on ne s'entend plus. Il ne peut donc pas y avoir de liberté avant la naissance de la volonté ; et il ne pouvait être question que d'examiner ce qui fait naître notre volonté. Je pense que c'est ce que nous avons fait suffisamment.

Je terminerai ce chapitre, dans lequel, comme dans le précédent, je me suis borné à recueillir des faits sans me permettre de remonter à leurs causes-, qui me sont in- connues, ni d'en tirer des conséquences qui auraient été prématurées.

Je sens qu'à la suite de ces observations je devrais indiquer les moyens de perfec- tionner notre faculté de nous mouvoir, et ceux de bien diriger notre faculté de vouloir, et d'augmenter son influence sur toutes les autres ; mais il faut auparavant nous être munis des observations dont nous allons nous occuper dans le chapitre suivant.

CHAPITRE XIV. 253

CHAPITRE XIV.

Des effets que produit en nous la fré- quente répétition des mêmes actes.

JM ous venons de passer en revue plusieurs circonstances importantes de nos différentes opérations physiques et intellectuelles; mais il en est encore une qui mérite de fixer toute notre attention, c'est l'effet que produit sur chacune de ces opérations sa fréquente ré- pétition. On appelle habitude la disposition, la manière d'être permanente qui naît de cette fréquente répétition : c'est-là le vrai sens du mot habitude. Il est vrai que dans l'u- sage ordinaire on confond souvent la cause et l'effet; et quand on dit, j'ai une telle habi- tude, j'ai l'habitude de telle chose, je suis habitué à telle chose, cela veut dire égale- ment ou que l'on fait souvent cette chose quelconque, ou que l'on éprouve la dispo- sition qui résulte de la fréquente répétition de cette action. Ce manque de précision dans le langage vient sans doute de ce que peu de £ens ont réfléchi avec attention sur les habi-

254 IDÉOLOGIE.

tudes et sur leurs causes, car l'inexactitude des expressions naît toujours de la confu- sion des idées ; voilà pourquoi les langues se perfectionnent à mesure que les connais- sances se débrouillent. Conformons -nous cependant à l'usage; mais occupons-nous de nous faire des idées nettes de nos habi- tudes, et de démêler les effets qu'elles pro- duisent sur nos différentes facultés, et com- mençons par la faculté de nous mouvoir, qui, prise dans son sens le plus étendu, ren- ferme toutes les autres.

Personne n'ignore que plus nous répétons souvent le même mouvement, quel qu'il soit, plus nous l'exécutons avec facilité et rapidité.C'est d'après cette observation cons- tante et générale, que, lorsque nous voulons réussir à faire une action quelconque, nous nous y exerçons le plus possible , et que , quand on veut qu'un ouvrage se fasse très- vite , on a soin de partager le travail de ma- nière que chaque ouvrier n'ait qu'un petit nombre de mouvemens et toujours les mêmes à exécuter : c'est-là le grand avan- tage de la division du travail dans les manu- factures. Ce principe est donc connu de tout le monde.

CHAPITRE XIV. 255

Mais tout le monde ne remarque pas de même que plus un mouvement est facile et rapide, moins il est senti, ensorte que sou- vent il finit par ne plus donner lieu à aucune sensation, par être tout-à-fait inaperçu : cela est pourtant très-vrai.

Une observation non moins juste, à la- quelle on fait encore plus rarement atten- tion, c'est que , lorsqu'il s'agit d'un mouve- ment volontaire, pour parvenir à le faire avec rapidité , il ne suffit pas que l'organe moteur immédiat contracte la souplesse nécessaire pour l'exécuter sans peine , il faut encore que nous apprenions à former promp- tementetsans désordre les différens désirs successifs en vertu desquels le mouvement doit s'effectuer. C'est une chose qui s'observe d'une manière très-marquée les premières fois que l'on s'étudie à produire quelque mou- vement un peu compliqué. Lorsque je com- mence à prendre des leçons de danse ou de clavecin, par exemple, il faut que mon maître me fasse connaître en détail les dif- férens mouvemens partiels que mes jambes ou mes doigts doivent exécuter, et dans quel ordre je dois les vouloir; il faut qu'il me les décompose, c'est-à-dire qu'il m'enseigne

2Ô6 IDÉOLOGIE.

chaque jugement et chaque désir particulier que je dois former, et dans quel ordre ils doivent se succéder ; il faut que l'opération intellectuelle devienne aussi facile que l'opé- ration mécanique; la preuve en est que ce: n'est que quand la première s'exécute avec régularité et sans peine , que j'ai ce qu'on appelle mon pas de danse dans la jambe ou ma pièce de clavecin dans la main ; et que si elle éprouve dérangement, confusion ou hésitation, l'opération mécanique se fera irrégulièrement et mal. C'est pour cela que presque toutes nos actions, même celles nous paraissons le plus purement machines, portent, jusqu'à un certain point, l'em- preinte de l'état sont nos facultés intel- lectuelles.

Ajoutons encore une réflexion à celle-ci, c'est qu'il arrive à ces jugemens et à ces de- sirs que nous sommes obligés de former pour faire certains mouvemens, précisé- ment la même chose qu'à ces mouvemens eux-mêmes; c'est-à-dire que tant qu'ils sont pénibles et lents, nous les distinguons tous et nous en avons une conscience détaillée, et dès qu'ils ont été répétés assez souvent pour naître avec facilité et rapidité, ils ont

lieu

CHAPITRE XIV. 257

Heu presque sans que nous nous en aperce- vions, ou même totalement à notre insu. C'est ce que nous allons voir plus en détail en parlant des effets de la fréquente répé- tition de nos opérations intellectuelles.

Puisque toutes nos opérations intellec- tuelles, nos perceptions, sont des effets de mouvemens qui s'opèrent dans nos organes , il est nécessaire qu'elles participent aux mo- difications qu'apporte dans tout mouvement la circonstance d'être fréquemment répété ; mais comme les conséquences n'en sont pas exactement les mêmes pour nos différentes espèces de perceptions , il faut les considérer séparément.Commençons par les sensations proprement dites.

Le mouvement qui a lieu lorsque nous percevons une sensation, devient plus ra- pide et plus facile quand il a été fréquem- ment répété; il doit donc se faire qu'une sensation souvent éprouvée soit moins vive pour nous : c'est aussi ce qui s'observe. Elle ne produit plus en nous ce sentiment de surprise (1) qui nous excite si vivement les

(1) N'entendez ici par ce mot que la surprise pour ainsi dire mécanique , et non pus cette espèce de sur-

R

258 IDÉOLOGIE.

premières fois ; plus elle se renouvelle sou- vent, moins elle attire notre attention; et si enfin elle est trop fréquente ou trop pro- longée , elle finit par n'être plus aperçue , comme lorsque nous sentons trop long- temps la même odeur ou le même goût, ou le même degré de lumière ou de tempé- rature (i). Quand l'effet contraire arrive, comme lorsqu'une douleur nous devient

prise réfléchie ou d'admiration qui est l'ouvrage du jugement, et qui, par conséquent, augmente avec les connaissances. Nous en parlerons en son lieu.

(i) Je ne serais pas surpris du tout que ce fût une des raisons, et peut-être la principale, pour la- quelle nous n'avons aucune conscience des mouvemens qui sont nécessaires à l'entretien de notre organisation, et qui s'opèrent continuellement pendant tout le temps de notre existence; et je suis très-tenté de croire que, dans les premiers momens nous commençons à bentir , nous avons un sentiment très-marqué , et peut- être assez distinct, de chacun de ces mouvemens, qui deviennent insensibles dans la suite. Beaucoup de faits observés dans les enfans, leurs ris, leurs pleura sans cause apparente , autorisent cette conjecture, qui ne répugne pas à la raison. Au reste, je dis un senti- ment assez distinct, et non pas très-distinct, parce qu'à cette époque l'action du jugement étant encore nouvelle et rare, et par conséquent lente et pénible, elle doit laisser dans la confusion beaucoup d'impres-

CHAPITRE XIV. 25g

plus nsupportable à mesure qu'elle se re- nouvelle ou se prolonge, c'est toujours parce qu'elle finit par déranger ou détruire l'or- gane qu'elle affecte, ou parce que le mou- vement organique qui la produit, en se ré- pétant et se prolongeant, met en jeu d'autres organes sensitifs et y excite des mou vemens qui n'avaient pas eu lieu d'abord , ce qui , dans les deux cas, rend le mal réellement plus grave, ou plutôt multiplie réellement les causes de douleur. Il est même à remar- quer que si nos douleurs deviennent plus poignantes à la longue, il n'en est jamais de même de nos plaisirs ; ce qui pourrait tenir non-seulement à ce que tout plaisir dispa- raît dès que le sentiment de fatigue survient, mais encore à ce que, dans l'accroissement de la douleur par la fréquence ou la durée, il y entre de l'action de notre jugement, qui nous irrite contre cet état pénible et nous le fait trouver plus insupportable.

sions que dans la suite elle démêlerait aisément si on les sentait encore.

Peut-être aussi, dans le cas de la prolongation con- tinue, y a-t-il presque cessation du mouvement orga- nique, l'organe restant dans l'état l'a mis le com- mencement de l'impression sensible.

R a

±6o IDEOLOGIE.

Il est donc vrai en général que nos sensa- tions trop répétées deviennent moins sen- ties, comme le mouvement sensitif qui les produit devient plus facile; mais puisque ce mouvement de l'organe lui devient plus fa- cile, la sensation doit donc devenir plus facile aussi, c'est-à-dire n'avoir pas besoin d'an stimulant aussi fort pour être excitée : c'est aussi ce qui arrive. ïl est d'observation cons- tante que la délicatesse de nos sens s'accroît par l'exercice, même indépendamment de la part qui doit être attribuée à l'action du jugement dans ce progrès; et quand le con- traire a lieu, c'est qu'il y a eu lésion dans l'organe par le trop grand usage qu'on eu a fait.

Maintenant, de même que l'observation attentive de ce qui arrive à nos mouve- mens en vertu de leur fréquente répétition nous a conduits à trouver quel devait être l'effet de la même cause sur nos sensations , et à reconnaître que les phénomènes sont tels que nous avions jugé d'avance qu'ils de vaient être, de même aussi l'examen que nous venons de faire de la sensation nous fait déjà prévoir ce qui arrive à la moire.

CHAPITRE XIV. 261

En effet, quand nous percevons une sen- sation, le mouvement quelconque opère dans l'organe affecté en produit un autre dans le centre nerveux , que nous concevons comme le siège de la perception, et qui en est l'organe propre. Quand nous percevons un souvenir, ce n'est pas ce premier mou- vement qui recommence; aussi le souvenir d'une sensation n'est pas la sensation elle- même. C'est le mouvement de l'organe pro- pre de la perception qui se renouvelle. Or, ce mouvement est comme tous les autres; plus il a eu lieu souvent, plus il se renou- velle avec facilité et promptitude, et moins est vive la perception qu'il nous cause; tel est aussi ce que nous éprouvons. Plus nous avons eu souvent une perception quel- conque, plus nous en avons aisément le souvenir; mais aussi moins ce souvenir nous frappe et nous émeut. S'il est plus vif quand la sensation a été longue et profonde, c'est uniquement parce que son impres- sion sur les organes a été plus forte ; mais cela ne tient pas à ce sentiment ÏÏétrangeté (qu'on me passe ce terme presque syno- nyme de celui de nouveauté) qui naitdc la difficulté qu'éprouve l'organe à se plier

262 IDÉOLOGIE.

à un mouvement qu'il n'a pas encore exé- cuté.

Mais nul de nos mouvemens internes n'est isolé ; ils se tiennent et s'enchaînent , comme tous les mouvemens de la nature , par une multitude de rapports et de com- binaisons; et plus ils se répètent, plus ils mettent en jeu tous les mouvemens adja- cens, et les rendent faciles, quoique moins sensibles. Ainsi plus un souvenir se renou- velle, plus il réveille aisément tous les sou- venirs collatéraux , quoiqu'ils deviennent moins frappans. C'est ainsi que s'établit cette liaison des idées , phénomène idéologique si important, dont l'observation a été si juste- ment vantée, puisqu'elle jette le plus grand jour sur nos opérations intellectuelles, et qui n'est lui-même que la liaison mécanique ou chimique des mouvemens organiques qui produisent nos idées.

Ce que nous avons dit des sensations et des souvenirs s'applique complètement et parfaitement à nos jugemens, non-seule- ment parce que l'on ne peut juger que ce que l'on sent, et que tout ce qui arrive aux matériaux, aux sujets de nos jugemens, influe nécessairement sur eux, mais encore

CHAPITRE XIV. 263

parce que nos perceptions de rapports elles- mêmes ne sont, comme nos autres percep- tions, que des effets de certains mouvemens dans nos organes; aussi participent-elles à toutes les modifications qu'éprouve tout mouvement par l'effet de sa fréquente répé- tition. Il est manifeste que plus nous avons porté souvent le même jugement, plus nous le portons facilement, rapidement, moins il nous frappe et plus il réveille aisément, et sans que nous nous en apercevions, tous ceux qui y tiennent de près. Cela va même jusqu'à faire toutes ou presque toutes ces opérations à notre insu , ou du moins sans que nous en ayons une conscience dis- tincte.

II doit en être, et il en est de nos désirs absolument comme de nos jugemens, puis- qu'ils ne sont comme ceux-ci que des effets de mouvemens organiques. Plus nous avons formé un désir, plus nous sommes disposés à le former, plus la moindre chose l'excite , plus il réveille de sentimens environnans. Mais en général il s'alanguit après la pre- mière explosion. Si cela n'arrive pas tou- jours, c'est parce que les opérations qui l'occasionnent, étant devenues plus faciles

264 IDÉOLOGIE.

par leur fréquence, ou ayant laissé des traces plus profondes par leur durée, sont répé- tées plus souvent et à l'occasion de plus de circonstances diverses. Si enfin au lieu de diminuer il augmente, on peut et on doit en dire ce que nous avons dit des sensations , dont tout désir émane, et dans lesquelles il est implicitement renfermé : c'est que par sa fréquence et sa durée, il met en jeu d'autres organes sensitifs qui n'agissaient pas d'abord, ce qui augmente le besoin primitif; ou il rend plus fréquent le jugement que son accom- plissement nous est nécessaire , ce qui rend plus énergique la souffrance de n'y pas par- venir.

Telle est, je crois, l'histoire exacte et scru- puleuse des effets qu'une fréquente répéti- tion ou une durée prolongée produit sur nos mouvcmens, tant ceux qui ne consis- tent que dans le déplacement de quelque partie de notre corps, que ceux qui produi- sent nos diverses espèces de perceptions ou opérations intellectuelles. Elle est fondée sur des observations faites avec soin ; et parce que du développement délicat de leurs circonstances les moins aperçues on tire des raisons diverses, dont les unes sont propres

CHAPITRE XIV. 265

a expliquer un résultat, et les autres un ré- sultat fort différent, ne vous persuadez pas, jeunes gens, que cette analyse soit fantas- tique et inventée seulement pour s'accom- moder aux faits : avec cette prévention on trouverait très-mauvaise l'explication du physicien qui dit : Si la fumée tombe dans le vide et s'élève dans l'air, c'est toujours la pesanteur qui en est cause; et pourtant il a parfaitement raison. Sans doute il vaudrait mieux qu'il pût vous dire à priori pourquoi la pesanteur fait tomber un corps grave, et que je pusse vous montrer les raisons mé- caniques et chimiques qui font que nos mouvemens tant sensibles qu'insensibles s'opèrent de telle ou telle façon , et produi- sent telle ou telle nuance de perception ; mais c'est ce que ni lui ni moi ne saurions faire : tout ce que nous pouvons, c'est d'exa- miner les différentes façons dont les choses se passent, et d'y découvrir quelques lois générales, c'est-à-dire quelques manières constantes d'agir. Si après cela les faits se trouvent toujours tels qu'ils devraient être, en supposant ces lois réelles, cela prouvé qu'on ne s'est pas trompé en les remarquant , et non pas qu'on les a imaginées à plaisir.

n66 IDEOLOGIE.

pour ensuite forcer les faits à s'y accommo- der; et moins ces lois sont multipliées , et plus les faits qu'elles expliquent, c'est-à-dire qui ne les contredisent pas, sont nombreux, plus on est près du but; car la perfection de la science serait de voir tous les faits pos- sibles naître d'une seule cause.

Je crois donc que c'est une loi générale de tous nos mouvemens, que plus ils sont répétés, plus ils de viennent faciles et ra- pides; et que plus ils sont faciles et ra- pides, Jiioins ils sont perceptibles, c'est- à-dire plus la perception qu'ils nous cau- sent diminue, jusqu'au point même de s'anéantir, quoique le mouvement ait toujours lieu. Je crois en outre que cette seule observation, en ayant égard à la ma- nière particulière dont elle s'applique à cha- cune de nos facultés , suffit pour nous rendre raison de tous les effets de la fré- quente répétition de nos perceptions. Nous venons déjà de l'appliquer avec succès à nos perceptions élémentaires; essayons actuel- lement de la rapprocher de perceptions qui soient plus composées, et par conséquent d'habitudes qui seront plus compliquées : ce vous sera une nouvelle occasion de re-

CHAPITRE XIV. 267

marquer combien il nous est utile et com- mode d'avoir su ranger la foule immense de nos idées sous un petit nombre de classes, ou plutôt d'avoir pu les décomposer en un petit nombre d'élémens toujours les mêmes; car nous allons reconnaître dans les modifications apportées à ces idées par leur fréquente répétition , le produit des changemens particuliers qu'elle apporte à ce petit nombre de perceptions élémen- taires.

Ne craignons pas de prodiguer les exem- ples. Un homme vous paraît dans une si- tuation fâcheuse , et il a l'air content ; il vous dit qu'on s'habitue à la peine : le guerrier vous dira de même qu'on se fait au danger.

Demandez à cet autre , qui montre tant de répugnance à avaler un breuvage désa- gréable, s'il a eu autant de peine à s'y ré- soudre les jours précédens ; il vous dira que non, mais que chaque jour il lui devient plus insupportable : cependant s'il est peu sen- sible à un spectacle agréable , c'est qu'il l'a beaucoup vu.

S'il ne se rappelle pas qu'on s'est servi d'une expression singulière, c'est qu'il l'a

268 IDÉOLOGIE.

déjà beaucoup entendue, il n'en est plu* frappé; pourtant il vous récitera un long pas- sage d'une langue qu'il ne comprend pas, et ne s'y trompera pas, uniquement parce qu'il l'a entendu et répété mille fois.

Si dans la conversation il place à tout mo- ment le même mot, quoiqu'il ne soit pas toujours à propos, c'est encore parla même raison.

Si vous êtes surpris de la vitesse et de la justesse avec laquelle vous calculez des chiffres sans presque y penser, vous vous dites, c'est l'habitude : si vous êtes frappé de la facilité avec laquelle vous combinez des notes de musique ou des caractères , et eri trouvez l'expression , sans songer à la valeur de chacun d'eux en particulier, sans réflé- chir sur leurs différens rapports, en pensant même à autre chose , vous dites encore , c'est l'habitude.

Si un homme voit tout de suite dans un parti qu'on lui propose de prendre , un grand nombre de conséquences qui ne vous frap- pent pas, et qu'il sent déjà, quoiqu'il ne puisse encore ni les démêler ni en rendre compte , il vous dira que c'est l'effet de Fha- bitude qu'il a de pareilles affaires : s'il est. à

ciïapithe xrv. «269

Pinstant saisi d'une multitude de beautés ou de défauts d'un morceau de poésie, ou de musique, ou d'un tableau, il vous en don- nera la même raison.

Si vous le voyez vivement touché d'une marque d'attachement, so}Tez sûr qu'il a l'ha- bitude des affections tendres; tandis que s'il est peu sensible à une prévenance à laquelle il n'a pas droit de s'attendre, c'est qu'il est trop habitué à en recevoir qui ne l'ont pas ému.

Au contraire, s'il se montre profondément révolté d'une légère injustice, ou presque insensible à une noire trahison, c'est peut- être dans les deux cas qu'il a déjà beaucoup souffert des vices des hommes ; l'habitude qu'il en a l'a cabré ou blasé.

Prenons encore des exemples d'un autre genre : regardez ce claveciniste , ce danseur, cet écuyer, ce maître d'escrime; ils exé- cutent desmouvemens très-difficiles, ils les font non-seulement avec facilité, mais très- précisément selon leur volonté, et sans s'apercevoir de toutes les volontés partielles qu'ils sont cependant obligés d'avoir pour arriver aux résultats : les deux derniers, de plus, jugent avec une promptitude et une sa-

27O IDEOLOGIE.

gacité extrêmes, des mouvemens impercep- tibles de leur cheval ou de leur adversaire , ils les prévoient même , et en tirent d'avance des conséquences très-éîoignées et très- fines , dont ils n'ont pas même la conscience , et contre lesquelles ils se défendent avec une justesse admirable; autant d'effets de l'habitude.

Cependant si un homme répète continuel- lement un geste sans expression et sans effet, s'il a un mouvement en apparence absolu- ment involontaire, uniquement convulsif, en un mot ce que l'on appelle un tic , c'est encore le plus souvent un effet de l'ha- bitude.

Enfin, si un homme se dégoûte d'une liai, son qui faisait son bonheur, c'est l'habitude qui en a flétri les charmes ; et en même temps si un attachement, un goût l'a entièrement subjugué, si pour le satisfaire, il agit contre les lumières mêmes de sa raison, voyant clairement qu'il a tort, c'est que l'habitude lui a fait un besoin de ce sentiment ou de ce plaisir.

Voilà un bien grand nombre d'exemples d'habitudes : j'en pourrais citer mille autres; mais je n'ai pas réuni ceux-ci sans choix et

CHAPITRE XIV. 271

au hasard : il y en a à peu près de toutes les espèces, ils sont tous différens , et plusieurs même paraissent diamétralement opposés. Vous y voyez tous les genres de la sensi- bilité attiédis ou exaltés ; la mémoire engour- die ou rendue tpès-vive; les mouvemens de- venus toujours très-faciles, mais tantôt dé- pendans de la volonté à un point extrême, tantôt absolument involontaires; des juge- mensd'une finesse singulière, mais si peu dis- tincts , qu'on n'en a pas même la conscience ; la volonté prendre tantôt une direction , tan- tôt une autre toute opposée, et sa détermi- nation paraître même quelquefois sans mo- tifs , ou, ce qui est plus fort, contraire à des motifs évidens.

Cependant on a raison de dire que ce sont autant d'habitudes diverses, c'est-à-dire au- tant de manières d'être, produites par la ré- pétition fréquente de certains actes : mais il faut convenir que quand on n'entre point dans plus de détails, et quand on se borne à cette explication sommaire , elle n'est pas très-satisfaisante, et elle n'apprend pas du tout comment cette fréquente répétition a pu produire des résultats si opposés. Si, au contraire, vous rapprochez de ces effets

272 IDEOLOGIE.

compliqués nos observations sur les pro- priétés de nos mouvemens, tant internes qu'externes, tant moteurs que sensitifs , et sur les conséquences de ces propriétés dans l'exercice de chacune de nos facultés intel- lectuelles élémentaires , vous démêlerez fa- cilement les causes prochaines de tous ces effets; et vous reconnaîtrez qu'il suffit de faire attention que nos mouvemens fréquem- ment répétés deviennent faciles, rapides, et peu sentis, pour trouver la raison très- plausible de la production de tous ces phé- nomènes.

Citons-en pour preuve un de ceux qui paraissent les plus incompréhensibles. Un homme , emporté par une passion violente qui le domine, agit pour la satisfaire contre les lumières les plus évidentes de sa raison : nous contenterons-nous, comme le vul- gaire, de dire vaguement que c'est l'effet de la force de l'habitude? cela est vrai, mais cela n'apprend rien : irons-nous supposer, avec tant de philosophes, que l'homme est sous le joug de deux principes qui se font une éternelle guerre, d'Oromaze et d'Ari- mane ? ou qu'il a une ame livrée à la concu- piscence, et une autre plus intellectuelle et

plus

CHAPITRE XIV. 273

plus pure? ou comme on dit, qu'il obéit tantôt aux appétits de la chair, tantôt aux lu- mières de l'esprit? Vous sentez le vide et le néant de toutes ces prétendues explications, qui ne consistent qu'à redire d'une manière inintelligible la chose observée. Nous irons donc plus droit au fait; nous remarquerons que pendant que cet homme porte avec ré- flexion quelques jugemens sensés qu'il per- çoit nettement, précisément parce qu'il les porte avec peine, il en porte en même temps un grand nombre d'autres dont il s'aperçoit à peine, justement parce qu'ils lui sont extrêmement familiers, et qui, par cette raison-là même, réveillant une foule d'autres impressions, l'entraînent en sens contraire. C'est ce qui faisait dire à une femme de beaucoup d'esprit : ha raison éclaire et ne conduit pas : ajoutez, quand les décisions contraires aux siennes sont devenues habituelles. Avec cette addition, cette maxime qui n'est que trop souvent vraie, mais qui paraît épigrammatique et para- doxale, se trouve expliquée; et elle nous apprend combien il est important de rendre habituels les jugemens justes. C'est-là l'édu-

S

274 IDEOLOGIE.

cation morale toute entière , tant celle des hommes que celle des enfans.

Voici encore un phénomène qui vient bien à l'appui de cette explication, car il en dé- veloppe toutes les circonstances et les jus- tifie. La lune nous paraît plus grande à l'ho- rizon qu'au zénit, quoique par la réfraction et la distance elle fasse réellement dans notre œil un angle un peu plus petit : la cause de cela est que les objets terrestres, interposés entre elle et nous, nous la font juger plus loin, et que nous pensons, sans nous en apercevoir, que le corps qui de si loin nous envoie des rayons qui forment un si grand angle, doit être bien grand. Lorsque nous nous sommes bien démontré que la lune n'est pas plus grande dans un cas que dans l'autre , l'apparence fausse subsiste toujours : c'est que le jugement de la grandeur par la distance présumée, et de la distance par le nombre des objets interposés, est profon- dément habituel ; et il l'emporte sur le ju- gement produit par la démonstration. La preuve que c'est bien ce qui se passe , c'est que regardez tout de suite cette lune à l'horizon, au travers d'un tube qui supprime les objets interposés, vous la voyez sur-le-

CHAPITRE XIV. 275

champ plus petite- tandis que le moment d'avant, si vous l'avez prise pour la flamme d'un incendie, comme il arrive quelquefois à son lever, elle vous a paru plus grande en- core qu'à l'ordinaire.

Au contraire je vois de loin sur un toit un objet immobile; d'après la distance présu- mée je le juge de deux pieds de haut, et c'est en effet ce qu'il devrait avoir : bientôt cet objet se meut, je reconnais que c'est un homme ; à l'instant l'apparence change pour moi, et je vois réellement cet homme haut d'environ cinq pieds, tout comme, en dépit de la diminution des angles, je lui vois tou- jours environs ses cinq pieds de hauteur, qu'il soit à dix pieds de distance de moi ou à vingt. C'est que le jugement qu'un homme a environ cinq pieds de haut est plus habi- tuel encore et plus frappant que celui qui déduit telle grandeur de telle distance dans un cas particulier.

Si nous avions touché et toisé maintes fois la lune comme un homme, si sa grandeur réelle nous était aussi manifestement con? nue, je ne doute pas que nous nous condui- rions de même à son égard, et qu'au lieu de lui voir, comme nous le faisons, des graii-

S a

276 IDÉOLOGIE.

deurs différentes sous le même angle (ou même plus de grandeur sous un angle plus petit), nous tomberions dans l'excès con- traire, et, comme à l'homme, nous lui ver- rions souvent la même grandeur malgré des angles visuels considérablement diflerens. De même lorsque nous sommes dans un bateau , c'est le rivage qui nous paraît se mouvoir. Mais si une secousse ou une at- tention forte nous fait apercevoir que c'est nous qui cheminons , nous voyons à l'instant le rivage immobile; et bientôt après il nous paraît de nouveau se mouvoir, parce qu'il nous est extrêmement habituel , lorsque nous voyons du mouvement sans en sentir, de juger que ce n'est pas nous qui en fai- sons.

Dans tous ces cas il est manifeste qu'il y a simultanéité et conflit de jugemens, les tins aperçus, les autres inaperçus, et que ce sont toujours les plus habituels qui l'empor- tent, souvent à tort. C'est bien là, je crois, Timage des combats de nos passions contre notre raison , et la preuve que nous avons saisi tous ces phénomènes sous leur vrai point de vue. Il est vrai que, pour goûter cette manière

CHAPITRE XIV. 277

de voir, il faut consentir à admettre qu'il se passe en nous continuellement un nombre prodigieux de mouveniens, et qu'à chaque instant il s'y exécute presque simultanément une quantité incroyable d'opérations intel- lectuelles, dont nous n'avons pas même la conscience. Cette supposition effraie l'ima- gination : cependant, jeunes gens, il faut y accoutumer votre raison, puisque les faits prouvent que c'est la vérité. En effet, vous ne pouvez pas douter de la célérité et de la complication vraiment merveilleuse de tous les mouveniens qui servent à l'entretien de votre vie, et de tous ceux que vous faites lorsque vous vous livrez à certains exercices.

Réfléchissez à ce qui se passe en vous quand vous lisez un livre; il n'est pas dou- teux que quand vous avez appris à lire , il a fallu que vous ayez une connaissance dis- tincte et sentie de la figure de chaque lettre, du son qui la représente isolément, de la manière de la lier et de la fondre avec les

ta

autres pour former les syllabes et les mots ; quand vous avez appris la langue dans la- quelle est écrit ce livre, il a fallu de même que vous sentiez fortement et péniblement

278 IDÉOLOGIE.

la valeur de chaque mot , et de tous les signes grammaticaux et orthographiques qui ex- priment leurs rapports : et quand ensuite vous lisez ce livre avec rapidité et facilité , en croyant ne vous occuper que du sens , il est pourtant impossible que tous ces in- nombrables jugemens ne se fassent pas dans votre tête à votre insu; il est impossible en- core que chaque mot exprime pour vous une idée , sans réveiller en vous une foule d'idées composantes de chacune de ces idées composées. Enfin , vous ne sauriez avoir aucune opinion ni sur la manière dont le sujet est traité, ni sur la difficulté de la composition, ni sur le mérite du style, sans qu'un nombre vraiment prodigieux d'autres systèmes d'idées ne soit ressuscité en vous successivement et presque simultanément ; sans doute vous ne vous en apercevez pas- mais puisque la chose est indispensable, elle existe quoiqu'à votre insu. Tous ces mouvemens , toutes ces opérations dépen- dant nécessairement les unes des autres, si une seule avait manqué, la chaîne eût été rompue ; il faut donc absolument qu'elles se soient effectuées toutes : seulement elles se

CHAPITRE XIV. 279

sont opérées d'une manière imperceptible dans la stricte signification du mot.

Il en est de même de l'homme qui écrit ses idées à course de plume; et il faut en outre que toutes les opérations intellec- tuelles nécessaires pour conduire ses doigts aient lieu aussi; sans ces deux conditions, il n'exprimerait aucun sens suivi, et ne trace- rait aucuns caractères distincts.

Nous ne saurions trop nous familiariser avec ces merveilles de la nature : ce n'est point du tout le merveilleux qui doit nous révolter, c'est l'absurde. Qui de nous pourra jamais comprendre la prodigieuse petitesse des globules du fluide qui circule dans les nerfs d'un insecte, ou l'excessive ténuité des particules odorantes d'un corps qui en remplit continuellement un grand espace pendant des années sans perdre une quan- tité appréciable de son poids? Qui se fera jamais une idée de l'effrayante multitude des rayons lumineux qui partent d'un corps éclairé dont chaque point en renvoie un fais- ceau tout entier à chacun des points de l'es- pace? et qui pourra jamais concevoir l'inap- préciable subtilité des molécules de cette matière qui se croise et se pénètre, pour

280 IDÉOLOGIE.

ainsi dire, dans tant de milliards de sens diiïérens , sans se causer le moindre obstacle ni le plus petit dérangement? Personne ce- pendant n'est tenté de nier ces faits, parce qu'ils sont avérés, et parce qu'encore une fois, qu'une chose soit incompréhensible, ce n'est point du tout une raison de lui re- fuser notre assentiment quand son existence est prouvée. Nous ne sommes fondés à nier constamment que ce qui est démontré im- possible, et il n'y a de démontré impossible que ce qui implique contradiction; du reste tout est miracle dans ce monde pour nos faibles moyens de connaître (1).

N'ayons donc aucune peine à convenir

(1) Je ne puis me refuser à citer ici un exemple bien frappant de ces choses qui paraissent inadmis- sibles à un premier aperçu , et que des recherches plus approfondies rendent vraisemblables. Y a-t-il rien qui étonne plus l'imagination que de concevoir que les corps les plus denses de notre globe renferment tant de vide , que les molécules qui les composent sont aussi éloignées les unes des autres, à proportion de leur grosseur, que les différentes étoiles qui forment une nébuleuse le sont entr' elles? Cependant un de nos, plus grands géomètres ne trouve aucune raison pour rejeter cette supposition, et voit même plusieurs.

CHAPITRE XIV. 28l

avec nous-mêmes que l'homme est encore mille fois plus admirable que nous ne nous en étions cloutés après un examen superfi- ciel; qu'il s'opère en lui mille et mille fois plus de choses que nous n'en avions dé- couvert à un premier aperçu; qu'il n'est affecté et averti que des effets les plus rares et les plus grossiers de son organisation (1), tandis qu'une infinité d'autres échappe à sa perception; et qu'enfin la propriété qu'il re- marque dans tous ses mouvemens et dans toutes ses opérations intellectuelles de de* venir plus rapides, plus faciles, et moins sentis à mesure qu'ils sont répétés, que cette propriété, dis-je, bien avérée, bien constatée , bien incontestable, est portée jusqu'à un point incalculable, et qu'elle est

motifs de l'admettre. Voyez Y Exposition du Système du Monde, de M. Laplace, page 287 de l'édition in-4°.

Si on s'en était toujours tenu aux premières vrai- semblances, on n'aurait jamais cru le mouvement de- là terre.

(0 Nous éprouvons aujourd'hui en idéologie ce qu'on a éprouvé en chimie lors de sa rénovation, c'est que jusque-là on ne s'était aperçu que des élé- mens les plus grossiers des êtres analysés, et qu'une foule d'autres plus subtils avaient toujours échappé à l'observation.

282 IDÉOLOGIE.

la cause de tous les phénomènes qui nous apparaissent sous le nom d'habitudes.

Cette manière de considérer les choses , que je crois la vraie, nous conduit, non pas à expliquer, mais à voir avec moins d'éton- nement et un peu plus d'intelligence, ce que nous appelons en général fes déterminations instinctives, et nommément celles de cer- tains animaux qui, dès le moment de leur naissance, font des actions qui paraissent exiger un grand nombre de combinaisons , et même quelques connaissance acquises ; car, soit que nous regardions ces détermi- nations comme des effets mécaniques et chimiques de combinaisons qui nous sont inconnues, soit que nous y voyions les ré- sultats d'opérations intellectuelles, qui, dans ces animaux , s'exécuteraient des le premier moment avec la même incroyable prompti- tude que la plupart d'entr'elles n'acquièrent chez nous que par leur fréquente répétition y il n'y aurait rien de plus étonnant que tout ce que nous venons d'observer en nous; cela ne ferait guère, dans les deux cas, que nous porler à admettre que la célérité des mouvemens du fluide nerveux égale la pro- digieuse vitesse de la lumière : c'est peut-

CHAPITRE XIV. 283

être à quoi l'analogie toute seule aurait du nous conduire. Là, comme partout, ce ne sont pas les phénomènes les plus rares, mais bien les plus communs, qui sont les plus sur- prenans.

Observez cependant, jeunes gens, que quoique ces réflexions tendent à diminuer votre admiration pour ces faits extraordi- naires qui suivent immédiatement la nais- sance de certains animaux, cela ne doit pas vous porter à croire légèrement leur exis- tence : il en est certainement de très-singu- liers, qui sont bien constatés; mais la plu- part de ceux que l'on raconte, même depuis la plus haute antiquité, mériteraient d'être observés de nouveau, et soumis à un exa- men rigoureux , qui peut-être en ôterait bien du merveilleux; ce serait même rendre un grand service à la science qui nous oc- cupe. Au reste, je ne veux point traiter ici de l'idéologie comparée; je croirai avoir assez fait si j'ai établi sur des bases solides l'idéologie de l'homme; le surplus m'éloigne- rait également et du cercle de mes con- naissances et de l'objet de mon ouvrage : je fais des vœux pour qu'un savant profes- seur, qui a fait preuve de la capacité néces-r

284 IDÉOLOGIE.

saire et de l'étendue d'esprit suffisante (i), remplisse à cet égard les espérances qu'il nous a données.

Pour revenir à notre sujet, il reste donc convenu que nos mouvemens et nos opéra- tions intellectuelles deviennent plus rapides, plus faciles et moins sensibles, à proportion qu'ils ont été plus fréquemment répétés : G'est-là la source de nos progrès et de nos erreurs. Il faut actuellement examiner les uns et les autres.

CHAPITRE XV.

Du Perfectionnement graduel de nos facultés intellectuelles.

Il est difficile, peut-être même impossible, de concevoir une sensation, une impression sensible quelconque existante en nous, sans

(1) M. Draparnaud, professeur de Grammaire gé- nérale à l'école centrale du département de l'Hérault.

Il est bien fâcheux, au lieu de pouvoir se livrer à ces espérances, d'avoir à déplorer la perte prématurée d'un homme aussi intéressant. C'est un grand malheur pour la science. (IVote de la seconde édition.)

CHAPITRE XV. 285

qu'elle donne lieu à quelque jugement et à quelque désir, au moins au jugement qu'elle est agréable ou désagréable, et au désir de l'éprouver ou de l'éviter : ces perceptions paraissent faire pour ainsi dire partie de la sensation elle-même, et en naître nécessai- rement et presque simultanément.

Mais on peut fort bien imaginer un ordre de choses tel , que ces sensations , j ugemens , ou désirs, n'imprimeraient aucune trace du- rable en nous, et nous laisseraient, lors de leur disparition , absolument comme nous étions avant de les avoir éprouvés. Dans ce cas , nous n'aurions aucune espèce de mé- moire; car le souvenir est l'effet d'une dis- position demeurée dans nos organes après une perception, disposition en vertu de la- quelle le mouvement éprouvé se renouvelle au moins en partie, lorsque quelque cir- constance l'excite. La preuve en est qu'il n'y a qu'une impression déjà éprouvée qui puisse être excitée ainsi. Même lorsque nous fai- sons ce que nous appelons imaginer, nous ne créons rien d'absolument neuf, nous ne faisons que nous rappeler ce que nous avons déjà éprouvé, et en former de nouveaux composés. La mémoire est donc le premier

286 IDÉOLOGIE.

résultat de cette capacité qu'ont nos or-* ganes, de recevoir une disposition perma- nente à l'occasion dune impression passa- gère. Elle nous est bien nécessaire cette faculté de nous ressouvenir; sans elle le passé ne serait rien pour nous, nous serions toujours comme au moment de notre pre- mière sensation, et tout progrès ultérieur serait impossible.

Mais ces progrès seraient encore bien faibles, si nous ne retirions d'autre fruit de l'exercice de nos facultés intellectuelles, que la possibilité de nous rappeler les im- pressions reçues, et s'il n'en résultait pas une beaucoup plus grande facilité dans les différentes opérations de ces facultés. Heu- reusement il n'en est pas ainsi; et nous avons vu que tous nos mouvemens devien- nent et plus faciles et plus rapides quand ils ont été souvent répétés, et qu'il en est de même denos opérationsintellectuelles. Nous avons vu que cette rapidité et cette facilité sont susceptibles d'un accroissement incal- culable , et nous avons eu bien des occasions de remarquer que toute action que nous fai- sons pour la première fois, nous paraît d'une difficulté qui nous surprend nous-mêmes

CHAPITRE XV. 287

dans la suite, quand nous en avons pris l'habitude , ou , comme on devrait dire , quand nos organes ont contracté l'habitude qui résulte de la fréquente répétition de cette action. Nous en devons conclure, qu'au moins dans l'espèce humaine, quand même l'individu naîtrait avec l'entier développe- ment de tous ses organes, il n'en serait pas moins réduit d'abord à un degré bien borné d'intelligence et de capacité ; tousses mou- vemens, tous les actes de sa pensée seraient lents et pénibles : c'est dans tous les genres que nos commencemens sont faibles. Mes jeunes amis , méfiez-vous des poètes, et des philosophes, qui, comme eux, raisonnent d'après leur imagination, et non d'après les faits; ce sont d'aimables enchanteurs, mais de très-dangereux séducteurs. L'âge d'or, tant vanté, est le temps de la souffrance et du dénuement; et l'état de nature est celui de la stupidité et de l'incapacité absolue (1).

(1) Il y a pourtant une cause à ce préjugé universel du bonheur de l'âge d'or et de la perfection de l'état de nature, comme il y en a à toutes les erreurs et à toutes les maladies de l'esprit humain, et la voici. Pour tout vieillard , le plus beau temps dont il se sou- vienne est celui de sa jeunesse ; c'est-là pour lui

288 IDÉOLOGIE.

Nous ne tenons de cette nature si admirable , c'est-à-dire de notre organisation , que la pos- sibilité de nous perfectionner, et cela nous yaffit; mais en sortant de ses mains, non- seulement nous sommes dans une ignorance

temps par excellence, celui des beaux jours et du bonheur ; il le vante sans cesse. Elevé dans le respect de son père , qui faisait de même , il croit facilement que le temps de la jeunesse de ce père était encore supérieur, et que celui de lajeunes.se du monde était au-dessus de tout. La masse des hommes, en général mécontente de son sort, croit volontiers à cette supé- riorité des temps antérieurs , qui lui est continuelle- ment attestée par des gens qui les ont vus. D'ailleurs, elle remarque qu'ordinairement les hommes un peu âgés sont les plus sages •, elle se persuade aisément que les temps ils sont nés et ils se sont formés étaient les plus réellement éclairés , et elle s'accou- tume ainsi à la folle opinion que tout va dégénérant, sans s'apercevoir qu'il y a un véritable renverse- ment d'idées •, car si les hommes les plus âgés sont en général les plus éclairés , c'est grâce aux bienfaits de l'expérience , et la même raison fait que ce sont les temps les plus récens il y a le plus de lumière, puisque ce sont les siècles les plus anciens qui sont vraiment l'enfance du monde. C'est ainsi qu'une idée fausse s'accrédite d'âge en âge, et qu'elle devient la source d'une infinité d'autres dont l'observation atten- tive de nos facultés doit nous préserver.

complète,

CHAPITRE X\. 389

complète, mais encore nos moyens de con- naître sont dans nn engourdissement total; nous n'en possédons, pour ainsi dire, que le germe; il faut que l'exercice les élabore, les perfectionne, les développe. Ainsi nous sommes entièrement les ouvrages de l'art, c'est-à-dire de notre propre travail; et nous ressemblons aussi peu aujourd'hui à l'homme de la nature, à notre manière d'être originelle, qu'un chêne ressemble à un gland, et un poulet à un oeuf.

Nous devons donc bien nous garder de croire que nos facultés intellectuelles aient toujours été ce qu'elles sont, et que, dans toutes les circonstances, elles eussent fait les mêmes progrès; et il serait très-curieux de démêler, dans l'état nous les voyons , ce qu'elles doivent au perfectionnement de notre individu et à celui de l'espèce hu- maine en général : tâchons d'y parvenir. Nous ne saurions jamais nous considérer sous trop d'aspects diflerens; c'est le moyen de nous mieux connaître.

La seule manière de savoir parfaitement à quoi s'en tenir sur ce point, serait de pou- voir observer des hommes qui n'auraient jamais eu de communication avec aucun

T

29O IDÉOLOGIE.

de leurs semblables : car les questions de fait ne sont pleinement résolues que par l'expérience ; mais celle-ci n'est pas en notre pouvoir. L'homme ne naît ni ne vit isolé ; il ne peut subsister de cette manière, et ne saurait passer son premier âge sans secours étrangers : ainsi toujours il a été influencé par l'état de société ; toujours il a participé plus ou moins au degré de perfection était l'espèce humaine au moment de sa naissance. Nous avons, à la vérité, quelques exemples d'enfans et déjeunes gens des deux sexes qui ont été rencontrés dans des forêts ils paraissent avoir existé plus ou moins de temps seuls. Un savant naturaliste, dans un petit ouvrage qu'il a publié à l'occasion du dernier de ces enfans trouvés (1) , en cite jusqu'à onze, sur lesquels il nous donne des renseignemens précieux. Mais, d'une part, ces individus, quelque étrangers qu'ils nous paraissent à toute société et à tout langage,

(1) Voyez la Notice historique sur le Sauvage de l'Aveyron et sur quelques autres individus qu'on a trouvés dans les forêts à différentes époques ; par P.-J. Bonnaterre , professeur d'histoire naturelle à l'école centrale du département de l'Aveyron. A Paris, chez la veuve Pankouke , an 8.

CHAPITRE XV* 291

ont nécessairement vécu avec des hommes , au moins dans leur premier Age; et sous ce rapport, si nous les prenions pour terme de comparaison, ils nous donneraient une trop haute idée du degré de perfectionnement auquel peut atteindre un homme absolu- ment et totalement livré à lui-même. D'une autre part, on a remarqué avec beaucoup de sagacité (1), que presque tous ces enfans ainsi séquestrés de la société devaient ou s'être perdus par stupidité, ou avoir été l'objet de violences qui avaient pu altérer leur raison, ou avoir été abandonnés et ogarés exprès par leurs familles, parce que les vices de leur organisation physique et mo-> raie faisaient désirer d'en être débarrassé; il a même été prouvé positivement que plusieurs d'entr'eux étaient dans l'un de ces cas : ainsi, sous cet aspect, ils pourraient nous faire tomber dans une erreur contraire à la première, en nous portant à trop res- treindre ce développement de l'homme isolé. D'ailleurs aucun d'eux jusqu'à présent n'a été observé avec les précautions nécessaires

(1) M. Roussel, physiologiste philosophe, auteu* du Système physique et moral de la Femme.

T a

2t)2 IDÉOLOGIE.

et les détails suffisans, l'idéologie étant de toutes les parties de la physique animale , celle qui exige les observations les plus scru- puleuses et les plus circonstanciées. Nous ne pouvons donc tirer aucune conclusion bien certaine de ces expériences.

Mais si nous n'avons aucun moyen direct de savoir jusqu'à quel point de développe- ment arriverait notre intelligence , par ses propres forces , nous en avons un bien fa- cile de reconnaître le terme qu'il lui serait certainement impossible de dépasser, et même d'atteindre; nous n'avons qu'à jeter les yeux sur les hommes qui composent les sociétés les moins avancées en civilisation. Car enfin les plus bruts d'entre les sau- vages doivent beaucoup à leurs semblables; Hs en ont reçu beaucoup d'idées, de con- naissances, de traditions, un langage sur- tout : et nous verrons bientôt combien un langage, quelque imparfait qu'il soit, est utile et même nécessaire pour combiner ses idées. Or, quiconque réfléchira un moment sur l'énorme différence qu'il y a entre ap- prendre et inventer, sur-tout pour un être qui ne sait encore rien, pas même se servir de son esprit, sentira tout de suite qu'à dis-

CHAPITRE XV. 295

positions égales, l'homme qui n'auraient de ressources qu'en lui même, resterait encore bien loin en arrière du faible degré de per- fectionnement du sauvage le plus stupide (1 ). Cette simple réflexion suffit pour nous faire sentir de quel triste état le genre humain est parti, et nous pouvons juger combien il a fallu de temps et de peines pour l'amener à celui oùnous le voyons, puisque nous avons continuellement sous les yeux des exemples de l'extrême difficulté avec laquelle on dé- couvre la vérité qui paraît la plus simple, et de celle avec laquelle la masse des hommes reçoit des améliorations qui semblent non- seulement très-aisées , mais même pour ainsi dire inévitables.

(i) C'est avec bien de la raison que de l'adjectif idio, qui signifie propre, particulier, comme dans les mots idiopathique, idio-électrique , on a fait le mot idiot pour désigner un homme d'une intelligence très- bornée ; car tel serait bien effectivement l'état de celui qui n'aurait que des idées qui lui seraient propres , c'est-à-dire qui n'en aurait reçu aucune de ses sem- blables. Tel serait l'état d'un sourd et muet de nais- sance à qui on n'aurait absolument jamais rien fait comprendre par des gestes. Encore aurait-il vu les actions des autres hommes, qui au moins l'auraient' fortement excité à penser.

2C)4 IDEOLOGIE.

Observez encore que cette incapacité de l'homme dans son état primitif, ou, si l'on veut, dans l'état de nature, ne consiste pas seulement dans le peu d'étendue de ses con- naissances, mais principalement dans la lenteur et la difficulté de ses opérations in- tellectuelles, au moins de toutes celles qui ne lui sont pas habituelles. Il n'en fait qu'un petit nombre, toujours les mêmes, celles qui sont nécessitées par ses besoins indis-r pensables. Ces besoins renaissant sans cesse, les combinaisons d'idées qui s'y rapportent sont continuellement répétées; elles devien- nent bientôt très-faciles et très - rapides : n'étant mêlées à aucune autre, elles s'opè- rent sans perturbation : elles sont de plus très-motivées et très-justes, parce qu'elles ne sont point fondées, sur des ouï-dire ni sur des idées incomplètes, mais sur l'expé- rience même de l'individu; elles sont in- ventées et non apprises : mais toutes les autres restent dans un engourdissement total, et par conséquent d'une difficulté ex- trême.

Tel est l'état de l'homme primitif; tel est aussi le spectacle que nous offrent les ani- maux. Privés prcsqu'absolament de moyens

CHAPITRE XV. agS

commodes de communication intellectuelle avec leurs semblables, réduits à leurs pro- pres combinaisons, que des inventions in- génieuses ne facilitentpas comme les nôtres, ils atteignent plus ou moins vite , mais tou- jours assez promptement,le degré de déve- loppement de leur intelligence, sans lequel ils ne pourraient subsister; mais ils ne le passent presque plus. Leur instinct est égale- ment remarquable par sa promptitude à se former, sa rectitude, sa sûreté % et par son peu d'étendue et son immutabilité. Ils nous surprennent continuellement et presque en même temps par leur finesse et par leur stupidité. L'esprit des sauvages, proportion gardée, nous cause les mêmes impressions , et a à peu près les mêmes qualités. Ils nous donnent souvent lieu d'admirer que des hommes si peu éclairés fassent des combi- naisons si fines, et que, les faisant, ils soient tout-à-fait incapables d'en faire d'autres qui nous paraissent moins difficiles. Dans les sociétés civilisées, la classe qui a les com- munications les moins étendues et les moins variées offre des phénomènes analogues. Les paysans des campagnes écartées, ceux des montagnes, sont remarquables par la

296 IDÉOLOGIE.

rectitude d'un petit nombre de combinai- sons , l'ignorance absolue d'une foule d'au- tres , et leur incapacité à en faire de nouvelles. Enfin , dans tous les degrés d'instruction et de perfectionnement, il est d'observation que plus un homme est isolé et ne doit ses connaissances qu'à lui-même, plus ses idées sont profondes et justes, mais moins elles embrassent avec succès des objets divers , et plus il est incapable de les modifier et de les étendre. Partout les mêmes causes pro- duisent les mêmes effets; et la cause géné- rale du perfectionnement de l'homme et de l'accroissement de sa capacité, est cette pro- priété qu'ont ses organes de recevoir une disposition permanente à l'occasion d'une impression passagère , et de devenir ca- pables de faire très-promptement et très-fa- cilement ce qu'ils avaient d'abord exécuté avec beaucoup de peine.

Nous ne pouvons comprendre le com- mencement de rien, pas plus celui du genre humain que celui du monde ou de toute autre chose. Peut-être l'homme est-il une combinaison des élémens qui le composent qui a passé par des transformations lentes et nombreuses avant d'arriver à lorgani-

CHAPITRE XV. 297

salion que nous lui voyons : c'est ce que nous ne pouvons savoir. Mais ce dont nous sommes surs, c'est que le premier homme, quand il serait adulte et aussi bien orga- nisé que nous, n'en aurait pas moins élé d'abord dans une ignorance absolue , puisque nous ne connaissons rien que par nos sen- sations; et ayant toutes ses facultés dans un rtat de rigidité que l'exercice seul aura fait disparaître plus ou moins promptement, puisque nous éprouvons que tout ce que nous faisons pour la première fois nous ne l'exécutons qu'avec peine.

Nous sommes sûrs encore que s'il eût vécu isolé, il serait resté bien au-dessous du degré de capacité du sauvage le plus brut, puisqu'il n'aurait eu l'usage d'aucune langue, et qu'il n'aurait pu profiter de l'expérience, de l'exemple, des connaissances, ni des se- cours d'aucun être semblable à lui.

Nousvoyons avecuneégale certitudeque, même en supposant les premiers hommes vivant ensemble, comme ils n'ont pu man- quer de le faire, leurs premiers progrès ont nécessairement être très-lents, non-seu- lement parce que, dominés par leurs pre- miers besoins, ils n'ont pu avoir le temps de

598 IDÉOLOGIE.

réfléchir, non-seulement parce que touslcurs moyens de recherches étaient informes et défectueux, mais encore parce que toutes nos opérations intellectuelles se tenant et s'enchaînant les unes les autres, il est d'ex- périence constante que moins on en a fait , et moins on est apte à en faire de nou- velles; et qu'au contraire, arrivé à un cer- tain degré d'avancement, on est à portée d'une multitude indéfinie de combinaisons ; ensorte que notre disposition à nous per- fectionner croit dans une proportion bien plus rapide que notre perfectionnement.

Enfin, il est vrai que si les premiers pas. de l'intelligence humaine sont lents et pé- nibles, du moins ils sont surs, tandis que bientôt après elle est continuellement en danger de s'égarer; parce que quand ses opérations sont devenues faciles et rapides, un grand nombre d'entr'elles demeurent inaperçues, et nous avons vu ce qui en ré- sulte; 20 parce que les signes par lesquels nous représentons nos idées , et par le moyen desquels nous les combinons, malgré leur prodigieuse utilité, sont souvent une cause d'erreur, comme nous le verrons bientôt ; 3°. parce que, quand la multitude des com-

CHAPITRE XV. 299

binaisons qui s'opèrent en nous et des mou- vemens internes qu'elles nécessitent, est devenue vraiment innombrable, il est bien difficile que ces combinaisons ne se nuisent pas tout en s'entr'aidant , et qu'il ne s'éta- blisse pas entr'elles des liaisons vicieuses. Je suis convaincu même que cette dernière circonstance est une des causes qui fait qu'en général c'est chez les nations les plus éclairées , dans Fàge l'on combine le plus d'idées, et dans la classe des hommes qui ont le plus exercé leur esprit, que l'on trouve les exemples les plus-fréquens de dé- mence j et que l'on observe que les hommes les plus sujets à ce malheur sont ceux qui se livrent le plus avidement aux impres- sions qu'ils reçoivent, tandis que ceux dont l'occupation habituelle est de se rendre un compte soigneux de leurs pensées en sont presque entièrement exempts (1).

(1) Cette réflexion m'est suggérée par la lecture du Traité de Y Aliénation mentale, qu'a publié M. Pinel : on ne saurait trop en recommander la lecture. En expliquant comment les fous déraisonnent, il apprend aux sages comment ils pensent; il prouve que l'art de guérir les hommes en démence n'est autre cliose que celui de manier les passions et de diriger les opi.-

5oo IDÉOLOGIE.

Je n'irai pas plus loin en ce moment. Après avoir montré quel est l'état primitif de l'in- telligence humaine, et en quoi consiste son perfectionnement actuel , je n' : aminerai point jusqu'où il peut s'étendre à l'avenir. Je renverrai cette discussion à la fin de la partie logique de cet ouvrage, parce que,

rions des hommes ordinaires; il consiste à former leurs habitudes. Ce sont les physiologistes philosophes, comme M. Pinel, qui avanceront l'idéologie. Mais il n'a pas seulement la gloire d'avoir fait un livre utile, il a encore celle d'en avoir recueilli les matériaux par une longue suite de bonnes actions.

Au reste , j'ai vu avec satisfaction que les phéno- mènes qu'il décrit dans une grande perfection , con- firment la manière dont j'ai envisagé la pensée , et se trouvent mieux expliqués sous le rapport idéologique, par notre façon de considérer nos facultés intellec- tuelles , que par celles en usage jusqu'à présent.

Tous les hommes commencent par l'idiotisme en- fantin, finissent par la démence sénile, et ont dans l'intervalle plus ou moins de manie délirante, suivant le degré de perturbation de leurs opérations intellec- tuelles les plus profondément habituelles.

Le traitement moral que M. Pinel emploie pour guérir les esprits égarés, est, avec raison, précisément l'inverse des procédés que l'art oratoire emploie pour ébranler l'imagination et entraîner l'assentiment d^$ hommes.

CHAPITRE XV. 001

pour faire voir que notre faculté de penser est perfectible indéfiniment, il faut avoir montré comment elle parvient à découvrir sûrement la vérité, et que sa marche est la même dans tous les genres de recherches. Je m'aperçois même, jeunes gens, que vous n'avez pas pu bien comprendre ce que je viens de vous dire des signes par lesquels nous représentons nos idées, et sentir par- faitement les motifs de l'importance que j'ai attachée à leurs avantages et à leurs incon- véniens, parce que je ne vous en ai pas en- core entretenu. Mais les réflexions que nous venons de faire sur les progrès de nos fa- cultés suivaient si naturellement de ce que nous avions dit de la fréquente répétition de leurs opérations, que je n'ai pas les en séparer. Actuellement je reviens aux signes de nos idées; et quand je vous aurai expli- qué leur origine, leur usage et leurs pro- priétés, je crois que nous aurons envisagé sous toutes ses faces la manière dont se for- ment nos idées , et que la première partie de notre cours sera terminée.

502 IDÉOLOGIE.

CHAPITRE XVJ.

Des Signes de nos Idées, et de leur effet principal.

JEUNBsoEKS)voUSsaveztous<,«elesmots que nous prononçons sont les signes de nos idées, et n'ont de valeur que par le rapport qu'ils ont avec elles; sans cela ils ne seraient qu'un vain bruit. L'assemblage des mots dont se sert une nation constitue ce qu'on appelle une langue : on ne connaît aucune société d'hommes, quelque peu avancée qu'elle soit en civilisation , qui n'ait un langage de cette espèce plus ou moins gros- sier.

C'est sans doute cette observation, jointe à l'impossibilité de se rendre raison de la manière dont les hommes avaient pu conv- mencer à se faire un langage, et étaient par- venus à en avoir de si perfectionnés, qui avait porté Rousseau à croire que ce ne pouvait être une invention humaine, et que la création des langues exigeait néces- sairement l'intervention de la Divinité, c'est- à-dire d'un être supérieur à l'homme. Une

CHAPITRE XVf. 5o5

telle idée dans un homme d'un mérite aussi éminentque le philosophe de Genève, montre que malgré ce qu'avaient déjà écrit Locke et Condillac, la théorie de nos langues et celle de nos opérations intellectuelles étaient encore des connaissances bien peu répan- dues; et l'on est tout étonné qu'il y ait à peine quarante ans de cette époque. L'éton- nement redouble quand on songe que la lan- gue la plus belle au jugement des connais- seurs, la langue grecque, existait dans toute sa splendeur depuis deux mille ans; qu'une foule de rhéteurs, métaphysiciens, gram- mairiens, avaient écrit des ouvrages pleins de sagacité; que l'art de s'exprimer en prose et en vers avait été porté maintes fois, dans diffërens temps et dans diffërens pays, à un degré de perfection qu'il sera peut- être éter- nellement impossible de surpasser; et que Rousseau lui-même est souvent le modèle d'une éloquence admirable. Assurément rien ne prouve mieux que la pratique d'un art peut être portée à un très-haut degré de perfection, quoique sa théorie soit encore complètement ignorée : aussi est-ce un phénomène que l'esprit humain nous montre constamment dans toutes les branches de

5o4 IDEOLOGIE.

ses connaissances- et tout surprenant qu'il nous paraît , il est facile de s'en rendre compte.

En effet, l'homme commence toujours par observer des faits; mu par ses besoins, il en tire d'abord des conséquences pratiques ; il les varie, il les modifie, il les combine, il en fait mille applications ingénieuses , c'est-là ce qui constitue l'art ; et il jouit long-temps de ses succès avant de songer à rapprocher les uns des autres ces faits principaux, à les comparer, à examiner leurs rapports, à y découvrir des lois constantes , et à remonter par elles à des faits antérieurs moins nom- breux, dont tous les autres ne soient que des conséquences. Or, c'est-là en quoi consiste la théorie : il faut avoir du temps de reste pour s'en occuper; car, si elle donne de grands avantages pour l'avenir, elle ne pour- voit pas aux besoins du moment. Souvent les fruits utiles qu'elle peut produire sont impossibles à prévoir; et on ne s'en aperçoit que quand elle est découverte , quelquefois même long-temps après.

Ainsi, par exemple, l'homme observe que le bois flotte sur l'eau , il en profite pour faire successivement un radeau, un canot,

nager

•c*-1 i

CHAPITRE XVI. 3o5

nager, naviguer, pêcher : il aura déjà des vaisseaux assez bien construits, il aura déjà tiré de cette observation mille inventions utiles avant d'avoir rattaché ce premier fait à d'autres, avant d'avoir reconnu que c'est la même cause qui fait que la pluie tombe et que la fumée monte dans l'air, avant enfin d'en avoir déduit les lois générales de l'hy- drostatique.

De même il a des fardeaux à remuer : il s'aperçoit promptement qu'à l'aide d'un bâton employé d'une certaine manière il dé- place des masses que toutes ses forces ap- pliquées directement ne pourraient ébran- ler. Il se sert donc du levier, il en varie l'usage de cent façons fort adroites, avant de découvrir l'analogie et la liaison de ce fait avec la force du choc des corps en mouve- ment, et de s'élever aux principes généraux de la mécanique. Il ne le peut même pas sans avoir perfectionné les moyens d'ob- servation, ceux de calcul, et les méthodes de raisonnement, c'est-à-dire sans avoir fait beaucoup d'autres découvertes dans des genres très-différens.

De même encore, dans le cas qui nous occupe, un homme fait d'abord un cri, peut-

V

5o6 IDEOLOGIE.

être sans projet ; il s'aperçoit qu'il frappe l'oreille de son semblable, qu'il attire son attention, qu'il lui donne une notion de ce qui se passe en lui; il répète ce cri avec l'in- tention de se faire entendre; bientôt il en fait d'autres qui ont une autre expression; il s'applique à varier ces expressions , à les rendre plus distinctes, plus circonstanciées, plus déterminantes ; il modifie ces cris par des articulations; ils deviennent des mots auxquels il fait subir diverses altérations pour indiquer leurs rapports; il en forme des phrases dont la tournure varie suivant les circonstances, les besoins, l'objet qu'on se propose, le sentiment dont on est animé : voilà une langue. D'observations en obser- vations s'ur les effets de cette langue, on parvient au talent le plus exquis pour ex- primer les idées les plus fines , exciter les sentimens les plus véhémens et procurer les plaisirs les plus délicats : on en prescrit même les règles. Cependant on n'a pas en- core démêlé jusque dans leur principe les causes de l'analogie des formes différentes que cette langue sait prendre, les lois géné- rales qui les régissent, les ellèls qu'elle pro- duit dans l'esprit de celui même qui s'en

CHAPITRE XVL 007

sert, ni la théorie de la formation des idées de celui qui parle et de celui qui entend.

Il en est de même de l'art du raisonnement, presque identique avec celui de la parole. Combien de temps on a raisonné , et souvent parfaitement, sans être remonté jusqu'aux causes de la certitude et à la saine théorie de l'art d'y parvenir : elle ne fait que de naître de nos jours ; elle n'est même encore ni complète ni exempte d'erreurs.

Il est donc fort naturel que la pratique souvent très -perfectionnée précède toute bonne théorie ; cela ne peut pas même être autrement, car on ne saurait comparer des faits qu'après les avoir connus, et on ne peut découvrir les lois générales qui régissent ces faits, qu'après les avoir comparés entr'eux. Cela nous explique aussi pourquoi la science qui nous occupe, celle de la formation des idées, est si nouvelle et si peu avancée : puis- qu'elle est la théorie des théories, elle devait naître la dernière. Ceci, au reste, ne doit pas faire conclure que les théories en général, et notamment l'idéologie , soient inutiles ; elles servent à rectifier et épurer les diverses connaissances, à les rapprocher les unes des autres, à les rattacher à des principes plus

V 2

5o8 IDÉOLOGIE.

généraux, et enfin à les réunir par tout ce qu'elles ont de commun. Mais revenons aux signes de nos idées, sans lesquels nous n'au- rions jamais fait de pareils progrès.

JNous l'avons déjà dit, les mots dont nous nous servons sont les signes de nos idées ; leur réunion forme une langue, et toutes les nations connues ont un langage de ce genre, c'est-à-dire une langue parlée. Cela prouve que les hommes ont senti unanimement que de tous leurs moyens de communication avec leurs semblables , l'organe de la voix est celui qui leur fournit le plus de ressources pour exprimer ce qui se passe en eux, et que dans les autres, l'organe de l'ouïe est celui qui leur offre le plus d'avantages pour leur faire éprouver des impressions variées et distinctes. C'est notre organisation elle- même qui détermine cette juste préférence; mais cela ne veut pas dire que nous ne puis- sions pas avoir des signes d'une autre es- pèce ; au contraire , il est manifeste que par nos gestes, par des figures tracées quelcon- ques, par des mouvemens produits, quels qu'ils soient, nous pouvons affecter le sens de la vue de nos semblables ; par des attou- chcmens, nous pouvons nous adresser à

CHAPITRE XVT. 0<X)

leur tact. Il n'y a que les sens du goût et de l'odorat sur lesquels nous ne puissions guère produire des impressions utiles pour cet ob- jet; encore si nous étions convenus d'atta- cher certaines idées à telle odeur ou telle saveur bien distinctes, elles pourraient en devenir les signes jusqu'à un certain point. Tout ce qui représente nos idées est donc un signe, et tout système de signes est une langue ou un langage, et peut être nommé ainsi en prenant ces mots dans le sens géné- rique et non dans le sens spécifique, et en faisant abstraction de la particularité qu'ils ont de dériver du nom des organes de la parole. C'est ainsi qu'il est reçu de dire la langue hiéroglyphique, le langage d'action ou celui des gestes, et même le langage des sourds et muets.

Nous devons donc regarder comme de vraies langues les assemblages de gestes par lesquels les pantomimes, les muets, par- viennent à exprimer, non- seulement des sentimens très-fins, mais même des idées très-abstraites. Les gestes du comédien et de l'orateur , et même ceux des hommes qui causent le plus simplement, sont aussi une langue, car ils contribuent à expliquer leurs

3lO IDÉOLOGIE.

pensées; mais une langue qui est surajoutée à leur langue parlée , qui toujours la modifie, qui souvent exprime toute autre chose que ce qu'elle dit, qui quelquefois même la con- tredit formellement.

Les divers systèmes de mouvemens télé- graphiques , ceux des signaux dont on fait usage sur les flottes ou dans les armées, et dans diverses autres occasions, sont encore autant de langues plus ou moins riches, plus ou moins étendues, puisque ce sont des as- semblages de signes qui représentent les idées qu'on est convenu d'y attacher , et qui les transmettent comme feraient les mots eux-mêmes.

La peinture et tous les genres de dessin sont une autre classe de langues, sur- tout quand on s'en sert comme les Mexicains, dont les annales étaient une suite de tableaux représentant les évènemens, ou comme nos architectes, nos naturalistes et nos géomè- tres. Car qu'est-ce qu'un plan, un dessin ou une figure de géométrie, si ce n'est une description abrégée d'un monument, d'une plante, d'un animal ou d'une certaine com- binaison de lignes et de surfaces, description

CHAPITRE XVT. DU

qui tient lieu d'une longue suite de mots et remplit absolument le même objet?

Les hiéroglyphes, symboles, emblèmes, attributs, etc., etc. , sont encore des langues ou parties de langues du même genre, car ce sont des peintures plus ou moins altérées, ou dont la signification a été transportée du sens naturel au sens figuré. Quand je dessine un épi pour exprimer l'abondance, ou un coq pour rappeler l'idée de vigilance, n'est-ce pas comme si je prononçais ces mots, abon- dance, vigilance? Et l'usage détourne que je fais dans ce cas de la figure du coq et de celle de cet épi, pour rendre une autre idée que celles qu'elles réveillent naturellement, n'est-il pas exactement le même que celui que nous faisons souvent des mots, comme lorsque nous disons qu'un homme est le coq de son village, ou le lien qui unit sa société?

Jeunes gens, remarquez en passant que cet attrait que nous avons pour employer les symboles et les emblèmes , est un ves- tige des temps grossiers nous ne savions pas peindre les mots eux-mêmes, ou un effet du goût qui nous entraîne vers la métaphore et l'allégorie, goût dépravé qui nuit beaucoup à la justesse du raisonnement, comme je

5l2 IDEOLOGIE.

vous le démontrerai lorsque nous traite- rons de la logique. Il vaut toujours mieux dire tout simplement sa pensée quand on le peut ; nécessairement elle est rendue avec plus d'exactitude (1). Mais revenons.

Nous devons encore ranger parmi les lan- gues de ce genre, les écritures soi-disant savantes des Chinois , des Japonais et de quelques autres peuples des extrémités de l'Asie, car ce sont de vrais hiéroglyphes dé- générés; leurs caractères peignent directe- ment les idées qu'on y a attachées comme toutes les peintures et tous les dessins : ce sont donc des signes dont l'ensemble forme une langue.

Observez qu'on n'en peut pas dire autant de l'alphabet et des caractères alphabéti- ques; ils ne peignent point les idées, ou du moins ils ne les peignent pas directement. Ce sont les sons qu'ils peignent directement;

(1) Ne croyez pas cependant que , par ce.principe, je prétende condamner toute locution par laquelle, en exprimant bien une idée principale, on lui donne une nouvelle force en réveillant d'autres idées qui ont avec elle plus ou moins de rapport. C'est ce qui se verra mieux quand nous parlerons des ligures gram- maticales et oratoin •-.

CHAPITRE XVI. 3i5

c'est aux sons et non pas aux lettres qui les représentent que les idées sont attachées. La preuve en est que la même réunion de lettres peut exprimer une idée dans une langue et une autre idée dans une autre lan- gue ; par conséquent elles ne sont pas des signes proprement dits, et l'alphabet n'est point une langue, mais seulement l'écriture commune de toutes les langues parlées; Voilà pourquoi les caractères alphabétiques sont si peu nombreux ; il suffit qu'il y en ait assez pour rendre toutes les intonations et les articulations de la voix humaine, au lien qu'il y a autant de caractères chinois que nous avons de mots, parce qu'il en faut au- tant que d'idées différentes. Au reste, ceci sera plus développé quand nous parlerons de récriture' et de l'orthographe. Conti- nuons rénumération des diverses espèces de langues.

Les chiffres et les caractères algébriques forment encore une langue ou portion de langue de la même nature que celles dont nous venons de parler. En effet, les chiffres ne peignent pas les sons du nom qu'ils por- tent dans les langues parlées ; ils représente] 1 1 directement l'idée de quantité qu'exprime

5l4 IDEOLOGIE.

ce nom; ils l'expriment comme ce mot lui- même. De même , quoique l'algèbre emploie des caractères alphabétiques, ils ne sont pas comme lettres, mais comme signes; a ne représente pas le son a, mais l'idée d'une quantité connue dont on ne spécifie pas la valeur; x ne représente pas le son x, mais l'idée d'une quantité inconnue; et ax ne re- présente pas le son # armais l'idée de ces deux quantités multipliées l'une par l'autre, etc. Les chiffres et les caractères algébriques sont donc de vrais signes directs des idées , et l'arithmétique et l'algèbre forment une vraie langue ou portion de langue qui s'a- dresse à* la vue. Quand on la prononce, il est vrai qu'elle s'adresse à l'ouïe ; mais cet effet ne s'opère que par une véritable tra- duction et non par une simple lecture; aussi ne suffit-il pas de savoir épeler pour lire une équation algébrique , car les sons des mots dont on est obligé de se servir ne sont point indiqués par la plupart des caractères, et ce n'est que par hasard qu'ils le sont par quelques-uns. L'algèbre ne serait pas moins de l'algèbre si , au lieu des lettres alphabé- tiques, on employait des figures de conven- tion auxquelles on serait obligé de donner

CHAPITRE XVI. 3l5

un nom quelconque pour les traduire dans une langue parlée.

Enfin, on peut regarder comme des lan- gues ou portions de langues s'adressant au sens du tact, la collection de certains attouchemens convenus, au moyen desquels on se communique au besoin différentes idées , comme on fait en franc-maçonnerie et dans d'autres associations mystérieuses, et comme les enfans font «souvent dans leurs jeux.

