ESSAI POLITIQUE SUR LE ROYAUME UE LA NOUVELLE -ESPAGNE. ESSAI POLITIQ UE SUR LE royaum e DE L à NOUVELLE - ESPA GNE. PAR AL. DE HUMBOIliDT. TOME TROISIÈME. ^ A PARIS, Chez F, SCHOELL^ Libraiiie, ht Saint-G£kmain-i.’Auxeiiiiois , JE DES Fosses-, 29. i8ï î. ■pr LIVRE IV. État de V Agriculture de la Nouvelle- E spagne. — Mines métalliques. CHAPITRE IX, Productions végétales du territoire mexicain, — Progrès de la culture du sol. — Influence des mines sur le défrichement. — Plante-s qui servent à la nourriture de Vhomme. Nous venons de parcourir l’immense étendue de terrain que l’on comprend sous'la déno- mination de royaume de la Nouvelle-Espagne. Nous avons décrit rapidement les limites dë(, chaque province , l’aspect physique du pays, sa température , sa fertilité naturelle , et les progrès d’une population naissante. R est temps de nous occuper plus spécialement de l’état de l’agriculture et de la richesse territo- riale du Mexique. 2 LIVRE IV ^ Un empire qui s’étend depuis le seizième jusqu’au trente-septième degré de latitude^ olFre déjà, par sa position géographique, toutes les modifications de climat que l’on trouveroit , en se transportant des rives du Sénégal en Espagne , où des côtes du Malabar aux steppes de la Grande-Bucharie. Cette variété de climats augmente encore par la constitution géologique du pavs , par la masse et la forme extraordinaire des mon- tagnes mexicaines , dont le tableau a été tracé dans le troisième chapitre. Sur le dos et sur la pente des Cordillères^ la tempéra- ture de chaque plateau est différente , selon qu’il est plus ou moins élevé. Ce ne sont pas des pics isolés dont les sommets , rapprochés de la limite des neigés perpétuelles , se cou- vrent de pins et de chênes. Des provinces entières produisent spontanément des plantes alpines , et le cultivateur habitant de la zone torride y perd souvent l’espérance des mois- sons , par l’effet des gelées ou par l’abondance de la neige. Telle est l’admirable distribution de la chaleur sur le globe , que , dans l’Océan aérien, on rencontre des couches plus froides à CHAPITRE IX. / 3 mesure que l’on s’élève ; taudis que dans la profondeur des mers la température diminue à mesure que l’on s’éloigne de la surface des eaux. Dans les deux élémens , une même latitude réunit , pour ainsi dire , tous les climats. A des distances inégales de la surface de 1 Océan , mais dans le même plan vertical, on trouve des couches d’air et des couches d eau de la même température. Il en résulte que, sous les tropiques , sur la pente des Cordillères, et dans l’abîme de l’Océan , les plantes de la Laponie, comme les animaux marins voisins du pôle , trouvent le degré de chaleur nécessaire au développement de leurs organes. D’après cet ordre de choses établi par la nature , on conçoit que dans un pajs mon- tueux et étendu comme le Mexique, la variété des productions indigènes doit être, immense , et qu’il existe à peine une plante sur le reste du globe qui ne seroit susceptible d’être cultivée dans quelque partie de la Nou- velle-Espagne. Malgré les recherches pénibles de trois botanistes distingués, MM. Sessé, Mocino et Cervantes, chargés par la cour d’examiner les richesses végétales du Mexi- l 4 riVKE IV ^ que ; il s'en faut de beaucoup que Ton puisse se flatter de connoître toutes les plantes qui se trouvent ou éparses sur des cimes isolées^ ou pressées les unes contre les autres dans de vastes forêts au pied des Cordillères. Si Ton découvre encore journellement de nou- velles espèces herbacées sur le plateau central, même dans le voisinage de la ville de Mexico , que de plantes arborescentes ne se seront pas dérobées aux yeux des botanistes, dans cette région humide et chaude qui s'étend le long des côtes orientales , depuis la pro- vince de Tabasco et les rives fertiles du Guasacuâlco jusqu'à Colipa et à Papantla, le long des côtes occidentales , depuis le port de San Blas et la Sonora jusqu'aux plaines de la province d’Oaxàca ! Jusqu'ici aucune es- pèce de quinquina ( Cinchona ) , aucune même de ce petit groupe qui a les étamines plus longues que la corolle , et qui forme le genre Exostema, n'a été reconnue dans la partie équinoxiale de la Nouvelle-Espagne. Il est probable cependant que cette découverte précieuse sera faitè un jour sur la pente des Cordillères , où abondent les fougères en arbre , et où commence la région des CHAPITRE IX* 5 véritables quinquina fébrifuges à étamines très-courtes^ et à corolles velues*. Nous ne nous proposons point ici de dé- crire Finnombrable variété de végétaux dont la nature a enrichi la vaste étendue de la 1 Voyez ma Géographie des plantes, p. 6}— 66 , et un Mémoire que j’ai piiLlié en allemancl , con- tenant des observations physiques sur les diverses espèces de Cinchona qui croissent dans les deux con- tinens. {Mémoires de la Société d’histoire naturelle de Berlin , 1807 , n. 1 et ) On croit au Mexique que le Portlandia mexicana^ découvert par M. Sessé, pourroit remplacer le quinquina de Loxa , comme le font^ jusqu’à un certain point, le Portlandia hexandra (Coutarea Aublet) à Cayenne, le Bonplandia trifo- liata Wdld. , ou le Cusparé, au bord de fOrénoque , et le Switenia febrifuga Roxb. aux Grandes Indes, ïl est à désirer que l’on examine aussi les vertus médi- cinales du Pinkneya pubens de Michaux (Mussaenda biacteolata Barlram ) qut croit dans la Géorgie ^ et qui a tant d’analogie avec les Cinchona. En jetant les yeux sur la propriété des genres Portlandia , Coutarea et Bonplandia, ou sur l’afiSnité naturelle que présente le véritable Cinchona épineux et rampant , découvert à Guayaquil par M. Tafalla , avec les genres Pæderia et Danais, on reconnoît que le principe fébrifuge du quinquina réside dans beaucoup de rubiacées. De même le Caoutchouc n’est pas seulement extrait de ^ 6 LIVRE IV, NoiivelIe^Espagne , et dont les propriétés utiles seront mieux connues à mesure que la civilisation fera des progrès dans ce pays. Nous ne parlerons pas des divers genres de culture qu’un gouvernement éclairé pourroit introduire avec succès. Nous nous bornerons a examiner les productions indigènes quf fournissent en ce moment des objets d’expor- tation, et qui forment la base principale de 1 agriculture mexicaine. Sous les tropiques , surtout aux Indes Occidentales, qui sont devenues le centre de 1 activité commerciale des Européens,, le mot agriculture est pris dans un sens bien différent de celui qu’on lui donne en Europe. Lorsqu’à la Jamaïque ou à l’île de Cuba , on entend parler de l’état floris- sant de l’agriculture , cette expression offre à l’imagination , non l’idée de récoltes qui servent à la nourriture de l’homme , mais l’idée de terrains qui produisent des objets 1 Hevca , mais aussi de l’UrceoIa elastica , du Com- miphora madagascarensis , et d’un grand nombre d’autres plantes de la famille des euphorbes, des orties (Ficus Cecropia), des cucurbitacées (Carica), et descampanulacées (Lobclia). CTTAT'ITKE TX- 7 (rocliani^eau commerce, et des malières brûles à l’industrie manufacturière. De pins, quelque riche et fertile que soit la campagne , par exemple la vallée des Guines, au sud-est de la Havane , un des sites les plus délicieux du Nouveau-Monde , on y voit des plaines soi- gneusement plantées en cannes à sucre et eu café ; mais ces plaines sont arrosées de la sueur des esclaves africains ! La vie des champs perd ses attraits, lorsqu’elle est inséparable de l’aspect du malheur de notre espèce. Dans l’intérieur du Mexique , le mot agri- culture rappelle des idées moins pénibles et moins attrista^ites. Le cultivateur indien est pauvre, mais il est libre. Son état est bien préférable à celui des paysans dans une grande partie de l’Europe septentrionale. Il n’y a ni corvées, ni servage dans la Nouvelle- Espagne ; le nombre des esclaves y est pres- que nul : le sucre, pour lapins grande partie, est produit par des mains libres. Les objets principaux de l’agriculture n’y sont pas de ces productions auxquelles le luxe des Euro- péens a assigné une valeur variable et arbi- traire : ce sont dès céréales , des racines nourrissantes, et l’agave, qui est la vigne des ° livre IV , indigènes. La vue des champs rappelle au voyageur que le sol y nourrit celui qui le eu üve , et que la véritable prospérité du peuple mexicain ne dépend ni des chances du commerce extérieur, ni de la politique incjiîiètc de 1 Europe. Ceux qui ne connoissent l’intérieur des colonies espagnoles que par les notions vagues et incertaines publiées jusqu à ce jour, auront delà peine à se persuader que les sources principales de la richesse du Mexique ne «ont pas les mines , mais une agriculture qui a ete sensiblement améliorée depuis la fin du dernier siècle. Sans réfléchir à l’immense eteiidue du pays, et surtout au grand nombre de provinces qui paroissent entièrement dé- pourvues de métaux précieux, on s’imagine communément que toute l’activité de la po- pulation mexicaine est dirigée vers l’exploi- t^ation des mines. De ce que l’agriculture a fait des progrès très - considérables dans la • capitania general de Caraccas , dans le royaume de Guatiniala , dans l’île de Cuba , ’ et partout où les montagnes sont censées pauvres en productions du règne minéral , on a cru pouvoir en inférer que c’est aux CHAPITRE IX. 9 travaux des mines qu’il faut attribuer le peu de soin donné à la culture du sol dans d’autres parties des colonies espagnoles. Ce raison- nement est juste, lorsqu’on ne l’applique qu à de petites portions de terrains. Sans doute dans les provinces du Choco et d Aiitioquia , et sur les côtes de Barbacoas, les habitans aiment mieux chercher de l’or de lavage dans les ruisseaux et les ravins , que de dé- fricher une terre vierge et fertile : sans doute au commencement de la conquête , les Espagnols qui abandonnoient la péninsule ou les îles Canaries pour s’établir au Pérou et au Mexique , n’avoient d’autre intérêt que celui de découvrir des métaux précieux, « Auri rabida sitis a culturel Hispanos di- cc vertit » ^ dit un écrivain de ce temps , Pedro Martyr dans son oùvrage sur la découverte du Yucatan et la colonisation des Antilles. Mais ce raisonnement ne peut aujourd’hui servir à expliquer pourquoi, dans des pays qui ont trois ou cjuatre fois plus d’étendue que la France, l’agriculture est ^ De insulis nuper repertis, et de moribiis incolarum carum. Grynœi novus Orhis j i555, p. 5ii. 1 tIVRE IV, dans un état de langueur. Les mêmes catT^ physiques et morales qui entravent tous le» progrès de l’industrie nationale dans les colonies espagnoles , ont été contraires à 1 amélioration de la culture du sol. Il n’est pas douteux que si l’on perfectionne les institutions sociales , les contrées les plus riches en productions minérales seront tout aussi bien , et peut-être mieux cultivées que celles qui paroissent dépourvues de métaux Mais le désir naturel à l’homme de ramener tout à des causes très-simples , a introduit dans les ouvrages d’économie politique une manière de raisonner qui se perpétue parce qu elle flatte la paresse d’esprit de la multitude. La dépopulation de l’Amérique espagnole, letat d abandon dans lequel s’y trouvent les terres les plus fertiles , le manque d’industrie manufacturière , sont attribués aux richesses métalliques , à l’abondance de l’or et de l’argent; comme, d’après cette même logi- que , tous les maux de l’Espagne dérivent ou delà découverte de l’Amérique, ou delà vie nomade des mérinos , ou de l’intolérance religieuse du clergé ! On n’observe guère que l’agriculture soit CHAPITRE IX. 1 I plus négligée au Pérou qu’elle ne l’est dans la province de Cumana ou à la Guavane, dans lesquelles cependant il n’exisle aucune mine en exploitation. Au Mexique , les champs les mieux cultivés^ ceux qui rappellent à 1 esprit des voyageurs les plus belles cam- pagnes de la France , sont les plaines qui s étendent depuis Salainanca jusque vers Silao , Guanaxuato , et la Villa de Leon , et qui entourent les mines les plus riches du monde connu. Partout où des filons métal- liques ont été découverts dans les parties les plus incultes des Cordillères, sur des plateaux isolés et déserts , l’exploitation des mines , bien loin d’entraver la culture du sol , l’a singulièrement favorisée. Les voyages sur le dos des Andes ou dans la partie raontueuse du Mexique, offrent les exemples les plus frappans de cette influence bienfaisante des mines sur l’agriculture. Sans les établissemens formés pour l’exploitation des mines , que de sites seroient restés déserts, que de terrains non défrichés dans les quatre intendances de Guanaxuato, de Zacatecas, de San Luis Potosi et de Durango, entre les parallèles de 21 et de 25 degrés , où se trouvent réunies ESIEBBBBta H ^ ^ tiVEE IV , les richesses métalliques les plus considérahles de la Nouvelle-Espao-ne ! La fondation d’une ville suit immédiatement la découverte d’une mine considérable. Si la ville est placée sur le liane aride ou sur la crête des Cordillères, es nouveaux colons ne peuvent tirer que de loin ce qu’il faut pour leur subsistance et pour la nourriture du grand nombre de bes- tiaux employés dans l’épuisement des eaux , dans le tirage et l’amalgamation du minerai, bientôt le besoin réveille l’industrie : on com- mence à labourer le sol dans les ravins et sur es pentes des montagnes voisines , partout où le roc est couvert de terreau ; des fermes s établissent dans le voisinage de la mine; la cherté des vivres, le prix considérable auquel la concurrence des acheteurs maintient tous les produits de 1 agriculture , dédom- magent le cultivateur des privations auxquelles 1 expose la vie pénible des montagnes. C’est ainsi que par le seul espoir du gain , par les motifs d’intérêt mutuel qui sont les liens puis- sans de la société, et sans que le gouvernement se mêle de la colonisation , une mine qui paroissoit d’abord isolée au milieu de mon- tagnes désertes et sauvages, se rattache en CHAPITRE IX. 1 3 peu de temps aux terres anciennement la- bourées. Il J a plus encore; cette influence des mines sur le défrichement progressif du pays est plus durable qu’elles ne le sont elles-mêmes. Lorsque les filons sont épuisés et qu’on aban- donne les travaux souterrains , la population du canton diminue sans doute , parce que les mineurs vont chercher fortune ailleurs; mais le colon est retenu par l’attachement qu’il a pris pour le sol qui l’a vu naître, et que ses pères ont défriché de leurs mains. Plus le site de la ferme est isolé, et plus il a d’attrait pour l’habitant des montagnes. Au commencement de la civilisation , comme vers son déclin , l’homme paroît se repentir de la gêne qu’il s’est imposée en entrant dans la sojciété. Il aime la solitude, parce qu’elle le rend à son antique liberté. Cette tendance morale, ce désir de l’isolement, se manifeste surtout parmi les indigènes de la race cuivrée , qu’une longue et triste expérienee a dégoûtés de la vie soeiale , et particulièrement du voisinage des blancs. Semblables aux Arcadiens, les peuples de la race aztèque aiment à habiter les cimes et le flanc des montagnes les plus ^4 livre rVj escarpées. Ce trait particulier de leurs mœurs contribue singulièrement à étendre la popu- lation dans la région montagneuse du Mexique. à 1900 mètres de hauteur absolue ; tandis que, sous l’équateur, on n’observe ce dernier phénomène qu’à des élévations detx fois plus grandes. Ces considérations nous prouvent que vers le tropique ^ là où la zone torride s’approche de la zone tempérée (je me sers de ces noms impropres consacrés par l’usage) , les plantes cultivées ne sont pas assujeties a des hauteurs fixes et invariables. On pourroit être tenté de les distribuer d’après la température moyenne des lieux dans lesquels elles végètent. On observe, à la vérité, qu’en Europe le mi- nimum de la température moyenne qu’exige une bonne culture est, pour la canne à sucre, de 19® à 20®; pour le cafier, de i8°,- pour l’oranger, de 17»; pour l’olivier, de 130,5 à i4'’; pour la vigne donnant du vin potable, de loo à 11° centigrades. Cette échelle ther- mométrique d’agriculture est assez exacte, lorsqu’on n’embrasse les phénomènes que dans leur plus grande généralité : mais des excep- de 1 lie de Cuba , de 17“ et 18®. Toutes ces détermi- Tiations ont été fa^ites avec d’excellcns thermomèlî’es de INairne. iri. 2 lions nombreuses se présentent, si l’on con- sidère des pays dont la chaleur moyenne de l’année est la même , tandis que les tempé- ratures moyennes des mois different beaucoup les unes des autres. C’est , comme l’a très-bien prouvé M. Decandolle la répartition inégale de la chaleur entre les dilFérentes saisons de l’année, qui influe principalement sur le genre de culture qui convient à telle ou telle latitude. Plusieurs plantes annuelles, surtout les graminées à semences farineuses, sontassez indifférentes aux rigueurs de l’hiver; mais, semblables aux arbres fruitiers et à la vigne , elles ont besoin d’une chaleur considérable pendant l’été. Dans une partie du Maryland , et surtout en Virginie ' , la température moyenne de l’année est égale , peut-être même supérieure à celle de la Lonabardie; et ce- pendant les frimas de l’hiver ne permettent guère d’y cultiver les mêmes végétaux dont ^ Flore française , troisième éditioîi , T. II , p. lo* ^ A Umeâ , eu Weslro-Botuie (lat. 63® 4^^ ) , les extrêmes du thermomètre centigrade étoient,en 1801, eu été 4 35“ , en hiver — 47“, 7. M. Acerbi se plaint beaucoup des grandes chaleurs de Télé dans la partie septentrionale de la Laponie. CHAPITRE IX. tg sont ornées le plaines du Milanez. Dans la région équinoxiale du Pérou ou du Mexique, le seigle , et bien moins encore le froment, ne viennent point a maturité dans des plateaux de 5ooo ou de 4ooo métrés d'élévation , quoique la chaleur moyenne de ces contrées alpines soit au-dessus de celle des parties de la Norwège et de la Sibérie dans lesquelles les céréales sont cultivées avec succès. Mais pen- dant une trentaine de jours, l’obliquité de la sphère e. la courte durée des nuits rendent très-considérables les chaleurs estivales dans les pays les plus voisins du pôle ; tandis que, sous les tropiques , sur le plateau des Cor- dillères, le thermomètre ne se soutient jamais un jour entier au-dessus de dix ou douze degrés centigrades. Pour ne pas mêler des idées théoriques et peu susceptibles d’une exactitude rigoureuse, à 1 énoncé des faits certains, nous ne divise- rons les plantes cultivées dans la Nouvèlle- Espagne, ni d’après la hauteur du sol sur lequel elles végètent le plus abondamment, ni d après les degrés de température moyenne qu elles paroissent exiger pour leur dévelop- pement : nous les rangerons plutôt d’après 20 LIVRE IT , rutilité qu’elles olFrent à la soeiété. Nous eoinmencerons par les végétaux qui font la base prineipale de la nourriture du peuple mexicain ; puis nous traiterons de la culture des plantes qui présentent des matériaux à l’industrie manufacturière. Nous terminerons ces recherches en décrivant les productions végétales qui sont l’objet d’un commerce im- portant avec la métropole. Ce que les graminées céréales, le froment, l’orge et le seigle sont pour l’Asie occidentale et pour l’Europe ; ce que les nombreuses variétés de riz sont pour les pays situés au delà de rindus, surtout pour le Bengale et la Chine , le Bananier l’est pour tous les habitans de la zone torride. Dans les deux continens , dans les îles que renferme l’immense étendue des mers équinoxiales; partout où la chaleur moyenne de l’année excède vingt-quatre de- grés centigrades , le fruit du bananier est un objet de culture du plus grand intérêt pour la subsistance de l’homme. Le célèbre voyageur George Forster, et d’autres naturalistes apres lui, ont prétendu que cette plante précieuse n’existoit point en Amérique avant 1 arrivée des Espagnols, mais qu’elle y avoit été portée CHAPITRE IX. 21 des îles Canaries au commencement du sei- zième siècle. En elFet, Oviedo, qui, dans son Imtoire naturelle des Indes, distingue avec soin les végétaux indigènes de ceux qui y ont été introduits, dit positivement que lespremiers bananiers ont été plantés en i5i6, à Tile de Saint-Domingue , par un religieux de l’ordre des frères prêcheurs, Thomas de Berlangas \ Il assure avoir vu lui-même le Musa cultivé en Espagne , près de la ville d’Armeria , en Grenade, et dans le couvent des franciscains, à l’île de la Gran Canaria , où Berlangas avoit pris les drageons qui furent transportés à Hispaiiiola , et de là successivement aux autres îles et à la Terre-Ferme. On pout'roit rapporter à l’appui de l’opinion de M. Forster ,, que , dans les premières relations des voyages de Colomb, d’Alonzo Negro, de Pinzom, de Vespucci et de Cortèz , il est souvent ques- * De plantis esculentis commentatio hotanica^ 1786 , p. 28. Histoire naturelle et générale des Isles et T'erre- Ferme de la grande mer Océane, i556,p. 11 2- 11 4. ^ Ghrislopliori Columbi navigatio. De gentîbus ab Aloazo reperlis. De navigatione Pinzoni socii admi- rantis. ISavigatio Alberici Vespulii. Voyez Gtynœi Orbis no\.\ , editio i555 , p^ 64, 84, 85 , 87 , 211. 21 LIVRE IV 5 tion du maïs /du papayer, du Jatropha ma~ jiihot et de l’agave, mais jamais du bananier. Cependant le silence de ces premiers voya- geurs ne prouve que le peu d’attention qu’ils portoient aux productions naturelles du sol de l’Amérique. Hernandez , qui , outre les plantes médicinales , décrit un grand nombre d’autres végétaux mexicains, ne fait pas men- tion du Musa : or , ce botaniste vivoit un demi- siècle après Oviedo ,\et ceux qui regardent le Musa comme étranger au nouveau continent, ne mettent pas en doute que sa culture ne fût très-commune au Mexique , vers la fin du seizième siècle, à une époque à laquelle une foule de végétaux moins utiles à l’homme y avoient déjà été portés de l’Espagne, des îles Canaries et du Pérou. Le silence des auteurs n’est donc pas une preuve suffisante en faveur de l’opinion de M. Forster. Il en est peut-être de la véritable patrie des bananiers comme de celle des poiriers et des cerisiers. Le merisier ( Prunus avium ), par exemple, est indigène en Allemagne et en France : il existe dans nos forêts , de toute antiquité , comme le chêne rouvre et le tilleul ; tandis que d’autres espèces de cerisiers, CHA.P1TRE IX. 23 que l’on regarde comme des variétés devenues constantes , et dont les fruits sont plus savou- reux que ceux du merisier , nous sont venues, par les Romains, de l’Asie mineure % et par- ticulièrement du royaume de Pont. De même on cultive, sous le nom de bananiers, dans les régions équinoxiales , et jusqu au parallèle de 33 ou 34 degrés-, un grand nombre de plantes qui diffèrent essentiellement par la forme de leurs fi'uits, et qui constituent peut-être de véritables espèces. Si c’est une opinion peu prouvée jusqu’à ce jour , que tous les poiriers cultivés descendent du poirier sauvage comme d’une souclie commune, il sera plus permis tencore de douter cpie le grand nombre de variétés constantes du bananier descend du Musa troglodytârum cultivé aux îles Mo- lUques, qui, lui-même, d’après Gærtner, n’est peut-être pas un Musa , mais une espèce du- genre Ravenala d’Adanson. Ôn ne comioît pbint, aux colonies espagnoles, ; ® ^ arbres et arhrissfaùs^ qui peui^ent être cultivés sur le sol de la France j 1809 ^ T. Il, p. 208 , ouvrage qui contient de savantes et curieuses recliereiVes sur la patrie des végétaux utiles , et sur Fépoque de leur première culture, en Eui ope*. ^4 LIVRE ÎV , tous les Musa ou Pisang décrits par Rumphius et Rheede : on y distingue cependant trois espèces, que les botanistes n’ont encore que très ~ imparfaitement déterminées , le vrai Platano ou Arton ( Musa paradisiaca Linn. ) , le Camburi ( Musa sapientium Linn.) , et le Domimco (Musa regia Rumpb.). J’ai vu cul- tiver au Pérou , une quatrième espèce , d’un goût très-exquis, \^ Meija de la mer du Sud, qu au marché de Lima on appelle Platano de T parce que la frégate Aguila en a: porté les premiers pieds de File d’Otahiti. Or, c’est une tradition constante au Mexique, et suî| toute la Terre-Ferme de l’Amérique méridior uale, que le Platano arton et le Dominico y étoient cultivés long temps avant l’arrivée des Espagnols, mais qu’une variété du Camburi ^ le Guineo ^ comme son nom même le prouve^ est venu des cotes d’Afrique. L’auteitr qui a marqué avec le plus de soin les dijfFérentes époques auxquelles l’agriculture américaine s’est enrichie de productions étrangères, le Péruvien G arcilasso de la Vega dit expres- * Comentarios reales de los Incas ^ Vol. I, p. La petite banane musquée , le Dominico j dont le fnnt paru le plus savoureux dans la province de Jaen CHAPITRE IX. sèment que, du temps des Incas, le mais, le quinoa, les pommes de terre; et, dans les régions chaudes et tempérées, les bananes faisoient la base de la nourriture des naturels: il décrit le Musa des vallées des Antis; il dis- tingue même l’espèce plus rare à petit fruit sucré et aromatique, le Dominico de la ba- nane commune ou Arton. Le père Acosta ' affirme aussi, quoique moins positivement, que le Musa étoit cultivé par les Américains avant l’arrivée des Espagnols. La banane , dit-il, est un fruit que l’on trouve dans toutes les Indes , quoiqu’il y ait des gens qui pré- tendent qu’il est originaire d’Ethiopie, et qu’il est venu de là en Amérique. Sur les rives de l’Orénoque, du Cassiquiaré ou du de Bracamorros , sur les rives de rAmazone et du Chamaya , paroiî identique avec le Musa raaculata de Jacquin ( Hortus schœnbrimnensis , Tab. 446 ), et avec le Musa regia de Rumpbius. La dernière espèce n’est peut-être élle-niême qu’une variété du Musa mensaria. Il existe , et ce fait est très-curieux , dans tes forêts d’Amboine , un bananier sauvage dont le fruit est sans graines, le Pisang jacki. {^Rumph, V , p. i38. ) ^ Ilistoria ncUural de îndias ^ 1608 , p. 25o. 20 livre IV, X' Béni , entre les montagnes de FEsmeralda et les sources du fleuve Garony, au milieu des forets les plus épaisses , presque partout où I on découvre des peuplades indiennes qui II ont pas eu desrelationsaveclesétablissemens européens, on rencontre des plantations de maniocs et de bananiers. Le père Thomas de Berlangas ne pouvoit transporter, des îles Canaries à S.-Domingfue , autre espèce de Musa que celle que Fon y cultive , qui est le Camburi ( caule nigTescente striato, fructu minore ovato-elongato ) , et non le Platano arton ou zapalotù des Mexicains (caule albo-virescente lævi, fructu longiore, apicem versus subarcuato , acute trigono ). Il n y a que la première de ces deux espèces qui vienne dans les climats tempérés, aux îles Canaries, à Tunis, à Alger, et sur la côte de Malag'a. Aussi, dans la vallée de Caraccas^ placée sous les lo^ 3o' de latitude, .mais à 900 mètres de hauteur absolue , on ne trouve que le Camhuri et \q Dominico {cmlG albo- virescente , fructu minimo obsolète trigono ) , et non le Platano arton ^ dont les fruits ne mûrissent que sous Fiofluence d^une tempé- rature très-élevée. D’après ces preuves nom- CHAPITRE IX. 27 breuses on ne peut douter que le bananier, que plusieurs voyageurs prétendent avoir trouvé sauvage à Araboina, à Gilolo et aux îles Marianes, n’ait été cultivé eij Amérique, long-temps avant l’arrivée des Européens. Ces derniers n’ont fait qu’augmenter le nombre des espèces indigènes. Toutefois on ne doit pas s’étonner de voir qu’il n’existoit pas de Musa àl’île de Saint-Domingue, avant l’année i5i6. Semblables à certains animaux , les sauvages ne tirent le plus souvent leur nourriture que d’une seule espèce de plante. Les lorets dé la Guayane offrent de nombreux exemples de tribus dont les plantations ( conucos ) ren- ferment du manihot, des arum ou des dios- corea , et pas un pied de bananier. Malgré la grande étendue du plateau mexicain , et la hauteur des montagnes qui avoisinent les côtes , 1 espace dont la tempé- rature est favorable à la culture du Musa, est de plus de 5o,ooo lieues carrées , et habité à peu près par un million et demi d habitans. Dans les vallées chaudes et humides de l’in- tendance de Vera-Cruz, au pied de la Cor- dillère d’Onzaba, le fruit du Platano arton excède quelquefois trois décimètres, souvent 28 livre IV , Vingt à vingt-deux centimètres ( 7 à 8 pouces) de longueur. Dans ces régions fertiles^ surtout dans les environs d’Acapulco, de San Blas, et du Rio Guasacualco , un régime de bananes contient de 160 à 180 fruits, et pèse 5o à4oki- logrammçs. Je doute qu’il existe une autre plante sur le globe, qui, sur un petit espace de terrain, puisse produire une masse de substance nour- rissante aussi considérable. Huit ou neuf mois après que le drageon est planté, le bananier commence à développer son régime : le fruit peut être cueilli le dixième ou onzième mois. Lorsqu on coupe la tige , on trouve constam- ment parmi les nombreux jets qui ont poussé des racines, un rejeton {pimpollo) ayant deux tiers de la hauteur delà plante-mère, porte du fruit trois mois plus tard. G est ainsi qu’une plantation de Musa, que, dans les colonies espagnoles, l’on appelle /?/«to««r(bananerie), se perpétue sans que l’homme y mette d’autre soin que de couper les tiges dont le fruit a mûri, et de donner a la terre, une ou deux fois par an, un léger labour en piochant autour des racines. Un terrain de cent mètres carrés de surface peut renfermer au moins CHAPITRE IX. 29 trente à quarante pieds de bananiers. Dans l’espace d’un an, ce même terrain, en ne comptant le poids d’un régime que dé quinze .à vingt kilogrammes, donne plus de deux milles kilogrammes , ou quatre mille livres en poids , de substance nourrissante. Quelle dilFérence entre ce produit et celui des gra- minées céréales dans les parties les plus fertiles de l’Europe! Le froment, en. le supposant semé etnonplanté d aprèsla méthode chinoise, et en calculant sur la base d’une récolte dé- cuple, ne produit, sur un terrain de cent mètres carrés, que quinze kilogrammes ou trente livres pesant de grains. En France , par exemple , le demi-hectare ou l’arpent légal de 1 34 4 i toises carrées, est ensemencé à la volée, en terres excellentes, avec 160 livres de grains; en terres médiocres ou mauvaises , avec 200 ou 2 20 livres :1e produit varie de 1000 à 2 5oo liv. l’arpent. La pomme de terre, d’après M. Tes- sier, donne en Europe, sur cent mètres carrés de terre bien cultivée et bien fumée, une récolte de 43 kilogrammes ou de 90 livres de racines : on en compte quatre à six mille livres par arpent légal. Le produit desfbananes est par conséquent à celui du froment comme 3 O livre IV,’ 1 33 : I J à celui des pommes de terre, comme 44 : 1. Les personnes qui en Europe ont goûté des bananes luuries dans les serres, ont de la peme à concevoir qu’un fruit qui , par sa grande douceur , ressemble un peu à une figue sèche, puisse être la base de la nour- riture de plusieurs millions d’hommes qui habitent les deux Indes. On oublie aisément •que, dans 1 acte de la végétation , les mêmes élémens, selon qu’ils se combinent ou se séparent, forment des mélanges chimiques très-diftérens. En effet , reconnoîtroit-on dans le mucilage laiteux que renferment les graines des graminées avant que l’épi mûrisse , ce périsperme farineux des céréales, qui nourrit la plupart des peuples de la zone tempérée ? Dans le IMusa, la formation de la matière amylacée précède l’époque de la maturité. Il faut bien distinguer entre le fruit du bana- nier cueilli vert et celui qu’on laise jaunir sur le pédoncule. Dans le second, le sucre est tout formé; il s y trouve mêlé à la pulpe , et en telle abondance que si la canne à sucre n’étoit pas cultivée dans la région des bananiers , on pourroit, du fruit de ce dernier, extraire le CHAPITRE IX. 3i sucre avec plus de profit qu’on ne le fait en Europe , des betteraves et du raisin. La banane cueillie verte contient le même principe nour- rissant que l’on observe dans le blé, le riz, les racines tubéreuses et le sa^ou; savoir, la fécule amylacée unie à une très-petite portion de gluten végétal. En pétrissant sous l’eau de la farine de bananes séchées au soleil, je n’ai pu obtenir que quelques atomes de cette masse ductile et visqueuse qui réside en abondance dans lepérispet me, et surtout dans l’embryon des céréales. Si, d’un côté, le glutineux, qui a tant d’analogie avec les matières animales, et qui se boursoufle par la chaleur , est d’une grande utilité pour la confection du pain; de l’autre, sa présence n’est pas indispensable pour rendre une racine ou un fruit nourris- sant. M. Proust a reconnu du gluten dans les feves, les pommes et les coings; il n’en a pas découvert dans la farine des pommes de terre. Les gommes , par exemple , celle du Mimosa nilotica ( Acacia vera AVilld. ) , dont se nour- rissent plusieurs peuplades africaines pendant leur passage par le désert, prouvent qu’une substance végétale peut être un aliment nu- 32 LIVRE IV J sans contenir ni gluten, ni matière amylacée. Il seroit difficile de décrire les nombreuses préparations par lesquelles les Américains rendent le fruit du Musa, soit avant, soit après sa maturité, un mets sain et agréable. J'ai vu souvent, en remontant les rivières, que les naturels, exposés à de longues fatigues, font un dîner complet avec une très-petite portion de manioc et trois bananes {Platano arton) de la grande espèce. Du temps d'Alexandre, si toutefois l'on doit en croire les anciens, les philosophes de l'Indoustan étoient plus sobres encore. « Arbori nomen palæ porno arienæ, «< quo sapientes Indorum Ijwunt, Fructus cc admirabüis siicci dulcediae ut uno qua- fc ternos satieL (Vlin. XII. 12.) En général, dans les pays chauds , le peuple regarde les substances sucrées non-seulement comme un mets qui rassasie pour le moment, mais comme vraiment nutritives. J'ai observé souvent que , sur les côtes de Garaccas, les muletiers qui conduisoient nos bagages, préféroient, pour leur dîner , le sucre brut ( papelon ) à la viande fraîche. CtlAPiTRE IX. 33 Lespliysiologistes n’ont point encore déter- miné avec précision ce qui caractérise une substance éminemment nourrissante. Calmer l’appétit en stimulant les nerfs du système gastrique, ou fournir au corps des matières qui peuvent s’assimiler facilement > sont des modes d’action très-dilFérens. Le tabac , les feuilles de l’Erythroxylon cocca, mêlées à la chaux vive, l’opium, dont les natifs du Ben- gale se sont souvent servi avec succès pendant des mois entiers, dans des temps de disette, appaisent la violence de la faim; mais ces substances agissent bien autrement que le pain de froment, la racine du Jatropha, la gomme arabique , le lichen d’Islande, ou la chair de poisson pourri, qui est la nourriture principale de plusieurs tribus de nègres afri- cains. Il ne paroît pas douteux qu’à volume égal les matières surazotées ou animales nour- rissent mieux que les matières végétales : il paroît que, parmi ces dernières, le gluten est plus nourrissant que l’amidon, et l’amidon plus que le mucilage; mais il faut bien se garder d’attribuer à ces principes isolés ce qui , dans l’action de l’aliment sur le corps vivant, dépend du mélange varié del’hydro- in. 3 34 LIVRE IV , gène, du carbone et de l’oxigène. C’est ainsi qu’une matière devient éminemment nourris- sante, si elle renferme, comme la fève du cacoyer (Theobroma cacao), outi^e la matière amylacée , un principe aromatique qui exLÎte et fortifie le système nerveux. Ces considérations , auxquelles nous ne pouvons donner plus de développement ici, serviront à répandre quelque jour sur les comparaisons que nous avons faites plus haut des produits de dilFérerftes cultures. Si l’on récolte sur le même espace de terrain, en poids, trois fois autant de pommes de terre que de froment, il ne faut pas en conclure que la culture des plantes tubéreuses peut, à surface égale , nourrir trois fois autant d’indi- vidus que la culture des céréales. La pomme de terre est réduite au quart de son poids, étant séchée à une douce chaleur , etramidon sec qu’on sépareroit de 2400 kilogrammes récoltés sur un demi-hectare de terrain, éga- leroit à peine la quantité de celui que peuvent fournir 800 kilogrammes de froment. Il en est de même du fruit du bananier , qui, avant sa maturité , même à l’état dans lequel il est très- farineux , contient beaucoup plus d eau CHAPITRE IX. 35 et de pulpe sucrée que les semences des gra- minées. Nous avons vu que la même étendue de terrain peut, sous un climat favorable, produire 106,000 kilogrammes de bananes, 2400 kilogrammes de racines tubéreuses, et 800 kilogrammes de froment. Ces quantités ne sont pas proportionnelles au nombre d’in- dividus qui pourroient-se nourrir par ces différentes cultures sur le même terrain. Le mucilage aqueux que contient la banane ou la racine tubéreuse du Solanum, a sans doute des propriétés nutritives. La pulpe farineuse, telle que la nature la présente, offre sans doute plus d aliment que l’amidon , qui en est séparé par 1 art : mais les poids seuls n’indiquent pas les quantités absolues de matière nutritive ; et pour faire sentir combien-, sur le même espace de terrain , la culture du Musa fournit plus d aliment à l’homme que la culture du froment , on devroit calculer plutôt d’après la masse de substance végétale nécessaire pour rassasier un individu adulte. On trouve, d’après ce dernier principe, et ce fait est très-curieux, que dans un pays éminemment fertile , un demi-hectare , ou un arpent légal , cultivé en bananes de la grande espèce {Platano arton), .5 '*■ I «s 36 tiVRE IV , peut nourrir plus de cinquante individus | tandis qu’en Europe le même arpent ne dom neroit par an, en supposant le huitième grain, que 576 kilogrammes de farine de froment, quantité qui n’est pas suffisante pour la sub- sistance de deux individus ' : aussi rien ne frappe plus l’Européen récemment arrivé dans la zone torride , que l’extrême petitesse des terrains cultivés autour d’une cabane qui ren- ferme une famille nombreuse d’indigènes. Le fruit mûr du Musa, lorsqu’il est exposé au soleil, se conserve comme nos figues; la peau devient noire , et prend une odeur par- ticulière, qui ressemble à celle du jambon fumé. Dans cet état , le fruit s appelle Platano passado, et devient un objet de commerce dans la province de Mechoacan. Cette banane sèche est un aliment d’un goût agréable et très-sain; mais les Européens nouvellement débarqués regardent comme très-indigeste le > On a calculé sur les principes suivans : 100 kilo- grammes de froment donnent 72 kilogrammes de farinie , et i6 kilogrammes de farine se converUssent en qi kilogrammes de pain. La nourriture d’un indi- vidu est comptée en raison de 547 kilogrammes d© pain par an. CHAPITRE IX. fruit (lu Platano arton mur et fraîchement cueilli. Cette opinion est très-ancienne, car Pline rapporte qu’ Alexandre ordonna à ses soldats de ne pa5 toucher aux bananes qui croissent sur les bords de 1 Hyphase. On extrait delà farine du Musa, en coupant le fruit vert en tranches , en le séchant au soleil sur des glacis , et en le pilant lorsqu’il est devenu friable. Cette farine , moins usitée au Mexique qu’aux îles * , peut servir aux memes usages que les farines de riz ou de maïs. La facilife avec laquelle le bananier renaît de ses racines, lui donne un avantage extraor- dinaire sur les arbres fruitiers , même sur l’arbre à pain, qui, pendant huit mois de l’année, est chargé de fruits farineux. Lorsque des peuplades se font la guerre , et qu’elles détruisent les arbres , ce malheur se fait sentir pendant long-temps. Une plantation de bananes se renouvelle par des drageons, dans l’espace de peu de mois. On entend souvent répéter dans les colo- nies espagnoles, que les habitans de la région ^ Voyez rintéressant Mémoire de M. de ïussac^ dans sa Flore des Antilles^ p. 6o. 38 LIVRE IV, chaude ^(tie/Ta caliente') ne pôiirront sortir de l’état d’apathie dans lequel ils sont plongés depuis des siècles, que lorsqu’une cédule royale ordonnera la destruction des bananeries (^pla~ tanares). Le remède est violent, et ceux qui le proposent avec tant de chaleur, ne dé- ploient généralement pas plus d’activité que le bas-peuple qu’ils veulent forcer au travail , en augmentant la masse de ses besoins. Il faut espérer que 1 industrie fera des progrès parmi les Mexicains, sans qu’on emploie des mojens de destruction. En considérant d’ailleurs la facilit* avec laquelle l’homme se nourrit dans un climat où croissent les bananiers, on ne doit pas s’étonner que, dans la région équi- noxiale du nouveau continent, la civilisation ait commencé dans les montagnes, sur un sol moins fertile , sous un ciel moins favorable au développement des êtres organisés , où le besoin même réveille l’industrie. Au pied de la Cordillère, dans les vallées humides des intendances de Vèra-Cruz, de Valladolid ou de Guadalaxara, un homme qui emploie seulement deux jours de la semaine à un travail peu pénible , peut fournir de la sub- sistance à une famille entière; et tel est CHAPITRE IX. 39 cependant l’amour du soi natal, que l’iiabi- lant des montagnes , auquel la gelée d’une nuit ravit souvent l’espoir de la récolte, ne descend pas dans ces plaines fertiles, mais dépeuplées, où la nature étale en vain ses bienfaits et ses richesses. La meme région dans laquelle le bananier est cultivé , produit aussi la plante précieuse dont la racine offre la farine de manioc ou magnoc. Le fruit vert dm Musa se mange cuit ou rôti, comme le fruit de l’arbre à pain, ou comme la racine tubéreuse de la pomme de terre. La farine de manioc et celle du maïs , au contraire, sont converties en pain; elles fournissent aux habitans des pays chauds ce que les colons espagnols appellent pan de tierra caliente. Le maïs , comme nous le ver- rons bientôt, présente le grand av^antage de pouvoir être cultivé sous les tropiques , depuis le niveau de l’Océan jusqu’à des élévations qui égalent celles des plus hautes cimes des Pyrénées : il jouit de cette flexibilité d’orga- nisation extraordinaire qui caractérise îe-v végétaux de la famille des graminées ; il la possède même dans un plus haut degré que les céréales de l’ancien continent, qui souffrent 4o LIVRE IV, SOUS un ciel brûlant , tandis que le maïs végvt© vig-oureusement dans les pajs les plus chauds de la terre. La plante dont la racine donne la fécule nourrissante du manioc, esl désio-née, d après un mot tiré de la langue à'Haïtj , ou de 1 île de Saint-Domingue , sous le nom de Juca. Elle ne se cultive pas avec succès hors des tropiques; sa culture, dans la partie mon- tagneuse du Mexique , ne s’élève généralement pas au-dessus de la hauteur absolue de six ou huit cent mètres ; elle est surpassée de beau- coup par celle du Camburi ou Bananier des Canaries , plante qui se rapproche davantage du plateau central des Cordillères. Les Mexicains, comme les naturels de toute l’Amérique équinoxiale, cultivent, depuis la plus haute antiquité , deux espèces de Juca , que les botanistes, dans leur inventaire des species, ont réunies sous le nom de Jatropha manihot. On distingue , dans la colonie espa- gnole, la Juca douce {dulce) de la Juca âcre ou amère ^ aniarga J, La racine de la pre- mière, qui a Cayenne porte le nom de cama->. gnoc , peut être mangée sans danger , tandis que celle de l’autre est un poison assez actif: Les deux peuvent servir à faire du painj CHAPITRE IX. 4î cependant on n’emploie généralement à cet usage que la raeine de la Juca amère, dont le sue vénéneux est séparé soigneusement de la féeule avant de faire le pain de manioc , appelé cazavi ou cassave. Cette séparation s opère en comprimant la racine râpée dans le cihucan^ qui est une espèce de sac allongé. Il paroit , d’après un passage d’Oviçdo (Lib. VII j c. 2 ), que la Juca dulce, qu’il appelle Boniatay et qui est le Huacamote des Mexicains, ne se trou- voit pas originairement dans les des Antilles, et qu’elle y a été transplantée du continent voisin, \^ç,Boniatay dit Oviedo, est semblable « à celui de la Terre-Ferme ; il n’est point vé- « néneux, et peut être mangé avec son jus, soit « cru , soit cuit ou rôti. >> Les naturels séparent avec soin, dans leurs champs {conucos), les deux: espèces de Jatropha. Il est très-remarquable que des plantes dont les propriétés chimiques sont si diffé- rentes , soient si difficiles à distinguer par leurs caractères extérieurs. Brown ‘ , dans son Histoire naturelle de la Jamaïque, a cru 1 Hist. ofJamaica, p. 3^9 et 35o. Voyez aussi Acosta y Lib, IV , c. 17. 4 2 livre IV, trouver ces caractères dans la découpure des feuilles. Ilnommela Juca douce, sweet cas- soda, Jatropha foliis palmatis lobis , incertis ; et la Juca arnère ou âcre , common cassava, Jatropha foliis palmatis pentadactjlibus. Mais ayant examiné beaucoup de plantations de mamhot , j ai vü que les deux espèces de Jatropha, comme toutes les plantes cultivées à feuilles lobées ou palmées, varient prodi- gieusement dans leur aspect. J’ai observé que les naturels distinguoient le manioc doux du manioc vénéneux, moins par la plus grande blancheur de la tige et la couleur rougeâtre des lèuilles, que par le goût de la racine, qui n est point acreou amère. Il en est du Jatropha cultivé comme de l’oranger à fruit doux, que les botanistes ne savent pas distinguer de l’oranger à fruit amer, et qui cependant, d’après les belles expériences de M. Galesio , 6st une espèce primitive qui se propage de graine conime l’oranger amer. Quelques natu- ralistes^ à 1 exemple du docteur ^^rig^ht?" de la Jamaïque , ont pris la Juca diilce pour le vrai Jatropha janipha de Linné , ou le Janipha frutescens de Loffling ' : mais cette dernière ^ /leza til Spamha Lœnderna ^ 1758, p. ^og. CHAPITRE IX. 43 espèce , des légumineuses et des fougères arbores- centes (Cycas circinnalis ). On se demande comment le sauvage qui découvritle Jatropha manihot , ne rejeta pas une racine dont une triste expérience devoit lui indiquer les propriétés vénéneuses, avant qu’il pût en reconnoître les propriétés nutritives ? Mais peut-être la culture de la Juca dulce , dont le suc n’est pas nuisible , a-t-elle précédé celle delà Jucaamarga,ào\\t on retire aujourd’hui le manioc. Peut-être aussi le même peuple qui, le premier, eut le courage de se nourrir de la racine du Jatropha manihot avoit-il auparavant cultivé les plantes analogues aux Arum et aux Dracontium^ dont le suc est âcre sans être vénéneux. Il étoit aisé de remarquer que la fécule extraite de la racine d’un aroïde est d’un goût d’autant plus agréable qu’on la lave plus soigneusement pour la priver de son suc laiteux. Cette observation très-simple devoit conduire na- turellement à l’idée d’exprimer les fécules et de les préparer de la même manière que le manioc. On conçoit qu’un peuple qui ITl. 4 5o LIVKE TV J savoit dulcifier les racines d’un aroïde ^ pouvoit entreprendre de se nourrir d’une plante du groupe des euphorbes. Le passage est facile , quoique le danger aille tou)OUî S en augmentant. En effet , les naturels des îles delà Société et des Moluques, qui ne con- noissent pas le Jatropha manihot, cultivent TArum macrorrhizon et le Taccapinnatifida. La racine de cette dernière plante nécessite les mêmes précautions que le manioc et cependant le pain de tacca rivalise , au marché de Banda , avec le pain du sagoutier., La culture du manioc nécessite plus de soin que celle des bananiers ; elle ressemble à celle des pommes de terre , et la récolte ne se fait que sept à neuf mois après que les boutures ont été mises en terre, ün peuple qui sait planter le Jatropha a déjà lait un certain pas vers la civilisation. Il y a même des variétés de manioc ^ par exemple celles qu’à Cayenne on appelle manioc bois blanc , et manioc mai-pourri-rouge , dont les racines ne peuvent être arrachées qu’au bout de quinze mois. Le sauvage de la Nouvelle- Zélande n’auroit sans doute pas la patience d’attendre une récolte si tardive. CHAPTXnE IX. 5i Des plantations de Jatropha manihot se trouvent aujourd’hui le long- des côtes, depuis l’embouchure de la rivière de GuaSacualco jusqu’au nord de Santander , et depuis Te- huantepec jusqu a San Blas et Sinaloa , dans les régions basses et chaudes des intendances de Vera-Gruz_, d’Oaxaca, de Puebla , de l^l^^xico , de Valladohd et de Guadalaxara. Un botaniste judicieux, qui heureusement n’a pas dédaigné dans ses voyages de s’occuper de l’agriculture des tropiques , M. Aublet , dit avec raison « que le manioc est une des « plus belles et utiles productions du sol « américain , et qu’avec cette plante l’habitant « de la zone torride pourvoit se passer du « riz et de toutes sortes de fromens , ainsi « que de toutes les racines et fruits qui servent « à nourrir l’espèce humaine. « Le mais occupe la même région que le bananier et le manioc; mais sa culture est encore plus importante et surtout plus étendue que celle des deux plantes que nous venons de décrire. En montant vers le plateau central, on rencontre des champs de mais depuis les côtes jusqu’à la vallée de Toluca , qui a 2800 mètres d’élévation au-dessus du niveau 4* tfjfr 5^ LIVRIÎ IV ^ de rOcéan. L’année où manque la récolte dd maïs est une année de mine et de misère pour les habitans du Mexique. Il n’est plus douteux parmi les botanistes que le maïs ou blé ttirc est un véritable blé américain, et que c’est le nouveau continent qui l’a donné à l’ancien. Il paroît aussi que la culture de cette plante a précédé de beau- coup en Espagne celle des pommes de terre. Oviedo % dont le premier essai sur Tbistoire naturelle des Indes fut imprimé à Tolède en i525, dit avoir vu du maïs cultivé en Andalousie , et près de la chapelle d’Atocha ^ dans les environs de Madrid. Cette assertion est d’autant plus remarquable qu’un passage d’Hernandez ( livre 7, chap. 4o), pourroit faire croire que le maïs étoit encore inconnu en Espagne du temps de Philippe ii, vers la lin du seizième siècle. Lors delà découverte de l’Amérique par les Européens, le Zea maïs (en langue aztèque tlaolli ) en haïtien malii'z , en quicbua cara)^ étoit déjà cultivé depuis la partie la plus ^ Rerum medicarum Novœ Hispajiiæ thésaurus ^ i65i, Lib. VII, c, 40; p. 24/, CHAPiTRE IX. 53 méridionale du Chili jusqu’en Pensylvanie.