mil (Il | 9 Z 1 LARS. Las R-V GAUTHIE MÉLANGES DU MÊME AUTEUR. LIBRAIRIE GAUTHIER-VILLARS. ag Traité d'analyse, trois volumes. “+ Théorie des fonctions algébriques de deux variables indépendantes, deux volumes. : : Quelques réflexions sur la mécanique, suivies d’une première leçon de dynamique, un volume. Sur le développement de l'analyse et ses rapports avec diverses sciences, un volume. La théorie de la relativité et ses applications à l'astronomie, | une brochure. 7 LIBRAIRIE ARMAND COLIN, Sur le développemevct, depuis un siècle, de quelques théories fon- damentales dans l'analyse mathématique. Conférences faites en 1899 . à Clark-University (États-Unis). IMPRIMERIE NATIONALE. Introduction générale (deuxième partie, sciences) aux re du jury international de l'exposition universelle de 1900. LIBRAIRIE FLAMMARION. La science moderne et son état actuel, un volume. ÉMILE es SECRÉT AIRE DE DÉMIE DES SCIENCES DISCOURS MÉLANGES PARIS GAUTHIER-VILLARS 1922 uction | tous pays. fs de reprod ervés pour ion Ë pe) © Hi Ë ® a 3 ’adaptat et d Tous droi à trouvera aussi is articles et des conte à divers sujets qe ont préoccupé éinane Eee Picaro. C classifications académiques aiment à placer les savants , des cadres bien définis, celui-ci est géomètre, cet autre , celui-là chimiste. La ere souvent. RES re non FIRE dei n’est pas HaEtiou née en spécialités. ya trouvé la place que méritaient la puissance de sou et te confrère se rappelait l’avoir vu souvent dans son 1 Notice lue en la séance publique annuelle de FAcadémie des es, le 12 décembre 1921. tout jeune ones passer ses vacances prés de lui dans la ne. 4 familiale de Cabrespine, petit village de l’Aude, et le goût si” prononcé qu'il eut toujours pour les humanités classiques fut € partie dû à son grand-oncle. Notre confrère aimait à raconter 1 que sa vocation scientifique lui était-venue de très bonne heure: : d’après lui, une part en revenait à un enseignement excellent 4 de l’arithmétique donné par une maîtresse d’un cours enfantiri 4 qu'il avait suivi avant d’entrer au Collège Stanislas, Mile Ar- nould. Si l’on accordait à ces souvenirs d’enfance plus d’impor- « tance qu'ils ne méritent, on pourrait y voir une manifestation précoce du goût qu’'eut toujours Duhem pour les déductions poursuivies en dehors de toute représentation figurée.. es Duhem fit à Stanislas d'excellentes études. Élève régulier, 42 s’intéressait à tout ce qu’on lui enseignait. Cependant l'histoire | É eut un moment ses préférences, et il s’en fallut de peu que. son professeur d'histoire, M. Cons, ne le décidât à se consacrer aux. recherches historiques. En fait, Duhem devait prendre plus tard un rang éminent dans l’histoire des sciences, et il ne lui. 2 fut pas indifférent d’avoir cultivé avec succès la version latine D et la version grecque, quand il se trouva en présence de manus=* crits latins du moyen âge et qu'il dut commenter les écrits de certains mathématiciens grecs. Maïs, de tous ses maîtres, aucun n’exerça sur lui une action comparable à celle de son professeur. de physique, Jules Moutier, théoricien pénétrant de la physique, qui paraît avoir eu le premier l’idée d'appliquer les théorèmes. de la thermodynamique à à la dissociation chimique. EI de Moutier fut très forte sur l’esprit de Duhem; d'autre part, le: maître apprécia vite les qualités puissantes de. son élève « Re- tenez bien le nom de votre camarade Duñem, disait-il un js ar ds _ portraits qu’il faisait de ses maîtres: il avait n réel talent de caricaturiste, qui accroissait encore mée dans l'enceinte du collège. Plusieurs de ses dessins, 12 conservés, font revivre le personnel - de Stanislas D un ne montrait ainsi Duhem, purent alors ir Ê confrère était d’une nature maladive et il ne connut a pleine santé. Des crises pénibles d'estomac interrom- 1 plusieurs fois ses études. Aussi n’entra-t-il qu'en 1882 : normale, où il fut reçu le premier. Les années qu'il ci ences morales, Victor Delbos. à qui l’on doit de remar- études sur Kant et Spinoza, et dont la mort, précédant n ane : ne : fut moins que Duhem l'homme d’une aie et déjà. sa lecture était immense. Ce mode de Have n'est ont leurs hasards, et Duhem ne fut classé ne le be . Ja licence ès sciences ne Mais il obtint _ thode des travaux virtuels, qui dispense de la .considérati IL. > LE 2 Dès son entrée à l'École, Duhem s’essaie à des recherches personnelles. Au Collège Stanislas, son maître Moutier lui avait F fait aimer, comme il le dit lui-même, les théories de la physique. C’est ainsi qu'il était familier avec l'important mémoire de … Massieu donnant la notion capitale d’une fonction caractéristique de l’état d'un corps. Il avait aussi étudié l’exposé des idées émises sur la mécanique chimique par un savant américain Willard Gibbs, donné par notre confrère M. Lemoine dans ses belles études sur les équilibres chimiques, et il connaissait le « travail récent de Helmholtz sur la distinction dans une pile : entre la chaleur chimique et la chaleur voltaïque. Ces lectares 3 lui inspirèrent son premier dessein. : Depuis Lagrange, la statique est comprise dans un seul Se cipe, celui des déplacements virtuels, principe complété dans le cas d’un potentiel par un théorème célèbre relatif à la stabilité de l'équilibre. Ne pourrait-on pas obtenir un principe analogu applicable à des cas beaucoup plus étendus que ceux envisagés par la mécanique rationnelle ? Gibbs avait déjà indiqué qu les fonctions introduites par Massieu pouvaient, dans certains cas, jouer ce rôle; mais une rédaction très abstraite et quelquefoiï obscure rendait singulièrement. difficile la lecture de son mé moire. Duhem est guidé par la pensée de mettre en évidence, plus fortement que ses devanciers, les analogies entre la méca nique analytique de Lagrange et la thermodynamique. Les travaux célèbres de Thomson et de Clausius avaient fait distinction entre l'énergie totale et l'énergie libre ou énergie utilisable, que possède un système, energie available to mañ, comme disait Lord Kelvin. Duhem forme, au moyen de l’énergi utilisable, la fonction qu’il appelle potentiel thermodynamiq interne et qui joue un rôle analogue à celui du potentiel en mé nique rationnelle; il se sert alors systématiquement de la mé ; É longue et pénible des cycles le plus souvent employée jusque= et en fait de nombreuses applications aux principaux problèmes, de la statique chimique. Ce fut l’objet de la première note qui maticiens lui firent un meilleur accueil, frappés sans doute par TS avec les less de mécanique rationnelle, qui ae maximum et de minimum dans l'étude de la stabilité des équilibres seras Tous pouvaient y PES une réelle | Après le concours d’agrégation de physique de 1885, où il fut reçu le premier, Duhem resta encoré deux ans à l'École = rue d'Ulm, Pasteur FE des voies nouvelles à la biologie etàla médecine. "école pasteurienne eût fait en Duhem une heureuse recrue, et le maître chercha à l’attirer. Le jeune agrégé = eut quelques hésitations, mais il ne put se résigner à abandonner Do _- recherches qu'il s'était déjà tracé. Un des amis De des : raisons qui l’en détournèrent. Il se peut; car Duhem “eut. toujours la crainte que des considérations d'intérêt per- _sonnel guidassent ses décisions, et, en plusieurs circonstances, Faculté des sciences de Lille, où il passa six années. Il était chargé d'un cours complémentaire de physique; deux volumes pe sur l’hydrodynamique, l’élasticité et l’acoustique p époque. En 1893, ayant quelques difficultés avec son doyen, ie son changement. D'ailleurs un malheur cruel venait .. Je frapper. Marié à Lille pe de temps après SON arriv ée, il oi n' y et pas d'expériences aoivelles Les mathé- phénomènes physiques ». FLE Duhem a voulu être un théoricien de la mécanique, de | physique et de la chimie; il pensait qu’on sert très utilement li que l'expérience nous a révélés; c'était pour lui l'objet essenti de la physique théorique. ses réflexions avaient porté de bonne parfois difficile de distinguer chez lui le savant de Vhistorier et du philosophe. | ; Notre confrère est revenu souvent sur l’histoire de la méca- nique; il avait longuement médité sur l'effort considérable fait à dans ce domaine par l’esprit humain. Que de variations au cours des siècles et selon les vicissitudes des écoles et des sys tèmes dans le sens de ces mots « Explication mécanique Pour Duhem, le passé éclairait singulièrement le présent Dans l’antiquité, à la hase du système d’Aristote et des périp téticiens, on trouve la distinction des catégories. À la première. catégorie, celle de la substance, s’oppose la multiple catégorie ; des accidents, parmi lesquels le Jeu, la quariié, la quantité. La quantité est susceptible d’addition, tandis qu’au contraire 1 intensités d’une qualité, comme le froid et le chaud, ne sont p additives. « Entassez des boules de neige, disait Diderot, vous substance est capable, peuvent être, soit en acte, soit en Aa sance, et cette distinction profonde est restée dans la science ati des déniehté, correspondant à la ee “à composition des mixtes. Avec les catégories aristotélic étaient expliqués les phénomènes que présente le x x artésienne édite la physique de l’École, regardée comme la physi que de la qualité, et de quelles plaisanteries furent l’objet la vértu dormitive et autres vertus occultes. Sous la croûte su- perficielle, où se conservent mortes et fossilisées les doctrines physiques des anciens âges, Duhem se plaisait au contraire à _ découvrir ‘des pensées profondes en accord avec certaines vues de la science actuelle. …. La doctrine de Descartes est à l'opposé de celle des scholas- tiques. Avec lui la notion de qualité est bannie du domaine de hs science, qui devient la mathématique universelle. « Je ne | reçois pas de principes en physique, proclame-t-il, qui ne soient : dela matière, et voulait, partant de là, construire le monde avec _ de la figure et du mouvement. Ces vues, qui devaient exercer une influence considérable sur le développement de la science, étaient assurément trop simplistes, et il fut nécessaire d’intro- duire d’autres éléments étrangers à la mathématique, pour tout expliquer, comme on disait alors, par des raisons de mécha- à ÈS 4 | Pea après, la vieille doctrine atomistique d'Épicure et de -Lucrèce était rajeunie par Huygens, qui, dans son admirable » Traité de la lumière, regarde l’éther comme formé de petites ment de l'onde lumineuse; puis se développe le dynamisme de Leïbnitz avec la notion de force, hétérogène à la géométrie. - Enfin Newton, continuant l'œuvre de Galilée, de Descartes et -de Huygens, donne dans son immortel ouvrage Sur les prin- » cipes de la philosophie naturelle le code de la dynamique mo- derne: Les applications à la mécanique céleste sont bientôt 3 pour la nouvelle doctrine l’occasion d’éclatants triomphes, et, = malgre les craintes de quelques cartésiens retrouvant une vertu occulte dans l'attraction, la physique newtonienne domine entièrement dans la seconde moitié du xvIrIe siècle. … Ea mécanique de Newton, qui procède à la manière synthé- 4 - Dans sa mécanique analytique, Lagrange condense toute la | statique dans une seule formule, en donnant toute son ampleur au principe des déplacements virtuels, et, empruntant à d’Alem- bert la notion de forces d'inertie, il fait connaître les équations à aussi reçus en mathématiques »; il voyait dans l'étendue l'essence billes ‘élastiques dont les chocs successifs produisent le mouve-. tique des géomètres de l'antiquité, est purement géométrique. _ par lui est resté dans la science, et il laisse deviner la place que“ Can pre célèbres de la dynamique, auxquelles son nom est resté attaché. Le principal souci de Duhem, dans son premier travail sur le. potentiel thermodynamique, avait été, en suivant la voie ouverte par Massieu et par Gibbs, de donner à la statique ther-, modynamique une forme toute semblable à celle que, depuis Lagrange, avait revêtue la statique mécanique. Mais ce premier essai lui inspira bientôt des projets plus vastes. Ce fut quelque temps une opinion assez répandue, que la thermodynamique peut se ramener à la mécanique classique et que la chaleur est. un mode de mouvement. Tout autre était la pensée de Duhem,. qui eut toujours une aversion profonde pour les mouvements. cachés de masses hypothétiques. Il estimait que la’ statique- mécanique et la statique physico-chimique devaient former. deux chapitres particuliers d’une doctrine plus étendue, et il résolut de consacrer tous ses efforts à son édification. Les. nombres mesurant les intensités des qualités doivent être intro- < duits dans les formules à côté de ceux qui concernent la figure. et le mouvement. La thermodynamique générale, les prenant les uns et les autres tels que les donne la physique expérimentale, | embrassera alors dans des principes communs tous les change- ments d'état des corps, aussi bien les changements des qua lités physiques que les changements de lieu. « Ainsi, disait” Duhem, la tentation sera moindre de ramener l'étude de tous les” Phénomènes physiques à l'étude du mouvement, …; on fuira dès. lors plus volontiers ce qui a été jusqu'ici le plus dan écueil de la physique théorique, la recherche d'une explication mécanique À de l'Univers. » +4 On ne pouvait formuler une profession de foi scientifique | 3 plus opposée à l'idéal poursuivi par les diverses physiques mé- _canistes depes la physique cartésienne et la physique atomis-à tique jusqu’à la physique newtonienne. IV. Un physicien écossais Rankine avait déjà, en 1855, entrev u. un but analogue à celui que se proposait Duhem, en cherchant à édifier une thermodynamique générale, mais la tentative. » était alors prématurée. Cependant le nom d’'énergétique proposé” eee de notion plus courante que celle de SR et l'on sait combien a été fécond en physique et en chimie le prin- ENRe dela conservation de l'énergie. | Dans ses Commentaires sur la thermodynamique, œuvre à » laquelle il attachait une grande importance, Duhem, préoccupé _de construire un système logique, commence par poser les pos- 2 tulats et les hypothèses qui sont à la base de l'édifice à cons- . truire. Après avoir introduit les variables normales déjà envi- | sagées par Helmhôltz, il présente, sous la forme la plus générale, la notion du travail ou œuvre accomplie par les corps extérieurs pour une modification virtuelle ou réelle. En laissant d’abord : _ de côté les phénomènes électriques et magnétiques, l'énergie d'un système se décompose en l'énergie interne, dépendant de son état et non de son mouvement local, et l'énergie cinétique, . dépendant du mouvement local et non de l'état. L'énergie : cinétique se ramène à la force vive de l’ancienne mécanique; | quant à l'énergie interne, des hypothèses et des lois particulières - déterminent sa forme dans chaque partie de la physique. La _ notion de quantité de chaleur ne peut, d’après Duhem, être | posée : avec précision qu’en recourant au principe de la conser- - vation de l'énergie, ce qui revient à regarder le travail provenant d'une source calorifique extérieure à un système, comme pro- Rhone) : à la chaleur que celle-ci communique à ce système. «Cette définition tout algébrique de la quantité de chaleur, en, scandalisera peut-être quelques esprits; ils s’'étonneront ide voir employer ces mots quantité de chaleur, pour désigner une | somme de termes à la formation desquels les notions de chaud et de froid sont complètement étrangères. » Et il insiste sur _ l'absence de tout lien logique entre la notion de quantité de . chaleur, telle que l'entend le physicien, et la notion qu'entend exprimer le langage vulgaire, car ce lien s’est trouvé brisé le . jour où il fut prouvé qu’en chaujfant de la glace on la fondait » sans l'échaufjer. Il faut cependant montrer la relation entre la . grandeur ainsi définie et ce que les physiciens mesurent au calorimètre, mais on ne peut y parvenir qu’en posant un nou- - veau postulat autonome, d’après lequel la capacité calorifique | “cos doit être essentiellement positive. Dans ses Commentaires, Duhem discute toutes ces questions E ainsi Li -celles se rattachant au principe de Carnot; c'est É- 2 . Œ À (Eu SE 7 mer l’œuvre très abstraite d’un logicien impitoyable autant que don | physicien. Sûr de ses fondations, il peut alors tenter de former les équations de la dinamyque nouvelle. Bien des difficultés. étaient à surmonter dans l'application de la méthode des dépla- cements virtuels à ce domaine. Outre les actions d'inertie, s'introduisent les actions de viscosité et certains coefficients calorifiques s'exprimant à l’aide de l’entropie. Les relations ainsi obtenues définissent les variations de tous les paramètres. dont dépend l'état du système, sauf la température. Une rela- tion supplémentaire étrangère à l’énergétique doit être cherchée. ailleurs, comme l'avaient reconnu jadis Laplace et Poisson dans le cas très particulier de la propagation du son dans ün fluide. La théorie de la conductibilité thermique peut souvent ee cette relation supplémentaire. > Un cas particulier remarquable, relatif aux équations de la. dynamique générale, doit être signalé. Il peut arriver que cer- taines variables normales ne figurent pas dans l’expression de la: force vive; la force d'inertie relative à cette variable est alors nulle. Les équations générales renferment seulement les dérivées premières (et non secondes) de ces variables, que Duhem appelle variables sans inertie; la mécanique chimique en offre d'impors. tants exemples. La dynamique des systèmes sans inertie se. rapproche de la dynamique d’Aristote, où la force était pro- portionnelle à la vitesse, et ceci montre assez combien est come préhensive la nouvelle doctrine. La considération des actions de viscosité s’annulant avec la vitesse n’est pas suffisante. On a introduit depuis longtemps. dans la mécanique classique des forces de frottement. Duhem. envisage le frottement comme un phénomène général auquel” correspondent des termes qui, comme ceux de la viscosité, sont. essentiels et irréductibles. L'introduction de ces termes, avec. des propriétés bien définies, est pour Duhem le résultat d’une hypothèse directe. Nous avons déjà dit combien peu le satis-. faisaient les hypothèses indirectes sur les mouvements cachés, par lesquels Helmholtz et d’autres mécaniciens ont cherché à rendre compte de l’irréversibilité. Nous retrouvons toujours: chez lui la même disposition à regarder, sans plus d'explications, certains faits comme primitifs, tel, par exemple, le travailnégatif des actions de viscosité et de frottement. Il a d’ailleurs écrit, sans y insister du reste, qu'il serait prudent de prévoir une at à Rankine, à Gibbs et à Helmholtz, pour ne > des disparus; mais son esprit systématique ne tenait ù po ou “telle pierre de l'édifice qu'à à la construction noncé sans lacunes des postulats qui sont à la rs Se toutefois dire. l'influence qu eut : à une certaine ra vue D juan très différent. ste, quoique Duhem ait fait çà et là quelques réclama- mon fee mon commentaire, mon histoire, etc. “hs sentent leurs bourgeois qui ont pignon sur-rue, et toujours un «chez moi » à la bouche. Ils feraient mieux de dire : notre livre, notre commentaire, notre histoire, …, vu que d’ ordinaire il y a plus en cela du bien d’autrui que du leur. » La modestie de notre confrère était sincère; il avait trop étudié l’histoire des sciences pour ignorer que le travail scien- tifique est un travail collectif, et que l’éclosion des idées en apparence les plus originales n’est souvent que l'aboutissement de longs efforts. antérieurs. VI. Duhem a fait de très nombreuses applications de ses prin: cipes généraux aux diverses parties de g mécanique, de la physique et de la chimie. Se On lui doit, tout d’abord, des recherches approfondies su sur les principales questions qui se posent dans la mécanique d fluides. Il a notamment beaucoup insisté sur ce que, dans cas d’un système continu, la méthode des déplacements virtuels, appliquée à une portion de ce système, permet seule de défi ir avec précision les forces de liaison la eus oo telles ox des principes, les fortes de liaison, telles que les envisageait Lagrange, par des actions moléculaires. Les relations ana: lytiques traduisant les liaisons imposées aux diverses parties d'un système par sa constitution avaient, semble-t-il, pout Duhem, plus de réalité que les atomes et les molécules. C'est toujours la même tendance d'esprit que nous retrouvons dans toutes les parties de son œuvre. ve _Je ne puis que rappeler ses études sur la stabilité de l’é qu gance par Guyou. La question des ondes est capitale dans Le dynamique des fluides. On sait que des propagations d’ondk sont possibles dans des fluides parfaits. Au contraire, comm des ondes de choc. « Comme l'air est visqueux, Duhem, aucune onde de choc proprement dite ne peut : se comme il est peu visqueux, il s’y peut pro- à tré D discontinue. » Non moins UE ut | phénomènes qui se produisent dans un fluide visqueux en act avec des solides, phénomènes d’où il résulte que des Ée pont naître dans un fluide visqueux partant du se théorie classique de l’élasticité. Elle lui a permis de ne des actions de viscosité dans un corps élastique TON on peut éleient y observer des stdes: D. les unes des autres les mêmes masses, cloisons que peut seule imposer un ordre rationnel à certains très confus de la chimie, il publia en un gros volume s élémentaires de Thermodynamique et chimie. Comme bué à eS une forme définitive à cette doctrine. Il a ièrement développé cette loi des phases que l’on regarde ‘æ : NT - d’analogues dans la théorie d’un fluide unique, s’introduis: libre contredisant aux prévisiuns de la thermodynamique : ce. _desdissolutionssalines. Ces faux équilibres apparents, quelquefois: EE CE comme une des règles directrices les plus précieuses de la ct moderne, la complétant en un point important relatif valeurs que prend la masse de chacune des phases, suivant que outre la température, le volume ou la pression du système es donné. Dans les applications de la thermodynamique à chimie, un des soucis constants dé Duhem a été d'utiliser inégalités qui expriment la stabilité de l'équilibre et fixent sens des déplacements, inégalités auxquelles il a rattaché, sous | une forme très générale, les lois célèbres du AÉPCERE e. l'équilibre, entrevues par Gibbs, et portant les noms de M. Chatelier et de Van’t Hoff. Il les emploie aussi dans de nom- | : breuses questions particulières, telles que les mélanges doubles, la liquéfaction des mélanges gazeux, la vaporisation et la cong æ lation des dissolvants. 14 521 Aux inégalités exprimant la stabilité se rattachent encore les études de Duhem sur l'équilibre et le mouvement des flui mélangés. L’énergétique fournit une méthode générale et régu” lière pour établir la théorie du mouvement d’un nombre q el- conque de tels fluides. Certaines grandeurs, qui n'avaient pass alors, donnant l'explication de divers phénomènes observés,* comme les différences de concentration entre les diverses parties. d'un mélange immobile, quand celles-ci sont inégalements chauffées. 4 Duhem attachait une grande importance à ses travaux st Ta le frottement et les faux équilibres. D’après lui, en dehors des” états d'équilibre prévus par la thermodynamique, qu'on pour- rait appeler états de véritable équilibre, il existe des états d’équi- sont les états de faux équilibre. Ceux-ci se partagent eux-mêmes 1 en faux équilibres apparents et en faux équilibres réels. Les premiers rentrent dans ceux que prévoit la thermodynamique, pourvu que, en appliquant ses principes, on tienne compte des! termes proportionnels aux surfaces de contact des EU phases; ces considérations sont notamment applicables au retards d’ébullition, à la surfusion des liquides, à la sursaturation! appelés métastables, peuvent être détruits par un déclenche- ment, correspondant à un travail négligeable, comme il arrive pour une dissolution sursaturée. Mais il existe aussi, pour * bis revint _ que les … paraissant = Hp pondent à à des réactions extrêmement ee l'éclat des facettes. L' expérience ne t trancher la question ainsi posée. Mais Duhem es présentant la forme vitreuse et la forme cristal: , les faux équilibres chimiques ne sont pas des faits mels mais sont de règle, quoique souvent voisins de ritable équilibre. D'une manière générale, dans un systèmes chimiques capables de faux équilibres réels ; ee mécaniques doués de frottement. Dans un ordre e la viscosité et du frottement, et il regardait & mique classique comme la théorie des systèmes ne ordre # non du second. Ce cas est extrêmement inté- + ponr! la chimie, où les variables sont le plus souvent sans AE - l'accélération est positive et qui sont accompagnées d’une” élévation de température, lui permet de poser les bases ration- | nelles de la dynamique des explosifs. Il indique aussi la voie. ù pour mettre en équations le problème de la propagation du : mouvement dans un fluide, qui peut être le siège d’une réaction ; 1 l'étude de cette difficile question a été poursuivie avec succès par plusieurs de ses.élèves, qui ont regardé l’onde explosive ! comme une onde de choc déterminant une réaction au sein | d'un milieu en faux équilibre chimique. Duhem a écrit de nombreux mémoires et plusieurs ouvrages sur l'électricité et le magnétisme. Dans ces travaux, il est resté ! en dehors du mouvement des recherches modernes caractérisées par les théories corpusculaires. Fidèle à sa pensée constante, il demande à l’énergétique l'édification des théories électriques, » mais l’énergétique des systèmes électrisés est compliquée par. le fait que, pour obtenir l'énergie totale, il faut en général envi- sager, en dehors de l'énergie cinétique et de l'énergie interne, à une nouvelle forme d'énergie : l'énergie électrodynamique; la loi de Joule et les lois de l'induction permettront de la déter-« miner. En électrodynamique et électromagnétisme, Duhem est ainsi conduit à l’électrodynamique de Helmholtz, plus générale, 4 à cause d’un paramètre arbitraire qu’elle renferme, que celle-dew Maxwell qui n’en est qu'un cas particulier ou plus exactement. un cas limite. Sa critique de l’œuvre de Maxwell était impi-« toyable : que de fois il a répété que les équations de Maxwell new permettaient pas l'existence des aimants. Il admirait au con-* traire la théorie de Helmholtz, dont il a fait des applications variées et qu'il a conrplétée en plusieurs points, théorie ne con-" duisant à aucune contradiction, et susceptible, comme celle de Maxwell, d'expliquer la théorie électromagnétique de la lumières et les expériences de Hertz. La théorie du physicien allemand,* plus compliquée que celle de Maxwell, admet, dans les corps” conducteurs comme dans les milieux électriques, la possibilité” de flux longitudinaux aussi bien que de flux transversaux, et" Duhem, semble-t-il, pensait que ces flux variés expliqueraient” certains phénomènes restés obscurs. Notre confrère ne se dis-M simulait pas d’ailleurs que, en combattant la théorie de Max-# _ well, il prêchait dans le désert, mais il n’en était pas découragé comme en témoignent les lignes suivantes : « On reconnaîtra un 43 jour que l’œuvre électrodynamique de Helmholtz était vraimen # k, 2%: d’une ntrdieton, entraînent aujour- ique avec une vitesse vetenare dans des voies ique, ‘en physique et en chimie. Elle présente une ) es à ses idées très arrêtées sur ce qu’il faut üne métaphysique. + at fut souvent vive entre les écoles, que Duhem qualifie legiques C’est ainsi que Huygens écrivait à Leibnitz : LEAR « Pour ce qui est de la cause du reflus que donne M. Newton; je ne m'en contente nullement, ni de ses autres théories qu'il | bastit sur son principe d'attraction qui me paraît absurde.» L’accusation de faire appel à des causes occultes est une des plus graves que se lançaient les savants de ce temps. En fait, et Duhem y insiste fortement, on ne peut d’un système méta- physique tirer tous les éléments nécessaires à la construction d’une théorie physique; toujours au fond des explications qu'elle prétend donner, il reste de l’inexpliqué. Dans son livre sur la théorie physique, Duhem trace, d'une plume sévère, le tableau des incohérences et des impuissances offertes, à travers les âges, par les tentatives d'explications en. physique. Ce spectacle qui l’éloigne des cartésiens et des ato-" mistes, va-t-il le jeter en un empirisme, teinté de sepHERes 4 ne voyant dans la science qu ’un recueil de recettes et qu'une 4 collection d'observations précises, ou bien se réfugiera-t-il, avec Henri Poincaré, dans la théorie de la commodité ? Nullement,… | il estime que, sans théorie physique, il n'y a pas de physique. Une de ses conclusions est ainsi formulée : Une théorie physique n’est pas une explication; c'est un système de propositions mathé-* matiques, qui ont pour but de représenter, aussi simplement, « aussi complètement et aussi exactement que possible, un ie 3 de lois expérimentales. L Nous avons vu avec quelle brutalité, si j'ose dire, Duhem pose” dans sa thermodynamique générale les principes qu'on peut. appeler hypothèses, au sens étymologique du mot, et qui sont. les véritables fondements de la théorie. Il ne craint pas d’ écrire que ces hypothèses peuvent être formulées d’une manière arbi- traire, sous la seule condition qu’il n’y ait pas entre elles de contradictions logiques. C’est seulement après que l’analyses mathématique a tiré, suivant ses règles propres, les consé= quences des principes posés, qu’il y a lieu de voir si celles-cis sont conformes à l'expérience. L'accord avec l'expérience est pour une théorie physique l’unique critérium de vérité, mais: une théorie vraie ne doit pas avoir la prétention de donner des: apparences physiques une explication conforme.à la réalité. Cependant une théorie physique n’est pas ‘seulement une représentation économique des lois expérimentales; elle est encore une classification de ces lois. Ainsi dans une théori optique la vibration d’un éther, dont l’existence importe peu, 4 | lle; ce qu'il exprime ainsi « Plus la théorie se poto lus nous pressentons que l’ordre logique, dans lequel elle range lois expérimentales, est le reflet d’un ordre ontologique ». > croyance en ce que la théorie doit devenir le reflet de plus I ms précis d’une métaphysique est encore accrue par le fait e la théorie a souvent devancé l’expérience, circonstance ant très vraisemblable qu'elle n’est pas un système pure- artificiel, et que, sans pouvoir saisir la réalité au-dessous phénomènes, notre raison est capable cependant d'établir, des notions abstraites, des relations correspondant à des s vrais entre les choses. : est le terme extrême de la philosophie scientifique de n. 11 semble qu'il y arriva lentement, ses vues sur la nique ayant eu d’abord un caractère plus formel. physique, d’abord purement descriptive et symbolique, -asymptote à une métaphysique. Peut-être l'évolution pensée fut-elle hâtée par les prétentions de certaine con- Le pragmatique de la vérité, dont un philosophe illustre umé l'essentiel sous la forme suivante : « Tandis que pour - doctrines une vérité nouvelle est une découverte, pour matisme c'est une invention », c’est-à-dire qu’on ne dé- pas la vérité, mais qu’on l’invente. Quelque parti que théorie, ce n’est pas à la partie explicative, simple parasite, que la théorie doit sa fécondité. Un jour ou l’autre, l'explication » s'écroule, et les mécanismes hypothétiques deviennent des : embarras et des entraves; seule reste la part de cassteater naturelle. La méthode inductive, seule féconde aux yeux de tant d'expé- rimentateurs, a été l’objet des critiques de Duhem. HI est, sui: vant lui, chimérique de croire que les hypothèses, à partir des- quelles la théorie déroule ses conclusions, puissent être tirées une à une de l'expérience et de l’observation par induction et. généralisation. C’est pourquoi une expérience de physique ne - peut jamais condamner une hypothèse isolée, mais seulement tout un ensemble théorique ; aussi ne peut-il pas y avoir does rimentum crucis. 2 L’énergétique de Duhem nous a offert plus haut un exemple | de la manière dont il posait a priori les principes. Cette préten- tion apparente à deviner la nature a troublé plus d’un lecteur de ses Commentaires sur les principes de la thermodynamiqu mis en méfiance par le peu de part que l'expérience semble avoir dans l'élaboration de la théorie, et cet édifice logico- « mathématique a pu provoquer quelque agacément par son | arbitraire au moins apparent. Et puis les partisans de l’énergétique ne sets pas liée ingrats envers le mécanisme, en qui se trouve la première ori- _gine du principe de la conservation de l'énergie, et qui a maïntes fois suggéré la forme de certaines fonctions restant indéter- minées dans les équations générales. | : Duhem, au fond, était moins intfansigeant qu'il ne le semble d’après plusieurs de ses écrits. On n’en peut pas douter, quand o le voit proclamer que la méthode légitime, sûre et féconde pour préparer un esprit à recevoir une hypothèse physique, est la “ méthode historique. « Pourquoi ne préparerions-nous pas, écrivait-il un jour, l’entrée de chaque hypothèse dans l'ense gnement par un exposé sommaire, mais fidèle, des vicissitud qui ont précédé son entrée dans la science. » Rien n’est pl juste. Il y a quelque vingt ans, sévissait une querelle entre l'école: qu’on a appelée du nom barbare de mécanistique et l'école éner-« gétique. On a reproché aux énergétistes leur peu de curiositi ils ne tiennent pas à savoir ce qui se passe derrière le m et a aucun modèle: c’est une science d'algébriste. nt de vue, notre confrère est. resté Repos éner- A isnt di ement acquis, autant du moins dans la science quelque chose de définitif. Mais il faut que, dans les questions parvenues à un moindre PE vancement, les théories explicatives stimulent davan- nee recherche, rendant la science plus vivante et qe 3 NS Res amplitude d'esprit. Or l’un peut être sans l’autre, l'esprit pou- vant être fort et étroit, et pouvant être aussi ample et faible. » Duhem, comme Taine, range parmi les esprits imaginatifs Napoléon, qui avait horreur de l’abstraction et de la généralisa- tion, tandis que sa faculté imaginative était prodigieuse d'am- plitude et de précision. L’amplitude d’esprit domine aussi chez un Saint-Simon dans ses mémoires, et un Balzac dans sa comédie humaine. Mais on éprouve quelque étonnement, quand on voit Duhem affirmer que l’amplitude d’esprit constitue le génie propre de maint géomètre et de maint algébriste qu'on serait tenté de classer ailleurs; c’est que Duhem a surtout en vue le : côté formel de la science mathématique, je veux dire la ma- nœuvre de symboles algébriques, qui exige en effet une aptitude . à se représenter des combinaisons complèxes formées avec cer- tains signes visibles. Au contraire, un Euclide et un Archimède dans l’antiquité, un Lagrange dans les temps modernes se ran- _ geront parmi les esprits forts et étroits, chez lesquels domine la puissance d’abstraire. + Dans toutes les nations se rencontrent des hommes à l'esprit . ample mais faible. Toutefois il est un peuple où cet esprit pré- domine à un point extraordinaire : c’est le peuple anglais. Romanciers et philosophes en fournissent abondamment la … preuve, Dickens et Georges Elliot comme Locke et Hume. La . méthode de Bacon, modèle de l’amplitude et de la faiblesse de l'esprit anglais, s'oppose à la méthode de l'esprit fort maïs étroit. que fut souverainement Descartes. Le même caractère se mar- querait chez nos voisins d’Outre-Manche dans la politique et la vie sociale, mais revenons à la physique. La physique anglaise a inspiré à Duhem des pages quelque Li raie DU Gr f EL: Lait Di peu sévères. Il appréciait certes le génie des grands physiciens e de l’Angleterre, mais on peut dire que leurs conceptions d'une … théorie physique étaient à l’antipode des siennes. Le physicien anglais aime à voir des images tangibles des phénomènes; il crée des modèles et en change au besoin, pendant qu'il étudie . un même ordre de questions. Rien n’était plus loin des idées de Duhem toujours obsédé par le souci de l’unité logique, et pour. qui une théorie forme un tout exempt de contradictions. Deux théories contradictoires lui étaient insupportables, et il n'espérait . _ pas, comme Henri Poincaré, qu’il pourrait sortir quelque utile suggestion de leurs contradictions. ete réaliser les théories abstraites. On pourrait discuter desc et les travaux actuels sur la constitution de l’atome, | rriosité, car il pensait qu’on ne peut avoir une idée juste sur science, si l’on se borne à la considérer dans son état actuel. ra l’une, apparaît la tendance d’Archimède où l’on erche à construire une statique entièrement indépendante > la dynamique sur le modèle des éléments d’Euclide, en rame- par une analyse patiente les cas les plus complexes aux libres simples et élémentaires; l’autre source, essentielle- t synthétique, peut étre rattachée à Aristote. us de Nemore, né suivant lui à Nemi en Italie, et chez qui il çoit une ébauche de la méthode des travaux virtuels. Jor- nus et ses successeurs postulent en effet que « ce qui peut ver un certain poids à une certaine hauteur peut aussi élever poids # fois plus grand à une hauteur # fois plus petite ». Il es ie TE est assurément remarquable de trouver dans cette école du moyen âge un appel incontestable au principe que Descartes prendra pour fondement de la statique, et qui, grâce à Jean 4 Bernouilli et à Lagrange, deviendra la proposition fondamen- … tale de la science de l'équilibre. Un historien italien, M. Vailati, a depuis retrouvé la pre-. E- mière origine de la méthode des déplacements virtuels dans à Héron d'Alexandrie, qui vivait au temps de l’astronome Ptolémée. Quoi qu’il en soit, Duhem montre combien fut consi- … dérable l'influence exercée par Jordanus et un de ses disciples, … qu'il appelle le Précurseur de Léonard de Vinci; aucun doute ne S peut subsister sur la filiation scientifique du grand artiste avec ‘école du xrre siècle. Les écrits de l’école de Jordanus furent effrontément pillés au xvie siècle; l’idée de propriété scienti- : fique manquait en ce temps, et la difficulté de découvrir les … démarquages dans les textes parfois obscurs vient compliquer singulièrement la tâche de l'historien. C'était pour Duhem une joie de rendre ustiée aux inconnus ou aux anonymes, et d’apercevoir dans la nuit du moyen âge - non seulement des lueurs éparses, mais des flambeaux qui ont passé de main en main. Voici la conclusion de ses volumes sur … la statique, conclusions qui se retrouvent dans d’autres ouvrages de notre confrère : « La science dont s'enorgueillissent à bon droit les temps modernes, écrit-il, découle, par une suite ininterrompue « de perfectionnements à peine sensibles, des doctrines professées au sein des écoles du moyen âge; les prétendues révolutions intel- lectuelles n'ont été le plus souvent que des évolutions lentes et lon- guement préparées, les soi-disant renaissances que des réactions. fréquemment injustes et stériles; le respect de la tradition est une = condition essentielle du progrès scientifique. J'ai hâte d'ajouter que, malgré ses sympathies pour les pré curseurs, Duhem n’en rend pas moins à Descartes une éclatante justice, en insistant, avec plus de force et de précision qu'on ne l'avait fait jusqu'ici, sur ce que le grand philosophe a vu le pre- mier dans la notion du é#ravail le concept fondamental de la … mécanique. Descartes a aussi affirmé, ce que nul n’avait expli- citement énoncé avant lui, l’obligation d'appliquer le principe des déplacements virtuels à un déplacement infiniment petit. Un ouvrage de Duhem en trois volumes est consacré à- e Léonard de Vinci, à ceux qu'il a lus et à ceux qui l'ont lu. I y | on > condenser, se transformer, vivre fe die ve pan sorte, la science hellène, et la science du . su expérimenter. Il énble cependant que ls F2 d'expérience ne Fa ont pas manqué, mais leur tech- ébranlé. Cette hypothèse, qui nous semble absurde, fut presque unanimement par les physiciens de l'antiquité. tception est cependant à signaler. Aux dernières années ilosophie grecque, un chrétien d'Alexandrie, Jean _ s’inscrivait contre k doctrine Res du u terme dont se servait Philopon), qui joue le rôle de CET: LNeSe Les Dee ee comme AVErroës, et — 26 — 27 e PTE un > 2, 35e ile Philopon; Saint Thomas d'Aquin ne la mentionne que pour la : réfuter, très maladroitement d’ailleurs. X.. Vers la fin du xrrre siècle, une réaction se produisit contre la … philosophie hellène. Étienne Tempier, évêque de Paris, con- damne en 1277 trois cents propositions péripatéticiennes ou néo- … platoniciennes, cé qui fait dire à Duhem que les condamnations « théologiques, alors formulées, ont ouvert la brèche par laquelle notre mécanique et notre physique ont passé. Peu après, vers le milieu du x1v® siècle, un maître de génie, Jean Buridan, reprend les idées de Philopon, L'énergie commu- niquée au projectile, il l'appelle l’impetus, et de la théorie de l'impetus il fait la base d’une dynamique nouvelle. Jean Buridan n’était pas un inconnu, mais il faut avouer que la dynamique ne jouait aucun rôle dans sa notoriété. Si l’on en croyait Villon « dans la ballade des Dames du temps jadis, il aurait été, à deux pas d'ici, le complice et la victime d’une reine de France : Semblablement, où est la Royne, ee. Qui commanda que Buridan, Fut 4etté en ung sac en Seine. Mais où sont les neiges d’Antan ? et cette fable alimenta un méloïrame longtemps populaire su la Tour de Nesles. Son nom est aussi attaché à un curieux argu- ment pour ou contre (on ne l’a jamais su) la liberté d’indiffé- rence; mais Duhem n’en a pas trouvé trace dans les écrits de Buridan, et les hésitations de l’âne affamé entre deux bottes de foin identiques semblent aussi légendaires que les amours du philosophe et de Jeanne de Bourgogne. Buridan était né à Béthune vers 1300. De bonne heure sa renommée fut grande, et en 1327 il était déjà recteur de l'Uni- - versité de Paris. C’est à un manuscrit du fonds latin de la Biblio- thèque nationale, traduit et commenté par lui, que Duhem emprunte un exposé de la dynamique de Buridan. D’après celle-ci, l'impetus demeurerait sans changement dans le projec- … tile lancé, s’il n’était incessamment modifié par la résistance du milieu et l’action de la pesanteur. Traduisant en langage mo- De A LT 4 duit de deux facteurs : la masse et une fonction crois- de la vitesse. Prydemment, il ne précise pas cette fonction Galilée et Descartes admettront, à tort, proportionnelle à tesse, tandis que Leibnitz la regardera comme égale au carré de celle-ci; de la notion de l’impetus devaient donc sortir jour 1 la quantité de mouvement et la force vive. La dynamique t des graves. Il s'élève à la loi de l’inertie; aussi peut-il uisser une mécanique céleste toute nouvelle. « Il n’est pas nécessaire, professait Buridan, de poser l'existence d’intelli- gences qui meuvent les corps célestes d’une manière appropriée; n plus, il n’est pas nécessaire que Dieu les meuve, si ce n’est -la forme d'une influence générale, de cette influence par LC uelle nous disons qu’il coopère à tout. ce qui est. » L'audace était grande de proclamer inutiles les intelligences motrices des orbes célestes, qui jouaient un rôle important dans la physique ipatéticienne. Aussi Duhem n’hésite-t-il pas à écrire : « Si v oulait, par une ligne précise, séparer le règne de la science antique du règne de la science moderne, il la faudrait tracer, croyons-nous, à l'instant où Jean Buridan a conçu cette théorie, l'instant où l’on a cessé de regarder les astres comme mus par : les x mouvements sublunaires dépendaient d’une même méca- armi les ‘disciples de Buridan figurent, au premier rang, ert de Saxe qui enseigna qu'un système pesant est en équi- > quand son centre de gravité est le plus bas possible, et Nicole Oresme, grand maître du Collège de Navarre en ursé r de Copernic par les vues qu’il émit sur le rôle de la e et des planètes, et de Descartes par eee qu'il fit des italiens du xve siècle. Léonard de Vinci comprit au contraire -leur importance et s’appliqua à les développer. Par l'étude de vons dire que Buridan regarde l'impetus comme philosophe de Béthune ne s’applique pas seulement au mou- ‘êtres divins, où l’on a admis que les mouvements célestes . RAT PE toire curviligne des projectiles, qui recevra son achèvement de Galilée et de Torricelli. Quant à Galilée, Duhem nous le montre d’abord attaché longtemps aux doctrines anciennes, et il étudie ensuite les ouvrages dont la lecture l’initia à la dyna- mique et à la cinématique des Buridan, des Albert de Saxe et des Nicole Oresme. La filiation n’est pas douteuse; les maîtres de l’école parisienne ont posé les fondements de la mécanique que développeront Galilée et ses disciples. Il est cependant un côté de l’œuvre de Galilée, qu’un admirateur plus enthousiaste du grand Florentin aurait mis en évidence; c’est le côté expé- rimental. A la place d'expériences qualitatives des maîtres des siècles précédents surtout préoccupés de l'examen logique et philosophique des hypothèses, on trouve chez le physicien de Florence des expériences quantitatives sur le plan incliné et le pendule. Mais Duhem se proposait surtout de montrer, dans son ouvrage, la continuité entre la science du moyen âge ét celle dés temps modernes, -et l’on ne peut nier qu’il y: ait bril- lamment réussi. XI. Entre temps, Duhem écrivait avec une extraordinaire facilité de très nombreux articles sur des sujets variés d'histoire des sciences. Citons au moins quelques-uns d’entre eux qui montrent bien la manière du savant historien. Il y a en hydrostatique un principe qui porte le nom de Pascal. Ce principe est-il vraiment dû à Pascal ? Avant lui, Stevin de Bruges, le père Mersenneé, Descartes, Galilée, Torricelli, avaient écrit sur l'équilibre des fluides et, dans son célèbre Traité sur l'équilibre des liqueurs, né se trouve aucune vérité qui n'ait été aperçue de quelques-uns de ces auteurs. Faut-il conclure que l’œuvre de Pascal est sans originalité ? Duhem proteste ici avec vigueur. Les principales . vérités qui constituent l’hydrostatique avaient été découvertes, mais elles n'avaient pas été ordonnées et reliées les unes aux autres. Pascal fut cet organisateur, en rattachant le tout au principe des déplacements virtuels, et notre confrère termine son article en citant un mot de Pascal sur « l’ordre et le peu de gens qui l’entendent », et il ajoute avec quelque mélancolie : « Les physiciens prodiguent volontiers aujourd’hui les témoi- gnages de leur admiration à toute découverte d’un fait nouveau je, mais ils semblent priser à très bas prix S ss souhaitent mettre de l'ordre et de la . ne scientifique ne furent le xvre e, la figure du père Mersenne apparaît, comme m, auréolée de loyauté. Contrairement à ceux, très ui faisaient grand étalage d’érudition, mais énu- ous devons nous rappeler que, en 1699, peu de temps avoir été nommé académicien honoraire dans notre Com- >, Malebranche lisait un mémoire intitulé : Réflexions sur es et les couleurs et la génération du feu, qui est imprimé as nos recueils. Or c’est là qu’a été émise pour la première lhypothèse que la période de la vibration caractérisait la ur d’une lumière monochromatique, l'éclat de la couleur avec l'amplitude de cette RÉEL Malebranche, se. 0 de Rœmer sur la vitesse finie de la lumière, rallié au système de Huygens; mais le grand hollandais n'avait rien dit sur les. couleurs. Il est vraiment étrange qu'aucun historien n'ait, avant Duhem, revendiqué les droits du philosophe à la paternité de ces idées fondamentales. « Malebranche fut un modeste, conclut Duhem, aussi lui arriva-t-il ce qui advient trop souvent aux _ modestes; on admit les idées qu’il avait proposées, mais on ne. parla pas de celui qui les avait conçues. » XII. Duhem méditait depuis longtemps-un ouvrage étendu sur” les doctrines cosmogoniques. Il en commença la publication en 1913 sous le titre : Le système du monde, histoire des doctrines « cosmogoniques de Platon à Copernic. L'astronomie ayant pris de bonne heure une forme suffisamment précise, on peut y. suivre dès l’antiquité les relations de la théorie physique avec - l'explication métaphysique. Mais il faut ici faire attention au . langage dont nous usons. Pendant deux mille ans, comme le remarque Duhem, la physique positive n’a pas été séparée de la cosmologie, c’est-à-dire d’une métaphysique du monde ma- tériel, et les questions débattues durant l'antiquité et le moyen âge doivent être ainsi formulées : Quelles sont les relations de l’astrongmie envisagée comme théorie physique avec la physique regardée comme une cosmologie ? Alors que le physicien exa- mine ce qui concerne l'essence du ciel et des astres, l’astronome se préoccupe seulement de l'ordre des corps célestes, de leurs figures et de leurs distances; son but est atteint quand ses constructions géométriques assignent à chaque astre errant une marche conforme à celle que relèvent les observations. Sauver les phénomènes « cofers rù purvéuesx » tel est son but. … Les diverses écoles mélent plus ou moins le point de vue du - physicien et celui de l’astronome; mais, dans l’hellénisme à son déclin, le second point de vue paraît peu à peu prédominer. Les hypothèses des astronomes prétendent de moins en moins ‘à être des réalités, et sont regardées seulement comme des. fictions, dont l'objet est de sauver les apparences, cela toutefois avec des alternatives diverses. | Une telle histoire des doctrines cosmogoniques a exigé un. er les points essentiels de l’astronomie pythagoricienne, et est ainsi amené à détruire une légende accréditée depuis Le d’après laquelle le pythagoricien Philolaüs faisait » : Terre autour du Soleil; ce n était pas le Soleil, mais s Je voile poétique qui la recouvre souvent, aborde l'étude 1 système des sphères homocentriques dont le centre est la re, le premier mofeur entretenant continuellement le mou- nt de la sphère des étoiles, qui engendre à son tour le mou- ent des sphères homocentriques; ces divers mouvements it circulaires et uniformes, tout corps formé de l'essence. este devant se mouvoir d’un tel mouvement. Le système iocentrique, adopté par Aristote et ses disciples, est dû en té à Eudoxe de Cnide, et Duhem écrit à ce sujet la phrase vante bien caractéristique : « L'attribution du titre de créa- de la méthode des sciences physiques a donné lieu à bien querelles ; les uns ont voulu le donner à Galilée, les autres à es, d'autres encore à François Bacon qui est mort sans . ; jamais rien compris à cette méthode. En vérité, la mé- od de des sciences physiques a été définie par Platon et par les I eee de son temps avec une netteté et une précision ont pas été surpassées; elle a été appliquée pour la pre- Sois par Eudoxe de Cnide lorsqu'il a tenté, en combinant és rotations de sphères homocentriques, de sauver les mouve- “apparents des astres. » rès l’astronome italien Schiaparelli, le véritable précur- le Copernic, relativement au système héliocentrique, est raclide du Pont, qui vivait au temps même d'Aristote. em se rallie à son opinion, quoiqu’on ait pu prétendre avec. k: quelque raison que cet astronome laissait la Terre immobile au centre du mouvement du Soleil, les autres planètes tournant iutour de celui-ci, ce qui fut plus tard le système de Tycho- à é. ÆEn tout cas, il est certain qu'Aristarque de Samos sou- ait, cinquante ans après Héraclide, le système héliocentrique s son-intégrité; sa tentative tomba dans l'oubli pendant PEL C de longs siècles. L'œuvre d’'Hipparque, dont presque tous ma. ouvrages ont été perdus, est difficile à reconstituer. Duhem s y. 2 est appliqué avec une grande sagacité, en discutant les témoi- gnages des astronomes postérieurs. L'œuvre de Claude Ptolémée est mieux connue, et sa grande Composition. mathématique de + l'astronomie, appelée par les Arabes a! Majesh, est restée long-* temps, sous le nom d’A/mageste, le code de l'astronomie. : Les astronomes grecs avaient remarqué de bonne heure que . des hypothèses géométriques, distinctes l’une de l’autre, peuvent … sauver avec la même exactitude les phénomènes. Ainsi il y a équivalence entre les épicycles et les excentriques, imaginés » probablement par les dernières écoles pythagoriciennes de la. grande Grèce et auxquels se rallièrent Hipparque et Ptolémée: il y a aussi équivalence entre le système héliocentrique et le système géocentrique. Ce n’est pas à l’astronome que, dans de” tels cas, il appartient de rechercher lequel est le plus conforme | 2 à la nature des chosés; cette étude est réservée au physicien qui | a médité sur la cinquième essence, celle des corps célestes. . Quelquefois aussi ce sera la simplicité ou la commodité qui ; pourra décider, et il ne faut guère forcer les textes pour re= trouver, dans ces anciens temps, quelques-unes des idées que i nous croyons les plus modernes. ; Nous ne pouvons suivre Duhem à travers l'astronomie arabe à et l'astronomie latine au moyen âge. La science, la philosophie et. la théologie sont étroitement mélées en cette histoire, et notre - confrère se mouvait avec aisance au milieu des discussions les” plus subtiles; tel le débat relatif au temps. Il est peu de notions L à la fois plus claires et plus obscures que celle du temps. Dans la philosophie grecque, deux courants d’idées régnèrent à ce. sujet. Les uns ont cherché un temps absolu dans un monde supérieur à celui des sens, les autres ont fait du temps une chose « relative aux mouvements du monde sensible. Même pour cer- tains, chaque astre a son temps; il y a le temps du Soleil, celui de la Lune et d’autres planètes. On croirait presque entendre un partisan de la théorie moderne de la relativité parler du _ temps local. D'autre part, dans la philosophie d’Aristote, les : substances, vouées à la génération et à la corruption, sont seules” soumises au temps, les êtres qui durent toujours n’étant pas dans . le temps, et c’est ce qui amena la doctrine catholique à distin- guer le {emps et l'éternité. Au milieu de ce dédale, on a plus \ M 4 $ PA TD TE SR se si nul ne le demande, je le sais; si je cherche à er quand on me le demande, je ne le sais pas. » Les iatre premiers volumes de l'Histoire des doctrines cos- ’ es ont été publiés pendant la vie de Duhem. Le tome V L Len 1917, quelques mois après sa mort. Il traite principale- ent des relations entre l’aristotélisme et la scholastique latine, > cours du XIe siècle, l’opposition se fait chaque jour plus vive itre la doctrine chrétienne et le péripatétisme rétabli dans son égrité par certains commentateurs arabes et ce Siger de ibant dont Dante vantait la pureté des syllogismes. Les le Grand et les Thomas d’ Aquin s “efforcent de concilier stote et le dogme catholique; mais l’heure de la rupture roche, et c’est à ce moment quese terminela partie imprimée | ouvrage de Duhem. La publication de cette œuvre consi- able, qui devait avoir douze volumes, n’est cependant pas ée. Les tomes VI, VII et VIII étaient entièrement ter- à la mort de l’auteur, et ses manuscrits ont été confiés a fille à l'Académie. Nous souhaitons que les circonstances ttent un jour prochain de les imprimer. Ils grandiront la renommée du savant, de l’érudit et du philosophe, ugé faire œuvre utile, en se consacrant pour un temps à herches si éloignées d’abord de ses premières études. Il nsait . rien n’est indifférent, pour l'histoire de l'esprit XIII. Sahen a a été, pendant plus de vingt ans, professeur de physique ique à la Faculté des sciences de Bordeaux. Son désir de revenir à Paris, non point qu’il eût la moindre ambition nnelle; mais il estimait que c'était pour lui le seul moyen voir quelque action sur l’orientation des recherches physico- iques. Cependant, trop physicien pour les mathématiciens op mathématicien pour les physiciens et les chimistes, il ne va pas, dans la capitale, la place à laquelle sa situation scien- Ê intéressera surtout les historiens de la philosophie. Durant ” MES AU ; tifique aurait pu lui donner droit. Il ne fit d’ailleurs rien pour 1 y arriver; ce n’était pas dans sa manière. D’un désintéressement absolu, le caractère de Duhem était essentiellement chevale- resque. Quand il croyait apercevoir quelque tort ou quelque injustice, il se levait pour protester; ce qui n’est pas la meil-… leure façon de se faire des amis. Les savants, qui lui paraissaient, » par leur enseignement ou leurs écrits, retarder la marche de la science, devenaient ses ennemis personnels. On peut trouver qu’il dépassa parfois la mesure, d'autant que, dans la vivacité » de la polémique, sa critique oubliait les services que rendent " souvent dans la science les lois approximatives et simples. Il eut « parmi ses contemporains quelques antipathies scientifiques, : comme dans les temps antérieurs il en avait eu en la personne de 1 certains humanistes et savants de la Renaissance, qui avaient combattu les doctrines des vieux maîtres, par lui réhabilités, de l’Université de Paris. Des intimes de Duhem nn qu'il souffrait de l'ostra- | cisme qui semblait peser sur lui. Il avait cependant à Paris des amis qui appréciaient sa haute valeur scientifique et son. immense labeur; dès 1900, l’Académie le nommait correspon- dant pour la section de mécanique, sur un rapport extrême- ment élogieux de notre confrère Sarrau, bon juge dans les ques- | tions de thermodynamique et de mécanique chimique. Quand l’Académie eut créé, en 1913, une section de membres non rési- dants, plusieurs d'entre nous pensèrent immédiatement 11 Duhem, mais il hésita à poser sa candidature, ne voulant pas 1 être nommé avant un naturaliste dont il estimait beaucoup les travaux. Ce ne fut pas sans peine qu’on lui fit comprendre qu'il n'était pas chargé de classer les candidats, et il était élu, le“ 8 décembre 1913, à la presque unanimité des suffrages. Cette “élection amena, semble-t-il, dans son esprit inquiet, une sorte | de détente. : Quoique Duhem eût beaucoup étudié l’histoire de la sel à sophie, particulièrement dans ses rapports avec les sciences, il" aimait peu les discussions philosophiques. Il eut cependant à" répondre à diverses critiques. Nous avons déjà dit que ses idées” sur la théorie physique l'avaient fait parfois classer parmi les pragmatistes. Il fut aussi un jour traité de kantiste; c'était à. un congrès de savants catholiques à Bruxelles. L’insistance qu'il avait mise à déclarer qu'une théorie physique est quelque AD d'A Sn LT M né éd ci de STE ER se". _ chose de purement formel, avait parue suspecte à quelques-uns . qui l'accusèrent de subjectivisme. Ce prétendu kantiste a cepen- _ dant écrit cette phrase, qui n’eût sans doute pas été contre- % 2 : signée par son ami Delbos, que la Critique de la raison pure est > le commentaire le plus long, le plus obscur, le plus confus, le 4 plus pédant de ce mot de Pascal « nous avons une impuissance 4 à prouver invincible à tout le dogmatisme », et il n’a pas mieux …. traité la certitude de qualité inférieure, ce sont ses expressions, … à laquelle aboutit péniblement le philosophe de Kænigsberg | dans la Critique de la raison pratique. Non, ce n’est pas de - Kant, mais de Pascal que relève Duhem, de Pascal qu'il cite < constamment, et dont il sait entièrement par cœur le livre de … Pensées. j - Des critiques lui vinrent aussi d’autres côtés. Une d'elles lui _ fut particulièrement sensible. Un philosophe distingué, après une étude très approfondie de la philosophie scientifique de Duhem : la caractérisait en ces termes : « Dans ses tendances vers une - conception qualitative de l'univers matériel, dans sa défiance … vis-à-vis d'une explication complète-de cet univers par lui- Œ même, telle que le rêve le mécanisme, dans ses répugnances plus affirmées que réelles à l'égard d’un scepticisme scientifique “intégral, elle est la philosophie scientifique d’un croyant.» Dans - un article intitulé Physique de croyant, Duhem crut devoir : répondre longuement. Il renvoie aux partisans du mécanisme É Paccusation de faire de la métaphysique, et insiste sur ce que «pour le physicien, l'hypothèse que tous les phénomènes na- … turels peuvent s'expliquer mécaniquement n’est ni vraie ni … fausse; elle n’a pour lui aucun sens ». Avec une vigueur nouvelle, — Duhem reprend ses assertions qu'un principe de physique théo- rique est une forme mathématique propre à résumer et à classer …. des lois constatées par l'expérience, et donne simplement une … image de ces lois; il est nécessairement sans usage dans les dis- ». cussions métaphysiques ou théologiques. Ainsi Duhem plaisante = ceux qui prétendent déduire du principe de la conservation de …_ l'énergie l'impossibilité du libre arbitre. En posant ce principe, ” on postule que les’ phénomènes sont régis par des équations … différentielles et, par suite, soumis à un-déterminisme rigoureux ; … il y à alors quelque naïveté à s'étonner qu'aucune place dans la classification ne soit réservée aux actes libres, qui en ont été =. exclus a priori. Il n'est pas douteux que, au sens où l'entend ue, LE — 36 — . Duhem, une théorie physique n’est ni une théorie de croyant, … ni une théorie d’incroyant, mais seulement une théorie de physicien; mais peut-être dans des discussions de ce genre, saisit-on bien ce qu’a de trop étroit cette opposition systéma- tique, faite par Duhem à la méthode inductive qui permet au moins d’énoncer des probabilités, d'autant qu'il fait lui-même une induction en proclamant que la théorie en se perfectionnant devient le reflet de plus en plus précis d’une métaphysique. Duhem a beau jeu d’ailleurs avec les critiques relatives à la conception qualitative de l'univers, conception qui a été un trait essentiel de la cosmologie enseignée dans l'antiquité par les disciples d’Aristote, au moyen âge par les philosophés arabes et juifs, comme par la scholastique catholique, et ne se rattache par suite à aucune croyance, ce qui lui donne l’occasion de signaler des analogies un peu forcées, semble-t-il, entre la 4 physique péripatéticienne et la thermodynamique générale. | La conception que Duhem avait des théories scientifiques ne troublait donc en rien sa foi religieuse. Ce n’est pas qu'il consi- dérât nécessairement le domaine scientifique et le domaine ” religieux, comme séparés à leur racine par une cloison étanche. … Sa pensée intime à ce sujet nous est révélée dans une lettre à un ami d'enfance : « J'ai cru de mon devoir de savant, écrit-il, . comme de mon devoir de chrétien, de me faire sans cesse l’apôtre du sens commun, seul fondement de toute certitude scientifique, - philosophique, religieuse. Mon livre sur la théorie physique . - n'avait pas d’autre objet que de mettre en évidence la vérité scientifique de cette thèse. » A l'objection que certaines croyances . philosophiques et religieuses reposent uniquement sur des rai- è sonnements sans valeur, invoquant sans cesse des notions indé- finissables qui ne sont que des mots vides de sens, Duhem répond | dans la même lettre : « A force de réfléchir à ces difficultés, je me suis aperçu qu’on en pouvait dire autant de toutes les sciences, de celles qu’on regarde comme les plus rigoureuses, la physiqué, la mécanique, voire la géométrie. Les fondations de chacun de ces édifices sont formées de notions que l’on a la prétention de comprendre, bien qu’on ne puisse les définir, de principes dont on se tient pour assuré, bien qu’on n’en ait aucune . démonstration. Ces notions, ces principes, sont formés par le bon sens. Sans cette base du bon sens, nullement scientifique, aucune science ne pourrait tenir; toute sa solidité vient de là. » re: TE QUE) + x D MES où ST PEER tre ici encore avec Pascal, affirmant que c’est | il entend par là le bon sens, que nous connaissons 4 Lt ns iobs ss S qui prenait comme base de ses _déductions l'identité en toutes choses du maximum et du mini- “um, le ses posant u axiome > fondamental de l'identité r I k méthode déductive. Or, en général, le savant alle- ma ue l'esprit géométrique, mais il est dépourvu d'esprit de à force, car le rôle de l'esprit de finesse, si nécessaire au début certaines études pour en poser les principes, devient moindre - quand elles sont parvenues à un stade où l'esprit de géométrie ut tirer de ces principes la longue chaîne de leurs conséquences, ï sr sont les points de vue élevés, où se plaçait Duhem pour parler de l'Allemagne pendant la guerre, et ses fines analyses de la mentalité germanique n’ont rien perdu de leur intérêt. Ra: QU un jugement sommaire porté sur Lavoisier par un chimiste allemand, et il écrivit une petite brochure : La chimie est-elle une science française ? On a plaisir et profit à suivre avec lui la longue histoire des explications concernant la calcination des métaux. Après Cardan et Léonard de Vinci, qui professaient que l’âme du plomb regagnait son lieu, alourdissant ainsi le - métal changé en céruse, le médecin périgourdain Jean Rey, véritable précurseur de Lavoisier, esquisse au début du xvue siècle une théorie de l'oxydation, bientôt précisée par l'anglais Jean Mayow qui devine dans l’air l'existence d’un prin- cipe actif igno-aérien, celui-là même que Lavoisier devait un jour appeler oxygène. Mais bientôt après, la chimie naissante s'engage dans ‘une fausse voie avec Robert Boyle et Stahl, et la théorie du phlogistique régna jusqu’à ce que Lavoisier, com- plétant et précisant les vues de Jean Rey et de Mayow, vint tout démontrer par la précision de ses mesures et la rigueur . de sa critique. Duhem voyait là encore une confirmation « d’une thèse qu'il avait maintes fois formulée : «le plus sou- . , . gTTe , [ . : vent, a-t-il écrit, une vérité n’est “pas rêçue d'une manière définitive, avant qu'elle n'ait été découverte à plusieurs reprises séparées les unes des autres par de longs intervalles d'erreur et d’oubli ». | Duhem resta longtemps isolé dans sa studieuse retraite, tout … entier à ses travaux et à son enseignement. Il craignait de se laisser enrégimenter, et il semble même qu’il voyait d’un œil méfiant certains prosélytismes qu'on aurait pu penser lui être sympathiques. Peu à peu cependant, il s’associa à des groupe- ments bordelais dont le rapprochaient ses convictions religieuses, faisant aux étudiants des causeries historiques ou philoso- phiques, où il savait se mettre à la portée de ses auditeurs, jeunes gens ou jeunes filles. Ce polémiste, parfois fougueux, plaisait à la jeunesse qu’il comprenait et qu’il aimait. Il n'avait rien d’ailleurs d’un prédicateur morose, et né manquait ni de gaieté, ni de cet esprit.de finesse dont il avait si doctement parlé. La guerre, pour lui comme pour tant d’autres, modifia ses habitudes, et on le vit payer de sa personne dans un [grand à nombre d'œuvres. C’est à l'Association des étudiants catho- liques qu'il fit ses conférences sur la science allemande. II se dépensa aussi sans compter au Comité girondin de l’Orphelinat des Armées, fondé avec le concours de la municipalité de Bor- . Sans # F5 il était ainsi devenu une figure bor- _ délaise, et la grande cité méridionale était fière de lui. Elle a entendu garder pieusement son souvenir, en donnant le nom ie Pierre Duhem à une des rues de la ville; le rapporteur de la … proposition faite à ce sujet au Conseil municipal terminait par $ ces mots: « Qu'il me soit permis d'ajouter que chez lui l’homme s'élevait à la hauteur du savant; tous ceux qui l’ont connu et Fa pproché admiraient l’indépendante fierté de son caractère, # son inflexible conscience, la bonté et la sûreté de son cœur. » Ë _ La facilité de travail de Duhem était prodigieuse. Mémoires scientifiques, articles philosophiques ou historiques, il menait » tout de front comme en se jouant; les pages couvertes par sa grande écriture bien connue de ses nombreux correspondants succédaient aux pages, sans ratures, toutes prêtes pour l’impres- sion. Malgré son naturel maladif, notre confrère paraissait vigoureux, et son visage souriant, terminé par une longue barbe, respirait la franchise. Il aimait passionnément la marche et, pour se reposer de ses travaux, consacrait une partie de ses vacances à parcourir, le sac au dos, une région de la France. Il excellait aussi à diriger une embarcätion, et on le rencontrait sur la côte bretonne, menant la vie des pêcheurs. Il était heureux de retourner chaque année dans sa maison de Cabrespine. C'est là que la mort le prit en 1916. Au début de septembre, des dou- … leurs violentes firent diagnostiquer une angine de poitrine, dont s les premiers symptômes, déjà anciens, avaient été méconnus. … Le 14, une crise subite l’enlevait en quelques minutes, à l’âge Ç de cinquante-cinq ans; il dort maintenant son dernier sommeil È dans le cimetière d’un petit village de la Montagne Noire. Ainsi disparaissait, dans toute la maturité de son talent, un 5 Te d’une rare vigueur d'esprit. À une époque d’une - spécialisation excessive, la prodigieuse activité de Duhem s’est - portée sur les parties les plus variées des sciences physico- … mathématiques, et il a été aussi un humaniste et un philosophe. È _ L'harmonie fut profonde chez lui entre l’homme et le savant, que guidait l’un et l’autre une vue systématique des choses; sa … vie si bien ordonnée laisse l'impression d’une admirable unité. … La France perd en lui un bon serviteur; l’Académie, qui de … bonne heure avait rendu justice à son infatigable labeur, un de » ses membres qui lui faisait le plus d'honneur. 