Vous trouverez peut-être, jeunes gens, que j'ai un peu fait violence à l'usage, en étendant ces mots langue et langage à tant de systèmes de signes si difFérens ; j'en conviens, et je ne vous exhorte pas à m'imi- ter : il me suffit que vous sentiez que j'y suis autorisé par la similitude de leurs effets, et que par conséquent j'ai raison en théorie, c'est-là l'essentiel ; ensuite, dans la prati- que, il fout suivre la routine reçue, jusqu'à ce que la rectification des idées la fasse changer. Quoi qu'il en soit, si vous ajou- tez à cette longue liste les langues parlées, vous aurez, non pas une énuinération com- plète de tous les systèmes de signes dont les hommes se servent ou peuvent se servir

5l6 IDÉOLOGIE.

pour représenter leurs idées, car cela n'a point de bornes, mais des exemples de tous les diffërens genres auxquels on peut rapporter ces divers systèmes.

Maintenant, remarquez, je vous prie, que tous ces langages sont, au moins dans leurs détails, absolument de convention; car la peinture même, quand vous la sup- poseriez assez parfaite, ce qui est impos- sible dans l'enfance de l'art , pour imiter la nature de manière à ne laisser rien à desi- ser, elle parviendrait seulement à donner une idée exacte et complète de la chose représentée ; mais il est hors de son pou- voir de peindre les impressions que fait sur vous cette chose, ou les motifs qui vous portent à en tracer l'image; en un mot, elle ne saurait, pas plus que les autres lan- gages, exprimer ce qui se passe en vous qu'à l'aide de quelques signes convenus. Mais deux personnes ne peuvent faire une convention quelconque qu'auparavant elles ne soient déjà parvenues à se comprendre: il faut donc qu'antérieurement à tout lan- gage, il y ait en nous un moyen de nous entendre réciproquement, pour ainsi dire malgré nous; et ce moyen ne peut être

chapitre xvr. 5l7

qu'un résultat de la nature même de notre être, qu'un effet nécessaire de notre orga- nisation. C'est aussi ce qui est, comme nous allons le voir.

En effet, nous ne pouvons atteindre une chose que nous desirons qu'en y portant la main, si nous en sommes près, et en marchant ou courant vers elle, si nous en sommes éloignés. Quand nous éprouvons le besoin du repos, nous sommes forcés de nous asseoir ou de nous coucher ; la dou- leur nous arrache certains cris; la joie ou la surprise nous en inspirent de très-dif- férens ; nous frappons rudement ce qui nous irrite; nous caressons avec douceur ce qui nous plaît, ou du moins nous saisis- sons avec précaution ce que nous voulons ménager : tout homme éprouve ces effets en lui; et quand il les observe dans ses sem- blables, il ne peut manquer de deviner ce qui se passe en eux. Voilà donc un com- mencement de langage inévitable; et nos actions sont les signes naturels et néces- saires de nos sentimens et de nos pensées ; si elles n'en restent pas les signes uniques, elles en seront toujours les plus irrécusables et les plus surs.

5l8 IDÉOLOGIE.

C'est donc avec beaucoup de raison que les idéologistes qui ont entrepris d'expliquer l'origine et les conséquences de ce premier langage , lui ont donné le nom de langage d'action ; il comprend les gestes, les cris, les attouchemens ; il parle à l'œil, à l'oreille et au tact; par conséquent il renferme le germe de tons les langages possibles; et, s'il est de toutes les langues la moins fine, la moins riche , et la moins développée , il demeure toujours la plus énergique et la plus véhémente, et la seule dont nous con- servions l'usage dans l'excès de la passion, et lorsque la violence de nos sentimens nous prive de la réflexion nécessaire pour les exprimer par des moyens de pure convention.

Ce langage naturel et nécessaire, on l'a rendu artiliciel et volontaire, c'est-à-dire qu'on a refait avec l'intention de peindre une pensée ou un sentiment, les mêmes actions que ce sentiment ou cette pensée font faire nécessairement ; ensuite , par l'usage, ce langage d'action est devenu cha- que jour plus fin, plus varié, et plus cir- constancié. Cependant, tous les signes qui le composent ne sont pas également suscep-

CHAPITRE XVI. 019

tiblcs de se perfectionner et d'être modifiés par des conventions expresses; les attou- chemens restent toujours à peu près les mêmes, excepté dans certains cas particu- liers dont nous avons fait mention ci-dessus. Mais les gestes sont déjà propres à recevoir de grands développemens et à former une vraie langue savante ; et les sons de- viennent à tel point des signes artificiels, que, dans l'usage que nous en faisons, il n'y a plus guère que les interjections qui soient des restes du langage primitif, en- core ne nous sont-elles pas toutes données par la nature, ou ne conservent-elles sou- vent leur signification originaire qu'extrê- mement altérée et modifiée mais, pour les autres mots, tout ce que peut faire l'étymologiste le plus sagace, au risque même de se tromper souvent, est de re- trouver dans leurs syllabes radicales quel- ques vestiges de l'impression première produite par l'objet ou le sentiment qu'ils représentent, et de légères traces de leur forme originelle. Néanmoins , on peut dire avec vérité que tous les langages artificiels dont nous nous servons ne sont jamais que le langage naturel prodigieusement

020 IDÉOLOGIE.

étendu et perfectionné- et même que l'on retrouve toujours dans ceux-ci, quelque polis qu'ils soient, toutes les espèces de signes qui composent le premier. Les at- touchemens ne peuvent en être totalement bannis ; toujours et éternellement ce sera un moyen très-sûr de faire comprendre à un homme que l'on veut qu'il se porte quel- que part, que de le pousser ou de le tirer de ce côté. Quoique les sons soient devenus sans comparaison notre manière de nous exprimer la plus riche et la plus féconde , cependant nous n'avons point renoncé aux gestes, et ils resteront à jamais plus ou moins unis aux mots et aux discours comme un auxiliaire indispensable et un accessoire nécessaire. Ainsi, malgré que cela puisse paraître bizarre à un observateur superfi- ciel, il est constant que, même dans les sociétés les plus civilisées, tout homme emploie concurremment, et souvent si- multanément, trois langues ou systèmes de signes, savoir, les attouchemens, les gestes, et les mots , lesquels ne sont que les trois branches plus ou moins perfectionnées du langage naturel et primitif, que les idéolo- gistes ont appelé langage d'action ; car il

n'est

CHAPITRE XVI. 3a 1

n'est pas douteux que quand d'une main j'entraîne un homme vers un but , que de l'autre je lui montre ce but, et qu'en même temps je lui dis d'y aller, je lui exprime de trois manières différentes la même idée ou la même volonté, et je m'adresse à trois de ses sens à la fois, je lui parle réellement trois langages divers.

On pourrait même dire que chacun de ces langages se partage encore en plusieurs dialectes qui se confondent sans que nous nous en apercevions ; car il est constant que le même mot ou le même geste a sou- vent une valeur bien différente, suivant les circonstances dans lesquelles nous l'employons et les impressions dont nous sommes affectés: il exprime donc réelle- ment des idées qui ne sont pas les mêmes. Or, à parler rigoureusement, c'est bien changer de langage que de rendre des idées différentes par le même signe. Mais ces ré- flexions nous mèneraient trop loin; elles seront mieux placées lorsque nous traite- rons des finesses de l'art de la parole.

Quoi qu'il en soit, telle est l'origine et l'état actuel des différens systèmes de signes qui représentent les idées auxquelles on

X

523 IDÉOLOGIE.

îes a attachés. Nous avons appelé langues ou langages tous ces systèmes de signes en donnant à ces deux mots leur significa- tion la plus étendue; et c'est au moyen de ces langues que nous communiquons avec nos semblables. Telle a été, sans doute, l'intention qu'on a eue en les composant : un homme isolé n'aurait jamais conçu l'idée de se faire une langue ; il n'en aurait pas éprouvé le besoin; il n'aurait pas de- viné que cela pût lui être d'aucun avan- tage. Cependant la transmission des idées est bien loin d'être la seule utilité des lan- gues; elle n'en est pas même la principale. Elles ont une propriété bien plus précieuse, quoique bien moins remarquée, et dont nous avons retiré les plus grands avantages pendant bien des siècles sans nous en aper- cevoir. C'est ainsi qu'il arrive souvent à l'homme en tendant vers un but d'en at- teindre un autre beaucoup plus important sans s'en douter ; un homme de génie ar- rive, qui lui montre ce qu'il a déjà fait et ce qu'il peut faire encore.

Condiltac est, je crois, le premier qui ait observé et prouvé que sans signes nous ne pourrions presque pas comparer nos idées

CHAPITRE XVI. 323

simples, ni analyser nos idées composées; qu'ainsi les langues sont aussi nécessaires pour penser que pour parler, pour avoir des idées que pour les exprimer, et que sans elles nous n'aurions que des notions très- peu nombreuses, très-confuses et très-in- complètes : c'est ce qui lui a fait dire que les langues étaient des méthodes analytiques qui guidaient notre intelligence dans ses cal- culs. C'est-là vraiment un trait de génie qui ne pouvait naître que de l'étude très-ap- profondie de l'intelligence humaine, et qui jette le plus grand jour sur le mécanisme de nos opérations intellectuelles. Mais, suivant moi, Condiliac aurait du énoncer différem- ment sa découverte, et dire que tout signe est l'expression du résultat d'un calcul exé- cuté, ou, si l'on veut, d'une analyse faite, et qu'il fixe et constate ce résultat j ensorte qu'une langue est réellement une collection de formules trouvées, qui ensuite facilitent et simplifient merveilleusement les calculs ou analyses qu'on veut faire ultérieure- ment. C'est bien ce qu'est l'algèbre : aussi l'algèbre est-elle une langue, et les langues ne sont elles-mêmes que des espèces d'al- gèbres.

X 2

3a4 IDÉOLOGIE.

En effet, nous avons vu dans tout le cours de cet ouvrage, et nommément dans les cha- pitres II, IV et VI, que notre faculté de ^penser toute entière consiste à recevoir des impressions , à observer leurs qualités , c'est- à-dire leurs rapports à nous et leurs rapports entr'elles ; à les classer ou les réunir de mille manières différentes d'après ces rapports; à en former divers groupes qui constituent les idées que nous avons, soit des êtres indivi- duels et réels, soit des propriétés et des affec- tions de ces individus , soit des êtres générali- sés etabstraits ; et enfin à examiner sous tous leurs aspects ces idées déjà composées, et à en tirer de nouvelles vues et de nouveaux sen- timens. On ne peut pas nier cette vérité qui est constante.

Mais nous avons observé de plus que nos idées composées, c'est-à-dire toutes nos idées, excepté la simple sensation, n'ont pas d'autre soutien , d'autre lien qui unisse leurs élémens, que le signe qui les exprime et qui les fixe dans notre mémoire, et que par conséquent , sans l'usage de ces signes , toutes ces réunions seraient aussitôt dis- soutes que formées, aussitôt perdues que trouvées; que nos premières conceptions

CHAPITRE XVI. 525

seraient toujours à refaire, et que noire es- prit resterait clans une éternelle enfance : c'est-là encore un fait certain ; néanmoins il faut le prouver par des exemples, et en in- diquer les causespar quelques réflexions sur nous-mêmes.

- La preuve générale que sans les signes nous ne pouvons presque pas nous rappeler nos idées ni les combiner, c'est que chacun, de nous éprouve que, lorsqu'il réfléchit sur un sujet quelconque, ce n'est pas directe- ment sur les idées qu'il médite , mais sur les mots; nous répétons ces mots, nous les. retournons , nous en faisons divers arran- gemens, nous sentons les nuances de leur signification, nous les prononçons tout bas , comme pour nous frapper nous-mêmes par une impression qui ne soit pas purement intellectuelle. A la vérité, quand l'objet est présent il tient à un certain point lieu de son nom, il devient lui-même signe de l'idée qu'il fait naître ; mais nous fixons toujours notre attention sur les mots qui expriment la qualité qu'il s'agit d'examiner en lui, l'effet qu'elle a produit, la circonstance à laquelle il faut avoir égard, le but ou tend notre re- cherche, etc.... On pourrait croire quo.

526 IDÉOLOGIE.

cette manière d'opérer tient au lon^ usage que nous avons des mots , et que notre es- prit , accoutumé dès long-temps à se servir de ce moyen, s'en est fait une nécessité qui n'est pas réelle : mais un exemple frappant va nous montrer que ce n'est point uni- quement un effet de l'habitude, qu'il y a autre chose dans ce phénomène, et qu'il est fondé sur la nature même de l'opération in-, tellectuelle qui s'exécute.

Nous avons tous l'idée de l'unité, peu im- porte pour le moment comment nous l'avons acquise : nous savons que l'adjectif un ex- prime la qualité d'un être isolé, considéré séparément de tout autre comme n'étant ni répété ni divisé. C'est déjà un signe pré- cieux que ce mot un; il fixe dans nos têtes une idée qui, sans son secours, demeurerait très-vague. Si à lui tout seul il ne nous donne point encore les idées des différens nombres! à coup sûr sans lui nous ne les aurions ja- mais ; car tous les nombres possibles ne sont que l'unité répétée plus ou moins. Le mot un est donc le germe de toutes les idées de nombre, et c'est un grand pas que de l'avoir créé. Cependant supposons que nous n'avons point d'autre nom de nombre , et

CHAPITRE XVI. 327

essayons avec le seul mot un de faire le plus simple de tous les calculs, une addition très- bornée. Pour y réussir, je ne puis faire autre chose que dédire un plus un, plus un, plus un, plus un, plus un , plus un ; et ni moi qui parle, ni vous qui m'écontez, n'avez aucune idée nette dans la tête. Pourquoi cela? c'est que rien ne nous indique com- bien de fois nous avons répété ce mot un, ni quel rapport il y a entre ce nombre pri- mitif et le nombre total. Maintenant , que quelqu'un me compte un plus un, plus un, plus un, plus un, plus un, et me propose de retrancher ce nombre du premier ou de l'y ajouter, que voulez-vous que je fasse ? quel rapport puis-je saisir entre ces deux nom- bres? quelle proportion puis-je sentir entre l'un deux et le reste ou le total demandé ? Quand je n'ai aucun moyen de déterminer aucun des termes de la comparaison, évi- demment je ne puis asseoir un jugement; j'aurai beau dire un, un, un, un, un, un, un, moins un, un, un, un, un, un, ou plus un, un, un, un, un, un, je ne saurai je dois arrêter cette fastidieuse répétition ; et quand, par impossible, je ne retendrais ni trop ni trop peu, le reste ni le total, je le

528 IDÉOLOGIE.

répète, ne me présenteraient aucune idée déterminée. Mais, me dira-t-on , vous comp- terez par vos doigts ou avec des cailloux, comme l'indique l'étymologie du mot calcul; d'accord : mais mes doigts ou mes cailloux sont des signes, chacun d'eux représente le mot un; l'action de le joindre à la masse, ou de l'en ôter, constate l'opération que je fais et sauve du moins une cause d'erreur. Néan- moins , quoiqu'alors cette masse soit ce qu'elle doit être, si je n'ai point de nom col- lectif pour la sommer, je ne pourrai pas en- core venir à bout de m'en faire une idée nette, et de juger son rapport avec L'unité ou avec une autre masse quelconque.

Au contraire, que profitant de la com- modité du signe un pour réfléchir sur l'idée un, et étant venu à l'imaginer ajoutée à elle- même , je m'avise d'appeler deux cette nou- velle idée, ce second signe fixe dans mon esprit le résultat de l'opération que j'ai faite, il me rend présente et sensible l'idée d'un plus un; bientôt il fait naître celle de deux plus un, je l'appelle trois: continuant de même, je conçois trois plus un, je l'appelle quatre; quatre plus un, je l'appelle cinq; cinq plus un, je l'appelle six; six plus un, je

CHAPITRE XVI. 529

Rappelle sept ; sept plus un, je l'appelle huit, et ainsi de suite; et tout cela pour avoir eu le signe un et m'en être servi à créer le signe deux. Alors je vois clairement que tous ces nombres sont à la même distance les uns des autres, et que cette distance est égale à l'unité; chacun de ces noms est un point de repos pour ma pensée ; il fixe le rapport ob- servé entre l'idée qu'il représente et les idées antérieures et postérieures; il constate des comparaisons faites que je ne suis plus obligé de recommencer, et desquelles je pars pour en faire d'autres : je n'ai plus be- soin d'avoir actuellement le souvenir vif de l'impression que faisaient sur mon œil six corps rangés à coté les uns des autres, je vois distinctement que six est entre cinq et sept; qu'il est cinq plus un, et sept moins un : qu'on me propose de le retrancher de sept, je reconnais nettement quil me res- tera un; si je veux l'ajouter à sept, je puis le faire partiellement; il m'est aisé de sentir qu'en disant huit j'ai ajouté un à sept, qu'en disant neuf j'y ai ajouté deux, qu'en disant dix j'y ai ajouté trois , qu'en disant dix-un ou onze j'y ai ajouté quatre, qu'en disant dix- deux ©u douze j'y ai ajouté cinq, et enfin

OOO IDEOLOGIE.

qu'en disant dix-trois ou treize j'y ai ajouté six. Voilà donc que je puis calculer, dès que chacun de ces nombres porte un nom qui le différencie, et que chacune de ses parties composantes se trouve exprimée avec pré- cision par les noms des nombres inférieurs : car le grand avantage des signes est qu'ils distinguent les idées qu'ils représentent, et qu'ils les décomposent réciproquement de mille manières différentes; trois et deux, quatre et un décomposent cinq, etc.

Il est bien vrai, et cela provient de la même cause, que si tous ces nombres se suivaient long-temps, comme font les seize premiers dans la langue française, toujours désignés par des noms qui n'eussent entr'eux ni ana- logie ni relation, je perdrais bientôt de vue les rapports mutuels des plus éloignés, c'est- à-dire la quantité d'unités qui les sépare. Pourquoi cela? précisément parce que cette quantité ne me serait plus rappelée par les noms qui chacun expriment seulement qu'ils sont séparés de leurs deux voisins par la quantité un. C'est à ce rapport exprimé que je serais continuellement obligé d'avoir re- cours pour retrouver la valeur des distances plus grandes ; et à chaque opération jaserais

CHAPITRE XV r. 33 1

toujours forcé de compter un à un, comme je viens de le faire, pour ajouter six à sept, et découvrir que cela m'amène au nom de nombre treize. Il n'est pas douteux que je réussirais par cette voie; car dès que l'on part d'un point connu, et que tous les inter- médiaires sont connus aussi, on sait avec certitude l'on arrive et en quoi consiste Je nouveau composé. Mais ce moyen, fort utile déjà, et qui est uniquement à l'ins- titution de ces premiers signes, serait ce- pendant encore long et pénible, et par con- séquent insuffisant pour des opérations compliquées et étendues; c'est pourquoi l'esprit de l'homme, qui a besoin de points de repos, et qui est fatigué de conserver présente à la fois une chaîne d'idées trop longue, a imaginé de partager la série des nombres en différens groupes ; il a fait ces groupes égaux entr'eux, afin que ce qui est vrai de l'un soit vrai de l'autre ; il a donné aux nombres qui les terminent des noms vingt, trente, qui, comparés à ceux qui les précèdent et à ceux qui les suivent, aver- tissent que la période finit et va recommen- cer. D'un nombre de ces périodes égal à celui des unités de chacune, il forme une

5o2 IDÉOLOGIE.

période plus grande, et au commencement de chacune il place un nom qui en avertit. Pour plus de commodité encore, les noms de ces dixaines et de ces centaines, vingt, trente, quarante, deux cents, trois cents, quatre cents, sont tels, qu'ils établissent entr'elles les mêmes rapports qui existent entre les unités simples. C'est ainsi qu'une idée conduit à une autre quand elle a été fixée par un signe. Sans tous ces mots, ces rapports seraient demeurés inaperçus ou bientôt perdus de vue ; mais une fois déter- minés et constatés par des noms, je m'en sers comme de chose convenue, et je puis combiner tous ces nombres , sans les dé-, composer, jusque dans leurs élémens pri-. mitifs à chaque opération.; car ils ont été suffisamment analysés d'avance. J'opère sur. trente et quarante , sur trois cents etquatre cents, comme sur trois et quatre : de de nouvelles facilités et une possibilité bien plus étendue de calculer; facilité, possibilité qui sont dues uniquement à ce nouvel état des noms de nombre qui constate des ana- lyses postérieures. C'est sans doute un grand perfectionnement; mais observez toutefois qu'indépendamment de cette amélioration,

CHAPITRE XVI. 535

et par le seul fait de leur institution, je puis aisément retenir les différences caractéris- tiques de la valeur des seize premiers noms de nombre , tandis que je serais bien loin de pouvoir distinguer de même les idées qu'ils expriment, si elles n'étaient représentées que par la répétition continuelle du mot un^ et ce serait bien pis encore si je n'avais pas même le mot un ; car ce mot est déjà un signe, et un signe très-utile, comme nous l'avons observé en commençant.

Au surplus, je n'ai exposé que les pro- priétés des noms de nombre, et n'ai point du tout parlé de celles des chiffres, qui sont d'une utilité incomparablement plus grande. La prodigieuse supériorité de ceux-ci sur les premiers tient premièrement à ce que ce sont des signes permanens , de sorte que l'impression qu'ils font peut se renouveler ou se prolonger à volonté; secondement, à ce qu'ils indiquent une multitude de rapports entr'eux par leur seule position respective. Nous examinerons la valeur de la première de ces circonstances quand nous parlerons ■des écritures, et celle de la seconde quand nous traiterons de la syntaxe et des cons- tructions j mais ici il ne s'agissait que de

554 IDÉOLOGIE.

bien faire sentir l'effet des signes en général sur l'action de la pensée; et si, entre tous les signes, j'ai choisi les mots, et parmi les mots les noms de nombre, c'est que c'est le cas l'effet en question est le plus frappant. La raison en est d'abord que de tous les si- gnes* qui ne sont pas permanens ( circons- tance particulière qu'il fallait écarter dans des considérations générales) , les mots sont ceux qui analysent le mieux nos idées \ en- suite que de tous les rapports existans entre nos idées, les rapports de quantité, sont les plus exactement appréciables, étant tou- jours composés de la même valeur, celle de l'unité répétée plus ou moins de fois; ce qui fait que l'on voit nettement jusqu'où l'on peut aller avec tel signe ou avec tel autre. Il n'est donc pas aussi aisé de faire voir l'effet des mots sur la combinaison des rap- ports de nos idées, qui ne sont pas des rap- ports de quantité, c'est-à-dire qu'il n'est pas possible de marquer avec autant de préci- sion le point l'esprit s'arrêterait faute d'un mot, et celui jusqu'où il va au moyen de tel mot ou de tel autre. Cependant, nous savons que toutes nos connaissances sont le produit de nos jugemens, et que tous nos

CHAPITRE XVI. 355

jugemens sont l'effet de la comparaison de deux idées; or, il est bien manifeste que deux idées un peu composées ne seraient jamais assez présentes à la fois à notre esprit avec leurs circonstances, pour être comparées ensemble, si le résultat des jugemens anté- rieurs qui ont servi à les former n'était fixé et rendu sensible par les signes qui les ex- priment. Sans ces signes, ces jugemens sub- séquens et toutes les connaissances qui en dérivent n'auraient donc jamais lieu. Repre- nons pour exemple la proposition que nous avons déjà citée plusieurs fois : L'homme qui découvre une vérité est utile à l'hu- manité toute entière. Il n'y a que deux idées comparées, savoir, V homme qui dé- couvre une vérité, et être utile à l'huma- nité toute entière. Il serait Irès-commode, et nous l'avons déjà observé, que chacune de ces idées fût exprimée par un seul mot. Si cela était, et que l'une fût représentée par a, l'autre par b, et l'idée d'affirmation par c, la phrase se réduirait à a c b, ou, en conservant le génie de la langue, qui est de joindre le signe d'affirmation à l'attribut commun , elle serait a est b, et nous nous servirions de a comme de tous les autres

556 IDÉOLOGIE.

substantifs, et de b comme de tous les autres adjectifs. Ces deux mots n'existent pas dans la langue : elle est pauvre à cet égard ; ce- pendant elle fournit des ressources. Ne pou- vant peindre chacune des deux idées dont il s'agit par un seul signe, on exprime l'une à l'aide de six mots et l'autre à l'aide de sept. Ces deux groupes forment chacun un en- semble, et nous avons dans la tête deux idées nettes et complètes que nous pouvons com- parer; mais nous ne les aurions pas sans ces signes subsidiaires, qui, dans le cas présent, sont des signes du second ordre par rapport aux deux qui nous manquent et qu'ils sup- pléent.

Maintenant examinons ces signes eux- mêmes qui représentent les idées compo- santes, nous découvrirons aisément qu'ils sont de différens genres, qu'ils n'ont pu être inventés que successivement. On voit bien qu'il a fallu désigner les choses avant de donner des noms aux qualités qu'on y re- marquait ou aux actions qu'on voulait leur faire éprouver, et exprimer ces actions ou ces qualités relativement aux choses, avant de les considérer abstraitement. Ainsi, les noms des objets existans ont été inventés

les

CHAPITRE XVI. 557

les premiers, les verbes et les adjectifs en- suite, et les substantifs abstraits postérieu- rement. A plus forte raison, on sent que les mots qui expriment des relations très-géné- rales, comme le relatif qui et la préposition à, ou des circonstances très-fines, comme l'article le, sont des créations plus récentes encore et des productions d'esprits plus exercés. Il y a plus; nous avons déjà ob- servé, et ne l'oublions pas, que ces substan- tifs, ces adjectifs, ces verbes sont d'abord des noms particuliers et propres à la chose qu'ils expriment, et qu'ensuite ils ont été généralisés par des réflexions subséquentes. En outre, chacun de ces mots principaux, parles différentes désinences qui constituent sa déclinaison ou sa conjugaison, exprime diverses circonstances de nombre, de genre, de temps, de personne, qui font de chacune de ses formes une idée distincte. Tout cela c'est autant de résultats d'analyses succes- sives, qui graduellement rendent possibles celles qui les suivent; vous y observez la même progression et des degrés plus nom- breux encore que dans la formation du mot un et dans celle des premiers noms de nom- bre, puis des noms de dixaiues, de cen-

Y

538 IDÉOLOGIE.

taines, etc. ; et vous reconnaissez que, dans un cas comme dans l'autre , il n'a d'abord été possible de faire qu'un petit nombre d'o- pérations, et que la capacité de combiner et celle de calculer se sont également accrues en proportion de la perfection de leurs ins- trumens.

Pour rendre cette vérité plus frappante encore, faites un essai bien simple; repré- sentez-vous où vous en seriez si, pour ex^ primer la proposition que nous avons prise pour exemple, au lieu d'empioyer les treize mots qui la composent, vous substituiez à chacun d'eux la description complète de toutes les idées partielles qu'ils renferment, des points de vue sous lesquels on les a envisagées pour les réunir, et de leurs rela* lions avec celles comprises sous les autres mots; il est bien clair qu'il en résulterait un verbiage épouvantable, au milieu duquel il vous serait impossible de saisir le sens général de la proposition. Cependant toutes ces analyses préliminaires sont faites, il ne s'agit plus de les découvrir; vous n'auriez qu'à les retracer , et vous ne le pourriez même qu'à l'aide de beaucoup de mois que vous leur devez déjà. Que font donc ces

CHAPITRE XVI. 559

treize mots? rien autre chose que présenter à votre pensée J d'une manière plus com- mode , les résultats d'opérations antérieures. C'est aussi ce que font les caractères algé- briques, quand à la place d'une expression très -compliquée on met une simple lettre à l'aide de laquelle on fait des combinaisons nouvelles, qui, sans cette abréviation, se- raient devenues inextricables, sauf ensuite à aller rechercher l'expression plus détaillée lorsqu'il en est besoin, comme nous fai- sons nous-mêmes en parlant quand l'état de la discussion fait sentir la nécessité d'une définition ou d'une description plus ou moins circonstanciée de notre idée.

Nous sommes donc fondés à conclure que ce que nous avons remarqué des noms de nombre et des idées de quantité , est vrai des autres mots et des autres idées, et que ce que nous avons dit des mots s'applique plus ou moins à toutes les espèces de signes; et nous pouvons regarder comme prouvé que l'effet général des signes est, en consta- tant des analyses antérieures, de rendre plus faciles les analyses subséquentes; que cet effet est exactement celui des caractères et des formules algébriques; et que, par con-

Y 2

b-LO IDEOLOGIE.

séquent, les langues sont de vrais iustrumens d'analyse, et l'algèbre n'est qu'une langue qui dirige l'esprit avec plus de sûreté que les autres, parce qu'elle n'exprime que des rapports plus précis et qu'un seul genre de rapports. Les règles grammaticales font juste le même effet que les règles du calcul; dans les deux cas, ce ne sont que des signes que nous combinons; et, sans nous en apercevoir, nous sommes conduits par les mots comme par les caractères algé- briques (1). Tout ceci était bon à éclaircir, et je crois qu'il n'y reste plus d'obscurité. Tel est donc l'effet général et principal

(i) Il y a pourtant, entre la langue algébrique et les autres langues, une différence singulière dont il faut saisir la cause avec précision , parce qu'elle met bien à découvert l'artifice des raisonnemens ordi- naires et de ceux appelés spécialement calculs, et qui n'en sont pas moins des raisonnemens comme les autres.

La langue algébrique ne s'applique qu'à des idées de quantité , c'est-à-dire à des idées d'une seule espèce, qui ont entr'elles des rapports très-fixes et très-précis ; ils sont toujours composés de l'unité ou de ses mul- tiples ; et elle ne sert à combiner ces idées si dis- tinctes et si immuables, que sous un seul rapport, celui de leur augmentation ou de leur diminution , rapport

CHAPITRE XVf. Oil

des signes comme instruirions de la pensée ; actuellement il faudrait tâcher de trouver les causes de cet effet. Malheureusement

qui est lui-même une idée de quantité et en a toutes- les précieuses propriétés.

Par ce moyen, il n'y a jamais ni incertitude, ni obscurité, ni variation dans la valeur des élémens du discours de cette langue , et il en résulte un effet tout particulier, c'est qu'on n'a jamais besoin de songer à la signification de ces signes pendant tout le temps qu'on les combine : on est toujours sûr de la retrouver quand on voudra ; elle n'aura souffert de changemens qu'en plus ou en moins, et ils auront tous été mar- qués par les changemens de formes ou de positions qu'auront éprouvés les signes. Pourvu qu'on ait observé scrupuleusement les règles de la syntaxe de cette langue, qui ne sont autre chose que les règles du cal- cul , on est certain d'arriver à une conclusion juste , c'est-à-dire exactement qu'on n'a eu nul besoin de savoir ce qu'on disait pendant tout le temps qu'on a raisonné : aussi ne le sait-on jamais. Un calcul algé- brique ressemble parfaitement et rigoureusement au discours d'un homme qui commencerait par une pro- position vraie et finirait par une autre proposition vraie , et aurait toujours parlé dans l'intervalle d'une manière inintelligible pour les autres et pour lui- même, et sans faire de faute de langue ; mais la con- clusion d'un tel personnage , bien que vraie par hasard-,

342 IDÉOLOGIE.

cela n'est pas très - facile ; il semble même au premier coup-d'œil que cet effet n'a point de cause , ou, en d'autres termes, qu'il ne

ne serait pas prouvée, au lieu que celle de l'algébriste l'est; et voici pourquoi.

Les mots sont bien, comme nous l'avons dit, des formules qui peignent d'une manière abrégée les ré- sultats de combinaisons antérieurement faites, et qui dispensent la mémoire de l'obligation d'avoir ces combinaisons incessamment présentes dans tous leurs détails. Ainsi, nous les combinons bien jusqu'à un certain point indépendamment des idées dont ils sont les signes , et même cet effet a lieu beaucoup plus que nous ne croyons , comme nous venons de le voir ; mais les résultats que ces mots expriment ne sont pas d'une nature aussi simple ni aussi précise que ceux que représentent les caractères algébriques ; et les modifications que nous leur faisons éprouver dans le discours, soit en joignant un adjectif à un substantif, soit en donnant un attribut à un sujet, sont bien plus variées et bien moins mesurables que celles que font éprouver aux caractères algébriques les signes multi- plié par, ou divisé par, ou le signe égale, qui équivaut à l'attribut verbal, ou les coeffîciens , ou les exposans , ou les signes radicaux. Ces modifications des carac- tères algébriques sont toutes appréciables en nombres ; celles des mots ne le sont pas, et c' est-là une diffé- rence immense.

D'ailleurs , nous modifions nos substantifs , non- seulement dans leur compréhension, c'est-à-dire dans-

CHAPITRE XVI. 345

devrait pas exister ; il semble que la diffi- culté de comparer dos idées consistant uni- quement dans celle de les bien connaître,

le nombre des idées qu'ils renferment, mais encore dans leur extension , c'est-à-dire dans le nombre des objets auxquels nous les appliquons -, et ce qui est vrai en leur donnant telle extension , ne le serait plus en leur donnant telle autre. Or, que serait-ce que de l'algèbre dont les caractères non-seulement ne seraient pas toujours complètement abstraits, mais même se- raient concrets, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, C'est-à-dire s'appliqueraient tantôt à un cer- tain nombre d'objets, tantôt à un autre? Certaine- ment on ne pourrait pas suivre le calcul sans songer à tout moment à ce qu'il, représente : c'est aussi ce qui arrive dans toutes les autres langues.

De tout cela il suit que nous nous fions bien aux mots comme à des formules trouvées ; que nous sommes bien obligés de nous en servir en cette qua- lité", puisque c'est -là leur seule utilité en tant que moyens d'analyse; que nous nous en reposons beau- coup sur eux, souvent même avec trop de confiance; mais que cependant cette sécurité ne peut jamais être telle, que nous perdions absolument de vue leur signi- fication, et que nous ne soyons pas obligés de nous la rappeler au moins en masse chaque fois que nous les employons, à chaque modification que nous leur faisons subir, et à chaque conclusion que nous voulons en tirer. La preuve en est que quand le souvenir de cette signification devient trop confus ou inexact, le

544 IDÉOLOGIE.

et celle de les bien connaître dans celle de se bien rappeler les idées qui les composent et leurs rapports avec celles qui les avoi-

seul moyen d'éclaircir et de rectifier nos raisonne- mens , est de substituer la description détaillée de l'idée au signe qui la représente en abrégé ; et ce moyen, s'il est bien employé, suffit toujours pour trouver d'où vient l'équivoque ou l'erreur. Enfin , comme l'a dit très-énergiquement M. Maine -Biran, quand nous nous servons de toutes nos langues (ex- cepté l'algèbre), nous sommes toujours obligés de porter à la fois le double fardeau du signe et de l'idée (*). ÏS'ousy sommes également obligés, même pour combiner des idées de quantité, quand nous entreprenons de le faire par le moyen des signes de nos langues ordinaires, sans employer ceux de l'al- gèbre. Aussi, alors ne pouvons-nous pas pousser le calcul jusqu'au degré de complication auquel nous atteignons à l'aide des signes de l'algèbre. Il y a plus ; c'est que , même en nous servant de ceux-ci , nous ne sommes complètement dispensés de songer à l'idée que dans les momens une formule trou- vée et des règles de calcul démontrées nous guident mécaniquement ; mais dans tous ceux il s'agit de se décider pour une opération plutôt que pour une autre , de reconnaître le sens et la valeur de l'expres-

(*) Voyez son excellent Mémoire intitulé : Influence de l'habi- tude sur la Faculté de penser.

C'est, je crois, un des meilleurs ouvrages qui aient jamais été écrits sur ces matières.

CHAPITRE XVI. 345

sihcnt, toutes ces opérations intellectuelles doivent être les mêmes, soit que ces idées soient revêtues d'un signe, soit qu'elles en

sion d'un résultat , de découvrir les propriétés instruc- tives ou commodes qu'elle peut avoir acquises ou perdues dans ses différentes transformations, il n'en est pas de même ; alors le signe ne suffit plus ; il faut bien remonter à l'idée , et il s'exécute àes opéra- tions intellectuelles qui ne consistent ni à multiplier ni à diviser , qu'aussi les signes algébriques ne peuvent pas peindre , qu'on ne peut représenter que par ceux des langues vulgaires, et qui pourtant n'en font pa-> moins partie de la chaîne du raisonnement et en sont même la partie la plus essentielle. La langue algé- brique n'est donc pas une langue complète ; elle ne peint jamais un raisonnement d'un bout à l'autre; elle est toujours entremêlée de temps en temps de quel- ques phrases d'une langue ordinaire, à-peu-près comme dans les intermèdes la danse succède au chant, qui a appris ce que celle-ci n'aurait pas pu exprimer. Seulement, dans toutes les parties de la série des idées l'algèbre s'applique, elle l'abrège singulièrement, et par met l'esprit en état de la suivre beaucoup plus loin. C'est-là sa véritable utilité.

Mais pourquoi peut-elle sans inconvénient abréger à cet excès la chaîne d'un raisonnement? cela tient à la nature des idées de quantité. Pourquoi nous con- duit-elle ainsi avec une sûreté complète et sans que nous ayons besoin de savoir ce que nous fanons? c'est

346 IDÉOLOGIE.

soient dénuées. Il paraît que le son du mot pain et du mot bon ne saurait m'exempter d'avoir présentes à l'esprit toutes les idées

encore grâce à la nature des rapports de quantité aux- quels seuls elle est applicable.

C'est donc une grande erreur de croire que l'on peut transporter la langue algébrique dans d'autres matières. Pour s'en assurer , il suffit de voir que y même dans les raisonnemens sur les idées de quan- tité , il y a des momens elle ne peut pas servir.

Ce n'est pas moins s'abuser que d'imaginer qu'en perfectionnant les autres langues il est possible de leur donner toutes les propriétés de la langue algé- brique. Sans doute il est possible d'améliorer les signes dont se composent ces langues et de régulariser leur syntaxe, et cela serait très-avantageux; mais on ne peut pas faire que toutes les idées que ces langues élaborent aient le même degré de fixité et de préci- sion , et que tous les rapports sous lesquels on consi- dère ces idées soient également simples et déterminés.. Or, ce n'est que dans ces deux cas que ces langues peuvent se transformer en langage algébrique, lequel en définitif n'est autre chose qu'une collection d'abré- viations dans les termes et d'ellipses dans les phrases.

Enfin , c'est une idée encore plus fausse de vouloir, par des formes syllogistiques , produire le même effet qu'avec des formules algébriques et arriver au même degré de certitude. C'est confondre toutes les notions. L'un ne répond point à l'autre. Il n'y a rien dans le

CHAPITRE XVI. 347

composant l'idée de pain et l'idée de bon, pour pouvoir juger si le pain est bon, et qu'ainsi ces mots ne devraient m'être d'au-

calcul qui soit analogue aux prétendus principes logiques.

La langue algébrique, répétons-le, est une langue comme une autre. Ses caractères sont les élémens du discours. Les règles du calcul sont les lois de sa syn- taxe , qui enseignent quel u.'age on doit faire de ces élémens , et quelles modifications on doit leur faire su- bir pour marquer les liaisons qu'on a établies entr'eux et les opérations intellectuelles qu'on a exécutées par leur moyen. C'est- tout ce qui existe dans toute langue , et l'acte du raisonnement est le même dans toutes. Les formes syllogistiques sont une espèce de superfé ration dont on aurait pu embarrasser les cal- culs tout comme les autres raisonnemens,si, dans ce cas , leur inutilité n'avait pas été plus manifeste que dans les autres. C'est un surcroît de précaution que l'on a cru propre à guider nos jugemens et à en aug- menter la sûreté , mais qui réellement ne fait que les gêner et cacher les causes de leur justesse ou de leur fausseté.

Le vrai est que , dans tous nos raisonnemens quel- conques , il ne s'agit jamais que d'idées revêtues de signes ; ainsi il ne peut pas y avoir d'autres principes de logique que la connaissance de ces idées et de leurs signes, c'est-à-dire l'idéologie et la grammaire, ou, si l'on veut, la connaissance de la valeur de ces signes isolés et celle du mode de leur liaison , c'est-à-dire

548 IDÉOLOGIE.

cune utilité.Cependant l'expérience est cons- tamment contraire ; elle montre que ces signes font en moi une impression qui n'est

le vocabulaire et la syntaxe du langage dont on se sert. La logique proprement dite est un pur néant, une idée radicalement fausse , une vraie chimère , comme j'espère le faire voir en son lieu.

Je sens combien cette longue discussion est déplacée ici. Pour qu'elle fût complètement satisfaisante, il faudrait qu'elle ne vînt qu'après tout ce que nous avons à dire dans le chapitre suivant, dans la Gram- maire et dans la plus grande partie de la Logique. Elle est presque la conclusion de l'ouvrage. C'est pour cela que je l'avais supprimée dans la première édi- tion de ce volume ; mais, par réflexion, je l'ai crue utile pour provisoirement appuyer ce qui vient d'être dit, en indiquant ce qui suivra. C'est ainsi qu'en trai- tant ces matières , qui ont été si complètement em- brouillées et dénaturées , on est toujours froissé entre la crainte, si l'on suit loin son idée, d'avancer des choses dont on ne peut pas encore développer toutes les preuves, et celle, si l'on s'arrête, de laisser sub- sister des préventions qui résistent aux assertions les mieux fondées et qui sont la base des autres. C'est ce qui m'est arrivé continuellement en écrivant ces deux chapitres des signes , qui cependant me paraissent ici à leur place naturelle et nécessaire.

Quoi qu'il en soit, concluons qu'en raisonnant nous sommes conduits par les mots comme par les carac- tère; algébriques ; que leur utilité est de nous dispense*

CHAPITRE XVI. 349

pas exactement celle de toutes les idées qu'ils représentent, mais qui en est comme la ré- sultante, c'est-à-dire qu'il y a quelque chose de plus dans l'effet que nous fait un signe que dans celui que produit en nous l'idée composée que ce signe exprime ; la preuve en est que nous faisons, par le moyen de ce signe , beaucoup de combinaisons ulté- rieures que nous ne pouvions pas faire avec l'idée elle-même. Mais, je le répète, il n'est

en partie d'avoir présentes les idées qu'ils représen- tent; que s'ils ne font pas cet effet aussi complètement que les caractères algébriques , et s'ils ne le font pas sans danger comme eux , cela tient uniquement à la nature des idées représentées ; et que si toutes nos idées étaient susceptibles d'abréviations et d'ellipses aussi fortes que les idées de quantité, sans que la confusion s'y introduisît, nous aurions pour toutes des langages analogues à l'algèbre , et nous suivrions nos déductions plus loin et plus sûrement ; comme aussi si toutes ces idées étaient encore plus fugitives et moins déterminées , nous serions obligés , dans nos langues ordinaires , de nous servir de termes moins- généraux et de locutions plus développées et plus traînantes , et nous serions encore moins capables de déductions sûres et étendues. Je crois que l'on doit commencer à trouver cette manière de voir ju3te et vraie, et que l'on en sera toujours plus persuadé à mesure que nous avancerons.

5ÔO IDÉOLOGIE.

pas aisé d'assigner avec précision la cause de cette différence entre le signe et l'idée , et on ne l'a jamais déterminée nettement, au moins que je sache. Je crois pourtant que nous allons la trouver tout naturellement dans une observation que nous avons déjà faite sur les caractères et les propriétés de nos opérations intellectuelles et des mou- vemens internes qui les produisent.

Nous avons remarqué qu'en général ceux de ces mouvemens dont résultent nos sou- venirs et nos jugemens, ou perceptions de rapports, ébranlent moins fortement notre machine, sont moins nécessairement accom* pagnes de peine ou de plaisir, et par suite laissent des traces moins vives, moins dis- tinctes, moins durables que les mouvemens purement sensitifs ; qu'en conséquence les souvenirs et les jugemens sont des percep- tions plus légères, plus fugitives, et qui pro- duisent des impressions moins profondes sur notre organisation que la sensation pro- prement dite. C'est ce qui fait que les idées abstraites et éloignées des sens sont celles que nous avons le plus de peine à fixer et à ne pas perdre de vue, et que les sujets elles se trouvent en plus grand nombre sont

CHAPITRE XVI. 35l

ceux il nous est le plus difficile d'éviter l'obscurité et la confusion; c'est ce qui fait encore que le moindre bruit, la moindre douleur ou le moindre plaisir actuel, nous distraient souvent de la méditation la plus profonde, et nous font perdre de vue le sou- venir qui nous occupe le plus. En général, tout prouve que la sensation a une toute autre énergie que le souvenir et le jugement, lesquels sont, par leur nature, des percep- tions légères et transitoires. Maintenant si nous nous rappelons que toutes nos idées sont extrêmement composées ; que par con* séquent toutes sont des assemblages d'une foule de souvenirs et de jugemens ; que même, si l'on en excepte les sensations sim- ples, dont il n'est pas question en ce mo- ment , elles ne sont toutes , à proprement parler , que des souvenirs d'impressions re- çues et de combinaisons opérées, nous en conclurons qu'elles sont toutes essentielle- ment fugitives; que, par leur nature même, elles doivent ne faire que paraître et dispa- raître, et que le véritable changement qu'y apporte le geste ou le mot, en un mot le signe quelconque qui nous les représente , en frappant nos sens, est de les associer à

552 IDÉOLOGIE.

une sensation, de les rapprocher du carac- tère de ce genre de perceptions et de leur en donner toute l'énergie. De seul naît, je pense , la différence qui existe entre les pro- priétés du signe et celles de l'idée qu'il re- présente: j'en suis d'autant plus persuadé, que, si l'on y fait bien attention, on verra que cette seule circonstance suffit pour ex- pliquer tous les effets des signes.

En effet, quand une idée est une fois in- timement liée à une sensation, elle nous frappe aussi souvent , aussi facilement , aussi vivement que cette sensation elle- même; elle est aussi distincte de toutes les autres Idées qui sont liées à d'autres sensa- tions, que ces sensations le sont entr'elles. Pour ne pas la confondre avec elles, nous n'avons plus besoin d'en examiner tous les élémens, d'en rechercher la génération; ce n'est plus, pour ainsi dire, les rapports très- déliés de ces idées que nous avons à consi- dérer, mais les rapports bien plus frappans de ces sensations. Voilà pourquoi les signes secourent la mémoire, rendent les habi- tudes plus fortes, servent de point de repère à l'esprit; pourquoi ils constatent réelle- ment les opérations intellectuelles qui ont

eu

CHAPITRE XVI. 555

eu lieu ; pourquoi les idées de classes , de genres, d'espèces, et toutes les idées gé- néralisées que nous conservons par leur moyen, une fois qu'elles sont faites, nous sont si commodes ; voilà aussi pourquoi il est si utile et si agréable que les signes aient de l'analogie avec la chose qu'ils expriment, et qu'il existe entr'eux des relations corres- pondantes à celles des idées qu'ils représen- tent : d'un autre côté l'on voit que la sensa- tion du signe étant une sorte d'étiquette de l'idée, à peu près comme les titres de cer- tains chapitres et de certains paragraphes qui en expriment le sens en abrégé , et se mettant pour ainsi dire en nous à la place de cette idée , elle doit nous en faire perdre de Vue les détails. De vient sans doute que nous avons souvent la conscience du sens d'un mot sans pouvoir l'expliquer, et que nous sommes exposés à bien des erreurs en nous en servant; de vient apparem- ment encore qu'il nous arrive souvent d'être frappés de la vérité d'une proposition long- temps avant de pouvoir nous en rendre compte, ou révoltés de la fausseté d'un so- phisme quoique nous ne puissions pas la dé- montrer. Il serait facile de multiplier et de

Z

554 IDÉOLOGIE.

développer ces faits, qui tous se présentant comme des conséquences de notre principe, le rendraient toujours plus plausible; mais ceux-ci suffisent, je crois, pour conclure qu'il est très-probable que la réunion de la sensation à l'idée est la vraie cause de l'effet des signes : quoi qu'il en soit, ce qui est certain c'est que cet effet est le même dans tous les signes que dans les signes algé- briques, et qu'il consiste à constater les opé- rations intellectuelles que nous avons faites, et à nous donner la facilité d'en faire des combinaisons qui seraient impossibles sans ce secours. C'est-là ce qu'il était important de bien éclaircir.

Actuellement que nous avons vu quels sont nos différens langages ou systèmes de signes représentatifs de nos idées , et en quoi consiste la propriété fondamentale de ces signes considérés comme moyen de penser, nous pouvons examiner avec sûreté les di- verses circonstances de l'influence de ces signes sur la pensée : c'est ce que nous allons faire dans le chapitre suivant.

CHAPITRE XVII. 555

CHAPITRE XVII.

Continuation du précédent Des autres effets des signes.

V ous voyez donc, mes jeunes amis, que nos actions sont les signes naturels et nécessaires de nos idées, puisqu'elles les re- présentent 5 en masse à la vérité, mais très- fidèlement, sans que nous en ayons l'inten- tion , et même quand nous ne le voudrions pas : c'est ce qu'on appelle le langage d'ac- tion, parce que tout système désignes est un langage.

Ces signes naturels et nécessaires devien- nent artificiels et volontaires, c'est-à-dire que nous les refaisons avec l'intention de, faire connaître nos idées à nos semblables ; et le langage d'action devient la source de tous les autres, qui, comme lui, s'adressent au tact, à l'œil, ou à l'oreille, et que nous pouvons varier à l'infini. Nous en avons in- diqué plusieurs.

A la longue , ces signes artificiels et vo- lontaires, sur-tout ceux qui s'adressent à l'oreille, deviennent très- détaillés et très-

Z 2

556 IDÉOLOGIE.

circonstanciés, et nous les rendons capables d'exprimer d'une manière distincte des idées très-peu différentes les unes des autres, et qui ne sont séparées que par des nuances très-fines.

Cet effet est sans doute à la souplesse des organes d'où émanent les signes , et à la délicatesse de ceux auxquels ils s'adressent, et il est proportionné à ces qualités; mais il ne se produit que graduellement, et il ne peut avoir lieu qu'autant que nous combi- nons .nos premières perceptions, que nous en formons des idées composées, que nous percevons entr'elles des rapports qui sont eux-mêmes de nouvelles idées, que nous les analysons, les comparons, les modifions, les envisageons sous toutes leurs faces, en- fin que nous les soumettons à tous les cal- culs dont elles sont susceptibles. Or, c'est à cela même que les signes nous aident très- puissamment, en constatant les résultats de chacun de ces Ga'lculs ; et nous avons prou- vé par des exemples, que sans leurs secours nous serions arrêtés dès les premiers pas : ainsi à mesure que les signes se perfection- nent, et même à chaque nouveau degré de perfection qu'ils acquièrent, ils sont cause

CHAPITRE XVlT. 557

du perfectionnement des idées qu'ils repré- sentent, et par conséquent ils ne nous ser- vent pas moins à former nos idées qu'à les communiquer.

Enfin, il paraît qu'ils doivent cette pré- cieuse propriété à ce que l'effet du signe est d'associer l'idée qu'il représente à la sensa- tion qu'il produit, et de faire ainsi participer des perceptions très-fugitives , telles que nos souvenirs etnosjugemens,aux proprié- tés de la sensation, qui, par sa nature, est une perception très -vive, très-forte et très- distincte.

Voilà, en peu de mots, le résumé de ce que nous avons dit j usqu'à présent des signes, de leur origine, de leurs différentes espèces, de leurs progrès, de leur effet principal et fondamental, et de la cause vraisemblable de cet effet. Munis de ces préliminaires, nous pouvons actuellement entrer dans quelques détails : ils nous feront encore mieux sentir l'influence des signes sur l'état actuel de la raison humaine j et, nous four- nissant l'occasion de faire usage de nos ob- servations sur nos opérations intellectuelles et sur la formation de nos idées, ils nous procureront de nouvelles preuves que

558 ' IDÉOLOGIE.

nous avons bien trouvé le fil de ce laby- rinthe.

On demande souvent si nous pouvons penser sans signes. Cette question me pa- raît plus curieuse qu'utile; mais puisqu'elle a été agitée, il ne faut pas négliger de la ré- soudre; d'ailleurs elle nous mènera à d'au- tres. Je crois que nous devons d'abord dis- tinguer entre les signes naturels et les signes artificiels.

Nous avons vu que nos actions sont les lignes naturels et nécessaires de nos idées , c'est-à-dire que, même malgré nous, elles manifestent avec plus ou moins de détails nos pensées et nos sentimens. Je ne connais pas d'autres signes naturels; car les objets matériels sont bien les causes de nos per- ceptions, mais ils ne les manifestent pas, ils n'en deviennent le signe et la représen- tation qu'autant que nous les désignons à cet effet par un cri, par un geste, en un mot , qu'en vertu d'une institution expresse. Quand je montre un fruit et ma bouche pour exprimer cette idée, Je veux manger, le fruit et ma bouche font partie de mon geste; à eux seuls ils n'eussent jamais exprimé mon idée. Les objets matériels peuvent

CHAPITRE XVII. 559

donc devenir signes artificiels et volontaires plus ou moins imparfaits, mais ils ne sont pas signes naturels et nécessaires ; il n'y a de signes naturels de nos idées, que nos actions.

Demander si nous pouvons penser sans signes naturels, c'est donc demander si nous pourrions posséder la faculté de sentir, d'avoir des perceptions, sans celle d'agir et de manifester ces perceptions par des ac- tions. A cela il est impossible de répondre par une expérience directe ; seulement l'on peut dire que la faculté de sentir et celle d'agir étant distinctes, l'on peut concevoir un ordre de choses tel, que les mouvemens internes qui produisent nos perceptions au- raient lieu, quoique nous fussions incapables de tout mouvement apparent qui les mani- festât, et que dans ce cas nous penserions effectivement, mais que nos connaissances seraient bien bornées. Au reste, cette solu- tion ne jette aucun jour sur l'exercice de notre faculté de penser telle qu'elle est, et ne fournit aucun moyen de déterminer jusqu'où elle irait sans l'usage des signes, dans un homme constitué comme nous le sommes.

56o IDÉOLOGIE.

Demande-t-on , au contraire , si nous pouvons penser sans signes artificiels et volontaires ? la réponse dépend du sens que l'on attache au mot penser. Pour nous, qui avons donné le nom d'idée ou de perception généralement à tout ce que nous sentons , depuis la plus simple sensation jusqu'à l'idée la plus composée , et qui avons appelé pen- ser avoir des perceptions quelconques, et par en avons fait le synonyme de sentir, la question n'en est pas une; car il est bien manifeste que nous sentons avant d'avoir des signes artificiels, et que si, pre- mièrement, nous ne sentions rien, nous n'aurions ni besoin ni moyen d'instituer au- cun signe. Aussi quand quelques idéolo- gistes ont prononcé que les signes sont absolument nécessaires pour penser, pour avoir des idées, c'est qu'ils ne comprenaient pas sous le nom d'idées la simple sensation, ni sous celui de penser l'action de percevoir cette sensation ; ils n'appelaient proprement idées que ce que nous avons appelé idées composées, et ils ne donnaient le nom de penser qu'à l'action de combiner nos per- ceptions premières. Dans ce sens je ne m'é- loignerais pas beaucoup de leur avis; mais

CHAPITRE XVII. 56l

j'avoue que je n'aime pas cette façon de s'exprimer, car je ne vois pas ce que peut être l'action de percevoir une sensation, si elle n'est pas une des opérations particulières de la faculté de penser; ni ce que peut être l'action de penser, si elle n'est pas toujours celle de sentir, modifiée de mille manières. Dans notre langage nous devons donc dire , sans hésiter, que nous commençons à pen- ser avant d'avoir des signes artificiels.

Il n'est pas aussi aisé de déterminer pré- cisément jusqu'où irait notre faculté de pen- ser si elle n'avait le secours d'aucun de ces signes, je ne vois même point de moyen de le savoir avec certitude; mais, d'après tout ce que nous avons dit précédemment, il n'y a nul doute que sans les signes toutes les réunions que nous faisons de nos idées se- raient aussitôt dissoutes que formées ; que les rapports que nous remarquons entr'elles seraient aussitôt évanouis que perçus, et que par conséquent toutes combinaisons ultérieures nous deviendraient impossibles, et nous serions toujours arrêtés dès les pre- miers pas : nous en avons même la preuve directe dans l'impossibilité nous sommes de faire les moindres calculs sans noms de

562 IDÉOLOGIE.

nombre. Ainsinous pouvons prononceravec les idéologistes que je citais tout à l'heure, que sans signes nous ne penserions presque pas.

La question qui suit celle-là dans l'ordre naturel des idées, est encore plus délicate; c'est de savoir jusqu'à quelle classe d'idées et à quel degré de combinaison peut nous conduire chaque espèce de signe. Plusieurs auteurs ont décidé qu'il n'y a que les signes articulés, les mots, qui puissent nous éle- ver jusqu'aux idées abstraites : mais je crois que cet arrêt mérite examen. D'abord nous avons vu que ces opérations qu'on appelle abstraire et concraire sont toujours réunies dans la formation de toute idée composée , et que l'une n'est pas plus difficile que l'autre ; ensuite nous avons observé que toute idée qui n'est pas individuelle est une idée abs- traite, car il n'existe dans la nature que des individus; enfin, nous savons que toute per- ception de rapport est aussi une idée abs- traite, car un rapport n'est qu'une vue de l'esprit et non pas une chose existante par elle-même. Il faudrait donc, dans ce système^ soutenir que sans les mots nous ne pour- rions avoir que des idées individuelles, ou

Chapitre xvii. 365

même que nous ne pourrions porter aucun jugement : or, j'avoue que cette opinion me semble impossible à défendre, et qu'au con- traire il me paraît prouvé en rigueur qu'il a fallu avoir porté beaucoup de jugemens avant d'avoir créé un seul signe articulé. D'ailleurs je ne vois pas pourquoi un geste ou un cri n'exprimeraient pas une idée abs- traite tout comme un mot : nous en voyons même tous les jours des exemples; et quoi- que ces exemples se trouvent dans les gestes des gens qui ont déjà l'usage des signes ar- ticulés, ils n'en prouvent pas moins par le fait que la chose est possible. Je pense donc, sur la question proposée, que les signes ar- tificiels , de quelque genre qu'ils soient, peuvent représenter et constater des idées de toute espèce, et que le degré de com- plication des idées qu'ils nous mettent à même de former, et des combinaisons quïls nous donnent la possibilité d'en faire , ne dé- pend pas de la nature même des signes, mais de leur degré de perfection , qui les rend capables d'exprimer des nuances plus ou moins fines, et de constater des analyses plus ou moins délicates. Cette dernière observation commence à

564 IDÉOLOGIE.

nous faire entrer plus avant dans notre su- jet. Il s'agirait actuellement de rechercher dans tout langage quelconque jusqu'à quel degré de connaissance nous conduirait cha- que degré de perfection des signes qui le composent : mais cette entreprise est évi- demment impossible à exécuter- il ne fau- drait rien moins que refaire, depuis leur origine, tous les systèmes de signes imagi- nables ; et, quand cela se pourrait, il serait encore impossible de juger les effets des différens états de ces systèmes de signes que nous ne sommes pas habitués à employer. Les divers degrés de perfection des langues parlées sont moins difficiles à reconnaître et à apprécier : nous pouvons, jusqu'à un cer- tain point, nous représenter ce qae serait une de ces langues, d'abord si on lui ôtait toute conjugaison et toute déclinaison ; puis si on la privait successivement d'articles, de pronoms, de prépositions, de conjonc- tions, etc. ; et enfin si, réduite à des substan- tifs et des verbes invariables, on retranchait encore de ces mots tous les dérivés et les composés, et qu'on ne conservât que les primitifs. Nous ne saurions, il est vrai, même dans ce cas, répondre encore pleine-

CHAPITRE XVIt. 565

ment à la question proposée, et assigner avec justesse le degré précis de connais- vsance auquel nous conduirait cette langue dans ces différens états; mais nous voyons clairement qu'après chacun de ces retran- chemens successifs elle deviendrait toujours plus difficile à manier, moins capable de nous guider dans l'acte du raisonnement, moins propre à rapprocher nos idées les unes des autres, à les combiner, à les réunir sous tous les aspects dont nous avons besoin, à constater des différences légères entr'elles ; et qu'enfin , dans le dernier état nous la mettons, elle ne pourrait plus représenter que quelques groupes principaux d'idées fortement distincts entr'eux, et donner lieu qu'à quelques jugemens très-grossiers et presque palpables que nous en porterions. Elle est alors, malgré les avantages des signes articulés, réellement inférieure à un système de gestes qui serait perfectionné; Cependant ce dernier état auquel nous l'avons réduite est l'état primitif de cette langue parlée et de toute autre. Un langage quelconque ne peut jamais avoir plus de signes que ceux qui l'instituent n'ont d'idées : il en a d'abord très-peu. Ce petit nombre

366 IDÉOLOGIE.

de signes aide à travailler ce petit nombre d'idées; il y fait découvrir de nouvelles cir- constances, de nouvelles vues qui font sen- tir le besoin de nouveaux signes pour les exprimer; et ces nouveaux signes servent à apercevoir de nouvelles combinaisons qu'il faut encore représenter. C'est ainsi que le langage satisfait d abord les besoins de la pensée, puis lui en fait contracter de nouveaux en favorisant sonaction, et qu'al- ternativement l'idée fait naître le signe, et le signe fait naître l'idée. Ce sont ces innom- brables actions et réactions successives qu'il faudrait pouvoir saisir pour être en état de répondre pleinement à la question que nous nous sommes proposée au commencement de ce paragraphe : elle est donc absolument insoluble dans ses détails. Mais nous voyons bien en masse que les connaissances et les langages marchent toujours de front; que le niveau se rétablit à chaque instant entre l'idée et le signe, et que par conséquent la langue la plus perfectionnée est toujours celle employée par les bommes les plus éclairés ; et si elle n'est pas plus parfaite , c'est parce que leurs idées ne sont pas plus avancées.

CHAPITRE XVH. 567

Je dis que les connaissances et les langues marchent toujours de front, et que dans cette marche progressive le niveau se ré- tablit à chaque instant entre l'idée et le signe. Cela n'est vrai toutefois qu'autant que le signe est de nature à se bien prêter à ces accroissemens et à ces modifications suc- cessives : or, je crois que c'est une propriété quin'appartientcomplètementqu'aux signes articulés; et je suis persuadé que tous les autres systèmes de signes qui sont étendus, perfectionnés, raffinés à un certain point 5 si je puis m'exprimer ainsi, ne l'ont point été par leur vertu propre, par l'action di- recte des idées sur eux, mais ont été com- posés par des hommes qui avaient l'usage des signes articulés , dont l'esprit avait été développé par ces signes, et qui ont com- posé d'autres langages sur celui-là et d'après celui-là (x); en un mot que ces systèmes de signes ne sont que des traductions d'un sys- tème de signes articulés, et non pas des ouvrages originaux composés directement

(1) C'est ainsi que tous les instituteurs des sourds et muets ont composé leurs systèmes de gestes plus ou moins bien , suivant leur plus ou moins de connais- sance de la formation des langues et de celle des idées.

568 IDEOLOGIE.

d'après les idées elles-mêmes. Cette ré- flexion nous amène naturellement à l'exa- men des qualités particulièrement propres aux signes articulés ; examen important , puisque ces signes prédominent universelle- ment dans l'usage ordinaire, qu'évidem- ment ce sont eux qui ont provoqué, dirigé, et fixé la marche générale de l'esprit humain dans ses combinaisons et dans ses recher- ches , et que leur histoire est en même temps celle de nos idées et de nos raisonnemens. Encore une fois, la grammaire, l'idéologie, et la logique, ne sont qu'une seule et même chose : je ne connais point de moyen de sé- parer ces trois sciences dès qu'une fois on sait ce qu'elles sont.

Le premier avantage des signes articulés est de marquer, de constater facilement des nuances très-nombreuses et très-fines , et par conséquent d'exprimer distinctement des idées très-multipliées et très -voisines les unes des autres. Mais cet avantage ne leur est pas exclusivement propre; je crois qu'il serait téméraire de prononcer que des gestes (1) ne sont pas susceptibles de com-

(i) Je ne parle point ici des figures tracées, parce

binais ons

CHAPITRE XVII. 069

binaisons aussi variées et aussi distinctes que les sons articulés : ainsi, à cet égard, je ne vois pas à ces derniers une supériorité assez marquée pour être la cause de la pré- férence universelle qu'ils ont obtenue.

Je pense qu'elle est due , premièrement , à ce qu'il est dans la nature de l'homme de produire des sons quelconques dès qu'il est affecté : c'est un effet si nécessaire de notre organisation, qu'il a lieu même malgré nous; et ces sons sont tels, qu'ils peignent très-bien nos diverses affections, ce qui les en rend les signes naturels les plus certains et les plus distincts. Secondement, à ce que de tous les signes artificiels dérivant directe- ment des signes naturels , les sons sont les plus commodes à employer; ils n'exigent ni espace ni liberté de ses membres comme les gestes et les attouchemens : dans quelque position que l'on soit, estropié, malade, agissant, on peut produire ces signes; on

que ce sont des systèmes de signes artificiels secon- -daires qui n'ont pu être composés que d'après les signes artificiels primitifs qui dérivent immédiate- ment des signes naturels.

Ces signes secondaires ne sont que des traductions des signes primitifs.

Aa

570 IDÉOLOGIE.

les entend de même de jour comme de nuit, de loin comme de près, sans se déranger, sans se tourner vers eux, sans s'en occuper, sans même le vouloir.

Ces deux propriétés qu'ont les sons d'être les plus naturels et les plus commodes de tous les signes, font que de tous ils sont ceux qui nous deviennent les plus profon- dément habituels par l'usage, et qui se lient et s'unissent le plus intimement en nous aux idées qu'ils représentent (1). Or, si nous nous rappelons ce que nous avons dit et des effets de l'habitude et de l'effet principal des signes , nous sentirons que cet avantage est immense, et suffit seul pour les faire préférer universellement, et pour que ce soit eux qui secourent le plus efficacement les opérations de l'intelligence humaine.

Les sons cependant ont encore une pro- priété très-précieuse, c'est de pouvoir de- venir des signes permanens. Au moyen de

(1) Une autre circonstance qui contribue puis- samment à produire cet effet, c'est l'intime corres- pondance qui existe entre l'organe vocal et l'organe auditif.

M. Maine-Biran a eu grande raison d'en faire la remarque dans l'ouvrage ci-dessus cité.

CHAPITRE XVII. D7I

l'écriture, ils demeurent iixéssous nos yeux comme les hiéroglyphes , les dessins et tous les autres signes durables , et peuvent comme eux réveiller en nous à tout instant les idées dont ils nous ont affectés passa*- gérement, et nous rappeler celles que nous pourrions avoir oubliées et qui servent de liaison nécessaire aux autres. Voulons- nous apprécier l'importance de cet effet? pensons à la différence de l'impression que dit sur nous un ouvrage en l'en- tendant lire, ou en le lisant nous-mêmes, sur-tout si le raisonnement est un peu serré, ou si le sujet ne nous est pas familier. Je pourrais bien citer un exemple encore plus frappant, c'est la différence qu'il y a entre calculer de tête et calculer par écrit ; mais dans ce cas, il faut attribuer la plus grande partie de cette différence à celle qui existe entre la langue des noms de nombre et la langue des chiffres; ces derniers représen- tant par leurs places seules une multitude de rapports, c'est-à-dire de jugemens que n'expriment pas les noms même écrits. Je m'en tiens donc au premier fait; il suffit pour prouver l'utilité des signes permanens, à ne considérer même que leur effet actuel ,

Aa 2

572 IDÉOLOGIE.

et sans parler de la propriété qu'ils ont en- core de conserver pour d'autres temps et d'autres lieux des suites d'idées qui sans eux seraient impossibles à perpétuer et à trans- porter. Les sons, au moyen de l'écriture, acquièrent donc tous ces avantages , et seuls, entre tous les signes passagers, ils ont cette prérogative; car tous les signes quelconques peuvent bien être traduits, mais nuls, ex- cepté les sons, ne peuvent être écrits. Pour que vous entendiez bien ceci, jeunes gens , il faut que je vous fasse voir nettement en quoi consiste l'opération de traduire et celle d'écrire. J'ai commencé à vous en donner une idée lorsque je me suis refusé à regarder les alphabets comme des langues, et les ca- ractères alphabétiques comme des signes (1); mais cela ne suffit pas , et c'est ici le lieu de compléter cette explication.

Traduire est une opération par laquelle on unit aux signes d'un langage les idées qui étaient jointes à ceux d'un autre langage; à une première association elle en substitue une seconde, et par conséquent elle néces- site de les avoir toutes deux présentes à la

(1) Voyez page 3i2.

CHAPITRE XVII. 575

fois à l'esprit. Cette opération a lieu toutes les fois que nous transportons nos idées d'une de nos langues parlées dans une au- tre 3 mais elle n'a pas moins lieu quand nous exprimons des signaux par des gestes , des gestes par des hiéroglyphes ou autres fi- gures, ces figures par des mots, ou seule- ment quand nous substituons un système de signes de chacune de ces espèces à un autre système de la même espèce : en général, il y a traduction dès que nous mettons un langage à la place d'un autre. Cette opéra- tion de traduire se fait également dans nos têtes, soit que nous émettions des idées, soit que nous les recevions, dès que la lan- gue dans laquelle nous les recevons ou les émettons n'est pas celle avec laquelle nous les formons, celle à laquelle elles sont in- timement liées en nous. La peine qu'elle nous coûte est exactement proportionnée au plus ou moins d'habitude que nous avons d'associer nos idées aux signes de la langue dans laquelle ou de laquelle nous traduisons : si cette seconde langue pouvait nous être aussi familière que celle dans laquelle nous pensons, si nos idées pouvaient être égale- ment liées aux signes de l'une et de l'autre,

574 IDÉOLOGIE,

si enfin nous pensions indifféremment dans toutes deux, la peine de la traduction serait nulle, ou plutôt il n'y aurait pas traduction. Mais je ne crois pas que cette parfaite éga- lité puisse exister dans une tête humaine; et si elle a lieu, ce ne peut être qu'entre deux langues parlées, entre deux systèmes de signes vocaux : car nous avons vu qu'au- cune autre espèce de signes ne peut devenir aussi profondément habituelle que les sons. L'opération de traduire dérange donc tou- jours la liaison de nos idées à certaines sen- sations.

Il n'en est pas de même de l'action de lire et d'écrire. L'effet de l'écriture est de nous rappeler un son fugitif par le moyen d'un signe durable. Si les hommes étaient rai- sonnables, il n'y aurait qu'un alphabet pour toutes les langues parlées , et dans cet al- phab t qu'un caractère pour chaque voix et chaque articulation : tout le reste n'est qu'un amas de variantes inutiles. Il n'y a nulle rc- lation ('irecte entre le caractère et l'idée; aussi, pour écrire ou lire des mots, abstrac- tion faile des irrégularités de l'orthographe, il n'est pas nécessaire d'en comprendre le sensj il suilit de savoir que tel caractère ré-

CHAPITRE XVII. 576

pond à tel son : dès que cela est connu , la sensation visuelle réveille le souvenir de la sensation orale, et voilà tout. C'est, si l'on veut, une traduction ou plutôt une transla- tion du signe, mais non pas une traduction de l'idée; ce qui est bien différent, puisque cela ne dérange pas la liaison habituelle entre telle idée et telle sensation , le mot écrit ne faisant encore une fois que rappeler le mot prononcé et rien de plus. Vous voyeç donc que les caractères alphabétiques ou syllabiques ne sont que des signes de signes , et non des signes d'idées, et qu'à parler exactement , eux seuls méritent le nom d'écriture. Tous les autres caractères étant des signes d'idées, forment de vraies langues qu'on peut traduire dans une langue parlée comme dans toute autre , mais qu'on ne sau- rait lire, dans le sens rigoureux du mot; la preuve en est qu'on ne peut les prononcer sans les comprendre, tout comme en sens contraire on ne peut écrire des gestes sans savoir ce qu'ils signifient.

J'ai donc eu raison d'avancer qu'il n'y a que les signes vocaux qui puissent être écrits et lus, et que par conséquent seuls entre tous les signes passagers, ils ont la propriété

576 IDÉOLOGIE.

de devenir permanens sans cesser d'être eux-mêmes ; ainsi , outre qu'ils sont très- variés et très-distincts, ils sont de beaucoup les plus naturels et les plus commodes à employer ; ces deux circonstances les ren- dent habituels à un point dont nulle autre espèce de signes ne peut approcher r de plus, ils deviennent permanens quand on le veut, ce qui accroît beaucoup leur utilité; et alors ils frappent deux sens au lieu d'un, ce qui augmente encore extrêmement la force de leur liaison avec les idées.

En voilà plus qu'il n'en faut , je pense , pour rendre raison de la préférence universelle que l'on a donnée aux signes vocaux, pour montrer quil n'y a aucune comparaison à faire entre cette espèce de signes et toute autre, et pour prouver qu'eux seuls ont effi- cacement secouru l'intelligence humaine ; et que, dans l'intention de connaître l'in- fluence des signes sur la formation de nos idées , ce sont ceux-là , exclusivement à tous les autres, qu'il nous faut étudier. Nous au- rons donc tout ce qu'il peut être intéressant de savoir de i'histoire des signes, en traitant celle des sons articulés : c'est aussi à quoi je me bornerai dans la seconde partie de cet

chapitre xvrr. 577

ouvrage, et ma Grammaire ne sera guère que l'analyse des langues parlées, quoiqu'elle soit la grammaire de tous les langages. En examinant les différentes espèces de mots dont ces langues sont composées, et les lois de leur formation et de leur réunion , nous verrons plus en détail comment elles diri- gentnotre intelligence. En attendant, je crois que nous pouvons nous en tenir aux ré- flexions précédentes, et terminer ici ce que nous avions à dire des effets généraux des signes et des effets particuliers de certains signes sur la formation de nos idées : il nous reste à les considérer comme moyen de transmettre ces mêmes idées à d'autres.

Quelqu'importante que soit cette seconde propriété , nous ne nous y arrêterons pas long-temps ; les conséquences qui en résul- tent sont si frappantes, qu'il suffira de les in- diquer, ou plutôt nous n'aurons presque qu'à recueillir ce que nous en avons déjà dit en différens endroits. Il est aisé de voir que cette propriété qu'ont les signes d'être un moyen de communication avec nos sem- blables , est l'origine de toutes nos relations sociales, et par conséquent a donné nais- sance à tous nos senlimens et à toutes nos

SyS IDÉOLOGIE.

jouissances morales. Il n'est pas moins évi- dent que sans elle chaque homme serait réduit à ses forces individuelles pour agir et p vur connaître ; et nous avons déjà observé que dans cet isolement forcé il resterait fort au-dessous des sauvages les plus stupides, car les plus bruts d'entr'eux doivent encore beaucoup d'idées à l'état de société; même les animaux sont, jusqu'à un certain point , instruits par leurs semblables, et ne sont pas tout-à-fait livrés à leur seule expérience per- sonnelle. Enfin, quand on voudrait beau- coup étendre la possibilité du développe- ment intellectuel de chaque individu , au moins serait-on toujours obligé de convenir que ses progrès seraient perdus pour l'es- pèce, et que le genre humain serait con- damné à une éternelle enfance.

Il n'est donc pas douteux que nous devons tout ce que nous sommes à la possibilité de communiquer avec nos semblables ; la seule chose qui mérite examen , c'est de savoir comment cette communication d'idées agit sur nous; mais il n'est peut-être pas si aisé de s'en rendre raison qu'il le paraît d'abord. En eflêt, on voit bien au premier coup-d'œil qu'il est plus facile d'apprendre une ch^se

CHAPITRE XVII. 579

que de l'inventer, et que dès que les hommes peuvent se transmettre leurs idées les uns aux autres, ils profitent tous des observa- tions et des réflexions de chacun d'eux, et il semble que dès -lors tout est expliqué. Cependant on sait qu'une idée toute faite est une chose absolument intransmissible ; que pour en avoir réellement la conscience, lorsqu'on entend ou que l'on voit le signe qui la représente, il faut nécessairement, si c'est une simple sensation, l'avoir éprouvée ; la preuve en est qu'on parlerait éternelle- ment de couleurs à un aveugle-né, qu'il ne saurait jamais ce dont il s'agit. Si c'est une idée composée, il faut avoir connu et rap- proché tous les élémens qui la composent; il est évident que sans cela nous ne connais- sons pas la signification d'un mot, et que c'est ce qu'on nous fait faire plus ou moins bien quand on nous le définit. Enfin, si cette idée est un jugement , la proposition qui l'ex- prime est vide de sens pour nous, n'est qu'un vain bruit, comme celui d'une langue étran- gère , si nous ne connaissons pas ses deux termes, si nous n'avons pas fait sur chacun d'eux les opérations que nous venons de décrire , et si ensuite nous ne faisons pas

5SO IDÉOLOGIE.

nous-mêmes l'acte de la pensée qui consiste à percevoir le rapport énoncé entr'eux. Tout cela est incontestable, et pourtant, quand on y songe, on est tenté d'en tirer une conséquence toute contraire à celle qui paraissait évidente tout-à-1'heure, et de croire que les signes émis par un autre ne nous épargnent aucune difficulté , puisqu'il faut que, pour les comprendre, notre intel- ligence fasse les mêmes opérations que pour former les idées qu'ils expriment. C'est ainsi que presque tous les phénomènes idéolo- giques renferment des circonstances si mul- tipliées et si diverses, que l'on en porte des jugemens tout différens suivant l'aspect sous lequel on les a envisagés , et que pour les connaître réellement il faut les avoir con- sidérés sous toutes leurs faces. Dans le cas présent, il y a un milieu à prendre entre les deux extrêmes; d'une part, il n'est pas dou- teux que chacun n'a que les idées qu'il s'est faites, et que personne ne peut penser pour un autre : mais , de l'autre, il n'est pas moins certain que chacun agit et réfléchit de son côté, et qu'il fait part aux autres des impres- sions que ses actions lui ont procurées et des combinaisons qu'il en a faites. Les pre-

CHAPITRE XVII. 58l

miers élémens de ces résultats et de ces combinaisons sont bien connus des hommes à qui il s'adresse, puisque ce sont les sensa- tions communes à tous; c'est même à cause de cela qu'il est compris par eux, et à cet égard il ne leur apprend rien ; mais les com- binaisons de ces premiers élémens, les con- séquences qu'on en peut tirer, les analyses qu'on en peut faire sont infiniment variées: la plupart ne pourraient avoir lieu sans cer- taines circonstances. Il s'en faut donc pro- digieusement que toutes puissent se présen- ter à tous; au lieu que, par le bienfait de la communication des idées, chacun se trouve agir, réfléchir et choisir pour tous; tout ce qui est découvert devient un bien commun, source de nouveaux progrès, et le tout est exprimé et consigné par les signes qu'on invente à mesure, et par les associations du- rables qu'on en fait. C'est ainsi, comme nous l'avons déjà dit, que, dans les premières années de notre existence, en recevant les impressions de tout ce qui nous frappe et étudiant les signes de tous ceux qui nous entourent, nous apprenons les quatre-vingt- dix-neuf centièmes de toutes les idées qui sont jamais entrées dans la tête des hommes,

582 IDÉOLOGIE.

et nous sommes tout de suite à même d'en faire des combinaisons innombrables et nouvelles.

Ces dernières réflexions nous rappellent celles de ce genre que nous avons faites dans les chapitres VI, XIV et XV, en parlant de la formation de nos idées composées, des effets de l'habitude et du perfectionnement de nos facultés; car tous ces objets se tien- nent et toutes les parties de ce traité se cor- respondent et s'expliquent l'une l'autre. Il est même nécessaire d'avoir présent à l'es- prit ce que nous avons dit sur ces sujets, pour comprendre réellement ce que nous venons de dire sur les propriétés et les effets des signes, et ce qui nous reste à dire sur leurs inconvéniens. C'est par que nous allons terminer leur histoire.

Quelque grands que soientles a van ta ges des signes, il faut convenir qu'ils ontdes inconvé- niens; et si nous leur devons presque tous les progrès de notre intelligence, je les crois aussi la cause de presque tous ses écarts. D'abord nous avons déjà remarqué que quand une fois l'usage des signes est intro- duit entre les hommes, nous n'en inventons presque plus, nous n'en faisons plus d'après

CHAPITRE XVI r. 585

nos idées propres, nous les recevons tout faits de ceux qui s'en servent avant nous , et nous avons presque toujours la percep- tion du signe avant celle de l'idée qu'il est destiné à représenter. A la vérité, ce signe n'a aucune signification pour nous avant que nous ayons acquis la connaissance per- sonnelle de cette idée ; mais lorsque l'idée est fort composée, et c'est le plus grand nombre , cette connaissance est souvent difficile à se procurer; elle exige un travail long , qui ordinairement reste imparfait. Nous pouvons rarement y parvenir par des expériences directes; nous sommes réduits le plus souvent à des conjectures, à des in- ductions, à des approximations; enfin, nous n'avons presque jamais la certitude parfaite que cette idée, que nous nous sommes faite souscesigne par ces moyens,soit exactement et en tout la même que celle à laquelle at- tachent ce même signe, celui qui nous l'a appris et les autres hommes qui s'en servent. De vient souvent que des mots prennent insensiblement des significations différentes, suivant les temps et les lieux, sans que per- sonne se soit aperçu du changement : ainsi il est vrai de dire que tout signe est parfait

584 IDÉOLOGIE.

pour celui qui l'invente , mais qu'il a toujours quelque chose de vague et d'incertain pour celui qui le reçoit ; or, c'est le cas nous sommes presque toujours. C'est donc avec cette imperfection que nous y attachons nos idées, et qu'ensuite nous les manifestons. Il y a plus; je viens d'accorder que tout signe est parfait pour celui qui l'invente, mais cela n'est rigoureusement vrai que dans le moment il l'invente , car quand il se sert de ce même signe dans un autre temps de sa vie, ou dans une autre disposition de son esprit, il n'est point du tout sûr que lui-même réunisse exactement sous ce signe la même collection d'idées que la première fois ; il est même certain que souvent, sans s'en apercevoir, il y en a ajouté de nouvelles , et a perdu de vue quel- ques-unes des anciennes. Ainsi, lorsque j'ap- prends le mot amour et celui de mer, sans avoir ressenti l'un ni vu l'autre , je leur adapte à chacun un groupe d'idées formé par conjectures, qui ne peut manquer de différer de la réalité; lorsqu'ensuite j'ai res- senti \ amour oX vu la mer, j'assemble sous ces mots une foule de perceptions réelle- ment éprouvées, mais je ne suis pas du tout

sûr

CHAPITRE xvir. 585

sur qu'elles soient exactement les mêmes que celles éprouvées par celui qui m'a ap- pris ces mots- et enfin, ni moi ni celui-là même qui m'a enseigné l'usage de ces mots, ne sommes sûrs qu'au bout d'un certain temps ils réveillent en nous les mêmes per- ceptions, dans le même nombre, et avec les mêmes accessoires; ou plutôt nous sommes certains que l'âge, les circonstances, les évènemens, les dispositions morales et physiques , les effets des habitudes les ont nécessairement altérés, ensorte que réelle- ment et inévitablement, le même signe nous donne d'abord une idée très- imparfaite ou même tout-à-fait chimérique, ensuite une idée différente de celle des autres hommes qui emploient aussi ce signe , et enfin une idée souvent fort éloignée de celle que nous y avons attachée nous-mêmes dans un au- tre moment.

L'observation de ces trois inconvéniens des signes nous montre, i°. en quoi con- siste la rectification successive des premières idées, ou ce qu'on appelle le progrès de la raison dans les jeunes gens; 20. l'origine de la diversité et de l'opposition des opinions des hommes sur les idées exprimées par

Bb

586 IDÉOLOGIE.

certains mots; 3°. la cause de la variation de ces opinions aux différentes époques de la vie. Ces phénomènes paraissent inexpli- cables quand on songe que l'organisation des hommes est telle , que tous , à tous les âges, et dans tous les temps, perçoivent toujours le même rapport de la même ma- nière dès qu'il est réellement le même et à leur portée; mais quand on pense que réelle- ment, et rigoureusement parlant, sans nous en apercevoir nous avons chacun un lan- gage différent, que tous nous en changeons à chaque instant, et que c'est avec ces lan- gages si mobiles que nous pensons , doit-on être surpris que nous ne nous entendions pas nous-mêmes, et que par conséquent nous ne soyons souvent ni de l'avis des autres ni de celui qui a été le nôtre ?

Cesinconvéniens des signes sont inhérens- à leur nature, ou plutôt à celle de nos fa- cultés intellectuelles; ils rentrent dans tout ce que nous avons dit des opérations de ces facultés et des effets de leur fréquente répé- tition. Ils sont donc impossibles à détruire totalement; seulement ils s'atténuent à me- sure que , les idées s'élaborant et se débrouil- lant, les signes expriment et constatent des

CHAPITRE xvir 587

analyses plus parfaites et plus fines, et sur lesquelles on varie moins. Mais il existe beaucoup d'autres défauts dans les signes tels que nous les employons, qu'ils ne doi- vent qu'à l'ignorance des temps dans lesquels ils ont été institués, et dont il serait possible de les purger : telles sont les anomalies de leur dérivation, la manière maladroite dont ils s'enchaînent, leurs liaisons souvent con- traires à celles des idées qu'ils expriment, les embarras inutiles qu'ils apportent dans l'expression de la pensée. Je n'entrerai point ici dans ces considérations ; elles seront mieux placées quand nous aurons examiné en détail les élémens des langues parlées, et que nous aurons vu l'usage que nous faisons de nos idées et de leurs signes dans nos dé- ductions : alors nous pourrons dire quelles seraient les conditions qui rendraient une langue parfaite, et comment nous pourrions en rapprocher celles dont nous nous ser- vons (1). Actuellement , il me suffit de vous avoir montré les effets généraux des signes, ceux particuliers à certaines espèces, et sur-tout aux langues parlées; de vous avoir

(0 Voyez la Grammaire, chap. 6.

Bb a

588 IDÉOLOGIE.

fait sentir leurs avantages, leurs inconvé- niens, et qu'ils sont également cause des progrès de notre intelligence et de ses écarts : à quoi il faut ajouter cette réflexion, que c'est par leur influence et par la communi- cation des idées, dont ils sont l'unique moyen, qu'il arrive que, quoique toutes nos idées nous viennent par les sens et soient éla- borées par nos facultés intellectuelles , la perfection des sens, et même celle de ces facultés, est cependant bien loin d'être la me- sure de la capacité des esprits, comme elle le serait dans des individus isolés , et qu'au contraire nous sommes presque entière- ment les ouvrages des circonstances qui nous environnent. Je vous laisse à juger, jeunes gens, de l'importance de l'éducation, à prendre ce mot dans toute son étendue. Je m'en tiendrai là; et ce sera aussi la fin de la première partie de mon ouvrage. Je vais vous en présenter un extrait raisonné qui , en rapprochant les idées , en fera mieux sentir la liaison, et qui pourra servir de Table analytique.

FIN.

EXTRAIT RAISONNE

DE L'IDÉOLOGIE,

SERVANT DE TABLE ANALYTIQUE,

PREFACE.

Ju IDÉOLOGIE est une partie de la zoologie.

Locke est, je crois, le premier qui l'ait envisagée sous cet aspect-, aussi en a-t-il fait une partie de la physique.

Condillac est vraiment le créateur de cette science mais il n'en a point donné de traité complet.

Je me suis proposé d'y suppléer. Ceci est un pre- mier essai, qui ne saurait être exempt de graves im- perfections.

Tout ce que je désire , c'est qu'on discute la théorie exposée dans ces élémens.

J'espère aussi qu'ils pourront être utiles à l'ensei- gnement.

J'ai publié cette première partie, qui traite de la formation des idées , sans attendre celles qui traite- ront de leur expression et de leur déduction, afin d'avoir le temps de recueillir les avis des hommes éclairés et de modifier mes opinions, s'il y a lieu.

INTRODUCTION.

C'est sur-tout aux jeunes gens que je m'adresse, parce qu'ils n'ont point encore d'opinions fixées , et

$go EXTRAIT RAISONNÉ

aussi parce qu'ils supportent sans impatience qu'on les arrête sur des détails que les hommes plus avancés en âge croient tous connaître , quoique souvent ils ne les aient pas examinés suffisamment.

Je crois les jeunes gens très-capables d'étudier cette science, qui n'est pas plus difficile que bien d'autres, et qui est même nécessaire à la pleine et facile intel- ligence de beaucoup de choses qu'on enseigne aux enfans.

Seulement il faut partir de ce qu'ils connaissent, les prendre au point ils sont, et sur-tout ne pas commencer par vouloir leur définir les termes les plus généraux et les plus abstraits; car quand ils seront en état de bien comprendre ces définitions, c'est-à- dire de bien voir toutes les idées comprises dans la signification de chacun de ces mots , ils sauront com- plètement la science.

Ce ne doit donc pas être le début des leçons. La première chose à faire est de faire remarquer aux élèves ce qui se passe en eux lorsqu'ils pensent et qu'ils raisonnent, soit qu'ils jouent, soit qu'ils étudient.

CHAPITRE PREMIER.

Qu'est-ce que penser?

La faculté de penser consiste à éprouver une foule d'impressions , de modifications , de manières d'être dont nous avons la conscience , et qui peuvent toutes être comprises sous la dénomination générale d'idées ou de perceptions.

Toutes ces perceptions , toutes ces idées j sont des choses que nous sentons. Elles pourraient êtres nom-

DE L'IDÉOLOGIE. 091

niées sensations ou sentimens, en prenant ces mots dans un sens très-étendu, pour exprimer une chose sentie quelconque. Ainsi, penser c'est toujours sentir quelque chose, c'est sentir.

Penser ou sentir, c'est pour nous la même chose qu'exister ; car si nous ne sentions rien, nous ne sen- tirions pas notre existence; elle serait nulle pour nous, bien qu'elle pût être sentie par d'autres.

De ces idées ou perceptions, les unes sont des sen~ gâtions proprement dites, les autres des souvenirs, d'autres des rapports que nous apercevons, d'autres enfin des désirs que nous éprouvons.

La faculté de penser ou d'avoir des perceptions renferme donc les quatre facultés élémentaires appe- lées la sensibilité proprement dite, la mémoire, le jugement et la volonté.

Et si de l'examen de ces quatre facultés il résulte qu'elles suffisent à former toutes nos idées, il sera constant qu'il n'y a rien autre chose dans la faculté de penser.

CHAPITRE II.

De la Sensibilité et des Sensations.

La sensibilité proprement dite est cette propriété de notre être en vertu de laquelle nous recevons des impressions de beaucoup d'espèces , appelées sensa- tions, et en avons la conscience; nous la connaissons par expérience en nous-mêmes , et nous la reconnais- sons dans nos semblables et dans les autres êtres par analogie , à proportion qu'ils nous la manifestent.

5c)2 EXTRAIT RAISONNÉ

Nous ne pouvons ni l'affirmer ni la nier dans ceux qui n'ont pas de moyens de nous l'exprimer.

Les nerfs sont en nous les organe de la sensibilité. Leurs principaux troncs se réunissent en différens points , et sur-tout dans le cerveau , dans lequel ils se perdent et se confondent.

Par toutes celles de leurs extrémités qui se ter- minent à la surface de notre corps , nous recevons les sensations que nous confondons sous le nom géné- ral de sensations tactiles, mais qu'un examen plus scrupuleux pourrait faire partager en plusieurs classes; car chacune d'elles varie suivant les diverses parties qu'affecte une même cause" ainsi, à proprement parler, le sens du tact est composé de beaucoup de sens distincts.

Indépendamment de ces sensations générales, nous en recevons de particulières par les extrémités des herfs qui se terminent à certains organes placés aussi à la surface de notre corps ; ce sont celles de la vue, de l'ouïe, de l'odorat et du goût. Toutes ensemble forment ce que nous appelons les sensations externes.

Mais outra ces sensations externes, nous recevons encore , par les extrémités de nos nerfs qui abou- tissent aux différentes parties de l'intérieur de notre corps, une foule de sensations que nous nommons par cette raison sensations internes.

Telles sont celles qui résultent des fonctions ou de Ja lésion des différentes parties de notre corps.

Telles sont encore celles que causent les mouve- mens de nos membres.

Telles sont enfin toutea les affections de plaisir ou

DE L'IDEOLOGIE. D9J

de peine qui résultent de certaines dispositions de notre individu et des passions qui le modifient.

Toutefois les passions elles-mêmes ne doivent pas être rangées parmi les sensations simples , parce que toutes renferment en outre un désir quelconque, et qu'un désir est un effet de la faculté appelée volonté; ainsi, dans la passion, est renfermé l'exercice de deux facultés distinctes, la sensibilité et la volonté. L'état de souffrance ovj de jouissance dans lequel elle nous met, appartient seul à la sensibilité propre- dent dite,

CHAPITRE III.

De la Mémoire et des Souvenirs.

La mémoire est une seconde espèce de sensibilité particulière, ou une seconde partie de la sensibilité en général. Elle consiste à être affecté du souvenir d'une impression éprouvée.

Le souvenir est une sorte de sensation interne, mai» différente de celle dont nous venons de parler, en ce qu'il est l'effet d'une certaine disposition demeurée dans le cerveau , et non celui d'une impression ac- tuelle dans un autre organe.

Il n'est pas dans la nature de la perception appelée souvenir, que nous reconnaissions en l'éprouvant qr.a c'est un souvenir, non plus qu'il n'est dans la nature de la sensation que nous reconnaissions d'où elle nous vient et ce qui la cause : ce sont-là des actes du jugement.

La preuve en est que nous avons souvent des sou- venirs que nous ne savons pas être des souvenu 'a ,

5g4 EXTRAIT RAISONNÉ

que nous prenons pour des idées nouvelles , et il est vraisemblable que nous sentons nos premières sensa- tions sans savoir encore que nous avons des organes par elles nous arrivent.

D'ailleurs , quand cela ne serait pas , quand ces connaissances seraient inséparablement liées à nos sensations et à nos souvenirs , il n'en serait pas moins vrai que sentir une sensation est un effet de la sensi»- bilité, que sentir un souvenir est un effet de la mé- moire , et qu'y joindre un jugement quelconque est un effet d'une troisième faculté dont nous allons parler.

Ce sont-là des distinctions qu'il ne faut jamai-; perdre de vue sous peine de tout confondre dans l'ana- lyse de la pensée,

CHAPITRE IV.

Du Jugement et des Sensations de rapports.

La faculté de juger ou le jugement est encore une espèce de sensibilité ; car c'est la faculté de sentir des rapports entre nos perceptions.

Ces rapports sont des vues de notre esprit , des actes de notre faculté de penser, par lesquels nous rapprochons une idée d'une autre , par lesquels nous lions ces idées et les comparons ensemble d'une ma- nière quelconque. Ces rapports sont des sensations internes du cerveau, comme les souvenirs.

La faculté de sentir des rapports est une consé- quence presque nécessaire de celle de sentir des sen- sations -, car dès qu'on sent distinctement deux sensa- tions , il s'ensuit naturellement qu'on sent leurs

de l'idéologie. 3g5

ressemblances, leurs différences , leurs liaisons , etc.; mais elle en est une conséquence et ne saurait la pré- céder ni exister sans elle.

De cette faculté viennent toutes nos connaissances; car si nous ne percevions aucuns rapports entre nos perceptions, si nous n'en portions aucuns jugemens, nous ne ferions éternellement qu'être affectés et nous ne saurions jamais rien.

Pour percevoir un rapport, pour porter un juge- ment , ce qui est la même chose , il faut avoir en même- temps deux idées distinctes ; mais il n'en faut jamais que deux.

Aussi une proposition, qui n'est autre chose que l'énoncé d'un jugement, n'a jamais que deux termes, le sujet et l'attribut. Le verbe est une partie de l'attri- but ) il n'est pas un troisième terme ; ce n'est pas lui qui exprime l'acte de l'esprit qui juge; la preuve en est que quand il est au mode infinitif, il n'y a pas de ^jugement énoncé dans la phrase.

Il n'y a pas de jugement négatif ; tout jugement est nécessairement positif, puisqu'il est une perception ; car on ne peut percevoir une chose qui n'est pas.

Aussi n'y a-t-iî pas de propositions réellement négatives. Celles qui paraissent telles, ne le sont que par la forme : au fond elles renferment une affir- mation.

L'affirmation de toute proposition se réduit tou- jours à celle-ci, que l'idée totale de l'attribut est com- prise toute entière dans l'idée du sujet et en fait partie ; car tout jugement ne consiste toujours qu'à sentir

5g6 EXTRAIT RAISONNÉ

qu'une idée est une des idées composantes d'une autre , en fait partie.

C'est à tort que l'on a appelé l'attribut le grand terme de la proposition.

A la vérité, il est toujours une idée plus générale que le sujet, et par conséquent susceptible d'une ex- tension plus grande ; mais dans l'énoncé d'un jugement, l'attribut n'étant jamais dit que des objets auxquels s'applique le sujet, son extension est déterminée par celle du sujet et réduite de manière à n'être jamais plus grande qu'elle.

D*autre part, précisément parce que l'attribut est une idée plus générale , sa compréhension est moins grande.

Ainsi, il est toujours égal au sujet en extension, et il lui est toujours inférieur en compréhension (1).

CHAPITRE V. De la Volonté et des Sensations de désirs.

La volonté est une quatrième espèce de sensibilité;' c'est la faculté de sentir des désirs.

Nos désirs sont des conséquences de nos autres perceptions et des jugemens que nous en portons ; mais ils ont cela de particulier, que nous sommes»

(ï) On aurait pu insister davantage sur ce principe fondamental qui réduit la faculté de juger, que nous définissons la faculté de sentir des rapports, a n'être jamais que la faculté de sentir un seul rapport toujours le même; mais cette vérité sera bien mieux comprise quand on aura vu comment se forment nos idées com- posées, et elle viendra encore plus à propos dans la Grammaire , et dans la Logique, dont elle constitue à elle seule toute la théorie».

DE L'IDEOLOGIE. 097

toujours heureux ou malheureux par eux , suivant qu'ils sont accomplis ou non.

Us ont encore une autre particularité remarquable ; c'est que l'emploi de nos forces mécaniques et intel- lectuelles dépend en grande partie d'eux, ensorte que c'est par eux que nous sommes une puissance dans le monde.

De vient que nous confondons plus notre moi avec cette faculté qu'avec toute autre, et que nous disons indifféremment, cela dépend de moi ou cela dépend de ma volonté.

De vient aussi l'importance que nous attachons à posséder la volonté des autres , à ce qu'elle nous soit favorable, à ce qu'ils aient pour nous de la bien- veillance.

Du désir de leur bienveillance naît avec raison le désir de leur estime, et du désir de leur bienveillance et de leur estinu naît tout aussi justement le bien- être que nous éprouvons quand nous nous sentons animés de mouvemens de bienveillance , et le mal- aise qui nous tourmente quand nous nous reconnais- sons travaillés de passions haineuses.

Une autre conséquence des propriétés de la vo- lonté , c'est qu'il nous est très-important de la bien régler ; c'est que le moyen d'y parvenir est de rec- tifier nos jugemens , puisque nos désirs en sont la suite, et que le but à atteindre est d'éviter de former des désirs contradictoires , c'est-à-dire des désirs dont l'ac- complissement nous conduirait à des manières d'être que nous souhaitons éviter , car dans ce cas notre bon- heur est impossible.

598 EXTRAIT RAISONNÉ

CHAPITRE VI.

De la Formation de nos Idées composées.

Voilà donc quatre facultés distinctes dans notre faculté de penser, et quatre espèces différentes parmi nos perceptions ; et de ces quatre , les trois dernières sont des conséquences de la première, n'auraient pas lieu sans elle.

Mais aucune des innombrables idées ou percep- tions qui sont dans nos têtes ne sont des idées simples, c'est-à-dire ne sont l'effet d'un seul acte intellectuel ; toutes sont composées, c'est-à-dire n'ont été formées que par l'intervention de plusieurs de ces facultés élémentaires.

Voyons donc comment, avec ces élémens, sensa- tions, souvenirs, jugemens et désirs, nous formons toutes nos idées composées.

Quand nous avons éprouvé pour la première fois une sensation , si nous n'avons fait uniquement que la sentir, cette sensation a été pour nous une idée absolument simple, un seul acte intellectuel.

Si nous y avons joint tout de suite le jugement qu'elle était produite en nous par un tel être, dès-1 lop elle a cessé d'être une idée simple, elle est de- venue une idée composée de l'action de sentir et de celle de juger; mais elle a encore été particulière à un seul fait.

Quand ensuite nous avons éprouvé une sensation pareille à l'occasion d'autres êtres , le souvenir de cette sensation est devenu une idée générale et com- mune à toutes les sensations semblables, dans laquelle

DE L'IDÉOLOGIE. 599

ne sont pas comprises les circonstances de temps et de lieu , et autres particulières à chacune d'elles.

C'est ainsi que l'idée de rouge n'est plus pour nous le souvenir de l'impression causée par tel corps rouge, mais de celle produite également par tous les corps rouges ; de même que l'idée de bonté n'est plus celle de la qualité de tel être bon , mais de tous les êtres bons.

11 en est de même de nos idées des êtres réels : celles-là sont toujours composées. Nous les formons de la réunion de toutes les impressions qu'ils nous font.

De la réunion d'une certaine odeur, d'une certaine saveur, j'ai formé l'idée de la première fraise que j'ai vue. Aujourd'hui l'idée de fraise est pour moi une idée généralisée et commune à tous les êtres à peu près semblables auxquels je l'ai étendue, en écartant les petites différences qu'il y a entr'eux.

C'est donc en réunissant plusieurs de nos idées ou perceptions élémentaires, que nous formons nos idées composées individuelles, et en retranchant de celles-ci quelques circonstances, que nous les géné- ralisons.

Ces deux opérations suffisent à former toutes nos idées composées , et elles ne renferment jamais d'au- tres élémens que des sensations, des souvenirs, des jugemens et des désirs.

Il est seulement à remarquer qu'il n'existe réelle- ment que des individus , et que nos idées générales ne sont point des êtres réels existans hors de nous , mai* de pures créations de notre esprit , des manières de classer nos idées des individus.

4oo EXTRAIT RAISONNE

Il s'ensuit encore que plus une idée est générale* plus est grand le nombre des individus dont elle est extraite, ce qui constitue son extension ; mais moins elle retient des particularités de chacun d'eux , car elle ne demeure composée que de celles qui leur sont communes : c'est ce qui compose sa compréhension.

Cela fait que nous pouvons affirmer de chacun de ces individus tout ce que nous pouvons affirmer de l'idée générale, tandis que nous ne pouvons pas affir- mer de celle-ci les circonstance? particulières à chaque individu qui ne sont pas entrées dans sa formation; mais cela ne fait pas que ce soit l'idée générale qui soit la cause de la vérité de l'affirmation ; c'est, au contraire , des faits particuliers que vient toujours la certitude.

CHAPITRE VIL

De l'Existence.

Tout ce que nous avons dit jusqu'à présent est l'his- toire de nos modifications intérieures, des créations de notre pensée, abstraction faite de ses relations avec tous les êtres qui ne sont pas elle, et de la ma- nière dont elle apprend l'existence de ces êtres.

Il nous reste maintenant à trouver comment nous avons été conduits à juger que nos sensations sont occasionnées par des êtres qui ne sont pas nous, et si nous avons raison de porter ce jugement.

Il n'y a pas de doute que nos sensations internes ne nous apprennent rien que notre propre existence.

Il en est de même sans contredit des saveurs, des odeurs et des sons.

de l'idéologie. 4oi

On en doit dire autant des sensations visuelles ; car, indépendamment de beaucoup d'autres raisons, comme il est constant que le même être produit sur notre œil des impressions différentes suivant les cir- constances, les positions et les distances, il est mani- feste que ce n'est aucune de ces impressions qui nous apprend l'existence réelle et permanente do cet être.

Les sensations tactiles que nous éprouvons sans faire nous-mêmes aucun mouvement, n'ont pas plus de pouvoir à cet effet que les précédentes; comme elles, elles nous font bien sentir notre sensibilité , notre propre existence; mais elles ne sauraient nous ap- prendre ce qui la met en jeu.

La sensation que nous éprouvons lorsqu'un de nos membres s'agite fortuitement, paraît, au premier coup- d'oeil, plus propre à nous instruire sur ce point; car quand elle cesse par l'effet d'un obstacle, nous en sommes avertis : cela est vrai ; cependant rien ne nous indique encore ni pourquoi elle cesse , ni ce qui s'y oppose, ni si nous avons des membres, ni ce que c'est que leur mouvement.

Mais si à cette sensation de mouvement nous ajou- tons la condition qu'elle soit volontaire, qu'elle soit accompagnée du désir de l'éprouver encore , nous sommes sûrs, lorsqu'elle cesse, que ce n'est pas de notre fait. Nous sommes certains en même temps de l'existence de nous qui voulons et de celle de quelque chose qui résiste; ou si nous n'apercevons pas dès le premier instant cette seconde existence, bientôt une foule d'expériences nous en assure, en nous montrant que beaucoup d'impressions de différens genres cessent constamment quand ce sentiment de résistance s'éva-

Ce

402 EXTRAIT RAISONNÉ

nouit, et reparaissent de même dès qu'il se reproduit ; car alors nous jugeons avec sûreté que ces impressions sont autant d'effets des qualités de cet être dont la principale propriété est toujours d'être résistant à notre désir d'éprouver la sensation de mouvement.

En un mot, quand un être organisé de manière à vouloir et à agir sent en lui une volonté et une action , et en même temps une résistance à cette action voulue et sentie, il est assuré de son existence et de l'exis- tence de quelque chose qui n'est pas lui. Action vou- lue et sentie d'une part, et résistance de l'autre , voilà le lien entre notre moi et les autres êtres , entre les êtres sentans et les êtres sentis.

Il suitMe que si la matière avait été non résis- tante nous n'aurions pu éprouver aucune sensation, et quand nous en aurions éprouvé, nous n'aurions pu connaître que notre propre existence; et que même la matière étant douée de résistance au mouvement, un être qui ne ferait point de mouvement , ou qui en ferait sans le sentir et le vouloir, ne connaîtrait en- core rien hors de lui.

Enfin, il suit de encore qu'un être totalement immatériel et sans organes ne pourrait rien connaître que lui-même, et que nous, si nous n'étions pas, au moins en partie, composés de matière, nous ne pour- rions pas penser comme nous faisons , et nous ne sau- rions rien de tout ce que nous savons. CHAPITRE VIII. Comment nos Facultés intellectuelles commencent- elles à agir?

Ce chapitre est destiné à réfuter une opinion que j'ai émise autrefois. Je disais, tant que nous ne con-

de l'idéologie. 4o3

naissons que l'existence de notre moi sentant, toutes nos perceptions se confondent nécessairement les unes dans les autres à mesure qu'elles nous arrivent. Plusieurs simultanées ne nous paraissent qu'une ; nous n'avons aucun moyen d'en distinguer nettement deux en même temps. Donc nous ne pouvons porter aucun jugement, encore moins former des désirs, encore moins exécuter des mouvemens en vertu de ces désirs. Tout cela supposé vrai , il s'ensuivrait que si des mou- vemens volontaires étaient nécessaires pour nous ap- prendre l'existence d'êtres autres que notre moi , nous ne l'apprendrions jamais. Aussi , quand je pensais ainsi je croyais en même temps que des mouvemens fortuits étaient suffisans pour nous faire découvrir l'existence des corps.

Aujourd'hui je crois que des mouvemens voulus peuvent seuls nous conduire à cette connaissance ; mais en même temps il me paraît prouvé par la théorie et par les faits , que , par cela seul que nous percevons une sensation, nous pouvons porter au moins le juge- ment qu'elle est agréable ou désagréable d'une cer- taine manière, et par conséquent former le désir de l'éprouver ou de l'éviter; et qu'ainsi, sans connaître d'autre existence que celle de notre moi sentant, nous pouvons concevoir le désir d'éprouver la sensation de mouvement.

Donc aussi la simple sensation, le seul sentiment de notre moi sentant d'une certaine manière, la seule conscience de notre existence sentante , suffit pour faire naître souvenirs , jugemens et désirs , pour mettre en action la mémoire, le jugement et la volonté.

Ce 2

4oi! EXTRAIT RAISONNÉ

CHAPITRE IX.

Des Propriétés des Corps et de leur Relation.

Il demeure donc convenu que tant que nous ne fai- sons que sentir, nous ressouvenir, juger et vouloir sans qu'aucune action s'ensuive , nous n'avons connais- sance que de notre existence, et nous ne nous con- naissons que comme un être sentant , comme une simple vertu sentante , sans étendue, sans forme, sans parties , sans aucune des qualités qui constituent les corps.

Il demeure encore constant que , dès que notre volonté est réduite en acte, dès qu'elle nous fait mouvoir, la force d'inertie de la matière de nos mem- bres, la propriété qu'elle a de résister au mouvement avant d'y céder, nous en avertit, nous donne une sen- sation qui peut-être ne nous apprend encore rien de nouveau ; mais lorsque ce mouvement que nous sen- tons , que nous voudrions continuer est arrêté , nous découvrons avec certitude qu'il existe autre chose que notre vertu sentante. Ce quelque chose c'est notre corps, ce sont les corps environnans, c'est l'univers et tout ce qui le compose.

La propriété de résister à notre volonté de nous mouvoir, est donc la base de tout ce que nous appre- nons à connaître. Un être qui ne serait pas résistant du tout , ne pourrait nous donner aucune sensation. Il serait le néant absolu pour nous.

Cette propriété est la force $ inertie des corps , qui n'a lieu et ne se découvre que par leur mobilité.

La mobilité et X inertie sont donc à notre égard les d'eux premières qualités des corps, celles sans les-

DE l'idéologte. 4o5

quelles notre organisation ne saurait subsister, sans lesquelles nous ne pourrions rien connaître , rien sentir même , sans lesquelles enfin nous ne pouvons pas seulement concevoir ce que serait l'existence de l'univers.

Ces deux propriétés en nécessitent une troisième , c'est celle en vertu de laquelle les corps en mouve- ment ont la puissance d'agir sur les autres , de les dé- placer; je l'appelle la force d'impulsion.

La mobilité, X inertie et Y impulsion sont donc trois propriétés inséparables et corrélatives; nous ne fai- sons d'abord que sentir leurs effets sans savoir ce que c'est que le mouvement.

Nous apprenons que le mouvement consiste à chan- ger de place en éprouvant que les obstacles qui s'op- posent à nos mouvemens ont la propriété d'être senti» continuement par nous pendant que nous faisons du mouvement. C'est en cela que consiste la propriété d'être étendu.

"L'étendue est donc pour nous la propriété d'être parcouru par le mouvement. Ce qui est senti ainsi est un être existant, réel. Ce qui ne nous donne aucune sensation pendant que nous nous mouvons n'est rien , est le néant, le vide.

L'idée de Y espace vide ou plein est une idée abstraite de ces deux-là, l'être et le néant, rapprochées sous le rapport de leurs relations avec nos mouvemens.

h' étendue est une propriété sans laquelle nous ne pouvons concevoir aucune existence réelle ; car nous ne pouvons comprendre comment existerait un être qui n'existerait nulle part.

De la propriété d'être étendu dérive nécessaire-

4o6 EXTRAIT RAISONNE

ment celle d'être impénétrable , c'est-à-dire de ne pouvoir céder ?a place sans en occuper une autre d'être divisible, c'est-à-dire d'être composé de par- ties existantes dans des places différentes ; d'avoir une certaine/orme, c'est-à-dire d'être circonscrit dans certaines limites.

On ne devrait pas confondre les mots forme et

figure. La forme, que nous reconnaissons par le tact

à un corps, est toujours la même; elle présente à

notre vue différentes figures , suivant les circonstances

et les positions.

La porosité est une propriété générale de tous les êtres étendus connus , et ne pourrait avoir lieu sans l'étendue ; mais elle n'en est pas une conséquence nécessaire.

Observez que l'inertie ne prouve pas que la matière ait plus de tendance au repos qu'au mouvement; et quand l'existence des êtres animés ne. suffirait pas pour prouver qu'elle est essentiellement active, toutes les attractions, toutes les propensions à des mouvemens spontanés que nous observons dans les êtres qui , étant inorganisés, n'ont aucun moyen de nous manifester leur action interne, devraient nous faire conclure qu'ils n'ont besoin d'aucune impulsion étrangère pour être mus.

Observez encore qu'aucune des propriétés ci-dessus énoncées ne pourrait avoir lieu dans des êtres privé-) d'étendue.

La durée, au contraire, pourrait appartenir à des êtres inétendus , si nous pouvions en connaître ou même en concevoir de tels.

Le seul sentiment de notre existence, la seule suc-

de l'idéologie. 407

cession de nos sensations* suffit pour nous donner l'idée de la durée ; mais si nous ne connaissions rien autre chose, nous n'aurions aucun moyen de la me- surer. Nous ne pourrions avoir l'idée de temps , qui est celle d'une durée mesurée.

Pour former celle-ci, il faut connaître le mou- vement et l'étendue ; car nous ne mesurons la durée que par le moyen du mouvement , lequel est repré- senté par l'étendue ; et ensuite la durée et l'étendue combinées nous servent à mesurer le mouvement lui- même. Nous allons voir dans le chapitre suivant com- ment cela se fait.

CHAPITRE X.

Continuation du -précédent. De la Mesure des propriétés des Corps.

Mesurer une quantité quelconque , ce n'est autre chose que la comparer à une quantité connue d'avance qui sert d'unité , de terme de comparaison ; c'est voir combien de fois elle renferme cette unité.

Pour cela , il faut premièrement que cette unité- soit de même nature que la quantité qu'on lui com- pare. On ne peut mesurer des mètres par des francs ni des francs par des grammes; car des mètres ne ren- ferment pas des francs ni des francs des grammes.

Secondement, il faut que cette unité soit déter- minée d'une manière précise et constante ; car si le ternie de comparaison était incertain ou variable , tout calcul serait hypothétique et vague.

Il suit de qu'aucune quantité n'est mesurable qu'à proportion qu'elle est susceptible de division;» nettes et durables.

4o8 EXTRAIT RAISONNÉ

L'étendue a éminemment ces qualités. Ses parties sont distinctes et permanentes; on en prend une por- tion qu'on appelle une toise ou un mètre; on y rap- porte toutes les autres : il n'y a jamais de difficulté à la mesurer.

Il n'en est pas ainsi de la durée ; ses parties sont en elles-mêmes transitoires et confuses. Nous avons cependant trouvé moyen de nous faire une unité de durée, et cette unité c'est le jour. Toutes les autres périodes sont des multiples ou des sous -multiples de celle-là.

Mais qu'est-ce qui nous rend sensibles les limites et les parties de cette unité de durée? C'est un mou- vement, c'est celui de la terre sur son axe, ou ce sont d'autres mouvemens que nous rapportons à celui-là.'

Le mouvement cependant est composé , comme la durée , de parties transitoires et confuses. Cela est vrai ; mais il est fidèlement représenté par les parties de l'étendue, puisque la propriété d'être étendu n'est pour nous que la propriété d'être parcouru par le mouvement.

La durée est donc mesurée par elle-même comme toute quantité , mais représentée par le mouvement , et le mouvement par l'étendue. Ainsi les parties tran- sitoires et confuses de la durée sont manifestées par les parties distinctes et permanentes de l'étendue : aussi sont-elles mesurées très-rigoureusement.

Il en est de même du mouvement ; il est représenté par l'étendue ; mais il ne peut être mesuré que par lui-même , comme toute autre chose. L'étendue par- courue manifeste le mouvement opéré ; mais pour mesurer l'énergie de c^ mouvement, ce qu'on appelle-

DE L'mÉOLOGIE. 4«9

sa vitesse, on a recours à la durée ; c'est-à-dire qu'on le compare au mouvement qui constate toutes les du- rées , à celui d'un point de l'équateur dans la révo- lution diurne. C'est-là l'unité de mouvement à laquelle on les rapporte tous.

Le mouvement comme la durée est donc , ainsi que toutes les quantités possibles , mesuré par une unité de son espèce ; mais il est comme elle évalué en par- ties d'étendue, ce qui fait qu'il est susceptible de mesures très-précises et très-certaines.

Les effets de plusieurs autres propriétés des corps sont de même, par divers moyens, rapportés à des mesures d'étendue, ce qui rend possible de les appré- cier exactement -, d'autres n'en sont pas susceptibles , ce qui réduit à ne les évaluer que par approximation.

En général , remarquez que de toutes les espèces de quantités , Yétendue est la seule dont les divisions soient faciles , précises et permanentes , ce qui la rend la plus éminemment mesurable. De vient que, seule entre toutes les autres, elle a la possibilité d'être re- présentée fidèlement sur une échelle plus petite que nature. C'est l'objet de l'art du dessin.

De vient aussi la facilité que l'on a en géomé- trie d'arriver à la vérité et à la certitude. Les autres sciences participent plus ou moins à cet avantage , à proportion que les objets dont elles ti'aitent sont plus ou moins réductibles en mesures de l'étendue.

Observez encore que la possibilité d'employer le calcul dans ces sciences, suit exactement la menti proportion. Les distances entre les nombres étant dé- terminées avec une précision rigoureuse, on ne peut les appliquer qu'à des quantités dont les divisions sont

4lO EXTRAIT RAISONNÉ

très-précises aussi. Pour celles qui ne sont suscep- tibles que d'évaluations approximatives, on ne peut employer que les mots plus, moins, peu, beaucoup, et autres adverbes de quantité.

C'est donc à la nature des objets qui varient et non à celle des opérations intellectuelles , qui sont tou- jours les mêmes, que les diverses sciences doivent leurs différens degrés de clarté et de certitude.

Il n'y avait que l'étude approfondie de nos facultés intellectuelles qui pût nous faire découvrir cette vérité.

CHAPITRE XI.

Réflexions sur ce qui précède , et sur la manière dont Condillac a analysé la Pensée.

Voilà donc qu'au moyen des quatre facultés élé- mentaires que nous avons reconnues dans la faculté de penser, nous avons démêlé nettement,

Comment nous connaissons notre existence,

Comment se forment toutes nos idées composées ,

Comment nous sommes assurés de l'existence des êtres qui les causent,

Comment nous découvrons les propriétés de ces êtres ,

Comment nous mesurons leurs effets ,

Et pourquoi les uns sont plus difficiles à apprécier- et à calculer que les autres.

Nous sommes donc en droit d'assurer que nous avons bien analysé la pensée et que nous l'avons dé- composée dans ses véritables élémens. Cependant montrons encore, par quelques exemples, que certaines facultés qu'y ont reconnu d'autres analystes, ou ne

DE l'idéologie. 4ll

sont point des facultés , ou sont composées de celles que nous avons regardées comme élémens primitifs.

U attention , par exemple , c'est l'état de l'homme qui veut sentir, juger ou agir; c'est un effet de la vo- lonté ; mais ce n'est point une faculté ni une percep- tion particulière.

Il en est de même de la comparaison. Comparer deux idées , c'est les sentir toutes deux ou sentir leur rapport ; c'est sentir ou juger.

La réflexion, c'est l'état de l'homme qui se sert de sa sensibilité et de sa mémoire pour arriver à porter un jugement.

Le raisonnement , c'est la répétition de l'action de juger.

U imagination , dans le sens d'invention , c'est l'em- ploi de toutes nos facultés intellectuelles pour former de nouvelles combinaisons.

L 'imagination, dans le sens de mémoire vive qui prend ses souvenirs pour des impressions actuelles et réelles , c'est la mémoire unie à un jugement erroné.

La réminiscence , que l'on fait consister à avoir des souvenirs et à sentir que ce sont des souvenirs , c'est encore la mémoire unie à un jugement, mais à un jugement vrai.

Enfin , toutes les passions sont de pures affections , de simples sensations internes , ou ces sensations unies à un désir, et quelquefois à un jugement.

Sans multiplier davantage ces citations , concluons de nouveau que penser n'est rien que sentir, et se ré- duit à sentir des sensations proprement dites, des souvenirs , des rapports et des désirs.-

Mais si c'est-là une vérité _, comme j'ose le croire ,

4l2 EXTRAIT RAISONNÉ

comment se fait-il qu'elle ait été méconnue jusqu'à présent et qu'elle ait été difficile à observer? C'est-là ce qu'il s'agit de trouver.

CHAPITRE XII.

De la Faculté de nous mouvoir , et de ses rapports avec la Faculté de sentir.

Ici commence un nouvel ordre de choses. Jusqu'à présent nous avons examiné la pensée en elle-même, séparée des autres propriétés de nos individus , et pour ainsi dire abstraitement. Maintenant il faut la considérer dans ses relations avec notre organisation, et sur-tout comme unie à la faculté de nous mouvoir.

C'est par le moyen de nos nerfs que nous sentons , c'est par celui de nos muscles que nous nous mouvons. Comment s'opèrent ces deux effets? Nous l'ignorons.

INous savons bien qu'il ne se produit en nous aucune force nouvelle, c'est-à-dire que quand nous faisons un effort quelconque , nous n'agissons contre l'obs- tacle que comme poids , ou comme ressort, ou comme levier , à la manière des êtres inanimés ; mais il n'en est pas moins vrai que , tant que nous vivons , nos muscles sont capables de soulever des poids dont une portion suffirait à les faire rompre dans l'état de mort, et que notre corps assimile à sa substance les corps avec lesquels il est en contact, tandis qu'après la mort ce sont tous les élémens qui le composent, qui se dissolvent et se séparent, et vont former de nouveaux mixtes avec les corps environnans.

C'est donc quelque chose que la force vitale. Nous pouvons nous la représenter comme le résultat d'at- tractions et de combinaisons chimiques qui , pendant

DE L' IDÉOLOGIE. 4l5

un temps, donnent naissance à un ordre de faits par- ticuliers , et bientôt, par des circonstances inconnues, rentrent sous l'empire de lois plus générales, qui sont celles de la matière inorganisée. Tant qu'elle subsiste, nous vivons , c'est-à-dire que nous nous mouvons et que nous sentons.

Il s'opère beaucoup de mouvemens en nous sans que nous en ayon3 la conscience, sans qu'ils nous causent la moindre perception ; mais nous ne pouvons avoir aucune perception sans qu'il s'exécute quelques mouvemens dans nos organes. Ainsi, l'action de sen- tir est un effet particulier de l'action de nous mouvoir.

Nous en devons conclure que, quoique nous ne puissions pas déterminer la différence de chacun de nos mouvemens nervoux , quoique nous ne puissions en voir aucun, cependant toutes les fois que le même nerf nous procure une sensation différente , il faut qu'il ait éprouvé un ébranlement différent, et qu'il se passe en lui et dans l'organe cérébral un mouve- ment particulier ; et aussi que chacun de nos nerfs a une manière d'être mu et d'agir sur le cerveau qui lui est propre, puisque toutes les impressions produites diffèrent entr elles plus ou moins. On voit quelle quantité prodigieuse de mouvemens divers s'opèrent en nous, sans compter même tous ceux, très-nom- breux aussi, qui ne sont la source d'aucune perception.

CHAPITRE XIII.

De F influence de notre Faculté de vouloir sur celle de nous mouvoir et sur chacune de celles qui com- posent la Faculté de penser.

Tous ces mouvemens sont soumis à notre volonté à des degrés différent , c'e;t-à-dire sont plus ou moia*

4l4 EXTRAIT RAISONNE

dépendans de ceux qui produisent en nous la percep- tion d'un désir.

Ceux qui ne sont la source d'aucune perception , qui sont absolument inaperçus , sont par cela même totalement indépendans de notre volonté, c'est-à-dire de notre désir de les effectuer.

Ceux dont il résulte des sensations internes ou ex- ternes , nous ne pouvons pas faire qu'ils existent en nous indépendamment de leurs causes , ni que l'im- pression que nous font ces causes soit autre qu'elle n'est ; seulement nous pouvons faire des actions qui nous mettent dans le cas d'éprouver ou d'éviter cette impression, et qui la fortifient ou l'atténuent.

Il en est de même de ceux dont résultent des sou- venirs, à la différence près que souvent, par l'effet de notre désir, les souvenirs nous viennent.

Ceux dont résultent des jugemens sont dans le même cas. Un jugement naît nécessairement des impressions qui en sont l'objet; mais ces impressions, il est jusqu'à un certain point des moyens de les éprouver ou de les éviter à volonté.

Quant aux mouvemens dont l'effet est le déplace- ment de quelques-uns de nos membres, ils sont sou- vent dépendans de nos désirs, quoique les moyens par lesquels ils s'opèrent nous soient inconnus.

Enfin, les mouvemens internes dont résultent nos désirs, ne sont pas soumis à nos désirs eux-mêmes- Ceux-ci ne peuvent ni faire ni empêcher que ces mouvemens naissent, ni changer leur effet; mais comme ils sont le produit d'impressions antérieures sur lesquelles notre volonté a l'espèce d'action que nous venons d'observer, il s'ensuit que des désirs pré-

de l'idéologie. 4l5

cédens influent médiatement sur des désirs subsé- quens. C'est pour cela que nous avons raison d'atta- cher à la volonté de nos semblables l'importance que nous lui accordons, et d'employer les moyens dont nous nous servons pour agir sur elle.

CHAPITRE XIV.

Des effets que produit en nous la fréquente répétition des mêmes actes.

Une propriété générale et commune à tous ces mouvemens, c'est qu'indépendamment de l'effet mo- mentané qu'ils produisent, ils laissent dans nos organes une disposition, une manière d'être permanente, en un mot , ce qu'on appelle une habitude.

Cette habitude est telle, que plus les mouvemens sont répétés, plus ils deviennent faciles et rapides, et que plus ils sont faciles et rapides, moins ils sont perceptibles , c'est-à-dire plus la perception qu'ils nous causent diminue, jusqu'au point même de s'anéan- tir, quoique le mouvement ait toujours lieu.

L'observation de ce seul phénomène suffit pour rendre raison de tous les effets qui naissent en nous de la fréquente répétition des mêmes actes , quoique ces effets soient très-variés et semblent même quel- quefois contraires les uns aux autres.

Elle nous fait voir la cause de plusieurs faits qui, sans elle, paraissent absolument incompréhensibles.

Elle nous explique même pourquoi un homme dominé par un désir devenu habituel, agit pour le satisfaire contre les lumières les plus évidentes de sa raison. C'est que pendant qu'il porte avec réilexion quelques jugemens sensés qu'il perçoit nettement,,

4l6 EXTRAIT RAISONNÉ

précisément parce qu'il les porte avec peine , il en porte en même temps un grand nombre d'autres dont il ne s'aperçoit presque pas , justement parce qu'ils lui sont extrêmement familiers , et qui , par cette raison-là même , en excitent une foule d'autres , et l'entraînent en sens contraire.

Il y a en lui simultanéité et conflit de jugemens, les uns aperçus , les autres inaperçus , et ce sont tou- jours les plus habituels qui l'emportent, parce qu'ils réveillent un bien plus grand nombre d'impressions adjacentes. Il est vrai que pour goûter cette explica- tion, il faut consentir à admettre qu'il se passe en nous en un instant un nombre prodigieux de mouvemens , et qu'il s'y exécute presque simultanément une quan- tité incroyable d'opérations intellectuelles dont nous n'avons pas même la conscience ; mais mille faits prouvent qu'il en est ainsi. Par exemple, n'est-il pas évident qu'il s'opère en un clin-d'œil une multitude innombrable de mouvemens et de combinaisons ina- perçues dans l'homme qui lit rapidement un livre qu'il comprend , et plus encore dans celui qui écrit ses idées à course de plume? Et d'ailleurs y a-t-il quelque chose de révoltant à supposer, quand tout porte à le croire, que le fluide nerveux égale ou sur- passe le fluide lumineux en subtilité et en vitesse?

Cette manière de voir nous conduit à comprendre comment se produisent les déterminations instinctives en général , et nommément celles de certains ani- maux qui, dès les premiers instans de leur existence , font des actions qui paraissent exiger un grand nombre de combinaisons , et même quelques connaissances acquises . Pour s'en rendre compte , il suffit de con- cevoir

DE L'iDEOLOGlE. 4l7

ceyoir que dans ces espèces une foule de combinai- sons se font dès le premier moment avec la même incroyable rapidité qu'elles n'acquièrent en nous que par l'exercice.

Quoi qu'il en soit, il est avéré que, par leur fré- quente répétition, nos mouveme:;; >t nos opérations intellectuelles deviennent plus rapides, plus faciles et moins sensibles , jusqu'à un degré vraiment pro- digieux.

CHAPITRE XV.

Du perfectionnement graduel de nos Facultés intellectuelles .

Cette capacité de nos organes de recevoir une dis- position permanente à l'occasion d'une impression passagère, est la source de tous nos progrès et de toutes nos erreurs.

Elle est la cause de tous nos progrès, car sans elle nous n'aurions absolument aucuns souvenirs.

En effet, on sent bien que si nos perceptions, lors de leur disparition, nous laissaient absolument comme nous étions avant de les avoir éprouvées , il nous serait impossible de nous les rappeler. Or, sans souvenirs, tout progrès ultérieur serait impossible..

Cependant ces progrès seraient encore bien faibles sans l'accroissement de facilité qui a lieu dans nos fonctions. Quand on songe combien toute opération nouvelle est pour nous pénible et lente, on reconnaît bien vite que l'homme brut et l'esprit cultivé diffèrent encore bien plus par l'aptitude à faire des combinais- sons que par le nombre de leurs connaissances.

Mais cette disposition qui demeure dans no#

4l8 EXTRAIT RAISONNE

organes est aussi la cause de nos erreurs, parce que beaucoup d'opérations intellectuelles s'exécutent à notre insu , et nous avons vu ce qui en arrive ; parce que devenant vraiment innombrables, il est difficile qu'elles ne se causent pas réciproquement des pertur- bations et qu'il ne s'établisse pas entr'elles des liai- sons vicieuses. Aussi la démence absolue est-elle plus fréquente dans les esprits très-exercés et très-actifs.

De tout cela il résulte que quand l'homme naîtrait avec l'entier développement de ses organes , il n'en serait pas moins réduit d'abord à un degré bien borné d'intelligence et de capacité.

Jusqu'à quel point l'individu isolé et livré à lui- même se perfectionnera-t-il par ses propres forces? c'est ce qu'il est impossible de déterminer avec préci- sion •, mais si l'on pense à la prodigieuse différence qu'il y a entre inventer et apprendre , on peut prononcer qu'il n'égalerait jamais le sauvage le plus brut, car celui-là même a déjà beaucoup reçu de ses semblables.

Ceci nous amène naturellement à l'examen de l'usage des signes. Nous y trouverons de nouvelles causes de progrès et d'erreurs.

En attendant, concluons que le premier état de la race humaine, même en la supposant dès l'origine organisée comme aujourd'hui , a être la stupidité et l'engourdissement , et que ses premiers progrès n'ont pu être qu'excessivement lents.

CHAPITRE XVI.

Des Signes de nos Idées et de leur effet principal. La plus précieuse des inventions des hommes , est cdte d'exprimer leurs idées d'une manière incom-

de l'idéologie. 4ig

parablement plus parfaite qu'aucune autre espèce d'animaux.

Non-seulement depuis bien long-temps on parle , niais encore depuis bien long-temps aussi on a parlé quelquefois avec une perfection admirable. Cepen- dant l'origine et les propriétés de3 signes de nos pen- sées ne sont que très-nouvellement et très-imparfaite- ment connues. Cela prouve bien qu'un art peut être porté à un très-haut degré, quoique sa théorie soit encore ignorée. C'est dans tous les genres que l'homme est obligé d'agir provisoirement avant de connaître toutes les causes et tous les moyens, et qu'il agit souvent très -bien avant de démêler complètement pourquoi.

C'est ce qui fait que dès long-temps il a maintes fois raisonné parfaitement, quoique l'Idéologie soit encore une science nouvelle et naissante. 11 ne s'en- suit pas qu'elle soit inutile; elle peut conduire àfairs durement et toujours ce qu'on n'a fait que par hasard et rarement.

Les signes de nos idées sont de diverses espèces ; nous en avons qui s'adressent à la vue et au tact ; nous pourrions en avoir qui affectassent l'odorat et le goût. Mais les plus généralement usités , parce qu'ils sont les plus commodes et les plus susceptibles de perfection, sont ceux qui partent de l'organe vocal et s'adressent à l'organe de l'ouïe.

Tout système de signes peignant directement les idées, est une vraie langue ou langage.

Les écritures hiéroglyphiques, symboliques, arith- métiques , algébriques , sont de vraies langues ; elles représentent immédiatement les idées.

Dd 2

4iO EXTRAIT RAISONNÉ

Les écritures alphabétiques et syllabiques ne sont point des langues ; elles ne représentent point immé- diatement les idées; elles représentent les sons d'une langue parlée ; elles rendent visuels des signes orals , -et rien de plus.

Lire celles-ci, ce n'est que les prononcer; lire les premières , c'est les traduire.

Un alphabet unique, une orthographe unique, une langue parlée unique, seraient suflisans et plus com- modes ; mais eussions-nous une langue parlée uni- verselle, les langues arithmétique et algébrique au> raient encore des avantages particuliers qui devraient les faire conserver, ainsi que les plans et les figures de géométrie , parce qu'elles n'ont plus ces avantagea quand elles sont traduites dans une autre langue quelconque.

Tous nos systèmes de signes, tous nos langages, sont presqu'entièrement de convention , pour peu qu'ils soient perfectionnés; mais ils ont tous pour base commune les actions que nous font faire nécessaire- ment nos pensées, et qui, par cela même, les manir festent et en sont les signes naturels.

Le langage d'action est donc le langage originaire ; il est composé de gestes, de cris, d'attouchemens ; il s'adresse à la vue , à l'ouïe , au tact.

Dans nos langages perfectionnés, nous employons toujours plus ou moins ces trois moyens, quoique celui qui s'adresse à l'ouïe soit prédominant de beaucoup , excepté dans les momens la violence de la passion nous donne le besoin de produire un effet subit , etnous, ôte la capacité de faire des combinaisons réfléchies.. Mais l'elfet de tous ces signes n'est pas seulement

DE L'IDÉOLOGIE. 421

de communiquer nos idées. Leur propriété la plus importante est de nous aider à combiner nos idées élémentaires , à en former des idées composées et à fixer ces composés dans notre mémoire.

Nous avons vu que nous n'avons plus dans nos têtes que des idées abstraites et généralisées, et qu'elles n'ont pas d'autre soutien dans notre esprit que le signe qui les représente.

C'est-là un fait dont on peut donner mille preuves', et entr' autres celle-ci : c'est que sans noms de nombres nous pourrions à peine avoir nettement l'idée de six. Or, que l'on songe qu'il n'y a presqu'aucune de nos idées qui ne soit plus composée que celle de six, et l'on verra nous en serions sans les signes, et nous en étions avant de les avoir un peu perfectionnés.

La cause de cet effet des signes me paraît être que nos perceptions purement intellectuelles sont très- légères , et par même très-fugitives , parce que les mouvemens internes par lesquels elles s'opèrent ébran- lent très-peu le système nerveux; or, le signe en s'y joignant, les fait participer à l'énergie de la sensation dont il est la cause. Il constate et fixe le résultat d'opé- rations intellectuelles dont le sentiment disparaît. Il devient une formule que nous nous rappelons facile- ment, parce qu'elle est sensible, et que nous employons dans des combinaisons ultérieures , quoique nous ayons oublié le mode de sa formation. Ainsi, nous sommes aussi réellement conduits par les mots dans nos raisonnemens que l'algébriste par se* formules dans ses calculs. Si le résultat n'est pas corn plètement le même dans les deux cas , la différence tient à, la nature des ï<îée$; mais le mécanisme estpareil,

422 EXTRAIT RAISONNÉ

CHAPITRE XVII.

Continuation du précédent. Des autres effets des Signes.

Il suit de ce qui précède, non pas que nous ne pou- vons pas avoir d'idées sans signes, car il est bien évi- dent que l'idée doit précéder le signe institué pour la représenter; mais qu'à mesure que nous faisons de nou- velles combinaisons de nos idées, le nombre de nos signes augmente, et que plus ils expriment de nuances délicates, plus nos analyses deviennent fines etparfaites.

Les signes ont aussi la propriété d'accroître beau- coup les effets bons et mauvais qui résultent en nous de la fréquente répétition des mêmes opérations in- tellectuelles.

Tels sont leurs avantages et leurs inconvéniens prin- cipaux comme moyens de former nos idées.

Comme moyens de communiquer ces idées , ils ont beaucoup d'autres effets que je ne rappellerai ici que sommairement.

Il est manifeste que nous leur devons toutes nos re- lations sociales et la possibilité de jouir de toutes les connaissances acquises par nos semblables ; mais il ne l'est pas moins que ces connaissances nous arrivent souvent bien indigestes et bien désordonnées.

Il est encore certain qu'apprenant le plus souvent les signes avant de connaître par nous-mêmes les élé- mens des idées qu'ils représentent, nous composons, d'abord ces idées d'une manière incomplète ou fausse ; que, dans un autre temps, nous perdons souvent de vue quelques»uns des élémens que nous y avons fait entrer avec raison t et qu'enfin nous ne sommes jamais

DE L'IDÉOLOGIE. 423

complètement sûrs que ceux à qui nous parlons com- prennent absolument les mêmes combinaisons que nous sous les mêmes signes ; ensorte qu'en nous en servant, souvent nous nous abusons nous-mêmes et nous n'entendons pas les autres.

De naît en grande partie la rectification graduelle que nous remarquons dans nos idées pendant le pre- mier âge, le changement de notre manière d'envisager les mêmes objets dans les différentes époques de notre vie , et la différence des opinions des hommes sur les idées exprimées par certains mots.

Quant aux avantages et aux inconvéniens particu- liers aux signes vocaux et aux moyens de les amélio- rer, je ne m'y arrêterai pas. Cette explication sera mieux placée quand nous traiterons de la Grammaire et de la Logique, qui ne sont presque qu'une seule et même chose, puisque c'est toujours des mots que nous combinons quand nous raisonnons.

Ici je n'ai parler des signes qu'eu égard à leur influence générale sur la formation de nos idées, le développement de nos facultés et l'accroissement de nos connaissances. Sans cet examen, notre but n'au- rait été rempli qu'imparfaitement , au lieu qu'au moyen de ces considérations , je crois que nous avoi:s fait une histoire assez complète de la pensée.

En effet , nous avons vu en quoi consiste la faculté de penser;

Quelles sont les facultés élémentaires qui la com- posent ;

Comment elles forment toutes nos idées composées; Comment ellps nous font connaître notre existence,

424 EXTRAIT RAISONNE, etc.

celle des autres êtres, leurs propriétés et la manière de les évaluer ;

Comment ces facultés intellectuelles se lient aux autres facultés résultantes de notre organisation ;

Comment les unes et les autres dépendent de notre faculté de vouloir;

Comment toutes sont modifiées par la fréquente, répétition de leurs actes ;

Comment elles se perfectionnent dans l'individu et dans l'espèce

Et enfin quels secours leur fournit et quels chan- gemens y apporte l'usage des signes.

C'est bien là, je crois, ce qui constitue l'Idéologie. Seulement je regrette de ne l'avoir pas liée, plus inti^ mement à la Physiologie ; mais c'aurait été sortir éga- lement des bornes de mon plan et de celles de me3 connaissances. J'attends tout à cet égard de nos savans physiologistes philosophes , et sur-tout de M. Cabanis, dont les travaux précieux jettent un jour tout nouveau sur ces matières. Pour moi, je me contente qu'aucune de mes explications ne soit en contradiction avec les lumières positives que fournit l'observation scrupu- leuse de nos organes et de leurs fonctions. C'est une justice que j'espère que l'on me rendra.

Fin de la Table analytique.

EXTRAIT DU CATALOGUE

î>e fev^oubs

OUI SE TROUVENT A ZA LIBRAIRIE MATHÉMATIQUE ET DE L'INDUSTRIE

iîe BACHELIER, successeur de M»». Ve. COURCIER, Quai des Augustuis , n°. 55, à Paris.

NOVEMBRE 1826.

ALLIX, Lieutenant-Ge'r.éral. THEORIE DE L'UNIVERS , ou du la cause primitive du Mouvement et de sck principaux, effets, 2e. édi*., i vol. iu-8. , 1818. 5 fr,

ANALYSE DE LA LUMIÈRE déduite des lois de la mécanique , 1 i'ort. vol. iu-8. avec plaaehes , 1826. 9 fr.

ANNALES DE L'INDUSTRIE NATIONALE ET ETRANGERE, ou Mercure technolo pique, etc , 2^ vol jusqu'en l825. 180 fr. le prix de Pnbonnement., pour l'année, est de 3o fr. pour Paris et 36 fr. pour tes dépar- tement, et q2 fr. pour L'étranger} il paraît un numéro cliaf/ite mois.

ANNUAIRE présente au Roi par le BUREAU DES LONGITUDES de Fiance .pour l'an 1826, in-18. (Cet ouvrage paraît tous les ans. ) 1 fr.

ARAGO f.t BTOT. RECUEIL D'OBSER- VATIONS. ( Voyez BiOT. ) 21 IV. ARITHMETIQUE (L')des campagnes, à l'u- sage des Ecoles primaires, etc., ouvrage adopté par l'Université, in-12. 1 IV. BABLOT. CALCUL Dl-S PIEDS DE FER, suivant leur épaisseur et largeur, réduit an poids. Nonv, édit. augm. du tarif du poids du FliRnoNI», à 1 usage des serruriers, ar- chitectes - (diseurs , qui s. ml souve.it chargés de faire des devis et marches cooç< rnanl la serrurerie, à la suite duquel cm trouvera des tarifs à tant la livre et à tant le cent , etc., et de plusieurs. tables. I vol. in-12. 1821. 2 fr, 5o c BABRON. PRÉCIS DES PRATIQUES DE

L'ART N'A VAL EH FRANCE, en Espagne

et en Angleterre, dominant , pour les (rois

marines , le, ternies techniques des comman-

deniens et des vocabulaires en français, es-

pagniii et anglais; des lali!ej> des dimensions de la mâture, les proportions de grécnicnl , etc., pour chaque espèce de vaisseau de guerre ou de commerce ; les manœuvres par-

ticulières, les e'volutious, la description des pavillons de toutes les nations, etc., I vol. 111-8. , 1817, 6 fr. 5o c.

BA1LLOT, Maître Teinturier à Paris. NOU- VEAU MANUEL DU TEINTURIER, ou Guide pratique des apprentis et des ouvriers dans l'art de la Teinture, contenant les di- verses recettes pour faire toutes sortes de couleurs sur laine, soie, fils et colon , etc., suivi de Part du Teinl uriei-Degidisseur par Le Normand, professeur d* Technologie, in-t2, 1819. 3 Jr

BAILLY. HISTOIRE DE L'ASTRONOMIE* ANC1ENME ET MODERNE, dans laquelle on a conserve littéralement le texte , en sup- primant seulement les calculs abstraits , les noirs livputlieliques, les digressions scienti- 6ques,ctc; par V. C. , 2 vol. in-8. 10 fr. EARRUEL, ex-Professeur à l'École Polytech- nique, TABLEAUX DE PHYSIQUE, ou Introduction à cette science, à l'nsage des Elèves ciel Ecole Polytechnique; nouv. édit, entièrement retondue et augmentée, grand in-^. , cari , 1806. jçj fr

BASTENA1RE- DAUDENART, ancien ma- nufacturier, ex - propriétaire et directeur de la manufacture de porcelaine a fritte de Saint- \mand-lesEau\. L'ART DE L V

VITRIFICATION, ou TRAITÉ El É- MENTA1RE, I\HÉORlQUK ET PRA- TIQUE DE LA FABRICATION DU VERRE; ouvrage dans lequel sont décrits

avec précision les divers procédés qu'on em- ploie pour se procurer toutes les espèces

de verres el cristaux colores, laut pour

la formation des vases- que pour les vitraux et les pierres imitant les pierres pré- cieuses; ainsi que les manipulations relatives à celte branche importante de l'industrie

française; suivi d'un Vocabulaire des mots techniques employés dans cet art, et d'uu Traité de la dorure sur cristal et sur verre. I vol. in 8°., avec plancli. 182J. 7 fr.

BERL1NGHIERI. EXAMEN DES OPE- RATIONS ET DES TRAVAUX Dt CE- SAR AU SIEGE D'.VLEZIA (œuvre pos- thume). Lucques, 1812, 3 f r 5oc. BERNOULLI {Jacobi). L'ART DE CON- JECTURER à la Lolorie, traduit du latin par Vastel , in-4- 7 fr- 5o c- BiiRTHOUn. [o. L'ART DE CONDUIRE ET DE RÉGLER LES PENDULES ET LES MONTRES, 4e- édit., augmentée d'une planche , el de la manière de tracer la ligne méridienne du temps moyen, 181 1, vol. in-12, avec 5 pi. 2 fr. 00 c. Dans ce petit Ouvrage, destiné aux per- sonnes qui n'ont aucune connaissance en Hor- logerie , on trouve une Notion du mécanisme d'une pendule et d'une montre ; les causes des variations des montres ; les règles à suivre pour gouverner soi même ses montres et ses pen- dules; des Tables d'équation; la manière de tracer une méridienne; un cadran de montre indiquant l'équation du temps , etc. 2°. ESSAIS SUR L'HORLOGERIE, dans lequel on traiie de cet Art relativement à l'usage civil, à l'Astronomie el à la Naviga- tion ,suivi des éclaircissemenssuri'invention, la théorie, la construction et les épreuves des nouvelles machines proposées en France pour la détermination des longitudes en mer par la mesure du temps , avec 38 planches, 2 vol. in-4- {rare.) 3». HISTOIRES DE LA MESURE DU TEMPS par les Horloges. Paris, 1802, vol. in-4., avec 23 pi. gravées. 36 fr. 40. TRAITE DES HORLOGES MARINES, contenant la théorie, la construction, la main-d'œuvre de ces machines , el la ma- nière de les éprouver, suivi des éclaircisse- nïehs sur l'invention, la théorie, la construc- tion et les épreuves des nouvelles machines proposées en Fiance pour la détermination des longitudes eu mer par la mesure du temps; un gros volume in-4- , avec 27 plan- ches, 1773. M fr; 5". ÉCLAIRCISSEMENT sur l'invention, la théorie, la construction et les épreuves des nouvelles machines proposées en France pour la détermination des longitudes en mer par la mesure du temps, servant de suite à YEsSai sur l Horlogerie et au Traité des Horloges marines; etc. , vol. in-4- ^ "• 6°. LES LONGITUDES PAR LA MESURE

DU TEMPS, ou Mélhoue pour déterminer les longitudes en mer, avec le secours des horloges marines , suivie du Recueil des Tables nécessaires au pilote, pour réduire

les observations relatives à la longitude et à la latitude, 1 vol. in-4- 9 '''•

r». DE LA MESURE DU TEMPS, ou

J Supplément au Traité des horloges marines et à l'Essai sur l'horlogerie, contenant les principes dfl constructions, d'exécution et d'épreuves des petites horloges à longitu- des portatives, et l'application des mêmes principes de construction , etc., aux montres de pu <;he , ainsi qf« plusieurs conslruelioes d'horloges astronomiques, etc., Onze pi. en taille douce, I vol. \r-'{. '8 ir.

8". TRAITE DES MONTRES A LONGITU- DES , contenant la description et tous les détails de main-d'œuvre de ces machines, leurs dimensions, la manière de les éprou- ver, etc., suivi l°. du Mémoire instinctif sur le travail des montres à longitudes; 2°. de la description de deux Horloges astro- nomiques: 3°. de l'Essai sur une Méthode simple de conserver le rapport dis poids et des mesures, et d établir une mesure univer- selle et perpétuelle, avec sept planches en taille-douce.

9°. Suite du Traité des Montres à Longitu- des, contenant la construction des Montres verticales portatives, et celle des Horloges horizontales, pourservir dausles plus longues traversées, un volume in-4 , avec deux planches en laille-douce. Prix de ces deux Ouvrages . réunis en un volume , 24 fr.

10°. Supplément au Traité des Montres à Longitudes, suivi de la Notice des recher- ches de l'Auteur, depuis 1762 jusqu'en 1807., 12 fr.

Total de cette Collection; 191 fr. 5o c.

BEZOUT. COURS COMPLET MATHÉ- MATIQUES A L'USAGE DE LA MA- RINE, DE L'ARTILLERIE, et des Elèves de 1 École Polytechnique , nouvelle édition, revue et augmentée par M R.e x nt \vt>. Exa- minateur des Candidats de l'Ecole Polytech- nique; et M. DEROSSEL, ancien capitaine de vaisseau, Directeur adjoint du Uépôl gé- néral des Cartes , Plans et Archives de la Marine. 6 vol. iu-8. , avec planches.

On verni séparément ,

ARITHMÉTIQUE avec des nolesfort éten- dues, et des Tables de Logarithmes jusqu'à 10,000, ele , par ReynaUD, dixième édition, l823. 3fr.5oc. Le texte pur se vend séparément, 2 fr. Les notes.seules , 2 fr. l>0 c.

GÉOMÉTRIE, avec des Notes fort éten- dues, par le même, troisième édit., i8?'j-

, f 6 fr.

Le texte pur se vend séparément , l\ Ir.

Les no.les seules, 4 ''■

ALGÈBRE et Application de cette science à l'Arithmétique et à la Géométrie, nou- velle édition, avec des notes, par le mc>,e ; in-8 , 1822. Le texte pur se vend séparément ,

Les Noies seules,

MÉCANIQUE, nouvelle édition,

—"TRAITÉ DE NAVIGATION,

édition, revue el augmentée de Notes, et d une Section supplémentaire ! 01 do ine l'a manière de l'aire les' Calculs des Ohsén 1- tions avec de Nouvelles Tables qui lesAicili- ie„l , par M, de Rossel . Mi nihré de ITnsti- tul el du Bureau des I ungitudes. I vol. i"/8., avec 10 pi. , ° '''

BiOT et \RAGO , Membres de 1 académie des Sciences et dd Bureau des Longitudes de France RECUEIL D'OBSERVATIONS GÉ0DÉS1QUES , ASTRONOMIQUES ET PHYSIQUES, exécutées par ordre du Bu-

6

4

Y. r.

4

Y.

2 V

>1.

10

Y.

uiit'i

le

3

reau des Longitudes <!e France, rn Espagne, en Franc», en Angleterre el en Ecosse, puur déterminer la variation de la pesanteur el des degrés terrestres, sur le prolongemeni du méridien de Paris, taisant suite au troi- sième volume de la Base du système nié trique, i vol. in-4- «avec fig. , 1821 21 Ir. BIOT TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE D'ASTRO- NOMIE PHYSIQUE , destiné à l'enseigne- ment dans les Collèges, etc. , 3 vol. iu-8 , 1810.

PHYSIQUE MECANIQUE, par E. G. FISCHER, traduite de l'allemand a»ec des Notes et un Appendice sur les anneaux colorés, la double refraction et la polarisa- tion de la lumière, 3e. édition, revue et con- sidérablement augmentée , 1 vol. in-8. , avec planches, 1819. 6 fr.

ESSAI DE GÉOMÉTRIE ANALYTIQUE, appliquée aux courbes et aux surfaces du second ordre, in 8., 6e. édition. t82ÏS.

6 fr. 5o c

TABLES BAROMÉTRIQUES portatives, donnant les différences de niveau par une simple soustraction , in-8. I ir. 5o c.

BOISGENETTË. CONSIDÉR LTIQNS SL'R LA MARINE FRANÇAISE en 1818, et sur les dépenses de ce déparlement, vol. in-8, 18.8. 3fr.

BOILEAUet AUDV3ERT. BARREME GÉ- NÉRAL, ou Comptes faits de tout ce qui concerne les nouveaux poids, mesures et monnaies de la France , suivi d'un Vocabu- laire des différens poids, mesures et mon- naies, tant français qu'étrangers , compares avec ceux de Paris, I vol. de 489 pages in-8., 1823. 6' fr.

BOR.DA. TABLES TRIGONOMETRIQUES DECIMALES, ou Tables des Logarithmes

des sinus, sécantes et tangentes, suivant la division du quart de cetcle en cent degrés, et précédées de la Table des Logarithmes des nombres, eic , calculées par Ch. Borda, rev. , augmentées et publiées par J-B-J. Delambre. Paris, an IX, in-4- l5 fr.

BORGNIS, Ingénieur et membre de plu- sieurs académies. THAITÉ COMPLET DE MÉCANIQUE APPLIQUÉE AUX ARTS, contenant l'exposition méthodique des théo- ries et des expériences les plus utiles pour diriger le choix, l invention, la construc- tion el l'emploi de toutes les espèces de machines; ouvrage divise' en dix Traités format in-4-, avec 2^p planches, dessinée-, par Girard, dessinateur à l'Ecole Polytech- nique', et gravées par Adam, 1818 à i8">3

206 fr.

Chaque Traité se vend séparément , ainsi qu il suit :

I, De In composition des machines , conte- nant la classification, la description cl l'exa- men comparai il des organes mécaniques; vo- lume dcplu^ de .'j.hi pages, avec tableaux, sy- noptiques et 43 planches donnant les ligures de plus de 12O0 organes de! machines, 1818,

25 Ir.

IL Du mouvement des Fardeaux, contenant la descr^lion et l'examen des machines les plus convenables pour transporter cl élever

toute espèce de fardeaux ; volume de 3U Pages et 20 planées e.avees , ,8,8 .-.olr

II J. Desmaclkyus que l'on emploie dans le, constructions diverses, ou Description des Machines don) on fait usage dans les quatre genres d'Architecture, civile, hydraulique militaire et navale; vol. de 336 pag. avec 26 planches, 1818. l " 2Q fr

l\ l'es Machines hydrauliques, ou Ma- chines employées pour élever l'eau néces- saire aux besoins de la vie, aux usages de I Agriculture, aux épuisemens tempo- raires el aux épuisemens dans les mines, vo- lume.n-4 .avec 27 pi. , )8lQ. 2o fr.

V Des Machcnes d'Agriculture. Ce volume décrit les inslrumens et machines aratoires les machines employées à récolter les pro- duits du sol et à leur donner les préparations premières , les moulins et les mécanismes qui servent a épurer le blé et à bluter les fa- rines, et enfin les pressoirs, les cylindres les pilons el autres machines employées à l'ex- traction des huiles et du vin, etc.; volume in-4. avec 28 planches, 1819. 21 fr

VI Des Machines employées dans diverses fabrications , contenant la description des

machines en usage dans les grosses forées et dans les ateliers de métallurgie, dans le^s pa- peteries, dans les lanueries, etc. vol in-4 avec 27 pi. , 1819. 2I 7;'

VIL Des Machines qui servent à confectionner les étoffes contenant la manière de préparer les matières filamenteuses, animales et végé- tales, I examen comparatif des m, .yens mé- caniques employés dans les filai ures'; la des- cription de- métiers avec leurs accessoires pour toutes espèces d'étoffes, depuis les plus simples jusqu'aux plus figurées; enfin la manière de donner aux éloffes les der- niers apprêts avant d'être livrées au com- merce ; vol. in-4 1 avec 44 pl- , 1820 3o fr.

VIII. Des Machines qui imitent ou facilitent les fondions vitales des corps animés suivi d'un appendice sur le machines de théâtres anciens, el sur les procèdes en usage dans les théâtres modernes, pour effectuer les changemens à vue, les vols directs et obli- ques et autres effets ; vol. in-4., avtc 27 pl

Ï820. 2I fr;

IX. T II É O R I E DE L A .M È C ANIQ 0 E US5CELLE, ou Introduction a l'étude de la Mécanique appliquée aux arts , contenant les principes de Statique, de Dviiainiqin- , d'Hydrostatique cl d'Hydrodynamique ap- plicables aux vit s industriels ; la théorie des moteurs, des effets utiles des machines, des organes mécaniques intermédiaire;, el IV- quilifcredea -upporis, 1 vol. iu-4., 1821.

o fr.

X. DICTIONNAIRE DE MÉCANIQUE W- PLIQOEE AUX .MiTS, bontebânl défi- nition et la description sommaire îles Ajets bs plus importa»* ou les plus usités qui se rapportent à celle science, avec I énonce de leurs propriétés essentielles, suivi d'indi- cations qui facilitent la recherché des de tails plus circonstanciés 1 in-4-, lb23 l3 fr. Sun Excellence le Minisire d: (Intérieur

s'est fait rendre compte de ce ouvrage ; et d'a- près le rapport favorable du Bureau consul- l;ilif tlos Arts et Métiers près son ministère, il a ordonne qu'il en serait acheté un nombre d'exemplaires aux frais du Gouvernement, pour e'ire distribués aux écoles d'applica- tion et de service public.

TRA.1TÉ ÉLÉMENTAIRE DE CON- STRUCTION APPLIQUÉE A L'ARCHI- TECTURE CIVILE, contenant Iqs prin- cipes qui doivent diriger, l". le choix et la préparation des matériaux; 2°. la configura- tion cl les proportions des parties qui con- stituent les édifices en gênerai; 3°. l'exécu- tion des plans déjà fixes, suivi de nombreuses applications puisées dans les plus célèbres monumens antiques et modernes, etc. , in-4- d'environ t>5o pages, -et Allas -de 3o planches, gravées par Adam, I&23. 36 fr. BOUCHARLAT, Professeur de Mathémati- ques transcendantes aux Ecoles militaires,

lail sur les renies 3 pour cent , 4 et demi pour cent et pour cent consolidés, sur les Canaux ; des notions exactes sur tous les fi>nds étrangers; 3°. les diverses manières de spéculer, etc. ; 5e. édition , revue et aug- mentée, conformément aux affaires actuelles de la Bourse , in-12 , i82f>. 3 fr. 5o c.

BRIANCHON, Capitaine d'artillerie. APPLI- CATION DE LA THEORIE DES TRANS- VERSALES. Cours d'opérations géom. sur le terrain , etc., 18 1 8 , in-8. 1 fr. 8o c.

MEMOIRE sur les lignes du second ordre.

H7, 111-C

2fr

Docteur des Sciences, etc. THEORIE DES COURRES ET DES SUREACES du second ordre , précédée des principes fondamen- taux de la Géométrie analytique; seconde édition in-8. p 6 fr.

ÉLÉM.F.NS DE CALCUL DIFFÉREN- TIEL ET DE CALCUL INTEGRAL, 3e édition, revue et augmentée, in-8., avec- planches, 1826. 6fr.

_ ÉLÉMENS DE MÉCANIQUE, in-8.,

avec planches, l8l5. 6 '''

BONNEFOUX, capitaine de frégate, sous- gouverneur du Collège royal de Marine d'Àngoulême, SEANCES NAUTIQUES, ou Exposé des diverses manœuvres du Vaisseau, in-8., iBz/i , 'fié. 5fr.

BOURDÉ-DE-V1LLEHUET. LE MANOEU- VRIER , ou Essai sur la Théorie et la Pra- tique des mouvi mens du navire et des évo- lution navales; nouv. édit., augmentée, 1°. d'un Appendice du même auteur, con- tenant les principes fondamentaux de l'arri- mage des vaisseaux , suivi d'un mémoire sur le même sujet, par Groignard , ingénieur- constructeur; 2". des nouvelles Manœuvres du canon, à bord des vaisseaux du Roi, et du Mode d'exercice pour les officiers et les équipages; I fort vol. in-8. . gr. pap. carré fin, avec 11 pi. grav. en taille-douce, l8'4

6 fr.

PRINCIPES FONDAMENTAUX de l'arri- mage des vais^ea >x. {Extrait du Mana-u- vrier) . in-8 a/ec 3 planches. 3 fr.

BOURDON , Inspecteur de l'Académie de Pn- Ws.ÉLÉMENSD'ARlTHMETlQUE, 1 vol. in-8. ,3°. édil., l825, Ouvrage adopté par l'Université, , 5 fr.

_ ELÉMENS D'ALGÈBRE. 4e édit. consi durablement angmentée, 1 fort vol. in-8 , l825, Ouvrage adopte par t' Université. 7 fr

TRAITÉ DE TRIGONOMÉTRIE ET I) \I'IM. !<;\ÏI0N DE L'ALGÈBRE A LA GÉOMÉTRIE » ''eux et à trois dimensions, I fort vol. in-8. avec 1 5 planches, Ouvrage adopté par l'Université , 182^1, 7 h 60 C

BRESSON. DES FONDS PDBLICS français et étrangers, et des Opération* de la Bourse île Puris, ou Recueil contenant, l°. le dc-

BUQUOY. (Comte de) Exposition d'un nou- veau Principe général de DYNAMIQUE, dont le principe des Vitesses virtuelles n'est qu'un cas particulier; lu à l'Institut de France le 28 août i8i5 , in-4- 2 fr.

BURCKHARDT, Membre de l'Institut et du Bureau fles Longitudes de France. TABLE DES DIVISEURS POUR TOUS LES NOMBRES DU Ie'., 2e. ET 3e. MILLION , avec les nombres premiers qui s'y trouvent; grand in-4- . PaP- vè'in , 1817. 36 fr.

Chaque million se vend .séparément , savoir : le Ie''. million , l5 fr. , et le 2'. et le 3'. cha- cun 12 fr. 36 fr. CAGNOLL TRAITÉ DE TRIGONOME- TRIE, traduit de l'italien, par M. Chom- pré, 2e. édition, in-^. , 1808. 18 fr. CM.LET. Tables de Logarithmes, édition stéréotype, in 8- , x-* ?r- CAMUS DE MEZI ERES. Traité sur la. FORCÉ DES BOIS DE CHARPENTE, ouvrage essentiel pour ceux qui veulent bâtir, et qui donne les moyens de procurer plus de solidité aux édifices , de connaître la bonne et la mauvaise qualité des Bois, de calculer leur force , etc. , in-8. 6 fr. CANARD. Professeur de Mathématique;, transcendantes au Lycée de Mou fin. TRAITE ELEMENTAIRE DU C VLCUL DES INE- QUATIONS, in 8. 1868. 6 fr. CARNOT, Général, Membre de l'Institut et de la Lé"ion-d'Honncur, etc. DELA DE- FENSE DES PLACES FORTES, Ouvrage composé pour l'instruction des Elèves du Corps <hi Génie, troisième édition, revue et considérablement augmentée , avec I l pi. supérieurement gravées, 1 vol. in-4- , 1S12.

25 fr. Le même Ouvrage, deuxième édit. , sans planch., in-8., i3n. 6 fr.

-, MÉMOIRE SUR LA FORTIFICATION primitive, pour servir de suite au Traité sur la défense des Places fortes, iu-4. , fig.j l8a3. 6fd

GÉOMÉTRIE DE POSITION, in-4.,

papier vélin, l8o3, _ 18 fr.

Le même Ouvrage, grand pap. vél. 36 fr. _ MÉMOIRE SUR LA RELATION qui existe entre les distances respectives de cinq points quelconques pris dans l'espace; suivi S'un ESSAI SUR LA THEORIE DES T R A N S V E R S A L ES , iu-4. , 1 806. 5 f r.

DE LA CORRÉLATION DES FIGURES DE GEOMETRIE. ànO, in-jB.^. pap. 3 fil

-RÉFLEXIONS SUR LAMÉTAPIIY31QUE

DU CALCUL INFINITÉSIMAL, [n-8. ,

6e" . nouv. édit. , revue al augmentée, i8i3.

b 3fr.5oc.

CARNOT* PRINCIPES DE L'ÉQUILIBRE «I du Mouvement , in-8. , 180.I. 5 fr.

GHORON, correspondant de l'Institut, clc. METHODE ELEMENTAIRE DE COM- POSITION, où Ips préceptes sont soutenus, d'un grand nombre d'exemples très-clairs et fort étendus, et a l'aide de laquelle on peut apprendre soi-même \ COMPOSER TOUTE ESPECE DE MUSIQOE, traduite de l'allentand de Allirccbtsbergci -1 Georg. . Organiste delà Gourde Vienne, Maître de Chapelle, etc., el enrichie d'une introduc- tion et d'un grand nombre de no.'cs, par A, Choron, 2 vol. in-3. , dont un de Musique

l8l4- «2 fr-

CHRISTIAN. Directeur du Conservatoire desArf set Métiers. TKAITÉ DE MECANI- QUE INDUSTRIELLE, ou Exposé delà science de la Mécanique , déduite do l'expé- rience et de l'observation, principalement

à l'usage des manufacturiers et des artistes; 3 vol. in-ij., et Atlas de 60 pli doubles.

n5 lr. GLAIRAUT. ÉLEMENS D'ALGÈBRE,

fi. <:.!il ., ;i vit c 1rs Noies cl des Arldilions très-

étendues, par M. Garnier; précédés duo Traité d'Arithmétique par Théveneau , et une Instruction sur les nouveaux poids cl mi- urcs, ?. v ul. i 08. , 1 801 , 10 fr

_ THÉORIE DELA FIGURE DE LA TERRE, tirée des principes de l'Hydrnsta tique-, in-8 , ilcux. édil . , 1808 10 fr

CI.OQUET ( J. B), ex-Professeur de Dessin à l'Ecole des Mines el à celle de la Brigade lopographique ai Dépôt des fortifications NOUVEAU TRAITE ELEMENTAIRE

DEPERSPECTIVE à l'usage des artistes et

des personnes qui s'occupent du Dessin, pré- cédé (les premières notions de la Géométrie élémentaire, de la Géométrie descriptive,

de l'Optique et de la-projecli les ombres.

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CONNAISSANCE DES TEMPS A L'U- SAGE DES 1STRONOMESET DES NA- VIGATEURS, publiée- par le Bureau des Lbngil iules de France, pour les années 1S27 l82» et 1829.

Prix de chaque armée avec Additions, 6 fr. ,

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Oh peut se procurer Collection corttj lite,

nudes (mitées xéprtrée» de cet Ouvrage , depuis

17<>i pùqu'n ce jour.

COTTE.TABLE DES M LTIERES contenues dans les Mémoires de l'Académie, pour les année, ij8t 4 1790, tome X. i/ï fr.

COULOMB, Membre de l'Institut de France. THÉORIE DES MACHINES SIM- PLES , en ayant égard au frottement de leurs parties et a la raideur des cordages, nouvelle édtt., à laquelle on a ajouté les Mé- moires suivant du même auteur; sur les frottement de la pointe des pivots ; Re-

rherrbes théoriques et expérimentales sur li force de torsion el sur l'élasticité des fils <le métal; Résultats de plusieurs expé- riences destinées à déterminer la quantité d'action que les hommes peuvent fournir par leur travail journalier, suivant les diffé- rentes manières dont il- emploient leurs

I i ; Observations théoriques et expéri- mentales sur l'effet des moulina a vent et sur la ligure de leurs ailes; sur les murs de revêtement el l'équilibre des voûtes, etc. vol. in-q. , avec 10 pi. . 1821. l5fr.

COI LOMB RECHERCHES SLR LES MO\ ENS d'exécuter sous l'eau toutes sortes de travaux hydrauliques sans employer aucun épuisement, in- 8., avec planches , 3" édit.

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COUSIN. Traité du CALCUL DïFFEREN- CIEL ET INTÉGRAL, 2 vol. in-q, 6pl.

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Traiié êle'm. del'MNAT.YSK MATHÉMA- TIQUE ou d'ALGEBRE , in-8. . qfr.

DABREU. PRINCIPES MATHEMATI- QUES de feu Josepli-Anaslase de Cunlia, professeur à l'université de Coïmbre ( com- prenant ceux de l'Arithmétique, de ta Géométrie, de l'Algèbre, de son Applicat. à la Gêomc'trie. et du Calcul différentiel et intégral, traites d'une manière entièrement nouvelle), trad. liller.il. du Portugais, in- S . 181Ô. , 6 1V,

D'ARCET. LELTEVRE et PELLF/nER. DESCRIPTION de divers procédés pour extraire la soude du sel marin, v in-^ avec

II pi., représentant d'une manière Irès-dé- taille'e les plans et élévations des ateliers de soudière.*, les fours, fourneaux el instrumens nécessaires à la-manipulation de la soude. 6 fr.

DA1 BUISSON. MÉMOIRE SUR LES BA- SALTES DE LA SAXE, accompagné d'Observations sur l'origine des Basaltes en général, lu à la Classe des Sciences pli\ siqoes et mathématiques de l'instilut national , an II, in-8. 2 '»• 5oc.

DECESSART. DESCRIPTION DES TRA- VAUX HYDRAULIQUES, 2 vol. in-A., 67 pi. 81 IV.

DELAISTRE. Science des ingénieurs, divisée en trois livres , l'on traite des Chemins, des Ponts, des Canaux et îles Aqueducs, 2 vol. in-£., avec un vol. de planches, l825.

/jo IV.

DEL AMBRE, Secrétaire perpétuel de l'Insti- tut, membre de la Légion d'Honneur, pro- fesseur d'astronomie au collège royal France, ele TRAITÉ COMPLET D'AS- TRONOMIE THEORIQUE ET PRATI- QUE, 3 vol. in-4-, avec 39 pL, l 1 '( 60 fr.

_'\l„eeé du même Ouvrage, ou LEÇONS ELEMENTAIRES 1> ASTRONOMIE théo- rique et pratique données au rollége de France-, 1 v in*-8*,avec 17 pi., t8i3 12 fr.

HISTOIRE DE L'ASTRONOMIE AN- CIENNE, a vol. in-q. , «« '7 r1- . "8'7-

ici II.

HISTOIRE DE GASTRONOMIE DU MO\ EN \CK , 1 vol. in-4-i l8"Ji •'

II I en taille«douce. - '■ -HISTOIRE DE L'ASTRONOMIE MO-

•,

DERNE, 2 vol. m-4., avec 17 pi., |8ai.

DELAMBRE. HISTOIRE DE L'ASTRONoi MIE DU XVIII'. SIECLE, i.wj. 1826. 3o fr.

DELAMBRE et LEQENDRE. Méthode ana- lytique pour la DETERMINATION D'UN ARCDUMt-RIDlEN. in-4 an 7 q fr.

DELAMETHERIE , professeur au collège de France, ancien rédacteur ou Journal de physique, etc. CONSIDÉRATIONS SUR LES ETRES ORGANISES, 2 vol m-8 12 fr

DE LA PERFECTIBILITÉ ET DE LA DEGENERESCENCE DES ETRES ORGANISES, formant le tome III des Considérations sur les êtres organisés, I vol. in-8 6 fr

-DE LA NATUREDES ÊTRES EXLSTANS. ou Principes de la philosophie naturelle , I vol. iu-8. g fr

LEÇONS DE MINÉRALOGIE données au collège de France, 2 vol. in-8., lSt2.

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DELAU. DECOUVERTE DE L'UNITÉ et généralité de principe , d'idée et d'exposition de la science des nombres, sou application positive el régulière à l'algèbre, à la géomé- trie, et surioul à la pratique, aux dévelop- pemens et à l'extension du précieux système décimal. Calculs Ihéori-pratiques , 180Q. I vol. io-8. 3 fr

DELUC. TRAITE ELEMENTAIRE DE GEOLOGIE, i„-8, 1809. 5fr

DEMONFERBAND, Professeur de Mathé- matiques et de Physiq ie au Collège de Ver- sailles Manuel d'Electricité dynamique, ou Traité sur l'action mutuelle des conduc- teurs électriques et des aimans , et sur la nouvelle ihéoriedu magnétisme, pour faire suite à tous les Traitésde Physique élémen- taire , i-8. , 1823 , avec 5 planches. 4 fr

DEP&ASSE, professeur de mathématiques à Berlin. TABLES LOGARITHMIQUES pour les nombres, les sinus et les tangentes, dis- posées dans un nouvel ordre , corrigées et précédées d une Introduction, traduites de l'allemand et accompagnées de notes el d'un avertissement, par llalmu, t8i4 , in-18.

DE\ELEY, professeur de ma; hémafiques, etc. APPLICATION DE L'ALGEBRE A LA GEOMETRIE, iu 4., nouvelle édit. , 182^.

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DIONLS-DU-SE.IOUR. TRAITE DES MOU- YEMi-.NS APPABENS DES CORPS C E- T. ESTES, 2 vol iu-4. 40 fr.

DOUGI. iS , gtnératsir Howard. TRAITÉ P'ARTILLERIE NAVALE, contenait un exposé succinct de la théorie du Pendule ballislique et des Expériences de Hutlon , Jes principes fondamentaux de l'Artillerie , appliqués particulièrement à l'Artillerie na- vale; l'Exercice des Louches à feu à bord des vaisseaux fiançais; la Composition de la Poudre; la Théorie du Tir a la mer; les 1 ahles de portées des canons el des caronailes, el des Observations sur la tactique des com- bats singuliers ; traduit de l'anglais( avec des

notes) par M. Charpentier , ancien élève de l'Ecole polytechnique . Capitaine au corps royal de 1 Artillerie de Marine, Chevalier de 1 ordre royal de la Legion-d'Houneur , I vol. in-8. , avec 5 planches , 1826. 7 fr.

DUBOURGUET , ancien officier de marine , professeur de mathématiques au collège - Louis- le-Graud. TRAITÉS ÉLÉMENTAI- RES DE CALCUL DIFFÉRENTIEL ET DE CALCUL INTÉGRAL, indépendans ' de toutes nolions de quantités inGnilesimales et de limites; ouvrage misa la portéedes commençans, et se trouvent plusieurs nouvelles théories el méthodes fort simpli- fiées d'intégrations, avec des applications utiles aux progrès des sciences exacics, 2 v. in-8. Paris, 1810 e( 1811. fr.

TRAITÉ DE LA NAVIGATION, on vr âge approuvé par l'Institut de France , el mis à la portée DE TOUS LES NAVIGATEURS, in-4- , 180H, avec fig. 20 fr.

DUBRUN FA L T , Membre Je la Société d En- couragement pour l'industi ienotionale , etc., Traué complet de l'Art de la Distilla- tion, contenant, dans un ordre méthodi- que , les instructions théoriques et pratiques les plus exactes cl les plus nouvelles sur la préparation des liqueurs alcoholiques avec les raisins, les grains, les pommes-de-terre , les fécules et tous les végétaux sucres ou fa- rineux, 2 vol. in-8. , fig., 1824 10 fr. 5o c.

DUBRUNFAÛT. ART DE FABRIQUER LE SUCRE DE BETTERAVES, contenant: 1°. la description des meilleures méthodes usitées pour la culture et la conservation de celte racine; l'expo- ition détaillée des pro- cédés et appareils uliles pour en extraire le sucre avec de grands avantages. Suivi d'un essai d'analyse chimique de la betterave , propre à éclairer la théorie des opérations qui ont pour objet d.'< u séparer la matière sucrée; 1 vol i:;-8; avec pl., 1825 7 fi. :ÎOc.

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méthode simple et naturelle pour rendre perpéiuelles les peuplades d'abeilles, et obtenir de chaque peuplade , à chaque au- tomne, la récolle duu panier plein de cire et de miel, sans mouches, sans couvaius , outre plusieurs essaims, avec l'art de réta- blir et d'utiliser, au retour de l'été, les ruches des essaims dont les peuplades auraient péri en automne , dans l'hiver ou au prinlemps, en faisant éclore les œufs restés dans les alvéoles; cl l.Art de convertir le miel en sucre blanc inodore, de ffjre l'hydromel . des sirops, elc. , ouvrage utile aux bain I ans des campagnes; deux, edit., considérablement augmentée, et ornée dune gravure, I vol. iu-8. i8i3. 3 ir.

DDCREST. VUES NOUVELLrS SUR LES COURANS D'EAU , la navigation intérieure el la marine, 1 vol. in-8 , l8o3, 5 Ir.

DU l'I > Ch.), mçmbre de l'Institut. VOYAGES DANSLA GRANDEBREi ACNE entrepris relativement aux services publics de la guerre, de la marine el des ponts et chaus- sées, en 1816, 1817, 1818, 1819, 1S20 et 1821 , présentant le tableau des institutions et des établissemens qui se rapporteut à

1

1

I. la Force militaire ; If. la Force navale;

III. aux Travaux civils des ports de com- nierrc,des roules, des ponts el des canaux;

rr. Section.

IV. Force productive.

Chaque partie se vend séparément»

Ir". partie. Force militaire, 2 vol. in-4- et

atlas ar-érlit., j825. 25fr. IIe. partie, Force navale. 2 vol. in-4- et

atlas ■?.'. édit , l825. 25 fr. IIIe. partie , Force COMMERCIALE, I*e. SEC- MON, 2e. édit.TRAVATJXClVlLl DES PONTS ET CHAUSSÉES, 2 vol. in-4., et atlas, 1824 27 fr. IV". partie. Force commerciale extérieure , 2°. section . paraît rail ans le courant de 1827.

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La première partie conlient l'analyse déter- minée , revue et augmentée de notes par M. Garnier, La deuxième partie contient l'a- nalyse indéterminée, revue et augmentée de notes par M. Lagrange, sénateur, membre de l'Institut, etc.

LETTRES à une Princesse d'Alle- magne, sur divers sujets de PHYSIQUE ET DE PHILOSOPHIE. Nouv. (dit., con- forme à l'édition originale de Saint-Péters- bourg, revue et augmentée de I'Eloge d'Eulf.r par CoOflorcet, et de diverses Nu les par M. Labey, docteur ès-Scieuces de l'Université, Instituteur à l'Ecole Polytech- nique , etc. , 2 forts vol. in-8. de 1 180 pag. , imprimés eu caractère neufdit Cicéro eros- cett, et sur papier carré fin avec le portrait de l'auteur , 1812, broch. l5 fr.

EVANS 1 Oliver ). MANUEL DE L'INGE- NIEUR MÉCANICIEN, Constructeur de machines à vapeur, traduit de l'anglais par Doolitlle , in-8. , avec 7 pi. , 2'. édit , l825.

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EXERCICES et Manoeuvres du canon à bord des vaisseaux du Roi, et Règlement sur le mode d'exercice des officiers et des équipa- ges; nouvelle édition, augmentée de Nou- vi lhs Manœuvres des deux bords , et de plusieurs Tables de Poinla^e, extraites de Churucca, par un officier de marine , AN il- laumez); I vol. in-8., l8l5, 2 fr.

FAVIÉR, Ingénieur en elirf des Ponts el Chaussées. EXAMEN DES CONDITIONS DU MODED'ADJl DICATION DES! B ï- VAUX PUBLICS, suivi déconsidérations sur l'emploi de ce mode et de celui de régie, br. in-8., 1824. ' tr-5oc-

FISCHER , Membre honoraire de l'Académie des Sciences de Berlin, etc PHYSIQUE

MÉCANIQUE, traduite' -le l'allemand, avec des Noies cl un Appendice sur les anneaux colora; , la doiiblt réfraction et la polaxistlioa

8

de la lumière, p*r M. BIOT , membre de d* l'Institut, trois, éctit., revue et considé- rablement augmentée, I vol. in-8., avec pi., 181Q. . . , 6 1V.

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FRANCOEUR Professeur de la Faculté des Sciences de Paris. ex-Examinateur des Can- didats de l'École Polytechnique , etc.URA- NOGRAPHIB, ou Traité élémentaire d'As- tronomie, à l'usage dis personnes peu ver- sées dans les mathématiques, des Géogra- phes, des Marins, des Ingénieurs, accompa- gnée île planisphères, troisième édition, revue et considérablement augm. , 1 vol. in-8., 1821", avec planches ,<){>■

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GÉOMÉTRIE ANALYTIQUE, on appli- cation de I Mcèbre à la Géométria, seconde édition, revue el augm , I vol. in-8. avec

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LEÇONS DE GA LCUL DIFFÉRENT! KL,

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GAUSS. RECHERCHES ARITHMETI- QUES, traduites par M. l'ouiel- Dclisle, Elève de l'Ecole Polytechnique et Professeur de Mathématiques à Orléans, I vol. in-4-, 1807. 18 IV.

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7 fr. 5o c.

Essais sur l'Enseignement en général , cl sur "dm dus Mathématiques «u particulier , nu

Manièro^ptudier et d'enseigner les Malhé- mathiques , 1 vol in-R., seconde édition, re- vue et augmentée, 1816. 5 fr. -TRAITÉ ÉLÉMENTAIRE DU CALCUL DES PROBABILITES , in-8. , 2'. édition , avec une planche, 1822. 5 fr. LAGRANGE, Sénateur, Grand Officier de la Légion-d'Honneur, Membre de l'Institut et du Bureau (h-s Longitudes de France, etc LEÇONS SUR LE CALCUL DES FONC- TIONS; nonv. édiliou , revue, corrigée et augmentée, in-8. 6 fr. 5o c. Elles contiennent des formules et des métho- des nouvelles.

—DE LA RÉSOLUTION DES ÉQUATIONS NUMERIQUES de tous les degrés, avec des Notes sur plusieurs points de la Théorie des équations algébriques, in-4 i 3e. édition, revue et corrigée. Ouvrage adopté par l'U- niversité pour renseignement dans les Ly- cées, etc., 1826. i5 fr. Celte 3e. édition est précédée d'une analyse de cet ouvrage .par M. Pomsox de [Institut.

THEORIE DES FONCTIONS ANALYTI- QUES ; nouvelle édition , revue , corrigée et augmentée par l'Auteur, in-/k. , i8l3.

i5.fr.

-MECANIQUE ANALYTIQUE; nouvelle édition , revue et augmentée par l'Auteur , 2 vol in-4., l8jl et i8i5 36 fr.

[L Auteur a fait des augmentations considé~

rutiles à cette nouvelle édition.)

Le tome second se vend séparément , pour ecux qui ne l'ont pas retiré. 18 fr. Lagrahgc a publié un grand nam'irc fie Mé- moires d,ans la collection des Mémoires de l' -/endémie des Sciences ; quelques-uns se ven- dent séparément-

LAGRIVE. MANUEL DE TRIGONOMÉ- TRIE PRATIQUE , revu par les Professeurs du Cadastre , MM. .'.eynaud , Harros, Plau- zol el Boson, et augmenté des Tables des Logarithmes à l'usage des Ingénieurs du Ca- dasi re, 1 vol in-8. 7 fr.

LALANDE. Membre de l'Institut, Directeur de l'Observatoire. TABLES DES LOG \- R ITHMESpour les nombres et lessinus, etc., revues par .Revnaud . Examinateur des Can- didats de l'EcoicPolvIechniquc. PRÉCÉDÉS DKLATRIGONOMÉTRIERECTILIGNE SPHERIQUE, par le même; I vol. in-18, avec planches , 1818. 3 fr.

Les Tables de Logarithmes de LALANDE

seules , sans la Trigonométrie de M. Reyuaud ,

se vendent séparément. 2 fr.

-HISTOIRE CÉLESTE FRANÇAISE, i„-4.

r5 fr.

- BIBLIOGRAPHIE ASTRONOMIQUE , in-4- . 3o fr.

LAME, Elève Ingénieur au Corps royal des Mines. Examen des différentes méthodes employées pour résoudre les PROBLEMES DE GÉOMÉTRIE; in-8., avec pi. , 1818.

2 fr. 5o c

LANCELIN. INTRODUCTION A l.'ANA- .LYSE DES SCIENCES , ou de la Généra- tion des fondemens et des instrument de nos connaissances , 3 vol. in-8., i8o3. i5 fr.

LANZ et BETANCOURT. ESSAI SUR LA

11

COMPOSITION DES MACHINES , a«." édition , revue , corrige'c el considérablement

augmentée, vol. in— 4- avec '3 S1'- F1 î '^'9 b if> I,.

L\PEYP,OUSE (de). TRAITÉ SUR LKS MINES ET LKS FOP.GES .lu comte de Foix , in-8., avec 6 grandes planches. 6 fr.

LAPLACE f M. le marq. de |, Pair Je France, Grand-' 'fllcier de la Légion- d'Honneur , Membre de l'Institut, du Bureau des Longi- tudes de France, des Sociétés royales de Londres, deGollingue. etc. TKAITEDE MECANIQUE CÉLESTE, 5 vol. in-4, 1798 à 1825. 92lr-

Le même , grand papier vélin. 18" fr. Le 4* vol. de cet ouvrage, qui consent de

plus la Théorie •!■■ faction capillaire el un

Supplément faisant suite au deuxième livre de

la Mécar.ii/ue céleste .se \enii séparément, 21 fr.

Chaque Suppl. , séparément. 3 fr. 5o c.

Le même , grand papier velin. J2 lr.

MÉCANIQUE CELESTE, toro. V, in-4-, !825. . 26 lr-

_ IMPOSITION DU SYSTEME DU MON- DE.;")1', édition, revue el augmentée par l'Auteur, in-4-, 1824. avec pnrl rail , (5 fr.

Le même ouvrage, 2 vol. in-8 , sans porl., 1824 '2 ''■

TBÉORTE analytique DES PROBABILI- TES , I vol. in-4-, troisième édition , 1820 avec le 4e- supplément. 27 fr. 5o C

Quatrième Supplément à la Théorie des Pndialiililés , 182:"), séparément. 2 fr 5o C.

ESSU. philosophique SUR LKS PROBA- BII ITÉS, 5e. édition, revue et augmentée, in 8., 1825. 4 fl-

PRÉCIS DEL'HISTOIRE D'ASTRONO-

Ml 1 vol. in-8 , 1821, 3(V.

LAROUYRAYE de). L'ART DES COM-

B \TS SUR MER , dédié au Duc d'AngOU-

léme , i:i 4- avec H-, « 9 '' '

LASALLE.TRAlTEÉLEMENTAlRED'rt*.

DROGRAPHIE appliquée a toutes le- -par- lies du pilotage , etc. 1 vol. in-8. , avec pi , 1817. 6lV-

LEI-ÈYKK, Géomètre en chef du Cadastre. NOU V E \ U TRAITE DE 1 .'A R PENTAGE, à l'usage des personnes qui se destinent à lé- tal d'arpenteur, au levé des plans et aux opérations i\u nivellement . quatrième édi- tion entièrement refondue et augmentée d'un Traile de Géodésie pratique , ouvrage conte- nant tout ce qui est relatif à l'arpentage , l'aménagement des bois el la division des propriétés; ce qu'il faut connaître pour les grandes opérations geodésiques et le nivelle- ment , 2 vol. in-8. avec 29 pi nouvellement gravées, donl une coloi . pour les teinte, convenlionelles, 1826 , lb fr

MANUEL DU TRIGONOMETRE , ser- vant de Guide aux jeunes Ingénieurs qui se désignent aux opérations geodésiques; suivi de diverses solutions de Géométrie prati- que, de quelques Notes el de plusieurs Ta- bleaux , I vol- in-8. , avec planches ; 1819.

5 fr.

LEFRANÇOIS. ESSAIS DE GÉOMÉTRIE ANALYTIQUE , 2e. édition , revue et aug- mentât , i vol. in-8., 1824. 2 IV. 5o-e

LV.GENDP.E, .Membre Je lins! 1! ut el delà Légion-dTIonneHr , Conseiller titulaire de r: oiyer ité. ESSAIS SUR LA THEORIE NOMBRES , 2" éditic* , revue et con- sidérablemenl augm., in-4-, 1808 , avec deux Supplémens , imprimés en 1816 et en l82.5.

24 fr. Le Siipplémenl imprimé en 1816 se vend sé- parément . 3 'r. Celui imprimé en l825. , 3 fr.

Nouvelle Méthode pour la DETER- MINATION DES ORBITES DES CO- MÈTES , avec deux Supplément contenant divers perfeoiioonemens de ces Méthodes et leui application aux deux Comètes de i8of>, 1806. iii-'j.. m ff. Le deuxième Supplément, 1820, se vend

séparément . 4 "•

- EXERCICES DU CALCUL INTEGRAL sur divers ordres de transcendantes et sur les quadratures, irvol. in-q- avec les supplé- mens. 181 1 à 1819. 72 fr.

LEGENDRE et DELAMBRE. Méthode ana- lytique pour la dctermiualion d'un aie du méridien . in-4. '■'

LE NORMAND, professeur de teclmo'ogie. etc. NOUVEAU MANUEL DE L'ART DU DE- GB USSEUR, etc. ou Inslruction sur les mo\ens d'enlever soi même toutes sortes de taches; 3e. edit., revue, corrigée et aogincu tée duo .Ip-pentliee sur la manière de blan- chir le papier et d'enlever les taches d'encre, de graisse, de cire ou d'huile sur les livres et estampes, etc., 1 vol. in-12, avec une planche, 1826. 3 fr.

L'ART DU DISTILLATEUR des eaux-de- ùe et des esprits , 2 vol. in-8. , fig. , 1817.

18 fr. LEPAUTE Horloger du Roi. TRAITE D'HORLOGERIE, contenant tout ce qui est nécessaire pour hien connaître et pour régler les pendules el lis montres, la des- cripliou des piec.es d'horlogerie les plus uti- les, etc., vol. in-4-, avec 17 pi. ?.\ fr. L1IUILLIER . membre de la Société (TEnoou- rarement de Boue,,. QUELQUES 11 NOUVELLES SUR L'ART D'EMPLON EU L'EAU comme m< des roues hydrauli- ques, in-8 , l823. tig. 2 i'r ÛO c. L'IIUILLIER ET PETIT. DICTIONNAIRE DESTEKMES DE MARINE ESPAGNOLS ET FRANÇAIS, in-8 8 fr. LIBES, Professeur de Physique au Lycée Cbarlemagne à Paris, èlc. 'HISTOIRE PHI- LOSOPHIQUE DES PROGRES DE LA PHYSIQUE, 4 vo1- 'n-8., 181 1 et 1 S 1 4 -

20 fr. Le quatrième volume se vend séparé

- J 5 IV. TMAITÉ COMPLET ET ÉLÉMENT \ IRE

DE PHYSIQUE, présenté dans un ordre nouveau, d'après 'es découvertes modernes; deuxième édition , revue, corrigée et con- sidérablement augmentée , 3 vol. in-8., avec 6g., i8.3. 18 fr.

( Tous les Journaux oui fait le /dus grand

éloge de cet deux Ouvrages )

MAGRÉ. LE PILOTE AMÉRICAIN, eon-

12

tenant la description des côles orientales de l'Amérique du nord, depuis le fleuve Saint- Laurent jusqu'au Mississipi, et Irad. de l'anglais, el publié par ordre du ministre

( de la marine, 1826, in-8. 5 IV.

"AIALUS, Lieutenant-Colonel au Corps du Génie . Membre de l'Institut d'Egypte THKOKIE DELA DOUBLE REFRAC- TION DE LA LUMIERE dans les Substan- ces cristallisées, in-q., avec t>1 12 fr.

MARCHAND. VOYAGE AUTOUR DU MONDE en 1790, 1791 et 1792, 3 vol. in-4, , atlas. A8 fr

MARCEL DE SERRES. ESSAI SUR LES MtTS et les Manufactures d'Autriche , 1814 3 vol. in-8 , avec 3j planrl,., 21 fr.

MARIE et LA CAILLE LEÇONS ELEMEN- TAIRES DE MATHÉMATIQUES, cinq, édition, suivie de Notes et Additions par M. Labey, 1811. Ouvrage adopte' par l'Uni- versité, in-8. 6fr.5oc.

MARIE, Professeur de lîatlicmatiquvs el de Topografliie. PRINCIPES DO DESSIN ET DU LAVIS DE LA CARTE TOPO GRAPHIQUE , présentés d'une manière élémentaire et méthodique , avec tous les développement nécessaires aux personnes qui n'ont pas l'habitude du Dessin, ace infpa- gne's de 9 modèles , dont huit sont e >loiiés avec soin; 1 vol. in-q\, ôblong., 182.5. t5 IV.

MASCHEROM. PROBI ÈMES DE GÉOMÉ- TRIE, résolus de différentes manières, tra- duit de l'italien , 1 vol. in-8. , 18 >3. 3 fr,

MAUDUJT, Professeur de Mathématiques au Collège de France à Paris. LEÇONS ' El E- MENTAIRES D'ARITHMÉTIQUE , ou Principes .1 Analyse numérique, iu 8., nouv édition , 48o3. 5 |,

LEÇONS DE GÉOMÉTRIE THÉORI- QUE ET PRATIQUE, nouvelle édition, revue, corrigée el augmentée, 2 vol. in-8.. 1817, avec 17 p|. lofl.

MAYNIEL, Chef de bataillon au corps du Génie , .sous-directeur des fortifications TRAITE EXPERIMENTAL. ANALYTI- QUE ET PRATIQUE DE LA POUSSÉE DES TERRES ET DES MURS DE REVE- TEMENT, contenant : 1». l'Exposition et la Discussion des expériences anciennes et nouvelles sur la poussée des terres ; 2 \ l'Ex- position et la Discussion des diverses théories sui la poussée des terre-, : 3". la Comparai- son des nouvelles expériences sur la théorie de Coulomb, généralisée, el application de celle théorie; q°. Traité pratique sur la poussée des terres et des murs de révèle-

ment ; suivi d'un Appendicosurle frolfemenl des vannes dans leurs coulisses, 1808, I vol ïn"4 .12 fr-

MECANIQUE ET DESCRIPTION DE M \- C11INES RELATIVES A L'AGRICULTU- RE ET A V \ \ RTS ( recueil de) , par Pcr- son . m /( . avec 18 pi. IO rr

MELANGES D'AIN W.YSE ALGÉBRIQUE ET DE GEOMETRIE, par de Slainville , 1 vol. n,-8., i8ir>, avecpl. 7 ii-.5o c.

MAZURE - DUHAMEL , Conservateur de

l'Ohteivaloin de la Hlarine et .Professeur à

CMcoltde Navigation à Toulon. MÉMOIRE;

EUR L'ASTRONOMIE NAUTIQUE, \«-'A.

avec 1 pi. et tableaux. 7 fr. 5o c.

MÉMOIRES DE L'INSTITUT, Sciences physiques el mathématiques.

Tôm. 1 ,8fr.

2 2$

3. .... « ,8

4- - . •• i*

5 20

6 20

7 ou 1806 ............. 2^

8 ou 1807 . 20

9 ou 1808 2rt

10 ou 1809 20

* Il OU l8lO , 2 vol 22

* 12 OU l8l 1 , 2 vol 2.r>

* »3 OU )8irî, 2 vol. ...... 23

* 14 ou i8t3, 1814, i8i5, iT. . 18

* Acad. des Se , 1816, loin. I. . 18

* 1817 , 2. . 20

* 1818, 3. . a:>

* 1819 et 1820 , 3o

Savant étrangers.

Ton

Tôt

Toni.

Base du 2*

!r\;

L\ par Biot «t Arago . . . . . Science morale *t politique.

36 18

système métrique.

littérature el Peaux-Arts.

18 18 18

20

Littérature ancienne.

Tom. * I et 2 /12

* 3. et 4 /|2

, * 5. cl 6 ,48

MEMOIRES SUR LA TRI00N0ME1 RIE sphérique, par uu Officier de l'État-Ma- jor, elr., in-8., I fr. -r>o e.

MOLLET, ex-Doyen de laFaculté desSciences de Lyon, etc. GN0M0N1QUE GRAPHI- QUE, ou Méthode simple et facile pour tracer les Cadrans solaires sur loules sortes de plans et sur les .surface- de la sphère , el du cylindre droil , sans aucun calcul , et en 11e faisant usrtge que de la règle cl du compas , deuxième édit , suivie de la Gno- monique analytique, etc., I vol, in-8 , 1820, avec S planches. 2 fr. 5o c.

MONGE, G.) anrien Sénateur, Membre de l'Institut. GEOMETRIE DESCRIPTIVE; l\" . édit., augmentée d'une Théorie des Om- bres et de ia perspective, extraite des pa- piers de l'Auteur, par M. RRISSON, ancien Élève de l'École Polytechnique, Ingénieur

13

en i'-hff des Pontiot Chaussées, ! vol. in-q\, ■vec i8pl , 1820. , , 12 h.

MONGE. TRAITE ELEMENTAIRE DK ST VTIQUE, à l'usage îles Ecoles de la Marine, in-8., o'1'. édition, revue par M. Ilaclielle, ex-IWlitnteur del'Ecole Polytechnique. Ou- irag adopte' par l'Université pour I ensei- gnement dans les Lycées. 3 IV. 2J e.

NOËL

ap,.l

MONTKIRO-DA-ROCIIA , Commandeur de l'Ordre du Chris! , Directeur de L'Observa- toire de l'Université de Coïmbre , etc. ME- MOIRES SOB L'ASTRONOMIE PRATI- QUE, traduits du portugais?» U. deMello, in-4, 1808. 7fr.5oc.

Cet ouvrage, dont les Journaux .rientin- ques, et surtout le Bureau des Longitudes, ont rendu un compte très-avantageux , con- tient indépendamment des autres Mémoires , un Traité sur les Eclipses sujettes aux paral- laxes . le plus complet et le plus simple qui ait paru jusqu ici.

WOM'GKHY (dr\ Capitaine de frégate RÈGLES DE POINTAGE a bord des vais- seaux, ou Remarques sur ce qui est prescrit à cet égard, dans les exercices de loi" a 181 I : suivies de Notes sur diverses branches d'artillerie en général , et en particulier de l'artillerie de la Marine, 1 vol. in 8. 5 fr. MEMOIRE SUR LES PETARDS 1- 'U >T-

TANS el sur les mines flottantes, ou ma- chines infernales maritimes, br. iu o. . 18(0. , , 2fr-

* - TRAITE DES FUSEES DE GUERRE , nommées autrefois Roeliel les, et maintenant Fusées à la Congrève , in-8., 182J , ligures.

(j fr. MONTUCLA. HISTOIRE DES MATHEMA- TIQUES . dans laquelle on rend compte de leurs progrès depuis leur origine jusqu'à nos jours ; l'on expose le Tahleau et le développement des principales découvertes dans toutes les parties 'les Mathématiques, les contestations qui se sont élevées entre les Mathématiciens, el les principaux traits de la vie des plus célèbres. Nouvelle édition , considérablement augmentée, et prolongée jusque vers V époque actuelle, achevée cl publiée par Jérôme de Lalande, t\ vol. 111-4 - avec figures. 00 Ir

Il resie encore quelques exemplaires des lom. II! et FV, qui *e vendent séparément desdeux •premiers vol. '*'■

Cet ouvrage est ce qui existe de plus com- plet Jusqu'à préseui eu cette partie, *MOREL( ira] PRINCIPE ACOUSTIQUE

nouveau el universel de la Théorie musicale, ou la Musique expliquée, I vol. avec pi. ,

1816. . 7 fl-

NEWTON. ARITHMETIQUE UNIVER- SELLE, Ira. Unie eu français par M. ban- deux, avec des noies explicatives, 2 vol. in-4- , >4 planches. 'r'

NICHOLSON. DESCRIPTION DES MA- CHINES A YAl'Kl R, el détail des princi- îangemens qu'elles ont éprouves de de leur invention , et desame

AlSÂBBI Kf.ÉMEKTAIliE raisonne'»- et je',- , 1 vol in-8., 18 u. 5 fr.

Minii;. RECUEIL COMPLET DETA«LES UTILES A LA NAVIGATION. ( r„>. Violaine ). iA

NOUVELLE THÉORIE DES PARAL- LELES avec un appendice euiiieuani la ma- nière de perfectionner la théorie des paral- lèle «le A M . Legeodre, in-8. 2 IV. OBEINHI IM d' , ancien sous-directeur des fortifications, etc. BALISTIQUE, indication de quelques expériences propres .1 compléter la théorie du mouvement des Projectiles de 1' Vrtillerie, etc. Strass un g, 18:4. m-8., avec 3 pi. , . 6' fr. PA1X1IANS, Elève de l'Ecole Polytechnique, Chef de bataillon au Corps royal d'Artille- rie. et« NOUVELLE FORCE M LBITIME et application de cette force à quelques par- ties du service de l'armée de terre-, ou Issai sur ta t actuel des moyens de la force ma- rilime; sur une espèce nouvelle d'artillerie de mer qui détruirait proiuplemeut b s vais- seaux de haut bord ; sur la conslruction de navires à voiles cl à vapeur, de grandeur modérée, qui, armés de cette artillerie , donneraient une marine moins coûteuse et plus puissante que celle existante, el sur la foreeque le système des bouches à feu proposé offrirait à terre pour les batteries de siège , de plaee , de côtes et de campagne; in-4- avec 7 planches, 1822. 18 Ir. —EXPÉRIENCES FAITES PAR LA MA- RINE FRANÇAISE, sur une arme nouvelle, changemens qui paraissent devoir eu résul- ter dans le système naval , el examen de quelques questions relatives à la Marine, à l'Artillerie, à l'attaque el à la défense des Côtes et des Places, in-8. 1825. 3 fr. PARTSOT. TRAITE DU CALCUL CONJEC- TURAL, on l'Art de raisonner sur les choses futures et inconnues , in-q., 1810. i5 fr. PAUCTON. TRAITÉ DK METROLOGIE, ouTraitédes Mesures, Poids et Monnaies des

anciens el des modernes , in-q. 18 IV.

PERSON. RECUEIL DE MECANIQUE ET DESCRIPTION DE MACHINES RELA- TIVES \ L'AGRICULTURE ET AUX

ARTS, in 4. , av. «g* S pi., 1802. IO IV.

PERTUS1ER, officier d'artillerie de la garde

royale

LA FORTIFICATION ordonnée

paux

puis l epoq

lioratious qui les ont l'ail parvenir à leur étal

actuel de perfection. Ouvrage traduit de I an- glais, I vol. in-8. avec 8 pi , 1820'. 5 fr.

d'après les principes de la Statique et de la Balistique modernes , etc. 1822, in-8. avec atlas. 2J Fr.

Cet ouvrage n'a été tiré qu'à 400 exemp. , i?.3 seulement ont été livres au commerce.

La Moldavie el !.l Val.lrliie, cl de l'iu-

llnence publique des Grecs du Fanai* in-8., 18 '.2. 3fr.

POINSOT, Membre de l'Institut et de U l.é- gion-d'Honueur, Inspecteur-général de l'U- niversité, Kx.11ni11.1i eue d'admission .1 l'Ei ola Polytechnique él a l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cvr, etc. TRAITE ■tEMEN- TAIRE DE'STATIQI E, adopte pour l'Iu-

struclion publique, iu-S , -j' édit. , l8n,

.11 ec pi. ■* 'r>

MÉMOIRE SUR L'APPLICATION DE

u

L ALGEBRE A LA THEORIE DES NOM- BRES, in-4., 1819. 3 IV. POINSOT. RECHERCHES SUR L'ANA- L\'SE DES SECTIONS ANGULAIRES,

«n-4., l825. 5 fr.

ISSON, Membre de l'Institut, Professeur à l'Ecole Polytechnique, cic. TR îlTEDE MÉCANIQUE, 2 vol. ia 8., avec 8 pi., 181 1.

12 fr.

*P0MMIÉS. MANUEL DE L'INGÉNIEUR DU CADASTRE, contenant les connais- sances théoriques et pratiques utiles aux Géomètres en chef et à leurs collaborateurs, pour exécuter le levé gênerai du plan des communes de France, conformément aux instructions du Ministre des Finances sur le cadastre de Fiance; précédé d'un Traite de Trigonométrie recliligne, par A. A . Reynaud, vol. in-^. , 1808. 12 fr.

PONCELET, ancien élève de l'École Polytech- nique, capitaine au corps royal du Génie. TRAITÉ DES PROPRIÉTÉS PROJEC- TILES DES FIGURES, ouvrage ulileàceux qui s'occupent des applications de la Géo- métrie descriptive, et d'opérations géométri- ques sur le terrain, in-4. 1 1822. 16 fr,

POULLET-DELISLE, Professeur de mathé- thématiques au Lycée d'Orléans. APPLICA- CATION DE L'ALGEBRE A LA GÉOMÉ- TRIE, m-8. , 1806. , 5fr.

—RECHERCHES ARITHMETIQUES, trad. du latin de GAUSS, in 4. 18 fr.

PRONY, Membre de l'Institut. LEÇONS DE MÉCANIQUE ANAL\TIQUE, données à l'ÉCOLE POLYTECHNIQUE, 2 vol. in- q., i8i5. 3ofr.

Le même ouvrage, 2 vol. in-4-, grandpapier,

36 fr.

Et les autres ouvrages du même auteur. PROUST. Recueil de Mémoires relatifs à la

poudre à canon; extrait du Journal de Phy- sique , in-4- 18 lr. PUISSANT , Officier supérieur , Chef des études à l'Ecole <!'A pplicatiou des Ingénieurs Géographes, ele RECUEIL DE DIVERSES PROPOSITIONS DE GÉOMÉTRIE, ré- solues ou démontrées par l'analyse, 3% édit., augmenter d un précis sur le LEVE DES PLANS, in-8., avccfl 1824. 7 fr.

TRAITE DE GEODESIE, ou exposition des Méthodes trigouo métriques et astronomi- ques, applicables, soità la mesut edëla Terre, soit à la confection il 11 canevas des caries et des Plans lopographiques, 2^. éd., 2 vol. in-4-, formant ensemble plus de 800 p. , avec l3 pi., 1819. 3o fr.

—MÉTHODE GÉNÉRALE, pour obtenir le résultat moyen dans une série d'observations astronomiques lai les avec le cercle répétiteur de Borda, in-/| . 18?. 1. 6 fr.

—TRAITÉ DE TOPOGRAPHIE , d'Arpen- tage et d( Nivelleini :i , 2e. édit. , considéra- bleroiq^ augmentée, 1 vol. in-4., nvr' 9

pi. gravées par M. A 'la in. 20 fr.

OBSERVATIONS sur les difTénoi . s ma- nière; d'exprimer le relief du. terrain, y. édition , 1821». iu-8.

QUARTIER DE RÉDUCTION et ajtro'nomi:

que en usage dans la Marine, en feuille. 60c. collé sur carton. I fr. 5o c.

RAMSDEN. DESCRIPTION D'UNE MA- CHINE pour diviser les iosirumeus île ma- thématiques, traduit de l'anglais par La- lande, I 770, in-4-, grand papier , fif 6 fr.

RAVIINET , sous-chrf à la divisio: enerale desPonlt-el-Chaiissées Dictionna^ '. hydro- graphique de LA Ff.ANCE, contenant la des- cription des rivières et canaux Ilot tables et navigables dépendans du domaine public , avec un tableau synoptique, indiquant le système général de la navigation intérieure ; ouvrage couronné par 1 Académie royale des Sciences; suivi de la Collection complète des Tarifs des Droits de Navigation ; 2 vol. in-8. avec une très-grande Carie de la Navigaiion intérieure, publiée par la Direction des Ponls-et-ChaiiNScrs. i5 fr.

Le tome deuxième, contenant le. lois, rè-

glemens , etc , relatifs à la Navigation, se

vend séparément. 8 fr.

REKOUL. ( An toi ne- Joseph ) TABLES NOU- VELLES DEVENUS, d'après la Théorie de M deLaplace, et d'après les Elemens de

M.

Linde

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NOTES SUR LA NAVIGATION DE BE- ZOUT, in-8. 3 fr.

RF.VNAUD, Examinateur des Candidats de l'Ecole Polytechnique . ARITHMETIQUE, à l'usage des élèves qui se destinent à l'Ecole Polytechnique et à l'Ecole Militaire, 12e. édition, augmentée d'une Table des Loga- rithmes des nombres entiers , depuis un jus- qu'à dix mille , I vol in-8., 1824. 3 fr. 5o c.

TRAITÉ D'ALGÈBRE, a l'usage des élèves qui se destinent à l'Ecole Polytechnique et à lécole spéciale Militaire, I vol. in-8., 5e. édit.; lb*2I. 5 fr 5o c.

ALGEBRE, ancienne édit., 2e. section, 1 vol. in-8. , 1810. 5 fr,

TRAITA DE L'APPLICATION DE L'ALGÈBRE A LA 'GEOMETRIE ET DE TRIGONOMETRIE, à l'usage desélèves qui se destinent à l'Ecole Polytechnique ; 1 vol. in-8. avec 10 pi , 1819. 6 fr.

_ COURSÉLÉMENTAIREDEMATHÈMA- TIQUES, DE PHYSIQUE ET DE CHI- MIE, à l'usage des élèves qui se destinent à subir les examens pour le Baccalauréat ès- leltres, I vol. in-8. , l82rj- 6 fr.

TRIGONOMÉTRIE RECTILIGNE ET SPHERIQUE, 3*> édit., suivie desTA BLES DES LOGARITHMES dés nombres cl des lignes trigonométriques de'LALANDE, iu- 18 avec fig.,1818. i Fr Les Tables de Logarithmes del.ALANDE

seules , sans la Trigonométrie, se vendent se - parémi ni '■'• fr.

ARITHMÉTIQUE à l'usage des Ingénieurs du Cada; ire, in-8. 5 fr.

<UEL cic 1*1 hgenieur du Cadastre; par MM. Po'inmfés cl Ri yi aud, 1 \-&. 12 fr.

—TRAITE DE TRIGONOMETRIE do La- rive, dvéc les notes de Reynaud , in-4.

7 ''•

et DUHAMEL. PROBLEMES ET DEVE- LOI'PEMÉNS sur les diverses parties des

mjllie'matiquos, in-8. avec il pi., 1823

fi fr.

REYNXLD. NOTES SUR L'ARITIIMl.TI-

.. i!M BEZOUr, u" édit.; in-8 , 1S23

a li\ 5:i c:

SUR LA ÔEOMÉTRIE, iu 8. , 1825.

4 f'--

SUN L'/LGEBRE, el application de l'Algèbre-S la Géométrie ; in-8., loVl.q fr

RIVAKD. Tli'.ITF 1)1-: LA SPHÈRE ET DU CALENDRIER; 7". édit, (faite sur !.. 6'c. donnée par M. Lalande j , revue et aug- mentée de notes el addil , par M. Puissant , officier supérieur; 1 vol. in-8., avec 3 pi bien gravées, 1816. 4 'r

ROMME, Associé de l'Institut de France.

TABLEAUXDES VENTS, DES MAREES ET DES COUR ANS qui oui éié observés sur toutes les mers du glche, avec des ré- flexions sur ces phénomènes, 2 vol in-8., 1817. 12 fr.

RUGGIERI. ÉLEMENS DE PYROTECH- NIE divisés en cinq parties: la l'e. ronlenaiit le Traité des matières; la 2e. les feux de terre, d'air et d'eâu : la 3°., les feux d'aéros- tation ; la Ae, , les feux de théâtre et les feux de guerre j suivis d'un Vocabulaire el de la Descriplionde quelques feux d'artifices, ele ; 2e. édit> revue, corrigée el augmentée de nouvelles découvertes el inventions faites par fauteur, telles <iue les beaux feux verts, ba- guelles détonantes pour eviler la cliule dangereuse des fusées volantes , ele. , I vol

in-8 avec 39 pi. , 1821. 9 f''-

PYROTECHNIEM1LITAIRE, 1812, 1 vol.

in-8. avec pi 6 fr.

SÉGUIN. MANUEL D'ARCHITECTURE, ou Principes des Opérations priniilives de cet Art, l'on expose des M cl h odes abrégées la ni pour 1 évaluai ion des surfaces el solides circu- laires que pour le développement des cour- bes, et pour l'extraction des racines carrées et cubiques, par de nouvelles régies fort simples. Cet ouvrage est terminé par une table des carrés et 'les cubes, dont les racines commencent par l'unité et vont jusqu'à dix mille, in-8 . aved 1 0 pi . 6 fr.

—TABLES DES NOMBRES CARRÉS ET CUBIQUES, el dés racines de ces nombres, depuis Un jusqu'à dix nulle. 3 fr.

3ERVOIS. SOL1 TIONS PEU CONNUES de difl'éreus problèmes île Géométrie prali- qur, 1 vol. in-8. 2 fr. 5o c.

SGANZ1N, Inspecteur général des Pouls el Chaussées, etc. PROGB tMMES ni) RE- SUMES DES LEÇONS D'UN COMts i>h CONSTRUCTION, avec des applications tirées principalement de I' \rl de l'Ingénieur des Ponts el Chaussées , 3°. édition revue cl considérabl. aug., 1 vol. in-4 , 1821 avec i»pl. , i5 fr.

SIMONIN TRAITE D'ARITIIMÉTIOUE DECIM U.E , 1 vol. in-8. a IV.

S"5 l.\ ESTRE. Tl! I II E D' VRITHMETI- QUK 'u iage des Pen lionnal - el des Écoles Chrétiennes, 3". édit., 1822. £> fr.

SIMMENCOURT. TABLEAUX DES MON- NAIES de change et des monnai. \. réelle», des poids et mesures , des cours des changes

cl des usages commerciaux des principales villes du monde, ou Répertoire du bananier,

in-4- >K'7- 3 fr.

SINGER George . ELEMENS D'ELECTRI- CITE ET DE 0 W.V FNISME, traduit de

l'anglais par TU 1 1.1. \ 1 h , Professeur au

l.oiiis-le-ljraiid , 1 fort vol. in-8.,

i8i(>. 8fr.

SMEATON. (KoyeaGlRARO.)

SOULAS. LA FEVE1-. DES PLANS ET L'ARPENTAGE REND! S FACILES , précédés de notions élémentaires de Trigo- nomélrie recliligue à l'usage des employés au Cadaslre de la France, deuxième édition, revue et corrigée, 1 vol. in-8., 1820, avec 8 pi. 3 fr.

STAINVILLE ( De \ Répétiteur à l'Ecole Polytechnique. MELANGES D'ANALYSE ALGEBRIQUE ET DK GÉOMÉTRIE,

I vol. in-8. de 60O pages, iS 1 5 , avec 3 pi.

ST1RL1NG. ISAACI NEWTON) ENDME^ RATIO LINEARUM TERTf I ORDINIS,

sequilor illustratio ejusd. Iraclalûs, in-8. 7 fr. 5o c.

SUZANNE, Docteur ès-Sciences , Professeur de Mathématiques au Lycée Charli magne à Pari., eic. DK LA MANIÈRE D'ÉTUDIER LES MATHEMATIQUES; Ouvrage destiné à servir de guide aux jeunes gens, à ceux surtout qui veulent approfondirceltescience, ou qui aspirent à élre admis à 1 Ecole Nor- male OU a l'Ecole Polytechnique, 3 vol. in-8.. avec fig.

Chaque partie se vend séparément : savoir ,

fe. Partie. PRÉCEPTES GÉNÉRAUX ET ARITHMÉTIQUE, seconde édition, considérabl. aug., in-8. 6 fr

2e. Partie. AI.GÈBRE , épuisée , in-8. ne se vend plus séparément.

3e. Partie. GÉOMÉTRIE, in-8. 6 fr. 5o c. TEDENAT , Recteur de l'Académie de

Nîmes. Ferons élémentaires D'ARITHME- TIQUE ot D'ALGÈBRE, in-8 5 fr.

Leçons élémentaires de GÉOMÉTRIE, in-8.

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Leçons élémentaires d'APPLICATION DE L'ALOÈiiRE A LA GEOMETRIE, el Cal- culs différentiel cl inle'gr., 2 M)l. in-8 , lofr.

THEVENEAU,.COURS D'ARITHMETIQUE à l'usage des Ecoles centrales et du Commer- ce , in-8. 3 fr.

THIOl T aîné, maître horloger à Paris. TRAITE D'HORLOGERIE MÉCANI- QUE ET PRATIQUE, approuvé par l'Acad. royale des Se., a vai m-')., avec9i pi 36 IV.

! DGOLD ( Thomas) , Ingénieun .-ï v I . Membre de l'institution des Ingénieurs ci- vils. ESSAI PRATIQUE SJLR i.\ FORCE 1)1 FER COULÉ ET IPA UT R ES MÉ- TAUX, destiné à l'usage des ingénieur mailles de forges , des architectes . de. !,n- deurs, el de tous ce i\ qui s occupent de eonstruclionde machines, des bâtiment, etc., contenant des règles pratiques, des laide. et des exemples , le 1 «.■ «i ( fondé sur une suit.

d'expériences nouvelles, il i^e table étendue

des propriétés de divers ruaneViaux ; traduit de l'anglais, sur la deuxième édition, pat

16

T. Diverse, i vcd. in-8. avec plaiich., 1826. , 7 lr-

TRI DOOLD. PRINCIPES DE L'ART DE CHAUFFER ET D'AERER LES EDIFI- CES PUBLICS, les Maisons d'habitation, les Manufactures, les Hôpitaux , les Serres etc., et de construire les Eoye-rs, les Chau- dières, les Appareils pour la vapeur, les Grilles. les Étrtves, démontrés parle Calcul et appliqués à la Pratique; avec des remar- ques sur la nature de la Chaleur et de la Lumière, et plusieurs Tables utiles dans la Pratique ; trad. de l'anglais sur la 2e. édit. , psr Th. DljVERNE. I vol. iu-8. , avec planch. 1825. _ 7 ir-

TRAITÉ PRATIQUE surlescheminsenfcr

et sur les voitures destinées à les parcourir ; Principes d'après lesquels on peut évaluer leur force, leurs proportions et la dépense qu'ils nécessitent; ainsi que leur produit annuel ; conditions à remplir pour les rendre utiles, économiques et -durables ; théorie des .chariots à vapeur, des machines slatinunai- res , et de cetles l'on emploie le gaz. Leur effet utile et les frais qu'elles occasionent. Orné de planches, et contenant beaucoup de tables, in-8. 1826. , 5 lr.

TREUIL. Professeur à l'Ecole militaire de Sainl-Cyr. ESSAIS DE MATHEMATI- QUES, contenant quelques détails soi l'A- rithmétique, l'Alsèhre , la Géométrie et la Statique, in-8 , 1819. , 2 f r

* VALLÉE , ancien élève de l'Ecole Polytech- nique, Ingénieur au Corps royal des,lJonls- et Chaussées. TRAITE DE LA GEOME- TRIE DESCRIPTIVE, dédié à M. MON- GE. ( Ouvrage sur lequel l'Institut de France a fait un rapport très-avantageux.) 2e. édit , I vol. in-q., avec un atlas de 67 pi. , 1825. . 20 fr.

■"—TRAITE DE LA SCIENCE DU DESSIN, contenant la théorie générale des ombres , la perspective linéaire , la théorie des images d'optique , et la perspective aérienne appli- quée au lavis : pour faire suite à la Géomé- trie descriptive, 1 vol. in-4 , avec uu atlas de 56 pi., 182t. , 20 fr.

VASTEL ARITHMETIQUE DU JEU DE BOSTON , ou Chances Bostoniennes, in- 12. 1 lr. 5o c. VAN-BEEK. De l'influence que le fer des vais- seaux exerce sur la boussole , et un moyen d'estimer la déviation que l'aiguille éprouve de ce chef, trad. du hollandais; par M. l.ip- kins, in-8. 2 '•'. 5o c

VIOLAINE. RECUKIL DES TABLES UTILES A LA NAVIGATION, traduit de l'anglais de John William N.jkie, professe ui d'Hydrographie à Londres; précédé d'un ABRECE DE Ni \ IG ATION PRATIQUE, contenant ce qui est nécessaire et indispen- sable à toutes les «lasses de marins ; enrichi déplus, d'un VOCUBULA1RE des termes les plus usités dans la MARINE; le tout ex- trait nés 11 ic- il leurs A 11 leurs français, anglais espagnols, etc; recueilli, mis en ordre et augmente' df» Remarques et Observations nouvelles, par P. A. Violaine, ex-Commis-

saire de Marine, Professeur de Mathémati- ques ut de Navigation, etc., 1 vol. in,8. , i8i5. g fr

VOIRON. HISTOIRE DE L'ASTRJJV J:{E depuis |-»8l jusqu'à iStl, pour servir ne suite à l'Histoire de l'Astronomie de Bailly, in-4., '?»•■ 12 le.

(Cet ouvrage est indispensable aux personnes qui possèdent les 5 volumes de l'Astronomie de Baiilv.)

Wl LLAUMEZ, vice-amiral. DICTIONXUBE DES TERMES DE M\R1NE, nouvelle éd. revue et augmentée, 1825, vol. in-8, avec pi. dessinées et gravées par Bau-ean. 12 lr.

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Traité le LA volonté, et de ses effets, 4e- et 5e. parties, 2e. édit., in 8., 1818. 6' lr.

DUTENS. Analyse raisonnée des PRINCIPES FONDAMENTAUX DE L'ECONOMIE POLITIQUE, in 8., 1804. 3fr

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