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EVYRES

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LOVÏZE LABE.

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EVVRES

DE

LOVIZE LABÉ

LIONNOIZE.

A LION

PAR DVRAND ET PERRIN,

M. DCCC. XXÎIII.

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BIBLIOTHECA

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43S

P A T R I A E

A M I C I T I A E

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M V S I S

AVERTISSEMENT.

CjETïE édition de Louise Labé n'est pas îe pro- duit d'une spéculation mercantile : les frais en ont été faits par une société de gens de lettres de Lyon , la plupart membres de l'académie et du cercle littéraire de cette ville , qui ont voulu rendre un nouvel hommage à la mémoire d'une femme justement célèbre , que leur patrie s'ho- nore d'avoir vu naître. Les exemplaires en seront partagés entre eux, et distribués à leurs amis. On peut donc être sûr qu'ils n'iront prendre place que dans des bibliothèques appartenant à de vrais littérateurs et à des hommes d'un goût distin-

viij AVERTISSEMENT,

gué. Les cinq éditions faites avant celle-ci , mais surtout les trois d'entre elles dont la publication eut lieu du vivant de l'auteur, sont aujourd'hui extrêmement rares, et presque introuvables. On est cependant venu à bout de se les procurer toutes, et il en est résulté pour cette réimpression l'avantage d'avoir été soigneusement collation- née avec les textes primitifs. On espère que cet avantage n'est pas le seul qu'elle offrira , et que les accessoires dont elle est enrichie , contribue- ront aussi à lui assurer sur les éditions précé- dentes une grande supériorité.

Un Dialogue, composé par M. DuMAS, sert de préface : sous une forme, pour ainsi dire, dra- matique , il fait connoître le caractère de Louise Labé et le genre de son talent , ainsi que les rapports et les différences qui existent entre elle et l'immortelle Sappho; et il finit par signaler le but qu'on s'est proposé d'atteindre, en repro- duisant pour la sixième fois le recueil entier de ses ouvrages.

AVERTISSEMENT. ix

Dans une Notice historique mise à la suite de ce dialogue, M. COCHARD a rassemble tous les détails et tous les renseignements qu'il a pu dé- couvrir sur la vie , la personne et les écrits de Louise Labé; il a consulté nos archives muni- cipales et un grand nombre d'auteurs , et s'est principalement appliqué à justifier l'illustre Lyon- noise des imputations calomnieuses dont elle a été l'objet. Ce travail biographique a été com- plété par M. Breghot dans des notes il a consigné ses recherches particulières , et indi- qué fidèlement les sources oi^i les faits ont été puisés.

M. Breghot, chargé, en outre, du soin de diri- ger l'entreprise et de surveiller l'exécution ty- pographique, a rédigé un Commentaire, impri- mé immédiatement après le texte , et destiné à offrir des preuves de l'érudition peu commune de Louise Labé, et l'explication des passages dif- ficiles et des allusions fréquentes , soit à l'his- toire , soit à la mythologie , que l'on rencontre

X AVERTISSEMENT,

dans ses œuvres ; il a enfin terminé le volume par un Glossaire des mots dont elle a fait usage , qui ont cessé d'appartenir à notre langue.

Puisse l'exemple donné par cette publication être bientôt imité ! Louise Labé n'est pas le seul écrivain dont Lyon ait droit de s'enorgueillir : il en est plusieurs autres dont les productions mériteroient aussi d'être plus répandues, et qui seroient dignes de reparoitre avec les mêmes honneurs.

DIALOGUE

ENTRE

SAPPHO ET LOUISE LÂBÈ/

LOUISE.

JMoN, non, illustre amie, je n'ai la prétention de vous avoir ëgale'e, ni dans les triomphes de la poésie , ni dans les succès de l'amour.

SAPPHO.

Il me semble, ma chère Louise, que vous ne vous

rendez pas assez de justice. Si j'ai e'té nommée la dixième

Muse, vous avez passé vous-même pour une Muse fort

aimable ; et quoique nous soyons nées à plus de deux

* On a souvent comparé Louise Labé à Sappho. Notre belle Lyonnoisc semble avoir offert elle-même l'idée de ce rapproche- ment. Au commencement de sa première ëiégie, elle annonce que le moment est venu pour elle de faire des vers, et que Phe'- bus la remplit d'ardeur :

Il m'a donné la lyre , qui les vers Souloit chanter de l'Amour Lesbienne.

xij DIALOGUE

mille ans d'intervalle, on vous a justement comparée à moi. Lyon, sous ce rapport, n'a rien à envier à Lesbos.

LOUISE.

Mais vos concitoyens ont grave sur leur monnoie leur

admiration pour vous, en y gravant votre image. Les

poètes et les écrivains de la Grèce et de l'Italie vous

ont célébrée à Tenvi, et Silanion vous éleva une statue

en Sicile.

SAPPHO.

Si vous n'avez eu ni des statues, ni des médailles em- preintes de votre figure, c'est dans les coeurs que vous avez pris place. Italiens , François , Espagnols , tous les beaux esprits de votre siècle ont, suivant leur langage, fait retentir de vos louanges les éclios du sacré vallon. Vous ne pouvez pas en disconvenir, car vos propres écrits en font foi. Dans une de vos élégies, ne dites- vous pas à votre amant dont vous ne recevez aucune nouvelle :

Si toutefois , pour estre énamouré En autre lieu, tu as tant demeuré, Si sây ie bien que t'amie nouuelle A peine aura le renom d'estre telle, Soit en vertu, beauté, grâce et faconde, Comme plusieurs gens sauans par le monde M'ont fait à tort, ce croy ie, estre estimée. Mais qui pourra garder la renommée? Non seulement en France suis flatee, Et beaucoup plus, que ne veus, exaltée. La terre aussi que Calpe et Pyrenee Auec la mer tiennent enuironnee, Du large Rhin les roulantes areines , Le beau pais auquel or' te promeines

ENTRE SAPPHO ET LOUISE LABÉ. xilj

Ont entendu (tu me l'as fait à croire)

Que gens d'esprit me donnent quelque gloire.

Ce que les gens d'esprit faisoient sous François l.^'', ils le font encore sous Louis XVIII. J'apprends même qu'au- jourd'hui, plus de deux siècles et demi après votre mort, quelques-uns de vos concitoyens vous érigent un nou- veau monument, aux applaudissements du bon goût.

LOUISE. Je viens de l'apprendre aussi, et ma modestie en rougit. Ce monument est la reimpression de mes œu- vres le'gères. Ce sont les vôtres que la postérité regrette et que la presse réclame.

SAPPHO. Il est vrai que l'on m'admire un peu sur parole.

LOUISE.

Votre gloire n'en a pas moins acquis le mérite et la force de la chose jugée. Vos hymnes, vos odes, vos élé- gies, et quantité d'autres pièces, composées par vous, la plupart sur des rhythmes que vous avez introduits vous-même, sont toutes brillantes d'expressions heu- reuses et riches, dont vous faisiez présent à la langue. Rien n'égale les couleurs, l'harmonie et la hauteur de votre poésie lyrique.

SAPPHO.

Sur quoi donc porte un jugement si favorable? sur deux pièces seules que vous trouvez dans le petit re- cueil de celles d'Anacréon. En vérité, c'est être célèbre à bon marché. Pour vous, Louise, le bagage de votre gloire, s'il n'est immense, est du moins plus considé- rable, et l'on va voir éclater de nouveau le feu, l'es-

xiv DIALOGUE

prit et la délicatesse de vos compositions dans cette édi- tion lyonnoise, qui ne s'engloutira pas, j'en suis sure, dans les gouffres de notre Le'thë.

LOUISE. Si quelque chose me le fait espe'rer, c'est que l'ëquité publique pèsera sans doute dans sa balance les difficul- tés du temps j'écrivois. Alors les lettres commen- çoient à renaître dans ce beau pays de France , qui restera la capitale du monde j les savans s'ensevelis- soientdansla poussière des bibliothèques, comme pour préparer les succès des siècles suivants; mais aucune femme n'avoit encore manié le pinceau, le burin ou la lyre.

SAPPHO. Elles s'en sont bien dédommagées depuis. *

*Ce n'est sans doute pas une épigrammequeSapphoveutfaire, De notre temps, Mesdames de Staël, deGenlis, deFJahaut, Cot- tin, Bourdic-Viot, Dufrénoy, Desbordes-Valmore, d'Hautpoul, de Mandelot, Amable Tastu, Bernier, Gay, Souza, Montolieu, et tant d'autres, ont prouvé que le beau sexe a la main assez forte et assez habile pour cultiver avec succès le domaine de la littéra- ture. La peinture peut s'enorgueillir justement des Lebrun, des Fragonard, des Benoit; et parmi les statuaires, il nous sera per- mis de citer ici, avec une certaine fierté nationale, M."*^ de Ser- mézy, de l'académie de Lyon, artiste fort distinguée, à laquelle on doit le Platon , et beaucoup de compositions charmantes d'une moins grande dimension. Cette dame joint à son talent une instruction immense et une modestie qui en augmente le prix. Elle peut montrer à Louise Labé que l'érudition n'est pas perdue dans le sexe et dans la patrie de la Belle Cordière.

ENTRE SAPPHO ET LOUISE LABÉ. xv

LOUISE. Vous, contemporaine et rivale d'Alcee dans les beaux jours de la Grèce, vous avez été jugée sans avoir be- soin d'indulgence, et Ton ne craint pas de s'égarer en suivant l'opinion unanime d'Aristote, de Démétrius, de ])enys, de Cicéron, d'Horace, de Plutarque et de Lon- gin. D'ailleurs, le peu d'écrits qui nous reste de vous prouve suffisamment avec quelle force de génie vous nous entraînez, lorsque vous décrivez les charmes, les transports et l'ivresse de l'amour,

SAPPHO. Ab! l'amour, l'amour, chère Louise. C'est l'être infini, la lumière pure, la source de la vie. L'amour est l'étoffe de la nature que l'imagination a brodée.

LOUISE. Halte-là, Sappho. Ce n'est pas du grec, c'est du Vol- taire que vous citez , et vous me dérobez une image qui appartiendroit tout naturellement à ma ville natale. N'importe, au nom d'amour, je le vois, vous retrouvez votre enthousiasme et la chaleur de vos tableaux. Do- minée, comme la Pythie, par le dieu qui vous agitoit, vous jetiez sur le papier des expressions enflammées. Vos sentiments y tomboient comme une grêle de traits, comme une pluie du feu qui va tout consumer. Dans vos écrits, tous les symptômes de cette passion s'ani- ment et se personnifient, pour exciter les plus fortes émotions de l'âme *. S'il falloit rappeler des exemples transportés dans notre langue....

* Barthélemi, Voyage du ieurie Anacharsis, chap. in.

xvj DIALOGUE

SAPPHO. Oui, je sais que votre Boileau et votre Delille m'ont fait riionneur d'être mes interprètes.

LOUISE.

N'ont -ils pas assez bien rendu votre éloquence du

sentiment?

Heureux celui qui près de toi soupire, Qui sur lui sfui attire ces beaux yeux, Ce doux accent et ce tendre sourire! Il est égal aux dieux.

De veine en veine une subtile flamme Court dans mon sein, sitôt que je te vois; Et dans le trouble s'e'gare mou âm.e, Je demeure sans voix.

Je n'entends plus; un voile est sur ma vue; Je rêve et tombe en de douces langueurs; Et sans haleine, interdite, éperdue, Je tremble, je me meurs.

SAPPHO. Mais vous-même, si je ne me trompe, vous paroissez avoir bien connu les impressions, les effets et le délire de l'amour; et, sur ce point encore, il n'est pas certain que la Lesbienne l'emporte sur la Lyonnoise. Sans par- ler de votre charmante allégorie du Dehat de Folle et â^ Amour ^ que votre imitateur La Fontaine n'a pu faire oublier, vous donnez, dans plus d'un passage, l'essor à la passion la plus vive ;

SONNET Vfll.

le vis, ie meurs: ie me brûle et me noyé. l'ay chaut estreme eu endurant froidure :

ENTRE SAPPHO ET LOUISE LABÉ. xvij

La vie m'est et trop molle et trop dure, l'ay grans ennuis entremeslez de ioye :

Tout à un coup ic ris et ie larmoyé, Et en plaisir maint grief tourment i'endure; Mon bien s'en va, et à iamais il dure : Tout en un coup ie seiche et ie verdoyé.

Ainsi Amour inconstamment me meine: Et quand ie pense auoir plus de douleur, Sans y penser ie me treuue hors de peine.

Puis quand ie croy ma ioye estre certeine. Et estre au haut de mon désire heur, Il me remet en mon premier malheur.

SONNET xvin.

Baise m'encor, rchaise moy et baise; Donne m'en un de tes plus sauoureus, * Donne m'en un do tes plus amoureus: le t'en rendray quatre plus chaus que braise.

Las, te pleins tu? ça que ce mal i'apaise. En t'en donnant dix autres doucereus. Ainsi meslans nos baisers tant heureus louissons nous l'un de l'autre à notre aise,

* Il faut espérer que les érudits nous apprendront quels bai- sers préféroit Louise Labé. Il y a je ne sais quelle religion at- tachée à certaines parties du corps : le revers de la main, par exemple, se présente au baiser...; mais si nous appliquons le baiser aux yeux, nous semblons pénétrer jusqu'à l'âme et la tou- cher. Inest et aliis partibus qucedam religio: sicut dextra osculis aversa appetitur. .. hos (ocutos) cùm osculamur, animum ipsum ■videmur attingere.

ij

xvilj DIALOGUE

Lors double vie à chacun en suiura. Chacun en soy et son ami viura.

LOUISE. Il est vrai que ce morceau est assez anime'. Mais je n'oubliois pas que

La pudeur fut toujours la première des grâces.'*"

Craignant de l'avoir effarouchée et d'avoir éveille la médisance, je me hâtois de me justifier en invoquant l'amour lui-même :

Permets m' Amour penser quelque folie :

Tousiours suis mal, viuant discrettement. Et ne me puis donner contentement, Si hors de moy ne fay quelque saillie.

SAPPHO. Ainsi, suivant l'usage, c'ëtoit l'amour qui vous ren- doit coupable , et c'etoit lui qui vous servoit d'excuse.

LOUISE. Peut-être avons -nous eu tort de tant nous occuper de l'amour. Comme on ne connoissoit pas assez les dé- tails de notre vie, on a conformé nos actions à nos discours, et, par nos vers trop erotiques, nous avons aiguisé contre nous les armes de l'envie.

SAPPHO. Il est certain qu'elle ne nous a ménagées ni l'une ni l'autre. Et l'envie qui s'attache aux noms illustres, meurt, à la A^érité, mais laisse après elle la calomnie qui ne meurt pas.

* La Chaussée,

ENTRE SAPPHO ET LOUISE LABÉ. xix

LOUISE. Envie ou calomnie, la mort et le temps n*ont pas efface la tache imprimée sur votre conduite 5 car la poé- sie sapphique n'a pas seule reçu votre nom.

SAPPHO. Un de nos meilleurs écrivains * en a fait la remarque judicieuse : de grandes indiscrétions suffisent pour flé- trir la réputation d'une personne exposée aux regards du public et de la postérité. La chaleur de mes expres- sions a servi la haine de quelques femmes puissantes humiliées de ma supériorité. Vous voyez qu'ici-has on parle sans feinte modestie.

LOUISE.

Continuez, je vous prie: j'attache beaucoup de prix à voir réhabiliter votre mémoire. Il est temps de con- fondre les odieuses imputations dont elle étoit souillée.

SAPPHO.

Eh bien! chez nous autres Grecs, la sensibilité étoit extrême. Les liaisons les plus innocentes empruntoient souvent le langage de l'amour. Que n'a-t-on pas dit du sage Socrate et de ses élèves ? J'aimois avec excès mes disciples, parce que je ne pouvois rien aimer autre- ment j je leur exprimois ma tendresse avec la violence de la passion, et voilà tout.

LOUISE.

Comment! voilà tout! Vous n'auriez pas eu d'amants? Les sens n'auroient eu sur vous aucun empire 5 et la chimère de Platon....

* Barthélemî.

XX DIALOGUE

SAPPHO.

Gardez -VOUS de le croire, V amour platonique chez tes femmes est le sophisme de la pudeur. Sans vous arrêter sur mon mari, Cercale d'Andros, que j'aimois au moins autant que vous avez aimé le bonhomme Perrin, ce cordier dont votre beauté * immortalisa la profession et le domicile, j'eus, comme vous, d'assez nombreux ado- rateurs^ mais leurs succès sont notre secret, et dans leur docte et curieuse incertitude, nos biographes feroient bien de garder sur ce point un silence respectueux pour notre sexe et pour nous.

LOUISE.

Sans doute, si nos actions d'éclat n'avoient pas été trop indiscrètes. Il est fâcheux qu'en montrant ma bra- voure au siège de Perpignan, j'aie montré aussi mon attachement pour l'amant que j'y suivis ** 5 et le saut

* La tradition a consacré la beauté de Louise Labé. Tous les auteurs ses contemporains ont vanté ses attraits et ses charmes, et bien que son portrait ne soit pas arrivé jusqu'à nous, on a recueilli d'agréables détails sur sa taille et sur sa figure. Beau- coup de gens consciencieux doutent, au contraire, que Sappho fût aussi célèbre par sa beauté que par son génie. Les images qui nous restent de cette Muse lesbienne, ne nous donnent pas même l'idée d'une figure passable, et l'indifférence de Phaou, ses refus obstinés de répondre à la passion de Sappho, sont parfaitement d'accord avec l'iconographie : mais le génie em- bellit tout.

^'^ Quelques personnes pensent que Louise conçut dans les camps cette première et vive passion. Mais il est bien probable que, dans l'âge le plus tendre, une fille doit sa valeur à son

ENTRE SAPPHO ET LOUISE LABÉ. xxj

périlleux que vous avez fait à Leucade, n'a pas laissé ignorer votre passion désespérée pour Pliaon,

SAPPHO. Pouvons-nous clianger la marche de la nature ? Les passions sont chez les hommes, comme le souffle des vents, nécessaires pour mettre tout en mouvement, quoi- qu'ils causent des orages *.Si j'en crois un de vossuhli- mes orateurs**, qui eut souvent des inspirations lyriques, les passions ont une infinité qui se fâche de ne pouvoir être assouvie. Je me trouvai dans ce cas à l'égard de Phaon qui me refusoit son hommage. L'infinité de ma passion se fâcha un peu des dédains de ce jeune Leshien, que les parfums de Vénus avoient rendu si beau. Mais les poursuites du turbulent Alcée ne me firent point sor- tir des bornes du devoir , et lorsqu'il m'écrivit qu'il voudroit s'expliquer, mais que la honte le retenoitj vous savez ce que je lui répondis.

LOUISE. Non, je ne m'en souviens plus.

SAPPHO. « Votre front n'auroit pas à rougir, lui répondis- se je, si votre cœur n'étoit pas coupable. ??

LOUISE.

C'est fier et beau. Ainsi ce n'est que par amour pour la liberté qu' Alcée vous engagea dans la conspiration contre Pittacus, et que vous fûtes bannie de Mitylène?

amour, plutôt qu'elle n'est transportée d'une ardeur guerrièire sans motif et sans objet.

* Fontenelle.

** Bossuet.

m

xxij DIALOGUE ENTRE SAPPHO, etc.

SAPPHO.

Ah! cet amour sacre de la liberté fut sans doute mon premier titre à la yéne'ration de mes concitoyens.

LOUISE.

Lorsqu'on cherclie à se soumettre des esclaves, est-il convenable de prêcher la liberté? Pour moi, je ne me suis jamais mêlée d'affiiires publiques. J'ai toujours cru que les hommes aimoient mieux voir une quenouille dans les mains d'Hercule, que d'entendre des théories politiques dans la bouche d'une femme.

SAPPHO.

Voilà justement pourquoi on n'a point frappé de mon- noie à votre effigie, ni dressé votre statue sur les bords du Rhône et de la Saône.

LOUISE.

Oui ;mais votre monnoie n'a plus de cours, votre sta- tue de Sicile est en poudre , vos écrits même ont disparu , et, comme vous l'avez dit vous-même, ma patrie con- sacre en ce moment a ma gloire un sixième monument que le temps ne sauroit détruire.

SAPPHO.

Rendez-en grâces à cet art merveilleux, inconnu de mon siècle, qui changera progressivement la face du globe, en assurant la liberté des peuples et l'immorta» lité des bons rois.

NOTICE

SUR

LOUISE LABÉ.

(Les notes marquées par des chiffres sont de M. CocHARD , auteur de cette Notice ; celles qui sont marquées par des astérisques sont de M. Breghot.)

Un sait combien le règne de François I.^^' fut favo- rable aux. lettres : ce prince éminemment instruit sentoit plus que tout autre à quel point l'ignorance est perni- cieuse, et contribue au malbeur des liommes ; il en- couragea les études par tous les moyens qui étoient en son pouvoir, soit en fondant des collèges dans les prin- cipales villes du royaume, et en plaçant à la tête de l'enseignement public les professeurs les plus expéri- mentés, soit en honorant de^a protection les savants de tous les genres, et en favorisant d'une manière spé- ciale les établissements utiles. Il acquit par-là une gloire immortelle, et la postérité reconnoissante a donné son nom au siècle où. il vécut.

Les femmes participèrent à cette heureuse améliora- tion ; leur éducation fut plus soignée, plus étendue, plus libérale ^ on ne se contenta pas de leur enseigner

xxlv NOTICE

les arts d*agrement, on les initia de bonne heure dans les mystères des sciences : les progrès qu'elles y firent prouvent que le penchant à la frivoHtë , dont on les accuse, est plutôt l'effet des institutions que celui de leur caractère*.

Cette influence ne se fit peut-être remarquer nulle part avec autant d'e'clat que dans la ville de Lyon: on y vit h cette époque plusieurs personnes du. sexe obte- nir, dans la carrière littéraire, une grande célébrité. JVos annales ont conservé les noms de Catherine de Vauzelles, de Louise Sarrasin, de Pernette du Guillet, de Claudine Péronne , de Jeanne Creste , de Jeanne Gaillarde **, qui se distinguoient alors autant par les charmes de leur esprit que par la régularité de leur conduite, et qui toutes Jouirent du rare avantage d'ins- pirer aux meilleures poètes du temps les meilleurs vers qu'ils aient mis au jour.

* «le dis que les masles et les femelles sont iectez en mesme moule; sauf l'institution et l'usage, la différence n'y est pas grande. Platon appelle indifféremment les uns et les autres à la société de touts estudes, exercices, charges et vacations, guerrières et paisibles, en sa Republique ; et le philosophe Antisthenes ostoit toute distinction entre leur vertu et la nos- tre. Il est bien plus aisé d'accuser l'un sexe que d'excuser l'autre. C'est ce qu'on dict , le fourgon se mocque de la paele. » MONTAIGNE, Essais (ni, 5). ** Ajoutez à ces noms celui de Jacqueline de Stuard, et ceux de Claudine et Sibylle Sceve, célébrées, ainsi que Jeanne Gail- larde, par Clément Marot. Voy. Colonia, Histoire littéraire de Lyon (tome n, page 53c)).

SUR LOUISE LABÉ. xxv

Mais celle que sa réputation éleva au-dessus de toutes les autres , est Louise Charly ou Cliarlin, dite Labé, sur- nomme'e la Belle Cordièrc. uSupe'rieure à la plupart des « écrivains de son temps, elle l'emportoit sur eux tous a par le tour passionné et la vérité de sentiments qu'elle « savoit mettre dans ses poésies. •>•> Elle l'emportoit en- core sur eux par la variété de ses connoissances, par une profonde érudition et par une richesse d'expres- sion qu'on ne peut s'empêcher d'admirer en lisant ses ouvrages. Elle joignit encore à ces brillants avantages la beauté et les grâces naturelles.

Les savants de son temps , nous dit Pernetti , char- més de ses talents et de sa figure, se sont bornés à la louer, sans daigner nous apprendre ni sa naissance, ni sa famille: ceux qui leur ont succédé, loin de s'atta- cher à éclaircir des faits aussi essentiels, se sont permis, au contraire, de répandre sur ses mœurs une couleur fausse ou équivoque, capable d'obscurcir l'éclat de ses belles qualités.

Charles-Joseph de Ruolz, dans un discours lu a l'aca- démie de Lyon, au mois d'avril 1746*, a bien vengé

* Discours sur la personne et les ouvrages de Louise Labé, lyonnoise, Lyon, Aymé Delaroche, lySo, in-i3, de 63 pages. Cet ojîuscule est devenu très-rare. M. Delaudine, dans son Ca- talogue des manuscrits de la bibliothèque de Lyon, n."* loSa et 1468, se trompe iloublement; i.** en attribuant le discours dont il s'agit à J. P. (Marie) de Ruolz; 2.° en donnant tour à tour à ce même J. P. Marie et à Charles-Joseph de Ruolz, son fils, la qualité d'éditeur des œuvres de Louise Labé, qualité qui n'appartient ni à l'un ni à l'autre. L'édition dont veut parler

xxvj IVOTICE

Louise Labé des traits lancés contre elle 5 mais il ne nous a donné aucun détail biographique qui fût inconnu ayant lui.

Pernetti * est le seul qui ait fourni quelques particu- larités sur cette femme intéressante : M. Besson, com- missaire à terriers, de qui il les tenoit, les avoit pui- sées dans les archives de l'archevêché, u Louise Lahé, « dit-il, étoit fille d'un nommé Charly, dit Lahé; En- te nemond Perrin, son mari, marchand cordier fort a riche, possédoit plusieurs maisons à Lyon, une, entre u autres, située à l'angle de la rue Confort et d'une a petite rue tendant à la porte de Bellecour. Cette der- u nière rue fut ouverte alors, et prit dans la suite le « Tîioiaàe Belle Cordlère^ qui étoit le surnom de Louise à Lahé. Ennemond Perrin étoit mort en i565, après <■<: avoir fait sa femme son héritière universelle : il lui <;< avoit substitué Jacques et Pierre Perrin, ses neveux,

M. Delandine, est de 1762; or, J. P. Marie de Ruolz e'toit mort depuis 1726, et Charles-Joseph se noya avec sa femme et son frère, en traversant la rivière d'Ain, le 10 juillet 1756. On con- cevra d'autant plus difficilement l'erreur du savant hibliothé- caire, qu'il indique lui-même ailleurs, comme nous le verrons plus bas, les Lyonnois qui publièrent l'édition de 1762, et que, parmi eux, il ne mentionne aucun des membres de la famille de Ruolz.

* Recherches pour servir à l'histoire de Lyon, ou les Lyon- nois dignes de mémoire, Lyon, frères Duplain, 1767, 2 vol.in-12 (tome I, page 348). En citant le texte de cet ouvrage, M. Co- chard y a fait quelques changements qui ne touchent point au. sens.

SUR LOUISE LABÉ. xxvij

<,<. fils de François Perrin , et , à leur défaut , THôtel- « Dieu. Louise Labé étoit morte au mois de mars i566. <6 Jacques et Pierre Perrin, héritiers substitués, étant « aussi morts sans enfants . l'HAtel-Dieu entra aussitôt en (.<. possession des biens d'Ennemond Perrin. La maison, « d'abord vendue à noble homme *, conseiller au par- ce lement de Grenoble , passa ensuite dans les mains du (.(. sieur de Courtine, écuyer, et, après lui, dans celles « du sieur Dupré, négociant. ?? Ces renseignements, inexacts sur quelques points, sont précieux à recueillir sur tous les autres.

Le désir de rendre à la mémoire d'vine femme qui a honoré son siècle et sa patrie, le tribut d'éloge qui lui est dû, m*a porté à faire quelques recherches ; je suis parvenu à me procurer le testament de Louise Labé, et plusieurs autres documents qui me permettront de donner sur sa vie des détails ignorés jusqu'à ce jour par toMS les auteurs qui ont parlé d'elle.

Loyse Charlin ^ , dite Labé ** (ainsi nommée dans son

* Pernetti ou sou imprimeur ont omis en cet endroit le nom du conseiller avi parlement de Grenoble, qui y est désigne'. Ce conseiller se nommoit Berthier, comme on le verra plus bas.

^ A la tête de l'édition de ses œuvres, publiée en 1762, elle est nommée Charly^ dans son testament Charlin^ et dans divers actes Charlieu,

** LaMonnoye, Glossaire bourguignon, v." Ein're , observe que c'est ainsi que ce nom doit être écrit, et non VAhé, VAbbé ou Lahe ; et il ajoute: « Bayle, qui a écrit Labe, a été trompé par « l'orthographe d'Antoine du Vcrdier, lequel n'accntuoit pas les « é fermés lorsque les lettres étoient capitales, écrivant Aivdre

xxviij NOTICE

testament), naquit à Lyon vers Tan i525 ou iSsG ^. Elle eut pour père Pierre Gharlin ou Gharlieu, dit Labé, marchand cordier. Le nom de sa mère est inconnu. Le genre de commerce qu'avoit embrassé Pierre Gharlin ,

« et René pour André et René , Anne d'Urfe pour Anne « d'UrfÉ, et ainsi du reste, ce qu'il est bon d'observer pour « éviter les me'prises. »Une chose de'cisive, c'est qu'on litLABÉ, avec un è fermé, à la tête des trois éditions des œuvres de la Belle Cordière, publiées sous ses yeux. Quant aux deux è, que plusieurs auteurs mettent à ce nom, ils doivent être rejetés par le même motif. Cependant, comme dans le système d'ortho- graphe suivi dans les éditions dont je viens de parler, on retran- choit souvent les lettres doubles, il se pourroit que la véritable manière d'écrire ce nom fut Lahhé, A cette époque, le lyonnois Loys Maigret ou Meigret, et Pellelier ou Peletier du Mans fai- soient de grands efforts pour réformer l'orthographe françoise, et le goût d'innovation qu'ils avoient mis sur ce point à la mode, n'épargnoit pas même les noms propres.

* L'élégie III de notre savante Lyonnoise détermine cette époque :

le n'auois vu (dit-elle) encore seize Hiuers , Lors que i'entray en ces ennuis diuers ; Et voici le treizième esté Que mon cœur fut par Amour arresté.

Elle écrivoit en i555, et avoit alors 29 ans. Ceci place donc naturellement sa naissance à l'année iSaS ou iSsô, et le com- Hiencement de ses amours, à l'année i542. IJn acte de 1624 m'apprend que Gharlieu étoit veuf d'Étiennette Deschamps, aZm,f Compagnon, qu'il en avoit eu trois fils, Barthélémy, Fran- çois et Matthieu. Ainsi Louise n'est née que postérieurement et d'un second mariasse.

SUR LOUISE LABE. xxix

etoit alors moins resti^eint qu'il ne l'est aujourd'hui : il s'etentloit à la fourniture des cables et des autres cor- dages nécessaires au service de la navigation, tant sur la Me'diterranée que sur les rivières et les fleuves qui j ont leur embouchure. La proximité se trouve cette ville, de la Bourgogne, de la Bresse et du Dauphiné, qui produisoient en abondance du chanvre de la plus belle espèce, le grand nombre de marchands cannebas- siers qui habitoient Lyon, l'industrie de ses habitants qui les portoit à exploiter tous les arts utiles, et la fa- cilité de communiquer avec Marseille, rendent cette conjecture extrêmement probable^ mais ce qui lèveroit tous les doutes h cet égard, s'il en restoit encore, c'est que plusieurs familles des plus distinguées exerçoient ce genre de négoce ^.

Deux actes de reconnoissance , consentis en i553 et i555 par Pierre Charlin ou Charlieu, dit Labé, en fa- veur de l'abbaye de St. Pierre , nous apprennent que ce particulier étoit propriétaire d'une grande maison dans la rue de l'Arbre-Sec et d'une terre de huit bicherées, dans laquelle il avoit fait construire une maison, située au territoire de la Gella, sur la côte de la Déserte ou de St. Vincent j terre qui a ensuite fait partie de l'enclos des religieuses carmélites.

Honnête homme ^ François Charlieu, dit Labé, mar-

3 Estieime et Hugouin de Cuchermois, famille qui a fourni plusieurs conseillers de ville à Lyon, étoient aussi marchands cordiers ; ils possedoient dans la rue de l'Arrbe-Sec une maison et un jardin joignant la maison de Pierre Charlieu.

XXX NOTICE

chantl cordier, fils et héritier de Pierre, reconnut ces mêmes immeubles le 21 juin i555.

Ces titres justifient que le père et le frère de Louise Labé avoient une très grande aisance, puisque, indé- pendamment des capitaux employés dans leur com- merce, ils possédoient dans la ville, comme nous venons de le voir, deux immeubles d'une valeur considérable.

Les heureuses dispositions que Louise manifesta pour l'étude, au sortir de l'enfance, déterminèrent son père à lui donner l'éducation la plus soignée ^ il lui procura les meilleurs maîtres, et elle fit bientôt dans les sciences les progrès les plus rapides. Elle trace elle-même, dans sa III. ^ élégie, le tableau fidèle des occupations de sa jeunesse :

Lors qu'exercoi mon corps et mon esprit

En mile et mile euures ingénieuses, etc., page 82.

Ainsi que la broderie, qu'elle appelle si bien au même endroit l'art de peindre auec Vesguille^ la musique étoit un de ses plus agréables délassements :

Louise ha voix que la musique auoue, Louise ha main qui tant bien au luth joue. *

Mais les arts d'agrément ne suffisoient point à une ame aussi active : tout ce qui servoit à orner l'esprit, à éclai- rer la raison, à rectifier le jugement, étoit de son res- sort. Histoire, fable, poésie, éloquence, rien ne lui

* Page 11 3. Elle dit elle-même dans son e'pitre dédicatoire à Clémence de Bourges (page 1), qu'elle avoit «passé partie de « sa jeunesse à l'exercice de la musique. »

SUR LOUISE LABÉ. xxxj

sembloit étranger, u Elle estoit, dit un auteur contem- u porain *, instituée en langue latine dessus et outre u la capacité de son sexe. 9? Elle écrivoiten italien, en espagnol, avec autant de facilité que dans sa propre langue, et réunissoit ainsi au don de la beauté tout ce qui peut contribuer au charme de la vie.

Avide de tous les genres de gloire, Louise ambitionna même celle que donne la valeur. François l.^'^ ayant résolu de faire la guerre à Charles - Quint , envoya le Dauphin, en i542, à la tête d'une armée, mettre le siège devant Perpignan , capitale du Iloussillon. Une partie des troupes destinées à cette expédition, passa dans notre ville. Notre jeune héroïne ne put les voir sans éprouver un vif désir d'aller partager leurs périls. Elle avoit alors à peine seize ans 5 mais l'ardeur qui l'animoit lui fit braver tous les obstacles j elle partit, et concourut à toutes les opérations de cette entreprise mémorable. Perpignan étoit défendu par Ferdinand de Tolède, duc d'Albe. Le siège ne fut pas heureux: on le leva après trois mois d'efforts inutiles. Cependant cet éA^énement devint pour Louise une occasion de mon- trer son courage : on peut en juger par les vers sui- vants qu'un poète contemporain publia à sa louange;

Louïze ainsi furieuse

En laissant les habiz mois, etc., page i36.

Le poète peint ensuite , avec la même vérité, l'adresse

* Guillaume Paradin, me'm. sur l'histoire de Lyon, livre Iir, çhap. 29.

xxxij NOTICE

de notre jeune Lyonnoise h manier les armes, à gou- verner un cheval, et sa contenance martiale clans ces divers exercices ^ il va jusqu'à dire :

Eir sembloit parmi l'armée

Un Achile ou un Hector, pages i36 et lùj.

Un courage si extraordinaire dans une personne de son sexe et d'un âge si tendre, lui fit donner, par les gentilshommes qui avoient accès auprès d'elle, le sur- nom de Capitaine Lof s.

Mais quel motif avoit pu porter Louise Labe à pren- dre un parti si aventureux? Ce ne pouvoit être l'amour, puisqu'elle - même nous apprend qu'elle ne le connut qu'après cette expédition. Ce dieu, dit-elle (élégie lll),

ne put longuement voir Mon cœur n'aymant que Mars et le sauoir.

Il n'y a donc que le seul désir de s'illustrer dans une nouvelle carrière qui ait pu l'entraîner à cette démar- che : elle ne s'y détermina sans doute qu'avec l'appro- bation de sa famille*, peut-être même son frère avoit-il suivi l'armée par suite de quelques spéculations de com- merce, et l'avoit-il engagée à l'accompagner*: car, autrement, comment supposer qu'une jeune fille de seize ans, bien élevée, eût pu se soustraire à la vigi-

* Dans les Recherches sur la vie de Louise Labé, placées à la tète de l'édition de ses œuvres, publiée en 1762, on conjec- ture (page viij) que son père l'accompagna au siège de Perpi- «^nan, et qu'il posscdoit dans l'armée quelque emploi utile.

SUR LOUISE LABÉ. xxxlij

lance paternelle, se procurer des armes, un clieval et tout ce qui lui ëtoit nécessaire pour exécuter un sem- blable dessein? Gomment auroit-elle garanti son inno- cence des pièges qu'elle eût sans cesse rencontrés, en vivant au milieu des camps, si elle eût été sans appui, sans guide, sans conseil?... Ce qui prouve que son ac- tion ne doit pas é!re jugée d'une manière défavorable, c'est que ses contemporains y applaudirent, que les chefs de Tarmée lui marquèrent de la considération, qu'elle continua, à son retour, de vivre avec les siens comme auparavant, que sa réputation n'en souffrit point, et que la malignité n'y trouva aucune prise. » Ce fut peu de temps après cette expédition, que Louise, comme nous l'avons déjà dit, commença à res- sentir les premières atteintes de Tamour, et qu'elle en éprouva quelques rigueurs : l'absence de celui qu'elle aimoit, lui inspira les vers les plus touchants, les plus empreints d'une vive sensibilité.

lamais femme ne t'aymera,

Ne plus que moy d'amour te portera. (Élégie ir, p. 79.)

Cet amant faisoit sans doute partie de l'armée que la France avoit en Italie *5 car, dans la même élégie, elle s'exprime ainsi ;

Or' que tu es auprès de ce rîuage

Du Pau cornu, peut estre ton courage

S'est embrasé d'une nouuelle fiame. (Pages 77 et yS.)

'*^ Il paroît, en effet, certain que l'amant de Louise Labé étoit un homme de guerre. Un des poètes qui ont chanté ses

iij

xxxlv NOTICE

Quoi qu'il en soit, Louise fut constante clans son incli- nation ;

.... voiry (dit-elle) le treizième Esté

Que mon cœur fut par Amour arresté. (Éle'gie III, p. 83.)

Ailleurs elle lui donne la plus grande preuve de sa ten- dresse, eu lui disant:

Maints grans Signeurs à mon amour prétendent, etc.

Tu es tout seul, tout mon mal et mon bien,

Auec toy tout, et sans toy ie n'ay rien. (Elégie IJ, p. 80.)

Il n'est point étonnant que les plus grands seigneurs recliercliassent avec empressement une femme qui rëu- nissoit de si rares qualités, et qu'ils missent en usage tous les moyens de lui plaire. C'est un des droits de la J)eauté de commander aux plus superbes, et lorsqu'à ce don de la nature se trouvent joints le savoir, les ta- lents et la vertu, son empire ne connoît plus de bornes.

louanges, suppose que Vénus lui apparut et lui dit entre autres

choses :

Car ia desia il (l'Amour) te darde

Son tret âpre et rigoureus :

Dont il t'abatra par terre.

Rendant d'un homme de guerre

Ton tendre cœur amoureus. (Page i49.^

La même pièce nous apprend encore qu'elle avoit eu parmi ses adorateurs un -vieil poète rommain, et qu'elle s'étoit montrée in- sensible à son amour; que ce -vieil poëte rommain n'existoit plus alors, et qu'il étoit mort en Espagne. Voy. la ii5.^ note sur les œuvres de Louise Labé.

SUR LOUISE LABE. xxxv

Les poètes les plus renommés du temps s'empressèrent aussi d'offrir leurs hommages h notre aimable Lyon- noise.

L'un vante l'étendue de ses connoissances, un autre la compare aux cieux , un troisième veut en faire la dixième Muse, un quatrième trouve dans son nom l'a- naejramme de Belle A S0Y% un autre fait la description de tous les charmes répandus sur sa personne ^ mais aucun ne laisse planer le moindre soupçon sur la ré- gularité de sa conduite, sur la pureté de ses mœurs,

*0n trouve clans Belle A SOY toutes les lettres des mots LOYSE LabÉ. Les anagrammes etoient alors à la mode. Chaque auteur avoit la sienne qu'il placoit ordinairement au bas de ses ouvra- ges, et qui lui servoit, en quelque sorte, de signature. Ce sont peut-être des anagrammes que ces devises. Non non la (page io5 de ce volume), Devojr de voir (page io8), D'im- mortel ZELE (page no), mises à la sui(e de quatre des pièces faites à la louange de Louise Labé. Je n'ai pu découvrir les noms d'où elles étoient tirées , moins heureux dans cette re- cherche que ne l'a été M. Pericaud aînë dans une recherche semblable. Il a trouvé dans cette devise BONTÉ n'y CROJst, qui accompagne l'Avis au lecteur du Formulaire récréatif de Bredin le Cocu, le nom, resté inconnu jusqu'à ce jour, de l'auteur de ce livre curieux, imprimé pour la première fois à Lyon, chez Rigaud, en i594, in-i6. Ce nom est celui de Benoist Troncyou du Troncy, contrôleur du domaine du roi et secrétaire de la ville de Lyon, connu par d'autres ouvrages. M. Pericaud a fait de cette découverte le sujet d'une petite dissertation ou Notice (Lyon, Brunet, 1821, in-8.°) que M. Barbier s'est empressé d'insérer dans la seconde édition de son Dictionnaire des Ano- nymes, n.° 681 3.

xxxvj NOTICE

On ne se contenta pas de faire Tëloge de ses clieTeiiî: d'un blond doré, de la rose qui coloroit le Ijs de son teint, de la douce gravite de son front, de sa bouche coralline, de ses yeux, qui serrèrent mainte âme en pri- son, de sa grâce à chanter, baller et sonner, de sa grand'beautë qui tenoit tout en son pouvoir 5 on termi- noit cette riche esquisse par les traits suivants :

Ici le Ciel libéral me fait voir

En leur parfait, grâce, honneur, et sauoir,

Et de vertu le rare te'moignage. (Page 106.)

Paradin, qui publia son histoire de Lyon six ans après la mort de Louise Labé *, fait ainsi le portrait de cette belle : uCeste auoit la face plus angelique qu'humaine: (6 mais ce n'estoit rien a la comparaison de son esprit u tant chaste, tant vertueux, tant poétique, tant rare <i en sçauoir, qu'il sembloit qu'il eust esté créé de Dieu <i pour estre admiré comme un grand prodige entre les a humains. ?? Et après avoir fait l'énumération de ses ouvrages, il ajoute: «; Et ne s'est ceste nymphe seule- ii ment fiùie cognoistre par ses escrits, ainçois par sa « grande chasteté **. ?;>

* Les Mémoires de l'histoire de Lyon, en trois livres, par Guillaume Paradin, parurent à Lyon, chez Antoine Gryphius, eu 15/3, in-fol.

**^ Livre m, chap. 29. «< Cet écrivain ecclésiastique, distin- « gué par sa place et par son mérite, si plein de mœurs lui- « même, auroit-il fait cet éloge d'une personne dont la répu- « tatiou eût souffert quelque atteinte , lui qui d'ailleurs écrivoit <* sous les yeux et par les conseils d'un magistrat, l'un des plus

SUR LOUISE LARÉ. xxxvij

Du Verdler, qui a écrit long -temps après *, est le premier qui ait ose révoquer en doute la sagesse de Louise Labe, et nous représenter cette femme célèbre comme une courtisane éliontée **. Rubys qui, dans

« i-ecommandalDles que nous pussions alors: c'etoitM. de Langf, « cet homme si respecté dans cts provinces, et qui à un pareil « égard eût exigé de l'auteur un judicieux silence. » De Ruolz, Discours sur Louise Labé, pag. 18-19.

* Environ onze ans après Paradin ; car la Bibliothèque françoisc d'Antoine du Verdier fut publiée à Lyon, en i584# in - fol.

** Voici les propres termes de du Verdier, Bibliothèque fran- çoise (art. Loyse Labé) : « Loysc Labé, courtisane lyonnoise « (autrement nommée la Belle Cordière, pour estre mariée à un « bonhomme de cordier), piquoit fort bien un cheual, à raison « de quoy les gentilshommes qui auoient accez à elle , l'appel- « loyent le Capitaine Loys, femme, au demeurant, de bon et c< gaillard esprit et de médiocre beauté ; recevoit gracieusement « en sa maison seigneurs, gentilshommes et autres personnes « de mérite , avec entretien de deuis et discours ; musique tant « à la voix qu'aux instruments ou elle estoit fort duicte, lec- « tare de bons livres Latins et vulgaires, Italiens et Espagnols, « dont son cabinet estoit copieusement garni, collation d^ex- « quises confitures ; enfin leur communiquoit priuement les « pièces plus secrettes qu'elle eust, et, pour dire en un mot^ « faisoit part de son corps à ceux qui foncoyent: non toutes- « fois à tous, et nullement à gens mechaniques et de vile con- « dition, quelque argent que ceux lui eussent voulu donner, « Elle ayma les sçauans hommes sur tous, les fduorisant de « telle sorte que ceux de sa cognoissance avoient la meilleure « part en sa bonne grâce, et les eust préférés à quelconque grand tu seigneur, et fait courtoisie à l'un plustost gratis, qu'à l'autr©

xxxviij NOTICE

toutes les occasions, s'est plu à contredire Paradin, a saisi avec avidité l'opinion de du Verdier, comme un

" pour grand ndmbre d'escus : qui est contre la cousturae de « celles de son mestier et qualit'f. Ce n'est pas pour estre cour- « tisane que je luy donne place en cesle bibliothèque , mais e< seulement pour avoir escrit, etc. » Bayle a adopté sans exa- men le te'moignage de du Verdicr, et dans son Dictionnaire art. Labe (Loyse) , il dit de notre Lyonnoise : « Elle ne res- « scmbloit pas en toutes choses aux courtisanes ; car si d'un « côté elle avoit de leur humeur, en ce qu'elle vouloit être bien « payée de ses faveurs, elle avoit de l'autre certains égards « qu'elles n'ont pas pour les hommes doctes ; car elle leur « donnoit la pas.sade gratuitement. » Dans ses remarques sur le même article, après avoir cité du Verdier, il ajoute : « Dé- « mosthène eut été bien aise que la courtisane Laïs eAt res- « semblé à cette autre (Louise Labé); il n'auroit pas fait le « voyage de Corinthe inutilement^ ni éprouvé,

Qu'à tels festins un auteui* comme un sot A prix d'argent doit payer son écot.

« Cette femme faisoit en même temps déshonneur aux lettres, « et honn-nir : elle les déshonoroit , puisqu'étant auteur, elle « mcnoit une vie de courtisane, et elle les honoroit, puisque «< les savants étoient mieux reçus chez elle sans rien payer, que « les ignorants prêts à lui compter une bonne somme. »

Bayle est un des écrivains qu'on lit et qu'on copie le plus : aussi le jugement qu'il porte sur les mœurs de Louise Labé a-t-il été répété par une foule d'auteurs. Ce jugement n'est ce- pendant fondé que sur l'assertion de du Vcrdier et de Rubys qui en a aussi imposé au P. d Co'onia, puisqu'aprcs avoir transcrit l'ode de Jacques Peletier à la louange de Lyon et de la Belle Cordière, il continue ainsi: « Mais il nous faudra bien

SUR LOUISE LABÉ. xxxix

moyen de satisPaire son humeur satirique*. Mais quelle foi peut-on ajouter à leurs assertions, lorsque rien n'en

« rabattre de tous ces magnifiques éloges, et surtout de la pein- « ture que Paradin nous a faite de sa vertu, si ce qu'en disent «< du Verdier et de Rubys se trouve véritable. Ils prétendent, « et ce n'est pas, à mon avis, sans apparence de vérité, que « Louise Labé avoit gâté ses heureux talens par un libertinage « de mœurs, qui n'étoit pas moins condamnable que celui des « Phryués et des Laïs , quoiqu'il fut beaucoup plus rafiné. » Histoire littéraire de Lyon (tome II, page 545 et 546). C'est d'après ces autorités qu'on représente communément Louise Labé comme la Léontium ou la Ninon de l'Enclos de son siècle, et qu'on a fait sur elle un distique latin et un quatrain francois rapportés par La Monnoye (Notes sur la Bibliothèque de La Croix du Maine). De ces deux pièces, qui sont peut-être de ce savant philologue lui-même, je placerai ici la première, parce que le latin brave l'honnêteté j mais je ne transcrirai pas la se- conde : c'est déjà bien assez d'avoir copié les passages qu'on a vus ci-dessus, et que j'aurois volontiers supprimés, si je n'avois pensé que l'exactitude et la fidélité qu'on a droit d'exiger d'un historien ou d'un biographe, faisoient un devoir de ne pas les omettre :

Môsse animos fertur gallis cantata Labsea Vatibiis : at movlt doctius illa nates.

Paradin, écrivain respectable, contemporain de Louise Labé et témoin oculaire de sa conduite, et les poètes qui l'ont célé- brée de son vivant et publiquement, doivent l'emporter, comme le prouve fort bien M. Cochard, sur du Verdier, dont, après tout, le témoignage est unique, Rubys et les autres n'étant que ses échos.

* « Et de fait que Paradin aye esté de ces gens qui croyent « et escriuent legierement, je le pourrois vérifier par le récit

xl NOTICE

démontre la Te'rité, qu'ils ne citent aucun fait, et ne s'appuyent d'aucune autorité tjui puisse seulement les

«< de plusieurs discours fabuleux, qu'il a employez et affirmez « pour véritables daus ses escrils; ra.ais je me contenteray d'un « seul qui est dans son Histoire de Lyon. C'est ou il célèbre « le loz de ces insignes courtisanes , qui furent de son temps à « Lyon. L'une desquelles fut Pernette du Guillet;.... l'autre « Loyse Labé , renommée non- seulement à Lyon, mais par « toute la France, soubs le nom de la Belle Cordiere, pour l'une « des plus insignes courtisanes de son temps ; et cependant il « les qualifie deux mirouers de chasteté , et deux parangons de « vertu. Que si le bon homme s'est laissé ainsi lourdement « abuser en chose aduenuë de son temps à Lyon, ou il estoit « tous les jours, à peine adjoustera-t-on foi à ce qu'il escrit des « siècles passez. » Histoire véritable de Lyon , par Claude de Rubys, Lyon, Nugo, iGo4, in-fol.', page 2 de l 'Avant-propos aux prevost des marchands et eschevins.

J'ai oublié de compter parmi les détracteurs de Louise Labé le trop célèbre Calvin, qui, dans un de ses pamphlets furibonds, la traite, en passant, delà manière la plus outragcuse. Ce pam- phlet est celui qu'il dirigea, en i56o, contre Gabriel de Saco- nay, comte et précentcur de l'église de Lyon, sous ce titre: Gratulatio ad venerabllem presbyterum Dominum Gabrielem de Saconay, praecentorem ecclesiœ lugdunensis, de pulchra et çleganti Prœfatione quam libro Régis Angliœ inscripsit. Voy. pages 021 -33o du tome viii de ses œuvres, Amsterdam, 1667, 9 vol. in-fol. Après avoir accumulé, en termes grossiers, les imputations les plus fausses et les plus atroces contre les mœurs de l'ecclésiastique lyonnois, après l'avoir dépeint comme un des hommes les plus corrompus et les plus corrupteurs de son temps, et représenté sa maison comme un lieu de débauche, ouvert à tout ce que Lyon renfermoit de libertins et de femmes

SUR LOUISE LABÉ. xlj

rendre probables? Les auteurs contemporains ne sont- ils pas plus dignes de notre confiance? Paradin n'est

perdues, il continue ainsi: « Qna etiara flducia transsutstan- « tiationem ?ecure ac plenis buccis asserere audeas, nescio, «< nisi forte quia tibi peraeque facilis vidctur transmutatio panis « in corpus, ac metamorphosis mulieris in virum. Hoc enim « suavitatis geneie convivas tuos oblectas, dum mulieres virili « habitu ad mensam inducis. Hune ludum quam stepc tibi prœ- « buit plebeia meretrix, quara partim à propria Acnuslate, par- «< tim ab opifîcio mariti Bellam Corderiam vocabant!» Ce mau- vais latin est aise' à comprendre, et je crois inutile de citer la tra- duction francoise de la pièce il est contenu , traduction qu'on trouve, pages i822-i85o du volume mis au jour par Théodore de Beze, et intitule', R.cueil des opuscules, c'est-à-dire : Petits traic- tez de M. Jean Caluin , les uns reuuz et corrigez sur le latin , les autres translatez nouuellement de latin en fi ançois, Genève, Bap- tiste Pinereul , i566, in-fol. D'ailleurs, dans cette traduction , plebeia meretrix est rendu par un mot dont l'indécence pourroit choquer le lecteur. Quoi qu'il en soit, il est e'vident que le pas- sage dont il s'agit, ne doit laisser aucune impression défavo- rable sur le compte de Louise Labé; et, j'irai même plus loin, il est facile de le tourner à son avantage. Gabriel de Saconay est regardé comme un des hommes les plus recommandables de l'église de Lyon, qu'il a illustrée par ses écrits et par ses vertus. Si donc il recevoit habituellement dans sa maison la femme d'Ennemond Perrin, il faut conclure que la conduite de cette femme n'offroit rien de répréhensible, ni même d'équivoque. Quant au prétendu usage elle auroit été de s'habiller en homme, je crois que c'est un mensonge, et que Calvin abuse d'une des circonstances de la première jeunesse de la Belle Cor- dière. On se rappelle que, lorsqu'elle se rendit, avant l'âge de iseize ans, au siège de Perpignan, elle revêtit, en effet, le cos-

xlij NOTICE

pas le seul qui ait rendu justice au mérite de la Belle Cordière, et surtout à sa vertu: on peut voir, page i55, en quels termes un de nos anciens poètes fait son éloge et célèlDre nommément sa chasteté *.

On ne peut néanmoins se dissimuler que Louise n'ait aimé et même avec passion : c'est à l'énergie de ce sen- timent qu'on est redevable de ces expressions si tendres, si naïves, si touchantes, que, malgré la vétusté du langage, elles font encore les délices des âmes sensi- bles **. Elle peint le triomphe de l'amour sur sa volonté, les maux que ce dieu lui cause , les espérances dont il la berce, les peines de l'absence, avec des couleurs si vraies , si naturelles , et avec une sorte d'exaltation

tume de notre sexe. De-là Calvin suppose que, long-temps après, elle continuoit de le porter; et c'est ainsi que le fougueux sec- taire, par un me'Iange de vrai et de faux, cherche à donner à ses calomnies un air de sincérité et un crédit qu'elles ne sau- roient avoir.

* L'éloge qui lui est adressé en face dans cet endroit, s'il eût été absolument faux, loin de lui plaire, l'auroit choquée, et même auroit été pour elle une grave insulte.

** On peut appliquer aux poésies de Louise Labé ces vers d'Horace sur Sappho :

Spu'at adhuc amor,

Viviintque commissi calores j4îolise fidibus puellee.

(Lib. iVj Od. IX. )

J. J. Rousseau a dit: « Une seule femme a su faire parler l'a- « mour, et cette femme est Sappho. » Sans doute il ne con- noissoit pas les œuvres de Louise Labé.

SUR LOUISE LABÉ. ^ViV]

d'autant plus entraînante, qu'elle n'a rien de feint, ni d'exage'rë, que l'on s'identifie par la pensée à son sort, et que l'on partage ses soucis, ses angoisses et sa douce mélancolie sans effort et sans contrainte.

Mais l'amour, quelque vif qu'il soit, ne peut-il donc exister s^m blesser la vertu, sans alarmer la pudeur? Et parce que Louise en ressentit la flamme , parce qu'elle^en éprouva les douloureuses anxiétés, doit-on calomnier sa conduite? Disons-le hardiment, sa gloire provient de son amour 5 une âme aussi noble , aussi pure, aussi délicate ne connut que des sentiments qui portoient le même caractère; et, ce qui le démontre, ce sont les termes dont elle se sert en faisant, dans sa III. ^ élégie et dans son XXIV.® sonnet , l'aveu des tri- bulations auxquelles son cœur étoit en proie.

Combien la manière dont elle excuse ses erreurs offre d'intérêt et inspire d'indulgence! Il n'y a qu'un amour pudique, qu'un cœur vivement épris, mais à l'abri de tout reproche, qui puisse tenir un pareil langage : il peint trop bien la situation d'une âme fortement péné- trée, mais néanmoins pleine de droiture et d'honneur.

Faudroit-il d'autre preuve de l'innocence de sa vie que l'intimité dans laquelle elle vécut avec la plupart des personnes de son sexe , distinguées surtout par une conduite exemplaire ? C'est à Clémence de Bourges 4

4 Clémence de Bourges se rendit célèbre dts l'âge le plus tendre par ses talents pour la poe'sie et la musique. Lors du Voyage que firent à Lyon Henri n et Catherine de Mc'dicis, en iS/jS; elle joua de l'épinette en présence delà cour, de manière

xliv NOTICE

qu'elle clédie ses œuvres; c'est elle qu'elle elioisit pour patronne, qu'elle désigne publiquement comme son amie, et Clémence appartenoit à une des premières familles de Lyon 5 elle étoit aussi recommandable par ses qualités personnelles que par le rang qu'elle tenoit dans la société ''". Son pèi^e, général des ftnances du

à ctouuer les organistes du roi. Clémence unissoit aux grâces de son sexe la vertu la plus austère, et sa mort préraature'e cou- ronna, de la manière la plus touchante, une si belle vie. Elle ëtoit promise et fiance'e à Jean du Peyrat, jeune homme non moins distingué par sa bravoure que par sa naissance. Celui-ci, ayant été dans le cas de partir, à la tète d'une compagnie de Lyonnois, pour aller en Dauphiné renforcer l'armée royale, des- tinée à combattre les protestants commandés par le farouche baron des Adrets, trouva une mort glorieuse devant Beaure- paire, le 3o septembre i56i. Clémence de Bourges, pénétrée d'une profonde douleur, ne put supporter une perte aussi cruelle : elle mourut quelque temps après. Sa pompe funéraire arracha des larmes à tous les assistants. On la porta le visage découvert et la tète couronnée de fleurs, pour marque de sa virginité. Cette circonstance suffit pour détruire absolument l'allégation de la prétendue perfidie exercée à son égard par Louise Labé, et dont j'aurai bientôt occasion de parler.

Claude de Bourges, père de Clémence, habitoit l'hôtel de Milan, près des Cordeliers : Françoise de Mornay, sa veuve, y demeura après lui. C'est à cause d'elle que la partie de la rue Bonnevaux étoit situé son hôtel, fut appelée rue de la Gé- nérale , parce que son mari avoit eu le titre de général des finances du Piémont. On a donné dans la suite à cette rue, par corruption, le nom de rue des Générales qu'elle porte encore.

* Du Verdier la nomme , dans sa Bibliothèque, « la perle des

SUR LOUISE LABÉ. xlv

Piémont et seigneur de Myons en Daupliine, jouissolt de la plus haute faveur, et son frère étoit l'un des gen- tilshommes de la maison du roi. Si Louise n'eût cte' en- vironnée de l'estime puhlique , si ses mœurs eussent été tant soijt peu équivoques , une demoiselle d'un aussi rare mérite, une famille aussi respectable, aussi considérée, l'auroient-elles reçue dans leur familiarité, et lui au- roient-elles donné des preuves si sensibles d'une affec- tion toute particulière?

Les poésies de la Belle Cordière, il faut l'avouer, renferment, en quelques endroits, des expressions un peu vives et qui semble ut sortir de la retenue imposée à son sexe. Mais ce défaut, qui appartient au siècle oîi elle vivoit*, ne sauroit être un préjugé contre sa vertu. Alors la réserve étoit dans les actions, et nullement dans les paroles **•

Si Louise fixa sur elle l'admiration de ses contempo- rains par les accents de sa lyre plaintive, si, comme

« damoiselles îyonnoîses de son temps; » et de Rubys, dans son Histoire de Lyon, « une perle vrayement orientale. »

* « Jamais les poètes ne furent si favorise's que sous le règne « de Henri il et de ses enfants, et jamais la poésie ne fut si •t tendre, si passionnée, ni moins retenue dans ses expressions; « fâcheux, mais inévitable effet de l'exemple que donne une « cour, dont l'esprit et le goût règle infailliblement celui de « tous les sujets. » De Ruolz , Discours sur Louise Labé. page 32.

** On a souvent remarqué que, plus les mœurs se cor- rompent, plus la langue et les oreilles deviennent séyères et chastes.

x!vj NOTICE

elle i'avoiie elle-même, l'Espagne et les bords du Rhin avoient entendu

Que gens d'esprit lui clonnoient quelque gloire*,

les poètes françois surtout s'empressèrent de chanter ses louanges. Marot, du Moulin, Charles Fontaine, Mau- rice Sceve consignèrent son nom dans leurs poésies ^ Olivier de Magny, Peletier du Mans, et plusieurs autres écrivains non moins célèbres alors, en parlèrent éga- lement de la manière la plus honorable. Une femme qui étoit la gloire de son sexe, ne pouvoit manquer d'obtenir une distinction aussi flatteuse. Sa maison j qu'elle avoit enrichie d'une bibliotlicque précieuse et choisie avec goût, étoit le rendez-vous de la bonne compagnie, et surtout des savants et des étrangers qui passoient à Lyon. uElley receuoit gracieusement, nous u dit du Verdier, seigneurs, gentilshommes et autres « personnes de mérite, auec entretien de deuis et dis- « cours 5 musique tant à la voix qu'aux instrumens ou u elle estoit fort duicte, lecture de bons livres Latins et <c vulgaires. Italiens et Espagnols **, dont son cabinet « estoit copieusement garni, etc. ??

* Élégie II, page 79.

** Avec cette indication et les conjectures que fait naître la lecture des ouvrages de Louise LaLé, il seroit aisé de faire le catalogue de sa bibliothèque. Il exi. toit déjà d'assez bonnes éditions des classiques latins, et il est probable qu'elle ies avoit toutes. Virgile, Horace, Ovide, dont les ouvrages lui étoient très familiers, et qu'elle imitoit souvent, occupoient sans contredit

SUR LOUISE LABÉ. xlvij

Nous devons considérer les re'unions qui avolent lieu

les premiers rayons; ils etoîent près de Catulle, de Tibulle et de Properce. On y voyoit cerfaincment aussi les meilleures ver- sions latines qu'on eut alors des classiques grecs, et en parti- culier celles d'Homère, d'Anacréon, de Sappho, de Lucien, de Plutarque, etc. Peut-être même Louise Labe' possédoit-elle les originaux; car probablemeut elle avoit quelque teinture du grec, quoique les biographes ne mettent pas cette langue au nombre de celles qu'elle savoit. Les poètes latins modernes figuroient également dans sa collection : Jean Second n'étoit pas placé au dernier rang. Quant aux livres vulgaires j c'est-à-dire, écrits dans notre langue, on y tiouvoit, parmi les prosateurs, les mémoires historiques du Sire de Joinville, de Froissard, de Monstrelct, de Philippe de Comines, Rabelais, les premières traductions d'Amyot, les ouvrag'-s de grammaire de Louis Mei- gret, de Peletier du Mans, de Guillaume des Autels, les Arrêts d'Amour de Martial d'Auvergne, commentés par Benoît Court, de St-Symphorien-le-Château, les Cent nouvelles nouvelles de la cour (le Bourgogne, l'Heptaméron de la reine de Navarre, etc. ; et, parmi les poètes, les Marguerites de la Marguerite de la même princesse, les œuvres de Marot, le roman de la Rose, retouché par ce dernier, le même ouvrage tel qu'il fut composé primitivement par Guillaume de Lorris et Jean de Meung, tout ce qui avoit paru de Ronsard, de Joachim du Bellay, de Mellin de St- Gelais, de Jodelle, de Baïf, de Pontus de Tyard, de Charles Fontaine, d'Olivier de Magny , la Délie et quelques autres poésies de Maurice Sceve, les Rymes de Pernette du Guillet, lyonnoise, etc., etc. Malheureuscmenl Amyot n'avoit pas encore mis au jour son Plutarque , ni Montaigne ses Essais. Le catalogue étoit très riche en livres italiens : il contenoit Pétrarque, Boccace, le Dante, l'Arioste. Il ne manquoit que le Tasse, pour que Louise Labé n'eût rien à envier, dans la lit-

xlviij NOTICE

cliez la Belle Cordière * comme le type de celles qui illustrèrent les siècles de Louis xiv et de Louis XV: les unes et les autres furent très favorables aux pro- grès des lumières 5 le goût s'e'pura dans les discussions savantes, auxquelles présidoit une extrême politesse^ la critique purgea l'histoire d'un grand nombre d'er- reurs 5 la langue françoise acquit plus de grâce et d'é- nergie 5 l'émulation develo])pa les talents et répandit dans toutes les classes de la société le désir de s'ins- truire et l'amour des sciences et des lettres. Un sem- blable résultat doit faire sentir combien ce genre de ré- création étoit préférable à celui que nous avons adopté: nos cercles, nos brillantes soirées, dont le jeu, la po-

térature de cette nation , aux lecteurs qui vécurent quelques anne'es plus tard, et peut-être même à ceux qui vivent main- tenant. L'Espagne avoit fourrii des romans, la Diane de Mon- temayor, les poésies de Garcilasso ; mais le seul livie, pour ainsi dire, qu'elle ait aujourd'hui, celui qui en a fait oublier tant d'autres. Don Quichotte, ne parut que vers la fin du XVI. " siècle, et Louise Labf', morte en i566, ne put le connoître.

* Suivant Poullin de Lumina, Abrégé chronologique de l'his- toire de Lyon, Lyon, Delaroche, 1767, in-^.", page 187, « Louise Labé étoit un des principaux membres de l'académie « littéraire, dont les assemblées se tenoient sur la montagne « de Fourvicre, dans la maison du sieur de Lange, d'où elle « fut appelée l'Angélique. Los autres académiciens étoient les « sieurs de Lange, de Villeneuve, Fouraier, Paterin, Sym- « phorien Champier , Benoît Court, Jean Voullé , Etienne »< Dolet , du Choul, Vauzelles , le poète Girinet, Clément « Marot, Maurice Sceve, Claudine et Sibylle Sceve, Pernette « du Guillet, Clémence de Bourges, et les sieurs du Peyrat. »

SUR LOUISE LABE. xlix

litique et la vanité font tous les frais, ne laissent pour l'ordinaire que des regrets ', ce n'est que dans les amu- sements qui développent les grâces du corps , et dans ceux qui exercent l'esprit, que l'homme trouve ses vé- ritables jouissances.

Nous n'avons parlé jusqu'ici que des poésies de Louise Labé^ mais il est un autre ouvrage qui ne la recom- mande pas moins à l'estime de la postérité ^ c'est une petite comédie en prose, intitulée. Débat de Folie et d^ Amour ^ allégorie ingénieuse, pleine d'esprit, de dé- licatesse et de bonne morale *. Cette pièce à six person- nages, divisée en cinq discours ou actes, n'a point été représentée j mais elle a eu l'insigne honneur de fournir

*«La plus belle fable des Grecs est celle de Psyché; la plus « plaisante fut celle de la Matrone d'Éphèse. La plus jolie, « parmi les modernes, fut celle de la Folie, qui, ayant crevé « les yeux à l'Amour, est condamnée à lui servir de guide. » Voltaire, Questions sur l'Encyclopédie, art. Fable. «On a dit «» avec raison que cette allégorie étoit la plus heureuse des fables « modernes. Elle est en effet la seule qu'on puisse mettre à côté a de celles de l'antiquité. Elle est du même genre; elle en a la « grâce, la vérité, la justesse; elle en est le complément. » GuDiN , Histoire des Contes, i8o5, page 171. L'ouvrage de Louise Labé n'est pas seulement une allégorie ingénieuse ; il décèle encore une grande érudition. Aristote, Chrysippe, Dio- gèue, Platon, Homère, Sappho, etc., parmi les grecs, et, parmi les latins, Virgile, Ovide et même Apulée, y sont cités et cités à propos. On y voit de fréquentes et heureuses allusions à des faits historiques et à dv s points de mythologie qui ne sont connus que des personnes les plus instruites.

iv

1 NOTICE

à La Fontaine l'idée d'une de ses plus jolies fables *. Pour connoître ce que cette comédie, la première qui ait paru dans le genre de l'auteur des Grâces **, offre de talent et d'imagination, il suffira de lire l'argument de cet ouvrage, composé par Louise Labé elle-même (page 6).

On sentira, après l'avoir lu, combien un sujet conçu avec tant d'art devoit présenter de ressources au talent de l'écrivain qui avoit entrepris de le traiter***. Louise en a su tirer le meilleur parti, et cet ouvrage, imité dans toutes les langues ****,, sufïîroit seul pour immor- taliser son nom.

* L'Amour et la Folie, livre xii, fable i/\,

** Saint-Foix. Un critique a dit de cette come'die des Grâces^ qu'elle sembloit « avoir été' faite par elles et pour elles. »

*** Il n'est pas hors de propos de remarquer que ce sujet si heureux paroit être de l'invention de Louise Labé. Ou ne connoît rien dans les écrivains antérieurs qui ait pu lui en four- nir l'idée. Il est certain qu'elle avoit lu l'éloge de la Folie (En- comiura Moriae), écrit en lalin par Érasme ; mais, si elle en a emprunté quelques détails , si elle semble l'avoir eu sous les yeux lorsqu'elle écrivoit le plaidoyer de Mercure pour la Folie qui n'est qu'une partie de son ouvrage, elle n'a pu y trouver ce qui n'y est pas, le plan et l'ensemble de la composition, la fable sur laquelle elle l'a fondée.

**** LeP, Commireenatiré une fable latine qu'il a intitulée, Dementia Amorcm ducens (Voy. Joan. Commirii carmina, Lu- tetiae Parisiorum, 1714, 2 vol. in-i3, tome i, page 002), et que La Fontaine connoissoit vraisemblablement aussi, lorsqu'il a fait la sienne. Elle est adressée à Ménage , et terminée par ce jeu de mots:

SUR LOUISE LABÉ. \\

Les Œuvres de notre aimable Compatriote ^ * justi- fient la supériorité de son talent à une époque si voisine

Hsec nos , Menagî , fabula vcnustè mouet Amantes esse proximos amentibus.

« Il a paru sur la scène françoise, en 1754, une petite co- « me'tlie en un acte et en vers libres, compose'e d'après cette €< fable, mais elle ne s'y est pas soutenue, quoiqu'au rapport •«.(de l'auteur de l'Année littéraire, elle se trouvât pleine de « choses finement pensées et rendues avec délicatesse et préci- « sion. M. Desfontaines a fait depuis, sur le même sujet, un « opéra-comique en trois actes, qui fut repré.>^enté avec succès « aux Italiens, en 1782. Cette fable a fait naître encore chez « plusieurs fabulistes, tels que Pesselier, Le Brun, Grécourt, c< le chevalier de Lim.oges, l'idée d'associer ensemble l'Amour M et la Raison, comme pour faire suite; et ces suites, ainsi M que la plupart de celles qu'on s'est ingéré de donner aux « ouvrages accueillis avec une faveur marquée, sont dans le « plus profond oubli. » M. Solvet, Études sur La Fontaine, Paris, i8i2, in-8.°, part, il, pages 210-211.

Les commentateurs de La Fontaine citent, parmi les imita- teurs de ce même apologue en langues étrangères, l'italien L. Grillo et l'anglais Dodsley; mais aucun d'eux'ne mentionne une imitation françoise faite par un M. Moreau de Dijon, et insérée dans le Nouveau Recueil de pièces fugitives, etc., par l'abbé Archimbaud, Paris, 1717, in-12, tome II, pages 85-89. C'est une pièce assez faible, dont les vers les plus passables «ont les deux derniers :

Ainsi dit, ainsi fait; et c'est depuis ce jour Que partout la Folie accompagne l'Amour.

5 Jean de Tournes, imprimeur célèbre de Lyon, et un des savants qui assistoient avec le plus d'exactitude aux assemblées

lij NOTICE

de la Larbarîe. Je ne m'attacherai pas à en faire l'ana- lyse : cette tâche seroit trop au-dessus de mes forces.

qui se tenoient chez la Belle Cortlière, puMia les œuvres de celle-ci en i555, in-8.°. Il en donna une seconde l'année sui- vante, in-i6. Toutes deux e'toient épuise'es depuis long-temps, lorsqu'une société de gens de lettres de cette ville conçut le projet d'imprimer de nouveau les œuvres de Louise Labé : elles parurent chez les frères Duplain, en 1762, in-12. Elles co^- tiennent, outre le Débat de Folie et d'Amour, trois élégies et vingt -quatre sonnets, dont l'un est en italien. On y a joint vingt- cinq pièces composées à sa louange, une en grec, une autre en latin, trois sonnets et un madrigal en italien, et le reste en françois.

* Jean de Tournes n'a pas donné seulement deux éditions d"s œuvres de Louise Labé; il en a donné trois. Comme je les ai en mon pouvoir, je puis en parler avec certitude, et ce que j'en dirai rectifiera ce qu'en ont dit plusieurs bibliographes qui ne les avoient pas vues. Déjà,le savant M. Beuchot, dans une note insér-ée dans la Bibliographie de la France ou Journal de l'im- primerie et de la librairie, année i8i5, n.° 2827, avoit relevé quelques-unes des erreurs ils sont tombés. Je profiterai de ses indications, et je les appuierai de la vérification que moi- même j'en ai faite ; mais je remercierai, avant tout, M. Beuchot, dont la complaisance m'a été du plus grand secours , et par l'entremise duquel j'ai obtenu la communication de deux des éditions que j'ai à décrire.

L'exemplaire qui est en ce moment sous mes yeux, de la première édition publiée par Jean de Tournes, est inscrit dans le catalogue de la bibliothèque du roi, sous le n." Y 4^47^ et provient de la bibliothèque Falconnet, n.° ii562. C'est un pe- tit volume in-8.*' de 176 pages, portant ce titre: « EvVRES DE « LOVÏZ.E Labé lionivoize. A Lion par Jan de Toyrives.

SUR LOUISE LABÉ. . Hîj

Cependant je ne puis ni'erapêcher de dire que sa se- conde éle'gie est remplie de grandes beautés, que plu-

« M. D. LV. Auec Priuilege du Roy. » La prose y est imprimée en lettres romaines, et les poésies en caractère italique. Sur le verso du dernier feuillet, on lit, après un petit errata sont corrigées quatre fautes d'impression, ces mots: « Acheué d'im- « primer ce 12. Aoust, M. D. lv. »

La seconde édition , dont deux exemplaires se trouvent à Lyon (l'un dans la bibliothèque de M. Lambert, et l'autre dans celle de M. le conseiller Coste, si riche en auteurs lyonnois), semble n'être qu'un second tirage de la précédente: sa date est de l'année d'après, i556; elle est du même format, imprimée avec les mêmes caractères , et contient le même nombre de pages. Les seules différences qu'il y ait entre elles, consistent en ce que, 1.*^ les fautes indiquées dans l'errata de la première sont corrigées à leurs places dans la seconde; 1.° sur le fron- tispice, à la suite de ces mots: EWRES DE LovïZE LabÉ lion- IVOIZE, l'imprimeur a ajouté ceux-ci : Menues et coirigees par ladite Dame; 3.'* et enfin, \e Priuilege du Roy, qui ne se trouve pas dans l'éditian de i555, occupe, dans celle de i556, le verso du dernier feuillet et le recto d'un feuillet suivant.

La troisième édition due à Jean de Tournes est également de i556, et porte absolument le même titre que celle de iô55; mais elle diffère de celle-ci, et pour le format et pour le carac- tère: elle est in-16, et en lettres romaines d'un bout à l'autre. Les pages n'en sont pas chiffrées, et elle ne contient pas l'ode grecque qui, dans les deux éditions précédentes, est à la page laS. L'exemplaire sur lequel je fais ces remarques, est celui de la bibliothèque du roi , il est inscrit sous le n.° Y 4548. M. Beu- chot observe qu'il s'en trouvoit deux dans la bibliothèque du duc de la Vallière (part, i, u.° 3i55 et 3i56).

La Monnoye, dans ses notes sur La Croix du Maine, et, d'à-

liv . NOTICE

sieurs de ses sonnets respirent ce cliarme rêveur, cette mélancolie passionnée qui ravit les âmes tendres, et

près lui, M. B. D. L. (le P. Bougerel), dans les Mémoires de Niceron (lome xxiii, page 248), parlent d'une édition de Rouen, i556, in-iG. L'ahbé Goujet en parle aussi, Biblioth. franc, (tome XII, pages 82 et 4^i). Cette édition existe-t-elle? M. Beu- chot croit que cette question doit se décider par la négative. M. Cocliard a donc eu raison de passer sous silence cette pré- tendue édition de Rouen; mais il n'eût pas manqué de men- tionner, s'il en eut eu connoissance, relie qui a paru à Brest, en i8i5, in-8.", et qui n'a été tirée qu'à i4o exemplaires, dont no sur carré ordinaire, 116 sur carré vélin d'Annonay, 3 sur papier rose de pâte , et 1 sur peau de vélin. L'éditeur , feu M. Michel, imprimeur à Brest, a suivi la première et la troi- sième édiûon de Jean de Tournes; il ne connoissoit pas la se- conde. Le seul changement qu'il se soit permis, a été de placer dans un ordre différent les pièces intitulées, Escriz de diuers Poètes à la louenge de Louïze Labé , qu'il a classées à peu près ainsi : odes , sonnets , madrigaux.

Mais long-temps avant cette édition, a paru celle de 1762, dont M. Cochard a donjié la description. J'ajouterai aux détails dans lesquels il est entré à son sujet, qu'elle fut imprimée par Aymé Delaroche, et tirée seulement à SsS exemplaires, dont 25 en grand papier fin de Hollande, savoir 12. avec les figures, vignettes et culs-de -lampe en camayeu, et i3 avec ces figures en noir, et que les gens de lettres lyonnois, aux frais desquels elle fut publiée, et dont les noms doivent être consignés ici très -honorablement, sont MM. Jacques Annibal Claret de la Tourette de Fleurieu, ancien prévôt des marchands, président honoraire de la cour des monaoics, et secrétaire perpétuel de l'académie de Lyon, dont il a été pendant quelque temps le doyen; Antoine La Croix, obéancier baron de St-Just; le

SUR LOUISE LABÉ. Iv

dont la poésie s'accommode si bien ; que le dix-liui- tième surtout* est remarquable par cette énergie amou- reuse et brûlante qui caractérise un cœur vivement ëpris, et que le Dehat de Folie et â! Amour porte un cachet vraiment original. 11 ne faut donc pas s'étonner qu'une femme, parvenue à une telle hauteur par son seul génie, ait eu des détracteurs : il seroit au contraire surprenant qu'elle n'en eût pas rencontre**.

La Belle Cordière avoit cherché à relever la dignité de son sexe , en l'excitant à se livrer à l'étude : <c Estant

P. Dumas, bibliothécaire des Cordéliers; Joseph Janin, biblio- the'caire des Augustins; Jean-Fiancois Tolozan, premier avo- cat-général à la cour des m^onnoics de Lyon ; Biaise Desfours, conseiller à la même cour ; Rufiier d'Attignat , trésorier de France, et enfin Pierre Adamoli. Ce dernier fut chargé du soin de diriger l'impression, qui fut faite sur un exemplaire de i555, fourni par M. delFlcurieu; et celui-ci est sans doute l'auteur des Recherches sur la vie de Louise Labé, placées à la tête du vo- lume. Voy. M. Delandine, Catalogue de la bibliothèque de Lyon, belles-lettres, n."* 265o et 6642.

* Ce sonnet seroit digne de Sappho, ou de Catulle dont il rappelle les fameux hendécasyllabes : Vivamus, raea Lesbia, atque amemus.... C'est un baiser dans le genre de ceux de Jean Second, qui étoient sans doute, comme nous l'avons dit, con- nus de Louise Labé ; mais on peut assurer que , si elle a voulu imiter ce poète, elle l'a bien surpassé:

.1...... Una omnes surripuit Vénères.

(Catull. Carm. 88.)

** C'est le sort de toutes les femmes qui se mêlent d'écrire, on leur dispute la gloire méritée par les productions littéraires

Ivj NOTICE

« le tems venu, Madamoîselle, ecrivoit-elle à Clémence « de Bourges, que les seueres loix clés hommes n'em-

qu'elles mettent au jour, en insinuant qu'elles n'en sont que les mères adoptives. Louise Lahé n'a pas été plus heureuse que les autres personnes de son sexe qui, comme elle, ont publié des ouvrages. Plusieurs années après sa mort, Pierre de Saint- Julien, dans ses Gémelles ou Pareilles, recueillies de divers autheurs, tant grecs, latins, que fraucois, Lyon, i584, in-S.", (livre second, lui.® pareille), fit entendre que Maurice Sceve lui avoit été d'un grand secours dans la composition du Débat de Folie et d'Amour. Voici les propres paroles de cet auteur, copiées, à ma prière, par M. Beuchot dans l'exemplaire de la bibliothèque du roi. Après avoir dit que «les femmes se laissent « aller à la volonté de quelques babiUars trompereaux , » il ajoute: « Aussi est-il quasi toujours aduenu que la pénitence « a suyui de près le péché, mais soit sur ce r'enuoyé le lecteur « à ce qu'eu a escrit Boccace de Certal en son Labyrinthe « d'Amour, et s'il veut voir le discours de dame Loyse l'Abbé, « dicte la Belle Cordiere (œuure qui sent trop mieux l'érudite « gaillardise de Maurice Sceue, que d'une simple courtisane, « encores que souuent doublée), il trouuera que les plus folla- « très sont les mieux venus auec les femmes. » Ainsi Pierre de Saint-Julien ne se contente pas de répéter, d'une manière assez indécente, les calomnies de Rubys et de du Verdier sur les mœurs de Louise Labé ; il lui enlève encore un de ses titres au souvenir de la postérité ; mais cette dernière imputation n'est pas mieux fondée que les autres: Maurice Sceve, un des ad- mirateurs de notre belle Lyonnoise, fut, il est vrai, un homme très-érudit, et qui même dans ses vers affecta l'érudition au point d'en être quelquefois obscur et bizarre; mais ce qui nous est resté de lui est trop inférieur au Débat de Folie et d'Amour, et d'un genre trop différent , pour qu'il soit permis de lui attri-

SUR LOUISE LABÉ. Ivij

« pes client plus lesTemniPS de s'aplicjuer ans sciences u et disciplines : il me semble que celles qui ont la a commodité, doiuent employer cette honneste liberté u que notre sexe lia autrefois tant désirée, à icelles apren-

buer cet opuscule. Tout ce qu'on pourroit accorder à Pierre de Saint-Julien, c'est que Louise LaLé a peut-être soumis son ou- vrage à la revision de Maurice Sceye; ce qui n'erapêcheroit pas qu'elle n'en fut le seul et véritable auteur. Quel est, en efiet, l'écrivain , même parmi les plus habiles , qui sur ses travaux litte'raires ne consulte pas un ami, et ne les corrige jias d'après ses conseils, avant de les exposer aux regards du public? D'ail- leurs, le comjilateur des Gémelles se réfute, en quelque sorte, lui- même, en ne conlestant à Louise Labéque la/propri'té d'un seul de ses ouvrages : les poésies qu'elle nous abaissées, prouvent qu'il y avoit ^ elle assez de taîeut pour qu'elle n'eût pas besoin d'em- prunter celfii des autres. N'oublions pas de remarquer ici, en pas- sant, que la liaison de Louise Labé avec Maurice Sceve est une preuve de plus de la fausseté des calomnies répandues sur sa conduite : ce poète, ami et patron de Marot, célébré par tous les gens de lettres de son temps, appartenant à une illust.'e fa- mille piémontoisc dont une branche s'étoit élablie à Lyon, étoit un des personnages les plus considérés de c( tte ville ; il y avoit exercé la profession d'avocat et les fonctions d'échevin : doué d'un talent singulier pour les inscriptions, les devises et les dé- corations publiques, c'est lui qui dirigea avec Claude de Taille- mont, dont le nom figure aussi dans nos fastes consulaires, les fêtes magnifiques qui eurent lieu pour la réception solennelle du roi Henri n et de la reine Catherine de Médicis, au mois de septembre i5/|8; et certes il n'est pas probable que, ''ans une telle position, aimé et vénéré de ses concitoyens, tous les yeux étant, pour ainsi dire, fixés sur lui, il eût osé rechercher la so- ciété d'une infâme prostituée.

îviij NOTICE

Ci cire, et moiistrer aus hommes le tort qu'ils nous fai- ii soient en nous priuant du bien et de l'honneur qui a nous en pouuoit venir. ?? Plus loin elle ajoute qu'elle de'- sire voir son sexe , u non en beauté' seulement, mais en u science et en vertu passer ou égaler les hommes*, w Elle exhorte Clémence de Bourges u à si louable en- treprise 5 >5 et finit par ces sages observations : u S'il y

* J'ai copie dans une note pre'ce'dente un passage de Mon- taigne, où il refuse aux hommes toute prééminence sur les femmes, et soutient qu'elles ne sont pas moins aptes à l'étude des sciences et à tous les exercices de l'esprit. Un Lyonnois, contemporain de Louise Labé, Claude de Taillemont, que j'ai nommé tout à l'heure, a défendu la même cause dans son Dis- cours des champs Faez à l'honneur et exaltation de* Dames, Lyon, Michel du Boys, i553, in-S.": « N'a esté, dit-il, iusques « auiourd'hui le vouloir et consentement de nos prédécesseurs, « tant misérables et peruers, que mus des erreurs d'autrui, ou M de leur propre ignorance, ils n'ont permis aux esprits femi- « nins goûter ce doux fruit de science et doctrine : comme si « ç'eust esté chose interdite de Dieu, qu'elles eussent su choi- « sir la lumière entre les ténèbres , et discerner le bien du « mal, ains ont trouué bon que l'ignorance, mère de tous maux, « leur empeschast la connoissance de leur Seigneur et Facteur, « et bien souvent d'elles mesmes. Occasion certes , par laquelle « elles n'ont pu, ni su, ainsi que le sage, commander aux astres « et se despestrer de la mauvaise inclination d'iceux. Vraiement « les pauvres ignorans n'entendoient que de science vient vertu, « et que les deux jointes ensemble, sont la vraie sapience, qui « conduit l'homme au souverain bien d'immortalité, duquel il « est aussi bien nécessaire à la femme qu'à l'homme, d'auoir « connoissance, d'autant qu'elle en participe comme lui. Mais

SUR LOUISE LABÉ. Hi

ft ha quelque cliose recommandahle après la gloire et (6 l'honneur, le plaisir que l'cstude ha acoutumé donner u nous y doit chacune inciter, qui est autre que les a autres recreacions : desquelles quand on en ha pris « tant que Ion veut , on ne se peut vanter d'autre « chose, que d'auoir passé le temps. Mais celle de l'es- « tude laisse un contentement de soy, qui nous de-

« que signifie, qu'il y a encore de tels fols au monde, lesquels « sans aucune consideraliou, disent et maintiennent la femme « ne pouuoir, ni deuoir sauoir aucune cliose? Véritablement « s'ils ne me veulent nier que Dieu l'ait faite participante d'ame « raisonnable comme l'homme, ie ne say pourquoi il ne lui « seroit possible et licite de sauoir aussi bien qu'à lui. N'a elle « sens, jugement, et raison, l'esprit prompt, et autant sus- « ceptible que l'homme? Ne voit on par expérience, le fruit « qu'aucunes ont rapporté, et rapportent encore à présent, du « peu de doctrine qui leur est permise : sinon toutesfois tant « généralement que les hommes, n'en faut blasmer, et accuser « que la coustume, qui est seulement, et selon le vulgaire, de « sauoir filer, et faire leur me'nage : tant elle est à leur prciu- «< dice obseruee , que si elles estoient instruites es lettres , comme « les hommes, ie m'ose bien pour elles promettre l'auantage : « et, pour certain, c'est grand dommage, que tant de beaux es- « prits ne sont lime's et employe's à de meilleurs affaires, que « ceux auxquels la tyrannie des hommes les a seulement asser- « uies : car lors se connoitroit par expérience, ce que je dis « estre vrai, et ne seroit besoin alléguer les sciences et vertus « d'une infinie multitude de femmes, qui sont et ont esté. » Voy. du Verdier, Biblioth. franc., art. Claude de Taillemontf édition de Rigoley de Juyigny (tome i , page 371),

*^"i NOTICE

« drc, n 1) islrcr ans hommes le tort quMls nous fai- u soient on ous priuaut du bien et de l'iionnour qui «• nousrni luoit vonir.MPlusloinelleajoutequ'ellede- sirc voir so .e\e, u non en beauté seulement, mais en « scirnoc ( -n vertu passer ou égaler les hommes*. l.ll.' exhor' a<^mence de Hourges u à si louable en- ti-cprise, - finit par ces sages observations : u S'il y

* J'ai co] d^Ds une note précédente un passage de Mon- Uignr, refuse aux hommes toute prééminence sur les frmnie5t, et uUent qu'elles ne sont pas moins aptes à l'étude de» l à tous les exercices de l'esprit. Un Lyonnois,

T^ouisc Lahé, Claude de Taillemont, que j'ai 1 ..turc, a diTcndu la même cause dans son Dis-

eonr* drs r' np« Faez à l'honneur et exaltation de#Dames, hyon, Micli du Boys, i553, in-8.": « N'a esté, di*-il, iusques m auiourd'h Le vouloir et consentement de nos prédécesseurs, tant mincies et peruers, que mus des erreurs d'autrui, ou

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SUR LOUISE LAB. Hx

(c lia quelque chose r ecommaïKl al jI après la gloire et a l'honneur, le plaisir que l'estucle h acoutume' donner a nous y doit chacune inciter, quest autre que les « autres recreacions : desquelles qund on en ha pris u tant que Ion veut , on ne se pet vanter d'autre ((. chose, que d*auoir passé le tempsMais celle de l'es- (i tude laisse un contentement de ^y, qui nous de-

ma

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« que signifie, qu'il y a encore de tels folau monde, lesquels « sans aucune consideralion, disent et maitiennent la femme «< ne pouuoir, ni deuoir sauoir aucune cose? Véritablement « s'ils ne me veulent nier que Dieu l'ait faê participante d'ame « raisonnable comme l'homme, ie ne sa pourquoi il ne lui « scroit possible et licite de sauoir aussi bn qu'à lui. N'a elle « sens, jugement, et raison, l'esprit prapt, et autant sus- « ceptible que l'homme? Ne voit on par xperience , le fruit « qu'aucunes ont rapporté, et rapportent icore à présent, du « peu de doctrine qui leur est permise : aon toutesfois tant « généralement que les hommes, n'en faublasmcr, et accuser « que la coustume, qui est seulement, et don le vulgaire, de « sauoir filer, et faire leur me'nage : tant 4e est à leur prciu- « diceobseruee, quesi elles estoientinstruiscslettres, comme « les hommes, ie m'ose bien pour elles p>mettre l'auantage: « et, pour certain, c'est grand dommage, qt tant de beaux es- te prits ne sont lime's et employe's à de meleurs affaires, que « ceux auxquels la tyrannie des hommes le a seulement asser- €< uies : car lors se connoitroit par expfTi)ce , ce que je dis « estre vrai, et ne seroit besoin alléguer h sciences et vertus « d'une infinie multitude de femmes, qiu ut et ont esté. » Voy. du Verdier, Biblioth. franc., art. Ci-de de Taillemt édition de Rigoley de Juvigny (tome J

Ix NOTICE

(c meure. Car le passé nous resioult et sert plus que le Ci présent. ?>

De semblables conseils aussi fortement, et, je dirai même, aussi élégamment exprimés, étoient de nature a produire beaucoup d'effet. Déjà le genre d'éducation que recevoient les femmes, depuis le règne de Fran- çois i.«^' , avoit singulièrement développé toutes les ressources de leur esprit, tous les trésors de leur fé- conde imagination. Il n'en fallut pas davantage pour eifarouclier quelques-uns de ces bommes qui s'imagi- nent que la carrière des sciences et des lettres est ex- clusivement attribuée a leur sexe: ils cberchèrent donc à ternir la réputation des femmes dont ils ne pouvoient déprimer les écrits, afin de leur enlever ce degré d'es- time qui forme leur plus bel apanage.

L'abbé Irail, dans ses Querelles littéraires*, est venu ajouter un nouveau trait de calomnie à ceux qui avoient déjà été répandus contre la Belle Cordière : il lui im- pute d'avoir trabi la confiance de Clémence de Bour- ges, sa meilleure amie, en lui enlevant son amant, et d'avoir u conservé par malice une conquête qu'elle « avoit faite par amour-propre. ?> Cette anecdote, dé- mentie par tous les documents de l'bistoire , par la fin même de Clémence de Bourges, a été reproduite dans les Recherches placées à la tête de la dernière édition**

* Paris, Durand, 1761, 4 vol. in-12, tome i, pages i58-i64.

** C'est-à-dire, de l'édition de 1762. La dernière édition est celle de Brest, i8i5, qui, comme je l'ai dit dans une des notes précédentes, u'étoit pas connue de M. Cochard.

SUR LOUISE LABÊ. Ixj

des oeuvres de notre spirituelle Lyonnolsej avec des circonstances propres h séduire des personnes crédu- les*. Cet acliarnement h poursuivre la mémoire d'une femme digne, par sa conduite et son savoir, de toute l'estime de la postc'rité, est la plus forte preuve que l'envie s'attache à la gloire pour en ternir l'ëclatj que, semblable à la rouille qui consume le fer, elle s'ap- plique à détruire les réputations les mieux consolidéeSj et qu'elle ne respecte pas même les tombeaux **. Mais la justice rendue à la Belle Cordière par ses contem- porains, par son mari, par les hommes les plus re- commandables dans la littérature, doit naturellement l'emporter sur des allégations dénuées de preuves , émises long -temps après son décès, et qui, sous ce rapport, ne méritent aucune confiance.

J'ai parlé de son mari. Louise Labé subit, en effet, le joug de l'hymen 5 mais mes recherches n'ont pu m'en faire connottre l'époque précise ; j'ai seulement acquis la certitude qu'elle eut pour époux Ennemond Perrin, marchand cordier à Lyon, et que déjà leur union subsistoit en i555, puisque la plupart des pièces faites en l'honneur de Louise, lui sont adressées avec

* Ce même conte a été adopté dans la Biographie universelle, à l'art. Labé (Louise), par M. Fortis, et à l'art. Clémence de Bourges, par M. Beuchot. Il l'avoitdéjà été, mais avec quelque hésitation, par l'éditeur des Annales poétiques (Sautereau de Marsy), dans la notice qu'il a consacrée à Louise Labé (pages 217 et suiv. du tome iv de ce recueil, imprimé en 1778).

** Que vous ont fait les morts pour remuer leur cendre? Le tombeau contre vous ne peut-il les défendre?

Uij NOTICE

la qualification de Dame, qu'elle y est de'signée sous le nom de Belle Cordière, titre qu'elle tenoit de la pro- fession de son époux, et que, dans des vers h sa louange, on fait la description de son jardin en ces termes :

Vn peu plus haut que la plaine,

Ou le Roue impetueus

Embrasse la Sone humeine

De ses graiis Lras tortueus,

De la mignonne pucelle

Le plaisant iarJiu estoit, elc. (Pages i-Zy et suiv.)

Ce jardin faisant l'angle de la rue Confort et d'une ruelle tendant à Bellecour , avoit été abénévisé , en 1484^ à Giilet Perrin, marchand cordier ^, sous une pension que son fils Ennemond Perrin, aussi marchand cordier, reconnut en i55i. Ainsi cette propriété n'ap- partint à Louise Lahé qu'à cause de son mari, et cette

6 Noble Léonard de Chamosset, de la ville de Trévoux, et Guigonne sa femme, fille de Jean Brunicard, citoyen de Lyon, ahénévisèrent ce jardin avec une maison qui en dépendoit, à Giilet Perrin, sous une pension de 4 hv. par an. L'acte d'nAe- névis est du 5o mai 1484. Perrin établit sur ce local son atelier de corderie et ses magasins. Ennemond Perrin, son fils et son héritier, reconnut la pension, le i.*"'" août i53i. M. Claude Berthier, conseiller au parlement de Grenoble, étoit possesseur de la maison et du jardin, vers la fin du xvi.^ siècle, Louis Dupré, cartonnier, racheta la pension en 1699*.

* Cette maison appartenolt naguère à feue M."*^ Taverniei', nce Dupré: elle est maintenant la propriété de M.*"^ sa fille, épouse de M. Ravier du Magny, Président du tribunal de première instance de Lyon.

SUR LOUISE LABÉ. Ixîij

circonstance est une preuve certaine qu'à l'époque ses oeuvres furent imprimées , elle étoit engagée dans les liens du mariage.

L'acte de reconnoissance de i53i, dans lequel En- iiemond Perriu agit comme majeur, démontre qu'il étoit iDeaucoup plus âgé que Louise. Je n'ai rien pu dé- couvrir sur la date précise de son décès 5 mais le tes- tagaent de sa femme , daté de 1 565 , nous apprend qu'il avoit alors cessé de vivre, puisqu'elle y est qualifiée de Veuve de sire Ennemond Perrin^ en son vlçant hour-* geois citoyen de Lyon,

Cette union de Louise Labé avec Ennemond Perrîn étoit dans les convenances, dès-lors que les deux fa- milles exerroient le même genre de commerce , et qu'elles jouissoient également de la considération que procurent toujours une conduite irréprochable et une aisance honnête. Perrin avoit sans doute aussi un es- prit cultivé 5 car autrement Louise, douée d'une foule de talents agréables, d'une sensibilité exquise et d'une intelligence rare, eût -elle consenti à donner sa main et son coeur à un homme qui eût été incapable d'ap- précier tout ce qu'elle valoit? On peut donc conjectu- rer hardiment qu il existoit entre eux une véritable synipathie, et ce doux échange d'amitié, de soins, d'é- gards et de prévenances, qui constitue la félicité dans le mariage. La tendresse de Perrin pour son épouse ne sauroit être révoquée en doute, puisque, par l'acte de sa dernière volonté, il l'institua, a défaut d'enfants, son héritière universelle. Une aussi généreuse résolu- tion décèle toute la force de son amour^ et prouve jus-

Ixiv NOTICE

qu'à rëviclence que Louise en etoit cligne. Une foule de pre'somptions me portent même h croire qu'il avoit été l'amant favorisé, auquel notre intéressante Lyon- noise adressoit ses touchantes élégies et ses sonnets si brûlants *. La publicité qu'elle donna h ses œuvres du vivant de son mari, semble ne laisser aucun doute sur ce point, et justifier, mieux que tous les discours 5 la pureté et la décence de sa conduite. ^

Il ne nous reste aucune autre production littéraire de la Belle Cordière, que le petit nombre de celles qui sont contenues dans le recueil de ses oeuvres. Cepen- dant 5 depuis l'époque elles parurent pour la première

* Il paroît que MM. Barre, Radet et Desfontaines, auteurs fie la petite pièce des Trois Saphos Lyonnoises , ou Une cour d'amour, jouée à Paris, eu i8i5, au the'âtre du Vaudeville, et imprimée la même année, in-8." de 46 paj^es, ont été préoccu- pés de la même idée, puisqu'ils ont donné le nom d'Ennemond à l'amant de Louise Charly, une des Trois Saphos. Mais leur pièce est un badinage très léger, et n'a rien d'historique, si l'on excepte les principaux personnages qui y figurent. Une des sup- positions sur lesquelles la fab'e eu est fondée, et que le moindre examen chronologique défend d'à imettte, est celle qui consiste à faire trouver à Lyon , à la même époque , Marguerite de Valois , reine de Navarre, Clément Marot et Rabelais, avec la Belle Cordière, Clémence de Bourges et Pernette du Guillet, trans- formée en Aglaé du Guillet. Il suffira, pour sentir la fausseté de cette supposition, d'observer que Marot n'est j as revenu à Lyon depuis i538, et qu'à celte époque, Louise Labé , née eu 1526, n'avoit que douze ans, que Clémence de Bourges étoit peut-être encore moins âgée, et que Pernelte du Guillet, morte très-jeune en i545, étoit à peine sortie de l'enfance.

SUR LOUISE LABÉ. Ixv

fois jusqu'à sa mort, sa muse n'est point demeurée oi- sive. Pernetti * nous assure que le P. Menestrier avoit eu entre les mains beaucoup de vers latins de sa com- position. Elle ëcrivoit d'ailleurs dans sa langue avec trop de facilité et de goût pour qu'elle ait négligé d'en faire usage. Il est probable qu'on ne prit, après son décès, aucun soin de recueillir ses papiers, et qu'ils devinrent la proie de l'ignorance. C'est h ce motif qu'il faut attribuer le défaut de notions, auquel nous sommes réduits, sur les dernières années de cette femme célèbre.

Son testament que j'ai recouvré, et qui porte la date du 28 avril i565, vient ajouter de nouveaux traits à son éloge : il sert à établir que la bienfaisance est insé- parable de la beauté. Voici les principales dispositions de cet acte précieux.

Louise Charlin, dite Labé, veut d'abord que son corps soit inhumé, si elle décède à Lyon, dans l'é- glise de N. D. de Confort, de nuit, à la lanterne, sans pompe, et accompagné seulement de quatre prêtres j qu'il soit célébré à son intention, dans les huit jours de sa mort, un service et cent messes basses 5 que les pauvres soient aumônes d'une somme de 1000 liv. , et trois filles indigentes, dotées cbacune de 5o liv., pour contribuer à leur mariage. Elle fonde dans l'é- glise de Parcieu en Dombes, paroisse elle avoit des propriétés , une messe basse par semaine à perpétuité pour elle, ses parents et ses amis. Elle assigne à cha- cun de ses domestiques et aux personnes employées à

* Les Lyonnois clignes de mémoire ^ tome 1, page 353.

Ixvj NOTICE

la culture de ses fonds, des legs proportîonne's à leurs liesoins, ou aux services qu'ils lui avoient rendus. Elle nomme pour son exécuteur testamentaire le sieur Jac- ques Fourtin, marchand florentin, demeurant à Lyon, auquel elle confie l'administration de ses biens pendant vingt ans, sans aucune reddition de compte. Enfin elle ëlit pour ses héritiers universels Jacques et Pierre Char- lin, dits Lahé, ses neveux, fils de François Charlin son frère 7^ et leur substitue, s'ils viennent à mourir sans enfants, les pauvres de l'Aumône générale de Lyon, avec défense d'aliéner ses propriétés.

Cet acte nous fait savoir que Louise Labé avoit une maison de campagne à Parciru , et qu'elle y faisoit cha- que année quelque séjour; qu'elle possédoit aussi des rentes foncières, et qu'elle avoit encore des fonds dans le Grand Parti du roi, sous le nom du sieur Fourtin, dont les revenus étoient assignés sur la ville de Rouen. 11 nous apprend également que Louise étoit atteinte d'une maladie grave, qui la retenoit dans la maison du sieur Fourtin, et qui sans doute la mit au tombeau bientôt après.

Jacques et Pierre Charlin ne survécurent pas long- temps à leur tante ; car les pauvres de l'Aumône gé- nérale se mirent, dès l'année iSfig, en possession des

7 Ainsi le testament de Louise Labë rectifie le récit de Per- netti : ce ne furent point les neveux d'Ennemond Perrin qui recueillirent sa succession, ce fut son e'pouse , et celle-ci la légua à ses propres neveux, et, à leur défaut, à l'Aumône gé- nérale.

SUR LOUISE LABÉ. Ixvij

biens qui leur avoient été substitues 3 ils louèrent la maison cle la rue Confort, le 26 décembre, abénevi- sèrent, Tannée suivante , la maison grangère de St. Jean de Tliurigneu, dépendant de la même succession, et vendirent dans la suite la grange de Parcieu au sieur Fourtin ^.

La postérité, toujours équitable, a voulu conserver le souvenir de Louise Labé, en donnant le nom de Belle Cordière à la rue dans laquelle elle avoit son do- micile 9, et qui n'étoit avant 1642 qu'une simple ruelle

^ La grange de St. Jean cle Thurigneu fut vendue, par acte du dernier d 'cembre iSyo, à Jean Bruyères, moyennant la somme de 800 liv. une fois paye'e^ et une pension arnuelle de 3o liv.

9 Rien n'est plus sage, plus utile, et plus patriotique à la fois, que de donner aux rues et aux places d'une ville, les noms des citoyens qui, par des services éminents ou des talents re- marqviables, ont acquis des droits à la reconnoissance publique. C'est, pour les cœurs généreux, un puissant mobile d'émulation, dont nos ancêtres n'ont pas négligé l'emploi: les rues V^anclran^ Thomassin , Sala, Boissac , du Peyrat ^ de Gradagne ^ Clermont ^ jy^illars , Neyret ^ du Garet , etc., nous rappellent des familles la plupart éteintes, mais toutes honorablement inscrites dans les annales de Lyon. Depuis quelques années, l'administration m.unicipale, marchant sur les traces de nos pères, se plaît aussi à décorer de noms vraiment historiques les rues nouvellement o.uvertes : ainsi ceux de Champier et de Pavie , médecins célè- bres, se voient près des Cordeliers, ils avoient leur habita- lion; celui AeBellièvre, un des ministres de Henri IV, à l'endroit même il reçut le jour; de Menestrier, à côté du Collège, il écrivit l'histoire de Lyon et une foule d'autres ouvrages mar-

Ixviij NOTICE

conduisant au portail de Bellecour. Les Jacobins ayant aliène, dans ce temps-lh , une partie de l'enclos de \ igné qu'ils possédoient le long de cette ruelle, les acqué- reurs s'empressèr-^nt d'y construire des maisons^ on élargit le passage, qui fut d'abord appelé rue Neuve ^ ensuite rue Régnier, en iSyo^ enfin, rue Kegnier ou

ques au coin de l'ériiflition la plus profonde; de Rosier, habile agronome, près de la cure de Saint Polycarpe, où, le 29 sep- tembre 1793, il fut e'crasë par une bombe, et mourut victime de son attachement à ses devoirs et à sa patrie, etc. Mais tout n'est pas fait encore: dès long-temps j'ai e'mis le vœu qu'une de nos principales rues portât le nom de Turquet et IVariz, avec cette inscription : Ils fondèrent , en i536, la manufacture des étoffées de soie. Cet hommage , rendu à la me'moire de deux hommes industrieux, auxquels la ville doit un établissement qui a été une des sources de sa prospérité, ne pourroit produire que de bons effets. Espérons que ce souhait s'accomplira bientôt. Chaque jour, se forment de nouveaux quartiers : l'administra- tion profitera sans doute de cette circonstance pour perpétuer la gloire de plusieurs de nos concitoyens; elle n'oubliera pas V^ulpio , qui, en i543, vint nous enrichir de l'art de filer et de tisser le coton; Poivre, qui, au péril de sa vie, transplanta les épices fines dans nos colonies; Médicis qui fut, dans le X!V.^ siècle, propriétaire de l'emplacement de l'hôtel du Nord, où. il exerçoit la banque, et que l'on considère comme la tige de cette illustre famille qui régna sur la Toscane; Buyer , qui apporta dans nos murs l'art de l'imprimerie; Cardon, qui exerça cet art avec tant de distinction, etc., etc. Ce sont là, en effet, quelques-uns des noms qu'une ville de commerce, telle que la nôtre, peut citer avec orgueil, et dont elle doit chercher à immortaliser le souvenir.

SUR LOUISE LABÉ. Ixlx

Belle Corclière, en 1607. Ce dernier nom a prévalu, et s'est perpétué jusqu'à notre temps.

Louise Labé mérita cet honneur par l'éclat qu'elle répandit sur sa patrie ; la durée de sa \ie n'a pas été longue 5 mais tous ses jours ont été remplis d'une ma- nière utile, et c'est par une bonne action qu'elle les a terminés. Son héritage vint augmenter le patrimoine des pauvres, et contribue encore aujourd'hui au sou- lagement des malheureux. Ainsi celle qui se montra supérieure en valeur, en savoir et en vertu, voulut aussi se distinguer par sa bienfaisance.

L'exemple de la Belle Gordière, la place éminente qu'elle occupe dans les fastes de la littérature, nous sont de surs garants de l'influence que l'éducation exerce sur les esprits, et prouvent combien les femines appor- teroient de pénétration et d'aptitude dans les sciences, si nous leur permettions de les étudier. Les Gaulois, nos ancêtres, avoient pour leurs compagnes une sin- gulière vénération^ ils les établissoient juges de leurs différends, se soumettoient sans murmure à leurs dé- cisions, et les regardoient comme les interprètes de la divinité. Moins sages qu'eux, notre orgueil étouffe leur génie, et, quoique nous éprouvions à chaque instant combien leur tact est sûr en matière de goût, combien leur âme a de force et d'énergie dans le danger, com- bien leur esprit a d'agrément et de souplesse , com- bien leur douceur et leur amabilité leur fournissent de moyens pour conduire les affaires les plus délicates à un heureux terme, nous les tenons dans une sorte d'é- tat continuel d'interdiction , et par une éducation toute

Ixx NOTICE SUR LOUISE LABÊ.

artificieuse, nous constituons bien mieux leur foiblesse que ne le fait la nature même. Aussi leur loisir est - il un tourment, leur travail une oisiveté. Ali! puisqu'elles partagent nos plaisirs, puisqu'elles conti'ibuent si effi- cacement à notre bonlieur, pourquoi ne les élèverions- nous pas jusqu'à nous? pourquoi n'ajouterions- nous pas à leur félicité, en occupant davantage leur raison? pourquoi ne donnerions-nous pas le plus grand essor au développement de leurs facultés intellectuelles , et ne dirigerions-nous pas vers un but utile leur ardente imagination, au lieu de Fuser en l'assujettissant à des œuvres serviles, a des détails minutieux, à des études inconsidérées? Il appartient a notre siècle de restituer a ce sexe enchanteur la part qu'il doit avoir dans toutes les opérations de l'entendement. C'est par l'instruction que nous pouvons parvenir à lui assigner le rang que les lettres et les sciences donnent aux personnes qui les cultivent, que nous épurerons ses mœurs, que nous ennoblirons ses passions, que nous exalterons ses sen- timents, en lui faisant chérir ses devoirs, en l'attachant davantage à sa patrie, en lui rendant facile la pratique des vertus. Dans l'expression de ce vœu, je ne fais que répéter celui que forma Louise Labé elle - même ; sa propre expérience lui avoit appris combien l'instruction est utile, combien elle ajoute aux attraits de la beauté, et elle désiroit d'y voir participer toutes les personnes de son sexe. Puisse un tel souhait se réaliser! Il dou- bleroit nos jouissances, et sèmeroit pour nous de nou- velles fleurs le chemin de la vie.

EVVRES

DE

LOYIZE LABE.

A MADAMOISELLE

CLEMENCE DE BOVRGES,

LIONNOIZE.

JCjSTAnt le tems venu, Madamoiselle , que les seueres loix des hommes n'empeschent plus les femmes de s'a- pli quer aus sciences et disciplines : il me semble que celles qui ont la commodité, doiuent employer cette honneste liberté que notre sexe ha autrefois tant dési- rée 5 à icelles aprendre : et montrer aus hommes le tort qu'ils nous faisoient en nous priuant du bien et de l'hon- neur qui nous en pouuoit venir: Et si quelcune paruient en tel degré, que de pouuoir mettre ses concepcions par escrit, le faire songneusement et non dédaigner la gloire, et s'en parer plustot que de chaines, anneaus, et somptueus habits : lesquels ne pouuons vrayement esti- mer nôtres, que par usage. Mais l'honneur que la science nous procurera , sera entièrement notre : et ne nous pourra estre oté, ne par finesse de larron, ne force d'en- nemis, ne longueur du tems. Si i'eusse esté tant fauo- risee des Cieus, que d'auoir l'esprit grand assez pour comprendre ce dont il ha îi enuie, ie seruirois en cet endroit plus d'exemple que d'amonicion. Mais ayant passé partie de ma ieunesse à l'exercice de la Musi- que, et ce qui m'a resté de tems l'ayant trouué court pour la rudesse de mon entendement , et ne pou^uant

0

2 EPITRE

de moymesme satisfaire au bon vouloir que ie porte à notre sexe, de le voir non en beauté seulement, mais en science et en vertu passer ou e'galer les hommes : ie ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames d'esleuer un peu leurs esprits par dessus leurs quenoilles et fuseaus, et s'employer à faire entendre au monde que si nous ne sommes faites pour comman- der, si ne deuons nous estre dédaignées pour compa- gnes tant es afaires domestiques que publiques, de ceus qui gouuernent et se font obeïr. Et outre la reputacion que notre sexe en receura nous aurons valu au publiq , que les hommes mettront plus de peine et d*estude aus sciences vertueuses, de peur qu'ils n'ayent honte de voir précéder celles, desquelles ils ont prétendu estre tousiours supérieurs quasi en tout. Pource, nous faut il animer l'une l'autre à si louable entreprise : De la- quelle ne deuez eslongner ni espargner votre esprit , de plusieurs et diuerses grâces acompagné : ny vo- tre ieunesse , et autres faneurs de fortune , pour aquerir cet honneur que les lettres et sciences ont acoutumé porter aux personnes qui les suyuent. S'il y ha quelque chose recommandable après la gloire et l'honneur, le plaisir que l'estude des lettres ha acoutumé donner nous y doit chacune inciter : qui est autre que les autres re- creacions : desquelles quand on en ha pris tant que Ion veut, on ne se peut vanter d'autre chose, que d'a- uoir passé le temps. Mais celle de l'estude laisse un con- tentement de soy, qui nous demeure plus longuement. Car le passé nous resiouit, et sert plus que le présent: mais les plaisirs des sentimens se perdent incontinent,

DEDICATOIRE. 3

et ne reuiennent ianiaisj et en est quelquefois la mé- moire autant fâcheuse, comme les actes ont esté dé- lectables. Dauantage les autres voluptez sont telles, que quelque souuenir qui en vienne , si ne nous peut il remettre en telle disposicion que nous estions ; et quelque imaginacion forte que nous imprimions en la teste 5 si connoissons nous bien que ce n'est qu'une om- bre du passé qui nous abuse et trompe. Mais quand il auient que mettons par escrit nos concepcions, com- bien que puis après notre cerucau coure par une infi- nité d'afaires et incessamment remue, si est ce que long tems après reprenans nos escrits, nous reuenons au mesme point, et à la mesme disposicion ou nous es- tions. Lors nous redouble notre aise : car nous retrou- uons le plaisir passé qu'auons îi ou en la matière dont escrimons, ou en l'intelligence des sciences ou lors es- tions adonnez. Et outre ce, le iugement que font nos secondes concepcions des premières, nous rend un sin- gulier contentement. Ces deus biens qui prouiennent d'escrire vous y doiuent inciter, estant asseuree que le premier ne faudra d'acompagner vos escrits, comme il fait tous vos autres actes et façons de viure. Le se- cond sera en vous de le prendre, ou ne l'auoir point: ainsi que ce dont vous escrirez vous contentera. Quant à moy tant en escriuant premièrement ces ieunesses que en les reuoyant depuis, ie n'y cherchois autre chose qu'un honneste passetems et moyen de fuir oisiueté: et n'auois point intencion que personne que moy les dust iamais voir. Mais depuis que quelcuns de mes amis ont trouué moyen de les lire sans que l'en susse rien,

i4

4 EPITRE DEDICATOIRE.

et que (ainsi comme aisément nous croyons ceux qui nous louent) ils m'ont fait à croire que les deuois met- tre en lumière : ie ne les ay ose esconduire, les menas- sant ce pendant de leur faire Loire la moitié de la honte qui en prouiendroit. Et pource que les femmes ne se montrent volonters en puLliq seules, ie vous ay choi- sie pour me seruir de guide , vous dédiant ce petit eu- ure, que ne vous enuoye à autre fin que pour vous acertener du hon vouloir lequel de long tems ie vous porte, et vous inciter et faire venir enuie en voyant ce mien euure rude et mal bâti, d*en mettre en lumière un autre qui soit mieus limé et de meilleure grâce. Dieu vous maintienne en santé.

De Lion ce 24. luillet i555.

Votre humble amie

DEBAT

DE FOLIE ET D'AMOVR.

ARGVMENT.

IVPITER faisoit un grand festin , ou estoit commandé à tous les Dieus se trouuer. Amour et Folie arriuent en mesme ins- tant sur la porte du Palais : laquelle estant fermée, et n'ayant que le guichet ouuert, Folie voyant Amour prest à mettre un pied dedens, s'auance et passe la première. Amour se voyant poussé, entre en colère : Folie soutient lui apartenir de passer deuant. Ils entrent en dispute sur leurs puissances, dinitez et préséances. Amour ne la pouuant veincre de paroles, met la main à son arc, et lui lasche une flesche, mais en vain : pource que Folie soudein se rend inuisible : et se voulant venger, ote les yeus à Amour. Et pour couurir le lieu ou ils estoient , lui mit un bandeau, fait de tel artifice, qu'impossible est lui oter. Venus se pleint de Folie , lupiter veut entendre leur diferent. Apolon et Mercure debatent les droits de l'une et l'autre partie, lupiter les ayant longuement ouiz, en demande l'opinion aus Dieus : puis prononce sa sentence.

LES PERSONNES.

FOLIE. f AMOVR.

VENVS. 1 IVPITER.

APOLON. § MERCVRE.

DEBAT

DE FOLIE ET D'AMOVR.

DISCOYRS I.

FOLIE.

A. ce que ie voy, ie seray la dernière au festin de Ju- piter, ou ie croy que Ion ni*attent. Mais ie voy, ce me semble, le fils de Venus, qui y va aussi tart que moy. Il faut que ie le passe, à fin que Ion ne m'apelle tar- diue et paresseuse.

AMOVR.

Qui est cette foie qui me pousse si rudement ? Quelle grande hâte la presse ? Si ie t'usse aperçue, ie t'usse bien gardé de passer.

FOLIE.

Tu ne m*usses pu empesclier, estant si ieune et foible. Mais à Dieu te command*, ie vois deuant dire que tu viens tout à loisir.

AMOVR.

Il n*en ira pas ainsi : car auant que tu m'escbapes, ie te donneray à connoitre que tu ne te dois atacher à moy.

8 DEBAT

FOLIE.

Laisse moy aller, ne m'arreste point : car ce te sera honte de quereler auec une femme. Et si tu m'eschau- fes une fois, tu n'auras du meilleur.

AMOVR. Quelles menasses sont ce cy? ie n'ay trouuë encore personne qui m'ait menasse que cette foie.

FOLIE. Tu montres bien ton indiscrecion, de prendre en mal ce que ie t'ay fait par ieu : et te mesconnois bien toy- mesme, trouuant mauuais que ie pense auoir du meil- leur si tu t'adresses à moy. Ne vois tu pas que tu n'es qu'un ieune garsonneau? de si foible taille que quand i'aurois un bras lie', si ne te creiudrois ie gueres.

AMOVR. Me connois tu bien ?

FOLIE. Tu es Amour, fils de Venus. AMOVR. Comment donques fais tu tant la braue auprès de moy, qui, quelque petit que tu me voyes, suis le plus creint et redoute entre les Dieus et les hommes? et toy femme inconnue, oses tu te faire plus grande que moy? ta ieunesse, ton sexe, ta façon de faire te démentent assez; mais plus ton ignorance, qui ne te permet con- noitre le grand degré que ie tiens.

FOLIE.

Tu trionfes de dire. Ce n'est à moi à qui tu dois ven- dre tes coquilles. Mais di moy, quel est ce grand pou- uoir dont tu te vantes.

DE FOLIE ET D'AMOVR. 9

AMOVR. Le ciel et la terre en rendent témoignage. Il n*y ha lieu ou n*aye laisse quelque trofee. Regarde au ciel tous les sièges des Dieus , et t*interrogue si quelcun d'entre eus s'est pîi eschaper de mes mains. Commence au vieil Saturne, lupiter. Mars, Apolon, et finiz aus Demidieus, Satires, Faunes et Siluaîns. Et n'auront lionte les Dées- ses d'en confesser quelque chose. Et ne m'a Pallas es- pouuenté de son houclier ; mais ne l'ay voulu interrom- pre de ses sutils oviurages, ou iour et nuit elle s'employe. Baisse toy en terre, et di si tu trouueras gens de marque, qui ne soient ou ayent esté des miens. Voy en la furieuse mer, Neptune et ses Tritons, me prestans oheïssance. Penses tu que les infernaus s'en exemptent? ne les ày ie fait sortir de leurs ahimes, et venir espouuenter les humains, et rauir les filles à leurs mères: quelques iu- ges qu'ils soient de telz forfaits et transgressions faites contre les loix ? Et à fin que tu ne doutes auec quelles armes ie fay tant de prouesses, voila mon Arc seul et mes fiesches, qui m'ont fait toutes ces conquestes. le n'ay besoin de Vulcan qui me forge de foudres, armet, escu et glaiue. le ne suis acompagné de Furies, Har- pies et tourmenteurs de monde , pour me faire creindre auant le combat. le n'ay que faire de chariots, soudars, hommes darmes et grandes troupes de gens : sans les- quelles les hommes ne trionferoient la bas, estant d'eus si peu de chose , qu'un seul (quelque fort qu'il soit et puissant) est bien empesché alencontre de deus. Mais ie n'ay autres armes , conseil , municion , ayde , que moymesme. Quand ie voy les ennemis en campagne,

10 DEBAT

ie me présente auec mon Arc : et lascliant une flesclie les mets incontinent en route ; et est aussi tôt la victoire gaignee, que la bataille donnée,

FOLIE. Fexcuse un peu ta ieunesse , autrement ie te pourrois à bon droit nommer le plus presomptueus fol du monde.

11 sembleroit à t'ouir que chacun tienne sa yie de ta merci ; et que tu sois le vray Signeur et seul souuerein tant en ciel qu'en terre. Tu t'es mal adressé pour me faire croire le contraire de ce que ie say.

AMOVR. C'est une estrange façon de me nier tout ce que cha- cun confesse.

FOLIE. le n'ay afaire du iugement des autres : mais quant à moy, ie ne suis si aisée à tromper. Me penses tu de si peu d'entendement 5 que ie ne connoisse à ton port et à tes contenances, quel sens tu peus auoir? et me feras tu passer deuant les yeus , qu'un esprit léger comme le tien, et ton corps ieune et flouet, soit dine de telle si- gneurie, puissance et autorité, que tu t'atribues ? et si quelques auentures estranges, qui te sont auenues, te deçoiuent, n'estime pas que ie tombe en semblable er- reur, sachant tresbien que ce n'est par ta force et vertu, que tant de miracles soient auenuz au monde ; mais par mon industrie, par mon moyen et diligence : combien que tu ne me connoisses. Mais si tu veus un peu tenir moyen en ton courrons, ie te feray connoitre en peu d'heure ton arc et tes flesches , ou tant tu te glorifies , estre plus molz que paste, si ie n'ay bandé l'arc et trempé le fer de tes flesches.

DE FOLIE ET D'AMOVR. n

AMOVR.

le croy que tu veus me faire perdre pacience. le ne

sache iamais que personne ait manié mon arc, que

moy : et tu me veus faire à croire, que sans toy le n'en

pourrois faire aucun effort. Mais puis qu'ainsi est que tu

l'estimes si peu, tu en feras tout à cette heure la preuue.

(Folie se fait inuisible, tellement^ qu'Amour ne la

peut assener. )

AMOVR.

Mais qu'es tu cleuenue ? comment m'es tu eschapee? Ou ie n'ay sîi t'ofenser, pour ne te voir, ou contre toy seule ha reijouché ma flesche ; qui est Lien le plus es- trange cas qui iamais m'auint. le pensois estre seul d'en- tre les Dieus, qui me rendisse inuisihle à eus mesmes quand bon me sembloit : Et maintenant ay trouué qui m'a esbloui les yeus. Aumoins di nioy, quiconque sois , si à l'auenture ma flesche t'a frapee, et si elle t'a blessée.

FOLIE.

Ne t'auois ie bien dit, que ton arc et tes flesches n'ont effort, que quand ie suis de la partie. Et pourautant qu'il ne m'a plu d'estre nauree, ton coup ha esté sans effort. Et ne t'esbahis si tu m'as perdue de vue, car quand bon me semble, il n'y ha oeil d'Aigle, ou de ser- pent Epidaurien , qui me sache aperceuoir. Et ne plus ne moins que le Caméléon, ie pren quelquefois la sem- blance de ceus auprès desquelz ie suis.

AMOVR.

A ce que ie voy, tu dois estre quelque sorcière ou enchanteresse. Es tu point quelque Circe, ou Medee, ou quelque Fée ?

12 DEBAT

FOLIE. Tu m'outi-ages tousiours de paroles : et n'a tenu à toj que ne l'aye esté de fait. le suis Déesse , comme tu es Dieu : mon nom est Folie. le suis celle qui te fay grand, et abaisse h mon plaisir. Tu lasches l'arc , et gettes les flesches en l'air: mais ie les assois aus cœurs que ie veus. Quand tu te penses plus grand qu'il est pos- sible d'estre, lors par quelque petit despit ie te renge et remets auec le vulgaire. Tu t'adresses contre lupiter : mais il est si puissant et grand, que si ie ne dressois ta main, si ie n'auois bien trempé ta flesche, tu n'aurois aucun pouuoir sur lui. Et quand toy seul ferois aymer, quelle seroit ta gloire, si ie ne faisois paroitre cet amour par mille invencions? Tu as fait aymer lupiter : maisie l'ay fait transmuer en Cigne, en Taureau, en Or, en Ai- gle : en danger des plumassiers, des loups, des larrons, et chasseurs. Qui fit prendre Mars au piège auec ta mère, si non moy, qui l'auois rendu si mal auisé, que venir faire un poure mari cocu dedens son ïit mesme ? Qu'ust ce esté, si Paris n'ust fait autre chose , qu' aymer He- leine ? Il estoit à Troye , l'autre à Sparte ; ils n'auoient garde d'eus assembler. Ne lui fis ie dresser une armée de mer, aller chez Menelas , faire la court à sa femme , l'emmener par force , et puis défendre sa querele in- iuste contre toute la Grèce ? Qui ust parlé des Amours de Dido , si elle n'ust fait semblant d'aller à la chasse pour auoir la commodité de parler à Enee seule à seul, et lui montrer telle priuauté qu'il ne deuoit auoir honte de prendre ce que volontiers elle ust donné , si à la fin n'ust couronné son amour d'une misérable mort? On

DE FOLIE ET D'AMOVR. i5

n'ust non plus parlé d'elle, que de mile autres hôtesses, qui font plaisir aus passans. le croy qu'aucune mencion ne seroit d'Artemise, si ie ne lui usse fait boire les cen- dres de son mari. Car qui ust sii si son affeccion ust passé celle des autres femmes, qui ont aymé, et re- gretté leurs maris et leurs amis ? Les effets et issues des choses les font louer ou mespriser. Si tu fais aymer, i'en suis cause le plus souuent. Mais si quelque estrange a- uenture, ou grand effet en sort, en cela tu n'y as rien: mais en est à moy seule l'honneur. Tu n'as rien que le cœur: le demeurant est gouuerné par moy- Tu ne scez quel moyen faut tenir. Et pour te déclarer qu'il faut faire pour complaire, ie te meine et condui: et ne te seruent tes yeus non plus que la lumière à un aueugle. Et à fin que tu me reconnoisses d'orenauant, et que me saches gré quand ie te meneray ou conduiray : regarde si tu vois quelque chose de toymesme?

(Folie tire les yeus à Amour.)

AMOVR. 0 lupiter! o ma mère Venus! lupiter, lupiter, que m'a serui d'estre Dieu, fils de Venus tant bien voulu iusques ici, tant au ciel qu'en terre, si ie suis suget a estre îniurié et outragé, comme le plus vil esclaue ou forsaire, qui soit au monde? et qu'une femme incon- nue m'ait pu creuer les yeus ? Qu'à la malheure fut ce banquet solennel institué pour moy. Me trouveray ie en haut auecques les autres Dieus en tel ordre? Ils se resiouiront , et ne feray que me pleindre. 0 femme cruelle! comment m'as tu ainsi acoutré.

i4 DEBAT

FOLIE.

Ainsi se châtient les ieunes et presomptueus , comme toj. Quelle temeritë ha un enfant de s'adresser à une femme, et l'iniurier et outrager de paroles : puis de voye de fait tacher à la tuer. Une autre fois estime cens que tu ne connois estre , possible , plus grans que toy. Tu as ofensé la Royne des hommes, celle qui leur gouuerne le cerueau, coeur, et esprit: à l'ombre de laquelle tous se retirent une fois en leur vie, et y demeurent les uns plus, les autres moins, selon leur mérite. Tu as ofensé celle qui t'a fait auoir le bruit que tu as : et ne s'est souciée de faire entendre au Monde , que la meilleure partie du loz qu'il te donnoit, lui estoit due. Si tu usses esté plus modeste , encore que ie te fusse inconnue : cette faute ne te fust auenue.

AMOVR.

Comment est il possible porter honneur à une per- sonne que Ion n'a iamais vue ? le ne t'ay point fait tant d'iniure que tu dis, vu que ne te connoissois. Car si i'usse sii qui tu es, et combien tu as de pouuoir, ie t'usse fait l'honneur que mérite une grand' Dame. Mais est il possible, s'ainsi est que tant m'ayes aymé, et aydé en toutes mes entreprises , que m' ayant pardonné, me ren- disses mes yeus ?

FOLIE.

Que tes yeus te soient renduz , ou non , il n'est en mon pouuoir. Mais ie t'acoutreray bien le lieu ou ils es- toient, en sorte que Ion n'y verra point de diformité. (Folie bande Amour, et lui met des esles.)

Et ce pendant que tu chercheras tes yeus , voici des

DE FOLIE ET D'AMOVR. i5

esles que ie te preste, qui te conduiront aussi bien comme moj.

AMOVR.

Mais ou auois tu pris ce bandeau si à propos pour me lier mes plaies ?

FOLIE.

En venant i*ay trouué une des Parques ^ qui me Ta baillé j et m*a dit estre de telle nature que iamais ne te pourra estre oté.

AMOVR.

Comment oté! ie suis donq aveugle à iamais. 0 mes- chante et traytresse! il ne te sufit pas de m'auoir creué les yeus, mais tu as oté ans Dieus la puissance de me les pouuoir iamais rendre. 0 qu'il n*est pas dit sans cause, qu'il ne faut point receuoir présent de la main de ses ennemis. La malheureuse m'a blessé, et me suis mis entre ses mains pour estre pensé. 0 cruelles des- tinées ! 0 noire iournee ! 0 moi trop crédule ! Ciel , Terre, et Mer, n'aurez vous compassion de voir Amour aueugle ? 0 infâme et détestable , tu te vanteras que ne t'ay pîi fraper, que tu m'as oté les yeus , et trompé en me fiant en toy. Mais que me sert de plorer ici ? 11 vaut mieus que me retire en quelque lieu apart, et laisse passer ce festin. Puis s'il est ainsi que i'aye tant de fa- neur au Ciel ou en Terre : ie trouueray moyen de me venger de la fausse Sorcière , qui tant m'a fait d'ou- trage.

i6 DEBAT

DISCOVRS II.

(Amour sort du Palais de lupiter, et va resuant à son infortune.)

AMOVK.

Ures suis ie las de toute cliose. Il vaut mieus par despit descharger mon carquois , et getter toutes mes fles- clies, puis rendre arc et trousse à Venus ma mère. Or aillent j ou elles pourront, ou en Ciel, ou en Terre, il lie m'en chaut : Aussi bien ne m'est plus loisible faire aymer qui bon me semblera. 0 que ces belles Desti- nées ont auiourdhui fait un beau trait, de m'auoir or- donné estre aueugle, à fin qu'indiferemment , et sans accepcion de personne , chacun soit au hazard de mes traits et de mes flesches. le faisois aymer les ieunes pu- celles , les ieunes hommes : i'acompagnois les plus io- lies des plus beaus et plus adroits. le pardonnois aus laides, aus viles et basses personnes ; ie laissois la vieil- lesse en paix : Maintenant , pensant fraper un ieune , i'asseneray sus un vieillart : au lieu de quelque beau galand , quelque petit laideron à la bouche torse ; et auiendra qu'ils seront les plus amoureus , et qui plus voudront auoir de faueur en amours : et possible par importunité, presens, ou richesses, ou disgrâce de quel- ques Dames, viendront au dessus de leus intencion : et viendra mon règne en mespris entre les hommes, quand

DE FOLIE ET D'AMOVR. 17

ils y verront tel désordre et mauuais gouuernement. Baste : en aille comme il pourra. Voila toutes mes fles- clies. Tel en soufrira , qui n'en pourra mais.

VENVS. d

Il estoit bien tems que ie te trouuasse , mon cher fils ^ tant tu m'as donné de peine. A quoi tient il, que tu n'es venu au banquet de lupiter? Tu as mis toute la compagnie en peine. Et en parlant de ton absence, lu- piter ha ouj dix mile pleintes de toy d'une infinité d'ar- tisans, gens de labeur, esclaues, chambrières, vieillars, vieilles edentees, crians tous à lupiter qu'ils ayment: et en sont les plus apparens fâchez, trouuant mauuais, que tu les ayes en cet endroit égalez à ce vil populaire : et que la passion propre aus bons esprits soit auiour- d'hui familière et commune aus plus lourds et grossiers.

AMOVR.

Ne fust l'infortune, qui m'est auenue, i'usse assisté au banquet , comme les autres , et ne fussent les plein- tes, qu'auez ouyes, esté faites.

VENVS.

Es tu blessé, mon fils ? Qui t'a ainsi bandé les yeus? AMOVK.

Folie m'a tiré les yeus : et de peur qu'ils ne me fus- sent renduz, elle m'a mis ce bandeau qui iamais ne me peut estre otc.

VENVS.

0 quelle infortune ! lie moy misérable ! Donq tu ne me verras plus , cher enfant ? Au moins si te pouuois arroser la plaie de mes larmes.

(Venus tache à desnouer la bande.)

i8 DEBAT

AMOVE. Tu pers ton tems : les neviz sont indissolubles.

VENVS.

0 maudite €||neniie de toute sapience , ô femme a- bandonnee, ô à tort nommée Déesse, et à plus grand tort immortelle. Qui TÎd onq telle iniure ? Si lupiter, et les Dieus me croient. A tout le moins que iamais cette ra^eschante n'ait pouuoir sur toy, mon fils.

AMOVR.

A tort se feront ces défenses, il les failloit faire auant que fusse aueugle : maintenant ne me seruiront gueres.

VENVS.

Et donques Folie, la plus misérable chose du monde, haie pouuoir d'oter à Venus le plus grand plaisir qu'elle ust en ce monde : qui estoit quand son fils Amour la voyoit. En ce estoit son contentement, son désir, sa félicite. Helas fils infortuné! 0 desastre d'Amour! 0 mère désolée ! 0 Venus sans fruit belle ! Tout ce que nous aquerons, nous le laissons à nos enfans : mon tré- sor n'est que beauté, de laquelle que chaut il à un a- ueugle ? Amour tant chéri de tout le monde, comme as tu trouué beste si furieuse , qui t'ait fait outrage ! Qu'ainsi soit dit, que tous ceus qui aymeront (quelque faueur qu'ils ayent) ne soient sans mal , et infortune , à ce qu'ils ne se dient plus heureus, que le cher fils de Venus.

AMOVR. Cesse tes pleintes douce mère : et ne me redouble mon mal te voyant ennuiee. Laisse moy porter seul mon infortune : et ne désire point mal à ceus qui me suiuront.

DE FOLIE ET D*AMOVR. 19

VENVS. Allons mon fils , vers lupiter, et lui demandons ven- geance de cette malheureuse.

DISCOVRS III.

VENVS.

01 onques tu uz pitié de moy, lupiter, quand le fier Diomede me naura , lors que tu me voyois trauailler pour sauuer mon fils Enee de Timpetuosité des vents, vagues, et autres dangers, esquels il fut tant au. siège de Troye , que depuis : si mes pleurs pour la mort de mon Adonis te murent à compassion : la iuste douleur, que i'ay pour l'iniure faite à mon fils Amour, te deura faire auoir pitié de moy. le dirois que c'est, si les lar- mes ne m'empesclioient. Mais regarde mon fils en quel estât il est , et tu connoitras pourquoi ie me pleins.

IVPITER.

Ma cliere fille, que gaignes tu auec ces pleintes me prouoquer à larmes? Ne scez tu l'amour que ie t'ay por- tée de toute mémoire? As tu défiance, ou que ie ne te veuille secourir, ou que ie ne puisse?

VENVS.

Estant la plus afligee mère du monde , ie ne puis parler, que comme les afligees. Encore que vous m'ayez tant montré de faneur et d'amitié, si est ce que ie n'ose

20 DEBAT

vous suplier, que de ce que facilement vous otroiriez au plus estrange de la terre. le vous demande iustice , et vengeance delà plus malheureuse femme quifustiamais, qui m'a mis mon fils Cupidon en tel ordre que voyez. C'est Folie , la plus outrageuse Furie qui onques fut es Enfers.

IVPITER. Folie ! lia elle esté si hardie d'atenter à ce , qui plus vous estoit cher? Croyez que si elle vous ha fait tort, que telle punicion en sera faite , qu'elle sera exemplaire. le pensois qu'il n'y ust plus débats et noises qu'entre les hommes : mais si cette outrecuidee ha fait quelque de- sordre si près de ma personne, il lui sera cher vendu. Toutefois il la faut ouir, à fin qu'elle ne se puisse plein- dre. Car encore que ie pusse sauoir de moymesme la vérité du fait, si ne véus ie point mettre en auant cette coutume, qui pourroit tourner à conséquence, de con- damner une personne sans l'ouir. Pource, que Folie soit apelee.

FOLIE.

Haut et souuerein lupiter, me voici preste à respon- dre à tout ce qu'Amour me voudra demander. Toute- fois i'ay une requeste à te faire. Pource que ie say que de premier bond la plus part de ces ieunes Dieus seront du coté d'Amour, et pourront faire trouuer ma cause mauuaise en m'interrompant, et ayder celle d'Amour acompagnant son parler de douces acclamacions : ie te suplie qu'il y ait quelcun des Dieus qui parle pour moy, et quelque autre pour Amour : à lin que la qualité des personnes ne soit plus tôt considérée , que la vérité du

DE FOLIE ET D'AMOVR. zt

fait. Et poiirce que ie crein ne trouuer aucun , qui , de peur d'estre apelé fol , ou ami de Folie , veuille parler pour moy : ie te suplie commander à quelcun de me prendre en sa garde et proteccion.

IV PI TER. Demande qui tu voudras, et ie le cliargeray de par- ler pour toj.

FOLIE.

le te suplie donq que Mercure en ait la charge. Car combien qu'il soit des grans amis de Venus, si suis ie seure , que s'il entreprent parler pour moy , il n'ou- Llira rien qui serue à ma cause.

IVPITER.

Mercure, il ne faut iamals refuser de porter parole pour un misérable et afligé : Car ou tu le mettras hors de peine , et sera ta louenge plus grande , d'autant qu'auras moins îi de regard aus faneurs et richesses , qu'à la iustice et droit d'un poure homme : ou ta prière ne lui seruira de rien, et néanmoins ta pitië, honte et diligence , seront recommandées. A cette cause tu ne dois diferer ce que cette poure afligee te demande: Et ainsi ie veus et commande que tu le faces.

MERCVRE.

C'est chose bien dure a Mercure moyenner desplaisir à Venus. Toutefois, puis que tu me contreins, ie feray mon deuoir tant que Folie aura raison de se contenter.

IVPITER.

Et toy, Venus, quel des Dieus choisiras tu? l'affec- cion maternelle , que tu portes à ton Bis , et l'enuie de voir venger l'iniure, qui lui ha este faite, te pourroit

22 DEBAT

transporter. Ton fils estant irrite, et naurérecentement, n*y pourroit pareillement satisfaire. A cette cause, choisi quel autre tu voudras pour parler pour vous : et croy qu'il ne lui sera besoin lui conimander : et que celui, à qui tu t'adresseras, sera plus aise de te faire plaisir en cet endroit , que toy de le requérir. Néanmoins s'il en est besoin , ie le lui commanderay.

VENVS.

Encor que Ion ait semé par le monde, que la maison d'Apolon et la mienne ne s'acordoient guères bien : si le croîs ie de si bonne sorte qu'il ne me voudra escon- duire en cette nécessité, lui requérant son ayde à ces- tui mien extrême besoin : et montrera par l'issue de cette afaire, combien il y ha plus d'amitié entre nous que les hommes ne cuident.

APOLON.

Ne me prie point, Déesse de beauté : et ne fais difi- culté que ne te veuille autant de bien, comme mérite la plus belle des Déesses. Et outre le témoignage, qu'en pourroient rendre tes iardins, qui sont en Cypre et Ida, si bien par moy entretenus, qu'il n'y ha rien plus plai- sant au monde : encore connoitras tu par l'issue de cette querelle combien ie te porte d'affeccion et me sens fort aise que, te retirant vers moy en cet afaire, tu declaires aus hommes comme faussement ils ont controuué, que tu auois coniuré contre toute ma maison.

IVPITER.

Retirez vous donq un chacun, et reuenez demain h semblable heure , et nous mettrons peine d'entendre et vuider vos querelles.

DE FOLIE ET D'AMOVR. 23

DISGOVRS IIII.

( Cupidon vient donner le bon iour à lupiter. )

IVPITER.

l^VE dis tu petit mignon ? Tant que ton diferent soit termine, nous n'aurons plaisir de toj. Mais ou est ta mère ?

AMOVR.

Elle est allée vers Apolon, pour l'amener au consis- toire des Dieus. Ce pendant elle m'a commande venir vers toy te donner le bon iour.

IVPITER.

le la plein bien pour l'ennui qu'elle porte de ta for- tune. Mais le m'esbalii comme, ayant tant ofensé de hauts Dieus et grans Signeurs , tu n'as iamais ù mal que par Folie!

A M O V R.

C'est poui'ce que les Dieus et hommes , bien auisez , creingnent que ne leur face pis. Mais Folie n'a pas la consideracion et iugement si bon.

IVPITER.

Pour le moins te deuroient ils haïr, encore qu'ils ne t'osassent ofonser. Toutefois tous tant qu'ils sont t'ay- ■ment.

24 DEBAT

AMOVR. le serois bien ridicule , si ayant le pouuoir de faire les hommes estre aymez , ne me faisois aussi estre aymé.

IVPITER.

Si est il bien contre nature, que ceus qui ont reçu tout mauuais traitement de toy, t'ayment autant comme ceus qui ont ii plusieurs faneurs.

AMOVR.

En ce se montre la grandeur d'Amour, quand on ayme celui dont on est mal traité.

IVPITER.

le say fort bien par expérience , qu'il n'est point en nous d'estre aymez : car, quelque grand degré ou ie sois 5 si ay ie esté bien peu aymé ; et tout le bien qu'ay reçu, l'ay plus tôt h. par force et finesse, que par amour.

AMOVR.

l'ay bien dit que ie fais aymer encore ceus , qui ne sont point aymez : mais si est il en la puissance d'un chacun le plus souvent de se faire aymer. Mais peu se treuuent, qui facent en amour tel deuoir qu'il est requis.

IVPITER.

Quel deuoir?

AMOVR.

La première chose dont il faut s'enquérir, c'est, s'il y ha quelque Amour imprimée : et s'il n'y en ha , ou qu'elle ne soit encor enracinée, ou qu'elle soit desia toute usée, faut songneusement chercher quel est le naturel de la personne aymee : et, connoissant le notre, auec les commoditez, façons, et qualitez estre sembla- bles, en user : si non, le changer. Les Dames que tu as

DE FOLIE ET D'AMOVR. aS

aymees , vouloient estre louées, entretenues par un long tems 5 priées , adorées : queU'Aniour penses tu qu'elles t'ayent porté , te voyant en fou.dre , en Satire , en di- uerses sortes d'Animaus, et conuerti en choses insen- sibles? La richesse te fera iouir des Dames qui sont auares: mais aymer non. Car cette afFeccion de gaigner ce qui est au cœur d'une personne, chasse la vraye et entière Amour : qui ne cherche son proufit, mais celui de la personne , qu'il ayme. Les autres espèces d'Ani- maus ne pouuoient te faire amiable. Il n'y ha animant courtois et gracieus que l'homme, lequel puisse se rendre suget aus complexions d'autrui , augmenter sa beauté et bonne grâce par mile nouueaus artifices : plorer, rire, chanter, et passionner la personne qui le voit. La lu- bricité et ardeur de reins n'a rien de commun, ou bien peu, auec Amour. Et pource les femmes ou iamais n'ay- meront , ou iamais ne feront semblant d' aymer pour ce respect. Ta magesté Royale encores ha elle moins de pouuoir en ceci : car Amour se plait de choses égales. Ce n'est qu'un ioug, lequel faut qu'il soit porté par deus Taureaus semblables : autrement le harnois n'ira pas droit. Donq, quand tu voudras estre aymé, descens en bas, laisse ici ta couronne et ton sceptre, et ne dis qui tu es. Lors tu verras en bien seruant et aymant quelque Dame , que sans qu'elle ait égard à richesse ne puis- sance, de bon gré t'aymera. Lors tu sentiras bien un autre contentement, que ceus que tu as uz par le passé: et au lieu d'un simple plaisir, en receuras un double. Car autant y ha il de plaisir à estre baisé et aymé, que de baiser et aymer.

2G DEBAT

IVPITER.

Tu dis beaucoup de raisons : mais il y faut un long tems, une sugeccion grande, et beaucoup de passions.

AMOVR.

le say bien qu'un grand Signeur se facile de faire longuement la court , que ses afaires d'importance ne permettent pas qu'il s'y assugettisse, et que les honneurs qu'il reçoit tous les iours , et autres passetems sans nom- bre, ne lui permettent croitre ses passions, de sorte qu'elles puissent mouuoir leurs amies à pitié. Aussi ne doiuent ils atendre les grans et faciles conte ntemens qui sont en Amour, mais souuentefois i'abaisse si bien les grans, que ie les fay à tous, exemple de mon pouuoir.

IVPITER.

Il est tems d'aller au consistoire : nous deuiserons une autrefois plus à loisir.

DISGOVRS V.

ÀPOLON.

&I onques te falut songneusement pouruoir à tes afai- res, souuerein lupiter, ou quand auec l'ayde de Briare tes plus proches te vouloient mettre en leur puissance, ou quand les Geans , fils de la Terre, mettans montaigne sur montaigne , deliberoient nous venir combatre ius-

DE FOLIE ET D'AMOVR. 27

ques ici, ou quand le Ciel et la Terre Guidèrent brûler; à cette heure , que la licence des fols est Tenue si grande, que d'outrager deuant tes yeus l'un des principaus de ton Empire, tu n'as moins d'ocasion d'auoir creinte, et ne dois diferer h donner pront remède au mal ia com- mencé. S'il est permis à chacun atenter sur le lien qui entretient et lie tout ensemble : ie voy en peu d'heure le Ciel en desordre, ie voy les uns changer leur cours, les autres entreprendre sur leurs voisins une consom- macion uniuerselle : ton sceptre, ton trône, ta magesté en danger. Le sommaire de mon oraison sera conseruer ta grandeur en son intégrité, en demandant vengeance de ceus qui outragent Amour, la vraye ame de tout l'V- niuers , duquel tu tiens ton sceptre. D'autant donq que ma cause est tant fauorable, coniointe auec la conser- uacion de ton estât, et que néanmoins ie ne demande que iustice : d'autant plus me deuras tu atentiuement escouter. L'iniure que ie meintien auoir esté faite à Cu- pldon, est telle : Il venoit au festin dernier ; et voulant entrer par une porte. Folie acourt après lui, et lui met- tant la main sur l'espaule le tire en arrière, et s'auance, et passe la première. Amour voulant sauoir qui c'estoit, s'adresse à elle. Elle lui dit plus d'iniures, qu'il n'apar- tient k une femme de bien à dire. De elle commence se hausser en paroles , se magnifier , fait Amour petit. Lequel se voyant ainsi peu estimé, recourt à la puis- sance, dont tu l'as tousiours vu, et permets user contre toute personne. Il la veut faire aymer: elle euile au coup : et feingnant ne prendre en mal , ce que Cupl- don lui auoit dit, recommence à deuiser auec lui :

28 DEBAT

et en parlant tout d'un coup lui leue les yeus de la teste. Ce fait, elle se vient à faire si grande sur lui, qu'elle lui fait entendre de ne lui estre possible le gué- rir, s'il ne reconnoissoit qu'il ne lui auoit porté l'hon- neur qu'elle meritoit. Que ne feroit on pour recouurer la ioyeuse vue du Soleil ? Il dit, il fait tout ce qu'elle veut. Elle le Lande, et pense ses plaies en atendant que meilleure ocasion vint de lui rendre la vue. Mais la traytresse lui mit un tel bandeau, que iamais ne sera possible lui oter : par ce moyen voulant se moquer de toute l'ayde que tu lui pourrois donner : et encor que tu lui rendisse les yeus , qu'ils fussent néanmoins inu- tiles. Et pour le mieux acoutrer lui ha baillé de ses esles, à fin d'estre aussi bien guidé comme elle. Voila deus iniures grandes et atroces faites à Cupidon. On l'a blessé, et lui ha Ion oté le pouuoir et moyen de guérir. La plaie se voit , le délit est manifeste : de l'auteur ne s'en faut enquérir. Celle qui ha fait le coup, le dit, le presche, en fait ses contes par tout. Interrogue la : plus tôt l'aura confessé que ne l'auras demandé. Que reste il ? Quand il est dit : qui aura tiré une dent , lui en sera tiré une autre : qui aura arraché un œil , lui en sera semblable- ment creué un , cela s'entent entre personnes égales. Mais Jpb.and on ha ofensé ceus , desquels dépend la con- seruacion de plusieurs, les peines s'aigrissent, les loix s'arment de seuerité, et vengent le tort fait au. puhllq. Si tout rVniuers ne tient que par certeines amoureuses composicions , si elles cessoient, l'ancien Abime reuien- droit. Otant l'amour, tout est ruiné. C'est donq celui , qu'il faut conseruer en son estre; c'est celui, qui fait

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multiplier les hommes, viiue ensemble, et perpétuer le m.onde, par l'amour et solicitude qu'ils portent à leurs successeurs. Iniurier cet Amour, l'outrager, qu'est ce , sinon vouloir troubler et ruiner toutes choses ? Trop mieus vaudroit que la téméraire se fust adressée à toy : car tu t'en fusses bien donné garde. Mais s'estant adres- sée à Cupidon, elle t'a fait dommage irréparable, et auquel n'as ù puissance de donner ordre. Cette iniure touche aussi en particulier tous les autres Dieus, De- midieus , Faunes , Satires , Siluains , Déesses , Nynfes , Hommes et Femmes : et crois qu'il n'y ha Animant, qui ne sente mal, voyant Cupidon blessé. Tu as donq osé, ô détestable , nous faire à tous despit, en outrageant ce que tu sauois estre de tous aymé. Tu as ii le cœur si malin, de naurer celui qui apaise toutes noises et que- relles. Tu as osé atenter au fils de Venus : et ce en la court de lupiter : et as fait qu'il n'y ha ù ça haut moins de franchise, qu'il n'y ha la bas entre les hommes, es lieus qui nous sont consacrez. Par tes foudres, ô lupi- ter, tu abas les arbres , ou quelque poure femmelette gardant les brebis , ou quelque meschant garsonneau , qui aura moins dinement parlé de ton nom : et cette cy, qui, mesprisant ta magesté, ha violé ton palais, vit encores! et ou? au ciel, et est estimée immortelle, et retient nom de Déesse. Les roues des Enfers soutiennent elles une ame plus détestable que cette cy ? Les mon- taignes de Sicile couurent elles de plus exécrables per- sonnes ? Et encores n'a elle honte de se présenter deuant vos diuinitez ; et lui semble (si ie l'ose dire) que serez tous si fols, que de l'absoudre. le n'ay néanmoins charge

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par Amour de requérir vengeance et punîcîon de Folie. Les giliets, potences, roues, couteaus, et foudres ne lui plaisent, encor que fust contre ses malueuillans, contre lesquels mesmes il ha si peu usé de son ire , que , oté quelque subit courrons de la ieunesse qui le suit, il ne se trouua iamais un seul d*eus , qui ait voulu l'outrager, fors cette furieuse. Mais il laisse le tout à votre discre- cion, ô Dieus; et ne demande autre chose, sinon que ses yeus lui soient rendus, et qu'il soit dit, que Folie ha ù tort de l'iniurier et outrager. Et à ce que par ci après n'auienne tel desordre , en cas que ne veuillez enseuelir Folie sous quelque montaigne, ou la mettre à l'abandon de quelque aigle, ce qu'il ne requiert, vous vueillez ordonner, que Folie ne se trouuera près du lieu ou Amour sera, de cent pas à la ronde. Ce que trouue- rez deuoir estre fait, après qu'aurez entendu de quel grand bien sera cause Amour, quand il aura gaigné ce point : et de combien de maus il sera cause , estant si mal acompagné, mesmes à présent qu'il ha perdu les yeus. Vous ne trouuerez point mauuais que ie touche en brief en quel honneur et reputacion est Amour entre les hommes, et qu'au demeurant de mon oraison ie ne parle guère plus que d'eus. Donques les homines sont faits à l'image et semblance de nous , quant aus esprits: leurs corps sont composez de plusieurs et diuerses com- plexions : et entre eus si diferens tant en figure, cou- leur et forme , que iamais en tant de siècles , qui ont passé , ne s'en trouua que deux ou trois pers , qui se ressemblassent : encore leurs seruiteurs et domestiques les connoissoient particulièrement l'un d'auec l'autre.

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Estans ainsi en meurs, complexions, et forme dissem- blables, sont néanmoins ensemble liez et assemblez par une beniuolence, qui les fait vouloir bien l'un à l'autre : et ceus qui en ce sont les plus excellens, sont les plus reuerez entre eus. Delà est venue la première gloire en- tre les hommes. Car ceus qui auoient inuenté quelque chose à leur proufit, estoient estimez plus que les autres. Mais faut penser que cette enuie de proufiter en publiq, n'est procedee de gloire , comme estant la gloire posté- rieure en tems. Quelle peine croyez vous , qu'a îi Or- phée pour destourner les hommes barbares de leur acoutumee cruauté? pour les faire assembler en com- pagnies politiques? pour leur mettre en horreur le pil- ler et robber l'autrui ? Estimez vous que ce fust pour gain? duquel ne se parloit encores entre les hommes, qui n'auoient fouillé es entrailles de la terre? La gloire, comme i'ay dit, ne le pouuoit mouuoir. Car n'estans point encore de gens politiquement vertueus , il n'y pouuoit estre gloire , ny enuie de gloire. L'amour qu'il port oit en gênerai ans hommes, le faisoit trauailler à les conduire à meilleure vie. C'estoit la douceur de sa Musique, que Ion dit auoir adouci les Loups, Tigres, Lions : attiré les arbres , et amolli les pierres : et quelle pierre ne s'amolliroit entendant le dous preschement de celui qui amiablement la veut atendrir pour receuoir l'impression de bien et honneur? Combien estimez vous que Promethee soit loué la bas pour l'usage du feu, qu'il inuenta ? 11 le vous desroba, et encourut votre indina- cion. Estoit ce qu'il vous voulust ofenser? ie croy que non : mais l'amour, qu'il portoit à l'homme , que tu lui

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baillas, ô lupiter, commission de faire de terre, et l'as- sembler de toutes pièces ramassées des autres animaus. Cet amour que Ion porte en gênerai à son semblable, est en telle recommandacion entre les hommes, que le plus souuent se trouuent entre eus qui pour sauner un païs, leur parent, et garder l'honneur de leur Prince, s'enfermeront dedens lieus peu defensables , bourgades , colombiers : et quelque asseurance qu'ils ayent de la mort, n'en veulent sortir à quelque composicion que ce soit, pour prolonger la vie a ceus que Ion ne peut assaillir que après leur ruïne. Outre cette afeccion gé- nérale , les hommes en ont quelque particulière l'un en- vers l'autre, et laquelle, moyennant qu'elle n'ait point le but de gain, ou de plaisir de soymesme, n'ayant res- pect à celui , que Ion se dit aymer, est en tel estime au monde, que Ion ha remarqué songneusement par tous les siècles ceus, qui se sont trouuez excellens en icelle, les ornant de tous les plus honorables titres que les hommes peuuent inuenter. Mesmes ont estimé cette seule vertu estre suiïisante pour d'un homme faire un Dieu. Ainsi les Scythes déifièrent Pylade et Oreste , et leur dressèrent temples et autels, les apelans les Dieus d'amitié. Mais auant iceus estoit Amour, qui les auoit liez et uniz ensemble. Raconter l'opinion qu'ont les hom- mes des parens d'Amour, ne seroit hors de propos, pour montrer qu'ils l'estiment autant ou plus, que nul autre des Dieus. Mais en ce ne sont d'un acord , les uns le faisant sortir de Chaos et de la Terre : les autres du Ciel et de la Nuit : aucuns de Discorde et de Zephire : autres de Venus la vraye mère , l'honorant par ces anciens

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pères et mères , et par les effets merueilleus que Je tout tems il ha acoutume montrer. Mais il me semble que les Grecs d'un seul surnom qu'ils t'ont donne, lupiter, t'apelant amiable , témoignent assez que plus ne pou- uoient exaucer Amour, qu'en te faisant participant de sa nature. Tel est l'honneur que les plus sauans et plus renommez des hommes donnent à Amour. Le commun populaire le prise aussi, et estime pour les grandes expé- riences qu'il voit des commoditez qui prouiennent de lui. Celui qui voit que l'homme (quelque vertueus qu'il soit) languit en sa maison, sans l'amiable compagnie d'une femme, qui fidèlement lui dispense son bien, lui augmente son plaisir, ou le tient en bride doucement, de peur qu'il n'en prenne trop pour sa santé, lui ote les fâcheries, et quelquefois les empesche de venir, l'ap- paise , l'adoucit, le traite sain et malade, le fait auoir deus corps, quatre bras, deus âmes, et plus parfait que les premiers hommes du banquet de Platon, ne confes- sera il que l'amour coniugale est dine de recomman- dacion? et n'attribuera cette félicité au mariage, mais à l'amour qui l'entretient. Lequel, s'il défaut en cet en- droit, vous verrez l'homme forcené, fuir et abandonner sa maison. La femme au contraire ne rit iamais, quand elle n'est en amour auec son mari. Hz ne sont iamais en repos. Quand l'un veut reposer, l'autre crie. Le bien se dissipe , et vont toutes choses au rebours. Et est preuue certeine que la seule amitié fait auoir en mariage le contentement, que Ion dit s'y trouuer. Qui ne dira bien de l'amour fraternelle, ayant veu Castor et Pollux, Tun mortel estre fait immortel à moitié du don de sou frère?

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Ce n'est pas estre frère , qui cause cet lieur (car peu de frères sont de telle sorte) mais l'amour grande qui es- toit entre eus. Il seroit long à discourir, comme lona- tlias sauua la ^ie à Dauid : dire l'histoire de Pythias et Damon : de celui qui quitta son espouse à son ami la première nuit, et s'en fuit vagabond par le monde. Mais pour montrer quel bien vient d'amitië , i'allegueray le dire d'un grand Roy, lequel , ouurant une grenade, in- terrogué de quelles choses il voudroit auoir autant, comme il y auoit de grains en la pomme , respondit : de Zopires. C'estoit ce Zopire , par le moyen duquel il auoit recouurë Babilone, Un Scythe demandant en ma- riage une fille , et somme de bailler son bien par decla- racion, dit: qu'il n'auoit autre bien que deus amis, s'estimant assez riche auec telle possession pour oser de- mander la fille d'un grand Signeur en mariage. Et pour venir aus femmes , ne sauua Ariadne la vie à Thesee ? Hypermnestre à Lyncee? Ne se sont trouvées des armées en danger en pàïs estranges, et sauuees par l' amitié que quelques Dames portoient aus Gapiteines? des Rois re- miz en leurs principales citez par les intelligences, que leurs amies leur auoient pratiquées secrètement ? Tant y ha de poures soudars, qui ont esté esleuez par leurs amies es Contez, Duchez, Royaumes qu'elles possedoient. Certeinement tant de commoditez prouenans aus hom- mes par Amour ont bien aydé à l'estimer grand. Mais plus que toute chose , l'afeccion naturelle , que tous auons à aymer, nous le fait esleuer et exalter. Car nous voulons faire paroitre , et estre estimé ce à quoy nous nous sentons enclins. Et qui est celui des hommes, qui

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ne prenne plaisir, ou traymer, ou d'estre aymé? le laisse ces Mysanthropes, et Taupes cachées sous terre, et ense- ueliz de leurs bizarries, lesquels auront de par moy tout loisir de n'estre point aymez, puis qu'il ne leur chaut d'aymcr. S'il ni'cstoit licite, ie les vous depeindrois, comme ie les voy descrire aus hommes de bon esprit. Et néanmoins il vaut micus en dire un mot, à fin de connoitre combien est mal plaisante et misérable la vie de ceus , qui se sont exemptez d'Amour. Us dient que ce sont gens mornes, sans esprit, qui n'ont grâce au- cune à parler, une voix rude, un aller pensif, un visage de mauuaise rencontre, un œil baissé, creintifs, aua- res, impitoyables, ignorans , et n'estimans personne: Loups garous. Quand ilsentrenten leur maison, ils crein- gnent que quelcun les regarde. Incontinent qu'ils sont entrez, barrent leur porte, serrent les fenestres, inen- gent sallement sans compagnie, la maison mal en ordre ; se couchent en chapon le morceau au bec. Et lors à beaus gros bonnets gras de deus doits d'espais , la ca- misole atachee auec esplingues enrouillees iusques au dessous du nombril , grandes chausses de laine venans a mycuisse, un oreiller bien chaufë et sentant sa gresse fondue : le dormir acompagné de toux , et autres tels excremens dont ils remplissent les courtines. Un leuer pesant , s'il n'y ha quelque argent à receuoir : vieilles chausses repetassees : souliers de païsanl : pourpoint de drap fourré : long saye mal ataché deuant : la robbe qui pend par derrière iusques aus espaules : plus de four- rures et pelisses : calottes et larges bonnets couurans les cheueus mal pignez : gens plus fades à voir, qu'un po-

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tage sans sel h humer. Que vous en semble il ? SI tous les hommes estoîent de cette sorte , y auroit il pas peu de plaisir de viure auec eus ? Combien plus tôt choisi- riez vous un homme propre , bien en point , et bien parlant, tel qu'il ne s'est pii faire sans auoir enuie de plaire à quelcun? Qui ha inuenté un dons et gracieus langage entre les hommes? et ou premièrement ha il esté employé ? ha ce esté à persuader de faire guerre au païs? eslire un Capiteine ? acuser ou défendre quelcun? Auant que les guerres se fissent, paix, alliances et con- federacions en publiq : auant qu'il fust besoin de Ca- piteines , auant les premiers iugemens que fîtes faire eu Athènes , il y auoit quelque manière plus douce et gra- cieuse , que le commun : de laquelle usèrent Orphée , Amphion, et autres. Et ou en firent prenne les hom- mes, sinon en Amour ? Par pitié on baille à manger à une créature, encore qu'elle n'en demande. On pense à un malade, encore qu'il ne veuille guérir. Mais qu'une femme ou homme d'esprit, prenne plaisir à l'afeccion d'une personne , qui ne la peut descouurir, lui donne ce qu'il ne peut demander, escoute un rustique et bar- bare langage : et tout tel qu'il est , sentant plus son commandement, qu'amoureuse prière, cela ne se peut imaginer. Celle qui se sent aymee , ha quelque autorité sur celui qui l'ayme ; car elle voit en son pouuoir, ce que l'Amant poursuit, comme estant quelque grand bien et fort désirable. Cette autorité veut estre reueree en gestes , faits , contenances , et paroles. Et de ce vient , que les Amans choisissent les façons de faire, par les- quelles les personnes aymees auront plus d'ocasion de

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croire l'estime et reputaciion que l'on ha d'elles. On se compose les yeus h douceur et pitié, on adoucit le front, on amollit le langage, encore que de son naturel l'Amant ust le regard horrible, le front despité, et langage sot et rude : car il ha incessamment au cœur l'obiect de l'amour, qui lui cause un désir d'estre dine d'en rece- voir faueur, laquelle il scet bien ne pouuoir auoir sans changer son naturel. Ainsi entre les hommes Amour cause une connoissance de soymesme. Celui qui ne tache à complaire à personne, quelque perfeccion qu'il ait, n'en ha non plus déplaisir, que celui qui porte une fleur dedens sa manche. Mais celui qui désire plaire, in- cessamment pense à son fait : mire et remire la chose ay- mee : suit les vertus, qu'il voit lui estre agréables, et s'a- donne aus complexions contraires à soymesme, comme celui qui porte le bouquet en main, donne certein iu- gement de quelle fleur vient l'odeur et senteur qui plus lui est agréable. Apres que l'Amant ha composé son corps et complexion à contenter l'esprit de l'aymee, il donne ordre que tout ce qu'elle verra sur lui , ou lui donnera plaisir, ou pour le moins elle n'y trouuera à se fâcher. De ha ii source la plaisante inuencion des habits nou- ueaus. Car on ne veut iamais venir à ennui et lasseté, qui prouientde voir tousiours une mesme chose. L'hom* me ha tousiours mesme corps, mesme teste , mesme bras, ïambes, et piez : mais il les diuersifie de tant de sortes, qu'il semble tous les iours estre renouuelë. Chemises parfumées de mile et mile sortes d'ouurages : bonnet à la saison, pourpoint, chausses iointes et serrées, mon- trans les mouuemens du corps bien disposé: mile façons

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de bottines, brodequins, escarpins, souliers, sayons, casaquins, robbes, robbons, cappes, manteaus: le tout en si bon ordre, que rien ne passe. Et que dirons nous des femmes, Tliabit desquelles, et Tornement de corps, dont elles usent, est fait pour plaire, si iamais rien fut fait. Est il possible de mieus parer une teste, que les Da- mes font et feront à iamais? auoir cbeueus mieus dorez, crespes , frizez? acoutrement de teste mieus séant, quand elles s'acoutreront à l'Espagnole, a la Françoise, àl'Ale- mande, à l'Italienne, à la Grecque? Quelle diligence mettent elles au demeurant de la face? Laquelle, si elle est belle, ils contregardent tant bien contre les pluies, vents, clialeurs, tems et vieillesse, qu'elles demeurent presque tousiours ieunes. Et si elle ne leur est du tout telle, qu'elles la pourroient désirer, par bonneste soin la se procurent : et l'ayant moyennement agréable , sans plus grande curiosité, seulement auec vertueuse indus- trie la continuent, selon la mode de cbacune nacion, contrée, et coutume. Et auec tout cela, Tbabit propre comme la feuille autour du fruit. Et s'il y lia perfeccion du corps, ou linéament qui puisse, ou doiue estre vii et montré , bien peu le caclie l'agencement du vête- ment : ou, s'il est cacbé, il l'est en sorte, que Ion le cuide plus beau et délicat. Le sein aparoit de tant plus beau , qu'il semble qu'elles ne le veuillent estre vîi : les mamelles en leur rondeur releuees font donner un peu d'air au large estomac. Au reste, la robbe bien iointe, le corps estreci ou ii le faut : les manches serrées , si le bras est massif: si non, larges et bien enrichies : la chausse tirée ; l'escarpin façonnant le petit pié (car le plus sou-

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uent l'amoureuse curiosité des hommes fait reclierclier la beauté iusques au bout des piez : ) tant de pommes d'or, chaines, bagues, ceintures, pendans, gans par- fumez , manchons: et en somme tout ce qui est de beau , soit iiTacoutrement des hommes ou des femmes, Amour en est l'auteur. Et s'il ha si bien trauaillé pour conten- ter les yeus , il n'a moins fait aus autres senti mens : mais les a tous emmiellez de nouuelle et propre douceur. Les fleurs que tu lîz , ô lupiter, naitre es mois de l'an les plus chaus, sont entre les hommes faites hybernalles ; les arbres, plantes, herbages, qu'auois distribuez en di- uers païs, sont par l'estude de ceus qui veulent plaire à leurs amies, rassemblez en un verger : et quelquefois suis contreint, pour ayder à leur afeccion, leur dépar- tir plus de chaleur que le païs ne le requerroit. Et tout le proufit de ce , n'est que se ramenteuoir par ces petis presens en la bonne grâce de ces amis et amies. Diray ie que la Musique n'a este inuentee que par Amour? et est le chant et harmonie l'efFect et signe de l'Amour par- fait. Les hommes en usent ou pour adoucir leurs désirs enflammez, ou pour donner plaisir: pour lequel diuersi- fier tous les iours ils inuentent nouueaus et diuers instru- mens de Luts, Lyres, Citres, Doucines, Violons, Espi- nettes. Flûtes , Cornets : chantent tous les iours diuerses chansons: et viendront à inuenter madrigalles, sonnets, pauanes, passemeses, gaillardes, et tout en commemo- racion d'Amour: comme celui, pour lequel les hommes font plus que pour nul autre. C'est pour lui que Ion fait des sérénades, aubades, tournois, combats tant à pie qu'à cheuaL En toutes lesquelles entreprises ne se treu-

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uent que ieunes gens amoureus : ou s'ils s'en treuuent autres nieslez parmi , ce us qui ayment emportent tou- siours le pris, et en remercient les Dames, desquelles ils ont porte les faneurs. aussi se raporteront les Co- médies, Tragédies, leux, Montres, Masques, Mores- ques. Dequoy allège un voyageur son trauail , que lui cause le long chemin, qu'en chantant quelque chanson d* Amour, ou escoutant de son compagnon quelque conte et fortune amoureuse ? L'un loue le hon traitement de s'amie : l'autre se pleint de la cruauté de la sienne. Et mile accidens, c[ui interuiennent en amours: lettres descouvertes, mauuais raports, quelque voisine ialouse, quelque mari qui reuient plus tôt que Ion ne voudroit: quelquefois s*aperceuant de ce qui se fait : quelquefois n'en croyant rien, se fiant sur la preudhommie de sa femme : et à fois eschaper un souspir auec un change- ment de parler: puis force excuses. Brief, le plus grand plaisir qui soit après amour, c'est d'en parler. Ainsi pas- soit son chemin Apulée, quelque Filozofe qu'il fust. Ainsi prennent les plus seueres hommes plaisir d'ouir parler de ces propos, encores qu'ils ne le veuillent con- fesser. Mais qui fait tant de Poètes au monde en toutes langues ? n'est ce pas Amour ? lequel semble estre le suget , duquel tous Poètes veulent parler. Et qui me fait atribuer la poè'sîe a Amour: ou dire, pour le moins, qu'elle est bien aydee et entretenue par son moyen ? c'est qu'incontinent que les hommes commencent d'ay- m^er, ils escriuent vers. Et cens qui ont este excellens Poè'tes, ou en ont rempli leurs liures, ou, quelque au- tre suget qu'ils ayent pris, n'ont ose toutefois acheuer

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leur euiire sans en faire honorable mencion. Orpliee, Musée 5 Homère , Line , Alcee , Saphon , et autres Poètes et Filozofes : comme Platon, et celui qui ha ù le nom de Sage, ha descrit ses plus hautes concepcions en forme d'amourettes. Et plusieurs autres escriueins voulans des- crire autres invencions, les ont cachées sous semblables propos. C'est Cupidon cfui a gaigné ce point, qu'il faut que chacun chante ou ses passions, ou celles d'autrui, ou cQuure ses discours d'Amour, sachant qu'il n'y ha rien, qui le puisse faire mieus estre reçu. Ouide ha tou- siours dit qu'il aymoit. Pétrarque en son langage ha fait sa seule afeccion aprocher a la gloire de celui, qui ha représenté toutes les passions , coutumes , façons et na- tures de tous les hommes, qui est Homère. Qu'a iamais mieus chanté Virgile , que les amours de la Dame de Cartilage ? ce lieu seroit long , qui voudroit le traiter comme il meriteroit. Mais il me semble qu'il ne se peut nier, que l'Amour ne soit cause aus hommes de gloire , honneur, proufit, plaisir : et tel, que sans lui ne se peut commodément viure. Pource est il estimé entre les hu- mains, l'honorans et aymans, comme celui qui leur ha procuré tout bien et plaisir. Ce qui lui ha esté bien aisé, tant qu'il ha ù ses yeus. Mais auiourd'hui, qu'il en est priué, si Folie se mesle de ses afaires, il est à creindre, et quasi ineuitable, qu'il ne soit cause d'autant de vi- lenie, incommodité, et desplaisir, comme il ha esté par le passé d'honneur, proufit, et volupté. Les grans qu'A- mour contreingnoit aymer les petis et les sugetz qui es- toient sous eus, changeront en sorte qu'ils n'aymeront plus que ceus dont ils en penseront tirer seruice. Les

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petlsj qui aymoient leurs Princes et Signeurs, les ay- meroiît seulement pour faire leurs besong^nes, en espé- rance de se retirer quand ils seront pleins. Car ou Amour voudra faire cette harmonie entre les hautes et basses personnes, Folie se trouuera près, qui l'empeschera : et encore es lieus ou il se sera atachë. Quelque bon et innocent qu'il soit , Folie lui meslera de son naturel : tellement que ceus qui aymeront , feront tou si ours quel- que tour de fol. Et plus les amitiez seront estroites, plus s'y trouuera il de desordre quand Folie s'y mettra. Il retournera plus d'une Semiramis, plus d'une Biblis , d'une Mirrlia, d'une Canace, d une Pliedra. Il n'y aura lieu saint au monde. Les hauts murs et treilliz garde- ront mal les Vestales. La vieillesse tournera son véné- rable et paternel amour, en fols etiuueniles désirs. Honte se perdra du tout. 11 n'y aura discrecion entre noble, païsant, infidèle, ou More, Dame, maitresse, seruante. Les parties seront si inégales, que les belles ne rencon- treront les beaus, ains seront coniointes le plus souuent aucc leurs dissemblables. Grands Dames aymeront quel- quefois ceus dont ne daigneroient estre seruies. Les gens d'esprit s'abuseront autour des plus laides. Et quand les poureset lovaiis amans auront langui de l'amour de quel- que belle: lors Folie fera iouir quelque auolë en moins d'une heure du bien ou l'autre n'aura pîi ateindre. le laisse les noises et querelles , qu'elle dressera par tout, dont s'en ensuiura blessures, outrages, et meurtres. Et ay belle peur, qu'au lieu ou Amour ha inuentë tant de sciences, et produit tant de bien, qu'elle n'ameine auec soy quelque grande oisiueté acompagnee d'igno-

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rance : qu'elle n*empesclie les ieunes gens de suiure les armes et de faire seruice à leur Prince : ou de vaquer a estudes honorables : qu'elle ne leur mesle leur amour de paroles détestables, chansons trop yileines, iuron- gnerie et gourmandise ; qu'elle ne leur suscite mile ma- ladies , et mette en infiniz dangers de leurs personnes. Car il n'y ha point de plus dangereuse compagnie que de Folie. Voila les maus qui sont à crelndre, si Folie se trouue autour d'Amour. Et s'il auenoit que cette mes- chante le voulust empescher ça haut, que Venus ne vou- lust plus rendre un dous aspect auec nous autres , que Mercure ne Aoulust plus entretenir nos alliances, quelle confusion y auroit il ? Mais i'ay promis ne parler que de ce qui se fait en terre. Or donq, lupiter, qui t'apeles père des hommes, qui leur es auteur de tout bien, leur donnes la pluie quand elle est requise, seiches l'humi- dité superabondante : considère ces maus qui sont pré- parez aus hommes , si Folie n'est séparée d'Amour. Laisse Amour se resiouir en paix entre les hommes : qu'il soit loisible à un cliacun de conuerser priue'ment et domes- tiquement les personnes Qu il aymera , sans que per- sonne en ait creinte'ou sonpson : que les nuits ne chas- sent, sous prétexte des mauuaises langues, l'ami de la maison de s'amie : que Ion puisse mener la femme de son ami, voisin, parent, ou bon semblera, en telle seurté que l'honneur de l'un ou l'autre n'en soii en rien ofen- sc. Et à ce que personne n'ait plus mal en teste, quand il verra telles priuautez , fais publier par toute la Terre, non à son de trompe ou par ataches mises aus portes des temples, mais en metant au cœur de tous cens qui

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regarderont les Amans , qu'il n'est possible qu'ils vou- sissent faire ou penser quelque Folie. Ainsi auras tu mis tel ordre au faitauenu, que les hommes auront ocasion de te louer et magnifier plus que iamais, et feras beau- coup pour toy et pour nous. Car tu nous auras deliurez d'une infinité de pleintes, qui autrement nous seront faites par les hommes, des esclandres que Folie amou- reuse fera au monde. Ou bien si tu aymes mieus re- mettre les choses en Testât qu'elles estoient, contreins les Parques et Destinées (si tu y as quelque pouuoir) de retourner leurs fuseaus , et faire en sorte qu'à ton com- mandement, et à ma prière , et pour l'amour de Venus, que tu as iusques ici tant chérie et aymee, et pour les plaisirs et contentemens que tous tant que nous som- mes, auons reçuz etreceuons d'Amour, elles ordonnent, que les yeus seront rendus à Gupidon, et la bande otee : à ce que le puissions voir encore un coup en son bel et naïf estre, piteus de tous les cotez dont on le sauroit regarder, et riant d'un seulement. 0 Parques, ne soyez à ce coup inexorables que Ion ne die que vos fuseaus ont esté ministres de la cruelle vengeance de Folie. Ceci n'empescliera point la suitecles choses a venir. lupiter composera tous ces trois iours en un , comme il fit les trois nuits , qu'il fut auec Alcmene. le vous apelle, vous autres Dieus, et vous Déesses, qui tant auez porté et portez d'honneur à Venus. Voici l'endroit ou lui pou- uez rendre les faneurs que d'elle auez reçues. Mais de qui plus dois ie espérer, que de toy, lupiter ? laisseras tu plorer en vain la plus belle des Déesses ? n'auras tu pitié de l'angoisse qu'endure ce poure enfant dine de

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meilleure fortune ? Aurons nous perdu nos veuz et priè- res? Si celles des hommes te peuuent forcer, et t'ont fait plusieursfois tomber des mains, sans mal faire, la foudre que tu auois contre eus préparée ; quel pouuoir auront les nôtres, ausquels as communique ta puissance et autorité ? Et te prians pour personnes , pour lesquelles toymesme (si tu ne tenois le lieu de commander) prie- rois \olontiers ; et en la faueur desquelles (si ie puis sauoir quelque secret des choses futures) feras, possible, après certeines reuolucions, plus que ne demandons, assugetissant à perpétuité Folie à Amour, et le faisant plus cler voyant que nul autre des Dieus. Fay dit.

Incontinent qu'Apolon ut fini son acusacion , toute la com- pagnie des Dieus par un frémissement, se montra auoir compassion de la belle Déesse présente, et de Cupidon son fils. Et ussent volontiers tout sur l'heure condamné la Déesse Folie : Quand l'equitaLle lupiter par une ma- gesté Impériale leur commanda silence, pour ouir la dé- fense de Folie encharge'e à Mercure, lequel commença à parler ainsi :

MERGVRE.

N'atendez point, lupiter, et vous autres Dieus im* mortels , que ie commence mon oraison par excuses (comme quelquefois font les Orateurs , qui creingnent estre blâmez , quand ils soutiennent des causes aperte- ment mauuaises) de ce qu'ay pris en main la défense de Folie , et mesmes contre Cupidon, auquel ay en plu- sieurs endrois porte' tant d'obeïssance , qu'il auroit rai- son de m*estimer tout sien : et ay tant aymé la mère, que n'ay jamais espargnë mes allées et venues, tant qu'ay pensé lui faire quelque chose agréable. La cause.

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que ie defens , est si iuste , que ceus niesnies qui ont parlé au contraire, après ni*auoir ouy, changeront d'o- pinion. L'issue du diferent, comme i'espere, sera telle, que mesme Amour quelque iour me remercira de ce seruice, que contre lui ie faj à Folie. Cette question est entre deus amis, qui ne sont pas si outrez l'un enuers l'autre, que quelque matin ne se puissent reconcilier, et prendre plaisir l'un de l'autre, comme au parauant. Si à l'apetit de l'un, vous cliassez l'autre, quand ce de- sir de vengeance sera passé (laquelle incontinent qu'elle est acheuee commence à desplaire : ) si vous ordonnez quelque cas contre Folie , Amour en aura le premier regret. Et n'estoit cette ancienne amitié et aliance de ces deus, meintenant auersaires, qui les faisoit si uniz et conioins, que iamais n'auez fait faueur à l'un, que l'autre ne s'en soit senti: ie me defierois bien que pussiez don- ner bon ordre sur ce diferent, ayans tous suiui Amour fors Pallas : laquelle estant ennemie capitale de Folie , ne serait raison qu'elle voulust iuger sa cause. Et tou- tefois n'est Folie si inconnue céans, qu'elle ne se res- sente d'auoir souuentefois esté la bien venue, vous apor- tant tousiours auec sa troupe quelque cas de nouueau pour rendre vos banquets et festins plus plaisans. Et pense que tous ceus de vous , qui ont aymé , ont aussi bonne souuenance d'elle, que de Cupidon mesme. Da- uantage elle vous croit tous si équitables et raisonna- bles, qu'encore que ce fait fust le votre propre, si n'en feriez vous que la raison. l'ay trois choses à faire. Dé- fendre la teste de Folie, contre laquelle Amour ha iuré; respondre aus acusacions que i'entens estre faites à Fc-

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lie : et à la demande qu'il fait de ses jeus. Apolon, qui ha si long tems ouy les causeurs à Romme , ha bien retenu d'eus à conter tousiours à son auantage. Mais Folie , comme elle est tousiours ouuerte , ne veut point que l'en dissimule rien : et ne vous en veut dire qu'un mot sans art, sans fard et ornement quelconque. Et, à la pure vérité, Folie se iouant auec Amour, ha passé deuant lui pour gaignerle deuant, et pour venir plus tôt vous donner plaisir. Amour est entré en colère. Lui et elle se sont pris de paroles. Amour la taché naurer de ses armes qu'il portoit. Folle s'est défendue des siennes, dont elle ne s'estoit chargée pour blesser personne, mais pource que ordinairement elle les porte. Car, comme vous sauez , ainsi qu'Amour tire au cœur. Folie aussi se gette aus yeus et à la teste, et n'a autres armes que ses doits. Amour ha voulu montrer qu'il auoit puissance sur le cœur d'elle. Elle lai ha fait connoitre qu'elle auoit puissance de lui oter les yeus. Il ne se pleingnoit que de la deformité de son visage. Elle esmue de pitié la lui ha couuert d'une bande à ce que Ion n'aperçust deus trons vuides d'iceus, enlaidlssans sa face. On dit que Folie ha fait double iniure à Amour : premièrement , de lui auoir creué les yeus : secondement, de lui auoir mis ce bandeau. On.exaggere le crime fait à une per- sonne aymee d'une personne, dont plusieurs ont afalre. Il faut respondre à ces deus iniures. Quant à la première, le dy : que les loix et raisons humaines ont permis k tous se défendre contre ceus qui les voudroient ofen- ser, tellement que ce, que chacun fait en se défendant, est estimé bien et justement fait. Amour ha esté l'agres-

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seur. Car combien que Folie ait premièrement parlé à Amour, ce n'estoit toutefois pour quereler, mais pour s'esbatre , et se iouer à lui. Folie s'est défendue. Duquel coté est le tort? Quand elle lui ust pis fait, ie ne voy point comment on lui en ust pii rien demander. Et si ne voulez croire qu* Amour ait esté l'agresseur, in- terroguez le. Vous verrez qu'il reconnoitra vérité. Et n'est chose incroyable en son endroit de commencer tels brouilliz. Ce n'est d'auiourd'liui , qu'il ha esté si insuportable , quand bon lui ha semblé. Ne s'ataqua il pas à Mars , qui regardoit Vulcan forgeant des ar- mes, et tout soudein le blessa? et n'y ha celui de cette compagnie , qui n'ait esté queh|uefois las d'ouir ces hrauades. Folie rit tousiours, ne pense si auant aus choses, ne marche si auant pour estre la première, mais pource qu'elle est plus pronte et hatiue. le ne say que sert d'alléguer la coutume tolérée à Cupidon de tirer de son arc ou bon lui semble. Car quelle loy ha il plus de tirer à Folie , que Folie n'a de s'adresser à Amour ? Il ne lui ha fait mal : néanmoins il s'en est mis en son plein deuoir. Quel mal ha fait Folie , rengeant Amour, en sorte qu'il ne peut plus nuire, si ce n'est d'auenture? Que se treuue il en eus de capital? y ha il quelque guet à pens, ports d'armes , congregacions illicites , ou autres choses qui puissent tourner au desordre de la Republique? Ces- toit Folie et un enfant, auquel ne falloit auoir égard. le ne say comment te prendre en cet endroit, Apolon. S'il est si ancien, il doit auoir apris à estre plus mo- deste, qu'il n'est : et s'il est ieune, aussi est Folie ieune, et fille de leunesse. A cette cause, celui qui est blessé,

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en doit demeurer la. Et dorenauant que personne ne se prenne à Folie. Car elle ha, quand bon lui semblera, dequoy venger ses iniures : et n'est de si petit lieu , qu'elle doiue soufrir les ieunesses de Cupidon. Quant à la seconde iniure, que Folie lui ha mis un bandeau, ceci est une pure calomnie. Car en lui bandant le dessous du front. Folie iamais ne pensa lui agrandir son mal, ou lui oter le remède de guérir. Et quel meilleur témoi- gnage faut il , que de Cupidon mesme? Il ha trouué bon d'estre bandé : il ha connu qu'il auoit esté agresseur, et que l'iniure prouenoit de lui : il ha reçu cette faueur de Fohe. Mais il ne sauoit pas qu'il fust de tel pouuoir. Et quand il ust sîi , que lui ust nuy de le prendre? Il ne lui deuoit iamais estre oté : par conséquent donq ne lui deuoient estre ses yeus rendus. Si ses yeus ne lui de- uoient estre rendus, que lui nuit le bandeau? Que bien tu te montres ingrat à ce coup , fils de Venus , quand tu calomnies le bon vouloir que t'ay porté , et inter- prètes à mal ce que ie t'ay fait pour bien. Pour agrauer le fait , on dit que c'estoit en lieu de franchise. Aussi estoit ce en lieu de franchise, qu'Amour auoit assailli. Les autels et temples ne sont inuentez à ce qu'il soit loi- sible aus meschans d'y tuer les bons, mais pour sauner les infortunez de la fureur du peuple, ou du courrons d'un Prince. Mais celui qui pollue la franchise, n'en doit il perdre le fruit? S'il ust bien succédé à Amour, comme il vouloit , et ust blessé cette Dame , ie croy qu'il n'ust pas voulu que Ion lui ust imputé ceci. Le semblable faut qu'il treuue bon en autrui. Folie m'a dé- fendu que ne la fisse misérable, que ne vous supliasse

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pour lui pardonner , si faute y auoit : m'a défendu le plorer, n'embrasser vos genous, vous adiurer par les gracieus y eus, que quelquefois auez trouuez agréables venans d'elle, ny amener sesparens, enfans, amis, pour vous esraouuoir h pitié. Elle vous demande ce que 4ie lui pouuez refuser, qu'il soit dit: qu'Amour par sa faute mesme est deuenu aueugle. Le second point qu'Apolon ha touché, c'est qu'il veut estre faites défenses à Folie de n'aprocher dorenauant Amour de cent pas à la ronde. Et ha fondé sa raison sur ce , qu'estant en honneur et reputacion entre les hommes, leur causant beaucoup de bien et plaisirs, si Folie y estoit meslee, tout tour- neroit au contraire. Mon intencion sera de montrer qu'en tout cela Folie n'est rien inférieure à Amour, et qu'Amour ne seroit rien sans elle : et ne peut estre , et régner sans son ayde. Et pource qu'Amour ha com- mencé à montrer sa grandeur par son ancienneté, ie feray le semblable : et vous prieray réduire en mémoire comme incontinent que l'homme fut mis sur terre, il commença sa vie par Folie : et depuis ses successeurs ont si bien continué, que iamais Dame n'ut tant bon crédit au monde. Vray est qu'au commencement les hommes ne faisoient point de hautes folies, aussi n'a- uoient ils encores aucuns exemples deuant eus. Mais leur folie estoit à courir l'un après l'autre ; à monter sus un arbre pour voir de plus loin : rouler en la vallée : à men- ger tout leur fruit en un coup : tellement que l'hiuer n'auoient que menger. Petit à petit ha cru Folie auec le tems. Les plus esuentez d'entre eus, ou pour auoir rescous des loups et autres bestes saunages , les brebis

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de leurs voisins et compagnons, ou pour auoir défendu quelcun d*estre outrage, ou pource qu'ils se sentoient ou plus forts , ou plus beaus , se sont fait couronner Rois de quelque feuillage de Clicsne. Et croissant l'ambi- cion, non des Rois, qui gardoientfort bien en ce tems les Moutons, Reufs, Truies et Asnesses, mais de quelques mauuais garnimens qui les suiuoient, leur yiure lia esté séparé du commun. 11 lia fallu que les viandes fussent plus délicates, riiabillement plus magnifique. Si les au- tres usoient de laiton , ils ont cherché un métal plus precieus, qui est l'or. Ou For estoit commun, ils l'ont enrichi de Perles, Rubis, Diamans, et de toutes sortes de pierreries. Et, ou est la plus grand'Folie, si le commun ha ù une loj, les graiis en ont pris d'autres pour eus. Ce qu'ils ont estimé n'estre licite aus autres, se le sont pensé estre permis. Folie ha premièrement mis en teste à quelcun de se faire creindre: FoHe ha fait les autres obeïr. Folie ha inuenté toute l'excellence, magnificence et grandeur, qui depuis à cette cause s'en est ensuiuie. Et néanmoins, qu'y ha il plus vénérable entre les hom- mes, que cens qui commandent aus autres? Toymesme, lupiter, les apelles pasteurs de Peuples : veus qu'il leur soit obeï sous peine de la vie : et néanmoins l'origine est venue par cette Dame. Mais ainsi que tousiours as acoutumé faire, tu as conuerti à bien ce que les hom- mes auoient inuenté à mal. Mais, pour retourner à mon propos , quels hommes sont plus honorez que les fols ? Qui fut plus fol qu'Alexandre , qui se sentant soufrir faim, soif, et quelquefois ne pouuant cacher son vin, suget à estre malade et blessé, néanmoins se faisoit ado-

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rer comme Dieu ? Et quel nom est plus célèbre entre les Rois : quelles gens ont esté pour un tems en plus grande reputacion, que les Filozofes ? Si en trouuerez vous peu 5 qui n*ayent esté abruuez de Folie. Combien pensez vous qu'elle ait de fois remué le cerueau de Ghry- sippe? Aristote ne mourut il de dueil , comme un fol, ne pouuant entendre la cause du flus et reflus de l'Eu- ripe ? Grate, getant son trésor en la mer, ne fit il un sage tour? Empedocle qui se fust fait immortel sans ses sa- bots d'erain, en auoit il ce qui lui en failloit? Diogene auec son tonneau ; et Aristippe qui se pensoit grand Fi- lozofe, se sachant bien ouy d'un grand Signeur, estoient ils sages ? le croy qui regarderoit bien auant leurs opi- nions, que Ion les trouueroit aussi crues, comme leurs cerueaus estoient mal faits. Combien y ha il d'autres sciences au monde, lesquelles ne sont que pure resuerie? encore que ceus qui en font professions , soient estimez grans personnages entre les hommes ? Ceus qui font des maisons au Ciel, ces getteurs de points, faiseurs de cha- racteres , et autres semblables , ne doiuent ils estre mis en ce reng ? N'est à estimer cette foie curiosité de me- surer le Ciel, les Estoiles, les Mers, la Terre, consumer son tems à conter, getter, aprendre mile petites ques- tions, qui de soy sont foies : mais néanmoins resiouissent l'esprit : le font aparoir grand et subtil autant que si c'estoit en quelque cas d'importance. le n'aurois iamais fait, si ie vouîoi^ raconter combien d'honneur et de reputacion tous les iours se donne à cette Dame , de laquelle vous dites tant de mal. Mais pour le dire en un mot : Mettez moy au monde un homme totalement sage

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d'un cote, et un fol de l'autre : et prenez garde lequel sera plus estimé. Monsieur le sage atendra que Ion le prie , et demeurera auee sa sagesse tout seul , sans que Ion l'apelle à gouuerner les Viles , sans que Ion l'apelle en conseil : il voudra escouter, aller posément ou il sera mandé ; et on ha afaire de gens qui soient pronts et di- ligens , qui faillent plus tôt que demeurer en chemin. Il aura tout loisir d'aller planter des clious. Le fol ira tant et viendra , en donnera tant h tort et à trauers 5 qu'il rencontrera en fin quelque cerueau pareil au sien qui le poussera : et se fera estimer grand homme. Le fol se mettra entre dix mile harquehuzades, et possihle en eschapera : il sera estimé, loué, prisé, suiui d'un chacun. Il dressera quelque entreprise esceruelee, de laquelle s'il retourne , il sera mis iusques au ciel. Et trouuerez vray, en somme, que pour un homme sage, dont on parlera au monde, j en aura dix mile fols qui seront a la vogue du peuple. Ne vous sufit il de ceci ? as- semhleray ie les maus qui seroient au monde sans Fo- lie, et les commoditez qui prouiennent d'elle ? Que du- reroit mesme le monde , si elle n'empeschoit que Ion ne preuit les fâcheries et hazars qui sont en mariage ? Elle empesche que Ion ne les yoye et les cache : à fin que le monde se peuple tousiours à la manière acoutu- mee. Gomhien dureroient peu aucuns mariages, si la sottise des hommes ou des femmes laissoit voir les vices qui y sont? Qui ust trauersé les mers, sans auoir Folie pour guide ? se commettre à la miséricorde des vents , des vagues, des bancs, et rochers, perdre la terre de Tuë, aller par voyes inconnues, trafiquer auec gens bar-

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bares et inhumains, dont est il premièrement venu, que de Folie? Et toutefois par là, sont communiquées les richesses d'un païs à autre, les sciences, les façons de faire, et ha esté connue la terre, les proprietez, et na- tures des herbes, pierres et animaus. Quelle folie fust ce d'aller sous terre chercher le fer et l'or? combien de mestiers faudroit il chasser du monde, si Folie en estoit bannie? la plus part des hommes mourroient de faim; Dequoy viuroient tant d'Auocats, Procureurs, Greffiers, Sergens , luges , Menestriers , Farseurs , Parfumeurs , Brodeurs, et dix mile autres mestiers? Etpource qu'A- mour s'est Youlu munir, tant qu'il ha pu, de la faueur d'un chacun, pour faire trouuer mauuais que par moy seule il ait reçu quelque infortune, c'est bien raison qu'a- près auoir ouy toutes ses vanteries , ie lui conte à la vé- rité de mon fait. Le plaisir, qui prouient d'Amour, con- siste quelquefois ou en une seule personne, ou bien pour le plus, en deus, qui sont, l'amant et l'amie. Mais le plaisir que Folie donne, n'a si petites bornes. D'un mesme passetems elle fera rire une grande compagnie. Autrefois elle fera rire un homme seul de quelque pen- sée, qui sera venue donner à la trauerse. Le plaisir que donne Amour, est caché et secret : celui de Folie se communique à tout le monde. Il est si récréatif, que le seul nom esgaie une personne. Qui verra un homme enfariné auec une bosse derrière entrer en salle, ayant une contenance de fol, ne rira il incontinent? Que Ion nomme quelque fol insigne, vous verrez qu'à ce nom quelcun se resiouira, et ne pourra tenir le rire. Tous autres actes de Folie sont tels, que Ion ne peut en par-

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1er sans sentir au cœur quelque allégresse , qui cles- faclie un homme et le prouoque à rire. Au contraire, les choses sages et hien composées, nous tiennent pre- mièrement en admiracion : puis nous soûlent et en- nuient. Et ne nous feront tant de hien , quelques grandes que soient et cerimonieuses , les assemhlees des grans Signeurs et sages, que fera quelque folâtre compagnie de ieunes gens délibérez, et qui n'auront ensemble nul respect et consideracion. Seulement icelle yoir, resueille les esprits de Tame, et les rend plus dispos à faire leurs naturelles operacions : Ou, quand on sort de ces sages assemblées , la teste fait mal : on est las tant d'esprit que de corps, encore que Ion ne soit bougé de sus une sel- lette. Toutefois, ne faut estimer que les actes de Folie soient tousiours ainsi legei-s comme le saut des Bergers, qu'ils font pour l'amour de leurs amies : ny aussi déli- bérez comme les petites gayetez des Satires : ou comme les petites ruses que font les Pastourelles, quand elles font tomber cens qui passent deuant elles, leui' donnant par derrière la iambette, ou leur chatouillant leur som- meil auec quelque branche de chesne. Elle en ha, qui sont plus seueres, faits auec grande premeditacion, auec grand artifice, et par les esprits plus ingenieus. Telles sont les Tragédies que les garçons des vilages premiè- rement inuenterent: puis furent auec plus heureus soin aportees es viles. Les Comédies ont de pris leur source. La saltacion n'a îi autre origine : qui est une represen- tacion faite si au vif de plusieurs et diuerses histoires, que celui, qui n'oit la voix des cliantres, qui acompa- gncnt les mines du ioueur, entent toutefois non seule-

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ment riiistoire, mais les passions et mounemens : et pense entendre les paroles qui sont conuenables et pro- pres en tels actes : et, comme disoit quelcun, leurs piez et mains parlans. Les Bouffons qui courent le monde , en tiennent quelque chose. Qui me pourra dire, s'il y ha chose plus foie, que les anciennes fables contenues es Tragédies, Comédies, et Saltacions ? Et comment se peuuent exempter d'estre nommez fols , ceux qui les re- présentent, ayans pris et prenans tant de peines à se faire sembler autres qu'ils ne sont? Est il besoin re- citer les autres passetems , qu'a inuentez Folie pour gar- der les hommes de languir en oisiuetë ? N'a elle fait faire les somptueus Palais , Théâtres , et Amphithéâtres de magnificence incroyable , pour laisser témoignage de quelle sorte de folie chacun en son tems s'esbatoit? N'a elle este' inuentrice des Gladiateurs, Luiteurs, et Athlè- tes? N'a elle donné la hardiesse et dextérité telle à l'hom- me , que d'oser, et pouuoir combatre sans armes un Lion , sans autre nécessité ou atente , que pour estre en la grâce et faueur du peuple ? Tant y en ha qui as- saillent les Taureaus, Sangliers, et autres bestes, pour auoir l'honneur de passer les autres en folie : qui est un combat, qui dure non seulement entre cens qui \iuent de mesme tems, mais des successeurs auec leurs prédé- cesseurs. N'estoit ce un plaisant combat d'Antoine auec Cleopatra , a qui dépendroit le plus en un festin ? Et tout cela seroit peu, si les hommes ne trouuans en ce monde plus fols qu'eus, ne dressoient querelle contre les morts. César se fachoit qu'il n'auoit encore com- mencé à tix)ubler le monde en l'aage , qu'Alexandre le

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grand en auoit vaincu une grande partie. Combien Lu- culle et autres, ont ils laissé d'imitateurs, qui ont taclié à les passer, soit à traiter les hommes en grand apareil, à amonceler les plaines, aplanir les montaignes, seicher les lacs, mettre ponts sur les mers (comme Claude Em- pereur) faire Colosses de bronze et pierre , arcs trion- fans, Pyramides? Et de cette magnifique folie en de- meure un long tems grand plaisir entre les hommes, qui se destournent de leur chemin, font voyages ex- près, pour auoir le contentement de ces vieilles folies. En somme, sans cette bonne Dame l'homme seicheroit et seroit lourd , malplaisant et songeart. Mais Folie lui esueille l'esprit, fait chanter, danser, sauter, habiller en mile façons nouuelles , lesquelles changent de demi an en demi an , auec tousiours quelque aparence de rai- son , et pour quelque commodité. Si Ion inuente un ha- bit ioint et rond , on dit qu'il est plus séant et propre ; quand il est ample et large , plus honneste. Et pour ces petites folies , et inuencions , qui sont tant en habille- mens qu'en contenances et façons de faire , l'homme en est mieus venu, et pkis agréable aus Dames. Et comme i'ay dit des hommes, il j aura grand' diference entre le recueil que trouuera un fol , et un sage. Le sage sera laissé sur les liures , ou auec quelques anciennes ma- trones cl deviser de la dissolucion des habits, des ma- ladies qui courent, ou à demesler quelque longue gé- néalogie. Lesieunes Dames ne cesseront qu'elles n'ayent en leur compagnie ce gay et ioly cerueau. Et combien qu'il en pousse l'une , pinse l'autre , descoiffe , leue la cotte 5 et leur face mile maus : si le chercheront elles

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tousiours. Et quand ce Yiendra h. faire comparaison des deiis, le sage sera loué d'elles, mais le fol iouîra du fruit de leurs priuautez. Vous verrez les Sages mesmes, en- core qu'il soit dit que Ion cherclie son semblable , tom- ber de ce coté. Quand ils feront quelque assemblée , tousiours donneront cliarge que les plus fols y soient, n'estimant pouuoir estre bonne compagnie, s'il n'y lia quelque fol pour resueillerles autres. Et combien qu'ils s'excusent sur les femmes et ieunes gens , si ne peuuent ils dissimuler le plaisir qu'ils y prennent , s'adressans tousiours à eus, et leur faisant visage plus riant, qu'ans autres. Que te semble de Folie, lupiter? Est elle telle, qu'il la faille enseuelir sous le mont Gibel , ou exposer au lieu de Prometbee , sur le mont de Caucase ? Est il raisonnable la priuer de toutes bonnes compagnies, ou Amour sacbant qu'elle sera , pour la facber y viendra , et conuiendra que Folie , qui n'est rien moins qu'A- mour, lui quitte sa place? S'il ne veut estime auec Folie, qu'il se garde de s'y trouuer. Mais que cette peine, de ne s'assembler point, tombe sur elle, ce n'est raison. Quel propos y auroit il, qu'elle ust rendu une compa- gnie gaie et délibérée, et que sur ce bon point la fal- lust desloger? Encore s'il demandoit que le premier qui auroit pris la place , ne fust empesclié par l'autre, et que ce fust au premier venu, il y auroit quelque raison. Mais ie lui montreray que iamais Amour ne fut sans la fille de leunesse, et ne peut estre autrement : et le grand dommage d'Amour, s'il auoit ce qu'il demande. Mais c'est une petite colère , qui lui ronge le cerneau , qui lui fait auoir ces estranges afeccions : lesquelles cesse-

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ront quand il sera un peu refroidi. Et pour commencer h la belle première naissance d'Amour, qu'y ha il plus despouruu de sens, que la personne à la moindre ocasion du monde vienne en Amour, en receuant une pomme comme Cydipee? en lisant un liure, comme la Dame Francisque de Rimini ? en voyant, en passant, se rende si tôt serue et esclaue , et conçoiue espérance de quel- que grand bien sans sauoir s'il en y ha? Dire que c'est la force de l'œil de la chose aymee , et que de sort une sutile euaporacion, ou sang, que nos yeus reçoiuent, et entre iusques au cœur : ou , comme pour loger un nouuel hoste , faut pour lui trouuer sa place , mettre tout en desordre. le say que chacun le dit : mais s'il est vray, l'en doute. Car plusieurs ont aymé sans auoir ù cette ocasion , comme le ieune Gnidien , qui ayma l'euure fait par Praxitelle. Quelle influxion pouuoit il receuoir d'un œil marbrin ? Quelle sympathie y auoit il de son naturel chaud et ardent par trop, auec une froide et morte pierre? Qu'est ce donq qui l'enflammoit? Fo- lie, qui estoit logée en son esprit. Tel feu estoit celui de Narcisse. Son œil ne receuoit pas le pur sang et sutil de son cœur mesme : mais la foie imaginacion du beau pourtrait , qu'il voyoit en la fonteine , le tourmentoit. Exprimez tant que voudrez la force d'un œil : faites le tirer mile traits par iour : n'oubliez qu'une ligne qui passe par le milieu , iointe auec le sourcil , est un vray arc : que ce petit humide , que Ion voit luire au milieu, est le trait prest à partir : si est ce que toutes ces fles- ches n'iront en autres cœurs , que cens que Folie aura préparez. Que tant de grans personnages, qui ont esté

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et sont de présent, ne s'estiment estre iniuriez , si pour auoir aymé ie les nomme fols. Qu'ils se prennent à leurs Filozofes, qui ont estimé Folie estre priuacion de sa- gesse , et sagesse estre sans passions : desquelles Amour ne sera non plus tôt destitué, que la Mer d'ondes et vagues : vray est qu'aucuns dissimulent mieus leur pas- sion : et s'ils s'en trouuent mal , c'est une autre espèce de Folie. Mais ceus qui montrent leurs afeccions estans plus grandes que les secrets de leurs poitrines, vous ren- dront et exprimeront une si viue image de Folie , qu'A- pelle ne la sauroit mieus tirer au vif. le vous prie imagi- ner un ieune homme, n'ayant grand afaire, qu'à se faire aymer : pigné, miré, tiré, parfumé ; se pensant valoir quelque chose, sortir de sa maison le cerueau emhrouillé de mile consideracions amoureuses: ayant discouru mile bons heurs, qui passeront bien loin des cotes: suiui de pages et laquais habillez de quelque liuree représentant quelque trauail, fermeté, et espérance : et en cette sorte viendra trouuer sa Dame à l'Eglise : autre plaisir n'aura qu'a geter force oeillades, et faire quelque reuerence en passant. Et que sert ce seul regard? Que ne va il en masque pour plus librement parler? La se fait quelque habitude, mais auec si peu de demontrance du coté de la Dame , que rien moins. A la longue il vient quelque priuauté : mais il ne faut encore rien entreprendre , qu'il n'y ait plus de familiarité. Car lors on n'ose refu- ser d'ouir tous les propos des hommes , soient bons ou mauuais. On ne creint ce que Ion ha acoutumé voir. On prent plaisir à disputer les demandes des poursui- uans. Il leur semble que la place qui parlemente, est

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demi gaignee. Mais s'il auient, que, comme les femmes prennent volontiers plaisir à voir clebatre les hommes, elles leur ferment quelquefois rudement la porte, et ne les apellent à leurs petites priuautez, comme elles sou- loient, voilà mon homme aussi loin de son but comme n'a gueres s'en pensoit près. Ce sera à recommencer. Il faudra trouuer le moyen de se faire prier d'acompa- gner sa Dame en quelque Eglise , aus ieus, et autres assemblées publiques. Et ce pendant expliquer ses pas- sions par soupirs et paroles tremblantes ; redire cent fois une mesme chose : protester, iurer, promettre a celle qui possible ne s'en soucie , et est tournée ailleurs et promise. Il me semble que seroit folie parler des sottes et plaisantes amours vilageoises : marcher sur le bout du pie, serrer le petit doit : après que Ion ha bien bu, escrire sur le bout de la table auec du vin, et entrelas- ser son nom et celui de s'amie : la mener première à la danse, et la tourmenter tout un iour au Soleil. Et en- core cens, qui par longues alliances, ou par entrées ont pratiqué le moyen de voir leur amie en leur maison, ou de leur voisin, ne viennent en si estrange folie, que cens qui n'ont faueur d'elles qu'ans lieus publiques et festins : qui de cent soupirs n'en peuuent faire con- noitre plus d'un ou deus le mois : et néanmoins pen- sent que leurs amies les doiuent tous conter. Il faut auoir tousiours pages aus escoutes , sauoir qui va, qui vient, corrompre des chambrières à beaus deniers, per- dre tout un iour pour voir passer Madame par la rue , et pour toute remuneracion , auoir un petit adieu auec quelque souzris , qui le ferji retourner chez soy plus

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content, que quand Vljsse vld la fumée de son Itaque. Il vole de joye : il embrasse l'un , puis l'autre : chante vers : compose , fait s'amie la plus belle qui soit au monde, combien que possible soit laide. Et si de fortune suruient quelque ialousie, comme il auient le plus sou- uent, on ne rit, on ne chante plus : on dénient pensif et morne : on connoit ses vices et fautes : on admire celui que Ion pense estre aymé : on parangonne sa beau- té, grâce, richesse, auec celui duquel on est ialous : puis soudein on le vient à despriser ; qu'il n'est possi- ble, estant de si mauuaise grâce , qu'il soit ayme : qu'il est impossible qu'il face tant son deuoir que nous, qui languissons, mourons, brûlons d'Amour. On se pleint, on apelle s'amie cruelle , variable : Ion se lamente de son malheur et destinée. Elle n'en fait que rire , ou lui fait acroire qu'à tort il se pleint : on trouue mau- uaises ses querelles, qui ne viennent que d'un cœur soupsonneus et ialous : et qu'il est bien loin de son conte : et qu'autant lui est de l'un que de l'autre. Et lors ie vous laisse penser qui ha du meilleur. Lors il faut connoitre que Ion ha failli par bien seruir, par mas- ques magnifiques, par deuises bien inuentees, festins, banquets. Si la commodité se trouue, faut se faire pa- roitre par dessus celui dont on est ialous. Il faut se mon- trer libéral : faire présent quelquefois de plus que Ion n'a : incontinent qu'on s'aperçoit que Ion souhaite quel- que chose , l'enuoyer tout soudein , encores qu'on n'en soit requis : et iamais ne confesser que Ion soit poure. Car c'est une tresmauuaise compagne d'Amour, que Poureté: laquelle estant suruenue, on connoit sa folie.

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et Ion s'en retire à tard. le croy que ne voudriez point ressembler encore à cet Amoureus, qui n'en lia que le nom. Mais prenons le cas que Ion lui rie, qu'il y ait quelque réciproque amitié , qu'il soit prie se trouuer en quelque lieu: il pense incontinent qu'il soit fait, qu'il receura quelque bien, dont il est bien loin : une heure en dure cent : on demande plus de fois quelle heure il est; on fait semblant d'estre demandé : et quelque mine que Ion face, on lit au visage qu'il y ha quelque pas- sion véhémente. Et quand on aura bien couru, on trou- uera que ce n'est rien , et que c'estoit pour aller en compagnie se proinener sur l'eau, ou en quelque iardin : ou aussi tôt un autre aura faueur de parler à elle que lui, qui ha esté conuié. Encore ha 11 ocasion de se con- tenter, à son auis. Car si elle n'ust plaisir de le voir, elle ne l'ust demande' en sa compagnie. Les plus grandes et hazardeuses folies suiuent tousiours l'acroissement d'A- mour. Celle qui ne pensoit qu'à se iouer au commen- cement, se trouue prise. Elle se laisse visiter à heure suspecte. En quels dangers ? D'y aller accompagné, se- roit déclarer tout. Y aller seul , est hazardeus. le laisse les ordures et infeccions , dont quelquefois on est par- fumé. Quelquefois se faut dcsguiser en portefaix , en Cordelier, en femme : se faire porter dens un coffre à la merci d'un gros vilain, que s'il sauoit ce qu'il porte, le lairroit tomber pour auoir sondé son fol faix. Quel- quefois ont esté surpris , batuz , outragez , et ne s'en ose Ion vanter. Il se faut guinder par fenestres , par sus murailles, et tousiours en danger, si Folie n'y tenoit la main. Encore cens cy ne sont que des mieus pavez. Il

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y en lia qui rencontrent Dames cruelles , desquelles ia- niais on n'obtient merci. Autres sont si rusées, qu'après les auoir menez iusques auprès du but, les laissent là. Que font ils? après auoir longuement soupire, plorë et crie, les uns se rendent Moynes : les autres abandonnent le païs : les autres se laissent mourir. Et penseriez vous, que les amours des femmes soient de beaucoup plus sa- ges? les plus froides se laissent brûler dedens le corps auant que de rien auouer. Et combien qu'elles vousis- sent prier, si elles osoient, elles se laissent adorer: et tousiours refusent ce qu'elles voudroient bien que Ion leur otast par force. Les autres n'atendent que l'oca- sion : et lieureus qui la peut rencontrer. Il ne faut auoir creinte d'estre esconduit. Les mieus nées ne se laissent veincre, que par le tems. Et se connoissant estre ay- niees, et endurant en fin le semblable mal qu'elles ont fait endurer a autrui , ayant fiance de celui auquel elles se descouurent, auouent leur foiblesse, confessent le feu qui les brûle : toutefois encore un peu de honte les retient, et ne se laissent aller, que vaincues, et consu- mées à demi. Et aussi quand elles sont entrées une fois auant, elles font de beaus tours. Plus elles ont résisté a Amour, et plus s'en treuuent prises. Elles ferment la porte à raison. Tout ce qu'elles creingnoient, ne le dou- tent plus. Elles laissent leurs ocupacions muliebres. Au lieu de filer, coudre, besongner au point, leur estude est se bien parer, promener es Eglises, festes, et banquets pour auoir tousiours quelque rencontre de ce qu'elles ayment. Elles prennent la plume et le lut en main : es- criuent et chantent leurs passions : et en fin croit tant

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cette rage, qu'elles abandonnent quelquefois perejUiere, maris, enfans, et se retirent ou est leur cœur. Il n'j ha rien qui plus se fâche d'estre contreint , qu'une femme : et qui plus se contreingae, ou elle ha enuie montrer son afeccion. le voy souuentefois une femme , laquelle n'a trouué la solitude et prison d'enuiron sept ans lon- gue, estant auec la personne qu'elle ajmoit. Et com- bien que nature ne lui ust nié plusieurs grâces, qui ne la faisoient indine de toute bonne compagnie , si est ce qu'elle ne vouloit plaire à autre qu'à celui qui la tenoit prisonnière. l'en ay connu une autre , laquelle absente de son ami , n'alloit iamais dehors qu'acompa- gnee de quelcun des amis et domestiques de son bien aymé : voulant tousiours rendre témoignage de la foy qu'elle lui portoit. En somme, quand cette afeccion est imprimée en un cœur genereus d'une Dame , elle y est si forte, qu'à peine se peut elle efacer. Mais le mal est, que le plus souuent elles rencontrent si mal ; que plus ayment, et moins sont aymees. Il y aura quelcun, qui sera bien aise leur donner martel en teste , et fera sem- blant d'aymer ailleurs, et n'en tiendra conte. Alors les pourettes entrent en estranges fantasies : ne peuuent si aisément se défaire des hommes, comme les hommes des femmes, n'ayans la commodité de s'eslongner et com- mencer autre parti, chassans Amour auec autre Amour. Elles blâment tous les hommes pour un. Elles apellent foies celles qui ayment. Maudissent le iour que premiè- rement elles aymerent. Protestent de iamais n'aymer: mais cela ne leur dure gueres. Elles remettent incon- tinent deuant les yeus ce qu'elles ont tant aymé. Si elles

5

66 DEBAT

ont quelque enseigne de lui , elles la baisent, rebalsent, sèment de larmes, s'en font un clieuet et oreiller, et s'escoutent elles mesmes pleingnantes leurs misérables détresses. Combien en voy ie, qui se retirent iusques ans Enfers , pour essaier si elles pourront , comme iadis Orphée, reuoquer leurs amours perdues ? Et en tous ces actes, quels traits trouuez vous que de Folie? Auoir le cœur sépare de soymesme, estre meintenant en paix, ores en guerre, ores en treues ; couurir et caclier sa douleur: changer yisage mile fois le iour : sentir le sang qui lui rougit la face, y montant : puis soudein s'enfuit, la laissant palle , ainsi que honte, espérance, ou peur, nous gouuernent : chercher ce qui nous tourmente , feingnant le fuir. Et néanmoins auoir creinte de le trou- uer : n'auoir qu'un petit ris entre mile soupirs : se trom- per soymesme : brûler de loin , geler de près : un parler interrompu ; un silence venant tout à coup : ne sont ce tous signes d'un homme aliéné de son bon enten- dement? Qui excusera Hercule deuidant les pelotons d'Omphale ? Le sage Roi Hebrieu auec cette grande multitude de femmes ? Annibal s'abatardissant autour d'une Dame? et maints autres, que iournellement voyons s'abuser tellement, qu'ils ne se connoissent eus mes- mes. Qui en est cause, sinon Folie ? Car c'est celle en somme, qui fait Amour grand et redouté : et le fait ex- cuser, s'il fait quelque chose autre que de raison. Re- connois donq, ingrat Amour, quel tues, et de combien de biens ie te suis cause ? le te fay grand : ie te fay esle- uer ton nom : voire et ne t'ussent les hommes réputé Dieu sans moy. Et après que t'ay tousiours acompagné,

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tu ne me veus seulement abandonner, mais me veus renger à cette sugeccion de fuir tous les lieus ou tu se-» ras. le crois auoir satisfait à ce qu'auois promis montrer : que iusques ici Amour n'auoit esté sans Folie. Il faut passer outre, et montrer qu'impossible est d'estre au- trement. Et pour y entrer: Apolon, tu me confesseras, qu'Amour n*est autre chose qu'un désir de iouir, auec une conionccion , et assemblement de la chose aymee. Estant Amour désir, ou, quoy que ce soit, ne pouuant estre sans désir : il faut coiifesser qu'incontinent que cette passion vient saisir l'homme, elle l'altère et immue. Car le désir incessamment se demeine dedens l'ame, la poingnant tousiours et resueillant. Cette agitacion d'es- prit, si elle estoit naturelle , elle ne l'afligeroit de la sorte qu'elle fait : mais, estant contie son naturel , elle le malmeine , en sorte qu'il se fait tout autre qu'il n'es- toit. Et ainsi en soy n'estant l'esprit à son aise, mais trouble et agité , ne peut estre dit sage et posé. Mais encore fait il pis : car il est contreint se descouurir : ce qu'il ne fait que par le ministère et organe du corps et membres d'icelui. Et estant une fois acheminé, il faut que le poursuiuant en amours face deus choses ; qu'il donne à connoitre qu'il ayme : et qu'il se face ayiner. Pour le premier, le bien parler y est bien requis: mais seul ne suffira il. Car le grand artifice, et douceur inu- sitée, fait soupsonner pour le premier coup, celle qui l'oit : et la fait tenir sur ses gardes. Quel autre témoi- gnage faut-il? Tousiours l'ocasion ne se présente à com- batre pour sa Dame , et défendre sa querelle. Du pre- mier abord vous ne vous ofrirez à lui ayder en ses afaires

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domestiques. Si faut il faire à croire que Ion est pas- sionné. Il faut long tems, et long seruice, ardentes priè- res, et conformité de complexions. L'autre point, que l'Amant doit gaigner, c'est se faire aymer : lequel pro- uient en partie de l'autre. Car le plus grand enchante- ment, qui soit pour estre aymé, c'est aymer. Ayez tant de sufumigacions, tant de characteres , adiuracions , poudres, et pierres, que voudrez : mais si sauez bien vous ayder, montrant et déclarant votre amour : il n'y aura besoin de ces estranges receptes. Donq pour se faire aymer, il faut estre aymable. Et non simplement ayma- ble, mais au gré de celui qui est aymé : auquel se faut renger, et mesurer tout ce que voudrez faire ou dire. Soyez paisible et discret. Si votre Amie ne vous veut estre telle, il faut changer voile, et nauiguer d'un autre vent ; ou ne se mesler point d'aymer. Zethe et Amphion ne se pouuoieiit acorder, pource que la vacacion de l'un ne plaisoit à l'autre. Amphion ayma mieus changer, et retourner en grâce auec son frère. Si la femme que vous aymez est auare, il faut se transmuer en or, et tomber ainsi en son sein. Tous les seruiteurs et amis d'Atalanla estoient chasseurs, pource qu'elle y prenoit plaisir. Plu- sieurs femmes, pour plaire à leurs Poètes amis, ont changé leurs paniers et coutures, en plumes et liures. Et certes il est impossible plaire, sans suiure les afec- cions de celui que nous cherchons. Les tristes se fâchent d'ouir chanter. Ceus qui ne veulent aller que le pas, ne vont volontiers auec ceus qui tousiours voudroient courir. Or me dites, si ces mutacions contre notre na- turel ne sont vrayes folies , ou non exemptes d'icelle ?

DE FOLIE ET D'AMOVR. 69

On dira qu'il se peut trouuer des complexions si sem- blables, que TAmant n*aura point de peine de se trans- former es meurs de Taymee. Mais si cette amitié est tant douce et aisée, la folie sera de s'y plaire trop : en quoy est bien dificile de mettre ordre. Car si c'est vray amour, il est grand et veliement, et plus fort que toute raison. Et, comme le chenal ayant la bride sur le col, se plonge si auant dedens cette douce amertume, qu'il ne pense aus autres parties de l'ame, qui demeurent oisiues : et par une repentance tardiue , après un long tems , té- moigne a cens qui l'oyent, qu'il ha esté fol comme les autres. Or si vous ne trouuez folie en Amour de ce coté là, dites moy entre vous autres Signeurs, qui faites tant profession d'Amour, ne confessez vous, que Amour cher- che union de soy auec la chose ayinee ? qui est bien le plus fol désir du monde : tant par ce, que le cas aue- nant. Amour faudroit par soymesme , estant l'Amant et FAymé confonduz ensemble, que aussi il est impossible qu'il puisse auenir, estant les espèces et choses indiui- dues tellement séparées l'une de l'autre , qu'elles ne se peuuent plus conioindre, si elles ne changent de forme. Alléguez moy des branches d'arbres qui s'unissent en- semble. Contez moy toutes sortes d'Antes, que iamais le Dieu des iardins inuenta. Si ne trouuerez vous point que deus hommes soient iamais deuenuz en un : et y soit le Gerion à. trois corps tant que voudrez. Amour donq ne fut iamais sans la compagnie de Folie et ne le sauroit estre. Et quand il pourroit ce faire , si ne le deuroit il pas souhaiter ; pource que Ion ne tiendroit conte de lui à la fin. Car quel pouuoir auroit il, ou^quel

yo DEBAT

lustre , s'il estoit près de sagesse ? Elle lui diroit, qu'il ne faudroit aymer l'un plus que l'autre : ou pour le moins n'en faire semblant de peur de scandaliser quel- cun. Il ne faudroit rien faire plus pour l'un que pour l'autre : et seroit à la fin Amour ou anéanti, ou deuisé en tant de pars , qu'il seroit bien foible. Tant s'en faut que tu doiues estre sans Folie , Amour, que si tu es bien conseille', tu ne demanderas plus tes yeus. Car il ne t'en est besoin, et te peuuent nuire beaucoup : desquels si tu t'estois bien regardé quelquefois, toymesme te vou- drois mal. Pensez vous qu'un soudart, qui va à l'assaut, pense au fossé , aus ennemis , et mile harquebuzades qui l'atendent? non. Il n'a autre but, que paruenir au haut de la biesclie : et n'imagine point le reste. Le pre- mier qui se mit en mer , n'imaginoit pas les dangers qui y sont. Pensez vous que le ioueur pense iamais per- dre? Si sont ils tous trois au liazard d'estre tuez, noyez , et destruiz. Mais quoy, ils ne voyent , et ne veulent voir ce qui leur est dommageable. Le semblable estimez des Amans : que si iamais ils voyent, et entendent clere- ment le péril ou ils sont, combien ils sont trompez et abusez , et quelle est l'espérance qui les fait tousiours aller auant, iamais n'y demeureront une seule heure. Ainsi se perdroit ton règne , Amour : lequel dure par ignorance, nonchaillance, espérance, et cécité, qui sont toutes damoiselles de Folie, lui faisans ordinaire com- pagnie. Demeure donq en paix , Amour : et ne vien rompre l'ancienne ligue qui est entre toy et moy : com- bien que tu n'en susses rien iusqu'à présent. Et n'estime que ie t'aye creué les yeus , mais que ie t'ay montré ,

DE FOLIE ET D'AMOVR. 71

que tu n'en auois aucun usage auparauant, encore qu'ils te fussent à la teste que tu as de présent. Keste de te prier, lupiter et vous autres Dieus , de n'auoir point respect aus noms (comme ie say que n'aurez) mais re- garder à la vérité et dinite des choses. Et pourtant, s'il est plus honorable entre les hommes dire un tel ayme , que, il est fol : que cela leur soit impute à ignorance. Et pour n'auoir en commun la vraye intelligence des cho- ses, ny pu donner noms selon leur vray naturel, mais au contraire auoir baillé beaus noms à laides choses , et laids aus belles, ne délaissez, pour ce, à me conser- uer Folie en sa dinite et grandeur. Ne laissez perdre cette belle Dame, qui vous ha donné tant de conten- tement auec Génie, Jeunesse, Bacchus, Silène, et ce gentil Gardien des iardins. Ne permetez fâcher celle, que vous auez conseruee iusques ici sans rides, et sans pas un poil blanc. Et n'otez, à l'apetit de quelque co- lère, le plaisir d'entre les hommes. Vous les auez otez du Royaume de Saturne ; ne les y faites plus entrer : et, soit en Amour, soit en autres afaires, ne les enuiez, si pour apaiser leurs fâcheries , Folie les fait esbatre et s'esiouir. Fay dit.

Quand Mercure ut fini la défense de Falie, lupiter voyant les Dieus estre cliuersement afeccionnez et en contrarie- tez d'opinions , les uns se teuans du coté de Cupidon , les autres se tournans à aprouue. la cause de Folie : pour apointer le diferent, va prononcer un arrest interlocu- toire en cette manière :

IVPITER. Pour la dificultc et importance de vos diferens, et dî-

72 DEBAT DE FOLIE ET D*AMOVR.

uersité d'opinions, nous auons remis votre afaire d'ici à trois fois, sept fois, neuf siècles. Et ce pendant vous commandons viure amiablement ensemble, sans vous outrager l'un l'autre. Et guidera Folie l'aueugle Amour, et le conduira par tout ou bon lui semblera. Et sur la restitucion de ces yeus , après en auoir parlé ans Par- ques, en sera ordonné.

Tm DV DEBAT DE FOLIE ET D'AMOVB.

ELEGIES.

I. *

Ô

Av tems qu'Amour, d'hommes et Dieus vainqueur,

Faisoit brûler de sa flamme mon cœur.

En embrassant de sa cruelle rage

Mon sang, mes os, mon esprit et courage :

Encore lors ie n'auois la puissance

De lamenter ma peine et ma souffrance.

Encor Phebus, ami des Lauriers vers,

N'auoit permis que ie fisse des vers ;

Mais meintenant que sa fureur diuine

Remplit d'ardeur ma hardie poitrine,

Chanter me fait, non les bruians tonnerres

De lupiter, ou les cruelles guerres.

Dont trouble Mars, quand il veut, l'Vniuers.

Il m'a donné la lyre, qui les vers

Souloit chanter de l'Amour Lesbienne :

Et à ce coup pleurera de la mienne.

0 dous archet, adouci moy la voix.

Qui pourroit fendre et aigrir quelquefois,

En recitant tant d'ennuis et douleurs,

Tant de despits, fortunes et malheurs.

Trempe l'ardeur, dont iadis mon cœur tendre

74 ELEGIES.

Fut en Lrulant demi réduit en cendre, le sen desia un piteus souuenir, Qui me contreint la larme à l'œil venir. Il m*est auis que ie sen les alarmes, Que premiers i'u d'Amour, ie voy les armes, Dont il s*arma en venant m'assaillir. '^ C'estoit mes yeus , dont ta^it faisois saillir

^ De traits , à ceus qui trop me regardoient ,

Et de mon arc assez ne se gardoient. Mais ces miens traits ces miens yeus me défirent, Et de vengeance estre exemple me firent. Et me moquant, et voyant l'un aymer, L'autre brûler et d'Amour consommer : En voyant tant de larmes espandues, Tant de soupirs et prières perdues, le n'aperçu que soudein me vint prendre Le mesme mal que ie soulois reprendre : Qui me persa d'une telle furie, Qu'encor n'en suis après long tems guérie : Et meintenant me suis encor contreinte De rafrescliir d'une nouuelle pleinte Mes maus passez. Dames, qui les lirez. De mes regrets auec moy soupirez. Possible, un iour ie feray le semblable. Et ayderay votre voix pitoyable A vos trauaux et peines raconter. Au tems perdu vainement lamenter. Quelque rigueur qui loge en votre coeur^ Amour s'en peut un iour rendre vainqueur. Et plus aurez lui esté ennemies ,

ELEGIES. 7^

Pis vous fera, vous sentant asseruies.

N'estimez point que Ion doiue blâmer

Celles qu'a fait Cupidon enflamer.

Autres que nous, nonobstant leur liautesse,

Ont enduré l'amoureuse rudesse :

Leur cœur liautein, leur beauté, leur lignage ^

Ne les ont su preseruer du seruage

De dur Amour : les plus nobles esprits

En sont plus fort et plus soudein espris.

Semiramis, Royne tant renommée,

Qui mit en route auecques son armée

Les noirs squadrons des Ethiopiens,

Et en montrant louable exemple aus siens

Faisait couler de son furieus branc

Des emiemis les plus braues le sang.

Ayant encor enuie de conquerre

Tous ses voisins, ou leur mener la guerre,

Trouua Amour, qui si fort la pressa.

Qu'armes et loix vaincue elle laissa.

Ne meritoit sa Royalle grandeur

Au moins auoir un moins fascbeus malheur

Qu'aymer son fils? Royne de Babylonne,

Ou est ton cœur qui es combaz resonne ?

Qu'est deuenu ce fer et cet escu.

Dont tu rendois le plus braue veincu?

Ou as tu mis la Marciale creste.

Qui obombroit le blond or de ta teste?

Ou est l'espee , ou est cette cuirasse ,

Dont tu rompois des ennemis l'audace ?

Ou sont fuiz tes coursiers furieus.

^6 ELEGIES.

Lesquels trainoient ton char victorieus ? T'a pu si tôt un foible ennemi rompre? Ha pîi si tôt ton cœur viril corrompre, Que le plaisir d*armes plus ne te touche : Mais seulement languis en une couche ? Tu as laissé les aigreurs Marciales, Pour recouurer les douceurs géniales. Ainsi Amour de toy t'a estrangee , Qu'on te diroit en une autre changée , Donques celui lequel d'amour esprise Pleindre me voit, que point il ne mesprise Mon triste deuil ; Amour, peut estre, en brief En son endroit n'aparoitra moins grief. Telle i'ay vîi qui auoit en ieunesse Blâmé Amour : après en sa vieillesse Brûler d'ardeur, et pleindre tendrement L'àpre rigueur de son tardif tourment. Alors de fard et eau continuelle Elle essayoit se faire venir belle, Voulant chasser le ridé labourage, Que l'aage auoit graué sur son visage. Sur son chef gris elle auoit empruntée Quelque perruque, et assez mal antee : Et plus estoit à son gré bien fardée, De son Ami moins estoit regardée : Lequel ailleurs fuiant n'en tenoit conte. Tant lui sembloit laide, et auoit grand' honte D'estre aymé d'elle. Ainsi la poure vieille Receuoit bien pareille pour pareille. De maints en vain un tems fut réclamée,

ELEGIES. 77

Ores qu'elle ayme, elle n'est point aymee. Ainsi Amour prend son plaisir, à faire Que le yeuil d'un soit à l'autre contraire. Tel n'ayme point, qu'une Dame aymera: Tel ayme aussi , qui aynié ne sera : Et entretient, néanmoins, sa puissance Et sa rigueur d'une vaine espérance.

IL

JJ'VN tel vouloir le serf point ne désire La liberté, ou son port le nauire, Comme i'atens, lielas, de iour en iour De toy, Ami , le gracieus retour. Là, i'auois mis le but de ma douleur, Qui fineroit, quand i'aurois ce bon heur De te reuoir : mais de la longue atente , Helas, en vain mon désir se lamente. Cruel, Cruel, qui te faisoit promettre Ton brief retour en ta première lettre? As tu si peu de mémoire de moy. Que de m'auoir si tôt rompu la foy ? Comme ose tu ainsi abuser celle l^fp Qui de tout tems t'a esté si fidelle ? ^ Or' que tu es auprès de ce riuage Du Pau cornu , peut estre ton courage

78 ELEGIES.

S'est embrasé d'une nouuelle flame,

En me changeant pour prendre une autre Dame

en oubli inconstamment est mise

La loyauté que tu m'auois promise.

S'il est ainsi, et que desia la foy

Et la bonté se retirent de toy :

Il ne me faut emerueiller si ores

Toute pitié tu as perdu encores.

0 combien ha de pensée et de creinte.

Tout aparsoy, l'anie d'Amour ateinte !

Ores ie croy, \h. notre amour passée,

Qu'impossible est, que tu m'aies laissée;

Et de nouuel ta foy ie me fiance.

Et plus qu'liumeine estime ta constance.

Tu es, peut estre, en cliemin inconnu

Outre ton gré malade retenu.

le croy que non ; car tant suis coutumiere

De faire aus Dieus pour ta santé prière,

Que plus cruels que tigres ils seroient,

Quand maladie ils te procliasseroient :

Bien que ta foie et volage inconstance

Meriteroit auoir quelque soufrance.

Telle est ma foy, qu'elle pourra sufire

A te garder d'auoir mal et martire.

Celui qui tient au haut Ciel son Empire

Ne me sauroit, ce me semble, desdire :

Mais quan^pÉies pleurs et larmes entendroit

Pour toy ï^ians , son ire il retiendroit.

l'ay de tout tems vescu en son seruice.

Sans me sentir coulpable d'autre vice

ELEGIES. 79

Que de t*auoîr bien souuent en son Heu

D'amour forcé, adoré comme Dieu.

Desia deus fois depuis le promis terme

De ton retour, Pliebe ses cornes ferme ^

Sans que de bonne ou mauuaise fortune

De toy, Ami, i*aye nouuelle aucune»

Si toutefois, pour estre énamouré

En autre lieu, tu as tant demeuré ^

Si sây ie bien que t'amie nouuelle

A peine aura le renom d*estre telle,

Soit en beauté, vertu, grâce et faconde,

Comme plusieurs gens sauans par le monde

M'ont fait à tort, ce crôy ie, estre estimée.

Mais qui pourra garder la renommée?

Non seulement en France suis flatee.

Et beaucoup plus, que ne veus, exaltée.

La terre aussi que Calpe et Pyrenee

Auec la mer tiennent enuironnee.

Du large Rhin les roulantes areines,

Le beau païs auquel or' te promeines

Ont entendu (tu me l'as fait à croire)

Que gens d'esprit me donnent quelque gloire.

Goûte le bien que tant d'hommes désirent:

Demeure au but ou tant d'autres aspirent :

Et croy qu'ailleurs n'en auras une telle.

le ne dy pas qu'elle ne soit plus bell'^ :

Mais que iamais femme ne t'aymera,

Ne plus que moy d'honneur te portera.

Maints grans Signeurs à mon amour prétendent.

Et à me plaire et seruir prêts se rendent,

8o ELEGIES.

loutes et ieus, maintes belles deuises

En ma faneur sont par eus entreprises :

Et néanmoins tant peu ie m'en soucie.

Que seulement ne les en remercie :

Tu es tout seul j tout mon mal et mon bien :

Auec toy tout, et sans toy ie n*ay rien :

Et n'ayant rien qui plaise à ma pensée ,

De tout plaisir me treuue délaissée,

Et pour plaisir, ennui saisir me vient.

Le regretter et plorer me conuient,

Et sur ce point entre en tel desconfort ,

Que mile fois ie souhaite la mort.

Ainsi , Ami , ton absence lointeine

Depuis deus mois me tient .en cette peine.

Ne viuant pas, mais mourant d*un Amour

Lequel m'occit dix mile fois le iour.

Reuien donq tôt , si tu as quelque enuie

De me reuoir encor* un coup en vie.

Et si la mort auant ton arriuee

Ha de mon coi^s Taymante ame priuee,

Au moins un iour vien, habillé de dueil,

Enuironner le tour de mon cercueil.

Que plust à Dieu que lors fussent trouuez

Ces quatre uers en blanc marbre engrauez.

Par toy, Amy, tant vesqvi enflammée,

Qv'en langvissant par fev svis consvmee ,

Qvi cowE encor sovs ma cendre embrazee.

Si ne la rends de tes plevrs apaizee.

ELEGIES. 8i

III.

OvAND VOUS lirez, o Dames Lionnoises,

Ces miens escrits pleins d'amoureuses noises,

Quand mes regrets, ennuis, despits et larmes

M*orrez chanter en pitoyables carmes.

Ne veuillez point condamner ma simplesse.

Et ieune erreur de ma foie ieunesse ,

Si c*est erreur ; mais qui dessous les Cieus

Se peut vanter de n'estre vicieus ?

L'un n'est content de sa sorte de vie.

Et tousiours porte à ses voisins enuie :

L'un forcenant de voir la paix en terre,

Par tous moyens tache y mettre la guerre :

L'autre croyant pouretë estre vice ,

A autre Dieu qu'Or, ne fait sacrifice :

L'autre sa foy pariure il emploira

A deceuoir quelcun qui le croira :

L'un en mentant de sa langue lézarde.

Mile brocars sur l'un et l'auti'e darde :

le ne suis point sous ces planettes née,

Qui m'ussent pîi tant faire infortunée.

Onques ne fut mon œil marri, de voir

Chez mon voisin mieux que chez moy pleuuoir

Onq ne mis noise ou discord entre amis ;

A faire gain iamais ne me soumis.

6

8a ELEGIES.

Mentir, tromper, et abuser autrui,

Tant m'a desplu, que mesdire de lui.

Mais si en nioj rien y ha d'imparfait,

Qu'on blâme Amour : c'est lui seul qui l'a fait.

Sur mon verd aage en ses laqs il me prit,

Lors qu'exerçoi mon corps et mon esprit

En mile et mile euures ingénieuses,

Qu'en peu de tems me rendit ennuieuses.

Pour bien sauoir auec l'esguille peindre

l'usse entrepris la renommée esteindre

De celle là, qui plus docte que sage,

Auec Pallas comparoit son ouurage.

Qui m'ust vu lors en armes fi ère aller,

Porter la lance et bois faire voler,

Le deuoir faire en l'estour furieus,

Piquer, volter le clieual glorieus.

Pour Bradamante , ou la haute Marphise ,

Seur de Roger, il m'ust, possible, prise.

Mais quoy ? Amour ne put longuement voir

Mon cœur n'aymant que Mars et le sauoir;

Et me voulant donner autre souci.

En souriant , il me disoit ainsi :

Tu penses donq, ô Lionnoise Dame,

Pouuoir fuir par ce moyen ma flame :

Mais non feras, i*ai subiugué les Dieus

Es bas Enfers, en la mer et es Cieus.

Et penses tu que n'aye tel pouuoir

Sur les humeins, de leur faire sauoir

Qu'il n'y a rien qui de ma main eschape ?

Plus fort se pense et plus tôt ie le frape.

ELEGIES. 83

De me blâmer quelquefois tu n*as honte ^ En te fiant en Mars dont tu fais conte : Mais meintenant, voy si pour persister En le suiuant me pourras résister. Ainsi parloit, et tout ëcliaufë d'ire Hors de sa trousse une sagette il tire 5 Et décochant de son extrême force. Droit la tira contre ma tendre escorce : Foible harnois, pour bien couurir le coeur, Contre TArcher qui tousiours est vainqueur. La bresche faite, entre Amour en la place, Dont le repos prem/ierement il chasse : Et de trauail qui me donne sans cesse, Boire, menger, et dormir ne me laisse. Il ne me cbaut de soleil ne d'ombrage ; le n'ay qu'Amour et feu en mon courage, Qui me desguise, et fait autre paroitre. Tant que ne peu moymesme me connoitre. le n'auois vii encore seize Hiuers, Lors que i'entray en ces ennuis diuers: Et voici le treizième Esté Que mon coeur fut par Amour arresté. Le tems met fin ans hautes Pyramides, Le tems met fin aus fonteines humides : Il ne pardonne aus braues Colisees , Il met afin les viles plus prisées : Finir aussi il ha acoutumé Le feu d'Amour tant soit il allumé: Mais, las! en moy il semble qu'il augmente Auec le tems, et que plus me tourmente.

84 ELEGIES.

Paris ayma OEnone ardemment 9

Mais son amour ne dura longuement :

Medee fut aymee de lason.

Qui tôt après la mit hors sa maison»

Si meritoient elles estre estimées.

Et pour aymer leurs Amis, estre aymees.

S*estant aymë on peut Amour laisser,

N'est il raison, ne Testant, se lasser?

N'est il raison te prier de permettre ,

Amour, que puisse à mes tourmens fin mettre?

Ne permets point que de Mort face espreuue ,

Et plus que toy pitoyable la treuue :

Mais si tu veus que i'ayme iusqu'au bout ,

Fay que celui que i'estime mon tout,

Qui seul me peut faire plorer et rire,

Et pour lequel si souuent ie soupire ,

Sente en ses os, en son sang, en son amcj

Ou plus ardente, ou bien égale flame.

Alors ton faix plus aisé me sera.

Quand auec moy quelcun le portera.

FIN DES ELEGIES.

SONNETS.

iMoN hauria Vlysse o qualunqu'altro mai Piu accorto fù, da quel diuino aspetto Pien di gratie, d'honor et di rispetto Sperato quai i sento affanni e guaî.

Pur, Amor, co i begli occhl tu fatt' hai Tal piaga dentro al mio innocente petto , Di cibo et di calor gia tuo ricetto , Clie rimedio non v'e si tu nel* dai»

0 sorte dura , che mi fa esser quale Punta d'un Scorpio, et domandar riparo Contr' el velen' dall' istesso animale.

Ghieggio li sol* ancida questa noia, Non estingua el désir a me si caro, Che mancar non potra ch' i non mi muoia.

86 SONNETS.

II.

(J beaiis yeus bruns , ô regars destournez , 0 chaus soupirs, ô larmes espandues, 0 noires nuits vainement atendues, 0 jours luisans vainement retournez :

0 tristes pleins, ô désirs obstinez, 0 tems perdu, ô peines despendues, 0 mile morts en mile rets tendues, 0 pires maus contre moi destinez.

0 ris, ô front, clieueus, bras, mains et doits;

0 lut pleintif, viole, arcbet et vois;

Tant de flambeaus pour ardre une femmelle!

De toy me plein, que tant de feus portant, En tant d'endrois d'iceus mon cœur tatant, N'en est sur toy volé quelque estincelle.

III.

(J longs désirs, ô espérances vaines. Tristes soupirs et larmes coutumieres A engendrer de moy maintes riuieres. Dont mes deu^ yeus sont sources et fontaines

SONNETS. 87

0 cruautez, ô duriez inhumaines j Piteus regars des célestes lumières ; Du cœur transi ô passions premières, Estimez vous croître encore mes peines?

Qu*encor Amour sur moy son arc essaie,

Que nouueaus feus me gette et nouueaus dars :

Qu'il se despite , et pis qu'il pourra face :

Car ie suis tant nauree en toutes pars, Que plus en moy une nouuelle plaie, Pour m'emplrer ne pourroit trouuer place.

IIII.

JJepvis qu'Amour cruel empoisonna Premièrement de son feu ma poitrine , Tousiours brulay de sa fureur diuine, Qui un seul iour mon cœur n'abandonna..

Quelque trauail, dont assez me donna, Quelque menasse et procheine ruïne ; Quelque penser de mort qui tout termine, De rien mon cœur ardent ne s'estonna.

Tant plus qu'Amour nous vient fort assaillir.

Plus il nous fait nos forces recueillir.

Et tousiours frais en ses combats fait estre :

Mais ce n'est pas qu'en rieii nous fauorise ,

88 SONNETS.

Cil qui les Dieus et les hommes mesprise ; Mais pour plus fort contre les fors paroitre.

V.

(jLERE Venus, qui erres par les Cieus, Entens ma voix qui en pleins chantera , Tant que ta face au haut du Ciel luira , Son long trauail et souci ennuieus.

Mon œil veillant s'atendrira bien mieus. Et plus de pleurs te Aoyant getera. Mieus mon lit mol de larmes haignera, De ses trauaus voyant témoins tes yeus.

Donq des humains sont les lassez esprit? De dous repos et de sommeil espris. l'endure mal tant que le Soleil luit :

Et quand ie suis quasi toute cassée. Et que me suis mise en mon lit lassée. Crier me faut mon mal toute la nuit.

VI.

JJevs ou trois fois bienheureus le retour De ce cler Astre , et plus heureus encore

SONNETS. 89

Ce que son œil de regarder honore. Que celle receuroit un bon iour.

Qu'elle pourioit se vanter d'un bon tour Qui baiseroit le plus beau don de Flore , Le mieus sentant que iamais vid Aurore 5 Et y feroit sur ses leures seiour !

C'est à moy seule à qui ce bien est du , Pour tant de pleurs et tant de tems perdu .' Mais le voyant, tant lui feray de feste.

Tant emploiray de mes yeus le pouuoir. Pour dessus lui plus de crédit auoir. Qu'en peu de tems feray grande conqueste.

VII,

(Jn voit mourir toute chose animée 5 Lors que du corps l'ame sutile part : le suis le corps, toy la meilleure part : Ou es tu donq, o ame bien aymee ?

Ne me laissez par si long tems pamee , Pour me sauuer après viendrois trop tard. Las , ne mets point ton corps en ce hazart Rens lui sa part et moitié estimée.

Mais fais , Ami , que ne soit dangereuse

90 SONNETS.

Cette rencontre et reuuë amoureuse , L'acompagnant 5 non de seuerlté,

Non de rigueur : mais de grâce amiable. Qui doucement me rende ta beauté j ladis cruelle, à présent fauorable»

VIII.

lE vis, ie meurs : ie me brûle et me noyé. Tay chaut estreme en endurant froidure : La vie m'est et trop molle et trop dure. Tay grans ennuis entremeslez de ioye :

Tout à un coup ie ris et ie larmoyé. Et en plaisir maint grief tourment i'endure ; Mon bien s'en va, et à iamais il dure : Tout en un coup ie seiche et ie verdoyé.

Ainsi Amour inconstamment me meine : Et quand ie pense auoir plus de douleur. Sans y penser ie me treuue hors de peine.

Puis quand ie croy ma ioye estre certeine, Et estre au haut de mon désiré heur, Il me remet en mon premier malheur.

SONNETS. ' 91

IX.

1 OVT aussi tôt que ie commence à prendre Dens le mol lit le repos désire, Mon triste esprit hors de moy retiré S'en va vers toy incontinent se rendre.

Lors m'est auis que dedens mon sein tendre le tiens le Lien, ou i*ay tant aspiré. Et pour lequel i'ay si haut souspiré. Que de sanglots ay souuent cuidé fendre.

0 dous sommeil, o nuit à moy heureuse! Plaisant repos, plein de tranquilite. Continuez toutes les nuiz mon songe :

Et si iamais ma poure aine amoureuse

Ne doit auoir de bien en vérité,

Faites au moins qu'elle en ait en mensonge.

X.

VjvAND i'aperçoy ton Llond chef couronné D'un laurier verd, faire un Lut si bien pleindre, Que tu pourrois h te suiure contreindre Arbres et rocs : quand ie te vois orné^

92 SONNETS.

Et de vertus dix mile enuironné. Au chef d'honneur plus haut que nul ateîndre Et des plus hauts les louenges esteindre : Lors dit mon cœur en soy passionné :

Tant de vertu qui te font estre ajmé.

Qui de chacun te font estre estimé.

Ne te pourroient aussi bien faire aymer?

Et aioutant à ta vertu louable

Ce nom encor de m'estre pitoyable.

De mon amour doucement t'enflamer?

XL

\) dous regars, o yeus pleins de beauté, Petits iardins, pleins de fleurs amoureuses Ou sont d'Amour les flesches dangereuses, Tant à vous voir mon œil s'est arresté!

0 cœur félon, o rude cruauté ,t Tant tu me tiens de façons rigoureuses, Tant i'ay coulé de larmes langoureuses, Sentant l'ardeur de mon cœur tourmenté!

Donques, mes yeus, tant de plaisir auez, Tant de bons tours par ses yeus receuez : Mais toy, mon cœur, plus les vois s'y complaire ,

Plus tu languiz , plus en as de souci ,

SONNETS. 95

Or deuinez si ie suis aise aussi.

Sentant mon œil estre à mon ceeur contraire.

XII.

XjVT, compagnon de ma calamité. De mes soupirs témoin irréprochable , mes ennuis controlleur véritable. Tu as souuent auec moy lamenté:

Et tant le pleur piteus t*a molesté. Que commençant quelque son délectable, Tu le rendois tout soudein lamentable, Feingnant le ton que plein auoit chanté.

Et si te veus efforcer au contraire. Tu te destens et si me contreins taire : Mais me voyant tendrement soupirer.

Donnant faueur à ma tant triste pleinte : En mes ennuis me plaire suis contreinte. Et d*un dous mal douce fin espérer.

XIII.

(Jh si i*estois en ce beau sein rauie De celui pour lequel vois mourant

94 SONNETS.

Si auec lui viure le demeurant De mes cours iours ne m'empesclioit enuicj

Si m'acollant me disoit , chère Amie , Contentons nous l'un Tautre , s'asseurant Que ia tempeste, Euripe, ne Courant Ne nous pourra desioindre en notre vie :

Si de mes bras le tenant acollë, Comme du Lierre est l'arbre encercelëj La mort reuoit, de mon aise euuieuse:

Lors que souef plus il me baiseroit, Et mon esprit sur ses leures fuiroit, Bien ie mourrois, plus que viuante, heureuse.

XIIII.

1 ANT que mes yeus pourront larmes espandre . A l'heur passé auec toy regretter : Et qu'aus sanglots et soupirs résister Pourra ma voix , et un peu faire entendre :

Tant que ma main pourra les cordes tendre Du mignart Lut, pour tes grâces chanter: Tant que l'esprit se voudra contenter De ne vouloir rien fors que toy comprendre :

le ne souhaitte encore point mourir. Mais quand mes yeus ie sentiray tarir, Ma voix, cassée, et ma main impuissante.

SONNETS- 95

Et mon esprit en ce mortel seiour

Ne pouuant plus montrer signe d'amante :

Priray la Mort noircir mon plus cler iour.

XV.

Jl OVR le retour du Soleil honorer. Le Zephir, l'air serein lui apareille : Et du sommeil l'eau et la terre esueille^ Qui les gardoit l'une de murmurer.

En dous coulant, l'autre de se parer De mainte fleur de couleur nompareille, la les oiseaus es arbres font merueille. Et aus passans font l'ennui modérer ;

Les Nynfes ia en mile ieus s'esbatent

Au cler de Lune , et dansans l'herbe abatent

Veus tu Zephir de ton heur me donner.

Et que par toy toute me renouuelle? Fay mon Soleil deuers moy retourner. Et tu verras s'il ne me rend plus belle.

Apres qu'un tems la gresle et le tonneiTe Ont le haut mont de Caucase batu,

gS SONNETS.

Le beau iour vient, de lueur reuëtu. Quand Phehus lia son cerne fait en terre,

Et rOcean il regaigne à grand erre : Sa seur se montre auec son chef pointu. Quand quelque tems le Partlie lia conibatu. Il prent la fuite et son arc il desserre.

Vn tems t'ay vii et consolé pleintif.

Et défiant de mon feu peu hatif :

Mais maintenant que tu m'as embrasée 5

Et suis au point auquel tu me voulois , Tu as ta flame en quelque eau arrosée. Et es plus froit qu'estre ie ne soulois.

XVII.

1e fuis la vile, et temples, et tous lieus, Esquels prenant plaisir à t'ouir pleindre, Tu peus, et non sans force, me contreindre De te donner ce qu'estimois le mieus.

Masques, tournois, ieus me sont ennuieus. Et rien sans toy de beau ne me puis peindre Tant que tachant à ce désir esteindre, Et un nouuel obget faire à mes yeus,

Et des pensers amoureus me distraire, Des bois espais sui le plus solitaire : Mais i'aperçoy, ayant erré maint tour,

SONNETS. 97

Que si ie veus de toy estre deliure.

Il me conuient hors de moymesme viure.

Ou fais encor que loin sois en seiour.

XYIII.

JJATSE m'encor, reLaise moy et baise .* Donae m'en un de tes plus sauoureus. Donne m'en un de tes plus amoureus : le t'en rendray quatre plus chaus que braise.

Las, te pleins tu? ça que ce mal i'apaise. En t'en donnant dix autres doucereus. Ainsi meslans nos baisers tant lieureus Jouissons nous l'un de l'autre à notre aise.

Lors double vie à chacun en suiura. Chacun en soy et son ami viura. Permets m' Amour penser quelque folie :

Tousiours suis mal, viuant discrettement. Et ne me puis donner contentement. Si hors de moy ne fay quelque saillie.

XIX.

UiANE estant en l'espesseur d'un bois 5 Apres auoir mainte beste assenée.

98 SONNETS.

Prenoit le frais, de Nynfes couronnée; Tallois resuant comme fay maintefois ,

Sans y penser: quand i*ouy une vois. Qui m*apela, disant, Nynfe estonnee, Que ne t'es tu vers Diane tournée? Et me voyant sans arc et sans carquois,

Qu*as tu trouué, o compagne, en ta voye , Qui de ton arc et flesches ait fait proye ? le m'animay, respons ie, à un passant,

Et lui getay en vain toutes mes flesches Et Tare après : mais lui les ramassant Et les tirant me fit cent et cent bresclies.

XX.

Jl REDIT me fut, que deuoit fermement Vn iour aymer celui dont la figure Me fut descrite : et sans autre peinture Le reconnu quand vy premièrement:

Puis le voyant aymer fatalement. Pitié ie pris de sa triste auenture : Et tellement ie forçay ma nature, Qu'autant que lui aymay ardentement.

Qui n'ust pensé qu'en faueur deuoit croitre Ce que le Ciel et destins firent naitre? Mais quand ie voy si nubileus aprets,

SONNETS. 99

Vents si cruels et tant horrible orage : le croy qu*estoient les infernaus arrêts , Qui de si loin m'ourdissoient ce naufrage.

XXI.

i^VELLE grandeur rend l'homme vénérable ? Quelle grosseur? quel poil? quelle couleur? Qui est des yeus le plus emmieleur? Qui fait plus tôt une playe incurable?

Quel chant est plus à Thomme conuenable ? Qui plus pénètre en chantant sa douleur? Qui un dous lut fait encore meilleur? Quel naturel est le plus amiable?

le ne voudrois le dire assurément, Ayant Amour forcé mon ingénient : Mais ie say bien et de tant ie m'assure,

Que tout le beau que Ion pourroit choisir, Et que tout l'art qui ayde la Nature, Ne me sauroient acroitre mon désir.

XXII.

1j VISANT Soleil , que tu es bien heureus, De voir tousiours de t'Amie la face :

Univers îtij

loo SONNETS.

Et toy, sa seur, qu'Endimion embrasse. Tant te repais de miel am.oureus.

Mars voit Venus : Mercure auentureus De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glasse : Et lupiter remarque en mainte place Ses premiers ans plus gays et clialeureus.

Voilà du Ciel la puissante harmonie.

Qui les esprits diuins ensemble lie :

Mais s'ils auoient ce qu'ils ayment lointein.

Leur harmonie et ordre irreuocable

Se tourneroit en erreur variable ,

Et comme moy trauailleroieut en vain.

XXÏIÏ.

IjAs! que me sert, que si parfaitement Louas iadis et ma tresse dorée, Et de mes yeus la beauté comparée A deus Soleils, dont Amour finement

Tira les trets causes de ton tourment? Ou estes vous, pleurs de peu de durée? Et mort par qui deuoit estre honorée Ta ferme amour et itéré serment?

Donques c'estoit le but de ta malice De m'asseruir sous ombre de seruice? Pardonne moy, Amy, à cette fois.

SONNETS. 101

Estant outrée et de clespit et dMre:

Mais ie m'assure, quelque part que tu sois.

Qu'autant que nioy tu soufres de martire.

XXIIIÏ.

aSe reprenez, Dames, si i'ay aymé: Si i'ay senti mile torches ardentes, Mile trauaus, mile douleurs mordantes: Si eu. pleurant i'ay mon tems consume,

Las que mon nom n'en soit par vous blâmé». Si i'ai failli, les peines sont présentes, N'aigrissez point leurs pointes -violentes:. Mais estimez qu'Amour, à point nommé.

Sans votre ardeur d'un Vulcan excuser.

Sans la beauté d'Adonis acuser^.

Pourra, s'il veut, plus, vous rendre amoureuses;

En ayant moins que moi d'ocasion,

Et plus d'estrange et forte passion.

Et gardez vous d'estre plus malheureuses^

FIN DES EVVRES DE LOVÏZE LABE LIONNOIZE.

AVS POETES DE LOVIZE LABÉ.

SONNET.

Vovs qui le los de Lonïze escrivez, Et qui auez, par gaye fantasie Cette beauté, votre suget, choisie, Voyez quel bien pour vous, vous poursuiuez.

Elle des dons des Muses cultivez, S*est pour soymesnie et pour autrui saisie : Tant qu'en louant sa dine Poésie, Mieus que par vous par elle vous viuez.

Laure ut besoin de faneur empruntée, Pour de renom ses grâces animer: Louïze autant en beauté réputée,

Trop plus se fait par sa plume estimer. Et de soymesme elle se faisant croire, A ses loueurs est cause de leur gloire.

ESCRIZ

DE DIVERS POETES,

A LA LOVENGE

DE LOVIZE LABÉ

tlONNOIZE.

EIS nAAS AOISHS AABAIAS.

± àç SaKcpSs ôffàs yXvxvtpôva c'is d«63L£(J(i£V

MsiÀixi» ITacpiT)? xal E'prârov wv l's Aa^âiî)

KôA-TCra Tpa(p£î(j' àvT)yccyE. El cTk Tiç éi xaivèv 6ctv^tt^£i , Xfti KoGev içi j

E''x€i <ï>àcav' sprâjiEVOV : TS «A.T)x9£ïcia (pv^'fi , ^iyvp6v héA.os fîp'^s ruXaiVcc

Xop(faiis svapjiô^Eiv A,vpT)S. 2c{30(fpà (fè TCpès rauras Koitkïeis oîçp* évintfi

ITai(f6v £pâv TLTKEpTKpdvcDV.

io4 ESCRIZ

DE ALOYS^ LABiEiE OSCULIS.

lAM non canoras Pegasidas tuis Assuesce votis ; nil tibi Cynthius Fontlsue Dircaei recessus Profuerint, vel inanis Euan.

Sed tu Labaeœ basia candidse Imbuta poscas nectare, quae rosas^

Spirant amaracosque molles, Et violas, Arabumque succos.

Non illa summis dispereunt labris, Sed quh reclusis obicibus patet Inerme pectus, suaueolentis Oris aculeolo calescit.

Illo medullae protinus œstuant. Et dissolutis spiritus omnibus Nodis in ore suauiantis Lenius emoritur Labaeae.

Hoc plenus œstro (dicere seu lubet Sectis puellas unguibus acriter Depr «liantes, aut inustam Dente notam labiis querenteis :

Cœliue motus et redeuntia Anni vicissim tempora : nec suo

DE DIVERS POETES. io5

Fulgore lucentem Dianani, Sideribusue polos micanteis,

Dignuiîi Labaeae basiolls melos Quod voce mistis cum fidibus canat)

Dices coronatus quod aureis Cecropias Latiasque pungat.

EN GRACE DV DIALOGVE d'AMOVR ET DE FOLIE, EVYRE DE D. LOVÏZE LABÉ LIONNOIZE.

Amovr est donq pure incliiiacion Du Ciel en nous, mais non nécessitante: Ou bien vertu, qui nos coeurs impuissante A résister contre son accion?

C'est donq de l'ame une alteracion De vain désir légèrement naissante, A tout obiet de l'espoir périssante. Comme muable à toute passion?

la ne soit crii , que la douce folie

D'un libre Amant d'ardeur libre amollie

Perde son miel en si amer Absynte,

Puis que Ion voit un esprit si gentil Se recouurer de ce Chaos sutil, Ou de Raison la Loy se laberynte.

IVON SI NON LA,

loô ESCRIZ

EN CONTEMPLAGION DE D. LOVÏZE LABÉ.

i^VEL Dieu graua cette magesté douce En ce gay port d'une pronte alegresse? De quel Hz est, mais de quelle Déesse Cette beauté, qui les autres destrousse?

Quelle Sjrene hors du sein ce chant pousse. Qui deceuroit le caut Prince de Grèce? Quels sont ces yeus, mais bien quel trofee est ce, Qui tient d* Amour Tare , les trets et la trousse ?

Ici le Ciel libéral me fait voir

En leur parfait, grâce, honneur, et sauoir,

Et de vertu le rare témoignage ;

Ici le traytre Amour me veut surprendre : Ah! de quel feu brûle un cœur ia en cendre? Comme en deus pars ce peut il mettre en gage ?

P. D. T.

A D. LOVÏZE LABÉ, SVR SON PORTRAIT.

Iadis un Grec sus une froide image. Que consacra Praxitèle à Cyprine, Kafreschissant son ardente poitrine Rendit du maître admirable l'ouurage.

DE DIVERS POETES. 107

Las! peu s'en faut qu'à ce petit ombrage, Reconnoissant ta bouche coralline. Et tous les trais de ta beauté diuine, le n'aye autant porté témoignage.

Qu'ust fait ce Grec si cette image nue

Entre ses bras fust Venus deuenue ?

Que suis ie lors quand Louïze me touche,

Et l'accollant d'un long baiser me baise? L'ame me part, et mourant en cet aise, le la reprens ia fuiant en sa bouche.

SONNET.

Xe laisse apart Méduse, et sa beauté, Qui transmuoit en pierre froide et dure, C^s qui prenoient à la voir trop de cure, Pour admirer plus grande nouueauté.

Et reciter la douce cruauté De Belle a soy, qui fait bien plus grand'chose. Lors qu'en son tout grâce naïue enclose. Veut eslargir sa douce priuauté.

Car d'un corps fait au comble de son mieus, Du vif mourant contournement des veus, A demi clos tournant le blanc en vue :

Puis d'un soupir mignardement issant,

io8 ESCRIZ

Auant Tapas d*un souzris blandissant. Les regardans en soymesme transmue.

DEVOIR DE VOIR,

A CELLE QVI n'eST SEVLEMENT A SOY BELLE,

ôl le Soleil ne peut touslours reluire. Fuir ne faut pourtant tout ce qui luit, Car si au Ciel quelqu*autre flamme duit, Sans le Soleil peut bien la clarté luire.

Mais quoy? sans lui, las! on la veut réduire Au seul plaisir d*un Astre radieus, Qui autre part d'esclairer enuieus. Par ce moyen peut à la clarté nuire.

Las! quel Climat lui sera donq heureus.

N'ayant faueur que par l'Astre amoureus,.

Ou viue meurt cette lueur première? i

Si d'autre espoir de sa propre vertu N'est par effet son lustre reuétu, Sous tel Pliebus s'esteindra sa lumière.

DEVOIR DE VOIR.

AVTRE A ELLE MESME.

Voyez, Amans, voyez si la pitié A mon secours or* à tort ie reclame

DE DIVERS POETES. 109

Du haut, ou bas, rien n'est, fors ma poure ame. Qui n'ait goûté quelque fruit d'amitié.

Par quel destin, las! toute autre moitié La mienne fuit? suiuant l'ingrate trace De celle là, dont espérant la grâce. Acquis ie n'ay que toute inimitié?

0 douce Mort tous plus qu'à soy belle)

A ta clarté ne sois ainsi rebelle,

Ains doucement la fais en toy mourir :

Si tu ne veus par façon rigoureuse Sans aliment la rendre ténébreuse : Car ia Testeint, qui la peut secourir.

A D. LOViZE, DES MVSES OV PREMIERE OV DIZIÉME COVRONNANTE LA TROVPE.

INatvre ayant en ses Idées pris Vn tel suget, qu'il surpassoit son mieus : De grâce ell' ut pour l'illustrer des Dieus Otroy entier du plus supernel pris:

Dont elle put l'Vniuers rendre espris, Ouurant l'amas des influs bienheureus, Duquel le rare épuré par les Cieus Atire encor le bien des esprits.

Dieus qui soufrez flamboyer tel Soleil

iio ESCRIZ

A vous égal, à vous le plus pareil. Témoin le front de sa beauté première.

Permettrez vous chose si excellente Patir l'horreur d'Atrope palissante, Ne la laissant immortelle lumière?

d'immortel ZELE,

SONETTO.

yvi doue in braccio al Rodano si vede Girne le Sona quêta , si ch' a pena Scorger si puo doue l'onde mena, Si lenta muoue entr' al suo letto il piede:

Giunsi punto d'Amor, cinto di Fede, Di speme priuo, e colmo de la pena, Ch' air Aima (pria d'ogni dolcezza piena) Fa di tutto il piacere aperte predej

E mouendo i sospiri a chiamar voi (Lungi dal vostro puro aer' sereno) Sperai vinto dal sonno alta quiète :

Ma tosto udij dirmi da voi : Se i tuoi Occhi son tristi e molli, i miei non meno, Cosi sempre per noi pianto si miete.

DE DIVERS POETES. m

SONETTO.

Ardo d'un dolce fuoco, e quest' ardore Smorzar non cerco^ anzi m'è caro tanto, Che lieto in mezo de le fiamme io canto Le Vostre lodi e'I sopran vostro honore 5

E chieggio in guiderdone al mio Signore Che non nii dia cagion d'eterno pianto^ Ma d'un* istesso fuoco hoggi altrettanto Vi porga si ch* ogn'hor n'auuampi il cuore.

Amor seco ogni hen mai sempre apporta, Quando d'un par desio due Pelti inuoglia; Ma s' un ne lascia, è morte atroce e ria:

Siatemi dunque voi sicura scorta: Suegliate homai questa grauosa spoglia^ Ch' a voi consacrero la penna mia.

AvVENTVROSI fiori,

Che cosi dolce seno,

Che cosi care cliiome in guardia haueste:

Benedetto il sereno

Aer' doue nasceste;

112 ESCRIZ

E* que' mille colori Di cui natura in voi vaga si piacque : Ben' fù. dolce destino Il vostro, e' quel' mattino Clie si felice al morir' vostro nacque : Vinchino lior* vostri odori Gli odorosi Sabei, gli Arabi honori.

Dolce Luisa mia

Che tanto bella sete,

Quanto esser' vi voleté ; E' corne il core

Hauete sculto amore , e cortesia :

Tal' ne gli occbi di lor' si scorge traccia :

Da queste dolci braccia,

Da questi ardenti baci, anima bella,

Morte sola mi suella

Ne unqua mai fra noi maggior* si si a

Paura e' gelosia.

Altra luce non veggio : Altro sole, aima bella, Fuor* cbe i vostri occlii santi Non ho : e' questi hor' cliieggio Sol' per mia guida e' Stella Sempre corne hor' sereni. A voi beati amanti Altra inuidia, altro zelo Non hauro mai : se il cielo Vuol' che io mia vita meni In cosi fatta guisa A i dolci raggi lor' dolce Luisa.

DE DIVERS POETES. ii3

ESTREINESj A DAME LOVÏZE LABÉ.

JLovïzE est tant gracieuse et tant belle, Louïze à tout est tant bien auenante, Louïze ha Tceil de si viue estincellej Louïze lia face au corps tant conuenante. De si beau port, si belle et si luisante, Louïze ha voix que la Musique auoue, Louïze ha main qui tant bien au lut ioue, Louïze ha tant ce qu*en toutes on prise. Que ie ne puis que Louïze ne loue. Et si ne puis assez louer Louïze.

A D. L. L.

1 ON lut hersoir encor se resentoit De ta main douce, et gozier gracieus, Et sous mes doits sans leur ayde chantoit ; Quand un Démon, ou sur moy enuieus, Ou de mon bien se feingnant soucieus. Me dit : c'est trop sus un lut pris plaisir. N'aperçois tu un furieus désir Cherchant autour de toy une cordelle, Pour de ton coeur la Dame au lut saisir? Et, ce disant, rompit ma chanterelle.

* 8

lU ESCRIZ

EPITRE A SES AMIS 5 DES GRACIEVSETEZ DE D. L. L.

v)vE faites vous, mes compagnons 5 Des chères Muses chers mignons? Au'ous encore en notre absence De votre Magny souuenance ? Magny votre compagnon dons. Qui ha souuenance de \ous Plus qu*assez, s' une Damoiselle Sa douce maîtresse nouuelle Qui restreint d'une estroite Foy Le laisse souuenir de soy. Mais le Pouret qu'Amour tourmente D'une chaleur trop véhémente. En oubli le Pouret ha mis Soymesnie et ses meilleurs amis : Et le Pouret à rien ne pense. Et si n'a de rien souuenance, Mais seulement il lui souuient De la maitresse qui le tient, Et rien sinon d'elle il ne pense N'ayant que d'elle souuenance. Et tout brûlé du feu d'amours Passe ainsi les nuits et les jours, Sous le ioug d'une Damoiselle Sa douce maitresse nouuelle, Qui le fait ore esclaue sien,

DE DIVERS POETES. ii5

Ataclië trun noiiueau lien :

Qui le cœur de ce misérable

Brûle d'un feu non secourable.

Si le secours soulacieus

Ne lui vient de ses niesmes yeus.

Qui premiers sa flamme alumerent,

Qui premier son cœur enflammèrent.

Et par qui peut estre adouci

L'amoureus feu de son souci.

Mais ny le vin ny la viande.

Tant soit elle douce et friande.

Ne lui peuuent plus agréer.

Rien ne pourroit le recréer,

Non pas les gentilesses belles

De ces gentiles Damoiselles,

De qui la demeure Ion met

Sur l'Heliconien sommet,

Qu'il auoit tousiours honorées,

Qu'il auoit tousiours adorées

Des son ieune aage nouuelet,

Encores enfant tendrelet.

Adieu donq Nynfes, adieu belles,

Adieu gentiles Damoiselles,

Adieu le Chœur Pegasien,

Adieu l'honneur Parnasien.

Venus la mignarde Déesse,

De Paphe la belle Princesse,

Et son petit fils Gupidon

Me maîtrisent de leur brandon.

Vos chansons n'ont point de puissance

ii6 ESCRIZ

De lïiie donner quelque allégeance

Aus tourmens qui tiennent mon cœur,

Genné d'une douce langueur

le n'ay que faire de vous, belles :

Adieu, gentiles Damoiselles :

Car ny pour voir des monceaus d'or

Assemblez dedens un trésor,

Ny pour voir flofloter le Rone,

Ny pour voir escouler la .Sone^

Ny le gargouillant ruisselet,

Qui coulant d'un bruit doucelet,

A dormir, d'une douce enuie,

Sur la fresche riue conuie :

Ny par les ombreus arbrisseaus

Le dons ramage des oiseaus,

Ny violons, ny espinettes,

Ny les gaillardes chansonnettes,

Ny au chant des gaies chansons

Voir les garces et les garçons

Fraper en rond, sans qu'aucun erre.

D'un branle mesuré, la terre.

Ny tout cela qu'a de ioyeus

Le renouueau delicieus,

Ny de mon cher Giués (qui m'ayme

Comme ses yeus) le confort mesme.

Mon cher Giués, qui comme moy

Languit en amoureus émoy.

Ne peuvent flater la langueur

Qui tient genné mon poure cœur :

Bien que la mignarde maitresse,

DE DIVERS POETES. 117

Pour qui ie languis en détresse,

Contre mon amoureus tourment

Ne s'endurcisse fièrement :

Et bien qu'ingrate ne soit celîe^

Celle gentile Damoiselle

Qui fait d'un regard bien humain,

Ardre cent feus dedens mon sein.

Mais que sert toute la caresse Que ie reçoy de ma maitresse? Et que me vaut passer les iours En telle espérance d'amours. Si les nuiz de mile ennuiz pleines Rendent mes espérances veines? Et les iours encor pleins d'ennuis, Qu'absent de la belle ie suis? Quand ie meurs, absent de la belle, Ou quand ie meurs présent près d'elle N'osant montrer (o dur tourment!) Comment ie l'ayme ardantement?

Celui vraiment est misérable Qu'Amour, voire estant fauorablcj Rend de sa flame langoureus. Clietif quiconque est amoureus. Par qui si cher est estimée Vue si légère fumée D'un plaisir suiui de si près De tant d'ennuiz qui sont après. Si ay ie aussi cher estimée Vne si légère fumée..

ii8 ESCRIZ

DES BEAVTEZ DE D. L. L.

(Jv print Tenfant Amour le fin or qui dora En mile crespillons ta teste blondissante? En quel iardin print il la roze rougissante Qui le liz argenté de ton teint colora ?

La douce granité qui ton front honora, Les deus rubis balais de ta bouche alléchante. Et les rais de cet œil qui doucement m'enchante, En quel lieu les print il quand il t'en décora ?

D'où print Amour encor ces filets et ces lesses, Ces haims et ces apasts que sans fin tu me dresses, Soit parlant ou riant ou guignant de tes yeus ?

Il print d'Herme, de Cypre, et du sein de l'Aurore,

Des rayons du Soleil, et des Grâces encore,

Ces atraits et ces dons, pour prendre hommes et Dieus.

A ELLE MESME.

O ma belle rebelle, Las que tu m'es cruelle! Ou quand d'un dous souzris Larron de mes esprits. Ou quand d'une parole

DE DIVERS POETES. 119

Si mignardement mole,

Ou quand d'un regard dVeus

Traytrement gracîeus,

Ou quand d'un petit geste

Non autre que céleste.

En amoureuse ardeur

Tu m'enflammes le cœur.

0 ma lielle rebelle, Las que tu m'es cruelle! Quand la cuisante ardeur Qui me brûle le cœur, Veut que ie te demande A sa brûlure grande Vn rafreschissement D'un baiser seulement.

0 ma belle rebelle, Que tu serois cruelle! Si d'un petit baiser Ne voulois l'apaiser. Au lieu d'alegement Acroissant mon tourment. Me puisse ie un iour, dure. Venger de cette iniure: Mon petit maître Amour Te puisse outrer un iour, Et pour moi langoureuse, Il te face amoureuse, Comme il m'a langoureus Pour toy fait amoureus. Alors par ma vengeance

I20 ESCRIZ

Tu auras connoissance Que vaut d'un clous baiser Vn Amant refuser. Et si ie te le donne. Ma gentile mignonne. Quand plus fort le désir En viendroit te saisir : Lors après ma vengeance, Tu auras connoissance Quel bien fait, d'un baiser L'Amant ne refuser.

DOVBLE RONDE AV, A ELLE.

JliSTANT naurë d'un dard secrettement, Par Cupidon, et blessé à outrance, le n'osois pas declairer mon tourment Saisi de peur, délaissé d'espérance. Mais celui seul, qui m'auoit fait l'ofense. M'a asseuré, disant, que sans ofense le pouuois bien mon ardeur déceler. Ce que i'ay fait sans plus le receler. Estant nauré.

A une donq pourement assuré, Creingnant bien fort d'elle estre refusé, Ay declairé du tout ma doleance : Et sur mon mal hardiment excusé

DE DIVERS POETES. 121

Lui supliant me donner allégeance. Ou autrement ie perdrois pacience Estant naurë.

Au mien propos ha si bien respondu Celle que i'ay plus chère, que mon ame. Et mon vouloir sagement entendu, Que ie consens qu'il me soit donné hlame Si ie Toublie : car elle m'a rendu Le sens, l'esprit, l'honneur, le cœur et l'ame Estant nauré»

ODE EN FAVEVR DE D. LOVÏZE LABÉ, A SON BON SIGNEVR.

D. M.

J\lvsES, filles de lupiter.

Il nous faut ores aquiter

Vers ce docte et gentil Fumée,

Qui contre le tems inhumain

Tient vos meilleurs trets en sa main.

Pour paranner sa renommée.

le lui dois, il me doit aussi:

Et si i'ay ores du souci

Pour faire mon payment plus dine. '

le le voy ores deuant moy

En un aussi plaisant émoy

Pour faire son Ode Latine.

Mais par ou commencerons nous?

122 ESCRIZ

Dîtes le, Muses : car sans vous le ne fuis l'ignorante tourbe. Et sans vous ie ne peu chanter Chose, qui puisse contenter Le père de la lyre courbe.

Quand celui qui iadis naquit Dans la tour d'erein, que conquit lupiter d'une caute ruse, Vt trenchë le chef qui muoit En rocher celui qu'il voyoit, Le chef hideus de la Méduse :

Adonques par l'air s'en allant, Monte sur un cheual volant. Il portoit cette horrible teste : Et ia desia voisin des Gieus Il faisoit voir en mile lieus La grandeur de cette conqueste.

Tandis du chef ainsi trenché Estant freschement arraché, Distiloit du sang goûte à goûte : Qui soudein qu'en terre il estoit, Des fleurs vermeilles enfantoit, Qui changeoient la campagne toute.

Non en serpent, non en ruisseau. Non en loup, et non en oiseau. En pucelle, wSatire ou Cyne : Mais bien en pierre : faisant voir Par un admirable pouuoir

DE DIVERS POETES. i25

La vertu de leur origine.

Et c'est aussi pourquoy ie crois, Que fendant l'air en mile endrois Sur mile estrangeres campagnes, A la fin en France il vola, Ou du chef liideus s'escoula Quelque sang entre ces montagnes :

Mesmement auprès de ce pont Oppose viz à viz du mont. Du mont orguilleus de Foruiere ; En cet endroit ou ie te vois Egaier meinte et meintefois Entre l'une et l'autre rivière.

Car deslors que fatalement l'en aprochaj premièrement,, le vis des la première aproche le ne say quelle belle fleur: Qui soudein m'esclauant le cœur Le fit changer en une roche.

le viz encor tout à l'entour

Mile petis frères d'Amour,

Qui menoient mile douces guerres :

Et mile creintifs amoureus

Qui tous comme moj langoureus

Auoient leurs cœurs changez en pierres.

Depuis estant ainsi rocher, le viz près de moy aprocher

124 ESCRIZ

Vne Méduse plus acorte Que celle dont s*arme Pallas, Qui changea iadis cet Atlas Qui le Ciel sur l'eschine porte.

Car elle ayant moins de beautez, De ces clieueus enserpentez Faisoit ces changemens estranges : Mais cetteci, d'un seul regard De son oeil doucement hagard Fait mile plus heureus eschanges.

Celui qui voit son front si beau^ Voit un Ciel, ainçois un tableau De cristal, de glace, ou de verre: Et qui voit son sourcil bénin, Voit le petit arc hebenin. Dont Amour ses traits nous desserre.

Celui qui voit son teint vermeil. Voit les roses qu'à son rëueiL Phebus épanit et colore : Et qui voit ses cheueus encor. Voit dens Pactole le trésor Dequoy ses sablons il redore.

Celui qui voit ses yeus iumeaus. Voit au ciel deus heureus flambeaus, Qui rendent la nuit plus serene : Et celui qui peut quelquefois Escouter sa diuine voix Entend celle d'un€ Sirène.

DE DIVERS POETES. i25

Celui qui fleure en la baisant Son vent si clous et si plaisant ^ Fleure l'odeur de la Sabee : Et qui voit ses dens en riant Voit des terres de l'Orient Meinte perlette desrobee.

Celui qui contemple son sein Large, poli, profond et plein, De l'Amour contemple la gloire, Et voit son teton rondelet, Voit deus petis gazons de lait, Ou bien deus boulettes d'iuoire.

Celui qui voit sa belle main, •Se peut asseurer tout soudein D'auoir vu celle de l'Aurore; Et qui voit ses piez si petis, S'asseure que cens de Thetis Heureus il ha pu voir encore.

Quant à ce que l'acoutrement Cache, ce semble, expressément Pour mirer sur ce beau chef d'euure. Nul que l'Ami ne le voit point : Mais le grasselet embonpoint Du visage le nous descœuure.

Et voilà comment ie fuz pris Aus rets de l'enfant de Cypris, Esprouuant sa douce pointure ; Et comme une Méduse fit,

126 ESCRIZ

Par un dommagealile proufit, Changer mon cœur en pierre dure.

Mais c'est au vray la raritë De sa grâce et de sa beauté, Qui rauit ainsi les p'^rsonnes : Et qui leur ote cautement La franchise et le sentiment, Ainsi que faisoient les Gorgonnes.

Le Tems cette grand' fauls tenant

Se vét de couleur azurée,

Pour nous montrer qu'en moissonnant

Les choses de plus de durée,

Il se gouuerne par les Cieus :

Et porte ainsi la barbe grise.

Pour faire voir qu'Hommes et Dieus

Ont de lui leur naissance prise.

Il assemble meinte couleur

Sur son azur, pource qu'il treine

Le plaisir après la douleur

Et le repos après la peine :

Montrant qu'il nous faut endurer

Le mal, pensant qu'il doit fin prendre,

Comme l'Amant doit espérer.

Et merci de sa Dame atendrci

Il porte sur son vêtement, Vu milier d'esles empennées, Pour montrer comme vitement Il s'en vole auec nos années :

DE DIVERS POETES. 12;

Et s'acompagne en tous ses faits De cette gcnte Damoiselle, Confessant que tous ses efets N'ont grâce ne vertu sans elle.

Elle s*apelle Ocasion

Qui chauue par derrière porte.

Sous une docte allusion.

Ses longs clieueus en cette sorte :

A fin d'enseigner à tous cens

Qui la rencontrent d'auenture,.

De ne se montrer paresseus

A la prendre à la clieuelure,

Car'^s'elle se tourne et s'en fuit. En vain après on se trauaille : Sans espoir de fruit on la suit. Le tems ce dous loisir nous baille De pouuoir gayement ici Dire et ouir maintes sornettes, Et adoucir notre souci, En contant de nos amourettes.

Le Tems encore quelquefois Admirant ta grâce éternelle Chantera d'une belle voix D'Auanson ta gloire éternelle : Mais or' l'ocasion n'entend Que plus long tems ie l'entretienne, Creingnant perdre l'heur qui m'atend Ou qu'autre masque ne suruienne.

28 ESCRIZ

MADRIGALE.

Arse cosI per voi. Donna, il mio core

Il primo di ch'intento vi mirai,

Clie certo mi pensai

Che no potesse in me crescere pin ardore :

Ma in voi belta crescendo d*hor' in liora,

Cresc* in me il fuoco ancora,

Il quai no potra mai crescer* si poco,

Cil* altro no saro piu che flamme e fuoco.

ODE.

J. OVTE bonté abondante Aus gouuerneurs des saints Cieus, Vn, qui de main foudroyante Estonne mortels et Dieus, Ensemença ces bas lieus De diuersité d'atomes Formez de ce vertueus Surpassant celui des hommes;

Lesquels d'une destinée Sous quelque fatal heureus^ Pour former une bien née

DE DIVERS POETES. 129

Furent ensemble amoureus: Et goûtant le sauoureus. Lequel ou l'Amour termine 5 Ou le rend plus doucereus, La font voir chose diuine.

Mesmement si familière ^

A la troupe des neuf Seurs^

Qu'elle l'ont pour leur lumière

Fait lampeger en leurs chœurs :

receuant les honneurs

De ceus, qu'on n'a laisse boire

Aus sourses et cours donneurs

De perpétuelle gloire.

Elle le fait aparoitre Au docte de ses escriz, Qu'on voit iournellement naître^ Et deuancer les esprits, Qui auoient gaigné le pris D'estre mieus luz en notre aage. 0 féminin entrepris De l'immortalité gage!

Qui une flame amoureuse. Qui mieus les passionnez. Et de veine plus heureuse Discerne les aptes nez, Et à l'Amour fortunez, De ceus, lesquels à outrance Seront tousiours mal menez. Et repuz d'une espérance ?

i3o ESCRIZ

Qui de langue plus diserte Fait le Musagete orer Contre Feloquence experte Du Dieu, qui peut atlrer Par le caut de son parler L'erreur à la vraye trace? Qui près d'eus peut sommeiller. Comme elle, sur le Parnasse?

Donq que sur ses temples vole Ce A ert entortillonné Pris de la ramure mole De la fuyarde Dapliné, Et doctement façonné Pour orner la seur de celle. Qui sortit, le coup donné, En armes, de la ceruelle.

SONNET A D. L. L. PAR A. F. R.

OI de cens qui ne t'ont connue, qu'en lisant Tes Odes et Sonnets, Louïze, es honorée: Si ta voix de ton lut argentin tempérée, D'arrester les passans est moyen sufisant :

Et si souuent tes yeus d'un seul rayon luisant Ont meinte ame en prison pour t' adorer serrée: Tu te peus bien de nioy tenir toute asseuree. Car si ianiais ton œil sus un cœur fut puissant.

DE DIVERS POETES. i5i

Il ha esté sur moy, et fait meinte grand* playe : Telle grâce à chanter, baller, sonner te sult^ Qu'à rompre ton lien ou fuir ie n'essaye.

Tant tes yers amoureus t'ont donné los et hruit, Qu'heureus me sens t'auoir non le premier aymee. Mais prisé ton sauoir auant la renommée.

A DAME LOVÏZE LABÉ, LIONNOIZE, LA COMPARANT AYS

CIEVS.

Oept feus on voit au Ciel, lesquels ainsi Sont tous en toy meslez ensemblement. Phebé est blanche : et tu es blanche aussi. Mercure est docte ; et toy pareillement.

Venus tousiours belle : semblablement Belle tousiours à mes yeus tu te montre. Tout de fin or est le chef du Soleil : Le tien au sien ie voy du tout pareil. Mars est puissant : mais il creint ta rencontre.

lupiter tient les Cieus en sa puissance :

Ta grand' beauté tient tout en son pouuoir.

Saturne au Ciel ha la plus haute esscEce :

Tu as aussi la douce iouissance

Du plus liant heur qu'autre pourroit auoir.

Donq qui veut voir les grans dons, que les Dieu s Ont mis en toy, qu'il contemple les Cieus.

ï5a ESCRIZ

DES LOVENGES DE DAME LOVÏZE LABÉ, LIONNOIZE,

Il ne faut point que i'apelle Les hauts Dieus à mon secours. Ou bien la bande pucelle Pour ni'ayder en mon discours. Puis que les Dieus, de leur grâce. Les saintes Muses, les Gieus Ont tant illustré la face, Le corps, l'esprit curieus De celle, dont i'apareille La louenge nompareille, le congnoj bien clerement Que toute essence diuine Me fauorise, et s'encline A ce beau commencement.

Sus sus donq, blanche senestre, Fiiy tes resonans effors : Et toy, ô mignarde destre , Chatouille ses dous acors : Chantons la face angelique, Chantons le beau chef doré, Si beau, que le Dieu Delphiquc D'un plus beau n'est décoré. N'oublions en notre mètre Comme elle osa s'entremettre D'armer ses membres mignars ;

DE DIVERS POETES. i55

Montrant au haut de sa teste Vne espouuentable creste Sur tous les auîres soudars.

0 noble, ô diu«n chef d'euure

Des Dieus hautcins tous puissans,

Au moins niclntenant dcscœuure

Tes yeus tous resiouissans.

Pour voir ma Muse animée^

Qui de sa robuste main-

Haussera ta renommée

Trop mieus que ce vieil Rommain^

Qui sa demeure ancienne ,

La terre Saturnienne

Délaissa pour ta beauté,

A fin qu'à toy rigoureuse

Il fut hostie piteuse

En sa ferme loyauté.

La Muse docte diuine

Du vieillard audacieus.

Par le vague s'achemine

Pour t'enleuer iusqu'aus Cieus :

Mais la Parque naturelle

Dens les Iberiens chams^

Courut desemplumer l'aile-

De ses pleurs, et de ses chants:

Enuoyant en sa vieillesse,

Mal séant en ta ieunesse,

Son corps, au tombeau ombreus:

lit son ame énamourée

i54 ESGRIZ

En l'oLscure deniouree Des Royaumes tenebreus.

Dieus des voûtes estoilees. Qui en perdurable tour Retiennent emmantelees Les terres, tout à Tentour: Fermeté z moy que ie vlue Des ans le cours naturel, A fin qu'a mon gre i'escriue En un ouurage éternel, De cette noble Déesse La beauté enchanteresse, Ce qu'elle lia bien mérité: Et qu'en sa gloire immortelle ^ On voye esbahie en elle Toute la postérité.

Ainsi que Semiramide, Qui feingnant estre l'enfant De son mari, print la guidS Du Royaume trionfant, Puis démantant la Nature, Et le sexe féminin Hazarda a l'auenture Son corps iadis tant bénin, Courant furieuse en armes Parmi les Mores gendarmes, Et es Indiques dangers De sa rude simeterre Renuersant dessus la terre

DE DIVERS POETES. t55

Les escadrons estrangers.

Ainsi qu*es Alpes cornues (Qui , soit Hiuer soit Este, Ont tousiours couuert de nues Le front au Ciel arresté) On voit la superbe teste D'un roc de * pins emplumë, Rauie par la tenipeste De son corps acoutunié, En roullant par son orage Froisser tout le labourage , Des Beufs les après trauaus, "Ne laissant rien en sa voye Qu'en pièces elle n'ennoye. Cherchant les profondes yaux :

Ou comme Penthasilee, Qui pour son ami Hector Combatoit entremeslee Par les Grecs, ans cheueus d'or Ores de sa roide lance Enferrant l'un au trauers, Or' du branc en violance Trébuchant l'autre à l'enuers : Et ainsi que ces pucelles Qui l'une de leurs mammelles Se bruloient pour s'adestrer Aus combas et entreprises

'*' Aphcresc pour sapins.

2 36 ESCRIZ

Aus bons guerroyeurs requises. Pour l'ennenii rencontrer:

LouVze ainsi furieuse

En laissant les habiz mois

Des femmes, et enuieuse

De bruit, par les Espagnols

Souuent courut, en grand' noise,

Et meint assaut leur donna ,

Quand la ieunesse Françoise

Parpignan enuironna.

sa force elle desploye.

de sa lance elle ployé

Le plus hardi assaillant :

Et braue dessus la celle

Ne demontroit rien en elle

Que d'un clieualier vaillant.

Ores la forte guerrière Tournoit son destrier en rond: Ores en une carrière Essavoit s'il estoit pront: Branlant en flots son panache. Soit quand elle se iouoit D'une pique, ou d'une hache. Chacun Prince la Iouoit : Puis ayant à la senestre L'espee ceinte, à la destre La dague, enrichies d'or, En s'en allant toute armée 3E11* sembloit parmi l'armée

DE DIVERS POETES. iSy

Vn Achile, ou un Hector.

L'orguilleus fils de Clymene Nous peut bien auoir apris Qu'il ne faut par gloire vaine Qu'un grand trein soit entrepris. L'entreprise qui est faite Sans le bon conseil des Dieus IV'a point, ainsi qu'on souhaite j Son dernier efet ioyeus : Ainsi cette belliqueuse Ne fut iamais orguilleuse ; Telle au camp elle n'alla : Ains ce fut à la prière De Venus, sa douce mère. Qui un soir lui en parla.

Vn peu plu5 haut que la plaine. Ou le Rone impetueus Embrasse la Sone humeine De ses grans bras tortueus, De la mignonne pucelle Le plaisant iardin estoit. D'une grâce et façon telle Que tout autre il surmontoit: En regardant la merueille De la beauté nompareille Dont tout il estoit armé. Celui bien on l'ust pîi dire Du iuste Roy de Corcyre En pommes tant renomme.

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II

i36 ESCRIZ

Aus bo> guerroyeurs requises. Pour 1 inemi rencontrer:

LouVzf linsi furieuse

En lalant les habiz mois

Des fumes, et enuieuse

De brit, par les Espagnols

Souu(t courut, en grand' noise.

Et m<nt assaut leur donna,

Quan la ieunesse Françoise

Parpinan enuironna.

siforce elle desploye,

(1 sa lance elle ployé

Le ] is bardi assaillant:

Et I lue dessus la celle

No inontroit rien en elle

Qw l'un cbeualier vaillant.

Or< la forte guerrière To noit son destrier en rond: Oi' en une carrière Es voit s'il estoit pront: Br liant en flots son panache, So quand elle se iouoit D'ne pique, ou d'une bâche, Cicun Prince la Iouoit : Pis ayant à la senestre Lspee ceinte, à la destre L dague, enrichies d'or, E s'en allant toute armée E' sembloit parmi l'armée

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DE DIVERS POETES Vn Achile, ou un Hector.

L'orguîlleus fils de Clymene Nous peut bien auoir apris Qu'il ne faut par gloire vaine Qu'un grand trein soit entreprij L'entreprise qui est faite Sans le bon conseil des Dieus N'a point, ainsi qu'on souhaite. Son dernier efet ioyeus: Ainsi cette belliqueuse Ne fut iamais orguilleuse : Telle au camp elle n'alla ; Ains ce fut à la prière De Venus, sa douce mère. Qui un soir lui en parla.

Vn peu plus haut que la plaine. Ou le Rone impetueus Embrasse la Sone humeine De ses grans bras tortueus. De la mignonne pucelle Le plaisant iardin estoit. D'une grâce et façon telle Que tout autre il surmontoit : En regardant la merueille De la beauté nompareille Dont tout il estoit armé. Celui bien on Tust pîi dire Du iuste Roy de Corcyre En pommes tant renommé.

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i58 ESCRIZ

A rentrée on voyoit d'herbes. Et de tliin verflorissant. Les lis et croissans superbes De notre Prince puissant : Et tout autour de la plante De petis ranielets vers De mari oléine flairante Estoient plantez ces six vers : dv tresnoble roy de france Le croissant nevve acroissance De iovr en iovr reprendra, Ivsqves a tant qve ses cornes lointes sans avcvnes bornes En vn plein rond il rendra.

Tout autour estoient des treilles

Faites auec un tel art.

Qu'aucun n'ust sîi sans nierueilles

espandre son regard :

La voûte en estoit sacrée

Au Dieu en Inde inuoqué.

Car elle estoit ac outrée

Du sep au raisin musqué :

Les coulomnes bien polies

Estoient autour enrichies

De romarins et rosiers,

Lesquels faciles a tordre

S'entrelassoient en bel ordre

En mile neus fais d'osiers.

Au milieu pour faire ombrage

DE DIVERS POETES. i39

Estolent meiiits arceavis couucrs

De Coudriers et d'un bocage

Fait de cent arbres diuers :

rOliue palissante

Qu*Atliene tant reclama j

Et la branche verdissante

Qu'Apolon iadis ayma :

l'Arbre droit de Cibelle^

Et le cerner in rebelle

Au plaisir vénérien :

Auec l'obscure raniee

Par Phebe iadis formée

Du corps Cyparissien.

Sous cette douce verdure ,

Soit en sa gaye saison.

Ou quand la triste froidure

Nous renferme en la maison^

Tarins, Rossignols, Linotes

Et autres oiseaus des bois

Exercent en gayes notes

Les doLis iargons de leurs voix :

Et la vefue tourterelle

Y pleint et pleure à par elle

Son amoureus tout le iour :

De sa parole enrouée

A pleints et à pleurs vouée

Efroyant l'air tout autour.

Et à fin qu'à beauté telle Rien manquer on ne pust voir.

i4o ESCRIZ

De la beauté naturelle

Qu'un beau iardin peut auoir.

Il y ut une fonteine,

Dont l'eau coulant contre val

En sautant hors de sa veine

Sembloit au plus cler cristal :

Elle ne fut point ornée,

Ny autour enuironnee

De beaus niirtes Cipriens,

Ny de buis, ny d'aucun arbre,

Ny de ce precieus marbre

Qu'on taille es monts Pmnens :

Mais elle estoit tapissée Tout l'enuiron de ses bors. Ou son onde courroucée Murmuroit ses dous acors, D'herbe tousiours verdoyante, Peinte de diuerses fleurs, Qui en l'eau dousondoyante Mesloient leurs belles couleurs. Qui ust regardé la teste D'un Narcisse qui s'arreste Tout panchant le col sur l'eau , On ust dit que son courage Gontemploit encor l'image Qui trop et trop lui fut beau.

Aussi par cette verdure Estoit le iaune souci, Qui encor la peine dure

DE DIVERS POETES. i4i

De ses feus n'a adouci :

Ains touiours se yire et tourne

Vers son Ami qu'il veut voir,

Soit au matin, qu'il aiourne.

Ou quand il est près du soir.

aussi estoient Brunettes,

Mastis, damas, violettes

Ça et sans nul compas :

Auee la fleur, en laquelle

Hiacinte renouuelle

Son nom après son trespas.

Le ruisseau de cette sourse A par soy s'ebanoyant, D'une foible et lente course Deçà delà tournoyant Faisoit une protraiture Du lieu ou fut renfermé Le monstre contre nature En Pasipliaë forme: Puis son onde entrelassee^ De longues erreurs lassée Par un beau pré s'espandoit : Ou maugré toute froidure Vne plaisante verdure Eternelle elle rendoit.

Titan laissant sa campagne Peu à peu sous nous couloit, Et dens la tiède eaU d'Espagne Son char il desateloit:

i42 ESCRIZ

Quand en ce lieu de plaisance

Louïze estoit pour un soir,

Qui cliercliant resiouissance

Près la font se vint assoir :

Elle avant assez du pouce

Taté riiarnionie douce

De son lut, sentant le son

Bien d'acord, d'une voix fi^anclie

Jointe au bruit de sa main blanche.

Elle dit cette chanson :

La forte Tritonienne, Fille du Dieu Candien, Et la viercje Ortvgienne, Seur du beau Dieu Cynthien. Sont les deus seules Déesses Ou i'av mis tout mou désir. Et que ie sii ponr maitresses Des mon enfance choisir. Si Venus m'a rendu belle, Et toute semblable qu'elle^ Auec sa diuinité, Que pourtant elle ne pense, Qu'en un seul endi'oit i'ofense Ma chaste virginité.

La pucelle Lionnoize Fredonnant meints tons diuers. Au son plein de douce noise, N'ut deus fois chante ces vers. Qu'un sommeil de course lente

DE DIVERS POETES. 145

Descenrlant parmi les Cieus, Finit sa voix excellente Et son ieu melodieus. Sur la verdure espanduc Tous dous il Ta estendue, Flatant ses membres dispos : Dessus ses yeus il se pose. Et tout son coi^s il arrose D'un tresgracieus repos.

En dormant tout deuant elle Sa mère se présenta, En son beau visasse telle Qu'alors qu'elle s'acointa D'Ancliise, près du riuage Du Simoent Phrygien : Dont naquit le preus courage Qui au camp Hesperien Renouuella la mémoire. Et la trionfante gloire Du sang Troyen abatu, Qui deuoit en rude guerre Tout le grand rond de la Terre Conquérir par sa vertu.

Eir regarde par merueille Son visage nompareil, Son haut front, sa ronde oreille, Son teint freschement vermeil, Le vif coral de sa bouche, Ses sourcis tant ffracieus.

î44 Escmz

Que doucement elle touche Pour voir les rais de ses yeus : Non sans contempler encore Celle beauté qui décore La rondeur de ton tetin, ' Qui ni plus ni moins soupire Qu*au printems le dous Zephire Alenant Tair du matin.

Apres que la Cyprienne Vt son regard contenté. Voyant de la fille sienne La plus qu'humeine beauté, Esbahie en son courage De sa grand' perfeccion, Elle augmenta dauantage Vers eir son afeccion : Puis toute gaye et ioyeuse. D'une voix tresgracieuse. Pour descouurir son souci, Tenant les vermeilles roses De sa bouche un peu descloscs Elle parola ainsi :

Les Dieus n'ont voulu permettre Aus vains pensers des mortels. Que d'eus ils se pussent mettre A fin : bien que leurs autels Soient tous couuers de fumée, Ou pour gaigner leur faueur Ou pour leur ire animée

#

DE DIVERS POETES. i45

Faire tourner en douceur,

Tous les veus pas ils n'entendent

Qui deuant leurs yeus se rendent:

Ains les ont a nonclialoir,

Veu ni prière qu'on face

N'y font rien, si de leur grâce

Ils n'ont un niesme vouloir.

Que penses tu fille cliere. Penses tu bien résister Contre les dars de ton frère S'il lui plait t'en molester? Il se et domter tout le monde De son arc audacieus : L'Océan, la Terre ronde, L'Air, les Enfers, et les Cieus. Onq fille n'ut la puissance De lui faire résistance, Et ses fiers coups soutenir; Mais ie te veus faire entendre Pourquoy i'ay voulu descendre Du Ciel, pour à toy venir.

Les hommes, pleins d'ignorance, Citoyens de ces bas lieus, Te pensent de leur semence, Et non de celle des Dieus ; Mais par trop ils se deçoiuent (Bien qu'ils le tiennent pour seur) Et assez ils n'apcrçoiuent De ta beauté la grandeur.

lO

i4S ESCRIZ

Qui diroit, voyant ta face. Que tu fusses de la race D'un homme simple et mortel? La Terre sale et immunde, Ne sauroit aus ycus du monde De soy produire riens tel.

Tout ainsi la beauté rare D'Heleine, chacun pensoit Engendrée de Tyndare: Car on ne la connoissoit. Toutefois si estoit elle Fille du Dieu haut tonnant ^ Qui sa maison supernelle. Le haut Ciel 5 abandonnant ^ Atourné d'un blanc plumage. Semblant l'Oiseau qui présage j En chantant, sa proche mort. En Lede fille de Theste De sa semence céleste, La conçut par son effort,

Avecques deus vaillans frères, Dont l'un alaigre escrimeur Domta les menasses fieres, Et la trop âpre rigueur Du cruel Roy de Bebrice, Acoutumé d'outrager. Et meurtrir par sa malice Chacun soudart estranger: L'autre de hardi courage,

DE DIVERS POETES. 147

Inuenta premier l'usage

De ioiïidre au char le coursier:

Ou il se roula grand* erre,

EfFroyant toute la terre

Des deus ronds bornez d* acier.

Ainsi, Lien qu*on ne te donne L'honneur d'estre de mon sang. Et du Her Dieu qui ordonne Les puissans soudars en rraig, Si m'est ce chose asseuree. Que de Gradiue le fort En moy tu fus engendrée, loingnant le gracieus bord. Ou la Sone toute quoye Fait une paisible voye S'en allant fendre Lion : Dens lequel on voit encore Vn mont *, ou Ion me décore. Qui retient de moy son nom.

Le lieu ou tu fus conçue

Ne fut vile ny château,

Ains une forest tissue

De ineint plaisant arbrisseau.

Dont ie veux (en témoignage

De ta race) te pouruoir.

Ainsi que d'un héritage

Que ie tiens en mon pouuoir.

autour sont meintes plaines,

* Le mont de Fouruiere, anciennement apelé Forum Veneris.

i48 ESCRIZ

Esquelles les Mondes graines De Ceres pourras cueillir. Et la liqueur qui agrée A Baclius, et nieinte pree Ou l'herbe ne peut faillir.

aussi sont nieints bocages Deçà delà espandus, Ou en tout tenis les raniasçes Des Oiseaus sont entendus. Par fois tu y pourras tendre Le ret rare, à ton désir, Et quelque gibier y prendre Pour acroitre ton plaisir : Ou t'exerçant à la chasse Tu poursuiuras a la trace Les Lieures fuians de peur, De chiens autour toute armée, Vagans dessous la raniee, Se guidans à la senteur.

Et si par trop tu te peines En trop violent effort, De nieintes cleres fonteines Tu pourras auoir confort : L'eau sortante de leur sourse Tes membres refreschira, Et la murmurante course A son bruit t'endormira: Apres chargée de proye, Tu te pourras mettre en voye

DE DIVERS POETES. 149

Pour h ton château tourner, Qu'en brief bâtir ie veus faire j. Siifisant pour te complaire S'il te pi ait y sciourner.

Sur tout (fille) ie t'auise. Que d'un cœur tant oclieus Ton frère tu ne mesprise. C'est le plus puissant des Dieus-, En ta beauté excellente Meint homme il rendra transi. Mais sa main ne sera lente A te tourmenter aussi. Prens bien à ce propos garde. Car ia desia il te darde Son tret âpre et rigoureus : Dont il t'abatra par terre. Rendant d'un homme de guerre Ton tendre cœur amoureus..

En ce il prendra bien vengeance Du bon Poète Rommain, Auquel sans nulle allégeance Ton cœur est trop inliumein. Bien prendra à ta ieunesse Auoir apris à soufrir Des durs harnois la rudess®, Et à meint trauail s'ofrir :. Souuent seras rencontrée Depuis la tarde yespree lusqu'au point du proche! n ioui^,.

i5o ESCRIZ

Parmi les bois languissante, Et tendrement ge'missante La grand' cruauté d'Amour.

Alors pour estre asseuree

Point en femme tu n'iras,

Ains d'une lance parée

Cbeualier tu te diras.

la en ton harnois brauante

le te regarde assaillir

Meint clieualier, qui se vante

Hors de l'arçon te saillir :

Puis dextrement aprestee,

A3^ant ta lance arrestee.

Le désarçonner en bas.

Lui tout froissé, à grand' peine

Leuer son ame incerteine,

Chancelant à chacun pas.

A si grans trauaus ton frère Durement te contreindra, lusqu'à ce qu'à la première Liberté il te rendra: Alors laissant les alarmes, Et les hazars perilleus. Tu rueras ius les armes, Et le courage orguilleus. Dont tu soulois mettre en terre Meint vaillant homme de guerre Renuersé sous son escu, Qui repentant en sa face.

DE DIVERS POETES. i5i

De sa première menasse Tout haut se crioit vaincu.

Donq laissant dague et espee Ton habit tu reprendras, A plus dous ieus occupée Ton dous lut tu retendras : Et lors meints nohles Poètes, Pleins de célestes esprits. Diront tes grâces parfaites En leurs tresdoctes escriz : Marot, Moulin, la Fonteine, Auec la Muse hauteine De ce Sceue audacieus, Dont la tonnante parole, Qui dens les Astres carole, Semble un contrefoudre es Cieus.

Toutefois leur fantasie Ton loz point tant ne dira, Comme d'un la Poésie, Qui de l'onde sortira Du petit Clan, dont la riue Priuee de flots irez , Ha en tout tems l'herbe viue Autour des hors retirez. De cil la Muse nouuelle Rendra ta grâce immortelle : Du Ciel il est ordonné Qu'à lui le bruit de la gloire De t'auoir mise en mémoire,

i52 ESCRIZ

Entièrement soit donné.

Qu'à ton cœur tousiours agrée Du Poëte le labeur: Son escriture est sacrée A tout immortel bonlieur. Ayant qui ton loz escriue. Mourir ne peus nullement: Ainsi Laure, ainsi Oliue Viuent éternellement. Vn Bouchet en façon telle, Met en mémoire immortelle De son Ange le beau nom: Sacrant TAngelique face. Sa beauté, sa bonne grâce, Au temple du saint renom.

A tant la Déesse belle Mit fin à son dous parler : Son chariot elle atelle Toute preste à s'en voler: Les mignonnes colombclles Par le vague doucement Esbranlent leurs blanclies esles D'un paisible mouuement. Louïze estant esueillee Resta toute esmerueillee De la sainte vision : Ignorante si son songe Est vérité ou mensonge. Ou quelque autre illusion.

DE DIVERS POETES. i55

Son corps droit, sa bonne grâce, Son dur teton, ses beaus yeiis, Les diuins traits de sa face, Son port, son ris gracieus. Le front serein, la main belle, Le sein comme albastre blanc Montrent euidemment qu'elle Sortit du Ciprien flanc. Puis sa vaillance et prouesse, Son courage, son adresse, Et la force du bras sien De grand heur acompagnee, La montrent de la lignée Du Gradiue Tliracien.

Mais d'autre part, sa doctrine, Sa sagesse, son sauoir, La pensée ans arts encline Autant qu'autre onq put auoir. Les vers doctes qu'elle acorde. En les chantant de sa voix, A l'harmonieuse corde, Frétillante sous ses doits : Et la chasteté fidelle, Qui tousiours est auec elle, JVous rendent quasi tous seurs Qu'elle ut la naissance sienne De la couple Cjnthienne, Ou de l'une des neuf Seurs.

Toutefois il nous faut croire

i54 ESCRÏZ DE DIVERS POETES.

Ce que nous disent les DIeus,

Qui par la nuitée noire

Se montrent ans dornians yeus.

Ainsi Hector à Enee

En un songe s'aparut.

Et la sienne destinée

En songe il lui discourut.

Souuent la future cliose

Du sain esprit qui repose

Est preuuë de bien loin :

Ce songe presque incroyable,

Qui après fut véritable.

En pourra estre témoin.

Mais il est tems douce Lire, Que tu cesses tes acors. Si assez tu n'as pu dire, Si as tu fait tes effors. Celle harpe Methimnoise, Qui peut la mer esmouvoir, N'ut la Ninfe Lionnoize Chanté selon son devoir: Non pas toute la Musique De celle bende Lirique Qui (longtems ha) florissoit En la Grèce : qui meint Prince, Meint païs, meinte province, De son chant resiouissoit.

FEV DES ESCRIÎS DE DIVERS POETES.

I

NOTES.

EPÏTRE DEDICATOIRE. 1. A Madamoiselle Clémence de Bovrges, lion-

NOIZE, page I. Les trois anciennes e'ditions ne portent que ces lettres initiales : A M. C. D. B. L. Nous n'avons pas cru de- voir les suivre, et commencer l'ouvrage, en quelque sorte, par une énigme. Les éditeurs de 1762, et celui de Brest, 181 5, ont fait comme nous. Je n'ajouterai rien à ce qui a été dit de Clé- mence de Bourges et de ses liaisons avec Louise Labé, dans la Notice de M. Cochard et dans les notes dont elle est accom- pagnée : on peut y recourir. On y trouvera aussi des remarques et des citations applicables au sujet de cette épître dédicatoire, et à la manière dont Louise Labé y défend la cause des dames contre le préjugé qui veut leur interdire la culture des sciences et des lettres.

2. Mais Vhonneur que la science nous procurera , sera entiè- rement notre : et ne nous pourra estre oté , ne par finesse de lar- ron, ne force d'ennemis , ne longueur du tems , même page. On reconnoît la pensée d'Ovide (Metam. xv, 872 -3) :

Jamque opus exegi, quod nec Jovis ira> nec ignés > Nec poterit ferrum, nec edax abolere vetustas.

et celle d'Horace (Od. m, 00):

Exegi monumentum aère perennius, etc.

Mais le passage suivant de Pline le jeune (Epist. i, 5), a un rapport encore plus frappant avec la phrase de Louise Labé, qui semble en être la traduction: « Efiinge aliquid et excude, '1 quod sit perpétua tuum. Nam reliqua rerura tuarum alium

iJ^ NOTES.

« atque alium tlominum sortientur. Hoc nuuquam tuum desinet « esse, si semel cœperit. » « Travaillez à vous assurer une « sorte de bien que le temps ne puisse vous ôter. Tous les au- «< très, dans la suite des siècles, changeront mille et mille fois «< de maître ; mais les ouvrages de votre esprit ne cesseront « jamais d'être à vous. » (Trad. de Sacy.)

^•^ Le plaisir que f estude des lettres ha acoutumé donner. ..:qui est autre que les autres recreacions, page 2. Ici Louise Labé se rappeloit l'éloge que Cice'ron a fait des lettres dans son immor- tel Discours pour le poète Archias (n. 6) ; éloge magnifique et vrai que tous les littc'rateurs et tous les hommes de goût savent par cœur. Voy. Cice'roniana, ou Recueil des bons mots et apaph- thegmes de Cicéron, suivi d'anecdotes et de pensées tirées de ses ouvrages, etc. (par M. Péricaud aîné, de Lyon, etparl'Au- teur de ces notes), Lyon, 1812, in-8.", page 222.

4* JJepuis que quelcuns de mes amis ont trouué moyen, àe les lire sans que Ven susse riett^ page 3. 'Le privilège du, roi, daté du i3 mars i554, qui se trouve à la fin de l'édition de i556, in-S.**, est précédé de l'exposé suivant: «Reçue avons l'humble « suplication de notre chère Louïze Labé, Lionnoize, conte- « nant qu'elle auroit des long tems compose quelque Dialogue « de Folie et d'Amour : ensemble plusieurs Sonnets, Odes « et Epitres, qu'aucuns ses Amis auroicnt saustrait& et iceux « encores non parfaits, publiez en diuers endroits» Et doutant « qu'aucuns ne les vousissent faire imprimer en cette sorte, « elles les ayant reuuz et corrigez à loisir les mettroit volon- « tiers en lumière, à fin de suppremer les premiers exemplai- « res, etc. » Ces termes annoncent que les amis de Louise Labé avoient mis au jour, à son insu, soit séparément, soit dans des recueils de poésie, une partie de ses productions; on ne trouve cependant aucune trace de ces publications anticipées. Il, est aussi à remarquer qu'elle mentionne, parmi les ouvrages qu'elle veut faire imprimer, des Odes et des Épîtres, et qu'il n'existe aucune pièce de ce genre dans ce qui nous reste d'elle. Il es.t

NOTES. i57

vrai que , par compensation , le volume qu'elle nous a laissé contient trois Élégies dont le privilège ne dit mot,

DEBAT DE FOLIE ET D'AMOVR.

5. Voyez sur le mérite et le sujet de cette composition ingénieuse, et sur les imitations qui en ont été faites, la No- tice sur Louise Labé, et les notes que j'y ai ajoutées.

DISCOVRS I.

6. —Et rauir les filles h leurs mères, page 9. Allusion à l'enlèvement de Proserpine, fille de Cérès, par Pluton, dieu des enfers.

7. // n^y ha œil d^ Aigle ^ ou de serpent Epidaurien , qui me sache apevceuoir, page II. On sait que l'aigle a la vue très per- çante. Il en est de même du serpent. Celui d'Épidaure étoit con- sacré à Esculape, comme le symbole de la vigilance nécessaire aux médecins. Louise Labé a emprunté l'expression dont elle s'est servie à Horace (liv. I, Sat. 5, v. 26 et 27):

Cur in amicorum vitiis tam cernis acutum, Quam aut aqiiila aut serpens Epidaui'ius

OU plutôt à Érasme, qui a mis en prose ces deux vers d'Horace dans sonEncomium Mori» (Éloge de la Folie). Voyez page 28 de l'édition d'Amsterdam, Henri Wetsten , i685, in-12, on lit : « Ut qui in amicorum vitiis tam ccrnunt acutum, quam aut « aquila aut serpens Epidaurius.» D'autres rapprochements que je ferai plus bas, prouveront que notre aimable Lyonnoise avoit lu avec fruit l'ouvrage du savant Hollandois.

8. Et ne plus ne moins que le Caméléon , ie pren quelquefois lasemblance de ccus auprès desquelz ie suis, mèmepage. C'étoit autrefois une opinion très accréditée que le caméléon prenoit la couleur des objets dont il s'approchoit; et de est venu l'usage de comparer à ce reptile les hypocrites et les flatteurs. « Le

itiS NOTES.

« flatteur, dit Plutarque, pareil au caméléon, qui peut revêtir « toutes les couleurs, excepté la blanche.» (Traité de la ma- nière de discerner un flatteur, page 29, trad. de DîJTllEiL.) On connoît ce vers de La Fontaine sur les courtisans:

Peuple Caméléon , peuple singe du maître.

(Livre VIII, fable l4 )

Mais, d'après les observations de nos naturalistes modernes, qui préfèrent la vérité aux fictions même les plus ingénieuses, les an- ciens se trompoient : le Caméléon n'a point la propriété qu'on lui supposoit, et ce fait doit être mis au nombre des erreurs de la fabuleuse antiquité avec le prétendu chant du cygne mou- rant, et la prudente prévoyance de la fourmi qui, disoit-on, faisoit des provisions en été pour se nourrir pendant l'hiver.

9. Tu as fait aymer lupiter : mais ie Vay fait transmuer en Cîgne j en Taureau ^ en Or ^ en Aigle : en danger des plu- massierSj des loups, des larrons^ et chasseurs, page 12. La Folie se dit l'auteur des métamorphoses de Jupiter : Jupiter, dans Lucien (11.^ Dialogue des dieux), impute ces métamorphoses à l'Amour : «Examine, petit scélérat, si c'est peu de chose que « les outrages que tu me fais, car il n'est rien en quoi tu ne « m'aies transformé, satyre, taureau, or, cygne, aigle.» (Trad, de Belin de Ballu.)

La phrase entière de Louise Labé peut s'appeler une phrase rapportée: les plumassiers se réfèrent au oigne, les loups au taureau, les larrons à l'or, et les chasseurs à Vaigle. Ln in- connu, dans l'Anthologie de Planude (1. i, c. 38, ép. 2), a employé le même genre de figure pour indiquer les maîtresses de Jupiter et les métamorphoses qu'il avoit subies pour cha- cune d'elles. C'est un distique qui a été ainsi rendu en latin : Fit cycnus , taurus, satyrus, fit Jiippiter aurum, Ob Ledam, Europen, Antiopeii, Danaën.

( Hier. Angerianus. ) Le cygne répond à Léda, le taureau à Europe ^ le satyre à An-- tiope , etl'o?- à Donné. M. Peignot, dans ses Amusements philo-

NOTES. i59

logiques, sans conti^edit le meilleur des Ana (page i32 de la seconde édition, Dijon, 1824? in-S."), cite plusieurs exem- ples de vers rapporte's ; il auroit pu ajouter le distique qu'on vient d-e lire.

10. Qui fit prendre Mars au piège auec ta mère, si non moy^ (fui Vauois rendu si mal auisé , fjue ■venir faire un poure mari cocu dedens son lit mesme y page 12. Rien de si connu que cette fable, racontée d'une manière très piquante par Ovide, de Arte amatoriâ (il, 56i et seq.), et par Lucien (xviri.* Dia- logue des dieux), et sur laquelle roule l'épigramme suivante, due à un poète du t«mps de Marot, ou peut-être à Marot lui- même :

Mars et Venus furent tous deux surpris Par Vulcanus couchez dedans un lict. Qui de liens qu'il forgea, les a pris. Puis aux hauts Dieux va conter leur delict. viennent tous : lors un d'eux riant dit: Mon compaignon, si tu te sens fasché De CCS liens , dont tu es attaché , Je suis content de les porter pour toy : Que pleust aux Dieux que sans estre caché , J'eusse m'amie ainsi auprès de raoy.

Quant à l'emploi du mot cocu, qu'un auteur, et surtout une femme, ne se permettroit pas aujourd'hui, nous renverrons à ce que nous avons dit sur l'ancienne liberté du langage dans une des notes qui accompagnent la Notice de M. Cochard; nous ajouterons seulement une citation qui complétera notre pensée, et qui pourra servir aussi à justifier Louise Labé et son siècle: •« Le mot de cocu si souvent employé par ces deux auteurs ( Mont- « fleury et Molière), mais surtout par le premier, est depuis « long-temps proscrit au théâtre, et même dans la société. Ce « n'est pas qu'il y en ait moins : c'est au contraire parce qu'il « y en a davantage; car plus la société est corrompue, plus on « est attentif à proscrire tous les termes qui en rappellent les « dérèglements.» (L'abbé Sabatier, les Trois Siècles, article Montfleury.)

iGo NOTES.

11. Défendre sa querele iniuste contre toute la Grèce ^ P'^ge 12. C'est le sujet de l'Iliade.

12. Qui ust parlé des Amours de Dido , même page. C'est le sujet du IV.^ livre de l'Éne'ide.

13. Mile autres hôtesses qui font plaisir aus passans, pagei5. Brantôme parle quelque part d'une Romaine complaisante (Lucia Hostilia, femme de Caligula), qui faisoit à un amant « quelque plaisir et gracieuseté de son gentil corps. »

i4. —le crois qu^ aucune mencion ne serait d^Artemise ^ si ie ne lui usse fait boire les cendres de son mari , même page. Ar- témise, sœur et femme de Mausole, roi de Carie, ayant perdu son époux, lui fit élever un superbe monument qu'on appela le Mausolée ^ et que l'on comptoit au nombre des sept merveilles du monde. Parmi les marques qu'elle donna de son désespoir, on raconte qu'elle parfuma d'essences les cendres de Mausole, les mit dans de l'eau, et les .avala. Voy. Hérodote, Histoire (liv. vu), et Aulugelle, Nuits Attiques (liv. X, c. i8). Jacques Yver , dans son Printemps d'Yver, Paris, lôys, in-i6, fol. 109 v.**, dit en parlant d'une uefue nommée Carite, « qu'elle « portoit son époux mieux au cueur que ceste Royne Artemise, « qui beuuant les cendres de son mary, luy bastit en sa poi- « trine un si précieux tombeau.»

l5.— Tu as ofensé la Royne des hommes , page 14. I^a jolie édition de l'Éloge de la Folie, traduit du latin d'Érasme, par M. Gueudeville ( traduction revue et presque entièrement re- faite par de Querlon), 1762, petit in-12, est terminée par un cul de lampe représenlant la Folie appuyée sur le globe du monde, et assise sur un trophée composé de sceptres, de cou- ronnes et de plusieurs autres attributs, et au bas duquel on lit ces mots dans un cartouche : « La Pazzia regina del moudo. Le peintre n'a point oublié la marotte qu'on fait tenir ordinai- rement à cette reine du monde ^ en guise de sceptre, non plus que les grelots dont on garnit ses vêtements. J'ajouterai, puis- que l'occasion se présente, que César Ripa, dans son Iconolo-

NOTES. i6i

•le, dt^peint autrement la Folie : il lui donne la figure d'une femme jetée à terre, riant aux éclats, et ayant à la main une lune, parce que les changements de ce.t astre exercent, dit-il, une grande influence sur les fous,

16. O ciu^ll n'est pas dit sans cause , qii'il ne faut point re- ccuoir présent de la main de ses ennemis ^ page x5. Louise Labé vouloit rappeler le fameux vers de Virgile (Enéide , II, 49) ....... Timeo Danaos et doua ferentes,

et ce proverbe des Grecs : Echthrôn adora dora , qui perd toute la grâce de son expression dans la traduction latine : Hostium

munera non muucra.

w

^ DISCOVES ni.

xj, Quand le fier Diomcde me naura ^ P^g^ i9» ^oj* Ho- mère (Iliade); Virgile (Enéide, xr, 276 et 277).

18. Pour sauuer mon fils Enee ^ même page. Voy. Vir- gile (Enéide, passim).

19. Si mes pleurs pour la mort de mon yldonis te murent a compassion, même page. Adonis, du commerce incestueux de Myrrlia avec son père Cynire, fut passionnément aimé de Vé- nus. Grand amateur de la chasse, il fut déchiré par un sanglier. Descendu aux enfers, il s'y fit aimer de Proserpine; et lorsque Vénus eut obtenu son retour à la vie, l'épouse de Pluton refusa de le rendre au jour. Le père des dieux ne voulant mécontenter aucune des deux déesses, les renvoya au jugement de la muse Calliope, qui partagea le différend, en ordonnant qu'Adonis se- roit alternativement avec l'une et l'autre déesse. Les Heures furent aussitôt députées aux enfers , pour ramener Adonis à Vénus. Celle-ci manqua bientôt à la convention ; ce qui causa entre ces déesses une grande querelle. Enfin Jupiter la termina, en ordonnant qu'Adonis seroit libre quatre mois de l'année, qu'il en passeroit quatre avec Vénus et le reste avec Proserpine. Théocrite et Moschus ont composé chacun une idylle sur la mort d'Adonis, dont M. Servan de Sugny, de Lyon, a donné

i62 NOTES.

d'élégantes traductions, pages 148 et 23i de ses Idylles de The'o- crite , traduites en vers François, Paris, 1822, in-18.

(La plupart des détails sur Adonis, contenus dans cette note, sont tirés du Dictionnaire de la Fable de M. Noël. Nous con- tinuerons à puiser dans cet excellent livre, quelquefois même sans en prévenir, les explications mythologiques dont le texte de Louise Labé nous paroîtra avoir besoin.)

20. Croyez que si elle 'vous ha fait tort, que telle punicion en sera faite , etc., page 20. Cette phrase seroit irrégulière aujourd'hui, et devoit l'être aussi du temps de Louise Labé : le second que y est de trop.

o DISCOVRS IIII. ^

21. Tout le bien qu^ay reçu, Vay plus tôt à par force et Jinesse, que par amour, page il\. Jupiter adresse à l'Amour

la même plainte dans le ii.^ Dialogue des dieux de Lucien. Louise Labé avoit certainement ce dialogue sous les yeux, lors- qu'elle écrivoit son Discours IV , car on y retrouve le même sujet et les mêmes pensées. La ressemblance est frappante. Il est donc à présumer que la Belle Cordière avoit dans sa librairie un Lucien, sinon tout grec, du moins avec une traduction latine : il n'en existoit point encore, que je sache, de traduction complète en langue vulgaire. Quelques-uns des ouvrages du philosophe de Samosate avoient été translatés en françois par Simon Bour- goin, Gilles d'Aurigny, Loys Mcigret, Estienne Forcadel, An- toine Crappier, etc.; mais les Dialogues des dieux ne faisoient pas partie de ces translations , Il seroit néanmoins possible que le second de ces dialogues fût du nombre des trente Dialogues moraux de Lucien, dont Geoffroy Tory, au rapport de du Ver- dier, avoit publié la traduction à la suite de celle de la Table de l'ancien philosophe Cebcs, Paris, Jean Petit, 1629, in-12.

22, yimour se plait de choses égales , page 25. Ceci rap- pelle la jolie pensée de Minucius Félix sur l'amitié : « Ami- « citia pares semper aut accipit, aut facit. » «Toujours l'a-

NOTES. i63

« mitie nous trouve ou nous rend égaux. » Le nouveau traduc- teur de rOctavius, M. Pericaud aîné, nous apprend dans une note, que cette même pensée est une des sentences de Publius Syrus ; et il cite le mot de Pythagore : « Entre amis tous les « biens sont communs, et Tamilié est un commerce d'égalité.» (Cicéron, de Leg. i, 12.)

23. Ce nest quhm ioiig , lequel faut qu^il soit porté par deus Taureaus semblables : autrement le harnols n'ira pas droit , page 25. Ce que Louise Labé dit d'une liaison amoureuse, Oyide (Héroïd. IX, 29-32) le dit du mariage:

Quam maie inaequalcs veniant ad aratra juvencî,

Tam premltur magno conjuge nupta minor. Non honor est, sed onus : species lœsura ferenteni.

Si qua voles apte nubere , nube pari;

passage qu'avoit en vue Jacques Yver, dans son Printemps d'Yver (1672, fol. IL2 rect. ), on lit : « Car encor qu'on die que ce « u'estpas vice d'aimer en bon lieu, si est-ce qu'il me semble (sui- « uant l'auis de Deianire en Ouide) que comme pour tirer bien « une charrue, faut apparier des bœufs les plus esgaux en gran- « deur de corps et en force qu'on puisse trouver, afin qu'ils « aillent d'un mesme front au labeur : ainsi en mariage doit « auoir une égalité la plus parfaite, et unanimité la plus en- « tiere qu'on puisse trouuer : autrement l'un ne sert à l'autre « que d'espine au pied, pour l'empescber de s'aduancer. »

24. Quand tu 'voud as estre aymè^ descens en bas^ laisse ici ta couronne et ton sceptre , et ne dis qui tu es y même page. C'est le conseil que donne aussi l'Amour à Jupiter dans le n.* Dia- logue des dieux de Lucien : « Si tu veux devenir aimable, cesse « d'agiter ton égide et de porter ta foudre, etc.»

25. Tu dis beaucoup de raisons : mais il y faut un long temps y une sugeccion grande ^ et beaucoup de passions , page 26. Jupiter répond aux mêmes raisons dans le Dialogue de Lu- cien ci-dessus cité : « Je veux aimer, mais je veux jouir plus « commodément de mes amours.

i64 NOTES,

DISCOVRS V.

a6. Amour, la vrnye ame de tout VJ^nwers , page 27. > « Amour, désir inné! âme de la nature! principe inépuisable « d'existence! puissance souveraine, qui peux tout, et contre « laquelle rien ne peut; par qui tout agit, tout respire, et tout « se renouvelle! divine flamme! germe de perpétuité répandu « dans tout avec le souffle de la vie! précieux sentiment, qui « peux seul adoucir les cœurs féroces et glacés, en les péné- « trant d'une douce chaleur! cause première de tout bien, de « toute société, qui réunis sans contrainte et par tes seuls at- « traits les natures sauvages et dispersées ! source unique et fé- « conde de tout plaisir, de toute volupté! Amour! comment « ne t'auroit-on pas divinisé?» (Buffon.)

27. De tous aymé j page 29. Nous avons préféré cette leçon de l'édition de i556, in-8.°, à celle de toutes les autres éditions : De tout aymé.

28. Les roues des enfers soutiennent elles une ame plus dé- testable que cette cy! même page. Allusion au supplice d'fxion attaché dans les enfers à une roue environnée de serpens, qu'il devoit rouler sans relâche.

2Q, Les montaignes de Sicile couurent elles de plus exé- crables personnes ! même page. Allusion au châtiment infligé au «^éantBriarée, que Jupiter accabla du poids de l'Etna, mon- tagne de Sicile.

5o. Les Scythes deïjierent Pylade et Oreste , et leur dres- sèrent temples et autels, les apelans les Dieus d'afnitié , page Sa, Ceci est tiré du dialogue de Lucien, intitulé, Toxaris , ou de l'Amitié. Voy. pages ii3-i74 du tom. m de la traduction de Lucien, par Belin de Ballu.

3i. Les uns le faisant sortir (l'Amour) de Chaos et de la Terre, même page. —Voy. Hésiode (Théogonie, vers le com_ mencement),

32. Les autres du Ciel et de la JYuit , même page. Selon

NOTES. i65

Aristophane (les Oiseaux, acte ii), la Nuit pondit un œuf, qu'elle couva sous ses ailes noires, et d*où sortit l'Amour avec des ailes d'or; mais, suivant le même auteur, ce ne fut pas le Ciel qui féconda la Nuit, ce fut l'Erèbe.

33. aucuns de Discorde et de Zephyre , page 32. C'est la naissance que lui donnoit Alcée.

34. yiutres de p^enus la fraye mère , même page. Cette opinion sur la filiation de l'Amour étoit la plus répandue ; mais on varioit sur le père qui l'avoit engendré de Vénus. Suivant Sappho, c'étoit Coelus ; suivant Sénèque, Vulcain; suivant Si- monide et le plus grand nombre des poètes, Mars. Il existoit encore sur ce point d'autres versions, sur lesquelles nous ren- voyons à la Mythologie de Noël le Comte (1. JV, c i4), ou au Dictionnaire de la Fable, de M. Noël, au mot Cupidon.

35. Les Grecs d'un seul surnom cju'its t'ont donné , lupiter^ Vapelant amiable , P^gG 33. Les Grecs donnoient à Jupiter le surnom dePkilius^ et l'adoroient sous cette dénomination comme présidantà l'amitié. Voy. le Toxaris de Lucien, et Suidas (Lexic. , V.** Philios),

36. Plus parfait que les premiers hommes du banquet de Platon^ même page. « Les dieux, dit Platon dans son dialogue « du Banquet, avoient d'abord formé l'homme d'aune figure « ronde, avec deux corps et les deux sexes. Ces deux hommes « étoient d'une forme si extraordinaire, qu'ils résolurent de faire « la guerre aux dieux. Jupiter irrité fut sur le point de les faire « périr; mais, fâché de détruire le genre humain, il se contenta « de les partager en deux pour les affaiblir, afin qu'ils n'eussent « plus désormais ni tant de force, ni tant d'audace. Apollon « fut chargé d'ajuster ces deux demi-corps, et le nombril est « l'endroit ce Dieu en arrêta et noua les peaux. » Voy. M. Noël, Dictionnaire de la Fable, au mot Androgynes,

37. Qui ne dira bien de V amour fraternelle , ayant -veu Cas- tor et Pollux , Vun mortel estre fait immortel à moitié du don de son frère! même page. De ces deux frères éclos de l'œuf do

iC6 NOTES.

Lé;la, avec Hélène et Clytemnestre, l'un (Castor) étoit fils de Tyndare, et par conséquent mortel i l'autre (Pollux) étoit fils de Jupiter, et immortel comme son père. Castor ayant été tué par Lyncée, Pollux demanda pour lui l'immortalité à Jupiter; mais cette prière ne pouvant être exaucée, l'immortalité fut partagée entre eux, de sorte qu'ils vivoient et mouroient alter- nativement.

38. Car peu de frères sont de telle sorte, page 34»

Fratrum quoque gratia rara est.

( OviD. IMetam. i , i45.)

Cependant, suivant un poète moderne ( LegouvÉ, Étéocle et Polynice),

Un frère est un ami donné par la nature.

3g. - Comme lonathas sauna la -vie de David , même page. Il est un peu choquant de voir citer des noms de l'histoire sainte dans un sujet mythologique; mais ce qui peut servir à excuser Louise Lahé, c'est que des écrivains justement célèbres ont poussé beaucoup plus loin cette faute de goût, puisqu'ils ont mis eu action, dans les mêmes poèmes, des dieux de la fable et des personnages de la Bible. Ce mélange monstrueux est l'objet des reproches que la critique adresse en particulier au poème De Partu Virginis de Sannazar, et à la Lusiade du Ca- moëns. « On se rebute, dit L. Racine en parlant du premier de « ces ouvrages (préface du poème de la Religion), d'entendre « les merveilles saintes dans la bouche de Protée, le catalogue « des Néréides qui environnent J. C, lorsqu'il marche sur les « eaux; et l'on méprise les hommages que lui rend Neptune, « lorsqu'à son aspect il baisse son trident. » On éprouve le même sentiment en lisant la Lusiade, lorsqu'on y voit «Vénus, « secondée des conseils du Père éternel et aidée des flèches « de Cupidon, rendre les Néréides amoureuses des Portugais; « lorsque ceux-ci, après la conquête, travaillent à la propaga- « tion de la foi, la même déesse se charger du succès de l'en- « treprise, et ailleurs Bacchus voulant leur faire accroire qu'ils

NOTES. 167

« abordent dans une île amie et chrétienne, y dresser un autel « pour les mieux tromper, leur présenter des images du S. Es- « prit, de la Vierge et des Apôtres, et, prosterné lui-même, M brûler dévotement de l'encens en l'honneur du vrai Dieu. »

4o. Dire Vhistoire de Pythias et Damoriy page 34- L'his- toire de Pylhias {al. Phintias) et de Damon se trouve partout, notamment dans le recueil de Valère-Maxime (1. iv, c. 7).

4i. De celui qui quitta son espouse a son ami la première nuit y et s' et7 fuit vagabond par le monde, même page. J'ignore Louise Labé avoitlu cette histoire : du moins je ne me sou- yiens pas de l'avoir vue dans aucun écrivain antérieur. Le joli roman d'Eliezer et Nephtaly, ouvrage posthume de Florian, et que cet aimable auteur intitule, Poème traduit de l'hébreu, roule sur un trait semblable de dévouement et de générosité. Éliezer vcnoit d'épouser Rachel, dont il étoit vivement épris, lorsqu'il découvrit par hasard qu'elle étoit aimée de son frère Nephtaly, Il laissa sur le bord des eaux ses vêtements souillés de limon, pour que l'on ne doutât point de sa mort, et pour que la loi prescrivît à Nephtaly de devenir l'époux de sa veuve, et il s'é- loigna et disparut pendant neuf ans.

42. raliegueray le dire d'un grand Roy , même page. ^ Ce grand roi est Darius, roi de Perse. Le mot que Louise Labé rapporte de ce prince, est tiré des Apophthegmes de Plutarque. Voy. ses Œuvres morales, traduites en frauçois, par l'abbc Ricard (tome II, pag. 36i).

43. T^n Scythe demandant en mariage une fille ^,,,. dit qu'il n*a\>oit autre bien que deus amtV, même page. Ce Scythe se nom- moit Arsacomas, et ce fut àLeucanor, roi du Bosphore, dont il demandoit la (ille, qu'il fit cette belle réponse. Voy. le Toxaris lie Lucien (page 167 du tome m de la traduction des (Euvres de Lucien, par Belin de Ballu).

44' ^^ sauua Ariadne la r>ie à Thesee, même page. Ariane (c'est ainsi que nous avons francisé ce nom), fille de Minos, roi de Crète, charmé de la bonne mine de Thésée, venu pour.

i63 NOTES.

combattre le Minotaure, lui donna un peloton de fil, à la fa- veur duquel il sortit du labyrinthe. (Dictionnaire de la Fable, art. Ariane).

45. Hypermnestre à Lyncee , page 34» Hypermuestre , une des cinquante Danaïdes , fut la seule qui eut horreur d'exé- cuter l'ordre de son père. Celui-ci leur avoit fait jurer d'égorger leurs maris la première nuit de leurs noces. Au lieu de tenir son serment, Hypermnestre procura à Lyncée son époux les moyens de s'évader. (Dictionnaire delà Fable, art. Hypermnestre).

46. Se couchent en chapon le morceau au bec , page 35. - C'est-à-dire, se couchent ayant encore le morceau à la bouche, après avoir soupe d'aussi bonne heure que les chapons prennent leur repas du soir. On retrouve cette expression proverbiale dans Rabelais (Pantagruel, 1. 11, c. 9): « Ce que feut faict, et « mangea tresbien à ce soir, et s'en alla coucher en chappon « et dormir iusques au lendemain heure du disner, en sorte « qu'il, ne feit que trois pas et un sault du lict à table; » et dans le Lii.*^ des Arrêts d'Amour, ajouté aux précédents par Gilles d'Aurigni , dit le Pamphile : «Sur ce que ledict demandeur disoit, « que combien que de toute disposition de droit commun d'a- « mour maritale, lesdictz maryz soient en bonne possession de « iouyr plainement et paisiblement de leurs femmes, et qu'ilz « en doiuent auoir l'entretien et dénis, tant après souper que « deuant , et se puissent tenir sur leurs gardes pour le péril « éminent de leurs dictes femmes. Et se aller coucher et depar- « tir d'une compaignie à telle heure que bon leur semble, voire « en chappon si mestier est : à faire fermer leur porte quand la « fantasie et umbraige les prend. »

47. On ne veut iamais 'venir a ennui et lasseté , qui prouient de 'Voir tousiours une mesme chose , P«*gG ^7. C'est la pensée de ce vers devenu proverbe :

L'ennui naquit un jour de l'uniformité.

(La Motte )

NOTES. 169

48. S'il est caché, il l'est en sorte, que Ion le cinde plus beau et délicat , page 38.

Si gua lafx:nt, meliora putat

(OviD. Metam. I, 5oa.)

49. TJ amoureuse curiosité des hommes fait rechercher la beauté iusques au bout des pie z, page 39.

Pes erat exiguus, pedis est aptIssimM forma.

(OviD. Am. m, 3j 7.)

Bien est-il vrai que je vois à Rosire

Un pied mignon, et pied mignon veut dire;

Il est joli.

(PlCARDET, de Dijon.)

50. Les fleurs que tu Jlz, 6 Tupiter , nailre es mois de Van les plus chaus , sont entre les hommes faites hybernalles , même page. Déjà du temps de Domitien, on avoit trouvé le secret de faire fleurir à Rome les roses pendant l'hiver; et Martial donne aux roses obtenues par ce moyen l'épithète dont se sert

"Louise Labé ; il les appelle aussi hybernalles : Hybemas rasas (Vf, 80).

5i. Leur départir plus de chaleur que le pais ne le requer" roit y même page. Louise Labé veut parler des serres chaudes dont l'invention est fort ancienne. Voy. Martial (viir, 68).

52. Pauanes, passemeses, gaillardes, même page. Ces dif- férents mots seront expliqués dans le Glossaire. Il existe un ou- vrage fort rare, que je n'ai pu me procurer, intitulé : Recueil de chansons, bransles, gaillardes, voltes, courantes, pauancs, romanesques et autres espèces de poésie, propre pour la récréa- tion des cœurs melandlloliques, par les bien disants Poètes de notre temps, Paris, Montreuil, 1679, 2 vol. in-12.

53. Dequoy allège un iwyageur son trauail , que lui cause le long chemin , qu'en chantant quelque chanson d' amour , page /\0,

Gantantes licet usquc (minus via laedet) camus.

(VlRGIL. EclOg. IX, 64.)

5^,-^ Ainsi passait son chemin Apulée , quelque Filozofe qu'il

170 INOTES.

Just, page 4o' Apulée, philosophe platonicien, ne' à Ma- (laure en Afrique, et qui florissoit sous les Antonins, a com- posé en latin l'Ane d'or, espèce de roman plein d'aventures amoureuses, et des poésies erotiques qui ne sont pas parvenues jusqu'à nous. Il fut accusé de sortilège pour avoir inspiré une vive passion à une femme nommée Pudentilla, plus âgée que lui, et qu'il épousa. Voyi ses Œuvres, et particulièrement son Apologie.

55. N'est ce pas Amour l lequel semble estre le su g et , du- quel tous Poètes -veulent parler , même page. « Qui estera aux « Muses les imaginations amoureuses, leur desrobbera le plus bel « entretien qu'elles ayent et la plus noble matière de leur ou- « uragc : et qui fera perdre à l'Amour la communication et ser- ti uice de la poésie, l'afToiblira de ses meilleures armes.» (Moiv- TAiGNE, Essais, III, 5.)«L'Amour est celui de tous les Dieux qui « sait le mieux le chemin du Parnasse. » (Raciive, Lettre V £^ M. Vitart. )

De cette passion la sensible peinture

Est pour aller au cœur la route la plus sure.

(BoiLEAU, Art poét., ch. m.)

56. Celui qui ha à le nom de Sage , ha descrit ses plus hautes concepcions en forïiie d'amourettes^ P^ge I\\, Socrate fut dé- claré par l'oracle le plus sage des hommes. Il a, en effet, descrit ses plus hautes concepcions sous la forme qu'indique Louise Labé (Voy. Platon et Xénophon), et il se donnoit lui-même la qua- lification de sage (savant, expert, conuoisseur) en matière d'a- mour, Sophos ta erotica.

5y, Qu'a iamais mieus chanté f^ir^le , que les amours de la Dame de Carthage ! même page. Il paroît que Louise Labé préféroit à tous les autres ouvrages de Virgile le livre IV de son Enéide, il chante les amours de Didon et d'Énée. Ce livre est, en effet, sinon le plus beau titre de son auteur à l'admira- tion de la postérité, du moins une partie très remarquable d'un poème qu'on place avec raison à côté des plus hauts chefs-d'œu- vre de l'esprit humain, l'Iliade et l'Odyssée d'Homère.

NOTES. . 171

58. // retournera plus d'une S emiramis f d'une Biblis , d'une Myrrha, d'une Canace , d'une Phedra, page 42. Se'miramis conçut un amour criminel pour son fils Ninias; liiblis, pour son frère Caunus; Myrrha, pour Cynire son père; Canacé, pour son frère Macarc'e; et Phèdre, pour Hippolyte, le fils de Thésée son mari. L'histoire ancienne et la mythologie sont pleines de ces passions incestueuses. Louise Labé en a cité les exemples les plus célèbres.

69. lupiter composera tous ces trois iours en un, cotmne il fit les trois nuits, qu'il fut auec Alcmene , page 44« Jupiter, amou- reux d'Alcmène, profita, pour la tromper, de l'absence d'Am- phitryon, roi de Thèbes, son mari, parti pour une expédition militaire. Il prit les traits et la figure de ce dernier, et, à l'aide de cette métamorphose, il obtint les faveurs de la reine, qu'il rendit mère d'Hercule. On ajoute que ce dieu rendit la nuit plus longue que les autres, et que, pour ne rien changer à l'ordre de la nature, il raccourcit le jour qui suivit, enmémoire de quoi Alcmène porta depuis un ornement de tête composé de trois lunes (Dictionnaire de la Fable). On peut remarquer eu passant que, si cette fable avoit été inventée par les modernes, ce n'est pas sur la tête d' Alcmène qu'ils auroient placé l'orne- ment dont il s'agit.

60. JY'atendez point, lupiter...., page 45. Le plaidoyer de Mercure qui commence ici, est plus long que celui d'Apol- lon; il est peut-être aussi plus piquant; l'un et l'autre sont une parodie ingénieuse des usages du barreau. Louise Labé a fondu dans le discours de Mercure la quintessence de l'Éloge de la Folie d'Érasme, que bien certainement, comme nous l'avons dit plus haut, elle avoit dans sa librairie; mais elle a sagement exclu tout ce qui sentoit trop la satire, les observations causti- ques sur les mœurs du temps, sur les moines, le clergé et la cour de Rome. Elle a ajouté beaucoup de choses tirées de son propre fond, et assaisonné le tout d'érudition, de grâce et de naïveté.

61, .^/ tant aymé la mère, que n'ay iamais espargné mes

173 NOTES.

allées et venues, page 45. On sait que Mercure étoit le mes- sager des dieux, et que c'est à lui qu'ils confwieut leurs mes- sages d'amour. C'est même de sou nom que quelques savaus dérivent le mot graveleux par lequel nous désignons cette classe d'hommes que les auciens appeloient Lenones. L'amitié de Vé- nus et de Mercure étoit célèbre dans l'antiquité. On les repré- sentoit ensemble, et on leur bâtissoit des temples communs. Voy. Larcher, Me'm. sur Vénus, p. 29S-9.

6l.'^jiyans tous suiui jimour fors Pallas ^ pa^e 4^. Voy. le Xix.^ Dialogue des dieux de Lucien.

63. Apolon, qui ha si long tems ou y les causeurs h Romme ^ page 47. Une statue d'ivoire d'Apollon décoroit à Rome le Forum d'Auguste, l'on rendoit quelquefois la justice. Louise Labé fait allusion à cette circonstance, de même que Juvénal lorsqu'il donne à Apollon l'épithète de jurisconsulte ;

...Deijide forum jiu'isque peritus Apollo.

CSat. I , 128.)

vers que Dusaulx a plutôt paraphrasé que traduit , en le ren- dant de cette manière : «Le forum l'on voit la statue d'Apol- « Ion, si connue des plaideurs.»

64. ^'^ s^ataqua il pas à H'Iars , qui regardait f^ulcan for- geant des armes, et tout soudein le blessa, page 48. Louise Labé a puisé ce fait dans une des plus jolies odes d'Anacréon , la 45'^ j qui a aussi fourni à J. B. Rousseau le sujet de sa can- tate des Forges de Lemnos.

65. Il s^en est mis en son plein deuoir, même page. Ou lit dans l'édition de i556, in-16 : // ne s'en est mis , etc. C'est une leçon contraire au sens évident de la phrase.

66. jiussi est Folie ieune et file de Jeunesse , même page. Avant Louise Labé, Érasme, dans son Encomium Moriae, supposoit que la Folie étoit la fille de la Jeunesse {yeotetes). Il lui donnoit pour père Plutus, le dieu des richesses. Suivant lui, elle ne deyoit pas le jour au mariage de ses parents, mais

NOTES. 170

elle étoit l'enfant du plaisir; elle étoit venue au monde dans les Iles Fortunées, elle avoit sucé le lait de Méthé (l'Ivresse), fille de Bacchus, et celui d'Apœdia (l'Ignorance), fille de Pau: ftctions alle'goriques dont le sens s'explique de lui-même.

67. Toymesme ^ lupiter , les apelles pasteurs de Peuples ^ page 5i. C'est le nom que Jupiter donne aux rois dans Homère.

O vous , pasteurs d'humains , et non pas de bx-ebis.

Rois

(La Fontaine, i. x,f. 11.)

(î%. Aristole ne mourut il de dueil, comme un fol, ne pou- vant entendre la cause du Jlus et rejlus de VEuripe , page Si. Ce fait est rapporté par Strabon (Géographie , 1. ix) ; mais d'au- tres auteurs donnent à la mort d'Aristote une cause moins ex- traordinaire : ils le font mourir d'une colique.

69. Crate , jetant son trésor en la mer, même page. J'a- vois pensé d'abord que Crate étoit une faute d'impression, et qu'il falloit lire Polycrate. On se rappelle, en effet, que ce tyran de Samos, inquiet d'un bonheur trop constant, jeta dans la mer un anneau du plus grand prix, qui fut retrouué dans le corps d'un poisson destiné à sa table : mais je me trompois, et au moment je oroyois prendre en défaut l'érudition de Louise Labé, j'ai trouvé dans Diogène Laërce (1. Vf, Vie de Cratès), qu'au rapport de Dioclès , Diogène le cynique persuada à Cratès , son disciple, de jeter dans la mer tout l'argent qu'il pouvoit avoir. Louise Labé ne cite d'ailleurs, en cet endroit, que des philosophes, Aristote, Empédocle, Diogène, Aristippe; et Po- lycrate, qui n'étoit que prince, flgureroit mal au milieu d'eux, yo. Empédocle qui se fust fait immortel sans ses sabots d'e- rain, même page. Empédocle, philosophe, poète et histo- rien, pour cacher sa mort et se faire croire un dieu, se pré- cipita, dit-on, dans le volcan du mont Etna; mais le volcan rejeta une des sandales d'airain qu'il avoit coutume de porter ; ce qui décela sa fraude, et prouva qu'il étoit un simple mortel. Voy. Diogène Laërce, liv. vu, vie d'Empédocle, sont cités

174 NOTES.

des auteurs qui ont conlreilit ce récit, et assigné à la mort de ce philosophe des causes diverses, mais toutes plus vraisem- blables.

yi. Diogene aiiec son tonneau: et Aristippe qui se pensait grand Filozofe, se sachant bien ouy d\in grand Signeur, page Sa. Diogène et son tonneau sont connus de tout le monde. Quant à Aristippe, on sait aussi que ce philosophe mercenaire, habile à s'accommoder aux temps, aux lieux et aux personnes, souffrit de la part de Denys le tyran , dont il étoit le flatteur, des avanies qui lui attirèrent les railleries de Diogène ( Voy. Diogène Laërce , 1. II). Horace a loué le caractère souple et facile d' Aristippe, qui le rendoit heureux dans tous les états et dans toutes les positions de la vie :

Omnis Aristippum decuit color et status et res.

( Epist. I, T7, 22.)

y2. Ceus qui font des maisons au Ciel, même page. Les astrologues qui prétendent connoître l'avenir d'après la position des astres. On appelle maisons les douze signes du zodiaque que le soleil parcourt successivement chaque année.

yS. Ces getteurs de points , faiseurs de characteres , même page. Les devins, les magiciens, qui se livrent à des calculs divinatoires, ou qtii tracent des caractères magiques.

<j^, Combien dureraient peu aucuns mariages , si la sottise des hommes ou des femmes laissait 'voir les 'vices qui y sont , page 53. Cette phrase est l'abrégé d'un passage beaucoup plus étendu de l'Éloge de la Folie d'Erasme : « Grands Dieux! com- « bien arriveroit-il de séparations, et bien pis encore, si l'union « de l'homme et de la femme n'étoit soutenue, n'étoit fomentée « par la flatterie, parles divertissements, par la complaisance, « par les détours, par la dissimulation, tous gens de mon es- « corte et de ma suite? Ah! qu'il se feroit peu de mariages, si « l'amant avoit la prudence de bien s'informer du jeu que sa « petite maîtresse, qui paroît si délicate, si honteuse, si neuve, « a joué longtemps avant les noces ! Pour les mariages déjà

NOTES. 175

« conlractcs, ce seroit bien un autre train. Que de séparations, « si la négligence ou la bêtise des maris ne les avcugloit sur la « vie secrète de leurs épouses! On traite cela de folie, et on a « raison ; mais c'est pourtant cette même folie qui fait que la « femme plaît au mari, et que le mari plaît à la femme, que « la maison est tranquille, et que les alliances se maintiennent. « On fait les cornes à un mari, on le nomme cocu, commode, « et je ne sais quel sobriquet on ne lui donne pas hors de chez « lui; pendant que le bonhomme console sa chère moitié, et « boit, par ses tendres baisers, les larmes hypocrites de l'adul- « tère. Cela ne vaut-il pas beaucoup mieux, que de se consumer « en chagrin, que de faire du vacarme et du tintamarre, en s'a- « bandonnant à la jalousie?» (Trad. de QuERLOiv.)

75. Dequoy uiuroient tant d* Auocats , Procureurs, Greffiers, Sergens, luges, page 54. Owen a dit après Louise Lahé (1. i, ép. i5) :

Ulceiibus, Galène, vales tantummodo nostris : Stultitla nostra j Justiniane , sapis.

Ta sagesse , ô Barthole , est l'humaine folie ; Galien, ta santé, c'est notre maladie.

( De Kérivalant.) *"

Voy.pag. 46et47 durecueil piquant et varié, imprimé à Lyon en i8i9eti82i, in- 18, sous ce titre: Épigrammes choisies d'Owen, traduites en françois par M. de Rérivalant , publiées par M. de Labouïsse. Boileau a dit aussi :

Des sottises d'autrui nous ^ii'ons au palais.

(Epit. II.)

76. Qui verra un homme enfariné auec une bosse derrière entrer en salle , ayant une contenance de fol , même page. Ce portrait rappelle celui de Triboulet, fol de Louis xrr , et en- suite de François I.^*", par Jean Marot, père de Clément, dans sa description du voyage de Venise de Louis xii, en iSog :

Triboulet fut un fol , de la teste escorné ,

Aussi saigc à trente ans , que le iour qu'il fat :

lyS NOTES.

Petit front et gros yeulx , nez gi-ant , taillé a vote (voûte) , Estomac plat et long, haut dos à porter hôte, Chascun contrefaisoit , chanta, dança , prescha , Et de tout si plaisant, qu'onc homme ne fascha.

7y. Comme le saut des bergers^ qu' ils font pour V amour de leurs amies , page 55. L'édition de i556; in-8.°; porte amis: c'est peut-être la véritable leçon.

y8. Telles sont les Tragédies que les garçons des vilages premièrement inuenterent , même page. Voy. Horace (de Arte poet. V. 275-7); et Boileau (Art poétique, ch. m),

7g. Comme disait quelcun , leurs piez et mains parlans ^ P^S^ 56. Ce quelcun est bien certainement un ancien. « On feroit, « dit Bayle (art. Pilade, Rem. E ), un gros recueil, si l'on en- « treprenoit de rassembler tous les passages les anciens ont « heureusement exprimé le langage manuel des pantomimes ; « contentons-nous de mettre ici ce latin de Cassiodore : His « sunt additœ orchestarum loquacissimce manus, linguosi digiti, « silentium cîatnosum, expositio tacita, etc.» Il paroit que la pantomime fut portée dans l'antiquité au plus haut degré de per- fection. La danse en étoit un accessoire, comme aujourd'hui; mais lachironomie, ou l'art des gestes, qui peut seule exprimer tous les mouvements de l'àme, en étoit la partie principale.

80. jy estait ce pas un plaisant combat d'ydntoine auec Cleo- patra . a qui dépendrait le plus en un festin! même page. L'a- necdote à laquelle il est fait allusion en cet endroit est lapportée par Pline l'ancien (Hist. nat. , ix, 58).

gi. César se fachoit qu'il nauait encore commencé à trou- bler le monde en Vaage, qu' Alexandre le grand en auoit vaincu une grande partie j même page. Voy. Suétone (in Jul. Cœs.

c. 7).

S2. Combien Luculle et autres ^ ont ils laissé d'imitateurs ^

paoe 57. Le mot laissé a été omis dans l'édition ôe 1762.

35. Mettre ponts sur les mers {comme Claude Empereur') ^

même page. Je crois que notre aimable savante se trompe ici,

NOTES. 177

et qu'elle confond Claude avec Caligula. L'histoire ne parle d'aucun pont mis sur la mer par Claude, tandis qu'elle nous apprend que Caligula en éleva un de 36oo pas, pour aller de Bayes à Pouzzoles. Ce pont étoit formé d'un double rang de vaisseaux attachés avec des ancres, et recouvert d'une chaussée qui imitoit la voie Appienne. Voy. les détails que donne à ce sujet Suétone (in Caligul. c. 19 et Sa).

S/f. En receuant une pomme comme Cydipee ^ pacte Sq. Il falloit écrire Cydippe. Aconce (ou Acontius), jeune homme de l'île de Cée, d'une rare beauté, mais peu favorisé de la for- tune, étant allé à Délos pour sacrifier à Diane, vit, dans le temple de la déesse, une jeune personne d'une beauté ravis- sante, nommée Cydippe. Mais jugeant que sa fortune et sa nais- sance mettroient un obstacle à son bonheur, il grava sur une pomme ces mots: Aconce, je jure par Diane de n'être jamais qu'à vous. Cydippe, aux pieds de laquelle il avoit fait rouler la boule, la ramassa, lut cet écrit sans y penser, et s'engagea de même : car une loi obligeoit d'exéCuter tout ce qu'on promet- toit dans le temple de Diane. Cependant Cydippe étoit proiuise en mariage à un autre ; mais , toutes les fois qu'on vouloit la marier, elle étoit attaquée d'une fièvre violente, en sorte que ses parens furent obligés de la donner à Aconce. (M. Noël , Dict. de la Fable.) La x.^ épître du liv. i d'Aristenète roule sur cette histoire, et la xx.^héroïde d'Ovide est censée écrite par Aconce à Cydippe.

85. En Usant un liure , comme la Dame Francisque de Ri- mini , même page. Voy. le Dante (la Divina Coramedia, ch. V).

86. Comme' le ieune Gnidien^ qui ayma l'euure fait par Praxitelle , même page. L'histoire de ce jeune Cnidien (et non pas Qnidien) , et du moyen dont il se servit pour assouvir la passion que lui inspira la statue de Vénus faite par Praxitèle, est racontée avec beaucoup de détails dans le traité des Amours de Lucien. Voy. la traduction de ses œuvres , par Belin de Ballu '•^ 12

LjS NOTES.

(tome irr, pages 558 et siiiv.). Voy. aussi les autres auteurs cite's par Larcher ( Me'moire sur Ve'nus, page 116).

87. Tel Jeu estait celui de JYarcisse , page 69. Voy. Ovide ( Metam. m, 4^7 ^t seq.)

88. Qu^ils se prennent à leurs Filozofes, qui ont estimé Folie estre priuacion de sagesse , et sagesse estre sans passion , page 60, Cette de'finition appartient aux stoïciens, et Érasme le dit formellement dans le passage suivant de l'Encomiuni Moriœ, que Louise Labé paroît avoir copié : « Etenim cum stoïcis defi- « uitoribus nihil aliud sit sapientia, quam duci ratione: contra « stultitia, affectaum arbitrio moveri, ne plane tristis ac tetrica « esset hominum vita. » (Page 22. )

89. Ayant discouru mile bons heurs ^ qui passeront bien loin des cotes j même page. Expression proverbiale que je n'ai vue nulle autre part.

90. Escrire sur le bout de la table auec du ■vin^ entrelasscr son nom et celui de s' amie , V'^s^ ^**

Blanditiasque levés tenui perscribere vîno , Ut domiiiam in mensa se légat illa tuam.

(OviD. de Arte am, i, 5ji 3.)

91. Tousiours refusent ce qu'elles -voicdroient bien que Ion leur otast par force ^ P^g^ 64.

Faemina saepe negat id quod liabere cupit.

(Ant. de Arena.)

Presque tous les poètes, comme à l'envi, se sont exerce's sur cette pense'e, et l'ont prt'sentëe sous diverses faces.

g2. Qui excusera Hercule deuidant les pelotons d^ Omphale ^ page QÇ», Hercule voyageant s'arrêta chez Omphale, reine de Lydie, et fut si épris de sa beauté, qu'il oublia sa valeur et ses exploits pour se livrer aux plaisirs de l'amour. « Tandis qu'Om- « phale, couverte de la peau du lion de Némée, tenoit la massue, « comme si elle étoit Hercule, celui-ci, habillé en femme, « vêtu d'une robe de pourpre, travailloità des ouvrages de laine,

NOTES. . 179

a et souffroit qu'Omphale lui donnât quelquefois de petits souf« « flets avec sa pantoufïle.» (Lucien, De quelle manière on doit écrire l'histoire.) On trouve Hercule ainsi représenté sur d'an- ciens monuments (Dictionnaire de la Fable). 11 est aisé de percer le sens de cette allégorie, par laquelle les anciens ex- primoient le pouvoir et la tyrannie de l'amour. Balthazar Gra- cien, auteur d'un livre intitulé, Il discreto, traduit en françois parle P. de Courbcville, jésuite, sous le titre de L'homme uni- versel, Paris, 1723, in-8."*, a, sur ce trait de la vie d'Hercule, une pensée bien espagnole : « Combien ont fini , dit - il , par « d'indignes actions qui ont flétri leur mémoire? Hercule s'avise « à la fin de filer comme une femme, et il devient ainsi lui- M même la Parque de son immortalité. »

93. Le sage Roi Hebrieu auec cette grande muUitude de femmes, P^ige C6.

C'est Salomon , ce sage fortuné.

Roi philosophe, et Platon couronné,

Çui connut tout du cèdre jusqu'à l'herbe.

Vit-on jamais un luxe plus superbe!

11 faisait nai' re au gré de ses désirs

L'argent et l'or , et surtout les plaisirs.

Mille beautés servaient à son usage.—

Mille! —On le dit: c'est beaucoup pour un sage.

Qu'on m'en donne une, et c'est assez pour moi

Qui n'ai l'honneur d'être sage ni roi.

(Voltaire, le Mondain, satire. >

^^.-— j4.nnih al s^ abâtardissant autour d^me Dame . même page. -— Ce trait n'est, je crois, connu que par une phrase de Pline l'ancien qui, faisant une description géographique de l'Italie dans le livre ru de son Histoire naturelle, ajoute à la mention de la ville de Salapia, dans la Pouille Daunienne, que cette ville est célèbre par une aventure amoureuse d'Annibal: «Oppidum, « Salapia Annibalis meretricio amore inclytum. >>

95. Le plus grand enchantement ^ tjui soit pour estre aymé . c^est aymer. Ayez tant de sujumigacions ^ tant de characteres,

iSo NOTES.

adiuraclons , poudres, et pierres, que -voudrez : mais si savez bien 'VOUS ayder, montrant et déclarant -votre amour : il n'y aura be- soin de ces estranges receptes, Donq pour se faire aymer^ il faut estre aymable , page 6^. Louise Labé n'a fait que copier cet apophlbegme d'Hécaton dans Sénèque (Epist. ix) : « Ego tibi « nîonstrabo amatorium sine medicameuto , sine herba, sine « ullius venefîcae carminé : si vis amari, ama. » Oyide avoit dit auparavant (de Arte am. , ii, 108):

XJt ameris > amabilis esto.

Enfin, on lit dans Martial (vi, ai) :

Hoc non fit verbis : 3Iarcc, ut ameris, ama.

Pibrac a puisé aux mêmes sources la pensée de ce quatrain:

Je t'apprendray , si tu veux, en peu d'heure > Le beau secret du breuvage amoureux : Aymé les tiens , tu seras aj'mé d'eux ; •Il n'y a point de recepte meilleure.

96. Zethe et Amphion ne se pouuoient accorder, pourcc que la -vacacion de Vun ne plaisait à Vautre , même page. Zetbe et Ampbion, fils jumeaux de Jupiter et d'Antiope. La vacacion du premier étoit le soin des troupeaux, et celle du second la musique. Ce fut au son de la lyre de celui-ci que s'élevèrent d'eux-mêmes les murs de ïbèbes. Voy. les dictionnaires de my- thologie. Horace se sert aussi de l'exemple de ces deux frères, et Louise Labé connoissoit sans doute le passage suivant de ce poète (Epist. r, 18, 4o"44) *

Nec, cum veuari volet ille , poemata panges. Gratia sic ftatrum geminorum Ampliionis atque Zethi dissiluit, donec suspecta severo Conticuit lyra ; fraternis ccssisse putatur Moribus Amphion c

97. Si la femme que -vous aymez est avare , il faut se trans- muer en or, et tomber ainsi en son sein, même page. Allusion à la métamorphose eu pluie d'or, dont Jupiter fit usage pour

NOTES. i8i

pénétrer dans la tour d'airain, ctoit renrerméc Danaé par ordre d'Acrisius son père, roi d'Argos.

98. Tous les seruiteurs et amis d* Atalanta estoient chasseur.!-^ pour ce qu'elle y prenait plaisir, page 68. Atalante, fille de Schént'e, roi de Scyros, étoit passionnée pour la chasse. Elle promit sa main à celui de ses amants qui la vaincroit à îa course. Hippomènc en vint à bout par un stratagème. Il laissa tomber trois pommes d'or, cueillies au jardin des Hespérides, et dont Vénus lui avoit fait présent. Atalante se baissa pour les ramas- ser, et Hippomèue toucha le but avant elle.

99» 'Les tristes se fâchent cVouir chanter, même page.

Oderunt hilarem tristes tristemque jocosi.

(Horace, Epist. i, iS, 89.)

100. —Le Gerion a trois corps, page 69. Géryon fut un géani à trois corps, qui avoit pour garder ses troupeaux un chien à deux têtes, et un dragon à sept. Hercule le tua avec ses défen- seurs, et emmena ses bœufs. Voy. l'explication de cette allé- gorie dans le Dictionnaire de la Fable de M. Noël.

101. Ignorance, nonchaillance^ espérance et cécité, qui sont toutes damoiselles de Folie , page 70. Érasme, Encom. Moriae (pages 9 et 10), ne donne pas tout-à-fait le même cortège à la Folie: il suppose qu'elle est toujours accompagnée de l'Amour- propre (^Philautia) , de la Flatterie (Colacia), de l'Oubli {Le- the), de la Paresse {Misoponia), de la Volupté (Isldone) , de l'Irréflexion {Anoia), de la Débauche {Truphe) , de Comus, et du Sommeil. Il ajoute que, secondée et servie fidèlement par ces esclaves, elle règne sur l'univers, et que les monarques eux- mêmes sont soumis à ses lois.

102. Génie, page 71. Le dieu Genius, qui pr''sidoit à la nature et donnoit le mouvement et la vie à tous les êtres. Il étoit surtout regardé comme l'auteur des sensations agréables et voluptueuses : de cette expression qu'on trouve dans Perse (Sat. V, i55)^ Genio indulge, pour signifier, divertissez-vous^

i82 NOTES.

donnez-vous du bon temps. Chaque homme avoit son Génie. Les villes et les empires avoient aussi le leur.

io3. leitfiesse j page 71. Nous avons vu qu'Érasme et Louise Labé en fout la mère de la Folie. Cette déesse étoit adorée par les anciens sous les noms de Juventa, de Juventus et d'Hébé.

ioZ|. Ce gentil Gardien des iardins , même page. Priape , fils de Bacchus et de Vénus. Il étoit l'emblème de la fécondité, et sa statue, véritable épouvantail, étoit placée dans les jardins pour les défendre contre les voleurs et les oiseaux. On ne voit pas ce qui a pu lui valoir, de la part de Louise Labé ou de Mer- cure i^u'elle fait parler, l'épithète de gentil^ à moins qu'on ne dise que Mercure, en habile orateur, devoit flatter les juges devant qui il plaidoit, et au nombre desquels étoit Priape : ex- cuse qui, je crois, n'auroit pas satisfait Ménage ; car dans ses observations sur l'Aminte (act. IV, se. 2, v. 62), il blâme le Tasse, seulement pour avoir nommé Priape : «Par non dovesse « il poeta, dit-il, metter in bocca d'un uomo, che parlava a « vergine cosi onesta, cosl schiva, cosl ritrosa, come era Sil- « yia, una cosi oscena, cosi brutta, cosi sfacciata parola, come « è quella di Priapo. Ne puô essere scusato con dire, che ne i « tempi antichi non era disonesta, e significava sol ameute il dio « de' giardini; dovendo il poeta giudizioso aver riguardo ezian- « dio a' tempi suoi. » Il est vrai que Louise Labé a évité de désigner par son propre nom le dieu dont il s'agit ; mais n'a- t-elle pas détruit l'effet de cette sage réserve par la qualification de gentil qu'elle lui a donnée? L'innocence, ou plutôt la sim- plicité du temps elle écrivoit, est la meilleure excuse qu'on puisse invoquer en sa faveur.

lo5. Pour apointer le diferent, ria prononcer un arrest inter- locutoire^ même page. Louise Labé a sans doute consulté quel- que avocat de son temps sur ces termes de pratique qui sont ici fort heureusement appliqués. ^î" arrest ^ placé à la suite ^ est aussi dans la forme usitée au barreau.

JNOTES. i83

lo6.—-'IVoiis auons remis votre afaire d'ici à trois fois y sept fois, neuf siècles, page 72. A dix- huit mille neuf cents ans. Les nombres impairs étoient dans l'antiquité des nombres mys- térieux. J'ignore s'il y a quelque autre finesse cachée dans cette multiplication de siècles par trois, sept et neuf.

ELEGIES.

107. Les Elégies de Louise Labé n'ont d'autre défaut que d'être trop courtes et trop peu nombreuses; elles ont tout ce qui donne du prix et du cliarme à ce genre, dans lequel peu de nos auteurs ont réussi; elles sont tendies, touchantes, passion- nées. Le cœur seul y parle, suivant le précepte de Boileau. Nulle afTectation, nulle recherche dans le style; mais une exquise naï- veté de sentiment et de langage, qui n'exclut point l'énergie. Louise Labé y gémit sur les chaînes qu'elle porte; elle déplore l'absence de son amant ; elle exhale de douces plaintes ; elle peint l'excès de ses tourments et de ses peines. La troisième de ces pièces, adressée aux dames lyonnoises, et leur belle com- patriote se justifie en rejetant sur l'Amour tous les reproches qu'on pourroit lui faire, me paroît remporter la palme sur les deux autres. Les rapprochements que j'indiquerai, et que j'au- rois pu multiplier bien davantage, seront destinés à montrer que la nouvelle Sappho n'avoit pas lu en vain les meilleurs au- teurs qui existoient avant elle , et que son âme étoit , pour me servir des expressions de Pétrone, « ingenti flumine litte-»

rarum inundata, »

I,

108. // fn'a donné la lyre, qui les vers

Soiiloit chanter de l'amour Lesbienne , page'73. La lyre de Sappho, née à Érèse ou à Mitylènc, dans l'île de Lesbos.

109. L'autre brûler et d'amour consommer, page 74. Consommer est la leçon de tojutes les éditions : ou verra dans

i84 NOTES.

le Glossaire, que ce n'est point une faute d'impression, comme on pourroit aisément le croire. On diroit aujourd'hui : L'autre }»rûler, d'amour se consumer.

110. V^oidant chasser le ridé labourage

Que Vaage auoît graué sur son -visage, page 76. Cette comparaison des rides que le temps grave sur le visage, avec les sillons du laboureur, est autorise'e par l'exemple d'Ho- race, qui a dit (Epod 8):

Et rugis vêtus Frontcm senectus exaret.

m. Sur son chef gris elle auoit empruntée

Quelque perruque , et assez mal antee , même page. L'usage des perruques remonte à la plus haute antiquité. On les portoit blondes du temps de Louise Labé. Du moins Tur- nèbe, son contemporain, qui^écrivoit aussi vers le milieu du seizième siècle, assure-t-il dans ses Adversaria (1. IV, c. 19), qu'à cette époque les dames, et surtout celles de la cour, afFu- bloient leurs têtes de faux cheveux blonds. «Comœ sunt adpo- « sititiœ, quales flavas plerumque mulieres mentito décore for- « mam quserentes, praesertim in aulis, sibi adj iciunt. » Voy, Eloge des perruques (par M. Deguerle), Paris, an vu, in- 12. 112. l^el nayme point , qu^une Dame aymera:

Tel ayme aussi, qui aymé ne sera, P&g6 77. Horace (1. i, od. 33):

Insîgnem tenui fronte Lycorida Cyrl torret amor; Cyrus in asperam

Déclinât Pholoen

Sic visum Veneri , cui placet impares Formas atque animos sub juga ahenea Sgevo mittere cum joco.

Mosohus a fait sur ce sujet une très jolie idylle, ainsi traduite par Urbain Chevreau:

Pour Echo le dieu Pan soupire. Echo brûle pour un satyre

NOTES. i85

Que les yeux de Lidas consument jour et nuit}

Et dans le feu qui les dévore.

Chacun hait l'objet qui le suit. Autant qu'il est haï de l'objet qu'il adore. Toi qui des feux d'amour sens ton cœur enflammé,

Pour éviter ce mal extrême ,

Aime toujours l'objet qui t'aime , Et n'aime point celui dont tu n'es point aimé.

ir.

ll5. O combien ha de pensée et de creinte ^ Tout aparsoy^ Vante d^yimour ateinte!

Tu es, peut estre , en chemin inconnu Outre ton gré malade retenu, page 78.

Quld tlmeam ignoro ; timeo tamen omnia démens ;

Et patet in curas area lata meas. Quaecumque aequor habet, quaecumque pericula tellus,

Tam longœ causas suspicor esse morae.

(Ovide, Heroid. x, 74—770

114. -—le crois que non: car tant suis coutumiere

De faire aus Dieus pour ta santé prière , même page,

Ssepe deos supplex, pro te, scélérate, rogavi , Cum prece turicremis devenerata focis.

(Ovide , Heroïd. 11 , 17.)

115. Desia deux fois depuis le promis terme

De ton retour, Phebe ses cornes ferme, page 79. Expression poe'tique , empruntée à l'astronomie , pour signifier deux mois. Ovide a dit de même (Metam. vu, 53o et 53i) :

Dumque quater junctis implevit coi'nibus orbem Luna, quater plénum tenuata retexuit orbem.,..

et (Heroïd. 11, 3) :

Coruua cum luuse pleno quater orbe coïsseut,

Littoribus nostris auchora pacta tua est. Luna quater latuit ; pleno quater orbe recrevit;

Nec vehit Actseas Sithonis unda rates.

i86 NOTES.

116. St toutefois, pour estre énamouré

JEn autre lieu, tu as tant demeuré, page 79»

Haec ego dum stultè meditor (quœ vestra libido est!) Esse peregrino captus amore potes.

( Ovide , Heroid. i , 78 et 79.)

117. La terre aussi que Calpe et Pyrenee

Auec la mer tiennent enuironnee, même paçe. L'Espagne qui forme une péninsule, et à laquelle on donne souvent cette dernière dénomination. Calpe est l'ancien nom de Gibraltar, Hercule, croyant être au bout du monde, éleva deux colonnes, pour apprendre à la postérité qu'il avoit poussé jusques-là ses conquêtes. Pyrenee désigne les montagnes ainsi nommées, qui séparent l'Espagne de la France. Les anciens sup- posoient qu'une princesse appelée Pyrène, fille de Bébrycius, roi d'Espagne, ayant été violée par Hercule, mit au monde un serpent, qu'elle fut tellement effrayée de cette apparition qu'elle prit la fuite, et se réfugia dans une forêt, elle devint la proie des bêtes féroces, et qu*elle donna son nom aux monts Pyrénées.

118. Le beau païs auquel or' te promeines, même page.

L'Italie, puisque Louise Labé dit plus haut dans cette même

élégie :

Or' que tu es auprès de ce riuage Du Pau cornu

Voy. le Glossaire, au mot Pau,

11g. Que gens d'esprit me donnent quelque gloire, même page»

At mihl Pegasides blandissima carmina dictant. Jam canitur toto nomen in orbe meum

(Ovide, Heroid. XV, 37 et 28.)

120. Maints grans Signeurs à mon amour prétendent,

Et il me plaire et seruir prêts se rendent, même page.

Pénélope dit à Ulysse dans Ovide (Heroïd. I, 97 et 98) :

Dulichii Samiique , et quos tulit alta Zacynthos . Turba ruuiit in me luxuriosa proci.

NOTES. 187

lai. ÏLt néanmoins tant peu ie m'' en soucie ,

Que seulement ne les en remercie^ page 80.

Cui colar infelix , aut cui placuisse laborem î Ille mei cultûs unicus auctor abest.

( Ovide, Hcroïd. xv, 77 et 78.)

122. Tu es tout seul y tout mon mal et mon bien:

yiuec toy toutj et sans toy ie n'ay rien, même page. Langage d'une âme éperdue, qui s'oublie elle-même et se con- fond dans celle de sou amant, voit tout en lui, et hors de lui ne voit rien.

lao. ]Ve Tjiuant pas, mais mourant d'un jimour

Lequel m^occit dix mile Jais le iour, même page. Toutes les éditions portent: d'une Amour Lequel Il est évi- dent qu'on doit lire comme nous avons imprimé, ou changer lequel en laquelV. Il y a, dans les poètes du seizième siècle, de nombreux exemples d'un retranchement semblable de l'e muet, à la fin de certains mots, pour le besoin de la mesure. Voy. les mots EIV et QuelT dans le Glossaire.

iri.

124» Mais qui dessous les Cieus

Se peut vanter de n'estre vicieuSy page 81.

Vitiis nemo sine nascitur.

(Horace , Serm. i, 3,' 68.)

125. L'un n'est content de sa sorte de -vie,

Kt tousiours porte h ses voisins enuie, même page.

Qui fit, Mœccnas , ut nemo, quam sibi sortcm Seii ratio dederit, seu fors objecerit , illâ Conteutus vivat, laudet diveisa sequentes!

( HonACE , Serm. I, i, i 3.)

126. L'autre croyant poureté cstre vice, même page. Allusion à ce proverbe : Pauvreté n'est pas vice. On sait la ré- ponse de du Fresny, à qui on le ciloit: C'est bien pis, dit-il.

iS8 NOTES.

127. . . Celle la j qui plus docte que sage^

jluec Pallas comparait son ouurage^ P^g^ 82. Arachné, qui osa défier Pallas dans l'art de peindre auec Vcs- guille, c'est-à-dire, de broder sur toile et sur tapisserie, et que la déesse, pour la punir de son outrecuidance , changea en arai- gnée. Voy. Ovide (Metam. vi, 1 et seq. )

128. Piquer, volter le cheual glorieus, même page.

On a vu dans la Notice sur Louise Labé, que du Verdier dit à peu près dans les mêmes termes, « qu'elle piquoit fort bien un « cheval, à raison de quoy, ajoute-t-il, les gentilshommes qui « auoient accez à elle, l'appelloient le capitaine Loys. » 12g. Pour Bradamante, ou la haute Mnrphise,

Seur de Roger , même page,

Voy. l'Arioste (Orlando {arioso, passim).

i3o. Et de trauail qui me donne sans cesse,

Boire, manger, et dormir ne me laisse, page 83. Le premier de ces deux vers est imprimé ainsi dans toutes les e'ditions ; il semble qu'il faudroit lire : Et du travail qu'il me donne sans cesse.

101. Le tems met fin aus hautes Pyramides, etc. , même page. Louise Labé a pu emprunter cette comparaison de la puissance de l'amour avec celle du temps, à Jérôme Angerianus :

Tempore tecta ruunt praetoria, tcmpoie vires, Tempore quaesitœ debilitantur opes.

Tempore fit eœlum variablle , tempore Pliœbus Luce caret; scriptum tempore marmor obit,

Tempore durities, decedit tempore livor:

At meus , heu ! uullo tempore cessât amor.

Voy. Michaçl Tarch. Marullus, Hieron. Angerianus et Joannes Secundus, Poetœ elegantissimi i Spirœ Nemetum, 1695, in-12 (page 227).

iSa. Paris ayma (Enone ardemment , page 84« Pour que ce vers ait la mesure, il faut de ces trois choses l'une î

NOTES. 189

ou lire (Enoné au lieu A'CEnone, ou aspirer l'a à^ ardemment ^ ou substituer à ce dernier mot ardentement. Ardentement étoit alors françois : on le trouve plus bas (sonnet xx, page 98). Da reste, toutes les éditions ont (Enone et ardemment , sauf celle de i556, ln-8.°, on lit ardamment : ce qui ne change rien à ma remarque.

i33. Mais son amour ne dura longuement , page 84. L'amour de Paris pour (Enone, nymplie du mont Ida, fut, eu effet, de peu de dure'e. Dès qu'il eut juge' les déesses, Paris s'é- loigna, et bientôt Hélène le rendit infidèle. L'histoire de cette passion et des effets qu'elle pioduisit , est connue. Quant à (Enone, elle fut constante jusqu'à la mort ; car, après la ruine de Troye, le cadavre de son amant lui ayant été apporté, elle ne put le voir sans mourir de douleur, et tous deux furent en- sevelis dans le même tombeaue

134. JMedee fut aymee de lason^

Qui tôt après la mit hors sa maison, même page. L'amour de Médée et l'infidélité de Jason sont aussi au nombre des fables les plus connues. Plusieurs poètes célèbres y ont trouvé un sujet de tragédie.

D'après les règles actuelles de la versification, ce vers seroit défectueux; le mot Medee ^ placé comme il l'est, offriroit lui seul deux fautes, dont la dernière est répétée au mot ajmee, La première consiste en ce que la césure tombe sur un e muet; la seconde, en ce que l'e muet étant précédé d'une voyelle, n'est pas mangé ou élidé par le mot suivant. On trouve , de l'une et de l'autre de ces fautes, des exemples nombreux dans Louise Labé et dans les poètes qui sont venus avant elle, de même que dans ceux qui l'ont suivie jusque vers le milieu du dix- septième siècle; mais on ne peut leur adresser sur ce point aucun reproche, attendu que les lois qu'on leur appliqueroit n'exis- tolent pas encore, et qu'elles ne sauroient ayoir, comme on le dit au barreau, un effet rétroactif.

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i

172

allées et venues , p sager des dieux, el sages d'amour. C* dérivent le mot graj d'hommes que les nus et de Mercure sentoit ensemble, e Larcher, Me'm. suj

Qi.-^Ayans toi XIX.*' Dialogue des

63. Apolon, page 47* Une si Forum d'Auguste , Labé fait allusioi lorsqu'il donne à

., .Deinde forur

vers que Dusaulx dant de cette man « Ion, si connue

64. Ne s'ata^ géant des armes, Labé a puisé ce fa la 45.*, qui a ausl tate des Forges d<

65. Il s'en e\ lit dans l'édition une leçon contri

66. Aussi Avant Louise supposoit que Il lui donnoit lui , elle ne dci

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[, ofFriroit lui

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'une voyelle,

[fcuve, de l'une

(•eï dans Louise

'e, de même

lieu du dix-

Isuio point aucun ppliacroit n'exis- voir comme on le

190 NOTES.

SONNETS.

i55. Il y avoit fort peu de temps que la mode des sonnets s'e'toit introduite en France, lorsque Louise Labé composa les siens. Ce fut, à ce qu'il paroît, Mellin de Saint -Gelais qui fît goûter à la cour ce nouveau genre de poème, emprunte' aux Italiens, ou repris sur eux; car Guillaume Colletet (Traité du Sonnet, Paris, i658, in-12) clierche à prouver que l'invention en est due aux François, et fuit remonter l'époque de cette in- vention au-delà du onzième ou du douzième siècle. Ce qu'il y a de certain, c'est que nos poètes ne faisoient plus de sonnets. On en renouvela l'usage, et ils eurent bientôt une grande vogue. Joachim du Bellay contribua surtout à l'augmenter, en i549, par la publication de ses cinquante sonnets à la louange d'Olive. Dès ce moment, le Parnasse francois fut inoudé de pièces de ce genre. Boileau en a tracé la poétique dans des vers que tout le monde sait par cœur. Les sonnets de Louise Labé, qui sont tous en vers de dix syllabes, sont réguliers, quant au nombre des vers, à la division des stances eu deux quatrains et deux tercets, et au placement des rimes; mais le mélange alternatif des rimes masculines et féminines n'est point observé dans la plupart d'entre eux, de même qu'il ne l'est pas dans les Élé- gies. H est à remarquer que ce mélange, quoique mis en pratique par quelques-uns de nos poètes, et en particulier par Ronsard, u'étoit pas encore érigé en loi. Voy. ce que dit à ce sujet Pas- quier (Recherches de la France, l. Vii , c. 7). On rencontre aussi dans les poésies de Louise Labé des enjambements, et sur- tout de fréquents hiatus. Ce n'étoient pas non plus des fautes, ou du moins c'étoient celles du temps. La grande révolution opérée par Malherbe dans notre versification, u'avoit pas en- core eu lieu : ce poète ne vint au monde qu'en i555, l'année même oh parurent, pour la première fois, les œuvres de la Belle Cordière.

NOTES. 191

I.

i36. Ce sonnet italien, ainsi que quelques pièces compo- sées dans le même idiome, qu'on trouvera parmi les Escriz a la louenge de Louise Labé , est imprimé avec l'orthographe des anciennes éditions: hauria (avrebbe) pour avria^ gratte pour grnzie ^ et pour e, etc. Les Italiens, dont la langue a été fixée beaucoup plus tôt que la nôtre, et qui l'est depuis le commen- cement du seizième siècle, ont cependant admis quelques chan- gements dans leur orthographe.

On a essayé la traduction suivante en faveur de ceux qui ne savent pas la lan;iue italienne:

« Non, le prudent Ulysse, ou tout autre mortel encore plus « fin, s'il en fut jamais, n'auroit pu prévoir les ennuis et les «< tourments que me fait éprouver ce visage divin, plein de grâ- « ces, de majesté et de grandeur. Amour, c'est toi qui, à l'aide « de ces beaux yeux, as fait dans mou cœur innocent, tu « puises l'aliment et la chaleur, une blessure si grave qu'elle est « sans remède, si tu ne le donnes toi-même. O cruauté du sort « qui me rend semblable à une personne piquée par un scorpion , « et qui me contraint à demander du soulagement contre le ve- M nin qui me dévore , à celui-là même par qui il fut lancé ! Je le « supplie de mettre un terme à ma peine; mais je le prie en « même temps de ne pas éteindre en moi le désir dont je suis « consumée, et qui m'est si cher, qu'il ne peut cesser d'être sans « que je meure. »

iSy. Punta d'un Scorpio ^ et domanclar riparo

Contrel 'velen' dalV istesso animale ^ P^lge 85. Allusion à la croyance vulgaire, que l'huile qu'on tire du scor- pion est le meilleur remède contre la piqûre de cet animal.

III.

i38. On remarquera le bizarre entrelacement des rimes dans les deux tercets.

193 NOTES.

V.

i5g. Parmi les fragments peu nombreux qui nous restent de Sappho, il en existe un qui pour la pense'e diffère peu de ce sonnet. Ce fragment que nous a conserve le grammairien Hé- phestion, a été ainsi traduit en vers latins par Henri Estienne:

Jam pulchra quidem Diana > Jam Pléiades occîderunt, Jam nox média est , et hora Jam prœterit : ipsa vero Ah ! sola cubo miisella.

vr. i4o. Louise Labé paroit s'être rappelé le commencement de l'ode célèbre de Sappho, imitée par Catulle (carm. li) : Ille

par esse deo videtur , et peut-être la i56.^ ^pigr. du

liv. VII de l'Anthologie de Planude, dont je citerai l'imitation suivante :

Heureux l'amant que ta vue intéresse , Qui s'attendrit aux accents de ta voix, Et même au sein d'une trompeuse ivresse j Aime à gémir sous tes sévères loix! Mais plus heureux l'amant qui se réveille Flatté par toi du plus tendre souris, Et peut cueillir sur ta bouche vermeille Un doux baiser dont ton cœur est le prix!

Les deux quatrains du sonnet de Louise Labé roulent sur les mêmes pensées ; mais la fin lui en appartient.

Vili. i4i. Ce sonnet a un grand rapport avec celui de Pétrarque :

Pace non trovo> e non ho da far guerra, etc. '

(Part. I, Sonn. io5.)

IX.

142. Sauvigny, Parnasse des dames (tome II, page i44)j remarque que « la pensée qui termine ce sonnet, a été répétée

NOTES. 193

« depuis, même par nos meilleurs poètes; » et rien n'est plus vi*ai : cette pense'e est partout. Mais il est plus curieux de re- chercher où Louise Lahéapuisé le sujet de la pièce entière; et, si je ne me trompe, je l'ai trouvé dans ce passage d'Ovide (He- roïd, XV, i23-i34) : c'est Sappho qui parle à Phaon, Sappho que Louise Labé a imitée plusieurs fois, et qu'elle semble, comme je l'ai déjà dit, avoir voulu prendre pour modèle:

Tu mihl cura , Phaon : te somnia nostra reducunt ;

Somnia formoso candidioi'a die. Illic te invcnio, quamquam regionibus absïs ;

Sed uon longa satis gaudia somnus habet. Saepe tiios nostra cervice onerare laccrtos ,

Saepe tuae videor supposuisse meos. Blandior interdum , verisque simillima verba

Eloquor ; et vigilant sensibus ora meis. Oscula cognosco, quae tu committere linguaej

Aptaque consueras accipere, apta dare. Ulteriora pudet nai'rare : sed omnia fiunt:

Et juvat et sine te non libet esse mihi......

XTir.

143. C'est un des plus beaux sonnets de Louise Labé} on peut le comparer au ir/ baiser de Jean Second : Vicina quan- tum vitis lascivit in ulmo, etc., qui offre absolument le même sujet.

144. Que ia tempe ste ^ Euripe^ ne Courant^ P^gG 94. L'Euripe est un bras de mer qui séparoit l'île d'Eubée (aujour- d'hui Négrepont) d'avec la Béotie (la Livadie). L'inconstance et l'irrégularité de son flux et reflux a souvent fourni aux poètes un objet de comparaison avec les mouvements d'une âme incer- taine et flottante.

145. Comme du Lierre est Varhre encercelé ^ même page. Ce vers n'est presque que la traduction du commencement du II.* baiser de Jean Second, que nous venons de citer.

146. Et mon esprit ur ses leures fui> oit , même page.

La même pensée se retrouve dans un distique attribué à Platon, * i3

194 NOTES.

par divers auteurs, et que Fontenelle a rendu avec beaucoup de

délicatesse dans le dialogue entre Platon et Marguerite d'Ecosse :

Lorsqu'Agathis , par un baiser de flamme. Consent à me payer des maux que j'ai sentis. Sur mies lèvres soudain je sens venir mon ame

Qui veut passer dans celle d'Agathis.

Aulugelle (Nuits Attiques, XIX, ii), et Macrobe (Saturnales, If, 2) nous ont conservé une imitation ou paraphrase latine du même distique, terminée par ces vers qui ont aussi le plus grand rapport avec le passage de Louise Labé :

Tum si mox*ae quid plusculae Fuisset in cœtu osculi , Amoris igni percita (animula) Transisset, et me linqueret, Et mira prorsum res foret , Ut ad me fierem mortuus. Ad puerum ut iutus viverem.

Je placerai ici une petite piccc gracieuse et naïve , qui n'est guère connue, et qui roule pareillement sur le baiser : elle est citée, fol. 32 recto de l'Art poétique françois (par Thomas Sibilet), Paris, 1548, in-8.°, comme étant de Saingelais (sic) ; c'est une heureuse et libre imitation du choeur du ii.^ acte du Pastor fido, imité depuis par Voltaire, Questions sur l'Encyclopédie (art. Baiser^ :

Ou mettra Ion un baiser fauorable , Qu'on m'a donné, pour seurement tenir! Le mettre en l'œil, il n'en est pas capable: La main n'y peut toucher ny auenir: La bouche en prend ce qu'en peut retenir. Et n'en retient qu'autant que le bien dure: C'est donc au cœur l'effet et garde seure De ce présent, à luy seul appartient.

O dous baiser, estrange est ta nature. Bouche te prend, et le cœur te retient.

NOTES. 195

xv.

147. Il y a quelque ressemblance entre ce sonnet et celui de Pétrarque:

Zefiro torna , e'I bel tempo rlmciia , etc.

( Part. II , son. 4*- )

La conclusion seule est dificrente ; et je ne sais si elle n'est pas préférable dans la pièce de l'auteur françois.

xvir.

i48. C'est encore Pétrarque que la belle amoureuse prend ici pour modèle. Qu'on lise le sonnet de l'amant de Laure :

Solo e pensoso i più desei-ti campi, etc.

( Part. I, son. 28. )

et l'on en sera convaincu. Mais quand Louise Labé imite,

Son imitation n'est point un esclavage,

elle conserve toujours une allure libre et franche.

xvnr.

149. « 11 n'y avoit qu'une rivale de Sappho qui pût faire de « pareils vers. Ce sonnet est beaucoup trop libre, je l'avoue. « Falloit-il le supprimer? Il nous reste encore dts statues anti- « ques devant lesquelles la pudeur est peut-être obligée de bais- « ser les yeux; mais quel homme avec un peu de goût auroit « le courage de les mutiler? » (Sauvigny, Parnasse des dames, tome II, page i470

Voyez une note sur ce sonnet, parmi celles dont j'ai accom- pagné la Notice sur Louise Labé,

l5o. Lors double uie a chacun en suiura.

Chacun en soy et son ami viura ^ page 97. Les remarques que j'ai faites sur ce vers du sonnet xiil:

Et mon esprit sur ses lèvres fuiroit,

peuvent s'appliquer ici. Je citerai de plus le xxxT.* baiser de

lOG NOTES.

lîonncfons : Panchari, virgiueos.,. , et le xrii,^ de Jean Second: Lauguidus è dulci certamine..., J. B. Rousseau a puisé, sans eu avertir, le fond et les pensées du dixain suivant:

Prêt à dcscenclre au manoir ténébreux, de Caron i'entrevoyois la braque. Quand de Caliste un Jtaiser amoureux Me rendit l'amc , et vint frauder la Parque. Lors de son livre Eacus me démarques Et le nocher tout seul l'onde passa. Tout seul! je faux, mon ame traversa Le fleuve noir ; mais Caliste ., Caliste En ce baiser dans mes veines glissa Part de la sienne, avec quoi je subsiste.

iSl. ' Tousiours suis mal ^ r>iuant discretlement ^ Et ne me puis donner contentement , Si hoT's de moy ne fay quelque saillie^ P^gC 97, Un poète, Quinault, si je no me trompe, a dit:

Il faut souvent, pour être Iieureux , Qu'il en coûte un peu d'innocence.

X\X.

i52. Un goût exquis règne dans cette chgrmante petite pièce; elle exhale, s'il est permis de le dire, un tel parfum d'an- tiquité, qu'on la croiroit traduite d'Anacréon, ou du moins de Bion, ou de Moschus. Elle ne perdroit rien à être mise à côté de l'Amour Oiseau du second de ces poètes, et peut-être même y gagneroit-eîle.

xxif.

i^Zt—Et toy, sa seur, qu'Endimion embrasse, P^ge 100. Endymion, fils d'Ethlius , eut, selon Pausanias, cinquante filles de la chaste Diane. C'étoit dans les bras du sommeil le bel Endymion étoit enseveli, qu'elle jouissoit tous les soirs des fa- veurs de son jeune amant. Le mont Latmus, dans la Carie, fut le théâtre de leurs voluptueuses caresses.

NOTES. 197

154. T^oila clur'Ciel la puissante harmonie

Qui les esprits diuins ensemble lie, P^gc loo,^ Le meilleur commentaire d'un auteur se trouve souvent dans ses ouvrages. Louise Labé dit ici en vers à peu près ce qu'elle a dit en prose par l'organe d'Apollon, Débat de Folie et d'A- mour (Discours V, page 27): «S'il est permis à chacun atenter « sur le lien qui entretient et lie tout ensemble : ie voy en peu « d'heure le Ciel en désordre^ ie voy les uns changer leur cours, « les autres entreprendre sur leurs voisins une consommacion « uniuerselle : ton sceptre, ton trône, ta magesté en danger;» et un peu plus bas (page 28) : « Si tout l'Vniuers ne tient que « par certeines amoureuses composicions, si elles cessoient, « l'ancien Abime reuiendroit. Otaat l'amour, tout est ruiné.»

XXIII.

l55. Louas iadis et ma tresse dorée,

Et de mes yeics la beauté comparée

A deus Soleils, . . . ^ , niêm.e page.

L'éloge de la tresse dorée de Louise Labc, et la comparaison de ses yeux a deus Soleils , se retrouvent plusieurs fois dans les Escriz de diuers poètes a sa louenge,

156. Tira les trets causes de ton tourment , même page. On lit causez dans les éditions antérieures à celle-ci : j'ai pensé que c'étoit une faute d'impression qui, s'élant glissée dans l'é- dition primitive, s'étoit perpétuée dans toutes les autres.

157. Mais ie m^assure, quelque part que tu sois, page 101^ Ce vers a une syllabe de trop.

XXIII. i58. Sans 'votre ardeur d'un V^ulcan excuser.

Sans la beauté d'Adonis acuser, même page. G'est-à-dire, sans que votre ardeur soit rendue excusable par la circonstance que vous auriez un Vulcain pour mari, sans que vous ayez à alléguer, pour vous justifier, la beauté extraor- dinaire de votre amant.

198 NOTES.

iSg. La fin de ce sonnet rappelle celle de l'He'roïde d'He'- loïse à Abailard, par Colardeau :

Et que le voyageur, pleurant uotre mémoire. Dise : Ils s'aimèrent trop, ils furent malheureux ; Gémissons sur leur tombe, et n'aimons pas comme eu».

ESCRIZ DE DIVERS POETES

A LA LOVETVGE DE LOVÏZE LABÉ LIONNOIZE.

160. Il existe un grand nombre de poètes qui , comme Louise Labé , ont fait imprimer avec leurs vers ceux qu'on leur avoit adressés : c'étoit même de son temps une coutume assez ge'né- ralement suivie. Les amis de l'auteur célébroient à qui mieux mieux ses talents et ses ouvrages, et on décoroit de leurs pom- peux compliments les premières pages du recueil. Il n'est pres- que aucun des livres publie's dans le seizième siècle, qui ne soit précédi-' de pareils éloges ; mais on ne les plaçoit pas toujours au commencement du volume : on les re'unissoit quel- quefois à la fin. C'est ainsi, pour citer un exemple analogue à celui de Louise Labé, qu'à la suite des Rymes de gentile et vertueuse dame Pernette du Guillet, lyonnoise, Lyon, Jean de Tournes, i54^, in -8.°, l'éditeur, Antoine du Moulin, mâ- connois , rassembla les épitaphes qui avoient été faites pour cette dame, morte peu do mois auparavant, par Maurice Sceve et quelques poètes anonymes. Louise Labé, plus heureuse, a été chantée d sou vivant; et ce ne fut sans doute qu'en faisant violence à sa modestie, pour satisfaire le désir de ses amis et se conformer à l'usage , qu'elle se décida à publier avec ses œuvres les pièces < omposées à sa louange. Nous devons lui en savoir gré : plusieurs de ces pièces renferment des détails pré- cieux, et quelques-unes ont un mérite réel sous le rapport de la poésie, telles que l'ode grecque tt l'ode latine, la pièce , O ma belle rebelle (page 118), l'ode d'Olivier de Magny (page 121), et enfin celle qui termine la collection (pages 102 et suiv.).

NOTES. 199

Les éditeurs de 1762, et celui de Brest, i8i5, ont bouleversé l'ordre que ces différents morceaux ont dans les éditions pri- mitives : nous l'avons , au contraire, religieusement conservé. C'est un monument antique dont nous avons voulu reproduire une copie fidèle.

EIS £ÎAAS A0ISH2 AABAIAS. (Page io3.)

161. Le mètre de cette ode, dont l'auteur ne s'est pas nom- mé, consiste dans le mélange alternatif du grand vers héroïque et du vers iambique do quatre pieds. M. Scrvan de Sugny, jeune poète lyonnois, connu par une élégante traduction de Tliéo- crite, que j'ai déjà eu occasion de citer, en a fait, à ma prière, l'imitation suivante :

SUR LES POÉSIES DE LOUISE LABÉ.

Le temps , belle Sappho , nous a ravi tes vers ; Mais la jeune Labé que sa tendresse inspire ^ Que Paphos a nourrie en ses bocages verts , Fait revivre tes chants et ton brûlant délire.

Son cœur s'est enflammé pour un autre Phaon j Hélas ! et comme toi chérit un infidèle : Louise pleure en vain sa noire trahison , Ses dédains, ses refus, sa fuite criminelle.

Mais lorsque de son cœur elle peint les tourments. Lorsqu'elle rend la vie à ta lyre sonore , Ses lecteurs enchantés deviennent ses amants , Et voudroient remplacer un ingrat qu'elle adore.

DE ALOYSiE LADITE OSCVLIS. (Page lo4.)

162. L'original de cette pièce latine est peut-être préférable à celui de la pièce grecque. Le mètre en est le même que celui de la lo.*' ode du livre i d'Horace : Vides ut al ta stet uive candi- dum... ; et, comme on le verra, ce n'est pas le seul rapport qu'elle ait avec les odes de ce grand poète. Antoine Fumée paroît être- le nom de son auteur, ainsi que nous le dirons plus bas.

200 NOTES.

l65.--'Fontisue Dircœi recessus, page lo4. La maison de Pindare, à Thèbes en Béotie, ëtoit, suivant Pau- sanias, près du ruisseau ou de la fontaine de Dircé. De vient le nom de cygne de Dircé , donné au chantre des jeux olym- piques.

164. Profuerint vel inanis Evan, même page. Au lieu d' inanis^ on lit munis dans toutes les éditions ; mais c'est évidemment une faute : manis n'offre aucun sens, et la mesure réclame inanis. J'ai cru pouvoir me permettre cette légère cor- rection.

i65. Sed tu Lahœœ hasia candidce

Imbuta poscas nectare , même page.

Expression empruntée d'Horace (1. I, od. i3, v. i5 et 16) ;

Oscula , quae Venus

Quinta parte sui nectaris imbuit.

166. ^maracosque molles , même page.

Virgile a dit de même: Mollis amaracus (AEneid. l, 693).

167. ÇDicere seu luhet

Sectis puellas unguibus acriter Deprœliantes ^ aut inustam Dente notam labiis cjuerenteis, même page. On reconnoît encore deux emprunts faits à Horace, ou du moins deux allusions aux passages suivants :

. .j, Nos pi-aelia virginum

Si ctis in iuvenes unguibus acrium Cantamus

(L. I, od. 6 y V. 17--19O

Sive puer furens

Impressit memorem dente labris notam,

( L. eod. od. i3, v. ir et la,)

J.68 IVec sua

Fulgore lucentem Dianam , pages io4 et io5«

Tu potens Trivia , et notho es I)icta lumine Luna.

(Catull. Carm. ad Dianam, v. i3.)

NOTES. 201

169. J'aurois voulu pouvoir enrichir cps notes d'une tra- duction en vers françois de la pièce d'Antoine Fumée : je suis forcé d'y suppléer par la traduction en prose qu'on va lire, et qui n'a d'autre mérite, si c'en est un, que d'être littéiale.

« Cesse d'adresser aux Muses tes vœux accoutumés ; n'invo- « que point Apollon, ni le vain fils de Sémèle ; ne va point « chercher inutilement des inspirations sur les bords de la fon- « taine de Dircé ; mais dema.ide à la blanche Labc ces baisers « empreints de nectar, qui exhalent les parfums des ros< s, des « tendres marjolaines, des violettes et des sucs de l'Arabie. « Ces baisers ne périssent point sur le bout des lèvres : lancé « par une suave haleine, leur aiguillon va jusqu'au cœur, le « pénètre, l'agite et l'enflamme. Le feu se répand de dans « tous les sens; et, dégagée de ses liens, l'âme vient doucement « expirer sur la bouche de Louise. C'est que tu dois puiser « l'enthousiasme, soit que tu veuilles dire les jeunes filles qui « ont coupé leurs ongles pour ne pas égratigner leurs amants, a en résistant à leurs caresses, ou qui se plaignent d s traces « qu'ont imprimées sur elles ces caresses trop vives, soit que, « d'un ton plus hardi, tu veuilles célébrer les mouvements du «< ciel et le retour des saisons, ou Diane brillant d'un éclat em- « prunté, ou la splendeur des astres qui éclairent les pôles du « monde : chants dignes des baisers de Louise , et faits pour être « répétés par les purs accents de sa voix mariée aux doux accorrls « de sa lyre. Alors, poète couronné, ta poésie harmonieuse char- « mera les oreilles les plus délicates de la Grèce et de Rome. »

EN GRACE DV DIALOGVE D'AMOVR ET DE FOLIE. (Page lo5.)

170. Le style de ce sonnet est vraiment ténébreux, et res- semble à celui de la Délie de Maurice Sceve. Si la signature, NON SI NON LA, est une anagramme, c'est une énigme dont je ne sais pas le mot; si c'est une devise, elle est mauvaise, puis- qu'elle ne présente point de sens»

202 NOTES.

EN CONTEMPLACION DE D. LOVÏZE LABÉ.

171.— jDe quel Hz est , mais de quelle Déesse

Cette beauté , qui les autres destrousse! page 106. Je ne comprends pas ces mots, de quel Hz est , sur lesquels il n'y a aucune variante dans les éditions. Peut-être faut-il lire : de quels liz , ou de quel lit,

172. Quelle S frêne hors du sein ce chant pousse ,

Qui deceuroit le caut Prince de Grèce! même page. Le caut Prince de Grèce , c'est Ulysse qui, comme on le sait, re'sista au chant et aux attraits des Sirènes.

173. P. D. T. Ces lettres initiales de'signent peut-être Pon- tus de Tyard. Ce poète faisoit partie de la fameuse Pléiade for- mée sous le règne d'Henri ir , et dont les six autres étoiles étoient Dorât, Ronsard, Joachim du Bellay, Belleau, Jean Antoine de Baïf, et Jodelle. vers iSai, près de Mâcon, dans le château de Bissy, appartenant à son père, il publia en i549, à Lyon, chez Jean de Tournes, in-8.°, un recueil de vers in- titulé, Erreurs amoureuses, qui eut à son apparition assez de succès pour être réimprimé deux fois en i552 et i556, et qui fut inséré ensuite dans la collection de ses (Euvres poétiques en 1570. Pontus de Tyard renonça dans l'âge mur à la poésie pour se livrer à l'étude de la philosophie, des mathématiques et de la théologie; il embrassa l'état ecclésiastique, et, après avoir été aumônier d'Henri Iii, fut élevé au siège épiscopal de Châ- lons-sur-Saône. Les ouvrages qu'il a donnés dans la seconde moitié de sa carrière, terminée à 84 ans, roulent sur les sciences; quelques-uns sont ascétiques; tous sont tombés dans le plus profond oubli.

A D. LOVÏZE LABÉ, SVK SON PORTRAIT. (Page I06.)

174. Je n'ai pu trouver aucun portrait ancien de Louise Labé. Cette pièce prouve qu'il en existoit un de son vivant. Louise Labé ne figure point dans le Promptuaire des médailles

NOTES. 2o3

imprimé plusieurs fois vers la fin du 16.® siècle (notamment en iSyyetiSyS, par Guillaume Rovillc, tantôt enfraiiçois, tantôt en italien, et même en latin), quoiqu'on y voie un médaillon re- présentant Maurice Scfve, contemporain de laBelleCordière, et, à ce qu'il paroît, un de ses amis. Los portraits qui sont gravés dans le Parnasse des dames (t. il, p. 66), et dans l'estampe placée à la tête de l'édition de 1762, de même que dans une vignette (page V de la même édition), sont, je crois, des ouvrages de fantaisie, et n'ont dès-lors aucune authenticité, lyS. Jadis lin Grec sus une froide image

Que consacra Praxitèle à Cyprine^ page 106. Voy. note 86.

176. L'ame me part ^ et mourant en cet aise ^

le la reprens ia fuiant en sa bouche^ P^gC 107. Voy. notes i/jô et i5o.

SONNET. (Page 107.)

A CELLE QVI N'EST SEVLEMENT A SOY BELLE. (Page lo8.)

177. Ces deux pièces assez médiocres, et même un peu obscures, portent, au lieu de signature, les mots, devor de VOER. C'est la devise de l'auteur, et peut-être l'anagramme de son nom. Antoine du Verdier avoit mis celle-ci, en i584, ^^ bas de la préface de sa Bibliothèque : Tard ENNVIÉ DE VOIR.

178. Et reciter la douce cruauté

De Belle a soy , page 1 07.

On a déjà vu dans la Notice sur Louise Labé, que BELLE A SOY étoit l'anagramme de Loyse Labé. L'abbé Goujet, Bibîioth. franc, (tome x i, page 77), a cru que soy é\.Q\\,^o\\x souhait , belle a souhait , sans doute à cause de la ressemblance de prononcia- tion de ces deux mots; mais il s'est trompé : la seconde des pièces sur lesquelles roule cette note, est intitulée: A celle cjui n'est seulement a soy belle, et la pièce suivante contient ce vers:

O douce mort ( à tous plus qu'à soy belle) :

2o4 NOTES.

ce qui montre évidemment que Belle a soy ëtoit entendu dans le sens de Pulchra sibi.

A DAME LOVÏZE, DES MVSES OV PREMIERE OT DIZIEME COT-

ro>>a:vte la trovpe. (Page 109.)

179. Le surnom de dixième ]Muse fut aussi donné à Sap- pho, témoin une épigramme de l'Anthologie de Planude (i, 67, 9), faite par Antipater de Sidon, et ainsi imitée par un poète peut-être lyonnois :

En écoutant Sappho , Mnémosyne confuse Fut sui'piise d'entendre une dixième Muse.

(Ce distique se trouve manuscrit avec 25*2 autres imitations de l'Anthologie^ sur les marges d'un exemplaire de l'édition de- ce recueil, donnée en 1600, à Francfort, par les héritiers de Wechel, in-fol. A côté de l'ép. i, c. 77, liv. i, on lit l'imita- tion et la note suivantes :

Quand on verra la cigale en son trou

S'enfuii' de honte à la voix du coucou.

Quand dans les champs la petite alouette

Charmera plus que le cygne au trépas, Quand mieux qu'un rossignol chantera la chouette, £n esprit, en vertus, j'égalerai Du Gas.*

* « Prévôt des marchands de la ville de Lyon en cette année « 1728. Le traducteur ne connoissoit point Palladius; mais il « ose assurer que le grec n'a jamais dit plus vrai que le fran- « cois.)»

180. JVature ayant en ses idées pris

f^n tel siiget, qu il surpassait son miens, page lOQ. Ceci est imité de Pétrarque (sonnet 126,^, part, i) :

In quai parte del Ciclo, in quai Idea Era l'esempio, onde Natiu'a toise Quel bel N-iso leggiadro, in ch'ella volse Mostrar quaggiù, quanto lassù poteaî...

On se rappelle que Platon supposoit qu'il existoit dans l'esprit

NOTES. 2o5

de Dieu certains moules ou patrons de tous les êtres , qu'il nommoit idées.

181. La signature de ce sonnet, d'immortel zèle, est encore la devise ou l'anagramme de quelque poète du temps, dont j'ignore le nom. Un Jean de Vauzelles, prieur de Mon- trotier, chevalier de l'église métropolitaine de Lyon, et curé ou recteur de l'ancienne église de S. Romain, auteur de quel- ques livres de piété, qui vivoit dans le même siècle, et étoit parent de Maurice Sceve, faisant aussi une mauvaise allusion à son nom, avoit choisi pour devise ces paroles : CrAiNTE DE Dieu vaut zelle , ou celles-ci : D'uk VBAY zelle, qu'il met- toit à la tête de ses ouvrages.

SONETTO. (Page 110.)

182.

IMITATION.

Vers CCS lieax la Saône à pas lents se promène , N'arrivant qu'à regret au Rhône qui l'entraîne * , L'Amour avoit conduit et ma barque et mon cœur : Je respirois l'air pur que Louise respire ; Sans espoir d'être aimé , ma voix faisoit redire Son nom cher aux échos d'un rivage enchanteur; Assis sur le gazon , appuyé sur ma lyre , J'attendois du sommeil un remède à mes maux; J'étois près de goûter les douceurs du repos. Tout-à-coup à mes yeux s'est offerte Louise, Et ces mots ont frappé mon oreille surprise : « J'endure ainsi que toi les plus cruels tourments ; « Les soupirs et les pleurs sont le lot des amants. »

( M. Pericaud aîné. )

SONETTO. (Page 111.)

180.

imitation.

Le feu qui brûle nnon cœur, A pour moi tant de douceur

* L. Racine, Poèmt âc la Religion.

2o6 NOTES.

Que, même au milieu des flammes , Je vais chantant les beaux yeux De la plus belle des femmes. Je demande au roi des cieux Que, pour le prix de mion zèle. L'embrasant de tous mes feux Il me fasse aimer de celle Dont je suis tant amoureux. Quand d'une ardeur mutuelle L'Amour consume deux cœurs , Il les comble de faveurs ; Mais si de brûler l'un cesse. L'autre meurt dans la tristesse. Ah '■ dépouillez vos rigueurs : Si vous daignez me sourire , Le plus heureux des amants , Voyant finir ses tourments , Vous consacrera sa lyre.

(Le même.)

184.

AWENTVROSI FIORI (Page 111.)

IMITATION.

Fleurs dont Labé fait sa parure. Vous qu'elle place sur son sein. Ou sur sa blonde chevelure, Ti-ois fois heureux votre destin'. Vous que la prodigue nature Décora de mille couleurs. Vous l'emportez par vos odeurs Sur les parfums de l'Arabie ! Plus brillante encor que ces fleurs j O Louise, 6 ma douce amie. Autant que vous l'avez voulu. Le ciel vous fit aimable et belle : A vous former l'Amour s'est plu; Vous n'êtes point une mortelle. Quand je vois vos divins appas, La crainte de ne pas vous plaire Dans mon cœur porte le tré^Jas; Mais cette céleste lumière

NOTES. ^07

Qu'on volt briller en vos beaux yeux.

Pareille à l'astre radieux

Qui nous fait vivre et nous éclaire ,

Devient mon guide tutélaire ,

Et me ramène près des Heur

Que votre beauté vivifie.

Dans ce séjour délicieux

Si je pouvois couler ma vie,

A vous, amants les plus heureux.

Loin de jamais porter envie.

Je me crolrois égal aux dieux.

(Le même.)

EPITRE A SES AMIS, etc. (Page ll4.)

i85. Cotte épitre est d'Olivier de Magny, qui s'y nomme lui-même. Né, comme Clément Marot, à Cahors en Quercy, Olivier de Magny fît partie de « cette grande flotte de poètes « que produisit le règne du roi Henri il, » suivant l'expres- sion de Pasquier, Recherch. de la France, vu, 6. Il vint au monde en i52o, et fut attaché en qualité de secrétaire à Jean d'Avanson, seigneur de St-Marcel, conseiller du roi, et depuis surintendant des finances, à l'époque ce magistrat fut en- voyé en ambassade à Rome sous le pontificat de Jules m, dans l'intervalle de i55o à i555. Il paroît que , dans une course qu'il fit dans le midi de la France, par ordre de son patron, il s'ar- rêla à Lyon il vit Louise Labé, qu'il célébra dans cette pièce et dans l'ode : Muses, filles de lupiter, etc. (page 121). Ces deux morceaux donneront une idée suffisante du talent poé- tique d'Olivier de Magny : dans le premier, on trouvera un peu d'aifeclation et de mignardise; dans le second, une imagination trop vagabonde, de l'emphase et de l'exagération, mais aussi une certaine chaleur, et parfois de la grâce. Il avoit déjà publié deux de ses principaux ouvrages: ses Amours, Paris, i55.'5 in-8.** (réimpr. depuis à Lyon, iSyS, in-16), et ses Gayetez, Paris, i554, in-S.". Il fit paroître ensuite des Soupirs, en i557, et des Odes, en iSSp.

2o8 NOTES*

186. iVV de mon cher Giues Çqui m^ayme

Comme ses yeux') , P^gs 1 16.

Il existoit sur la fin du xvii.^ siècle iin M. de Gyvez, avocat du roi au présidial d'Orléans, descendant sans doute de cet ami d'Olivier de Magny. C'e'toit, suivant le témoignage de La Monnoye qui fut en coi'respondance avec lui, «un homme dis- « tinguë par une littérature exquise. »

A ELLE MESME (Page I18.)

18-,. Cette pièce est de Jean-Antoine de Baïf. M. Brès l'a insérée, mais abrégée et tronquée, dans sa Bibliothèque du promeneur, Paris, 1825, in-18 (pag. 29). à Venise vers i532, fils naturel de Lazare de Baïf, Jean-Antoine de Baïf n'avoit que 2,3 ans en i555, et néanmoins il avoit déjà fait beaucoup de vers. Il rima dès sa plus tendre enfance, et fut un de nos poètes les plus féconds : sa versification est un peu rude, et on y re- «onnoît l'école de Ronsard.

DOVBLE RONDEAV, A ELLE. (Page 120.)

188. Ce double rondeau est très médiocre. Le poète y fait rimer le mot ojense avec lui-même: ce qui est une faute assez grossière.

ODE EJV FAVEVR DE D. LOVÏZE LABE, A SON BON SIGNEVR. D. M.

189. D. M. désigne Olivier de Magny, auteur de cette ode. Voy. note i85.

190. V^ers ce docte et gentil Fumée, page 121.

Antoine Fumée, qu'Olivier de Magny qualifie dans ses odes, publi('es en i55;), de Grand Rapporteur de France. C'est sans doute le naème auquel du Verdier a consacré un article il le fait auteur d'un Panégyrique au très chrétien roi de France et de Pologne (Charles ix), Paris, iS']/\, in-8.°, etd'une Histoire générale en IV livres , non achevée. La famille des Fumée oc- cupa de grandes places, et plusieurs de ses membres se dislin-

NOTES. 209

guèrent dans les lettres. Adam, premier du nom, fut garde des sceaux sous Charles Vin, en i/jQ^. Un de ses arrière-petits-fils» Nicolas, abbt- coramenilalaire de l'abbaye de la Cousture au Maine, parvint à la pairie et au siège e'piscopal de Beauvais. On cite aussi deux frères de ce dernier: Adam iir, sieur des Roches en Touraine, mathématicien, jurisconsulte, hislorien , poète, qui fut maître des requêtes de l'hôtel du roi, et Martin, seigneur de Genillé, auteur de la traduction du roman grec at- tribue' à Athénagoras. La préface que Muret a mise à la tête de ses Commentaires sur les Amours de Ronsard, i553, in-8.°, est adressée « à monseigneur Adam. Fumée, conseiller du roi « en son parlement à Paris. »

iQi. le le r>oy ores deuant moy

En lin aussi plaisant émoy

Pour faire son Ode Latine, P^'g^ l2i. C'est d'après ce passage que je crois pouvoir attribuer à An- toine Fumée l'ode latine, qui est la seconde pièce des Escriz a la louenge de Louïze Labé (page io4). Voy. notes 162 et suiv.

192. Le père de la lyre courbe ^ page 122.

Mercure, qui passe pour avoir inventé la lyre. Le poète le dé- signe ainsi d'après Horace (od. i, 10, 6) :

Curvseque lyrse parentem.

193. Quand celui qui iadis naquit

Dans la tour d^ ère in. . . , même page. Persée , fils de Jupiter et de Danaé.

194. Monté sur un cheual volant ^ même page. Pégase.

195. Mcsmement auprès de ce pont

Opposé viz à viz du mont , Du mont orguilleus de Foruiere , page 123. Ce pont est celui de la Guillotière, sur le Rhône, construit, ou du moins fondé par les soins du pape Innocent IV, pendant le séjour de sept années qu'il fît à Lyon vers le milieu du xiii.^

•4

210 NOTES.

siècle. La maison et le jardin de Louise Labe' en étoient fort peu éloignés. Le mont orguilleus de Foruiere est nommé Four- uiere (page 147) dans une note qui appartient aux anciennes éditions. Nous aurons occasion d'en reparler.

196. le ne say quelle belle jleur^ P^gc 1*23. Louise Labé.

197. Et qui uoit son sourcil bénin ^

V^oit le petit arc hebenin,

Dont jimour ses traits nous desserre ^ P^^g^ 124. Dorât a dit;

Sur l'albâtre d'un front serein Trace deux jolis arcs d'ébène.

198. - Celui qui jleure en la baisant

Son vent si dous et si plaisant ^ Fleure V odeur de la Sabee , page 125. Ces expressions présentent aujourd'hui un double sens désa- gréable, et rappellent presque l'énigme de l'abbé Beaugénie. Au fond, cependant, les idées sont gracieuses et délicates.

199. Et qui voit ses dens en riant

V^oit des terres de l'Orient Meinte perlette desrobee , même page. La Fontaine, dans le Différend de Beaux Yeux et de Belle Bouche :

Belle Bouche à toute heure étale des trésors: Le nacre est en dedans > le corail en dehors. Quand je daigne m'ouvrir, il n'est richesse égale. Les présents que nous fait la rive orientale , N'approchent pas des dons que ]& prétends avoir :

Trente-deux perles se font voir.

Dont la moins belle et la moins claire Passe celles que l'Inde a dans ses régions :

Pour plus de trente-deux millions

Je ne m'en voudrois pas défaire.

Belle Bouche ainsi harangua

200. - Celui qui contemple son sein

Large , poli, profond et plein,

NOTES. 211

Et voit son teton rondelet ^ J^oit deus petis gazons de lait, page laS. Ronsard, au i.^'' livre de ses Amours (sonnet ^o);

Que de beautez , que de grâces écloses Voy ie au iardin de ce sein verdelet Enfler son rond de deux gazons de lait Ou des Amours les flèches sont encloses!...

et au 11.® livre (sonnet 2) :

Vous avez les tetins comme deux monts de lait Qui pommelent ainsi qu'au printemps nouuelet Pommelent deux boutons que leur chasse enuironne...

201. Ou bien deus boulettes d'iuoire, même page. Marot (Épigr. 67, du beau tetiii) :

Tetin qui fait honte à la rose, Tetin plus beau que toute chose , Tetin dur, non pas tetin, voire. Mais petite boule d'ii^oire , etc.

202. Celui qui voit sa belle main , Se peut asseurer tout soudein D'auoir vu celle de V Aurore , même page. Ronsard dit à Marie (liv. il de ses Amours, sonnet 2) :

Vous auez de l'Aurofe et le front et la main.

et (sonnet 6):

De toy l'Aurore emprunte et sa iouë et sa main.

Les poètes grecs surnommoient l'Aurore rhododactulos , qui a

les doigts de rose.

2o3. Et cjui voit ses piez si petis , S^asseure que ceus de Thetis Heureas il ha pii voir encore, même page.

La beauté et la blancheur des pieds de Tht'tis étoient célèbres.

Homère appelle cette déesse la Déesse aux pieds d'argent, Thea

312 NOTES.

Thetis argurope za, Aconce , détaillant les charmes de Cydippe, dans Ovide (Heroïd. xx, 60), dit:

Et, Thetldl quales vis rear esse, pedcs.

204. y4 la prendre à la cheueluve ^ page 127. Cette allégorie ingénieuse est due, comme tant d'autres, aux anciens. Le statuaire Lysippe avoit ainsi représenté l'Occasion. Voy. le cxxi.^ Emblème d'Alciat, imité d'une épigramme de Posidippe dans l'Anthologie. Tout le monde sait par cœur ce vers devenu proverbe, qui exprime la même idée : Fi'onte capillata est, sed post Occasio calva.

205. Le Tems encore quelquefois

j4.dmirant ta grâce éternelle

Chantera d'une belle z>oijc

D' yluanson ta gloire éternelle ^ même page. Au lieu à.' éternelle , il faut évidemment lire immortelle au se- cond ou au quatrième vers. Nous avons parlé de Jean d'Avan- son, note i85. Olivier de Magny, son secrétaire, n'est pas le seul qui l'ait célébré. Presque tous les écrivains de ce temps-là le représentent comme le soutien et le protecteur de tous ceux qui cultivoient les lettres en France. Ronsard, en particulier, en donne cette idée en deux ou trois endroits de ses poésies.

MADRIGALE. (Pagei28.)

206. Ce madrigal italien n'est pas d'un amoureux transi: du moins il n'y manque pas à' ardeur, Ae flammes et àe feux. M. Pericaud aîné, qui nous a fourni la traduction suivante, a y conserver la chaleur de l'original :

Le premier jour que j'aperçus Louise;,

De tant de feu mon âme fut éprise

Que je pensai , quelle était mon ei-reur !

Voir à son comble une si vive ardeur;

Mais sa Leauté qui d'heure en heure augmente ,

Redouble encor l'amour qui me tourmente :

Las ! nnaintenant peut-il croître si peu

Que je ne sois tout de flamme et de feuf

NOTES. 2i3

ODE, (Page 128.)

207. Qui de langue plus diserte

Fait le Dfusagete orer, page i3o. Allusion au Débat de Folie et d' Amour , daixs lequel Apollon (désigné ici par le .surnom de Musagete ^ conducteur des Mu- ses) défend la cause de l'Amour contre Mercure, chargé de celle de la Folie.

208. Qui près d'eus peut sommeiller^

Comme elle, sur le Parnasse! même page. Expression empruntée du Prologue des Satires de Perse :

Nec in biclpiti somniasse Parnasso Memini , ut repente sic poeta prodirem.

L'ancien sclioliaste de Perse voit une allusion à un prétendu songe d'Eunius. Ce poète assuroit dans ses Annales, que l'âme d'Homère avoit passé en lui , et sa preuve étoit qu'il l'avoit rêvé sur le Parnasse.

209. Qui sortit , le coup donné ,

En armes j de la ceruelle , même page. Minerve qui sortit tout armée du cerveau de Jupiter.

SONNET A D. L. L. PAR A. F. R. ( Même page. )

210. Les lettres initiales A. F. R. seroient - elles celles à' Antoine Fumée Rapporteur! Voy. note 190.

211. Si de ceus qui ne font connue, qu'e?t lisant

Tes Odes et Sonnets, Louise, es honorée, même page. Toutes les éditions antérieures à la nôtre portent: et honorée, ce qui rend la phrase inachevée. J'ai cru devoir, pour la rendre régulière et complète, introduire dans le texte le léger change- ment â!et en es, qui ïne paroît être la leçon originale.

A, DAME LOYÏZE LABE, LA COMPARANT AVS CIEVS. (Page l3l.)

212. L'auteur de cette pièce n'a pas eu à faire de grands efforts d'imagination : car il s'est contenté de traduire une pièce latine de Jérôme Angerianus

2i4 NOTES.

Septem errant igues per cœli mobilis axes , etc .

Voy. page 221 du recueil intitulé : Michael Tarcli. MaruUus, Hieron. Angerianus et Joan. Secunclus, déjà cité note i3i.

DES LOVENGES DE DAME LOVÏZE LABE. (Page l32.)

21 5. Cette ode, la dernière et la plus longue des pièces faites à la louange de Louise Lahé , est peut-être aussi la plus remarquaLl e , soit sous le rapport des détails historiques qu'elle contient, soit même sous le rapport de la poésie.

2i4 Ls Dieu Delphique , même page.

Apollon qui avoit à Delphes un temple il rendoit des oracles.

21 5. Trop mieus que ce vieil Rommain

Ç)ui sa demeure ancienne^

La terre Saturnienne

Délaissa pour ta beauté, P^?^ l3o. Ce vieil Rommain qui avoit quitté l'Italie pour venir adorer Louise Labé, mais dont l'amour ne fut payé que de rigueurs, et qui mourut en Espagne, comme on le voit dans la strophe suivante, est probablement l'auteur des quatre pièces en vers italiens (pages 110, 111 et 128).

216. Ainsi que Semiramide^ page i54. Voy. note 58.

217. D'un roc de pins em,plumé, page l55. La note sur le mot pins , placée au bas de cette page : Aphérèse pour sapins, appartient aux anciennes éditions.

218. Ou comme Penthasilee, même page. Penthésilée, reine des Amazones, que Virgile (Enéide, I, 49^) met au nombre des guerriers venus au secours de Troye.

219. 2Ye demontroit rien en elle

Que d'ufi cheualier vaillant, page l36. La syntaxe exigeroit: JVe démontre rien en elle, les autres verbes qui précèdent étant au présent.

220. L^orguilleus Jlls de Clymene, page iZj. Prométhée, fils de Japet et de Clymène.

NOTES. îii5

5.21. V^n peu plus haut que la plaine, page iZj. La description du jardin de Louise Labe', qui commence à ce vers, mérite de fixer l'attention des lecteurs. C'est, à mon gré, un morceau plein de grâce et do poésie.

222. Du îuste Roy de Corcyre, même page. Alcinoiis : ses jardins ou vergers étoieut célèbres dans l'anti- quité, et tout le monde connoît la description qu'Homère nous en a laissée (Odyss. Vil). Martial coraparoit à ces mêmes jar- dins celui que Marcelia lui avoit donné ou conservé en Espagne : Hoc nemus, hi fantes, etc. (liv. xrr, Ep. 3i). J'en ai essayé au- trefois l'imitation, ou plutôt la traduction suivante :

Ces fontaines, ce bois, cette épaisse verdure.

Ce ruisseau qui promène une eau limpide et pure.

Ces rosiers qui deux fois se couronnent de fleurs

Dont celles de Pœstum envîroient les couleurs ,

Ces légumes exquis qu'épargne la froidure ,

L'anguille qui serpente en ces bassins riants.

Et cette blanche tour que, non moins blanche qu'elle,

Habite de pigeons une troupe fidclle.

Je les revois enfin après trente printemps !

D'une femme chérie agréables présents!

Aux plus riches trésors Martial vous préfère;

Vous êtes son empire, et si Nausicaa

Offroit de lui céder le jardin de son père :

J'aime mieux, diroit-il, celui de Marcelia.

Ailleurs (liv. Viii, Ep. Q'à) ^ le même poète a encore recours à cette comparaison en faveur de la serre chaude d'Entellus ( Voy. note 5i) :

Qu'on vante les jardins du sage Alcinoùs ! Les tiens offrent encor de plus rares merveilles. La pierre diaphane y protégeant les treilles Défend, sans les cacher, les présents de Bacchus. Ainsi brille un caillou dans l'onde transparente 3 Tels, à travers les fils d'un tissu précieux. Se tracent les contours d'une taille élégante. L'hiver même, ô combien l'art est ingénieux 1 De Pomone remplit la corbeille odorante.

2i6 NOTES.

Cette dernière imitation est de feu M. de Kérivalaîit, et m'a été communiquée par M. de Labouïsse, son ami et le légataire de ses ouvrages. La pierre diaphane dont il y est question, est celle quelles anciens appeloient specularis , ou pierre de miroir, et dont ils faisoient leurs vitres.

225. DV TRESNOBLE Ro Y DE FRANCE

Le croissant NEVVE ^C«OJ.f.y^iVC£', etc.,pag.l38. M. de Ruolz, Discours sur la personne et les ouvrages de Louise Labé (page 16), dit que ces six vers (formant inscription) « étoient sans doute l'ouvrage de la maîtresse du logis.» Henri II qui régnoit alors, avoit pour devise un double croissant. On trouve dans l'ode De l'Antiqviitc et excellence de la Ville de Lyon, par Charles Fontaine, parisien, Lyon, Jean Citoys, i557, in- 12 (page 18), une strophe que l'auteur adresse aux Lyonnois, et qui a beaucoup de rapport avec le passage, objet de cette note :

Ce beau croissant, tousiours croissant, Par sa vertu et influence Vous ira tousiours accroissant; Tous biens aurez eu affluence.

224. -Au jyieii en Inde inuoqué, même page, ABacchus, qui fît la conquête des Indes avec une armée d'hom- mes et de femmes portant, au lieu d'armes, des thyrses et des tambours.

225. V Oliue palissante

Qu^ jitJiene tant reclama, P^ge iSg. L'olivier, arbre consacré à Minerve, et que l'on disoit même avoir été produit par cette déesse, patrone de la ville d'Athènes. Le territoire de l'Attique étoit propre à la culture de l'olivier, et cet arbre y étoit très abondant.

226. Et la branche verdissante

Ç)il' jipolon iadls ayma, même page. Le laurier : on connoît la fable de Daphné changée en laurier par Apollon. Voy. Ovide (Metam. i, 4^1 et scq.).

NOTES. 217

227. La l'Arbre droit de Cibelle^ V^Z^ 1^9*

Le pin, consacré à CybMe. Voy. dans Phèdre la 17.® fable du livre III, intitulée : Arbores in deorum tulelâ.

228. Et le ceruerin rebelle

Au plaisir vénérien , même page. N'ayant trouvé le mot ceruerin dans aucun de nos dictionnaires, et ne voulant néanmoins rien laisser d'inexpliqué, j'ai recouru aux savants, soit par la voie épistolaire, soit par celle des jour- naux (voyez, entre autres, le Journal anecdotique de Castelnau- dary, 3.^ année, i.^*" semestre, n.° , et le Journal de Dijon et de la Côte-d'Or du 27 décembre i8?.3). Je n'ai reçu aucune réponse positive; mais diverses conjectures m'ont été commu- niquées. Parmi les personnes auxquelles je les dois, je citerai M. Charles Pougens, de l'institut, si profondément versé dans les antiquités de la langue françoise; M. le marquis de Chesnel, de la société d'agriculture de Montpellier, qui cultive d'une ma- nière très distinguée les sciences naturelles; M. de Labouïsse, si célèbre comme littérateur et comme poète, et que le culte des Muses n'empêche point de se livrer à des études plus sé- rieuses ; M. le docteur Vallot, un des membres les plus instruits de l'académie de Dijon, etc. La plupart de ces savants ont pensé que le cerverin étoit le gatilier commun, le vitex agtius castus de Linné. M. de Labouïsse croit même avoir lu quelque part le nom de cerverin, donné à un sirop qu'on préparoit dans les couvents avec les baies de cet arbuste. M. Vallot va encore plus loin: il indique l'étymologie de ce nom. Suivant lui, cerverin vient de cerberin (petit cerbère), en remplaçant le b par (^, sub- stitution très commune dans les langues du Midi. « Cette allu- « sion, ajoute-t-il , sera facilement sentie en s:; rappelant ver- « tugadin » (Petites Aifiches de Dijon du 16 janvier 1824). C'étoit, eu eifet, une opinion généralement a.loptée par les an- ciens, que Vagnus caUus étoit doué d'une vertu réfrigérante qui le faisoit compter au nombre des anti-aphrodisiaques les plus puissants. Quelques auteurs racontent que les Athéniennes se

2i8 NOTES.

disposant à sacrifier à Cérès dans les'Thesmophories, compo- soient pendant quelques jours leurs lits avec les feuilles de cet arbrisseau, pour se maintenir dans l'état le plus favorable à la cbasteté. Bayle (art. Thesmophories , rjm. B. ), doute que cet usage ait jamais existé, et fait voir que les dames d'Athènes ne pouvoient y avoir recours, sans avouer la foiblesse de leur vertu et leur incontinence habituelle; mais, que le fait soit vrai ou non, il n'est pas"^ moins certain que ceux qui l'ont rapporté, regardoient Vagnus castus comme rebelle au plaisir 'venerien . pour employer les expressions de notre vieux poète. Ce préjugé, car on prétend que c'en est un, a subsisté long-temps, et s'est même perpétué presque jusqu'à nos jours. Voici ce qu'on lit dans les Lyonnois dignes de mémoire, de l'abbé Pernrtti (tome II, page 179) : « M. Chomel (de Lyon, auteur du Dictionnaire éco- « nomique, mort en 1712) étoit un homme vertueux: il aimoit « les pauvres ; et, pour soulager ceux de sa paroisse, il établit « une communauté de filles, sous le nom de l'Enfant Jésus, de « St. Vincent et de Ste. Blandine : il leur avoit donné le secret « de la préparation de Vagnus castus, dont il vantoit souvent « les vertus. M. Villemot, curé de la Guillotière, impatienté « des éloges continuels que M. Chomel en faisoit, lui dit un « jour avec une brusque franchise qui lui étoit naturelle : Il « semble que vous vouliez rendre inutile la grâce du Sauveur. » D'après ces autorités , il est sinon prouvé , du moins très vraisemblable, que, comme le croient les personnes recomman- dables que j'ai citées, notre auteur désigne par le mot de cer- uerin, inusité aujourd'hui, le vitex agnus castus de Linné, 229. Auec Vobscure ramee

Par Phebe iadis formée

Du corps Cyparissien , P^g^ i59. Cyparisse, ami d'Apollon, ayant tué par mégarde un cerf au- quel il étoit très attaché, en eut tant de regret, qu'il pria les dieux de lui ôter la vie, ou de rendre sa douleur perpétuelle. Apollon le changea eu cyprès, qui dès ce moment devint le

NOTES. 219

symbole du deuil et le compagnon des affligés. On le portoit dans les pompes funèbres, et on le plantoit autour des tom- beaux.

200. D\in Warcisse qui s^arreste

Tout panchant le col sur l'eau, page l4o.

Narcisse, en s'admirant, mourut au bord des flots. Et, fleur, il semble encor se chercher dans les eaux.

( DoRAT, le Mois de mai , poème.)

Voy. Ovide (Metam. ni, 407 et seq.).

23 1. Estoit le iaune souci , même page.

Le nom de cette fleur vient de solsequium , parce qu'en effet, comme le fait entendre le poète dans les vers suivants , elle semble suivre le soleil: elle se ferme quand il se coucbe, et s'ouvre lorsqu'il se lève.

232. La aussi estaient Brunettes , page x/{l.

Les fleurs appelées Brunettes ne sont pas plus connues aujour- d'hui que l'arbuste qu'on uommoit cerverin. J'ai consulté les mêmes personnes, auxquelles j'avois demandé l'explication de ce dernier mot: suivant les unes, la brunette est la scabieuse pourprée oxi fleur de veuve, scahiosa atropurpurea , Linn. ; sui- vant les autres, c'est la petite consoude, brunella ou prunella vulgaris ; suivant d'autres enfin, c'est le cyclame d'Europe, cyclamen europœum , Linn. « Pour avoir la preuve que c'est le « cyclame, dit M. Vallot, il suffit de recourir à l'ouvrage, fort « ancien, il est vrai , de Mathieu Sauvage, Matthœi Sylvatici « opus pandectarum;onlit(fol.XLlil):j8rKmarta, hrumeria , vl. « hrunete , et (fol, XLIIII, cap. CXV) : Buthomarien, panis por- « cinus, d'où l'on conclut facilement cyclame (Petites Affiches « de Dijon, déjà citées ). » « Ce qui a pu faire donner le nom « de brunette au cyclame, dont les variétés sont si nombreuses, « ajoute encore M. Vallot, c'est la couleur de l'écorce des ra- « cines, et surtout le vert brun de la surface des feuilles de « cette plante. »

220 NOTES.

ti.ZZ, "— Mastis, damas , P^ge i/^i.

Ces deux noms de fleurs sont e'galenient ignorés de nos botanis- tes modernes. Le premier est-il, ainsi queleconjecturentMlVl.de Labouïsse et de Chesnel, le nom défiguré du pied d'alouette, en latin delphinium Ajacis! Mais nous verrons que le pied d'a- louette semble être désigné dans la stropbe suivante. N'est-ce pas plutôt, d'après l'avis de MM. Pougens etVallot, \q thymus mastichina^ Linn. , recherché pour son odeur aromatique, péné- trante et suave? « On s'assurera de cette détermination, observe « M. Vallot , en recourant à l'Histoire des plantes de Dale- « champ (tome ï, liv. Viii, chap. IV, pag. 769 et 770), on « lit: V^rai maron appelle en françois mastic, v> Le thymus mas~ tichina a, en effet, des propriétés analogues à celles du mastic: ce qui a pu lui valoir la même dénomination. Le retranchement du c, suivant M. Pougens, ne doit point arrêter, vu l'incertitude et le peu de fixité de l'orthographe chez les anciens poètes fran- çois. Il se pourroit, d'ailleurs, qu'au temps de Louise Labé, lee de mastic ne se prononçât pas, motif suffisant pour que, d'après le système d'orthographe suivi dans ses œuvres, on n'eût pas craint de faire disparoître cette lettre comme inutile. Quant aux damas , je me contenterai de rapporter l'opinion du savant médecin dijonnois, et parce qu'elle est très plausible, et parce qu'il indique et combat les autres conjectures qui ont été faites sur le même mot: «Datnas, c'est l'oreille d'ours , primula aiiri- « cula j Linn. : elle a reçu la dénomination de damas d'après « Fabius Columna qui, sous le nom d'alisma ou damasonium « Dioscoridis, avoit indiqué une espèce désignée aujourd'hui sous « le nom de primula palinuri. Quelques personnes voudront « peut-être que damas désigne la nielle, nigella damascena , « Linn. ; d'autres prétendront que damas désigne la rose musquée M de Damas, indiquée parDalechamp (Hist. gén. des Plantes, « tom. r, liv. II, chap. 2, pag. lo^), et rapportée par Lamark « au rosa alba , Linn. Mais, si elles veulent réfléchir sur la « strophe cette plante est citée, elles verront que Poreille

NOTES. 221

« d'ours s'accorde mieux avec les fleurs qui y soïit mention- « nées.» M. Vallot trouve enfin la confirmation de sa conjecture dans le nom de damas , donné à une sorte d'étoffe do soie, sur laquelle la lumière joue comme sur les corolles bigarrées de l'oreille d'ours, qui est, d'ailleurs, si connue et si recherchée des amateurs.

234. jiuec la Jleur f en laquelle Hiacinte renouuelle Son nom après son trespas, page l4l. Ces vers s'appliquent, suivant toute apparence, au pied d'alouette, delphinium Ajacis , Linn. Du moins, tous les botanistes s'ac- cordent à croire que le pied d'alouette est Vhyacinthus des an- ciens, ainsi nommé par les poètes qui supposoient cette fleur née du sang d'Hyacinthe, et suivant lesquels elle portoit la marque des gémissements d'Apollon, c'est-à-dire les lettres AI AT, ex- clamation douloureuse répondant à notre hélas. Il y avoit, à ce qu'il paroît, une autre espèce dihyacinthus née du sang d'Ajax, et portant aussi les mêmes lettres écrites (initiales du nom de ce héros). Suivant un savant premier ordre, cette dernière espèce seroit notre lis-martagon, et c'est mal-à-propos que Linné auroit donné au pied d'alouelte la dénomination, de del- phinium Ajacis. Voy. dans le Journal des Débats du 17 mai 1812, un article très curieux de M. Boissonade, sur les Prin- cipes de botanique, par Ventenat. En tout cas, le chantre de Louise Labé a eu tort de dire qu'Hyacinthe renouuelle son nom. dans la fleur née de son sang, s'il a entendu faire allusion aux lettres AI AI dont elle semble offrir l'image : ces lettres ne pourroient renouueller que le nom d'Ajax ; mais peut-être ses paroles ne signifient-elles autre chose, sinon que la fleur dont il s'agit étant appelée Hyacinthe, comme l'ami d'Apollon, per- pétue par le souvenir de ce personnage fabuleux, ■235. Du lieu ou fut renfermé Le monstre contre nature En Pasiphae formé y même page.

222 NOTES.

Du labyrinthe de l'île de Crète, dans lequel fut renfermé le Minotaure, monstre moitié homme et moitié taureau, des embrassements d'un taureau et de Pasiphaé, femme de Minos.

236. Titan , page i4i.

Le soleil, auquel les anciens poètes donnoient ce nom, soit parce qu'ils le croyoient fils d'Hypérion, un des Titans, soit parce qu'ils le prenoient pour Hypérion lui-même.

237. La forte Tritonienne

Fille du Dieu Candien, page 142. Minerve, fille de Jupiter, et adoré dans l'île de Crète (au- jourd'hui Candie). Elle portoit le surnom de Tritonia, Tritonis^ Tritogenia, du nom d'un fleuve ou d'un lac d'Afrique appelé Triton, sur les bords duquel ou disoit qu'elle étoit néeouavoit été aperçue pour la première fois, ou bien du nom de la nymphe Tritonis ou Tritonia, que quelques-uns lui donnoient pour mère.

238. Et la vierge Ortygienne

Seur du beau Dieu Cynthien , même page. Diane, sœur d'Apollon en même temps qu'elle sur la mon- tagne de Cynthie, dans l'île de Délos. L'île d'Ortygie, située près de Syracuse, à l'embouchure de l'Alphée, lui avoit été donnée par Minerve et Proserpine.

239. Et tout son corps il arrose

D\in tresgracieus repos , page 1/^5, Cette expression hardie est empruntée de Virgile :

At Venus Ascaa'io placidum per membra quietem

Inrigat

(-^neld. I, igr 2.)

et de Silius Italicus :

Oculisque quietem

Irrorat. , ,

(De Bello Punico, x, 355 6.)

C'est par la même figure que Valérius Flaccus (Argonaut. IV, 10) donne au sommeil l'épithète de liquidus :

. . . , Liquidiquc potentia somni.

NOTES. 223

240. Près du riiiage

Du Simoent Phrygien, page l43. Du Simoïs, fleuve de Phrygie.

341. Dont naquit le preux courage , même page. Éne'e, fils d'Anchise et de Venus. Venus le conçut et lui donna le jour sur les bords du Simoïs.

242. La Cyprienne , P&g6 i44'

Vénus, surnommée Cyprienne, Cyprine ouC'ypris, parce qu'elle avoit pris naissance de l'écume de la mer, près de l'île de Cb}'- pre, et que cette île lui étoit consacrée,

243. Tenant les •vermeilles roses

De sa bouche un peu descloses , même page. Je ne sais si le mot déclos a jamais été employé d'une manière aussi beureuse que dans ce passage et dans le commencement de l'ode suivante, qu'on me permettra de transcrire ici tout entière :

Mignonne , allons voir si la rose Qui ce matin auoit desclose Sa robe de poux-pre au soleil , A point perdu ceste vespree Les plis de sa robe pourprée , Et son teint au vostre pareil.

Las! voyez comme en peu d'espace. Mignonne, elle a dessus la place Las, las, ses beautez laissé cheoir 1 O vrayment naarastre Nature , Puisqu'une telle fleur ne dure Que du matin iusques au soir 1

Donc , si vous me croyez , mignonne , Tandis que vostre âge fleuronne En sa plus verte nouveauté. Cueillez , cueillez votre ieunesse : Comme à ceste fleur la vieillesse Fera ternir vostre beauté.

Anacrconse seroit-il exprimé autrement? Étoit-il plus gracieux?

224 NOTES.

EtMarmontel n'a-t-il pas raison d'appeler cette pièce, une jolie ode anacréontique ? Elle est cependant de Ronsard ( livre i ode 17).

244* Contre les dars de ton frère ^ P^gG li\S, Le poète supposant, comme on le verra plus bas, que Louise Labe' est née de Mars et de Ve'nus, en fait par une sœur de l'Amour.

245. '— Z«' Oiseau qiù présage ,

En chantant ^ sa proche mort , page 146. Le cygne qui, d'après la croyance des anciens, chantoit mélo- dieusement à l'approche de sa mort. Voy. note 8.

246. Auecques deus vaillans frères , même page.

Castor et Pollux, éclos avec Hélène de l'œuf dont accoucha Léda, épouse de Tyndare , après avoir eu commerce avec Jupi- ter cliangé en cygne. Castor étoit de la semence de Tyndare, et par conséquent mortel ; Pollux, de c;lle de Jupiter, étoit demi -dieu. Celui-ci partagea son immortalilé avec son frère Voy. note Sy. Le poète les caractérise l'un et l'autre d'après les idées des anciens.

Castor gaudet equis , ovo prognatus eodem Pugnis

( Horace , Sat. 11, i , 36.)

Tyndaridae fratres hic eques , ille pugil.

(Ovide, Fast. v, 700,)

247. Du cruel Roy de Bebrice , même page.

Les Bébrycieus étoient un peuple qui sortit de la Thrace pour s'établir dans la Bithynie. Sous prétexte de donner des jeux, ils attiroient les voyageurs dans une forêt, et les massacroient sans pitié. Amycus, leur roi, fut tué par Pollux et les Argo- nautes, auxquels ils avoient tendu les mêmes pièges.

248. Gradiue le fort , page 147.

Mars, appelé aussi Gradivus , du latin gradi , marcher, ou du grec cradainein , agiter une lance.

t

NOTES. 225

^49* ~~ ^'^ niont ou Ion me décore ,

Qui retient de moy son nom , page l47« Le mont ou la colline de Fourvière, qui domine Lyon, et l'on voit une église célèbre dédiée à la Vierge. Le poète devoit adopter l'étymologie qui fait venir Fourvière de Forum p^eneris, et qui suppose que Vénus y avoit un temple : cela convenoit à son sujet. Mais cette étymologie ne paroît pas être la véritable, et on croit généralement aujourd'hui que Fourvière est une al- tération de Forum vêtus , parce qu'il y avoit, sur le haut de cette montagne, une place publique ou marché construit par Trajan. C'est du moins ce que cherche à prouver le P. de Co- lonia (tome r, pages 1C9 et suiv.). Il fait voir qu'on ne Irouve ni sur les lieux, ni dans l'histoire, aucun indice de l'exislence de ce prétendu temple de Vénus. Quoi qu'il en soit, Maurice Sceve donuoit au nom de Fourvière la même origine que notre poète: le XCV.^ dixain de sa Délie est ainsi conçu:

Ton haiilt sommet, ô Aloiit à Venus sainte, ,

De tant d'esclairs tant de fois coronné ,

Monstre ma teste estre de sanglotz ceincte»

Qui mon plus hault tieiu^nt enuirouné.

Et ce Brouas te couurant estonné

De mes souspirs descouure la bruyne.

Tes aqueductz , déplorable ruyne ,

Te font priser par l'iuiure du temps.

Et mes yeulx secz de l'eau, qui me ruyne.

Me font du peuple, et d'elle passe-temps.

Jean-Isaac Pontanus, auteur d'un voyage dans la Gaule Nar- bonnoise, inséré parmi ses autres poésies latines, Amsterdam, 1654, in-12, décrivant en beaux vers la ville de Lyon, a adopté aussi la même tradition :

Singula miramur pontes et amœna fluenta, Vicinamque astris cingentia mœnia rupem, Qua Veneri îdalia; , sic. fert longaeva vetustas, Fundata est, veluti olim Eryclno in vertice, sedes. Fallorî an hanc quondam molitus Claudius ingens

i5

226 NOTES.

Indigena , atque Ulo quoque sese fassus AcMvîs Et magna ^neadum de slirpe et gente profectumî

« Nous admirons tour-à-tour ces beaux fleuves, les ponts qui « les traversent, et ces murailles construites sur un rocher « voisin des astres, où, s'il faut en croire d'antiques récits, un « temple fut élevé à Vénus, comme autrefois sur le mont Éryx. « Peut-être n'est-ce qu'une illusion; mais je crois que ce temple « fut l'ouvrage de Claude qui, dans sa patrie, voulut rappeler « aux Grecs qu'il sortoit de la noble race d'Énée. »

sSo. —Le lieu ou tu fus conçue

]Se fut vile ny château^ P^gG l47« Ce passage sembleroit annoncer que Louise Labé n'étoit pas née à Lyon même, mais dans les environs de cette ville.

25i. Lih autour sont ineintes plaines , etc., pages i47 et i/\S. Est-ce de la maison de campagne et des fonds que Louise Labé possédoit à Parcieu, que le poète veut parler? aSa. Marot y Moulin ^ la Fonte ine ^

Auec la Muse hauteine- 4|^k

De ce Sceue audacieus ^ 4|||^ ^^T

Dont la tonnante parole , Qui dens les astres carole ^ Semble un contrefoudre es Cieus, page i5l. Clément Marot, qui vint et séjourna à Lyon en i53o, i536, i537 et i538, ne put y connoître Louise Labé, qui n'étoit alors qu'un enfant, puisqu'elle étoit née en i5i6. Il étoit mort depuis onze ans, lorsqu'elle publia ses ouvrages. On ne trouve rien dans les oeuvres de Marot qui soit relatif à la Belle Cordière, quoique, d'après les vers qu'on vient de lire^ il paroisse l'avoir célébrée.

Les poésies et la personne de Moulin me sont inconnues, à moins qu'il ne s'agisse d'Antoine du Moulin, mâconnois, édi- teur des œuvres de Marot, de celles de Pernette du Guillet, de celles de Bonayenture des Périers, et auteur lui-même d'un

NOTES. 227

grand nomLre d'ouvrages en vers et en prose, dont la Croix du Maine et du Verdier indiquent les principaux.

Quant k la Fonte ine f c'est, je crois, Charles Fontaine, auteur de poe'sies dont plusieurs sont adressées à des Lyonnois, et dont il existe trois éditions, ou plutôt trois recueils, imprimés, le pre- mier à Paris, en i546, sous le titre de la Fontaine d'Amour, le second, en i555, sous celui des Ruisseaux de Fontaine, et le troisième, en i588, à Lyon, chez Benoît Rigaud, sous celui du Jardin d'Amour avec la Fontaine d'Amour. Le Magasin En- cyclopédique , année 1812 (tome vr, pages 35i-366), contient une notice intéressante dont ce poète est le sujet,- et qui est inti- tulée, Lettre à M. de B*'^* sur un poète du XVI.'^ siècle, qui a habité Lyon, et dont plusieurs ouvrages ont rapport à cette ville. J'ai lieu de croire que cette lettre est de M. Dugas-Montbel , de l'académie de Lyon, auquel nous devons la dernière et la meil- leure traduction d'Homère. Charles Fontaine, à Paris le i3 juillet i5i5, fut l'ami, le disciple, et le défenseur de Marot. Il eut pour femmes deux lyonnoises, qu'il désigne sous les noms de Marguerite et de Flora. Il épousa la première en i54o, et eut d'elle deux fils. Il la regretta vivement, et néanmoins il se re- maria avec la seconde au mois de février i544« Celle-ci étoit du village de Chaponost. Lui-même nous apprend ces circons- tances dans ses vers. Ilparoît que, par suite de ces deux établis- sements , il se fixa à Lyon, et qu'il y mourut, on ne sait pas au juste en quelle année ; il sembleroit cependant que ce fut postérieurement à i588, époque, comme nous l'avons dit, de la publication de son Jardin d'Amour.

Nous avons déjà parlé plusieurs fois de M-xurice Sève ou Scc\e, et de ses rapports avec Louise Labé (Voy. notamment pages Ivj etlvij). On trouvera d'amples détails sur ce poète lyon- nois, qui eut une grande réputation de son vivant, dans le P. de Colonia,. Histoire littéraire de Lyon (tome ir, pages Sio-Siy), et dans l'abbé Goujet, Bibliothèque françoise (tome XI, pages 44^- 452). Ses deux principaux ouvrages sont sa Délie , obiect de plus

328 NOTES.

haulte vertu , Lyon, Sulpice Sabon , i544) in-S.", et Paiis, Ni- colas du Chemin, i564, in -16, et son Microcosme ou Petit Monde, Lyon, Jean de Tournes, i562, in -4.° Joachim du Bellay célèbre Maurice Sceve dans deux de ses sonnets : dans le premier il lui donne l'e'pithète de Cygne nouveau; je trans- crirai ici le second, un des meilleurs du temps il parut;

Gentil esprit, oi-nement de la France, Qui d'Apollon sainctement inspiré T'es le premier du peuple retiré, Loing du chemin tracé par l'ignorance,

Sceue diuin, dont l'heureuse naissance

N'a moins encor son Rosne décoré ,

Que du Thuscan le fleiiue est honoré

Du tronc qui prent à son bord accroissancc^

Reçoy le vœu, qu'un deuot Angeuin , Enamouré de ton esprit diuin. Laissant la France , à ta grandeur dédie :

Ainsi touslours le Rosne impétueux. Ainsi la Sône au sein non fluctueux , Sonne tousiours et Sccue et sa Délie.

Beaucoup d'autres contemporains de Maurice Sceve l'ont pa- reillement vanté; mais Estienne Pasquier, Recherches de la France (vn, 6), tout en le plaçant à la tête des grands poètes qui parurent sous le règne de Henri 11, et qui « du commeuce- «< ment firent profession de plus contenter leurs esprits que l'o- « pinion du commun peuple, » le blâme d'avoir affecté trop d'érudition: « Le premier qui franchit le pas, dit-il, fut Mau- « rice Sceve, Lionnois, lequel ores qu'en sa jeunesse eust suiuy « la piste des autres, si est-ce qu'arriuant sur l'aage, il voulut « prendre autre train: se mettant en butte, à l'imitation des « Italiens, une maistresse qu'il célébra sous le nom de Délie, « non en sonnets (car l'usage n'en estoit encore introduit), ains « par dixains continuels, mais avecques un sens si ténébreux et

NOTES. 29.9

« obscur, que le lisant ie clisois cstre très content de ne l'en- « te;)clre, puisqu'il ne vouloit estre entendu. » La plupart des 449 dixains dont se compose la Délie de Maurice Sceve, sont, en effet, difficiles à comprendre, quoique du. Bellay, dont j'ai de'jà cite deux pièces à la louange de ce poète, l'appelle ailleurs,

Docte aux doctes esclercy.

Rien. n'est plus métaphysique que sa poésie, et plus hérissé de mots nouveaux bizarrement composés, de termes durs et de brusques transitions. L'épithète d'audacieus que lui donne l'au- teur de l'ode que je commente, lui convient donc à merveille ; mais le reste de l'éloge est exagéré. L'expression de contre- foudre qui y est employée, est très remarquable, 253. -— Comme d'un la Poésie ^

(^iii de l'onde sortira

Du petit Clan y dont la riue

Priuee de flots irez..,., page i5i. Quel est le poète désigné dans cette strophe, et dont les vers ont sans doute été placés parmi les Kseriz à la louenge de Louïze Labé ! d'après le pompeux éloge qu'on lui accorde, ce ne pou- voit pas être un poète vulgaire, mais un de ceux qui avoicnt alors le plus de réputation. Il habitoit les bords dn petit Clan, Cette indication peut -elle nous mettre sur la voie? Qu'est-ce que le petit Clan! très probablement la rivière appelée aussi le Clain y et dont les noms latins sont Clanus , Clanius , Cle- nis, Clitis ou Clenus. Les dictionnaires géographiques nous apprennent qu'elle arrose le Poitou; qu'elle a deux sources à la Yesse et à Pleuville ; que de serpentant vers le Nord oc- cidental, elle passe à Anche et y reçoit la Boulaye et la Dive, puis à Vivonne, elle reçoit la Vonne et plus bas la Miosson ; qu'enfin elle est jointe par une autre rivière à Poitiers, on l'a rendue navigable jusqu'à sa jonction avec la Vienne au-dessous de Senon et au-dessus de Chàtellerault. Ainsi , de toutes les villes qu'elle parcourt, Poitiers est la plus re-

23o NOTES.

marquable. Du vivant de Louise Labé, les lettres y étoicnt en grand cre'dit, et plusieurs littérateurs renommés existoient dans ses murs : deux, entre autres, qui n'y étoient pas ne's, y demeurèrent quelque temps. Le premier est Jacques Peletier duMans. On lit, en effet, dans l'abbé Goujet, Biblioth. franc, (tome Ti, page 3o9) : « Vers i55o, il quitta Paris, et séjourna « successivement à Bourdeaux, à Poitiers et à Lyon ; » et dans le P. Niceron, Mémoires (tome XII, page 867: « Il alla, vers « l'an i55o, à Bourdeaux, d'où il passa à Poitiers; mais n'ayant « pas trouvé dans ces deux villes cq qu'il souliaitoit, il se trans- it porta à Lyon , on il demeura quelques années et composa « plusieurs ouvrages. » Ne pourroit-on pas dès-lors supposer que l'ode dont il s'agit a été faite au moment Jacques Pele- tier étoit encore à Poitiers , et que c'est lui qui y est indiqué comme le poète dont les chants doivent faire le plus d'honneur à la Belle Cordière? Ce qui viendroit à l'appui de cette conjec- ture, c'est que nous avons de ce poète une ode à la louange de la ville de Lyon, terminée par un bel hommage à la beauté et au savoir de Louise Labé (Voy. note 260). Mais il existe des raisons à peu près semblables en faveur du second des littéra- teurs célèbres que nous avons désignés comme séjournant à Poitiers à la même époque. Je veux parler de Jean-Antoine de Baïf ( Voy. note 187). Jean- Antoine de Baïf passa une partie de sa jeunesse dans la capitale du Poitou. Il y étoit notamment lorsqu'il chanta sa Francine, à l'âge de 22 ans, c'est-à-dire, vers 1554 ; car il étoit à Venise, en i532. La scène de son églogue xiir, intitulée les Pastoureaux, faite, suivant toute ap- parence, vers le même temps, et dont il est lui-même un des deux interlocuteurs sous le nom de Toinet, est placée sur les rives du Clain; et Ronsard, vers le commencement de son églo- gue du Voyage à Tours, insérée dans le second livre de ses Amours , et il donne également à Baïf le nom de Thoinet, comme il se donne à lui-même celui de Perrot, s'exprime ainsi :

NOTES. iZx

Et ce Tholnet aussi alloît voir sa Francine > Qu'Amour en se ioiiant d'un trait plein de rigueur Luy auoit prés le Clairi escrite dans le cœur.

Enfin Baïf a, aussi bien que Peletier, chanté Louise Lahé, puisque, parmi \esEscriz à lalouange de cette dame, on trouve, comme nous l'avons vu, une pièce de lui, celle qui commence par ces mots, O ma belle rebelle ^ etc. (page 118). C'est donc bien vraisemblablement ou Jean-Antoine de Baïf, ou Jacques Peletier, que notre poète avoit en vue; mais lequel des deux? c'est ce que nous ne pouvons décider. J'ajouterai, puisqu'il s'agit du Clan ou Clain , une remarque relative à un poète lyonnois, et qui me fournira l'occasion d'un petit rapprochement : Guil- laume du Peyrat, de Lyon, nous a laissé un assez mince vo- lume, intitulé Spicilegia poética et Amorum libri lir, Paris, JérémiePérier, 1601, in-12. Il y célèbre (liv. I de ses Amours), sous le nom de Pyrrha (cacliant peut-être celui de Pierrette), une maîtresse née, comme la Francine de Baïf, sur les bords du Clain: c'est ce qu'on voit par la VL* pièce de ce livre (fol. 37 rect. ), on lit:

Félix Pictonis ora ter quatcrque , Félix Clane ter et quater, quieto Labens murmure, pervagansque rura, Rura Nereidum choi'is arnica , Queis primos tenera edidit puella Vagitus

liC quieto labens murmure de Guillaume du Peyrat présente la* même pensée que la riiie priuee de flots irez que notre poète applique aussi au Clain, ou, comme il l'appelle , au. petit Clan. 354. "— ^insi Laure , ainsi Oliue

V^iuent éternellement , page l52. Laure de Noves, immortalisée par Pétrarque. Olive, nom sous lequel Joachim du Bellay célébra sa maîtresse. C'étoit l'ana- gramme de son véritable nom: elle s'appeloit Viole, et étoit d'Angers. Les sonnets que du Bellay fit pour elle, eurent une

202 IXOTES.

grande réputation, et leur succès contribua beaucoup à mettre à la mode ce genre de po^'sie nouvellement importé d'Italie en France (Voy. note i35).

255. P^n Bouchet en façon telle

Met en mémoire immortelle De son ^nge le beau nom, page iSa. Jean Bouchet, auteur des Annales d'Aquitaine et d'un très grand nombre d'ouvrages poétiques devenus rares, à Poitiers en 1476, et mort en i55o (si c'est le même qui est nommé en cet endroit), avoit sans doute chanté une belle appelée Angélique.

256. De la couple Cynthienne , page l53. De Diane et d'Apollon (Voy. note 238).

257. Ainsi Hector à Enee

En un songe s' apparut y J^t la sienne destinée En songe il lui discourut , page l54. Voy. Virgile (Enéide, il, 270-297).

258. Celle harpe Mfthimrioise , même page.

La harpe H'Arion, de Methymne, ville de l'île de Lesbos.

25t). De celle bende lirique , même page. L'auteur entend sans doute par ce» mots les poètes que les an- ciens appeloient les neuf lyriques: Alcman, Alcée, Sappho, Sté- sirhore, 5bycus,Anacréoïï , Simonide, Pindare et Bacchylide. 260. JNos devanciers, les éditeurs de 1762 et l'éditeur de ABrest, ont placé parmi les Escriz a la louenge de Louïze Labé l'ode de Jacques Peletier,que nous avons indiquée (note 253). jVous ne les avons poi'it imités en cela, d'après la loi que nous nous sommes imposée de reproduire exactement les éditions ori- ginales , cette ode ne se trouve pas ; mais nous la donnerons ici : el'e est extraite des Opuscules en vers de Peletier, à la suite de son Art poëlique francois, Lyon, Jean de Tournes,, i555, in-S." L'ortliOi'rapht; bizarre qui y est suivie, est celle que l'auteur avcit a "o^^t;'e ; car on sait qu'à l'exemple du lyonnois Loys Meigiet, il voulut introduire dans l'orthographe une réforme

NOTES. 233

complette, et la faire quad>er, comme on le disoit alors, avec la prolation (prononciation) francoise.

 tOUÏZE LABÉ , LIONNOESE.

Mon eiir voulût qu'un iour Lion ie visse , A fin qu'a plein mon désir i'assouuisse ,

Altère du renom : l'ê vu le lieu ou l'impetueus Rône , Dedans son sein prenant la calme Sone,

Lui fôt perdre son nom.

l'è vil le siège ou le marchant étals Sa soee fine e perle oriantale,

E laborieus or : l'è vu l'ecrin, dont les Roes qui conduîset Leur grand'Armee, a leur besoin epuiset

Vn infini trésor.

l'è contamplè le total édifice , Que la nature aueques l'artifice

A clos e ammuré : l'è vu le plomi imprimant meint volume D'un brief labeur, qui souz les irez de plume

Vt si long tans duré.

l'è vu an fin Damoeseles e Dames , Plesir des yeus e passion des âmes >

Aus visages tant beaus : Mes i'an è vu sus toutes autres l'une > Resplandissant comme de nuit la Lune

Sus les moindi'es flambeaus.

E bien qu'el' soèt an tel nombre si bele> La beauté et le moins qui soèt au ele ;

Car le sauoer qu'ele à , E le parler qui soeueniant distile. Si viuemant anime d'un dous stile.

Sont trop plus que cela.

Sus donq, mes vers , louez cete Louise r Soièz, ma plume, a la louci soumise. Puis qu'ele à mérité,

?34 NOTES.

Maugré le tems fuîtif, d'être menee- Bessus le vol de la Famé ampannee A l'immortalité.

Cette pièce, comme on le voit, a besoin d'un commentaire. Le P. de Colonia, qui la cite dans son Histoire littéraire de Lyon (tome li, pages 544-5), l'accompagne de quelques notes que nous lui emprunterons, et que nous tâcherons de compléter.

l'è vu le siège ou le marchant étale , etc. , v. 7. La rue Mercière. Les m^archands de soie , les orfèvres , les joailliers , les passementiers habitoient alors de préférence cette rue.

l'è vil l'ecrin , ou les Roes qui conduîset , etc , v. 10. Le change, ou plutôt le commerce de Lyon, qui, dans des cir- constances difficiles , est venu au secours de nos rois et leur a fourni des sommes immenses,

l'è contemplé le total édifice y etc. , v- i3.

La ville.

l'è vil le plom imprimant rneint volume , etc. , v. 16. L'imprimerie. Celle de Lyon etoit célèbre. Le premier qui ait exercé cet art dans nos murs, est Guillaume Régis ou le Roy, que Barthélémy Buyer, conseiller de ville, y fît venir en 1476) et qu'il établit dans sa propre maison, située sur le quai de la Saône, près des Augustins. Dès ce moment, jusque vers le mi- lieu du XVIII.* siècle, et même plus tard, on vit une longue suite d'illustres typographes briller dans cette ville. On peut ci- ter, entre autres, Jean Treschel, Sébastien et Antoine Gryphe, Estienne Dolet, Henry Estienne, Guillaume Roville, Jean de Tournes, Thibaud Payen, Antoine de Harsy, les ArnouUet, Jean Temporal , les deux Frellons, Horace Cardon, les Anis- sons, Benoît Rigaud, Jean Huguetan, Jean et Hugues Barbou, Barthélémy Vincent, Bourgeat, Jullieron , Aimé Delaroche, Jean-Marie Bruyset, etc., etc. A l'époque vivoit Peletier, et long-temps après, les gens de lettres se renJoient en foule à Lyon pour y faire imprimer leurs ouvrages. C'étoit une des

NOTES. 235

branches les plus importantes du commerce lyonnois. Pcletier a donc trouvé un très juste motif de louange, et il a d'ail- leurs fort bien exprimé l'avantage d'une des plus belles inven- tions de l'esprit humain, en opposant, à la promptitude avec laquelle elle agit, la lenteur de l'écriture manuelle. Un poète du même temps, Charles Fontaine, que j'ai fait connoître plus haut (note sSa), a traité le même sujet d'une manière assez bizarre dans ces strophes de son Ode de l'antiquité et excel- lence de la ville de Lyon:

En mille maisons au dedans, Vn grand million de dents noires, Vn million de noires dents Trauaille en foires et hors foires ,

Sur estampe blanche mordans D'une mcrueilleuse morsure. Qui sans entrer auant dedans Dure sans fin et sans mesure :

Et se fait connoitre partout Ou le soleil se levé et couche , Auec honneur sans fin ne bout. Tant bien sa morsure elle touche.

Et les grans villes on y volt Au vif pour un grand tems empreintes : y revit (pour mort qu'il soit) Le Poëte et ses Muses saintes.

Aus visages tant heaus , y. ai.

Les dames de Lyon ont été autrefois renommées pour leur beauté, comme elles le sont encore aujourd'hui. Déjà au XV.^ siècle, Jean le Maire de Belges, dont la maîtresse étoit lyon- noise, placoit le temple de Vénus au conjluent d'^rar et Rho- danus (du Rhône et de la Saône), et-vantoit les visages ange~ liques des nymphes qui habitoient ce lieu. Érasme dit de la même ville : « Est illic mira formarum félicitas. » « Là, le «« beau sexe est remarquable par les formes les plus heureuses.»

«36 NOTES.

Marot, qui regretta si vivement le se'jour de Lyon, le célèbre également sous ce rapport; et parmi les nombreuses visites qui nous ont été faites par nos princes, il en est plus d'une à qui l'histoire n'assigne pas une autre cause.

Resplandissant comme de nuit la Lunct etCj y. a3,

......... Micat înter omnes

Julium sidus , velut inter igucs Luna minores.

( Horace , Od. i , 12 , 46—48. )

Pasquier (Recherch. de la France, vn, 6) se sert de la même comparaison , en parlant de M.^le Desroches de Poitiers ; il dit qu'elle « reluisoit à bien escrire entre les Dames , comme « la lune entre les estoilles. »

Et bien qu'eV soèt an tel nombre si bêle , v. aS. Expression purement latine, et qui rappelle le mimer is omnibus absolutus des anciens classiques.

HN DES NOTES.

GLOSSAIRE

DE LOUISE LABE

ET

DES POETES

QUI ONT ÉCRIT A SA LOUANGE.

INTRODUCTION-

U N Glossaire des vieux mots employés par Louise Labé a été jugé indispensable pour la parfaite intelligence de ses œuvres. Peu de personnes connoissent l'ancien langage, et, parmi celles qui le connoissent, la plupart n'en ont qu'une teinture légère, qui ne les empêche- roit pas d'être plus d'une fois embarrassées en lisant notre nouvelle édition, image fidèle, quant au texte, de celles qui ont paru du vivant de l'auteur, en i555 et i556. J'aurois pu me contenter de donner dans les notes l'explication des mots qui sont tombés en désué-

258 INTRODUCTION

tude 5 mais cette méthode n*eût pas eu la commoclité qu'offre un dictionnaire , oîi , grâce à l'ordre alphabé- tique , on trouve en un instant la solution des difficul- tés de ce genre, dont on désire l'éclaircissement. J'ai cherché à sauver la sécheresse presque inséparable de ces sortes d'ouvrages, au moyen de quelques citations choisies avec soin et discrétion dans les auteurs con- temporains, et de quelques remarques littéraires que j'ai glissées çà et là. Je n'ai pas regardé le travail qui m'étoit imposé, comme tellement sérieux, que toute espèce de digression me fût interdite : j'ai pensé, au con- traire , que de légères excursions dans le vaste domaine de la philologie m'étoient permises , ou du moins qu'elles me seroient pardonnées , pourvu qu'elles ne fussent pas trop fréquentes. J'ai ajouté presque a chaque mot l'in- dication des origines qu'on lui assigne, sans remonter toutefois trop haut, et sans me livrer à une discussion approfondie. L'étymologie est une partie importante de la lexicographie : elle détermine souvent, d'une ma- nière plus précise que toute autre explication, le vé- ritable sens , la véritable acception d'un mot *. J'ai indiqué enfin les anciennes expressions que notre lan- gue doit regretter, et celles que quelques-uns de nos auteurs modernes ont essayé de rajeunir.

On a sans doute remarqué que l'orthographe suivie par Louise Labé, ou plutôt par Jean de Tournes, mais

* C'est ce que fait sentir l'origine du mot même à'étymolo- gie : il est, en effet, tire de deux autres qui appartiennent à la langue grecque, etumos ^ vrai^ et logos, mot, diction.

AU GLOSSAIRE. a59

adoptée par elle, diffère essentiellement de Tortliogra- phe usite'e aujourd'hui : elle diffère même 5 en beau- coup de points , de celle qui e'toit alors le plus ge'ne'ra- lement observée. A cette époque , les Meygret et les Peletier * s'efforçoient de mettre en harmonie l'ortho- graphe et la prononciation ** 3 et on trouve des traces

* Louis Meygret avoit publie' les ouvrages suivants: 1." Traité touchant le commun usage de l'écriture Françoise, Paris, i545, in-S." ; 2.** le Menteur ou l'Incrédule de Lucian , traduit du grec : auec une escriture quadrant à la prolation Françoise, et les raisons, Paris, i548, in -4.°; 3.° Défenses touchant son liure contre les censures et calomnies de Glaumalis (de Vezelet, c'est-à-dire, de Guillaume des Autels), Lyon, i55o, in-8.°; 4.** Trettë de la Grammere Françoese , Paris, même année, in-4." ; 5." Réponse à l'Apolojie de Jaqes Peletier, Paris, Chrestien Wechel, même année et même format; 6,° et enfin, Réponse à la dézesperee Réplique de Glaomalis de Vezelet, transformé en Gyllaome des Aotels, Lyon, i55i, in-S.". Jac- ques Peletier du Mans avoit pareillement publié ses Dialogues de l'ortografe è prononciacion françoese , auec une Apologie à LoysMeigret, Poitiers, Enguilbert de Marnef, i55o, et Lyon, Jean de Tournes, i555, in-S."

** Peletier et Meygret n'étoient pas d'accord sur tous les points, et cela devoit être: le premier prononçoit le françois à la normande, et le second, à la lyonnoise. Avant eux, Geof- froy Tory de Bourges, en 1629, et Jacques du Bois, dit Syl- vius, en i53i, avoient déjà voulu réformer l'orthographe : ils alloient même jusqu'à proposer de nouveaux caractères. Voy. l'abbé Goujet, Biblioth. franc, (tome l, pages 80 et suiv.). On a fait dans le siècle dernier de senibhibles tentatives qui n'ont pas non plus fait fortune.

24o INTRODUCTION

de leurs innovations dans la manière dont Louise Labé écrit un grand nombre de mots. Je n'ai pas cru devoir les indiquer toutes dans le Glossaire, de peur de le grossir outre mesure^ mais, pour y suppléer, je vais faire connoître sommairement, avec autant d'ordre qu'il me sera possible , les différences générales qui existent entre l'ortliograplie de Louise Labé et l'ortlio- graplie actuelle. C'est l'objet principal de cette intro- duction. Je dirai même quelques mots sur les accents et sur la ponctuation *.

I. Louise Labé retranche souvent les lettres doubles : ainsi elle écrit, par exemple, avec un seul h^ abatre; avec un c, acointer^ acompagner^ acord ^ acuser ; avec jxne f^ afaire ^ afliger^ dificile ^ efet^ efrojant^ soufrir^ sujire i avec un ^, agrauer ; avf^c une /, AcJdle **, aliance ^ alumer^ Apolon^ il falut^fole (féminin de fol^nf gentllesse ^ gentile (féminin de gentil)^ mile (mille, nom de nombre), mole (féininin de mol)^ que- reler^ renouuelé ^ çilage ^ vile; avec une m, flame^ en- fiamer ; avec un/?, apas^ apeler^ laperçoy^ aprendre^ aproche ^ f râper ; avec une s^ Parnasien ***; avec un t^

* Ces observations empêcheront qu'on ne prenne pour des fautes d'inij^ression certaines manières d'écrire, d'accentuer et de paiictuer, contraires à l'usage actuel.

** Voy. ce mot dans le Glossaire.

*** Les grecs écrivoicnt de même Parnasos avec une seule s; mais cette lettre , dans leur langue , ne prenoit pas le son du z, lorsqu'elle etoit placée entre deux voyelles, et, pour parler comme les grammairiens , elle sijfluit toujours.

AU GLOSSAIRE. 241

atacher^ ataquer^ atendre^ atendrir^ atentet ^ atlrer ^ hatu^ permetez^ etc., etc. *

IL Elle retranche aussi comme inutiles, c'est-à-dire comme ne se prononçant pas de son temps, certaines lettres, telles que« dans saouler et Saune ^ qu'elle écrit soûler et Sorte ; h dans subtil^ qu'elle écrit sutil **; c dans acquitter ^ acquérir^ sçauoir ^ sçu^ qu'elle écrit aquiter^ aquerir^ sauolr^sh ; d duns piedy à pie; le 6?qui précède 1'^ dans certains pluriels, comme grans pour grands y vers pour verds ^ borsj brocars^ cliaus ^ piez^ regars y au lieu de bords ^ brocards^ chauds ^ etc. 5 l'e muet dans les mots suivants et autres semblables qu'elle orthographie quelquefois ainsi, soit dans ses vers, soit même dans sa prose : i emploiraj ^ il emploira ^ il ou- hlira^ vous otroiriez^ ie priraj-^ il remercira^paj-ment^*'* ^ durté y seurté (sûreté), assoir ^ i assois ; g dans cjne ^ dine ""^^^^ dinité ^ dinement ^ indine ^ indinacion ^ doits ^

* Le h, au contraire, est doublé clans robbe, robbon (petite robe), robber (dérober); VI dans controlleur, palle (pale), Pra- xitelle ^ roullant ^ salLement ; Vn dans Babilonne , Gorgonne; le p dans cappe , etc.

** Voy. ce mot dans le Glossaire.

***Ce retranchement de l'e muet, encore usité de nos jours dans quelques mots par les poètes, appartient à la figure que les grammairiens appellent syncope. Thomas Sibilet (Art poé- tique François, i548, in-8.", chap. Vi) vouloit qu'on lui donnât le nom à' apostrophe , parce qu'il metloit une apostrophe à la place de l'e retranché; il citoit les deux exemples suivants: pay'ras ^^onr payeras ^ loueras pour loueras,

^■A-A-k Peletier, en sou dernier liure de l'Orthographe et Pro- * 16

242 INTRODUCTION

pour cj-gne^ dignité^ dignement ^ indigne^ indignation ^ doigts; h dans ahit *, Itaque ^ Hiacinte ^ lut ^ Roue ^ au lieu à^ habit ^ Ithaque^ Hjacinthe ^ luth^ Rhône ; p dans tems^ passetems , printems^ au lieu de temps^ etc. , pront^ te^ domter ; elle ne met point d*^ finale (et en ceci elle se conforme à un usage qui existait avant elle et qui a subsisté encore long-temps après ) à la pre- mière personne singulière du présent de l'indicatif des verbes non terminés en e muet : ie conduis ie crein^ ie croj ^ ie choisi,^ iefaj^ ie meshahi^ie desten^ ie ten^ ie di^ ie me plein ^ ie sen^ ie sui^ ie voj ^ non plus qu*à l'imparfait des mêmes verbes , condui , crein , croy , choisi^ fay^ etc. 5 elle retranche quelquefois la même lettre à la première personne de l'imparfait: lalloy lauoj"^ 'lestoj- **5 elle omet le /final dans les pluriels,

« nonciation françoise, commande d'oster la lettre g des pa- « rôles esquelles elle ne se prononce, comme en ces mots (dit-il) « signifier, régner, digne : quant à moy, ie ne les prononçay « iamais qu'auec le g.» (Estienne PasQUIER, Lettres, livre ni, leltre 4? à M. Ramus).

* Remarquons, une fois pour toutes, que Louise Labe' n'est pas toujours constante dans sa manière d'écrire tel ou tel mot: par exemple, ce mot abit est écrit sans A dans un endroit de ses œuvres, et ailleurs il s'y trouve avec cette lettre : hahiz ou ha- bits (au pluriel).

** Louise Labé ne faisoit en cela que suivre la règle alors reçue. Ce n'est que par licence que Marot et quelques autres poètes mettoient une j à la fin des premières personnes des ver- bes: licence à laqielle Ronsard (Abrégé de l'Art poétique) don- nait son approbation, lorsque le verbe finissoit par une voyelle

AU GLOSSAIRE. 245

et écrit ainsi cours (courts), pars (parts), endrols (endroits), destruiz pour destruits^ escriz pour escrits, petis pour petits^ combaz pour combats^ etc.

III. Elle substitue certaines lettres à d'autres : a rem- place e dans ante ^ anté ^ panchant ^ çanger ; c est pour cju dans quelcun^ quelcune ^ quelcuns (quelques-uns)^ il est pour jdans celle (selle à monter à cheval), pour ss dans le subjonctif que ie face et dans l'infinitif e^aw- cer (exhausser), poxir t dans marcial^ pacience^ et gé- néralement dans tous les mots dont la terminaison était avant Louise Labé et est restée depuis en ^io/z ( confor- mément à leur étymologie latine), accion^ accepcion^ acusacion^ afeccion^ composlcion^ consommacion ^concep- cion 5 euaporacion , mencion , ocupaclon , perfeccion , recreacion^ sugeccion^ etc. * •, d est pour t dans il çid^ prétérit défini du verbe çoir ** ^ e pour a dans capiteine^

ou une diphthongue , et que le mot suivant commençoit de même, comme lallois a Tours pour i'alloy à Tours; ie parlais à madame , pour ie parloj- à madame ; mais que Thomas Sibilet (Art poétique françois , cliap. ix) avoit, quelques annres au- paravant, condamnce d'une manière expresse. Ou disoit aussi lestoye ou i'estoie ^ i^aimeroye ^ ie diroye ^ ie i'oudroye ^ impar- faits que Ronsard, à l'endroit cité, appelle de vieux verbes pi~ cards ^ et qu'il défend aux poètes de rejeter: « Car, dit-il, « plus nous aurons de mots eu noire langue, plus elle sera « parfaicte, et donnera moins de peine à celuy qui voudra pour « passetemps s'y employer. » On lit quelque part dans Louise Labé , ie pensoye,

* Dans un grand nombre délivres publiés dans le XVI.^ siècle, les mots terminés en tion sont écrits de cette manière.

** Voy. le Glossaire, au mot Vid.

244 INTRODUCTION

certein^ ne ^ contreindre ^ creindre ^ dedens^ dens ^ es criuein^ espouuenter^ fonteine ^ hautein^ ne ^ liumein ne ^ louenge ^ meint ^te ^melntenant ^ menger ^ pleindre reng^ renger ^ Rommein^ souuereln^ treine ^ trenclié veiner e , vilein , etc. ^ pour ai clans tu scez , il scet^cler ère ^ clerement ^ lesse (laisse, corde), per (une paire) espesseur^ gresse ^ tret ^ et pour œ dans euure ^ meurs seur ; ei pour e dans seicher , lameine , meine , pro meine ; eu pour â dans asseurance , seur ( sûr ) , as seur er s^asseurant ; jf ])Oiir ph dixns Jilozofe ^ N/nJe ^ trionfe trionfer ^ trofee ; g pour i consonne dans assugettir getter ^ magesté ^ oè^ci^ (ailleurs obiect)^ sugeccion suget ; i pour j^ dans abime^ bruiant ^ Ciprien^ egaier essaier^ ennuieus^ Hiacinte ^ la ville de Lion ^ Lionnois. lire , lirique , martire , mirte , pais , païsant ^ Satire (demi-dieu), tliin (thym), Zephire ^ Zopire ^ etc.^ o pour au dans poure ^ poureté ^ pourement ; oi pour oe dans descoifer ; q pour a dans /a^^( lacets), donq ^ onq^ publiq ^ quoy^ye (ailleurs cof^ye^ tranquille); s pour c dans garse (ailleurs garce ^ jeune fille), gar sonne au ^ farse^ persa (il perça), pinse (il pince), sep ^ simeterre^ soupson^ soupsonner ^ etc.*, ss pour c dans entrelasser ^ menasse^ menas ser ; s pour x dans les mots termines en eux ^ aux^ oux ^ soit singuliers, soit pluriels : aus^ animaus ^ cens ^cieus ^ cJious ^courrous ^ couteaus ^ deus ^ dous ^eus^ialous ^merueilleus^mieus ^ tupeus^ taureaus^ trauaus ^ etc.*, et dans les mots suivants: estreme ^

* Voy. le chapitre CIV des Observations de Ménage sur la langue françoise, Paris, Claude Barbin, 1672, in-i2. Ce eu-

AU GLOSSAIRE. 245

fauls ^ flus et reflus ^ pris ^ fitc, t pour d dans Von nCar tent (Ton m'attend), chaut ^ dlferent (différend ), il en- tent ^ il entreprent ^ froit ^ hazart ^ mignart ^ il prent ^ tart^ vieillart ; u pour eu dans ahruuer ^ lu^ tu uz ^ il ut ^ lajr 11^ tu as il ^ il ha h^ que lusse^ que tu usses quil ust ; f pour i dans lay ^ ayder ^ ajmer ^ ie feray louj (j'entendis), ie rendraj ^ ^'eyîïj' (ailleurs ie fais) ie crojr (ailleurs ie crois ) ^ ie say ^ ie voy ^ et autres semblables , et dans amy^ g^J'iJ'^-) ^^^Kv ^'^f:» ^^7 -^^5 mojne ^mysanthrope ^nj {\yéQ^^\^\.o\\) ^ proje^ roj^ rojne^ sjrrene^ trajtre ^ traj-trement ^ voye^ t^r<2^,j^e * ^ .spour ^ dans filozofe^ Lionnoize^ Louïze^ tufuz^ tu languiz, ie suizj ie çiz (ailleurs ie suj ^ ie vy)^ et à la fin des pluriels, par exemple, dinitez^ ennuiz ^ enseueliz ^ Hz (on trouve plus souvent i/j-), influz^ liez et uniz en- semble^ molz^ nuiz (nuïis) y parfumez y qualitez^ etc.**'^ z pour X dans dizième.

rieux chapitre est intitulé : « D'où vient qu'on e'crit par un x « deux, dieux, mieux, travaux, animaux, et autres mots sem- « blables. »

* K En beaucoup de dictions Vy grec est escrit plus par « coustume ou ignorance, que pour raison qu'en scust rendre « l'escriuain ou l'imprimeur.» (Thomas SiBiLET, Art poétique françois, chap. vut).

^^ Le z étoit, aussi bien que Vs , la marque du pluriel; mais on n'employoit pas indilTc'reniment l'une ou l'autre de ces let- tres. Voici une règle que donnoit à cet égard Bonaventure des Periers , règle qui néanmoins n'est pas toujours très scrupu- leusement suivie dans l'édition de ses œuvres, publiée après sa mort par Antoine du Moulin, mâconnois :

246 INTRODUCTION

IV. Avant Louise Labé et de son temps , on ne dis- tinguoit que par la prononciation \ i consonne de l'i Toyelle; il en etoit de même de !'«, du moins dans le milieu des mots; car, lorsqu* étant consonne , il setrou- Toit au commencement, on se servoit communément du f. Uu étoit encore moins distingué du ç dans les lettres capitales , ou plutôt il ne l'étoit pas du tout : pour l'un et pour l'autre, on ne faisoit usage que du V capital. Ainsi , on trouve , pour citer quelques exemples , dans les écrivains de cette époque : auare^ auec^desià (déjà), ialoux^ iamais ^ ieunesse^ iusques^ inlure ^ lespouuante y îe conuien ^ preuue ^ reuûe ^ ie treuue ^ suruenir^ tou- siours ^ etc. , et non avare ^ avec ^ jaloux^ jamais^ etc. ; IVPÏTER, VENVS, AMOVR, LOVÏZE , etc. , et non JUPITER, VÉNUS, AMOUR , LOUISE. On fait honneur h Pierre Ramus , ou de la Ramée , de l'invention du ç et du y , qu'on ren- contre, en effet, pour la première fois, dans sa Gram- maire latine, imprimée dès i557. u Mais, comme le a remarque l'abbé Goujet (Blbliotli. franc., tome i, u pag. 44)5 i^ f"^"^* convenir que le même Ramus n'a

DE z ET s.

A SES DISCIPLES,

Vous auez toiisiours S à mettre A la fin de chesque (sic) plurier. Sinon qu'il y ait une lettre Crestee au bout du singulier : Et quant E y ha son entier. Bonté vous guide à ses bontez: Si vous suyuez autre sentier, Voz bonnes notes mal notez.

( Recueil des œuures de feu Bonaventure des Periers, Lyon, Jean de Tournes, i544) in-S.", page 182.)

AU GLOSSAIRE. 247

« pas été constant à distinguer ces lettres consonnes « des mêmes lettres voyelles , et que Gilles Beys , li- « biaire à Paris , est proprement le premier qui , ayant u connu l'utilité de ces consonnes Ramistes, les em- « ploya dans l'édition du Commentaire de Claude Mi- ii gnault sur lesépîtres d'Horace j qu'il fit imprimer en <6 i584, chez Denys Duval. ?>

V. Le t euphonique que nous plaçons dans les in- terrogations entre le \erbe , lorsqu'il est terminé par une voyelle, et les pronoms personnels il , elle^ on , étoit inconnu. On disait et on écrivoit ; ayme il pour aime-t-il^ ha il^ ha elle pour a-t-il^ a-t-elle ^ ayme on pour aime- 1- on ^ fera il ^ fera elle ^ suffira il^ etc. Dans tous ces cas, et dans tous les cas semblables, on ne se servoit pas non plus du trait d'union qu'on n'a imaginé que postérieurement i ay ie ^ ha ce esté ^ ha lon^ dit on^ donnent elles ^ trouueront ils ^ etc.

VL Quelques adverbes composés conservoient dis- tincts dans l'écriture les éléments dont ils sont formés , et que nous confondons aujourd'hui. Ainsi, on écrivoit à fin pour afin , en fin pour enfin , ce pendant pour ce- pendant ^ au parafant pour auparavant ^ d^orenaçant pour dorénavant ^ par tout pour partout^ puis que pour puisque^ sinon pour sinon; et il en étoit d'autres, au contraire, on confondoit ce que nous distinguons maintenant : alencontre pour « V encontre ^ apart pour Il part^ aparsoj pour à part soi *. La particule amplia-

* On trouve aussi dans Louise Labé , à par, à par soy^ a par elle.

248 INTRODUCTION

tive très etoit toujours unie à Tadjectif auquel elle se rap- portoit, de manière à ne faire avec lui qu'un mot: très- gracieux ^ treshelle^ treshon^ tresmauvais ^ etc. Mesme s'unissoit aussi à moy^ /o/, soj ^ luj : mof mesme ^ toj- mesme , sojmesme , lujmesme.

Vil. L'emploi des lettres initiales majuscules etoit beaucoup plus fre'quent que de nos jours 5 il n'y a presque aucun passage de Louise Labé ofi il ne se trouve plusieurs de ces lettres que nous n'y mettrions pas ac- tuellement. Il n'existait aucune règle précise sur ce point , si ce n'est à l'égard des noms propres , des noms abstraits personnifiés, et des mots commençant une pbrase ou un vers, dont l'initiale étoit toujours une majuscule. Le même signe se voit quelquefois aux prin- cipaux mots d'une période, à ceux sur lesquels l'au- teur veut fixer l'attention du lecteur, à ceux qui sont pris dans un sens absolu, aux adjectifs qui indiquent le pays ou la nation ^ mais le plus souvent il est placé sans autre motif que le caprice de l'écrivain ou de l'imprimeur.

VIII. Les seuls accents employés dans les trois an- ciennes éditions de Louise Labé, sont l'accent aigu et l'accent grave : du moins l'accent circonflexe ne s'y montre-t-il que sur l'exclamation d, signe du vocatif. Mais l'usage de ces accents n'est pas toujours le même que celui qu'ils ont aujourd'hui. L'accent aigu rem- place souvent l'accent circonflexe, comme dans ces mots : hâté ^ ôtê ^ r eue tu , vêtement ^ il se çe't ; il a aussi un emploi particulier dans les interrogations ; il y est placé sur la dernière syllabe du verbe, lorsque ce verbe

AU GLOSSAIRE. ^49

est suivi du pronom personnel le : assemblerây îe ^ ây ie^ crois le ^ çéus ie. L'accent grave figure sur les pre'- terits en u: laj-pu^ lay sh^ laj çh. Beaucoup de mots sur lesquels nous mettons aujourd'hui des accents, n'en ont aucun •, tels sont les mots en ée : par exemple , ajmee ^ entrée ^formée ^ fumée ^ ramee ^ Enee ^ Orphée^ Promethce , trofee , Thesee ; les mots en ère , Homère , manière,, chère ^ mère ^ père ^ frère ^ première ^ seuere ; les adverbes et prépositions près ^ auprès^ après ^ ex- près^ tres^ ou (adverbe de lieu), etc.*, tels sont aussi les mots suivants: aliéné^ désir ^ désirer^ déclarer ou declairer ^ défendre^ caméléon^ égaler^ débat ^ edenté ^ Diomede^ libéral , misérable , présent^ priuilege , seiour^ véhément^ etc., etc., etc. Souvent 1'^ placée après un a ou un e tient lieu d'accent : creste (crête), desplaisir, empescher ^ escJiaper ^ eschaufer ^ escrire , espandre, espee^ espinette^ espouser , estre, estant,^ esté ^ lestoy ou i estais^ estrange^ esueiller ^ flesche^fresche (fraîche), gresle y Jionneste^ laschcr ^ lescher ^ mastin ^ mesler , mesme, mespriser, yoa^^e (pâte), resiouir ^ respondre ^ teste (tête) j trespas ^ etc. *. Mais es et as pour «, e ou

* LV suppléoit également l'accent circonflexe que nous pla- çons sur la dernière syllabe des verbes à la troisième personne singulière de l'imparfait du subjonctif: Qu'il aymast , qu'il dust , qu'il fust , qu'il sust^ qu'il vinst , qu'il ^>oulust , qu'il ust (eût), etc. La même lettre figuroit encore dans coustumcj acous- tumer, coste, costeau^ costé ^ hoste , hostesse , adiouster^ cleu.vies- me, ti'oisiesme , etc., oster^ hientost , plustost , etc. On trouve pourtant dans Louise Labé cote, coté, hôtesse, diziéme , oter, bientôt , plus tot^

25o INTRODUCTION AU GLOSSAIRE.

é ne sont pas constamment mis en usage par Louise Labë^ elle écrivoit presque toujours comme nous (et c'ëtoit alors, je crois, une nouveauté') : dédaigner^ détresse^ émoy ^ témoignage^ témoin^ etc., au lieu de desdaigner^ destresse ^ esmoy ^ tesmoignage^ tesmoin ou tesmoing^ qui, de même que les mots cite's plus haut et tous les autres mots semblables , n'ont cessé tout-à-fait de s'écrire de la sorte que dans le XVIII.® siècle.

IX. La ponctuation n'avoit pas atteint non plus le degré de perfection qu'elle a maintenant, quoiqu'il y reste encore beaucoup d'arbitraire; un de ses signes principaux éloit même absolument inconnu : je veux parler du point-virgule , qui n'a été inventé que long- temps après, et qui sert à marquer une pause plus forte que la virgule, mais moins forte que le point. La vir- gule, et plus souvent encore les deux points, en te- noient lieu.

Telles sont les observations qui m'ont paru néces- saires pour compléter le Glossaire de Louise Labé. Les exemples que j'y citerai , achèveront de faire connoître l'orthographe qu'elle a suivie , en même temps que les règles de syntaxe auxquelles elle s'est soumise, et le sens des mots dont elle s'est servie, dans tous les cas cette orthographe, ces règles et ces mots n'ont pas été conservés par l'usage , roi ou tyran des langues.

GLOSSAIRE DE LOUISE LABÉ.

A.

iAAGE , âge. Ce mot est du très petit nombre de ceux se trouvoit la diphthongue aa , tels que les noms propres, Aaron, JYausicaa , etc.; Chantons (aujourd'hui Châlons ^ ville), et baailler (bâiller), que l'on écrivoit ainsi , soit pour marquer que l'a y étoit long, soit pour le distinguer de bailler, donner, l'ac- cent circonflexe étant encore peu usité'. Thomas Sibilet (Art poétique François, chap. Vin) vouloit qu'on écrivît cage. Le neveu du célèbre traducteur d'Ablancourt , dans l'ingénieux badinage intitulé, Dialogue des lettres de l'alphabet, fait ainsi parler l'a devant 1' Usage et la Grammaire qui sont ses prin- cipaux interlocuteurs : «Quoique i'aye beaucoup d'autres plain- « tes à faire, tant contre les autres que contre luy (l'e), je « me contenteray de vous dire, pour ne point abuser de vostre « audience, qu'encore que je sois presque le seul qui ne cache « rien de mou aage , on m'en retranche maintenant une partie. « Je vous prie, est-il raisonnable que les e se trouvent quel- « quefois trois ensemble (comme dans créée'), et que les a ne « puissent marcher deux de compagnie?» ACERTENER, acertainer, assurer, du latin certus , certain, AcHiLE , Achille. Ronsard (liv. i, od. i^), et Desportes, Diverses Amours (pag. io5), ont dit Achil. Jacques Yvcr, dans son Printemps d'Yver, iSya, a écrit de même ce nom (fol. 4 recto, et fol. 48 verso).

ACOIWTER (s'), fréquenter, rechercher l'amitié, la familia- rité de quelqu'un, s'en approcher familièrement, et même trop

252 GLOSSAIRE

familièrement, comme le dit Nicod, « quotl modestis verbis « ajoute-t-il, de lasciviâ effertur. »

Qu'alors qu'elle s'acointa

D'Aiichise , pies du riuuage , page i43 ,

c'est-à-dire, que lorsqu'elle se livra à Anchise, près du rivage. Voy. M. Pougens, Archéologie Françoise (tome i, page 4).

ACORT, TE, adroit, habile, complaisant, doux, d'une hu- meur facile et agréable, de l'italien accorto. Nos poètes maro- tiques ont accueilli ce mot avec empressement :

Uue fillette accorte et bien apprise.

(J. B. Rousseau , Épigr.)

ACOVTRER, acoustrer, habiller, orner, ajuster, arranger, du latin ad, augmentatif, et cultuia , culture.

Adestrer (s'), s'adextrer, se dresser, se rendre adroit, ha- bile à, du latin dextra, main droite. Voy. Destrier.

AdONQ , adonques , alors, du latin ad tune.

Adresser contre (s') , s'adresser à. Tu t^ adresses contre lupiter, tu attaques Jupiter.

AfAIRE, affaire. Ce substantif est tantôt masculin, tantôt fé- minin, dans Louise Labé et dans les autres écrivains du même temps. V^ne personne dont plusieurs ont afaire , P^gc 4?) une personne qui se livre, qui se prostitue à plusieurs. Auoir afaire de , avoir besoin de.

AiNÇOis, mais, même, plutôt, au contraire, de l'italien anzi.

AiNS, mais. « Qui pourroit rendre raison de la fortune de « certains mots et de la proscription de quelques autres? A.ins « a péi'i : la voyelle qui le commence, si propre pour l'élision, « n'a pu le sauver; il a cédé à un autre monosyllabe (mais), « qui n'est au plus que son anagramme. » (La BruyIsre, Carac- tères, chap. i4, J-fs quelques usages).

Ainsi QVE, selon que.

AiOVRNER, adiourner, faire jour. Il aiourne , il fait jour, le jour commence. Ce mot, pris dans cette acception, avoit déjà

DE LOUISE LABÉ. 253

vieilli tlu temps de Pasquicr, puisqu'il dit (Reclicrch. de la France, 1. Vin, c. 3) : « Nous usons du mot adioumer^ quand « nous faisons appeller un homme en iustice par la semonce «< d'un sergent, le Roman de Pépin en a usé pour dire que le « iour estoit venu : qui n'e'toit pas trop malpropre : nous eu «< auons perdu la naïfveté, pour la tourner en chicanerie.» Joa- chini du Bellay (Illustration de la langue Françoise, 1. rr, c. 6), fait la même observation; il regrette également, au même cha- pitre, le mot anuiter, dont on s'étoit servi autrefois pour signi- ficv/aire nuit. Nous avons conservé un dérivé d'ajourner, dans le sens de citer en justice,' notre Code de procédure civile ap- pelle ajournement l'assignation donnée pardevaut un tribunal de première instance.

Alaigre, alègre, dispos, agile, vif, du latin alacer, d'où vient aussi allégresse. On en avoit fait également le verbe alaigrir. Du Verdier, art. Jean le Bon, cite un ouvrage de ce médecin, intitulé, Opuscule de Galien, à'alaigrir le corps, interprété enfrançois, Paris, Estienne Groulleau, i556, in-iG. Un auteur moderne a hasardé le substantif a/acriVe^ qui n'a pas encore reçu la sanction de l'Académie françoisc.

Alencontre, à rencontre, contre.

Aleiver, haleiner, respirer, souffler, exhaler.

Aliewé, privé de, du latin alienus , étranger, la chose dont vous êtes privé, vous devenant étrangère. J^n homme aliéné de son bon entendement. On dit encore aliéné d'esprit , esprit aliéné.

Aller. V^n aller pensif , une démarche triste. On rencontre fréquemment dans nos vieux auteurs des infinitifs de verbes pris substantivement, à l'imitation des Grecs et des Italiens : Le dormir acompngné de toux; un leuer pesant; le viure (la vie); le plorer. Louise Labé. C'est le iouir et non le posséder qui rend heureux. (MONTAIGNE.) Ce n'est pas la mort que ie crain, c'est le mourir. (Le même.)

Amiable, aimable, doux, gracieux.

Amiablement , d'une manière aimable, etc.

'^54 GLOSSAIRE

Amie (s'), sa mie, son amie. T'amie, ta mie, ton amie.

« Ces termes abrégés, s' amie, m'' amie, pour son amie, mon amie

« ont été par ignorance écrits eu deux mots sa mie, ma mie

« ce qui fait qu'on appelle mie la gouvernante d'un enfant :

« est votre mie, 7>oici votre mie, et qu'on nomme aussi

« mies les maîtresses des anciens paladins. Orianc étoit la mie

« d'Amadis; Magueloune, celle de Pierre de Provence, » (La

« MONNOYE, Glossaire bourguignon, v.° Caidémie.) Marot a

dit par une contraction semblable: M'' amour, f amour ^ s'' amour,

pour mon amour, ton amour, son amour ; ce dont il a été repris

par Thomas Sibilet (Art poétique françois, cliap. Vl). Louise

Labé a dit aussi m' amour (sonnet xvill).

AmoNICION, admonition, SiCXxon à' admonester, avertissement. « Il (M. de Vaugelas) a fort bien décidé qu'on prononçoit «c?- « monester et admonition , et Bèze , qui veut qu'on dise amo- « nester et amonition , se trompe assurément. » (MÉNAGE, Ob- serv. sur la langue franc. , chap. cxLiir.) La manière dont Louise Labé écrit ce mot, fait voir qu'elle le prononçoit comme Bèze. Voy. SVTIL.

Amovrs, Amour. L'i- n'empêche point que ce mot ne soit au singulier. La Monnoye a blâmé Benoît Court, auteur d'un com- mentaire sur l'ancien ouvrage des Arrests d'Amours, d'en avoir traduit en latin le titre par ces mots Arresia Amorum , tandis qu'il falloit Arresta Amoris ; Amours , à l'antique, étant un singulier pour Amour. Notes sur du Verdier ( art. Benoit Court).

Animant, animal, du latin animantes , animaux. ApAREIller, pré|iarer, accommoder, approprier, fournir. ApAROIR , paroître. S'aparoir, s^aparoitre , se faire voir, se montrer. Apparoir, infinitif, qui n'est plus usité qu'au palais, on a conservé aussi la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif employée impersonnellement, // appert , se disoit encore du temps de la Bruyère : « Ne faire qu'apparoir « dans sa maison. » Caractères (chap. vu , De la ville). Corn-

DE LOUISE LABÉ. 255

paroir, vorbc de la même famille, se maintient également au barreau.

ApARSOY, à part soi, en particulier. On trouve aussi à par soy, à par elle. Voy. Introduction, page 247*

ApAET , à pai t. Voy. ibid.

ApETJT, d, sir, volonté, Vapetit de quelque colère , page yi, au gré d'un mouvement de colère.

Ardentement, ardemment. Voy. note i32.

Ardre, brûler. Villon dit dans une ballade sur la mort de M.*^ Jean Cotard :

Prince , il n'eiist sceu iusqu'à terre crache?, TousJours crioit, haro la gorge m'arâ.

La Fontaine a copié le second de ces vers dans son conte du Paysan qui avoit ofifensé son seigneur:

Bref il n'en fut à grand'peine au douzième Que s'écriant, haro la gorge m'ard., . >

Ce verbe faisoit au participe passé, ars , arse. Maurice Sceve, dans sa Délie (dixain CCCXi , dont le sujet est l'incendie de Lyon, sous le règne de Néron):

Non (comme on dit) par feu fatal fut arse Ceste cité sur le moût de Venus : Mais la Déesse y mit la flambe esparse , Pour ce que malntz par elle estoient venuz A leur entente, et ingratz deuenuz. Dont elle ardit auecques eulx leur ville.

Enuers les siens ne sois donc inciuile Pour n'irriter et le filz, et la mère. Les Dieux hayantz ingratitude vile , Nous font sentir double vengeance amere.

« Ardr^ , au moral, n'a point d'équivalent (dans le langage « m-^di;rue); et il seroit si néce.ssaire ! » ( MarmOntel, Élém. de littér. , art. Usage). On peut dire à^ardre et de beaucoup d'autres mots que nous avons perdus, ce que La Fontaine a dit d'enseigner :

256 GLOSSAIRE

J'ai l'egret que ce mot soit trop vieux aujourd'Iiui: Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.

(Livre iv, fable ii.)

Areine, arène, sable.

Du large Rliin les roulantes areines,

( Élégie II.)

« Jules César, dans ses livres de l'Analogie, vouloit que le « mot arena ne fût pas usité' au plurier. Aulugelle ( liv. XV, « chap. 8) : C. Caesar in libris quos ad M. Ciccronem de Ana- « logia scripsit, arenas vitiosè dici existimabat. Nous disons c< arènes en vers fort éle'gamment. J'ay dit dans mon Pescheur :

« Et qui pourroit conter le nombre de mes peines» « Pourroit conter aussi le nombre des arènes.

« Les Italiens disent de mesme arène en poésie. Le Casa;

« Ma lasso me 1 per le déserte arène, etc. »

MÉNAGE ( Observ. sur la lang. fianc. , chap. CXLiv). Arène , avec le sens de sable ^ ne s'emploie plus qu'en poe'sie et au sin- gulier.

AriAdne , Ariane. Voy. note 44*

ASSEMBLEMEWT, unioii, assemblage, conjonction.

AsSEVRANCE , assurance.

Assez. Plus qu'assez , beaucoup. C'est un latinisme : les la- tins disoient de même, plus quant satis,

AsSVRER (s'), s'asseurer, être certain, assuré. M'asseurant ^ étant assuré. Asseuré , assuré.

Mais ie say bien et de tant ie m'assure.

( Sonnet XXI ) ,

c'est-à-dire, mais je sais bien et je suis si certaine. Atache, affiche. y

Atalaivta, Atalante. Voy. note 98. AtOVRNÉ, orné, du latin adomatus. AtropE, Atropos, une des trois Parques, celle qui coupe le

DE LOUISE LABÉ. sSy

fil de noire vie, comme l'exprime le fameux vers d'Eberhard de Béthune :

Clotho colum bajulat, Lachesis trahit, Atropos occat.

AvcvivEMENT, parfois, en quelque manière. AVCVNS, quelques, quelques-uns.

Phèdre étoit si succinct qvi'aucuns l'en ont blâmé.

(La Fontaine, liv. VI, f. i.)

AVECQVES , avec. Pcletier écrivoit aueques. En prose on disoit plus ordinairement auec ; on allongeoit ce mot d'une syllabe , par une licence poétique , lorsqu'on en avoit besoin pour la mesure : usage qui a subsisté long-temps après Louise Labé :

Autant vaudi'olt n'être auecque personne Que d'être avec Madame que voilà.

C La Fontaine, le Magnifique, conte.)

Ne nous associons qu'ai^ecque nos égaux.

(Le même , liv. V, f. a. )

Qu'on est digne d'envie

Quand avecque la force on perd aussi la vie.

(P. Corneille, le Cid, act. n, se. 7.)

Avenir, aduenir, arriver. On connoît l'ancienne et belle devise : Fais ce cjue dois ^ aduienne que pourra,

AVENTVREVS, EVSE, heureux. Avventuroso a le même sens en italien. Hasardeux , sujet aux aventures. « Aventureux « n'auroit-il pas du se soutenir à côté d'aventure!» (MarmoIV- TEL, Élém. de littér. , art. Usage.)

AVERSAIRE, adversaire. Balzac écrivoit aussi auersaire.

Avis. M'est auis, il me semble, je pense, je crois. Expres- sion conservée par le peuple.

Aviser, donner avis, avertir.

AVOLÉ, étourdi, qui ne prend conseil que de lui-même, du grec aboulés , qui est sans conseil, ou du latin advolare.

Av'ovs, avez-vous, par syncope. «Comme les Latins disent

«7

258 GLOSSAIRE

« sis pour si vis , ainsi les François au'ous pour aués vous. » (Muret, Commentaire sur les Amours de Ronsard.) AVTREFOIS, une autre fois, autrefois elle fera rire,

B ALLER, danser, du grec bal 16 , d'où les mots bal, ballet, baladin, ballade. On appelle dans plusieurs provinces yV^ej ba- ladoires , les fêtes patronales des villages, dans lesquelles il est d'usage de danser.

Il fut dansé , sauté , ^a/e.

( La Fontaine , Joconde , conte. )

.... Il sait danser , haler.

( Le même , liv. IX, f. 5. )

Baste, il suffit, n'importe, de l'italien basta , ou du latin bene stat.

Bende, bande, troupe. On trouve aussi dans Louise Labe bande comme nous l'écrivons actuellement. On jieut voir Pas- quier (Recherches de la France, liv. vni, ciiap. 5i, intitulé: « Du mot de bande , dont les François usent pour assemblée,-»^

Benivolence, bienveillance, bonté' affectueuse.

BesONGNE , affaire, occupation, travail. Faire leurs beson- gnes, faire leurs affaires, leur fortune, gagner de l'argent, s'en- richir. Il se prenoit quelquefois dans le sens vague que nous donnons en langage familier au mot chose ou à celui à' araire.

Vous chercherez vos besognes demain.

( La Fontaine , la Gageure des trois Commères.)

BesONGNER, qu'on a écrit aussi besoingner, besoigner, et en- fin besogner , s'occuper, travailler, faire de la besogne, de l'ila- lien bisognare. Besongner au point, page Q/\ , travailler au point.

Si cet enfant avoit plusieurs oreilles , Ce ne seroit à vous bien besogné.

( La Fontaine , le Faiseur d'oreilles , conte. )

Voy. M. Pou gens (Archéologie françoise, tom. i, pag. 6i et 62).

DE LOUISE LABÉ. aSg

BiZARRiE, bizarrerie.

BlAndissAtvt , flattant, caressant, du latin hlandiri. Voy. M. Pougens (Archéologie Françoise, tome i, page 63 et 64).

Blondissant, qui devient blond, qui tire sur le blond. C'est le participe présent du verbe blondir dontMarmontel (Éléments de littér. , art. Usage) a dit: «Quel goût assez bizarre auroit pu « rebuter blondir! » et qu'il a placé dans le vers suivant pour montrer l'heureux emploi qu'on en pourroit faire :

Les épis ondoyans commençoient à blondir.

L'auteur du Roman de la Rose, v. 22055, a fait usage de bien- doyer dans le même sens, ainsi que Ronsard (liv. I des Amours, sonnet Lxvr):

Vallons bossus et plages hlondoyanles.

Bois, le bois de la lance.

Porter la lance et bois faire voler.

(Elégie III.)

« Les anciens clievaliers appeloient bois, leurs lances. C'est en « poésie un terme de guene et de tournois... Leurs bois volè- «< rent en éclats. Et on disoit qu'ils portoient bien leur bois^ « lorsqu'ils couroient en lice de bonne giâce » (Diction- naire de Trévoux, au mot i?o/j-, Voy. aussi Matinées Sénonoises, pag. 373, n." 347.)

Bond (de premier), d'abord, de prime abord, au premier moment.

BOVLETTE, petite boule. Deiis boulettes d'iuoire, page laS. Boule, suivant Ménage, vient de bulla, bulle d'eau, à cause de sa forme sphérique et de la rondeur de la boule. Ce mot auroit produit à son tour celui de boulanger, s'il falloit en croire Sir Walter Scott, qu'on sera peut-être étonné de voir cité ici. Le célèbre romancier dit, en effet, dans son roman intitulé, Quen- tin Durward (voy. la traduction françoise qui en a été publiée à Paris, chez Ladvocat, 1823, 4 vol. in-12, tome i, page 71):

26o GLOSSAIRE

« Le pain étoit aussi blanc que délicieux, et avoit la forme de « petites boules, ce qui a fait donner le nom de boulangers à * ceux qui le préparoient. » Mais, d'après des autorite's plus respectables en matière d'étymologie, telles que celle du sa- vant président de Brosses (Traité de la formation méchanique du langage, èdit. de l'an ix, tome il, page i3o), le mot boulan- ger seroit de'rive' de polentiarius (qu'on a écrit polentj'arius^ y dont la racine est polenta , gâteau de farine, farine cuite.

BraNC, sorte de sabre ou d'e'pée, du mot françois blanc, à cause du brillant de son acier, suivant Le Duchat (notes sur Rabelais, Panlagruel, liv. IV, cliap. 34, not. i); ou, suivant d'autres, du \alin frangere , fractum ; la lettre / change'e en b. Ces etymologies me paroissent au moins douteuses.

Bravante , partie, présent fém. du verbe braver. Dans le xvr.^ siècle, le participe présent pouvoit se décliner, et no- tamment prendre la terminaison féminine , lors même qu'il étoit suivi d'un régime direct. C'est ainsi qu'on lit, page i5o :

Et tendrement gémissante La grand'cruauté d'Amour,

page 109 : yt D. Louise , des 3fuses ou première ou diziéme couronnante la troupe , et page 58 : S'adressnns tousiours à eus , et leur faisant -visage plus riant... Dans ce dernier exemple, le premier participe est décliné, et, par une bizarrerie remarqua- ble, le second ne l'est pas. Du reste, les exemples qu'on pour- roit citer de passages le participe est resté invai'iable, se- roient plus nombreux que les exemples contraires. Souvent Louise Labé, de même que les autres écrivains de son temps, donne la marque du pluriel aux participes se rapportant à des sujets féminins pluriels, sans leur donner la terminaison fémi- nine , comme : Tant de commoditez prouenans aus hommes , page 32; grandes chausses de laine venans a mycuisse , P^gc 35;

leurs afeccions estans plus grandes , page 60; les pour et tes

71 ayons la commodité de s'eslongner, .... chassans ^mour auec autre jimour, page 6S*

DE LOUISE LABÉ. 2G1

Brave, beau, bien paré. Nos paysans emploient encore le

mot hrave dans ces deux acceptions.

En étoit-il quelqu'une de plus bra^'e!

C La Fontaine , le Calendrier des vieillards , conte )

Briare, Briarée, géant fabuleux. Malherbe a dit aussi Briare

pour Briarée dans ses fragments :

Briare avoit cent mains. Typhon avoit cent testes.

Brief (d'où brièveté, qu'on écrivoit d'abord èr/e/ue^e) , bref, court. En brief, en abrégé, en peu de mots. Brovilliz , brouilleries, troubles, divisions. Brvnettes, sorte de fleurs. Voy. note a32.

C.

CanACE, Canacé. Voy. note 58.

Carme, vers, du latin carme/i , tiré lui-niémedu grec chairo, je me réjouis.

Caroler, danser, du latin chorus. Carole , danse. Videtur dici quasi choreola, NiCOD. Voy. M. Pougens ( Archéol. franc., tom. I, pag. io3, ) Caracoler vient peut-être de caroler.

Cas, condamnation, disposition d'un jugement. Si -vous or- donnez (f'.ielque cas contre Folie ^ page 4^, si vous prononcez quelque condamnation contre la Folie. Hasard, accident, événement, circonstance, p^ous aportant tousiours quelque cas de nouueau pour rendre 'vos banquets plus plaisans^ même page, fai- sant toujours naître quelque circonstance nouvelle pour rendre vos banquets plus agréables. Quelque cas d'importance , quelque affaire importante, quelque chose d'important.

Cavt, CAVTE, prudent, fin, rusé, subtil, du latin caw^M^f, d'où le vieux substantif cautele , et l'adjectir cauteleux dont nous nous servons encore dans le style comique ou familier. Le caut de son parler, page i3o, l'adresse, la finesse de soji langage.

Cavtement, prudemment, etc.

262 GLOSSAIRE

Ce. Ce pendant , cependant. On trouve souvent dans les an- ciens auteurs, ce temps pendant , dont ce pendant paroit être l'abrégé. Outre ce, outre cela. Pour ce, pour cela. ^ ce que , afin que. De ce vient , de vient.

CelVY, celle, ce, cette. Celle gentile Damoiselle, ■pa.^eil'jf cette gentille demoiselle. Celle harpe Methimnoise , page i54, cette harpe Méthymnoise. Voy. note 258.

CerimONIEVS , EVSE, cérémonieux. On disoit aussi cerimonie^ conformément au latin et à l'italien cerimonia. (Ménage, Observ. sur la langue franc., chap. liv. )

Cerne, rond, cercle, tour, du latin circinus , d'où cer/zer et cerneau,

Cerverin, sorte d'arbuste. Voy. note 228.

Cesser. Les ieunes Dames ne cesseront (jumelles nayent, etc., page 57, les jeunes dames s'impatienteront, n'y tiendront pas , jusqu'à ce qu'elles aient, etc.

Cestvy cy, geste cy, ou CETTE CY , cclui-ci, celle-ci. Chacvn, chaque. Chacun soudart estraoger, page i46. Cha- cun Prince la louoit, page i36. La Fontaine (liv. il, fabl. 30) a dit de même chacune sœur pour chaque sœur.'

Chaloir, se mettre en peine, s'inquiéter, se soucier. Il ne me chaut, je ne me soucie pas, je ne m'embarrasse pas, il ne m'importe. « Ce nieujc mot vient du latin calere ; et il est sur- « prenant que Ménage qui veut bien que non-chalant vienne de « non calens , ne veuille pas que chaland vienne de calens; quoi- « que le forum aleatorium calefacere d'Auguste dans Suétone, « soit proprement achalander un breland. » (La MoiNA'OYE.} Voy. NONCHALOIR.

Chapon. Se coucher en chapon le morceau au bec, proverbe dont j'ai donné l'explication, note /[6.

CharACTERE, caractère. Faiseurs de characteres , charlatans, qui font des caractères magiques.

Chef, tête, da grec képhnlé , suivant Henri Estienne, ou de l'italien capo , dérivé du latin caput , suivant Ménage.

DE LOUISE LABÉ. aGS

CiGNE. Voy. Cyne.

Cil, celui. « Cil a été dans ses beaux jours le plus joli mot « de la langue Françoise : il est douloureux pour les poètes qu'il « ait vieilli. » (La BbuyèRE, Caractères, chap. XIV, De quel- ques usages. )

CiRCE, Circé, habile magicienne, personnage fabuleux. «Ron- « sard, dans le Recueil de ses sonnets (sonnet 76), a dit Circe (comme Louise Labé) :

« Qu'on ne me vante plus d'Vlysse le voyage, « Qui ne vit en dix ans que Circe et Calypson;

« Et M. Gombaud, dans son Ode à M. Séguier, chancelier de « France :

« Arrière Circes et Méduses.

« Mais M. de Voiture a dit Circé:

« Quelle docte Circé, quelle nouvelle Armide , etc.

« On peut dire Circe en vers, comme nous l'avons déjà ob- « serve; mais en prose il faut dire Circé. » (MÉNAGE, Observ. sur la langue franc., chap. CLV. ) Aujourd'hui Circé a prévalu, et aucun de nos écrivains n'oserait dire Circe.

CiTRE, guitarre, du latin cythara.

Clan, rivière. Voy. note 253.

CleOpATRA, Cléopatre. Voy. note 80.

COLOMBELLE, diminutif de colombe , petite colombe. Marot a employé ce mot.

Combien QVE, bien que, quoique. Et combien quUl en pousse l'une , page Sy, et bien qu'il pousse l'une.

COMMAND (a Diev te), je te recommande à Dieu. C'étoit l'ancienne manière de dire adieu, répondant au Tjale des Latins. Les gens du peuple et les paysans s'en servent encore dans quelques provinces. Le salut, Vave ou. salve des Latins, s'ex- primoit par Dieu te garcl , Dieu -vous gard. Gard est un ancien mot, ou l'abrégé de garde, comme command' est pour com- mande , commendo. Je transcrirai ici une note assez curieuse

264 GLOSSAIRE

de M. Courier au sujet de la seconde de ces expressions: « Dieu « te gard. Ancien souhait ou salut. Molière : Dieu te gard , c< Cléanthis. Cette locution a été souvent méconnue par les « éditeurs de nos poètes. Dans un quatrain à la louange du « prince de Condé, chef des Huguenots, sous Henri iii:

« Ce petit homme tant joli , « Qui toujours cause et toujours rit, « Et toujours baise sa mignonne. « Dieu gard de mal le petit homme.

« Voltaire lui-même a cité Dieu garde mal le petit homme, « croyant que c'étoit une allusion à la mort de ce prince , qui « fut tué à Montcontour. Mais c'est une faute d'imprimeur. La « Fontaine, à la fin du conte des Troqueurs:

« Or n'est l'affaire allée en cour de Rome» « Trop bien est-elle au sénat de Rouen. « le notaire aura du moins sa gamme « En plein bureau. Dieu garde sire Oudinet « D'un conseiller barbon et bien en femme , « Qui fasse aller la chose du bonnet.

« Ces vers sont ainsi rapportés dans la nouvelle Vie de LaFon- « taine. Lisez, pour le sens et la mesure, Dieu gard sire Ou- « dinet , comme La Fontaine lui-même a dit: Dieu nous gard « de plus grand'] ortune. Faut-il s'étonner que les textes grecs « et latins soient altérés, quand nous voyons nos auteurs même « estropiés de cette façon (Pastorales de Longus, ouDaphnis et Chloé , traduction de Messirc Jacques Amyot , ^.^ édit. , Paris, in-8.°, notes, pag. 275.)

Comme, que. Aussi bien comme moy , aussi bien que moi, jiussi loin comme , aussi loin que. Autant de bien, comme mé- rite, etc. , autant de bien qu'en mérite , etc. Ainsi comme , ainsi que. Voy. le chap. CCXXXV des Observ. de Ménage, sur la lang. franc. , intitulé : « Si et aussi comparatifs, suivis de comme , » sont cités des auteurs qui se sont servis de la même locution beaucoup plus récemment que Louise Labé.

DE LOUISE LABÉ. 265

COMMVN, peuple, vulgaire, public. Le commun populaire , le vulgaire^ le peuple, la populace. Nous disons encore le com- mun des hommes y et un homme du commun.

Confort, aide, encouragement, consolation, soulagement. Il existoit à Lyon une chapelle de'diée à Notre Dame de Confort (^JYostra Domina Confortatrix) , qui ctoit à l'cntre'e de la rue St- Dominique, et qui fut de'molie à l'époque de l'ouverture de cette rue, en i562. C'est de que la place des Jacobins s'appeloit place Confort , et qu'une rue aboutissant sur cette place conserve le nom de rue Confort. On trouve ce mot dans le Dictionnaire de l'Académie, ainsi que les verbes conforter, déconforter et réconforter , et les substantifs déconfort et ré- confort.

CONGNOY (ie), du verbe congnoitre , je connois. CoNGBEGACioiv, rassemblement, attroupement. Il ne se dit plus que dans le sens d'assemblée ecclésiastique ou religieuse. CONQVERRE, conquérir.

Consistoire, assemblée. Le consistoire des Dieus , l'assem- blée des Dieux , devant laquelle a lieu le Débat de Folie et d^ Amour. La Fontaine (Belphégor, conte) appelle consistoire l'assemblée des démons. Ce nom ne se donne plus qu'à cer- taines réunions ecclésiastiques, c'est-à-dire, à celles du pape et des cardinaux pour les affaires de l'église, et à celles des mi- nistres protestants pour les affaires de leur religion.

Consommer, consumer, anéantir, détruire. Il ne signifie plus aujourd'hui que perfectionner ^ achever, terminer, excepté lorsqu'on l'applique aux denrées qui se détruisent par l'usage. Long-temps après Louise Labé, on s'en servoit encore dans le sens de consumer, au physique comme au moral. Ménage en cite plusieurs exemples (Observ. sur la lang. franc. , chap. GCx). J'y ajouterai le suivant : « Excepté la sagesse qui seule leur ou- « uriroit les yeux pour s'empescher de nourrir ce qui les con- « somme (comme le bois fait le feu). » (Printemps d'Yver, fol. 330 recto.)

liGÔ GLOSSAIRE

Conte j s. tn.^ compte. Faire conte de quelcun, compter sur quelqu'un.

Conté, comte, terre dont le seigneur porte le titre de Comte,

Contenances , plur. , gestes , postures, dispositions du corps. II n'est plus usité' qu'au singulier.

Conter, z>. a., compter. Le/? que nous mettons actuelle- ment dans ce mot et dans ses dérivés , ne se prononce pas ; mais il sert à faire distinguer compter, nombrer, de conter, ra- conter. Ces deux verbes, dont le sens est si différent, ayant une origine commune, on ne doit pas s'étonner qu'on les ait confondus : ils viennent l'un, et l'autre du latin computare , dont nous avons tiié aussi, mais plus directement, computer,

CoNTOVRNEMENT , contour, action de contourner. Du vif mourant contour nement des yeus , page 107.

CoNTREFOVDRE , seconde foudre, second tonnerre émule ou rival du premier. Contresenteur se lit dans un écrivain du même temps pour signifier une odeur destinée à neutraliser l'effet d'une autre.

CONTEGARDER, défendre, garder.

CONTREINDRE, contraindre. le contrein, ie contrcingnoy, con~ treingnant.

Converser, tj. a. , fréquenter, vivre avec, du \^^\nconversarî. Conuerser priuément et domesticjuement les personnes qu il ay- mera, page 4^.

COQVILLES. Ce n^est à moi à qui tu dois ^vendre tes coquilles, page 8, ce n'est pas moi que tu tromperas. On ne trouve l'ori- gine de cette expression proverbiale encore usitée, ni dans les excellentes Matinées Sénonoises de l'abbé Tuet, ni dans le Dictionnaire des Proverbes, publié en 1821.

CORAL, corail. Ronsard dans une de ses chansons :

Douce Maistressc , touche , Pour soulager mon mal , Ma bouche de ta bouche , Plus rouge que coral.

DE LOUISE LABÉ. 267

CORALLlN, de corail. Ta bouche coralline , ta bouche ver- meille comme le corail,

CoBDELLE , diminutif de corde.

Cornet, cor, cor de chasse, du latin cornu.

CovLOMNE, colonne, du latin cohimna.

COVLPABLE , coupable , de coulpe , du latin culpa.

Covp. A ce coup y cette fois. Tout à un coup , tout-à-coup, tout à la fois.

CovPLE, s. f. Ce mot est actuellement masculin. Voy. Mé- nage (Obscrv. sur la lang. franc., chap. Lxxiv).

CovRAGE , courage, cœur, du latin cor, auquel on ajouta

dans la basse latinité la terminaison agium , ou de cordis actio ,

ou de l'italien coraggio. M. de Maistre (Soirées de St-Péters-

bourg, 1821, in -8.°, tom. i, pag. 120 et 189) paroît avoir

trouvé ces étymologies trop vulgaires, et en donne une autre

que je crois plus ingénieuse que solide : « Etes-vous curieux,

« dit-il, de savoir comment nos ancêtres unissoient les mots à

«t la manière des Grecs? je vous citerai celui de courage, form.é

« de cor et de l'^ige , c'est-à-dire, rage du cœur, ou, pour mieux

« dire, exaltation , enthousiasme du cœur (dans le sens anglais

« de rage). Ce mot fut, dans son principe, une traduction très

« heureuse du thymos grec qui n'a plus aujourd'hui de syno-

« nyme en francois. Je disois en mon courage : Si le Roy s'' en

« allait, etc. (Joinville, dans la collection des Mémoires, etc.,

« tom. I.) Cette phrase est tout-à-fait grecque. Ego de en to

« thymo mou elegon, etc. Au milieu du XVI. ^ siècle, ce mot

« décourage retenoit encore sa signification primitive. Ze^/ozt/o/r

« du Dieu tout-puissant lui changea le courage (voy. le Sauf-

« conduit donné par le Souldan au sujet du Roi tres-chrestien,

« à la fin du livre intitulé : Promptuaire des conciles, etc. ,

« Lyon, de Tournes, \^/\Q , in-16, pag. 208). Cor, au reste, a

« fait cœur, en vertu de la même analogie qui de bos a fait bœuf;

«< de Jlos , fleur; de cos, queux; de votum , vœu; de uvum, œuf;

« de nodus , nœud, etc. » Toutes ces remarques sont justes,

268 GLOSSAIRE

excepte la première ; car je ne pense pas qu'on accorde facile- ment à leur auteur que le mot de rage soit pour quelque chose dans la composition de celui de courage. Courage se trouve dans les œuvres de Louise Labé avec le sens qu'il a dans les passages des Mémoires de Joiuville et du Promptuaire des con- ciles, cités par M. de Maistre.

COVRT, cour. Faire la court, faire la cour.

CovRTiNE , rideau de lit, du latin cortina.

COVSTVMIER, ERE, habitué, qui a l'habitude, la coutume.

COY, COYE, quoy , (juoye , adj.^ tranquille, paisible, en re- pos , du latin quietus.

CreINDRE, craindre. le crein, ie creingnoy, creingnant,

Crespes, bouclés, crêpés, du latin crispus,

Crespillon, boucle de cheveux, frison.

Croire (faire a), faire accroire. Ailleurs on trouve /«/re acroirc.

Croître (avec le sens actif), augmenter, faire croître, accroî- tre. On en trouve des exemples dans des auteurs beaucoup plus récents que Louise Labé :

Qu'à des cœurs bien touchez tardei* la iouîssance. C'est infailliblement leur croistre le désir.

(Malherbe.)

Mais la plus belle mort souille notre mémoire. Quand nous avons pu vivre et croître notre gloire.

( P. Corneille. )

CVIDER, penser, croire. Il cuida tomber, il faillit tomber. Le ciel et la terre cuiderent brûler, le ciel et la terre faillirent brûler.

Cydipee, Cydippe. Voy. note 84.

Cyne, cigne , cygne. Voy. Introduction, page 24 *•

CypARISSIEN, do Cyparissus. Voy. note 229.

DE LOUISE LABÉ. aôg

D.

Damas , sorte de fleurs. Voy. note 233.

Damofselle, demoiselle. Ma damoiselle ^ mademoiselle.

Davantage (au commencement d'une période), de plus, en outre. On disoit aussi dans le même sens, d^ abondant. (Voy. du Verdier, Kbl. franc., art. Philippe des Portes et passini.)

Declairer, de'clarer.

DEFArLLiR, manquer. S'il défaut, s'il manque; il defaudra, il manquera.

Defensable, qui peut être défendu, facile à de'fendre. On trouve aussi dans nos vieux auteurs défendable et defensible , indefensible , indéfendable et indef ensable, M. Pougens (Ar- che'ol. franc., tom. i, pag. 119 et 280-1) regrette le premier de ces mots.

Defobmité, difformité'.

Délivre, de'barrassé, affranchi, libre, délivi'é, dégagé.

DemevrANT, reste. Au demeurant de la face , au reste du visage. Le demeurant de mes cours iours, le reste du peu de jours que j'ai à vivre.

Mainte veuve pourtant fait la déchevelée.

Qui n'abandonne pas le soin du demeurant.

Et du Lien qu'elle aura fait le compte en pleurant.

( La Fontaine , la Matrone d'Èphèse. )

Au demeurant , adi>. , au reste. J. J. Rousseau a réhabilité cette ancienne expression, ainsi que quelques autres qu'il avoit lues dans Amyot et dans Montaigne, auteurs favoris de sa jeunesse. Avant lui, on retrouveroit ]^eut-êlre ditixciletneiit. au de/neurant dans un auteur moins ancien que Costar, qui s'en est servi dans sa Défense de Voiture, imprimée en 1664.

Demonstrance, démonstration.

Demovree, demeure.

Desarcjonîver en bas, désarçonner, mettre hors des arçons, jeter un cavalier par terre.

372 GLOSSAIRE

Nous n'employons plus ce mot qu'au singulier, et nous lui don- nons d'autres significations.

DlS<JORD, s. m., brouillerie, desaccord, discorde,

Onq ne mis noise ou discord entre amis.

(Elégie m. )

« Discord, dans ses trois sens, ne devoit-il pas être inse'pa- « rable de discorde; et ne devroit-ou pas dire encore un ca~ « ractère inégal et discord , des esprits di\>ers et discords , les « discords qui troublent le monde! » (MarmOIVTEL, Élcm. de littér. , art. Usage.) « Si l'on disoit :

« Ils ont de leurs discords fatigué l'univei's ,

« parleroit-on une langue étrangère? » (Le même, ibid.) DiSCOVRiR, 'V. a., raconter, narrer, exprimer par le discours.

Et la sienne destinée

En songe il lui discourut , page i5l[.

DiSCOVRS, narré, récit, scène. Le Débat de Folie et d'amour est divisé en cinq discours.

DiSCRECiON, distinction, différence, du latin discretio.

DONQ, donques f doncques , donc.

DoiNT, d'où. Dont est-il venu, que de Folie! page 54, d'où cela est-il venu, sinon de la Folie?

DOVCELET , diminutif de doux.

DovCEREVS, doux. Cet adjectif ne désignoit point, comme à présent, une douceur fade.

DovciNE, flûte douce, du latin dulcisonus,

Dovs, doucement. Tout dous , tout doucement. En dous cou- lant, en coulant doucement. On avoit fait de ces deux mots l'ad- jectif verbal doux-coulant: « La Poésie de Philippe des Portes « est doux-coulante. » (PasQUIER, Recli. de la France, liv. Vil, chap. 6) ; et le verbe doux-couler : « IJ me semble que quand « Ronsard a voulu doux-couler , comme vous voyez dans ses « Elégies, vous n'y trouuerez rien de tel en l'autre. » (Le MÊME, ibid.)

DE LOUISE LABÉ. ayS

DOVSONDOYANT , douxondoyant , mot composé de dous (doux) et ondoyant. Notre langue se ploie difficilement à ces composi- tions de mots, si communes dans la langue grecque, dont elles augmentoient la richesse; elle n'en admet qu'un très petit nom- bre. Ronsard, contemporain de Louise Labé, puisqu'il naquit un an plus tôt ou la même année qu'elle, a créé beaucoup d'ex- pressions semblables qui n'ont pas fait fortune, etqui même nous paroissent barbares. Je citerai, pour ne pas sortir des mots aux- quels l'adjectif f?o?fx sert d'élément, c/o«xame;(voy. ses Amours, liv. I, sonn. LXVn), et douxinhumain, dont il s'est servi plu- sieurs fois. Estienne Pasquier a créé douxâpre, dans le second livre de son Monophile. Lazare de Baïf a été plus heureux en formant le composé aigreuoux, qui lui survit encore, et que l'usage a définitivement sanctionné.

DovTER, craindre, redouter.

DVEIL, deuil.

DviRE , convenir, être au gré, plaire, instruire, conduire. Duit, dressé, instruit, du latin f/Mcere , venu lui-même du grec dokein. M. de Maistre (Soirées de St-Pétersbourg , tom. i, pag. 123 et 188) découvre plus de finesse dans la création de ce mot : «Voyez, s'écrie-t-il, comment nos ancêtres opérèrent « jadis sur les deux mots latins duo et «re, dont ils firent £?«tre, « aller deux ensemble, et, par une extension très naturelle, « mener, conduire... Charron a dit... : « Celui que je veux duire « et instruire à la sagesse (De la Sagesse, 1. il, c. V, n. i3).» « Ce mot naquit à une époque de notre langue le sens de « ces deux mots duo et ire étoit généralement connu. Lorsque « l'idée de la simultanéité s'effaça des esprits, l'action onoma- « turge y joignit la particule destinée en françois à exprimer « cette idée, c'est-à-dire, le cum des Latins, et l'on dit con- « duire. Quand nous disons aujourd'hui en style familier: Cela « ne me duit pas, le sens primitif subsiste toujours ; car c'est « comme si nous disions : Cela ne peut aller avec moi, m^ac- c< compagner j subsister à côté de moi; et c'est encore dans un * 18

274 GLOSSAIRE

«« sens tout semblable que nous disons : Cela ne me va pas, »

Se non è vero, è ben trovato,

E.

EbANOYER (s'), s^eshanoyer, s'égayer, se divertir. Voy. La

Monnoye (Glossaire bourguignon, x.'* Ehanée'). On lit dans un

yieux roman cité par Pasquier (Recherch. de la France, liv Vir,

chap 3) :

Quand li Roy ot mangié, s'appella Helinand, Pour ly eshanoyer commanda que il chant. . . ,

c'est-à-dire: Quand le Roi eut mange, il fît appeler Helinand, et pour se divertir lui commanda de chanter.

Ell', elle. Cette apocope n'e'toit permise que pour le besoin de la mesure.

Ti.IV sembloit parmi l'armée

Vn Achile, ou un Hector, pages i56 et IJ7.

On trouvera cependant elV ut ^ page 109, Ve muet s'élidant de lui-même, la suppression en devenoit inutile. Voy. la xxxiil.* et la LXV.^ remarques sur le Chef-d'œuvre d'un inconnu.

EmmANTElÉ, couvert, enveloppé d'un manteau, ou comme d'un manteau. Voy. M. Pougens (Archc'olog. franc., tom i, pag. 192). L'opposé de ce mot est démanteler, que nous avons conservé, et qui signifie abattre les murailles d'une ville ou d'' une forteresse. L'un et l'autre viennent de manteau^ autrefois mantel , les murs d'une ville lui servant comme de manteau,

Emmielevb, qui emmielle, qui amadoue, doux, doucereux, flatteur.

EmmvrÉ, entouré de murs. Peletier écrivoit ammuré. Empenné, garni de plumes, du Xdàin penna, Peletier écrivoit ampanné : ce qui fait connoître la manière dont il prononçoit ce mot. Empenné se trouve dans Rabelais (Pantagruel, liv. ir, chap. 16), et dans ce vers de Garnier (tragédie d'Hippolyte , 1573) , il parle de l'Amour :

DE LOUISE LABÉ. ayS

Il porte comme oiseau le dos empenné d'aisles.

C'est d'après ces auteurs que La Fontaine a dit :

Mortellement atteint d'une flèche empennée.

(Liv. H, fabl. 6.)

Empesché, embarrassé, ne sachant quel parti prendre. J^n

seul... est bien empesché alencontre de deus, P^g^ 9.

Employer (s'), faire son emploi, son occupation, s'occuper.

En. S^il en y ha, s'il y en a. A. Paruient en tel degré, par- vient à tel degré. Se fiant en toy, se fiant à toi. Peletier et Mei- gret écrivoient an.

EnamOVRÉ, rendu amoureux. Voy. M. Pougens (Archéol. franc., v.° Enamourer et s'énamourer, tom. I, pag. 164 et i65), Ronsard (liv. il, od. 16) a dit amourée pour amante:

Comme un taureau par la prée Court après son amourée .

S"" amouracher, usité aujourd'hui, n'a ni la même nohlesse, ni la même harmonie, ni tout-à-fait le même sens que s'enamou~ rer. Molière a créé le composé désenamouré.

Mais est-ce un coup bien sûr que voti*e seigneurie Soit désejiamourée, ou si c'est raillerie?

(Le Dépit amoureux, act. i, se. 4)

EncerCELÉ, entouré d'un cercle, ou comme d'un cercle.

EncharCtÉ, confié, mis à la charge de quelqu'un.

Enclîner (s'), s'incliner.

EnCORES, encore. « Comme les poètes ont souvent besoin « d'accourcir ou d'allonger les mots , il ont dit encor et encores; « les prosateurs, à leur imitation, se sont seivis des mesmcs « mots. Encores n'est plus en usage ny en prose ny en vers : « pour encor, il est toujours usité en vers. » (MÉNAGE, Observ. sur la langue franc., chap. xxxvii.)

Endroit, égard, point. En cet endroit, à cet égard, sur ce point, yd Vendrait de , à l'égard de.

276 GLOSSAIRE

Je suis ton Quinzica, Toujours le même à l'endroit de sa femme.

( La FoTiTAiNE, le Calendrier des vieillards.)

Et le peuple inégal à l'endroit des tyrans. S'il les déteste morts, les adore vivants.

(P. Corneille, Cinna, act. i, se. 3.)

Cette expression se trouve aussi plusieurs fois dans Molière.

EngeavÉ, inscrit, grave'.

EnrovillÉ, rouillé, dévoré par la rouille.

Enseigne, signe, souvenir. Marque d'amitié, chose qui rappelle l'objet aimé, du latin insignis,

Ensemblement, ensemble.

Enserpewté, garni de serpents.

Ensvivre (s'en), s'ensuivre.

EntortilloNNÉ , tressé , entortillé. Le vert entortillonnè , page 100, la couronne de verdure.

Entrepris, entreprise.

O féminin entrepris

De l'immortalité gage, page 129.

EpANIR, espanir, épanouir, sans doute du latin expandere. Erein, airain.

Erre , route , chemin , hâte , promptitude. Grand' erre , à grand' erre , à grande hâte.

Aucuns à coups de pierre

Poursuivirent le Dieu qui s'enfuit à grand'erre,

(La Fontaine , le Fleuve Scamandre, conte.)

Es, dans, en. JEs viles , dans les villes. Esquels ^ dans les- quels. Il est encore usité au palais. On l'a conservé aussi dans quelques locutions, comme dans maître es arts, jë'.t s'est dit par syncope, au lieu A' en les, comme des pour c^e les.

EsCHANGE, changement, métamorphose.

EsCLAVER, rendre esclave. Ronsard a dit : Esclauer ma li- berté. Esclauer se trouve aussi dans Montaigne (Essais, i, 29)^ et dans les poésies de Desportes.

DE LOUISE LABÉ. 277

EsCRTZ , écrits. Escriz de diuers poètes à la touenge de Louise Lnhé. On trouve ailleurs le même mot ainsi orthographié, es- crits. Voy. notamment page 3, ligne 21, et page 81, ligne 3.

ESLE , aile. On a écrit aesle , aele y aisle.

ESLONGNER, éloigner.

EsMOY, chagrin, peine, affliction. «Ne falloit-il pas laisser « à émouvoir y émoi! » ( MarmOISTEL, Élémens de littér. , art. Usnge.^

EsPANDRE , répandre. Espandre larmes, verser des larmes. Larmes espandues, larmes versées. Espandre son regard ^ regar- der, regarder au loin, autour de soi.

Je ne sais d'homme nécessaiie Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.

(La Fontaine, liv. vin, fabl 19.)

Voy. la note 4 ^^ M. N. S. Guillon sur cette fable dans son La Fontaine et tous les fabulistes, Paris, i8o3, 2 vol., in-8.", tom. Il, pag. i^j.

EsPESSEVR, épaisseur. On trouve espoisseur à-Ans d'autres au- teurs du xvi.^ siècle.

ESPLINGVE, espingle, épingle, du \a.ixn spinula '. «Il faut dire «< épingle. C'est comme on parle à Paris. Eplingue est de pro- « vince. » (Ménage, Observ. sur la langue franc., chap. cxl.)

ESPOVEISTÉ, espouuenté , épouvanté.

EspovVENTAble , épouvantable.

Estime, j. m., estime. En tel estime , page 32, en telle estime.

EsTOVR, ehoc, mêlée, combat, assaut, du latin, exturhatio; d'où vient, dit Borel, le mot estourdir, étourdir.

EstrANGE , adj. des deux g. , étranger , d'où le substantif estrangeté , qui a grande envie d'être réhabilité, et sur lequel on peut consulter M. Pougens (Archéolog. françoise, tom. f, pag. i84).

Estranger, rendre étranger, aliéner, changer.

Estreindre, saisir, serrer fortement en liant. Nous disons encore étreindre , étreinte ; mais ces mots ne sont pas des plus

276 GLOSSAIRE

Je suis ton Quinzica, Toujours le même à l'endroit de sa femme.

( La FoiVTAlNE, le Calendrier des vieillards.)

Et le peuple inégal à l'endroit des tyrans , S'il les déteste morts, les adore vivants.

( P. Corneille , Cinna, act. i, se. 3.)

Celte expression se trouve aussi plusieurs fois dans Molière.

EngeavÉ, inscrit, grave'.

EnrovillÉ, rouillé, dévoré par la rouille.

Enseigne, signe, souvenir. Marque d'amitié, chose qui rappelle l'objet aimé, du latin insignis,

EnsemblemEnt , ensemble.

EnserpejvtÉ, garni de serpents.

Ensvivre (s'en), s'ensuivre.

EntortîLLONNÉ , tressé, entortillé. Le vert entortillonné , page 100, la couronne de verdure.

Entrepris, entreprise.

O féminin entrepris

De l'immortalité gage, page lag.

EpANIR, espanir, épanouir, sans doute du latin expandere. Erein, airain.

Erre , route , chemin , hâte , promptitude. Grand' erre , à grand'erre , à grande hâte.

Aucuns à coups de pierre

Poursuivirent le Dieu qui s'enfuit à grand'erre.

(La Fontaine , le Fleuve Scamandre, conte.)

Es, dans, en. Es -viles , dans les villes. Esquels , dans les- quels. Il est encore usité au palais. On l'a conservé aussi dans quelques locutions, comme dans maître es arts. £".$• s'est dit par syncope, au lieu A' en les, comme des pour</e les.

EsCHANGE, changement, métamorphose.

EsCLAVER, rendre esclave. Ronsard a ait'. Es clauer ma li- berté. Esclauer se trouve aussi dans Montaigne (Essais, i, 29), et dans les poésies de Desportes.

DE LOUISE LABÉ. 277

EsCRIZ , écrits. Escriz de diuers poêles à la îouenge de Louïze Lnbé. On trouve ailleurs le inême mot ainsi orthographié, es- crits. Voy. notamment page 3, ligne 21, et page 81, ligne 3.

ESLE , aile. On a écrit aesle , aele , aisle.

EsLONGNER, éloigner.

EsMOY, chagrin, peine, affliction. «Ne falloit-il pas laisser « à émouvoir j émoi! » (MarmOIVTEL, Élémens de littér. , art. Usage. )

EsPANDRE , répandre. Espandre larmes, verser des larmes. Larmes espandues, larmes versées. Espandre son regard , regar- der, regarder au loin, autour de soi.

Je ne sais d'homme nécessaire Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien.

(La Fontaine, liv. vni, fabl 19.)

Voy. la note 4 de M. N. S. Guillon sur cette fable dans son La Fontaine et tous les fabulistes, Paris, i8o3, 2 vol., in-8.", tom. Il, pag. 147.

EsPESSEVR, épaisseur. On trouve espoisseiir Aaïis d'autres au- teurs du xvr.* siècle.

ESPLINGVE, espingUj épingle, du latin spinula i «Il faut dire « épingle. C'est comme on parle à Paris. Eplingue est de pro- « vince. » (MÉNAGE, Observ. sur la langue franc. , chap. CXL.)

EsPOVENTÉ, espouuenté , épouvanté.

EsPOVVENTABLE , épouvantable.

Estime , s. m. , estime. En tel estime , page 32, en telle estime.

EsTOVR, ehoc, mêlée, combat, assaut, du latin exturhatio; d'où vient, dit Borel, le mot estourdir, étourdir,

EsTRANGE , adj. des deux g. , étranger , d'où le substantif estrangeté , qui a grande envie d'être réhabilité, et sur lequel on peut consulter M. Pougens (Archéolog. françoise, tom. i, pag. i84).

EsTRANGER, rendre étranger, aliéner, changer.

EsTREiNDRE, saisir, serrer fortement en liant. Nous disons encore étreindre ^ étreinte; mais ces mots ne sont pas des plus

278 GLOSSAIRE

usités, quoique nous ayons conservé l'ancien pioverLe : Qui trop embrasse , mal estreint.

EsTVDE, soin, application, dans le même sens que le stu- dium des latins.

EWRE, œuvre. Ce substantif est tantôt masculin, tantôt fé- minin , dans Louise Labé. Il paroît qu'il avoit le premier de ces genres au singulier, et le second au pluriel. L'édition de i556, in-8.°, est intitulée : Euures de Loaïze Labé Lionnoize, reuues çt corrigées par ladite Dame ; et on lit dans l'épître dédica- toire à Madamoiselle Clémence de Bourges ; Ce mien euure rude et mal bâti; et dans le Débat de Folie et d'jdmour : L" euure fait par Praxitelle. Quant à la manière d'écrire ce mot, La Mon- noye (Glossaire bourguignon, v.° Euvre) remarque que « tous « nos livres , excepté ceux de quelques anciens et modernes ré- « formateurs de notre orthographe, ont toujours œuvre. Je ne «< sache, ajoute-t-il, qu'un petit in-8.*', imprimé à Lyon chez « Jean de Tournes, i555, il y ait euvre, tout le reste de « l'impression y ét^nt presque conforme à l'orthographe com' « mune. Le livre a pour titre : Euvres de Louise Labé. »

F.

Faillir et Falloir. Ces deux verbes dont le sens est bien différent, ont, dans Louise Labé, quelques temps qui leur sont communs. Il f aillait s'y trouve pour il f ail oit. Il faudrait signi- fie également il manquerait , et dans ce sens appartient au verbe faillir, et il seroit nécessaire , et alors il virent de falloir. Qu'ils f aillent , qu'ils manquent, ou qu'ils tombent en défail- lance. On ha failli, on a fait une faute. Ilfalut, il fallut. Qu'il fallust , qu'il fallût.

Famé, renommée, réputation, du \aiin fama. Il existe en- core des enseignes de marchands ou d'hôteliers, on lit : A la bonne famé. Nous avons plusieurs dérivés de ce mot, diffa- mer ^ diffamation, infâme, infamie ^ fameux^ Ce sont, comme

DE LOUISE LABÉ. 279

Voltaire le dit quelque part , des enfants qui ont perdu leur père.

FantASIE, fantaisie, imagination, du grec phantasia, dont la racine estphaino, je parois.

Farsevr, farceur, come'dien qui jouoit des pièces bouffonnes appelées /arcej, telles qu'étoit, par exemple, l'ancienne Farce de Maistre Pierre Patelin, faite, à ce qu'il paroît, du temps de Louis xr.

FeingnANT, partie, présent du \erhe feindre.

Félon, traître, rebelle, cruel, inhumain. « Pourquoi /e'/ore « et félonie ne se trouvent-ils plus que dans le Code crimi- « nel? » (Marmontel, Éle'm. de litle'r. , v." Usage,)

Femmelle , femelle , petite femme. Il paroît que ce mot n'avoit rien d'ignoble, etpouvoit se placer même dans la haute poésie.

Tant de flambeaiis pour ordre une femmelle .

( Sonnet ii , v. ii.)

Fiance, foi, confiance.

Fiancer, confier, promettre, donner sa foi. Se fiancer ^ croire, s'assurer, se confirmer, se fier.

F1LOZOFE, philosophe. Voy. Introduction, page 244*

FiNER, finir. Fineroit, finiroit.

Flevrer, flairer, sentir. Il signifioit aussi ex^a/er une odeur, témoin ce vers de Régnier (Sat. x) :

Qix'W fieuroit bien plus fort, mais non pas mieux que roses.

Flofloter, flotter tumultueusement, agiter ses flots. Pas- quier (Recherch. de la France, liv. Viii, c, Vi) n'oublie pas de citer au nombre « des mots qui par leur pronoTiciation represen- « tent le sonde la chose signifiée, que les Grecs appellent ono- « matopeies (onomatopées), » lefloflotter, « mis, dit-il, en usage « par les Poètes de nostre temps, pour représenter le heurt tu- « multuaire des flots d'une m.er, ou grande rivière courroucée.»

Flovet, fluet, mince, grêle, délicat, diminutif du vieux mot

280

GLOSSAIRE

flou, encore usité en peinture, peindre flou ^ peindre d'une ma- nière légère, délicate, tendre, mot qui peut avoir été formé du latin ^aere, couler, s'amollir, se liquéfier.

Fois (a), parfois, quelquefois. Plus de fois , plus souvent.

Fol, fou. Le plus presomptueus fol du monde, page lo. Fol ne se dit plus que lorsque le substantif qui le suitcommence par une voyelle, un fol amour, un fol espoir: il en est de ce mot comme il en a été de celui de vieil. Voy. Vieil. Il paroît, d'après un passage du livre de Théodore de Beze, De Francicae linguae recta pronuntiatione (i584), rapporté par Ménage (Observ. sur la lang. franc., chap. CXi), que, quoiqu'on écrivît /o^ et col, on prononçoit/oM et coït, comme nous le faisons maintenant, sauf quelques cas exceptés. Cependant Henri Etienne, dans ses Hy- pomneses de Gall. lingua (iSSa), citées au même endroit, re- gardoit cette prononciation comme vicieuse.

Font, fontaine.

Près la font se vint assoir , page il^i, c'est-à-dire, se vint asseoir près de la fontaine.

FoRCENER, devenir furieux, forcené, perdre la raison, de for, hors, dehors, et de sens. Ce mot a été employé par P. Cor- neille :

Je forcené de voir que sur votre retour

Ce traître assure ainsi ma perte et son amour.

( La Veuve , comédie, act, V, se. 9);

et, avec plus de bonheur, par Fénélon : « L'autorité du peuple « est une puissance foible et aveugle qui se forcené contre elle- « même, qui ne se rend absolue et ne se met au-dessus des « loix , que pour achever de se détruire. » Voy. M. Pougens (Archéol. franc., t. !, p. 207 et 208). Ce savant paroît n'avoir pas connu le beau passage de Fénélon que je viens de citer.

Fors, hors, hormis, excepté, si ce n'est. Le fameux mot de François l.^'': Tout est perdu , fors l'honneur, sera cause que de long-temps on n'oubliera le sens de cet adverbe. Tout le monde

DE LOUISE LABÉ. 281

sait que François i/*", après la bataille de Pavie, envoya à la duchesse d'Angoulême sa mère, régente, une lettre qui ne con- tenoit que ces paroles si e'minemment francoises. La princesse e'toit alors à Lyon, dans le cloître de St-Just. (Voy. Colonia, Hist. littér. de Lyon, t. ir, p. 5o6. )

FoRSAiRE, forçat.

Fort, fortement.

FORVIERE, Fourrière. On trouve leinlotForuiere, tanlotFotu- uiere , dans Louise Labé et dans les auteurs de son temps. C'est une corruption de For vieil^ Forum vêtus. Voy. notes 195 et 249.

Franchise, liberté. Oter la franchise , enlever la liberté. Droit d'asyle, asyle. Polluer la franchise , violer un asyle, un lieu de franchise.

FresCHE, fraîche, féminin de frais.

Freschement, fraîchement.

Froisser. Un des poètes qui ont e'crità la louange de Louise Labë, donne à ce mot plus d'énergie que nous ne lui en don- nons maintenant, puisqu'il dit:

Froisser tout le labourage, page i35. Froisser a été créé par onomatopée, à moins qu'il ne soit dé- rivé defessus ou fresus ^ participe passé du verbe Isitin f rende o. Il est très ancien dans la langue. Il paroît que c'est récemment que sa signification primitive s'est un peu affoiblie. On lit dans le traité de la Critique, par l'abbé de St-Réal (tom. iv de ses Œuvres, pag. 235) : « Je ne crois pas non plus que la faute « que font les Lyonnois en disant froisser , pour chijff'onner un « rabat , mérite qu'on y prenne garde, »

FviR. Louise Labé fait ce mot de deux syllabes : Ou sont fuiz tes coursiers furieus , page 75, e'est-à-dire, on se sont enfuis tes coursiers, etc. Pouuoir fuir par ce moyen ma flame , page 8a.

Cependant Sibilet (Art poétique franc., chap, vni) youloit que

282 GLOSSAIRE

dans ce mot ui fût une diphtonge (diphtongue). Malherbe a fait comme Louise Labé :

Ou fuir ou mourir.

Mais les grands poètes modernes , nos maîtres actuels , ne comptent dans/i«V qu'une syllabe:

Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains.

(Racine, Mithridate, act. V, se. 5.) Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avoit/at.

( BOILBAU , Epit. VI. )

G.

GAIGNER, gagner. La place qui parlemenle ^ est demi gai gnee^ pages 60 et 61. Comme on le voit, ce proverbe est ancien. ( Voy. l'abbe'Tuet, dans son curieux ouvrage des Matinées Sénonoises, pag. 277.) L'/ que nous avons retranché de galgner est resté dans gain, qui en est la racine. Dès le temps Théodore de Beze publia son traité De Gallicœ linguae recta pronuntiatione (i584), oiï prononçoit gagner ; il n'y avoit que les Picards qui continuassent de dire gaigner.

Gaillarde, s. /. , terme de musique et de danse. Espèce de danse ancienne qu'on dansoit tantôt à terre, et tantôt en ca- briolant, tantôt allant le long de la salle, et tantôt à travers. Onl'appeloit aussi Romanesque, à cause qu'elle venoit de Rome. Thoinot Arbeau, dans sou Orchésographie (Langres, 1696, in-4.°), dit que c'étoit une danse composée de cinq pas et de cinq assiettes de pieds que faisoient les danseurs l'un devant l'autre, avec plusieurs passages dont il donne la tablature, qui est de six minimes blanches et de deux mesures ternaires. (Dic- tionnaire de Trévoux, art. Gaillarde.) Voy. Pavane.

Garce, jeune fille. Du temps de Louise Labé, ce mot (ana- gramme de grâce) ne signifioit pas une femme de mauvaise vie^ çt n'ayoit rien de déshonnête. Quantum mutatus ah illo !

DE LOUISE LABÊ. 283

GargOVILLANT, murmurant. Le gargouillant ruisselet, page 116, le petit ruisseau murmurant. Gargouiller est actuelle- ment un des mots les plus ignobles de la langue.

Garniment, garnement. Ce mot ne s'emploie que précédé du mot mauvais. Du temps de Ménage (voy. ses Observ. sur la langue franc., chap. CCCLlIl), on disoit encore garniment dans les provinces.

GarsOIVNF.AV, diminutif de garçon , qui lui-même est un di- minutif de gars , petit garçon. On a dit aussi garsonnet ou gar~ çonnet. (Voy. M. Pougens, Archéol. franc., tom. 1, pag. 224.)

Génial, ALE, agréable, joyeux, divertissant, fait pour le plaisir, du latin genialis ^ dont la racine est Genius, divinité tutélaire, génie qui présidoit à la naissance. Chacun avoit le sien qu'il fétoit le jour anniversaire de sa naissance. Ce jour- on recevoitdes cadeaux, et on régaloit ses amis. Ou lit dans Perse (Sat. V, v. i5i) : Imhdge Genio, donnez-vous du bon temps, divertissez -vous. Voy. note 102. M. Pougens a trouvé génial digne d'être réintégré dans le langage moderne, et l'a employé dans cette phrase de ses Contes du vieil hermite de la vallée de Vauxbuin, Paris, 1821, 3 vol. in -12, tom. ii , pag. 110, lign. i3: « Que d'esprit! que d'idées pures et génia- « les! s'écria Alfred. »

Génie, le dieu Genius. Voy. le mot précédent.

Genné, tourmenté, mis à la gêne, à la torture. On disoit primitivement géhenne ^ du mot gehenna, la gêne, l'enfer, em- ployé dans la Bible, et venu de Gehennon (vallée A'Enna), vallée près de Jérusalem, l'on avoit brûlé des victimes hu- taaines, et qui devint ensuite une voirie. (Voy. Pasquier, Re- cherch. de la France, liv. Vm, chap. 3i.)

Gent , TE, aimable, agréable, joli, mignon, gentil. Les poètes marotiques en font souvent usag -.

Gentile, féminin de gentil, gentille. Le mot gentil, em- ployé dans le sens de laborieux ^ actif ^ diligent , est un lugdu- nisme.

284 GLOSSAIRE

Gentilesse , gentillesse.

Gerion, Géryon, gc'ant fabuleux. Voy. note loo.

Getter, ietter, iecter, jeter. Calculer, compter, d'où le moi gecton , ieclon, jeton. «Les anciens se servoient pour comp- « ter de petites pierres qu'on appeloit calculi (de nos mots « calcul, calculer) ; elles furent rcmplace'es à Rome par des « jetons d'ivoire. Le mot jeton vient, à ce que dit Ménage, du « m.ot j'actus , action de les jeter, ce qui avoitlieu en faisant les « comptes *. Saumaise les appeWe Jactones. Sous Louis xir, « les jetons servoient eucore à compter, ce que prouve un jeton « de Louis XII, dont la devise est: Qui bien iettera, son conte « trouuera. Les rois, les princes, les seigneurs, les difFé- « rentes corporations firent frapper des jetons pour cet usage; « mais l'art de compter s'e'tant perfectionné, les jetons n'ont « plus servi qu'à payer honorablement le droit de présence dans « les réunions de diverses sociétés. Les académies ont eu aussi « leurs jetons, et les tables de jeu ont réuni tous ces jetons de « différentes dénominations. » Cette note est extraite du jour- nal de Dijon et de la Côte-d'Or (n.° du 23 octobre 1822), jour- nal rédigé avec soin, dans lequel M. C. N. Amanton insère de temps en temps d'excellentes recherches philologiques et bio- graphiques, sous le titre de Lettres bourguigonnes.

Gettevrs de points, faiseurs de calculs magiques et as- trologiques.

GlASSER, glisser; se glasser, se glisser.

Mercure aucntureus

De ciel en ciel, de lieu en lieu se glasse.

(Sonnet XXII.)

« Tout ainsi que Sannazar Italien en son Arcadie , fait parler

* a Jet, suivant le Dictionnaire de l'Académie , se dit du calcul qui se fait « par les jetons ( Calculer au jet...)

« Jeter» calculer avec des jetons. (Jetez ces sommes-là,,.. Je les ai je- « tées , et j'ai trouvé qu'elles montent à... Appi'endre à jeter. ) »

(Note de M. C. N Amanton.)

DE LOUISE LABÉ. 285

« des pasteurs en prose, dedans laquelle il a gîassé toute sa « Poésie Toscane : Aussi a fait le semblable nostre Belleau dans « sa Bergerie. >> (Pasquier, Rechcrch. delaFrance, 1. Vir,c. 6.) Classer y dans ce sens, vient de glace, parce qu'on glisse sur la glace, ou bien ce verbe, de même que celui de glisser, qui le remplace aujourd'hui, n'est qu'une simple onomatopée,

Gnidien, Cniditn, de Cnide. Voy. note 86.

Gradive, Gradivus, surnom de Mars. Voy. note a48.

GrASSELET, diminutif de gras , grasset, un peu gras.

Grief, grave, sévère, rigoureux, du latin gravis.

Gverroyevr, guerrier.

GviDE , s. f., ce qui sert à guider, à conduire, bride, gou- vernement. Selon quelques étymologistes, guider viendroit du latin videre , voir.

Print la guide

Du Royaume trioufant, page i34>

c'est-à-dire , prit le gouvernement du royaume , etc.

Il existe un ancien ouvrage ascétique, intitulé ^ la Guide des pécheurs.

La Guide des pécheurs est encore un bon livre.

(Molière.)

GviNDER, exhausser. On trouve reguinder dans La Fontaine:

Il descend, et son poids emportant l'autre part, Reguinde en haut maître Renard.

(Liv. XI, fabl. 6.)

H.

Ha (il), il a. Quelques auteurs du temps ds Louise Lahé, et Louise Labé elle-même, écrivoient ainsi la troisième per- sonne du présent de l'indicatif du verbe avoir, pour la distin- guer de l'article à. Long tems ha, il y a long-temps.

Haim, hameçon, du latin hamus,

Haleiner. Voy. Alener.

286 GLOSSAIRE

HarqvebvsIde , arquebusade , coup d'arquebuse , blessure faite par une arquebuse, combat à l'arquebuse.

Havt tonnant (le Diev), Jupiter, surnomme par les poètes latins Altitonans.

Havtein, haut, eleve'.

Des Dieus hauteins tous puissans , page ijS,

Hautain ne se dit plus maintenant que pour exprimer une hau- teur, une fierté insolente.

Havtesse, hauteur, fierté, grandeur. Il n'est plus usité que comme un titre d'honneur qu'on donne à l'empereur turc.

He, hélas. He moy misérable ! hélas! malheureux que je suis.

Hebenin, d'ébène, de couleur d'ébène.

Hebriev, hébreu.

HelïCONIEN, du mohtHélicon. VHeliconien sommet, le som- met de l'Hélicon. M. de Gérando, de Lyon (Hist. comparée des systèmes de philosophie, 1822,4 vol. in-8.°,tom. r, pag. 221, lign. 14 )j a pris cette montagne pour un fleuve: «C'est, dit-il, « des montagnes de la Thessalie que les arts descendirent dans « la Grèce. étoit le vallon de Tempe ; coulait VHéli- « con , etc. : » ce qui rappelle la bévue du poète moderne qui a parlé des sentiers du Permesse, et ce qui n'empêche pas que le livre de M. de Gérando ne soit un ouvrage du plus haut mérite.

Herme, Hermès, Mercure.

lÏERSOfR, hier au soir. Ronsard a dit dans le même sens har- soir (Amours, liv. il, chanson qui suit le Sonnet LXii), et Cl. Marot, arsoir (Élégie Xli).

Hevr, bonheur, félicité, du latin hora, d'où sont venus heu- reux, bonheur, malheur, malheureux, bienheureux, ^ Heur se « placoit bonheur ne sauroit rentrer; il a fait heureux qui « est si françois, et il a cessé de l'être : si quelques poètes s'en et sont servis, c'est moins par choix que par la contrainte de la « mesure. >> (La BruyÈFE , Caractères, chap. xiv, De queUjues usages.) Du temps de Louise Labé, on écrivoit bon heur en deux

DE LOUISE LABÉ. 287

Inots, et au pluriel bons heurs: mile bons heurs ^ P^g^ 60. Nous nous servons encore du mot heur clans ce vieux proverbe : « Il « n'y a qxi'heur et malheur en ce monde. »

Hevbe (en pev d'), en peu de temps. Pibrac s'est servi de cette expression dans un quatrain que nous avons cité , note gS.

HiACiNTE, Hyacinthe, Souvent, dans le recueil de Louise Labé, les mots de'rivés du grec qui ont un y, sont écrits par un i: c'est ainsi qu'on y trouve cigne, Ciprien ^ martire^ mirte^ Satire, Zopire , etc. (Voy. Introduction, page 244)* C'est au- jourd'hui une faute, de même que d'écrire par un j^ les mots qui eu grec s'écrivoient par un i. On y tombe le plus communé- ment dans les mots qui commencent par hip ou hyp. M. Bois- sonade donne sur ce point la règle suivante à ceux qui ne savent pas le grec : employez un i toutes les fois que Vi est suivi de deux /?, et un j, quand il n'y a qu'un p; dès-lors écrivez Hippolyte , et non Hyppolyte ; hippodrome, Hippocratc , Hip- parque , Hippias , etc.; et hypothèse , hyperbole, hypothénuse , hypothèque ^ hypocrite , hypocondre ^ etc. Pour revenir au mot Hyacinthe , «Du Bellay, dans sa description de la Corne d'a- « bondance, a dit Hyacinth ; mais c'a esté par une licence poe- « tique, qui ne nous seroit pas aujourd'hui permise.» (MÉNAGE, Observ. sur la langue franc., chap, CLV. )

Hostie, victime. Ce mot, qui a conservé long -temps son ancienne acception que les poètes doivent regretter, ne signifie plus aujourd'hui que la victime par excellence, le pain consa- cré dans le saint sacrifice de la messe.

Hybernal, ALLE, d'hiver. M. Guéroult (Morceaux extr. de Pline) a rajeuni le vieux mot estival (d'été) , qui se trouve dans nos anciens auteurs, et par exemple dans la Porcie de Robert Garnier (i582). Automnal , qui est dans nos dictionnaires, est pareillement ancien. Estienne Pasquier s'en est servi en i583, liv. VIII, lett. 3, oii il compare ses productions aux Jleurs au- tomnales fennées (fanées).

288 GLOSSAIRE

I.

IA, ia desiuy déjà.

Iambette, croc en jambe,

Ian, Jean. lan de Tournes. On écrivoit plus anciennement lekan, comme en latin on a souvent écrit lohannes^our loannes.

ICELLE , féminin d'icehiy, elle, la. ICEVX, eux, ils.

Ieynesses, ouvrages de jeunesse, ce qu'on appelle en latin jin'enilia. Actes de jeunesse, actions qui conviennent à la jeunesse. « Pourquoi a-t-on perdu le pluriel de jeunesse , qui « exprimoit si bien d'un seul mot les illusions, les erreurs, les « folies de ce bel âge? » (Marmoistel, Élém. de litte'r., art. Usage.)

Image, s. m., image, s. f.

Conteirplolt encor l'image

Qui troi- et trop lui fut beau , page il\o.

Ailleurs on trouve image au féminin. Ce mot avoit quelques dérivés auxquels il a survécu : Imager, peindre ; imageur, pein- tre ; imagerie , peinture.

Immver, changer, du latin immutare.

Immvivde, immonde.

ImpvissAIVTER, rendre impuissant.

Indinacion, indignation. Indine, indigne. Voy. Dîne.

Individv, VE, qui ne peut se diviser.

Inflamer, enflammer.

Inflvxioiv, influence, du latin injluxio, racine injluo, je coule dans.

Inflvz, influences.

Interrogver, interroger. Voltaire (l'Ingénu, chap. i) a dit interrogant pour interrogeant , qui a la manie d'interroger : Vin' terrogant bailli. On appelle aussi point interrogant (mais plus sonveni point interrogatif ou d' interrogation) ^ le point gramma- tical qui sert à marquer l'interrogation.

DE LOUISE LABÉ. 289

loilVGNAlVT, ]oignant, partie, prés, du y exhe joindre. Te ioin ^ ie ioingnoy. Les conjugaisons t'toicnt en général plus régulières qu'elles ne le sont aujouril'hui. Voy. Creindrf , Plt:indre , etc.

Ire, colère. « Barbazan et La Mounoye s'étonnent beaucoup « de ce qu'on a banni le mot ire de notre langue, pour y sub- « stitucr celui de colère , qui à peine y est analogue; choiera « signifie bile^ débordem''nt de bile , colique bilieuse; quel rap- « port a-t-il avec /re, mouvement violent de l'esprit, passion « violente?» (J. B. B. Roquefort, Glossaire de la langue ro- mane, v.° Ire.) Le même auteur reronnoit ailleurs que le mot ire f que Malherbe s'est efforce' de conserver à notre langue, est lui-même trop court et trop foible pour exprimer ce mou- vement énergique de l'àme, qui se livre à une indignation voi- sine de la fureur.

IrÉ, ee, irrité, en colère, irntus. On disoitàussi ireux ^ sujet à s'emporter, furieux.

IssANT, sortant, du vieux verbe issir ^ dont nous avons con- servé le participe passé issu.

Itéré, répété, réitéré.

IVRONGNERfE, ivrognerie.

IVS, à bas, à terre, du X^XÀXi jusum.

Tu l'ueras ius les armes, page i5o,

c'est-à-dire, tu mettras bas les armes, tu les jeteras par terre. IVVENIL, ILE, de jeunesse, qui appartient à la jeunesse.

L.

Laberynter (se), s'égarer, se perdre dans un labyrinthe. On trouve dans le Grand dictionnaire des précieuses, de So- maize, Délabyrinther des ches'eux^ pour démêler des cheveux,

La[DEROIV, s. m. Quelque petit laideron à la bouche torse ^ P«ib^ 16. Ce mot est actuellement féminin, en dépit de sa terminai- son : d'où vient qu'il n'est plus masculin, lorsque nous avons conservé ce genre au mot tendron ^ qui ne s'applique aussi qu'à * 19

290 GLOSSAIRE /

une femme? Du reste, il étoit déjà féminin peu de temps après Louise Labé: «La bonne laideron ressemble à la poulie de qui « la plume est mespriseo, et la cbair estimée ; mais la belle « f.-mme ressemble à l'hermine, de qui on estime tant la peau, « et le corps n'en vaut rien.» (Printemps d'Yver, 1672, fol. 94 verso.)

LaiRROIT, laisseroit.

Lamenter, ^. act,^ déplorer.

De lamenter ma peine et ma soufrance, page yS.

Lampeger, briller, du grec lampo, auquel nous devons lampe et lampion.

Lasseté, lassitude.

Lede, Léda. Lede fille de Theste ^ P^gc i4^; Léda, fille de Thesiius. Thestius (ou Thespius) étoit aussi le nom du père des cinquante filles qu'Hercule en une seule nuit changea en femmes (ce fut, selon quelques auteurs, le treizième de ses travaux).

Lever, enlever, arvacher. Luileue les jeus de la teste ^ page 28, lui arrache les yeux de la tête, lui tire les yeux.

Lézard, qui blesse, du latin lœdo, lœsum. Ta langue lézarde.

Satyriques trop enuieux, Escriuaius de plume lézarde, etc.

( Cl. Marot, Épît. Xîl.)

Lézard (animal) vient-il de ce mot ou de lacerta! Jean Marot, père de Clément, a dit:

Faux détracteurs à langues de lezars. Qui de mesdire sçavez trop bien les ars...

Ltne, Linus.

Lion, Lyon, la ville de Lyon. On lit ce qui suit dans les Observ. de Ménage sur la langue franc, (chap. CCCXi): «Lion^ « dans la signification de Lugdunum , se doit écrire av. c nxi y, « comme nos anciens l'ont toujours écrit. Cujas(liv. 27, chap. 33 « de ses Observations) : In archetypo Pandectarum Florentina- « rum scriptum cstLyndonensesXihro ultimodeCensibus.Utnon « abs re majores nostri scripserint Lyon et Lyonnais . » Il est vrai

DE LOUISE LABÊ. 291

qu'on a toujours écrit Lyon avec un y, et que ce n'est que par uue innovation des réformateurs de l'orthographe, que, du temps de Louise Labé, on remplaça dans ce nom l'y par un /; mais c'est mal à propos que Cujas s't st appuyé sur la leçon Lyndo- nenses qu'il avoit trouvée dans le manuscrit des Paiidecfes de Florence : cette leçon est évidemment une faute de copiste, et on doit lire à l'endroit cité (c'est-à-dire, lib. l, tit. XV, leg. 8, § 1), Lug.lunenses , comme portent toutes les éditions. La vé- ritable étymologie de Lyon est inconnue, ou du moins très incertaine. Les savants, qixi veulent y voir une contraction du nom latin Lugdunnm (Luun) , ne sont pas d'accord entre eux sur le sens de ce nom lui-même, tiré, à ce qu'il paroît, de la langue celtique. M. Cochard (Description historique de Lyon, 1817, in-i2, pag. 2 et 3) indique rapidement plusieurs des nom- breuses conjectures qui ont été faites sur ce sujet; mais il ne pense pas que le mot francois Lyon dérive du latin Lugdunum, « On croit généralement, dit-il, que ce changement s'est moins « opéré par l'efFel de la corruption des langues, qu'à cause du « lion que cette ville a constamment porté dans ses monnoies, « dans ses enseignes, et qu'elle adopta enfin, au temps des « Croisades, dans ses armoiries, comme une marque de sa re- « connoissance envers Marc -Antoine qui l'avoit comblée de « bienfaits, et dont le lion étoit le symbole. Colonia assure « que cet'e ville s'appeloit déjà Léona ^ au XII.^ siècle. C'est « sans doute de c- nom que les Vaudois ou Pauvres de Lyon « retinrent celui de Léonistes qu'ils ont porté. »

LON (sans apostrophe après 1'/), l'on, on. Et lai ha Ion oté le pouuoir et moyen de guérir, page 28, et on Iri a ôté le pou- voir, etc. M. de Maistre (Soirées de St-Pétersbourg, tom. /, pag. 12 ^ et 191) dérive on de un, uuus ; mais l'upinion la plus généralement reçue et la plus vraisemblable est celle qui le fait venir du vieux mot hom , homme, homo.

Lovp - GABOV. Il est employé au figuré par Louise Labé, page 34. La phrase qui le précède, ejiplique le SQas dans lequel

29a GLOSSAIRE

il est pris. « On dispute sur l'origine du mot loup-garou. On l'a « tiré de lupus varius (loup bigarre', marqueté); de varosus « (tarare, Jugere y d'où nous avons fait gare, garouage, égaré, « evaî'atus) ; de l'oriental harahoth (noctii-agus) ; du celtique « gur ou ur (Tjir). Il est fort aise de voir que cette dernière « interprétation, fondée sur le préjugé du petit peuple, que les « méchants sorciers se transforment en loups, pour dévorer les « passants, est la véritable, et que le mot signifie loup-homme. « Il n'y a qu'à comparer la langue grecque, en laquelle loup- « garou se dit lucanthrôpos [lupus homo) , ou l'allemaride en la M quelle il se dit werwolf {vir lupus'), La crédulité, à cet égard, « que Pline, dès son temps, appeloit /aZ'itZo.fa tôt sœculls , est «< très ancienne chez les peuples Scythes, Celtes, Grecs, etc. « Wachter rapporte là-dessus des choses fort curieuses. » Le président de Brosses (Traité de la formation des langues, édit. de l'an IX, tom. il, pag. /\l\i-'5), Voy. aussi l'abbé Tuet (Mati- nées Sénonoises, pag. 201).

Loz, los j éloge, louange, du latin laus.

Tous renonçoient au los des belles actions.

(La Fontaine, liv. xii, fabl. i.)

Et s'avez los Je bon poëtiqueur , Aussi l'avez de bon harmomiqueur.

( J. B. Rousseau , Epitre à M. le comte D.* O )

LVCVLLE, Lucullus.

LviTTEVR, luicteur , lutteur. Luicte , luile , lutte, du latin lucta, ]N'est-ce point de ce mot que viendroit celui de lutin, esprit follet, qui tourmente les hommes et lutte, pour ainsi dire, avec eux? On disoit anciennement luiton et luicton. Voy, Rabelais, passim, etLaFontaine (la Chose impossible, conte). Cette opinion ne seroit pas conforme à celle du savant évêque d'Avranches , Huet , suivant lequel luiton se seroit formé par corruption de nuiton , parce que ceux qui croient aux lutins les font apparoître ordinairement la nuit.

DE LOUISE LABÉ. 293

M.

BlADRiGALLE, madrigal.

Maint, te. Voy. Meint.

Malhevre (a la), malheureusement, par malheur, de mala hora.

MalplAtsAnt, d('plaisant, désagréable.

Malvevillant , malueuillant , malveillant, ennemi.

Marbrin, de marbre.

Martel , marteau. Donner martel en teste ^ P^g6 65, expression proverbiale que nous avons conserve'e, et qui signifie, donner de l'inquiétude, du souci, de la jalousie.

Mastis, sorte de fleurs. Voy. note 233.

MavgrÉ, malgré. Ce mot « s'est conservé dans maugrébieu , « jurement que le timoré Pcllisson déguise en magrehi dans « l'impromptu qu'il rapporte fait par Blot contre Voiture. On « dit encore maicgré'^r^ pour jurer, blasphémer.» (LiA MONIVOYE , Glossaire bourguignon, v.° Maugrai.)

MejlleVR. Tu n'auras du meilleur, page 8, tu seras mal traité, tu auras lieu de te repentir, tu ne triompheras pas. «Amour, « après maintes reprises, sonna la retraite, sans sçauoir qui « auoit du meilleur, et donnant à chascun sa moitié du triom- « phe. » (Printemps d'Yver, iSys, fol. 266 et 267.)

Meint, te, adject. collectif, maint, te, plusieurs. On s'en sert dans le langage familier et dans la poésie fugitive. « Maint « est un mot qu'on ne devoit jamais abandonner, et par la fa- rt cilité qu'il y avoit de le couler dans le style, et par son ori- « gine qui est françoise. >> (La BruyÎiRE, Caract. , chap. xiv, « De quelques usages,) «Ménage fait venir maint de bien loin , c< de multîim. Je ne lui sais actuellement point d'autre origine.» (BarbAZAN, Glossaire, page 228.)

M'encor, moi encore. Baise m'encor (sonnet xyiii), baise- moi encore.

Menestrier, ménétrier, joueur d'instrument. « Quelques

594 GLOSSAIRE

« élymologistes dérivent le mot menestrîer de mnéstéres, parce » qu'ils alloient aux nocf^s; mais le mot grec mnêstêr signifie « celui qui recherche une fille en mariage, et non pas celui qui c< joue à sa noce. Bourdelot donne une autre étymologie ; il « pre'tend que re mot vient d'un célèbre pantomime, appelé « Mnester. Charles Bouvelle dit que ce mot a été composé de « mimus et à'hist io. L'opinion la pliis accréditée et la plus re- « cevable (c'est celle de Ménage) est que ce mot vient de mi- « nisterialis, artisan, de ministerium, métier. On trouve souvent K dans les anciens écrits menestrier pour artisan; ce mot a été « ensuite appliqué exclusivement aux artisans en musique, aux « joueurs de flûte et de violon ; menestrier fut composé de mi- M nisteriarius , et ménestrel de ministerialis ; les Anglois disent & minstre. Il n'est pas étonnant que le mot qui signifioit un « artisan ait été appliqué aux joueurs d'instruments; les Grecs « les appeloient de même technitas, et les latins artifices: qualis « artifex pereo , dit Néron en mourant, c'est-à-dire, quelle « mort pour un si grand musicien] » (A. L. Millin. )

Merci, s.f., miséricorde, pitié, grâce, discrétion. Il sem- hleroit.,. que chacun tienne sa vie de ta merci ^ P^ge lo, c'est-à- dire, de ta grâce, de ta compassion. Mesmement, mesmes, adw, même.

Mien, mienne. Cestuy mien estreme besoin , cet extrême be- soin que j'ai. La naissance sienne , sa naissance. « De ces mots « moy, toy, soy, nos anciens firent uns moyen, toyen, soyen , M moye , toye et soye (comme nous voyons dans le Roman de « la Rose et autres vieux livres), que nous avons depuis eschan- « gez en mien, tien, sien, mienne, tienne, sienne. Ne nous es- « tant resté de cette antiquité que le mot de moitoyen que nous «< approprions aux mœurs (lisez: au mur) , comme si nous « voulions dire qu'il fust mien et tien. » (Œuvres d'Estienne PasQUIER, Amsterdam, 1723, in-fol., tom. Jl^ pag. Sg, Lettre h Ramus. )

Montre, pompe, représentation théâtrale.

DE LOUISE LABÉ. 295

MORESQVE, danse à la manière des Maures^ avec des casta- gnettes, ou des tambours de basque.

Moyen (tenir), mode'rer, se modérer, tenir un milieu, Voy. Pratiqver le moyen.

Moyennement, me'diocrement, d'une façon moyenne.

MOYENNER DESPLAisfR, faire de la peine, affliger.

MvER, v. a., changer. Ce verbe est encor dans nos diction- naires; mais il n'y est que comme verbe neutre, et avec des significations moins générales.

MvLfEBRE, de femme, qui appartient aux femmes, du latin muliehris.

N.

Navrer, blesser, faire une plaie. Ce mot ne s'emploie plus qu'au figuré: Un cœur navré , navré de douleur.

Ne, ni. JYe plus ne moins ^ ni plus ni moins. JY' embrasser, ni embrasser.

Nécessitante, /è/m. de nécessitant, qui nécessite.

Ne VF, NEVVE, nouveau.

Le croissant neuue acroissance

De iour en iour repi'endra, page r38.

Nînfe , nymphe. Voy. Introduction, pages 244 ^^ 245. Noise, querelle, dispute.

Onq me mis noise ou dîscorcl entre amîs.

(Elégie m. )

Parmi de certains coqs incivils, peu galants. Toujours en noise et turbulents.

(La Fontaine, Hv. x, fabl. 8. )

Les si, les car, les contrats sont la porte Par la noise entra dans l'univers.

( Le même , Belphégor, conte.)

On s'en sert encore aujourd'hui dans le style familier. N0NCHAILLANCE , négligence.

396 GLOSSAIRE

NONCHALOiR, avoir peu de soin d'une chose, la ne'gliger, ne la croire pas importante, la mépriser.

Ains les ont à nonchaloir, page i45 ,

c'est-à-dire, mais les négligent, en font peu de cas. « Il n'y a «< point de plus certain signe d'un atheiste, que de mettre à « nonchaloir, ou commettre quelque faute à l'encoutre de son « père ou de sa mère. » (Amyot, trad. de Plutarque, traité de l'Amitié fraternelle. ) « Encore que le style de Ronsard soit « beaucoup plus relevé que celui de Marot, si trouvera il (le « lecteur) subiect, loiiant l'un, de ne mettre en nonchaloir « l'autre.» (PasQUIER, Recherch. de la France, 1. Yiu , c. 7, ad fin.) Le participe présent de ce verbe, nonchalant , nous est resté, et nous en avons fait un adjectif qui si^nille pai-esseux, négligent. Voltaire regrette quelque part que, d'une infinité de mots composés que nous possédons encore, les simples ne sub- sistent plus. « Ce sont, dit-il, des enfans qui ont perdu leurs « pères. Nous avons des nonchalands (paresseux), et nous n'a- « vons point de chalands autres que ceux qui achètent. »

NOVVEL (de), de nouveau. La plupart des mots terminés actuellement en eau l'ont été primitivement en el : chappel ^ chastelj mantel , martel, damoisel , bel, etc. De vient la ter- minaison elle au féminin des adjectifs en eau. On dit encore au barreau titre nouvel.

NOVVELET, diminutif de nouveau.

NVBiLEVS, EVSE, nébuleux, couvert de nuages, du latin «jf- bilus.

Nvitee, nuictee , nuit, l'espace d'une nuit.

NyNFE. Voy. NlNFE.

0.

Obombrer, cacher, couvrir de son ombre, du latin obum- hrare , racine umbra. Braulôme s'est servi à'adombrer, en par- lant d'Elisabeth de France, reine d'Espagne (tom. 1, pag. iQù):

DE LOUISE LABÉ. 297

« Son visage estoit beau, et ses cheueux noirs qui adomhr oient « son teint et le rendolent si attirant que j'ay ouy dire en Es- « pagne, que les seigneurs ne la pouuoient regarder de peur « d'en estre cspris... »

Occire, tuer, du latin occidere. On employé encore le par- ticipe occis dans le style marotique et dans le langage familier.

Ombrevs, EVSE, ombragé, couvert d'ombre. M. Delille a clierché à restituer ce mot au langage moderne :

Dans la nuit ténébreuse

Dont un bois vaste entoure une vallée ombreuse y D'un rameau précieux se cache le trésor.

( L'Enéide , trad. en vers., liv. VI. ")

M. Firmin Didot s'en est aussi servi dans sa traduction de la seconde Églogue de Virgile :

Le berger Corydon , dès l'aube jusqu'au soir, Cherchoit des bois ombreux la vaste solitude.

« Ombreujc n'avoit-il pas sa nuance à côté de sombre! >y (Mar- MONTEL, Élém. de littér. , art. Usage.) « Si l'on disoit,

« Respirer la fraîcheur des ombreuses vallées ,

« parleroit-on une langue étrangère?» (Le MÊME, ibiâ.)

OnQ, onc , oncques, oncjnes , jamais, du latin unquam. Oraison, discours. Voy. Orer. Ordonner, arranger, mettre en ordre.

Et du fier Dieu qui ordonne

Les puissans soudars en rang , page 147.

Ordre, état. Me trouuerày ie en tel ordre! page 10, me

trouverai-j<" en tel état?

Orenavant (d'), dorénavant, adverbe composé d'ore, en et avant. Voy. Introduction, page 247.

Orer, faire un discours, une barangue, du latin orare. Nous avons conservé les substantifs orateur et oraison (même dans le sens de harangue , puisque nous disons les oraisons de Cicé-

298 GLOSSAIRE

roii); et, ce qui est plus étrange, le verbe composé yoerorer sur- vit aussi à orev , son principal élément.

Ores , o/v?, o/-', maintenant. Répété, il signifie tantôt : ores en guerre , ores en treues , tantôt en guerre , tantôt en trêve.

Faisant ore un tendron ,

Ore un repli, puis quelque cartilage.

(La Fontaine, le Faiseur d'oreilles, conte.)

OrgvILLEVS, EVSE , orgueilleux.

Otf.OY, octrny^ don, présent, concession. Octroi désigne au- jourd'hui une sorte d'impôt mis sur certaines marchandises à l'entrée des villes, et qui appartient à ces villes en vertu d'une concession du prince ou du gouvernement.

Otroyer, octroyer, donner, concéder, accorder. V^ous otroi~ riez , vous donneriez. Voy. Introduction, page 24'^'

Ov, tandis que. Ou , quand on sort de ces sages assemblées, la teste fait mal, page55, c'est-à-dire, tandisque, quand on sort, etc.

OviR, plus anciennement OïR, ouïr, entendre. Fois ou i'oy, il oit, ils oyent , i^oyoy ou Voyois , Vorray. C'est aujourd'hui un verbe défectueux : il n'a ni présent, ni imparfait, ni futur. On ne s'en sert qu'au prétérit défini de l'indicatif /'owiV, tu ouïs , il ouït, à l'imparfait du subjonctif </;<e fouisse, qu^il ouït, à l'infinitif o?a>, et dans les temps composés, on se sert du par- ticipe oui, ouie , et de l'auxiliaire avoir. Théophile a dit :

Il ne voit que la nuit , il n'otf que le silence.

( Pyrame et Thisbé , tragédie. )

M. Delille s'est emparé de ce vers dans son poème de l'Imagi- nation, en remplaçant seulement le vieux mot oit ; il parle du jeune Robert égaré dans les catacombes de Rome :

Il ne voit que la nuit , n'entend que le silence.

La Fontaine a fait usage de l'impératif oyez z

Il ne faut jamais dire aux gens : Ecoutez un bon mot, oyez une merveille.

( Liv. IV, fab. g. )

DE LOUISE LABÊ. 299

A l'exemple de La Fontaine, M. Viennet a dit tout rrcemment dans son ÉpUrc à mes amis sur le premier jour de l'an (1824):

Oyez ce jacobin , fraîchement convcitî, V^ui, pour garder sa place, écrase son parti.

OVTRECVIDER, ouUreciiider, avoir de l'insolouce, de la pré- somption , de la témérité, verbe composé des mots outre et cuîder , croire. Si celle oulrecuidee ha fait quelcjne désordre , pag'^20, c'est-à-diro, si cette téméraire , si cette insolente, etc.

OvTRER, oulirer, outrager, maltraiter.

P.

Paphe, Paphos.

Par (a). Voy. Aparsoy.

Par, parmi, au milieu de. Par tout ^ partout. Par ci après ^ dorénavant, à l'avenir.

ParAIVGOIVNER, égaler, comparer, du grec para gkônizomai^ j'égale, je compare. Parangon, modèle, patron, comparaison.

Paranner, perpétuer, rendre éternel, du Isiiuiperennis. Ron- sard a dit paranniser. On trouve louange perennelle dans la Bibliothèque Françoise de du Verdier (art. Gabriel Chapuis , ad fin, )

Pareille. Receuoir pareille pour pareille , proverbe. Nous disons encore : Rendre la pareille , à l'exemple des latins : Par pari referre. Le chapitre XIX du livre V des Méditations histo- riques de M. Philippe Camerarius, trad. en François par S. G. S. (Simon Goulard, Senlisien) , Lyon, 1610, in-4.°, est intitulé; De la pareille ou peine du talion.

Parmi, au milieu de.

EU' sembloit parmi l'armée, etc., page i">6, c'est-à-dire, elle ressembloit, au milieu de l'armée, etc.

ParOLER, parler, du \Ai\n parabolari.

Parpigjnan, Perpignan, ville de France, anciennement capi-

3oo GLOSSAIRE

taie du Pioussillon, aujourd'hui chef-lieu du département des Pyrénées orientales. Quelques écrivains espagnols l'ont appelée Parpinano. On a supposé qu'elle avoit été fondée par Perpenna^ et que ce capitaine lui avoit transmis son nom. Une autre tra- dition veut qu'elle l'ait reçu d'un nommé Pierre Pigna ( en catalan Père Pinya ) qui en auroit bâti la première maison. M. A. J. Carbonell, auteur d'un poème inédit sur les Pyrénées, homme de lettres distingué, qui m'a communiqué des rensei- gnements extrêmement curieux sur celte ville, au collège de laquelle il exerce les fonctions de professeur, regarde la der- nière des étymologies que je viens d'indiquer, comme celle qui offre le plus de vraisemblance.

Passemese , chant à l'italienne , propre à une danse du même nom. Jj^ passemcse servoit autrefois d'entrée aux basses danses, et consistoit à faire quelques tours par la salle, et à la traverser par le milieu; c'est de qu'est venu son nom, (Dictionnaire de Trévoux. )

Passtoiviveb, 2f, act. Passionner une personne, lui inspirer de la passion.

Pav (le), le Pô, fleuve d'Italie. Pau se rapproche davan- tage de son nom latin, Padus. Louise Labé lui donne l'épithète de cornu, parce qu'arrivé dans l'état de l'église, il s'y divise en deux branches.

Pavane, s.f. Danse grave venue d'Espagne, oii les danseurs font la roue l'un devant l'autre, comme les paons font avec leur queue, d'oia lui est venu ce nom... C'étoit autrefois une danse sérieuse que les gentilshommes dansoient avec la cape et l'épée, les gens de justice avec leurs longues robes, les princes avec leurs grands nianteaux, et les dames avec les queues de leurs robes abaissées et traînantes. On l'appeloit le grand bal, parce que c'étoit une danse majestueuse et modeste. Il s'y fai- soit plusieurs assiettes de pieds, passades et fleurets, et des découpements de pieds, pour en modérer la gravité, dont la tablature est décrite dans Thoinot Arbeau , en son Orchéso-

DE LOUISE LABÉ. 3oi

grapliie. Elle est suivie ordinairement de la gaillarde. Ce mot est rommun aux langues italienne, espagnole et Françoise. La pcwanc , en musique, est une pièce grave et sérieuse, qu'on bat ordinairement en deux temps. Elle est du genre des sonates, et comprise dans la seconde espèce de sonates que les Italiens appellent sonate da caméra (Dictionnaire de Trévoux). Quel- ques auteurs font Ai^rïyev pavane de padovana, et prétendent que ce nom lui a été donné parce qu'elle étoit originaire de la ville de Padoue , en Italie. Voy. Gafllarde.

Pegasien, de Pégase, qui appartient à Pégase.

Penser, panser. On pense à un malade , page 36, on panse un malade.

Peivthasilee, Penthésilée, reine des Amazones. Voy. note 218.

Per , s. m., paire, s. f. Deus ou trois pers ^ deux ou trois paires.

PerlettE, diminutif àe perle , petite perle.

PllEBE, Phéhus. Phehc , Phébé.

Phedra, Phèdre. Voy. note 58.

PiGivÉ, peigné, du latin pecten, qu'on traduisoit pigne du temps de Louise Labé. « Le petit peuple de Paris dit pigne ; « et Villon qui étoit parisien , a rimé ce mot avec celui de « ligne.,. Ce qui fait voir que c'étoit l'ancienne prononciation « de Paris. Aujourd'hui tous les honnestes gens de la ville et « de la cour prononcent peigne ; et c'est comme il faut pro- « noncer.» (MÉIVAGE, Observations sur la langue franc., chap. ccxviii.)

PiTEVS, EVSE, triste, cligne de pitié, de compassion. On se servoit aussi du négatif //wyo/7e«x, dans le sers à.' impitoyable.

Plaisant, agréable, qui plaît. Il ne siguifioit pas encore, qui excite le rire, Vhilarité ; seule acception qu'il ait aujour- d'hui. Mol plaisant , <îésagréabîe, déplaisant.

Plein DRE, plaindre. le plein, pleingnant,

Pleint, s, m., plainte, du latin planctus. On a dit d'abord

3o2 GLOSSAIRE

plainct. Louise Labé au pluriel retranche le t: O tristes pleins (sounet II).

Plevr, larme. Il est masculin dans Louise Labé:

Et tant le pleur piteus t'a molesté.

(Sonnet Xll. )

Il l'est aussi dans ce titre d'une traduction Françoise d'un poème italien d'Antonio Fileremo Fregoso , par Michel d'Amboise: le Ris de Democrite et le Pieur d'Heraclite, etc., Paris, i547, in-S.**, et Rouen, i55o, et dans d'autres exemples rapportés par Ménage (Observ. sur la laiig. franc, chap. Lxxrv et CXLiv); de même que dans la Bruyère (Caractères, chap. JV, Du cœur, ad fin.): De si chers pleurs , et dans presque tous les classiques. J. J. Rousseau (Emile) lui a cependant donné le genre féminin. Nous ne nous servons actuellement que du pluriel pleurs, mal- gré ce bel exemple de Bossuet, parlant de l'enfer : « C'est « que règne un pleur éternel, » et quoique La Fontaine ait dit (liv. xii, fabl. 23):

Pleur enlaidit, douleur est folle.

Nous disons une larme: pourquoi ne disons -nous pas une ou un pleur! Du reste, les deux mots, larmes et pleurs, ne sont pas synonymes, et on voit aisément les nuances qui les dis- tinguent.

Plorer, pleurer, du \a.\\ïi plorare.

Ployer, v. «., faire [dier, vaincre.

de sa lance elle ployé

Le plus hardi assaillant , page i3S.

PoiNGNAlVT , piquant, partie, présent de poindre. Yoy. PoiN- TVRE.

PoizvT ( BIEN en) , en bon état, bien portant, bien tenu. ]\Ial en point , en mauvais état. Notre mot embonpoint est formé de ces trois mots, en bon point; et c'est ainsi qu'on écrivit d'abord.

PoijVTVRE , poincture , piquure, douleur, blessure. Sa racine

DE LOUISE LABÉ. 3o3

est le vevhc poindre , piquor. Sur les jetons de la chambre du commerce de Lyon, est gravée cette légende:

Suis le lion qui ne mords point. Sinon quand l'enuemy me poind,

extraite du comiiienc inent de l'Adieu de Cle'ment Marot à la ville de Lyon (i556), ainsi conçu:

Adieu Lyon qui nP mords point, Lyon plus doux que cent pucelles. Sinon quand Vennemy te poind : Alors ta fureur point ne celos,..

Voy. l'abbé Tuet, sur ce proverbe : Oignez vilain^ il vous poin- dra; poigne z vilain, il vous oindra (Matinées Sénonoises,p. 327).

POLLVER, souiller, violer. Voy. FRANCHISE.

POPVLAIRE, s. TH., peuple.

Possible, adi\ , peut-être. La Fontaine, ami du style marc- tique, a souvent employé possible dans ce sens.

POVRCE QVE , parce que, attendu que. Pour ce, pour cela, par cette raison.

PovRTRAiT, PROTRAITVRE , POVRTRAlTVRE , portrait, image. On disoit aussi pourtraire , faire un portrait , représenter les traits et la figure d'une personne. « Comme il est escrit par « blasme que tous les bons Roys seroient aisément pourtraicts « ea un anneau, les mauuais Roys de France y pourroient mieux: « tant le nombre en est petit. » (Du Tillet, Recueil des Roys de France.)

PovRE , pauvre. « Meigret, en sa Grammaire Françoise, es- « crit poui're et sarions ; d'autant que vray-semblablement, sa « prononciation estoit telle, et je croy que celjy qui a la langue « Françoise naïfve en main, prononcera, et par conséquent es- « crira , pauvre et sçaurions. » ( Estienne PasQYIER, Lettres, liv. m, lett. 4> " monsieur Ramus.) On a écrit aussi, avant et depuis Louise Labé , paoure. Pourement , pauvrement. Pouret, ctte , pauvret. Pour e , pauvreté.

5o4 GLOSSAIRE

PrATIQVER le moyen, faire en sorte, se procurer le moyen. Pree, s. /. , pré. « Ce mot estoit autrefois fort en usage. « Marot, dans la i/^ églogue de Virgile :

'< Heureux vieillai'd , désormais en ces prées, a Entre ruisseaux et fontaines sacrées, « A ton plaisir tu te rafraischiras.

« Ronsard (liv. H, od. 16):

« Comme un taureau par la préc « Court après son amourée.

« Nous le disons encore en Anjou nous mettons différence « entre pré , prée et prairie. Nous appelions un pré , un petit « prë; une prée, un grand pré; et une p airie , une grande com- « mune sans clôture, et le long d'une rivière. Mais on ne dit « plusyOA-e'e ni à la cour, ni à Paris. Il ne faut donc plus le dire.» (MÉNAGE, Observ. sur la langue franc., c. CCxxvin. )

Preschement, prédication, exhortation.

Présent (de), à présent.

Prevdhommie, honnêteté, sagesse, probité, vertu, du latin prudens homo , dont on fit d'sLhord preudhojnme. Se fiant sur la preudhommie de sa femme ^ P^igc /\o , se fiant à la vertu de sa femme.

Prevve, épreuve.

Print, prit, troisième pers, sing. du prétérit du. \erhe prendre. Prinrent ovL prindrent , au pluriel, prirent.

Privement, en particulier.

Prochasser, pourchasser , procurer. Ce verbe signifioit en- core poursuivre ^ solliciter, s'' efforcer d^ obtenir.

Protraitvre. Voy. Povrtraît.

PeOVFIT, profit. Proufiter, profiter. Proujiter en publicj , pro- fiter au public.

Pvcelle, pris adjectivement. La bande pucelle , les Muses, les neuf sœurs. La Fontaine a dit puceau au masculin, dans Joconde:

DE LOUISE LABÉ. 3o5

le la tiens pucelle sans faute. Et si pucelle qu'il n'est rien De plus puceau que cette belle.

Le chap. 11 du liv. Viil des Recherches de la France, d'Es- tienne Pasquier, porte ce titre : « De ce que par manière de « gausserie, on appelle puceaux ceux qui au soufle de leur ha- « leine, rallument une chandelle estainte. » C'est à cette plai- santerie, pour le dire en passant, que Scarron fait allusion dans ces vers de son ode burlesque sur Leandre et Héro :

Trois fois en vain elle souffla Pour rendre vie à sa chandelle ; Mais Héro n'étoit plus pucelle : Il le faut être pour cela.

Q-

QVE, ce que. le dirois que c'est, page 19, je dirois ce que c'est. Pour te déclarer qu' il faut faire ^ page i3, pour te décla- rer ce qu'il faut faire.

QvEL, lequel. Et toy, quel des Dieus choisiras tu! page 21.

QVELCVN, VNE , quelqu'un, une. Quelcuns , qiielques-uns.

Qvell', quelle. QucW amour, page aS. L'apostrophe marque assez inutilement l'élision de l'e muet, qui s'opère d'elle-même. Voy. Ell'.

QVENOILLE, quenouille.

QVESTION, cause, procès. Cette question est entre deus amis, page 61. On donnoit le même sens au mot latin quœstio, dans le temps que les procédures se rédigeoient en latin. « On écri- « voit sur le sac, est hic quœstio inter JY. et JY. ; et souvent, « au lieu d'écrire quœstio tout au long, on mettoit seulement « quœst.: ce qui faisoit, est hic quœst.; d'où les praticiens ont « fait par corruption étiquette. » (Voy. l'Encyclop. , art. Eti- quette, ou les Matinées Sénonoises, pag. 386, n.° 364.)

QviCONQVE SOIS, qui que tu sois.

•à. 20

oo6 GLOSSAIRE

QVITTER. Celui qui quitta son espousc à son ami, page 34 , celui qui abandonna, qui laissa son épouse à son ami.

QvOY, YE, tranquille, en repos, du latin quietus.Voj. CoY.

R.

Rafreschir, refreschir, rafraîchir.

Rafreschissement, REFRESCHissEMEiVT, rafraîchissement.

Rais, rayons. Marmontel (Éléments dclittér. , art. Usage) regrette ce mot, auquel il trouve une nuance propre qui le dis- tingue de rayons. « Si l'on disoit, remarque-t-il au même en- « droit,

« De ses rais argentés Diane se couronne » « parleroit-ou une langue étrangère?»

RamELET, diminutif de rameau^ petit rameau.

Ramentevoir, faire ressouvenir, rappeler à la mémoire; se l'amenteuoir, se ressouvenir, du latin rursus -vocare ou revocare ad mentem.

lamais ne te vueilles vanter D'auancement qu'Amours te face : Amours de son papier efface Ceulx qui de ]eurs dames se vantent, Ramenteuans l'heure et la place , Quand, comment, et ou ils les hantent.

( Le Champion des Dames , par MARTIN FrAjVC , f. aâS.)

On a dit aussi remémorer et se remémorer, vieux mot que Vol- taire a employé dans son conte intitulé, Ce qui plaît aux Dames : Berthc au conseil alors remémora.

RaritÉ, rareté.

Rebovcher, émousser, s'émousscr. Recentemeistt , récemment. Regepte, recette.

Recveil , accueil. Le recueil que trouuera un fol, page 5j, l'accueil que l'on fera à un fou.

DE LOUISE LABÊ. Z07

Redvire en MEMOIRE, rappeler à la mémoire, se ressouvenir. RefRESCIIIR , REFRESCHISSEMENT. Voy. RafRESCIIIR , RA- FRESCHISSEMENT.

Regaigner, regagner.

Regard, égard.

Remirer, itératif de mirer, regarder de nouveau avec admi- ration.

RemvneraCïON, récompense, action de récompenser. Nous avons conservé le mot rémunérateur, qui a également pour ra- cine le latin munus.

Renovveav, printemps, parce qu'au printemps la nature se renouuelle. On l'apprloit aussi primevère , du latin primus et r>er, nom qui est resté à une Heur qui fleurit au commencement de cette saison. « Guillaume de Lorry présuppose que ce fut en « la primevère , saison expressément dédiée à cest exercice. » (Pasqvier, B.echerch. de la France, liv. Vii, chap. 3.) Toute- fois le mot printemps dont nous usons actuellement, et qui est dérivé de primum tempus , premier temps , première saison de l'aunéc, est déjà ancien. Dès iSya, Jacques Yver, jouant sur son propre nom, suivant le goût d'alors, publia un recueil de nouvelles, sous ce titre : Le Printemps d'Yver ; et, 62 ans au- paravant (en i52o), Pierre Sergent, imprimeur de Paris, avoit publié un volume in-16, intitulé: Le livre de Sagesse, dont le prologue, qui est en rime , commence ainsi :

Ce fut d'auril le dix septième jour.

En ce printemps que la rose entre en âour,

Gaye saison, que tout se renouuelle.

Le pré verdoyé, et toute fleur est belle,

L'iiyuer se passe, et la morte saison.

Et les oiseaux commencent leur chanson. .-

Du Verdier (Biblioth. franc., lett.iS"., éd. de Juvigny, tom. Ill^ pag. 612).

Répétasse, rapetassé, raccommodé grossièrement avec des pièces mal cousues, suivant quelques étymologistes, du grec

3o8 GLOSSAIRE

raptein, coudre. Rapetassé est un ternie bas et ignoble qu'on est e'tonné de rencontrer dans la satire x de Boileau :

Ses souliers grimaçans vingt fois rapetassés.

3. B. Rousseau l'a employé au figure dans son Épîtrç à Cle'-

ment Marot :

Contre tous ceux qui sont assez sensés Pour mépriser leurs vers rapetassés.

ResCOVS, partie, passé de rescourre ^ recouvré, délivré, dé- gagé, du latin recuperatus. Il signifioit aussi exempté:

Par vous , par votre lescherie, Suis ie mis en la confrairie Saint Arnoul, le Seigneur des coux. Dont nul ne peut estre rescoux.

( Le Roman de la Rose.)

On a dit depuis recoiirre et recous. Voy. Ménage (Observ. sur la langue franc. , chap. ccxxii).

Reseintir (se), se ressentir, sentir de nouveau.

Respect, rapport, relation, du latin respectas . Pour ce res- pect, sous ce rapport. lY'auoir point respect ans noms, page 71, n'avoir aucun égard aux noms.

Retendre, tendre de nouveau.

Ton dous lut tu retendras, page i5i,

c'est-à-dire, tu tendras de nouveau les cordes de ton luth. Le vers est duriuscule.

Revoqver, redemander, aller chercher. Comme iadis Orphée, reiioquer leurs amours perdues , page Ç>G.

Riens, rien, du latin rem, accusatif de res , chose. Voy. Pas- quier (Recherches de la France, liv. Viil, c. 53, intitulé : De cette diction. Riens). Riens avoit le même sens que chose, et étoit primitivement féminin.

Sur toutes riens gardez ces poincts : A donner ayez clos les poings. Et à prendre les mains ouuertes.

( Le Roman de la Rose. )

DE LOUISE LABÉ. 3o9

ROBBER, dérober. Robber l'autruy, page Si, dérober le bien d'autrui.

RocBON, petite robe.

RoMMAiN, Romain.

ROMME, l^omc. Homme est plus conforme à la prononciation que Rome: car le nom de cette ville, tel que nous le pronon- çons, rime parfaitement avec homme , et ne rime point du tout avec tome, par excinple. Il est cependant quelques mots, orne simple se prononce omme.

RONE, Rhône, le Rhône, fleuve. On écrivoit aussi, et plus communément, Rosne et Rhosne. Ce fleuve s'appeloit en latin Rhodanus , d'où est dérivé sa dénomination actuelle. Suivant Pline (Hist. nat. Ifl, 4) f Rhodanus viendroit à Rhodiis , des Rhodiens qui lui auroient donné leur nom : ce qui s'accorde avec l'opinion de ceux qui veulent, d'après un passage du Traité des fleuves, attribué à Plutarque, que deux princes grecs, ori- ginaires de Rhodes, nommés Momorus et Atépomarus, qui a- voient été chassés du Languedoc ils s'étoient d'abord établis, aient fondé la ville de Lyon (Lugdunum) , environ trois siècles et demi avant que Plancus y amenât une colonie romaine. Bo- chart (Phaleg, iif , 6) donne à ce nom une autre origine tirée de l'ancienne langue celtique ou de la langue phénicienne dont elle étoit la fille. Munster, dans sa Cosmographie, le fait venir du latin rodo , parce que ce fleuve ronge ses bords. Pétrarque avoit déjà adopté cette étymologie:

Rapido fiume , che d'alpestra vena

Rodendo intorno, onde ^1 tuo nome prcudi , etc.

(Part. I, son. 173 ) ;

de même que Maurice Sceve, dans le CCCCX\ii.^ dixain de sa Délie, ainsi conçu:

Fleuve rongeant pour t'attiltrer le nom De la roydeur en ton cours dangereuse, Mainte riuiere augmentant ton renom, Te fait couiir mainte riue amoureuse,

3io GLOSSAIRE

Baingnant le plecl de celle terre heureuse

Ou ce Thuscan Apollo sa ieunesse

Si bien forma, qu'à iamais sa vieillesse

Verdoyera à toute éternité ,

Et ou Amour ma première lyesse

A desrobee à l'immortalité.

ROVTE. Mettre en route , mettre en déroute.

ROYNE, reine. Voy. SVTIL.

RvER, 7). act., jeter. Voy. Ivs.

RviSSELET, diminutif de ruisseau , petit ruisseau.

S.

Sacrer, consacrer.

Sagette, flèche, du latin sagitta. La Fontaine employé ce vieux mot (liv. Viii, fabl. 27). Voy. la note 12 de M. N. S. Guillon sur cette fable.

Saillir, sauter, faire sauter. Te saillir hors de Varcon, page i5o, te de'sarçonner. Saillir a perdu cette signification active' il n'est plus que verbe neutre.

S'AINSI EST , s'il est ainsi. Aujourd'hui 1'/' ne s'e'lide plus dans la conjonction si, qu'avant le pronom masculin il , tant au singulier qu'au pluriel. Autrefois il s'élidoit devant plusieurs autres noms commençant par une voyelle; on à'isoit scelle pour si elle, s^on pour si on, s'un , s'une , pour si un, si une, etc.

SaltatiON, danse, pantomime. Ce mot a été employé par plusieurs écrivains de nos jours, et notamment par M. de l'Aul- naye qui a publié un ouvrage intitulé : De la Saltation théâtrale.

Saphon, Sappho, Ronsard et Desportes ont également dit Saphon, manière de franciser ce nom qui pèche contre l'ana- logie, les anciens noms en o ne devant être terminés en on que lorsqu'ils prennent en latin une n au génitif, comme Cicero, Ciceronis , Apollo , Apollinis , Plato , Platon; s , Dido , Didonis , Varro , Varronis , Juno , Junonis , dont nous faisons Cicéron , Apollon, Platon, Didon , Varron , Junon. Y oy. Ménage (Observ. sur la langue franc. , chap, CLV). Le génitif de Sappho est Sap-

DE LOUISE LABÉ. 3ii

phits. Cependant il y a quelques auteurs chez qui ce ge'nitif est SappJionis , et qui au pluriel disent Sapphones. Érasme (Encom. Morise, page i3) : «Ego sum Venus illa cujus favore Phaon ille « repubuit, ita ut à Sapphone tantopere deamaretur.»( L'ablatif Sapphone suppose le ge'nilif Sapphonis. ) Vossius ( De Poëtis grœcis, page 17) : « Distingue vero duas Sapphones ^ unam Ere- « triam (lisez Eresiam), alterain à Phaone adamatara, ut est « apud Athenœum (lib. XTir). >> Il est plus conforme à la ma- nière dont les Grecs ecrivoient ce nom, de l'e'crire avec deux/? (Sappho) qu'avec un seul, comme ou le fait aujourd'hui com- munément. Ne'anmoins, comme Pontanus vouloit qu'en latin on écriyitSaphOj attendu que cette langue n'admettoit pas qu'un p ordinaire pût être suivi d'un p aspiré , on pourroit dire que la même règle est applicable à la langue françoise : du moins ne trouveroit-on, je crois, dans nos dictionnaires aucun mot qui offrît ces trois consonnes /7/?Z} placées ainsi à la suite les unes des autres.

Saye, s. m., Sayon, id. , habit court, justaucorps, robe de dessus, capote, du latin sagum, habit de guerre que les Romains avoient einprunté des Gaulois. Le Paysan du Danube, dans La Fontaine (liv. Xi, fabl. 7), porte un sayon de poil de chèvre, Voy. la note 5 de M. N. S. Guillon sur cette fable.

SCET (il-), il sait, tu scez, tu sais, du yevhe savoir. Voy. Sv. C'est par erreur qu'on s'est obstiné long-temps à écrire scavoir par un c : on supposoit que ce mot venoit de scire^ et on con- servoit le c pour marquer cette étymologie, tandis que, dans la vérité, savoir dérive de sapere,

SeiovR, repos.

S'ELLE, si elle. Voy. S'AiNSi est.

Sellette, petite chaise, petit banc, petit siège, du latin sella ^ dont la racine est sedeo.

Semblable. Semblable (jumelle, page 142, semblable à elle. Faire le semblable , faire la même chose, faire quelque chose de semblable.

3i2 GLOSSAIRE

Semblance, ressemblance. Sembler, ressembler.

EU' semblait pai'mi l'armée

Vn Achile, ou un Hector, page i36 ,

c'est-à-dire, elle ressembloit, au milieu de Tarme'e, à un Achille ou à un Hector.

Semhloit au plus cler cristal , page i4o.

c'est-à-dire, ressembloit au plus clair crystal.

Semiramfde (ailleurs lyem/ramtj^) , Se'miramis, reine de Ba- bylone. Voy. notes 58 et 216.

Senestbe, main gauche, du latin sinistra. M. de Roquefort, de

Lyon (Glossaire de la langue romane , 1 808 , t. H , p. 538), trouve

ce mot bien expressif, et regrette qu'on l'ait retranché de notre

langue pour y substituer celui de gauche , qui, dit-il, n'a pas

plus de cent vingt ans, et dont on ignore l'origine. La remarque

est juste, sauf que le mot gauche est plus ancien que ne le fait

le savant lexicographe, puisque, dans le Tre'sor des recherches

et antiquite's gauloises et françoises, imprimé en i655, et par

conséquent i53 ans avant i8o3, Borel recherche déjà l'étymo-

logie de ce mot, et le fait dériver du vieux veibe françois guen-

cher, se détourner, éviter, tourner; ce qui arrive, dit-il, quand

on gauchit, quand on tourne à gauche. Ce mot remonte même

plus haut : car on le trouve aussi dans le Grand dictionnaire

françois -latin de Nicod, dont j' i sous les yeux une édition

de i6o3; et je lis, page 210 du second volume des Méditations

historiques de M. Philippe Caraerarius, traduites en françois

par S. G. S. (Simon Goulard de Senlis), Lyon, 1610, in-4.°:

« La main gauche est moins habile à l'œuure que la droite; »

et dans la Continuation des Amours de P. de Ronsard, Paris,

Jean Dallier, 155/, in-8.° (page 95) :

Agitoit les rougnons gaillards De Catin à gauche et à dextre.

Montaigne (Essais, liv. i, chap. 25, et ailleurs) se sert de gauchir dans le même sens que Borel donne à guenchei-, et enfin

DE LOUISE LABÉ. 3i3

il emploie souvent le mot gauche , notamment liv. il, ch. 12: « La raison est un pot à deux anses qu'on pcult saisir à. gauche « et à dextre. »

SETVXrMFNS, sens, les cinq sens. Les plaisirs des sentimens , page 2, les plaisirs des sens.

Sep, cep, du grec caphos , tortu, courbé, ou du latin caput, tête, chef, ou du latin cippus , tronc. Quelle que soit celle de ces e'tymologies qu'on adopte, cep y est plus conforme que sep.

Serf, serve, esclave, du latin servus.

Serrer. Serrer 1er fenestres, page 35, fermer les fenêtres.

Servage, esclavage.

S'ESTANT, si étant.

Sevr, sûr, certain. Un des poètes qui ont écrit à la louange de Louise Labé, fait rimer ce mot avec grandeur et avec seur (sœur). Il y en a des exemples dans beaucoup d'autres poètes du temps, et Thomas Sibilet (Art poétique francois, chap. vm) approuve cette rime, quoiqu'il paroisse que seur (sûr) se pro- nonçât comme nous prononçons aujourd'hui sûr: ce qu'il y a du moins de certain, c'est qu'on faisoit rimer le féminin seure (sûre) avec les mots en ure ^ tels que nature et dure, Voy. la pièce de St-Gelais, citée note i/\Q.

SevrtÉ, sûreté .

Sf, avec cela, néanmoins, au moins, du moins. Voy. S'AiNsr EST, S'VNE et S'ESTANT.

SiGNEVR, seigneur. C'est le signer des Italiens francisé. Sei- gneur se trouve aussi dans Louise Labé. Ce dernier nxot se rap- proche davantage du latin senior, d'où il est dérivé , aussi bien que l'italien signor. Sieur, monsieur, ont la même étymologie. Voy. Pasquier (Recherches de la France, liv. Viii, chap. 5).

SiGNEVRiE, seigneurie.

SiMOEiVT, Simoïs, fleuve de l'Asie mineure, dans la petite Phrygie. Il faisoit en grec Simoentos, au génitif.

SiMPLESSE, simplicité.

SONE, Saône, la Saône, rivière qui traverse Lyon et se jette

^14 GLOSSAIRE

dans le Rhône à rextiemitë méridionale de cette ville. Onl'ap- peloit Arar^ et plus anciennement Brigulus. Voy. le traité des Fleuves, attribue' à Plutarque. Son nom actuel, Saône, dans lequel l'a ne se prononce pas, paroît dérivé de celui de Sau- conna, qu'elle a porté sous le Bas-Empire. Feu M. Claude-Xavier Girault, membre de l'académie de Dijon, et correspondant de celle de Lyon, a laissé un curieux Mémoire sur les noms et la source de la Saône, Paris, J. B. Sajou, i8i2,in-8.° de 26 pages: j'y renvoie le lecteur.

SoNGEART, sombre, rêveur, songe-creux.

SONGNEVSEMENT, soingneusement , soigneusement. On écri- voit antreïoissoing pour soin, et soingner onsongner pour soigner.

Sonner, jouer de quelque instrument de musique.

SOVCIEVS, qui prend souci à quelque chose. Soucieus de mon hien, s'intéressant à mon bonheur.

SOVDART, soudard, souldard , soldard , soldat; au pluriel, soudars ou soudarz,

SovEF, soefj doux, agréable, du latin siiavis, Souefuement , soefuement , d'une manière douce. Une souejflairante haleine (Muret, Commentaire sur le sonnet xxiii du i.^** livre des Amours de Ronsard).

SOVLACIEVS, recréatif, agréable, propre à consoler, à ré- jouir, du latin solatium , d'où l'on avoit d'abord tiré soûlas, récréation, plaisir, dont La Fontaine s'est servi plusieurs fois. En grand soûlas cette nuit se passa.

(La Gageui'e des trois Commères, conte.)

SOVLOIR, avoir coutume, avoir habitude, du latin soleo. Deux parts en fit dont il souloit passer L'une à dormir, et J'autre à ne rien faire.

( Epitaphe de La Fontaine , par lui-même. )

SovvENTEFOis, souvent. SovzRJS, souris, sourire.

SqvADRON , escadron. Les noirs squadrons des Ethiopiens , page 75. On trouve ailleurs (page i35) escadron, comme nous

DE LOUISE LABÉ. 3i5

l'écrivous et le prononçons actuellement. Ce mot ('toit alors nouveau: on disoit auparavant èaZatï/o/î. Voy. Lettres d'Estienne Pasquier (liv. Il, lett. 12.)

Sv (i'ay, ayant), j'ai su, ayant su. le su, je sus. On écri- voit alors plus communément sceit ou seu, ie sceu ou ie sceus , et on a écrit ainsi encore long-temps après. Voy. Introduction , page 249.

SVCCEDER, avoir du succès, réussir.

SVFVMiGACiON , fumigation , suffumigation produite au moyen de la combustion de matières odorautes, employée principale- ment dans les opérations magiques.

S'VNE, si une.

SVPERABONDANT, très-abondant.

SVPERNEL, ELLE, supérieur, céleste, du latin supernus.

Svs, prép., sur. De sus , de dessus. Par sus, pardessus.

SvTiL^ ILE, subtil. On trouve ailleurs subtil, comme nous l'écrivons. Apparemment qu'à Lyon le b ne se prononçoit pas dans ce mot: Estienne Pasquier, dans sa lettre à Ramus (liv. fii, lett. 4); blâme cette orthographe et cette prononciation. « Le « courtisan aux mots douillets, dit-il, nous couchera de ces « paroles , reyne , allét , tenét , ■venét , menét : comme nous « vismes un des Essars, qui pour s'estre acquis quelque repu- « tation par les huit premiers livres du Roman d'Amadis de « Gaule, en ses dernières traductions de Josephe et de dom « Flores de Gaule, nous servit de ces mots, amonncster , con- « tenner , sutil , calonnier , aministration. Ni vous ni moy (je « m'asseure) ne prononcerons, et moins encore escrirons ces « mots de reyne , allét , tenét , -venét et menét , ains demeurerons « en nos anciens qui sont forts, royne , allait, venait , tenait, « menait. Et quant à mon particulier , dès à présent, je proteste « d'estre résolu et ferme en mon ancienne prononciation à'ad- « monnester, cantemner, subtil , calamnier, administrer. En quoy « mon orthographe sera autre que celle de des Essars^ puisque « ma prononciation ne se conforme à la sienne. »

3i6 GLOSSAIRE

T.

Tandis, tandis que.

Tandis du chef aiusi treiiché...

Distiloit du sang goûte à goûte, page laa.

Tandis rostir la perdrix on faisoit.

(Cl. Marot. )

Tandis la nuit s'en va, ses lumières s'éteignent.

(Malherbe.)

Tant, autant. Tant bien, si bien. Tant plus , plus. De tant plus ^ d'autant plus. lusques a tant que, jusqu'à ce que. Tant que, jusqu'à ce que, au point que, de manière que. A tant , alors.

Tart, ARDE, adj. La tarde 'vespree , page i49; 1g soir avance', La tarde seree (RonsARd).

Le repentir est une chose tarde.

(Le même.)

Tart (a), tard, tardivement, adi^.

Temples, s./., tempes, les deux parties de la tète qui sont depuis chaque oreille jusqu'au front, du latin tempora. Temple se disoit encore du temps de Me'nage (voy. ses Observ. sur la langue franc., chap. LXXiv), et on le trouve avec ce sens dans les anciens dictionnaires.

TendrELET, diminutif de tendre , adj.

ThraCIEN, de Thrace. Le Gradive Thracien , page i53, le Mars de Thrace.

TovRBE, foule, du latin turha, J. J. Rousseau (Disc, sur l'ine'galité des conditions) a dit: La tourbe philosophe sque.

TOVRMENTEVR , qui tourmente. Tourmenteurs de monde , page 9, qui tourmentent les gens.

TovRNER, retourner.

Pour à ton château tourner, page 149 ,

c'est-à-dire, pour retourner à ton château.

DE LOUISE LABÉ. Z17

TOVT (dv), entièrement, omninb.

TbAnsmver, transformer, changer, âi\x\3il\ia.transmutare. TbayTREMENT, traistrement , traitreusement. Trebvcher, ^'. a., renverser, faire tomber. Aujourd'hui ce verbe est toujours neutre, et signifie tomber.

la droite raison trébuche à chaque page.

(BOILEAU.)

Tremper, tempe'rer, modérer, du latin temperare. On trouve souvent dans Montaigne attrempance pour modération , tem- pérance j continence. Attremper {^adtemperare^ avoit le même sens que tremper. « Abelard se joiioit de son esprit comme il « vouloit, et pour attremper ses plus sérieuses estudes faisoit « des vers d'amour en rime françoise, que l'on mettoit en mu- « sique , et se chantoient par uns et autres. » (Pasquier, Recherch. de la France, liv. \"ii, chap. 3). On disoit aussi Je- tremper : « Acliile ... revenant du combat ancore tout couuert « de sueur, d'armes et de poussière, prenoit sa lyre pour ra- « molir et deiramper les fureurs et colères de son ame. » (Plai- doyez de M.* Claude Expilly, Lyon, Laurant Durand, i636, in-4.**, page 80.)

Trevver, trouver. Ce mot e'toit encore en usage du temps de Molière, puisqu'on lit dans le Misanthrope, représenté pour la première fois en 1666 (act. i, se. 1):

Non, l'amour que je sens pour cette jeune veuve,

Ne ferme point mes yeux aux défauts qu'on lui treme.

La Fontaine en a fait pareillement usage (liv. iv, fabl. 4):

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la preuve En tout cet univers , et l'aller parcourant. Dans les citrouilles je la treut'e.

Il s'en est encore servi ailleurs (liv. il, fabl. 20; liv. lir, fubl. '-; et liv. V, fabl. 2). On voit dans les Observ. de Mi'nage sur la langue franc, (chap. CLXXI ) , que c'étoit, de son lemjs, une question sujette à controverse, de savoir s'il falloit dire trcin'er

5i8 GLOSSAIRE

ou trouver: il pensoit qu'en vei's ou pouvoit se servir da premier de ces mots. Suivant Poiiisinet de Sivry, traduction de Pline l'ancien (note \/\ du chap. i , et note i du chap. 3 du liv. xix), le vieux verbe gaulois truver, treuver, seroit la racine du mot truffe: conjecture que cet auteur appuie sur ce qu'en ancienne langue Thracienne, la dénomination de la truffe exprimoit aussi une trouvaille, un fruit fortuit et de rencontre.

TrioNFE, triomphe. Trionfer, triompher. Arcs trionfans, arcs de triomphe. Voy. Introduction, page 244.

Trop. Trop plus , beaucoup plus. Trop et trop , beaucoup trop.

Tbovsse, carquois. Ce mot ne s'emploie guères plus aujour- d'hui que pour signifier l'espèce d'e'tui les barbiers mettent leurs rasoirs, leurs peignes et leurs ciseaux. Cependant D. Le Brun lui a conservé son ancienne acception dans ce dixain sur Catulle et Martial :

Le dieu Momus eut toujours deux carquois De traits naïfs à pointe vive et douce ; Le premier seul arme ce dieu narquois. Plus brillantes dans la dernière trousse. Tant sont aigus, las ! qu'un rien les émousse. A deux mortels son secret il apprit ; Par ses mots fins Martial nous surprit ; Mais la finesse a sa monotonie : De l'épigramme il n'avoit que l'esprit; Catulle seul en avoit le génie

Trousse vient de l'allemand tross, Voy. Destrovsser.

V.

VacACION, occupation, emploi.

Vacant, qui dévague, qui erre, qui marche au hasard.

Val, s.f. , vallée, vallon. Des vaux ^ des vallées, des vallons. Cherchant les profondes ^'flMJ:, page i35. Ce mot est masculin dans Ronsard (liv. i des Amours, sonnet CLXXVll) :

DE LOUISE LABÉ. 019

Au fond d'un i^a/

« T^al,.. n'eût-il pas garder sa place dans de beaux vers, « comme i^aZ/on/ »>(Marmo]\tel, Éle'ments de litt. , art. C/!yag-e.) Le mot ual entre comme élément dans plusieurs noms de lieux: la p^albonne j la f^altcline , Laval ^ etc. Nous avons conservé le pluriel ^>aux dans cette locution: Aller par monts et par Xfaux. Uaval des bateliers et des ingénieurs, opposé d'amen?, vient d'à et de r)al ^ du côté de la Tjallée , en descendant ; d'où les verhes avaler; dévaler, descendre; ravaler, rabaisser. On dit aussi contre val , en bas, par opposition à contre mont , en haut. Quant à Vaval des banquiers, il n'a de commun que le son et l'orthographe avec celui dont nous venons de parler: c'est un abrégé des mots à 'valoir, bon pour.

Vefve, veuve.

Venir, devenir. Se faire 'venir belle , page 76, se faire deve- nir belle. La licence des fols est 'venue si grande que, etc., page 27, la licence des fous est devenue si grande que, etc.

Verdissant, qui verdit, partie, présent du verbe 'verdir.

VerflORISSANT, composé des mots 'vetxl ei florissant. Floris- sant est le part, présent duverbe^or/r, qui n'est plus en usage au présent de l'infinitif, et qui n'a conservé que quelques-uns de ses temps, dont encore on ne se sert qu'au figuré : car, au propre, on dit fleurir, « Esgayé de belles et 'verflorissantes prairies. » (Cl. BiNET, Vie de Ronsard, i586.) Voy. DoysONDOïANT.

Vers, prép, , envers.

Il nous faut ores atfuîter

Vers ce docte et gentil Fumée , page lar,

c'est - à - dire , il faut maintenant nous acquitter envers ce docte, etc.

VespREE, s,f,, soir, soirée, du latin -vespera.

VesQVI (ie)> j^ vécus, prêt, défini du verbe 'vivre. On trouve aussi dans les auteurs du temps, ie 'vescu, Mascaron, Fléchier, Bossuet ont dit: Je 'vécjiiis , je survétjuis. Vaugclas admettoit

520 GLOSSAIRE

l'un et l'autre. L'Acade'mie s'est décidée en faveur de je vécus je survécus , et sa décision a été sanclionnée par l'usage.

Vev (i'ay, ayaint), j'ai, ayant vu. Le plus souvent, Louise Labé écrit vu,

Vevil, vouloir, volonté, vœu.

ViD (tl), troisième personne du prétérit déjini du verbe voir, il vit. Quand J^lysse vid la fumée de son Itaque , page 62.

Le mieus sentant que iamais ^id Aurore.

C Sonnet VI. )

La première personne du même temps étoit ie vy.

Le reconnu quand l'j premièrement,

( Sonnet xx) ,

c'est-à-dire, je le reconnus quand je le vis pour la première fois. On a écrit long-temps, il vid, et à la troisième personne du présent de l'indicatif, il void. Les premières éditions de La Fontaine offrent de nombreux exemples de l'un et de l'autre. Le d étoit là, en quelque sorte, un signe étymologique, voir dérivant du latin videre , video , vidi.

Vieil, vieux. Au vieil Saturne, page 9, au vieux Saturne. De- puis on a dit vieux devant une consonne, et vieil devant une voyelle; mais cette règle ne subsiste plus; nous ne disons plus que vieux y excepté dans celte locution : Dépouiller le vieil homme , le vieil Adam. P^ieil est plus analogue au féminin vieille; mais il est un peu dur, surtout devant une consonne. Il existe à Lyon une rue qui a conservé son ancien nom de rue du vieil renversé. On appeloit encore, du temps de La Fontaine, le fameux Prince des Assassins, le Vieil de la Montagne :

Vers le levant le Vieil de la AIoTitagne Se rendit craint par un moyen nouveau.

( Féronde ou le Purgatoire, conte.)

Voy. Ménage (Observ. sur la langue franc., chap. xx).

YoGYE.JEsireà la vogue dupeuple, page 53, être en vogue, être aimé, estimé par le peuple, être en grande estime auprès de lui.

DE LOUISE LABÉ. 3-2i

Voire, même, du latiu verum.

Vois (ie), je vais, du verbe aller. le voy, je vois, du verbe

'Voir. Les tem.ps irréguliers du verbe aller , je vais ou je 'vas ^

^'a, dérivent du latin vado , 'vade. On a dit autrefois 'voise pour

aille.

Ne voise au bal qui n'aymera la danse.

( PiBRAC , Quatrains.)

VOLTER, terme d'e'qui talion, tourner, faire tourner, du latin

'volutare.

Piquer, i^olter le cheual glorieus.

(Élégie III.)

VOVSISSEINT (qu'ils) , qu'ils x>oulsissent , qu'ils voulussent, troisième pers. plur. de V imparfait du subj. du verbe 'vouloir.

VeAYEMENT, vraiment.

Vs (r) ou Vu, tu us ou uz , il ut, prétérit de'fini. Que Vusse^ que tu ussesj qu^il ut ou ust , imparfait du subjonctif, f^, parti- cipe passé. Fayù, tu as ù, il ha ii , prétérit indéfini. Ainsi se conjuguait le verbe as'oir. Voy. Ha,

Vveille (QVE ie), que je veuille, première pers. du présent du subj, du verbe 'vouloir.

VvLCAN, Vulcain. « Pour J^ulcan et Kulcain, on dit l'un et

« l'autre. La question de savoir lequel des deux est le meilleur,

« a esté agitée dans l'Académie, sans y avoir esté décidée. L*o-

« pinion de M. Chapelain estoit qu'il faloit dire V^ulcan en

« vers, et J^ulcain en prose. Cette opinion fut réfutée par M. de

«< Racan, qui dit plaisamment que, selon cette distinction, il

« faudroit l'appeller Racan en vers, et Racain en prose. Mais

« pour en parler sérieusement, je suis assez de l'avis de M. Cha-

« pelain. Je dirois Vulcan envers, et dans des discours relevez;

« mais dans le discours familier, je dirois Kulcain. M. d'Ablan-

« court dans les premières éditions de son Lucien avoit dit

« Vulcan; mais dans la dernière il a dit Vulcain. » (MÉNAGE,

Observ. sur la langue franc. , chap. Clv.) La Fontaine a dit aussi

Vulcan .""^

* ai

322 GLOSSAIRE DE LOUISE LABÉ.

La sottise du prince étoit d'un tel mérite Qu'il fut fait in petto confrère de Vulcan.

(Le roi Candaule et le maître eu droit, conte. )

Celui du preux Achille auroit été plus beau. Si Vulcan eût dessus gravé notre tableau.

( Le Tableau , conte. )

L'usage actuel n'admet plus que V^ulcain, en vers comme en prose.

Vy (lE). Voy. ViD.

Y.

YeVS. Faire passer deuant les y eus , page lo, expression pro- verbiale qui signifie, faire accroire.

FIN DU GLOSSAIRE.

ADDITIONS ET CORRECTIONS.

Jr AGE xxij , lignes 6 et 7 , sur ces mots : Pour moi , je ne me suis jamais mêlée d'affaires publiques, mettez cette note : Rien n'an- nonce, en effet, que Louise Labé se soit occupée de politique, si ce n'est peut-être la manière injurieuse dont Calvin l'a traitée dans un de ses pamphlets. Voy. Notice, pag. xl. Il se pourroit qu'elle eut montré un grand éloigncment pour la réforme , qu'elle se fût déclarée ouvertement contre les Huguenots, et que sa qualité de bonne catholique lui eut valu la haine de Calvin. La France étoit alors eu proie à des troubles et à des déchirements, auxquels la religion servoit de prétexte, et qui finirent par amener l'horrible catastrophe de la St-Barthélemy, environ six ans après la mort de Louise Labé. Lyon fut une des villes il se commit le plus d'excès. Les protestants avoient à cœur de s'en emparer, pour en faire le point central de leurs opérations, et, en quelque sorte, leur capitale. En i56o, sous la régence de Catherine de Médicis , gouvernant le royaume pour Charles ix, Bèze, Calvin, et Spifatne, évêque de Nevers, our- dirent à Genève une conspiration dont le premier acte devoit être la prise de Lyon. Ce projet échoua par la vigoureuse résis- tance qu'opposèrent les bourgeois catholiques, les magistrats et le clergé; mais, deux ans plus tard, il se réalisa; Lyon tomba au pouvoir du baron des Adrets, et les protestants en restèrent maîtres pendant treize mois. Louise Labé, à ce qu'il paroit, ne partagea pas les idées d'innovation et d'indépendance qui fermentoient alors dans beaucoup de têtes , et qui ont changé la face du monde. 11 faudroit cependant tirer peut-être une con- clusion contraire , et effacer ce que l'auteur du Dialogue entre

324 ADDITIONS ET CORRECTIONS.

SapphoetLouiseLahé fait dire à celle-ci, s'il e'toit vrai qu'elle eût composé un ouvrage en faveur de la liberté : or, c'est ce qu'on a supposé en 1790, à l'époque de la confédération de Lyon. Le drapeau du iç).^ bafaillon de la garde nationale lyonnoise, ap- pelé bataillon de rue Belle-Cordicre, est ainsi décrit dans l'Al- manach de Lyon, de cette année-là, page 36 : « Louise Charly, « femme d'un cordier, fit, en i55o, un poëme s^ur la liberté. Sa « beauté et sa science ont formé l'emblème suivant : La Belle « Cordière est vêtue simplement, assise sur un lion; une guir- « lande de fleurs lui descend de l'épaule gauche au côté droit; « d;^ la main droite elle tient une pique entrelacée de lis, et « surmontée du chapeau de Guillaume Tell, restaurateur de la « liberté helvétique; est encore adapté à ladite pique un ruban « sur lequel est cette légende ;

« Tu prédis nos destins, Charly, Belle Cordière, f< Car pour briser nos fers tu volas la première ;

« de l'autre côté du ruban est : Belle Cordière , ton espoir 71' é- « toit pas 'vain ; audit chapeau est le panache aux trois couleurs. « De la main gauche, elle tient son poëme sur la liberté fran- « coise, qui est appuyé sur un globe terrestre. Le lion tient « sous une de ses pattes le livre de la Constitution : à côté est « l'autel de la patrie, brûle le feu du patriotisme; d'un côté « est une plante d'olivier, signe de la paix, et de l'autre, une « dr laurier, signe de la gloire; des livres en désordre à ses « pieds, qui désignent sa science. » Ainsi voilà Louise Labé transformée en ardente patriote et en écrivain libéral. Malheu- reusement pour ceux qui aimeroient à trouver en elle ce double caractère, il n'y a d'autre fondement à cette opinion que le poè- me qu'elle auroit écrit sur la liberté, et ce poème n'a jamais existé : il n'en est question nulle part. C'est un fait évidemment controuvé , et qui n'a pu passer qu'à la faveur de cet aveugle enthousiasme et de cette exaltation furibonde dont la France commençoit à être tourmentée, et dont les résultats, que peu de personnes prévoyoient alors, ont été si terribles.

ADDITIONS ET CORRECTIONS. 025

Page xxxiv, ligne 27, 11 S.*', lisez: 2i5.*.

Page xlviij, ajoutez à la note qui est au bas de cette page: Poullin de Lumina donne pour un fait certain ce qui n'est qu'une conjecture. Il est probable que Louise Labé e'toit mem- bre de l'académie de Fourvière , mais aucun écrivain du temps ne nous l'apprend d'une manière positive. Quoi qu'il en soit, dans des vers adressés en 1782 à l'académie de Lyon (qui a succédé à l'académie de Fourvière, comme celle-ci avoit, s'il est permis d'employer cette expression, continué l'ancien Athé- née), M. le chevalier de Cubières, célébrant l'admission de M.'^^deBeauharnois dans cetle société, dit entre autres choses :

Sur le tombeau de Louise Vous versez encor des pleurs ; De ses talents enchanteurs Votre âme est toujours éprise : Cessez de la regretter -, L'auteur de Stéphanie > au sommet du Parnasse Jalouse d'avoir sa place , A grands pas vient d'y monter.

Page Ij , ajoutez à la note qui se termine à l'antépénultième ligne: M. D,..S a donné, en l'an X, comme une traduction de l'anglois, cette petite pièce, le sujet du Débat de Folie et €l' Amour est traité avec une grande précision :

AMOUR ET FOLIE. L'Amour et la Folie, un jour. Loin des regards de la Sagesse, Disputoient.... La vive déesse De dépit aveugla l'Amour. Soudain la faute fut punie Par loi de la céleste coui ; Et, depuis ce temps, la Folie Est réduite à mener l'Amour.

( Journal de Lyon, du i5 ventôse an x, nP 38.)

Page Iv, ligne 17, et il, lisez: et celui-ci. Cette faute a été corrigée dans quelques exemplaires, ainsi que deux ou trois de celles qui seront indiquées plus bas.

326 ADDITIONS ET CORRECTIONS.

Page Ix, lignes 22 et 23, sur ces mots: Cette anecdote dé- mentie par tous les documents de l'histoire... ^ mettez cette note: On a remarqué que la Belle Cordière, qui «commença dès l'âge « de seize ans par se distinguer sous les drapeaux de Mars, et M prit, pour ainsi dire, sa retraite auprès d'Apollon, » seroit une excellente he'roïne de roman. Le romancier ne manqueroit pas de mettre eu œuvre l'anecdote dont il s'agit; mais il n'auroit pas le droit de placer au bas de la page le mot : Historique. Au reste , le roman est sans doute déjà fait; car on assure que M. F. V. Vignon, petit-fils du célèbre Rétif de la Bretonne, a en portefeuille un ouvrage qui formeroit deux volumes au moins, et qui a pour titre: Louise Labé.

Page i65, ajoutez à la note 34: Mirabeau, dans ses Lettres écrites du donjon de Vincennes (Paris, 1792, 4 vol. in-S.**, pag. 263-4), passe ainsi en revue les différentes versions des anciens sur la filiation de l'Amour : « L'Amour étoit fils de « Mars et de Vénus, disoit Simonide : tu vois bien que ce n'est « pas le nôtre; c'est celui des garnisons. Selon Alcméon , il « naquit de Flore et de Zéphir : c'est bien joli; mais Flore se « fane trop vite, et Zéphir a des ailes. Platon l'a dit fils de « la Pauvreté : c'est le dieu des filles de l'opéra. Hésiode, du « Chaos: que les ambitieux l'adorent. Mais Sapho, la tendre « Sapho, faisoit l'Amour fils du Ciel et de la Terre. Ah! Sophie, « voilà le nôtre : l'union des âmes, les délices des sens, c'est « la volupté: double jouissance vraiment céleste, gage éter- « nel de notre fidr^lité. »

Page 171, ligne 33, fond, lisez: fonds.

Page i83, ligne 23, sa mémoire, lisez: son âme.

Page 222, ligne 25, placidum, lisez: placidam.

Page 255, ligne dernière, enseigner, lisez : enseigner.

Page 3o4, après l'art. Provfit, ajoutez: Pvbliq, s. m., le public. PVCLIQVE, adj. des deux genres, public, ique. Aus Ueus publiques et festins , page 61.

FIN.

onr eâeÂa/r^âaa.eJ.

( L'astérisque indique ceux de MM les Editeurs qui sont membres de rAcadémie de Lyon. )

* ^ Goutte 3e llbî/OAiû» , ^tefcl ()a CDep.* ()u/ Si&ciie^.

-Pu) OTLeniBt^ De îœ Gêa/iM6t.e De Qûinmetce De •C'y^''P / vept^ewtée pai> ^op ^téiJiDeut, 3TL. fe Gêevccfieo OTLobtcb De CétawDo.

OIX^ClDo-l'Ue * e)^. De §&CAVl6Z<it.

STLOTl'* * JUcéûc/tD-5a*ita).

c. ji^eecwD.

^.-X. Cap.

5.-4^x. CoAt<L^.

5. De l^a Qï^oiea-J^cwaJi.

5.-flilo. -Po/uiGeïu^.

* 4^ Goiute De 4^u4^nci^p. 4^ (DocteiM) ^^u^tet^ScLW^ .

* 4^ (Docteuo OTLa/t'tin jeiaïc^.

C*. De OTLoiutut,

* oila. ^ei:a^xtuD omic^.

* eilo. cR.egMy.

^, «^evoif. ôuAUwi'en M.i0Ui6ec.

/e CDocte'iM) Seï^tuo'.

Acheué d'imprimer le XX de luillet de Tan m.dccc. xxiiii.

TESTAMENT

DE

LOUISE LABÉ.

AVERTISSEMENT.

Quelques personnes ont regretté de n'avoir pas trouvé dans la dernière réimpression de Louise Labé, à la suite de la notice consacrée à la vie et aux ou- vrages de la Sappho lyonnaise , le tex^e de son testa- ment resté inconnu jusqu'à ce jour : elles ont pensé que c'était un document historique trop curieux et trop intéressant , pour qu'on dût se contenter &ea offrir aux lecteurs une simple analyse. Ce repro- che, ou , si l'on veut 5 cette plainte a même été exprimée publiquement , mais dans les termes les plus flatteurs , par l'auteur d'un article inséré dans un des journaux littéraires de la capitale (i). Nous avons donc cherché à réparer , autant que possible 9 notre omission , et il nous a paru que le meilleur

(1) Dans le journal intitule , la Semaine , gazette littéraire , par un comité secret de rédaction , V.e livraison, septembre 1824, tom. I , pag. 2o3 210. L'article , qui annonce une grande érudi- tion , est signé E. K. E. , voile sous lequel nous croyons recon- naître un de nos confrères à l'Académie de Lyon , résidant à Paris, homme de lettres distingué , et possédant à juste titre la ré- putation d'un des meilleurs hellénistes de France. Nous le remer- cions de ses éloges et de ses critiques : nous profiterons bientôt de celles-ci , en publiant de nouvelles Additions aux notes sur

Louise Lahé , qui formeront aussi un supplément à la dernière

tidition de ses œuvres.

(4)

moyen, pour y parvenir, était de prier M. Cochard de nous confier la copie qu'il a faite de l'acte dont il s'agit , sur l'original qui en est conserve dans les ar- chives de la chambre des notaires de Lyon , et de faire imprimer cette copie dans un format et sur un papier qui permissent de la joindre , comme une ap, pendice , au volume des œuvres de Louise I^abé. Notre collègue ayant accueilli cette demande avec em- pressement , l'espèce de lacune qu'on remarquait dans notre édition, ne subsistera plus, ou du moins pourra être facilement remplie.

C. B.

TESTAMENT

DE LOUISE LABÈ.

Au nom de Dieu , amen. A tous ceux qui ces présentes lettres verront, Nous garde du scel com- mun royal establi aux contracts du baiJlage de Mascon et sénéchaussée de Lyon , sçavoir faisons que par devant Pierre de la Forest , notaire et tabellion royal à Lyon dessoubs signé , et en présence des tesmoins aprez nommez , a esté présente dame Loyse Charlin dite Labbé veuve de feu sire Ennemond Perrin , en son viuant bourgeois citoyen habitant à Lyon , laquelle faisant de son bon gré et ame pieuse et pure volonté , sans force ni contrainte , mais de sa libérale volonté , considérant qu'il n'est rien si cer- tain que la mort ni moins incertain que Pheure d'iceîle , ne voulant de ce monde décéder sans tester et ordonner des biens qu'il a plu à Dieu lui donner en ce mortel monde , afin que , aprez son decez et trespas , différend n'en aduienne entre ses succes- seurs : à ces causes et aultres considérations à ce la mouvant , ladite testatrice , aprez auoir reuoqué comme elle reuoque , casse et adnulle tous et chacuns

(6)

ses aultres testaments qu'elle pourroit auoir fait de bouche ou par escript , et aprez auoir déclaré comme elle déclare que ce présent son testament soit valable par forme de testament nuncupatif , testament solemp- nel 5 par forme de codicille , donation à cause de mort et aultrement comme mieulx il pourra et debura valoir selon les droits , loix canoniques et aultres us et coustumes introduictes en faueur des testateurs, a fait son testament et ordonnance de dernière vo- lonté de tous et chacuns ses biens meubles et im- meubles présents et advenir quelconques , en la forme et manière qui s'en suit : et premièrement ladite testatrice , comme bonne et loyale chrestienne , a recommandé son ame à Dieu le créateur , le priant, par la mort et passion de son seul fils lesus Christ , recepuoir son ame , et la colloquer en son royaume de Paradis, par Tintercession de sa tressacree mère, saints et saintes , et pour à ce parvenir s'est munie du seing de la croix | , disant : Au nom du Père , du Fils et du Saint Esprit. Item , ladite testatrice , en cas qu'elle decede en cette ville de Lyon , esiit la sépulture de son corps en l'église de N. D. de Con- fort , et ou décédera ailleurs , veult estre enterrée en la paroisse du lieu ou elle décédera , et veult estre enterrée sans pompe ni superstitions , à sçauoir de nuict , à la lanterne , accompagnée de quatre pres- tres , outre les porteurs de son corps , et ordonne estre dites en l'église du lieu ou elle décédera , une grande messe à diacre et soubsdiacre , et cent petites messes continuellement iusques à huit jours aprez son

( 7 )

decez , et veult que semblable seruice soit fait l'an

révolu de son decez , et donne à l'église ou elle sera enterrée la somme de loo liures pour une fois , à sçauoir 20 liures pour faire lesdits seruices , et îe reste pour employer en réparations , laquelle somme elle veult eslre payée auxdits desseruiteurs , à sçauoir 12 liures 10 sols aprez son decez, aultres 12 liures 10 sols pour ledit seruice, avec la surplus desdites loo liures pour lesdites réparations, dans l'an aprez son decez que ledit seruice sera fait. I/em , ladite testa- trice , esmeue de dévotion , a doté , fondé et légué à ladite église de Parcieu en Dombes une pension annuelle et perpétuelle d'une asnee vin et une me- sure bled froment bon , pur et marchand , mesure dudit lieu , laquelle pension elle impose sur sa grange et tenement qu'elle a audit lieu de Parcieu en Dombes, et veult estre payée aux S.^^ desseruiteurs par chacun an , à chacune feste de S. Martin d'hiuer , à commencer à la prochaine feste de S. Martin aprez le decez de ladite testatrice , à la charge que lesdits desseruiteurs et leurs successeurs seront tenus dire et célébrer perpétuellement , ou par chacune semaine, une messe basse en ladite église , à son intention, et de ses parents et amys , à commencer dans la semaine aprez son decez. hem^ ladite testatrice, pour charité pitié , aumosne , a donné et légué aux pauures la somme de 1000 liures de fonds, avec les dons au prou- fit de cinq pour cent ou aultre proufit qu'il plaira au roy donner à cause de ladite somme, et icelle pren- dra sur le crédit de plus grand somme qu'elle a au

( B )

grand parby du roy soubs le nom du S/ Thomas Fortin ( ou Fourtin ) , et duquel elle a cedulle, le- quel crédit doibt estre assigné sur la ville de Rouan à raison de cinq pour cent , laquelle somme de fonds ou dons et revenus ladite testatrice veult estre dis- tribuée aux pauures par ledit Fortin , lequel elle prie d'en prendre la charge , et aprez le decez d'iceluy Fortin , et ou ladite somme par lui n'auroit pas esté distribuée , en laisse la charge aux recteurs de l'au- mosne générale de cette ville de Lyon , ainsy que lesdits Fortin et recteurs verront estre plus charitable. llem , ladite testatrice a donné et légué , pour aider à marier trois pauures filles , à chacune la somme de 5o liures tournois à prendre sur les premiers deniers de la rente du reste de sondit crédit du roy , en laissant la nomination eteslection, distribution et deliurance desdits deniers , ladite testatrice en laisse la charge aux sieurs recteurs de l'aumosne générale de Lyon. llem , ladite testatrice a donné et prelegué en preciput et aduantage à Pierre Charly dit Labbé son nepueu et l'un de ses héritiers aprez nommez, le reste des deniers que icelle testatrice a audit grand party sous le nom dudi-t S/ Thomas Fortin , qui est tout ce qui reste desduit les looo livres léguées auxdits pauures et les i5o liures tournois pour les dons léguez pour marier pauures filles , pour dudit reste d'iceluy crédit, tant de principal que de dons, faire et disposer par ledit Pierre Charly comme de sa chose propre, et sans qu'il soit tenu le rapporter ou conférer à la masse d'hoyrie de ladite testatrice auec ses héritiers ou

(9)

cohéritiers ^ le faisant en ce son héritier particulier.

llem y ladite testatrice donne et lègue à quatre filles d'un nommé Villard de Parcieu son voisin, à chacune d'elles une robbe iusques à 5 Hures tournois, lesquelles leur veult estre deliurees ou elles suruiuront à ladite testatrice , incontinent aprez son decez et trespas , pour une fois , et non aultrement. Item , ladite testatrice donne et lègue à Antoinette , femme de Pierre Valliand tissotier , iadis semante de ladite testatrice , la somme de loo liures tournois , laquelle luy veult estre payée pour une fois aprez le decez de ladite testatrice. Ifem , donne et lègue icelle testa- trice à une sienne chambrière qu'elle a dit estre nommée Pernette, jeune fille, la somme de 5o liures , laquelle luy veult estre payée pour une fois lorsqu'elle sera mariée , et cas demeurant que ladite Pernette decedast sans estre mariée , donne et lègue ladite somme aux pauures à la nomination dudit Fortin , et aprez luy , desdits recteurs. I/em , donne et lègue icelle testatrice à aultre Pernette sa vieille chambrière qu'elle tient à la grange de Parcieu , une pension via- gère de lo liures, d'un poinçon de trois asnees de vin et d'une asnee bled froment , le tout bon , pur , net et marchand , mesure dudit lieu , laquelle veult estre payée à ladite Pernette, et tant qu'elle viura, par sesdits héritiers et substituez aprez nommez , par chacun an , à commencer aprez le decez d'icelle testa- trice : déclarant icelle testatrice auoir i8 liures tour- nois appartenant à ladite Pernette , tant pour reste de ses gages que deniers qu'elle luy a baillez en garde ,

( 10 )

laquelle somme luy veuît estre restituée aprez le decez de ladite testatrice. Ifem , ladite testatrice a donné et légué à lacquesme Ballasson , iadis son iardinier , le- quel demeure en la paroisse de Parcieu , une pension annuelle et viagère de deux asnees bled froment , bon, pur et marchand , mesure du lieu , laquelle elle veult estre payée audit lacquesme et à ses enfants , tant qu'ils viuront, et non plus aultrement , aprez le decez de ladite testatrice , et veult et entend icelle testatrice que ladite pension puisse estre rachetée par ses héritiers et substituez, en payant audit Ballasson ou à sesdits enfants , la somme de loo Hures tour- nois , quand bon semblera à ses héritiers. liem , la- dite testatrice donne et lègue à Claude Chomel son seruiteur, pour une fois, la somme de lo liures tournois , laquelle veuît luy estre payée aprez son decez : déclarant estre débitrice audit Chomel de 3o liures tournois , tant pour reste de ses gages que pour deniers qu'il luy a baillez en garde , lesquelles 3o liures tournois luy veult estre restituées aprez son decez. Item , la mesme testatrice donne et lègue à Benoist Frotté , son grangier dudit lieu de Parcieu , la somme de lo liures , à la femme dudit grangier et à la niepce de la grangiere , à chacune une cotte iusques à 5 liures tournois , lesquelles leur veult estre payées respectiuement et aprez son decez. Item , ladite testatrice , pour bonnes considérations à ce la mou- vant , a donné et légué , donne et lègue par ces pré- sentes , audit S.*" Thomas Fortin , marchand floren- tin 5 demeurant audit Lyon , les usufruicts , proufits ,

( Il )

revenus et iouYssance de la grange et tenement qu'elle a audit lieu de Parcieu , en quoy que ladite grange consiste , soit en mesonnaiges ( i ) , bastiments , iar- dins , fonds , héritages et immeubles quelconques, et tant celle ou ladite testatrice a coustume habiter que celle ou elle tient son grangier , auec toutes les pensions qui sont deues à ladite testatrice tant audit lieu de Parcieu que lieux circonuoisins , qui peuuent monter à la quantité de vingt asnees bled par chacun an , ou enuiron , pour en iouïr et user par ledit Fortin et les siens , et autres qu'il plaira audit Fortin légataire ordonner aprez son decez, pendant et durant le temps de vingt ans continuels et consécutifs à compter du iour du decez de ladite testatrice : tant seulement et outre ce , donne et lègue audit Fortin et aux siens susdits , pendant ledit temps de vingt ans , l'usage et iouïssance des biens meubles d'icelle testatrice , de quelque qualité , nature et condition qu'ils soyent et qu'ils seront, tant en sadite grange que celle ou habite son grangier audit lieu de Parcieu , et veult et entend icelle testatrice que ledit Fortin légataire et les siens susdits puissent incontinent aprez le decez de ladite testatHce prendre et appréhender la possession et iouïssance réelle et actuelle des choses ci-dessus lé- guées , sans recognoissance et cause de bénéfice d'in- uentaire , ne aultre réquisition : mais prohibe et def- fend expressément à sesdits héritiers et successeurs

(i) Ce mot qui devait s'e'crire maisonnaigcs , signifiait sans doute maisuns.

(12)

aprez nommez et à tous aultres n'empescher ledit Fortin et les siens susdits en ladite possession et iouïssance réelle et actuelle desdites maison et grange, en Testât qu'elle sera lors dudit decez , et tout ainsy qu'elle se trouuera meublée et garnie , et sans que iceîuy Fortin , comme usufruictier ou aultrement , soit tenu de prester aucune caution , ne prester et rendre aucun compte et reliquat desdits biens meubles , et à ces fins venant le decez de ladite testatrice, icelle testatrice , pour le faict dudit usufruict , a transféré et transporte en la personne dudit Fortin et des siens susdits , tous droicts et propriété de possession pour le temps susdit , et au cas que lesdits héritiers soubs- nommez vinssent à troubler ou à empescher ledit Fortin et les siens susdits , en la iouïssance actuelle desdits biens léguez, ou qu'ils le voulsissent con- traindre à faire inuentaire , bailler caution , ou de les prendre par les mains desdits héritiers , en ce cas ladite testatrice a reuoqué et reuoque l'institution d'héritier faite au proufit de sesdits héritiers aprez nommez : en ce cas , a institué et institue et nomme de sa propre bouche ses héritiers uniuersels en tous ses biens, les pauures de Paumosne générale de cette ville de Lyon : car telle est la volonté d'icelle testa- trice. Ifem , donne et lègue à Germain Borgne de Cahors , cordonnier , habitant à Lyon , quatre asnees bled froment bon , pur et marchand , lesquelles luy veult estre délivrées aprez son decez. I/em , ladite tes- tatrice a donné et légué et par droit d'institution à tous autres prétendants auoir droit sur sesdits biens ,

( i3 ) la somme de 5 sols tournois, laquelle leur veult estre payée , et à chacun d'eulx pour une fois , aprez le decez d'icelle testatrice , et à ce les a faits et instituez par chacun d'eulx ses héritiers particuliers , sans pouvoir aultre chose quereller ne demander sur ses- dits biens. Item , ladite testatrice a déclaré et dé- clare estre débitrice des sommes suiuantes , àsçauoir,

à M. lacques , apothicaire à la Grenette , de 8

liures ou enuiron , à Benoist Bertrand , en rue Salne- rie ( I ) , d'autres 8 liures pour vente de carrons (5/^),

et prest de , de 60 liures i sol pour reste

d'une terre que modernement elle a acquise de luj, et finalement ladite testatrice au résidu de tous et chacuns sesdits biens meubles et immeubles, présents et aduenir quelconques , desquels elle n'a cy dessus disposé ny ordonné , a fait , constitué , créé et nommé, et par ces présentes fait, constitue, crée et nomme de sa propre bouche ses héritiers uni- uersels , à sçauoir , ses bien-aimez lacques Charlin dit Labbé et ledit Pierre Charlin son frère , nepueux de ladite testatrice et enfants de feu François Charlin dit Labbé son frère , demeurans à Lyon , et chacun d'eulx , par moitié et égale portion , et leurs enfants masles naturels et légitimes , et de chacun d'eulx , et cas aduenant que sesdits nepueux héritiers susdits ou leurs enfants masles vinssent à décéder sans enfants masles et légitimes, audit cas et iceluy aduenant,

(1) Probablement la rue de la Saonerie qui occupait une parti* de l'einplacenient du quai de Flandre^

( 14 ) ladite testatrice a substitué et substitue en tous sesdits biens ^ les filles descendans du degré de sesdits héri- tiers , pour iouïr par elles des biens de ladite testatrice , leur vie et de chacune d'elles durant , et aprez le decez de sesdits nepueux et héritiers, ou de leurs enfants masles et de leursdites filles , au cas que sesdits nep- ueux ou leurs enfants masles décédassent sans enfants masles , audit cas et iceluy aduenant , ladite testatrice a substitué et substitue en sesdits biens les panures de l'aumosne générale de cette ville de Lyon , à la charge de payer et acquitter ses dettes , légats et frais funéraires , de les accomplir sans aucune exce- ption ne figure de procez, déclarant par exprez ladite testatrice qu'elle n'a voulu ne entendu, mais a expres- sément prohibé et defFendu , et deffend par ces pré- sentes, tant à sesdits héritiers que substituez , l'aliéna- tion de ses biens ou partie d'iceulx, et toute distraction de quarte trebellianique , parce qu'elle veult sesdits biens estre conseruez en sa maison et famille , pour en défaut d'icelle parvenir auxdits pauvres , en faueur desquels ladite prohibition a esté par elle faite. Ladite testatrice a fait par ces présentes exécuteur de ce présent son testament ledit S.*^ Thomas Fortin , auquel elle donne pouuoir et puissance de prendre de sesdits biens pour l'entier accomplissement de cedit présent son testament : priant et requérant ladite testatrice les tesmoins aprez nommez d'estre records de cette présente ordonnance de dernière volonté , la tenir secrette iusques à ce qu'il plaira à Dieu l'avoir ^ppellee, et aprez en porter bon tesmoignage en temps

( i5) et liea : priant aussy et requérant ledit notaire et tabellion royal dessoubs signé de la rédiger par escript, la minuter et estendre au long la substance de fait nous mesme , et aprezen faire expédition à qui appar- tiendra, moyennant salaire competant. Fait et passé à Lyon en la maison d'habitation dudit S/ Thomas Fortin, ladite testatrice estant au lit malade le samedi 28.^ iour d'apuril i565 : présents Bernardo Rappoty , Antoine Panfy, florentin, Martin Prévost, apothicaire, M.^ Claude Alamani , maistre ez arts , Germain Vacque , cordonnier , Pierre Maliquet , cousturier , Claude Panissera , piedmontois , tous demeurans à Lyon, tesmoins appeliez et requis, laquelle testatrice, ensemble lesdits Rappoty , Panfy , Alamani , Pa- nissera et Prévost ont signé , et non lesdits Ma- liquet et Vacque , ne sçachant signer , deuement requis , suiuant l'ordonnance.

A LYON , de l'Imprimerie J. M. Barret , place des Terreaux.

N.^ 109. Lyon, 20 Août 1824. (T. IF.)

(ll.me Annëe).

TABLETTES

i4totiaue4 et ivitietaite^.

AVIS.

A cause de la fêle de St. Louis , le prochain N.** des Tablettes ne paraîtra que vendredi matin , 27 du présent mois.

Esquisses historiques et statistiques sur la Ville de

Lyon»

( XVIII.e Article. )

BoNNEVEAU (^rue) , tendant de la rue des Gënërales à la rue du Port-Charlet , d ^pendant de la paroisse de St- JBonaventure et du 2."'^ arrondissement de justice de paix ^ et comprise au recensement de 1825 pour 3r maisons » 2o5 ménages, 817 individus, 5i ateliers et 120 métiers pour la fabrication des étoffes de soie.

M. Cochard paraît être le seul des auteurs qui ont écrit sur Lyon , aux recherches duquel on doive quelques no- tions sur cette rue , elle n'en faisait autrefois qu'une seule avec celle des Générales , qu'on trouve figurée au plan de i54o , mais sans nom. Plus tard, les moines de Tabbaye de Bonneveau , prés de Vienne , en Dauphiné , ayant acquis nne maison à l'angle de la rue Grenette et de la rue unique, rappelée ci-dessus | celle-ci prit le nom des uoiiYeau^ii ac"

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TABLETTE

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AVIS.

se de la fête de St. Louis , le pochaîo N.o ^,, ^ ne paraîtra que vendredi matin 27 du présent

USES historiques et statistiques sr la Ville de Lyon.

( XVIlLe Article. )

mvEAU Crue), tendant de la raec e du Port-Charlet , dépendant de la :nture et du 2. me arrondij iprise au recensemenl Ménages, 817 indi^ la fabrication des . Cochard paraît êl ^you , aux rechei is sur c celj i54o

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( 238 ) quéreurs , et fut par conséquent appelée Eonneveau Mais ensuite la première partie de cette même rue reçut la dénomination des Générales sur laquelle nous revien- drons ultérieurement , et le surplus , c'est-à-dire la partie conduisant de la rue de la Lune à celle du Port-Char Ict^ conserva seule la dénomination primitivement donnée.

11 n'y a rien de remarquable dans la rue Bonneveau , dont les rez-de-chaussées sont presque tous occupés par des ateliers de mégissiers et de corroyeurs , les étages supérieurs par des ateliers de fabrication d'étoffes de soie, et quelques bas sur les derrières, par des fabriques de chapeaux.

Bov RENCONTRE {rue) , de la paroisse de St - Bona- yenture et du 2."^^ arrondissement de justice de paix. Elle aboutit , du point d intersection des rues Grôlée et du Port- Charlet , à la place des Cordeliers , et renfermait , au re- censement de 1823, 5 maisons, Sa ménages, 194 indi- vidus , i5 ateliers et 45 métiers pour la fabrication des étoffes de soie.

Avant la révolution on voyait dans cette rue la cha- pelle de Notre-Dame de Bonrenconlre , qui était attenante au chevet de celle des Pénitens du Confalou. Elle avait çté bâtie par les habilaus du quartier qui porte son nom , sur le terrain des Pères Cordeliers de St-Bonaventure, dont elle dépendait. Jean Coutelle , bourgeois de Lyon , Pavait ensuite dotée d'une prébende qui , dans les der- niers temps de son existence, était venue à la nomination de la famille Kibier , descendant dudit Jean Coutelle. Cette chapelle était desservie par les Pères Cordeliers , auxquels s'était adjoint une Confrérie composée de bour- geois et d'artisans pieux. Ceux-ci , inspirés par cet esprit 4e chaiité et de religion qui régnait alors , y avaient établi un catéchisme en faveur des pauvres enfans de la paroisse de St-Nizier qui n'avaient encore fait que leur première confession.

( 3^9 )

Cette chapelle a été démolie , et remplacement qu'elle occupait se trouve compris aujourd'hui dans celui sur lequel a été élevé lu Halle au blé.

BoNRENCONTRE ( (juai ) , dc la paroisse de St-IJoua- venture et du i."'® arrondissement de justice de paix. Il a été construit en lySS , et comprend ta partie du quai du Rhône qui s'étend de la rue du Port-Charlet à la rue Maurico. On y comptait , à Tépoque du recensement de 1825, 12 maisons, 85 ménages, 556 habitans , 12 ate- liers et 27 métiers de la fabrique des étoffes de soie. Son nom lui vient de la chapelle de Notre-Dame du lionrencontre , dont nous nous sommes occupés plus haut. Aucune particularité remarquable ne s'y rattache.

Boucherie-des-Terreaux {place de la), de la pa- roisse de St Pierre et du 4''^® arrondissement de justice de paix. C'est moins une place qu'un carrefour situé au débouché occidental de la place des Carmes , aux extré- mités orientales du clos et de la rue de la Boucherie , et à l'entrée, au nord, de la rue Lanterne. Le recensement de 1825 y a reconnu lo maisons , 68 ménages et 208 habitans. On y trouve la principale entrée du clos de la Boucherie-des-Terreaux , édifice primitivement bâti sur les anciens fossés de la Lanterne , qui faisaient la clôture de la ville, de ce côté, ainsi qu'on le voit sur le plan du Père Menestrier , de l'année i54o. Ces fossés rece- vaient alors les eaux du Rhône et de la Saône , au moyea du canal dont nous avons eu plusieurs fois occasion de parler , et qui formait la communication de l'une à l'autre de ces rivières , en passant par l'emplacement de la place des Terreaux et de 1 Hôtel-de-ville.

Dans la nuit du i5 au 14 octobre 1734. ce bâtiment fut entièrement consumé par un incendie , et l'année sui- vante la ville en vendit le sol aux administrateurs de l'Hospice de la Charité par les soins desquels il fut re- construit dans sa forme actuelle , qui n'a de remarquable que son étendue. Le Consulat eu posa la première pierre le vendredi 16 décembre 175$.

( 3/,o )

Usant aujourd'hui de cette liberté de Tiurluslrie , dont on n'a peut-être jamais tant abusé qne depuis qu'on a essayé de faire croire qu'elle était menacée , les bouchers ont abandonné une grande partie des étaux de la Boucherie des Terreaux pour se répandre dans la ville , leurs chevilles hérissées de viandes sanglantes , l'odeur désa- gréable qui s'en exhale pendant les grosses chaleurs et les cris des animaux qu'on égorge , offrent de toutes parts Taspect le plus dégoûtant. Une grande partie de ces in- convéuiens cessera sans doute quand la ville aura cons- truit les tueries communes , dont le conseil municipal a voté l'établissement j mais alors les clos seront plus que jamais abandonnés ; et le montent viendra ils devront nécessairement changer de destination. On assure que celui des Terreaux a déjà la sienne fixée , et que l'administra- tion des Hôpitaux , qui en est encore propriétaire , se propose d'en faire un passage en arcades, dans le genre des galeries du Palais Royal , à Paris.

Ce projet ne saurait manquer de réussir , en raison de la situation favorable et de l'étendue de l'emplacement qui s'y trouverait consacré.

Il a aussi beaucoup été question , dans ces derniers temps , d'employer ce même emplacement à la construc- tion d'une salle de spectacle, en acquérant , pour l'agran- dir et le régulariser , les maisons qui forment le côté nord de la rue du Bessard. Ce projet , qu une compagnie d'ac- tionnaires pourrait exécuter avec succès , doit néanmoins demeurer subordonné aux arrangemens que la ville avait, dit-on , Tinteution de prendre pour l'acquisition de la salle actuelle du Grand Théâtre. S'il arrivait cependant que les propriétaires de cette salle portassent leurs pré- tentions trop haut , il serait certainement de l'intérêt de la ville d'accueillir les propositions qui lui seraient faites relativement au projet dont nous parlons. Son accom- plissement offrirait , de plus , l'avantage de pouvoir substituer à des maisons informes et délabrées , un édi- tice d'autant mieux approprié à soû objet , qu'il s'amélio-

( 34t )

Ferait et s'embellirait de tous les perfectionneraens mo- dernes que le goût et Teipérience ont introduits , et dont le système de construclion de l'ancienne salle ne permettrait peut-être pas de profiter , même en consacrant des sommes considérables à sa restauration. Un échange entre la ville et les hôpitaux y fondé sur le droit d'établir les tueries, / rendrait la réalisation de ces vues plus facile qu'elle ne le semble au premier abord.

LITTÉRATURE, jf

JErrJiJîS de LêOVLze Labe lionnoize. A Lion par Durand et Perrin , m. d. ccc. xxiiii , in 8.° de ls.x et de 32G pages , avec cette dédicace derrière le frontispice : Pa- trice, Amicitiœ et Muais, (i)

La seconde ville de France qui a produit tant de savans, tant d'artistes et d'hommes distingués dans différens genres, a toujours été peu féconde eu poètes : le nombre de ceux dont elle peut vraiment s'honorer est bientôt compté. Je mets à part ce Sidoine Apollinaire qui a jeté tant d'éclat sur le siècle obscur et barbare il vécut , et je ne trouve que trois véritables favoris des Muses nés à Lyon depuis* qu'il existe une littérature française : ce sont Louise Labé , dite la belle Gordière , Jacques Vergier et Charles Borde. Le reste iic vaut pas l'honneur d'être nommé.

Vergier , célèbre par ses liaisons avec Lafonlaine , nous a laissé quelques contes l'on retrouve l'abandon , lu grâce et la naïveté du Bonhomme ; Borde s'est fait un nom par une ode sur la guerre et des pièces fugitives dont quelques-unes furent attribuées à Voltaire. Quant à Louise Labé , bien supérieure en génie à ces deux littérateurs , quoiqu'elle soit venue dans un temps la langue et la \ersiiication n'étaient pas encore perfectionnées , elle est

(1) Ou ea trouve quelquei exemplaires chez Chami.et fils.

( 343 ) notre poète par excellence : ses élégies et ses sonnets , malgré leur vieux style , ont eucore des grâces nouvelles , et lui out mérité le surnom de la Sappho de Ljon ; sou Débat de Folie et d'Amour , espèce de composition dra- matique , est une allégoi:ie charmante. Il est vrai qu'elle l'a écrit en prose , mais l'invention du sujet qui lui ap- partient en propre et la manière dont elle l'a traité , peu- vent servir également à prouver qu'elle possédait du moins wne qualité essentielle dans les poètes , une imagination heureuse et féconde. Il n'est donc poiut étonnant qu'on la place |wmi les personnes illustres auxquelles notre ville a donné le jour, et qu'elle figure avec honneur sur îe Parnasse français. Ses œuvres publiées pour la première fois eu i555 et i556 , étaient devenues , malgré leur répu- tation , extrêmement rares , lorsqu'en 1762, quelques Lyon- nais , non moins distingués par leur goût et leur instruction que par le rang qu'ils occupaient dans la cité , en don- nèrent une nouvelle édition qui , à son tour , est aujourd'hui presque aussi difficile à trouver que les éditions originales. Une réimpression faite à Brest eu 181 5 n'a pas mis les admi- rateurs de Louise dans le cas de pouvoir satisfaire beau- coup plus aisément leur curiosité ( i) ; car on ne sait par quel caprice elle n'a été tirée qu'à t^o exemplaires. La gloire de reproduire et de multiplier les ouvrages de cette femme célèbre dans une édition digne d'elle, était réservée à deux académiciens de Lyon , MM. Bréghot du Lut et Cochard. Tous deux se sont chargés du soin de diriger cette entrepjise , et d'élever un véritable monument à la mémoire de la belle Cordière, Dès qu'ils en eurent conçu le plan , ils le soumirent aux amis des lettres et des arts

(i) Malgré la rareté de ses éditions , Louise Labé est générale- ineiit connue : il n'est pi esque aucune de nos poétiques , aucun de nos recueils de vers , plusieurs de ses pièces ne soient citées comme des modèles dans leur genre ; mais cela >ert à faire mieux sentir le Jiesoin et le prix d'une coileçtioQ complète de tout ce qu'elle « composé,

( 343 ) que Lyon renferme dans son sein; une souscription fut ouverte et remplie au même instant ; nos principaux ma- gistrats se firent gloire d'y placer leurs noms. L'édition vient de paraître : les exemplaires dont le nombre , sans être excessif est assez considérable, ont été partagés entre les souscripteurs pouc-être distribués à leurs amis, et ces riches présens, accueillis avec reconnaîi^sauce , commen- cent déjà à décorer les bibliothèques des littérateurs et des hommes de goût.

Ce n'est pas seulement par le luxe typographique que cette édition est remarquable, quoique, à cet égard, elle ne laisse rieu à désirer : MJVl. Durand et Perrin , qui dé- butent avec succès dans l'art des Didot et des Baskerville , y ont apporté un soin qui leur fait le plus grand honneur; mais elle a droit encore, sous d'autres points de vue, de fixer l'attention des savans et des hommes de lettres.

Un dialogue écrit avec esprit et échappé à la plurhe élégante et facile de M. Dumas , ouvre le volume : Sappho et Louise, dans un entretien agréable et piquant , appren- nent aux lecteurs tout ce qu'on aurait pu leur dire dans un avant-propos. Cette préface ingénieuse intéresse éga- iement et par le fond et par la forme.

La vie de l'illustre Lyonnaise , composée par M. Cochard, rappelle la manière siniple et naturelle du bon Plutarquo: Louise y est vengée des imputations Calomnieuses que des écrivains fanatiques ou iguorans avaient débitées contre elle.

De savantes et nombreuses remarques accompagnent cette curieuse notice; elles indiquent avec exactitude les sources les faits ont été puisés , et contiennent une foule de notions sur l'histoire de Lyon , et sur l'histoire littéral :e en général. Ces remarques , ainsi que celles qui sont pU- cées à la suite des œuvres , sont dues à M. Bréghot, dont la saine critique a répandu un nouveau jour sur la vie et les écrits de Louise , et qui a déployé dans ses recherches les trésors de la plus vaste érudition.

(344)

Le glossaire qui termine le volume et donne l'explica- tion de tous les mots employés par la belle Cordière, qui ont cessé d'appartenir à notre langue, a aussi été rédigé par le même académicien. Les anecdotes qu'il y a insérées , les rapprochemens qu'il y a faits , les notes philologiques dont il l'a semé , rendent la lecture de ce dictionnaire nou moins agréable qu'utile. La sécheresse presque insépa- rable de ces sortes de nomenclatures ne s'y fait sentir nulle part.

Nous pouvons assurer que les dames même liront avec plaisir toutes ces différentes pièces accessoires. Les éditeurs n'ont jamais perdu de vue qu'il se trouvait une dame ( i ) parmi les souscripteurs.

En un mot , rien n'a été oublié pour faire de la nou- velle édition uu ouvrage accompli. M. Bréghot , chargé spécialement de surveiller l'impression , a eu sous les yeux et a collationné toutes les éditions antérieures ; il a même emprunté à la bibliothèque du Roi l'une d'entr'elles dont la rareté est si grande qu'il n'en existe peut-être pas ua seul autre exemplaire : ainsi, on sera certain d'avoir le texte le plus pur et le plus authentique. Les pièces de vers composées en l'honneur de Louise par des poètes de son temps, paraissent pour la première fois dans leur in- tégrité : l'çde grecque qui les précède a été traduite en vers français par le jeune et élégant interprète de Théo- crite , M. Servan de Sugny j les quatre pièces italiennes ont été rendues de la même manière par M. Péricaud , de l'académie de Lyon. Il eût été surprenant que M. Péricaud , compagnon assidu des travaux littéraires de M. Bréghot , son digne ami , n'eût pas contribué en quelque chose h cette louable entreprise. (2)

(il Dire que cette dame, malgré son savoir, aime l'éruditiou Baus pédauterie , et cullive les lettres avec autant de succès que les arts , c'est la de'signer suffisamment.

(aj Dès J1812 , ces deux amis publièrent ensemble , cUçz M.

( 345 ) Nous lerminerons cet article, dans lequel nous eussions justifié nos éloges par des citalions si l<^s borties de cette feuille nous l'eussent permis , eu exprimant le vœu que MM. Bréghot et Cochard ne s'en tiennent point à ce pre- mier essai. Ils Tout dit eux-mêmes : « Louise Labé n'est » pas le seul écrivain dont Lyon ait droit de s'enorgueillir , » il en est plusieurs autres dont les productions mërite- » raient aussi d'être plus répandues , et qui seraient dignes » de reparaître avec les mêmes honneurs. »»

Article communiqué.

CORRESPONDANCE.

Lundi dernier , l'affiche du Grand-Théâtre annonçait l'opéra dOtello , lorsqu'au grand désappointement des di- lettanti , une bande fatale , apposée sur l'affiche presqu'à l'heure même du spectacle , est venue révéler un relâche par refus de M. Damoreau. Grande rumeur parmi les abonnés , force reproches contre l'acteur ; en un mot , scandale complet et mécontentement général. Les appa- rences, en effet, s'élevaient toutes contre Damoreau, et quelque prétexte qu'il alléguât , rien ne pouvait l'excuser d'avoir manqué d'une manière si grave à un public qui l'a si souvent traité en enfant gâté, quoiqu'il se soit con- duit plus d'une fois eu enfant prodigue , et à la direc-

Ballanche , un voiume intitulé Cicèroniana , ou Ri^cueil des hons niotn dtt Cicéron , dont on désire depuis long-temps une seconde édition. Ils ont fourni l'un et l'autre des articles à la Bw^^^'ciphie uni\/iir selle. Tout récemment M. Péricaud a donné une belle tra- duction de Minucius Félix , à laquelle M. Bréghol a ajouté les notes les plus intéressantes et les plus instructives. C'est aussi ce dernier qui a été l'éditeur de l'Apologétique et des Prescriptions de ïertullien , imprimés dans le même volume que l'ouvrage de ]M.iaucius Félix. ( Se vend , à Lyon , chez Cliambet fils. )

( 346 )

lion qui a , dit-on , toujours eu pour lui les meilleurs procédés. L'autorité ne pouvait manquer d'intervenir dans ce débat ; et , suivant ce qu'on rapporte , après avoir écouté les parties , elle a considéré Damoreau comme un soldat qui abandonne son poste au moment du combat , plutôt par dépit que par faiblesse , et qu'on peut ra- mener à son devoir par une correction paternelle. La décision qui sera prise à ce sujet conciliera sans doute ce qu'exige la satisfaction réclamée par la vindicte pu- blique , et les égards auxquels un acteur agréable et jus- tement aimé peut encore prétendre.

Le Journal du commerce ayant publié , au sujet de cet événement , un article dont M. Damoreau croit avoir à se plaindre , ce dernier nous adresse en réponse la lettre suivante , dont il paraît que notre confrère a refusé l'in- sertion.

>) Vous avez inséré dans votre Journal du 18 un article renfermant un acte d'accusation contre moi. Je compte assez sur votre impartialité pour croire que vous ne re- fuserez pas dy insérer aussi ma réponse.

» Il est Jdu.v que j'aie attendu le jour même de la re- présentation d'Otello pour signifier que je ne pouvais jouer cet opéra , et pour offrir en remplacement la JNeige ou le Barbier d^ Séville, C'est la veille que j'ai déclaré que mes facultés ne me permettaient pas d'attaquer pour le lendemain un rôle de la force à'Otello , et que j'ai offert lialclgh ou Almaviviii , difficiles à remplir il est vrai , mais exigeant moins de moyens ( quoique vous ayez pu dire à ce sujet ) que le rôle dont je sentais ne pouvoir m'acquitter convenablement ce jour-là.

» Il est faux que je doive douze mille francs à M. Singier , et je ne sais à quel propos le rédacteur de l'ar- ticle s'ingère dans une affaire sur laquelle l'autorité ad- ministrative, seule compétente, n'a pas encore fait con- naître sn décision.

j) J'ai l'honneur d'être , etc. Damoreau,

( 347 ) GRAND-THÉATRE.

Concert de M, Lafont. M. et M.mc Pécrus.

M. Lafont, dans ses deux premiers concerts, a lutté avec succès contre l'ardeur de la saison, et vainqueur des élé- mens comme des difficultés de son art , il a charmé , par le moelleux , la grdce , le fini et la légèreté de sou jeu 6ur le violon , les nombreux auditeurs que sa réputation , si justement méritée, avait réunis au Grand-théatre. Un nocturne, fort agréable, a été chanté par Mad. Lafont et son mari , de manière à donner l'idée la plus avantageuse de la supériorité du goût et de la méthode de cette can- tatrice, qui a partagé les témoignages d'enthousiasme que Je f>ublic s'est plu à prodiguer au digue émule des Rode et des Viotti. Dans un prochain article nous rendrons compte avec plus d'étendue de ces intéressans concerts.

Pécrus , qui jouait, il y a quelques années, les jeunes premiers au Grand-theatre , s'est essayé avant-hier, sur la même scène , dans les premiers rôles. Il a rempli avec beaucoup de chaleur et d'intelligence le rôle de Dorsan , de la Femme jalouse f et plusieurs salves d'applaudisseraens l'ont encouragé à suivre une carrière dans laquelle il dé- bute avec tout le succès d'un comédien exercé. Nous lui devons cependant quelques conseils sur l'attention qu'il doit mettre à faire sentir, soit dans sa tenue, soit dans sa diction , soit aussi dans ses gestes , la distance qui sépare son nouvel emploi de celui qu'il vient de quitter. Cette dis- tance est plus difficile à franchir qu'on ne le pense géué- ralement ; et tel acttur fut excellent dans St-Alme de VAbbë de tepée , ou daus les marquis de Reguard , qui échoue complètement dans le Misanthrope ou dans le Joueur, Tout annonce que Pécrus n'aura point à craindre d'échec semblable , et qu'il ne fera pas dire de lui :

Tel brille au second rang qui s'éclipse au premier.

( 348 ) Mad. Pecrns a débuté , dans la même reprëseutation , par le rôle d'Angélique, delà Fausse Agnès. Cette actrice a su rendre avec esprit les intentions fines et variées de ce rôle ; son débit ne manque ni de grâce ni de naturel ; son jeu a de la vérité , et telle actrice qui occupe or- gueilleusement l emploi des jeunes premières , pourrait prendre d'elle de bonnes et d'utiles leçons.

M. O.

THEATRE DES CÉLESTINS.

Odry , qui poursuit le cours de ses représentations à la satisfaction du public et à la sienne propre , car aux Ce- lestins la caisse n'est jamais vide lorsque la salle est pleine; Odry a fait à Mad. Adam la galanterie de jouer dans une pièce , le jour du bénéfice de cette charmante comédienne, si justement aimée des Lyonnais qui ont vu naître soa talent et qui le voient se développer chaque jour avec une nouvelle grdce et un nouveau charme.

Ce ne peut être qu*à l'intérêt qu'on lui porte , comme agréable actrice et comme femme estimable , qu'elle doit attribuer l'empressement avec lequel les spectateurs se sont rendus mardi dernier à sa représentation ; car il faut ea convenir, elle avait fait un choix assez malheureux, et, à part Odry que l'on avait même déjà vu dans les Ouvriers , la curiosité ne pouvait guères être excitée par deux petites nouveautés sans conséquence , suivies d'un lourd mélo- drame dont les sentences prétentieuses , dont les tirades ronflantes ont maintes fois retenti aux oreilles du bon parterre des Célestins.

^*^ C'est un des progrès les plus récens de la civilisation moderne que la nouvelle branche d'industrie imaginée par les usuriers , auxquels recourent trop souvent les fils de famille. On ne leur prête plus , comme autrefois , de Targent à gros intérêts ^ mais on leur remet, en échange

( 349 )

cîe bons effets au porteur , toutes sortes de marchandises qu'on leur passe à un prix trois fois au-dessus de leur valeur , et qu'ils sont obligés , pour se procurer des espèces , de revendre à soixante ou quatre-vingts pour cent de perte. Cette lèpre morale n'a fait encore de ravages qu'à Paris : mais elle ne se communiquera que trop tôt à la province où, Dieu merci, elle est restée jusqu'à présent étrangère.

Cette bienheureuse ignorance a détruit tout l'à-propos du vaudeville intitulé : les emprunts à la mode, de MM. De Courcy et Langlé ; et comme l'à-propos est à peu- près le seul mérite de cette pièce , on conçoit qu'elle a du pro- duire très-peu de sensation sur le public. Elle en aurait pro- duit bien moins encore sans Mad. Adam qui a joué avec beau- coup de légèreté , de finesse et de naturel, le rôle du jeune étourdi auquel l'usurier Michel remet , contre une lettre de change de 5,ooo francs , une charrette de pavés , une caisse de polichinelles et de jouets d'enfans , des violons , des guitares et des flûtes ; ce qui est beaucoup plus plai- sant à raconter qu'à voir au théâtre.

^*j^ Le Biner sur l'herbe , de MM. Scribe et Mélesville^ n'est pas indigne de ces ingénieux auteurs; mais ce vau- deville est au-dessous de qu'ils nous ont donné le droit d'attendre d'eux. Il n'y a pas l'ombre de pièce ; ce n'est qu'un tableau dont l'idée n'est pas saillante , ou du moins , dont la combinaison est mal faite. Les auteurs n'étaient pas à leur aise en écrivant j et le spectateur , qui le sent , se trouve lui - même dans une situation contrainte qui n'est ni du plaisir ni de la peine, quoiqu'elle tienne de tous deux. Il y a dans l'ouvrage une très-jolie scène , bien jouée par Leppel , et M. Ile Huguet se montre un peu moins roide que de coutume. On dit que cette jeune actrice n'aime point les observations. Tant pis : elle ne fera aucun progrès. La critique , les conseils et les encoura- gemens ont fait de grands comédiens. La louange et l'adu- lation n'en ont pas fait un seul.

jf^*j^ Il y a plusieurs années que M. Pixérécourt , Tua

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( 35i )

NOUVELLES DIVERSES.

Il est question d'une surprise que la Mairie ménage aa public à Toccasion de la Fête de St. Louis , et qui ajou- teiait aui divertisseraens promis par le programme de celte joarnée , uq spectacle doct aucun des auaiversdires pré- cédeiis n'a encore offert l'exemple. Le fuuambule Cossard ferait, sur la place de Louis-le-Grard , deux ascensions acro- batiques ; l'une de jour , à trois heures après-midi , et l'autre de nuit , une heure après le feu d'artifice , et à la lueur d'une traînée de flammes du Beni^ale. Son point de dépait serait pris au pied de l'une des deux façades, et son point d'arrivée au sommet d'un niât de qo pieds de hauteur , qui serait placé dans l'intéiieur du chantier des travaux de la statue équestre de Louis Xl\". Certes, le sieur Cossard sera , ce jour-là , Thomme de France qui saura le mieux prouver qu'il possède l'art de s'élever très- haut.

M. le comte de la Tour-du-Pin, maréchal-de camo, inspecteur d'infanterie , est arrivé à Lyon depuis quelques jours. Les régimens de la garnison ont déjà passé plu- sieurs fois sa revue.

Les séances de la Cour d'assises du Rhône, pour le 5.- lrime<tre 1824 i s'ouvriront lundi prochain 20 du cou- rant. Nous rendrons compte , suivant notre usage , des affaires qui seront jugées durant cette session,

Nous faisous ajourd'hui nos adieux à la liberté de la presse, et notre prochain IS.*^ ne pourra probablement pa- raître qu'après avoir passé par les ciseaux de la censure. Grdce , à la résurrection de la défunte dame, tel journal qui ne savait souvent la veille de quoi remplir sa feuille, du lendemain, pourra se douner les airs d'une opposition courageuse, eu paraissant avec quelques pages de blancs.

Nous avious annoncé , sur la loi d'un journal de Paris,

( 35o ) des coryphées du genre, a donné le jour k Charles le te^ nierait e , mélodrame dit histoi iqtie. Cette pièce est dans Tancien genre ; elle vise à l'effet par les coups de théâtre. Les invraisemblances y sont accumulées ; mais il en résulte quelques situations qui ne sont pas sans intérêt. Le rôle de Charlts est bien tracé, ainsi que celui de Philippe de Corn- mines , qui contraste avec le premier d'une manière très- dramatique. Le s .'cond acte est le meilleur , ou pour mieux dire c'est le seul qui décèle quelque talent de composition; il n'y a dans les deux autres que de la pantomime , et des jeux de scène. Cela n'a pas empêché d'applaudir à toute outrance, il suffit pour enchanter le parterre qu'un mélodrame soit rempli d'allées et de venues que l'on regarde comme du mouvement, qu'il y ait des combats , des in- cendies, qu'on voie briller les armes blanches, qu'on sente l'odeur de la poudre et qu'on soit enveloppé d'un tourbilloa de fumée.

Jules a bien saisi la démarche , la fierté, le ton audacieux et féroce de Charles le tcméraire. S'il eût moins crié , il eut peut être été moins applaudi; mais à coup sûr il n'au- rait pas été si fatigué qu'il a l'être, et le véritable pu- blic lui en aurait su gré. Constant ne mérite que des éloges pour la manière dont il a représenté Commines. Noblesse, dignité , chaleur , diction exacte et sage ; il n'a rien omis dans ce rôle qui lui fait honneur et il n'a recueilli que des suffrages mérités.

^*^ On annonce pour la fin de cette semaine la clôture des représentations d'Odry qui n'en a donné encore que huit en cette ville. Il y a lieu de penser qu'il n'est pas tout-à-fait à la dernière , et qu'il ne voudra pas être in- grat envers les Lyonnais qui se sont montrés fort empressés d'accueillir un acteur dont le genre est fort original et qui réussit avec un rare bonheur à contrefaire tous les comédiens qu il a eus sous les yeux. Créer est le comble de l'art ; mais l'imitation exige du talent ; et tous les pein- tres ne savent pas , comme Odry , saisir la ressemblance.

T. X.

(35i )

NOUVELLES DIVERSES.

Il est question d'une surprise que la Mairie ménage au public à l'occasion de la Fête de St. Louis , et qui ajou- teiait aux divertissemens promis par le programme de ceite journée , un spectacle dont aucun des anniversaires pré- cédens n'a encore offert l'exemple. Le funambule Cossard ferait, sur la place de Louis-le- Grand , deux ascensions acro- batiques ; l'une de jour , à trois heures après-midi , et l'autre de nuit , une heure après le feu d'artifice , et à la lueur d'une traînée de flammes du Bengale. Son point de dépait serait pris au pied de l'une des deux façades, et son point d'arrivée au sommet d'un nidt de 90 pieds de hauteur , qui serait placé dans l'intérieur du chantier des travaux de la statue équestre de Louis XIV. Certes, le sieur Cossard sera , ce jour-là , l'homme de France qui saura le mieux prouver qu'il possède l'art de s'élever très- haut.

M. le comte de la Tour-du-Pin , maréchal-de camp, inspecteur d'infanterie , est arriyé à Lyon depuis quelques jours. Les régi mens de la garnison ont déjà passé plu- sieurs fois sa revue. ^

Les séances de la Cour d'assises du Rhône, pour le 3.- trimestre 1824 1 s'ouvriront lundi prochain 23 du cou- rant. Nous rendrons compte , suivant notre usage , des affaires qui seront jugées durant cette session.

Nous faisons ajourd'hui nos adieux à la liberté de la presse, et notre prochain N.^ ne pourra probablement pa- raître qu'après avoir passé par les ciseaux de la censure. Grâce , à la résurrection de la défunte dame , tel journal qui ne savait souvent la veille de quoi remplir sa feuille, du lendemain, pourra se donner les airs d'une opposition courageuse , eu paraissant avec quelques pages de blancs.

Nous avioas aononcé , sur la foi d'un journal de Paris,

( 352 ) que Mad. D'Engremont avait échoué au théâtre de Lille; DOIS sommes iDvités à anuoacer , au contraire, que cette cantatrice y a obtenu un succès ti ès-brillant.

M. Lafont, premier violon du Roi , et Mad. Lafont , de hi musique particulière de S. M. , donneront lundi pro- chain un troisième et dernier ccncert dans lequel M. La- font exécutera plusieurs morceaux de sa composition et chantera avec Mad. Lafont un duo nocturne et une ro- mance à deux voix.

A Vendre. Pour entrer en jouissance de suite , jolie maison bourgeoise, composée de lopièces, toutes meublées, avec jardin et plusieurs bicherées au gré de Tacquéreur.

Cette propriété est située en Gorge-de-lpup, commune de Vaise.

S'adresser chez M. Bonnetain , notaire , qui est chargé d'accorder les plus grandes facilités pour le payement.

Mouvement de la population du lo au 20 août exclu- sivement ^d'après les registres de l Etat-civil ,

Naissances.

Enf. légitimes. Garçons , 64- Filles , 34. Total. 98 \

"Enf. naturels. \ ^ ^ w^.,, ^ t^^.x /^ > l58

^ > Garçons, 19. tilles, 21. Iotal. 40 (

ou exposes. ) * )

Mariages 44"

Décès, Dans la ville, 67 ; Hospices , 55 ; Total. . . , 120

THEaMOMÈTRE. BAROMETRE.

T)e hAVERGNE , opticien , quai des Célestins,

27 p. 7 lig. t. incertain, 27 p. 6 lig. t. couvert. 27 p. 8 lig. beau soleil.

j/ 18 deg. » au-dess. de o.

j5 21 deg. » au-dess. de o.

16 22 deg. » au-dess. de o.

26 deg. » au-dess. de o.

18 24 deg, » au-dess, de o.

I^ota. Le maximum du thermomètre a été de 25 dégre's , son mi- nimum de i5 degrés.

ALYON , De rimprinaerie de J. M. Barbet , place des Terreaux.

27 p. 6 lig. beau soleil. 27 p. 5 lig. t. uuageux.

EVVRES

DE

LOVÏZE LABÉ.

EXTRAIT

DU JOURNAL DU COMMERCE

«£ LA VIJLLE LYON ET DU DÉPARTEMENT DU RHÔNE, KUM^aO lia 9 SU 5 SEPTEUERE l824«

( Nota. Cette édition n'est point le produit d'une spe'culatioa mercantile ; les frais en ont e'të faits par une socie'té de gens d'© lettres de Ljon. )

De toutes les femmes qui ont joui de quelque céle'brité, au^ «une, peut-être, n'a e'te' l'objet d'autant d'éloges et de calom- nies que Louise Labé , surnommée la belle Cordière. Mais , si nous avons le bonheur de juger que les louanges sont justifiées par les ouvrages qu'elle nous a laissés , nous avons encore ce-, lui de voir s écrouler, après un léger examen, tout l'odieux édifice de mensonges , dans lequel du Verdier et Rubva avaient espéré nous cacher leur victime. Une sorte de fatalité semble néanmoiDS poursuivre Louise Labé : les abominables inculpa, tions des deux auteurs, ses ennemis, se trouvent, en effet, répétées dans un grand nombre d'ouvrages , et pour se jus»^iiier, «lie n'en peut opposer que quelques-uns. Dans ses œuvres , il €St vrai , ses éditeurs ont prouvé jusqu'à l'évidence que sa vertu ne s'était jamais démentie ; mais leur rareté est encore une nou- '^elle difficulté qu'elle peut à peine surmonter Belle Louis®,

«onsole-toî! tous les obstacles vont s'appTanir, tous les nuaf;es vont se dissiper . ta re'putation morale et ta réputation poétique vont briller de tout leur e'clat : c'est dans le sein de l'acadëmi© de ta patrie que tu as trouve' des amis et des vengeurs.

Indignes en effet du jugement qu'on portait sur les mœups de notre illustre compatriote, et ge'missant sur la rareté de ses productions, MM. Brëghot , Cochard et Dumas, tous trois aca- démiciens distin£;ués , se sont réunis pour élever à Louise Labd Un monument durable auquel chacun a concouru par son tra- vail. Celui de M. Cochard consistait à rassembler sous la forme d'un.e notice biographique tout ce qu'on sait de sa vie : il a fait plus , et à la suite de longues et minutieuses recherches , il est parvenu à pouvoir nous donner un grand nombre de détails in- connus jusqu'à ce jour, et même l'analyse du testainent de cette femme célèbre. Dans sa notice, dont le style est simple comme celui d'un historien qui doit dire ce qui est vrai et rien que ce qui est vrai , M. Cochard a promené le flanibeau de la vérité sur toutes les actions de son héroïne, et s'appuyant sur des faits, il a réfuté victorieusement les calomnies débitées contre sa vertu , et nous a toujours montré la puçeté de son ame égale 9 la beauté de son géuie.

Dans un dialogue écrit avec beaucoup d'esprit . M. Dumas fait rencontrer Louise Labé par Sappho : le lecteur malin voyant deux femmes converser ensemble , et surtout deux femmes jbeaux - esprits , croit peut-être qu'elles vont se rabaisser l'une l'autre , médire chacune à leur tour , se critiquer , faire peut- être pis encore; point du tout ( c'est ici qu'on les reconnaîjs •pour extraordinaires ) , Louise s'avoue vaincue par Sappho , Sappho veut placer la couronne sur la tête de Louise , et de ce débat de modestie et de géne'rosité naissent une foule de traits qui nous montrent les rapports singuliers qui existent entr'el- les , et nous peignent avec art le genre de talent de chacune de ces deux ainiables rivales.

Si jusqu'à présent M. Bréghot ne s'était montré que digne in- terprète des auteurs latins , on peut maintenant le citer comme habile commentateur des auteurs français. Dans cette nouvelle publication des œuvres de la belle lyonnaise , imprimées avec l'orthographe de soo époque , il a fait preuve de connaissancej

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vte» communes en philologie , et a bien jus^îG^ les espérance» qu'avaient conçues les littérateurs, en lui voyant entreprendre cet ouvrage. Non content d'enrichir le texte d'un grand nombre de notes qui toutes annoncent son érudition , il en a mis encore beaucoup dans la notice de M. Cochard , pour ajouter ce qui avait pu échapper à ce dernier ,. ou donner de nouvelles preu-. fes à l'appui de ce qu'il disait. Dans le glossaire placé à la fia de cette édition, M. Bréghot avait eu pour but de donner la si- gnification des mots emplove'a par Louise et qui ne sont plus dans notre langue ; mais heureusement il ne s'est pas borné à une simple explication. Ce travail n'est donc point un diction- naire où on ne trouve que de la sécheresse : ce sont des notes jnte'ressantes qui viennent se placer naturellement dans chaque article, qui instruisent et plaisent par leur varie'te', et qui, écrites avec tous les charmes du style, ne font plus apercevoir de vocabulaire que le titre.

Pour compléter cet ouvrage, M. Pe'ricand aine, de l'aoade- mie, l'ami constant et le collaborateur assidu de M. Bréghot, a fait en vers e'ie'gans une imitation aussi fideile que pre'cise de plusieurs pièces italiennes en l'honneur de Louise. Cette nou- velle production de M. Péricaud est un ornement de bien bot» goût ajoute au beau monument que viennent d'e'lever ses trois autres collègues.

Nous ne dirons rien des œuvres de notre Sappho moderne , a ssez connues des hommes de lettres , et parmi lesquelles on re- marque surtout /e débat de folie et d'amour qui a fourni à La- fontaine le sujet d'une de ses fables , et dont Voltaire , le grand juge litte'raire, a dit dans ses questions sur l'Encyclopédie s « La plus belle fable des Grecs est celle de Psyché ; la plus » plaisante fut celle de la matrone d'Ephèse. La plus jolie, par- y> mi les modernes , fut celle de la folie qui , ayant crevé les » yeux à l'amour , est condamnée à lui servir de guide. »

En terminant cet article nood féliciterons M. Bréghot de son brillant début dans la carrière philologique, et surtout du bon- heur de son choix. Accorder à Louise Labé l'honneur de la préférence sur les autres auteurs nos compatriotes , était ua agréable hommage fait à Lyon , patrie de cette femme célèbre, et une galanterie vis-à-vis des dames qui en trouveront beau^

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èônp d'autres dans les notes de M. Bre'ghot, qui paraît n'avoîf jamais oublie' que Mad. de S e'tait au nombre des souscrip- teurs. Pour preuve , nous nous contenterons de citer la note Buîvante , dans laquelle ce litte'rateur ( page 235 ) parle ainsi du beau sexe de notre rille : « Les dames de Lyon ont e'te' au- » trefois renomme'es par leur beauté, comme elles le sont en- » core aujourd'hui. Déjà, au XV. e siècle, Jean le Maire de » Belges, dont la maîtresse était lyonnaise, plaçait le temple » de Vénus au confluent d'/îrar et Rhodanus ( du Rhône et de >> la Saône ), et vantait les visages angéliques des Nymphes ^ qui habitaient ce lieu. Erasme dit de la même ville : est y illic mira fonnarum félicitas ( , le beau sexe est remar- V quable par les formes les plus heureuses ). EnCn , Marot, î» qui regretta si vivement le séjour de Lyon, le Célèbre éga- y lement sous ce rapport. »

]Nous ne nous permettrons plus qu'un seul mot sur cette édi- tion. M. Bréghot dit à la fin de l'avertissement : « Louise Labé j> n'est pas le seul écrivain dont Lyon ait droit de s'énorgueil- lir ; il en est plusieurs autres dont les productions mérite- j* raient aussi d'être plus répandues, et qui seraient dignes de » reparaître avec les mêmes honneurs. » Nous pensons avec plaisir que M. Bréghot accomplira lui-même ce noble vœu, que bientôt il réalisera toutes les espérances qu'il nous a don- nées par cette première entreprise qu'a couronnée le plus bril- lant succèsj

CHEVALIER-VICXOR,

LETTRE

A M. C.-N. A*****S

Sur un oui^rage intitulé : Les Poètes Français depuis le XII^ siècle jusqu'à Malherbe , avec une Notice historique et littéraire sur chaque Poète.

ET

Notice sur la nouvelle édition des Evvres de LovTse Labé LionnoizQ. Par M. C.-N. A*******

A PARIS,

Chez ANT.-AUG. RENOUARDj,

Rue de Tournon, 5.

Octobre X824»

LETTRE

A M^ C.-N. A******,

A DIJON,

SuRun ouvrage intitulé: Les Poètes françoiSj depuis le Xlle siècle jusqu'à Malherbe , avec une Notice historique et littéraire sur chaque Poète. Paris , de l'imprimerie de Crapelet. 1824. 6 vol. inS^. Vesoul (Haute-Saône), octobre 1824.

J

e suis parfaitement de votre avis, Monsieur et ami, c'est une heureuse idée d'avoir donné textuellement en un seul corps d'ouvrage un Recueil choisi (etpar ordre chronologique) de nos plus anciennes poésies, accom- pagnées d'un Glossaire et d'une Biographie littéraire de chaque poëte , depuis le xij.e siècle jusqu'à la renais- sance des lettres. Je dis heureuse idée, parce que toute entreprise qui réunit l'utile et l'agréable , prouve que son auteur a été bien inspiré 5 et je ne crois pas que y parmi les nombreux ouvrages dont l'activité de la presse enrichit chaque jour nos bibliothèques , il y en ait beau- coup qui aient plus de droit à l'estime et à la recon- noissance des amateurs de la poésie et de la langue fran- çaise , que celui dont j'ai rapporté le titre plus haut.

Ce beau monument, péristile nécessaire de toutes ces riches collections de nos poètes modernes que l'oa publie depuis quelque temps , m'a. tellement frappé

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par son importance et son à-propos , qu'il m'a suggéré quelques réflexions que je crois pouvoir vous commu- niquer.

Lorsque la langue d'un peuple se fixe et que des chefs-d'œuvre littéraires, éclos à cette époque, éta- blissent définitivement son empire et l'étendent au loin , il arrive assez ordinairement que l'on ne s'occupe plus guère de ce qui a préparé cette heureuse révolu- tion. On jouit des richesses présentes sans songer à la mine qui les a produites , quoiqu'elle renferme encore des filons d'or très précieux. C'est ce qui est arrivé en France, et ce que nous voyons tous les jours. On re- jette , on dédaigne , on oublie ces hommes qui , avec plus d'instinct littéraire que de talent , ont péniblement défriché une terre long- temps aride et couverte d'épi- nes 5 et l'on ne fait pas attention que sous l'écorce rude de leur style barbare , qui tenoit à l'imperfection de la langue , il se rencontre souvent plus de force , d'éner- gie , de franchise , de finesse, de naïveté , etc., que dans nos ouvrages modernes si polis, si bien travaillés.

Ils ne l'ignoroientpas nos grands maîtres du siècle de Louis XIY et quelques écrivains du siècle de Louis XV. Combien de vieilles chroniques, de traités surannés, de fabliaux de Sirventes , de Yirelais ont été mis à contribution par des auteurs modernes, qui, favorisés d'un goût sûr , n'ont eu d'autre mérite que celui de re- vêtir la dépouille de leurs prédécesseurs d'un vernis brillant composé de tout ce que notre langue a acquis de délicatesse, de pureté et d'exactitude ! La Fontaine n'a-t-il pas eu les plus grandes obligations à Marot , à

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Kabelais et à tant d'autres , comme il en convient lui- même? Bossuet avoit beaucoup lu le P. Lejeune et d'au- tres vieux sermonnairesj Boileau savoit son Régnier par cœur 5 J.-B. Rousseau, son Malherbe, qui lui-même flvoit puisé dans des poètes antérieurs 5 J.-J. Rousseau eût-il écrit avec une telle force d'expression , s'il ne se fût nourri du substantiel Montaigne et de l'excellent Amyot? Oui , mon ami, c'est dans nos vieux écrivains que se trouve la sève que nous admirons dans la plupart des modernes ; et si nous pouvons nous vanter de quel- que chose , c'est d'avoir le talent d'habiller avec la soie que nous fournit le siècle de Louis XIV, les Muses que nos anciens n'avoient pu revêtir que d'une bure grossière dans des siècles de barbarie. De je tire la conséquence que ressusciter ces vieux écrivains, les mettre en éviden- ce, et nous offrir en corps d'ouvrage ce qu'ils ont fait de meilleur , c'est rendre un service important à la litté- rature moderne : c'est lui ouvrir un trésor dont l'hom- me de goût saura profiter, et d'où il résultera plus d'avantages qu'on ne pense (1).

Mais à supposer que cette utilité pût être contestée ^ ne trouveroit-on pas toujours dans la lecture de ces vieux auteurs un ample dédommagement du temps em- ployé à les parcourir , celui de satisfaire sa curiosité sur un sujet assez important? Je veux parler du tableau historique de la langue française. Quoi de plus intéres- sant que de suivre dès son origine les pas de cette lan-

(1) La NOTICE cjui répond à ce renvoi étant trop longue pour trouver place ici , nous prenons le parfi de la rejeter à la &a de la Lettre de notre correspondant ("•). C.-W, A.

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giife qui s'avance à travers les siècles , d'abord informa j foible , gênée, âpre , rude , mais peu à peu se formant, se fortifiant , s'adoucissant , se polissant, se rappro- chant enfin pour les principes grammaticaux et pour l'expression , des deux plus belles langues de l'antiqui- té. L'une d'elles , la latine , avoit bien assisté à son ber- ceau 5 mais éclipsée depuis long-temps , elle étoit elle- même entièrement dénaturée et étouffée par la langue romane même et par les autres jargons barbares dont la cliute du colosse romain avoit inondé TEurope. A me- sure que l'horizon littéraire s'est éclairci , ces deux lan- gues , ou plutôt les débris de leurs chefs-d'œuvre , en- fouis dans les moutiers , ont reparu 5 et insensiblement on a vu renaître le goût parmi ceux qui s'adonnoient à la littérature. C'est par leur contact dans le travail du cabinet , et leur frottement dans les progrès de la civi- lisation, que le métal s'est épuré , et que toutes les sco- ries des siècles de barbarie se sont peu à peu détachées du noyau. Aussi jamais langue n'a jeté plus d'éclat que la langue française, lorsqu'elle est parvenue à ce degré de pureté que lui ont donné les grands écrivains du siè- cle de Louis XIV et de Louis XY. Mais comment y est- elle parvenue? C'est, comme je vous l'ai dit, mon cher ami , en s'avançant lentement à travers les rochers , les déserts et les landes de la barbarie 5 mais j'ajouterai un fait essentiel et très vrai : c'est que la poésie , tout informe qu'elle étoit, l'a beaucoup aidée à se débarrasser des ronces et des épines qui obstruoient son chemin sur ce sol affreux. Je le répéterai encore : rien n'est plus curieux que de compter j de mesurer et d'appr4«

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cier les pas qu'elle a faits dans ce long et pénible trajet, de comparer les premiers avec ceux qui les ont suivis, et de voir comment elle est parvenue par des efforts successifs à surmonter tous les obstacles et à se pré- senter enfin avec une démarclie noble, franche, facile et digne de l'admiration de tous les peuples modernes.

C'est ce tableau intéressant que présentent les six volumes qui font l'objet de cette lettre. Ils ont donc le double mérite de l'utilité et de l'agrément 5 de l'utilité , en ce que les pièces qu'ils renferment offrent souvent des pensées précieuses dont l'éclat perce à travers leur enveloppe grossière : c'est le grain d'or natif tel qu'il étoit dans la mine 5 de l'agrément , en ce qu'ils tracent les progrès de la langue poétique française depuis son origine au xi^ siècle jusques à Louis XIII.

Je pourrois ajouter un troisième avantage qui peut- être aux yeux de bien des lecteurs ira de pair avec les deux premiers 5 c'est celui que l'on doit retirer des Notices historiques et littéraires , consacrées à chaque troubadour , trouvère et autres auteurs dont on a rap- porté différentes pièces. Un tel travail sort du genre des biographies ordinaires , parce que les écrivains dont on a à parler sont pour la plupart très obscurs 5 et ce n'est que dans la poussière des vieilles chroniques , des anciens recueils , que l'on a pu trouver quelques ren- seignemens sur la plupart de ces hommes qui, allant de châtel en châtel , chanter, conter, fabloyer ,faisoient bien sensation pour le moment , mais ne laissoient pas de longs souvenirs de leur vie errante.

Le Discours préliminaire de l'ouvrage en questioii

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est marqué au coin d'une profonde érudition. L'au- teur (i) y a fort bien traité tout ce qui regarde l'ori- gine , la théorie et les progrès de la langue poétique française. Comme il est remonté dans le choix des pièces qui composent son Recueil, aux plus anciens monumens de la langue romane , qu'on peut appeler le français primitif, et qui se divisoit en langue d'oc et en langue d'oiL (2) , il a commencé par les monumens de la langue d'oc, c'est-à-dire, par les pièces qui ap- partiennent aux troubadours. La première est une chanson de Guillaume IX, comte de Poitou , duc d'A- quitaine, né en 1071 et mort en 1121 ; et la dernière est une chanson erotique du chevalier Richaut, qui florissoit vers 1210. Cette première partie de l'ouvrage va, dans le premier volume, jusqu'à la page 291. La seconde partie , qui regarde la langue d'oiL , et qui oc-

(1) M.*" P. R. Auguis. C'est à lui que l'on doit aussi les notices sur chacun des poètes compris dans la collection dont il s'agit, et dont jouit aujourd'hui le monde littéraire, grâces aux soins de M. Crapelet qui en est Téditeur. C.-N. A.

(2) Quand la poésie a commencé en France , il exîstoit deux langages différens. Les habitans du midi de la Loire , qui se iiommoient Romans provençaux , par'.oient la langue d'oc : c'est celle des troubadours -, et ceux qui habitoient le nord de la même rivière , étoient appelés par leurs voisins Romans ivaelches ou Wallons , et parloient la langue d'oiL : c'est celle des trouvères. Après trois siècles d'existence , la langue des troubadours s'éteignit par une nouvelle corruption, et se con- fondit par la suite avec celle des trouvères ou le roman wal- lon , qui se conserva, se perfectionna peu à peu , comme nous l'avons dit ; et c'est de ce dialecte qu'a été formée la langue française.

( 7 ) ciipele reste du Recueil, est consacrée aux poésies des trouvères et des poètes français leurs successeurs. Elle commence par un fabliau ou conte d'un nommé Gué" rin y qui devoit vivre au commencement du xiiie siè- cle , et finit par Malherbe et quelques-uns de ses con- temporains. Cette partie embrasse la fin du premier volume , les ne , nie ^ lye , ve et le vi^, qui est terminé par des tables très commodes (3).

Toutes les pièces publiées dans ce Recueil sont bien choisies et font parfaitement connoître l'état de la lan- gue et de la poésie à toutes les époques , depuis la fin du xie siècle jusqu'au xvii^.

On auroit peut-être à désirer que l'on eût donné une traduction littérale des premières pièces des trouba-

Les mots oc et cil expriment le signe affirmatif oui , et servoient à distinguer les deux dialectes , le provençal et le wallon. Ce même signe servoit également à désigner l'ita- lien et l'allemand. On appeloit l'italien la langue de si y et l'allemand la langue de ya. Ainsi le mot oui prononcé en oc ) en CIL , en si et en ya. , désignoit la différence des quatre langues ou dialectes alors en usage. G. P.

(3) Table générale des poètes qui sont compris dans les six volumes ; tahle générale des poètes français avant Malherbe , qui ne font pas partie du llecueil : avec l'indication de leurs principaux ouvrages ; des trouvères et poètes français des ii^, x!i^ et xiii^ siècles; i\es poètes français desxiv^, xv^ et xvi® siècles ; cette nomenclature générale des poètes français a ce mérite particulier , qu'elle est la plus complète de celles qui existent, et incomparablement plus ample: avantage que l'auteur n'a pu obtenir que par des recherches extrême- ment laborieuses. C.-JS". A.

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dours, qui doivent être à-peu-près inintelligibles pour la plupart des lecteurs. Il est vrai que le premier volume est terminé par un Glossaire qui donne l'interprétation d'un très grand nombre de mots 5 mais interrompre sa lecture pour traduire soi-même , c'est un travail 5 et dans le siècle nous vivons , on réunit assez ordinai- rement deux choses peu compatibles , la paresse et le vif désir de s'instruire ou plutôt de paroître instruit y c^est-à-dire qu'on aime la besogne toute faite.

Ne vous semblera-t-il pas aiissi, mon ami , que l'au- teur auroit pu terminer sa collection à Anne d'Urfé , qui précède immédiatement Malherbe , et mettre à la suite de l'article ^Vrfé , en caractères saillans , cet hé- misticlie si connu , du législateur de notre Parnasse?

ENFIN MALHERBE VINT Il est certain que tout

le monde a Malherbe dans sa bibliothèque 5 et quoique ce poète ait encore un peu de la rouille du vieux temps , îî pouvoit être dispensé de figurer dans cette galerie. Au reste , comme vous me l'avez fait observer en cette oc- casion : Abojidance de bien ne nuit pas.

11 me reste à vous dire un mot de l'impression de l'ouvrage : elle est telle qu'on pouvoit l'attendre des soins bien connus de M. Crapelet , si scrupuleux dans tout ce qui tient à la perfection de son art. Quoi- que ce Recueil ait été d'une composition très difficile, sur-tout pour les deux premiers volumes, en raison de l'orthographe bizarre , d'une langue plus bizarre en- core, il nous a paru d'une grande correction. Le carac- tère est très beau , le tirage uniforme , le papier fort Manc 5 et sous le rapport du goût typographique , l'é-

C 9 )

ditlon ne laisse rîen à désirer. C'est donc un excellent et très bel ouvrage , qui prend naturellement sa place en tête des superbes éditions que Ton vient de donner àes Malherbe , àes Corneille y des Racine, àesBoileaUp des Molière , des La Fontaine y des J,-B, Rousseau ^ etc. 5 etc. , etc.

J'ajouterai, mon cber ami, que M. Crapelet s'oc- cupe en ce moment à remplir une lacune importante parmi les poètes que je viens de citer. Vous savez que Quinault, victime d'une boutade que Boileau s'est re- penti d'avoir insérée dans ses premières poésies, n'a pas eu jusqu'à ce moment les honneurs d'une réimpreS" sion de luxe comme ses confrères du siècle de Louis XIVj Cependant , créateur et modèle de la poésie lyrique , il est le seul , dans ce genre , qui ait montré un talent digne de ce beau siècle 5 et c'est par une injustice très grande , ou plutôt parce qu'on est habitué à jurer zit 'verha magistri, que jusqu'à ce moment on l'a relégué parmi les poètes d'un ordre inférieur. Rendons grâces à M. Crapelet, qui va restituer à cet auteur la place qu'il mérite dans la brillante galerie moderne la ty- pographie place en ce moment ses illustres confrères. Il paroîtra incessamment une très belle édition des Œuvres choisies de Quinault, avec les remarques litté- raires de La Harpe ^ 2 vol. in-Z^ , ornés d'un beau por- trait en taille-douce.

Telles sont , mon cher amî , les réflexions jetées à la hâte sur le papier j que je voulois vous soumettre sur

( 10 >

les deux ouvrages dont vons m'avez parlé avec éloge, et qui en effet me paroissent importans et bien dij^nes de fixer l'attention des amateurs, puisqu'ils sont de nature à servir parfaitement , l'un d'introduction , et Tautre de complément à tout ce que nous avons de plus admirable en fait de poésie française.

Recevez , je vous prie j l'assurance j etc. g. p.

(*) NOTICE >^

Sur la nouvelle édition des Evvres de Lovize Labé LioNNoizE. A Lion par Dvrand et Perrin, 1824» Vol. i/î-8o de Ixx 3a8 pages.

La lettre que l'on vient de lire nous amène naturellement à parler du monument remarquable que la ville de Lyon vient de voir s'élever dans son sein à la gloire d'une f^mme que ses contemporains honorèrent du surnom de nouvelle Sapho, et qui florissoit vers le milieu du xvi» siècle ; nous voulons parler de la nouvelle et excellente édition des œuvres de Louise Labé , qui vient de paroître,

Louise Charlin ou Charlieu , dite Lahê , fille d'un riche marchand cordier et qui avoit épousé Ennemond Perrin , riche marchand cordier lui-même, étoit pour cela parti- culièrement connue sous le nom de Belle Cordière. Née à Lyon vers l'an i525 ou i526 , elle y est morte en i566.

Nous ne saurions mieux caractériser le talent de cette femme célèbre , qu'en empruntant ce qu'en dit le principal éditeur de ses œuvres , notre savant confrère à l'Académie de Lyon, M. Breghot du Lut y dans sa 107^ note, p-^ge i83 :

« Les Elégies de Louise Labé ont tout ce qui donne

du prix et du charme à ce genre , dans lequel peu de nos au- teurs ont réussi; elles sont tendres , touchantes, passionnées. Le cœur seul y parle , suivant le précepte de Boileau. Nulle

( 11 )

afiectation, nulle recherche dans le style; mais une exquise naïveté de sentiment et de langage , qui n'exclut point l'éner- gie. Louise Labé y gémit sur les chaînes qu'elle porte ; elle déplore l'absence de son amant ; elle exhale de douces plain- tes; elle peint l'excès de ses tourmens et de ses peines. La troisième de ces pièces, adressée aux dames lyonnaises, et oii leur belle compatriote se justifie en rejetant sur l'amour tous les reproches qu'on pourroit lui faire , me paroît remporter la palme sur les deux autres. ( Tout le monde pensera à cet égB.rd comme M. Breghot du Lut.) Les rapprochemens que j'indiquerai et que j'aurois pu multiplier bien davantage, se- ront destinés à montrer que la nouvelle Sapho n'avoit pas lu en vain les meilleurs auteurs qui existoient avant elle , et que sa mémoire étoit , pour me servir des expressions de Pétrone, ingenti Jlumine litterarum inundata. «

M. Cochard j autre académicien de Lyon , et auteur de la J^otice sur Louise Labé , l'une des pièces imprimées en tête de l'édition dont il s'agit des œuvres de cette nouvelle Sapho, parle d'un autre ouvrage qui ne la recommande pas moins que ses poésies à l'estime de la postérité ; w C'est ( dit M. Co» chard , page xlix) une petite comédie en prose , intitulée : Débat de Folie et d' Amour , allégorie ingénieuse, pleine d'esprit , de délicatesse et de bonne morale. Cette pièce à six personnages , divisée en cinq discours ou actes , n'a point été représentée ; mais elle a eu l'insigne honneur de fournir à La Fontainele sujet d'une de ses plus jolies Fables. » C'est celle ayant pour titre : L'Amour et la Folie, liv. xii, fab. xiv.

« La plus belle fable des Grecs ( dit Voltaire , Quest. sur VEncyclop. ) est celle de Psyché ; la plus plaisante fut celle lie la Matrone d'Éphèse. La plus jolie, parmi les modex'nes, fut celle de La Folie , qui , ayant crevé les yeux à l'Amour , est condamnée à lui servir de guide **. »

** « Jupiter faisoit un grand festin , ou estoit commandé à tous les Dieus se tronuer. Amour et Folie arriuent en mesme instant sur la porte du palais : laquelle estant fermée , et n'ayant que le guichet ouuert, folie voyant Amour prest h. mettre nn pied dedens , s'auance et^passo

( 12 )

Louise Labé met cet arrêt ainsi , dans la bouche de Jupiter :

« Vous commandons de viure amiablement ensemble,

« sans vous outrager l'un l'autre. Et guidera Folie l'aueugle « Amour , et le conduira par-tout bon lui semblera »

Quand on eut bien considéré L'intérêt du public , celui de la partie. Le résultat enfin de la suprême Cour

Fut de condamner la Folie

A servir de guide à l'Amour.

La Fontaine.

Le P. Commire ( dit M. Breghot du Lut ) a tii'é de l'ouvrage cle Louise Labé une fable latine qu'il a intitulée : Dementia amorem ducens. Elle est adressée à Ménage et terminée par ce jeu de mots :

Haec nos, Menagi , fabula venuste monet Amantes esse proximos amentibus.

« Les commentateurs de La Fontaine (dit encore M. Bre^ ghot du Lut) citent, parmi les imitateurs de ce même apolo- gue en langues étrangères , l'italien L. Grillo et l'anglais Dodsley ; mais aucun d'eux ne mentionne une imitation française faîte par un M. Moreau de Dijon , et insérée dans le Nouveau Recueil de Pièces fugitives , etc. , par l'abbé Ar- chimbaud, Paris, 1717, m- 12, tome 11 , pages 85-89. C'est une pièce assez foible , dont les vers les plus passables sont les deux derniers :

« Ainsi dit , ainsi fait ; et c'est depuis ce jour Que par-tout la Folie accompagne l'Amour. »

Le M. Moreau dont parle M. Breghot du Lut , est Etienne

la première. Amour se voyant poussé , entre en colère : Folie Soutient lui apartenir de passer deuant. Ils entrent en dispute sur leurs puissances, dinitez et préséances. Amour ne la pouuant veiucre de paroles , met la main à son arc , et lui lasche une flesche , mais en vain : pource que Folie soudein se rend inuisible : et se voulant venger , ôte les yeus à Amour. Et pour couurir le lieu ou Us étoient, lui mit un bandeau fait.

( i3 )

MoREAV , conseiller du Roi en ses conseils , avocat général en la Chambre des Comptes de Bourgogne y à Dijon le i*' septembre 1639, et mort le 27 avril 1699. " C'étoit, dit l'abbé Papillon {Bibliothèque des Auteurs de Bourgogne) j un.

homme de beaucoup d'esprit , bon orateur, bon poëte ;

il avoit de fort belles qualités , mais elles étoient obscurcies par son penchant pour la raillerie , qui étoit tel que souvent îl n'épargnoit pas même ses meilleurs amis. On croit que, no- nobstant ce défaut, il n'auroil pas laissé d'être maire de Dijony s'il ne fut mort quelques mois avant l'élection. Ce qui donna occasion à M. de La Monnoye de lui faire cette épitaphe :

« Ci-gît des bons mots le grand maître En vers, en prose connoisseur; MOREAU , qui croyant un jour être Le tribun de Dijon , en est mort le censeur. » Etienne Moreau étoit le frère du savant et fécond Phili-i bert Bernard Moreau de Mautour, auditeur des comptes à Paris, et qui fut membre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres depuis 1701 jusqu'à 1787, année de sa mort. L'abbé Papillon classe parmi les ouvrages iV Etienne Mû- seau , « L'Amour et la Folie , V^r>' ^^ ^^^ Pièces fugitives de « l'abbé Arcliimbaud. u Le renseignement de M. Breghot du Lut est bien plus exact.

M. Breghot du Lut remarque que le sujet si heureux de l'a- pologue dont il s'agit, paroît être de l'invention de Louise Labé , et qu'on ne connoît rien dans les écrivains antérieurs qui ait pu lui en fournir l'idée. Ainsi lui reste l'honneur d'a- voir fourni au fabuliste jusqu'à présent inimité , le sujet d'une de ses plus jolies fables : sujet que d'autres ont aussi mis en œuvre avec moins de bonheur,

de tel artifice , qu'impossible est lui ôter. Venus se pleint de Folie , lu- piter veut entendre leur diferent. Apolon et Mercure debatent les droits de l'une et l'autre partie. lupiter les ayant longuement ouiz , en demande l'opinion aus Dieus : puis prononce sa sentence. »

( Argo MENT en tête de la pièce iatitulée : DÉBAT DE FOUB HT ©'Amour.)

/

( i4 )

Parmi ces derniers , toutefois , il faut rendre justice à M. D...S , auteur de la pièce suivante, publiée dans le Journal de Lyon , du. i5 ventôse an x (6 mars 1802), n^ 38 , et reproduit© par M. Breghot du Lut, page 325 :

AMOUR ET FOLIE.

L'Amour et la Folie un jour , Loiu des regards de la sagesse j Disputoienf...,. La vive déesse De dépit avejgla l'Amour» Soudain la faute fut punie Par loi de la céleste Cour; Et, depuis ce temp:j , la Folie Est réduite à mener l'Amour.

M. Breghot du Lut , que nous ne saurions nous lasser de citer, fait remarquer « que l'ouvrage de Louise Labé n'est pas seulement une allégorie ingénieuse ; il décèle encore une grande érudition. Aristote , Chrysippe , Diogène , Platon , Homère , Sapho , etc. , parmi les Grecs; et parmi les Latins ^ Virgile, Ovide et même Apulée y sont cités et cités à propos. On y voit de fréquentes et heureuses allusions à des faits his- toriques , à des points de mythologie , qui ne sont connus que des personnes les plus instruites. »

Trois Élégies et un Sonnet de Louise Labé ont été re- cueillis dans la Bibliothèque des Poètes français jusqw'à Malherbe, publiée par M. Crapelet, tomeiv, pag. 196-206» Ces pièces sont d'un bon choix ; elles méritent bien de figu- rer dans cette intéressante , précieuse et utile collection.

Cette NOTICE, qui s'est étendue sous notre plume bien au- delà de notre première intention , sans que nous nous en soyons aperçu , pourra peut-être paroître un hors-d'œuvre

comme étrangère au sujet de la Lettre de M. P ; mais

nous prions les personnes qui penseroient ainsi , de vou- loir bien faire attention qu'elle s'y rattache, au contraire, di- rectement, en ce qu'elle vient à l'appui de la thèse de notre correspondant : que les modernes ont profité des pensées

( i5 )

i!es écrivains français qui ont jeté quelque éclat avant la re- naissance des lettres , en leur prêtant les couleurs et les grâces de la langue perfectionnée , comme ceux-ci s'étoient appro- prié les pensées des anciens auxquelles ils avoient adapté l'expression d'un langage d'abord barbare , mais qui s'est épuré et poli successivement jusqu'au temps Enfin Malherbe vint

Puisque nous avons tant fait que de saisir l'occasion de parler de la dernière édition des œuvres de Louise Lobé , sous le rapport du mérite du fond , qu'il nous soit pex'mis de dire un mot sur son exécution.

Quoique les éditeurs ne l'aient donnée que comme étant la âixième , attendu que l'existence d*une édition de Rouen, a556 j iU'\6 , dont parlent La JVIonnoye et l'abbé Gouget » étoit révoquée en doute, même par le savant bibliographe M. Beuchotj il paroît aujourd'hui certain qu'elle est la septième.

Nous nous en rapportons là-dessus à M. Beuchot, mieux: informé. Voici comment il s'exprime en tête du n^ 3/ du. Journal général de l" Imprimerie et de la Librairie , du samedi 11 septembre 1824; nous copions son article en entier, parce qu'il remplit parfaitement notre objet :

« Voici ( dit M. Beuchot) la liste des éditions qui ont pré- cédé celle de 1824 : I. Lyon, J. de Tournes, i555, petit 2»-8°. II. Lyon, J, de Tournes, petit in-S^. III. Lyon, 3 556 , in- 16. ( La suppression de l'Ode grecque donne à peu- ser que c'est une contre-façon. ) IV. Epures de Loyse Labé, Rouen , .Jean Garov , i556 , m-i6 , contenant l'Ode grecque. ( Edition citée par La Monnoye , et dont l'existence étoit ré- voquée en doute. J'en ai vu ces jours-ci, dans la bibliothèque de M. de Soleine , un exemplaire provenant de la bibliothèque de Pont-de-Veyle , il étoit inscrit sous le n" 168.) V.Lyon , 1760 , petit m-8o. VI. Brest , i8i5, petit m 8^

« La septième édition est faite aux frais d'une Société de quarante-deux personnes , la plupart membres de l'Académie; de Lyon, parmi lesquelles est une dame. Un Dialogue ^ntfs

( 16]^

Saplïo et Louise Lobé est de M. Dumas ; la Notice sur Louiss Labé est de M.Cochard. M.Breghot , auteur de la plupart des notes ajoutées à cette Notice ^ s'est chargé de diriger l'entre- prise, et a rédigé le Commentaire qui vient de la page i55 à la page 236 , et le Glossaire de Louise Labé , qui remplit les pages 237-323. Le volume est terminé par les Additions et Corrections , suivies de la Liste des personnes qui ont fait les frais de cette édition.

« Le principal éditeur m'a signalé lui-même un lapsus ca^ lami. Page 208 , ligne 29 , il a mis Charles IX au lieu de Henri I[l , et me recommande d'en donner l'indication.

« Il existe neuf sortes d'exemplaires , savoir : carré vélia superfin , 116; grand raisin vélin superflu, 27; coquille nan- kin, 9 ; coquille rose , 4; coquille verte , 1 ; coquille variée à chaque feuille , 1 ; papier de Chine , i : le reste de l'édition est en carré Yélin et papier ordinaire. » C.-N. A,

DIJON} FRAJNXXN^ IMF21XM£VA 23U HOI. lÔ24<

EXTRAIT DES ANNALES

DE Lk LITTÉRATURE ET DES ARTS (i),

354° Livraison y 1 avril 1825.

Evvres de Loinze Lahé ^ Lionnoize (2) ; Lion , Dvrand et Perrin y 1824, in-8° de Ixx et 826 pages.

Cette septième édition des œuvres d'une femme illustre , qui se fit distinguer par sa beauté et son gé- nie dans le siècle brillant de François i^'^, a été pu- bliée, non par un libraire, mais par une société de Lyonnais, la plupart membres de l'Académie de leur ville, et tous jaloux de propager la gloire de leur pays. Sous ce rapport, ils ne pouvoient mieux choi- sir. Louise Labé , ainsi que Clémence de Bourges et Pernette de Guillet , toutes trois de Lyon , posséda , mais avec une grande supériorité , les langues sa- vantes, cultiva la musique et la poésie, et mourut , comme ses deux compagnes, à la fleur de son âge. On n'a malheureusement qu'un trop petit nombre de ses

(i) On s'abonne à Paris , au bureau des Annales de la Litté- rature et des Arts^ rue des Filles-Sain t-Thomas , 12, près le passage Feydeau. Le prix de l'abonnement est, pour trois mois ou i3 livraisons, formant i volume, 11 fr. 5o c. ; pour 6 mois ou 26 livraisons , 11 fr. ; et 43 fr. pour Tannée.

(2) Telle est l'orthographe avec laquelle ce titre est imprimé : c'est celle du temps vivoit Louise Labé , ou du moins c'est celle qu'elle avoit adoptée dans les deux éditions de ses œuvres faites sous ses yeux. Derrière le frontispice de la nouvelle édi- tion , on trouve la dédicace suivante : Pçiiriœ , Amicitiœ et M\fsis*

(O

productions : trois élégies , les meilleures qui eussent paru avant celles de Parny et de Bertin , qui créèrent, en quelque sorte, parmi nous le genre erotique; vingt- quatre sonnets et une délicieuse comédie inti- tulée : Débat de Folie et d^ Amour ^ composent tout son bagage ; mais il suffit pour lui assurer l'immor» talité. Je ne sais comment Sauvigny a pu écrire qu'elle avoit composé cette pièce dans le genre de l'auteur de V Oracle et des Grâces, C'est Saint-Foix qui a tra- vaillé dans le genre de Louise Labé. Cette petite co- médie , si ingénieuse et si piquante , a fait dire à Voltaire , dans ses Questions sur VEncyclopèdie : « La » plus belle fable des Grecs est celle de Psyché ; la » plus plaisante fut celle de la Matrone d*Ephese ; la » plus jolie parmi les modernes fut celle de la Folie » qui, ayant crevé lés yeux de l'Amour, est condamnée 5) à lui servir de guide. » Louise Labé a le mérite d'a- voir inventé cette fable, et d'avoir été ensuite imitée par une foule de poètes , entre autres par notre divin La Fontaine (i). Je n'en citerai qu'un trait qui m'a rappelé un passage de J. J. Rousseau. Quand cet élo- quent écrivain, dans son discours sur \ Origine de V inégalité des conditions^ qui renferme tant de pa- radoxes, s'écrie : « Le premier qui , ayant enclos un « terrain , s'avisa de dire : Ceci est a moi y et trouva » <)es gens assez simples pour le croire, fut le vrai » fondateur de la société civile. » Cela est un peu fou, f^ j'aime encore mieux ces paroles de l'avocat de la Folie (2) : « Petit à petit ha cru Folie avec le tems. » Les plus esventez d'entre eux , ou pour avoir res-

(i) Livre XII, fable 14. (2) Pages 5o et 5i»

(3) » COUS ( délivré , dégagé ) des loups et autres bestes V sauvages , les brebis de leurs voisins et compagnons, »» ou pour avoir défendu quelcun d'estre outragé, ou » pour ce qu'ils se sentoient ou plus forts ou plus » beaux , se sont fait couronner rois de quelque feuil- » lage de chesne. Et croissant l'ambition , etc. » Ce champ est a moi ne ressemble-t-il pas au roi de quelque feuillage ? avec cette différence que Jean- Jacques Rousseau nous parlolt très -sérieusement, tandis que Louise Labé ne faisoit qu'un badinage de son panégyrique de la Folie. Celte femme charmante naquit en i525 ou i526 , et mourut probablement en i565 ou i566 (i) : elle n'avoit donc que quarante ans (2). Ses poésies parurent en i555. On n'a rien pu recouvrer de tout ce qu'elle dut écrire dans l'espace de dix années , et pendant qu'elle étoit dans la force de l'âge et du talent , et à une époque de sa vie le goût et l'expérience dévoient avoir mûri son génie : c'est une grande perte. « Les élégies de Louise Labé, » dit le principal éditeur, M. Breghot du Lut (3) , ont » tout ce qui donne du prix et du charme à ce genre... ; » elles sont tendres, touchantes, passionnées. Le cœur » seul y parle, suivant le précepte de Boileau. Nidle » affectation , nulle recherche dans le style , mais une » exquise naïveté de sentiment et de langage , qui » n'exclut point l'énergie.... »

La Notice que M. Gochard lui a consacrée, et que M. Breghot a enrichie d'excellentes notes, se fait lire

(i) Son Testament , que M. Breghot vient de faire imprimer, est du 28 avril i565.

(2) Par une singulière distraction , Sauvigny la fait mourir en i562 , et il lui donne ce même âge de quarante ans.

(3) Page i83.

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Parmi c( dernii D...S , autcr de lai JyyoJifAu. iventôi par M. Brhot di

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M. Brefot du citer, fait marque seu\emenUne allé grande ériition. Homère , tplio , Virgile, Cide et On y voit ; fréquJ toriques, des p< que des pisonnes

Trois ègies cueillis diS la Malherbe pnh\\é€ Ces piècesont à'i rer dans ote intiîj

Cette TTTiCE, delà de itre pi soyons ajrçu , comme éftngèr* nous prioî les loir bien ire at^ rectement en et corresporant :

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avec un vif intérêt. Ces deux littérateurs la défendent avec chaleur et avec raison, des calomnies que Du Ver- dier fit peser sur sa mémoire , et de celles qu'y ajouta capricieusement un écrivain moderne. Personne n'i- gnore qu'on ne doit jamais s'étayer du témoignage de l'abbé Irail , qui , en général , mérite peu de con- fiance. 11 y a dans son curieux et singulier ouvrage des QuereJes littéraires^ auquel il est probable que Voltaire a mis les mains, presque autant de supposi- tions que de réalités. Que peuvent donc ces crimi- nelles suppositions contre tant d'éloges contempo- rains , qui tous la représentent , non-seulement ravis- sante de beauté, mais chaste, mais vertueuse, mais fidèle à celui qu'elle aima , et constante à repousser l'hommage intéressé d'un certain poète romain? Que voudroit-on de plus pour croire à l'innocence de sa conduite , qui fit l'honneur et le bonheur de son mari, et que celui-ci proclama lui-même , puisqu'en mourant il lui légua ses biens par reconnoissance ? Et pourquoi un critique fort instruit et très-spirituel (i) s'est-il permis d'avancer à ce sujet cette étrange maxime ; « Dans ces matières délicates, quand la vé- » rite n'est ni ne peut devenir évidente, l'apologie peut » paroître téméraire et passer pour un faïix zèle. » Cet arrêt est sévère ; mais pourquoi la disculpation ne pourroit-elle pas devenir éi^iaente P En lisant les poé- sies de Louise Labé et les moyens de justification ras- semblés par ses éditeurs, elle me semble devoir être

(i) M. Diigas-Monbel ( car il est facile de le reconnoître , quoiqu'il se soit caché sous la signature E. K. E. j, le dernier et le plus élégant interprète d'Homère , a consacré aux œuvres de Louise Labé un fort bon, article dans la Semaine , V* livrai*» son, septembre 1824.

(5) incontestable. D'ailleurs, a-t-on fait un crime à l'abbé Barthélémy d'avoii entrepris de justifier Sapho ? « Quand je lis quelques-uns de ses ouvrages, » a-t-il dit avec un peu trop de timidité, « je n'ose pas l'ab- » soudre; mais elle eut du mérite et des ennemis, je •n n'ose pas la condamner. » Il y avait à cela de la pru- dence et de la justice ; aussi ajoute-t-il : « L'envie qui » s'attache aux noms illustres meurt, à la vérité, mais » laisse après elle la calomnie, qui ne meurt jamais. « Cette calomnie atteignit Socrate, et elle voulut flétrir du même reproche les mœurs d'Anacréon. M. Anson , traducteur en vers de ses odes , le justifia d'une ma- nière ingénieuse et forte des torts affreux qu'on lui imputoit. Après avoir lu ce discours , il est impossible de ne pas chérir la personne d'Anacréon autant qu'on aime ses productions , les plus gracieuses que l'anti- quité nous ait laissées. « Si je gagne ma cause, » dit-il sensément , « c'est un grand homme de plus sous les » lois de la décence et de la vertu. » Compterait-on pour rien un pareil triomphe ? Mais , s'il est beau de démontrer qu'un grand écrivain ne s'égara pas si tris- tement dans ses mœurs , combien il est plus impor- tant de rétablir la réputation d'une femme injuste- ment noircie! une femme privée de toute réserve, de toute décence , de toute pudeur ! Ne semble-t-il pas voir un rosier dépouillé de toutes ses roses? Oui, je croirai avec Socrate, avec Platon , avec Elien , avec Strabon , qu'aucune autre personne de son sexe ne pouvait être comparée a Sapho ^ non-seulement par l'esprit et par les grâces , mais encore par la sagesse et par la modestie. Quand Alcée soupira pour elle , quand il chantoit sa beauté et son génie , quand il prétendoit obtenir sa tendresse , ii lui disoit ; « Je voudrois vous

(6) expliquer toute ma pensée , mais la honte me retient; » Sapho lui répondit noblement: « Votre front n'au- roir pas à rougir, si votre cœur n'ctoit pas coupable. » Elle disoit encore : « J'ai reçu en partage l'amour des î) plaisirs et de la vertu : le bonheur consiste dans leur » union. » D'ailleurs, outre que la vengeance d'Alcée, qui osa lâchement déprimer celle qu'il n'avoit pu sé- duire , outre que la haine de quelques rivales puis- santes que sa supériorité humilioit, auroient suffi seules pour faire flétrir l'éclatante réputation de la muse de M itylèn e , n'est-il pas prouvé aujourd'hui, par les découvertes de plusieurs savans , qu'il y eut à Lesbos deux Sapho , l'une , courtisane célèbre , née à Erèse ; l'autre, celle que Platon appeloit la belle et sage Sapho P Om^sage^ car son penchant pourl'ingratPhaon ne fut point un crime ; elle était veuve, elle étoii libre, elle pouvoit

De Tamour par riiymea épurer les plaisirs.

On n'a donc à l'accuser que d'une foiblesse pour un jeune homme qui fut trop insensible au bonheur d'a- voir fait une glorieuse conquête , et non pas d'un vice odieux qui blesse à la fois le sentiment, la déli- catesse et la nature. Il n'est pas même certain qu'elle se soit précipitée du haut du rocher de Leucade.

Qu'on ne pense pas que le plaisir de justifier Sapho m'ait entraîné loin de mon sujet. J'ai prouvé qu'au- jourd'hui les meilleurs critiques étaient forcés de l'absoudre des horribles imputations qu'on lui faisoit. Mais si, lorsque ces judicieuses discussions commen- cèrent , on avoit écrit : « La question restera toujours «indécise; quand la vérité n'est ni ne peut devenir » évidente , l'apologie peut paroître téméraire , » iiu-

(7) roit-on eu raison de s'opposer d'avance à un aussi heureux résultat? Eh bien ! j'appUque à Louise Labé l'exemple d'Anacréon et celui de Sapho. Comme Sapho, elle rejeta les soupirs d'un Alcée italien; comme elle, elle éprouva du penchant pour un Phaon , pour un seul , et avant son mariage; ainsi, elle ne fut point une effrontée courtisane. Les éloges qu'on lui donna, les amis honorables qui lui restèrent fidèles, l'attachement de son époux : tout manifeste que la ja- lousie et la méchanceté s'acharnèrent après elle, et la calomnièrent indignement. Félicitons MM. Cochard et Breghot , surtout ce dernier, de l'avoir si bien dé- montré.

Il ne me reste plus qu'un mot à dire sur ce volume dont l'exécution , extrêmement soignée sous le rap- port typographique, fait honneur aux presses de Lyon. Outre les œuvres de Louise Labé, il renferme de sa- vantes noies et un glossaire très-bien fait, qui montre que M. Breghot du Lut a autant de patience que d'é- rudition. On y trouve d'ingénieuses recherches sur les étymologies et de nombreuses citations de nos vieux auteurs , qui en rendent la lecture très-agréable. Il est à regretter que cet ouvrage n'ait pas été livré au public : aussi je pense qu'un libraire feroit une af- faire lucrative s'il obtenoit de l'éditeur la permission de le reproduire. Cela ne blesseroit les intérêts de per- sonne , puisque cette honorable entreprise n'a point été une spéculation. Les exemplaires qui existent (i)

(i) Il y en a cent seize carré vélin superfin, vingt-sept grand-raisin vélin superfin , neuf coquille nankin , quatre coquille rose , un coquille verte , un coquille variée à chaque feuille, un papier de Chine. Le reste de l'édition , pour at- teindre l«i «ombre de six cents , est en carré vélin ordinaire.

(8) ont été partagés entre quarante-deux sociétaires , tous Lyonnais, parmi lesquels on remarque une dame. Ces sociétaires les ont distj ibués à leurs amis. L'un d'entre eux ayant bien voulu me gratifier de l'un de ses vo- lumes , m'a mis à même de rendre compte de celte belle édition , véritable monument consacré à la mé- moire de Louise Labé par la ville qui Ta vue naître, et qui se glorifie avec raison d'avoir produit une aussi aimable muse (i).

A. DE Labouïsse.

(i) Le souvenir de Louise Labé est , pour ainsi dire , popu- laire à Lyon. Tout le monde sait dans cette ville qu'il a existé au seizième siècle une femme ainsi nommée, cé- lèbre par son esprit autant que par son extrême beauté. La rue elle demeuroit s'appelle encore la rue de la Belle Cor^ dière f car Louise Labé portoit ce surnom , à cause de son mari , Ennemond Perrin , riche marchand de cordages et de câbles pour les navires.

Ses éditeurs semblent annoncer qu'ils publieront de la même manière les autres poètes dont Lyon s'honore d'avoir été le berceau. Je fais des vœux pour que ce projet reçoive son exécution. L'entreprise seroit à la fois utile , agréable et pa- triotique. Pernelte de Guillet , contemporaine de Louise Labé, réclame, la première, les honneurs de la réimpression. Ses oeuvres , quoiqu'elles aient eu une grande réputation , et qu'il en existe trois éditions au moins , sont devenues encore plus rares que celles de la belle Cordière. J'engage donc forte- ment M. Breghot à nous les redonner avec le même luxe typographique , et à les accompagner pareillement de note* et d un glossaire , et surtout à en multiplier un peu plus les exemplaires qu'il ne l'a fait pour Louise Labé.

IMPRIMERIE DE C. J. TROUVA

rue des Filles-Saint-ThoaiM, n" i*.

NOTICE

SUR LA

RUE BELLE -CORDIÈRE

A LYON ,

CONTENANT QUELQUES RENSEIGNEMENS BIOGRAPHIQUES

SUR LOUISE LABÉ ET CHARLES BORDES.

LYON,

IMPRIMERIE DE J. M. BARRET , PLACE DES TERREAUX,

1828.

NOTICE

SUB LA

RUE BELLE -CORBIÈRE

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Jua rue Belle Cordiere , qui prend son entre'e , du côté du midi , par la place Lévisle , et qui va aboutir à la rue Confort , contient, d'après le dernier recensement, 26 maisons , 269 ménages , i436 individus, 93 ateliers et 2 35 métiers d'étoffes de soie. Ce ne fut pendant long-temps qu'un chemin étroit qui servait à la desserte de quelques maisons isolées et de quelques fonds en vignes et jardins , qui étaient situés dans ce canton. Les Jacobins y avaient un enclos de vigne. Le passage n'a été élargi , à ce qu'il paraît , que durant l'occupation de Lyon par les protestans , en 1662 : on fit alors , de toutes parts , des ouvertures au clos de Bellecour , propriété particu- lière , qu'on transformait en place publique. On donna d'abord à la nouvelle rue , le nom de rue neuve de Confort , puis celui de rue ou ruelle Régnier , et seule- ment vers la fui du seizième siècle , le nom qu'elle porte actuellement.

Le sol des rues Belle Cordiere et Bourgchanin , qui sont parallèles , est un des plus bas de la ville et des plus exposés aux inondations par les infdtrations sou- terraines du Rhône. La longue stagnation des eaux

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dans les caves de ces deux rues , aux mois de janvier et de février i823 , époque d'un débordement simultané du Rhône et de la Saune , produisit dans le quartier une espèce d'épidémie qui fut des plus meurtrières.

C'est dans la maison de cette rue , qui porte le n.<^ 14 , que les Israélites de Lyon ont leur synagogue.

Les bureaux de l'académie provinciale se trouvaient aussi dans cette rue. On sait que cette association , formée en 1826 par les rédacteurs du journal de \ Indépendant ^ MM. Morin, Charles Durand, De Loy , etc., était un projet de ligue des départemens pour s'opposer au mono- pole de l'esprit et des lumières que s'arroge la capitale. La société devait se cornposer de cinquante membres ayant le titre d'académiciens , de dix membres ayant celui de mem- bres du comité des beaux-arts, de cent correspondans ré- sidant dans les départemens de la France ou à l'étranger, et de mille souscripteurs qui auraient eu le titre d'associés. Ce n'est que par des publications que l'académie provin- ciale devait agir, et elle correspondait avec tous ses mem- bres par son journal et par ceux des départemens. Elle comptait publier douze volumes par an , choisis parmi les manuscrits qui lui auraient été soumis par les sociétaires. M. de Chateaubriand avait été nommé président honoraire et perpétuel ; M. Charles Nodier , président annuel ; M. Charles Durand, secrétaire. L'idée était bonne; mais l'exécution n'y a pas répondu , et à peine une année s'é- tait-elle écoulée depuis sa création, que la société provin- ciale a cessé d'exister avec le journal qui lui servait d'or- gane. M. Morin semble avoir voulu essayer de la faire revivre, en publiant, tous les mois, un recueil pério- dique, in- 8.°, sous le titre de la France provinciale ; mais il n'a donné que deux numéros, ceux de juin et de juillet 1827.

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La dénomînalion de la rue Belle Cordlère lui a été imposée par l'usage , et non par l'autorité municipale ; elle rappelle la mémoire de la célèbre Louise Labé , dont le mari , Ennemond Perrin , riche marchamd de cor- dages , possédait sur cet emplacement , vers le milieu du seizième siècle, un jardin (i) et une maison. Cette maison forme aujourd'hui l'angle oriental de la rue Belle Cor- dière et de la rue Confort. Ennemond Perrin , mort en i565 , la laissa à sa veuve , qu'il institua son héritière , et celle-ci la légua , à son tour , à deux neveux de son mari , Jacques et Pierre Perrin , en leur substituant l'aumône générale dans le cas ils mourraient sans enfans. Par l'effet de cette substitution , l'immeuble entra dans le domaine des pauvres. Vendu à un sieur Berthier , conseiller au parlement de Grenoble , il passa ensuite à un sieur de Courtine , puis à Louis Dupré , marchand cartonnier. Il est resté long-temps dans la

(i) Un peu plus haut que la plaine Ou le lione impetueus Embrasse la Sone humaine De ses grans bras tortueus , De la mignonne pucelle Le plaisant jardin estoit , etc.

Ainsi commence la description du jardin de la Belle Cordière dans une pièce anonyme à sa louange, imprimée à la suite de ses oeuvres. Il faut lire en entier cette des- cription , morceau plein de fraîcheur , de grâce et de poésie. C'est que sont désignées trois fleurs sous des dénominations inconnues des botanistes modernes , les inastis , les bruntttes et les damas , et un arbuste que le poète appelle le cerverin , qui ont fourni dernièrement le sujet d'une discussion intéressante.

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famille de celui-cî : car ce n'est que depuis deux ou trois ans que Taliënation en a été faite par Madame R.avier du Magny , épouse de M. le président du tribunal civil de Lyon , et fdle de feue Madame Tavernier , née Dupré. Les propriétaires actuels l'ont fait presque entièrement reconstruire. Il y a grande apparence que ce n'est pas la première fois que cette maison a été rebâtie depuis l'époque elle appartenait à Louise Labé.

Louise Charly , dite Labé , qui dut le surnom de Belle Cordîère aux charmes de sa personne , a laissé un nom distingué dans les lettres. Elle était fdle d'un cordier qui possédait une fortune considérable et qui lui fit donner une brillante éducation. Elle naquit en i525 ou 1 526. Douée d'une imagination ardente , avide de tous les genres de gloire, elle suivit, en i542 , âgée d'environ seize ans , l'armée de François L^^ (i) au siège de Perpignan , la firent remarquer sa bravoure et

(i) Quelques auteurs , tels que PouUin de Lumina , Abr. chronol. de Vhist. de Lyon, pag. 186, M. Fortis , Voyage pilloresque à Lyon, tom. I, pag. 210 et 2 12 , M. Jal , Résume de Vhist. du Lyonnais, pag. 24^, etc. , (lisent que Louise Labé fut présentée à François L^% pas- sant par Lyon pour se rendre à Perpignan , et qu'elle charma tellement ce prince , ami des lettres et du beau sexe , par son esprit et par sa beauté, qu'il lui permit de suivre la cour ; mais ce sont des particularités qui ne se trouvent confirmées par aucun document historique , et qui paraissent avoir été inventées à plaisir. Il en est de même de quelques autres circonstances rapportées par M. Fortis dans l'endroit que nous venons de citer, où, suivant son usage , il use largement du privilège accorde' par Horace aux peintres et aux poètes.

son intre'pidilé , ainsi que son habileté et sa grâce à monter à cheval. Elle s'était déguisée en homme , et on l'appelait au camp le Capitaine Loys, De retour à Lyon , elle y épousa Ennemond Perrin. Sa maison de- vint bientôt le rendez-vous de tout ce qu'il y avait de personnes recommandables dans la cité par le rang qu'elles y occupaient , ou par leurs goûts littéraires. Maurice Sève , alors célèbre comme poète et comme chef d'une école poétique , ami et patron de Marot , avocat et échevin , appartenant à une illustre famille piémon- taise dont une branche s'était établie à Lyon , un des hommes les plus considérés de cette ville ; Claude de Taillemont , qui fut aussi échevin , et qui pareillement cultivait les lettres avec beaucoup de distinction ; Gabriel de Saconay , comte et précenteur de l'église de Lyon , auteur de plusieurs ouvrages estimés ; Clémence de Bourges , la perle des damoiselles lyonnaises , suivant l'expression de du Verdier , etc. etc. , étaient les prin- cipaux ornemens de ces réunions , l'on admettait encore les savans et les littérateurs étrangers qui se rendaient en foule dans nos murs pour y surveiller l'impression de leurs écrits. L'imprimerie de Lyon était en ce temps-là très-renommée ', les Sébastien Gryphe et les Jean de Tournes l'avaient élevée à un haut degré de splendeur, et c'est vraiment alors plus qu'à toute autre époque, qu'on voyait couler, dans les remparts de cette ville.

Les ondes du Pactole et les eaux du Permesse.

Une bibliothèque nombreuse décorait le cabinet de Louise Labé. La musique elle était fort habile , et d'agréables banquets auxquels elle présidait avec beau- coup de grâce , faisaient chez elle une aimable diversion

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aux dei>îs littéraires. En un mot , comme l'a dit un de nos collègues , on peut regarder les assemblées que la Belle Cordière tenait dans sa maison , comme le type de celles qui depuis ont illustré le siècle de Louis XIV. Louise Labé savait le grec, le latin, l'italien, l'espagnol. On se fait aisément l'idée du charme que devait répandre autour d'elle une femme qui réunissait à une éclatante beauté la vivacité et les grâces de l'esprit le plus heu- reux et le mieux cultivé. Ses mœurs respectées , célébrées même comme pures et irréprochables par les auteurs qui ont vécu en même temps qu'elle , et qui l'ont habi- tuellement fréquentée , n'ont été attaquées que sur la foi de du Verdier et de Rubys qui ne l'ont pas connue. Ces deux écrivains et ceux qui se sont faits leurs échos , nous la représentent comme une courtisane raffinée , comme une nouvelle Léontium , comme la Ninon de son siècle ; mais elle a trouvé d'ardens défenseurs dans les derniers éditeurs de ses œuvres : car elle a composé des œuvres qui furent publiées de son vivant et l'ont été plusieurs fois depuis : elle y chante , il est vrai , l'amour avec des expressions enflammées ; mais qui peut assurer que l'objet de sa passion ne fût pas ce même Ennemond Perrin qui était alors ou qui devait être un jour son époux ? ou pourquoi n'aurait-elle pas eu un amant ima- ginaire , comme les poètes célèbrent des Iris en ïaïr ^ des Phyllis , des Syhie qui n'ont jamais existé (i) ? Ce qu'il y a de certain , c'est qu'à moins d'adopter l'une ou l'autre de ces hypothèses , on est réduit à l'impossibilité

(i) Cette conjecture se trouve déjà dans les Recherches sur les théâtres de France , par de Beauchamps , Paris , 1755, 3 Yoi, in-i2 , tom. 1 , pag. 554'

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absolue d'expliquer les éloges que lui donnent plusieurs poètes de son temps , qui vantent à l'envi sa vertu , sa pudeur , sa chasteté : éloges qu'ils n'eussent jamais osé proférer, et qui se fussent convertis dans leur bouche en reproches ironiques , en outrages sanglans , si la personne à laquelle ils s'adressaient , eût été une femme notoirement perdue de débauche , ou seulement une femme dont la réputation aurait été tant soit peu équi- voque.

Le recueil de ses ouvrages, dédié à Clémence de Bourges , consiste en une petite comédie en prose , in- titulée le Débat de Folie et d* Amour , ingénieuse fic- tion , fable charmante , admirée par Voltaire et imitée par La Fontaine ; en trois Elégies , tendres , touchantes , passionnées , pleines d*heureuses réminiscences d'Ovide , de Tibulle et de Properce ; et en vingt-quatre Sonnets , dont le premier est en italien , et dans lesquels , comme l'a observé tout récemment un critique , on reconnaît sans peine , à la douceur et à la pureté des sentimens et de l'expression , que la Belle Cordière soupirait non loin de la patrie de Laure.

Nous ne nous étendrons pas davantage sur la biogra- phie de Louise Labé , que nous ne pouvons traiter ici qu'accessoirement ; mais , en considération de la place remarquable que cette femme occupe dans nos fastes littéraires et de l'honneur que sa naissance fait à la ville de Lyon , à laquelle notre ouvrage est consacré , on nous permettra d'indiquer , dans une note , à ceux de nos lecteurs qui voudraient approfondir un sujet aussi intéressant , différentes sources ils pourront puiser des notions plus étendues et plus complètes , et d'entrer en même temps dans quelques détails bibliographiques

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sur les éditions des cÊUvres de Louise Labé , qui ont paru jusqu'à ce jour (i).

(i) Le premier ouvrage à consulter pour la biographie de la Belle Cordière , est le Discours sur la vie et les ou- vrages de Louise Labe\ hyonnoise ( par M. Charles-Joseph de Ruolz (*) , de racadémie de Lyou ), Lyon , Aimé Dela- roche , i ySo , in-12 de 63 pages •, le second est la Notice sur Louise Labé , par M. Cochard , à la tête de l'édition de ses œuvres, donnée en 1824, et dont nous parlerons bien- tôt*, le troisième et dernier est le recueil des Archives his- toriques et statistiques du département du Rhône , dont il est peu de n.*'^ qui ne contiennent quelques renseignemens sur Louise Labé. C'est ainsi qu'on trouve dans ce recueil , tom. I , pag. 55-4^5 ^^^^ copie de son testament , daté du 28 avril i565, pièce importante et qui était restée inconnue à nos historiens dont elle peut servir à rectifier les asser- tions sur plusieurs points (**); tom. Il, pag. 125-1289 une lettre sur deux anciennes éditions de ses oeuvres ; tom. III, pag. 160, son épitaphe , par M. Pericaud aîné; ibid. pag. 47^9 un article sur son portrait lithographie , à Lyon, par M. Ileverchon , et à Paris, par M. Serrur, et pag. 47^~48o, des notes sur cinq plantes cultivées dans son jardin , par MM. Vallot et Thiébaut de Berneaud -,

(*) à Lyon le i4 novembre 1708 , mort le 10 juillet 1756 , en traversant la rivière d'Ain qui avait grossi subitement, et en se jetant k la nage pour sauver sa femme et son frère qui périrent avec lui. 11 était conseiller à la cour des monnaies. Il a composé pour l'académie un assez grand nombre de mémoires et de dissertations. L'abbé Pernctti , Lyonn» dignes de jnéni. , tom. II, pag. /|Oi , se trompe en disant que nous n'avons de lui d'autre ouvrage imprimé que sa disser- tation anonyme sur Louise Labé : le Journal de Trc</oux , septembre 1748 , nous a conservé des Recherches historiques et topo graphique s sur les villes d'Herculaîie et de Pompéie , qu'il avait lues dans les séances académiques des 22 novembre 174? et 25 avril suivant.

(**) Ce testament a été réimprimé à part.

il

La ville de Lyon est fièie , avec raison , d'avoir été le berceau de Louise Labé , comme autrefois Mytilène

tom. IV, pag. 217-220, une lettre sur un passage de l'an- cien poète français, Guillaume Crétin, que l'on avait cru relatif a Louise Labë, et pag. 522-626 5 une seconde lettre sur des vers de Clément Marot , qui paraissent la concer- ner ; tom. V, pag. ii-i4et29, une comparaison de son Débat de Folie et cV Amour avec un poème de Wiéland , par feu M. le comte François de Neufchâteau 5 tom. VI , pag. 4^7-458 9 un jugement porté sur elle dans le Fort inexpugnable de V honneur féminin , par François de Billon, imprimé en i555 *, tom. VU, pag. 266-267, une note sur trois sonnets encore inédits qu'elle aurait composés en l'honneur d'Amélie de Mon tendre , suivant les éditeurs de Clotilde de Surville, et pag. 465-466, un article commu- niqué par un anonyme et destiné à réfuter un passage de la Gazette unii^erselle de Lyon , l'on blâmait l'autorité municipale de ce qu'elle avait commandé à M. Foyatier , pour la galerie des Lyonnais célèbres fondée par feu M. Grognard , un buste en marbre de Louise Labé, qui a figuré à la dernière exposition du Louvre , etc. , etc. , etc. La plupart de ces morceaux ont été réimprimés dans les Lettres Lyonnaises ^ Lyon , 1826 , in-8.° et dans les Mé- langes sur Lyon , extraits des Archii^es du lihdne. Ce sont autant de supplémens aux notes qui accompagnent l'édi- tion des œuvres de Louise Labé de 1824.

Les éditions qui ont été faites de ces œuvres , suivies des vers à sa louange par divers poètes de son temps , sont au nombre de sept. Les trois premières sortirent des presses de Jean de Tournes , en i555 et i556, pet. in-8.°; la quatrième est celle de Rouen, Jean Garou, i556, in-i6j la cinquième a paru a Lyon , chez les frères Duplain , en 1762, in-12 , et fut ^imprimée par Aimé Delaroche ; la sixième a été publiée à Brest, chez Michel (imprimeur et

12 se vantait de ce qu'elle avait été la patrie de Sappho , et

comme aujourd'hui Toulouse se rappelle avec orgueil

éditeur) , en i8i5 , in-8.°j et la septième , à Lyon, chez Durand et Perrin, en 1824» même format.

Cette dernière édition et celle de 1762 sont des monii- mens élevés à la gloire de Louise Labé par quelques-uns de ses compatriotes.

L'édition de 1762 fut donnée par MM. Jacques-Annibal Claret de la Tourrette de Fleorieu , ancien prévôt des marchands , président honoraire à la cour des monnaies et secrétaire -perpétuel de l'académie de Lyon 5 l'abbé Antoine Lacroix, grand obéancier de St-Just; le P. Dumas, bibliothécaire des Gordéliers ; le P. Janin , bibliothécaire des Augustins •, Jean-François Tolozan , premier avocat- général à la cour des monnaies ; Biaise Desfours , conseiller à la même cour*, Ruffier d'Attignat, trésorier de France j Bollioud-Mermet, de l'académie de Lyon , et Pierre Adamoli, maître des ports , ponts et passages de la ville et du gou- vernement du Lyonnais , Forez et Beaujolais. Ce dernier fut chargé du soin de diriger l'impression qui fut faite sur un exemplaire de i555 , fourni par M. de Fleurieu. Les dessins des gravures qui ornent cette édition , tirée au. nombre de 5^5 exemplaires , avaient été la plupart, quel- ques années auparavant, esquissés par M. de Lamonce ^ M. Nonnotte, peintre de Lyon, membre de l'académie et frère du fameux abbé Nonnotte ^ l'antagoniste de Voltaire , les retoucha , mais ils furent mal exécutés par le graveur de Paris , nommé Daullé , dont le burin manquait de force.

L'édition de i8?4 ^^t due également à une société d'ama- teurs et de gens de lettres lyonnais , appartenant presque tous à la magistrature , au barreau , a l'académie et au cercle littéraire. On voit figurer h la tête de la liste hono- rable des personnes qui ont fait les frais de l'impression et qui ont partagé les exemplaires, MM. le vicomte Paultre

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qu'elle a vu naître Clémence Isaure. Ce sont des gloires , pour ainsi dire , populaires , et qui ne sont que plus flatteuses. Le nom que le peuple lyonnais a donné à la rue qui est le sujet de cet article , est une de ces marques de souvenir qui recommandent encore plus les individus qui les obtiennent que ne le font les éloges des

de la Motte , lleutenant-g'^néral , commandant la ij}.^ di- vision militaire ; le comte de Bastard d'Estang , premier président de la cour royale de Lyon , pair de France ; le comte de Brosses , préfet du département du Rhône 5 le baron Rambaud, maire de Lyon^ les membres de la chambre de commerce, représentée par son président M. le che- Talier Mottet de Gérando, etc. Des ecclésiastiques, des con- seillers à la cour, des membres des tribunaux, des avocats , des médecins, des négoclans, une dame ( M.^^ de Ser- mézy), etc., complètent cette liste qui se compose de 4^ souscripteurs dont les uns ont eu 10, et les autres , 20 exem- plaires chacun .'On trouvera dans les Arch, du ï\h.^ t. I,p. 77, rindication des divers papiers sur lesquels l'édition a été tirée. Les éditeurs ont placé à la tête du volume un Dia- logue entre Sappho et houise Labe\ par M. Dumas, et «ne Notice sur Louise Labé ^ par M. Cochard, accompagnée de notes par M. Breghot du Lut , lequel a dirigé l'entreprise, collationné le texte avec celui des éditions précédentes , et rédigé le commentaire qui va de la page 1 55 à la page 256, et le Glossaire de Louise Labë qui remplit les pages 237-522. Le volume est terminé par des Additions et cor- rections et par la Liste des souscripteurs.

Nous avons cru devoir , par les motifs indiqués plus haut , consigner ici ces détails historiques et bibliogra- phiques dont nous garantissons l'exactilude, et que l'on ne pourrait trouver aussi complets nulle autre part.

14 savans et les honneurs décernés par les princes. Il est vra^ que c'est à sa rare beauté que Louise Labé semble , au premier coup d'oeil , devoir la place distinguée qu'elle conserve dans la mémoire de ses compatriotes ; mais si elle n'eût été que belle , on ne connaîtrait aujourd'hui que son surnom , et l'on se demanderait avec une sorte d'indifférence ou de vaine curiosité quelle était cette Cordière dont les charmes avaient fixé un instant les regards de ses contemporains. Ce sont ses talens , ce sont les œuvres qu'elle a laissées , elle s'est montrée supé- rieure à son siècle, et brillent le naturel, la délicatesse, la grâce , une sensibilité vraie et profonde , une riante et fertile imagination , qui l'ont garantie de l'oubli et qui lui assurent des titres solides à l'estime de la postérité.

La rue Belle Coi'dière peut aussi s'honorer d'avoir vu naître un homme qui s'est acquis de la célébrité par ses talens. Charles Bordes (i) y vint au monde, le 6 septembre 171 1. On sait qu'il fut l'ami de Voltaire , et on connaît ses relations intimes avec J.-J. Rousseau dont il devint ensuite l'antagoniste dans la fameuse dispute sur la ques^ tion proposée par l'académie de Dijon sur l'influence des lettres et des arts. Il écrivit en prose et en vers , et il fut , suivant l'expression de M. Barou du Soleil (2) , l'un de ces littérateurs distingués que les provinces opposent avec orgueil aux prétentions exclusives de la capitale. Plusieurs de ses ouvrages parurent de son vi-

(i) Il signait ainsi, et cependant l'acte de son baptême et celui de son décès portent, l'un et l'autre, Borde sans s. Voy. Archives du Rhône, tom. I , pag. 52 , not. i.

(2) Eloge de M. Prost de Royer, (Lyon ) , 1785, in-8.**, png. ig.

vant ; mais ie recueil n'en a étë publié qu'en 1785 , deux ans après sa mort (i) , par un de ses confrères à l'académie de Lyon , l'abbé de Caslillon , vicaire-général de M. de Monlazet. M. l'abbé Guillon de Monlléon fit paraître en 1785, sous le titre de Tribut de l amitié à la mémoire de M. Borde , un éloge intéressant de son ami ; et M. Pericaud aîné lui a consacré une notice biographique qui a été insérée dans le tom. I des Ar- chives du Rhône , pag. 52 et suiv. , et réimprimée séparément. Le recueil périodique que nous venons de citer , contient en outre , tom. III , pag. 40"47 5 le dis- cours de Bordes à sa réception à l'académie de Lyon , prononcé le 27 avril 174^ , et qui , au moment de (.ette insertion , était encore inédit. Ce fut Bordes qui , en sa qualité de directeur de la même compagnie, complimenta Voltaire , dans la séance publique du 26 novembre 1754. Ce discours , pareillement inédit , se trouvera à la page 61 des Méhinges sur Lyon ^ actuellement sous presse, et figurera sans doute dans \ Histoire de l Académie de Lyon , que M. Dumas est sur le point de faire paraître.

2Vb/a. Cette notice , re'dige'e par M. C. B. D. L. et des- tinée à faire partie d'une description par ordre alphabétique des rues , places et quartiers de la ville de Lyon , est extraite des Archives fils torique s et statistiques du dépar- tement du Rhône ^ tome VIII 5 pag. 4'i9*

(i) Arrivée le i5 février 1781.

SUR

LOUISE LABÉ.

"^'^^ A CINquaivtê

^"^^^PLAI^ES.

'"''''^'^•^^i^n^r.^Soo,

\Mm VK /.]

POUR SERVIR DE SUPPLÉMENT

AU COMMENTAIRE

SUR LES OEUVRES DE LOUISE LABÉ.

.^^..>i^..^.

Parmi les pièces de vers qui , sous le titre à^Escriz de diuers poètes , ont été placées à la suite des œuvres de Louise Labé , comme ayant été composées h sa louange , il en est deux qui sont dues à Olivier de Magny , de Caliors en Quercy, ami et compatriote de Hugues Salel et de Clément Marot. La première est celle qui commence à la page ii4 de notre édition ", et qui est intitulée: Epître à ses amis , des gracieuseiez de D. L. L, ^ et la seconde est celle qu'on lit, pag. 121 et suiv. , et qui porte le titre d'Ode en faveur de D. Loiiïze Labé à son bon Signeur. D. M. L'une et l'artre , mais surtout la dernière , sont remarquables : elles nous font voir dans Olivier de Magny un des plus grands admirateurs de la Sappho lyonnaise , et un de ceux qui l'ont célébrée avec le plus de talent 5 elles fournissent aussi quelques détails

1 Euiires de Louïze La^é lyonnoize» Liou , Durand et Perrin , 182/j , in-8.°

pour sa biographie , qui ont cte relevés dans la notice place'e à la tête de notre édition. Le recueil des Odes {V Olivier de Magny^ imprimé à Paris, ciiez André Wechel, en 1559, in-8.0 , que nous n'avions pu nous procurer, étant par hasard tombé dernièrement sous notre main ', nous nous sommes hâté de vérifier s'il contenait ces deux pièces. Le résultat de notre recherche a été que la première ne s'y trouve pas, mais que la seconde , com- posée de 28 strophes , y figure divisée en deux odes ; c'est-à-dire que les 22 premières strophes y forment une ode adressée à Anthoine Fumée , grand Rapporteur de France , et que les six strophes suivantes en forment une autre intitulée : Ode au Tti/ips et à VOccasion ^ pré- sentée en vne monimerie ci Monsieur d^Auanson. On ne conçoit pas comment les anciens éditeurs de Louise Labé , ou Louise Labé elle-tkiême , si c^est elle qui a présidé à l'impression de ses ouvrages , ont pu joindre ensemble ces deux compositions , qui sont absolument différentes , sans nul rapport entre elles , et dont la seconde lui est même tout-à-fait étrangère. Leur texte diffère , d'ailleurs , en quelques endroits , de celui du recueil publié par l'auteur 9 et nous avons pris note de ces variantes dont on pourrait faire usage, si l'on donnait une nouvelle édition de Louise Labé.

Mais ce n'est pas tout ce qu'on trouve de relatif à cette femme célèbre dans le rare volume qui contient les Odes d'Olivier de Magny : il s'y rencontre d'autres pièces qui paraissent se référer aussi à la Belle Cordière , que le poète avait connue à Lyon pendant le séjour qu'il y fit de i55o à i555; car c'est elle probablement qu'il chante comme une de ses maîtresses sous le nom de hoyse. Nous citerons d'abord l'ode suivante , qui occupe le recto et le verso du feuillet i5i :

i L'exemplaire que nous ayons vu , appartient à la bibliollièquâr pubUc[ue de Lyon.

s

DE SA INOVVELLE AMOVR 5 A lEAN d'iLLIERS ,

l'auoy conclud en mes espiitz Que iamais l'enfant de Cypris IN'auroit plus sur moy de puissance, Et ia desia ie cognoissoy , En mille lieux ie passoy, Combien valoil ma résistance.

Mais ce Dieu deuenu moqueur De la liberté de mon cueur , Vint raillant me dire naguiere Qu'il me feroit bien tost sentit* Si ie me pouuoy garcntir Du coup de sa flecbe guerrière.

Et deslors ce petit Archer Va secrètement se cacher Dedans vn des yeux de LoYSE ^ D'où traistre il descocha sur moy Le fier traict plein d'aise et d'esmoy Qui rompt si bien mon entreprise.

Adieu doncq* pauure liberté : Cest aueugle enfant irrité De quoy ie dedaignoy ses armes , Comblant ma poytrine d'amour , Me liure de nuict et de iour Sans repos raille autres alarmes.

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Dans le commencement trune autre otie , intîtule'e Tfaymer en plusieurs lieux , à Guillaume Aubert , fol. i45 recto 5 Olivier de Magny compte encore cette même hoyse au nombre de ses malstresses , et en nomme avec elle trois autres qu'il célèbre en divers endroits de son recueil :

Pour ce qu'en ceste amour diuersement escripte le parle ore auec Anne , ore auec Marguerite , Magdaleine et LoYSE , on me pourroit blasmer D'aymer en trop de lieux pour me bien faire aymer....

C*est peut-être aussi de Louise Labé qu'il est question dans l'ode intitulée : De V absence de s* aniyc , à Maurice Sceue ^ lyonnois ^ fol. 148 recto-149 ^^' Olivier de Magny y annonce qu'il a quitté les bords du Rhône et de la Saône pour venir auu: rivages d'Isère lamenter sa misère, espérant , mais en vain , d'amoindrir son mal par l'' absence. Il termine ses plaintes amoureuses par ces deux strophes :

0 beaux yeux bruns de ma maistresse, 0 bouche 5 ô front , sourcil et tresse , 0 riz, ô port, ô chant et voix, Et vous ô grâces que i'adore , Pourray-ie bien quelque autre fois A'^ous veoir et vous ouyr encore , Comme ie feiz en l'autre mois !

Riuages , monts , arbres et pleines , Riuieres , rochers et fonteines , Antres , forestz , gerbes et prez , Voisins du seiour de la belle , Et vous petitz iardins secretz , le me meurs pour l'absence d'elle,, Et vous vous égayez auprès.

Mais le morceau le plus pre'cieux du recueil et qui a ete pour nous une découverte des plus intéressantes , est celui que nous allons transcrire , et qui se trouve fol. i8i verso- 1 85 id. On n'aura pas de peine h recon- naître , au moyen des allusions qui y sont contenues , que le mari complaisant et commode auquel le poète s'adresse, n'est autre que Sire Erincmond Perrin , époux de Louise Labé , dont le nom est légèrement altéré et changé en celui de Sire Aymon. Les notes dont nous accompagne- rons ce curieux monument des mœurs du seizième siècle j ne laisseront, d*aillears , aucun doute à cet égard.

À SIRE AYMON.

Si ie vouloy par quelque effort Pourchasser la perte ou la mort Du sire Aymon , et i'eusse enuye Que sa femme luy fut rauie , Ou qu'il entrast en quelque ennuy , le serois ingrat enuers luy.

Car alors que ie m'en vois veoîr La beaulté qui d'vn doux pouuoir Le cueur si doucement me brulle , Le bon sire Aymon se reculle , Trop plus ententif au long tour De ses cordes * 5 qu'à mon amour.

1 Allusion H la profession de cordier qu'exerçait Ennemond Perrin.

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Ores donq'il fault que son heur Et sa constance et son honneur Sur mon luth viuement l'accorde , Pinsetant l'argentine corde Du lue de madame parfaict , Non celle que son mari falct '.

Cet Aymon de qui quatre filz Eurent tant de gloire iadis , IN'eust en sa fortune ancienne Fortune qui semble à la tienne. Sire Aymon , car sans ses enfans Il n'eust poinct surmonte les ans»

Mais toy sans en auoir onq'eu * , As en viuant si bien vaincu L'efïort de ce Faucheur auare ^ $ Que quand ta mémoire si rare Entre les hommes périra , Le Soleil plus ne reluira.

O combien ie t'estime heureux , Qui vois les trésors plantureux De ton espouze ma maistresse ^

1 Même allusion. Remarquez dans la même strophe lue et luth employés pour désigner le même instrument de musique. Nouvelle preuve du peu de fixité de l'orthographe à cette époque.

2 Ennemond Perrin n'eut point, en effet, d'enfant.

5 Le temps. Comment Ennemond Perrin a-t-il pu le vaincre ? Sans doute le poète a voulu dire que la célébrité de sa femme le rendait immortel»

9

Qui vois l'or tie sa blonde tresse ' , Et les attraictz délicieux Qu'Amour descoche de ses yeux f

Qui vois quand tu veulx ces sourciz , Sourciz en hebeine noircis , Qui vois les beaultez de sa face , Qui vois et contemples sa grâce , Qui la vois si souuent baler , Et qui l'ois si souuent parler !

Et qui vois si souuent encor Entre ces perles et cet or , Vn rubys qui luyt en sa boucbe , Pour adoucir le plus faroucbe , Mais vn rubis qui sçait trop bien La rendre à soy sans estre sien !

Ce n'est des rubis qu'vn marchant Auare aux Indes va cerchant , Mais vn rubiz qu'elle décore Plus que le rubiz ne l'honnore , Fuyant ingrat à sa beaulté Les apastz de sa priuaulte.

Heureux encor qui sans nul soin Luy vois les armes dans le poing ,

1 Louise Labé était blonde. Plusieurs des poètes qui ont cscriî à sa loueuse , le disent expressément.

Et brandir dWne force adextre , Ores à gauche , ores à dextre , Les piques et les braquemars En faisant honte au mesme Mars ' !

Mais pour bien ta gloire chanter le ne sçay que le doy vanter Ou ton heur en telle abondance , Ou la grandeur de ta constance , Qui franc de ses beaultez iouyr 3S*as que l'heur de t'en resiouyr.

Tu peulx bien cent fois en vn iour

Veoir cette bouche niche Amour ,

Mais de fleurer iaraais Taleine

Et l'ambre gris dont elle est pleine ,

Alléché de sa douce voix ,

En vn an ce n'est qu'vne fois.

Tu peulx bien cent fois en vn iour Veoir ceste cuysse faicte au tour , Tu peux bien veoir encor ce ventre y Et ce petit amoureux antre Ou Venus cache son brandon , Mais tu n'as point d'autre guerdon ''.

1 A Mars lui-même. Corneille , dans le Cid , a dit la même vertu pour la vertu même» Cette strophe ne permet pas de douter qu'il ue s'agisse ici de Louise Labé , qui était alle'e au siège de Perpignan , qui s'était rendue habile dans l'escrime et Téquitation , et qui dut à son humeur guerrière le surnom de capitaine Loys.

2 Singulières moeurs que celles d'un siècle un poêle osait exprimer de pareilles pensées I

n

Puisses tu veoir souueiit ainsi

Les beaultez et grâces aussi ,

Soit de son corps , soit de sa face ,

Et puisse le prendre en ta place

Les doux plaisirs et les es])alz

Qu'on prend aux amoureux conibntz!

Et touslours en toute saison , Puisses tu veoir en ta maison Maint et inalnt braue capitaine y Que sa beauté cbez toy amelne , Et touslours , sire Ajnion , y veoir Maint et maint homme de scauoîr ' !

Et lors qu'auec ton tablier gras , Et ta quenouille entre les bras , Au bruict de ton tour tu t'esgayes "* , Puisse elle touslours de mes playes , Que i'ay pour elle dans le cueur , Apaiser la douce langueur !

1 On sait que , comme le dit du Verdier , Louise Labé recciioit gracieusement en sa maison seigneurs , gcniilshoimnes et antres personnes de mérite , et qu'elle ayma les sçauans hommes sur fous.

2 Ce passage tendrait à faire considérer Ennemond Pcrrin comme un simple ouvrier cordier , et non comme un négociant , comme uu riche marchand de cordages ; mais il ne faut pas oublier que c'est un poète qui parie, et qu'on ne doit peut-être pas prendre à la lettre ses expressions , quoiqu'elles rentrent tout-à-fait dans celle de hon homrnc de cordior , dont du Verdier s'est servi pour qualifier le mari de Louise Labé.

FIN.

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