4 1 | E >. . i : À : 4 mo ——— 4 NZ | MU % Far : A RE = mot ss pas cessé d’être employé chez nos amis d’outre che, et un ouvrage, célèbre entre tous dans l’histoire des n ces, principal titre de gloire de Newton, est intitulé : Prin- thématiques de la philosophie naturelle. En France, le : tpressif de nos voisins fut beaucoup moins usité. Le pie évoque le plus souvent chez nous les idées de , de logique, de morale, ou encore rappelle les sys- s métaphysiques, dans lesquels l'humanité cultive ses tudes et ses angoisses, reprenant sans cesse des problèmes résolus. Cependant, nos géomètres et nos physiciens de e > moitié du siècle dernier parlaient quelquefois de Cas Dsl “ = _ + constantes, que l'on peut découvrir par l’observation, ont ER l’objet de la Pope naturelle. » Dans sa tue. c ti dire de la physique générale et mathématique, des plus éminents fut notre associé étranger, Sir William = 19 Thomson, qui devint pair d'Angleterre sous le nom de Lord 3 Kelvin. Son génie s’est montré capable des spéculations les. plus profondes et les plus hardies, en même temps qu'habile aux applications étudiées dans leurs détails les plus minutieux. : Je me propose de retracer la vie de l’illustre physicien et de rappeler les points essentiels de son œuvre, si originale et si variée, où n'ont jamais été plus harmonieusement unies la théorie et la pratique. $ * * * William Thomson naquit à Belfast, le 21 juin 1824. Un de ses. ancêtres, John Thomson, d’origine écossaise, était venu se fixer en Irlande au milieu du xvire siècle, et depuis cette époque les. Thomson étaient fermiers de père en fils. James Thomson, le. père de notre confrère, ne suivit pas la carrière familiale, Il. montra dès son enfance d’heureuses dispositions pour les sciences, et l’on raconte qu'à douze ans il construisit seul un cadran. solaire. Il devint, en 1815, professeur de mathématiques à: l’Institution royale de Belfast, position qu’il conserva pendant dix-sept ans. À cette époque, on en était resté à Newton dans. les cours de philosophie naturelle des universités anglaises, particulièrement à Cambridge. James Thomson sut. prendre en Irlande plus de liberté. Il avait étudié de bonne heure Lagrange, Laplace, Fourier, et il fit profiter ses auditeurs de son érudition. Aussi, eut-il rapidement la réputation d'un. remarquable professeur, et, en 1832, la chaire de mathématiques devenue vacante à l'Université de Glasgow lui fut attribuée. James Thomson revenait ainsi dans le pays de ses ancêtres. Des six enfants qu’il ramenait avec lui, deux devaient laisser un. nom dans la science : tout d’abord le futur Lord Kelvin, et son frère James, de deux ans plus âgé, qui s’occupa avec succès de thermodynamique. En ce temps, l'Université de Glasgow était, comme le sont. encore aujourd'hui beaucoup d’universités anglo-saxonnes, un établissement d'enseignement secondaire en même temps que d'enseignement supérieur. William y fut immatriculé à l’âge. de dix ans, au mois d'octobre 1834. Ses succès furent brillants; une traduction des dialogues de Lucien lui valut un prix en 1836. La précocité du jeune Thomson était remarquable. Dans le “ i ihabltestoé Comm puede dé md) À élosophie naturelle, il obtint une médaille pour un r la figure de la Terre, dont le manuscrit a été conservé; reconnaît un lecteur de Laplace et de Poisson, dont les aux sont mis en œuvre avec une originalité étonnante pour il e homme de quinze ans. En 1840, il aborde la théorie que de la chaleur de Fourier, admirable poème mathé- je, comme aimait à dire plus tard Lord Kelvin. Ce fut l jui une révélation de voir l'analyse appliquée à des pro- nes de conductibilité calorifique, et cette étude eut une pro- de : influence ‘sur son œuvre entière; on en retrouve la trace us que dans ses derniers écrits. Dans un voyage qu'il fait en I emagne pour apprendre l'allemand, il a dans sa malle le livre ourier, malgré la défense expresse de son père. Vers la même È e, il était un lecteur assidu de Lagrange et de Laplace. nl déjà étudié à fe Ses lectures sont très variées sur re, l'analyse, la physique, la chimie, et porte souvent es mémoires originaux. Les laboratoires de Cambridge ent rudimentaires; Thomson achète quelques instruments hysique et fait dans sa chambre des manipulations. jeune étudiant n’était pas entièrement absorbé par ses ux intellectuels. Les exercices physiques n'avaient pas l'importance qu’ils ont prise depuis à Cambridge, mais cependant des sports variés étaient en honneur, et Thomson se ait par son ardeur au canotage, qu’il pratiquait deux heures jour. Il obtint, non sans peine, de son père l'achat d’un ateau, le Nautilus, et forma une équipe avec cinq de ses cama- lades, préludant ainsi sur le Cam aux opérations nautiques, poursuivra plus tard sur son yacht le Lalla-Roukh. Il était — kh — ae LT aussi membre actif et fut même président de la Société musicale! de l’Université. Il jouait avec habileté des instruments à vent, | auxquels il devait, à Glasgow, consacrer chaque année une leçon! | dans son cours, ne dédaignant pas de joindre la pratique à la théorie. | De 1842 à 1845, Thomson, tout en préparant ses examens! universitaires, publie divers travaux dans le Journal de mathé-\ matiques de Cambridge. Ses premières notes se rapportent aux. séries de Fourier. Un géomètre anglais avait cru établir que ces* séries ne représentent que des fonctions assez spéciales; Thomson, indigné, lui montre son erreur. Un mémoire ulté-! rieur sur le mouvement de la chaleur dans les solides et ses! rapports avec la théorie mathématique de l'électricité indique déjà une pénétration profonde dans l’étude des analogies entre les lignes de flux calorifique et les lignes de forces électriques; on y trouve une proposition célèbre sur l’équivalence des champs créés extérieurement par des corps électriques et une couche convenable placée sur une surface équipotentielle; mais ich le jeune auteur, comme il le sut plus tard, avait été devancé par Gauss et par Chasles qui, eux-mêmes, avaient seulement: retrouvé des résultats publiés dix ans plus tôt par Georges Green. Dans cette question, le calcul avait, sur certains points, devancé l’expérimentation, en découvrant des théorèmes fon“ damentaux sur l'induction électrostatique, et montrant enr particulier-qu’à l’intérieur d’une cavité creusée dans un conduc= teur aucune manifestation électrique extérieure ne peut être ressentie. Ce résultat, que devait établir ultérieurement Faraday dans des expériences restées classiques, constitue le principe de l'emploi des cages métalliques comme paratonnerres, et se de base à toutes les mesures modernes d’électrostatique. Il est d’ailleurs juste de rappeler, et ceci est peu connu, que, quatre ans! avant Green, Poisson avait donné ce résultat pour une sphère métallique renfermant une cavité sphérique, exemple entre bien d’autres des difficultés que l’on rencontre dans l’histoire des sciences, quand on veut rendre à chacun ce qui lui est dü. Un autre travail de Thomson sur la chaleur contient en ge des questions sur lesquelles il est souvent revenu. Que de” viennent certaines formules concernant l’état calorifique futur d’un corps, quand on donne au temps une valeur négative, c'ests à-dire quand on considère le passé ? En d’autres termes, un ttes 2h ail vi si ces remarques peuvent aider à bien faire com- : haute importance du travail du jeune géomètre, et M. Thomson lui-même veut bien y voir une preuve nouvelle pone: is je lui co et de l’estime que j'ai pour son D ire aux examens qu'il devait passer avant de pre Il n ’eut pas, en 1845, le titre envié de EE le second. Son esprit Fe en travail, passant es dans les luttes universitaires; il y tenait d'autant qu'il se préoccupait de lui ménager la succession du pro- de ne naturelle à l’Université de Glasgow, le À l’âge de vingt ans, le nouveau gradué de Cambridge avait déjà pris rang parmi les savants doués de l'esprit d'invention. | On pouvait se demander si Thomson serait mathématicien ou | physicien. L’élégance de son mémoire sur les images électriques ! dénotait un géomètre d’une rare pénétration. Cependant, à ; mieux y regarder, il apparaissait que, dans ses préoccupations, | la mathématique tenait la seconde place, et qu’il se souciait ! surtout des conséquences physiques pouvant être déduites des ! transformations analytiques. Les idées de Faraday l'avaient | vivement frappé, et il avait cru un moment à une contradiction entre la notion de lignes de forces posée par l’'illustre physicien . et les lois de Coulomb. Une forte culture mathématique, que ne. possédait pas Faraday, lui permit de trouver la solution de ces. difficultés dans les relations qu’il avait déjà signalées entre l'équilibre calorifique et l'équilibre électrique. | Ses examens terminés à Cambridge, Thomson vient passer quelques mois à Paris. Il y a des relations suivies avec Liouville, ! fréquente Chasles et Sturm, auxquels il fait connaître l'essai ! de Green sur l’électrostatique. Il voit aussi Cauchy, peu enclin à suivre les idées d’autrui, mais instryisant le jeune maître par! l'annonce de ses travaux; l'influence est visible, dans plusieurs ; écrits de Thomson, du mémoire de Cauchy sur le mouvement des ondes, auquel notre grand géomètre avait mis comme épi-# graphe : Nosce quot Toni vemant ad hittora fluctus. « Cauchy, écrivait Thomson à son père, a toujours beaucoup à me dire sur les belles choses qu'il vient de découvrir. Chaque semaine, il: présente à l’Institut un ou deux mémoires. » Cauchy faisait” dévier parfois la conversation sur d’autres sujets. Il avait le ! goût de l’apostolat, et essaya sans succès de convertir Thomson au catholicisme. 4 Biot présenta Thomson à Regnault, dont le laboratoire au“ Collège de France était alors un des plus importants centres des recherches scientifiques. Il ne semblait pas que les travaux" antérieurs du jeune savant anglais dussent le disposer à. apprécier beaucoup les mesures minutieuses que l’on y effec- tuait ; il est cependant conquis par l’art merveïileux de l’expé: : rimentateur français, et est accepté comme préparateur béné-" È Ê aussi à étudier le mémoire dans lèquel Clapeyron t en 1834 quelques-unes des idées indiquées dix ans avant pas Sadi Carnot dans ses célèbres Réflexions sur a Enr du feu. L'ouvrage de Sadi Carnot, qui a | a peu d'exemplaires, et il était resté, on peut le dire, - Thomson a raconté les vains efforts qu'il fit à Paris . “trouver. « Avez-vous, disait-il au libraire, l'ouvrage bin n’oublia jamais l'accueil qu’il reçut à Paris dans sa nesse. En 1895, au centenaire de l’Institut, il en évoquait le souvenir dans les termes suivants : « Le vénérable m'a pris par la main, et m'a placé dans le laboratoire du -de France sous la direction de Regnault; ainsi, j'ai vu ndphysicien de jour en jour, travaillant sur les propriétés gaz. À Regnault et à Liouville, je serai toujours reconnais- pour la bonté qu'ils m'ont témoignée et pour les méthodes qu'ils m'ont enseignées sur la physique expérimentale et sur la physique mathématique dans l’an 1845.» À son retour à Cambridge, Thomson fut nommé fellow du re Saint-Pierre. Il devait conserver ce fellowship jusqu’à oque de son mariage, en 1852, les fellows, sauf de très rares més à vie, devant être célibataires; il y adjoignit quelque ps la position de lecteur de mathématiques. Mais il ne resta longtemps à Cambridge. Au mois de mai 1846, la chaire de osophie naturelle devint vacante à Glasgow, et Thomson mit sur les rangs pour la succession du D' Makleham. La plus ve objection faite à la candidature de ce jeune homme de si Te vingt-deux ans était la crainte qu’il fût trop savant et ne pût se mettre à la portée des étudiants. Cependant les autres can- didats se retirèrent, et Thomson fut élu à l’unanimité. Avant la nomination définitive, il eut un mois pour composer une dissertation latine : De caloris distributione per terræ corpus. Après cette soutenance inaugurale, Thomson ayant, suivant : la loi, souscrit au formulaire de l’Église d'Écosse, fut définiti- vement installé dans cette chaire de philosophie naturelle, qu'il a occupée pendant cinquante-trois ans, n’ayant jamais voulu, malgré les appels les plus pressants, quitter la vieille université écossaise. : Une des. premières préoccupations du nouveau professeur | fut d'organiser un laboratoire de physique pour les étudiants, ce | qui était en Écosse et en Angleterre une grande nouveauté. La | classe ordinaire, qui se tenait chaque jour pendant deux heures, comptait une centaine d'élèves, parmi lesquels -de nombreux étudiants en théologie. L'enseignement de la mécanique, de la: physique et parfois de l'astronomie, que donnait Thomson, n'avait rien de didactique; les digressions abondaïent, et la vive imagination du professeur l’entraînait parfois loin du sujet . de la leçon. Celle-ci commençait par une interrogation; le sou- venir est resté, chez les étudiants de Glasgow, d’une colle, si j'ose le dire, de Lord Kelvin : « Pourquoi l’échptique s 'appelle- 4 t-elle l’écliptique ? » Au début de l’année, le cours était précédé d’une introduction générale, qui paraît avoir peu changée avec le temps. Thomson y distinguait deux stades dans le développement de la science du monde extérieur : celui de l’histoire naturelle et celui de la . philosophie naturelle. Le premier se rapporte à la description « et la classification des faits observés; dans le second, on s'efforce « de découvrir par induction des lois générales dans chaque do- maine du monde matériel, puis la déduction intervient, des prévisions deviennent possibles, que doivent vérifier l’observa- tion et l'expérience. La leçon prenait par endroîts un tour reli- gieux. « Quand nous suivons le développement de la science depuis les anciens âges et les progrès faits par l'esprit humain dans la découverte de la vérité, nous sentons, disait Thomson, que le pouvoir de trouver les lois établies par le Créateur pour maintenir l'harmonie de ses œuvres est le plus noble privilège qu’Il a accordé à notre intelligence. Si nous négligeons de déve- Mano dt de nr PTT CO PER DT TE UT e dons et nous sommes indignes de ses bienfaits. » >fesseur ne pouvait manquer de rappeler l'importance du scientifique pour l’ amélioration de la condition humaine, 1 insiste sur « ce que l’on ne doit pas regarder ces amélio- ns comme ar propre et la fin de la science. « Rien, es son ensemble, est peut-être trop Sbaole mais elle S wait une saveur particulière, venant d’un homme qui, en même ae savant illustre, a été un très habile technicien. devait lui paraître un blasphème. Aucun doute sur la de la science n’effleura jamais l'esprit de Lord Kelvin, Re bble Lavoisier toutefois avait fait des réserves sur la > matérielle de cette substance, et, un peu plus tard ons, ut conclu qu'elle pouvait être créée ou détrnite En A ee à partir de 1843, l étude des courants électriques 2 Peut à la séance, et son attention fu vivement attirée par ! 580 = cette communication qui.le surprit et l’inquiéta. Thomson, . nous l’avons dit, connaissait par Clapeyron le mémoire de Carnot. Celui-ci avait accepté avec quelques réserves, comme Lavoisier, les hypothèses courantes sur la matérialité du calo- rique. Ces hypothèses admises, le travail dans une machine à vapeur résulte de la chute d’une certaine quantité de chaleur. | descendant de la température de la chaudière à celle plus basse du condenseur, de même que l’eau, actionnant une roue hydrau- . lique, descend d’un niveau à un niveau plus bas. La chaleur, comme l’eau, reste en même quantité au commencement et à . la fin de l'opération. D'autre part, une machine, opérant de la manière la plus » économique et se retrouvant à la fin de l’opération dans les mêmes conditions qu'au début, produit un travail, dont lé rapport à la chaleur mise en œuvre prise à la chaudière dépend uniquement des températures de la chaudière et du condenseur : telle est, sous sa forme primitive, le principe de Carnot. En 1848, . les résultats de Joule paraissent à Thomson inconciliables avec « les idées de Carnot, dont il voit au contrairé une confirmation « dans le calcul, fait à l’aide des données de Regnault, du ren- dement des machines à air, à vapeur d’eau, à vapeur d’alcool, fonctionnant entre les mêmes limites de température. Ees “ objections se présentent à lui nombreuses : il croit encore, à cette “ époque, que la conversion de la chaleur en travail est proba- « blement impossible. À propos de la production de la chaleur par. le travail, il revient même sur l’ancienne objection que la chaleur peut rester latente ou que quelque altération physique change « la capacité calorifique. De plus, et c’est un point pour lui bien“ troublant, il n’y a pas d'effet mécanique, quand la chaleur est _transportée d’un corps à un autre par conductibilité. Cependant, une étude plus approfondie et quelques sugges-« tions de Rankine modifient peu à peu les idées de Thomson, et, . d’après son propre témoignage, il avait réussi à voir comment se conciliaient le principe de l’équivalence et celui de Carnot, . quand parut le mémoire de Clausius. Une polémique s’ensuivit” entre le physicien allemand et les amis de Thomson; elle est aujourd’hui sans intérêt. Les deux principes ne sont pas con tradictoires, si l’on tient compte de ce qu’une certaine quantité .de chaleur, correspondant au travail effectué, est détruite. Que de tâtonnements dans la fondation de la thermodyna=« 1 4 Le Es Use Ne ent été évités, si Sadi Carnot n'avait pas été enlevé _e par une mort prématurée! Les notes manuscrites qu’il à laissées, publiées en partie seulement en 1878, et qui forment me des pièces les plus précieuses des Archives de notre Aca- . démie, montrent qu’à la fin de sa vie il avait pleinement adopté si l'idée de l’équivalence de la chaleur et du travail, donnant même pour l'équivalent mécanique de la calorie un nombre voisin de celui que devait trouver longtemps après Robert Mayer. … Lord Kelvin a dit plus tard très justement que, dans toute _ l'étendue du domaine des sciences, il n’y a rien de plus grand qe l'œuvre de Sadi Carnot. _ Dans ce rappel historique, si sommaire soit-il, il convient de É mentionner Seguin, l'inventeur des chaudières tubulaires, qui en 1839, c'est-à-dire quatre ans avant Mayer, émit nettement | l'idée qu'une certaine quantité de calorique disparaît dans la nétior de la puissance mécanique, et que les deux phéno- : É _mênes sont liés entre eux par des conditions qui leur assignent des relations invariables. a 2 1857, Thomson publia son grand mémoire sur la théorie 4 E de la chaleur. C’est un de ses travaux les plus - achevés, et dont presque toutes les parties sont devenues clas- siques! Il rend justice à Clausius, mais il ajoute qu'il avait trouvé antérieurement l'explication des difficultés qui l'avaient _ longtemps arrêté, modifiant de lui-même ses anciens points de vue. Après l'établissement des équations fondamentales, le mémoire contient des applications très variées des deux prin- “cipes de la thermodynamique, dans tout le domaine de la … physique. Thomson insiste sur les relations qu'établit la théorie + entre les propriétés des corps, mettant ainsi en évidence des réciprocités qui en montrent la fécondité; ainsi, suivant l'im- . portante remarque de son frère James, la pression abaisse le point de congélation d’un liquide, comme l’eau, qui se dilate Een se solidifiant, tandis qu’elle l'élève quand il y a contraction. - Au nom de Thomson restera attachée la notion d’une échelle Eee de température. D’après cette échelle, le rapport des … températures absolues de deux corps quelconques est égal au Erne des quantités de chaleur prises à l'un et transmises 1 à l'autre, en supposant ces Corps en conjonction au moyen - d'une machine thermique parfaite. La comparaison de l'échelle R- aie avec celle donnée par un gaz à pression cons- RÉ 0 Me tante ramenait à une ancienne expérience de Gay-Lussac, d’après laquelle un fluide élastique qui s'écoule d’un vase plein dans un autre vase de même volume, où l’on a fait le vide, se refroidit dans le premier autant qu’il s’échauffe dansfle second. ! Cette expérience avait été reprise par Joule, mais Thomson la regardait comme peu concluante. Aussi proposa-t-il à son. ami de la reprendre en mettant entre les deux récipients une -paroi poreuse à travers laquelle le gaz devait passer, en subis- sant une détente qui pouvait être considérable. On constata alors que la température ne reste pas invariable; il y a un refroi- dissement avec les gaz qui se compriment plus que ne l'exige la loi de Mariotte. Une formule simple fait connaître ce refroi- dissement en fonction de la différence des pressions et de la tem- pérature absolue du jet. Linde devait se souvenir quarante ans plus tard de cette expérience de Thomson; c’est sur le froïd résultant de la détente sans travail extérieur qu'est basée sa machine pour la liquéfaction de l'air. Deux courts mémoires, écrits en 1852, sont particulièrement mémorables. Dans l’un, Thomson fait la distinction entre | l'énergie totale et l'énergie utilisable, energie available to man, comme dit le titre du mémoire. L'autre est intitulé : Sur la tendance universelle dans la nature à la dissipation de l'énergre mécanique. La distinction entre la quantité et la qualité de l'énergie était alors une idée toute nouvelle. Ainsi dans un sys- tème, soustrait à toute action extérieure et passant par voie irréversible d’un état à un autre, la quantité d'énergie est bien constante, mais la quantité d'énergie utilisable par nous pour produire du travail est moindre; la qualité de l'énergie a diminué. Le frottement, les chutes de chaleur par conductibilité, la résis- tance des conducteurs dans la propagation de l'électricité pro- duisent, entre autres causes, ce résultat. L'introduction dans la science de l’idée d'énergie utilisable, avec toute son ampleur, est un des titres de gloire de Thomson. En signalant dans le monde actuel une tendance à la dissipation de l'énergie utili- sable, il créait une doctrine dé l’évolution du monde inorganique, et nos conceptions de l’univers matériel se trouvaient changées. Thomson insiste sur ce que toutes les formes connues de L l'énergie ont une tendance à se transformer en énergie calo- - rifique, qui présente la forme la plus stable. Puis, se livrant à de hardies généralisätions, il développe l’idée que la chaleur est nu oui ui Sudi LtEÉ di CRÉES, » indé ten nd rue. es Re t RE LS D à te: par excellence, et. que cette tendance vers doit conduire fatalement l'univers à sa ruine. L ramené à la même nt in aura Dates qu'il ait pu faire çà et là sur la légi- nes extrapolations. Une des conclusions de son sur l'énergie utilisable indique assez nettement sa È «La Terre, écrit-il, doit avoir été dans le passé, et elle De so: 1860, Thomson publie de remarquables études sur ctricité. Rappelons l'effet ca porte son nor et qui une sorte d’hétérogénéité électrique produite par un courant nn dans un conducteur Enr collègues redoutaient sa puissance d’annexation, comme t l'un d'eux. Le professeur se faisait aider, dans la partie érimentale de ses travaux, par les étudiants les plus avancés, 1e transportait l'enthousiasme du maître, aussi habile à con- de savants calculs sur les intégrales de Fourier, qu'à ter d’une manière toujours originale de délicates expé- — 54 — Thomson fut encore un précurseur dans la question des oscillations de l'électricité. Quand on réunit par un fil les deux plateaux d’un condensateur, le passage de l'électricité d’un pla- teau à l’autre, qui constitue le phénomène de décharge, subit, dans certains cas, des oscillations, dont Thomson détermine la période. Il suggéra même que ces oscillations pouvaient être rendues visibles en insérant dans le fil de décharge un interrup- teur à étincelles, et Feddersen réussit à photographier celles-ci en les séparant au moyen d’un miroir tournant. On montre aujourd'hui, avec l'oscillographe, que la théorie de Thomson -est très approximativement exacte. Quoiqu'il ait négligé l’énergie rayonnée dans l’espace, son mémoire sur les Oscilla- tions électriques sera toujours à rappeler dans l’histoire des ondes hertziennes et de la télégraphie sans fil. La propagation de l'électricité dans un câble a fait l'objet de longues études de notre confrère, où l’on ne sait ce que l'on doit le plus admirer, de la pénétration du théoricien ou de l’habileté de l’expérimentateur et du technicien. En 1855, il y avait déjà quelques câbles sous-marins, par exemple entre Calais et Douvres, et aussi entre l'Angleterre et l'Irlande, mais leur longueur était petite. La pose d’un câble entre deux pays: éloignés, comme l'Angleterre et les États-Unis, présentait des difficultés mécaniques évidentes, mais il y avait aussi à cette entreprise de graves objections d’ordre électrique, qui décou- rageaient les ingénieurs. On devait craindre la lenteur des com- munications sur une ligne de plusieurs milliers de kilomètres. Le câble est, en effet, formé par un conducteur en cuivre, séparé de l’eau de mer par un revêtement isolant de gutta-percha entouré lui-même d’une armature de fils de fer; il forme un condensateur allongé de grande capacité électrostatique, se chargeant et se déchargeant d'autant plus lentement que la longueur est plus grande. Thomson vit que les conditions du problème permettaient de l’assimiler à celui de la diffusion de la chaleur, et l'étude d’une intégrale de l’équation de Fourier, correspondant à un potentiel constant à une extrémité, le con- duisit à des résultats de la plus haute importance. Il n’y a pas, à proprement parler, une vitesse de propagation, et, dans la transmission d’un signal court, le temps au bout duquel l'effet est maximum dans un câble varie proportionnellement au carré de la distance. Cette loi et d’autres analogues, qui fixaient 4 4 ire dans lesquelles la ligne devrait être établie, étaient contraires à l'opinion générale des ingénieurs électriciens et furent vivement combattues, mais Thomson montra que les - expériences qu'on lui opposait confirmaient ses vues, et il fut - chargé de la direction technique de l’entreprise. La question … des récepteurs était capitale. Thomson imagina d’abord un - galvanomètre à aimant mobile, qui permettait d'utiliser. . l'alphabet Morse. Il inventa, plus tard, le siphon recorder, gal- 3 vanomètre apériodique, à aimant fixe et à cadre mobile, en À relation avec un siphon où circule l’encre électrisée qui inscrit la 4 dépêche. L'idée de fixer l'aimant et de rendre le cadre mobile a été souvent utilisée, depuis cette époque, dans la construction des 3 pate. Le 5 avril 1838, la communication était établie _ entrel'Irlandeet Terre-Neuve, mais peu à peu les messages furent | transmis plus difficilement et le câble cessa de fonctionner, échec qui tenait probablement à l'emploi de courants trop « puissants. De nouvelles études, auxquelles Thomson prit la É large part, durent être faites sur les résistances mécanique > et électrique des câbles, sur les méthodes d'émission des signaux, + sur les appareils d'immersion. En 1865, l'opération fut reprise, mais le câble se rompit pendant la pose. L'année suivante, le succès fut complet et définitif ; la transmission eut lieu à raison | de quatorze mots par minute. L'établissement de communications télégraphiques entre ; l’ancien et le nouveau Monde eut un grand retentissement en Ê Angleterre. Le 19 novembre 1866, la reine d'Angleterre, au châ- : L F teau de Windsor, conférait à Thomson le titre de chevalier pour les services rendus à l’entreprise, en même temps que pour - l'ensemble de son œuvre scientifique. Dans un banquet, qui lui - fut offert à cette occasion par la cité de Londres, il reprit, en répondant aux toasts prononcés, les idées souvent exprimées + dans ses leçons inaugurales sur le désir, naturel à l’homme, de connaître les puissances de la nature. De son côté, la ville de - Glasgow lui accordait, dans une séance solennelle, le droit de _ bourgeoisie. Sir William Thomson, dans son remerciment, be le rôle de la science abstraïte. «La marche de la science, … remarquait-il, est fatale et ne dépend pas du faible pouvoir . des individus. Un peu plus tôt ou un peu plus tard, les progrès - auraient été réalisés, ne fût-ce qu’à la suite de longs et pénibles * tâtonnements, mais la théorie accélère les résultats en indiquant nn Le à dira l 5 pré DAS LL Cod cutn dd > à Le à Mu ln) Se les principes qui doivent guider dans la recherche. » Il pensait sans doute au rapprochement entre la diffusion de la chaleur et celle de l'électricité, qui l'avait conduit aux lois fondamen- tales pour l'établissement de la télégraphie transatlantique. On a toujours admis, en Angleterre, que le savant peut s’enri- - chir avec ses inventions. Les appareils de Thomson, relatifs à l'électricité et au magnétisme, lui rapportèrent d'importants bénéfices, dont il fit d’ailleurs ‘profiter la science. Dès son enfance, il avait eu le goût des choses de la mer. Les longs séjours sur les navires posant les câbles transatlantiques appelèrent son atten- tion sur les perfectionnements à apporter à la navigation. I avait acheté un yacht, le Lalla-Roukh, sur léquel il faisait tous les ans de longues croisières. Le yacht était un laboratoire, d'où sont sorties des contributions du plus haut intérêt pour la science nautique, tant théorique que pratique. Souvent d'illustres invités venaient participer aux travaux de leur hôte, comme Stokes, Helmholtz, Lord Rayleigh. De toutes les inventions de Thomson dans la navigation cou- rante, aucune n'est plus connue que ses compas ou boussoles. On sait que le compas est essentiellement formé d'un aimant mobile autour d’un axe vertical, solidaire d’une feuille circu- laire sur laquelle est gravée une rose des vents. Plus de deux mille ans avant notre ère, les Chinois avaient utilisé la propriété d'une aiguille aimantée, ainsi suspendue, de se diriger à peu près vers le Nord. Ce fait, au contraire, ne fut pas connu des Grecs et des Romains, et il semble que la boussole marine n'ait commencé à être employée en Europe qu’au xx siècle. Pen- dant longtemps, les compas furent construits avec de longues aiguilles pesantes; ils étaient peu sensibles et la correction due au magnétisme du navire était difficile. Il fallait, pour diminuer le frottement sur le pivot, avoir un système d’aiguilles léger; mais celui-ci devait avoir un grand moment d'inertie, pour rendre plus longue la période d’oscillation. Dans le compas Thomson, huit aiguilles courtes reliées par des fils de soie à un cercle métallique d'assez grand rayon forment la partie essentielle de l'appareil, qui réalise ainsi les diverses con- ditions nécessaires. Le magnétisme des pièces de fer du navire trouble les indications du compas; une compensation est néces- saire. Après les études théoriques de Poisson sur le magnétisme, des méthodes de correction avaient été proposées, où l'on 1 RAR ‘12 on mt) Ed AS Late à “hi de 7: dt SONGS PR SE dattes à éubegs : nee mis ae d aimants permanents et de masses de fer doux. Le nouveau compas, avec son faible moment magnétique, permet- tait de les utiliser dans les meilleures conditions, et la compen- sation était obtenue une fois pour toutes, sous une latitude quelconque et pour un cap quelconque. Le compas Kelvin, qui | contribué grandement à la sécurité de la navigation, est uni- - versellement adopté aujourd’hui dans la marine britannique, et est aussi employé dans beaucoup d’autres pays. Rappelons encore, parmi les instruments dont Thomson a doté la marine, ‘le déflecteur qui permet de régler un compas, quand aucun lastrec ou objet terrestre n’est en vue, et un appareil de sondage, mesurant la pression, et par suite la profondeur, à l’aide d'un tube creux fermé par le haut et enduit de chromate d’argent - attaquable par l’eau de mer. | Thomson a longuement étudié les marées. Il n’est pas, en É - mécanique < céleste, de problème plus complexe que celui du flux - et du reflux de la mer. Newton avait, dans ses grandes lignes, F © donné une théorie statique de ce phénomène dû à l'attraction de la Lune et du Soleil sur les eaux qui couvrent la surface ter- restre. Cette théorie, où l’on $Suppose remplies les conditions de l'équilibre hydrostatique, reste intéressante dans le cas des marées à longue période, où l’inertie est négligeable; le point essentiel est de tenir compte de l'influence des continents. Cette juestion de statique doit à Thomson des perfectionnements dus “introduction de constantes convenables, relatives à la distri- “bution des eaux et des terres sur notre planète. Pour les marées rne et semi-diurne, le point de vue statique est inadmissible. ’ est peut-être dans l'étude dynamique des marées que s’est montré le mieux le génie de Laplace, et cependant la théorie “est encore aujourd'hui impuissante à traiter complètement . le problème. Aussi l’auteur de la Mécanique céleste fut-il conduit -à entreprendre l'analyse harmonique des courbes fournies dans les ports par les marégraphes. Le phénomène complexe est alors . décomposé en éléments plus simples, et, quand une observation - suffisamment prolongée a fait connaître les amplitudes et les - phases des diverses harmoniques, on peut, par des sommations, = calculer les marées pour un temps quelconque. Ces calculs sont 4 très pénibles. On doit à Thomson un instrument, le fide predicter, - formé essentiellement de tiges, d’excentriques et de poulies » correspondant au mouvement de chacune des ondes élémen- DR. ae taires, qui réalise automatiquement les diverses sommations; on obtient ainsi, en moins de trente minutes, la courbe des marées en un lieu donné pour une année entière. "x L'activité de Thomson était prodigieuse, et il semblait trouver le repos dans la variété de ses occupations. IL était capable de porter à la fois son attention sur les problèmes les plus divers, comme en témoigne le carnet vert qu’il avait toujours sur lui et où il inscrivait les pensées qui lui venaient à l'esprit. On y .” voyait sur une même page des calculs sur la théorie cinétique des gaz et sur les câbles sous-marins. Une centaine de ces carnets, pieusement conservés, dont chaque page porte une date et quelquefois une heure, sont de précieuses reliques pour la science anglaise. ee Vers 1865, Thomson entreprit, en collaboration avec Tait, professeur de physique à l'Université d'Édimbourg, un traité de philosophie naturelle, que les Anglais appellent le T and T', d’après les initiales des deux auteurs. Ceux-ci s'étaient d’abord proposé de tracer une vaste esquisse de la physique entière, en se plaçant au point de vue de la conservation de l'énergie, mais leur plan s'était peu à peu restreint; tel qu'il est, le livre est un traité de mécanique extrêmement original. Le traité de philosophie naturelle n’est accessible qu’à ceux qui ont des connaissances mathématiques étendues. On y trouve beaucoup de formules, mais les auteurs entendent écrire un livre de physique. « Rien ne peut être plus fatal au progrès, disent-ils dans la préface, qu'une trop grande confiance dans les symboles mathématiques, car l'étudiant n’est que trop disposé à prendre . 3 la formule, et non le fait, comme la réalité physique. » Les lois générales de la dynamique sont exposées d’après Newton. Cette partie présente des lacunes, et ce n’est pas sans étonne- ment, il faut l'avouer, qu’on voit attribuer à Newton le célèbre principe de d’Alembert. Mais ensuite, quelles admirables études sur la mécanique analytique, et la rotation des solides et des = … liquides. Après Lagrange et ses successeurs, Hamilton et Jacobi, il n’était pas facile d'introduire des vues vraiment nouvelles en « mécanique analytique; c'est ce qu’a fait Thomson avec le pro- -blème de l’action et la considération des foyers cinétiques qui disent: une E ndrquable généralisation du problème des foyers conjugués en optique. Avec un art consommé, les auteurs . donnent la vie à des formules abstraites dans un langage souvent * imagé. Il est question de degrés de liberté, de domination gyros- 3 latique, d’élasticité cinétique. De nombreuses pages sont con- { _ sacrées aux effets réalisés par les gyrostats ou systèmes à l'inté- … rieur desquels figurent des solides animés de rotation rapide et “qui opposent à certains mouvements des résistances inattendues. > Les phénomènes, où s’mtroduisent des mouvements cachés per- manents, paraissaient à Thomson de grande importance pour » la philosophie naturelle. C'était pour lui une joie de provoquer - l'étonnement des visiteurs de son laboratoire, en leur montrant + les réactions curieuses dues à des gyrostats; ces questions, par- > ticulièrement celles qui concernent la stabilité, tenaient une . grande place dans son enseignement. On sait l'importance qu'ont » prise aujourd'hui les effets gyroscopiques dans la recherche de È la stabilisation de nombreux appareils. La seconde partie du traité de philosophie naturelle traite Yaë l'élasticité au point de vue de l’énergétique. Parmi les appli- E cations, les auteurs étudient les déformations de la Terre sous “4 _ l'effet dés attractions solaire et lunaire, ce qui les conduit à _ rechercher l'influence de l’élasticité terrestre sur les marées ainsi w que Sur la précession et la nutation. Les questions de physique du globe et de cosmogonie n'avaient cessé d’intéresser Thomson ? _ depuis le temps où il écrivait sa dissertation inaugurale. Il était — membre actif de la Société géologique de Glasgow et avait été £ . pendant plusieurs années son président. Il combattit vivement les partisans, nombreux alors, de l’uniformité en géologie, et + une conférence sur le temps géologique, faite en 1868, fut l'objet E. de longues discussions. Dans une illustration de la théorie de . Hutton, Playfair avait écrit que, dans la suite des temps géolo- … giques, on ne distingue ni un commencement ni une fin; cette » doctrine uniformitarienne en géologie, d'après laquelle les … choses vont, comme nous les voyons aujourd'hui, depuis des … millions de millions d'années, était, en partie, une réaction - contre l’école de Werner, qui avait vu partout des cataclysmes. = Thomson ne se rattachait à aucune école géologique. Il fit à 4 … l’école de Hutton et de Lyell de nombreuses objections, dont - l’une est tirée de l’étude du refroidissement du globe terrestre. m1 suppose qu'à un moment la Terre, ayant une température * 00e uniforme, a commencé à se refroidir. Le degré géothermique, que nous pouvons observer, s'exprime alors, en suivant les idées de Fourier, à l’aide du temps, de la température initiale, et de cer- taines constantes, dont on peut indiquer des valeurs assez pro- bables pour les matériaux placés à la surface du globe terrestre. Si l’on admet, par exemple, que la température initiale était de trois mille degrés, température à laquelle ces matériaux : doivent être en fusion, on conclut de cette relation que la Terre devait être complètement en fusion, il y a cent millions d'années, et c’est sans doute une limite trop élevée. L'origine de la chaleur solaire vint aussi apporter des argu- ments à Thomson contre l’école uniformitarienne. Si, comme il est probable, le rayonnement de la surface de cet astre a été au moins aussi considérable qu'aujourd'hui péndant la durée des temps géologiques, cette chaleur doit se renouveler. Thomson admit d’abord l'hypothèse météorique, d'après laquelle la chaleur du Soleil serait entretenue par les météorites qui tombent sur lui, leur force vive se transformant en Chaleur. Mais il lui parut bientôt qu’elle n’était pas conciliable avec l'accroissement de la masse du Soleil et la durée de l’année qui en résulterait, et il se rallia aux idées d'Helmholtz qui voyait: dans la contraction de l’astre la cause principale de l’entretieri de la chaleur solaire. Thomson cherche alors, moyennant quelques hypothèses extrêmes plus ou moins plausibles sur la loi de variation de la densité du Soleil à son intérieur, à évaluer le temps pendant lequel l’astre a pu rayonner au taux actuel de sa déperdition, et il arrive à la conclusion que le Soleil n’est pas très vieux. « Il semble fort probable, écrit-il, que le Soleil 7 n’a pas éclairé la Terre durant cent millions d'années, etilest presque certain qu'il ne l’a pas fait pendant cinq cents millions d'années. » Ces conclusions ne sont, bien entendu, que provisoires. Des sources de chaleur inconnues il y a Soixante ans, comme le radium, ne sont pas entrées en ligne de compte. Cinq cents millions d’années sont bien peu de choses. Le célèbre naturaliste Huxley, alors président de la Société géologique de Londres, ne se contentait pas d’un temps aussi court. Dans la réponse assez vive qu’il fit à Thomson, il n’hésite pas à déclarer que l’évolutionnisme a besoin de beaucoup plus de temps pour le développement de la vie, et que des formules mathématiques, äéduites de données vagues, ne peuvent aller contre cette néces- 4 3 PONT PROS VOS DR) CONTENU SOU N UOTE NN D CUS COTES PONS RP TT 0 NN VOS PINT PART ETS VS db dr co d'his à CET a ques, Hunt au slppenent de la vie, a perdu quelque peu de son intérêt aujourd’hui, le transformisme étant moins “Ress depuis que l’on envisage la possibilité de mutations pere rapides. Thomson fut aussi en désaccord avec les géologues qui atiqne l'existence d’un océan en fusion placé au centre de | . la Terre, dont nous ne serions séparés que par une croûte fort - mince: c'était, vers 1860, une opinion très accréditée. Elle se - concilie difficilement avec les phénomènes de la précession et _de là nutation. Notre globe, pour Thomson, est solide jus- ; qu’ au centre, exception faite de quelques parties liquides de - massesrelativement faibles. Les géologues sont aujourd’hui, sem- blet-il, d'accord sur ce point, admettant une enveloppe pier- - reuseexterne d'environ quinze cents kilomètres, là stratosphère, 5 à l'intérieur de laquelle est la barysphère, beaucoup plus dense. E Mais on ne peut supposer, d'autre part, que notre globe soit » un solide indéformable. La Terre possède une certaine élasticité. de faite des séismes, elle n’est jamais en repos; sous _ les actions de la Lune et du Soleil, elle se soulève et s’abaisse, comme si elle respirait. Il y a nécessairement une relation entre les mouvements des eaux de l'océan et la marée de la surface terrestre, et cette relation dépend de la rigidité de la Terre. C'est par cette voie que Thomson, attaquant le problème, fut conduit au résultat que la terre est plus rigide que le verre, sans être peut-être aussi rigide que l'acier. De nombreuses mesures, effectuées depuis cinquante ans, ont confirmé ses clusions, en les précisant considérablement. Les ‘recherches cosmogoniques, dont la base, il faut l’avouer, 3 Let parfois fragile, étaient pour Thomson un délassement qui _ne l’empéchait pas de poursuivre ses travaux sur l'électricité. | Les appareils qu'il imagina pour les mesures électriques ont joué dans l’histoire de la science un rôle capital. Ses électro- E mètres, ses voltmètres et tous ses appareils de mesures élec- | triques, répandus dans le monde entier, n’ont eu à subir que - des perfectionnements de détail. Avant lui, on utilisait des ins- truments pe comparables, et la confusion était grande dans les mesures. Les indications des instruments de Thomson sont — 62 — : # susceptibles d’être interprétées en unités absolues, etilfutlepre- … mier à montrer comment les unités électriques fondamentales À pouvaient être déduites du principe de la conservation de | l'énergie. Il avait vu clairement la nécessité d’un système aussi cohérent que possible pour les mesures électrostatiques et. électrodynamiques, et il fut l’âme d’une commission de l’Asso- ” ciation britannique pour l'avancement des sciences, qui, pen- : dant vingt ans, étudia cette question d’une importance capitale non seulement pour la science pure, mais aussi pour le dévelop- pement de la future industrie électrique. A l’exposition uni- verselle d'électricité qui eut lieu à Paris, en 1881, Thomson et notre confrère Mascart tinrent la première place dans les dis- cussions dont devaient sortir les unités électriques modernes; deux d’entre elles, le watt et le volt, sont connues au moins de Ë nom par tous ceux qui emploient la lumière électrique. L’en- « tente cordiale entre les deux savants leur permit de lutter contre 1 certaines prétentions appuyées par Helmholtz et Clausius. Mascart a raconté ces négociations difficiles, et il a noté le petit M détail que c’est autour d’une table du pâtissier Chiboust, où 1 - Sir William et Lady Thomson prenaient une tasse de chocolat, qu’on finit par s'entendre au sujet des unités désignées sous le nom d'Ampère, de Coulomb, de Farad. Dans les Papers on « electrostatics and magnetism, où Thomson rassembla ses mé-" moires sur ces sujets, on doit louer à la fois le géomètre ingé- « nieux et profond, et l'inventeur des instruments variés qui lui ont valu une réputation universelle comme constructeur. * * * Ceux qui ont scruté la nature des théories physiques se sont. - plu quelquefois à opposer, d’une part, les partisans dela doc- trine énergétique, formant les équations générales relatives aux transformations d’un système, sans en connaître la constitu-u tion autrement que par les variables susceptibles d’être obser- vées au moyen desquelles on peut les définir, et, d’autre part, les esprits désireux d'explications mécaniques et curieux du détail intime des phénomènes. Les seconds véulent ouvrir las montre qui est devant eux, tandis que les premiers se contentent de suivre le mouvement des aiguilles. Cette opposition est ancienne; qu'il suffise de rappeler la phrase de Pascal : «Il faut: < mn gros, cela se fait par figure et mouvement, car cela est vrai, mais de dire quels et composer la machine, cela est ridi- cule; car cela est inutile et incertain et pénible. » L'auteur des | Pensées visait surtout Descartes qui voyait dans l'étendue … l'essence de la matière, et voulait, en partant de là, construire - le monde avec de la figure et du mouvement. Notre regretté . confrère Duhem a écrit un livre profond, mais systématique, sur} objet et la structure de la théorie physique. Celle-ci est-elle une classification, ou une explication cherchant à atteindre le réel, ou bien encore une représentation au moyen d'images Do _ facilitant les raisonnements ? Thomson, suivant les cas, se % Free à ces divers points de vue. Tous les moyens lui furent _ bons pour faire progresser la science, et lon ne peut, sans injus- tice, faire rentrer son libre génie dans des cadres tracés a priori. Au début de sa carrière, il fut avant tout un champion de cette LE érgétique qu'il contribua grandement à fonder; il suffit de » rappeler ses mémoires sur le principe de Carnot, sur la dissipa- _ tion de-l'énergie, sur la thermo-électricité, sur l'élasticité. Mais » la tendance naturelle de son esprit le portait aussi à chercher … dans le visible une représentation de l’invisible. Presque tous É ses travaux sur la constitution de la matière et de l’éther sont _ guidés par cette pensée. Un exemple remarquable en est donné =. par les anneaux persistants que lancent les fumeurs dans un … air calme. Helmholtz, en 1858, avait établi les propriétés fon- _ damentales de ces tourbillons. Thomson, après avoir réalisé d’ingénieux “dispositifs pour les obtenir avec des gaz chargés de 2 : Es. complète la théorie en étudiant leur stabilité et leurs 4 _ actions réciproques. Puis il suggéra que la matière peut être - formée de diverses espèces d’anneaux tourbillonnaires répandus - dans un fluide parfait indéfini. C’est son hypothèse célèbre des … atomes tourbillons. Ceux-ci possèdent bien certaines propriétés des masses matérielles : permanence, élasticité, actions mu- tuelles, toutes dues aux rotations rapides. A la vérité, des difficultés se présentèrent, en particulier quand on voulut xpliquer la gravitation, et préciser quel est dans un atome stourbillon l'élément invariable, qu'on puisse regarder comme ‘ sa masse. Thomson finit lui-même par abandonner cette théorie atomique, à laquelle il avait su donner un grand développement. * II fut conduit plus tard à penser qu’il fallait adjoindre à l’éther E et aux tourbillons un tertium quid pour expliquer les propriétés - Cal — 64 — de la matière. Ce fertium quid, dit-il, peut s'appeler l'électricité. Cette suggestion a sans doute conduit divers auteurs à modifier : la théorie primitive de Lord Kelvin, pour l’ eus aux phéno- mènes électriques. Mais revenons un peu en arrière. La constitution de l’éther, qui transmet la lumière, et dont on a dit qu’il avait été imaginé … pour donner un sujet au:verbe vibrer, ne cessa d’être l'objet des études de Thomson. Il admet sans discussion son existence, et indique des limites pour sa densité. I1 le regarde comme im- pondérable, c’est-à-dire que les molécules d’éther. sont simple- ment sensibles aux actions des molécules (de matière ou d'éther) … extrêmement voisines, mais que le coefficient d'attraction - newtonien est nul pour elles. Rappelons, au sujet de l’impondé- rabilité de l’éther et de la constance du coefficient d'attraction - pour tous les corps de notre système solaire et même stellaire, une idée curieuse, émise jadis par notre confrère, M. Boussinesq, ce serait une sélection inévitable qui n'aurait maintenu dans le - système, à l’époque où il était une nébuleuse très diluée sous- - traite par sa raréfaction aux actions moléculaires, que des subs- « tances gravitant également (c’est-à-dire ayant même coefficient * d'attraction), à l'exception toutefois des matières de gravité nulle, comme l’éther, qui sont restées répandues dans toût l’espace. Dans d’autres systèmes stellaires que le nôtre, il se . peut que le coefficient d'attraction soit différent. De grandes difficultés se présentent quand on veut rendre compte de la nature de l’éther, en faisant des comparaisons avec les milieux qui nous sont familiers. L'éther paraît en effet, M à première vue, jouir de propriétés contradictoires, puisque, comme un fluide de densité très faible, il n’oppose qu'une résis-. tance insensible au mouvement des planètes, tandis qu'il « transmet des vibrations comme un solide élastique. Ces contra dictions peuvent s'expliquer, d’après Thomson, par la lenteur « relative du mouvement des corps célestes permettant à l’éther de conserver les propriétés des fluides, tandis que la fluidité fait « place à l’élasticité devant la très grande vitesse des radiations « lumineuses. Cette vue générale ne lui suffit pas, d’ailleurs; il croit trouver un exemple concret dans la poix écossaise des cordonniers; taillée, cette matière peut vibrer, mais, aban-« donnée à elle-même, elle s'écrase sous son propre poids. “A Je dois rappeler aussi la conception si originale, à laquelle“ e it contre toute cause CEndnt à imprimer une Halo qu’une dé ses parties, et cède sans résistance à toute nation sans rotation. Ce milieu transmet les ondes trans- - _ tn honor fit à Baltimore des conférences sur la dynamique moléculaire et la théorie ondulatoire de la lumière. a leçons, considérablement augmentées dans une édition . modèles mécaniques, représentant les phénomènes les plus importants de l'optique, y tiennent une large place. Les équa- _ tions différentielles, concernant le mouvement d’un éther que nul œil humain ne verra jamais, sont remplacées par les mani- & _festations objectives d'appareils relevant de la dynamique clas- + _sique. “Thomson supplée ainsi, suivant sa propre expression, à l'aphasie des mathématiques qui ne savent pas exprimer des idées physiques. S'agit-il de donner une représentation de la dispersion de la lumière, c'est-à-dire du fait que les périodes de vibration des lumières de différentes couleurs influent sur leurs itesses de propagation, Thomson imagine des molécules com- posées d’un certain nombre d'enveloppes sphériques reliées “par des ressorts, qu'il sème dans l’éther, et c’est un résultat digne d'être noté que ce modèle conduisit son auteur à découvrir dispersion anomale qu'il ne connaissait pas alors, quoiqu'’elle eût été antérieurement signalée. Dans une autre question, la molécule est formée d’une enveloppe contenant des gyrostats, t est utilisée pour l’étude de la polarisation rotatoire. Les leçons de Baltimore étaient de longues conversations tre le savant illustre et des‘maîtres anglais et américains, nt plusieurs avaient déjà un nom dans la science. Les audi- étaient au nombre de vingt et un; le professeur les appelait _ses “ae Pour marquer que lé travail était fait en commun, cr RU HT il n’y a pas de magnétisme en jeu, mais seulement dans ce cas. Quant à la théorie électromagnétique de la lumière de Maxwell, elle ne rentrait pas dans le type des explications cherchées par Thomson, peut-être parce qu'elle ne lui permettait pas de cons- truire un modèle, et aussi parce qu’elle n’était pas une théorie moléculaire. En fait, il ne s’y est jamais rallié, tout en appréciant hautement les rapports nouveaux qu’elle met en évidence entre la lumière et l'électricité. Quoique la multiplicité des représen- tations imaginées par Thomson finisse par lasser les esprits qui recherchent l'unité, on admirera toujours dans ces leçons d'optique, l’œuvre d’une des intelligences les plus vives, les . plus variées, les plus primesautières, qui fut jamais. * i * + * La maîtrise du physicien de Glasgow s'était exercée sur tant de sujets qu’on recourait à lui de tous côtés pour un conseil ou pour un service. On le recherchait pour la présidence des sociétés savantes et des sociétés industrielles. Il avait ainsi l’occasion de présenter, sous une forme originale, l’état actuel des diverses ” parties des sciences pures ou appliquées. Il fit aussi de nom- breuses conférences à l’Institution Royale et à l'Association Britannique. Quelques-unes de ces lectures ont été rassemblées dans trois volumes de Popular lectures. En une formule abrégée, il concentre quelquefois une vue profonde sur la philosophie naturelle: tel le titre d’une de ses conférences, « L’'élasticité mode de mouvement », qui le ramène à ses recherches sur les: effets gyrostatiques. Navigation, magnétisme terrestre, géo- physique, chaleur solaire, unités électriques, grandeur des atomes, théorie cinétique de la matière, temps géologique, il - parle de tout avec une abondance et un humour, qui rendent très attrayants ces essais de haute vulgarisation. Il ne craignit pas un jour de faire une conférence populaire sur ce que les mathématiciens appellent le calcul des variations. Le problème de Didon, cherchant, avant de fonder Carthage, à enclore un terrain de la plus grande valeur possible entre la mer et une lanière de peau de bœuf de longueur donnée, y est pris comme . exemple des questions qui relèvent du calcul fondé par Lagrange. … Dans une autre circonstance, il parle des six portes de la con- naissance, augmentant d’une unité le dénombrement habituel, n ER NE NO EL AI PU ET ENT x Là À ex D à dire e qu on a ÉÉMRpRS un n phénomène, quand on l’a rattaché s faits antérieurement connus qui auraient pu PRE de ur de tech. de Fourier, de ch: I1 semble que le : Thomson pour les modeles se soit surtout ni ] L . une vision concrète des choses est une des caracté- es der esprit anglais. En Be l'influence de Faraday E? ME dns. = seconde partie des sa carrière, et ainsi s “expliquent LE d'a Apperentes iderr nt accueilli par plusieurs de ceux qui habituellement 2 intéressaient à ses travaux. Ils l'avaient dissuadé de labourer = mps le amp stérile des fonctions qui n'ont pas de parcourir avec succès des voies très diverses, mais ses goûts pe le avaient ‘toujours porté vers des résultats plus concrets et sus- _cep ptibles d’une application moins lointaine. Il le montrait: brillamment peu après dans son mémoire sur l'approximation - des jonctions de très grands nombres qui est une de ses produc- tions les plus originales. ; On rencontre fréquemment, tant en analyse qu'en méca- = nique céleste et en physique mathématique, des expressions _ dépendant d’un entier très grand, dont il importe d’avoir une - valeur approchée. L'étude des singularités, sur son cercle de : convergence, d’une série entière associée peut, dans des cas Fa ‘étendus, conduire à l’approximation cherchée. Cette idée simple È > permit à Darboux de compléter des résultats obtenus par l'illustres devanciers tels que Laplace et Cauchy, et de faire de _ nouvelles applications. Ses procédés ont été ensuite utilisés en mécanique céleste pour trouver une expression approchée des + termes de rang élevé dans le développement de la fonction per- É turbatrice. Plus récemment, Poincaré a étendu la méthode de _Darboux au cas des fonctions de deux variables: c'est de là qu'il put déduire en toute rigueur ce résultat profondément - caché, que le problème des trois corps n’admet pas d'autre Fr uniforme que les intégrales connues des aires et des forces vives. Le principe fondamental du mémoire de Darboux £ a été aussi utilisé par M. Hadamard dans ses études sur les déve- _ loppements en séries de Taylor. -_ Darboux montra aussi un sens analytique très fin dans son mémoire sur les solutions singulières des équations aux dérivées partielles, couronné en 1877 par l’Académie, où il a donné F or définitive de certains paradoxes souvent signalés dans cette théorie. Il faut encore mentionner son travail sur les _ équations différentielles ordinaires du premier ordre et du pre- mier degré, où est établie la possibilité d'obtenir l'intégrale à PE quand on connaît un nombre suffisant de solutions É £ paies > — 92 —. A la mort de Chasles en 1880, Darboux devint professeur de : géométrie supérieure à la Sorbonne. Cette chaire avait été fondée en 1846, sur la proposition de Poinsot, et Chasles en avait été le premier titulaire. Pendant de longues années, le grand géo- mètre avait initié ses auditeurs à ses découvertes sur les sections coniques, sur les quadriques, sur les courbes planes et gauches, sur les transformations géométriques, sans négliger l’histoire des sciences, dont il avait écrit jadis un admirable chapitre dans l’Aperçu historique sur l’origine et le développement des méthodes en géométrie. Les travaux de Chasles étant devenus classiques, le nouveau professeur fut conduit à donner une autre orientation à son enseignement. La géométrie infinité- simale y prit une place prépondérante. Darboux a occupé cette chaire pendant 36 ans, et l'on peut répéter à son sujet ce qu'Arago a écrit de Fourier : « La nature l’avait doué au plus haut degré du talent d’enseigner, et il a laissé la réputation d’un professeur plein de clarté, de méthode et d’érudition; j'ajouterai même la réputation d’un professeur plein de grâce, car notre confrère a prouvé que ce genre de mérite peut ne pas être étranger à l’enseignement des mathématiques. » La carrière de Darboux suivait son cours normal. L'Académie lui avait donné en diverses circonstances des témoignages de : haute estime. Ses beaux travaux le désignaient pour la pre- mière place vacante dans la section de géométrie. Il y rem- plaça Puiseux le 3 mars 1884. On a distingué chez les mathématiciens deux tendances d'esprit différentes. Les uns se préoccupent principalement d'élargir le champ des notions connues; sans se soucier des difficultés qu'ils laissent derrière eux, ils recherchent de nou- veaux sujets d’études. Les autres préfèrent rester, pour l’'appro- fondir davantage, dans le domaine des notions mieux élaborées; ils veulent en épuiser les conséquences et s'efforcent de mettre en évidence dans chaque question les véritables éléments dont elle dépend. Il suffit souvent aux premiers d’être assurés qu'un problème peut être résolu, et ils laissent à d’autres le soin de le résoudre effectivement. On dirait, en leur appliquant un mot de Fonte- _ nelle à propos de Leibnitz, qu'ils se contentent de voir croître _ dans les jardins d’autrui les plantes dont ils ont fourni les _ graines, comme si l’art de découvrir était plus précieux que la + plupart des choses qu’on découvre. Les seconds s'intéressent ” moins aux généralités et pensent que seules ont du prix les _ solutions poussées jusqu’à leur dernier terme. . Aucune hiérarchie n’est à établir : l'esprit souffle où il veut; - et d’ailleurs nos classifications sont toujours insuffisantes par ae endroit. Nous rangerons, sans hésiter, parmi les pre- miers, un Henri Poincaré, inventeur de génie, qui, comme hs se souciait peu de donner à ses conceptions une forme définitive. On est tenté de rapporter aussi à la première ten- dance les mémoires de Darboux sur l'analyse pure, dont les conséquences ont été approfondies par d’autres plus que par _ lui-même; mais c’est par le souci de la perfection que se dis- £ _ tinguent la plupart des travaux géométriques de notre confrère, - qui cherchait à tirer d’une méthode tout ce qu’elle est suscep- tible de fournir. Il savait combien peut être féconde l'étude mine d'un cas simple. Il y démélait les éléments tenant _au fond même de la question, et s'élevait progressivement aux _ généralisations dont elle était susceptible. Darboux excellait = aussi à établir des rapprochements inattendus entre des ques- tions paraissant sans liens, ce qui donne à son œuvre géomé- Forge une cohésion et une unité remarquables. Les mathématiciens sont souvent appelés géomètres. Notre - section de mathématiques pures s’appelle la section de géo- > métrie. . Or, plus d’un mathématicien éminent n’a jamais écrit _ une ligne sur la géométrie proprement dite, c’est-à-dire l'étude | des propriétés des figures faites à un point de vue synthétique, - sans aucun mélange de considérations analytiques. Les pro- - cédés de l'analyse mathématique et de la géométrie analytique . d’une part, de la géométrie pure d’autre part, ont été quel- | quefois au siècle dernier opposés les uns aux autres. Les analystes _ reprochaient aux géomètres de n'avoir pas de méthodes géné- __rales; les géomètres répliquaient, la phrase est de Poinsot, que _ «les calculs longs et difficiles sont le plus souvent la preuve que _ notre esprit n’a point, dès le commencement, considéré les . choses en elles-mêmes et d’une vue assez directe ». On se rap- _ pelle aussi l’amertume des préfaces de Poncelet au sujet des . Fr ESC 2 à Ê 1 dE La Aire voi dis ul due is ÿ LUE PES Le dc rt MS réserves faites par Cauchy sur certains principes de son Traité : des propriétés projectives. Dans ces discussions, tous avaient tort en quelque manière. L'analyse, avec ses notations de plus en plus perfectionnées, constitue une langue d’une admirable clarté, qui, suivant le mot de Fourier, n'a pas de signe pour exprimer les notions: confuses, et le calcul possède une admirable puissance de trans- formation; dans des questions très complexes, on pourrait regarder les choses directement et en elles-mêmes jusqu’à la fin des temps, sans faire aucun progrès. De plus, le simple jeu des symboles peut suggérer des généralisations, en créant des types de relations analytiques, comme le montre l’histoire de la mécanique et de la physique mathématique ; il est clair que, dans ce cas, il appartient ensuite à l'expérience de vérifier si l'instrument forgé est assez souple pour se prêter à des concor- dances expérimentales. On entend dire quelquefois