^ D’ijprès une tradition des peuples aztèques, ce sont les Toultèqnes qui , au septième siècle de notre ère, ont introduit au Mexique la cullure du maïs, du coton et du piment. Il se poiirroit cependant que ces dilFérentes branches d’agriculture existassent avant les Toultèqnes , et que cette nation , dont tous les historiens ont célébré la grande civili-- sation, n’eùt fait que les étendre avec succès. Hernandez nous apprend que les Otomites mêmes , qui n’étoient qu’un peuple nomade et barbare , planloient du maïs, La culture de cette graminée s’étendoit par conséquent jusqu’au delà du Rio Grande de Santiago y appelé jadis Tololotlan, Le maïs, introduit dans le nord de l’Europe, souffre du froid , partout où la température moyenne n’atteint pas sept eu huit degrés centigrades. De même , sur le dos des Cor- dillères, on voit le seigle et surtout Forge végéter vigoureusement à des hauteurs qui, à cause de Fintempérie du climat, ne sont pas propres à la culture du mais. Mais en re- vanche , ce dernier descend jusqu’aux régions les plus chaudes de la zone torride , et jusque 54 LIVRE IV , dans des plaines où l’épi du froment , de 1 org-e et du seigle ne parviennent pas à se développer. Il en résulte que sur l’échelle des dilïerens genres de culture , le maïs occupe aujourdhui, dans la partie équi- noxiale du Mexique , une étendue beaucoup plus considérable que les céréales de l’ancien continent. Le maïs est aussi celle, de toutes les graminées utiles à l’homme , dont le péri- sperme farineux a le plus de volume. On croit communément que cette plante est la seule espèce de blé que les Américains aient connue avant l’arrivée des Européens. Il paroit cependant assez certain qu’au Chili on cultivoit , au quinzième siècle , et bien avant, outre le Zea maïs et le Zea curagua, deux graminées appelées magu et tuca , dont , selon l’abbé Molina , la première étoil une espèce de seigle, et la seconde une espèce d orge. Le pain fait de ce blé araucain étoit désigné sous la dénomination de covque , mot qui a passé , dans la suite , au pain fait avec le blé d’Europe '. Hernandez prétend même avoir trouvé chez les Indiens de Ble- ^ 3Iolinay Histoire natur elle du Chili ^ p, joi. CHAPITKE IX. 55 clioacan une espèce de froment ' qui , d’après sa description très-succincte, se rapproche du hlé d’abondance (Triticum compositum) , que l’on croit originaire d’Égjpte. Malgré toutes les informations que j’ai prises pendant mon séjour dans l’intendance de Valladolid , il m’a été impos*^ible d’éclaircir ce point important pour l’histoire des céréales. Per- sonne n’j connoît un froment propre au pays, et je soupçonne que Hernandez a nommé Triticum niichuacanense quelque variété du blé d’Europe devenu sauvage , et croissant sur un sol très-fertile. La fécondité du tlaolli ou maïs mexicain , est au delà de tout ce que l’on peut imaginer en Europe. La plante , lavoriséepar de fortes chaleurs et par beaucoup cl humidité ac- quiert une hauteur de deux à trois mètres. Dans les belles plaines qui s’étendent depuis San Juan del Rio à Queretaro , par exemple dans les terres de la grande métairie de l’Esperanza, une fanègue de mais en produit quelquefois huit cents ; des terrains fertiles en donnent, année commune , trois à cpiatre * Hernandez ^ p. 7 , 43. Clavigvro , I , p. 56 , note F. 56 livre IV, cents. Dans les environs de Valladolid, on regarde eomme mauvaise une récolte qui ne donne que i5o ou i5o fois la semence. Là où le sol est le plus stérile , on compte encore soixante ou quatre-vingts grains. On croit qu’en général le produit du maïs peut être évalué, dans la région équinoxiale du royaume de la Nouvelle -Espagne, à cent cinquante pour un. La seule vallée deToluca en récolte par an plus de 600,000 fanegas sur une étendue de trente lieues carrées, dont une très-grande partie est cultivée en agave. Entre les parallèles de 18 et 32 degrés , les gelées et les vents froids rendent cette culture peu lucrative sur les plateaux dont la hauteur excède trois mille mètres. Le produit annuel du maïs, dans 1 intendance de Guadalaxara, est , comme nous l’avons observé plus haut , de plus de quatre-vingts millions de kilo- grammes. Sous la zone tempérée, entre les 35 et 58 degrés de latitude , par exemple dans la Nouvelle-Californie, le maïs ne produit en » Une fanega pèse 4 arobes ou loo livres ; dans, qi^elques provinces 120 livres (5,o à 69 kilogrammes). CHAPITRE IX. 5? général, année commune , que 70 à 80 grains pour un. En comparant les mémoires ma- nuscrits que je possède du père Fermia Lassuen , avec les tableaux statistiques publiés dans la relation historique du voyage de M. de Galeano , je serois en état d’indiquer , village par village, les quantités de maïs semées et récoltées. Je trouve qu’en 1791 , douze missions de la ^Nouvelle-Californie * récol- tèrent ^626 fanegas sur un terrain qui avoit été ensemencé avec g6. En 1801 , la récolte de seize missions a été de 4661 fanègues , tandis que la quantité qu’on avoit semée ne montoit qu’à 66. lien résulte, pour la première année, un produit de 79, pour la seconde de 70 grains pour un. En général, cette côte , comme tous les pays froids, paroît plus propre à la culture des céréales d’Europe. Cependant les mêmes tableaux que j’ai sous les yeux, prouvent que, dans quelques parties de la Nouvelle-Californie, par exemple, dans les champs qui appartiennent aux villages de San Buenaventura et de Gapistrano , le maïs a donné souvent de 180 à 200 fois sa se- mence. ^ Viage de la Suiil y p. 168. V ‘JO LIVRE IV J Quoique I on cultive au Mexique une grande quantité de Hé , le maïs doit être regardé comme la nourriture principale du peuple : il est aussi celle de la plupart des animaux domestiques. Le prix de cette denrée modifie celui de toutes les autres , dont il est pour ainsi dire la mesure naturelle. Lorsque la récolte est pauvre , soit par manque de pluie , soit par des gelées précoces, la disette est générale, et a les effets les plus funestes. Les poules, les dindons et même les grands bestiaux en souffrent egalement. Ün voyageur qui traverse une province dans laquelle le mais a gelé, ne trouve ni œufs, ni volaille , ni pain à'arepa , ni farine pour faire Yatolli, qui est une bouillie nourrissante et agréable. La cherté des vivres se fait surtout sentir aux environs des mines mexicaines; dans celles de Guanaxuato, par exemple , où quatorze mille mulets nécessaires aux ateliers d’amal- gamation consomment annuellement une énorme quantité de maïs. Nous avons déjà cité plus haut l’influence que les disettes ont eue périodiquement sur les progrès de Ip population delà Nouvelle-Espagne. La disette affreuse de l’année 1784 fut l’effet d’une forte CHAPITRE IX. 59 gelée qui se fit sentir a une époque où 1 on devoit le moins s’y attendre sous la zone tor- ride^ le 28 août, et à la hauteur peu considé- rable de hix-huit cents mètres au-dessus du niveau de l’Océan. De toutes les graminées que l’homme cul- tive , aucune n’est aussi inégalé dans son produit. Ce produit, dans le meme terrain , selon les changemens d’humidité et de tem- pérature moyenne de l’année , varie de 4o à 200 ou 3ao grains pour un. Si la récolte est bonne, le colon fait une fortune plus rapide avec le maïs qu’avec le froment , et 1 on peut dire que cette culture participe aux avantages et aux désavantages de celle de la vigne. Le prix du maïs varie de 2 liv. 10 sous à 26 liv. l^fanègue. Le prix moyen est de cinq livres dans l’intérieur du pays , mais le fret 1 aug- mente tellement que, pendant mon séjour dans l’intendance de Guanaxuato , la fanègue coûtoit , à Salamanca 9 , à Oueretaro 12, et à San Luis Potosi 2^ livres. Dans un pays où il n’y a pas de magasin , et où les naturels ne vivent qu’au jour le jour, le peuple soulïïe immensément, lorsque le maïs se soutient pendant long-temps au prix de deux piastres 6o livre IV, ou 1 0 livres la fanègiie : alors les naturels se nourrissent de fruits d’arbres non mûris , de baies de ca tus et de racines. Cette mauvaise nouruture lait naître chez eux des maladies; et l’on observe que les disettes sont ordinal^ rement accompagnées d’une grande mortalité parmi les en fans. Dans les régions chaudes et très-humides, le mais peut donner deux à trois récoltes par an ; mais généralement on n en fait qu’une seule : on le sème depuis la mi -juin jusque vers la fin d août. Entre les nombreuses va- riétés de cette graminée nourrissante, il j en a une dont 1 épi mûrit deux mois après que le grain a été semé. Cette variété précoce est très-connue en Hongrie, et M. Parmentier a essayé d’en propager la culture en France, Les Mexicains qui habitent les côtes de la mer du Sud en préfèrent une autre que déjà Oviedo ' assure avoir vue dans la pro- vince de Nicaragua , et qui se récolte en moins de trente à quarante jours. Je me souviens aussi de 1 avoir obsèrvée près de Tomependa, sur les bords de la rivière des CHAPITRE IX. 6i Amazones : mais toutes ces variétés de mais, dont la végétation est si rapide, paroissent avoir le grain moins farineux et presque aussi petit que le Zea curagua du Chili. L’utilité que les Américains tirent du maïs est trop connue pour que j’aie besoin de m’y arrêter ici. L’usage du riz est à peine aussi varié en Chine et aux Grandes Indes. On mange l’épi cuit dans l’eau , ou rôti. Le grain écrasé donne un pain nourrissant (arepa) quoique non fermenté et pâteux, à cause de la petite quantité de gluten qui est mêlée à la fécule amylacée. La farine est employée comme le gruau , pour faire les bouillies que les Mexicains appellent atolli, et auxquelles on mêle du sucre , du miel , quelquefois même de la pomme de terre broyée. Le botaniste Hernandez ' décrit seize espèces â^atolli qu’il vit faire de son temps. Un chimiste auroit de la peine à préparer cette innombrable variété de boissons spiri- tueuses, acides ou sucrées que les Indiens savent faire avec une adresse particulière , en mettant en infusion le grain de maïs dans > Lib. \1I, c. 4o, p. 244. dans lequel la matière sucrée commence à se développer par la germination. Ces boissons, que l’on désigne communément par le mot chicha, ressemblent les unes à la bière , les autres au cidre. Sous le gouvernement mo- nastique des Incas, il n étoit pas permis au Pérou de fabriquer des liqueurs enivrantes, surtout celles quel on appelle vinapu et sora ' Les despotes mexicains s’intéressoient moins aux mœürs publiques et privées ; aussi l’ivro- gnerie étoit-elle déjà très-commune parmi les Indiens, du temps de la dynastie aztèque. Mais les Européens ont multiplié les jouis- sances du bas -peuple, en introduisant la culture de la canne à sucre. Aujourd’hui chaque hauteur offre à l’Indien des boissons particulières. Les plaines voisines des côtes lui fournissent l’eau-de-vie de canne à sucre {guarapo ou aguardiente de cana), et la chicha de manioc. Sur la pente des Cordillères abonde la chicha de maïs. Le plateau central est le pays des vignes mexicaines : c’est là que se trouvent les plantations d’agave qui * Gam7as.ço, Lib. Vni, Lib. IV , c. lO', p. a38. c. 9 (T. I, p. 27-7). Acosta, CHAPITRE IX. 63 foiirnlssent la boisson favorite des naturels, le pulque de maguej. L’Indien aisé ajoute à ces productions du sol américain une liqueur qui est plus chère et plus rare , Feau-de-vie de raisin ( aguardiente de Castilla ) , en partie fournie par le commerce de FEurope, en partie distillée dans le pays même. Voilà de nombreuses ressources pour un peuple qui aime les liqueurs fortes jusqu’à Fexcès. Avant l’arrivée des Européens , les Mexi- cains et les Péruviens exprimoient le suc delà tige du maïs pour en faire du sucre. On ne se contentoit pas de concentrer ce suc par évaporation ; on savoit préparer le sucre brut en faisant refroidir le sirop épaissi. Go.rtèz, en décrivant à l’Empereur Charles -Quint toutes les denrées que Fon vendoit au grand marché de Tlütelolco, lors de son entrée à Ténochtitlan , nomme expressément le sucre mexicain. « On vend, dit-il, du miel dubeillçs « et de la cire , du miel de tiges de maïs y qui sont aussi douces que les cannes^ sucre , et «f du miel d’un arbuste que le peuple appelle « maguey. Les naturels font du sucre de ces plantes, et ce sucre ils le vendent aussi. « Le chaume de toutes les graminées CQulieat ^4 tIVRE IV ) la matière sucrée , surtout près des nœuds. Lu «juanîité de sucre que peut fournir le mais dans la zone tempérée, paroît cependant très- peu considérable : sous les tropiques, au con- traire, sa tige fistuleuse est tellement sucrée, que j’ai ru souvent les Indiens la sucer, comme les Nègres sucent la canne à sucre. Dans la vallée de Toluca, on écrase le chaume du maïs entre des cylindres, et on prépare, de son suc fermenté, une liquenr spiritueuse appelée pulcjue de malus ou de tlaolli ^ liqueur qui est un objet de commerce assez important. Des tableaux statistiques dressés dans l’in- tendance de Guadalaxara , dont la population est de plus d’un demi-million d’habitans, rendent probable, qu’année moyenne, la pro- duction actuelle du maïs est, dans toute la Nouvelle-Espagne, de plus de dix-sept mil- lions de fanègues, ou de plus de huit cent millions de kilogrammes en poids. Ce grain se conserve au Mexique, dans les climats tempérés, pendant trois ans, dans la vallée de Toluca ; et dans tous les plateaux dont la température moyenne est au-dessous de qua- torze degrés centigrades , pendant cinq ou six ans , surtout si on ne coupe pas le chaume CHAPITRE IX. 65 sec avant que le grain mûr ait été un peu frappé de la gelée. Dans les bonnes années , le royaume de la Nouvelle-Espagne produit beaucoup plus de maïs qu’il n’en peut consommer. Comme le pays réunit dans un petit espace une grande variété de climats, et que le maïs ne réussit presque jamais à la fois dans la région chaude ( Uerras calicntes ) , et sur le plateau central , dans les Uerras frias , le transport de ce grain vivifie singulièrement le commerce intérieur. Le maïs, comparé au blé d’Europe, a le désa- vantage de contenir une moindre quantité de substance nourrissante sous un volume plus grand. Cette circonstance, et la difficulté des chemins sur la pente des montagnes, s’op- posent à son exportation. ^Elle sera plus fréquente lorsqu’on aura terminé la cons- truction de la belle chaussée qui doit mener de Vera-Cruz à Xalapa et à Perote. En général les îles, et surtout celle de Cuba, consomment une énorme quantité de maïs. Ces îles en manquent souvent, parce que l’intérêt de leurs habitans est fixé presque exclusivement sur la culture de la canne à sucre et du café; quoique des agriculteurs III. 6 66 LIVRE IV 5 instruits aient observé depuis long-temps dans le district contenu entre la Havane , le port de Batabano et Matanzas, des champs eultivés en maïs , et par des mains libres , donnent plus de revenu net qu’une plantation de cannes à sucre : cette dernière culture exige des avances énormes pour l’achat des esclaves^ leur entretien, et la construction des ateliers. S’il est probable qu’on semoit jadis au Chili, outre le maïs, deux autres graminées à semences farineuses , et qui appartenoient au même genre que notre orge et notre froment, il n’en est pas moins certain qu’avant l’arrivée des Espagnols en Amérique , on ii’y connoissoit aucune des céréales de l’ancien continent. En supposant que les hommes sont tous descendus d’une même souche , on pour- roit être tenté d’admettre que les Américains^ comme les Atlantes se sont séparés du reste du genre humain , avant que le froment fût cultivé sur le plateau central de l’ Asie. Mais doit-on se perdre dans des temps fabuleux^ * Voyez roplnion énoncée par Dioclore de Sicile, Lit). lit, p. Rhodom. iSd, Chapitre O7 pour expliquer d’anciennes communications qui paroissent avoir existé entre les deux continens? Du témps d’Hérodote, toute la partie septentrionale de l’Afrique n’olFroit encore d’autres peuples agriculteurs que les Egjq)tiens et les Carthaginois h Dans l’intérieur de l’Asie, les tribus de race mongole, les Hiong-nu , les Burattes , les ' Kalkas et les Sifanes , ont constamment vécu en nomades pasteurs. Or , si ces peuples de l’Asie centrale, ou si les Lj biens de l’Afrique avoient pu passer dans le nouveau continent , ni les uns ni les autres n’j auroient introduit la culture des céréales, Le manque de ces graminées ne prouve donc ni contre l’origine asiatique des peuples américains , ni contre la possibilité d une transmigration assez récente. L introduction du blé d’Europe ayant eu I influence la plus heureuse sur le bien-être des naturels du Mexique, il est intéressant de rapporter à quelle époque cette nouvelle branche d’agriculture a commencé. Un nègre, esclave de Cortez, avoit trouvé trois ou quatre grains de froment parmi le riz qui servoit de * Hgtren üher Africa, p. 4i. 68 LIVRE ÏV , nourriture à l’armée espagnole : ces grains furentsemés, àce quiparoît, avant l’année i55o. La culture du blé est par conséquent un peu plus ancienne au Mexique qu’au Pérou. L’his- toire nous a conservé le nom d’une dame espagnole, Marie d’Escobar, femme de Diego de Chaves, qui porta la première quelques grains de froment à la ville de Lima , appelée alors Rimac. Le produit des récoltes qu’elle obtint de ces grains fut distribué pendant trois ans entre les nouveaux colons; de manière que chaque fermier en reçut vingt ou trente grains. Garcilasso se plaint déjà de ringratitude de ses compatriotes, qui con- noissoientàpeine le nom de Marie d Escobar. Nous ignorons l’époque précise à laquelle commença la culture des céréales au Pérou; mais il est certain qu’en 1 547 9”* connoissoit point encore le pain de froment à la ville de Cuzco ‘. A Quito, le premier blé européen a été semé près du couvent de Saint-François, » Comentarios reales , IX ^ 24, T. lï , p. 332. « Maria de Escohar , digna de un gran estado , Ihvo (( el trigo al Perù. P or otro tanta ad or ar on los Gen- « tiles a Ceres por Piosa y de esta inatrona no hicieron « cumta los de mi tierra, )> CHAPITRE IX. ^>9 par le P. JoseRixi, natif cleGand^ en Flandre. Les moines y montrent encore avec intérêt le vase de terre dans lequel le premier froment est venu de TEurope , et qu'ils regardent comme une relique précieuse Que n’a-t-on conservé partout le nom de ceux qui , au lieu de ravager la terre , Font enrichie les premiers de plantes utiles à Fhomme ! La région tempérée, surtout les climats où la chaleur moyenne de l’année n’excède pas dix-huit à dix-neuf degrés centigrades, paroît le plus favorable à la culture des céréales , en n’embrassant, sous cette dénomination, que les graminées nourrissantes connues des anciens ; savoir : le froment, Fépeautre, Forge, l’avoine et le seigle En effet , dans la partie équi- noxiale du Mexique, les céréales de l’Europe ^ Voyez mes Tableaux de la Nature , T. Il , p. 166, 2 Trilicum {wvooç) , Spelta , Horcleum Avcna de Dioscoride, et non le fi^GjjLQÇ de Théophraste), et Secale (T/cp^;). Je n’examinerai point ici si l’avoine elle seigle ont été vraiment cul- tivés par les Romains , et si Théophraste et Pline ont connu notre Secale cereale. Comparez Dioscor. ,11, 116; lY, i4o, pag. Seracen. 12601294, avec Coln- niella, II, io,etTéophr., Ylil, i-4^ avecPiin., !!, 126. 70 LIVRE IV, ne sont cultivées nulle part dans des plateaux dont l’élévation est au-dessous de huit à neuf cents mètres ; et nous avons observé plus haut, que sur la pente des Cordillères , entre Vera- Cruz et Acapulco , on ne voit généralement commencer cette culture qu’à la hauteur de douze ou treize cents mètres. Une longue expérience a prouvé aux habitans de Xalapa, que le froment semé autour de leur ville végète vigoureusement, mais qu’il ne monte pas en épi. On le cultive parce que son chaume §t son feuillage succulens servent de fourrage (zacate) aux bestiaux. Il est très- certain cependant que , dans le royaume de Guatimala, et par conséquent plus près de l’équateur, le blé mûrit à des hauteurs qui sont beaucoup moindres que celles de la ville de Xalapa. Une exposition particulière , des vents frais qui soufflent dans la direction du nord, et d’autres causes locales peuvent modifier l’influence du climat. J’ai vu, dans la province de Caracas , les plus belles moissons de froment, près de la Victoria (lat. io“ i3') , à cinq ou six cents mètres de hauteur absolue, et il paroît que les champs de blé qui entourent les Quatro Villas, dans l’île de Cuba (lat. 3 1°38') ^ CH-VPITRE IX. 71 ont une élévation encore moindre. A l’Isle de France ( lat. 30“ 10' ) , on cultive du froment sur un terrain qui est presque au niveau de l’Océan. Les colons européens n’ont point assez v arié leurs expériences pour savoir quel est le mini- mum de hauteur à laquelle les céréales peuvent venir dans la région équinoxiale du Mexique. Le manque absolu de pluie pendant les mois d’été y est d’autant plus contraire au froment, que la chaleur du climat est plus grande. Il est vrai que la sécheresse et les chaleurs sont aussi très-considérables en Syrie et en Égypte; mais ce dernier pays, si riche en blé, a un climat qui dilTère essentiellement de celui delà zone torride : le sol y conserve toujours un certain degré d’humidité qui est du aux inondations bienfaisantes du Nil. D’ailleurs, les végétaux qui appartiennent aux mêmes genres que nos céréales, ne se trouA^ent sauvages que dans des climats tempérés , et même dans ceux de l’ancien continent. A rexception de quelques arundinacées gigantesques, qiiisont des^/<27z^e.^ sociales graminées paroissent, en général, infiniment plus rares dans là zone torride que dans la zone tempérée, où elles dominent pour 7 2 livre IV, ainsi dire sur les autres végétaux. Nous ne devons donc pas nous étonner que les céréales, malgré la grande flexibilité d’organisation qu on leur attribue , et qui leur est commune avec les animaux domestiques, viennent mieux sur le plateau central du Mexique , dans la partie montueuse où elles trouvent le climat de Rome et de Milan, que dans les plaines qui avoisinent l’Océan équinoxial. Si le sol de la Nouvelle-Espagne étoit ar- rosé par des pluies plus fréquentes, il seroit 1 un des terrains les plus fertiles que les hommes aient défrichés dans les deux hémi- sphères. Le héros ' qui, au milieu d’une guerre sanglante , eut les yeux fixés sur toutes les branches de 1 industrie nationale , Hernan Cortez, écrivoit à son souverain, peu après le siège de Ténochtitlan : « Toutes les plantes « d Espagne viennent admirablement bien « dans cette terre. Nous ne ferons point ici « ce que nous avons fait aux îles, où nous « avons négligé la culture et détruit les « habitans. Une triste expérience doit nous « rendreplusprudens.Jesupplievotre majesté Lettre à l’empereur Charles- Quint , datée de la grande ville de Témix titan, le i5 octobre 1624. CHAPITRE IX. 73 (l’ordonner à la Casa de Contratacion de Séville , qu’aucun bâlinient ne puisse mettre « à la voile pour ce pays, sans charger une « certaine quantité de plantes et de graines. » ' La grande fertilité du sol mexicain est incon- testable , mais le manque d’eau dont nous avons parlé au troisième chapitre, diminue souvent l’abondance des récoltes. On ne connoît que deux saisons dans la région équinoxiale du Mexique, même jus- qu’au 28.™'' degré de latitude boréale : la saison des pluies ( estacion de las agitas ) , qui com- mence au mois de juin ou de juillet:, et finit au mois de septembre ou d’octobre ; et la saison des sécheresses (el estio) , qui dure huit mois, depuis octobre jusqu’à la fin de mai. Les premières pluies se font généralement sentir sur la pente orientale de la Cordillère. La formation des nuages et la précipitation de l’eau dissoute dans l’air, commencent sur les côtes de Vera-Cruz. Ces phénomènes sont accompagnés de fortes explosions électriques; ils ont lieu successivement à Mexico , à Gua- dalaxara, et sur les côtes occidentales. L’ac- tion chimique se propage de l’est à l’ouest, dans la direction des vents alisés, et les pluies 74 livre IV , tombent quinze ou vingt jours plutôt à Vera- Cruz que sur le plateau central. Quelquefois on voit dans les montagnes et même au- dessous de deux mille mètres de hauteur absolue, des pluies melees de grésd et de neige, dans les mois de novembre, de décembre et de janvier : mais ces pluies sont très-courtes , elles ne durent que quatre à cinq jours; et quelque froides quelles soient, on les regarde comme très -utiles pour la végétation du froment et pour les pâturages. En général, au Mexique comme en Europe , les pluies sont plus fréquentes dans la région montueuse , surtout dans cette partie des Cordillères qui s’étend depuis le pic d’Orizaba, par Gua- naxuato, Sierra dePinos, ZacatecasetBolanos, jusqu’aux mines de Guarisamey et du Rosario. La prospérité de la Nouvelle-Espagne dé- pend de la proportion établie entre la durée des deux saisons de pluie et de sécheresse. Il est très-rare que l’agriculteur ait à se plaindre d une trop grande humidité ; et si quelquefois le maïs et les céréales d’Europe sont exposés à des inondations partielles dans les plateaux, dont plusieurs forment des bassins circulaires fermés par des montagnes, le blé semé sur les CHAPITRE IX. pentes des collines en végète avec d’autant plus de vigueur. Depuis le parallèle de 24"^ jusqu’à celui de 5o® les pluies sont plus rares et très-courtes. Heureusement les neiges, dont l’abondance est assez considérable depuis les 36^ de latitude, suppléent à ce manque de pluie. L’extrême sécheresse à laquelle est exposée la Nouvelle-Espagne, depuis le mois de juin jusqu’au mois de septembre, force les habitaits, dans une grande partie de ce vaste pays, à des ar- rosemens artificiels. Il n’y a de riches mcfissons de froment qu’autant qu’on a fait des saignées aux rivières, et qu’on a mené les eaux de très-loin par des canaux d’irrigation. Ce sys- tème de rigoles est surtout suivi dans les belles plaines qui bordent la rivière de Santiago^ appelée Rio Grande y et dans celles que l’on trouve entre Salamanca, Irapuato et la \illa de Leon. Des canaux d’arrosement (acequias) , des réservoirs d’eau (^presas), et des roues à godets {norias)^ sont des objets de la plus grande importance pour l’agriculture mexi- caine. Semblable à la Perse et à la partie basse du Pérou, rintérieur de la Nouvelle-Espagne est infiniment productif en graminées nour- 7< LIVEE IV. Tissantes, partout où l’industrie de l’homme a diminué la sécheresse naturelle du sol et de l’air >. Nulle partaussile propriétaire d’une grande ferme ne sent plus souvent le besoin d’em- plojer des ingénieurs qui sachent niveler le terrain, et qui connoissent les principes des constructions hydrauliques. Cependant, à Mexico comme partout ailleurs, on a préféré les arts qui plaisent à l’imagination, à ceux qui sont indispensables aux besoins de la vie do- mestique. On est parvenu à former des archi- tectes qui jugent savamment de la beauté et de l’ordonnance d’un édifice; mais rien n’y est plus rare encore que des personnes ca- pables de construire des machines, des digues et des canaux. Heureusement le sentiment du besoin a excité l’industrie nationale, et une certaine. sagacité propre à tous les peuples montagnards, supplée en quelque sorte au manque d’instruction. Dans les endroits qui lie sont pas arrosés artificiellement, le sol mexicain n’oflre des pâturages que jusqu’aux mois de mars et ■ Voyez T. Il , p. 128 et 255. CHAPITIŒ IX. 77 d’avril. A cette époque , où souffle fréquem- ment le vent de sud - ouest ( viento de la misteca ) qui est sec et chaud , toute verdure disparoît, les graminées et les autres plantes herbacées se sèchent peu à peu. Ce change- ment est d’autant plus sensible , que les pluies de l’année précédente ont été moins abon- dantes , et que l’été est plus chayd. C’est alors , et surtout au mois de mai, que le froment soulFre beaucoup, s’il n’est point arrosé arti- ficiellement. La pluie ne réveille la végétation qu’au mois de juin : aux premières ondees les champs se couvrent de verdure; le feuillage des arbres se renouvelle, et 1 Européen, qui se rappelle sans cesse le climat de son pays natal, se réjouit doublement de cette saison des pluies^ parce qu’elle lui oflre l’image du printemps. En indiquant les mois de sécheresse et de pluie, nous avons décrit la marche que suivent communément les phénomènes météorolo- giques. Depuis quelques années, cependant, ces phénomènes ont paru dévier de la loi générale, et les exceptions ont été malheu- reusement au désavantage de l’agriculture. Les pluies sont devenues plus rares et surtout 7^ tiVÊË ÎV, plus tardives. L’année où j’ai visité ïe vokw de Jorullo , la saison des pluies retarda de trois mois entiers : elle commença au mois de septembre, et ne dura que jusque vers la mi-novembre. On observe au Mexique, que le mais, qui souffre des gelées de l’automne bien plus que le froment^ a l’avantage de se rétablir plus facilement après de longues sécheresses. ■ Dans l’intendance de Valladolid, entre Sala- manca et le lac de Cuizeo , j’ai vu des champs de maïs que 1 on crojoit perdus, végéter avec line vigueur etonnante après deux ou trois jours de pluie. La grande largeur des feuilles contribue sans doute beaucoup à la nutrition et à la force végétative de cette graminée américaine* Dans les fermes {Jiacwncla^ de trigo^ dans lesquelles le système d'irrigation est bien établi, par exemple, près de Léon, Silao et Irapuato, on arrose le froment à deux époques^ la première fois , dès que la jeune plante sort ■de terre, au mois de janvier ; et la seconde, au commencement de mars, lorsque l’épi est près de se développer : quelquefois même avant de semer on inonde le champ entier. On observe qu’en y laissant séjourner les CHAPITRE IX. 79 eaux pendant plusieurs semaines, le sol s’im- prègne tellement d’humidité, que le froment résiste plus focilement à de longues séche- resses. On sème à la volée , au moment même où l’on a fait écouler les eaux en ouvrant les rigoles. Cette méthode rappelle la culture du froment dans la Basse - Égypte , et ces inondations prolongées diminuent en même, temps l’abondance des herbes parasites qui se mêlent à la récolte en fauchant, et dont une partie a malheureusement passé en Amérique avec le blé d’Europe. La richesse des récoltes est surprenante dans les terrains cultivés avec soin , surtout dans ceux que l’on arrose , ou qui sont ameublis par plusieurs labours. La partie la plus fertile du plateau est celle qui s étend depuis Queretaro jusqu’à la ville de Léon. Ces plaines élevées ont trente lieues de long sur huit à dix de large. On y récolte en fro- ment 35 à 4o Ibis la semence ; plusieurs grandes fermes peuvent compter sur 5o ou 6o grains. J’ai trouvé la même fertilité dans les champs qui s’étendent depuis le village de Santiago jusqu’à Yurirapundaro, dans 1 in- tendance de Valladolid. Dans les environs de 8o LIVRE IV, Puebla, d Atlisco et deZelaya, dans une grande partie des évêchés de Mechoacan et de Gua- dalaxara , le produit est de 20 à 3o grains pour un. Un champ y est considéré comme peu fertile, lorsqu une fanègue de froment semée ne rend, année moyenne, que seize fanègues^ A Cholula , la récolte commune est de 3o à 4o grains mais elle excède souvent 70 à 80. Dans la vallée de Mexico, on compte 200 grains pour le maïs, et 18 ou 20 pour le froment. J’observe que les nombres rapportés ici ont toute l’exactitude que l’on peut désirer dans un objet aussi important pour la connois- sance des richesses territoriales. Désirant vivement connoître les produits de l’agricul- ture sous les tropiques, j’ai pris tous les renseignemens sur les lieux mêmes; j’ai confronte les données qui m’ont été fournies par des colons intelligens , et qui habitoient des provinces très - éloignées les unes des autres. J ai porté d’autant plus de précision dans ce travail, que, né dans un pays où le blé donne à peine le quatrième ou le cin- quième grain, j’étois disposé plus qu’aucun antre à me méfier des exag^érations des agro- nomes; exagérations qui sont les mêmes au J CIUPITRE IX. 8l Mexique , en Chine , et partout où l’amour- propre des habitans veut profiter de la cré- dulité des voyageurs. Je n’ignore pas qu’à cause de la grande inégalité avec laquelle on sème dans les dif- férens pays, il auroit mieux valu comparer le produit des récoltes à l’étendue du terrain ensemencé. Mais les mesures agraires sont si inexactes, et il y a si peu de fermes au Mexique dans lesquelles^ on connoisse avec précision le nombre de toises ou de vares carrées qu’elles embrassent , qu’il a fallu m’en tenir à la simple comparaison du froment récolté avec le froment semé. Les recherches auxquelles je m’étois livré pendant mon séjour au Mexique, m’avoient donné pour résultat, qu’année commune, le produit moyen de tout le pays est de 22 à 26 grains pour un. Retourné en Europe , j’avois formé de nouveau quelques doutes sur la précision de ce résultat important, et j’aurois peut-être hésité de le publier , si je n’avois pu consulter sur cet objet, tout récemment, et à Paris même , une personne respectable et éclairée qui habite les colonies espagnoles depuis trente ans, et qui s’y est livrée avec 6 III. 8:2 IJVKE IV , beaucoup de succès à Fagriculture. M. Abad , chanoine de Féglisé métropolitaine de Val- ladolid de Mechoacan ^ m’a assuré que, d’après ses calculs, le produit moyen du froment mexicain, loin d’étre au-dessous de vingt-deux grains, est probablement de 25 à 3o ; ce qui, d’après les calculs de Lavoisier etdeNecker, excède cinq à six fois le produit moyen de la France. ^ Près de Zelaya , les agriculteurs m’ont fait voir la différence énorme de produit qu’il y a entre les terres arrosées artificiellement, et celles qui ne le sont pas. Les premières, ni reçoivent les eaux du Rio Grande, distribuées par des saignées dans plusieurs étangs , donnent 4^ à 5o fois le grain semé; tandis que les champs qui ne jouissent pas du bien- fait de l’irrigation, n’en rendent que quinze ou vingt. On a ici le même défaut dont les agronomes se plaignent dans presque toutes les parties de l’Europe, celui d’employer trop de semaille ^ de sorte que le grain se perd et s’étouffe. Sans cet usage, le produit des récoltes paroîlroit plus grand encore que nous iie venons de l’indiquer. Il sera utile de consiaaier ici une observa- CHAPITRE IX. 83 lion ’ laite près de Zelaya , par une personne di gne de confiance et très-accoutumée cà des recherches de ce genre. M. Abad prit au hasard dans une belle pièce de blé de plu- sieurs arpens d’étendue , quarante plantes de froment ( Triticum hjbernum ) : il plongea les racines dans l’eau pour les dépouiller de toute terre, et' il trouva que chaque graine avoit donné naissance à quarante, soixante, et même à soixante-dix tiges ; les épis étoient presque tous également bien garnis : on compta le nombre des grains qu’ils conte- noient, et on trouva que ce nombre excédoit souvent cent, et même cent vingt; le terme moyen parut de quatre-vingt-dix : quelques épis contenoient jusqu’à cent soixante grains. V oilà sans doute un exemple de fertilité bien frappant ! On remarque , en général , que le froment talle énormément dans les champs mexicains; qu’un seul grain y pousse un grand nombre de chaumes, et que chaque plante a des racines extrêmement longues * Sobre la fertilldad de las tierras en la Nueva Espàha , por Don Manuel Ahad y Queipo, (NqIq Uiiiauscrite. ) 6^ 84 LIVRE IV 5 et toulFues. Les colons espagnols appellent cet effet de la vigueur de la végétation , el iiiacollar del trigo. Au nord de ce district éminemmënt fer- tile de Zelaya, Salamanca et Léon, le pays est d’une aridité extrême, sans rivières, sans sources, et offrant, sur de vastes étendues, des croûtes d’argile endurcie (^tepetate) ^ que les cultivateurs appellent des terrains durs et froids y et à travers lesquels les racines des plantes herbacées pénètrent difficilemént. ^Ces couches d’argile, que j’ai aussi retrouvées dans le royaume de Quito , ressemblent de loin à des bancs de rochers dénués de toute végétation : elles appartiennent à la formation trappéenne y et accompagnent constamment, sur le dos des Andes du Pérou et du Mexique, les basaltes, les grünstein, les amygdaloïdes et les porphyres amphiboliques. Dans d’au- tres parties de la Nouvelle - Espagne , au contraire, dans la belle vallée de Santiago, et au sud de la ville de Valladolid, les ba- saltes et les amygdaloïdes décomposés ont formé, par la suite des siècles, un terréau noir et très-productif : aussi les champs fertiles qui entourent l’Alberca de Santiago rappellent-ils CHAPlTr^E IX. les terrains basaltiques du Miltelgeblirge de là Bohême. Nous avons d’éciit plus haut en traitant de la statistique particulière du pays^ les déserts sans eau qui séparent la Nouvelle- Biscaye du Nouveau-Mexique. Tout le plateau qui s’étend depuis Sombrerete au SaltillOy, et de là vers la Punta de Lampazos, est une plaine nue et aride dans laquelle ne végètent que des cactus et d’autres plantes épineuses : il n y a aucun vestige de culture , si ce n’est sur quelques points où , comme autour de la ville du Saltillo , l’industrie de rhonime a réuni uii peu d’eau pour arroser les champs. Nous avons également tracé le tableau de la Vieille-Californie % dont le sol est un roc dénué à la fois de terreau et de sources. Toutes ces considérations s’accordent à prouver ce que nous avons avancé dans le livre précédent , qti’à cause de son extrême sécheresse une partie considérable de la Nouvelle -Espagne , située au nord du tro- pique ^ n’est pas susceptible d’une grande ^ Cbap. VIÎI , T. II , p. 4o3. ^ Ibid. , p. 424. 86 LIVRE IV population : aussi quel contraste frappailt entre la physionomie de deux pays voisins ^ entre le Mexique et les États-Unis de l’Amé- rique septentrionale! Dans ces derniers ^ le sol n est qu une vaste forêt sillonnée par un grand nombre de rivières qui débouchent dans des golfes spacieux. Le Mexique , au contraire, offre à l’est et à l’ouest un littoral boisé , et dans son centre un massif énorme de montagnes colossales, sur le dos desquelles se prolongent des plaines dépourvues d’arbres, et d autant plus arides, que la température de l’air ambiant y est augmentée par la ré- verbération des rayons solaires. Dans le nord de la Nouvelle-Espagiie, eomme au Thibet , en Perse , et dans toutes les régions mon- tueuses ,. une partie du pays ne sera rendu propre à la culture des céréales que lorsqu’une population concentrée et parvenue à un haut degré de civibsation aura vaineu les obstacles que la nature oppose aux progrès de l’éco- nomie rurale. Mais cette aridité nous le répétons ici , n’est pas générale; elle est compensée par l’extrême fertilité que l’on observe dans les contrées mézidionales , toême dans cette partie des provincias internas CHAPITRE IX. 87 t|ni avoisine les rivières , dans les bassins du Rio del Norte, du Gila, de l’Hiaqui , du IVlayo , du Cidiacan , du Rio del Rosario , du Rio de Conclios , du Rio de Santander , du Tigre , et des nombreux torrens de la province de Texas. Dans l’extrémité la plus septentrionale du rovaume , sur les cotes de la JSouvelle-Cali- fornie , le produit du froment est de 16 à 17 grains pour un , en prenant le ternie moyen entre les récoltes de dix-buit villages pendant deux ans. Je crois que les agronomes verront av ec interet le détail de ces récoltés dans un pays situé sous le même parallèle qu Alger , Tunis et la Palestine ^ entre le^ 02" 09' et oÿ" 48' de latitude. 88 livre IV , NOMS DES villages de la Nouvelle-Californie i79‘- FANÈGUES de froment. 1 F A N de f semé. 802. È G U E s roment. 1 RECOLTE considérée comme multiple du grain semé. semé. récolté. 1 récolté. 1791. 1802. San Diego 6o 3g2i 5o^ San Luis Rey de Francia 100 1200 San Juan Capistra- 12 NO 8o i586 ïo3 2908 28 A San Gabriel 178 67 GO 282 38oo 20 ” i3 A San Fernando. . .. 100 2800 San Buena ventura 44 25g 96 3Soo 20 36 A Santa Barbara . . . 65 : i5oo ii3 2876 23 23 A La Purissima Con- CEPCION 76 800 96 35oo 36 A San Luis Obispo. . . 86 1078 i6i 4ooo 25 A San Miguel SoledAd. ........ 70 78- 1000 5oo 22 A C. 4 San Antonio de Pa- 0 A DUA 90 962 i3g 12GO 10 ~ 8 A San Carlos 7ï 22] 60 24o 3 ~ 4 San Juan Baptista, 02 Santa Cb.uz 60 1200 55o 20 7^ Santa Clara f 64 i4oo 129 2000 21 A 9 A i5A San José 84 San Francisco. ... 60 680 233 2322 11 A j4 a 9 A 874 i5i97 1956 35396 17/0 17 A Il paroît que la partie la plus septentrionale de cette côte est moins favorable à la culture CHAPITRE IX. 89 du froment que celle qui s’étend depuis San Diego jusqu’à San Miguel. D’ailleurs , dans des terrains récemment défrichés le produit du sol est plus inégal que dans des pays anciennement cultivés , quoiqu’on n’observe dans aucune partie de la Nouvelle - Espagne cette diminution progressive de fertilité qui afflige les nouveaux colons partout où l’onv a abattu les forêts pour les convertir en terres labc^irables. Les personnes qui ont réfléchi sérieusement sur les richesses du sol mexicain , savent que i par le moyen d’une culture plus soignée , et sans supposer des travaux extraordinaires pour l’irrigation des champs , la portion de terrain déjà défrichée pourroit fournir de la subsistance pour une population huit à dix fois plus nombreuse. Si les plaines fertiles d’Atlisco , de Gholula et de Puebla ne pro- duisent pas des récoltes plus abondantes ^ la cause principale doit en être cherchée dans le manque de consommateurs , et dans les entraves que les inégalités du sol opposent au eommerce intérieur des grains , surtout à leur transport vers les côtes qui sont baignées par la mer des Antilles. Nous reviendrons 90 LIVRE IV , plus bas sur cet objet intéressant , en tralt'ant de l’exportation de la Vera-Cruz. Quelle est actuellement la récolte en grains dans toute la Nouvelle-Espagne ? On sent combien ce problème doit être difficile à résoudre dans un pajs où le gouvernement, depuis la mort du comte de Revillagigedo , a si peu favorisé les recherches statistiques.. En France même, les estimations de Quesnay, de Lavoisier et d’Arthur Young varient de qua- rante-cinq et einqu a n te, i usq u’à soixa nte-quinze millions de setiers ,3117 kilogrammes pesant. Je n’ai pas de données positives sur les quan- tités de seigle et d’orge récoltés au Mexique, mais je crois pouvoir calculer approximati- vement la production moyenne en froment. En Europe , l’estimation la plus sûre est celle qui se fonde sur la consommation évaluée de chaque individu : c’est le moyen employé avec succès par MM. Lavoisier et Arnould ; mais cette méthode ne peut être suivie , lorsqu’il s’agit d’une population composée d’élémens très - hétérogènes. L’Indien et le métis , habitans de la campagne , ne se nour- rissent que de pain de maïs et de manioc. IjCs blancs créoles qui vivent dans les grandes CHAPITRE TX. villes , consomment bien plus de pain de froment que ceux qui séjournent habituelle- ment dans les fermes. La capitale^ qui compte plus de 33^000 Indiens, exige annuellement ]>rès de dix-neuf millions de kilogrammes de fiirine* Cette consommation est presque la même que celle des villes d’Europe éga- lement peuplées; et si, d’après celte base, on vouloit calculer la consommation de tout le royaume de la Nouvelle-Espagne, on par- viendroit à un résultat qui seroit plus de cinq fois trop grand. D’après ces considérations , je préfère la méthode qui se fonde sur des estimations partielles. La quantité de froment réc^olté en 1802 , dans l’intendance de Guadalaxara , étoit , selon le tableau statistique qhe l’in- tendant de cette province a communiqué à la chambre de commerce de Vera-Cruz, de 43,000 cargas y ou de 6,45o,ooo kilogrammes. Or, la population de l’intendance de Guada* laxara est à peu près un neuvième de la population totale. Il y a , dans cette partie du Mexique , un grand nombre d’indu ns qui mangent du pain de maïs y et l’on y compte peu de villes populeuses habitées par des 9 2 LIVRE IV, - Lianes aisés. D’après l’analogie de cette ré- colte partielle , la récolte générale de la Nouvelle-Espagne neseroitque de Sg millions de kilogrammes : mais en ajoutant 56 raillions de kilogrammes , à cause de l’influence bien- faisante qu’a la consommation des villes ' de » Voyez Chap. VIIÏ, T. II, p. i83 et 279. J’ai formé , d’apres des matériaux exacts que je possède , le tableau suivant , dans lequel la consommation en. farine est comparée avec le nombre des babitans. VILLES. * consommation de farine. POPULATION. Mexico kilogr. 19,100,000 7.790.000 5.230.000 76,0^0,000 lia b. 1^7^000 67,300 80,000 547,000 PüEELA La Havane. . . . Parts Sur les consommations de Paris, voyez îesrecberches curieuses que M. Peuchet a consignées dans sa Statis- tique élémentaire de la France^ p. 372. Le bas-peuple, a la Havane , mange beaucoup de cassave et d’arepa. La consommation annuelle de la Havane est, en pre- nant le terme moyen de quatre ans , de 427,018 ar- robes, ou de 68^899 ^cirriles» i^Pajpel periodico de la Havana^ 1801 , n. 12 , p. 46. ) CHAPITRE IX. Mexico , de Puebla et de Guanaxuato , sur la culture des districts circonvoisins , et a cause des provincias inlernas , dont les habitans vivent presque exclusivement de pain de froment, on trouve , pour tout le royaume, près de dix millions de myriagrammes , ou plus de 800;000 setiers. Cette estimation donne un résultat trop foible, parce que, dans le calcul que nous venons de présenter, on n’a pas séparé convenablement les provinces septentrionales delà région équinoxiale. Cette séparation est cependant dictée par la nature de la population même. Dans les provincias internas , le plus grand nombre des habitans sont blancs ou réputés tels : on en compte 4oo,ooo. En supposant leur consommation en froment proportion- nelle à celle de la ville de Puebla , on la trouve de 6 millions de myriagrammes. On peut admettre , en calculant d’après la récolte annuelle de l’intendance de Guadalaxara , que dans les régions méridionales de la Nouvelle- Espagne, dont la population mixte est évaluée à 5,437,000, la consommation delromentdans les carapagnes,est de 5 ^8oo,ooomyriagrammes. En ajoutant 3,6o0;000 myriagraiumes pour 91 livre IV, ht consommation des g randes villes intérieures de Mexico, de Puebla et de Guanavuato, on trouve, pour la consommation totale de la Nouvelle -Espagne, au delà de i5 millions demjriagrammes, ou 1,280,000 se tiers de 240 livres pesant. Onpourroit être étonné de trouver, d’après ce calcul , que les provincias internas , dont la population n’est qu’un quatorzième de la population totale , consomment plus que le tiers de la récolte du Mexique : mais il ne faut pas oublier que , dans ces provinces septentrionales , le nombre des blancs est à la masse totale des Espagnols ( créoles et Européens) comme 1 à 3, et que c’est prin- cipalement cette caste qui consomme les farines de froment. Des 800,000 blancs qui habitent la région équinoxiale de la Nouvelle- Espagne , près de i3o,ooo vivent sous un climat excessivement chaud , dans les plaines voisines des côtes , et se nourrissent de manioe et de bananes Ces résultats , je le répète , ne sont que de simples approxiina- tionsj mais il m’aparu d’autantplus intéressant CHAPITRE IX. 9^ de les publier , qiiC;, déjà pendant mon séjour à Mexico , ils ont fixé l’attention du gou- vernement. On est sûr d’exciter l’esjyrit de reclierches , lorsqu’on avance un fait qui intéresse la nation entière, et sur lequel on n’a, point encore hasardé de calculs. En France , la récolte totale en grains , c’est-à-dire en froment, en seigle et en orge, étoit, selon Lavoisier, avant la révolution, et par conséquent à une époque où la popu- lation du royaume montoit à 26 millions d’iiabitans , de 58 millions de setiers , ou de 6786 millions de kilogrammes. Or , d’après les auteurs de la Feuille du Cultivateur y le froment récolté est en Francè, àtoute la masse des grains, comme 5 : 17. Il en résulte que le produit en froment seul étoit, avant 1789» de 17 millions de setiers , ce qui est, en s’arrêtant aux quantités absolues, et sans considérer les populations des deux empires, à peu près treize fois plus que le froment récolté au Mexique. Celte comparaison s’ac- corde assez bien avec les bases de mon estimation antérieure; car le nombre d’ba- bitans de la Nouvelle -Espagne qui se nour- rissent habituellement de pain de froment, LIVRE IV ^ n’excède pas i,5oo,ooo; et il est de plus connu , que les François consomment plus de pain que les peuples de race espagnole , surtout ceux qui habitent l’Amérique. Mais à cause de rextrême fertilité du sol , les quinze millions de mjriagrammes de froment que produit annuellement la Nou- xelle-Espagne, sont récoltés sur une étendue de terrain quatre à cinq fois plus petite que celle que la même récolte exig eroit en France. On doit s’attendre , il est vrai , à mesure que la , population mexicaine fera des progrès , à voir diminuer cette fertilité que Ton peut appeler mo jeune ^ et qui indique les vingt- quatre grains pour un, comme le produit total des récoltes* Partout les hommes com- mencent par cultiver les terres les moins arides , et le produit mojen doit diminuer naturellement , lorsque l’agriculture embrasse une plus grande étendue , et par conséquent une plus grande variété de terrains. Mais dans un vaste empire comme le Mexique , cet elFet ne se manifeste que très-tard , et l’industrie des habitans augmente avec la population et avec le nombre des besoins. Nous allons réunir dans un même tableau ■ CHA.P1TRE IX. 97 les connoissances que nous avons acquises sur le produit moyen des céréales dans les deux continens. Il ne s’agit ici ni des exemples d’une fertilité extraordinaire observée dans une petite étendue de terrain , ni du blé planté selon la pratique des Chinois. Le produit seroit à peu près le même sous toutes les zones , si , en choisissant le terrain , on ciiltivoit les céréales avec le même soin qu’on donne aux plantes potagères. Mais en traitant de l’agriculture en général , il ne peut être question que de grands résultats, de calculs dans lesquels la récolte totale d’un pays est regardée comme multiple de la quantité de froment semé. On trouve que ce multiple , que l’on peut regarder comme un des premiers élémens de la prospérité des peuples , varie de la manière suivante : 5 à 6 grains pour un , en France , d’après Lavoisier et Necker. On évalue, d’après M. Peuchet , que 44oOjOOO arpens semés en froment, dorment annuellement 6280 mil- lions de livres pesant , ce qui fait 1 lyS kilo- grammes par hectare. C’est aussi le produit moyen dans le nord de l’Allemagne , eu 7 III. 9^ livre IV, Pologne, et, selon M. Rühs, en Suède. En France, on compte, dans quelques districts éminemment fertiles des départe- mens de l’Escaut et du Nord, i5 pour un; dans les bonnes terres de Picardie et de risle de France, 8 à lo pour un, et dans les terres les moins fertiles , 4 à 5 grains 8 à 1 0 grains pour un , en Hongrie, en Croatie et en Esclavonie, d’après les recherches de M. Svvartner. 12 grains pour un, dans le rojaume de la P lata ^ surtout dans les environs de Mon- tevideo, d’après Don Félix Azara. Près de la ville de Buenos- Ayres, on compte jus- qu’à 1 6 grains. Dans le Paraguay, la culture des céréales ne s’étend pas au nord , vers l’équateur, au delà du parallèle de 24 de- ^ grés ^ 17 grains pour un, dans la partie septentrionale du Mexique^ et à la même distance de l’équateur que le Paraguay etBuenos-Ayres. 24 grains pour un, dans \di région équinoxiale du Mexique , à deux ou trois mille mètres * Peuchet, Statistique , p. 290. ® Forage d’ Azara,, T. I, p. i4o. CHAPITRE IX. 99 tle hauteur au-dessus du niveau de FOcéan. On y compte 5ooo kilogrammes par hec- tare. Dans la province de Pasto ^ que j’ai traversée au mois de novembre 1801 ^et qui fait partie du royaume de Santa-Fe, les plateaux de la Vega de San Lorenzo , de Pansitara et d’Almaguer ‘ produisent com- munément 26, dans des années très -fer- tiles 55, dans des années froides et sèches, 12 grains pour un. Au Pérou, dans la belle plaine de Gaxamarca arrosée par les rivières de Mascon et ütusco , et cé- lébrés par la défaite de FInca Atahualpa, le froment donné 18 à 20 grains. Les farines mexicaines entrent en concur- rence, au marché de la Havane, avec les farines des États-Unis. Quand le chemin que Fon construit depuis le plateau de Perote jusqu’à Vera-Gruz, sera entièrement achevé, le blé de la Nouvelle-Espagne sera exporté pour Bordeaux, Hambourg et Bremen. Les ^ Lat. 54' bor. Hauteur abolue , 23oo mètres, a Lat. 7^ 8' auslr. Hauteur absolue , 2860 mètres. Voyez mon Recueil Ohsen^ations astronomiques , Vol. I, p.3i6. 7 100 LIVRE IV 5 Mexicains auront alors un double avantage sur les habitans des États-Unis, celui d'une plus grande fertilité du terroir, et celui d une inain-d œuvre moins chère. Il seroit bien inté- ressant,sous ce rapport, de pouvoir comparer ici le produit moyen des différentes provinces de la confédération américaine avec les ré- sultats que nous avons obtenus pour le Mexique ; mais la fertilité du sol et l’industrie des habitans varient si fort de province à province, qu’il est difficile de trouver le terme moyen qui correspond à la récolte totale. Quelle différence entre la belle cul- ture des environs de Lancaster et de plusieurs partie de la Nouvelle-Angleterre , et celle de la Caroline septentrionale! « Un fermier « anglois », dit l’immortel Washington dans une de ses lettres à Arthur Young, « doit « avoir une opinion extrêmement désavan- fc tageuse ( a horrid idea ) de l’état de notre « agriculture, ou de la nature de notre sol, « s’il apprend qu’un acre ne produit chez « nous que huit ou dix bushels. Mais il ne w doit pas oublier que dans tous les pays cc où les terres sont à bon marché , et où la cc main-d’œuvre est chère , on aime mieux CHAPITRE IX. lOI « cultiver beaucoup que cultiver bien. On « n’y foit généralement que gratter ' la terre , « au lieu de la labourer avec soin. » D’après les recherches récentes de M. Blodget, que l’on peut regarder comme assez exactes , on trouve les résultats suivans : Par acre. Par hectare. | Dans les provinces atlantiques, à l’est des montagnes Al- léglianys , en terres riches. 32 hushels. 1788 kilogr. en terres mé- diocres 9 5o3 Dans le territoire de l’ouest, entre les Alléghanys et le Mississipi , en terres riches. 4o 2235 en terres mé- diocres 25 i397 ^ « Mucb ground bas been scratched over , aad « noue cultlvated as it ougbt to bave been. » Cette lettre intéressante a été publiée dans le Statistical 102 LIVRE IV , On voit par ces données, que dans les in- tendances mexicaines de Puebla et de Gua- naxuato, où règne, sur le dos des Cordillères, le climat de Rome et de Naples, le terroir est plus riche et plus productif que dans les parties les plus fertiles des États-Unis. Comme depuis la mort du général Was- hington les progrès de l’agriculture ont été très-considérables dans la région de l’ouest, surtout dans le Kentucky, le Tennessée et la Louisiane,, je erois que l’on peut regarder i3 à i4 bushels comme le terme moyen des récoltes actuelles, ce qui ne fait cependant encore que 700 kilogrammes par hectare, ou moins de quatre grains pour un. En Angleterre, on évalue communément larécolte en froment de iq à 20 bushels par acre, ce qui donne 1100 kilogrammes par hectare. Cette comparaison , nous le répétons ici , n annonce pas une plus grande fertilité du sol de la Grande-Bretagne. Loin de nous donner une idée effrayante de la stérilité des provinces atlantiques des États-Unis, elle Manuel for ihe United States , 1806, p. 96. Va acre a 5368 métrés carrés. Ua bus/iel de froment pèse So kilogrammes. CHAPITRE IX. prouve seulement que partout où le colon est maître d’une vaste étendue de terrain , 1 art de cultiver le sol ne se perfectioane qu’avec une extrême lenteur. Aussi les mémoires de la Société d’agriculture de Philadelplne -offrent différons exemples de récoltes qui ont excede 38 à 4o bushels par acre, chaque fois qu’en Pensylvanie les champs ont été laboures avec les mêmes soins qu’en Irlande et en Flandre. Après avoir comparé le produit moyen des terres au Mexique, à Buenos - Ayres , aux "États-Unis et en France , jetons un coup-d œi rapide sur le prix de la journée dans ces différens pays. Au Mexique, on la compte de deux reahs de plata ( de 26 sous) dans les régions froides, et de deux réaux et demi (de 52 sous) dans les régions chaudes, où l’on manque de bras et où les babitans sont en général très - paresseux. Ce prix de la main-d’œuvre doit paroître assez modique, lorsqu’on considère la richesse métalhqua du pays, et la quantité d’argent qui y e?t constamment en circulation. Aux Etats-Unis, où les blancs ont repoussé la population indienne au delà de l’Ohio et du Mississipi, la journée est de 3 livres 10 sous à 4 francs : io4 livre IV,’ en France, on peut l’évaluer de 5o à 4,0 sous,* et au Bengale, d’après M. Titzing, à 6 sous. Aussi , malgré l’énorme différence du fret . le sucre des Grandes Indes est à meilleur marché à Philadelphie que celui de la Jamaïque. Ilsesulte de ces données, qu’actuellement le prix de la journée, au Mexique, est au prix de la journée en France, = xo : 12 aux États-Unis, = 10 ; 25 au Bengale, = 10 : 2 Le prix moyen du froment est, dans la Nouvelle-Espagne, de quatre à cinq piastres, ou de 20 à 25 francs la charge (carga) , qui pese i5o kilogrammes. C’est le prix auquel on achète dans les campagnes, chez le fermier même. A Paris, depuis plusieurs années, i5o kilogrammes de froment coûtent 5o fr. A la ville de Mexico, la cherté du transport renchérit tellement le blé , que le prix or- dinaire y est de 9 à 10 piastres la charge. Les extrêmes , aux époques de la plus grande ou de la moindre fertilité, y sont de 8 et i4 piastres. Il est facile de prévoir que le prix du blé mexicain baissera considérable- CHAPITRE IX. * ment, lorsque les chemins seront construits sur la pente des Cordillères, et qu’une plus grande liberté de commeree favorisera les progrès de l’agriculture. Le froment mexicain est de la meilleure qualité; on peut le comparer au plus beau blé d’Andalousie ; il est supérieur à celui de Montevideo, qui, selon M. Azara, ale grain moitié plus petit que le blé d’Espagne. Au Mexique , le grain est très-gros, très-blanè et très-nourrissant, surtout dans les fermes ou l’arrosage est employé. On observe que le froment des montagnes ( trigo de sierra) , c’est-à-dire celui qui croît à de tpès-grandes hauteurs, sur le dos des Cordillères, a le grain couvert d’une pellicule plus épaisse, tandis que le blé des régions tempérées abonde en matière glutineuse. La qualité des farines dépend principalement de la proportion qui existe entre le gluten et l’amidon ; et il paroît naturel que, sous un climat qui favorise la végétation des graminées, l’embryon et le réseau celluleux ' de l’albumen, que les phy- 1 Mlrbel , sur la germination tles grammees. {^Annales du Muséum d'histoire naturelle , 'S (A. XÏIi? P* livre IV, siolopstes regardent comme le siège principal du gluten, deviennent plus volumineux. Au Mexique, le blé se conserve difficile- ment au delà de deux ou trois ans, surtout dans les climats tempérés , et l’on n’a point a^ez réfléchi sur les causes de ce phénomène. Il seroit prudent d’établir des magasins dans les parties les plus froides dupajs. On trouve daiUeurs un préjugé établi dans plusieurs ports de l’Amérique espagnole, celui que les farines des Cordillères se conservent moins ong-temps que les farines des États-Unis. La cause de ce préjugé, qui a été surtout très- nmsible à l’agriculture de la Nouvelle-Gre- nade, est facile à deviner. Les négocians qui habitent les côtes opposées aux îles Antilles, et (|ui se trouvent gênés par des prohibitions de commerce, ceux de Car- thagène, par exemple, ont un grand intérêt d entretenir des liaisons avec les États-Unis. Les douaniers sont assez indulgens pour prendre quelquefois un bâtiment de la Ja- maïque pour un bâtiment des États-Unis. Le seigle et surtout l’orge résistent mieux au froid que le froment : on les cultive sur ies pipeaux les plus élevés. L’orge donne CUAPlTnE IX. Ï07 encore des récoltes abondantes à des hauteurs où le thermomètre se soutient rarement, de jour, au delà de quatorze degrés. Dans la Nouvelle -Californie, en prenant le terme moyen des récoltes de treize villages, l’orge a produit, eu 1791, vingt-quatre, en 1802, dix-huit grains pour un. L’avoine est très-peu cultivée au Mexique ; on la voit même assez rarement en Espagne, où les chevaux sont nourris avec de 1 orge , comme du temps des Grecs et des Romains. Le seigle et l’orge sont rarement attaqués d’une maladie que les Mexicains appellent chaquistle, et qui détruit souvent les plus belles récoltes de froment, lorsque le prin- temps et le commencement de lété ont été très-chauds, et que les orages sont fré- quens. On croit communément que cette maladie du grain est causée par de petits insectes qui remplissent l’intérieur du chaume , et qui empêchent le suc nourricier de monter jusqu’à l’épi. Une plante à racine nourrissante , qui appar- tient originairement à l’Amérique, la pomme de terre ( Solanum tuherosum ) , paroît avoir été introduite au Mexique , à peu près à la lIVRE IV, même époque que les céréales de l’ancien conünent. Je ne déciderai point la question SI es papas ( c est 1 ancien nom péruvien sous equel les pommes de terre sont aujourd’hui connues dans toutes les colonies espagnoles) sont venues au Mexique conjointement avec le Schinus molle ■ du Pérou, et par. consé- quent par la voie de la mer du Sud ; ou si es premiers conquérans les ont apportées des montagnes de la Nouvelle -Grenade. Quoi- qu >1 en soit, il est certain qu’on ne les con- noissoit pas du temps de Montezuma , et ce ait est d’autant plus important, qn’il est un de ceux dans lesquels l’histoire des migra- tions d’une plante se lie à l’histoire des migrations des peuples. La prédilection qu’ont certaines tribus pour la culture de certaines plantes, indique le plus souvent, soit une identité de race, soit d’an- ciennes communications entre des hommes qui vivent sous des climats divers. Sous ce rapport, les végétaux, comme les langues et les traits de la physionomie des nations, peuvent devenir des monumens historiques. * Hernandez ^ Lib. III ^ c, p* 54. CHAPITRE IX.. * 09 Ce ne sont pas seulement les peuples pasteurs , ou ceux qui vivent uniquement de la chasse, qui, poussés par un esprit inquiet et guerrier, entreprennent de longs voyages : les hordes d’orio-ine germanique , cet essaim de peuples cnii,'’de l’intérieur de l’Asie se porta sur les rives du Borysthène et du Danube; les sau- va«-es de la Guayane nous offrent de nombreux exemples de tribus qui, se fixant pour quelques années , défrichent de petites éten- dues de terrain, y sèment les grains quelles ont récoltés ailleurs; et abandonnent ces cul- tures àpeine ébauchées, dès qu’une mauvaise année ou quelque autre accident les débuté du site récemment occupé. C’est ainsi que des peuples de race mongole se sont portes, depuis le mur qui sépare la Chine de la Tarlarie, jusqu’au centre de l’Europe; cest ainsi que, du nord de la Californie et des bords du fleuve Gila, des peuples améri- cains ont reflué jusque dans l’hémisphere austral. Partout nous voyons des torrens de hordes errantes et belliqueuses se frayer un chemin au milieu de peuples paisibles et ao-riculteurs. Immobiles comme le rivage, ces derniers réunissent et conservent avec J-lVKJi IV J soin les plantes nourrissantes et les animaux domestiqims qui ont accompagné les tribus nomades dans leurs courses lointaines. Sou^ vent la culture d’un petit nombre de végétaux, 4e meme que des mots étrangers mêlés à des langues dune origine differente, sert à dé- signer la route par laquelle une nation a passé d une extrémité du continent à l’autre. Ces considérations, auxquelles j’ai 'donné plus de développement dans mon Essai sur la Géographie des plantes, suffisent pour prouver combien il est important pour l’his- toire de notre espèce, de connoitre avec précision jusqu’où s’étendoit primitivement le omaine de certains végétaux, avant que l’es- prit de colonisation des Européens fût parvenu a réunir les productions des climats les plus éloignés. Si les céréales , si le riz ■ des Grandes Indes etomnt inconnus aux premiers habitans de 1 Amérique, en revanche, le maïs, la pomme de terre et le quinoa ne se trouvoient cultivés ni dans FAsie orientale, ni dans les * Qu’est-ce que le riz sauvage dont parle M. Mae- kenzie , graminée qui ne croît pas au delà des 5o” de atitude, et dont les naturels du Canada se nourrissent pendant 1 hiver? t^Koyag^de Mackenzie, I p i56 ) chapitre IX. III îles de la mer du Sud. Le mais a été introduit au Japon • par les Chinois, qui, selon l’asser- tion de quelques auteurs, doivent l’avoir connu depuis les temps les plus reculés. Cette assertion, si elle étoit fondée , jetteroit du jour sur les anciennes communications que l’on suppose avoir existé entre les habitans des deux continens. Mais où sont les monu- ^nens qui attestent que le maïs ait été cultivé en Asie avant le seizième siècle ? D’après les recherches savantes du père Gaubil ” , il paroît même douteux que mille ans plutôt les Chinois eussent visité les côtes occiden- tales de l’Amérique, comme un historien justement célèbre , M. de Guignes , 1 avoit avancé. Nous persistons à croire que le mais n’a point été transplante du plateau de la Tartarie à celui du Mexique, et qu’il est tout aussi peu probable qu avant la décou- verte de l’Amérique par les Européens, » Thunherg, Flora Japoaica , p. Zj. Le mais s’appelle en japonois Sjo Kuso, et Too Kihbi. Le mot huso indique une plante herbacée, et le mot too aanoiice une production exotique. ^ Manuscrits astronomiques des peres jésuites, conservés au bureau des longitudes, à Pans. 1 12 livre IV, celle graminée précieuse ait été portée du nouveau continent en Asie. La pomme de terre nous présente un autre problème très-curieux, si on l’envisage sous un rapport historique. D paroît certain , comme nous l’avons rapporté plus haut , que cette plante, dont la culture 'a eu la plus grande influence sur les progrès de la popu- lation en Europe, n’étoit pas connue au' Mexique avant l’arrivée des Espagnols. Elle fut cultivée à cette époque au Chili, au Pérou , à Quito , dans le rojaume de la Nouvelle-Grenade, sur toute la Cordillère des Andes, depuis les 4o» de latitude australe jusque vers les 5o-> de latitude boréale. Les botanistes supposent qu’elle croît spontané- ment dans la partie montueuse du Pérou. D’un autre côté, les savans qui ont fait des recherches sur l’introduction des pommes de terre en Europe, assurent qu’elle fut aussi trouvée en Virginie, parles premiers colons que Sir 4Valter Raleigh y envoya en i584. Or, comment concevoir qu’une plante qu’on dit appartenir originairement à l’hémisphère austral, se trouvoit cultivée au pied des monts Alléghanjs, tandis qu’on ne la connoissoit CHAPITllE IX. point au Mexique et dans les régions mon- tueuses et tempérées des îles Antilles? Est-il probable que des tribus péruviennes aient pénétré vers le nord^ jusqu’aux rives du Ra- pahannoc^ en Virginie , ou les pommes dô terre sont-elles venues du nord au sud, comme les peuples qui, depuis le septième siècle, ont paru successivement sur le plateau d’Anahuac ? Dans l’une et l’autre de ces hypothèses, com- ment cette culture ne s^est-elle pas introduite ou conservée au Mexique? Voilà des questions peu agitées jusqu’ici, et cependant bien dignes de fixer l’attention du physicien, qui> ea embrassant d’un coup -d’œil l’influence de l’homme sur la nature , et la réaction du monde physique sur l’homme > croit lire dans la distribution des végétaux l’histoire des premières migrations de notre espèce. ♦ J’observe d’abord , pour ne consigner ici que des faits exacts, que la pomme de terre n’est pas indigène au Pérou > et qu’elle ne se trouve nulle part sauvage dans la partie des Cordillères qui est située sous les tropiques. Nous avons, M. Bonpland et moi, herborisé sur le dos et sur la pente des Andes , depuis les 5^ nord jusqu’aux 12? sud : nous avons III, ^ LIVBE IV 5 xi4 pris des informations chez des personnes qui ont examiné cette chaîne de montagnes co- lossales jusqu’à la Paz et à Oriiro^ et nous sommes sûrs que, dans cette vaste étendue de terrain , il ne végète spontanément aucune espèce de solanées à racines nourrissantes. Il est vrai qu’il y a des endroits peu accessibles et très-froids, que les naturels appellent ramos de las papas ( plateaux déserts des pommes de terre ) ; mais ces dénominations , dont il est difficile de deviner l’origine , n’indiquent guère que ces grandes hauteurs produisent la plante dont elles portent le nom. En passant plus au sud , au delà du tropique, on la trouve , selon Molina * , dans toutes les campagnes du Chili. Les naturels y distinguent la pômme de terre sauvage , dont les tuber- cules sont petits et un peu amers, de celle qui y est cultivée depuis une longue série de siècles. La première de ces plantes porte le nom de maglia , et la seconde celui de pognj. On cultive aussi, au Chili , une autre espèce de solanum, qui appartient au même groupe, à ^ Hist. nat. du Chili , p. 102. CHAPITRE IX. I l5 feuilles pennées et non épineuses , et qui la racine tres-douce , et d une forme cylindrique. O est le Solanuni cavi , qui est encore inconnu non-seulement en Europe, mais même à Quito et au Mexique. On pourroit demander si ces plantes utiles à l’homme, sont vraiment originaires du Chili, ou si, par 1 effet d’une longue eulture, elles y sont devenues sauvages. La même question a été feite aux voyageurs qui ont trouvé les céréales croissant spontanément dans les montagnes de 1 Inde et du Gauease. MM. Ruiz et Pavon , dont l’autorité est d’un grand poids, disent avoir trouvé la pomme de terre dans les terrains cultivés, incultis, etnon dans les forets et sur le dos des montagnes. Mais on doit observer que chez nous, le Solanum etles différentes espèces de blé np se propagent pas d’elles-mêmes d’une manière durable , lorsque les oiseaux en transportent les graines dans les prairies et dans les bois. Partout où ces plantes paroissent devenir sau- vages sous nos yeux, loin de se multiplier comme l’Erigeron canadense , l’Oenothera biennis, et d’autres colons du règne végétal , elles disparoissent dans un court espace de 8* I 1 6 LIVRE IV J temps. Le inaglia du Chili, le blé des rives dit Terek ' et le froment de montagnes ( HUI- "wlieat), du Boutan, que M. Banks ^ vient de faire connoître, ne seroient-ils pas plutôt le type primitif du Solanum et des céréales cultivées? Il est probable que des montagnes du Chilb la culture des pommes de terre a avancé peu à peu vers le nord, parle Pérou et le royaume de Quito, jusqu’au plateau de Bogota, Fan- cien Cundinamarca. C’est là aussi la marche qu’ont tenue les Incas dans la suite de leurs conquêtes. On conçoit aisément pourquoi , long-temps avant l’arrivée de Manco-Capac , dans ces temps reculés où la province du Collao et les plaines de Tiahuanacu étoient le centre de la première civilisation des hommes % les migrations des peuples de l’Amérique méridionale dévoient plutôt se faire du sud au nord , que dans une direction opposée. Partout dans les deux hémisphères, les peuples montagnards ont manifesté le ^ Marschall de Biherstein, sur les bords occidentaux de la mer Caspienne , 1798 , p. 65 et io5. ^ Bihl. hritt. , 1809, n. 322, p. 86. ^ Pedro deçà de Leon, c. io5. Garcilasso , III, 1, CHAPITRE IX. 117 désir de se rapprocher de l’éqiiatenr , ou du moins de la zone torride , qui , à de grandes hauteurs, offre la douceur du climat et les autres avantages de la zone tempérée. En longeant les Cordillères , soit depuis les bords du Gila jusqu’au centre du Mexique , soit depuis le Chili jusqu’aux belles vallées de Quito , les indigènes trouvèrent aux mêmes élévations , et sans descendre ve^s les plaines, une végétation plus vigoureuse , des gelées moins précoces , des neigesmoius abondantes. Les plaines deTiahuanacu (lat. 17» 10' sud), couvertes de ruines d’une grandeur impo- sante , les bords du lac de Chucuito , bassin qui ressemble à une petite mer intérieure , sont l’Himala et le Thibet de l’Amérique méridionale. C’est là que les hommes , gou- vernés par des lois , et réunis sur un sol peu fertile , se sont adonnés les premiers à l’agri- culture. C’est de ce plateau remarquable , situé entre les villes de Cuzco et la Paz , que sont descendus des peuples nombreux et puissans, qui ont porté leurs armes , leur langue et leurs arts jusque dans l’hémisphère boréal. Les végétaux qui étoient l’objet de l’agri- I I 8 LIVRE IV , culture des Andes , ont reflué vers le nord, de deux manières, ou par les conquêtes des Incas, qui étolent suivies de letaÙissement de quelques colonies péruviennes dans le pays oceupé , ou par les communications Jentes , mais paisibles , qui ont toujours lieu entre des peuples voisins. Les souverains de Cuzco ne poussèrent pas leurs conquêtes au delà de la rivière de Mayo (lat. i® 54' bor.) , qui coule au nord de la ville de Pasto. Les pommes de terre , que les Espagnols trou- vèrent eultit^ées ehez les peuples Muyscas , dans le royaume du Zaque de Bogota ( lati- tude 4” 6' bor. ) , ne peuvent donc y être venues du Pérou que par TelFet de ces rapports qui s’établissent peu à peu , même v-ntre des peuples montagnards séparés les nns des autres par des déserts eouverts de neige , ou par des vallées qu’on ne peut franchir. Les Cordillères, après avoir eonservé une hauteur imposante, depuis le Chili jusqu’à la province d’Antioquia, s’abaissent tout d’un coup vers les sources du grand Rio Atracto. Le Choco et le Darien ne présentent qu’un groupe de collines qui, dans l’isthme de Panama, a seu- lement quelques centaines de toises de hauteur. CHAPITRE IX. La colture de la pomme de terre ne réussit bien entre les tropiques que sur des plateaux trcs-élevés , dans un climat froid et brumeux. L’Indien des pays chauds préfère le maïs , le manioc et la banane. En outre , le Ghoco , le Darien et l’isthme/, couverts d’épaisses forêts ^ ont été habités de tout temps par des hordes de sauvages et de chasseurs^ ennemis de toute culture. Il ne faut donc pas s’étonner que la réunion de ces causes physiques et morales ait empêché la pomme de terre de pénétrer jusqu’au Mexique. Nous ne connoissons pas un seul fait par lequel l’iiistoire de l’Amérique méridionale soit liée à celle de l’Amérique septentrionale. Dans la Nouvelle - Espagne ^ comme nous l’avons déjà observé plusieurs fois , le mou- vement des peuples va toujours du nord au sud. On croit reconnoltre * une grande ana- looie de mœurs et de civilisation entre les O ToultèqueS; qu^une peste paroît avoir chassés du plateau d’Anahuac, au nnîieudu douzième ^ J’ai discuté cette hypotliëse curieuse du clievalif-r Boturiiil , clans mon Mémoire sur les preniiers liabitans de TAmérique. ( liber die Uriolher. ) Neue BeHm. Monaischrift , 1800, p. 2o5. Î20 LIVRE IV, siècle , et les Péruviens gouvernés parManco- Capac. Il se peut que des peuples sortis d'Aztlan se soient avancés jusqu’au delà de Pisthme ou du golfe de Panama; mais il est peu probable que ^ par des migrations du sud vers le nord^ les produetions dti Pérou, de Quito et de la Nouvelle-Grenade, aient jamais passé au Mexique et au Canada. Il résulte de toutes ces considérations , que si les colons envoyés par Raleigh ont effec^ tivement trouvé des pommes de terre parmi les Indiens de Virginie , il est difficile de se refuser à l’idée que cette plante ifiait été originairement sauvage dans quelques contrées de riiémisphère boréal, comme elle l’étoît au Chili. Les recherches intéressantes faites * par MM. Beckmann , Banks et Dryander * prouvent que des vaisseaux qui revenoient de la baie d’Albemarle , en i586, portèrent les premières pommes de terre en Irlande, ^ Bechmanns Grundsœtze der teutschen Jjandwirth^ $chaft y 1^0^ , p. 289. Sir Joseph Banks , an atteinpf to ascertain the time ofthe introduction of pot ato s , 1 §o3. La pomme de terre est cultivée en grand dans le Lan- çashire, depuis ir>84 ; en Saxe^ depuis 1717 ; en Ecosse, depnis 1728^ en Prusse, depuis 1758. CHAPITRE IX. I 21 et’que Thomas Harriot, plus célèbre comme mathématicien que comme navigateur , dé- crivit cette racine nourrissante sous le â’opcnawli. Gérard, dans son iée/ér/Z publié en 1697, la nomme patate de Virginie , ou norembega. On pourroit être tenté de croire que les colons anglois l’avoient i-eçue de l’Amérique espagnole. Leur établissement existoit depuis le mois de juillet de 1 annee i584. Les navigateurs de ce temps, pour attérir sur les eôtes de rAmérique septen- trionale , ne faisoient point route directe vers l’ouest ; ils étoient encore dans l’usage de suivre le chemin indiqué par Colomb, et de profiter des vents alisés de la zone torride. Ce trajet facilitoit les communications avec les îles Antilles, qui étoient le centre du commerce espagnol. Sir Francis Drake, qui venoit de parcourir ces mêmes des et les côtes de la Terre-Ferme , avoit touché à Roanoke ', en Virginie.il paroît donc assez 1 Eoanoke et Albemarle , où Aœiclas et Barloir avoient fait leur premier établissement, appartiennent aujourd’hui à l’état de la Caroline septentrionale. Sur la colonie de Raleigb, consulte* MarshalVs Life 0/ Jf^ashington ) Y. 1; p* i:i2 livre IV, naturel de supposer que les Anglois eux- mêmes avoientporté les patates de l’Amérique méridionale ou du Mexique en Virginie. Lorsqu’elles furent envoyées de Virginie en Angleterre, elles étoient déjà communes en Espagne et en Italie. Il ne faudroit donc pas s etonner qu’une production qui avoit passé d’un continent à l’autre, ait pu parvenir, en Amérique des colonies espagnoles aux colonies angloises. Le nom seul sous lequel Harriot décrit la pomme de terre paroît prouver son origine virginienne. Les sauvages auroient-ils eu un mot pour une plante étrangère, et Harriot n’auroit-il pas connu le nom de Papas ? Les cultures qui appartiennent à la partie la plus élevée et la plus froide des Andes et Cordillères mexicaines, sont celles de la pomme de terre, du Tropæolum esculentum ' * Cette nouvelle espèce de capucine , voisine du Tropæolum peregrinum , est cultivée, dans les pro- vmces de Popayan etdePasto, sur des plateaux de Sooo mètres de hauteur absolue. Elle sera décrite dans un ouvrage quç nous publierons, M. Bonpland et mot , sous le titre de Nova généra et species plantarum ohulus batatas y le C, platanifolius de Vahl , et j’incline à croire que ces deux plantes, YUmara de Tahiti (C. chrysorrhizus de Solander ' ) et le C. edidis de Thiinberg , que les Portugais ont introduit au Japon , sont des variétés devenues constantes , et descendent d’une même espèce. Il Seroit d’autant plus intéressant de savoir si les bâ- tâtes cultivées au Pérou , et celles que Cook a trouvées dans l’île de Pâques , sont les mêmes , que la position de cette terre et les monumens qui y ont été découverts , ont fait soupçonner à plusieurs savans qu’il a pu exister d’anciens rapports entre les Péruviens et les habitans de l’île découverte par Ro'ggeween. Gomara raconte que Colomb, après son retour en Espagne , lorsqu’il parut la pre- mière fois devant la reine Isabelle, lui offrit des grains de maïs , des racines d’ignames et des hâtâtes : aussi la culture de ces dernières étoit-elle déjà commune dans la partie mé- ridionale de l’Espagne, vers le milieu du ^ ForsteVj Plantœ esculentœ , p. 56, chapitre IX. i33 seizième siècle ; en i5gi , on en venditmême au marché à Londres On croit commu- nément que le célèbre Drake ou Sir John H awkins les ont fait connoître en Angleterre , où on leur attribua pendant long-temps les propriétés mystérieuses pour lesquelles les Grecs recommandoientles ognons de Mégare. La culture des hâtâtes réussit très-bien dans le midi de la France. Elle a besoin de moins de chaleur que Figname , qui d’ailleurs, à cause de Fénorme masse de matière nourrissante que fournissent ses racines , seroit de beau- coup préférable à la pomme de terre , si elle pou voit être cultivée avec succès dans les pays dont la température moyenne est au-dessous de dix-huit degrés centigrades. Il faut encore compter parmi les plantes utiles propres au Mexique, le Cacomite ou V Oceloxochitl ^ espèce de Tigridia , dont la racine donnoit une forme nourrissante aux habitans de la vallée de Mexico ; les nom- breuses variétés de pommes d’amour ou Tojuatl ( Solanum lycopersicum ) , que Fon semoit jadis entremêlées au maïs ; la pistache ) * Clusius^^Wy c. 5i. l34 LIVRE IV 5 de terre , ou mani * ( Arachis hypogea ), dont le fruit se cache dans la terre ^ et qui paroît avoir existé en Afrique et en Asie ^ surtout en Cochinchine long-temps avant la dé- couverte de r Amérique ; enfin les différentes espèces de piment ( Gapsicum baccatum y C. annuum , et G. fruîescens ) , que les Mexieains appellent chilliy et les Péruviens iichu, et dont le fruit est aussi indispensa- blement nécessaire aux indigènes , que le sel Test aux blancs. Les Espagnols nomment le piment chile ou axi {ûii). Le premier mot dérive de quauh-chilli y le second est un mot haïtien qu’il ne faut pas confondre avec axe y qui^, comme nous Pavons observé plus haut^ désigne le Dioscorea alata. Je ne me souviens pas d’avoir vu cultiver , dans aucune partie des colonies espagnoles , les topinambours ( Helianthus tuberosus ) ^ qui , d’après M. Gorrea ^ ne se trouvent pas même au Brésil, quoique dans tous nos ou- ^ Le mot de Mani, comme la plupart de ceux que les colons espagnols donnent aux plantes cultivées , est tiré delà langue d’Haïti, qui est aujourd’hui une langue morte. Au Pérou, FArachis s’appela inchic. ^ Loureiro y Flora Qochinchinensis , p. 522. ClIAriTRE IX. l3{> vragcs (le Lotaniqne on les dise originaires du pays des Brésiliens Topinanibas. Le chi- malatlovi soleil à grandes Üeurs (Helianthus annuiis), est venu du Pérou a la Nouvelle- Espagne : on le semoit jadis dans plusieurs parties de l’Amérique espagnole , non-seu- lement pour tirer de l’huile de ses graines , mais pour les rôtir et en faire un pain très- nourrissant. Le riz ( Oryza saliva ) étoit ineonnu aux peuples du nouveau eontinent comme, aux habitans des îles de la mer du Sud. Chaque fois que les premiers historiens se servent de l’expression petit riz du P érou ( arroz pe- tjuenos) , ils veulent désigner le Chenopodium quinoa , que j’ai trouvé très-commun au Pérou et dans la belle vallée de Bogota. La culture du riz , que les Arabes ont introduite en Eu- rope et les Espagnols en Amérique , est de peu d’importance dans la Nouvelle-Espagne. La grande sécheresse qui règne dans 1 inté- rieur du pays, paroît s’opposer à ce genre de » Les Grecs connoissoient le riz sans le cultiver. Aristobuie chez Strahon, Lib.XX , pag. Casauh. ioi4. — Theophr., Lib. IV, c. i.—Bioscor. , Lib. II, c. 116, p. Sarac. 127. i36 LIVRE IV, culture. On n’est pas d’accord à Mexico, sur 1 utilité que 1 on pourroit tirer de l’intro- duction du riz de montagne, qui est commun en Chine et au Japon , et que connoissent tous les Espagnols qui ont habité les îles Philip- pines. Il est certain que ce riz de montagne , tant vanté dans ces derniers temps, ne vient que sur la pente des collines qui, sont arrosées ou par des torrens naturels , ou par des canaux d irrigation ' creusés à de grandes hauteurs. Sur les côtes du Mexique, surtout au sud-est de Vera-Cruz, dans les terrains fertiles et marécageux situés entre les em- bouchures des rivières d’Alvarado et de Goasacualco, la culture du riz commun pourra un jour devenir aussi importante qu’elle l’est depuis long-temps pour la province de Guaja- qmi, pour la Louisiane et la partie méridio- ' nale des États-Unis. Il sei oit d autant plus à désirer qu’on Crescit Oryza Japomca in collibns et montibus, artifino singulari. Thunherg, Flora Japon. , 'ÿ. li’^. M. Titzing , qui a vécu long- temps au Japon , et qui prépare une descripiiou intéressante de son voyage, assure aus.^^i que le rh de montagne e.st arrosé , mais quil exige moins d^eau que le riz des plaines. CHAPITRE IX. î37 s’adonnât avec ardeur à cette branche d’agri- culture que de grandes sécheresses et des gelées précoces font souvent manquer les récoltes du blé et du maïs dans la région montueuse, et que le peuple mexicain souffre périodiquement des suites funestes d’une famine générale. Le riz contient beaucoup de substance alimentaire dans un très-petit volume. Au Bengale , où l’on en achette quarante kilogrammes pour trois francs ^ la consommation d’une famille de cinq individus consiste journellement en quatre kilogrammes de riz, deux de pois, et deux onces de sel h La frugalité de l’indigène aztèque est presque aussi grande que celle de l’Hindou ; et l’on éviteroit les disettes fréquentes au Mexique , en multipliant les objets de culture , et en dirigeant l’industrie sur des productions vé- gétales plus faciles à conserver et à transporter que le maïs et les racines farineuses. En outre , et je l’avance sans toucher au fameux problème de la population de la Chine , il ne paroît pas douteux qu’un terrain cultivé Bochford^s Indian Kecreations^ Calcutta ^ 1807 , p. 18. i38 IIVRE IV, en riz nourrit un plus grand nombre de famdles (jue la meme etezidue cultivée en froment. A la Louisiane , dans le bassin du Mississipi on compte qu’un arpent de terre produit communément, en r/z i8 barils, en froment et en avoine 8, en mciiis 20, et en pommes de terre 26. En Virginie, on compte, d après M. Blodget, qu’un arpent {acre) rend 20 à 5o bushels de riz, tandis que le froment n en donne que i5 a 16. Je n’ig’iiore pas qu’en Europe les rizières sont regardées comme très-nuisibles à la santé des habitans ; mais une longue expérience faite dans l’Asie orientale Semble prouver que leur effet n’est pas le même sous tous les climats. Quoiqu’il en soit, on ne doit pas craindre que l’irri- gation des rizières n’ajoute à l’insalubrité, d un pays qui est déjà rempli de marécages et de palétuviers ( Rhizophora mangle ) , et qui forme un véritable Delta entre les ri- vières d’Alvarado, de San Juan et de Goa- sacualco. * Note manuscrite sur la, valeur des terres dans la Louisiane , qui m’a été communiquée par le général WilckinsoH, CHAPITRE IX. i39 Les Mexicains possèdent aujourd’hui toutes les plantes potagères ei tous les arbres fruitiers de l’Europe. Il n'est pas facile d’indiquer lesquelles de ces premières existoient au nouveau continent avant l’arrivée des Espa- gnols. Cette même incertitude règne parmi les botanistes , sur les espèces de navets , de salades et de choux qui étoient cultivés par les Grecs et les Romains. Nous savons avec certitude que les Américains connoissoient de tout temps les ognons ( en mexicain , xonacatï) ^ les haricots (en mexicain^ ajacotliy en péruvien ou en langue quichua^ purutu)^ les calebasses (en péruvien^ capallu) , et quelques variétés de pois chiches ( Cicer , LiAn.). Cortez * , en parlant des comestibles qui se vendoient journellement au marche de l’ancien Ténochtitlan^ dit expressément qu on y trouvoit toute espèce de légume , particu- ^ Tjorenzana y p. io3. Getreilasso ^ p. 278 et 333. Acosta, p. 245. Les ognons étoient inconnus an Pérou, et les chochos de l’Aniérique n'étoient pas des gar- vanzos ( Cicer arietinum ). J’ignore si les fameux frisolitos de Vera-Cruz , qui sont devenus un objet d’exportation, descendent d’un Phaseolus d Espagne, ou s’ils sont une variété de VayacotU mexicain. l4o LIVRE IV, lièrement des oi<^nons , des poreaux , de l’aiI , du cresson aléuois et du cresson de fon- taine ( -20 j berro), de la bourrache, de l’oseille et des cardons [carda j tagarninas). Il paroit qu aucune espèce de chdux et de navets ( Brassica etRaphanus) n’étoit cultivée en Amérique, quoique les indigènes aimassent beaucoup les herhes cuites. Ils méloient en- semble toutes sortes de feuilles , et même de fleurs , et ce mets s appeloit ircicci^ Il paroit que les Mexicains n ont pas eu originairement des pois , et ce fait est d autant plus remar- quable , que l’on croit notre pisum sativuni sauvage sur la côte nord-ouest de l’Amérique En général , si l’on jette les jeux sur les plantes potagères des Aztèques , et sur le grand nombre de racines farineuses et sucrées qu on cultivoit au Mexique et au Pérou, on voit que l’Amérique n’étoit pas, à beau- coup près , si pauvre en plantes alimen- * Aux îles de la Reine Charlotte , et dans la haie de Norfolk ou Tchinkitané. ( Voyage de Marchand, T. I, p. 226 et 36o. ) Ces pois 11 ’j auroient-ils pas été semés par quelque navigateur européen ? Nous savons que depuis peu les choux sont devenus sauvages à laNou- ' velle-Zéelaude. CHAPITRE IX. ï 4 1 taires qu’un faux esprit de système l’a fait avancer à des savans,' qui ne connoissent le nouveau continent que par les ouvrages d’Herreraet de Solis. Le degré de ciMlisation d’un peuple n’est dans auciin rapport avec la variété des productions qui sont l’objet de son agriculture ou de son jardinage. Cette variété est plus ou moins grande , selon que les communications entre des régions éloi- gnées ont été fréquentes , ou que des nations séparées du reste du genre humain, dans des temps très— reculés , se sont trouvées, par leur situation locale, dans un isolement parfait. Il ne faut pas s’étonner de ne point rencontrer chez les Mexicains, au seizième siècle, les richesses végétales que nos jardins d’Europe renferment aujourd’hui. Les Grecs et les Romains mêmes , ne connoissoient ni les épi- nards, ni les choux-fleurs, ni les scorsonères, ni les artichauts, ni un grand nombre d’autres légumes. * Le plateau central de la Nouvelle-Espagne produit, avec la plus grande abondance, des cerises, des prunes, des pêches, des abricots, des figues, des raisins, des melons, des pommes ’ et des poires. Dans les environs de Mexico , ^ 4 2 livre IV , les villages de San Augustin de las Cuevas et de lacubaja, le fameux jardin du couvent des Carmes, à San Angel, et celui de la famille de Fagoaga , à ïanepantla , donnent aux mois de juin , de juillet et d’août, une innombrable quantité de fi’uits, et la plupart d’un goût exquis, quoique les arbres soient en général assez mal soignés. Le voyageur est frappé de voir, au Mexique comme au Pérou, et dans la Nouvelle-Grenade, les tables de l’habitant aisé, chargées à la fois des fruits de l’Europe tempérée , d ananas ' , de grenadilles ( diffé- rentes espèces de Passiflora et Tacsonia ) de sapotes, de mameis, de goyaves, d’anones, de chilimoyes, et d’autres productions pré- cieuses de la zone torride. Cette variété de * Les Espagnols , dans leurs premières navigations , avoient coutume cEembarquer des ananas , qui, lorsque’ la traversée étoit courte , éloient mangés en Espagne. On en présenta déjà à l’empereur Charles- Quint, qui trouva le fruit très-heau , mais ne voulut pasen goûter. Nous avons trouvé l’ananas sauvage, et du goût le plus exquis , au pied de la grande montagne de Duida , sur les bords de l’Alto Orinoco. Les graines ne sont pas constamment toutes avortées. En 1694, l’ananas fut déjà cultivé en Chine, où il étoit venuduPérou.. ' {Kircher, China illustrata, CHAPITRE IX. 43 fruits se trouve presque dans tout le pays, depuis Ouatiniala jusqu à la Nouvelle— Cali- fornie. En étudiant l’histoire de la conquête , on admire l’activité extraordinaire avec la- quelle les Espagnols du seizième siècle ont répandu la culture des végétaux européens sur le dos des Cordillères, d’une extrémité du continent à l’autre. Les ecclésiastiques , et surtout les religieux missionnaires, ont con- tribué à ces progrès rapides de l’industrie. Les jardins des couvens et des curés ont été autant de pépinières d’où sont sortis les vé- gétaux utiles récemment acclimatés. Les con- quistadores mêmes, que l’on ne doit pas regarder tous comme des guerriers barbares, s’adonnoient , dans leur vieillesse , à la vie des champs. Ces hommes simples , entourés d’in- diens dont ils ignoroient la langue , culüvoient de préférence , comme pour se consoler de leur isolement, les plantes qui leur rappeloient le sol de l’Estramadure et des Castilles. L’époque à laquelle un fruit d’Europe mû- rissoit pour la première fois, étoit signalée par une fête de famille. On ne sauroit lire sans intérêt ce que l’Inea Garcilasso rapporte sur là manière de vivre de ces premiers colons. Il raconte, avec une naïveté touchante, com- ment son père, le valeüreux Andres de la yega, réumssoit tous ses vieux compagnons d armes pour partager avec eux trois asperges, es premières qui fussent venues sur le plateau Avant l’arrirée des Espagnols, le Mexique et les Cordillères de l’Amérique méridionale produisoient plusieurs fruits qui ont une grande analogie avec ceux des climats tem- pères de l’ancien continent. La physionomie des végétaux offre des traits de ressemblance, partout où la température et l’humidité sont les mêmes. La partie montueuse de l’Amérique équinoxiale a des cerisiers ( Padus capuli), des noyers, des pommiers, des mûriers, deJ fraisiers, des Rubus, et des groseilliers qui lui sont propres, et que nous ferons connoître, M. Bonpiand et moi , dans la partie botanique de notre voyage. Gortez raconte avoir vu, lors de son arrivée à Mexico, outre les cerises indigènes, qui sont assez acides, des prunes, ciruelas. Il ajoute qu’elles ressembloient en- tièrement à celles d’Espagne. Je doute de 1 existence de ces prunes mexicaines, quoique l’abbé Clavigero en fosse aussi mention. CHAPITRE IX. l4^> Peut-être les premiers Espagnols prenoient-ils le fruit du Spondias , qui est un drupa ovoïde, pour des prunes d’Europe. Quoique les côtes occidentales de la Nou- velle-Espagne soient baignées par le Grand Océan, et quoique Mendana, Gaetano , Quiros , et d’autres navigateurs espagnols aient été les premiers à visiter lès îles situées entre l’Amérique et l’Asie , les productions les plus utiles de ces contrées, l’arbre à pain , le lin de la Nouvelle -Zéelande (Phormium tenax) et la canne à sucre d’Otahiti, sont restés incon- nus aux habitans du Mexique. Ces végétaux, après avoir presque fait le tour du globe, leur arriveront peu à peu des îles Antilles. Déposés par le capitaine Bligh à la Jamaïque , ils se sont propagés rapidement à l’île de Cuba, à la Trinité ) et sur la côte de Caracas. L’arbre à pain (Artocarpus incisa), dont j’ai vu des plantations considérables dans la Guayane espagnole, végéteroit avec vigueur sur les côtes humides et chaudes de Tabasco , de Tustla et de San Blas. Il est peu probable cependant que cette culture puisse jamais faire abandonner aux naturels celle des ba- naniers , qui, sur la même étendue de terrain m. 10 î46 LIVRE IV, fournissent plus de substance nourrissante. Ilest vralqueTArtocarpus^ pendant huit mois de l’année, est continuellement chargé de fruits, et que trois arbres suffisent pour nour- rir un individu adulte * ; mais aussi un arpent ou un demi-hectare de terrain ne peut contenir que 55 à 4o arbres à pain ; car ils sont moins chargés de fruits lorsqu’on les plante trop près les uns des autres , et que leurs racines se rencontrent. L’extrême lenteur avec laquelle se fait le trajet des îles Philippines et Marianes à Acapulco, la nécessité dans laquelle se trou- vent les galions de Manille de s’élever à de grandes latitudes pour prendre les vents nord-ouest, rendent très-difficile l’introduc- tion des végétaux de l’Asie orientale : aussi ne trouve-t-on, sur les côtes occidentales du Mexique, aucune plapte de la Chine ou des îles Philippines, si cé n’est le Triphasia au- rantiola ( Lùnonia trifoliata ) , arbrisseau élégant dont on confit les fruits, et qui, d’après 1 Georg Forster vom Brodbaume , 1784, S. 23. ^ Comparez ee qui a été dit plus haut du produit des hananes, du froment et des pommes de terre, p. 28 et 36. CHAPITRE IX. 147 Loureiro , est identique avec le Gitrus trifo- liata , ou Karatats-hanna de Kampfer. Quant aux orangers et aux citronniers^ qui dans l’Europe australe supportent, sans en souffrir, un froid de cinq à six degrés au-dessous dezéro, on les cultive aujourd’hui dans toute la Nou- velle-Espagne , même sur le plateau central. On a souvent agité la question si ces arbres ont existé dans les colonies espagnoles avant la découverte de l’Amérique , ou si les Eu- ropéens les ont portés des îles Canaries , de l’île S.-Thomas ou des côtes d’Afrique. Il est certain qu’un oranger à fruit petit et amer, et un citronnier très-épineux, donnant.un fruit vert, rond, à écorce singulièrement huileuse , et qui a souvent à peine la grandeur d’une grosse noix, est sauvage dans l’île de Cuba etsur les côtes de la Terre-Ferme. Mais malgré toutes mes recherches, je n’en ai jamais trouvé un seul pied dans l’intérieur des forêts de la Guayane , entre l’Orénoque , le Gassiquiare et les frontières du Brésil. Peut-être le citronnier à petit fruit vert {Limoncito verde) étoit-il anciennement cultNé par les naturels, et peut-être n’est - il devenu sauvage que là où la population, et par conséquent l’étendue 10 lf\S LIVRE IV 5 des terrains cultivés, étoient le plus consi- dérables. J’incline à croire que seulement le citronnier à gra >d fruit jaune { Lùiion sutiï) et Foranger à fruit doux, ont été introduits par les Portugais et les Espagnols Sur les rives de FOrénoque, nous n’en avons vu que là où les jésuites avoient établi leurs missions. L’oranger, lors de la découverte de l’Amé- rique, n’existoit même en Europe que depuis peu de siècles. S’il y avoi^ eu d’anciennes communications entre le nouveau continent et les îles de la mer du Sud , le véritable Citrus aiu'antium auroit pu arriver au Pérou où au Mexique par la voie de l’ouest; car cet arbre a été trouvé par M. Forster aux îles Hébiddes, où Quiros l’avoit vu long- temps avant lui ^ ^ Oviedo y Llb. VIÏI, c. i . ® Plantœ esculentœ Insularum australium , p. 35. L’oranger commun des îles du Grand Océan est le Citrus decumana. Le manguier ( Garcinia mangos^ tana) y Aonl les innombrables variétés sont cultivées avec tant de soin aux Grandes Indes et dans Farcbipel des mers d’Asie , est très-répandu depuis dix ans dans les îles Antilles. Il n’existoit pas encore de mon temps au Mexique, CHAPITRE IX. 49 La grande analogie qu’olFre le climat du plateau de la Nouvelle-Espagne avec celui de l’Italie , cleia Grèce et de la France méri- dionale, devroit inviter les Mexicains à la culture de l’olivier. Cette culture a été tentée avec succès dès le commencement de la con- quête;mais le gouvernement, par une politique injuste, loin de la favoriser, a cîiercbé plutôt à rempêcher indirectement. Il n’existe pas, à ce que je sache, de prohibition formelle, mais les colons n’ont pas hasardé de s’adonner à une branche de l’industrie nationale qui auroit bientôt excité la jalousie de la métropole. La cour de Madrid a toujours vu d’un mauvais ceil la culture de l’olivier, du mûrier, du chanvre, du lin et de la vigne dans le nouveau continent. Si au Chili et au Pérou elle a toléré le commerce des vins et des huiles indigènes, ce n’est que parce que ces colonies , situées au delà du cap de Horn, sont souvent mal ap- provisionnées par l’Europe, et qu’on craint l’effet de mesures vexatoires dans des pro- vinces aussi éloignées. Le système de prohi- bition le plus odieux a été suivi avec ténacité dans toutes les colonies dont les cotes sont baignées par l’Océan Atlantique. Le vice-roL ïSo LIVKE IV 5 pendant mon séjour à Mexico , reçut l’ordre de la cour de faire arracher les vignes (arancar las cepas^ dans les provinces septentrionales du Mexique, parce que le commerce de Cadix se plâignoit d une diminution dans la consom- mation des vins d Espagne. Heureusement cet ordre , comme beaucoup d’autres donnés par les ministres, ne fut point exécuté. On sentit que, malgré 1 extrême patience du peuple mexicain , il pouvoit être dangereux de le réduire au désespoir, ei^ dévastant ses pro- priétés , et en le forçant d’acheter aux mo- nopolistes de l’Europe ce que la nature bienfaisante produit sur le sol mexicain. L olivier est très-rare dans toute la Nouvelle- Espagne; il n’en existe qu’une seule plantation, mais très -belle, celle de l’archevêque de Mexico, située à deux lieues au sud-est de la capitale. Cet olwar del arzobispo produit annuellement 200 arrobes ( à peu près 2600 kilogrammes) d’huile d’une très-bonne qualité. Nous avons déjà parlé plus haut (T. II, p. 44 1 ) de 1 olivier cultivé par les mission- naires dans la Nouvelle-Californie , surtout près du village de San Diego. Le Mexicain , occupé librement de la culture de son sol, CHAPITRE IX. l5l pourra se passer, avec le temps, de 1 huile, du vin, du chanvre et du lin d’Europe. L’olivier d’Andalousie, introduit par Cortez, souffre (juelcjuefois du froid sur le plateau central ; car les gelées, sans être fortes, y sont fré- quentes et très-prolongées. Il seroit utile de planter au Mexique l’olivier de Corse , qui , plus qu’aucun autre , résiste à l’intempérie du climat. En terminant la liste des plantes alimen- taires, nous jetterons un coup - d’œil rapide sur les végétaux qui fournissent des boissons au peuple mexicain. Nous verrons que, sous ce rapport, l’histoire de l’agriculture aztèque offre un trait d’autant plus curieux qu’on ne trouve rien d’analogue chez un grand nombre de nations beaucoup plus avancées dans la civilisation que les anciens habitans d Ana- huac. A peine existe-t-il une tribu de sauvages sur le globe , qui ne sache préparer quelque boisson tirée du règne végétal. Les hordes misérables qui errent dans les forêts de la Guayane , font , avec différens fruits de pal- miers , des émulsions aussi agréables que l’orgeat que l’on prépare en Europe. Les lIVRE IV,' habitans de i’île de Pâques , relégués sur un amas de rochers arides et sans sources , boivent, outre l’eau de mer, le jus exprinié de la canne à sucre. La plupart des peuples civilisés tirent leurs boissons des mêmes plantes qui font la base de leur nourriture , et dont les racines ou les semences contien- nent le principe sucré uni à la substance amvlacée. Dans l’Asie australe et orientale, cest le riz; en Afrique, c’est la racine des ignames et de quelques arums ; dans le nord de 1 Europe , ce sont les céréales , qui four- nissent des liqueurs fermentées. Il existe peu de peuples qui cultivent de certaines plantes simplement dans le but d en faire des boissons. L’ancien continent ne nous offre des plan- tations de vignes qu’à l’ouest de l’Indus. Dans les beaux temps de la Grèce, cette cid- ture étoit même restreinte aux pays situés entre lOxus et 1 Euphrate, à/ l’Asie mineure et à 1 Europe occidentale. Sur le reste du globe, la nature produit des espèces de vitis sauvage, mais nulle autre part l’homme n’a tente de les reunir autour de lui pour les améliorer par la culture. Le nouveau continent nous présente l’exem- CHAPITRE IX. 1 53 pie d’un peuple qui ne retiroit pas seulement des boissons de la substance amylacée et sucrée' du maïs, du manioc et des bananes , ou de la pulpe de quelques espèces de mimosa, mais qui cultivoit tout exprès une plante de la famille des Ananas , pour en convertir le suc en une liqueur spiritueuse. Sur le plateau intérieur, dans rintendance de la Puebla et dans celle de Mexico J, on parcourt de grandes étendues de pays où l’œil ne repose que sur des champs plantés en pite ou maguey. Cette plante, à feuilles coriaces et épineuses, qui, avec le Cactus opuntia , est devenue sauvage depuis le seizième siècle , dans toute l’Europe australe , aux îles Canaries et sur les côtes d’Afrique , donne un caractère particulier au paysage mexicain. Quel constraste de formes végé- tales que celui qu’offre un champ de blé , une plantation d’agave , ou un groupe de bananiers dont les feuilles lustrées sont cons- tamment d’un vert tendre et délicat! Sous toutes les zones, l’homme, en multipliant certaines productions végétales, modifie à son gré l’aspect du pays soumis à la culture! 1 Voyez ci-dessus ; p. 6i. livre IV, Il existe, dans les colonies espagnoles, plasienrs espèces de maguej qui méritent d etre examinées avec soin , et dont quelques^ unes , à cause de la division de leur corolle , de la longueur des étamines, et de la forme de leur s%mate, paroissent appartenir à des genres différens. Les maguej ou metl que Ton cultive au Mexique , sont de nombreuses variétés de VJ gave americana , devenu si commun dans nos jardins, à fleurs jaunes, fasciculées et droites, à étamines deux fois plus longues que les découpures de la corolle. Il ne faut pas confondre ce metl AyeeV Agave cubensis ' de Jacquin ( fforibus ex albo viren- tibus , longe pamculatis , pendulis, staminibus corolla duplo brevioribus ) , que M. Lamarck a appelé A. mexicana, et que quelques bota- nistes, j’ignore pourquoi, ont cru être l’objet principal de la culture des Mexicains. Les plantations du maguej de pulcjue s étendent aussi loin que la langue aztèque. * Dans les provinees de Caracas et de Cuniana, l’Agave cubensis ( A. odorata Persoon ) s’appelle Maguey de Cocuy. J’en ai vu des hampes chargées de fleurs, de 12 à i4 mètres de hauteur. A Caracas, V Agave americana est nommé Maguey de Cocuiza. CHAPITRE IX. i55 Les peuples de race otomite , totonaque et mistèque ne sont pas adonnés à Yoctli , que les Espagnols appellent pulque. Sur le plateau central , on trouve à peine le maguey cultivé au nord de Salamanca. Les plus belles cul- tures que j’ai eu occasion de voir, sont dans la vallée de Toluca et dans les plaines de Cholula. Les pieds d’agave y sont plantés par rangées , à quinze décimètres de distance les uns des autres. Les plantes ne commencent à donner le suc, que l’on désigne par le nom de niiel^ à cause du principe sucré dont il abonde, que lorsque la hampe est sur le point de se développer : c’est pour cela qu’il est du plus grand intérêt pour le cultivateur, de connoître exactement l’époque de la flo- raison. Sa proximité s’annonce parla direction des feuilles radicales, quel Indien observe avec beaucoup d’attention. Ces feuilles, qui jusque là étoient penchées vers la terre, s’élèvent tout d’un coup; elles tendent à se rapprocher comme pour couvrir la hampe qui est prête à se former. Le faisceau des feuilles centrales ^ ((?/ corazon) devient en même temps dun vert plus clair , et s’allonge sensiblement. Les indigènes m’ont assuré qu’il est difficile de i56 livre IV, se tromper sur ces signes , mais qu’il j çn a cl autres non moins importans qu’on ne peut rendre avec précision, parce qu’ils appar- tiennent simplement au port de la plante. Le cultivateur parcourt journellement ses plan- tations d agave , pour marquer les pieds qui s’approchent de la floraison : s’il lui reste quelque doute, il s’adresse aux experts du village , a de vieux Indiens , qui , à cause d’une longue expérience, ont le jugement ou plutôt le tact plus sûr. Près de Gholula, et entre Toluca et Caca- numacan , unmaguej de huit ans donne déjà des signes du développement de sa hampe. G est le moment où commence la récolte du suc dont on fait le pulcjue. On coupe le corazon ou le faisceau des feuilles centrales, on élargit insensiblement la plaie, et on la couvre parles feuilles latérales, qu’on relève , en les rapprochant et en les liant aux extré- mités. G est dans cette plaie que les vaisseaux paroissent déposer tout le suc qui devoit former la hampe colossale chargée de fleurs. G’est une véritable source végétale qui coule pendant deux ou trois mois, et à laquelle l’Indien puise trois fois par jouh On peut CHAPITRE IX. I ^7 juger du mouvement plus ou moins lent de la sève, par la quantité de miel que Von tire du magiiej à différentes époques du jour. Com- munément mu pied donne, en vingt-quatre heures, quatre décimètres cubes ou 20opouces cubes , qui égalent huit quartillos. De cette quantité totale, on obtient trois quartillos au lever du soleil, deux a midi, et encore trois a six heures du soir. Une plante très-vigoureuse fournit quelquefois jusqu’à i5 quartillos, ou SjS pouces cubes par jour, pendant quatre à cinq mois , ce qui fait le volume énorme de plus de iioo décimètres cubes. Cette abon- dance de suc , produite par un maguej qui a à peine un mètre et demi de haut, est d au- tant plus étonnante, que les plantations d agave se trouvent dans les terrains les plus arides , souvent sur des bancs de rochers à peine couverts de terre végétale. La valeur d un pied de maguej qui est près de sa floraison , est, àPachuca, de 5 piastres, ou de 25 francs. Dans un terrain ingrat , l’Indien ne compte que i5o bouteilles par maguej, et lo à 12 sous la valeur du pulque fourni dans un jour. Le produit est inégal comme celui de la vigne, qui est tantôt plus, tantôt moins i58 LIVRE IV, chargée de grappes. J^ai cité plus haut, au sixième chapitre , 1 exemple d"une Indienne de Gholula, qui laissoit à ses enfans des plan- tations de maguej que Ton estimoit à soixante- dix ou quatre-vingt mille piastres. La culture de 1 agave a des avantages réels sur la culture du maïs, du ble et des pommes de terre. Cette plante , à feuilles rpides et charnues, ne craint ni la sécheresse, ni la grele, nilexces du Iroid qni régné en hiver sur les hautes Cordillères du Mexique. La tige périt après la floraison. Si on lui a ôté le faisceau des feuilles centrales, elle sèche après que le suc que la nature paroissoit avoir des- tiné à 1 accroissement de la hampe est entiè- rement épuisé. Une infinité de drageons naissent alors de la racine du pied qui vient de périr; car il n j a pas de plante qui se multiplie plus facilement. Un arpent de terrain renferme douze à treize cents pieds de magueyé Si le champ est d’ancienne culture, on peut estimer qu annuellement un douzième ou un quatorzième de ces plantes donne du mieL Un propriétaire qui plante 3o à 4o,ooo ma-- guey y est sur de fonder la richesse de ses enfans; mais il faut de la patience et du cou- CHAPITRE IX. i59 rage pour s'adonner à une culture qui ne commence à devenir lucrative que dans l’espace de quinze ans. Dans un bon terrain , l’agave entre eii floraison après cinq ans ; dans un terrain très-maigre , on ne peut s’attendre à la récolte qu’au bout de dix-huit ans. Quoi- que la rapidité de la végétation soit du plus grand intérêt pour les cultivateurs mexicains , ils ne tentent cependant pas d’accélérer ar- tificiellement le développement de la hampe en mutilant les racines, ou en les arrosant avec de l’eau chaude. On a reconnu que par ces moyens , qui afibiblissent la plante , on diminue sensiblement 1 affluence du suc vers le centre. XJn pied de est perdu, si, trompé par de fausses apparences , 1 Indien fait la plaie long-temps avant que les fleurs se seroient développées naturellement. Le miel ou suc de l’agave est d’un aigre- doux assez agréable. Il fermente facilement, à cause du sucre et du mucilage qu il contient. Pour accélérer cette fermentation , on y ajoute cependant un peu de pulejue vieux et acide, l’opération se termine dans l’espace de trois ou quatre jours. La boisson vineuse , qui ressemble au cidre, a une odeur de viande LIVRE IV,’ pourrie , excessivement désagréable. Les Eu- ropéens qui sont parvenus à vaincre le dégoût qu’inspire cette odeur fétide, préfèrent le pulque à toute autre boisson : ils le regardent comme stomacliique , fortifiant, et surtout comme très-nourrissant. On le recommande aux personnes trop maigres. J’ai vu des blancs qui, comme les Indiens mexicains, s abstenoient totalement de l’eau , de la bière et du vm, pour ne boire d’autre liquide que le suc de 1 agave. Les connoisseurs parlent avec enthousiasme du pulque qu’on prépare au village d’Hocotitlan , situé au nord delà ville de Toluca, au pied d’une montagne presque aussi élevée que le Nevado de ce nom. Ils assurent que l’excellente qualité de ce pulque ne dépend pas seulement de l’art avec lequel la boisson est préparée, mais aussi d un goût du terroir que prend le suc , selon les champs dans lesquels la plante est cultivée. Il y a près d’Hocotitlan des planta- tions de maguej ( haciendas de pulque ) qui rapportent annuellement plus de 4o,ooo livres de rente. Les habitans du pajs sont très- partagés dans leurs opinions sur la véritable cause de l’odeur fétide que répand le pulque. I. •y.m CHAPITRE IX. l6l On assure généralement que cette odeur, qui est analogue à celle des matières animales, est due aux outres dans lesquelles on renferme le suc frais de Tagave: mais plusieurs personnes instruites prétendent que le pulque préparé dans des pots a la même odeur, et que si on ne la trouve pas dans celui de Toluca , c'est que le grand froid du plateau j modifie la marche de la fermentation. Je n'ai eu con- noissance de cette dernière opinion qu’à l’époque de mon départ de Mexico ; de sorte que je dois regretter de n’avoir pu éclaircir, par des expériences directes, ce point curieux de la chimie végétale. Peut-être cette odeur provient-elle de la décomposition d’une ma- tière végéto-animale , analogue ^au gluten , contenue dans le suc de l'agave. La culture du maguey est un objet si im- portant pour le fisc , que les droits d'entrée payés dans les trois villes de Mexico , Toluca et Puebla, montèrent , en lygS , à la somme de 817,709 piastres. Les frais de perception étoient alors de 56, 608 piastres ; de sorte que le gouvernement tira du suc d’agave un profit net de 7Ci,i3i piastres, ou de plus de ^ 5,800,000 francs. Le désir d’augmenter les III. il i6:2 LIVRE IV 5 revenus delà couronne a fait, dans ces derniers temps , surcharger la fabrication du pulque d’une manière aussi vexatoire qu’inconsidérée* Il est temps que l’on change de système à cet égard , sans cela , il est à présumer que cette culture , une des plus anciennes et des plus lucratives, déclinera insensiblement, malgré la prédilection décidée qu’a le peuple pour le suc fermenté du maguey. On retire du pulque., par distillation, une eau - de - vie très - enivrante , qu’on appelle mexical ou aguardiente de magiiej. On m’a assuré que la plante que l’on cultive pour en distiller le suc, diffère essentiellement du maguey commun ou maguej de pulque. Ella m’a paru plus petite , et à feuilles moins glauques : ne l’ayant pas vue en fleur , je ne puis juger de la différence des deux espèces. La canne à sucre présente aussi une variété particulière à tige violette, qui est venue des côtes d’Afrique ( Caria de Guinea ) , et que ^ dans la province de Caracas, on préfère^ pour la fabrication du rhum , à la canne à sucre d’Otahiti. Le gouvernement espagnol, et surtout la real hacierida , sévit depuis long-temps contre le mexical ^ qui estsévè- CHAPITRE IX. i63 renient prohibé, parce cjue son usage nuit au commerce des eaux-de-vie d’Espagne. On fabrique cependant une énorme quantité de cette eau-de-vie de maguey dans les inten- dances de Valladolid , de Mexico et de Durango , surtout dans le nouveau royaume de Léon. On peut juger de la valeur de ce trafic illicite, en considérant la disproportion qui règne entre la population du Mexique et l’importation des eaux-de-vie d’Europe , qui se fait annuellement par la Vera-Cruz. Toute celte importation ne s’élève qu’à 52,000 barils. Dans quelques parties du royaume , par exemple dans les piwincias internas, et dans le district de Tuxpan, ap- partenant à l’intendance de Guadalaxara , on a commencé depuis quelque temps à per- mettre la vente publique du mexical , en chargeant cette liqueur d’un léger impôt. Cette mesure, qu’on devroit rendre générale, a été profitable au fisc , en même temps qu’elle a fait cesser les plaintes des habitans. Mais le maguey n’est pas seulement la vigne des peuples aztèques , il peut aussi remplacer le chanvre de l’Asie et le roseau à papier ( Gyperus papyrus ) des Egyptiens. Le papier U* l64 LIVRE IV 5 sur lequel les anciens Mexicains peignoient leurs figures hiéroglyphiques , étoit fait des fibres des feuilles d'agave, macérées dans de l’eau , et collées par couches comme les fibres du Gyperus de l’Egypte et du mûrier (Brous- sonetia) des îles de la mer du Sud* J’ai rapporté plusieurs fragmeiis de manuscrits aztèques ' écrits sur du papier de maguey, et d’une épaisseur si diiTérente , que les uns res- semblent au carton , et les autres au papier chinois. Ces fragmens sont d’autant plus in- téressans , que les seuls hiéroglyphes qui existent à Vienne, à Rome et à Veletri, sont écrits sur des peaux de cerfs mexicains. Le fil que l’on retire des feuilles du maguey est connu en Europe sous le nom de fil de pite , et les physiciens le préfèrent à tout autre , parce qu’il est moins sujet à se tordre : il résiste moins cependant que celui que l’on prépare avec les fibres du Phormium. Le suc {xugo de cocujzd) que donne l’agave lorsqu’il est encore éloigné de l’époque de sa floraison, est très-âcre , et employé avec succès corhme caustique, pour nettoyer les plaies. Les épines i65 CHAPITRE IX. qm terminent les feuilles servoient jadis , comme eelles des cactus , d’épingles et de clous aux Indiens. Les prêtres mexicains s’en perçoient les bras et la poitrine , dans des actes d’expiation analogues à ceux des Buddhistes de l’Indoustan. On peut conclure de tout ce cpie nous venons de rapporter sur l’usage des différentes parties du maguej^ qu’après le maïs et la pomme de terre ^ cette plante est la plus utile de toutes les productions que la nature a accordées aux peuples montagnards dël Amé- rique équinoxiale. Quand les entraves que le gouvernement a mises jusqu’ici à plusieurs branches de 1 in- dustrie nationale seront écartées ; quand l’agriculture mexicaine ne sera plus enchaînée parmi système d’administration qui appauvrit les colonies sans enrichir la métropole , les plantations de maguey seront peu à peu rem- placées par des vignobles. La culture de la vigne augmentera surtout avec le nombre des blancs, qui consomment une grande quantité de vins d’Espagne , de France , de Madère et des îles Canaries. Mais dans 1 état actuel des choses , la vigne ne peut presque pas etre i66 LIVRE IV,’ comptée parmi les richesses territoriales dû Mexique , tant la récolté en est peu considé- rable. Le raisin de la meilleure qualité est eelui de Zapotitlan , dans l’intendanee d’Oaxaca. Il y a aussi des vignobles près de Dolores et San Luis delà Paz, au nord de Guanaxuato, et dans les provincias internas , près de Parras et du Passo del Ncrte. Le vin du Passa est très-estimé , surtout celui des terres du mar- quis de San Miguel. Il se conserve pendant un grand nombre d’années , quoiqu’il soit préparé avec peu de soin. On se plaint dans le pays de ce que le moût récolté sur le plateau fermente difficilement. On a la cou- tume d’ajouter au suc du raisin, de Xarope y c’est-à-dire une petite quantité de vin auquel on a mêlé du sucre, et qui, parle moyen de la cuisson , a été réunit en sirop. Ce procédé donne aux vins mexicains un petit goût de mont cju ils perdroient si 1 on étudioit davan- tage 1 art de faire le vin. Lorsque , par la suite des siècles , le nouveau continent , jaloux de son indépendance , voudra se passer des pro- ductions de l’ancien , les parties montueuses et tempérées du Mexique , de Guatimala , ' de la Nouvelle - Grenade et de^ Caracas , CHAPITRE IX. 167 pourront fournir du vin à toute 1 Ainericjue septentrionale : elles deviendront pour cette dernière, ce que la France, l’Italie et lEs- pagne sont depuis long-temps pour le nord de l’Europe. i68 tIVRE ÏV, CHAPITBE X. Plantes cjuij'ournissent les niatièves premières aux manuj^actures et au commerce, — Éducation des bestiaux. — Pêche. — Pro- duit de V agriculture , estimé d’après la valeur des dîmes. Quoique l’agriculture mexicaine , comme celle de tous les pays qui suffisent eux- mêmes aux tesoins de leur population , soit dirigée principalement vers les plantes ali- mentaires , la Nouvelle-Espagne n’en est pas moins riche en denrées appelées exclusive- ment coloniales j c’est-à-dire en productions qui fournissent des matières brutes au com- merce et à l’industrie manufacturière de l’Europe. Ce vaste royaume réunit , sous ce point de vue , les avantages de la Nouvelle- Angleterre à ceux des îles Antilles. Il corn- mcncç surtout a rivaliser avec ces îles , depuis que la guerre civile de Saint-Domingue et CHAPITRE X. 1^9 la dévastation des sucreries françoises ont rendu plus profitable la culture des denrées coloniales sur le continent de l’Amérique. On observe même qu’au Mexique cette cul- ture a fait des progrès bien plus considérables que celle des céréales. Dans ces climats , la même étendue de terrain , un arpent de 5368 mètres carrés , par exemple , rend au cultivateur pour 8o à loo francs de froment , pour 260 de coton j et pour 4^0 de sucre . D’après cette énorme différence dans la valeur des récoltés , on ne doit pas s etonner que le colon mexicain préfère les denrées coloniales à l’orge et au froment de l’Europe. Mais cette prédilection ne parviendra pas à troubler l’équilibre qui existe jusqu’à ce jour entre les différentes branches de 1 agriculture, parce que , heureusement , une grande partie de la Nouvelle-Espagne, située sous un climat ^ Cette évatoat'ion est celle que les colons regardent comme la plus exacte à la Louisiane , dans les terres qui avoisinent la ville duîJouvel-Orléans. Onycompte 20 bushels de froment , 25o livres de coton , 1000 liv. de sucre par acre. C’est le produit moyen ; mais 1 on conçoit facilement combien les' circonstances locales doivent modifier ces résultats. tIVRE IV, plus froid que tempéré , n’est pas propre â produire du sucre, du café, du cacao , de l’indigo et du coton. La culture de la canne à sucre a fait des progrès si rapides dans ces dernières années, que 1 exportation du sucre par le port de Vera - Gruz est actuellement de plus d’un demi-million d’arrobes, ou de 6,200,000 kilo- grammes , qui , à trois piastres l’arrobe , équivalent à sept millions et demi de francs. JNous avons déjà observé plus haut que les anciens Mexicains ne connoissoient que le sirop de miel d’abeilles , celui du met/ (agave), et le sucre de la canne de maïs. La canne à sucre, dont la culture est de la plus haute antiquité aux Grandes Indes, en Chine ‘ et dans les îles de la mer du Sud , fut introduite par les Espagnols , des îles Canaries à l’île de * Je SUIS même porté à croire que le procédé dont nous nous servons pour faire le sucre , nous est venu de lAsie orientale. J’ai reconnu à Lima, dans des peintures chinoises qui représentent les arts et métiers, les cylindres posés de champ , et mis en mouvement par une machine à molette , les 'équipages de chau- dières , et des purgeries telles que l’on en voit aujour- d’hui dans les îles Antilles, CHAPITRE X. I7Î Saint-Domingue , d’où elle passa successive- ment à 1 ile de Cuba et à la Nouvelle-Kspagne. Pierre d’Atienza planta les premières cannes à sucre, à peu près en l’année 1620 dans les environs de la ville de la Conception de la Vega. Gonzalo de Velosa construisit les premiers cylindres; et en i535, on compta dans l’île de Saint-Domingue plus de trente sucreries , dont plusieurs étoient servies par cent esclaves nègres , et avoient coûté dix à douze mille ducats en frais de construction. C’est une chose qui mérite d’être observée , que , parmi ces premiers moulins à sucre ( ), construits par les Espagnols au commencement du seizième siècle , il y en avoit déjà qui étoient mis en mouvement non par des chevaux , mais par des l'oues hydrau- liques , quoique ces mêmes moulins à eau (trapiclies ou molinos de agua^ aient été in- troduits de nos jours à l’île de Cuba, comme une invention étrangère, par des réfugiés du cap François. > Non en i5o6, comme on dit généralement. Oviedo, qui vint en Amérique en i5i3, dit claire- ment qu’il a vu établir les premières sucreries à Saint- Domingue. {liistoTici natiiral de bib. I V, c, 8.) ^7^ jLivre IV, En i553, l’abondance du sucre étoit déjà « grande au Mexique , qu’on en exporta, de Vera-Cruz et d’Acapulco, en Espagne et au erou . Cette dernière exportation a cessé depuis long-temps, le Pérou produisant au- jourd hui plus de sucre qu’il n’en faut pour sa consommation. Comme la population de la Nouvelle - Espagne est concentrée dans 1 intérieur du pays, on trouve moins de sucreries le long des côtes, où les grandes ' " Outre l’or et l’argent, le Mexique fournit aussi « beaucoup de sucre et de cochenille, deux marchan- « dises très-précieuses, des plumes et du coton. Peu «t debâdraens d’Espagne retournent sans chargement, « ce qui n’est pas le cas au Pérou , qui cependant a la « fausse réputation d’être plus riche que le Mexique : « aussi celte dernière région a conservé un plus grand « nombre de ses habitans. C’est un beau pays, très- « populeux , auquel rien ne manqueroit s’il y pleuvoit « plus souvent. La Nouvelle-Espagne envoie au Pérou « des chevaux, de la viande de bœuf et du sucre.» Ce passage remarquable, de Lopez de Gomara, qui peint SI bien l’état des colonies espagnoles au milieu du seizième siècle, ne se trouve que dans l’édition de la Conquifsta de M exico , publiée à Médina del Campa > i553 , fol. iJg. Il manque dans la traduction françoise, imprimée à Paris en 1587, P* 191* l '4f îiJ CUAPinXE X. 170 chaleurs et l’abondance des pluies pourroient favoriser la culture de la canne à sucre, que sous la pente des Cordillères , et dans les parties plus élevées du plateau central. Les plantations principales sont dans 1 intendance de Vera-Cruz , près des villes d’Orizaba et de Cordova ; dans l’intendance de Puebla , près de Guautla de las Amilpas, au pied du ' volcan de Popocatepetl ; dans l’intendance de Mexico , à l’ouest du Nevado de Toluca, et au sud de Cueriiavacca, dans les plaines de San Gabriel; dans l’intendance de Gua- naxuato, près de Celaya, Salvatierra et Penjamo , et dans la vallée de Santiago ; dans les intendances de Valladolid et de Guada- laxara , au sud - ouest de Pazcuaro et de Tecolotlan. Quoique la température moyenne qui convient le mieux à la canne a sucre soit de 24'’ ou 25“ centigrades, cette plante peut encore être cultivée avec succès dans des endroits où la chaleur moyenne de l’annee n’excède pas 19“ ou 20“. Or , le décroissement du calorique étant à peu près d’un degré du thermomètre centigrade ', pour 200 mètres 1 Voyez mon Mémoire sur les réfractions , Hans mon Recueil d’ Observations asti owmiques , T. I, p- 107- ^ 74 LIVRE IV , d élévation, on trouve généralement, sous les tropiques, sur la pente rapide des mon- tagnes , eette température moyenne de 20° à looo mètres d’élévation au-dessus du niveau de 1 Océan. Sur .des plateaux d’une grande etendue, la réverbération du sol augmente tellement la chaleur , que la température moyenne de la ville de Mexico est de 170 au lieu de 100,7; celle de Quito, de i5o,8 au lieu de 11 «,5. II résulte de ces données , que, sur le plateau central du Mexique, le maximum de hauteur à laquelle la canne à sucre végète vigoureusement sans soulFrir par les gelées d’hiver , n’est pas de 1000, mais de i4oo cà i5oo mètres. Dans des expositions hivorables, surtout dans les vallées abritées par des montagnes contre les vents du nord, la limite supérieure de la culture du sucre s’élève même jusqu’au delà de 2000 mètres. En effet, si la hauteur des plaines de San Gabriel , qui contiennent plusieurs belles sucreries, n’est que de 980 mètres, d’un autre côté, les environs de Celaya, Salvatierra, Ira- puato et Santiago ont au delà de 1800 mètres d élévation absolue. On m’a assuré que les plantations de cannes à, sqcre de Rio Verde , CHAPIïUE X. 175 situées ou nord de Guonoxuoto ^ sous les 22<>5o' delcitilude, se trouvent à 2 200 mètres d élévation , dans une vallée étroite , entourée de hautes Cordillères , et si chaude que les habitans y soulFrent souvent de fièvres in- termittentes. J’ai découvert, en examinant le testament de Corlez b que du temps de ce grand homme , il y avoit des sucreries près de Cuyoacan , dans la vallée de Mexico. Ce fait curieux prouve , ce qui est indiqué par plusieurs autres phénomènes , que cette vallée est plus froide de nos jours quelle ne Fétoit au commencement de la conquête , parce qu’alors un grand nombre d arbres diminuoient FelFet des vents du nord, qui soufflent aujourd’hui avec impétuosité. Les personnes accoutumées à voir les plantations de cannes à sucre dans les îles Antilles , ap- 1 (( J’ordonne que Ton examine si dans mes estados « on a pris des terres aux naturels pour les planter « en vignes ; je veux aussi que l’on fasse des perqul- « sitions sur le terrain que }’ai donné , dans ces der- « nières années , à mon domestique Bernardino del « Castillo , pour y établir une sucrerie près de Cujoa- (( can. )) ( Testament manuscrit de Jiernan Cortez ^ fait à Séville , le août i548 , art. 48. ) ^7^ livre IV 5 })reiKiront avec le même étonnement que , clans le rojaume de la NouveJle-Gieiuide , la plus grande quantité de sucre est récoltée non dans les plaines ^ sur les bords de la rivière de la Madeleine, mais sur la pente des Cor- dillères, dans la vallée de Guaduas, sur le chemin de Honda à Santa-Fe, dans un terrain c[ui , selon mes mesures barométriques, a depuis 1200 jusqu à 1700 mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer. ^introduction des Nègres n a heureuse- mentpas augmenté au Mexique dans la même proportion que la production du sucre. Quoiqu’il y ait dans l’intendance dePuebîa^ près de Guautla de las Amilpas , des plan- tations {Iiaciendas. de caiid) qui en fournissent par an au delà de vingt ou trente mille ar- robes * ( 5oo,ooo à 760,000 kilogrammes)^ presque tout le sucre mexicain est fabriqué par les Indiens , et par conséquent par des ^ Ce produit est très-considéraLle : il n’existe dans l’ile de Cu}3a qu’une seule plantation, celle du marquis del Arcos, appelée Rio Blanco ^ entre Xaruco et Matanzas, qui produise annuellement 4o,ooo arrobes de sucre. Il n’y en pas huit qui , dix aimées de suite , aient fourni 55, 000. CUAPITRE X. 177 mains libres. Il est facile de prévoir que les petites îles Antilles , malgré leur position favorable au commerce, ne pourront pas long-temps soutenir la concurrence des co- lonies continentales, si ces dernières continuent à se livrer avec la même ardeur à la culture du sucre , du café et du coton. Dans le monde physique , comme dans le monde moral , tout finit par rentrer dans Tordre prescrit par la nature ; et si de petits îlots , dont on a exterminé la population , ont fait jusqu’ici un commerce plus actif de leurs productions que le continent voisin , ce n^'est que parce que les habitans de Cumana , de Caracas, de la Nouvelle-Grenade et du Mexique ont commencé très-tard à profiter des avantages immenses que la nature leur a accordés. Sorties d’une léthargie de plusieurs siècles , débarrassées des entraves qu’une fausse poli- tique mettoit aux progrès de l’agriculture, les colonies espagnoles du continent s’em- pareront peu à peu des differentes branches de commerce des îles Antilles.Ce changement, préparé par les événemens de St.-Domingue, aura l’influence lapins heureuse sur la dimi- nution de la traite des Nègres. L’humanité ITI. i2 soulFrante devra à la marche naturelle des choses ce quelle auroit eu droit d’attendre de la sagesse des gouvernemens européens. Aussi les colons de la Havane , très-instruits sur leurs véritables intérêts, ont les yeux fixés sur les progrès de la culture du sucre au Mexique , et de celle du cafier à Caracas. Ils craignent depuis long - temps la rivalité du continent , surtout depuis que le manque de combustibles et l’excessive cherté des vivres, des esclaves , des ustensiles métalliques et des bestiaux nécessaires à une sucrerie, ont diminué considérablement le revenu net des plantations. La Nouvelle - Espagne , outre l’avantage de sa population, en a encore un autre très- important , celui d’une masse énorme de capitaux amoncelés chez les propriétaires des mines , ou entre les mains de négocians qui se sont retirés du commerce. Pour sentir 1 importance de cet avantage , il faut se rap- peler qu’à l’île de Cuba l’établissement d’une grande sucrerie , qui par le travail de 5oo Nègres, rend annuellement 600,000 kilo- grammes de sucre, exige des avances de deux millions de livres tournois , et qu’elle CHAPITRE X. Ï79 rapporte 3oo,ooo à 35o,ooo livres de revenus. Le colon mexicain peut choisir le long* des cotes et dans des vallées plus ou moins pro- fondes, le climat qui convient à la culture de la canne à sucre ; il a moins à redouter FefFet des gelées que le colon de la Louisiane. Mais la configuration extraordinaire du sol delà Nouvelle-Espagne met de fortes entraves aux transports du sucre à la Vera-Cruz. Les plantations qui existent aujourd’hui, sont la plupart très-éloignées de la côte opposée à l’Europe. Le pays n’ayant encore ni canaux ni route propre au charriage , le fret des mules augmente le prix du sucre à la Vera-Cruz, d’une piastre par arrobe, ou de huit sous par kilogramme. Ces entraves seront diminuées de beaucoup par les chemins quel’on construit en ce moment de Mexico à la Vera-Cruz, par Orizaba et par Xalapa, le long de la pente Orientale des Cordillères. Il est probable aussi que les progrès de l’agriculture colo- niale contribueront à peupler le littoral de la Nouvelle-Espagne, qui, depuis des siècles, est resté inculte et désert. On observe au Mexique que le vezou , ou le suc exprimé de la canne à sucre , est i8o LIVRE IV, plus ou moins sucré, selon que la plante croît dans la plaine ou sur un plateau élevé. La même dilFérence existe entre la canne cultivée à Malaga , aux îles Canaries et r la Havane. Partout 1 élévation du sol produit les mêmes effets sur la végétation , que la différence de latitude géographique. Le climat influe aussi Sur la proportion qui existe entre les quan- tités de sucre liquide et de sucre cristallisable contenus dans le jus de canne ; car quelquefois le vezou a une saveur très-douce, et ne cris- tallise cependant que très-diffieilement. La composition chimique du vezou n’est pas toujours la meme , et les belles expériences de M. Proust ont répandu un grand jour sur des phénomènes que présentent les ateliers de l’Amérique , et dont plusieurs font le désespoir des raffineurs de sucré. D après des calculs exacts que j’ai faits à lile de Cuba je trouve qu’un hectare de terrain donne, en terme moyen, douze mètres cubes de vezou , dont on retire , par les procédés usités jusqu’à ce jour , et dans lesquels beaucoup de matière sucrée est dé- composée par le feu , tout au plus dix à douze pour cent, ou i5oo kilogrammes de sucre / CHAPITRE X. l8l brut. Ou compte à la Havane et dans les parties chaudes et fertiles de la Nouvelle- Espagne , qu’une cahallena de terre qui a i8 cordeles ( à 24 varas ) eu carré , ou 1 53^5 17 mètres carrés ^ rend annuellement 2000 arrobes y ou 26,000 kilogrammes. Le produit moyen n’est cependant que de i5oo arrobes, ce qui fait iZ^oo kilogrammes de sucre par hectare. A Saint-Domingue , on évalue le produit d’un carreau de terre qui a 54o3 toises , ou 12,900 mètres carrés , à 4ooo livres, ce qui fait aussi i55o kilo- grammes par hectare. Telle est, en général, la fertilité du sol de l’Amérique équinoxiale , que tout le sucre consommé en France , et que j’évalue à vingt millions de kilogrammes % pourroit être produit sur un terrain de sept lieues carrées , étendue qui n’est pas la 1 La France liroit de ses colonies , en 1788 , un total de 872,867 quintaux de sucre brut , 768,566 de sucre terré , et 242,074 de sucre tête. Sur cette quantité , on ne consommoit , d’après M. Peucliet, dans le royaume même , que 454, 000 quintaux de sucre raffiné. Les listes publiées sous le ministère de M. Chaptal , nous apprennent que l’importation du sucre s’élevoit en France, en l’an 9, à 5i5,ioo quintaux. ^^2 LIVEE IV, trentième partie du plus petit département de la France. Dans des terrains qui peuvent être arrosés, et dans lesquels des plantes à racines tubé- reuses, par exemple des bâtâtes et des ignames, ont précédé la culture de la canne à sucre, le produit annuel s’élève jusqu’à trois ou quatre mille arrohes par cahalleria , ou à 2100 et 2800 kilogrammes de sucre brut par bectare. Or, en évaluant une arroba à trois piastres , ce qui est le prix moyen à Vera- Gruz , on trouve, d’après ces données , qu’un hectare de terrain arrosé, peut rendre pour 25oo ou 5400 livres tournois de sucre ; tandis que le même hectare ne produiroit que pour 260 livres de froment , en supposant une' récolte décuple, et la valeur de cent kilo- grammes de froment à seize livres tournois. En comparant ces deux genres de culture, il ne fautpas oublier que les avantages qu’offre la canne à sucre sont singulièrement diminués par les avances énormes qu’exige l’établisse- ment d’une sucrerie, La majeure partie du sucre que produit la Nouvelle-Espagne, est consommée dans le pajs même. Il est probable que cette con- CHA^PITRE X. l83 soïfliîicition s'élève a plus de 16 millions de kilogrammes; car celle de l’île de Cuba est indubitablement de 26 à3o,ooo caisses {caxas) à 16 avrobes ou 200 kilogrammes. Ceux qui n’ont pas vu de leurs yeux quelle énorme quantité de sucre on consomme dans l’Amé- rique espagnole» même dans les familles les moins aisées , doivent être étonnés que la France entière exige»pour ses propres besoins seulement, trois ou quatre fois autant de sucre que l'île de Cuba , dont la population libre n’excède pas le nombre de 34o,ooo habitans. J’ai tâché de réunir dans un seul tableau l’exportation du sucre de la Nouvelle-Espagne et celle des Antilles. Il m’a été impossible de réduire toutes les données à une meme époque. Je n’ai pu me procurer des notions certaines sur le produit actuel des sucreries des îles angloises , qui a prodigieusement augmenté. L’île de Cuîja a exporté en i8o3, parle port de la Havane ^ 168^000 caxas ^ par le port de la Trinité et par Santiago de Cuba, y compris la contrebande ^ 3ooo caxas/ d’où il résulte : i84 tIVRE IV Exportation totale du sucre de l’île de Cuba. Exportation du sucre de la Nouvelle-Espagne, 5oo,ooo arrobas, en i8o3 Exportation de la Jamaïque , en 1788 Exportation des îles ■ Vierges ' angloises et d’Antigua, en 1788 Exportation de St.-Domingue , en 1788, en 1799. Je pense que l’on peut admettre que toutes les îles de l’Amérique fournissent actuelle- ment à l’Europe au delà de 200 millions de kilogrammes de sucre brut, dont la valeur, dans les colonies mêmes , est de 4o millions de piastres , ou de plus de 200 millions de livres tournois, en évaluant chaque caisse ( caoca ) à 4o piastres fortes. Trois causes ont concouru à empêcher que le prix de cette denrée coloniale n’ait augmenté depuis la destruction des plantations de St.-Domingue ; savoir : 1 introduction de la canne à sucré CHAPITRE X. i85 d’Otahiti , qui , sur la même étendue *de terrain , donne un tiers de vezou de plus que la canne . commune ; les progrès de l’agriculture sur les côtes du Mexique, de la Louisiane , de Caracas , de la Guajane hollandoise et du Brésil ; enfin l’importation du sucre des Grandes Indes en Europe. C’est cette importation surtout qui mérite de fixer l’attention de ceux qui réfléchissent sur la direction future du commerce. H y a à peine dix ans que le sucre du Bengale étoit aussi peu connu au grand marché de l’Europe, que le sucre de la Nouvelle - Espagne , et déjà l’un et l’autre rivalisent avec le sucre des Antilles. Les États - Unis ont reçu du sucre de l’Asie : En 1800. En 1801. En 1802. De Manille ..... kilogv. 216,452 kÜogr. 4o3,389 kiJogr. 646,46 1 De la Chine et des Grandes Indes .^10,020 087,204 574,g.’5t( Totae. . . . 526^472 790,593 1,221,4oO i86 tIVEE IV, La grande fertilité du sol, jointe à une population immense , donne au Bengale de si grands avantages sur tous les autrL pays du globe, que le sucre exporté de Calcutta , après avoir fait un trajet de 6200 lieues, est encore à New-Yorck à plus bas prix que le sucre de la Jamaïque, qui n’a à parcourir qu une distance de 860 lieues. On sera moins étonné de ce phénomène , sil’on jette les yeux sur le tableau que j’ai présenté plus haut, du prix de la journée ' dans les différentes parties du monde, et si l’on se rappelle que le sucre de 1 Indoustan , qui cependant n’est pas d’une g:rande pureté , est fabriqué par des mains libres , tandis qu’aux îles Antilles ( à l’île de Cuba, par exemple ) il faut, pour produire 25o,ooo kilogrammes de sucre * D’après M. 'Plajîair {Statistical Brevtary , 1801 , P-6o. ), le prix de la journée {price of labour) au Bengale est comme il suit : un simple ouvrier gagne par mois 1 a shelling ; un porteur , i5; un maçon, 18 1; un forgeron ou un charpentier, 22 un soldat in- dien , 20 ; le tout dans les environs de Calcutta , et en comptant le shelling anglois à 25 sous de France, et la roupie à 2 ^ shellings. ( Vojez plus haut , T, II , p. 345, et p. io5 de ce volume.) CHAPITRE X. 187 brut, 200 Nègres, dont l’achat coûte plus de 5oo,ooo francs. Dans cette même île l’entretien d’un esclave s’élève à plus de 20 francs par mois. D’après les renseigneinens curieux que M. Bockford a donnés dans ses Récréations indiennes, imprimées à Calcutta, la canne à sucre est cultivée principalement au Ben- gale , dans les districts de Peddapore, de Zemindar, dans le Delta de Godaverv, et sur les rives du fleuve Elyseram. On y arrose les plantations , comme c’est aussi l’usage dans plusieurs parties du Mexique et dans la vallée des Guines, au sud-est de la Havane. Pour empêcher que le sol ne soit épuisé , on lait alterner la culture des plantes légumineuses avec celle de la canne à sucre , qui a géné- ralement trois mètres d’élévation , et trois à quatre centimètres de grosseur. Au Bengale , un acre ( de 5368 mètres carrés ) rend 2600 kilogrammes de sucre , ce qui fait 46^0 kilo- grammes par hectare : le produit du sol est par conséquent plus grande du double qu aux îles Antilles; tandis que le prix de la journée de l’Indien libre est presque trois fois moindre que le prix de la journée du Nègre esclave I.IVRE IV, de l’ile de Cuba. Au Bengale, six livres de jus de canne donnent une livre de sucre cristallisé, tandis qu’à la Jamaïque il en faut huit livres pour produire la même quantité de sucre. En considérant le vezou comme un liquide chargé de sel, on trouve qu’au Bengale ce liquide contient i6, à la Jamaïque 12 pour cent de matière sucrée : aussi le sucre des Grandes Indes est à si bas prix, que le cultivateur le vend à 4 f roupies le quintal, ou à 26 centimes le kilogramme,- ce qui est à peu près le tiers de la valeur de cette denrée au marché de la Havane. Quoique la culture de la canne à sucre se propage au Bengale avec une rapidité étonnante, le produit total en est encore beaucoup moindre que celui du Mexique. M. Bochford suppose que lax récolte de la Jamaïque est quadruple de celle du Bengale. Le coton est une de ces plantes dpnt la culture, parmi les peuples aztèques, est aussi ancienne que celle de la pite, du maïs et du quinoa. Il y en a de la plus belle qualité sur les cotes occidentales , depuis Acapulco jusqu à Golima , et au port de Guautlan , sur- tout au sud du volcan de Jorullo , entre les CHAPITRE X. 189 villages de Petatlan , Teipa et Atoyaque. Gomme on n’y connoît point encore les machines qui servent à séparer le coton de sa g’raine , la cherte du fret entrave beaucoup cette branche de I agriculture mexieaine. Une anv/je de coton {algodon conpeppa), dont le prix à Teipa est de 8 francs , en coule ^ i5 à Valladolid , à cause du transport à dos de mulets. La partie de la côte orientale qui s’étend depuis les bouches des rivières de Guasacualco et d Aivarado jusqu a Panuco , pourvoit fournir au commerce de Vera-Cruz une énorme quantité de coton ; mais ce littoral est presque inhabité, et le manque de bras y cause une cherté de vivres contraire à tout établissement d’agriculture. La Nou- YgPe _ Espagne ne fournit annuellement à l’Europe que 26,000 arrobes, ou 3 12,000 kilo- grammes de coton. Cette quantité, quoi- que peu considérable en elle - même , est cependant déjà le sextuple de celle que ( d’après des renseignemens que je dois à l’obligeante bonté de M. Gallatin , ministre des finances à Washington) , les États-Unis exportoient en 1791, de leur propre cru. Mais la rapidité avec laquelle augmente 1 in- ^90 livre IV, dustrie chez un peuple libre et sagement gouverné, est si grande, que, d’après une note qui ni a été fournie par ce même homme detat, les ports des États-Unis ont exporté : Coton indigène Coton étranger. En 1797, 2,5oo,ooo liv 1,200,000 liv. 1800, 3,660,000 14,120,000 1802, 5,400,000 24,100,000 1803, 3,495,544 37,712,079 Il résulte de ces données de M. Gallatin , qu en douze ans la produetion du coton est devenue 377 lois plus grande. En comparant là position physique du Mexique à celle des Etats-Unis , on ne peut douter 'que ces deux pays , à eux seuls , pourront un jour produire tout le coton en laine que l’Europe emploie dans ses manufactures. Les négocians éclairés qui composent la chambre de commerce de Pans, ont affirmé, dans un mémoire imprimé il y a peu d années , que l’importation totale du coton en Europe est de trente millions de kilogrammes. J’incline à croire que cette évaluation est de beaucoup trop foible ; car les États-Unis seuls exportent annuellement CHAPITRE X. 19 I pliis de vingt-deux millions de kilogrammes de eoton en laine, qui équivalent à 7,920,000 dollars , ou à près de quarante millions de livres tournois. Le lin et le chanvre pourroient être cul- tivés avee avantage partotit où le climat ne permet pas la culture du coton,, comme dans les provincias internas, et même dans la région équinoxiale , sur des plateaux dont la tem- pérature moyenne est au-dessous de quatorze deo-rés du thermomètre centigrade. L’abbé ^ . -I ' Clavigero avance que le lin est sauvage dans Fintendance de Valladolid et au Nouveau- Mexique ; mais je doute fort que cette as- sertion soit fondée sur Fobservation exacte d’un botaniste voyageur. Quoi qu’il en soit , il est bien certain que jusqu’à ce jour ni le chanvre ni le lin ne sont cultivés au Mexique. L’Espagne a eu quelques ministres éclairés qui ont voulu favoriser ces deux branches de l’industrie coloniale : cependant cette faveur n’a jamais été que passagère. Le conseil des Indes , dont l’influence est durable comme celle de tout corps dans lequel les mêmes principes se perpétuent, a constamment voulu que la métropole s’opposât à la culture du *9^ livre IV, chanvre , du lin, de la vigne, de l’olivier et du mûrier. Peu éclairé sur ses vrais intérêts , le gouvernement a mieux aimé voir vêtu le peuple mexicain de toiles de coton achetées a Mamlle et à Canton, ou importées à Cadix par des vaisseaux anglois, que de protéger les manufactures de la Nouvelle-Espagne. Ou peut espérer que la partie montueure de la Sonora , l’intendance de Durango et le Nou- veau-Mexique , rivaliseront un jour dans la production du lin avec la Galice et les As- turies. Quant au chanvre, il seroit important de ne pas introduire au Mexique l’espèce européenne , mais celle qui est cultivée en Chine ( Cannabis indien ) , et dont la tige acquiert cinq à six mètres de hauteur. Il est à présumer d’ailleurs que la culture du chanvre du lin ne s’étendra que très-difficilement dans cette région du Mexique où le cotonnier donne en ahondance. Le roui exige plus de soin et de travail que la séparation du coton de sa graine ; et dans un pays où il y a peu de bras et beaucoup de paresse ^ le peuple préfère une culture dont le produit est d’un emploi prompt et facile. La culture du cafier n’a commencé à l’îîe ' CHAPITRE X. 193 de Cuba et dans les colonies espagnoles du conlinent , cfue depuis la destruction des plan- tations de Saint-Domingue En i8o4, Die de Cuba produisit déjà 12,000; la province de Caracas près de ,0000 quintaux. La Nou- velle-Espagne a des sucreries plus multipliées et plus considérables que la Terre-Ferme ; mais la production du café y est encore nulle, quoiqu’on ne puisse ‘douter que cette culture réussiroit parfaitement dans les régions tem- pérées , surtout à la hauteur des villes de ^ La partie françoise de Saint-Domiogue ne pro- duisit^ en 1783 ; que 445^734 quintaux de café; mais, cinq ans plus tard , elle en produisit y 62^865, Cepen- dant le prix, en 1783, étoit de 5o fr. le quintal, et en 1788 , de 94 fr. ; ce qui prouve combien l’usage du café s’est étendu en Europe, malgré l’augmentatioa du prix. L’Yemen fournit annuellement , d’après Raynal, i3o,ooo; d’après M. Page, i5o,ooo quin- taux , qui sont exportés presque tous en Turquie, en Perse et aux Indes. Les îles de France et de Bourbon en donnent 45, 000 Cjuintaux. Il me paroît, d’après les notions que j’ai tâché de me procurer, que l’Europe entière consomme actuellement par an près de cm- quante-trois millions de kilogrammes de café.^ Un, cafier donne , en bonne terre , 1 kilogramme de café , et l’on plante 960 pieds sur un hectare de terrain, III, i3 104 livre IV, Xalapa et de Chilpansingo. L’usage du café est encore si rare au Mexique, que tout le pays n’en consomme annuellement que quatre ou cinq cents quintaux; tandis que la con- sommation de la France, dont la population est à peine cinq fois plus grande que celle de la Nouvelle-Espagne , s’élève à peu près à 23o,ooo quintaux. La culture du cacaoyer ( cacari ou cacava (juahuitl ) étoit déjà très - répandue au Mexique du temps de Montezuma ; et c’est là que les Espagnols apprirent à connoître cet arbre précieux qu’ils ont transplanté dans la suite aux îles Canaries et aux Philippines. Les Mexicains préparoient une boisson ap- pelée chocolatl y dans laquelle un peu de farine de maïs , de la vanille ( tlilæochitl ) et le fruit d’une espèce de piment {mecaxochitl) étoient mêlés au cacao ( cacahuatl ‘ ). Ils ^Hernandez, Lib. Il, c. i5; Lib. III, c, 46; Lib. V, c. i3. On distinguoit, du temps d’Hernandez, quatre variétés de cacao, appelées quauhcahuatl , mecacaJiuatl , xochicucaliuatl et tlalcacahuatL Cette dernière variété avoit le grain très-petit: Farbre qui la produisoil étoit sans doute analogue au cacaoyer que iîous avons trouvé sauvage sur les rives de FOrénoque , . CHAPITRE X. 1q5 saToienl même réduire le chocolat en ta- hletteSj et cet art ^ les instrumens dont on se servoit pour moudre Je cacao, de même que le mot de chocolutl ^ ont passe du ]^^exlque en Europe. On en est d’autant plus étonné de voir aujourd’hui la culture du cacaoyer presque totalement négligée. A peine trouve- t-on quelques pieds de cet arbre dans les environs de Colima et sur les rives du Gua- sacualco. Les plantations de cacaoyers, dans la province de Labasco , sont peu considé- rables, et le Mexique tire tout le cacao qui est nécessaire à sa consommation , du royaume de Guatimala , de M^aracaybo, de Caracas et de Guayaquil. Cette consommation paroît s’élever annuellement à 3o,ooo fanegas j chacune du poids de 5o kilogrammes : l’abbé Hervas prétend que toute l’Espagne con- somme 90,000 fanegas '. Il résulte de cette à l’est de l’embouchure duYao. Le cacaoyer cultivé depuis des siècles, a le grain plus gros, plus doux et plus huileux. II ne faut pas confondre avec le Theo- hroma cacao le T.hicolor , dont j’ai donné le dessin dans nos Plantes équinoxiales ( T. I , PL XXX aetb ^ p. io4 ), et qui est propre à la province du Choco. * Ideadel Universo , T. V, p. 174. i3* 196 LIVRE IV 5 évaluation ^ qui me paroît un peu trop basse, que TEspagne ne consomme que le tiers du cacao importé annuellement en Europe. Mais d’après les recherches que j’ai faites sur les lieux, depuis 1799 jusqu’en i8o3, j’ai trouvé que l’exportation annuelle du cacao étoit : Dans les provinces de Venezuela fanegas,' et de Maracajbo , de i45,ooo Dans la province de la Nouvelle- Andalousie ( Cumana ) , de. . . 18,000 Dans la province de la Nouvelle- Barcelone, de 5,000 Dans le royaume de Quito , du port de Guayaquil, de 60,000 La valeur de ces onze millions et demi de kilogrammes de cacao , s’élève en Europe , en temps de paix , et en n’évaluant la fanega qu’à quarante piastres , à la somme de 45,600,000 livres tournois. Dans les colonies espagnoles , le chocolat n’est pas considéré comme un objet de luxe , mais comme une denrée de première nécessité ; c’est, en elFet, un aliment sain , très-nourrissant , et surtout CHAPITRE X. 197 d’un grand secours pour les voyageurs. Le chocolat que l’on fabrique à Mexico est d’une qualité supérieure , parce que le commerce de la Vera-Cruz et d’Acapulco fait refluer dans la Nouvelle-Espagne le fameux cacao de Soconusco ( Xoconoclico ) , des cotes de Guatimala; celui de Gualan , du golfe de Honduras , près d’Omoa ; celui d U ritucii y près Saint-Sébastien , dans la province de Caracas ; celui de Capiriqiial , de la province de Nueva Barcelona , et celui de 1 E stneralday du royaume de Quito. Du temps des rois aztèques , des grains de cacao servoient de monnoie au grand marché de ïlateloleo , comme les coquilles aux îles Blaldives. On employoit poui’ le chocolat, le cacao de Soconusco , cultivé à l’extrémité orientale de l’empire mexicain , et les petits grains appelés tlalcacahiiatl. Les espèces de qualité inférieure étoient réservées pour servir de monnoie. « Sachant , » dit Cortez , dans sa première lettre à l’empereur Chaides - Quint , « que , dans la province de « Malinaltebeque, il y avoit de l’or en abon- « dance, j’engageai le seigneur Montezuma « d’y établir une ferme pour votre majesté. 198 livre IV, « II y mit tant de zèle , qu’en moins de deux mois on y avoit déjà semé soixante fa- « nègues de maïs, et dix de feves. On y avoit « planté aussi deux mille pieds de cacap (cacaoyer) , qui donne un fruit semblable a l’amande, et que l’on vend après l’avoir « moulu. Cette graine est si estimée, que dans « tout le pays on l’emploie comme monnoie, « et qu’on achète avec elle dans les marchés « et partout ailleurs >3 Encore aujourd’hui le cacao sert de billon à Mexico : comme la plus petite monnoie des colonies espagnoles est un demi-réal {un media), équivalant à douze sous , le peuple trouve de la commo- dité dans l’emploi du cacao comme monnoie : un sou est représenté par six grains, L usage de la vanille a passé des Aztèques aux Espagnols. Le chocolat mexicain, comme nous l’avons observé plus haut, étoit parfumé de plusieurs aromates , parmi lesquels la gousse de la vanille occupoit le premier rang. Aujourd’hui les Espagnols ne font le com- merce de cette production précieuse que pour * Lorenzana, p. 91 , §. 26. Clavigero , p. 4 ; II, p. 219 J IV, p. 207, CHAPITRE X. 199 ia vendre aux autres peuples de l’Europe. Le chocolat espagnol ne contient pas de vanille ; et à Mexico meme on a le préjugé de regarder ce parfum comme nuisible à la santés surtout pour les personnes qui ont le système nerveux très-irritable. On entend dire gravement que la vanille cause des maux de nerfs ( la baj~ nilla da pasrno ). Il y a peu d’années qu’à Caracas on disoit la même chose de l’usage du café , qui commence cependant à s’y ré- pandre parmi les indigènes. Lorsqu’on considère le prix excessif auquel se soutient constamment la vanille en Europe, on est étonné de l’incurie des habitans de l’Amérique espagnole , qui négligent la cul- ture d’une plante que la nature produit spontanément entre les tropiques , presque partout où il y a de la chaleur, de l’ombre et beaucoup d’humidité. Toute la vanille que consomme l’Europe, vient du Mexique , et par la seule voie de la Vera-Cruz. On la récolte sur une étendue de terrain de quel- c[ues lieues carrées. Il n’y a pas de doute cependant que la cote de Caracas et même la Havane poun'oient en faire un commerce très-considérable. Nous avons trouvé, pendant 200 livre IV,' le cours de nos herborisations , des gousses de vanille très-aromatiques, et d’une -grandeur extraordinaire, dans les montagnes de Caripe, à la eôte de Paria; dans la belle vallée de Bordones , près de Cumana ; dans les environs de Portocabello et de Guaiguaza ; dans les forêts de Turbaeo, près de Carthagène des Indes; dans la province de Jaen, sur les bords de la rivière des Amazones , et dans laGuayane, au pied des rochers granitiques qui forment les grandes cataraetes de l’Oré- noque. Des habitans de Xalapa , qui font le commerce de la belle vanille mexicaine de Misantla, ont été frappés de l’exeellenee de celle que M. Bonpland a rapportée de^ l’Oré- noque , et que nous avions cueillie dans les bosquets qui entourent le Fondai de Maj- /mre. Aille de Cuba , on trouve des plantes de vanille ( Epidendrum vanilla) sur les côtes de Bahia Honda et au Mariel. Celle de Saint-Domingue a le fruit très-long, mais peu odoriférant ; car souvent une grande humidité , en favorisant la végétation , est contraire au développement de l’aromate. D ailleurs, les botanistes voyageurs ne doivent pas juger de la bonté de la vanille d’après CHAPITKE X. 'lOl Todeiir que cette liane répand dans les forêts de rAmérique : cette odeur est due , en grande partie , à la fleur , qui, dans les vallées pro- fondes et humides des Andes , est quelquefois longue de quatre ou cinq centimètres. L^auteur de VlJistoire philosopliicjue des deux Indes ' se plaint du peu de notions qu’il a pu se procurer sur la culture de la vanille au Mexique. Il ignore même le nom des districts qui la produisent. Ayant été sur les lieux, j’ai été à même de prendre des renseignemens plus détaillés et plus exacts. J’ai consulté, à Xalapa et à Vera-Cruz, des personnes qui , depuis trente ans , font le commerce des vanilles de Misantla , de Colipa et de Papantla. Voici le résultat de mes recherches sur Fétat actuel de cette branche intéressante de l’industrie nationale. Toute la vanille que le Mexique fournit à l’Europe, est recueillie dans les deux inten- dances de Vera - Cruz et d’Oaxaca. Cette plante abonde principalement sur la pente 1 Raynal , T. II, p. 68, §. i6. Thiery de Me non- ville , de la culture du Nopal,^' On cultive aussi vin peu de Yanille à la Jamaïque , dans les paroisses de Sainte- Anne et de Sainte-Marie. Brown ^ p. 326. ao2 tlVRE IV, orientale de la Cordillère d’Anahuac , entre les ig” et 20° de latitude. Les indigènes citant reconnu de bonne heure combien^ malg’ré cette abondance , la récolte étoit difficile, à cause de la vaste étendue des terrains qu’il falloit parcourir annuellement, ils ont propagé l’espèce en réunissant un grand nombre de plantes dans un espace plus étroit. Cette opération n’a pas exigé beaucoup de soin : il a suffi de nettoyer un peu le sol, et de planter deux boutures d’Epidendrum au pied d un arbre , ou bien de fixer des parties coupées de la tige au tronc d’un Liquidambar , d’un Ocotea ou d’un Piper arborescent. Les boutures ont généralement quatre à cinq décimètres de longueur. On les attache avec des lianes , aux arbres sur lesquels la nouvelle tige doit monter. Chaque bouture donne du fruit la troisième année. On compte, pendant trente à quarante ans, jusqu’à cin- quante gousses par pied , surtout si la végé- tation de la vanille n’est pas arrêtée par la proximité d’autres lianes qui l’étouffent. La bajnilla cimarona ou sauvage, qui n’a point été plantée par la main de l’homme , et qui CHAPITRE X. 203 croît dans un terrain couvert d’arbustes et d’autres plantes grimpantes , porte, au Mexi- que , des fruits très-secs , et en très - petite quantité. Dans l’intendance de Vera-Cruz, les districts célèbres par le commerce de la va- nille, sont la siibdelegacLon de Misantla ^ avec les villages indiens de Misantla , Golipa , Yacuatla (près de la Sierra de Chicunquiato) , et Nautla, appartenant tous jadis à Y Alccddia major de la Antiguaj la jurisdiccion de Papantla y et celles de Santiago et San Andres T'iixtla. Misantla est à trente lieues de dis- tance de la Vera-Cruz, au nord-ouest ^ et à douze lieues des côtes de la mer : c’est un endroit charmant, dans lequel on ne connoît pas le fléau des mosquitos et des gegen , qui sont si nombreux au port de Nautla , sur les bords du Rio de Quilate , et à Golipa. Si la rivière de Misantla, dont l’embouchure est près de la Barra de Palmas , étoit rendue na- vigable , ce district parviendroit en peu de temps à un haut degré de prospérité. Les naturels de Misantla recueillent la vanille dans les montagnes et les forêts de ^04 LIVRE IV, Quilate. La plante fleurit dans les mois de février et de mars. La récolté est mauvaise si , à cette époque , les vents du nord sont fréquens et accompagnés de beaucoup de pluie. La fleur tombe sans donner du fruit , lorsque ! humidité est trop grande. Une sé- cheresse extrême est également, nuisible à 1 accroissement de la gousse. D’ailleurs^, aucun insecte n’attaque le fruit vert, à cause du lait qu il contient. On commence à le couper aux mois de mars et d’avril, lorsque le suh- délégué a publié par ban que la récolte est permise aux Indiens : elle dure jusqu’à la fin de juin. Les naturels , qui restent huit jours de suite dans les forêts de Quilate , vendent la vanille fraîche et jaune à la gente de razon y quisont des blancs, des méds et des mulâtres: ceux-ci connoissent beuls le henejicio de la baynillay c’est-à-dire la manière de la sécher avec soin, de lui conserver un lustre argenté, et de la ficeler pour le transport en Europe. On étend les fruits jaunes sur des toiles, et on les met au soleil pendant quelques heures. Lorsqu’ils sont suffisamment chaulFés , on les enveloppe dans des draps de laine pour les 2o5 CHAPITRE X. faire suer : la vanille noircit alors , et 1 on finit parla séclier en l’exposant, depuis le matin jusqu’au soir , à l’ardeur du soleil. La préparation que l’on donne à la vanille, à Colipa, est bien supérieure au henejicio usité à Misantla. On assure qu’en déballant les pa- quets de vanille à Cadix, on trouve dans celle de Colipa à peine six pour cent de déchet , tandis que, dans la vanille de Misantla, le nombre des gousses pourries ou gâtées s élève au double. Cette dernière variété est plus dif- ficile à sécher , parce qu’elle a le fruit plus grand et plus aqueux que celle de Colipa , qui , récoltée dans des savanes , et non sur des montagnes, est appelée bajiiilla de aca- guales. Lorsque le temps pluvieux ne perinet pas aux habitans de Misantla et de Colipa d’exposer la vanille aux rayons du soleil , jusqu’à ce qu’elle ait acquis une couleur noi- râtre et qu’elle se couvre de stries argentées {inanchas on est obligé de recourir à l’emploi d’une chaleur artificielle. On forme, au moyen de petits tuyaux de roseaux, un cadre suspendu par des cordes , et couvert d’une toile de laine , sur laquelle on étend t^ les gousses. Le feu est placé au-dessous , mais 2o6 LIVRE IV, à une distance considérable. On sèche les gousses en donnant un léger mouvement au cadre, et en chauffant peu à peu les roseaux et la toile. Il faut beaucoup de soin et une longue expérience pour réussir à bien sécher la vanille par cette méthode, que l’on appelle bénéficia de poscojol. Les pertes sont géné- ralement très-grandes, lorsqu’on emploie la chaleur artificielle. A 3Iisantla , on réunit les fruits de vanille en paquets , appelés mazos ; un mazo ren- ferme cinquante gousses; par eonséquent, un millier ( millar ) a vingt mazos. Quoique toute la vanille qui entre dans le commerce, paroisse être le produit d’une seule espèce d’Epidendrum {tUlxochitl) , on divise ce- pendant le fruit récolté en quatre classes différentes. La nature du sol, l’humidité de I air et la chaleur du soleil influent singuliè- rement sur la grandeur des gousses et sur la quantité de parties huileuses et aromatiques qu’elles contiennent. Ces quatre classes de vanille sont les suivantes , à commencer par celles d une qualité supérieure : bajnillafna^ dans laquelle on distingue de nouveau la glande fina et la çJuca fina ou inancuernaj CHAPITRE X. ao7 le zdcalej le rezacate , et la hasura. Chaque classe est facile à reconnoître en Espagne , par la manière dont les paquets sont ficelés. La grande fina a communément 22 centimètres de longueur, et chaque en pèse, àMi- santla, dix onces et demie; à Golipa, neuf à dix. La chica fina est de cinq centimètres plus courte que la précédente , et on l’achète la moitié moins cher. Le zacate est une va- nille très-longue , mais extrêmement mince , et très-aqueuse. La hasura, dont un paquet a cent gousses , ne sert qu’à remplir le fond des caisses que l’on expédie pour Cadix. La plus mauvaise qualité delà vanille deMisanda s’appelle bajnilla ciniarona ( sauvage ) ou bajnillapalo : elle est très-mince , et presque dépourvue de suc. Une sixième variété, la bajnilla pompona , a le fruit très-grand çt très-beau : on l’a expédiée à différentes re- prises en Europe , et par le moyen des né- gocians de Gênes , pour le Levant ; mais comme son odeur est différente de la vanille appelée grande fina , elle n’y a trouvé aucun débit jusqu’ici. On voit, d’après ce que nous venons de rapporter sur la vanille, qu’il en est de la 2o8 livre IV, bonté de cette production comme de celle du quinquina , qui ne dépend pas seulement de 1 espèce de cinchona dont il provient, mais aussi^ de la hauteur du sol, de l’expo- sition de 1 arbre , de l’époque de la récolte , et du soin avec lequel l’écorce a été séchée. Le commerce de la vanille et celui du quin- quina, se trouvent également entre les mains de quelques personnes que l’on appelle hahi- liladores, parce qu’ils avancent de l’argent aux cosecheros, c’est-à-dire aux Indiens qui font la récolte, et qui se mettent par là sous la dépendance des entrepreneurs. Ce sont ces derniers qui tirent presque seuls tout le profit de cette branche de l’industrie mexicaine. La concurrence des acheteurs est d’autant plus petite à Misantla et à Golipa, qu’il faut une longue expérience pour ne pas se laisser tiomper dans 1 achat de la vanille préparée. Une seule gousse tachetée {manchada) faire perdre , pendant la traversée d’Amé- rique en Europe, une caisse entière. On désigne, par des noms particuliers ( mojo negro , mojo blanco , garro ) , les défauts que 1 on découvre, soit à la gousse, soit au pétiole Aussi un acheteur prudent exa- CHAPITRE X. HOg mine plusieurs fois les paquets qu’il réunit dans le même envoi- Les habilitadores ont acheté , dans Tes-^ pace des derniers douze ans, le millier de vanille de la première classe , prix moyen, à 25 ou 35 piastres ; le millier de zacate à lo , et celui de rezacate à 4 piastres. En 1 8o3 , le prix de hi grande fina a été de 5o, et celui du zacate de 1 5 piastres. Les acheteurs , loin de payer les Indiens en argent comptant , leur fournissent en échange , et à très-haut prix , de l’eau-de-vie , du cacao , du vin , et surtout des toiles de coton fabriquées à la Puebla. C’est dans cet échange que consiste une grande partie du profit des accapareurs. Le district de P apantla , qui étoit jadis une alcaldia major y se trouve à i8 lieues au nord du Misantla : il produit très-peu de vanille , qui, en outre, est mal séchée , quoique très- aromatique. On accuse les Indiens de Papantla, comme ceux de Nautla , de s’introduire furti- vement dans les forêts de Quilate, pour recueillir le fruit de l’Epidendrum planté par les naturels de Misantla. Dans l’intendance d’Oaxaca, c’est le village de Teutila qui est célèbre par la qualité supérieure de la vanille 210 LIVRE IV, que produisent les forêts voisines. Il paroît que cette variété a été la première introduite en Espagne , au seizième siècle ; car encore aujourd hui la haynilla de Teutila est re- gardée , à Cadix , comme préférable à toutes les autres : on la sèche, en effet, avec beau- coup de soin, en la piquant avec des épingles, et en la suspendant par des fils de pite ; mais elle pèse à peu près un neuvième de moins que celle de Misantla. J’ignore la quantité de vanille qui est récoltée dans la province de Honduras, et exportée annuellement par le petit port de Truxillo ; mais il paroît qu’elle est peu considérable. Les forêts de Quilate donnent, dans des années très-abondantes, 800 milliers de vanille : une mauvaise récolte, dans des années très- pluvieuses, ne s’élève qu’à 200 milliers. On évalue , en terme moyen , le produit de Misantla et de Golipa , à 700 de Papantla, à 100 de Teutila, à. 110 La valeur de ces 910 milliers est, à Vera- Gruz, de 3o à 40)000 piastres. Il faudroit y ajouter le produit des récoltes de'Santiago et Sap Andres Tuxtla , sur lesquelles je manque > CHAPITRE X. 21 î de données suffisamment exactes. Souvent la récolte d’une année ne passe pas en entier eu Europe ; mais on en réserve une partie pour la réunir à celle de l’année suivante. En 1802^ il sortit du port de Vera » Cruz ijgS millares de vanille. On doit être étonné de voir que la consommation de toute l’Europe n’est pas plus grande. La même pente orientale de la Cordillère sur laquelle on récolte la vanille , produit , aussi la salsepareille ( zarza ) , dont on a exporté de la Vera-Cruz, en i8o3 , près de 25oj,ooo kilogrammes % et le jalap {Purga de Xalapa ) , qui est la racine non du Mira- bilis jalapa , du M. longiflora^ ou du M. di- chotoma, mais du Comohulus jalapa. Ce liseron végète à une hauteur absolue de treize à quatorze cents mètres , sur toute la chaîne de montagnes qui s’étend depuis le volcan d’Orizaba jusqu’au Coffre de Perote. Nous ne l’avons pas trouvé dans nos her- ^ La salsepareille du commerce provient de plusieurs especes de Smilax , très -différentes du S. Sarsaparilla. Voyez la description de dix espèces nouvelles, que nous avons rapportées dansle Species deM. TVilldenow, T. IV; P. I,p. 773. 212 LIVRE IV 5 borisations autour de la ville de Xalapa même ; mais les Indiens qui habitent les villages voisins ^ nous en ont apporté de belles racines recueillies près de la Bande- rilla ^ à l’est de San Miguel el Soldado. Ce remède précieux est récolté dans la suhdele- gacion de Xalapa ^ autour des villages de Santiago^ ïlachi, Tihuacan de los Rejes, Tlacolula^ Xicochimalco , Tatatila, Yxliua- can , et Ayahualulco ; dans la jiirisdiccion de San Juan de los Llanos ^ près de San Pedro Chilcliotla et Quimixtlan; dans les partidos des villes de Cordoba ^ à' Orizaba et de San Andres Tuxtla. La vraie Purga de Xalapa ne se plaît que sous un climat tempéré , presque froid, dans des vallées ombragées, et sur la pente des montagnes. J’ai été d’autant plus étonné d’apprendre , depuis mon retour en Europe , qu’un voyageur instruit, et qui a montré le plus grand dévouement pour le bien de sa patrie, Thiery de Menon ville ait ^ Thiery , p. 69. Ce jalap de Vera-Cruz paroît d’ailleurs identique avec celui que M. Michaux a trouvé dans la Floride. V^oyrz le Mémoire de M. Des- fonlaines , sur le Convolvulusialapa , dans les Jinnales du Muséum d Histoire naturelle , T. II, p» 120. I CHAPITRE X. 2 1 3 assuré avoir ti’ouvé le jalap en grande abon- dance dans les terres arides etsablonnetises qui entourent le port de Vera-Cruz , par consé- quent sous un climat excessivement chaud, et au niveau de la mer. Raynai ' avance que l’Europe consomme annuellement 7600 quintaux de jalap : cette évaluation paroît plus du double trop forte ; car, d’après des renseignemens exacts que j ai pu prendre à la Vera-Cruz, il n a été exporté de ce port ^ en 1802 , que 2921, et en i8o3, que 2281 quintaux de jalap. Son prix est, à Xalapa, de 120 à i»o francs le quintal. Nous n’avons point vu, pendant notre séjour dans la Nouvelle -Espagne, le liseron qui, à ce que I on prétend, donne la rcicine de Mechoacan (le tacuache des Indiens Ta- rasques, le tlalantlacuitlapilli des Aztèques) : nous n’en avons pas même entendu parler pendant le voyage que nous avons fait dans l’ancien royaume de Michoacan, qui fait partie de l’intendance de Valladolid. L’abbé Clavigero ’ raconte qu’un médecin du dernier roi de Tzintzontzan apprit à connoître ce ^ Hi&f, philos. J T. II, p. 68. » Storia antica di Messico ^ T. II, p. 212* 2 1 4 livre IV , remède aux religieux missionnaires qui avoient suivi 1 expédition de Cortez. Existe-t-il , en elFet, une racine qui^ sous le nom de me- choacan, est exportée de la Vera-Cruz, ou ce remède , qui est identique avec le jeticucu de Marcgrave nous vient-il des côtes du Brésil? Il paroît même qu’anciennement le vrai jalap étoit nommé mechoacan, et que, par une de ces méprises si communes dans This- toire des drogues , cette dénomination a passé dans la suite à la racine d’une autre plante. La culture du tabac mexicain pourroit deve- nir une branche d’agriculture de la plus haute importance, si le commerce en étoit libre; mais depuis 1 introduction du monopie , ou depuis l’établissement de ferme royale ( elestanco reaide tabaco) parle visitador Don Joseph de Galvez, en 1764, non-seulement il faut une permission spéciale pour planter le tabac; non-seulement le cultivateur est tenu de le vendre à \& ferme, au prix que celle-ci fixe arbitrairement , selon la bonté du produit ; mais la culture en est restreinte aux seuls environs des villes d’Orizaba et de Gordova, ^Linn,, Mat, medica, ijig y p. 28. Murray, Apparatus medicaminum , T. I, p. 62. CHAPITRE X. et anx partidos de Huatusco et de Songolica , situés dans l’intendance de Vera-Cruz. Des commis, qui portent le titre de guardas de tahaco, parcourent le pays pour arracher le tabac planté hors de ces districts que nous venons de nommer , et pour mettre à l’amende les fermiers qui s’avisent de cultiv er ce qui est nécessaire à leur propre consommation. On a cru diminuer la contrebande, en bornant la culture à une étendue de terrain de quatre ou cinq lieues carrées. Avant l’établissement de la ferme , l’intendance de G uadalaxara , sur- tout les partidos d’Autlan, d’Ezatlan, d Ahux- callan, Tepic , Santixpac et Acaponeta, étoient célèbrespar l’abondance ell’excellenle qualité du tabac qu’ils produisoient. Ces contrées , Jadis heureuses et florissantes, ont diminue de population, depuis que les plantations ont été transférées à la pente orientale de la Cor- dillère. C’est aux îles Antilles que les Espagnols ont appris à connoître le tabac. Ce mot, qui a été adopté par tous les peuples de l’Europe , est de la langue d’Hayti ou de St.-Domingue ; car les Mexicains appelèrent la plante jetl, IIVRE IV, les Péruyiemsajn’. AuMexique et au Pérou les indigènes fuiuoient et prenoient du tabac en poudre. A la cour de Montezuma, les grands seigneurs emplojoient la fumée de tabac comme un narcotique, non-seulement pour faire la sieste après le dîner, mais aussi matin , immédiatement après ledejeuner, comme c’est encore l’usage dans plusieurs parties de l’Amérique équinoxiale. On rouloit les feuilles sèches du jeti en ^ mrnancie., Lib. V, c. 5l , p, ,73. Cla^i^ero, •n, p. 227. Garcilasso, Lib. II, c. 25. Déià les anciens Mexicains recomraandoient le tabac comme «n remede contre le mal de dents, le rhume de cer- veau et la colique. Les Caribes se servoient de feuilles 1 7^ ^ contre-poison. Dans notre voyage sur 1 Orenoque, nous avons vu appliquer avec succès le tabac mâché aux morsures de couleuvres veni- meuses. Apresle ^^^menxBe/ucodelGuaco^dontondok la connoissance à M. Mutis, le tabac est sans doute le contre-poison le plus actif de l’Amérique. La culture du tabac s est propagée avec une si grande rapidité , quen 1059 on le semoit déjà qn Portugal, et qu’au commencement du dix-septième siècle on le planta aux Grands Indes. Eechmanns Geschichte der Erjîn- dwigen, B. 3, p, 366. ^ CHAPITRE X. 217 cigares ^ et on les enchâssoit dans des tuyaux d’argent^ de bois ou de roseau : souvent on y inéloit la résine du Liqiddamhar stjracifluay et d’autres matières aromatiques. On tenoit d’une main le tuyau, et de l’autre on se bon- choit les narines pour araler plus facilement la fumée du tabac ; plusieurs personnes se contentoient meme d’aspirer la fumée par le nez. Quoique le Picietl (Nicotiana rustica) fut beaucoup cultivé dans l’ancien Anahuac , il paroît pourtant que les personnes aisées faisoient seules usage du tabac; car nous voyons aujourd’hui que cet usage est entière- ment inconnu aux Indiens de race pure , parce qu’ils descendent presque tous de la dernière classe du peuple aztèque On évalue à la Vera-Cruz la quantité de tabac récolté dans les districts d’Orizaba et de Cor do va, à huit ou dix mille tercios (à 8 arrobes) ^ qui font 1,600,0000112,000,000 de livres pesant ; mais cette évaluation paroît un peu trop basse. Le roi paye au cultivateur la livre de tabac à deux reaux et demi , c’est-à- dire à 21 sous le kilogramme. Nous verrons ^ Voyez ci-dessus, Cliap. Yï, T. I, p. ^99. LIVKE IV J dans la suite de cet ouvrage , et d’après des reiiseiguemens que j’ai tirés de pièces offi- cielles^ qu en général la ferme du Mexique vend annuellement, dans le pays même, pour plus de o8 millions de francs de tabac à fumer et en poudre, et qu’elle rend au roi un profit net de plus de 20 millions de livres tournois* Cette consommation de tabac dans la Nou- velle-Espagme doitparoître énorme, d’autant plus que sur une population de 5, 800,000 âmes , il faut décompter deux millions et demi d’indigènes qui ne ffiment pas. D’ailleurs / au Mexique la ferme est un objet beaucoup plus important pour le fisc qu’au Pérou , parce que, dans le premier de ces pays, le nombre des blancs est plus considérable, et que l’usage de fumer des cigares y est plus répandu , même parmi les femmes et les enfans en bas âge. En France , où, d’après des recherches de BI. Fabre de l’Aude, il y a huit millions d’habitans qui prennent du tabac , la con- sommation totale est de plus de quarante millions de livres pesant ,* mais la valeur des importations de tabac étranger ne s’y est élevée, en 1787, qu’à i4; 142,000 liv. tournois*. ^ Peuchety p. 3i5 et 409, CHAPITRE X. 219 La Nouvelle-Espagne , loin d’exporter de son tabac indigène , en tire encore annuel- lement près de 56, 000 livres pesant de la Havane. Les vexations qu on fait éprouver aux planteurs , jointes à la préférence donnée à la culture du calé, ont cependant beaucoup diminué le produit de la ferme à Fîle de Cuba. Aujourd’hui cette île fournit à peine i5o,ooo arrohas P tandis qu avant 179*^ ’ dans de bonnes années , on évaluoit la récolte à 3i5,ooo «77’oZ>(a!5 ( 7,875,000 livres pesant'), dont 160,000 arrobas étoient consommées dans l’île, et 128,000 envoyées en Espagne. Cette branche de l’industrie coloniale est de la plus haute importance , même dans son état actuel de monopole et de contrainte. La renta de tabaco de la péninsule donne un revenu net de 6 millions de piastres, revenu qui est dû en grande partie à la vente du tabac de l’île de Cuba envoyé à Séville. Les magasins de cette dernière ville contiennent quelquefois desprovisions de 18 ou igmillions ^ Raynal ^ X. llî^ p. 2^8) ii^cvftliioit la récolte (ju a 4^.675;000 livres pesant. La Virginie produisoit, avant 1775, annuellement plus de 55;000 liogslieads , ou 35 millions de livres de tabac. Jefferson , p. 323. 220 livre IV, de livres pesant, seulement en tabac en poudre , dont la valeur monte à la somme exorbitante de deux cents millions de livres tournois. La culture de ï indigo , très-étendue dans le royaume de Guatimala et dans la province de Caracas , est extrêmement négbg'ée au Mexique. Les plantations que l’on trouve le long des, cotes occidentales , ne suffisent pas même pour le peu de fabriques de toile de coton indigène. On importe annuellement de l’indigo du royaume de Guatimala, où le produit total des plantations s’élève à la valeur de 12 millions de livres tournois. Cette substance colorante , sur laquelle M. Beck- manii a fait de savantes recherches, étoit connue des Grecs et des Romains , sous le nom à'Indicum. Le mot à'anil, qui a passé dans la langue espagnole , vient du mot arabe nir ou nil. Hernandez , en parlant de l’indigo mexicain , l’appelle anir. Les Grecs , du temps de Dioscoride , tirèrent l’indigo de la Gédrosie ,• et au treizième siècle, Marco Polo décrivit avec soin sa préparation dans l’In- dostan. G est à tort que Raynal prétend que les Européens ont introduit la culture de cette CHAPITRE X. 22% plante précieuse en Amérique. Plusieurs es- pèces à'indigofem sont propres au nouveau continent. Ferdinand Colomb , dans la vie de son père , nomme l’indigo parmi les pro- ductions de l’île d’Hayli. Hernaudez rapporte le procédé par lequel les naturels du Mexique séparoient la fécule du sac de la plante, pro- cédé qui diffère de celui que nous employons aujourd’hui. Les petits pains d’indigo séchés au feu s’appeloient niohuith ou tleuohuilU* La plante étoit même désignée sous le nom de xhihquiUpitzahuac, Hernandez ' proposa à la cour d’introduire la culture de 1 indigo dans la partie méridionale de l’Espagne. J’ignore si son conseil fut suivi , mais il est certain que l’indigo étoit assez commun à Malte jusque vers la fin du dix -septième siècle. Les à'indigofera dont on retire aujourd’hui l’indigo dans les colonies, sont : rindigofera tinctoria , I. anil , I. disperma et I. argentea , comme le prouvent les plus anciennespeintures hiéroglyphiques des Mexi- 1 Hernandez, lAh, IV, c. 12 , p. io8. Clas^igero, II, 189. Beckmanji J L c. , IV , 474-532. BerthoLlet ^ Éle-“ mem de l'art de la teinture ^ II, 37. LIVRE IV, cains; même trente ans après la conquête, les Espagnols , qui n avoient pas encore trouve des matériaux pour faire de l’encre ecrivoient avec de l’indigo , comme le prou- vent les papiers conservés dans les archives du duc de Monte Leone, qui est le dernier rejeton de la famille de Gortez. A Santa-Fe, on écrit encore aujourd’hui avec le suc ex- primé lies fruits deruvi]la(Ge^üm7« tinctojûim), et il J existe un ordre de la^ cour qui enjoint aux vice-rois de n’emplojer pour les pièces officielles que ce bleu d’uvilla , parce qu’on a reconnu qu’il est plus indestructible que la meilleure encre de l’Europe. Apres avoir examiné avec soin les végétaux qui sont des objets importans de l’agriculture et du commerce du Mexique , il nous reste a jeter un coup - d’œil rapide sur les pro- ductions du règne animal Quoique la plus recherchée de ces productions, la cochenille, appartienne originairement à la Nouvelle- Espagne, il est certain cependant que celles <[ui sont les plus intéressantes pour le bien-être des habitans, j ont été introduites de l’ancien continent. Les Mexicains n’avoient point es- sajé de réduire à l’état de domesticité les deux CHAPITRE X. Ü23 espèces Je bœufs sauvages (Bos americanus et B. moschatus) qui errent par troupeaux dans Tes plaines voisines de la rivière du Nord, Ils ne connoissoient pas le llama , qui, dans la Cordillère des Andes , ne dépasse pas la limite de Fhémisphèi’e austral. Ils ne savoient tirer parti ni des brebis sauvages de la Cali- fornie S ni des chèvres des montagnes de Monterej. Parmi les nombreuses variétés de chiens qui sont propres au Mexique, une seule, le te chichi ^ servoit à la nourriture des habitans. Sans doute le besoin d’animaux domestiques se faisoit moins sentir avant la conquête, à une époque où chaque famille ne cultivoit qu’une petite étendue de terrain, ^ Sur les brebis et les cbèvres sauvages des mon- tagnes de rancienne et de la Nouvelle-Californie , voyez ci-dessus, Cbap. YIII , T. Il , p. 42^. ^ Voyez mes Tableaux de la Nature, T. I , p. 124- 127. Une tribu des provinces septentrionales, ceîlo des Cumancbes , se sert de chiens mexicains pour le transport des tentes , comme plusieurs peuples de la Sibérie. Voyez ci-dessus , T. II , p. 377. Les Péru- viens de Sausa ( Xauxa ) et Huanca mangeoient leurs chiens ( runalco ) , et les Aztèques vendoient au marché la chair du chien muet techichi ^ qu’on châtroit pour l’engraisser. Lorenzana ^ p. io3. 2^4 livre IV,' et où une grande partie du peuple se nour- risson presque exclusivement de végétaux. Cependant le manque de ces animaux forçoit une classe nombreuse des habitans, celle des Tlamama , à faire le métier de bêtes de somme , et à passer leur vie sur les grandes routes. Us étoient chargés de grosses caisses de cuir ( en mexicain , en espagnol petacas), qui contenoient des marchandises d’un poids de trente à quarante kilogrammes. Depuis le milieu du seizième siècle les animaux les plus utiles de l’ancien continent, les bœufs , les chevaux , les brebis et les porcs , se sont multipliés d’une manière sur- prenante dans toutes les parties de la Nou- velle-Espagne, surtout dans les vastes plaines que ^ renferment les provincias internas. Il «eroit superflu de réfuter ■ ici les assertions hasardées de M. de BulFon sur la prétendue dégenéralion des animaux domestiques in- troduits dans le nouveau continent. Ces idées se sont propagées facilement, parce qu’en > Cette réfutation se trouve dans l’excellent ouvrage de M. Jefferson, sur la Virginie, p. 109-166. y oyez aussi Clavigero, T. IV, p. io5-i6o. CHAPITRE X. 3125 flattant la vanité des Européens, elles se lioient à des hypothèses brillantes sur Fancien état de notre planète. Depuis que Ton examine les fliits avec soin , les physiciens reconnoissent de Fharmonie où Fécrivain éloquent n’an- nonçoit que des contrastes. Il y a une grande abondance de bétes a cornes le long des côtes orientales du Mexi- que , surtout à Fembouchure des rivières d’Alvarado, de Guasacualco et de Panuco, où de nombreux troupeaux trouvent des pâturages constamment verts. La capitale du Mexique et les grandes villes qui en sont voisines , tirent cependant leurs provisions en viandes de l’intendance de Durango. Les naturels , comme la plupart des peuples de 1 Asie à Fest du Gange se soucient très-peu ^ Par exemple , clans le sud-est de l’Asie , les Chi- nois et les habilans de la Cochinchine. Les derniers ne traient jamais leurs vaches, quoique le lait soit excellent sous les tropiques et dans les parties les plus chaudes de la terre. J^oyage de jMacartney y Vol. II, p. et Vol. IV , p. 69. Même les Grecs et les Romains n’apprirent à faire du beurre que par leurs communications avec les Scythes, les Thraces et les peuples de race germanique, Beckmann, L c, B. III, p. 289. III. 220 tlVRE IV , du lait, du beurre et du fromage. Ce dernier est fort recherché par les castes de sang-mêlé , et il forme une branche de commerce inté- rieur assez considérable. Dans le tableau statistique que Fintendant de Guadalaxara a dressé en 1802, et que j’ai eu occasion de citer plusieurs fois, la valeur annuelle des cuirs corroyés est évaluée à 4i9?ooo piastres ; celle du suif et du savon, à 649,000 piastres. La seule ville de la Puebla fabrique annuel- lement 200,000 de savon, et 82,000 cuirs de vaches; mais l’exportation de ces deux articles par le port de Vera-Cruz a été peu importante jusqu’ici. En i8o3 , elle s’est à peine élevée à la valeur de i4o,ooo piastres. Il paroît même qu’au seizième siècle, avant que la consommation intérieure eût augmenté avec le nombre et le luxe des blancs , la Nou- velle-Espagne fournissoit à l’Europe plus de cuirs qu’elle n’en fournit aujourd’hui. Le père Acosta ‘ rapporte qu’une flotte qui, en 1687, entra à Séville , portoit 64,34o cuirs mexicains. Les chevaux des provinces septentrionales , surtout ceux du Nouveau-Mexique, sont aussi »Lib. IV, c. 3. r CHAPITRE X. célèbres par leurs excellentes qualités que les chevaux du Chili : les uns et les autres descendent, à ce que l’on prétend, de race arabe ; ils errent par bandes devenues sau- vages , dans les savanes àesprovincias internas. L’exportation de ces chevaux à Natchez et à la Nouvelle - Orléans , devient d’année en année plus considérable. Plusieurs familles du Mexique possèdent dans leurs hatos de ganado trente à quarante mille tètes de bœufs et de chevaux. Les mulets seroient plus nom- breux encore, s’il n’en périssoit beaucoup sur les grandes routes, par les fatigues dont ils sont excédés après des voyages de plu- sieurs mois. On compte qüe le commerce de Vera-Cruz seul occupe , par an , près de 70,000 mulets. Plus de cinq mille en sont employés comme un objet de luxe dans les attelages ' de la ville de Mexico. L’éducation des moutons a été singulière- ment négligée dans la Nouvelle - Espagne , comme dans toutes les colonies espagnoles de 1 Amérique. Il est probable que les premières ^ Ija Havane a 2600 caîëclies, appelées volantes y dont le service exige plus de 3ooo mulets. En iSo2^ on comptoil à Paris 35;Ooo chevaux. i5* 22S LIVRE IV 5 bêtes à laine introduites au seizième siècle, n'étoient pas de la race des mérinos voyageurs, et surtout qu’elles n’étoient pas de la race léonèse , ségovienne ou soriane. Depuis cette époque on ne s’est pas occupé d’améliorer la race. Dans la partie du Mexique qui est située hors des tropiques , il seroit facile cependant d’introduire le régime des troupeaux , que l’on désigne én Espagne par le nom de mesta y régime d’après lequel les brebis changent de climat avec les saisons, et se trouvent toujours en hâ\’monie avec elles. On n’auroit pas à craindre, pendant des siècles , que ces voyages des troupeaux fussent contraires à l’agriculture mexicaine. Aujourd’hui les laines que l’on regarde comme les plus belles, sont celles de l’intendance de Valladolid. Il est digne de remarque que ni le porc commun ni les poules que l’on trouve dans ^ Pedro de Cieça et Garcilasso de la Vega , ont conservé dans leurs ouvrages les noms des colons qui , les premiers en Amérique , ont élevé des animaux domestiques de l’Europe. Ils rapportent qu’au milieu du seizième siècle deux porcs coûtoient, au Pérou ^ 8000 livres tournois ; un chameau , 55, 000 ; un âne , 7700* une vache, 1200 j un mouton, 200 livres. CHAPITRE X. 229 toutes les îles de la mer du Sud, n’ont été connus des Mexieains. Le Pécari (iS'M5 tajassu), que l’on rencontre souvent dans les cabanes des naturels de l’Amérique méridionale, auroit pu être facilement réduit à l’état de domes- ticité ; mais cet animal n’est propre qu’à la région des plaines. Des deux variétés de porc qui sont aujourd’hui les plus communes au Mexique , l’une a été introduite de 1 Europe , et l’autre des îles Philippines ; elles se sont extrêmement multipliées sur le plateau cen- tral , où la vallée de Toluca fait un commerce de jambon très-lucraîil. Avant la conquête , il existoit très - peu d’ oiseaux de basse-cour chez les indigènes du nouveau continent. L entretien de ces oiseaux exige des soins particuliers dans des pays récemment défrichés, et dont les forets deçà J Clironica del Perù (Anvers^ i554), p. 65. Garcilasso, T. 1 , p. 328. Ces prix énormes prouvent, outre la rareté des objets a vendre, l abondance des métaux précieux. Le général Belalcazar, qui avoit acheté à Buga une truie pour 4ooo francs , ne put résister à la tentation de la manger dans un festin. Tel éloit le luxe qui régnoit à l’armée des conquis- tadores. 23o livre IV, abondent en quadrupèdes carnassiers de toute espèce. D’ailleurs, l’habitant des tropiques sent moins le besoin des animaux domestiques que 1 habitant de la zone tempérée , parce que la fertilité du sol le dispense de labourer une grande étendue de terrain, et parce que les lacs et les rivières sont couverts d’une innombrable quantité il’oiseaux faciles à prendre, et qui fournissent une nourriture abondante. Un voyageur européen est étonné de voir que les sauvages de l’Amérique mé- ridionale se donnent une peine extrême pour apprivoiser des singes , des manaviii ( Ursus caudivolvula), ou des écureuils, tandis qu’ils ne cherchent pas à réduire à l’état de dômes-- ticité un grand nombre d’animaux utiles que tenferment les forêts environnantes. Cepen- dant les peuples les plus civilisés du nouveau continent élevoient déjà dans leurs basses- cours, avantl’arrivée des Espagnols, plusieurs gallmacées, comme des Hoccos (Craxnigra, G. giobicera et G. pauxi) , des dindons (Me- leagris gallo - pavo ) , plusieurs espèces de faisans, de canards, et de poules d’eau, des yacous ou guans ( Penelope , yUÆcu démonté), et des aras ( Psittaci macrouri ) , qui sont CHAPITRE X. 23î regardés comme un mets délicat , lorsqu ils sont jeunes. A cette époque, le coq, originaire des Grandes Indes, et commun aux îles Sandwich,, ctoit totalement inconnu eu Amé- rique. Ce fait important sous le rapport de la migration des peuples de ia race malaye, a été contesté en Espagne, dès la fin du seizième siècle. De savans étymologistes prou- Toient que les Péruviens dévoient avoir eu des poules avant la découverte do Nouveau- Monde, parce que la langue de l’inca désigne le CO q par un mot particulier , celui de gualpa. Ils ignoroient que giiülpn ou huctllp/ci est une contraction ^ Atahuallpa , et que les naturels du Couzco avoient donné par dérision le nom d’un prince détesté à cause des cruautés qu’il exercoit contre la famille de Huescar , aux coqs apportés par les Espagnols , s imaginant, ce qui paroît assez étrange à l’oreille d’im Européen , trouver de la ressemblance entre le chant de cet oiseau et le nom d’Atahuallpa. Cette anecdote , consignée dans l’ouvrage de Garcilasso (T. I^ p. 33i), m’a été racontée en 1802 , à Caxamarca , où j’ai vu, dans la famille des Jstorpilco , les descendans du dernier Inca du Pérou. Ces pauvres Indiens 202 XIVRE IV, habitent les ruines du palais d’Atahuallpa. Garcilasso rapporte que les Indiens imitoient le chant du coq, en prononçant d’une ma- nière cadencée des mots de quatre syllabes. Les partisans de Huescar avoient composé des chants burlesques pour se moquer d’Ata- huallpa, et de trois de ses généraux, appelés Quilhscacha, Chalchuchima, et Rumihavi. En consultant les langues comme des monumens historiques, il faut distinguer avec beaucoup de soin ce qui est ancien , et ce qui a été na- turalisé par 1 usage. Lç mot péruvien micitu , qui désigne le chat , est tout aussi moderne que celui d liuallpa. Les Péruviens ont formé micitu du radical miz , parce qu’en observant que les Espagnols l’emplojoient en appelant le chat , ils crurent que miz étoit le nom de l’animal. C est un phénomène physiologique très- curieux, que sur le plateau de la ville de Couzco , qui est plus élevé et plus froid que celui de Mexico , les poules n ont commencé à s acclimater et à se propager qu’après 1 espace de trente ans. Jusqu’à cette époque tous les poulets périrent en sortant de l’œuf. Aujourd’hui les diverses variétés de poules . CHAPITRE X. 233 surtout celles de Mosambique , qui ont la chair noire, sont devenues communes dans les deux hémisphères, partout où les peuples de l’ancien continent ont pénétré. Plusieurs tribus d’indiens sauvages qui vivent dans le voisinage des établissemens européens , ont su s’en procurer. Lorsque nous fûmes à Tomependa, sur les bords de la rivière des Amazones , nous vîmes quelques familles d’indiens Xibaros qui se sont établie^ à Tu- tumbero,dansun endroit presque inaccessible, entre les cataractes de Yariquisa et Patorumi ; c’est dans les cabanes de ces sauvages qu’on avoit vu des poules , lorsqu’on les visita pour la première fois , il y a quelques années. La Nouvelle-Espagne a fourni à l’Europe le plus gros et le plus utile des gallinacées do- mestiques, le dindon {totohn ou huexolotl^ ^ qui jadis a été trouvé sauvage sur le dos des Cordillères, depuis 1 isthme de Panama jusqu’à la Nouvelle -Angleterre. Cortez ra- conte que plusieurs milliers de ces oiseaux , qu’il appelle des poules {gallinas) , étoient nourris dans les basses-cours des châteaux de Montezuma. Du Mexicjue , les Espagnols les portèrent au Pérou, à la Terre-Ferme ( Cas- 234 livre IV, tilla del oro ) , et aux îles Antilles , où Oviedo les décrivit en i5i5. Hernandez observa déjà tres-bien que les dindons sauvages du Mexi- que étoient beaucoup plus grands que les dindons domestiques. On ne trouve aujour- d’hui les premiers que dans les provinces septentrionales. Ils se retirent vers le nord, à mesure que la population augmente, et que, par une suite nécessaire, les forêts deviennent plus rares. Un voyageur instruit , auquel nous devons une description très-intéressante des pays situés à l’ouest des monts Alléghanys M. Michaux, nous apprend que le dindon sauvage du Kentucky pèse quelquefois jusqu’à quarante livres, poids énorme pour un oiseau dont k vol est très-rapide , surtout quand il se voit poursuivi. Lorsque les Anglois, en 1 584, abordèrent en Virginie , les dindons existoient déjà depuis cinquante ans en Espa- gne, enitalie et en Angleterre Ce n’est donc pas des Etats-Unis que cet oiseau a passé la première fois en Europe, comme plusieurs naturalistes 1 ont faussement avancé. * Voyage de Michaux , p. igo. ® Beckmann, l. c. ï. lU, p. aSS-ayo. CHAPITRE X. 235 Les pintades ( nuinida Meleagris ) , que les anciens désignent si bien sous le nom à'ai^es guttatœ, sont très-rares au Mexique, tandis qu’elles sont devenues sauvages dans Tile de Cuba. Quant au canard musqué (^Anas mos- chata) ^ que les Allemands appellent canard turc, et qui est devenu si commun dans nos basses-cours, l’Europe le doit aussi au nou- veau continent : nous l’avons trouvé sauvage sur les bords de la rivière de la Madeleine , ou le mâle acquiert une grandeur extraordinaire. Les anciens Mexicains avoient des canards domestiques, auxquels ils arrachoient tous les ans les plumes, qui étoient un objet de commerce important. Ces canards paroissent s’être mêlés à l’espèce introduite d’Europe. L’oie est le seul de nos oiseaux de basse- cour que l’on ne trouve presque nulle part dans les colonies espagnoles du nouveau continent. La culture du mûrier et l’éducation des Ders a soie avoient été introduites par les soins de Cortez, peu d’années après le siège de Ténochtitlan. Il existe sur le dos des Cor- dillères un mûrier propre aux régions équi- noxiales > le Morus acuminata Boupl. , que 236 livre IV , nous avons trouvé sauvage dans le royaume de Quito ^ près des villages de Pifo et de Puembo. La feuille de ce mûrier est moins dure que celle du mûrier rouge {M., rubra) des Etats-Unis, et les vers à soie la mangent comme celle du mûrier blanc de la Chine. Ce dernier arbre , qui , d’après Olivier de Serres, na été planté en France que sous le régné de Charles VIII, à peu près l’année lûq/j, etoitdéjà assez commun au Mexique vers le milieu du seizième siècle. On récoltoit alors line quantité de soie assez considérable dans 1 intendance de' la Puebla , dans les environs de Panuco et dans la province à’Oaæaca, où quelques villages de Ia Misteca portent encore les noms de Tepexe de la Seda (soie), et de6'a« Francisco delà S’eJa. D’un côté, la politique du conseil des Indes, constamment contraire aux manufactures du Mexique; d’un autre, le commerce plus actif avec la Chine, et 1 intérêt qu’a la compagnie des Philippines, de vendre aux Mexicains les soieries de lAsie, paroissent être les causes principales ‘‘La Florida del Jnca (Madrid, i/ad), T. I p. 258. ’ CHAPITRE X. qui ont anéanti peu à peu cette branche de l’industrie coloniale. Il y a peu d’années qu à Queretaro , un (particulier a proposé au gQU- vernement de faire de grandes plantations de mûriers dans une des plus belles vallées du Mexique , Ici Canada des bains de San Pedro , habitée par plus de trois mille In- diens. L’éducation des vers à soie demande moins de soin que celle de la cochenille , et le caractère des naturels les rend très-propres à tous les travaux qui exigent une extrême patience et des soins minutieux. La Canada , qui est à deux lieues de Queretaro, vers le nord-est, jouit constamment d’un climat doux et tempéré. On n’y cultive aujourd’hui que des avocatiers ( Laurus persea ) , et les vice-rois , qui craignent de blesser ce que dans les colonies on appelle les droits de la métropole , n’ont pas voulu permettre que l’on remplaçât cette culture par celle des mûriers. La Nouvelle-Espagne offre plusieurs espèces de chenilles indigènes , qui filent de la soie semblable à celle du Bombjx mori àe la Chine, mais qui n’ont pas encore été suffi- samment examinées par les entomologistes. I.IVRE IV, C est Je ces insectes que vient la soie de la M, eca q„, Monteaama t ™ "biet de commerce. On fabrioue encore anjourd'hui dans l’intendance d’Oa aca des mouchoirs de cette soie mexicaine. Nous en avons acheté sur la route d’Acapulco a Chtlpanatugo. L’étoffe est rude au toucher comme certaines soieries de l’Inde qui sont ga ement le produit d’insectes très-différens diiveràsoiedumiîrier. oiiierens Dans la province de Mechoacan et dans les -«"•agoosdeSantaRosa.aunorddeGiÏ ê"o”ces°’d’°”b o^eoe d arbres, surtout aux branches de 1 ^riMus madrorm, des sacs de forme ovale qm ressemblent aux nids des Troupiales et Caaques. Ces sacs, appelés capullos de I chell sont 1 ouvrage d’un grand nombre de chenilles du genre Bombyx de Fabricius imsectes qui vivent en société, et qui ffle„; ensemble. Chaque capu/io a t8 à 1o centi métrés de longsur dix de large. Ib sont d’une blancheur éclatante, et formés par couches que [on peut séparer les unes des autres. Les couches intérieures sont les plus minces, et 4 une transparence extraordinaire. La matière CHAPITRE X. 239 dont ces grandes poches sont formées, res- semble au papier de la Chine : le tissu en est si dense , qu’on n’y reconnoît presque pas les fils qui sont collés transversalement les uns sur les autres. J’ai trouvé un grand nombre de ces capidlos de viadrono , en descendant du Coffre de Perote vers las Vigas, à une hauteur absolue de 3 2 00 métrés. On peut écrbe sur les couches intérieures de ces cocons , sans leur faire subir aucune espèce de préparation. C’est un véritable papier naturel, dont les anciens Mexicains savoient tirer parti, en collant ensemble plusieurs couches, pour en former un carton blanc et lustré. Nous avons fait venir, par le courrier, des chenilles vivantes du Bombyx madwno , de Santa Rosa à Mexico : elles sont d’une couleur ohvâtre , tirant sur le noir, et garnies de poils ; leur longueur est de 26 à 28 milli- mètres. Nous n’avons point vu leur métamor- phose, mais nous avons reconnu que, malgré la beauté et le lustre extraordinaire de cette soie de rnadrono, il sera presque impossible d’en tirer parti, à cause de la difficulté que l’on trouve à la dévider. Comme plusieurs chenilles travaillent ensemble, leurs fils sft ^4® livre IV , croisent et s’entrelacent mutuellement. J’ai cru devoir entrer dans ces détails, parce que des personnes plus zélées qu’instruites, ont fixé, il y a peu de temps, l’attention du gou- vernement françois sur la soie indigène du Mexique. La cire est un objet de la plus haute im- portance pour un pays où il règne beaucoup de magnificence dans le culte extérieur. Il s en consomme une énorme quantité dans les fêtes d’églises, tant dans la capitale que dans les chapelles des plus petits villages indiens. Les ruches sont d’un grand produit dans la péninsule de Yucatan , surtout aux environs du port de Campeche, qui, en i8o3, expédia 582 arrobas de cire pour la Vera-Cruz. On compte de six à sept cents ruches réunies dans un colmenar. Cette cire du Yucatan provient dune apiaire propre au nouveau continent, que 1 on dit dépourvue d’aiguillon , sans doute parce que son arme est très-foible et peu sensible. C’est cette circonstance qui a fait donner, dans les colonies espagnoles, le nom de petits anges ( angelitos ) aux abeilles que MM. Illiger, Jurine et Latreille ont décrites sous le nom de Mélipone et de CHAPITRE X. 241 Trigone. J’ignore siTabeille de Campeche est différente du Melipona fasciata que M. Bon- pland a trouvé sur la pente orientale des Cordillères *. II est certain que la cire des apiaires américaines èst plus difficile à blan- chir que la cire des abeilles domestiques de l’Europe. La Nouvelle-Espagne tire annuel- lement près de 26^000 arrohas de cire de la Havane, importation dont la valeur s’élève à plus de deux millions de livres tournois. Cette cire de l’île de Cuba ne provient ce- pendant qu’en petite partie des Trigones sauvages qui habitent les troncs du Cedrela odorata J la majeure partie en est due à l’abeille originaire du nord de l’Europe {^Apis mellijica) , dont la culture s’est fort étendue depuis l’année 1772. L’ile de Cuba a exporté en i8o3, y compris la contre- bande, 42,670 arrohas de cire. Le prix d’une arroha s’élevoit alors à 20 ou 21 piastres; mais le prix moyen n’est, en temps de paix, que de 1 5 piastres, ou de 76 livres tournois. ' Voyez les insectes recueillis dans le cours de notre expédition , et décrits par M. Latreille, dans notre Recueil (T oh sensations de Zoologie et Ana- tomie comparée, T. I, III. 16 ^42 LIVRE IV, En Amérique, le voisinage des sucreries fait beaucoup de mal aux abeilles: ces inseetes, très-avides de miel , se noient dans le jus de canne, qui les met dans un état d’immobilité et d ivresse , lorsqu elles en boivent a l’excès. L’éducation de la cochenille [grana , no- chiztU) est d’une haute antiquité dans la Nouvelle-Espagne : il est probable qu’elle remonte au delà de l’incursion des peuples Toltèques. Du temps de la dynastie des rois aztèques, la cochenille etoit plus commune qii’aujourd’hui. Il y avoit des nopaleries , non-seulement dansle Mixteeapan ( la Misteca ) et dans la province de Hiiaxyacac ( Oaxaca) , mais aussi dans 1 intendance de la Puebla , aux environs de Cholula et de Huejotzingo. Les vexations auxquelles les naturels ont été ex- posés au commencement de la conquête , le bas prix auquel les encomenderos forçoient les cultivateurs de leur vendre la cochenille, ont fait que cette branche de l’industrie indienne a été négligée partout, excepté dans l’intendance d’Oaxaca. Il y a à peine quarante ans que la péninsule de Yucatan avoit encore des nopaleries considérables. Dans une seule nuit tous les nopals sur lesquels CHAPITRE X. 243 vit la cochenille , furent coupés. Les Indiens prétendent que le gouvernement se porta à cette mesure violente , pour faire monter le prix d’une denrée dont on vouloit assurer la propriété exclusive aux habitans de la Mistèque. Les blancs assurent, au contraire, que les naturels, irrites et mecontens du prix que les négocians fixoient à la cochenille , ont détruit à la fois, et d’un commun accord» l’insecte et les nopals. La quantité de cochenille que l’intendance d’Oaxaca fournit à l’Europe , peut être évaluée, année commune, en j comprenant les trois sortes de grana , granilla et polvos degrana , à 4ooo zurrones , ou 32, 000 arrobasj ce qui, en comptant Yarroba à 76 piastres fortes, fait 2,4oo,ooo piastres, ou 12 millions de livres tournois. Il a été exporté par la Vera-Gruz, en cochenille: en 1802, 46,964 arrobas, ou pour 3,368,537 P* i8o3, 29,610 2,268,673 Mais une partie de la récolte d’une année se réunissant souvent à la récolte de l’année suivante , ce n’est pas par l’exportation seule c[u’il faut juger des progrès de la culture. Il 16* ^44 LIVRE IV 5 paroît qu’en général les nopaleries augmentent très-lentement dans la Misteea. Dans l’inten- dance de Guadalaxara, on récolte annuelle- ment à peine 800 arrobas de cochenille. Raynal * évalue toute l’exportation de la Nouvelle-Espagne à 4^00 quintaux, évalua- tion qui est de moitié trop basse. Les Grandes Indes ont aussi commencé à verser de la cochenille dans le commerce, mais la quantité en est peu considérable. Le capitaine Nelson a enlevé l’insecte à Rio Janeiro, en 1795. 'Des nopaleries ont été établies dans les en- virons de Calcutta , de Chittagong et de Madras, On y a trouvé beaucoup de difficulté pour se procurer l’espèce de Cactus propre à la nourriture de l’insecte. Nous ignorons si cette cochenille brasilienne transportée en Asie, est l’espèce farineuse d’Oaxaca, ou la cochenille cotonneuse (grana sibestre). Je ne répéterai point ici' ce que Thiery de Menonville et d’autres naturalistes après lui, ont publié sur la culture du nopal et sur l’édueation de l’insecte précieux qu’il nourrit. M. Thiery a mis autant de sagacité CHAPITRE X. 245 dans ses recherches, qu’il a déployé de cou- rage dans l’exécution de ses projets. Ses observations sur la cochenille introduite à St.-Domingue ^ sont sans doute très-exactes j mais ignorant la langue du pays, et craignant d’exciter la méfiance en montrant une cu- riosité trop active , il n’a pu recueillir , pen- dant son séjour dans l’intendance d Oaxaca, que des notions assez imparfaites sur les nopaleries mexicaines. J’ai eu occasion d ob- server la cochenille silvestre dans le royaume de la Nouvelle-Grenade, à Quito, au Pérou et au Mexique : je n’ai pas été assez heureux pour voir la cochenille fine ; mais ayant con- sulté des personnes qui ont vécu long-temps dans les montagnes de la Misteca, et ayant eu à ma disposition des extraits de plusieurs mémoires manuscrits que le comte de Tepa avoit fait dresser pendant son séjour à Mexico , par des alcades et des ecclésiastiques de l’évéché d’Oaxaca, je me flatte de pouvoir donner quelques renseignemens utiles sur un insecte qui est devenu un objet de la plus haute importance pour les manufactures de l’Europe. La cochenille farineuse , fine ou mistèquê ^46 livre IV , igranafina), est-elle spécifiquement differente de la cochenille cotonneuse ou silvestre (^grana silvesti-e) , ou cette dernière est-elle la souche primitive de la première, qui, par conséquent , ne seroit que le produit d’une degeneration due à 1 éducation et aux soins de l’homme ? Ce problème est aussi difficile à résoudre que la question si la brebis do- mestique descend du moufflon , le chien du loup , et le bœuf de 1 Aurochs, Tout ce qui tient à l’origine des espèces , à l’hjpothèse d une variété devenue constante , ou d’un type qui se perpétue , appartient à des problèmes de zoonomie , sur lesquels il est sage de ne pas prononcer affirmativement. La cochenille fine diffère de la silvestre , non-seulement par la grandeur , mais aussi en ce qu’elle est farineuse et couverte d’une poudre blanche; tandis que la silvestre est enveloppée d’un coton épais, qui empêche de disting'uer ses anneaux :lesmétamorphoses des deux insectes sont d’ailleurs les mêmes. Dans les parties de l’Amérique méridionale où 1 on s occupe, depuis des siècles, à élever la cochenille silvestre, on n’est pas parvenu à lui faire perdre son duvet. A St.-Domingue, ; CHAPITRE X. 247 il est vrai , on a cru observer dans les nopa- leries établies par M. Thiery, que l’insecte soigné par l’industrie deTliomme augrnentoit de volume, et qu’il éprouvoit un changement sensible dans l’épaisseur de son enveloppe cotonneuse : mais un savant entomologiste , M. Latreille , qui incline à regarder la coche- nille silvestre comme une espèce dilFérente delà cochenille fine, ci oit que cette dimi- nution du duvet n’a été qu’apparente , et qu’il faut l’attribuer à l’épaississement du corps de l’insecte. Les anneaux du dos de la femelle étant plus dilatés , les poils qui re- couvrent cette partie doivent paroitre moins rapprochés, et par cela même plus clairs. Quelques personnes qui ont séjourné long- temps dans les environs de la ville d Oaxaca , m’ont assuré que l’on observe quelquefois parmi les petits coccus qui viennent de naître, des individus couverts de poils assez longs. On pourroit être tenté de regarder ce fait comme une preuve que la nature , lorsqu elle a dévié du type primitif , y revient de temps en temps : c’est ainsi que la graine du Fragaria monophylla de M. Duchêne , produit cons- tamment quelques fraisiers communs à feuilles 248 Ï.IVRE IV,' divisées. Mais il ne faut pas oublier que la cochenille fine, en sortant du corps de sa mère, a le dos ridé et couvert de douze soies qui sont souvent très-longues , mais qui dis- paroissent dans l’insecte adulte. Des personnes qui n ’ontpas comparé attentivementla^eTOa///e delà cochenille fine avec celle de la cochenille silvestre, sont naturellement frappées de la présence de ces poüs. La cochenille fine paroît poudreuse dix jours après sa naissance, dès qu’elle s’est débarrassée de sa rqbe frangée de petites soies : la cochenille silvestre , au con- traire, se couvre de plus de poils à mesure quelle avance en âge; son duvet s’épaissit, et l’insecte ressemble à un petit flocon blanc, à l’époque qui précède l’accouplement des deux sexes. ^ Qu observe quelquefois ^ dans les iiopaleries d Oaxaca ^ que le mâle ailé de la cochenille fine s accouple avec la femelle de la cochenille silvestre. Ce fait a été cité comme une preuve évidente de 1 identité de Fespèce ; mais nous voyons s accoupler communément en Europe des coccinelles qui dilFèrent essentiellement par leur forme, par leur taille et par leur couleur. Lorsque deux espèces d’insectes sont CHAPITRE X. 249 voisines , cet accouplement ne doit pas nous étonner. La cochenille fine et la plante sur laquelle on l’élève , se trouvent-t-elles toutes deux à l’état sauvage au Mexique ? M. Thiery a cru pouvoir répondre négativement à cette ques tion. Ce naturaliste paroît admettre que Fm- secte et le nopal des plantations d Oaxaca ont été insensiblement modifiés dans leur forme, par TelFet d’une longue culture. Cette suppo- sition me paroît cependant aussi gratuite que celle d’après laquelle on regarderoit le blé , le maïs et le bananier comme des plantes dé- générées , ou , pour citer un exemple tire du règne animal, lellama, que l’on ne coniioit pas à l’état sauvage , comme une variété de la vigogne des Hautes- Andes. Le coccus cacti a une infinité d’ennemis parmi les insectes et les oiseaux. Partout où la cochenille cotonneuse se propage d’elle-même , on ne la trouve que peu abondamment : or , il est facile de conce- voir que la cochenille farineuse a du être plus rare encore dans son pays natal , parce qu’elle est plus délicate , et que, n’étant pas couverte de duvet , elle est plus sensible au froid et à l’humidité de l’air. En agitant la question si la 25o livre IV, cochenille fine penl se propager sans le soin de 1 homme, le snbdélégné de la province dOaxaca, Ruiz de Montoya', cite dans son mémoire, le fait très-remarquable « qu’à sept « lieues de distance du village deNexapa, il « existe un endroit dans lequel, favorisée par « des circonstances particulières, la plus belle « granafma se recueille sur des nopals sÆu- « vages très-hauts et très-épineux, sans que « 1 mise soit jamais donné la peine de nettoyer « les plantes, ou de renouveler la semaille de « la cochenille. . En outre, il ne faudroitpas setonner que, même dans un pays où cet imcte seroit indigène , il cessât presque en- tièrement de se trouver à l’état sauvage , dès que les habitans commenceroient à le recher- cher et à lelever dans des nopaleries. Il est probable que les Toltèques , avant d’entre- prendre une culture aussi pénible, auront recueilli la cochenille fine sur les nopals qui croissoient spontanément sur le flanc des montagnes d’Oaxaca. En récoltant les femelles avant qu elles eussent pondu , l’espèce devoit se trouver bientôt détruite, et c’est pour * Gazeta de literatura de Mexico , 1794 ^ p. 228I CHAPITRE X. obvier à cette destruction progressive, et pour enipêclicr le inébinge des coclieiiilles coton- neuses et larineuses sur le même cactus (les premières enlevant toute nourriture aux se- condes ) , que les naturels ont établi des nopaleries. Les plantes sur lesquelles se propagent les deux espèces de cochenilles , sont essentiel- lement dilFérentes : ce fait , très-certain , est un de ceux qui indiquent une différence pri- mitive et spéeifique entre la grana fina et la grand sihestre. Est-il probable que la coche- nille farineuse , si elle étoit une simple variété de la cochenille cotonneuse, périroit sur les mêmes cactus qui servent de nourriture à celle- ci, et que les botanistes désignent sous les noms de Cactus opuntia , G. tuna et C. ficus indica? M. Thiery , dans Fou vr âge ' que nous avons eu occasion de citer souvent, assure qu’à Saint-Domingue , dans la plaine du Cul- de-sac, la cochenille cotonneuse ou silvestre ne vient pas sur le Cactus tuna , mais sur le C. pereskia , qu’il range parmi les raquettes articulées. Je crains que ce botaniste n ait 232 LIVRE IV ; confondu une variété d’opuntia avec le vrai pereskia, qui forme un arbre à feuilles larges et grasses , et sur lequel je n’ai jamais trouvé de cochenille. Je regarde aussi comme très- douteux que la plante que Linbé a appelée Cactus coccinelhfer, et que nous cultivons en EOTope, soit le nopal sur lequel les Indiens dOaxaca élèvent la cochenille farineuse. M. DecandoUe % qui a répandu beaucoup de jour sur cette matière , paroît partager mon opinion ; car il cite comme sjnonjme de la raquette à cochenille le nopal sihestre de Thiery de Menonville , qui est entièrement différent de celui des plantations. En elïèt, Linné avoit donné le nom de Cactus cocci- nellifer à la raquette avec laquelle plusieurs jardins botaniques de l’Europe avoient reçu la cochenille cotonneuse, espèce à fleur pour- prée ( Ficus inclica vermiculos proferens de Pkkenet), qui est sauvage à la Jamaïque , à 1 de de Cuba , et presque partout dans les colonies espagnoles du continent. J’ai montré ce Cactus à des personnes très - éclairées , ^ * Plantes grasses de MM. Redouté et DecandoUe, livraison 24. CHAPITRE X. 253 qui avoient examiné avec . soin les nopa- leries d’Oaxaca : elles m’ont constamment assuré que le nopal des plantations en différé essentiellement , et que ce dernier , comme findique aussi M. Thiery , ne se trouve pas à fétat sauvage. De plus , fabbé Clavigero * , qui a vécu pendant cinq ans dans laMisteca, dit expressément que le fruit du nopal , sur lequel on propage la cochenille fine , est petit , peu savoureux et blanc, tandis que le fruit du Cactus coccinellifer Linn. est rouge. Le célèbre Ulloa avance dans ses ouvrages, que le vrai nopal est sans épines ; mais il paroit avoir confondu cette plante avec une raquette que nous avons trouvée souvent dans les jardins (^conucos^ des Indiens du Mexique et du Pérou , et que les créoles, à cause de sa taille’ gigantesque , de l’excellence de ses fruits , et de la beauté de ses articles , qui sont d un vert bleuâtre , et dépourvus d épines , dé- signent par le nom de Tuna de Castdla. Ce dernier nopal, le plus élégant de tous les opuntia , est en eflet propre à nourrir la co- chenille farineuse, surtout lorsqu elle vient de 2^4 livre IV, naître ; on ne le trouve cependant que très- peu dans les nopaleries d’Oaxaca. Si , d’après ropimon de quelques botanistes distingués , e 'luna ou Nopal de Castilla n’est qu’une variété du Cactus opuntia ordinaire, due à la culture, on doit être surpris que les raquettes cultivées depuis des siècles dans nos jardins botaniques , et celles des nopaleries de la Nouvelle -Espagne, n’aient pas également perdu les épines dont leurs ar ticlessont armés. Les Indiens de l’intendance d’Oaxaca ne suivent pas tous, dans l’éducation de la coche- nille, la même méthode que M. Thierj de Menonville a vu pratiquer lors de son passage rapide par San Juan del Rè, San Antonio et yuicalian. Ceux du district de Sola et de Ziinatlan ' établissent leurs nopaleries sur la pente des montagnes , ou dans des ravins éloignés de deux ou trois lieues de leurs vil- lages. Ils plantent les nopals après avoir coupe et brûlé les arbres qui couvroient le terrain. S’ils continuent à nettoyer le sol deux fois par an, les jeunes plantes sont en état de ^ Informe de Bon Francisco Ibafiez de Coroera. ( Manu.scrit. J CHAPITRE X. nourrir la cochenille dès la troisième année. Pour cet effet;, le propriétaire d’une nopalerie achète ^ au mois d’avril ou de mai ^ des branches ou articles de Tunas de Castillan chargés de petites cochenilles ( semilla ) , récemment nées. Ces articles ^ dépourvus de racines ^ et séparés des troncs ^ conservent leur suc pendant plusieurs mois : ils se vendent à peu près trois francs le cent, au marché d’Oaxaca. Les Indiens conservent la semaille de la cochenille pendant vingt jours, dans des cavernes , ou dans Fintérieur de leurs ca- bannes : après cette époque ils exposent les jeunes coccus à l’air libre. On suspend les articles sur lesquels l’insecte est fixé , sous un hangar couvert d’un toit de paille. L’ac- croissement de la cochenille est si rapide, qu’au mois d’août ou de septembre on trouve déjà des mères grosses avant que les petits soient éclos. On place ces cochenilles-mères dans des nids faits d’une espèce de Tillandsia , appelé Paxtle, C’est dans ces nids qu’on les porte à deux ou trois lieues du village, et qu’on les distribue dans les nopaleries , où les jeunes plantes reçoivent la semaille, La ponte des cochenilles -mères dure treize à 25^6 livre IV, quinze jours. Si le lieu dans lequel la planta- tion se trouve, n est pas tres-élevé, on peut compter sur la première récolte en moins de quatre mois. On observe que, dans un climat plus foid que tempéré, la couleur de la coche- nille est également belle , mais que la récolte y est beaucoup plus tardive. Dans la plaine, les cochenilles-mères grossissent davantage, mais elles y trouvent aussi plus d’ennemis dans l’innombrable quantité d’insectes (xîca- rilas ,perntos , aradores , (igujas , armadillos j culebritas), de lézards, de rats et d’oiseaux qui les dév^orent. Il faut un soin infini pour nettoyer les articles des nopals ; les femmes indiennes se servent pour cela d’une queue d écureuil ou de cerf •, elles sont accroupies des heures entières auprès d’un seul plant; et, malgré le prix excessif de la cochenille , on pourroit douter que cette culture fût très- profitable dans des pays où l’on sauroit tirer parti du temps et du travail de l’homme. A Sola , où il tombe des pluies très-froides , et même souvent de la grêle au mois de janvier, les naturels conservent les jeunes cochenilles en couvrant les nopals avec des nattes de jonc : aussi le prix delà semaille de grana Jina, qui CHAPITRE X. 2^7 généralement ne coûte que 5 francs la livre , y monte souvent jusqu’à i8 et 20. Dans plusieurs districts de la province d’Oaxaca , on fait trois récoltes de cochenille par an , dont la première (celle qui donne la semaiüe ) n’est pas lucrative , parce que la mère ne conserve que très-peu de suc colo- rant ^ si elle périt naturellement après avoir mis bas. Cette première récolte fournit la grana de pastle ou cochenille des nids ^ appe- lée ainsi , parce qu’on trouve les mères après la ponte / dans ces mêmes nids qui ont été suspendus aux nopals. Près de la ville d’Oaxa- ca , on sèînelà cochenille au mois d’août ; dans le district de Chontale , cette opération ne se fait qu’au mois d’octobre ; sur les plateaux les plus froids , en novembre et en décembre. La cochenille cotonneuse ou silvestre qui s’introduit dans les nopaleries, et dont le mâle , d’après l’observation de M. Alzate , n’est guère plus petit que le mâle de la cochenille farineuse ou fine , fait beaucoup de tort aux nopals : aussi les Indiens la tuent partout où ils la trouvent^ quoique la couleur qu’elle donne soit très-solide et très-belle. Il paroît que non-seulement les fruits , mais 258 livre IV, aussi les articles verts de plusieurs espèces de Gaetus pourroient servir pour teindre le coton en violet et en ronge , et que la couleur de la cochenille n’est pas entièrement due à un procédé à’ animalisation des sucs végétaux dans le corps de l’insecte. A Nexapa , on compte que dans de bonnes années une livre de semaille de cochenille farineuse placée sur les nopals au mois d’oc- tobre, donne au mois de janvier une récolte de 12 livres de cochenilles-mères, en laissant sur la plante la suffisante ; c’est-à-dire, en ne commençant la récolte que lorsque les mères ont fait la moitié de leurs petits. Cette nouvelle semaille produit jusqu’au mois de mai encore 36 livres. A Zîmatlan , et dans d autres villages de la Misteca et du Xicajan , on récolte à peine trois à quatre fois la quan- tité de cochenille semee. Si le vent du sud, qui est très-pernicieux à l’accroissement de 1 insecte , n a pas soufflé long-temps, et que la cochenille ne soit pas mêlée de tlasole, c’est- à-dire , des dépouilles des mâles ailés , elle ne perd que â.eux tiers de son poids , séchée au solei Les deux espèces de cochenilles ( la fine CHAPITRE X. 259 et la silvestre) paroissent contenir plus de principe colorant dans les climats tempérés , surtout dans les régions où la température moyenne de l’air est de 18 ou 20 degrés centigrades. La coclienille fine peut résister à des froids très-considérables : elle se cultive encore dans la province d’Oaxaca , sur des plateaux où le thermomètre est presque cons- tamment à lo ou 12 degrés centigrades. Quant à la cochenille silvestre, nous l’avons trouvée abondamment dans les climats les plus opposés, dans les montagnes de Rio- bamba , à 2900 mètres de hauteur absolue , et dans les plaines de la province de Jaen de Bracamoros, sous un ciel brûlant, entre les villages de Tomependa et Chamaja. Autour de la ville d’Oaxaca, et surtout près d’Ocotlan, il y a des plantations ( ha- ciendas) qui renferment 5o à 60,000 nopals plantés en lignes comme despites ovunaguejs de pulque. La plus grande partie de la co- chenille qui entre dans le commerce , est cependant fournie par de petites nopaleries qui appartiennent à des Indiens extrêmement pauvres. On ne laisse généralementpass’élever le nopal au-dessus de douze décimètres, afin 17* 260 LIVRE IV, qu’on puisse le dépouiller plus fôcilement des insectes qui dévorent la coclienille. On préfère même les variétés de Cactus qui ont plus d’épines et de poils ^ parce que ces armes servent à protéger la cochenille contre les insectes volans ^ et l’on a soin de couper la fleur etle fruit pour empêcher que ces derniers n’y déposent leurs œufs. Les Indiens qui élèvent la cochenille , et que l’on désigne par le nom de nopaleros y ceux surtout qui vivent autour de la ville d’Oaxaca, suivent une pratique très-ancienne et très-extraordinaire ^ celle de faire vojciger la cochenille. Dans cette partie de la zone torride ^ il pleut dans les plaines et dans les vallées ) depuis le mois de mai jusqu’au mois d’octobre ; tandis que dans la chaîne de mon- tagnes voisines, appelée Sierra de Istepeje y les pluies ne sont fréquentes que depuis dé- cembre jusqu’en avril. Au lieu de conserver l’insecte pendant la saison des pluies, dans rintérieur des cabanes , les Indiens placent les cochenilles-mères, couvertes de feuilles de palmiers, couche par couche , dans des paniers faits avec des lianes très-flexibles. Ces paniers {canastos) sont portés à dos d’indiens, CHiVPlTRE X. 261 et le plus vite possible , dans les montagnes d’Istepeje , au - dessus du village de Santa Catalina , à 9 lieues de distance d’Oaxaca. Les cochenilles - mères font leurs petits en chemin. En ouvrant les canastosy onles trouve remplis de jeunes coccus y que Ton distribue sur les nopals de» la Sierra : ils y séjournent jusqu’au mois d’octobre ^ où les pluies finissent dans les régions moins élevées ; alors les Indiens retournent à la montagne pour cher- cher la cochenille et pour la replacer dans les nopaleries d’Oaxaca. C est ainsi que le Mexicain fait voyager des insectes pour les soustraire aux effets pernicieux de rhumidité, comme l’Espagnol fait voyager les mérinos pour éviter le froid. A l’époque des récoltes , les Indiens tuent les cochenilles - mères ; recueillies dans un plat de bois appelé chilcalpetl y en les jetant dans de l’eau bouillante , ou en les amoncelant couche par couche au soleil, ou en les plaçant sur des nattes dans ces mêmes fours de forme circulaire ( temazcalli) qui servent aux bains de vapeurs et d’air chaud dont nous avons parlé plus haut La dernière méthode , qui ^ Voyez ci-dessLis, T. Il, p* 45o. M. Alzale , 202 livre IV, «St la moins en usage, conserve au corps de 1 insecte cette poudre blanchâtre dont il est couvert , et qui rehausse son prix à Vera- Cruz et à Cadix. Les acheteurs préfèrent la cochenille blanche, parce qu’elle est moins sujette à être mêlée frauduleusement avec des parcelles de gomme, de bois, de maïs et de terre rouge. Il existe au Mexique des lois très-anciennes (des années i5g2 et i5g4), tendant à empêcher la falsification de la co- chenille. Depuis l’année 1760, on s’est même vu forcé d’établir à la ville d’Oaxaca un jurj de veadores qui examinent les sacs (zurrones) avant qu’on les envoie hors de la province. On a ordonné que la cochenille mise en vente ait le séparé, afin que les Indiens ne puissent pas introduire des matières étran- gères dans ces masses agglutinées appelées hodoques. Cependant tous ces moyens n’ont pas suffi pour éviter la fraude. Celle qui se fait au Mexique , par les tiangueros on zan- ganos {falsificadorés) , est cependant peu con- a donné .une bonne figure du temazcalli ( Gazeta de titeratura de Mexico, assure que la- chaleur ordinaire des vapeurs dans lesquelles se baigne riadieu mexicain, est de 66" centigrades. CHAPITRE X. i63 sldérable en comparaison de celle à laquelle cette marchandise est exposée dans les ports de la péninsule et dans le reste de l’Europe. Pour achever le tableau des productions animales de la Nouvelle-Espagne , nous devons encore jeter un coup-d’œil rapide sur la pêche des perles ^ et sur celle de la haleine. Il est probable que ces deux branches de pêches deviendront un jour des objets d’une haute importance pour un pays qui embrasse une étendue de côtes de plus de 1700 lieues marines. Long-temp§ avant la découverte de l’Amérique , les perles étoient très-estimées des naturels. Hernando de Soto en trouva une quantité immense dans la Floride, sur- tout dans les provinces d’Ichiaca et de Gon- fachiqui , où les tombeaux des princes en étoient ornés *. Parmi les présens que Mon- tezùma fit à Cortez avant son entrée à Mexico, et que celui-ci envoya à l’empereur Charles- Quint , il y avoit des colliers garnis de rubis J d’émeraudes et de perles ^ Nous ignorons si ^ La Florida dél Inca ^ Madrid, 17 -^3, p. 129, i35 et i4b. ^ Gomara , Conquista de Mexico ( Médina del Campo, i553) , fol. 26. 264 livre IV,’ les rois aztèques recevoient une partie de ces dernières par la voie du commerce avec les peuples barbares et nomades qui fréquentoient le golfe de Californie. Il est plus certain qu’ils faisoient pêcher des perles sur les côtes qui s’étendent depuis Colima , limite septentrio- nale de leur empire, jusqu’à la province de Xoconochco ou Soconusco , surtout près de, Tototepec , entre Acapulco et le golfe de Tehuantepec , et dans le Cuitlatecapan. Les Incas du Pérou attachoient une grande valeur aux perles; mais les lois de Manco-Gapac défendoient aux Péruviens le métier de plon- geur, comme peu utile à l’état , et dangereux pour ceux qui s"j livrent Les parages qui , depuis la découverte du nouveau continent, ont fourni le plus abon- damment des perles aux Espagnols , sont le^ suivans : le bras de mer entre les îles Cubagua et Coche, et la j:ote de Gumana; Fembou- chure du Rio de la Hachà ; le golfe de Panama, près de Islas de las Perlas^ et les côtes orientales de la Californie. En 1687, on emporta à Séville 3i6 kilogrammes de * Gardlasso^ Lib. VIII, c, aS. CHAPITRE X. 265 perles , parmi lesquelles il y en avoit cinq kilogrammes ‘ de la plus grande beauté, destinées pour le roi Philippe ii. Les pêches de perles de Cubagua et de Rio de la Hacha ont été très - productives , mais de peu de durée. Depuis le commencement du dix- septième siècle, surtout depuis les navigations d’Yturbi et de Piùadero , les perles de la Californie ont commencé à rivaliser dans le commerce avec celles du golfe de Panama. A cette époque on envoya les plongeurs les plus habiles sur les côtes de la nier de Cortez ; cependant la pêche fut bientôt négligée de nouveau ; et si du temps de 1 expédition de Calvez on a essayé de la relever, cette ten- tative a été rendue infructueuse par les causes que nous avons exposées plus haut % en donnant la description de la Californie. Ce n’est qu’en i8o3 qu’un ecclésiastique espagnol, résidant à Mexico , a fixé de nouveau l’atten- tion du gouvernement sur les perles de la côte de Ceralvo , en Californie. Comme les plongeurs (^Msos).perdent beaucoup de temps '^ Acosta, Lib. IV, c. i5. “ Voyez ci-dessus, Chap. Vlil, 1. Il, p. 420. 266 livre IV, à venir respirer l’air à la surface de l’eau , et qu’ils se fatiguent inutilement en descendant a plusieurs reprises au fond de la mer , cet ecclésiastique a proposé d’emplojer à la pêche es perles une cloche de plongeur qui doit servir comme un réservoir d’air atmosphé- rique, et sous laquelle le plongeur se réfugiera chaque fois qu’il aura besoin de respirer. Muni d un masque et d’un tujau flexible , il pourra se promener au fond de l’Océan' en inspirant l’oxigène fourni par la cloche à laquelle aboutit le tujau. Pendant mon séjour dans la Nouvelle-Espagne , j’ai vu faire dans un petit étang , près du château de Ghopol- tepec, une série d’expériences très-curieuses, tendant à exécuter ce projet. C’étoit sans doute la première fois qu’une cloche de plongeur avoit été construite à la hauteur de 25oo mètres , c’est-à-dire à une hauteur qui égale celle du passage du Simplon. J’ignore si les expériences faites dans la vallée de Mexico ont été répétées dans le golfe de Californie, et si la pêche des perles j a été recommencée après une interruption de plus de trente ans ; car jusqu’à ce moment presque toutes les perles que fournissent les colonies CHAPITRE X. ^6^ espagnoles à l’Europe , viennent du golfe de Panama. Parmi les coquilles pélagiques de la Nou- velle-Espagne, je dois encore nommer ici le Murex de la côle de Tehuantepec, dans la province d’Oaxaca, dont le manteau transsude une liqueur colorante de couleur pourpre^ et la fameuse coquille de Monterej, qui res- semble aux plus beaux Haliotis de la Nouvelle- Zélande. Cette dernière se trouve sur les côtes delà Nouvelle-Californie surtout entre les ports de Monterej et de San Francisco. Elle est employée ; comme nous l’avons observé plus haut^ dans le commerce des fourrures avec les habitans de Noutka. Quant au gasté- ropode deTeîiuantepec, les femmes indiennes en recueillent la liqueur pourprée ^ en suivant le rivage et en frottant le manteau du Murex avee du coton dépouillé de sa graine. Les côtes occidentales du Mexique , surtout la partie du Grand Océan située entre le golfe de Bayonna , les trois îles Maries et le cap Saint-Lucas , abondent en cachalots y dont la pêche, à cause de l’extrême cherté du blanc- de-haleine (adipocire), est devenue, pour les Anglois et pour les habitans des Etats- 26B LIVRE IV 5 Unis, lin des objets les plus importons de spéculation mercantile. Les Espagnols mexi- cains voient arriversur leurs côtes des pêcheurs de cachalots qui sont obligés de faire une navigation de plus de 5ooo lieues marines , et que 1 on désigne assez improprement sous le nom de halleheros ( whalers ) ; mais ils ne sont point tentés de prendre part à la chasse de ces grands mammifères cétacés. M. Schneider , aussi bon physicien que savant helléniste, MM. de Lacépède et Fleurieu ont donné des renseignemens très-exacts sur les pêches de la baleine et des cachalots dans les deux hé- misphères. Je consignerai ici les notions plus récentes que j'ai pu recueillir pendant mon séjour sur les côtes^de la mer du Sud. Sans la pêche des cachalots, sans le com- merce des fourrures de loutres marines de Noutka , le Grand Océan ne seroit presque pas fréquenté par les Anglo - Américains et les nations de l’Europe. Malgré l’économie extrême que l’on met dans les expéditions de pêche , celles qui se font au delà du cap de Horn sont trop coûteuses pour que la baleine ^ V oyage de Marchand T. Il, p. 6oo, 64 1. CHAPITRE X. 369 ( black-whale) puisse en être l’objet. Les frais de ces navigations lointaines ne peuvent être compensés que par le haut prix que le besoin ou le luxe attachent aux marchandises de retour. Or, de tous les liquides huileux qui entrent dans le commerce, il y en a peu qui soient plus chers que le blànc-de-baleine , ou la substance particulière renfermée dans les énormes cavités du museau des cachalots. Un seulindividu de ces cétacés gigantesques donne jusqu’à 125 barils ‘ anglois ( à 02 — gallons chacun ) de sperma ceti. Un tonneau conte- nant huit de ces barils, ou 1024 pintes de Paris, s’est vendu à Londres, avant la paix d’Amiens, 70 ou 80, et, pendant la guerre, gS et 100 livres sterlings. Cen’estpas la troisième expédition de Cook, dirigée aux côtes nord-ouest du nouveau con- tinent, c’est le voyage de James Gollnet aux îles Gallapagos, qui a fait connoître aux Euro- péens et aux Anglo-Américains 1 abondance de cachalots qui existe dans le Grand Océan, 1 Un baril a i,48 hectolitres, ou environ 178 1 pintes de Paris. {Recherches sur la richesse des nations , par jldam Smith , traduction de M. Garnier , T. V , p. 45i.) livre IV, Tau nord de l’équateur. Jusqu’en 1788 les pêcheurs de baleine ne fréquentoienl que les cotes du Club et du Pérou. On ne comptoit alors que douze ou quinze vaisseaux qui pas- soient annuellement le cap de Horn pour faire la pêche du cachalot; tandis qu’à l’époque où ] etois dans la mer du Sud , il j en avoit plus de soixante sous pavillon anglois. Le Phjseter macrocephalus n’habite pas seulement les mers Arctiques entre les côtes du Grœniand et le détroit de Davis ; on ne le trouve pas seulement dans l’Océan Atlantique, en tre le ban c de Terre-Neuve et les îles Açores , ou les Anglo-Américains en fontquelqnefois la' pêche : ce cétacé se présente aussi au sud de l’équateur , sur les côtes du Brésil et de la Guinée. Ilparoît que, dans ses vojages pério- diques, il se rapproche plus du continent de l’Afrique que de celui d’Amérique ; car dans les environs du Rio Janeiro et de la Bahia on ne prend que des baleines. Cependant la pêche du cachalot a beaucoup diminué sur les côtes de la Guinée , depuis que les navigateurs craignent moins de doubler le cap de Horn, et depuis qu on est devenu plus attentif aux cétacés qui abondent dans le Grand Océan. CHAPITRE X. On trouve des physetères , et par bandes assez considérables ^ dans le canal de Mozambique^ et au sud du cap de Bonne-Espérance ; mais ranimai y est généralement petit ^ et la mer , constamment houleuse et agitée , n’y favorise pas la manœuvre des harponneurs. Le Grand Océan réunit toutes les circon- stances qui peuvent rendre la pêche du cacha- lot facile et lucrative : plus riche en mol- lusques, en poissons , en marsouins, en tortues et en phoques de toute espèce , il offre plus de nourriture aux cétacés souffleurs que l’Océan Atlantique ; aussi ces derniers y sont- ils en plus grand nombre, plus gras, et d’une taille plus considérable. Le calme qui règne pendant une grande partie de l’année dans la région équinoxiale de la mer du Sud , facilite singulièrement la poursuite des cachalots et des baleines. Les premiers s’éloignent peu des côtes du Chili , du Pérou et du Mexique , parce qu’elles sont taillées à pic ( acantiladas ) et baignées par des eaux d’une grande pro- fondeur. C’est une règle générale que le cachalot fuit les bas-fonds , tandis que la ba- leine les cherche. C’est par cette raison que ce dernier cétacé est très- fréquent sur les r ^7^ livre IV, cotes basses du Brésil; tandis que le premier abonde près de celles de la Guinée, qui sont plus élevées et partout accessibles pour les plus grands bâtimens. Telle est, engénéral, la constitution géologique des deux continens , que les cotes occidentales de bAmérique et de l’Afrique se ressemblent , tandis que les côtes orientales et oceidentales du nouveau continent offrent le contraste le plus remar- quable sous le rapport de leur élévation au- dessus du fond de l’Océan v'^oisin. La plupart des vaisseaux anglois ou anglo- américains qui entrent dans le Grand Oce°an, ont le double but delà pèche du cachalot et du commerce illicite av'ec les colonies espagnoles. Ils doublent le cap de Horn , après avoir tente de laisser des marchandises de contre- bande à l’embouchure de la rivière de la Plaîa, ou au présidé des îles Malouines. Ils commencent à faire la pêche du cachalot près des petites îles désertes de Mocha et de Santa Maria , au sud de la Goncepcion du Chili. A Mocha , il J a des chevaux sauvages que les habitans de la côte voisine y ont introduits, et qui servent quelquefois de nourriture aux navigateurs. L’île de Santa Maria a des sources CHAPITRE X. ' 273 très-belles et très- abondantes : on y trouve des cochons devenus sauvages^ et une espèce de navets très-gros et très-nourrissans, queTotl croit propre à ces climats. Après avoir sé- journé dans ces parages pendant l’espace d’ua mois , et après avoir fait le commerce de contrebande à Tîle de Chiloe, les bâtimens pêcheurs ( balleneros) ont coutume de longer les côtes du Chili et du Pérou jusqu'au cap Blanc, situé sous les 4® 18' de latitude aus- trale. Le cachalot est partout très-commun dans ces parages , jusqu’à quinze ou vingt lieues de distance du continent. Avant l’expé- dition du capitaine Collnet , la pêche finissoit au cap Blanc ou près de l’équateur ; mais ^ depuis quinze à vingt ans , les balleneros la continuent au nord , jusqu’au delà du Gabo Corientes , sur les côtes mexicaines de l’inten- dance de Guadalaxara. C’est autour de l’ar- chipel des Galapagos, sur lesquels il est très- dangereux d’atterrir, à cause de la force des courans, et autour las très Marias ^ que les cétacés sont le plus fréquens et d’une taille gigantesque. Au printemps, les envi- rons des Galapagos sont le rendez-vous de tous les cachalots macrocéphales des côtes du III. x8 274 LIVRE IV, Mexique, de celles du Pérou et du golfe de Panama , qui viennent s j accoupler : à cette époque, M. Collnet y a vu de jeunes indi- vidus de deux mètres de longueur. Plus au nord des îles Marias, dans le golfe de Cali- fornie, on ne trouve plus dephjsetères, mais seulement des baleines. Les pêcheurs baleiniers distinguent facile- ment de loin les cachalots des baleines , par la manière dont les premiers font jaillir l’eau par leurs évents. Les cachalots peuvent rester plus long -temps sous l’eau que la baleine franche : lorsqu’ils viennent à la surface, leur respiration est plus souvent interrompue ; ils laissent moins séjourner l’eau dans les poches , membraneuses placées au-dessus des narines; les jets sont plus fréquens , plus dirigés en avant, et plus élevés que dans les autres souf- fleurs. La femelle du cachalot est quatre à cinq fois plus petite que le mâle ; sa tête ne fournit que 26 iarils anglois à’adipocire, quand la tête du mâle en donne de 100 à 126. Ln grand nombre de femelles ( cow-whales) voyagent généralement ensemble , conduites par deux ou trois mâles ( bull-whales ) , qui décrivent perpétuellement des cercles autour CHAPITRE X* 2^5 de leur troupeau. Les femelles très-jeunes , qui ne donnent que 1 2 à i6 barils de matière adipo- cireuse , et que les pêcheurs ang-lois appellent écolières ( school-whales ) , nagent si près les unes des autres, qu’elles sortent souvent à mi-corps de l’eau. Il est presque superflu d’observer ici que l’adipocire, qui ne fait pas partie du cerveau de l’animal , se trouve non- seulement dans toutes les espèces connues des cachalots ( Catadontes Lac. ) , mais aussi dans tous les physales et les physetères. Le blanc-de- baleine tiré des cavités du museau du cachalot, cavités qu’il ne faut pas confondre avec celle du crâne, n est que le tiers de l’huile épaisse et adipocireuse que fournit le reste du corps. Le sperma ceti de la tête est de première qualité ; on l’emploie à la fabrication des chandelles : celui du corps et de la queue ne sert, en Angleterre, qu’à donner du lustre aux draps. Cette pêche, pour être profitable, doit se faire avec la plus grande économie : on y em- ploie des bâtimens de 180 à 3oo tonneaux; l’équipage ne consiste qu’en 16 ou 24 indi- vidus, y compris le capitaine et le maître, qui eux-mêmes sont forcés de jeter le harpon 18* 2^6 LIVRE IV 5 comme les simples matelots. On évalue , à Londres , les frais d’armement d’un bâtiment de 180 tonneaux, doublé en cuivre, et approvisionné pour une campagne de deux ans , à 7000 livres sterlings. Chaque bâtiment pêcheur de la mer du Sud a deux canots : l’armement de chaque canot exige quatre ma- telots , un mousse, un timonier, un cable de i3o brasses de long, trois lances, cinq harpons, une hache et une lanterne pour se faire voir de loin pendant la nuit. L’armateur ne donne aux matelots que la nourriture > et une somme très -modique d’argent à titre d’avance : leur paye dépend du produit de la pêche; car, comme tout l’équipage y prend part, chaque individu a droit au profit. Le capitaine reçoit le maître d’équipage—, le second maître^, le contre-maître le matelot de tout le produit. On regarde la pêche comme bonne , si un bâtiment de 200 tonneaux retourne dans le port, chargé de 800 barils dè blanc-de-baleine. Le cachalot, persécuté sans cesse , commence , depuis quelques années , à devenir plus farouche et plus difficile à prendre. Mais pour favoriser la-navigation dans la mer du Sud , le gouver- CHAPITRE X. 277 nement britannique accorde des avances à chaque bâtiment qui sort pour la pèche du cachalot : ces avances sont de 3oo à 800 livres sterlings, selon le tonnelage du bâtiment Les Anglo -Américains font cette pêche avec plus d'économie encore que les Anglois. Les anciennes lois espagnoles défendent aux vaisseaux baleiniers ^ comme aux autres bâti- mens étrangers, d'entrer dans les ports de l’Amérique , si ce n’est dans les cas de détresse ou de manque d’eau et de vivres. Les îles Gala- pagos, sur lesquelles les pêcheurs débarquent quelquefois leurs malades, ont des sources, mais ces sources sont très-pauvres et très-in- constantes. L’île des Cocos (lat. 5^ 53' bor. ) est très-riche en eau ; mais en cinglant des Galapagos au nord > cette petite île isolée est difficile à trouver, à cause de la force et de l’irrégularité des eourans. Les baleiniers ont des motifs puissanspour préférer de faire l’eau à la côte : ils cherchent des prétextes pour entrer dans les ports de Coquimbo, Pisco, Tombez^ Pay ta, Guayaquil , Realejo, Sonzo- nate et San Blas. Quelques jours , souvent même quelques heures , suffisent à l’équipage des bâtimens pêcheurs , pour former dés livre IV ; 278 lioisons 01 cclcs lioliituns^ pour leur vêndrc des marchandises angloises^ et pour j prendre des chargemens de cuivre ^ de vigogne , de quin- quina^ de sucre et de cacao- Ce commerce de contrebande se fait parmi des personnes qui îie parlent pas la même langue ^ souvent par signes , et avec une bônne-foi très^-rare parmi les peuples policés de l’Europe^ Il seroit superflu d’énumérer les avantages qu auroient lés habitons des colonies espar gnolp sur les Anglois et sur les Américains des Etats-Unis , s’ils vouloient prendre part à la pêche du cachalot. De Guajaquil et de Panama, on se rend en dix ou douze jours dans les parages où ce cétacé abonde. La naviga- tion de San Blas aux îles Marias est à peine dé trente-six heures. Les Espagnols Mexicains , en s adonnant à la pêche , auroient à faire 4ooo lieues de moins que les A nglo- Améri- cains ; ils auroient les vivres à meilleur marché | ils trouveroient partout des ports dans les- quels ils seroient reçus en amis , et qui leur fourniroient de nouvelles provisions. Le blanc- de-baleine, il est vrai, est encore peu recher- ché sur le continçiîl de l’Amérique espagnole. Le clergé s’obstine à confondre l’adipociie CHAPITRE X. 379 avec le suif, et les évêques américains ont déclaré que les cierges qui bi’ûlent sur les autels , ne peuvent être que de cire d’abeilles : cependant à Lima on a commencé à tromper la vigilance des évêques, en mêlant le blanc- de-baleines à la cire. Des négocians qui ont acheté des prises angloises, en ont eu de grandes quantités et l’adipocire employée aux fêtes d’ég'lise est devenue une nouvelle branche de commerce très-lucrative. Ce n’est pas le manque de bras qui pour- roit empêcher les habitans du Mexique de se livrer à la pêche du cachalot; il ne faudroit que deux cents hommes pour armer dix bâ- timens pêcheurs , et pour recueillir annuelle- ment près de mille tonneaux de blanc -de- baleine : cette substance pourroit devenir, avec le temps , un article d’exportation presque aussi important que le cacao de Guayaquil et le cuivre de Goquimbo. Dans l’état actuel des colonies espagnoles , la pa- resse des habitans s’oppose à l’exécution de ces projets : comment trouver des matelots qui consentent à embrasser un métier aussi rude , une vie aussi misérable que celle des pêcheurs de cachalot? comment les trouver 280 LIVRE IV, dans un pays où, d’après les idées du bas- peuple , il ne faut que des bananes, de la viande salée, un hamac et une guitare pour être heureux ? L’espoir du gain est un stimu- lant trop foible sous une zone où la nature bienfaisante offre à l’homme mille moyens de se procurer une existence aisée et paisible , sans quitter son pays , et sans lutter contre les monstres de l’Océan. Depuis long-temps le gouvernement espa- gnol a vu d’un mauvais œil la pêche du cachalot , qui attire les Anglois et les Anglo- Américains ' sur les côtes du Pérou et du Mexique. Avant que cette pêche fût établie, les habitans des côtes occidentales de l’Amé- rique n’avoient vu flotter dans ces mers d’autre pavillon que le pavillon espagnol. Des raisons politiques auroient pu engager * D’après des renseîgnemens officiels que je dois a M. Gallalin, niinislre des finances à Washington, il y,a eu dans la mer du Sud, en 1800, 1801 et 1802, annuellement dix-huit à vingt bâtimens baleiniers (de’ 2800 à 3200 tonneaux) des États-Unis. Un tiers de ces bâtimens sortent du port de Nantucket. En i8o5 , 1 importation du blanc-de-baleine , dans ce port, étoit de 11 46 barils. CHAPITRE X. 281 la métropole à ne rien épargner pour encou- rager les pêches nationales , moins peut-être dans le but d’un profit direct , que pour exclure la concurrence des étrangers, et pour empêcher leurs liaisons avec les natu- rels. Des privilèges accordés à une compagnie qui résidoit en Europe , et qui n a jamais existé que de nom , ne pouvoient pas donner la première impulsion aux Mexicains et aux Péruviens. Les arméniens pour la pêche doivent se faire en Amérique même , à Guaya- quil, à Panama ou à San Blas. Il existe cons- tamment sur ces côtes un certain nombre de matelots anglois, qui ont abandonné les bati- mens baleiniers, soit par mécontentement, soit pour chercher fortune dans les colonies espagnoles. Les premières expéditions pour- roient se faire en mêlant ces matelots, qui ont une longue expérience de la pêche du cachalot, aux zanibos de F Amérique, qui osent attaquer corps à corps les crocodiles. Nous venons d’examiner dans ce chapitre la véritable richesse nationale du Mexique ; car les produits de la terre sont en effet la seule base d’une opulence durable. Il est consolant de voir que le travail de l’homme , 282 livre IV, depuis un demi-^siècle , a été plus dirigé vers cette source féconde et inépuisable, qL vers i exploitation des mines, dont les richesses n’influent pas directement sur la prospérité publique , et ne changent que la valeur nonii- nale^ du produit annuel de la terre. L’impôt territorial que le clergé perçoit sous le nom de dîme, mesure la quantité de ce produit; il indique avec précision les progrès de l’in- dustrie agricole, si toutefois l’on compare des époques dans l’intervalle desquelles le prix des denrées n’a pas sensiblement changé. Voici le tableau de la valeur de ces dîmes en prenant pour exemple deux séries d’années, de 1771 à 1780, et de 1780 à 1789. ^ J ai tire ce taLîeau d’un mémoire manuscrit de M, Maniao , fait sur des pièces officielles , et portant le titre ^Estado de la Renia de Real Hacienda de Hueva Espana en un aho commun del quinquenio de 1784 Jiasta 1789. Les nombres qi|e contient ce tableau diffèrent un peu de ceux qui ont été publiés par M. Pinkerton (Vol. III, p. 234), d’après l’ouvrage d Estalia ^ que je n’ai pu me procurer jusqu’ici. " CHAPITRE X. 283 NOMS des DIOCÈSES. ÉPOQUES. VA LEUR des dÎM ES rn piastres. ÉPOQUES. VALEUR 1 des 1 DÎMES 1 en piastres, i Mexico Puebla de los An- --1 ï oc 0 4,i32^65o 1781 — 1790 7,082,879 geles Valladolid de Me- 1770—1779 2,965,601 1780 — 1789 3,5o8,884 choacaa 1770—1779 2,710,200 1780 — 1789 3,239,400 Oaxaca 1771 — 1780 715,974 1781 — 1790 863,237 Guadalaxara 1771 — 1780 1,889,724 1781 — 1790 2,579,108 Durango 1770—1779 943,028 1780 — 1789 1 ,o8o,3i5 Il résulte de ce tableau , que les dîmes de la Nouvelle-Espagne se sont élevées dans ces six diocèses , de 1771 à 1779, à 13,357,157 1779 1789» 18,353,821 Par conséquent, l’augmentation totale a été , dans les derniers dix ans , de cinq mil- lions de piastres , ou de deux cinquièmes du produit total. Ces mêmes données indiquent aussi combien les progrès de l’agriculture sont plus rapides dans les intendances de Mexico, de Guadalaxara, de Puebla et de 2^4 livre IV, Valladohd , que dans la province d’Oaxaca et dans la Nouvelle-Biscaye. Les dîmes ont presque doublé dans l’archevêché de Mexico ; car celles qui ont été perçues pendant les dix années antérieures à 1 780, ont été à celles qu’on a perççes dix ans après, dans la proportion de 10 à 1^. Dans l’intendance de Durango ou de la Nouvelle-Biscaye, cette augmentation n a été qu’en raison de 10 à 11, Le célèbre auteur des Recherches sur la richesse des nations', a évalué le produit territorial de la Grande-Bretagne d’après le produit de la taxe foncière. Dans le Tableau politique de la Nouvelle - Espagne , que j’ai présenté à la cour de Madrid en i8o5 , j’avois hasardé une évaluation semblable d’après la valeur des dîmes payées au clergé : il résultoit de ce travail^ qu au Mexique le produit an- nuel des terres est au moins de 24 millions de piastres. Les résultats auxquels je me suis arrêté en rédigeant ce premier tableau , ont été diseutés avec beaucoup de sagacité , dans un mémoire que le corps municipal de la ville * Adam Smith , traduction de M. Garnier T IV p. 246. ' • » CHAPITRE X. 285 de Valladolid de Mechoacan a présenté au roi, au mois d’octobre i8o5 , à l’occasion d’une ordonnance rendue sur les biens du clergé. D’après ce mémoire, dont j’ai une copie sous les yeux , il faut ajouter à ces 24 millions de piastres 5 millions pour le produit de la cochenille, de la vanille, du jalap , du piment de Tabasco et de la salse- pareille , qui ne payent pas de dîmes , et 2 millions pour le sucre et l’indigo, qui, au lieu de dîmes entières , ne rendent au clergé qu’un impôt de quatre pour cent. En adop- tant ces données, on trouve que le produit total de r agriculture s’élève annuellement à 29 millions de piastres , ou à plus de i4ô mil- lions de francs, qui, en les réduisant à une mesure naturelle , et en prenant pour base le prix actuel du froment au Mexique, qui est de i5 francs par lomyriagrammes’, équiva- lent à 96 millions de myriagrammes defroment. La masse des métaux préeieux exploités an- nuellement dans le royaume de la Nouvelle- Espagne , représente à peine 74 millions de ^ Voyez ci-dessus, p. io4. livre IV , ^njnagrammesdefi^^^^ ee qui prouve le lait intéressant que la valeur de l’or et de argent des mines du Meïi,jue est presque d en quart plus petite que la valeur du pro- dult territorial. ^ La culture du sol, malgré les entraves qui la geuenl de toutes parts , a fait dans ces dermcrs temps des progrès d’autant plus considérables, que d’immenses capitau/out ete places en terres par les limilles qui s etoient enrichies, soit par le commerce de la Vera-Cruz et d’Acapulco, soit par l’exploi- tation des mines. Le clergé mexicain possède a peine des biens-fonds (Ue„es mices) pour a valeur de deux à trois millions de piastres; mais les capitaux que les couvens, les clia- pitres , les con fréries , les hospices et les hôpi- taux ont placés sur des terres, s’élèvent à la somme de 44 millions et demi de piastres, ou de plus de 222 millions de livres tournois. Voici, d’après une pièce officielle', le tableau J Repre.entacicn de les vecinos de Falladolid al Excellentudmo Serior Virrey en feçha del 24 ®c- iuhre del ano iUo5. (Manuscrit.) CHAPITRE X, 287 de ces capitaux, que Ton désigne sous le nom de Capit^iles de capellanias j ohras de la juris- die don ordinaria : piastres. Archevêché de Mexico. .... 9,000,000 Evêché de Puebla 6,5oo,ooo Evêché de Valladolid (éva- luation très-exacte) 4j5oo,ooo Evêché de Guadalaxara. . . . 3, 000, 000 Évêchés de Durango , Mon- terey et Sonora 1,000,000 Évêchés d’Oaxaca et de Me- rida 2,000,000 Obi'as pias du clergé régulier . 2,5oo,ooo Fonds dotal des églises et des communautés de religieux et de religieuses 16,000,000 443oo,ooo Cette somme immense, qui se trouve entre les mains des propriétaires [haciendados) , et qui est hypothéquée sur des biens-fonds, a manqué d’être enlevée à l’agriculture niexi- eaine en l’année i8o4. Le ministère d’Espagne ne sachant plus comment éviter une banque- route nationale , amenée par la surabondance 288 livre IV, du papier monnoie {vales) , tenta une opé- ration très-hasardée. Un décret rojal rendu le 26 décembre i8o4, ordonna non-seule- ment de vendre les biens-fonds du clerg’é mexicain , mais aussi de réunir tous les capi- taux appartenant aux ecclésiastiques, pour les envoyer en Espagne, et pour les verser dans une caisse d’amortissement des billets royaux {^caxci de consolidacion de vales veales^. Le eonseil des finances, qui est présidé par le vice-roi, et qui porte le titre àe Junta supe- rior de Real Hacienda, au lieu de réclamer contre ce décret , et de représenter au sou- verain combien l’exécution en seroit préju- diciable à l’agriculture et au bien-être général des habitans, commença hardiment à faire des recouvremens. La résistance fut si forte de la part des propriétaires, que depuis le mois de mai i8o5 jusqu’au mois de juin 1806, la caisse d’amortissement ne perçut que la somme modique de 1,200,000 piastres. On peut espérer que des administrateurs éclairés sur les véritables intérêts de l’état, auront, depuis, fait cesser une opération dont les effets funestes se seroient fait sentir dans la suite. CHAPITRE X. 289 Ea lisant l’excellent ouvrage sur les lois agraires , qui a été présenté au conseil de Castille en 1795 on reconnoît que, malgré la dilFérence de climat , et d’autres circons- tances locales , l’agriculture mexicaine est gênée par les mêmes causes politiques qui arrêtent les progrès de l’industrie dans la péninsule. Tous les vices du gouvernement féodal ont passé d’un hémisphère à l’autre ; et au Mexique , les abus ont été d’autant plus dangereux dans leurs effets, qu’il a été plus difficile à 1 autorité suprême de remédier au mal , et de déployer son énergie dans un éloignement immense. Le sol de la Nouvelle- Espagne , comme celui de l’ancienne , se trouve en grande partie entre les mains de quelques familles puissantes qui ont absorbé peu à peu les propriétés particulières. En Amérique, comme en Europe, de grandes communes sont condamnées au pâturage des bestiaux et à une stérilité perpétuelle. Quant au clergé et à son influence sur la société, les circonstances ne sont pas les mêmes dans * M. de Laborde vient de donner la traduction de ce Mémoire de M. Jovellanos , dans le quatrième tome de son Itinérairs descriptif de l’Espagne , p. 103-294. 290 LIVRE IV 5 les deux continens : le clergé est beaucoup moins nombreux dans l’Amérique espagnole que dans la péninsule. Les religieux mission- naires y ont contribué à étendre les progrès de ragriculliue parmi des peuples barbares. L’introduction des major ats y l’abrutissement et la pauvreté extrême des Indiens y sont plus contraires aux progrès de l’industrie que la mainmorte des ecclésiastiques. L’ancienne législature de Castille défend aux couvens de posséder en propre des biens-fonds ; et quoique cette loi si sage ait été souvent enfreinte ; le clergé n’a pu ac- quérir des propriétés très-considérables dans un pays où la dévotion n’exerce pas sur les esprits le même empire qu’en Espagne , en Portugal et en Italie. Depuis la suppression de Tordre des. jésuites ^ peu de terres appar- tiennent au clergé mexicain : sa véritable richesse^ comme nous venons de l’indiquer, consiste dans les dîmes et dans les capitaux placés sur les fermes des petits cultivateurs. Ces capitaux sont dirigés vers un emploi utile, et qui augmente la puissance productive du travail national. On peut d’ailleurs être surpris de voir que CHAPITRE X. agi îe grand nombre de couvens fondés depuis le seizième siècle dans toutes les parties de l’Amérique espagnole , aient été tous amon- celés dans 1 intérieur des villes. Épars dans les campagnes, placés sur le dos des Cor- dillères, ils auroient pu avoir sur la culture cètte influence bienfaisante dont les effets se sont fait sentir dans le nord de l’Europe , sur les bords du Rhin et dans la chaîne des Alpes. Ceux qui ont étudié l’histoire, savent que du temps de Philippe ii , les moines ne ressembloient plus à ceux du neuvième siècle. Le luxe des villes et le climat des Indes supposent à l’austérité de mœurs, à l’esprit d’ordre qui caractérisoient les premières ins- titutions monastiques ; et lorsqu’on traverse les déserts montueux du Mexique , on regrette de ne pas y trouver , comme en Europe et en Asie , ces asiles solitaires dans lesquels une hospitalité religieuse olTre des secours aux voyageurs. ^9 292 LIVRE IV 5 CHAPITRE XI. État des mines de la Nouvelle- Espagne, — Produit en or et en argent, — Richesse moyenne des minerais, — Consommation annuelle de mercure dans le procédé de V amalgamation, — Quantité de métaux précieux qui ^ depuis la conquête du Mexique ^ ont rejlué d^un continent dans Vautre, Après avoir examiné Fagriculture mexicaine comme la première source de la richesse nationale et de la prospérité des habitans, il nous reste à tracer le tableau des productions minérales qui , depuis deux siècles et demi , sont Tobjet de Fexploitation des mines de la Nouvelle t- Espagne. Ce tableau , infiniment brillant aux yeux de ceux qui ne calculent que d’après la valeur nominale des choses, l’est bien moins si Ton considère la valeur CHAPITRE XI. 293 intrinsèque des métaux exploités , leur uti- lité relative et l’influence qu’ils exercent sur l’industrie manufacturière. Les mon- tagnes du nouveau continent, comme celles de l’aneien , contiennent du fer, du cuivre , du plomb , et un grand nombre d’autres substances minérales indispensables aux be- soins de l’agrieulture et des arts. Si en Amé- rique le travail de l’homme a été dirigé presque exclusivement vers l’extraction de l’or et de l’argent , c’est parce que les membres d’une soeiété agissent d’après des considérations très-différentes de celles qui devroient faire agir la société entière. Partout où le sol peut produire à la fois de l’indigo et du maïs , la première çulture l’emporte sur la dernière , quoiqu’il soit de l’intérêt général de préférer les végétaux qui servent à la nourriture de l’homme, à eeux qui four- nissent des objets d échange avec l’étranger. De même , sur le dos des Cordillères , des mines de fer ou de plomb, quelque riches qu elles soient , restent abandonnées, parce que rattention des eolons se porte toute entière sur les filons d’or et d’argent , lors même qu’ils ne présentent dans leurs qffleit- 294 LIVRE IV, remens que de foibles indices de richesse. Tel est 1 appât de ces métaux précieux qui , par une convention générale , sont devenus les signes représentatifs des subsistances et du travail. Le peuple mexicain est sans doute à même de se procurer , par le commerce extérieur , toutes les choses qui ne lui sont pas fournies ^ par le pays qu’il habite : mais au milieu d’une grande richesse en or et en argent , le besoin se fait sentir chaque fois que l’échange avec la métropole ou avec d’autres parties de l’Europe et de l’Asie est interrompu ; chaque fois qu’une guerre entrave les communications maritimes. Alngt-cinq à trente millions de piastres se trouvent quelquefois accumulés à Mexico , taudis que les fabriques et l’exploi- tation des mines sont gênées par le manque d’acier , de fer et de mercure. Peu d’années avant mon arrivée à la Nouvelle-Espagne , le prix du fer étoit monté de 20 francs le quintal à 240 5 celui de l’acier , de 80 francs à i3oo. Dans ces temps d’une stagnation totale du commerce extérieur, l’industrie mexicaine se réveille momentanément : c’est alors que l’on commence à fabriquer de l’acier, àem- CHAPITRE XI. 295 ployer les minerais de fer et de mercure que recèlent les montagnes de l’Amérique ; c’est alors que la nation, éclairée sur ses propres intérêts, sent que la véritable richesse consiste dansl’abondancedes objets de consommation, dans celle des choses , et non dans l’accumu- lation d’un signe qui les représente. Pendant l’avant - dernière guerre entre l’Espagne et l’Angleterre , on essaya l’exploitation des mines de fer de Tecalitan, près de Golima, dans l’intendance de Guadalaxara. Le Tri- bunal de mineria dépensa plus de i5o,ooo fr. pour extraire le mercure des filons de San Juan de la Chica ; mais les effets d’un zèle si louable ne furent que de courte durée : la paix d’Amiens mit fin à des entreprises qui sembloient donner aux ti-avaux des mineurs une direction plus utile pour la prospérité publique. A peine les communications mari- times furent-elles rétablies, que l’on préféra de nouveau d’acheter dans les marchés de l’Eu- rope , le fer , l’acier et le mercure. A mesure que la population augmentera au Mexique , et que ses habitans , moins dé- pendans de l’Europe , commenceront à fixer leur attention sur la grande variété de pro- 296 IIVRE IV, ductions utiles que renferme le sein de la terre , le système de l’exploitation des mines changera de face : une administration éclairée encouragera les travaux qui sont dirigés vers 1 extraction des substances minérales d’une valeur intrinsèque j les particuliers ne sacri- fieront plus leurs propres intérêts et ceux de la chose publique à des préjugés invétérés ; ils sentiront que l’exploitation d’une mine de houille, de fer ou de plomb, peut devenir aussi profitable que l’exploitation d’un filon d argent. Dans l’étal actuel du Mexique , les métaux précieux occupent presque seuls 1 industrie des colons; et lorsque, dans la suite de ce chapitre, nous emploierons le mot de mine ( real, real de minas), il faut .sous-entendre , à moins que le contraire ne soit expessément énoncé, qu’il s’agit d’une mine d’or ou d’argent. M étant occupé , dès ma première jeunesse, à étudier l’art de l’exploitation, et ayant dirigé moi-même, pendant plusieurs années , les travaux souterrains dans une partie de l’Allemagne qui contient une grande variété de minerais, j’ai du être doublement inté- ressé à examiner avec soin l’état des mines CHAPITRE XI. ^97 et des usines de la Nouvelle - Espagne. J’ai eu occasion de visiter les célèbres mines de Tasco, de Pachuca et de Guanaxoato : j’ai résidé plus d’un mois dans ce dernier endroit, dont les filons excèdent en richesse tout ce qui a été découvert dans les autres parties du monde, et j’ai pu comparer les difFérenles espèces à' ouvrages exploitation du Mexique avec ceux que j’avois observés l’année pré- cédente dans les mines du Pérou; mais le grand nombre de matériaux que j’ai rassemblés sur ces objets, ne pouvantêtre utilement employés que réunis à la description géologique du pays , je dois en réserver le détail pour la relation historique de mon voyage dans l’in- térieur du nouveau continent : ainsi , sans entrer d^ms des discussions minutieuses et purement techniques , je vais me borner à examiner dans cet ouvrage , ce qui peut conduire à des résultats généraux. Quelle est la position géographique des mines qui fournissent l’énorme masse d’argent que le commerce de la Vera-Gruz fait refluer annuellement en Europe ? Cette masse d’ar- gent est-elle le produit d’un grand nombre de petites exploitations éparses, ou peut-on la 298 LIVRE IV , considérer comme fournie presque en entier par trois ou quatre filons métallifères d’une richesse et d’une puissance extraordinaire ? Quelle est la quantité de métaux précieux exploités annuellement au Mexique? Quel est le rapport ,de cette quantité avec le produit des mines de toute l’Amérique espa- gnole ? A combien d’onces par quintal peut-on évaluer la richesse moyenne des minerais d’argent du Mexique ? Quelle est la propor- tion entre la quantité de minerais soumis à la fonte, et celle dont l’or et l’argent sont extraûsparla voie de l’amalgamation? Quelle est 1 influence du prix du mercure sur les progrès de 1 exploitation , et quelle est la masse de mercure que l’on regarde comme perdue dans le procédé de l’amalgamation mexicaine? Peut-on connoître av'^ec précision la quantité de méteaux précieux qui , depuis la conquête de Ténochtitlan , ont passé du royaume de la Nouvelle-Espagne en Europe et en Asie ? Est-il probable , d’après l’état actuel des travaux d’exploitation , et d’après la constitution géologique du pays, que le produit annuel des mines du Mexique puisse augmenter , ou doit - on admettre , avec CHAPITRE XI. plusieurs écrivains célèbres , que l’expor- talion de Targentde l’Amérique a déjà atteint son maxiniiiin? Voilà des queslions générales dont la solution va nous occuper dans cet ouvrage : elles sont liées aux problèmes les plus importans de l’économie politique. Long-temps avant l’arrivée des Espagnols, les indigènes du Mexique , comme ceux du Pérou , connoissoient l’usage de plusieurs métaux : ils ne se contentoient pas de ceux qui, à l’état natif, se trouvent à la surface du sol, surtout dans le lit des fleuves et dans des ravins creusés par les torrens ; ils se livroient aussi à des travaux souterrains pour exploiter des filons ; ils savoient creuser des galeries , percer des puits de commu- nication et d’airage; ilsavoientdesinstrumens propres à entailler la roche. Cortez nous apprend, dans la relation historique de son expédition , qu’au grand marché deTénoch- titlan on voyoit vendre de l’or, de l’argent, du cuivre , du plomb et de l’étain. Les ha- bitans de la ïzapoteca et de Mixtecapan % deux provinces qui font aujourd’hui partie ^ Surtout les haLilans des anciennes villes de ïluaxyacac (Oaxaca), Cojolapan et Atlacuechahuayan, ’JOO livre IV, de l’intendance d’Oaxaca, séparoient l’or au mojen du lavage des terrains d’alluvion. Ces peuples pajoient leurs tributs de deux ma- niérés , soit en réunissant dans des sacs de cuir ou dans de petits paniers tissus de joncs très-minces les paillettes ou grains d’or natif, soit en fondant le métal en barres. Ces barres semblables à celles que l’on trouve encore aujourd’hui dans le commerce , sont figurées dans les anciennes peintures mexicaines. Déjà du temps de Montezuma, les naturels tra- vailloient les filons argentifères de Tlachco (Tasco), dans la province de Cohuixco, et ceux qui traversent les montagnes de Tzumpanco ^ Dans tou tes les grandes villes d’Anahuac on fabriqiioit des vases d’or et d’argent, quoique ce dernier métal fut beaucoup moins estimé des Américains que des peuples de l’ancien continent. Les Espagnols, lors de leur pre- mier séjour à Ténochtitlan , ne pouvoient assèz admirer 1 habileté des orfèvres mexi- cains, parmi lesquels on regardoit comme les plus célèbres ceux d’Azcapozalco et de ‘ Clavigero, I, 43} II, laS, i65} IV, 2o4. CHAPITRE XI. 3oi Chohila. Lorsque Montezuma , séduit par une extrême crédulité , reconnut dans l’arrivée des hommes blancs et barbus l’accomplis- sement de la prophétie mystérieuse de Quetzalcoatl et qu’il força la noblesse aztèque de prêter hommage au roi d’Espagne, la quantité de métaux précieux offerte à Cortez fut évaluée à la valeur de 162,000 pesos de oro. «Outre la grande masse d’or et d’argent, » dit le conquistador , dans sa première lettre à l’empereur Charles-Quint % « on me pré- « senta des ouvrages d’orfèvrerie et de bi- « jouterie si précieux , que , ne voulant pas « les laisser fondre, j’en séparai pour plus « de cent mille ducats pour les offrir à votre « altesse impériale. Ces objets étoient de la « plus grande beauté , et je doute qu’aucun « autre prince de la terre en ait jamais pos- « sédé de semblables. Afin que votre altesse « ne puisse croire que j’avance des choses ^ Voyez mon ouvrage intitulé : Vues des Cordillères des Andes y et Monumens des peuples indigènes de V Amérique ^ p. 3o. ^ Lorenz ana y p. 99. Le butin en or que les Espa- gnols firent après la prise de Ténochtitlan , ne fut évalué qu’à i3O;0O0 castellanos de oro {L c, , p. 5oi), livre IV, « fabuleuses, j’ajoute que tout ce que pro- « duisent la terre et l’Océan, et dont le roi « Montezuma pouvoit avoir connoissance , « il la voit fait imiter en or et en argent, en « pierres fines et en plumes d’oiseaux, elle « tout dans une perfection si grande , que « 1 on crojoit voir les objets mêmes. Quoi- « qu il m’en eût donné une grande partie « pour votre altesse, je fis exécuter par les « naturels plusieurs autres ouvrages d’orfé- « vrerie en or, d’après des dessins que je « leur fournis, comme des images de saints, « des crucifix, des médailles et des colliers « Comme le quint, ou le droit sur l’argent pajé à votre altesse , fit plus de cent marcs , j ordonnai que les • orfèvres indigènes les « convertissent en plats de diverses grandeurs, en cuillères, en tasses et autres vases à boire. « Tous ces ouvrages furent imités avec la « plus grande exactitude. » En lisant ce pas- sage , on croit entendre le récit d’un ambas- sadeur européen envoyé à la Chine ou au Japon. Il seroit cependant difficile d’accuser d exagération le général espagnol, quand on considère que l’empereur Charles - Quint pouvoit juger par ses propres jeux de la CHAPITRE XI. 3o3 perfection ou de riiuperfeclion des objets qui lui furent envoyés. L’art de la fonte avoit aussi fait des progrès considérables parmi les Mujscas , dans le royaume de ia Nouvelle-Grenade , parmi les Péruviens et les habitans de Quito. Dans ce dernier pays , on a conservé , pendant plu- sieurs siècles, dans la trésorerie royale {en caxas veales ) , des ouvrages précieux de l’ancienne orfèvrerie américaine. C’est depuis un petit nombre d’années seulement, que , par un système d’économie que l’on peut appeler barbare , on a fondu' ces ouvrages , qui prouvoient que plusieurs peuples du nouveau continent étoient parvenus à un degré de civilisation bien supérieur à celui qu’on leur attribue généralement. Les peuples aztèques , tiroient , avant la conquête, \ç. plomb et Yetcun des filons de Tlachco (Tasco) , au nord de Chilpansingo et Izmiquilpan ; le cinabre , qui servoit de couleur aux peintres , leur étoit fourni par les mines de Chilapan. De tous les métaux , le cidvre étoit celui qui étoit employé le plus communément dans les arts mécaniques ; il remplaçoit jusqu’à un certain point le fer et livre IV, l’acier : les armes, les haches, les ciseaux, tous les ouiils étoient faits avec le cuivre tiré des montagnes de Zacatollan et de Gohuixco. Partout sur le globe l’usage de ce dernier métal paroît avoir précédé celui du fer, et I abondance du cuivre à l’état natif, dans les parties les plusseptentrionales de l’Amérique, peut avoir contribué à la prédilection extraor- dinaire avec laquelle les peuples mexicains, issus de ces mêmes régions, l’ont constamment employé. La nature offroit aux Mexicains ' d’énormes masses de fer et de nickel : ces masses , qui se rencontrent éparses sur la surfice du sol, sont fibreuses, malléables et d’une ténacité si grande , que l’on ne parvient qu’avec beaucoup de difficulté à en séparer quelques fragmens à l’aide de nos outils d acier. Le vrai fer natif, celui auquel on ne peut pas attribuer une origine météorique, et qui est constamment mêlé de plomb et de cuivre , est infiniment rare dans toutes les parties du globe ; par conséquent , il ne faut pas s’étonnner qu’au commencement de la civilisation, les Américains, comme la plupart • Voyez ci-dessus, T. Il, p. 384. CIIAPITPvE XI. 3o5 (les autres peuples , aient fixé leur attention plutôt sur le cuivre que sur le fer. Mais corn-* ment ces mêmes Américains, qui traitoient par le feu ' une grande variété de minerais, n’ont-ils pas été conduits à la découverte du fer par le mélange des substances combus- tibles avec les ocres rouges et jaunes extrê- mement communs dans plusieurs parties du Mexique? Si, au contraire , comme j’incline à le Croire, ce métal leur étoit connu , com- ment ne sont-ils pas parvenus à l’apprécier à sa juste valeur ? Ces considérations paroissent indiquer que la civilisation des peuples aztè- ques ne datoit pas de très-loin. Nous savons ^ Diaprés des traditions que j’ai recueillies près de Riobamba , parmi les Indiens du village de Licaïi , les anciens babitans de Quito fondoient des minéraux d’argent , en les stratifiant avec des charbons , et eu soufflant le feu avec de longs roseaux de bambou. Un grand nombre d’indiens étoient placés en cercle autour du trou qui renfefmoit le minerai; de sorte que les courans d’air sortoieiit de plusieurs roseaux a la fois. 2 L’ocre jaune, appelée iecozahuhl ^ servoit pour la peinture , de même que le cinabre. L’ocre faisoit partie des objets qui composoient la liste des tributs de Malinaltepec. III. 30 3o6 LIVRE IV 5 que ^ dans les temps homériques , Fusage du cuivre prévaloit encore sur celui du fer , quoique ce dernier fût connu depuis long- temps. Plusieurs savans distingués ^ mais étrangers aux connoissances chimiques ^ ont prétendu que les Mexicains et les Péruviens avoient un secret particulier pour donner une trempé au cuivre et pour le comertir en acier. Il n'est pas douteux que les haches et d'autres outils mexicains ne fussent presque aussi tranchans que des instrumens d'acier; mais c'est à l'alliage avec l'étain et non à la trempe^ qu'ils dévoient leur extrême dureté. Ce que les premiers historiens de la conquête ap- pellent cuivre dur ou tranchant ^ ressembloit au des Grecs et à Vœs des Romains. Les sculpteurs mexicains et péruviens exé- cutoient de grands ouvrages dans le grünstein et le porphyre basaltique le plus dur. Les joailliers coupoieotet perçoient les émeraudes et d'autres pierres fines ^ en se servant à la fois d'un outil de métal et d’une poudre siliceuse. J'ai rapporté de Lima un ciseau des anciens Péruviens, dans lequel M. Vau- quelin a trouvé 0,94 de cuivre, et 0,06 d'étaio. CHAPITRE xr. 3oy Cet alliag’e avoit été si bien forgé , (jue , par le rapprochement des molécules, sa pesanteur spécifique étoit devenue 8,8i5; tandis que, d’après les expériences de M. Briche ', les chimistes n obtiennent ce maximum de den- sité qu en alliant i6 parties d’étain à loo par- ties de cuivre. Il paroît que les Grecs se servoient, pour durcir le cuivre, de l’étain et du fer à la fois. Même une hache gauloise trouvée en France parM. Dupont de Nemours, et qui coupe le bois , comme une hache d acier , sans se casser ni se rebrousser, contient, d’après l’analyse de M. Vauquelin, 0,87 de cuivre, o,o5 de fer et 0,09 d’étain. Ce dernier métal étant un des moins ré- pandus sur le globe , on doit être surpris de trouver dans les deux continens l’usage de durcir le cuivre par l’addition de l’étain. Un seul minerai , et qui n a encore été trouvé qu à W^heal-Rock, en Cornouaille, la mine d’étain sulfurée {zinnkies), contient du cuivre et de 1 étain à la fois et à parties égales. Nous ignorons si les peuples mexicains exploitoient des filons dans lesquels étoient réunis des Journal des mines , an 5, p. 881. 20* ! 3o8 LIVRE IV , minerais de cuivre et d’étain oxidé , ou si ce dernier métal , que l’on rencontre dans les terrains d’alluvion de rintendance de Gua- naxuato , sous la forme globuleuse et fibreuse du holz--zinn ^ fut ajouté au cuivre pur dans une proportion constante. Quoi qu’il en soit , il est certain que le manque de fer se faisoit moins sentir chez les nations qui sa voient allier d’autres métaux dune manière aussi avantageuse. Les outils tranchans des Mexi- cains étoient les uns de cuivre ^ les autres d’obsidienne {itztli), Gette dernière substance étoit même l’objet de grandes exploitations ^ dont on reconnoît encore les traces dans une innombrable quantité de puits creusés dans la montagne des couteaux du village indien d’Atotonilco el Grande \ Outre des sacs de cacao ^ dont chacun con- tenoit trois xiquipilli , ou 24^000 grains; outre les patolquachtli y ou petits ballots de toile de coton , quelques métaux étoient employés parmi les anciens Mexicains comme monnoie, c’est-à-dire^ comme signes repré- sentatifs des choses. Dans le grand marché i Voyez ci-dessus ; T. Il; p. i58. CHAPITRE XI. 009 de Ténoclîlitlan on aclietoit tonies sorles de denrées , en les échangeant contre de la poudre d’or contenue dans des tuyaux de plumes d’oiseaux aquatiques. On exigeoit cpie ces tuyaux fussent transparens , pour pouvoir reconnoître la grosseur des grains d’or. Dans plusieurs provinces on se servoit^ pour mon- noie courante, de pièces de cuivre auxquelles on avoit donné la forme d’un T. Cortez rap- porte qu’ayant entrepris de faire fondre des canons au Mexique , et ayant envoyé des émissaires pour découvrir des mines d’étain et de cuivre , il apprit que dans les environs de Tachco ( Tlacheo ou Tasco ), les naturels se servoient , dans leurs échanges , de pièces d’étain * fondues, qui étoient minces comme les plus petites monnoies d’Kspagne^ Telles sont les notions imparfaites cpie les ^ Cortez se plaint dans sa dernière lettre à Charles- Quint , qu’après la prise de la capitale on le laissa sans artillerie et sans armes. « E.ien , dit-il , ne donne plus (c d’essort au génie de l’homme (no liay cosa que mas « los ingenios de los homhres av'wa^ que le sentiment « du danger. Me voyant dans le cas de perdre ce qui « nous avoit coûté tant de fatigues à acquérir^ je « devois chercher les moyens de fabriquer des canons 3 1 O LIVllE IV 5 premiers historiens nous ont transmises sur 1 usage que les naturels du Mexique faisoient de For , de Fargent , du cuivre , de 1 etain , du plomb et des mines de mercure. J’ai cru devoir entrer dans ce détail, non-seulement pour répandre quelque jour sur Fancienne culture de ces contrées, mais surtout pour iaire voir que les colons européens , dans les premières années qui ont succédé à la des- truction de Ténochtitlan , n’ont fait que suivre les indications de mines qui leur étoient don- nées par les indigènes. Le royaume de la Nouvelle-Espagne , dans son état actuel , offre près de cinq cents endroits ( reales j realitos ) célèbres par les exploitations qui se trouvent dans leurs alen- tours. Plus des deux tiers de ces endroits sont indiqués dans la carte générale du pays , « avec les matériaux trouvés dans le pays même. » Je consignerai ici le passage remarquable dans lequel Cortez parle de l’étain comme monnoie : « Topé entre (c los naturales de una provincia que se dice Tachco ciertas ’piecezuelas de estano a manera de moneda « muy delgada y pro,cediendo en mi pesquisa hallé « que en la dicha provincia y àun en otras se trataba « por moneda. î) {^Lorenzana j p. 379, XVÏI.) CHAPITRE XI. placée à la tête de mon Atlas mexicain. Il est probable que ces 5oo realcs comprennent près de trois mille mines {minas) y en dé- signant par ce nom Tensemble des ouvrages souterrains qui servent à rexploitation d’un ou de plusieurs gîtes métalliques et qui communiquent les uns aux autres. Ces mines sont divisées en Sj districts ou arrondissemens, auxquels sont préposés autant de conseils des mines, appelés Diputaciones de mineria. Nous réunirons dans un même tableau les noms de qqs Diputaciones ^ et celui des Reales de minas qui se trouvent dans les douze intendanees de la Nouvelle-Espagne. Les matériaux qui ont servi pour ce travail , sont tirés en partie d’un mémoire manuscrit que le directeur du conseil supérieur des mines , Don Fausto d’Elhuyar, a dressé pour le vice-“ roi comte de Revillagigedo. 3i2 livre IV, TABLEAU GÉNÉRAL DES MINES DE LA NOUVELLE-ESPAGNE. I. INTENDANCE DE GUANAXUATO, Depuis les 20° 55' jusqu’aux 21° 5o' de lati- tude boréale, et depuis 102° 3o' jusqu’aux io3°45' de longitude occidentale, Diputaciones de mmeria , ou arrondissemens, I. Guanaxuato. JReales , ou endroits environnés de mines : Guanaxuato. Villalpando. Monte de San Nicolas. ■ Santa Rosa. Santa Ana. San Antonio de las Minas. Conianja. Capulin. Comanjilla. Gigante. San I.uis de la Paz, San Rafael de los Lobos. Durasno, San Juan de la Ghica. Rincon de Centeno, San Pedro de los Pozos. Palmar de Vega, San Miguel el Grande. San Felipe, CHAPITRE XI. 3i3 IL INTENDANCE DE ZACATEGAS, Depuis les 22^ 20' jusqu’aux 33' de lati- tude boréale, et depuis io3^ 12' jusqu’aux io5‘^ 9' de longitude occidentale. Diputaciones de mineriap ou arrondissemens, 2. Zagatecas. 3. SOMBRERETE. 4. Fresnillo. 5. Sierra de Pixos. Reales y ou endroits emironnés de mines : Zacatecas. Guadalupe de Veta Gran4e» San Juan Bauptista de Panuco. La Blanca. Sombrerete. Madrono. San Pantaleon de la Noria. Fresnillo. San Demetrio de los Plateros. Gerro de Santiago. Sierra de Pinos. La Sauceda. Gerro de Santiago. Mazapil. III. INTENDANCE DE SAN LUIS POTOSI , Depuis les 22^ l' jusqu’aux 27^ 11' de latitude boréale, et depuis les 100^ 35' jusqu’aux io3û, 20' de longitude occidentale. 3i4 livre IV, Diputaciones de mineria^ ou arrondissemens. 6. Catorce. 7. San Luis Potosi. 8. Gharcas. g. Ojocaliente. 10. San Nicolas de Croix. JReales y ou endroits emironnés de mines : La Purissima Goncepcioii de Alamos de Catorce. Matehuala. Cerro del Potosi. San Martin Bernalejo. Sierra Negra. Tnle. San Martin. Santa Maria de las Charcas. Ramos. Ojocaliente. Cerro de San Pedro. Matanzillas. San Carlos de Vallecillo. Sai;i Antonio de la Ygiiana. Santiago de las Sabinas. Monterey. J ésus de Rio Blanco. Las Salinas. Bocca de Leones. San Nicolas de Croix. Borbon. San Joseph Tamau- lipan. Nuestra Senora de Guadalupe de Sihue. La Purissirha Goncepcion de Re- villagigedo. ElVenado. L. Tapona. Gua- dalcazar. CHAPITRE XI. 3i5 lY. INTENDANCE DE MEXICO. Depuis les 18^10^ jusqu’aux 21^ 00 'clelatitude boréale, et depuis les 100^ 12' jusqu’aux io3^ 25' de longitude occidentale. Diputaciones de mineria ^ ou arrondissemens, 11. Paghuga. 12. El Dogtor. 13. ZiMAPAN. 14. Tasgo. 15. Zagualpan. 16. SuLTEPEG. 17. Temasgaltepeg. Reales , ou endroits emironnés de mines : Pachuca. Real del Monte. Moran. Ato- lonilco el Chico. Atolonilco el Grande. Zimapan. Lomo del Toro. Las Caiîas. San Joseph del Oro. Verdozas. Capula. Santa Rosa. El Potosi. Las Plomosas. El Doctor. Las AIpujarras. El Pinal, ou los Amotes. Huascazoluya. San Miguel del Rio Blanco. Las Aguas. Maconi. San Ghristobal. Gar- donal. Xacala. Jutchitlan el Grande. San 3i6 % LIVRE IV, Jose2ih del Obraje Viejo. Gerro Blanco. Gerro del Sotolar. San Francisco Xichu. Jésus Maria de la Targ-ea. Goronilla , ou la Purissima Goncepcion de Tetela del Rio. Tepanlitlan. San Vicente. Tasco. Tehuilo- tepec. Goscallan. Haucingo. Huautla. So- chipala. Tetlilco. San Esteban. Real del Limon. San Geronimo. Temascaltepec. Reaide Ariba. La Albarrada. Yxtapa. Oco- ^ tepec. Ghalchitepèque. Zacualpan. Tecica- pan. Ghoiîtalpa. Santa Gruz de AzuLaques. Sultepec. Juluapa. Papaloapa. Los Ocotes. Gapulatengo. Alcozauca. Totomixtlahuaca. V. INTENDANCE DE GUADALAXARA, Depuis les ig^o' jusqu aux 23" 12' de latitude boréale, et depuis les io5® 3o^ jusqu’aux 108° o' de longitude occidentale. Diputaciones demineria, ou arrondissemens. 18. Bolawos. 19. Asientos de Ibarra. 20. Hostotipaquillo. Reales , ouendroits environnés de mines: Bola- nos. Xalpa.'San J oseph de Guicbichila. Santa CHAPITRE XI. 3i7 Maria deGuadalupe, oudelaYesca. Asien- tos de Ibarra. San Nicolas de los Angeles. La Ballena. Talpan. Hostotipaquillo. Copala. Guaxacatan- Aniaxac. Limon. Tepante- ria. locotan. Tecoraatan. Ahuacatancillo. Guilotitan. Platanarito. Santo Domingo, luchipila. Mezquital. Xalpa. San Joseph Tepostitlan. Guacliinango. San Nicolas del Roxo. Amatlan. Natividad. San Joaquin. Sanlissima Trinidad de Pozole. Tiile. Motagre. Frontal. Los Aillones. Ezatlan. Posession. La Serranilla. Aquilapilco. Eliso. Chimaltitan. Santa Fe. San Rafaël, San Pedro Analco. Santa Cruz de los Flores. YI. INTENDANCE DE DUPtANGO. Depuis les 23^ 55' jusqu’aux 29^ 5' de latitude boréale^ et depuis les io4^ 4^' jusqu’aux 110^0' de longitude occidentale. Dipiitaciones de mineria ^ ou arrondissement, 21. Chihuahua. 22. Parral. 23. Guarisamey. 24- CoSIGUIRlACHI. 25. Batopilas. Reales , ou endroits environnés de mines : San Pedro deBatopilas. Uruachi. Cajurichi. Niiestra Senora de Loreto. San Joaquin de los Arriéres. El Oro de Topago. San Juan Nepomuceno. Nuestra Senora del Monserrate del Zapote. Uriquillo. San Augustin. Nueslra Senora del Monserrate de Urique. Guarisatney. San Vicente. Guadalupe. Gavilanes. San Antonio de las Ventanas. San Dimas. San Joseph de Ta jol- tita. Gosiguiriachi. Rio de San Pedro. Chihuahua el Viejo. San Juan de la Ciene- guilla. Maguarichi. Caxurichi. San José del Parral'. Indehè. Los Sauces. Nuestra Senora de la Merced del Oro. Real de Todos Santos. San Francisco del Oro. Santa Barbara. San Pedro. Huejoquilla. Los Penoles. La Cadena. Cuencamè. San Nicolas de Yer- vabuena. La Goncepeion. Santa Maria de ’ Sur quelques épreuves de ma carte générale de la Nouvelle-Espagne , le nom de Parral se trouve confondu avec celui du village de Valle San Barto- lome. C’est le signe par lequel est désigné le cbef-üeu d’un conseil provincial des mines, qui indique la vraie position tOus, c’est la présence constante de l’amphibole et l’absence du quartz , si commun dans les porphyres primitifs de l’Europe , surtout dans ceux qui forment des couches dans les gneiss. Le feldspath commun se présente rarement dans les porphyres mexicains ; il n’est propre qu’aux formations les plus anciennes , à celles de Pachuca , de Real del Monte et de Moraii ; 328 livre IV , dont les filons fournissent deux fois autant d’argent que la Saxe entière. Le plus souvent on ne découvre , dans les porphyres de l’Amérique espagnole, que du feldspath vi- treux. La roche qui est traversée par le riche filon aurifère de Villalpando , près de Gua- naxuato , est un porphyre dont la hase se rapproche du klingstein ( phonolite), et dans lequel 1 amphibole est extrêmement rare. Plusieurs de ces terrains de la Nouvelle- Espagne offrent de grandes analogies avec les roches problématiques de la Hongrie , que M. de Born a désignées par la dénomina- tion très-vague de saxum metalliferwn. Les filons de Zimapan, qui sont les plus instruc- tifs sous le rapport de la théorie des gûes de minerais, traversent des porphyres à base de grünstein, porphyres qui paroissent appar- tenir aux roches trapéennes de nouvelle formation. Ce sont ces mêmes filons du district de Zimapan , qui offrent aux collec- tions oryctognostiques une grande variété de minéraux intéressans , tels que la zéolithe fibreuse , la stilbite , la grammatite , la pye- mte , le soufre natif , le spath fluor , la baryte , l’asbeste subériforme , les grenats CHAPITRE XI. 329 verts, le carbonate et le chromate de plomb, l’orpiment , la chrysoprase , et ime nou- velle espèce d’opale de la plus rare beauté, que j’ai fait connoître eu Europe , et que MM. Karsten et Klaprolh ont décrite sous le nom de Feuer-Opal. Parmi les roches de transition qui ren- ferment des minerais d’argent, on peut citer le calcaire de transition ( übergangskalk- stein ) du Real del Cardomil , de Xacala et de Lomo del Toro , au nord de Zimapan. Dans le dernier de ces endroits^ ce ne sont pas des filons que l’on exploite , mais à^^amas de galène, dont quelques nids ont donné, dans un court espace de temps , d’après l’observation de M. Sonnescbmidt , plus de 124,000 quintaux de plomb. La grau- wakke^ alternant grauwakken-schiefer, n’est pas moins riche en métaux au Mexique que dans plusieurs parties de rAlIemagne. C’est dans cette roche, dont la formation a précédé immédiatement celle des roches secondaires, que paroissent se trouver plu- sieurs filons de Zacatecas. A mesure que le nord du Mexicjue sera parcouru par des géologues instruits , 011 33o livre IV, reconnoîtra que les richesses métalliques du Mexique n appartiennent pas exclusivement aux terrains primitifs et aux montagnes de transition , mais quelles s’étendent aussi à celles de formation secondaire. J’ignore si le plomb qui s’exploite dans la partie orientale de 1 intendance de San Luis Potosi setrouve en nions ou en couches ; mais il paroît certain que les filons d’argent du Real de Catorce , comme ceux du Doctor et dé Xaschi, près de Zimapan, traversent la yU/erm calcaire alpine ( alpenkalkstein) : cette roche repose sur un poudingue à ciment siliceux, que l’on peut regarder comme la plus ancienne des forma- tions secondaires. Le calcaire alpin et le cal- caire du Jura {jurakalkstein') renferment les célèbres mines d’argent de Tasco et celles ^cTehuilotepec , dansl intendance de Mexico ; et c est dans ces roches calcaires que les nom- b reux filons qui sont dans ce pays l’objet d’une exploitation très-ancienne, ont montré le plus de richesse. Ils sont plus stériles dans 1 es strates de schiste primitif ( ur-thonscliiefcr'^^ qui , comme on le reconnoît dans le Cerro de San Ignacio , sert de base aux formations sec ondaires. CHAPITRE XI. 33 1 Il résulte de cet aperçu général des gîtes niétallij'èves (^.erz^führende Icigerstatte^ , les Cordillères du Mexique offrent des filons dans une grande variété de roches, et que celles qui fournissent dans le luoment actuel la presque totalité de l’argent exporté annuel- lement de la Vera-Cruz, sontie schiste primi- tif, la grauwakke et la pierre calcaire alpine , traversés par les filons principaux de Gua- naxuatOj de Zacatecas et de Catorce. C’est aussi dans un schiste primitif {ur-thonschiefer), sur lequel repose du porphyre argileux conte- nant des grenats , que sont renfermées les richesses du , dans le royaume de Bue- nos-Ayres. Au Pérou , au contraire , c’est dans la pierre calcaire alpine que se trouvent les mines de Gualgayoc ou de Chota , et celle de Yauricocha ou de Pasco , qui, ensemble, rendent annuellement deux fois autant d’ar- gent que toutes les mines de l’Allemagne. Plus on étudie en grand la constitution géologique du globe , et plus on reconnoît qu’il existe à peine une roche qui , dans de certaines Contrées , n’ait été trouvée éminemment mé- tallifère. Le plus souvent la richeSvSe des filons 2 LIVRE IV ^ est indépendante de la nature des couches que ces filons traversent. On observe dans les mines les plus célèbres de 1 Europe, que les travaux souterrains se dirigent ou sur une multitude de filons peu puissans, comme dans les montagnes primi- tives de la Saxe, ou sur un très-petit nombre de gîtes de minerais d’une puissance extraor- dinaire, comme à (ilausthal, au Harz, et près de Schemnitz , en Hongrie. Les Cordillères du Mexique offrent de fréquens exemples de ces deux genres d’exploitation ; cependant les districts de mines dont la richesse a été la plus constante et la plus considérable , ceux de Guanaxuato , de Zacatecas , et de Real del Monte , ne présentent chacun qu’un seul filon principal {veta madré). On cite à Freiberg, comme un phénomène remarquable, le filon appelé halsbrükner spath , dont la puissance est de deux mètres^ et qui a été reconnu dans une longueur de 6200 mètres. La veta madré de Guaxanuato , dont il a été extrait dans les derniers dix ans plus de six millions de marcs d aigent , a une puissance de 4o à mètres • elle est exploitée depuis Santa Isabella et San CHAPITRE XI. 333 Bruno, jusqu’à Buenavista , sur une longueur de plus de 1 2,700 mètres. Dans l’ancien continent , les filons de Frei- berg et de Claustbal , qui traversent des mon- tagnes de gneiss et de grauwakke , viennent au jour dans des plateaux dont l’élévation au- dessus du niveau de la mer, n’est que de 35o et 570 mètres : cette élévation peut être regardée comme la hauteur moyenne des mines les plus abondantes de l’Allemagne. Dans le nouveau continent , les richesses mé- talliques sont déposées par la nature , sur le dos même des Cordillières , quelquefois dans des sites peu éloignés de la limite des neiges perpétuelles. Les exploitations les plus célèbres du Mexique se trouvent à des hauteurs abso- lues de 1 800 à 5ooo mètres. Dans les Andes , les districts des mines de Potosi, d’Oruro, de la Paz, de Pasco et de Gualgayoc, appar- tiennent à une région dont l’élévation surpasse celle des plus hautes cimes des Pyrénées. Près de la petite ville de Micuipampa , dont la grande place, d’après ma mesure, est élevée de 36 18 mètres au-dessus du niveau delà mer, un amas de minerai d’argent, connu sous le nom du Cerro de Gualgayoc , a offert d im- 334 livre IV, nienses richesses dans ses affleuremens , à uqe hauteur absolue de 4ioo mètres. Nous avons exposé dans un autre endroit ' combien il est avantageux pour bexploitation des mines du Mexicfue, que les gîtes métal- hjei'es les plus importans se trouvent dans «ne région moyenne dont le climat ne s’op- pose paS à 1 agriculture et au développement de la végétation. La grande ville de Gua- naxuato est placée dans un ravin dont le fond est un peu au-dessous du niveau des lacs que renferme la vallée de Ténochtitlan. Nous Ignorons les hauteurs absolues de Zacatecas et du Real de Catorce. Ces deux endroits sont situes sur des plateaux qui paroissent plus élevés que le sol de Guanaxuato : ce- pendant le climat tempéré de ces villes mexicaines, qui sont entourées des mines les plus riches du monde , contraste avec le climat excessivement froid et désagréable de Micui- pampa, dePasco, deHuancavelica, etd’autres villes péruviennes. Lorsque , dans un district depeu d etendue, • Voyez ci-dessus, Chap. III ^ T. I, p. 2^3; et Chap, JX ; p. Il de ce volume. CHAPITRE XI. 335 par exemple dans celui de Frelberg, en Saxe , on compare la quantité d’argent livré annuellement cà la monnoie, au grand nombre des mines qui sont en exploitation, on s’aper- çoit au plus léger examen que ce produit n’est dû qu’à une petite partie des travaux souterrains , et que les neuf dixièmes des mines n’influent presque en rien sur la masse totale des minerais arrachés du sein de la terre. De même au Mexique, ce n’est que d’un très-petit nombre de mines que sont tirés les 2,600,000 marcs d’argent qui passent annuellement, en Europe et en Asie par les ports de Vera-Cruz et d’Acapulco. Les trois districts que nous avons eu occasion de nommer souvent, ceux de Guanaxuato , Za- catecas et Gatorce , fournissent plus de la moitié de cette somme. Un seul filon, celui de Guanaxuato , donne près du quart de tou6' l’argent mexicain, et la sixième partie du produit de l’Amérique entière. Dans le tableau général qui a été présenté plus haut , les mines principales sont confon- dues avec celles dont on ne retire qu’une très-petite quan tité de métal. La disproportion qu’offrent ces deux classes est sigrande, que plus ODO LIVRE IV y de ^ des mines mexicaines appartiennent à la dernière, dont le produit total ne s’élève pro- bablement pas à la somme de 200,000 marcs. De meme en Saxe , les mines qui environnent la ville de Freiberg fournissent annuellement près de 5o,ooo marcs d’argent 5 tandis que tout le reste de iJErzgebirge n’en donne que sept à huit mille marcs. Voici l’ordre dans lequel se suivent les districts des mines les plus riches de la Nouvelle-Espagne , en les rangeant d après la quantité d argent qu’on en extrait actuellement ; GÜANAXÜATO, dans l’intendance du même nom. CATORCE, dans l’intendance de San Luis Potosi. ZACATECAS , dans Pintendance du même nom. Real del Monte, dans l’intendance de Mexico. Bolanos, dans 1 intendance de Guadalaxara. Güarisamet , dans 1 intendance de Durango. Sombrerete , dans l’intendance de Zacatecas. Tasco , dans l’intendance de Mexico. CHAPITRE XI. 337 Batopilas , dans l’intendance de Durango, Zimapun , dans 1 intendance de Mexico. Fresmllo ^ dans 1 intendance de Zacatecas. Ramos y dans 1 intendance de San Luis Potosi. Parral y dans 1 intendance de Durango. On manque absolument de matériaux exacts pour tracer l’histoire de l’exploitation des mines de la Nouvelle - Espagne. Il paroît certain que de tous les filons, ceux de Tasco, de Zultepèque, de Tlapujahua et de Pachuca ont été travaillés les premiers par les Espa- gnols. C est près de Tasco , à l’ouest de Xehuilotepec , dans le Cerro de la Compana y que Cortez a percé une galerie d’écoulement à travers le schiste micacé auquel est super- posé, comme nous l’avons indiqué plus haut, du calcaire alpin. Cette galerie , appelée el socabon del rej y fut commencée dans des dimensions sigrandes, qu on peut la parcourir à cheval , sur une longueur de plus de 90 mè- tres : elle vient d’être achevée par le zèle patriotique d’un mineur de Tasco, Don Vi- cente de Anza , qui est parvenu à couper le filon principal à la distance de 53o mètres de \ embouchure de la galerie. L’exploitation 338 LIVRE IV 5 des mines de Zacatecas a suivi de près celle des gîtes de niijierais àe Tasco et de Pachuca. Le filon de San Barnabe fut attaqué dès l’année 15485 par conséquent vingt-huit ans après la , mort de Montezuma; circonstance qui doit paroître d’autant plus remarquable, que la ville de Zacatecas est éloignée en ligne droite de plus de 100 lieues de la vallée de Ténoch- tillan. On assure que des muletiers qui voya- geoient de Mexico à Zacatecas, découvrirent les minerais d’argent du district de Gua- naxuato. C’est dans ce district que, près de la colline basaltique du Cubilete ^ la mine de San Barnabè olFre les travaux souterrains les plus anciens. Le filon principal de Guanaxuato ( la veta rnadre) fut découvert plus tard, en creusant les puits de Mellado et de Rajas. Le premier de ces puiis fut commencé le i5, le second, le 16 avril de l’année i558. Les mines de Comanjas sont sans doute plus anciennes encore que celles de Guanaxuato. Gomme le produit total des mines du Mexique n’a été , jusqu’au commencement du dix- huitième siècle , que de 600,000 marcs d or et d’argent par an , on peut en conclure qu au seizième, on ne travailla pas avec une Irès*^ CHAPITRE XI. 339 grande activité à l’extraction des minerais. Les filons de Tasco, Tlapujahua, Zultepèque, Môran , Pachuca et Real del Monte ; ceux de Sombrerete, Bolanos , Batopilas et du Rosario, ont offert de temps en temps d’im- menses richesses ; mais leur produit a été moins uniforme que celui des mines de Guanaxuato, de Zacatecas et de Catorce. L’argent extrait dans les 57 districts des mines dans lesquels est divisé le royaume de la Nouvelle - Espagne , est versé dans des .caisses de trésoreries provinciales , établies dans les chefs-lieux des intendances. C’est par la recette de ces caxas reales , que l’on peut juger de la quantité d’argent que four- nissent les différentes parties du pays. Voici le tableau de onze trésoreries provinciales : 34© LIVRE IV , De 1785 à 178g, il est entré dans les caxds reales de marcs d’afgent» Guanaxuato 2,469,000 San LuisPotosi (Catorce, Charcas, San Luis Potosi ). i,5i5,ooo Zacatecas (Zacatecas, Fresnillo, Sierra de Pinos) i,2o5,ooo Mexico (Tasco , Zacualpa , Zulte- pèque) ^ i,o55,ooo Durango (Cliihuahua,Parral, Gua- risamej, Cosiguiriachi) 922,000 Rosario (Rosario , Gosala , Copala, Alamos) 668,000 Guadalaxara ( Hostotipaquillo , Asientos de Ybarra).. 609,000 Pachuca (Real del Monte , Mo- ran) 466,ooo Bolahos. 364,000 Somhrerete 320, 000 Zimapan ( Ziniapan , Doctor ). . . . 248,000 Somme de cinq ans , 9,730,000 La partie des montagnes mexicaines qui produit aujourd’hui la plus grande quantité d’argent, est contenue entre les parallèles ' CHAPITRE XI. 341 de vingt-un et de vingt-quatre degrés et demi. Les célèbres mines de Guanaxuato ne sont éloignées^ en ligne droite^ de celles de San Luis Potosi que de 3o lieues : de San Luis Potosi à Zacatecas il y a 34 ; de Zacatecas à Gatorce 3i , et de Gatorce à Durango 74 lieues. Il est assez remarquable que les richesses métalliques delà Nouvelle-Espagne et du Pérou se trou- vent placées dans les deux hémisphères, presque à égale distance deFéquateur. Dans la vaste étendue qui sépare les gîtes de minerriis de Potosi et de la Paz de ceux du Mexique , il n’y a d^autres mines qui mettent en circulation une grande masse de métaux précieux que celles de Pasco et de Ghota. En avançant depuis le Cerro de Giial- gayoc au nord , on ne trouve que les Images d’or du Choco , ceux de la province d’Antio- quia , et les filons d’argent récemment dé- couverts de la Vega de Supia. Il en est de la Cordillère des Andes comme de toutes les montagnes de l’Europe dans lesquelles les mé- taux se trouvent inégalement répandus. La province de Quito et la partie orientale du royaume de la Nouvelle - Grenade , depuis- les 3^ de latitude australe jusqu’aux 7^^ de 34^ LIVRE IV 5 latitude boréale ; Fisthme de Panama, et les montagnes de Giiatimala , ofFrent , sur une longueur de 600 lieues , de vastes étendues de terrain, dans lesquelles jusqiFici aucun filon n'a été exploité avec succès. Il seroit peu exact cependant d'avancer que ces pays, qui en grande partie ont été bouleversés par les volcans, sont entièrement dénués de minerais d'or et d’argent. De nombreux métallifères j peuvent être cachés par la superposition des strates de basalte , d'amyg- daloïde , de porphyre à base de grünstein , et d'autres roches que les géologues em- brassent sous le nom général àe; formation de trapp. Quant aux mines mexicaines en particulier, on peut les considérer comme formant huit groupes ( erz-refiere ) qui sont presque tous placés ou sur le dos , ou sur la pente occi- dentale de la Cordillère d’Anahuac. Le premier de ces groupes est celui dont lé produit est le plus considérable : il embrasse les districts contigus de .Guanaxuato , San Luis Potosi , Gharcas, Catorce, Zacatecas, Asientos^ de Ybarra, Fresnillo et Sombrerete. Au appartiennent les mines situées à l’ouest de CHAPITRE XI. 343 la ville de Durango , de même que celles de la province de Cinaloa; car les exploitations de Guarisamey, Copala^ Cosala etduRosario, sont assez rapprochées les unes des autres pour qu’on doive les réunir sous une même division géologique. Le troisième groupe, le plus septentrional de la Nouvelle-Espagne, est celui du Parral, qui comprend les minés de Chihuahua et de Cosighiriachi. Il s’étend depuis les 27 jusqu’aux 29 degrés de latitude. Au nord - nord- est de Mexico se trouvent le quatrième et le cinquième groupe, celui de Real del Monte ou de Pachuca , et celui de Zimapan ou du Doctor. Bolahos ( dans l’in- tendance de Guadalaxara), Tasco et Oaxaca, sont les points centraux du sixième y du septième et du huitième des mines de la Nouvelle - Espagne. Cet aperçu général suffit pour prouver que ce royaume, comme l’ancien continent, renferme de vastes éten- dues de pays qui paroissent presque totalement dépourvues de filons métallifères. Jusqu’à ce jour aucune exploitation considérable n’a été entreprise, ni dans l’intendance de la Puebla, ni dans celle de Vera - Cruz, ni dans les plaines de formation secondaire situées sur 344 LIVRE IV , la rive gauche du Rio del Norte , ni dans le Nouveau-Mexique. Le tableau suivant indique non la richesse relative, ou la distribution inégale des métaux, considérée sous un point de vue géographique, mais la quantité d’argent que, dans l’état actuel des mines, on extrait des différentes parties du royaume de la Nouvelle-Espagne. On a classé les mines d’après l’ordre qui vient d’être exposé plus haut , en indiquant le nom du chef-lieu qui est lepoint central du groupe, et la surface du pays dans lequel se trouvent les diverses exploitations. Quelques groupes se partagent naturellement en plusieurs dis- tricts , qui forment autant de subdivisions ou de systèmes particuhers. CHAPITRE XI 345 MINES PRINCIPALES (lu Mexique, DIVISIÊES EN IIÜIT GROUPES. ETENDUE DE PAYS qui est occupée par chaque groupe de mines, (enlieueso^rr.) ENDROITS que l’on peut regarder Comiilc les points centraux de ces huit groupes. Groupe ( Groupel central ) , de 21° o' à j 2-4*’ ] o' de Jatlt. bor. , et \ 1900 de 102® 3o' à io5° i5' | de lougit. occid. / U® Groupe ( Groupe de\ Darangoet deSonora)y I de 23” à 24” 45' de > 2800 iatit. bor., etde io5^‘3o' | à iog'^5o'de longit. occ./ 3. ” Groupe ( Groupe de \ ChiJiuahua), de 2.6'^ So' | à 29” 10' de latu. bor. , / 3ioo et de 106” 45' à 108” j 5d' de longit. occid. ^ 4. ® Groupe ( Groupe la Biscainà) , de 20° 5' | à 20” i5' de latit. bor. , / 25 et de 100” à 100” | 52' de longit. occid. ' 5. ® Groupe ( Groupe Zimapàn ), de 2o”4o' l à 21” 3o' de latit. bor. , j* ^So et de loo^ï 3o' à 102° o' 1 de longit. occid. ^ 6. ” Groupe ( Groupe de\ la Nouvelle-Galice ) , I de 21° b' à 22” 3o' de \ io5o lat. bor. , et de lob^ o' 1 à 106° 3o' de long. occ. / 7. ® Groupe ( Groupe de . Tasco), de 18” 10' àj 190 20' de lat. bor. , et \ 1200 de loi® 3o' à 102° 45' 1 de lon'git. occid. / 8. ® Groupe ( Groupe \ d^ Oaxaca) f de i6”4o^i à i8”o' de latit. bor. A l4oo et de 98” i5' à 99° 5o' I de longit. occid. J Guanaxuato. Catorce. Zacatecas. Gnarisamey , (Durango). Rosario , ( Copal a ). Cosiguiriacbi. Panai. Batopiias. PRODUIT ANNÜEE (le chaque groupe, exprimé en marcs d’argent. i,3oo,ooo 4oo,ooo ‘ Douteux. Real del Monte. } ( Pachuca }. j Zimapa. Bolanos. 120,000 60,000 25o,ooo Temascaltepec. | Ta.sco. \ 260,000 Zacuaipa. 1 {Oaxaca. 1 Villalla. ] I I Douteux. Produit moyen des mines de la Nouvelle-Espagne, y compris les mines de la partie septentrionale de la marcs d’argent, Nouvelle-Biscaye, et celles d^Oaxaca , au delà de 2,5oo,ooo. 1 346 LIVRE IV 5 Nous comparerons plus tard le produit des mines d’argent du Mexique à celui des dilFérentes mines de l’Europe : il suffit pour le moment d’observer que les deux millions et demi de marcs d’argent exportés annuel- lement delà Y ev‘A-Gv\jx écjuwalent aux deux tiei's de V argent qui est annuellement extrait sur le globe entier. Les huit groupes dans lesquels nous avons divisé les mines de la Nouvelle-Espagne ^ occupent une surface de 12,000 lieues carrées, ou un dixième de toute l’étendue du royaume. En fixant les yeux sur la richesse immense d’un très-petit nombre d’exploitations, par exemple sur la mine de la Valeociana , et sur celle de Rayas , à Gua- naxuato, ou sur les filons principaux (^vetas madrés) de Catorce, de Zacatecas et de Real del Monte, on reconnoît aisément que plus de i,4oo,ooo marcs d’argent sont pro- duits par une étendue de terrain qui n’égale pas en grandeur celle du district des mines de Freiberg. Si la quantité à" argent tiré annuellement des mines exploitées au Mexique est dix fois plus grande que celle qui est fournie par toutes les mines de l’Eürope, Yor^ au con- CHAPITRE XI. 347 traire, n’est pas de beaucoup plus abondant à la Nouvelle - Espagne qu’il ne l’est en ïIoneTie et en Transilvariie. Ces deux derniers O pajs en font entrer annuellement en circu- lation près de 6200 marcs ; tandis que l’or livré à la monnoie de Mexico ne s’élève , année moyenne , qu’à 7000 marcs. On peut compter qu’en temps de paix, lorsque le manque de mercure ne rallentit pas les pro- cédés de l’amalgamation, le produit annuel de la Nouvelle-Espagne est ç en argent ^ de 22 millions de piastres, en or^ ... 1 L’or mexicain provient , pour la plus grande partie , de terrains d’ail uvion dont 011 l’extrait par des lavages. Ces terrains sont fréquens dans la province de la Sonora, qui, comme nous l’avons observé plus haut S peut être considérée comme le Choco de l’Amérique septentrionale. On a recueilli beaucoup d’or disséminé dans les sables qui remplissent le 1 Chap. YIII, T. II, p. 391. 348 livre IV ^ fond de la vallée du Rio Hiaqui, à Test des missions de la Tarahumara. Plus au nord j dans la Pimeria Alla, sous les 3i^ de latitude^ on a trouvé des grains [pepites ) d’or n^tif du poids de cinq à six livres. L'extraction de Por^ dans ces régions désertes , est entravée par lés incursions des Indiens sauvages , par l’excessive cherté des vivres, et par le manque de r eau nécessaire aux laçages. Une autre partie de For mexicain est ex- traite des filons qui traversent les montagnes de roches primitives. C’est dans la province d’Oaxaca que les filons d’or natif sont le plus fréquens, soit dans le gneiss, soit dansle schiste micacé {glimmerschieffer), La dernière roche est surtout très-riche en or dans les mines célè- bres de Rio San Antonio. Ces filons , dont la gangue est du quartz laiteux, Ont plus d’un demi- mètre d’épaisseur , mais leur richesse est fort inégale : ils se trouvent souvent étranglés ^ et l’extraction de For dans les mines d’Oaxaca, est en général très-peu considérable. Le même métal se présente, soit pur, soit mêlé aux minerais d’argent , dans la plupart des filons qui sont exploités au Mexique : à peine y existe-t-il une mine d’argent qui ne soit au- CHA.PITRE XI. 349 rlfere. On reconnoît souvent de l’or natif cristallisé en octaèdres , ou en lames , ou sous forme tricotée , dans les minerais d’argent des mines de Villalpaiido et de Rayas, près de Guanaxuato^ dans celles du Sombrero ( intendance de Valladolid ) , de Guarisamey, à l’ouest de Durango et du Mezquital , dans la province de G uadalaxara. L or dulMezquital est regardé comme le plus pur , c’est-à-dire comme celui qui est le moins allié d’argent, de fer et de cuivre. A Villalpaiido , dans la mine de la Santa— Cruz , que ] ai visitée au mois de septembre i8o3, le filon principal est traversé par un grand nombre de petits filons pourris ( kilos del desposorio ) qui sont d’une richesse extrême. Le limon argilleux dont ces filets sont remplis , contient une si grande quantité d’or disséminé en parcelles impalpables , que 1 on force les mineurs , lorsqu’ils sortent presque nus de la mine, de se baigner dans de grandes cuves, pour les empêcher d’emporter l’argile aurifère qui s’attache à leur corps. Les minerais d argent de Villalpando ne contiennent communément par charge (^carga de i2 arrobas) , que deux onces d’or J mais souvent leur richesse s élève à 3^0 livre IV , huit ou dix onces par charge, ou à i X d’onces par quintal. Il est utile de rappeler ici qu’au Harz les pjrites du Rammelsberg ne contien- nent qu’un vingt-neuf-millionième d’or, qui en est cependant retiré avec profit Le district des mines de Guanaxuato a fourni , selon les registres de la trésorerie provinciale % ÉPO QUES. Marcs d'or. MARCS d’argent. OR contenu dans l’argent. De 1766 à 1775 1776 1785 J 786 1796 Î796 i8o3 9,o44 i3,254 7,376 i3,356 3,422,4i4 5,281,214 5,609,356 4,4ip,553 0,0026 0,0025 o,ooi3 0,0029 en 38 ans , 43,o3o 18,723,537 0,0025 Il résulte de ce tableau ^ que Fargent retiré du filon de Guanaxuato contient en or y d’un à trois millièmes de son poids. » Brongniart, Minéralogie ^ T. 11^ p. 345. * Estado de la Tresoreria principal de Real Hacienda de Guanaxuato, del 2i de novembre de ij (Ma- nuscrit. ) CHAPITRE XI. 35i On a faussement annoncé lexistence du platine dans les sables aurifères de la Sonora. Ce métal n’a point encore été découvert au nord de l’isthme de Panama, sur le continent de l’Amérique septentrionale. Le platine en grains ne se trouve que dans deux endroits du monde connu; savoir, au Choco, l’une des provinces du royaume de la Nouvelle- Grenade , et près des côtes de la mer du Sud , dans la province de Barbacoas , entre les 2^^ et 6"^ de latitude boréale. Il est propre à des terrains d’alluvion qui occupent une sur- face de 600 lieues carrées, et dont l’étendue égale à peine celle de deux départemens de la France. Les lavaderos (lavages) qui donnent aujourd’hui le plus de platine , sont ceux de Gondoto , de Santa Bita, ou Viroviro, et de Santa Lucia, comme aussi le ravin {cjuehrada) d’Iro, entre les villages de Novitaet du Taddo. Il exisle au Choco plusieurs lavages d’or ( par exemple ceux des districts de San Augustin etdeGuaicama), où X^^arp ailleurs ne, trouvent aucune trace de platine. Le prix de ce métal en grain est, sur les lieux , de huit piastres, ou de 4o francs la livre, tandis qu’à Paris il est communément de i3o à i5o franco 352 LIVRE IV 5 J examinerai dans un autre endroit la quantité de platine que, dans l’état actuel des mines du Choco, l’Amérique peut fournir à l’Europe. Il est aussi absolument faux que le platine ait jamais été trouvé près de Carthagène , près de Santa-Fe , à l’ile de Portorico, à celle de la barbade et au Pérou % quoique ces divers gisemens soient indiqués dans les ouvrages les plus estimés et les plus répandus : peut-être 1 analyse chimique nous prouvera-t-elle un jour qu il existe du platine dans quelques minerais d argent du Mexique , comme dans lefahlerz (cuivre gris) de Guadalcanal, en Espagne. ^ Haüy , Minéralogie, T. III, p. 570. Dans un mémoire inséré dans les Anales de ciencias naturales, publiées par 1 abbe Cavanilles , on lit que le platine se trouve au Chopo ( Cboco) , à Barbados ( Barbacoas), et à Carthagène, port de mer éloigné de cent trente lieues des lavages d’or du Taddo, 11 y a cependant plus de dix-huit ans que M. Bertbollet a donné une notice très-exacte des lieux qui fournissent le platine. {^Annales de chimie, juillet 1792.) J’ai rapporté en Europe nnQ pepite de platine d’une grandeur extraor- dinaire : elle pèse 1088 ^ grains; son poids spécifique est, d’après M. Tralles , 18.947. {Karsten, Miner. 1808, p. 96.) CHAPITRE XI. 353 L’argent que fournissent les filons du Mexi- que, est tiré d’une grande variété de minerais, qui, par la nature de leur mélange, sont ana- logues cà ceux qu’offrent les gîtes métallifères de la Saxe, du Harz et de la Hongrie. Un voyageur ne doit point s’attendre à trouv er à l’école des mines de Mexico une collection complète de ces minerais. Les exploitations étant toutes entre les mains des particuliers , et le gouvernement mexicain n’exerçant encore qu’une foible influence sur l’administration des mines , il n’a pas dépendu des professeurs de réunir tout ce qui a rapport à la structure Ae.'Sy filons, des couches et des amas de minerais. A Mexico, comme à Madrid, les collections publiques offrent les minéraux les plus rares de la Sibérie et del’Ecosse^ tandis qu’on y cherche inutilement ce qui peut répandre du jour sur la géographie minéralogique du pays. Il faut espérer que le cabinet de l’école des mines s’enrichira à mesure que les élèves de ce bel établissement auront été envoyés dans les provinces les plus éloignées de la capitale, et qu’ils feront sentir aux propriétaires des mines, combien il est de leur intérêt de faciliter les moyens d’instruction. Sans une 25 m. 354 LIVRE IV 5 connoissance individuelle des localités, sans l’étude approfondie des minéraux qui com- posent la masse des filons , ou le contenu des amas et des couches, tous les changemens que l’on proposera pour perfectionner le procédé de l’amalgamation , ne seront que des projets chimériques. Au Pérou , la majeure partie de l’argent extrait du sein de la terre est fournie par les pacos , minerais d’apparence terreuse , que M. Klaproth ‘ a bien voulu analyser, à ma prière, et qui consistent dans un mélange intime de parcelles presque imperceptibles d’argent natif avec l’oxide brun de fer. Au Mexique, au contraire, la plus grande quantité d’argent qui est mise annuellement en circu- lation, est due à ces mêmes minerais que le mineur saxon désigne par le nom de düire erze , on minerais maigres % surtout à V argent sulfuré ( ou vitreux , glaserz ) , au cuivre gris arsénié {fahlerz ) et antimonié ( grau - ou 1 Klaproth y Beitrage zur chemischen Kenntniss der Minerai- Korper , B. ÏY , S, 4. » Voyez l’ouvrage très’-inslriiçtif de M. Daubuisson ^ qui porte le titre Description des mines de Freiberg^ Pav #uivi dans le courant de ce chapitre^ pour les CHAPITRE XI. 355 schwarzgiltigerz), à Y argent muriaté (hornerz), kVargentnoir prismatique {sprôdglaserz) , et à Y argent rouge ( rothgiltigerz ). Nous ne nommons pas , parmi ces minerais , l’argent natif, parce qu’il ne se trouve pas en assez grande abondance pour que l’on puisse lui attribuer une partie très - considérable du produit total des mines de la Nouvelle-Es- pagne. L’argent sulfuré et l’argent noir prisma- tique sont très-communs dans les filons de Guanaxuato et de Zacatecas, de même que dans la veta biscaina de Real del Monte. L’argent extrait des minerais dè Zacatecas présente cette particularité remarquable de ne pas contenir de l’or. Le fahlerz le plus riche est celui de Sierra de Pinos et des mines de Ramos. Dans ces dernières, \q fahlerz est accompagné de glaserz , de cuivre pjri- teux hépatique {bunt kupfererz) , de blende brune ( zinc sulfuré) , et de cuivre vitreux ( kupferglas ) , que l’on n’exploite que pour objets qui sont relatifs à Part de l’exploita lion et au gisement des minerais, la terminologie de MM. JBro- chant, Daubuissoii et Brongniart. 23 356 LIVRE IV, en extraire l’argent sans tirer parti du cuivre. Le graugiltigerz f ou cuivre gris antimonié , décrit par M. Karsten , se trouve à Tasco , et dans la mine de Rayas , au sud-est de Va- lenciana. L’argent muriaté qui se présente si rarement dans les filons en Europe , est au contraire très - abondant dans les mines de Catorce , de Fresnillo , et du Cerro de San Pedro , près de la ville de San Luis Potosi. Celui de Fresnillo est souvent d’un vert olive qui passe au vert poireau. De superbes échan- tillons de cette même couleur ont été trouvés dans les mines de V allorecas, qui appartiennent au district de los Alamos, dans l’intendance de Sonora. Dans les filons de Catorce, l’argent muriaté est accompagné de plomb moljbdaté {gelh-hleierz) , et de plomb phosphaté {grün- bleierz). D’après les dernières analyses de M. Klaprolh, il paroît que l’argent muriaté ' d’Amérique est un mélange pur d’argent et d’acide muriatique, tandis que le hornerz 1 Les minéralogistes distinguent aujourd’hui quatre espèces d’argent muriaté ; savoir , le commun , le terreur /le conchoide et le rayonné. Les deux der- nières espèces , qui sont de la plus grande beauté , ont été décrites par M. Kai’slen : elles se trouvent CHAPITRE XI. 357 d’Europe contient de l’oxide de fer , de 1 alu- mine , et surtout un peu d’acide sulfurique. La mine d’argent rouge fait une partie prin- cipale des richesses de Sombrerete , de Gosala et de Zolaga , près de Villalta , dans la province d’Oaxaca. C’est de ce minerai qu’on a extrait, dans la fameuse mine de la veta negra près de Sombrerete , plus de 700,000 marcs d’ar- gent , dans l’espace de cinq à six mois. On assure que Y ouvrage à gradins montans qui a donné cette énorme masse de métal , la plus grande que jamais filon ait présentée sur un même point de sa masse , n’avoit pas trente mètres de longueur. La véritable mine d ar- gent hlanc ( weissgiltigerz) est très-rare au Mexique. Sa variété blanc grisâtre , très-riche en plomb , se trouve cependant dans l’inten- dance de la Sonora, dans les filons de Cosala , où elle est accompagnée de galène argentifère, d’argent rouge, de blende brune , de quartz et de baryte sulfatée. Cette dernière substance, parmi les minéraux que j’ai rapportés tlu Pérou. ( Karsten , dans le Magazin der Berliner Gesellschaft Tiaturforschender Freunde , B. I , S. l56. Klaproth’ »i Beitràge , B. IV , S. lo. ) 35:8 LIVRE IV 5 très - peu commune parmi les gangues du Mexique, se présente aussi au Real delDoctor, près de laBaranca de lasTinajas^ et à Som- Lrerete , surtout dans la mine appelée la Campechana. Le spath-fluor ua encore été trouvé que dans les filons de Lomo del Toro, près de Zimapan , à Polanos et à Guadalcazar, près de Catorce. II y est constamment ou vert de pré , ou bleu violet. Dans quelques parties de la Nouvelle-Es- pagne le travail du mineur est dirigé sur un mélange d’oxide de fer brun et d’argent natif, disséminé en molécules imperceptibles à la vue simple. Ce mélange ocreux , qu’au Pérou on appelle paco y et dont nous avons eu oc- casion de parler plus haut , est l’objet d’une exploitation considérable dans les mines d’An- gangueo , dans l’intendance de Valladolid , de même qu’à Yxtepexi , dans la province d’Oaxaca.Les minerais d’Angangueo , connus sous le nom de colorados y ont l’aspect terreux. Près du jour y le fer oxidé brun y est mêlé d’argent natif, d’argent sulfuré et d’argent noir prismatique ( sprôdglaserz ) > tous trois dans un état de décomposition. A de grandes profondeurs, le filon d’Anganguet) CHAPITRE XI. SSg ii’ofFre plus que de la galène et des pyrites de fer peu riches en argent t aussi les pacos noirâtres de la mine de TAiirora d’Yxtepexi, qu'il ne faut pas confondre avec les negrillos du Pérou , doivent leur richesse plutôt au glaserz qu'aux filamens imperceptibles de l'argent natif ramuleux. Le filon est très-iné- gal dans son produit, tantôt stérile et tantôt abondant. Les colorados de Catorce , surtout ceux de la mine de la Concepcion, sont d’un rouge de brique , et mélangés de muriate d'argent. En général , on observe au Mexique, comnae au Pérou, que ces masses oxidées de fer, contenant de l’argent, sont propres à la partie des filons qui est plus voisine de la surface de la terre. Aux yeux des géologues les pacos du Pérou offrent une analogie très- frappante avec les masses terreuses qu'en Europe les mineurs appellent le chapeau de fer des filons ( eiserne huth ). U argent natif, beaucoup moins abondant en Amérique qu’on ne le suppose générale- ment, s'est trouvé en masses considérables, quelquefois du poids de plus de deux cents kilogrammes, dans les filons de Batopilas, 36o livre IV,' situés dans la Nouvelle-]3iscay6. Ces mines, foiblement exploitées aujourd’hui, sont au nombre des plus septentrionales de la Nou- velle-Espagne. La nature y présente les mêmes minerais qu’on trouve dans le filon de Kongsberg, en Norwège. Ceux de Batopilas contiennent de l argent filiforme, dendritique et tricoté , traversant des couches de chaux carbonatée. D’ailleurs , le glaserz accom- pagne constamment l’argent natif dans les filons du Mexique , comme dans ceux des montagnes d’Europe. On trouve ces deux minéraux fréquemment réunis dans les mines extrêmement riches de Sombrerete, de Ma- drono, deRamos, de Zacatecas, de Tlapu- jahua et de Sierra de Pinos. On reconnoît aussi de temps en temps de petits rameaux ou des filamens cylindriques d’argent natif dans le célèbre filon de Guanaxuato ; mais ces masses n’ont jamais été si considérables que celles qu’on a tirées anciennement de la mine del Encino , près de Pachuca et de Tasco , où l’argent natif est renfermé quelquefois dans des feuillets de sélénite. A Sierra de Pinos, près de Zacatecas , ce dernier métal est cons- CHAPITRE Xla 36 I tamment accompagaé de cuivre bleu rayonné i^strahlige kupferlazur) , cristallisé en petits prismes à quatre faces. Une très -grande partie de l’argent que fournit annuellement l’Europe, est due au plomb sulfuré argentifère filberhaltiger blei- glaiiz ) qui se trouve tantôt sur les filons qui traversent les montagnes primitives et de tran- sition y tantôt sur des couches particulières ( erzfloze ), dans des roches de formation secondaire. Dans le royaume de la Nouvelle- Espagne , la plupart des filons offrent aussi un peu de galène argentifère ; mais il n’y a qu’un très-petit nombre de mines dans les- quelles les minerais de plomb soient l’objet particulier de l’exploitation On ne peut comp- ter parmi ces dernières que les mines des dis- tricts de Zimapan, du Parral , et de San Nicolas de Croix. J’ai observé qu’à Gua- naxuato , comme dans plusieurs autres mines du Mexique b et comme partout en Saxe , le» ^ On peut citer comme des galènes éminemment riclies en argent, et à très-petits grains , celles de la nouvelle mine de Talpan, dans le Cerro de las Yigas , appartenant au district de Hostolipaquillo. Celte ga- lène, qui passe quelquefois di\x plomb sulfuré com^pacl 362 LIVRE IV ; galènes contiennent d'autant plus d'argent > qu’elles ont le grain plus petit. Une quantité d’argent très-considérable est fournie par la fonte des pyrites martiales {gemeine schwefelkiese) ^ dont la Nouvelle- Espagne offre des variétés quelquefois plus riches que le glaserz même. On en a trouvé à Real del Monte ^ sur le filon de la Biscaina, près du puits de San Pedro ^ dont le quintal contenoit jusqu’à trois marcs d’argent. A Sombrerete, la grande abondance de pyrites disséminées dans la mine d’argent rouge , entrave beaucoup le procédé de l’amalga- mation. Nous venons d’indiquer les minerais qui fournissent l’argent mexicain ; il nous reste à examiner quelle est la richessé mojenne de ces minerais, en les considérant tous mêlés ensemble. C’est un préjugé très-répandu en Europe, que de grandes masses d’argent natif sont extrêmement communes au Mexique et au Pérou, et qu’en général les mines d’argent minéralisé, destinées à l’amalgamation ou à et antimonial [hleischweif')^ est accompagnée de beau- coup de pyrites euiyreuses , et de chaux carbonatée. CHAPITRE XI. 363 la fonte , y contiennent plus d’onces ou plus de marcs d’argent' au quintal , que les minerais maigres de la Saxe et de la Hongrie. Imbu de ce même préjugé , j’ai été doublement surpris, à mon arrivée dans les Cordillères , de trouver que le nombre des mines pauvres surpasse de beaucoup celui des mines que nous désignons en Europe par le nom de riches. Un voyageur qui visite la fameuse mine delaValenciana, au Mexique , après avoir examiné les gîtes métal- /lyè/’es deClausthal, de Freiberg et deSchem- nitz, a delà peine à concevoir comment un filon c{ui , dans une grande partie de sa puis- sance ^ renferme l’argent sulfuré, disséminé Awslà gangue en parcelles presque impercep- tibles , peut fournir régulièrement par mois trente mille marcs , c’est-à-dire , une quantité d’argent égale à la moitié de celui que four- nissent toutes les mines de la Saxe dans l’espace d’une année. Il n’est pas douteux qu’on n’ait extrait des mines de Batopilas , au Mexique, et de celles de Guantabajo, au Pérou, des blocs d’mgenf natif [papas de plata) d’un poids énorme; mais en étudiant attentivement l’histoire des principales mines de l’Europe , on trouve que 364 LIVRE IV 5 les filons de Kongsberg , en Norwège > ceux de Schiieeberg , en Saxe , et le fameux amas de minerais du Schlangenberg, en Sibérie, ont offert des masses beaucoup plus considé- rables. En général , ce n’est pas par la grandeur des blocs que l’on peut juger de la richesse des mines de différenspays : la France entière ne produit par an que 8000 marcs d’argent; et cependant il y existe des filons (ceux de Sainte-Marie-aux-Mines ) dont on a tiré des masses informes d’argent natif, du poids de trente kilogrammes. Il paroît que sous tous les climats , lors de la formation des filons, l’argent a été inéga- lement réparti; tantôt concentré sur un même point, tantôt disséminé dans la gangue ^ et allié à d’autres métaux. Quelquefois au milieu des minerais les plus pauvres, on trouve des masses d’argent natif très-considérables ; phé- nomène qui paroît dépendre d’un jeu par- ticulier des affinités chimiques dont nous ignorons le mode d’action et les lois. L’ar- gent , au lieu d’être caché dans des galènes ou dans des pyrites peu argentifères ; au lieu d’être réparti dans toute la masse du filon ^ ^ur une étendue très-grande, est réuni dans CHAPITRE XI. 365 un seul bloc : alors la richesse d’un point peut être considérée comme la causse princi- pale de la pauvreté des minerais voisins; et l’on conçoit, d’après cet aperçu, pourquoi les parties les plus riches d’un filon se trouvent séparées les unes des autres par des portions de gangue qui sont presque dénuées de métaux." Au Mexique, comme en Hongrie, de grandes masses d’argent natif et àeglaserz, ne paroissent que par rognons : les roches composées présentent les mêmes phénomènes que les masses de filons. En examinant avec soin la structure des granités, des syénites et des porphyres , on découvre les effets d’une attraction particulière dans les cristaux de mica , d’amphibole et de feldspath , dont un grand nombre sont accumulés dans un même point, tandis que les parties voisines en sont, presque entièrement dépourvues. Cependant, quoique le nouveau continent n’ait pas offert jusqu’ici l’argent natif en blocs aussi considérables que 1 ancien , ce métal se trouve plus abondamment dans un état de pureté parfaite au Pérou et au Mexique, que partout ailleurs sur le globe. En énon- çant cette opinion, je ne considère pas ^6 LIVRE IV, 1 argent natif qui se présente? sous la forme de lames, de rameaux, ou de filamens cylin- driques, dans les mines de Guantahajo, de Potosi et de Gualgayoc, ou dans celles de Batopilas, de Zacatecas et de Rarnos; je me fonde plutôt sur rénorme abondance des mi- nerais appelés pacos et colorados , dans les- quels l’argent n’est pas minéralisé , mais disséminé en parcelles si petites , qu’elles ne peuvent être aperçues qu’au moyen du mi- croscope. Il résulte des recberches qui ont été faites par le directeur général des mines du Mexique, Don Fausto d Elhuyar , et par plusieurs membres du conseil supérieur des mines, qu’en réunissant tous les minerais d’argent qui sont annuellement extraits, on trouveroit après le mélange, que leur richesse moyenne est de 0,0018 à 0,0025 d’argent, c’est-à-dire, pour parler le langage commun des mineurs, (ju’un cjuintal de minerai ( de cent livres ou de 1600 onces) contient trois a quatre onces d'ar- gent. Ce résultat important est confirmé par le témoignage d’un babitantde Zacatecas, qui a dirigé de grandes opérations métallurgiques dans plusieurs districts de mines de la Nouvelle- CHAPITRE XI. 367 Espagne, et qui vient de publier un ouvrage très -intéressant sur T amalgamation améri- caine. M. Garces * , que nous avons déjà eu occasion de citer plus haut, dit expressément, « que la « est si pauvre , que les trois millions de « marcs d’argent que produit le royaume « dans de bonnes années , sont extraits de dix cc millions de quintaux de minerais traités en « partie parla fonte , en partie par le procédé « de ramalgamation. » D’après ces nombres, la richesse moyenne né s’éleveroit qu’à 2 I onces par quintal , résultat qui contraste singulièrement avec l’assertion d’un voya- geur ^ d’ailleurs très-estimable , qui rapporte que les filons de la Nouvelle - Espagne sont d’une richesse si extraordinaire que les indi- gènes en négligent l’exploitation, lorsque les minerais contiennent moins du tiers de leur poids en argent , ou soixante-dix marcs par ^ N ueva Théorie a del heneficio de los met ale s y por Don Joseph Garcès y Eguia , Perito facaltativo de minus y Primario de beneficios de la miner ia de Zaca- tecas. (Mexico , 1802) , p. 121 et 125, ^ Le jésuite Och. ( Murds Nachrichten vom spa~ nischen Amerïka , T. I , p. 236. ) grande masse des minerais mexicains 368 LIVRE IV, quintal. Comme on a répandu en Europe les idées les plus erronées sur le contenu des minerais de l’Amérique , je vais donner des notions plus détaillées sur les districts de mines de Guanaxuato , de Tasco et de Pa- chuca , que j’ai visités. A Guanaxuato , la mine du comte de laValenciana a fourni, depuis le i.®’’ janvier 1787 jusqu’au 11 juin 1791, la somme de 1,737,052 marcs d’argent qui ont été extraits de 84,568 montones déminerais. Dans le ta- bleau ‘ qui présente l’état général de la mine , un monton est évalué à 32 quintaux , ou à 9 i4ô cargas J d’où il résulte que la richesse ^ Estado de la mina Valencianay remitido por mano del Excellenties. Senor Virey de Nueva Espana al Secretario de Estado Don Antonio Kaldès. (Manus- crit. ) J’ai suivi les nombres que présente ce tableau formé par l’adminîslraleur de la Valenciana ; Don Joseph Quixano. On compte d’ailleurs un monton (amas de minerais réduit en poudre), à Guanaxuato , à 35 J à Real del Monte, Pachuca, Zultepèque et Tasco, à 3o; à Zacatecas et à Sombrerete, à 20j à Frcsnillo , à i8 5 et à Bolanos, à i5 quintaux. A Gua- naxuato, la carga est évaluée généralement à i4 ar- rohas ; de sorte que 10 cargas y forment un monton. ( Garces ^ p. 92.) Comme on détermine la richesse CHAPITRE XI. 369 moyenne des minerais étoit, il y a vingt ans^ de 5 ~ onces d’argent par quintal. En foisant le même calcul sur le produit de la seule année 1791 , on trouve 9 f- onces par quintal. A cette époque, où la mine étoit dans Tétât le plus florissant, il y a voit sur la niasse totale des minerais : 73^ de minerais riches [polvillos et once!.,. xabones), contenant au quintal, 22 3 de minerais riches {^apolvil- lado)y 9 3 de minerais riches ( blanco bueno ), 3 i de minerais pauvres (granzas^ tierras or dinarias ^ etc»), 3 La quantité des minerais riches étoit par conséquent^ à celle des minerais pauvres, à peu près en raison de 3 à i4- Les minerais qui ne contenoient que trois onces au quintal, fournissoient , en 1791 ( nous ne parlons tou- jours que de la seule mine de Valenciana), plus des ramerais d’après le contenu du monton , la con- noissance exacte de cette mesure est d’une grande importance dans les calculs métallurgiques. HT. 24 370 LIVRE IV J de 200,000 marcs d’argent , tandis qu’il javoit assez de minerais riches ( de 5 à 22 marcs au quintal ) pour donner un produit de plus de 4<>o,ooo marcs. Aujourdliui la richesse mojeiine de tout le filon de Guanaxuato peut être évaluée à quatre onces d’argent par quintal de minerais. La partie, sud-ouest du filon, celle qui traverse la mine de Rayas, présente cependant des minerais dont le con-^ tenu s’élève communément au delà de trois marcs. Pans le district des mines de Pachuca , on divise, sur les banps de triage, les produits du filon de la Biscaina en trois classes, dont la richesse varioit en i8o3^ de 4 à 20 marcs le rwonton de 5o quintaux. Les minerais de la première classe , qui sont les plus riches , con- tiennent 18 à 20; ceux de la seconde classe , 7 à 10 marcs. Les mines les plus pauvres, qui forment la troisième classe ; ne sont éva- luées qu’à 4 marcs d’argent par monton. Il en résulte que dans le triage , le bon est de 4 A à 5 ^ ; le médiocre , de 1 — à 2 /o ; et le moindre, de 1 -^7, onces d’argent par quintal. Dans le district des mines de Tasco , les minerais de Tehuilptepec pontieunent , dans CHAPITEE XI. 371 une taroa de quatre monloncs ou de 100 quin- taux , 25 marcs d’argent ; ceux de Guautla en donnent 4^ : leur richesse moyenne est par conséquent de 2 à 5 onces d’argent par quintal de minerais. Ce n’est donc pas, comme on l’a cru trop long-temps, par la richesse intrinsèque des minerais , c’est plutôt par la grande abon- dance dans laquelle ils se trouvent au sein de la terre , et par la facihté de leur exploitation , que les mines de l’Amérique se distinguent de celles de l’Europe. Les trois districts de mines que nous venons de citer , fournissent eux seuls annuellement plus d’un million de marcs d’argent ; et d’après l’ensemble de ces données , nous ne pouvons douter que le contenu moyen des minerais mexicains ne s’élève , comme nous l’avons annoncé plus ^ Les minerais d’argent du Pérou ne paroisse nt en général pas plus riches que ceux du Mexique : on évalue leur conttnii , non par monton ^ mais par caxon ( caisse) , qui a :24 cargas ^ en comptant chaque carga à lo arrobas , ou à deux quintaux et demi. Au Potosi , la richesse moyenne des minerais est de dans les mines de Pasco, de i -A onces par 372 LIVRE IV, haut, à trois ou quatre onces d’argent par quintal. Il en résulte en outre que ces mine- rais sont un peu plus riches que ceux de Frei- berg, mais qu’ils contiennent beaucoup moins d’argent que les minerais d’Annaberg, de Johann -Georgenstadt, de Marienberg et d’autres districts du Ohergebirge , en Saxe. Depuis 1789 jusqu’en 1799, on a extrait' des filons du district de Freiberg, année com- mune , 166,7^2 quintaux , qui ont donne 48,952 marcs d’argent; de sorte que le con- < tenu mojen a été de 2 H onces par quintal de minerais. Dans les gîtes métallifères du Ober- gebirge , au contraire , la richesse moyenne s’est élevée à io, et, à des époques très-heu- reuses , jusqu’à i5 onces par quintal. Nous avons jeté Un coup-d’œil général sur les roches dans lesquelles se trouvent les prin- cipales mines de la Nouvelle-Espagne ; nous venons d’examiner sur quels points , à quelles latitudes, et à quelles hauteurs au-dessus du niveau de la mer, la nature a réuni les plus grandes richesses métalliques ; nous avons indiqué les minerais qui fournissent l’immense ^ T>auhuisson , T. II, p. 128. CHAPITRE XI. 373 quantité d’argent qui reflue annuellement d’un continent à l’autre : il nous reste à donner quelques détails sur les exploitations les plus considérables. Nous nous bornerons à trois de ces groupes de mines que nous avons décrits plus haut, au groupe central, et à ceux de Tascoetde la Biscaina. Les personnes qui connoissent l’état des exploitations de l’Eu- rope , seront frappées du contraste qu’offrent les grandes mines du Mexique , par exemple celles de la Valenciana , de Rayas et de Te- reros , avec les mines que l’on considère comme très-riches en Saxe , au Harz et en Hongrie. Si ces dernières pouvoient être transportées au milieu des grandes exploita- tions de Guanaxuato , de Catorce, ou de Real del Monte ^ leur richesse et la quantité de leur produit paroîtroient aux habitans de l’Amérique tout aussi peu remarquables que la hauteur des Pyrénées , comparée à celle des Cordillères. Le groupe central des mines de la Nouvelle- Espagne , la portion de terrain la plus abon- dante en argent que l’on connoisse sur le globe , est situé sur un même parallèle avec le Bengale, sous une latitude où la zone 3^4 LIVRE IV 5 équinoxiale se confond avec la zone tem*- pérée. Ce groupe embrasse les trois districts de mines de Guanaxuato , de Gatorce et de Zacatecas, dont le premier a une étendue de 220, le second de 760, et le troisième de 73o lieues carrées, en calculant les surfaces d’après la position des mines isolées ( réalités ) qui sont les plus éloignées du chef- lieu de rarrondissement. Le district de Guanaxuato , le plus méri- dional de ce groupe , est aussi remarquable par sa richesse naturelle que par les travaux gigantesques que les hommes ont exécutés dans le sein des montagnes. Pour se former une idée plus exacte de la position de ces mines , nous invitons le lecteur à se rappeler ce que nous avons dit plus haut * , en don- nant la description particulière des provinces , ^Chap.TIlI, T. n , p. 283. J’ai dressé une carte géologique des environs de la ville de Guanaxuato , qui paroîtradans la Relation historique de mon voyage aux régions équinoxiales de l’Amérique : celte carte est levée en partie au moyen de bases perpendiculaires^ qui ont été mesurées barométriqucment. Vqyez plus haut, T. I , p. 16, çX Recueil W ohsermtioris astronomiques , Yol. I , p. 572. CHAPITRE XI. 375 et à jeter les yeux sur le tableau physique du plateau central que présente la quator- zième planche de l’Aflas mexicain. Dansle centre de l’intendance de Guanaxua- to , sur le dos de la Cordillère d'Anahiiac , s’élève un groupe de cimes porphyritiques connues sous le nom de la Sierra de Santa Rosa. Ce groupe de montagnes , en partie arides , en partie couvertes d’arbousiers et de chênes toujours verts, est environne de plaines fertiles et labourées avec soin. Aüilord de la Sierra s’étendent, à perte de vue, les Llanos de San Felipe; au sud, les plaines d’Irapuato et de Salamanca offrent le spec- tacle riant d’un pays riche et peuplé. Le Cerro de los Llanitos ^ et le Puerto de Santa Rôsa , sont les cimes les plus élevées de ce groupe de montagnes. Leur hâüteur absolue est de **2800 à 2900 mètres ; mais comme lès plaines voisines qui font partie du grand plateau cen- tral du Mexique , sont élevées de plus cie 1800 mètres au-dessus du niveau de FOcéan , ces sommets porphyritiques ne paroissent, aux yeux du voyageur accoutumé à l’aspect impo- sant des Cordillères , que des collines peu considérables. Le fameux filon de Guanaxuato 376 livre IV 5 qui, à lui seul , depuis la fin du seizième siècle , a produit une masse d’argent équivalant à quatorze cent millions de francs , traverse la pente méridionale de la Sierra de Santa Rosa- En allant de Salamanca à Burras et à Te- mascatio , on aperçoit un rideau de montagnes qui bornent les plaines en se prolongeant du sud-est au nord-ouest. C’est cette même direc- tion que suit la crête du filon. Lorsqu’on se trouve au pied de la Sierra , après avoir passé la ferme deXalapita, l’on découvre un ravin étroit , et dangereux à passer à l’époque des grandes crues, la Cdîiada de Marfil, qui con- duit à la ville de Guanaxuato. La population de cette ville, comme nous l’avons observé plus haut, est au-dessus de 70,000 âmes. On est étonné de voir , dans ce lieu sauvage , de grands et beaux édifices au milieu de misé- rables cabanes d’indiens. La maison du colonel Don Diego Rul , qui est un des propriétaires de la mine de la Valenciana , pourroit ornei^ les plus belles rues de Paris et de Naples : sa façade offre des colonnes d’ordre ionique ; l’architecture en est simple et remarquable par une grande pureté de style : la construc- tion de cet édifice, qui est presque inhabité. CHAPITRE XI. 377 a coûté plus de 800,000 francs , somme con- sidérable dans un pays où le prix de la journée et celui des matériaux sont assez modiques. Le nom de Guanaxuato est à peine connu en Europe ; cependant la richesse des mines de ce district est bien supérieure à celle du gîte métalUJ^eve de Potosi. Ce dern er, dé- couvert en 1645, par l’Indien Diego Hualca, a fourni, d’après des renseignemens ' qui n’ont jamais été publiés, dans 1 espace de deux cent trente -trois ans, 788,2 58,5 12 piastres fortes, ou , en comptant huit piastres et demie par marc , la somme de 92>7^®’"9'i marcs d’argent ; savoir : piastres. marcs d’argetit. De i556 à 1578, 49?^^ 5, 766,035 1579 1736, 611,399,431 1737 1789, i27,847>77^ i5, 040,9^4 788,258,512 92,736,294 ^ Extrait du livre de compte de la trésorerie royale de Potosi, fait sur les lieux par M. Frédéric MothhsL ( Razon de los reales der échos que se han cobrado en las caxas reales, de la planta que ha producido el Cerro de PotosL) Ce raétnoire manuscrit, que je possédé, donne le produit du Potosi , année par année, depuîâ 3 7^ livre IV, Dans ces trôis époques de temps, il a donc été extrait du Gerro de Potosi, année moyenne , m.ros d'argent. piastre». De i5o6 a 1678, . . . .262,092 ou 2,227,782 *^79 17^^» • • • -438,148 5,994,268 ï7^7 1789. • • • • 289,248 2,458,606 Le produit du filon de Guanaxuato est presque le double de celui du Cerro de Poto.si. On tire actuellement de ce filon, car c ’estlui seul qui fournit tout l’argent des mines du district de Guanaxuato , année commune , cinq a six cent mille marcs argent y et quinze a seize cents marcs or. 1558 jusqu’en 1789. Les livres de la trésorerie ne rapportent rien sur les années antérieures à i556, quoique deux mineurs de Poroo , Juan de Viiiaroel et Biego Centeno, aient attaqué ce filon dès l’année i545. CHAPITRE XI 379 produit en or, DU DISTRICT DES MINES DE GÜANAXUATO. Époques. OR RETIRÉ PAR l’amalgamation. OR RETIRÉ PAR LA PONTE. casiellan. tom. gran. casiellan. toni. | gran. 1766 1767 1768 1769 1770 1771 1772 1773 1774 1776 702 552 0 0 536 1 7938 7759 5iô5 1985 6235 3 0 0 0 6 5 2 4 5 4 9 0 0 0 8 8 2 0 9 8 35542 46525 4oi3o 5i543 46945 47980 60917 35662 3o835 50671 4 4 0 0 0 0 3 0 5 7 ! 0 10 0 0 J 0 3 8 0 1 0 j ■ 1776 1777 1778 1779 1780 1781 1782 1785 1784 1785 l’ibi'j 21673 23ü34 5i 1 15 25o44 30790 246^5 32887 28532 26823 4 6 6 2 0 2 2 3 4 2 0 3 8 3 0 6 lü 4 10 4. 81 642 7^481 5oioo 5o686 29123 27781 16975 2o83o 20194 20012 4 3 6 3 4 0 7 0 3 0 4 ' ^ 3 3 : 5 1 1 8 7 1 5 1786 1787 1788 1789 1790 1791 mi 1795 179^ ■ 179^ 26217 21820 i3i6o i645i 21219 25654 16855 28267 26090 3i5i8 0 0 ^ 5 2 6 3 2 1 1 5 2 4 4 2 7 1 10 0 0 12276 i3i24 • 10674 16027 i3i35 23407 8434 i636o 7084 24441 5 5 2 0 4 5 5 1 2 5 4 4 9 10 9 0 0 4 1 7. 1796 1797 1798 1799 1800 1801 1802 i8()5 43558 34454 92074 67332 71791 493o5 46459 59772 5 0 6 1 2 0 0 1 6 0 9 4 4 8 4 J iOOOO 16962 34393 5i3i6 24853 31679 4o4oi 17100 6 7 6 6 5 1 2 7 3 5 7 9 6 2 8 38o livre IV, PRODUIT EN ARGENT, DU DISTRICT DES MINES DE GUANAXÜATO. Époques, argent retiré par l’amalgam. ARGENT RETIRÉ PAR LA FONTE. marcs. onces marcs. onces loin. gran. 1766 1767 1768 1769 1770 1771 1772 1775 1774 1775 207412 185439 194379 194628 233235 299016 287160 267621 243601 277589 5 2 4 2 6 1 7 7 4 86107 '77817 87906 îo6i44 125782 120845 96412 136799 98907- 96727 1 3 0 3 0 2 0 4 0 7 0 0 1 3 6 5 7 4 3 5 0 0 8 11 0 11 0 1 2 5 1776 45^175 7 161766 1 7 1 1777 452226 4 169921 0 1 1778 43i85o 5 93162 5 0 5 1779 4i82i5 2 1 18200 5 0 1780 338470 4 1 38821 1 1 . 9 1781 4o377,2 7 162184 0 ' n 1782 309734 1 i483o2 ■ 4 J 1 2 17S3 430907 5 ii3i45 3 2 1784 386861 7 looSig 3 2 1785 3653o8 2 ioo836 5 3 1 1786 3 1 6332 5 96300 7 6 4 1787 365ü38 3 1ü3223 5 0 5 1788 408894 3 93657 1 5 n 1789 487321 6 137120 2 4 / n 1790 4658o7 6 i3i3i8 0 4 / 8 1791 623921 5 143685 5 7 3 1792 541735 6 03711 6 4 2 1793 44o58i 4 76035 3 1 8 1794 443366 3 81206 3 3 4 1795 462444 5 io4652 6 1 0 1796 ^104639 2 84^86 7 6 6 3797 592612 1 ii454o 2 6 10 1798 521888 4 io4o48 5 5 3 1799 406286 5 98679 4 2 5 1800 397119 4 109557 0 7 2 1801 221690 1 118860 1 7 0 1802 319719 0 177460 1 4 0 i8ü3 669992 7 84j 72 4 ? 0 CHAPITRE XI. 38 1 J’ai indiqué dans ces tableaux , année par année, For et l’argent que les mines de Gua- naxuato ont fournis depuis 1 766 jusqu’en i8o3. On a distingué les métaux qui sont retirés des minerais au moyen de l’amalgamation , de ceux qui sont obtenus par la fonte. Un marc d’or contient 3o castellanos , qui équivalent à 4oo toinines ou à 4800 granos. Il résulte de ces tableaux , fondés sur des pièces officielles que le district des mines de Guanaxuato a fourni, en trente-huit ans, pour 1 65 millions de piastres en or et en argent, et que depuis 1786 jusqu’en i8o3 , le produit a été, année commune , de 556, 000 marcs d argent , qui équivalent à !\,'j2'j,ooo piastres. Tous les filons de la Hongrie et de la Transilvanie ensemble ne donnent que 85, 000 marcs d’argent. En prenant les moyennes de quatre années, ^ Razon de los castelldTios de oro de ley 22 quilates y marcos de plata , de 12 dineros de los heneficios de azogue y frego, manifestados en la tresoreria prin- cipal de Real Hacienda de Guanaxuato , desde 1.® de enero 1766 hasta '5i de deciemhre i8o5. (Manuscrit*) On a compté le marc d’argent a 8 7 piastres, et le marc d’or à i36 piastres (la piastre à 5 livres 5 sous). ^^^2 LIVRE IV, dont trois de cinq et une de huit ans , on trouve les résultats suivans : ÉPOQUES. VALEUR du produit total DE l’or ET DE l’argent exirails des mines de Guauaxuato. Argent correspondant à une année moyenne. VALEUR DE yOR et de l’argent eorre.sp-mdant à une année moyenne. . 1766—1775 1776—1785 1786 1795 1796—1803 — piastres. 3o,320,5o5 46,692,863 48,682,662 39>3o6,ii7 marcs. 342, 24i 528,121 560,936 55 1,519 piastres. 3,o32,o5o 4,669,286 4,86^,266 4,915,265 Quelle est la nature du niGtaliiJ'ère qui a fourni ces immenses richesses, et que Ion peut considérer comme le Potosi de l’hémis- phère boréal? Quel est le g’isement du rocher qui traverse le lilon de Guanaxuato ? Ces questions sont trop importantes pour que je ne trace pas ici le tableau géologique d’un pajs si remarquable. La roche la plus ancienne que l’on con^ noisse dans le district de Guanaxuato, est le thonschiejer (schiste argileux) , qui repose sur les roches granitiques de Zaeatecas et du CHAPITRE XI. 383 Penon Blaiico *. Il est gris de cendre ou noir - grisâtre , traversé souvent par une infinité de petits filons de quartz , passant , à de grandes profondeurs , au talkschiefer ( schiste talqueux ) et à la chlorlte schisteuse. Je regarde ce thonschiefer comme de for- mation primitive , quoique des couches à feuillets irès-minces qu’il contient, et qui sont surchargées de carbone , paroissent le rapprocher du thonschiefer de transition. Ces couches ( oja de lihro ) se trouvent le plus souvent ^ près du jour ; quelquefois elles se riiontrent ^ à des profondeurs considérables. En creusant le grand puits i^tiro general^ de Valenciana, on a découvert des bancs de sjénite , de schiste amphibolique {hornblend- schiefei^eX àe^r^ie serpentine^ alternant entre elles, et formant des couches subordonnées dans le thonschiefer. Ce phénomène extraor- ^ Sonneschmidty Beschreihung der Bergwerhs-Refiere von Mexico y p. 194 et 292. ^ Dans la quehrada de San Roquito, qui commu- nique au ravin d’Acabuca. 2 Dans la mine de Valenciana. ^ Dans les mines de Mellado , d’Anlmas et de Rayas. 384 LIVRE ÏV^ dinaire d’une syénite qui alterne avec la serpentine , se présente aussi à File de Guba^ près du village de Régla, où la dernière roche abonde en diallage chatoyante [s chil^ lerspath). Le même thonschiefer de Gua-- naxuato , que l’on observe dinfond de la mine de Valenciana, reparoît ïzi/ Jour y huit cents mètres plus haut , sur le dos de la Sierra de Santa Rosa : je doute qu’on Fait trouvé à des élévations plus grandes. Ces strates sont dirigés très - régulièrement h. 8 à 9 de la boussole du mineur ' ; ils sont inclinés de 4^ ^ Ou du sud-est au nord-miest. J^ai été frappé , depuis l’anuée 1791, de cette grande loi éxn parallè- lisme des couches , que Ton découvre dans d’immenses étendues de pays , et que Ton peut regarder comme un des phénomènes les plus curieux de la géologie. Je n’ai pas cessé , dans mes écrits , d’appeler l’attention des voyageurs vers un objet sur lequel il seroit facile de réunir, en très-peu de temps , un grand nombre d’observations. Voyez mes Expériences sur V irritation^ de la jihre musculaire et nerveuse {pxi allemand), Vol. I, p. 8 ; ma Lettre à M. de Fourcroy, en date du 5 pluviôse an 6 ; mon Tableau géologique de l Amérique méridio- nale de physique, 1800); et ma Géographie des plantes ^ p. 117. La direction des hautes chaînes de montagnes paroît exercer la plus grande influence sur la direction des couches, meme à des éioignemens CHAPITRE XI. 385 à So degrés au sud-ouest. Cette direction est celle que suivent la plupart des roches très- anciennes du Mexique. Sur le thonschiefer reposent deux formar- tions très-différentes : l’une, de porphyre , à des hauteurs considérables , à l’est de la vallée deMariil, et au nord-est de Valenciana j 1 autre , de ^rcs uiicicti y dans les ravins et sur des plateaux peu élevés. Le porphyre forme des masses pierreuses gigantesques , qui se présentent de loin sous l’aspect le plus étrange , souvent comme des ruines de murs et de bastions. Ces masses , taillées à pic^ et élevées de trois à quatre cents mètres sur les plaines environnantes , portent dans le pays le nom de huffa, D énormes boules à couches concentriques reposent sur des rochers isolés. Ces por- phyres donnent aux environs de la ville de considérables de la crête centrale. Cette iniluence se manifeste dans les Pyrénées, au Mexique , et surtout dans les Hautes-Alpes. Voyez les observations judi- cieuses qu’un savant minéralogiste , M. Ebel, vient de LIVRE IV, 386 Guanaxiiato un caractère sauvage, propre à étonner le voyageur européen, qui s’ima- gine que la nature n a déposé de grandes richesses métalliques que dans les montagnes à croupes arrondies , et dans les lieux où le terrain offre un mouvement doux et uniforme. Ce porphyre, qui constitue la majeure partie de la Swrra de Santa Hosa , a généralement une teinte verdâtre : il varie singulièrement d’après la nature de sa base et des cristaux qu’il renferme. Les couches les plus anciennes paroissent êt-re celles dont la base est du silex corné ‘ ( hornstein ) ^ ou du feldspath^ compacte. Les plus récentes , au contraire , offrent du feldspath vitreux , enchâsse dans une masse qui fait passage tantôt au petrosilex 1 Élève de VVerner et de féeole de Frelberg, je nomme partout dans mes ouvrages hornstein ^ un minéral qui forme des passages au quartz , a la calcé- doine et AU feuerstein (pyromaque). Les hornstein des minéralogistes allemands sont : les quartz - agathes grossiers et xyloïdes de M. Haüy, les néopètres de Saussure , et les silex cornés de M. Brongniarl. Cette note m’a paru indispensable , à cause de la synonymie confuse des àèuumxnAliQns protosilex ^ pierre de corne^ et roche de corne. CHAPITRE XI. 38y jaclien, tantôt au phonolite ou de Werner. Ces dernières présentent la plus grande analogie avec le poijjhjrschicfer ( schiste porphjrique ) du Mittelgebürge de la Bohême. On seroit tenté de lés compter parmi les roches de formation de trnpp ^ SI ces mêmes couches ne renfèrmoient , a Villalpando, les mines d’or les plus riches. Tousces porphyres du district de Guanaxuato" ont cela de commun que l’amphibole y est presque aussi rare que le quartz et le mica. La direction et \ inclinaison de leurs couches sont les mêmes que celles du thonschiefer. A la pente méridionale de la .Sierra^ géné- ralement à de moindres hauteurs que *celle à laquelle se présente le porphyre dans les plaines de Burras et de Cuevas, surtout entre Marfil, Guanaxua^to et Valenciana, le thon- schiefer est recouvert de grès d’ancienne for- mation. Ce grès {urfelsconglomerat) est une brèche à ciment argileux, mêlé d’oxide de fer, dans lequel sont enchâssés des fragmens anguhux de quartz, de pierre lydique, de syénite, de porphyre et àehornstein écailleux. Des couches contenant des fragmens de six à huit centimètres d’épaisseur , alternent 2^* 388 livre IV , .^Quelquefois (près de Guevas) avec d’autres couches dans lesquelles des grains de quartz sont agglutinés par un cipaent ocreux. D autres fois (au ravin de Marfil et dans le chemin de Salgado ) le ciment devient si abondant, que les morceaux enchâssés disparoissent entière- ment , et que l’on trouve des bancs d argile schisteuse, brun - jaunâtre , de huit a neuf mètres d=épaisseur , alternant avec la brèche à gros cailloux. Cette formation de grès ancien , identique avec celle qui, dans 1 Amé- rique méridionale , paroît au jour dans les plaines de la rivière des Amazones, et qui, en Suisse , s’élève à plus de mille mètres de hauteur absolue dans l’Oltenhorn et les Dia- blerets , n’olfre pas de régularité dans la direction de ses couches. Leur inclinaison est généralement opposée à celle des strates du thonscMefer. Près de Guanaxiiato , la forma- tion de grès est adossée au porphyre de la bnffa ; mais près de Villalpando, le porphyre même sert de base à la brèche ancienne, qui y paroît au jour à une hauteur absolue de deux mille six cents mètres. Il ne faut pas confondre cette brèche , qui enchâsse des fragmens de roche primitive et CHAPITRE Xî. 389 de transition, avec un autre grès que Ton peut désigner sous le nom à' agglomérat feld^ spathique y qui , à la montagne de la Critz de Serena y est superposé à la brèche ancienne {iirfelsconglomerai) y et qui, par conséquent, est d’une formation plus récente. Cet agglo- mérat (lozero) , dont on tire les plus belles pierres de taille , est composé de grains de quartz^ de petits fragmens de schiste, et de cristaux de feldspath , en partie brisés et en partie restés intacts. Ces substances sont liées ensemble par un ciment argilo-ferrugineux. Il est probable que la destruction des por- phyres a eu la plus grande influence sur la formation de ce grès feldspathique. Il con- traste avec les grès de l’ancien continent , dans lesquels on a trouvé quelques cristaux de grenats et d’amphibole , mais jamais , que je sache , du feldspath en abondance. Le minéralogiste le plus exercé, avant d’avoir examiné le gisement des lozero de Gua- naxuato , seroit tenté de le prendre , au premier abord, pour un porphyre à base argileuse , ou pour une brèche porphyritique {trüjnmer- qjorphpr). Près de Villalpando , une trentaine de bancs très-minces à' argile 3go LIVRE IV 5 schisteuse (^schieferthon) , de couleur brun- noirâtre , alternent avec Y agglomérat feld- spathique. Ces formations de grès anciens de Gua- naxuato servent de base à d’autres couches secondaires^ qui, dans XeMr gisement y c’est- à-dire dans V ordre de leur superposition y offrent la plus grande analogie avec les roches secondaires de l’Europe centrale. Dans les plaines de Temascatio ( à /o de Sierra) , on observe une pierre calcaire compacte {dichter kalkstein) , souvent remplie de cavités bul- leuses, qui sont tapissées de spath calcaire et de mine de manganèse soit terreuse soit rayonnée. Cette pierre calcaire , qui , par sa cassure unie y presque conchoïde y ressemblé à \di formation du Jura y est recouverte , en quelques points, de bancs àe g jp se fibreux et mêlé d’argile endurcie. Nous venons de faire réniimération des roches nombreuses qui reposent sur le thon^ schiefer de Guanaxuato , et qui sont, d’un côté, des formations secondaires de grès, de pierre calcaire et de gypse; de l’autre, des formations de porphyre^ de syénite , de ser- pentine et de schiste amphibolique. Le ravin CHAPITRE XI. 391 deMarfil, qui, des plaines deBurras, conduit â la ville de Guanaxuato , sépare pour ainsi dire la région porphyritiqiie de celle dans laquelle la sjérdte et le grünstein prédomi- nent. A Test du ravin s’élèvent des montagnes de porphyre très-escarpées ^ et qui, par leur déchirement, ofFrent les formes les plus bi- zarres : à l’ouest on découvre un terrain dont la surface, légèrement ondulée, est couverte de cônes basaltiques. Depuis la mine de l’Esperanza, située au nord-ouest de Guanaxuato , jusqu’au village de Gomangillas , célèbre par ses eaux ther- males , sur une étendue de plus de vingt lieues carrées, le thonschiefer sert de base à des couches de syénite qui alternent avec du grünstein ( diahase ) de trcmsition. Ces couches n’ont généralemeiit que quatre à cinq décimètres d’épaisseur; elles sont in- clinées par groupes , tantôt au nord - est , tantôt à l’ouest, toujours sous des angles de 5o à 60 degrés. En voyageant de Valencianaà Ovexeras, on peut compter plusieurs milliers de ces bancs de grünstein ^ alternant avec une syénite dans laquelle le quartz est quel- quefois plus abondant que le feldspath et 392 LIVRE IV 5 lamphibole. On trouve , dans cette syénite ^ des filons de grünstein, et^ dans les couches ûu grünstein y des fentes remplies de syénite. Cette identité de la masse des filons avec les roches superposées , est un fait curieux qui parle en faveur de la théorie de l’origine des filons , exposée par M. Werner Près de Chichimequillo ^ un porphyre colonnaire paroît reposer sur la syénite. Il est recouvert de basalte et de brèches basaltiques^ des- quelles sortent des sources dont la tempé- rature est de 3 du thermomètre centigrade. Il me reste à indiquer deux formations partielles qui n’occupent qu’une très-petite étendue : une pierre calcaire compacte el caliche) , gris-noirâtre , appartenant peut- être aux roches de transition % et une brèche calcaire {frijollilo ). Cette dernière , que j’ai vue dans la mine d’Animas , à plus de i5o mètrçs de profondeur , est composée de fragmens arrondis de pierre calcaire com- ‘ ^ Neue Théorie von der Entstehung der Gange ^ 1 79 ^ ? p. 6o. ^ Entre les ravins de Secho et d’Acabuca , les bancs du caliche ont la même direction et la même inclinaison que les strates du tbonschiefer. CHAPITRE XI. 393 pacte , liés ensemble par im ciment calcaire. Le thonschiefer de Valenciana sert de base à ces deux formations partielles , dont Furie paroît devoir son origine à la destruction de Fautre. Telle est , d’après les observations c|ue j’ai faites sur les lieux , la constitution géologique du sol de Guanaxuato. Le filon {yeta madré) traverse à la fois le schiste argileux {thon- schiefer) elle porphyre. DansFune et Fautre de ces roches , il a présenté des richesses métallicpres très-considérables. Sa dii-ection moyenne est h. 8^ de la boussole du mineur *; elle est à peu près la même que celle de la 7wta grande de Zacatecas, et des filons de Tasco et deMoran, qui sont tous des filons occidentaux ( spathgànge ). Lfinclinaison du filon de Guanaxuato est de l\é> ou 48 degrés au sud-ouest. Nous avons déjà indiqué plus haut qu’il a été travaillé sur une longueur de plus de 12,000 mètres : cependant Fénorme masse d’argent qu’il a fourniè depuis deux cents ans, et qui à elle seule auroit suffi pour produire un changement dans le prix des ' Ou N. 52^ O. Sgi LIVRE IV y denrées en Europe ^ a été extraite de la seule partie du filon contenue entre les puits de FEsperanza et de Santa Ariita , sur une étendue moindre de 2600 mètres. C’est dans cette partie que se trouvent les mines de Valen- ciana, Tepeyac^ Cata, San Lorenzo^ Animas, Mellado , Fraustros , Rayas et Santa Anita , qui, à différentes époques, ont joui d’une grande célébrité. La 7^efa madré de Guanaxuato présente beaucoup de ressemblance avec le célèbre filon de spital de Schemnitz, en Hongrie. Les mineurs européens qui ont eu occasion d’examiner l’uo et Fautre de ces gîtes de minerais, ont agité la question si l’on doit les considérer comme de vrais filons , ou comme des couches métallifères ( erzlager). En n’ob- servant la 7)eta madré de Guanaxuato que dans les mines de Valenciana ou de Piayas , où le toit et le mur sont de thonschiefer y on seroit tenté d’admettre la dernière de ces opinions ; car loin de couper ou de croiser les strates la roche ( quergestein.) , Vàveta a exactement la même direction et la même inclinaison que ses strates : mais une couche métallifère y qui a été formée à la même CHAPITRE XI. 395 époque que toute la masse de la montagne dans laquelle elle se trouve , peut-elle passer d’une roche supérieure à une roche inferieure, du porphyre au schiste argileux ? Si la veta madré étoit réellement une couche y on ne trouveroit pas renfermés dans sa masse des fragmens anguleux de son toit y comme on l’observe communément sur des points où le toit est un schiste chargé de carbone y et le mur un schiste talqueux. Dans un filon, le toit et le mur sont censés antérieurs à la formation de la fente et aux minéraux qui l’ont suecessivementremplie; mais une couche a préexisté indubitablement aux strates de la roche qui forment son toit : il en résulte que l’on peut découvrir dans une couche des fragmens du mais jamais des mor- ceaux détachés du toit. La veta madré de Guanaxuato offre l’exemple extraordinaire * d’une fente qui s’est formée selon la direction et l’inclinaison ' M. Wcrner , dans la Théorie des filons (5- 2) , dit expressément « que les gîtes de minerais coupent dans Tintérieur de la rieur de la mine. . , Mx de la journëei 5 ^ g tournois, du mineur f b00,000 (à peu taux ) . quantité üe mme-\ rais livrés à laf fonte et à Tamal- gamation \ 10.000 marcs d’argent. 240.000 liy. tournois. 90.000 liy. 6 à 7 onces d’argent. 700 mineurs , dont 55o mine. 18 sous. /4oo,ooo livres tournois 1 27,000 livres tournois Dépense en poudre./ (à peu près 1600 quin-J> ( à peu près 270 quin l la ' Quantité de mine ^720,000 quintaux. Filons., rUn filon souvent divisé en trois branches de 4o à 5o mètres de puis- sance ( dans le thon- Pas d’eau . . ->ofondeur de laîr / mine métrés. taux ). 1 4,000 quintaux. 1 Wrie/eV) ) ( dans le gnms ). Huit pieds cubes Cinq filons principaux de deux à trois dé- *" ( cimètres de puissance "I (dat ' Pa minute. Deuxrouesh] drauliques. 35o mètres. 4^4 livre IV, On coniptoit^ en i8o3 , dans tout le district des mines de Guanaxiiato ^ cinqmille mineurs et ouvriers employés au triage /à la fonte et à 1 amalgamation ; dix-huit cent quatre- vingt-seize arastres ou machines pour réduire les minerais en poudre , et quatorze mille six cent dix-huit mulets destinés à mouvoir les baritels et à fouler , dans des usines d’amalgamation, la farine des minerais mêlés avec le mercure. Les arastres de la ville de Guanaxuato broient , lorsqu’il y a abondance de mercure, onze mille trois cent soixante- dix quintaux de minerai par jour. Si l’on se rappelle que le produit en argent est annuellement de cinq à six cent mille marcs , on trouve de nouveau ^ par cette donnée , que le contenu moyen des minerais est ex- trêmement petit. Les célèbres mines de Zacatecas , que Robertson ‘ nomme , j’ignore par quel motif, Sacotecas , sont , comme nous l’avons déjà observé, plus anciennes que les mines de Guanaxuato : leur exploitation a commencé immédiatement après celle des filons de ^ Ilistory of America , Yol. II, p. 389. CHAPITRE XI, 4i5 Tasco, Ziiltepèque , Tlapujaliua et de Pa- chiica. Elles sont placées sur le plateau central des Cordillères qui s’abaisse rapidement vers la Nouvelle-Biscaye et vers le bassin du Rio del Norte. Le climat de Zacatecas , de même que celui de Catorce , est sensiblement plus froid que le climat de Guanaxuato et de Mexico. Des mesures barométriques décide- ront un jour si cette différence est due à une position plus septentrionale, ou bien à l’élé- vation des montagnes. La nature des premiers a été examinée par deux minéralogistes très-instruits , l’un Saxon et l’autre Mexicain, par MM. Son- neschmidt * et Valencia. D’après l’ensemble de leurs observations, il paroît que le district des mines de Zacatecas ressemble beaucoup^ quant à sa constitution géologique , à celui de Guanaxuato. Les roches les plus anciennes qui se montrent au jour sont syénitiques : sur elles repose du thonschiefer y qui , par les couches de pierre lydique , de graüwakke et de roche verte ( grünstein ) qu’il renferme, ^ B eschreihung der Begûi^erks-Rejîere von 3ïexico , p. 166-237. Descripcion geognostica del Real deZaca- g per Bon Vicente Kalencia. (Manuscrit.) 4^6 livre IV, se rapproche du schiste argileux transition. C est dans ce thonschiejer que se trouvent la plupart des filons de Zacatecas. La veta grande y ou le filon principal^ a la même direction que la veta madré de Guanaxuato : les autres sont généralement dirigés de Test à Fouest Un porphjre dépourvu de métaux, et|formant de ces rochers nus et taillés à pic, que les indigènes appellent buffas y couvre en plusieurs endroits le thonschiefer y surtout du côté de la Killa de Xeres , où s’élève , du sein de ces formations porphyritiques , une montagne en forme de cloche , le cône basaltique de la Campana de Xeres, Parmi les roches secondaires de Zacatecas on ob- serve, près de l’usine de la Sauceda y de la pierre calcaire compacte y dans laquelle M. Son- neschmidt a aussi découvert de la pierre lydique, un grès ancien [iirfelsconglomerat) enchâssant des fragmens de granité % et un agglomérat argileux et feldspathique y que l’on confond facilement avec le graiiwakke * Sobre la formacion de las vetas ^ per Don Andres del Rios. ( Gazeta de Mexico , T. XI , ii. 5i. ) * Dans le ravin qui conduit de Zacatecas au cou- vrent de Guadalupe. CHAPITRE Xï. des minéralogistes allemands. La, présence de la pierre Ijdique dans la pierre calcaire pourroit faire croire que cette dernière roche appartenoit au calcaire de transition ( üher-- gangskalkstein ) qui paroît se montrer au jour dans le Ceiro de la Tinaja^ à huit lieuea au nord de Zaeatecas ^ mais je dois rappeler ici que sur les côtes de rAmérique méridio- nale^ près du Morro de Nueva Barcelona, j’ai trouvé du hieselschiefer îovmmX àes cou- ches subordonnées dans un calcaire qui est indubitablement secondaire. L’aspect sauvage des montagnes métalli- fères de Zaeatecas contraste singulièrement avec la grande richesse des filons qu’elles renferment : cette richesse s’est montrée ^ et ce fait est très-ren^rquable non dans les ravins et là où les filons parcourent la pente douce des montagnes.,, mais le plus souvent sur les so minets les plus élevés, sur des points où la surface du sol paroît avoir été déchirée tuarultueusement dans les. anciennes révolutions du globe. IjCS mines de Zaeatecas produisent > année commune 2000 à 3ooo barres d’argent à i34 marcsv; chacune,. 4îS tiviiE Iv^ La masse des filons de ce district renferma ^ line grande variété de métaux; savoir : le tjuartz ^ le hornstein écailleu:^ , le spath cal- cairé , un peu de sulfate de baryte et de braunspàth J Targent noir prismatique, ap- pelé dans le pays a%ul acerado j rargent sulfuré ( azul ptomilloso ) y mêlé d’argent natif ; l’argent fuliginëiijs: ( silherschwàrze de^ Allemands, poborillaàes Mexicains); l’argent muriaté gris de perle , bleu , violet et vert poireau {plata parda azul et uerde) y à des profondeurs peu considérables ; un peu d’ar-^ gent rouge (^petlanque ou fosicler) et d’or natif, surtout au süd-ouêst de la ville dé Zacateeas ; le plomb sulfuré argentifère ( so^ roche plomoso relucienté et téscutete^ ; lé plomb carbonaté ; le zinc sulfuré noir , brun ^ Sonheschmidt y p. i85. Les nimeraîs que les liabi- tans de Zacàtecas appellent copàlillb , métal cenizo e% métal aziil de plat a , paï*oissent à ce savant des mé-^ langes de galène, d’argent sulfuré et d’argent natif* J’ai cru devoir consigner ici cette sjnonjmie des minerais mexicains , parce que la connoissance en est très-importante pour le minéralogiste voyageur. Voye® (rarcèsj Nüepa Teoria del heheficio de los meiates f P* 87, 124 et i38. ^ CHAPITRE XI. 4if) èt jaune ( estoraque et ojo de vivora) ^ la Jjyrite de cuivre et de fer ( bronze nochistlé ou dorado et bronze cliuio ) 5 le fer oxidulé magnétique ; le cuivre carbonaté bleu et vért> et 1 antimoine sulfuré. Les métaux les jjluâ abondans du célèbre filon appelé la. vetà grande sont l’argent noir prismatique {sproâ^ glaserz ) , 1 argent sulfuré ou vitreux j mêlé d argent natif , et le silberschwarzes, TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLXJIME. IVRE IV. État de 1! agriculture de la Nou- i^elle-Espagne . — Mines métalliques. Çhar- IX. productions \égétales du territoire rnexiçain. — Progrès de la culture du sol. — Influence des mines sur le défricliement. —Plantes