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ÉVANGÉLINE

TRADUCTION DU POEME ACADIEN

LONGFELLOW

L. PAMPHILE LEMAY

DEUXIÈME ÉDITION H ! O ^ '

QUEBEC

P.-G. DKLISLE, IMPRIMEUR, 1, RUE PORT DAUPHIN

.18 7 0

IÎ7Û

AU LECTEUR

La critique m'ayant montré quelques taches dans ma première traduction d'Evangéline, j'avais à cœur de retoucher, de polir, de perfectionner mon œuvre. Cependant je ne me serais probablement pas décidé à la livrer de nouveau au public assez indifférent, si je n'avais été sollicité par un homme que je vénère beau- coup, et que j'appellerai avec raison mon Mécène, puisqu'il m'a protégé depuis longtemps et avec fidélité.

G Al LECTEUR

Je n'ai jamais prétendu l'aire une traduction tout à fait littérale. J'ai un peu suivi mon caprice. Parfois j'ai ajouté, j'ai retranché parfois ; mais plutôt dans les paroles que dans les idées. J'ai respecte partout les sentiments du poète Américain. Dans cette deuxième édition, j'ai rendu la vie à Evan^rline que. dans ma première traduction, j'avais laisse mourir, par pitié, en même temps que son Gabriel.

Je devais publiera Paris cette nouvelle édition du Acadien. Cependant pour des raisons qu'il serait au moins superflu de raconter à mes bienveil- lants . j'ai rappeler mes humbles manus- crits au foyer paternel. Je ne me flattais pas d'éblouir le monde parisien, bien qu'aujourd'hui les grands la France soient à peu près tous rentrés sous *• ne ceux qui survivent ne volent pas toujours très-haut. Je connais assez les préjugés des

petits-neveux d'outre-mer de mes ancêtres, et leur

AU LECTEUR 7

antipathie pour tout ce qui n'est pas français, pour savoir que le barde sauvage des bords lointains du St. Laurent n'aurait pas, un seul instant, suspendu la foule parisienne aux accords de son luth.

J'aurais été flatté tout de même de voir la Patrie de mes Pères se tourner vers cette rive Canadienne un million de ses enfants conservent encore sa foi, sa langue et ses coutumes, et lui donner un sourire de reconnaissance.

Si mon livre a du mérite, ce mérite est à mon amour de cette langue, de cette foi, de ces coutumes que la France nous a léguées, seul héritage que nul n'a pu nous ravir ! Il est aussi à l'intérêt que je porte à l'Acadie, cette sœur du Canada si indignement traitée par ses vainqueurs.

Les Acadiens comme les Canadiens ont conservé le culte du souvenir. Les uns et les autres sont encore ce qu'étaient leurs aieux sous le règne du bon roi

8 Al' LECTEUH

Henri I\". Dans Les campagnes qui bordent le St. Laurent, comme sur les rivages de l'ancienne Acadie sont restés les descendants des fils do la France, voyageur retrouve le même attachement à la foi catholique, attachement que les persécutions les plus cruelles n'ont ]>u ébranler, la même urbanité, le même amour de la nationalité, amour Bublime qui réunit toutes les amours et prête a un peuple quelque faible qu'il soit, une énergie et une vigueur qui tiennent du prodige.

11 est étonnant de retrouver encoredes villages, des comtés même tout peuplés d'Acadiens, darie Acadie la cruelle Albion a promené la torche incen- diaire et le fer meurtrier de Bes soldats Inhumains.

ait le ."> septembre 17.")."). l' Acadie se mirait dans le-> Ilots de l'Atlantique et du Bassin des Mines, riche, paisible et souriante commo une fiancée; tout-à-coup, l'Angleterre jalouse de la prospérité des colons fran-

AU LECTEUR 9

çais, arme une flotte, choisit les plus envieux de ses enfants et les plus barbares de ses soldats, et les lâche comme une meute enragée sur l'heureuse colonie. On appelle l'hypocrisie et la trahison au secours de la violence. Comme toujours la cruauté est peureuse. Les Acadiens surpris, dépouillés de leurs armes, sont en chaînés comme des criminels, embarqués pèle mêle sur les vaisseaux Anglais, et transportés sur les bords étrangers les attendent la faim et le dénûment, la persécution et la mort : car bien peu d'entre les exilés d'Acadie ont pu comme le père Basile Lajeunesse, l'un des héros du poème, chanter l'hospitalité généreuse, la richesse et la liberté de la grande colonie Anglaise. La plus part au contraire ont été repoussés avec ma- lice, bafoués et maltraités. Dans la Pennsilvanie, on a voulu réduire en esclavage ces malheureux déportés. Ce n'est pas ainsi aujourd'hui que l'exilé est accueilli dans la grande république.

10 AT LECTEUB

Qu'elle a donc été lamentable la destinée de ce pauvre petit peuple Acadien ! et par quel prodige subsistc-t-il encore, disséminé, il est vrai, mais tou- jours roconnaissable, toujours le même que le l'on peuple chanté par Longfellow. Aujourd'hui les bar- qui nous «séparaient de ce peuple sont tombées. plus qu'une même patrie, le Canada. La Providence qttî t'ait surgir les nations et qui les t'ait entrer dans le néant, a sans doute les yeux ouverts sur nous. Elle ne nous a pas dirigés pendant trois siècles à travers 1rs écueils et les dangers de toutes

pour ensuite QOUfi Laisser périr tOUt-à-COUp.

Un peuple qui aime sa langue, sa toi et ses coutumes jusqu'au martyre peut bien être accablé, vaincu, tyrannisé, mais il ne saurait périr tout entier.

h. Pamphile Lemay.

AU LECTEUR 11

L'on me saura gré peut-être de ce que je reproduits ici la lettre vraiment flatteuse que le grand poète Américain m'a fait l'honneur de m'adrcsser, lorsque parut ma première traduction d'Evangéline.

Cambridge, près Boston, 27 Octobre 1SC5.

Cher Monsieur,

Permettez-moi de vous féliciter de la publication de votre ouvrage et des heureuses pensées qui s'y trouvent si élégamment exprimées, ainsi que du talent poétique et du vif sentiment de la nature qu'il révèle.

Mais laissez-moi surtout vous remercier de cette partie de votre livre que vous avez bien voulu consa- crer à la traduction d'Evangéline. Je vous dois la plus grande reconnaissance pour cette marque de votre bienveillance, non-seulement parce que vous avez bien voulu faire choix de cette œuvre pour sujet

12 AU LECTEUR.

de traduction, mais encore parce que vous avez rempli cotte tâche toujours difficile, avec tant d'habileté et de

Je n'ai qu'une seule réserve a taire : vous faites mourir Evangâlino :

•• Mlle avait termine sa douloureuse vie. " Cependant, je ne vous querellerai pas pour cela. Mon but n'est pas de critiquer, mais devons remer- t de vous dire combien je suis heureux île l'honneur que vous m'avez l'ait.

Bspérant que lo succès de votre livre surpa même vos plus grandes espérances.

.le demeure, cher monsieur.

votre obéissant serviteur.

llk'NRY W. Lonofzllow.

ÉVANGELINE

Salut, vieille forêt î Noyés dans la pénombre

Et drapés fièrement dans leur feuillage sombre.

Tes sapins résineux e1 tes cèdres altiers

Qui se bercent au vent sur le bord des sentiers.

Jetant, à chaque brise, une plainte sauvage.

Ressemblent aux chanteurs qu'entendit un aitre âge,

Aux Druides anciens dont la lugubre voix

.S'élevait prophétique au fond d'immenses bois !

9

11 ÉVANGÉLINE

El l'océan plaint if vers ses rives brumeuses S'avance en ng i vagues écumeu

El <lr profonds souj ira s'élèvenl de ses flots Pour répondre, ô forêt, à tes tristes sanglots !

Vieille forêt, salut! Mai eurs candides

Qu'on voyait tressaillir comi aims timides

Que le <•<»!• «in chasseur a réveillés soudain.

Que sont-ils devenus? Je les appelle en vain !

Kl le joli villagi hamne ?

Kl In petite église avec son léger dôme ? Kl l'heureux A.cadieti qui v*i beaux jours

< îouler im munc nu ruissej I iaisi blc c »urw

I raverse de.") I< >rèl s qui M;ii-> réfléchil aussi < l u ciel la pure image? Partout iu solitude, aux foyers comme aux champs ! Plus de gais laboureurs ! lu haine de 4 méchante,

ÉVANGÉLINE 15

Un jour, les a chassés comme au bord d'une grève

Le sable frémissant que la brise soulève

Koule en noirs tourbillons jusqu'au plus haut de l'air

Et sème sur les flots de la bruyante mer !

Le hameau de Grand Pré n'est qu'une souvenance;

Le saule y croit, le merle y siffle sa romance.

O vous tous qui croyez à cotte affection Qui s'enflamme et grandit avec l'affliction ; O vous tous qui croyez au bon cœur de la femme, A la force, au courage, à la foi de son âme. Ecoutez un récit que les bois d'alentour Et l'océan plaintif redisent tour à tour ; Ecoutez une histoire aussi belle qu'ancienne, Une histoire d'amour de la terre Aca lienne !

PREMIERE PARTIE

Sous le ciel d'Àcadie, au fond d'an joli val, Et non loin des bosquets qui bordent le cristal Que déroule, tantôt sous les froides bruines, Tantôt sous le soleil, le grand Bassin des Mines, On aperçoit encor, paisible, retiré Et loin de ce qu'il fut, le hameau de Grand Pré. Du côté du levant de beaux, champs de verdure Offraient à cent troupeaux une grasse pâture Et donnèrent jadis au village son nom. Pour arrêter les flots le vigilant colon.

18 ÉVANGÉLINE

A force de travail et de rudes fatigues, Eleva de ses mains de gigantesques digues Qu'au retour du printemps <>n voyait s'entr'ouvrir, Tour laisser l'océan s'élancer ol courir

Sur le duvet des prés devenus son domaine. Au couchant, au midi, jusqu'au loin dans la plaine S'étendaient des vergers et des bouquets d'ormeaux, Le lin vert balançait ses frêles chalumeaux Va le blé jaunissant, ses tiges plus robuste Vers le nord surgissaient mille sortes d'arbustes Des bois mystérieux et de sombres halliers; Et, >ur les hauts sommets des monts irréguliers, De magiques brouillards, des brumes éclatant araient au soleil de couleurs inconstantes emblaient admirer le vallon dans la paix tndant y descendre jamais.

ÉVANGÉLINE 19

C'est qu'apparaissaint, charmantes et coquettes, Les maisons du hameau qui toutes étaient faites Avec du bois de chêne, ou d'orme ou de noyer. Comme le paysan bâtissait son foyer, Dans la terre Normande, alors que sur le trône S'asseyaient les Henri. Un chaume frais et jaune Arrangé par faisceaux, recouvrait tous les toits ; Des lucarnes laissaient, par les châssis étroits, Pénétrer le soleil jusqu'au fond des mansardes. Lorsque tournant au vent, les girouettes criardes S'illuminaient des feux d'un beau soleil couchant, Dans les beaux soirs d'été, lorsque l'herbe du champ Exhalait son arôme et tremblait à la brise, Sur le seuil de la porte avec leur jupe grise, Leur blanche capeline et leur manlelat noir, Les femmes du hameau venaient gaiement s'assoirr ' Et filaient leur quenouille; et les brunes fillettes Unissaient leur chansons au bruit clair des navettes

20 NGÉLINE

Tournant sur les métiers leurs essieux de roseau. Au joyeux ronflement du rapide fuseau. Le pasteur du village, humble et vénéré prêtre, Alors ne tardait pas d'ordinaire à paraître. En !e voyant venir d'un pas majestueux Tous les petits enfants cessaient leurs bruyants jeux, Leur courses dans les près, leurs cris de toutes sortes Et retournaient s'asseoir en rang devant les portes. Arrêtant leurs fuseaux, les femmes se levaient. Et, par des mots polis, toutes le saluaient. Bientôt les laboureurs revenant île l'ouvra A retable menaient leur pesant attela ..il ('îuaillait la pente du coteau : - derniers rayons, comme des filets d'eau, Jusques au tond du val. glissaient de roche en roche.

\<>ix argentine au même instant la cloche Annonçait l' angélus et le déclin du jour. Et, pardessus les toits et les m<»nts d'alentour,

ÉVANGÉLINE 21

On voyait la fumée en colonnes bleuâtres. Comme des flots d'encens, s'échapper de ces àtres l'on goûtait la paix, le plus divin des biens.

Ainsi vivaient alors les simples Acadiens :

Leurs jours étaient nombreux et leur mort était sainte.

Libres de tout souci comme de toute crainte.

Leurs portes n'avaient point de clef ni de loquet ;

Car dans l'ombre des nuits nul n'était inquiet;

Et, chez ces bonnes gens, on trouvait la demeure

Ouverte comme l'âme, à chacun, à toute heure.

le riche vivait avec frugalité.

Le pauvre n'avait point de nuits d'anxiété.

Sur une grande ferme attachée au village. Et tout près du bassin, au milieu du feuillage.

22 ÉVANGÉI.INK

On voyait, autrefois une belle maison

A l'air un peu coquet avec son blanc pignon :

("('■tait la qu'habitait Benoît Beliefontaine.

Il avait avec lui, dans cojoli domaine,

La jeune Bvangéline, une suave fleur.

Ton- deux vivaient heureux. Benoît avait du cœur. Une haute stature, un bras fort, un front hâve, Tu œil intelligonl mais peut-être un peu cave. démarche ferme et soixante-et-dix ans. Bon teint de bronze el ses longs cheveux blancs 11 était comme un chêne au milieu d'une lande, l'n chêne que la neige orne d'une guirlande. El cette jeune tille, elle était belle à voir.

dix-sepl ans, son (Vont pur, son œil noir Qu'ombrageait une é] aisse et longue chevelun Comme au boni de la route une discrète m lire demi par un épais buisson !

Elle était belle a voir, au temps de la moisson,

ÉVANGÉLIN'K "!'.',

Lorsqu'elle s'en allait à travers la prairie, Avec son corset rouge et sa jupe fleurie, Porter aux moissonneurs assis sur les guérots, Chaque jour, un flacon tout plein de cidre irais ! Mais les jours de dimanche elle était bien plus belle ! Quand la cloche sonnait dans la haute tourelle. Que le prêtre, en surplis, bénissait, au saint lieu, Le peuple rassemblé pour rendre hommage à Dieu, On la voyait venir le long de la bruyère. Tenant dans sa main blanche un livre de prière Ou les grains vénérés d'un humble chapelet. Elle portait alors élégant mantelct. Jupon bleu, souliers fins, chapeau de Normandie, Et brillants anneaux d'or qu'aux rives d'Acadie Une aïeule de France autrefois apporta : Que la mère, en mourant, à sa fille quitta Comme un gage sacré, comme un saint héritage Mais un éclat plus doux inondait son visage Quand, venant de confesse à l'approche du soir, Elle passait sans bruit sur le bord du trottoir

24 ÉVANGÉLINK

Adorant dans son cœur Dieu qui l'avait bénie. On aurait dit alors qu'une pure harmonie

Comme un accord qui meurt sur scs pus s'élevait. La maison du fermier en ces temps se trouvait Sur un charmant coteau dont la pente riante S'inclinait, par degrés, vers la rive bruyante.

tttier pour s'y rendre était bordé d'ormeaux ; l'n sycomore altier, de ses vastes rameaux. En ombrageait la porte et la sombre toiture. A travers la prairie un sentier de verdure Conduisait au verger tout en fleurs le printemps, L'automne, tout en fruits. -De se- bras palpitants Une vigne enchaînait L'antique sycomore

Et protégeait l'essaim d'une ruche sonore. Et plus bas se trouvaient, sur le flanc du coteau. Le puits au bord mousseux, et tout auprès, un sceau Et l'auge ou s'abreuvaient les bœufs et lei géni Puis du cote dn nord plusieurs au

ÉVAXGÉLINE 25

Les granges, les hangars protégeaient la maison

Contre les ouragans de la froide saison.

C'était qu'on voyait les voitures diverses :

Les pesants chariots, la charrue et les herses.

La vaste bergerie bêlaient les moutons.

Et le brillant sérail criaient les dindons.

le coq orgueilleux chantait d'une voix fière.

'Comme aux jours son chant troubla lame de Pierre.

Les granges jusqu'au faite étaient pleines de foin ;

Elles seules semblaient un village de loin :

Leurs toits proéminents étaient couverts en chaume,

Et le treille fané remplissait de son baume

Le fenil montait un solide escalier.

se trouvait encor le joyeux colombier

Avec ses nids moelleux, ses tendres créatures.

Ses doux roucoulements, ses amoureux murmures ;

Puis, au-dessus des toits, c'étaient les cris stridents

Des girouettes de tôle allant a tous les vents,

36 ÉVANOÉLINB

Cosl ainsi que vivait en ]>aix avec le monde,

En paix avec son Dieu, dans sa terre féconde,

Le fermier de Grand Pré. Sa joie el son appni,

Toujours Evangéline était auprès de lui

Et gouvernail déjà sagement le ménage.

Plus d'un jeune amoureux à pou près de son âge,

La suivait a l'église, et priait a genoux

En reposant sur elle un «cil tendre et jaloux.

Comme si celte femme avait été la sainte

(jMi il venait vénérer clans la pieuse enceinte.

Bien heureux qui pouvait toucher sa blanche main !

Marcher A 8CH cotes sur le bord du chemin !

Quelques-uns osaient-ils à sa porte se rendre,

Pendant qu'ils l'écoutaient sur l'escalier descendre,

Ils se seraient ceux-là demandé bien en vain

Lequel battait plus fort, <>u du marteau d'airain,

Ou <h' leur cœur rempli d'espérance et d'angoisse.

Aux fêtes «lu Patron qu'invoquait la paroisse.

ÉVANGÉLINE

Vers le soir, la jeunesse assemblée au canton, Dansait joyeusement au son du violon, Et les garçons alors, remplis de hardiesse, Lui répétaient tout bas quelques mots de tendresse- Mais inutilement, car de ces amoureux Le jeune Gabriel était le seul heureux : •Gabriel Lajeunesse enfant du Gros Basile, Un forgeron du bourg reconnu pour habile Parmi les villageois qui l'estimaient beaucoup, ■Car le peuple a jugé, de tout temps et partout, L'état de forgeron un métier honorable. Les célestes liens d'une amitié durable Unissaient le fermier et le vieux forgeron, Et leurs petits enfants, l'espoir de leur maison, Avaient grandi tous deux, charmants, pieux et sages, Semblables à deux fleurs sous les mêmes feuillages, Le curé du canton, homme aux nobles désirs, Qui méprisait la terre et dont tous le;s loisirs

28 ÉVANGÉLINE

Etaient donnés au soin de sa chère jeunesse,

Leur avait enseigné l'amour de la sag>

En leur montrant à lire. Entants naïfs alors

Ils se Livraient ensemble, en paix et sans remords,

Aux plaisirs innocents de l'innocente enfance.

Leur Leçon récitée avec obéissance,

Ds couraient à la forgeoù Basile, Le soir,

Bien souvent, les bras mus. le visage tout noir. In tablier de cuir autour de la ceinture. Sans crainte soulevait, avec une main sure, D'un cheval hennissant le vigoureux sabot ; Pendant qu'auprès de lui. dans un feu «le fagot Rougissait lentement un grand cercle de roue.

Comme un serpent de feu qui si' tortille et joue

Dans un brasier ardent allume BOUS les bois. A L'approche des nuits. L'automne, bien des fois. Quand le ciel était noir, et que la forge sombre Semblait vomir dehors des flammèches sans nombre,

ÉVANGÉLINE 29

Par les carreaux de vitre et les ais du lambris,

Ils venaient regarder, avec des yeux surpris,

Le soufflet haletant qui ranimait la braise.

Et réchauffer leurs doigts en causant à leur aise.

Quand ils n'entendaient plus le soufflet bourdonner.

Ni sous le dur marteau l'enclume résonne]-.

Alors ils comparaient à des vierges pieuses

Qui, tenant à la main leurs lampes radieuses,

Entrent au sanctuaire au milieu de la nuit,

Les étincelles d'or qui retombaient sans bruit

Et mouraient tour à tour sous les cendres éteintes.

Quand l'hiver étendait son voile aux riches teintes

On les voyaient tous deux sur un léger traîneau,

Sillonner comme un trait la pente du coteau :

Souvent sur les chevrons ou le toit de la grange

Ils montaient hardiment, cherchant la pierre étrange

Que l'hirondelle apporte à son nid. tous les ans,

Quand elle l'a trouvée au bord des océans,

30 ÉVANGÉLINE

Tour do ses chers petits dessiller la paupière. Heureux qui la trouvait cette étonnante pierre !

Ainsi leurs | îvmi ers jours sans pleurs et sans ennuis. Comme un songe doié s'étaient bien vite enfuis !

Ils n'étaient plus entants à L'époque se \

\\ douloureux qu'il faut que je vous fasse. Gabriel était homme, il aimait les travaux. Forgeait avec son père et ferrait Les chevaux. Evangéline était une adorable femme Elle avait de son -exe et les espoirs et l'âme ; On l'avait, dès longtemps, surnommée au canton •• Le soleil d'Eulalie," à cause, disait-on, Qu'elle ferait régner par sa grande prudei Au foyer (li> l'époux la joie et fnoonda:. Et que <lc féaux enfants au visage vermeil Naîtraient de ses amours : ainsi que le soleil.

ÉVANGÉLINE 31

Qui brille le matin de la sainte Eulalie Féconde les vergers dont chaque rameau plie Sous le poids des fruits mûrs, veloutés, odorants, Comme un vieillard heureux sous le poids de ses ans

II

Déjà l'on arrivait à ce temps de l'année

le feuillage sec dort sur l'herbe fanée,

le soleil tardif est pâle et sans chaleur,

la nuit froide au pauvre apporte la douleur.

En bandes réunis les oiseaux de passage,

Sous un ciel noir et lourd, volaient, comme un nuage,

Des froides régions que l'aquilon flétrit

Aux rivages riants l'amandier fleurit.

La forêt se tordait sous les vents de septembre

Comme un jeune coursier qui hennit et se cambre.

ÉVANGÉLINE

Tout. alors, présageait un hiver rigoureux. L'abeille avait gardé tout Bon miel savoureux, Et les coureurs des bois et les chasseurs sauvages Qui, dans un cas pareil, se prétendaient for! eu Assuraient que l'hiver serait dur et main Car le renard perfide avait le cuir épais.

Ain ni venait l'automne et les froids a\

Mais ce temps enchanteur, cette époque si ! Qu'on appelle au hameau l'été de la Toussaint Ranima le cœur triste et le soleil ('-teint : l'n éclat radieux portant aux rêveries Illuminait les airs, les bois cl les prairies ; L'univers rayonnant et brillant de fraîcheur, Semblait sortir des mains du Bage Créateur. On eut dit (pie l'amour régnait dans tout le monde Que l'océan chantait pour endormir Bon on

ÉVANGÉLINE 33

Et des accents nouveaux, de magiques concerts Paraissaient s'élever des bourgs et des déserts ! Des enfants qui jouaient les voix vives et nettes, Les refrains sémillants des luisantes girouettes Qui criaient dans les airs, sur les toits des donjons, Les doux roucoulements des amoureux pigeons, Les plaintes de la brise et les battements d'ailes Des oiseaux qui volaient au-dessus des tourelles, Tout n'était qu'harmonie, ivresse et pur amour ! Tout semblait du printemps annoncer le retour ! Sur le bord de la mer et des hautes collines Le soleil argentait les limpides bruines : L'océan était d'or : les arbres des forets Berçant, avec orgueil, les chatoyants reflets De leur manteau safran, ou pourpre, ou diaphane, Etincelaient de loin comme le fier platane. Quand le Perse idolâtre orne ses verts rameaux De voiles éclatants et de brillants joyaux.

34 ÉVANOÉI.TNE

Tout respirait la paix, le calme et L'innocence :

La nuit dans les vallons descendait en silence. Et l'étoile dn soir étinceiail encor, [lisant le ciel bleu de ses filandres d'or. Les troupeaux bondissants regagnèrent l'étable En flairant du gazon le parfum délectable, En respirant du soir l'agréable fraîcheur. Devançant les troupeaux, brillante de blaScheur, Venait en B'ébattant une grasse génisi Celle d'Evangéline, avec son beau poil lise Sa clochette joyeuse et son joli collier. On vit le jeune pâtre à travers le hallier, Ramener en chantant les brebis du rivage

poissait chaque année un riche pâturage.

de lui le gros chien au poil long et soyeux Fièrement trottinait d'un air libre et joyeux. Et pressait les traînards qui restaient en arrière. Quand le jeune berger dormait sous la bruyère

ÉVANGÉLINE 35

C'était lui oui gardait les timides agneaux, Et la nuit quand les loups réunis en troupeaux, Dans les bois d'alentour hurlaient leurs cris de rage. Lui seul les protégeait par son noble courage.

Quand la lune, plus tard, éclaira l'horizon,

Que sa molle lueur argenta le gazon.

Les chariots remplis d'un foin aromatique.

Arrivèrent des champs a la grange rustique :

Sous de larges harnais décorés de pompons

[fronts. Les chevaux hennissants balançaient leurs grands

Secouaient avec bruit leur épaisse crinière

tombaient la rosée et la fine poussière,

Et rongeaient l'acier dur de leur mors eeumant :

La féconde génisse arrêtée un moment

Humiliait, l'œil pensif, pendant que la laitière,

En écume d'argent, dans su Manche chaudière.

36 évancéi.ink

Faisait couler le lait. Et dans la basse-cour, Répétés par l'écho des granges d'alentour. L'on entendit encor, connue dans un délire. I >c- bêlements, des cris et <\c< éclats de rire. Mais ce bruits, toutefois, s'éteignil promptement ; Qn grand calme se lit : tout à coup, seulement, En roulant boub leurs gonds les portes de la grange Firent, dans le silence, un grincement étrange.

•i fauteuil l'ait de bois de im\ Benoît le laboureur regardait, au loyer. La flamme qui lançait d'éblouissantes flèches,

I. 'ondulante fumée et les vives flammèclu

<^ui tournoyaient gaîmenl comme des feux-follets.

Sur le mur, en arrière, le s joyeux reflets Dansaient légèrement des rondes fantastiques, Son ombre se peignait avec des traits comiquei

évangélinE 37

Pendant qu'à la clarté du foyer vacillant, Prenant un air moqueur, un regard sémillant, Chaque face sculptée au dossier de sa chaise Semblait s'épanouir et sourire à son aise, Et que sur le buffet, les plats de fin étain Luisaient comme au soleil des boucliers d'airain.

Le bon vieillard chantait d'un ton mélancolique

Des refrains de chanson, des couplets de cantique,

Ainsi que ses aïeux, jadis, avaient chanté,

A l'ombre de leur bois, sous leur ciel enchanté,

Leur ciel de Normandie. Et son Evangéline,

Portant jupe rayée et blanche capeline

Filait, en se berçant, une filasse d'or.

Le métier dans son coin se reposait encor,

Mais le rouet actif mêlait avec constance,

;Son ronflement sonore à la douce romance

38 ÉVANGÉLINl

Que chantait le vieillard assis devant le feu. Comme dans le lieu saint quand le chant cesse un peu On entend, sous les pas, vibrer l'auguste enceinte, Ou du prêtre à l'autel on entend la voix sainte. Ainsi quand Le fermier, vaincu par les émois, Suspendait les accents de sa dolente voix. De la vieille pendule au milieu des ténèbres On entendait les coups réguliers et funèbres.

Pendant que le vieillard chantait dans son fauteuil

On entendit des pas retentir sur le seuil.

Va la clenche de bois bruyamment soulevée

De quelque visiteur annonça l'arrivée.

Benoit reconnut bien les pas du forgeron

Avec souliers pleins de clous au talon,

Ainsi qu'Evangéline, à l'émoi de son âme,

Ou ee mêlait le trouble et la plus chaste flamme,

ÉVANGÉLINE 39

Avait bien deviné qui venait avec lui.

" Àh ! sois le bienvenu, Lajeunesse, aujourd'hui !

S'écria le fermier en le voyant paraître,

" La gaîté, quand tu viens, semble aussitôt renaître !..

" Veux-tu donc savouer un tabac généreux ?

" J'en ai plus qu'il t'en faut, et j'en suis fort heureux,

" Prends au coin du foyer ta place accoutumée ;

" Et fumons en causant. C'est parmi la fumée,

" Qu'on voit dans leur orgueil se dessiner tes traits !

i: Quand tu fumes, ton front, ton visage si frais

" Brillent comme la lune à travers les nuages

" Qui s'élèvent, le soir, au bord des marécages."

Basile, souriant, suivi de son garçon

Au foyer plein de feu vint s'asseoir sans façon,

Et répondit ainsi : " Mon cher Bellefontaine,

" Tu plaisantes toujours et n'as jamais de peine,

" D'autres sont obsédés de noirs pressentiments

" Et ne font que rêver malheurs et châtiments :

40 ÉVANCÉLINE

•• Ils s'attendent à tout: rien ne peut les surprendre... Puis il s'interrompit en ce moment pour prendre Son calumet de terre el le charbon fumant Qu'Evangéline allait lui porter poliment,

Et bientôt ajouta : " Je n'aime point pour hôtes - navires anglais mouilles près de nos cÔt<

rs énormes canons qui sont braqués sur nous " Ne nous annoncent point les desseins les plus doux; '• Mais quels sont ses desseins? sans doute qu'on l'ignore. " On sait bien qu'il faudra quand la cloche sonore

ppe liera le peuple à l'église, demain. •■ S'y rendre pour entendre un mandat inhumain ; •• Et ce mandat, dit-on. émane du roi Geoq " Or, plus d'un paysan soupçonne un coupe-gorge. m fort alarmés et Be montrent craintifs! Le fermier répondit : i- De plus justes motifs " Ont sans doute amené ces vaisseaux sur nos rives : li La pluie, en Angleterre, ou les chaleurs hâtives

ÉVANGÉLINE 41

" Ont peut-être détruit les moissons sur les champs,

" Et, pour donner du pain à leurs petits enfants,

" Et nourrir leurs troupeaux, les grands propriétaires

" Viennent chercher les fruits de nos fertiles terres.''

" Au bourg l'on ne dit rien d'une telle raison,

" Mais l'on pense autrement, " reprit le forgeron

En secouant la tête avec un air de doute ;

Et poussant un soupir : " Mon cher Benoit, écoute \

" L'Angleterre n'a pas oublié Louisbour,

" Pas plus que Port Royal, pas plus que Beau Séjour,

" Déjà des paysans ont gagné les frontières ;

" D'autres sont aux aguets sur le bord des rivières,

" Attendant en ces lieux avec anxiété

" Cet ordre qui demain doit être exécuté !

" On nous a dépouillé, pour combler nos alarmes,

" De tous nos instruments et de toutes nos armes ;,

" Seul le vieux forgeron a ses pesants marteaux

" Et l'humble moissonneur ses inutiles faux ! "

42 É vav.ki.ini:

Avrc un rire franc mais un peu B&rcastique

Le vieillard jovial à son ami réplique :

- armes nous goûtons un plus profond re]

•• Au milieu de nos champs et de nés gras troupeaux ; " Nous sommes mieux eneor par derrière nos dignes

" Que n'étaient autrefois nos ancêtres prodigues

" Dans leurs murs qu'ebrerliaient les canons ennemis. u D'ailleurs dans l'infortune il faut être soumis. •■ J'espère cependant que ce soir la tristes " Fuira loin de ce toit va régner l'ivre- •• Car le contrat, ce soir, doit Be conclure enfin. ■• Les jeunes gens, ensemble et d'une habile main. " Ont bâti la maison el ta grange au village, fenil est rempli de grain et de fourrage ; " Pour un an leur loyer est pourvu d'alim< " Attends, mon cher Basile, oncor quelques tnom<

blanc va venir avec sa plume d'oie ; *• De nos heureux enfants partageons donc la ;

ÉVANGÉLINE 43

Cependant à l'écart en face d'un châssis Les jeunes fiancés étaient tous deux assis Regardant le ciel bleu, la belle Evangéline Livrait à Gabriel sa main brûlante et fine ; En entendant son père elle rougit soudain. Puis un profond soupir lit onduler son sein. Le silence venait à peine de se faire Que l'on vit à la porte arriver le notaire.

III

Comme un frêle aviron aux mains des matelots,

Ou comme le filet dans Le ressac des flots

Le notaire Leblanc était courbé par l'âge :

Son front large gardait la trace d'un orage

Et sur son col bronzé tombaient ses cheveux grisr

Pareils aux touffes d'or des épis de maïs.

44 ÉVANGÉLINE

A travers leur cristal ses besicles de corne Laissaient voir la sagesse au fond <lc son œil morne 11 se plaisait beaucoup à l'aire des récite. Père de vingt enfants, plus de cent petits-fils, Jouant sur ses genoux, égayaient sa vieillesse Par leur charmant babil, et par leur gentilli Pendant la guerre il fut, comme ami des anglais, Quatre ans tenu captif dans on vieux bourg français. .Maintenant il avait une grande prudence El la simplicité de la naïve enfance. C'était un bon ami : les enfants L'aimaient tous Car il leur racontait contes de loupg-garOUS,) El d'espiègles lutins taisant au ciel «les niches ;

II leur disait le sort qu'avaient les blancs Létiches,

Ënfantfl morts sans baptême, esprits mystérieux

Qui voltigent toujours cherchant partout les cieux

El de l'enfant qui dort viennent l»ai>cr les lèvres ;

Comment une araignée éloigne toutes fièvres,

ÉVANGÉLINE 45

Quand on la porte au cou dans Fécale des noix ; Comme au jour de Noël l'on entendait les voix Des bœufs qui se parlaient au fond de leurs étables ; 11 disait les secrets, les vertus admirables Que le peuple, autrefois, simple autant que loyal, Prétendait découvrir dans le fer à cheval Et le trèfle étalant quatre feuilles de noige, Et biens d'autres récits d'ogre et de sortilège.

Aussitôt cependant que Leblanc arriva,

De son siège au foyer Basile se leva

Et, secouant le feu de sa pipe de terre,

Il dit en s' adressant au modeste notaire :

" Allons, père Leblanc, qu'avez-vous de nouveau ?

" Peut-être savez-vous ce qu'on dit au hameau

" De ces fiers bâtiments venus de l'Angleterre ? "

" Je sais fort peu de chose et fais mieux de me taire,

46 ÉVANGÉLINE

Lui répondit Leblanc d'un ton de bonne humeur :

" II est vrai qu'il circule une grande niuicur.

•• .Mais connue mon avis n'est jamais le plus sage

'• Je dirai seulement ce qu'on dit an village,

■c .Je ne puis t mtefois croire que ces vais-eaux

" Viennent sur notre rive apporter des fléaux ;

" Car nous sommes en paix ; et pourquoi V Angleterre

'• Ainsi nous ferait-elle éprouver sa col

" Nom de Dieu ! *' s'écria le bouillant forgeron.

Qui parfois décochait un sonore juron,

" Faut-il donc regarder toujours en toute ch

" Le pourquoi, le comment ? Jl n'est rien que l'on n

■• L'injustice est partout et personne n'a tort :

•• Tout le droit maintenant appartient au plus fort."

Sans paraître observer la chaleur de Basile

mie continua d'une voix tort tranquille :

" L'homme est injuste, mais le bon Dieu ne L'est pa* : u La justice triomphe à son tour ici-bas.

ÉVANGÉLINE 47

" Et pour preuve je vais vous redire une histoire

" Qui ne s'efface point de ma vieille mémoire :

" Elle me consolait de mon destin fatal

" Lorsque j'étais captif au fort de Port Royal.

" Un vieillard aimait bien cette histoire touchante :

*J A ceux que maltraitait quelque langue méchante

" D'une voix tout émue il allait la conter :

" Je voudrais comme lui pouvoir la répéter :

" Sous le ciel africain, dans une ville antique " On voyait autrefois, sur la place publique, " Une haute colonne au piédestal d'airain " Qu'avait fait élever un puissant souverain, il Et sur cette colonne une statue en pierre. u Figurait la justice impartiale et hère ; " Une large balance, un glaive menaçant u Etaient ses attributs, et disaient au passant

48 ÉVANGÉLINE

u Que <lans cette cité la suprême justice

u De l'opprime toujours était la protectrice.

•■ Cependanl la balance, au fond de ses plateaux,

•• Voyait chaque printemps, bien des petits oiseaux

" Bâtir leurs nids moelleux en chantant et sans craindre

" Le glaive flamboyant qui semblait les atteindre.

•• Mais petit à petit se corrompit la loi :

•• Aux misère du pauvre on n'ajouta plus foi,

•• E1 le faible, sans cesse en butte a l'ironie,

<• Dut subir du plus fort la lâche tyrannie.

•• On afficha le vice, et chaque tribunal

•• Outragea l'innocence et protc;gea le mal.

•■ l'n jour il arriva que certaine duché •■ Perdit un collier neuf d'une grande riche

•• N'ayant pu le trouver elle voulut, du moins. Venger avec éclat et sa perte et ses soins.

ÉVANGÉLINE 49

" Elle accusa de vol, en face de la ville.

" TJne pauvre orpheline, une pieuse fille,

" Qui depuis de longs jours la servait humblement.

•" Le procès, pour la forme, eut lieu bien promptement,

■" Et le juge pervers condamna la servante

■" A mourir au gibet d'une mort infamante.

il Autour de l'échafaud on vit les curieux,

■" Pressés, impatients, inonder tous les lieux,

<l La jeune fille vint, calme mais abattue,

l- Subir son triste sort au pied de la statue.

" Le bourreau la saisit. Au moment solennel

« son cœur s'élevait vers le Juge Eternel,

** On orage mugit ; l'impitoyable foudre

" Ebranle la colonne et la réduit en poudre,

il Et la balance tombe avec un sourd fracas ;

- Or dans un des plateaux qui se brisent en bas

" On voit un nid brillant c'était un nid de pie

v- Dans lequel s'enlaçait avec coquetterie

50 ÊVAXUÉLINE

'• Parmi les brins de foin, le collier précieux !.

u C'est ainsi qu'éclata la justice des cieux !

Quand le père Leblanc eut fini son histoire

Basile ne dit mot mais ne parut rien croire ; Il n'en concluait point qu'on n'avait désormais Nul motif d'avoir peur des navires anglais. Il voulait répliquer et manquait de langage. Ses pensers demeuraient empreints sur son vifl Comme sur une vitre, on voit dans les hivers, La vapeur se geler sous mille aspects divei

Alors Evangéline, à la braise de L'âtre, S'empresse d'allumer la lampe au pied d'albâtre, B1 tout L'appartement luisant de propreté

mplil aussitôt d'une vive clarté.

ÉVANGÉLINE 51

Ensuite elle s'en vient déposer sur la table Un pot d'étain rempli d'un cidre délectable, Tandis que le notaire, étalant son papier, Ecrit d'une main prompte, et sans rien oublier Les noms des contractants, la date et puis leur âge, Xa dot qu'Evangéline apporte en mariage Et tous les divers points sans en oublier un. Et quand tout fut écrit comme voulait chacun, "Que le sceau de la loi fut mis, brillant et large, 'Comme le soleil levant sur le blanc de la marge, Le vieux fermier tira sa bourse de chamois Puis offrit au notaire au moins deux ou trois ibis En bel et bon argent le prix de son ouvrage. Le notaire charmé, forma, selon l'usage, Des vœux pour le bonheur du couple fiancé ; Puis il prit sur la table après s'être avancé. Le large pot d'étain fermentait la bière, Eemplit, d'un air joyeux, la coupe tout entière,

52 ÉVANQÉLINE

Et but à la santé des gens de la maison.

Chacun prit à son tour l'écumeuse boisson.

Du cidre but sa lèvre il essuya l'écume ;

Il prit son large feutre, il prit sa longue plume,

Son rouleau de papier et donna le bonsoir.

Les amis qui restaient vinrent alors s'asseoir

En cercle devant l'àtre pétillaient les flammes.

Evangéline prit le damier et les dam

Qu'elle alla présenter aux paisibles vieillards.

La lutte commença. Leurs anxieux regards

Voyaient avec plaisir les pions dresser un siège,

Et les dames tomber dans un perfide piège.

Cependant l'un et l'autre ils s'amusaient beaucoup

D'une manœuvre heureuse ou d'un malheureux coup.

3Î8 dans la fenêtre ouverte Ecoutaient sur la rive expirer l'onde verte.

Heureux et souriants ils 86 parlaient d'amour,

En regardant les flots qui chantaient tour à tour,

ÉVANGÉLINE 53

Et les rubans de feu sur l'écume des vagues ; La lune qui veillait, et les bruines vagues Qui traînaient mollement leurs robes sur les prés Et les étoiles d'or dans les cieux empourprés.

Ainsi passait le soir dans la joie et l'ivresse. Et le temps paraissait redoubler de vitesse. Tout à coup l'on ouït, dans le beffroi voisin, La cloche qui vibrait sous le marteau d'airain. On entendit neuf coups ; elle sonnait neuf heures ; C'était le couvre-feu de toutes les demeures. Basile et son ami se serrèrent la main Et se dirent adieu pour jusqu'au lendemain. Bien des mots de douceur, bien de tendres paroles, Paroles d'amitié charmantes et frivoles, S'échangèrent tout bas entre les deux amants, Et de leurs cœurs émus calmèrent les tourments.

54 ÊVANGÉLINÏ

Nil] bruit dans la maison ne se fit plus entendre :

Lee charbons du foyer furent mis sous la cendre. Après quelque instants le vieux et bon fermier Fit du bruit de ses pas retentir L'escalier. Tenant dans sa main blanche une lampe de verre Sa lille le suivit gracieuse et légère Ainsi qu'une gazelle aux lisières des ! Une douce lueur éclaira les parois Quand la vierge monta les degrés de la ramp< 'était point alors sa radieuse lampe,

Mais son regard serein qui versait la clarté.

Elle entra dans sa chambre. Dn châssis, d'un côté,

V laissait du soleil pénétrer la Lumière.

Une chaise et le lit de la jeune fermière,

Une table, une image une croix seulement,

Voila ce qu'on voyait dans cet appartement.

Mais on trouvait, au fond, dans un vieux garde-robe.

Des pièces de flanelle et d'étoffe à la mode,

ÉVANGÉLINE 55

Ouvrage ingénieux, tissu fin et parfait,

Que son habile main au métier avait fait,

Et qu'elle allait offrir pour dot en mariage,

Parce qu'il ferait voir la femme de ménage

Mieux que ne le feraient les plus riches troupeaux.

Elle éteignit sa lampe. Inondant les carreaux

Les reflets argentés de la paisible lune

Dormaient sur le tapis tissé de laine Irune ;

Et le sein de la vierge agité par l'espoir,

Au pouvoir merveilleux du bel astre du soir

Obéit doucement comme l'onde et la nue.

Quand son voile glissa de son épaule nue ;

Quand de son fin soulier sortit son beau pied blanc ;

Quand ses longs cheveux noirs tombèrent sur son flanc,

Qu'elle parut charmante ! Et, dans sa rêverie.

Elle s'imagina qu'au bord de la prairie,

Amoureux et rusé, Gabriel son amant,

En silence épiait le fortuné moment

5G ÉVANGÉLINE

Où, devant les rideaux de L'étroite fenêtre,

Il pourrait voir son ombre un instant apparaître.

Or l'ombre d'au nuage effleura les cloisons

Que la lune éclairait de ses moelleux rayons.

D'une grande noirceur la chambre lui remplie :

On sentiment de crainte et de mélancolie

Saisit ESvangéline. Elle eut comme un remords..

Entr'ouvril sa fenêtre et regarda dehors.

La lune s'échappait, souriante et volage,

Les plis mystérieux d'un vagabond nua

Une étoile aux cils d'or la suivait dans le ciel.

De même qu'autrefois le petil Esmael

Suivait A ira r sa mère en 8a lointaine marche.

Après qu'elle eut quitté le toit du Patriarche.

ÊVANGÉLINÏ 51

IV

Le lendemain matin, au lever du soleil,

Quand le bourg de Grand-Pré sortit de son sommeil,

Un océan de pourpre entourait les collines ;

Les ruisseaux babillaient ; et le Bassin des Mines,

Légèrement ridé par l'haleine du vent,

Réfléchissait l'éclat du beau soleil levant ;

Et, sur les flots d'azur, les barques aux flancs sombres

Berçaient avec fierté leurs gigantesques ombres.

Après un court repos le Travail vint encor Du matin radieux ouvrir les portes d'or.

58 ÉVANGÉLINE

Proprement revêtus des habits du dimanche

I. -joyeux paysans à L'allure humble et franche

Arrivèrenl bientôt des villages voisins.

Ici quelques vieillards sur le bord des chemins,

S'aidant de Leurs bâtons, venaient par petits groupes;

Là, Les gars éveillés, en turbulentes trou:

Passaient à travers champs, suivant. Le Long du clos,

'lion qu'avaient fai tnts chariots,

Au temps de la moisson, dans L'herbe verte et tendre. On grondait les amis qui se faisaient attendre : Chacun fumait, causait, riait de toute part. Les groupes arrivés aux groupes en retard Criaient mille bons mots, mille plaisanteries.

maisons ressemblaient à drs hôtelleri Assis devant les seuils sur de vieux bancs de l>ois. Se chauffant au soleil. Les >imj>les villageois

auraient du danger qui menaçait Leur tête. La maison de Benoit avait un air de tête.

ÉVAXGÉLIXE 59

Xià plus vive qu'ailleurs ou trouvait la gaîté, Et plus charmante aussi l'humble hospitalité : Evangéline était au milieu des convives ; Et son regard modeste et se* grâces naïves Avaient, ce matin-là, pour eux bien plus d'attrait 'Que le verre enivrant que sa main leur offrait.

On fit dans le verger les chastes fiançailles. Lie soleil était chaud comme au temps des semailles : De l'odeur des fruits mûrs l'air était parfumé ; JLe ciel brillait d'un feu tout inaccoutumé. ]Le prêtre fut conduit à l'ombre du feuillage Avec le vieux Leblanc notaire du village. Du bonheur des amants s'entretenant tous deux- Basile et le fermier étaient assis près d'eux. Et contre le pressoir et les ruches d'abeilles, Avec les jeunes gens aux figures vermeilles

GO éya\<;£i.ink

Etait le vieux Michel joueur de violon,

Charmant diseur.de riens, beau chanteur de chanson,

Qui tenait bien L'archet et battait la mesure

En frappant du talon [e tapis de verdure.

Sur ses cheveux de aeigC ou voyait, tour a tour.

L'ombre de quelque feuille ou les reflets dujour

Passer quand les rameaux se berçaient à la brise.

Son visage riant avec sa barbe grise

Brillait comme un charbon qui s'anime au foyer

Quand le vent prend la cendre et la t'ait tournoyer.

Il promena L'archet sur les cordes vibrantes :

L'instrument résonna : les danses délirantes

Commencèrent sur l'herbe, à l'ombre du verger,

azoD s'inclina sous plus d'un pied Léger. Jeunes gens et vieillards s'unirent dans la danse. Les brillants tourbillons roulèrent en cadet Sur l'email du vert pré, sans trêve, sans repos, Au milieu des ris francs et des tendres propos.

ÉVANGÉLINE 65

La plus belle parmi toutes ces jeunes filles, La plus pure au milieu des vierges si gentilles, C'était Evangéline ! et le plus beau garçon C'était bien Gabriel le fils du forgeron !

Le matin passait vite : on était dans l'ivresse !

Mais voici qu'arrivait l'heure de la détresse !

On entendit sonner la cloche dans la tour ;

On entendit le bruit du sonore tambour,

Et l'église aussitôt se remplit toute entière.

Tremblant pour leurs époux, au fond du cimetière,

Les femmes du village, en foule et tristement,

Attendirent la fin de cet événement.

Elles se cramponnaient aux angles de la pierre,

Aux saules qui des morts protégeaient la poussière

Pour voir dans la chapelle à travers les vitreaux.

Avec un air d'orgueil, marchant à pas égaux,

4

C 0 n* f L & *(é ~ ?*\ bit* AT/ *

CG ÉVANGÉLINE

Los soldats, deux à deux, des vaisseaux descendirent

Et tout droit à l'église à grands pas se rendirent.

Au Bon de leurs tambours de sinistres échos

JHi temple profané troublèrent le repos.

Un long frémissement s'empara de la foule

Qui bondit connue un flot que la tempête roule.

La porte fut fermée avec des gros verroux.

Des féroces soldats redoutant le courroux

L'Acadicn plein de crainte attendit en silence.

Bientôt le commandant avec fierté s'avance,

Monte jusqu'à l'autel, se tourne et parle ainsi :

'• Vous êtes en ce jour tous assemblés ici

<; Comme l'a décrété Sa Majesté chrétienne,

<• Honnêtes habitants de la terre Acadienne :

" Or v< u> n'ignorez pas que le roi fut clément,

u Fut généreux pour vous ; mais vous autres, comment

u A de si grands bienfaits osez-vous donc répondre ?

(t Consultez votre cœur il pourra vous confondre.

ÉVANGÉLIXE G7

" Paysans, il me reste un devoir à remplir, " Un pénible devoir ; mais dois-je donc faiblir ? " Dois-je faire à regret ce que mon roi m'ordonne ? •: Je viens pour confisquer, au nom de la couronne, " Vos maisons et vos biens avec tous vos troupeaux. " Vous serez transportés à bord de nos vaisseaux, " Sur un autre rivage vous sêieï, j'espère, " Un peuple obéissant généreux et prospère. •• Vous êtes prisonniers au nom du Souverain."

En été quelquefois quand le soleil de juin, Par l'ardeur de ses feux dessèche les prairies ; Que les fleurs dos jardins, que les feuilles flétries Tombent, une par une, au pied de l'arbrisseau ; Qu'on n'entend plus couler le limpide ruisseau ; A l'horizon de flamme un point sombre, un nuage, Portant dans son flanc noir le tonnerre et l'orage,

68 ÉVANGÉLINE

o tout à coup, grandit, grandit toujours. Le s >leil effrayé semble hâter sou cours : fgne dans les aire un lugubre silence : Le ciel est noir ; l'oiseau vers B69 petits s'élance ; Et la cigale chante et l'air est étouffant ; Le tonnerre mugit : le nuage se tend :

! vomit la flamme : et la pluie et la grêle Sous leurs fouets crépitants brisent l'arbuste frêle, Et le carreau de vitre, et les fleurs et les blés. Bans un des coins du clos un moment rassemblés, Le> bestiaux craintifs laissent leur pâture, Puis bientôt en beuglant ils longent la clôturé Pour trouver un passage et s'enfuir promptemont. Des pauvres villageois tel fut l'étonnement A crîte heure fatale le cruel ministre Mut sans honte élevé sa parole sinistre. Ils courbèrent le front sous le poids du malheur ; Ils restèrent muets de peine et de terreur.

ÉVANGÉLINE 69

Mais bien vite au penser de ce sanglant outrage,

S'alluma dans leur âme une bouillante rage :

Vers la porte du temple ils s'élancèrent tous.

C'est en vain toutefois qu'ils redoublent leurs coups :

Elle ne s'ouvre point ! Des soupirs, des prières,

Des imprécations et des menaces fièros

Font bien haut retentir en cet affreux moment

Le lieu de la prière et du recueillement.

Tout à coup dans la foule on vit le vieux Basile,

Frémissant, agité comme un bateau fragile

Que le vent de l'orage emporte sur les flots,

Lever ses poings nerveux en rugissant ces mots :

bas ! ces fiers Anglais ! Ils ne sont point nos maîtres !

" A bas ! ces étrangers ! ces perfides ! ces traîtres

" Qui viennent en brigands détruire nos moissons !

" Qui veulent nous chasser pour piller nos maisons ! w

Il en aurait bien dit sans doute davantage,

Mais un brutal soldat à la mine sauvage,

7 » ÉVANGÉLINE

appanl sur le front d'un gantelet do fer endit à ses pieds avec un ris d'enfer.

Pendant que cette scène affreuse et sans exemple Se déroule, en plein jour, au milieu du saint temple, La porto <iu choeur s'ouvre et le père Félix, Dans sa tremblante main tenant un crucifix,

Vêtu de L'aube Manche et de la sainte étole, Et le iront entouré comme d'une auréole. S'avance d'un pas sûr jusqu'au pied de l'autel. cœur est abimé dans un chagrin mortel ;

Il voit son cher troupeau qui crie et se désole,

Lui parle avec douceur, et sa grave parole

util comme un glas le soir du jour des morts : •• Hélas! que faites-vous? et quelssont ces transports? '• Pourquoi donc ces clameurs ? Pourquoi cette colère ? " J'ai pendant quarante ans travaillé comme un père

ÉVANOÊLINE Tl

' A vous rendre plus doux et plus humbles de cœur.

"Et vous ne savez point supporter le malheur !

" Aux âmes des payons vos âmes sont pareilles !

" De quoi m'ont donc servi la prière et les veilles,

" Si vous n'êtes meilleurs ? Si vous ne savez plus

" Pardonner aux méchants comme font les élus ?

" Si loin de pardonner vous cherchez la vengeance ?

" C'est ici la maison d'un Dieu plein d'indulgence

" Xe la profanez point par d'aveugles excès.

" La haine ne doit pas au temple avoir d'accès.

" Oh ! voyez sur la croix ce Dieu qui vous contemple I

" Ce Dieu crucifié doit vous servir d'exemple !

" Voyez, mes bons enfants, quelles saintes douceurs

" Dans ce regard rempli de tristesse et de pleurs !

" Que de paix et d'amour sur cette lèvre pâle

" Qui semble dire encore, au moment s'exale,

" Comme un baume divin, le suprême soupir :

" Père, pardonnez-leur ce qu'ils me font subir"

72 ÉVANOÉLINI

enfants, disons donc nous que la peine accable,

" Nous qui sommes L'objet d'une haine implacable ; " 0 mon Père, pardon ! pardon pour nos bourreaux! "

Après un jour brûlant, s'il pleut, les arbrisseaux Verdissent dans les près et nous semblent renaître.

Tels les cœurs abattus, aux paroles du prêtre, Retrouvèrent la force et la tranquillité : Et les bons villageois, avec humilité,

ent sur le Christ des regards d'espérance

rent tous, oubliant leur soutirai;' Et tombant à genoux sou> les sacrés arceaux : •• () mou père, pardon, pardon pour nos bourreaux I" Déjà le jour baissait 1. a voûte de l'église Prenait, de place en place, une teinte plus grise : Un clerc vint allumer les cierges de l'autel ; Félix, sur un ton solennel. nença la prière ; et, d'une voix plainti Mais avec un cœur plein d'une piété vive,

ÉVANGÉLINB 73

Le peuple infortuné pendant longtemps pria. Prosternés à genoux, de Y Ave Maria Tous les pieux chrétiens à haute voix chantèrent Les mots consolateurs, qui de nouveau montèrent, Sur l'aile de l'amour, vers le tronc de Dieu, Comme autrefois Eli sur un char tout do feu.

Cependant du village un grand trouble s'empare,

Car on sait des anglais la conduite barbare ;

Et les yeux tout on pleurs, tremblants, épouvantés,

Les femmes, les enfants courent de tous côtés.

Longtemps Evangélinc attendit son vieux père,

A la porte, debout, sous l'auvent solitaire,

Tenant sa main ouverte au-dessus de ses yeux

Afin d'intercepter les reflets radieux

Du soleil qui versait des torrents de lumière

Dans les chemins du DOUrsret sur l'humble chaumière

7-1 ÊVANGÉLINE

l'ont il couvrait le toit d'un brillant chaume d'or ; Du soleil qui semblait vouloir jeter eneor Un long regard d'amour sur cette noble terre Que venait d'enchaîner l'égoïste Angleterre. Sur la table était mise une nappe de lin : Déjà ]> > 1 1 1 - le souper étaient servis le pain. Un flacon de vieux cidre et le nouveau fromage Et le miel odorant comme la tleur sauvage :

Puis au bout de la table était le vieux fauteuil, [nquiète et tremblante on la vit sur le seuil Jusqu'à l'heure tardive où, loin dans les prairies

•mbres des grands pins sur les herbes fleuries, S'allongent vers le soir : Et comme une ombre aussi S'étendit la douleur dans son cœur tout transi. Elle était accablée, et pourtant sa jeune âme.

< !omme un jardin céleste, exhalait le dicta

I>e l'espoir, de L'amour et de la charité. Oubliant sa faiblesse et sa timidité

ÉVANGÉLINE 75

Elle partit alors, et, dans tout le village,

Par des regards amis, par un pieux langage,

Courageuse, elle alla consoler, tour à tour,

Les vierges qui pleuraient leur tendre et pur amour ;

Elle alla ranimer les femmes désolées

Qui revenaient, en pleurs, et tout échevelées,

Dans leurs foyers déserts avec leurs chers enfants,

Car l'ombre de la nuit voilait déjà les champs.

Le soleil descendit derrière les collines, Et de molles vapeurs, de folâtres bruines, De son orbe éclatant voilèrent les doux feux ; De même qu'autrefois en des temps merveilleux Quand du Mont Sinaï descendit le prophète Un éclatant nuage environna sa tête. Et l'angelus sonna dans la vibrante tour A l'heure de mystère s'efface le jour.

76 ÉVANGÉLINE

Comme un pâle fantôme, anxieuse ei plaintive, Marchant à pas pressés, Evangéline arrive A L'église régnait un silence de mort.

Elle cherche les siens e1 pleure sur leur sort ; Elle entre au cimetière ; elle s'arrête, écoute : Tout est calme b< muet sous la modeste voûte. Un noir pressentiment, une vague souleur

Dans son cœur abattu se mêle à la douleur ; D'une tremblante voix deux fois elle s'écrie: i: Gabriel ! Gabriel ! " et de sa main flétrie Elle assèche les pleurs qui coulent de ses yeux. Ma's rien ne lui répond : tout est silencieux. Et les tombeaux des morts, dans le sein de la terre. Elèvent plu- de voix, cachent moins de mystère Que ce temple qui semble un tombeau de vivants ! Marchant le front courbé sur les sables mouvants Elle revient alors, l'esprit rempli de trouble, Au foyer paternel son chagrin redouble

ÉVANGÉLINE 77

A l'aspect désolé do chaque appartement.

iSous le toit solitaire entraient rapidement

Les ombres de la nuit et les spectres livides :

Ijq^ fantômes du soir hantaient les chambres vides.

Le souper sur la table était encore entier

Et la flamme dormait sous la cendre, au foyer.

Sur l'escalier ses pas faiblement retentirent

Et de tristes échos à leur bruit répondirent.

De nuages épais le ciel était couvert.

Elle entendit frémir, près du châssis ouvert,

Le sycomore ombreux dont le riche feuillage

Crépitait sous la pluie et le vent d'un orage.

Déchirant le ciel noir, d'éblouissants éclairs

D'une horrible lueur firent briller les airs.

Le tonnerre roula de colline en colline.

Dans sa chambre, à genoux, la pauvre Evangéline

Se rappela qu'au ciel est un Dieu juste et bon

Qui voit tout l'univers s'incliner à son nom :

78 IVANGÉLINÏ

Elle se rappella cette jeune servante Dont Leblanc avait dit l'histoire consolante. Son âme se ealnia. son Iront devint vermeil, Puis elle s'endormit d'un paisible sommeil.

Quatre fois le soleil, sorti du sein des ondi

Fit pleuvoir sur Grand Pré ses feux on gorbos Mondes

Quatre lois, en dorant l'humble croix du clocher.

Il disparut derrière un noirâtre rocher

Qui découpait au ciel une ligne bizarre.

A cette heure suave l'aurore se pare

Des POflés qu'elle cueille à l'approche du jour

Le coq joyeux chanta dans chaque basse-cour.

El pendant qu'il chantait, livides et muettes,

Conduisant vers la mer leurs pesantes charettes

ÉVANGÉLINE 79

Le chapelet au cou, les femmes, tour à tour,

Sortirent, à pas lents, des hameaux d'alentour.

Kilos mouillaient de pleurs la poussière des routes,

Et puis, de temps en temps, elles s'arrêtaient toutes

Pour regarder encore une dernière fois

Le clocher de l'église et leurs modestes toits

Et leurs paisibles champs et leur joli village,

Avant que la forêt qui borde le rivage

Ne les vint pour jamais ravir à leurs regards.

Et les petits enfants, loquaces et gaillards

Aiguillonnant les bœufs de leurs voix menaçantes,

Marchaient à leurs côtés, et leurs mains innocentes

Serraient contre leur cœur quelques hochets bien chers

Qu'ils voulaient emporter de l'autre bord des mers.

Ils arrivent enfin dans ce lieu solitaire

la Gasperau mêle, on bruissant, son eau claire

80 ÉVANGÉLINE

Aux flots de L'Océan. Pâles, 1rs veux hagards, On les voit sur la rive errer de toutes parts ! On voit des paysans le modeste bagage Pêle-mêle entassé sur la berge sauvage ! Et tout le long du jour les fragiles canots Le transportent à bord des superbes vaisseaux ! Et tout le long du jour de nombreux atelagos. Chargés péniblement, descendent des vilhi.

L'aile sombre du soir sur le bourg s'étendit : Un grand calme régnait. Soudain l'on entendit Le triste roulement des tambours à L'église. Une terreur profonde, une horrible surprise Des femmes du hameau t'ont tressaillir les cœurs. Et, bravant des soldats les sarcasmes moqueurs, Elles courent au temple, en assiègent la porte, voici qu'aussitôt, le front haut, l'âme forte, /

ÉVANGÉLINE 81

Les pauvres Acadiens défilent deux à deux.

Mille ignobles soldats se tiennent auprès d'eux.

Comme des pèlerins, bien loin sur quelque rive

Vont ensemble chantant une chanson naïve,

Un air de la Patrie, un antique refrain,

Pour calmer la fatigue et l'ennui du chemin ;

Ainsi les prisonniers chantaient avec courage,

Mais d'une voix plaintive, en allant au rivage ;

Et leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles pleuraient !

Tour à tour, cependant, ces chants pieux mouraient.

Mais tout à coup voici qu'un nouveau chant commence !

" Cœur sacré de Jésus, ô source de clémence,

,; Cœur sacré de Marie, ô fontaine d'amour,

" Hélas ! secourez-nous en ce malheureux jour !

" Nous sommes exilés sur la terre des larmes !

'' Pitié ! pitié pour nous dans nos longues alarmes ! '

Les jeunes paysans commencèrent d'abord ;

Puis les vieillards émus, à leur pieux accord,

82 ÉVANGÉLINE

Unirent aussitôt leur chant tremblant et grave Et le vent qui des prés portail l'odeur suave Les femmes qui suivaient le cruel régiment, El les petits oiseaux qui voltigeaient gaîment Sous la pourpre du ciel et la nue orgueilleuse Mêlèrent à ces voix leur voix mélodieuse !

Assise au pied d'un arbre a côté du chemin. En silence et le front appuyé sur sa main, Levant, de temps en temps, an œil d'inquiétude Vers le bourgdevenu comme une solitude. La jeune Evangéline attendait les captifs. Comme le bruit des flots qui heurtent les récifs Elle entendit leurs pas sur la terre dui

A leur touchant aspect son aine l'ut sai>ie

D'un pénible tourment, d'une affreuse douleur. Elle voit Gabriel ! quelle étrange pâleur

ÉVANGÉLiNE 83

Sur sa noble figure, hélas ! s'est répandue !

Elle vole vers lui, frissonnante, éperdue,

Presse ses froides mains : " Gabriel ! Gabriel !

" Ne te désole point ! soumettons-nous au eiel :

'• Il veillera sur nous ! Et que peuvent les hommes,

" Que peuvent leurs desseins contre nous si nous sommes

" L'un et l'autre toujours unis par l'amitié ! "

Sur ces lèvres de rose, à ces mots de pitié,

Avec grâce voltige un triste et doux sourire ;

Mais voici que soudain sa chaste joie expire,

Elle tremble et pâlit. Au milieu des captifs

Elle voit un vieillard, dont les regards plaintifs

Se reposent, de loin, avec amour, sur elle :

Ce vieillard, c'est son père ! Une peine mortelle,

Yn profond désespoir ont altéré ses traits !

Il porte sur son Iront la trace des regrets :

On ne voit plus le feu jaillir de sa paupière :

Son humble vêtement est couvert de poussière.

84 KVANOÉLINK

Lui jadis si joyeux il est tout abattu ! Il paraît dépouillé de force et de vertu. Parmi ses compagnons tristement il chemine ; Il pleure en regardant sa chère Bvangeline. Puis elle, avec transport, se jette dans ses bras, Le couvre de baisers, et s'attache à ses pas : .Mais sa voix adorable et sa vive tendr< Jhi vieillard désolé calment pen la tristesÉ C'est alors (jiie l'on vit, au bord des sombres flo Un spectacle navrant. Les grossiers matelots.

En entendant les cris des malheureuses femmes, Plusgaîment replongeaient dans Los ondes leurs ranu Par d'horribles jurons Les soldats insolents Des prisonniers crintifs hâtaient Les pas trop Lents. L'< poux désespéré parcourait la pelouse, Cherchant, de toutes part, sa malheureuse épouse, appelaient leurs enfants égarés, Qfants allaient, toul

ÉVANGÉLINE 85

Pareils à des agneaux cherchant leurs tendres mères !

Femme, cesse tes pleurs et tes plaintes amères ;

Car tes pleurs seront vains et tes cris superflus !

Ton enfant bien-aimé te ne le verras plus !

Et toi, petit enfant, tu commences la vie

Et déjà pour jamais ta mère t'est ravie !

On sépare, en effet, les femmes des maris ;

Les frères de leurs sœurs ; les pères de leurs fils.

Sur le sein de sa more en vain l'enfant s'attache,

Aux baisers maternels un matelot l'arrache

Et l'emporte, en riant, jusqu'au fond du vaisseau.

Quels soupirs ! quels transports! quels cris, ô Gasperau,

S'élevèrent alors de ta rive tranquille !

Le jeune Gabriel et son père Basile,

Sur deux vaisseaux divers, furent ainsi traînés,

Tandis qu'auprès des flots restèrent enchaînés

Benoît et son enfant, la douce Evang'éline.

Le soleil disparut en dorant la bruine.

86 ÉVANGÉLINE

La nuit vint do nouveau ; niais tout n'était pas t'ait.

La moitié <lrs captifs sur la grève restait.

A sou tour. L'océan, onduleux et limpide.

Reflua vers son lit, Laissant le sable humide

Au loin tout recouvert d'algues, de noueux troues.

D'arluvs déracinés et (le flexibles joncs.

Cependant les canots échoués sur le saUe

Pour reprendre leur tâche impie et méprisable De la liante marée attendaient le retour. Auprès, les matelots s'endormaient tour a tour [gnoblement repus de tabac et de bière. Parmi les chariots, le Long de la rivière, Les pauvres exilés, sans abri, sans maison, Ayant pour toit le ciel, pour couche le gazon,

Erraient plaintivement connue de pales ombres. Leur retraite semblait un amas de décombres.

ÉVANGÉLINE 8T

Vainement de s'enfuir à la faveur du soir Us auraient, dans leur âme, entretenu l'espoir, Epiant tous leurs pas, soupçonneuses, cruelles, Partout se promenaient d'activés sentinelles.

Alors comme le soir descendait sur les champs, On entendit les voix des troupeaux mugissants Qui laissaient la pâture et regagnaient leurs crèches En broutant aux buissons les feuilles les plus fraîches. Mais la grasse génisse attendit vainement : L'étable était fermée ; et son long beuglement Ne fit point revenir la joyeuse laitière Avec un peu de sel et sa blanche chaudière. Nul oiseau ne chanta le coucher de ce jour. On n'ouït point sonner l' Angélus dans la tour. On ne vit point surgir de légères fumées, Xi luire de lumière aux fenêtres fermées !

88 ÉVANOÉLINÏ

Afin do réchauffer leurs membres engourdis

Plusieurs des paysans, parmi les plus hardis.

Allèrent amasser, sur Le tuf de la rive.

Quelqn' épave venue au bord à la dérive,

Et tirent de grand feux. Bientôt on put les voir

Qui venaient, tour à tour, sur «les roches s'asseoir

Autour de ces brasiers aux vives étincelles.

L'on ouït encor, là, des menaces nouvelles.

Des lamentations et des gémissements.

Des enfants nouveau-nés les Longs vagissements.

Les pleurs et les sanglots des viorges et dos femmes,

El les cris furieux des hommes dont Les âmes

Sortaient soudainement d'une longue torpeur

Montèrent à la fois au trône du Seigneur.

Kt parmi les soldats dédaigneux et farouches,

Sans craindre les jurons «pli sortaient de leurs bouches,

Passait silencieux le bon Père Félix :

Et toujours dans sa main tenant le crucifix

ÉVANGÉLINE 89

Il allait plein d'ardeur, humble et divin apôtre,

Sans se décourager, d'une troupe vers l'autre,

Pour calmer et bénir son peuple infortuné.

En arrière des feux, sous un arbre incliné,

Il vit Evangéline assise avec son père.

Le front majestueux de ce vieillard austère

Aux lueurs du brasier reluisait de pâleur ;

Son œil hagard et tixe exprimait la douleur ;

Ses mains se bleuissaient ; la vie ou la pensée

Sur son front chauve et blanc paraissait effacée,

Et sa lèvre livide était sans mouvement.

Sa fille, toute en pleurs, prodiguait vainement

Les plus aimables soins, la plus douce tendresse,

Il était insensible aux pleins de ^a détresse

Comme à son dévoûment, comme à ses mots d'espoir.

Sur les feux qu'attisait le léger vent du soir,

Ouverts sinistrement, mornes, vitreux et ternes,

Ses yeux étaient fixés pareils à deux lanternes

5

90 ÉVANGÉLINE

Qui jettent, en mourant, une faible lueur.

dn lugubre rayon, à travers la noirceur.

•• Benoît ! allons. Benoît, soyons forts dans l'épreuve,

•• Et bénissons les maux dont le ciel nous abreuve,"

J > ï t alors le bon prêtre avec force el respect.

11 en aurait dit plus, mais au pénible aspect

De ce vieillard mourant, de cette jeune fille

Qui Mentot n'aurai! plus ici-bas do famille, Sou âme se gonfla : comme un -•liant dans les bois Sur sa lèvre entrouverte alors mourut sa voix. Il posa ses deux mains sur la vierge plaintive. Promena ses regarda un moment sur la rive, Les leva, tout en pleurs, vers la VOÙte des cieux < )u. dans la pourpre et l'or d'un sentier radieux, leil bienfaisant, les ('-toiles sereines

Roulent, avec accord, peu soucieux des peines

Qui troublent ici-bas l'infortuné mortel.

Et quand il eut fini d'invoquer l'Eternel,

ÉVANGÉLINE 91

Il s'assit en silence auprès de l'humble vierge,

Et tous deux, bien longtemps, pleurèrent sur la berge.

Une lueur parut du côté du midi.

Quand de la lune d'août le disque ragrandi

S'élève, vers le soir, à l'horison de brume,

Rouge comme du sang, tout l'espace s'allume.

Aux reflets argentés de l'astre de la nuit

Chaque brin de verdure et chaque feuille luit ;

La mer semble rouler des flammes au rivage,

Et l'on dirait qu'au loin brûle une vaste plage.

Telle on vit, vers le sud, dans cette nuit d'horreur,

S'élever et grandir l'effrayante lueur :

Le bourg semblait couvert d'un sanglant et lourd voile ;

Dans un ciel embrasé l'on vit pâlir l'étoile ;

Puis elle disparut comme devant le jour ;

Les coteaux, les forêts et les toits d'alentour

Reflétaient des clartés inconstantes et vagues ;

De sanglantes lueurs roulaient ave^ les vagues ;

!>•_! ÉVANGÉLINB

Sur le bord de la mer, près des flota écornants,

Les sables scintillaient comme des diamants. Les voiles, les huniers des navires superbes De feux aériens semblaient Lancer des gerbes. i parai trembler ; il se tit un grand bruit Que redirent longtemps les échos de la nuit ; El l'on vit. s'écrouler, tout en feu, le village, Comme un arbre puissant qu'abat, pendant l'orage,

carreaux de la foudre ou Les tiers aquilons. l*ne épaisse fumée, en Bombres tourbillons, S'éleva vers le ciel avec d'aH'reux murmures. Les Lambeaux enflammes du chaume des toitures, Emportés dans les airs par un vent irrité,

Sillonnèrent Longtemps l'ardente obscurité.

Les flammèches, la cendre, en brûlante jx>ussi< Tombèrent sur les flots de l'étroite rivière

Et sur la mer houleuse, avec le -rendement

Du i'w rouge qu'on plonge en l'eau subitement.

ÉVANGÉLINE 93

On entendit alors des jeunes tourterelles

Les doux roucoulements et les battements d'ailes !

On entendit le coq chanter dans le lointain

Comme pour saluer le réveil du matin !

On entendit les cris et les hurlements tristes

Du chien qui de son maître interrogeait les pistes !

Et les longs beuglements des troupeaux inquiets !

Et les vagues soupirs des profondes forêts !

Et les hennissements des chevaux hors d'haleine

Qui couraient effrayés, écumants, dans la plaine !

Et tous ces bruits divers formaient un bruit affreux

Comme le bruit qui trouble un camp aventureux

Qui vient de s'endormir sur l'herbe des prairies,

On sous les vers arceaux, prés des rives fleuries

Du joli Xebraska bordé de bois ombreux.

Quand viennent à passer, par un soir orageux,

Tout auprès de l'endroit s'élèvent les tentes,

Les naseaux enflammés, les crinières flottantes.

94 fcVAKOÉLIHl

De sauvages coursiers qu'emporte le courr

Et d'agiles troupeaux <; au poil roux

Qui courent s'élancer, tout couverte de pous

Dans les vagues d'argent de la tiède rivière.

A l'aspect du fléau les malheureux captifs

.Firent trembler les airs de leurs accents plaintifs : " Ils brûlent nos foyers! Kélas quelle est leur •• Nous ne reverrons plus notre joli village. •■ Nos paisibles foyers, notre temple béni, " Quand notre amer exil enfin sera fini !

Parmi les paysans dispersés sur la ber Etonm - v<»ix. le saint prêtre cl la .

irdaient la lueur qui grandissait toujours. à quelques pas, refusant »urs,

ÉVANGÉLINE 95

Benoit leur compagnon demeurait impassible Et semblait ne point voir la scène indescriptible Qui se passait alors sur le bord de la mer. Après quelques instants d'un calme bien amer, Lorsque pour lui parler tous deux ils se levèrent, O surprise ! ô douleur ! alors ils le trouvèrent Etendu sur le sol, froid et sans mouvement ! Le prêtre lui leva la tête doucement ; Et la vierge tombant à genoux sur la terre, Près des restes sacrés de son bien-aimé père, Poussa de longs sanglots et puit s'évanouit. Et jusqu'à l'heure l'aube au ciel s'épanouit Comme une fleur au bord d'un odorant parterre, La pauvre enfant dormit ce sommeil de mystère, Ce lourd sommeil qu'on nomme évanouissement. Quand elle s'éveilla le fond du firmament Etait encore rougi par le feu du village ; Les galets de la rive et l'herbe et le feuillage

!W; ÉVANGÉLINI

Etincelaient encor. Les amis l'entouraient

Pâles, silencieux, plusieurs d'entre eux pleuraient

En reposant sur elle an regard de triât

Un grand cri s'échappa de son âme en détresse

E1 ses yeux, par torrents, répandirent des pleurs

Alors qu'elle sentit le poids de ses malheurs.

" Enterrons sa dépouille au pied de ce grand hêtre,

Dit au captifs émus le vénérable prêtre,

" Enterrons sa dépouille au bord des vaste*

" Et si nous revenons après de longs hivers

4- Nous pourrons transporter son corps au cimetière

" Et planter une croix sur sa froide poussière ! "

Au bord (le l'océan par les feux éclairé

Le vertueux Benoît fut, sans pompe, enterre Nul cierge ne brûla près de ses humbles r< Nul chant n'alla frapper les portiques cèles

ÉVANGÉLINE 97

La cloche du hameau ne sonna point le glas ; Mais le peuple gémit. La mer avec éclats Eépondit, à l'instant, à ses plaintes funèbres. On aurait dit entendre, au milieu des ténèbres. Les versets alternés, graves et solennels Des moines à genoux devant les saints autels. Or ce fracas de l'onde annonçait la marée. Chaque barque du bord aussitôt démarrée, Bondit légèrement et glissa sur les flots. Les soldats au cœur dur, les sales matelots Reprirent, tout joyeux, leur odieuse tâche, Et chantant, et sifflant, et rainant sans relâche, Ils eurent bientôt mis sur le pont des vaisseaux Les colons qui restaient au bord des vastes eaux. Des vents impétueux dans les haubans sifflèrent ; L'océan reflua ; les voiles se gonflèrent, Et les vaisseaux, hissant leurs brillants pavillons, Ouvrirent, dans les flots, de bouillonnants sillons !

93 ÉVANGÉLINE

Us laissaient la ruine au milieu du village,

Et la cendre des morts smis Le tuf du rivage !

ÉVANGÉLINE 99

DEUXIEME PARTIE

Déjà s'étaient enfuis bien de sombres hivers, Les coteaux et les champs s'étaient souvent couverts De verdure, de fleurs et d'éclatantes neiges, Depuis le jour fatal des mains eacriléges Allumèrent le feu qui consuma Grand Pré ; Depuis qu'à des tyrans un peuple fut livré Par la haine hypocrite et par la perfidie ; Depuis que loin des bords de la belle Acadie,

100 ÉVÀNGÉLINE

La brise fil voguer les vaisseaux d'Albion Qui tramaient on exil toute une nation !

Les pauvres Acadieus, sur de lointaines plages, Furent disséminés comme les fruits sauvages Qui tombent d'un rameau que l'orage a cas Ou les flocons do neige alors qu'un vent glacé Agite les brouillards qui voilent Terre Neuve Ou les bords escarpés do gigantesque fleuve Qui roule au Canada ses flots audaeieux. Sans amis, sans foyers, sous de rigides cieux Ils errèrent longtemps de village en village, Depuis le- régions l'impur marécage, la tiède savanne. au milieu des roseaux, .Sous un soleil brûlanl laissent dormir leurs eaux, Jusqu'à ces lacs du Nord dont les rives Sont de neige et de fleurs tour à tour reeouvertes ;

ÉVANGÉLINE 101

Depuis les océans jusqu'au plateau lointain

Où, le Père des eaux dans ses bras prend soudain

Les collines de sable et dans la mer les pousse,

Avec les frais débris de liane et de mousse,

Pour recouvrir les os de l'antique mammouth,

]N"e trouvant nulle part ce qu'ils cherchaient partout :

La pitié d'un ami, le toit sacré d'un hôte !

Et plusieurs, sans parler, cheminaient côte à côte ;

Ils ne recherchaient plus le foyer d'un ami :

Leur âme désolée avait assez gémi :

Ils demandaient, ceux-là, la paix à la poussière.

Leur histoire est écrite en plus d'un cimetière,

Sur la pierre ou la croix qui couvre leurs tombeaux.

Or parmi ces captifs qui traînaient de leurs maux,

Sous des cieux étrangers, la chaîne douloureuse,

On vit errer longtemps une enfant malheureuse.

Elle était jeune encore, et son grand œil rêveur

Semblait toujours fixé sur un monde meilleur.

102 ÉVÀNGÊLINl

Oui, la pauvre proscrite, elle était jeune et belle !

.Mais hélas ! bien affreux s'étendaient devant elle

Le désert de la vie et ses âpre, -entiers

Tout bordés des tomU-aux de ceux qui les premiers

Fléchirent dans l'exil sous le poids des souffrant

Elle avait, vu s'enfuir ses douces espérance

\ es de bonheur el ses illusions ! Dans son cœur était mort le feu des passions ! Son ame ressemblait à quelque solitude l'étranger chemine avec inquiétude N'ayant, pour se guider, dans ces lieux incertains, Que les débris des camps, que les brasiers éteints, Et tous les os blanchis que le soleil l'ait luire. On vent de mort. Helas ! soufflait pour la détruire ! Elle «'tait le matin avec son ciel vermeil. Ses chants mélodieux et son brillant soleil.

Qui tout à coup s'arrête en sa marche pompeuf Pâlit et redescend vers sa couche moelleii

ÉVANGÉLINE 103

Dans les villes, parfois, elle arrêtait ses pas :

les vastes cités ne lui redonnaient pas L'ami qu'elle pleurait, la paix du cœur perdue ! Elle en sortait bientôt, gémissante, éperdue, Et poursuivait encor ses recherches plus loin. Faible et lasse, parfois, se croyant sans témoin, Elle venait s'asseoir au fond des cimetières, Les regards attachés sur les croix ou les pierres Qui protégeaient des morts le suprême repos. Elle s' agenouillai t, parfois, sur ces tombeaux nulle inscription ne répète à la foule L'humble nom du mortel que son pied distrait foule,

Puis elle se disait : " Peut-être qu'il est !

•" La tombe qui devait nous unir, la voilà ! ■" Il goûte le repos dans le sein de la terre, " Et moi je traîne encore une existence amère ! Parfois elle entendait un bruit, une rumeur Qui lui rendait l'espoir et ranimait son cœur :

104 ÉVAX<iÉLINE

Elle parlait aussi quelquefois, sur sa route, A des gens qui disaient avoir connu, sans doute, Cet être bien aimé qu'elle cherchait en vain ; Mais c'était, par malheur, dans un paya lointain.

" Oh ! oui, disaient les uns. touchés de Ba trifi

14 Nous l'avons bien connu Gabriel Lajeunes

•• Tu aimable garçon dont les tristes malheurs

44 Nous ont jadis, souvent, t'ait répandre des pleura !

•• Sou père L'accompagne : il se nomme Basile:

•• C'esl un bon forgeron, un vieillard tort agile.

" Ils sont coureurs-d es-bois; ils sont chasseurs tous deux,

•• El parmi les chasseurs leur renom est fameux."

" Gabriel Lajeunesse '.; il fut, disaient les auti

44 S'il nous en souvient bien, assurément des nôtres.

■■ I>r la Louisiane il franchit avec nous

•■ Los plaines sans contins et les nombreux hayons."

Souvent on lui disait : " Ta misère, ta peine,

•; Pauvre enfant, sera-t-elle aussi longue que vainc ?

ÉVANGÉLINE 105

" Pourquoi toujours l'attendre et l'adorer toujours ?

" Il a peut-être, lui, renié ses amours.

" Et n'est-il pas d'ailleurs, dans nos petits villages,

" Des garçons aussi beaux et même d'aussi sages ?

" Combien seraient heureux de vivre auprès de toi !

" Tu charmerais leur vie : ils béniraient ta loi.

" Et Baptiste Leblanc, le fils vieux notaire,

;< A pour toi tant d'amour qu'il ne saurait le taire ;

" Donne-lui le bonheur en lui donnant ta main ,

" Et que dès ici-bas ta peine ait une fin."

A ceux qui lui tenaient ce discours raisonnable,

Elle disait pourtant : " Oh ! je serais coupable !

" Puis-je donner ma main à qui n'a point mon cœur ?

" L'amour est un flambeau dont la vive lueur

" Eclaire et fait briller les sentiers de la vie,

" L'âme qui n'aime pas au deuil est asservie ;

" Le lien qui l'enchaîne est un lien d'airain,

" Et pour elle le ciel ne peut être serein."

106 ÉTANGtLINI

Souvent son confesseur, ce vieil ami fiel

Qui depuis le dépari avait veille sur elle,

En attendant qu'un père an cid lui tut rendu,

Lui disait : " Mon enfant, nul amour n'est perdu.

'• Quand il n'a pas d'écho dans Le cœur que l'on aime ;.

" Quand d'un autre il ne peut faire le bien suprême,

" Il revient à sa source et plus pur et plus fort ;

•• Et L'âme qu'il embrase aime son triste sort.

" L'eau vive du ruisseau qui B'est au loin enfuie

'• Dans le ruisseau retombe en abondante pluie.

•• Suis ferme et patiente au milieu de tes maux :

" Le vent qui peut briser Los flexibles rameaux

" Fait à peine frémir les branches «lu grand ch<

•• Sois Adèle a L'amour qui t'accable et t'enchaîne :

•• Ne crains pas de soufîri

■• La souffrance et I'. mt deux sentiers se

" Qui mènent sûrement à la - rie."

La pauvre Evangélihe,

ÉVANGÉLINE 107

Levait, avec espoir, ses beaux yeux vers le ciel : La coupe de ses jours avait bien moins de iiel : Elle croyait encore entendre, dans son âme, La mer se lamenter en déroulant sa lame ; Et, parmi les soupirs et les tristes sanglots, S'élevait une voix qui dominait les flots ; Une voix ravissante et pleine de mystère, Qui lui disait bien haut : u Infortunée, espère ! "

Ainsi la pauvre enfant, durant bien de longs jours, Promena son espoir, sa peine et ses amours. Son pied nu se brisa sur la ronce et l'ortie Qui partout obstruaient le sentier de sa vie !

Esprit mystérieux, reprends ton noble essor ! Guide-moi, de nouveau, je veux la suivre encor !

108 ÉVANGÉLINl

La suivre par le monde où, seul* Comme le voyageur, le long d'une vallée.

Suit le cours sinueux d'un rapide ruisseau ! Loin «les bords, quelquefois, il voit la nappe d'eau. Resplendir au soleil à travers la verdure ; Quelquefois, près des bords, il entend son murmure EH ne la voit point fuir sous l'épais arbrisseau : Ainsi je la suivrai jusques à son tombeau !

II

Mai semait dans les champs le lis et L'immortelle. Rapide et frémissante une Longue nacelle <Jlissait sur les (lots d'or du Grand Mississippi.

Elle passa devant le Wabash assoupi, Et devant l'ohio qui balance ( îomme un champ «le maïs Itère.

ÉVANGÉLINE 109

Or ceux qui la montaient étaient des Acadiens, De pauvres exilés dépouillés de leurs biens, Triste et frêle débris d'un peuple heureux naguère, Aujourd'hui dispersé sur la rive étrangère. Une même croyance et les mêmes malheurs Unissaient fortement ces pieux voyageurs. A travers les forêts, les campagnes fleuries, A travers les vallons et les vertes prairies, Sur les sables ou l'onde ils s'en allaient errants, •Cherchant, de toutes parts, leurs amis, leurs parents. Parmi ces fugitifs la belle Evangéline, •Semblable, en ses ennuis, au cyprès qui s'incline Sur la fosse profonde dort Un malheureux. Allait avec Félix son guide vertueux.

Le jour naît et s'enfuit, et la frêle pirogue,

Sur le fleuve écumeux, toujours se berce et vogue.

110 ÉVANGÉLINB

Elle effleure, tantôt, le ]>ied d'un noir rocher, Tantôt, parmi Les joncs, on la voit se cacher. Quand l'aile de la nuit s'entr'ouvre sur la i Elle cherche, à la côte, un abri solitaire ; Les voyageurs lassés dressent leur campement, Et couchés près du feu, reposent un moment. Enfin die franchit des chutes aboyant

Rase des bords féconds, des lies verdoyair le rier cotonnier berce, d'un air coquet, Ses aigrettes d'argent et leur moelleux duvet.

Elle s'avance, ensuite, en des anses profond

de Longs bancs de sable élèvent, sur les ondes, Comme u\\ ruban doré, leurs dos et incelants. Et sur ses bancs de sable les Ilots ondulants S'en viennent tour à tour, chantera leur passage, Ello voit s'agiter le doux et blanc plumage Des nombreux pélicans qui guettent Le poisson, L'insecte au fin corsage et l'impur Limaçon.

ÉVANGÉLINE 111

La rive qu'elle effleure est basse et parfumée ; La végétation est brillante, animée ; Les oiseaux font entendre un magique concert ; La fleur élève au ciel son calice entr'ouvert. De distance en distance, au bord du gai rivage, Au milieu d'un jardin ou d'un ombreux bocage, S'élèvent la maison d'un Planteur enrichi Et du nègre indolent la case au toit blanchi. Les exilés touchaient cette terre féconde Qu'un printemps éternel de son éclat inonde ; toujours des moissons se balancent au vent. Le grand fleuve, empressé, décrit, vers le levant, Sous un ciel tout de flamme, uno courbe lointaine, Et ses flots transparents roulent dans une plaine Parmi les nénuphars, les bosquets d'orangers, Les citronniers fleuris et les riches vergers. La rapide nacelle, obéissant aux rames, 8' écarte de sa course en traçant, sur les lames,

112 ÉYAXGÉLINE

Un sillon circulaire tremble le ciel bleu. Sa fuite, en ce moment, se ralentit un peu. Elle entre dans les eaux du bayou Plaquemine Que le soleil couchant de ses iènx illumine.

Devant les voyageurs, en ces endroits déserts,

Coulent, de tons cotés, mille canaux divers.

El leur barque s'égare en ers eaux paresseuses

Qui se croisent cent fois sons les feuilles ombreu

Les cyprès chevelus, de leurs sombres rameaux,

Forment, au-dessus d'eux, de Bonorea arceaux

flottent parfumés, les mousses diaphanes,

Le lierre palpitant et les vertes liane

Comme dans un vieux temple, entre de saints tableaux,

Flottent, tout radieux, de célèbres drapeaux.

Il règne dans ces lieux un effrayant silence ;

On entend seulement le héron qui s'élance,

ÉVANGÉLINE 113

Au coucher du soleil, vers le grand cèdre noir Dont les rameaux touffus lui servent de juchoir ; Ou, sur un tronc noirci, le hibou taciturne Qui fait frémir les bois de sa plainte nocturne.

La lune se leva. Ses limpides rayons Tracèrent, sur les eaux, de lumineux sillons ; Coururent mollement le long de chaque branche Qui parut se vêtir d'une écorce plus blanche ; Glissèrent à travers le feuillage des Lois Qui formait des arceaux, des voûtes, des parois, Comme à travers les ais d'un vieux mur en ruine Glissent les fils d'argent d'une molle bruine. La clarté de la lune aux différents objets Donnait de grands contours et d'étranges aspect3. Tout parut se confondre en une masse grise ; Tout sembla revêtir une forme indécise.

114 ÉVANGÉLINK

Voguant silencieux les malheureux proscrits t Sentirent un grand trouble entrer dans leurs esprits Le ooir pressentiment d'un mal inévitable Leur lit paraître encorce lieu plus redoutable ; El leur- cœurs, effrayés des menaces du sort

rrèrent soudain et tremblèrent plus fort ; De mémo que l'on voit la frêle sensitive Replier sa corolle et se pencher craintive. Quand, au loin dans la plaine, un coursier au galop, Fait retentir le sol do son poudreux sabot. Mais une vision gracieuse et divine Vint distraire et charmer l'âme d'Evangéline. Sa brûlante pensée avait pris un beau corps : l'n fantôme brillant, devant ses yeux alors, Flottait, avec mollesse aux rayons de la lune, Et semblait, lui sourire en sa longue infortune. Celui qu'elle voyait dan - don.

Que la lune d'argent portait sur un rayon,

ÉVANGÉLINE 115

C'était le fiancé que demandait son âme ! Il lui tendait les bras, et chaque coup de rame Semblait le rapprocher du fragile bateau Qui glaissait lentement, en silence, sur l'eau.

Cependant un rameur d'une haute stature,

Portant un cor de cuivre à sa large ceinture,

Se leva de son banc à l'avant du bateau

Et, pour voir si comme eux, en ce pays nouveau

A l'heure de minuit dans ces bayous sans nombre,

Quelques autres canots ne voguaient pas dans l'ombre,

Il emboucha son cor et souffla par trois fois.

La fanfare éclatante éveilla, sous les bois,

Mille échos étonnés, mille voix inquiètes

Qui moururent au loin, dans leurs sombres cachettes.

On entendit voler les nocturnes oiseaux ;

On entendit frémir les flexibles roseaux,

11G ÉY.\

Les banni» res

Qui flottaient au-d

Mais pas une voix d'homme, en ce lieu de terreur,

Ne répondit alors à L'appel du rameur.

Comme un pavot fleuri dont la tête s'incline

Sur le bord du pano*! la trisl iline

Inclina doucemonl son front toujours vermeil,

Et bientôl reposa dans un profond sommeil.

: nioiiiv-. en chantant des chansons Canadiei

Comme ils chantait aux rives Âcadiem

Quand ils se promenaient sur leurs fleuves profonds,

Dans les flots ténébreux plongeaient leurs avir

Et puis, dans le lointain, comme les sourds murmures

Des brises de la nuit qui bercent les ramw

<)u des limpides eaux qui coulent sous les bois,

On entendait des bruits, mystérieuses \

<,>ui s'élevaient du tond de cette solitude,

Et venaient se mêler aux cris d'inquiétude

ÉVANGÉLINE HT

Des oiseaux effrayés qui prenaient leur essor, Aux loiiii-s rugissements du sombre alligator.

Les rameurs poursuivaient leur course solitaire.

Le matin, quand le jour vint sourire à la terre,

Que d'un éclat nouveau la fleur des champs brilla,

Le lac étincelant d'Atchafalaïa

Déroulait devant eux son onde miroitante

Et leur rendait l'espoir en comblant leur attente.

Dans l'ondulation les légers nénuphars

Balançaient mollement leurs calices blafards ;

Des lotus empourprés les corolles mignonnes

Sur le front des proscrits se tressaient en couronnes ;

L'air était embaumé des suaves senteurs

Que les magnolias épanchaient de leurs fleurs,

Et que la tiède brise emportait sur son aile.

Suivant le cours des flots la rapide nacelle

118 ÉYANGÉLINE

Longea bientôt tes bords onduleux et pourprés

D'îles aux verts contours, aux luxuriants prés, Que les oiseaux charmaient de leurs cantates gaies, Que les rosiers eu fleure cernaient de Mondes haies. la mousse et L'ombrage invitaient au sommeil Le voyageur errant brûlé par Le soleil.

Vers le rivage ombreux de la plus riante ile Les voyageurs Lassés guident L'esquif agile, L'amarrent fortement en Lieu sur au rameau D'un grand saule-pleureur qui se penche sur L'eau, Va se dispersent tous bous les épaisses treilles. Fatigués du travail et d'une nuit de veilles, Ils dormirent bientôt d'un sommeil bienfaisant. Au-dessus de Leurs fronts, sourcilleux et pesant,

i Ire séculaire élevait son grand CÔne :

bras étendus s'accrochait la bignone

ÉVANGÉLINE 119

Dont la coupe d'argent se balançait dans l'air. Et le vif colibri, luisant comme un éclair. Volait, de fleur en fleur, avec un doux bruit d'ailer Et caressait leur sein de son bec infidèle. La vigne suspendait ses rameaux tortueux, Son feuillage enlacé, ses ceps durs et noueux, Et formait des treillis, des échelles étranges Comme celle Jacob vit, en songe, les angesr Les anges du Seigneur descendre et remonter. Les doux reflets du jour faisaient luire et flotter Devant l'esprit rêveur de la jeune orpheline Un espoir ravissant, une image divine.

Cependant sur les flots unis comme un miroir Venait rapidement un esquif au flanc noir. Elégant et léger il effleurait les lames. Des chasseurs le montaient, et leurs flexibles rames»

120 ÉVANGÉLINE

Battaient L'onde, en cadence, au refrain dos chansons:

Ils allaient vers Le nord, la terre des bisons.

Un jeune homme pensif, à la brune prunelle,

Etait au gouvernail et guidait la nacelle.

Son poignet museuleus annonçait la vigueur,

Mais son œil était plein d'une morne langueur,

Son ■."me était bercée au vent de la tristesse...

Ce jeune homme c'était Gabrielle Lajeunes

Sans plaisir, sans espoir, redoutant L'avenir,

Et toujours poursuivi par L'affreux souvenir

Des maux- (pii l'accablaient depuis quelques an]

Il fuyait tous les lieux pour fuir ses destim

Il allait demander l'oubli de ses regr<

El L'oubli de Lui-même aux Lointaines forêts.

Creusant un sillon d'or dans L'élément docile agabond esquif s'avance jusqu'il L'île

ÉTANGÈLINE 121

s'était arrêté le canot des proscrits ; Mais il no vogue point sous les rideaux fleuris Que le palmier formait de son large feuillage ; Il longe l'autre bord plus triste et plus sauvage.

Gabriel le chasseur, sur sa rame courbé,

ISTe vit point, à la rive, un canot dérobé

Sous les tissus de jonc et les branches de saule ;

Il ne vit point, non plus, la fraîche et blanche épaule

D'une vierge endormie à l'ombre des palmiers.

Le bruit des avirons, le chant des nautonniers

]STe réveillèrent point ceux qui dormaient, comme elle,

Sur la mousse des bois, sous le toit de dentelle

Que les rameaux touffus formaient au-dessus d'eux.

Le canot des chasseurs glissa sur les flots bleus

Comme, sur un jardin, l'ombre d'un haut nuage :

Et quand il eut longé la courbe du rivage,

122 ÉVANGÉLINI

Que le cri des tollets mourut dans le lointain, Plusieurs des fugitifs B'éveillèront soudain, L'espril bouleversé d'une angoisse inouïe.

Mais aux pieds du pasteur la vierge réjouie

Vint se précipiter avec* émotion :

" G mon père, dit-elle, est-une illusion

" Qui de nies sens troublés soudainement s'empare ? •• Est-ce un futile espoir mon âme s'égare ? •• Ai-je entendu la voix d'un ange du Seigneur ? " Quelque chose me dit, dans le tond de mon cœur, " Que mon cher Gabriel esl près de cette plage Mais un reflet de pourpre inonda son visa Et puis elle ajouta mélancoliquement : "0 mon père, j'ai tort, j'ai tort assurément " De te parler ainsi de ces choses frivoles :

Ton esprit sérieux hait ces vaines paroles." -; Mon entant.'* répliqua le sensible pasteur, ■" Ton espoir est permis, ton rêve est enchanteur,

ÉVANGÉLINE 123

" Et tes illusions, pour moi. ne sont point vaines.

" Puissent-elles marquer le terme de tes peines !

" Lorsque sur notre esprit flotte un pressentiment,

u C'est pour nous avertir de quelqu'événement,

" Comme au-dessus des flots la bouée attachée

" Avertit que, sous elle, une ancre gît cachée.

•• Espère, ô mon enfant, et calme ton souci ;

" Ton ami Gabriel n'est pas bien loin d'ici,

K Car, du côté du sud, la Têche est assez proche

•• Avec Sain t-Maur juché sur Ba côte de roche ;

" Et c'est que l'épouse, après de longs malheurs,

" Retrouvera l'époux qui séchera ses pleurs ;

" Que le pasteur pourra, sous son humble houlette,

" Réunir, de nouveau, le troupeau qu'il regrette !

" Le pays est charmant, féconds sont les guérets,

" Et les arbres fruitiers parfument les forêts.

" On marche sur les fleurs, et le ciel, sur nos têtes,

" Tend ses voûtes d'azur que supportent les crêtes

124 iVANGÉLIHI

i: Des superbes forêts et des bois éloignés.

*' Heureux les habitants de ees lieux fortanés " du sol. sans travail, un fruit suave émane, -• El qu'on nomme l'Eden de la Louisiane !...."

A ces mots consolants du Prêtre vénéré La troupe se leva ; L'esquif fui démarré Et vogua fièrement sur la vague de moire.

Le soir sur l'orient ouvrit son aile noire.

A Foecidenl pourpré le soleil radieux.

Comme an magicien dont l'art charme les yeux,

Tendit sa verge d'or sur la l'ace du inonde

Et noya, dans Le feu. le fiel, la terre et l'onde.

La verdure des prés3 le feuillage des bois,

Les vagues du beau lac le tuf et les gravois

Jetèrent des rayons et des gorbes de flammes.

Le canot qui flottait sur les rapides Lames

ÉVANGÉLINE 125

Avec ses avirons d'où les flots écumants

Ile tombaient, goutte à goutte, en larges diamants,

Etait comme un nuage à la frange dorée

•Qui flotte entre deux cieux dans une mer pourprée.

Le front d'Evangéline était calme et serein :

Pour elle enfin le ciel ne serait plus d'airain !

L'amour illuminait son âme sans mystère

Ainsi que le soleil illuminait la terre.

Alors dans un bosquet un jeune oiseau moqueur, Le plus sauvage barde et le plus beau chanteur, -Sautant de branche en branche, au bord du gai rivage, Jusqu'au faîte d'un saule au frémissant feuillage, •Se mit à fredonner des ramages si beaux Que les vieilles forêts, les rochers et les eaux •Semblaient, pour l'écouter suspendre leurs murmures. Ses notes scintillaient, ravissantes et pures,

126 ÉVANGÉLINE

Comme un ruisseau de perle à travers des récifs.

■hauts furent, d'abord, douloureux et plaintifs C'était le chant d'amour des âmes délaissa .Mais sa voix s'anima ; ses roulades près» Firent trembler au loin les feuillages touffus : Brillants coups do gosier, éclats, trilles confus. C'était un cri d'orgie, un refrain de délire. 11 parut babiller et s'éclater de rire : A la brise il jeta des accents de courroux ; Il modula Longtemps des sons tristes et doux ; Puis, fendant, dans son vol, l'air avec brusqueri 11 Berna dans le ciel, comme par moquerie, Tous les charmants accords de sa divine VO Au milieu d'un beau joui- il arrive, parfois, Qu'une brise légère, après quelques ondées,

Agite des tilleuls les cimes inond<

El l'ait tomber la pluie, en goutte de cristal,

De rameaux en rameaux, jusques au fond du val.

ÉVANGÉLINE 127

Ainsi l 'oiseau-moqueur, s'envolant des ramures,

Fit pleuvoir, sur les bois, ses chants et ses murmures.

Bercés par leur espoir et par ces doux accords Bientôt les voyageurs longent les riants bords De la Tèche qui coule au milieu des prairies. Par-dessus les forêts et les plaines fleuries Une blanche fumée ondule dans les airs. Ils entendent bientôt les sons lointains et clairs D'un cor qui va troubler les échos des rivages, Et les mugissements des bœufs dans les pacages.

III

Au bord de la rivière, en un charmant endroit. Paisible et retiré s'élevait l'humble toit

128 ÉVANGÉLINE

Dont les proscrits, de loin, avaient vu la fumée.

Un chêne l'ombrageait; la mousse parfum

Et le gui merveilleux qu'aux fjte3 de Noël

Venait couper, selon le rite solonnel,

Avec la serpe d'or, le Druide mystique,

Grimpait légèrement le long du chêne anti

ii était celui d'un Pâtre déjà vieux. Dn jardin l'entourait, fleuri, luxurieux. Et parfumant les airs d Derrière le jardin se déroulaient les chaumes, Et les champs veloutés, mbres for

La maison était faite en beau bois de cyprès : Des poteaux élégants portaient la gal< Et la vigne légère, et la irie,

Que venait caresser l'oiseau-mouche coqu< Ornaient chaque poteau d'un odorant bouquet. Au bout de la maison du pâtre solitaire, Parmi L'épais feuillage el les fleurs du par:

ÉVAXGÉLINE 129

Etaient la ruche active et le doux colombier, L'abeille travailleuse et l'amoureux ramier.

Ces lieux étaient plongés dans un calme sublime. Les rayons du soleil reluisaient sur la cime Des arbres orgueilleux qui frangeaient l'horizon ; Mais les ombres déjà planaient sur la maison. La fumée, en sortant des hautes cheminées, Semait d'orbes d'azur, de vagues satinées, L'air tranquille du soir, le ciel sombre et serein. Derrière la maison, et partant du jardin, Un sentier conduisait aux grands bosquets de chêne Qui semblaient un rideau d'émeraude et d'ébène. Plus loin que la rivière, au fond du vaste champ flottaient les regards d'un beau soleil couchant, Les arbres inondés de lumières lointaines, Immobiles, debout dans ces tranquilles plaines,

130 ' ÉVANOKLINK

Leurs rameaux recourbés, ressemblaient aux vaisseaux Qu'un calme désolant enchaîne sur les eaux.

Sur un cheval sellé qui hennit et folâtre.

Au bord de la forêt, on voit venir le pâtre.

Il revêt un pourpoint t'ait de peau de chevreuil -

Sa figure bronzée a presque de l'orgueil ;

Son œil étincelant se lève et se promène,

Satisfait et ravi, sur la suMinic scène-

Que le soir, sous les cieux, déroule lentement.

Près de lui ses troupeaux broutent paisiblement

La pointe du gazon et la feuille moelleuse,

Et savourent, joyeux, la fraîcheur vaporeuse

Qui B'élève des flota et sur les près s'epand. A l'un (h- SCS CÔtés un cor de cuivre pend.

11 le prend et le porte a sa bouche puissante : Le cuivre retentit, ci sa voix frémissante

ÉVANGÉLINE 131

Fait résonner, au loin, l'air sonore du soir. Soudain à ce signal, dans le champ, on put voir Les taureaux attentifs lever leurs cornes blanches Au-dessus des buissons et des légères branches Comme des flots d'écume au-dessus des cailloux. En silence, d'abord, ouvrant leurs grands yeux roux, Pendant quelques moments ils s'entre-regardèrent ; Bientôt, comme un nuage, ils se précipitèrent En beuglant, tous ensemble, à travers le gazon. Alors le pâtre heureux revint à la maison.

Mais comme il arrivait sur son cheval superbe En suivant le sentier qui serpentait dans l'herbe, Il vit venir vers lui, marchant avec lenteur, La vierge souriante et l'auguste pasteur, Saisi d'étonnement et transporté d'ivresse, Il saute de cheval avec grâce et prestesse,

132 ÉVANQÉLINE

Et court au-devant d'eux en leur ouvrant ses bras. Les voyageurs, d'abord, ne Le connaissent pas; Se demandent entre eux quel est cet aimable hôte, Va BOnt heureux d'avoir abordé cette côte. Mais leur incertitude au plaisir a cédé ; Comme un vase trop plein leur cœur a débord< Sous Les traita rembrunis de ce vieux pâtre agile Leurs yeux ont reconnu le forgeron Basile ! Bien doux furent alors les Longs embrassemenl Bien doux les gais propos et Les épanchements Des pauvres exilés sur la rive étrangère !

La peine de l'exil alors parut légère !

Basile conduisit au milieu d'un jardin Ces amis que Le ciel lui redonnait soudain. Lt Là, parmi les fleurs nouvellement éclos' Ensemble on s'entretint de mille et mille e

ÉVANGÉLINE 133

On parla du présent, niais surtout du passé : Et plus d'un long soupir vers le ciol fut poussé ! Et' pendant que la bouche essayait de sourire Dans le regard voile plus d'un pleur vint reluire !

La vierge, cependant, à travers le bosquet

Promenait, en silence, un regard inquiet ;

Son cœur était ému, son âme était en peine :

Elle n'entendait point la voix mâle et sereine

De l'être bien-aimé qu'elle espérait revoir !

Basile soupçonna bientôt le désespoir

Qui couvait dans le cœur de la jeune proscrite,

Et lui-même il sentit une angoisse subite.

Il rompit, en tremblant, le silence aussitôt :

" N'avez-VOUS rencontré nulle part un canot ?

" Du lac et des bayous il a suivi la route :

" Gabriel le conduit : vous l'avez vu, sans doute ? "

134 ÉVANGÉLINE

A cos mois que Bazile aux proscrits adressa

Sur le iront de La vierge un nuage pasa

Son œil noir se remplit d'une Larme brûlante,

Puis elle s'écria d'une voix déchirante :

" Gabriel, ô mon Dieu ! Gabriel est parti !

Son cœur dans le chagrin parut anéanti,

El Les échos du soir, tour à tour murmurèrent :

■• Gabriel est parti ! " Les exilés pleurèrent.

Le vieux pâtre Basile avec bonté reprit :

•■ Ne Laisse point le trouble agiter ton esprit :

•• Sèche tes pleurs amers ; (.Mitant, reprends couraj

" Gabriel n'est pas Loin de notre heureux rivage :

" Ce n'est que ce matin qu'il est parti d'ici,

•• Le sot ! d'avoir laissé nos demeures ainsi !

''Toujours triste et îvvciir. maladif et débile,

" 11 était devenu d'une humeur difficile ;

" Jl haïssait Le monde et n'endurait que moi ;

•• 11 ne parlait jamais, ou bien parlait de toi.

ÉVANGÉLINE 135

41 Dans Les cantons voisins aucune jeune tille

-': Ne semblait, à ses yeux, vertueuse ou gentille :

•" Aussi leur devint-il un objet de terreur.

" Je résolus enfin, mais non pas sans douleur,

■" De le laisser partir pour un lointain voyage.

*< Il doit se procurer, dans un petit village,

" Des mulets espagnols aux pieds sûrs et mordants ;

*< Il doit suivre, de là, sous des cieux moins ardents,

'• Les sauvages du nord dans leurs forêts profondes ;

•" Il veut chasser, partout, le castor dans les ondes,

*' Et la bête féroce au fond des bois épais.

" Calme-toi mon enfant, et goûte encor la paix ;

" Nous saurons retrouver cet amant téméraire.

-• Son perfide canot a le courant contraire.

" Demain nous partirons sitôt que le matin

'• Versera sur les eaux un reflet incertain :

■" Graiment nous voguerons sur la vague irisée.

" Près des bords scintillants sous la molle rosée ;

136 ÉYAHOtLIMl

" Nous rejoindrons bientôt l'amoureux déserteur, " Et le ramènerons confus de son bonheur ! "

Alors, on entendit des voix vives et gaies : On vit des jeunes gens franchir les vertes haies Qui bordaient la rivière auprès de la maison : Ils portaient en triomphe, à travers le gazon, Michel, le vieux chanteur, le vieux barde rustique. Dispensant aux mortels le chant et la musique ; N'ayant d'autres soucis «pie d'égayer le- cœurs ; •Que de mêler, parfois, quelques souris aux pleurs, Le vieux Michel semblait un des dieux de la fable. 11 était renommé pour sa manière affable, Pour ses cheveux d'argent et pour son violon. " Vive le vieux Michel, notre gai compagnon !

( Yierent à la f irtant les saules,

Les gars qui le portaient sur leurs fortes épaul

ÉVANGÉLINE 137

Et le père Félix aussitôt se levant

Les salua de loin et courut au devant.

En tombant dans les bras du vénérable prêtre,

Le ménestrel sentit, dans son âme, renaître

Les transports ravissants d'un âge plus heureux ;

Il se mit à pleurer. Des souvenirs nombreux

A ses esprits émus alors se présentèrent ;

Et, vers les temps enfuis, ses pensera remontèrent ! .

La vierge vint baiser ses nobles cheveux blancs.

Il la prit dans ses bras, dans ses vieux bras tremblants,

Et mouilla son front pur de ses brûlantes larmes.

La pauvre Evangéline, elle avait bien des charmes

Quand il la fit danser, pour la dernière fois,

Avec son Gabriel et les gais villageois,

Au son du violon, sous le ciel d'Acadie !

Il la trouvait peut-être, à présent enlaidie,

Car elle avait perdu les roses de son teint.

Et sa joue était creuse et son regard éteint :

138 ÉVANGÉLINE

-Mais plus beau (pic jamais était sou noble cœur,

Eprouvé Longuement au creuset du malheur !

Les proscrits Acadiens (pic le hasard rassemble,

Assis dans Le jardin, s'entretiennent ensemble Du bonheur qu'ils goûtaient au rivage natal. Des maux qu'ils ont soufferts depuis L'arrêt fatal. Jls admirent pourtant l'existence tranquille Que passe à L'étranger Leur vieil ami Basile ; Ils ('coûtent Longtemps, avec avidité, Le récil qu'il leur t'ait de la fécondité De ces prés sans contins dont la grasse verdure Nourrit mille troupeaux errant a L'aventure. Et quand l'ombre du soir obscurcit l'horizon Ils revinrent gaîment causer dans la maison fut servi, sans pompe, un souper confortable.

JLc bon père Félix, debout près do la table,

ÉVANGÉLINE 139

Eécite à haute voix le Benedlcite.

Et chacun dit : " Amen," avec humilité.

Mais la nuit, cependant, sur cette fête heureuse Etendit, tout à coup, son aile ténébreuse. Tout était, au dehors, calme et tranquilité. Donnant au paysage un éclat argenté La lune se leva souriante et sans voile, Et monta dans l'azur se berçait l'étoile. Sous le toit de Basile, aux vifs scintillements, Dont la lampe irisait les grands appartements, Les visages joyeux des honnêtes convives Semblaient s'illuminer de lumières plus vives Que les astres perdus dans l'or du firmament. Le pâtre réjoui versait abondamment, Dans les vases profonds, le doux jus de la vigne. Aux siècle de la fable il aurait été digne

140 ÉVANGÉLINE

De verser le nectar à la table des dieux.

Après qu'il eut fini sou souper copieux

Il alluma sa pipe et parla de la sorte :

" Oui, vous tous, nies amis, qui frappez à ma porte

" Après avoir erré sous des ci eux inconnus,

" Je vous le dis encor : Soyez les bienvenus !

" L'âme du forgeron ne s'est pas refroidie !

" Il se souvient toujours de sa belle Aeadie

" Btde l'humble maison qu'il avait à Grand Pré!

" Pour lui le malheureux est un être sacré !

" Demeurez près de moi dans ces fertiles plainnes :

" Le sang ne i^èle point dans nos bouillantes veines

" Comme gèle, en hiver, les rivières chez nous !

•■ Nul cailloux dans le sol n'excite le courroux

il Du laboureur actif qui tous les jours promène

11 Le soc dur et tranchant a travers son domaine,

-• Gomme un marin conduit son esquif sur les eaux.

•• On ne voit pas tarir nos limpides ruisseaux ;

ÉVANGÉLINE 141

" Dans toutes les saisons les orangers fleurissent,

" Et les fruits les plus doux dans nos vergers mûrissent ;

" Des flots de blonds épis roulent sur les guérets

" Et les bois précieux remplissent les forêts.

" Au milieu de nos prés on voit sans cesse paître

" De sauvages troupeaux dont chacun est le maître.

" Quand nos toits sont debout au milieu des moissons ;

" Que nos grasses brebis, aux épineux buissons,

" Accrochent, en passant, leurs blancs flocons de laine ;

" Que d'un foin parfumé chaque grange est bien pleine '

" Que, dans les prés en fleurs, les taureaux lourds et gras

" Paissent tranquillement ou prennent leurs ébats,

" Nul roi Georges ne vient, par d'infâmes apôtres,

" Sans honte nous ravir et les uns et les autres ! "

Le vieux Pâtre à ces mots fit, dans sa noble ardeur

Jaillir de sa narine un souftle de fureur.

Et frappa, de son poing, la table de mélèze.

Ses compagnons surpris bondirent sur leur chaise,

142 ÉVANOÉLINE

Et le père Félix oublia, cette fois,

La prise de tabac qu'il tenait dans ses doigts.

Mais il reprit bientôt, le souris sur les Lèvres :

" Défiez-vous, pourtant, défiez-vous des fièvres :

" Elles sont bien à craindre en ces brûlants climats.

" Comme dans l'Àcadie on ne les guérit pas

a En mettant à son cou. pendant une journée,

'■ l ne ('cale de noix avec une araignée/'

Pendant que les amis causaient tranquillement, J>es pas sur l'escalier montèrent lentement : Et l'on ouït aussi d'indistinctes paroles. ("étaient des invités : quelques pâles créoles

El quelques Acadicns devenus des planteurs. Loin du joug odieux de leurs persécuteurs, Sur le sol fortuné qui leur offrit asile. Ils venaient visiter leur bon ami Basile,

ÉVANGÉLINE 143

Plusieurs avaient connu, dans le bourg de Grand Prér

La jeune Evangéline et le pieux curé.

Quelles ne furent pas, sous le toit du vieux pâtre.

De tous ces exilés réunis au même âtre

La joie et la surprise, en serrant sur leur cœur,

Ces amis d'autrefois que le même malheur

Avait disséminés sur de lointaines plages !

Un reflet de bonheur éclaira les visages,

Et le ciel fut témoin d'un spectacle émouvant ;

Ceux qui ne s'étaient pas connus auparavant,

Echangèrent entre eux des vœux doux et sincères :

Partout, il est bien vrai, les malheureux sont frères.

Un son mélodieux, une vibration Suspendit, tout à coup, la conversation. Michel, le troubadour, aux longs cheveux de neige Et les gais jeunes gens qui lui faisaient cortège,

144 ÉVANGÉLINI

tenaient de s'assembler dans un autre salon.

Et le barde accordait son vibrant violon.

Bientôt les pieds bridants t'ré missent eu eaden-

Sous les lambris de cèdre une Légère danse

Fait gaîment onduler ses orbes gracieux.

Un éclair de plaisir inonde tous les yeux ;

Un sourire charmant sur les lèvres se joue ;

Un brillant incarnai colore chaque jonc ;

On chuchotte, en riant, des mots pleins de douceur ;

La main presse la main et le cœur parle au cœur !

l>a danse, sans repos, taisait vibrer la dalle. à l'un des bouts de la bruyante salle Basile et le pasteur parlaient, les yeux ba De leur ami Benoît qui les avait laissés j Tandis qn'Evangéline, en proie aux rêveries. Promenait ses regard* sur le sein des prairies.

ÉVANGÉLINE 145

BLn de tristes pensers et de chastes désirs

S'éveillaient dans son âme au bruit de ces plaisirs !

Les propos éveillés, la danse et la musique

La rendaient plus pensive et plus mélancolique.

Elle croyait alors ouïr les grandes voix ,

De l'océan plaintif ou des immenses bois.

Elle sortit sans bruit. La nuit était charmante,

Le vent ne soufflait point, et la lune dormante

Semblait s'être arrêtée au bord de la forêt,

Et recouvrir les troncs d'un lumineux duvet.

A travers les rameaux, sur la calme rivière,

Tombait, de place en place, un réseau de lumière,

Comme tombe un penser d'espérance et d'amour

Dans l'esprit qui se trouble et qui se ferme au jour.

Chaque fleur autour d'elle, ouvrant son brillant vase,

Sa corolle d'argent, sa coupe de topaze,

Exhalait, vers le ciel, humblement et sans bruit,

Un suave parfum sur l'aile de la nuit :

146 ÉVANGÉLINE

Et c'était sa prière au puissant et boD Maître Qui veillait sur ses jours après l'avoir t'ait naître. Biais L'âme de la vierge élevait vers les cieiu Un arôme plus pur et plus délicieux Que celui qu'épanchait la fleur de la prairie ; Et moins qu'elle pourtant la fleur était flétrie !

Elle se dirigea vers le fond du jardin :

Combien d'émotions troublaient son chaste sein !

La lune qui noyait les bois, l'onde et le sable,

Semblait, d'une Langueur morne, indéfinissable,

Noyer aussi son âme. Alors tout se taisait

Et dans l'immense plaine, au loin, tout reposait.

Hors les mouches-à-feu, vivantes étincelles,

Qui tournoyaient dans l'air sur leurs rapides aile-,

E2t trahissaient leur vol par un sillon de feu.

Au-dessus de ><>n front, dans Le fond du ciel bleu,

ÉVANGÉLINE 147

Scintillaient vivement les étoiles paisibles, Pensers du Tout-Puissant à tous rendus visibles. L'homme n'admire plus ces merveilles de Dieu ; Seulement, il a peur quand il voit au milieu De ee temple étonnant qui s'appelle le Monde, Passer une comète étrange et vagabonde, Comme une main de flamme écrivant un arrêt L'âme d'Evangéline, humble et souffrante, errait Dans les champs infinis rayonne l'étoile, Comme au milieu des mers une barque sans voile. La vierge s'écria : (i Gabriel ! Gabriel ! " mènes-tu tes pas ? te conduit le ciel ? " N'entends-tu pas, ami, ma voix qui se lamente ? " ]STe devines-tu point que tu fuis ton amante ? " Je te cherche partout, nulle part ne te vois ! " J'écoute tous les sons et n'entends point ta voix ! " Oh ! que de fois ton pied, solitaire et morose, " A foulé ce chemin que de mes pleurs j'arrose !

148 ÉVANGÉLINE

■• A L'ombre de ce chêne, oh ! que de fois, le soir, -• Fatigué <lu travail, es-tu venu t'asseoir, u Pendant que Loin de toi, but La mousse endormie, *• En rêve te voyait ta malheureuse amie !

" Que de t'ois sur ers prés ton anxieux regard •• Erra comme le mien, vers Le soir, au hasard ! " Gabriel ! Gabriel ! oh! quand te reverrai-je ? "Quand donc mon bien-aimé, quand te retrouverai-je ? Alors, elle entendit gazouiller tout auprès, Un jeune engoulevent juché Bur un cyprès. Son chant mélodieux comme un soupir de flûte. Ondula, sous les bois, comme Fonde qui Lu Contre Les chauds baisera dv> brises du matin, Et, d'échos en échos, mourut dans le lointain.

L'aube du jour suivant fut sereine et riante ; Les plantes se berçaient sur leur tige pliante.

ÉVANG^LINE 149

La rosée émaillait le gazon de ses pleurs,

Et dans l'air attiédi les orgueilleuses pleurs,

Eépandaient les parfums de leur coupe d'albâtre.

Le prêtre sur le seuil de la maison du pâtre

Bit à ceux qui partaient : " Mes bons amis, adieu !

" Je vais, priant pour vous, vous attendre en ce lieu.

" Ramenez-nous bientôt le prodigue frivole ,

" Ramenez-nous aussi la jeune vierge folle

" Qui dormait sous les bois quand l'époux est venu."

Adieu ! mon père, adieu ! dit d'un air ingénu,

Au bon père Félix, la vierge humble et débile ;

Puis elle descendit, avec le vieux Basile,

Au bord de la rivière plusieurs canotiers

Les attendaient assis sous d'épais noisetiers.

Ils partirent. L'espoir encourageait leur âme.

Le matin rayonnait au fond de chaque lame.

Docile aux avirons, le rapide canot

S'éloigna du rivage et disparut bientôt.

150 ÉVANGÉLINE

Ils poursuivaient en vain, dans leur course obstinée,

Celui que devant eux chassait la destinée

Comme une feuille morte an milieu des déserts,

Comme un duvet d'oiseau dans le vague des airs !

Cependant le jour fuit ; un autre, un autre encore !

Au coucher du dernier pas plus qu'à son aurore

Ils n'ont pu découvrir la trace du fuyard.

Ils ont en vain couru, longtemps, de toute part,

Les fleuves, les forets, les lacs et leurs riva-..

Et, pour franchir ainsi ces régions sauvages,

La vierge défaillante et les vaillants rameurs

N'ont eu pour ee guider que de vagues rumeurs.

.Mais toujours sur les flots le léger canot vole.

Ils arrivent enfin dans la ville espagnole

Gabriel devait acheter des mulets.

Le jour dorait le ciel de ses derniers reflets.

Ils descendent, lasses, dans la première auberge.

Loquace et babillard l'hôte qui les héberge

ÉVANGÉLINE 151

Leur raconte aussitôt que, la veille au matin,

Un jeune homme du sud : œil noir, cheveux châtain,

Front noble et soucieux, regard plein de finesse,

Un jeune homme appelé Gabriel Lajeunesse,

Etait parti du bourg avec ses compagnons

Pour courir la prairie et chasser les bisons.

IV

Bien loin à l'occident sont d'immenses campagnes, Désertes régions de hautes montagnes Elèvent vers le ciel leurs sommets recouverts, «Sous le souffle glacé des éternels hivers, D'une neige éclatante et d'une glace épaisse. De place en place, un roc se déchire et s' affaisse Pour ouvrir une gorge, un ravin périlleux passent, en criant sur leurs âpres essieux,

152 ÉVANOÉLINE

Les pesants chariots de quelque caravane. Au couchant l'Orégon roule une eau diaphane ; Do cascade en cascade, au loin vers le levant, Le joli Nebraska verse sou flot mouvant ; Vers le ciel du midi maintes larges ri vie r- Charriant, sans repos, les sables et les pierres, Dans leurs lits balayés par le veut des déserts, Coulent vers l'océan avec des bruits divers Comme les sous d'un orgue ou d'une étrange lyre Qu'une main tait vibrer dans un pieux délire. Bntre les flots d'azur de ces nombreux torrents

Qui dirigent leurs cours vers des cieux différents, Se déroulent sans tin les superhes prairies, Océan de gazon, mers ou plaines fleuries Qui roulent sous le vent, et bercent au soleil, La ;<»('. le foin vert r\ lamorphas vermeil. La, tiers ou COUITOUCés, BUT les flots de verdure, !>••> troupeaux de bisons errent à l'aventure ;

ÉVANGÉLINE 153

courent les chevreuils et les souples élans,

Les sauvages chevaux avec les loups hurlants ;

s'allument des feux qui dévorent la terre ;

des vents fatigués soufflent avec mystère ;

Les sauvages tribus des enfants d'Ismaël

Arrosent ces déserts d'un sang chaud et cruel,

Et l'avide vautour, hâtant ses ailes lentes,

En tournoyant dans l'air, suit leurs pistes sanglantes,

Comme l'esprit vengeur des vieux chefs massacrés

Qui gravit le ciel par d'invisibles degrés.

De place en place on voit s'élever la fumée

Au-dessus de la tente la horde affamée

Fait bouillir, en dansant autour du grand brasier,

Dans un vase de pierre, un chevreuil tout entier.

Et d'espace en espace, au bord des fraîches ondes

Qui sillonnent au loin ces retraites fécondes,

S'élève un vert bosquet l'oiseau va chanter.

Et l'ours sombre et morose, en grognant, vient hanter

154 ÉVANGÉLINK

Le flanc d'un rocher noir. Le fond d'une ravine sa griffe déterre une amère racine. Puis au-dessus de tout, limpide, radieux. Comme un toit protecteur se déroulent les cieux.

Mais déjà Gabriel le chasseur intrépide

Avait franchi ces lieux dans sa course rapide ;: B2< prèfl des monts O/arks au flanc aride et nu Avec ses compagnons il était parvenu. Et depuis bien des jours le vieux pâtre et la vierge;

Avaient quitté la ville et la petite auberge L'hôtelier leur dit Le dépari du trappeur. Toujours encouragés par un espoir trompeur,

Avec des Indiens au visage de cuivre.

étaient mis en route em] le suivra

Parfois ils croyaient voir, à L'horizon lointain. S'élever vers le ciel, dans l'air pur du matin,

ÉVANGÉLINE 155

De son camp éloigné la fumée ondulante :

Le soir, ils ne trouvaient, sous la cendre brûlante,

Que des brasiers éteints et des charbons noircis.

Quoique bien fatigués et rongés de soucis

Ils ne s'arrêtaient pas, et, sans perdre courage,

Ils poursuivaient plus loin leur pénible voyage.

Comme si quelque fée au pouvoir merveilleux

Avait cruellement étalé sons leurs yeux

Ces mirages menteurs, cette ombre enchanteresse,

Qu'on croit toujours saisir, qui s'éloignent sans cesse.

Comme ils étaient un soir tous dans leur campement,

Assis autour du feu, parlant tranquillement ;

Ils virent arriver une femme sauvage :

Le chagrin se peignait sur son pâle visage ;

Mais on voyait briller, dans son œil abattu,

Une force étonnante, une grande vertu.

156 ÉVANGÉLTNK

C'était une Shawnee. Bile allait aux montagnes. Rejoindre ses parents et ses jeunes compagnes Qu'elle avait quitter pour suivre son époux A la chasse aux castors, aux ours, aux caribous, Jusqu'aux lieux l'hiver étend son aile blanche.. Mais elle avait vu, là, le féroce Canianehe. Enivré de fureur, du tomahawk arme Massacrer, sous ses yeux, son mari bien-aimé, Un fier Visage-Pâle, un Canadien paisible. Aucun des voyageurs ne parut insensible Au récit de la femme, à son affliction ; Us lui dirent des mots de consolation, Et la firent asseoir à leur table modes Quand la braise eut doré le chevreuil gras et leste

Lassés du poids du jour et du poids des ennuis, Quand le repas lut fait, que le voile des nuits

IÉVANGÊLINE 157

Eut ouvert, sous le ciel, ses grands replis humides, L'exilé d'Acadie et ses sauvages guides Livrèrent au repos leurs membres fatigués. Pendant que les reflets capricieux et gais Du brasier allumé dans la vaste prairie Jouaient sur leur front blême et leur joue amaigrie, Xa Sauvagesse vint, l'âme pleine de deuil, -S'asseoir sur le gazon devant l'agreste seuil De la tente veillait la triste Evangéline, Puis elle -fit entendre à la vierge orpheline, JLe récit douloureux de ses derniers malheurs. Elle lui répéta, les jeux noyés de pleurs, Et de cette voix grave, humble et mélancolique Qui distingue partout l'enfant de l'Amérique, •Sa première espérance et ses félicités, .Son amour, son hymen et ses adversités ; Comme elle avait de joie et de peur d'être mère, 33 1 plaignait son enfant de n'avoir point de père !

158 ÉVANUÉLINK

Evangélinc, émue à ces tristes discours.

Donna, pendant longtemps, à ses pleurs libre cours.

Elle voyait près d'elle une autre infortunée,

Une femme aux chagrins comme elle destinée ;

Un cœur brûlant d'amour déçu, blessé, flétri,

Et privé pour jamais de son objet chéri.

Les liens du malheur unirent ces deux femmes,

Et d'intimes rapports enchaînèrent leurs âmes.

La vierge d'Acadie à la femme des bois

Dit aussi ses douleurs et dopais quels Longs mois

Bien loin de sa patrie elle était exilée.

Et la femme des bois, la figure voilée,

L'écoutait en silence, assise à quelques pas.

Ses yeux étaient de flamme ; elle ne pleurait pi

Quand la vierge eut fini son histoire pénible L'Indienne resta sombre, morne, insensible.

ÉVANGÉLINE 159

«Comme si la terreur eut frappé son esprit : Mais un moment après, tressaillante, elle prit Dans ses deux frôles mains les mains d'Evangéline. Puis assise à ses pieds dans l'ombre et la bruine, Elle lui répéta l'histoire de Mowis, Piancé de la neige et brillant comme un lis, •Qui s'étant fait chérir d'une vierge encor pure Une nuit partagea sa couche de verdure, Et du discret wigwam sortit soudainement Quand le rayon du jour dora le firmament ; Qui pâlit, se fana, se fondit comme une ombre, Aux baisers du soleil qui chassait la nuit sombre. .Son amante abusée, en proie à ses regrets, Xe suivit, en pleurant, jusqu'au bord des forêts, Tendant vers lui ses bras pour retarder sa fuite. Sans reposer sa voix elle redit ensuite, Avec le même accent et si doux et si beau, Comment, pendant la nuit, la belle Lilinau,

160 ÉVANGÉLINE

Imprudente, et parfois Légère DD sa conduite, Par un méchant fantôme avait été séduite, in tome venait, vers le déclin du jour. Se cacher dans les pins qui voilaient le séjour DeLilinau la vierge au iront ceint de liane : Et, Lorsqu'elle passait le seuil de sa cabane, J)e sa noire retraite il sortait pour la voir. Tl soupirait d'amour comme Le vent du soir. Et murmurait tout bas de bien tendres paroles. Lilinau, se liant à ces propos frivoles. Rechercha sa présence et l'aima tendrement. Chaque soir il venait vers elle constamment. En caressant, un jour, bos verdoyantes plumes Elle suivit son vol à travers bois et brumes. On ne la revit plus. Sa tribu la chercha ; Mais personne jamais, sans doute, n'approcha Du gîte <>ù L'enchanteur la retenait captive. Toujours Evangéline écoutait, attentr

ÉVANGÉLINE 1G1

Los contes merveilleux do la femme des bois.

Et les sons lents et doux de sa magique voix.

Elle s'imaginait être au loin transportée

Au splendide horizon d'une terre enchantée.

Vers des cieux inconnus son cœur prenait l'essor.

La lune se leva comme une boule d'or

Sur les pics dentelés de l'Ozark aux flancs chauves,

Sa mystique lueur glissa dans les alcôves.

Les voûtes, les arceaux des lointaines forêts.

Et des gîtes cachés elle vit les secrets.

La tente de la vierge apparaissait plus blanche ;

La mousse et le roseau, le gazon et la branche,

Exhalaient des soupirs longs et mystérieux ;

Lq^ ruisseaux murmuraient des bruits harmonieux

Et de tièdes zéphirs volaient sur les prairies.

La vierge abandonnait aux douces rêveries

Son esprit enivré, son cœur toujours aimant.

Mais une vague horreur, un noir pressentiment

162 tVANGÉLINI

Se glissaienl dans son âme et troublaient son ivresse, Comme un serpent impur se glisse avec adresse, Etoulanl ses orbes froids sous les buissons épais,

Dans le nid du moineau dont il trouble la paix. Ce triste sentiment n'était point do la terre.

.De célestes esprits semblaient, avec mystère. Lui souffler leurs secrets dans l'air calme des nuits. Elle sentit soudain redoubler ses ennuis. Quelque chose lui dit dans un secret langage, Que, pareille en sa course à la vierge sauvage, Elle aussi poursuivait un fantôme menteur. .Mais bientôt un sommeil calme et réparateur, Versant sur sa paupière un merveilleux arôme, Chassade son esprit la crainte et le fantôme.

Aussitôt qu'apparut l'aube du lendemain Les royageurs, dispos, reprirent leur chemin

ÉVANGÉLINE 163

Avec eux s'éloignait la plaintive Shawnée,

Jeune et pourtant au deuil à jamais condamnée.

Elle dit à la vierge : " Ecoute-moi, ma sœur,

" Je connais tous ces Lieux comme le vieux chasseur,

" Sur le flanc de ces monts l'aigle a fait son aire,

i: Le flanc que le soleil en se couchant éclaire,

" Est assis un village, une humble mission

" reste un homme blanc comme ta nation :

" C'est le chef du hameau ; c'est une Kobe-noire.

': Son souvenir toujours sera dans ma mémoire,

" De son peuple souvent j'ai vu le tendre cœur

" Eclater de plaisir ou saigner de douleur

*' Pendant qu'il lui parlait de la vie éphémère.

" De l'aimable Jésus et de sa bonne mère."

Et la vierge aussitôt dit à ses compagnons :

l- Si nous changeons de route et si nous atteignons

" Le bourg que ce mont semble enlever sur son aile,

" Peut-être aurons-nous quelque bonne nouvelle."

164 ÉVANGÉLINE

A peine eut-elle (lit que les aventuriers Guidèrent vers les monts Leurs rapides coursiers. Quand le soleil entra dans son lit de nuée La troupe voyageuse, ardente et dénuée, Détourna la montagne et découvrit au loin Une grasse prairie moutonnait le foin, serpentaient Les eaux d'une vive fontaine. Elle entendit chanter plus d'une voix Lointaine, El vit le groupe gai des tentes des chrétiens

Unis dans ces déserts par de sacrés Liens.

Sous un chêne orgueilleux dont L'antique feuillage De son ombre voilait les tentes d u village, Etaient agenouillés, avec soumission. Le peuple et le pasteur de L'humble mission. Voilé par une vigne un crucifix de marbre Avait été fixé dans L'écorce de l'arbre

Et semblait reposer un regard triste et doux

Sur les pieux chrétiens tombés à ses genoux,

A travers les rameaux du chêne solitaire

La prière et le chant s'élevaient de la terre

Et montaient vers les cieux comme un divin encens.

Les voyageurs, touchés de ces pieux accents,

S'avancèrent sans bruit, la tête découverte,

8e mirent à genoux sur la pelouse verte,

Et prièrent longtemps avec dévotion.

Quand le prêtre eut donné la bénédiction

Qui tomba de sa main sur la foule attendrie

Comme le grain de blé tombe sur la prairie

De la robuste main de l'actif moissonneur.

11 s'avança vers eux sollicitant l'honneur

De les avoir longtemps pour hôtes dans sa tente.

Basile, un peu confus, d'une voix hésitante,

L'assura d'un respect profond et filial.

En entendant parler son langage natal

1GG ÉVANCÉLINK

Au milieu de ces monts, de ces forêts sauvages, Qae n'éveillent jamais que les grossiers langages

ignares tribus qui peuplent ers déserts, Ou des ours et des loups les discordants concerts, Le prêtre catholique eut une grande joie. Bll suivant un sentier la verdure ondoie. [1 guide à son wigwam les voyageurs lass Puis il les l'ait asseoir sur des rameaux cas Recouverts de la peau de riche bête fauve ; Et, signanl de la croix son front auguste et chauve. Il partage avec eux ses gâteaux de maïs. Mets de tous les repas dans ces lointains pays. A chacun à son tour, en souriant, il passe,

Pleine d'eau jusqu'au bord, sa vieille calebasse.

Bientôt les voyageurs disent, en peu de mots, Le but de leur voyage et leurs pénibles maux.

IÉVANGÉLINE 167

c prêtre leur répond d'une voix solennelle : " L'aube n'a pas six fois aux cieux tendu son aile, " Le soleil ne s'est point six fois non plus enfui, " Depuis que Gabriel, des trappeurs avec lui, " S'est assis sur la natte la vierge est assise. " Pour se rendre à mes vœux, d'une voix indécise " Il me dit longuement son funeste destin, " Puis il continua son voyage lointain." La voix du vieux pasteur était bien onctueuse : C'était le doux écho d'une âme vertueuse. La vierge, cependant, sentait faiblir son cœur ; Chaque mot lui semblait éloigner le bonheur, Et tombait lourd et froid dans son âme tremblante, Comme durant l'hiver la neige ruisselante Tombe dans un chaud nid d'où s'est enfui l'oiseau. " Il va chasser au nord dans un pays nouveau," Continua le prêtre, " et l'automne prochaine, li II revient avec nous prier sous le grand chêne."

168 ÉVAN(iÉLIXE

Bvangéline, alors, dit à l'humble pasteur D'une voix suppliante el pleine de candeur : ' " Mon père, permettez qu'en ce lieu je demeure •; Pour attendre l'époux ou bien ma dernière heur Le bon prêtre touché de l'ardeur de ses feux, Se vendit aussitôt à ses suprêmes VGBUX.

Le lendemain matin, revêtu de son aube, Le prêtre dit la messe à la clarté de l'aub» Va quand fut consommé l'holocauste divin, Basile fil seller son coursier mexicain. Puis il s'achemina vers ses lointains rivaj N'ayant plus avec lui que ses guides sauvages.

Les jours se Succédaient lentement. lentement

Le maïs parfumé qui semblait seulement

ÉVAXGÉLÏNE Un verdoyant duvet répandu sur la terre. Quand la vierge arriva dans le bourg solitaire. Balançait maintenant ses longs épis dorés Que les feuilles ceignaient de leurs tissus serrés. On épluchait déjà dans l'amour et la joie. Les épis couronnes d'une aigrette de soie. Les vierges rougissaient quand leur petite main Dépouillaient des épia aux graines de carmin. Les vierges rougissaient et cachaient leur visage, En riant, en secret, de l'amoureux présage , Elles riaient encore à chaque épi tortu. L'appelaient un voleur dans les blés descendu. Sans pitié le jetaient au loin avec rudesse. Auprès d'Evangéline étrangère à l'ivresse Alors nul blond épis n'amena Gabriel. Le prêtre lui disait : '; Lève toujours au ciel Un cœur plein de foi vive, une humide paupière Et le ciel, à la tin, entendra ta prière.

169

170 KVAXGÉLINE

Il est, dans nos déserts, une1 plante au iront pur

Comme l'étoile d'or dans la plaine (Ta/an- ;

Sa fleur mystérieuse an nord toujours s'incline .

une douce fleur que la honte divine Sème, de place en place, en nos prés étendus Pour diriger les pas des voyageurs perdus. Semblable à cette fleur est la Foi dans notre âme. Les fleurs des passions ont bien plus de dictame, Plus de vives couleurs, plus de pompeux éclats : Mais soyons défiants, elles trompent nos pas. Et leur baume suave est, hélas ! bien funeste. Seule ici-bas la Foi, cette plante céleste, Est le guide éclairé de nos pas chancelants : Ensuite elle orne, au ciel, nos fronts étineelants.

Ainsi venaient déjà les beaux jours de l'automne. Ils passèrent pourtant ! Les fruits do leur couronne

ÊVANGÉLINE

Tombèrent, un par un. sur le guéret durci :

Gabriel ne vint pas ! l'hiver s'enfuit aussi ;

Le printemps embaumé s'ouvrit comme une rose ;

L'abeille butina la fleur nouvel-éclose ;

L'oiseau bleu fit pleuvoir sur les feuilles des bois

Les suaves accords de sa joyeuse voix.

Gabriel ne vint pas ! Cependant sur son aile

La brise de l'été portait une nouvelle

Plus douce que l'arôme et l'éclat des bouquets :

Que le frais coloris et l'odeur des bosquets.

" Gabriel le chasseur avait planté sa tente

Au fond du Michigan, sous la voûte flottante.

.Sous les pesants arceaux des antiques forets.

de la Saginaw roulent les flots muets."

Evangéline, enfin rendue à l'espérance,

Oubliant sa faiblesse, oubliant sa souffrance,

Et tout ce qu'a d'amer une déception,

Dit un adieu pénible à l'humble mission.

171

17lî ftVANGÉLINK

Cherchant à fuir ses maux, su triste destinée,

Avec elle partit la fidèle Shawnée. Après avoir Longtemps erré dans le désert ; Après avoir, hélas ! plus d'une t'ois souffert L'aiguillon de la faim et d'une soif acerbe : Après avoir couché, sans nul abri, sur l'herbe, Elle atteignit des bois éloignés vers le Nord, Et de la Saginaw suivit au loin le bord. Un soir elle aperçut, au tond d'une ravine. La tente du chasseur Elle était en ruine !...,

•Sur les ailes du temps .^'envolaient les saisons. La pauvre Evangéline, aux lointains horizons, Ne voyait pas encor le bonheur apparaître. l'n profond désespoir consumait tout son être,

Sous les fous des êtes, les frimas des hivers, Elle traîna sa peine en bien de^ lieu divers.

ÉVANGÉLINK 173

Tantôt on la voyait aux missions moraves. Priant Dieu de briser ses terrestes entraves ; Snv un champ de bataille aux malheureux blessés Tantôt elle portait des secours empressés ; Elle entrait aujourd'hui dans une grande ville, Et demain se cachait dans un hameau tranquille. «Comme un pâle fantôme on la voyait venir, Et souvent de sa fuite on n'avait souvenir. Quand elle commença sa course longue et vainc Elle était jeune et belle, et son âme était pleine De suaves espoirs, de tendres passions : Sa course s'achevait dans les déceptions ! Elle avait bien vieilli ; sa joue était fanée ; Sa beauté s'en allait ! Chaque nouvelle année Dérobait quelque charme à son regard serein. Et traçait sur son front les rides du chagrin. On découvrait déjà, sur sa tête flétrie, Quelques cheveux d'argent, aube d'une autre vie,

171 ÉVANGÉLINE

Aurore donl L'éclat mystérieux el doux Nous dit qu'un nouveau jour va se lever pour nous Comme dans L'Orient L'aube brillante ol vive Annonce à L'univers que le soleil arrive.

Dans cette heureuse terre «le flots azurés La Dolaware arrose, en chantant vais et prés,

élève une ville harmonieuse el fière Qui baigne ses beaux pieds dans la chaude rivière Qui garde avec amour, dans son bois enchanteur, Le vénérable nom de Penn, son fondateur. ! l'air est imprégné d'une douceur extrême :

beauté la pêche est le charmant emblème : 1 onimc un doux écho, chaque v\w a sa voix Qui murmure les noms des vieux arbres des bois,

ÉVANGÉLINE 175

Comme pour apaiser les plaintives Dryades

Dont on a démoli les vertes colonnades.

C'est qu'Evangéline, après ses longs travaux,

Avait enfin trouvé le calme et le repos ;

Et c'est qu'était mort Leblanc, le vieux notaire.

De ses cent petits-fils, quand il quitta la terre,

Un seul vint, un moment, s'asseoir à son chevet.

C'est dans cette cité que la vierge trouvait

Le plus de souvenirs de sa terre natale.

Elle aimait des Quakers l'existence frugale.

Et l'usage charmant de tous se tutoyer :

Cela lui rappelait son antique foyer.

Et sa chère Acadie se traitaient en frères

Les habitants unis dans l'heur et les misères.

Après qu'elle eut fini ses courses ici-bas.

Par un divin instinct, ses pensers et ses pas

8e tournèrent d'accord, vers cette ville altière,

Comme la feuille, au bois, se tourne à la lumière.

176 ÉVANGÉLINÏ

Quand la brise B'élève avec le irais matin

Et chasse les brouillards jusque dans le lointain

Le voyageur assis sur le flanc des montagnes

Voit naître, sous ses pieds, de riantes campagnes,

J)c> longs ruisseaux d'argent frangés de verts rameaux,

I)ç> clochers orgueilleux et d'agrestes hameaux :

Ainsi quand les brouillards s'enfuirent de sou âme,

Bien loin, au-dessous d'elle, en des sentiers de flamme,

Elle vit graviter le monde étincelanl :

Et les sentiers ardus que d'un pas chancelant

Elle avait remontes avec tant de constance

Semblaient courts maintenant, et brillaient a distance.

Cependant Gabriel n'était pas délaissé : La vierge, dans son cœur sous le deuil affaissé Gardait fidèlement son image bénie, Palpitante d'amour, charmante, rajeunie.

1VANGÉLINE

tomme eu ce jour heureux où, la dernière ibis, Assise à ses côtés, elle entendit sa voix ! Les uns n'avaient point pu changer cette figure Qu'elle vit autrefois si placide et si pure ! Pour elle son amant n'avait jamais vieilli : L'absence et le malheur l'avaient môme embelli Il était comme mort, mort à la fleur de l'âge, Dans toute sa beauté, sa force et son courage.

En son exil lointain, sous un ciel étranger, La vierge gémissante apprit à partager L'angoisse du chagrin, les pleurs de l'indigence Elle apprit la douceur, l'amour, la patience. Elle épanchait sur tous sa douce charité Qui ne perdait jamais de son intensité ; Comme ces belles fleurs dont les brillants calices Sans perdre de parfums, ni rien de leurs délices.

178 ÉVANGÉLINI

Répandent dans les airs leurs suaves odeurs. Son cœur brûlait souvent de divines ardeurs ; Elle ne formait pas alors d'autre espérance Que de suivre Jésus avec persévérance.

Elle entra dans un cloître et coupa ses cheveux, Puis au pied des autels elle fit de saints vu'ux.

Bien souvent on la vit dans les coins de la ville vivote la classe indigente et servile ; coulent tant de pleurs ; l'humble pauvreté, Honteuse et sans hal>its. cherche à fuir la clarté la femme malade est sans pain et travaille Pour nourrir ses enfants qui gisent sur la paille ; Bien souvent on la vit. brûlant de charité,

Porter un doux espoir sous 1e toit attristé.

ÉVANGÉLINE 179

Lorsque la foule était vers minuit disparue, Que tout dormait, le guet qui longeait chaque rue. Criant dans la rafale et dans l'obscurité Que tout était tranquille au sein de la cité, Voyait dans le carreau de quelqu'humble mansarde Scintiller les rayons de sa lampe blafarde. Avant qu'à son sommeil l'heureux fut arraché, Le pensif Allemand qui venait au marché Avec fleurs et fruits mûrs dans sa lourde charette, La rencontrait toujours, rentrant dans sa retraite, Après avoir veillé, toute seule en pleurant, Au chevet solitaire .où râlait un mourant.

Sur la ville vint fondre une peste maligne.

Plus d'un présage affreux, plus d'un funeste signe

En avait averti l'orgueilleux citadin.

De sauvages pigeons avaient paru soudain :

180 ÉVANOÉLINÏ

Os sortaient des forets pour toute pâture- Us n'avaient pu trouver qu'une noix Bêche et dure. Leur vol rapide et sombre avait terni le jour. L'insecte sans murmure avait fui son séjour.

Ainsi que dans les mois d'avril et de scptemlire..

Sur les champs émaillés et tout parfumés d'ambrey

L'océan pousse un flot qui monte, monte eiieor. Jusqu'à ce que le pi".' soit lui-même un htc d'or :

De même, franchissant sa borne aecoutum L'océan de la mort but la plaine embaumée

fleurissaient la vie. et l'amour, et l'espoir. Poussa soudainement son flot impur et noir. Le riche, par ses biens, la beauté, par ses charmes, L'enfant, par ses soupirs, la mère, par ses larmes Ne purent désarmer le terrible oppresseur : VA le frère mourait dans les lu-as de sa so-ur ; L'enfant pâle et maigri, sur le sein de sa mère : L'époux en embrassant une épouse bien chère !

iVANGÉLINE

;e pauvre, délaissé dans ce moment fatal ; Sans amis, sans parents, frappait à l'hôpital, La demeure de ceux qui n'ont point de demeure ; C'est qu'il attendait, en paix, sa dernière heure.

En ce temps l'hôpital s'élevait retiré,

En dehors de la ville, au coin d'un large pré :

Aujourd'hui, cependant, la cité l'environne.

Et ses murs lézardés, le toit qui le couronne

.Semblent être un écho qui répète aux heureux

Ces mots que Jésus dit chez Simon le lépreux :

"Des pauvres sont toujours au milieu de vous autres.'

3vuit et jour, à l'hospice, avec de saints apôtres.

On voyait accourir la sœur de charité.

Et quand elle parlait de la félicite

Que Dieu réserve, au ciel, à ceux qui sur la terre,

L'ont tendrement aime comme on aime un bon père,

182 ÉVANQÉLINK

Le mourant souriait ei retrouvait L'espoir.

Sur le front «le lu vierge il croyait entrevoir

Une vive auréole, une lueur divine.

Comme au front de ces dieux un artiste en dessine.

Ou comme de bieu loin, pendant L'obscurité,

On en voit resplendir au iront d'une cité.

Son regard lui semblait un rayon, une flamme

De ee ciel bientôt allait monter son âme.

Un dimanche matin, le temps était bien beau, Pensive et recueillie, elle vint de nouveau. Visiter L'hôpital encombré de malades. Dans l'air chaud de l'été, sous ses vertes arcad Le jardin balançait mille odorantes (leurs.

La vierge recueillit celle dont les couleurs

Pouvaient charmer les yeux, ou nourrir L'espérance

De- patients cloués sur leurs lit> de souffrance ;

ÉVANUÉLIXE 183

Elle fit un bouquet, ensuite elle monta.

Lu brise, au môme instant, sur son aile apporta

Les sons mélodieux d'une cloche lointaine.

Des accents cadences flottèrent dans la plaine

Et parurent se perdre au fond des vastes bois :

C'était le chant pieux des graves suédois.

Aussi doux que le bruit d'une aile qui se ternie

Le calme descendit sur son âme plus ferme :

Elle sentit alors que sa peine achevait.

Elle entra tout émue. A chaque humble chevet

Que l'ange de la mort recouvrait de son aile.

Se tenait, en silence, un serviteur fidèle.

11 prodiguait des soins au pâle moribond ;

Mettait un linge froid sur sa tète et son front.

Et portait <k\ l'eau froide à ses lèvres arides.

Il fermait doucement les paupières livides

Do l'être infortuné qui venait de mourir ;

Lui croisait les deux mains, et pour le recouvrir

184 ÉVANOKUNF.

Etendait an drap blanc sur sa figure pâle. Quand la vierge rentra dans la fiévreuse salle Plus d'un visage mat parut se réveiller, Se tourna Lentement sur son dur oreiller,

nr elle fixa dos yeux pleins de souffrance. Sa présence était douce et rendait l'espérance : C'était le jour naissant qui du clair horizon

un reflet vermeil aux murs d'une prison. En portant ses regards sur les lits autour d'elle Elle vil que la mort travaillait avec zèle.

iffetj dans la nuit, plusieurs pestiférés Q •, la veille, de soins elle avait entoures. Etaient enfin partis de cette pauvre terre : Maïs d'autres occupaient leurs couches de misère

lain elle B'arrêto, et ses pas étonnés

Par la crainte ci l'effroi semblent être enchaîne:

>a lèvre est entrouverte et tout son corps frissonne Sous sa morne paupière un court éclair rayonne ; Sa main laisse tomber son frais bouquet de fleurs : Elle jette un sanglot et verse d'amers pleurs. Les malades surpris, par un effort suprême, De leurs chauds oreillers levèrent leur front blême.

Près d'elle sur vu: lit tomba son regard

On venait de poiter un grand et beau vieillard ;

Mais il était mourant, et sa joue était creuse ;

Des cheveux gris tombaient sur sa tempe fiévreuse.

Et dans le même instant un reflet du soleil,

En luisant sur son front le rendait plus vermeil,

Paraissait effacer les rides du vieil âge,

Et rendre la jeunesse à son pâle visage.

18(> ÉVANGÉLINÏ

Il était là. gisant immobile et sans voix.

«Son regard suspendu sur la petite croix

Qui se trouvait an pied de sa brûlante couche,

La fièvre, d'nn trait ronge environnait sa bouche.

Ou eût dit que la vie, ainsi que les Hébreux,

Avait mis sur sa porte un sang tout généreux

Pour que l'ange de mort retint son large glaive.

Ses pensers se perdaient dans un vague et long rêve

Un raie fatigant, court et précipité,

Soulevait sa poitrine avec rapidité :

Ses veux étaient couverts de nuages funèbres ;

Ses esprits se plongeaient en de lourdes ténèbres,

Ténèbres d'agonie et ténèbres de mort.

Au long cri que jeta la vierge en son transport,

Il sembla Beconer sa morne léthargie

Bl retrouver encor quelque reste de vie.

Alors il crut ouïr comme une voix du ciel,

Une voix qui disait : •• Gabriel ! Gabriel !

EVANGÉLINE 187

" Je te retrouve enfin, et nous mourons ensemble ! "

Et cette voix vibrait, comme l'airain qui tremble.

Dans un songe, aussitôt, il vit, comme autrefois,

La terre d'Acadie et ses verdoyants bois,

Et ses ruisseaux d'argent, ses prés et ses villages,

Et le toit de son père au milieu des feuillages,

Et son Evangéline allant à son côté,

Dans toute sa jeunesse et toute sa beauté,

Sur la prairie en fleurs, ou le long des rivières !...

Des pleurs viennent mouiller ses débiles paupières...

Il entr'ouvre les yeux, les porte autour de lui :

La douce vision, hélas ! a déjà fui !

Mais auprès de sa couche, humble et mélancolique,

Il voit, agenouillée, une forme angélique,

Et c'est Evangéline .!... Il veut dire son nom,

Mais sa langue ne peut murmurer qu'un vain son

Dans un dernier transport, il attache sur elle

Un regard l'amour au désespoir se mêle ;

188 ÉVANOÉLINE

Il veut lever la tête et lui tendre la main. Aussitôt il retombe, et tout effort est vain ! Seulement un sourire ("claire sa figure Quand de la vierge il sent la lèvre chaude et pure Se poser sur sa lèvre et sur son iront brûlant. Son regard se ranime et devient plus brillant ; Mais ce n'est qu'an éclair ! On le voit se déteindre: C'est la lampe qui brille au moment de s'éteindre, Le flambeau consume (pie réveille un vent Irais : Il pâlit, il se voile, il se terme à jamais !

El tout était fini : la crainte et l'espérance, Les fidèles amours et la longue souffrance !

Bvangéline en pleurs resta pieuseitient Près des restes sacrés de son fidèle amant. Une dernière ibis, dans l'angoisse abimée,

Mlle prit dans ses mains la tête inanimée,

ÉVANGÉLINE 18$

Doucement la pressa contre son cœur transi Et dit, penchant son front ; O mon père merci !

Adieu ! vieille foret ! Xoyés dans la pénombre

Et drapés fièrement dans leur feuillage sombre,

Tes sapins résineux et tes cèdres altiers

Se balancent encor sur le bord des sentiers ;

Mais loin de leur ombrage et de leur vertes ailes,

Dans le même tombeau, les deux amants fidèles

Dont les afflictions et les maux sont finis.

Reposent, côte à côte, à jamais réunis !

Ils dorment sous les murs d'un temple catholique !

Leurs noms sont ignorés ; la croix simple et rustique

Qui disait au passant le lieu de leur repos

Ne se retrouve plus ! Comme d'immenses flots

Roulent, avec fracas, vers une calme rive,

Auprès de leur tombeau, pressée, ardente, active,

1!)0 ÉVANGÉLIN1

S'agite chaque jour La foule des humains. Combien de cœurs blessés et remplis de chagrins Soupirent Leurs ennuis cl leur sollicitude, En ees lieux leurs cœurs trouvent la quiétude !

Combien de iront pensifs s'inclinent tristement

En ces lieux leurs fronts n'ont plus aucun tourment !

Combien de bras nerveux travaillent sans relâche

En ces lieux leurs bras ont achevé leur tâche !

Combien de pieds actifs se Buccèdenl sans fin.

En ces lieux leurs pieds se reposent enfin.

Adieu ! vieille forêt ! Noyés dans la pénombre Et drapés fièrement dans leur feuillage sombre Tes sapins résineux et tes cèdres altiers Se balancent enoor sur Le bord des sentiers :

Mais .sous leur frais ombrage et SOUS leur vaste dôme On entend murmurer un étrange idiome !

ÉVANGÉLINE

On voit jouer, hélas ! les fils d'un étranger !

Seulement, sur les rocs que le flot vient ronger, Et sur les bords déserts du sonore Atlantique On voit, de place en place, un paysan rustique. C'est un pauvre Acadien dont le plaintif aïeul Xe voulut pas avoir, pour sépulcre ou linceul, La terre de l'exil si lourde et si Maie, Et qui revint mourir à sa rive natale !

191

Cet homme, il est pêcheur ; il vit de son filet. Sa fille porte encore élégant mantelet, Beau jupon de drogue t, chapeau de Normandie. Elle a de beaux yeux noirs, une épaule arrondie. Sa femme, tout le jour, tourne son gai fuseau ; Ses garçons, comme lui, se complaisent sur l'eau.

102 LNGÉLINB

Dans les veilles d'hiver, quand les vagues écument,. Assis au coin de l'àtre 1rs fagots s'allument, De l'humble Evangéhne on conte les malheurs : Et les petits enfants versent alors des pleurs. Et l'Océan plaintif vers ses rives brumeui S'avance en agitant ses vagues écumeuses ; Et de profonds soupirs s'élèvent de ses flots Comme pour se mêler au bruit de leurs Banglofe

FIN

DEUX

POEMES COURONNÉS

DEUX

POEMES COURONNES

l'Ai!

L'UNIVERSITE LAVAL

I, PAMPHILE LEMAY

QUEBEC

l'.-IJ. DKLISLE, IMPRIMEUR, 1, RUE l'OIM' DAUVHIH

1870

fi PRÉFACE

.l'ai concouru deux t'ois, et deux t'ois j'ai eu la bonne fortune d'obtenir la médaille d'or. Les poèmes que je publie aujourd'hui sont les deux poèmes couronnés. Pour lu lyre Canadienne surtout, les sujets de ces poèmes étaient beaux. Dans le premier, la Découvert du Canada, que do choses a chanter! D'abord ce Meuve immense et ces forêts vieilles comme le inonde: puis oes tribus sauvages toujours en guerre, cette lutte de la Foi contre le paganisme, de la civilisation contra la barbarie, ces travaux, ces combats héroïques des pre- miers colons français.

Quelques (Uns de nos meilleurs littérateurs ont été inspirés par Les souvenirs des premiors jour* de la Patrie, ei ils ont pris la lyre. Qu'on lise •• DontUiMna"

cette jolie pièce de vers <|iie je reproduis a la tin de mon livre, et l'on se convaincra que le soufhY «K l:i poésie a passé sur nos bords. L'auteur de ee morceau

PRÉFACE

charmant, poète et prosateur, orateur cl homme d'Etat. osl l' lion. M. Chauveau aujourd'hui premier ministre de Québec.

Cependant nous n'avons pas eu pour traiter le pre- mier sujet tout le temps nécessaire. Jl a fallu en quatre mois composer l'ouvrage et en délivrer deux copies à la Faculté des Arts. Je dis ceci afin de desarmer un peu la critique.

Le second sujet était un •• Hymne national pmr la fête des Canadiens Français." Quel pays n'a pas sa part de gloire et de renommée ? Quel ciel n'a pas son joyeux soleil et ses tentes d'azur ? Quelle terre n'a pas ses antiques forêts, ses fleuves profonds et ses moissons dorées ? Et quand ce paye est le Canada avec son ciel tour à tour de Naples et de Sibérie, ses fleuves majes- tueux, ses forêts séculaires et ses campagnes fécondes.

S PRÉFACE

le Canada la FVaneo, h force d'héroïsme, a implanté s:i foi, sa langue et ses i outumes, «pu'l poète n'aimerait l>as son pays ?

I, PAMPHILE LEMAY. Québec, 1er Septooi bre L870.

L'Uuiversité-Lnval a été fondée il n'j a que quelque <li.\ ans par MM. Iw

Directeurs du Séminaire deQoébec Cette Université que les éttmogen Admirent

il placée, do premier coup, an rang des meilleure* institutions de

ii Amérique. C'est par un juste sentiment de reconnainance qu'on

l'a appelée M Laval " dn nom de l'illustre fondateur du Séminaire de Québec,

Laval Montmorency premier Evoque du Canada. Lee magniiqnea

bâtiment! destinés à L'Université ont conté au-delà de $800,000, et chaque

année encore le Séminaire tacrifte des sou i considérables pour soutenir

dignement sou oeuvre chrétienne et patriotique.

LA DÉCOUVERTE DU CANADA

Poëme couronna le 11 septembre 1867

À solis ortu nsque ad occasum, laudabile nomcii Doniini.

De l'aurore au couchant le nom du Seigneur est digne de louange, l's. 112,

L'ANGE DU CANADA

Quels sons mélodieux ! quelle ardente prière

Montent comme un parfum an trône de lumière s'est assis le Dieu <le toute éternité ! Sur le front des élus quelle sérénité Plus douée que réélut de l'aube matinale ! Quel cantique joyeux des harpes d'or s'exile !

l!» DÉCOUVERTE

Quels accents jusqu'alors an e!el même inouïs Font entendre les luths des anges réjouis ! •■ De L'aurore au couchant, disenl les chants des ungcs. •• Le saint nom du Seigneur c>t digne de louanges! " DtQU parle, et l'univers sur son axe brûlant. "Frémit «l'un saint transport et l'adore en tremblant. " Lui seul est éternel. Son bras soutient la terre:

" Il pourrait la briser comme un jouet de verre.

•• Le vagalond nuage obéit a ea voix :

•• Le tonnerre et le vent reconnaissent ses lois.

;- Il parait, et l'éclat de son auguste face

•■ Fait pâlir les soleils qui roulent dans l'espace.

" Que tout genou fléchisse a son nom glorieux !

•• Que la terre le craigne et qu'on le chante au eieux ! "

Et pendant (|iie l'écho <le<- célestes Portique Répète des Elus les concerts magnifiques,

1)1 CANADA 11

Comme l'écho des bois, à l'approche du joui', Répète des oiseaux les cantates d'amour, \Vrs le Père Eternel donl toute vie émane On voit venir un ange au regard diaphane : Son pied glisse Léger sur les brillante rubis Qui parsèment du ciel les merveilleux tapis : .11 replie en marchant ses ailes fatiguées ; De ses Longs cheveux d'or les boucles prodiguées "Retombent mollement et flottent sur son cou. Un nœud retient sa robe au dessus du genou. 31 répand sur ses pas un parfum agréable, Et porte pour couronne une brandie d'érable.

Alors sont suspendus les chants mélodieux ; Les luths divins alors restent silencieux, l'n aimable sourire accueille à son passage Ce1 ange voyageur dont l'auguste visage.

12 I>ÉC< IVEKTK

A travers les rayons de l'immortalité, Laisse voir les soucis dont il est agité. El quittant aussitôt la droite «le son Père, Vers l'Esprit glorieux qui monte de l;i terre

Se hâte de venir le Fils du Tout-Ptlissant. Il aime cette terre fut versé son satlg : C'est lui qui vint briser ses entraves funèbre Et porter la lumière a travers ses ténèbres.

Mais le père du mal vaincu par le Sauveur S'esl levé de nouveau la haine dans le cœur : Ses ministre- maudits s'envont par tout le monde Semant les noirs conseils et la discorde immonde.

Pour garder ses Elus contre les on nom i: Que l'enfer irrite dans >a i-ago ;i voinis

1)1 CANADA

Cornu e les noirs cailloux et les cendres brûlantes Que jettenl les volcans sur des plaines brillantes, Le Seigneur a choisi dans sa divine cour De fidèles Esprits an eeeur l>rùlant d'amoui'.

(Test un de ce- gardiens dont le saint ministère Est d'inspirer l'amour aux peuples de la terre

«Qui vient d'entrer aux cicux. Quelles est sa mission ? Pourquoi sur son front pur se peint l'affliction ? Pourquoi son œil limpide est-il devenu terne ? Devant le Tout-Puissant trois t'ois il se prosterne. Et le ciel ave;- lui trois fois tombe à genoux, •• O Dieu d'amour, dit-il. Dieu dont le nom si doux •• Devrait pour tout mortel être un objet d'hommage, •• Je n'ai pas encor vu sur la lointaine plage ~- j'erre solitaire, hélas ! depuis longtemps, Les cœurs, monter vers vous purs, honnêtes, contents !

Il DÉCOUVERT!

•• L'immense Canada sur Bes féconds rivages •■ Ne voit se promener que d'ignares sauvages, ■• Malheureuses tribus que Le roi des enfers Se vante de tenir a jamais dans ses fers ! •• Naguère cependant un dos fils de la France, •• L'humble ei pieux Cartier, apporta l'espérance •• A mon cœur abattu par le- chagrins amers.

Sur de frêles vaisseaux il traversa les uni--.

Il vint bravant la mort, sans orgueil <-\ sans crainte

Aux contins du pays arborer la croix sainte.

Inspiré du démon, un vieux chef Indien

Voulut fouler aux pieds l'étendard du chrétien :

("es vastes bois, dit-il. voila mon héritage :

•• .!»• ne veux pas qu'un autre avec moi le> partage ! •• Va-t'en. Visage-Pâle, au pays d'où tu viens. •• Kl ne t'obstine pas à me ravir mes biens ! •• Maintenant, A Seigneur, le marin intrépide •• A repassé la mer sur son vaisseau rapide,

Dtf CANADA

-• VA le suave espoir qu'il m'avait apporté, ■•■ l'jmiuc une ombre qu'efface une vive clarté. •• S'est, hélas î tout a coup envole de mon aine ! •• Ne laisse/ pas, I>ieu grand; triompher cette trame ■• Que les angCS maudits, de votre nom jaloux.

Au tond (Je leur al>ime. ourdirent contre vous ; ■• Et daignez éclairer, sur ces rives si belles.

v- Du flambeau de la foi les pauvres infidèles !

- .Je volerai moi-même au pays de Cartier:

•• J'animerai la foi de ce roi chevalier

•• Qui gouverne aujourd'hui la France catholique :

•• Il revendiquera sa part de l'Amérique:

Et vous serez béai sous ces immenses Itois

Qui pour vous célébrer n'ont pas eneor de voix ! "

i :•>

Ainsi parle à genoux aux pieds de Dieu le Père L'ange du Canada. Sa voix douce qu'altère

16 DÉCOUVERTE

Un mélange d'amour et de timidité.

A le plaintif accent «lu Hic! argenté

<^ui cherche son chemin dan» la fente des pierres.

Comme deux diamants, sous ses blondes paupières

Coulent deux larges pleurs qu'il essuie en secret.

Ses habits éclatants <le L'antique forêl

Versent autour de lui les suaves arômes,

Le silence est profond sou» le* célestes dômes,

Et tout le eiel attend avec nnxiété

Que le Dieu trois tbis saint dicte sa volonté

A cet ange gardien d'une terre nouvelle. Le- accords ravissants de la harpe éternelle,

Et le- accents d'amour des Esprits glorieux Xe foui pas tressaillir les profondeurs des cioux Comme un seul mot tombé de la bouche du Père: •• Ministre bien aimé, dit le Très-Haut, espère: 'l'on zèle infatigable a su toucher mon cœur. *• .le changerai bientôt tes peines en bonheur:

1)1 CANADA

Tu n'auras pas en vain travaillé pou* ma gloire. Et Lucifer sur nous n'aura pas la victoire. Cette rive sauvage tu t'es exilé, Ce pays inconnu de barbares peuplé

Que 1'orgueilieux Satan tient dans son esclavage. Brisera ses liens, sera mon héritage ! Et c'est de ce pays aujourd'hui tant obscur Qu'un jour je recevrai l'hommage le plus pur ! Va, .Messager fidèle, aux rivages de France, Va déjouer l'enfer. Pais briller l'espérance D'une éclatante gloire cl d'un bienfait divin Aux yeux du grand monarque cl du pieux marin.

Et cessant de parler, le Dieu de la sagesse Mit sur le front de l'ange un baiser de tendresse, Alors la molle lyre et le clairon d'airain. Kt la harpe et le luth résonnèrent soudain.

18 D&COUVE&VI

I »c l'aurore au couchant. disaient 1rs chants des anges,

- Le si'int nom <ln Seigneur est digne de louanges ! •• Dieu parle, et l'univers sur son axe brûlant,

•• Frémit «l'un saint transport et t'adore en tremblant.

•■ Lui seul est éternel. Son liras soutient la tolT6.

Il pourrait la briser comme un jouet de verre.

Le vagabond nuage obéit à su voix :

Le tonnerre et lèvent reconnaissent >e> lois.

- 11 parait, et l'éclat de son auguste fiace

Fait pâlir les soleils qui roulent dans l'espace. •• Que tout genou fléchisse a son nom glorieux !

-• Que la terre le craigne et qu'on le chante aux riens !

II

LE VIEUX CHEF INDIEN

C'était l'heure les bois s' éveillent aux ramage* Des ruisseaux babillards et des oiseaux sauvages ; du soleil levant les radieux reflets Redonnent leur couleur aux feuilles des forêts ; le pétrel hardi de la plage s'élance Vers les flots menaçants que l'orage balance.

2»> DÉCOUVERTS

Sur les bords inconnus <>u Le vaillant Cartier, A Dieu comme à son roi se vouant tout entier, Etait venu naguère élever la croix sainte. Tu vieillard cheminait jetant an vent sa plainte. La tristesse ridait son visage Cuivré :

Comme un arbre fleuri, comi e un tapis ouvré Son corps était orne de figures bizain

Et nouant ses cheveux, les plumes le> plus rares

S'élevaient sur sa tête en panache éclatant.

Sur les vagues d'azur son œil allait flottant

Comme le frêle jonc, comme l'algue légère,

Et paraissait chrreher une rive étrangère.

Et, quand il était las de regarder les flots,

Le vieillard exhalait de Lugubres sanglots ;

Kt d'une main tremblante armant son arc de frêne..

Vers une haute croix qui dominait la plaine,

Il lançait, furieux, unirait empoisonné.

[><■ son audace alors il semblait «'tonne

Et reprenait pensif sa marche solitaire.

DU CANADA

bi homme au regard sombre, au cœur plein de colère^ «C'était r Indien dont la frémissante voix. Pour repousser Cartier et renverser la croix, .Avait jadis tâché sur ees mémos rivages, D'éveiller les soupçons des peuplades sauvages. Mais de L'homme des bois l'inutile fureur Dans l'a me du marin ne mit point la terreur : El Cartier s'éloigna de cette étrange plage Emmenant du vieillard les deux tils en otage. Le p.&re infortune suivit longtemps des yeux Le vaisseau qui portait ses fils sous d'autres eieux. -Maintenant il revient, au lever de l'aurore, Promener ses chagrins sur la rive sonore. La haine et la douleur se peignent sur ses traits : Pour lui la solitude a seule des attraits. Il demande ses tils au soleil qui se lève 1 Il les demande aux flots qui roulent sur la grève ! Mais sur le sein des mers, comme une aile d'oiseau,

11 DÉCOUVERTE

Il no voit point s'ouvrir la voile <lu vaisso.ui Qui doit lui ramener les fils de sa tendresse ! •• Vaillant Domagaya, dit-il. dans sa détresse. •• Noble Taiguragny, me seroz-vous rendus ? •■ Ah ! si mon bras plus for! vous avait défendus •• Contre la cruauté de ces Visages-Pâles.

.le ne pleurerais point ! Kt comme les rafales

•• ('liassent dans toujours froids les feuillages légers. •• Nous aurions de nos bords chassé les étrangers ! A ces rochers déserts pondant combien de lunes •• Raconterai-jc encor mes tristes infortunes?

Quand viondrez-vous reprendre, » Risque j'ai perdus. •• Vus carquois pleins de traits el vos arcs détendus? "

Pendant que bur la rive déferle la lame Le vieux chef Indien épanche de son âme

One haine inutile et des regretfi amers.

On esprit malfaisant envoyé dés enfers

r>r canada 2:;

A pris d'un vieux jongleur la hideuse ligure. Et la démarche lente. et la haute stature. Il s'approche aussitôt du chef de la tribu : [ls sont amis d'enfance : ils ont ensemble bu, Au milieu de> forêts, à la même fontaine : Ensemble ils ont t'ait plus d'une chasse lointaine : " Pourquoi te consumer, dit-il. en vains regrets. •• Toi le premier guerrier de nos vastes forêts ? •• Ton corps est décharné comme un arbre qui sèche. •• Le chevreuil ne craint plus la pointe de ta flèche, " Attends-tu que les Blancs te ramènent tes tils ? •• Oh bien regrettes-tu d'avoir craint leurs défis ? •• Les feuilles jauniront et laisseront les branches, - La neige bien souvent tendra ses nattes blanches, •• Et les petits oiseaux tisseront plusieurs nids.

Axant que les enfants soient ici réunis. " Te le dirai-je. ô chef, oui j'ai vu. dans mes rêves,

•• Cette fatale croix s'étendre sur nos grève-.

24 DÉCOUVERTE

•• Dominer dos forêts, écraser dos hameaux !

•• El sur ses larges bras se perchaienl les oiseaux :

•• Ht nos traits aiguisés oe pouvaient les atteindre :

Et nos tiers ennemis semblaient ne plus nous craiodre! •• Et j'ai vu sur nos bords venir les guerriers blancs :

•• Nous étions devant eux stupéfaits et tremblants.

•• .le t'ai vu le premier, (qu'au moins nul ne le sache, j

Porter le calumet, puis enterrer la hache.

•• Pour détourner les maux qui nous menacent tous, •• .l'ai consulté déjà les puissants manitous. •• Il tant bannir la croix de dos forêts antiques.

La croix ou sont gravés des mois cabalistiques !

( î'esl alors seulement que sous nos bois épais.

•• Sans craindre d'ennemis, dous chasserons en paix ! "

Ainsi parle au vieux chef le uaalfaisant géni< Sa voix a du torrent la sauvage harmonie.

DU CANADA

VA dans ses fauves yeux luit la duplicité.

Jl s'enfonce aussitôt avec rapidité

Sous les arbres touffus qui bordent le rivage.

L'Indien dans son cœur sent s'éveiller la rage.

11 jette sur la eroix un regard courroucé

Et se laisse tomber sur un tronc renverse.

Alors un noir corbeau perché sur un érable

Fit entendre trois fois son cri désagréable,

Et sur l'oiseau sinistre, aussi prompt que l'éclair,

l'ii épervier cruel fondit du liant de l'air.

Le vieillard plein de trouble entra dans sa cabane ; Et sur le seuil couvert de feuilles de platane. Cachant dans ses deux mains son front plein de soucis. Immobile, il resta tout un long jour assis.

26

Quand les ombrée du soir noyèrenl le feuillage, Il passa comme un spectre à travers le village, Ordonnant aux anciens de tenir leur conseil Avant que de la mer s'élevâl le soleil.

Aussitôt les vieillards laissent leurs toits d'écorce. Sur les pas de leur chef nue invisible force Les pousse tour à tour avec docilité. Leur sagesse souvent et leur fidélité Ont gardé la tribu contre un danger probable. Leurs calumets remplis d'un tabac détectable Kxhalent la fumée eu orbes gracieux, Pendant qu'assis en cercle et tout silencieux, Ils écoutent le chofdont l'ardente parole, Plus souple qu'au matin le ramier <|iii s'envole, Leur dépeint à grands traits son trouble et sa douleur, Va son long entretien avec le vieux jongleur.

DU CANADA

Après qu'il eut parlé, le vaillant chef sauvage

Avant poussé trois cris, se cacha le visage.

Le plus vieux du conseil prit la parole alors :

•• Je ne sais quel génieajeté sur nos bords

■•(es hardis guerriers blancs que tu semblés tant

[craindre. -■ Ils t'ont ravi tes fils: ton grand cœur peut se plaindre.

-•• Cependant je les crois moins cruels que ruses :

•■• Ils n'ont pas bu leur sang dans leurs crânes brisés,

•• Ils auraient pu, sans peur, nous déclarer la guerre,

•• Car leurs mains pour tuer s'emparent du tonnerre.

" Et s'ils sont les amis des esprits malfaisants

" Pourquoi nous ont-ils fait de si riches présents ?

•• Ils veulent à tes tils enseigner leur langage.

■• Et cette croix, o chef, est peut-être le gage

" De leur prochain retour au milieu de nos bois.

" C'est peut-être leur Dieu : tous vinrent à la fois

DÉC01 vkkti-: » jeter devant elle à genoux sur la terre. " Si nous la renversons redoutons leur colère. •• Mais pourquoi le jongleur n'est-il doue pus ici ? •• Lui qui se plait, ô chef, à nourrir ton souci, " Il n'ose pas venir nous raconter de BOng •• Craindrait-il d'être enfin convaincu do mensonge ? Tapi comme un renard au fond de son terrier, " Il ne redoute pas la flèche du guerrier.

•• Pourquoi les hommes blancs nous tendraient-ils des

[pièges ? •• Tu r©v< tils avant que plusieurs neiges

•• Aient aux bois suspendu leurs éclatants flocons,

•• Car le grand .Manitou sait consoler les bons.

•• J'ai dit." Et le vieillard vint s'asi eoir en silence.

Il était le plus sage, et sa maie éloquence

Savait, faire toujours prévaloir son conseil.

Quand il eut. pris sa place un murmure pareil

Au grondement lointain d'une haute cascade,

Fit trembler l'hutnMe toit du chef de la bourgade.

DU CANADA 2&

Tous île se rendaient pas à ses sages avis.

La vengeance était douce à des cœurs asservis.

Des cœurs plies au joug des passions brutales.

Pendant qu'ils accusaient tous les Visages-Pâles: D'être venus troubler la paix de leurs vieux joursr FA que le chef pleurait sur ses fils, ses amours, La cabane s'ouvrit. Haletante, effarée Comme le cerf atteint d'une flèche acérée, Une jeune Indienne entra soudainement. Son œil noir scintillait comme le diamant ; Son corps svelte. élancé, pliait comme le frêne ; Sur ses flânes demi-nus ses longs cheveux d'ébène Etendaient mollement un voile de pudeur ; De l'arc ses noirs sourcils égalaient la rondeur ; Du feuillage d'hiver son front mélancolique Avait en ee moment la teinte métallique.

:;n DECOUVERTE

Cette femme c'était la douce Nain,

Naïa fiancée au fier Domagaya.

Rlle vient vers le chef: •• Je ne sais pas, dit-elle,

Si tu daigneras croire a ce récit fidèle

■• Que va faire a la lutte une naïve enfant. •• N'attaque pas la croix, un Esprit la défend !

J'ai vu tout près assise une femme plus blanche •■ Que l'écume des flots ou la lune se penche !

Plus belle que la fleur éclose le matin !

•■ Son langage plus doux qu'un chant d'oiseau lointaii •• Faisait au loin vibrer le verdoyant feuillage !

Ses vêtements de neige et son divin visage

Brillaient comme un foyer allume sous les bois l

Se- lu-as avec amour enveloppaient la croix.

Ecoute, me dit-elle, ô ma pauvre Indienne.

•• Ecoute les conseils de la Vierge chrétienne.

J'ai porte dans mon sein le Fils du Grand-Esprit.

Le Grand-Esprit peut tout. Heureux cou x qu'il chérit

I)i CANADA 31

•• Car il ne permet pas que le mal leur arrive

•• Il aime les tribus qui peuplent cette rive,

•■ Et c'est pour leur apprendre à saintement prier

•• Que vers elles, un j<mr. vint un pieux guerrier.

" Les Blancs sont ses amis. Ils sont cléments et braves :

•• Ils n'apporteront pas de cruelles entraves

•• Au poignet vigoureux de l'homme des forets.

•■ Mais d'un bonheur plus grand vous diront les secrets.

•• Si vous osiez- pourtant briser cette croix sainte.

•• Le Grand-Esprit du ciel écouterait la plainte

•• Des guerriers d'orient qui vont bientôt venir,

•• El vous ferait alors cruellement punir."

•• Ainsi parla la Vierge : et sa bouche adorable

Répandait autour d'elle un parfum agréable.

" Puis elle disparut dans le3 ombres du soir.

■• Je la cherchai partout mais ne pus la revoir."

32 DÉCOUVERTE

La voix <lc Naïa, sonl accent de franchise, Son visage agité «l'une extrême surprise. L'amour [x>ur la vertu qu'on lui connut toujours, Tout t'ait croire aux vieillards &es étranges discours. Et le chef consolé, se berçant d'espérances, Dit aux Vieux <lc son peuple : ( )ul>lions nos vengeances; Puisque les guerriers blancs n'outragent pasnosdroits, •• Laissons dormir la hache et respectons la croix !

I II

JACQUES CARTIER

Pendant que dans lés cieux les harpes solennelle Redisent du Seigneur les gloires éternelles ;

Pendant que sur la terre un Esprit infernal S'efforce d'assurer le triomphe du mal . L'ange du Canada qu'un zèle immense embrase Sort du divin Séjour. Son vol rapide rase Les astres lumineux dans l'espace semés Comme au bord de la mer les phares allumes

34 DÉCOUVERTE

Pour éclairer, le soir, le navire au flanc sombre.

Bien au-dessous de lui. dans les mondes sans nombre

(^ui sont comme les fleurs des champs de l'infini,

Son regard inquièl voit le monde béni

le Fils du Très-Haut vint habiter lui-même,

Et son cœur est rempli d'une ivresse suprême.

La moitié de la terre est dans l'obscurité.

Hais il a le flambeau dont la douce clarté

J)oit luire pour tout peuple assis dans les ténèbres.

Il découvre à la fois les lieux les plus célèbres.

CesJ toi «ju'il voit d'abord, illustre Bethléem !

Déicide cité, sombre Jérusalem,

Il te regarde aussi, mais ses yeux ont des larmes!

<> Fille de Juda, qu'as-tu l'ait de tes charmes ?

Au milieu de tes monts, dans tes champs rocailleux.

IJ voit étinceler tes dômes merveilleux.

0 Rome, ville sainte, héritage de Pierre !

Mystérieux foyer d'où pari cette lumière

DU CANADA 35

Qui doit briller aux yeux de tout homme ici bas ! Opulente cité, toi qui prends tes ébats Sur le rivage en fleurs de l'indolente seine. Comme une jeune allé au bord d'une* fontaine.

Il reconnaît aussi ta gloire et tes béantes ! Mais ce n"est pas vers vous, ô superbes cités, Que L'ange se dirige en sa course rapide !

Sur le bord de la mer, dans une anse Limpide le souffle des vents n'agite point les flots, Il est une humble ville les gais matelots. Font entendre, le soir, leurs chansons amusantes. Cent navires cambrés sur leurs ancres mordantes, Comme de i\evs coursiers qu'une puissante main S'eftbrce de tenir sur le bord du chemin, Mirent avec orgueil leurs superbes mâtures Dans Tonde ou Saint-Mâlo voit luire ses toitures.

:;<> DÉCOUVERTE

C'est la que tend le vol du divin voyageur.

L'occidenl resplendit d'une vive rougeur:

Le long des bords riante serpente la gondole :

El le soleil revêt d'une immonse auréole

Le front pur de la mer qu'il dore en se couchant.

L'angelus du soir sonne; et «l'un accent touchant

Les pieux matelot^ invoquent tous .Marie.

Mais quel est-il là-lias ce marinier qui prie A genoux sur le pont de son coquet vaisseau, Quand les autres déjà cherchent le chant nouveau <^ui va faire oublier la sublime prière V Son regard es! rempli «le la vive lumière Que jette par torrent? l'occident enflammé : Dans une sainte extase il paraît abimé.

Balançant <lans les airs son aile diaphane, Au-dessus de son front un moment l'ange plane.

DU CANADA

Puis il vient près lui se jeter à genoux. .11 lui parla tout bas un langage bien doux, 'Car le dévot marin, pendant une heure entière. X'entendit pas chanter la jeune batelière Dont le fragile esquif se bercail tout auprès : Xi murmurer la brise a travers les agrès : Ni gazouiller l'oiseau perché dans les cordages : Xi rire d'un ris franc les joyeux équipages. Et pendant qu'il était à genoux sur le pont. ÇJne auréole d'or enveloppait son front. Mais nul sur le vaisseau ne vit l'ange descendre ; Et pendant qu'il parlait aucun ne put l'entendre.

37

Quand le marin sortit de son recueillement Les ténèbres du soir montaient au firmament, Et sur les flots obscurs les carènes coquettes

A peine dessinaient leurs sombres silhouettes.

38 ]>f;< OUVERTE

Sur quelques bâtiments tout semblait en repos : Sur d'autres s'éveillaient Los caustiques propos,

Ou les accents plaintifs de l'humble cornemuse, Ou les chansons d'amour qu'une naïve muse Dictait au jeune mousse assis sur le gaillard.

Deux hommes, cependant, sombres comme un brouil- lard Etaient assis ensemble, appuyés au vaigrage,

El parlaient à voix basse un étrange langage,

Sur le même navire l'Envoyé divin

Etait venu prier a côté du marin :

C'étaienl Taiguragny le chasseur intrépide,

Domagaya son frère au pied leste et rapide.

Si le jour eut encore illuminé les cieux

On aurait vu des pleurs s'échapper «le leurs yeux :

On aurait vu souvent leurs visages de cuivre

Se tourner vers la mer comme pour v poursuivre

dt; canada 39

Un fantôme chéri qui s'éloignait toujours. L'un regrettait son arc et l'autre ses amours.

Cartier, car c'était lui qu'avait visite L'ange, Eprouvait dans son cœur quelque chose d'étrange. Ëclairé par la foi, par l'espoir soutenu, Il se sentait alors poussé vers l'inconnu. Invisible a ses veux, l'ange avait à son âme Fait entendre longtemps sa parole de flamme. Un trouble inexprimable agitait ses esprits. 1 1 voyait s'élever devant ses yeux surpris. •Comme au milieu des mers un magique mirage. Les bords voluptueux d'un monde encor sauvage, Dans ce monde nouveau mille peuples obscurs Venaient devant la croix briser leurs dieux impurs. Et redire au Seigneur une ardente prière. Le sommeil bienfaisant fuyait de sa paupière ;

I* DÉC01 VERTE

Il marchait à grands pas sur Le pont du bateau

El son pied résonnait comme un coup de marteau.

I! était obscédé par -on rêve sublime,

Et sentait que le ciel, dans un Langage intime,

Le pressait de chercher ces rivages nouveaux

Qu'il avait entrevus à l'occident des eaux.

El pendant qu'il marchait comme un homme on délire,

Dne Légère barque aborda Le navire.

Deux marins la guidaient sur les flots ténébreux :

Jalobert, Le Breton, deux amis généreux

Dont Les jolis vaisseaux étaient mouillés en rade.

Ils venaient saluer leur noble camarade.

Cartier 1rs accueillit avec empressement ;

Il ne s'efforça point de voiler son tourment .

Il leur dit les secrets de son âme expansive.

Son accent convaincu, sa voix persuasive.

En les intéressant surent les émouvoir,

Et faire dans leur cœur passer son doux espoir.

IV

FRANÇOIS I.

Au même temps François le roi chevaleresque Formait dans son esprit un projet gigantesque. Après avoir vogué pendant plusieurs longs mois. Bravé mille périls et la mort mille fois, Colomb avait trouvé ees régions lointaines les rois se taillaient de superbes domaines ;

[2 DÉCOUVERTE

Et François indigné de voir les autres rois Se buter de ranger ces pays sous Leurs lois, Se disait eu son cieiir : " Quoi ! ces illustre- prince» Osenl se partager ces immenses provinces •• Sans B'occuper «le moi. sans me garder ma pari ? •• Pensent-ils que craintif je me tiens à l'écart '! •■ Mon drapeau flottera sur ces lointaine- ondes. •• Et la foi par mes soins éclairera ces inonde- !

l'n jour qu'il tit sortir ses fidèles valets. Il se retira seul au tond de son palais Kt tomba tout a coup dans un sommeil étrange. Il eut alors un BOnge. Il vit venir un ange. ( lomme un globe de t'en qui glisse dans les airs

t Vt ange s'avançait sur les vagues des mers; Et le- ondes sous lui courbaient leurcime ftère : Kt sur ses pas restai 1 un sillon de lumière,

DU CANADA 43

Comme un lien de paix, un symbole d'amour Qui devaient à la France attacher de ce jour

Los rives d'où venait le messager céleste. L'ange approchait toujours, et d'un sublime geste Montrait au fond des mers un rivage lointain : •• Vois-tu, s'écriait-il, ô vaillant souverain. •• Vois-tu cet autre monde enseveli dans l'ombre ?

Quand l'Europe à son tour comme un vaisseau qui

[sombre, " Aura vu s'entr'ouvrir, dans la suite des temps,

•• Le gouffre de l'oubli sous ses pas chancelants,

Ce monde jeune encor. plein de sève et de vie, •• Verra toute la terre à ses lois asservie.

Alors il fleurira comme tes rejetons

Dont les tendres rameaux se couvrent de boutons, •• Pendant que tout près d'eux un vieil arbre se fane. •• Jusqu'ici cependant c'est dans un but profane

•• Que les grands de l'Europe ont volé sur ces bords. •• Ii3Ur immense avarice a cherché des trésors.

U DÉCOUVERTE

■• Skiais toi. va du Seigneur publier la clémence.

•• Et porter en ces lieux la divine semence.!1

Ainsi parlait cet ange, et le son de sa voix Vibrait comme le cor qni chante* sous les bois.. Il s'approcha du prince et sa lèvre vermeille Lui murmura tout l>as d'autres mots à l'oreille : De son sommeil alors aussitôt s' éveillant. Le roi vit s'envoler un fantôme brillant.

Le soleil n'avait pas de ses rayons d'opale Eclairé bien souvent la grande capitale. Lorsque devant le trône- un illustre marin Vint tenir se langage au jeune souverain : •■ De ses feux bienfaisants L'astre du jour inonde

•• Sans jamais se lasser tous les peuples du monde :

nr CANADA 45

••• 11 pare l'orient des plus vives couleurs : •■ L'occident se réchauffe à ses douces ardeurs. •• Ainsi de notre foi la céleste lumière " Devrait illuminer la terre toute entière ; •• Et j'ose croire, ô roi, que le désir de Dieu

Est qu'elle soit ainsi répandue en tout lieu. ••' Elle est, comme le jour de l'orient sortie.;

8a course à l'occident ne s'est pas ralentie ;

Mais cependant il est au-delà de ces mers

Des peuples que Satan tient eneor dans ces fers,

Des lieux que l'ignorance étreint dans ses ténèbres. -; Comme au milieu des nuits, dans ses ongles funèbres. •; Le hibou taciturne étreint un jeune oiseau.

" Prince, ne faut-il pas qu'enfin de son flambeau ■• La foi daigne éclairer ces malheureux rivages ? •• Dieu ne refuse pas aux nations sauvages ~ Qui vivent comme l'ours au milieu de leurs bois.

Le rayon de soleil qui brille sur nos toits :

16 DÉCOUVERTE

•• Ne veut-il pas aussi ce Dieu dans su clémence, Que la lumière arrive h leur intelligence, •• El que leur cœur rempli de respect et d'amour

•• Sache adorer enfin et prier chaque jour

•• Celui (jui tit pour l'homme et le Ciel et la terre.

•• J'ai déjà sillonne sur ma barque légère •■ Jusque» a l'Occident, l'océan étonné. •• Ce voyage hardi vous l'aviez ordonne. Le succès l'ut heureux main la gloire incomplète •• ( !ar nulle terre alors ne fut notre conquête, •■ Kl la France a ces lieux, vous le savez, o roi, ■• .Va pu donner eue >r ni son nom. ni sa foi. •• Mais daignez à mes soins e tnner un navire. •• .lirai, s'il plail au ciel, fonder un vaste empire •■ h- nom de la France el celui du Seigneur >ron1 ensemble unis au fond de chaque cœur."

DU CANADA 47

Quel était ce marin dont la voix inspirée Retentissait ainsi sous la voûte dorée De l'antique château des souverains français ? () Cartier, c'était toi ! Fier d'un premier succès. Tu te laissais bercer de la douce espérance D'être agréable au ciel comme utile à la France. Le roi surpris, cmu. t'embrassa tendrement, Ft d'accomplir tes vœux fit alors le serment.

LE DÉPART

Souvent pour saluer l'aurore virginale

L'alouette a redit sa chanson matinale ;

Et le soleil couchant, de ses reflets pourprés

A souvent revêtu les ondes et Les prés,

Le port de Saint-Malti luit comme une topaze ;

Le rapide alcyon d'une aile agile rase ^

.")(> DÊCOUVEKTE

La surface immobile et brillante des flots. Des divers bâtiments les joyeux matelots Echangent des saints que le9 é hos répètent.

\jvs vaisseaux aux flancs noirs dans les eaux se reflètent

Comme les noirs entants du rivage Africain

Dans Leurs tlois rafraîchis par le vont du matin.

Sur les mâts élances le pavillon retombe

Comme un triste linceul sur les bords d'une tombe.

Le vent ne souille pas. L'eau dort sur le galet.

Mais le soleil levant comme un rouge boulet Vient de sortir soudain de l'horiaon de brumo, El le vieux matelot que le repos consume A senti dans son cœur se ranimer l'espoir : " Je voguerai, dit-il. avec le vent du soir !

Mais quels sont ces vaisseaux qui se couvrent de

[monde? Cent barques autour d'eux s'entrelacent sur l'onde.

I>U CANADA 51

mime autour d'une ruche ondoie un jeune e saim : ("ii murmure éclatant s'élèvo de leur sein : Leurs mâts sont retenus par de nouveaux cordages : Le peuple pour les voir accourt sur les rivages. Avec leurs pavillons aux brillante? couleurs Ils semblent des coteaux qui se couvrent de fleurs. Ils sont trois. Le premier sur les vagues d'opale Se cambre fièrement ainsi qu'une cavale ; Son nom •'• Lagrande Hermine " est écrit sur son flanc : A la cime du mit flotte le drapeau blanc. C'est Cartier qui commande à ce joli navire. Le second qui plus loin lève son ancre et vire. C'est •• La Petite Hermine."' Auprès 1' •• Emérilloh" Se drape avec orgueil dans son grand pavillon. Le Breton, Jalobert. sur les ondes Ion tain es Doivent, avec Cartier, conduire ces carènes.

52 DÉCOUVERTE

Cependant un doux son t'ait retentir les airs Et va dans Le lointain expirer sur ]<.•> mers. C'est de l'airain sacré L'humble voix qui s'empresse D'appeler, au matin, le^ chrétiens a la mes Dca vaisseaux pavoises on voit les matelots Descendre promptement dans leurs Légers canots.

SOUS leurs charges ceux-ci. ployant connue une mule S'enviennent s'échouer à la rive circule Comme au jour du chômage un peuple curieux. C'est vcis Cartier d'abord que se portent les yeux.

Il marche le premier. La vertu se dessine

Sur son front élevé que le joui- illumine. Sa joue est cave et pâle et son rire serein, Et dans son œil profond brille un rayon divin. Vers L'église remplie à grands pas il s'avance :

Et tous les matelots le suivent en silence. Le temple s'est paré de riches ornements. Le prêtre a revêtu ses plus l>eaux vêtements :

DU CANADA

['n chant plus solennel monte du sanctuaire ;

L'encens est plus suave et la foi plus sincère.

Aux colonnes du chœur flottent de grands drapeaux..

Et sur l'autel doré brillent mille flambeaux.

Pendant que le Pasteur offre le sacrifice.

L'j> marins à genoux, pour se rendre propice

Le Dieu dont l'univers aime et bénit la loi,

Ne cessent de prier avec ardeur et foi ;

Et leurs fronts humblement s'inclinent jusqu'à terre

Au moment solennel le divin mystère

S'accomplit à la voix du ministre de Dieu.

Un silence profond règne alors au saint lieu.

Le prêtre se recueille et dans sa foi sublime

Elève vers le ciel la céleste Victime.

Adorez, ô marins ! adorez à genoux Ce Sauveur bien aimé qui descend parmi vous !

,*W DÉCOUVERTE

Il est de tout bienfait l'inépuisable source ! Les anges vous suivront en votre longue court Il leur ordonnera de guider vos vaisseaux A travers l'océan, vers des pays nouveaux ! Avec quelle ferveur votre aine réjouie Va se nourrir bientôt de" ce doux pain de vie ! Toi Cartier, le premier, as l'insigne bonheur De voir le Dieu <lu ciel descendre dans ton cœur ! Après toi. tour a tour, au sanctuaire même, Chaque marin reçoil cette faveur suprême ! Maintenant pleins d'espoir et bravant les dangers, Allez, pieux marins, vers des bords étrangers !

La mes.se est terminée et la foule environna Los nombreux matelots dont la l'ace rayonne Comme l'arbre argenté par le givre d'hiver; Elle couvre bientôt la rive de la mer.

DU CANADA 55

Pendant que les marins montent sur leurs navires

On voit luire des pleurs à travers leurs sourires. Ils laissent sur les bords peut-être pour toujours, Les uns le doux objet de leurs tendres amours, Les autres, leurs amis, leur mère vénérée, Un père infirme et vieux, une sœur éplorée.

Cependant le vent souffle et soulève les flots,. Et sur trois bâtiments on voit les matelots Lever l'ancre en chantant et dérouler les voiles.. Comme dans l'or des cieux se bercent trois étoiles, Les orgueilleux vaisseaux se bercent un moment Et tracent dans la mer un sillon écumant.

Voguez, braves marins, vers un autre rivage !. Le monde redira votre étonnant courage

."><>' DÉCOUVERTE

Et bénira vos noms ! B1 toi, noble Cartier,

Ta gloire remplira l'univers tout entier!

Voguez, braves marins ! que le ciel vous conduise !

A vus yeux inquiets que son étoile luise

Pour éclairer les eaux el signaler recueil !

B1 que l'onde pour vous ne soit pus un cercueil !

VI

L'ANGE DECHU

Le vent souffle toujours. De la cime de3 vagues S'élèvent jusqu'au ciel des bruits tristes et vagues ; Et les flots ondule ux roulent vers le couchant Comme de blancs troupeaux qui bondissent au champ. Tel qu'au dessus des mers, ouvrant leurs blanches ailes. On voit se balancer, camarades fidèles.

59 DÉCOUVERTE

Trois cygnes gracieux : ainsi los trois vais-eaux Déjà bien loin du porl se bercent sur les eaux. L'onde amère a leur proue étincelle et bouillonne, Comme au mors d'un coursier que le foucl aiguillonne Brille un flocon d'écume. Attentifs et mui Le cœur livré peut-être à de tardifs regrets. Les matelots, debout, sont tournés vers la grève Qui disparait sous l'onde et s'enfuit comme un rêve. Les coteaux à leurs yeux abaissent leurs sommets, Les élégants clochers éteignent leurs reflets, Et les prés verdissants leur charmante nuance. Déjà dans le lointain les rives de la France Semblent ne former plus qu'un flexible cordon

Qui ceinture les flots au bord de l'horizon.

Ainsi nous voyons fuir avec trop de vitosse Le- rivages fleuris de l'heureuse jeunesse ! Nous voguons nous aussi vers <\v< bords inconnus : Heureux ceux que l'espoir a toujours soutenus !

DU CANADA 59

Nos regards sont tournes vers cet âge tranquille nos légères nets trouvaient un sur asile Contre le souffle amer d'un monde mensonger ! Mais un voile de brunie, un nuage Léger Enveloppent déjà de leurs replis de soie Cet âge d'innocence, et d'amour et de joie ! 11 disparait bien vite ! et nos regards en pleurs S'épuisent à chercher ses suaves couleurs ! Lui-même aussi n'est plus qu'une ligne étrécie <^ui brille à l'horizon de notre pauvre vie !

Cependant fcndanl l'air d'un vol sinistre et prompt,

Un archange déchu qui portait sur son iront Le stigmate honteux qu'y mit le premier crime, .Se hâtait d'arriver à l'éternel ahime.

60 DÉCOUTÏBTE

Loin des mondes brillants pour lesquels le jour luit. Dépouillé <lc tout charme et perdu dans la nuit,

Se trouve un vaste lieu dont L'aspect glace el navre

Comme un sépulcre noir, comme un hideux cadavre :

C'est que le Seigneur a jeté pour jamais

('et ange qui du ciel nsi troubler la paix.

Avec lui sont tombés ces Esprits pleins d'audace

Qui, dans leur fol orgueil, n'ont point demandé grâce

Au .Maître tout puissant qu'ils avaient offensé.

Ils maudissent enfin leur projet insensé :

Mais leur regret est taux et leur souffrance vaine,

('ai- leurs e<eurs sont toujours pour Dieu remplis de

[haine. Ils sortent quelques fois de leurs brûlants cachots :

Ils traversent sans lirait le funèbre chaos

<^ui le- entoure au loin d'un cercle lourd e1 Bombre,

Comme les doigts d'un mon qui vous étrëiuf dans

[l'ombre :

.Mais leur peine est la même : ils souffrent en tout lieu ;

Kt partout les poursuit la justice de Dieu.

ÏDTI CANADA 61

Aux enfers arrivé. l'ange maudit s'arrête ; Avec un lire amer il relève la tête Et jette aux eieux lointains un blasphème impuissant. Alors la porte s'ouvre. Il entre en frémissant Dans le gouffre rempli de flamme et de fumée. Des damnés furieux la plainte accoutumée Caresse son oreille et réjouit son cœur. Il leur jette en [tassant un sourire moqueur ; Et tâchant d'écarter de ses deux mains la flamme, Comme un homme qui nage écarte chaque lame, Il s'approche du trône s'assied Lucifer : •• Xoble rival du Dieu qui creusa cet enfer,

Satan, je viens, dit-il. de parcourir ce monde •• Que le maître du ciel de ses bienfaits inonde,

Comme pour se moquer de nos tristes malheurs Et nous faire sentir de nouvelles douleurs.

•: Bien des hommes de foi prônent eneor la gloire - Du tyran qui sur nous remporta la victoire.

<)2 DÉCOUVERTS

.Mais malgré les faveurs qu'il épanche sur tous, •• La pluspart, b Satan, l'outragent avec nous. •• Peut-être que bientôt leur noire ingratitude •• Eteindra son amour et sa sollicitude : ■• El ces êtres chéris au bonheur destinés •• Dans les flammes seront comme nous enchaînés. •• () la lutte superbe ! ô la belle vengeance ! •• Qu'il sache, l'ennemi, quelle est notre puissance ! •• Nous sommes rois ici comme lui dans son ciel ! •• La terre près du sien élève notre autel ! •• Combattons cependant, ne cessons pas la guerre ! ■• Les amis de son nom ne se reposent guère ! •• Voici <|ifils vont déjà, pareils à des géants, •• Sur de hardis vaisseaux franchir les océans, " Pour apprendre sa gloire aux peuplades sauvages " Qui nous rendent encorde fidèles homma* •• .Vai-je pas vu moi-même, ô puissant Lucifer, ■• Trois navires voguer au milieu de la mer !

DU CANADA 63

s vont au Canada renverser notre culte, Et faire à ta puissance une sanglante insulte ! •• Ils partent vers ces bords des Prêtres du vrai Dieu !.., •• Ce3 hommes dévoués nous troublent en tout lieu... -'• En ruses, en moyens notre esprit est fertile, ■• Nous. pouvons rendre ci cor leur projet inutile. '• C'est à toi d'ordonner, c'est à nous d'obéir ! ■■ Que Dieu sache comment nous voulons le haïr!

El cessant de parler, fidèle ministre* Leva sur Lucifer son oeil* fauve et sinistre. Une langue de feu le mordit aussitôt Et lui fit exhaler un lugubre sanglot. Sur leurs brasiers ardents les damnés se tournèrent, Et de leurs cris plaintifs les enfers résonnèrent.

64 DÉCOUVERTE

Après avoir paru ae recueillir an peu. Le fier Satan, debout sur son tronc de feu,

, tomber ces mots de sa bouche maudite : ■• Oui. c'est en vain que Dieu du haut du ciel médite

D'empêcher mon pouvoir de sortir hors d'ici ! •• Comme Lui je suis roi : J'ai mes sujets aussi !

" .Mon joui;- semble plus doux, mes promesses plus belles: •• Je puis rendre H >es lois tous Les peuples relu-Ile-. •• Si vous me seconde/- de vos noMes efforts

•• Nous verrons à la fin seront les plus, torts.

De nous avoir vaincus je veux qu'il Be repente ! ■• Son ciel est escarpé : mais une douce pente

■• Vers mou sombre royaume entraine Les mortels.

•• Elan i mon S le combat : renversons ses autels !

Que Les bons serviteurs que sou amour protège

Trouvent sur leur chemin a chaque pas un piège !

Et ne laissons jamais le flambeau de la foi

S'allumer aux pays qui vivent sous ma loi.

DU CANADA

aire périr les hommes téméraires Qui veulent éclairer ces ténébreuses terres ! •• Ministre dévoué, tu dis que sur les eaux,

Cherchant le Canada, trois rapides vaisseaux

S'avancent secondés par un vent favorable ? ■• Je saurai déjouer ce complot formidable.

•• Au fond de l'océan, dans son lit de limon. Repose, tu le sais, un perfide démon : •• C'est l'Esprit de la mer. Il commande les ondes •• C'est lui qui les appaise ou les rend furibondes. •• Va, dis-lui sans retard qu'il déchaîne les vents •• Et lance jusqu'au ciel les flots noirs et mouvants.

Ainsi Satan parla. Son ministre docile, Aussi pervers que lui sans être moins habile. Animé du désir de propager le mal. Se hâta de laisser le séjour infernal.

'.'fi DÉCOUVÏBTI

Comme un trait enflammé dans nue nuit obscure, Il traversa les champs vides, froids, sans murmure <Jui s'étendent autour dos gouffres éternels. Il entendit de loin les hymnes solemnels

Que la terre chantait à son Céleste .Maître. Peut-être un noir courroux, un souvenir peut-être' Fit briller un moment une larme à ses yeux : Ce ne fut que L'éclair qui passe dans les cieux, Rt bientôt il s'arma de sa froideur première.

Il aborda ce monde inonde de lumière. Col astre favori que son divin Auteur Se plut a décorer avec grâce et splendeur

Connue le front serein d'une épouse nouvelle. Comme lin sinistre oiseau se heree sur son aile.

Il se berça longtemps sur les vagues des airs Et vit le> trois vaisseaux qui sillonnaient les mer- Alors il s'élança vers les grottes profondes Que l'Esprit de la mer habite sous les onde-.

DU CANADA 6T

Dans le flanc limoneux d'un verdâtre rocher le reptile impur se plait à se cacher, Le perfide démon a choisi sa demeure. C'est que soucieux on le trouve à toute heure Tramant contre le ciel, pour tromper son ennui, Des projets que souvent Dieu tourne contre lui. Le paresseux polype et l'impure limace Agitent à ses pieds leur glutineuse masse. Il tient au lieu de sceptre un roseau dans sa main ; Sa barbe en verts réseaux retombe sur son sein ; Ht sur son cou nerveux sa glauque chevelure Semble d'un tronc vieilli la mousseuse ramure. Quand il voit arriver renvoyé des entérs. 11 sourit en secret d'un sourire pervers : Que demande, dit-il, à ma faible puissance •• Le glorieux esprit dont la seule présence Faisait trembler jadis l'orgueilleux roi du ciel." •• 0 roi de l'Océan, notre prince immortel

DÉCOUVERTE"

•• Demande ton secours dans une grande lutte. " Aux menaces des cieux il esl toujours on butte. •• Voilà que maintenant un lâche adorateur ■• De ce tyran jaloux, dur et persécuteur '• (t>ui nous précipita*, pou*1 un» prétendu cri mej •■ Dépouillés de tout bien, dans l'éternel abîme, ■■ Conduit impunément sur tes dormantes eaux. ■• Vers ies bords Canadiens trois orgueilleux bateaux !' " Il va proclamer Dieu sur ces terres barbares, •• Et porter la lunrière-aux peuplades Ignares ! H Laisse souffler les vents et soulève les flots. " Qu'il périsse le traître avec ses matelots ! Et que le I>ieu quILsert, si] s'en pense capable, •• Vienne alors l'arracher a ta haine implacable ! Il dit. et sans retard remontant but la mer.

Il vole en blasphémant aux portes de Tenter.

Y II

LA TEMPETE

!k- brise légère enfle à peine les voiles .; Les nuages vermeils, comme de blanches toiles. Pendent à l'horizon dans la pourpre des vieux : Et sous les chauds baisers d'un soleil radieux On aperçoit rougir les vagues balancées: De même le front pur des jeunes fiancées.,

7<) DÉCOUVERTE

Sous le premier baiser de l'amoureux époux, S'illumine soudain d'un éclat vif et doux. IV> oiseaux égarés dans leurs courses lointaines Viennent se reposer sur le boni des antennes. Autour des bâtiments, les habitants des mers, Se Livrant, tour a tour, à mille jeux divors, Font reluire au soleil. Bur les ondes limpides.

ailles d'argent de leurs croupes humides, Quelques-uns des marins se livrent au repos. Les autres, réuni-, par de plaisants propos S'efforcent d'éloigner l'ennui qui les obscède. Il parlent de la sœur qui pour eux intercède Auprès de l'humble Vierge et de son divin Fils : Ils répètent en chœur les chansons du pays: Puis en esprit, d'avance, ils tâchent de se peindre Leg rivages nouveaux qu'ils espèrent atteindre.

L'intrépide Cartier, debout sur le gaillard, Plonge dans l'occident le feu de son regard.

I>I CANADA 71

Se demandant déjà si du sein de cette onde Tl ne verra point naître une terre féconde.

La brise cependant ne ride plus les eaux. Et sur les flots unis s'arrêtent les vaisseaux. Le long de chaque mât tombe la voile blanche "Comme un feuillage lourd sur un trône qui se penche.

Ce calme inattendu des matelots surpris A.gite tout à coup les tranquilles esprits. Un silence effrayant règne dans l'atmosphère; Une flamme subtile, ondoyante, légère, •Court le long du cordage, et dans son mol essor Le couvre tout entier de ses aigrettes d'or, Sur le flanc du vaisseau reste un sillon d'écume: On voit à l'horizon comme un rideau de brume cachant à demi son orbe étincelant. Le soleil radieux luit comme un œil sanglant.

72 DÉCOUVERTE

Cependant vers le nord un nuage se forme: Il parait B'avaneer comme an géant énorme Dont les pesants talons s'enfoncent dans les mers Bl dont le iront al tier disparait dans les airs. Les prudents matelots redoutant les orages, Montent dans le3 haubans, préparent les cordages, Amarrent chaque voile aux vergues avec soin. CTn bruit lugubre et sourd se fait entendre au loin. L'oiseau dos ouragans sur Tonde vient s'ébattre. Le vent ne souille pas et l'océan verdâtre

Voit su;: perfide sein frissonner de fureur.

Le soleil s'est cache; la nuit pleine d'horreur Dans les replis des flots bercent ses lourdes ombres, Debout au pied des mats, les marins tristes, sombres, Sentent un vague effroi s'emparer de leur cœur El demandent au ciel d'éloigner le malheur.

DU CANADA 73

Cartier regarde tout d'un œil calme et tranquille: 11 ne s'agite point d'une crainte inutile : Son esprit reste ferme en face du danger. Il sait que le Seigneur peut bien le protéger. 11 parle aux matelots, et sa voix les engage A demander à Dieu la force et le courage. *Sa parole à leur cœur rend la sérénité. Et chacun prend son poste avec tranquillité.

Tout à coup un éclair déchire les nuages : [Jn sifflement Jdgu s'échappe des cordages ; Par un vent furieux les navires fouet 1rs Inclinent leurs flancs noirs sur les flots irrités. La mer comme un volcan semble lancer des flammes Les vaisseaux jusqu'au ciel montent avec les lames Pour descendre aussitôt dans le gouffre béant. On dirait que tout va tomber dans le néant !

I DÉC0X7VERTI

De plus en |)lus aux cienx les ombres s'épaississent : Sous 1rs efforts <lu vent k's mâts craquent, gémissent : Los ponts sont balayés par des flots écu mante ; Et le tonnerre unît ses longs mugissements Aux sanglots <le la bise, aux grondements des vagues: Et les éclairs blafards de leurs lumières vagues Illuminent les cieux et les mers confondus.

Cependant les vaisseaux dans les ombres perdus Voguent séparément au gré de la tempête. Devant l'arrêt du ciel Cartier courbe la tète. Il espère toirours : ce sublime marin

Au milieu «le l 'orage est demeuré serein !

La nuit qui BUT la nier vient d'étendre son aile

A cet affreux tableau donne une horreur nouvelle

DU CANADA 7

Le marin ne voit pas son léger bâtiment

Que parait engloutir le terrible élément,

Si ce n'est toute fois aux lueurs de la foudre

Qui semble s'acharner à tout réduire en poudre.

Mais le vaisseau revient sur le flot agité

Connue un noble escadron qui cent fois culbuté

Se relève aussi fort et remonte sans cesse

A Tassant d'un rempart ou d'une forteresse.

Le pilote incertain et perdu dans la nuit

Xe sait plus vers quel lieu son navire s'enfuit :

Le matelot troublé croit que Dieu l'abandonne

Et que pour lui déjà la dernière heure sonne.

Pendant toute une nuit, et pendant tout un jour

Nul astre du beau temps n'annonce le retour.

La mort plane partout. Dans leurs humides franges

Les flots semblent rouler avec des bruits étranges,

Tantôt un cri moqueur, tantôt un rire amer :

C'est le ricanement du démon de la mer !

VIII

TERRE

Saint ! brillant soleil ! Salut ! douce lumière l Tu viens chasser la nuit de ma triste paupière Et rendre au ciel d'azur sa suave gai té, Au perfide océan sa sauvage beauté ! Devant toi l'aquilon a vu tomber sa rage ! Devant toi s'est enfui le vagabond nuage !

78 DÉCOUVERTE

Tu parsèmes la merde lumineux sillons

L'oiseau sèche son aile à tes chastes rayons ! Salut, astre charmant ! niais sont les carènes <w>ue le vent dispersa sur les ondes lointaine-. Pendant que dépouillé de ton celât si doux Tu te cachais d'effroi dans Le ciel en courroux ?

Comme un oiseau blessé par la flèche stridente

Se traine vers les bois, et (Tune aile pendante

Rase les prés en fleurs et les champs de moisson. J'en vois un qui s'incline au bord de l'horizon ! Ses cordages rompus, ses voiles déchirées

Voltigent au dessus des values a/auve-.

Comme les blancs flocons «pie les jeunes agneaux

Accrochent en passant aux nœuds <\v> arhrisseaux. Cependant les marins, pleins d'un nouveau COUrage,

Réparent le désordre apporté par l'orage,

LUT CANADA 19

Kl déjà le navire avec rapidité

S'ouvre un large chemin sur le flot argenté.

Le ciel veille sur toi ! vogue charmant navire !

Vogue, favorisé par un tiède zéphire !

Le démon de la mer, honteux et confondu,

Dans son antre de boue est déjà descendu.

Le Seigneur a parlé, les esprits des ténèbres

Se sont précipités dans les gouffres funèbres.

Lucifer a senti comme un soufflet sanglant

Qui lui fit devant Dieu courber son front tremblant.

Vogue, ô joli navire, avec ta noble troupe !

V\\ pilote divin s'est assis à ta poupe !

Pour veiller sur ton sort, l'Ange du Canada,

Dans l'orage et la nuit, sans cesse te guida !

Longtemps, longtemps ainsi vogue •• La Grande Her-

[mine." Il sillonne tantôt une mer qu'illumine

$0 DÉCOUVERTE

Les reflète chatoyants «lu paisible matin. Tantôt les flots dorés par l'éclal incertain De L'astre de la nuit qui monte sons la nue ^genoux sur le pont, les marins, tète oue,

Viennent avec respect [trier matin et soir.

E1 demander encor le courage e1 l'espoir.

Cependant deux vaisseaux sont perdus sur les ondes.

Sont-ils ensevelis sous les vagues profonde

Ou sans voiles, sans mats, sous un ciel inconnu.

Est-ce en vain que pour eux le calme est revenu ?

L'ange du Canada, comme un débile athlète,

S'est-il donc contenté d'une gloire incomplète ?

Au démon de la mer demi-victorieux

A-t-il abandonne ce butin précieux ?

DK CANADA 81

Immobile, de bout au pied du mât de hune.

Cartier verse des pleurs sur la triste infortune

Des braves compagnons de ses nobles travaux.

Ils devaient avec lui fouler ces bords nouveaux

Que le ciel étonné promit à son audace !

Vainement de la nier parcourant la surface.

Son humide regard cherche quelque point noir

Qui pourrait un moment tromper son désespoir :

La mer de toute part est limpide et déserte !

Au dessus de ses flots nulle aile n"est ouverte !

Les matelots aussi, touchés de ce malheur

Eprouvent dans leur âme une amère douleur :

Leurs propos sont moins gais ; leurs chansons plus do- lentes Dans l'air calme du soir trainent leurs notes lentes.

Le flot se ride et tremble à 1* haleine des vents Comme un front de vieillard sous le souffle des ans.

DÉCOUVERTE

Le Boleil esl entre dans sa couche pudique. De nouveau sur la mer la nuit mélancolique Avec son noir manteau se promène sans bruit, Et Bur son front d'ébèno une étoile d'or luit. Et le, navire vogue ! et sa coquette voile Sur la vague d'azur tremble comme l'étoile ! Endormis sur le pont, la pluspart des marins Ont pour quelques moments oublié leurs chagrins. Cartier veille toujours, l'nc douce espérance

Soutient son énergie et ealme sa souffrance. Il lui semble que l'onde en ses replis profonds Berce de verts rameaux et de flexibles jon< Et que l'air est rempli d'un arôme sauvage

Comme celui «pi'exhale un jeune et chaud foui liage : Ki sur l'aile des nuits son e<cur reconnaissant S'élève avec amour vers le Dieu Tout-1'uissant.

!

Di: CANADA 8:>

La nuit s'est envolée et le vent souffle encore. Au tond de l'Orient la matineuse aurore Lève son front orné d'un éclat chaste et doux. Le soleil qui la suit comme un fidèle époux, D'une poussière d'or, de mille traits de flamme Emaille et t'ait briller la vagabonde Lame, Poussant d'étranges cris, de superbes oiseaux Rasent dans le lointain la surface des eaux. Ou planent dans les airs au dessus du navire. Un doux pressentiment ranime et fait sourire Les marins réunis sur le gaillard d'avant. Le mousse dans le mit remonte plus souvent, Espérant chaque fois que de l'oncle azurée Son œil verra surgir la terre désirée. Le vent fraîchit toujours, et le lier bâtiment Vers le monde nouveau marche rapidement. Et Cartier tout ému. l'œil rempli de lumière. Regarde l'eau qui vole ainsi qu'une poussière.

84 DECOUVERTE

Il aime son vaisseau, comme an vieil écuyer Aime, quand il hennit, son vigoureux coursier

Quel est ce long sillon qui s'élève dos vagues ? Il esl vêtu d'azur el ses formes sont vagues Comme un rêve d'amour dans un coeur innocent ! Il s'avance ! Il s'avance ! Il va s'élargissant ! Est-ce un monde réel ? Ou n'est-co qu'un mirage Qui brille comme un songe aux yeux de l'équipage ' Soudain uue clameur s'élève jusqu'aux eieux : •" Terre ! terre ! " oui crié les matelots joyeux, Et le vaste Océan a redit : •• Terre ! terre ! Et Cartier, tout m pleurs, courbe son front austère, Adore dan? l'amour le Dieu de sainteté Qui pour lui t'ait si haut e(dater sa honte ! Kt le- pauvres marins transportés d'allégresse, Oublièrent alors un moment leur tristesse, S'embrassèrent entre eux. se serrèrent les mains. Et jetèrent au vent mille joyeux refrains !

IX

iUNË ILE

Comme un athlète heureux qui remporte la palme, tfje navire s'arrête au fond d'une anse calme >Que le rivage ceint de ses liras arrondis.

Dans les flots de cristal les arbres reverdis ,Se plaisent à mirer .leur grande et sombre image;

Kl d'agiles oiseaux au chatoyant plumage

Xli DÉCOUVERTE

Ornent comme des fleurs Les feuillages touffus Et du fond «les forêts des chants gais e1 confits S'élèvent tout à coup pour saluer les hôtes Que le ciel a conduits sur ces lointaine- côtes.

Les marins agites d indicibles transports Descendent cependant sur ces sauvages bords. Tourmentés par la crainte et par L'inquiétude, Leur cœur s'ouvre a la joie en cette solitude L'orgueilleuse mer vient humblement mourir. Ils foulent le gazon ; >e plaisent à courir Sous le dôme ondoyant des arbres séculaires :

Réveillent les échos de ces lieux solitaires Par leurs cris d'allégresse et leurs couplets joyeux : S'enivrent du parfum des arbres résineux ; Escaladent Les rocs : montent dans Les feuillages

Comme ils montent sur l'eau dans leurs tremblante

[cordages.

DU CANADA

Ainsi jusques au soir, d'un pied souple et léger, Us parcourent gaiment le rivage étranger : Mais quand l'oiseau des nuits s'enfuit de sa cellule, Quand aux cimes des pins tremble le crépuscule, A la voix de Cartier, sur le pont du vaisseau .Avec empressement tous montent de nouveau; Puis ensemble à genoux, ils élèvent leur âme Vers celui qu'en tout lieu la nature proclame ; Et cette mer tranquille, et ces immenses bois Entendent louer Dieu pour la première fois ! Pour leurs frères aimes que les vents dispersèrent Avec ferveur et foi les matelots prièrent.

Deux hommes, par leur geste et sur leurs fronts

[cuivrés, Laissent voir le bonheur dont ils sont enivrés

A l'aspect imprévu de la rive déserte.

Leur âme si longtemps froide, insensible, inerte,

DÉCOUVERTE

A retrouve la vie el repris sa gaité. A leurs esprits ardents sourit la liberté. Pareils à deux oiseaux dont la prison s'entr'ouvi Ils prendront leur essor vers le bois qui reconvr La cabane jadis ils virent de beaux jours, Les os de leurs aïeux et leurs tendres amours.

Le lendemain matin, au lever de l'aurore, Quand la grive chanta sa cantate sonore. Quand la fleur entrouvrit son calice odorant, Va i\uv L'onde effleura le sable en murmurant. Cartier el ses marins revinrent aux rivages Amenant avec eux les deux captifs sauvages.

Ils marchèrent longtemps, tantôt au bord des eaux. Tantôt sur les rocs nus ou sur les verts coteaux.

DU CANADA 89

Cherchant s'étendait cette terre fertile. Ils purent voir enfin qu'elle n'était qu'une ile que lu mer étreignait dans ses bras palpitants, Mais au nord, au midi, du sein des mers sereines, Ils virent s'élever d'autres terres lointaines. Et pendant qu'ils marchaient dans les épais taillis7 Les oiseaux effrayés s'élançant de leurs nids Faisaient vibrer les bois de leurs notes stridentes. Kt les deux Indiens dans leurs âmes ardentes. Eprouvaient le besoin de s'envoler comme eux.

1) tmagaya pourtant, sous les bois ténébreux, Poursuit, armé d'un arc qu'il fit d'un jeune frêne, Un oiseau gigantesque au plumage d'ébène. Il est bien loin déjà: ses compagnons surpris Jettent pour l'appeler, tour à tour, de vains cris. Il court comme un chevreuil sur le tapis de mousse

90 DÉCOUVERTE

La Liberté jamais ne lui parai plus douce. Au sommet élevé d'Un odorant sapin, Fatigué d'un long vol. l'oiseau s'arrête enfîni Croyant avoir vaincu le chasseur insensible.. Domagaya joyeux, bande sou arc flexible El s'apprête à percer L'oiseau trop confiant.. Mais il a tardé trop. Tue flèche en criant De l'arbre ehevelu perce l'altière cime, R( d'un autre chasseur l'oiseau tombe victime. Le sauvage «'tonne m' sait plus que penser: L'espérance et la peur L'empêchent d'avancer. Rst-Ce un entant des botsgni vient à sa rencontre. Ou le bon manitOU qui devant lui se montre Pour le sauver enfin des entraves des Blancs ?

Des pa- froissent le sol sous les arbres tremblants Le feuillage s'écarte et le rameau s'incline, Kl soudain apparaît une forme divine. Un sentiment d'effroi saisit Domagaya :

DU CANADA 91

11 reconnaît pourtant la jeune Naïa :

Mais il ne peut cncor lui dire une parole.

Jusqu'au pied du sapin la chasseresse vole

Et va saisir l'oiseau que sa flèche a perce.

Elle aperçoit alors contre un arbre adosse

L'homme que pour époux a choisi sa tendresse :

Elle lui tend les bras, jette un cri, puis s'affaisse !

Mais l'amant auprès d'elle à genoux s'est jeté :

1 1 soulève son front brillant de pureté,

Et pour la réchauffer tient sa main refroidie.

Une tendre parole à son âme engourdie

Rend insensiblement la force et la vigueur :

Elle ouvre ses grands yeux tout remplis de langueur :

" 0 toi qui m' apparais sous ce désert feuillage

•• Es-tu Domagaya l'amour de mon jeune âge ? "

Dit-elle, en essuyant les larmes de ses yeux,

•• Ou bien es-tu, dis-moi, son esprit soucieux

" Qui vient du champ des morts soutenir mon courage ?

92 dé(mhvkhtf;

•- Les Blancs font-ils chez-cux t'ait Bubir quelqurou-

[trage? •• Et les vieillards sensés n'ont-ils donc j»as en tort

•• De me dire traîtresse et d'exiger ma mort ? "

•• Xaïa. < | il*' dis-tir ? Que dis-tu. mon amie ?

•■ .le >uis Domagaya plein d'amour el de vie !

Les guerriers do l'Aurore ont un cœur généreux :

■■ A travers te grand lac je reviens avec eux.

•• Le vent nous a jetés sur cette petite île : •• .Votre vaisseau là-bas, dort sur fonde tranquille. •• Mais toi. dis-moi comment tu te trouves ici. •• Gomment tu fus traîtresse et condamnée aussi. ■• Non ! non ! ta Xaïa ne fut point insensée !

Son crime n'existait qu'au fond de la pensée

De ces vieillards pervers <|iii désiraient «lu sang !

.Asseyons-nous plus loin, au bord de cet étang :

.le vais en quelques mots te- dire mes misères.

Tous dettX sVtant assis sur le- molles fougères,

\up:vs <le< flots d'azur d'un petit lac dormant.

DU CANADA :'•>

Elle tit ce récit à son fidèle amant :

•• Quand dos Blancs le navire eut laissé notre plage.

" Un sombre désespoir, une bouillante rage

•• S'emparèrent du cœur de ton père attristé.

" Il accusa longtemps les Blancs de cruauté,

li Et demanda les fils ravis à sa tendresse.

l- Un perfide jongleur, plein de haine et d'adresse

-• Lui dit de se venger en renversant la croix.

-■ Le conseil des vieillards l'aurait voulu je crois :

•• Mais j'arrive soudain pendant qu'on délibère :

" J'avais du Dieu des Blancs vu l'adorable mère;

" Au pied de la croix même elle m'avait parlé.

" Je redis son discours au grand chef désolé :

" Il sentit se calmer son courroux et ses peines :

'; La croix resta debout au milieu de nos plaines.

" Mais en vain notre chef, dans les pleurs nuit et jour,

u De ses fils bien aimés attendit le retour.

-' Le jongleur nourrissant une haine farouche

04 DÉCMM VKKTK

8e plut à me Bouiller du venin do sa bouche..

" Il me traqua partout, jusqu'au tond dos forêts ;

Pour me perdre il forma mille infâmes projets. " Il m'accusa d'avoir par des bruits ridicules,

•■ Surpria la bonne foi dos vieillards trop crédules.

" Eh ceux-ci s'indignanl do ma témérité,

'■ Kt d'avoir devant moi manqué de ferme

•• Crurenl couvrir leur honte et servir la justice

•• En me faisant du feu subir l'affreux supplice.

•• J'étais-là dépouillée et liée au poteau,

l- A l'heure le soleil derrière le coteau

" Semble se reposer dans un lit de feuillage.

•• Autour de moi pleuraient los femmes du villa

Mais le jongleur riait : et sou rire moqueur C! Comme un trait acéré me déchirait le cœur.

■• Pour narguer mes bourreaux a cette heure terrible

Je n'aurais pas chanté d'un ton calme et paisible : ■• Mais j'étais innocente et je mourais sans peur.

DU CANADA 95

" Un instant s'éloigna le barbare jongleur ; :- Il revint brandissant une torche enflammée : " Il me sourit encore ! et soudain la fumée Fil monter jusqu'au eiel ses épais tourbillons, •• Et je sentis du feu les cuisants aiguillons. •• Mais tout à coup que vois- je au milieu de la flamme ? •• Un espi'it merveilleux ! une brillante femme ! " Lij même que je vis devant la haute croix ! " Elle défait mes nœuds de ses flexibles doigts. •• Baise mon pâle front et me dit à l'oreille : - Naïa, sauve-toi, sur tes jours moi je veille ! •' Et je ne sais comment malgré les javelots. •• Je franchis le village et courus prés des flots : •• Mais j'éprouvais alors une étonnante force ; :' Je pris mon aviron et mon canot d'écorce. " Et je voguai sans peur sur les flots périlleux Jusqu'au jour le vent me poussa vers ces lieux."

96 DlCOUVEBTl

Ainsi parla Longtemps la jeune fugitive. Prêtanl à son récil une oreille attentive, Domagaya, muet, la regardail toujours. " O Xaïa ! dit-il. \aïa. mes nmoiu-s. ■• Retournons maintenant au pays de nos pères ' ■• Je Los écraserai ces Langues de vipères " Qui sur toi n'ont pas craint d'appeler tant de maux ! •• Le jongleur maudira ses desseins infernaux. •■ Comme L'iniquité la justice a son heure ! •• Mon père en revoyant les deus entants qu'il pleure " Saura qu'à des méchants il a donné sa foi. " Il se repentira d'avoir doute de toi. •• Voguons dans ton canot ! voguons, ô mon amie ! •• Mon frère nous suivra sur la mer endormie.

LE SIGNAL

Au tond de l'Occident le soleil descendait. Et l'ombre de la nuit à l'Orient montait. Comme on voit dans un cœur s'affaisser l'espérance Et monter tout à coup une sombre souffrance. Après avoir marché dans file tout le jour. Sur le bord de la mer les marins de retour.

98 DÉCOUYXBTI

Entassaient <\vs rameaux pour les livrer aux flamme Quand le voile des nuit» s'étendrait sur les lames. Et faire aux doux vaisseaux peut-être errants encor l'n signal qui pourrait diriger leur essor Vers la tranquille baie la bonté divine Avait, malgré l'enfer, guidé la Grande-Hermine,

Sur le sable le flot courait avec lenteur Cartier se promenait; méditant dans son cœur Les desseins du Très-Haut èl sh magnificence; Et débordant d'amour et de reconnaissance Son esprit droit et pur montait vers le Scigncu Comme vers le soleil une molle vapeur.

Ce] 'iidant ses regards avec inquiétude Interrogeaient souvent la vaste s*olitude.

1)1 CANADA

99

Le chasseur Indien n'était pas revenu. S'était-il égare dans le bois inconnu ? Ou sentant tout à coup ses fiers instincts renaître. S'était-il échappé pour ne pas reparaître Pendant que ces penser» occupaient ses esprits, Sur un rocher couvert de sapins rabougris Cartier vit s'élancer deux rapides fantômes. Comme un mulot ruse se cache dans Les chaumes, Il les vit se cacher au plus épais des bois. Ht li les entendit contrefaire trois t'ois. Toujours en élevant leur voix imitative, Du Lugubre hibou la voix morne ci plaintive. Surpris, vers les marins il accourt promptement, Mais il les trouve aussi remplis d'étonnement. A l'instant les voix s'élevant des ténèbres, Avaient fait trembler L'air de leurs trois cris funèbre- Taiguragny, pensif, avait bondi soudain. Et s'était vers les bois élance comme un daim.

100 DÉCOUVERTE

Mais ses pieds n'avaient plus leur souplesse premii re

Un marin le saisit avant que la bruyère

Lui donnât dans sou ombre un asile certain :

El tenant son front pâle appuyé sur sa mai 11,

Il était maintenant assis au pied d'un ai-l'i-e.

Immobile et muet comme un buste de marbre.

Ces end i-oit s. dit Cartier, ne sont donc pas d< sel ts

Nous les explorerons en mille sens divers

•• Sitôt qu'à riiori/ou l'on verra l'aube poindre.

" Domagaya nous fuit, il faudra le rejoindra

•• Mais brûlons DOS rameaux que l'on vient d'entas- er

" Dans le sommeil ensuite allons nous délasser."

Alors un des marins en frappant une pierre Kit jaillir avec bruit une vive lumière : L'étincelle mordit les rameaux résineux : La fumée éleva ses orbes onduleux

DU CANADA 101

Comme un voile flottant dans l'air chaud et limpide.

Un gai pétillement, un craquement rapide

Se mêlèrent alors aux cris des matelots.

A leur> éclats de rire, à leurs joyeux propos.

Bientôt tout tut en feu. De ses flèches aiguës

La minime en bourdonnant semblait percer les nues:

lTn rideau ténébreux dérobait les forêts;

Et du vaste brasier les ondoyants reflets

Luisaient d'un vif éclat au loin sur Tonde amère.

Gomme le souvenir d'une joie éphémère

Vient luire quelque fois sur notre pauvre cœur

Quand il est recouvert d'un voile de douleur.

La flamme cependant B'était bien vite éteinte. Et la mer n'avait plus sa lumineuse teinte. Monte sur son vaisseau, l'aventureux marin Reposait ses esprits dans un sommeil serein.

1 02 DÉCOUVERTE

Aussitôt que l'aurore au monde vint sourire,

Le Commandant monta sur le pont du navire,

Kl longtemps sur la mer promena son regard.

Alors les- matelote, honteux d'être en retard,

Laissèrent leurs hamacs et leurs aimables rêves.

Le vent soufflait du large, et l'onde sur les grèves

Jetait sa blanche écume avec <lc vagues bruits,

Pendant qu'au ciel montaient les trais brouillards <le>

[nuits.

Tout-à-coup, rasant l'île, une frèlç pirogue, Sur les Hots eeiinicux se précipite et vogue. Mlle laisse la rive et vient vers le vaisseau : Chaque coup d'aviron la t'ait bondir sur l'eau. Carticra reconnu l'Indien qui la guide. C'est bien Domagayadont la ruse perfide, Faillit avoir la veille un étrange suce< il rame avec vigueur; il est déjà tout près.

IH CANADA 10&

Taiguragny surpris ne sait par quel mystère Dans un canot d'éeorfce il voit voguer son frère. Cependant il arrive, amarre son canot. Kt sur le bâtiment il parait aussitôt. Il jette sur son frère un regard de reproche Et vers le Commandant humblement il s'approche: " Noble Seigneur, dit-il. tu vois que l'Indien Ne devient pas ingrat quand on lui fait du bien. •• J'aurais pu me cacher dans de secrets repaires •• Et voler cette nuit au pays de mes pères; •• Mais de bons soins toujours tu m'as environné •; Kt je vais pour cela jusqu'à Stadaconc. •• A travers les éeueils diriger ton navire. ■l Mais il est dans cette île, enfin je dois le dire, " Une femme que j'aime et qu'il faut emmener. •• Des méofeanis a la mort ont pu la condamner. •• Son amour pour la creux fut son unique crime : •• De> ennemis des Blancs elle fut la victime.

101 DÉCOUVERTE

•• l'n esprit de ton ciel l'a ravie au bûcher, •• Kl dans ces bois déserts elle vint se cacher. •• Si nous la délaissions en ce lieu solitaire •• Klle mourrait bientôt de peine et de misère.

Au ciel <lu Canada qu'elle vienne avee UOUS, •• Kl que ta charité lui tasse un sort plus doux.

Cartier, tout étonné de ce noble langage. Presse contre son coeur la main du bon sauvage. Il sait que l'Indien avec habileté l'eut donner au mensonge an air de vérité. Kl que d'autres motifs en empêchant sa fuite, < >nt pu déterminer cette noble conduite : Cependant il se plait à croire ses discours Kl veuf que sans retard l'on prête du secours A cette entant des bois que poursuit l'injustice. Par son ordre aussitôt une chaloupe glisse

|)[' CANADA 10,"

Vers la rive déserte l'humble fille attend : Domasava, ravi, la conduit en chantant.

Qu'il est plaisant e1 frais le souffle de la brise !

Vrers les récifs lointains comme l'onde se brise ! Qu'ils sont gais dans leur vol les oiseaux de la nier ! Qu'elle est forte la voix de l'océan amer ! Est-ce une aile, là-bas, qui s'ouvre v\ se balance ? Est-ce un immense oiseau qui sur l'onde s|éiance ? () Cartier, quel éclair s'échappe de tes yeux ! Quel doux étonnement. quel espoir radieux Font tressaillir ton cœur comme un bronzequ'on frappe! Que portent donc les flots sur leur mouvante nappe ? Ce n'est point un brouillard qui s'élève eelatant ! Ce n'est point un oiseau qui vient en s'ébattant ! Une voile ! une voile ! 0 Dieu ! c'est une voile ! Puis une autre la suit comme au ciel une étoile

H»*! DÉCOUVERTE

Suit de près dans l'azur lustre aux payons sereins ! Elle approche ! elle approche ! Et déjà les maiiuK Du rivage de l'île au loin Tout aperçue ; Leur immense clameur monte jusqu'à la nue Et du pocher sonore éveille les échos : Ë1 sur le bâtimenl les mitres matelots Répondent à ces cris par d'autres cris de joie ! A la cime des mâts le pavillon ondoie ! C'est une belle fête ! et les coquets vaisseaux

Paraissent de plaisir 8*agiter sur les eaux !

Les voila ! les voilà ces navires rapides Avec leurs ponts couverts de marins intrépides, Leurs flânes tout écumeux, leurs agrès mutilés ! Sous quels cienx, sur «pr.'ls flots étaient-ils donc allés?

Quel astre le- eunduit vers cet heureux rivage ?

Quel pouvoir les sauva des fureurs de l'orage ?... L'ancre tombe soudain dans 1rs M<»ts orgueilleux; Un cantique d'amour s'élève jusqu'aux cieux !

X I

UN FLEUVE

Marins, ouvrez vos cœurs à la réjouissance ! Chantez l'hymne sacre de la reconnaissance ! An Dieu qmi vous guida sur les gouffres amers. Kt vous fit déjouer les pièges des enfers, (liante/ un chant d'amour, un refrain d'allégresse ! Rn vain l'ange maudit à vous fluire s'empresse.

LOS DÉCOUVERTE

Le ciel pour vous combat, la victoire est A vous ! Après tant de labeurs le repos vous est doux ! Après tant <lc dangers vous aimez un asile ! Laissez vos bâtiments, descendez sur cette île vous ont attendus vos vaillants compagnons : Bientôt vous raserez ces rivages sans noms Que le monde étonne ne soupçonnai! pas même : El vous verrez finir cette lutte sup.-vnir vous n'avez pas craint, courageux matelots, De suivre votre chef, ce glorieux héros '

La rose jette BU vent scn Miavo ;ir< >nir> :

La fontaine roucoule, ol les bois souh leurs dome> Entendent gazouiller le> nids harmonieux. Tout esl joie et bonheur au monde et dans les cieux Laissez, o matelots, laissez les frais ombrages ! Voguez ! voguez encor vers de plus beaux rivages

IPTJ CANADIA 109

'Y oyez- vous. -Niir 'les eaux vos navires légers ? On dirait que brûlant de braver les dangers, Ils veulent suivre encore une route nouvelle Allons ! allons ! marins, la brise vous appelle ! Laissez le vert gazon, l'ombre vous sommeillez ! Levez L'ancre mordante ! Il vente, appareillez!

Comme des ares tendus les voiles s'arrondissent : /Sur les flots agités les navires bondissent Kt laissent derrière eux l'île aux bords verdoyants. (Comme des moissonneurs dans les prés ondoyants •Ouvrent un long sillon de leur âpre faucille, Ainsi les bâtiments, dans l'onde qui scintille (Yeiisent avee leur proue un onduleux sentier. Leur course est bien rapide ; et sur son bord Cartier Entouré des marins qui forment l'équipage, .Regarde à l'horizon s'élever le rivage :

110 hKcol VKKTF,

Il tressaille en pensant que ce pays si Ik-.-ui De la France sera le plus riche joyau.

Dans le ciel cependant roulent <le noirs nuages, Bl sm- la mer encor s'abattent des orages. Le golfe sons ses flots cache |>lus d'un écueil, Satan s'ost relevé plein d'espoir ol d'orgueil : il oée croire encôr qu'an tciTiblc naufrage De l'ange du Seigneur peut détruire l'ouvrage. .Mais les vaisseaux prudents virent bientol tle bord El trouvent A la cote un sûr et large port :

Quand le vent du matin s'éleva favorable Que le Mot aznré vint effleurer le sable, Cartier fit lever l'ancre, et chaque bâtiment S'élança de nouveau sur le tfolfc écumant.

!VT CANADA 1 1 1

Llaraagaya, son frère et la jeune Indienne Ensemble assis tous (rois près de la grande antenne. Echangeaient à l'écart leurs étranges discours. Leur présence à Cartier était d'un grand secours : Ils connaissaient le golfe et ses îles ombreuses. Ils lui parlaient -du fleuve des tribus nombreuses Venaient planter de loin leurs tentes chaque jour. Et les deux Indiens se levant tour à tour. Indiquaient de la main au timide pilote L'ecueil qu'il devait fuir, la plantureuse côte Vers laquelle il pouvait sans nul risque cingler, iOt le cap les flots allaient battre et meugler.

X I ]

LE CAP PERCÉ

Pendant que, les vaisseaux, sous leur, blanche voilure. Inclinent leurs flancs noirs sur l'onde qui murmure. Taiguragny se lève et inarche vers Cartier : Vois-tu là-bas, dit-il, comme un portique altier Qui relève au-dessus de la mer son front chauve, (V rocher solitaire le corbeau se sauve.

M 4 DËCOl VERTE

('cite porte qui s'ouvre entre ces hauts piliers El |>ai- passeraient tes superbes voiliers '! De l'Esprit des combats c'était la grotte étrange

Disent les vieux Saelienis. Assise dans la fange Sur le lit du grand fleuve en ce lieu si profond, Elle touchait jadis de son énorme front La frange <lu nuage : el ses immenses ailes,

('ouvertes en tous temps «le verdures nouvelles.

S'étendaient vers le sud a cet autre rocher Dont la vierge des l>ois m'ose plus s'approcher.. Morose et sacrilège, aujourd nui la ruine Habite seule hélas ! la demeure divine ! Comment ce vaste asile a t-il été détruit ? Je ne bandais pas Tare que j'en étais instruit :

Et si tu veux je vais te conter cette histoire Que nul guerrier, chez nous, ne refuse de croire. Autant de lunes d'or ont monte dans les airs,

Autant de bleus glaïeuls au bord des ruisseaux clair*

DU CANADA 115

Se sont épanouis sous une tiède haleine, Autant de blancs frimas ont argenté la plaine Depuis que s'est passé le grand événement Dont je te fais, Cartier, l'histoire en ce moment. Qu'il passe sur nos mers, en hiver, de bruines, Que le chêne a de Bœufs et le houx vert, d'épines !

Polanina la brune était donc autrefois La plus belle des fleurs écloses sous nos bois. Ses yeux étaient plue noirs qu'une mut sans étoiles Kt ses cheveux épaie dépliaient leurs longs voiles Sur sou flanc gracieux comme le jeune ormeau ; Sou cliant ('tait suave autant qu'un chant d'oiseau : Elle allait si légère à travers le feuillage Que l'herbe se courbait à peine à son passage ; T. a vague de la mer qui s'enfle au point du jour N'avait pas de son sein l'harmonieux contour.

11 ir r>Écm\ -KRTK

Kileétaït jotme encore et comptait moi de i

Qu'un babils chasseur à la t'ois dans ses pi.

\e prendrait de Castor.-. Elle venait souvent

Quands les flots n'étaient pas soulevés pan le vent

Se bercer comme un eygne'au murmure <\\\ fleuve :

La vague lui taisait une parure neuve

Toute de diamants qui luisaient au soleil

l'it ruisselaient le long de son beau eorps vermeil.

Areskouï. l'esprit < j n ï nous souffle la guerre, <K>ui se plail à verser un sang pur suv la terre,

Areskouï. l'esprit dont l'asile saere

Ktait ce roc qui semble un grand vaisseau Bombré areskouï sentait pour la vierge rieuse Un peiieliant violent, une ardeur sérieuse. Kl quand cU* venait se- jouer dans les flots

Jl lui taisait toujours entendre de doux mots

M' CANADA llî

Que l' indiscrète brise allait ailleurs redire. Elle seule pouvait voir sa bouche sourire*

Souvent il s'avançait de lauriers couronne Pour saisir son beau bras au flot abandonné. Mais la fille des bois se sauvait au rivage FA cachait sa pudeur sous Le manteau sauvage Des sapins résineux jaloux de sa beauté. Alors Areskouï s'enfuyait irrite

.Dans sa retraite sombre où. comme un lonij; tonnerre. On entendait l'écho de sa sourde colère.

Cependant quand le jour versait sur les forêts t>e ses feux bienfaisants les suprêmes reflets Sous les traits d'un chasseur au front jeune et superbe J'n esprit plus heureux sortait des touffes d'herbe

118 DÉCOUVERTE

<^ui lèvent au-dessus des vagues Leurs fronts verts, El nageant avec graec, il se dirigeait vers La fille des guorriors qui paraissait l'attendre. Elle ne fuyait pas. Son regard vif et tendre Comme un rayon tombait sur son beau eompagnoi Elle ne fuyait pas, et de son pied mignon Elle fouettait la mer qui volait on rosée. La gorge bondissante, et la tête pos< c Sur les gerbes de jonc que le flux apportait, Comme sur un coussin d?édredon, elle était Belle comme l'amour à son premier doux rêve. Quand on la regardait en secret de ia grève

On se sentait brûle d'un teii terrible et doux.

La tète bourdonnait, on devenait jaloux.

Un jour Areskoui de sa sombre demeure Avec son jeune amant l'aperçut. C'était l'heure

OJIU CANADA 11!>

•Où la rive n'a plus que de faibles échos, la brise et la fleur se livrent au repos. Le ciel était luisant comme un cristal. Les nues Qui déployaient au ciel des formes ingénues Passaient avec orgueil sur ce vaste miroir. Le vent harmonieux qui s'élève le soir Faisait de temps en temps avec un doux murmure Frissonner mollement cette onde fraiche et pure. Le-» amants s'ébattaient sur ce cristal uni. La vierge, en souriant, d'un bras souple et bruni Repoussait le flot bleu qui baisait son épaule : Son beatt corps se cambrait autant qu'un jeune saule Sous le fouet de l'orage ; et ses épais cheveux Tordaient leurs noirs anneaux sur son cou gracieux, 'fous deux ils s'avançaient dans l'élément limpide, Chacun se promettant d'être le plus rapide:. Ils se laissaient par fois emporter au courant : iXes flots voluptueux le voile Iransparenl

120 DÉCOOVXRTI

Dérobait à demi les grâces de la vierge.

Ils s'avançaient tantôt vers la paisible berge :

Tantôt ils se perdaient dans an rayon lointain Puis paraissaient encor se tenant par la main.

Areskouï jura dans sa jalouse haine De se venger enfin, de briser cette chaise

Dont le> anneaux dores liaient si fortement Le Cœur de l'Indienne au cœur de son amant.

l'n soir qu'elle sortait de l'onde, rougissante Comme un fruit mur, ou comme une rose naissante*, A l'amoureux baiser <|iu- sur son front serein L'amant mystérieux avait jeté soudain. Il la suivit. Les bois étaient déjà pleins d'ombres, Et semblaient revêtus de voiles longs et sombres.

DT CANADA 121

Avant qu'elle eut atteint d'un pied vif et léger

Le vieux wigwam qui seul pouvait la protégea,*,

Polanina sentit, pareils à des tenailles

Les doigts dure et crispés de l'esprit des bataille»

Mordre sa brimé épaule : elle entendit sa voix

Dont les sombres accents taisaient trembler les bois.

•• Je suis, dit-il. je suis l'esprit de la vengeance

•• J'ignore ta. pitié ! J'abhorre ia clémence !

■• A moi Polanina ! La belle vierge a moi !...

•• Mou antre étouffera sous sa large paroi

- Les cris du désespoir ! A moi ces divins charmes

•• Qui dans mon cœur jaloux excitaient tant d'alarmes !

La vierge évanouie était tombée hélas :

Areskotiï la prend dans ses robustes bras

Et s'envole semblable au hibou des ténèbres

Avec sa riche proie en ses antre- funèbre-.

122 DÉCOUVERTS

Souvent L'Esprit du Fleuve (en effet c'était lui <,)ui venait sur les eaux quand le jour avait lui Joindre Polanina L'objet de sa tendre Souvent, l'Esprit <lu Fleuve, à l'heure su mai tressé Avait accoutumé de venir sur les borda, Se jouait sur la vague avec de doux tranurx Mais chaque t'ois en vain il attendait l'amante : Bile ne venait pas. Etait-elle inconstante ? A.vait-elle oublié tant d'instants de bonheur ? l'n doute amer, parfois, empoisonnait son cœur.

Un jour qu'il reposait sur l'onde molle et claire, Tout a sa peine, au pied de l'antre solitaire. Il entendit la voix de l'adorable entant : Il entendit ses pleurs et le cri triomphant Du génie internai qui la tenait captive.

1)1 CANADA £23

Il pousse une clameur que le fleuve et la rive

Répètent bien longtemps, 'fous les Lsprits des eHHÏx

S'élancent à la fois des joues et des roseaux.

La base du rocher esl bien vite sapée,

Et du Dieu «les combats la force alors trompée

Devient vaine. Le roc s'ébranle et disparait.

Seul le sombre gîte le Dieu se retirait

Restait encor debout enveloppé par l'onde.

Mais un instant s'écoule, une porte profonde,

La même que tu vois, transperce le rocher

Et le jour et la nier vont tout à coup lécher

De leurs reflète joyeux le tond de la tannière

gémissait toujours la belle prisonnière.

Areskouï pour fuir prit Tuile d'un corbeau,

Sous les traits redoutés de ce Lugubre oiseau

124 DÉCOUVERTE

Il revient chaque joui- Bill" ees dehris célèbre Croasser vorw la nuit des menaces funèbres.

Ave l'olanina dans les |>li^ des flots d*or L'Espril «lu fleuve vient souvent jouer eneni-

XIII

LE SAGUENAY

Le jour nait e1 s'enfuit et toujours les navires Ouvrent sur les flots d'or leurs voiles aux Zéphires. Après avoir doublé des rivages divers Ils rasent dans leur eourse une île aux bords désert*. ï'n immense rocher <|iii dresse sur les ondes Son dos âpre et sinistre des oiseaux immondes

12<; DÉCOUVERT!

Viennent seuls, le printemps, jetant «le tristes cri». Bâtir Leurs nids obscurs sons «les bois rabougris. Pendant deux jours entiers ils longent ces rivages On l'onde e1 les oiseaux mêlent leurs chants sauvages. Chaque aurore nouvelle et chaque nouveau soir Dans le cœur de < îartier vient ranimer l'espoir.

< "e n'est plus l'océan que les bateaux franchissent La terre n'est pas loin et les ondes blanchissent. Deux rivages en fleur* qui vont se rapprochant Rossèrent les flots clairs et semblent au couchant Blever sur leur lit une immense barrière. Le soleil phis hatif achevé sa carrière.

Il argenté le ciel <le ses rayons blafards; Comme les cheveux blancs, la tête des vieillards.

DU CANADA 127

Saguenav, les vaisseaux: rasent ton embouchure ! Rivière au noir courant, quelle sonde mesure De ton lit merveilleux l'affreuse profondeur ? L'œil est pris de vertige en voyant la hauteur De ta paroi de roc à pic, infranchissable ! Fleuve sans grève, gouffre pas un grain de sable Ne recevrait le pied du marin naufragé S'il fallait qu'il laissât son vaisseau submergé, Dans tes profondes eaux vainement l'ancre tombe,. Et le flâné du navire à ton bord qui surplombe, Rien avant que la quille eut déchiré ton lit ; Irait se déchirer! Fleuve étrange, l'on dit Qu'après un long combat entre les vieux gérttès Qui voulaient dominer sur les mers réunies. L'un des vaincus, au sein de ce roc escarpé, Qu'il fendit pour cacher son noble espoir trompé. T'ouvrit le lit terrible tes flots se condensent. On entend aujourd'hui dans tes caps qui s'élancent

12S nficorvKiiTK

jusqu'aux nuages gris{ comme d'immenses tours, I)»'s rires incessants et d'étranges discours. C'est que dans le flanc noir de tes abruptes côtes Des lutins gouailleurs se sont creusé des grottes, Bt quand les matelots entonnent un refrain. Leurs cent moqueuse* voix les répètent soudain.

Cependant le vent tombe et les vagues calmées Vont caresser sans bruit des rives parfumées. Ce sont les Itords d'une île ou le coudre fleurit. sur les arbrisseaux plus d'un doux fruit mûrit. Près de ces Itords charmants les navires s'arrêtent Kl tous les matelots à débarquer s'apprêtent.

XIV LA PREMIÈRE MESSE

Septembre était venu. Déjà les premiers froids Faisaient frémir, le soir, le feuillage <les bois. Et venaient dessécher les limpides fontaines : Mais les nuits, toutefois étaient eneor sereines, lies arbres se drapaient dans leurs épais manteau: Et les fruits mûrissants eouronnaient les coteaux".

130 DÉCOUVERTS

La nuit qui s'approchait de cotte île isolée Déroula lentemenl son écharpe étoilée Kt tout B'enveloppa d'un calme solennel. Mais au réveil du jour, pour louer l'Eternel, Les oiseaux, voltigeant BUT les mouvantes cime-. Remplirent les forets de leurs notes sublimes : El le soleil, sortant tle son lit empourpré D'un éclat inouï parut s'être entouré.

C'était un jour <le t'ete et de H?jouiss«nce Car l'Eglise du Christ célébrait la naissance. De la Vierge qui fut la mère de son Dieu. Cartier ne voulut pas s'éloigner de ce lieu Sans rendre a l'humble Vierge un éclatant homma; Il fit donc élever un autel de feuillage Sur le bord du graitd tleuve. a l'ombragedo'' boi*, El le pr.'trede Dieu, pour la première fois

1)1" CANADA loi

Sur ce rivage, offrir l'immortel sacrifice.

0 Satan ! c'est alors qu'en ton noir .précipice

Tu t'en allas cacher ta honte et ta fureur !

Ce monde t'echappait ! Ie( nrisi ctait vainqueur 1

Ah ! le grand sacrifice, ait ! L'auguste mystère

Qui te ravit alors cette infidèle terre,

11 s'offre maintenant mille t'ois chaque jour

Sur nos autels dores, parmi nos chants d'amour !

Pendant (pie le saint Prêtre, à l'autel de verdure Elevait en priant, la victime humble et pure. Modulant à l'envi leurs aimables refrains. Les oiseaux voltigeaient sur les rameaux voisins : Le soleil emaillait de lueurs chatoyantes Les mousses des vieux troncs, les feuilles ondoyantes; Les vagues murmuraient sur le sable doré ; Les marins à genoux sur le gazon serré

132 OÏOOUVERTE

Ouvraient à Dieu leurs coeurs remplie de gratitude Mille voix s'élevaient de cette solitude. Et volant dans K-s airs, les anges radieux Unissaient ù ces chants leurs chants mélodieux !

A peine le Pasteur sous la verte feuillet' Avait offert a Dieu l'hostie immaculée Que son front resplendit d'un éclat merveilleux. Un rayon fulminant s'échappa de ses yeux : On eut dit qu'un nuage environnait sa tête. Un nuage de pourpre couvait la tempête. Il leva vers h1 ciel ses deux bras frémissants : Sa bouche s'entrouvrit, el d'étranges accents. I >e-> mots entrecoupés tomb >rent de ses lèvres Obscurs comme les mots que <h- brûlantes fièvï'es font parler au malade. " Assez de sang ! asseX ! -• Jetez donc le linceul sur Ces morts entassés !...

DU 'CANADA !133

■• A ces héros chrétiens donne/, la sépulture !

•• Jetez aux noirs corbeaux, jetez donc en pâture

•• Cette horde traîtresse !.'.. Ecoutez ! Les forets

•: Aux entants de la foi découvrent leurs secrets !

■• . l'entend le bruit du ter et les coups de la hache !...

•• Le vainqueur s'agenouille et le vaincu se cache !

" Les oiseaux ont appris de plus douces chansons !

•• Des champs nouveaux, au loin, se couvrent de niois-

[sons [

■• Sur ce roc de granit quelle ville s'élève Pareille au nid d'un aigle au-dessus de la grève !

■• Une croix la domine et monte jusqu'aux cieux !...

■" Et ses deux bras tendus couvrent : d'immenses lieux!

•• De formidables murs l'entourent, la défendent ! Dans son tranquille port mille vaisseaux se pendent l

■'■■ Et que vois-je plus loin sortir du sein de l'eau ?

••• Quelle cite rivale élève un front plus beau ? ■• Son regard plus coquet captive mieux la foule.

- Que son voile est brillant ! et comme elle déroule

l-'M DÉCOUVERTE

•■ Pour éblouir Lo monde un faste surprenant !

Les peuples accourus de tout le continent

•• L'appelleront un jour la cité souveraine!...

Saint ! noble Prélat dont la face sereine

Brille «lu pur reflet do l'immortalité !

Au Canada ton nom sera longtemps chanté ! !

Salut ! Prêtres pieux, hommes au grand courage

Les grands et les petits béniront votre ouvrage !

Sons vos soins paternels, o pasteurs révérés,

Les Agneaux confiants ne sont point égarés !...

.l'entends un bruit lointain ! la terre qui résonm

mrsier qui hennit et le canon qui tonne !...

.le vois cent escadrons, dans un terrible choc ■• Rouler dans la poussière a la cime d'un roc ! •• Le soleil t'ait briller l'acier des baïonnettes I

Le tracas des obus, les éclats des trompettes

Se mêlent aux clameurs des mourants, des blessé

Et vainqueurs et vaincus se succèdent pre*

IM CANADA 135

Comme lès flots hurlants que poussent sur la dune Lo< orales d'automne. () eruelle fortune ! Que vois-je ? L'étendard aux Manches fleurs de lis Trame aux pieds des vainqueurs ses glorieux replis! Un drapeau rolige flotte au-dessus de ces rives Que n'ont pu conserver nos phalanges actives !...

Le prêtre en ce moment resta silencieux. IL' air plaintif, ahattu. des larmes dans \v< yeux. Puis il reprit hientot d'une voix plus contrainte : •• Du sein de petto terre il s'élève une plainte :

Au droit ancien, hélas.! succède un droit nouveau !

Le t'aihle est opprime, le fort devient hourre.au ; •• Et près du saint autel un autel sans mystères

•• Elève avec orgueil ses encens téméraires !.... •• Mais quels sont ces héros qui viennent a la fois •• De leur pays vaincu revendiquer les droits.

13() DECOUVERTE

Kl marquer à jamais de stigmate* infâmes

Le front noir des tyrans? Ils dénoncent les trame*

Font triomper enfin le droit ol la raison...

•• Vont expier leur zèle au fond d'une prison !...

■• Et la plainte grandit, et le joug est plus lourd :

•• l'n malaise ineffable, un mugissement sourd

•• Annoncent la tempête et «le-* jours do détresse !

•• Malheur aux vaincus ! ciel '■ un échafaud se dresse !

•• Du sang de la victime. prodige inouï '

•• Renaît la liberté ! L'orage évanoui

•• Laisse briller au ciel une clarté plus vive !

•• Sur des peuples divers el sur plus d'une rive

■• Le drapean teint de sang étale ses couleurs !

•• Mais j'entends tout coup dejoyeuses clameurs !

-■ Et les yeux sont tournés vers une autre bannière

•• Qui déploie an soleil su devise plus flère,

■• Su guirlande d'érable et «on vaillant castor

•• Qui ronge pour rabattre un arbre aux rameaux d'or

DU CANADA

•• Devant co pavillon le premier se replie •• Oomme une tente à l'heure l'aurore délie •• Pour inonder les mers les gerbes de ses feux ! " Entre trois océans ce drapeaux glorieux •• Annonce aux nations par l'amitié conquises •• La liberté, la paix ailleurs en vain promises !... Alors l'homme de Dieu se tut, et son œil doux Retomba tendrement sur la foule à genoux.

13'

X Y

STADACONE

Cependant sur les bords la montante marée Faisait flotter déjà la chaloupe amarrée. La I irise fraîchissait ; et le fleuve gonflé, Se berçant comme au veut se berce un champ de blé. Paraissait de nouveau remonter vei-s sa source. Il fallut s'embarquer. Les vaisseaux dans leur course

J4U DÉCOUVERTE

Rasèrent bien longtemps avec rapidité

Un rivagedont rien n'égalait La beauté.

Des sauvages, debout sur le pont du navire;

Jetaient mit cette rive un regard en délire..

Que «le ponsers charmants leur rappelaient ces bois l!

EU avaient passé la i^ais et fiers autrefois,

Poursuivant L'orignal sur le.H profondes neiges,

On forçant Tours grognard à tomber dans Leurs pièges.

Ki Cartier attentif cherchait dans le- lointain

S'il ne pourrait pas voir apparaître soudain.

Gomme un géant tombé sur les flots diaphanes,

<Vt énorme rocher recouvert de cabanes

front les deux Indiens lui parlèrent souvent :

Kt les gais matelots jetaient leurs «-liants au vent.

Les marins vers le soi)- Longent encore une île Tue ile plus riante, une île pins fertile

UT CANADA 141

fl£ue celles qui d'Abord enchantèrent leurs yeux.

«C'est un brillant joyau que le neuve orgueilleux Soutien! avec amour sur son onde sereine .;

«C'est le plus bel anneau de cette longue ehaine

-Que forment sur le fleuve et jusques dans les mers

'Cent îles dont les bords sont ornés d'arbres verts. De ses sauvages fleurs un doux parfum s'échappe : Lu vigne la couronne e'I sa brillante grappe

.Semble pire au soleil à travers les rameaux. Tout à coup un grand cri s'élève des vaisseaux Monte jùsqùes au eiel et t'ait trembler les ondes.

•Cent clameurs aussitôt, formidables, profondes. Du milieu des forets répondent a ce cri. Devant les bâtiments, formant un vaste abri,

.S'avançait dans le fleuve un rocher âpre et sombre: Son flanc se hérissait de cabanes sans nombre : Son sommet couronné d'arbres majestueux .Semblait, dans son orgueil, aux vents impétueux

Il- DÉCOUVERTE

Jeter un fier défi. Cel étonnant village Debout sui- son rocher connue un aigle uauvage Ce nid sombre grouillait tin peuple basané; C'étail Le grand hameau ! C'était Btadaconé !

Reposez-vous ici près <le ces fiera rivages, A l'abri des autans, a l'abri «le-* orages ! Ici reposez-vous, 6 glorieux vaisseaux ! Dans les airs parfumés déroulez \<>s drapeaux ! N'êtes-yous «loue point las <le votre longue course ? Vous voudriez en vain suivre jusqu'à sa source Ce fleuve merveilleux donl le paisible cours ( Somme un autre océan se déroule toujours !

-XV I

LE CALUMET DE PAIX

A Laspeet «les vaisseaux arrêtes dans la rade Un tumulte inouï règne dans la bourgade. Les guerriers indiens, effeavés et surpris. Font trembler le rocher de leurs étranges eris. Plus sombres, plus bruyante que le bois qui Les eaehe. Armes du Tomahawk, de l'are et de la hache,

1 M DÉCOUVERTE

Ils courent vers le chef, le fier Donnacona : •• l'n Esprit, disent-ils, ô noble Agouhanna, ■• l'n Esprit a guidé vers notre rivealtière Trois canots aussi grands que la bourgade entière! •• Dedans nous avons vu des guerriers plus nombreux •• Qu'au printemps les boutons sur un tronc vigoureux •• Ils ne portent point d'arc, et leurs faces sont pâles ■• Comme les blancs grêlons qu'apportent 1rs raffales. •■ Devons-nous les chasser comme des enuemis, •• ( )u devant eux paraître et craintifs el soumis ? " Si ces vains étrangers viennent sur notre terre, •• Sans être provoqués, nous déclarer la guerre, •• Il nous faut les combattre, ô guerriers, je le veux! ■• Il nous faut à nos reins suspendre leurs cheveux ! •• Mais s'ils viennent vers nous remplis de confiance. •• Rfontrons-nous généreux et faisons alliance." Le grand chef Indien après ces quelques mots, Suivi de ses guerriers, descendit près des tl<>t>.

m CANADA 14.">

Cependant les marina, dans leur vive allégresse,

Xe cessent «l'admirer la rive enchanteresse :

Ils ne se doutent pas que ce pays si beau

Va pour plusieurs d'entre eux devenir un tombeau !

Avec quel doux plaisir leur regard se repose

*Sur ees sauvages bords dont l'aspect grandiose

Surpassé étrangement ce qu'ils avaient rêvé !

.Mais oubliant le monde, un cœur s'est élevé

Comme le pur encens d'une fleur printanière

Vers la voûte du eiel ruisselant de lumière :

Tu sais bien, ô Cartier, (pie c'est le doigt de Dieu

Qui malgré les périls t'a conduit vers ee lieu !

Auprès du commandant, réunis sur la poupe. Les trois enfants des bois forment un joyeux groupe. Leur exil est fini. Bientôt sous les forêts Ils vont aller ensemble oublier leurs regrets.

146 DÉCOUVERTE

Ils entendent des voix sur le bord de la rive, Voix qui l'ont tressaillir leur oreille attentive Bl portent dans leur aine un plaisir ineonnu : Car ce n'est plus des Blancs le parler froid o\ nu : < î'esl le style imagé, c'est le riche langage Qu'ils ont de leurs parents appris dès le jeune lîge Jamais ils n'ont trouvé tant de charmes au bois ! Jamais tant de bonheur ne leur rit à la t'ois !

Des guerrière tout a coup ou voit la foule émue Qui descend sur la rive et s'agite ci rem lie (oiuine au vent de l'hiver le feuillage <\<k< pins. De diverses couleurs leurs visages sont peints : Leurs membres sont couverts d'étranges tatouages, Et leurs fronts surmontés de grands plumets sauvages. Le chef est a leur tète. Ils portent cent canots Qu'ils viennent a la l'ois déposer sur- les flots.

1)1 CANADA 147

En effleurant la \Tftgue alors chaque nacelle Fait courir an frisson but Tonde <|iii ruisselle. Sortant de leurs wigwams, les femmes, les entants Pour les pales guerriers apportent des présents. Soudain les avirons plongent dans Tonde vive, Et les légers canots s'éloignent de la rive: Kt tous les Indiens de leurs sonores voix Font retentir alors et le fleuve et les bois. A leurs chants cadences sur les limpides lames On voit monter ensemble et retomber les rames.

Le rapide canot qui porte le grand chef Laisse derrière lui tour à tour chaque net*. Kt se î-eiid le premier près de la grande Hermine. ('art ici' vient au devant de ce chef qui domine Comme un fier potentat sur un peuple nombreux. Accepte avec plaisir ses présents généreux

I 18 DÉCOUVERTE

Kl lui donne en retour mille choses plus rares, Alors le vaillant chef des peuplade- barbares Lui parle longuement, dans un pompeux discours. De sa grande bourgade et de se- alentours.

II l'invite a venir cliasser sur le rivage,

A bâtir un wigwaro connue le fier sauvage Dont nul joug odieux ne l'ait courber le front. Or pendant qu'il parlait un silence profond Comme le calme affreux «pii précède l'orage, Régnait sur le navire et jusque sur la plage : Mais quand Donnacona descendit du vaisseau. Quand les canots légers n'élancèrent sur l'eau. Une immense clameur, comme un coup de tonnerre Fit retentir longtemps la forêt solitaire.

Pour la première l'ois Cartier foule ces bonis d'antiques forets déroulent leurs décors :

DU CANADA

Il se dirige vers les wigwams du village. Le chef le fait asseoir sur un banc de feitillage El vient lui présenter le calumet de paix : •• Que l'amitié, dit-il, enchaîne pour jamais " L'homme libre «les bois et le Visage-Pâle ! " Cartier lui tend alors une main amicale, •• () chef, je vais, dit-il. élever sous les bois. En sigue d'alliance une divine croix ! "

149

Don nacona joyeux voulut venir lui-même Voir dresser sur le roe le grand et saint emblème.

Le Fils de l'Eternel prenait possession De ce monde rempli de désolation !

50

I»K( <U V ERTE

Le signe du salut brillait sur ce riva

Que renier «lès longtemps tenait dans l'esclavage !

Mais Cartier n'était pas délivré de tout soin. Au bord du même fleuve, il s'élevait, plus loin. On autre grand hameau qu'il desirait connaître. D'après les Indiens, ce hameau devait être Au centre d'un pays aussi beau que fécond, Sur la rive d'une ile, au pied d'un joli mont. Kt le fleuve irrite, près de cette bourgade Roulait ses flots bruyants de cascade en cascade.

H voulait qu'avec Lui jusqu'à ces bords nouveaux L'un des deux Indiens conduisit ses vaisseaux ; Mais brûlant de fouler d'un pied libre la terre. Suivi-, de Xaïa. dans une nef légère,

DU CANADA 151

I s'en allaient tous deux sur le fleuve calmé, \rvvs leur hameau lointain, leur hameau tant aimé !

Donnacona pourtant ne tarda pas d'apprendre

Que vers Elochelaga Cartier voulait se rendre. 11 en fut attristé : ce dessein le troublait. Jaloux de sa puissance, égoïste, il tremblait Qu'avec d'autres tribus le fier Visage-Pale N'allât taire une paix qui put être fatale Aux peuples reunis prés de Stadacone. Agité par la peur, par ces soins domine. Jl se dirigea doue, à l'heure solennelle le pinson s'endort la tête sous son aile. Vers Cartier qu'entouraient plusieurs des matelot? Et, lui baisant les bras, il prononça ces mots : " Tu veux, noble seigneur des pays de L'aurore, •• Laisser notre bourgade et remonter encore

152 DÉCOUVERTE

Le fleuve impétueux qui baigne nos forêts.

( V fleuve est traversé par «les écueils secrets

les vaisseaux posants se briseront sans doute :

L'Indien ne peut même en indiquer ta route.

La bourgarde oîi tu vas est loin, bien loin d'ici : •• Le peuple qui l'habite est fourbe et traître aussi. •• Abandonne, seigneur, ce dessein condamnable.

■• Si ce puissant motif te trouve inébranlable,

Le manitou m'a dil (je ne le tairai pas )

Que tu devais trouver un horrible trépas

Parmi les flots de ueige et 1rs monceaux de glace •' Qu'en ces endroits lointains un noir esprit entasse

Afin d'ensevelir le pâle aventurier."

Apiès avoir fini ce discours singulier Le grand chef satisfait descendit du navire. Cartier lui témoigna par un malin sourire

:

DU CANADA 153

u'il était peu sensible à son prudent conseil. Va le matin suivant, au lever du soleil, Deux vaisseaux s'avançaient dans la fraîche rivière <^ui serpentait au nord de la bourgade altière, Et l'autre remontait couvert de pavillons Le fleuve le soleil baignait ses chauds rayons.

X V I I

HOCHELAGA

Quel rire entendons-nous au fond du noir abime ? .Satan a-t-il encore invente quelque crime ? Un juste est-il tombé ? L'impitoyable mort A-t-clle d'un pécheur fixé le triste sort ?

156 DÉCOUVERTE

Sur son trône brùlanl qu'entourent ses ministres, Démons aux yeux de flamme, aux figures sinistres, Lucifer tient conseil. Contre le roi du ciel Il décoche en riant des mots t'emplis do fiel.

Son esprit internai ne reste pas inerte :

Il a l'espoir oncor de consommer la perte

I > 1 1 marin valeureux <)iH' le Seigneur* guida

Vers les bords éloignés du vaste Canada.

Les échos de l'enfer répètent ses bJrsphèmes :

" Nobles amis, dit-il, n'êtes-vous plus les mêmes ?

•■ Etos-vous sans courage on face des revers ?

A-vez-voua peur de Dieu? N'êtes-vous plus pervers? •• Le protégé <lu ciel a traversé les ondes :

•• Il voit «lu Canada les campagnes fécond. •• Notre ennemi content dort au tond de ses (deux. Et ses adulateurs l'appellent •• glorieux." •■ Mais tout n'est pas fini. Courage ! amis, courage !

Cartier a bien voulu venir sur cette plage :

DtJ CANADA 157

Qu'il y reste à jamais, et ses marins aussi ! Qu'elle soit leur sépulcre ! Bt nous verrons ainsi On seront les plus torts. et qui se fera gloire D'avoir pu remporter la dernière victoire ! Voici qu'approche enfin la saison des trimas. L'hiver, si rigoureux dans ces lointains climats, Vu pendant bien longtemps, sons sa neige entassée. Enchainer le grand fleuve et la terre glacée, Les serviteurs de Dieu voudront partir en vain : Il ne trouveront [tins pour s'enfuir de chemin : Leurs vaisseaux enchainés resteront sur la grève ! Alors, n nies amis, point de paix ! point de trêve ! Soyons rusés, actifs ! soyons audacieux ! Glorifions l'enfer ! Humilions les cieux ! Du sauvage éveillons et la haine et l'envie. Craignant d'être captifs sur sa terre asservie.

Qu'il attache au bûcher ces pieux matelots,

Ou leur parce le cœur de ses longs jalevots !

DÉCOUVERTE

Ou qu'avec les hivers d'étranges maladies

Achèvent d'épuiser leurs aines engourdies : •• Et qu'ils succombent tous au milieu de ces bois,

Regrettant leur pays, maudissant leurs exploits !

Ainsi parla Satan. Les démons applaudirent. De leurs couches «le feu les damnés entendirent Le> insolents discours do leur orgueilleux roi, Et leurs membre-* brûlants frissonnèrent d'effroi.

l'n vent s'ost élevé qui souffle de l'aurore. Aux payons «lu soleil un nuage se dore : Comme un flocon de laine il roule mollement Et sème ses lambeaux au bord du firmament. Sur le fleuve orgueilleux dont les ondes gonflée De l'ombreux Canada fécondent les vallées.

DF CANADA

se berçant un élégant bateau. Il l'use en quelqu'endroit le pied d'un vert coteau Il vogue plttS souvent éloigné de la rive : Et quand le jour s"éteint et que la nuit arrive. 11 s'arrête attendant du matin la clarté. Vogue, o joli vaisseau, sur le fleuve indompté ! Pour te conduire luit une étoile bénie ! Ta course, fier vaisseau, sera bientôt finie ! Les arbres agites par le soufflé du vent Inclinent devant toi leur feuillage mouvant ! Les gais petits oiseaux à l'éclatant plumage Ont pour te saluer un plus tendre ramage ! Et l'Indien surpris, dans son frêle canot. Pour te voir de plus près, brave le sombre flot!

151*

Il vogue le navire ! et tantôt il approche D'un traître banc de sable ou d'un écueil de roehe

1<)<) plC OUVERTE

les Mois vont se tordre avec un bruit affreux Que répète l'écho des rivages ombreux. Il remonte avec peine un courant tr<>]> rapide. ( )u sillonne plus vite une nappe limpide. Ici. comme un géant sur les eaux renvers Le rivage tout nu soupir s'être affaissé : Et la. tout de verdure, en courbe il se déploie Comme un bras tirrondi qu'enveloppe la soie : Kt comme les graius d'or d'un collier égrené, Sur le flanc du coteau d'érables couronne. Sur la cime du cap, ù l'ombre des platanes, Des chasseurs Indiens s'élèvent les cabanes.

Ce vaisseau qui courait sur le fleuve surpris Effleurant, tour a tour, deux rivages fleuris.

< "riait l'Emériilon ! Des chants Mélancoliques

< ' Munie le bruit du soir dans les forets antique*

DU CANADA 161

ivert de inonde au ciel d'azur montaient. C'étaient les matelots qui chaque jour chantaient Leurs pénibles ennuis et leurs amours fidèles. Quand le vent s'apaisait, repliant ses deux ailes. Comme un énorme oiseau fatigué de voler, Le bateau s'arrêtait. Et pour le voir aller Quand la brise gonflait ses voiles éclatantes, Les sauvages tremblants accouraient de leurs tente-.

Cependant tout à coup le fleuve s'élargit ; Il forme un lac superbe le vent qui mugit Soulève étrangement la vague plus mobile. Mais le flot doré s'ouvre en nappe tranquille Comme un miroir d'argent encadre dans l'azur. Quand nul vent ne s'élève et que le ciel est pur. Cent îles au front vert du sein des ondes naissent : Leurs bords dans le lointain lentement apparaissent.

TÔ2 DÉCOUVERTE

]>c vastes bancs de sable en dangereux réseaux Serpentent en tous sens sous [e voile des eaux. C'est sur ce beau lac <>ù le ciel bleu se mire

Que, les voiles au veut, s'avance le navire.

Cartier se réjouit du merveilleux succès Qui couronne déjà ses sublimes projets. Jamais sous le soleil une telle contrée A ses regards surpris ne s'est eucor monta

Mais la barque soudain vogue plus lentement Les voiles et les nuits s'inclinent faiblement : J>ans le léger sillon qu'avec peine elle trace

Le sable en bouillonnant remonte a la surface. ( )n entend un bruit sourd au tond du bâtiment. Nul crit ne retentit en ce triste moment

Chacun vole à son poste et d'une âme sereine Attend patiemment l'ordre du capitaine.

1»;:

•e touchait ! Il n'allait presque plus. Cartier commande eu vain : aux ordres superflus Ne vont point obéir le navire insensible. Dans ce malheur nouveau Cartier reste impassible. Il avait tout prévu. Courageux et prudent Il pouvait surmonter ee fatal accident. Vite il fait jeter l'ancre afin que davantage Sur le banc dangereux le vaisseau ne s'engage. Bt l'actif matelot replie en même temps Les voiles qu'enfle encor le souffle frais de> vents.

Sur le fleuve inconnu cependant dès l'aurore Les courageux marins s'élancèrent encore. Un bateau plus léger les portait cette fois. Il sillonna le lac. il rasa de grands bois <»>ui dessinaient dans l'eau leurs mouvantes images : Enfin il découvrit ces superbes rivages

HÏ4 DÉCOUVERTE

se trouvait usais le bourg d'Hochelaga,

K( vers la terre alors comme mi trait il vogua.

A l'aspect imprévu <ln bateau qui s'avancer Kt balance sa voile ainsi qu'une aile immense-, Les Indiens en foule accourent sur les bords. Ils laissent hautement éclater leurs transporta» Jamais telle clameur ne fit trembler la rive ! Jamais ers cœurs nai'ts d'une joie aussi vive Avant ce jour heureux n'avaient été remplis ! Les oracles sacres allaient être accomplis Tu vieux jongleur avait, dans un étrange iwc. Prédit que de la terre ou le soleil se lève I >c blancs guerriers viendraient avant de longs liiv. Vaincre <lc la tribu les eifcnemÎH divers. Kt c'étaient ces guerriers nuron voyait apparaître Leurs fronts nobles et Mancs les faisaient reconnaître '

1)1" CANADA M>5

Mais le jour disparaît. Au fond du firmament Chaque étoile à son tour scintille doucement Comme les cierges d'or que le lévite allume Au sommet de l'autel le pur encens fume. .Sur la rive des eaux, les sauvages joyeux. De place en place alors allument de grands toux : Ils désirent par manifester leur joie Aux guerriers valeureux qu'un Esprit leur envoie.

Aussitôt qu'apparaît l'aube du lendemain. ils les conduisent tous, par un large chemin, Au milieu de la plaine la vaste bourgade 8'élève toute tière avec sa palissade- Bien n'étonne Cartier comme l'aspect des lieux Qui pendant l>ien Longtemps passent devant ses veux. Ici le maïs d*or aux aigrettes de soie Sous le souffle du vent légèrement ondoie ;

L#6 DKcorYKKTK

le ehènc orgueil loux sous le poids de ses glands Courbe vers le gazon ses longs rameaux tremblants Kt partout des oiseaux au suave ramage, Partout aussi des ricins à l'élégant corsage : Les premiers aux échos répètent leurs chansons, Le- dernières gaiement luisent sur les luiissons !

Tout à couj» du hameau s'ouvre l'unique porte. Les femmes, los enfants que le plaisir transporte S'avancent pêle-mêle au-devant des héros,

IU tendent sous leurs pas les plus soyeuses peaux ;

Jls chantent tous ensemble et dansent avec grâce En allant les conduire au milieu de la place le chef que déjà l'âge a t'ait impotent, Entouré de guerriers, tout ému, les attend.

Sur Le sol aussitôt ou étend une natte (Qu'une habile Indienne a teinte en écarlate. Et l'on y t'ait asseoir le chef des guerriers blancs. ■On immole un chevreuiJ et ses membres sanglants [Rôtissent avec bruit sur le feu qui les dore : Et les .Fils du couchant et les Fils de L'aurore, Qu'unit avec mystère un décret du destin. Partaient sous les bois un .fraternel festin.

Cependant le vieux chef, au milieu de la fête, 'Ou- un brillant bandeau <jui couronne sa tête Et le met humblement sur le front de Cartier -Qu'il ])roclame Seigneur du pays tout entier. Touche de l'action de ce noble sauvage. tCartier lève vers Dieu son radieux visage : •• 0 Dieu du ciel, dit-il. non. non. ce n'est pis moi Qui dois assujettir ce3 tribus à ma loi !

168 DÉCOUVERTE

-i à vous de régner sur ces rives si belles •• El «le sauver enfin ces peuples infidèles ! El dans le même instant, par le ciel inspiré, Il prend sur sa poitrine un crucifix sacré El Le suspend au cou du vieillard qu'il embrasse •• C'est lui qui doit, dit-il, dominer sur ta race El le vieux Indien, fier de cette faveur.

Presse joyeusemenl la croix contre son cœur.

Cependant près du bourg, dominant la campagne, S'élève vers le uord une belle montagne : Un bois majestueux couronne son sbmmel : Le gazon des sentiers os1 doux comme un duvet. Les grands oiseaux onl leurs demeures tranquille.* Désignés par le chef, quelques guerriers dociles Y conduisent ('ailier et ses nobles marins.

Là, du baut de ce mont, un pays sans confins

DU CANADA 16!>

Aux regards du héros tout à coup se déroule. Bien loin sous les forêts le grand fleuve qui coule Fait briller au soleil ses flots voluptueux ; Mais parfois il s* irrite, et plus impétueux. Il heurte en écumant un rocher qui ruisselle Et jette vers les cieux une plainte éternelle. Partout des bois épais, partout un sol fécond Qui reposent encor dans un calme profond ! A l'aspect enchanteur de ces lieux qu'il domine Cartier se sent rempli d'une ivresse divine ; •• () ma France, dit-il, ces pays suit à toi ! -■ Fais-y bénir le ciel et respecter ta loi ! "

XVIII

L'HIVER

Emportés par le vent, de grands nuages sombres Sur la cime des bois traînent sans bruit leurs ombres ; Le ciel est dépouillé de sa robe d'azur. Le fleuve en gémissant roule un flot plus obscur. C'est novembre qui vient. Et la blanche gelée

Sous ses baisers de glace a flétri la fouill

ee

172 DÉCOUVERT!

B1 d'un cercle d'argent parsemé de cristaux

Elle a partout orne la rive des ruisseaux.

Les bois ne sont plus verts, niais ils charment encore

Par le feuillage sec, léger, multicolore,

Qui couvre leur sommet d'un voile diapré:

Près <lu sombre sapin c'est l'érable empourpre :

Le hêtre «le safran près du tilleul verdâtre.

Kt près du blanc bouleau, le platane rougeâtre :

Les brises au hazard confondent ces coulours

Et le soleil v joint de subtiles lueurs.

La forêt n'entend plus d'amoureux babilla^

Kt les petits oiseaux vers de plus doux rivages

Sont ailes du printemps attendre le retour.

Bien hâtive est la nuit, et bien tardif le jour !

: la saison des vents, l'époque des tempêtes Des Mots impétueux vibrent les blanches crètei Les brises de la nuit ne se taisent jamais : Sur les bords de la mer les brouillards sont épais.

DU CANADA 173

A l'aspect menaçant do l'hiver qui s'avance, Cartier voit s'envoler une douée espérance, L'espérance d'aller vers son roi promptement Lui dire ses succès, lui révéler comment La France avait acquis avec bonheur et gloire, Par-delà l'océan un vaste territoire. Il n'ose point voguer sur ces flots orageux Que soulèvent toujours des vents impétueux ; Il craint pour ses vaisseaux un terrible naufrage ;. Aux rigueurs de l'hiver qui règne en cette plage Ne sont pas endurcis ses vaillants matelote. Déjà les Indiens n'osent dans leurs canots Mépriser les dangers des ondes en furie. Dans cette angoisse amère il s'agenouille et prie.

Près de.Sîadaeone. dans un vallon charmant, Une rivière au fleuve unit son flot dormant,

174 DÉCOUVERTE

Au bateau fatigué son étroite embouchure Offre contre L'orage une retraite sûre : L-i déjà sont entrés les deux plus grands vaisseaux. Bientôt l'Emérillon vient sur les mêmes eaux Pour attendre, captif, la saison printanièro. Devant lui sur le fleuve une étrange barrière S'est élevée un jour ; mais à Stadaconé Une brise fidèle enfin l'a ramené.

Cependant le héros n'est pas sans quelque crainte.. Lefi sauvages souvent agissent avec teinte ; On ne voit de leur cœur jamais que la moitié ; Ils vendent chèrement leur changeante amitié.

Pour 66 mettre ;'i l'abri de leur perfide atteinte

Cartier t'ait aussitôt élever une enceinte.

Bt pendant plusieurs jours les marins soucieux.

Pour «'lever ce fort plantent d'énorme- pieux

DU CANADA 175»

Auprès de leurs vaisseaux, dans la terre durcie : Par cos travaux prudents leur crainte est adoucie.

Du haut de leur rocher les sauvages surpris Considèrent d'abord d'un œil plein de mépris Ces travaux menaçants que les Pales- Visages, Sans leur consentement, élèvent sur leurs plages- Mais vers Donnacona vient un vieillard rusé : " Agouhanna, dit-il, les Blancs ont abusé " De ta bonté trop grande et de ta complaisance» •; Nous les avons ici reçus sans défiance, " Croyant que vers nous tous ils venaient en amis. ■• Ne les redoutant pas, nous leur avions promis •• D'être toujours pour eux des alliés fidèles. " Aujourd'hui, les vois-tu, par des ruses nouvelles. •• Devant nos propres veux, et certes ! sans motifs, " Travailler ardemment à nous faire captif*,

H6 DÉCOUVERTE

•• Nous les libres enfante de cette libre terre ?

Maintenant leurs projet* ne sont plus un mystère.

Mais d'ici ces guerriers ne peuvent plus partir. •• C'est a HOUS, Chef vaillant, de les anéantir ! " •• Je vois, répond le chef d'une voix indigni

•• Que de ces hommes tiers ma race est dédaignée

Mais nous nous vengerons ! Dissimulons pourtant, •• Et portons devant eux un visage content. •• Lorsque l'hiver partout tendra ses molles neiges,

Nous pourrons aisément les prendre dans leurs pièges

Pour les combattre alors nous nous lèverons tous, •• Et les guerriers voisins viendront s'unir à nous."

Le ciel est nébuleux : déjà l'hiver arrive. Les arbres dépouilles de leur parure vive Agitent dans les airs leurs rameaux longs et nus Sur les ailes du vent des brouillards sont venus ;

DU CANADA 177

Et le gazon flétri, les feuilles desséchées Que des pâles forêts la brise a détachées, Sous un voile d'argent se sont ensevelis. Les nuages obscurs roulent leurs noirs replis D'où s'échappent souvent la bise et la tempête, Quelque fois le soleil dans les eaux se reflète Mais son orbe frileux ne les enflamme pas. Sur les rives du fleuve, avec un sourd fracas S'enviennent s'échouer d'immenses bancs de glace. Nul imprudent oiseau ne vole dans l'espace.

Souvent le ciel chargé de nuages épais, Comme un homme qui porte un trop pénible faix, Semble fléchir soudain. Le vent souffle avec rage ; Nul éclair flamboyant n'illumine la plage ; Le tonnerre endormi ne se réveille plus : Mais des bruits longs et sourds, des sifflements aigus.

178 DÉCOUVERT!

Dans l'air, dans les forêts se font alors entendre :

Et sur Leurs bords glacés Les ilôts viennent s'étendre :

El les arbres torddt craquent lugubrement :

Et sur le front <k-s bois passent rapidement

Les tourbillons serres d'une neige mouvante :

Et tout ce qui respire est saisi d'épouvante,

Car l'œil no perce plus ce voile froid, blafard

Dont les replis épais tombent do toute part !

Et pendant plusieurs jours laneige s'amoncelle !

Et quand après longtemps le soleil étincelle.

Une couche éclatante a recouvert le sol :

Un nuage vermeil dans le ciel prend son roi :

L<-> sapins sont courbés sous les guirlandes blanches

Dont la neige a couvert leurs gigantesques branches ;

Et L'agile Indien dans la forêt poursuit

Le renard affamé qui laisse son réduit.

X J X

UN FLÉAU

Enfermés dans leur fort qu'ils ne quittent plus guère Exposés aux rigueurs de ce climat sévère

Contre lequel, hélas ! ils no sont pas armés. Les marins dans L'ennui paraissent abîmés. Le jour leur parait long-, le froid insupportable, 11 leur semble parfois «pie l'iiiver implacable

180 DÉCOUVERTE

Dans sa glace à jamais enchaîne leurs vaisseaux. Ils regrettent le tempe voguant sur les eaux Ils Luttaient vaillamment contre le noir orage, Et déjouaient la mort à force de courage. A regret maintenant ils demeurenl oisifs : L'hiver les trouble plus que l'aspecl des récifs. Ils appellent souvent l'époque leurs navires Livreront de nouveau leurs voiles aux zéphiros; L'époque revenus de ces bords dangeroux A la France ils feront «les récits merveilleux.

Au pénible chagrin qui déjà les abreuve Vient se joindre pourtant use terrible épreuve. Comme du haut de l'air on voit u.: sombre oiseau S'élancer tout à coup sur un faible troupeau Et broyer à plaisir, dans sa griffe sanglante,

Les timides brebis dont la fuite est trop lente :

DU CANADA

Ainsi sur les marins s'abat un grand fléau.

Pourquoi donc, ô Seigneur ! pourquoi ce mal nouveau ?

Le froid qui les transit sur ces déserts rivages,

Bt les traîtres complots qu'ourdissent les sauvages

N'est-ce donc pas assez contre ces malheureux.

Et le ciel maintenant se tourne-t-il contre eux ?

Déjà plusieurs marins vers leur couche fiévreuse Sentent venir la mort ! mort triste et douloureuse Dont le prêtre peut seul adoucir la rigueur ! Ces hommes dévoués et remplis de vigueur Comme la mort les tient dans ses froides étreintes ! Ah ! qui pourrait redire et leurs maux et leurs plaintes ? Les voyez- vous, helas ! les voyez-vous mourants ! Bien loin de leurs foyers ! bien loin de leurs parents ! Entoures d'ennemis ! sur des rives glacées ! . . . . 4 "est vers la France alors qu'ils tournent leurs pensées !

182 DÉCOUVERTE

0 ciel de la Patrie, ils ne te verront plus !

Les fruits 'If leurs labeur» seront-ils doue perdus !

Ils t'aiment bien, ô Franco! ils meurent pour ta gloire ! Ali ! conserve à jamais et bénis leur mémoire !

Plusieurs ont Buccombé; la neige est leur tombeau ! Cartier pour apaiser le terrible fléau Ordonne d'invoquer la divine .Marie. Il t'ait porter au loin son image chérie El la suspend au trône d'un sapin orgueilleux. Alors les matelots s'enviennent deux a deux.

Sur la neige et la glace, en chantant un cantique, Vénérer humblement la céleste relique.

Le eiel dut tressaillir en entendant les voix Qui l'imploraient ainsi du milieu de ce- !><»is.

DU CANADA 183

Alors, aussi, l'enfer eut un moment de joie. Et les Esprits maudits, par une sombre voie Sortirent tout joyeux de leurs gouffres ardents : Puis au milieu des airs ils planèrent longtemps, Comme de noirs corbeaux, au-dessus des rivages le fléau cruel faisait tant de ravages. " Les voilà, disaient-ils, en les montrant du doigt, " Les voilà ces héros ! ces hommes au cœur droit, ;- Qui se vantaient hier de nous ravir ce monde •• Et de couvrir nos fronts d'une honte profonde ! -• donc est aujourd'hui le Dieu qui les défend ? -• Honte au ciel ! gloire à nous! L'enfer est triomphant ! -• Jl ébranle de Dieu le tyranniquc empire ! Et l'air retentissait de leurs éclats de rire. Et pendant qu'ils riaient, un ange prosterné Sur la cime du caj>, près de Stadaconé, Versait des pleurs amers en voilant de son aile Les suaves rayons de sa face immortelle

184 DÉCOUVERTE

L'hiver s'adoucissait. La neige moins souvent Tourbillonnait dans l'air aux caprices du vent : Un givre plus léger scintillait sur les branches.

S'il venait à pleuvoir, les gouttelettes Uanehes Se changeaient sur les bois on an cristal vermeil

Que faisait resplendir un plus brillant soleil.

Le grand chef animé de sentiments hostiles Avait depuis longtemps, vers des tribus dociles Dépêché «les guerriers : " Aile/., avait-il dit, •■ Pendant que sur nos bords l'âpre hiver engourdit, t( Comme des ours frileux, tous les Pâles-Visages, •• Aile/ donner l'éveil aux nations sauvages I

u Qu'elles viennent à nous : unis, nous serons forts

•• Nous tuerons l'étranger et prendront ses trésors." Kl munis de leurs ares, montés sur leurs raquel Les traîtres envoyés aux tribus Inquiètes

DU CANADA 185

Allèrent annoncer, an fond des bois lointains, Du fier Donnacona les perfides desseins.

Cartier près de l'enceinte à pas lents se promène 11 craint que le guerrier n'arrive et le surprenne. Il a vu près de lui plusieurs des siens mourir. Et lui-même, bientôt peut-être, il va périr, ('ar le eiel qu'il invoque avec persévérance Semble voir ses malheurs d'un œil d'indifférence !

Pendant qu'il est en proie à la crainte, à l'ennui,

Un vieux chasseur sauvage arrive près de lui :

" Grand chef des blancs, dit-il, non tu n'es pas un

[traître : " En ce moment heureux je dois le reconnaître.

" Tu m'avais pris mes rils : je les croyais perdus ;

" Mais en noble guerrier tu me les as rendus.

DÉCOrVERTE

■• .l'ai marché bien longtemps pour te dire ma joie.. ■• ( 'ai- je ne vais pas vite et sous les ans Je ploie. . . . •• Mais ton visage es1 triste et tu parais souffrir ? •• Je sais quel mal vous tue. et je pois le guérir ! •• Vois-tu cet arbre vert ? Va promptement, recueille " El fais bouillir ensemble e1 réeorce et la feuille. •• El tu posséderas un breuvage enchanté

•• Qui vous rendra bientôt la force et la santé. •• Tu vois que l'Indien détestant la vengeance, Va gardé dans son cœur que la reconnaissance."

Cartier tout stupéfait reconnaît Tehrina Le père des captifs qu'en France il emmena. Il le traite d'abord connue un noble convive. Et chargé de présents le renvoie a sa rive.

DU CANADA 187

•• Gloire à ])icu ! Sa bonté se manifeste à tous, •• Mais qui dira jamais ce qu'elle a fait pour nous ! " Noua étions expirants sur la plage étrangère " Et nul ne secourait notre longue misère ! " Nos ennemis passaient et riaient de nos maux ! •• Ils tressaillaient de joie en voyant nos tombeaux ! " Et la mort nous semblait une faveur suprême ! •• Mais Dieu vient au secours du serviteur qui l'aime : •• Sa divine bonté raccompagne en tout lieu ! '• Dieu nous a secourus ! gloire à Dieu ! gloire à Dieu ! "

Ainsi les matelots unissant leurs voix graves, Comme des prisonniers qui laissent leurs entraves, Au Dieu qui du fléau les avait délivres, Chantaient avec amour ces cantiques sacrés.

XX

CONSPIRATION

L'hiver disparaissait. La neige était fondue, Et la saison des fleurs si longtemps attendue Par de joyeux concerts annonçait son retour. Les oiseaux revenaient gazouiller leur amour Sur les buissons charmants qui les avaient vu naître. Un admirable instinct leur faisait reconnaître

190 DÉCOUVERTE

Le Léger nid de foin qui Les avait bercés, ;it ne traînait plus do nuages glacés :

De verts boutons ornaient les ramaux pleins de sève

El le fleuve bruyant s'ébattait sur sa irrêve,

One douce gaité régnait sur le- vaisseaux Qui déjà se berçaient avec leurs apparaux. Mais l'un d'eux cependant demeurait au rivage Comme un vaisseau brisé par un triste naufrage : Hélas ! les matelots qui voguaient sur ce bord Donnent tous maintenant du sommeil de la mort ! Us ne reverront pas le ciel de la Patrie ! Ils sont tombés un jour comme une herbe flétrie ! Dormez ! dormez en paix, ô pieux matelots! Sur ces bords éloignés, au murmure des flots ! VOU8 étiez à la tin de vos labeurs sublime- ! D'un noble dévouement vous êtes les victimes!

IDI CANADA 191

rOUS devez tressaillir, jeunes et purs héros, Tressaillir de bonheur dans votre saint repos, En voyant maintenant sur ces rives sauvages vous vîntes mourir après de longs voyages, Un peuple généreux, un peuple plein de foi, Grandir paisiblement sous une douée loi !

De rapides canots se croisent dans la rade. J)e> guerriers menaçants parcourent la bourgade :

Ils se sont tatoués de diverses couleurs ;

L'audace est sur leurs fronts, la haine dans leurs cœurs.

( V soiit les envoyés des tribus éloignées.

Leurs âmes du repos paraissent indignées.

Ils percent les sapins de leurs rapides traits.

Ou marchent en chantant de sonores couplets.

Cartier qui voit de loin cette foule guerrière

S'élever, se mouvoir comme un flot de poussière,

DT CANADA 1!>J

Devine qu'on ourdit de funestes complots

Pour le perdre lui-même avec ses matelots.

Cii frisson de terreur s'empare de son âme.

Ciel ! commenl échappera cette ligue infâme!

Les guerrière sont nombreux ! nombreux comme au

[printemps

Sur les fleuves gonflés les feuillages flottants !

Va tenter de s'enfuir sérail bien téméraire. La marée est montante et le vent est contraire. Dans ce moment critique il mande Jaloberl : Son cœur a COt ami s'esl bien souvent ouvert : Et toujours ce dernier par sa grande prudence Du héros mérita l'extrême confiance.

•• Guerriers de la tribu, voici venir le soir ! •• La'nuit sera discrète et le ciel sera noir !

Vos arcs sont-ils tendus et vos haches tranchantes?

Los esprits des aïeux de leurs plaintes touchantes

DU CANADA 193

-• Ont-ils fait tressaillir vos cœurs tiers et jaloux? •■ Savez-vous la vengeance ? 6 guerriers, savèz-vous " Dans un crâne brisé boire un sang encor tiède ? i; Et savez-vous scalper un ennemi qui cède ? " Guerriers de la tribu, voiei venir le soir ! -• La nuit sera discrète et le ciel sera noir !

C'était le chant cruel que le guerrier sauvage. A l'approche du soir, hurlait dans le village.

Tout à coup d'un navire il s'élève des cris. Les guerriers Indiens regardent tout surpris. Un marin brandissant une arme formidable Est monté sur le pont. Dans sa rage implacable Contre le commandant il s'est précipité. Cartier surpris d'abord recule épouvante.

1!>J DÉCOUVERTE

Le matelot toujours le presse ol le menace. Le héros cependant retrouve sou audace Et s'élance d'un bond sur le trait re agresseur. Mais un c-i-i retentit, et soudain, ô douleur ! Cartier s'est affaisse sur le pont du navire ! Alors tous les marins, comme dans le délire. Parcourent en i<»us sens le pont t\u bâtiment : Le meurtrier sur eux s'avance hardiment. lis veulent le saisir, sa défense e>l terrible : Aux coups dont on l'accable il parait insensible. Cependant il faiblit : on le s-rre de pr On lui dit de se rendre, et lui répond : •• Jamais ! Bl d'un .bond furieux écartant tout le monde. |)u haut du bâtiment il s'enfonce dans l'onde. Bientôt il reparait éloigné dos vaisseaux. Kt gagne le rivage on nageant sur les eaux.

DU CANADA 195

Sur les bois éloignés l'astre du jour se penche, Et l'oiseau pour dormir se perche sur la branche. Les guerriers indiens, pour tenir leur conseil. Attendent sous les bois le coucher du soleil. Tout à coup la forêt semble flotter dans l'ombre. Alors un fier sauvage à la figure sombre. Du milieu des guerriers se lève et parle ainsi : " Oui, le temps est venu de chasser loin d'ici '• Ces hommes orgueilleux qui se pensent nos maîtres ! " Ils feignent l'amitié, mais je sais qu'ils sont traîtres, " Car moi Taiguragny, j'ai vécu sous leurs lois. " Ils m'ont de leur dédain accablé mille fois ! 11 Mais plus qu'eux aujourd'hui je suis puissant et libre! " La haine dans mon cœur fait vibrer chaque fibre ! •■ Domagava sait bien qu'ils sont impérieux; " Qu'ils veulent s'emparer du sol de nos aïeux, " Et nous faire captifs ici sur notre rive ! ■• Mais avec des guerriers pour combattre j'arrive !

]!)<; .1 YKKTE

•• J'ai soii' <lc (a vengeance ! Il faut ! il faut du sang •• Voilà le trait. Cartier, qui va te morde au flanc ! Et pendant qu'il parlait, il brandissait des flèches, Kl ^es talons durcis broyaient les branches sèche».

■• Tu parles sagemont reprit Donnacona ; Ares ko ni vers moi sans doute t'amena. Mes guerriers sont tous prêts et l'heure est favorable. J'ai vu sur un navire une lutte effroyable. Les matelots entre eux paraissent divisés. Plusieurs d'un long combat sont peut-être épuisés. Ils ne se doutent point de nos trames suhtiles : Ils dorment confiants.; et nos canots agiles Pleins de braves guerriers, dans l'ombre de la nuit A leurs pesants bateaux aborderont Bans bruit."

DU CANADA 191

Puis il parlait encor qu'au milieu de la foule Qui s'agite et frémit comme la sombre houle. Un guerrier blane paraît. Ses vêtements mouilles D'un sang qui coule encor sont hélas ! tout souilles : Sont front est sillonné par une cicatrice ; Son regard humble et doux parait sans artifice : Il parle avec lenteur:—" Chef de Stadaconé. •' De me voir devant toi tu semblés étonne. •• Mais tu le seras plus si je te dis sans teinte. •• Pourquoi je viens ici te troubler de ma plainte.

.Je ne dois plus revoir mon pays bien aime !

•• II clas ! oui. mon pays m'est à jamais terme !

•; La mort m'attend chez-nous, la mort dans les sup- plices '.

Ah ! la terre pour moi. la terre est sans délices !

A cet arbre, toi-même, attache-moi sans peur. - Et qu'un trait acéré me perce enfin le cœur ! •• Ou bien si tu voulais, avant que je périsse.

M' aider à la vengeance ! Ah ! le doux sacrifice

L98 DÉCOUVERTE

•• Que celui de nies jours après m'ètre vengé ! Ici sa molle voix avait soudain changé, Et son o il animé semblait i*ougi par l'ire.

" J'ai vu reprit le chef, sur le pont d'un navire, •• [Jn étrange combat s'élever vers le soir,

•• I>is-m<ti ce que c'était. •• Oui, vous avez pu voir Reprit le matelot d'une voix radoucie. •• Que l'un des combattants s'est affaissé sans vie : •• ( 'elui-là, c'est Cartior ! N"ous détestions sa loi. •• ( V'lui <|iii l'a frappé, je m'en vante, c'est moi ! •• Et je n'ai point par commis nue injustice.

Le cœur de ce marin était plein d'avarice :

Malgré nous vers la France il voulait ramener

(Jn vaisseau que d'abord nous devions vous donner ; •• Comment en guider trois vers nos lointains rivages •• A peine pouvons-nous former deux équipages f

1)1 CANADA 19^

•• Un terrible fléau s'est abattu sur nous.

•• Et les plus vigoureux sont tombés sous ses coups.

" Si lorsque nous étions nombreux, pleins de courage,.

" Xous n'avons qu'avec peine évité le naufrage,

•• Comment pourrions-nous donc l'éviter maintenant ?"

•• Bt c'est moi que Cartier choisit pour commandant

" D'un vaisseau sans marins ! Désirait-il nia perte ï

" J'exprimai mon refus : ma résistance ouverte

■: Fut do tous mes amis approuvée un moment.

•• Mais je fus menacé du dernier châtiment ;

" Et je savais la mort qui m'était réservée

" Si je ne fuyais pas avant notre arrivée.

•• Alors encouragé par de traîtres amis,

•k Vous savez Le forfait que tantôt j'ai commis.

" Je suis entre vos mains, je suis votre victime ;

Faites- moi donc périr si j'ai t'ait un grand crime.

•• Mais si devant vous tous je parais innocent.

" Vengez-moi ! car contre eux moi je suis impuissant f

200 DÉCOUVERTE

•• Demain pour s'échapper ils déploieront les voiles. •• () guerriers, suivez-moi ! la nuit n'a pas d'étoiles î •■ Prenez vos tomahawks, prenez vos javelots !

•• Frappez-les sans merci ces cruels matelots !

•• (^u"ils meurent avec moi sur cette même rive.

•• Puisqu'ils ne veulent pas qu'avec eux moi je vive ! "

Alors le fugitif reste silencieux : Sur lui tous les guerriers ont arrêté leurs yeux : Ils semblent avoir peur <le se laisse]- surprendre.

Mais lui. ternie et serein, teint de ne pas comprendre

Ce noir pressentiment qui trouble leurs esprit». Quelques uns des guerriers t'ont entendre des cris :

Ils veulent que de suite on descende au rivage :

D'autres ne veulent pas (pie la lutte s'engage

Avant que «lu matin «'élèvent les brouillards :

IU craignent quelque piège. Mutin plusieurs vieillards

DU canada :

Demandent que d'abord le premier coup de hach« Soit pour ce guerrier blanc dont peut-être la tâche Kst de venir tromper les naïfs Indiens Pour les livrer après plus sûrement aux siens.

Alors de tous cotes des clameurs retentissent : Dans les carquois de peau les javelots frémissent : Le généreux marin se croit enfin perdu : Mais il ne mourra pas sans s'être défendu : Il est bien mieux armé que cette race impie Et veut lui vendre cher sa. glorieuse vie.

Une voix cependant domine les clameurs.

C'est la voix du grand Chef: " Guerriers aux nobles

[cœurs.

■• Je ne crois pas. dit-il. que ce. Blanc soit un traître : " Nous l'avons vu lutter contre son cruel maître :

202 DÉCOUVERTE

•• Et nous lavons aussi vu nager vers le bord •• Pour Pair comme il l'a dit une sanglante mort. •• .Mais il n'est pas besoin, ô guerrière, ce me semble, •• Que sur ces bâtiments nous montions tous ensemble. Iif bruit que nous ferions pourrait donner Pévoil, -• il vaut mieux les surprendre au milieu du sommeil. -• Qu'avec moi seulement s'avancent quelques bravos; •• Si retenus captifs, l'on nous charge d'entraves; •• Si nous sommes trahis par l'infâme étranger, " () guerriers, soyez prête demain à nous venger !

Il dit et les guerriers sortant de leur silence Approuvent son discours par un murmure immense.

Cependant un grand calme entoure les vaisseaux. La nuit est noire. Au loin, de nocturne-- oiseaux

DU CANADA 203

Font retentir les bois de leurs plaintes funèbres.

Un rapide canot glisse dans les ténèbres :

Les avirons légers dans l'eau plongent sans bruit.

Le chef des Indiens lui-même le conduit.

En silence bientôt il accoste un navire.

Cinq sauvages guerriers dont le cœur ne respire

Que le meurtre secret, le carnage et le sang.

Montent sur le vaisseau précédés par un Blanc.

" Ici." dit ce dernier d'une voix basse et morne, Et tenant à la main leur casse-tète énorme. Les cinq guerriers, muets, avancent un par un. Du clapotis des eaux le murmure importun Fait passer par moment un frisson dans leur ame. Sur la barque tout dort ; et leurs veux pleins de flamme Cherchent dans la noirceur les marins endormis.

204 DÉCOUVERTE

•• Ici." reprend le guide, " ici, guerriers amis.'- Puis ouvrant une porte, au tond de la cabine

Qu'une clarté douteuse eu tremblant illumine. Il les t'ait avancer avec précaution. Le- sauvages», pourtant, pleins d'indignation, •Ont trop tarde déjà de consommer leurs crimes : .Ils demandent au guide dorment les victimes : •■ Les voila ! " répond-il en «devant la voix. Et cinq haches sur lui se lèvent a la fois : -: Tu mourras le premier pour prix de tes outrage*, Hurlent dans leur courroux les farouche* sauvages, •• Tu nous livres aux tiens ! ah ! t raitre. tu mourras ! " Lu elle; sur le pont ils entendaient des pas. Mais ils n'ont point le temps de fnassacrer leur guide. Au milieu d'eux s'élance une foule intrépide : •Cartier qa\ le premier ! Sa voix et ses regards Remplissent de terreur les assassin» hagards. Ils n'osent se détendre. Alors on le- eix-liaine.

DU CANADA 205

lis au fond du navire en silence on les traîne. Cartier avec transport embrasse Jalobert :

" Tu nous sauves, dit-il. tu nous mets à couvert •• De la méchanceté de ces tribus atroces ! •• Xous niions dans les f'ei's tenir leurs chefs féroces. '• Elevons vers le ciel nos cœurs reconnaissants ! '• Qu'il daigne pardonner ces pièges innocents •• Que nous avons tendus sous les pas des perfides " Dont les lèvres étaient de notre sang avides ! •• Préparons les agrès ; hissons le pavillon : •• Aussitôt que du jour le matinal rayon ■" Tremblera dans le Hot que la brise balance, Xous voguerons enfin vers notre belle France !

X X I

LE RETOUR

Pendant toute l'a nuit les guerriers inquiéta, Auprès de leurs grands feux, sous les nombres forêts, Déplorèrent des chefs l'absence prolongée. Leur âme dans L'angoisse était encore plongée Quand le soleil monta rayonnant dans les eieux. Alors sur le rivage au loin silencieux

208 DÉCOUVERTE

Ils descendirent tous frémissants de colère. Deux navires berçaienl leur mâture légère Sous le gonfle <lu vent, au long roulis des flots. Sur Leurs ponts circulaient d'empressés matelots <^ui chantaient des refrains en larguant les amarre One morne stupeur s'empare dos barbare* Ils demeurent muets ; mais après «m moment, Mille affreuses clameurs montent au firmament.

Cependant les vaiseaux s'ébranlent sur les ondes. Deux traces derrière eux. bouillonnantes, profondes. Vont <>n s'élargissant se briser sur les bords. De chaque bâtiment s'élèvent «les accords

Qui montent vers le ciel avec les doux arômes Que les bois verdissant» exhalent de leurs dômes.

DU CANADA 209

La brise est favorable ; allez vaisseaux bénis ! Du paisible oeéan fendez les flots unis ! Ne craignez plus l'orage ! ouvre/ vos blanches voiles! Un soleil éclatant, de brillantes étoiles Pour vous éclaireronl la surface des mers ! Aile/- ! ne craignez plus la rage des enfers : Leur triomphe est fini, leur puissance enchaînée ! Déroulez vos drapeaux la lutte est terminée ! Qu'un vent doux et plaisant vous reconduise au port ! La France est dans l'émoi. Ses fils, dans leur transport. Descendent sur la rive la vagué se brise, Vous demandent au ciel, à la mer. à la brise ! La France vous attend ! () vaisseaux dites-lui, Qu'à ses lois tout un monde est soumis aujourd'hui !

Et les deux bâtiments s'en vont avec vitesse ! Et de leur sein s'élève un long cri d'allégresse !

210 DÉCOUVERTE

Kt les cinq prisonniers, «les larmes dans les yeux.

Jettent a leurs amis de pénibles adieux !

Et 1rs guerriers cruels de leurs mains frémissantes

Lancent vers les vaisseaux «les flèches impuissante» ! Kt l'on entend alors dans les eieux réjouis Les harpes moduler <\v> accords inouïs.

De l'aurore au couchant, disent les chants des an^es.

Le saint nom du Seigneur est digne de louang<

Dieu parle, et l'univers sur son axe brûlant,

Frémit d'un saint transport et L'adore en tremblant !.

Lui seul est éternel ! Son bras soutient la terre.

Il pourrait la briser comme un jouet de verre

Le vagabond nuage pbéil a sa voix :

Le tonnerre et le vent reconnaissent ses lois.

Il (tarait, et l'éclat de son auguste face

Fait pâlir les soleils qui roulent dans L'espace.

Que tout genou fléchisse a son nom glorieux !

Que la terre le craigne et qu'on le chante aux eieux L"

HYMNE NATIONAL

POUR LA FETE DES CANADIENS-FRANÇAIS

HYMNE NATIONAL

POUB LA FETK \)\K OANADIENS-FEAMCAIS

Couronné le 20 septembre 1869.

Ainii' Dion, et v •• tuii chemin.

Cieux, déroule/ sur notre tète Vos voiles de pourpre et d'azur!!

Soleil, brille d'un feu plus pur! Que la terre en ee jour revête Toute sa gloire et sa beauté ! Que l'onde plus mollement colite A travers le pré velouté ! •Que l'oiseau plus gaiment roucoule J

214 HYMNE NATIONAL

Que tout s'unisse à ces concerts D'un peuple qui demande place Parmi Les grands peuples qu'embrasse L'orbe éclatant de l'Univers !

Ah ! prêtez-moi votre voix infinie, Chœurs éternels que j'entends en tout lieu ! Ah ! prêtez-moi votre sainte harmonie, Esprit* d'amour qui chantez devant Dieu !

Ouvrez, ouvre/ votre aile diaphane, Ailles gardiens «le mou jeune pays ! Ecoutez-moi, mon chant n'est p;i> prol Portez à Dieu les hymnes que je dis !

IfVMNE NATIONAL 215

Vole moins lento. <0 belle nuit ! Yole moins lente ! Mon ame ardente Aime le bruit, La voix tremblante Du temps qui fuit ! Eveille, éveille Tes doux éehoe, La fleur vermeille. Le chant des flots'.! Lève ton voile, 0 nuit d'amour.! Lève ton voile Yoiei le jour ! .Brillante étoile Qui luis eneor <i tomme un elou d'or

216 IIV.MNK KATIONAL

Aux voûtes sombres, Dans ton essor ( 'hassr 1rs ombres ! De tes doux feux, Aurore blonde, Eclaire, inonde Les champs des doux ! Parais, lumière ! ( ) joui-, parais ! Que la chaumière, Que le palais, Que la rivière, La cime altiére 1 >c nos forêts El la poussière I )<• nos guérêts

Bondissenl «le joie !

(}\w \v papillon

HYMNE NATIONAL

Tout de vermillon Dans le chaud rayon

Du jour qui le noie. Plein d'amour déploie

Son aile de soie.

Se berce et tournoie

( 'onune une fleur au vent !

Qu'une chanson plus douce

Monte du nid de mousse

Sur le rameau mouvant !

( 'est jour d'ivresse ! Que la tristesse Sèche BOij pleurs ! C'est jour de fête ! Que chaque tête Porte des fleur» !

10

18

1IY.MNK NATIONAL

L'aurore s'est lovée et l'ombre s'est enfuie

Sur l'humide forêt que le vent chaud essuie. () soleil, tes rayons tombent comme une pluie !.

Mutants du Canada, laissez le fier taureau l>< udir, libre du joug, sur l'herbage nouveau ! Laisse/. d;i"s le sillon le goo Ol le liovau !

< î'ost la fête immortelle El sans cesse nouvelle

( )n l'amour se révèle, L'amour <lu sol natal !

< )u l'espoir se ranime A ton aspect sublime, 1 >rapeau national !

[NE NATIONAL 21$

0 Barde», accorde/- vos violons rustiques ! Que vos refrains joyeux et vos pieux cantiques Montent comme un parfum jusqu'aux divins Portiques.

Mêle/- vos nobles voix aux bruits vagues des eaux. Aux murmures du veut qui berce les roseaux. Aux accords printaniers des sauvages oiseaux !

C'est L'heure douce et pure Dans toute la nature le peuple se jure Une sainte union ! ta force s'affirme, le Seigneur continue Tes droits, ô nation !

*22<» HYMNE NATIONAL

Brunes tilles des champs*, dansez rut la prairie ! Vierges, cueillez «les fleurs, la pelouse ost fleurie. Cueillez des fleurs, ô vous les fleurs de la Patrie !

Que l'aigle qui s'élance m s.»n roc de granit, L'hirondelle <-ui vient lorsque l'hivor finit

Aux vieux toits du hameau pendis son humble n

Que la rose ontr'ouverto au front <lc la charmiLh Et la nappe d'azur l'étoile scintille : El la voile «le lin sur la nef qui vacille :

Que l'arbre couronné d'un feuillage odorant,

Le brouillard qui revêt son manteau transparent

L'ondine qui se baigne et Be berce au courant :

HYMNE NATIONAL 221

e tout ce qui brille : Etoiles, fleurs ou flammes; Que tout ce qui soupire : Oiseaux, brises ou lames ! Gt que tout ce qui prie : Hommes, anges ou femmes l

Entonne en ce beau jour un hymne solemnel Comme il en retentit quand l'Archange Michel Plongea dans les enfers tous les damnes du ciel !

C'est rheure douce et pure Dans toute la nature le peuple se jure Une sainte union ! ta force s*attirme. le Seigneur confirme Tes droits, ô nation !

MV.MNK NATIONAL

( l'est la fête immortelle Kt sans cosse nouvelle ( l'amour se révèle L'amour du sol natal ! ( la foi bc ranime A ton aspect Bublimo, Drapeau national !

Ah ! prêtez-moi votre voix infinie. < 'lueurs éternels que j'entends en tohl lieu ! Ah ! prêtez-moi votre sainte harmonie, Knprits d'amour qui chantes devant l>ien !

Peuple, entonne des chants <le gloire ! Peuple, en ce jour réjouis-toi : Ton drapeau qu'aimait la victoire Sut faire respecter ta loi !

HYMNE NATIONAL

amais de ta splendeur première Tu n'es tombé dans la pôusèïère roulent tant nations ? Et jamais sur ton front sublime Nul n'a ])ii voir la main du crime Buriner ses honteux sillons !

Revêts tes vêtements de joie ! Défends ta toi. ta liberté ! Bénis ! bénis la main qui broie Les fers de la captivité ! Abhorre le froid égOÏ&mè"; Il t l'aine un peuple au servilisme Bt le dépouille de son cœur ! A l'horizon des temps, regardé Tout ce ([uo l'avenir te garde De paix de gloire et de splendeur !

34 HYMNE NATION M

Méprise la voix de co traître Pour qui le peuple est mi troupeau Brise le sceptre de ton maître S'il devient le fouel d'un bourreau ! Xc laisse pas la tyrannie Mettre un cachet d'ignominie Sur ton sacré bandeau de roi ! Bl souviens-toi que ton pied foule Un sol depuis longtemps coule Le sang des héros de la foi !

Qui «loue dit que tu dégénère ( > peuple autrefois tant vante ? Que dans leurs sépulcros tes pères S'indignent de ta lâcheté ? Que muet tu courbes la tète Sons le joug honteux que t'apprête

IIV.MNK NATIONAL

N'importe quel maître étranger ? Qu'en tombant tu n'aurais pas même Pour le tyran un anatlieme. Pas même un fils pour te venger?

Peuple] tu te souviens encore De- grandes leçons de- aïeux ? Tu te souviens que ton aurore D'un vif éclat remplit les cioux ? Que les lange- de ton enfance Estaient ces drapeaux que la France Promenait au champ de l'honneur ? Qu'au bruit dune salve guerrière Le feu brillait sous ta paupière Et les élans brisaient ton cœur ?

li'i IIYMNK NATIONAL

Tu te souviens de ces campagnes Sous le ciel rade des bivers,

A travers les âpres montagnes

Kt dans les glacée des déserts,

Ou les soldats de la Patrie, l'ai- leur audace et leur furie. Poudroyaient de vieux bataillons, Kt chassant des troupes navr< c . Jusqu'en de lointaines contrées Allaient planter leurs pavillons î

Tu te souviens du promontoire < >u L"vis longtemps attendu De la France par la victoire

Sut rachetOT l'honneur perdu '! Kt n'est-il plus dans ta mémoire ( Vlui «pii promena ta gloire

HYMNE NATIONAL

Du pôle nord jusqu'au midi ? Qui sembla commander à l'onde Et qui vit tout le nouveau monde De ses nobles faits étourdi ? . . .

Peuple, tu te souviens des brave > Que des tyrans mirent à mort Parée qu'ils brisaient tes entraves Ut voulaient adoucir ton sort ? Ton âme s'éveille et tressaille Au souvenir d'une bataille Comme celle de Carillon ! Tu vois encor notre héroïne Debout sur son fort en ruine Lancer la foudre en tourbillon !

228 HYMNE NATIONAL

Ut tu semis un peuple lâche ' Tu sentis un peuple abaisse ! . . . Trop faible pour remplir la tache i}i\v te cède un brillant passé ' <^ui «loue ainsi te calomnie, () canadien, race bénie Que n'a pu briser le malheur ? 'Ton nom n'a-t-il plus de prestige ? Sorti d'une si belle lige, X'c-tij qu'une débile fleur ?. . .

Iv-:u donc, o Patrie,

Une terre flétrie

D'où s'enfuit la vertu ''.

< comme un grand poèt<

Dans ses chants le répète, <) ma Patrie, es-tu

229

La Vierge couronnée Qu'une troupe avinée Traîne dans le^ égouts ! N'as-tu plus l'innocence, La gloire et la puissance Qui faisnien! des jaloux ?

,le l'aime, ô sol natal ! Je t'aime et te révère ! Que Dieu verso sur toi ses bienfaits les plus doux ! Jusqu'au jour le eiel deviendra notre terre La terre nous vivons doit-ètre un eiel pour nous !

0 vous que je contemple

Près de notre saint temple. Vains autels des faux Dieux.

Retomh

ez en poussière

EH \INK \ \IIh\AI.

Votre froide prière Kst une injare aux cieux ! Meurs, perfide idiômo <,)iii glisses sous le chaume ( lomme sous les lambris ! Que la langue d'un père Ne soit pas étrangère, Juste ciel ! a ses fil»!

Je t'aime, <> sol natal, je t'aime ri te révère:

Que Dieu verse sur toi bcs bienfaits les plus doux !

Jusqu'au jour <»ù le ciel deviendra notre terre,

La terre nous vivons doit-être un ciel pour nous !

.le vous aime, rivag

< îiel de feu, blancs nuage:

HYMNE NATIONAL

Fleuves majestueux. Bois remplis de mystères. Montagnes solitaires. Torrents i mpétueux, Hivers, vents et tempêtes. Printemps d'amour qui jettes Mille arômes nouveaux, ftté d'azur, automne 'Que la moisson e.ouronne, Brillants chœurs des oiseaux !

23!

Jle t'aime. <"> sol natal ! je l'aime et te révère ! Que Dieu verse sur toi ses bienfaits les plus doux ! Jusqu'au jour le ciel deviendra notre terre, La terre nous vivons doit-être un eiel pour nous!

232 MVMNK NATIONAL

< > Patrie adorée

Kst-il une contrée

Aussi belle que toi ?

Aux jours sombre» d'orage

Tu puises Le courage

Dans L'amour el la loi !

Tu n'es j>as affaiblie

Par un Lâche repos !

() terre des h*

Tu n'es pas avilir !

Non ! j'en appelle à fous,

Antiques sanctuaires

je prie à genoux,

Non ! j'en appelle a rous,

() cendres de mes pere<i !

lTION,

le votre tombe, ô Mânes des aieux !

Laisse/ vos linceuls <le poussière ! Secouez le sommeil qui pèse sur vos veux.

Mânes, parlez à ma prière î Dites, n'est-il plus beau votre cher Canada

Et sa gloire est elle perie ? La terre qu'autrefois votre sang teeonda

N'est-elle plus jamais fleurie ? Voyez nos champs couverts d'une riche moisson.

Voyez nos villes florisantes. Dans nos beffrois d'argent entendez-vous le son

De nos cloches retentissantes ?... Ah ! si notre vertu chancelle un seul moment.

Si jamais notre toi succombe. Tour nous marquer au front d'un stigmate infamant.

Mânes, sortez de votre tombe !.

23 I IIVMNK NATION.W.

Sortez de votre tombe, ô Mânes des aïeux !..

Nos bois, nos champs cl nos montagnes Ont pour vous smIiici- des échos merveilleux !...

Pour revoir nos vertes campagnes, Pour revoir le beat! ciel <|Ue vous ave/, chanté

Aux jours lointains de votre vie ; L'orgueilleux Saint-Laurent que nous avez dompté

Kl dont chaque vague asservie Semble redire ciicor votre nom glorieux :

Pour voir si nos grandes rivières Promènent aujourd'hui sous de plttS pâles cictix

Des ondes moins pures, moins fières : Pour voir si le soleil dore moins nos coleaux

A l'heure gémit la colombe, Kl si dans nos forets les concerts sont moins b

Mânes, sortez de votre tombe ! . . .

HYMNE NATIONAL

Sorte/ de votre tombe, ô Mîmes des aïeux !

Un peuple entier est d'ans L'attente ! Mânes, pour le juger paraissez en ces lieux !

Dites si d'une âme eontente Il ne s'élance pas au milieu du danger,

Si son front porte quelque honte. S'il s'est laissé flétrir par un maître étranger !

Connaît-i) un bras qui le dompte Ce peuple de héros que vous avez Formé ?

Sa toi s'est-elle donc éteinte ? Le temple qu'il vénère est-il jamais Ferme ?

Et quand s'est-il courbé par crainte Devant l'iniquité qui violait ses droits ?

A-t-il l'air d'un peuple qui tombe ? Pour le dire aux pervers qui méprisent ses lois.

Mânes, sortez de votre tombe ! . . .

2âo

() mon luth, suspend tes accords ;

236 HYMNE NATIONAL

Repose aux branehos reverdir Quel Mot de maintes mélodies S'élève soudain de nos bords !

Kst-ce votre voix infinie, Chœurs éternels ojie j'en tend en tout lieu?

Est-ce votre «louée harmonie, Ivsjti-iis d'amour qui chantez devant Dieu ?

Cieux, déroulez sur notre tête Vos voiles de pourpre et d'azur ' Soleil, brillé d'un l'eu plus pur ! Que la terre en ee jour revête Toute >a gloire et su béant» Que l'onde pins mollcmei t coule A travers le pré Velouté ! Que L'oiseau plusgaiment roucouler

HYMNE NATIONAL

te tout s'unisse à ces concerts -D'un peuple qui demande place Parmi les grands peuples qu'embrasse L'orbe éclatant de l'univers !

•Ouvrez ! ouvre/, rotre aile diaphane, Anges gardiens de mon jeune pays ! Mou humble chant n'a pas été profane. Portez à Dieu les hymnes <|ue j'ai dits.!

DONNACONA

DONNAOONA

L'auteur il, nous reprttcnte Donnacona lo chef de Stadacoua donnant «Utii~ wlgwan. Son sommeil est agité : il rôve aux conséquonees qu'auront pour -a race et ponr son pays l'arrivée dos étrangers.

Stadaeona dormait sur son fier promontoire Ormes et pins, forêt silencieuse et noire. Protégeaient son sommeil.

1 i L'uon. P. .1. o. Cliauvetur.

11

242 DONNACONA

L<> roi Donnaeona dans son palais d'écoree Attendait, méditant sur sa gloire e1 ko force, Le retour du soleil.

La guerre avait cessé d'affliger ses domaines : Il venait <\v soumettre ti ses lois souveraines

Doute errantes tribus. Ses sujets poursuivaient en paix dans le* savanes Le lièvre et lu perdrix : autour de leurs rabanes

Les ours ne rôdaient plus.

Cependant il avait la menace à la bouche, Il se tournait fiévreux sur sa brûlante couche

Le roi Donnaeona ! Dans un demi-sommeil, péniblement éelosfcs, Voici, truite la nuit, les fatidique* choses

Que le vieux r<»i parla :

II

•• Que veut-il l'étranger a In barbe touffue ? <^uels esprits ont guidé cette race velue

En deçà <lu grand lac ? Pour le savoir, hélas ! dans leurs fureurs divines. Nos jongleurs ont brdié toutes les médecines

Que renfermait leur sue !

" Cudoagïiy se tait : les aines des ancêtres Ne parlent plus la nuit ; car nos bois ont pour maîtres Les «lieux de l'étranger :

244 D0NNAG03M

(Chaque joui* vcrra-t-il «'augmenter leur puissance ? .l'aurai» }>u cependant, avec plusde vaillance ( îonjnrer ce danger.

•■ J'aurais pu repousser, loiu, bien loin <lu rivage Le chef et son oseorte, et châtier l'outrage

Par leur audace offert. Mais (\v Cahir-coubal ils ont toute la grève, Kt déjà l'on y voit un poteau qui s'élève

D'étranges Heurs couvert.

•• Us ont tressaillir dans la forêt sacrée Les «>s de nos aïeux ! ma poussière exécrée

N'y reposera pas. Les tilsilc nos entants, bion loin d'ici peut-être. Dispersés, malheureux maudiront un mi U'aitrc

Qu'on nommera tout bas !

DONNACONA

•• Taignragny l'a «lit : l'étranger est perfide.

Ses présente sont trompeurs, et la main esl avide

Qui nous donne aujourd'hui : Elle prendra demain mille fois davantage, Mon peuple u'aura plus bientôt sur ce rivage

('ne forêt à lui.

245»

•• Taigtiragny l'a dit: De ses riches demeures. OÙ, dans les voluptés, il voit eouler ses heures

Leur roi n'est pas content. 11 lui faudrait encore et mes bosquets d'érables, Rt l'or qu'il veut trouver caché parmi les sables

De mon fleuve géant.

•• Jeunes gens, levez-vous et déterrez la hache,

La hache <\o<< combat h ! que nulle peur n'arrache A vos cœurs un soupir !

24<i I> .iNXAi'dXA

< tomme un troupeau, d'élans on de chevreuils timides. Tous ces fiers étrangers sous vos flèches rapides, Vous les verrez pourrir.

•• Mais inutile espoir ' Leur magie est |>lu> forte, VA son pouvoir partout sur le notre l'emporte.

Leur Dieu, c'esl un Dieu fort ! Quand il l'ut homme, un jour, dans un bien long supplice

I >e ceux dont il venait oxpier la malice < le Dieu reçut la mort !

•■ Domagaya l'a dit : Les tribus de l'aurore. Ni celles <lu couchant, plus savantes encore,

N'ont jamais invente De tourments plus cruels; mais, chef plein <le vaillance L<- Dieu des étranger* •'• noutfcrl on silence.

Puis au ciel est monte.''

Ainsi parlait le roi dans son aine ingénue , tët lui-même bientôt sur la Hotte inconnue,

Il partait entraîné. Les femmes, ses sujets hurlèrent sur la rive, Criant Agohanna ! De leur clameur plaintive

( Jarticr fut étonné.

Et prenant en pitié leur bruyante infortune Le marin leur promit qu'à la douzième lune Ils reverraient leur roi.

-M* l>n\.SA<<>.\\\

Uvs colliers d'ésurgni scellèrenl la proiuei Cartier les accepta ; puis ils firent liesse, ( !ar il jura sa foi.

Douze lunes cl vingt, <ii blé* plus sr passèrent, Cinq hivers, <-in<| êtes lentement s'écoulèrent..

Le chef ne revint pas. L'étranger «le retour au sein do la bourgade l>n n>i que chérissait la naïve peuplade

Raconta le trépas

Il n'est plus de ïoivt silencieuse el noire :

Le fer a tout détruit. Mais sur les liants clochers, sur les blanches muraille*, Sur le roc escarpé, tcnioin de cent batailles.

Plane une ombre la nuit.

Elle vient de bien loin, d'un vieux château de France.. A moitié démoli, graild par la souvenance J>u roi François premier.

250 DONNACONA

Bile crut an Dieu tort qui souffril en silence A h grand ehefdonl le cœur Pu1 percé d'une lance, Rllc crut au guerrier !

Donnacona ramène au pays des ancêtres Doniagaya lassé de servir d'autres maîtres,

Aussi Taiguragny. Les vieux chefs tout parés laissent leur sépulture. ( )u on tend cliqueter partout connue une armure

Les colliers d?ésurgni.

l'uis se sont dans les airs mille clameUrs joyeuses, Des voix chantent en chœur sur nos rives heureuse

( 'onnnc un loni^ hosanna. Kt l'on voit voltiger des spectres diaphanes. Kt l'écho sur u-s monts, danH les bob, los savanes,

Répète : Au-oluiniiM !

PS

2263

1870

Longf ellow, Henry Wadsworth Evangéline

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