qu’il n’y a dans une formule que ce qu'on y a mis. C’est une phrase vide : de sens ou c’est un pur truisme. Des résultats, identiques au fond, peuvent avoir des formes très différentes, et il arrive que la forme soit l'essentiel. Ainsi, il n’y a dans la mécanique céleste rien de plus que la formule de la gravitation universelle et quelques constantes fournies par l'observation: d’innom- brables transformations de calcul font passer de ce ponit de départ à l'explication de presque toutes les particularités des mouvements des astres. - On doit avouer d'autre part que, dans la coins des formules, on ne démêle pas toujours des faits simples, que mettent parfois en évidence des raisonnements purement syn- thétiques. Une méthode géométrique peut, chemin faisant, mieux explorer qu'une méthode analytique les alentours immé- diats d’une question. On voit mieux le pays, quand on voyage à pied; il est vrai qu'on va moins loin. Notons aussi que, dans certaines applications, des raisonnements géométriques per- mettent de donner facilement une première approximation, à laquelle conduirait moins immédiatement l'emploi de l'analyse. La conclusion s'offre d’elle-même. Rien n’est plus stérile que d'opposer la synthèse à l'analyse et inversement. On doit se garder de l’exclusivisme auquel se laissèrent jadis entraîner d’illustres mathématiciens, comme Poncelet et Chasles. Avant eux, Monge, dans ses applications de l'analyse à la géométrie, OP TETE TE avait été ph éehue. Aussi Darboux a-t-il écrit très juste- nt, dans une étude sur le développement des méthodes géo- métriques : « Monge, le rénovateur de la géométrie moderne, nous à montré dès le début, ses successeurs l'ont peut-être ; oublié, que l'alliance de la géométrie et de l'analyse est utile à - et féconde, que cette alliance est peut-être une condition de # _succès pour l’ une et pour l’autre. » Cette pensée guida Darboux dans toute sa carrière scientifique. Il sut harmonieusement Fa _ utiliser. tout à la fois les raisonnements géométriques et les _ ressources de l’analyse mathématique la plus élevée; dans son _ œuvre. se trouve penenent réalisée l'alliance souhaitée par Monge. SUR 421] ouvrage considérable de géométrie infinitésimale, inti- RE tulé : Leçons sur la théorie géométrique des surfaces et les appli cations géométriques du calcul in finitésimal, fut le fruit de l’ensei- . gnement du professeur de la Sorbonne. Il constitue en même : brie un traité sur les équations aux dérivées partielles. Parmi _ celles-ci, l’auteur fait une étude approfondie de certaines équa- _ tions étudiées d’abord par Laplace, dont il montre le rôle en E canéme. et pour lesquelles il a constitué une théorie des _ invariants. On lui doit aussi d'importants progrès dans la ques- tion de l’applicabilité des surfaces. Il a étudié en particulier - celles qui sont applicables sur une surface du second degré, _ et donné dans le cas de certains paraboloïdes des solutions d’une - grande élégance. Tous les géomètres connaissent ses recherches _ sur la représentation sphérique, sur les surfaces à courbure constante, sur les surfaces isothermiques, sur les surfaces à _ lignes de courbure planes ou sphériques, sur les cercles géodé- - siques, ainsi que ses travaux. sur les déformations infiniment … petites des surfaces, se rattachant à la notion féconde de l'équa- - tion aux variations, qu'il avait introduite en analyse dès 1883. À re ses études de géométrie infinitésimale, Darboux a envi- | sagé systématiquement le déplacement d'un trièdre mobile, - dégageant la véritable signification d'éléments introduits anté- - rieurement par Ribaucour. - En dynamique analytique, le problème des lignes géodé- siques a conduit Darboux à diverses questions se rattachant … au principe de la moindre action, dont l'importance est aujour- . d’hui capitale dans l’évolution de la mécanique. On n’a pas - toujours assez remarqué la manière si heureuse dont il traite, K ; — 96 — sans intervention du calcul des variations et par des méthodes . purement algébriques, les questions de minimum se rattachant à ce principe célèbre. Les résultats essentiels de la théorie des systèmes orthogo- naux ont été exposés, il y a quelques années, par notre confrèré dans ses Leçons sur les systèmes orthogonaux et les coordonnées curvilignés, ouvrage qu'il avait médité pendant toute sa vie. On y trouve en particulier une étude profonde sur l’extension à un nombre quelconque de dimensions du problème de Lamé. Quand ce nombre surpasse frois, des circonstances toutes nou- velles se présentent. De plus, d’un système orthogonal corres- pondant à un certain nombre de variables, on peut déduire un système analogue avec une variable de moins, ce qui a permis à Darboux de trouver une infinité de nouveaux systèmes ortho- gonaux. Rappelons encore Cet important résultat que, dans l'espace à trois dimensions, un système de Lamé est en général déterminé par trois surfaces particulières, deux à deux ortho- gonales et se coupant suivant des lignes de courbure. Ces grands traités, également remarquables par la richesse du fond et la beauté de la forme, sont dignes d’être proposés comme modèles à ceux qui cultivent les sciences mathématiques. Ils ont fait de Darboux, à l’étranger comme en France, le chef incontesté d’une école de géomètres analystes, qui porte sa marque. Aussi sa réputation scientifique était-elle considérable, et la plupart des Académies étrangères l'avaient élu associé étranger ou correspondant. à * + * L'activité de Darboux ne s’est pas bornée aux remarquables productions mathématiques, dont nous avons essayé de donner une idée, et à sa belle carrière de professeur. Il aimait l’action et ne pensait pas que l’homme de science doit nécessairement … rester confiné dans ses études spéciales. Dès son entrée au con- … seil de la Faculté des sciences, il montra l'intérêt qu'il portait à l’enseignement public. Très documenté, il apportait toujours des avis judicieux et motivés, et son influence grandit vite sur ses collègues. Aussi, en 1880, ceux-ci le désignèrent-ils pour les fonctions de doyen, qu’il conserva pendant 14 ans. À Le rétablissement des Universités eut lieu pendant cette période, et, quoique le vocable d’Université de France, quelque peu contradictoire avec les nouvelles dispositions, subsiste encore, nous possédons maintenant, comme tous les autres _ pays, des Universités attachées à nos grandes villes et soumises à un régime relativement libéral. Nous n'avons fait d’ailleurs . = reprendre notre bien, car historiquement c’est sur le sol de trance que sont nées les Universités. La liberté donnée aux nouveaux groupements donnait aux doyens une certaine indé- _ pendance par rapport au pouvoir central, mais en même temps des responsabilités que ne connaissaient pas leurs prédéces- seurs des régimes antérieurs. Darboux sut manœuvrer avec É | habileté au milieu de grandes difficultés; il étudiait à fond les …_ questions qui lui étaient le plus étrangères, s’entourant de tous « les conseils qui pouvaient éclairer sa décision. Son successeur - M. Appell a pu en toute justice lui dire le jour de son jubilé : …_ « Jamais, depuis la création des Facultés, aucun doyen n'a accompli une œuvre aussi considérable que la vôtre. » L'œuvre était double; le doyen avait à traiter non seulement » les questions administratives résultant de la renaissance de l'Université de Paris, mais devait pourvoir aussi à des besoins À nouveaux. Pendant longtemps, les Facultés s'étaient moins - préoccupées du rôle scientifique que du rôle professionnel. Une - place très réduite avait été donnée aux recherches d'ordre pure- ment scientifique ; le grade avait été la fin suprême. Maintenant, Ja création de laboratoires de recherches devait être poursuivie _ en même temps que l'agrandissement des laboratoires d’ensei- … gnement. La tâche du doyen se compliquait encore par suite de — la construction de la nouvelle Faculté. On avait tenu, malgré —_ de sages avis, à rester sur l'emplacement vénérable consacré - par le souvenir de Robert de Sorbon; aussi fut-il nécessaire, - comme le disait Darboux, d'aménager la Sorbonne à la manière - d'un paquebot, c’est-à-dire en hauteur. Cet aménagement - exigea une collaboration constante avec l’éminent architecte ” de la Sorbonne, M. Nénot, qui pourrait témoigner du soin avec ” lequel le doyen discutait les problèmes soulevés par les nou- à velles installations. . La puissance de travail de Darboux était considérable. Ses » occupations administratives ne l’empêchaient pas de pour- | | suivre ses recherches scientifiques, et il faisait alterner sans Mn efforts une étude géométrique avec la rédaction d’un rapport té xt PICARD 7 à: Me pas Sur le régime de la licence ès sciences ou la réglementation d’un Institut de chimie appliquée. Le 21 mai 1900, Darboux succéda à Joseph Bertrand comme secrétaire perpétuel de l'Académie. Il conserva encore pendant quelque temps le décanat, mais, en 1903, il voulut se consacrer tout entier à ses nouvelles fonctions. Au poste où l’avait appelé la confiance de ses confrères, Darboux eut, en toute circons- tance, le souci de maintenir ou d'accroître l'influence et le prestige de notre compagnie. Il connaissait à fond tous les rouages de notre administration et s’appliquait à les améliorer. Ceux qui l'ont vu dans les commissions de l’Institut conservent le souvenir de cet esprit lucide, habile dans une discussion à mettre en évidence le point essentiel. La notoriété que lui valaient ses travaux es l habi- _leté et le sens des réalisations qu’il apportait dans le maniement des affaires, donnèrent à Darboux une grande influence dont il usait au profit du bien public. On a dit qu'il était autoritaire et supportait mal la contradiction. Darboux a été quelquefois passionné, mais le désir qu’il avait de faire prévaloir son opi- nion provenait toujours d’un sentiment élevé, et le plus souvent il n'hésitait pas à changer d'avis quand on lui proposait une solution plus favorable aux intérêts dont il avait la charge. Il semble que, sous son aspect généralement sévère, Darboux était d'un naturel timide et craignait de se.livrer. Les situations importantes qu’il occupait, le crédit qu'il avait dans les minis- tères, les nombreuses présidences de commissions et de comités dont on le chargeait, lui donnaient un air officiel qui masquait parfois son véritable caractère. Quand les circonstances per- mettaient de le mieux connaître et qu’on pouvait entrer dans son intimité, on trouvait un homme affectueux et bon, d’un commerce très sûr, aimant à rendre service, sans le leur dire, à ceux qui étaient dignes d’être soutenus. + + * On relira toujours avec plaisir et profit les notices historiques, très étudiées et très documentées, que Darboux prononçait dans nos séances publiques. Avec quelle piété il a retracé la vie du maître vénéré, dont l’influence sur lui avait été très grande, Joseph Bertrand, et montré les faces diverses de ce brillant esprit. Les pages, d’un ton moins ému mais plus grave, qu'il a Hate # Hotte sont parmi les meilleures qu'il ait écrites. 57 “exprimé avec force l'impression que l’enseignement "Ts ee ur Muni ins ab MAS HET Ÿ ja _ d'Hérmite avait produite sur lui, et l'admiration qu’il ressentait _ pour l’œuvre profonde du grand analyste. L’afféctueux respect quil témoignait à son ancien maître était mêlé de quelque _ crainte. Le pésstinisme d'Hermite l’effrayait. « Malgré tout le e plaisir que javais à le voir, écrit-il, il m'arrivait quelquefois - de redouter sa conversation. » Ceux qui ont vécu dans l'inti- _mité d'Hermite savent combien le préoccupait l'avenir de la France; c'était là la cause principale de son pessimisme. Nous l'avons perdu, il y a 16 ans, mais depuis longtemps déjà, il voyait venir le moment où l'Allemagne se jetterait sur nous, et E- il parlait souvent de la prochaine guerre. Il n'avait pas prévu, et . peut-être étaient-elles en dehors de toute prévision, les forces - cachées qui, aux jours décisifs, ont soulevé notre pays contre la plus odieuse des agressions. Les circonstances inspiraient parfois à notre secrétaire per- - pétuel le sujet de ses lectures académiques. En 1903, les opé- _ rations de la Mission de l'Équatéur, chargée de la mesure d’un arc de méridien, appelaient l'attention sur une science d’ori- | gine “essentiellement française, la géodésie. Darboux en profita pour faire l'éloge du général Perrier, au nom duquel restera attachée la jonction géodésique de l'Espagne et de l'Algérie. Un peu plus tard, en 1909, les succès récents de l'aviation lui _ suggérèrent d'écrire une notice historique sur un précurseur sas membre de l’ancienne Académie des Sciences, le général _ Meusnier, dont l’activité s'est appliquée aux sujets les plus _ variés, et qui fut tué, en 1793, au siège de Mayence. - _ Chasles le rangeait avec _faison parmi les fondateurs de la se infinitésimale, à côté de Monge et d'Euler. Meus- nier effectua avec Lavoisier l'expérience célèbre de la décomposition de l’eau par le fer à haute température, qui eut É . une Si grande importance pour le développement de la chimie. - Enfin, son admirable mémoire sur l'équilibre des machines E £ _ aérostatiques marque une étape décisive dans l’histoire de _ l'äérostation ; on y trouve les règles de manœuvre encore suivies 3 Eu hui et la découverte capitale du ballonnet à air, qui assure au ballon l'invariabilité de forme nécessaire pour sa direc- tion, en même temps qu'il remédie à son instabilité verticale. Grâce x Darboux, nous pouvons mieux juger de l’œuvre de "400 per Meusnier, et nous possédons dans nos recueils une reproduc- tion maniable des plans de son projet de machine aérostatique. Si les moteurs modernes avaient existé en 1783, on aurait connu à cette époque le ballon dirigeable. En 1911, Darboux acquitta une dette de reconnaissance envers les donateurs de l’Académie. Depuis le baron de Montyon, la liste est longue de ces bienfaiteurs de la science, qui appar- tiennent à des milieux très divers. Plusieurs d’entre eux nous ont fait connaître avec quelques détails la pensée qui a guidé leurs générosités, comme le Dr Lacaze, celui-là même qui a laissé au Louvre sa magnifique collection de tableaux, écrivant dans son testament que les sciences de la nature sont la base la moins équivoque du savoir humain. Darboux fait de judicieuses remarques sur l’évolution que le temps doit amener dans la forme de quelques-unes des libéralités qui nous sont faites. « Récompenser des travaux, disait-il, l’Académie s’est toujours montrée disposée à le faire. Elle le fera encore à l'avenir. Mais provoquer, subventionner et encourager des recherches, cela est mieux encore. » L'Académie possède quelques subventions importantes répondant à ce dernier objet, grâce en particulier à Loutreuil et à notre confrère le prince Bonaparte, mais il est à souhaiter que leur nombre augmente. Aux désirs exprimés par Darboux, nous en joignons d’autres aujourd’hui. L’Aca- démie serait heureuse que des dons lui permissent de participer elle-même à la création de centres de recherches poursuivies sous sa direction. Plusieurs grandes sociétés savantes de l'étranger ont pu entrer dans cette voie que les conditions de nos donations ne nous ont pas jusqu'ici permis d'aborder. Vous avez déjà pris quelques résolutions dans ce sens, pour le jour que nous souhaitons prochain, où nous aurons les ressources nécessaires. Il y a deux ans, Darboux faisait sa dernière lecture sous cette coupole. Il avait voulu rendre hommage à ceux de nos lauréats qui ont fait pour la patrie le suprême sacrifice. En termes émou- vants, il a salué la mémoire de tant de jeunes hommes auxquels un bel avenir semblait promis, tombés victimes de l’effroyable tourmente qu’un peuple de proie a déchaînée sur le monde. IL s'étonne avec tristesse qu'il ait pu se trouver des savants pour contribuer par leurs inventions à rendre la guerre plus cruelle . et plus inhumaine. Je-m’en étonne avec lui; il est certes très î : 5 UX 14% v FPE du are CT AN 4 \ A dite A seit à At bn get 6) dés it RAT doc à de de ; ÿ exact que les Allemands auraient, s’il était possible, déshonoré _ la science en lui demandant les moyens de commettre des crimes _ jusque-là inconnus; mais prenons garde, en parlant ainsi, à ce que nous entendons par ce mot « la science ». Chez les peuples civilisés, quand le savant parle de la science, il y voit générale- ment quelque chose de plus qu’un outil, si merveilleux soit-il. _ Le culte presque religieux du vrai et l’habitude de la méditation “inclinent l'esprit à la sérénité, à la bonté et aussi à la modestie; la science va avec la conscience. Il s’est trouvé un peuple, que l'on a avec trop de raisons qualifié de barbare, où de nombreux _ savants se sont montrés incapables de ces vues idéales. Le même mot n’a pas, de part et d'autre, la même signification. Aussi est-ce une grande vanité de répéter, comme on l’a fait quelquefois, que la science rapproche les nations. Entendue au - sens étroit, c'est-à-dire de connaissance en vue de fins pratiques, la science ne rapproche ni n’éloigne : elle est indifférente. Quand elle est un lien, c'est qu'il s’y trouve surajouté un élément, qu’on eng dire moral. Des esprits généreux pensaient, avant la _ guërre actuelle, que les congrès internationaux étaient des ins- truments puissants de concorde entre les peuples. C'est ainsi que Darboux avait l’intime et profonde conviction, il l’a écrit — quelque part, qu'en allant à Berlin, à Vienne, à Budapest, il participait à des œuvres de paix. Malheureusement, les nobles pensées qui l’animaient n'étaient pas partagées par tous les savants qu'il y rencontrait. Nous devons revenir de certaines illusions. Les Allemands, toujours organisés, se servaient avant tout de ces réunions pour étendre sur le monde leur emprise scientifique et même économique. Souhaitons qu’une nation, qui s’est mise en dehors de l’humanité, soit exclue, au moins _ pour un temps, des assises scientifiques entre peuples de culture humaine. D'ailleurs les congrès internationaux n’ont d'intérêt que si des relations personnelles s’établissent entre les hommes de science des divers pays; ces relations, qui supposent la con- _ fiance, sont impossibles avant de longues années entre savants allemands et savants français. Il y a, entre eux et nous, trop de ans et trop de crimes. * * * , Darboux suivait avec grand intérêt tout ce qui touche à l’histoire des sciences. Il a plusieurs fois fait, à l’étranger, des dr — 102 — lectures d’un caractère historique. A l'Exposition universelle : de Saint-Louis en 1904, il traça une large esquisse des progrès de la géométrie au xIx€ siècle. Non moins remarquable fut le discours qu'il prononça, en 1908, à Rome au congrès des mathé- maticiens sur la géométrie infinitésimale, où il caractérise l'évolution des méthodes suivies depuis les premiers fondateurs, comme Euler, Monge et Gauss, jusqu'aux géomètres contem- porains. Les problèmes dont la solution semble prochaine.et les voies qui paraissent devoir être fructueuses pour les chercheurs sont aussi indiqués. De telles pages, écrites avec autant d’auto- rité que d’impartialité, sont extrêmement précieuses. Notre confrère a maintes fois regretté la tendance, qu'ont trop de savants français, à se désintéresser de l’histoire des sciences; il savait combien on y rencontre d'erreurs, involon- taires ou non, si difficiles à redresser quand le temps les a con- sacrées, et de silences parfois intentionnels. Des étrangers bien- veillants accordent que les idées ne nous manquent pas en France, mais que nous ne les suivons pas toujours avec assez de persévérance. C’est une raison de plus pour que nous ne négligions pas l’histoire des sciences, car ceux qui exploitent avec profit les pensées d'autrui oublient quelquefois leur pro- venance; on en a vu des exemples au centre de l’Europe. Aussi vous vous rappelez avec quelle insistance Darboux poussait ses nouveaux confrères à écrire sur leurs prédécesseurs des notices, qui constitueraient des documents utiles à l’histoire de la science française; il désirait que l'excellente tradition, rigoureusement suivie dans toutes les autres Académies de l'Institut, le fût aussi dans la nôtre. Ce fut, pour Darboux, une grande Ho que de pouvoir commencer la réalisation d’un projet qui lui tenait à cœur : l'impression des procès-verbaux, restés manuscrits, des séances de l’Académie des sciences, depuis la fondation de l’Institut en l’an IV:jusqu’à l’année 1835. Le recueil, jusqu'ici publié, de ces procès-verbaux en est au sepfième volume. Les historiens de l'avenir y trouveront les textes les plus précieux pour une époque où l'Académie comptait des hommes tels que Lagrange, Laplace, Monge, Cuvier, Lamarck, pour ne citer que quelques noms. Les rapports sur les travaux présentés sont très nombreux ; on y rencontre l'éloge, et aussi la critique, sous des formes parfois pittoresques. Ainsi un auteur, M. de Ranson, ayant présenté à 24 à “À un an d'intervalle ds mémoires sur “les éines d’Archi- | mède, Cauchy écrit : « C’est pour la seconde fois que l’auteur revient sur cet objet. Le travail. qu'il a présenté l’année dernière - n'ayant pas été approuvé, M. de Ranson reconnaît qu'il s'était - glissé une erreur dans ce travail, parce que, dit-il, errare huma- num est; une nouvelle preuve de la vérité de cet axiome est le nouveau mémoire qu'il a plu à M. de Ranson de présenter à - F' Académie. » A partir de 1835, les séances de notre Académie, _ où le public a été admis, ont pris un autre caractère. Les rap- _ ports sont devenus plus rares, mais la publication des Comptes _ rendus hebdomadaires, due à l'initiative d’Arago, a créé le plus 3 < _ Savante.. E Iy a un intérêt TORRES établir des éditions définitives des Æ œuvres de nos savants les plus éminents. On doit à Darboux la Re publication des œuvres de Fourier; il y a ajouté des notes > importantes, commentant la pensée de l’illustre auteur de /a = théorie analytique de la chaleur dans les passages difficiles ou É _ obscurs. En analyse et en physique mathématique, le nom de _ Fourier reste à jamais attaché à la théorie des séries trigoromé- _ triques. Darboux a fait l’intéressante remarque que Fourier, Sans traiter d'une manière absolument rigoureuse la sommation © de ces séries; avait indiqué la voie dans laquelle Dirichlet devait > donner la première démonstration qui fût à l'abri de toute a _ objection. Il a éclairé aussi un point d'histoire, resté obscur, relatif à un théorème donnant une limite supérieure du nombre - des racines d’une équation comprises entre deux nombres _ dénnés. Cette belle proposition, qui a précédé le théorème de Sturm, a été attribuée par Arago à Budan: en réalité, elle fut _ énoncée et établie pour la première fois par Fourier. RN importance des périodiques scientifiques qui se publient dans un pays, donne assez bien la mesure de son activité dans le domaine des sciences. C’est à Nîmes, la ville natale de Dar-. _ boux, que furent publiées de 1810 à 1831 des annales, qui ont = _ été, pendant 15 ans, le seul journal du monde entier, exclusive- _ ment consacré aux sciences mathématiques; on les appelle les Annales de Gergonne, du nom de leur fondateur. Ce recueil ._ contient de nombreux mémoires de géométrie, en particulier - ceux dé Poncelet sur la théorie des polaires réciproques. Les Annales de Gergonne étaient bien connues à Montpellier, quand- a A0 PATENT OT REA Li l'u/D pi 10 dr Me :; nil 100 AK, - puissant moyen d' action dont puisse disposer une société — 10% — . Darboux y était élève, et peut-être y prit-il le goût de la géo- métrie. Nous avons eu ensuite en France le Journal de Liouville, qui est un des principaux périodiques mathématiques de notre époque, et les Annales de l'École normale dont j'ai déjà parlé. Darboux, reprenant la publication interrompue d’un Bulletin publié pendant quelque temps par de Férussac, fonda-en 1870, sous le nom de Bulletin des sciences mathématiques, un journal d’un caractère spécial, où, à côté des mémoires originaux, les travaux mathématiques parus dans tous les pays sont analysés régulièrement. Depuis lors, avec le concours de divers colla- borateurs, il n’a cessé de diriger ce recueil. Il y a donné de nombreuses études sur des livres récents et y a publié d'impor- tantes recherches personnelles. Le Bulletin des sciences mathéma- tiques restera connu sous le nom de Bulletin de Darboux; cette création n’est pas un des moindres services que le fondateur de ce recueil aura rendus à la science. * CRE Tant de travaux et d’occupations variées ne suffisaient pas à l'activité de Darboux. Il s’intéressait vivement à l’enseigne- ment secondaire des jeunes filles, dont il avait été un des fonda- teurs, et fit jusqu’à sa mort des conférences à l’École de Sèvres. Il avait aussi accepté avec satisfaction la présidence du conseil d'administration de l’Institut Pasteur. Tout ce qui se rattachait à ce grand nom était pour lui l’objet d’un soin pieux, et lui rappelait le temps de sa jeunesse. Il y a quelques années, à l'inauguration d’un monument élevé à Pasteur dans le jardin de l’École normale, il évoquait encore l’accueil plein de bonté que le maître immortel avait fait, 50 ans auparavant, à sa vieille mère, venue à Paris, disait-il, pour le consacrer en quelque sorte à l’enseignement. Darboux a tenu enfin à donner une part de son temps à une œuvre charitable, d’un haut intérêt scientifique. Il présida pendant 17 ans la Société des amis des sciences. Celle-ci, fondée en 1857 par l’illustre chimiste Thenard, a un but singulièrement élevé : c’est une société de secours, mais où les titres à invoquer sont des services rendus aux sciences pures et appliquées, à l’industrie, à l’agriculture. Darboux a beaucoup contribué à son développement ; il rêvait d’une grande œuvre de solidarité scientifique, où ceux, et ils sont légion, qui profitent des progrès ne ont À dédie sf Point. 'ts no tinct af) à - : F. = : *< ee PRE AN CURE ON EE On ë £ 4 78 e. M en re — 105 — et des découvertes de la science, viendraient tous en aide aux Chercheurs, uniquement préoccupés de leurs travaux, insou- ciants de l'avenir pour ceux qui les entourent. Ses appels émus . ont été souvent entendus, moins cependant qu'il ne l'aurait voulu, et il voyait avec regret que la science, sur laquelle on fait de si éloquents discours, recueille encore tant d'ingratitude. En travaillant à secourir de nobles et quelquefois glorieuses - infortunes, Darboux a montré que le cœur était chez lui à la _ hauteur de l'intelligence. Notre confrère garda longtemps un air extrêmement jeune; les années semblaient passer sur lui, sans qu'il en sentît le poids. Cependant, vers 1910, sa santé, jusque-là excellente, commença à s’altérer, et apparurent les premiers symptômes du mal qui troubla les dernières années de sa vie. Au mois d'octobre 1911, un coup cruel le frappa; il perdit Mme Darboux. Il devait peu après, dans une circonstance solennelle, évoquer en ces termes son souvenir : « La compagne, qui, pendant plus de 40 ans, a fait le charme de ma vie, m’assistant de ses conseils et de sa chère présence, m'a communiqué quelque peu de ces sentiments de bonté et d'humanité, qui viennent si naturellement au cœur des femmes. » C’est le 21 janvier 1912 que de nombreux élèves, amis et collègues de l’illustre mathématicien, français et “étrangers, se trouvaient réunis à la Sorbonne pour lui offrir, à l’occasion du 50° anniversaire de son entrée dans l’enseigne- ment, une médaille reproduisant ses traits. D'éloquents orateurs retracèrent dans cette mémorable séance la carrière, si admira- blement remplie, du savant et du professeur, dont la renommée allait bien au delà des limites de notre pays. Les fatigues de l’âge et les souffrances de la maladie ne ralen- tissaient pas l’activité intellectuelle de notre secrétaire per- 3 pétuel. Lagrange vieillissant, à ce que raconte Delambre, avait e. le goût des mathématiques et. son enthousiasme s'était éteint. Darboux, comme avait fait Hermite, garda jusqu'à la fin la même vivacité et la même curiosité d'esprit. L'année - dernière, il reprit dans son cours à la Sorbonne l’étude des prin- cipes de la géométrie analytique, qui le ramenait au temps lointain où il enseignaïit à l’École normale ; il a rédigé ces leçons, simples et lumineuses, maintenant accessibles à tous. Ce livre, qui vient de paraître, est le dernier sorti de sa plume. C’est un - ouvrage d'enseignement, mais où se reconnaît le maître ouvrier, — 106 — et où sont établies sur une base algébrique les notions essen- tielles de la géométrie moderne, qui ont fait jadis l’objet de | tant de discussions. Darboux avait encore d’autres plans de travaux. il voulait écrire un livre sur un problème qui a joué un grand rôle dans le développement de la géométrie infinitésimale, celui des cartes géographiques. Tout à la fois, l'élégance et l'importance pra- tique de cette question célèbre le séduisaient. Il en avait fait autrefois une étude approfondie dans son enseignement, et, récemment, il avait précisé des indications restées trop vagues sur le mode le plus avantageux de construction d’une carte géographique pour un pays donné. Son activité n’était pas moindre pour les affaires de l’Aca- démie. Les événements actuels rendent difficiles certaines ges- tions; Darboux y pensait dans les nuits d’insomnie que lui causait la maladie, et nous le retrouvions toujours attentif aux moindres détails. Il retarda le plus possible le moment d’une opération reconnue nécessaire, et n’entra dans la maïson de santé qu'après avoir mis la dernière main aux travaux qu'il vou- lait achever. L'opération faite le 13 février paraissait avoir réussi. La veille de sa mort, Darboux s’entretenait encore avec plusieurs amis et donnait les bons à tirer de sa dernière publi- cation. Il avait dit un jour à un de ses collaborateurs : « Je vou- drais mourir debout. » Son souhait fut à peu près réalisé; la mort le frappa subitement vers midi, le 23 février dernier. La France perd en lui un bon serviteur, l’Académie un de ses membres qui l'ont le plus honorée. Son œuvre, d’une rare perfection, lui assure une place éminente dans l’histoire de la géométrie. a 4 | 3 >: 3 É ë 5 è É LE. mort D Es cant Guyou est une grande perte pour Fe Bureau des longitudes et aussi pour la marine française, dont il était un des plus éminents représentants. Quoique la maladie nelui permit pas, depuis quelques années, d’ assister à nos séances, res n'avait pas cessé de participer à nos travaux, et ses conseils si autorisés, particulièrement en ce qui concerne la navigation et l’astronomié nautique, nous étaient précieux. _ Nous aimions à profiter des avis judicieux que lui suggéraient son intelligence si claire et son esprit pratique. Nous admirions _ tous aussi l'élévation de son caractère et la fermeté stoïque avec _ laquelle il supportait les douleurs et les tristesses d'une maladie _ qu'il savait-sans espoir. Émile Guyou naquit le 25 SÉRRTEE 1843 à Fontainebleau, où ses parents étaient commerçants. Quoique leur situation _ fût très modeste, ils voulurent, au début de 1857, envoyer au Lycée de Sens leur fils, dont la vive intelligence avait été remarquée des professeurs du Collège de sa ville natale. A son arrivée, le proviseur du Lycée lui demanda ce qu'il voulait faire. Guyou, qui venait de lire l’histoire de Robinson, répondit qu'il ; voulait être marin. Sur cette réponse prise au sérieux, on pré- - . cipita son instruction; en trois ans, les études classiques furent faites, et Guyou était envoyé, en janvier 1860, au Lycée de Lorient, pour se préparer à l'École navale. Il y était reçu au . mois de juillet suivant. A sa sortie du Borda, il fit, pendant = és - ans, une Campagne dans les Antilles et à Cayenne, et, < ee lors, navigua pendant près de 19 ans, sauf de rares _ séjours à terre. Quand la guerre de 1870 éclata, il demanda à | débarquer Nommé, peu de temps après, lieutenant de vaisseau, … il fut chargé de former une compagnie de fusiliers marins, et prit part aux opérations de l’armée de la Loire. Après la guerre, } Extrait de l'Annuaire du Bureau des longitudes pour l'an 1916. — 108 — Guyou reprit son service à la mer et fit un long séjour en Cochin- chine, puis il participa à une campagne hydrographique en Tunisie. Il revint ensuite à la Majorité générale de Cherbourg à la fin de 1878. Un grand découragement paraît s'être emparé de lui à cette époque, et il renonça définitivement à la carrière active malgré les offres flatteuses que lui firent ses chefs pour le: retenir. Il demanda, en 1870, à être nommé professeur d’archi- tecture navale au Borda; son intention était de rester dans cette position pendant quelques années, et de prendre ensuite sa retraite pour vivre au fond de quelque village. Heureusement pour la science, sa destinée fut autre. La carrière scientifique de Guyou, à laquelle le menait l’enseignement, allait commencer. Notre collègue avait acquis, pendant ses voyages, une pleine expérience des choses de la mer, et il avait beaucoup réfléchi à tout ce qui concerne les sciences nautiques. Pour trouver l’expli- cation et approfondir l’étude des faits qui s'offrent au regard du marin attentif, il avait complété ses études scientifiques, consacrant ses loisirs à la géométrie et à la mécanique. IL se trouvait ainsi bien préparé pour les enseignements qu’on lui confia de 1880 à 1885 à l'École navale, où il fut successivement chargé des cours d’architecture navale, et d'astronomie et navigation. Il a, en grande partie, renouvelé ces enseignements, et il a laissé dans notre grande école maritime un souvenir durable. On trouve dans ses cours l’origine de plusieurs de ses travaux les plus importants. À la fin de 1885, Guyou quittait Brest et était chargé du . service des instruments nautiques à la direction du service hydrographique à Paris, poste qu’il occupa jusqu’en 1905, une décision spéciale du Ministre l’ayant maintenu à la tête de ce service après sa retraite, prise en 1808. Son habileté à traduire sous une forme simple des théories compliquées trouva là un nouveau champ d'activité, particulièrement en ce qui concerne le magnétisme à bord des navires. On lui doit la transformation du matériel des compas de notre marine et l'introduction, sur nos bâtiments, de nouveaux instruments. Entre temps, Guyou fut, pendant plusieurs années, examinateur d'admission à l’École navale, et là son influence ne fut pas moins heureuse que dans son enseignement au Borda. Guyou avait un sens très fin de la mécanique; il recherchait une vue directe des choses et recourait le moins possible aux — 109 — | bites. Je ne comprends bien, disait-il, que la mécanique À : ‘5 4 géométrique. Il a montré dans plusieurs de ses travaux avec 1 quelle habileté il maniaït les formules, quand cela était néces- | Saire, mais il préférait les représentations géométriques, esti- 4 | mant que, si elles sont parfois insuffisantes pour l'étude appro- - fondie de phénomènes complexes, elles font connaître l'allure > - générale des mouvements et rendent les plus grands services, » au moins dans une première approximation. Le c Un des premiers travaux de Guyou, publié en 1877, se rap- » porte à une théorie géométrique de la houle cylindrique simple æ permanente. Guyou admet au début, comme l'avait fait - M. Bertin dans un travail analytique antérieur, que, dans la . houle, certaines surfaces dites d'égale profondeur coïncident s avec les surfaces de niveau ; il retrouve alors, par des raisonne- ments d'une extrême simplicité, la houle trochoïdale de Gerstner, _ où les molécules liquides décrivent des circonférences d’un mou- __ vement uniforme et oscillent ainsi autour d'une position . moyenne. Il établit de plus que le centre de gravité d'une masse . liquide quelconque décrit uniformément une circonférence. . Guyou s'est beaucoup occupé de la théorie du navire. Dès _ 1870, il étudiait la stabilité de l'équilibre des corps flottants. On _ sait que, depuis Bouguer, de nombreux auteurs se sont occupés de cette importante question; de bonne heure, la condition de _ stabilité, à savoir que le centre de gravité du flotteur doit être . au-dessous du plus petit métacentre, fut correctement énoncée. . Mais toutes les démonstrations données manquaient de rigueur. - Guyou a le premier établi rigoureusement le théorème, dans toute sa généralité. Il part de ce principe que l’équilibre est stable quand le centre de gravité de l’ensemble du liquide et du flotteur est le plus bas possible. Bravais, semble-t-il, avait - entrevu la possibilité de se servir de ce principe, maïs il n’avait 4 ; envisagé que des cas très particuliers. La démonstration de … Guyou est d’une rare élégance; elle est devenue classique et s'appuie seulement sur les éléments de la géométrie infinitési- - male. Dans le même ordre d'idées, Guyou a généralisé certains la ÉL"L ét à is "1 LA résultats de Dupin relatifs aux surfaces de carène. Au lieu de considérer des flottaisons isocarènes et le centre de gravité des _ volumes correspondants, il envisage plus généralement des tranches comprises entre deux flottaisons isocarènes et la surface | lieu de leur centre de gravité, et il obtient pour les courbures = 110 — Rte de cette surface une expression très simple donnant à la limite la loi déjà connue des courbures de la surface de flottaison. Les recherches précédentes furent bientôt suivies de l’étude de la stabilité différentielle à bord des bâtiments. On énonçait encore, en 1870, que tout poids ajouté à un flotteur augmente ou diminue la stabilité suivant que ce poids est placé au-dessous. ou au-dessus de la flottaison. Guyou montre que l’on ne doit pas faire intervenir la flottaison, mais un point particulier qu'il a appelé le métacentre différentiel. 1 étudie aussi la question analogue, dont l'intérêt est évident, relative à la stabilité ini- tiale d’un navire contenant du lest liquide. Un mémoire étendu, fait en collaboration avec M. Simart, et inséré dans le Recueil des savants étrangers, contient d’impor- tants développements de géométrie du navire. Les auteurs y obtiennent, sous forme de séries, des représentations des sur- faces de flottaison et de carène à l’aide des équations définissant 4 la forme du navire. L'intérêt de cette question n’est pas pure- ment spéculatif, car aujourd’hui les éléments de stabilité ne doivent pas seulement être calculés pour des inclinaisons très petites, mais jusqu'aux inclinaisons telles que le pue com- mence à immerger. On doit à Guyou un volume sur la Théorie du navire, où il'a rassemblé ses propres travaux et présenté sous une forme très personnelle ceux de ses devanciers. Le but de l’auteur a été de mettre à la disposition des officiers et du public maritime, sous: une forme élémentaire, les connaissances acquises relativement à la mécanique du navire. Il y a pleinement réussi : cet ouvrage est un chef-d'œuvre de simplicité et d'élégance. Les développe- ments théoriques y occupent naturellement une place impor- tante; on y trouve aussi de très intéressants développements sur le côté pratique du sujet. Quand la théorie est impuissante, Guyou excelle à faire comprendre, par des images appropriées et d’ingénieux rapprochements, les faits à expliquer. Citons les pages sur la propulsion, sur le mouvement du navire sous voiles et sur les girations des bâtiments à vapeur. Je dois aussi dire quelques mots du chapitre, plein de fines analyses, qui concerne - les effets du mouvement du navire sur le personnel et le matériel embarqués, et où sont formulées les règles précises auxquelles on doit se conformer pour l'installation des instruments délicats É à bord des bâtiments. Quand un pendule ou- un niveau sont MOUTON SP TE NEC ee ST entraînés par le navire d'un mouvement assez paisible, ils . indiquent une direction lentement variable qu’on. a quelquefois confondue avec celle de la pesanteur. Il n’en est rien; cette ver- - ticale apparente diffère de la verticale vraie. On peut faire une remarque analogue pour les toupies tournantes, et il y a lieu également de distinguer le poids apparent du poids réel. On … suppose toutefois, dans ce qui précède, que le pendule a une . période suffisamment courte et que le mouvement de préces- sion de la toupie est assez rapide. Si, au contraire, la période du pendule est longue, et si la toupie est à précession lente, la 3 direction indiquée se rapproche de la verticale vraie. On sait - que ces principes ont été appliqués par Froude et par M. Bertin - pour la construction de certains instruments enregistreurs, et aussi par l'amiral Fleuriais dans son horizon gyroscopique, _ destiné à suppléer à l’horizon de la mer pour la mesure des - hauteurs des astres, quand, pour une cause ou une autre, cet horizon n'est pas visible. Guyou avait vu de bonne heure - l'intérêt de l'instrument de Fleuriais, qui est employé aujour- d'hui de plus en plus dans la marine, et qui paraît destiné à _jouer un rôle dans la navigation aérienne. Il a, avec beaucoup de pénétration, expliqué pourquoi l'appareil fonctionne mieux à la mer qu à poste fixe. Les phénomènes les plus simples étaient souvent pour Guyou … l’objet de judicieuses remarques. Ainsi les expériences de Marey sur la natation des poissons lui suggèrent l’idée d’un propul- seur à pénétration tangentielle. Cet appareil consiste dans une - palette dont l’axe est perpendiculaire à la direction de la quille du-navire et à laquelle là machine imprime un mouvement tel > que, pour une valeur déterminée du rapport de la vitesse du navire à la vitesse angulaire de l’arbre moteur, elle glisse tangen- tiellement dans le liquide à la manière de la vis dans l’écrou, ce qui peut étre réalisé de diverses manières. Pour toute autre valeur du rapport indiqué, la palette glisse sur une trajectoire sinueuse à laquelle elle se présente obliquement, de manière à être soumise à une pression accélératrice ou retardatrice. _ L'idée précédente mériterait d'être poursuivie. _ Dans une autre circonstance, l'attention de Guyou est appelée sur les photographies de Marey faisant connaître les mouvements - que certains animaux exécutent pour retomber sur leurs pieds. Notre collègue explique immédiatement ce retournement spon- — 112 — tané de l'animal, qui peut au premier abord paraître impos- : sible en vertu du théorème des aires; mais un examen plus approfondi de ce théorème montre qu'un système déformable | partant du repos peut, par le seul travail des forces intérieures, tourner d’un angle quelconque autour de son centre de gravité, tous ses points se trouvant à la fin de la rotation dans les mêmes positions relatives qu’au début. Dans les photographies de Marey, lorsque l’animal, par une contraction de ses muscles, _imprime à son corps un mouvement de torsion, il donne par l'extension de ses pattes un grand moment d'inertie à la partie qui tourne dans le sens négatif, tandis que la partie qui tourne dans le sens positif, et où les pattes sont ramenées le long du corps, a un plus petit moment d'inertie. Après deux phases du mouvement, où le rôle des pattes avant et arrière est inter- verti, les parties de l'animal sont revenues dans la même posi- tion relative, et il a tourné d’un certain angle. La question du chat retombant sur ses pattes eut à la fin de 1894 son heure de célébrité. J'ajoute qu'il ne faudrait pas croire que la variation du moment d'inertie pendant la déformation du système est nécessaire pour amener la rotation continue. Un homme mar- chant sur un disque horizontal mobile autour d’un axe vertical et restant toujours à la même distance de l’axe a fait tourner le disque d’un certain angle, quand il est revenu à son point de départ, et le moment d'inertie du système n’a cependant pas changé. Pour des raisons analogues, nous augmentons la vitesse angulaire de rotation de la terre quand nous marchons vers l’ouest sur un parallèle et nous la diminuons quand nous marchons vers l'est; peut-être dans le cas d'immenses char- riages portant sur de grandes masses, cette variation a-t- elle pu être sensible pendant le cours des âges géologiques. Je tiens encore à rappeler une note d’une remarquable simpli- cité sur le gyroscope de Foucault, dont la théorie est faite par Guyou d’un trait de plume, en supposant que l'attraction de la. Terre est constante dans l'étendue occupée par l'instrument. Cette hypothèse est aussi acceptable que celle dans laquelle la pesanteur apparente est supposée constante, quand il s’agit simplement de montrer le mouvement de rotation de la Terre, la différence portant simplement sur des termes dépendant du carré de la rotation diurne. Chef du service des instruments nautiques au service hydro- € de . marine, Fo dut s'occuper dés divers instru- L ments placés à bord des navires. Il eut aussi à rédiger des ins- È _tructions pour les personnes chargées d’entretenir ou utiliser à les instruments nautiques. Enfin il réunissait les renseignements k recueillis auprès des inventeurs et des constructeurs, et il y : joignait les résultats de ses propres études. Sous sa direction, les :. _ instruments nautiques de la marine ont subi de nombreux per- L fectionnements;- on doit signaler l'introduction des roses à F huit aiguilles de Lord Kelvin, des compas étalons de relèvement, É de divers télémètres, ainsi que l'adaptation à tous les habitacles _ du système de compensation des compas Thomson. . La théorie du magnétisme, en vue de ses applications navales, _a fait de la part de Guyou l’objet de nombreuses recherches personnelles. On lui doit une remarquable interprétation géo- 2 métrique des équations fondamentales de Poisson : la force qui s trouble les compas des navires est la résultante de trois forces # constantes en intensité d’une définition simple, l’une fixe dans _ le navire, l’autre fixe dans l'horizon, la troisième mobile à la Le dans le navire et dans l'horizon, tournant dans le sens du … . navire et d’un angle double. Ce théorème, qui est la traduction … géométrique des formules de Poisson, éclaire très vivement tout ‘siècle actuel, sans avoir la prétention de ‘donner en quelques pages un tableau complet, et en laissant de côté des travaux Se Fées, mu lesquels le recul paraît insuffisant. z art la première moitié du xixe siècle, je voies les plus me _ fécondes avaient été ouvertes par Fourier, Cauchy et Galois. . L'ouvrage de Fourier sur la théorie analytique de la chaleur est = célèbre en physique mathématique ; : il contient le germe des ) _ méthodes employées dans l'étude des équations différentielles 3 séries célèbres qui cent le nom de Fourier ont fait. l'objet ; d'immenses généralisations. L'activité de Cauchy fut prodi- _ gieuse « et s'étendit à tous les domaines des mathématiques pures ref. appliquées. Sa plus grande création fut celle de la théorie des fonctions de variables complexes; il a ainsi donné une vie nou- velle à l’analyse mathématique, et, en ce sens, les travaux les plus modernes relèvent de lui. On doit les notions les plus essen- tielles sur la théorie des groupes à Évariste Galois, qui en a fait d’ admirables applications à à la théorie des équations algé- É briques et montra qu'à chaque équation correspond un groupe _ de substitutions dans lequel se reflètent les caractères essentiels _de LS équation. D’ailleurs, les notions introduites par Galois = (:) Chapitre consacré aux sciences mathématiques dans « Un demi- Da .. : D vd ; = : e A siècle de civilisation française (1870-1915) », Hachette, 1916. — 122 — dépassent de beaucoup en réalité le domaine de l'algèbre et s'étendent au concept de groupe d'opérations dans son accep- tion la plus étendue. Si brève qu'ait été la vie de Galois, qui disparut à 20 ans dans une obscure querelle, il avait fait aussi en analyse des découvertes capitales sur les intégrales de diffé- rentielles algébriques, comme le montre une lettre écrite la veille. de sa mort. | Les trois grands noms que nous venons de citer sont repré- sentatifs des mentalités que l’on rencontre chez ceux qui cul- tivent les sciences mathématiques. A ce sujet, il ne sera pas inutile d’indiquèr les points de vue divers sous lesquels ces sciences peuvent être envisagées. Pour Fourier, l'étude appro- fondie de la nature est la source la plus féconde des découvertes mathématiques. L’affirmation est exacte d'une manière générale; il est vrai, comme le dit l’illustre géomètre et physicien, que la physique a été souvent l’origine première de grandes théories analytiques, mais il ne faut pas ajouter que l'analyse est uni- quement utile au physicien, parce qu’elle constitue une langue d'une admirable clarté, qui n’a pas de signe pour exprimer les. notions confuses et procure à la pensée une véritable économie. C'est méconnaître que le calcul a devancé parfois l'expérimen- ‘ tation, c’est méconnaître aussi l’admirable puissance de transfor- mation du raisonnement et du calcul mathématiques. Des notions, identiques au fond, peuvent avoir des formes très différentes, et il arrive que la forme soit essentielle; telle aussi l'énergie peut être constante en quantité, mais variable en-qualité. La phrase, quelquefois citée, qu'il n y a dans une formule que ce que l’on y a mis, est vide de sens ou n’est qu’un pur truisme. Il n’y a par exemple dans la mécanique céleste que la loi de la gravitation universelle et quelques constantes fournies par l'observation, mais d'innombrables transformations de calcul nous font passer de ce point de départ à l'explication de presque toutes les particularités des mouvements des astres. Ce n'est pas assez non plus que de vanter la clarté du langage ana- lytique; en fait, il à joué un rôle important pour la plus grande extension des principes. Par le simple jeu de ses formules, l'analyse peut suggérer des généralisations dépassant beaucoup le cadre primitif. N’en a-t-il pas été ainsi avec le principe des déplacements virtuels en mécanique, dont l’idée première vient des mécanismes les plus simples ? La forme analytique qui le (rg. dust, où ÉRopiisent- des sommes de rod de deux facteurs, suggéra des extensions qui conduisirent de la méca- _ nique rationnelle à la mécanique chimique à travers la physique _ tout entière. Un autre exemple est encore fourni par les équa- - tions de Lagrange; ici des transformations de calcul ont donné le Li des équations différentielles, auxquelles certains ont proposé de ramener la notion d'explication mécanique. Le _mäthématicien a créé un moule témoignant de l'importance de : - la forme d’une relation analytique; il va de soi qu’il appartient … à l'expérience de vérifier si l'instrument forgé est assez souple _ pour se prêter aux concordances expérimentales. Si la mécanique et la physique mathématique sont pour le . mathématicien pur une mine fructueuse, il s’en faut de beaucoup que les questions de philosophie naturelle soient l’unique objet . de ses méditations. On le comprend assez par ce qui précède, et la marche n’est pas parallèle entre la théorie pure et ses appli- _ cations. Le monde des formes et des grandeurs abstraites est en lui-même un sujet d’études, sur lequel l’esprit humain fait travailler les règles logiques qu'il a lentement élaborées à tra- vers les âges. L’imagination a aussi sa part dans ces recherches, . et la mathématique a une valeur à la fois scientifique et artis- tique. Lx, comme dans bien d’autres domaines, le beau et l’utile -se rejoignent parfois, et des spéculations théoriques, restées . pendant longtemps éloignées de toute application, ont pu un jour être utilisées. Beauté et simplicité vont d'ailleurs de pair, - et l’on sait que le mot élégance revient souvent sur les lèvres des géomètres. Le xvrre et le xvirre siècle virent presque toujours les mathé- . matiques et leurs applications cultivées par les mêmes savants. _ Ildevait arriver un moment où des spécialisations s’établiraient ; - c’est une loi générale, qui régit malheureusement tous les ordres _ de recherches, et à laquelle échappent seuls quelques rares esprits, assez puissants pour ne pas avoir à sacrifier l'étendue à la profondeur. Les problèmes analytiques posés exigeaient _ de nouveaux perfectionnements. Une ère nouvelle commençait _ pour les mathématiques, rappelant, toutes proportions gardées, _ les temps où la géométrie grecque, devenue autonome, s'était séparée des spéculations cosmogoniques auxquelles elle avait été hiée à une époque antérieure. Fourier et Poisson cultivèrent à peu près exclusivement les parties de l'analyse se rapportant » sde Se, $ Ka 124 V2. k - à la physique, tandis que les recherches de Galois furent d’un caractère essentiellement abstrait. Quant à Cauchy, il fut à la fois un grand théoricien de la physique et de la mécanique, et un inventeur de génie en mathématiques pures. I. — LES FONCTIONS ANALYTIQUES. Plaçons-nous maintenant dans les environs de 1850. Cauchy, avons-nous dit, est le créateur de la théorie des fonctions ana- lytiques; non pas qu'il l’ait présentée d’une manière didactique. Son esprit, toujours en travail, se souciait peu de donner à ses conceptions une forme parfaite. Les lois des fonctions ana- lytiques appliquées à des fonctions particulières ont souvent ; donné avec facilité leurs principales propriétés. La théorie des fonctions elliptiques en offre un mémorable exemple. Aïnsi Liouville a traité le premier de la théorie générale des fonctions doublement périodiques; peu après, Hermite intégrait le long d'un parallélogramme de périodes et obtenait la décomposition fondamentale en éléments simples. Le mémoire de Puiseux sur les fonctions algébriques d’une variable a fait époque, en don- nant une idée précise d’un mode d’existence de fonctions non uniformes; c’est dans ce travail qu'est posée nettement la notion de période d’une intégrale, indiquée seulement par Cauchy. Briot et Bouquet ont été aussi parmi les premiers pionniers mettant en lumière la fécondité et la puissance des idées de Cauchy. Leur étude sur certaines équations différen- tielles à intégrales uniformes, et surtout leur mémoire sur les singularités correspondant au cas où le coefficient différentiel est indéterminé, resteront dans l’histoire de la ssience; ce der- nier travail appelait pour la première fois l'attention sur les points singuliers. Dans leur grand ouvrage sur les fonctions elliptiques, Briot et Bouquet ont voulu, suivant leur propre expression, rendre à Cauchy la justice qui ne lui a pas toujours été rendue. = On voit combien à ses débuts la théorie des fonctions d’une variable complexe a été une science essentiellement française; elle est toujours restée en grand honneur chez nous. Depuis : 40 ans, une partie importante de notre effort a été consacrée, soit aux fonctions analytiques en général, soit à certaines fonc- $ Ét an Se ue 3 - fonctions analytiques ont fait pendant de nombreuses ées l'objet de l’enseignement d’Hermite; citons d’abord Emi céux qui ont fait progresser la théorie générale les noms Laguerre, Poincaré, Picard, Appell, Goursat, Painlevé, intégrale nulle le long d’un contour supposait la continuité _ de érivée ; -Goursat montra que cette hypothèse est inutile. se si et ses premiers disciples français avaient séulement sidéré é les pôles des fonctions uniformes. Le géomètre alle- : DST de fs toute valeur donnée, une Éérebtibe étant < seulement pour deux valeurs au plus; diverses consé- ésultent de là pour les fonctions entières. La démons- tratio: utilisait la fonction modulaire de la théorie des fonc- ns elliptiques, fonctions à à singularité plus élevées présen- tant précisément la propriété qu'on veut démontrer être impos- sible. Ces propositions donnèrent lieu à un grand nombre de ux. Borel, le premier, indiqua le principe d'une démons- ration, où n’intervenait pas la transcendante indiquée. : Depuis 1880, les généralités sur les fonctions uniformes, mises = sous forme de séries ou de produits infinis, ont été étudiées par géomètres cités plus haut. Rappelons notamment les deve- pements, en séries de polynomes, d’Appell et de Painlevé, les onctions à espaces lacunaires de Poincaré et de Goursat, et plus récemment certains développements de Montel. L'étude des séries entières sur leur cercle de convergence est la plus haute importance. Dans son beau mémoire sur DEnanon des_ fonctions de grands nombres, Darboux -a’tiré un parti très heureux du cas où les singularités sur ce ‘cercle sont de nature simple. Le travail d'Hadamard sur cette question « est Es et a PPS en es l'attention , Borel. La démonstration du théorème de Cauchy es — 126 — sur des cas étendus où te cercle de convergence est une coupure : il a été suivi dans cette voie par Borel, Leau et Fabry; celui-ci a pu établir que, en général, le cercle de convergence est une coupure. La considération d’une certaine intégrale définie par Hadamard a été féconde et fut l’origine de nombreuses re- cherches ultérieures. La notion de genre a été introduite par Laguerre dans la théorie des fonctions entières; elle est intimement liée à la dis- tribution des racines de la fonction. Poincaré a donné une con- dition nécessaire pour qu’une fonction soit de genre donné. Hadamard put démontrer que la condition est suffisante, et il établit un lien entre la décroissance des coefficients et la crois-. sance des racines; de ces résultats il a fait une application remar- quable à l’étude d’une fonction célèbre considérée par Riemann dans la théorie des nombres premiers. Borel s’est occupé avec - grand succès de la distribution des racines des fonctions entières et de l'impossibilité de certaines identités; il a étudié, après Hadamard, la difficile question de la croissance des fonctions entières, sujet qu'ont encore approfondi dans des études ré- centes Boutroux; Denjoy et Valiron. … La notion de série divergente sommable, telle qu’elle a été posée par Borel, s'est montrée très féconde pour l'extension . d'une série entière au delà de son cercle de convergence, même dans le cas où le rayon de ce cercle est nul. On doit à Painlevé d'importants développements dans cet ordre d'idées, qui se : raccorde avec les résultats de Mittag-Leffler sur l'étoile d’une fonction. La plupart des travaux précédents ont été exposés d’une manière didactique dans une collection précieuse sur la théorie des fonctions, publiée par Borel et ses collaborateurs français Lebesgue, Boutroux, Baire, Montel qui y font aussi connaître leurs travaux personnels. La théorie générale des fonctions multiformes présente de grandes difficultés. Poincaré a démontré à ce sujet un théorème remarquable et bien inattendu : étant envisagée une fonction . multiforme quelconque d'une variable, on peut exprimer fonction et variable par des fonctions uniformes d’un paramètre, ré- sultat considérable qui montre que, au moins théoriquement, les fonctions multiformes se ramènent aux fonctions uniformes. Painlevé a fait une classification rationnelle des singularités des fonctions analytiques. ble on | passe à deux variables, les difficultés augmentent considérablement, L'extension aux intégrales - doubles du théorème fondamental de Cauchy relatif aux inté- grales prises le long d’un contour a été réalisée par Poincaré; on en déduit la notion de résidu d’une fonction rationnelle. Il faut encore citer le théorème de Poincaré sur la possibilité de À mettre sous la forme de deux fonctions entières toute fonction 2 uniforme n'ayant que des singularités non essentielles à dis- - tance finie, résultat étendu par Cousin à-un nombre quelconque de variables. : tes maintenant un coup d'œil sur quelques fonctions LÉ Er T1 n’en est pas qui aient été plus étudiées que les fonc- #Æ tions algébriques d'une variable depuis le mémoire de Puiseux. : La notion capitale du genre d’une courbe algébrique avait été : entrevue “par Abel: elle fut certainement approfondie par EE Galois, comme le montre une lettre rappelée précédemment. ; Mais. Ja théorie fut complètement reprise par Riemann et . Weierstrass, et poussée à un haut point de perfection. Les inté- _. grales de différentielles algébriques ont fait, au point de vue de la réduction, l'objet des travaux de Picard et de Poincaré. Appel s'est occupé des fonctions à multiplicateurs, et, dans le _cas elliptique, a étudié les développements en éléments simples Re des fonctions doublement périodiques de troisième espèce. La Len 3 A découverte des fonctions, que Poincaré a appelées fonctions … fuchsiennes, -et qui restent invariables, par les substitutions Fe d'un groupe linéaire discontinu conservant une circonférence, E. restera à jamais mémorable. Ces fonctions lui ont permis de = , _ faire une représentation paramétrique uniforme d’une courbe L. algébrique quelconque : c'est là certainement un des résultats SR — plus profonds obtenus depuis 50 ans en analyse. Les fonc- Le tions fuchsiennes correspondant à une courbe de genre supé- _ rieur à l'unité ont comme singularités essentielles soit la circon- _ férence entière, soit sur celle-ci un ensemble parfait discontinu de points; c'est ce qui résulte d'un théorème général de Picard, Fe. d’après lequel deux fonctions uniformes autour d’un point, Es. liées par une relation algébrique de genre supérieur à #wn, ne e peuvent avoir ce point comme point. singulier essentiel isolé. # = y a des groupes linéaires plus généraux que les groupes - fuchsiens; Poincaré les étudie sous le nom de groupes kleinéens. Æ $ — 128 — | La circonférence ici est remplacée par des courbes étranges ayant en chaque point une tangente, mais n'ayant pas de cour- bure. On peut développer les (nee non seulement en séries et produits infinis, mais les mettre aussi sous forme de fractions continues. Laguerre et Halphen ont signalé à ce sujet des cir- constances curieuses, et un mémoire de Stieltjes renferme des résultats généraux sur la convergence de certaines fractions continues, convergence qui peut cesser le long de certaines lignes. Au point de vue historique, Laguerre paraît avoir donné le premier exemple d'une série divergente, d'où l'on peut déduire une fraction continue convergente. | Dans le champ des fonctions spéciales de plusieurs ie les fonctions abéliennes ont été le plus étudiées. Les mémoires d’'Hermite sur la division et la transformation de ces fonctions sont classiques. Poincaré, Picard et Appell ont donné diverses démonstrations de la relation, énoncée par Riemann, entre les périodes d’une fonction de # variables à 2 » périodes. Cousin a été le plus loin dans cette voie, en étudiant les relations entre les périodes d’une fonction de » variables à # + 2 périodes. Les fonctions abéliennes singulières ont été l’objet des travaux _ d'Humbert, qui en a tiré des résultats intéressant non seule-" ment la théorie des fonctions, mais aussi la géométrie et la théorie des nombres. On doit à Hermite l'étude de polynomes : généralisant lés polynomes de Legendre, et il a été suivi par Didon et par Appell qui a découvert aussi des séries hypergéo- métriques de deux variables. Des transcendantes nouvelles présentant un théorème de multiplication et comprenant comme cas particuliers les fonctions abéliennes, ont été intro- duites par Poincaré et par Picard. | Après les études de Poincaré sur les fonctions fuchsiennes, il était naturel de rechercher des groupes discontinus à deux variables et des fonctions correspondantes. Les types sont ici très nombreux. L'étude des groupes linéaires et de certains - groupes quadratiques a été abordée par Picard et l’a conduit aux fonctions hyperfuchsiennes et hyperabéliennes. Quand on passe d’une à deux variables, les différences sont profondes dans la théorie des fonctions algébriques, comme il résulte des travaux de Picard, qui a posé les principes de la théorie des intégrales de différentielles totales et des intégrales E He ess une surface brin ainsi que de leur - périodicité. Les nombres des intégrales distinctes, simples et _ doubles, de seconde espèce sont deux invariants fondamen- __ taux de la surface. Il faut y ajouter un troisième invariant découvert aussi par Picard, en relation étroite avec les courbes algébriques tracées sur la surface. Certains points de la théorie … des surfaces algébriques peuvent être rapprochées de questions de géométrie de situation, questions difficiles, quand on les prend . _ dans toute leur généralité, et sur lesquels Poincaré a écrit de 4 _ profonds et difficiles mémoires. Les surfaces hyperelliptiqués, … signalées d’abord par Picard, ont été étudiées d’une manière - approfondie par Humbert, qui a découvert à leur sujet des théorèmes d’une grande élégance. 3 Je ne veux pas terminer ce chapitre consacré aux fonctions analytiques sans rappeler que, dans ces dernières années, Borel à insisté sur ce que, des deux notions, l’analyticité au sens de Weierstrass, et la monogénéité au sens de Cauchy, c'est cette _ dernière qui est l'essentiel. La théorie des fonctions analytiques . ne sérait donc qu’un cas particulier de la théorie des fonctions __ monogènes. IT. — Les ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES. _ Au xvrre siècle, le développement de la dynamique nais- - sante fut l’origine des plus grands progrès de l'analyse. Ce fut . une époque décisive dans l’histoire de la science que le moment - où l'on se rendit compte avec précision que l'étude des phéno- mènes naturels était susceptible de prendre une forme mathé- - _matique, et cela surtout, quand le développement de la méca- nique conduisit à postuler que les modifications d’un système _ dépendent uniquement de l’état actuel de celui-ci ou, tout au _ plus, de cet état et de l’état infiniment voisin. On fut ainsi 4 conduit à des équations différentielles, c’est-à-dire à des rela- à tions entre des fonctions et leurs dérivées. Cette idée a, depuis - le xvrrre siècle, orienté le développement de l’analyse. Les pro- blèmes posés par la géométrie eurent aussi une part dans cette orientation. On voit donc l'importance de la théorie des équa- _ tions différentielles dont nous ations < suivre maintenant les prin- pepe progrès. te PICARD | ‘ 9 490 C’est à Cauchy que l’on doit les premières démonstrations rigoureuses de l'existence des intégrales des équations difié- rentielles. Quand les équations et les données sont analytiques, l'idée essentielle consiste dans la considération de fonctions majorantes; pour le cas général des systèmes d'équations aux dérivées partielles, la démonstrâtion complète a été donnée par Riquier, Delassus et, dans un ordre d'idées un peu différent, par Cartan. Il y eut longtemps quelques hésitations sur la notion même d'intégrale générale pour une équation aux dérivées partielles; Ampère et Cauchy ne se plaçaient pas au même point de vue. Goursat a montré que le point de vue de Cauchy est plus général que celui d'Ampère. | Sans supposer les éléments analytiques, Cauchy a donné une méthode pour établir l'existence des intégrales des équations différentielles ordinaires; les développements ainsi obtenus restent valables tant que les intégrales restent continues et laissent continus les coefficients différentiels, comme l'ont. montré Picard et Painlevé. Pour le problème classique et d’autres ‘plus généraux, quant aux conditions aux limites, on peut uti- liser des méthodes d'approximations successives, dont Picard a donné des exemples très étendus, et qui présentent une grande marge dans leur application, comme l'ont montré ensuite les travaux d'Hadamard, de Coulon, d'Adhémar, de Cotton et autres, Les équations linéaires sont particulièrement simples. L'étude des points singuliers réguliers avait été faite en Allemagne par Fuchs. Pour les points irréguliers, Poincaré a fait connaître des représentations asymptotiques très cachées des intégrales, valables sur un rayon partant du point singulier, mais pouvant varier quand le rayon change. Une admirable découverte de Poincaré, se rattachant à ses travaux sur les fonctions fuch- siennes, fut l'intégration des équations linéaires algébriques à points singuliers réguliers, au moyen de séries thétafuchsiennes. Parmi les équations spéciales, citons les équations hypergéo- | métriques de Goursat, l’équation de Lamé intégrée par Hermite, les équations de Picard à coefficients doublement périodiques et à intégrale uniforme, les équations d’Halphen intégrables par des exponentielles et des fonctions rationnelles. Re. Dans les équations non linéaires on ne peut habituellement tirer aucun parti de solutions particulières pour avoir l'inté- 4 ue ruines. Les résultats anciens de Briot et Bouquet ont été d'abord complétés par Poincaré et par Picard, puis - ensuite par Autonne et Dulac; mais c'était là une étude locale” ee En dehors des points singuliers visibles sur l'équation, il peut 21 en avoir d’autres variables d’une intégrale à l’autre. Ceux-ci, _ d’après Painlevé, sont nécessairement des points critiques algé- -_ briques pour les équations du premier ordre, et Poincaré, com- - plétant un résultat de Fuchs, avait montré que l’on est ramené, _ dans le cas des équations du premier ordre à points critiques _ fixes, à des quadratures ou à une équation de Riccati. Picard avait indiqué que la méthode de Poincaré ne pouvait pas = s'étendre : au second ordre, à cause de la possibilité d’une trans- formation univoque non birationnelle pour une surface. Les difficultés étaient considérables ; elles ont été brillamment levées par Painlevé dans une série de travaux très remarquables qui ._ le conduisirent à tous les types d'équations à points critiques Fe _fixes. Dans la voie ouverte par Painlevé, ont marché avec succès É- P Boutroux, Gambier, Chazy, et Garnier. L'étude des équations différentielles dans le champ réel est E te pour la géométrie et la mécanique. Poincaré a consacré nombreux mémoires à la question des courbes définies par des équations différentielles. Le cas le plus simple est celui des pe. re du premier ordre et du premier degré; la nature des _ points singuliers, foyers, cols, nœuds, est d’abord discutée, puis sont envisagées les courbes intégrales fermées (cycles) et celles # “qui -sont asymptotes à un cycle limite. Pour les équations du + premier ordre et de degré supérieur, le genre d'une certaine . surface fermée intervient dans la discussion, et ce n’est pas un _ des moindres mérites de Poincaré d’avoir montré le rôle de la _ géométrie de situation dans ces questions. Parmi les recherches qui ont suivi, il faut au moins citer les études de Painlevé sur les trajectoires en dynamique et celles d'Hadamard. Celui-ci # montre notamment que l'allure des géodésiques dans les sur- 2 faces à courbures opposées et à connexion multiple peut .dé- pendre des propriétés arithmétiques de constantes d'intégra- tion. _ Les conditions pouvant ane une intégrale d’une équa- — 132 — tion aux dérivées partielles sont très variées. Nous avons parlé du problème de Cauchy; l'étude des cas exceptionnels de ce problème conduit à la notion des multiplicités caractéristiques, vaguement entrevue par Monge et Ampère. Pour les équations linéaires du second ordre à deux variables, la détermination d'une surface intégrale par la condition de passer par deux caractéristiques a été d’abord étudiée. Dans son grand ouvrage sur la théorie des équations aux dérivées partielles du second ordre, Goursat a ajouté aux résultats antérieurs ceux de ses belles recherches personnelles. Beudon, Hadamard, Delassus et Le Roux ont aussi réalisé d'importants progrès dans l'étude des caractéristiques. Pour les équations particulières, les conditions aux Lei sont le plus souvent fournies par la géométrie ou la physique. Il arrive en général que tous les éléments envisagés sont réels, et la nature des caractéristiques joue un rôle essentiel dans la position des problèmes. Picard a montré que, pour les équations linéaires, toutes les intégrales sont analytiques quand.les carac- téristiques sont imaginaires. Les problèmes sont si variés qu'il est impossible de parler de méthodes générales. Cependant, dans des cas étendus, on peut employer les méthodes d’approxima- tions successives de Picard, dont nous avons déjà parlé plus haut; dans d’autres cas, une solution particulière, présentant certaines discontinuités, joue un rôle essentiel : telle la fonction de Green pour le potentiel. On doit de nombreux travaux sur ce sujet à Poincaré, Picard, Hadamard et leurs élèves d'Adhémar, Le Roy, Coulon, Gevrey. Souvent aussi il ÿ a lieu de recourir à des développements généralisant les séries de Fourier, et dont autrefois Fourier lui-même, Poisson, Sturm, et Liouville avaient donné des exemples. Dans cet ordre d'idées, le mémoire de Poincaré sur la méthode de Neumann renferme des vues ori- ginales et profondes sur des fonctions dites fondamentales. Le grand mémoire de Poincaré sur les équations de la physique mathématique restera particulièrement mémorable; l'existence des harmoniques en nombre infini d’une membrane vibrante, dont Schwarz et Picard avaient étudié les deux premières, y est établie pour la première fois rigoureusement. Depuis lors, la théorie des équations intégrales de Fredholm a permis de traiter autrement les problèmes de-ce genre, mais Poincaré aura été là, comme en d’autres domaines, un précurseur. APT MONTE CP PME ; * es EN C'est surtout dans la théorie des équations aux dérivées par- _ tielles que la physique et la mathématique se prêtent le mutuel appui dont je parlais au début. j’ajouterai quelques exemples à _ ceux que nous avons déjà rencontrés. Quand toutes les inté- * grales ne sont pas analytiques, le prolongement d’une solution _ réside dans le fait qu'il y a des contacts jusqu’à un certain ordre. Ces notions ont conduit aux résultats importants obtenus _ par Hugoniot dans la mécanique des fluides et magistralement _ complétés par Hadamard dans son livre sur la propagation des _ ondes. Ailleurs, il pourra y avoir des contacts d'ordre infini entre des intégrales non analytiques, et c’est la raison pour laquelle le célèbre théorème de Lagrange sur les potentiels de vitesse en hydrodynamique rationnelle ne subsiste pas pour les fluides visqueux, comme Boussinesq l’a indiqué le premier. Une vue très nette des différentes espèces d'ondes, au point de vue de la propagation, résulte de la considération de différents types d'équations. Dans les équations du type de la chaleur, qui _ remontent à Fourier, il n’y a pas de vitesse de propagation. Les choses se passent autrement dans les équations du type _ de la propagation du son, qui est aussi celui de la propagation de la lumière et des ondes électriques; il y a lieu d’envisager là une vitesse de propagation. Les deux types précédents se trouvent rassemblés dans l'équation de la propagation du son dans un liquide visqueux, de l'électricité dans une ligne télé- graphique avec self-induction. Il y a, dans ce cas, propagation par ondés avec une vitesse déterminée, mais cette onde s'étale à l'arrière, comme il résulte des travaux de Poincaré, Picard et - Boussinesq. Dans des questions un peu différentes, notamment dans une étude sur le principe d'Huyghens, Hadamard a montré l'importance de la parité des dimensions de l’espace et de l'inté- grale résiduelle. _ Parmi les applications de la théorie des équations différen- tielles, il en est qui concernent la géométrie. En France et aussi en dehors de notre pays, cette école d'analystes géomètres, pour qui les problèmes de géométrie infinitésimale sont l’occasion de belles recherches analytiques, a actuellement Darboux pour chef: elle se rattache à Monge et à Ampère, tout en utilisant les _ travaux analytiques les plus récents. Les leçons de Darboux sur la théorie générale des surfaces et ses leçons sur les surfaces orthogonales forment des ouvrages considérables, où l’auteur RQ expose ses recherches et aussi celles de ses devanciers,-en leur donnant une forme nouvelle et originale. Parmi ces devanciers, nous devons citer Liouville, Bertrand, Bonnet, qui ont été au milieu du siècle dernier les dignes continuateurs de Monge. Relativement à l'intégration effective des équations aux dé- rivées partielles du second ordre, il n'avait été, pendant de longues années après la publication du mémoire d'Ampère de 1818, rien ajouté d’essentiel à la théorie développée par le grand géomètre et physicien. Darboux, en 1870, publia un mémoire fondamental faisant connaître une méthode nouvelle, où il substitua aux équations de Monge une suite indéfinie de systèmes analogues, trouvant même l'intégrale générale si. celle-ci ne renferme pas de signe d’intégrale définie. L'étude des systèmes orthogonaux, des surfaces applicables, de la représen- tation sphérique des surfaces doit à Darboux des progrès con- sidérables; il a tiré aussi d'importants résultats de la considé- ration de l’équation linéaire aux variations correspondant à une équation quelconque aux dérivées partielles. : Goursat a consacré plusieurs mémoires à élucider les questions que suggère la méthode de Darboux; on lui doit aussi de péné- trantes recherches sur des équations intégrables. comprenant la première classe d'Ampère, et sur les caractéristiques des équa- tions à plus de deux variables indépendantes. Guichard, qui a montré un esprit inventif dans toutes les parties de la géo- métrie infinitésimale, a été un heureux continuateur de Darboux dans ses travaux sur les systèmes orthogonaux et les systèmes cycliques, et sur la déformation des quadriques. Les recherches de Kœnigs sur la géométrie réglée, sur les systèmes conjugués, sur les surfaces ayant certains éléments linéaires, et sur les mé- canismes dont il a rattaché la théorie à des principes généraux, le placent également parmi les maîtres de la géométrie infinité- simale et aussi de la géométrie cinématique. III. —— THÉORIE DES NOMBRES. ALGÈBRE ET GÉOMÉTRIE. La théorie des fonctions analytiques et celle des équations : différentielles nous ont conduit plus d’une fois à parler de di- verses autres branches des sciences mathématiques. Il importe cependant de nous arrêter sur quelques recherches se rapportant : | à “la théorie des nombres, à l'algèbre, à la : cet à la Le. des groupes. : a a été l'idée Jondämentale qui a dominé la longue suite de ses travaux en arithmétique supérieure ; les méthodes qu'il a créées ont ouvert à la théorie des nombres des horizons entièrement nouveaux. Un peu plus tard, Hermite passait, de l’approxima- - tion simultanée de plusieurs nombres par des fractions de même “ dénominateur, au problème analogue pour plusieurs fonctions. - Ce mode d’approximations algébriques le conduisait en 1873 _ démonstration de la transcendante du nombre e, base des ce népériens. En suivant la voie ouverte par Hermite, le géomètre allemand Lindemann démontrait peu de temps ee Ta transcendance du nombre 7, rapport de la ner _ rence au diamètre. _ Les travaux de Jordan sur l’équivalence des formes ont réa- RH de grands progrès dans la théorie générale des formes algé- . briques de degré supérieur. Dans la théorie des formes qua- dratiques, Poincaré a marqué sa trace par l'introduction de … points de vue nouveaux, en particulier sur le genre de ces _ formes. La considération des formes ternaires l’a aussi conduit | imeas de fonctions fuchsiennes présentant un théorème . de multiplication. Picard et Humbert ont appliqué la méthode - - de réduction continuelle d’Hermite à l'étude de divers groupes nes discontinus. - - Parmi les recherches io d’une autre nature, les Ë nds de Cahen et surtout d'Hadamard sur la théorie asymp- _— des nombres premiers doivent être rappelées. Nous avons dit, au début de cet article, que Galois avait - posé les véritables bases de la théorie des équations algébriques. … Jordan a publié un ouvrage considérable sur les substitutions - et les équations algébriques. Il y fait une étude approfondie des ridees de Galois, en y ajoutant des résultats essentiels sur les | groupes primitifs, les groupes transitifs et les groupes composés, dont un des plus importants est que les facteurs de composition à un groupe sont les mêmes, à l’ordre près, de quelque manière qu’aient été effectuées les opérations qui les déterminent. Dans LT 2 : x = . à une de ses plus mémorables découvertes, je veux parler dela — 136 — _la théorie des équations algébriques, Jordan a étudié les équa- tions à groupe composé, abordé et résolu le problème posé par Abel : celui de rechercher les équations de degré donné réso- lubles par radicaux et de reconnaître si une équation rentre ou non dans cette classe. D’autres travaux algébriques de Jordan se rapportent au problème des groupés linéaires d’ordre fini, dont il indique la formation dans ses grandes lignes: c’est la question des équations différentielles linéaires à intégrales algé- briques. Goursat à approfondi un cas particulier intéressant de ce problème, en recherchant les divisions régulières de l’espace en un nombre fini de régions congruentes. Laguerre à apporté d'importantes contributions à la théorie des équations algébriques. Il fait preuve d’une rare finesse dans ses notes sur le théorème de Descartes, le théorème de Sturm, la méthode de Newton, et reste toujours soucieux des applica- … tions particulières. On a plaisir à retrouver ces résultats ras- semblés dans ses Œuvres complètes récemment parues. Les recherches de géométrie pure et de géométrie analytique sont depuis longtemps en honneur dans notre pays, comme le montrent assez les noms de Lamé, de Dupin, de-Poncelet et de Chasles. Après Bertrand, Jordan s'occupe des polyèdres dans un beau mémoire consacré en fait à la géométrie de situation, et dans un autre travail donne la condition pour que deux surfaces ou portions de surfaces flexibles et extensibles à volonté soient applicables l’une sur l’autre sans déchirure ni duplicature. Une partie importante des travaux de Laguerre est consacrée à la géométrie ; il eut, tout jeune encore, l'heureuse fortune de com- pléter l’œuvre de Poncelet en géométrie projective, en montrant comment se fait la transformation des relations angulaires, étendit la théorie des foyers à toutes les courbes algébriques et fonda la géométrie de direction. De Jonquières a donné le pre- mier exemple des transformations birationnelles de degré quelconque dans‘le plan, dont Cremona devait indiquer ensuite la forme générale. Halphen se fit d’abord connaître par ses travaux sur Ja célèbre théorie des caractéristiques de Chasles, résolvant un problème qui avait arrêté l’illustre géomètre. Les cyclides, c’est-à-dire les surfaces du quatrième ordre ayant pour ligne double le cercle de l'infini, occupèrent de nombreux auteurs, parmi lesquels tre, D us et Moutard : ces deux derniers découvrirent simultanément le remarquable système triplement orthogonal ee - formé de cyclides. Dans son ouvrage, paru en 1873, sur une . classe de courbes et de surfaces algébriques, Darboux a fait con- naître un grand nombre de résultats intéressants sur les courbes - -cyclides et les surfaces cyclides, et a étudié les relations de ces dernières avec les fonctions abéliennes hyperelliptiques. A . propos « de la géométrie de Cayley, Darboux donne une inter- prétation de la géométrie non euclidienne dans un demi- pe euclidien, souvent attribuée à Poincaré. Les courbes gauches algébriques ont fait l’objet d’un grand | mémoire d'Halphen, qui est peut-être sa plus belle œuvre mathé- . matique. Ce travail touche en bien des points à la théorie des fonctions ; c'est aussi une étude profonde de géométrie ana- lytique. L'auteur a réussi à énumérer et à classer en diverses __ familles les courbes gauches d’un même degré; il montre la 5% _ précision de ses méthodes en donnant, comme exemple, la _ classification complète des courbes de degré 120. Entre tant de résultats bien dignes de remarque, Halphen fait connaître la limite inférieure du nombre des points doubles apparents d'une courbe gauche de degré donné, et démontre que les courbes répondant à cette limite sont sur une surface du second ordre. < Certaines surfaces particulières ont attiré particulièrement _ l'attention des géomètres : telles les surfaces de Steiner et de Kummer. Darboux a indiqué une génération géométrique des lignes asymptotiques de la première, et Picard a montré qu’elle - était la seule surface non réglée dont toutes les sections planes sont unicursales. Humbert a fait connaître de nouvelles pro- _ priétés de la Seconde, notamment que toute courbe algébrique ” tracée sur elle est l intersection de celle-ci avec une surface qui - la touche tout le long de la courbe. Les surfaces de Kummer singulières ont fourni à Humbert le premier exemple du fait . très curieux qu'une surface peut avoir une infinité discontinue _dè transformations birationnelles en elle-même, sans avoir une infinité continue de telles transformations. Dans un ordre d'idées plus particulièrement géométrique, on doit aussi à Humbert de curieux théorèmes sur les aires sphériques et ellip- È. _ soïdales, qui étendent à la sphère et à l’ellipsoïde des propriétés “ fondamentales du cercle et de l’ellipse. — 138 — La théorie des formes algébriques avait jadis conduit à la notion d’invariant. Dans une note mémorable, Laguerre fit voir que cette notion peut s'étendre aux équations différen- tielles linéaires. De son côté, Halphen faisait une étude appro- ee: fondie des équations différentielles restant inaltérées par une transformation homographique quelconque. L’équation diffé- rentielle des lignes droites et celle des coniques donnaient les … deux premiers exemples; la découverte d’un invariant du se septième ordre amenée par d’ingénieuses considérations géo métriques permit à Halphen de développer la théorie générale … qu'il étendit aux courbes gauches. Après l'apparition de la note de Laguerre, Halphen vit de suite le rapport entre ses recherches antérieures et la notion introduite par Laguerre, et il édifia une théorie complète des invariants des équations linéaires. Il montra ensuite l'intérêt de ces recherches pour le calcul intégral, en apprenant à reconnaître si une équation - différentielle linéaire est susceptible d’être ramenée à certains types déjà intégrés. La théorie des groupes est fondamentale en algèbre ; elle ne joue pas en analyse un moindre rôle, depuis que le géomètre . norvégien Sophus Lie a édifié la théorie des groupes de trans- formations, faisant une étude approfondie des groupes d'ordre fini et posant les bases de la théorie des groupes infinis. Dans : les travaux de Lie, la théorie des groupes intervient essentiel- lement comme un principe de classification; dans les appli- cations qu'il a faites de sa théorie aux équations différentielles, celles-ci sont des équations particulières. La théorie des groupes a apparu comme un principe de réduction depuis que Picard a … montré comment les idées de Galois sur les éqüations algé- briques pouvaient être étendues aux équations différentielles linéaires ; il a été suivi dans cette voie par Vessiot et par Drach. On doit à Drach d’avoir montré le premier comment la notion de groupe de rationalité pouvait être étendue à toutes les équa- tions différentielles ordinaires ou aux dérivées partielles; c’est ce qu'il appelle l'intégration logique qu'il oppose à l'intégration géométrique ou intégration par séries. Vessiot s’est occupé de la théorie de Galois et de ses diverses généralisations à un. point de vue un peu différent, et a publié de beaux mémoires d’une forme parfaite sur l'intégration des systèmes différentiels nt ds groupes continus de transformations, et sur à réductibilité et Vintégration des systèmes complets; il a aussi -- _des tions ET Dans plusieurs domaines, celles-ci ne sont pas toujours faciles à trouver, et des théories très géné- _ rales risquent quelquefois de rester confinées, si j'ose le dire, _ dans leur extrême généralité. Il arrive aussi que les applications _tentées ramènent seulement à des cas déjà connus; dans ce cas, . la théorie, intéressante au point de vue de la classification, _ n'apparaît pas comme une arme pour la découverte de faits _ nouveaux. Aussi est-il intéressant de rappeler que la recherche du groupe de rationalité de l'équation différentielle des lignes . de courbure: de la surface des ondes a conduit Drach à l’inté- _ gration de cette équation, cherchée en vain depuis longtemps. Les recherches de Cartan sur la théorie des groupes sont très _ importantes. Elles concernent surtout la structure des groupes - et la détermination des groupes simples. Pour les groupes con- _tinus et finis, les principes avaient été posés par Lie et ses L | élèves; pour les groupes infinis, tout était à créer. Cartan a - réussi à déterminer tous les groupes infinis simples, transitifs ou _intransitifs. Je dois encore rappeler les travaux de Cartan sur . les systèmes de Pfaff et les systèmes en involution. ON Re: 0, LA TT IV. — THÉORIE DES FONCTIONS DE VARIABLES RÉELLES MERE ET THÉORIE DES ENSEMBLES. CA Un des principaux objets de l’analyse abstraite est l'étude de _ l'idée de fonction, c’est-à-dire de dépendance entre deux ou plu- sieurs variables. Il a fallu longtemps pour qu’on se rendît compte de l'étendue de cette notion; c’est là d’ailleurs une cir- constance très heureuse pour les progrès de la science. Si _ Newton et Leibniz avaient pensé que les fonctions continues - n'ont /pas nécessairement une dérivée, le calcul différentiel n'aurait pas pris naissance; de même les idées inexactes de — 110 — Lagrange sur la possibilité des développements en série de Taylor ont rendu d'immenses services. Les fonctions analytiques sa généralité. Cauchy, dans plusieurs de ses écrits, avait donné plus de précision à certains résultats intuitifs sur les fonctions continues admis sans démonstration. En Allemagne, Dirichlet en donnant des conditions pour la possibilité du développe- ment en série trigonométrique, Riemann en établissant la distinction entre les fonctions intégrables et les fonctions non - intégrables, Weierstrass en donnant un exemple de fonction continue sans dérivée, allèrent beaucoup plus loin. En France, le mémoire de Darboux sur les fonctions discontinues marque une date; on y trouve une proposition qui permet de définir de la manière la plus nette l’intégrabilité d’une fonction, et de nombreux exemples de fonctions continues sans dérivées. Jordan a introduit dans cette partie de l'analyse d'importantes notions : telle la notion de fonction à variation bornée. Les courbes dites «de Jordan », séparant le plan en deux régions distinctes, sont également devenues classiques. Le géomètre allemand Cantor a fondé la théorie des ensembles qui sont les seules usuelles, ont pris une importance considé- - rable, et l'on a vu plus haut que la théorie de ces fonctions est « une branche maîtresse de l’analyse. Un jour devait venir cependant où l’idée de fonction serait approfondie dans toute … à LES) Se r L Lub. Æ 7. NCA TT de points. On doit attacher une grande importance à la distinc- e tion entre les ensembles énumérables et les autres. Il en est de même pour la notion d'ensemble dérivé et d'ensemble parfait. Le nombre des mémoires consacrés aux ensembles est considé- rables : ils sont de valeur très inégale, au moins au point de vue purement mathématique. Un certain nombre d’entre eux n’ont LL actuellement aucun intérêt mathématique : c'est ce qui arrive . pour les études sur les nombres transfinis qui n’ont conduit jusqu'ici à aucun résultat inaccessible par une autre voie. On ren- contre dans cette métamathématique quelques paradoxes et des « difficultés qui ont fait couler des flots d'encre. Plusieurs de ces difficultés proviennent de ce qu’on ne s'entend pas sur le mot existence, et l’on pourrait faire des comparaisons avec certaines \ querelles célèbres dans la philosophie scolastique au moyen âge. Reconnaissons d’ailleurs que les discussions des mathéma- ” ticiens sur ce mot intéressent d’autres questions, notamment … - celles qui concernent les théorèmes dits d'existence et se ren-. - contrent dans diverses parties des mathématiques. - Nous envisageons seulement la partie de la théorie des en- .sembles, qui, jusqu'ici, a été un instrument de découverte entre . lès mains des mathématiciens; c’est celle qui a été utilisée dans la théorie des fonctions et en géométrie. Jordan avait donné une 4 définition de la mesure d'un ensemble. Borel a repris la question - sous un jour nouveau, en utilisant des définitions constructives: il à aussi introduit la notion importante d’un ensemble de mesure nulle. Dans plusieurs théories, on connaît maintenant | * des propositions qui sont exactes à peu près partout, en enten- . dant par là que réserve est faite pour un ensemble de mesure : - nulle. Citons, comme exemple, le théorème de Borel, d’après " lequel toute fonction bornée définissable analytiquement, est - égale, sauf, peut-être, pour un ensemble de mesure nulle, à une … série convergente de polynomes. Les séries de Fourier et celles _ qui les généralisent offrent des exemples analogues. ï Riemann, semblait-il, avait approfondi autant qu'il est pos- sible la notion d’intégrale définie. Lebesgue a montré qu’il n’en | était rien. L'idée de fonction: sommable, qu'il a introduite dans - la science, est plus générale que celle de fonction intégrable de - Riemann, au moins pour les fonctions bornées. Une consé- 3 quence de cette notion généralisée de l'intégrale est que toute fonction bornée sommable est la dérivée de son intégrale indé- _ finie, sauf, peut-être, pour un ensemble de points de mesure nulle. Ces travaux ne sont pas restés sans applications, et les - idées nouvelles ont montré leur fécondité entre les mains de Lebesgue et de ceux qui l’ont suivi. La théorie des séries de Fourier notamment s’est trouvée renouvelée. Loin de conduire à des complications nouvelles, l'emploi de l'intégration des fonctions sommables apporte d’heureuses simplifications. Borel a repris récemment la théorie de l’intégrale définie en se plaçant _ au même point de vue que dans sa théorie de la mesure. _ Les notions d’aire et de surface sous leurs formes les plus géné- rales sont liées à la théorie des ensembles. Lebesgue a été très . loin dans cette voie, où l’on rencontre vite des énoncés diffé- rents de ceux auxquels on est habitué, par exemple celui-ci : . qu'il y a d’autres surfaces que les surfaces développables qui ? sont applicables sur le plan. : Baiïre répartit les fonctions en différentes classes et cherche la re ë End L xt Dés Lin dé à din aies 8 Die Le PS né ls V ' Tk ji) int 54 TE I PES — 142 — condition pour qu’une fonction d’une variable réelle puisse être développée en série de polynomes. La théorie des ensembles intervient das la solution; pour le cas d’une série simple, la condition est que la fonction soit ponctuellement discontinue * par rapport à tout ensemble parfait. Les recherches de Lebesgue « sur les fonctions représentables analytiquement sont connexes - de celles de Baire, et posent de graves questions sur le sens qu'il convient d'attribuer au mot défini. Il est une branche de l'analyse, qui prend aujourd’hui une É grande importance : c’est le calcul jonchionnel. Un des pre-. miers chapitres du calcul fonctionnel est le calcul des variations auquel reste justement attaché le nom de Lagrange. Le pro- blème du plus court chemin d’un point à un autre sur une sur- face est sans doute le premier type de problème relatif à ce. calcul, qui s’est ensuite développé avec diverses questions posées par la mécanique, et qui englobe aujourd’hui la mécanique analytique tout entière. Le traité que publie en ce moment ie fe di bee. : AS le ? Hadamard sur le calcul des variations fait connaître les plus “ récents travaux en cette matière. De nombreux problèmes de l'électricité et de la chaleur relèvent aussi du calcul fonctionnel. La théorie des équations intégrales, brillamment créée tout 4 d’abord en Italie et en Suède par Volterra et Fredholm, a fait en France l’objet de nombreux travaux, parmi lesquels ceux de : Le Roux intégrant en même temps que Volterra les équations à limite supérieure variable, de Goursat sur les noyaux ortho- : gonaux, de Picard sur les équations de première espèce et les équations singulières, de Marty sur les noyaux symétrisables. Hadamard s’est surtout attaché à mettre en évidence l'influence de la forme de la frontière du domaine dans divers problèmes de physique mathématique, appelant l'attention sur les égua- hons aux dérivées fonchionnelles ; il a été suivi avec succès dans cette voie par P. Lévy. L'étude du continu fonctionnel, néces- sitant la création d’un nouveau chapitre de la théorie des ensembles, a été abordée très heureusement par Fréchet. L'extension de nos idées sur les fonctions et les opérations fonctionnelles n’est pas la seule qu'aient poursuivie les mathé- maticiens. La question des quantités complexes a fait, surtout à l'étranger, l’objet de nombreuses recherches. Si on laisse tomber la loi commutative, ne gardant que la loi associative, on a une algèbre beaucoup plus générale; un exemple célèbre à quatre _unités est fourni par les quaternions de Hamilton. Une remarque _ fondamentale de Poincaré ramène toute la théorie des quantités complexes à une question concernant la théorie des groupes. Elle consiste en ce que, à chaque système d'unités complexes à _ multiplication associative, correspond un groupe continu linéaire de substitutions linéaires, et inversement. Le rappro- % .. chement entre la théorie des groupes de Lie et les nombres com- plexes donne la véritable origine de ces symboles. Divers auteurs étrangers avaient utilisé l’idée de Poincaré; dans ses travaux sur le même sujet, Cartan applique une méthode | directe qui le conduit à des résultats nouveaux. Ces quantités complexes plus générales sont-elles susceptibles d'accroître la puissance de l'analyse ? Jusqu'ici l'emploi des quaternions de a seul rendu quelques services en physique mathématique. On are espérer que les nouvelles quantités complexes présen- teraïent quelque intérêt pour l'analyse générale; les essais _tentés no ici n'ont pas été couronnés de succès. V. — QUELQUES REMARQUES FINALES. Lac course rapide rs Fenons de faire à travers les princi- _ pales disciplines où s'exerce l'effort des mathématiciens aura _ peut-être montré la fécondité de cette branche de la science française depuis un demi-siècle. Les divisions et classifications, - qui ont été nécessaires pour l'exposition, sont d’ailleurs bien artificielles et plus d’un sujet aurait pu être classé dans une _ autre section de cette étude. La pénétration entre elles des ; - diverses parties d’une même science, et souvent même de sciences diverses, est d’ailleurs de plus en plus générale. Nous n'avons pas voulu ici faire de critique scientifique. Disons seu- : lent que l’écueil des recherches mathématiques est dans un : formalisme et un symbolisme excessifs, incapables de conduire à un fait nouveau et d'être utilisés dans une autre recherche que celle-là même pour laquelle ils ont été créés. Or, quand ces . dernières conditions ne sont pas remplies, on peut penser qu'il ” n'y a pas eu progrès réel de la science. A cet égard, il semble _ que les mathématiciens français sont restés sagement dans de _ justes limites, n’oubliant jamais que leur science n’est pas un pur exercice de logique, et se montrent avant tout soucieux ET — 144 — de la découverte de faits mathématiques nouveaux et de rap- prochements jusque-là insoupçonnés. 3 Lo Nous nous sommes expliqué au début sur les rapports entre les mathématiques et la physique, et nous avons dit que les … applications à la mécanique et à la physique étaient loin d’être le seul objet des études des mathématiciens. Il est bon cepen- = dant que de temps à autre, quand notre science tend à devenir trop formelle, nous nous rappelions la pensée de nos grands géomètres physiciens de la première moitié du siècle dernier. Dans notre vision actuelle du monde, l'analyse mathéma- tique reste un instrument indispensable aux progrès des théories physiques, offrant aux physiciens des moules pour . leurs vues théoriques; en échange, les physiciens rendent aux. mathématiciens un service d’un haut prix, en les guidant dans … l'infinie variété des formes que conçoit notre esprit et les empé- chant à certaines heures d’errer à l’aventure. La mathématique n'apparaît plus alors comme la science étrange et mystérieuse … que se représentent tant de gens; elle est une pièce essentielle dans l'édification de la philosophie naturelle. 2 —— QUELQUES RÉFLEXIONS = ca DE: SUR. en SCIENCE ET L'INDUSTRIE He te APRÈS LA GUERRE (°). = En ce moment, la pensée de ceux qui ne peuvent concourir _ directement à la défense nationale est toujours obsédée des - mêmes questions. On cherche à analyser les raisons de la puis- - l'issue victorieuse de la lutte tragique où nous sommes engagés | depuis 27 mois. Cest ce que je voudrais faire succinctement É ici en restant sur le terrain scientifique et industriel. Si l'on estime que le progrès réel de la science consiste dans la - découverte de faits nouveaux, ou dans l'introduction de nou- veaux points de vue, ou encore dans des rapprochements j jusque- Bi insoupçonnés, si en un mot on met au premier rang l'esprit _ d'invention, l'Allemagne ne peut prétendre à aucune supériorité : _ sur les autres nations. La preuve en a été faite maintes fois depuis deux ans, et il n’y a pas à y revenir. Nous rendons la > Justice qui leur est due à certains savants allemands, mais nous n avons pas à nous incliner devant eux. D'où vient cependant que l’Allemagne, depuis 30 ou 40 ans, ait pu prétendre à l’hégémonie scientifique et faire admettre _ parfois ses prétentions ? Les causes en sont multiples, les unes | tenant à certains caractères de l'esprit germanique, les autres F de étant d'ordre politique. Dans maintes parties de la science, les principes essentiels _ une fois posés et les bonnes méthodes trouvées, les applications ne demandent que de la patience et du soin. Il est très désirable _ que de nombreux chercheurs, élèves et collaborateurs des … maîtres, travaillent sous leur direction et développent leurs RACE) Revue hebdomadaire, 18 novembre 1916. PICARD 10 sance allemande dans le passé et à prévoir notre avenir après. — 186 — idées. Les sujets d’études sont ainsi explorés dans tous les sens et l'effort de ces travailleurs patients augmente considérable- ment le rendement scientifique. L’Allemand, éminemment dis- cipliné, est très propre à ces travaux, en partie collectifs, qui remplissent les nombreux volumes publiés chaque année en Allemagne. Certes, ils ne présentent pas l’ordre et la clarté que … l'on trouve généralement dans nos livres français: les idées essentielles n’y sont pas mises en lumière, et certaines préten- tions philosophiques en rendent souvent la lecture pénible. Mais il faut reconnaître que leur nombre en impose et temeiene d'une forte organisation du travail scientifique. Quelque hommage toutefois que l'on soit disposé à rendre à un labeur méritoire, l'Allemagne n'aurait pas réussi à imposer l’idée de sa supériorité, si d’autres causes n'étaient intervenues. Il peut paraître étrange, même contradictoire à la notion de vérité, que des événements politiques et militaires influencent de quelque manière les jugements sur la valeur des œuvres intellectuelles. Et cependant, la science allemande bénéficia des victoires de 1870; de la supériorité militaire dans les années qui suivirent, plus d’un conclut à la supériorité dans tout autre ordre. Nos ennemis ne négligèrent rien d’ailleurs pour imposer la croyance à leur hégémonie. On ne se priva pas chez eux de” certains démarquages, opérations faciles pour des gens dont la franchise n’est pas la vertu maîtresse, et au besoin on oublia -les vrais constructeurs pour ne voir que ceux qui avaient apporté à l'édifice quelques achèvements; l’histoire des sci nces a des silénces parfois intentionnels. La science devint pour nos voisins un moyen de domination. Elle fut une marchandise qu'une organisation puissante et sans scrupules chercha à placer dans toutes le: parties du monde. Cette croisade, derrière laquelle se profilait la force militaire de l'empire, ne donna que trop de résultats, et partout s’étendit l'emprise scientifique de l'Allemagne. Il ne convient pas, en ce moment, de rechercher si nous n'avons pas nous-mêmes montré ici et là des engouements peu justifiés pour certaines méthodes d’outre-Rhin, et si nous ne noussommes pas laissé parfois envahir par les brumes de la pensée germa- nique. Le passé ne doit nous intéresser qu’en tant qu'il est sus- ceptible de préparer l'avenir. Il y a, dans les procédés de pro- pagande allemande, des choses que les nations ayant l'âme CITE NN L PIS PORPEENORPOLES CURE Cr 7 OURS H<’ 1% CA. été à de dt à PANES: EM 2 \ 7 ‘ plis fait Ge fine ee SNS RÉ an ci à ue germaniques. Certaines formes d’ enseignement propres à attirer les étrangers étaient aussi trop négligées chez nous. Quoique, dans ces dernières années, des progrès sérieux aient été réalisés, 1 nous avons encore beaucoup à faire dans G: . FA D les encyclopédies, les éllections relalves à tel ou tel ordre d’études contribuent prandement au dévelop- ni pement d’une librairie qui pouvait prétendre n’avoir pas de - rivales. Il est désirable que nos savants consentent davantage à écrire eux-mêmes des ouvrages d'enseignement et des mono- graphies « où seront exposés d'un point de vue élevé les résultats at d’une branche de la science. Du temps sera pris ainsi -_ sur leurs recherches personnelles, mais ce patriotisme scienti- os siy ose le dire, sera utile au pays, car ces ouvrages didac- _ tiques et ces larges synthèses trouveront au dehors des lecteurs, en même temps qu'ils pourront être ‘utiles à l’histoire des sciences. En ce qui concerne les recherches scientifiques de » nature plus originale, le caractère français ne se plierait pas à la sorte d’esclavage où se plaisent les travailleurs allemands. Nous | Jaïssons davantage l'esprit souffler où il veut. Cependant les _aeadémies et les sociétés savantes peuvent être extrêmement “utiles ; par la direction des travaux qu'elles provoquent et la … coordination des sujets de recherches proposés. Elles ont là un 26 rôle à jouer dont l'importance doit aller en grandissant. _ Nous ne devons pas envisager seulement la science du point _de vue de ceux qui la cultivent. IL convient de se demander £ ee est, à son égard, la mentalité générale dans notre pays. On y glorifie la science dans de beaux discours, mais cette haute _ estime reste souvent purement verbale. Que de questions d'ordre Scientifique et d'ordre technique ne devraient recevoir de solu- tions législatives ou administratives qu'après consultations préalables des compétences. Il semble qu'en France l’homme : cultivé, ne s'étant pas livré à des études spéciales, n'ait pas, en ù — 148 — général, une idée précise de ce qui constitue la méthode scienti- fique, méthode austère qui conduit lentement à quelques vérités partielles et qui ne permet que de loin les vastes synthèses. Ce n'est pas en entässant matières sur matières dans des pro- grammes démesurément étendus que l’on arrive à faire com-. prendre cette méthode, et à donner une vue nette et éducative sur l’objet et la valeur de la science. Des réformes, qui amène- ront d’ailleurs des allégements favorables aux études classiques s'imposent ici dans notre enseignement secondaire. Pour ne parler que des futurs industriels et hommes d’affaires, il en résultera de grands avantages, car les esprits ainsi formés auront plus tard, en la science, une confiance que n’ont pas toujours eue leurs devanciers et se rendront compte des améliorations qu’elle permet de réaliser. Au reste, la méthode scientifique trouve son application dans tous les domaines, génératrice de sages progrès et ennemie des chimères décevantes. Une distinction est faite souvent entre la science pure et la science appliquée. Au fond, il n’y a qu'une science, se proposant l’étude des phénomènes et recherchant leurs lois. Une distinc- tion plus exacte est à faire entre la science désintéressée, mani- festation de notre curiosité et honneur de l'esprit humain, et les applications pratiques et méthodiques de la science. La science désintéressée conservera toujours des fidèles, nous devons l’espérer, mais c’est vers les applications pratiques que l’accrois- sement nécessaire de nos industries et la réparation de tant de ruines orienteront après la guerre beaucoup de jeunes initia- tives. Si affaiblie que soit l’Allemagne après sa défaite, à quelques modifications politiques que l’obligent les traités de paix, qu'il subsiste une Allemagne ou des Allemagnes, nous aurons, nos alliés et nous, à soutenir dans les années qui vont venir une rude guerre économique. On peut déplorer, en philosop he et enartiste, cette course intensive à la production sans limites. Quelques- uns avaient pu espérer que les progrès de la technique scienti- fique permettraient un jour la diminution du travail matériel, laissant à l'humanité plus de temps pour son développement intellectuel et moral. La présence au centre de l'Europe d'un peuple de proie, contre lequel le monde devra encore se défendre, _ renvoie à d’autres temps la réalisation de ces rêves. Sous peine des dangers les plus redoutables, la recherche du rendement maximum s'imposera dans l’industrie et une analyse minu- é + [ Hall ir AAA nn ueË à me ce de PSE bé L ou EME N È à | rend: dire ess qu'ily abat en France, avant la guerre, une cloison étanche entre la science et l’industrie, et que nos 4 industriels, comme défiants d'eux-mêmes, se contentaient de * vivre au jour le jour sans chercher à accroître leurs productions. C’e est là un jugement bien sommaire, au moins pour quelques- unes de ños industries, qui ont depuis longtemps fait preuve % d'à initiative. Un exemple peu favorable, sur lequel on a insisté, | 5 est celui de certaines industries chimiques, celle des matières FES _colorantes notamment qui avait presque disparu de notre pays. _et qui, très développée en Allemagne, s’y est trouvée PIètÉ pour la fabrication des explosifs. Il y aura certes beaucoup à faire, maisilserait injuste d'oublier que la France a des savants tech- . niciens qui lui font honneur et sont appréciés à l'étranger comme . chez nous; leur nombre malheureusement est insufhisant. Quoi _ quil en soit d’ailleurs du passé, les industries nées à l’occasion de - la guerreont pris un développement qui fait l'admiration uni- _ verselle; elles témoignent de notre vitalité et autorisent pour Tavenir les plus grandes espérances. On doit toutefois se rappeler _ que le prix de revient n'intervient pas dans l’industrie de guerre _ et que les difficultés ouvrières sont à peu près inexistantes en ce - moment. Puisse une union sacrée continuer entre le- capital et le travail; elle est indispensable pour la prospérité du pays. Nous tions tout À l'heure de patriotisme scientifique. IL | faut souhaiter aussi que se développe une sorte de patriotisme - industriel; je veux dire que la coopération cordiale entre usines * concurrentes est nécessaire. Cette collaboration incessante a ” été, il faut le reconnaître, une grande force pour l’industrie alle- | mande, tandis que chez nous ne régnait pas toujours la même _ harmonie. _ Les rapprochements entre la science et l'industrie seront facilités par la mentalité nouvelle à l'égard de la scien‘e, que créera un enseignement secondaire convenablement modifié. | On doit aussi compter, pour favoriser la pénétration cherchée, sur des grands laboratoires de recherches scientifiques systéma- _ tiquement orientés vers l'étude des problèmes techniques. Les - travaux d'intérêt général exécutés dans ces laboratoires amènent des perfectionnements, dont tous peuvent profiter, dans les _ procédés industriels. Les modèles de ces institutions sont faciles établi près de Londres. De tels laboratoires manquent à peu près complétement: à notre pays. Nous n'avons fait qu'effleurer quelques-unes de sets relatives à la science et à l’industrie qui se posent dès mainte- nant. Si grand que soit le labeur que nous aurons à fournir après la guerre, personne ne peut douter que nous en soyons capables, | quand la France montre si héroïquement son désir de vivre. Nous aurons alors dépouillé cette mentalité de vaincus, qui, nous pouvons bien l'avouer maintenant, pesait lourdement sur nous depuis tant d'années et paralysait nos initiatives, Comme le disait récemment M. Briand à la Chambre des députés, nous n’oublierons pas dans nos statistiques cette énergie morale centuplée par la victoire obtenue pour une noble cause, Aux tristes jours que nous traversons succédera une ère glorieuse et | féconde, où les peuples civilisés, débarrassés du cauchemar ger-. manique, apporteront dans l’œuvre commune de l'humanité _ leurs qualités propres, sans qu'aucun prétende à une domina- tion qui ne pourrait que retarder la marche de la civilisation. = — —— _ L'HISTOIRE DES SCIENCES = PRÉTENTIONS DE LA SCIENCE ALLEMANDE (1) _ En parlant ici de la science, nous avons uniquement en vue = les sciences mathématiques, physiques et naturelles. Les admi- rables découvertes faites dans ces domaines depuis trois siècles - ont été souvent citées comme exemples des progrès de la civi- = Jisation. Mais il faut éviter de graves confusions. Parmi les progrès de la civilisation, entendue au sens le plus large-et le _ plus humain, figurent aussi les progrès de la moralité, et l'on _ ne doit. pas oublier que la science et la moralité sont loin de _ progresser de pair, l'accroissement de la connaissance scienti- = fique ne rendant pas nécessairement les hommes plus moraux. Ainsi le sentiment de l'honneur et le respect de la parole donnée 4 _ n'ont pas de commune mesure avec la connaissance des lois L: _ relatives à la cornpressibilité des gaz et à l’action des aimants . sur les courants électriques. Les sciences peuvent contribuer » au bonheur et au bien-être de l'humanité ainsi qu'au soulage- 4 Se ment de ses misères; mais elles sont aussi susceptibles de con- courir aux fins les plüs criminelles. Ces constatations sont banales; les événements actuels per- mettent seulement de les faire une fois de plus et dans des con- _ditions singulièrement étendues. Cependant, ceux qui croient ". moins à une influence profonde de la culture scientifique sur + ; _ la valeur morale aiment à penser que, au moins pour les savants _ qui la font progresser, la science est autre chose que l'outil de merveilleux service dont parlait Montaigne, et que l'habitude _ de la méditation constante sur ce que les Anglais appellent La _ Philosophie naturelle incline l'esprit à la sérénité et aussi à la modestie, car le savant, plus que tout autre, doit connaître la ce - (1) Revue des Deux-Mondes, 1° juillet 1915. — 152 — grandeur de nos ignorances. Il est triste de. le constater combien sont nombreuses en Allemagne les exceptions à cette mentalité du véritable homme de science. Quel étrange spectaclé que l’effroyable orgueil des savants d’outre-Rhin professant. que, là aussi, l’AHemagne est au-dessus de tout. La prétention de la science allemande à une supériorité uni- verselle est-elle fondée ? Il y a quelques mois, l’Académie_des sciences de Paris rappelait que les civilisations latine et anglo- saxonne sont celles qui ont produit depuis trois siècles la plupart des grands créateurs dans les sciences mathématiques, physiques et naturelles, ainsi que les auteurs des principales inventions du xix® siècle, sans oublier d’ailleurs les contributions apportées par des nationalités moins étendues. Nous nous proposons, en jetant un rapide coup d'œil sur l’histoire des sciences, de montrer que, effectivement, la plupart des contributions essen- tielles, tant théoriques que pratiques, n’appartiennent pas à des savants ou inventeurs allemands. Nous chercherons aussi à analyser les causes des prétentions de la science germanique; quelques-unes sont d’ordre philosophique, d’autres tiennent à une confusion entre le progrès réel de la science et l'accroisse- ment du rendement scientifique. Peut-être aura-t-on l’impres- sion que la part appôrtée par l'Allemagne est loin d’être en rapport avec le rôle qu’elle prétend jouer dans le monde. . A diverses reprises, l'Allemagne fut entièrement tributaire de la civilisation celto-latine. C’est ainsi que, dans l'antiquité, le Germain barbare est tributaire du Celte, et qu'aux xIIe et xIrIe siècles la civilisation germanique n’est qu'un prolonge- ment de la civilisation française (1). Au moyen âge, les grands centres d'enseignement se trouvaient en France, en Italie, en Angleterre, et les maîtres réputés de cette époque, qui sont d’origine allemande, comme Albert le Grand, ont étudié et enseigné en France et en Italie. Au xive siècle, comme il (!) Sur l’histoire de l'influence française en Allemagne, on consul- tera avec grand profit un livre remarquablement documenté de M. | Raynaud (Hachette, 1914). Ce livre a paru quelques mois avant la guerre REA k PRENOM NT CT MR PA z hésite des belles nes de M. het sur la science au moyen _ âge, il y eut, à l’Université de Paris, une vive réaction contre la 4 _ physique et la mécanique d’Aristote; à ce mouvement se rat- _ tache le nom de Buridan, dont les vues sur la dynamique con- tenaient en germe le principe moderne de la conservation de l'énergie. Presque tous ceux qui dissertent sur la mécanique Æ _sont, au xIve et au xv® siècle, des disciples de Buridan; au pre- _mier rang de ceux-ci figure Nicole Oresme, véritable précurseur . de Copernic, dont les idées sur le mouvement des corps célestes dépassaient de beaucoup son temps et qui devança en partie E- 2 _ Descartes dans la découverte de la géométrie analytique. Parmi . les savants du début du xvi® siècle, on doit compter Léonard s de Vinci, dont l’œuvre théorique se rattache d’ailleurs aux doc- _ trines de l'Université de Paris. Nous arrivons alors au grand - développement des mathématiques et de la physique à l'époque de la renaissance: Les noms de Copernic, Viète, Tycho-Brahé, - Stevin, Galilée tiennent une place considérable dans l’histoire _de l'astronomie, de l'algèbre, de la statique et de la dyna- - mique. Un seul nom allemand se présente ici à nous, mais un ES _des plus glorieux de l'astronomie, celui de Kepler, qui aban- donne les mouvements circulaires ou leurs combinaisons pour représenter les trajectoires des astres, et, utilisant les observa- É tions de Tycho-Prahé, découvre, après dix-huit années _de pénibles et laborieux calculs, les lois célèbres relatives aux os Aux XVIIe et xvIrIe siècles, nous trouvons un nouvel apogée ie l'influence française en Allemagne. Dans l'histoire des . sciences mathématiques et physiques, la France et l’Angle- _ terre tiennent alors sans conteste la première place. On a beau- coup écrit sur la priorité de Newton et Leibniz comme inven- teurs du calcul infinitésimal. La question des algorithmes em- _ ployés par ces deux grands géomètres est certes de grande importance, mais il ne faut pas oublier le mot si juste de Lagrange dans son calcul des fonctions. « On peut regarder - Fermat comme le premier inventeur des nouveaux calculs. » . Les deux mémoires sur la théorie de maximis et minimis et des tangentes établissent en effet les droits incontestables du con- _ seiller au parlement de Toulouse à l'invention du calcul infini- _tésimal. De quelques vues isolées et trop spéciales sur l'algèbre géo- Fa — 154 — métrique, qui remontaient aux Grecs, Descartes fait une doc- trine, la géométrie analytique, et il apporte à la théorie des équations algébriques des contributions importantes. On a cherché parfois à rabaisser le rôle de Descartes en mécanique. C’est oublier qu'il a le premier énoncé la loi d'inertie sous une forme précise. Il a aussi introduit une idée capitale dans la science en affirmant que, dans un système isolé, comme nous dirions aujourd’hui, il y a quelque fonction des masses et des vitesses qui demeure constante. Descartes se trompe en envi- sageant à ce sujet les quantités de mouvement, tandis qu'il faut considérer les projections sur une droite de ces quantités, et Leibniz, qui critique justement Descartes, paraît: être le premier à avoir envisagé la combinaison de la masse et de la vitesse représentant la force vive; il n’en reste pas moins que, en-mécanique comme en philosophie, Leibniz est un disciple de Descartes. On sait de plus que le grand philosophe allemand séjourna longtemps à Paris et y subit l'influence de l'illustre hollandais Huyghens, qui avait créé la dynamique des forces variables, et, dans ses études sur le pendule composé, avait fait en réalité, pour la première fois, une application du théorème des forces vives au mouvement d'un système matériel. Les temps étaient mûrs pour que le génie de- Newton püût poser définitivement les principes de la dynamique et faire de ceux-ci l’admirable application qui a rendu son nom célèbre, en écrivant, dans son livre des Principes mathématiques de la Philosophie naturelle, le premier chapitre de la mécanique céleste. Après cette période d’induction, vient une période déductive où -le développement mathématique joue un rôle essentiel, période à laquelle se rattachent surtout les travaux de d’Alem- bert et de Lagrange. Les applications viennent alors nombreuses. Quelle riche moisson en astronomie théorique nous rappellent les noms de Clairaut, de d’Alembert, de Lagrange, de Laplace. Newton mis à part et hors rang, on peut dire que la mécanique céleste est une science presque uniquement française, avec les grands géomètres que nous venons de citer et auxquels, en continuant jusqu’à nos jours, il faut joindre ceux de Poisson, de Cauchy, de Le Verrier, et de Henri Poincaré. Je n'ai garde d'oublier le Suisse Euler, qui fut un des grands analystes de la seconde moitié du xvirre siècle, et l'Allemand Gauss, illustre dans tant d’autres domaines; si grande que soit leur œuvre astrono- TT NE EP mique, elle ne renferme cependant pas, en mécanique céleste, des découvertes aussi capitales que celles d’un Lagrange ou _ Je ne puis insister ici sur le domaine abstrait des mathéma- ue pendant le. xixe siècle. Il faut citer cependant, parmi ceux qui ont ouvert les voies les plus fécondes, Cauchy, Galois, Gauss, Abel et Fourier. Le premier, en créant la théorie des fonctions de variables complexes, a donné une vaux les plus modernes relèvent de lui; c'est ce qu'on oublie souvent en Allemagne. On doit les notions les plus essentielles sur la théorie des groupes à Galois, qui en a fait d’admirables applications à la théorie des équations algébriques, et ces _ notions ont pu être transportées plus tard en analyse. Le - nom de Gauss, à qui la géométrie infinitésimale doit de grands _ progrès, domine surtout la théorie moderne des nombres, déjà _ explorée avant lui avec éclat par Fermat, Lagrange et Legendre. à Cette science du discontinu, si difficile pour nos esprits habitués _ parles phénomènes naturels à l’idée de continuité, a été souvent - appelée la veine des mathématiques; ce fut plus tard un des _ grands mérites d'Hermite d'introduire le continu dans cer- _ taines questions d’arithmétique supérieure. Les travaux sur les fonctions elliptiques et sur des transcendantes plus générales > ont rendu célèbre le nom du Norvégien Abel. Quant à Fourier, _ son ouvrage sur la théorie analytique de la chaleur a fait époque en physique mathématique: il contient le germe des méthodes : 2 _ employées dans l’étude des équations différentielles auxquelles conduisent de nombreuses théories physiques, et les séries qui portent le nom de Fourier ont fait l’objet d'immenses générali- + aus l’astronomie d'observation, on trouve, pour les temps ose. les véritables pionniers dans les pays latins ou anglo- _ saxons. Sans remonter jusqu'à Galilée, indiquons seulement , parmi les fondateurs de cette branche si captivante de la à science : Bradley, qui découvrit l’aberration, d’après laquelle 3 pehaque étoile semble décrire annuellement une très petite + ellipse, et la nutation, qui est une oscillation de l'axe terrestre - d'environ 18 ans, puis l’infatigable observateur que fut William Herschell, dont les puissants télescopes sondèrent avec tant de succès les profondeurs du ciel, et à qui l’on doit la découverte … vie nouvelle à l'analyse mathématique, et, en ce sens, les tra-- [sde tie TT de la translation du système solaire. Nous pouvons rattacher à notre pays le Danois Roemer, qui séjourna longtemps en France et à qui l'observation des satellites de Jupiter révéla que la lumière a une vitesse finie. Le nom de l’astronome alle- mand Bessel doit être rappelé ici pour ses travaux sur les étoiles . doubles et sur la mesure de la parallaxe d’une étoile de la cons- tellation du Cygne, ce qui faisait connaître, pour la première fois, la distance d’une étoile à la Terre. Dans le monde plus lointain encore des nébuleuses, l’astronome anglais Huggins ouvre une voie nouvelle par ses observations sur les nébuleuses planétaires; il mesure aussi le premier la vitesse avec laquelle une étoile s'éloigne ou se rapproche de la Terre. ” En physique générale, deux principes dominent l'énergé- tique. Sous leur forme thermodynamique primitive, le prernier principe, ou principe de l’équivalence de la chaleur et du travail, est attribué généralement au médecin allemand Robert Mayer à le second, concernant la dégradation de l'énergie, est le principe de Carnot. Toutefois l’histoire du premier principe serait à réviser. Tout d’abord les expériences de Rumford sur l’échaufie- ment produit dans le forage des canons conduisaient à l’idée de l’équivalence de la chaleur et du travail, et il en est de même des expériences de Davy sur le frottement l’un contre l’autre de deux morceaux de glace. Mais c’est dans l'ouvrage publié sur les chemins de fer par Seguin, l'inventeur des chaudières tubu- laires, en 1830, c’est-à-dire quatre ans avant le travail de Mayer, que l’on rencontre des vues précises sur le premier ‘principe de la thermodynamique, et même un calcul sur l'équivalent mécanique de la chaleur présentant une grande analogie avec celui du médecin allemand. De plus, dix ans auparavant, Carnot, modifiant ses vues sur le calorique, avait nettement indiqué le premier principe dans des notes trouvées après Sa mort Sur- venue en 1832, mais qui ne furent publiées que longtemps après. Il est donc légitime de regarder Sadi Carnot (qui était le fils | aîné de Lazare Carnot) comme le créateur de la thermodyna- mique. En fait, comme l’a dit un bon juge, Lord Kelvin, dans toute l'étendue du domaine des sciences, il n’y a rien de plus grand que l’œuvre de Sadi Carnot. Il faut placer très haut Joule, Clausius et Helmholtz, mais Carnot les domine tous. En optique, Young et surtout Fresnel développent avec éclat l'optique ondulatoire entrevue par Huyghens. Quel merveilleux | … . Dans histoire de l'électricité, l'Italie, la France, É AA tiennent le premier rang avec Volta construisant la pile élec- triqué, avec Ampère trouvant. les lois de l’action des courants "sur les courants, avec Faraday découvrant l'induction élec- trique. Plus récemment, le génie de Maxwell fonde l électro- “optique; grâce à lui, les phénomènes électriques et les phéno- _-mènes lumineux ne nous apparaissent plus comme deux mondes E distincts. Dans l'étude des nouveaux rayonnements, rayons en cathodiques, rayons de Becquerel et autres, la part des physi- E . ciens anglais et français est prépondérante. La découverte du Eee radium par Curie nous a montré la matière dans des conditions + d’instabilité jusque-là insoupçonnées. Seul le chapitre des : ice X ou rayons de Rôntgen fut ouvert en Allemagne. Dans la fondation de la chimie moderne, Lavoisier occupe “une place à part. Un grand nombre de faits avaient été accu- RTS _ depuis un siècle, et la découverte des principaux gaz, fratne, oxygène, azote, chlore, venait d’être effectuée par Fes Anglais Cavendish et Priestley, et le Suédois Scheele. Lavoi- É sier prend Tous ces résultats antérieurs comme point de départ É _ de ses expériences, et, en les interprétant convenablement, il : constitue la chimie moderne. Sa manière d’envisager la com- - buüstion en général constitue une véritable révolution scien- Liane. Après lui Dalton, Humphry Davy, Berzélius, Gay- … Lussac, Dumas, Gerhardt ont été de grands créateurs. Aux …—. chimistes allemands Richter et Wenzel se rattache la doctrine _ des équivalents chimiques, tandis que la théorie atomique pro- : _prement dite, dont la fécondité est si grande, trouve son origine “ dans les travaux de Dalton et dans ceux de Gay-Lussac. Les conceptions si simples de Haüy sur la matière cristallisée lui … font découvrir les lois fondamentales de la cristallographie. > La mécanique chimique et la chimie physique relèvent de - Ia statique chimique de Berthollet qui a montré que, dans les - réactions chimiques, il faut tenir compte des conditions phy- - siques.. Dulong montrait ensuite que, dans la décomposition É sels, peut intervenir la masse des réactifs. Puis viennent — 158 — RU ME 2 les travaux de Berthelot, sur l’éthérification et de Sainte-Claire Deville et de ses élèves sur la dissociation. Les notions ainsi acquises d'équilibre chimique et de transformation réversible ont été, depuis lors, l'objet d’un nombre immense de recherches, où l'Allemagne a apporté sa part, mais n’a pas en somme intro- : duit les idées essentielles. La mécanique chimique et la chimie physique ont trouvé leur plus grand théoricien dans l’Américaïn Willard Gibbs qui, dès 1873, faisait connaître des résultats généraux sur les équilibres chimiques et sur la dissociation, retrouvés depuis, de divers côtés, par une voie indépendante. Dans les sciences naturelles, l’orientation des recherches a été. changée depuis Lamarck et Darwin. La biologie tout entière est dominée aujourd’hui par l’idée d'évolution, idée qui fut d’ailleurs un ferment puissant dans d’autres domaines, comme la philo- sophie et l’histoire. Lavoisier doit être compté parrni les grands physiologistes; il a le premier assimilé la respiration pulmo- naire à une combustion. Bichat a fondé l'anatomie générale et a été le créateur de la science des tissus. On a pu dire de Claude Bernard qu’il fut la physiologie elle-même; c’est surtout à lui que la physiologie est redevable de la démonstration de la - nature physico-chimique des actes élémentaires de l'organisme; et un de ses plus beaux titres de gloire est d’avoir créé la physio= logie cellulaire, base principale de la physiologie générale. Ia été aussi l’initiateur de la doctrine des sécrétions internes dont Brown-Sequard montra ensuite la véritable portée, et ses tra- vaux pathologiques ont apporté une large “contribution au développement de la médecine expérimentale. L'œuvre de Cuvier est immense: ses trois grands ouvrages sur l'anatomie comparée, sur les ossements fossiles, et sur la distribution du règne animal d'après son orgamsation ont trans: : formé les sciences zoologiques. Le souvenir est resté des débats célèbres entre Cuvier et un autre grand naturaliste du siècle dernier, Geoffroy Saint-Hilaire, qui fonda l’embryogénie. Un. peu plus tard, en Allemagne, l’embryologie comparée se déve- loppe avec von Baer, et Schwann établit la théorie cellulaire Dans certaines sciences spéciales, comme l’histologie et la cytologie, à la suite d'observations fondamentales faites ailleurs, des progrès importants sont réalisés en Allemagne, grâce à … l'excellence des techniques et au nombre considérable des cher- cheurs. de ceux dé dark de Darwin, et de Clarde Bernard. Ses ravaux Sur les fermentations ont orienté la biologie dans des ments indéfinis. Les perfectionnements apportés en Allemagne “aux méthodes de culture microbienne ont permis de faire de _ trés intéressantes découvertes, mais les idées et les faits essen- ; tiels apportés depuis Pasteur dans le domaine auquel se rattache le nom de ce grand bienfaiteur de l'humanité, tels que la phago- cytose, la bactériolyse et l’hémolyse, l’anaphylaxie, sont dus à - des savants russe, belge, français. “ On voit assez, par l'historique rapide qui précède, combien e peu la science allemande est fondée à prétendre à l’hégémonie voies inattendues et son-œuvre a, en médecine, des prolonge- É pneu Si important qu’'ait été l'apport de l'Allemagne, | nous ne sommes pas injuste en constatant que les grandes idées | directrices sont le plus souvent venues d’ailleurs. L'Allemagne _ sans doute a eu des chercheurs de génie, et personne ne se don- _nera le ridicule de vouloir diminuer un Gauss, un Clausius, un J | Kirchhof o ou un Helmholtz; mais il fut une singulière complai- _ sance pour croire que l'Allemagne tient le premier rang dans les ne, ire fondamentales qui ont depuis trois siècles con- tribué à la formation de la science moderne. II. 7 D nent de del ho Est-il possible de toute ne ÉASORE à oetfe croyance de tant de cerveaux germains F2 par son Dieu de diriger le monde, donne une explication - d'ordre général, mais il importe d'indiquer des raisons plus particulières. _” Onest constamment frappé, en lisant les livres et mémoires . des auteurs allemands, de leurs prodigieuse incapacité à mettre en lumière les idées essentielles. Les détails accessoires et les À ces importants sont traités avec la même ampleur, et le lec- _ teur chemine péniblement sans savoir où il va. Il y a là tout — 160 — d’abord une incapacité de rédaction qui nous choque et rend pénible la lecture de ces travaux, quelle que soit leur valeur intrinsèque, Souvent, même chez les plus illustres, les idées directrices restent obscures, peut-être à desséin. Tel Gauss dans ses recherches profondes sur la théorie des nombres, . dont plus d’un passage constitue une énigme à déchiffrer. Il en est de même chez Weierstrass, puissant penseur mathé- matique assurément, mais qui semble craindre de montrer à ses lecteurs de trop vastes horizons et les conduit en tenant une lanterne sourde. Avec quel plaisir on revient, après la lecture d’un texte scientifique allemand, au mémoire clair et lumi- neux d’un Lagrange, au livre d’un J.-B. Dumas ou d’un Claude Bernard ! Je n'ose décider dans quelle mesure la langue alle- mande contribue aux défauts signalés plus haut. Il se peut que la formation de mots composés, où le rapport entre les compo- sants est si mal défini, joue là un certain rôle; il est étrange, en tout cas, que, depuis Fichte, les Allemands trouvent dans cette agglutination un signe de supériorité, mais nous devons nous incliner, la langue allemande étant, d’après ce célèbre philo- sophe, une langue mère (Muttersprache), tandis que les langues néo-latines sont des langues dérivées et, par suite, inférieures. D'une manière plus générale, dans un ensemble un“peu vaste, l'Allemand juge mal de l'importance relative des questions. C’est ce qu'on ne voit que trop dans les encyclopédies et les résumés pour lesquels il a tant de prédilection, et dont plus d’un fausse l’histoire dés sciences dans l'esprit de ceux qui leur accordent toute confiance. Bien entendu, ces sortes d'ouvrages ont fréquemment le souci de glorifier la science allemande, mais, même quand ils sont faits avec impartialité, ils sont souvent inutilisables, confondant dans une même citation des mémoires fondamentaux souvent très courts et de longues dissertations qui n’ont pas amené un progrès réel. Ce défaut dans l’estima- tion de la valeur scientifique a conduit à apprécier la quantité aux dépens de la qualité, et l'Allemagne étant, sans conteste, le pays où les presses des imprimeries scientifiques travaillent le plus, la science allemande s’est estimée au-dessus de tout. La difficulté à juger de l'importance réelle des problèmes fait parfois attacher un grand prix à des questions purement formelles sans intérêt pour le fond. Par un simple changement i E CS dans les étéments de l’ aithnétique. On sait qu'il existe des ‘2 nombres incommensurables, c’est-à-dire des nombres qui ne - peuvent s'exprimer par le rapport des deux nombres entiers. Le fait est connu depuis les pythagoriciens, qui démontrèrent Le que le rapport entre le côté d’un carré et sa diagonale était incommensurable. Ce fut même pour eux un grand scandale, car ils professaient qu’il existe un atome de longueur, ce qui . entraînait la commensurabilité du rapport de deux longueurs Ë quelconques. A lire certains traités allemands d’arithmétique, - il semblerait que personne n’ait jamais rien compris aux incom- . mensurables avant que tel géomètre allemand contemporain - eût fait une longue exposition de la question déjà traitée en ses _ points essentiels dans d’anciens livres d’arithmétique. Nous _ trouvons là un exemple de cette manie de ratiociner et de rendre - obscures les choses claires, qui est une des caractéristiques du 2: pédantisme germanique. _ Avec les particularités de l'esprit allemand que nous venons de signaler, on ne sera pas étonné de la façon dont est souvent traitée l'histoire des sciences de l’autre côté du Rhin. J'ai déjà _ dit qu'en Allemagne on ne rendait pas à notre grand géomètre … Cauchy la justice qui lui est due; je pourrais faire la même remarque pour les théorèmes généraux de Liouville et d'Hermite += sur les fonctions doublement périodiques, que l'on rattache, sans les citer, aux travaux de Weierstrass, et le moinent | LR où le nom de Henri Poincaré passera au. second rang dans l’histoire des fonctions fuchsiennes qui sont une de ses plus belles créations. Dans un autre ordre d'idées, on sait que, pen- dant longtemps, la géodésie a été une science essentiellement - française; dès le xvrie siècle, des mesures d’arc de méridien furent exécutées en France, et c’est chez nous que fut établi le Je système métrique. Des opérations géodésiques de plus en plus précises ont été faites depuis dans de nombreux pays, et cette science spéciale a pris un caractère international; mais ce n’est _ pas une raison pour en oublier l’histoire, comme on le fait souvent en Allemagne, ni POSE chercher à accaparer les travaux faits ailleurs. Lavoisier est, pour la grande majorité des chimistes, le fon- _dateur de la chimie moderne. Il en va autrement en A HemaEns PICARD : 11 — 162 — où l’on cherche à diminuer son rôle. On insiste d’abord sur ce . qu'il n’a pe découvert les principaux gaz de la chimie pneuma- tique; ce à quoi il n’a jamais prétendu, quoiqu’un chimiste alle- mand, trop célèbre depuis quelques mois, affirme que, Priestley ayant fait part à Lavoisier de sa découverte de l'oxygène, le chimiste français publia alors un mémoire. où il s’attribuait - l'honneur de la découverte de ce gaz. L'édification de la théorie de la combustion est le grand titre de gloire de Lavoisier. Or, la théorie du phlogistique de Stahl, écrit-on, avait déjà résolu ce qu'il y avait d'essentiel, en montrant qu'il S'agissait de phéno- mènes généraux et réciproques, combustion et régénération ou . oxydation et réduction; elle avait offert en outre un excellent guide à des expérimentateurs comme Scheele et Priestley. En fait, ajoute-t-on, on passe de la théorie de Stahl à celle de Lavoisier par une simple transposition et un peu plus on remar- . querait, en employant le langage de l'algèbre et donnant le signe moins au phlogistique, qu’il est équivalent de retrancher une quantité négative ou d'ajouter une quantité positive. Outre le désir de diminuer un savant français, il y a dans ces vues un produit d'une mentalité philosophique très répandue chez nos voisins, dont nous parlerons tout à l'heure. < Nous avons dit plus haut que les travaux de Henri Sainte- Claire Deville sur la dissociation sont fondamentaux dans l'histoire de la physico-chimie: ils offrent de nombreux exemples de ces équilibres réversibles qui jouent un si grand rôle dans la “chimie actuelle. Aussi est-ce avèc quelque étonnement que, . dans des œuvres de vulgarisation estimées, on ne rencontre pas le ncm Ge Deville. Il est souverainement injuste d'oublier le rôle des chimistes français dans la fondation de la chimie | physique, que maintenant l'Allemagne voudrait faire passer pour une de ses créations. Que d'idées nouvelles alors furent © à ce sujet émises chez nous, depuis les temps déjà lointains (1839) où Gay-Lussac comparait le phénomène de la dissolu- tion à celui de la formation des vapeurs, et où‘ un chimiste. £ français écrivait (1£70) que la force osmotique est l’analogue * de la force élastique des vapeurs. On sait que la découvérte d'une membrane semi-perméable par un botaniste allemand permit plus tard au Hollandais Van’t Hoff de faire ses expé- « riences sur l’osmose. L'histoire des sciencés est: singulièrement difficile à écrire. É rencontre aieop de us attributions et de silences is intentionnels; il faut une grande sagacité et des re- s auentes pour retrouver les premières traces d'une ici i nécessaire pour éviter deux écueils. Une constatation due à un pur. hasard, inconsciente en quelque sorte, ne doit pas être mise sur le même rang qu ‘une découverte amenée par un ÈS heureux pressentiment qu'on pourrait appeler le sens du vrai et par des déductions bien liées. Un illustre physicien, mort il RE a une vingtaine d'années, avait coutume de distinguer à ce : ; sujet entre les trouvailles et les découvertes. Ilimporte, en second. ; lieu, que les revêtements donnés à tel ou tel chapitre de la science ne fassent pas oublier les vrais constructeurs pour ne voir que Jui qui a apporté à l'édifice les derniers achèvements; un nain Sn “plane: sur la tête d un géant peut apercevoir des horizons plus. E. étendus, mais il a, à cela, peu de mérite. Le. - rables travaux de Berthelot sur les synthèses, parce qu'une où _ deux synthèses organiques avaient été effectuées avant lui, dont celle de l’urée par Wohler, en 1829, n’est pas douteuse. Mais la distance est immense entre un fait particulier qui ne se rat- tachait à à aucune idée générale et les vues profondes du chi- s _ miste français, systématiquement poursuivies. A l'opposé, le nom de Pasteur n’est pas cité dans certains Cours de bactériologie, et les Allemands aiment à remplacer son s nom par celui de Koch. Certes, celui-ci fut un chercheur patient et sagace, qui débuta brillamment par la découverte des spores dela bactéridie charbonneuse, et les bactériologistes lui doivent d'excellents outils de travail, comme la méthode- des. cultures Sur milieux solides ét de nouveaux procédés de coloration, Æ ire qui lui permirent de découvrir le bacille tubercu- Jeux, agent de la redoutable maladie dont le médecin français Villemin avait, dès 1865, montré la nature contagieuse, et le bacille virgule, cause du choléra asiatique. Mais, quelque inté- ressant que soit le rôle de Koch dans la bactériologie médicale, - ses travaux ne sont venus qu'après ceux de Pasteur sur les _fermentations, et il n’a pas été un initiateur. __ Méfions-nous donc des renseignements que nous donnent A les Allemands sur l’histoire des sciences. Ils manquent trop de. __ finesse pour lui apporter une contribution d’une indiscutable = On. a quelquefois cherché à diminuer l'importance des admi- 2 — 16% — valeur, et leur orgueil prodigieux vicie d'avance une partie de leurs conclusions. Il semble que nous ne puissions pas, en France, nous adresser le reproche d'oublier les publications alle- mandes. Peut-être le reproche inverse serait-il plus fondé. Nous avons souvent montré des engouements peu justifiés pour cer- taines méthodes d’outre-Rhin, consacrant par nos éloges des travaux de second et de troisième ordre. Assurément, ces admi- rations, au moins exagérées, n’ont pas été aussi regrettables ni aussi dangereuses dans l’ordre proprement scientifique qu’en histoire et en philosophie, mais elles risquaient à la longue de nous faire perdre quelques-unes des traditions scientifiques auxquelles nous devons le plus tenir, et nous devrons reviser quelques-uns de nos jugements. Ce sera la tâche de demain. III. Demandons-nous maintenant s'il n’y aurait pas quelque différence entre la mentalité moyenne de l’homme de science en Allemagne et dans la plupart des autres pays. Une telle diffé- : rence me paraît réelle et est d'ordre philosophique. Quelle est, - en général, toutes exceptions réservées, la position des savants dans les pays latins et anglo-saxons par exemple, par rapport aux problèmes philosophiques, principalement parmi les savants adonnés aux sciences de la nature, physiciens, chimistes et biologistes? On peut dire qu'ils s’en désintéressent en tant que savants; en particulier, les discussions chères aux écoles philosophiques de tous les temps sur le réel et le vrai leur semblent oiseuses. Satisfait du sens commun, notre savant pose tout d’abord le postulat que le monde qui nous entoure est accessible à nos recherches et qu’il doit être intelligible pour nous ; il croit à la science à laquelle il consacre parfois sa vie, et il se méfie des critiques subtiles qui n’ont jamais conduit à des découvertes effectives; il estime qu’il est sans intérêt de s'arrêter sur les inextricables difficultés que présentent les notions les plus simples et les plus usuelles quand on veut les ‘approfondir et qui restent sans réponses, du moins sans réponses acceptées de tous. Claude Bernard disait, il y a longtemps, que, pour faire la science, il faut croire à la science; c’est là, incontes- tablement, pour celui qui cherche à faire œuvre scientifique, = 10 … un Fr de départ, et non un point d'arrivée. Il existe aujour- d’hui une mentalité scientifique moyenne, caractérisée par l'admission des postulats énoncés plus haut, et l’écho de dis- cussions, qui ont parfois laissé l’impression qu'il y avait une - crise de la science, n’est pas sans provoquer quelque impatience .- dans nos laboratoires. Nous avons dit tout à l’heure que le point de départ de la science est dans le sens commun. La première affirmation du sens commun est sans doute celle de l’existence d'objets exté- _ rieurs à notre conscience: c’est un point dont, en général, un physicien, ou un chimiste ne doute pas, si compliquée que puisse lui paraître l’idée de matière. Il ne s’embarrasse pas non plus des nombreuses théories de la perception et croit naï- vement n'avoir aucune difficulté à atteindre les données immé- diates de la conscience. Quand on parle de sens commun, il s’agit des époques histo- riques et des peuples civilisés. Ce sens commun a eu probable- ment son histoire. Il est possible que, dans l'humanité, de très anciennes façons de penser aient survécu, malgré tous les chan- gements postérieurs survenus dans les conditions des hommes, et l'on peut soutenir la thèse que nos conceptions fondamentales sur les choses sont des découvertes résultant d'observations et _ d'expériences inconscientes faites par certains de nos ancêtres à des époques extrêmement éloignées, et qui ont réussi à se maintenir à travers les siècles postérieurs. Ces conceptions _ forment le stade du sens commun. Ainsi auraient pris nais- - sance les concepts de chose, de temps, d'espace, d'influences causales, de réel, et de bien d’autres suivant lesquels continue à penser tout homme qui n’est pas atteint de crise métaphysique ou de scepticisme aigu. La notion du réel notamment a été len- tement acquise par une suite innombrable d'expériences; elle n’est pas d’ailleurs seulement individuelle, mais a une significa- tion sociale, en ce qu’elle exige un consensus universel dans une humanité moyenne, pouvant être différente pour les fous et les hommes d’esprit sain. C'est donc en partant du sens commun, devenu le moule dans lequel évolue la pensée humaine, que s’est développée la science. Aussi a-t-on pu dire très justement que la science était le pro- longement du sens commun, la connaissance scientifique n’étant pas en nature différente de la connaissance vulgaire, ce qui — 166 — n'exclut pas que la science puisse de loin en loin rectifier le sens commun. Parmi les données du sens commun, nous avons déjà mentionné la notion du réel, dont la connaissance a pu avoir primitivement une valeur d'utilité, l’utile et le vrai s'étant trouvés voisins dans ce stade inférieur. Quoi qu’il en soit de cette question d’origine, la science a commencé précisément quand ce premier stade a été dépassé, et qu'on s'est repré- senté le monde extérieur comme un tout cohérent, accessible à notre intelligence; c’est le premier -article du credo scientifique dont je parlais plus haut. Sans doute ce tout est d'une cfftoyable complication; il a fallu abstraire certains éléments pour n ‘en conserver que quelques-uns, mais sans perdre de vue le contact des choses. Le sens commun, qui contient le sens du réel, a pour terme ultime et complètement élaboré le bon sens que Descartes regardait comme la chose du monde la mieux par- tagée, et qui nous conduit à bien juger et à distinguer le vrai d’avec le faux. Rappelons aussi le rôle qu’a dû jouer dans l’éla- boration du sens commun le principe de simplicité; il y a là une notion aussi féconde que vague, par laquelle nous nous laissons guider, et qui tend à produire en nous un sentiment de certi-, tude. Je viens d'essayer de caractériser la mentalité moyenne de l’homme de science qui croit saisir et étudier le réel. Ce tableau s'applique-t-il complètement aux savants allemands ? Il semble que non, au moins pour ceux d’entre eux, assez nombreux, qui restent imprégnés de subjectivisme kantien. On sait que Kant, dans la Critique de la raison pure, reprend sous une forme plus précise les vieilles allégations des sophistes grecs, d'après lesquelles « l’homme est la mesure de toutes choses, de celles qui sont en tant qu’elles sont et de celles qui ne sont pas en tant qu’elles ne sont pas », comme disait Protagoras. D'après le philosophe de Kænigsberg, nous ne voyons les choses qu'à travers les formes de notre sensibilité et les catégories de notre entendement. Ces écrans interposés et, dans une certaine -mesure, arbitraires, comme le montre le développement de divers systèmes dérivés plus ou moins directement du kantisme, peuvent troubler singulièrement notre notion du réel et du vrai, telle que nous l’avons envisagée plus haut en partant du sens commun. Quelques-uns en sont ainsi arrivés à regarder la. vérité non comme une découverte, mais comme une invention. Il y a là, [a au point de vue scientifique, quelque chose de très dan- Kant lui-même, très peu au courant des éléments des mathé- * matiques et des études faites déjà de son temps sur les principes * de la géométrie, fut singulièrement/malheureux quand il fit à la À . géométrie l'application de ses idées philosophiques. Pour lui, l’espace est seulement une forme.a priori de notre intuition exté- #4 E rieure. Il est difficile de souscrire à cette affirmation depuis que sk géomètre russe Lobatschewsky a prouvé que notre entende- Le -ment peut concevoir un nombre indéfini d'espaces caractérisés *< chacun par une constante spatiale. T1 n’y a pas en géométrie de ; jugements synthétiques a priori, et Euclide était mieux inspiré que Kant en parlant de postulats. Quelques-uns de ces pos- . tulats sont en accord avec les expériences faites lentement par l’homme à travers les âges. Il est impossible de séparer l’acqui- _Sition des notions géométriques et celle des notions physiques - les plus simples, la géométrie, dans des temps très anciens, ayant = fait partie de la physique. Sans changer l’ensemble de ces notions, on ne peut remplacer la géométrie euclidienne par une _ : autre géométrie et c’est un pur jeu d’esprit d'imaginer un homme _ transporté subitement dans un autre milieu, où, n'étant pas Por il commencerait sans doute par mourir. Nous retom- - bons ainsi sur le point de vue du sens commun, tel qu’il a été . envisagé plus haut. Nous devons alors regarder comme un fait * expérimental que la constante spatiale, figurant dans les géo- = = métries non euclidiennes (la courbure de l’ espace), a une valeur nulle: en ce sens, le système euclidien est plus vrai que les autres systèmes géométriques. C'était aussi, je dois le dire, le % point de vue du géomètre -allemand Gauss, dont nous avons _ déjà prononcé le nom à plusieurs reprises, et qui était arrivé de son côté, mais sans les publier, aux résultats de Lobat- schewsky sur les géométries non euclidiennes. _ C’est une tendance de la science allemande de poser a priort = des notions et des concepts, et d’en suivre indéfiniment les — conséquences, sans se soucier de leur accord avec le réel, et même en prenant plaisir à s'éloigner du sens commun. Que de travaux sur les géométries les plus bizarres et les symbolismes les-plus étranges pourraient être cités; ce sont des exercices de logique formelle, où n’apparäît aucun souci de distinguer ce qui _ pourra être utile au développement ultérieur de la science ma- Dre #5 BAS, pe thématique. Car il en est dans les mathématiques pures comme dans les sciences de la nature. Il y a des études qui ne se pré- sentent pas comme arbitraires, et dont le mathématicien doué de quelque pénétration devine l'intérêt pour la solution de pro- blèmes posés depuis longtemps ou se présentant naturellement; il y a comme une sorte de réalité mathématique, dont Hermite parlait un jour dans un très beau langage, où, à côté d’une vue réaliste au sens de la scolastique, apparaît le souci du contact de la mathématique avec le réel, quand il disait : « Il existe, si je ne me trompe, tout un monde qui est l’ensemble des vérités mathématiques, dans lequel nous n’avons accès que par l’intel* ligence, comme existe le monde des réalités physiques; l’un et l’autre indépendants de nous, tous deux de création divine, qui ne semblent distincts qu’à cause de la faiblesse de notre esprit, ; qui ne sont pour une pensée plus puissante qu’une seule et même chose, et dont la synthèse se révèle partiellement dans cette merveilleuse correspondance entre les mathématiques abstraites d’une part, l'astronomie et toutes les branches de la physique de l'autre. » . Des observations analogues s'appliquent aux sciences physiques et biclogiques. Il y a quelque parenté entre le criti- ‘cisme kantien et une sorte d'indifférence avec laquelle plu- sieufs, quoi qu'ils en aient, ont envisagé le rôle des théories physiques. C’est ainsi, nous en avons déjà parlé plus haut, que l'on s’est attardé au principe vague du phlogistique, en le douant au besoin d’une pesanteur négative, la théorie de Lavoisier apparaissant comme une transposition plus.ou moins indiffé- rente de celle de Stahl. Le besoin de poser quelque chose 4 priori procède essentiellement de Kant. Celui-ci ne déclarait-il pas que la science de la nature ne mérite ce nom que lorsqu'elle traite son objet entièrement.d’après des principes a priori. Ainsi, en physique, des expériences en petit nombre, quelquefois contes- tables, conduisent à poser des principes dépassant tellement, par leur généralité, les faits dont on est parti qu'on peut les qualifier d’a priori; on en déroule impitoyablement les consé-- quences sans se soucier de les confronter avec la réalité ou sans pouvoir le faire. Prenons comme exemple de cet esprit de ve une ques- tion qui occupe beaucoup les physiciens-géomètres depuis : quelques années, celle de la relativité. D’après ce qu'on appelle ‘ ’ ee eine en physique le principe de relativité, aucune expé- _ rience, optique ou électrique, faite à la surface de la Terre ne rmet de mettre en évidence le mouvement de translation de 74 Celle On généralise ainsi les résultats de trois expériences 7e négatives faites en Amérique et en Angleterre. Si l’on se reporte alors aux équations générales de l’électrodynamique actuelle- - ment admises, on est conduit à d’étranges conséquences pour _en repos ou en mouvement, ces équations doivent conserver la __ même forme; on en conclut que celles-ci restent invariables quand on efièctue sur les coordonnées d’un point de l’espace et le temps un certain .groupe de transformations. En langage ordinaire, ceci veut dire que dimensions et temps changent avec le mouvement du système. Un même objet mesuré par deux _ observateurs qui se meuvent uniformément l’un par rapport à l’autre n’a pas la même longueur. Des conséquences analogues existent pour l'intervalle de temps entre deux événements : _ simultanés par exemple pour certains observateurs, les mêmes _ événements cessent de l'être pour d’autres observateurs en mouvement par rapport aux premiers. La simultanéité a un caractère relatif comme les valeurs des longueurs et.des temps. _ Ainsi nos vieilles notions de sens commun seraient à reviser. » Mais certains savants allemands déroulent avec satisfaction ” les conséquences du principe posé. D’autres, avant de rejeter es idées traditionnelles de l'humanité sur l’espace et le temps, NON PT ET MP IT | < Ÿ \ _idées sur l’éther ainsi que les équations concernant l’électro- magnétisme et le mouvement des électrons, obtenues grâce à des hypothèses assez contestables. Au lieu de continuer à faire . des exercices de mathématiques et de développer des considéra- tions d'ordre métaphysique, il vaudrait mieux tenter des expé- > ‘riences nouvelles d’un autre type que celles pour lesquelles la théorie a été construite. z On pourrait citer, dans certaines parties dela chimie, d’autres … ças analogues, où des théories sont développées sans qu’il soit ‘3 possible d'établir aucune confrontation précise avec la réalité. - L'Allemagne n'a pas cessé, depuis Schelhng, d'aimer les vagues spéculations sur la philosophie de la nature et les schématismes _ vides de sens. ; C’est surtout en biologie que la tentation est forte de partir pouvoir expliquer le principe de relativité. Qu'un système soit auraient passé au crible d’une critique extrêmement sévère nos — 170 — de principes a priori (1). Au lieu de procéder par généralisation de faits observés, on part de conceptions abstraites auxquelles on veut plier l'être vivant. Les Allemands aiment à regarder Gœthe comme un des fondateurs du transformisme. Il est exact que, dans son ouvrage sur les Métamorphoses des plantes, Gœthe considéra tous les organes d’une plante comme provenant de la métamorphose d’un seul d’entre eux, la feuille; de même en zoologie, il créa la théorie vertébrale du crâne, d’après laquelle . la boîte cranienne est la continuation de la colonne vertébrale et est composée de vertèbres ayant subi certaines modifications. Il parla même de l’action du milieu. Maïs les mots ne doivent pas faire illusion. Il y a une différence profonde entre les concep- tions de GER et celles de Lamarck. Pour Gœthe, tout ne se réduit pas à à l'adaptation au milieu. On peut conclure de plu- sieurs passages de sès œuvres qu’il se rattachait à la doctrine connue aujourd’hui sous le nom de préformation, d’après laquelle les transformations dérivent d’une force interne, dirigeant les modifications dans un sens déterminé à l’avance. Quelque intéressantes que puissent être les vues de Gæthe, elles n’ont, en réalité, qu'un rapport purement verbal avec la doctrine. lamarckienne des transformations directement provoquées par les actions réciproques entre les êtres vivants et le milieu. Aucune science ne prête, comme la biologie, à l'introduction de substances ou de forces uniquement créées pour donner l'illu sion d’une explication, sans qu’une confirmation expérimentale soit possible. Avec son amour des solutions formelles, la science allemande a ainsi édifié certaines doctrines plus philosophiques que biologiques, que des critiques sévères tendent chaque jour à ruiner. Stendhal écrivait, il y a longtemps, au sujet des Allemands : « Moins ils ont à dire, plus ils étalent leur grand magasin de principes logiques et métaphysiques. La vérité n’est pas pour eux ce qui est, mais ce qui, d’après leur système, doit être. » Cette phrase peut s'appliquer à maints livres scientifiques alle- mands, où la pauvreté des résultats est masquée par un insup- portable verbiage philosophique. (:) Dans une thèse soutenue en 1913, M. René Lote a étudié « Les origines mystiques de la science allemande », particulièrement en chimie et dans les sciences naturelles (Paris, Alcan). L : raison _… de Kant avait exercé une mauvaise influence sur ps ns scientifiques. On pourrait rattacher à la | devoir comme : impératif purement formel, c’est-à-dire vide de tout contenu, dépourvu de toute matière, est d’une applica- -tion singulièrement dangereuse (1). Dans l’ordre scientifique, abus de notions purement formelles, ne conduisant à aucune conséquence contrôlable, n’est pas moins à redouter : nous en avons donné quelques exemples. __ Dansles sciences, l'esprit d'invention ne se trouve guère dans 7 grand magasin de principes logiques et métaphysiques, dont _ parlait Stendhal. Nous ne pouvons donc nous étonner de l'avoir “assez rarement rencontré en Allemagne, en rappelant l'histoire | des découvertes scientifiques. L'esprit d'invention sait s’écarter à propos dé la voie des déductions logiques, il exige une aptitude à saisir des rapprochements entre diverses catégories de faits Feet ‘demande un sens aigu du réel, tel que nous l'avons envisagé à - plus haut, et qui n’a rien à voir avec une réalité que l'on prétend S _ construire soi-même. Les doctrines philosophiques, qui ont nui _ aux progrès de la science allemande pendant une partie du É _ siècle dernier, ont peut-être aujourd'hui moins d'influence …. directe chez les savants, mais il en est resté une mentalité qui _ conduit à cet esprit de système et à ces vues spéciales sur la: = valeur et l'objet même de la science, que nous avons cherché à re IV. 4 Nous n' avons jusqu'ici envisagé que la science pure, c'est- = dire. la connaissance désintéressée dont le développement © L'illustre philosophe développe comrie il suit sa pensée : « Dans = la vie réelle on ne peut se contenter d'un vouloir purement formel; É il faut nécessairement vouloir quelque chose, il faut insérer quelque Re. matière dans ce moulé vide. » Et un peu plus loin, à proyos des massacres à la güerre de femmes, de vieillards et d'enfants, il ajoute : _ «Si cette cruauté est indisciplinée, elle est coupable en tant que vio- - lation-de la discipline. Si elle a été ordonnée par l'autorité légitime, si Le est une cruauté disciplinée, eine zuchtmassige Grausamkeit, c'est un : British Academy, M. Boutroux remarquait que FA notion du 2 — 172 — continu peut être cité comme un incontestable exemple de progrès de l'humanité. Si nous passons aux applications de la science et aux inventions proprement dites, on peut a priori supposer, en pensant au développement gigantesque de son industrie, que l'Allemagne a apporté là les idées les plus OTi- ginales et les plus fécondes. Or il en est tout autrement, comme le montre la seule nomenclature des grandes applications scien- tifiques qui, à des titres divers, ont changé les conditions de la vie depuis un siècle. L'Allemagne n’a en rien contribué à l’inven- tion des machines à vapeur, des chemins de fer, de la navigation à vapeur. Il en est de même pour les ballons et les aéroplanes, la navigation sous-marine, la télégraphie électrique, la télé- phonie, la télégraphie sans fil, la photographie et bien d’autres que j omets. Il est inutile de reprendre l’histoire tant de fois racontée de ces applications scientifiques. Même dans les choses - de la guerre, qui sollicitent si vivement notre attention à l’heure actuelle, l'Allemagne n’a pas apporté de contribution vraiment originale. La science des explosifs, qui doit son origine à Lavoi- sier et à Berthollet, fut développée ensuite par deux savants Anglais : Abel et Noble, puis de nouveau en France par Ber- thelot, et par un ingénieur éminent, notre contemporain, à qui on doit la découverte de l'onde explosive et celle de la poudre sans fumée qui révolutionna l’art de la guerre. Pour la partie mécanique de la balistique, on peut rappeler que l'utilité des projectiles oblongs avec rayure des canons fut signalée dès 1760 par l'ingénieur anglais Robins, à qui on doit en outre Finvention du pendule balistique; on sait que le canon rayé fut effective- ment réalisé plus tard en France. Enfin, pour términer cette nomenclature par un détail, le projectile dont nous entendons si souvent parler, le shrapnel, fut imaginé par un officier anglais Shrapnel qui, il y a un siècle, réalisa avec les boulets alors en usage le genre de projectiles auxquels son nom est resté attaché. L'histoire nous montre donc que, dans les applications scien- tifiques comme dans la science pure, l'Allemagne n’a pas témoigné d’une originalité qui doive lui conférer une supériorité. sur tant d’autres nations plus inventives; tout au contraire. Et cependant cette supériorité dans l’industrie et le commerce est réelle; quant à la croyance à une prétendue supériorité scien- tifique, elle tient à une confusion entre l'augmentation du ren- dement scientifique et le progrès réel de la science. _ Dans maintes parties de la science, les bonnes méthodes étant _ une fois trouvées, les applications de ces méthodes ne demandent . que de la patience et du soin, et il s’agit alors simplement, par ne dans les laboratoires, d’avoir un nombre suffisant de bons préparateurs. C’est le rôle que jouent souvent en Alle- ._ magne de nombreux travailleurs, élèves et collaborateurs de leurs maîtres, travaillant sous leur direction et développant - leurs idées. Les sujets d’études sont ainsi explorés dans tous les sens, et l'on tire d'une méthode tout ce qu'ellé peut donner. De l'effort de ces chercheurs patients ne résulte que rarement un - progrès réel de la science, mais le rendement scientifique est considérablement augmenté, et il arrive parfois qu’un produit nouveau intéressant, une heureuse modification dans une tech- . nique, des mesures systématiques de constantes physiques et Fe Sas soient le fruit de telles investigations. La nécessité _ de grands laboratoires puissamment outillés pour certaines __ études spéciales pousse natureliement à ces travaux en quelque - sorte collectifs, mais ici encore il ne faut rien exagérer. Ne nous _ laissons pas hypnotiser par les immenses laboratoires. Ils sont Ze assurément désirables dans quelques recherches demandant un & < nise compliqué, comme par exemple les recherches aux — très basses températures, mais nous ne devons pas oublier que He belles découvertes ont été faites avec un matériel très simple; » le colossal ne conduit pas nécessairement au grand. Sans re- Êc monter à l’âge héroïque des recherches de Pasteur dans son modeste laboratoire de la rue d'Ulm, reportons-nous seulement aux expériences fondamentales pour la physique moderne faites avec les tubes dé Crookes, aux travaux d’un éminent physi- cien contemporain sur les radio-conducteurs qui ont été l'ori- - gine de la télégraphie sans fil, et aux études faites récemment = Es un laboratoire de la Sorbonne sur le dénombrement des one Dans la science pure, on ne développe guère l'esprit d’inven- tion en faisant travailler sur commande, et il est inutile de | grossir le nombre des publications sans intérêt qui encombrent les journaux scientifiques. Trop souvent, ces travaux, qui Éc portent la marque d'un même professeur et qui ne sont qu'une - menue monnaie glanée par des élèves médiocres, produisent ” un agacement que connaissent les lecteurs des périodiques et des . thèses d’outre-Rhin. L'esprit souffle où il veut, et les esprits dés MR land pts jf tt AU NE ANT 41 Pau + r : . N … - — 174 — quelque peu originaux sont rebelles à une discipline trop pesante. Les chercheurs bien doués trouvent eux-mêmes leurs sujets ‘études dans la lecture trop souvent négligée des œuvres des maîtres de la science, ou bien il suffit d'appeler leur attention sur certaines questions dont la solution paraît pouvoir être fruc- tueusement abordée. Ce n’est pas à dire que ceux qui ont la charge d’esprits à former et à développer ne doivent leur inculquer l'habitude du travail méthodique, mais cela est tout autre chose que de leur donner, sous prétexte de travail scien- tifique, des devoirs à faire, comme il arrive souvent dans les universités allemandes. Dans les applications industrielles de la science et dans le commerce, les conditions sont différentes, et l'organisation SYS- tématique rend les plus grands services; c’est ici que de grands laboratoires de science industrielle sont indispensables. Nous ne faisons pas de difficultés pour reconnaître que nous avons là - beaucoup à faire. Malgré d’heureuses tentatives, la pénétration ne s’est pas suffisamment établie chez nous entre la science et l’industrie, et les efforts n’ont pas été suffisamment coordonnés. La faute en est sans doute à la fois aux savants et aux indus- triels, mais cette grave question est trop en-dehors du cadre de notre étude pour être abordée ici, et la compétence me man- querait pour la traiter à fond. Elle est d’ailleurs extrêmement complexe, et tient par certains côtés à la politique, particuliè- rement à la politique financière et fiscale. Rappelons aussi que, en Allemagne, la pensée du Deutschland uber alles a été un puis- sant ferment pour le développement de l’industrie qui s'est élevée ainsi au-dessus des intérêts particuliers et est devenue une affaire nationale, objet de la préoccupation constante des pouvoirs publics; c'est pour les Allemands un des moyens de dominer le monde que de l’asservir à leurs produits. Sans pré-. tentions à la domination universelle, nous saurons, espérons-le, … nos alliés et nous, reprendre les places commerciales d’où les … Allemands nous ont chassés depuis 40 ans et celles où ils se sont plus récemment installés. Ces conquêtes seront une conséquence nécessaire de la victoire de nos armes et contribueront à réparer les ruines accumulées par la barbarie de nos ennemis (1). (*) En reconnaissant d’une manière générale la supériorité de l'Alle- magne dans l'organisation industrielle et commerciale, je n'oublie pas F. Cage 4. dé CE dt certaines directions et une meiïlleure organisation, nous lais- _ serons aux Allemands les vues mystiques sur l'Organisation (avec une grande lettre), qui sont en honneur chez eux. Car là, : | ‘encore, nous retrouvons la philosophie allemande; le concept d'Organisation est aujourd’hui pour quelques docteurs d’outre- . Rhin un nouvel impératif que l’Allemagne doit imposer au monde, accompagnement nécessaire de la Kultur. Is appliquent ici les principes de l’énergétique; aussi leur paraît-il indispen- sable que chacun reste enfermé dans une étroite spécialité, afin de donner son rendement maximum, leur méthode tendant à - faire de l’homme une machine. Notre planète doit devenir une . vaste usine sous la haute direction d'ingénieurs et de profes- seurs allemands, en même temps qu’une geôle soumise à la dure surveillance du militarisme germanique. Tel était le but de la _ guerre actuelle, effroyable vision de barbares savants, dont la réalisation constituerait un immense recul pour l'idéal de civi- Jisation humaine, rêvé par tant de nobles penseurs, d'après lequel chaque nation doit apporter dans l'œuvre commune de l'humanité ses qualités propres, sans qu'aucune prétende à une domination qui ne pourrait que retarder la marche de - Tesprit humain. Ce fut même jadis le rêve du plus grand esprit qu’ait produit l'Allemagne, Leibniz, qui s’efforçait de trouver - des terrains d'union entre les nations. Mais, hélas ! le vieux - fonds atavique de race de proie, que fut si souvent l'Allemagne à travers les âges, est remonté à la surface, et tous doivent, en ce moment, s'unir contre un peuple qui, se croyant d'essence di- wine, prétend s'imposer au monde par la violence. qu'il y a chez nous des industries où la pénétration désirée s’est plei- . nément réalisée. Il en est ainsi notamment pour ce qui concerne la mécanique. J'ai parlé plus haut de l'aéronautique et de l'artillerie. - Nous avons aussi créé et mis au point l'industrie de la bicyclette et de l’'automobilisme, et surtout nous sommes presque les seuls auteurs des … progrès récents dans l’art de construire, où nous défions toute concur- rence sur les marchés étrangers. Dans plusieurs domaines, c'est bien plus notre organisation commerciale que notre Psion nédetyelle a laisse à désirer. TR El + si # n. 1 4 CE & Liriavhafte"{ 44 lu l 0 | Le) PT OEN LP RER NACCINATION ANTITYPHOÏDIQUE 0 L'Institut de France a donné pour la dernière fois le pris Osiris en 1909. Le prix n’a pas été décerné en 1972, et reste mainte- nant disponible. La commission de ce prix ne pouvait _ songer à user une nouvelle fois de la clause de renvoi à laquelle, dans la pensée formellement exprimée du donateur, nous ne pouvons recourir qu'exceptionnellement. * Dans les œuvres qu’il soutient, l’Institut montre chaque jour l'intérêt qu’il porte à ce qui peut soulager les misères produites par la guerre et le souci qu’il a de la santé de nos armées. La commission devait d'autant moins l'oublier que M. Osiris signale particulièrement à l’Institut « les travaux relevant de la science médicale ou chirurgicale qui apporteraient la guérison ou le soulagement de maladies aujourd’hui sans remède, ou qui . seraient un acheminement vers le moyen de prévenir le mal ou … de le guérir ». Notre attention était aussi attirée sur ce passage de la donation par. deux de nos académies, celle des sciences et celle des sciences morales et politiques, qui D émettaient, il y a quelques semaines, le vœu que le prix Osiris fût décerné à une œuvre médicale qu’elles désignaient expli- ” citement : la vaccination antityphoïdique. Avant de vous faire connaître les résolutions que propose PE commission et qui satisfont au désir exprimé par ces Aca- démies, il paraît utile de rappeler rapidement quelques points de l'histoire des vaccinations. Nous y rencontrerons quelques noms de savants étrangers, mais vous savez que, d’après la volonté formelle de M. Osiris, les Français seuls peuvent parti- = ciper au prix. Ce n’est pas la première fois que des étrangers = sont écartés ainsi de la liste des lauréats du prix Osiris; il y a - six ans notamment, dans l'attribution du prix donné à l’avia- = tion, nous avons dû laisser de côté deux Américains, les frères Wright, dont le nom restera dans l’histoire de la navigation aérienne. (1) Rapport sur le prix Osiris, présenté à l'Institut dans sa séance ” du 3 juin 1915. =. PICARD È 12 — 178 — L'idée d'obtenir un vaccin avec des microbes à virulence atténuée est une des plus admirables découvertes de Pasteur. Il suffit de rappeler ses travaux sur le choléra des poules, ses travaux et ceux de Toussaint et de Chauveau sur la maladie charbonneuse. La voie était ouverte à un grand nombre de. recherches. Bientôt la vaccination put être faite, dans certaines maladies, non plus avec le microbe ayant sa virulence atténuée par la chaleur, mais, celui-ci étant tué, avec les produits solubles qu'il élabore, possibilité entrevue d’ailleurs par Pasteur et .Chauveau. C’est ainsi qu’en 1886, aux États-Unis, M. Salmon obtint, par inoculation de cultures stérilisées par la chaleur, la vaccination contre le cholera-hog ou peste des porcs. En 1887, Chamberland et M. Roux montrèrent qu'ilest possible de donner aux cobayes l’immunité contre la septicémie aiguë en leur injec- tant des quantités suffisantes de culture de vibrion septique, complètement dépourvues d'organismes vivants. En ce qui concerne la fièvre typhoïde, la première tentative de vaccina- … tion au moyen des substances solubles élaborées par le bacille . - typhique fut faite par MM. Chantemesse et Widal, qui en - publièrent les résultats dans deux mémoires parus en 1888 et 1892. Ces savants opéraient sur des souris, puis sur des cobayes et des lapins; ils chauffaient à 1209 et à 1000. La dose injectée était de r5cm' à 20cm pour les cobayes; l'opération se faisait'en quatre fois à plusieurs jours d'intervalle. Quelques animaux mou- raient à la suite de la vaccination; après inoculation aux autres de microbes virulents, on conservait environ la moitié des animaux mis primitivement en espérience. Les auteurs termi- naient ainsi leur mémoire : « Une dose de culture typhique qui tue invariablement des souris saines ne tue pas dans la grande majorité des cas les souris qui ont absorbé préventivement des produits solubles non vivants. élaborés par le bacille typhique. Celles-ci ont acquis l'immunité. » Jusqu'ici, en dehors d’une tentative concernant le choléra, faite en 1886 par le médecin espagnol Ferran, aucune vaccina- tion n'avait été essayée sur l'homme. En particulier pour la fièvre typhoïde, on ne pouvait songer à injecter chez l’homme les doses considérables qui auraient été nécessaires avec le vaccin jusque-là obtenu. En 1895, le médecin.russe Haffkine cherche à vacciner l’homme contre le choléra et la peste à l'aide de cultures dévitalisées, comme il dit, par la chaleur. C’est à UD hi m2, Ru La RS FOPTA a ds _ 49 — _cette époque que Sir Almroth Wright se rend dans l’Inde pour _ étudier auprès de Haffkine la méthode de vaccination anticho- boue: À ce moment, il eut l'idée de réaliser la vaccination antityphoïdique par un procédé analogue, mais c’est seulement ‘en 1896, quand il apprit que Pfeiffer et Kolle à Berlin avaient trouvé des agglutinines dans le sang des animaux inoculés avec = des cultures stérilisées à 60°, qu'il chercha à vacciner l’homme - par ce moyen. Wright put tenter de suite une expérience en - grand en inoculant son vaccin à des milliers de soldats vivant : . dans des régions où la fièvre typhoïde est endémique, et les Statistiques se montrèrent très favorables. Depuis lors, on re- connut que la température pouvait être abaissée de quelques degrés, et l’on est même descendu à 53°. Le vaccin antityphoï- dique obtenu par la chaleur fut employé dans l’armée anglaise et dans l’armée américaine, et il donna, dans l'Afrique du Sud notamment, la preuve de son efficacité. Nous n'avons, jusqu'ici, parlé que de l'emploi de la chaleur, pour atténuer la virulence ou pour stériliser les cultures de microbes qui doivent fournir le vatcin. D’autres procédés ont été proposés, et, dès le temps de Pasteur, on fit usage des anti- septiques. En 1908-1910, M. H. Vincent a commencé à se servir _ avec succès de l’éther, qui est d’un emploi très sûr. Depuis lors, avec une énergie inlassable, le professeur du Val-de-Grâce s’est fait l’apôtre de la vaccination antityphoïdique. Actuellement le vaccin à l’éther est préparé en très grande quantité au labora- _ toire de vaccination antityphoïdique du Val-de-Grâce, où tra- É vaillent 150 personnes. La technique de la préparation est fort e simple. Les cultures de bacilles d’Eberth vivants sont émul- - siônnées dans une solution isotonique de chlorure de sodium pur, et l'on verse dans cette solution une certaine quantité _d’éther sulfurique. Après avoir été agité pendant quelques secondes, le mélange est abandonné à là température du laboratoire pendant 5 heures; le bacille typhique est tué. Un _ contrôle bactériologique est exercé dans chaque phase des _ diverses opérations. Depuis 1912, le vaccin préparé par le procédé de M. Vincent est employé dans l’armée grecque; depuis 1913, il l’est dans les * armées belge, italienne, espagnole. En France, on fait surtout _ usage du vaccin par la chaleur dans l’armée de mer, et du vaccin à l’éther dans l’armée de terre. Depuis que, grâce à l'initiative — 180 — de notre confrère M. Léon Labbé, la vaccination antityphoï- dique, de facultative qu'elle était, est devenue obligatoire dans l'armée française, l'emploi du vaccin antityphoïdique s’est beaucoup répandu. Une question se pose d'elle-même : comment peut-on être assuré de l'efficacité d’un vaccin comme le vaccin antityphoïdique ? Puisqu’il n’est pas possible de donner la maladie à l’homme vacciné pour faire des comparaisons, c’est à des statistiques suffisamment étendues qu’il faut demander la réponse. Les cas de vaccination montant maintenant à plu- sieurs millions, les statistiques très nombreuses permettent de conclure. La vaccination antityphoïdique a montré sa puis- sante efficacité dans un grand nombre d’épidémies. Bornons- nous à citer, entre bien d’autres statistiques tout aussi démons- tratives, les chiffres relatifs à l'épidémie d'Avignon en 1912 : 687 militaires non vaccinés ont compté 155 cas de fièvre typhoïde et 22 décès, tandis que les vaccinés, au nombre de 1366, ont eu zéro cas et zéro décès. IL n'y a aucune exagéra- tion à dire qu'au Maroc, où la fièvre typhoïde sévit avec inten- sité parmi les nouveaux venus, la vaccination préventive contre cetté, maladie a rendu possible l'occupation permanente du pays. On doit noter aussi que la vaccination, lorsqu'elle est faite sur un grand nombre d’individus*en temps d’épidémie, exerce sur celle-ci une action d'arrêt très remarquable, comme le montrent les épidémies de Montauban et de Marseille en 1013, et de Tours en 1914. On voit par ce qui précède que le problème de la vaccination antityphoïdique peut être regardé comme résolu. La com- mission a pensé qu'elle devait suivre les indications données par deux de nos Académies, indications qui s'accordent si com- plètement avec les désirs exprimés par M. Osiris. Elle vous pro- pose à l’unanimité d’accorder le prix à l’'Œuvre de la vaccina- tion antityphoïdique. D’après la volonté formelle du donateur, la commission ne peut vous proposer que des savants français; s'inspirant, quant au choix des personnes, du vote émis par l’Académie des Sciences, elle vous demande de partager le prix en deux parties égales, l’une des parties étant donnée à M. H. Vincent, professeur &a Val-de-Grâce, et l’autre partie à MM. Chantemesse et Widal, professeurs à la Faculté de méde- . cine. a à — CONFÉRENCE LA DÉPOPULATION 207 —— MESDAMES, MESSIEURS, _ J'ai à vous entretenir aujourd’hui d’un sujet douloureux. A l'heure grave où nous sommes, chacun doit regarder en face les réalités, si pénibles qu’elles puissent paraître. On a dit, maintes fois, nos motifs d'espérance dans cette guerre, qui nous a été imposée par un peuple aspirant à l’hégémonie universelle et où la France fait depuis deux ans l’admiration du monde. IL faut dire aussi nos motifs d'inquiétude pour les temps qui suivront une victoire obtenue au prix de tant de sacrifices. Parmi les questions qui préoccupent tout Français soucieux . des intérêts de la Patrie, la plus importante est sans contredit celle de la repopulation. Depuis longtemps, le problème de la natalité a appelé l'attention des moralistes et des économistes. Des groupements aussi se sont formés, comme l’AJ/iance natio- nale pour l'accroissement de la population française, de beaucoup la plus ancienne de toutes, celle qui a déterminé le mouvement, puis la Ligue pour la vie, la Plus grande famille, la Ligue des familles nombreuses, peut-être quelques autres encore, dans le but de signaler et de conjurer le péril qui nous menace. Il n’est que juste de rendre hommage au dévouement et au zèle inlas- sable de ceux qui les dirigent. La Ligue française, dont le programme comporte tout ce qui peut contribuer au relèvement et au développement de notre pays, manquerait à ses engagements si elle négligeait l'étude d'un problème aussi vital. Après une étude approfondie de la question, et après avoir (1) Conférence faite à Paris, dans le grand amphithéâtre de la Sor- bonne, le 21 décembre 1916, : — 182 — entendu notamment M. Jacques Bertillon, président de l'Alliance : nationale pour l'accroissement de la population française, nous avons adopté le programme de cette société, en y faisant seu- lement quelques modifications et additions. Nous ne craindrons pas de répéter des choses déjà dites. Il est des vérités cruelles qu'il ne faut pas se lasser de proclamer et des optimismes dangereux qu’il faut combattre sans relâche. Nous nous efforcerons aussi d'indiquer des mesures susceptibles de concourir au relèvement de notre natalité, ou tout au moins d’esquisser quelques projets susceptibles de servir de bases à des discussions ultérieures. " « Ne parlons pas d’un sujet trop délicat », disaient avant la guerre les gens satisfaits, qui ne voulaient pas voir leur quiétude troublée et redoutaient les répercussions de tout ordre que peut soulever une question aussi grave. Ils pensaient, apparemment, que les peuples qui ont un grand passé ont une longue agonie, et que, en tout cas, la France vivrait aussi longtemps qu'eux. Il s’en est, hélas ! fallu de peu qu'ils n'aient vu, aux heures sombres des premiers jours de septembre 1914, nos héroïques armées, trop peu nombreuses, cédant sous le poids des multi- tudes allemandes. Non, il ne faut pas, sous des prétextes plus: ou moins sincères, faire le silence. On doit, par tous les moyens, faire connaître au peuple de France qu'il est au bord d'un gouffre d'où ne peuvent plus sortir les nations qui y sont tombées, et que si rien ne vient nous arrêter sur la pente où nous descendons, notre pays, avant peu d'années, sera rayé de la liste des peuples qui comptent dans le monde. Quelques faits et quelques nombres doivent d’abord être rappelés. Au xvrre siècle, la France est la grande nation, sa population atteint presque la moitié de celle des grandes puis- sances de l’Europe. Elle est toujours la première au XVIIIe siècle; mais pendant le x1x® siècle, la diminution de notre population s’accuse de plus en plus. En 1870, la population française était à très peu près égale à celle de l’Allemagne, soit 36000000 d'habi- tants; actuellement, il y a #rente-neuf millions de Français pour soixante-six millions d’'Allemands. La diminution du nombre des naissances s'accélère d’année en année. Nous trouvons, pour ille habitants, 26,1 naissances en 1871, 25,3 en 1870, 23,7 en 1888 et, suivant une courbé continuellement descen- dante, nous avons 10,8 en 1910 et 18,1 en 1913. Le point essen- tiel at l'excédent des naissances sur les décès; or, pour les _ 225 dernières années, on peut dire que cet excédent chez nous est _ nul en moyenne. Plusieurs fois, il y a eu un excédent de morts, comme en 1911, où le nombre des décès a dépassé de 34 000 le : nombre des naissances. Le résultat est pire encore en 1914, - année pour laquelle la guerre n’a exercé aucune influence sur le _ nombre des naissances; nous trouvons dans les 77 départements - non envahis, les seuls pour lesquels les statistiques ont pu être “établies, un excédent de décès égal à 53 000. En 1913, pour les mêmes départements, il y avait eu un excédent de 150 000 _ naissances. Il ne semble donc pas, comme quelques-uns vou- draient l’espérer, que nous soyons arrivés au point le plus bas - de la courbe que nous descendons. Tandis que notre moyenne, depuis dix ans, est de moins de 19 naissances chaque année par 1000 habitants, celle de l’Allemagne est de 31, de l'Autriche, 33, de l'Angleterre, 26, de l'Italie, 33. Pour être au même taux que l'Allemagne, nous devrions avoir, par an, 500 000 naissances de plus. _Comparons maintenant les accroissements annuels des popu- _ lations, t les dernières années avant la guerre. Ces accrois- = su _sements sont, en moyenne, pour 10 000 habitants de 141 pour . l'Allemagne, de 115 pour l'Angleterre, de 114 pour l’Autriche- Hongrie, de 113 pour l'Italie; pour la France, de 7. Avec ce - taux de 7 pour 10 000, il faudrait 370 ans pour que notre popu- - lation arrivât à doubler, tandis que l'Allemagne, en un siècle, _à vu presque tripler sa population. ous avons tous entendu de prétendus sages se consoler - en disant que, depuis longtemps, il y a, dans tous les pays, une décroissance régulière de la natalité et que le développement de la civilisation conduit fatalement à cette diminution. La - première partie de cette affirmation, qui est un point de fait, est exacte. On peut avoir des doutes sur la seconde, en tant que _ cette loi de diminution est posée & priori et déclarée fatale, -carles progrès des applications scientifiques, en facilitant de plus en plus les conditions de la vie matérielle, opèrent en sens inverse. Ce qui importe seul pour le moment, c'est la compa- raison des chiffres que je viens de citer. Le chiffre 7, rapproché de nombres qui oscillent autour de 120, est tristement signifi- - catif et véritablement effrayant. Quant aux enfants des deux sexes de x à 12 ans, il y en a actuellement 18 millions en Alle- — 18% — magne contre 8 millions chez nous. Pour les jeunes gens de 12 à 17 ans, l'Allemagne en possède 4 000 000, tandis que nous n'en avons que I 800 000. Pendant qu’autour de la France s’accroissent tous les peuples, elle seule reste stationnaire, Avant les heures tragiques que nous traversons, ces statis- tiques étaient regardées comme inopportunes. Elles restaient, d’ailleurs, confinées dans des publications peu accessibles au grand public. Le mal, en apparence, ne touchait aucun de nous, Plus d’un, parmi les gens avertis, ne voulait pas penser à la gravité du danger et continuait à voir, dans cette diminution, un signe de haute civilisation, détestable paradoxe à l'usage des pays résignés à disparaître. On entendait parfois parler | avec quelque mépris de la natalité inconsidérée de l’Allemagne, et l’on croyait à la surpopulation allemande. Or, en réalité, celle- ci n'existe pas, car les campagnes germaniques ne sont pas trop peuplées, tout au contraire, et l’émigration à titre définitif y est aujourd’hui extrêmement restreinte. La vérité est que la forte natalité allemande est un des éléments de la force prodi- gieuse au moyen de laquelle un peuple de proie croyait pouvoir prétendre à la domination mondiale. | La guerre actuelle fait voir toutes choses sous un jour plus juste, et le temps est passé des vains dilettantismes. L'impor- tance du nombre éclate à tous les yeux et aucun Français réfléchi ne peut douter que la déchéance de la natalité a eu pour consé- quence l’affaiblissement des productions de tout ordre dans notre pays. La stagnation de notre population n'est-elle pas . _une des causes de l’arrêt relatif de notre commerce et de notre industrie par rapport à ceux d’autres nations ? Avec plus d'hommes, nous aurions plus d'ouvriers et d'ingénieurs dans nos usines, plus de voyageurs pour placer au dehors les pro- duits de notre industrie et développer notre commerce, nous aurions pu ne pas laisser inexploitées ou exploitées par des étrangers certaines de nos richesses naturelles. Est-ce aussi chez un peuple clairsemé qu'ont le plus de chance d’apparaître dans les sciences, dans les lettres, dans les arts, les hommes éminents qui sont la gloire de leur pays. On sait que la science elle-même est devenue pour l'Allemagne un moyen de domination. Si ces savants n’ont pas l'originalité qu’ils s’attribuent, ils sont très nombreux, et leur travail, méthodiquement organisé, exploite les idées émises ailleurs, souvent au grand profit de la fortune + Le 6 = publique. Et enfin, et surtout, on peut affirmer que s’il y avait eu, en 1914, quinze ou vingt millions de Français de plus, nous n’assisterions pas aujourd'hui à la lutte terrible où la France a failli périr. Pensons aussi aux jours qui suivront une victoire, qu'une coordination de mieux en mieux établie entre les forces presque sans limites des nations alliées contre l'Allemagne, _ finira par lui imposer. Il ne suffit pas de vaincre, il faut encore profiter de la victoire. Le pourrions-nous, si notre population restait stationnaire ou décroissante ? Nous ne jouirions pas longtemps d’une paix heureuse, et le sang, généreusement répandu par nos fils, n’aurait que retardé de quelques années la - ruine de notre pays. On frémit à cette pensée impie, mais cepen- dant, une France en partie déserte ou peuplée d'étrangers, anémiée dans toutes les manifestations de son activité collec- tive, ne serait-elle pas une proie facile pour une nouvelle et dernière invasion ? - Persuadons-nous donc bien que la question de notre natalité est la question capitale qui domine toutes les autres. Il est très utile de faire des projets pour la reconstitution de la France de’ demain, mais c’est à la condition que nous pourrons compter sur l'élément humain nécessaire à toutes ces réfections. En signalant les dangers que fait courir à notre pays l’insuffi- sance de notre population, nous venons d’insister sur les côtés économique et militaire. Mais ce n’est là qu’une face de la ques- tion. Celle-ci est aussi, elle est surtout d'ordre moral. Morale sociale et morale privée sont étroitement liées au grave problème qui nous occupe. L'homme cherche le plus possible à se survivre, mais ce n’est pas assez dire. Affrmons-le bien haut : c’est, sauf en quelques cas très particuliers où l’idée de dévouement et de sacri- fice, sous des formes diverses, joue le principal rôle, un devoir impérieux de transmettre la vie. Les uns trouveront l’origine de ce devoir dans un idéal qu’on peut dire religieux, laissant soit . à une Providence qui veille sur le monde, soit à l’ordre résul- _ tant des lois naturelles, le soin de régler le développement des familles. D’autres rattacheront ce devoir à l'amour et au culte de la Patrie, à un idéal patriotique, latent quelquefois, mais subsistant toujours chez les nations qui ne veulent pas périr, idéal qui, à certaines heures tragiques, transforme ®t exalte les âmes, comme en témoignent nos héroïques combattants. A côté des vertus militaires, il y a les vertus civiques, et, suivant la — 186 — forte expression du Dr Bertillon, le devoir est aussi impérieux de contribuer à la perpétuité de la Patrie que de la défendre. Quelles sont les causes profondes qui amènent. en France l’effroyable diminution constatée dans la natalité ? Notre peuple, vieilli et fatigué, est-il incapable de se reproduire ? Il n’en est rien, comme on le constate au Canada, comme le - montre l'Algérie, où notre race n’est guère moins féconde qu'aucune de celles qui lui font concurrence, comme on le voit dans l’Alsace qui nous fut enlevée il y a 45 ans, comme on le voit enfin dans les grandes familles qui subsistent encore chez nous. Non, la cause est tout simplement que le nombre des enfarits étant, dans la très grande majorité des cas, déterminé par la volonté des parents, ceux-ci ont limité étroitement leur famille. L'égoïsme, la soif des jouissances, la crainte de l'effort. pour élever une famille nombreuse, sont les causes essentielles qui entravent la natalité. En même temps, les mariages sont devenus plus rares ou plus tardifs. Les jeunes gens trouvent les dots insuffisantes et les jeunes filles trouvent trop médiocres les positions des jeunes gens. Et cela, dans tous les rangs de la société. Dans des lettres venues des tranchées, j'ai trouvé maintes fois la même constatation. « J'ai 35 ans, m’écrit un soldat, et j'ai plusieurs fois cherché à me marier, mais les demoi- selles ne m'ont pas trouvé assez riche. Elles ne veulent pas d’un laboureur, d’un journalier. Nous ne voulons pas, disent-elles, tirer la ficelle s’il y a des gosses. Nous voulons un bon employé qui puisse nous nourrir sans rien faire. » Si des demoiselles, pour parler comme mon correspondant, m’avaient fait part de leurs réflexions, plusieurs auraient dit sans doute qu'elles ne trouvent pas de maris parmi les jeunes célibataires endurcis dans leur égoïsme. Un Américain illustre qui, depuis deux « ans, nous a montré la plus vibrante sympathie, écrivait jadis dans un style bi- blique familier aux Anglo-Saxons : « Quand on peut parler, dans une nation, de la terreur de la maternité, cette nation est pourrie jusqu'au cœur du cœur. Quand les hommes craignent le travail, quand les femmes craignent d’être mères, ils tremblent sur le bord de la damnation, et il serait bien qu'ils s'éva- nouissent de la surface de la Terre, où ils sont. de justes objets _ de mépris pour ceux qui sont forts et ont l’âme haute. » Ces sévères paroles du président Roosevelt ne s’adressaient à aucun PT PTE SE 7m TE 1 El 3 RL RaET PSS de ART — peuple déterminé. Plaise à Dieu qu'aucun trait n'en soit appli- cable à notre pays. La diminution de la natalité, qui apparaît d’abord comme un effet de l’abaissement des caractères et des volontés, en devient ensuite une cause. Ce n’est pas, en effet, dans les familles à fils unique que se prennent en général les leçons. d'énergie, tandis que, dans la famille nombreuse, le goût de l’action a plus de chance de se développer et les enfants y sentent davantage la nécessité de compter sur eux-mêmes. L'exemple de leurs parents, qui peinent pour les élever, leur apprend le sérieux de l'existence, . Pour les individus, comme pour les peuples, il est mauvais de regarder l’avenir comme assuré et l'effort constant est la loi de la vie. Le bourgeois et le paysan français ont une vertu assurément très louable : la prévoyance; mais cette - vertu, poussée à l'excès, conduit à la moindre action. La France, disent nos ennemis, est un peuple de petits rentiers sans initia- tive, qui économisent mais ne risquent rien. Quant à l’ouvrier français, il a cru trop souvent, sous l’in- _ fluence de certaines doctrines, aux avantages à attendre de la raréfaction de la main-d'œuvre, comme si l’affaiblissement des industries où il travaille pouvait lui apporter des avantages durables. Nous ne pouvons croire qu’il soit impossible de lutter contre le mal qui nous ronge. Plusieurs, n’osant peut-être pas envi- sager la question en face, se préoccupent seulement de la dimi- nution de la mortalité. Certes, de grands efforts sont encore à faire dans ce sens, et la science, notamment dans la voie ouverte par Pasteur, remportera encore d’éclatants triomphes. L'hygiène fait aussi d’admirables progrès, et une loi, comme celle que la reconnaissance publique dénomme lot Roussel, a contribué à la diminution de la mortalité infantile. Ne nous faisons pas, cepen- dant, trop d'illusions de ce côté. On est, a priori, tenté de penser que la diminution de la mortalité amène fatalement l’accrois- sement de la population. Les statistiques du D’ Bertillon montrent que les choses sont plus complexes. La comparaison de la mortalité et de la natalité montre que, dans la plupart des pays, la natalité est faible ou forte, suivant que la mortalité est elle-même faible ou forte. Il y a une cause de dépopulation, criminelle celle-là, qu “il faut flétrir et poursuivre sans pitié : ce sont les manœuvres — 188 — abortives. Sans insister, disons seulement que ce mal a pris les proportions d’un fléau social; il croît avec une telle intensité qu'on se demande si l’énormité du scandale ne suspend pas l'arme de la justice. Il en est de même pour des propagandes recommandant certaines pratiques auxquelles on rattache bien à tort le nom d’un respectable pasteur anglais, Malthus, connu par une loi d’un aspect séduisant pour des mathématiciens, mais à laquelle l'expérience n’en a pas moins donné un écla- tant démenti. Contre ces propagandes, la puissance publique n'est pas désarmée. Elle manque à son devoir quand elle n’agit pas; si la loi doit être renforcée, que le législateur y pourvoit au plus vite. Je crois inutile de parler une fois de plus de l'alcoolisme. Tout a été dit sur l’alcool, poison qui, à la fois, augmente la mortalité et diminue la natalité, mais que protègent des tabous qui n’ont rien de mystérieux. L'exemple récent de la Russie montre assez quel bienfait on peut attendre de la suppression de l'alcool dans la consommation; il restera pour son emploi un champ industriel suffisamment vaste. Mais il ne faut pas nous bercer d’un chimérique espoir. Quelque victoire que la science remporte sur la mort, de quelque succès que soit couronnée une lutte vigoureuse contre des ma- nœuvres et propagandes infâmes, le résultat, tout important qu'il soit, sera insuffisant. Si des moyens plus directs ne pou- vaient être trouvés, nous ne serions pas loin d’être vaincus. L'homme trouve naturellement dans sa conscience et dans son cœur le désir de fonder une famille et de l’accroître. C’est de là qu’il faut partir, et les moyens cherchés doivent d’abord êtres des adjuvants à ce désir. Il appartient, en premier lieu, aux groupements dont l’objet est d'ordre moral, de faire revivre le culte trop oublié des vertus familiales qui sont, en général, la meilleure garantie du bonheur. Les éducateurs de tout ordre, les publicistes, les ministres des divers cultes, doivent mul- tiplier les efforts pour restaurer dans les consciences le respect des préceptes moraux et rappeler le devoir de la transmission de la vie. Je sais bien qu'il est de règle de ne pas parler de cer- tains sujets délicats, mais des éducateurs conscients de la gra- vité de leur mission sauront réaliser des changements qui s’im- posent impérieusement. Il faut aussi qu'une atmosphère se forme, favorable aux AU DR FORT RRINO TU ENV ET VU SES Le Æ vertus familiales. On doit reconnaître que la littérature et le : théâtre se sont peu souciés de les glorifier, et nous ne savons que trop le tort que certains de nos romans nous font à l'étranger. - Je lisais, dans un rapport récent sur le livre français en Angle- terre, que la couverture jaune de nos romans a, de l’autre côté de la Manche, une fâcheuse réputation; cette couverture nuit, - paraît-il, à la vente de nos autres ouvrages présentés sous la même couleur, et un rédacteur d'un grand journal anglais a même suggéré d'adopter une autre couleur pour nos livres - sérieux. Le procédé est un peu simpliste et la question ne se réduit pas à une question de couverture, mais il ne rentre ni dans mon sujet ni dans ma compétence de tracer le tableau de la littérature de demain; souhaitons seulement qu’elle ne crée pas une atmosphère défavorable à la famille. _ Les lois, de leur côté, n’ont guère été plus favorables. Depuis un siècle, le législateur s’est rarement préoccupé de l’action _ des lois sur le développement de la famille. Souvent même, les lois, faites dans les meilleures intentions, ont poussé par des incidences imprévues à la restriction-de la natalité, et les insti- tutions sociales ont collaboré avec les égoïsmes individuels. Comme l’écrivait jadis Renan, notre code de lois paraît avoir été fait pour un citoyen qui naîtrait enfant trouvé et qui mourrait _ célibataire. Non seulement la famille nombreuse n'est pas honorée comme il conviendrait, mais l’opinion n’a que trop de tendances à la regarder avec pitié ou avec mauvaise humeur. C'est ce qu'exprime bien, dans sa forme naïve, un « poilu » ano- nyme félicitant récemment la Ligue française de s'occuper de la repopulation. « On a presque honte en France, écrit-il, d'avoir beaucoup d’enfants. Quand je sortais avec ma femme et mes quatre beaux petits, les locataires voisins nous considéraient les uns avec mépris, les autres avec pitié, et plus d’une fois j'ai entendu dire par ces bons chrétiens : « Quel bruit ils font, c'est « la mère wne telle avec sa nichée. » Il est vrai que mes pauvres E= petits dévalent les escaliers et dérangent les voisins sans enfants Qui lisent leur journal. » Notre correspondant aurait pu ajouter que certains propriétaires rangent les enfants dans la série des _ objets qui troublent la tranquilité des maisons, entre les chiens et les pianos, et aussi, Chose plus grave encore, que des pères de famille, regardés en quelque sorte comme indignes à cause du nombre de leurs enfants, cherchent sans succès des positions : — 190 — trouvées de suite par des célibataires, pour la seule raison qu'ils sont célibataires. Que de doléances on pourrait citer à ce sujet : « J'ai cing enfants, m'écrivait récemment un soldat jardinier; jusqu’à deux enfants, j'ai pu trouver une place fixe, mais à partir du froisième, j'ai été chassé, et je ne peux plus travailler . qu'à la journée. » Dans une question qui touche à son existence même, l’État a de graves obligations. Ce serait pour lui un suicide s’il ne montrait dans les lois son souci de relever la natalité. Qu’aucune loi ne soit votée sans qu’on étudie ses répercussions possibles, que l’État honore la famille nombreuse et lui rende la vie plus facile. Il contribuera ainsi, après les influences morales dont . j'ai parlé tout à l'heure, à transformer la mentalité publique à l'égard des grandes familles. On parle avec raison de l'action des mœurs sur les lois, mais il y a aussi une action, nullement négligeable, des lois sur les mœurs. Nous comptons donc, dans la question de la repopulation, sur des lois judicieusement étudiées. Elles ne créeront peut-être pas le désir de fonder une famille, mais elles écarteront certains obstacles qui empêchent la réalisation de ce désir. Entrons maintenant dans quelques détails sur les points dont. l’étude nous a paru particulièrement urgente. ; Nous partons de ce fait que la conservation et le re ment normal de la nation exigent absolument un minimum de trois enfants vivants par mariage. Il en résulte que la nation est débitrice envers les citoyens ayant plus de trois enfants, tandis que, au contraire, les citoyens qui, volontairement ou non, ne contribuent pas ou contribuent insuffisamment à la perpétuité de la Patrie, sont débiteurs envers elle. Une nation n'est pas, en effet, un simple agrégat d'individus isolés, mais, suivant la. belle formule de Fustel de Coulanges, elle est un ensemble d'êtres ayant une communauté d'idées, d'intérêts et d’espérances. On peut imaginer divers systèmes de contributions auxquelles seraient soumis les citoyens ayant moins de trois enfants à leur charge, pour alléger les dépenses que leur excédent de famille impose à ceux qui en ont plus de trois. Il pourra s’agir de dégrè- vements partiels pour ces derniers, ou bien d'impôts particuliers sur les revenus des prémiers, ou bien d’autres taxes swi generis, faciles à imaginer. Le détail importe peu ici, et qu'on n'aille pas W A ER cé de 1 (fée at dé “di à cc =. 3 | {faire la Hicale le objection qu'on frappera ainsi des gens qui, bien | malgré eux, n'ont pas trois enfants. Il ne s’agit pas de frapper qui que ce soit, et il n’y a dans les dispositions précédentes aucune idée de pénalité; il y a seulement une tendance vers l'égalisation des charges familiales entre tous les citoyens: c’est là un acte de justice sociale. Avec les ressources ainsi obtenues, l'État pourra donner tout d’abord des allocations et des primes à la naissance. - Avec les allocations, on se propose d'arriver à la famille nombreuse, nous entendons par là la famille de plus de trois enfants. Les statistiques montrent que, au moins dans les cam- pagnes, la dépense annuelle indispensable pour élever un enfant _ jusqu'à l’âge de 13 ans est au minimum de 18ofr. Nous propo- sons que tout chef de famille ayant plus de trois enfants vivants- _à sa charge, reçoive de l’État une allocation annuelle de 18ofr | par enfant de moins de 13 ans, au delà du troisième, V'allocation restant due pour cet enfant, jusqu'à la fin de la période indiquée, quoi qu'il advienne des trois premiers. En vertu du principe . posé, cette allocation doit être donnée-indistinctement à toutes ” les familles de plus de trois enfants. Ce n’est pas un secours, c'est le paiement d’une dette contractée par la nation. Vouloir restreindre cetta allocation à certaines catégories de citoyens, __ c'est fausser complètement l'idée directrice de ce projet. La dette de la France à l'égard des familles nombreuses est | encore plus manifeste quand il s’agit de veuves. Aussi, demandons-nous que la veuve qui a ou qui a eu quatre enfants Fe vivant Simultanément, reçoive une allocation annuelle de 28ofr ee : - par enfant vivant, non plus seulement pour le quatrième enfant et les suivants, mais aussi pour le froisième. Les allocations avaient pour objet la famille nombreuse. Dans notre pensée, on se proposerait, avec la prime à la naissance, qui est tout autre chose, d'arriver à la famille que nous pourrions appeler minima, C'est-à-dire la famille de frois enfants. Ces £. por seraient données, dans les conditions qui vont être dites, -à la troisième naissance et à chacune des suivantes, à condition que deux enfants au moins, nés antérieurement, soient vivants. - À qui donnera-t-on cette prime ? A toutes les familles, devons- æ nous répondre, d’après les idées émises plus haut. Ici, cependant, _ une difficulté se présente; quelques-uns craignent de provoquer ainsi des naissances dans des milieux chargés de tares diverses, a 199 — où il faudrait plutôt les éviter. Il y a peut-être là un trop grand souci des cas exceptionnels. Quoi qu’il en soit, M. Breton, député du Cher, évite en grande partie la difficulté signalée, au moyen d’une assurance qui exigera une visite médicale préalable, per- mettant de ne pas donner le bénéfice de la prime aux pères et mères indésirables. Les primes seraient réservées aux familles qui, au moment du mariage ou dix mois au moins avant la naissance de l'enfant, se seraient assurées’ dans ce but, la somme à payer pour l’assurance étant extrêmement minime (quelques francs par an). La prime serait uniforme et donnée à tous les assurés. Son montant pourrait être fixé à mille francs. Elle ne serait payée qu'autant que l'enfant atteindrait l'âge de six mois et serait exigible à ce moment; elle constitue donc aussi un encouragement aux soins à donner aux enfants du premier âge. À cet égard, il serait même peut-être préférable de fixer une durée d’un an au lieu de six mois, car la première année est, pendant l’enfance, celle où la mortalité est la plus forte; on pourrait aussi payer la prime en deux fois, à six mois et à un an, si ces âges sont atteints par l'enfant. Des objections n’ont pas manqué de se produire au sujet de ces primes. Le système d'assurances répond à certaines d’entre elles. On a dit aussi : dans certains milieux cette somme sera gaspillée. Assurément, il y a des gens qui usent mal de tout ce qu’on leur donne, mais nous croyons que dans notre pays si économe, j'ai même dit trop économe tout à l'heure, ce sera là l'exception, et je suppose plutôt que, dans nos laborieuses cam- pagnes, la prime pourra être utilisée pour l'achat d'une vache ou d’un lopin de terre depuis longtemps convoité; ailleurs, le capital sera placé, afin de contribuer plus tard à l'établissement des enfants. Il ne serait d’ailleurs pas impossible de trouver quelque moyen pour empêcher une mauvaise utilisation de la prime par certains pères, en donnant, avec des modalités à pré- ciser, la prime à la mère, comme l’autorisent des lois récentes. D’autres objections sont d'ordre sentimental : quelques-uns sont choqués par cette idée de prime. Devant l’immensité du danger, il n’y a pas à s'arrêter à des considérations de cet ordre, si l’on pense que la prime doit concourir à l'augmentation de la natalité. : J'écarte les objections relatives à la dépense. Si les Rs ments de charges financières ainsi imposés aux citoyens n'ayant pas trois enfants étaient considérables, il faudrait s’en réjouir, car ce serait alors que notre population augmenterait sérieusement. Il n'en sera malheureusement pas ainsi actuellement, car il n’y _ a pas en moyenne trois enfants par ménage. Et puis, comme l’a dit le professeur Richet, qu'est-ce qu’une prime de mille francs pour la naissance d’un Français, qui, adulte, représentera par son travail une rente annuelle de deux mille francs ? Il nous paraît que la prime à la naissance est, dans l’ordre strictement économique, un des plus puissants moyens dont on puisse disposer. Nous avons déjà dit, et il ne faut pas se lasser de le redire, que nombre de lois ont été établies sans aucun souci du relèvement de la natalité, et en oubliant que la famille est véritablement la cellule de la vie nationale. Bien plus, certaines lois ont con- tribué indirectement à la diminution de la population; telle la _ loi sur les accidents du travail qui, excellente à certains égards, a le tort de pousser les patrons à n’engager que des célibataires : telle aussi la loi sur le travail des enfants. D’autres lois, loin de favoriser les éléments vitaux de la nation, ont condamné le trésor à des dépenses dont personne n’a pu fixer la grandeur, ne faisant aucune différence entre des vieillards n'ayant eu que peu de charges, dont beaucoup sont responsables de leuts misères, et ceux qui, ayant eu le mérite d'élever une nombreuse famille, n'ont pu faire d'économies pour leurs vieux jours. A ce point de vue, la loi sur les retraites ouvrières est d’une injustice flagrante. s Ce n'est pas non plus dans les lois fiscales que nous trouvons un grand souci de favoriser la famille nombreuse. Les impôts de consommation, si lourds en France, atteignent les familles proportionnellement au nombre de leurs enfants. Aussi à devraient-elles avoir, en compensation, une exonération sérieuse du côté des impôts directs. Or, il n’en est rien; ces impôts frappent aussi plus lourdement les familles nombreuses, par exemple l'impôt mobilier, puisque pour ces familles le local occupé est plus considérable. Il en est de même de l'impôt sur _ le revenu, malgré les déductions très insuffisantes consenties aux familles. Puisque l’impôt sur le revenu a un caractère progressif, le revenu à considérer est un revenu individuel : la base de cet impôt devrait être non pas le revenu brut de la jamille, mais le quotient de ce revenu par le nombre des personnes qu'il fait vivre. PICARD 13 dé ET) NC te dt L’objection que plusieurs personnes vivent ensemble à meilleur compte que séparément, est sans valeur, car il est juste que les ‘familles nombreuses bénéficient ici, d’un léger avantage, faible dédommagement pour la lourdeur des impôts indirects. - : D'une manière générale, en matière d'impôts, la législation doit tendre au large dégrèvement des familles dans lesquelles plus de trois enfants sont à la charge des parents. Ainsi, par exemple, dans l'établissement du loyer matriciel relatif à la contribution mobilière, on devrait déduire non pas une somme uniforme, comme on le fait actuellement, mais une somme proportionnelle au nombre des enfants. ‘ Les lois successorales ont une grande importance dans la question qui nous occupe. Il est incontestable que le partage égal, avec sa rigide uniformité, est contraire à la prospérité générale du pays, et que la pensée du morcellement des biens conduit à la restriction de la natalité. D'ailleurs le mode de partage actuel, qui satisfait à un instinct irraisonné d'égalité, conduit pratiquement à des inégalités évidentes. On a pu sou- tenir que, dans une famille nombreuse, le partage égal, prescrit par le code civil constitue un privilège en faveur des cadets. Ainsi deux fils, l’un de 40 ans, l’autre de 24 ans, sont dans des situations différentes, quant à l’aptitude à user de leurs parts successorales; le second, plus jeune,. peut tirer d'une même somme, un tout autre parti que le premier. Vous prenez, dira- t-on, un cas exceptionnel; il arrive souvent que les enfants sont très rapprochés. Eh bien ! prenons deux fils : l’un de 40 ans, l’autre de 47 ans, le premier ayant cing enfants et le second n° en ayant qu'un; “doivent avoir des parts égales? On peut penser que non. Il nous paraît donc légitime de ne pas oublier que, au moment de l’ouverture d’une succession, la famille du défunt ne se compose pas seulement de ses enfants, mais aussi de ceux qui sont sortis d'eux. Un mode de partage, effectué d'après ce point de vue, serait favorable à l'accroissement de la natalité, et cor- rigerait le plus souvent les privilèges constitués par le code civil, les descendants au premier degré restant d’ailleurs seuls héritiers. Pour ne pas rompre complètement avec les lois actuelles; nous proposons qu'il soit fait des biens du défunt deux parts de valeurs égales. La première est partagée suivant : le mode habituel, la seconde est partagée de la manière suivante entre les descendants au premier degré; on ajoute une unité = lement aux nombres ainsi obtenus. Supposons, re Me que le défunt ait deux MARNE au premier un principe nouveau. Il a été question récemment + aux enfants l'État comme héritier, dans le cas argé de famille. Le vœu précédent, relatif au nouveau mode de partage, n’épuise pas la question des successions sans testaments. Il Héicese obtenir la suppression de l'article du code prescri- vant le partage égal en valeur et en nature. Il produit un mor- ler me 12 défavorable aux éxploitations industrielles et agri- coles et amène à la diminution du nombre des descendants et trop souvent : au fils unique, ce fléau de la famille française, Mais cette suppression est loin d’être suffisante. Nous pensons qu'o on peut, d’une façon plus précise, éviter au chef de famille er la crainte que son œuvre soit un jour anéantie par des par- tages désastreux, crainte si défavorable à la natalité. Il suffit que les | droits des divers héritiers sur les exploitations agricoles, = F industrielles, commerciales, puissent être représentés par des re actions d'une nature spéciale » comportant la préemption.en faveur des héritiers. Cette disposition toute nouvelle sera parti- culièrement intéressante pour la propriété rurale, dont le sort le sera plus soumis à la fantaisie d’un des héritiers. Nous n’avons & parlé j Jusqu'ici que des successions ab snlestat, c'est-à-dire sans > testament. 5 _Relativement à la liberté testamentaire, la France est le Ee où le père de famille est le plus ligoté par les lois succes- re Fe rue Sans parler de l'Angleterre et des États-Unis, où la liberté de tester est complète, nous trouvons partout ailleurs — 196 — la quotité disponible beaucoup plus grande qu’en France. Avec les réformes proposées plus haut pour éviter le morcellement des biens, la liberté testamentaire prend une moins grande importance au point de vue de la natalité. Nous pensons cepen- dant que la quotité disponible pourrait être augmentée, élevée par exemple à la moitié, dans le cas où le testateur userait de cet accroissement de liberté testamentaire au profit de ses des- cendants. | On peut étudier beaucoup d’autres questions, telles que les logements des familles nombreuses, les avantages divers à accorder à ces familles, mais je dois me borner, et je donnerai seulement de brèves indications. La question des logements des familles nombreuses est particulièrement importante. Certaines mesures ont donné des résultats intéressants, mais insuffisants. Le maire d’un arrondissement populeux dé Paris, où les familles nombreuses ne sont pas rares, me. disait récemment qu'une famille de quatre enfants, se présentant pour louer, est a priori repoussée. J'ai eu l'air tout à l'heure d’accuser certains pro- priétaires; j'avais tort peut-être. Au fond, l’égoïsme des loca- taires voisins qui ne peuvent supporter le moindre dérangement est la première cause de cet ostracisme; nous retombons encore ici sur le point de vue moral. En attendant la réforme des habi- tudes et des mœurs, l’État pourrait accorder de plus larges faveurs aux sociétés anonymes de logements pour familles nom- breuses, qui logent seulement des familles de plus de trois enfants. Puisse aussi la crise des logements trouver partielle- ment sa solution dans la diminution de l'exode des campagnes vers les villes. Avec quelle tristesse ne constate-t-on pas le dépeuplement des campagnes, où la famille pourrait se déve- lopper librement, alors que les villes tentaculaires regorgent d'habitants, s'empilant les uns sur les autres jusqu’au sixième ou septième étage. Les mesures contribuant à la prospérité de l’agriculture et favorisant le retour à la terre, ne sont pas sans influence sur le problème de la natalité. On ne sait pas assez que la France ne produit en moyenne annuellement, par hectare, que 1350K£ de blé, tandis que la Suisse en produit 2200%£, la Hollande 2400k£, l'Angleterre 2600K8, la Belgique autant et le Danemark 3200. Cela aussi n’est pas indifférent pour le supplé- ment de population que nous pourrions nourrir. Dans un pays comme le nôtre, où le fonctionnarisme est 1 É i UT À — 197 — presque un idéal, les règles relatives aux fonctionnaires ont quelque intérêt pour la natalité. Divers économistes ont de- _ mandé que, dans les administrations de l’État, la plus grande partie des emplois n’exigeant aucune capacité spéciale soit réservée aux pères de familles nombreuses. Ces mesures produi- raient certainement un grand effet moral; actuellement, les fonctionnaires célibataires sont trop souvent favorisés. En ce qui concerne l'avancement à l'ancienneté, la naissance d’un enfant, à partir du quatrième, pourrait se traduire par l'attri- bution d’un certain nombre de mois de service (un an par exmple); de plus, les gratifications et autres indemnités de fin d'année seraient uniquement attribuées aux pères de familles de plus de trois enfants. Je ne parlerai pas d’utiles dispositions concernant le service | militaire en temps de paix. Quant à certains crimes, infanticide et avortement, dont j ai déjà dit un mot, on devrait les rendre justiciables des tribunaux correctionnels; la loi pourrait être _ alors sévèrement appliquée. Il faut, au reste, faire appel ici non seulement au législateur, mais aussi à l'opinion publique, de manière à transformer la mentalité générale qui n’a que trop de tendances à regarder ces crimes comme des fautes vénielles. Je termine par-une réforme relative à la loi électorale. Le suffrage, que nous appelons wmversel, est, au fond, singulière- ment limité. Les générations qui grandissent, les plus inté- - ressées aux progrès de l'avenir, ne sont pas représentées dans les conseils du pays. Alors que les familles d'au moins trois enfants constituent plus de la moitié de la population française (23 mil- _ lions d'habitants), elles ne sont représentées que par moins d’un tiers des électeurs (3 millions et demi). On doit considérer que, dans un même milieu social, la valeur nationale d’un père élevant sa famille, autant du moins que cette valeur doit être évaluée par un chiffre, est supérieure à celle du célibataire que lavenir intéresse beaucoup moins. L'opinion de l’un et de l’autre ne doit donc pas avoir le même poids; il faut leur attri- buer des coefficients différents. Il paraît naturel de fixer ce coefficient d'après le nombre des personnes (femme et enfants mineurs), dont est responsable le chef de famille. Dans ce vote, qu’il faut appeler familial, tout chef de famille ajouterait à son suffrage un nombre de suffrages égal au nombre des personnes (femme et enfants mineurs) dont il a la charge. Le père d’une LABS famille de cing enfants, dont la iemme est vivante, aurait done droit à sept suffrages; le célibataire n’aurait qu’ws suffrage. On peüt, si l’on veut, se placer, dans cette question, à un point de vue plus juridique, en considérant que tout Français, quel que soit son âge, a des droits civils, et que ceux-ci ont, comme garantie nécessaire des droits politiques; sous ce point de vue, le chef de famille voterait effectivement pour sa femme et ses enfants mineurs. Le résultat est le même. Si le père vient à disparaître, la veuve, chef de famille, jouira des mêmes droits. Nous entendons ainsi honorer la mère de famille, et nous considérons cette question comme entièrement distincte de celle du vote des femmes, étrangère à la question de la repopulation. Si le vote des femmes passait quelque jour dans la législation, la femme mariée voterait pour elle-même, et le nombre des voix du mari serait diminué d’une unité. Avec le vote familial serait réalisé un suffrage vraiment universel. Le père de famille aurait alors un rôle prépondérant, résultat dont les conséquences seraient de grande importance. Nous jugeons indispensable l'introduction du vote fonitial. Peut-être, sans cette réforme capitale, est-il impossible d'arriver à développer la famille et à la protéger autrement que d’une manièré purement verbale et oratoire. Rien ne montrerait mieux l'importance qu'ont dans la cité les grandes familles, et la mentalité générale à leur endroit serait FO trans- formée. On devra d’ailleurs employer tous les moyens propres à entourer de respect les familles nombreuses. Il ne suffit pas de leur donner des indemnités pécuniaires; il faut aussi les honorer. Rien n’est à négliger pour replacer dans l'estime publique au rang qui leur est dû, ceux qui assurent l’avenir de la Patrie en lui donnant de nombreuxenfants. Ils lui donnent aujourd’hui de nombreux soldats. Ce sont les grandes familles . qui, dans la guerre actuelle, subissent les épreuves les plus cruelles: la France leur devra une éternelle reconnaissance. Telles sont les réflexions que nous a inspirées une question angoissante entre toutes. Je m'excuse de vous avoir tracé un tableau parfois bien sombre, mais un patriotisme éclairé exige aue nous nous voyions par nos mauvais, comme par nos beaux côtés. Au reste, nous avons parlé de la France d'hier. Après un + , qui aura non RE si eut son désir de ; ra pas de ose Les docteurs d’ outre-Rhin 2 EC * 4 à 5 e- # Ad : : Fr - L L'OEUVRE . HENRI POINCARÉ® 2e 65 ——— Quelqu'un demandait un jour à J.-B. Dumas, à propos de Claude Bernard : « Que pensez-vous de ce grand physiologiste ? ». et Dumas répondit : « Ce n’est pas un grand physiologiste, c’est : la physiologie elle-même. » On pourrait dire pareïllement de Henri Poincaré qu'il ne fut pas seulement un grand mathéma- ticien, mais la mathématique elle-même. Dans l’histoire des sciences mathématiques, peu de mathématiciens ont eu, comme lui, la force de faire rendre à l’esprit mathématique tout ce qu'il était à chaque instant capable de donner. En mathématiques pures, Sa puissance d'invention fut prodigieuse, et l'on reste confondu devant la maîtrise avec laquelle il savait forger l’outil le mieux approprié dans toutes les questions qu'il attaquait. Poincafé ne fut étranger à aucune des sciences parvenues à un stade assez avancé pour être susceptible de prendre, au moins dans certaines de leurs parties, une forme mathématique. Il a été en pärticulier un grand critique des théories de la physique moderne, habile à les comparer et à mettre en évidence leur véritable origine, aimant aussi à signaler leurs points faibles et leurs contradictions. Sa réputation, comme philosophe, fut considérable. Toute conception philosophique est de sa nature controversable; mais, quelque opinion qu'on puisse avoir sur certaines idées de Poincaré, l'admiration n’en est pas moins vive pour le noble penseur, le dialecticien subtil et l'écrivain au ‘Style personnel où rivalisent l'esprit géométrique et l'esprit de finesse. À défaut d’une étude détaillée qui demanderait un long travail, je vais essayer de tracer une esquisse de l’œuvre du grand géomètre dont la disparition fut, l’an dernier, une perte irréparable pour la science. (:) Extrait des Annales de l'École normale supérieure, 3° série, t. XXX, p- 453 (1913). Ce qui caractérise le génie mathématique de Poincaré, c’est sa puissance à embrasser d'emblée les questions daris toute leur généralité et à créer de toutes pièces l'instrument analytique permettant l'étude des problèmes posés. D’autres, et c’est ainsi qu’'opèrent la majorité des chercheurs, commencent par s’en- _quérir de ce qui a été fait dans la voie qu’ils veulent explorer; la documentation est pour eux un travail préliminaire. Poincaré s’attarde rarement à étudier les travaux antérieurs. Tout au plus, parcourt-il rapidement quelques-uns d’entre eux; de vagues indications lui permettent de retrouver des chapitres entiers d’une théorie. Au fond, les questions d’attribution lui furent souverainement indifférentes, et le détail de l’histoire des sciences l’intéressait très peu. La théorie des groupes fuchsiens et des fonctions fuchsiennes, qüi illustra son nom presque au début de sa carrière scientifique, fournit des exemples à l'appui de ces remarques. Quand Poin- caré commença ses études sur les groupes fuchsiens, c'est-à-dire l i 1 ee eee sur les groupes discontinus de la forme (2 RE qui transforment une circonférence en une circonférence ou, ce qui revient au même, un demi-plan en un demi-plan, de nom- breux cas particuliers (depuis Jacobi et Hermite) se rattachant à la théorie des fonctions elliptiques avaient été étudiés. Poin- caré ne les connaissait pas alors; son point de départ est simple- ment le pavage du plan entier par des parallélogrammes égaux, et c’est là qu'il s’élance pour résoudre dans toute sa généralité le problème du pavage d’un demi-plan par un ensemble de po- lygones curvilignes. Il paraît avoit été conduit à ce problème par l'étude qu'il faisait alors de la géométrie non euclidienne de Lobatschewsky, dont Beltrami avait donné une interpréta- tion dans le demi-plan euclidien, les courbes jouant le rôle de _ droites étant alors des circonférences orthogonales à la droite qui limite le demi-plan. La loi de génération des groupes fuch- siens paraissait extrêmement difficile à trouver. On apercevait -assez facilement une condition nécessaire; par une analyse pro- fonde, où il montre en même temps un sens géométrique très affiné, Poincaré montre que cette condition est suffisante. El “C'était là une grande découverte. Il fallait maintenant dé- montrer l'existence de fonctions invariables par les substitu- = tions des groupes trouvés. Poincaré forme alors des séries entière- Ë rement nouvelles (fonctions thêtafuchsiennes) qui lui permettent | # d'arriver au but; la théorie des fonctions fuchsiennes était créée. Une magnifique moisson allait en sortir : l'intégration des équations différentielles linéaires algébriques à points singu- É F _liers réguliers, et l'expression des coordonnées des points d'une courbe algébrique quelconque par des fonctions nous Dcieanes) d’un paramètre. Mais Poincaré va encore plus loin dans ses mémoires célèbres des premiers volumes des Acta mathematica. Les substitutions - des groupes fuchsiens laissaient invariable une circonférence. - N'y aurait-il pas des groupes linéaires discontinus plus géné- . raux ? La recherche de la génération de tels groupes, telle que la donne Poincaré (groupes kieinéens), témoigne d’une audace | extraordinaire ; il la déduit de la division d’un demi-espace . ” (espace situé du mêmé côté d’un plan) en polyèdres limités par _ des surfaces sphériques orthogonales au plan limite. Certains _ de ces groupes kleinéens CONGRENT à considérer des courbes = es surtout pour l’époque, ayant des tangentes mais - mayant pas de courbure; ce sont elles qui, dans une certaine _ mesure, jouent pour les fonctions kleinéennes le même rôle que jouait la circonférence pour les fonctions fuchsiennes. ” Les mémoires précédents mettaient, à moins de 30 ans, _ Poincaré hors de pair. Sa carrière scientifique ne faisait cepen- _ dant que commencer. D’autres travaux d’analyse pure vont, = dans les années suivantes, asseoir définitivement sa renommée. Il généralise en 1884, dans un court article, le théorème d’uni- _ formisation des fonctions algébriques d’une variable, en faisant voir que, si y est une fonction analytique quelconque de x, on peut exprimer x et y par des fonctions analytiques d’une variable, uniformes dans tout leur domaine d'existence. C’est - dans ce mémoire qu’on voit apparaître pour la première fois les — surfaces de Riemann ayant un nombre infini de feuillets. Poin- - caré y est revenu récemment pour compléter quelques points : - la question revient, au fond, à établir la possibilité d’une repré- -sentation conforme d’une surface de Riemann simplement Er 7-9 = . » . - connexe ayant un nombre infini de feuillets, soit sur un cercle, - soit sur un plan entier. L’uniformisation des courbes algé- Le 90m 2 briques, établie d’abord par Poincaré dans sa théorie des fonc- tions fuchsiennes, n’est plus alors qu’un cas particulier d’une loi très générale. Théoriquement au moins, l'étude des fonc- tions analytiques multiformes d’une variable se trouve ra- menée à l’étude des fonctions uniformes. C’est un des grands titres de gloire de Cauchy d’avoir créé la théorie des fonctions de variables complexes et d’avoir ainsi ouvert un domaine immense à l'analyse mathématique. Cauchy avait considéré les intégrales simples, mais l'extension aux intégrales doubles de son théorème fondamental relatif aux intégrales prises le long d’un contour présentait de très sérieuses difficultés. Poincaré est parvenu à les surmonter. Il définit d'abord avec précision ce qu'on doit entendre par l'intégrale double [ £ F (x, y) dx dy d'une fonction analytique F (x, y) de deux variables complexes x et y, prise sur un continuum à deux dimensions situé dans l’espace à quatre dimensions cor- respondant aux deux variables complexes, et il établit que, si le continuum d'intégration est fermé et si l’on peut le déformer sans rencontrer des singularités de F, l'intégrale double garde la même valeur. Ce résultat, capital dans la théorie des fonctions dé: deux variables, a posé un grand nombre de questions. Si F est une fonction rationnelle, il y a lieu d'envisager les résidus de l'intégrale double; si F est une fonction algébrique de x et y, on a été ultérieurement conduit à considérer les périodes de l'inté- grale double. Il nous faut encore citer, dans le domaine des fonc- tions analytiques de deux variables, le théorème d’après lequel toute fonction uniforme de deux variables présentant partout à distance finie le caractère d’une fonction rationnelle peut se mettre sous la forme d’un quotient de deux fonctions entières. La démonstration en est très délicate; l’auteur sait y manier. habilement les quatre équations différentielles auxquelles satis- fait la partie réelle d’une fonction analytique, dont la seule considération eût arrêté un chercheur moins puissant. C’est dans une période de cinq à six ans (1880-1886) que Poincaré a publié les travaux dont nous venons de parler. Jamais il ne fit preuve d’un plus grand esprit d'invention, jamais n’apparurent mieux ses dons de voyant. Sa merveilleuse intuition sautait par-dessus des difficultés qui auraient troublé des esprits obligés d'avancer pas à pas. De son regard pénétrant, TS PTT TN OM CT PE da LA an 4 à ia ME. Nat) ' } à $ : l voit les points où il faut donner l'assaut et il arrive d'un bond _ au cœur de la place attaquée. Aussi a-t-on parfois l'impression qu'il y a dans le développement de sa pensée quelque chose _de heurté, comme si le voile cachant la vérité se déchirait brus- _quement devant lui. Il y a, dans ses mémoires, rapidement écrits d'assez nombreuses erreurs de détail, mais sans importance, sauf = de rares exceptions, sur les résultats essentiels. Poincaré était . de ces rares savants pour qui n'est pas faite la devise pauca, Sed matura, et les mathématiciens trouveront longtemps des . mines à exploiter dans les idées qu'il jetait à la hâte. II. Nous sommes loin d’avoir fait allusion à tous les travaux - importants de Poincaré dans la théorie des fonctions ana- lytiques ; rappelons seulément d'un mot ses études sur les fonc- _ tions entières et ses recherches concernant les développements asymptotiques des intégrales des équations différentielles _ Jinéaires sur les droites aboutissant à-un point singulier irrégu- _ lier au sens de Fuchs. En même temps qu'il continuait ses tra- vaux précédents, Poincaré poursuivait des recherches pouvant ns trouver une application immédiate à des questions de géo- métrie et de mécanique. Il a consacré de nombreux mémoires à l'étude des courbes définies par des équations différentielles, … c'est-à-dire à l'étude des équations différentielles dans le champ réel. Le premier mémoire montre nettement le point de vue. auquel il va se placer; il s’agit de se rendre compte de l'allure É générale des courbes intégrales (ou caractéristiques). Ainsi soit. dy = l'équation _ — 7, où X et Y sont des polynomes en xet y; on - + ESS : va d’ailleurs remplacer le plan (x, y) par une sphère qui lui correspond homographiquement. Après la discussion des divers. points singuliers (foyers, cols, nœuds, centres exceptionnelle- . ment) vient la distinction entre les caractétistiques dont la continuation se trouve arrêtée par un nœud et celles qui, à x partir d’un certain moment, ne passent plus par un nœud. Au _ sujet de ces dernières, Poincaré établit qu'elles sont, ou bien des À cycles (courbes fermées), ou bien des courbes asymptotes à un - cycle limite (qui peut se réduire à un foyer). Il faut alors fixer - approximativement la position des cycles limites; c'est là une. question très délicate, qu’on ne ue espérer r résondre que si les cycles limites sont en nombre fini. La question est plus difficile encore pour les équations du pre- mier ordre et de degré SUPÉEUT: Il peut arriver ici, contraire- ment au cas precedent, qu'une caractéristique puisse se rap- procher, ‘autant qu'on voudra, d’un point arbitraire dans une. aire convenable. De plus, et cela est capital, le genre riemannien d’une certaine surface fermée attachée à l'é équation différen- tielle intervient dans la discussion des caractéristiques. Ce n’est pas un des moindres mérites de Poincaré d’avoir montré le rôle. de l’analysis situs dans ces questions; depuis cette époque, il ne cessa d’ailleurs de s'intéresser aux problèmes de la géométrie. de situation, qui exigent une si grande tension d'esprit dans le : cas des multiplicités à plus de trois dimensions, et sur lesquels il écrivit de profonds mémoires, d’une lecture difficile. Plus complexe encore est le cas des équations d'ordre supé- rieur au premier; les mémoires consacrés aux équations du second ordre sont pleins d'idées suggestives et mettent en évi- dence les éléments fondamentaux du problème. L'étude des points singuliers ne suffit plus; il est nécessaire d'introduire une notion nouvelle. Soit une courbe fermée quelconque et un … domaine comprenant tous les points voisins de cette courbe; il faut étudier la forme générale des caractéristiques à l'inté- rieur de ce domaine, et les problèmes si délicats relatifs à la stabilité se présentent d'eux-mêmes. Tout était à créer dans ces études, alors toutes nouvelles, où Poincaré a été un précurseur et qui ne seront pas de sitôt épuisées. Poincaré ne cessait de penser aux applications de ces résultats à la mécanique céleste et d’une manière générale à la mécanique analytique. Comme par une ironie singulière d’un dieu malin poursuivant les mathématiciens qui veulent appliquer leurs études aux phénomènes naturels, la forme des équations de la mécanique analytique correspond aux cas où la discussion est la plus délicate. Le fruit de ces longues méditations fut l'appa- rition d’un ouvrage en trois volumes : Les méthodes nouvelles de la mécanique céleste. L’effort analytique dont témoignent œuvre sont en elles-mêmes extrêmement importantes pour l'analyse, et peuvent être utilisées pour d’autres questions. Sans doute, le problème de mécanique céleste qu'avait d’abord .ces volumes ne saurait être trop loué; les méthodes mises en a Le que la solution même de ce problème et contri- ront un jour à sa solution ('). . résultats négatifs. contenus dans le grand ouvrage de 1CArÉ attirent tout d’ abord l'attention. L auteur établit que | pue uniforme que. les intégrales des forces vives et des aires. 5 péee de dass dans la démonstration de ce | ste, go on suppose les conditions initiales arbitraires; _ cela n'empêche pas d’ailleurs leur utilisation courante en astro- * nomie, où il arrive que les termes employés commencent par # décroître. Ces résultats toutefois ne sont pas établis par Poin- _caré dans toute leur généralité. Ainsi, dans le cas de trois corps, - les masses de ceux-ci ne sont pas quelconques; l’une étant », les masses des deux autres sont de la forme «, 1 et x, 1, étant une constante suffisamment petite. Il n’est guère douteux que Fa conclusions alent, quelles que soient les masses, et dans le . les que, pour & < w,, on a les deux ellipsoïdes de révolution de - Maclaurin et, pour » < »,, on a en outre une ellipsoïde à trois axes inégaux de Jacobi. L'ensemble des ellipsoïdes de Mac-. * Jaurin constitue deux séries de figures d'équilibre variant avec 4 la vitesse angulaire, l'ensemble des ellipsoïdes de Jacobi en cons- - titue deux autres. Si l’ on considère une de ces figures ellipsoï- _ dales E d'équilibre avec la vitesse angulaire correspondante s, et si l’on donne à » un petit accroissement n, on peut se re _ mander si, pour la vitesse angulaire » + n, il existe des figures * d'équilibre, autre que les ellipsoïdes, qui, en variant d’une ma- F. nière continue avec n, se confondent pour n — 0 avec l’ellip- £ soïde E. C'est le problème que se posait Poincaré en 1885, ce cqui Va conduit à une infinité de nouvelles figures d'équilibre; - à la vérité, il se borne dans cette recherche à la première PO TER Vis dE je au FF NUrU 7 {a -_ comprendre dans son analyse le cas des chocs que M. Sundmann est = arrivé à une solution du problème de trois corps (voir la note ci-dessus). | PICARD ; 5 ; 14 + < Ex — 210 — approximation, et il ne conclut l'existence effective des nou- velles figures qu’en étendant d’une manière peut-être contes- table, au cas des fluides, des remarques très ingénieuses sur les équilibres de bifurcation démontrées seulement pour des sys- tèmes dont:la position ne dépend que d’un nombre fini de paramètres. Les nouvelles figures sont toutes instables, sauf peut-être une célèbre figure piriforme correspondant à la vitesse angulaire la plus petite qui donne des ellipsoïdes de Jacobi stables. Il semble bien, d’après les dernières recherches de M. Liapounoff qui a étudié de son côté avec une grande rigueur les problèmes précédents par d’autres méthodes, que la figure piriforme est instable. Les figures piriformes ont-elles joué un rôle cosmogonique ? C'était l'avis de Sir Georges Darwin. Dans le refroidissement lent, il est possible que la figure piriforme se creuse tout d’un coup et qu'il y ait une séparation du corps en deux : telle aurait été, dans cette vue, la Lune sortant de la Terre. Il ne faut pas d’ailleurs oublier, dans les applications à la cosmogonie, que, dans ce qui précède, il s'agissait de substance homogène, ce qui risque d’éloigner beaucoup de la réalité. Aucune partie de l’astronomie prise dans son acception la plus étendue n’est restée étrangère à Poincaré. Un de ses dér- niers cours fut consacré aux Hypothèses cosmogoniques. Toutes les hypothèses faites depuis Kant et Laplace sur la formation du système solaire y sont discutées d’une façon très serrée, mais Poincaré ne se borne pas à notre système et étend son regard perçant jusqu'aux étoiles et aux nébuleuses. Avec quelle cri- tique pénétrante il discute les vues d’Arrhénius sur la possibi- lité-qu'a l’univers d'échapper à la mort thermique que semble lui réserver le principe de Carnot, et que de vues pleines d'une imagination grandiose dans le chapitre où la Voie lactée est comparée à la matière radiante de Crookes. Aucun livre ne saurait donner une plus haute idée de la poésie de la science. III. De la mécanique céleste à la physique mathématique, la tran- sition est facile. La physique mathématique offre au mathéma- ticien de nombreux sujets d'étude, soit qu’il se propose de faire un examen critique des principes des théories, soit que, sans dis- NI —- j4 1 F d. Vr nt Lt te: P bd ns au La Le nt | cuter ceux-ci, il se contente de chercher les solutions des pro- blèmes précis auxquels a conduit le développement de ces théories. Dans ce dernier cas, la question revient le plus souvent, dans l’état actuel de la science, à l'intégration d'équations aux dérivées partielles avec certaines conditions aux limites. Sur la : physique mathématique ainsi entendue, qui n'est en fait qu'un - _ chapitre de l'analyse, Poincaré a écrit des mémoires justement _ renommés. Que d'idées nouvelles sont jetées dans ses recherches sur les fonctions harmoniques; sa méthode du balayage est encore aujourd'hui très précieuse dans le cas où la surface a des _singularités, malgré les points de vue introduits récemment dans ces questions par la théorie des équations intégrales. Le mémoire sur la méthode de Neumann montre que cette méthode peut encore être appliquée quand la surface n'est pas con- _ vexe, et renferme des vues originales sur des fonctions, dites - jondamentales, généralisant, sur une surface fermée quelconque, _les fonctions de Laplace relatives à la sphère. Le travail sur les équations de la physique mathématique, paru en 1894, res- tera particulièrement mémorable; il y est établi pour la pre- mière fois que, pour une équation aux dérivées partielles se “présentant dans la théorie de la vibration des membranes et - renfermant linéairement un paramètre arbitraire, l'intégrale prenant des valeurs données sur un contour est une fonction méromorphe de ce paramètre, et de là est résultée une démons- _tration mathématique rigoureuse de l’existence des harmo- niques en nombre infini d'une membrane vibrante. Je voudrais me borner, mais comment passer sous silence les -études de Poincaré sur les marées. Laplace avait abordé, comme - on sait, dans sa Mécanique céleste le problème des marées au point de vue dynamique, mais l'intégration des équations obtenues en introduisant les conditions complexes de la confi- guration des mers était alors bien au-dessus des forces de l’ana- lyse. Malgré d'admirables travaux de la plus haute importance au point de vue pratique, la théorie mathématique des marées n'avait fait aucun progrès, mais les récentes études sur la théorie des équations aux dérivées partielles et ses rapports avec les équations intégrales fournissait de nouvelles armes, dont Poincaré s “empare avec sa maîtrise habituelle; il put - établir que le problème des marées se ramène à une équation de Fredholm ou à un système de deux équations de Fredholm, — 212 — suivant qu'on néglige ou non ce qu’on appelle l'attraction du bourrelet. Théoriquement, le problème des marées était résolu. Sans doute, pour tirer parti du résultat de Poincaré, il faudra, : outre la configuration des côtes, connaître partout la profon- deur des mers, et les calculs, auxquels conduit la méthode, seront d’une effroyable complication. C’est souvent le triste destin des mathématiciens que, quand ils sont arrivés après de longs efforts à la solution rigoureuse d’un problème offert par la mécanique ou la physique, cette solution est si com- pliquée qu'elle est pratiquement inutilisable, Ils ont raison cependant de ne pas se décourager, car, outre que l’idée de com- plication est très relative, on peut espérer tirer de la seule forme d'une solution complète des lois générales que seraît impuis- sante à donner une solution approchée. Dans le livre de Poin- caré sur les marées, les analystes peuvent trouver de difiiciles sujets de recherches. Se Citons encore ici, à cause de leur caractère surtout analytique, les beaux mémoires des Acta mathematica où Poincaré à donné, en partie au moins, l'explication des curieux phénomènes observés par M. Gouy sur la diffraction éloignée, en entendant par”là les phénomènes optiques dans lesquels la déviation des - rayons diffractés est considérable. IV. Poincaré ne traita pas seulement de la physique mathéma- tique en analyste. On est émerveillé devant les vingt volumes reproduisant son enseignement pendant qu'il occupa la chaire de physique mathématique à la Sorbonne. Sur les sujets les. s plus variés, élasticité, hydrodynamique, théorie de la chaleur, thermodynamique, capillarité, optique, électricité, il apparaît comme un dominateur; c'est un jeu pour lui de mettre à nu les mécanismes analytiques qui, sous. des manteaux divers, se: retrouvent souvent en physique mathématique, et son esprit critique aime à signaler les difficultés et les contradictions. Ainsi, en élasticité, tandis qu'on parlait couramment des vingt et un coefficients d’élasticité, Poincaré montre qu'on doit en compter vingt-sept en général, c'est-à-dire quand les forces. extérieures ne sont pas nulles dans l’état d'équilibre naturel. . # En optique, une expérience ARR de Wiener sur l'inter- 2 ; . férence de deux rayons rectangulaires avait amené à conclure, - comme le supposait Fresnel, que la vibration lumineuse se fait perpendiculairement au plan de polarisation. Pour Poincaré, . n'y a rien à tirer de cette expérience, quant à la direction des wibrations. La conclusion ci-dessus est légitime si l’on admet _ que l'intensité de l’action chimique de la lumière est propor- tionnelle à la force vive moyenne de l’éther; mais on doit, au contraire, regarder avec Neumann que la vibration est dans le _ plan de polarisation si cette intensité est proportionnelle à l'énergie potentielle moyenne de l’éther. - Des expériences nouvelles d’un grand intérêt sont-elles faites, Poincaré les discute immédiatement dans son enseignement, proposant ses explications et incitant les expérimentateurs à de nouvelles recherches: tel fut le cas des expériences de Hertz, Où il insista sur le rôle de l'amortissement dans l’excitateur et _ le résonateur, que mirent ensuite en évidence divers physiciens. C'est une des caractéristiques du génie de Henri Poincaré qu il réunit un prodigieux esprit d'invention à un esprit critique L 2e extrêmement aiguisé. Sa critique semble même aller parfois jusqu'au scepticisme ; il contemplait sans tristesse les ruines des ” théories. Alors que d’autres constatent avec regret que cer- taines idées ne s’accommodent plus aux faits, et commencent par penser que ceux-ci ont été mal vus ou mal interprétés. Poincaré a plutôt une tendance contraire, bien qu’elle se soit peut-être atténuée dans les dernières années. Ainsi un jeune physicien ayant cru jadis pouvoir s'inscrire contre la célèbre expérience de Rowland, d’après laquelle une charge électrique en mouvement produit un champ magnétique conformément à la théorie de Maxwell, cette annonce ne parut pas étonner _ Poincaré. Nul n'eut moins que lui la notion statique d’une -Science se reposant sur quelques conquêtes définitives, et c'est ce qui explique que plusieurs se soient crus autorisés à tirer de certains de ses écrits, où il poussait sa tendance critique presque jusqu’au paradoxe, des conclusions sur la vanité de la science contre lesquelles il dut protester. elques préfaces des lecons de Poincaré ont vivement q P ec attiré l’attention. Dans l'introduction du livre Électricité et optique, il discute ce qu'on doit entendre par « interprétation _ mécanique d'un phénomène ». Cette interprétation est ramenée — 21h — - d’après lui à la possibilité de la formation d’un système d’équa- tions de Lagrange avec un certain nombre de paramètres g,, Ga» -.., Qn que l'expérience atteint directement et permet de mesurer. Dans ces équations figurent l'énergie cinétique T et une fonction des forces U. Cette possibilité étant supposée, on pourra toujours déterminer p masses #1, (masses visibles où cachées) et leurs 3p coordonnées (x;, y:, z;) fonctions des g (en prenant p assez grand), de manière que la force vive de ce système de masses soit égale à l'énergie cinétique T figurant dans les équations de Lagrange. L’indétermination est ici très grande, et c’est précisément là qu’en veut venir Poincaré, dont la conclusion est que, s’il y a une explication mécanique, il y en a une infinité. Il faut avouer, dirons-nous, que cette indéter- mination est même trop grande, car on perd complètement de vue les corps en présence. Ainsi, suivant les formes qu'auront l’ensemble des masses partiellement indéterminées ";, on n'aura pas nécessairement, dans la suite, les mêmes mouvements: il pourra, par exemple, y avoir ou non des chocs. Que devient aussi la répartition des forces réelles dans les systèmes en partie fictifs auxquels on est ainsi conduit ? Dans la préface de sa Thermod ynamique, Poincaré, voulant descendre en quelque sorte jusqu’au fond du principe de la conservation de l'énergie, conclut que « la loi de Meyer est une forme assez souple pour qu'on puisse y faire rentrer presque tout ce qu’on veut ». Il semble à la vérité un peu effrayé de sa ‘conclusion, car il ajoute plus loin qu'il ne faut pas « pousser jusqu’à l’absolu ». Nous retrouverons cet esprit hypercritique, si j'ose le dire, dans certains écrits philosophiques de Poin- caré. | Poincaré, sans cesse curieux de nouvelles théories et de nou- veaux problèmes, ne pouvait manquer d’être‘attiré par l'élec- tromagnétisme qui tient une si grande place dans la science de notre époque. On ne saurait trop admirer avec quelle sûreté et quelle maîtrise il repense les diverses théories, les faisant ainsi siennes. Il leur donné parfois une forme saisissante, comme quand, dans l'exposition de la théorie de Lorentz, il distingue entre les observateurs ayant les sens subtils et les observateurs ayant les sens grossiers. La considération, bien personnelle à Poincaré, de ce qu’il appelle « la quantité de mouvement élec- tromagnétique », la localisation de celle-ci dans l’éther et sa £ CH nt lot î de. | À D Q y D on M del vi ne Atuñté nd P D. Ë LOU © de Lan dB tar à lb MA LC: à 4 AC NN TP AM PUNT CR De. en es 2 È : — 915 LE venues rétablir d'importantes analogies. Le mémoire sur la _ dynamique de l’électron, écrit en 1905, restera dans l'histoire _du principe de la relativité; le groupe des transformations de - Lorentz, qui n’altèrent pas les équations d’un milieu électro- - magnétique, y apparaît comme la clef de voûte dans la discus- _ sion des conditions auxquelles doivent satisfaire les forces dans la nouvelle dynamique. La nécessité de l'introduction dans lélectron de forces supplémentaires, en dehors des forces de _ liaison, est établie, ces forces supplémentaires pouvant être _ assimilées à une pression qui régnerait à l'extérieur de l’électron. Poincaré montre encore quelles hypothèses on peut faire sur la . gravitation pour que le champ gravifique soit affecté par une - transformation de Lorentz de la même manière que le champ électromagnétique. On sait l'importance qu'a prise aujourd’hui le principe de la - relativité, dont le point de départ est l'impossibilité, proclamée sur la foi de quelques expériences négatives, de mettre en évi- dence le mouvement de translation-uniforme d'un système au - moyen d'expériences d'optique ou d'électricité faites à l’inté- rieur de ce système. En admettant, d'autre part, que les idées - de Lorentz et ses équations électromagnétiques sont inatta- quables, on a été conduit à regarder comme nécessaire le chan- gement de nos idées sur l’espace et sur le temps; espace et temps 5 (x, y, zet é) n'ont plus leurs transformations séparées et entrent simultanément dans le groupe de Lorentz. La simultanéité de deux phénomènes devient une notion toute relative; un phéno- … mène peut être antérieur à un autre pour un premier observa- teur, tandis qu'il lui est postérieur pour un second. Les ma- thématiciens, intéressés par un groupe de transformations qui transforment en elle-même la forme quadratique ++ z— C2 (c — vitesse de la lumière) se sont livrés à d'élégantes dissertations sur ce sujet et ont sans doute con- tribué à la popularité du principe de relativité. A d’autres époques, on eût peut-être, avant de rejeter les idées tradition- - … nelles de l'humanité sur l'espace et le temps, passé au crible d’une critique extrêmement sévère les conceptions sur l’éther et la formation des équations de l’électromagnétisme; mais le désir du nouveau ne connaît pas de bornes aujourd'hui. Les objections ne manquent pas cependant, et d’illustres physiciens, propagation avec une perturbation électromagnétique sont | — 916 — comme Lord Kelvin et Ritz, sans parler des vivants, ont émis des doutes très motivés. La science assurément ne connaît point de dogmes, et il se peut que des expériences positives précises nous forcent un jour à modifier certaines idées devenues notions de sens commun; mais le moment en est-il déjà vénu ? Poincaré voyait le danger de ces engouements, et, dans une conférence sur la dynamique nouvelle, il adjurait les professeurs de ne pas jeter le discrédit sur la vieille mécanique qui a fait ses preuves. Et puis, il a vécu assez pour voir les principaux pro- tagonistes des idées nouvelles ruiner partiellement au moins leur œuvre. Dans tout ce relativisme, il reste un absolu, à savoir la vitesse de la lumière dans le vide, indépendante de l’état de repos ou de mouvement de la source lumineuse. Cet absolu va probablement disparaître, les équations de Lorentz ne repré- sentant plus qu’une première approximation. Les plus grandes difficultés viennent de la gravitation, au point que certains théoriciens de la physique croient ne pouvoir les lever qu’en attribuant de l’inertie et un poids à l’énergie, d’où en particu- lier la pesanteur de la lumière. Si Poincaré avait vécu, il eût sans doute été conduit à rapprocher des vues actuelles son essai de 1905 sur la gravitation. Au milieu des incertitudes qui se présentent aujourd’hui en électro-optique, son esprit lumineux va nous manquer singulièrement. Il faut avouer que dans tout cela les bases expérimentales sont fragiles, et peut-être Poin- caré eût-il suggéré des expériences apportant un peu de lumière dans cette obscurité. | Un des derniers travaux de Poincaré a été une discussion approfondie de la théorie des quanta, édifiée par Planck, d'après laquelle l'énergie des radiateurs lumineux varierait d'une ma- nière discontinue. De ce point de vue «les phénomènes physiques, dit Poincaré, cesseraient d’obéir à des lois exprimables par des équations différentielles, et ce serait là sans aucun doute la plus grande révolution et la plus profonde que la philosophie natu- relle ait subie depuis Newton ». Quelque grande, en effet, que doive être cette révolution, il est permis toutefois de remarquer que des circonstances plus ou moins analogues se sont déjà présentées. Ainsi, dans un gaz à la pression ordinaire, on peut parler de pression et l’on peut appliquer les équations différen- tielles de la dynamique des fluides; il n’en est plus de même dans un gaz raréfié, où il n’est plus possible de parler de pression. limites entre lesquelles nous étudions une catégorie de phéno- . mènes, de représentations analytiques différentes, si pénible _ que puisse être cette sorte de pluralisme pour ceux qui rêvent - d'unité. Mais c’est là encore le secret de l'avenir, et il serait . Aimprudent d'affirmer qu'on ne trouvera pas quelque biais per- mettant de rétablir dans nos calculs la continuité. Ÿ: Les nombreux écrits de Poincaré, sur ce qu’on appelle la _ philosophie des sciences, ont fait connaître son nom à un public très étendu. Nos entrons ici dans un autre domaine que celui _ dés recherches proprement scientifiques, et je n’ai pas l’inten- tion d'étudier à fond cette partie de son œuvre. Il y est tout Fa abord singulièrement diffcile de se rendre compte de l’ori- » thèse dans la science, Poincaré s’est rencontré plus d’une fois _ avec divers auteurs, mais l’illustration de son nom, consacrée - par tant de découvertes mathématiques, donnait à ses opinions = - une autorité particulière. La forme en ces questions est aussi de grande importance. La phrase concise de Poincaré, allant droit au but, parfois avec une légère pointe de paradoxe, produit une singulière 1 HAPFESSION ; on est un moment subjugué, même quand on sent qu'on n'est pas d'accord avec l’auteur. Mainte page de Poincaré a produit sur plus d’un lecteur un vif sentiment d’admiration en même temps qu’une sorte d’effroi et d’agacement devant tant de critique. _ On a parlé quelquefois de la philosophie de Poincaré. En fait, penseur indépendant, étranger à toute école, Poincaré ne chercha jamais à édifier un système philosophique, comme un _ Renouvier, un Bergson ou même un William James. Il a écrit des livres de « Pensées », où savants et philosophes trouvent ample matière à réflexions. Il n’est esclave d’aucune opinion, pas même de celle qu’il a émise antérieurement, et il sera un jour intéressant de suivre certaines variations de sa pensée, où _ l'on voit quelque peu s’atténuer ce qu'on a appelé son nomi- _ nalisme. Il fut ainsi conduit à expliquer certaines affirmations T1 faudra peut-être nous résigner à faire usage, suivant les = _ ginalité de telle ou telle étude; ainsi, dans ses écrits sur l'hypo- : — 218 — qui, prises trop à la lettre, avaient été mal comprises et uti- lisées dans un dessein dont il n’avait aucun souci. Si l’on voulait toutefois caractériser d'un mot les idées de Poincaré, on pourrait dire que sa philosophie est la philosophie de la commodité. Dans quelques-unes de ses pages, le mot com- mode revient constamment et constitue le terme de son expli- cation. D'aucuns pensent qu'il faudrait donner les raisons de cette commodité, et, parmi eux, les plus pressants sont les bio- logistes toujours guidés par l’idée d'évolution. La commodité résultera pour eux d’une longue adaptation, et, ainsi appro- fondie, deviendra un témoignage de réalité et de vérité. À l'opposé des évolutionnistes, d’autres ne voient que l'esprit humain tout formé et sa fonction la pensée. A certaines heures au moins, Poincaré fut de ces derniers, et cet idéalisme lui a inspiré des pages d’une admirable poésie qui resteront dans la littérature française; telle cette dernière page de son livre sur la valeur de la science, qui débute par ces mots « Tout ce qui n’est pas pensée est le pur néant ». Entre des doctrines si diffé- rentes toute communication est impossible, et l’on arrive à se demander si l’on peut discuter de l’origine des plus simples notions scientifiques, sans avoir à l'avance une foi philosophique à la formation de laquelle auront d’ailleurs concouru d’autres éléments que des éléments proprement scientifiques. Pour ne pas rester uniquement dans les généralités, arrêtons- nous un moment sur les principes de la géométrie. Poincaré part d’un esprit humain, dans lequel l’idée de groupe préexiste et s'impose comme forme de notre entendement. L'esprit, après un travail d’abstraction aboutissant-aux premiérs concepts de la géométrie (point, droite, etc.), cherche à exprimer les rap- ports de position des corps; il le fait au moyen de l'idée de groupe, prenant le groupe le plus commode et le plus simple qui est le groupe de la géométrie dite euclidienne. Les propriétés géométriques ne correspondent, pour Poincaré, à aucune réalité; elles forment un ensemble de conventions que l'expérience a pu suggérer à l'esprit, mais qu'elle ne lui a pas imposées. L’évolu- tionniste dont je parlais plus haut voit là de grandes difficultés, non pas seulement pour la raison banale que la dualité ainsi posée entre l'esprit et le milieu extérieur est contraire à sa doc- trine, mais parce que, cherchant à retracer la genèse des ori- gines de la géométrie dans l’espèce humaine, il lui paraît impos- ble de séparer F rites des notions géométriques et celles des notions physiques les plus simples, la géométrie ayant dans Pdes temps très anciens fait partie de la physique. Sans changer 4% ensemble de ces notions, on ne peut, semble-t-il, remplacer le groupe euclidien par un autre, et les exemples cités du trans- -port d'un homme dans un autre milieu (où cet homme com- - mencerait par mourir) sont plus pittoresques que probants. On | _fetombe ainsi, sous un autre point de vue, sur les idées de Gauss $ qui considérait comme un fait expérimental que la courbure de 2 notre espace est nulle, et regardait, contrairement à Poincaré, .que la géométrie euclidienne est plus vraie que les géométries . non euclidiennes. Il y a sans doute bien des hypothèses, ne » disons pas des conventions, en géométrie, C’en est une, par - exemple, oubliée quelquefois, que notre espace est simplement » connexe. Peu importe quelle est la connexité de l’espace, quand on se borne à envisager une partie assez petite, celle-ci s’éten- dit-elle jusqu'aux lointaines nébuleuses, mais il pourrait en . être autrement quand on considère l’espace dans son ensemble. … Tous les esprits élevés trouveront; dans l’œuvre philoso- _ phique et littéraire de Poincaré, matière à longues réflexions, soit qu'ils se laissent convaincre par sa dialectique, soit qu'ils - cherchent des arguments contraires. Certaines pages sont d’une - austère grandeur, comme celle où la pensée est qualifiée d’«éclair au milieu d'une longue nuit ». Non moins suggestive est la parenthèse ouverte un peu avant « étrange contradiction pour = ceux qui croient au temps », où l’on est presque tenté de voir - un demi-aveu. Les inquiétudes qu’on peut concevoir au sujet - de la notion même de loi furent-elles jamais exprimées avec — plus de profondeur que dans l'étude sur l'évolution des lois ? J'ai déjà fait allusion au prétendu scepticisme de Poincaré. Non, Poincaré ne fut pas un sceptique; à certaines heures, il fut pris, - comme d’autres, d'angoisse métaphysique, et ilsut éloquemment - l'exprimer. Mais tournons le feuillet, et le savant, confiant dans - l'effort de l'esprit humain pour atteindre le vrai, nous apparaît dans des pages admirables sur le rôle et la grandeur de la . science. Les plus belles peut-être forment cet hymne à l’astro- _ nomie qu il faudrait faire lire aux jeunes gens à une époque où tend à dominer le souci exclusif de l’utile. Aucune des préoccu- pations de notre temps ne fut d’ailleurs étrangère au noble - esprit de Poincaré; c’est ce dont témoigne une de ses dernières F à 4 — 990 — études sur la morale et la science, où l'argumentation est irré- prochable, si par morale on entend la morale impérative de Kant. mr On ne ferme pas sans tristesse ces volumes d’un contenu si riche et dont quelques parties auraient été l’objet de nouveaux développements, si la plume n'était tombée des mains de leur auteur. Tous ceux qui ont le culte de la science pure et désinté- ressée ont été douloureusement émus par sa mort prématurée, mais ce sont surtout les sciences mathématiques qui sont cruel- lement frappées par cette disparition. Poincaré fut, avant tout, un profond mathématicien, qui, pour la puissance d'invention, est l’égal des plus grands. L'heure n'est pas venue de porter un jugement définitif sur son œuvre que le temps grandira, ni de le comparer aux plus célèbres géomètres du siècle dernier : peut-être Henri Poincaré fut-il encore supérieur à son œuvre ? “LA SCIENCE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE 0 ne, physiques et naturelles entendues au sens le plus usuel. _ Je veux tout d'abord dire quelques mots de ce qui me : paraît à la mentalité moyenne des hommes de science Teen et remarquables ouvrages sont publiés sur la hilosophie QE 20 2e et trouvent un grand nombre de lecteurs. N° \' Be prenant quelque intérétà ce ne est ini la PL sophie. I n’y a pas lieu de s’en étonner; tout au contraire. Les discussions chères aux écoles philosophiques de tous les temps. sur le réel et sur le vrai semblent oiseuses à ceux qui observent . et qui expérimentent. - Le savant (nous parlons bien entendu d’une manière géné- «2 Le en réservant les exceptions) est satisfait du sens commun. 150 Il pose tout d’abord le postulat que le monde qui nous entoure - est accessible à nos recherches et qu'il doit être intelligible pour nous. Il croit à la science, à laquelle il consacre parfois sa vie, et il se méfie des critiques subtiles qui n'ont jamais conduit à 2 ee =. < (*) Kevue scientifique, 9 novembre 1912. 008 des découvertes effectives. Claude Bernard disait, il y a déjà longtemps, que, pour faire de la science, il faut croire à la science; c'est là, incontestablement, pour celui qui cherche à faire œuvre scientifique, un point de départ et non un point d'arrivée. Il existe aujourd’hui une mentalité scientifique moyenne, carac- térisée par l’admission des postulats énoncés plus haut, et l'écho des discussions, qui ont parfois laissé l'impression qu’il y avait une crise de la science, n’est pas sans provoquer quelque impatience dans les laboratoires. Le savant a, en général, l'impression que le philosophe parle un autre langage que lui, et il ne cherche pas à le comprendre. EE Qu'est-ce donc que cette philosophie, que nous paraïssons, dans ce qui précède, opposer à la science ? Je n’en connais pas de meilleure définition que celle donnée par Jules Tannery, quand il parlait un jour de « ces inquiétudes que nous cultivons sous le nom de philosophie ». Le philosophe excelle à voir partout des difficultés, les notions les plus simples et les plus usuelles présentant parfois d'inextricables difficultés quand on veut les approfondir. La philosophie agite le plus souvent des questions sans réponses, du moins sans réponses pouvant être acceptées de tous. J'ai dit tout à l'heure que le point de départ de la science est dans le sens commun. La première affirmation du sens commun est sans doute celle de l'existence d'objets exté- rieurs à notre conscience. C’est une idée compliquée que celle de matière, et il est insuffisant de dire, avec Huxley, que « la matière est un nom pour la cause inconnue-et hypothétique de nos propres états de conscience ». Les théories de la perception sont innombrables; il faut une grande finesse de dialectique pour s’y aventurer. Si, dans ce domaine, on veut suivre M. Bergson, ce n’est pas sans peine qu’on atteindra « les données immédiates de la conscience », la perception, de l'avis de l’illustre philosophe, étant toujours mêlée de souvenirs. On peut discuter sans fin, pour savoir si, en formant les concepts des objets extérieurs, en hypostasiant nos sensations, suivant l'expression de M. Meyerson, notre entendement n’obéit pas à quelque principe interne, comme celui de causalité. Le terrain : 7. -m— _ devient ici singulièrement mouvant, et, dans ces spéculations __ d'ordre ontologique, chacun pense suivant son tempérament. _ Quelques-uns croient pouvoir éviter ces considérations méta- physiques sur le sens commun, en se plaçant au point de vue historique. Quoiqu'il y ait là quelque illusion, ce point de vue - est d’un grand intérêt. Quand on parle de sens commun, il - s’agit des époques historiques et des peuples civilisés, mais ce sens commun doit avoir une histoire. Il se peut que, dans l’huma- _nité, de très anciennes façons de penser aient survécu, malgré É _ tous les changements postérieurs survenus dans les conditions des hommes, et, dans son livre sur le pragmatisme, William ” James adopte cette thèse que nos conceptions fondamentales _ sur les choses sont des découvertes faites par certains de nos - ancêtres à des époques extrêmement éloignées et qui ont réussi à se maintenir à travers tous les siècles postérieurs. Ces con- ceptions forment le stade du sens commun. Ainsi auraient pris naissance les concepts de chose, de temps, d'espace, d'influences à causales, de réel, et bien d’autres, suivant lesquels continue à ‘penser tout homme, si cultivé soit-H, quand il n’est pas à ces _ heures de scepticisme aigu où le saisit «le doute métaphysique ». _ On décidera, suivant ses goûts, si les questions ont beaucoup - avancé pour avoir été ainsi reculées dans le lointain des âges. PP NT TT D de III. > Mais laissons ces scrupules et ces inquiétudes philosophiques. _ C’est en partant du sens commun devenu le moule dans lequel … évolue la pensée humaine que s’est développée la science. Aussi _ at-on pu dire très justement que la science était le prolonge- ment du sens commun, qu'elle rectifie d’ailleurs quand il y a lieu. C'est en tout cas l'opinion du savant dédaigneux des con- - troverses philosophiques, dont il a été question au début. Sans _ doute il ne se désintéresse pas complètement des critiques rela- __ tives à la science, surtout quand elles proviennent d'hommes _ ayant fait eux-mêmes œuvre scientifique. Il entend dire que, pour les uns, qui partent d’un empirisme radical, la réalité _ empirique immédiate est de suite déformée sous l'influence de motifs pratiques, la science n’ayant alors aucune valeur de -connaissance théorique et valant seulement pour l’action. Ce : — 224 — A point de vue pragmatique lui est fort antipathique, et il apprend avec quelque étonnement que « tandis que pour les autres doc- trines une vérité nouvelle est une découverte, pour le pragma- tisme c'est une zmvention » (1). Chez d’autres critiques de la science, celle-ci apparaît comme n'ayant de valeur que parce qu’elle conduit à une économie de la pensée, ou bien encore comme se ramenant à un système de conventions arbitraires mais commodes. Notre savant, tout en admirant leur virtuosité piiceophitue. n'est guère touché en général par ces discussions. Il se contente, nous l’avons dit, des données du sens commun, parmi lesquelles se trouve en premier lieu la notion du réel, dont la connaissance apparaît primitivement avec une incontestable valeur d'utilité, l'utile et e vrai étant dans ce stade inférieur extrêmement voisins. Mais la science a commencé précisément quand ce pre- mier stade a été dépassé, et qu’on s’est représenté le monde extérieur comme un tout cohérent, accessible à notre intelligence : c'est le prémier article de ce credo scientifique dont je parlais plus haut. Sans doute, ce tout est d’une effroyable complication : il faut faire des distinctions, abstraire certains éléments de la connaissance pour n’en retenir que quelques-uns et arriver ainsi aux concepts qui jouent un rôle essentiel dans la genèse de la science. Indépendamment de leur origine même, l’histoire de la science montre assez que la formation des concepts pré- sente un certain degré d’arbitraire, mais une analyse appro- fondie des conditions dans lesquelles notre représentation du réel doit être regardée come vraie montre comment l'arbi- traire, qui subsiste dans la formation de nos concepts, se trouve en quelque sorte canalisé; nous devons parler d'hypothèses, maïs . non pas de conventions. L'idée de loi et le principe de causalité sont aussi des postulats que nous trouvons à la base de la construction scientifique. Il semble que ces idées complexes ne sont susceptibles d’une signi- fication précise que si l’on fait intervenir leur forme mathéma- tique. Ainsi, pour prendre un seul exemple, maïs de grande (1) C’est sous cette forme que M. Bergson, dans sa belle introduction du Pragmatisme de W. James, résume l'essentiel de la conception . pragmatique de la vérité. (Voir la traduction de cet ouvrage publiée dans la collection de philosophie scientifique de Gustave Le Bon.) rl DA NT — 9225 — importance, nous Constatons que la science s’est orientée de _ manière à éliminer le plus possible le temps de l’expression des lois qui apparaissent comme une relation, de forme invariable, entre choses permanentes; c’est ce qui-a conduit en particulier _àla forme des équations de la mécanique classique. Il se peut - qu'il n’y ait là qu’une première approximation et que, dans _ certains cas, l'expression de la loi doive contenir explicitement le temps; mais je ne veux pas entrer dans une discussion où il serait vite question d'équations différentielles et d'équations | intégrales (1). _Nos concepts et nos théories, au contact des faits, sont per- _pétuellement sujets à révision. La science, devenant de plus en plus objective et étendant notre connaissance du réel, avance . “peu à..peu par corrections et accroissements progressifs . Qu’'adviendra-t-il de ces approximations successives ? Le savant pose le postulat, et c'est encore un article de la croyance _à la science, que ces approximations successives sont conver- gentes, comme disent les mathématiciens, et que nous appro- chons sans cesse d’un petit nombre de vérités toujours plus com- préhensives, synthèses des nombreuses vérités partielles peu à _pêu découvertes ; c’est peut-être une chimère, mais elle soutient . des générations de savants dans leur labeur jamais terminé. IV. V4 : Nous avons essayé d'indiquer succinctement les postulats fondamentaux qui se trouvent à la base de la genèse scienti- _ fique. Quelques-unes de ces notions initiales qui conditionnent notre savoir sont d'ordre métaphysique; n’hésitons pas à le dire . malgré l'horreur que certains professent pour ce mot qu leur paraît plein de dangers. À propos du sens commun, n’avons- nous pas déjà cotoyé tout à l'heure le terrain ontologique ? - D'ailleurs, comme nous l'avons dit, le savant prend ces notions _ toutes formées sans se soucier de leur origine. (*)} Je fais allusion à ce que j'appelais un jour la mécanique hérédi- ” taire et la mécanique non héréditaire; sur cette dernière, M. Volterra _ publie en-ce moment de très hhiquables travaux. (Voir la Revue du # mois, 19 Maï 1912.) PICARD 15 0 — 2926 — Il est loisible à chacun de rejeter tel ou tel article du credo scientifique, mais alors il s'éloigne plus ou moins de la grande construction idéale que la majorité des savants appelle aujour- d’'hui « la science ». Nous avons déjà fait allusion à plusieurs de ces systèmes qui limitent a priori la connaissance scienti- fique et apparaissent à ce titre comme antiscientifiques. Pour quelques-uns, il restera toujours quelque contingence dans les lois de la nature, et cette thèse a été développée avec profon- deur par M. Boutroux dans un livre qui a eu une très grande influence. D’autres professent que la construction scientifique au moyen de concepts ne peut saisir le flot mouvant des choses; cette vieille philosophie du devenir et de la mobilité a été entiè- rement renouvelée, depuis vingt ans, par M. Bergson, qui l’a en outre parée de la richesse de son style imagé et poétique. Plus modestement, des chercheurs habitués aux difficultés de l’expé- rimentation, tout en reconnaissant que la science tend à devenir de plus en plus objective, ont insisté sur ce que l’objectivité complète de la science est un but impossible à atteindre. Chacun retient de ces doctrines ce qui convient à sa mentalité, mais il . faut reconnaître qu'elles ont peu influé sur l’idée que se font de la science la majorité de ceux qui s’y consacrent et que nous- avons condensée plus haut dans une sorte de credo. Quoi qu'il doive advenir, et quelque évolution que subisse l'idéal scienti- fique par suite du développement même de nos connaissances, on peut affirmer que cet idéal reflétera toujours la curiosité | passionnée et désintéressée de l'intelligence humaine. La con- fiance dans le progrès indéfini de la science est pour l'esprit de l’homme une noble espérance bien propre à l’enchanter. : Il ne pouvait être question, dans ce qui précède, des services, si admirables soient-ils, que la science rend à l'humanité. Ils n'interviennent en rien dans l’idée proprement scientifique envisagée, comme nous l'avons fait, dans toute sa pureté. Ces corollaires de la science sont malheureusement la science même pour le plus grand nombre. A la découverte d'un phénomène ou d'un corps nouveau, il arrive constamment d’entendre demander à quoi cela sera utile. Pour qu’une découverte inté- resse le savant, il n’est pas besoin qu'elle se traduise en profits quelconques; ceux-ci viennent, s’il y a lieu, par surcroît. Par exemple, si intéressantes que puissent être les applications présentes et futures du radium, elles sont secondaires, du point rate titmtindhiis en nébuleuses sans action sur notre planète. I y à un grand danger dans le point de vue utilitaire sous qi Es la foule envisage la science. Ce n’est pas seulement parce à la longue la source des SE se os tarie 4 de: nous s quelques FRE SR trop chagrins nest êtee voient des _ traces de cette tendance dans l’exagération des soucis indus- : LÉ triels et techniques des PRIVErSHES. mais ceci touche aux condi- 3 _ Après avoir jeté un rapide coup d'œil sur ce qui nous paraît £ Ë correspondre 2 à la mentalité moyenne de l’homme de science à notre époque, il faudrait examiner l’organisation et les condi- de dre qu ‘ils sont trop nb Quelle ne soit notre spécia- . lité, nous sommes débordés par le nombre des recherches qui se publient dans de seul domaine où nous nous oo d'apporter : _ matura; os une devise qui a maintenant peu d nets On = _ne reverra plus sans doute des cas analogues à celui du géomètre et physitien de Gôttingen qui garda pour lui pendant tant _d’années ses profondes études sur la géométrie non euclidienne et sur la théorie des fonctions elliptiques, laissant à Lobats- … chewski, puis à Abel et Jacobi la gloire d’attacher leurs noms > à ces grandes découvertes. Il est vrai que Gauss "ne publia pas “ses travaux sur le postulatum d’Euclide parce qu’il craignait, - comme il le dit dans uné lettre à Schumacher, « les clameurs des _ Béotiens »; voilà une pensée qui n’arrêterait plus guère aujour- _d’hui, où l’on redoute beaucoup moins le bruit. tions de F4 recherche scientifique. Les travaux soentifques : LES — 228 — Les raisons de la hâte avec laquelle nous voyons publier tant de travaux sont le plus souvent évidentes. La science est devenue une carrière; en publiant un mémoire, il arrive qu’on espère augmenter ses chances pour obtenir une position ou un avance- ment, et cela est assurément fort légitime. En déplorant la production de tant de travaux insuffisamment élaborés, nous nous plaçons d’ailleurs au point de vue de l’érudit ou du cher- cheur désireux de se tenir au courant des recherches les plus récentes; mais cette hâte n’est pas nécessairement défavorable à la science. A peine une idée a-t-elle surgi dans un cerveau qu’elle est communiquée à quelque société savante. Elle entre alors dans le domaine public, et d'autres chercheurs peuvent, quand elle le mérite, tenter de l’exploiter, quelquefois au préjudice de celui qui l’a trop tôt livrée. La science avance ainsi plus rapi- dement qu'autrefois, mais, plus encore que par le passé, elle tend à devenir œuvre collective et presque impersonnelle. On se demande comment, au milieu des bouillonnements de la production scientifique actuelle, pourra s'y reconnaître l'historien de la science. Plusieurs pensent que l’histoire de Ia science est déjà bien conventionnelle, attribuant rarement la paternité d’une découverte à son premier auteur. Rien n'est, en effet, plus difficile à écrire que cette histoire; on y rencontre tant de légendes, de fausses attributions, de silences parfois intentionnels. Il faut une grande sagacité et des recherches patientes pour retrouver les premières traces d’une idée appelée à un grand avenir. Dans ses admirables travaux historiques, M. Duhem a ainsi ramené à la lumière plusieurs précurseurs; l’histoire du principe des vitesses virtuelles, fondamental en mécanique, remontant jusqu’au xir1e siècle avec Jordanus de Nemore, est un bel exemple à citer. Dans l'antiquité, que de noms, sans doute, auraient mérité d’être inscrits. au même 0 rang que ceux d’Euclide ou d’Archimède, et qui sont et reste- - ront toujours ignorés ! Pour des temps plus récents, on a re- trouvé de divers côtés chez des chimistes plus ou moins ignorés du commencement du x1x® siècle, la trace d'idées jouant un rôle essentiel dans la chimie physique actuelle. L'histoire des sciences est pleine de mutations au sens de Hugo de Vries, mais, plus sûrement encore que pour les mutations biologiques, on peut affirmer ici que les sauts d'apparence brusque sont le terme de lentes transformations dans l’évolution de la pensée humaine. L. Terminons par quelques remarques sur l’organisation et les e- ‘conditions du travail scientifique. On entend quelquefois dire - qu'ilya actuellement une véritable anarchie dans les recherches, | et que beaucoup d'efforts sont dépensés en pure perte. C’est là une question délicate. On doit sans doute souhaiter que les _ maîtres trouvent des élèves et des LOHADorM en dévoués, prêts à travailler sous leur direction et à développer leurs idées. D'ailleurs, dans maintes parties de la science, les bonnes mé- Citns une fois trouvées, les applications ne demandent plus que de la patience et du soin, et il s’agit alors simplement, par exemple dans les laboratoires, d’avoir un nombre suffisant de bons préparateurs. Il est certes très utile qu'un sujet soit exploré . dans tous les sens, et que des travailleurs patients et dévoués tirent d’une méthode tout ce qu'elle peut donner, mais il ne RE cependant pas confondre l'augmentation du rendement paie avec le progrès réel de la science. Les esprits ori- - ginaux sont généralement rebelles à toute discipline, et les cher- cheurs bien doués trouvent eux-mêmes leurs sujets d'études. _ Une autre question, distincte de la précédente, est celle des conditions du travail scientifique. La science et l’enseignement sont aujourd’hui dans une étroite connexion. Le plus souvent + le savant est en même temps un professeur. Il est évidemment singulier que des hommes d’un mérite scientifique reconnu ne puissent, à moins d’avoir une fortune personnelle, continuer . leurs travaux, s'ils ne veulent pas suivre la carrière de l’ensei- » gnement. On peut, à ce point de vue, souhaiter la création d’éta- = blissements uniquement consacrés aux recherches. Les univer- -sités (nous ne parlons bien entendu que des facultés des sciences) sont actuellement, en tous pays, les centres principaux du tra- vail scientifique, et il est à désirer qu'elles le restent. J'ai fait - allusion, tout à l'heure, aux poussées utilitaires qui tendent de plus en plus à faire des universités les collaboratrices de l’in- dustrie et de l’agriculture, et de bons arguments peuvent défendre cette orientation récente. Cependant, on risque d’être - entraîné dans cette voie beaucoup plus loin qu'on ne le voulait …—_ d'abord; la lutte est inégale à notre époque démocratique entre — 930 — la science désintéressée et ses fructueuses applications. Ainsi, il est à craindre que les crédits, plutôt que d’aller à un austère laboratoire de physique, où se font des recherches dont le plus grand nombre ne comprend pas l’objet et qui, pour le moment au moins, sont sans applications, n’aillent de préférence à des instituts d’un caractère technique plus ou moins spécial (insti- tuts de laiterie et de papeterie, par exemple). Il est vain, je le crains, de vouloir remonter ce courant; mais dans l’hypothèse où les universités seraient amenées à placer au second rang le souci des progrès de la science, la création des établissements dont je parlais plus haut deviendrait d'autant plus nécessaire (1), Il serait prématuré de songer, dès maintenant, à leur organi- sation; peut-être le premier modèle viendra-t-il de quelque pays voisin, où il a été question de dons généreux faits en vue de telles créations. J'inclinerais pour ma part à penser qu’il serait bon d’en confier la haute direction aux grandes sociétés sa- - vantes; celles-ci reprendraient ainsi, sous une forme nouvelle, une ancienne tradition. (*) Sans sortir des cadres actuels. il est désirable que des legs et. dons soient faits aux établissements scientifiques (facultés, aca- démies, .…), qui leur permettraient de donner, pour un temps indéter- miné, à des chercheurs de grand mérite, des subventions qui seraient de véritables traitements. En ce qui concerne les facultés, ce seraient en. quelque sorte des chaires sans enseignement. Chez nous, le Collège de France. en réduisant le nombre des leçons de ses maîtres, est entré dans cette voie. : 4 | + Discours © PRONONCÉ À LA SÉANCE ANNUELLE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES | : LE 19 DÉCEMBRE 1910. M MESSIEURS, _ : | ‘ C’est Le triste devoir du président de cette séance de rappeler x d' abord les deuils qui ont frappé notre compagnie pendant … l’année qui vient de s’écouler; ils ont été particulièrement nom- _ breux, en Hors; Mon prédécesseur pouvait se féliciter, il y à un an, de n’avoir pas à déplorer la mort d’un seul membre de l'Académie, mais les moyennes sont inexorables, et je dois Lu ont hui évoquer le souvenir d’un trop grand nombre de nos _ confrères français et étrangers. Nous avons perdu MM. Bouquet : dela Grye, Maurice Levy, Gernez parmi les membres titulaires, É - deux membres libres MM. Rouché et Tannery, trois associés 7 _— MM. Agassiz, Robert Koch et Schiaparelli; la mort nous a enfin enlevé sept de nos correspondants étrangers. s aiquet de la Grye était le doyen de notre section de géo- ‘graphie et de navigation. Il mérita bien la double qualification . de géographe et de navigateur. Sorti en 1849 de l École polytech- nique comme ingénieur hydrographe, il se signälait, dès 1854, >. - par la reconnaissance de la partie septentrionale de la Nouvelle + Calédonie, presque aussi inconnue alors qu’au temps de Cook. | C'était un véritable voyage de découverte qu'il accomplissait - avec une chétive embarcation sur des côtes habitées par des s ‘populations sauvages. Dès cette époque, le jeune ingénieur _ faisait preuve de l'esprit de décision qu'il devait montrer dans toutes ses entreprises ultérieures; sous les dehors d’une amabilité _ Charmante, notre confrère eut toujours, en effet, une volonté tenace, que rien ne rebutait. Après trois années de cette rude _ campagne, Bouquet de la Grye revenait en France où il allait _ poursuivre brillamment sa carrière. Il exécute le lever complet - du banc de Rochebonne, long plateau de roches en plein golfe - de Gascogne, recouvert de 5® à r0® d’eau, sur lequel vient se = 99 — briser avec furie la vague qui, de Terre-Neuve aux plages de la Saintonge, se propage sans rencontrer d’obstacle. Bouquet de la Grye détermine la distance du banc à la côte et choisit d’une manière heureuse une place, jusque-là vainement cherchée, pour le bateau-feu destiné à en signaler l'approche. Son esprit ingénieux sut, dans chaque cas, utiliser, pour la solution des problèmes scientifiques qui se présentaient, les méthodes ou les appareils connus, souvent en les simplifiant. Il avait en Nouvelle- Calédonie montré le parti qu’on peut tirer de la lunette méri- dienne dans l’hydrographie courante; il utilise à Rochebonne la vitesse du son pour trouver la distance des principales têtes du banc à deux points de la terre. On doit encore à Bouquet de la Grye d’avoir reconnu les avan- tages de la position de la Pallice, près de La Rochelle, pour l'établissement d’un port qui fut construit d’après ses indi- cations. Puisse quelque jour le trafic agrandi de nos ports de : commerce amener de nombreux navires dans le vaste mouil- lage dû à l'initiative de l’éminent ingénieur. Le nom de Bouquet de la Grye était connu du grand public pour son projet de Paris port de mer, dans lequel le lit de la Seine était approfondi, ses boucles évitées par des canaux, et un grand port créé à Saint-Denis. L'idée était grandiose, mais de nombreuses oppositions, sur lesquelles il ne m’appartient pas de porter un jugement, ont arrêté jusqu'ici la réalisation du projet dont Bouquet de la Grye s'était fait l’apêtre. A deux reprises différentes, notre confrère fut chargé par l’Académie d'observer le passage de Vénus sur le disque du Soleil, la première fois en 1874 à l’île Campbell, flot désert au sud de la Nouvelle-Zélande sur la limite des glaces du pôle austral, la seconde fois au Mexique en 1882. Ce sont là des expé- ditions qui ne se renouvelleront sans doute plus, la parallaxe solaire pouvant être obtenue par des méthodes susceptibles d'une plus grande précision: mais, indépendamment de leur but astronomique, elles ont donné d’intéressants résultats pour la physique du globe et l’histoire naturelle. Bouquet de la Grye se montra toujours très scrupuleux dans ses devoirs académiques. Que de fois, dans ces dernières années, ne l’avons-nous pas vu à nos séances, miné par la fièvre et en proie à une toux opiniâtre. Nous n’oublierons pas ce galant homme qui eut toute sa vie le souci du bien public. ee - La on de mécanique a aussi perdu son doyen : Maurice _ Levy. Ce fut une grande intelligence que celle de Maurice . Levy. Il a été à la fois un mathématicien éminent et un méca- nicien capable de profondes spéculations théoriques comme 4 d'applications utiles à l’art de l'ingénieur. Peu de savants eurent > un esprit plus ouvert et plus capable de comprendre dans leur _ ensemble les sciences physico-mathématiques. Dans les années qui suivirent sa sortie de l’École des ponts et chaussées, tout . en étant chargé de divers services d'ingénieur, il se livra à des _ études de géométrie infinitésimale et, en 1867, soutint une thèse qui renferme plusieurs propositions entièrement neuves sur _ les surfaces orthogonales. L'analyse et la mécanique analytique faisaient en même temps l’objet de ses fructueuses méditations. Ces beaux travaux mathématiques étaient, en réalité, des délassements pour le mécanicien que fut avant tout notre _ confrère, mais ce commerce avec la géométrie et l'analyse lui fut singulièrement utile; il lui a-permis de traiter certaines | ll HU à a MA td PAR Re 7 1 . questions techniques avec une ampleur inaccessible à un ingé- nieur moins habile à manier les difficultés analytiques que pré- - sentent les théories générales de l'hydrodynamique et de = élasticité. Ses études de prédilection furent les grandes ques- 1 tions de physique mathématique, cultivées avec tant d'éclat È par les physiciens-géomètres de la première moitié du siècle 3 dernier, en particulier par Navier, par oser: comme lui ingé- ? LeNrS des ponts et chaussées. - La puissance de travail considérable de Levy lui permettait Æ d’embrasser les sujets les plus variés. D’un essai théorique et ; appliqué sur le mouvement des liquides où il obtient des résul- > ‘tats concordant avec les expériences faites sur les canaux : découverts, il passe à une théorie rationnelle de l’équilibre des terres avec des applications au calcul de la stabilité des murs . de soutènement. Ses études sur le problème de l'élastique le À conduisent à des conditions simples relatives à la stabilité des É. _ manchons cylindriques, pour lesquels on n'avait jusque-là - que des règles empiriques insuffisantes. Chez Maurice Levy, -_ l’amalgame fut parfait entre l'esprit théorique et l'esprit pra- ‘tique; nul n'a mieux compris combien est nécessaire un état- » major d'ingénieurs, ayant plus qu’un vernis scientifique, et . capables de discuter et de modifier, suivant les cas, les formules 3 usuelles. CE ; — 9234 — Les ouvrages de Maurice Levy sur la statique graphique ont rendu son nom populaire parmi les ingénieurs. Il intro- duisit, en effet, dans notre pays, le corps de doctrines, si pré- cieux pour les constructeurs, qu’on désigne sous le nom de . statique graphique, y ajoutant ses travaux personnels et expo- sant ce bel ensemble de recherches dans un grand traité, à la troisième édition duquel il a travaillé, pour ainsi dire jusqu'à son dernier jour. Tous ceux qui ont entendu Maurice Levy dans ne chaires de physique mathématique et de mécanique céleste, qu'il a suc- cessivement occupées au Collège de France, garderont le sou- venir de ses leçons si vivantes, où sa souple intelligence se jouait au milieu des questions les plus délicates. Dans un autre ordre d'enseignement, à l’École centrale des arts et manufactures, les élèves, appréciant sa parfaite clarté, l'avaient surnommé le lumineux. Les travaux scientifiques Fe Levy ne l'empéchaient pas de remplir ses fonctions d'ingénieur des ponts et chaussées. IL aimait à rappeler le siphon qu'il avait construit pour le passage de l'égout collecteur de Bercy par-dessus le canal Saint-Martin; on doit encore citer ses études sur la navigabilité de la Haute- Seine, sur la traction des chalands, sur les ponts biaïs. Il fut même, dans des jours tristement mémorables, chargé par Gam- betta de diriger la fabrication des canons. Il ne s'agissait de rien moins que de 1500 bouches à feu à mettre en batterie en moins de deux mois. La prodigieuse activité du jeune ingé- nieur de 32 ans vint à bout de cette opération colossale. Rap- pelons, souvenir cher à notre Académie, que, au même moment, Berthelot présidait, dans Paris assiégé, à la fabrication des canons et des poudres, et Mascart dirigeait, à Bayonne, une fabrique d'engins explosifs. Nous perdons, en Maurice Levy, un de nos confrères les plus anciens et les plus écoutés. Nous avions confiance dans la droi- ture de son jugement ; l’amabilité de son caractère et sa grande situation scientifique lui donnaient parmi nous une autorité particulière. Désiré Gernez, membre de la section de physique, a succombé à une courte maladie, à l’âge de 76 ans. Il n’est resté que quatre ans parmi nous. Ses travaux, marqués au coin de la # savoir si le pouvoir ixtèire des liquides actifs se conserve £ _dans leurs vapeurs. Gernez reprit cette étude 46 ans plus tard, et la conclusion en fut que la dissymétrie, qui produit le pouvoir _ rotatoire, se conserve à l'état gazeux. Es nom Avant de se consacrer aux recherches scientifiques, Agassiz, devenu complètement américain, résolut de faire fortune; ce . qu'il put réaliser avec les mines de cuivre de la région des Grands- Lacs, au plus grand profit de la science. A 938 ss rs ME Les recherches embryogéniques l’occupèrent alors, et il fonda à Newport le premier laboratoire de zoologie marine. On lui doit de belles études sur les formes larvaires dans plusieurs divisions du règne animal. Que de résultats inattendus on trouve dans ses ouvrages sur la succession difficile à suivre des métamor- phoses par lesquelles passent certains animaux, au point que des phases du développement d’une même larve avaïent été regardées comme appartenant à des genres différents. La grande fortune d’Agassiz et ses goûts lui permirent de ne pas se confiner dans son laboratoire. Il fut un intrépide explora- teur des mers. Dès 1868, il visita les côtes de l'Amérique depuis le Massachusetts jusqu’au golfe du Mexique, et explora ensuite le Pacifique, rapportant quantité d'échantillons et d'observa- tions précieuses pour la zoologie marine. Agassiz fut un des premiers à faire connaître le caractère de la faune des abîmes. Les recherches de notre associé sur les récifs de coraux ne sont pas moins remarquables. Ces récifs ont, de tout temps, causé l’effroi des navigateurs et aussi leur admiration, tantôt s’éten- dant autour d’un archipel comme aux Fidji, tantôt dessinant à la surface de la mer des anneaux réguliers, avec un lac inté- rieur, qu’on nomme des atolls, Agassiz rejette, au sujet de leur formation, les conclusions générales de Darwin, qui supposaient un lent abaissement du fond de la mer, et montre que les causesf du phénomène sont beaucoup plus variées. La disparition de l’illustre zoologiste, dont la féconde activité a touché à tant de sujets, est une grande perte pour la science. : Le bactériologiste allemand Robert Koch était, depuis 1903, notre associé étranger. En 1876, médecin près de Posen, il faisait, en étudiant les bactéridies charbonneuses de Davaine, l'impor- tante découverte des spores de cette bactéridie, spores qui sup- portent, sans périr, une température de 802 et la déssiccation: prolongée, ainsi que l’action des antiseptiques. Ce travail, après celui de Davaine, ouvrait l’ère de la bactériologie médicale, où Pasteur allait bientôt commencer ses célèbres travaux sur la vaccination anticharbonneuse et l’atténuation des virus. Koch fut un chercheur patient et sagace. Les bactériolo- gistes lui doivent de merveilleux outils de travail, comme la méthode des cultures sur milieux solides et dé nouveaux pro- cédés de coloration. Ces techniques lui permirent de faire, en 1882, la découverte du bacille tuberculeux, dont le retentisse- cille D. cause du choléra dique _ On se rappelle le bruit fait, en 1800, autour de la tuberculine de Koch. Au point de vue de la guérison de la tuberculose, les _ espérances du bactériologiste allemand furent déçues; encore . faut-il dire qu’on tend à revenir aujourd’hui sur la question qui. nef paraît pas définitivement jugée. Quoi qu il en soit, la tuber- _ culine fournit un moyen de diagnostic d’une précision presque infaillible. £ _ Travailleur infatigable, Koch avait fait, dans ces dernières années, de lointains voyages pour étudier les maladies à trypa- Le nosomes de certaines contrées tropicales, comme la maladie du Eu sommeil. I1 vient de mourir, à l’âge de 67 ans, victime, par une sorte de revanche de la nature, de cette tuberculose qui lui È avait procuré son plus beau triomphe. ._ Nous avons enfin perdu Schiaparelli, ancien directeur de ee 2 Observatoire de Milan. Plusieurs des travaux de cet éminent aStronome ont appelé vivement l'attention du monde savant. Ses recherches sur la liaison entre les comètes et les essaims - | d'étoiles filantes ont pris place définitivement dans la science ot constituent son plus solide titre de gloire. Schiaparelli a établi F que, au moins dans quelques cas, ces essaims sont des débris . de comètes. Ainsi, calculant l'orbite de l'essaim des Perséides, . il put reconnaître l'identité de sa trajectoire avec celle d'une _ comète parue en 1862. ee. - Schiaparelli avait cru pouvoir armée que les durées des - rotations des planètes Mercure et Vénus sont égales aux temps É de leurs révolutions sidérales, c’est-à-dire 88 et 225 jours, mais il ne semble pas que ces résultats soient définitifs. - J'ose à peine parler des canaux de Mars, auxquels se rattache :" le nom de Schiaparelli. Ils ont semé la discorde dans le camp _des astronomes, mauvais présage pour les relations que nous a … devons: avoir, paraît-il, dans un avenir prochain avec les habi- » tants de cette planète. « L'existence des canaux et de leurs _ dédoublements est certaine; vous n'avez qu'à diaphragmer _ suffisamment », disent les uns. « Les meilleures lunettes, de grande ouverture, ne montrent que des points séparés; vous - vous extasiez devant des phénomènes de diffraction », répliquent _les autres. Nous ne les départagerons pas, retenant de là seu- 2 x ee lement la vieille leçon, que le départ est parfois difficile entre les éléments subjectifs et les éléments objectifs de la connais- sance. - | L’astronome de Milan fut aussi un historien de la science. C’est à lui qu’on doit d’avoir dissipé l'obscurité qui planait sur la doctrine des 27 sphères concentriques mobiles, avec lesquelles Eudoxe et, après lui, Aristote expliquaient les mouvements des astres, doctrine qui régna dans l’antiquité avant le bp: des épicycles de Ptolémée. La mort de l'observateur tient et enthousiaste, à Vins nation puissante, de l’ écrivain érudit que fut Schiaparelli, met en deuil l'astronomie. Je ne puis donner qu’un trop bref souvenir aux sept corres- pondants étrangers que nous avons perdus, MM. Khün, Van Beneden, Cannizzaro, Huggins, Treub, von Leyden et Mosso: Kübn, correspondant pour la section d'économie rurale, était connu par ses travaux sur l'alimentation du bétail, et les affec- tions parasitaires qui s’attaquent aux céréales. Édouard Van Beneden, correspondant pour la section de Z00- logie, occupait dans la science une place considérable. Ses travaux sur la division cellulaire, la fécondation et les premières phases du développement embryonnaire, sont de premier ordre. On lui doit, en particulier, une étude approfondie du dédouble- ment des chromosomes, éléments fondamentaux du noyau, qui sont pour quelques-uns les supports des propriétés héréditaires de l'organisme, et il découvrit les sphères attractives qui jouent un rôle si important dans Ja caryokinèse. Ces recherches, faites d’abord sur un ver parasite, et généralisées pour le règne végétal : comme pour le règne animal par de nombreux chercheurs, ont ouvert à la biologie de vastes horizons. Avec Cannizzaro, l’illustre: chimiste italien, disparaît le der- nier combattant dans les luttes, dont nous avons aujourd’hui quelque peine à comprendre l’acuité, pour l'établissement de la théorie atomique. Dès 1858, il montrait qu'il convient de ‘doubler l'équivalent d’un grand nombre de corps simples, et, l’un des premiers, il distinguait nettement le poids moléculaire du poids atomique. Parmi ses nombreuses découvertes, citons seulement une nouvelle classe d’alcools, les alcools aromatiques, alors bien imprévus. Professeur incomparable, il fut par son is En res était le doyen des astronomes anglais. _ ILa été le créateur de la spectroscopie céleste. En 1864, il faisait - l'observation capitale qu’une nébuleuse de la constellation du _ Dragon présente un spectre discontinu composé de trois raies brillantes; c'était donc un gaz lumineux, constatation suivie d’autres analogues et d’une portée considérable. Le premier, il _ appliquait aux étoiles les idées de Dôppler et Fizeau, et cal- _Culait, au moyen de la déviation d’une raie de l'hydrogène, la - vitesse avec laquelle Sirius s’éloigne de la Terre. Les protubé- _rances solaires, les spectres des étoiles temporaires, ceux des _ comètes l’occupèrent successivement. L'œuvre de ce fécond - initiateur restera dans l’histoire de l'astronomie physique. La section de botanique a perdu un de ses correspondants, - Melchior Treub. Il fut à Java l'organisateur de cet institut - botanique de Buitenzorg, qui est unique dans le monde tro- _ pical. Ses travaux personnels sont considérables, et je ne puis . que rappeler ses études sur la parthénogenèse réelle chez divers groupes de phanérogames et ses observations sur le rôle de É l'acide cyanhydrique dans les plantes. Notre correspondant pour la section de médecine, von Leyden, a été l’un des plus éminents cliniciens de l'Allemagne. On lui . _ doit d'importantes recherches de neuropathologie et une théra- _ peutique originale dans certaines maladies anatomiquement _incurables. _ Tout récemment enfin, nous perdions encore l'un de nos correspondants pour la section de médecine, Mosso, qui était … actuellement le plus illustre physiologiste de l’Italie. La circu- # - lation du sang, l’action des nerfs, la fonction des muscles, l'in- . fluence de diverses substances médicamenteuses ont fait l’objet de ses études. Il a imaginé de nombreux appareils inscripteurs; * aussi toutes ses recherches portent-elles un caractère de préci- sion remarquable. L’énergétique musculaire lui doit d'impor- : tants résultats, et la question des exercices physiques l'a - beaucoup” préoccupé. Il avait fondé sur le Mont-Rose une sta- - tion physiologique où il conviait les savants de tous les pays. 1 AT) Lot sb dTTE a he tes a ia à mt mme si td 2 pas k «0 È- à - É Nous voici arrivés au terme de cette voie funèbre où, des “mathématiques à la biologie, nous ayons rencontré d’éminents PICARD 16 PR PR ON REA ROM 2 IDE DEC G TA “convergentes, comme disent les mathématiciens, et que nous. représentants des dsdpiine etes les plus ee Te ont consacré leur vie à la science, obéissant à ce qu'on a si heureusement appelé l'impératif du vrai. Comme le disait Claude Bernard : «Avant de faire de la science, il faut croire à la science». Nous avons tous ici cette croyance, et, quand nous nous livrons à nos raisonnements ou à nos expériences, nous ne nous embar- — rassons pas des discussions, chères aux philosophes de tous les temps, sur le réel et sur le vrai. Et cependant, il nous faut bien par moments prêter l'oreille aux dialectiques subtiles, qui, à une époque où surgissent tant de crises, ont parfois laissé l’im- pression qu’il y avait une crise de la science. Pour les uns, qui partent d’un empirisme radical, la réalité empirique immédiate est de suite déformée sous l'influence de motifs pratiques; la science n’a alors aucune valeur de connais- sance théorique et vaut seulement pour l’action. Pour d’autres, la science n'a de valeur que parce qu’elle conduit à une éco- nomie de la pensée, ou bien elle se ramène à un système de con- ventions arbitraires mais commodes. Il semble que les savants, habitués à l'observation èt à à l'expé- rience, aient en général peu de goût pour ces controverses philo- sophiques. Ils n’établissent pas une distinction tranchée entre ‘la connaissance scientifique et la connaissance vulgaire, et ils ne dissocient pas des éléments inséparables. On a souvent noté, avec Helmholtz, la nature des éléments actifs dans notre con- naissance du réel; une analyse plus approfondie des conditions dans lesquelles notre représentation du réel doit être regardée comme vraie montre comment l'arbitraire, qui subsiste dans la formation de nos concepts, se trouve en quelque sorte canalisé. Dans la construction scientifique nous devons parer d'hypo- thèses, mais non pas de conventions. Nos concepts et, surtout, nos théories, au contact des faits, sont perpétuellement sujets à révision. La science, devenant de plus en plus objective, et étendant notre connaissance du : réel, avance, peu à peu, par corrections et accroissements proe- : gressifs. Qu'adviendra-t-il de ces approximations successives ? Nous posons le postulat, et c'est ce qu’il faut entendre par la croyance à la science, que ces approximations successives sont approchons sans cesse d’un petit nombre de vérités toujours plus compréhensives, synthèse des nombreuses vérités par- = er Le ici de côté les services admirables que la science ad à l'humanité et qui, pour le plus grand nombre, sont la science même, tandis qu'ils en sont seulement le corollaire. A la décou- erte d’un phénomène ou d’un corps nouveau, il nous est arrivé . à tous d'entendre demander à quoi cela serait utile. Pour qu'une _ découverte intéresse le savant, il n’est pas besoin qu’elle se _ traduise en profits quelconques; ceux-ci viennent, s’il y a lieu, par surcroît. Si intéressantes que puissent être les applications ee présentes et futures du radium, elles sont secondaires, du point de vue strictement scientifique, en comparaison des vues que : cet étrange élément a suggérées sur les transformations-de la ë Ë matière. Rien aussi n’est plus platonique que l'intérêt porté - à de lointaines nébuleuses irrésolubles qui n’exercent aucune action sur notre planète, mais que nous regardons comme des mondes stellaires en formation. Le sage hébreu disait que celui qui augmente sa science augmente sa douleur, nous pensons. b= plutôt qu'il augmente ses jouissances intellectuelles. On peut # railler la science pour la science, maïs cette formule, un peu É aristocratique, j'en conviens, reste celle des chercheurs désin- = téressés qui communient dans le culte du vrai. … C’est une des grandeurs de la science qu’elle nous permette de È satisfaire la curiosité et le besoin de comprendre si naturels à . l'homme; mais qu'est-ce donc que comprendre ? Il est peut-être > difficile d’enfermer la réponse à cette question dans une for- mule unique. Nous pouvons cependant, semble-t-il, dire que nous comprenons un phénomène, quand avec nos connaissances . . "acquises nous aurions pu le prévoir. L’explication que nous en Le - donnons consiste à développer cette possibilité dé prévision. LE | La nature des lois ou des théories à invoquer dans ces expli- cations est, d’ailleurs, éminemment variable; déjà, elle peut 4 différer dans une même science, car les exigences ne sont pas : = les mêmes, par exemple, pour un énergétiste endurci qui nie — ou ignore l'existence des molécules et pour l’atomiste moderne È qui les compte et calcule leurs vitesses moyennes. A plus forte _ raison varie-t-elle d’une discipline scientifique à une autre. - Quelques-uns songent alors à s’appuyer sur certaines classifica- =. tions des sciences; mais c’est manifestement une illusion, car — 2hh — 2 toutes ces classifications ne font que traduire plus ou moins : fidèlement l’état actuel de nos connaissances. La difficulté est très grande; ainsi, il ne faut pas parler du mode d’explication de la physique, car il n’y en a pas un, mais plusieurs. La division nécessaire du travail, les convenances de la _ société scientifique nous forcent cependant à classifier, et nous : voyons les académies, les universités faire des groupements de sciences. Puisque nous sommes sous cette coupole, reportons- nous à l'arrêté du 3 pluviôse an XI (23 janvier 1803), qui, au point de vue dont je parle, nous régit encore. Nous y voyons que la première classe de l’Institut national — c’est la nôtre — est partagée en déux groupes : sciences mathématiques et sciences physiques; on peut remarquer, ce qui étonne parfois certaines personnes, que la section de physique appartient au groupement des sciences mathématiques, et non au groupement des sciences physiques. Comme toute classification, la nôtre a ses défauts; mais, malgré son grand âge, ne garde-t-elle pas quelque force et ne recouvre-t-elle pas quelque réalité encore actuelle ? Les organisateurs de l’an XI regardaient certainement qu'il est des sciences à un stade assez avancé pour prendre, au moins dans quelques-unes de leurs parties, une forme mathématique, tandis que d’autres ont un caractère plutôt descriptif. En fait, la mécanique et la physique font rentrer un grand nombre de phénomènes dans de vastes théories susceptibles d’une élaboration mathématique permettant d'arriver pour cer- tains faits à une prévision numérique, leurs postulats et leurs hypothèses ayant eux-mêmes un caractère quantitatif. A bien des égards, la chimie, qui a beaucoup changé depuis 1803, tend à se rapprocher de la physique, et l’on sait que la distinction entre chimie et physique est souvent arbitraire; elle a, en quelque sorte, un pied dans chaque groupement. Si j'osais m'aventurer sur le terrain des sciences biologiques, je serais tenté de dire que les grandes idées directrices et les grandes hypothèses, qui y règnent aujourd’hui, présentent surtout un caractère qualitatif, et que la prévision numérique y est plus rare que dans le grou- pement des sciences mathématiques, où les problèmes sont beaucoup moins complexes. Notre vieille classification, malgré quelques rides, paraît donc avoir encore un sens et répondre pratiquement à une certaine différence dans la mentalité scien- tifique. À PEU AT ST PRIT Per TT Tel Ë | pa È $ — 245 — In 'est question ici, bien entendu, que du présent. La croyance à la science, dont je parlais plus haut, implique tout au moins l'espérance que nous puissions faire rentrer notre vision du monde extérieur dans un petit nombre de moules. Les théories deviennent de plus en plus compréhensives, mais parfois des phénomènes nouveaux viennent troubler l'édifice. Nous élar- gissons alors concepts, théories, au besoin formes mathéma- tiques, et l'accord se rétablit au moins pour un temps, travail incessant par lequel l'esprit humain s’efforce de créer la science avec un amas de faits. Quoi qu'il en soit de l’avenir, nous sommes tous d'accord que … l'observation et l'expérience sont à la base de notre connais-— sance du monde extéricur. Il nous semble, hélas, par moments que nous avons passé l’âge des expériences faciles ; les appareils -_ deviennent de plus en plus compliqués, et l’étude-d’une tech- - nique remplit parfois la vie d’un savant. Des questions que nous _croyions simples, il y a 20 ans, se sont prodigieusement em- brouillées; les premières approximations ne suffisent pas, et il faut aller jusqu'à de lointaines décimales. Les expérimenta- teurs ont besoin de talent ; ils ont souvent aussi besoin d'argent. C’est un devoir pour une compagnie comme la nôtre d’encou- rager, non seulement moralement comme elle l’a toujours fait, mais aussi matériellement, les travaux qui paraissent devoir être féconds. Nous ne le pouvons malheureusement que dans une limite assez restreinte. Les nombreux legs faits à l’Académie nous permettent, et . C'est pour nous une grande satisfaction, de donner des marques _ d'estime à des savants distingués, mais nous avons moins de - facilités pour préparer l'avenir en dotant des recherches com- mencées promettant une fructueuse moisson. Nous n'en sommes que plus reconnaissants aux esprits élevés, comprenant la _… grandeur de la science, qui veulent bien nous aider dans cette . partie de notre œuvre. Depuis quelques années, certains legs ou dons nous ont été faits, laissant dans leur emploi une plus grande latitude. Prochainement, ils s’accroîtront de la dona- tion de notre regretté secrétaire perpétuel, Henri Becquerel. Il m'est aussi particulièrement agréable de remercier notre confrère le prince Roland Bonaparte, qui nous apporte depuis _ trois ans son généreux concours, et qui, en raison des nom- breuses et intéressantes demandes reçues cette année par — 246 — : À l’Académie, a tenu à augmenter son don annuel. Vous allez entendre les noms des bénéficiaires du fonds Bonaparte, en même temps que ceux de nos lauréats. [En dehors de ses concours et subventions, l’Académie géné encore exercer son influence sous une autre forme. Il lui est arrivé maintes fois de donner son patronage et ses conseils. à des entreprises scientifiques, et l’histoire serait longue des missions qu'elle a encouragées depuis plus de deux siècles. Dans ces dernières années, nous avons eu des missionnaires dans les régions antarctiques. J'ai déjà adressé publiquement à M. Jean Charcot et à ses collaborateurs les félicitations de l’Académie; je tiens à redire dans cette enceinte l'intérêt que nous attachons aux résultats obtenus dans leur pénible cam- pagne. Puisse la science trouver souvent d'aussi dévoués volontaires! __ MEspames, MESSIEURS, TE Depuis plus de deux siècles, la science a profité d’expéditions . lointaines : à la surface de la terre, qu’elle a d’ailleurs souvent _ provoquées. Plusieurs d’entre elles sont restées mémorables * dans l’histoire de l’Académie des sciences. Au xvu® siècle, les - observations de Richer, faites à Cayenne, sur le pendule jouent ‘un rôle important dans le développement de la mécanique mo- -derne; au xvine siècle, Maupertuis et Clairaut en Laponie, rs à l'Équateur montrent, par leurs mesures, que l’ellip- soïde terrestre est aplati au pôle, terminant une longue querelle _entre les partisans et les adversaires de Newton. Fe Ce fut, un peu plus tard, une circonstance heureuse pour la à | connaissance de notre globe que la recherche de la parallaxe > solaire exigeât des observations en des points éloignés de a sur- É LE face terrestre. Ces expéditions, entreprises dans un but astro- nomique, furent en même temps fructueuses pour la géographie = _ des régions australes. En Angleterre, James Cook, sous les # auspices de la Société royale de Londres, entreprenait son pre mier voyage pour observer en 1767 le passage de Vénus sur le E' _disque solaire, préludant ainsi aux expéditions qui ont rendu -— son nom célèbre dans les annales géographiques. Er Cependant les dernières pages écrites par Cook lui-même * _ représentaient sous un jour terrifiant la navigation dans les : mers australes. Il y a 80 ans, plusieurs, parmi les savants les _ plus éminents, jugeaient ces voyages polaires dangereux et inutiles. C'est grâce aux baleiniers, conduits chaque année par (*) Discours prononcé, au nom de l'Académie des sciences, à la récep- tion de M. Charcot à la Sorbonne, le 7 décembre 1910. — 248 — leur industrie dans ces régions, que la chaîne des expéditions ne fut pas rompue, et l'ère put venir de l'épopée à laquelle se rat- tachent les noms de Dumont d’Urville, de Wilkes, de Ross, attaquant de divers côtés le monde austral. Dans ce renouveau des voyages scientifiques, l'étude du magnétisme terrestre a tenu une place importante, et la recherche du pôle magnétique fut la grande préoccupation = Dumont d’Urville dans son second voyage. Avec l'époque moderne, de nouvelles méthodes d’explora- tion sont pratiquées. La conquête du pôle s'organise peu à peu d'une manière systématique. Il ne s’agit plus seulement de courses brillantes, toujours admirées, où de hardis pionniers s'avancent comme fascinés par la vision d’un point idéal, mais où le temps fait défaut pour des études suivies. On entreprend de pénibles recherches zoologiques, botaniques, géologiques: le navire devient un laboratoire flottant, où s'accumulent de minutieuses observations sur la physique du globe. La science a, dans bien des domaines, passé l’âge héroïque où tout paraît simple: il lui faut de longs jours d’analyse pour une heure de synthèse. - ; Monsieur, Je viens de tracer en raccourci le programme sévère que nous vous avions proposé, et dont la réalisation demandait une volonté opiniâtre et un grand oubli de soi. Vous n’en avez pas été effrayé, et vous avez largement répondu à nos espérances. Au plaisir que nous en éprouvons se joint le souvenir du médecin illustre, cher à notre Académie, dont vous portez dignement le nom. Ê Depuis le voyage de Nansen, les régions septentrionales appa- raissent comme occupées par une vaste mer. Les voyages antarc- tiques précédents ne permettaient plus de douter de l’existence d'un continent austral. Il faut maintenant délimiter plus exac- tement le pointement opposé sur notre globe à la mer boréale, problème géographique particulièrement difficile dans ces régions désolées,.où un revêtement glaciaire et des brumes épaisses rendent les terres souvent inaccessibles. Vous avez choisi comme point de départ les mers au sud du _— 249 — cap Horn, où avait jadis passé Dumont d’Urville. Ce n’était pas la prémière fois que vous pénétriez dans ces régions, mais vous avez singulièremen étendu les résultats de votre première cam- pagne. Pendant votre hivernage, à l'île Petermann, vous ins- tallez un véritable observatoire et, avec vos collaborateurs, Vous entreprenez une série d'observations variées et précises sur : la météorologie et la physique du globe. Les résultats géogra- phiques de vos deux croisièrés d’été sont de premier ordre; vous _tracez jusqu'au 70° degré une carte de la côte ouest de cette partie du continent antarctique qui se termine par la terre . Louis-Philippe, côte qui semble le lointain prolongement des - rivages sud du Chili. La fosse de 5000" de profondeur que vous signalez vers le 66€ parallèle n’est pas une de vos moindres _ découvertes, et vos sondages apportent à la tectonique des documents précieux. Vous faites de nombreux dragages, et vous visitez, quand le temps et les falaises glacées le permettent, quelques-unes des. terres volcaniques que vous avez relevées. L'étude déjà com- mencée de vos riches collections qui intéressent la zoologie, la botanique, la pétrographie, promet d’être féconde. - Dans votre premier voyage, vous aviez décrit, sous une forme presque idyllique, la beauté des couchers de soleil et les mer- veilleuses colorations des paysages antarctiques. Vous avez été, semble-t-il, moins favorisé cette fois : le temps était le plus souvent épouvantable, et votre expédition a été un long combat contre les tempêtes et les gigantesques icebergs qui menaçaient de broyer votre navire. Avec une admirable énergie, vous n’en avez pas moins con- tinué votre voyage au sud-ouest de la terre Alexandre Ier, signalant de nouvelles terres et suivant longtemps l’impitoyable banquise toujours inaccessible. Vous aviez sans doute espéré rejoindre la mer de Ross, qui reste la grande énigme australe et sépare peut-être en deux parties le continent antarctique. Mais, soucieux de la santé de votre équipage éprouvé par cette dangereuse campagne, vous avez sagement songé au retour. Vous en eûtes certainement quelques regrets. Dans la dépêche | que, de Punta-Arenas, vous adressiez à l’Académie, vous ter- miniez par ces mots : « Avions rêvé davantage, avons fait du mieux possible. » Cette phrase, qui fait honneur à votre modestie, est celle que se disent tous les Fe . ont le rte Maurice LÉVY 0 =} - MESSŒURS, = » E. _ J'apporte le dernier hommage de l’Académie à l’éminent £ “confrère que nous venons de perdre. Avec Maurice Levy disparaît une grande intelligence. Il fut à la fois géomètre, ana- _ lyste, mécanicien capable de profondes spéculations théoriques _ comme d'applications utiles à l’art de l'ingénieur, physicien . aussi à ses heures, ayant longuement réfléchi sur les principes _ de la thermodynamique et de l’énergétique. Peu de savants - onteu un esprit plus ouvert et surent mieux mettre en évidence _ dans une question les points essentiels. x _ La géométrie infinitésimale doit à Levy des propositions ? = Lee sur les systèmes de surfaces orthogonales et sur les SE - surfaces spirales. L'analyse et la mécanique analytique ont fait : aussi l’objet de ses fructueuses méditations ; comme en se jouant, _ il y énonce, sans démonstration, des tHerènes qui ont exercé _ la sagacité des plus habiles et ouvert la voie à d'importantes . recherches. Il semble que ces beaux travaux étaient des délas- £ _sements pour, le mécanicien que fut avant tout Maurice Levy, _ mais ce commerce avec la géométrie et l'analyse lui fut singu- _lièrement utile et lui a permis de traiter certaines questions nue avec une ampleur qui eût été inaccessible à un - ingénieur moins habile à manier les difficultés analytiques que _ présentent les théories générales de l’hydrodynamique et de _ l'élasticité. Ses études de prédilection furent les belles ques- … tions de physique mathématique, dont il trouvait tant d’admi- . rables modèles chez Navier, chez Cauchy, comme lui ingénieurs des ponts et chaussées, et rien ne l’intéressait davantage que de voir sortir d'une savante analyse, convenablement inter- __ prétée, quelque résultat susceptible d’une application pratique. - = nt F= (:) Discours prononcé aux funérailles de Maurice Levy, le 3 oc- _ tobre 1910. — 252 — ‘ Maurice Levy entra à l’École polytechnique en 1856 et en sortit comme élève ingénieur à l’École des ponts et chaussées. Dès son séjour à cette école, il indiquait un moyen élégant d'étudier la résistance des poutres droites continues, qui évite de longues discussions. Tout en étant chargé de divers services d'ingénieur, nous le voyons, dans les années suivantes, se livrer à des études de géométrie infinitésimale, et, en 1867, il obtenait le titre de docteur ès sciences avec une thèse, justement re- marquée, sur les coordonnées curvilignes orthogonales, qui renferme plusieurs propositions importantes et entièrement neuves. Sa seconde thèse était un essai théorique et appliqué sur le mouvement des liquides, en supposant les filets recti- lignes et parallèles; il est bien curieux de constater combien, dès cette époque, le jeune ingénieur était déjà familier avec les plus hautes questions de l'optique, car c’est l'exemple de Cauchy, dans la théorie de la dispersion de la lumière, qui lui suggère l’idée d'introduire des dérivées d'ordre supérieur dans l’action de deux filets voisins, et lui permet d'obtenir des résul- tats concordants avec les expériences faites dans les canaux découverts. Peu de temps après, paraissait l'important travaïl sur une théorie rationnelle de l’équilibre des terres et ses appli- cations au calcul de la stabilité des murs de soutènement. Par- tant des lois du frottement, Levy forme l’équation différentielle des lignes de rupture, dans l’état d'équilibre limite, et montre … que, contrairement aux idées de Coulomb, les surfaces de rup- ture d’un massif de terre de forme prismatique ne sont pas des plans parallèles aux arêtes du prisme, si ce n’est dans certains cas particuliers dont il fait une étude complète. La théorie mathématique de l’élasticité exerçaït une sorte de fascination sur notre confrère. Il y revient souvent pendant sa carrière scientifique. De grandes difficultés se présentent dans les problèmes d’élasticité où une dimension est regardée comme infiniment petite, en particulier dans celui des plaques élas- tiques minces. Maurice Levy leur a consacré un long mémoire, où l’on admire toutes les ressources d’un esprit profond et subtil ; quoique tous les points du problème n’y soient pas élucidés et qu’une solution définitive doive être cherchée, probablement dans une autre voie, ce travail devra toujours être médité par ceux qu'intéressent les paradoxes, au moins apparents, de quelques principes de physique mathématique. un nouveau cas intégrable du problème de l’élastique, en sup- posant les pressions normales et uniformes, qui conduit à une généralisation de la délicate question de la stabilité des prismes _droits chargés debout. Levy suppose que la verge élastique, au » lieu d'être droite, est circulaire, et une analyse où s’introduisent | les fonctions elliptiques donne des conditions extrêmement É ë _ simples pour la stabilité de ces pièces courbes. Cette question - si intéressante pour les constructeurs sortait pour la première … fois du domaine de l’empirisme. C'est aussi Levy qui réussit le premier à poser les équations générales de la déformation que subissent les corps ductiles au delà des limites d’élasticité, dant ainsi à l'appel de Barré de Saint-Venant, après les mémorables expériences de Tresca sur la déformation des | | Corps solides. Les ouvrages de Maurice Levy sur la statique graphique ont J rendu son nom populaire parmi les ingénieurs. Il introduisit £ : # en effet dans notre pays le corps de doctrines, n'exigeant sans doute aucun rs nouveau, mais si précieux pour les cons- - tructeurs, qu'on désigne sous le nom de sfafique graphique; ce _ne fut pas sans y ajouter ses découvertes et ses réflexions per- sonnelles. Les notes qui terminent la première édition de son - Traité de statique graphique, parue en 1874, sont des mémoires < d’un très haut intérêt, notamment celle sur la recherche des . tensions dans les systèmes des barres élastiques, et sur les sys- _ tèmes qui, à volume égal de matière, offrent la plus grande … résistance; l'auteur y montre, d’une manière générale, la supé- - riorité des systèmes strictement indéformables sur ceux qui ; re des tiges surabondantes où la statique élémentaire seule ne permet pas de déterminer les tensions ou compressions. Le succès de l’ouvrage fut considérable. Une seconde édition * notablement agrandie de ce traité parut plus tard, et la mort ; n'aura pas permis à Levy d'achever la troisième édition d’une - œuvre qu'il cherchait toujours à perfectionner et à laquelle il aura, pour ainsi dire, travaillé jusqu’à son dernier jour. _ On donnerait une idée incomplète de la vie scientifique de Maurice Levy, si l’on ne disait un mot de son enseignement - au Collège de France, où il suppléa longtemps Joseph Bertrand - dans la chaire de physique générale et mathématique, et où il fut ensuite titulaire de la chaire de mécanique analytique et ds fees |; — 254 — ee mécanique céleste. Ici la science et l’enseignement sont inti- mement liés. Le professeur y discute les travaux récents et : expose ses propres découvertes. C’est dans ces chaires qu'ont paru, si je puis dire, pour la première fois plusieurs des tra- vaux dont je parlais plus haut. Certaines années, Levy se faisait écolier, se rappelant que la meilleure manière d'apprendre est d'enseigner. Je le vois encore, malgré les années écoulées, exposant devant quelques auditeurs des mémoires de Clausius et de Maxwell sur la théorie des gaz et la théorie de la chaleur, où interviennent de délicates questions de probabilités. Nous nous rendions compte du travail considérable que notre maître avait à faire, d’une leçon à l’autre, pour arriver à posséder ces mémoires célèbres, dont la clarté n’est pas toujours la qualité | _ maîtresse, et à en recréer en quelque sorte la matière. Mais la prodigieuse facilité de Levy et la vivacité de son intelligence suffisaient à cette tâche, dont peu de maîtres auraient été capables. L'Académie remarqua de bonne heure les travaux de la Levy et, sur d’élogieux rapports de Barré de Saint-Venant, plusieurs de ses mémoires furent insérés dans notre Recueil des savants étrangers. Il fut élu membre de la section de mécanique le 31 décembre 1883, en remplacement de Bresse. 2 Nous perdons en Maurice Levy un de nos confrères les plus anciens et les plus écoutés. L’amabilité de son caractère, sa grande situation scientifique lui donnaient parmi nous une autorité particulière. Nous avions confiance dans la droïture de son jugement, et son avis, toujours énoncé avec que pesait d’un grand poids dans nos décisions. Cher et vénéré confrère, notre compagnie conservera fidèle- ment votre souvenir. Vous avez bien servi la science et la patrie ; : vos beaux travaux et votre vie si noblement remplie préser-- veront votre nom de l'oubli. Puisse cette pensée adoucir quelque peu la douleur de ceux qui vous pleurent et à qui j'offre res- pectueusement les condoléances de l’Académie. et à Yinstitut de déceenes tous les trois ans, est destiné récompenser la découverte ou l’œuvre la plus remarquable Is les sciences, dans les lettres, dans les arts, dans l’industrie, et généralement dans tout ce qui touche à l'intérêt public ». doit être décerné cette année pour la troisième fois. Nous 1) nnions, il y a six ans, les brillants succès remportés dans le atinuateur de Pasteur, et, il y a trois ans, le prix fut accordé éminent historien qui venait de terminer son grand ouvrage l'Europe et la Révolution française. Se n'était assurément pas dans les intentions de M. Osiris ue À ee én quelque sorte un roulement entre les différents is dernières années, a le plus vivement attiré l'éttention et avoir les conséquences les plus importantes. ns a una- Hnçaie, et nous vous indiquerons, dans un moment, les consi- érations qui nous ont guidés pour faire un choix parmi les chercheurs opiniâtres qui se consacrent à la conquête de l'air. D Dr —. 6i juin 1909. — 256 — canique d’Archytas de Tarente, il est utile de jeter d’abord un rapide coup d'œil sur l’histoire de la navigation aérienne. A la renaissance, Léonard de Vinci comprend que, pour voler, l'oiseau doit prendre son point d'appui sur l'air, et, après ses études sur le vol, décrit l’hélicoptère et le parachute. Dans les deux siècles qui suivent, de nombreux documents nous montrent l'intérêt suscité par la navigation aérienne; on ne se borne pas d’ailleurs au plus lourd que l'air, et à la fin du xvire siècle plusieurs pressentent déjà l'invention des ballons. Vers 1750 apparaissent de divers côtés des projets d'hommes volants et de machines volantes. Des appareils sont construits, sortes d’orthoptères munis d’ailes à charnières qui frappent l'air nor- malement, mais ils sont expérimentés sans succès; on propose même d’adjoindre à l'hélicoptère une hélice propulsivé pour la translation horizontale. Il est remarquable de voir signalés, dès cette époque, quelques-uns des dispositifs qui devaient être essayvés plus tard. Ces tentatives avec le he lourd que l’air, sans avoir donné encore aucun résultat pratique, furent interrompues en 1783. par l'expérience célèbre des frères Montgolfier, qui souleva un enthousiasme indescriptible. Six mois après l'expérience d’Annonay, Meusnier présentait à l’Académie des sciences un mémoire admirable publié seulement beaucoup plus tard. On trouve dans son projet les conditions essentielles qui devaient conduire aux ballons dirigeables : forme allongée du ballon, ballonnet intérieur pouvant être rempli d’air, et emploi d’un propulseur hélicoïdal. C’est en suivant la voie ouverte par Meusnier, mort en 1793 au siège de Mayence, que le colonel Renard édifia définitivement la théorie de la dirigéabilité des ballons et put réaliser sa mémorable expérience de 1884. Malgré les triomphes des aérostats, le plus lourd que l'air eut toujours ses croyants; toutefois, pendant la première moitié du siècle dernier, ils ne furent guère encouragés. Des analyses insuffisantes du vol des oiseaux, signées de noms émi- nents, montraient qu’une hirondelle devait fournir un travail énorme pour se maintenir dans l'air, ce qui faisait dire plus tard que les mathématiques démontraient alors l’impossibilité de voler pour les oiseaux. Il eût été moins piquant mais plus exact de dire que certains mécaniciens, ayant mal observé les mouvements des oiseaux, établissaient par leurs savants calculs que ‘les ons réelles du vol sont différentes de celles qu'ils avaient supposées ; l’erreur provenait de ce qu’on voulait étudier le vol à l’aide de la résistance qu’un plan éprouve en > se mouvant normalement dans l'air. Cependant, Sir G. Cäyley, dès 1800, et Dubochet, en 1834, indiquaient déjà que le vol est avant tout un glissement; ils remarquaient que, en général, ee oiseau s'envole tête au vent. Plusieurs autres, comme Hauvel F et Wenham, étaient aussi les champions de la théorie du glis- e - sement. C'est seulement vers on que l'attention se trouva de nou- ; veau portée vers l'aviation, et les discussions de la Société E- française de navigation aérienne très suivie à cette époque se - lisent encore aujourd’hui avec intérêt. L'Académie des sciences, = depuis les essais de Borda datant de l’ancienne Académie, : s'était toujours préoccupée des problèmes relatifs à la résistance E des fluides; en 1874, sur la proposition de Joseph Bertrand, elle mit au concours la théorie mathématique du vol des oiseaux. - Le mémoire d’un des membres les plus actifs de la Société de _ navigation aérienne, doué d'un esprit des plus pénétrants, _ Alphonse Penaud, fut récompensé en 1875. La clef de l’aviation $ est, pour Penaud, dans le fait que l'oiseau, dans le vol avançant, attaque l'air sous un angle très petit. Il insiste sur l'avantage . qu'il y a à attaquer l’air obliquement, et il illustre la théorie en - construisant un jouet qui réalise le premier appareil mécanique - ayant réussi à voler, jouet soutenu par des ailes concaves, dans | E lequel le moteur est un caoutchouc tordu actionnant une petite hélice, et dont une queue assure la stabilité. L'analyse des trois genres de vol, vol ramé, vol plané, vol à voile, était déjà ancienne … et paraît remonter à Dubochet ; elle est approfondie par Penaud, et, peu après, les photographies instantanées de Marey viennent fixer certaines interprétations douteuses. Dans le vol plané, l'aile = rencontre généralement l’air sous un angle assez petit et joue * ainsi le rôle d’un aéroplane, le travail musculaire de l’oiseau _ étant assez restreint et dépensé surtout pour la propulsion dans Je séns horizontal, Nous devons encore rappeler la discussion __ faite par Penaud de la loi de la résistance éprouvée par un plan - mince se mouvant dans un fluide; cette résistance, à vitesses _ relatives égales, dépend de l'angle d’inclinaison. On avait Er: regardé longtemps, avec Newton, qu'elle était proportionnelle au carré du sinus de cet angle, ce qui est inadmissible. Borda, PICARD « 17 Le MN suivi par G. Cayley, avait, semble-t-il, » Proposé | pour la ide fois la loi de la première puissance du sinus; Penaud ayant expérimenté sur la chute des corbeaux trouve ses observations. conformes à la loi de la première puissance, et s’en sert pour . mesurer certains coefficients. Les lois empiriques de cette nature peuvent avoir d’ailleurs des formes diverses, et plusieurs for- mules ont été proposées conduisant sensiblement aux mêmes. résultats. Nous voyons donc que les idées inexactes sur le vol des. oiseaux qui, malgré quelques critiques avisés, avaient régné si longtemps, étaient abandonnées vers 1880. Le principe du glis- sement, au moins dans le vol plané, n’est plus contesté; la sus- tentation apparaît comme due à la propulsion, la composante verticale de la poussée exercée par le fluide sur le sustentateur faisant équilibre au poids. Aussi, peu à peu, les inventeurs. renoncent au type orthoptère, les partisans de l'hélicoptère se font plus rares, et l'effort des chercheurs se porte sur l’aéroplane, qu'il s’agit d'étudier au point de vue mécanique. La position du centre de pression, l'influence de l’inclinaison et de la forme de la voilure jouent un rôle essentiel dans l’étude des conditions’ d'équilibre et dans celle des diverses stabilités. Dans ces ques- tions difficiles, beaucoup d’ingéniosité a été dépensée, et des. résultats importants ont été obtenus, quoique l’accord soit loin d’être établi sur tous les points. La connaissance des principes: généraux de la dynamique est sans doute indispensable pour raisonner juste en ces matières, mais la théorie seule est actüel- lement impuissante dans les problèmes si compléxes relatifs. à la résistance des fluides. Elle ne peut, par exemple, nous ren- seigner sur la position du centre de pression indispensable à obtenir; c’est à l’expérimentation qu'il faut demander les. données que la théorie ne nous fournit pas. FF; Deux méthodes furent suivies dans ces recherches. La pre- mière consiste à rechercher expérimentalement les conditions. d’un planement artificiel, soit que l’on se serve de tunnels avec courants d’air, ou que l’on utilise un manège tournant. Ce sont là des expériences de laboratoire faites sur des petits modèles. et devant être interprétées judicieusement ; car, en toute rigueur, il ne peut exister deux systèmes ailés mécaniquement sem- blables. La seconde méthode consiste à réaliser un planement dans l’air sans moteur. Cette méthode fut inaugurée par l’ingé- LATE RE — 259 — _nieur allemand Lilienthal qui, dans un très grand nombre de » glissades faites d’un point élevé, après s'être donné un certain - élan, put étudier les conditions d'équilibre et de stabilité; l'exercice ne laissait pas d’être dangereux, car le pilote devait, - par des mouvements appropriés de son corps, maintenir la 4 \ - assemblages de sa machine. - Lilienthal eut d’abord des continuateurs en Amérique; parmi 3 eux, il faut signaler tout d’abord un ingénieur français installé - aux États-Unis, M. Chanute, qui munit l’appareil de la queue _ stabilisatrice de Penaud, en la rendant susceptible de rotation au moyen d’un joint à la Cardan, et employa le premier, d’une . manière effective, le biplan. L’aviation doit beaucoup aux 3 à . x observations de M-Chanute qui, en cessant ses travaux, engagea fl - les frères Wright dans la voie oùils devaient rencontrer les succès Æ … connus de tous. En 1900, Wilbur et Orville Wright reprennent les expériences de glissement avec quelques idées originales, et > font faire un grand progrès à la pratique antérieure; la queue — stabilisatrice est placée à l'avant, et devient le gouvernail » horizontal ou de profondeur, mobile autour d’un axe horizontal. - Le profil des ailes est aussi étudié avec soin. Quoiqu'on parle j fs toujours de biplan ou de monoplan, les surfaces sustentatrices - ne sont pas planes; il y a un grand intérêt à leur donner une … légère concavité, l'attaque en marche régulière ayant lieu sui- : want le premier élément de la courbe. Cette forme permet un - écoulement plus facile pour l’air, et diminue la résistance de _ l'avancement. Ces expériences, prolongées pendant près de - _+rois ans sur les grèves de l'Atlantique, apprirent aux frères Wright, suivant le mot de M. Chanute, leur métier d'oiseau. … Dans tous ces essais, aucun moteur n'avait été placé sur … l'appareil; d’après des témoignages restés longtemps incertains, _ maäis auxquels on doit aujourd’hui accorder créance, les frères = Wright, ayant construit un moteur de leur invention, firent - pour la première fois, à la fin de 1903, un vol de 300%, et en |. 1904 des vols de 5*m dans de bonnes conditions de stabilité. = Pendant ces premiers exploits américains, exploits restés - un peu mystérieux et dont un écho arrivait seulement en Europe, » l'aviation trouvait en Europe un apôtre convaincu dans le capi- É … stabilité. On sait que, en 1806, l’infortuné voyageur aérien … perdit la vie, par suite, à ce que l’on croit, de la rupture d’un des. 4, — 260 — la stabilité et reprenait les glissements sur l'air qui furent aussi reproduits à Berck-sur-Mer par MM. Archdeacon et Voisin. Ces essais permettaient d'obtenir les valeurs de certaines cons- tantes caractéristiques, en même temps qu'ils habituaient au vol ces ardents adeptes de l’aviation. La pensée que Wright avait pu se maintenir dans l'air excitait les chercheurs. N’en va-t-il pas ainsi dans tous les domaines scientifiques, l’ingé- niosité et la puissance de l'esprit étant augmentées quand nous savons que le problème qui nous occupe n’est pas ihsoluble ? A cet égard, les nouvelles incertaines venues de l’autre côté de l'Atlantique ont été un stimulant puissant pour les aviateurs français qui, comme les Américains W. et O. Wright, ont été ainsi à leur début les élèves de notre compatriote M. Chanute. Quand la théorie du mouvement de l’aéroplane fut correcte- ment posée, et que l’on fut à peu près maître des moyens propres à assurer la stabilité, une question importante fut celle. d’un moteur suffisamment léger. En France, les nécessités de l’automobilisme avaient conduit à réaliser de grands progrès dans l’industrie des moteurs. Un moteur à explosion, construit spécialement pour l'aviation par un ingénieur très distingué, M. Levavasseur (1), et connu sous le nom de moteur Antoinette, se trouva remplir les conditions désirables de légèreté. Nos avia- teurs éxercés « connaissant bien leur métier d'oiseau » étaient donc dans les meilleures conditions, et ils remportèrent l’année dernière les brillants succès auxquels nous avons tous applaudi. Je dois toutefois rappeler que c’est un Brésilien, M. Santos- Dumont, qui, à la fin de 1906, a construit, le premier en Europe, un appareil qui, muni d’un moteur Antoinelte de 50 HP, put s'élever seul et parcourir plus de 200 (2). | Cet historique très incomplet vous aura montré, Messieurs, combien nombreux ont été ceux qui ont apporté leur pierre au grand œuvre de l'aviation, depuis les observateurs attentifs + (*) M. Levavasseur fait expérimenter en ce moment un HODOHES qui semble donner des résultats satisfaisants. (2) Je laisse de côté dans cet historique un appareil remarquable, l'avion de M. Ader, expérimenté à Satory le 14 octobre 1897, les résultats de cette expérience ayant été discutés et les témoignages officiels n'ayant jamais été publiés. Le moteur de M. Ader était une DArNte ait vapeur. du vol des oiseaux jusqu'aux constructeurs de moteurs, et _ parmi c ces pionniers je tiens à rappeler encore le colonel Renard, que ses travaux sur les dirigeables ont rendu célèbre, mais dont les études expérimentales sur les hélices sont également ; ps pou les constructeurs d’aéroplanes. Votre commis- _ "4 ordi dt : ET ! sion rend justice à tous ces efforts; mais devant nécessairement . faire un choix entre des collaborateurs si nombreux et si variés, elle s "est souvenue que l’année 1908 restera mémorable dans Jhistoire de l'aviation. Aussi a-t-elle décidé de vous proposer de couronner les constructeurs français d’aéroplanes qui ont réalisé, en 1908, des appareils capables de quitter les champs de manœuvres et d'effectuer de véritables voyages aériens en pleine campagne, et ont été vraiment les émules des célèbres aviateurs américains dans les luttes pacifiques de l’année der- nière pour la conquête de l'air. À la question ainsi posée, la _ réponse était facile, et nous ne pouvions avoir aucune hésita- "=, tion. Citons ici deux dates : Un appareil Voisin, monté par : Farman, a fait le premier voyage en aéroplane, le 30 octobre 1908, allant de Châlons à Reims, et-M. Blériot, conduisant lui- _ même sa machine, a fait le lendemain, de Toury à Artenay, avec _ retour, le premier circuit fermé par escales. Nous vous propo- _ serons donc de partager le prix Osiris entre M. Gabriel Voisin et M. Louis Blériot. Ces deux éminents ingénieurs ont été quelque temps associés - pour construire et expérimenter des appareils d'aviation, et se sont ensuite spécialisés, le premier dans la construction des - biplans, et le second dans celle des monoplans. On discute encore - beaucoup sur les. mérites des monoplans et des biplans. Une telle comparaison faite a priori est assez vague, les arguments à invoquer n'étant pas les mêmes suivant que l’on comparera, r?# par exemple, un monoplan Blériot à un biplan du type Wright ou du type Voisin, la résistance à l'avancement différant nota- blement dans ces deux biplans. IL est assez vraisemblable que, suivant le genre de transport, la préférence devra être donnée au biplan ou au monoplan; les locomotives des trains de mar- chandises n’ont-elles pas d’autres formes que celles des trains rapides ? L’aéroplane, que construit M. Gabriel Voisin, associé à son . frère Charles, est composé d’une grande cellule formée de deux plans sustentateurs superposés mesurant 10" d’enver- — 962 — gure sur 2 de large et espacés de 1,50. Cette cellule porte le moteur, le pilote et le châssis d’atterrissage principal avec sès deux roues. Une plus petite cellule, formée de deux plans super- posés de 2,50 d'envergure sur 2" de large espacés de 1,50, est placée à l'arrière et fixée par une armature rigide aux deux plans sustentateurs; elle porte deux petites roues et elle con- tient le gouvernail vertical donnant la direction dans le sens horizontal. En avant de la cellule principale est placé le gou- vernail de profondeur destiné à faire monter ou descendre l'appareil. La largeur totale de l’ensemble est de 11,50. La surface portante est de 5om°, et le poids, en ordre de marche, y compris le pilote, varie de 540K8 à 570K5. Nous avons dit que les surfaces portantes n'étaient pas planes; les profils sont courbes, le maximum de la flèche se trouvant au premier tiers avant et mesurant un quinzième de Ja largeur du plan. L’angle de l'aile (c'est-à-dire de sa corde) avec le plan horizontal est au repos de huit degrés; après le soulèvement, lorsque l'appareil aborde.la marche horizontale, la vitesse de l’ensemble atteignant 18" ou 19 à la seconde, l’angle d'incidence diminue au point de se réduire à environ deux degrés. Fe Le moteur employé par M. Voisin est un moteur Awnfoinette; il tourne à 1100 tours par minute et donne à cette vitesse de 36 HP à 39 HP. L’hélice, placée à l'arrière de la grande cellule d'avant, est montée directement sur l’arbre moteur. On pouvait craindre que l'emploi d’une seule hélice produisit un déversement transversal; en fait, il n’en est rien. Un contre- poids convenablement placé ou un léger décentrage avait d’abord paru nécessaire, mais il semble que l'air lancé par l’hélice dans la cellule arrière suffise à lui seul pour empêcher toute tendance à la rotation. La forme cellulaire employée par le constructeur est stable d'elle-même, comme l’a montré l'expérience, au moins quand il n’y a pas de remous violents, et c’est grâce à cette stabilité automatique que le biplan Voisin nous apparaît si bien assuré sur sa trajectoire. Il ressemble à une lourde flèche traversant l’espace et, de plus, prend de lui- même, dans les virages, l’inclinaison convenable. La stabilité automatique est d'autant plus importante ici que l’appareil ne possède, comme disent les géomètres, que deux degrés de liberté, c’est-à-dire que le pilote dispose seulement, pour rétablir l'équilibre troublé, de deux variables relatives : … 7 modifications en plaçant le pilote et le passager au- dessous du plan porteur au lieu de les placer au-dessus; de plus, les aïlerons mobiles à l’extrémité des ailes qui restaient fixes ont été remplacés par un gauchissement de ces dernières. Sous la forme la plus récente, le monoplan de M. Blériot, que primi- tivement on comparait à une libellule, ressemble maintenant . vantage à un oiseau; il se compose d’un plan sustentateur es: gèrement incurvé et susceptible de gauchissement à ses extré- mités, les mouvements de celles-ci étant solidaires de telle sorte que l’une s’abaisse quand l’autre se relève. L'envergure est de 92,50, la profondeur des plans étant 2",40, et l'angle d’at- taque de neuf degrés; la surface portante est de 22m°, L'hélice . 3S ‘unique est à l'avant, et les voyageurs (l’appareil est construit pour le pilote et un passager) assis dans le châssis central sous "centre de l’aile ont devant eux l’hélice et le moteur dont la ‘puissance est de 35 HP; l’hélice tourne au point fixe à 600 tours par minute. Le châssis central est muni de deux roues et se prolonge perpendiculairement au plan sustentateur par une poutre évidée. Celle-ci porte un empennage horizontal fixe, e le. gouvernail de profondeur et le gouvernail vertical de direc- Fc . tion; elle se termine par une petite roue qui, avec les deux pre- = mières, supporte l'appareil au repos. M. Blériot a imaginé un EE dispositif extrêmement ingénieux qui commande les divers …. mouvements: en inçlinant l'arbre du volant de manœuvre dans je. sens transversal ou dans le sens longitudinal, on produit le 2284 gauchissement des ailes ou on fait tourner autour de son axe … horizontal le gouvernail de profondeur, et des pédales agissent + Sur le put de direction. La charge normale prévue pour — 9264 — l'appareil avec deux voyageurs est de 500k£; il est donc chargé à 25K£ par mètre carré. Les différences sont sensibles entre le monoplan de M. Blériot et l’appareil que nous avons décrit plus haut. D'abord l’hélice et le gouvernail de profondeur sont dans une position inverse par rapport au pilote, mais ce n’est là qu'un détail. Un point essentiel est que la stabilité n'est pas assurée ici plus ou moins automatiquement par le cloisonnement cellulaire; mais, tandis que dans le biplan Voisin nous n’avions que deux degrés de liberté, le gauchissement des ailes met ici une troisième variable à la disposition du conducteur. L'appareil, plus léger et offrant moins de résistance, se trouve davantage: dans la main d'un pilote attentif. Ce n’est plus le mouvement de la flèche; c’est le mouvement plus souple de l'oiseau, mais présentant actuel- lement plus de risques surtout dans les virages et demandant un grand sang-froid au conducteur. J’ai rappelé tout à l'heure que, entre les mains de l’habile et audacieux pilote qu'est M. Blériot, le monoplan a, pour la première fois, effectué dans la Beauce entre Toury et Artenay un véritable voyage aérien. Je ne me hasarderai pas, en finissant, à parler de l'avenir réservé aux monoplans, aux biplans, voire même aux triplans, d'autant qu’on peut imaginer d’autres formes d’aéroplanes. Je ne chercherai pas non plus dans combien de temps les aéro- planes remplaceront les chemins de fer, ni si cette substitution - sera au plus grand bénéfice de la guerre ou de la paix. Laïssons ce soin aux romanciers et aux politiques. Ce que nous pouvons dire, c’est que les véritables principes de la locomotion aérienne par le plus lourd que l’air sont définitivement posés, et que l'avia- tion est entrée dans la voie scientifique; sur les aérodromes, véritables laboratoires de physique, les mécaniciens avisés que sont plusieurs de nos constructeurs et de nos pilotes font chaque jour des expériences qui conduisent à modifier tels ou tels détails, et les progrès rèsulteront de ces observations accumulées. Vraisemblablement, quoiqu’en- pareille matière le métier de prophète soit dangereux, on ne s’écartera guère de quel- ques-unes des formes imaginées dans ces dernières années, mais on leur adjoindra des appareils propres à assurer la stabilité. Peut-être est-ce dans les moteurs qu’il y aura le plus d’imprévu, l'électricité ménageant probablement bien des surprises, sanë parler des sources d’énergie que peuvent nous révéler encore en 1908 5 Ga fois t-elle da ein te. C'est là une mentalité dangereuse par le carac- si qu “elle fene à conférer à à la science, oubliant 7 enent compte des approximations successives qui iduit aux lois générales de notre mécanique classique > et mettre en évidence les cercles vicieux apparents LA idées d’ espace et de temps absolus furent sans doute res de bonne heure aux premiers penseurs que ne trou- pas, fort heureusement pour le développement de la nos préoccupations modernes sur ce sujet. Fr — + — 268 — L'espace était celui sur lequel raisonnaient les géomètres | mouvements et équilibres étaient rapportés à la terre regardée: comme immobile. L'idée de force provint de la notion de l'effort correspondant au support d’un fardeau ou à la traction d’une corde attachée à un point fixe, et sans doute on sut très tôt mesurer des actions statiques. : | Nous rattachons au nom de Galilée la création de la dyna- mique dans un champ constant pour un point matériel. Le grand physicien, créant la cinématique des mouvements recti- lignes uniformément accélérés, montra que la proportionnalité des vitesses aux temps entraîne la proportionnalité des espaces aux carrés des temps. Il sut, par un effort génial, prouver que le plan incliné permettait de vérifier cette loi; on ne saurait trop admirer la manière dont il établit que, pour un point pesant, la nature du mouvement est la même en chute libre et sur un plan incliné, en utilisant d’abord, dans un raisonnement d’allure toute moderne, le fait que les corps pesants tendent à descendre et non à monter, et rattachant ensuite le résultat qu'il a en vue à des expériences faites sur un pendule. Ses remarques sur le mouvement d’un projectile regardé comme un phénomène com=. posé de deux mouvements indépendants l’un de l’autre joua un rôle essentiel dans l'élaboration d’un principe auquel on donna plus tard'une grande généralité sous le nom de « principe de l'indépendance de l'effet des forces et du mouvement anté- rieurement acquis ». - Avec Galilée, nous étions dans un champ constant. Avec Huyghens, nous passons aux forces variables, et ses recherches sur la force centrifuge ont été capitales dans le développement de la mécanique; en fait, on passe des champs constants aux champs variables par une suite de sauts brusques de plus en plus petits, suivant la méthode infinitésimale dés mathémati- ciens. La notion de masse est bien confuse pour Huyghens, mais il n’en traite pas moins un problème alors extrémement diff- cile, celui. du pendule composé c’est-à-dire d’un corps solide pesant mobile autour d’un axe horizontal; il utilise à cet eftet un postulat instinctif concernant le mouvement du centre de gravité d’un système pesant et qui revient au fond au théorème des forces vives. On considère généralement Newton comme ayant constitué définitivement la dynamique. Il généralise le concept de force, LEE nn d'une manière peu heureuse la masse ) 1me étant la quantité de matière, il sent le premier avec caractéristique du mouvement, différente de son poids : c’est "masse. Il semble que le concept de masse se soit introduit pour la première fois avec précision, quand on remarqua que la à pesanteur peut imprimer à un même corps des accélérations différentes comme il fut reconnu par les observations du pendule - de Richer, et qu'on eût rapproché de ce fait l'expérience de Newton sur les pendules formés de matières diverses ; on décrit souvent cette dernière expérience en disant que, en un même lieu, tous les corps tombent avec la même vitesse dans le vide, quelle que soit la matière dont ils sont formés. La dynamique rt soit par exemple en fer ou en cuivre, est fondamental és eue Fine On a émis récemment quelque doute essivement définie de deux manières différentes, d’abord des mesures statiques, et ensuite à un point de vue dyna- IL. ; 3 : FE Nous avons indiqué sommairement comment on avait été de différents points matériels dans divers champs constants s'est — 210 — Elle appelle plusieurs remarques importantes, et il faut noter. ÉNLUMNET ENC LORIE TRI Haut "1 SRE EE EE E rte Ps + EENR Ar LR. , 2 RIM ERMOr SE E le caractère approché des expériences de Galilée et de Newton, ! et l'interprétation qui en a été faite tout d’abord. On partait | du concept d’un espace et d’un temps absolus : quoique l'on connût le mouvement de rotation de la terre auquel on rappor- tait la mesure du temps, on faisait abstraction de ce mouve- ment dans l'interprétation des expériences relatives à la chute des gravés. Il y a là une de ces approximations fréquentes dans l’histoire des sciences, où fort heureusement la petitesse des perturbations laisse un caractère simple à un phénomène com- plexe. Le développement de la mécanique aurait été tout autre si la terre avait tourné beaucoup plus rapidement autour de son axe, les expériences sur le plan incliné et sur le pendule se présentant alors avec une complication qui eût permis diffcile- ment de formuler des principes simples. Il est bon de ne jamais perdre de vue le caractère sense du déFOppe En scien- tifique. Il peut sembler, au premier abord, que la relation indiquée entre la force et l'accélération définit tout simplement la force, et l’on se demande alors quel intérêt elle présente. Elle ne sera en effet utile pour renseigner sur le mouvement d’un point et . permettre de prédire ce mouvement, que si l’on connaît la force autrement que par cette relation. Un premier cas se présente, où l’on utilise l'identité admise entre les points de vue statique et dynamique. C’est celui où la force peut être mesurée directement et se trouve fonction de la position du point dans le champ; les trois équations cons- tituent les équations différentielles du mouvement permettant, pour des conditions initiales données, de prédire celui-ci. Il peut arriver encore que la force ne puisse pas être mesurée statique- ment d’une manière effective, mais que, pour certains mouve- ments particuliers du type de celui que l’on étudie, on trouve pour les composantes de la force des fonctions déterminées, en s’aidant de certaines observations. On pourra admettre qu'il ‘en est ainsi pour tous les mouvements se produisant dans le champ, et l’on retombera alors sur le cas précédent. L'histoire de la gravitation universelle offre un exemple de cette circons- tance, les mouvements particuliers étant ceux des planètes autour du soleil supposé fixe, et les observations étant ré- sumées dans les lois de Kepler. < een évidence que lé Étaos fndmmetale de la dyna- t matériel, qui a trouvé son origine dans certaines Len peut mieux fixer le sens exact que son histoire et exemples de son application, comme nous allons IIL. sives qui forment la science. Il est facile de se donner d'en citer des exemples. Ainsi Newton ayant, par e extension hardie, tiré des lois de Kepler les lois de la gravi- tion universelle, une conséquence de ces dernières lois fut de 1 trer que la troisième loi de Kepler ne pouvait être exacte. st que le soleil avait été supposé d’ abord immobile, et que, onsidé à le soleil comme lui-même en mouvement par FADREE oies fixes (qui elles-mêmes d'ailleurs sont mobiles). 10 pOur nous, les massès de toutes les planètes Le 32 penser qu "il existe de même des systèmes triples d’ étiles lesquels les masses sont aussi du même ordre de gran- ur. Plaignons les habitants de ces astres éloignés, s’ils cherchent ire de la mécanique céleste. Il n'y a pas pour eux d'astre nant avec des lois de Kepler, et il n’y a pas une première — 272 — approximation dont ils puissent partir. Les choses doivent leur paraître d’une effroyable complication, si tant est que la : mesure de la simplicité soit la même pour leur intelligence que | pour la nôtre. À L'attraction de deux masses rentre dans le De de ces forces considérées plus haut, dont la loi est fournie par certaines obser- vations particulières et ensuite généralisée. A ce point de vue, la question se pose à peine d'approfondir la nature de l’attrac- tion ; l'essentiel est de pouvoir la mesurer statiquement comme l'a fait Cavendish avec sa balance. Cette attraction à distance . est cependant pour les physiciens un grand scandale: il est dans l'esprit de la physique moderne que les actions doivent s'exercer par l'intermédiaire d’un milieu, et il est étrange que. l’attraction paraisse faire exception. On pourrait évidemment se demander s’il y a une bien grande différence, au point de vue des principes, entre une action à très petite distance et une action. à grande distance; mais on croit $’entendre suffisamment quand on distingue entre les actions moléculaires et les actions à dis- tance sensible. 3 Quoi qu'il en soit, des théories dans le genre de celles de Lesage qui attribuait l'attraction aux impulsions commu-. niquées aux corps par les particules d’un milieu très subtil sont . pleines d'intérêt, mais d’aucune d’elles on ne peut tirer jusqu'ici de conséquences susceptibles d’une vérification expérimentale. L'’attraction reste une force étrange qui ne semble pas avoir. de propagation, et n’est altérée ou déviée par aucune substance connue. Il n’y a pas d’écran pour la gravitation; la découverte d’un tel écran aurait d'immenses conséquences, tant au point. de vue pratique qu’au point de vue théorique. Seul le héros. d’un roman de H. Wells, Les premiers hommes dans la lune,“ a connu une substance imperméable à l'attraction qui lui permit,” au moyen d’une sphère enduite de cette substance, de se rendre dans notre satellite, où il a laissé son secret. 7 Avant d'arriver à cette substance merveilleuse, on résoudra | sans doute d’autres problèmes moins lointains. C’est ainsi qu'on … s'est proposé récemment de reprendre dans un liquide des. expériences analogues à celles de Cavendish, et il se pourrait que la mesure de l'attraction newtonienne entre deux corps. plongés dans un liquide modifiât quelques-unes de nos idées à ce sujet. | . agissant sur le point, su autres parties du sys- —… tème; on a, dans chaque cas particulier, à discuter la possibilité de la mesure statique de ces forces. Fe On supposa en outre que tous les systèmes isolés sont conser- vatifs, en entendant par là qu'il y a pour l’ensemble des forces ‘un potentiel dépendant uniquement de la position relative de ses diverses parties et que, par suite, la force vive du système roduit de la somme des masses par les carrés des vitesses) est e fonction de même nature. D'ailleurs cette hypothèse permet elle seule de retrouver les expressions des accélérations en onction des coordonnées, si l’on admet, ef c’est là un point apital, que, à un moment donné £on peut se donner arbitraire- ment la position et la vitesse des points du système, de sorte que dans le mouvement de notre système de # points, il y ait n constantes arbitraires. Ainsi se trouvèrent peu à peu élaborés les principes généraux de notre mécanique classique, et il est essentiel de remarquer que, dans ces conditions, les équations du mouvement ne + — 274 — cevoir les équations précédentes relatives au système total Z. Dans la partie de ces équations relatives aux points de S figu- reront des forces provenant de È sur ces points; c’est là un embarras considérable pour former les équations du mouve- ment de S seul. Souvent les forces provenant des parties de Z extérieures à S pourront être regardées pratiquement comme ne dépendant que des coordonnées des points deS, et nous aurons alors le système S se déplaçant dans un champ de forces exté- rieures fonction des coordonnées de ses points; les équations du mouvement de S seront de même forme que plus haut. Le système isolé formé par un point pesant et la terre en offre l'exemple le plus simple, quand on traite du mouvement de ce point en regardant comme constant le champ de la pesanteur. Les équations du mouvement sont susceptibles d'une forme . différente, quand la position du système, par suite de certaines liaisons, dépend seulement d’un nombre p de paramètres . moindres que 3 #, et que les forces provenant de ces liaisons | sont regardées comme ayant un potentiel constant. On aura : alors un système de p équations; la solution générale dépendra … de 2 p constantes arbitraires, qui pourront être les valeurs des. paramètres et de leurs dérivées premières à un moment donné. Ici, comme plus haut, les équations ne changeront pas, quand on changera # en — #, c’est-à-dire que l’on renversera le mouve= ment en changeant le sens des vitesses. On pourra alors remonter le cours du temps, conclusion bien grave sur laquelle nous re- viendrons tout à l'heure. a Nous venons de dire les lois générales de ce que nous avons appelé la mécanique classique. Le principe fondamental, d'où : elles découlent, est, comme nous l’avons vu, que les change-. ments infiniment petits à partir d’une position dépendent seulement de l’état statique actuel. Or on aperçoit de suite des exceptions, au moins apparentes, à ce principe. Nous voyons … constamment autour de nous des mouvements s’éteindre par suite de résistances passives telles que la viscosité et le frotte=. ment; ce sont là les cas les plus simples où le principe ne paraît pas pouvoir être conservé. Souvent, on se tire pratiquement de la difficulté, en ajoutant des forces ne dépendant pas seulement de la position. Ainsi, pour un corps en mouvement dans un fluide, on ajoutera des forces dépendant de la vitesse, dont des expériences auront déterminé la loi dans certains cas particuliers ; _ A ourd'hu qu'au temps de Coulomb, qui en a fait > les lois encore admises. Il est même singulier, notons-le m mm ent ; que des études nouvelles n'aient pas été tentes sme par trop grossier. | i qu'il en soit, si, au point de vue des applications, nous ns nous en tirer plus ou moins heureusement par l’intro- or de orces d une autre nature, s'ensyit-il que nous cas d’ ‘un corps en mouvement dans un fluide, en portant attention seulement sur le corps, nous sommes bien s d'introduire des forces dépendant des vitesses, mais LÉ plus nécessairement de même si nous considérions mble du crps et du fluide. Les molécules du fluide situées forces apparentes. Ici encore nous portons notre atten- un trop petit nombre d’éléments; l'introduction d’un Je LE et préciserai ces vues ne en repre- 5 équations différentielles de la dynamique ee rimentation moderne, ‘de façon à nous faire sortir A = 7 " — 276 — groupes, les uns correspondant à des variables visibles que nous pouvons mesurer et sur lesquelles nous pouvons avoir action, : les autres étant des variables cachées, échappant à nos mesures, | et. sur lesquelles nous ne pouvons agir; soit g le nombre des ! premières (9 p). Nous devons regarder que l'intégrale des | équations différentielles du mouvement ne dépend pas ici! de 2p arbitraires, mais seulement de 2g; car, à un instant déterminé, nous disposons seulement des variables visibles et de leurs dérivées premières. On comprend alors que tous les mouvements, possibles pour nous, puissent dans certains cas s’éteindre. Une grosse difficulté se trouve ainsi écartée relativement au Changement de 4 en — { dans les équations. Il reste toujours que les équa- tions ne sont pas modifiées par ce changement, maïs #/ n’est pas possible néanmoins de remonter le cours du temps, car nous ne pouvons, à un moment donné, changer le signe de toutes les dérivées premières, puis qu’il y en a # —g dont nous ne dis- posons pas. Il n’est donc pas impossible qu’un système irréver- sible puisse étre conservatif et obéisse aux lois générales de la mécanique classique. | De telles considérations ne ere pas, je le sais, à beaucoup de physiciens qui les trouvent arbitraires et infécondes. Je ne crois pas cependant qu’on puisse systématiquement refuser d'introduire des variables cachées, ou des masses cachées, comme disaient Helmholtz et Hertz. L'éther qui est formé de masses cachées joue un rôle ‘essentiel en optique et en élec- tricité, et que deviendraient les chimistes sans les, atomes et les molécules qui sont, eux aussi, des masses cachées. L'intro- duction de variables cachées peut sans doute être délicate, mais de toutes parts, surtout en électricité, nous voyons aujourd’hui s'introduire de tels éléments, et 1l ne semble pas que ce labeur ait été infécond. Re Ikse pourrait même que certaines variables cachées Éoe des variables visibles grâce aux perfectionnements des méthodes de mesures, et il est loisible de faire le rêve que notre puissance sur les choses s’agrandira à mesure que g se rapprochera de p; nos approximations en mécanique deviendront ainsi de plus en plus serrées. Le cas chimérique, où p serait égal à g, nous ramènerait à la réversibilité complète : nous pourrions alors. remonter le cours du temps. Le e doit-on entendre par explication mécanique des phéno- ènes ? C'est une question sur laquelle on est loin d’être ccord. Si l’on adopte les points de vue qui précèdent, regar- int tous les systèmes isolés comme conservatifs, il ne peut y. r hésitation. On aura l'explication mécanique d’un phéno- quand on sera arrivé, par l'introduction de variables es et cachées convenables, à le regarder comme faisant e d’un système conservatif plus ample. Cette réponse est se, mais elle incite à poursuivre un but peut-être chimé- e et reste, en tout cas, très théorique. Si l’on veut une onse plus pratique, il faut se contenter d'à peu près, comme fait le plus souvent. dier le mouvement, et l’on dit, c’est là le sens le plus ordi- -de l'expression, que l’on a une explication mécanique. voir sous son vrai jour ce que peut recouvrir ce mot cation et ne pas se faire d'illusions, il suffit de se reporter 1s problèmes de frottement, surtout Rs il y a des e. Les principes généraux du mouvement se présentent s sous un nouveau point de vue; ce que nous avons appelé nest pas pour déplaire aujourd'hui où l’on croit entrevoir = cas où la masse varie avec la vitesse, quand celleci rapproche de la vitesse de la lumière. Dans cette ë _à amique généralisée, le principe de l'énergie subsiste en + Re. de modifiant convenablement la définition de la force vive ( ÿ Dans toute cette étude, les lois exprimant nos idées sur le mouvement se sont trouvées condensées dans des équations | difiérentielles, c’est-à-dire des relations entre les variables et leurs dérivées. Il ne faut pas oublier que nous avons en défini- tive formulé un principe de non-hérédité, en supposant que l'avenir d’un système ne dépend à un moment donné que de son état actuel, ou d’une manière plus générale (si l'on regarde les forces comme pouvant aussi dépendre des vitesses) que cet avenir dépend de l’état actuel et de l’état infiniment voisin qui précède. C’est une hypothèse restrictive et que, en apparence au moins, bien des faits contredisent. Les exemples sont nom- breux, où l'avenir d’un système semble dépendre des états antérieurs : il y à hérédité. Dans des cas aussi complexes, on se dit qu'il faudra peut-être abandonner les équations différen- helles et envisager des équations fonctionnelles, où figureront des intégrales prises depuis un temps très lointain jusqu'au. temps actuel, intégrales qui seront la part de cette hérédité. . Les tenants de la mécanique classique pourront cependant pré- tendre que l’hérédité n’est qu’apparente, et qu’elle tient à çe . que nous portons notre attention sur un trop petit nombre de. variables. Il en sera ici comme il en était plus haut, mais dans des conditions plus complexes encore. On voit assez, par ce qui précède, les difficultés que . la notion d'explication mécanique des phénomènes naturels. Il est nécessaire de les constater, car avant tout le savant ne doit pas se laisser abuser par les mots. Mais il n’y a pas là ma- tière à découragement. Bien au contraire. Il est vraiment extraordinaire que, au milieu de la complexité des apparences, l’homme ait pu, servi par d’heureux hasards dont nous avons signalé quelques-uns chemin faisant, arriver à débrouiller, superficiellement au moins, un tel chaos. Le passé répond de l'avenir. Après les premières approximations en viendront d’autres d’ordre plus élevé nous rapprochant du but idéal, dont l’homme de science a le sentiment, et auquel il croit sans pou= voir d’ailleurs le définir avec précision. (:) Dans des pages remarquables, MM. E. et F. Cosserat ont récem- | ment repris, en les développant, les idées de Laplace. 7 — É able ot on ne püt posséder à à part les œuvres di grand ee ètre ; aussi la Société mathématique de France a-t-elle x dé de les faire réimprimer. Cette édition est conforme précédente ; on a seulement supprimé l'avertissement placé = | 5e au début de la sg — 980 — de ses principes généraux, comme le montre l'analyse d’un mémoire sur la résolution algébrique des équations dans le Bulletin de Férussac, où sont énoncés une série de résultats qui ne sont manifestement que des applications d’une théorie géné- rale. Ce court article est le plus important qui ait été publié par. Galois lui-même, le mémoire fondamental sur l'algèbre re- trouvé dans ses papiers n'ayant été imprimé qu’en 1846. . On trouvera, dans l’article de M. Dupuy, des renseignements . d'un grand intérêt sur la vie de Galois. Il est peu probable que de nouveaux documents viennent désormais s'ajouter à ceux que nous possédons maintenant. Après deux échecs, à l’École polytechnique, Galois entra à l’École normale, en 1820, et fut obligé de la quitter l’année suivante. Dans la dernière année de sa vie, il se donna tout entier à la politique, passa plusieurs mois sous les verrous de Sainte-Pélagie et, blessé mortellement en duel, mourut le 31 mai 1832. En présence d’une vie si courte et si tourmentée, l'admiration redouble pour le génie prodi- gieux qui a laissé dans la science une trace aussi profonde; les exemples de productions précoces ne sont pas rares chez les grands géomètres, mais celui de Galois est remarquable entre tous. Il semble, hélas ! que le malheureux jeune homme aït tristement payé la rançon de son génie. À mesure que se déve- loppent ses brillantes facultés mathématiques, on voit s’assom- . brir son caractère, autrefois gai et ouvert, et le sentiment de son immense supériorité développe chez lui un orgueil excessif. Ce fut la cause des déceptions qui eurent tant d'influence sur … sa carrière, et dont la première fut son échec à l’École polytech-. nique. Son examen dans cette école a laissé des souvenirs; sans aller aussi loin que le veut la légende, disons seulement que. Galois refusa de répondre à une question, qu'il jugeait ridicule, | sur la théorie arithmétique des logarithmes. On ne peut douter aussi qu'il ne se soit pas prêté à fournir sur ses travaux les explications que lui demandaient les mathématiciens avec qui il s’est trouvé en relations, explications que rendait nécessaires la rédaction rapide de ses mémoires; aussi comprend-on faci- lement que son mérite n’ait pas été reconnu de ses contempo- rains. Ce n’est pas sans peine que Liouville réussit à saisir l’enchaînement des idées de Galois, et il fallut encore de nom- breux commentateurs pour combler les lacunes qui subsistaient : dans plus d’une démonstration, et amener les théories du grand — 281 — mètre au degré de simplicité qu’elles sont susceptibles de revêtir aujourd’hui. . La théorie des équations doit à Lagrange, Gauss et Abel des | progrès considérables, mais aucun d’eux n’arriva à mettre en évidence l'élément fondamental dont dépendent toutes les pro- priétés de l'équation; cette gloire était réservée à Galois, qui 1ontra qu'à chaque équation algébrique correspond un groupe de substitutions dans lequel se reflètent les caractères essentiels 3 de l'équation. En algèbre, la théorie des groupes avait fait auparavant l'objet de nombreuses recherches dues, pour la “plupart, à Cauchy, qui avait introduit déjà certains éléments = de classification; les études de Galois sur la théorie des équa- … tions lui montrèrent l'importance de la notion de sous-groupe … invariant d'un groupe donné, et il fut ainsi conduit à partager … les groupes en groupes simples et groupes composés, distinction - fondamentale qui dépasse de beaucoup, en réalité, le domaine de _ l'algèbre et s'étend au concept de groupes d'opérations dans son acception la plus étendue. … Les théories générales, pour prendré dans la science un droit de cité définitif, ont le plus souvent besoin de s’illustrer par des “applications particulières. Dans plusieurs domaines, celles-ci ne sont pas toujours faciles à trouver, et l’on pourrait citer, “dans les mathématiques modernes, plus d'une théorie confinée, …_sijose le dire, dans sa trop grande généralité; au point de vue … artistique, qui. joue un rôle capital dans les mathématiques “pures, rien n’est plus satisfaisant que le développement de ces “grandes théories, cependant de bons esprits regrettent cette tendance, qui a peut-être ses dangers. On ne peut, pour Galois, émettre un pareil regret ; la résolution algébrique des équations lui à fourni, dès le début, un champ particulier d’applications où le suivirent, depuis, de nombreux géomètres, parmi lesquels - il faut citer, au premier rang, M. Camille Jordan. _ Les travaux de Galois, sur les équations algébriques, ont … rendu son nom célèbre, mais il semble qu’il avait fait, en ana- lyse, des découvertes au moins aussi importantes. Dans sa lettre à Auguste Chevalier, écrite la veille de sa mort, et qui est ‘une sorte de testament scientifique, Galois parle d’un mémoire - qu'on pourrait composer avec ses recherches sur les intégrales. Nous ne connaissons de ces recherches que ce qu’il en dit dans cette lettre; plusieurs points restent obscurs dans quelques F Le D” — 282 — énoncés de Galois, mais on peut cependant se faire une idée précise de quelques-uns des résultats auxquels il était arrivé dans la théorie des intégrales de fonctions algébriques. On acquiert ainsi la conviction qu’il était en possession des résultats les plus essentiels sur les intégrales abéliennes que Riemann devait obtenir vingt-cinq ans plus tard. Nous ne voyons pas nn 00 E die TÉ DANS sans étonnement Galois parler des périodes d’une intégrale | abélienne relative à une fonction algébrique quelconque; pour les intégrales hyperelliptiques, nous n'avons aucune difficulté à comprendre ce qu’il entend par période, mais il en est autrement dans le cas général, et l’on est presque tenté de supposer que: Galois avait tout au moins pressenti certaines notions sur les Æonctions d'une variable complexe, qui ne devaient être déve- loppées que plusieurs années après sa mort. Les énoncés sont précis; l’illustre auteur fait la classification en trois espèces des intégrales abéliennes, et affirme que, si # désigne le nombre des intégrales de première espèce linéairement indépendantes, les périodes seront en nombre 2 ». Le théorème relatif à l'inversion du paramètre et de l’argument dans les intégrales de troisième espèce est nettement indiqué, ainsi que les relations entre les ériodes des intégrales abéliennes ; Galois parle aussi d’une géné- P j ralisation de l'équation classique de Legendre, où figurent les périodes des intégrales elliptiques, généralisation qui l'avait probablement conduit aux importantes relations découvertes depuis par Weierstrass et par M. Fuchs. Nous en avons dit assez . pour montrer l'étendue des découvertes de Galois en analyse; si quelques années de plus lui avaient été données pour déve- lopper ses idées dans cette direction, il aurait été le glorieux continuateur d’Abel et aurait édifié, dans ses parties essentielles, la théorie des fonctions algébriques d’une variable telle que . nous la connaissons aujourd’hui. Les méditations de Galois | portèrent encore plus loin; il termine sa lettre en parlant de l’application à l'analyse transcendante de la théorie de l'ambi- 4 guité. On devine à peu près ce qu'il entend par là, et sur ce . terrain qui, comme il le dit, est immense, il reste encore aujour- d’hui bien des découvertes à faire. Ce n’est pas sans émotion que l’on achève la lecture du tes- tament scientifique de ce jeune homme de vingt ans, écrit la veille du jour où il devait disparaître dans une obscure querelle. Sa mort fut pour la science une perte immense; l'influence de D en, ce si rofondeur de ses Je nemeris is a sans doute . is périlleuses : les grands mathématiciens de P originalité et la 2 à no Mes CHERS AMIS, MES JEUNES CAMARADES, est à ma qualité d’ancien élève du Lycée Henri IV que je de à onneur de présider cette solennité. Votre proviseur aime à r à ce fauteuil un ancien élève de cette maison. Je le soup- 1e d'un peu de malice; il est ainsi assuré d’entendre que > : émotion, au es où j RE de vos ice à la dis- tion des prix, attendant patiemment la fin des discours ituels; je revois les professeurs excellents et dévoués, dont gardé un pieux souvenir, et dont quelques-uns étaient les … es, hier encore. Je l’ai connu sous des noms divers, notre … : Napoléon, Corneille, Henri IV. Les brillants # vous vivez. Vous êtes SE plus savants que s ne l'étions jadis. Nos programmes d’études étaient alors n'était pas encore commencée. On était à peu près d'accord st & mérites de l’éducation par les lettres anciennes, qui sait excellente pour développer et fortifier l'esprit. Je sr 'a8b; = aujourd’hui par le souci des affaires ou par des études spéciales, ils se reposent parfois dans les souvenirs classiques qu'ils ont emportés de cette maison; ils aiment à se rappeler que leur jeunesse était le temps du rêve et de la poésie, dont votre maître | vient de si bien parler dans son charmant discours. : Mais, hélas ! notre époque n’a plus le temps de rêver. On semble prendre aujourd'hui au sérieux une boutade d’un ro- mancier du milieu de ce siècle, qui partageait les élèves, à la fin. de leurs études, en deux catégories : ceux qui n’ent rien appris, s et ceux qui ont tout oublié. Passons condamnation sur ceux qui. n'ont rien appris, et qui ne sont pas aussi nombreux qu’on nous le dit, mais ne prenons pas en si grande pitié ceux qui ont tout oublié. Il ne m’appartient en aucune façon de prendre la défense des lettres anciennes, mais je suis persuadé que ces études pré- tendues inutiles, et dont il semble souvent rester peu de traces, portent plus tard leurs fruits. Je crains que, dans l’ardeur de … leur foi nouvelle, quelques-uns ne croient plus, au fond, à la nécessité d’une culture préalable de l'intelligence, et n’appellent de leurs vœux un enséignement immédiatement utile. En tout cas, d’autres pousseront le raisonnement jusqu’au bout et con cluront que Montaigne, avec son suc antique, et Corneille et. Racine sont aussi inutiles.à l'industriel et à l'ingénieur que - Virgile et Homère; ce sera la réconciliation des anciens et des modernes. On était plus dans le vrai, quand on pensait que … l’enseignement secondaire n’est qu’une PIÉparé ER très géné- … rale à des connaissances particulières. La science qu'on acquiert … à votre Âge est nécessairement peu de chose; le point essentiel … est qu'il sorte de nos lycées des esprits justes, vigoureux, for- tement exercés à apprendre, et nous savons tous ici avec quel dévouement se consacrent à cette noble tâche les maîtres dis= … tingués qui m'entourent. Que les discussions, dont l’écho est sans doute venu jusqu'à vous, ne troublent donc pas vos paisibles études. Plus le déve- … loppement de la civilisation dans les sociétés modernes’ oblige … chacun à s’enfermer dans-une étroite spécialité, s’il veut y faire « œuvre utile, plus il est nécessaire que notre horizon ne se borne … pas de trop bonne heure. Comme on vient de nous le dire, lédu= cation consiste surtout à allumer dans l’âme du jeune homme un foyer d’idéal qui l’éclaire et le réchauffe pendant toute son existence. La vie laisse peu de loisirs et nous arrivons vite à. elle consultation à toutes celles qui ont déjà été données rave e sujet par de Rp docteurs. Je serais d'accord _ On peut avoir été un honnête latiniste et avoir le ‘action et des novrse hardies. Quant al amour des is, qui ne valent que ce que valent les mœurs. Les trans- IS économiques et sociales dont nous sommes les le développement des sciences et de leurs applications A avec eux des modifications profondes dans la vie des lés, et ouvrent, dans des directions variées, de nouveaux ps à l’activité des jeunes générations. Auront-elles assez ’én ee de force et de continuité dans la volonté ? C'est là à côté de Dr les autres sont Désir et Dir qu'un intérêt historique. Cependant, le même reproche faisaient aux Gaulois César et Strabon n'a cessé d’être essé aux Français à travers les âges, et il est devenu à nger une sorte de lieu commun. Un homme d'état, qui nous aimait guère, écrivait il y a 50 ans : « La plus grande mettait jadis, à en croire un roi de Prusse, de nous consoler e tout par un vaudeville. | Gardons-nous de prendre au tragique des critiques partiales et intéressées ; il serait facile de leur opposer une longue suite d’illustres exemples. Mais, puisque nous sommes entre nous, il est permis de rechercher quel pourrait être aujourd’hui le prétexte à ces jugements sommaires. Il semble bien que nous soyons surtout sensibles en France à l'esprit, à la vivacité et au brillant de l'intelligence, tandis que nous apprécions moins la patience et la ténacité dans l'effort; elles sont cependant, dans toute carrière, les qualités maîtresses. Soyez convaincus, mes amis, que dans la vie l'intelligence n’est pas la seule force, et qu’il n’y a que trop d'exemples où elle est restée stérile. Que de jeunes gens bien doués n’ont pas donné ce qu’on attendait d'eux ! Une longue patience est indispensable pour féconder les dons les plus heureux; elle n’est pas à elle seule le génie, maïs elle est quelquefois le talent. Pour produire une œuvre où pour exercer une action, il faut être capable d’une volonté persévé- rante et continue. C’est par un travail constant que l'on pré: pare les chances heureuses qui échoïent seulement à ceux qui ont longtemps cherché : vérité symbolisée dans la réponse de Newton, disant qu’il avait découvert les lois du système du monde en y pensant toujours. Ils n’ont certes pas manqué à la France, en ce siècle, ces grands laborieux, qui ont laissé une traînée lumineuse. Tel fut entre tous Pasteur, que l'humanité reconnaissante proclamera peut-être le plus grand homme de notre temps, et chez qui une volonté tenace, armée d’une mé- thode rigoureuse, sut mettre en œuvre les intuitions du gémie Dans la lutte pacifique entre les peuples, l'avenir est à ceux qui posséderont le plus grand nombre de travailleurs opiniâtres dans tous les champs de l’activité humaine. Le développement scientifique de ce siècle a été prodigieux; maïs, dans bien des parties, nous ne faisons qu’entrevoir les grandes lignes de L édi- fice, et quelques cadres seulement sont tracés, au moins pour -un temps, qu’il va falloir remplir. Jamais les recherches scien- tifiques n'ont demandé plus de sagacité patiente et minutieuse, et, partout, il faut descendre à l’infiniment petit. Que les temps sont loin où les sages d’Ionie trouvaient en se jouant les prin= cipes des choses ! Lé mathématicien introduit des éléments nouveaux dans le monde inépuisable des formes et des fonc- tions, et se livre à une subtile analyse sur la nature du nombre et de l’espace. L’astronome accumule ses observations ou transformations des ons et cherche dans les derniers : _ éléments ‘anatomiques les secrets de la vie. Le philosophe trouve : dans les mathématiques et les sciences naturelles les bases d’une chologie plus rigoureuse. Les sciences historiques et philolo- ques ont été complètement renouvelées; je ne sais s’il faut, dans ces études, comme le demandait Fustel de Coulanges, 30 ans d'analyse pour 1 heure de synthèse; mais, grâce à leurs sévères méthodes, nous commençons à mieux comprendre les des hommes d'autrefois, et des civilisations inconnues remontent des profondeurs de l'antiquité la plus reculée. Nou- mvelles venues, les sciences politiques-et sociales continuent leurs . minutieuses enquêtes; puissent-elles s’ inspirer de la Rene ; Tee d’un effort persévérant et continu. n’est pas moindre dans les innombrables applications de la science à pathie à ces chercheurs obstinés qui appliquent les découvertes scientifiques ; il en est qui ont rendu de grands services à leurs 1ys. On a ouvert, récemment, une enquête sur les caractères e l'esprit français; si l’on ne s'était pas placé uniquement au point de vue littéraire, on aurait pu signaler la séparation qui a régné trop longtemps chez nous entre la science pure et la science ippliquée, et que s'efforcent si heureusement de combattre, pour leur part, nos universités; séparation dangereuse pour - l'industrie qui, privée des lumières de la théorie, reste dans l'empirisme et la routine. C’est ainsi que tant d'idées heureuses et tant de découvertes françaises ont été exploitées à l'étranger. » On a raison d'appeler votre attention sur ces carrières indus- trielles et commerciales, quoiqu’on le fasse parfois sur un ton trop lyrique. Ceux d’entre vous qui se sentent quelque goût PICARD 19 — 290 — pour une vie pleine d'activité et d’imprévu pourront y trouver tr l'emploi de leurs facultés; ce ne sera pas une mission indigne d'eux que de développer les ressources de notre industrie natio- | nale. Il faudra peut-être abandonner certains préjugés. On raconte . que des étrangers vinrent un jour visiter le célèbre philosophe Héraclite. Ils s'attendaient à le trouver au milieu d’un appareil imposant. Le philosophe préparait lui-même ses aliments; comme ses visiteurs s’étonnaient de le voir livré à une occupa- tion aussi basse : « Là aussi, leur dit Héraclite, il y a des dieux ». On est très injuste envers l'antiquité qui nous donne des con- seils aussi pratiques. N'ayez pas des dédains que n'avait pas le vieil Héraclite; ne craignez pas surtout que certaines carrières ne soient pas assez libérales. Nous avons sur ce sujet quelques … idées fausses, et nous sommes dupes des mots. Il faut briser . des classifications qui ne sont que le souvenir d’un autre temps; dites-vous que toute carrière est libérale, qui demande de l'ini- tiative et de l'intelligence. Quand les jeunes gens, et aussi leurs parents, seront pénétrés de ces idées, la solution de plusieurs questions, qui nous préoccupent aujourd’hui, sera prochaïne. Nous manquerions de sincérité envers nous, mes jeunes camarades, si nous vous représentions la vie dans laquelle. les plus âgés d’entre vous vont bientôt entrer, comme un chemin facile le long duquel vous n'aurez qu’à vous laisser glisser. Le travail est aujourd’hui la source unique des supériorités sociales, et la valeur d’un homme se mesure à l'énergie et à la fécondité. de son effort, Aussi, vous ne commencerez jamais trop tôt cette éducation de la volonté, qui n’est pas moins essentielle que celle de l'intelligence. On semble vous donner un conseil banal en vous recommandant de travailler avec méthode sans éparpiller: votre attention dans des directions trop variées, de prendre le goût de la précision, de ne jamais renvoyer au lendemain une besogne sans attraits. Cependant, il ne faut pas mépriser ces … petites vertus, et quelques autres du même ordre, elles vous donneront des habitudes de travail, que vous conserverez tou- jours, et cette première coutume, dont parle Pascal, deviendra votre nature. En même temps que se développera en vous le sentiment du devoir à remplir, prenez hardiment comme régles de votre conduite les postulats moraux, sans lesquels la vie n'a . aucun sens. Gardez-vous de cette frivolité d'esprit, qui est 9 — > ce dilettantisme, jeu stérile d’une pensée désæuvrée, qui, 7. En vous attachant à quelque œuvre utile et féconde, prendrez la vie au sérieux. Vous aurez alors, je l'espère, toutes les compromissions, et vous ne vous déroberez pas ant les responsabilités qui se présentent toujours à certaines « dans une démocratie, et il _ être le prélude des x homme : ne recueille toute la fécondité de son n labeur que quand il cesse de travailler pour lui seul; l'égoïsme ne crée rien de parle tant, ne doit pas être un vain môt. et ce n’est Se la lutte, mais Füunion pour la vie qu il faut pratiquer. On proposait is jointe à la culture la plus raffinée de l'intelligence nant à tout comprendre, cherche trop souvent à tout à affaiblissement des caractères et des volontés est surtout Hrde Pierre DORE: SAT PRE NT 7 SSP RE rs mathématiques en France depuis un demi-siècle... ons sur la science et l'industrie après la guerre... sciences et les prétentions de la science allemande. RE te rhtrehe cientiique:, :.:..0......:.... ess oncé à la séance annuelle de l’Académie des sciences, LLRETSSS NES Rss te 2 So que 1 et ses s approximations successives. ...:... de 0 RER SSSR MR ENT on des prix au Lycée Henri [V..................... de Lord Kelvin..:....,.... SL Rise 5 231 Pages, se 41 75 107 127 145 157 177 "18r 201 221 26 279 285 _ DJ À ae Lee) + gustins s Grands-Au Quai d Es à & | : #. Pari db LIBRAIRIE GAUTHIER-VILLARS ET C*° 4 55, QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, PARIS (6°) F0 Tous les Prix marqués sont nets EX PICARD (Émile), Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. —| Traité d'Analyse (Cours de la Faculté des Sciences). 4 volumes grand. in-8 (25-16) avec figures, se vendant séparément : re Tome 1: /ntégrales simples et multiples. — L'équation de Laplace et r. ses applications. — D Re en séries. — Applications géomé- 4 triques du Calcul infinitésimal, 3° édition, revue et corrigeo. F : 4 (En réimpression.) Tome IL: Fonctions harmoniques et fonctions analytiques. — Intro-W duction à la théorie des équations différentielles. — Intégrales abéliennes * et surfaces de Riemann; 1905........... CHE PER ae 36 fr. Tom HE: Ues singularités des intégrales et des équations différentielles. | Étude du cas où la variable reste réelle et des courbes définies par, des équations différentielles. Équations linéaires. Analogie entre Les équations algébriques et les équations Unéaires ; 190g.......... 36 fr. Tome IV : Equations aux dérivées partielles. (En préparation.) PICARD (Émile), Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. —| Sur le développement de l'Analyse et ses rapports avec diverses. sciences. Conférences faites en Amérique en 1899 et 1904. In-8 (23-14) de vi-168 pages ; 1905.,.....4:..,.....4.. TS EE Aya ee Tire PICARD (Émile), Secrétaire perpétuel de l'Académie des Scienées. — Quelques réflexions sur la Mécanique, suivies d'une première leçon de Dynamique. Brochure in-8 (23-14), de 56 pages; 1902...... 3 fr. PICARD (Émile), Secréaire perpétuel de l'Académie des Sciences. _ L'Œuvre de Henri Poincaré. {n-4 (28-23) de 22 pages; 1913... 4 fn. PICARD (Emile), Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences. at Les Sciences mathématiques en France depuis un demi-siècle. Brochure in-8 (25-16) de 24 pageS; 1917...:.......,...1 4 fr. PICARD (Émile), Secrétaire perpéiuel de l'Académie des Sciences. — La Théorie de la Relativité et ses applications à l'Astronomie. Un volume in-16 double-couronne de 27 page:, 1922; broché... pfr. 75 PICARD (Emile), Secrétaire perpeluel de l'Académie des Sciences. = Notice historique sur la vie et l'œuvre de lord Kelvin, lue dans la séance publique annuelle de l’Académie du 22 décembre 1919. Un: vol. in-4° carré (280X225) de 40 pages; 1920; broché .....: 3 fr. PICARD (Émile), Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences et SIMART (G.), Capitaine de frégate, Répétiteur à l'Ecole Polytechnique. — Théorie des fonctions algébriques de deux variables indépendantes: 1 volumes in-8 (25-16) se vendant séparément :. T'ESAd Tome Î : Volume de vi-256 pages, avec figures; #897......: 18 fr. Tome LI : Volume de vi-528 pages; 1906 ..... PRET e NME. 36 fr. 67745-22 Paris - Imp. GAUTHIBR-VILLARS et Cie, 55, Quai des Grands-Augustins wi eh. et ER it ; Fe RE CURE R PETER Lim Du MAI LL 2 ne 4 PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY Q Picard, Emile 113 Discours et melanges P55 Lai he bi er Le Un 2e De ATV SAT LPS es Er SR HE is arr dire î 4 E Ne ÿ \ Ë ws LEl dedans HiMe + PRE dl AFAATE ae Seat Ut kl ut nn AS HRENNS SARA : : »; RH US Gi: