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ESSAY ON MAN.

ESSAI SUR L'HOMME.

Em® a

CHARLES LE BRUN'S

POPE'S

ESSAY ON MAN.

ESSAY

ON

MAN,

TRANSLATED FROM THE ENGLISH

BY

CHARLES LE BRUN,

of the American Institute of Letters, Author and Translator, into French, EngUsh and Spanish, of several politi-

cal and literary works.

(Mum quid queer imus ultra /

THIRD EDITION.

PHILADELPHIA 1834.

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ESSAI

SUR

L ' H O M M E,

TRADUIT DE L'ANGI.AIS

PAR

CHARLES LE BRUN,

de I'Institut Americain des Belles Lettres,

&

Auteur & Traducteur, en Fran§ais, en Anglais, & en Espagnol, de divers ouvrages politiques & litleraires.

Caelum quid qumrimus ultra ?

TROISIEME EDITION.

PHILADELPHIA 1834.

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Entered according to the Act of Congress, in the year 1834, by CHARLES LE BRUN,

OF THE AMERICAN INSTITUTK OF LETTERS,

In the Clerk's Office of the District Court of the Eastern District of Pennsylvania.

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DU

XRADUCTEUR.

DULCI CLUE ANIMOS 2«^0VITATE TENEBO.

L'essai sur PHomme, est compose de quatre epitres : La 1. traite de la Nature & de I'Etat de PHomme, par rap- port a PUnivers.

2. de la Nature & de PEtat de PHomme, par rapport a

Lui meme, considere comme Individu.

3. de la Nature & de PEtat dctlfljB(ft^,<5onsidere par

rapport a la Societe.

4. de la Nature & de PEtat de PHomme, par rapport au

Bonheur. A Pexemple de quelques ecrivains, j'offre aux amis des lettres & de la philosophie une traduction de cet excellent ouvrafje. Je n'ai pas la pretention de croire qu'elle soit la mei^leure, mais j'ose la croire la plus analogue a la sublimite df^s pensees de leur immortel auteur. Si mes Lecteurs, sont i^ e^us dans leur espoir ; qu'ils recommcnceiit la taclie, qu'ils j'assent mieux, & j'aurai bien fait.

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ESSA"^^ MAN.

EPISTLE 1.

Of the JSTature and State of Man with respect to the Universe,

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Awake, my St. John ! leave all meaner things To low ambition, and the pride of kings. Let us since life can little more supply Than just to look about us, and to die Expatiate free o'er all this scene of man ; A might]^ \tl0fl^¥lt not without a plan : A wild, where weeds and flow'rs promiscuous shoot; Or garden, tempting with forbidden fruit. Together let us beat this ample field. Try what the open, what the covert yield j The latent tracts, the giddy heights, explore Of all who blindly creep, or sightless soar ; Eye nature's walks, shoot folly as it flies. And catch the manners living as they rise : Laugh where we must, be candid where we can; d But vindicate the ways of God to man. f

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ESSAI SUlR'L'HOMME.

EPITRE 1.

De la JSTature ^ de VEtat de VHomme^ par rapport a V Uidvers,

Reveille-toi, mon cher Bolingbroke ! * laisse toutes les petites choses a la basse ambition, & a Porgueil des rois. Puisque tout ce que peut nous donner la vie, se borne presqu'a regarder autour de nous, & a mourir, parcourons, done, au- moins, cette scene de Pliomme; etonnant labirinthe ! mais qui pour cela ne manque point de i*egularite: champ fe- cond, mais sauvage, ou croissent, confondues, I'herbe & la fleur^ jardin, qui tente par des fruits defend us. Allons ensemble parcourir ce vaste champ, & convert ou decou- vert, voyons ce qu'il renferme ; cherchons les sentiers se- crets, & decouvrons les ressorts divers de ce qui rampe dans Faveuglement, & de ce qui se perd dans I'elevation,- suivons de PcBil les pas de la nature, frappons la folic dans sa course, & saisissons les moeurs dans leur naissance: rions quand il le faut, ayons de la candeur quand nous le pouvonsj mais justijfions a I'homme les voies de Dieu.

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18 ESSAY ON MAX.

Say first, of God above, or man below, What can we reason, but from what w^e know I Of man, what see we but bis station here, From which to reason, or to which refer? Thro' w orlds unnumbered, tho' the God be known, 'Tis ours to trace him only in our own. He, who thro' vast immensity can pierce. See worlds on worlds compose one universe. Observe how system into system runs, , What other planets, circle other suns. What vary'd being peoples ev'ry star. May tell why heav'n made all things as they are. But of this frame the bearings and the ties. The strong connexions, nice dependencies. Gradations just, has thy pervading soul Look'd thro' ? or can a part contain the whole ?

Is the great chain, that draws all to agree. And drawn supports, upheld by God, or thee ?

Presumptuous man ! the reason wouldst thou find. Why form'd so weak, so little, and so blind ? First, if thou canst, the harder reason guess. Why form'd no w eaker, blinder, and no less ? Ask of thy mother earth, why oaks are made Taller and stronger than the weeds they shade? Or ask of yonder argent fields above. Why Jove's satellites are less than Jove?

Of systems possible, if 'tis confest. That Wisdom Infinite must form the best.

ESSAI SUR L'HOMME. ^g

Que pouvons-nous dire de Dieii, ou de Phomme, si ce n'est e;i raisonnant de ce que nous connaissons ? & que connaissons- nous de Phomme? seulement sa demenre icibas: c'est d'ou partent, c'est a quoi se rapportent tous nos raisonnemens. Quoique Dieu se manifeste par des mondes innombrables, c'est a nous de le chercher dans celui ou nous sommes. Celui qui pent percer au travers dela vaste immensite, voir des mondes, roulant sur d'autres mondes, former Petendue de Punivers, observer le rapport des systemes entre eux, par- courir d'autres planetes, d'autres soleils, voir quels sont les etres divers qui habitent chaque etoile; celui-Ia pent dire pourquoi Dieu a fait toutes choses telles qu'elles sont. Notre ame transcendante a-t-elle penetre les supports & les liens, des diverses parties de Punivers, leurs fortes liaisons, leurs subtiles dependances, & leurs justes gradations? Faibles parties de ce tout, pouvons nous le comprendre?

Cette grande chaine dont PefFort insensible attire & re unit tous les corps, & qui conserve le tout, est-ce une main divine, ou toi, faiblesse humaine, qui la formas & qui la soutiens?

Presomptueux mortel! pretends-tu decouvrir la raison, pour la quelle tu as ete forme si petit, si faible, si borne ? mais d'abord, si tu le peux, trouve la raison encore plus in- comprehensible, pourquoi tu n'es pas ne plus faible, plus petit, &plus borne dans tes vues? Fils de la terre, demande lui pourquoi les chenes sont plus hauts & plus forts, que les ronces aux quelles ils pretent leur ombrage: ou demande aux plaines azurees, pourquoi les satellites de Jupiter sont moindres que Jupiter.

Si Pon convient que de tous les systejnes possibles, la Sagesse Infinie a du creer le meilleur, ou tout serait incolie-

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20 ESSAY OS MAX.

Where all must full or not coherent be.

And all that rises, rise in due degree^

Then, in the scale of reasoning life, *tis plain.

There must be, somewhere, such a rank as man :

And all the question, wrangle e'er so long,

Is only this, if God has plac'd him wrong?

Respecting man, whatever wrong we call. May, must be right, as relative to all. In human works, tho' labour 'd on with pain, A thousand movements scarce one purpose gain : In God's, one single can its end produce; Yet serves to second too some other use. So man, who here seems principal alone. Perhaps acts second to some sphere unknown, Touches some wheel, or verges to some goal ; 'Tis but a part we see, and not a whole.

When the proud steed shall know why man restrains His fiery course, or drives him o'er the plains ; When the dull ox, why now he breaks the clod. Is now a victim, and now Egypt's god : Then shall man's pride and dulness comprehend His actions', passions', being's, use and end ; Why doing, suff 'ring, check'd, impell'd ; and why This hour a slave, the next a deity.

Then say not man's imperfect, heav'n in fault: Say rather, man's as perfect as he ought : His knowledge mcasur'd to his state and place : His time a moment, and a point his space.

ESSAI SUR L'HOMME. 21

rent, s'il n'etait parfait, & que tous les etres gardent dans leurs progres une justcsse egale; il est done evident qu'il doit y avoir dans la nature, un etre tel que I'lionime : & le seul point, que Ton dispute tant que I'on voudra, est de sa- voir, si Dieu Pa mal place ?

Ceque nous regardons comme injuste, pas rapport a I'homme, considere comme relatif au tout, non seulement peut-etre juste, mais doit Petre. Dans les ouvrages hu- mains, quoique poursuivis avec de bien penibles travaux, mille mouvemens produisent a peine une seule fin: dans les ouvrages de Dieu, un simple mouvement, non seulement pro- duit sa fin ; mais encore seconde une autre operation. Ainsi Phomme, qui parait ici Petre principal, ne joue, peut-etre, qu'un role secondaire par rapport a une sphere inconnue, n'est que le mobile de quelque roue, la cause de quelque fin ; car nous ne voyons qu'une partie & non le tout,

Lorsque le fier coursier saura pourquoi Phomme le mo- dere dans sa course orgueilleuse, ou le precipite au travers des plaines ; lorsque le boeuf stupide, saura pour quel usage il sil- lonne la terre, ou pourquoi, il est tantot victime, ou tantot dieu Egyptien ; alors la foUe vanite de Phomme pourra com- prendre Pusage & la fin de son etre, de ses passions, & de ses actions, pourquoi il agit & il soufire, il est retenu & il est excite ; pourquoi, dans ce moment, 11 est un esclave & dans celui qui suit, une divinite.

Ne soutenons done plus que Phomme est imparfait, que le ciel a tort; disons plutot que le ciel Pa forme aussi parfait qu'il doit Petre: son intelligence est proportionnee a son etat & a la place qu'il occupe ; son terns n'ejjt qu*un moment : un point est son espace.

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22 ESSAY ON MAN.

Heav'n from all creatures hides the book of fate. All but the page prescribed, their present state: From brutes what men, from men what spirits know Or who could suffer being here below ? The lamb thy riot dooms to bleed to-day. Had he thy reason, would he skip and play ? Pleas'd to the last, he crops the flow'ry food. And licks the hand just raisM to shed his blood. Oh, blindness to tlie future ! kindly giv'n. That each may fill the circle mark'd by heav'n: WIio sees with equal eye, as God of all, A hero perish, or a sparrow fall. Atoms or systems into ruin hurPd, And now a bubble burst, and now a world.

Hope humbly then ; with trembling pinions soar ; Wait the great teacher death ; and God adore. What future bliss, he gives not thee to know. But gives that hope to be thy blessing now. Hope springs eternal in the human breast : Man never is, but always to be blest : The soul, uneasy, and confined from home. Rests and expatiates in a life to come.

Lo, the poor Indian ! whose untutor'd mind Sees God in clouds, or hears him in the wind ; His soul proud science never taught to stray Far as the solar walk, or milky way; Yet simple nature to his hope has giv'n. Behind the cloud-topt-hill, an humbler heav'n ;

ESSAI SUR L'HOMME. 23

Le ciel cache a toutes ie§ creatures le livre du destin, ex- cepte la page qui leur est necessaire, celle de leur etat pre- sent : il cache a la brute ce que les hommes connaissent, aux hommes ce que connaissent les anges : autrement, qui pour- rait ici-bas supporter son existence ? Ta sensualite con- damne, aujourd'hui, I'agneau a la mort ; s'il avait ta raison, bondirait-il & se jouerait-il dans la plaine ? Content jusqu'a Pinstant fatal, il pait Pherbe tendre & fleurie, & leche la main qui le doit egorger. Heureux aveuglement ! heureuse incertitude, qui nous est charitablement donnee, pour que tout etre puisse remplir le cercle que lui a marque I'etre supreme : Dieu de tous, il voit d'un oeil egal un passereau tomber, ou perir un heros, des atomes se confondre ou des cieux, ebranles a grand bruit, se dissoudre, une bulle d'eau, ou un monde rentrer dans le neant.

Faible mortel ^ sois done humble dans tes esperances ; & si tu prends ton essor, ne le prends qu'avec crainte ; dans Fattente de la mort, cette souveraine de tous les etres; adore Dieu^ II ne te fait point connaitre, quel sera ton bonheur futur, mais il te donne Pesperance pour etre ton bonheur present*. L'esperance fleurit toujours dans le coeur de Phomme : il n'est jamais heureux, il doit toujours Petre : Pame, inquiete & restrainte, se repose & s'eleve au bonheur d'une vie a venir.

Contemple ce pauvre Indien, dont Pesprit sans culture voit Dieu dans les airs, ou Pentend dans les vents; une science orgueilleuse n'etend point ses faibles connaissances au dela du soleil, ou de la voie lactee ; cependant la simple nature ne Pa pas laisse sans esperance, jAus humble il se figure un ciel au dela d'une montagnc dont les nuages lui

24 ESSAY ON MAN.

Some safer world in depth of woods embrac'd, Some happier island in the wat'ry waste. Where slaves once more their native land behold. No fiends torment, no Christians thirst for gold. To be, contents his natural desire^ He asks no angePs wing, nor seraph's fire ; But thinks, admitted to that equal sky. His faithful dog shall bear him company.

Go, wiser thou ! and in tliy scale of sense, Weigh thy opinion against providence ; Call imperfection what thou fancy'st such; Say, here he gives too little, there too much : , Destroy all creatures for thy sport or gust, Yet say, if man's unhappy, God's unjust; If man alone engross not heaven's high care. Alone made perfect here, immortal there : Snatch from his hand the balance and the rod, Re-judge his justice, be the god of God. In pride, in reas'ning pride our error lies ; All quit their sphere, and rush into the skies. Pride still is aiming at the blest abodes. Men would be angels, angels would be gods. Aspiring to be gods, if angels fell. Aspiring to be angels, men rebel : And who but wishes to invert the laws Of order, sins against th' eternal cause.

Ask for what end the heav'nly bodies shine. Earth for whose use ? Pride answers, " 'Tis for mine For me kind nature wakes her genial pow'r; Suckles each herb, and spreads out ev'ry flow'r :

ESSAI SUR L'HOMME, 25

derobent le sommet; un monde moins daiigereux dans la profondeur des forets; quelqu'ile fortunee, situee an milieu de Pocean, ou les esclaves revoient leur pais natal, ou lis ne craindront nul demon qui les tourmente, nul Chretien devore de la soif insatiable de Por. A I'existence, il borne ses desirs naturels ; il ne souhaite ni les ailes des anges, ni le feu des seraphins ; mais il croit que lui & son chien fidele, habiteront le meme cieL

Va, plus sage que lui dans ta prevention! pescr dans les

balances de ta raison, ton opinion contre la providence; ap-

pelle imperfection ce que tu t'imagines tel; dis, Dieu est ine-

gal dans ses dons ; la, il est trop liberal, &, ici, trop avare :

detruis toutes les creatures pour ton gout ou pour ton plaisir,

& ose dire encore, si Phomme seul n'occupe pas tons les soins

d'en-haut, s'il n'est pas le seul etre parfait ici-bas, s'il n'est

pas immortel dans le ciel, & s'il est malheureux, Dieu est in-

juste: he ! arrache de ses mains la balance & le sceptre, juge

la justice meme, & sois le dieu de ton Dieu^ Nos erreurs pren-

nent leur source dans les raisonnemens de Porgueil ; on sort de

sa sphere, & Pon s'elance vers les cieux. L'orgueil vise tou-

jours aux demeures celestes, Phomme veut s'egaler aux anges,

& les anges s^egaler au dieu qui les crea. Si les anges qui

ont aspire a etre dieux sont tombes, les hommes qui aspirent

a etre anges, se rendent coupables de rebellion : & qui veut

renverser les lois de Pordre, peche contre la cause eternelle.

Que Pon demande pourquoi les astres brillent dans les

cieux, pourquoi la terre existe? *^Je suis, repond POr-

gueil, Pobjet de tons ces dons : pour moi, la nature liberale

eveille ses puissances productrices ; fertilise les champs, &

fait epanouir les fleurs j pour moi, le raisin renouvellc tous

B

2o ESSAY ON ^^v^

Annaal for me, tlie grape, the rose, renew The juice nectareoas, and the balmy dew; For me, the mine a thousand treasures brings; For me, health gushes from a thousand springs ; Seas roll to waft me, suns to light me rise ; My foot-stool earth, mj canopy the skies."

But errs not nature from this gracious end. From burning suns when livid deaths descend. When earthquakes swallow, or when tempests sweep Towns to one graye, whole nations to the deep ? ** No— 'tis reply M^ the first Almighty cause Acts not by partial, but by general laws ; Th' exceptions few : some change since all began : And what created perfect :'* Why then man ? If the great end be human happiness. Then nature deviates ; and can man do less ? As much that end a constant course requires Of show'rs and sun-shine, as of man's desires ; As much eternal springs and cloudless skies. As men for ever temperate, calm, and wise. If plagues or earthquakes break not heayen's design. Why then a Borgia, or a Catiline ? Fi"om pride, from pride, our yery reas'ning springs Account for moral as for natural things : Why charge we heav*n in those, in these acquit? In both, to reason right, is to submit.

Better for us, perhaps, it might appear, Were there all harmony, all yirtue here;

ESSAI SUR L'HOMME. 27

les ans son nectar enivrant, & la rose ses fraicheurs odorife- rantes ; pour moi, la mine enfante mille tresors ; pour moi, la sante decoule de mille sources; les mers roulent leurs ondes pour me transporter ; le soleil se leve pour m'eclairer ; la terre est mon marchepie, & m'offre un trone eclatant dont les cieux sont le dais."

Mais la nature ne s'ecarte-t-elle point de sa bonte & de sa fin, lorsqu'un soleil brulant darde des rayons homicides ; lorsque la terre, ouvrant ses gouffres, engloutit des cites, & que des inondations submergent des peuples entiers ? '' Non, repondra-t-on : '' la premiere cause toute puissante n'agit point par des lois particulieres, mais par des lois generales; il y a eu quelques alterations depuis le commencement; mais, est-il rien ici-bas qui puisse etre parfait?" Pourquoi done I'homme le serait-il ? Si la felicite humaine est la grande fin, & que la nature s'en ecarte ; pourquoi Phomme ne s'en ecarterait-il pas aussi? Cette fin n'exige pas moins un cours regulierement alternatifde jours orageux & de jours sereins, qu'une regularite constante dans les desirs de I'homme; qu'un printems eternel & des cieux sans nuages, que des hommes toujours sages, calmes & temperes. Si par d'af- freuses tempetes ou des tremblemens de terre, Pordre est affermi, pourquoi done croirions-nous qu'un Borgia,^ ou qu'un Catilina^ puissent le renverser ? C'est de Porgueil que jaillissent nos raisonnemens, jugeons des choses morales, ainsi que des choses naturelles: pourquoi blamer le cicl dans celles-la, & le disculper dans celles-ci ? Dans les unes & dans les autres, pour bien raisonner, il faut se soumettre.

Peut-etre nous paraitrait-il mieux, que dans le monde pliysiquc tout fut harmonic, que dans le monde moral tout

28 ESSAY ON MAN.

That never air or ocean felt the wind. That never passion discompos'd the mind. But all subsists by elemental strife; And passions are the elements of life. The gen'ral order, since the whole began. Is kept in nature, and is kept in man.

What would this man ? Now upward will he soar^ And, little less than angel, would be more; Now looking downwards, just as griev'd appears To want the strength of bulls, the fur of bears. Made for his use all creatures if he call. Say what their use, had he the powers of all? Nature to these, without profusion, kind, The proper organs, proper pow'rs assigned : Each seeming want compensated of course. Here with degrees of swiftness, there of force ; All in exact proportion to their state ; Nothing to add, and nothing to abate. Each beast, each insect, happy in its own : Is heav'n unkind to man, and man alone? Shall he alone, whom rational we call. Be pleas'd with nothing, if not blest with all ?

The bliss of man could pride that blessing find Is not to act or think beyond mankind ; No pow'rs of body or of soul to share. But what liis nature and his state can bear. Why has not man a microscopic eye? For this plain reason, man is not a fly. Say, what the use, were finer optics giv'n, T' inspect a mite, not comprehend the heav'n ?

ESSAI SUR L'HOMME. 29

fut vertu; que Pair ou Pocean ne ressentit jamais le souffle des vents, & que I'ame ne sentit jamais le pouvoir des pas- sions. Mais tout subsiste par le conflit des elemens, & les passions sont les elemens de la vie. L'ordre general a ete suivi depuis le commencement, & dans la nature & dans I'homme.

Que voudrait-il, cet liomme? Tantot il eleve les regards vers le del, & moindre qu'un ange, il voudrait etre davan- tage ; tantot baissant les yeux vers la terre, il se plaint de n'avoir point la force du taureau & la fourure de Pours* S'ii pense que tons les animaux sont faits pour son usage, dis-moi de quel usage lui seraient-ils, si il en avait toutes les proprietes ? La nature liberale, sans profusion, leur a as- signe des organes, des facultes propres ; elle les a dedom- mages de chaque besoin apparent, les uns par des degres de Vitesse, les autres par des degres de force ; ^ tout, dans une proportion exacte, correspond avec leur etat ; il n'y a rien a ajouter, rien a retrancher. Chaque animal, chaque insecte est heureux dans Petat ou il est: le ciel serait-il done cruel pour Phomme, & pour Phomme seul? Quoi! lui qui se dit raisonnable, ne sera-t-il satisfait de rien, a moins qu'il ne possede tout?

Le bonheur de Phomme, si Porgueil ne s'abusait point, n'est pas de penser ou d'agir au de-la de Phomme meme; d'avoir des facultes de corps & d'esprit au de-la de ce qui convient a sa nature & a son etat. Pourquoi Phomme n'a- t-il point un ceil microscopique ? C'est par cette raison bien simple, que Phomme n'est point une mouche. Dis-moi, quel en serait Pusage, si Phomme pouvait considerer un ci- ron, & que sa vue ne put jouir du spectacle des cieux ? Quel

30 ESSAY ON ilAN.

Or toiicli, if tremblingly alive all o'er. To smart and agonize at evVy pore? Or quick effluvia darting through the brain, Die of a rose in aromatic pain ? If nature thunder'd in his op'ning ears. And stunn'd him with the music of the spheres. How would he wish that heav'n had left him still The whispering zephyr, and the purling rill ! Who finds not providence all good and wise. Alike in what it gives, and what denies ? Far as creation's ample range extends. The scale of sensual, mental powers ascends : Mark how it mounts, to man's imperial race. From the green myriads in the peopled grass : What modes of sight betwixt each wide extreme. The mole's dim curtain, and the lynx's beam ; Of smell, the headlong lioness between, And hound sagacious on the tainted green ; Of hearing, from the life that fills the flood. To that which warbles tbro' the vernal wood ! The spider's touch, how exquisitely fine! Feels at each thread, and lives along the line : In the nice bee, what sense so subtly true From pois'nous herbs extracts the healing dew ! How instinct varies in the grov'ling swine, Compar d, half-reas'ning elephant, with tliine ! 'Twixt that, and reason, what a nice barrier ! For ever separate, yet for ever near ! Remembrance and reflection how allied ; What thin partitions sense fi^om thought divide !

ESSAI SUR L'HOMME. ' 3^

serait celui d'un toucher plus delicat, si, par un exces de sensibilite, I'homme craignait toujours la douleur ou la mort ? Ou d'un odorat plus rafiue, si les douces emanations de la rose par leurs vibrations dans le cerveau, le faisaient mourir d'un spasnie aromatique ? D'une oreille plus fine, si la nature se faisait toujours entendre avec le bruit du tonnerre, & qu'il se trouvat etourdi par Pharmonie des revolutions des spheres ? 0 ! combien il regretterait, alors, que le del Pent prive du souffle des zephirs, & du murmure des ruisseaux ! Qui pent ne pas reconnaitre la bonte & la sagesse eternelle egalement & dans cequ'elle donne, & dans cequ'elle refuse ? Plus les nombreux degres de la creation s'etendent, plus s'accroit la progression des facultes sensitives & intellectu- elles: quelle gradation depuis ces millions d'insectes qui peuplent les champs, jusqu'a la race imperiale de Phomme? Que de modifications differentes dans la vue entre ces deux extremes, le voile de la taupe, & le rayon du linx; dans Po- dorat, entre la lionne^ qui s'elance impetueusement sur sa proie, & le chien qu'il conduit surement sur d'invisibles traces; dans Pouie, depuis cequi vit dans Ponde, jusqu'a tout cequi gazouille dans les feuillages du printems ! Que le toucher de Paraignee est subtil & prompt ! Sensible a la plus legere impression, qui affecte le moindre fil de sa toile, elle parait vivre dans Pouvrage qu'elle a tissu : que la deli- cate abeille a le sentiment exquis & sur, pour extraire des plantes venimeuses une rosee salutaire ! Quelle difierence d'instinct entre celui d'une truie qui se vautre, & entre le tien, elephant, qui de la raison parais presque avoir Pusage ! Que la barriere est mince, entre Pinstinct &,la raison ! 0 ! qu'entre Pun & Pautre; on voit peu de distance ! Quelle al-

32 ESSAY ON iL\>.

And middle natures^ how they long to joio^ Yet never pass th' insuperable line ! Without this just gradation, could they be Subjected, these to those, or all to thee ? The powers of all subdu*d by thee alone. Is not thy reason all these pow*rs in one ?

See, thro' this air, this ocean, and uus earthy All matter quick, and bursting into birth. Above, how high, progressive life may go ! Around, how wide ! how deep extend below ! Vast chain of being ! which &x>m God began, Natures ethereal, human, angel, man^ Beast, bird, fish, insect, what no eye can see, Xo glass can reach ; from infinite to thee. From thee to nothing I On supmor pow*rs Were we to press, inferior might on ours ; Or in the full creation leave a void, WhCTe, one step broken, the great scale's destroyed From nature^s chain whatever link you strike. Tenth, or ten thousandth, breaks the chain alike.

And, if each system in gradation roU, Alike essential to th' amazing whole. The least confusion but in one, not all That svstem onlv, but the whole must fall. Let earth unbalanced from her orbit fly. Planets and suns run lawless tkrongb tbe sky : Let ruling angels from their spheres be hurl'd. Being on being wrecked, and world on world :

ESSAI SUR L'HOMME. 33

liance entre la reflexion & le ressouvenir ; que peu de chose divise le sentiment de la pensee! & que d'effbrts, ne font point les etres d'une nature moyenne pour s'unir, sans pou- voir jamais passer la ligne insurmontable qui les separe ! Sans cette juste gradation, les uns pourraient-ils etre soumis aux autres, & tons a toi ? Toutes leurs puissances etant vain- cues par toi seulement, ta raison n'est-elle pas, seule, toutes ces puissances ensemble ?

Regarde dans le vague des airs, sur la terre & dans I'onde, la matiere prete a eclore, s'agiter, crever & produire. Quel spectacle etonnant! A quel point la progression des etres pent s'elever dans les cieux, s'etendre sur la terre, & se ca- cher dans la profondeur ! Quelle chaine infinie, qui commence depuis Dieu ! Nature celeste &,terrestre, ange, homme, bete, oiseau, poisson, insecte j 6 etendue que Poeil ne pent voir, que Poptique ne pent atteindre; depuis Pinfini jusqu'a toi, depuis toi jusqu'au neant ! Si nous pouvions dominer sur les puissances superieures, les inferieures le pourraient sur nous ; autrement, il y aurait un vide dans la creation, ou, un de- gre etant ote, la grande echelle est detruite : qu'un chainon soit brise, il n'y a plus d'equilibre, & tout, des lors, retombe dans le cahos.

Si chaque monde se meut dans un ordre graduel, si con- servant toujours un ordre merveilleux, un seul eprouve la moindre confusion, Pharmonie est rompue, & sa destruction entraine celle de Punivers. Que la terre perdant son equi- libre s'ecarte de son orbite, que les planetes, & les soleils errant sans regie au travers des cieux, que les anges presi- dant a chaque sphere en soient precipites,,qu'un etre s'a- bime sur un autre etre, un monde sur un autre monde; que

E

ESSAY ON MAN.

Heaven's whole foundations to their centre nod. And nature trembles to the throne of God. All this dread order break! for whora? for thee? Vile worm ! 0, madness ! pride ! impiety !

What if the foot, ordainM the dust to tread. Or hand, to toil, aspir'd to be the head ? AVhat if the head, the eye, or ear repin'd To serve mere engines to the ruling mind ? Just as absurd for any part to claim To be another, in this gen'ral frame : Just as absurd, to mourn the tasks or pains The great directing mind of all ordains.

AW are but parts of one stupendous whole, Whose body nature is, and God the soul ; That, chang'd thro' all, and yet in all the same: Great in the earth, as in th' ethereal frame ; Warms in the sun, refreshes in the breeze. Glows in the stars, and blossoms in the trees: Lives thro' all life, extends thro' all extent; Spreads undivided, operates unspent ; Breathes in our soul, informs our mortal part. As full, as perfect, in a hair as heart ; As full, as perfect, in vile man that mourns. As the rapt seraph that adores and burns : To him, no high, no low, no great, no small ; He fills, he bounds, connects, and equals all.

Cease then, nor order imperfection name : Our proper bliss depends on what we blame. Know thy own point ; This kind, this due degree Of blindness, w eakness ; heav'n bestows on thee.

ESSAI SUR L'HOMME. 35

toute la fondation des cieux s'ebranle jusques dans son cen- tre, & que la nature, dans le trouble & I'horreur, jusqu'au trone de Dieu porte I'epouvante, Quoi ! tout cet ordre ad- mirable n'existerait plus....& pour qui? pour toi? homme ambitieux & meprisable ! O folie ! orgueil ! impiete !

Quoi ! si le pied destine a fouler la poussiere, ou la main destinee au travail, aspirait a etre la tete : si la tete, I'oeil, ou I'oreille se tourmentaient de n'etre simplement que les in- strumens de I'esprit qui les gouverne : quelle absurdite ! & en serait-ce une moindre, si dans ce plan general, une par- tie voulait sortir de I'ordre prescrit, & murmurer contre la tache ou la peine qu'a impose I'etre supreme.

Tout ce qui est, n'est que partie d'un tout etonnant, dont la nature est le corps, & dont Dieu est Pame ; diversifie dans chaque etre, & cependant toujours le meme ; aussi grand sur la terre que dans le ciel, il echaufTe dans le soleil, rafaichit dans le zephir, brille dans les etoiles, & fleurit sur les ar- bres ; il vit dans tout etre vivant, s'etend dans toute eten- due, se repand sans se diviser, & donne sans rien perdre ; il respire dans notre ame, agit en nous & parait a nos regards, aussi parfait, aussi puissant dans la plus petite partie de la creature, que dans la plus noble ; dans Phomme vil qui se plaint, & dans le seraphin qui n'est qu'amour & adoration : il ne connait ni faible, ni paissant, rien qui soit grand, rien qui soit petit j il remplit, il limite, il enchaine, il egale tout.

Cesse done, 6 mortel ! & ne donne plus a Pordre le nom d'imperfection : ce qui nous parrait un mal est la source de notre bonheur. Rentre en toi meme^ apprends a te con- naitre : le ciel t^a donne un juste, un heureux degre d'aveu-

36 ESSAY ON MAN,

Submit. In this, or any other sphere.

Secure to be as blest as thou canst bear :

Safe in the hand of one disposing pow^r.

Or in the natal, or the mortal hour.

All nature is but art, unknown to thee ;

All chance, direction, which thou canst not see ;

All discord, harmony not understood j

All partial evil, universal good:

And, spite of pride, in erring reason's spite.

One truth is clear, whatever is, is right*

ESSAI SUR L'HOMME. 37

glement & de faiblesse. Soumets toi, & sois sur que dans ce monde, ou dans quelqu'autre sphere que ce soit, a I'heure de ta naissance ou a celle de ta mort, toujours cher a ton Dieu, en lui tu trouveras un pere. Toute la nature est un art, qui se soustrait a ton ignorance ; le hazard, est Peffet d'un dessein que tu ne peux voir ; la discorde, est une har- monie que tu ne comprends point ; le mal particulier, est un bien general: & en depit de ton orgueil, en depit de ta raison qui s'egare, cette verite est evidente; quE tout est

BIEN DANS TOUTE LA NATURE.

ESSAY ON MAN.

EPISTLE 2.

Of the JSTature mid State of Man, 'with respect to Himself as an

Individual.

Know then thyself, presume not God to scan; The proper study of mankind is man. Plac'd on this isthmus of a middle state, A being darkly wise, and rudely great. With too much knowledge for the sceptic side, With too much weakness for the stoic's pride. He hangs between ; in doubt to act, or rest ; In doubt to deem himself a god, or beast; In doubt his mind or body to prefer ; Born but to die, and reas'ning but to err ; Alike in ignorance, his reason such. Whether he thinks to little, or too much ; Chaos of thought and passion, all conf us'd ; Still by himself abused or disabusM;

ESSAI STJR L'HOMME.

EPITRE 2.

Be la Mature 8^ de VEtat de VHommef par rapport a Lui meme^ considers comme Individii.

Apprends done a te connaitre toi-meme, & ne sonde point Pimmense profondeur de la divinite, I'etude qui convient a Phomme, est I'homrae meme. Place dans une espece d'isthme, etre d'un etat mixte, melange etonnant de lumiere & d'ob- scurite, de grandeur & de bassesse, avec trop de connais- sances pour douter en sceptique, & trop de faiblesse pour s'armer de la fierte stoique, en suspens entre ces contra- rietes, il ne sait s'il doit agir, ou se livrer au repos ; penser qu'il est un dieu, ou une brute; donner la preference au corps ou bien a Pesprit; il n'est ne que pour mourir, il ne raisonne que pour s'egarer; & telle est sa raison, qu'clle n'est presque qii^in delire; cahos de vaines pensees & de passions, ou tout est en confusion; continuellement abuse ou desabnse par lui-meme; cree en partie pour s'elever, & en

40 ESSAY ON MA^^

Created half to rise, and half to fall ; Great lord of all things, yet a prey to all ; Sole judge of truth, in endless error hurl'd; The glory, jest, and riddle of the world !

Go, wondrous creature ! mount where science guides ; Go, measure earth, weigh air, and state the tides; Instruct the planets in what orbs to run. Correct old time, and regulate the sun ; Go, soar with Plato to th' empyreal sphere. To the first good, first perfect, and first fair; Or tread the mazy round his followers trod. And quitting sense call imitating God ; As eastern priests in giddy circles run. And turn their heads to imitate tlie sun. Go, teach Eternal Wisdom how to rule ; Then drop into thyself, and be a fool !

Superior beings, when of late they saw A mortal man unfold all nature's law, Admir'd such wisdom in an earthly shape. And sliow'd a Newton as we show an ape.

Could he, whose rules the rapid comet bind. Describe or fix one movement of the mind ? Who saw its fires here rise, and there descend, Exi)lain his own beginning or his end ? Alas, what wonder ! Man's superior part Uncheck'd may rise, and climb from art to art; But when his own great work is but begun, What reason weaves, by passion is undone.

ESSAI SUR L'lIOMME. 4l

partie pour tomber ; maitre de tout, & cependant la proie de tout; seul juge de la verite, & sans cesse entraine dans une erreur qui n'a point de bornes: il est tour-a-tour la gloire, & la honte de la nature !

Va, sublime mortel! monte ou les sciences te guident; mesure la terre, pese Pair, regie le flux & le reflux des mers ; enseigne aux planetes le cours de leur marche, soumets le terns a ton calcul, & dirige les mouvemens du soleil; va, prends I'essor avec Platon vers Pempiree, jusqu'au premier bien, au premier parfait, au premier beau; ou entre dans les iabirinthes qu'ont fraye ses successeurs, & dans ton vain orgueil pretends que de se depouiller des sens, c'est imiter Dieu; tel que ces pretres de I'orient qui s'etourdissent en tour- nant, &dans leurs vertigess'imaginent imiter Pastre du jour. Va, & apprends a la SagevSse Eternelle comment elle doit gou- verner; ensuite rentre en toi-meme, &rougis de ton erreur!

Lorsque dans ces derniers terns, les celestes esprits virent un mortel developper toutes les lois de la nature, ils admi- rerent une telle habilete dans une figure terrestre, & New- ton fut peut-etre pour eux, ce qu'un singe est pour nous.

Mais, ce philosophe qui pouvait assujetir a des regies fixes la velocite des cometes, pouvait-il decrire ou fixer un seul mouvement de I'ame ? Lui qui pouvait voir la difference de leurs feux, ici leur point d'eleyation, & la celui de leur de- clin, pouvait-il expliquer son principe ou sa fin ? Quel pro- dige, helas ! L'esprit de Phomme pent s'elever sans effort & sans obstacle jusques aux cieux, & empieter d'art en art; mais quand Phomme travaille a son grand ouvrage, a peine a-t-il commence, que ce que la raison a tissu, la passion le defait.

42 ESSAY ON MAN.

Two principles in human nature reign; Self-love, to urge, and reason, to restrain ; Nor this a good, nor that a bad we call. Each works its end, to move, or govern all : And to their proper operation still. Ascribe all good, to their improper ill.

Self-love, the spring of motion, acts the soul; Reason's comparing balance rules the whole, Man, but for that, no action could attend. And, but for this, were active to no end : FixM like a plant on his peculiar spot. To draw nutrition, propagate, and rot; Or, meteor-like, flame lawless through the void. Destroying others, by himself destroyed.

Most strength the moving principle requires ; Active its task, it prompts, impels, inspires. Sedate and quiet the comparing lies, Form'd but to clieck, delib'rate, and advise. Self-love, still stronger, as its object's nigh; Reason's at distance, and in prospect lie : That sees immediate good by present sense ; Reason, the future and the consequence. Thicker than arguments, temptations throng. At best more watchful this, but that more strong. The action of the stronger to suspend. Reason still use, to reason still attend. Attention, habit, and experience gains; Each strengthens reason, and self-love restrains.

ESSAI SUR L'HOMME. 43

Deux principes regnent dans riiomme; Pamour-propre qui meut, & la raison qui gouverne : n'appellons point celui- ci un bien, celui-la un nial, chacun produit sa fin, Pun excite, Pautre conduit : ce qui convient a leur co-operation, ou fait eviter le mal, ou fait arriver au bien.

L'amour-propre, source du mouvement, fait agir Pame; la raison le compare, le balance & le guide. Sans Pun de ces principes, Phomme serait dans Pinaction ; & sans Pautre, 11 se conduirait sans regie, il agirait sans dessein : il serait comme une plante, qui, attachee a la terre, vegete, multi- plie, & perit ; ou comme un meteore enflamme, qui traversant le vide au hazard, en detruisant les autres, par lui-meme est detruit.

De ces deux principes d'impulsion & de comparaison, le premier doit avoir plus de force, doit nous agiter sans cesse ; il nous inspire, il nous remue, & nous presse. Le second, est calme & paisible ; pese tout, reflechit, delibere & con- seille. La force de Pamour-propre croit a proportion de la proximite de son objet; le bien lui est immediat par le sen- timent present; la raison ne Penvisage que dans un certain tems, une certaine distance: elle le presage dans Pavenir, le considere dans les consequences. Les tentations sont plus actives, plus frequentes que les raisonnemens, & si la raison dans sa marche est prudente, Pamour-propre, au moins, a Pavantage de la force. Pour le moderer, soyez toujours at- tentif aux preceptes de Pautre ; servez-vous de son secours. L'attention, Phabitude, & Pexperience reglent son pouvoir; chacune d'elles fortifie la raison, reprime Pamour-propre. Que les scholastiques vains, plus attaches a diviser qu'a re- unir, apprennent a ces deux puissances amies a se battre;

'm.

44 ESSAY ON MAN.

»

Let subtle schoolmen teach these friends to fight, More studious to divide than to unite : And grace and virtue, sense and reason split, With all the rash dexterity of wit. Wits, just like fools, at war ahout a name, Have full as oft, no meaning, or the same. Self-love and reason to one end aspire. Pain their aversion, pleasure their desire; But greedy that, its object would devour ; This taste the honey, and not wound the flow er : Pleasure, or wrong, or rightly understood. Our greatest evil, or our greatest good.

Modes of self-love the passions w-e may call ; 'Tis real good, or seeming, moves them all: But since not ev'ry good we can divide. And reason bids us for our ow n provide ; Passions tho' selfish, if their means be fair^ List under reason, and deserve her care ; Those, that imparted, court a nobler aim, Exalt their kind, and take some virtue's name.

In lazy apathy, let stoics boast Their virtue fix'd ; 'tis fix'd as in a frost j Contracted all, retiring to the breast ; But strength of mind is exercise, not rest: The rising tempest puts in act the soul ; Parts it may ravage, but preserves the whole. On life's vast ocean diversely we sail. Reason the card, but passion is the gale ;

*^'

ESSAI SUR L'HOMME. 45

eux, qui, par des tours ambigus & par I'esprit le plus subtil, separent avec art la grace de la vertu, & le sens de la raison. Quant a nous, soyons plus raisonnables & laissons ces pretendus beaux esprits, ainsi que des fous, obscurcir la matiere, & se faire la guerre sur un mot, sans savoir sou- vent ce qu'ils pensent, ou bien pensant de meme. La raison & I'amour-propre tendent au meme but, la peine est I'objet de leur aversion, un attrait naturel au plaisir les entraine; mais, Pun avide voudrait devorer Pobjet de son desir ; I'au- tre, voudrait extraire le miel sans blesser la fleur: c'est le plaisir, qui, bien ou mal cntendu, fait notre plus grand bien, ou notre plus grand mal.

Que sont les passions, si ce n'est I'amour-propre lui- meme ? Le bien reel ou apparent les met en action : mais comme tout bien n'est pas de nature a etre partage, & que la raison nous ordonne de poiirvoir d'abord a nos propres besoins ; des passions, quoique concentrees en nous memes, peuvent, lorsqu'elles ne nuisent point aux interets des autres, se ranger sous I'etendard de la raison, & meriter ses soins; celles qui participent aux autres les biens qu'elles recher- chent, visent a un plus noble but, annoblissent leur espece, & la raison qui les applaudit, leur donne le beau nom de vertu*

Que le stoicien, fier d'une insensibilite oisive, se vante d'une vertu inebranlable j sa fermete, semblable a celle de la glace, est une fermete de contraction, & qui reste sans action, concentree en son coeur ; plus notre esprit est fort, plus il lui faut d'exercice; il meurt, s'il reste en repos : une tempete qui s'eleve dans I'ame, peut en ravager une partie, mais par son action, meme, en maintient la totalite. La vie est une mer ou nous sommes sans cesse balotes, la raison

46 ESSAY ON MAN.

»

Nor God alone in the still calm we find.

He mounts the storm and walks upon the wind.

Passions, like elements, tho' born to fight. Yet, mix'd and soften'd, in his work unite : These, 'tis enough to temper and employ ; But what composes man, can man destroy ? Suifice that reason keep to nature's road. Subject, compound them, follow her and God. Love, hope, and joy, fair pleasure's smiling train ; Hate, fear, and grief, the family of pain ; These mix'd with art, and to due bounds confin'd. Make and maintain the balance of the mind^ The lights and shades, whose well-accorded strife Gives all the strength and colour of our life.

Pleasures are ever in our hands and eyes ; And, when in act they cease, in prospect rise : Present to grasp, and future still to find. The whole employ of body and of mind. All spread their charms, but charm not all alike; On difl'Vent senses, different objects strike: Hence diff 'rent passions more or less inflame. As strong or weak, the organs of the frame; And hence one master passion in the breast, Like x\aron's serpent, swallows up tlie rest.

As man, perhaps, the moment of his breath. Receives the lurking principle of death ; The young disease, which must subdue at length,

ESSAI SUR L'HOMME. 47

nous y sert de boussole, mais la passion en est le vent ; ce n'est pas dans le calme seul que Pon trouve la divinite, Dieu marche sur les flots & monte sur les vents.

Quoique les passions, ainsi que les elemens, semblent en apparence etre ennemis, cependant, il resulte des accords de leurs combats : il ne faut que savoir moderer leurs mouve- mens, pour en tirer avantage; ce qui forme I'homme, I'homme peut-il le detruire? N'obeissons a la raison que pour suivre les lois de la nature, fidele aux desseins de Dieu, qu'elle se contente de calmer les passions, & de se les assu- jetir. L'amour, la joie, & I'esperance, cortege du plaisir; la haine, la crainte, & le chagrin, que la douleur enfante ; toutes ces passions, entre elles combinees, & renfermees dans de justes bornes, font & maintiennent Pequilibre de I'ame ; composent les lumieres & les ombres, dont le con- traste assorti fait la force & le coloris de la vie.

L'homme a toujours des plaisirs dont il jouit en effet, ou, qu'il goute en idee ; la jouissance de Pun cesse-t-elle ? la perspective, ou Pesperance de quel qu'autre lui succede : le corps, Pesprit, toutes nos facultes ne sont occupees que du soin de les retenir, ou de s'en preparer pour Pavenir. Mais, quoique tons aient des charmes seduisans, leur effet sur son ccEur a plus ou moins d'empire; nos differens sens, sont frappes par differens objets ; dela, differentes passions nous enflamment plus ou moins, selon que les organes de ces sens ont plus ou moins de force; & dela, souvent il arrive qu'une seule passion dominante, semblable au serpent d'Aaron, dompte & devore toutes les autres.

L'homme, en recevant la vie, recoit, pent etre aussi, le pnncipe destructeur qui produit la maladie, qui enfui doit le

48 ESSAY ON MAN.

Grows with his growth, and strengthens with his

strength : So, cast and mingled with his very frame. The mind's disease, its ruling passion came ; Each vital humour, which should feed the whole. Soon flows to this, in hody and in soul : Whatever warms the heart, or fills the head. As the mind opens, and its functions spread, Imagination plies her dang'rous art. And pours it all upon the peccant part. Nature its mother, habit is its nurse ; Wit, spirit, faculties, but make it worse; Reason itself but gives it edge and pow'r; As heaven's blest beam turns vinegar more sour.

We, wretched subjects tho' to lawful sway, In this wxak queen, some fav'rite still obey : Ah ! if she lend not arms, as well as rules. What can she more than tell us we are fools ? Teach us to mourn our nature, not to mend ; A sharp accuser, but a helpless friend ! Or from a judge turn pleader, to persuade The choice we make, or justify it made; Proud of an easy conquest all along, She but removes weak passions for the strong: So, when small humours gather to a gout. The doctor fancies he has driven them out*

Yes, nature's road must ever be preferred ; Reason is here no guide, but still a guard :

ESSAI SUR L'HOMME. 49

conduire au lombeau ; il circule avec son sang, augmente & se fortifie, lors memc que le corps croit & prend de la vi- gueur: ainsi, la maladie de Pesprit infusee en nous, & me- lee pour ainsi dire avec notre propre substance, devient enfin la passion qui acquiert sur lui le droit de le gouverner ; toute humeur vitale, destinee a la nourriture du tout, se jette sur cette partie faible, tant du corps que de I'ame : a mesure que nos facultes s'ouvrent & se devoilent, tout ce qui echauflfe Ic cceur, ou remplit la tete, est, par I'imagination qui ne cesse d'employer ses funestes artifices, repandu sur la partie maladc.

C'est la nature qui fait naitre cette passion, c'est I'habi- tude qui la nourrit & la fait croitre; Pesprit, la vivacite, & les talens, ne font que I'irriter; que dis-je? la raison meme flatte cet ennemi, le soutient & I'enflame; ainsi que les ray- ons benins du soleil augmentent Pacidite du vinaigre.

Sujets mallieureux d'une reine legitime, en lui obeissant, n'est-ce pas en effet obeir a une de ses favorites : helas ! puis- qu'elle ne nous donne pas des armes, aussi bicn que des le9ons, de quelle utilite pent etre son secours, si ce n'est de nous faire connaitre nos defauts ? Accusatrice severe, mais impuissante amie, sa voix nous apprend a plaindre notre nature, mais non point a nous rendre meilleurs ; ou, de juge devenant avocate, elle nous suggere le choix que nous faisons, ou justific celui qui est deja fait^ cependant, fiere d'une conquete aisee, elle enchaine de petites passions pour en faire triomphcr une plus puissante: c'est ainsi qu'un medecin, qui, pour avoir donne un nouveau cours aux humeurs, croit nous avoir soulage, quand ades maux legers, il a seulemcnt fait succedcr la gouttc.

Oui, la route que trace la nature doit toujours etre pre- feree; ce n'est point la raison qui doit nous y giiider, son

G

50 KSSAY ON MAN.

^Tis liers to rectify, not overthrow. And treat this passion more as friend than foe j A mightier power the strong direction sends. And sev'ral men impels to sev'ral ends : Like varying winds, by other passions tost. This drives them constant to a certain coast. Let pow'r or knowledge, gold or glory, please. Or oft more strong than all the love of ease ; Thro' life 'tis followed, ev'n at life's expense 5 The merchant's toil, the sage's indolence. The monk's humility, the hero's pride. All, all alike, find reason on their side.

Th' eternal art, educing good from ill. Grafts on this passion our best principle : 'Tis thus, the mercury of man is fix'd. Strong grows the virtue with his nature mix'd j The dross cements what else were too refin'd. And in one interest body acts with mind.

As fruits, ungrateful to the planter's care. On savage stocks inserted learn to bear; The surest virtues thus from passion shoot, Wild nature's vigour working at the root. What crops of wit and honesty appear From spleen, from obstinacy, hate, or fear ! See anger, zeal and fortitude supply j Ev'n av'rice, prudence; sloth, philosophy ; Lust, thro' some certain strainers well refin'd. Is gentle love, and charms all womankind ; Envy, to which th' ignoble mind's a slave. Is emulation in the learn'd or brave j

ESSAI SUR L'HOMME. ^l

principal emploi se borne a nous garder : c'est elle qui doit regler nos gouts, mais non pas les detruire, elle doit traiter la passion regnante plus en amie qu'en ennemie ; par cette passion, le ciel dirige les hommes vers des objets differens : agites par d'autres penchans, il faut que la passion qui do- mine en soit toujours victorieuse. Qu'un desir effrene de puissance, que le gout des sciences, que la soif de For, que Pamour de la gloire ou du repos, passion qui maitrise toutes les autres, devienne le penchant du cceur, chacun est pret a lui sacrifier tout, meme, jusqu'a sa vie; que I'avide nego- ciant ait de I'activite, que le philosophe soit oisif, le moine humble & modeste, le heros fier & magnanime, ils trouveront toujours la raison prete a les favoriser.

L'eternel artisan, qui tira le bien du mal, ente sur cette passion nos meilleurs principes : c'est ainsi, que le penchant de I'homme est irrevocablement fixe, la vertu melee a sa na- ture en devient plus forte ; ce qu'il ya de grossier consolide ce qui serait trop rafine, unis d'interet le corps & I'esprit agissent de concert.

Comme d'un sauvageon greffe, les fruits, an paravant in- grats aux soins du jardinier, naissent avec abondance; de meme les plus solides vertus naissent des passions, la vi- gueur d'une nature sauvagc en fortifie la racine. Quelle source d'esprit & de vertu decoule du chagrin, ou de Pobsti- nation, de la haine, ou de la crainte ! La colere, supplee au zele & a la force ; Pavarice, est souvent mere de la prudence ; & la paresse, entretient la philosophic; le plaisir, rafine & resserre dans de certaines bornes, est un amour delicat, & charme la delicatesse du sexe ; I'envie, qui tirannise une ame basse, sert d'emulation aux savans & souticnt le courage des

52 ESSAY ON MAN.

ft

Nor vii-tue, male or female, can we name.

But what will grow on pride, or grow on shame.

Thus nature gives us let it check our pride The virtue nearest to our vice allyM ; Reason the bias turns to good from ill. And Nero reigns a Titus, if he will. The fiery soul abhorrd in Cataline, In Decius charms, in Curtius is divine : The same ambition can destroy or save. And makes a patriot as it makes a knave.

This light and darkness in our chaos join'd. What shall divide ? the God within the mind.

Extremes in nature equal ends produce, In man they join to some mysterious use; Tho' each by turns the other's bound invade, As, in some well-wrought picture, light and shade. And oft so mix'd, the diff 'rence is too nice Where ends the virtue, or begins the vice.

Fools ! who from hence into the notion fall. That vice or virtue there is none at all. If white and black blend, soften, and unite A thousand ways, is there no black or white ? Ask your own heart, and nothing is so plain ; 'Tis to mistake them, costs the time and pain.

Vice is a monster of so frightful mien. As, to be hated, needs but to be seen ; Yet seen too oft, familiar with her face, We first endure, then pity, then embrace.

ESSAI SUR L'HOMME. 53

guerriers j Ton ne trouve enfin dans Pliomme ni dans la femme, aucune vcrtu que la honte ou Torgueil ne leur ait inspiree.

C'est ainsi que la nature (que notre orgueil soit humilie par cette reflexion) nous apprend combien peu de distance, il ya du vice a la vertu ; la raison change le mal en bien, si Neron ^ I'eut ecoutee, il eut regne conime Titus.^ Le cou- rage fougueux que Ton voit avec horreur dans Catilina,^ charme dans Decius^^ est divin dans Curtius :^ la meme am- bition sauve ou perd les empires, inspire la trahison ou I'a- mour de la patrie.

Qui pent separer ces lumieres & ces ombres reunies dans notre calios, si ce n'est le Dieu qui nous conduit ?

Dans la nature les extremes produisent des fins egales, dans I'homme ils se confondent pour quelque usage merveil- leux^ quoique Pun empiete alternativement sur Pautre, ainsi que les ombres & les jours dans les tableux d'un peintre in- genieux, de meme, le vice & la vertu se touchent de si pres, qu'il n'existe que peu ou point de diflference, entre celui qui finit & celui qui commence.

Mais quelle folie, de pretendre qu'il n'est ici-bas ni vices ni vertus ! Parceque le blanc & le noir avec art seront me- langes, adoucis, confondus ensemble de mille manieres dif- ferentes, direz-vous done, pour cela, qu'il n'y a plus, ni de noir ni de blanc ? Consultez votre propre coeur, rien n'est plus clair, rien n'est plus evident ; c'est pour les confondre qu'il en coute & de la peine & du tems.

Le vice est un monstre hideux, qu'il suffit devoir pour le hair; cependant, vu trop souvent, il se familiarise a nos yeux, d'abord nous le souffrons, ensuite ngus le plaignons, notre aveuglement, enfin, va jusqu'a Tembrasser. Mais

54 ESSAY ON MAN.

»

But where th' extreme of vice was ne'er agreed :

Ask Where's the north ; at York, ^tis on the Tweed ;

In Scotland, at the Orcades ; and there.

At Greenland, Zembla, or the Lord knows where.

No creature owns it in the first degree.

But thinks his neighbour further gone than he :

Ev'n those who dwell beneath its very zone.

Or never feel the rage, or never own ;

What happier natures shrink at with affright,

The hard inhabitant contends is right.

Virtuous and vicious ev'ry man must be. Few in th' extreme, but all in the degree ; The rogue and fool by fits is fair and wise ; And ev'n the best, by fits, what they despise. ^Tis but by parts we follow good or ill ; For, vice or virtue, self directs it still; Each individual seeks a sev'ral goal; But heaven's great view, is one, and that the whole. That counter-works each folly and caprice j That disappoints th' efiect of ev'ry vice : That, happy frailties to all ranks apply'd ; Shame to the virgin, to the matron pride; Fear to the statesman, rashness to the chief; To kings presumption, and to crowds belief; That, virtue's ends from vanity can raise. Which seeks no int'rest, no reward but praise : And build on wants, and on defects of mind. The joy, the peace, the glory of mankind.

Heav'n forming each on other to depend, A master, or a servant, or a friend.

ESSAI SUR L'HOMME. 55

riiomme ne convient point, ou est Pextre mite du vice: de- maiidez ou est le nord ; a York % c'est le Tweed ; en Ecosse, ce sont les Orcades ; & la, c'est le Greenland, la Zemble, ou quelqu'autre pais. Aveugle sur lui-meme, il condamne, en autrui, les vices qui le maitrisent : ceux qui sont, pour ainsi dire, sous la zone du vice meme, ou ne sentent point ses fu- reurs, ou les desavouent; ce qui fait fremir un heureux na- turel, un libertin endurci pretend que c'est un bien.

II n'y a point d'homme qui ne soit & vertueux & vicieux, pen le sont a Pextreme, mais tons le sont a un certain degre ; les fous, les scelerats sont vertueux & sages par acces ; & quelque fois, par acces, Phomme de bien fait ce qu'il meprise. Nous ne suivons qu'en partie le bien & le mal; car, soit vices ou vertus, Pamour-propre les dirige; chaque individu ne connait de but que son propre avantage ; mais Dieu n'a qu'un seul grand objet, c'est le bien general. C'est lui qui contre- mine la folie, les caprices ; & qui deconcerte les mesures du vice : qui a donne d'heureuses faiblesses a tons les ordres ; la honte aux lilies, & la fierte aux femmes; la crainte aux hommes d'etat, & la temerite aux guerriers; la presomp- tion aux princes, & la credulite aux peuples : il sait tirer, les eflPets de la vertu, du principe d'une vanite, qui ne re- cherche d'autre interet, qui ne prise d'autre recompense que la louange ; c'est lui qui se sert de nos defauts pour le bon- heur, la paix & la gloire du genre humain.

Les cieux en nous mettant dans de mutuelles dependances, maitres, serviteurs, amis, nous ordonnent de.nous aider reci- proquement, ensorte que la faiblesse de chaque individu de-

56 ESSAY ON MAN.

»

Bids each on other for assistance call,

Till one man's weakness grows the strength of all.

Wants, frailties, passions, closer still ally

The common infrest, or endear the tie.

To these we owe true friendship, love sincere.

Each home-felt joy that life inherits here j

Yet from the same we learn, in its decline.

Those joys, those loves, those interests, to resign j

Taught half by reason, half by mere decay.

To welcome death, and calmly pass away.

Whatever the passion, knowledge, fame, or pelf, Not one will change his neighbour with himself. The learn'd is happy nature to explore. The fool is happy that he knows no more ; The rich is happy in the plenty giv'n. The poor contents him with the care of heav'n. See the blind beggar dance, the cripple sing. The sot a hero, lunatic a king ; The starving chymist in his golden views, Supremely blest, the poet in his muse.

See some strange comfort ev'ry state attend. And pride bestow'd on all, a common friend : See some fit passion ev'ry age supply j Hope travels thro', nor quits us when we die. Meanwhile opinion gilds with varying rays Those painted clouds that beautify our days; Each want of happiness by hope supply'd. And each vacuity of sense by pride : These build as fast as knowledge can destroy 5 In folly's cup still laughs the bubble, joy;

ESSAI SUR L'HOMME. 57

vient la force de tous. Ainsi, nos besoins, nos faiblesses, nos passions resscrrent de plus en plus les liens de Pinter et commun, ou les rendent plus cliers. De-la, Tamitie veritable, le tendre amour, & ce cbarme secret dont nous jouissons dans cette vie; de-la, vient aussi que nous apprenons, dans le de- clin de I'age, a renoncer, sans peine, aux amours, aux inte- rets & aux plaisirs; la raison en partie, & en partie la de- crepitude de notre etre, nous apprennent a accueillir la morf^, & a quitter avec calme cette vie^ passagere.

Mais, quelle que soit la passion de Phomme, la science, la renommee, ou les richesses, il a toujours pour lui un ceil de complaisance* Les savans s'estiment heureux de developper la nature, Pignorant se complait dans sa stupidite ; le riche fait son bonheur de son abondance, le pauvre est content du soin de la providence. L'aveugle danse, le boiteux chante, Pivrogne se croit un heros, le lunatique un roi; le chimiste qui meurt de faim, est souverainement heureux avec ses es- perances dorees, & le poete Pest dans le sein de sa muse.

Quelle merveilleuse consolation accompagne chaque etat, Porgueil est donne aux humains, comme leur consolateur : chaque age a ses passions favorites; Pesperance par tout nous accompagne, sans meme nous quitter a Pheure du tre- pas. Jusqu'a ce terme fatal, Popinion, avec ses rayons chan- geans, dore les nuages qui embellissent nos jours ; Le bon- heur qui nous manque, est supplee par Pesperance, & le manque de sens par Porgueil ; ce que la connaissance pent detruire, les passions le relevent ; la joie, semblable a une bulle d'eau, rit dans la coupe de la folic ; qu'une esperance soit perdue, nous en recouvrons une autre ; & ce n*est point

H

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ESSAY ON MAN

One prospect lost, another still we gain ^ And not a vanity is giv'n in vain ; Ev'n mean self-love becomes, by force divine, The scale to measure others' wants by thine. See! and confess, one comfort still must rise; ^Tis this, tho' Iman's a fool, yet God is wise.

ESSAI SUR L'HOMME. 59

envain que la vanite nous est donnee ; car cet amour qu'on ressent pour soi-meme devient, par la puissance divine, une balance pour peser par nos besoins, ceux que nous devons soulager dans autrui. Avouons done cette verite, puisque nous devons tirer d'elle un motif de consolation; c'est que, quoique Phomme soit folie, Dieu est tout sagesse.

ESSAY ON MAN.

EPISTLE 3.

Of the JVature and State of Man, with respect to Society*

Here then we rest ; ^^ the universal cause Acts to one end, but acts by various laws.'' In all the madness of superfluous health. The train of pride, the impudence of wealth. Let this great truth be present night and day ; But most be present, if we preach or pray.

Look round our world ; behold tlie chain of love Combining all below, and all above. See plastic nature working to this end. The single atoms each to other tend. Attract, attracted to, the next in place Formed and impelPd its neighbour to embrace. See matter next, with various life endu'd. Press to one centre still, the gen'rai good. See dying vegetables life sustain. See life dissolving vegetate again :

ESSAI SUR L'HOMME.

EPITRE 3.

Be la J^ature ^ de VEtat de VHomme^ considers par rappart

a la SocietS.

C'est done a ce principe que nous nous arretons: ^Ma cause universelle par clifTerens moyens ne tend qu'a la meme fin/' Au milieu de la folie que suggere une jeunesse ardente, dans I'orgueil impudent qu'inspirent les richesses, que cette grande verite nous soit presente nuit & jour ; mais plus en- core dans le terns consacre a instruire ou a prier.

Considere ce monde; regarde cette chaine d'amour, qui ras- semble & reunit entre-eux des etres separes. Vols la nature, qui donne la forme a tout, travailler a cet objet ; un atome tendre vers un autre atome, & s'attirer I'un & Pautre tour-a- tour, s'unir, s'entrelacer, Vois la matiere animee, sous dif- ferentes formes, se porter de concert vers un centre commun, le bien universel: les vegetaux mourans devenir utiles a la vie, & ce qui cesse de vivre vegeter de nouveau : tous les

62 ESSAY ON MAN,

All forms that perish, other forms supply, By turns we catch the vital breath, and die- Like bubbles on the sea of matter borne, They rise, they break, and to that sea return, Notliing is foreign ; parts relate to whole j One all-extending, all-preserving soul Connects each being, greatest with the least ; Made beast in aid of man, and man of beast; All serv'd, all serving : nothing stands alone ; The chain holds on, and where it ends, unknown.

Has God, thou fool ! work'd solely for thy good. Thy joy, thy pastime, thy attire, thy food ? Who for thy table feeds the wanton fawn. For him as kindly spread the flow'ry lawn : Is it for thee the lark ascends and sings ? Joy tunes his voice, joy elevates his wings. Is it for thee the linnet pours his throat ? Loves of his own and raptures swell the note. The bounding steed you pompously bestride. Shares with his lord the pleasure and the pride. Is thine alone the seed that strews the plain ? The birds of heav'n shall vindicate their grain. Thine the full harvest of the golden year ? Part pays, and justly, the deserving steer: The hog, that ploughs not, nor obeys thy call. Lives on the labours of this lord of all.

Know, nature's children all divide her care : The fur that warms a monarch warm'd a bear.

ESSAI SUR L'HOMME. 63

etres qui perissent etre remplaces par d'autres etres, sortir du neant, y rentrer & reparaitre aii jour ; semblables a des bulles d'eau, formees sur la mcr de la nature, elles s'elevent, elles crevent, & y retournent encore. Rien n'est indepen- dant ; toutes les parties ont rapport au tout ; un esprit uni- versel, qui s'etend a tout, qui conserve tout, qui unit tons les etres par un meme lien, le plus grand au plus petit; il a fait la bete pour etre utile a I'homme, & I'homme a son tour lui devient necessaire : tout est servi & tout sert; rien n'ex- iste apart; cettechaine se perpetue, reponds; ou finit-elle?

Homme presomptueux ! crois-tu que Dieu ait uniquement travaille pour ton bien, ton plaisir, ton amusement, ton orne- ment & ta nourriture ? Celui qui nourrit pour ta table le faon folatre, egalement bon a son egard, a emaille pour lui les prairies : est-ce pour toi que I'alouete amoureuse fait retentir les airs ? C'est aux doux transports de I'ardeur qui la presse ; qu'on doit la melodie de ses chants; c'est le plaisir, c'est la joie qui agite ses ailes. Est-ce pour toi que la linotte deploie ses organes harmonieux ? Ce sont ses amours & ses propres tressaillemens qui modulent & €nflent ses sons. Un fier coursier, qui docile a ta voix, marclie pompeusement, partage avec son cavalier le plaisir & la gloire. La semence qui couvre la terre est-elle a toi seul ? Les oiseaux avant toi re- vendiqueront leur proie. Est-ce a toi seul qu'appartient toute la moisson doree d'une annee abondante ? Pour prix de ses travaux, tu en donnes une partie au boeuf qui la merite: c'est par tes soins^ pretendu maitre de tout, que subsiste le pore qui ne laboure point, & qui n'obeit point a ta voix.

Apprends, done, que tous les enfans de la nature partagent ses soins ; que la fourrure qui echauffe le monarque a echauffe

64 ESSAY ON MAN.^

Whil^ man exclaims, " See all things for my use!'' ^^ See man for mine/'' replies a pamper'd goose : What care to tend, to lodge, to cram, to treat him. All this he knows ; hut not that His to eat him. As far as goose could judge he reasoned right. But as to man, mistook the matter quite: And just as short of reason man must fall. Who thinks all made for one, not one for all.

Grant that the powerful still the weak control ^ Be man the wit and tyrant of the whole: Nature that tyrant checks ; he only knows. And helps another creature's wants and woes. Say, will the falcon, stooping from ahove, Smit with her varying plumage, spare the dove ? Admires the jay, the insects' gilded wings? Or hears the hawk when Philomela sings ? Man cares for all : to birds he gives his woods. To beast his pastures, and to iBsh his floods : For some his int'rest prompts him to provide. For more his pleasure, yet for more his pride; All feed on one vain patron, and enjoy Th' extensive blessing of his luxury. That very life his learned hunger craves. He saves from famine, from the savage saves : Nay, feasts the animal he dooms his feast. And, till he ends the being, makes it blest : Which sees no more the stroke, or feels the pain. Than favour'd man by touch ethereal slain. Thr^ ^> oatui-e had his feast of life before;

ESSAI SUR L'HOMME. 65

Pours. Tandis que Phomme croit tout forme pour son usage ; voyez, replique Poison que Pon engraisse; "I'homme qui est pour le mien:" quel soin pour le garder, le loger, Ic nourrir & le bien traiter, il voit toutes ces choses; mais, il ne pent penetrer que Phomme ne le sert, que pour le de- vorer. Autant qu'un oison est capable de juger, il raisonnait bien ; mais, quant aux desseins de Phomme, il se trompait en- tierement; il en est de meme de Phomme, aussi peu raisonna- ble que Poison, lorsqu'il pretend que tout existe pour lui seul ; & qu'il ne voit pas qu'au tout, il est lui-meme subordonne.

Suppose meme, que le plus fort regne sur le plus faible ; & que Phomme soit Pesprit & le tyran de Punivers : la na- ture arrete & reprime ce tyran ; lui seul connait & subvient aux besoins & aux maux des autres creatures. Le faucon, fondant sur un pigeon, frappe de la variete de son plumage, Pepargnera-t-il ? Le geai admire-t-il Por & Pazur se deve- lopper sur les ailes des insectes? L'epervier ecoute-t-il le chant du rossignol? L'homme seul s'interesse pour tons: il donne ses bois aux oiseaux; ses paturages aux betes ^ & ses rivieres aux poissons : il est excite a prendre soin des uns, par interetj d'un plus grand nombre d'autres, par plaisir; & d'un plus grand nombre encore, par vanite ; tons sub- sistent par les soins d'un maitre vain, & jouissent d'un bon- heur dont Petendue est Peffet de son luxe. C'est lui qui preserve, contre la famine & contre les betes sauvages, ce qu'une faim savante lui enseigne a desirer; il a soin des animaux qu'il destine a son regal, & jusqu'a ce qu'il termine leur vie, il la rend heureuse : ces animaux qui ne prevoient point le coup fatal, y sont aussi peu sensiblcs, qu'un homme favorise du ciel prevoit ou ressent le coup de la foudre. ^ lis ont joui de la vie avant que de mourir ; & toi, liomme! ne

66 ESSAY ON MAN..

Thou too must perisli, when thy feast is o'er I To each unthinking heing, heav'n a friend, G ives not the useless knowledge of its end : To man imparts it ; but with such a view As, while he dreads it, makes him hope it too: The hour conceaFd, and so remote the fear. Death still draws nearer, never seeming near. Great standing miracle ! that heav'n assign'd Its only thinking thing this turn of mind.

Whether with reason, or with instinct blest. Know, all enjoy that pow'r which suits 'em best To bliss alike by that direction tend. And find the means proportioned to their end* Say, where full instinct is th' unerring guide, AVhat pope or council can they need beside ? Reason, however able, cool at best. Cares not for service, or but serves when prest. Stays till we call, and then not often near j But honest instinct comes a volunteer ; This too serves always, reason never long: One must go right, the other may go wrong. See then the acting and comparing pow'rs One in their nature, which are now in ours ; And reason raise o'er instinct, as you can ; In this 'tis God directs, in that 'tis man.

Who taught the nations of the field and wood To shun their poison, and to choose their food ? Prescient, the tides or tempests to withstand,

ESSAI SUR L'HOMME. 67

dois-tu pas aussi mourir apres avoir vecu ? Le ciel, favora- ble a tout etre qui ne pense point, ne lui doniie pas la cou- naissance inutile de sa fin: il la donne a I'homme; mais dans un tel point de vue, qu'il la lui fait souliaiter dans le tems meme qu'il la craint : I'heure est cachee, & la crainte est si eloignee que la mort approche toujours, sans paraitre approclier^. O miracle toujours subsistant, que les cieux n'aient accorde ce don, qu'au seul etre qui pense !

Reconnais done que ce soit le seul instinct, ou la raisou qui le guide, chaque etre jouit de la faculte qui lui convient le mieux ; que par leur nature, tous egalement tendent au bonheur, & trouvent des moyens proportionnes a leur fin, Ceux qui trouvent dans I'instinct, un guide infaillible, ont- ils besoin pour se diriger, d'un autre chef, ou d'un autre conseil ? La raison, quelles qu'en soient les facultes, n'a tout au plus que de I'indifFerence; elle ne se soucie pas de servir, ou elle ne sert que lorsqu'elle y est contrainte ; elle attend qu'on I'appelle, & souvent, encore, elle se tient eloig- nee ; mais, Pinstinct genereux vient de lui-meme & agit sans cesse; serviteur fidele, il est toujours pret, tandis que la raison peu constante ne sert que par intervalles : celle-ci pent sortir de Pordre, oser lui resister; quand Pautre, au contraire, va toujours droit au but qui lui est marque. Dans la nature des etres que Pinstinct guide, les principes d'impul- sion & de comparaison, qui sont divises dans la notrc, se trouvent reunis en un seul; & si on le pent, qu'on eleve la raison au dessus de Pinstinct; dans ce dernier, c'est Dieu qui gouverne ; dans Pautre, c'est Phomme.

Qui a appris aux animaux a eviter les poisons, & a cboisir leurs alimens ; a resister aux flots qui battcnt le rivage, a ba-

68 EbbAV ON MAN..

Build ou the wave, or arch beneath the sand ? Who made the spider parallels design, Sure as De Moivre, without rule or line ? Who bid the stork, Columbus-like, explore Heav'ns not his own, and worlds unknown before: Who calls the council, states the certain day ? Who forms the phalanx, and who points the way ?

God, in the nature of each being, founds Its proper bliss, and sets it proper bounds: But as he framed a whole, the whole to bless. On mutual wants built mutual happiness: So from the first, eternal order ran. And creature link'd to creature, man to man. Whatever of life all-quickening sether keeps, Or breathes thro' air, or shoots beneath the deeps. Or pours profuse on earth; one nature feeds The vital flame, and swells the genial seeds. Not man alone, but all that roam the wood. Or wing the sky, or roll along the flood. Each loves itself, but not itself alone. Each sex desires alike, till two are one. Nor ends the pleasure with the fierce embrace ; They love themselves, a third time, in their race. Thus beast and bird their common charge attend. The mothers nurse it, and the sires defend ; The young dismiss'd to wander earth or air. There stops the instinct, and tliere ends the cai'e: The link dissolves, each seeks a fresh embrace, Another love succeeds, another race.

ESSAI SUR L'HOMME. 69

tir sur la vague, ou a former des voutes sous le sable ?3 Qui a appris a I'araignee a dessiner des paralleled, sans regie & sans compas, avec autant de justesse que De Moivre ? * Quel maitre enseigna aux cigognes, semblables a I'immortel Co- lomb, a chercher des cieux etrangers & des mondes inconnus? Qui convoque leur assemblee? Qui fixe le jour du depart? Qui forme leurs phalanges, & qui leur marque le chemin ?

Dieu met dans la nature de chaque etre, le moyen d'etre heureux, sans sortir de lui-meme, & lui prescrit les limites qui lui conviennent; mais, comme il a cree un univers, il a, pour rendre le tout heureux, fonde sur de mutuels be- soins, le mutuel bonheur: c'est ainsi que, depuis le com- mencement, un ORDRE ETERNEL a regue, & qu'il unit entre eux tons les etres divers. Tout ce que Pesprit vivifiant anime, tout ce qui respire dans les airs, tout ce qui croit dans Ponde, ou qui habite, repandu sur la terre, une nature commune, le nourrit d'une flamme vitale, en fait eclore les semences productrices, Phomme, les animaux qui errent dans les hois, qui volent dans Pair, ou nagent dans Peau, commencent par s'aimerj mais bientot cet amour devient mutuel, chaque sexe eprouve les memes desirs, se recherche & s'unit. Leur plaisir ne finit point avec les vifs embrasse- mens ; ils s'aiment eux-memes, une troisieme fois, dans leur race. C'est ainsi que les betes & les oiseaux veillent a leurs petits, objet commun de leurs soinsj la mere les nourrit, & le pere a soin de les defendre; lorsque les nourrissons devenus grands, sont congedies pour courir les champs ou les airs, alors Pinstinct s'arrete, les soins finissent; les liens se rompent, chacun cherche de nouveaux .embrassemens, d'au- trcs amours commencent, une race nouvelle succede. L'es-

0 ESSAY ON MAN.

A longer care man's helpless kind demands^ That longer care contracts more lasting bands : Reflection, reason, still the ties improve. At once extend the interest, and the love : With choice we fix, with sympathy we burn ; Each virtue in each passion takes its turn ; And still new needs, new helps, new habits rise. That graft benevolence on charities. Still as one brood, and as another rose. These nat'ral love maintained, habitual those, The last, scarce ripen'd into perfect man. Saw helpless him from whom their life began : Memory and forecast just returns engage. That pointed back to youth, this on to age ; While pleasure, gratitude, and hope combin'd. Still spread the int'rest, and preserved the kind. Nor think, in nature's state they blindly trod ; The state of nature was the reign of God : Self-love and social at her birth began. Union the bond of all things, and of man. Pride then was not ; nor arts, that pride to aid ; Man walk'd with beast, joint tenant of the shade ; The same his table, and the same his bed ; No murder cloth'd him, and no murder fed. In the same temple, the resounding wood. All vocal beings hymn'd their equal God : The shrine with gore unstain'd, with gold undress'd, Unbrib'd, unbloody, stood the blameless priest. Heaven's attribute was universal care. And man's prerogative, to rule, but spare.

ESSAI SUR L'HOMME.

pece humaine, moins capable de s'aider, demande plus d'e- gards, exige plus de soins, & ces soins qu'augmente la tendresse, produisent des liens de plus longue duree: la re- flexion & la raison leur pretent une force nouvelle, & tout a la fois etendent & resserrent, entre eux, les noeuds de cet amour : on se fixe par choix, on brule par sympathie ; les vertus nees dans le sein des passions regnent alternative- ment avec elles ; de nouveaux besoins, de nouveaux secours, de nouvelles habitudes, font aux bienfaits succeder la recon- naissance. D'une meme tige nait & renait, une race qui se suit, un amour inspire par la nature, soutenu par Phabitude, veille tour-a-tour sur l^enfant qui vient de naitre, sur celui qui est deja grand : a peine les derniers nes sont ils parvenus a la maturite de Phomme, qu'ils voient ceux dont ils ont recu la vie, incapables de s'aider: la memoire & la prevoyance, Pune par le souvenir d'une tendre jeunesse, & I'autre par la crainte d'une vieillesse infirme, font naitre de justes retours ; tandis que le plaisir, la gratitude & Pesperance combines, ne cessent d'accroitre ces interets mutuels, & de preserver la duree de Pespece,

Croyez vous que dans le premier etat du monde, qui etait celui de la nature, Pliomme, sans frein, marchat aveugle- ment; Petat de nature etait le regne de Dieu : Pamour- propre & Pamour-social naquirent avec elle, Punion fut le bien de toutes choses, & de Phomme. Alors, il n'y avait point d'orgueil ; ni tous ces arts, qui fomentent la vanite ; Phomme & la bete, jouissant egalement des forets, mar- chaient ensemble a Pombre des bois; ils avaient une meme table, & un meme lit; des meurtres ne fournissaient point a Phomme son habillement & sa nourriture. Une foret re- tentissante, etait le temple general, ou tous les etres reunis- sant leurs voix, chantaient les louanges du Createur: le sanctuaire n'etait ni revetu d'or, ni souille de sang, le pre- tre etait irreprochable, pur, sans faste & sans eclat: un soiu imiversel etait Pattribut des cieux, & la prerogative de

72 ESSAY ON MAN. .

Ah ! how unlike the man of times to come ! Of half that live the butcher and the tomb ; Who, foe to nature, hears the general groan. Murders their species, and betrays his own. But just disease to luxury succeeds. And ev'ry death its own avenger breeds ; The fury -passions from that blood began, And turn'd on man, a fiercer savage, man. See him from nature rising slow to art ! To copy instinct then was reason's part : Thus then to man the voice of nature spake : ^^ Go, from the creatures thy instructions take : Learn from the birds what food the thickets yield Learn from the beasts, the physic of the field ; Thy arts of building from the bee receive ; Learn of the mole to plough, the worm to weave ; Learn of the little Nautilus to sail. Spread the thin oar, and catch the driving gale. Here too all forms of social union find. And hence let reason, late, instruct mankind : Here subterranean works and cities see ; There towns aerial on the waving tree. Learn each small people's genius, policies. The ant's republic, and the realm of bees; How those in common all their wealth bestow, And anarchy without confusion know ; And these for ever, tho' a monarch reign. Their sep'rate cells and properties maintain. Mark what unvary'd laws preserve each state, Laws wise as nature, and as fix'd as fate.

ESSAI SUR L'HOMME. 73

I'homme etait de regner, & non dc tyrarmiser. O ! combicn I'homme est different de ses premiers auteurs !...Bourreau & tombeau de la moitie de ce qui a vie, il est meurtrier des autres etres, & traitre a lui-nieme; cnnemi de la nature, il en entend les gemissemens sans s'en emouvoir. Mais de justes maladies naissent de son luxe, nourries par les meur- tres, elles vengent ce qu'il a immole ; les passions furieuses naquirent de ce carnage, & I'homme trouva dans I'homme son plus cruel ennemi.

Voyons comment il s'eleva peu-a-peu de la nature a Part. Le partage de la raison etait alors de copier I'instinct : c'est ainsi que la voix de la nature se fit entendre. " Va, mal- heureux mortel ; va, lui dit-elle, & instruis-toi par I'exem- ple des autres creatures : apprends des oiseaux les alimens que les arbrisseaux produissent, & des animaux les proprie- tes des herbes ^ apprends de I'abeille a batir, de la taupe a labourer, du ver a tisser; apprends du petit Nautilus^ a na- A'iguer, a manier la rame, & a profiter du vent. Reconnais parmi les betes toutes les formes de la societe, & que la rai- son tardive y puise des instructions pour le genre humain : vois, ici, des ouvrages & des cites souterraines ; la, des villes aerienes sur des arbres que les vents agitent ! Etudie le genie & la police de chaque petit peuple, la republique des fourmis & la moiiarchie des abeilles; comment celles-la rassemblent leurs richesses dans des magasins communs, & conservent I'ordre au milieu de I'anarchie; comment celks-ci, quoique soumises a un seul maitre, ont neanmoins chacune leur cel- lule separee, & jouissent en paix des biens qu'elles accumu- lent. Remarque les lois invariables qui preservent leur etat, lois aussi sages que la nature, aussi immuables que le destin.

74 ESSAY ON MAN*.

In vain thy reason finer webs shall draw.

Entangle justice in her net of law,

And right, too rigid, harden into wrong ;

Still for tlie strong too weak, the weak too strong.

Yet go ! and thus o*er all the creatures sway.

Thus let the wiser make the rest obey;

And for those arts mere instinct could afford.

Be crowii'd as monarchs, or as gods ador'd.'-

Great Nature spoke; observant man obey'd : Cities were built, societies were made : Here rose one little state; another near Grew^ by like means, and joined, thro' love or fear. Did here the trees with ruddier burdens bend. And there the streams in purer rills descend ? What war could ravish, commerce could bestow; And he returned a fi'iend, who came a foe. Converse and love mankind might strongly draw, When love w as liberty, and nature law. Thus states were form*d ; the name of king unknownt Till common interest plac'd the sway in one. 'Twas virtue only or in arts or arms. Diffusing blessings, or averting harms The same which in a sire the sons obey'd, A prince the father of a people made.

Till then, by nature crown'd, each patriarch sat. King, priest, and parent, of his growing state; On him, their second providence, they hung, Their law, his eye, their oracle, his tongue.

ESSAI SUR L'HOMME. 75

Envain ta raison multipliera ses decrets, embarrassera la justice dans le dedale des lois, & fcra, d'lm droit trop rigidc, une souvcraine injustice ; droit toujours ou trop faible avcc les forts, ou trop fort avec les faibles. Va, cependant, regne sur toutes les creatures, que Phomme le plus habile coni- mande a ses egaux ; & que pour des arts que le simple in- stinct pouvait faire connaitre, il soit obei comme un roi, ou adore comme un dieu!'^

Ainsi parla la nature; I'homme docile obeit; des cites fu- rent baties, des societes furent formees : la, un petit etat prit naissance; un autre, pres de celui-ci, s'eleva par des moyens semblables, & ils s'unirent, entre-eux, par crainte ou par amour. Si les arbres produisaient, dans Pun, des fruits plus abondans, & si les sources, dans Pautre, y repandaicnt plus de fertilite ; ce que la guerre pouvait ravir par la force, le commerce vint PofTrir; & la raison qui brilla a leurs yeux, en fit des amis, d'ennemis qu'ils etaient. Les liens de Pin- teret une fois satisfaits, on s'unit Pun a Pautre plus forte- ment, dans ces jours ou I'amour etait encore libre, ou il n'y avait de lois que celles de la nature. C'est ainsi que les etats furent formes, & que le nom de roi fut inconnu, jusqu'a ce qu'un interet commun placat Pautorite entre les mains d'un seul. Alors un merite ou une vertu suptrieure (soit talcns pour les arts ou talens pour la guerre, capables de re« pandre les biens, ou de detourner les maux) cette vertu seule, de meme nature que celle qui rend aux cnfans les peres res- pectables, rendit aussi un prince le pere de son peuplc.

Jusqu'alors, tout patriarche couronne par les mains de la nature, etait le monarque, le pretrc, & le pere de son etat naissant : ses sujets se confiaient a lui, comme a une seconde

76 ESSAY ON MAN.,

He from the wond'ring furrow calPd the food. Taught to command the fire, control the flood. Draw forth the monsters of th' abyss profound, Or fetch th' aerial eagle to the ground. Till dropping, sick'ning, dying, they began Whom they rever'd as God, to mourn as man : Then, looking up from sire to sire, explor'd One great First Father, and that first adoi^'d. Or plain tradition that this All begun, Convey'd unbroken faith from sire to son ; The worker from the work distinct was known, And simple reason never sought but one : Ere wit oblique had broke that steady light, Man, like his Maker, saw that all was right; To virtue, in the paths of pleasure trod. And own'd a father when he own'd a God. Love all the faith, and all th' allegiance then ; For nature knew no right divine in men. No ill could fear in God ; and understood A sovereign being, but a sov'reign good. True faith, true policy, united ran ; That was but love of God, and this of man.

Who first taught souls enslav'd, and realms undone, Th' enormous faith of many made for one ; That proud exception to all nature's laws, T' invert the world, and counter-work its cause ? Force first made conquest, and that conquest, law ; Till superstition taught the tyrant awe. Then shar'd the tyranny, then lent it aid.

ESSAI SUR L'HOMME. 7^7

providence, ses yeiix etaient leurs lois, sa bouclie leur oracle. II leur apprit a faire sortir leur aliment du sillon etonne, a soumettre le feu, les eaux aux lois de leur empire, a tirer Ics poissons de I'abime des mers, & a faire tomber I'aigle a leurs pieds, en lui portant leurs atteintes jusque dans les airs. Lorsqu'enfin devenu caduc, maladif & mourant, les peuplcs commencerent a plaindre, comme un faible mortel, celui qu'ils avaient si long terns revere comme un Dieu : ainsi, en remontant de pere en pere, ils rechercherent un grand, un Premier Pere, & ils Padorerent. Ou bien la simple tradi- tion que cet Univers avait du commencer, fit passer d'age en age ce principe certain ; on distingua Pouvrier de I'ouvrage, & jamais la raison n'en reconnut qu'un seul : avant que Pes- prit faux eut altere cette lumiere, I'homme, ainsi que sou Createur, trouva que tout etait bien ; il marchait a la vertu dans les voies du plaisir, & dans le Dieu qu'il reconnaissait, il ne voyait que Pimage d'un pere. Toute la foi, tout le de- voir consistaient dans I'amour^ car la nature n'admettait dans I'homme aucun droit divin, & elle ne craignait aucun nial de Dieu ; croyant qu'un etre souverain, ne pouvait etre qu'un souverain bien. La vraie foi, la vraie politique etaient unies ensemble ; Pune, n'etait que Pamour de Dieu; & Pau- tre, celui de Phomme.

Quel barbare mortel enseigna le premier a des peuples captifs, & a des royaumes mines, cette creance monstrueuse que plusieurs n'etaient faits que pour un; cette orgueilleuse exception a toutes les lois de la nature, qui bouleverserait le monde, & degraderait la cause supreme ? La force fit d'abord les conquetes, & les conquetes firent les lois: ensuite la su- perstition inspira la crainte au tyran, elle partagea la tyran-

78 ESSAY ON MAN.

And gods of coiiq'rors, slaves of subjects made :

She, -midst the lightning's blaze, and thunder's sound,

When rock'd the mountains, and when groan-d the

ground. She taught the weak to bend, the proud to pray. To pow'r unseen, and mightier far than they : She, from the rending earth, and bursting skies. Saw gods descend, and fiends infernal rise: Here fixM the dreadful, there the blest abodes : Fear made her devils, and weak hope her gods ; Gods pai'tial, changeful, passionate, unjust. Whose attributes were rage, revenge, or lust : Such as the souls of cowards might conceive. And, form'd like tyrants, tyrants would believe. Zeal then, not charity, became the guide; And hell was built on spite, and heav'n on pride. Then sacred seem'd th' ethereal vault no more ; Altars grew marble then, and reek'd with gore : Then first the Flamen tasted living food ; Next his grim idol smear'd with human blood ; With heaven-s own thunders shook the world below. And play'd the God an engine on his foe.

So drives self-love, thro' just, and thro* unjust. To one man's pow'r, ambition, lucre, lust: The same self-love, in all, becomes the cause Of what restrains him, government and laws. For, what one likes, if others like as well. What serves one will, when many wills rebel? How shall he keep, what, sleeping or awake.

ESSAI SUR L'HOMME. 79

iiie avec lui, lui preta son secours, fit un (lieu du conqueraiit & im esclave du sujet: elle se prevalut du feu des eclairs, du bruit du tonnerre, du tremblemcnt des montagnes, & des gemissemens de la terre, pour faire prosterner les hommes faibles, & contraindre les orgueilleux a prier des etres invisi- bles, & plus puissans qu'eux : elle fit descendre des dieux des nues enflammees, & sortir des esprits infernaux de la terre qui s'entrouvrait : elle fixa, ici, des demeures terribles, & la, des demeures fortunees; la crainte fit ses demons, & une faible esperance fit ses dieux; dieux remplis de partialite, d'inconr stance, de passion, d'injustice, dont les attributs etaient la rage, la vengeance, ou la lubricite : tels que des ames laches pouvaient les imaginer, tyrans eux memes, il crurent a des dieux tyrans. Alors I'amour-propre effrene, & non la cha- rite, devint leur guide ; Penfer fut bati sur la haine, & le ciel sur I'orgueil. Alors la voute celeste cessa d'etre sacree ; des autels de marbre, furent eleves & arroses de sang : les pre- tres, pour la premiere fois, se rassasierent d'une nourriture vivante; & bientot ils souillerent de sang humain leur idole epouvantable ; ils ebranlerent la terre avec le tonnerre du ciel, & ils se servirent de Dieu, comme d'une machine que I'on fait jouer, pour foudroyer leurs ennemis.

C'est ainsi que Pamour-propre, habile a se servirdu juste & de I'injuste, se fraye un chemin aux honneurs, aux ri- chesses, & a la volupte : mais ce meme amour-propre, re- pandu dans tons, fournit lui meme des motifs pour le res- treindre, & est la source du gouvernement & des lois. Car, si ce qu'un homme desire, les autres le desirent aussi, que sert la volonte d'un seul, contre la volonte^ de plusieurs? Com- ment aura-t-on I'cspoir de conscrver une chose, si, lorsqu'on

80 ESSAY ON MAN,

A. weaker may surprise, a stronger take ? His safety must liis liberty restrain : All join to guard whal each desires to gain. Forced into virtue thus, by self-defence, Ev'n kings learned justice and benevolence: Self-love forsook the path it first pursued. And found the private in the public good.

'Twas then the studious head or gen'rous mind» FolPwer of God, or friend of human kind. Poet or patriot, rose but to restore The faith and moral, nature gave before ; Relum'd her ancient light, not kindled new; If not God's image, yet his shadow drew; Taught power's due use to people and to kings. Taught not to slack nor strain its tender strings, The less, or greater, set so justly true. That touching one must strike the other too; Till jarring interest of themselves create Th' according music of a well-mix'd state. Such is the world's great harmony, that springs From order, union, full consent of things ; Where small and great, where weak and mighty, made To serve, not suffer, strengthen, not invade ; More pow'rful each as needful to the rest, And, in proportion as it blesses, blest ; Draw to one point, and to one centre bring Beast, man, or angel, servant, lord, or king.

For forms of government let fools contest ; Whatever is best administer'd is best:

ESSAI SUR L'HOMME. 81

est endormi, un plus faible la derobe, ou lorsqii'on est eveil- le, un plus fort I'enleve ? Ainsi, Pamour de la surete, doit done rcstreindre celui de la liberte : tous doivent s'unir, pour garder de concert ce que chacun desire. C'est ainsi que pour leur propre avantage, les rois, meme, forces a la vertu, cul- tiverent la justice & la bienveillance : que Pamour-propre abandonna ses premieres poursuites, & qu'il echangea le bien particulier contre le bien public.

Ce fut alors que quelque genie superieur, quelqu'ame magnanime, disciple des dieux, ou ami de Phomme, poete ou bon citoyen, s'eleva pour retablir la foi & la morale,^ que ses premiers auteurs tenaient de la nature, & ralluma son ancien flambeau, trop sage pour en chercher un nouveau ; s'il ne peignit point Dieu, il en tra^a Pombre au defaut de Pimage j il apprit aux rois & aux sujets le juste usage de leurs droits, il leur apprit a user de leur pouvoir sans trop de negligence & sans trop de rigueur, a si bien lier entr'eux les petits & les grands, que si Pun souffre & qu'il soit opprime, tous les au- tres a Pinstant ressentent son malheur ; & enfin a tellement unir leurs interets divers, qu'il en puisse constamment re- sulter la juste harmonie d'un etat mixte parfait. Tel est cet harmonieux accord du monde, qui nait de Punion, de Pordre & du concert general de toutes choses ; ou le grand & le petit, le fort & le faible, sont faits pour servir, & non pour souffrir, pour fortifier, & non pour envabir ; ou Pon est d'au- tant plus puissant qu'on est plus necessaire aux autres, & ou Pon n'est heureux, qu'a proportion que Pon fait des heurcux ; ou tout tend a un seul point, ou animaux, hommes, anges, es- claves, maitres, rois, sont tous portes veys le centre commun.

Que les irisenses disputent sur la forme du gouvernement :

I.

82 ESSAY ON MAN.

For modes of faith, let graceless zealots fight ; His can't be wrong whose life is in the right: All must be false that thwarts this one great end; And all of God, that bless mankind, or mend. Man, like the gen'rous vine, supported lives : The strength he gains is from th' embrace he gives. On their own axis as the planets run. Yet make at once their circle round the sun; So two consistent motions act the soul ; And one regards itself, and one the whole.

Thus God and nature link'd the general frame. And bade self-love and social be tlie same.

ESSAI SUR L'HOMME. 83

tel qu'il soit, le mieux administre est le meilleur : que les faux zeles disputent, sur les modes de la religion ; celui qui vit bien ne saurait etre que dans la bonne voie : tout ce qui contredit cette fin principale, porte I'empreinte de I'erreur ; & tout ce qui contribue au bonheur du genre humain, ou a le rendre meilleur, doit venir de Dieu. L'homme, ainsi que la vigne, a besoin de support : il acquiert la force qui le soutient de I'objet qu'il embrasse* Comme les planetes qui, roulant sur leur axe, tournent en me me tems autour du soleil ; de meme deux mouvemens, quoiqu'opposes entre-eux, & cepen- dant compatibles, agissent dans Pame; Pun se rapportant a nous memes, & Pautre a Punivers.

C'est ainsi que Dieu & la nature nous tiennent assujettis pour la meme fin, & qu'ils ont voulu que Pamour-propre & Pamour-social n'en formant qu'un^ n'aient qu^me meme utilite.

ESSAY ON MAN.

EPISTLE 4.

Of the JVature mid State of Man with respect to Happiness,

Oh Happiness ! our being's end and aim ! Good, pleasure, ease, content ! whatever thy name : That something still which prompts th' eternal sigh. For which we bear to live, or dare to die. Which still so near us, yet beyond us lies, O'erlook'd, seen double, by the fool and wise : Plant of celestial seed ; if dropp'd below. Say, in what mortal soil thou deign'st to grow ? Fair op'ning to some court's propitious shine. Or deep with diamonds in the flaming mine ? Twin'd with the wreaths Parnassian laurels yield. Or reap'd in iron harvests of the field ? Where grows ? where grows it not ? If vain our toiI» We ought to blame the culture, not the soil : Fix'd to no spot is happiness sincere, 'Tis no where to be found, or ev'ry where :

ESSAI SUR L'HOMME.

EPITRE 4.

J)e la JVature ^ de VEtat de VHomme^ par rapport au Bonheur

O Bonheur ! le mobile & la fin de notre etre ! Bien, plai- sir, tranquillite, contentement ! quel que soit ton nom: ce charmant je ne sais quoi qui excite nos soupirs eternels, pour le quel nous supportons la vie, & nous bravons la mort, toujours si pres de nous, & toujours au de-la de nous, objet peu approfondi, dont les sages & les insenses, se forment tour-a-tour de confuses images: plante qui croit dans les cieux; si tu es tombee ici-bas, dis, dans quel terroir mortel veux tu etre cultivee ? Te montres-tu a nos yeux epanouie par les rayons favorables d'une cour fastueuse, ou es-tu en- terree avec les diamans dans des mines brillantes ? Es-tu entrelassee avec les guirlandes des lauriers du Parnasse, ou es-tu moissonnee par le fer dans le champ de Mars? Ou te plais-tu a naitre? Ou crains-tu de paraitre? Si nous tra- vaillons en vain, c'est la faute de la culture, & non pas du terrain: le vrai bonheur n'est point affccte a aucun indi-

86 ESSAY ON MAN.

'Tis never to be bought, but always free.

And fled from monarchs, St. John ! dwells with thee.

Ask of the learn'd the way ? the learn'd are blind : This bids to serve, and that to shun mankind j Some place the bliss in action, some in ease, Those call it pleasure, and contentment these. Who thus define it, say they more or less. Than this, that happiness is happiness ?

Take nature's path, and mad opinion's leave j All states can reach it, and all heads conceive^ Obvious her goods, in no extreme they dwell ; There needs but thinking right, and meaning well ; And, mourn our various portions as we please. Equal is common sense, and common ease.

Remember, man, ^^ the Universal Cause Acts not by partial, but by gen'ral laws ;" And makes what happiness we justly call. Subsist not in the good of one, but all. There's not a blessing individuals find. But some way leans and hearkens to the kind; No bandit fierce, no tyrant mad with pride. No cavern'd hermit, rests self-satisfy'd : Who most to shun or hate mankind pretend. Seek an admirer, or would fix a friend : Abstract what others feel, what others think. All pleasures sicken, and all glories sink :

ESSAI SUR L'HOMME. 87

vidu, on lie pent le trouver nulle-part, oil on le trouve pai^ tout : on ne pent I'acheter, Tor n'a point d'empire sur lui, & fuyant les monarques, Bolingbroke ! il habite avec toi.

Demande aux savans quel chemin peut y conduire? Mais les savans sont incertains: I'un nous ordonne d'etre utile aux humains, & I'autre de les fuir ; quelques uns font Con- sister le bonheur dans Paction, & d'autres dans le repos, ceux-ci Pappellent plaisir, & ceux-la contentement. * Qui definit ainsi le bonheur, nous apprend-t-il quelque chose de plus ou de moins, si non que le bonheur est le bonheur meme ?

Abandonnons les sentiers d'une opinion insensee, & suivons constamment les pas de la nature ; le bonheur est pour tons les esprits, & pour tons les etats ; ses biens s'offrent d'eux-memes a nous, sans les chercher dans les extremes ou on ne peut les trouver ; il ne faut que du bon sens & de la droiture ; &, qu'on seplaigne tant que I'on voudra de la diversite des portions, la verite est que chacun possede en lui, la source du bonheur.

Mortels, je le repete, ressouvenez-vous que ^*la Cause Universelle, n'agit point par des lois particulieres, mais qu'elle agit par des lois generales;" elle a constitue ce qui merite, avec justice, le nom de bonheur, non d'un seul, mais de tons. II n'y a point de bonheur dont jouisse un individu, que ce bonheur ne penche de quelque maniere vers toute Pes- pece : un bandit cruel, un tyran fougueux enivre d'orgueil, un her mite enterre dans sa retraite, ne pen vent se suflSre a eux-memes : ceux qui pretendent le plus de fuir ou de hair le genre humain, cherchent un admirateur, ou voudraient s'attacher un ami : si Pon fait abstraction de ce que les uns sentent, de ce que les autres pensent,*tous les plaisirs de- viennent languissans, & toute gloire s'aneantit : chacun a sa

88 ESSAY ON MAN.

Each has his share ; and who would more obtain, Shall find, the pleasure pays not half the pain.

Order is Heaven's first law ^ and this confest. Some are, and must be, greater than the rest. More rich, more wise ; but who infers from hence That such are happier, shocks all common sense. Heav'n to mankind impartial we confess. If all are equal in their happiness : But mutual wants this happiness increase; All nature's difference keeps all nature's peace. Condition, circumstance is not the thing ; Bliss is the same in subject or in king. In who obtain defence, or who defend. In him who is, or him who finds a friend. Heav'n breathes thro' ev'ry member of the whole One common blessing, as one common soul. But fortune's gifts if each alike possest. And each were equal, must not all contest 2 If then to all men happiness was meant, God in externals could not place content.

Fortune her gifts may variously dispose. And these be happy call'd, unhappy those : But heaven's just balance equal will appear; While those arc plac'd in hope, and these in fear: Not present good or ill, the joy or curse. But future views of better, or of worse.

Oh, sons of earth ! attempt ye still to rise. By mountains pil'd on mountains, to the skies ?

ESSAI SUR L'HOMME. 89

part de bonheur ; & qui veut en obtenir davantage, eprouvera que le plaisir, ne paye pas la moitie de la peine.

L'ordre est la premiere loi du ciel ; & d'apres ce principe, veut que les uns brillent par le rang, les autres par la ri- chesse, & ceux-ci par leurs talens ; mais c'est heurter le sens commun, que d'en inferer qu'ils soient plus heureux. Que la fortune dispense inegalement ses dons divers, peu importe j si les hommes sont egaux dans leur bonheur, nous devons avouer que le ciel est impartial ; & bien loin de detruire le bonheur, cette inegalite de biens produit des besoins mutuels qui ser- vent a Faugmenter; ce melange qui regne dans la nature en conserve la paix. Ce n'est ni la condition, ni les circonstan- ces qui font Pessence du bonheur j il ne change jamais, il est le meme dans le sujet comme dans le roi, dans celui qui defend, ou celui qui est defendu, dans celui qui est, ou celui qui trouve un ami. Lorsque le ciel souffla sur les mortels un principe de vie, il leur donna aussi un bonheur commun. Mais, si la fortune distribuait egalement ses faveurs a cha- cun, ne naitrait-il pas de cette egalite des debats continuels ? Ainsi done, puisque Dieu a fait un bonheur pour tous les hommes, il ne saurait I'avoir place dans des biens superflus.^

La Fortune, au gre de ses caprices, pent disposer de ses presens, & Sidvant qu'elle les dispense, le vulgaire appelle les uns heureux, les autres malheureux : mais le ciel les rend egaux dans sa juste balance, en donnant Pespoir aux uns, & aux autres la crainte: ce ne sont pas les biens ou les maux presens, qui font le sujet de la joie ou de la tristesse des mortels ; ce sont les pressentimens de Pespoir, ou de la crainte qu'ils ont de I'avenir.

O, faiblcs cnfans de la terre ! voulez-vous encore par des

90 £:5:5Ai ON M^^N.

Heav'n still with laughter the vain toil surveys, And huries madmen in the heaps they raise. Know, all the good that individuals find. Or God and nature meant to mere mankind. Reason's whole pleasure, all the joys of sense. Lie in three words. Health, Peace, and Competence. But Health consists with temperance alone; And Peace, oh Virtue ! Peace is all thy own. The good or bad, the gifts of Fortune gain ; But these less taste them, as they worse obtain. Say, in pursuit of profit or delight. Who risk the most, that take wrong means or right Of vice or virtue, whether blest or curst. Which meets contempt, or which compassion first ? Count all th' advantage prosperous vice attains, 'Tis but what virtue flies from and disdains: And grant the bad what happiness they would. One they must want, which is, to pass for good. Oh blind to truth, and Grod's whole scheme below. Who fancy bliss to vice, to virtue woe ! Who sees and follows that great scheme the best. Best knows the blessing, and will most be blest. But fools, the good alone, unhappy call. For ills or accidents that chance to all. See Falkland dies, the virtuous and the just! See godlike Turenne prostrate on the dust ! See Sidney bleeds amid the martial strife! Was this their virtue, or contempt of life ? Say, was it virtue, more tho' heav'n ne'er gave. Lamented Digby ! sunk thee to the grave ?

ESSAI SUR L'HOMME. 91

montagnes entassees, vous elever jusqu'aux cieux ? Les cieux se rient de vos vains efforts, & vous enseveliront sous les masses elevees par votre folic.

Sachez, que tous les biens dont nous pouvons jouir, que tous ceux que Dieu & la nature ont destines a Phomme, que tous les plaisirs de la raison & tous les delices des sens, ne consistent qu'en trois choses, la Sante, la Paix, & le simple Necessaire. La Sante ne se maintient que par une sage temperance ; & la Paix, 6 aimable vertu ! la Paix est le gage precieux de votre bonheur. Les bons & les mechans, peuvent acquerir les biens de Paveugle Fortune; mais le plaisir de la jouissance, diminue a proportion de la perver- site des moyens par les quels on les obtient. Qui, dans la poursuite des richesses ou des plaisirs, risque le plus, de celui qui veut y parvenir a force de vertus, ou de celui qui veut y parvenir a force de forfaits ? Du vicieux ou du ver- tueux, soit heureux ou malheureux, qui des deux est un objet de mepris, qui des deux est un objet de respect ? Caloulez tous les avantages que le vice heureux pent obtenir, vous trouverez que la vertu les fuit & les meprise : & accordez a un scelerat tout le bonheur qu'il peut desirer, il y en a tou- jours un qui lui manque, celui de passer pour homme de bien. O que rhonime est aveugle sur la verite, & sur les decrets etcrnels, lorsqu'il attache le bonheur au vice, le malheur a la vertu! L'homme qui penetre le mieux I'esprit de ces de- crets, & qui s'y soumet, celui-la, sera le plus heureux ; il suit la voie qui conduit au bonheur. La Folic, qui derai- sonne^ traite de malheureux Fhomme de bien seul, pour des maux ou des accidens que le hazard donne a tous. Vois la mort de Falkland, cet homme juste & vertueux ! Vois le di- vin Turenne, couche sur la poussiere ! Vois le sang de Sid- ney couler dans le champ de Mars ! Parle, est-ce leur vertu qui en est la cause, ou le noble mepris qji'ils ont eu de la vie ? O jeune & cher Digby, digne objet de nos regrets !

92 ESSAY ON MA^N.

Tell me, if virtue made the son expire. Why, full of days and honour, lives the sii'e ? Why drew Marseille's good bishop purer breath. When nature sicken'd, and each gale was death ? Or why so long in life if long can he- Lent heav'n a parent to the poor and me?

What makes all physical or moral ill ? There deviates nature, and here wanders will. God sends not ill ; if rightly understood. Or partial ill is universal good. Or change admits, or nature lets it fall. Short, and hut rare, till man improved it all. We just as wisely, might of heav'n complain That righteous Abel was destroyed by Cain, As that the virtuous son is ill at ease When his lewd father gave the dire disease. Think we, like some weak prince, th' Eternal Cause, Prone for his favorites to reverse his laws ?

Shall burning -Sitna, if a sage requires. Forget to thunder, and recall her fires? On air or sea new motions be imprest, Oh blameless Bethel ! to relieve thy breast ? When the loose mountain trembles from on higli. Shall gravitation cease, if you go by ? Or some old temple, nodding to its fall. For Chartre's head reserve the hanging wall ?

But still this world so fitted for the knave Contents us not. A better shall we have ? A kingdom of the just then let it be : But first consider how those just agree.

ESSAI SUR L'HOMME. 93

est-ce la vertii, car les cieux n'en donnercnt jamais davan- tage, qui fa precipite dans le tombeau ? Si c'est la vertu qui fait expirer le fils, pourquoi done le pere vit-il comble d'hon- neurs & surcharge d'annees ? Pourquoi le saint eveque de Marseille^ respira-t-il un air pur, tandis que la nature lan- guissait, & que I'haleine des vents soufflait Paffreuse mort ? Ou pourquoi le ciel, dans cette courte vie, prolongeant des jours si precieux, pour les pauvres & pour moi, epargne-t-il aussi les jours d'une tendre mere?

Qu'est ce qui fait le mal phisique, & qu'est ce qui fait le mal moral? L'un, les ecarts de la nature; & I'autre, les egaremens de la volonte. Dieu ne peut-etre la cause du mal ; si Ton en concoit bien la nature, ou le mal particu- lier est un bien general, ou tout changement en est sus- ceptible, il echappe, en quelque maniere, a la nature, & il fut rare & peu durable, jusqu'a ce que Phomme eut cor- rompu tout. Que le juste Abel^ soit tue par Cain, ou qu'un fils vertueux soufFre les incommodites d'un sang cor- rompu, que lui a transmis un pere debauche, il n'y a pas plus de sagesse a se plaindre des cieux au sujet de I'un qu'au sujet de Pautre. Doit-on croire que Dieu, comme de fai- bles princes, renversera ses lois pour quelques favoris ?

Quoi!...faut-il que PEtna brulant, pour ceder aux cris d'un philosophe, ^ oublie ses tonnerres, & rappelle ses feux ? Que des impressions nouvelles & salutaires, se fassent res- sentir dans les airs ou sur les mers, pour aider a la respira- tion du vertueux Bethel ? Que dans un tremblement de terre, les montagnes ebranlees ne s'ecroulent point, parceque sous leur poids tu peux etre accable ? Ou qu'un vieux temple, pret a s'ecrouler, suspende sa chute pour la reserver a Pin- fame Chartres?

Ce monde, si propre pour les scelerats, ne nous contente done point. Imaginons en un meilleur. Supposons qu'il devienne un royaume de justes : mais vpyons d'abord com- ment ces justes s'accorderont. Les hommcs vertueux doi-

94 ESSAY ON MAN.

The good must merit God^s peculiar care :

But who, but God, can tell us who they are ?

One thinks on Calvin heaven's own spirit fell;

Another deems him instrument of hell ;

If Calvin feel heaven's blessing, or its rod.

This cries there is, and that, there is no God,

What shocks one part, will edify the rest,

IVor with one system can they all be blest ?

The very best will variously incline,

And what rewards your virtue, punish mine.

Whatever is, is right. This world, 'tis true.

Was made for Csesar but for Titus too ;

And which more blest ? who chained his country, say.

Or he whose virtue sigh'd to lose a day ?

^^ But sometimes virtue starves, while A'ice is fed.'^ What then ? Is the reward of virtue bread ? That, vice may merit, 'tis the price of toil ; The knave deserves it, when he tills the soil ; The knave deserves it, when he tempts the main. Where folly fights for kings, or dives for gain. The good man may be weak, be indolent ; Nor is his claim to plenty, but content. But grant him riches, your demand is o'er ? ^tfjfo— shall the good want health, the good want

pow'r?" Add health and pow'r, and ev'ry earthly thing, ^^Why bounded pow'r? why private? why no king?*' Nay, why external for internal giv'n ? Why is not man a god, and earth a heav'n ?

ESSAI SUR L'HOMME. 95

vent meriter dii ciel un soin tout particulier; mais, quel autre qu'un Dieu, peut nous reveler quels sont ces liommes vertueux? L'un croit voir dans Calvin^ un organe celeste; & I'autre croit que c'est un monstre de I'enfer; si Calvin partage le bonheur supreme, ou si le ciel lui fait ressentir le poids de sa vengeance. Pun crie qu'il y a un Dieu, & I'autre crie qu'il n'y en a point. Ce qui choque celui-ci, edifie ce- lui-la, tons les hommes peuvent-ils done etre heureux par un meme systeme? Les plus vertueux ont des inclinations differentes, & ce qui recompense votre vertu, serait mon chatiment. Tout est bien dans toute la nature. Ce monde, il est vrai, a ete fait pour Cesar; mais, ne fut-il pas fait aussi pour Titus ? & qui des deux fut le plus heureux ? celui qui riva les cliaines de sa patrie, ou celui dont les ver- tus soupiraient sur la perte d'un jour ecoule sans bienfaits? ^^ Mais, dira-t-on, la vertu est quelque fois en proie a Pin- digence, tandis que le vice regorge debiens.'' Quoi! L'abon- dance est-elle une recompense de la vertu ? Le vice peut Pac- querir, elle est le prix du travail; le scelerat la merite, lorsqu'il est laborieux; il la merite, lorsqu'il affronte les mers, ou la folic combat pour des rois, ou pour des richesses. L'homme de bien peut-etre faible, indolent; mais ce qu'il veut est le contentement, & non Populence. Suppose qu'il soit comble de richesses, pour cela le croirez-vous heureux ? "Non, sans doute; il lui faut la sante & le pouvoir." Ce n'est pas tout, il aura encore d'autres desirs. " Pourquoi son pouvoir est-il limite ? Pourquoi est-il un particulier, & n'est-il point un roi V' Mais, pourquoi prefere-t-il le bieu qu'il n'a point, au bien dont il jouit interieurement ? Pour- quoi Phomme n'est-il point un dieu, & la terrc n'est-elle pas

96 ESSAY ON MAN.

Who ask and reason thus, will scarce conceive God gives enough, while he has more to give ; Immense the pow'r, immense were the demand ; Say, at what part of nature will they stand ?

What nothing earthly gives, or can destroy. The souPs calm sunshine, and the heart-felt joy. Is virtue's prize. A better would you fix ? Then give Humility a coach and six, Justice a conqueror's sword, or Truth a gown. Or Public Spirit its great cure, a crown. Rewards, that either would to virtue bring No joy, or be destructive of the thing 5 How oft by these at sixty are undone The virtues of a saint at twenty-one ! To whom can riches give repute, or trust. Content, or pleasure, but the good and just? Judges and senates have been bought for gold ; Esteem and love were never to be sold. Oh fool ! to think God hates the worthy mind. The lover, and the love of human kind. Whose life is healthful, and whose conscience clear Because he wants a thousand pounds a year.

Honour and shame from no condition rise ; Act well your part, thei^ all the honour lies. Fortune in men has some small difference made. One flaunts in rags, one flutters in brocade; The cobbler apron'd, and the parson gown'd. The friar hooded, and the monarch crown'd.

ESSAI SUR L'HOMME. 97

un ciel? Qui demande & qui raisonne ainsi, concevra avec peine que Dieu donne assez, lorsqu'il peut donner plus. Sa puissance etant immense, les demandes le seront aussi; dites a quel degre dans la nature s'arreteront-elles?

Ce que rien sur la terre ne peut donner ni detruire, le calme dePame, &lajoieinterieuredu cceur^estla digne recompense de la vertu. En voudriez-vous fixer une meilleure, & donner a PHumilite un carrosse traine par six superbes coursiers ; a la Justice I'epee du conquerant; a la simple Verite toute la parure de la pourpre ; & a PAmour de la Patrie, un sceptre qui presque toujours le detruit? ces recompenses ne plai- raient point a la vertu, elle en f uirait le danger ; combien de fois ont-elles corrompu, dans un age avance, les vertus que Pon avait admirees dans le printems de la vie ! Examinons : les richesses peuvent-elles donner a tout autre qu'a Phomme juste, un contentement personnel, & la confiance des autres ? Des juges & des parlemens trop sou vent ont vendu leurs criminelles voix; Pestime & Pamour ne s'acquierent que par la vertu. 0 quelle folie de croire, qu'un mortel ver- tueux qui aime le genre liumain & qui en est aime, dont la vie respire la sante, & dont la conscience est exempte de crimes & de reproches, soit Pobjet de la haine celeste, parce- qu'il n'a point d'amples revenus.

La honte & Phonneur ne naissent point de notre condition ; faites bien ce que vous devez faire, c'est en quoi consiste Phonneur. La fortune entre les hommes met quelque diffe- rence. Pun s'admire dans ses guenilles, & Pautre se demene dans ses brocards 5 le savetier convert d'un tablier se pavane, le pretre s'enorgueillit dans sa soutane, le moine avec son froc montre de la gravite, & le roi avec sa couronne, croit

98 ESSAY ON MAN.

^^ What differ more you cry than crown and cowl?" I'll tell you, friend ! a wise man and a fooL You'll find, if once the monarch acts the monk. Or, cobbler-like, the parson will be drunk. Worth makes the man, and want of it the fellow; The rest is all but leather or prunella.

Stuck o'er with titles and hung round with strings. That thou mayst be by kings, or whores of kings. Boast the pure blood of an illustrious race. In quiet flow from Lucrece to Lucrece : But by your fathers' worth if your's you rate. Count me those only who were good and great. Go ! if your ancient, but ignoble blood. Has crept thro' scoundrels ever since the flood. Go ! and pretend your family is young ; Nor own your fathers have been fools so long* What can ennoble sots, or slaves, or cowards ? Alas ! not all the blood of all the Howards.

Look next on greatness ; say where greatness lies ? ^' Where, but among the heroes and the wise ?'* Heroes are much the same, the point's agreed. From Macedonia's madman to the Swede; The whole strange purpose of their lives, to find. Or make, an enemy of all mankind ! Not one looks backward, onward still he goes. Yet ne'er looks forwai'd further than his nose. No less alike the politic and wise : All sly slow things, with circumspective eyes :

ESSAI SUR L'HOMME. 99

commander au monde cntier. '' Mais ; quoi, s'ecriera-t-on, y a-t-il rien de plus different qu'une couronne & qu'un froc ?" Oui, mon ami, cela est vrai: mais, I'homme sage & riiomme fou, different encore plus. Si ime fois le monarque agit en moine, & que le pretre s'enivre en savetier, vous trouverez que c'est le merite qui fait riiomme eminent, & que Phomme qui en est prive, est un etre vil & rampant : car, au reste, que fait le tablier de Pun ou la soutane de Pautre ?

Etre honore de titres & decore de cordons, est une distinc- tion que Pon pent acquerir par la faveur des rois, & plus souvent par celle de leurs maitresses. Le sang de tes ayeux, vante depuis des siecles, pent avoir coule de Lucrece en Lu- erece : mais, si c'est sur leur merite que tu etablis le tien, ne fais done mention que de ceux qui furent constamment ver- tueux. Vainement ferais-tu renionter ta noblesse au tems du deluge, si ton sang ancien, mais ignoble, a coule dans des ccBurs laches ; va, pretens plutot que ta famille est nou- velle; & n'annonce point que tes peres out ete si long tems sans merite. Rien ne pent annoblir ni des sots, ni des es- claves, ni des laches j fussent-ils meme issus du premier des Howards. ^

Contemple ensuite la grandeur ; d'ou vient son origine ? Tu me reponds ; " parmi les heros & les politiques profonds.'^ Les heros sont marques au meme caractere, depuis le fou de Macedoine jusqu'aceluide Suede; le but de ces conquerans fut toujours de guerroyer & de vaincre ! Un heros ne tourne jamais la tete en-arriere, une conquete est pour lui le desir d'une conquete nouvelle. Quels sont les politiques? Les Politiques ne se ressemblent pas moins : tgus ruses, captieux, lents & circonspects : ils chercbent a saisir les homraes dans

100 ESSAY ON MAN.

Men in their loose unguarded hours they take. Not that themselves are wise, but others weak. But grant that those can conquer, these can cheat; 'Tis phrase absurd to call a villain great : Who wickedly is wise, or madly brave. Is but the more a fool, the more a knave. Who noble ends by noble means obtains. Or failing, smiles in exile or in chains. Like good Aurelius let him reign, or bleed Like Socrates, that man is great indeed.

What's fame ? a fancy'd life in others' breath, . A thing beyond us, ev'n before our death. Just what you hear, you have ; and what's unknown. The same my lord if Tully's, or your own. All that we feel of it begins and ends In the small circle of our foes or friends ; To all beside as much an empty shade An Eugene living, as a Caesar dead j Alike or when, or where they shone, or shine. Or on the Rubicon, or on the Rhine. A wit's a feather, and a chief a rod ; An honest man's the noblest work of God. Fame but from death a villain's name can save. As justice tears his body from the grave; When what t' oblivion better were resign'd. Is hung on high, to poison half mankind. All fame is foreign, but of true desert ; Plays round the head, but comes not to the heart :

ESSAI SUR L'HOMME. 10 £

des moniens inconsideres, ce n'est point habilete en eux, c'est iin art qui n'est fond 6 que sur notre faiblesse. Mais, soit que le heros nous asservisse, & que le politique nous abuse ; n'est-ce pas absurdite de caracteriser le crime par le nom de grandeur : leur artifice criminel ou leur valeur homicide, ne prouve dans Pun qu'un exces de folic, & dans Pautre qu'un exces de lachete. Celui qui obtient une noble fin par de nobles moj ens, ou qui, succombant, conserve sa grandeur dans I'exil ou dans les fers, soit qu'il regne comme le sage Antonin, ou qu'il meure comme Socrate, celui-la seul est vraiment grand & digne qu'on Padmire.

Qu'entend-t-on par la renommee ? si ce n'est une illusion, une vie imaginaire qui respire dans les autres, objet au de-la de nous, qui Pest meme avant notre mort. On ne jouit pre- cisement que de ce que Pon entend, &, en effet, de qu'elle iitilite, milord, pent vous etre un suffrage incertain qui se partage entre vous & Ciceron. Tout le plaisir que la re- nommee nous fait sentir, nait & se termine a voir autour de nous des amis ou des rivaux; pour le reste des humains, combien petite est la difference entre Eugene qui respire, & Cesar qui n'est plus ; soit que Pun brille ou que Pautre ait brille, en tels tems, en tels lieux, sur le Rhin ou sur le Ru- bicon ^. Un bel-esprit n'est qu'une jolie bagatelle, & un ge- neral est un fleau; un mortel vertueux est le plus noble ouvrage de Dieu, La renommee pent seulement faire passer a la posterite le nom d'un scelerat, ainsi que la justice re- pousse son corps du tombeau ; & ce qu'il eut mieux valu en- sevelir dans Poubli, se trouve expose pour empester les autres hommes. Toute reputation qui ne prouent pas d'un vrai merite, est etrangere 5 son enccns enivre, mais il ne penetre

102 ESSAY ON ^IAN.

One self-approving hour ^vhole years outweighs Of stupid starers, and of loud huzzas; And more true joy Marcellus exiPd feels. Than Csesai' with a senate at his heels.

In parts superior what advantage lies ? Tell for you can w hat is it to be wise ? ^Tis but to know how^ little can be known ! To see all others' faults, and feel our own : Condemn'd in business or in arts to drudge^ Without a second, or w ithout a judge : Truths w ould you teach, or save a sinking land ? All fear, none aid you, and few understand. Painful pre-eminence ! yourself to view Above life's weakness, and its comforts too.

Bring then these blessings to a strict account; Make fair deductions ; see to w liat they mount : How much of other each is sure to cost ; How much for other oft is w holly lost : How inconsistent greater goods with these ; How sometimes life is riskM, and always ease: Think, and if still the things thy envy call. Say, wouldst thou be the man to whom they fall? To sigh for ribands if tliou art so silly, Mark how they grace Lord Umbra, or Sir Billy. Is yellow dirt the passion of thy life ; Look but on Gripus, or on Gripus' wife. If pai'ts allure thee, think how Bacon shin'd, The wisest, brightest, meanest of mankind : Or ravish'd with the whistling of a name.

ESSAI SUR L'HOMME. IQg

jamais an coeur : un instant de cet intinie plaisir, n-est-il pas plus touch ant que les acclamations d'un peuple foUement epris ; Marcellus exile etait rempli d'une plus vive joie, que Cesar suivi d'un senat adulateur.

Quels avantages resultent des talens superieurs ? Appre- nez-nous, milord, car voiis le pouvez, ce que c'est que d'etre habile. N'est-ce pas de connaitre combien peu nous pou- vons savoir, d'appercevoir tous les defauts des autres, & de sentir plus vivement les notres ? Condamne a travailler sans cesse, ou a restaurer les arts, sans rival, ou sans juge; vou- lez-vous montrer des verites, ou saiiver Petat du danger qui le menace ? Tout le monde craint, personne ne vous aide, & peu vous comprennent. O triste preeminence de se sentir au des- sus des faiblesses de la vie, & des consolations qu'elle offre !

Qu'on examine done a fond tous ces differens avantages : toute compensation faite, qu'on voie quel en est le resultat : combien surement pour acquerir Pun, on doit perdre de Pau- tre, s'il n'est totalement perdu : combien ils sont peu com- patibles avec d'autres, bien plus essentiels ^ combien tour-a- tour on risque pour eux les douceurs de la vie, & toujours le repos: reduisons les a leur juste valeur, & voyons s'ils peuvent encore exciter ton envie, & comme le hasard les donne, juge si tu voudrais te changer pour eux? Si pour Peclat d'un ruban, tu es assez simple de soupirer, vols si cet ornement donne un air de grandeur au Lord Umbra, & au Chevalier Billy. Si Por, est le seul objet seduisant de ta vie ; jette seulcment les yeux sur Gripus, ou sur sa femme, si tes talens & ton esprit t'abusent, rappelle-toi combien a brille Bacon, ^ le plus habile, le plus profqnd, & le plus me- prisable des homn^s : Si tu es epris d'un nom famcux, vois

104 ESSAY ON MAN.

See Cromwell, damn'd to everlasting fame !

If all, united, thy ambition call,

From ancient story, learn to scorn them all.

There, in the rich, the honour'd, fam'd, and great,

See the false scale of happiness complete !

In hearts of kings, or arms of queens who lay.

How happy ! those to ruin, these betray.

Mark by what wretched steps their glory grows,

From dirt and sea-w^eed as proud Venice rose ;

In each how guilt and greatness equal ran.

And all that raised the hero, sunk the man :

Now Europe's laurels on their brows behold.

But stain'd with blood, or ill exchang'd for gold :

Then see them broke with toils, or sunk in ease.

Or infamous for plundered provinces.

Oh ! Avealth ill-fated ! which no act of fame

E'er taught to shine, or sanctify'd from shame !

What greater bliss attends their close of life ?

Some greedy minion, or imperious wife.

The trophy'd arches, story'd halls invade.

And haunt their slumbers in the pompous shade.

Alas ! not dazzled with their noon-tide ray.

Compute the morn and ev'ning to the day ;

The whole amount of that enormous fame,

A tale, that blends their glory with their shame !

Know then this truth, enougli for man to know^- ^' Virtue alone is happiness below.'^ The only point where human bliss stands still. And tastes the good without the fall to ill ;

ESSAI SUR L'HOMME. 105

Cromwell condamne a une affreuse & eternelle renommee ! Si Passemblage de ces differens biens excite ton ambition, apprends de Phistoire ancienne a les mepriser tous. Vois y le riche, I'homme d'etat, le guerrier & le grand, seduits par Papparence de tous ces differens biens qui semblaient devoir en faire autant d'heureux ! Mais, dira-t-on, quel exces de bonheur, de regner dans le coeur d'un roi, ou d'etre admis entre les bras d'une reine ! Parvenus a cette haute confiance. Pun ne sait que perdre son maitre, & I'autre trahir sa mai- tresse. Vois par quel art imposteur, ils parviennent a la gloire; ainsi que de vils roseaux qui s'elevent d'un marais fangeux, on vit jadis sortir Porgueilleuse Venise ; leur crime & leur grandeur marchent d'un pas egal, & ce qui produit leur heroisme, degrade souvent Pliomme : regarde les con- verts de lauriers ; mais, ou teints de sang, ou quelque fois ternis par Pavarice: contemple les enfin, courbes sous le poids des travaux, plonges dans la mollesse, & par le pillage des provinces, vivre deshonores. O malheureuses richesses, a qui la renommee n'a pu donner de I'eclat, & que la splen- deur meme n'a pu preserver de la honte ! Quel est le bonheur qui vient enfin en terminer le cours ? Au milieu des ombres pompeuses qui les environnent, leur sommeil est trouble par la presence d'un heritier avide, ou d'une femme hautaine qui embarrassent ces superbes appartemens, monumens de leurs trophees, & ces vastes salons ou la vanite a represente Phis- toire de leur vie. Helas ! ne te laisse pas eblouir par I'eclat de leur midi, qu'on le compare a Pobscurite de leur matin & a leur soir tenebreux; que restera-t-il de tant de renommee, si ce n'est un vain songe, ou leur gloire confondue avec leur honte, est par Pune ou par Pautre tour-a-tour effacee !

Apprends done cette verite, & la connaissance en suffit a Phomme, ^^qu'il n'est point ici-bas d'autre bonheur que la vertu," Le seul point ou la felicite humaine soit fixee, & qui fasse goutcr le bien sans le melange du mal ; la vertu

o

log ESSAY ON MAN.

Where only merit constant pay receives. Is blest in what it takes, and what it gives ; The joy unequaPd, if its end it gain. And if it lose, attended with no pain : Without satiety, tho' e'er so bless'd. And but more relish'd as the more distressed : The broadest mirth unfeeling folly wears. Less pleasing far than virtue's very tears : Good, from each object, from each place acquired. For ever exercis'd, yet never tir'd ^ Never elated, while one man's oppressed; Never dejected, while another's bless'd ; And where no wants, no wishes can remain. Since but to wish more virtue, is to gain.

See the sole bliss heav'n could on all bestow ! Which who but feels can taste, but thinks can know Yet poor with fortune, and with learning blind. The bad must miss ; the good, untaught, will &nd; Slave to no sect, who takes no private road. But looks thro' nature, up to nature's God; Pursues that chain which links th' immense design, Joins heav'n and earth, and mortal and divine ; Sees, that no being any bliss can know. But touches some above and some below; Learns from this union of the rising whole. The first, last purpose of the human soul ; And knows, where faith, law, morals, all began, All end, in love of God, and love of man. For him alone, hope leads from goal to goal,

ESSAI SUR L'HOMME. 107

seule donne an merite sa juste recompense, son plaisir est egal, soit qu'elle accorde ou recoive des bienfaits; une joie sans egale, accompagne ses siicces, ne reussit-elle point, elle ii'en con^oit point de peine : elle sait se trouver au milieu do Pabondance sans satiete, & c'est au sein des revers que Ton en ressent le plus le charme & la douceur : les ris que la folie insensible fait eclater dans ses plaisirs trompeurs, sont beau- coup moins.agreables que les pleurs meme de la Tertu : elle tire des avantages de tous les objets, de tous les endroits ; elle est toujours en mouvement, sans jamais se lasser; elle ne s'enorgueillit point de la chute d'un rival jaloux, & ne s'afflige point de son elevation ; elle n'a rien a desirer, tous ses souhaits sont accomplis, puisque par rapport a la vertu, en souhaiter d'avantage, c'est Pobtenir.

Tel est le vrai bonheur que les cieux peuvent donner aux liumains ! Qui pent penser, pent le connaitre ; & qui pent sentir, pent seul le gouter: & cependant, pauvre, quoique dans Populence, plonge dans Pignorance, malgre son savoir, le mechant ne saurait le trouver^ tandis que Phomme de bien le trouve, sans le chercher ^ il n'est esclave d'aucune secte, il ne suit point une route particuliere ; mais il s'eleve par Pinspection de la nature, au Dieu de la nature; il n'aban- donne jamais cette chaine qui lie le grand systeme, qui joint le ciel & la terre, le mortel & le Createur ; il voit que dans cette chaine aucun etre ne saurait etre heureux, que ce bon- heur ne soit le partage du puissant & du faible; il apprend de Punion de ce grand tout, le premier, & le dernier but de Pame humaine ; & il connait, quel est le principe & qu'elle est la fin de la foi, des lois & de la morale > Pamour de Dieu, & celui de son prochain. L'homme vertueux, eprouve seul

lOS ESSAY ON »L\N,

And opens still, and opens on bis soul ;

Till lengthened on to faith, and unconfin'd.

It pours the bliss that fills up all the mind.

He sees, why Nature plants in man alone

Hope of known bliss, and faith ii> bliss unknown :

^Nature, whose dictates to no other kind

Are giv'n in vain, but what they seek they find.

Wise is her present; she connects in this

His greatest virtue with his greatest bliss ;

At once his own bright prospect to be blest.

And strongest motive to assist the rest.

Self-love thus push'd to social, to divine. Gives thee to make thy neighbour's blessing thine. Is this too little for the boundless heai't ? Extend it, let thy enemies have part ; Grasp the whole worlds of reason, life, and sense, In one close system of benevolence : Happier as kinder, in whatever degree. And height of bliss but height of charity.

God loves from w hole to parts : but human soul Must rise from individual to the whole. Self-love but serves the virtuous mind to w^ake. As the small pebble stirs the peaceful lake ; The centre mov'd, a circle straight succeeds. Another still, and still another spreads ; Friend, parent, neighbour, first it will embrace; His country next; and next all human race:

ESSAI SUR L'HOMME. 109

la douceur de Pesperance, elle le conduit d*un point a un autre, & dans ses progres, se developpant de plus en plus a son ame, elle s'unit enfin a I'ardeur de la foi ; alor^, sans d'autres bornes que Pinfini, elle lui presente le vrai bonlieur dont il doit etre pour toujours enivre. II voit pourquoi la Nature a donne a Phomme seul, Pesperance d'un bonheur connu, & celle de la foi pour un bonlieur inconnu : elle, qui n'a jamais donne inutilement des impressions aux autres creatures ; car, ce qu'elles cherchent, elles le trouvent. 0 sagesse admirable, qui unit dans Piiomme le plus grand bon- heur a la plus grande vertu, lui presentant tout a la fois la brillante perspective de son propre bonheur, & le plus puis- sant motif pour contribuer a celui des autres !

Ainsi done, Pamour-propre, allie avec Pamour-social & Pamour de Dieu, nous fait trouver notre bonheur dans celui d'autrui. Est-ce trop resserrer Petendue de ton coeur gene- reux ? Donne lui alors une plus vaste carriere, & jusqu'a tes ennemis, etends ta generosite; ne fais qu'un systeme de bienveillance, de tons les mondes divers, de tous les etres qui pensent, de tous ceux qui vivent : plus Phomme vertueux est sensible & genereux, plus il sent que son bonheur s'ac- croit & s'etend.

L'amour de Dieu descend du tout aux parties ; mais celui de Phomme, doit s'elever des individus au tout. L'amour- propre ne sert qu'a reveiller Pame vertueuse, ainsi qu'une pierre, qui, jetee dans une eau paisible, forme autour du cen- tre qu'elle a mis en mouvement, un petit cercle qui croit par degres, & qui bientot donne naissance a beaucoup d'autres : de meme, il agit sur le coeur, fait cherir,^ d'abord, le pere, I'ami, le voisin, apres eux la patrie, & ensuite tout le genre-

110 ESSAY ON MAN.

Wide and more wide, th' o'erflowings of the mind Take ev'ry creature in, of ev'ry kind ; Earth smiles around, with boundless bounty blest. And heav'n beholds its image in his breast.

Come, then, my friend ! my genius ! come along : Oh, master of the poet, and the song ! And while the muse now stoops, or now ascends. To man's low passions, or their glorious ends. Teach me, like thee, in various nature wise. To fall with dignity, with temper rise ; Formed by thy converse, happily to steer. From grave to gay, from lively to severe 5 Correct with spirit, eloquent with ease. Intent to reason, or polite to please. Oh ! while along the stream of time thy name Expanded flies, and gathers all its fame; Say, shall my little bark attendant sail. Pursue the triumph, and partake the gale ? When statesmen, heroes, kings, in dust repose. Whose sons shall blush their fathers were thy foes, Shall then this verse to future age pretend Thou wert my guide, philosopher, and friend ? That, urg'd by thee, I turn'd the tuneful art. From sounds to things, from fancy to the heart ; For wifs false mirror held up nature's light j Show'd erring pride, whatever is, is right 5 That reason, passion, answer one great aim; That true self-love and social are the same; That virtue only makes our bliss below ; And all our knowledge is, ourselves to know.

ESSAI SUR L'HOMME. m

hiimain ; les epanchemens de I'ame s'etendant partout, em- brassent eiifin tous les etres de toute espece; la terre se re- jouit de toutes parts, une bienveillance sans bornes produit un bonheur general, & le del, dans le coeur de I'hoinme ver- tueux, aime a contempler son image.

Arbitre de mes chants, mon ami, mon genie & mon mai- tre ! sois mon guide dans le sentier que je parcours ! Tandis que ma muse descend aux basses passions de I'homme, ou s'eleve a leurs fins glorieuses, que comme toi, profond dans la connaissance des varietes de la nature, je tombe sans bas- sesse, & m'eleve sans orgueil ; que, forme par tes lecons, je puisse passer heureusement du serieux a la gaiete, de I'agre- able au severe; etre exact avec feu, eloquent sans con- trainte, obeissant a la raison, ou plaire avec delicatesse* 0 ! tandis que ton nom, sur le fleuve du tems, passe a la pos- terite ; dis-moi, puis-je esperer que ma petite barque suive ton triomphe, & partage le vent qui te favorise ? Lorsqu'enfin les ministres, les heros & les rois reposeront dans la pous- siere, que les fils rougiront que leurs peres aient ete tes en- nemis, mes vers apprendront-ils aux generations futures que tu fus mon guide, mon philosophe & mon ami ? qu'encourage par toi, ma muse quitta les sons, pour s'elever a la realite des choses, & passa de I'imagination au coeur ; qu'au lieu de Feclat trompeur de Pesprit, elle fit briller sur les mortels la lumiere de la nature ; faisant voir a I'orgueil qui s'abuse, que TOUT EST BiEN DANS TOUTE LA NATURE ; quc la raisou & la passion sont donnees pour une seule grande fin ; que le veritable amour-propre & Pamour-social ne font qu'un ; que la vertu seulc fait ici-bas le bonheur de Pluamme; & que tout I'objct de sa science est, D'ArpRENDRE a se connaitre.

ESSAI SUR L'HOMME. ng

NOTES

SUR

LA PREMIERE EPITRE

1. Henry Saint-Jean, comte de Bolingbroke, secretaire d'etat de la reine Anne ; fut celebre par son ministere, son eloquence & sa disgrace,

2. La prevoyance de I'homme ne pent jamais passer la conjecture. C'est I'evenement qui la nomme sagesse ou folie.

3. O Homme ! adore cette Premiere Puissance, cette verite souveraine & universelle, qui eclaire tons les esprits comma le soleil eclaire tous les corps. II n'y a point sur la terra de mortels veritablement vertueux, excepte ceux qui la con- sultent & qui la suivent. Homme ! aime & observe la reli- gion: le reste meurt^ elle ne meure jamais.

4. Pretendre au bonlieur ici-bas, c'est resister aux decrets de Dieu ; c'est entreprendre sur les droits du ciel. Le bon- lieur sur la terre! mot d'orgueil : ou est la chose? J'ai cru le saisir, & je n'ai embrasse qu'une ombre ; on n'en peut trouver ici-bas que dans la vertu ; elle se le donne com me la soleil se donne la lumierej elle ne le perd point en perdant des biens perissables.

114 ESSAY ON MAN.

5. Homme insense ! fantome d'un moment, plus vain que Pombre d'un songe, quels mondes as-tu crees, quelles crea- tures as-tu formees, pour oser blamer ton Dieu? Ton bras peut-il se mesurer contre le sien ? Ta voix a-t-elle comme la sienne la force du tonnerre ? Peux-tu enfermer dans ta main la masse des eaux de Pocean, lorsque la tempete souleve tous ses flots, & les lance, furieux, jusqu'au sein des nuages? Est-ce a ta voix que le roi des animaux s'avance a pas lents dans sa majeste terrible? Est-ce a ta voix qu'il s'eveille? Est-ce a toi que s'addressent ses rugissemens? Homme pre- somptueux ! Condamne ta voix a un silence eternel, & le front dans la poussiere, implore la clemence de ton Crea- teur ! Ne te vante plus, contemple, crois & obeis, sois sou- mis, adore & tais-toi !...

6. Cesar Borgia, second fils naturel du pape Alexandre vi, fut eleve par son pere a la dignite d'archeveque de Valence, & a celle de cardinal. II se montra digne de lui par sa pas- sion pour Lucrece sa soeur, & par le meurtre de son frere aine Jean Borgia, devenu son rival, qu'on trouva dans le Tibre, en 1497, perce de neuf coups d'epee. Louis xii, qui s'etait ligue avec ce scelerat pour la conquete du Milanais, le fit due de Valantinois & lui donna en mariage Charlotte d'Albret. Ce monstre avait de la bravoure, de la souplesse & de I'intrigue ; mais un seul de ses crimes, suffirait pour fletrir la memoire du plus grand homme.

7. Ce conspirateur, cet execrable traitre a sa patrie, a qui les plus noirs attentats ne coutaient rien ; fut un assemblage de grandeur & de faiblese, de vices & de vertus.

8. C'est un axiome dans I'anatomie des animaux, que leur force ou leur vitesse est plus ou moins grande dans une pro-

ESSAI SUR L'HOMME. If 5

portion relative I'une a Pautre ; desorte que plus ils ont de force, moins ils ont de vitesse j & plus ils ont de vitesse, moins ils ont de force,

9. Le moyen dont se servent les lions des deserts de I'A- frique, pour decouvrir leur proie, est de pousser d'abord a Pentree de la nuit de grands rugissemens, qui effrayent les autres animaux : ensuite, attentifs au bruit qu'ils font dans leur fuite, ils les poursuivent, non par I'odorat, mais par I'ouie.

NOTES

SUR

LA SECONDE EPITRE,

1. Le commencement de la carriere de Neron, fut signale par Pempoisonnement de Britannicus, fils de Pempcreur Claude. Apres un crime si noir, execute, dans un repas en sa presence ; il ne connut plus de frein, & la seconde vic- time fut Agrippine, sa mere, qu'il fit assassiner. Get evene- ment, de la plus sombre horreur, en vit bientot succeder uu autre; il fit empoisonner le brave & vertueux Burrhus, son ministre & son favori. Seneque, son autre confident, accuse, peu de terns apres, de conspiration, fut condamne a mort. 11 lui fit ouvrir lesveines; mais, Pauline Pepouse de la vic- time, ne pouvant lui survivre, s'ouvrit les siennes, & offrit ainsi au barbare Neron, un double plaisir par un double attentat.

116 ESSAY ON MAN.

Tigellinus, honime vicieux & corrompu, devint, bientot, le favori & le ministre des crimes du tyran. Cette union monstrueuse, donna aussi-tot naissance a un autre crime plus epouvantable ; a un crime qui, par sa ferocite, seule, char- mait Tame atroce de Neron. Octavie, son epouse & fille de Fempereur Claude, fut non seulement repudiee, & exilee, mais egorgee, & sa tete offerte, pour^ainsi dire, comme un present de noces a I'impudique Poppee, son infame rivale, a la quelle I'irapie Neron fit, par un senat corrompu & lache- ment flatteur, decerner & rendre les honneurs divins.

Comme ces massacres etaient trop lents & trop partiels, au gre de la soif insatiable qu'avait ce tigre du sang humain, il regretta, araerement, dans sa barbarie furibonde, que le peuple Romain n'eut pas une seule tete, pour jouir du bon- heur ineffable de la couper d'un seul coup. Ce fut dans ce moment, sans doute, qu'excite par les furies infernales, il fit incendier Rome, & que ce monstre, comme un scelerat, monte au dernier echelon du crime, considerait bruler du liaut d'une tour, chantant un poeme sur Pembrasement de Troie. C'est ainsi que cet homme-tigre, qui sert d'exem- ple a un gouvernement qui deshonore le dix-neuvieme siecle,f se jouait des dieux, en faisant empoisonner, detruire, ou mas- sacrer le genre humain.

Enfin, ces crimes redoublerent la haine des Romains, contre le vampire qui ne pouvait s'assouvir de leur sang.

f Nommer, ici, le gouvernement Britannique, est nommer un monstre couvert du sang de tous les peuples. L'histoire, depuis des siecles, burinc ses crimes: ils sont I'objet de la haine & de Pexecration de mes vertueux contemporains ; & seront celui de I'epouvante & de la teireur des ages a venir.

ESSAI SUR L'HOMME. H7

& mie conspiration generale les delivra, bientot apres, de leur tyran & de leur assassin,

Le Senat s'assemble, le declare ennemi de Petat, & le condamne a mort. Mais, le tigre ne montre qu'une stu- pide lachete devant la pointe de deux poignards qu'il essaie : il tremble, il frisonne devant Pinstrument trop lent a le frapper. Cependant, des soldats approchent pour le saisir. Sa lachete, enfin, se fait violence ; elle cede & semble dis- paraitre : il se ranime, il presente le poignard a sa gorge ; mais, c'est envain; la lachete, compagne de la cruaute, ne Pa point abandonne ; il prie son secretaire de Paider a Pen- foncer. Le monstre meurt age de trente ans, laissant un nom qui semble exprimer tous les crimes. La famille d'Au- guste fut eteinte dans sa personne. Un Tibere, un Caligula, un Claude, un Neron; voila ceux pour qui iVuguste avait usurpe Pempire du monde, & enchaine ses compatriotes ! ceux pour qui Rome avait assujetti tant de peuples, verse tant de sang & massacre tant de nations !

2. Titus ne regna que pour faire des heureux. Le desir de faire du bien fut tellement la passion dominante de ce Grand Homme, qu'il soupira sur la perte d'un jour ecoule sans bienfaits. Un autre trait de vertu non moins sublime, fut celui de dire, en prenant le pontificat, qu'il se croyait oblige, comme pontife, de ne jamais se souiller du sang Ro- main. II tint sa promesse; jamais il n'en repandit. II par- donna,* ou il ne punit qu'avec clemence. Ce grand prince

* Ce mot arrete mes regards, & me rappelle un trait sublime du Grand jS/^apol^o?i, qui, maitre de la Pnisse, avait confie au prince Hatzfeld, Pau- torite civile de Berlin. Hatzfeld, traitre a ses sermeTis, des mouvemens de I'armee Franyaise, trahit les secrets. On porte a Timmortel conquerant.

118 ESSAY ON MAN.

qui mourut a quarante ans, apres deux annees de regne, etait appelle les delices du genre humain.

Le droit iiionstrueiix de la LSgitimite, fit echoir sa cou- ronne, Tan de Jesus-Christ 81, au plus abominable des des- potes, au farouche Domitien, son frere & son ennemi, dont le plaisir etait de tuer des mouches dans sa chambre, & de faire egorger des homines. Mais ; I'humanite, Pinnocence & la vertu, qu'il avait si souvent outragees, trouverent des vengeurs. Domitien obtint, apres 15 ans de regne & de crimes, la recompense quMl meritait: il subit le sort desty- rans : on conspira contre lui, & le monstre fut assassine.

3. Catilina, d'un genie fougueux que nulle entreprise n'efFrayait, noirci de crimes, n'ayant que la ressource du desespoir, forma le projet d'exterminer les senateurs de la republique Romaine, & de s'emparer, comme Sylla, de I'au- torite souveraine. Les debauches, les mecontens, les am- bitieux, entraient en foule dans son parti. II fallait un grand genie pour sauver la republique : la gloire en etait

la lettre accusatrice ; un conseil assemble va condamner I'auteur. Mais, I'epouse infortunee du criminel, qui portait dans son sein les tendres fruits de I'liymenee, se presente au Heros Frangais : voulant justifier son mal- heureux epoux, d'une noire imposture elle accuse la haine. " Madame," lui dit-il, " le crime est trop certain, lisez, jugez-vous-meme :'* PEmpereur lui donna la lettre qui, du prince, atteste les noirs complots. Elle lit & fremit ; son fi'ont se decolore, son ceil voit, & son coeur voudi^ait douter en- core ; chaque ligne, pour elle, est un trait dechirant. La voix entrecoupee & le sein palpitant, elle allait du Grand Homme tomber aux pieds & im- plorer la clemence : celui-ci la previent, s'approche, Sc touche de ses tour- mens la soutient & lui dit : *' voila du feu, Madame, 8c vous avez la let- tre..." La princesse mourante, a ces mots ranimee, s'elance vers le feu, & la jette dans les flammes.

Heros du dix-neuvieme siecle ! tu fus, en cette circonstance, digne de toi meme &. de la posterite : tu sus vaincre & tu sus pardonner !

ESSAI SUR L'HOMME. 119

reservee a Ciceron. II devoile au senat le complot de Ca- tilina, qui sort de Rome, apres avoir ete confondu par Pe- loquence de I'orateur, Les autres chefs de la conspiration sont arretes, convaincus, condamnes a mort par iin decret du senat, & executes de nuit dans les prisons. On marche contre C^tilina, qui, avec une troupe de rebelles, allait sou- lever la Gaule; on Pattaque, il se defend avec valeur. Vaincu sans ressource, il se jette au fort de la melee, & y meurt perce de coups. C'etait un de ces hommes nes pour faire de grandes choses, qui, esclaves des passions, ne sem- blent plus etre capables que de grands crimes.

4. Decius, voyant les Romains plier dans une bataille devant les Latins, se devoua aux dieux infernaux, se jetta au milieu des ennemis de Rome, & mourut comme une vic- time qui devait sauver la patrie. Quelques annees apres, son fils, suivant ce sublime exempic de patriotisme, se devoua, avec le meme succes & la meme grandeur d'ame, pour Par- mee Romaine, dans la guerre de Pyrrhus, roi d'Epire.

5. Curtius, chevalier Romain, eut assez d'amour pour sa patrie, pour se sacrifier pour elle, en se precipitant dans im gouffre qui s'etait entr'ouvert dans Penceinte de Rome. L'oracle, consulte sur ce prodige qui effrayait le peuple, avait repondu que ce gouffre ne se refermerait point, qu'on n'y eut jette ce que Rome avait de meilleur.

6. La province d'York est la plus septentrionale d^Angle- terre. Le Tweed est une riviere qui separe PAngleterre & PEcosse. Les Orcades sont des iles au nord de PEcosse, dependantcs de ce royaume.

7. 0 mort ! je sents du plaisir a songer artoi; c'est toi qui inspires a Phomme les plus nobles pensees, lui conseilles la

120 ESSAY ON MAN.

vertu & le conduis a la DivinitS. Tu es le passage elroit qui le separe de ce liigubre & triste univers, pour le conduire a une felicite sans bornes : tu es la liberatrice qui Taffran- chit de ses fers, le recompense & le couronne: tu es le terme de toutes les peines ; tu fais naitre une joie dont le sentiment est eternel dans Pame, & dont la source intarissa- ble est dans le sein de son createur. La mort est la cou- ronne de la vie ; elle n'ensevelit que le corps, elle elargit Fame de sa prison, dissipe devant elle tons les nuages, lui rend le jour & des ailes pour voler a Pimmortalite. La mort, qui nous parait environnee de I'appareil de la terreur, vue de plus pres, n'offre a nos yeux qu'une reine pacifique. Oh ! quand raourrai-je a la vanite, a la peine, a la mort ? Quand mourrai-je ?...pour vivre toujours.

8. II n'est que deux moyens de rendre la vie plus precieuse que la mort meme : le premier, d'adorer cette puissance qui a forme le ciel & la terre; cette lumiere infinie & immuable qui se donne a tons sans se partager ; qui nous inspire quand nous pensons bien ; qui nous reprend quand nous pensons mal ; qui est comme un grand ocean de lumiere d'ou sortent nos esprits comme de petits ruisseaux, & qui y retournent pour s'y perdre, & ne plus reparaitre. Le second, de vivre pour sa patrie, de secouer le joug du tyran qui Popprime, qui la tient dans les chaines ; de la regir sous les lois sa- crees d'un gouvernement libre & representatif qui, seul, dispense aux hommes le bonheur que leur a assigne la na- ture ; d'etre fidele a ses lois, & utile a sa prosperite ; de ne respirer que pour elle, ou lui donner son dernier soupir sur la tombe de Vassassin couronne qui la tient dans les fers.

ESSAI SUR L'HOMME. ^21

NOTES

SUR

LA TROISIEME EPITRE.

IK

1. Plusieurs anciens, & depuis eux, qiielques orientaux ont considere ceux qui etaient frappes de la foudre, comme des personnes sacrees, & particulierement favorisees du ciel.

2. Enfin, Pinstant fatal arrive. Grand dans sa ruine, d'une grandeur sans effort, il ne cede pas, il donne son ame sublime, & termine paisiblement avec la destinee. Mortels, croyez a la vertu; croyez qu'il est un Dieu qui la recom- pense. Le visage du juste mourant, est un livre ouvert ou Phomme de bien trouve sa consolation, ou le vice lit en si- lence sa honte, & palit de confusion.

3. Le Castor, va batir, jusqu'au fond des eaux d'un etang, Pasyle qu'il se prepare, & sait elever des digues pour le ren- dre inaccessible par Finondation.

4. Mons. De Moivre etait Fran^ais d'origine, & tres il- lustre par la profonde connaissance qu'il avait de Palgebre & des mathematiques. Aujourd'hui ; ce nom s'allie aux noms des Carnot, des Chaptal, des Monge, & des La Place que le genie de la France s'est, deja, plu a graver dans le temple de Pimmortalite !

5. Le Nautile est un poisson a quatre pattes dont la struc- ture est semblable a celle d'un navire. Quand il veut s'elever du fond de la mer, il retourne sa coquille sens dcssus des- sous, & a la faveur de certaines parties de sou corps, qu'il

122 ESSAY ON .MAN.

gonfle ou qu'il resserre a volonte, il traverse toitte la masse des eaux. En approchant de la surface, iJ retourne adroite- ment son petit navire, dont il vide Feaii, a Pexception de ce qui lui en faut pour le lester, & pour marcher avec autant de siirete que de vitesse, Alors, i! eleve deux pattes en Pair qui lui servent de mats, entre les quelles il etend une membrane en forme de voile; & il se sert des deux autres, comme de deux rames, pour fendre la vague de Peau. A Papproche d'un ennemi, ou dans les tempetes, il baisse ses mats & sa voile, retire ses rames, & penchant sa coquille, il la remplit d'eau pour se precipiter plus aisement sous les ondcs. On voit communement ce poisson dans la Mediter- ranee, k on pretend que c^est de lui, que les hommes ont appris a naviguer.

6. Le dix-neuvieme siecle en offre un autre exemple, & pour ce motif de grandeur sublime, uni a tant d' autres, qu'il me soit permis de le designer par un caractere particulier. Je le nommerai le siecle de Napoleon, ou celui de la Gloire.

C'est ce Heros, qui, a son retour, en France, de ses con- quetes de Malte, d'Egypte & de la Syrie, y foudroya Pim- piete & Patlieisme, & y resserra, par une religion divine, les liens qui avaicnt cesse, pendant Panarchie, d'unir Phomme a son createur !

Ce sublime elan d'unc ame grande & magnanime, que le burin de Phistoire transmettra a la posterite, aura aussi la gloire de lui apprendre, que c'est a ce Grand Homme que PEspagne est redevable de la destruction de la plus execra- ble des institutions humaines : d'une institution qui, pendant trois siecles, servit a verser le sang de plus d'un million dc

ESSAI SUR L'HOMME. 123

victimes, qu^in Dieu, essenticllement bon, ne crea point pour les flammcs, pour les tortures, ou pour etre egorgees.

Ferdinand v, etablit I'inquisition en Espagne^f Napoleon, Pabolit;* & Ferdinand vii. la retablit.ij: Le premier, que Phumanite abhorre, eut, pour ses guides, Tignorance & I'hy- pocrisie; le second, que I'univers admire, cherit & venere, montra les vertus de son coeur en suivant la morale de PE- vangile; & le troisieme, dont I'existence est un crime, n'est qu'un meprisable bigot dans les mains de la cruaute, & de la plus stupide superstition.

Heros du siecle de la Gloire ! Vengeur de la religion & de la vertu ! Vengeur de Pinnocence & bienfaiteur de la France! re^ois I'hommage pur & sacre, que te presente im Americain au noni de Phumanite !

NOTES

SUR

LA QUATRIEME EPITRE.

1. Tout concourt au bien commun dans le systeme uni- versel. Tout homme a sa place assignee dans le meilleur ordre des choses ; il s'agit de trouver cette place & de ne pas pervertir cet ordre. Le bonheur n'est qu'une illusion, que le chagrin suit & precede. Mortel ! songe qu'il importe peu que la vie te soit chere ; c'est une fleur qui nait, & va s'evanouir.

t En 1480. * En 1808. ' t En 1814.

N./

124 ESSAY O^ MAN.

2. Les biens sont moins a ceux qui les possedent, qu'a ceux qui savent s'en passer.

3. Henry, Francois, Xavier de Belsunce, signala son zele & sa charite durant la peste qui desola cette ville, en 17£0 & 1721. II avait ce qui ne craint, ni la mort, ni le temps, ni la puissance humaine; Pesperance, la sagesse & la vertu.

Le mal attaquait successivement toutes les parties du corps : les symptomes en etaient effrayans, les progres ra- pides, les suites presque toujours mortelles. Des les pre- mieres atteintes, I'ame perdait ses forces, le corps semblait en acquerir de nouvelles; & c'etait un cruel supplice de re- sister a la maladie, sans pouvoir resister a la douleur.

Si cet homme vertueux, n'obtint pas tout le succes que meritaient ses soins & ses sacrifices, il donna du moins, dans les scenes de deuil & d'horreur, des consolations & des es- perances, qui faisaient supporter le mal present, pour un avenir de bonheur eternel.

Fenelon, Pimmortel auteur de Telemaque, avait deja donne en 1709, le premier exemple d'un si beau trait d*hu- manite. Cette epoque desastreuse & terrible, cette annee, la plus funeste des dernieres annees de folic, de bigoterie, d'intrigue, & de despotisme de Louis xiv, vit le fleau terrible de la famine se repandre avec fureur dans toute la Provence.

Les Fran9ais accables a-la-fois par une guerre malheu- reuse, par les impots, & par les depenses excessives de ce despote orgueilleux, sont livres au decouragement & au desespoir. L'armee, alors la seule defense de Petat, attend, en vain, sa subsistance des magasins qu'une coupable impre- voyance empecha de remplir. Mais, le gouvernement Bri- tannique, qui ne cesse d'etre aux aguets des attentats & des

ESSAI SUR L^IOMME. 125

crimes, & dont I'instinct est semblable a celui des betes de proic, en est bientot instruit & y accourt; parceqifil y a, ce qui peut, seul, assouvir sa passion dominante; de I'or, dii sang, & des cadavres. II jette siir le territoire Francais des bataillons de mercenaires, que guident Pardeur du pillage & la rage de nouveaux sacrifices humains. Plus cruels que la famine, ils egorgent ce qu'elle avait epargne, & ajoutent en- core la terreur & la consternation a tant de fleaux accumules. La terre sterile sous les flots de sang qui I'inondent, devient cruelle & barbare comme les hommes qui la ravagent, & I'on s'egorge en mourant de faim. Les campagnes sont desertes, & leurs habitans epouvantes fuient dans les villes. Les asyles manquent a la foule des malheureux. C'est alors que le vertueux Fenelon fit voir, que les coeurs sensibles, a qui Pon reproche d'etendre leurs affections sur le genre bumain, n'en aiment pas moins leur patrie. II donne I'exemple de la generosite ; il envoie le premier toutes les recoltes de ses terres, & I'emulation gagnant de proclie en proche, les pais d'alentour font les memes efforts, & I'on devient liberal me me dans la disette* Son palais est ouvert aux malades, aux blesses, aux pauvres sans exception. II engage ses re- venus pour faii-e ouvrir des demeures a ceux qu'il ne saurait recevoir. II leur rend les soins les plus charitables ; il veille sur ceux qu'on doit leur rendre. II n'est effraye ni de la contagion, ni du spectacle de toutes les infirmites humaines rassemblees sous ses yeux. II ne voit en eux que Phumanite souffrante. II les assiste, leur parle, les encourage & les console. Ob ! comment se defendre de quelqu'attendrisse- ment, en voyant cet bomme venerable par son age, par son rang, par ses lumiercs, tel qu'un genie bienfaisant, au milieu

126 ESSAY ON MAN.

de tons ces malheureux qui le benissent, distribuer les con- solations & les secours, & donner les plus touchans exemples de ces memes vertus, dont il avait donne les plus touchantes lemons.

4. Abel, second fils de nos premiers parens, offrait a Dieu les premices de ses troupeaux; Cain, son frere, jaloux de ce que ses offrandes n'etaient pas si agreables au ciel, le tua. Pan 3874 avant Jesus-Christ.

5. Pope fait, sans doute, allusion a la triste fin de Pline. Ce celebre naturaliste ayant voulu examiner, de trop pres, Pembrasement du mont Vesuve qui arriva Pan 79 de J. C, fut tout-a-coup enveloppe d'un tourbillon de cendres & de vapeurs sulphureuses qui le suffoquerent*

6. Jean Calvin, second chef du protestantisme, naquit a Noyon, en France, le 10 Juillet 1509. On Pa compare a Luther, plus impetueux & moins souple que lui, mais aussi hardi a enfanter des opinions & aussi ardent a les soutenir. 11 mourut a Geneve le 27 Mai, 1564, a 55 ans, laissant un grand nom, beaucoup d'admirateurs, & encore plus d'enne- mis.

7. C'est le nom d'une des plus grandes maisons d' Angle- terre, d'ou sont sortis les seigneurs de Graffton, depuis comtes de Shresbury.

8. Le Rubicon qui servait de limites entre la Gaulc Cisal- pine & le reste de PItalie, est aujourd^hui le Pisatello qui coule dans la Romagne. Le Senat de Rome rendit. Pan 49 A. D. un decret qui condamnait a mort, tout commandant qui le passerait avec une cohorte. Cesar le passa a la tete de dix legions, marcha sur Rome, s'en rendit maitre & la mit dans les fers. Mais j Brutus, le noble Brutus j vengea.

ESSAI SUR L'HOMME. 127

bientot apres, la liberte de sa patrie dans le sang dc Pusur- pateur & du tyran.

9. Francois Bacon, baron de Verulam & vicomte de Saint- Albans etait grand chancelier d'^Angleterre, Ses vices, sa corruption & ses crimes, etaient dignes de Pinfame gouverne- ment qui le tenait a ses gages.

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