3 TI | (LL IL IL 7 | À! UNIVERSITY | I a ——_ _—_—— ans ——— ne Re =——— 3 ah k y IAE EE RENE (re “ LAPS DE ET CT AE OPUS Or Se PL). RIRE f l L. À \ s , hs 4 DU MÊME AUTEUR DIALECTOLOGIE Géographie phonétique d'une région de la basse Auvergne (Paris, Champion), 1 vol. gr. in-80 avec cartes. Morphologie du patois de Vinzelles (Paris, Champion, Biblio- thèque de l’École pratique des Hautes-Études, fasc. 126), 1 vol. gr. in-8o. Glossaire étymologique du patois de Vinzelles (Montpellier, Société des langues romanes. — Prix Chavée, Académie des Inscriptions et Belles-Leitres, 1915), 1 vol. in-8o. ARGOT L'argot de la guerre, d’après une enquête auprès des officiers et soldats (Paris, A. Colin ; 2e édition), 1 vol. in-r2. Les argots de métiers franco-provençaux (Paris, Champion, Bibliothèque de l’École pratique des Hautes-Études, fasc. 223. — Récom- pense sur le prix Volney, 1919), 1 vol. gr. in-8o. LINGUISTIQUE GÉNÉRALE La géographie linguistique (Paris, Flammarion, Bibliothèque de culture générale), sous presse, 1 vol. in-12. La philosophie du langage (Paris, Flammarion, Bibliothèque de philosophie scientifique ; 3e édition), 1 vol. in-r2. La vie du langage (Paris, A. Colin ; 2e édition), 1 vol. in-r2. MACON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS Albert DAUZAT Docteur ès lettres, Directeur d'études à l’École pratique des Hautes-Études. | ESSAIS | \ DE | [°75S À GEOGRAPHIE LINGUISTIQUE "É | | j SET # | | NOMS D'ANIMAUX | 8 AA | FF JOES | PARIS LIBRAIRIE ANCIENNE H. CHAMPION, ÉDITEUR ÉDOUARD CHAMPION S; QUAI MALAQUAIS (6e) SR NE NS ENPOR $ : | MICROFILMED BY | UNIVZTSITY OF TORONTO LIBRARY MASTER NEGATIVE NO.: + ABOIS TE: Se INTRODUCTION Les travaus de M. Gilliéron, le créateur de la géograñe linguistique, ont profondément rénové la science du langage en général et la linguistique romane en particulier. Ils ont contribué à modifier sur plus d’un point mes conceptions dia- lectologiques : plus j'ai étendu mon champ d’observation dans l'étude des parlers vivants et plus j’ai pu vériñer la justesse des téories nouvelles. Et si je ne renonce pas à considérer la commune comme formant la cellule linguistique, les échanges inter-cellulaires ont été beaucoup plus® fréquents que je ne le croyais jadis. Mots et formes ont constamment voyagé : si cette activité a été très variable suivant les époques, elle n’a jamais complètement cessé. Le magistral Aflas linguistique de la France doit servir dé base à toute étude de géografñe linguistique gallo-romane. Mais il ne saurait sufhre à tout, et ilest utile de reprendre l'édifice en sous-œuvre, chacun dans sa région, pour le complé- ter, comme ont tenté de le faire notamment MM. O. Bloch pour les Vosges, Bruneau pour les Ardennes, Millardet pour les Landes, Terracher pour l’Angoumois, ainsi que moi-même pour la basse Auvergne. L'extension géografique des études qui suivent varie en raison des problèmes posés comme des matériaus que j'avais à ma disposition. Beaucoup de mots, de formes et de faits ont passé à travers le réseau, forcément un peu lâche, de l’Atlas. En serrant les mailles du filet dans une contrée donnée, non seulement il en ressort une documentation plus riche, mais l’aspect de certaines questions s'en trouve changé, La comparaison de la carte — VI — , «hanneton », que nous donnons à la fin du livre pour la basse Auvergne, avec les tipes de ce mot recueillis par M. Edmont dans la même région, montrent que l’Atlas est insuffisant pour étudier les mots à grandes variations lexicologiques. Une forme, un tipe isolé peut avoir été touché par l’enquête, alors qu’une aire assez vaste ne sera parfois représentée par aucun point, ou seulement par une forme qui pourra être difficile à interpréter. Aïnsi, pour taureau, il est malaisé à un dialectologue, même expérimenté, de reconnaître à première vue un mutilé de bourret dans le hu isolé (si délicatement noté par M. Edmont) du point 807: une enquête- dans les communes voisines établit les formes intermédiaires bu?, bur, buré, buré, buré. Enfin les matériaus de l’Atlas ont besoin d’être confrontés et interprétés, à l’aide de divers éléments de comparaison. La psicologie des sujets interrogés est très instructive, comme on le verra : il est souvent fort utile de savoir, par exemple, que le sujet de _Monton (805) de l'Atlas est plus arcaïsant que le mien, tandis que c’est l'inverse pour le Mont-Dore; que le sujet de Saint- Germain-Lembron (807) est enclin auslapsus et aus confusions ; que le cordonnier d’Ambert (809), excellent pour les termes tecniques et urbains, manque souvent de précision pour le vocabulaire rural. Ces recherches confirment les principes directeurs posés par M. Gilliéron : rôle prépondérant de la forme, rencontres homonimiques, dédiminutivisation, voyages des mots, influence de la langue littéraire sur les patois. J'ai tâché de préciser et de développer, spécialement d’après les faits observés par moi- même dans le Massif Central, certains aspects. de la doctrine et de dégager quelques conclusions nouvelles. Les mots voyagent bien comme l’ont montré M. Gilliéron et M. Gauchat, en suivant les grandes voies de communication, en remontant les vallées et en franchissant parfois les cols. Mots et formes, par exemple, ont suivi l'Allier, qui fut longtens une voie navigable importante, doublée plus tard, puis peu à peu supplantée par la route. Mais les grands cours d’eau qui n'avaient point de ponts (c'était encore le cas pour l'Allier — Vi — dans tout le Puy-de-Dôme en 1830) constituaient en même tens des barrières. Ainsi s'explique que le fleuve sépare des aires qui se sont constituées à l’est et à l’ouest et dont le rayonnement s’est arrêté à ses rives : le fait le plus frappant de ce venre s’observe pour les deux formes régionales de la fourmi, mavide et maxede (p. 86). Les montagnes conservent généralement les mots les plus arcaïques : le’ rayonnement des grands centres les atteint tardivement et avec moins d'intensité. Les tipes primitifs, pour le centre de la France, se trouvent presque toujours dans le haut Aveyron, le Gévaudan, le Velay et le Cantal ; pour le Puy-de-Dôme, à l’est de l’Allier et surtout à l’ouest, dans les monts Dore. Mais il faut observer aussi que, dans certaines régions, les paysans de la montagne pauvre émigraient plus que ceus de la plaine riche, et rapportaient, par suite, de plus nom- breus néologismes : ce fut longtens, en grande partie, le cas pour la basse Auvergne. Ici les villages juchés sur les petites buttes en bordure de la Limagne, voire de l’Allier (Monton, Corent, La Roche Noire...) sont restés souvent plus isolés et plus arcaïques, par le langage et par les mœurs, que certaines parties de la « montagne » plus éloignée, et différent fon- cièrement des villages de plaine placés à leurs pieds, comme Cournon, les Martres-de-Veyre, Coudes, situés sur les grandes voies de communication. | Les parlers des régions accidentés ont subi, par suite de Pisolement respectif (et relatif) des vallées et des villages, des altérations plus localisées que ceus des vastes plaines : qu'on se reporte aus cartes ci-après relatives au animaus sauvages dans la basse Auvergne, et l’on se rendra conte de l'extrême variété lexicologique à laquelle peuvent atteindre certains mots dans de telles contrées. Parfois, d’ailleurs, même en pays de montagne, le développement sémantique d'un mot peut étouffer une pluralité d'anciens tipes: tel est le cas, par exemple, pour « meunier » — hanneton. La comparaison des faits historiques et géografiques sur une large échelle permet, suivant la méthode remarquablement — VIN — ARE inaugurée par M. Jud', de reconstituer les grandes zones lin- guistiques de rayonnement, du latin vulgaire à nos jours. En particulier, l'Auvergne fut soumise successivement à trois influences. Elle fut romanisée d’abord par Narbonne et non par Lyon, comme le prouve la répartition géografique entre les formes narbonnaises et les créations lyonnaises du latin vul- gaire 2; pendant tout le moyen âge, elle resta sous l’hégémonie intellectuelle et linguistique du midi toulousain (et non pro- vençal)3. L'influence de Lyon s’affirme depuis le xve siècle environ jusqu'à la fin du xvine ; c’est surtout par Lyon que Clermont, puis l’Auvergne ont appris le françaiss. La fermeture des fabriques de soie ont Lyon pendant la Révolution, qui provo- qua l’arrachage de tous les müriers de la Limagne, marque la fin de la période lyonnaise. Avec le xixe siècle, de nombreus facteurs sociaus, et spécialement le chemin de fer, placent l'Auvergne sous l'influence directe de Paris. La reconstitution des couches successives soulève de nom- breus et délicats problèmes. En général les tipes les plus récents portent en eux-même leur sens, tandis que les plus obscurs se révèlent à l’analise comme les plus anciens: mais un tel critérium est loin d’être sûr, l’étimologie populaire ayant maintes fois rhabillé, et rajeuni en trompe-l'œil, de vieus mots. Le même tipe ou la même forme rencontré sur des points séparés permet de croire à une aire antérieure homogène, à 1. Probleme der altromanische W orlgeographie (Zeitschrift fur roma- nische Philologie, XXXVIIT), et Zur Geschichle der bündner-romanischen Kirchenspracbe, Coire, 1919. 2. Voir ci-dessous p. 123 3. Cf. les anciennes relations intellectuelles entre lAuvergne et Toulouse, l’adoption de Saint Caprais d'Agen comme patron par plusieurs paroisses du Puy-de-Dôme, la forme de nombreus termes empruntés au midi, etc. 4. Cf. le français régional auvergnat larmuse, lézard gris (patois : grisola, etc.), fayard, bête (patois : fau), des mots patois comme mayèro, etc. Cf. aussi p. 123 _ #—" 1$" moins qu'il n’y ait eu, dans les divers lieus considérés, une raison déterminante qui expliquerait une formation indépen- dante et spontanée. Dans ce dernier cas l’administration de la _ preuve ne doit pas se faire seulement d’après des motifs d'ordre logique, mais surtout d’après un ensemble de faits concrets et d’analogies. Ainsi l’idée de « lampe » ayant été associée, trois fois au cours de son histoire, à « ver luisant » (latin cicin- dela, patois chalelh © Isale, fr. lanterne), les émergences de « chandelle », « lampe »... etc. pour désigner le ver luisant peuvent fort bien être indépendantes ’. À contraire il n’y a aucune raison d'ordre général d’appeler beleite la fourmi, qui na pu recevoir cette désignation que dans des conditions spéciales à une région et à une époque données : donc les … trois petites aires beletle — fourmi, du sud-est du Puy-de-Dôme, sont les débris d’une seule couche homogène postérieurement brisée ?. On n'observe, semble-t-il, aucun rapport entre les aires fonétiques et les aires lexicologiques. Nous contons étudier, dans une prochaine série d’essais, les questions relatives à la propagation des fénomènes fonétiques. Nous avons relevé de nombreus cas dans lesquels s'avère Pinfluence de la forme du mot sur l’évolution du sens. Notons en particulier que la création des métafores est souvent aidée, sinon provoquée par des similitudes foniques, ou, en d’autres termes, qu’elle s'opère fréquemment par voie d’étimologie populaire. Ce n’est pas au hasard, ni spontanément, qu’on a appelé, par exemple, le lézard gris la mingrola (maigrelette), grisola, pingre, etc. : c'est parce que la forme, altérée et depuis longtemps incomprise, du terme traditionnel prétait à ces attractions imagées, qui ont redonné une nouvelle vie, plus ou moins longue, au vieus mot usé. - Le langage d’une localité donnée est un ensemble bien plus complexe qu’on ne le supposait jadis. Pour s’en tenir au voca- 1. Ci-dessous, p. 109, V. aussi pour cigale — hanneton, p. 100, 2. Ci-dessous, p. 78. — KX — bulaire, il y a des sujets arcaïsants, les plus âgés, les plus arriérés, les plus sédentaires, — d’autres à l'avant-garde des évo- lutions, les plus jeunes, les plus cultivés, ceus qui sont sortis. Il y a les mélanges avec les patois voisins, du fait des inter- - mariages ou de l’immigration: l’assimilation des éléments nouveaus varie en raison directe de la force de résistance du patois, en raison inverse du nombre et de la culture des nouveaus venus, sans conter bien d’autres facteurs. Il y a les vocabulaires spéciaus aus professions ; il y a le vocabulaire enfantin, les mots appris par l’école :; le vocabulaire des hommes ne recouvre pas exactement, tant s’en faut, celui des femmes. Il existe des différences individuelles, qui tiennent au degré plus ou moins affiné des facultés d’observation ou de la mémoire, au besoin de préciser plus ou moins sa pensée. — Les mêmes remarques peuvent s'appliquer, dans une cer- taine mesure, à la morfologie, à la sintaxe, voire à la fonétique. Pour une région donnée, la variété lexicologique a des causes externes, géografiques et sociales, dont j'ai parlé: orographie plus ou moins accentuée, provoquant un certain isolement des localités ou des vallées. Mais il existe aussi des causes psicologiques propres aus mots eus-mêmes. D’une façon générale, la variété augmente en raison du moindre usage des mots : nous verrons des applications remarquables de ce prin- cipe pour les noms des animaus de boucherie (ou bêtes de trait) opposés à ceux des mâles reproducteurs 2. Les animaus qui ne sont ni utiles, ni nuisibles, ni dangereus, à moins qu'ils ne soient excessivement abondants comme la mouche, reçoivent des désignations fort diverses (cf. le tétard, le lézard gris, le hanneton, etc,). Il en est tout autrement du serpent et surtout du loup. : Le manque de fixité dans la spécification des termes est peut- être le fénomène qui m'a le plus surpris au début de mes enquêtes lexicologiques. Bien qu’il ait été laissé dans l'ombre 1, Ainsi pour hanneton et ver luisant (p. 104. et 113). Der: + par les dialectologues, il ne saurait faire aucun doute et mérite d’être mis en valeur, car il permet d’expliquer simplement bien des faits dont on demande parfois la raison à des causes singu- lièrement recherchées. On trouvera dans les pages suivantes de multiples exemples, des plus tipiques : le jars arrivant à désigner le taureau (p. 8), le hanneton appelé cigale, blatte, poule, tourtereau, voire mouton (p. 101), sans parler des confusions perpétuelles entre espèces voisines comme l'abeille, la guêpe et le bourdon. Dans une prochaine série, je montrerai que les mêmes confusions existent non seulement pour les noms de plantes, mais pour certaines parties du cors et pour de nombreus objets fabriqués d’un usage courant. Quand le paysan appelle ici dwire le pot, pour désigner, quelques lieues plus loin, la marmite par le même nom, comment pourrait-il ne pas confondre et brouiller dans son langage des animaus qui lui sont aussi indifférents que le hanneton ou la cigale ? Il y a, bien entendu, des raisons spéciales à chaque mot, par exemple des termes déclassés, — objet n’existant plus, comme l’'outre (valeur primitive de dwire), insectes disparus ou rarissimes, comme la cigale ou la blatte dans la région, — et qui deviennent de véritables passe-partout pour suppléer aus mots défaillants. Il n'en reste pas moins que le paysan, en général, si précis pour toutes les expressions qui touchent à ses travaus, est fort peu soucieus d’exactitude lorsqu'ils s’agit de choses ou d'êtres qui ne l’intéressent guère. Il y aurait lieu de rechercher s’il existe des régions où le paysan est plus enclin à la discrimination lexicologique que dans d’autres : cette étude de psicologie sociale comparée serait fort utile à la science du langage. Certains fénomènes qu'on avait cru propres aus argots se retrouvent dans les patois. L'étude des argots de la guerre 1 a montré que bien des désignations nouvelles étaient d’abord des surnoms ou des formes explicatives. Mais le français avait-il 1. Cf. G. Esnaukt, Le poilu lel qu'il se parle (Paris, 1919), et À. Dauzat, L’argot de la guerre (Paris, A. Colin, 2e éd., 1920). SR ART Te agi autrement pour renard? Les noms d’animaus) étudiés ci- après nous donnent de nouveaus exemples de ce fait (pour le taureau, le bélier, le lézard, etc.). Le surnom coexiste d'abord avec le nom traditionnel (p. ex., pour « bélier », bedeau avec arét), puis finit par éliminer ce dernier si celui-ci manifeste, tel arét, des signes d’infériorité. Ainsi « faisan » et « vicaire » se sont trouvés tout prêts, en Gascogne, pour rem- _ placer GaLLuS télescopé par caTTUS ï. Il n’est pas jusqu’à la dérivation sinonimique, mise en lumière pour les argots par Marcel Schwob et M. Esnault, qui ne se manifeste dans l’évo- lution des patois : on en trouve divers exemples pour les noms d'insectes en particulier. Enfin le degré: et\la) maturende É résistance des parlers aux actions internes et externes varie singulièrement suivant les époques et les lieus. Tels, surtout dans le Nord, acceptent plus ou fnoins passivement les mutilations fonétiques et les accidents analogiques : tels autres réagissent vigoureusement, surtout dans le Midi. Sur la petite échelle de l'Auvergne, on perçoit nettement la différence entre les patois du nord et ceus du sud, plus raisonneurs, qui recréent sans cesse les formes et les mots, unifient les flexions, cherchent à comprendre. C’est là, bien plus qu’une question de race, un indice de la santé de lPorganisme et de la vitalité du langage, les patois les plus attaqués par la langue littéraire atteignant peu à peu la para- lisie jusqu’à l’atrofie complète des fonctions. 1. J. Gilliéron et M. Roques, Études de géographie linguistique, pp. 121 et sqs. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE NOTES PRÉLIMINAIRES Les études suivantes ont été faites essentiellement avec les documents de l'Atlas linguistique de la France de MM. Gilliéron et Edmont, — ausquels j'ai joint ceus que j'ai personnellement recueillis dans le Puy-de-Dôme et l’arrondissement de Brioude au cours de deus séries d’en- quêtes (1896-1900 et depuis 1913)'. Les autres sources seront indiquées chaque fois. J'ai utilisé particulièrement, pour les patois actuels, le Tresor dou felibrige de Mistral et le Dictionnaire savoyard de MM. Constantin et Désor- maux, la Faune et la Flore populaire de Rolland; pour l’ancienne langue, les dictionnaires classiques de Gode- froy, de Raynouard et de M. Emil Levy. Jai choisi autant que possible des mots pour lesquels mes matériaus auvergnats apportent des éléments nouveaus. 1. Les formes que j'ai recueillies sont énumérées, avec les lieus d’ori- gine, aucours ou à la fin de chaque étude. Voici la liste des abréviations pour la carte du Puy-de-Dôme et de ses confins : Au Auzon, B. Besse, Br. Brioude, Bu Bulhon, Cd Condat, CD La Chaise-Dieu, CI Clermont, Co Coudes, Cu Cunlhat, D Doranges, G Gannat, H Herment, Is Issoire, Lt Latour, La Lavigerie (Cantal), Le Langeac, LM Les Martres- de-Veyre, Mo Montbrison, Ri Riom, Ro Roanne, Re Rochefort, Sy Sayat, SI Saillant, SvSauviat, St E Saint-Étienne-sur-Usson, St-R. Saint-Rem y- sur-Durolle, V Vinzelles (cne de Bansat). Dans le texte, « Vinzelles et environs » désigne les trois communes de Bansat, Lamongie, Saint- Martin-des-Plains. 2 REVUE DE FÎLOLOGIE FRANÇAISE PREMIÈRE PARTIE ANIMAUS D'ÉLEVAGE Quelques considérations particulières à ce groupe dominent le sujet et peuvent être déduites des pages qui vont suivre, comme de l'étude d’autres cartes de l’AHas. On observera l’uniformité remarquable des noms dési- gnant les bêtes de boucherie (mouton, veau, bœuf...) ou les animaus de trait, de labour (cheval, âne, vache). La variété lexicologique augmente en raison de la moins grande fréquence de l’animal : ainsi pour les mâles repro- ducteurs,infiniment moins nombreus que les individus chà- trés (cf. bélier et mouton, taureau et bœuf), ou que la femelle (cf. jars et oie). Le nom de la femelle ou plus souvent du mâle (généralement hongré) devient Je terme collectif qui s'applique à l’ensemble de l’espèce, et il tent à éliminer plus ou moins les autres appellations dans les pays où l’animal ne fait pas l’objet d’un élevage intensif. Quelques fénomènes très importants doivent être mis en relief. D'abord le nom du jeune devient très souvent le nom de l'adulte : qu'il s'agisse en particulier de mâles ou de femelles destinés à la reproduction, lacheteur recherche des animaus jeunes’, et le vendeur est porté à rajeunir les siens, ou, si l’on préfère, à vieillir les mots. L'ancien nom de l'adulte arrive à désigner la bête âgée. Pour les femelles, la relation avec le nom du mâle, contrairement à ce qu'on pourrait penser, a peu d'impor- tance : les patois cherchent surtout un rapport avec le nom du jeune, en précisant l’idée qu'il s’agit d’une bête faisant des petits. 1. Dans ce sens, J. Gilliéron et M. Roques, Etudes de géographie linguistique, p. 125. | SRE ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 3 Enfin le nom du mâle (plus rarement de la femelle) peut changer d'espèce. Et ceci ne se produit pas seule- ment pour des espèces voisines (cf. coq et coq de perdris ; gelinotte, et geline — poule), mais pour des animaus qui nont aucune similitude : on verra ainsi plusieurs exemples du nom du jars appliqué au taureau. Le mot — qu on nous permette ce néologisme — s'est despécifé. Il ya en eflet dans « jars » deus idées, celle du sexe mâle et celle de l’espèce oie : la segonde disparait, la première seule subsiste ; le terme peut ensuite se spécifier à nouveau en s'appliquant à un autre animal. I. — NOMS DE MALES 1. Le taureau dans le centre el le sud-ouest. Pour ne considérer que le centre et le sud-ouest de la France, le primitif TAURUS n’est conservé qu’en bordure des Pyrénées et dans un îlot à l’ouest du Puy-de-Dôme (nous laissons de côté l'îilot du Berry et du Nivernais, comme le nord). Ailleurs il a été supplanté par des dérivés ou par des substituts lexicologiques. Deus causes dominent ces changements : l’une, foné- tique, réside dans la mutilation de faur au moment où le mot pert son final, particulièrement menacé ; l’autre, psicologique, tent à substituer le nom du jeune taureau à celui de l’adulte. Enfin nous trouverons quelques exemples de noms de mâles qui ont changé d’espèce. Les représentants de TAURUS se rencontrent dans les patois conservateurs de la région pyrénéenne et landaise — les plus arcaïques de France au point de vue du lexique, — et dans l’ouest du Puy-de-Dôme en débordant largement sur la Limagne. Une remarque s'impose : à part une petite À REVUE DE FILOLOGIÏIE FRANÇAISE région des Landes et Basses-Pyrénées où l’on a fau, 1@ (646-64-75-81-2-3-4-5-90-91), les patois qui ont conservé le mot présentent un 7 qui n'est pas fonétique, et qui souvent est même renforcé d’un e final : faur (674-80), taurèé (avec quelque variété de finale) sur les autres points du Midi ; dans le Puy-de-Dôme for (703), 10r (804), (805)', ausquels je joins for [presque for] (Malintrat, Bulhon, Beauregard-l’Évèque), ture (Volvic, Les Martres- de-Veyre), tauré (Besse). L’r a été rétabli, voire avec appui, sous l'influence du dérivé, mais aussi en vertu de la ten- dance générale à restaurer, surtout dans les monosillabes, la consonne finale amuïe, comme si la langue éprouvait le besoin de réparer les brèches de la fonétique (Il va sans dire que la restitution a souvent été faite à faus, p. ex. clas [= glas] >. *klya = klyar. À Vanzelles ee cal >> “ea © ear à Mirefleurs, etc.) les a presurmer que les patois où TAURUS a disparu n'avaient pas réagi contre la chute de l’r. Un autre réactif nous est fourni par le Roussillon : dans ces parlers, où l’4 final a persisté sous la forme o ou #, TAURUS (revenu peut-être du sud) n’a pas cédé la place à un dérivé. à Car ce sont deus dérivés qui ont fourni les premiers na stituts lexicologiques. Le plus important est TAURELLUS, ou plutôt forelau nord, faurel au sud, car il n’est pas prouvé que ce mot soit de formation latine. Était-ce un diminutif à l’origine? Nous ne le savons point par l’his- toire: dès le xrr° siècle nous trouvons forel, taurel avec le sens « taureau » dansles textes français et proven- ÇAUS ? 1. Au Mont-Dore forô (où j'entens plutôt l'accent sur la finale) est « taureau » repris récemment au français. 2. Cf. Dictionnaire général, vo taureau, et t. I, p. 64, où des exemples probants montrent que le suffixe -e/ a perdu de bonne heure sa valeur de diminutif, ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE S Serions-nous seulement en présence d’un dérivé, qui s’est créé du jour où l’r finale de {or, taur, a commencé à s’ébranler ? Je ne le crois pas. D'abord le mot paraît bien antérieur à l’ébranlement de 7 final ; il subsiste en divers endroits avec le sens de « jeune taureau » (712, 718, etdans Mistral); et enfin nous avons l’analogie des mots brau, bourret et « veau » que nous verrons bientôt. C’est donc bien le « jeune taureau » qui est devenu le tau- reau. L’aire torel s'étent sur presque tout le nord dela France. Au sud taurel touchait jadis au faur pvrénéen. L’inspec- tion de la carte prouve que la substitution du mot à TAURUS s’est propagée du nord au sud -en contournant le Massif Central à l’est et à l’ouest. aurel — taureau occu- pait jadis les « surfaces vertes (où il a disparu récemment au profit de « bœuf », « veau ») et l’ouest de l'aire rose (brau) comme le montrent les îlots qui subsistent aus points 656-7-9 ‘. Mais dans la région des Causses et du Rouergue, faur subsistait encore et n’a laissé la place qu’à brau, plus tard, puisqu'on trouve encor faurel au sens « jeune taureau » aus points 712 et 718. À 727, laurel — taureau n'est donc pas le débris d’une ancienne aire, mais représente une formation ou une importation plus récente. L’est du Massif Central avait son diminutif spécial, tauré au lieu de faurel. Le suffixe -ONE > -6 > -u est fré- quemment aflecté à cet usage, dans la région, pour les 1. Sous la forme faurêl, laurèêu, qui atteste l'importation de ce terme, venu de la rive droite de la Garonne (nous sommes dans la région où -ELLU devient -/). La forme indigène *fawrel ne paraît pas avoir vécu en Gascogne : la confusion des suffixes -ELLU et -ITTU donnait au mot le sens de « petit taureau » et non plus « jeune tau- reau », Cf. Gilliéron, L’aire Clavellus, pp. 4-10, 6 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE diminutifs d’animaus. (Nous verrons plus loin auch, oison — à aire plus vaste — en face de l’aucat garo- naiss ; fédu, de fédo, plus localisé; Vinzelles a {savälu, de « cheval » [enfantin], etc.) Ce terme a passé au sens de taureau adulte dans la zone teinte en ocre, comme laurel au nord. La limite actuelle des tipes taurel et taurd passe, au sud-est du Puy-de-Dôme, entre Saint-Étienne- sur-Usson et Sauviat d’une part, Le Vernet-la-Varenne et Ambert de l’autre. A l’ouest, fauré est sous-jacent dans une partie de l’aire bourret que nous verrons plus loin : à Vinzelles et ausenvirons, fügu s’est conservé au sens figuré de « lourdaud ». Le développement de brau a créé une aire nouvelle qui s’est interposée entre les précédentes. À l’origine brau a désigné, par une métafore bien claire (le sauvage, le farouche), le jeune taureau’, sens qu’il a encore conservé dans de nombreus patois de la région pyrénéenne et sub- pyrénéenne où le mot paraît s êtreformé?. Le mot s’est pro- pagé vers le nord et est arrivé à désigner lPadulte, suivant la tendance générale signalée au début : rien d’étonnant, par suite, si l’évolution brau © taureau adulte, s’est pro- duite à la fois dans une aire homogène et sporadiquement. Dans la zone violette (N. Ardèche), c’est un dérivé (brava : suff. al? ?) qui s'est spontanément développé, en disjoi- gnant les aires fauri et taurel. La même évolution a atteint un autre diminutif, hourret, qui a été parfois le succédané du précédent. Du jour où brau est devenu le taureau adulte, il a fallu un autre mot pour le jeune: ce put être bravet lorsque la valeur pri- 1. Même fait en ancien espagnol (Meyer-Lübke, Rom. etym. MW œr- terbuch, 945). 2. Dans les Landes, brau désigne un veau (?) de deus à quatre ans (Rolland, Faune populaire, V, 6-7). A es ©) A2" 1 à LR! \ \ . ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 7 maire du mot brau subsistait. Là où elle était perdue, — et spécialement loin du point d’origine, dans des patois * où l'adjectif indigène brau avait été refait en brave sur le modèle du féminin, — on eut recours à un autre terme. bourret est une création du Cantal et du Rouergue, pays d'élevage où on a besoin d’appellations nombreuses : à Lavi- gerie, par exemple, bourret est le taureau d’un an’, dou- bloun, de deus ans. Le sens originaire nous est donné par Mistral : bourret est un adjectif signifiant « brun, à museau tacheté ». Reste à savoir pourquoi ïl s’est appliqué plutôt au jeune taureau. Celui-ci a-t-il le mufle plus foncé que l'adulte ? Ou les jeunes taureaus à museau brun étaient-ils plus prisés ? Descendu par la vallée de l’Alagnon, bourret arrive à son tour à nommer le taureau adulte dans toute la région issoirienne. Là il est atteint par le fénomène de dédiminutivisation, si bien amalisé par M. Gilliéron ? : bourret, taureau adulte, ne peut plus garder son suffixe e/; il se transforme généralement en bur et peut perdre son 7; parfois il a gardé l’é qui représente, dans la plupart de ces patois, la finale ét. On a ainsi huré à Issoire, byré à Sugères, Saint-Étienne-sur-Usson (concurremment avec /éuré), Vinzelles et environs (hésitation entre byré et bur), Nonette (concurremment aveciœuru), Madriat (concurremment avec dzar), buuo à Saint-Germain-Lembron, bur à Léotoing (Haute-Loire), bu à Auzon (id. ; en concurrence avec tôuru). On voit combien cette aire est enchevêtrée avec ses voisines. Le mot est d’ailleurs en progrès et gagne sur ses riVaus. 1. Dans le Puy-de-Dôme, il désigne le « jeune taureau » à Murols et à Ambert. 2. L’aire Clavellus, pp. 4 et suivantes. 3. En limite de l'aire faurel: au nord fôré à Sallèdes. A PRET A 8 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE Signalons maintenant deus noms de mâle qui ont changé d'espèce. L'un est çabré(758, Hérault) dontil sera question pour l’oie mâle. L'autre est le jars lui-même, dans le Puy- de-Dôme. Il n’a pas été touché par les points de l’Alas, car il se trouve seulement dans une-zone étroite, au nord- ouest et à l’ouest d'Issoire, sur le rebord de la région mon- tagneuse (dzär à Coudes, à Saint-Floret etenvirons, dans les communes à l’ouest de Vodable et au sud-ouest jusqu’à Madriat) et sporadiquement à Sauviat (djér, concurrem- ment avec /6ràä). Rolland (Faune pop., V, 3) donne jar — taureau, dans le Forez, d’après Gras. La despécification de «jars » sera envisagée plus loin : les formes que je viens de citer représentent les débris d’une ancienne aire djar, dzar — jars. Le passage au sens « taureau », en lisière de l’aire taur, s’est produit au moment où la finale de ce dernier mot se mutilait; dzar a pris la valeur « taureau » (adulte) avant bourrét,comme le prouvent la situation géografique de ces par- lers de montagne et le recul actuel de dzar devant bur(e). Le point 816a le mot bodyé, qui représente, une foisdeplus, l’émergence du'nom du jeune. Je renvoie à la Faune populaire (V, 6-7) et au glossaire lyonnais de Nizier du Puitspelu (v° bodon) pour les formes de boudet, boudi, boudon — veau (Lyonnais, Berry, Loiret, Poitou, etc.). Terme enfantin selon le premier auteur; diminutif de bœuf, propose le segond avec témérité. Ne saute-t-il pas aus ieus que c’est le dérivé de l’ancien mot boude — gros ventre :? Enfin le nom du veau remplace le taureau en plusieurs endroits de l’ouest (416,512-15-25-35-36). À un autre point de vue, voici un fénomène.que nous verrons apparaître avec plus d'importance pour le bélier. C'est la perte pure et simple du nom particulier pour dési- 1. Cf. Dictionnaire général, vo bedaine. NS cvs Et b à. i “hi 4 Toad . . - .. D ; . ‘ r ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 9 gner le mâle entier, et son remplacement par le nom, bien plus fréquent, du mâle châtré. Ainsi « bœuf » se substitue à « taureau » sur divers points de la région du Rhône, surtout près de la mer (et aussi dans le sud des Alpes); un seul patois (844) a éprouvé le besoin de préci- ser « bœuf entier ». On conçoit que le fait se produise là où les taureaus sont rares ; il est plus surprenant dans une région d'élevage comme la Camargue (871). — Sporadiquement, je n'ai 6btenu que « bœuf » (hœx) à Chambon (entre le Mont-Dore et Murols). Naturellement l'influence du mot français se fait sentir çà et là. J'ai relevé l’emprunt de taureau au Mont-Dore. Je n'ai pu obtenir que 1676 à Pardines comme M. Edmont à Ambert : làle sujet était une femme, ici un cordonnier, qui pouvaient l’un et l’autre ignorer le mot patois tradition- nel (M. Michalias me l’a donné pour Ambert: {@uru). Toute une région de l'Hérault (757-68-78) a une forme tro qui me paraît bien venir du français plutôt que du cata- lan : je serais plus affirmatif si je n'étais souvent en désaccord avec M. Edmont sur la façon d’entendre — et par suite de noter l’accent tonique. 2. Le jars (oie mâle) dans le Massif Central et le sud-ouest. La région de la France que nous étudions pour ce mot est limitée au sud-est par une vaste zone où aucun terme n’a été relevé dans Atlas (nous verrons bientôt pour- quoi) ; au nord s’étent très loin l'aire homogène et primi- tive de jars. Les fénomènes que nous allons considérer sont donc bien circonscrits. Dans les textes médiévaus de langue d’oc, seul apparaît le terme auc pour désigner le jars (mot d’un emploi peu 10 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE fréquent dans la langue écrite). La carte de lAilas va nous révéler un état de choses singulièrement plus complexe et qui, par endroits, remonte au moyen âge. Tout d’abord, il faut observer que l’oie, comme animal domestique, est loin d’être aussi abondante que la poule, le porc, la vache, etc. Il y a de nombreuses régions où on n’en élève pas ou très peu : par suite, si le nom géné- rique de l’oie est connu partout, il ne faut pas s'étonner s’il n'existe pas d'appellation spéciale pour le mâle là où cette espèce n'est pas répandue : c’est le cas, en particulier, pour la vaste zone représentée par les Cévennes, le bas- Rhône, le littoral languedocien et une grande partie des Pyrénées. Dans la partie de la France qui nous occupe, les principales contrées productrices d’oies sont le bas Poitou, la région toulousaine et, sur une échelle plus petite, les Landes et la basse Limagne. Ces régions exportent des animaus, et, à l’occasion, des mots. Pour désigner le mâle, le terme le plus ancien est le radical Garr-, dont l’origine est inconnue, mais qui est certainement prélatin '. C’est l'ancêtre direct de jar (et de ses variantes) dans le nord et le centre de la France. Mais le mot a vécu aussi dans le Midi. Ses vestiges se retrouvent au sud-ouest dans notre aire bleue : seul çarat (672) nous donne un dérivé fonétique ; ailleurs, sous la forme çirot, Giru... il a été visiblement contaminé par guit — canard, Mistral cite d'autre part garroun au sens de coq (d’où le français garron, mâle de la perdris?). Il serait plus téméraire d’en rapprocher le provençal moderne garro, matou, et surtout le provençal ancien garri, souris. 1. Le mot manque dans le Rom. elym. Wærterbuch de M. Meyer- Lübke. Cf. le Dictionnaire général, ve jars. 2. Cf. le Dictionnaire général. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE LT Pourquoi ce mot a-t-il disparu de presque tout le Midi dans son sens primitif et pourquoi n'en subsiste-t-il que des dérivés ? Il était isolé dans la langue; il présentait aussi une quasi homonimie assez gênante avec GALLUS, du jour où la chute de la voyelle finale à peut-être supprimé une cause de différenciation et a, en tout cas, facilité par la suite une confusion de deus liquides linguo-dentales, singulière- ment moins nettes à la finale (ga/, gar) que lorsqu'elles étaient redoublées entre deus voyelles dans GALLU d’une part, GARRU ou *GARRE de l’autre. Fait remarquable — pour laisser de côté l’est du Rhône — la gêne n’a été ressentie que dans la région où / finale est restée linguo- dentale ', tandis qu'au nord, où, peu après la chute de la voyelle atone, / devenait vélaire, puis tendait à se vocaliser en #, le mot a été conservé, du moins pendant longtens. Ainsi le Cantal, la Corrèze centrale et méridionale et les régions situées au sud-ouest n'ont aucun vestige de gar (jar), tandis que les régions au nord en conservent de nom- breus représentants. Seul le sud-ouest a sauvéle mot en lui adjoignant un suffixe : voilà pourquoi on ne trouve que des dérivés dans le Midi. Il n'est qu’un seul point sur lequel « jars » ait progressé, c’est dans la région de Bordeaux. Toutes les formes, au sud de la limite de la conservation de k, 6 devant à latin, trahissent par leur fisionomie fonétique une origine saintongeaise-poitevine, non seulement par l’initiale, mais encore par la finale additionnelle #, k (dzart 548, 653; jart 549, 650; jark 662, jar 635$, zar 626, dzar 618). Le mot est revenu du nord, très pro- 1. En général cette ] est demeurée ; en Gascogne elle a passéà d> #, et dans le nord du Cantal à 7 >> f.L’homonimie était parfaite là où GALLUS devenait dzar comme là où il aboutissait à d7a, dzae par amuïs- sement de la liquide finale (nord du Cantal et de la Haute-Loire). 12 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE bablement avec l'importation, des oies saintongeaises et poitevines, et ila remonté quelque peu la Dor- dogne :. Envisageons maintenant la catégorie la plus importante des substituts lexicologiques, celle qui s’est formée d’après auca. La substitution n’est pas due seulement aus défauts du mot vaincu, mais aus qualités du mot vainqueur. AUCA ayant été adopté par la Gaule romane pour désigner loie — plus encore l'espèce que la la femelle — :il était fatal que cette racine servirait à créer un mot pour le mâle (terme moins fréquent), en le rattachant au nom géné- rique. Ainsi fut formé auc d’après auca. L'extension de auc fut plus vaste à l’origine qu’à l'heure présente. Les deus aires roses (séparées par un dérivé plus récent et par des dar importés de Saintonge) n’en for- maient jadis qu'une seule, qui recouvrait toute l'aire actuelle aucat jusqu’au Lioran, qui s'enfonça comme un coin dans l’aire çarot, cirot Jusqu'au point 684, et s’éten- dait en Gironde comme le témoigne aukat au 641. Au contraire ok (513) est une importation récente venue du sud : comparer les formes fonétiques 40..., de la Dordogne (lä, par agglutination de l’article au 612). Cette aire fut coupée par le développement sémantique de aucat, qui signifiait uniquement « oison » au moyen age ?. Le nom du jeune est arrivé à désigner le mâle adulte, d’après le processus connu. L’aire aucat —= jars, s’étendait jusqu’aus points 684 et 641 (où le mot sub- 1. L’aire «jars » est homogène entre le nord des Charentes et le Bordelais. Si le mot manque en trois points de l'Atlas, c’est à cause de sa rareté, dans un pays où il y a peu d’oies. Aus environs de 528, on dit har (Communication de M. Isembert, de Jonzac). 2. Le diminutif avec suffixe -ONE (auco, auchô) estpropreau nord et à l’est du domaine provençal ainsi qu'au Roussillon (cf. les exemples de Raynouard, E. Levy et Mistral). A nel « 1 : MOLS ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 13 siste avec le même sens), et probablement sur toute la Gironde, où « jars » est venu postérieurement le rempla- cer. | Quelques créations parallèles ont été tentées çà et là. aukarel (659), entre auk et aukat, n’a pas eu de succès. On ne saurait en dire autant de awkas, qu'on ne trouve plus qu’au 776 (Aude), mais qu’on ne peut séparer de wkae (719, Cantal). La présence de cette dernière forme dans une région où € (- 4 latin) est devenu fey, ne peut s'expliquer que par l'importation d’un awkas venu du sud : il faut donc supposer l’existence, à l’est des précédentes, d’une ancienne zone aukas qui devait recouvrir une grande partie des Cévennes et du bas Languedoc pour atteindre Saint-Flour. Le mot a disparu par la suite, l'élevage des oies étant sans doute plus ou moins tombé en désuétude dans l'intervalle. L'exemple de la Dordogne (où la forme primitive devait être auch) nous prouve que la réfection du masculin d’après AucA a dépassé la région où le 4 s’est conservé. Jusqu'où s’étendit ce fénomène dans le Massif Central ? Il ne dépassa pas la Corrèze, le Cantal et la Haute-Loire, car, au nord, nous voyons que dzar a longtemps résisté. Mistral nous cite comme forézien une forme auch, qui ne peut se localiser que tout au sud de la Loire. Dans le nord du Massif Central, les fénomènes sont sin- gulièrement complexes. Le plus ancien est la dislocation de dzar, qui a laissé çà et là des résidus au sens de « jars »: dza, à Saint-Germain-Lembron ; djari à Aimbert ‘, dzar à Grandrif et Saillant (dans le voisinage). On a vu que le mot, — despécifié et n'ayant plus que le sens de 1. Mot fourni par M. Michalias. L’Aflas a relevé dcé, importation récente, et non encore généralisée. t4 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE « mâle » — était arrivé à désigner le taureau dans deus petites régions voisines des deus précédentes. La segonde couche est certainement autsar —oyar, nou- velle formation du nom de mâle d’après le nom de l’es- pèce, et qui doit, sans aucun doute, sa finale à dzar. La limite entre les tipesoyar et autsar (Puy-de-Dôme — Loire) est conforme à la fonétique. C’est donc une création ori- ginale et spontanée. Nous allons voir si les deus aires jaunes se rejoignaient par-dessus le nord du Cantal et du Puy-de- Dôme; oyar s’étendait sûrement sur une partie de l'Allier (on le trouve encore au point 802 concurremment avec kokar). Sur deus points de la région, le nom du petit s’est subs- titué à celui du mâle : aoteyu dans la Haute-Vienne (606)*, ütsu à Vinzelles et aus environs. Ici le mot signifie à la fois « jars. » et «-oison » : il y a d’ailleurs peu/d'aies: quand on veut préciser pour le jeune, on fait précéder le mot de l’adjectif « petit ». Dans toute cette contrée (de la Haute-Vienne à la Haute-Loire), l’oison est désigné par le tipe auchô, tandis que la région de la Garonne disait aucat ?. | Un dérivé méridional de auca, tout armé de son suffixe, a fait irruption par le Cantal et s'est étendu par l’est du Puy-de-Dôme et l’ouest de la Creuse jusque dans l'Allier. Quel est ce dérivé ? La carte nous indique que c’est aukat, 1. Rolland (Faune populaire, VI, 152) donne aussi aoutsou = jars dans la Corrèze (à côté de aoulsar), d’après G. de Lépinay. 2. Cf. l'exemple aucat (de Foix) du Suppl. provenz. Waærterbuch de de M. Emil Levy. Rolland (Faune pob., VI, 152)donne ooutchou = oison pour la Creuse (et aoutsou — jars, en Corrèze). Pour « oison », j'ai relevé dans le Puy-de-Dôme: oyfsu (Les Martres ; Grandrif, Saillant), œutsu (Sallèdes), utsu (région de Vinzelles), outsu(Madriat, Auzon), œulsu, Vodable; oufséto (Léotoing, Haute-Loire), où « jars » se dit QUISAT. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE ïs remontant du Lot: arrivé dans le Cantal central, le mot pert son { final d’après les règles de la fonétique locale. Mais cette finale a tonique est isolée ici comme nom d’ani- mal. On ne la trouve qu’au point 717 qui n’a pas donné du mot pour « jars », et qui a fait passer auka(t) (> nuka par aggelutination de l’article indéfini) au sens de « bélier »: despécification analogue à celle qui, plus au nord, a amené par endroits « jars» à « taureau ». Ailleurs l’analogie entre en jeu. 714 a aukal. Mais c’est aukar qui prévaut : on le trouve dès le versant nord du Puy Mary (Lavigerie): comme pour autsar, l’r est dû à l’ancien dxar. Il n’est pas vraisemblable en effet que le mot se soit substitué à un autsar préexistant: ce mot, fortifié par qutso (oie) et autsu (oison), n'aurait pas cédé la place à une forme étrangère qui désorganisait la famille. Autre raison : les patois de la région aukar sont essentiellement conservateurs; c'est là — on l’a vu et on le verra encore par la suite — qu'on trouve les plus vieus mots. J'en con- clus que dzar a dû résister longtens dans cette région, et que les deus aires jaunes autsar se sont formées indépen- damment, pour les mêmes causes, comme les deus aires autsu. Fait capital : c’est dansle nord du Cantal qu'avaitlieu lhomonimie parfaite entre dzal >> dzar et dzar — jars: cela a tué céci. — Vers le Bourbonnais, aukar pert son r par endroits et se croise avec le coq dès qu’il atteint le voisinage _ dela région kok (kokà : 601, 800, 801, 803 ; kokar 802) ; jar subsiste concurremment à 901, comme oyar à 802 : vestiges des deus aires qui se partageaient l’Allier, avant d’être recouvertes partiellement par une troisième. Enfin par places ont surgi des substituts locaus. C’est parfois le nom du jeune, devenu le nom de l'adulte avec addition de suffixe (cf. pirô, jars, 409, et pir, oison, 509, 513, 514); parfois un nom de mâle despécifié (çabré, jars 16 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE 724, 7353; gabrè, taureau, 758). yot (665-75-67) est peut-être une altération du gsrot voisin. dâçé est une création de la Basse-Limagne, qui a remonté l'Allier jusqu'aus environs d’Auzon en coupant l'aire autsar. Je croisque c’est un mot assez récent, formé d’après « dague » français ou daga méridional. La famille à divers résidus dans le Puy-de-Dôme : däçä (roseau) à Aydat ; däçä, frapper, détériorer, à Ambert°. Pour la filiation sémantique, je relève dans le vocabulaire mourmé de Th. Buflet3 : dagne, verge (tiré du patois), et dagneu, mâle, —quime paraissent d’évidentescoquilles tipografiques pour dague, dagueu. La métafore, qui est transparente, a pu se produire ailleurs. Je rapproche aussi daguel (cerf ou daim de deusans) en rappelant que daguer, en langage de vénerie, signifie « saillir la femelle ». Voici le relevé des termes que j'ai recueillis, en dehors de ceus que j'ai déjà cités : tipe autsar : Haute-Loire : œutsar (Saint-Ilpize), éutsär (Auzon, Léotoing); — Puy-de-Dôme : éuisär (Madriat, Saint-Etienne-sur-Usson [mot rare]) ; dted (Sauviat). tipe aukar : ôukar (Besse), œukar (Vodable), k6kä (Buxières-sous-Montaigut) . tipe dague: Haute-Loire: diçé (Auzon, concurremment avec Outsàr); — Puy-de-Dôme : dägé (Issoire, Coudes, Sallèdes, Les Martres-de-Veyre, Malintrat, Gerzat, Bulhon). 1. Cf. dans le Trésor l’article gabre assez confus, où le mot signifie entre autres « dindon » et « canard ». Le sens « taureau » paraît posté- rieur, Mistral y joint les formes ourabre, galabre: la première (dont la segonde est une dissimilation) pourrait se rattacher à GARR- (Jars). 2. Voir le Glossaire de M. Michalias. 3. Revue Savoisienne, 1900, p. 86. ESSAIS DE GÉOGRAPIE LINGUISTIQUE 17 3. Le bélier. Un mot malade: arét dans le Puy-de-Dôme. A une époque récente, le Puy-de-Dôme était entière- ment recouvert par l'aire arét — bélier, qui déborde au nord sur l'Allier et s'étale largement plus au sud. Mais ce mot est malade: atteint d’anémie fonétique, il s’efface par places et tent à disparaître dans des régions entières. Cependant son élimination n'est peut-être pas aussi avancée que pourrait le faire supposer la carte ci-jointe. Du fait que nous n'avons pas trouvé — M. Edmont ou moi — le représentant d’aré! dans telle ou telle localité ‘, il ne s'ensuit pas nécessairement que le mot n'existe plus, mais simplement qu'il se fait rare, et qu'il se confine dans le langage des bergers et des éleveurs avant de sortir complè- tement de l'usage. Et c’est déjà là une constatation intéres- sante. arét est surtout atteint parce qu'il a dans cette région une mauvaise constitution fonétique. Non seulement il a perdu son { final, mais — de Brioude à Aigueperse — il réduit normalement son é à & et tent plus ou moins à reporter l'accent sur la première voyelle, également assour- die (4 en moyenne). Ajoutons que l’initiale est de nature à provoquer des accidents, comme l’agglutination de ] qu on trouve sur les deus point de l'Allier possédant le mot (803 laré, 822 lôré, fénomène qui s’étendit jadis jusque dans l'Yonne comme en témoigne l’ilotdu Morvan: /aryæ.……). Ajoutons que dans une partie de la région le mot arrive à devenir l’homonime de « rien » : ré > dre. Ainsi s explique amplement la formation d’un substitut 1. Il m'est arrivé même une fois de n’obtenir aucun mot (sujet : une temme de Cunlhat). 18 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE: dans la région issoirienne : bédé au nord (Corent, Authezat, La Sauvetat) et bédu (Aydat, Murols : 4 est l'aboutissement fonétique de à arc); bédä plus au sud (Issoire, Vodable, Vinzelles et Saint-Martin, Saint-Germain-Lembron, Cha- lus, Madriat, Moriat). C’est le français « bedeau », surnom métaforique, usité ailleurs pour désigner la brebis ou le mâle (voir les cartes « agnelle » et « brebis » dans la région wallonne), parfois aussi le jeune taureau (93 r, Isère). Je ne m'explique pas laltération de la finale {à Issoire et au sud, à peut représenter es comme an). — Sur le pour- tour de l'aire, le terme coexiste souvent avec arét: ainsi à Aydat, à Vinzelles où béda n’est pas encore fortement implanté, à Murols où dé commence au contraire àse faire rare: Le type « bélier » apparaît à Bagnols (canton de Latour) (bélé, variante ancienne de Belin ‘, venue par l’ouest), et le mot français m'a été donné tel quel à Saint-Etienne-sur- Usson (bélyé) où il est d’ailleurs peu usité. Une autre considération doit entrer en jeu. Le terme qui désigne le mâle non châtré de la brebis n’est pas — je lai dit au début — d’un usage fréquent. L'élevage du mouton a diminué sensiblement dans la Basse Auvergne, par suite du développement de la petite propriété, et aussi après le lotissement de nombreus communaus, qui ont caractérisé le début et le milieu du xix° siècle. Aussi dré tent-il à dis- paraître sans qu’on éprouve le besoin de le remplacer autrement que par mouton. « Mouton » m'a été donné pour « bélier », à l’ouest à Bourg-Lastic, Latour, Le Mont- Dore, Saint-Victor-la-Rivière, Besse ; au centre à Nonette ; à l'est à Bulhon, Sauviat, Sugères, Doranges, Grandrif, Beurières, Saillant ; M. Edmont l’a relevé de son côté aus points indiqués sur la carte, dont Ambert. A Ambert, J. Cf. Rolland, Faune populaire, V, 116-117 (belin, belot, etc.). | L'SR éd \ : : ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 19 M. Michalias m'a attesté l'existence de dré, que le sujet de M. Edmont (un cordonnier) ne connaissait pas. Au Mont-Dore, lorsqu'on veut préciser, par opposition, qu'il s’agit d’un mouton châtré, on dit /sästra. Voici le relevé des représentants d’arét que j'ai recueillis : Haute-Loire: dré (Saint-Ilpize), aré (Léotoing), dre (Vieille- Brioude, Auzon) ; — Puy-de-Dôme : 4?e (Saint-Jean- Saint-Gervais, Vinzelles, Lamongie), dre (Ambert, Malin- trat, Les Martres-de-Veyre, Vic-le-Comte, Busséol), dré (Aydat, Coudes, Saint-Julien-de-Copel, Billom, Mirefleurs, Moissat), d/e (Chanat-la-Monteyre). IH. — NOMS DE FEMELLES 1. — La jument. equa, caballa, jumentum. Le latin vulgaire de la Gaule romane, tout au moins à la fin de l'empire romain, avait conservé EQUA et rejeté EQUUS, que CABALLUS (d'origine celtique) avait supplanté. Le couple CABALLUS — EQUA se maintint pendant une dizaine de siècles, plus longtens même dans le Midi. Nous voulons examiner pourquoi et comment, dans la suite, EQUA perdit du terrain pour être réduit aujourd’hui à la portion congrue, comme le montre la carte : le mot ne persiste plus que dans les hautes régions du Massif Central, dans quelques îlots de la Haute-Savoie, de la Suisse romande et du Midi. JUMENTUM au nord et CABALLA au sud se sont partagé son domaine. Au xm° siècle, le terme traditionnel était encore très généralement employé dans ses deus formes principales, ive au nord, ega au sud. Seules quelques formations locales, que nous verrons plus loin, commençaient à se dévelop- per. 20 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE C'est par l'extérieur que eva a été attaqué dans le Midi. Il est remarquable que, tout comme dans le nord, CABAL- LUS n'avait formé aucun féminin indigène. cavala est venu d'Italie et a débordé sur la France. L’invasion est trop ancienne pour qué les patois actuels permettent à eus seuls de reconstituer les voies de pénétration, surtout en l'absence d’un Atlas de l'Italie septentrionale. On peut arriver à un résultat approché en combinant les données dialectologiques avec les rares témoignages historiques que nous possédons, avec la connaissance des voies économiques transalpestres, et avec les enseignements fournis par l’étude des emprunts faits à l'italien par l’argot des malfaiteurs. Nous savons d’abord qu'aucun courant n’a longé la côte de la Méditerranée: nulle influence génoise ne peut être relevée dans la Provence, voire orientale (ni même à Nice). Les influences italiennes sont venues exclusivement de Turin par les deus grandes voies historiques du col du Mont-Cenis vers Chambéry-Lyon (avec bifurcations : Cham- béry-Genève et Grenoble-Valence) et du col du Mont- Genèvre par la descente de la Durance. La première est la plus importante; elle a été quelque peu doublée par la voie du Petit-Saint-Bernard (vallée d’Aoste-Tarentaise). Enfin les relations entre la Suisse romande et l’Italie ont été assurées par la vallée d'Aoste, le Grand-Saint-Bernard et Martigny. La carte nous relève nettement l'existence de ce dernier courant qui s’est répandu dans le bas Valais et le Pays d'en Haut (Château d'Œx), en isolant les ega (du Chablais, du pays veveysan et du canton de Fribourg) de l’arcaïque val d’Anniviers où s’est formée une désignation locale. Elle nous montre aussi l'existence du courant Chambéry-Genève, qui a respecté un ilot ega à Sallenôves (au nord du 945, d’après le Dictionnaire Savoyard), et qui est remonté jus- 1. Cf. mes deus articles Les emprunts dans largot (Revue de philologie française, 1911). \ fn! bé CRT * | M | + nt \s - _ « “À | 7, à VEN \ , + ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 21 qu’au voisinage du lac de Neuchâtel, en séparant Fribourg du Jura. La région jurassienne est aujourd’hui occupée par « jument »; mais nous savons que ega S'Y est conservé jusqu'au xiIx° siècle ', et que cavala n'avait pas atteint la montagne, où des créations indigènes s'étaient formées?. Lyon dut être atteint avant le midi, et dès le xv° siècle 5, puisqu'au siècle suivant le mot apparaît dans le nord. Malheureusement nous n'avons pas encore de précisions historiques suffisantes : on trouve ega dans tous les textes lyonnais et dauphinois du moyen âge, mais le mot « jument » ne se rencontre pas dans les textes foréziens, même au xvrI* siècle 4. Un courant porta le mot à l’ouest, par Montbrison et Thiers, dans la Limagne et à Clermont, d’où il remonta la vallée de l'Allier jusqu’aus environs de Brioude, en se rétrécissant peu à peu. La charte de Montferrand a evua (xu< siècle); le terme manque dans les rares textes de l’époque suivante. Au nord, le mot alla très loin et dut s’étaler largement. Comme il a été recouvert plus tard dans sa plus grande partie par « jument », on ne saurait déterminer exac- tement jusqu'où il s’étendit. Vers le nord-ouest, nous avons deus indices. D'abord la survivance quévale — jument, citée par Rolland à Rouvray-Saint-Denis (N.-O. d'Orléans) (Faune pop., IV, 127). D'autre part cavale, fort connu au xvi® siècle dans la région parisienne, où toutefois il ne réussit pas à s'implanter, puisqu'il était devenu poétique _ 1. Voir les exemples modernes de Godefroy (Jura, Doubs : ego...) à la fin de l’article ve. 2. M. Boillot (Glossaire du patois de la Grand-Combe) à pour « jument» dä (= dame). 3. À la fin du xrve siècle, on trouve encore yegue dans la Coutume de Chalamont (plaine de l’Ain). 4. Cf. E. Veÿ, Le dialecte de Saint-Etienne au XVIIe siècle, p. 84. + 22 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE (c’est-à-dire arcaïque) dès le siècle suivant. Le plus ancien exemple paraît être de La Boétie, originaire de Sarlat (où certainement cavala n’avait pas encore pénétré à cette époque). Vers le nord-est, les larges îlots vosgien, meusien et wallon attestent, comme l’ilot auvergnat, la préexistence d’une aire cohérente, disloquée plus tard par la poussée de « jument ». Nous venons de voir qu’à l’est la montagne jurassienne ne fut pas atteinte par cavala. Il en fut de même de la montagne vosgienne, où se développèrent indépendamment, à l’abri de l'invasion, des tipes jumente, jumante, jumoite, dont il reste de nombreus exemples, et qui — nous y reviendrons — doivent être les résidus d’une aire plus vaste alors en formation. Dans le Midi, il semble qu’on pourra relever des rensei- gnements historiques plus nombreus. Un texte français (Godefroy, v°ive) relatifà Tarbes, de 1408, parle des eques, — mot calqué évidemment (avec une coquille : g pour g) sur le patois local. Notons que les yevo actuels des Hautes- Pyrénées (687-97) ont été réimportées d'Espagne, comme le prouve la fonétique. Même en Provence, ega n'avait pas encore disparu au xvir* siècle : cité par Mistral, le poète Charles Brueys (dont les œuvres furent éditées à Aïx en 1628) emploie encore ego pour désigner la jument. À l’époque contemporaine, nous voyons ega partout en recul. M. Edmont ne l’a plus trouvé dans le Jura. En Haute-Savoie, le mot est vieilli à Samoëns, d’après le Dic- tionnaire savoyard. Mistral enregistre encore ego comme « rhodanien » et egouo comme béarnais (nous venons de parler du haut gascon 1ego— eco) ; Rolland(IV, 127) donne ego dans le Gard : pour ces diverses régions encore, l'Atlas 1. Mistral donne aussi le mot dans trois proverbes, mais sans les loca- liser. PRET ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 23 ne nousoffre plus quecavalo. [l'est àremarquér que ce dernier mot a contourné le Massif Central au nord et au sud, et l’a enserré en y pénétrant par deus pointes: Limagne et vallée d’Aurillac. Le sud-est est peu à peu corrodé à son tour:en bordure, cavala apparait simultatément à côté d’ega aus trois points 728, 824, 825. De même au nord, à Vodable (où êçä tent à vieillir), sur la frontière exacte des deus aires (au N.-O. de 807). | Mais il arrive souvent que les deus mots coexistent dans un patois donné sans être sinonimes exacts : et ainsi on peut saisir quelques-unes des évolutions par lesquelles se déprécient les mots avant de disparaitre. À Vieille-Brioude, kävälä désigne la jument qui a des petits, #64 la jument sans poulains. Dans le Jura (exemples modernes, précités, de Godefroy) le mot avait passé au sens péjoratif de « rosse » (c.-à-d. vieille et mauvaise jument). Rolland (IV, 29) men- tionne un dérivé egot — mauvais cheval, dans le Forez (d’après Gras) ; Mistral offre aussi ce masculin avec la même acception. Enfin dans l’Aude (776 et 787) l'Atlas a enregistré un cas très intéressant : tandis que « jument » se dit en général kabalo, l’èço désigne la « jument ou mule employée à battre le blé sur l'aire », — vieille bête, bien entendu. Cette évolution est l'inverse de celle qu'a subie jument. Comme on. le voit, la force d'expansion de cavala à été considérable : le succès du mot a certainement été dû à sa parenté avec « cheval » (qui, même dans le nord, était encore sentie au xvI° siècle). En français proprement dit, le remplacement d’ive mr |) jument est un fait bien connu. Dans le nord comme dans , le sud de la France, jument signifiait « bête desomme ». La / substitution lexicologique est due à deus causes. D’abord à la faiblesse formelle des représentants d’EquA : le mot 24 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE n'avait pas de points d'appui dans la langue ; la forme ve, en particulier, offrait avec le féminin d’un suffixe une homo- fonie fâcheuse, qui diminuait sa force de résistance. Et de fait, ega a mieus résisté que zw, disparu totalement et plus anciennement’. — Mais il ne faudrait pas trop s’atacher à ce dernier critérium : j#menta empiétésur le territoire de ega (ouest du Puy-de-Dôme, Creuse?, Corrèze, etc.). Ici inter- vient le segond point de vue : jument a passé au sens actuel là où les juments étaient utilisées comme bêtes de somme. 4 Plus au sud, ce rôle était généralement dévolu à l’ânesse ou à la mule ; lacontre-épreuve peut être faite avec jument passé au sens « âne» en catalan, et avec sawmiero, « bête de somme », qui aujourd'hui désigne l’Ânesse dans une grande partie du Midi, et cela dès le centre et le sud du Puy-de-Dôme (myàrä, ânesse, à Vinzelles, Sugères, etc.). Toutefois ici encore il faut faire certaines réserves : ainsi, dans la région de Vinzelles, les bêtes de somme étaient jadis des mulets (et non des ânes); la fonétique nous prouve d'ailleurs que myàrä (forme apocopée de saumiera) vient du Midi. Encore abondant au xrr1° siècle dans toutes les régions, ive (et ses variantes yeve, yeuwe..) disparaît peu après. Mais jument ne l'a pas remplacé aussitôt, ni partout. C’est dans l’extrème nord que ce mot paraît d’abord avoir pris le sens 1. M. Mever-Lübke (Rom. etym. Waært., 2883) cite un fribourgeois iva dont j'ignore la source : Bridel, comme l’Aflas et Rolland, ne con- naît que ega (en face de cavala). 2. On trouve eque (— ègue) dans les Coutumes de La Pérouse (1260) ; l «esgue orbe » de Rabelais (Le quart livre, ch. XIII) atteste qu’au xvie siècle egue, evo devaient s'étendre assez loin encore vers le nord- ouest du Limousin. 3. Car la forme régionale du suffixe -ARIA est -eira. F 4. Signalons notamment, parmi les textes cités par Godefroy pour le xire siècle, Audefroi le Bâtard (Arras), Chardri (anglo-normand), Aymeri de Narbonne (Bar-sur-Aube). ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 25 « jument », comme le prouve le plus anciên exemple de ce sens (1271) dans Godefroy (v° jument, Supplément). Il semble que dans une très vaste région le terme reçut une terminaison féminine, et que l’on opposa ainsi la jumente — femelle du cheval, au yument — bète de somme, et plus spécialement : «cheval faisant fonction de bête de somme » *. Godefroy, pour jumente, a un texte de l’ouest, qui paraît isolé (Titres de la maison d'Anjou) et une série d'exemples lorrains et bourguignons beaucoup plus significatifs, si lon songe : 1° que le masculin au sens primitif est encore attesté à Dijon au milieu du xv° siècle (wng cheval jument, 1444, dans Godefroy, Suppl.); 2° que nous avons retrouvé les restes de l'aire jumente —= jument, précisément dans les patuis des Vosges. : Un fénomène analogue — mêmes causes, mêmes effets — se produisit aussi dans les plaines du Languedoc où le cheval et la jument étaient utilisés comme bêtes de somme : le Supplément de M. Emil Levy cite deus exemples de jumenta, jument (variante : gementa) empruntés respectivement à la coutume de Saint-Gilles (Gard) et aus archives de la caté- drale de Carcassonne. Mistral donne encore jumento — jument (exemple du poète L. d’Astros) (et: même jumen,même sens, ex. de D. Sage). Mais il semble bien que le mot ait disparu des patois actuels. Il forma sans doute un ou plusieurs îlots au flanc de la zone eva avant l'arrivée de cavala ; les deus mots ont pu aussi se juxtaposer longtens en divers endroits avec des nuances différentes (comme nous l'avons vu pour eg et cavala). L’ouest tendit à donner à la jument adulte le nom de la pouliche, la poutre (qui se conserva dans cette contrée avec son sens Originaire jusqu à nos jours ; le Poitou a d au lieu 1. Bien entendu lorsque jument a passé au sens « cheval femelle », le genre est devenu féminin s’il ne l’était déjà, 26 REVUE DE FILOLOGIE : FRANÇAISE de #). Les exemples apparaissent surtout chez les écrivains du xvi siècle originaires de la région de la basse Loire (Rabelais, Ronsard, Remi Belleau, etc.). La poutre désigne la jeune jument, mais parfois aussi la jument tout court : : quand du Baïf écrit « les jeunes poutres », c’est bien que poutre à lui seul ne suffisait plus pour exprimer l’idée « jeune jument ». Cette évolution a été arrêtée par le développe- ment de jument : Godefroy a un exemple de 1472, où jument a son sens actuel, dans un texte d'apparence poite- vine (cf. le mot voisin pouldre, qui sert de réactif pour le sens). Dans les patois actuels de l’ouest (comme du Mor- van et du Doubs), poutre n'a été relevé qu'avec le sens « jeune jument » ?. Avec le puissant patronage de Paris, yument a pris une extension considérable à l’époque moderne, refoulant et disloquant cavale, sabmergeant ego dans le Jura et l’acculant à ses derniers retranchements dans le Massif Central. Il est facile de voir qu’au point 816 jumä n’est pas fonétique (on aurait dzumè) ; mais les d'umä, dzumë du voisinage ne sont pas davantage traditionnels : dans toute la région où truie) représentée au point 748 (pusèlo). Pour exprimer l’idée de « truie », il y a souvent deus . sinonimes au moins dans les patois (Cf. dans l’Aflas, 602, 702, 909, 822, etc.). En voici la raison. La truie peut être considérée soit comme porc femelle, soit comme animal reproducteur. Et c’est ce dernier point de vue —, capital pour le paysan (on élève partout des porcs dans le centre et le sud-est) — qui l'emporte quand il s’agit de créer un mot nouveau. | Prenons les deus substituts les plus importants, les plus répandus : les tipes caia etcocha. En quoi ces mots diffèrent- ils essentiellement de TROJA? Parce qu'ils sont liés au nom du petit et qu’ils forment un çouple étroitement ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 29 apparenté caia-caion, cocha-cochô(n). L’aire des deus mots, pour la femelle et le petit, se superpose : mais il faut remarquer que le nom du jeune — dès qu il a passé (féno- mène général) au sens d’adulte — a une plus grande force d'expansion et s’étent un peu plus loin. La démonstration est facile pour le tipe caia-caion. L’aire rose représente l'extension de caia d’après l’Ailas (les petites crois + figurent les positions avancées). Si nous prenons la carte « porc », nous verrons que les limites de caion sont sensiblement les mêmes au nord, à l’ouest et au sud, mais qu'à l’est le mot a débordé sur une grande par- tie de la Suisse romande. Le fait est moins saillant pour coche-cochon. Dans notre région, cocha n'apparaît que sur une zone restreinte (ouest du Puy-de-Dôme) et sur un point du Jura; l'Atlas ne l’a guère relevé non plus dans la France du Nord, tandis que cochon se trouve partout, plus ou moins mêlé avec porc, au nord et à l’ouest de caion (la région wallone exceptée). En réalité, coche est sous-jacent partout où il y a cochon : si l'on n'a guère recueilli que des représentants de TROJA, c'est d'abord que coche a pu être éliminé par la suite, mais c'est aussi, surtout peut-être, parce que le patoisant, pos- sédant deus sinonimes, a répondu par celui qui était le plus voisin du mot français demandé. Ainsi j'ai relevé coche à Montier-en-Der (Haute-Marne), à Jonzac (— jeune truie); M. Boillot : donne à la fois #ræ et kote à La Grand-Combe (Doubs, point marqué par une crois); Rolland enfin ? cite coche dans l’Auxois, le Morvan, les Deux-Sèvres. J'ajoute que cochon lui-même est plus répandu que ne le laisserait supposer l’ Atlas. Ainsi kutsu est usité dans tout le Puy-de-Dôme, où por est un terme bien moins courant (et 1. Lepatois de la commune de la Grand’Combe, pp. 178 et 298. 2, Faune populaire, V, 216. 30 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE repris au français). Mais kutsu est réputé grossier ; d’autre part l’enquêteur a demandé « porc » : deus raisons pour que le sujet ait souvent donné le mot voisin du français. Et voilà encore un enseignement précieus sur la mentalité des paysans, pour qui sait interpréter l’Aflas, exécuté avec une si scrupuleuse probité scientifique ‘. C’est pour la même raison qu'en certains points (810-13-21-24) nous n'avons que « porc », alors que caion — jugé grossier comme cochon, son équivalent exact — doit coexister. Ce n’est pas seulement la superposition des aires et la parenté formelle caia-caion, coche-cochon, qui nous montre le besoin d’attacher l’idée de reproduction à la truie. Cette idée a été exprimée avec plus de précision par quelques “patois : le point 8or dit lasèr troyo, 802 la mér trobi ; pusèlo (PORCELLA), qui désigne la truie à 746, a été spécifié « truie mère » — par opposition au représentant de TROJA — à 729; de même mauro, truie à 741, « truie mère » à 733. Je relève dans la Faune populaire (V, 217) mérande, mère Michel, grand mée. Aus Martres-de-Veyre, la kgtso est la truie qui a des petits, et la #ryo (mot qui tent à disparaître) désigne simplement la femelle du porc. À Ambert, M. Michalias m'a précisé que pwèrteo désigne plus spécia- lement le porc femelle de tout âge, et kdyo (de même que troyô) la truie mère. — A Vinzelles kdtsä est devenu très arcaïque : {rædz4 a regagné son terrain en lui reprenant son sens. À Vodable, kdtsa et tr&dzä coexistent. Au Mont- Dore, trèdzo est conservé au milieu d’une zone où kÿ/so l’a. fait disparaître. 1. On ne peut donc rien conclure historiquement, pour l'Auvergne, du fait qu’on trouve encore por fres dans les menus de Notre-Dame- des-Chases (fin x ve siècle) et porc encore au xvirIe siècle dans les poésies de Joseph Pastourel éditées à Riom en 1733 (Cf. L’ancienne Auvergne et le Velay, t. II, pp. 49 et sqs.). | | | | sde ME bé cl) dt De, ses Sd ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 31 Quelle est l’étimologie de ces deus couples? Rappelons d'abord qu'historiquement le nom du petit apparaît avant celui de la mère. En français le plus ancien exemple de cochon est de 1339 (Godefroy, Supplément), celui de coche est dans Villon (Le franc archer de Bagnolet); caion est signalé seul dans Godefroy (Alector, Nicot)'. (Les deus ont le sens « jeune porc»). Est-ce un double hasard ? C’est peu probable. Je croirais volontiers que, contrairement à l’opi- nion courante, le nom de la mère a été refait sur celui du petit, précisément pour exprimer l’idée qu'il s’agit d’une truie qui fait des cochons, des caions. — Géografiquement caia-caion est une création de la région lyonnaise; coche- cochon, de la région parisienne. La segonde a eu naturelle- ment une plus grande force d'expansion que la pre- mière : elle s’est heurtée en Bourgogne à l’aire assez résis- tante caïa-caion, qu'elle a dû refouler, et a débordé à l’ouest sur le Massif Central. Nizier du Puitspelu à proposé pour caion un celtique cagl — fange, que la fonétique suffit à faire rejeter de plano. La présence de Z mouillée dans une forme cévenole qu’il cite (caliou) ne me paraît pas concluante pour étayer un /y primitif : au xvi* siècle, l’7 mouillée était conservée à Lyon ; il sagit dans les Cévennes d’une forme analogique (on avait conscience, dans cette région, à notre époque, que le by correspondait en. général au y rhodanien) ?. M. Meyer- Lübke ne propose pas d’hipotèse. Je crois que décidément il faut revenir au cACARE de M. Cornu ;,en supposant, bien entendu, une forme empruntéeau provençal, cagä (=> kayà), 1. Il est aussi dans le Ballet forézien de 1605 (E. Veÿ, Le dialecte de Saint-Étienne au XVIIe siècle, p. 345). 2. Même observation pour l’étimologie de caïa par calha (oiseau) avancée par Mistral, sans compter que le rapport sémantique est un peu lointain. 3. Cf. le glossaire de Nizier du Puitspelu, v. caion. 32 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE qui aurait remonté le Rhône comme tant d’autres termes. Ce caga a d’ailleurs sûrement gagné le nord : kdça existe à Vinzelles (et environs) avec l'acception originaire. Je trouve aussi *dya, au sens « uriner », dans le Glossaire de M. Michalias. Enfin je signale quelques dérivations séman- tiques analogues : chiol, jeune chien (d’un usage courant, même chez des écrivains contemporains); {eds4 (du fr. « chiasse »), dernier né (Vinzelles et environs); cago-mis, cacau, « dernier né » (Mistral); le bas-langage, l’argot des faubourgs emploie concurremment « chier » et « pisser » au sens de « mettre au monde » [un enfant]. Quant à l’origine de coche-cochon, M. Meyer-Lübke : pro- pose une onomatopée (cri pour appeler les porcs). C'est encore l’hipotèse la plus plausible. Si on l’admet, il ne serait pas impossible que cochon (d’où coche) ait été à l’origine un terme enfantin. Je rapproche, pour la brebis, les termes auvergnats enfantins bérd, -ÿto (Vic-le-Comte), bèze, -t1à (Vinzelles et environs) qu’on voit affleurer ailleurs dans le patois des adultes ?. Si l’on ajoute que Mistral cite « coch! cocho !, cri pour appeler les porcs dans les Alpes », l’étimo- logie paraîtra assez vraisemblable. Faut-il en déduire que le kuteñ du point 971 (Hautes-Alpes) s’est formé indé- pendamment de l'aire française? Ce n'est pas certain, car le mot peut fort bien avoir été importé directement par-des- sus l'aire intermédiaire caion : il y a bien des exemples analogues. Relevons quelques autres formes de l’Atlas en dehors des quatre tipes précédents. | kauyd (Creuse) — dont j'ai figuré la zone approxima- 1. Romanisches etymologisches Wærterbuch, 4745. Il faut supposer kote et non hoc. 2. Cf. Rolland, Faune populaire, V, 116-117 (berd, etc.). ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 33 tive * — fait penser d’abord À un cagnà (chienne), forme méridionale, avec sens despécifié ou péjoratif : on sait le suc- cès qu’a eu ce mot occitanien (ou italien) dans les argots, avec valeur métaforique ?. Mais après comparaison avec d’autres formes similaires, il semble au contraire que l’ac- tion de cagna s’est exercée (par étimologie populaire) sur une forme primitive gogna, d’origine inconnue, qu’on trouve attestée en divers endroits. Mistral (au mot gourrin) cite le masculin gounh, gorret, en Bordelais ; gogno, truie, est donné, précisément pour la Creuse, par Rolland (op. cit., V,216) d’après F. Vincent ; gogne est relaté aussi en ancien genevois, avec la mème acception 3 : le mot a passé ensuite à divers sens métaforiques (crapule..….) en Savoie (Düict. Savoyard, gogne) et en argot. Enfin les formes valdôtaine gona (966) et fribourgeoise çuna (60, 70) appartiennent visiblement à la même racine, avec une simple variante de finale (-A au lieu de -rA). Quant au dérivé, il est beaucoup plus répandu dans le Massif Central : l’Aflas le relève de la Creuse à la Dordogne et au Cantal; Mistral le mentionne comme bas-limousin et rouergat, en joignant la forme gasconne gnoun (abréviation de gognoun 4). Presque partout il se présente sous la forme gagnoun, sous l'influence de la même association d’idées qui a donné naissance à l’ancien français gaaignon (wallon : waaignon), dogue. bifa (819) est une « traduction » de kaya (qui est identique aujourd’hui au radical de « caiïller ») : bifa signi- 1. M, À. Thomas m'a signalé le mot à Saint-Yrieix-la-Montagne. 2. Cf. L. Sainéan, L’Arvot ancien, 224 (Remarquer le sens « che- val », relevé dans un patois normand). kayya existe avec divers sens dérivés dans les patois et argots de la Savoie et du Jura. 3. Cf. L. Sainéan, L’Argot ancien, p. 218. Le genevois est cité d’après J. Humbert (1842). 4. Godefroy (vo guignon, in fine) signale gagnon — jeune porc, à Clermont-Ferrand. 34 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE fie cailler, lait caillé (cf. Dictionnaire Savoyard). Exemple assez rare en patois de dérivation sinonimique ! — fécyno (714, Cantal) est le féminin de feu, tésu, primitivement « jeune porc » (sic carte « porc » 724, 781, 782), puis « porc », sens qu’il possède dans une région assez vaste entre le Cantal et le Gers (cf. la carte « porc ») : on a. reconnu faïssô, à l’origine nom du blaireau, auquel le jeune porc a été comparé ?. — gorra, mot bien connu, se trouve sur un point de la Haute-Vienne, comme sans doute aussi à la base de garél (102). — çay, géy (21, 23, Jura) paraît un débris ancien de l’aire kaya (qui devait, nous l’avons dit, monter plus au nord) : le terme, refoulé et isolé dans un ilot, s’est raccroché au mot « gai » qui l’a provi- soirement sauvé 3; — maquro (741, Tarn-et-Garonne) est un surnom dû à la couleur brune. — J'étudie par ailleurs (dans la Romania) le surnom du tipe gode appliqué ici à la truie (933, 968-9), ailleurs à la brebis, au jars, etc. Le mot français fruie se retrouve — seul ou concurrem- ment avec une autre forme — aus points 802, 902, 908, 933; 950. Voici, classées par tipes, les formes que j'ai recueillies dans la Basse-Auvergne : kày4, Saint-I[lpize, Vieille-Brioude, Auzon (Haute-Loire) ; käyo : Ambert, Saillant (Puy-de- Dôme). — trüyo : Saint-Hilaire (Haute-Loire) ; Grandrif, Ambert, Sauviat, Beauregard-l'Évêque, Lussat, Les Martres-de-Veyre ; tré : Bulhon, Usson, Saint-Étienne- sur-Usson (P.-de-D.) ; trédzd : Saint-Jean-Saint-Gervais ; 1. L. Sainéan, L’Aroçot ancien, pp. 67-8. 2. Cf. Mistral, vo feissoun. 3. Cette aire segondaire çay *CORBUS, etc.) ; 3° assimilation du v initial au b suivant (cf. it. berbena). 4. C’est un lapsus qui a fait dire « bélier » au Dictionnaire Général (vo brebis). ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 37 ritoire comprenant la péninsule ibérique, le sud-ouest, l’ouest et le centre de la Gaule (l’ilot limousin excepté). Reste à expliquer comment VERVECEM >> *BERBICE a passé du sens « mouton » à l’acception « brebis ». Il faut remarquer que pour cet animal le nom de la femelle ou du mâle châtré sert en même tens à désigner le nom de l’espèce (ceci variant suivant les tens et les lieus, mais le nom du bélier restant toujours à l’écart et bien individua- lisé) : on dit ainsi « un troupeau de brebis » ou « un trou- peau de moutons », en englobant les béliers, les moutons proprement dits, les femelles et les agneaus. Dans certains. patois (ainsi à Saint-Alyre, arrondissement d’Ambert), fédo arrive à désigner à la fois la brebis et le mouton chez les personnes qui ne s'occupent pas spécialement d'élevage. Voici donc comment on peut concevoir les faits. VER- VECEM (=> ŸBERBICE) a été importé en Gaule avec le sens « mouton », mais il n’a pu déloger le terme indigène *MULTONE, et il a dû battre peu à peu en retraite en se réfugiant dans le sens collectif du nom de l’espèce. C’est l’acception qu'il a encore dans la Loi salique : Si quis… bimum vervecem (var. berbicem) furaverit. Vient un moment où le latin d'Occident cherche à éliminer oVE (conservé en Orient : romain oaie), qui présentait ici une fâcheuse simi- litude avec ovu depuis que, dans ce dernier mot, le v avait été rétabli et que l’o était devenu ouvert ; l’assourdisse- ment des voyelles atones, qui se préparait, tendait à produire lhomonimie complète. BERBICE se trouva tout prêt pour prendre sa place dans la Gaule du nord et de l’ouest. Mais cette nouvelle désignation ne fut pas jugée partout satis- faisante : au sud-est, dans une vaste région s’étendant du Jura et du bas Rhône au Frioul ‘, on éprouva le besoin 1. Mevyer-Lübke, Rom. etym. Wart., 3269. 38 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE de préciser l’idée de « femelle » en spécialisant dans ce sens FETA (primitivement « femelle qui a des petits »). En même tens émergeait à l’ouest ovicuLa (jeune brebis > brebis). Historiquement l'aire FETA — brebis était constituée à l’époque où d intervocalique (issu de #) évolua vers d (d interdental) en franco-provençal, c’est-à-dire au vin siècle’. À la même époque nous avons le témoignage des gloses de Reichenau, composées dans le nord-est de la France, pour nous confirmer l’existence de BERBICE — bre- bis dans le nord (glose oves : BERBICES). Les gloses de Cassel ont au contraire ovicLas : AUUI. Nous devons en conclure qu’elles appartiennent à la région où OvVICULA passa au sens de « brebis adulte », et qu’elles sont naturel- lement postérieures à ce changement ; il appert également que ces gloses n’ont pas dû être rédigées, comme certains l'ont cru, en pays ladin?. S’étonnera-t-on que BERBICE, après avoir été disloqué par ovicuLa à l’époque préromane, ait pris sa revanche en regagnant, depuis la fin du moyen âge,une grande partie du terrain perdu ? Nullement : car si OVICULA était fonétiquement robuste et sémantiquement excellent (nom de la jeune femelle) aus vi*-vrr* siècles, il avait, dans l’intervalle, perdu ces deus qualités. La chute du v fut, pour ce mot, une cause de faiblesse, en créant un hiatus qui fut diversement réduit, et qui amena en général un w initial gênant pour la langue et cause d’accidents. Rien que dans le Puy-de-Dôme, on trouve les variantes ulyä (Moriat...), #30 (Monton...), #lyä (Pontgibaud, Bu- 1. Cf. Bourciez, Éléments de linguistique romane, p. 180. 2. P. Marchot, Les gloses de Cassel (Fribourg, 1889). En sens contraire, Stürzinger, Zeitschrift für romanische Philologie, XX, 121. La géogra- fie linguistique pourra être plus affirmative le jour où nous posséderons un atlas des patois rhéto-romans et des patois italiens du nord. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 39 lhon), wè/y4 (Sallèdes, Besse.…..), wy/y4 (Issoire, Vodable.…..), vwièlyo (Les Martres-de-Veyre...), vwjlä (Nonette, Vin- zelles… ), vwgily4(Saint-Victor-la-Rivière).Rapprochonsdes formes comme oy (Ile d’Yeu, 479) et des étimologies popu- laires comme vèlo (611, etc.). 4. — L'agnelle dans la Basse Auvergne. Le Puy-de-Dôme se trouve sur la zone de jonction de deus aires très vastes : au sud agnela est différent du mascu- lin, tandis qu’au nord le féminin a disparu et qu'on trouve le même mot pour les deus sens. La fonétique n’est pas étrangère à ce résultat. Au sud, agnel, conservant (ou même vocalisant) son / final, appèle nécessairement le féminin agnela ; au contraire, dès que la consonne finale du masculin (ou son résidu vocalique) dis- paraît — ce qui se produit sur les confins de la Haute-Loire et de la Loire’, — agnela ne tarde pas à être ébranlé ; encore quelques lieues vers le nord et le nord-est, et le fémi- nin a vécu : le rapport entre les deus genres du sufhxe -ELLU devient moins étroit, est perçu moins nettement. Au nord, on n'a pas éprouvé le besoin de donner un succédané au mot disparu. La langue peut se passer d’un terme spécial pour désigner l’agneau femelle, dans des contrées où l'élevage des brebis n’est pas pratiqué sur une grande échelle. Aus points relevés dans l” Atlas, je joins dnyé (Bulhon), 4yy4o (Sauviat), dyyi (Grandrif), 4pyé (Saillant). 1. On a gyyé aus points 705, 805-12-15-17. Mais dans le sud du Puy-de-Dôme, il y a encore des finales en -è7 (Chalus, Moriat..) comme dans une partie de la Haute-Loire. Il est bien évident que dans cette région l’7 finale s'est conservée pendant plus longtens que dans les patois situés au nord. AO REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE Sur les confins des deus zones, — comme le fait se pro- duit toujours — il y a eu flottement, et de nouvelles dési- gnations se sont fait jour. On trouve d’abord agnela conservé sporadiquement: Pont- gibaud, Monton (Atlas 703, 805), Saint-Étienne-sur-Usson, Ambert (M. Michalias ; M. Edmond a relevé ayyé):. Parfois, au lieu de porter le nom du jeune mâle comme plus au nord, l’agnelle a la même appellation que la brebis adulte (avec l'adjectif « jeune », « petite »). Remarquons ici que nous sommes sur les confins de Paire ovelha > oelha — brebis, et de l’aire feda — brebis. Dans les deus domaines, sur les lisières de la zone agnela qui coupe la limite précédente, on trouve le même fait : l’agnelle est l’alyo à Beauregard, la dyiven wilyà à Issoire ; de l’autre côté, Doranges et Saint-Alyre la nomment fédo comme l’adulte. Oelha n’a pas pénétré, sous une acception quelconque, dans l’aire feda — brebis. Mais feda, en revanche, s’est infiltrée dans l'aire voisine, où elle a pris le sens « agnelle » dans une zone assez vaste et presque complètement homo- gène ; Vinzelles et environs, Vodable, Coudes, Vic-le- Comte, La Sauvetat, Aydat, Murols. Il peut paraître sur- prenant que le nom de l’adulte soit devenu celui de la jeune femelle, contrairement à ce qui a lieu par ailleurs. En fait, les choses n’ont pu se passer ainsi. On ne saurait avoir affaire, dans cette zone, à un mot préexistant ayant changé de sens, mais à un terme venu de la région voisine — nous avons vu que feda gagne sur ovelha — et qui, n'ayant pu déloger le terme indigène (ovelha), a pris, à côté, la place vacante que laissait agnela tombée en désuétude. La filia- tion sémantique est la suivante : brebis (qui fait des petits) >> brebis encore jeune > jeune brebis. 1. Les points que j'ai relevés plus au sud dans l’aire homogène agnela sont Le Mont-Dore, Besse, Madriat, Moriat (Puy-de-Dôme), Léotoing, Auzon, Vieille-Brioude (Haute-Loire). ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 41 Remarquons que tous ces patois ont cherché à préciser l’idée de « femelle », qui paraît indifférente à ceus du nord. Une autre notion doit apparaître naturellement : celle de la jeunesse de l’animal. C’est le cas pour les patois suivants qui nous ont conservé ainsi *ANNOTICA, agnelle d’un an, en appliquant le mot, comme agnela et ses autres succéda- nés, aus agnelles de dis-uit mois, voire de deus ans. Les formes que j'ai recueillies, comme celle de l’Atlas (804, auyudzô), postulent toutes un tipe *anutja au lieu du clas- sique anotja : yydzè (Latour), yyudzù (Les Martres-de- Vevyre), pyèdzo (Malintrat), wyéz0 (Sallèdes). Enfin à Gerzat babéno est originairement un terme enfan- tin ‘, qui affleure au point 816 au sens « brebis » (sous | forme bebina). s. — La poule. Comment a disparu GALLINA dans le Centre. Un simple coup d'œil jeté sur la carte 1071 de l’Afla linguistique nous montre que GALLINA a disparu, à l'heure actuelle, de la plus grande partie de la Gaule romane, refoulé sur une bande de territoire plus ou moins large au sud et à l’est, avec un assez important îlot dans la région picarde et une survivance isolée à Jersey. Comment et pourquoi ce mot est-il sorti de l’usage ? Quelques faits vont nous permettre de mettre en lumière les dernières étapes qu’il a parcourues dans le centre de la France, en particulier dans le Massif Central. Le terme nous est encore signalé dans la région de Brioude à la fin du xv° siècle dans le Menu de Notre- Dame des Chases ? ; dans le Forez, où il a dû disparaître 1. Cf. les termes cités plus haut bér6 béré, etc. (article « truie »), 2. L’Ancienne Auvergne et le Velay, t. II, p. 49. perd 42 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE plus tôt que dans les patois très conservateurs de la Haute- Loire, il vit toujours au xvir siècle ‘. Aujourd’hui l’Aflas nous montre qu’il faut aller jusque dans le Jura, à l’est, et dans le Gard, au sud, pour le retrouver. GALLINA a été supplantée par PULLA, qui, du sens primitif de « jeune femelle », s’est spécialisée dans l’acception de « jeune poule », pour désigner ensuite la poule, suivant l’évolution déjà analisée. Si la « jeune poule » l’a emporté, on peut en inférer que GALLINA, avant d’être éliminé, avait d’abord été relégué au rang de « vieille poule » : hipotèse que confirme à souhait le point 748 de l'Atlas (Aveyron : pulo — poule ; çolino — vieille poule) ?. Plus au nord, l’acception s’est précisé encore et le mot s'est en même temps despécifié. À Vinzelles, il était connu naguère des vieillards au sens de « vieille poule » ; maisil ne désigne plus aujourd’hui que la « truie stérile », comme dans les patois voisins. La filiation sémantique ést évidente : vieille poule, donc poule qui ne {on} plus > femelle stérile >> truie stérile. La dernière évolution ne s'explique pas à première vue : pourquoi cette spécialisation à la truie et non à une autre femelle ? Le fait, qui mieus est, n’est pas isolé : Rolland a relevé5 dans le Morvan galine (sous une forme quitrahit une importation méridionale), au sens voisin de « truie qui a porté plusieurs fois ». L’explication me paraît donnée par le patois d’Ambert, où djälÿino désigne 1. E. Véy, Le dialecte de Saint-Étienne au XVIIe siècle, p. 414. L'étude de la disparition du mot n’a pas été faite en français ; le Dictionnaire Général donne encore peline — poule, comme vieilli ; les auteurs du xvire siècle n'emploient que poule dans la région parisienne. 2. Sur plusieurs points du midi (841, 853, 863, 871), il est remar- quable qu’on ait répondu çaljno pour « poule » isolé, et pylo pour « les poules pondent ». Le terme ancien commence à disparaître au pluriel comme collectif. Même fénomène pour ovuM devant kakau dans la région de Vinzelles. 3. Faune populaire, V, 217. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 43 la femelle inféconde (stérilité d'âge ou congénitale) chez les petits animaus domestiques ; car il existe, dans les patois dela région, d’autres mots pour les grands animaus, vache, jument, etc. (hordelèze, Ambert.. ou burdeli£4, Vinz…. et väeëvà V., veu Ambert). Or parmi les animaus domes- tiques de petite taille, présentant ce caractère commun d’être attachés à la basse-cour (et non conduits en troupeaus, comme les moutons), seuls l'espèce « porc » et l’espèce « poule » sont assez répandues dans la région pour avoir un terme spécial pour la stérilité * : toutes les maisons ont des poules et des porcs ; fort peu possèdent des oies, canards, etc. On comprent donc qu’il y ait eu association d'idées. Bien entendu le mot a laissé çà et là des dérivés et com- posés. Je signale jalÿinèi (poulailler) à Maringues (mot disparu dans toute la contrée). Les textes foréziens du xvrr* siècle ont la forme parallèle jaleney ?; M. Veÿ signale dans les patois actuels du Forez jœneri GALLINARIA = chatière, et réjægÿi — grommeler ; (de parenté plus dou- teuse) ; rappelons aussi en Velay (Dunières) rejônyé, le diner qui suit le « dîner des poules » 4. 1. Reste, il est vrai, le lapin : mais la stérilité chez la lapine est un fait dont il n’y a guère d’exemples. 2 E°Vey, op. cit. p. 414. 3. Op. cit., p. 476. 4. Romania, IX, 569, n. 2. DEUSIÈME PARTIE ANIMAUS SAUVAGES I. REPTILES, BATRACIENS 1. — Le lézard gris dans la Basse-Auvergne. Les fénomènes sont très complexes. Pour être éclaircis et analisés, ils doivent être replacés dans la dépendance des faits originaires qui ont conditionné tous les autres dans le latin vulgaire de la Gaule cisalpine et transal- pine. Je conte établir ailleurs prochainement que LANGURA désigna le lézard dans la Gaule et l'Italie septentrionale. En Gaule, il semble n'avoir pénétré que sous la forme du diminutif LANGUROLA, avec l’acception « lézard gris », en face de LACERTUS — lézard vert. Le mot subit de bonne heure l'influence de LINGUA, et, dans le Massif Central notamment, c’est d’un substratum *LINGUROLA > lingrola qu'il faut partir. | Dans la région lyonnaise, le latin vulgaire créa, vers le 1° siècle, un nouveau tipe, LACRIMUSA (cité au 1v° siècle par Polemius Silvius, de Lyon), ayant la valeur de « mu- seau pointu » (*ACRI-MÜS-A, qui s’est ensuite agglutiné. l’article sous l'influence visible de LACRYMA). Cette aire a coupé l’aire originaire LANGURA, -OLA. Elle ne nous intéresse pas en Auvergne, car elle n’a pas dépassé la vallée de la Loire (Roanne-Montbrison),affleurant à peine aus premiers contreforts du Forez. Cependant le français régional de la basse Auvergne appelle le lézard gris larmuse, mot venu ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 4$ de Lyon à Clermont-Ferrand, à l’époque où la grande ville rodanienne était le principal foyer de l'influence française sur notre région. lingrola, qui se présente sporadiquement sous une forme fonétique dans le Massif Central’, ne se trouve sur notre carte qu'à Auzon, gros bourg au patois assez arcaïque, et situé à l'écart des grandes voies de communica- tion. A l’ouest de cette localité, la basse vallée de l’Alagnon nous offre des formes avec métatèse, du tipe ringlola, mais dans lequel la permutation /-r s’est certainement effectuée après le changement fonétique du segond (inter- vocalique) en v ou en 7 suivant la région : rédyov4 à Léotoing; réndyera au point 811 de l’Atlas. A 709, l'Atlas donne réndyora pour « lézard vert », avec un point d'interrogation pour le lézard gris. Comme le lézard vert est représenté dans tout le Massif central par LACERTUS, je crois qu'il doit s'agir ici d'une impropriété individuelle, et qu'il faut rendre rèdyora au lézard gris. Enfin plus au nord, Saint-Maurice — village isolé au flanc du puy Saint- Romain — nous présente une forme dissimilée ryèg0lo < “ringlolo, qui suffirait à nous confirmer la continuité de l’ancienne aire lingrola, si nous avions pu garder quelque doute à ce sujet. | Entre Saint-Maurice et Auzon, et dès le nord de cette dernière localité, s'est développé un fénomène analogique : lingrola est devenue mingrola. Ce mot nous atteste l’exis- tence ancienne, dans cette région, de mingre, qui est aujourd’hui disparu. Cette aire, qui est continue, s’étent de Saint-Jean-Saint-Gervais à Sugères, en englobant Vin- selles, Saint-Étienne-sur-Usson (avec influence de 1. Le plus souvent avec l’apocope (ængrolo, engrolo). Cf. l'Atlas linguistique et le Tresor de Mistral. 46 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE graulo : myègräuld), Saint-Jean-en-Val et les communes intermédiaires. — Plus au nord, sur un point (Sallèdes), mingrola devient pingrola : ici c’est pingre qui a agi, — mot emprunté au français : donc fénomène récent. La région des Monts Dore nous offre des formes extré- mement intéressantes et fort difhciles à expliquer, bien qu'elles soient en relations avec d’autres formes plus méri- dionales. Certaines contrées présentent un changement de suf- fixe très explicable : on conçoit que /engrolo, langrole puisse devenir langroto,-e, indépendamment dans l'Aveyron et les Charentes, par permutation avec un suffixe très prolifique. L’obscurité commence lorsque lengrolà devient *lengrosa, voire *lengrausa (tipes de Lozère, Corrèze, etc.), et même /angroise (Charente, et points SII-13, 515). Lengrola aurait-il rencontré un tipe prélatin préexistant avec lequel il se serait croisé? C’est la seule hipotèse, pour le moment, qui semble plausible; mais c’est une simple conjecture. Notons seulement que ces formes avec s (— 3) se rencontrent dans des régions à patois générale- ment arcaiques. Le Massif Central connaît surtout le tipe avec adjonction du sufñixe -0/0 et apocope de Z initial : engrosola (spora- diquement de la Corrèze à la Lozère). Ce mot,par une ana- logie transparente, devient bientôt engrisola, qui, à la suite d’une nouvelle amputation facile à prévoir, abou- tit à la grisola de notre carte, répandue dans la vallée de l'Allier, du point 812 à Coudes et à Montaigut-le-Blanc. Coudes (grêx0l4) offre un &, qu’on rencontre plus au nord sur l'Atlas, et qui est sans doute une transposition de l’an- cien en (in) de lencrola. La région du Mont-Dore fournit deus tipes qui remontent l’un et l’autre à lengroso doublement apocopé NME SCAN T à VE ’ € ‘ ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 47 (de Z et de en), mais pourvu en revanche d’un double suf- fixe al-ina, al-elha (1 intervocalique devient v fonétique- ment dans une partie de la région). La première série donne d'un côté grdzdvino (Latour), de l’autre gräzävelyà (Murols), et grixävélyä (Chambon)influencé par « gris ». La segonde série a été contaminée par crotz > kru, kur, car la bête au repos, les pattes antérieures étalées, donne bien l’image d'une crois : d’où kruzdlyivo (Murat-le-Quaire, Tauves), kurzälyivo (Mont-Dore), kruzävelyä (Besse, Picherande). A enregistrer ici une troisième variante de sufbxe, al-iva. Déformé, altéré par les métatèses, les apocopes, les ana- logies, les additions de sufhxes, il était à prévoir que le tipe lengrola disparaîtrait complètement dans un grand nombre de patois. À qui va-t-on faire appel pour le rem- placer ? Tout d’abord à son plus proche voisin, le lézard vert, dont la forme est solide et renforcée encore par l’ap- pui du français '. On voit donc « lézard », qui désigne dans toute la région le lézard vert ?, émerger un peu par- tout pour représenter le lézard gris. Certains patois ont cherché à distinguer les deus espèces par une différence de terminaison. On a recouru parfois au diminutif pour le lézard gris, plus petit que son congé- 1. Il y a une seule région(indiquée sur la carte) où l’on peut assurer que « lézard » est fonétique : c’est celle qui repose sur un type “laiert (supposant l’évolution LACERTUS >> *LAGERTUS). Il est certain qu’au- trefois cette aire Zaiert devait être beaucoup plus vaste. Ce qui rent sus- pect le mot, hors de cette aire, dans la région, c’est qu'on ne trouve aucune trace (sauf au N.-O., 702, 8o1) de l’a protonique : les Leza(r) leza(r), Izà (au nord) attestent clairement l’emprunt au français, qui doit être ancien, car il s’est greffé des étimologies populaires du tipe luzar (d’après luzir), ou lizar (d’après Lise). Les nasalisations (lenzar lanzar) sont plus difficiles à expliquer. 2. Dans l’extrême sud toutefois (815, et 719, 813 qui ne figurent pas sur notre carte), l’animal devient par ellipse « le vert ». 48 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAÏSE nère : au point808, le lézard vert est le /ézar, le lézard gris la lezardina. C’est très probablement sur une lezartina (ici, on va le voir, le féminin de « lézard » garde souvent le #) que l’étimologie populaire a travaillé pour faire l’isértÿino (eissartina) de Mirefleurs. Entre les deus animaus, le paysan, qui a des concep- tions naturalistes très sommaires, a cru voir par endroits un rapport de mâle à femelle ‘ : le lézard gris est à Sayat la lézarté (lëzar — lézard vert), la lézèrdoà Chanat, la lézardo à Monton. En revanche, du côté d’Ambert, l'ildyar est le lézard gris, l’i/4yärdo le lézard vert (Ambert, Tom- vic). | Ces mots, d’ailleurs, n’ont pas une fixité absolue dans un patois donné ; ils sont assez flottants ; leur emploi peut varier suivant les personnes. Ainsi à Monton (805) M. Edmont est tombé sur un sujet plus arcaïsant que le mien, et il a obtenu /yuzà (lézard vert), bélété (lézard gris); mon sujet (voiturier de 40 ans, indigène, en 1899) m'a donné pour « lézard gris» lézardo, visiblement postérieur à beleto, à côté de lézar — lézard vert, formes influencées l’une et l’autre par lefrançais. En revanche, au Mont-Dore (705), l'Atlas n’a obtenu, pour les deus espèces, que lyuzà, le sujet ignorant ou n’employant pas l’ancienne dénomi- nation du lézard gris (kurzälyivo). Même fait à Ambert, où M. Michalias m'a afhrmé l'existence des deus termes pré- cités, tandis que le sujet de l’Aflas, un cordonnier urbain, peu versé dans la connaissance des bêtes champêtres, ne savait qu'un mot. Au point 806, la double forme loyé, loyèrlo a été donnée pour les deus espèces indifférem- ment : il se pourrait que, dans le langage de certaines per- 1. Un tel fait se produit souvent dans l'esprit des paysans. À Vinzelles, par exemple, on dit que les grosses sauterelles vertes (très ventrues) sont les femelles, et les criquets les mâles, etc. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 49 sonnes du village ou de larégion, chacune des deus formes eût une affectation spéciale. On a fait appel aussi, sporadiquement, à divers substi- tuts lexicologiques. Au point 805, je relève un diminutit de serpent (tipe régional : serp) que la contiguité homo- nimique de « serpolet » a eu tôt fait d’amener à sarpuletä. Nouvel exemple, à ajouter aus précédents, pour prouver que de nombreuses formations, paraissant à première vue des métafores spontanées, ont été conditionnées par des analogies fonétiques, des quasi-homonimies. Plus curieuse est la « filleule », que nous trouvons, indé- pendamment, dans la zone d'Issoire (Issoire, Vodable, Saint-Germain-Lembron), à Lavigerie (au S.-O. de 709 }et dans l'Aveyron (point 718). Une nécessité commune aurait-elle fait surgir cette appellation qui cependant, à première vue, ne semblait pas s'imposer ? Il semble plu- tôt qu'il s’agit d’une création plaisante, vulgarisée dans une vaste contrée, mais qui est arrivée seulement en certains points à supplanter la dénomination traditionnelle. Reste à en retrouver la genèse. A Lavigerie, M. Gandilhon Gens d’Armes m'a signalé que la terme originaire et complet, employé par quelques vieilles gens, était f/ydl4 de bôba (filleule de serpent). Ceci nous fixe sur le point d'attache de la parenté spirituelle. En effet la fonétique, aidée par létimologie populaire, a créé toute une famille serpent. Dans « vipère », emprunté au français, on a vu le mot « père » : aussi dans toute la région le mot est-il masculin, et les patois qui ont conservé la diftongue ai recréent-ils vipaire d’après paire (bipaïre à Lavi- gerie). Le serpent, serp, est devenu en maints endroits sœr (Vinzelles-Issoire), qui évoquait aussitôt le mot français « sœur » et son emprunt patois sær — religieuse ; c’est certainement cette homonimie qui a tué le mot plus au 4 $0 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE sud (Lembron, Cantal, Brivadois) et l’a fait remplacer par le terme (originairement enfantin) bob : mais le souvenir en est resté longtens. Voilà donc expliqués le père et la sœur ; mais pourquoi la filleule plutôt que la mère ou la fille ? Je ne vois qu’une hipotèse : c’est la position de la bête en crois, notée ail- leurs par le paysan, qui aura fait songer à l’idée du bap- tème. Remarquons aussi, au point de vue formel, que, tout au moins dans la région d’Issoire, flhola s’est déve- loppésur l'aire grisola, qui appelait de préférence un mot à suffixe identique. Les deus derniers substituts nous retiendront moins longtens. La bärbutyino de Ponteix (Aydat) est isolée. C’est une formation assez gauche d’après « barboter », et un véritable passe-partout (nous verrons bientôt barbot dési- gner le têtard), tout comme la beleta de la région des Martres-de-Veyre. Cette aire beleta — lézard gris est homogène; elle s’étent sur des communes de plaine (sauf Monton) qui sont contiguës (La Sauvetat, Authezat, Vic- le-Comte, Les Martres, Monton, le Cendre, la Roche- Noire); l’aire est un peu étranglée (mais non coupée) par des communes de montagne ou de demi-altitude, Corent à l’ouest, Saint-Maurice et Mirefleurs à l’est. A signaler que beleta désigne la fourmi dans un assez vaste territoire au sud- est d’Ambert, et la belette blanche à Serpoil (commune de Saint-Jean-en-Val) par opposition à la matyälä (belette brune). Voici les formes que j'ai recueillies en Auvergne pour le lézard gris: lyèçrovä (Auzon); rêdyüvä (Léotoing), ryêçolo (Saint- Maurice) ; myégroua (Saint-Jean-Saint-Gervais), myêçrola (Vinzelles et environs, Saint-Jean-en-Val, Sugères), myê- gräülä (Usson, Saint-Etienne-sur-Usson ; myêçrulà (—=-ola) au hameau de Berme) ; pyégrôlô (Sallèdes). ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE si grixéva (Vieille-Brioude, Chalus, Champeix, Montaigut- le-Blanc), çdrzévd (Moriat), grèxlà (Coudes) ; gräxdvind (Latour), gräxduely4 (Murols), grixävelyà (Chambon) ; kruzälÿivo (Murat-le-Quaire, Tauves), kurzälÿivd (Mont- Dore), kruzävely4 (Besse, Picherande). isärtÿino (Mirefleurs) ; lèzàrto ce lézèrdd (Chanat- la-Monteyre), léàrdè (Monton) ; lyuxàar (Singles), lézar (Rochefort), lézà (Malintrat), lyizér (Moissat), yijé (Péri- guat), yuzà (Orcet), yijé (Busséol), /yuzä (Corent), lezar (Saint-Floret), /yuzar (Madriat), 1lyizàr (Nonette), ilyizér (Saillant), i/ÿixar (Grandrif); éläyèr (Beurières), s/4yar (Ambert, Tomvic), s/4yér (Doranges), iÿäyar (Le Fayet- Ronnayes), iydlàr (Saint-Genès-la-Tourette, Cunlhat), läyér (Sauviat), layar (Bulhon). filyolä (Lavigerie), filvéva (Saint-Germain-Lembron), fiyolä (Issoire), flyæçà (Vodable :). bärbutyino (Ponteix). béléto (La Sauvetat, Vic-le-Comte, Les Martres-de-Veyre, Le Cendre, la Roche-Noire). 2. — Le tétard (de grenouille) dans la Basse-Auverone. La carte lexicologique est d'une extrême richesse. Aussi convient-il d'étudier le mot dans une région restreinte, en s'inspirant, bien entendu, des données d'ensemble fournies pour la France méridionale par l'Atlas linguistique (supplé- ment). . Rien que pour le Puy-de-Dôme et ses confins, l'Atlas nous offre presque autant de tipes que de points notés. Il était à prévoir qu'en serrant les mailles du filet la récolte serait plus abondante. Cette variété tient à deus causes 1. G — 1 intervocalique (région Vodable-Antoingt). PUR = EP NC EEE | ARE S2 REVUE DE FILOLOGIÏIE FRANÇAISE principales. D'abord le têtard est un animal qui, par sa forme très particulière, appèle la métafore ; pour le dési- oner, la langue va nécessairement à la rechérche du mot plus évocateur, quand le terme courant tent à s’user, à perdre sa valeur représentative. D’autre part il s’agit d’un mot qui revient assez rarement dans la conversation et qui, par suite, n'a pas de racines très profondes dans la langue : le tipe traditionnel offre donc moins de résistance en face des tentatives d’innovation. Il y a parfois deus dési- gnations concurrentes dans la même localité (Bulhon, Montaigut-le-Blanc, Ambert). Il arrive que le mot est très difficile à se procurer et qu'il fait même défaut dans certains patois. Ni M. Edmont ni moi n'avons pu l'obtenir ni à Monton, ni à Saint-Ger- main-Lembron; même résultat négatif, pour ma part, à Sayat, Saint-Maurice, Besse, Chalus, Moriat, Nonette :. N’afhrmons point qu'il n'existe pas dans ces localités : nous avons pu tomber sur des sujets qui l'ignoraient ; par- fois le mot n’est connu que des enfants. Toutefois il est bon de remarqner qu'aus alentours de la plupart de ces localités l’animal doit être assez rare, car on ne rencontre guère de mares à têtards ou de trous d’eau, par exemple, sur les puys de Monton, de Nonette, de Saint-Maurice ou de Chalus. Un simple coup d'œil jeté sur la carte suffit à nous aver- tir que la couche la plus ancienne nous est révélée par #s@b : cette précieuse forme, unique épave d’une aire jadis très vaste, je l’ai recueillie uniquement dans le petit hameau de Brenat, de la commune de Saint-Jean-Saint-Gervais, en 1899. Il est bien évident que tous les mots de la famille lesta, et a fortiori les autres formations métaforiques, sont des substituts d’âge plus récent. 1. Etdans le hameau de Berme (canton de Saint-Etienne-sur-Usson). ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE S3 Ce mot, avec le même sens, reste encore bien représenté dans le Midi. Nous relevons un seul #abot, au Sud-Est (point 778, Hérault), mais beaucoup de kabos, plus à l’ouest, sur une partie de l'Aude, de l'Ariège, de la Haute-Garonne, du Gers et des Hautes-Pyrénées, — patois généralement con- servateurs. , Nous avons là — est-il besoin de le dire ? — le même mot que le français (d’origine dialectale) chabot. Avec le Dictionnaire Général', je crois qu'il faut, sans hésitation, reconstituer un latin vulgaire *CAPOCEUS, — un des deus tipes proposés par Kœærting —, et qui est à ajouter au Rom. etym. Wrterbuch de M. Meyer-Lübke. Ce mot n'a pas laissé de représentant dans la France du Nord?, mais 1l est réclamé par les formes italiennes capoccio? (avec un féminin auquel s'apparente, notre caboche), tout comme par les cabot, cabos, chabot… du sol français. Le sens originaire, que seule l'Italie a conservé, était « grosse tête » (ou adjectivement : « qui a une grosse tête »). En Gaule, le terme s’est spécialisé pour désigner un pois- son à grosse tête. Comme l'indique le Dictionnaire Géneral, il s'est appliqué à trois espèces de poissons : d’abord, semble-t-il, au chabot de mer, puis au chabot de rivière, enfin à une variété d’able. Par analogie, ilest arrivé de bonne heure à désigner le têtard de yrenouille dans une vaste 1. Traité de la formation de la langue, p. 52. 2. La France du Nord paraît avoir possédé la variante capicrus (d’où Vancien français chavessof), qui a vécu aussi dans le Midi (prov. mod. cabés). Cf. À. Thomas, Mélanges d’étymologie française, p. 51. — Le Dictionnaire Général, pour le tipe féminin, donne, d’après Estienne, caboche comme picard, et cite des formes plus anciennes caboce. La pré- sence du à prouve à l'évidence que les deus variantes sont originaires du Midi (Italie septentrionale et Provence). 3. Cf. Mevyer-Lübke, 1668, et Romanische Forschungen, XIV, 359. S4 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE zone s'étendant de l'Hérault et des Pyrénées jusqu’au nord du Massif Central”. Nous n'avons pas à nous occuper ici de l'italien. Le nom du poisson exigerait une étude spéciale. D’après le Dictionnaire Général, le mot serait originaire du sud-ouest de la langue d’oïl. Ce n’est pas prouvé. À priori, je ne sache pas que la région saintongeaise ait envoyé ancienne- ment à Paris beaucoup de noms de poissons, ni qu’elle fût, au moyen-âge, un grand fournisseur de marée pour la capi- tale. Je crois même qu'on serait fort embarrassé de trouver un point de la côte où chabot serait fonétique. Il est remar- quable que le plus ancien exemple connu, cité par le Dictionnaire Général, soït cabot (Gautier de Coïincy), et que Bernardin de Saint-Pierre, natif d’un port de mer (Le Havre) emploie la même forme’. Du Cange (v cabos) cite, de son côté, en ancien français, deus exemples du mot qui l’un et l’autre ont le c (Miracles ; Lettre de rémission de 1404). Chabot me semble donc une forme relativement récente et partiellement francisée de cabot, qui a dû venir directement de Provence par les vallées de Rhône et Saône. Où je suis complètement d'accord avec le Dictionnaire Général et M. A. Thomas, c’est lorsqu'il s’agit de recon- naître que la forme primitive était caboz <<Ÿ CAPOCEU (mot 1. Si nous avions la carte « têtard » pour toute la France, nous verrions sans doute que cette aire s’étendait plus au nord. -Rejoïgnait- elle le cabot wallon (cf. la note suivante) ? Nous n’en savons rien, faute de matériaus intermédiaires. — Resterait à localiser la région où s’est développé le sens « chien » [à grosse tête], d’où est venu le fran- çais cabot (et argot, Vidocq). Je crois que ce sens a dû se former en Provence ; cependant Mistral ne le donne pas. 2. La Normandie a encore kab6 (Rolland, Faune pop., II, 174-5) ainsi que le wallon au sens « têtard » (Rolland, op. cit, III, 66-7). 3. Mélanges d’étymologie française, p. $1 et n. 2. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 55 invariable). Je crois d’ailleurs que, d'assez bonne heure et dans maintes régions, on a reformé un singulier cabot d’après le pluriel caboz, par analogie avec les nombreus mots en -0f, pl.-03. La forme précitée de l'Hérault est kabot, et le tsäb6 auvergnat repose sur chabot (-6x, -ôs >> -&u, -ou suivant les endroits, mais jamais 6 dans la région issoiriene). Le passage du sens « poisson » au sens « têtard » a dû s’opérer d’abord par la voie d’un diminutif. Le mot le plus fréquent, de la Guyenne à la Méditerranée, est encore le tipe cabossol, cabassol, ce dernier reposant sur une variante latine *“capacrus :. Le têtard était donc à l’origine le petit chabot. Il devint le chabot tout court, partout où cette espèce de poisson était rare ?. Et nous verrons apparaître les mêmes substituts pour le têtard que pour le poisson (têteau, grosse tête, tête d’âne, etc. Cf. Rolland, Faune po- pulaire, II, 174-5). chabossol a-t-il été inconnu à la Basse Auvergne ? Non, si le raisonnement précédent est exact. Et de fait je suis porté à voir dans la busôlo de Bulhon laltération d’un an- cien chabossol(a), sous l’influence récente du mot français : car il serait peu vraisemblable qu’une population qui n’a jamais vu de boussole ait pensé spontanément à donner au têtard le nom d'un objet qui n’évoque guère cet animal. Nous trouverons plus loin un autre résidu. Pourquoi, à son tour, chabot a-t-il disparu dans notre région, sauf en un point, au sens « têtard » ? On a cherché un mot plus imagé, à l’époque où chap (avec ses dérivés) s'usait et tombait pèu à peu en désuétude devant festa. 1. Îd., ibid. A Ardes fsabaso, f., — peuplier étêté. 2. Rolland, pour le poisson, n’a relevé le mot qu’en Normandie (cabô), dans le Gard (cabof) et en Franche-Comté (chavot); il a aussi quelques chaboisseau. 56 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE Parmi les dérivés de esta qu’on rencontre, le plus ancien est évidemment festot, avec le même suffixe que chabot, et dans lequel s’est opéré une simple substitution de radical (Bagnols, Sugères, Mirefleurs, — patois généralement ar- caïsants). Le suffixe -aut l’a parfois remplacé (Issoire, Ro- chefort). Quant aus nombreus festart, tétard, qu’on trouve dans la plaine et les grandes vallées, bien que la fonétique les ait généralement rhabillés en trompe-l’œil :, il s’agit partout du vocable français, importé, par la voie de l’école, depuis moins d’un siècle. Le mot festa peut être employé seul (Les Martres, Vic- le-Comte, etc.), ou précisé par l’adjonction d’une épitète. De même que la Gascogne, où cap est encore vivant, a créé des kap gros >> kagros, nous avons ici des testa grossa? (région du Mont-Dore), et une grossa testa, de formation plus récente (les patois disant aujourd’hui «une grosse tête », et non plus « une tête grosse ».) Il y a quelques «têtes noires » (Moriat, la Sauvetat), une esta d’ôla (Bulhon); enfin des « tête d'âne » (Coudes, Usson ; 812) qui viennent sans doute du français, car on en trouve un peu partout sur la carte de l’Aflas (qui malheureusement n’embrasse que la moitié sud de la France), et ce n'est pas une de ces métafores qui s’imposaient. À y joindre l’azé bubu du point 815 : le segond terme est un mot enfantin. Voici maintenant toute une série de métafores indigènes, qui se sont développées chacune sur un territoire homo- gène, plus ou moins vaste : 1) Métafores empruntées à la forme de l'animal. — « Tête 1. Il n’y a guère qu’au point 708 où la fonétique trahisse un em- prunt au français (/étar, daris la région où s se conserve devant k, é, p). 2. À remarquer que souvent les formes de fesia grossa ne sont pas fonétiques et accusent parfois l’absence de l’s là où la consonne devrait être conservée (Singles, Montaigut-le-Blanc) : encore l'influence du français, ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE s7 de pot », déjà cité (Bulhon).— « Queue de poêle » (point 8or, où le mot vient du nord [k@ d pwèlo], et tout le Bour- bonnais du nord-ouest). -— padèla danstrois villages contigus (Busséol, La Roche-Noire, Saint-Georges). — massola (= battoire) dans la région de Vinzelles. — eak (= shako, évidemment récent) à Château-du-Cher. 2) Métafores empruntés aus habitudes de l'animal. — « Soufflet » à Orcet. — Dans trois aires voisines, l’idée de la bête qui barbote est exprimée par trois mots diffé- rents : tipe gorgolhô(n), gargalhé (radical « gargouiller ») dans la région d’Ambert et à l’est (suffixe -o/ au point 816) ; tipe mergolh (avec finale analogique en -aut), du Fayet- Ronnayes à Saint-Jean-en-Val ; tipe barbot à Saint-Floret, où il sert d’appât pour la pêche aus truites. J’y rattacherais volontiers le bärbärétä de Vodable, où je vois un croisement entre la racine « barboter » pour le sens, et le mot barba- rota, pour la forme, lequel désigne habituellement, dans la contrée, des insectes assez variables suivant la localité (dermestes, mites, etc.). — Enfin le tipe « couard » qu’on rencontre dans le Cantal (709, 811), et que Rolland signale | dans la Meuse : ; le Cantal connaît une variante, sans doute moderne, coat, coado (719, 715). Dernière série : le têtard est nommé d’après la grenouille. Le fait est rare, et il ne peut être que récent, car le paysan auvergnat, non seulement ignore généralement, mais encore se refuse souvent à croire que le têtard en se développant devienne grenouille. Ou alors il peut s’agir — et ce serait à vérifier — de têtards déjà pourvus de pattes. Le diminutif çrénulyu a été relevé par M. Edmont aus points 808 et 809 (Ambert) ; ici, M. Michalias ne m'a donné que çurçulyu. 1. Op. cit., Ill, -67. RTS s8 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE Au nord-est de Clermont, le têtard est appelé rand (703 : Pontgibaud), rénù (Chanat). On reconnaît rana, devenu généralement rena en Basse-Auvergne sous l'influence du verbe renar — grogner. Depuis longtens, dans la majeure partie de la région, le mot a cessé de signifier « grenouille ». Il désigne en général (Les Martres, Vinzelles, Issoire, etc.) un animal aquatique assez imprécis, que je n'ai jamais pu me faire montrer, mais qui doit être la salamandre aquatique ou le triton ; M. Michalias note deus sens : « rainette » et « salamandre aquatique ». De cette dernière acception à « têtard », l'écart n’était pas fort grand. Étant donnée la complexité des matériaus, il n’est pas facile de reconstituer les couches successives dans leur his- toire et leur étendue. Nous croyons cependant pouvoir éta- blir quelques faits généraus, si l’on remarque : 1° que les métafores très localisées sont nécessairement récentes : 2° que les variantes de festa, avec suffixe ou adjectif, accusent, par leur situation géografique, une ancienne aire homogène qui s'est désagrégée. Nous laisserons à part le Bourbonnais, qui ne peut s'expliquer historiquement en l’absence d’une carte des régions plus septentrionales ; de même que nous avons dû négliger quelques formes isolées de l’At/as, impos- sibles à analiser sans la connaissance du patois des com- munesenvironnantes ({ælæ, 905$ ; ta, 702, est peut-être l’apo- cope de feta; pwäslet, 802, parait un diminutif de paissel, bien que le sens n’y prête guère). Je pense que notre région a d’abord connu uniformément chabot — poisson etchabassola, (-ossola) — têtard, comme la majeure partie du Midi. Puis chabot a passé au sens « têtard », sauf dans quelques îlots où le diminutif, sans sou- tien, devait donner prise plus tard aus étimologies populaires ou aus remplaçants. Comme résidus, j'ai déjà cité la busôlo de Bulhon; j'estime aussi que chabassola doit être sous- ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 59 jacent sous massola, qui aura remplacé un terme presque homofone, usé et obscur, et sans doute déjà déformé. Les padela voisines du puy Saint-Romain pourraient bien s'être substituées aussi à ce mot féminin : mais ceci n’est qu'une simple hipotèse. L’aire chabot — têtard s’est ensuite scindée par la forma- tion d’une aire festot, qui s'est développée — nous avons dit pourquoi — sur le mot antérieur. L’homogénéité primitive de l’aire testot est certaine, comme le témoignent les survivances actuelles de même suffixe éparses dans des patois éloignés à tendances conservatrices (Bagnols, Mire- fleurs, Sugères). C'est sur la souche festot qu’ont bourgeonné tous les représentants de la famille esta ; lestot, de création limanienne, s’est donc étendu sur toute la vallée de l’Allier, de Moriat à Vichy, et, en largeur, de la zone de Thiers à celle du Mont-Dore. La première variante fut testaut (conservé dans deus petites villes : Issoire, Roche- fort ; la ville est souvent plus arcaïsante que la campagne)" : il semble que Sauviat accuse un suffixe -é/, car festao a la même finale que forao, dyyao. D’autres petites aires régionales se forment : festa grossa dans les Monts- Dore ; testa neira (t. negra), qui devait réunir Moriat à la Sauvetat par le Lembron et l’ouest d’Issoire ; testa seul, dans la région des Martres, Vic-le-Comte, Billom. Enfin le tétard français a broché sur le tout. testot avait coupé l'aire chabot. Car c’est sûrement chabot, inexpressif et isolé dans la langue, qui a appelé shako (à une époque récente) par étimologie populaire à Château- du-Cher (nous sommes dans la région où € + À > €). Au sud, chabot a dû se maintenir longtens sur le terrain résistant du Cantal et surtout de la Haute-Loire, où les 1. Les margau(margolh + auf) doivent reposer sur un ancien festaut. 60 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE testo d’axé et axé bubu apparaissent à l'évidence comme des alluvions modernes. Voici le relevé des formes que j'ai recueillies : tsäbé (Saint-Jean-Saint-Gervais) ; busolo (Bulhon) ; testé (Bagnols), tété (Mirefleurs), téitu (Sugères); tétau (Issoire), fitœu (Rochefort); tétao (Sauviat) ; této (Billom, Vic-le-Comte, le Cendre), féto (Corent, Sallèdes), #ito (Les Martres); tél nro (La Sauvetat), fèstä uyigra (Moriat) ; léstä çrèsa (entendu à Merlines; Mont-Dore), tét4 çroeû (Singles), tét4 grésä (Montaigut-le-Blanc), grésô této (Cun- That) ; #8to d lo (Bulhon); fèto d äné (Coudes), = d àzé (Usson) ; féstär (Montaigut-le-Blanc), fétar (Beauregard- l’'Evêque), fa (Malintrat, Saint-Remy-sur-Durolle). maäsélàä (Vinzelles, Serpoil [commune de Saint-Jean-en- Val}), mdsgua (Esteil), mdeôva (Aubiat [commune d'Auzat}). märçäit (Vantalon [commune de Saint-Jean-du-Val}|, Saint-Etienne-sur-Usson), mdrçù (Le Fayet-Ronnayes). qurqulyu (Ambert, Doranges), çurçuyi (Beurières), gärcälyu (Grandrif, Saillant). suflè (Orcet). bärb6 (Saint-Floret); bärbärôtä (Vodable). eakô (Château-du-Cher). rénd (Chanat). IT. INSECTES. 1. — La guëpe. Le nom de la guêpe, en France, pose plusieurs pro- blèmes intéressants, d'importance inégale, que nous allons passer successivement en revue : lutte des deus tipes ves- pa-wespa ; remplacement du mot originaire par un autre ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE GI nom d'insecte ; explication du limousin bÿko. Disons dès maintenant que le premier nous paraît susceptible, grâce à la géografie linguistique, d’une solution satisfaisante ; que le segond ne soulève pas de grosses difhcultés ; que le troisième, au contraire, reste toujours en suspens : tout au plus espérons-nous avoir serré la question de plus près, en apportant de nouveaux matériaus. 1. — Lutte des tipes VESPA-WESPA. Au latin classique vespa s’est opposé, sans doute dès Pépoque mérovingienne, la variante wespa. La création de ce nouveau tipe paraît, 4 priori, devoir être demandée, comme pour divers mots similaires, à une influence ger- manique, en l'espèce à celle de l’ancien haut-allemand wafsa (même sens), qui nous permet de rétablir un gothique (ou francique) *wapsa. La formule dubitative du Dictionnaire général peut sembler surprenante, étant donnée l’étroite pa- renté des deus mots : elle s'explique si l’on songe que l’al- lemand moderne Wespe ne s'explique lui-même que par une influence ancienne de vespa. Mais ceci n’exclut pas cela : le germanique peut fort bien avoir agi sur le latin vulgaire à l’époque franque, pour être à son tour contaminé, quelques siècles plus tard, par le voisin de l’ouest. En tout cas, consultons la géografe linguistique. L’exa- men de la carte, facile à interpréter, sufht à lever tous les doutes et à confirmer que le changement de vespa en wespa, là où il s’est produit, est bien dû à une influence germanique. L’aire à hachures verticales qui représente les parlers où le v de vespa s’est conservé ', est dans un remarquable état 1. Peut-être pourrait-on faire une réserve pour la région de la Meuse et se demander si le v des formes vos (nous reviendrons sur l’s) ne représenterait pas un retour d’un ancien w à v. Ce serait à voir de 62 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE de délabrement. A l’exception d’une assez vaste zone homo- gène dans le sud-ouest, elle est morcelée en nombreus débris ‘, qui autrefois formaient un territoire compact. Ce territoire a été disloqué à deus reprises, dans des conditions différentes, par le développement de wespa d’abord, puis beaucoup plus tard, par le rayonnement du guépe parisien. Le premier fénomène s’est manifesté par une poussée, ou plus exactement par un ensemble de poussées venues de l’est. Une simple inspection de la carte montre que les aires à hachures horizontales (représentant les patois où w est resté w) s'appuient toutes à la frontière germanique. La première poussée, la plus puissante, est arrivée par la vallée moyenne de la Meuse (direction Liège-Reims) ; elle a séparé les vespa de Lorraine de celles de Picardie ; elle s’est prolon- gée, dans la direction de Paris, jusque vers une limite que nous chercherons à préciser plus loin ; à l’ouest elle a séparé les plateaus cauchois de ceus du Vermandois et de l’Artois, qu'elle a contournés, pour remonter dans le Boulonnais ? (où elle a rencontré une vague secondaire venue de Flandre). La segonde, qui était peut-être contiguë à la pre- mière en formant son aile gauche, s’est étalée, le long de la frontière linguistique, du pays Messin aux Vosges centrales. La troisième enfin, complètement indépendante, a déferlé de la Suisse allemande sur la Suisse romande et la Haute- près sur les différents points de la zone. Mais il semble bien que le v de vos soit l’héritier direct du v de vespa, d’après la comparaison de vor (— veir > wespa, nous pourrions en donner une autre preuve, indirecte. Car, sans parler du haut allemand wafsa dont le haut Valais se fait l'écho (weifa — “wefsa > “wesfa à 979, 988, 989), l'influence du gotique (ou francique) *wapsa, ne s’est pas seulement manifestée sur l’initiale : elle a agi aussi — quoique dans une région plus restreinte — sur le cors du mot, en provoquant une métatèse vespa >> “vepsa (ou wespa >> “wepsa) que la fonétique romane est impuissante à expliquer. Un premier exemple nous en est donné par les Gloses de Reichenau, rédigées, on le sait, dans le nord-est de la France : voici d’abord scabrones : wapces (287), puis la glose 1148, qu'il faut lire, selon nous, wespes, scabrones : wapces (et non, comme Fœrster et Koschwitz, wespes : scabrones, wapces). Il est clair que le mot crabro (altéré par les scribes en s(r)abro) n'était plus compris dans la région ', pas plus que vespa (altéré ‘par la grafie en wespa), et que la forme usitée était wapces — autant dire un décalque com- plet du germanique. Or une telle forme — avec des variantes — a vécu pré- cisément dans les patois du nord-est. La wallon nous offre dans l'Atlas deus weps, précisément à l'extrême frontière de l’est, à Malmédy et à Bastogne (191, 184). Plus à 1. Le mot, qui a vécu en Italie et en Provence, ne s’est pas main- tenu plus au nord que la Franche-Comté. (Cf. Meyer-Lübke, Rom. étym. Wærterbuch, vo crabro, et Atlas ling., grevold (36) cité plus loin.) 64 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE ouest, nous avons de nombreuses formes wes, qui touchent d’un côté à weps, de l’autre à wesp, et qui peuvent, suivant les localités — ce serait une question à élucider, patois par patois — remonter au premier ou au segond des deus tipes. L'influence vocalique du germa- nique s’observe également en plus d’un endroit : wasp (183, 186, 293), was (188), wae (185). En Lorraine, aucune hésitation n’est permise : les vos de la Meuse, du pays de Vassy et des Vosges occidentales remontent fonétiquement à *vepsa, comme les wes des Vosges orientales (67 à 88, 87 excepté) à *wepsa ; il y a même deus waz — wapsa (76 et 130) *. | Quelle fut l'étendue originaire de laire wespa ? IL est bien difficile de le déterminer, même approximativement, si l’on songe surtout qu’elle a dû être en progression constante à plusieurs époques. Mais deus fénomènes im- portants sont à noter : | Le premier est d’ordre fonétique : c’est la scission qui _s’opéra dans le sud-ouest de la zone wespa, où l'initiale subit le processus w > çw >> ç. On sait que le début de ce fénomène est très ancien, et que, pour certains lin- guistes, il remonterait même au moins au commencement de la période mérovingienne 3: : toujours est-il qu'au 1. Il faut joindre les formes recueillies par C. Bruneau, Enquête lin- guistique sur les patois d’ Ardenne, p. 460. (Il y a, notamment, de nom- breus wap.) 2. Signalons quelques cas de wep devenu wef (241, 271, 280, etc.), changement analogique de finale, de date récente.— Dans la Généalogie des mots qui désignent l'abeille, qui a paru après la composition de la pré- sente étude, M. Gilliéron (pp. 135-141) suggère deus hipotèses, dont la première, que nous préférons, est celle qui est exposée ici: il nous semble que la géografe l’impose. Des influences du roman sur le germanique n’empêchent pas des influences en sens contraire ayant agi avant ou après. Avec M. Gilliéron nous admettons que apis a dû contri- buer à la dislocation et aus altérations de vespa. 3. F. Brunot, Histoire de la langue française, 1, 69. er 1 1 de ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE “716$ x° siècle le groupe gw, du moins dans certaines contrées, était déjà réduit à g, comme en témoignent les grafes gar- nid, garder. de la Passion. Mais le sentiment de la corres- pondance des deux sons a dû se conserver longtens entre les contrées voisines : de sorte que la région parisienne, par exemple, a pu opérer le changement de l’initiale de vesp- pendant la période où elle prononçait çw. Je ne crois pas, toutefois, que l’influence du w picard de wespe ait pu se manifester, du jour où l'Ile-de-France eut réduit çw à g : l'existence du tipe çwespe dans la région parisienne serait donc antérieure au x° siècle. Les textes ne nous apprennent rien de plus à ce sujet. Même sans les Gioses de Reichenau, nous nous doute- rions bien que la forme avec w était implantée dans le nord-est à la fin du vrr° siècle. Grégoire de Tours (cf. Du Cange, v° vespa) cite vespa comme un mot populaire (sae- varum muscarum quas vulgo vespas vocant), ce qui vaut la peine d’être noté : la présence du v va de soi, s’il s’agit d'un terme de l'Auvergne ou du Lyonnais (où le v persista peut-être encore des siècles) ; à peine offrirait-elle de lin- térèt s’il s'agissait d’un mot de la région de Tours. Quant au guespa de Constantin l’Africain (xr° siècle, cité par Du Cange), il ne signifie rien ici, car ce texte n’a d'attache qu'avec l'Italie. La limite entre wespe et guespe a dû rester sensiblement fixe pendant tout le moyen âge : limite fonétique qui, comme nous le montrent les avancées actuelles subsistantes (246, 235, 128, 130, 33, 20), devait laisser au w, grosso modo, le territoire (au nord et à l’est) à partir des départe- ments actuels, de l’Oise, de la Marne, de la Haute-Marne, de la Haute-Saône et du Jura :. 1. Dans le Supplément de Godefroy, nous trouvons avec w : wespe (Marie, Fubl.), vuepe (— wèpe, Gautier de Coincy [Soissons]), waspes et - ) 66 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE La limite médiévale entre guespe et vespe est plus diffi- cile à délimiter. Le Midi — on pourrait multiplier les exemples de Raynouard — paraît bien n’avoir connu que vespa *. Dans le Nord, au contraire, les formes avec v sont assez rares et devaient être déjà localisées dans le Nord- Ouest, en Lorraine occidentale et en Artois : Godefroy n'en cite que deus ?. J'ajoute que les exemples des écri- vains, surtout en aussi petit nombre, et spécialement quand il s’agit d'écrivains qui ont voyagé, ne sont pas probants pour un mot de ce genre : le wespe de Marie de France, qui vécut à la cour de Henri IT Plantagenèêt et chez qui on attendrait guespe (forme francienne) ou vespe (forme nor- mande), n’est pas moins surprenant que le vespre de Chris- tine de Pisan qui demeura à la cour de Charles V (dans ce dernier cas, il peut s'agir d’une influence méridionale familiale). Plus intéressant est le nom de lieu du Calvados, La Vespière (de 1370) relevé par Godefroy : il confirme — ce que l’examen de la carte eût suffi à prouver — que. les « vespa » du Cotentin et du pays de Caux formaient naguère une aire homogène qui recouvrait au moins toute la Normandie. Les formes ‘avec g citées par Godefroy ne nous ap- prennent pas grand'chose : les oueppe de Robert Estienne, guespes d'Amyot, comme le surnom de guespins donné dès le xvi° siècle aux Orléanais, nous attestent qu'à cette wespes (J. d'Outremer), wesples (Fossetier, ms. de Bruxelles). Le premier est curieus, car Marie de France a généralement le g (golil, etc.). 1. On a relevé seulement un exemple unique d’un dérivé (?) guespillar dans Marcabru ; M. Emii Levi met en doute le sens « piquer, taqui- ner » de Raynouard. Ne serait-ce pas une variante de gaspillar ? 2. vespes (Prat. de B. de Gord.), vespres (Christine de Pisan) ; ajou- tons le dérivé vespare, guêpier (Jardin de santé). Encore le premier et le troisième exemple n’ont-ils guère de valeur, chez des écrivains qui ont traduit mécaniquement le latin. "TRE, à ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 67 époque l'aire du g comprenait Paris, Orléans et Auxerre : mais, on l’a vu, elle occupait ces régions depuis quelques siècles. Nous ne savons donc pas, d’après les documents que nous avons en ce moment, jusqu'où s’étendait guépe dans le cours ou à la fin du moyen âge. La forme doit être rela- tivement ancienne dans le Morvan, puisqu'elle à abouti aujourd'hui à yyép (106), qui suppose une palatalisation g > y, suivie d’une agglutination analogique ‘. Même remarque a fortiori pour l'Indre et l’Indre-et-Loire, où la palatalisation est allée jusqu'à létape 7ép (points 401 et 404 de l’Atlas ; même forme chez Jaubert, à Loches d’après J. Rougé, Le parler tourangeau, et dans la Vienne) *. Mais je ne vois aucun point de repère, pour l'instant, permettant de fixer une date, même approximative. L’incertitude est encore plus grande en ce qui concerne l’extrême ouest, de la Bretagne à la Saintonge (celle-ci connaît yép, Rolland, loc. cit., et Atlas, passim). Il est toutefois certain qu’à l’époque moderne, guépe, propagé par la langue de Paris, a exercé un rayonnement considérable dans tous les sens. C’est pendant la dernière période (sans qu’on puisse encore apporter des précisions), que guépe a coupé l'aire de vépe en Normandie, qu'elle a refoulé et disloqué dans le Nord et l'Est wep et wep, et enfin qu'elle a gagné le Midi par trois courants principaus. Le premier, comme toujours, a descendu la vallée du Rhône, jusqu'à la mer, coupant l'aire « taon » sur laquelle nous reviendrons, et débordant longuement des deus côtés. Le segond, par la vallée de la Sioule, a attaqué le Puy-de- 1. Pour les formes nep (282) et merp (295), je suis convaincu, comme M. Gilliéron, qu’au cours de sesaltérations, « guêpe » est tombée ici dans l'attraction homonimique de « néfle » (La généalogie... PP. 207-209). 2. Lalanne, cité par Rolland, Faune populaire, III, 270. 68 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE Dôme, où il s’est heurté à des formations segondaires qui l’ont dédoublé : la branche principale s’est infléchie au sud- ouest, en séparant vespa de l’énigmatique besca que nous retrouverons plus loin. Enfin une autre forte vague, après avoir entamé au nord le plateau limousin, l’a contourné à, l’ouest — fait désormais classique — pour déferler sur le Bordelais et rejoindre le précédent. Des avant-gardes sont déjà lancées dans le sud-ouest, jusque dans la région pyré- néenne. En ce qui concerne le Puy-de-Dôme, les formes du tipe importé méritent quelques explications. Il saute aus yeus que le mot n’est pas fonétique dans toute la région des Monts-Dore : la finale est généralement un é (au lieu de 4 ou 0), qui trahit l'origine française ; ls manque dans divers patois qui conservent s devant #, {, p (ainsi dyèpa dans la région de Besse, cèpé au Vernet-Sainte-Marguerite) ; là même où ls a été rétabli par un sentiment d’une loi de concordance qui n’est pas toujours exacte (certains patois forgeant marmisto, p. ex. Bagnols), le mot se présente généralement sous laspect bizarre de cispe, alors que la fonétique exigerait cesp. Toutefois cet emprunt n’est pas tout récent, car des réactions aussi vigoureuses seraient impossibles à l'heure actuelle ; il est également antérieur à la palatalisation de ç devant ë (fénomène sporadique mais non contemporain), puisqu'on relève dyèpe à Orcet, Corent, dyipé à Avèze, dyèpa à Besse. Voici la liste des formes du tipe ç que j’ai relevées : 1° Nord-Est : cpo (Saint-Remy-sur-Durolle, Bulhon, Beauregard-l’Évêque); 2° Est : çép4 (Saint-Anthème, Grandrif), çip4 (Saillant) ; 3° Ouest : dyèpé (Orcet, Co- rent), dyèpä (Besse-campagne), dyipe (Avèze), cépä (Roche- 1. Cf. A. Dauzat, Morphologie du patodis e Vinzelles, p. 29. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE .. 69 fort, Merlines). çépo (Château du Cher, Saint-Sauves, Monton), çèpé (Saulzet, Le Vernet-Sainte-Marguerite), gispé (Murat-le-Quaire, La Bourboule, Singles, Tauves), gispo (Bagnols) ; 4° Sud : géspä (Arvant, formant îlot). Au sud-est, le tipe primitif v constitue une aie homogène qui occupe tout un massif montagneus, à peine débordé à l’ouest : Doranges, Saint-Germain-L’Herm, Le Vernet-la- Varenne, Saint-Genès-la-Tourette, Sugères, Sauxillanges, Usson, Saint-Étienne, Saint-Jean, Chargnat, Saint-Martin, Vinzelles, Lamontgie, Champagnat et environs, Saint-Jean- Saint-Gervais. Il s’étent sûrement plus au sud. Les formes (véipä, vip.) se présentent en général comme des singuliers refaits sur le pluriel *. En résumé, depuis l’époque gallo-romaine, vespa a sans cesse reculé, battu en brèche par wespa d’abord, puis par lhéritier de celui-ci, guépe, sans compter qu’il a dû souvent céder la place à des succédanés locaus qui pourtant, nous le verrons bientôt, lui étaient sémantiquement inférieurs. Le tipe originaire s’est révélé constamment impuissant à résister aux attaques. Quelle est donc la cause de cette infériorité ? Il faut la demander, une fois de plus, à la proximité homonimique, ou, si l’on préfère, à l'étimologie populaire. Du jour où ves- PERA fut contracté en wespra, l’attraction s’imposait : VESPA devait tendre à devir wspra *. Partout où la confusion s’est produite, le mot était voué à la déchéance et à la mort : il était à la merci du premier concurrent, apparenté ou non, qu'il vint de Germanie, de Paris, ou qu’il surgît du voca- bulaire local. Les formes anciennes avec 7 se trouvent précisément là 1. Une autre création analogique, wesple (ci-dessus dans les ex. de Godefroy), n’a pas vécu. PPT PC AT SONT OPEN ve, 7 LAC | PL np n - L * n u nn 7 r ‘ PO REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE où le mot a disparu par la suite. Nous avons déjà vu un vespre, au xiv® siècle (Christine de Pisan), en une région où le v ne devait plus subsister alors que dans quelques ilots. Rolland (loc. cit.) cite vépre en Champagne, d’après Grosley : c’est un résidu isolé qui a échappé à l’Aflas, ou un exemple emprunté au sud de la Haute-Marne. Pour le Midi, Mistral nous donne vespro dans le Velay, où M. Ed- mont ne le retrouve plus : donc, derechef, forme en voie de disparition. Dans le voisinage, j'en relève un exemple à Léotoing (près Lempdes), et c’est précisément un débris isolé. Les formes actuelles avec r relevées par l’Ailas sont en bordure de l'aire vespa, comme vepr à 258, behpro à 719, dans des points menacés, comme 766 et les quatre points du Cotentin et des îles anglo-normandes (386, 395, 397, 398), ou dans des aires en pleine décomposition comme dans le nord de la Franche-Comté. (A 27, le mot s’est pro- tégé par la formation d’un dérivé, veprer.) Ce dernier exemple est d’autant plus concluant que cette aire franc-comtoise où wep >> vepr est en pleine dé- composition, est bordée à l’est et à l’ouest, là par des wepr, ici par des gépr nombreus, qui doivent sans contredit leur r à un wpr préexistant qui le leur a légué. Car ces deus formes n'auraient eu, sans cela, aucune raison inpérieuse d'ajouter un r à leur radical. L’Atlas donne wépr à 33 (isolé au sud-ouest près de vepr, 43, 32), SI, 53, 63, 71; 72, 73, 74 (et vepr à 54, 75, 65...), Rolland (Jo. cit.) vouëpre à Montbéliard ; l’Atlas a çepr (ou dyepr) à 23, 35, 36, 45, 56, 104, 110, 903, 316, 356 ‘, 458, et Rolland relève la forme dans la Côte-d'Or (ici l'influence de la langue de Paris et de l’école l’ont fait en partie disparaître). Citons enfin le bordelais grespo d’après Mistral, et rappelons l’altération merp du Nord (295). 1. Celui-ci en Normandie entre les vepr du Cotentin et les vrep du pays de Caux. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 71 Voïci maintenant la preuve contraire ’. Là où s’est pro- duite la métatèse, dans le domaine v (et v >> b), le tipe avec v (ou b) s’est conservé dans des aires homogènes et résistantes : en faisant disparaître l'homonimie, la métatèse a sauvé le mot. Ceci, du moins, pour un tens, car il est évi- dent que, en Normandie par exemple, la langue de Paris finira, pour ce mot comme pour les autres, par imposer sa forme. Toute la Seine-[nférieure et le nord de l'Eure (sauf le point 258 précité et déjà menacé) disent vrép. Fait plus significatif encore dans le Midi, à deus hespro (755, 766) s'opposent vint-trois brespo qui occupent tout le sud-ouest. La démonstration nous semble faite. 2. — Substituts lexicologiques de VESPA Avant de faire appel à la forme de Paris — spéciale- ment dans la moitié méridionale de la France — on a remédié à l’infériorité de vespa >> vespra en créant des substituts régionaus. Le procédé le plus simple a consisté à donner à la guêpe le nom d’un insecte voisin. Rien de surprenant, si l’on songe que le paysan n'observe guère la structure des in- sectes et confond volontiers des tipes fort différents. Dans des substitutions de ce genre, — nous en verrons d’autres exemples — le patois a toujours recours à un nom au moins aussi général, ou représentant une espèce au moins aussi commune. Ainsi le frelon (espèce du genre guêpe) sera souvent appelé guëêpe, mais la guêpe ne sera jamais appelée frelon ? ; l'abeille ou la guêpe, tout comme le taon, pourra 1. Sublata causa, tollitur effectus, disaient les anciens logiciens. 2. Ceci n’est pas contredit par le fait que nous lisons au point 36 : grévol6, gépr. Le sujet a simplement donné à M. Edmont le nom des deus espèces de guëêpes distinguées par le patoisant : la guêpe-frelon et la guëpe ordinaire. 72 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE prendre le nom de mouche, mais l’inverse n’a pas lieu, parce que la mouche est, de beaucoup, plus abondante que les autres insectes. Les noms spéciaux tendent à être éliminés pour des animaus de ce genre, qui intéressent médiocrement le patoisant. Le bourdon a passé son nom à la guêpe au point 396 (burdo). Même fénomène à 702, avec un autre vocable : burçodo. La burvauda (ou burgau) désigne en effet le bour- don dans une région qui va des environs de Blaye à ceus de Lapalisse (voir l’Aflas, carte « bourdon »). Dans une partie de la Creuse, le mot a passé au sens « frelon » (d’a- près M. A. Thomas). Mais c’est surtout l’abeille — himénoptère à aiguillon, de taille voisine — qui devait spécialement servir de succédané. Nous avons tracé l'aire d'abeille — guêpe, dans la basse Auvergne : elle forme un croissant anguleux, qui tient du compas, et qui serre l’aire vespa entre ses branches : la tête est située dans la région de Clermont; la branche orientale passe par Billom, Cunlhat, Ambert pour s’arrêter au sud-est de cette localité ; la branche occidentale remonte la vallée de l'Allier, entre « guêpe » (ouest) et vespa (est) pour aller au moins jusqu’à Brioude. Je sup- pose qu’elle rejoignait naguère le point 813 : peut-être même le rejoint-elle encore si, ce que je n'ai pas vérifié, le gespa de 812 est un îlot comme celui d’Arvant, ou un néologisme comme celui du point 807. Comment expliquer la bizarre configuration de cette zone ? Je m'étais d’abord demandé si la confusion guêpe- abeille s'était produite là, et là seulement, où on ne faisait pas d’apiculture. Mais un examen attentif (confirmé par les observations de feu Michalias) m'a prouvé que vespa était conservé dans des localités où on n’élevait pas d’abeilles, et que « abeille », en revanche, désignait les deus insectes ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 73 dans des communes où il y a des ruches. L'examen de la carte, joint aus considérations développées plus haut, sug- gèrent une explication plus probable : l'aire « abeille », qui représente un premier morcellement de l'aire vespa, s'est développée sur un pourtour qui avait dù être affecté par l’accident vespa >> vespra. Il en reste une preuve, c'est le résidu vespro, qu’on trouve sur la périférie, dans le patois arcaïque de Léotoing. Il est intéressant de remarquer que, dans cette zone, « abeïlle » elle-même à éprouvé des substitutions lexicolo- giques : « guêpe » devenu « abeille » les a subies égale- ment, ce qui tent à faire supposer que la confusion est an- térieure à ces changements, donc assez ancienne. Ainsi à Issoire et aus environs (Le Broc, Vodable...), le nom de l'abeille a été refait d’après le nom de l’essaim : burgyu a créé byruyâ qui s'applique aussi à la guêpe. Même remarque pour l’est de Clermont (Malintrat, Gerzat), où abeille et guêpe se disent béyyé, formation analogue d’a- près le tipe *BENNIA ou *BENNIOLA — corbeille >> ruche (cf. Meyer-Lübke, op. cit., 1036). Il arrive que le paysan ajoute quelque précision, sur- tout si on lui fait remarquer que la guêpe n'est pas l’a- beille. Ainsi, pour « guëêpe », on m'a dit à Cunlhat « belya dé teà (abeille de champs), à Vodable burnya dzonà (abeille jaune) ; à Madriat, veut-on spécifier, on dit : ce sont les « mauvaises », celles qui ne font pas le miel ; ailleurs les sauvages » (cf. hone wespe dans Marie de France). En ce qui concerne spécialement le tipe abelha — guêpe, voici les patois où je l’ai recueilli : hëyo (La Roche- Blanche, Mezel, Orcet [concurremment avec dyèpe]), béyo (Cournon, Billom, Vic-le-Comte), bélyù (Les Martres-de- Veyre, Saint-Georges, Sallèdes, Ambert, Beurrières, Tomvic), ély4 (Cunlhat, Chalus, Moriat), bælyä (La Sau- TT OSE TERRES. ATOME PT FETES _ 74 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE vetat, Flat, Parentignat, Saint-Floret, Nonette, Madriat), bélyä (Brioude), bulyä (Ludesse, Auzat). Abeille — guêpe se retrouve également en deus points du sud-est (861 et 882), qui devaient se rejoindre par le nord, car il est probable que la petite zone vespyo, repré- sentée sur lAflas par les Saintes-Maries de Camargue (871), est isolée depuis assez longtemps des wespo de l’est et de l’ouest, comme l’atteste l’altération de sa finale :. Les aires « abeille » de Provence et d'Auvergne n’en formaient-elles qu'une autrefois ? C’est beaucoup plus dou- teus : le fénomène a pu se produire indépendamment dans deus contrées différentes. Il est certain toutefois que « guêpe » a rogné non seulement vespa, mais aussi plus d’une des aires secondaires formées sur ses flancs. | Ainsi l'aire taon — guêpe a été coupée dans la vallée du Rhône par l’invasion de guépe : car c’est non seulement le même mot, mais la même forme f6n(a) (fém. de taon) qu’on retrouve d’une part au nord du Forez (819, 905, 803), de l’autre dans l’Isère (829). Cette zone devait être beaucoup plus vaste et devait être contiguë aus hélya du Puy-de-Dôme, voire aus anciens wspa du Velay *. De même la variante adjacente savä (altération de TABANU au lieu de *rABONE), qui n'existe plus qu’au point 921, devait avoir un domaine bien plus étendu, et rejoindre les vespa, aujourd’hui disloquées, de la Savoie et de la Provence orien- tale. La mouche à remplacé la guêpe, sporadiquement, sur quelques points. C’est le grand passe-partout auquel on a recours, faute de mieus, pour suppléer aus noms défail- 1. Cette altération, due au dérivé vespyé (guêpier), se retrouve plus au nord (sepya, -ye à 920, 931, 942...). 2. Le mot « guêpe » manque malheureusement chez M. E. Veÿ (Le dialecte de Saint-Étienne au XVIIe siècle), comme dans les anciens textes de la Basse-Auvergne. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE Lies à länts de tous les diptères ou himénoptères ailés. Aussi ne doit-on pas s'étonner si on le trouve çà et là dans toutes les régions, parfois avec des précisons : « mouche- guêpe » ou « mouche à guêpe » (232, 209, 307), mue a l awiyo et mue açiyo (mouche à Paiguillon, mouche-aiguil- lon, 165, et au N. et au S. de 188, dans Bruneau,0p. cit., _p. 460), muskè k agilyé (682 : mouche qui pique) ; tantôt seul (376). Il y a, on le voit, quelque flottement: on n’a pas trouvé l’épitète qui s’impose, comme celle qui a fait le succès de « mouche à miel ». Signalons enfin quelques formations locales et métafo- riques : d’après l’aiguillon, fisèlu (741, de fissar — pi- quer), ou d’après la couleur, ôbrot (89 : — ambrotte, dé- rivé de « ambre » ; cf. ambrette, centaurée jaune, dans le Dictionnaire général). 3. — « bèko » limousin. Reste l’énigmatique béko du Limousin. Nous avons agrandi l'aire de l’Aflas : 1° d’après M. A. Thomas :, qui a rétabli bèko — guêpe (et non abeille) au point 603, et qui l’a relevé dans diverses localités de la Creuse orientale ; 2° d’après nos recherches personnelles qui nous ont permis de retrouver le mot au nord-ouest de Clermont et de Riom (bÿké à Chanat, békd à Enval, hégo à Combronde). Quelle est la forme originaire du mot ? Les exemples de la Creuse, comme l’a montré M. Thomas (bièko paral- lèle à fiêto = testa) postulent un tipe roman bésça. Ceus du Puy-de-Dôme ne sont pas tous probants : bÿké de Chanat postule bien és + consonne, mais bèco semble altéré, et békè, à Enval, assonne avec pérô — poire. Il est certain que béko a perdu du terrain, tout au 1. Romania, XXXV, 139. »>-26 CRE EL 4 PIVOT sf RS DS ci LP re. sé 76 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE moins au nord, car les formes limousines et auvergnates de béko ont été séparées, à la suite de la poussée de « guêpe ». Mais reste le catalan bagot — abeille *, qu'il semble bien difficile de séparer de cette racine, d’autant plus qu'il concorde, d’une façon troublante, avec le ç de Combronde (bègo) et de Chénerailles (hiègo) ?. Faudrait-il donc revenir, en la corrigeant, à l’hipotèse, émise par M. Meyer-Lübke 5, d’un becos gaulois, donc préexistant à vespa qui ne l’aurait pas complètement éli- miné ? Les formes catalanes, d’une part, auvergnate et li- mousine de l’autre, en seraient les résidus ; les tipes avec g représenteraient la tradition fonétique. Mais alors com- ment expliquer beko ? par l'influence de bec ? Et besca ? par un croisement avec vespa ? Ce serait bien invraisemblable. L’hipotèse de Chabaneau, supposant une métatèse des élé- ments labio-palataus, cespa >> beska (ou qwespa >> beskwa) est plus plausible, bien qu’elle soulève quelque objection 4, spécialement, p. ex., l’ancienneté, assez surprenante, en Limousin, d’un tipe wespa dû à l'influence germanique. M. A. Thomas a postulé naguère un tipe “BESQUA, avec 1. Zeitschrift für romanische Philologie, XXIX, 402. 2. Cette forme explique l’abiçé — abeille, que M. Gilliéron a rele- vée au point 804, et qu'il déclare inexplicable (op. cit., p. 88, n. 3): abiçé est un croisement entre abelha, et bega qu’on trouve à l’ouest de 804 au sens de « guépe ». 3. Rom. etym. Wærterbuch, 1014. 4. Fonétiquement la métatèse supposée par Chabaneau est assez dif- ficile à admettre, car je ne vois guère d'exemple d’une permutation dans laquelle les consonnes n’échangent qu’un élément (ici labial et pala- tal) en gardant l’autre (sourde-sonore). On pourrait supposer la méta- thèse normale et complète guespa >> *pesgua, puis le changement de p en b sous l'influence d’(a)belha. L’s sourd pourrait expliquer le pas- sage postérieur de g à k, comme dans BUXIDA boiste, MUCIDU motste, PROMUSCiDA promoiste. Les formes avec 6 (héco, bièço) seraient alors les témoins de l’étape arcaïque. (Communication de M. A. Thomas.) ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 77 lequel hégo et biègo s'expliqueraient comme des déformations récentes (et ko de 624 par une influence du nord). Reste- rait à prouver l'indépendance du catalan bagot, qui pour- rait, somme toute, avoir à faire ailleurs (peut-être tout simplement à APICULA ?). Mais alors que serait ce *BESQUA énigmatique ? Aurait-on le droit de songer à une « Umge- kebrte Sprechweise » qui, dans une certaine région de la Gaule, aurait induit les indigènes à prononcer *VESQUA au lieu de vespa, parce que le qu latin, dans les mots à ra- cine commune, s'opposait au p gaulois : ? Nous avons un flottement analogue pour le nom du pinson (supposant *PINCIONE d’une part, *QUINCIONE de l’autre). Mais le D? On pourrait penser à l'influence d’(a)helha. On le voit, nous avons beau tourner le problème sur routes ses faces, il est difficile d’arriver, à l'heure actuelle, à une solution satisfaisante. Attendons, en espérant que de nouveaux documents nous l’apporteront un jour. 2. — La fourmi dans le centre de la France. Tipes beleta, borrola, amaza. J'ai eu l’occasion de consacrer dans Ia Romania ? deus petites études aus représentants du gotique *AMAITO dans la France centrale. La publication de lAflas linguistique, depuis la première, puis mes recherches personnelles m’ont apporté de nouveaus documents, si bien que la question demande à être entièrement reprise. Elle est d’ailleurs en 1. Camille Jullian, Histoire de la Gaule, Il, 371 et n. 7 (PETOR ou PETRU — QUATTUOR ; PEMPE — QUINQUE). 2. XXX, 115 à 118, et XLIV, 253-254. 78 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE connexion avec la répartition d’un autre tipe, bekta = fourmi, que nous allons d’abord liquider. beleta — fourmi occupe une petite région homogène de patois arcaïsants, sur les confins du Puy-de-Dôme, de la Haute-Loire et de la Loire. L’Ailas a relevé le mot aus points 816 (Loire) et 817' (Haute-Loire). Je l’ai trouvé, pour ma part, à la Chaise-Dieu, et dans la pointe sud-est du Puy-de-Dôme, sous la forme béletä, beleto (Le Fayet- Ronnayes, Doranges, Arlanc, Beurrières, Tomvit, Sail- lant, Saint-Romain). Mais je lai découvert — fait beaucoup plus intéressant — dans deus îlots assez éloignés, l’un à Moissat, l’autre à Mirefleurs, en pleine aire wide (une des dérivations, que nous allons voir, de *AMAITO). Le changement de sens, qui a fait appeler « belette » la fourmi, a-t-il pu se produire spontanément et indépendam- ment ici et là? Nous ne le croyons point, car s’il est une métafore qui ne s’imposait pas, c’est assurément celle-là : tandis que lanimal que nous appelons en français belette est réellement un animal gracieus et a été dénommé « la jolie » dans diverses langues ou patois ?, nous ne trouvons rien de tel pour la fourmi, qui est au contraire regardée par le paysan comme une « sale bête ». Le fait a pu se pro- duire sur un point pour des raisons particulières, mais il ne peut être qu exceptionnel. Ces motifs d'ordre psicologiques, joints à l'examen de la carte, nous permettent d’assurer l’existence d’une aire ancienne beaucoup plus vaste, qui joi- gnait Moissat et Mirefleurs à la zone de la Chaise-Dieu et d’Arlanc; beleta devait recouvrir toute l’aire mwidé au sud 1. Comme « guëpe », « fourmi » manque malheureusement dans les anciens textes foréziens analisés par M. Veÿ, et dans ceus de la Basse-Auvergne. 2. Notamment en ancien anglais, en danois, en bavaroiïs et en rouer- gat, d’après le Dictionnaire général. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 79 de Moissat : nous en aurons la confirmation en étudiant le tipe suivant. Il est possible que heleta s’étendit aussi plus loin du côté du Forez : mais nous manquons de documents. Au sud, le tipe borrola (burola 825, burulo 826) doit être une forma- tion récente qui s’est superposée, soit à beleta, soit à fornuc. Le sens est clair : c’est, avec un autre suffixe, la même racine que bourret (voir notre étude antérieure sur « tau- reau ») : la fourmi a été surnommée la « brune », ce qui s'explique fort bien. Comment s’est créée l’aire heleta ? Elle doit être ancienne, si l’on songe qu’elle est antérieure à la pénétration de mwide dans la région entre Allier et Dore. Pour quelle cause ce mot assez médiocre a-t-il pu supplanter FORMICA, qui semble bien constitué pour la résistance ? II fallait que ce mot eût subi un accident local. Faut-il admettre que, dans cette contrée, FORMICA ait subi la contamination de FoR- MOSA, ce qui expliquerait le remplacement par un dérivé de BELLUS à l’époque où, dans la langue, BELLUS se substi- tua à FORMOSUS ? On pourrait voir un résidu de ce FORMOSA > *rorMIsA dans le nom de la fourmilière, précisément sur les limites de l’aire Deleta: : frumizeyra au point 814, fur- miseri au point 808. Aucune de ces formes ne peut s’expli- quer ni traditionnellement par FORMICARIA, ni par l’in- fluence du français fourmilière. Il est à remarquer que la décomposition de la partie occidentale de l'aire beleta — « fourmi » a laissé des rési- dus en dehors des deus îlots de Mirefleurs et de Moissat. Le mot, se trouvant disponible par la substitution de max(e)de > mwidé, a pu prendre d’autres significations, — ce qui prouve qu'il conservait encore le souvenir de son 1. Dans l'aire beleta, la fourmilière est toujours désignée par beleteira. 80 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE origine sémantique. Si l’on se reporte à la carte « lézard gris » que nous avons donnée, on verra que beleta — lézard gris occupe précisément les environs de Mirefleurs. Au sud- est, à Saint-Jean-en-Val, béléta désigne la belette blanche, par opposition à mutyàlä, belette brune ; mais ici l'influence du français est possible, voire probable. Il faut mettre à part le belé, bélétd —aïeul, aïeule, de Vinzelles et environs : car il s’agit ici d’une création directe et indépendante, d’après bel. | Le tipe germanique nous retiendra plus longtens. Notons d’abord qu'il règne sur un territoire beaucoup plus vaste que nous ne le croyions en 1901, puisqu'il englobe, outre les régions que nous avions citées alors, tout l'Allier, la majeure partie de la Loire, le Rhône entier et le sud-ouest de Saône-et-Loire. | Dans une note ajoutée à mon article, Gaston Paris avait émis quelques doutes sur la possibilité d’une racine germa- nique. J'avais postulé, en effet, ‘un tipe *AMAIZ-, et mon regretté maître objectait, non sans raison, qu'on ne voyait pas comment une forme de l’ancien haut-allemand,: après avoir subi la Lautverschiebung (t >> 2), se serait introduite à cette époque tardive dans le centre de la France et pas ailleurs. Je crois que M. Meyer-Lübke a mis tout le monde d'accord en proposant un prototipe AMAITJA, qui convient à merveille pour rendre raison de nos formes romanes. Je suppose, jusqu’à preuve contraire, que la linguistique ger- manique l’autorise; pour nous, nous n'avons plus rien à objecter. Tous les exemples que nous possédons de la Creuse, du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme (à l'exception 1. Op. cit., 394. PTT. + L 4 bout ce defnier de Saint-Arithèine à l’estréme est, du point Sor et de Buxières-sous-Montaigut au nord-ouest), reposent sur une forme primitive romane ”4qxede. Au con- traire, au nord et à l’est — Berry, Bourbonnais, Charolais, Lyonnais, Forez et confins du Puy-de-Dôme —., nous avons la forme ax, qui, à l’est, au sud et à l'ouest de son domaine, s’'adjoint des suffixes : suffixe -ELLU et -ITTU à l’ouest (ma- seaux, pl., dans Bounin; masés, pl., dans George Sand ; formes berrichonnes! actuelles maxé, maxeau, maziau, — le tout cité par Godefroy, v° masel 2; -—— maset, m., maselte, f. let dérivé masetiére|, dans Jaubert ; — mazé 503 (et près de 600, à Châteaumeillant, où le mot est féminin d’après l’an- cien a initial, communication de M. A. Meillet), #azyé 800, mäxél 803, dans l'Atlas : ila dû se produire des confusions entre -el et et après la chute de la consonne finale ; il se peut même que -ELLU existât seul autrefois) ; sufhixe -OTTU, -OTTA dans le Forez et le haut Beaujolais (m4z01, Saint- Anthème [P.-de-D.]et 808 ; maxæiæ, Leigneux [O. de la Loire]; mazüæ, 818; mwazot 819; mazxæt 908); -aille, -ouille dans le bas Lyonnais (mawozoyi 911, mwozul 914); =wèr (-oire?:) dans le Charolais (mazwér 909, mäzuwèr 907). L'histoire de ces dérivés demanderait à être précisée dans chaque région? : mais il est hors de doute qu'il s’agit de sufhxes ajoutés au mot primitif raz, conservé dans la majeure partie du Bourbonnais, le nord-ouest du Puy-de- Dôme et de la Loire. | . Donc wma7 d'une part (ancien maxe), mazede de l’autre. Comme je l'ai dit dans Particle précité de la Romania, aucun suffixe, ni latin vulgaire, ni roman, ne peut rendre 1. Il se peut que #razwér soit une métatèse de mwazèr (cf. les. formes lyonnaises et foréziennes où l’m” a visiblement labialisé l’a). 2. Ilse peut que dans certains cas #47 soit une formation en retour d’après mazet, par dédiminutivisation. 82 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE raison de cette dernière forme : on ne peut l'expliquer que _par l'entrée du mot, tout armé d’un suffixe germanique, dans les parlers romans. Il s’agit, je le rappèle, du suffixe neutre atone -idÿ, ii, qui sert à former des collectifs en ancien haut-allemand . Par contre, je ne crois plus à l'introduction, en gallo-latin, d’un { antérieurement à la sonorisation du f intervocalique. La forme muwitä de Grandrif, que j'avais considérée comme une contraction très ancienne “amazili >> “maxte, me paraît devoir être expliquée tout autrement : si on remarque qu’elle est isolée et qu’elle se trouve précisément sur la limite de l’aire beleta et de la sous-aire mazota, on admettra plutôt qu'il s’agit d’une altération récente de mwidä (tipe des patois contigus à l’ouest) en w"witd, sous l'influence des formes avec # du sud-est et du nord. Mon hipotèse primitive supposait que le mot aurait atteint les mon- tagnes de Grandrif (S.-E. d’Ambert) dès le v° siècle, ce qui me semble aujourd’hui invraisemblable : à cette époque les colonies wisigotiques commençaient à peine à s'installer dans la basse-Limagne. Il faut donc concevoir que le mot a pénétré dans le gallo- roman à partir des vi®-vi® siècles environ, sous la forme *AMAITJIDI, avec un d analogue à tous les d indigènes pro- venant du / intervocalique latin. D’où amazede, qui dut être primitivement masculin, mais qui ne tarda pas à devenir féminin. Il ne me semble plus que la cause première de ce changement doive être demandée uniquement à l’a ini- tial (l’amaxede >> la mazede), car cet a est conservé au point 708, auquel il faut joindre l’amazeda de Deribier de Cheis- sac, l’un et l’autre tout à l'extrémité de notre aire : donc à l'époque assez tardive où le mot gagna la région de Bort et l 1. Romanta, loc. cil., pp. 117-118. 83 Et Velay, il avait encore son a initial ‘, et la conservation PS Che cet a n'a pas préservé le genre primitif. Le suffixe, isolé k d. en roman, a dû, dès le début, être senti comme féminin …. (la finale e a été souvent, pour cette raison, changée en 4). Les deus influences se sont d’ailleurs combinées. Devons-nous maintenant admettre, en regard de l’ama- _ gede du sud, que le max(e) du nord et de l’est représente | D amarrya sans suffixe, ou remonte, lui aussi, à *aMAITJiDi, par - chute du { intervocalique (comme LAMPA(D)A >> lampe) ? _ Bien que la fonétique nous laisse le chois, je préfère la - segonde hipotèse, pour plusieurs raisons : 1° Si l’on accep- tait la première, il faudrait supposer qu'il a existé deus foyers de rayonnement du mot, sous deus formes diffé- rentes : il est bien plus vraisemblable qu'il n'y en a eu qu un seul, situé sur les confins de la basse Limagne et du Bourbonnais, où les colonies germaniques devaient occuper un territoire assez vaste ?. — 2° La limite entre les tipes maz(e) et maxede est à peu près exactement celle qui - sépare les formes avec d'et sans d dans les mots possédant + à l'origine un { intervocalique latin 5 : une telle coïnci- dence sur une pareille longueur ne peut être due au hasard ; il s’agit donc d’un fénomène fonétique et non d’une répar- tition lexicologique.— 3° Enfin le tipe AMatTJA de M. Meyer- Lübke me paraît une simple conjecture quant à la finale. 1. Toutefois il avait déjà perdu son a au xvre siècle dans le Berri (ex. précité de Bounin). On pourrait supposer sans doute que #azede a repris récemment un a parle fénomène inverse (Ja môra > l’amora) : mais c'est peu probable, car c’est l’aférèse qui est de beaucoup la plus fré- quente dans la région. 2. Nous ne connaissons malheureusement pas par l’histoire l’empla- cement de ces colonies. 3. Les deus limites passent également entre Saint-Anthème et Gran- drif, Leigneux et Saint-Remy-sur-Durolle. Au nord, on trouve des d sur * lalisière de l’aire #147-(Randan, point 800) : mais lesconditionsfonétiques ne sont pas absolument les mêmes dans amäda (AMATA) et amüzede. Duo ES EE rt bc À FIM af “ a è 84 | REVUE DE FILOLOGIE FRANGAÏSE Le mot ancien haut-allemand 4 un 6 terminal. Or un üpe | *AMAITJO aurait abouti, dans le Boufbonnais et le Berry, à amas >> ma et non à amaze >> maz. Ajoutons que Jaubert nous donne #ase (et une variante mare, avec rotacisme), masculin ‘, qui répont fort bien au genre primitif d’*AMaArT- JIDI. Passons maintenant en revue les variantes du tipe ama- zede. La fonétique à produit une première scission. Au nord- est (a)mazede s’est contracté en mazde >> mayde? ; à l’ouest et au sud s’est produit le même glissement d’accent que. dans lampeza >> lampeza, lagrema >> lagrema, etc. Examinons d’abord ce dernier groupe. Le couple d-7 a pu permuter. Ce fait s’est produit indépendamment, au nord-ouest du Puy-de-Dôme (madèzé à Château-du-Cher ; mädézé, pl. mädézé [comme omé] à Châteauneuf-les-Bains) et à l’est du Cantal (Atlas : madijé, 719). — L’é tonique, issu de é, peut disparaître par suite d’une syncope récente (mæzda 812 ; mazdé 601, mazdo 602, mais l'é reste à Belle- garde [communication de M. A. Thomas]; cf. à Vinzelles, corréja >> kurdzä, etc.). — À signaler enfin, outre le pas- sage précité de e final à a, l’épentèse d’un 7 à la terminai- son (par analogie avec le suffixe -avre), l’attraction de lé tonique par l’4 protonique ou vice versa, et l'addition d’un suffixe (-ëi — eir, ou -1). Reste au point 813 la forme meer, masculin (dér. mérérÿé fourmilière), dontla finale est énigmatique. 1. Le genre de maz de l'Atlas n’est pas indiqué ; mazé (503) et m1azye (800) sont masculins, maze fém. à Châteaumeillant. Notons à Buxières (nord de 801), mazë, pl. maxa (fém.), comme tous les mots de la première déclinaison. 2. Ecartons tout de suite une objection. Ce #”ayde ne peut provenir directement d’un gotique *amaita, car, dans la région, ai roman évolue tout différemment de a + s amuïe, groupe postulé ici par tous les patois. 4 ë be - A ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 85 Voici la liste des variantes du tipe mazéde que j'ai relevées dans la Basse-Auverene (tous féminins, sauf indication contraire) : mdxede (Chalus, Nonette, Les Pradeaux, Paren- tignat, Charenat), méxzédé (Thuret, Malintrat, Montfer- rand, Orcet, Auzon), meézédé (Les Martres de Veyre), mézède (Aïgueperse), mäxéde (Montaigut-le-Blanc), mdxedä (Sauvagnat, Sainte-Yvoine, Vodable, Madriat, Moriat, Arvant, Vieille-Brioude), mäzédré (Saint-Floret, Ludesse),/ méxédré (Pardines, Authezat, La Sauvetat, Monton), ‘mézé- dréi, masc. (Corent), méxédéird (Le Cendre), mezédi (Enval, Saint-Denis-Combarnazat), mäzädyi (Vinzelles et environs, Esteil, Saint-Jean-Saint-Gervais). Donnons en regard les variantes du tipe mazde => mayde. Je n’ai relevé la non-labialisation du groupe ay qu’aus deus extrémités : mèdyi à Combronde, méidyé à Ambert ; partout ailleurs s’est effectuée l’évolution ay > oi >> wi, wé : muwidé (Usson, Vic-le-Comte, Saint-Maurice) mwèide (Flat), muwédé (Laps), mwédré (Bulhôn), muwidre (Saint- Remy-sur-Durolle, Thiers [806]) ; mwitä (Grandrif) ; muidyi (Saint-Étienne-sur-Usson, Saint-Jean-en-Val), muwèidyi (Sugères), muwëidyé (Cunlhat, La Roche-Noire, Saint-Georges, Pérignat), mwidye (Saint-Julien-de-Copel, Billom), mwédye (Mezel). On remarquera : 1° que la féminisation de la finale, abondante dans le premier domaine ‘, est inconnue dans le segond, à l'exception d’un point, à l’extrême sud-est (Gran- drif, influencé par beleta) ; — 2° qu’en revanche le suffixe - occupe la majeure partie de la segonde zone et seulement une petite fraction, contiguë à la précédente, de la pre- mière; — 3° que l'accident -de >> -dre s'est développé indépendamment, ici et là, dans deus petites régions, éga- 1. L'Atlas l’a relevée à 602 (Creuse), 708 (Corrèze), 709 (Cantal), 812 (Haute-Loire), 807 (Puy-de-Dôme). 86 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE lement homogènes, mais sans rapports entre elles (Saint- Floret-Monton et Thiers-Bulhon). En effet, l’analogie du suffixe -dre était plus impérieuse que l’agglutination du suffixe -1 ‘. La limite entre les deus zones, mazede et mayde, mérite d'appeler l’attention. En réalité, il y a deus sous-aires mayde : un îlot dans la région de Combronde, et une aire beaucoup plus vaste qui a des limites très remarquables ; mayde est en effet séparé, à l’ouest, de maxede, très exacte ment par le cours de l'Allier, depuis la région en aval de Maringues jusqu’à la hauteur d’Issoire; d’Issoire au Fayet- Ronnayes, où commence heleta, la limite s’écarte de l'Allier, laissant à mayde le rebord de la région montagneuse. Un état de choses semblable ne peut représenter le libre jeu des lois fonétiques. Aucune limite fonétique, dans la contrée, ne suit le cours de l'Allier, si ce n’est accidentel- lement entre deus ou trois communes. Une fois de plus s'affirme la réaction des mots les uns sur les autres. La limite primitive entre mazede et mazde >> mayde devait être orientée, comme les similaires, du nord-ouest au sud- est : de son point de départ, qui nous est conservé, entre Enval et Combronde, elle devait couper la plaine d'Enne- zat et se diriger vers Moissat où elle rejoignait l’aire beleta. Ceci s'accorde au mieus avec ce que nous savons de l’ex- tension ancienne de ce dernier mot : mayde a brisé et dislo- cm qué au sud l'aire beleta, tandis que mazçde a coupé (en poussant au nord) la zone mayde. Aujourd’hui mazede (point extrème : Saint-Denis-Combarnazat) touche laire max qui commence à Randan : encore n'est-il par sûr que la mazèlo de Randan, que j'ai relevée (on dit aussi #azéléro) 1. I] semble bien, d’après la 2e zone, qu’il s’agit non d’une analogie d’après un ancien formic, mais du suffixe ï atone de l’ancienne langue ; les mazadi, avec i tonique, sont dus sans doute à l’influence des mwidi voisines. F3 4 L ' # te + + ] À = # " ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 87 ne recouvre pas un ancien /#azede, soit par altération de la finale, soit par une influence bourbonnaise Au sud, il nous parait certain que azede était installé dans la région du Lembron et sur la rive droite de l’AI- lier, de Lamontgie à Auzon, avant la dislocation de l'aire beleta par mayde : car les patois montagneus offrant, en lisière, les muwidyi actuels sont plus arcaïsants que leurs voisins du sud-ouest ; ils occupent une erête contre laquelle la vague de #azede s’est jadis brisée. L'expansion générale du tipe amaz- est donc facile à recon- stituer. De la basse Limagre, un premier courant ([a }na- xede) a remonté vers le sud le couloir de PAllier, rasant la base des premiers contreforts, de Montferrand à Orcet et Monton *, séparant formic de beleta, puis s’est étendu en éventail, en remontant les vallées de la Rue, de l’Alagnon, de l'Allier. La limite que nous traçons dans le Cantal et le Velay, établie avec les seules données de l’Aflas, est très approximative : faite d’après un relevé des communes, elle serait sans doute encore plus expressive. Au nord, le flot s’est largement étalé, vers le Berry d’une part, en contournant et rongeant les plateaus de Îa Combraille et de la Marche, puis à l’est sur le Charolais et le Lyonnais pour s'arrêter à la Saône, après avoir con- tourné les monts du Forez, Enfin a eu lieu (par une pous- sée au sud) la rupture de l’aire beleta par mayde, et de mayde (par une poussée au nord) par mazede descendant la rive gauche de l'Allier. À partir d'une époque qui doit être assez récente, la langue de Paris, venant à la rescousse de « fourmi », a 1. mézèdé va jusqu'à Aigueperse, où le dérivé (fourmilière) est mézi ; nous sommes ici encore à la lisière de l’aire maz, avec les contamira- tions possibles. 2. Points extrêmes de l’aire formic au nord-est : Châteaugay, Roma- gnat. 88 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE fait, à son tour, quelque peu reculer amaz- dans le nord. L'exemple de Bounin, jurisconsulte de Châteauroux, nous prouve qu’au xvi* siècle masel, maseaux s’étendait un peu plus loin dans l’Indre. La furmi des points 504, $s0$ et surtout 600, me paraissent d’incontestables néologismes. De même à 702, où le fait est évident, d’après l'opposition entre frumi, fourmi et mazk'i (— mazédyi) fourmilière. Sur tout ce pourtour l'aire tracée est forcément très peu précise, de même qu’en Saône-et-Loire, où il faudrait des docu- ments plus nombreus pour apprécier si le fræmi de 906 est un îlot, résidu d’un ancien formi(c), ou au contraire s'il marque un retour offensif du français, jalonné peut-être le long de la Loire par un couloir entre 903 et 907 : a priori, nous pencherions plutôt pour la seconde hipotèse. Par contre, après une étude minutieuse faite sur place, nous estimons que, dans l’ensemble, les formes de l’ouest du Puy-de-Dôme représentent bien le formic traditionnel, qui na été entamé, dans cette région montagneuse et arcaïsante, ni par beleta, ni par amaz-. Certes bien des formes ont subi récemment l'influence de la langue de Paris, voire ont été complètement francisées : ainsi les furmi (705) et frumi (703) de l'Atlas, comme les formes suivantes que j'ai recueillies : furm: à Rochefort et Chanat, furmiyo à La Bourboule. Mais voici une nombreuse série d'exemples de la forme indigène : dans l’Aflas fèrmé (706) (et à l’ouest firme 707, furmé 704, etc.) ; recueilli person- nellement : férmé (Mont-Dore) , firmé (Tauves, Piche- rande, Latour), fèrmé (Singles), furmé (Avèze, Sayat, Chäà- teaugay), furmo (Bagnols), fèrmo(Romagnat), f4rmi(Aydat).: Cette dernière peut être influencée par le français, comme le férmi de Saulzet et du Vernet-Sainte-Marouerite, et le färmi 1. Mon sujet était plus arcaïsant que {celui de M. Edmont : j'ai déjà eu l’occasion dé lé remarquer. j LL. on tie dr At à: de dé fe de à sé Le. das D 5. 2 La NA 4 — relevées à l’ouest par M. Gilliéron, à partir de 706, sont res- F L + à h ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 89 de Besse : encore n'est-ce pas certain. Il est plus vraisem- blable que le féminin (que j'ai toujours observé) a été ramené par le français dans le Puy-de-Dôme : les formes tées généralement masculines. Autre preuve de l'ancienneté de formic dans l’ouest du Puy-de-Dôme, comme dans le Velay : c’est la survivance des représentants de FORMICARIA : car à côté du fwrmiyéra francisé de 705 (cf. furmiyéro de méxédri à 805), voici fru- - midzera à 703, farmidz yera à 815, ausquels je joins le fr- médzéi de Latour. On remarquera que les représentants indigènes de formic sont très altérés. Il s’est opéré souvent un recul d’accent, fréquent dans la région quand la tonique porte sur une voyelle finale grêle (7 ou é) ‘; de son côté, l’ a pu altérer la voyelle précédente par une sorte d’'Umlaut. Mais il y a autre chose. Les formes du Mont-Dore et du Limousin et le farmi de 81$ sont d’accord avec les fermi, _ fremi de la Nièvre et de l'Ain, pour prouver que dans le centre de la France, du Velay au Nivernais et du Limousin à la Bresse, formi(c) a été altéré en fermi, fremi, par létimo- logie populaire (d’après frémir) ?. C'est cette homonimie qui a tué le mot dans le Massif Central et qui a fait le suc- cès du substitut germanique. 1. Cf. À. Dauzat, Géographie phonétique d’une région de la Basse- Auvergne, p. 54-57. 2. Je ne serais pas étonné qu'il se soit produit aussi une influence de la racine ferm : la question nécessiterait une autre étude. Le mot a subi l'attraction homonimique de fournir dans l'Aveyron ( furnixe), le Gard, les Bouches-du-Rhône, etc. ( furnico). 90 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE 3. — Contribution à l'étude du hanneton. 1. — Le hannelon avait-1l un nom en latin ? Si l’on cherche dans la Gaule romane (ou dans l'Italie) les représentants du tipe primitif qui, en latin vulgaire, aurait désigné le hanneton, le résultat de l'exploration est négatif. Cette carence absolue, que nous rencontrons pour la première fois, doit-elle s'expliquer par le fait que le mot primitif aurait été complètement submergé par les for- mations postérieures ? Ce serait bien peu vraisemblable. La vérité c’est que le latin n'avait pas de mot pour dési- gner le hanneton :. | | On a allégué parfois bruchus (grec Bpoÿyos ou Bpoëxoc), mot qui n'apparaît qu'à l’époque crétienne, dans Prudence et chez d’autres auteurs sacrés, et qui est visiblement emprunté au grec. Or ce terme désigne certainement un ortoptère voisin de la sauterelle, soit la sauterelle aptère comme le pense M. Meyer-Lübke ?, soit plutôt le criquet. Il y a un verset des psaumes particulièrement sigmifcatit à cet égard (civ, 33): venit locusta et bruchus... « la sau- terelle et le criquet vinrent en quantité innombrable et elles mangèrent tout le foin de left terre » 3. Aucun doute 1, Et le grec ancien pas davantage. La unhod6vôn, que les natu- ralistes ont reprise dans leur nomenclature pour désigner le hanneton, était la cétoine dorée, dont la couleur avait été rapprochée de celle de la pomme : le fait est aujourd’hui universellement admis parmi les entomologistes. 2. Romanisches etymologisches Wærterbuch, vo bruchus. 3. J'ai eu la curiosité de savoir comment le mot avait été traduit ON rh er ann de Su de fat a à irc sie diet à à: rte dit it ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 91 n’est possible : le hanneton ne vit pas dans l'herbe et ne mange pas le foin. | Le baron Walkenaer’ a émis l’hipotèse que la spondyle d'Aristote et de Pline — « insecte inconnu », disent les dictionnaires, — et qu'il ne faut pas css dré avec le spondylus, mollusque, était le ver blanc, larve du hanneton : füt-il prouvé, le fait ne nous intéresserait pas, car en aucun pays le peuple n’a jamais établi de relations entre le ver blanc et le hanneton, pas plus qu'entre le st et la chenille, jusqu’à l’époque toute récente où l’école s’est efforcée de le lui apprendre. Par contre la frase suivante du vieil entomologiste mérite d’être relevée : « On ignore si les Latins donnaient à cet insecte adulte un nom particulier, ou s'ils le désignaient parles noms généraus de scarabaeus, de cantharis, si souvent employés par eus pour désigner toutes sortes de coléoptères. » C’est cette dernière hipotèse qui doit être admise. Et l’histoire naturelle vient en donner lexplication?, A l’époque romaine, le hanneton vulgaire (melolontha vulgaris) était un insecte peu commun dans le monde latin : c’est pour cette raison qu'il n'avait pas reçu de désignation spéciale, pas plus que les centaines de genres de coléoptères que l’entomologiste moderne différencie dans les psautiers provençaus et catalans signalés dans la Romania (XVIL, 353, et XIX, 527 et suiv.). Dans le premier (Bibl. Nat., fr. 2434), : bruchus est traduit par eruga, chenille (e venc lagosta e eruga...); dans le segond (id., esp. 5), le mot latin a été simplement démarqué (e vench la leguostra e bruscha). À rapprocher du premier exemple le fait que bruchus, qui n’a vécu qu’en Italie, y a passé au sens de «chenille » she: peut-être sous l'influence d’eruca. . Dans ses Recherches sur les insectes nuisibles à la vigne connus des anciens et des modernes, 2° partie, Paris, 1836. 2. Je tiens à remercier ici un savant entomologiste du Muséum, M, Künckel d'Herculaïs, qui m'a fourni d’utiles renseignements. An) ve 92 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE et analise, mais que le peuple n’éprouve pas le besoin de distinguer dans son langage. | « La grande multiplication du hanneton vulgaire, m'écrit M. Künckel d'Herculaïs, est le résultat du défri- chement des immenses forêts qui couvraient la Gaule. » En effet, si le hanneton adulte se nourrit de feuilles d'arbres, sa larve vit dans un terrain meuble et ne se plaît pas à l’intérieur des forêts, mais dans les clairières et surtout sur leurs lisières. Le défrichement de la Gaule septentrionale et centrale, commencé à l’époque romaine et effectué en grande partie sous les Mérovingiens :, devait forcément favoriser la multiplication de cet insecte. Il se pourrait aussi que ce coléoptère fût venu de l’est, de Germanie, à cette époque. Mais le hanneton vulgaire n’a jamais pénétré en abon- dance dans la région méditerranéenne, dont les essences d'arbres (pins, oliviers, etc.) ne convenaient pas à sa nourriture’. À l’heure actuelle, s’il est très répandu dans toute l’Europe centrale et occidentale — Autriche, Allemagne, Suisse, Italie du Nord, France centrale et septentrionale, Angleterre, — il est rare en Espagne, en bas Languedoc et en Provence, dans l'Italie du centre et du sud ; on le trouve dans les Balkans, maïs peu ou point en Grèce. Cette répartition n’a dû guère se modifier dépuis le moyen âge. 2. — Le hanneton en ancien français et en ancien provençal. Dans la France du nord, le nom du hanneton apparaît A -{ > 1. Cf. les noms de lieus en -ville en Beauce dans l’ancienne forêt des Carnutes, en -court dans la région lorraine, etc. 2, De même dans l’extrême nord (Russie du Nord, Finlande), où il n’y a guère que des conifères. ‘4 dès lé &ié siècle dans le Couronnement de Louis (1058), … et revient à diverses reprises dans les textes sous une PTE" ? 7 r LL: …._E kssais bé cÉocRâmME LiNGüISTIQUÉ ÉE forme qui était depuis longtemps fixée, avec le radical germanique han-, coq, qu’on ne retrouve dans aucun autre mot français ou roman (preuve de l’antiquité de la formation), et le double suffixe et-on. Le Supplément de Godefroy cite divers exemples, empruntés à un glossaire du x siècle (ms. de Tours), aus sermons de Maurice de Sully, au Psautier de Metz (qui a traduit, cIv, 33, bruchus par « bruant ou hainetvn » ), au Journal d’un bourgeois de Paris (1445). Ajoutons que le tribunal ecclésiastique de Lausanne, en 1479, avait condamné les mans (vers blancs) au bannissement ‘, et rappelons surtout qu’au moyen âge, dans le nord de la France, les enlumineurs de manuscrits ont reproduit le hanneton, dans les encadrements de leurs … miniatures, avec la plus grande fidélité et une perfection qui font l'admiration des entomologistes contemporains. Si nous passons maintenant dans le midi de la France, nous nous trouvons en présence de faits tout différents. Demandez à un provençaliste comment se disait hanneton dans l’ancienne langue d’oc: tout ce qu’il pourra vous _ répondre, c’est qu'il ne devait y avoir que des termes régionaus qui, pour la plupart, ne nous sont pas attestés dans les textes. Il est certain que l’insecte était beaucoup moins répandu dans le midi que dans le nord de la France: dans le foyer intellectuel du pays, la Provence, il était, comme ilest encore, presque absent. Aussi n'est-ce pas un hasard si bertau, le seul nom autentique du hanneton en ancien provençal, apparaît d'abord chez deus troubadours du midi occidental : 1. D’après Maurice Girard, Les métamorphoses des insectes (Paris, 1884), p: 81. ER A EN US AE à Se POUPEE , : EX: RE 1 … € Y PS) n 2 rw 94 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE Marcabru, de Guyenne, et Guiraut de Borneil, d’Excideuil en Limousin ; on en trouve un autre chez Rambaud de Vaqueiras. Ces exemples ont été réunis par M. O. Schultz dans une intéressante étude, à laquelle je renvoie : : le sens de hanneton n’est pas partout assuré, mais il est très vraisemblable, en dehors d’un des trois exemples de Marcabru où bertau est employé adjectivement avec la signification « malheureus ». M. Schultz a judicieusement rattaché le mot au nom de personne Bertwald, étimologie enregistrée par M. Meyer-Lübke dans son Dictionnaire étimologique (1053); il a montré que la disparition de la dentale finale n’était pas sans exemple au sud de la Gaule, pour des noms de cette nature. Il s’est demandé si le nom commun s’appliquait d’abord à un homme ou à un animal. La première hipotèse, — appuyée sur bertau, mal- heureus (ou pauvre hère), en provençal, et sur les « petits rois bertaux » en français ? — semble bien la plus vrai- semblable. M. Suchier 5 y a joint des exemples français et provençaus de hertau(d), étourdi, qui rendent fort clairle passage à « hanneton » (il explique en outre par « fou téméraire » (?) le bertau de Guiraut de Borneil, qui n'est pas très clair). Bertau aurait donc été à l’origine un surnom, — l’étourdi, le fou, — tiré d’un nom propre (cf. « un jacque *») et spécialisé peu à peu pour désigner le hanneton. | Il est curieus, en tout cas, qu’en provençal comme en français ce soit à un mot d’origine germanique qu'on ait fait appel pour la première appellation connue du hanneton. 1. Zeischrift für romanische Philologie, XVII (1894), p. 136-7. 2. Mémoires de Nevers, Il, 41, d’après Lacurne de Sainte-Palaye. 3. Zeitschrift für romanische Philologie, XVIII, 189. | À LS md Fa LÉ t nn Le "€ * | ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 95 3. — Les noms du hanneton dans la région auvergnate. L'examen de la carte « hanneton » dans la région auver- gnate, — dont le détail présente les faits d’une façon si différente de l’ Atlas linguistique, — offre plusieurs caractères intéressants. Le plus frappant est le morcellement extrême dans la Limagne moyenne : véritable décomposition, qui se manifeste en général sut la limite de grandes aires qui se sont affrontées et disloquées. C’est dans la Limagne moyenne que nous trouvons le dernier vestige de l'aire la plus ancienne : le bärtœu d'Authezat, relique précieuse, est en effet le représentant, absolument fonétique, de bertau. Qu'en reste-t-il par ailleurs ? Mistral, dans son Tresor dou felibrige, nous donne bertau comme un vieus mot du Languedoc ; Rolland, moins précis, se borne à renvoyer ‘ au dictionnaire des idiomes languedociens d’Azaïs (1877). C’est un terme à peu près complètement disparu à l’heure actuelle. L’indi- cation de Mistral, l’épave d’Authezat, joints aus témoi- gnages anciens de Marcabru et de Guiraut de Borneil, permettent de reconstituer une aire fort étendue qui devait embrasser grosso modo au moins l’Auverene, le Limousin, la Guyenne et le Languedoc. Un terme presque aussi arcaïque — ses multiples déformations suffraient à le prouver — estle tipe këkaya, kékala, qui occupe une aire homogène en basse Limagne, mais qui s’étent surtout, plus au nord et plus à l’est, sur une région très vaste. D’après l’Aflas linguistique, käkwel, 1. Faune populaire, II, 330. 36 REVUE DE HILOLOGIÉ HRANCAISÉ kähkvan, hak(iv}èr . . : océüpe la Loträine, la Franche-Corité et la majeure partie de la Suisse fomande; il devait jadis tenir toute la Bourgogne et une partie de la Champagne, où il a été récemment dépossédé par hanneton : ; il règne encore sur la majeure partie du Nivernais, du Bourbonnais, la Saône-et-Loire ; des formes plus ou moins altérées se retrouvent sporadiquement dans la région savoyarde (966), dans le Rhône (908), l'Isère, la Drôme et l'Ardèche (827, 837, 920) :. La basse Limagne était le prolongement naturel de cette vaste zone, qui a été coupée par les importations ou formations néologiques du Forez, et qui devait même s'étendre beaucoup plus loin: M. Costille, instituteur à Royat, m'a certifié en 191$ l'existence de käkälyo, hanneton, dans la région immédiatement à l’ouest des Monts Dore, où je ne l’ai pas trouvé, et M. le D' Queyrat a signalé këkèrlo à M. Antoine Thomas comme creusois, sans pouvoir spécifier la localité. C’est incontestablement un mot de l’Est, qui a gagné le Plateau Central, et qui, avant hanneton, a descendu la vallée du Rhône où il s’est altéré en coucouëro, coucouro : sous cette forme, Mistral l’enregistre comme désignant la variété blanchâtre du hanneton, dont nous reparlerons. Les formes que j'ai relevées dans la basse Limagne sont: kakàyo à Bulhon (comme à Thiers, 806 de l'Atlas); k6kà yo à Saint-Remy-sur- Durolle et Beauregard-lEvèque ; kôkàyo à Charbonnières les-Vieilles ; këkald à Randan, Saint-Denis-Combarnazat, 1. C’est sous l'influence de l’ancien käkwer que hannelon a été altéré en kentô (110, etc) dans l’Aube et le nord de la Haute-Marne. | 2. Le Dictionnaire Savoyard de Constantin et Désormaux donne cancwérè, ver blanc, pour la région d'Annecy. 3. Jaubert enregistrait cancoire et cancouelle, hanneton, qui semblent disparus aujourd’hui dans le Berry. 1 | | nié. J CR TE ROUE 5 oi Ds _. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 97 ; \ Thuret, Aigueperse, Combronde (et Xékäilu); tyèkälo à - Mezel, tyékûlo à Lussat, trèkàlo à Montferrand ; —en résumé, les deus tipes cancalha et cancala, avec variante 4-ê-6 pour la nasale, et forte altération de l’initiale à Montferrand. L'Atlas a relevé käkèlo à So9 (Ambert), où Michalias, le félibre ambertois, ne connaissait que « meunier ». Ce mot a été fort altéré, comme le témoignent, outre les variantes auvergnates, de nombreuses formes de l'Atlas (par ex. kwëkway 74, karkwey 52, kukwâneé 972, etc.). Pour son étimologie et son origine, je me rallie à l’ingénieuse hipotèse de Nizier du Puitspelu, qui, dans le Supplément de son Dictionnaire étimologique du patois lyonnais, le rattache au genevois quinquerne, vielle (par extension : rabâcheuse), lequel descent en droite ligne de l’ancien français guiterne, altéré déjà dans l’ancienne langue en guinterne, puis quinterne ‘. L'ancien forézien et lyonnais a cancorna, hanneton (et radoteuse, à Lyon), visiblement influencé par « corne ». En s'étendant vers le nord, le mot a perdu ou amui son 7 (tipe käkwan, influence de « cancanner ») et plus souvent a laissé tomber son » (tipe kakwer). Les formes les plus altérées sont celles d'Auvergne, visiblement influencées par « quincaille », et celles des Vosges où la finale wér a passé à -wél. La métafore « vielle — hanneton » est très expressive pour désigner un insecte qui bourdonne ; on comprent qu'elle ait eu du succès, et qu’elle äit en partie ? submergé au nord l’ancienne aire « hanneton » — jusqu’au jour 1. Godefroy cite un exemple de ouinterne (Bonivard, Ad. et dev. des lang., éd. 1858) et de quinterne (Clef d'amour, p. 98, Tross.). Aucun exemple, pas plus que chez Lacurne, du prétendu « vieus français cancoile » cité par Mistral, et qui paraît n’être qu’une hipotèse au moins téméraire. 2. Notamment en Lorraine et en Champagne. (Cf. l'exemple, cité plus haut, du Psautier de Metz.) | I 1 A REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE / où elle n’a plus été comprise, à la suite de ses déforma- tions et de la disparition du mot au sens propre. C’est donc une formation franco-provençale, spécialement lyonnaise-cenevoise, qui avait reflué jadis en Auvergne avec beaucoup d’autres mots lyonnais ‘, et qui, aujour- d’hui, est presque effacée dans son ancien foyer de rayonnement. — La forme creusoise K£kèrlo est précieuse, car elle est moins défigurée et plus voisine du tipe ori- ginaire que les variantes auvergnates. En ce qui concerne la basse Auvergne, cancalha arrivant du Nord-Est i a rencontré hertau, formation venue anté- rieurement du Sud-Ouest, et l’a disloqué. Sur la lisière de ces deus aires se sont développées des créations régionales et locales. La plus ancienne a été ultérieurement morcelée par d’autres poussées; mais ses débris actuels permettent de supputer son étendue primitive. C’est l’aire du « ronfle » où « ronfleur ». Le substantif verbal rufé couvre l'extrême nord-ouest : Chambon, Fontanières (communication de M. À. Thomas); les variantes rufu (702) et rufè (601) ont été relevées dans la même région par l'Atlas. D’autres vestiges de la même aire se retrouvent à Châteauneuf-les- Bains et à Saint-Georges-sur-Allier (rwfé), et, plus au sud, sur un petit territoire un peu plus étendu sous la double forme rufé (Parentignat) et rufädu à Orsonnette, Auzat, Lamontgie, Bansat, Vinzelles, Chargnat. Au sud-est, la même idée a donné lieu à une création analogue, du tipe bronzi(n), substantif verbal de bronzinar >> brôjénà qui signifie « bruire » dans toute la région : j'ai relevé brôjé à Saint-Etienne-sur-Usson, où il est en voie 1. J'aicité le fr. régional larmuse au début de l'étude du lézard; de même le fr. régional auvergnat fayard (patois fau); on a vu aussi que le tipe cavala, jument, est venu de Lyon. 2 ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 99 de disparition, et à Doranges; brôje à Arlanc et aus environs (Beurrières, Tomvic, etc.). Le morcellement lexical s’est surtout accentué dans la Limagne moyenne, sur la décomposition des aires primi- tives. La disparition de bertau a peut-être été hâtée, sinon provoquée, par une rencontre homonimique de la finale avec taô >> tau ; mais le fait reste douteus, car en bien des patois la difrtongue issue de l’hiatus a6 ne fusionne pas avec l’ancienne diftongue au ; d'autre part, nous verrons bientôt que féu — hanneton est relativement récent aus Martres-de-Vevre ’. Toutefois il est remarquable que la petite aire « taon » — hanneton (les Martres, Mirefleurs) se trouve précisément à proximité du dernier résidu de bertau (Authezat). Dans cette aire et au delà (Cournon, etc.) le taon est confondu sémantiquement avec la mouche. Une raison spéciale n'est d’ailleurs pas nécessaire pour expliquer comment le hanneton à été désigné par un autre nom d'insecte. Sans doute faut-il que bertau ait été d'abord dans un état d’infériorité, soit par télescopage homonimique, soit tout simplement parce que la rencontre de plusieurs mots sur un territoire donné — en l'espèce bertaw affronté . par quencala, puis, on va le voir, par le parisien hanneton — favorise l’éclosion de tipes nouveaus plus expressifs. Ceci posé, il est tout simple que les patois aient eu recours à des succédanés, à des noms d'insectes plus ou moins voisins. Le paysan n’y regarde pas de si près, et les multiples substituts du hanneton nous mon- treront qu'il est inutile de chercher midi à quatorze heures pour expliquer les permutations fréquentes entre les noms d'animaus. 1. Enfin le hanneton est appelé « taon » dans bien d’autres régions. (Cf. Atlas, 779, 851, 853, 876, etc.) 100 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE Voilà d’abord la cétoine dorée, appelée « sourde » dans toute la région : surdà devient le hanneton à Issoire et au Broc. — Voici, trois fois sous deus formes différentes, la cigale * : eëçolo à Joze, cébà (m.) à Aubière, eêçälà à Saïnt- Martin-des-Plains. La cigale s'appelait jadis egbo f. (dérivé cèba), forme que j'ai relevée notamment aus Martres, acception métaforique de ceba, ognon, qui, au sens primitif, a disparu très anciennement devant ##7h6 ; de nos jours, le français « cigale » a été patoisé et a fait peu à peu dispa- raître cébé. Cet insecte étant rare dans la région — on ne le voit que par certains étés très chauds, et seulement près de l’Allier — le mot correspont chez les paysans à un concept assez vague (sbô est devenu « sauterelle » a Cournon); il était, par suite, tout désigné pour servir de substitut à un terme défaillant. — J'en dirai autant de l’escarbot, dont le nom (eéstsavani, étsarbô) désigne le hanneton à Singles et au point 714. Le véritable scarabée (genre ateuchus) n'existe pas en Auvergne ; il n’y a que le géotrupe, qui a le surnom imagé de mudz-itrô (fouille- étron) ; les représentants indigènes de la racine scarabaeus sont devenus à peu près introuvables (iisärävau, géotrupe, à Saillant). Tout en étant très commun, le bourdon (comme le frèlon vis-à-vis de la guêpe) ne paraît pas assez individua- lisé aus yeus du paysan auvergnat par rapport à l'abeille pour mériter une appellation spéciale. Son vieus nom de bergau, relevé par l'Atlas en de nombreus points, surtout dans la région limousine, a disparu presque partout en Auvergne. Plus ou moins altéré, parfois pourvu d’un suffixe, le terme a été gardé, pour désigner le hanneton, par Châteaugay (burcé ?) et, dans une autre région, par 1. Et hors d'Auvergne aus points 510, 729, 821, etc. 2. C’est aussi le surnom donné aus habitants de Châteaugay dans les environs. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE IOI Saint-Anthème et Saint-Romain (bärçädièirä). Je m'étais demandé naguère ‘ si ce mot n'était pas un doublet de Bertwald > bertau ; les formes pourvues du suffixe -adoira peuvent faire présumer l'existence d’un ancien verbe *bergar, bourdonner (qui convenait à merveille au hanneton). La confusion avec le grillon semble plus étrange. Elle existe cependant en deus points isolés : à Auzon (çärlé) et à Enval, qui, il est vrai, spécifie çàrl à butu (orillon à boutons, c.-à-d. « à bourgeons », entendez : qui mange les bourgeons). — Voici d’autres substituts encore moins approximatifs. D’abord bin, au point 802, ancien nom régional de l’essaim (*BENNIA), appliqué ensuite à l’abeille, et dont j'ai parlé dans l'étude relative à la guêpe. — La bäbäzétà des Pradeaux semble le résultat d’une confusion avec le nom disparu de la blatte (insecte rare dans ces campagnes); à Vinzelles, hérbädgétàä (qui a subi l'attraction homonimique de barba) désigne divers petits coléoptères qu on trouve dans le lard, le vieus pain (dermestes, etc.) ?. Le bähor du village voisin de Nonette est peut-être de la même racine, mais influencé au moins par un autre mot 5 (cf. à Vinzelles h6b620, tapage). Voici des noms d’animaus encore plus lointains: le hanneton est appelé « tourtereau » ({urtärtu) à Monton (805) et « buse » (marçal) à 803, — qui, en somme, 1. Romania, XLIV, 253-254. 2. Ce radical est susceptible de désigner des insectes très divers. (CF. Rom. etym. Waærterbuch, 852). J'ai entendu appeler la cétoine babbalota à San Remo. 3. bambaro, bomboro est un instrument de musique d’après Mistral : c'estla même métafore que pour qguinquerne. D'ailleurs les deus mots se sont croisés en des variétés infinies de sens et de forme : Mistral a bambarot(o), hanneton, ver blanc, chenille ; habaroto, chenille, charançon, blatte, etc. 102 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE ne sont pas plus surprenants que « le petit coq » de banneton et la « poule d'arbre » limousine et creusoise. Plus curieus est le « mouton » de Jumeaux (mwitu) : la comparaison doit être due au duvet blanchätre des élytres qui a rappelé la laine; on verra plus loin que la variété blanchâtre du hanneton. à joué un grand rôle dans la région. Dans le même sens, bärytyino, à Cournon, est un diminutif du mot enfantin bérôto, brebis. Les adjectifs substantivés, employés d’abord comme surnoms, sont rares. Je ne vois (en dehors de la « sourde » précitée, qui a d’abord désigné la cétoine) que la «sotte » (käkärœudä), d'Usson. — Quant au vrôdé du point 905, il représente un tipe wrondet, dérivé qu'on trouve au sens propre, avec le verbe vironda, « faire le tour de », dans le dialecte de Saint-Etienne au xvur* siècle : l’étimologie, qui a échappé à M. Veÿ, est sans aucun doute virar + ironda ; quant à la crase du radical, on la trouve dans de nombreus patois (p. ex. vri dans le Dictionnaire Savoyard). Le français hannelon n’a pas attendu la dernière période pour venir au secours de la lexicologie patoise défaillante. On pourrait même se demander, en présence du sous-tipe (hanet assez fréquent dans le Centre et jusque dans le Sud-Ouest, si le germanique han n'aurait pas débordé autrefois jusqu'ici et si ces (h)anet n'auraient pas été formés concurremment et indépendamment du hanneton du Nord. Il n’en est rien. Car non seulement nous n’avons aucune attestation d’un mot anet dans l’ancienne langue d’oc, mais le vieus français lui-même ne connaît pas hanet qui, au surplus, n’est attesté par aucun patois du nord: la forme s’est cristallisée dans le nord — au moins dès le xI° siècle, on l’a vu — avec le double suffixe. Les (hanet du centre et du midi (en y comprenant le sigal-han du point 510) représentent une dédiminutivisa- ” Vs A rire Di Lise dut re à. CT PNR EPST Ne u = ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISFIQUE [103 tion relativement récente, car celle-ci a sûrement été pro- LI jé voquée par le français « âne »; elle suppose donc la connaissance du français suffisamment répandue dans les campagnes. L'h ne se faisant plus sentir depuis longtens ù dans le centre et le midi, et l’a fermé n’existant pas, même | en français régional, l’anelon a été compris comme un « petit âne », d'autant mieus que hanneton, lui aussi, est un mot français. Il devient donc anet (onet, 717), puis ane ; mais comme cet ane ramène à un mot français, on le traduit en patois : d'où les formes du sud-ouest azé (733, 743), ajè (741). Dans la basse Auvergne, nous trouvons dné à Lempdes, Le Cendre, Orcet, Pérignat, La Roche-Noire, La Sauvetat: « âne » se dit êné en patois au Cendre, à Pérignat et à la — j L 14 7, ‘ Roche-Noire ; mais dans les autres localités précitées, il y a homonimie parfaite entre les noms du hanneton et de l’âne. À Busséol, ère, âne, a provoqué èré, hanneton. Aus Martres-de-Veyre (où âne est èné), êné, hanneton, a dû aussi exister naguère, comme en témoigne une formulette ou petit conte enfantin : ë ko, ly àv & ko èn èné dyèty un iklyo : là kulovyrô pété, é l'èné s ëvulé « Une fois, il y avait une fois un hanneton dans un sabot : ia bande du sabot péta, et le hanneton s’envola. » Le mot n’est d’ailleurs plus compris, mais le sens ne saurait être douteus. Et ceci nous prouve, comme nous l'avons dit plus haut, que la valeur « hanneton » donnée aujour- d'hui au taon aus Martres-de-Veyre ne doit pas être très ancienne. — La basse Auvergne connaît aussi une autre At SE, LA fait M 104 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE altération de hanneton : c’est anitsu (Romagnat, Royat) ; Cressat (canton d’Ahun) a janétä (A. Thomas). De nos jours, hannelon est revenu à la charge paï l’école: car c’est un mot qui intéresse surtout les enfants, et il arrive que l'instituteur leur apprenne avant les parents le nom de l’insecte. C’est ainsi que le mot français a fait aujourd'hui presque complètement disparaître du Forez la cancorna signalée par Nizier du Puitspelu : lAfas a relevé anélu au point 816; j'ai recueilli moi-même anétä à Moinet, anëtô à Saint-Just-en-Chevalet et aus environs, où on ne connaît pas d’autres termes: En. Limagne, l’Atlas à anétü à Ennezat (804), auquel je joins lanétô de Saint-Maurice. Toutefois le terme français n’est pas encore prêt à sub- merger les formes locales dans la basse Auvergne, d’au- tant plus que la résistance y est accrue du fait d’une tenta- tive assez récente d’unification régionale. L’appellation nou- velle, quia eu un grand succès surtout dans la haute Li- magne et dans la montagne à l’est et à l’ouest, est une extension de sens du vocable qui a désigné d’abord la variété blanchâtre, à duvet épais, que les naturalistes nomment aibidus où Mulsänti. Cette coloration, au témoi- gnage de M. Künckel d’Herculaïs, plus fréquente chez les femelles, se rencontre surtout dans le Sud-Ouest et le midi. Le hanneton blanchâtre est appelé « farinier » (fèriuyé) à Chavanat (canton de Saint-Sulpice-des-Champs, Creuse) ‘, et dans toute la basse Auvergne « meunier » ou « meunière » (qui coexiste avec le nom ordinaire du hanneton là où il n’a pas assimilé celui-ci), et qu on trouve aussi à Chavanat concurremment avec « farinier ». Ainsi « meunier », hanneton blanchâtre, s'oppose à rufé, hanne- 1. D'après le Dr Louis Quevyrat, originaire de Chavanat (communi- cation de M. A. Thomas). 71 , y . ] à . ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE IOS * ton ordinaire, à Châteauneuf-les-Bains, et à rwfddu à Vin- zelles * et environs. Au sens général de « hanneton », meunier-meunière forme un bloc compact, qui est en progrès et qui élimine et détruit d’autres termes plus anciens: ainsi brôjé devient arcaïque à Saint-Etienne-sur-Usson et dans les environs, où l’aire primitive a été disloquée ; à Royat, « meunier » entre en concurrence avec anitsu ; dans la-région des Monts Dore, je n'ai plus retrouvé le tipe quencalho qui i existait naguère ; etc. Le masculin et le féminin sont assez irrégulièrement : répartis ; chaque forme cependant est généralement grou- pée en masses plus ou moins importantes. « Meunière » forme le bloc principal, à l’ouest et au sud: points 706, 703, 705, 709, 811, 812, 815, 813, 814... de l’Atlas (jus- qu'au sud de l'Aveyron) ; recueilli personnellement à Mo- nestier (Corrèze), Bourg-Lastic, Rochefort, Sayat, Cha- nat, Ponteix (Aydat), le Mont-Dore, La Bourboule, Saint-Sauves, Tauves, Bagnols, Besse, Saint-Victor, Montaigut-le-Blanc, Pardines, Saint-Floret, Vodable, Cha- lus, Madriat, Lavigerie (Cantal), Saint-Ilpize, Vieille- Brioude, Saint-Jean-Saint-Gervais, Le Fayet-Ronnayes (vil- lage entouré de sapinières, et où linsecte est rare), la Chaise-Dieu. Le même tipe est isolé, vers le nord et l’est, à Malintrat, à Laps et au point 808 de l’Atlas. — « Meunier se rencontre au sud-ouest (708), au nord-ouest (801 ; l'aire doit être assez vaste, à en juger par le « meunier », hannetor blanchâtre, de Châteauneuf-les-Bains), sporadi- quement à Royat, puis dans une zone assez étendue, cou- pée en deus (mais reliée en réalité par la région de Vin- zelles où « meunier » signifie hanneton blanchitre) : 1. À Vinzelles on emploie généralement dans ce sens la forme fran- çaise m@yYyé, la forme patoise mAnet étant réservée au meunier. k 106 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE Coudes, Sallèdes, Saint-Julien-de-Copel, Billom, Sauviat, Cunlhat, Sugères, Manglieu, Flat, Sauxillanges, Saint-Jean- en-Val, Saint-Etienne-sur-Usson, Esteil, Ambert, Grandrif, Saillant ; — sur la rive gauche de l'Allier, Saint-Germain- Lembron (807), Brassac, Moriat. ‘ 4. — Le ver luisant dans la basse Auvergne. 1. — Ver luisant — lampe. L'étude des noms du ver luisant, tout au moins dans les langues romanes, offre un exemple très intéressant d'une association de sens qui se reproduit en divers lieus et à diverses époques, avec une insistance remarquable quex- plique seule ja singularité de cet insecte lumineus. Le ver luisant est généralement désigné par le même nom que l’ustensile ordinaire d'éclairage: il est appelé « lampe ». Ce surnom métaforique ne survit guère à la disparition du mot au sens propre, car dès lors, en cessant d’être imagé, il pert sa raison d’être, et il est vite remplacé par un terme plus évocateur, — presque toujours par le nouveau nom de la lampe ou de l’ustensile d'éclairage commun. En latin, le ver luisant s'appelait CICINDELA ‘, mot de mème racine que CANDELA, et qui continuait toujours à s'appliquer à la lampe commune. Dans ce dernier sens, il est vrai, il n'apparaît guère que dans des textes d’une lati- nité assez basse (comme le Glossaire de Cyrille), maïs c'est un hasard, car il vit toujours au sens propre dans un grand nombre de parlers de l'Italie septentrionale: la même région, et celle-là seule, connaît le mot au sen$ de ver lui- 1. Ce mot ne désignait-il pas aussi (ou surtout) la luciole? Ce serait à voir. En tout cas le raisonnement reste le même pour les faits séman- tiques. Lampyris est un mot grec latinisé par Pline. LIN Le Uni VUE Fe kr 6 2 POCTrT — LS 20 Ahuesbos x \ | + » H ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 107 sant ‘. La métafore est donc étroitement associée au sens originaire du mot. CicINDELA n’est donc pas sorti d'Italie. C’est LUCERNA, qui était déjà le mot courant en latin vulgaire, qui a été exporté et qui a désigné la lampe ordinaire en Gaule comme en Espagne. Dans l’ancienne langue d'oc, luxerna était le nom de la lampe ordinaire, lampeza (mot demi- savant, importé par le latin d'église sans doute vers le virre siècle) désignant spécialement, comme encore de nos jours, la lampe d'église, et calelh ÉcaALICULUS) s'appliquant à la lampe portative qu'on suspend à un clou. Le sens métaforique /uzerna, ver luisant, n’est pas attesté, à notre connaissance, dans l’ancienne langue ; mais il devait certainement exister (les textes n'ayant guère l’occasion de faire mention d’un insecte qui n'est ni utile ni nuisible), comme le témoigne l'extension actuelle de cette acception. Sans compter le piémontais /üzerna et le dérivé espagnol luciernaga ®, luxerno, ver luisant (et la variante catalane luberna > luerna) se rencontre à l’héure actuelle dans de nombreus patois du midi, surtout, comme nous le montre l'Atlas, au sud-est dans le voisinage du piémontais et du génois (Alpes-Maritimes, — où le mot désigne aussi la luciole, p. ex. au Cannet, — Var, Basses-Alpes) et au sud sur les confins du catalan (Aude, Pyrénées-Orientales). Mais les exemples sporadiques qu’on relève jusqu’en Au- vergne permettent de conclure à l’existence ancienne d’une aire très vaste « /uzerna, ver luisant » qui englobait toute la France du Midi avec la Catalogne et le Piémont (la Castille ayant adopté un dérivé), et sans doute aussi, à l’origine, la France du Nord. 1. Cf. Meyer-Lübke, Rom. etym., 1904, et l'étude citée de Salvioni. 2. Cf. Meyer-Lübke, Rom. etym., 5137. On sait qu’en latin vulgaire LüÜCERNA prit de bonne heure (sauf réserves en Italie) un % d’après LÜCERE. CET ET OR LE PU EE DERNIER RP 7 = : : - ri 2726 108 _ REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE Cette aire s’est décomposée du jour où la lampe a cessé d’être désignée par le tipe LUCERNA. Dans la France du Nord, lampe a pris anciennement la place de luiserne. Le même fénomène s’est produit dans certaines régions du Midi ; ailleurs, surtout dans les pays ruraus, la lampe por- tative, calelh ou chalelh, a fait disparaître peu à peu l’an- cienne lampe romaine dont le nom est sorti de l’usage avec l’objet. D’autres ustensiles d'éclairage se sont vulga- risés: la-chandelle, la lanterne, de nouveaus modèles de lampes. , | Nous allons voir la répercussion de ces faits sur les patois de la région auvergnate. Les débris de l'aire primitive /uzerna, ver luisant, se retrouvent dans deus régions: 1° celle du sud-est, assez vaste, avec Jyuxèrnd (la Chaise-Dieu), yiérna et yuzèrna aus points 815 et 814 de l’Alas, luzèrno (824); 2° dans la Limagne moyenne, répartis en deus zones voisines mais qui ont perdu le contact immédiat entre elles : sur la rive gauche de PAllier, lyuzàrno à Vodable, Coudes, Saint- Sandoux, la Sauvetat, yuzdrnd à Corent, Orcet, luzyärno relevé à Monton par lAllas (805), lyuzèrno (Les Martres- de-Veyre); sur la rive droite, un peu en aval, /yuzérn (La Roche-Noire), lyujérnd (Saint-Georges), yuzèrnd (Pé- rignat). Ces formes sont dans un état remarquable de pureté fonétique, qui ne laisse pas d’être un peu suspecte : n'ont-elles pas été maintenues et sauvegardées contre des altérations par le nom de la luzerne, qui est partout rigou- reusement homonime ! ? Cette homonimie n’a pas été une 1. La luzerne n’est pas connue dans la région depuis une époque éloignée, elle l’est tout au plus depuis la Révolution ; de même letrèfle, qui n’a pas de nom patois ; la plante fourragère indigène est le sainfoin. IT est donc possible .que la luzerne ait été connue d’abord dans les patois de la moyenne Limagne, à l’époque où luzerno — ver luisant | ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 109 cause immédiate de destruction, car le nom du ver luisant revient rarement dans la conversation. Toutefois l’associa- tion des sens « luzerne — ver luisant » sous un même vocable ne pouvait être favorable comme « lampe-ver luisant » à la conservation de luzerna, ver luisant ; au lieu d’une métafore, il y avait un non sens, assez gênant à la longue. Quelques patois ont cherché à sauver le mot en le rat- tachant à la racine de LUCERE, peut-être déjà sous l’influence de ver luisant : Jux@tä (le Broc), c.-à-d. « luisante », lyuxéto (qui tent à remplacer /yuxarnô à Saint-Sandoux) c.-à-d. « luisette ». Mais ces remaniements ont eu peu de succès : toute altération de /uxerno devait faire tomber le mot dans l’attraction dévastatrice de « ver luisant ». On a eu recours, de préférence, à une nouvelle métafore d’après les ustensiles d'éclairage. Ce n’est pas un hasard si chalelh (tsälè à Avèze, tsalæ au point 706, isûlé à Vinzelles et environs, Chargnat, Saint-Jean-en-Val, fs4l@i à Bus- séol), « chandelle » (#ädyàl, Bourg-Lastic), « lanterne » (lätèrnd, Chalus) se trouvent échelonnés au sud-ouest, au sud et à l’est de l'aire /uxerna de la Limagne moyenne. Parmi les trois appellations, il est aisé de voir que la première en date est chalelh: d’abord c’est l’objet le plus ancien des trois dans la contrée ; ensuite c’est le seul des trois mots qu'on trouve répété, avec le même sens méta- forique, dans des patois assez distants les uns des autres, preuve que nous sommes en présence des débris d'une aire jadis homogène. Enfin, dans plusieurs de ces patois, chalelh est en voie de disparition : il m'était signalé comme arcaïque en 1900 à Avèze, où « chandelle » tendait à le remplacer ; il est rare à Chargnat, où ‘il a fait place à « ver existait encore dans la région ; quand la plante fouiragère s’est répan-. due plus loin, luzerno — ver luisant i avait disparu, sauf dans le sud- est plus arcaïque. EXO REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE luisant »; dans la commune de Saint-Jean-en-Val, on ne le trouve plus que dans quelques hameaus (par ex. Sarpoil ; ailleurs « ver ») ; à Vinzelles, on dit plus souvent vär dé fyé, que nous verrons bientôt. On peut donc conclure qu'une aire chalelh assez vaste * s’est développée jadis au sud et à l’est de la zone /uzerno de la Limagne moyenne, séparant celle-ci des luzerno de la Haute-Loire ; puis elle s’est disloquée sous la poussée de « ver luisant »; « chan- delle », « lanterne » sont des succédanés récents de cha- lelh, par lesquels le patois a us de se dérober à l’em- prise du mot français. À l’ouest, au nord-ouest et au nord de la luxzerno de la Limagne moyenne s'était formée une autre aire qui appa- rait aujourd’hui comme moins disloquée que la précé- dente : formation métaforique qui a pour pivot le mot « éclaire ». Nous avons trois séries de variantes princi- pales : « éclaire (ièro, recueilli personnellement à Monton ?, ésklar à Besse); « éclaire-cul », au domaine très étalé (éklyèro Cu, 702; éfèrû 136, Châteauneuf-les-Bains ; #lyàrd iyœu, Enval, environs du Puy-de-Dôme; écèrû tyœu, Rochefort ; ééra tyu, 804) et isolé plus au sud-est (:#lyàro tyœu à Brousse et Saint-Jean-des-Ollières) ; enfin « éclaire- botte » (éklyèro bôtô, Combronde) ; « éclaire-bouvier (800, 8or, Buxières-sous-Montaigut) et même « éclaire soleil » (806). Il est évident que les trois dernières expressions sont des variantes créées après coup pour remplacer la précédente jugée trop grossière. D’autre part les « éclaire- cul » du sud-est sont séparés des autres par une contrée 1. Elle devait s'étendre assez loin au S.-O., comme le prouve le kolel du point 619. 2. L'Atlas, dont le sujet était plus arcaïsant que le mien, y a relevé … luzyarno : nouvelle preuve que « éclaire », comme chalelh, s’est formé sur le pourtour et les débris de l’aire luzerna. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE III où on ne trouve que le mot français, ou bien où nous _ n'avons pas pu obtenir de nom (ainsi à Cunlhat, Saint- Julien-de-Copel, Beauregard-l’Évêque, Saint-Denis-Com- barnazat, Sayat). A-t-on hésité à nous donner un nom jugé grossier ? Cela a pu arriver. D'autre part il faut remar- quer que le mot, peu usité, est surtout connu des enfants, et un peu des hommes ; beaucoup de femmes lignorent *. En tout cas, la continuité et l’extension ancienne de l'aire « éclaire-cul » ne sauraient faire difficulté. Quel est maintenant le rapport entre cet « éclaire-cul » et | « éclaire » de Besse et de Monton ? Nous croyons qu « éclaire » est la forme la plus ancienne. D'abord à cause de sa position géografique : « éclaire » ne se trouve que dans des patois arcaïsants en bordure de l'aire luxerna ; nous voyons à Monton « éclaire » se substituer directe- ment à /uzerna. Enfin il y a une raison analogique : à côté de chalelh, lampe portative qui s’accroche, la lampe qu’on met sur la table est désignée depuis longtens par « éclaire » : à la métafore chalelh, ver luisant, qui s’est développée dans le sud et l’est, devait correspondre naturellement la méta- fore « éclaire » qui lui a été préférée à l’ouest et au nord. Mais cet « éclaire » était un terme moins précis, plus flot- tant que chalelh ; la valeur verbale, toujours sentie, appe- lait une spécification qu'il était plus difficile de former avec chalelh : « éclaire », cumulant le sens verbal et la valeur lampe, a provoqué rapidement le composé, qui est bien « éclaire-cul » au sens littéral, mais qui était surtout, à l’origine, « lampe au cul ». On peut en effet couper — et 1. Je n'ai pu avoir le mot, non plus, à Bagnols, Madriat (femme), Morat, Nonette (femme), Auzat (femme), Saint-Romain (femme) ; mon hôtelière de Besse et sa fille l’ignoraient. Le mot manque presque toujours là où le terme patois a disparu et où le mot français n’est pas encore vulgarisé. HR'RRS à! 112 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE comprendre — indifféremment : sklyèrd-ty@n et iklyér à Ly@. j Sur les débris des aires précédentes se sont aussi déve- loppées quelques formes « chenille » à côté des « ver », bien plus nombreus, que nous allons voir. Le ver luisant a en effet deus caractères essentiels pour l'observateur super- ficiel, et qui sont accouplés dans son nom français : c’est une larve ‘ (ver, chenille...) et il brille. Mais le premier caractère est moins spécifique. Aussi avons-nous peu de « chenille » : tsàtè à Murat-le-Quaire, le Mont-Dore (705, où l'Atlas n’a trouvé que le mot français), eyata livizèté et 1salyinä réflèrät dans l’Atias (709, 703), et enfin la bärutyinô de Gerzat, diminutif de beroto, brebis (appliqué par Cournon, on l’a vu, au hanneton) et qui est de la même lignée métaforique que /sato ou CANICULA. Les exemples de 709 et 703 prouvent à l'évidence qu'il s’agit d’une transposition du français « ver luisant », auquel on a pu chercher des succédanés. Le plus inattendu est cer- tainement le Pèëbärolo de Thuret, radical déjà vu pour le hanneton : on ne s'attendait guère à trouver la blatte dans l'affaire ; le nom de cet insecte urbain, inconnu dans les campagnes, est devenu un vrai passe-partout. Plus com- préhensible est la /yimàsd d’Ambert, que m'a fournie Mi- chalias, — terme peu répandu: ici encore l’Aflas na relevé que « ver luisant ». | 2. — Action du mot français sur les patois. On vient de voir que l’action du français ver luisant s'avère déjà dans la dislocation des aires précédentes. Pour sauver les mots indigènes menacés par ce dangereus con- 1. La femelle de l’insecte parfait est également lumineuse, mais pour un profane elle ressemble à une larve. futé) cu On US de] Die. -'iss ALES 17 Ce ge nn LS gt ÈS do ne # fra » ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 113 current, on a eu recours d’abord à des succédanés du terme indigène (p. ex. « chandelle », « lanterne »...) ou à des variantes patoises, « chenille », « limace ».. suggé- rées par le mot français. Mais ce ne sont là que réactions préliminaires. L'étude du ver luisant dans la basse Auvergne est une des plus instructives pour mettre en relief l’action d’un mot français, son processus, les ravages qu'il a exer- cés.. et qui continuent. C’est l'instant de rappeler que, plus encore que hanne- ton, ver luisant, usité surtout par les enfants, est un mot apporté par l’école. Il ne suit donc point —, comme les noms des objets, plantes ou denrées apportés par le com- merce —, les grandes voies de communication en remon- tant les vallées. Au contraire nous trouvons ce néologisme et ses variantes assez irrégulièrement répartis, — sans doute en raison de l'influence exercée par les maîtres: il y aurait là un petit problème de pédagogie psicologique et... géo- grafique, que je me borne à indiquer. Ce qui frappe d’abord, c’est la réaction des patois. Ceus- ci n'adoptent pas tel quel, en grande majorité, le mot ap- porté par le français. Ce ver luisant est un composé dont le premier membre est très clair, le segond un peu moins, car luisant n’est pas d’un emploi courant, tant s’en faut, dans le français régional. On pourra substituer à « lui- sant » un sinonime plus usuel ou une variante; bien en- tendu ver est remplacé par son équivalent patois : d’où vyar brilya à Sauviat, vér kuru (c.-à-d. curieus) à Sugères, vér kurô à Manglieu. Mais l'adjectif peut céder la place à un complément ou à une périfrase. En apportant ver luisant, dont le segond élément n’était pas satisfaisant pour le patoisant, le français a changé les conceptions antérieures relatives à la déno- mination de l’insecte, et a inculqué en même tens le 8 114 REVUE DE FILOLOGIE FRANÇAISE besoin et le goût de l'explication. Désormais la bestiole ne se désigne plus par une métafore évocatrice de sa qualité la plus apparente : c’est un « ver » — voilà ce que le français a posé en principe (d’ailleurs à tort au point de vue zoologique) ; mais c’est un ver d’une espèce particulière, qu’il s’agit de préciser. Et c’est à quoi le patois va s’em- ployer. | Voici d’abord des compléments. Vinzelles et environs et Usson ont « ver de feu » (wär dé fy6) qui tent à éliminer tsalè — chalelh. Au lieu de la propriété lumineuse de l’in- secte, on peut évoquer son habitat (vèrmé de bé — ver de bois [au sens : forêt], Tauves, Latour), ou l’époque de son apparition (var dé là 56 d;wä — ver de la Saint-Jean, préci- sément à Saint-Jean-Saint-Gervais). Et voici, une fois de plus, une confusion d’animal, bizarre de prime abord : var dè sèdä à Saint-Floret, que viennent confirmer les « vers à soie » de Touraine et d'Anjou relevés par l’Atlas (406, 423). Inutile d’ajouter que la basse Loire, pas plus que la Limagne, n’est aujourd’hui une région d'élevage des vers à soie; maïs la Limagne le fut jadis Pete serais pas surpris qu'il en ait été de même de la Touraine et de lAnjou : on s'explique qu’un mot, jadis fort en usage, ait pris, depuis la disparition de l'animal, un sens assez vague pour pouvoir désigner par la suite un « ver » d'une toute autre nature. Les formes où l’épitète est remplacée par une périfrase sont à la fois plus gauches et moins stables. On sent que ce sont des mots qui veulent porter leur explication en eus-mêmes, donc mal frappés et peu vivants, au point qu’on se demande parfois si l’on: n’a pas affaire à des formes 1. Il y avait jadis beaucoup de müriers dans la Limagne ; ils furent arrachés pendant la Révolution, à la suite de la fermeture prolongée des fabriques de soie lyonnaises (cf. l'Annuaire du Puy-de-Dôme de 1830). ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 115$ extorquées. Il arrive en effet que le patoisant, interrogé en français, ne trouve pas le mot du premier coup * et réponde d’abord par une formule explicative. Je suis convaincu, par exemple, bien que j'aie omis de le vérifier, qu'il y a à Pont- gibaud (703) un autre mot que la « chenille réclairante » relevée par l'Atlas, — d'autant plus que dans le village, pas très éloigné, de Rochefort, un jeune berger, à ma question, répondit d’abord par « ver qui éclaire » (vermé ke référè), puis, se ravisant, me donna le mot usuel, éèrû tyœu. Le « ver qui éclaire » — explication la plus simple — m'a été donné ailleurs exclusivement (ce qui ne veut pas dire que ce soit le seul mot) à Vic-le-Comte (värmé k i£lèr), Sallèdes (ver k iklyèrô), Saïllant (var ké riklyàrd), ausquels il faut joindre le vèrmé kë brilyo du point 708 de l'Atlas. Dans tous ces mots, « ver » a pris la forme patoise. Il en est de même là où « ver », sans épitète ni autre spécification, suffit pour désigner le ver luisant. Ce sont des patois peu épris de précision * et qui n’ont réagi contre l'importation du terme français que par l'élimination d’un adjectif peu compris et inutile. Le fénomène est sporadique vwèrmé (Château-sur-Cher), vér (Bulhon, Mirefleurs), vàr (Saint-Jean-en-Val), var (Saint-Etienne-sur-Usson, ha- meau de Berme). Voici enfin les parlers qui acceptent le mot français. Quelques-uns patoisent le premier mot (là où « ver » ne “ se dit pas vèr en patois 5), d’autres cherchent à patoiser 1. Ce fait est fréquent chez les patoisants qu’on interroge en français. 2. Le sujet aussi pourrait être mis en cause, mais il se trouve préci- sément que ce sont ici des sujets reconnus bons par ailleurs. À Bulhon, j'ai fait faire une enquête — dont le résultat fut négatif — par un ami, originaire de la localité. À Saint-Jean-en-Val (hameau de Sarpoil), coexiste {54lé qui tent à devenir arcaïque. 3. Les formes vèr, ve, var, va... ont d’ailleurs toutes été influencées par le français, mais à une époque bien antérieure à l'importation de « ver luisant ». REVUE DÉ FILOLOGIE FRANÇAISE 116 plus ou moins gauchement le segond terme, soit par l’ad= dition d’un préfixe, soit par l'assimilation fonétique, par- fois maladroite, de la finale. A la première catégorie appar- tiennent vwèrmé liviza (Merlines), vé Abizà à Beurrières, Saint-Remy-sur-Durolle, les points 803, 808, 807 de l'Atlas (ué liviza et var livizà) ; à la segonde, ou mixtes, vèrmeé livige (Laps), vér lyuxe (Le Cendre), vér lyuji (Mezel), vèr ludji (Saint-Anthème ; pourrait être un mot extorqué), vâr ilivizä (Grandrif), vér lise (Atlas, 812). D’autres patois ne produisent aucune réaction et prennent le mot français vér livixa tel quel: Malintrat, Flat, Paren- tignat, les Pradeaux, Chargnat et Usson (néologisme), Saint-Etienne-sur-Usson (hameau de Dijoly); Sauxillanges, Le Fayet-Ronnayes ; de même aus points de l'Atlas 802, 905, 816, 809 (néologisme, cf. lyimasa ci-dessus), 811 et 705 (néologisme, cf. {sato ci-dessus). À noter qu’au Fayet « ver » se dit vw, à Saint-Etienne-sur-Usson war. Ce n’est pas la seule fois qu'un composé français entre dans le patois sans changer d’habits: ainsi toute la région dit pôtalo, pot-à-leau, et, isolément, pwo ou piwvé — pot, et aiçd, &ic, èçà — eau. En admettant même que l’un ou l'autre des éléments composants soit oblitéré dans « pot-à-l’eau » au veus du patoisant, il est impossible que celui-ci ne sente pas « ver » dans « ver luisant ». Mais c’est un autre féno- mène qui entre en jeu : l’incapacité de réaction du patois, véritable début de paralisie dans ses moyens de défense. APPENDICE : 1. — Contribution à l'étude du lézard gris. LS " Si l’on considère l’ensemble des parlers provençaus, franco-provençaus et nord-italiens, d’après l'Atlas linguis- tique de la France et les données recueillies par les dialecto- logues italiens ?, on observe que le lézard gris est repré- senté au centre, dans le bassin du Rhône, par une aire * LACRIMUSA, flanquée à l’ouest, des Pyrénées 3 à l’Auvergne, et à l’est, dans le bassin du P6, par deus zones de parlers qui offrent des variantes d’un même tipe, /lengrolo en France, Hngwra, ligura en Italie+. Il semble à priori que ce dernier tipe devait constituer la couche la plus ancienne des deus, couche homogène qui s’étendait sans disconti- nuité de la Gascogne à la région padane, et qui a été cou- 1. La double notice suivante, qui a paru dans la Romania (t. XLIV) avec celle qui est relative à l’orvet, devait précéder l’étude des noms du lézard gris dans la basse Auvergne (ci-dessus p. 44 et sqs.), à laquelle elle sert normalement d'introduction. Les retards apportés par la guerre à la publication des revues scientifiques expliquent pourquoi la notice d'ordre général, ayant paru la segonde, n’a pas pu être fusionnée avec l'étude plus restreinte de dialectologie auvergnate. Le lecteur voudra bien restituer l’ordre logique. — La notice sur les noms de l’orvet est augmentée 1ci d’une additionimportante relative au catalan (p.130): la forme catalane, que nous avons oubliée par une négligence inexcusable, apporte en effet la confirmation décisive de notre étimologie. 2. Spécialement par M. Bertoni (v. ci-après). 3. En mettant à part une partie de la région pyrénéenne qui a le tipe (sans doute prélatin) sarnalha, et le catalan, qui possède une autre forme. 4. En Italie, le mot (v. ci-après) s'applique aussi au lézard vert, ETS > APPENDICE pée ultérieurement par une création postérieure ayant émergé dans la région rodanienne. C’est en effet ce que l'examen successif de ces deus tipes va démontrer. A. — PROVENÇAL MODERNE /engrolo ; ITALIEN DU NORD ligura, lingura. Le Midi de la France (à l'exception de la région orien- tale) et le nord de l'Italie offrent pour le nom du lézard — ici lézard gris ou vert, là toujours lézard gris, — une série de formes apparentées que M. Meyer-Lübke, dans son Rom. etym. Wærterbuch, enregistre sous l’article LACERTA (4821, n° 3 et 4), et dont M. Bertoni a donné de nouvelles variantes pour la région padane '. Je veux parler des tipes provençaus lengrolo, ingrolo, rengloro, etc., et les tipes ita- liens, languro, ligura, ingrolo, etc. Il me semble impossible de rattacher ces formes à LACERTA OU LACERTUS, et le doute qu’exprime M. Meyer- Lübke, spécialement par rapport à la série qu’il a classée sous le n° 3 ?, est amplement justifié. Non seulement il est dangereus de postuler, sans aucun fil conducteur, des équations aussi hasardeuses que LACERTA >> renglora, rigola ou ligura, qui touchent presque au domaine de la fantai- sie; mais surtout le parallélisme remarquable des formes occitaniennes et padanes, que je mettrai en relief plus loin, ne peut être l’effet du hasard. Il faut trouver une racine commune et des causes identiques de déformation qui, ici comme là, devaient nécessairement agir. Je crois qu’il faut revenir à l’hipotèse de Caix ; et recou- 1. Romania, XLIT, p. 161 et suivantes. 2. Loc. cit. Le classement demanderait à être refait : la plupart des formes italiennes du S 3 (/anguro, liguro, ingrolo) devant être réunies aux formes provençales parallèles du $ 4 (lingrolo, etc.). 3. Studj di etimologia italiana e romanza, 380. ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE * I19 rit à LANGURUS OU LANGURA, mais en admettant, sur la majeure partie du territoire, par étimologie populaire, une influence de LINGUA, spécialement dans les deus variantes de son dérivé LINGULA, LIGULA : action d'autant plus vrai- semblable que le sens y prêtait comme la forme, et que le point de contact fonétique était fourni par un autre dérivé, LINGURIRE. Dans les patois actuels, là où le radical n’a pas conservé son a primitif, le vocalisme du mot sur ce point suit exactement celui de LINGUA : nous avons, dans le bas- sin du Po, ingrolo, ligura, rigola.. dans la région de linga ; dans le sud de la France, lengrolo, rengloro... en face de lengo, et, plus au nord et à l’est (Auvergne, etc, ), lingrolo… lyêgrolo.… parallèlement à lingo, Lyêco. Tâchons maintenant d’expliquer l’ensemble des formes italiennes et occitaniennes. Les premières — ceci confirme notre hipotèse — offrent une plus grande variété originaire. Ici LANGURA ou LANGURUS s’est plutôt appliqué au lézard vert ’. Le vénitien ? languro représente exactement LANGU- RUS ; le tipe inguro, LANGURUS + LINGULA, et le tipe plus fréquent liguro (région de Vicence, Bologne, Ferrare..…) LANGURUS —- LIGULA. La présence de deus liquides appèle fatalement la métatèse (rigola en Emilie [Bertoni], etc.) ; l’addition ancienne du suffixe OLA (souvent pour désigner le lézard gris, plus petit que le lézard vert) produit la sin- cope (lingrola, etc.). Inutile de mentionner l’aférèse de initial. Dans la France du Midi 5, d’après les formes actuelles et leur répartition géografique qui s’étent jusqu’aus Deus- 1. En rivalité avec RAMARRA (cf. le travail précité de M. Bertoni) dont je ne m'occupe pas ici. 2. Les mots italiens cités appartiennent aus listes de MM. Mevyer- Lübke et Bertoni. 3. Cf. l'Atlas linguistique, I20 : APPENDICE 3 Sèvres et au Limousin, il paraît certain que le mot a été introduit par la Narbonnaise sous la forme *LANGUROLA et avec le sens de « lézard gris » ’, l'acceptation de « lézard vert » ayant peut-être été prise à l’origine par LANGA, ou plus probablement déjà par LACERTUS. L’a primitif ne s’est conservé que sur quelques points au sud-est, près de la Méditerranée et de l'aire LACRIMUSA ? : Gnçrolo (777, 778) avec aférèse de /, änçlora (768) avec métatèse. Il-y a eu peut-être au début quelques variantes concurrentes importées en Gaule : les patois 862-3 (laängolo, rançolo, avec dissimilation) semblent représenter une variante originaire *LANGÔLA, qui aurait été réduite à la portion congrue par l’expansion ultérieure de *LANGURÔLA 5 : mais il n’est pas impossible qu'une des trois liquides du groupe “langrola ait été éliminée par dissimilation, avant ou après méta- tèse . La présence de trois liquides, dont la médiane combinée, devait amener fatalement des dissimilations et métatèses encore plus nombreuses qu’en Italie. Citons notamment les tipes rengloro (842, 852, 709, 811...), réngolo (759, 840...) et les métatèses du Puy-de-Dôme (p. 45). Spora- diquement s’observe l’aférèse de 7 (ingrolo, Mistral), com- binée souvent avec la substitution de sufhxe : &grot (525, 535), et läçrot (527, 528, 533, 539); Ggrwax, -ex (sut, S13, 515 et toute la Charente) et /ëçrozé (822). Voici enfin l’étimologie populaire : tipe wingrola dans le Puy-de-Dôme (p. 45), etc. Dans le sud de l'Auvergne et la Corrèze 1. Pour le diminutif, cf. encore l'italien lucertola — lézard gris, et l'espagnol lagartijo, même sens. 2. Les à de la Charente (où lingua > lüg) remontent à er. 3. Cf. aussi les formes rigolo, revolo citées par Rolland (Bouches-du- Rhône) et que n’a pas l’Aflas : elles auraient la même explication que le rigola bolonais. L« LA ne | | ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE. 121 s'observe, avec une aférèse qui peut atteindre er après /, un réduplication de suffixe : certaines formes complexes et difficiles posent des problèmes assez délicats (ci-dessus, pp. 44 etsqs.). Enfin des croisements entre LACERTA, LACERTUS et les dérivés de LANGURA étaient inévitables : les formes berga- masques et trentines ligurt, ligurd.. descendent visible- ment de liguro influencé par LACERTUS; en revanche le tipe läyér, qui s'applique en général — fait remarquable — au lézard gris comme au lézard vert dans le sud-est du Puy-de-Dôme :, suppose une variante ancienne *LAGERTUS dont le g semble dû au dérivé de LANGA. Le piémontais layôl m'apparaît comme un des exemples les plus caracté- ristiques de ces croisements. B. — LACRIMUSA ; Pour expliquer les formes que revêt dans le sud-est de la France le nom du lézard gris ?, M. Philipon, le premier, restituait « un tipe barbare LACRIMUSIA », dans lequel il voyait « le latin LACRYMA + usa » 53. M. A. Thomas a retrouvé LACRIMUSA dans le précieus Laterculus de Polemius Silvius, et il a conclu justement : 1° que ce mot, dès le v° siècle, désignait le lézard gris dans le sud-est de la Gaule, et qu'une forme allongée en -1A avait été en usage par la suite dans la région lyonnaise; 2° que le terme pri- mitif ne devait rien avoir de commun avec l'idée de _ « larme », mais que l’étimologie populaire avait vu de bonne heure dans ce tème celui de LACRYMA +. De son côté, 1. Ci-dessus, pp. 47 n. 1 et 51. 2. Et non du « lézard vert», comme le dit par erreur M. Meyer- Lübke (Rom. etym. Wærterbuch, 1826). 3 Romania, XX, 310-315. 4. Romania, XXXV, 181, SE Rent ne End au ve rh douée, 122 | APPENDICE TER / > M. Meyer-Lübke enregistre sans commentaires LACRIMUSA + dans son Romanisches etymologisches Wærterbuch. Ne peut-on aller plus loin ? Je crois, pour ma part, que nous sommes en présence d’une création du latin vulgaire. L’étimologie devient transparente si on coupe le mot comme il suit : L-AcRI-MüÜs-a. Le latin vulgaire, dans la région qui nous intéresse, a surnommé le lézard gris « le museau pointu », formation parallèle à celle du hous (AcRI- FOLIUM) et à bien d’autres. Est-il rien de plus naturel ? La finale féminine a n’est point pour nous surprendre : le terme se substituait précisément à un féminin (dérivé de LANGA, v. plushaut). L’agglutination de linitial peut sembler plus difficile à admettre en latin vulgairè : mais outre que l’usage de l’article était fortement enraciné dans le peuple à la fin de l’époque impériale, il faut voir là précisément le résultat de l’étimologie populaire (LACRIMA) dénoncée par M. Thomas. On peut objecter que MÜSU, museau, n’est pas latin et n’est pas attesté avant le vin‘ siècle. Mais rien ne prouve que ce mot ne fût pas plus anciennement acclimaté dans la Romania. L'extension très vaste du terme (Gaule du nord et du sud, Espagne, Italie du nord) tent à le faire croire et peut même suggérer l’hipotèse d’un tipe prélatin. La répartition géografique de LACRIMUSA appèle quelques considérations. M. Thomas (loc. cit.) a montré l'extension actuelle de l'aire : elle déborde sur les Alpes et au delà, s'arrête à l’ouest aux Cévennes, au sud-ouest au voisinage du Gard, et au nord ne dépasse pas les limites du départe- ment de l’Aïn. Je crois que dans cette dernière direction elle a dû aller autrefois beaucoup plus loin, et que le mot ernozad (Atl. ling. 27, Haute-Marne) est un résidu déformé de larmuse, “larmose + suffixe. Au contraire, à l’ouest, les frontières doivent être | 1 Ô | ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE anciennes. LacRIMUSA est un exemple frappant des créa- tions originales qui se sont formées autour de Lyon, segond foyer de romanisation de la' Gaule après Narbonne ', et qui se sont superposées, par la constitution d’aires nouvelles (rayonnant vers le Nord par le couloir de la Saône), aus termes propagés primitivement par la Narbonnaïise, ces der- niérs étant souvent communs (c’est ici. le cas) avec ceus du bassin du P6. Une fois conquis au français, Lyon a créé un français régional larmuse, qui s’est étendu à l’ouest plus loin que l’aire indigène LACRIMUSA : ainsi le Puy-de-Dôme, qui a emprunté jadis, par Clermont et la voie de Thiers, beau- coup de désignations françaises à Lyon, appèle toujours en français le lézard gris larmuse, alors qu'aucun des termes patois de la région ne se rattache à cette racine. 1. Cf. ci-dessous pour l’orvet, p. 126-128. La colonie de Narbonne fut fondée en 118 avant J.-C., et Lyon, qui devint aussitôt capitale des Gaules, fut, avec Augst, la seule colonie romaine créée par Auguste. M. Camille Jullian a fait ressortir l’importance de ces deus créations (Histoire de la Gaule, I], 128-130, et IV, 42-47). Dès la fin du ser siècle après J.-C., Lyon rivalise d'importance avec Narbonne, pour acquérir bientôt la prépondérance. — La région de Marseille, restée longtens grecque, n’a guère agi dans la romanisation de la Gaule. 124. __ APPENDICE : 2. — Les noms de l’orvet en France. TIPES anadolh, anivei, orvet. , Le Dictionnaire général de la langue française ne formule aucune hipotèse sur l’origine d’orvet : il déclare seulement que ce mot est ‘de la même famille que le provençal aneduelh (avec les variantes arguei, anivei) et le berrichon aneuil. Quel peut être le prototipe commun ? M. Meyer-Lübke, envisageant spécialement la forme envoy(e), propre à l’est de la France, propose un masculin ANGUILLUS, auquel il rattache non seulement la variante provençale arouei, mais encore le « garonnais » nadyil . Cette étimologie me paraît bien difficile à accepter. Avec la meilleure volonté, il est impossible de voir dans ANGuILLUS l'ancêtre d’ane- duelb, anadolh, dont nadyüil est le représentant évident, comme l’a montré M. Antoine Thomas ?. M. Meyer-Lübke ne cite pas non plus la variante anivei, qui rentrerait avec peine dans son cadre. Faudrait-il alors supposer deux mots différents avec des croisements possibles ? Même dans ce cas, et en se limitant aux formes orientales, l’hipotèse de M. Meyer-Lübke ne semble pas satisfaisante au point de vue sémantique et moins encore au point de vue foné- tique. Je ne connais pas de langue ou de patois qui ait donné à l’orvet le nom de l’anguille 5. Mais surtout il n'existe aucun exemple pour appuyer le passage fonétique du groupe latin ANG- à arg- en provençal et à anv- en fran- çais ; le féminin lui-même ANGUILLA, ANGUILA est là pour 1. Zeitschrift für romanische Philologie, XXIV, 400, et Romanisches elymologisches Wærterbuch, n° 461. 2. Romania, 1912, p. 107. 3. Cf. Rolland, Faune populaire, t. IL, pp. 30-35. / Fe _ ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 125 _ donner la réplique. Et s’il s'agit d’un accident, il est fort extraordinaire qu'il ne reste aucun résidu de la forme . normale. Reprenons l'examen des faits. L'Atlas linguistique de la France (carte 95 2) nous offre deus grands groupes de formes, en dehors du catalan anu/ (794-795), sur lequel nous revien- drons. Le centre et l’ouest du provençal présentent des variantes qui remontent toutes à un tipe ancien anadolh. Cette aire s'étent à l’est jusque vers le milieu du Puy-de-Dôme et déborde un peu à l’ouest sur le domaine français. C’est ici qu'il faut ranger le berrichon aneuil cité par le Dictionnaire général, et le nyeil « serpent venimeus » (xvif s., J. de Rus) exhumé par À. Delboulle : et identifié à juste titre à l’orvet, tout au moins pour la forme *. L’ancêtre commun de toutes ces variantes, également fonétiques , est un latin vulgaire *ANATOLY- (ly = / mouillé) ; M. Thomas postule “ANATOLIUM + : je crois que, pour l'instant, il est prudent de réserver la voyelle finale et de songer. que l/ mouillé dont nous avons besoin peut avoir une autre origine que L + 1 en hiatus. Enfin il faut faire état de la forme très ancienne aneduelh (dans Peire Cardinal, d’où Raynouard l’a tirée), qui semble avoir été éliminée par les patois actuels. Doit-on supposer une variante *ANETOLY-? Mais alors pourquoi la contre-finale e ne serait-elle pas tombée, conformément à la loi de Darmesteter ? 1. Romania, 1904, p. 582. L'Atlas linguistique a sporadiquement anæl dans cette région (529, etc.). 2. Zeitschrift für franzæsische Sprache und Litteratur, XX VII, II 308. à 3. Le mot a perdu généralement l’a initial, comme beaucoup de ses congénères ; au nord-est, il a été ensuite amputé de la syllabe "a, con- fondue avec l’article féminin (#}na ; enfin le résidu dæ a pu prendre un r par analogie avec dær — il dort (sic Vinzelles [Bansat}]). 4. Romania, 1912, p. 108. 126 APPENDICE Passons à l’autre groupe. La variété de formes qu’il pré- sente peut être expliquée et ne peut l'être que par un tipe du latin vulgaire, parallèle au précédent, *ANEVOLY-, | *ANAVOLY-, dans lequel le vw peut provenir d’un ancien b, et l’e d’un E ou d’un ï. Mais à l’inverse du cas précédent, la variante ANE- est la règle, ANA- l’exception : cette dernière ne paraît attestée qu à l'ouest du Limousin (fl. ling., 606 avaytvo, 607 vayivé, — avec permutation des éléments #-v), où elle forme — fait remarquable — un îlot dans l’aire *ANATOLY-. | Le type *ANEVOLY-, qui occupe tout le nord, l’est et le sud-est de la Gaule romane, a subi divers traitements sui- vant les régions. Inutile d’insister pour l'élément -ôLy-, qui n’est guère demeuré fonétique que dans le sud-est, et a été transformé presque partout par l’analogie. — Dans une petite région (Lyonnais et n.-e. du Puy-de-Dôme), le radical du mot n’a pas éprouvé la chute de la contre-finale, tout comme celui d’aneduelh (type régional anéviv : l'élé- ment w est susceptible de devenir y, et de mouiller l’# après métatèse). Aïlleurs la sincope se produit. La forme qui en résulte, anvolh, qui commande toutes les suivantes, donne lieu à deus sortes de fénomènes également fonétiques : après diftongaison de l’o, il peut se dégager un g du groupe vuo, vue (le passage de -vuolh à -guolh était normal à l’époque où le w germanique devenait gu); — ln, au contact d’une consonne sonore, peut se transformer en 1 : fait plus fréquent devant g que devant v, et plus Spécial au provençal. D'où quatre groupes fonétiques : anv- => äv-, qui s'étend sur tout l’est, du franco-provençal à la Cham- pagne, en se dénasalisant vers l’ouest : ; ang-, spécial à une petite région à l’ouest de la précédente (Orléanais, Berry : 1. La dénasalisation est ancienne en Champagne : cf. avoye dans CI. Cottereau, Columelle, 1552. Xe ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 127 103, 202, 204, 303, 306, 307, 400 de l’At. ling.) ; argr-, qui occupe tout le sud-est (cf. suff. -ANICU => -argue, MONACHU >> morgue, etc.); et enfin arv-, où le v s’est géné- ralement résorbé devant le groupe uolh => &æ(lh), féno- mène normal dans la région (n.-o. du Puy-de-Dôme : Atl. ling. : 703 aryu, 80$ ar ; Les Martres de Veyre, ru). Avons-nous eu un autre domaine arv-? Pour répondre à cette question, il faudrait faire une étude dialectologique approfondie du nord-ouest de la France. Quel que soit le prototipe originaire de son radical (anv- ou arv-), tout le monde est d’accord pour reconnaître que la forme orvet (plus anciennement orvei, J. le Petit, 1391, cf. Godefroy, upplément) a subi dès le moyen âge l'influence de orb, aveugle : c’est l’opinion du Dictionnaire général et du Romanisches etymologisches Wærterbuch. Faut-il, pour lap- puyer encore, rapprocher les formes de l'Italie du Nord (orbola, orbiga, orbesino.) citées par Rolland ? L’Alas lin- guistique nous donne orbét dans l'Orne. Dans le sud-est, à l’exception des patois arcaïsants et conservateurs de la montagne (cf. 815 arçei, etc.), le radi- cal arç- est devenu -orc en vertu d’une étimologie populaire transparente ‘. Revenons maintenant au prototipe du latin vulgaire, que l’analogie des parlers actuels nous a amené à reconstituer. Il n'a rien d’hipotétique. N’a-t-on pas reconnu déjà l’ANA- BULIO de Polemius Silvius, classé précisément parmi les serpents ? ? l’# peut fort bien représenter la diftongue wo qui 1. Restent encore à expliquer les tormes avec deus # (anènæ, etc., All. ling., 807, 705) sur la frontière des deus grandes aires, et les formes nerbil isolées dans l'Aude (785, 793). Elles sont dues sans doute à des causes analogiques qu’une étude approfondie des patois locaus permet- trait de déterminer. 2. Romania, XXXV, 167. PET à Peer M ON SET RENE ’ Î 128 APPENDICE ACER existait déjà au v° siècle. Reste le segond a, qui nous atteste # — fait à remarquer — la même variante que pour anedolh, anadolh. Rappelons enfin que le Laterculus de Polemius Silvius est dédié à un évêque de Lyon : or toute la région lyonnaise rentre dans le groupe ANEVOLY-. D'où viennent ces deux formes bizarres, et qui semblent bien apparentées, *ANETOLY-, *ANEVOLY-, avec la variante e-a ? Est-ce un tipe prélatin que nous ignorons ? Maïs alors on ne voit pas la raison de la répartition des deus formes, et surtout on s'étonne que le latin n’ait introduit aucun mot, même dans des régions aussi anciennement et profondé- ment romanisées que le bas Rhône et la Narbonnaise. Ne serions-nous pas en présence, au contraire, d’une création du latin vulgaire ? Dans toutes les langues européennes, lorsqu'on a voulu donner un nom à l’orvet (cf. Rolland, loc. cit.), on l'a appelé l’aveugle, suivant une croyance populaire univer- sellement répandue et due à l’extrème petitesse des ieus chez ce reptile. Le latin lui-même le dénomme cagcizia. Je ne veux pas chercher ici pourquoi ce mot ne s’est pas implanté en Gaule : ; je crois pouvoir simplement montrer qu'on lui a substitué un succédané plus évocateur, et que le groupe final de *ANEV-OLY-, *ANET-OLY représente tout simplement oc(u)Lu ?, probablement au pluriel. Le mot constituerait une formation de tout point analogue à AB- OCULIS, mais appartenant à une couche plus ancienne, dans laquelle la segonde partie du terme s’est comportée 1. L’homonimie du nom propre CAECILIA (surtout de la sainte), a dû lui être fatale. 2. Objectera-t-on que le groupe c/ ne serait pas encore représenté par li (= l mouillé) à l’époque de Polemius Silvius (449)? Qu'en savons-nous ? La Lex Salica, un peu plus tard a bien BOTILIA = BUTTICULA. à + 4 | k de : SEE ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 129 fonétiquement comme le substantif isolé '. Dans tout le midi, la finale du nom désignant l’orvet est parallèle ? à « œil », et dans le nord la chute précoce, en mainte région, de l’élément / dans un mot qui n'avait pas de tradition lit- téraire et dont la finale était exposée à toutes les analogies, n'est pas plus surprenante que celle d'avril (avril) > avri ou de tant d’autres du même genre. Mais que signifie le premier élément ? Il faut procéder par analogie. Si nous sommes en présence d’une formation semblable à AB-ocuLis, le point de départ doit être le même. On sait que cette dernière expression a été créée par le lan- gage médical sur le modèle du grec 7° >upätov 5 : ce langage était fortement imprégné de grec et nous voyons de tout temps la terminologie tecnique des maladies ou des infirmités pénétrer dans la langue courante. Or le grec, pour désigner l’être privé de ses ieus, avait une autre expression, plus fréquente même que la précé- dente : &590%Ay0oc ou àvsuuares, dans laquelle 4 représente 2 privatif, et non &vev ou 2v2. Mais il y avait là matière à amphibologie, surtout pour des médecins romains, et on conçoit fort bien qu'on ait refait la locution — d’ailleurs parfaitement correcte — äveu 2ofaauov (ou éuuarwv) et même, pour éviter l’hiatus 4, äveuf" 2e0æ16v. Si l’on ajoute que la confusion avec àvx devait être fatale, surtout chez des demi-savants, nous avons là toutes les variantes néces- saires et suffisantes pour justifier les formations et les flot- tements du latin vulgaire ; la diftongue :v devient naturel- 1. En réservant les évolutions dues au contact du v avec la diftongue u0, ue (vuo, vue >> guo, gue). 2. Je dis parallèle et non identique, le singulier et le pluriel de « œil » ayant pu donner lieu à des évolutions différentes, généralisées dans un sens ou dans l’autre. 3. Cf. Mever-Lübke, Roman. etym. Wærterbuch, n° 3;. 4. Bien qu'il fût correct : Platon écrit, par exemple, aveu Euoù. 9 e à MT h 4 UP: LU PRET TTE Les oi a das $ D'e0 à 130 APPENDICE lement ev devant voyelle, et, comme elle n'existait pas dans la langue populaire, elle a été remplacée par e devant consonne ; l’a serait dû, dès l’origine, à l’analogie de av (sans qu’il soit nécessaire de faire appel à xa72, qui avait pénétré en latin) ; le 6 s’est réduit régulièrement à #. Voici donc nos quatre variantes *ANET-OCULIS, *ANAT-OC(U )LIS ; *ANEV-OCULIS, *ANAV-OCULIS. | La géografie linguistique nous indique que les dns pre- mières ont prévalu dans la Narbonnaise, d’où elle se sont implantées dans le bassin de la Garonne et le Massif Cen- tral ; les deus dernières, au contraire, dans la région roda- nienne, d’où elles ont gagné, d’une part les Alpes jusqu’en Suisse et en Piémont, de l’autre le nord de la France, en s'étalant vers l’ouest au nord du Massif Central :. J’ai déja donné d’autres exemples de créations particulières à la région rodanienne en latin vulgaire, et d’une extension géo- srafique analogue de ces formes ? Il n’est pas jusqu’à la conservation sporadique de la contre-finale que nous ne puissions expliquer avec cette hipotèse : il est fort admissible que la parenté avec « œil » ait été sentie assez longtens dans diverses régions pour faire obstacle à la sincope dans un mot perçu comme com- posé. S'il nous restait encore un doute sur l'étimologie, la forme catalane anul, que nous avons réservée jusqu'ici à dessein, suffirait pour le lever. Cette forme représente en effet exactement le tipe normal *AN-ocuuis (ul = œil, en catalan), traduction, sans réfection, de la formule grecque avec &-, d’une façon absolument parallèle à l’*aB-ocuLIs pos- 1. Le type anev-, qui se trouve dans la Limagne, est arrivé par Thiers et a débordé sur l'Allier, comme tous les mots venus de Lyon à une époque quelconque (cf. l'aire cavalu dans la carte « jument », ci-dessus, p'21): 2. Cf. p. 123 pour LACRIMUSA et p. 37-38 pour FETA, Le 4 sl re n ESSAIS DE GÉOGRAFIE LINGUISTIQUE 131 térieur. Par là s'affirme une fois de plus le caractère arcaïque et conservateur du catalan :. I! résulte enfin de l’analise des faits que la répartition générale des tipes n’a pas dû varier beaucoup depuis le moyen âge, en dehors de quelques régions *. Les formes ont évolué spontanément sur la mâjeure partie du territoire (sauf l'extension ‘récente du français classique orvet). — « Orvet » est un mot qui voyage peu : désignant un ani- mal qui n’est ni utile, ni nuisible, ni dangereus, et qui ne pullule pas, il revient assez rarement dans la conversation. C’est pour la même raison qu'il est rare dans les anciens textes. 1. Espérons que l'Atlas linguistique, en préparation, du domaine catalan, par MM. Griera et Barnils, nous donnera d’autres variantes intéressantes pour l’orvet. — On ne peut songer à rattacher à un tipe *AN-OCULIS les formes berrichones aneuil.,. citées plus haut : car le voisinage géografique de formes anadæ montre à l’évidence que ces aneuil reposent sur *anedeuil > “anceuil. 2. Dans la région limousine, l’ilot 606-607 (anavuolh > avaytw6) paraît représenter une aire, jadis plus vaste (soudée sans doute à celle du nord), et débordée anciennement par le courant anadolh venu du Midi. Il semble prouver que, pour ce mot, Limoges a constitué un petit foyer local en dehors des deus grands centres d’expansion cité plus haut. Ilen a été ide même, on l'a vu (p. 36), pour « brebis ». — En Auvergne, au contraire, c’est anadolh qui a reculé dans le nord et le nord-est (ci- dessus, p. 130 n. 1). ADDITIONS ET CORRECTIONS P. 7. Bourret est un mot assez ancien, dans le Massif Central, au sens de jeune taureau. M. A. Thomas me l’a signalé, sous la forme borret, dans un inventaire du cheptel d'Auvergne de 1476 (Arch. Nat., X’ À 8314, f° 3608). Je relève également horreta, génisse, en 1552, dans les Docu- ments linguistiques du Gévaudan de M. C. Brunel (Paris, 1916, Bibl. de l’École des Chartes, p. 95). — Je signale aussi, pour « génisse », les formes actuelles (Puy-de-Dôme) burèto à Rochefort, et bravä (région du Vernet-la-Varenne et Saint-Genès-la-Tourette). P. 22. Aus exemples de ea en ancien et moyen pro- vençal, ajoutons eguas (Basses-Alpes, xiv° s.) et l’adjectif eguesina (Alpes-Maritimes, 1528), dans les Documents lin- guistiques du Midi de Paul Meyer (t. I). L’invasion de cavala date du commencement de la Renaissance : elle s’est effectuée par le Piémont et la voie Chambéry-Lyon d'une part, le col du Mont-Genèvre et la vallée de la Durance, de l’autre. P. 26, 1, 18, lire cavala au lieu de eavala. P. 43, 1. 8, lire « seules » au lieu de « seuls ». P. s1. M. A. Thomas, pour « lézard gris », m'a com- muniqué un certain nombres de formes intéressantes de la Creuse : lizertiné, s. f. (Lafat, canton de Dun-le-Pal- leteau), altération de LACERTUS (cf. la forme de Mirefleurs, encore plus altérée) ; margot, f. (Soumans, canton de No St. ADDITIONS ET CORRECTIONS | 133 Boussac, et Fontanières), création localisée et récente, ana- _ logue à harbotina (cf. les margau, tèêtard, p. 57 et 60, et les confusions signalées p. 58); sarpotä (Cressat) et serpatä (Saint-Alpinien, canton d’Aubusson), cad. « petit ser- pent », dérivé de serp, création régionale formée sur les débris de /engrola. P. 54. Le cabot de Gautier de Coincy pourrait être un lapsus paur sabot et n'aurait pas alors le sens de « têtard ». P. 58. M. Thomas me signale aussi dans la Creuse, au sens de « têtards », la réna (Saint-Dizier, canton de Bour- ganeur) ; à Saint-Marc, à Lombard, on dit /a ralei, confu- sion analogue avec la grenouille, qui « râle ». P. 96-99. Une des causes de la disparition du tipe kékerla, devenu käkalo, käkalyo, kékalyo, est sans doute une collision homonimique avec « quincaille » (le dérivé quincaillier étant des plus répandus, en français régional comme en patois), — collision qui a été conditionnée, comme le fait arrive souvent, par une attraction homoni- mique. TABLE DESTCARTES Le TAUREAU dans le Centre et le Sud-Ouest de la France. Le jARS (oie mâle) dans le Centre et le Sud-Ouest. Le BÉLIER dans la basse Auvergne. | La JUMENT en France. La TRUIE dans le Centre et le Sud-Est. L’AGNELLE dans la basse Auvergne. Le LÉZARD GRIS dans la basse Auvergne. Le TÉTARD (de grenouille) dans la basse Auvergne. La GUÈPE en France. | La FOURMI dans le Centre. Le HANNETON dans la basse Auvergne. Le VER LUISANT dans la basse Auvergne. \ Les cartes sont placées à la fin du volume. Vo NN VI (D 1æ AN LR [e] TABLE DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE ANIMAUS D'ÉLEVAGE ER nn que ve a tomate . Le taureau dans le Centre et le Sud-Ouest................... . Le jars (oie mäle) dans le Massif Central et le Sud-Ouest. ..... . Le bélier. Un mot malade : aret dans le Puy-de-Dôme ...,.. US DM FEMRLLES. 1: 1... ........ . La jument en France (equa, caballa, jumentum).............. La dons le Centreet le Sud-Est... .1..............—... . La brebis : répartition de berbice, ovicula, feta dans la Gate 5... AR ne Dani dans la basse Auvergne. ..,..................., . La poule. Comment a disparu gallina dans le Centre........ DEUXIÈME PARTIE ANIMAUS SAUVAGES 7 DA TRACIENS +2. ...........:.. … Lelézard gris dans la basse Auvergne. ..................... Le tétard (de grenouille) dans la basse Auvergne. ............ DE HIpES VE WES PEL... ...,.............. 2. Substituts lexicologiques de vespa. ...:............... NUL M... me La fourmi dans le centre de la France. Tipes beleta, borrola, tord TABLE DES MATIÈRES qu ST UR 3 ou à l'étide duhantiilon "ER MUR ET es | 90 . Le hanneton avait-il un:nom en latin ?, 90 2. Le hanneton en ancien français et en ancien COS 92 3. Lesnoms du hanneton dans la région auvergnate....... 95 4. Le ver luisant dans la basse Auvergne. ................ 106 14 Ver luisant = lampe ein. LASER ete 2. Action du mot français sur les patois........ Re 112 APPENDICE 1. Contribution à l'étude du lézard BTS.) 6 + RIRES LE GE re À. Provençal moderne lengrolo ; italien du nord ligura, lin- DMAAR, L fo ORNE SE FR ONE 118 B.:Lacrimusa., 2,2 RARE NES: VOTRE 2. Les noms de l'orvet en France. Tipes anadolh, anivei, orvel..... 121 ADDITIONS ET . CORRECTIONS rm LEURS TABLE -DES CARTES"... PAU OR OS 134 CARTES. LINGUISMIOQUES EME Te TRS à la fin du volume 1 s$ / MACON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS TAURU. TAURELLU. TAUROXNE. « bœuf ». brau. brava. « jars ». bourret. ; FE : Ë à à r. Ë É ( VEAU ». 0000 OÙ faurel coexiste. bodye. où bourret coexiste. gabre. brau — jeune taureau. ) 6. ; « taureau » importé bourret — jeune taureau. où « jars » coexiste. taurel — jeune taureau. où brau coexiste + LLS X ER ou le mot manque. tipe jar, dzar. garot, girot, Giru. tipe auc. dérivés de auc avec k dérivés avec fs, 1€. =---=| limite de #, g (devanta latin). croisement avec « coq ». finale u. Substituts divers. où le mot manque. . F4 rs dace. Ée LS | ee | où dzar, djar coexiste. E : 2 & AVEYR. où oyar coexiste. 0194 [PYREN-OR] = 7, = 803. x testées, at + + bédô, bèda. —-- Limite entre héd6 (au nord) et héda {au sud). arel. .808 laret. + Mo. mouton, bélier. $ - : ji STE belé. + Le Te isâstra — mouton. # 816 LT #x 7 arts +. 815 an90e | 00 3 ÉDITEUR: £.CHAMPION PARIS. IMP. PROTAT FRÈRES. MACON Eaua. CABALLA. JUMENTUM. Où EQUA coexiste. Où CABALLA coexiste, Où JUMENTUM coexiste, cheval. bête à poulain. pouline. mère. bête de cheval. jumoilte. jumente, jumande. jubine. dame. us -… a Ad Se | POP AL dé, COR, ds té ont. ne C'SLS A AR : | “ ’ f - PT EE LP SES Eoaah ne mine véééinéiititihe “… DE 4 CRE Per 7" _ Fr je TRoJA. caya. cocha. cagna, gogna. £gorra. PORCA, PORCELLA. garèl, gamèl. ganda, gouda. "972, 992 : manque. 819 bifa. 714 tlécuno. 741 Mauro. 21, 23 Gay, Gé. 60, 70, 966 çona, çuna. truie, du français. mère trulie. où caya coexiste. où cocha coexiste. où TROJA coexiste. où PORCA coexiste. 1936 Re #4 AGNELLE. 5 3 RE, Br À AC CIO Ts" " Fe) 5 Ÿ r ES s È 8 nn Fe D 8 © S sé nl f Fe) L Dioie: 3 LD] . 0 Ten & à à Se = 2 S S S = = È a S £ -5 | à à à = @ SE 2090 Èe babena 0 TH + x # + | L 1 =) | INEZS) 4 LOS X + H + Ein chabot. chabossola. lesta. testart, létard. testaut (; -èl?) teslot. testa grossa. grossa testa. lesla neira (— negra). testa d’asne (, — d’ase). ase bobo. testa d’ola. sofflet. massola. rana (rend). grenolhon. padela. queue de poêle. gorgolho(n), -ot. mergolh (> -aut). barbot. barbarota. shako. cod t. F VE « Tétard (de grenouille) »* xxt LE LOMLS TT ES ° CD oi Ro PAEE Eat TR 3 ja E He GUÉPE j ET] ruespa ET ; £ 7 I Il vespa ER NN. 4, V ET aa S At Vi, wespa = À ————————————— f =i| : : RER 294 DT — DE — 12m présence de l7 dans un des types précédents || ARÈNNS ——- 2 —= || jh KV a vepsa == D, AY? fes 4 b a —— ; ; — eLlas 1 "7 A wepsa (Wallonie et Lorraine) et wefsa (Valais) E Ïl qil | ERA . LS — 1) ÿ RS SE altérations ou dérivés de vespa GES = { | Re ——— 7 : É Pr É PSS = — S altérations ou dérivés de wespa : HHRES 2 = 272 ) ne 2 a 2 béko, bègo mouche « mouche qui pique », « mouche-aiguillon » « mouche-guêpe », « mouche à guêpe » « abeïlle » y « bourdon » #, w 7 5 « taon 7 0404 A . 4 DNE=—=. (TO ] ôe AN IR (o] fisèlm m5 CN Pr © n = SE ÈS RESSSS PL RE £ LES 506 ‘n, ù. Fr GEL N = ANT [(PUY-DE-D; | NN type (a)max(e)de usau /à D 605 SSSR oi SNSS altération du type précédent o SSSR .° [ZZZZZLLEA . TP") … DZZ27272) altération du type précédent É LA) c 614 .: H H : LL di & r 222 LeA w H ELLE L LL EEE $ ... 5 ET Cr e i à EN 827. s .. jauvanuns _—— k F * RRAEBEARR = y = ee ; SR er 747 RSR ER == == k Fe Desert EU Xe aan , LCR ae LRRITETMATEUNUTT LAS 844 Dan | a. . RARE EURE UE ARE ARR RE ee me me mme um mm | 648 # ni AANARARIANT AN ARARAAUN SJ — ue = = ne = = s DS RS RER : S———— — — = —— î D F SENS CNET) ° — he um ue un CS © © = |, * 745 s Late HET RES SEE sf EEE SZZZ . QJ 1 :, 4 » TE "3 SES) Ë enr b es CES en Rs * ; go ‘ft 7 px EE ee, .. £ SEE ES +. 824 RS —» 0 un 0, bertau HE banneton et ses déformations käkayo et ses variantes tipe bronzi(n) « ronfie » et « ronfleur » « meunier » « meunière » bin vroue « sotte » « taon » e « cétoine » bourdon » cigale » 2 grillon » escarbot » À noms d'insectes divers « tourtereau » « buse » SERA TARARDONE « mouton » F4 \o | 4 HANNETON YPTALAAS ALT 0 LOL (80) NII Gat 47 4= 1 442727 CPC se AL : AA 1 CLASS LOUILIITIII T1] EEE “| “Il Ÿ LEE] Vu , ‘ D Rs, HA l | -. pi 4 EE LE luzerna altérations de /uzerna « éclaire-cul » « éclaire » suivi d’un autre complément « éclaire » chalelh chandela lanterne « chenille » « limace » barotina bembarola «€ Ver » ver luisant «ver » suivi d'un autre adjectif «Ver qui... » Verde...) VER LUISANT ù GS NIV \ + “ OS ENNNSNSN Ÿ A RS SY AN AN ANR QE DNS ASS * NV NES NN N RE 1 fi | \\ NN .. 8092 \ NO Ro : CO #, XX a ®, © D & CO O RSS 600 . À, *, ®,?, RO RAR ee DORE PURE, Essais de je 9 re ingui stique PLEASE DO NOT REMOVE CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET mm UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY