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Duvrage couronné par In Société d’'Emulation de l’Allier ET PUBLIÉ SOUS SES AUSPICES, Avec le PoRtRAIT DE PÉRON, d'après le dessin de LESUEUR. CENTER non sordidus &uctor Naluræ derique ss FE | nn e $ Horn. \ 6 b.. 1 —3823 FOR Eses— PARIS MOULINS J:#B. BAILLIÈRE ET FILS, LIBRAIRES, ENAUT, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, 19, rue Hautefeuille. Rue Saint-Pierre, 6 1897 —_ TT re FNsontan Inst, A NAS € 119177 PA à SS CH 4 6 6 © Ne D FICHMOND \ a +, ee 2m ag E 9 © Fi Pt Î SOCIÈTE D'ÉMULATION DU DÉPARTEMENT DE L'ALLIER Concours pour 4854 ee — La Société d'Emulation de l'Allier met au concours l'éloge de François PÉRON, né à Cérilly (Allier), en 4775, et mort dans la même ville, en 1810. Les nombreuses découvertes , fruit de son voyage aux Terres Australes; ses beaux travaux sur l'anthropologie, les mammifères, les méduses, etc., son talent d'écrivain, sont assurément des titres suffisants pour mériter cet éloge ; mais ils ne sont pas les seuls sur lesquels la Société croie devoir appeler l'attention des concurrents. Il en est un qui lui paraît surtout recommander la mémoire de PÉRON à ses compatriotes du Bourbonnais. C’est cet amour ardent et désintéressé de la science, qui lui fit supporter les fatigues et les privations les plus dures, s’exposer à des périls sans nombre, sacrifier ses intérêts personnels les plus chers, sans autre ambition que celle des découvertes scientifiques. La Société d'Emulation espère donner un encouragement de plus aux concurrents, en leur annonçant que M. Isidore Geoffroy Saint" Hilaire, membre correspondant de la Société, sera l’un des juges du Concours. Extrait du Programme. Art. 4%. Faire l'éloge historique de PÉRON, et apprécier ses dé- couvertes, ses travaux, son caractère etson mérite comme écrivain. Art. 6. Les membres titulaires et les associés libres de la Société d'Emulation sont exclus du Concours. CE à dm, NA D Ca AVANT-PROPOS. Nous avons pris notre tâche trop au sérieux , nous savons trop le respect que nous devons aux hommes honorables et distingués qui doivent nous juger, pour rien avancer sans l'avoir auparavant constaté avec soin et scrupule , sans nous être entouré de tous les documents qu’il nous a été possible de nous procurer , dans les bibliothèques et les musées, dans la conversation de personnes instruites, et auprès de tous ceux qui, de près ou de loin , ont eu des rapports avec Péron. C'est ainsi que nous avons obtenu les plus précieux rensei- onements restés en quelque sorte jusqu'ici traditions de fa- mille. Nous ne saurions donc jamais témoigner assez notre reconnaissance pour unsiutile concours donné à notre œuvre, qui aura de la sorte la seule valeur que nous osions ambi- tionner, celle de la vérité. M. de Rochefort, par exemple, le petit-fils maternel de QE M. Petit-Jean, qui a eu la plus heureuse influence sur la destinée de Péron, écrit pour nous de Chamerande (canton de Moulins), des détails pleins d'intérêt. D'un autre côté, M. Brugière, qui habite les environs de Cusset, un vieillard qui ne peut plus écrire, a eu là bonté de dicter pour nous à sa petite-fille les souvenirs qu'avait laissés dans son esprit et dansson cœur une intimité qui, commencée dans les camps, n’a fini qu’à la mort de Péron. Le respectable M. Kéraudren , inspecteur honoraire du service de santé de la marine , nous a donné aussi, de vive voix, de précieuses indi- cations. Nous devons remercier également M. Valenciennes, pro- fesseur au Muséum d'histoire naturelle, notre ancien et honoré maître, qui a bien voulu mettre entre nos mains d’utiles ou- vrages et nous diriger par de savantes remarques, et M. Le- mercier, sous-bibliothécaire du Muséum, dont la bienveillante érudition scientifique se met toujours ayec tant de dévouement au service des travaux d'histoire naturelle. NATURALISTE, VOYAGEUR AUX TERRES AUSTRALES SA VIE, APPRÉCIATION DE SES TRAVAUX PREMIÈRE PARTIE. ÉTUDE BIOGRAPHIQUE. On ne saurait méconnaitre que, depuis quelque temps surtout, il n’y ait dans la France entière une généreuse ému- lation pour rechercher, pour honorer les belles actions et les actes héroïques, les éclatantes vertus et les illustres travaux. C’est là un fait remarquable et bien consolant pour les amis de leur pays. Car enfin cette sève d’où Jjaillissent les grandes choses n’est pas tarie chez une nation qui a ainsi le culte, l’en- thousiasme du beau dans tous les genres; et c’est être bien près d’imiter que de savoir à ce point admirer. Les provinces et les villes instituent des fêtes, élèvent des statues, décernent des éloges publics. Au milieu de ce mouvement général de justice nationale et de reconnaissance , la noble province du Bourbonnaïis ne pouvait s’oublier elle-même. Sans parler de tant de monuments dont elle est fière à bon droit, comme ceux de Moulins et de Souvigny, sans parler de ces grandes familles historiques dont la gloire se trouve mêlée à toutes les gloires de la France, combien ne compte-t-elle pas à elle seule de cesillustrations dont pourraient être fières plusieurs provinces. Villars et Berwick, dignes en- fants d’une ville (Moulins) qui ne s’est jamais rendue à un en- ee nemi, le vainqueur de Denain et le vainqueur d’Almanza, dont l’un sauva la France et l’autre l Espagne, c’est-à-dire deux cou- ronnes pour le Grand Roi et pour notre patrie; le chancelier Duprat, le ministre préféré de François 1; Chabannes, le héros de ce règne glorieux à côté de Bayard, son ami; le brave officier de lagardeïmpériale, Rabusson ; lesavantjurisconsulte Chabot; le sculpteur Renaudin, et tant d’autres encore. Un homme des plus distingués a, dans un magnifique ouvrage, comme inven- torié les richesses monumentales de son pays; rien de plus lé- gitime que l’hommage qui lui a été rendu par ses concitoyens. Ilétait juste qu’un monument, élevé en l'honneur de M. Allier, füt placé au milieu de tous ceux dont il avait fait revivre la gloire. Un autre enfant du Bourbonnaïis a honoré non seulement son pays natal, mais la France, mais l’humanité tout entiere par ses talents, par son courage, par son noble caractère, en même temps qu’il les a servis par les plus admirables décou- vertes, et par celles qu’il a préparées ; un de ces prophètes de la science qui devancent l’avenir, Péron, doit à la ville de Cérilly qu’il a immortalisée , à ses compatriotes de l’Allier un monument vraiment digne de lui. # Les hommages littéraires n’ont pas manqué non plus à l’é- crivain remarquable (car le savant Péron en était un) qu'avait recherché l'amitié de Fontanes; et, on est heureux de le dire, ils n’ont pas été au dessous de la grande solennité (inau- guration du monument , 8 juin 1842) qu'ils étaient appelés à embellir encore. On se rappellera toujours ce discours prononcé près du monument funèbre par M. Dufour (1), ces paroles où l’on sent l'âme d’un honnête homme qui avait le sentiment des arts; et (4) Discours commémoratif sur F. Péron, etc., par M. Dufour, — Gérilly, 8 juin 4842, imprimé chez Enaut fils. a   ae cette allocution d’un style vif, d’un libéralisme élevé et véri- table, de M. l'abbé Charles, curé de Cérilly (L). _ Plusanciennement déjà, en 1811, un an aprèsla mort de Pé- ron, un éloge historique très intéressant lui avait été consacré dans une société savante, par un homme qui avait recu d'elle la mission d'enregistrer, en quelque sorte, les renommées con- temporaines , et qui, par là même, avait acquis une grande habitude d'appréciation, aidée encore par une infinie variété de connaissances. M. Deleuze juge Péron en littérateur bien plus qu’en savant, et les traits touchants qui terminent l’éloge révèlent un panégyriste qui avait connu et par conséquent aimé celui qu’il loue (2). Un éloge (3) d’une forme plus scientifique, mais très incom- plet dans le compte rendu des travaux de Péron, est celui que M. Alard, secrétaire de la Société médicale d’'Emulation, lut à cette savante compagnie, le 6 mars 1811. Nous citerons encore l’article consacré à Péron dans la Pio- graphie Universelle. Cet article, par Eyriès, n’est qu’un extrait de l’éloge de Deleuze. Quelques lignes, d’une inspiration assez malheureuse, sont aussi contenuesdans la Biographie Médicale. Le plus beau titre de gloire de Péron, celui qui le désigne officiellement à la reconnaissance du pays, c’est le rapport présenté à l’Institut le 9 juin 1806 par la commission compo- sée de Laplace, Bougainville, Fleurieu, Lacépède et Cuvier, rapporteur (4). Péron, resté seul de tous ses collègues et aidé de Lesueur, redouble, y est-il dit, de zèle et de dévouement. Et au sujet de la riche collection zoologique : « plus de cent » mille échantillons d'animaux d’espèces grandes et petites (1) Voir l’Industriel de Moulins, journal, 15 juin 1849, n° 9. (2) Voyage aux Terres australes, 2 vol. page 434. (3) Mémoires de la Société médicale d'Emulation, 1811, Lome 7. (4) Voir 41° vol. du Voyage aux Terres australes. RER AN 2 A4 la composent : elle a déjà fourni plusieurs genres importants ; » ilen reste bien davantage encore à faire connaître, et le » nombre des espèces nouvelles, d’après le rapport des pro- » fesseurs du Muséum, s'élève à plus de deux mille cinq cents. Si » l'on se rappelle maintenant que le deuxième voyage de » Cook, le plus brillant en ce genre qui eñt été fait jusqu’à ce » jour, n’en a cependant pas fourni plus de deux cent cinquante, » et que tous les voyages réunis de Carteret, de Wallis, de » Furneaux, de Meares, de Vancouver lui-même, n’en ont » pas tous ensemble produit un nombre aussi grand ; si l’on » observe qu’il en est de même de toutes les expéditions fran- » çaises , il en résulte que MM. Péron et Lesueur auront à eux » seuls plus fait connaître d’animaux nouveaux, que tous les » naturalistes voyageurs de ces derniers temps. » Ils ont eu le sage esprit, ajoute la commission, sans céder à des prédilections personnelles, de s’occuper avec un soin égal de toutes les classes d'animaux. Leurs descriptions ne sont pas simplement relatives, c’est-à-dire ne donnant que les caractères propres à un système de classification et omettant les autres, mais sont absolues, c’est-à-dire embrassant tous les détails de l’organisation, et survivront par conséquent à toutes les révolutions des méthodes et des systèmes. Péron a toujours joint à ses notes zoologiques des détails sur les mœurs des animaux, leurs noms de pays, les usages auxquels on les fait servir, leur importance commerciale, etc. Quinze cents dessins et peintures de M. Lesueur, suppléaient aux altérations inévitables pour un grand nombre d'espèces. Au reste, tout ce qu’il était physiquement possible de conser- ver a été rapporté, soit dans l'alcool, soit empaillé, soit des- séché, soit salé. Les peaux ou les mâchoires, les dents, les poils servent de pièces justificatives aux descriptions des grands phoques ou des grands squales ; la préparation même d’un A grand squelette du crocodile des Moluques n’a pas arrêté le zèle de Péron et de Lesueur. Les tentatives pour rapporter les animaux vivants et les acclimater sont dignes des plus grands éloges ; une partie de ces animaux avait été acquise aux frais de Péron. L’illustre commission exprime ses regrets, qu’aussi malheureux que le bailli de Suffren , Péron n’ait pu réussir à ramener vivant de l'Ile de France le poisson Gouramy. Outre les travaux d'histoire naturelle, Péron a présenté des recherches importantes de météorologie et un mémoire du plus haut intérêt pour le philosophe et pour l’homme d'Etat sur la colonie de Botany-Bay, si longtemps méprisée en Europe. Le rapport déclare que les résultats scientifiques de l’ex- pédition sont infiniment supérieurs à tous ceux de même na- ture, exécutés jusqu’à ce jour dans les expéditions de ce genre, soit nationales, soit étrangères. [ls reçoivent un nouveau prix des circonstances malheureuses au milieu desquelles ils ont été obtenus. « Malgré les ordres du gouvernement et sa pré- » voyance , les privations de tout genre, vous le savez, ont » pesé sur tous les individus attachés à cette grande entreprise. » Les maladies ont ravagé les deux équipages. Des vingt-trois » personnes présentées par vous au premier Consul pour s’oc- » cuper des diverses recherches scientifiques , trois seulement » ont revu leur patrie après avoir fait tout le voyage. Les uns, » découragés de bonne heure, ont débarqué ; les autres sont » restés malades en différents lieux , et le reste est mort. Au » milieu de tant de désastres, M. Péron et son ami ne se sont » pas laissé abattre. À toutes les époques du voyage, ils ont » manifesté le dévouement le plus honorable. » Les conclusions de ce rapport, un des plus remplis de louan- ges qui aient été présentés à l’illustre assemblée, sont les suivantes : « Nous pensons done, 1° que la Classe doit témoi- » gner, d’une manière authentique, combien elle est satisfaite NS Fees » du zèle que M. Péron a mis à remplir les fonctions dont il » avait été chargé par le Gouvernement, sur la recommanda- » tion de l’Institut ; 2°’ qu’elle doit déclarer au Gouvernement » qu’il est digne des récompenses accordées jusqu’à ce jour » aux naturalistes voyageurs , et que les ouvrages qu’il pré- » pare doivent concourir, d’une manière éclatante, au progrès » des sciences naturelles. Comme on le voit, les ee des contemporains , les plus hautes approbations scientifiques ont déjà rendu à Péron un hommage mérité ; plus récemment, les concitoyens de l’émi- nent naturaliste, animés d’une pieuse reconnaissance pour ce glorieux enfant du pays, ont acquitté dignement la dette de la ville natale et de la province. | Que nous reste-t-il donc à dire après ces voix illustres ou amies ? Notre rôle est de compléter l’examen de ses remar- quables travaux qui ne sont encore connus que par des indi- cations incomplètes ; notre rôle est surtout de mettre en lumière les aperçus féconds de toutes les grandes idées dont la réali- sation se poursuit aujourd’hui à un demi-siècle de distance. Péron a touché à des questions dont le développement se con- tirue de nos jours ; ila donné les premiers matériaux de beau- coupdetravaux actuels. Le voyageur intrépide, lehardipionnier de la science zoologique moderne ne sauraït être oublié, il doit être compté parmi les plus remarquables disciples des maîtres illustres qui ont ouvert les voies à la science, au com- mencement de notre siècle. Le moment n’est-il pas propice de faire revivre le souvenir de Péron, maintenant que, depuis peu de jours, s’est fondée cette société d’acclimatation des animaux, due à une haute et persévérante initiative, et dont les services pour le pays sont incalculables. Péron aurait eu sa place marquée à CÔTÉ de ses idembres les plus éminents, car elle réalise un de ses cons- EE tants désirs. Et il faut bien se rappeler qu'il à le premier fait _conpaître, au point de vue de la domestication, quelques-unes des précieuses espèces qui seront un des grands bienfaits dont notre époque pourra doter l'humanité. De plus, une classification méthodique manque entièrement: aux travaux de Péron, disséminés qu’ils sont dans une foule de recueils souvent peu consultés aujourd’hui, etsur plusieurs desquels il ne reste que de restreintes notices. Les analyser avec ordre, faire surtout ressortir tout ce qui a été depuis confirmé et complété par la science actuelle, telle doit être notre modeste tâche. Avant d'arriver à la partie principale de cet opuscule, nous devons d’abord faire connaître, par un bref résumé historique, la vie si courte du savant voyageur et indiquer rapidement les côtes lointaines et meurtrières où il a été chercher les éléments de sa gloire et d’où son dévouement à la science et ses fati- gues sans nombre ont rapporté aussi les germes de sa fin pré- maturée. | François Péron, correspondant de l’Institut, membre de la Société de l'Ecole de médecine de Paris, des Sociétés médi- cales d’émulation , philomathique et des observateurs de l’homme, rédacteur du Voyage aux Terres Australes, est né à Cérilly, petite ville de cette partie du département de l’AI- lier qui confine à celui du Cher, le 22 août 1775, de parents honorables, mais peu aisés. Son père exerçait la modeste pro- fession de sellier. Aussi la famille n'avait pas de bien hautes prétentions pour l'enfant. Sa mère était restée veuve avec trois enfants, Péron et ses sœurs, sans fortune. On voulait qu’il apprit quelque métier lucratif. Mais « celui-ci, uous écrit M. de » Rochefort, montrait dès l'enfance un grand amour pour » l'étude. Il passait une partie des nuits à lire, à travailler à __» l’insu de ses parents qui lui rétiraient la lumière. [1 mon- 0] Le OIL » tait sur le toit de la maison paternelle et il lisait au clair de » la lune : plus tard il perdit un œil, par suite de cette pas- » Sion de la lecture. » En présence d’une vocation qui éclatait de la sorte, le res- pectable curé de Cérilly avait bien voulu lui donner les pre- miers éléments de lecture, d'écriture et de latin. Puis, le jeune élève suivit les cours du collége de Cérilly, dont le principal était alors M. Baron, pour lequel, comme pour son premier maître , il conserva toujours la plus vive reconnaissance. Car, il faut le dire, et nous aurons plusieurs fois l’occasion de le répéter, Péron avait le culte de la reconnaissance ; c’était une religion à laquelle il est resté constamment fidèle. Après les études du collége, en 1791, nous le retrouvons de nouveau entre les mains du vénérable prêtre qui lui apprend la philo- sophie et la théologie. Doué d’une intelligence extraordinaire, d’une aptitude rare, il eut bientôt égalé en savoir son profes- seur qui conseillait à ses parents de faire entrer le jeune homme dans un séminaire, seule ambition de la famille. Mais on était alors en 1792. Etranger auparavant à toute préoccupation extérieure, Péron sent arriver jusqu’à lui le souffle de ces grandes idées qui inaugurent un monde nouveau. Son âge était celui de l’enthousiasme ; il est séduit par la no- ble passion de la liberté, et un an après ses premières études théologiques, en août 1792, il se rendit à Moulins pour faire partie du deuxième bataillon des volontaires de l'Allier, qui fut organisé définitivement le 17 septembre suivant. Il fut nommé caporal de la compagnie de Cérilly, n°7; puis, peu de temps après, sergent. Nousentrons dans ces détails, non que ce soit une époque importante dansla gloire de Péron, mais parce qu’il avait contracté là une de ces amitiés qui ont laissé trace dans sa vie. Il yavait dans le même bataillon M. Brugière, que nous sommes heureux de citer et que nous laissons parler : Lee | AGE » Ici commence l'amitié qui nous unit l’un à Pautre, qui est » devenue un culte pour ma famille , un lien que la mort même » n'a pu rompre. Depuis que je l'avais connu et apprécié, » nous ne faisions plus qu'un, tout était commun entre nous. » Je lui reconnaissais une intelligence supérieure, mais j’en » étais plus glorieux que jaloux. » Les deux amis avaient été envoyés à Landau assiégé par les Prussiens. Quand le blocus fut levé, ils eurent leur can- tonnement dans les environs de Spire. « À cette époque, écrit » M. Brugière, le Gouvernement adressait à chaque corps de » l’armée des journaux et autres imprimés relatifs aux cir- » constances , en assez grand nombre pour que chaque compa- » gnie pût en avoir sa part. Le vaguemestre me les remettait » lesoiret je les distribuais le matin. Péron, avide de lecture, » de savoir, d'émotion, n’attendait pas le lendemain. À peine » avais-je reçu les imprimés que je le voyais arriver à mon lo- » gement, me demandant ce qui revenait à sa compagnie. » Dans le même temps j'avais réuni environ soixante volumes » de nos écrivains français les plus remarquables, qui, pillés » dans la bibliothèque de l'évêché de Spire, avaient été aban- » donnés dans les maisons des divers villages où nous avions » été cantonnés. Péron ne pouvait manquer de les apercevoir » et de me les demander. » Il me paraît certain que les lec- tures de l’éloquence parlementaire un peu emphatique de l’épo- que ont eu une influence notoire sur le style de Péron, tant pour ses grandes qualités que pour quelques défauts. | Péron rejoint l’armée qui combat les troupes prussiennes. Le 26 décembre 1793, dans la déroute qui suivit la bataille de Kayserslautern, Péron fut fait prisonnier en cherchant à dégager un camarade qui, renversé sur le dos, avait en tra- vers de son corps un cheval prussien tué, et de plus il fut blessé d’un coup de sabre au bras. Il fut conduit à Mayence, 2 ES ONE puis à Wesel, enfin à la citadelle de Magdebourg où il donna à son ami malade les soins les plus affectueux. Pendant le cours de ce triste voyage en Prusse, nous apprend M. Brugière, les fatigues et les misères de la captivité n’étouffaient pas en lui le goût de l'étude ; il prenait note de tout ce qui pouvait l’intéresser sous le rapport des mœurs, des habitudes des dif- férentes populations qu’il visitait, ainsi que des productions des diverses provinces. C’est la curiosité du savant qui déjà se révèle. Enfin, à la fin de 1794, il y eut un échange de pri- sonniers. À la suite des privations de la captivité, Péron avait perdu l’œil droit sur lequel une taie existait auparavant et qui était singulièrement affaibli. Cette infirmité emportait un congé de réforme. Il fut de retour à Cérilly le 30 août 1795. Il avait vingt ans, était sans état, sans fortune, mais apte à tout. Il fut d’abord secrétaire de la mairie, et comme on le remarque dans un des éloges de Péron, ce travail aride d’ar- chives mal tenues était excellent pour lui faire comprendre les avantages d’une classification méthodique et perfectionner en lui cet esprit d'ordre qu’il eut au plus haut degré. Cet emploi ne pouvait le mener à rien, « C’est alors, dit M. » de Rochefort, qu'il fut présenté à mon aïeul maternel, » Pierre-Lazare Petitjean, notaire à Cérilly, homme plein » de savoir et d’érudition. Après avoir fait subir à Péron un » examen approfondi, il jugea qu'il était capable de suivre » des professeurs de hautes sciences et qu’il n’y avait que Paris » pour cette vaste intelligence. Péron, dont le cœur était aussi » haut placé que son désir de s’instruire était ardent, se jeta » dans les bras de son bienfaiteur, en apprenant cette heu- » reusenouvelle, l'appelant son second père. Un'oublia à aucune » époque de sa vie les sacrifices que s’imposait pour lui ce véné- » rable vieillard. En tête d’un magnifique exemplaire de ses » ouvrages dontil faisait hommage à M. Petitjean, il avait écrit : CES » À l’homme de bien & qui je dois tout. (Péron). » À son retour des Terres Australes , il reçut de l’archiduc » Charles d'Autriche une boîte précieuse, en récompense de » curiosités qu’il avait offertes à ce prince. Cette boîte fut en- » voyée sur le champ à mon aïeul maternel, M. Petitjean ; il » le priait de l’accepter comme un faible gage de souvenir. » Nous trouverons encore plus tard des preuves touchantes de cette reconnaissance ; mais entraîné par le plaisir de citer, nous avons déjà devancé les événements, nous rentrons dans notre récit. Grâce à M. Petitjean, Péron put solliciter une place d'élève à l'Ecole de Médecine de Paris et obtint sa nomination du mi- nistre de l'Intérieur, en juillet 1797. Péron vient à Paris, aux sources de la science, et pendant trois ans il ne se borne pas à suivre les cours de l’école, il fréquente ceux de zoologie et d’anatomie comparée du Muséum. Outre ces études médicales et d'histoire naturelle, tant de homme que des animaux, Péron se livre avec ardeur à la connaissance de la physique et de la chimie, ces sciences dont les bases sont alors seulement posées et qui sortent du long chaos du moyen âge. Il n’oublie point les lettres qu’il associe courageusement aux mathématiques, et les langues latine, grecque, italienne, anglaise et espagnole, sont de sa part l’ob- jet d’une révision ou d’une étude première. Il semble réelle- ment inconcevable qu’il ait eu le temps de mener de front des travaux si accumulés et si divers. Le titre de médecin allait couronner les efforts de cet esprit si heureusement doué. Un espoir doux et flatteur avait été l’aiguillon secret de cette étude opiniâtre. Sans doute la pau- vreté se posait devant lui comme une barrière infranchissable. Tout ce que nous savons de l'ami à qui il ne cachait rien, M. Brugière, c’est que jamais il ne s’ouvrit à la famille dans — 20 — läquelle il eñt regardé comme un immense honneur de pou- voir entrer. Et ici, on ne saurait assez admirer, en face d’un tel bonheur qu'avait rêvé son imagination ardente, ces senti- ments de timide réserve, cette retenue de la passion qui craint de blesser un protecteur aimé et respecté. Peut-être aussi sa délicatesse n'a pas voulu abuser des bienfaits pour faire vio- lence à la générosité. Quoi qu'il en soit, plus il mettait à un haut prix une telle alliance, plus sa modestie trouvait grande la distance qui l'en séparait, plus il demandait au talent, à la célébrité, sinon à la fortune, de l'en rapprocher. C'est pour cela qu'il avait étudié la médecine avec une ardeur incroya- ble, c’est pour cela qu’il ira chercher dans un monde nouveau ce que l’ancien ne lui eût donné que trop lentement, au gré de ses désirs. Mais son secret, trop bien gardé, tournera contre lui, et ses projets d'union ne s’accompliront pas. Péron s’était passionné pour les études d'anthropologie, cette science si difficile, à peine ébauchée alors par les travaux de Blumenbach parcourant l’Europe pour comparer les crânes des diverses variétés humaines. Il fallait vérifier, par des ob- servations précises, les caractères exacts des cinq races qu'il établissait dans son célèbre ouvrage sur l'Unité du genre hu- main. L'occasion se présentait d'étudier certaines de ces races dans leurs variétés les moins connues. Une expédition, or- donnée par le Gouvernement, allait faire voile pour la Nou- velle-Hollande. Deux vaisseaux, le Géographie etle N'aturaliste, le premier sous les ordres du capitaine Baudin, commandant en chef, le second sous ceux du capitaine Hamelin, atten- daient au Hâvre les dernières instructions du ministre. Péron demanda à être employé; mais le nombre des savants était complet , il ne put d’abord se faire accueillir. I pria M. de Jussieu, l'un des commissaires chargé du choix des natu- ralistes, de solliciter pour lui. Ce savant botaniste, qui ne put & hop l'écouter sans étonnement et sans émotion, lui conseilla de faire un mémoire dans lequel ses motifs seraient exposés ; et ensuite, de concert avec M. de Lacépède, il détermina les com- missaires à ne pas repousser un jeune homme qui joignait une ardeur extraordinaire à une étendue de connaissances bien rares à son âge. Quelques jours après, Péron lut à l’Institut un mémoire sur l'utilité de joindre aux autres savants de l’ex- pédition un médecin naturaliste, spécialement chargé de faire des recherches sur l'anthropologie. Il réunit tous les suffrages et le ministre signe sa nomination à une place de zoologiste. 11 lui reste peu de jours , ils sont employés à recevoir les instructions de Lacépède , de de Gérando, de Cuvier surtout. Péron obtient avec reconnaissance une note détaillée, de la main même de cet illustre savant, indiquant les nombreux points sur lesquels doivent porter les investigations. Il atta- chait tant d'importance à ce précieux écrit qu'il ne passait pas un seul jour sans le relire. (1) Après quelques moments donnés à sa famille, Péron s’em- barque au Hâvre, le 19 octobre 48090, sur le Géographe. Ar- rivé le dernier et sans être attendu, il trouve toutes les places occupées et, de là, mille privations, mille ennuis. Toutefois, (tant cette énergique volonté sait se recueillir) dès le pre- mier jour, au milieu des agitations de toutes sortes, il com- mença des observations météorologiques , continuées pendant toute la durée du voyage. Au bout de peu de temps, la fran- chise de Péron , l’amabilité de son caractère lui ont fait des amis dans ses collègues ; les officiers de marine même, étran- gers à ses travaux , s’attachent à lui, et collaborateurs impro- visés, l’aident dans ses recherches; tant la conversation vive. (4) Cet autographe, si intéressant à double titre, appartient maintenant. à M. 1, Geoffroy-Saint-Hilaire, | imagée du jeune naturaliste sait gagner à la science les plus indifférents. Péron se lia surtout avec MM. Henri et Louis Freycinet, Ransonnet et Montbazin, officiers de marine; Boullanger, géo- graphe; Leschenault, botaniste; Bernier, astronome, et Depuch, minéralogiste; ces deux derniers morts depuis victimes des fati- gues de l'expédition. Ilest un autre homme vers lequel l’entraîna tout d’abord une vive sympathie qui devint bientôt une étroite et profonde amitié de tous les instants, de toute la vie; J'ai nommé Lesueur, embarqué comme peintre d'histoire naturelle et devenu en peu de temps, grâce à Péron, un habile zoolo- giste ; ce qui fait que leurs noms sont si fréquemment associés dans une commune gloire. Ils le seront aussi dans un commun éloge , pour ainsi dire, car Péron aura une fois de plus porté bonheur à son ami. L’éloge de Lesueur vient d’être proposé par une Société savante (1). Nous nous en réjouissons dou- blement, qu’il nous soit permis de le dire en passant, et pour la mémoire de Lésueur que, dans nos plus vives sympathies , nous ne séparons pas de Péron, et pour l'honneur de la So- ciété d’'Emulation de Allier qui avait donné un bon exemple, et qui, par la distinction reconnue de ses membres, qu’attes- terait, s’il en était besoin , le bienveillant patronage d’un nom comme celui de Geoffroy-Saint-Hilaire, a mérité que ce bon exemple fût suivi. Le commencement du voyage est marqué par les premières observations sur les applications de la météorologie à l'hygiène (1) En effet, au moment où nous écrivions ces lignes, nous apprenions qu’un hommage mérité allait être rendu par la Société Hävraise d’études diverses , au Zélé et habile collaborateur de Péron, à cet esprit aventureux et d’une ori- ginalité si profonde , à ce cœur aux affections si solides et si dévouées, à M. Le- sueur, qui mourut en 4847, directeur du Musée d'histoire naturelle du ïlâvre, sa ville natale. navale, sur la température et la phospnorescence des mers. Après un court séjour aux Canaries, au milieu de novem- bre 1800, signalé par l’importante découverte de l’animal vi- vant de la spirule, Péron arrive à l'Ile-de-France le 15 mars 1801. Là , les plus cruelles déceptions marquent le début de cette longue et meurtrière campagne. Les provisions promises man- quent, ou sont de la plus mauvaise qualité ; soit avarice du Commandant, soit une de ces fraudes des fournisseurs, si fré- quentes à cette époque. Quarante des meilleurs matelots dé- sertent, plusieurs savants et artistes quittent un chef dont l’imprévoyance et la dureté inspirent les plus sinistres pré- visions sur l'issue de l’entreprise, puisque l’insalubrité des aliments va se joindre à toutes les causes de fatigue prévues et acceptées. ; = Péron ne suit pas cet exemple, et cependant il connaît la faiblesse de sa complexion (1) ; mais l’ardente passion des découvertes fait taire toute crainte personnelle, et de plus triomphe en lui des trop légitimes ressentiments excités par les indignes procédés du chef de l'expédition. Qu'il nous soit permis, pour ne plus revenir sur ce triste sujet, de citer l’o- pinion de Maltebrun (2), rapportée par son continuateur Huot : ; « L'histoire naturelle n’eut pas plus à se louer de lui (Baudin) » que la géographie : il fallait toujours des instances réité- » rées pour obtenir la permission de débarquer ; les infortu- (1) Dans la colonne des observations au sujet des individus soumis aux épreuves du dynamomètre, il se désigne de la sorte : Péron, zoologiste, petite stature, constitution maigre et peu forte. (2) Voir Précis de Géographie universelle par Maltebrun, tome 1°, page 659. — Voir aussi Journal des Débats, 24 juillet 4818, et les Mélanges scien- tifiques et littéraires , Maltebrun, Paris 1828, tome 2. ou », nés naturalistes ne pouvaient emporter avec eux les vivres » ni les boissons nécessaires; ils étaient jetés sur une côte » aride et déserte comme des malfaiteurs abandonnés à leur » destinée. Souvent le capitaine , impatienté d’un retard invo- » lontaire, les menacça durement de les laisser en arrière une » autre fois ; il s'exprima dans les termes les plus injurieux » Sur ces empailleurs d'oiseaux et ces ramasseurs de cailloux, » qu'il avait traités de grands hommes à Paris. Toute la rela- » tion historique est remplie de plaintes sur la mauvaise con- » duite du chef et sur les souffrances des voyageurs. Aucune » voix ne s’est élevée pour défendre la mémoire du capitaine » Baudin ; et, d’après les entretiens que nous avons eus avec » M. Péron à ce sujet, il paraît que la conduite de cet officier, » quels qu'en aient été les motifs, n’est pas susceptible d’a- » pologie.» Au départ de l'Ile-de-France, l’expédition ne compte plus que les savants et artistes dont les noms suivent : Maugé, Levillain et Péron pour la zoologie ; Lesueur et Petit, dessi- nateurs ; Bernier, astronome; Boullanger, géographe; Lesche- nault, botaniste ; de Puch et Bailly, minéralogistes ; Riedlé, Sautier et Guichenot, jardiniers. L'expédition se dirigea d’abord vers la partie la plus occi- dentale de la Nouvelle-Hollande. Le 31 mai 1801, on aborda à la terre de Leuwin, dans une vaste baïe qui reçut le nom de baie du Géographe. Une côte aride et désolée, bordée de petites dunes de sable, s'offre aux regards. L’eau douce man- que ; on suit le cours d’un prétendu fleuve et on reconnaît qu’il n’est qu’un canal étroit d’eau saumâtre dont le niveau suit le flux et le reflux de l'Océan. C’est là le caractère à peu près général des flenves apparents de la Nouvelle-Hollande. Les premières entrevues avec les naturels présentent des hommes aux formes grêles et émaciées, au regard terne et fa- rouche, tatoués, ayant parfois les cheveux et la barbe colorés d’ocre rouge, absolument nus, à l'exception d’une peau de kanguroo ou de chien qui pend sar l'épaule. Leur couleur est beaucoup moins foncée que celle des Africains , leurs cheveux courts, unis, droits et lisses, leur barbe longue et noire, leurs dents très blanches. Ces peuplades sont perfides et fa- rouches ; les présents ne peuvent les adoucir ; plusieurs fois les observateurs courent les plus grands dangers. Bien diffé- rents des peuples des archipels du grand Océan-Pacifique, ils se montrent toujours opiniâtres à fuir ou même à repousser les étrangers. À peine si l’on peut exciter chez eux le sentiment de la curiosité ; ils abandonnent bientôt sur le sol les objets qu'on supposait devoir les intéresser ou leur être utiles. Péron se montre infatigable, s'enfonce dans les terres à la recherche des naturels, brave leurs sagaies brandies sur sa tête, pour obtenir d’eux quelques armes, quelques mots de leur langue informe, ou l'essai de leurs forces au dynamometre. Rentré au navire, brisé de fatigue, sa nuit se passe à classer et à décrire ce qu'il a reconnu ou rapporté. En compagnie de plusieurs de ses collègues, Péron se trouve séparé des vaisseaux sur cette côte stérile, par la perte de l’embarcation du Géographe. On reste deux jours et deux nuits presque sans vivres, et on ne regagne enfin les navires, sur les canots expédiés à la recherche, que pour être assailli par d’horribles tempêtes. Le VNaturaliste est entrainé loin du Géographe qui ne doit le rejoindre que plusieurs mois plus tard, dans la relâche de Coupang, à l’île de Timor. Le Géographe, que monte toujours Péron, fait voile vers la terre d'Endracht et arrive dans la baie des Chiens-Marins le 19 juin 1801. Péron débute dans cette nouvelle relâche par l'étude approfondie de l’île Bernier, où il fait les plus inté- ressantes découvertes. Ke | Il donne dans cette exploration les exemples les plus remar-. BEM | quables d’ardeur et d'énergie. Deux fois sa vie est mise en péril. Le 29 juin, il s'enfonce seul dans l’intérieur de l’île. Surchargé de collections, il veut revenir au rivage, mais se trompant de chemin il arrive à l'extrémité opposée ; sans vivres, sans boisson, à l’entrée de la nuit, il tombe épuisé de fatigues dans les sables. Quel ne fut pas son bonheur, le len- demain, de retrouver la chaloupe avec son ami, M. Picquet ; celui-ci avait persisté à l’attendre, malgré les ordres barbares du Commandant qui voulait l’abandonner sur ces rivages où il serait mort de faim. Quelques jours après, peu s’en fallut qu’il ne restàt enseveli sous les flots. Sur la côte orientale, les patelles, les volutes, les trochus en magnifiques espèces ne se présentaient sur le rivage que roulés et vides. Péron veut se procurer des individus vivants dans les anfractuosités d'une roche aigue faisant saillie dans la mer. Une lame l’en- veloppe, l’entraîne, le Jette sur les rescifs, ses vêtements en lambeaux , le corps couvert de sang. Il demeure plusieurs jours en proie à une fièvre violente dont le premier tort à ses veux est d’être un repos forcé. Après la terre d’Endracht vient l'examen de la terre de Witt (du 23 juillet au 18 août 1801) et des nombreuses îles qui entourent ses rivages. On ne rencontre qu’aridité et désola- tion. L’homme semble fuir ces rivages ingrats, et c’est à peine si quelques feux attestent parfois la présence de rares et pauvres familles. Au milieu d’une multitude d'îles explorées ou reconnues sous voiles, il faut citer l’île Depuch, qui, bien différente des côtes sablonneuses et basses de la terre de Witt, était entièrement volcanique et couverte de prismes de basalte. Le grand archipel nord-ouest de la terre de Witt fut nommé Archipel Bonaparte, en l'honneur, dit Péron, du premier magistrat de notre patrie et du protecteur auguste de notre expédition. La détestable qualité d'aliments corrompus et pleins d’in- — 21 — sectes, le manque de vin, remplacé depuis l'Ile-de-France par du tafia grossier, la ration d’une eau saumâtre réduite à trois quarts de bouteille par jour, toutes ces causes réunies avaient engendré le scorbut. Le Commandant se décide à terminer l'exploration de la terre de Witt ; le Géographe axrive à Timor le 18 août 1801, et bientôt le navire est à l'ancre dans la rade de Coupang, siége d’un comptoir hollandais. Péron met à profit une longue relâche de quatre-vingt- quatre jours. 11 reconnaît les races distinctes qui peuplent l’île ; la faune timorienne lui offre les plus grandes richesses en zoophytes et en mollusques et il retrouve sur les mon- tagnes de l’île les débris madréporiques dont la formation obstrue sans cesse les anfractuosités de ses rivages actuels. Les relations de Péron avec les insulaires de Timor sont fréquentes et d’un haut intérêt. Nous retrouvons ici au plus haut point cette facilité singulière qu'avait Péron à se faire comprendre par le geste , le regard, de peuples dont il ignore la langue, facilité qui Jetait souvent ses collègues dans l’éton- nement. Il faut le dire aussi, Péron, bien éloigné de la ru- desse que montrerent tant de navigateurs envers les êtres primitifs de ces côtes lointaines, savait, par une douceur affec- tueuse, alliée, au besoin, avec l'énergie et la fermeté, se conci- lier à la fois leur amitié et leur respect. Quel charme touchant dans ses entrevues avec une famille réduite à l'obscurité el dépouillée par les Hollandais d’un riche domaine et de la souveraineté de Coupang ! Quels détails curieux dans les rela- tions de Péron avec un chef d’un canton allié qu’il appelle le roi Amadima ! Ce chef avait pris le naturaliste en affection singulière , le comblait de présents et avait échangé son nom contre le sien, usage remarquable confirmant une commu- nauté d'origine entre les Malais établis dans les Moluques de temps immémorial et la race polynésienne des îles du Paci- LORS fique , tandis qu’il est inconnu aux sauvages peuplades des nègres océaniens et australiens. La température chaude et humide de Timor produisit bien- tôt sur les équipages ses effets terribles. Riedlé, jardinier en chef, homme plein de zèle et excellent collègue, succombe. M. Lesueur est atteint de la redoutable dyssenterie , le Com- mandant est en proie à une fièvre pernicieuse des plus graves. Péron, oubliant ses justes sujets de ressentiment , partage avec lui sa provision personnelle de quinquina. Le médica- ment agit d’une manière qui tint du prodige et sauva vrai- semblablement la vie du chef. On était alors en guerre avec l'Angleterre ; une frégate anglaise aborde à Coupang ; mais le capitaine s’abstient de toute espèce d'hostilité, par considération et par estime pour l’objet et le but du voyage. Noble privilége de la science, de faire tomber les armes des mains aux ennemis les plus achar- nés ! noble privilége aussi de la France, de donner d’illustres exemples (elle avait la première respecté les vaisseaux de Cook ) ! mais pardessus tout, nobles destinées de deux grandes nations qui, déjà dignes l’une de l’autre, devaient un jour, en se rapprochant peu à peu par les côtés généreux de leur caractère national , se lier étroitement pour leur prospérité mutuelle, l'honneur de la civilisation et le bonheur du monde ! C'est à Timor que le vaisseau le Vaturaliste rejoint le Géographie. Ses opérations avaient eu pour objet la terre d’Edels et la terre d’Endracht. Par suite de la nouvelle explo- ration de cette dernière terre, une grande presqu'ile, dans la prétendue baie des Chiens-Marins, recut le nom qu’elle porte encore de presqu'île de Péron. C’est une des localités les plus arides de ces côtes désolées, et l’on affirme que les naturels émaciés qui la parcourent sont réduits à boire de l’eau de mer. Dampier l'avait prise peur.une île. | Une plus longue relâche à. Timor eût anéanti les équipages En ER décimés par le fléau. On fuit, mais on emporte la mort avec soi ; la mort reçoit tous les Jours de nouvelles victimes. Dans la longue traversée de Timor au cap sud de la terre de Dié- men, Sautier, jardinier, meurt à bord du Géographe, et le zoologiste Levillain succombe sur le Vaturaliste. Péron reste dès lors chargé seul de la zoologie. Outre les objets de ses propres découvertes, il doit classer ceux qui ont été recueillis ou décrits par ses malheureux collègues. Le zèle de Péron redouble d'énergie ; il observe les animaux pélagiens et les oiseaux , signale les espèces déjà connues et en ajoute de nouvelles. Le 13 janvier 1802, on aborde à la partie la plus méridionale de la Tasmanie, et on explore le sud de cette ré- gion et le canal d’Entrecasteaux , jusqu’au milieu de février. Péron fait la rencontre d’une famille de naturels et décrit. dans un récit plein de charme, leur étonnement naïf, leur douceur, les jeux et la prompte familiarité des enfants, récit qu’il accompagne de cette judicieuse remarque, que lecaractère de la femme et de l'enfant est beaucoup plus indépendant que celui de l’homme, de l'influence des climats, du perfection- nement de l’ordre social et de l'empire des besoins physiques. Uné autre rencontre a lieu avec une troupe de femmes revenant de la pêche. Les rapports de ces créatures aux formes flétries et dégoutantes d'huile de loup marin, aux traits abrutis par la misère, sont remplis de crainte et de réserve avec les étrangers, sans perdre toutefois un certain caractère affectueux. Il faut noter avec soin que les nègres des variétés océanienne et australienne, avec lesquels l’expé- dition française fut en relation, montrent une attention jalouse à éloigner et à cacher leurs femmes, bien différents de la race polynésienne , dont les navigateurs nous représentent les femmes et les filles venant s'offrir à l’envi aux matelots , même avant le débarquement, Er Bientôt le tableau s’assombrit; dès que les hommes de la terre de Diémen sont réunis en un certain nombre, la perfidie et la férocité apparaissent plus peut-être encore que chez les naturels de la Nouvelle-Hollande. Le dessinateur Petit man- que d’être assommé, et un enseigne est blessé à l'épaule d’un coup de sagaie. Ces hommes indomptables, pour éloigner à tout prix les étrangers, mettent le feu aux herbes et aux broussailles qui entourent les collines où ils se réfugient ; ils préfèrent abandonner par la fuite les grossiers abat-vents d’é- corce qui sont leur abri et les quelques ustensiles qui font leur richesse. L'expédition, quittant le canal d’Entrecasteaux, se dirige vers la partie sud-est de la terre de Diémen. On explore d’abord avec soin l’île Maria. Outre les découvertes en his- toire naturelle, Péron a la bonne fortune de trouver quelques tombeaux des naturels, construits en forme de cônes avec des branches entrelacées et recouvertes d’écorces. Il ressort de là un fait important pour l’histoire des peuplades de ces régions. Péron constate, en effet, le premier, d’après les débris qu’il rencontre , qu’elles sont dans l'habitude de brûler leurs morts. Près de ces monuments funèbres vient se placer une tombe française, celle de Maugé, nouveau martyr de la science. Dans une entrevue avec iles naturels de l’île Maria, où il cherche à mesurer leur force au dynamomètre , Péron, seul avec M. Petitet quelques matelots, sans armes, vu les défenses du Commandant, courut les plus graves dangers. Aussi on voulut rendre hommage autant à son courage qu’a ses travaux , en donnant le nom de Cap-Péron à l'extrémité la plus méri- dionale de l’île Maria. R Le Géographe entreprit ensuite l'exploration de la côte orientale de la terre de Diémen et des détroits de Banks et de Bass, parages où la navigation est des plus périlleuses, et où — 31 — le Vaturaliste fut encore séparé de Pautre navire ; puis une première reconnaissance de cette terre Napoléon, pour la- quelle l'expédition française pensait avoir la priorité, aucun renseignement ne faisant soupconner de visite antérieure. Malheureusement le capitaine anglais Flinders paraît avoir devancé de quelques mois cette exploration. Toujours même succession de côtes stériles, même absence de rivière navi- gable. La côtesud-ouestde la Nouvelle-Follande présente une échan- crure immense ; on supposait que derrière les îles Saint-Pierre et Saint-François commençait un détroit coupant cette grande terre en deux îles et allant déboucher d’autre part au fond du olfe de: Carpentarie. Un des plus importants résultats de l'expédition fut de reconnaître l’erreur de cette hypothèse. Un nombre considérable d'îles furent découvertes ; la plus srande était l’île Decrès qui n’a pas moins de soixante et dix lieues de tour, et dont l’intérieur est couvert de forêts pro- fondes ; maïs c’est à peine si l’on pouvait y trouver quelques traces d’eau douce; aussi a-t-elle paru inhabitée ainsi que les archipels multipliés qui entourent ces côtes arides. Des torrents de pluie, poussés par d’impétueuses rafales, faisaient régner dans le navire une humidité funeste. Jointe à la détestable alimentation, elle fit reparaître le terrible scorbut dont la marche acquit la plus grande rapidité. Déjà plusieurs hommes avaient été jetés à la mer ; déjà plus de la moitié des matelots était incapable d’aucun service ; deux des timoniers restaient seuls debout. L’odeur et le goût des salaisons pour- ries étaient tellement insupportables, que les matelots préfé- raient souvent toutes les tortures de la faim à une nourriture dans laquelle seraient entrées ces viandes infectes, et en pré- sence du Commandant, lançaïent leur ration à la mer. Stric- tement réduits au traitement de l'équipage , les officiers et les Bo naturalistes n'avaient d'autres priviléges que des peines mo- rales plus continuelles et plus vivement senties. Malgré l'épuisement général, malgré l'hiver austral qui commence, au lieu de chercher à atteindre la plus prochaine relâche hospitalière, le Commandant donne l’ordre, accueilli avec consternation , de retourner à l'extrémité sud de la terre de Diémen. Les souffrances se prolongent ainsi tout le mois de mai et la plus grande partie de juin 1802. On s'arrête quelques jours à la baie de l’Aventure et on double l’île Maria, déjà reconnue précédemment. La mort atteignait chaque jour quelques-uns des malheureux scorbutiques couverts de plaies et d’ulcères putrides. Les entreponts encombrés de malades retentissaient de leurs cris de douleur. Les bras manquaient pour les manœuvres les plus urgentes au milieu des tempêtes hiémales. Enfin le scorbut frappa indistinctement tout le monde et jusqu'aux animaux domestiques (1). Nous n’osons pas mettre sous les yeux du lecteur l’horrible tableau tracé par le docteur Taillefer, un des chirurgiens de l'expédition, dans sa dissertation inaugurale : « L'état d’a- » néantissement dans lequel étaient ces malheureux malades, » dit M. Taillefer, n'empêchait pas qu'ils n’eussent tout l'usage » de leurs facultés intellectuelles ; mais ce n’était que pour » sentir plus vivement les atteintes du désespoir, etc.» Vaincu par la vue de tant de souffrances, le Commandant se décide à faire voile au plus tôt vers le port Jackson, et comme il le constate dans son journal , il n’avait plus que quatre hommes en état de rester sur le pont, y compris l'officier de quart. Le 20 juin, grâces aux secours expédiés par le Gouver- neur, on peut jeter l'ancre à Port-Jackson, où se déroule aux (4) A ce que rapporte Péron, deux lapins et un singe à aigrette en moururent,. sr grd RARES EDR regards étonnés le tableau de la colonie nouvelle et déjà Îlo- rissante, fondée avec les convicts amenés par le commodore Philipp. On retrouve le Vaturaliste, qui avaitopéré, pendant sa séparation, dans les détroïts de Banks et de Bass, et exploré la partie nord de la Tasmanie. Cette relâche fournit à Péron un de ses plus remarquables mémoires, où le talent du médecin et du naturaliste le dis- pute à la sagacité, à la haute raison de l'administrateur et de l'homme politique. 11 devine, d’après les premiers essais, les éléments de cette prospérité grandiose des colonies austra- liennes, et pressent toute l'importance qu’elle doit plus tard acquérir sur les marchés agricoles et manufacturiers de l’Eu- rope, par ces riches productions, dont la source est inépuisable, et qui laissent loin derrière elles les trésors temporaires que le plus précieux des métaux y fait maintenant affluer. Péron visite le port, les arsenaux, les magasins, les mai- sons de la ville, les vignobles, les exploitations rurales, et signale cette amélioration extraordinaire, qui a si rapidement fait du poil court et raide des moutons du Bengale et du cap de Bonne-Espérance la laine la plus douce et la plus soyeuse qui existe. Il rassemble une riche collection d'animaux, décrit l'aspect singulier et trompeur des fleuves, le cours et les débordements subits des rivières, portés à un degré d’exa- gération inconnu dans tous lesautres pays du globe ; il étudie la natureparticulière des orages, les variationsexcessives dela tem- pérature et des vents, et surtout ce vent du nord, qui a acquis, dans son parcours à travers ces terres immenses et inconnues, les caractères du simoun saharien. La faiblesse des équipages, décimés par les fléaux , oblige le Commandant à restreindre l’expédition au Géographe, et à renvoyer en France le ÂVaturaliste, sous le commandement du capitaine Hamelin. Pendant plus de trois semaines, Péron o (o]) — 34 — et Lesueur travaillèrent jour et nuit à l’arrangement métho- dique des collections. Trente-trois caisses considérables ren- fermèrent plus de quarante mille animaux de toutes les classes, richesses acquises pendant les deux années qui venaient de s’écouler. Ces collections excitaient l'admiration et la flatteuse convoitise de tous les anglais instruits de la colonie. Plus de 9200 oiseaux , notamment, et 68 mammifères avaient été re- cueillis et préparés par les soins particuliers de Lesueur, et un grand nombre de dessins et de peintures y fut réuni. De plus, ce navire ramenait des animaux et des végétaux vivants, dont la conservation était trop difficile au milieu des fatigues de lexploration. Le Naturaliste emporta vers la France ce magnifique bagage scientifique. Il prit à son bord les conva- lescents et les malades. Une goëlette, le Casuarina, fut ache- tée et dut servir de conserve au Géographe, sous le comman- dement de M. L. Freycinet. Leschenault et Bailly, les seuls savants demeurés valides sur le Vaturaliste, passèrent sur le Géographe. | Ce bâtiment reprit la mer le 18 novembre 1802, après cent cinquante-deux Jours de relâche à la Nouvelle-Galles, et se porta vers le nord-ouest de la terre de Diémen. Au milieu de l'ouverture occidentale du détroit de Bass se trouve l’île King, dont l'exploration devait présenter à Péron des faits d’un haut intérêt, et susciter en lui des idées remarquables sur la domestication de certaines espèces australes, sorte de pres- cience, dont les vues hardies trouvent aujourd’hui leur justi- fication dans le zèle et la persévérance des homimes éminents qui tendent à réaliser les espérances de notre zoologiste. L'île, abondamment pourvue d’eau et couverte de forêts, sert de retraite à une foule d'animaux curieux et utiles. Péron, Lesueur, Leschenault, descendus sur ses rivages, v restent abandonnés par le navire fuyant la tempête. Ils étaient partis ll ; : es 35 RES sans vivres, et, pendant douze jours, le vaisseau fut hors de vue. Heureusement, se trouvait sur l’île une colonie de onze malheureux pêcheurs anglais qui, séparés du reste du monde, préparaient l'huile et les peaux de phoques, qu’à de longs in- tervalles les armateurs envoyaient prendre, pour les expédier dans les ports de ia Chine. Ces pauvres gens, vivant sous des huttes, se nourrissaient de casoars et de kanguroos, pris par des chiens dressés à cette chasse, et de wombais qu’ils avaient rendus domestiques. Péron et ses collègues durent leur salut à ces pêcheurs, et, sans leur secours généreux, ils eussent été infailliblement victimes de l’imprévoyance ou de l'indifférence du chef; car il leur avait été défendu, encore cette fois, d’emporter des armes et des munitions, et les végétaux de ces régions ne produisent aucun fruit propre à la nourriture de l’homme. Ensuite fut exploré-le petit archipel des îles Hunter, dont les deux principales sont séparées par un détroit de peu de largeur qui recut le nom de canal Péron. Le cap le plus sep- _tentrional de la terre de Diémen fut ensuite reconnu égale- ment par le Casuarina qui vint rejoindre le Géographe, à l’île King. Dans sa relâche forcée et dangereuse sur cette île, Péron n'avait pas perdu un moment sa tranquillité d'esprit, et conti- nuait patiemment ses recherches, sans s'inquiéter de l'avenir dont il était menacé. Malgré le défaut d’abri, malgré la vio- lence de la pluie et des vents, il étudia et recueillit plus de cent quatre-vingts espèces de mollusques et de zoophytes , et approfondit l’histoire de ces phoques gigantesques qui se ras- semblaient par inilliers sur le rivage. L'exploration précédente de la terre Napoléon avait été bien imparfaite. On aborda à l’île Decrès, faisant partie de cette _terre, dont la côte septentrionale avait été reconnue dans la LASER premiere campagne, et les travaux furent dirigés sur la côte sud. L'ile Decrès est la plus grande de toutes celles qui se rattachent direciement à la Nouvelle-Hollande. Ce ne sont plus les îles fertiles, les hautes montagnes, les nombreux ruisseaux ie l'archipel de, Timor, la végétation puissante et les monts sourcilleux de la Tasmanie, la fraîcheur et la fécondité de l’île King. Comme les côtes du grand continent austral, elle ne présente que des collines basses et ocreuses, entremêlées de rares bouquets de bois. C’est à peine si, en creusant dans le sol, on obtenait quelque peu d’eau douce, et aussitôt que la chaleur du jour commençait à se calmer, on voyait accou- rir du fond des bois de grandes troupes de kanguroos et de casoars, qui allaient demander à l'Océan une boisson que la terre leur refusait. Cette île a présenté à Péron, outre un nombre considérable d'espèces nouvelles dans tous lesembranchements du règne animal, les plus grandes espèces de la famille des kan- guroos, atteignant plus que la taille d’un homme, lorsque, assis sur les jambes de derrière et sur la queue, ils tiennent lcur corps perpendiculaire. Un chien, dressé à la chasse de ces animaux par des pêcheurs anglais, approvisionnait tout l'équipage de ces grands quadrupèdes , et, par les soins de Péron, vingt-sept furent embarqués vivants à bord du navire, en même temps que trois casoars. : Le mois de janvier 41803 est consacré à l'étude des golfes de la terre Napoléon. Les deux principaux reçurent des géogra- phes de l’expédition les noms de golfe Joséphine et golfe Bonaparte ; dans ce dernier se trouve un port aussi vaste qu'excellent, qui fut appelé port Champagny. Péron remarque qu’à la terre Napoléon des vents du nord et du nord-ouest correspondirent à une chaleur excessive ; le même fait s'était présenté au canal d’Entrecasteaux, au port Jackson. .Cette chaleur ardente devait être pour Péron le principal argument CL LT à l'appui d’une opinion qui voyait dans l’intérieur de la Nou- velle-Hollande d'immenses déserts de sable échauffés par l’insolation, et non une mer, comme à cette époque le suppo- saient Lacépède et la plupart des savants. Les voyages, encore bien rares, dans les régions centrales de cette vaste terre, ont confirmé complétement ces prévisions. On peut enfin aborder, derrière les îles Saint-Pierre et Saint-François, à ce point où, l’année précédente, on avail reconnu la non-existence. du fameux détroit intérieur, La côte est basse et marécageuse, et de nombreux feux allumés y attestent la présence des naturels. Péron constate la déplo- rable condition de lespèce humaine sur ces rivages. Privée de ressources suffisantes dans les animaux et surtout dans les végétaux terrestres , elle est réduite, pour se procurer les poissons et les coquillages qui font la base de sa nourriture , à braver l’insalubrité des marécages. De même on avait va, à la Nouvelle-Galles du Sud, les marais fétides et profonds de Botany-Bay , de Broken-Bay, etc., occupés par diverses troupes de naturels ; ainsi les marécages saumâires de la baie du Géographe, à la terre de Leuwin, rassemblaient sur leurs bords les peuplades farouches qui mirent plusieurs fois en danger les observateurs de l'expédition. On devait plus tard retrouver les malheureux naturels de la-terre de Nuytz envi- ronnés par de nouveaux marais. Au groupe d'îles Saint-Pierre et Saint-François , décou-- vertes par le navigateur hollandais Péter Nuytz, l'expédition française ajouta deux petits archipels encore inconnus, les iles Joséphine et les îles du Géographe. Le premier de ces archipels est composé de sept îles ; elles reçurent les noms des principales personnes de cette famille qui, un an plus tard, sera la famille impériale ét donnera son nom à des dynasties. . Ainsi, l'ile 4 ortense et l'ile Caroline, les îles Elisa, Julie et PAR EE Pauline, disposées en triangle, et l’île Eugène, la plus grande de toutes, avec une longueur de trois lieues, et la plus rap- prochée du continent. Sur cette dernière île, Péron faillit rencontrer la mort. Surpris par une marée violente, lors de «l'exploration de ses rivages, et entraîné par les vagues, il dut la vie au dévouement d’un matelot, nommé Lefebvre, qui l'avait accompagné. . Ces îles, arides et sablonneuses, comme la côte de la terre Napoléon , offrent quelques petits étangs d’eau salée et man- quent d’eau douce. Comme le remarque Péron, d’après les échantillons de granit et de quartz, elles sont essentiellement primitives, ainsi que la terre de Diemen, les îles Maria, Hunter, King et l’île Decrès. Les îles Joséphine sont inhabitées ; aussi les kanguroos et les phalangers y abondent , et les phoques, chassés du pôle par l'hiver austral, y émigrent en bandes immenses. Péron y fit une magnifique récolte en molhaees et en zoophytes des plus précieux. Des découvertes françaises résulte la certitude qu’il n'existe, sur la terre Napoléon, derrière les précédents archipels, au- cune trace de détroit ni même de rivière intérieure, et que la côte est obstruée de hauts fonds et de brisants qui la ren- dent très dangereuse, même pour les petits navires. Cette exploration importante et nouvelle remplit tous les cœurs d’une vive satisfaction ; on arrive au cap des Adieux, où finit la terre Napoléon, et où commence la terre de Nuytz. Comme les Français, dirigés par d’Entrecasteaux, en avaient fait auparavant un relèvement des plus précis, l'expédition se rend tout de suite au port du roi George, à l’autre extrémité de cette terre, et on y retrouve la Casuarina, dont l'absence avait fait naître les plus vives inquiétudes. | Ce port important, découvert par Vancouver, est le seul point , sur une étendue de côtes au moins égale à la distance — 39 — de Paris à Saint-Pétersbourg , où il soit possible de se pro- curer de l’eau douce en tout temps. Aussi, des monts sour- cilleux lui forment une enceinte où se réunissent d’abondantes vapeurs qui, condensées en rosée continuelle, alimentent de nombreuses sources, de petites rivières et des lacs ; mais le sol primitif, d’un fonds de granits riches en grenats et très durs, ne fournit presque pas de terre végétale, vu sa difficile décomposition; et les montagnes sont, comme les célèbres montagnes bleues de la Nouvelle-Galles du Sud, d’une aridité affreuse. Cependant, ce sol si impropre aux céréales et aux plantes européennes, est couvert en profusion de végétaux, créés spécialement pour cette terre sablonneuse et brülante. Peut-être ,; dans cette flore toute particulière, y a-t-il des ressources futures admirables pour les landes de nos dépar- tements méridionaux. Dans le port du roi George s'ouvre une grande crique ma- récageuse et salée, qui s’étend fort avant dans les terres, et où l’on découvrit de singuliers monuments de l’industrie des na- turels : des espaces circulaires dépouillés et environnés de sagaies fichées dans le sol, et, chose plus curieuse de la part des misérables peuplades australiennes, jusqu’à six véritables digues en pierres sèches barrent la crique, percées d'ouver- tures élargies vers la mer et rétrécies vers l’intérieur, et des- tinées à empêcher le poisson amené à la marée haute de re- tourner ensuite à la mer. Cette crique, dite rivière des Français, présente, comme les prétendus fleuves Dalrymphe ; Hawkesburry, Parramatia etc. , à la Nouvelle-Galles du Sud, un petit bras de mer prolongé dans l’intérieur: et ces faits singuliers sont généraux aux côtes de la Nouvelle-Hollande. | Une entrevue pacifique , la première des Européens avec les peuplades farouches de la terre de Nuytz, permit de con- de pin stater quelques différences, pour les armes et les instruments, entre ces naturels, dont le Corps est couvert d’ocre rouge et qui ont la cloison des narines percée, et les indigènes de la Nouvelle-Galles. | _ Au départ du.port du roi lue, dans les premiers jours de mars 1803, la Casuarina reçut l’ordre de reprendre l’explo- ration de la terre d’Edels, ébauchée par le Naturaliste l'année précédente. De nouveau furent reconnues les îles Louis- Napoléon; mais les brisants empêchèrent le passage entre les iles et le continent, la détermination exacte de l'embouchure de la rivière des Cygnes Noirs, et détruisirent tout espoir d'y rencontrer un mouillage sûr et abrité. Un cap en pointe très aiguë et saillante reçut de M. Freycinet le nom de cap Péron. Pendant ce temps le Géographe , au milieu de dangers sans cesse renaissants, suit les côtes stériles et sablonneuses de la terre de Leuwin, explorée au début de l'expédition, et re- trouve le Casuarina au mouillage de l’île Rottenest, aux limites des terres de Leuwin et d’Edels. Ces dernières terres sont jugées suffisamment reconnues, et, l’on sehâtede s'éloigner de leurs bords aux écueils redoutables pour revenir à la baie d'Endracht, dans cette baie des Chiens-Marins, visitée dès l'abord par le Géographe, puis revue par 1e Naturaliste, lors : de. sa séparation du principal navire. On aborde à l'extrémité nord de la presqu'île Péron, Près du cap Lesueur, une intéressante découverte se présente : ce. sont trois ouvertures semi-circulaires, conduisant chacune à un souterrain d'environ cinq mètres de profondeur, avec une entrée à peine de un mètre de hauteur, de sorte qu’on ne pou- ‘vait y pénétrer qu’en rampant. Des traces nombreuses de pas humains indiquent que ces grottes artificielles servent d'ha- ” bitation. Péron attribue ces constructions remarquables à ee CF ANT CS l'excès même de la misère des peuplades de la terre d'En- dracht, forcées de devenir industrieuses dans leurs habitations, pour résister aux variations meurtrières des températures de jouret de nuit. De même, les cabanes des naturels sont mieux construites ; ce sont des dômes’, à entrée oblique et latérale, # comme la coquille d’un limaçon, faits d’arbrisseaux plantés | dans le sable, dont les rameaux entrelacés forment la voûte _ supérieure, etdont les interstices sont bouchés par des feuillages et des herbes, recouverts d’une grande quantité de sable. Ces demeures sont bien plus parfaites , comme l'indique Péron , que ces frêles abat-vents d’écorce qui abritent l’indigène de la Tasmanie contre les aquilons polaires du sud ; mais ce dernier peut vivre bien moins abrité dans un climat plus froid que celui de la terre d'Endracht, parce qu’il n’éprouve pas ces continuelles et considérables différences de température et d'humidité qui rendent si insalubre la presqu'île Péron. Désireux de se procurer, sur les récifs de la côte orientale de la presqu'île, ces magnifiques coquillages qui firent l’admi- ration de Dampier, Péron part, accompagné seulement du _ jardinier Guichenault et du dessinateur Petit. Après une entrevue des plus périlleuses avec les naturels , entrevue dans laquelle leur bonne contenance sauve Péron et ses collègues du massacre, ils s’'égarent dans les sables; puis, forcés, par la fatigue et l’excessive chaleur, d'abandonner la plus grande partie des collections, privés de toute nourriture, exposés pendant deux nuits au froid humide qui succède, dans ces climats, à l’ardeur de l'insolation diurne , ils sont enfin recueillis par M. de Montbazin , sans voix , la vue et l’ouie considérablement affaiblies. L’officier qui les avait attendus fut sévèrement blâmé par le commandant; et Péron, indigné, rappelle avec amertume que l’ordre de cet abandon, équiva- lant à une mort affreuse, vient de l’homme à qui ses soins et D sa générosité ont sauvé la vie à Timor. Péron est retenu plu- sieurs Jours alité par une fièvre violente et ne se rétablit que lentement. * La saison était trop avancée pour qu'on pût retrouver cette abondance de tortues marines’ venant pondre dans le sable, qui avaient été d’un si grand secours, comme provisions frai- ches, à l'équipage du Vaturaliste dans sa précédente relâche; on quitte, à la fin de mars 1803, la terre d’'Endracht, in aller visiter la terre de Witt. Le On fait une nouvelle reconnaissance des nombreuses îles de l'archipel Bonaparte; et un petit groupe d'iles reçoit le nom d'archipel de Dampier, en l'honneur de cet ancien et célèbre navigateur, qui l’avait apercu le premier. La présence conti- auelle de hauts fonds et de récifs fait courir les plus grands dangers aux deux navires, etempèche d'aborder sur le conti- nent. Un groupe d’îles nouvelles reçoit le nom d’îles de l’Zns- titut, et Péron fait cette remarque intéressante, que, sur ces iles calcaires et madréporiques comme Timor, on ne retrouve plus aucune des espèces des mollusques de la terre de Diémen et de la côte sud de la Nouvelle-Hollande. Une rencontre cu- rieuse, faite derrière les îles de l’Institut, est celle d’une flot- tille de pros malais, occupés à la pêche des holothuries ou tri- pangs, qui abondent sur les hauts fonds de la terre de Witt, et qui forment un condiment si recherché sur les tables des riches Chinois. Ces petites et légères embarcations nr seules s’avan- cer entre les brisants de ces côtes redoutables. Au dire des Malais, les naturels sont d’une extrême férocité, et c’est rare- ment sans effusion de sang qu’ils pouvaient descendre sur le continent, pour y chercher de l’eau douce. L'époque avancée de la saison détermine le commandant à ordonner une nouvelle relâche à l’île de Timor, sur laquelle — 43 — ; les équipages des deux bâtiments demeurent pendant tout le mois de mai 1803. Des courses fréquentes aux environs de Coupang enrichissent les collections des naturalistes. De nouvelles atteintes de dyssenterie se montrent, comme à la première relâche et le botaniste Leschenault, dont la santé est trop affaiblie pour continuer la campagne, obtient son dé- barquement. Péron et Lesueur, désirant vivement joindre à leurs collec- tions le squelette d’un crocodile, se rendent à la chasse de ces immenses reptiles dans les plaines de Babao, où , au milieu des marais infects, ces animaux pullulent d’une manière éton- nante, Les secours des Malais ne purent être obtenus qu'avec la plus grande difficulté, à cause de la terreur religieuse que leur inspire le crocodile , qui est pour eux un animal sacré. M. Lesueur réussit à tuer un crocodile d'environ neuf pieds et demi de longueur, en lui brisant, avec une balle, les ver- tèbres du dos. Quand l'animal eut été dépouillé, il fallut em- porter le squelette et la peau. On mit en œuvre les plus pres- sants moyens, lès plus séduisantes promesses pour décider les Malais à se charger de ces dépouilles, étendues sur deux bambous, comme une sorte de brancard, afin qu'aucune partie ne pit venir en contact avec les porteurs ; et partout où passa ce fardeau sacrilége, les curieux accourus au-devant des européens se retiraient avec précipitation. Le rajah de Babao, qui avait accueilli Péron et Lesueur avec la plus grande bienveillance, les obligea de se purifier par des ablutions multipliées, pour détourner la vengeance de leurs divinités en courroux. | Quand il s’agit de retourner à Coupang, le squelette du cro- codile fut placé sur un cheval qu’un Malais conduisait avee crainte au bout d’une très longue corde; et tousles Malais qu’on rencontra sur la route, prévenus par les cris de l’escorte, s’en- “4 nee fuyaient avec rapidité dans les bois, afin de passer à la plus grande distance possible de ce convoi redoutable. Le squelette du crocodile, acquis au milieu de ces singuliers incidents, est aujourd’hui au Muséum, dans la galerie d'anatomie comparée. Le désir du chef de l'expédition était de visiter le golfe de Carpentarie qui venait d’être exploré par Flinders ; mais au lieu de gagner la haute mer et de se rendre à la Nouvelle- Guinée, il continua son système de longer les côtes de la terre de Witt. Peu de jours après le départ de Timor, un nouveau deuil attrista l'expédition ; le G juin 1803, le savant et labo- rieux astronome Bernier fut enlevé à ses collègues. La côte présentait toujours le même aspect monotone de collines de sables entremêlées de rares bouquets de bois, sans points de débarquement possible ; deux petites îles que l’on découvrit recurent le nom d’#/es Lesueur, en l'honneur de l’ami dévoué de Péron. Renonçant à visiter la terre d'Arnheim, le Commandant se décide enfin à louvoyer au large, afin d’at- teindre la côte sud-ouest de la Nouvelle- Guinée, , puis, de là, le golfe de Carpentarie. ; Des vents furieux semblent s'opposer à la marche des na- vires. De plus, les médicaments manquaient; la provision d'eau, épuisée par le grand nombre d'animaux vivants et de plantes qu’on avait embarqués, tirait à sa fin ; le Commandant était très fatigué, par suite d’un crachement de sang des plus ‘graves: toutes ces causes rendaient impossible une plus longue campagne. Le 7 juillet 1803, l’ordre fut donné de porter sur l'Ile-de-France, où les deux vaisseaux se retrouvèrent réunis | au milieu du mois d'août. Péron et Lesueur s’occupèrent principalement de l'étude des poissons, si abondants sur les rivages de cette île, et firent surtout des tentatives, infructueuses il est vrai, pour ramener en France et y naturaliser le gowr'amy, originaire de > LL à SSP FETE ME PR PE ER RÉ RE LEE OR TE EEE RÉSPE la Chine , remarquable par sa taille et le goût exquis de sa chair. Ici encore, nous surprenons avec admiration Péron devançant son siècle et entrant un des premiers dans cette voie de la pisciculture, qui devait bien plus tard exciter une si vive émulation scientifique. L'état du commandant Baudin s'était beaucoup aggravé et il expira le 16 septembre 1803. Le commandement du Géo- graphe fut confié au capitaine Milius, par ordre d'ancienneté. Premier lieutenant à bord du Vaturaliste, il avait dû, à Port- Jackson, se séparer de l’expédition pour cause de maladie. Le 16 décembre 1803, on s’éloigna de l'Ile-de-France, avec un profond sentiment de regret, ctaussi de reconnaissance, pour l'hospitalité de ses habitants. On aborde au cap de Bonne-Espérance le 3 janvier 1804 ; et pendant les vingt-quatre jours que duré cette nouvelle re- lâche, Péron multiplie ses travaux et fait les plus intéressantes observations anthropologiques sur les Hottentots et les Bos- chismans. Il ressentait déjà les premières atteintes du mal qui devait le conduire à une fin prématurée ; et son zèle semblait _s’accroître avec le dépérissement de sa santé. Comme il le dit dans une de ses lettres : « Le peu de ménagements que j'ai » pris au cap de Bonne-Espérance sera cause de ma mort. » Enfin, après un voyage de quarante et un mois et demi, et un parcours de vingt et un mille lieues, la corvette le Géographe aborda à Lorient le 25 mars 1804. Plusieurs jours furent consacrés au débarquement des riches collections scientifiques du voyage. Indépendamment d’une foule de caisses de minéraux, de plantes desséchées, de co- quilles, de poissons, de reptiles et de zoophytes conservés dans l'alcool, de mammifères et d'oiseaux empaillés ou dissé- qués, soixante et dix grandes caisses étaient remplies de végé- taux vivants comprenant près de deux cents espèces différentes — 46 — : É de plantes utiles, environ six cents espèces de graines conte- nues dans plusieurs milliers de sachets : enfin, une centaine d'animaux vivants , rares ou tout-à-fait inconnus. Péron et Lesueur avaient rassemblé une collection de plus de cent mille individus, dont plus de 2,500 espèces nouvelles, et d'innombrables dessins. Nous devons surtout remarquer que, dans cette collection, figuraient des animaux vivants et des ob- jets achetés par Péron à Port-Jackson , à l’Tle-de-France, au Cap, et cela, de ses propres deniers, parce qu’il les jugeait utiles au Muséum; circonstance d'autant plus remarquable et digne d’éloges , que Péron était pauvre, qu’il ne devait retrouver au retour que l'existence la plus modeste, que ses prédécesseurs ne lui donnaient pas l’exemple d’une telle générosité, et son- geaient d’abord à leurs collections personnelles. Un des pre- miers soins de Péron, à son arrivée, fut de se procurer les fonds nécessaires, afin de payer les dettes contractées pour ces acqui- Sitions,. Depuis l’arrivée du Naturaliste, revenu un an plus tôt que le Géographe, les bruits les plus défavorables, et, il faut le dire, les plus fondés, contre le commandant Baudin, avaient jeté dans le public une prévention tout-à-fait imméritée contre cette expédition. On la regardait, à l’arrivée de Péron, comme un essai avorté, sans résultat utile, et qu’il était de l'intérêt du gouvernement de livrer promptement à l'oubli. À la nouvelle de ces injustes accusations, Péron s’arrache aux embrassements d’une mère qu’il doit perdre bientôt, et, par ses lettres pleines de ce style coloré, brillant, qui lui est habituel, par ses émouvants récits aux dépositaires du pouvoir, iltriomphe de cetaveuglementmomentané, dont ses amis et lui sont les victimes innocentes. Chez le ministre de la marine, Decrès, à qui il fut présenté par M. Kéraudren, en présence de M. de Fleurieu et d’autres savants, il expose avec une noble = pi du liberté ce que ses compagnons ont fait pour la géographie, la minéralogie, la botanique ; il énumère les objets qu’il rapporte, les dessins exécutés par son ami Lesueur, les observations et les descriptions qu ilarassemblées. Ecoutéavecleplus vifintérêt et adressé tout de suite à M. de Champagny, ministre de l’in- térieur, il est chargé de la rédaction de la partie historique et scientifique du voyage, M. L. Freycinet devant rédiger la partie nautique. Quoique malade et souffrant , il se mit à travailler à cettegrande entreprise avec cette assiduitéextraordinaire, dont ilavait déjà donné tant de preuves. Longtemps retardé par les sravures, le premier volume parut en 1807. Tout incomplet qu'il était, ce travail fit une très grande sensation. Péron y mène le lecteur, des côtes de France au port Jackson, le faisant successivement passer par les îles Canaries, l’Ile-de- France, la terre de Leuwin, celle d’Endracht, celle de Witt, l’île de Timor, la terre d’Edels, l’île de Diémen et la terre Napoléon. La description de cette dernière terre, de six cents lieues de développement, et sur laquelle, au départ de l’expé- dition , les précédents navigateurs n'avaient donné aucun ren- seignement, forme la partie capitale des découvertes de l’ex- pédition française. | Dans ce premier volume, consacré à la partie descriptive et historique, l’histoire naturelle ne tient qu'une place très restreinte et seulement incidente, puisque Péron devait la trai- ter 2n extenso dans le quatrième volume. Cependant, dans des pages dont le style ne le cède pas aux récits de Buffon et de Lacépède, Péron décrit le magnifique spectacle de la phospho- rescence de la mer et découvre sa véritable cause ; il dépeint, dans une narration brillante, ces mollusques et ces zoophytes gélatineux, qui parent les flots de l'Océan des couleurs les plus délicates et les plus vives, aussi pures qu’on les retrouve sur l'aile des insectes et la corolle des fleurs ; il trouve quelques — 18 — no pages touchantes pour raconter avec quelle sollicitude, quel amour, la femelle du kanguroo (1) veille sur sa jeune famille ; comment, blessée et mourante, elle cherche encore à la sous- iraire à ses ennemis, à : C’est surtout dans les récits de ses entrevues avec les natu- rels que Péron laisse percer sa sagacité d'observation. En même temps, son ardente curiosité pour l'étude de ces êtres féroces lui inspire la patience et la bonté la plus exemplaire, pour ne pas réprimer par la force leurs attaques perfides. Outre une histoire assez exacte des serpents marins, à peine connus jusqu'alors, on trouve disséminées un grand nombre d'indications d'espèces nouvelles, surtout dans les reptiles, les poissons et les invertébrés. Ce remarquable volume finit par la description de la colonie naissante de Sydney. Péron devine Vavenir magnifique de cette sœur lointaine de l’Angleterre;.il énumère déjà ces troupeaux qui doivent donner plus tard à l'Australie le premier rang sur le marché des laines; ils’avance aux pieds des Montagnes Bleues, signale leur caractère pri- mitif et les grès adjacents à leur base, Dans le plan de Péron, la relation du Voyage aux Terres Australes devait avoir quatre volumes, les deux premiers consacrés à la partie historique, le troisième réservé à M. Frey- cinet; le manuscrit de Péron en forme la majeure partie jus- qu’au commencement du trente-et-unième chapitre, le reste est üré des notes de Péron et de Freycinet. Il est bien à re- gretter que le digne continuateur n’ait pu, comme il l'indique, trouver trace, dans les papiers de Péron, de deux chapitres qu’annonçait une table du deuxième volume, publiée par an- Licipation , chapitres relatifs à la description physique de la (4) EH s’agit du Potoroo élégant où Kangurus fasciatus, Pér. et Les., dé- couvert à l'ile Bernier. , PE AN 67 C0 DE Nouvelle-Hollande et de la terre de Diémen avec les produc- tions naturelles empruntées aux trois règnes. Dans ces deux volumes, on rencontre aussi des chapitres détachés formant des mémoires Spéciaux , lus par noire naturaliste à l’Institut ou aux sociétés savantes dont il était membre. Péron s'était fixé, avec Lesueur, dans un petit appartement voisin du Muséum, dans la rue Copeau (1). Le travail occu- pait tous ses moments, et sachant toute l'importance des se- cours qu'il pouvait apporter à sa famille , il ne se permettait que les dépenses nécessaires à ses recherches. Il avait obtenu du Ministre la permission de se présenter quand il le voudrait, et dans le costume le plus simple. Au lieu de la petite pension qui suffisait à peine à ses besoins, on lui avait offert une place honorable et lucrative, mais qui lui eût ôté le libre emploi de ses journées. Il la refusa en disant que sa vie était consacrée aux sciences , et qu'aucune fortune ne saurait le déterminer à donner son temps à d’autres objets. Cette réponse, que nous trouvons relatée dans des pièces qui nous inspirent confiance, et qui, du reste, est bien dans le caractère de Péron, peut, à la rigueur, se concilier avec le passage de la lettre de M. de Rochefort, que nous rappor- tons ici : « Je crois bien me rappeler que Péron a été lecteur » de l’Impératrice, de 1806 à 1807. Les voitures de la cour » venaient le prendre, à Jour fixe , ce qui a frappé mon en- » fance. » Evidemment cette place de lecteur n’eût été qu’une sorte de sinécure, un aimable artifice pour attirer Péron à la Mal- maison , et aussi une manière délicate de lui faire accepter quelques bienfaits, dont ses sœurseussent seules profité. Et cela ne prend-il pas un nouveau degré de vraisemblance, quand (2) Actuellement rue Lacépède, — 50 — on rapproche les paroles d’un autre ami de Péron, M. Bru- gière, que nous ne craindrons pas de citer textuellement ? « Je » ne me séparais de lui que quand il allait à la Malmaison, où » Joséphine le traitait comme une bonne mère aurait traité » son fils chéri ; elle ne l’appelait pas autrement que son petit » ami» Cette gracieuse familiarité, qui, dans l’Impératrice José- phine, n’ôtait rien à la grandeur, s'explique aussi par cet air, cette simplicité d'enfant qu’avaient laissés à Péron des formes minces et frêles, et une grande timidité. Il était bien accueilli à la Malmaison, cela est hors de doute. Mais c'était surtout le savant que l’Impératrice devait désirer entendre au milieu de ces admirables jardins qu’elle embellissait de tout ce que cha- que partie du monde offrait de plus rare; où déjà, à cette époque, elle faisait des efforts si intelligents pour cette accli- matation, cette domestication (1) qu'avait devinées Péron, et qui ont aujourd’hui séduit la science, et promettent les plus merveilleux résultats. Du reste, notre naturaliste n'avait pas oublié la Malmaison dans la distribution de ses précieux trésors. Un grand nom- bre de plantes, provenant du voyage aux terres australes , y prirent une place importante. Nous savons, de plus, de son ami, qu'on voyait, sur un des bassins , deux magnifiques cygnes noirs que, le premier, Péron avait apportés en France , et he il avait donnés à Joséphine (2). Le souvenir de la province natale était puissant et vivace (1) Joséphine voulait faire venir en France un troupeau de lamas. Il périt au port d'embarquement , la guerre avec l'Angleterre empêchant tout moyen de communication. (2) Mais noussavons aussi, par le témoignage des amis de Péron, que les dettes contractées pour achat de collections furent généreusement acquittées par l’Im- péralrice. AS SR chez Péron. Aussi Moulins eut sa part dans ces richesses, conquises sur les plages lointaines, au prix de tant de fatigues, de tant de dangers, et devenues ainsi comme des dépouilles opimes qu'au retour d’une périlleuse expédition, le fils re- connaissant du Bourbonnais offrait avec bonheur à ses conci- toyens. Le Lycée de Moulins reçut une curieuse et intéressante collection (1). Au milieu de ces joies d’un modeste triomphe, au milieu des preuves d'intérêt et d'affection qu’il recevait de toutes parts, Péron voyait décliner rapidement sa santé , atteinte surtout dans sa relâche au cap de Bonne-Espérance. Des mé- decins célèbres, Corvisart, M. Kéraudren, lui donnèrent leurs soins affectueux. Sur leurs instances , un voyage à Nice fut décidé. Ici se place un trait qui caractérise bien Péron. Il avait voulu avoir, à Paris, sous sa surveillance, les petits-fils de son bienfaiteur. « Il eût désiré, dit M. de Rochefort, l’un » de ses protégés, payer au centuple sa dette de reconnais- » sance, en nous inculquant la science ; maïs, malheureuse- » ment pour nous et pour la France, ses soins et sa sollicitude » ont été d’une trop courte durée ; car, quatre ans après l’a- » voir connu, nous perdions le conseil et le guide éclairé de » nos études.» Nous avons cité tout ce passage, parce que nous y avons vu le langage du cœur. Péron avait mérité un tel souvenir ; car, et c’est le fait que nous voulions rappeler à son honneur, il ne quitta Paris qu'après qu’il fut sûr d’avoir trouvé, pour ceux qu’il appelait ses enfants, un autre lui-même dans M. Kéraudren. (2) Voir la note 1 de l’Appendice. A ce sujet nous remarquons, par anticipa- tion, qu’on ne saurait trop louer MM. Pernet et Pécout , professeurs de physi- que au Lycée de Moulins, de leurs soins pour les précieux échantillons dus à la sollicitude du voyageur aux terres australes. = 55 Le voyage de Nice, ce devait être le repos , une améliora- tion pour la santé, la vie peut-être ; mais l’activité infatigable de Péron ne fit que donner à la mort une proie plus assurée, À la vue de la mer, Péron sentit se réveiller le désir de conti- nuer ses recherches sur les températures de ses profondeurs, et surtout de reprendre létude des animaux marins, mollus- quest zoophytes, qui forme le dernier fleuron de sa couronne scientifique. 1 passe la journée sur une barque, exposé aux brouillards et à la pluie; c’est à grand’peine que Lesueur, son compagnon inséparable, son ami constant et dévoué, peut le soustraire aux funestes influences de l'humidité. Peu lui im- porte la mort qui s'approche ; à mesure que le corps se débi- lite, l’âme acquiert une énergie nouvelle. Comme Péron l'écrit à M. Freycinet, 7amais il n’a plus travaillé, jamais il n’au- rait été plus heureux, sans les douleurs atroces qui le consu- ment. Le moribond près de la tombe encourage le continuateur de la relation du Voyage aux Terres australes, et ne trouve pas de plus doux plaisir que celui de s'occuper de choses utiles et honorables. Rien de plus utile, en effet, rien de plus honorable, et aussi rien de plus précieux que cette collection disputée, pour ainsi dire, à la mort. De retour à Paris, Péron publie, avec Lesueur, quelques travaux , sorte de précis de son grand ouvrage sur les médu- ses, où il établit la classification de ces êtres si mal connus. Ce travail est malheureusement privé des admirables dessins et peintures de M. Lesueur qui, au dire des artistes, attei- onaient la perfection en ce genre. Péron avait une sorte de prédilection pour ces animaux si singuliers à tous égards, et dont chacun des actes était, jusqu’à lui, un problème, un mys- tère. [ls étaient relégués par Cuvier dans ce dernier embran- chement qu'il n'eut pas le temps d'élaborer, et placés à côté PL ES ARE des vers intestinaux ; disposition contraire à toutes les ana - logies naturelles, et une des plus graves erreurs que Cuvier ait laissées à rectifier à ses successeurs. Malgré les redoublements d’une fièvre destructive, malgré de cruelles insomnies , les dernières pensées de Péron sont pour l’histoire naturelle. I rédige, d’une main mai assurée ! sa Votice sur l'habitation des animaux marins, et établit, le premier, que pas une seule espèce de ces animaux, véritable- ment cosmopolites, n’est indistinctement propre à toutes les parties du globe. Cet écrit, comme tous ceux de la derniére partie de la vie de Péron, atteste une très vaste érudition, qui éclate, à chaque instant, dans les nombreuses citations, par les- quelles il corrobore ses idées personnelles. C'est son dernier effort; sa main ne peut plus seconder la tête toujours active, infatigable : il lit, il médite sans cesse. On le transporte à Cérilly, près de ses deux sœurs , qui se flattent encore de le conserver à la vie par leurs soins, leur amour dévoué. Tristes et dernières illusions! Il lui reste à peine quelques jours d'existence, lorsque son compagnon, qui devait l’être jusqu’au tombeau, M. Lesueur, songe heureuse- ment à reproduire ses traits, que la main de la mort vaanéantir. Quelle finesse, quelle intelligence dans cette tête amaigrie par de longues souffrances , dans cette physionomie calme et se- reine sur laquelle l’âme, prête à partir, semble jeter, comme adieu suprême, un de ses plus doux rayonnements ! Le malade avait son lit placé dans une étable, que son an- cien camarade d'études, M. Bonnet, avait disposée à cet effet. Il ne prenait d'autre nourriture que le lait des vaches, que ses sœurs ou son ami allaient traire. Comme on craignait de le laïsser parler, à côté de ses sœurs penchées sur son lit, Lesueur lui faisait constamment la lec-- ture , et ne cessait que lorsqu'il Pavait vu s'endormir. Dans € Sp = la nuit du 4/; décembre 1810, ayant reçu de son ami une goutte de lait qu’il lui avait demandée, et, la main dans la sienne, après avoir jeté sur lui son dernier regard, peu à peu il s’é- teignit. Par une ingénieuse et délicate pensée, M. Lesueur dessina le monument que ses amis se proposèrent de lui élever, et qui, retardé par divers obstacles, dut son inauguration au zèle pieux de ses compatriotes. Péron semble enseveli sous le vais- seau le Géographe, démâté et couvert d’une toile, comme d’un linceul funèbre. Il paraît avoir trouvé son tombeau dans l'instrument même de cette expédition navale, que ses travaux et son talent ont relevée de la déconsidération et de l'oubli. On se rappelle involontairement que, pareil au chef du navire, qui succombe sur son banc de quart, Péron, malgré l’exem- ple de plusieurs de ses émules, malgré la perspective des plus cruelles privations, n’a Jamais abandonné ce bâtiment funeste, dont les flancs recélaient la mort (1). Péron était de taille moyenne, très mince, et son état de maigreur lui donnait un air chétif. Il avait, comme nous l’a- vons dit, perdu l’œil droit , par suite des fatigues de la lec- ture, mais cet œil avait été fort affaibli par des accidents va- rioliques. Toutefois, ni la petite vérole, ni la perte d’un de ses yeux, n'avaient sensiblement altéré l’air de son visage. D’une (1 Ce monument funéraire offre les inscriptions suivantes : | « À la mémoire de F. PÉRON, naturaliste du voyage aux terres australes , correspondant de l’Institut , etc., né le 22 août 1775, décédé le 14 décembre 1810, à Cérilly. » G A. Lesueur, inspiré par l'amitié et par sa douleur, a dessiné ce pieux » monument.» Les deux autres, dues à M. Kéraudren , porteni : «Il avait de grands talents, et cependant il eut beaucoup d'amis. » Il s’est desséché commeun arbre chargé des plus beaux fruits, qui succombe à l’excès de sa fécondité,» T % T CA DA # — DD — nature gaie, sa physionomie s’animait dans la conversation , qu’il savait toujours rendre aimable, se mettant à la portée de ceux avec lesquels il causait. C’est le propre des mérites ex- ceptionnels de se faire ainsi tout à tous. Celui qui vivait dans la société de ses plus illustres contemporains , les Cuvier, les Geoffroy-Saint-Hilaire, les Fourcroy, les Dupuytren, les Cor- visart, redevenait enfant pour s’amuser avec les enfants. Mais nous avons sur le caractère de Péron un document précieux , trouvé dans ses papiers ; c’est son portrait moral , iracé par lui-même et sans complaisance (1). « Inconséquent , étourdi, disputeur, indiscret, trop entier dans mes opinions, incapable de céder jamais à aucune rai- son de convenance, je puis me faire des ennemis et aliéner mes meilleurs amis. Ces défauts sont la suite de mon édu- cation et de l’état d'indépendance dans lequel J'ai vécu. Je sais qu'ils ternissent les qualités que je puis avoir; mais tel est l’empire de l’habitude, que mes efforts pour m’en cor- riger ont été inutiles jusqu’à ce jour. Cependant, en me les reprochant , Je n’en rougis point. Je sens que mon cœur est étranger au mal que j'ai pu faire; et le regret que j'en ai m'excuse au tribunal de ma conscience. ; » Cestravers d'esprit sont rachetés par les qualités du cœur; bon, sensible, généreux, je ne fis Jamais sciemment de la peine à personne. Mes amis ont eu souvent à souffrir de mes vivacités ; souvent ils ont eu à se plaindre de mes indiscré- tions, souvent ils m'ont reproché mon étourderie, mon en- têtement ; ils se sont toujours loués de ma délicatesse, de mon attachement, de ma bonté. Cette dernière qualité me distingua toujours. Au collége, à l’armée, elle me concilia l'estime et l'amitié de tous ceux avec qui j’eus des rapports; (1) Cité par Deleuze, DORE Al elle me fit chérir de ces hommes infortunés qui devinrent la proie des armées françaises. Oh! de combien d’excès et de brigandages n’ont pas été souillés les glorieux trophées de nos soldats ! Combien de fois mon cœur en a gémi ! Ne pouvant les empêcher, du moins je ne les partageai jamais. Quoique jeune et enthousiaste, le malheur eut toujours des droits sacrés sur moi, et malgré les préventions qu'on eut contre mes compatriotes, on m’aima, on m'estima touJours. » Respectable Kiner! que je me rappelle avec plaisir les soins que vous me prodiguâtes lorsque je fus malade dans votre habitation (1)! Et toi surtout, Ô mon malheureux hôte d'Oschspeire (2) ! avec quelle sollicitude tu me présa- geas , plusieurs Jours d'avance, les malheurs qui nous étaient réservés! Avec quelle émotion tu vins m'éveiller aux pre- miers coups de canon!.... Fuyez, bon Français, me disais- tu ; déjà votre armée est surprise sur tous les points par les troupes prussiennes ! Entendez le bruit du canon se rappro- cher à chaque instant : fuyez avec moi, hâtez-vous, ne craignez rien ! | » Commandé par le devoir et l'honneur, j'avais pris mes armes, je courais au combat. Hôtes sensibles! des larmes de compassion et d’attendrissement s’échappaient de vos veux. | » Surpris de ces marques d'intérêt , je me demandais ce que j'avais fait pour les mériter. Ce que tu as fait, me répondis- je, tu as vu cette famille malheureuse, et tu t'es attendri sur son sort ; tu as quelquefois partagé avec elle ta faible ration de pain; tu as inspiré tes sentiments à ceux qui t'étaient (4) À Dutten-Hoflen, village près de Spire. (2) Village entre Frakerstein et Kaiserlautern, où le bataillon dans lequel servait Péron fut enveloppé par les armes prussiennes, le 4 prairial an IE (28 mai 179/. | 4 à Î L: ET RU ES Te Dr 5 «2 EE pee » subordonnés, et la maison que tu habitais a été paisible : » aujourd’hui des êtres reconnaissants te comblent de béné- » dictions. » Cette réflexion sur moi-même me fit éprouver une douce » jouissance ; je me dis: si ma bonté a pu faire une telle » impression à des hommes irrités, je dois cultiver toujours » cette qualité ; il faudra qu’elle fasse oublier les défauts de » mon caractère. Je serai toujours bon, honnête, généreux, » Imême envers mes ennemis. » J'ai suivi cette résolution. Etranger au ton et aux usages » de la société, ayant une imagination impétueuse que lau- » torité ne commanda jamais, d’une franchise imprudente et » quelquefois malhonnèête, trop entier dans mes opinions que » je soutiens sans réserve, plein d’étourderie et d’inconsé- » quence, J'ai souvent aliéné mes amis : mais sitôt que la pas- » sion cède à la raison, je rougis de mon emportement ; je » viens trouver ceux que j'ai offensés ; mes regrets, mes ex- » cuses, sont trop sincères, pour qu’ils ne me pardonnent pas » mes torts. Aussi, tous les amis que j'ai eus, soit au collége, » Soit aux armées, soit à Paris, me restent encore. Il en est » peu qui n’aient eu à se plaindre de moi ; tous, cependant, » me restent aussi attachés que je leur suis moi-même. » Nous devons maintenant examiner quels sont les titres de Péron à la reconnaissance du monde scientifique. De ses divers travaux, une partie est rassemblée dans les mémoires que nous indiquerons à inesure qu'ils se présente- ront à notre analyse ; le reste ne nous est conservé que par des citations disséminées dans la relation du voyage, eu dans les écrits des savants, auxquels ses découvertes ont fourni des ma- — 58 — iériaux, ou bien encore par l'existence des objets nouveaux qu’il a rapportés, et que nous avons pu retrouver dans les ga- leries du Muséum. C’est à peine si l’on en rencontre quelques traces dans les catalogues fort incomplets de cette époque déjà reculée ; eton comprend que, dans la nombreuse collection ras- semblée, bien des pièces manquent aujourd’hui, soit par suite de dons ou d'échanges, soit que des échantillons anciens aient été remplacés par des individus plus nouveaux et mieux pré- parés. Nous diviserons naturellement en quatre parties l'examen des travaux de Péron. | La première partie comprendra les recherches anthropolo- giques, et, comme annexe, quelques études d'hygiène. Nous aurons à examiner, dans la seconde partie, ce qu’il a ajouté aux connaissances de son époque, sur les animaux supérieurs et principalement sur ce grand groupe parallèle des marsu- piaux ou mammifères, quadrupèdes à génération anormale , dont il a rapporté en France les premiers individus. La troi- sième partie comprendra l’analyse de ses belles recherches sur les animaux inférieurs, et surtout les zoophytes. Enfin nous réunirons, dans une dernière étude, ce qu’on peut appeler ses travaux généraux, sur la distribution géographique des ani- maux , sur la phosphorescence des mers, sur leur tempéra- ture, sur l’état calorifique et hygrométrique de l’atmosphère des régions équinoxiales , sur la géologie australe , et enfin sur la description physique et météorologique de la Nouvelle- Galles du Sud. DEUXIÈME PARTIE. RECHERCHES SUR L’HISTOIRE NATURELLE DE L'HOMME. De toutes les branches de l’histoire naturelle, il n’en est aucune qui présente autant de complications que celle qui se rapporte à l'homme. Les variations individuelles et locales sont si multipliées, les migrations ont été si étendues, que c'est à peine si, en réunissant aux caractères physiques la comparaison des langues, des traditions religieuses, des mo- numents, et en s’aidant des ressources de la plus patiente in- vestigation historique, on a pu s'entendre sur quelques faits généraux. Les auteurs les plus considérés de la science mo- derne s'accordent aujourd’hui à reconnaître comme démon- trée, conformément à l’Ecriture sainte, l’unité de l’espèce humaine subsistant au milieu de toutes les différences physi- ques des peuples répandus de l’un à l’autre pôle. Les classi- + & — 60 — fications de cette espèce en races sont, on pent le dire, aussi variées que les auteurs qui se sont occupés d'anthropologie: “aussi, nous nous garderons bien de nous jeter dans un examen crilique (1). On admet généralement l’existence de trois grandes races, à caractères bien tranchés. Tous les natura- listes, quiont essayé d’en présenter un plus grand nombre, sont forcés de reconnaître que les caractères des races qu’on a cherché à joindre à ces trois premières, notamment une race américaine, sont loin d’avoir la même valeur. Nous laisserons de côté les discussions prolongées sur la fé- condité des croisements, et ce fait, signe d’une distinction essentielle entre les trois races, que le métis, pendant de nom- breuses générations, conserve des caractères du père et de la mére. En anthropologie, les expériences directes sur cet objet nous manquent d’une manière forcée. Les expériences faites. sur les animaux attestent la fécondité des produits entre cer- laines espèces voisines, et sont entachées de ce vice capital, que le petit nombre des sujets accouplés doit amener une sté- rilité individuelle par épuisement, comme cela arriverait bientôt pour les races créées dans une espèce domestique, si l'éleveur n'avait soin d'étendre les croisements à de nombreux individus. Par ces raisons, ce me semble, l’opinion récemment émise par M. Jacquinot (2), que les métis humains doivent retremper leur fécondité dans les races mères, outre que la vérification expérimentale en est presqu’impossible, n’a plus qu’une importance secondaire. L'unité humaine peut invoquer des considérations d'un or- dre plus élevé. Si l’on se borne aux caractères zoologiques, on arrivera facilement à faire descendre l’homme même au- (4) Voir Jacquinot , thèse présentée à la faculté de Médecine de Paris, le 26: août 1848, page 108. (2) Thèse déjà citée. L = — 6 — dé Là dessous de ces Primates absolument dépourvus d'appendice caudal ; il suflira d’exagérer l’importance attachée à tel ou tel caractère , pour tomber sur des conclusions révoltantes. L'homme est un être mixte; il y une relation continuelle, in- time, mystérieuse entre les principes immatériels et matériels. Réduire l'homme aux seuls caractères animaux , c’est raison- ner sur un être de fantaisie. La perfectibilité, l’idée de l'infini, la notion du juste et de l’injuste, mettent un abîme infran- chissable entre l’homme et les animaux. L'unité de l’espèce humaine se rattache ainsi, sans sortir aucunement des argu- ments rationnels, à une question de philosophie expérimentale, non moins qu'aux inductions zoologiques. Suivant les idées de très éminents naturalistes, la question de l’unité humaine trouve sa solution complète dans cette question bien plus vaste de la variabilité limitée des espèces. D'une souche commune partent des races à modifications per- mapentes. Les révolutions géologiques seraient une des causes les plus puissantes de ces changements, et la tradition bibli- que semble indiquer une altération de ce genre pour les hommes issus du couple primitif. Sans doute Péron eût abordé ce problème, le plus difficile que présentent les études zoologiques , dans son grand ouvrage sur les races humaïnes , arrêté par la mort. Nous n’en possé- dons que des matériaux épars ; la science les conserve, comme les documents les plus précieux sur certaines variétés des ra- ces nègre et mongole. Péron débute par une curieuse petite brochure , où se montre un zèle ardent pour la science de l’homme. Elle pré- sente certaines erreurs graves qu'il sera le premier à recon- naître d'après sa propre expérience, et se termine par une lettre aux professeurs de l’école de médecine. 11 les supplie d'appuyer ses demandes. C’est, en effet, la publication de cet # — 62 — opuscule qui le fit adjoindre aux savants déjà nommés, et qui devait, en avançant le terme de son existence, lui procurer cette gloire pure et sans tache, dont la science couronne ses adeptes dévoués. En lisant cet écrit, on comprend quelle pénible surprise ila dû éprouver, quand il a pu observer de près ces peuples sau- vages qui répondaient si peu à son attente. Ce premier travail nous montre à quel état d’ignorance on était encore, à cette époque, -en anthropologie, et fera parfaitement apprécier quel service a rendu Péron, en renversant ce cortége d'idées fausses qui accompagnait la science (1). On y reconnaît un jeune homme ardent, passionné pour l'étude, prêt à dévouer son existence aux découvertes, mais n'ayant encore que des vues théoriques. Dans un début, où le disciple, encore novice, se trahit par un style un peu emphatique, on trouve établie, avec une grande justesse, l'utilité des recherches médicales dans ces contrées lointaines. « On connaît assez bien, dit Péron, » les maladies intertropicales ; la nosographie de la Chine, » de l'Inde, de l'Egypte, du Brésil et du Chili est l’objet de > savants ouvrages ; on est frappé de la violence extrême des » affections de ces climats, de ces tétanos, de ces trismus qui » tuent en quelques heures, du caractère d’exaspération des » maladies inflammatoires , de ces affections gangréneuses » endémiques, des endémies d’amaurose, d’héméralopie, de » nyctalopie, de paralysie d’une moitié du corps, de ces ophtal- » imies fréquentes dans les déserts sableux et brûlés, de la » nature gangréneuse des plaies sujettes à se couvrir de vers.» (1) Observations sur l’anthropologie ou l’histoire de l’homme, la nécessité de s’occuper de l’avancement de cette science et l'importance de l’admission sur la flotte du capitaine Baudin, d’un ou plusieurs naturalistes spécialement chargés des recherches à faire sur cet objet, — par le G. F. PÉRON (de Allier). — Brochure in-8°, Paris, 1802. OS — Au contraire , la médecine ne savait absolument rien sur les affections des contrées plus voisines du pôle, surtout sur la Nouvelle-Hollande. 11 y avait un grand intérêt à étudier les endémies de ces régions , à distinguer les phénomènes propres au climat, aux habitudes spéciales, aux aliments. Péron rappelle l'importance de ces remèdes spécifiques, que l'expérience a appris à certains peuples sauvages. C’est par eux que nous connaissons les propriétés de la serpentaire , du sassafras, du quinquina. Péron se demande à quel concours de circonstances phy- siques et morales est due la santé et la longévité de ces sauvages, habitant souvent des climats rudes, et nourris des plus chétifs aliments. Ici, il généralise un fait qui n’est nullement constant. Chez les peuplades éthiopiennes de la région équatoriale, et aussi chez les tribus de certaines îles de l'Océanie , la durée moyenne de la vie est courte, et l’on voit peu de vieillards. Il oublie aussi le flétrissement si précoce des femmes. On reconnaît le jeune homme ébloui par le célèbre parallèle de Rousseau entre l’homme de la nature et l’homme de la civilisation. Il s'étend sur les maladies nombreuses , surtout les affections du cœur et de l'estomac, causées par les abus de la civilisation , à l'intensité des passions et des affections morales. On n’avait pas encore constaté par la statistique , que la civilisation a relevé la moyenne de la vie humaine ; et Péron oubliait qu’elle a délivré l’homme de la lèpre, cette horrible contagion qui infecte encore les Carolines, Guam, les Moluques , Tonga, Taïti et tant d’autres îles ; qui exige, dans certains points du Brésil, des léproseries, où on séques- tre les victimes, comme en France , au moyen-âge (1). Avec (1) Etudes topographiques, médicales et agronomiques sur le Brésil, par le docteur Rendu. — Paris, J. B. Baillère, 1848. — Etablissements morphéti- ques et de la morphée au Brésil, 2° partie, page 122 et suiv. Hi ; quelle violence se produisent les épidémies chez les sauvages, foudroyés au sein de leurs huttes fétides, décimés avec une rapidité effrayante par la variole, la siphilis, comme si ces races plus faibles devaient fatalement s’éteindre devant les races civilisées. | Péron était égaré par celte idée si hasardée, recueillie dans les dissertations de l’école, que la perfection physique est en raison inverse de la perfection morale ; que le courage stoïque des victimes et la férocité des vainqueurs, dans les luttes de ces peuples primitifs, sont la conséquence effroyable , mais nécessaire de leur organisation. Il reconnaîtra lui-même que la force physique n’est nullement supérieure chez les sauvages à celle des hommes civilisés. | Le point capital à constater dans ce travail, nécessairement mêlé d'erreurs, c’est que le jeune étudiant connaît du moins toute l'importance de l’anthropologie, et qu'il sent qu'aux idées préconcues des philosophes , il faut substituer les loin- taines observations. | Les études anthropologiques de Péron ont porté sur des peuples de la race nègre et de la race mongole dans les rameaux propres à l'Océanie, et aussi sur les remarquables variétés de la race nègre, qui habitent à la pointe australe de l'Afrique. Les mémoires qu’il a laissés sur cette partie de la science, n'étaient qu’une faible portion préliminaire d’un ouvrage considérable sur la comparaison des diverses races de l’espèce humaine. À ses propres observations devaient se joindre celles de tous les voyageurs et physiologistes, collectées avec cette érudition profonde dont il a donné tant de preuves. Il se pro- posait de ne publier cet ouvrage qu'après avoir encore ac- compli trois voyages ; le premier, dans le nord de l’Europe et de l'Asie ; le second, dans l’Inde ; et le troisième en Amérique. Il comptait consacrer ainsi quinze ans à ce grand travail, dont — 65 — le titre devait être : Histoire philosophique des divers peuples considérés sous les rapports physiques et moraux. 1 s'était posé les diverses questions à résoudre dans cette immense entreprise. Il avait sur cet objet un grand nombre de mémoires, qu’il a condamnés à l’oubli, parce qu’il y reconnaissait des erreurs. Cependant un fragment concernant l’Æistoire des peuples de Timor était prêt à être livré à l'impression. Les ayances exigées pour la gravure, et d’autres obstacles en ont privé la science. Péron disposeles peuplades de l'Océanie en six échelons as- cendants. D'abord se présentent les habitants de la terre de Dié- men ou Tasmanie. Ils paraissent les plus dégradés etlespius fai- bles aussi de tous les êtres humains qui peuplent le globe ; ce sont ceux qui justifieraient le mieux cet étrange paradoxe de M. Bory de Saint-Vincent, rangeant dans un même ordre l’homme et le troglodyte, et les regardant ainsi comme plus rapprochés que ce dernier ne le serait des autres singes. La stature des Tasmaniens est assez voisine de celle des Euro- péens. Leur peau est de couleur foncée; elle paraît souvent plus noire qu’elle ne l’est en réalité ; car, ainsi que l’a constaté _Péron, ils aiment à se couvrir de poussière de charbon. Leurs cheveux sont laineux, courts et crépus. La tête volumineuse est allongée vers le sommet, les épaules sont larges et bien développées, les reins bien dessinés, les fesses musculeuses, lé ventre gros, saillant, comme ballonné, les extrémités fai- bles, allongées, à muscles minces et grêles. Ils sont sans chefs, sans lois, sans arts d’aucune espèce, sans idée de l’agriculture et de l’usage des métaux, sans animaux domestiques , et in- capables de se construire des habitations. Ils savent seule- ment s’entourer de claies semi- circulaires d’écorces entrela- cées { Aulas du Voyage aux Terres australes, pl. 15), trouvant dans leur concavité un simple abri contre le froid des vents 5 polaires du sud. Ils semblent entièrement inaptes à recevoir la civilisation. Sitôt que leur futile curiosité était satisfaite , ils abandonnaient les objets utiles dont on leur avait fait pré- sent ou qu'ils avaient dérobés. [ls errent nus; seulement quel- ques-uns ont une peau de kanguroo sur l'épaule. Comme l’a reconnu Péron à l’île Maria, ils brûülent leurs morts et placent les cendres mêlées d’os à demi calcinés sous de petites huttes coniques d’écorces réunies vers le haut par un lien grossier. Cette peuplade est le rameau le plus dégénéré de la race nè- gre Pélagienne, descendant plus bas que les nègres australiens dela Nouvelle-Hollande, quoique, dans son ensemblele, groupe des nègres pélagiens soit supérieur à celui des australiens. Péron avait été séduit au premier abord par le bon accueil qu’il reçut d’une famille isolée, où les jeunes filles et les en- fants en arrivèrent bientôt avec lui à une confiante familiarité. il semble retrouver un instant ses premières illusions. Il est ému par cette espèce de vie patriarcale; il croit voir, avec un plaisir inexprimable, se réaliser ces descriptions brillantes du bonheur et de la simplicité de l’état de nature, dont il a tant de fois savouré le charme séducteur ; mais bientôt les agressions dont lui etses compagnons manquent plusieurs fois d’être les victimes, le ramènent au sentiment de la vérité sur ces êtres féroces. Ils justifient pleinement ce qu’en disaient les navigateurs précédents ; on retrouve ces hommes perfides qui, peu d'années auparavant, avaient assailli à coups de pier- res, et grièvement maltraité les hommes descendus à terre du navire du capitaine Marion. Dans l’atlas du voyage (4), Péron, d’après les dessins de Petit, a fait représenter cinq naturels de la Tasmanie. Le premier, Bara-Ourou, à la tête très allongée, a les épaules et la poitrine couvertes d’incisions: CEMPE 6 O0 A0, 12, RAT D fr Ouriaga, à demi vêtu d’une peau de kanguroo, a les cheveux couverts d’ocre rouge ; le troisième , à tête oblongue, et le quatrième sont des hommes plus âgés, à collier de barbe assez fourni. Le cinquième portrait est celui d’une femme, Arra- Maïda , à seins volumineux, et portant un enfant sur le dos. La figure, très laide, ne manque pas de finesse. Cette femme avait montré beaucoup plus d'intelligence et de résolution que ses compagnes, lorsque leur troupe, revenant de la pêche, fut . rencontrée par les Français. On est frappé de la ressemblance de ces individus avec des nègres éthiopiens des côtes d’Angola ou du Congo. | Péron forme son deuxième degré ascendant des naturels de la Nouvelle-Hollande (nègres australiens). Leur stature est la même que celle des Diéménois. Comme eux, ils ont le ven- tre gros et tuméfié, et les extrémités grêles. Le point capital, déjà mentionné par Labillardière, constaté et mis hors de doute par Péron, c’est que des caractères constants établissent une différence tranchée avec la variété tasmanienne : la peau est moins foncée, les cheveux sont lisses et longs, parfois fri- _sés, jamais laïneux ; la tête est moins volumineuse et compri- mée, aplatie vers le sommet au lieu d’être allongée. Leur torse est moins développé. Ils sont également sans vêtements, sans arts , Sans culte, sans agriculture, sans usage des métaux. Mais ils paraissent avoir, selon quelques auteurs, une faible idée d’une existence future ; ils sont esclaves de certaines superstitions (1), croient à la magie, aux sortiléges, aux spectres. Ils ont su rendre do- mestique le chien; mais on peut dire que l’animal est presque aussi sauvage que ses maîtres. Il a les oreilles droites, le pe- lage roux, uniforme, ou quelquefois noir. On l’emploie pour {2) Maltebrun, continué par Huot, Géograp. univ., tome 12: LME Ces la chasse du kanguroo et du casoar; mais, parfois, retrou- vant tous ses instincts carnassiers, il dévore les provisions de l’homme. Quelques rudiments d'organisation sociale se montrent dans ces peuplades ; les hordes sont plus nombreuses, et paraïssent obéir à des chefs. Ils construisent , non plus de simples abat- vents, mais des huttes grossières, à circonférence complète , avec un toit, formées de branches croisées, réunies au som- met; les interstices en sont bouchés avec de la terre et des ‘écorces. Péron a même rencontré des retraites souterraines destinées à mettre les malheureux habitants de la terre d’En- dracht à l’abri des variations extrêmes de la température. La navigation est plus hardie, les chasses plus régulières. Péron représente, dans l’atlas du Voyage (1) ,quelques types de la variété nègre australienne. La peau est d’un brun assez clair, les traits, bien que conservant les grosses lèvres et la largeur caractéristique du nez, ressemblent bien moins à ceux des nègres africains. La férocité du regard, dans le premier, est remarquable ; sa barbe est épaisse ; chez les autres, outre des incisions à la peau, le visage offre des parties colorées avec de l’ocre. Le front, la poitrine, le dos, les fesses présen- tent de larges raies blanches tracées sans doute à la craie ma- dréporique. On voit au troisième un bâtonnet perçant la cloi- son des narines. L'un d’eux, en pied, muni du bouclier et de la sagaie de combat, montre la maigreur des membres signa- lée par tous les navigateurs. Le dernier portrait est celui d’une femme , à mamelles allongées et pendantes, et où se retrouve, plus que chez les hommes, le type nègre qui permet de ran- ger ces variétés à cheveux soyeux dans laæace nègre. Le langage de ces peuples est presqu’impossible à rendre. (1) PL 47, 48, 49, 20, 21. OUR Comme celui des Diéménois, ce n’est qu'un roulement gut- tural d’une extrême volubilité, une sorte de gloussement. Le nombre des mots est, au reste, borné comme celui des idées. Péron n’a observé que les peuplades de la presqu'île Pé- ron et des environs de Sidney. Ces derniers se donnaient le nom de Gwea-Gal. I] cite, mais par oui-dire, d’autres tribus plus enfoncées dans les terres, appelées Bé-dia-Gal, et ren- contrées par les premiers explorateurs anglais, qui tentèrent de pénétrer dans les montagnes Bleues. Ces peuplades, sur lesquelles notre auteur se proposait de donner des détails dans sa description générale de la Nouvelle-Hollande, offrent des mœurs et un langage différents de ceux des naturels de Port- Jackson. Le fait très remarquable qui les concerne est leur constitution physique : tous les individus de cette race ont les bras et les cuisses d’une longueur démesurée, par rapport au reste du corps. Peut-être faut-il rapporter à des êtres de cette variété le récit évidemment exagéré d'un auteur anglais (1) sur des hordes sauvages des environs de la baie des Verreries, dont la tête énorme se rapproche, par son angle facial et ses protubérances, de celle des orangs-outans; d’une intelligence presque nulle, très velus et très habiles à grimper sur les ar- bres. Suivant Prichard, dans l’intérieur de la Nouvelle-Hollande, et vers le Nord , sont des peuplades bien moins abruties que les peuplades étudiées par Péron , et plus industrieuses. Les deux variétés bien distinctes de nègres pélagiens et de nègres australiens, que Péron nous a fait connaître, sont du plus haut intérêt pour la science, en ce qu’elles disparaissent rapidement. | Au contact des Anglais, les farouches tribus australiennes. (1) Collins, Relation, etc., tome 1, page 554. ne + ont fui vers l’intérieur ou sur les côtes les plus désolées. Les enfants, qu'on avait voulu élever dans les écoles de la colonie, sont retournés, dès qu’ils ont pu, à leur vie misérable, pré- férant leur indépendance au bien-être de la civilisation. Les individus qui n’ont pas quitté leurs anciennes plages , ont péri, pour la plupart, par les maladies contagieuses ou une ivresse continuelle. On a pu voir à Sidney, pendant quelques années, errants dans les rues, quelques couples des anciennes tribus qui habitaient Botany-Bay, avant l’envoi des convicts ; leur chef, entre autres, ne sortait pas des cabarets où il a trouvé la mort. Je ne sais si le fait suivant est complétement exact, tel qu'il est rapporté dans de récentes publications anglaises, mais ce serait un moyen de plus au service de ces lois provi- dentielles, qui condamnent certaines races à disparaître fata- lement au contact de la civilisation. On aurait remarqué que les femmes australiennes qui auraient eu des rapports avec les matelots baleiniers , et d’où sont issus des métis européens, deviennent, par cette cohabitation même, infécondes avec les hommes de leur race, parmi lesquels elles retournent après ces passagères unions. on L'intérêt des observations de Péron est encore plus grand en ce qui concerne les Tasmaniens. Actuellement , l’île de Diémen est devenue une riche colonie anglaise ; et ces tribus, si dégradées et placées au dernier rang de l’espèce humaine, n’y ont plus aucun représentant. Réduïites à une quarantaine d'individus, elles ont été transportées, par ordre du gouver- nement colonial, dans une petite île du détroit de Bass (4). Dans peu d'années, cette variété humaine aura complétement disparu , comme les Caraïbes des Antilles, les Guanches des Canaries, les Botocudos du Brésil , et tant d’autres. Toutefois. 4) Jacquinot, thèse, 18/6. Labillardière a constaté une très grande ressemblance entre les Diéménois et la variété du rameau nègre pélagien, qui peuple la Nouvelle-Calédonie. Cette terre , si récemment fran- çaise, permettra donc de compléter les observations de Péron. Ce naturaliste ne cite pas ces peuples comme anthropo- phages ; cependant c’est là un caractère distinctif de leur race; il est parfaitement constaté à la Nouvelle-Calédonie. Un autre caractère, qui n’a pas échappé à Péron, et qui appartient aux Nègres de l'Océanie des deux variétés, c’est que toujours, si les femmes et les enfants se familiarisent assez vite, les hommes restent farouches, perfides, prêts à la violence, et conservent un regard sombre et inquiet. Citons aussi leur jalousie au sujet des femmes, que l’on cherche toujours à cacher aux yeux des étrangers. Péron rapporte cette particularité assez curieuse d'une troupe de femmes familières avec les voyageurs, mais à condition de rester de côté et à distance. El peint leur crainte et leur effroi en rencontrant leurs maris près des canots. Le rameau polynésien de la race mongole sembie, au con- traire, aller parfois jusqu’à la promiscuité des femmes (4), et partout elles sont offertes avec empressement aux naviga- _ teurs, à leur propre profit et à celui de leurs parents, Ces faits sont d'autant plus remarquables, que les deux races se re- trouvent souvent à de petites distances, et peuvent communi- quer d'îles en îles, sans que les caractères moraux typiques disparaissent. Le point capital, c’est la diversité des populations de la Nouvelle-Hollande et de la Tasmanie. Péron s’en sert pour appuyer l’idée que la séparation de ces deux terres, si elle a eu lieu, est antérieure à l'apparition de l’homme. H a grand soin de faire observer qu'il existe des différences spécifiques (4) Le de Pâques , Lapérouse, — 79 — dans tous les animaux que lui ont fournis ces deux régions. y a donc ià des faits absolument de même ordre que ceux qui motivent l’ancienneté de séparation de Madagascar et du con- tinent africain, si toutefois il y a jamais eu réunion. Il est pro- bable qu’on y trouve le reste d’un ancien et considé] continent. | Péron range au troisième échelon ascendant les Papor la Nouvelle-Guinée, qu’il n’a pu étudier directement. Il: une variété du rameau nègre pélagien, comme les Diémens:s, mais si ces derniers ont paru un peu inférieurs aux Australiens de la Nouvelle-Hollande, les Papous, au contraire, leur sont notablement supérieurs. Ce sont eux qui chassent les brillants Paradisiers, propres à leur île ; ils travaillent grossièrement les métaux, et font un certain commerce. Au quatrième échelon, sont placés les peuples anthropo-. phages de la Nouvelle-Zélande , qui appartiennent aux poly- nésiens, rameau d’une autre race. Le cinquième échelon comprend les peuples du grand Océan-Pacifique , ces insulaires aux belles proportions des îles de la Société, des Marquises, des Navigateurs, si vantés par Bougainville et Cook. Enfin , le sixième échelon ascendant dans la civilisation des peuples océaniques du sud, est formé par les Malais de Ti- mor. Dans cette île, comme dans toutes les Moluques, Péron distingue trois types. À l’intérieur, et refoulés dans les montagnes, au milieu des forêts profondes , sont ces peuples de race nègre, à cheveux laineux et courts, à peau noire, et anthropophages. Péron n’a eu occasion , dans aucune de ses deux relâches, de voir des individus de cette race. Ces peuples paraissent les premiers aborigènes de toutes les îles australes du grand Océan-Paci- fique. On en retrouve quelques tribus, sur le continent, dans RS — 13 — les forêts des montagnes de la presqu'île de Malacca. Ils ten- dent sans cesse à décroître. Telle est l'opinion de Lapérouse : cette race n’a pu subsister qu’au centre des grandes îles et n’a pu rester libre à l’intérieur des îles peu étendues dans les- les a pénétré la race conquérante. | est, en effet, des îles habitées par les polynésiens , où trouve des traces indiquant le séjour plus ancien de la race *e. Suivant Lapérouse, les croisements d'individus de race -.L,re avec les conquérants malais, auraient donné des indi- vidus à peau plus noire que ne l’ont habituellement les Poly- nésiens , et certaines familles sont restées moins mélangées et bien plus noires. Ces peuples ont conservé toute la férocité des peuplades nègres, témoin le massacre des compagnons de Lapérouse, aux îles des Navigateurs. Péron remarque, à Timor, un groupe bien séparé de popu- ation, les colons chinois , négociants rusés, paisibles, intro- duits par le commerce dans les villes des Moluques. Enfin le troisième peuple de Timor, le mieux étudié par Péron, est formé par les Malais, établis depuis bien plus long- temps que les Chinois, et à une époque qui échappe à l’histoire , conquérants farouches et sanguinaires, un peu adoucis par la longue domination des Hollandais et des Portugais. Les Malais de Timor et des Moluques ont les membres peu développés et peu musculeux, sans les avoir aussi faibles que les sauvages de la terre de Diémen et de la Nouvelle-Hollande. Les contours sont adoucis et arrondis ; aussi leur nudité pré- sente un caractère d'élégance que celle des Européens ne sau- rait offrir. Leur peau est d’un rouge de cuivre, leurs cheveux longs, lisses et noirs. Ils habitent des villes ou des villages , sont soumis à des rois, et se livrent à la culture des terres, au soin des troupeaux , à la pêche, au commerce , à la naviga- ion. Dans l’atlas se trouvent représentés (pl. 25 et 26) un Ho — chef malais, assez âgé, aux yeux bridés et obliques, et une jeune fille, de formes bien proportionnées et gracieuses. Les observations anthropologiques de Péron portent, en dernier lieu, sur les indigènes de l'Afrique australe. Un mé- moire fut lu par Péron à l’Institut, en 1805, sur le tablier des femmes Boschismanes, et ce mémoire, dû à la collaboration de Péron et Lesueur, fut destiné à l'insertion dans le Recueil des Savants étrangers, sur le rapport de Cuvier et Labillar- dière. Cette insertion n’eut pas lieu, et il ne resta de ce travail que l'extrait publié par M. Freycinet, dans le second volume du Voyage, et quelques indications dans les revues du temps (1). Péron chercha à mettre fin aux divergences d'opinion tou- chant les populations des environs du Cap. Il reconnut qu’il existe au Cap deux variétés distinctes de la race nègre : 4° les Hottentots, sans difformité de l'appareil uro-génital ; 2° les Boschismans des colons hollandais et du voyageur anglais Bar- row, dont la description se rapporte identiquement aux Hou- zouanas ou Houzevaanas de Levaillant. | Ce fait anthropologique important, énoncé par Péron, explique les contradictions des précédents voyageurs qui mé- connurent ces deux variétés différentes, quoique voisines , et dès lors, ne pouvaient s'entendre sur les caractères qui les distinguent. Tant qu’on s’obstina à les rapporter à un rameau humain identique, ce ne fut qu’une suite d’affirmations ou de uégations , suivant que les sujets d'étude avaient été des Bos- chismans ou des Hottentots. L'existence des Boschismans, comme peuple, est parfaite- ment constatée. et ils forment une variété distincte des Hot- (4) Revue philos. , n° 29, du 40 Floréal an XIE, ou 30 avril 1805 , page 197 du volume. — Magasin encycl., 1805, tome IET, page 195, ie, temtots, bien que leur tenant d'assez près, et ne faisant qu'exagérer leurs caractères. On trouve réunis chez eux des détails de structure propres aux nègres du centre de l’Afri- que, et aux variétés de la race Mongole du nord de l'Asie. Lesecond volume du Voyageaux Terres australes, rédigésur les notes de Péron, nous présente , sur ce sujet, de curieuses observations dues au voyageur anglais Barrow, et à M. Jans- sens, gouverneur hollandais du Cap, qui les avait recueillies lors d’une tournée d'exploration dans la colonie. Ces dernieres sont consignées en détail dans le voyage de M. Lichtenstein. Le nom de Boschismans ou Bojesmans signifie Aommes de buissons, à cause des sortes de nids qu’ils se font dans les touf- fes de broussailles. Ils habitent au nord des grands Karoos ou plateaux qui entourent la colonie du Cap, bien distincts des tribus de fottentots et de Cafres, dans le pays de Camdebo et les montagnes de neïge, que les colons hollandais ont dû leur abandonner. Cette variété humaine occupe presque toute la largeur de l'Afrique australe, à l’est comme à l’ouest du pays des Cafres, et remonte probablement fort avant dans le nord. Ils font sans doute partie de ces variétés anthropophages, habitant les creux des rochers, que signale Prichard dans l’intérieur de l'Afrique. Ils ont laissé de curieuses traces d’une sorte d'écriture très grossière sur les parois de l’intérieur des ca- vernes où ils se retiraient avant les invasions européennes. Les individus de ces peuplades; qui ont été attirés au sud , près des limites de la colonie, par le désir du butin, mènent la vie la plus misérable , périssent souvent de faim, et offrent fréquemment dans leur corps, chétif et rabougri, cette horri- ble maigreur des nègres pélagiens et australiens. Agiles, fé- roces, farouches, très courageux et sans doute aussi anthro- pophages, comme presque toutes les variétés de la race nègre. PR UE ils sont redoutés des colons. Ils vivent en petites troupes et non en corps de nation, pillant les colons hollandais et les Cafres et traités à leur tour par leurs voisins, non comme des. créatures humaines, mais comme des animaux féroces. Ils ne cultivent pas la terre, et n’ont que le chien pour animal do- mestique. Pour tout vêtement, ils portent de petites peaux crasseuses. [ls n’ont ni huttes ni ustensiles , fabriquent seu- lement quelques filets pour la pêche. Leurs armes sont de petits arcs et de légères flèches empoisonnées. Leur tir est très Juste et leur vue excellente. Leur nourriture ordinaire est misérable, peu assurée, avec cette alternative de disettes et d'orgies que présentent toutes ces variétés dégradées, étudiées par Péron. Leur vocabulaire est très restreint, vu le petit nombre de leurs idées; les sons ne peuvent s’écrire. C’est un claquement continuel de la langue, comme celui que font en- tendre certains gourmets en dégusiant le vin. Ils sont très avides de tabac et fument une sorte de chanvre étourdissant, dans des pipes faites d’os d’antilope. Les colons et les Cafres organisent souvent des battues sur ces malheureux et tuent, sans pitié ni remords, tous ceux qui leur tombent sous la main. É | Ne rencontrons-nous pas encore ici, une fois de plus, la confirmation de ces idées de Péron, que l'absence de civili- sation, les mauvais traitements , bien plutôt qu’une organisa- tion particulière, amènent la misère et la férocité de l’homme ? Les Boschismans forment une variété assez voisine de celle de la Nouvelle-Hollande, mais un peu plus élevée dans l'échelle sociale, en ce qu'ils résistent mieux à l'approche des races civilisées , ont des armes meilleures, et paraissent plus suscepti- bles d’être apprivoisés. En effet, les fermiers hollandaïs ont cap- turé de jeunes enfants, quisont devenusde très bons gardiens de troupeaux. M. Janssenseneutun très intelligent ettrès attaché. er ONE D’après Prichard, les mêmes causes ont produit les mêmes effets sur les Hottentots, variété voisine des Boschismans. Avant l'établissement des colons, les Hottentots étaient un peuple doux et possesseur de troupeaux. Ceux qui ont été traqués sont devenus analogues aux Boschismans, dès qu’ils ont été réduits à mener une vie errante et à se nourrir de rep- tiles et de fourmis. On a vu, par contre, quelques peuplades boschismanes , moins inquiétées, avoir des troupeaux. Nous trouvons une excellente description physique des Boschismans, outre les sources déjà indiquées, dans les ex- traits faits par Freycinet des notes de Péron, et surtout dans le beau travail de Cuvier (1). Les Boschismans sont souvent appelés, au Cap, Hottentots chinois, vu la couleur bien plus claire et jaunâtre de la peau, et le peu d’ouverture de leurs paupières, à coins externes ar- rondis par la tension que cause à la peau la saillie des pom- mettes. Leur taille est très petite , cinq pieds chez les plus grands ; en général, quatre pieds six pouces chez les hommes ; quatre pieds chez les femmes. | _ En 1804, un de ces Boschismans fut envoyé par son père à M. Janssens, sous la seule promesse de le nourrir ; et en 1807, il fut amené à Paris. Au rapport de M. Cuvier, l'enfant, âgé de douze à treize ans, était d’une très petite taille pour son âge, et tout-à-fait semblable, pour les traits, à la femme venue en France en 1814, âgée de vingt-six ans, et qui mourut après dix-huit mois de séjour à Paris, d’une affection inflammatoire et éruptive, aggravée par des excès de boisson. On remarquait d’abord l'énorme protubérance des fesses, (1) Extrait d'observations faites sur le cadavre d’une femme connue à Paris et à Londres sous le nom de Vénus hottentote, par G. Cuvier. — Mémoires du Muséum, tome 3, page 259. PUS. et la figure d'apparence brutale, avec l'habitude de faire saillir les lèvres, comme l’orang-outan , et des mouvements qui avaient quelque chose de brusque et de capricieux, à la ma- nière du singe. Cette femme était d'une hauteur très grande pour sa race, quatre pieds six pouces sept lignes ; cela était dû probablement à ce que, amenée jeune au Cap, elle avait été bien nourrie. La variété boschismane présente les cheveux laineux très crépus et très courts, le nez plus écrasé que chez les Hot- tentots, et les narines n'ayant que cinq à six lignes de saillie , ce qui rend le profil analogue à celui des singes. Le visage de la femme observée par Cuvier tenait en partie du nègre, par la saillie des mâchoires , la grosseur des lèvres, l’obli- quité des incisives: en partie da Mongol, par l'énorme gros- seur des pommettes , l’aplatissement de la base du nez, de la partie du front et des arcades sourcilièrés qui l’avoisinent. Les cheveux étaient noirs et laineux, la fente des yeux horizontale et non oblique, comme chez les Mongols, les arcades sourci- lières rectilignes, très aplaties vers le nez et fort écartées l’une de l’autre, très saillantes vers la tempe et au-dessus de la pommette. Ses yeux étaient noirs et vifs, ses lèvres un peu noirâtres , monstrueusement renflées, son teint fort basané. Son oreille avait du rapport avec celle de l’orang-outan par sa petitesse, la faiblesse du tragus, et le bord externe presque effacé à la partie postérieure. La largeur des hanches dépas- sait dix-huit pouces ; le ventre n’avait pas une forte saillie , bien qu’elle eût eu deux enfants ; les épaules, le dos, le haut de la poitrine avaient de la grâce; les bras, un peu grêles, étaient bien faits ; les mains et les pieds petits et très gracieux; les genoux étaient gros, ce qui fut reconnu, après la dissec- tion, être dû à des masses de graisse du côté interne. La courbure inférieure de l’épine dorsale et la saillie des A) eut parties postérieures sont les caractères des Hottentots, exa- gérés chez les Boschismans, surtout pour les femmes. De la gorge au genou , leur corps, de profil, se dessine comme la lettre S. Chez une femme mesurée par Barrow, les parties postérieures se projetaient à cinq pouces et demi en dehors de l’épine du dos, et cette exubérance produisait, lorsque mar- chait cette femme, l'effet de deux masses de gelée tremblante placées en cet endroit. Les femmes vues par M. Janssens, dans son expédition, avaient toutes des fesses monstrueuses, et des enfants montés à califourchon sur cette croupe s’y te- naient droits, pendant que les mères marchaient. M. Janssens a reconnu , et ce fait est important, que, contrairement à l'opinion commune, les hommes de cette variété offrent aussi la croupe proéminente quoique d’une manière beaucoup moins prononcée que les femmes. Sur ce squelette, de même que sur celui d’une femme Guanche, existait un trou dans la fosse olécranienne du cu- bitus (1). Quant à la tête osseuse, Cuvier ne vit aucune tête humaine plus rapprochée du singe, avec une combinaison frappante des caractères exagérés du nègre et du Kalmouk. Le trou occipital est plus ample que dans les autres crânes humains ; ce qui doit correspondre à un ventricule du cer- velet très étendu dans la moëlle allongée et même communi- quant à un très étroit canalicule au centre de la moëlle épi- nière : autre rapprochement avec les animaux. Rien de plus curieux donc que cette variété humaine spécifiée par Péron, quioffreles caractères d’animalité les plus marqués, tout en restant dans le règne humain, c’est-à-dire profondé- ment séparée du règne animal. Les recherches anthropologiques de Péron, outre un certain (1) Caractère peu important pouvant appartenir à diverses races. ee nombre de faits disséminés dans la relation du voyage, sont principalement contenues dans un mémoire célèbre rappelé par tous les historiographes des expéditions aux mers du Sud (1). Dans ce beau travail, Péron débute par réfuter les opinions récentes encore de quelques hommes illustres qui , entraînés par. une imagination ardente, aigris par des malheurs inséparables de notre organisation sociale, vantèrent les avan- tages séduisants de l’état de nature, où ils voyaient la source du bonheur et l'application des principes de la vertu. Ils avaient insisté surtout et constamment sur la force physique, produit et compagne d’une santé vigoureuse. Il est curieux de voir Péron anéantir ainsi, résolument et du premier coup, ses il- lusions de jeune homme , et accepter franchement le démenti de l'expérience. Les premières tentatives faites pour apprécier la force hu- maine, ne peuvent fournir que des données incomplètes. On répartissait des poids sur toutes les parties d’un homme de- bout , sans en surcharger aucune, et on put aller jusqu’à des fardeaux de deux milliers. L'idée des recherches de Péron paraît puisée, comme il le dit, dans le beau mémoire présenté par Coulomb en l’an VI, à l’Institut, et dont l’objet était de déterminer la quantité d’action journalière que les hommes (Français) peuvent fournir par leur travail particulier, sui- vant les différentes manières dont ils emploient leurs forces. Coulomb avait indiqué la nécessité d'expériences analogues à faire sur les autres peuples, afin d'étudier comment les climats et la nature des aliments modifient les forces musculaires. Péron , le premier, répond à cette importante question , et le (1) Expériences sur la force physique de peuples sauvages de la terre de Diémen, de la Nouvelle-Hollande et des habitants de Timor. — Voyage, 4% vol., 446.— Notice de M. Kéraudren sur ce mémoire, Bulletin des Sciences médicales, tome 2, page 385, — 1808. sat ES El premier aussi, porte au-delà des mers, dans Fhémisphère austral, le dynamomètre de Régnier, instrument précieux, en ce que, s’il ne peut donnér un terme précis de la force abso- lue, il fournit des approximations comparables entre elles. Les tableaux d'expériences relevés par Péron indiquent la force des mains en kilogrammes et celle de la région rénale en myriagrammes (1). En outre, l’âge de chaque expérimen- tateur est noté, et dans les tableaux relatifs aux Anglais et aux Français, mention est faite de la profession, élément de varia- tion des forces physiques chez les peuples civilisés. Les expériences sur les habitants de la terre de Diémen ne sont pas très nombreuses. Leurs agressions perfides, leur fa- rouche inquiétude rendent très difficiles les essais dynamo- métriques. Les données sont incomplètes ; aucun n’a voulu essayer sa force rénale. Les douze sujets choisis étaient de dix-huit à quarante ans, c’est-à-dire dans la plénitude de la force, et toutefois, pour les mains, jamais l'aiguille ne dépassa 60, et 50 kil. 6 est le terme moyen de la force. Le plus ro- buste de la tribu est terrassé plusieurs fois de suite, avec la plus grande facilité, par un des jeunes officiers (2). Péron lui-même, quoique faible de complexion, l'emporte aisément, dans une épreuve sur la force du poignet avec les naturels trouvés à l’île Maria. Pour les peuples de la Nouvelle-Hollande , dix-sept hom- mes se sont soumis aux épreuvres du dynamomètre , parmi lesquels quatorze de dix-huit à quarante ans, c’est-à-dire , dans l’âge du plus grand développement de la force muscu- (1) On sait qu’une force est dite de 1, 2, 3... kilogr. lorsqu'elle produit, ap- pliquée au ressort du dynamomètre, une déviation de l'aiguille égale à celle produite par la suspension d’un poids de 4, 2, 3... kilogr., sans vitesse acquise. (2) A la fin de l’entrevue, par une lâche vengeance, cet officier fut atteint à l'épaule d’un coup de sagaie. ne @ RS ER laire. Cependant, sauf un ou deux qui relèvent la moyenne générale, la plupartont paru d’une faiblesse extrême. Le nom- bre moyen qui exprime la force des mains, 51 kil. 8, diffère à peine du résultat précédent ; celui de la force rénale est 10 myriag. 2 (1). Pour les Malais, Péron a expérimenté sur les naturels de Timor et de quelques iles voisines, Rotti, Sabou, Soumbava, Simao, Macassar, Endé, Solor et Java, placées dans les mêmes circonstances, sous le rapport de l'alimentation et du climat. De plus, ses tableaux comprennent quelques Chinois appar- tenant à la même race, quoique d’un rameau différent, et qui, üixés dans l’île depuis des siècles, ont adopté exactement le régime des Malais. Dans les tableaux, figurent cinquante-six individus de cette race. Par rapport à la différence des âges, on observe que la force devient presque double de dix-huit à trente ans ; qu'elle augmente très peu de trente à quarante ; qu’elle diminue presque graduellement de quarante à cin- quante, et de cinquante à soixante ans. La moyenne n’a été prise que sur les sujets de dix-huit à quarante ans, comme pour les autres races. | Ilest constaté, pour les Malais de Timor, qu'aucun indi- vidu n’a fait preuve de cette vigueur remarquable qu’on ob- serve assez souvent parmi les Européens ; que presque tous se sont montrés très faibles ; que la moyenne de la force des mains est de 58 kil. 7, et celle de la force rénale, 44 myr. 6; qu'ils sont beaucoup plus faibles, sous l’un et l’autre rapport, que les Français et les Anglais. | Notre auteur remarque , avec une grande justesse, que, (1) Ce résultat, ainsi que les autres sur la force rénale, n’est pas de Péron. Il a été corrigé par M. Freycinet, le continuateur de ia relation du voyage. Il y avait eu, de la part de Péron, une erreur de lecture dans toutes les expérien- ces relatives à la force des reins. 763 chez les peuples sauvages où peu civilisés dont on vient de parler, les observations dynamométriques offrent un caractère de rigueur et de généralité qu'on ne saurait jamais leur don- ner au milieu de nos sociétés européennes, vu la diversité des professions actives ou sédentaires, la différence des ali- ments, l'habitude, si variable suivant la condition, de faire agir les muscles. Au contraire , les peuplades de la terre de Diémen et de la Nouvelle-Hollande comptent chacune à peine une centaine d'individus, et la plupart en ont moins de cin- quante. Ici, toute différence de conditions, d'exercice, d’ali- ments est inconnue ; tous les individus, ayant les mêmes be- soins et les mêmes ressources, ont les mêmes travaux à sup- porter, les mêmes privations à subir, les mêmes jouissances à partager. Aussi un petit nombre d'observations permet d’ar- river à un résultat qu'on peut donner comme général, et for- mant un bon caractère du rameau humain dont il est question. Au contraire , il faudrait plusieurs milliers d'observations pour donner un résultat moyen, caractéristique de la force musculaire des nations française et anglaise. Le peu d’expé- riences faites sur les individus de ces deux nations ne permet de tirer aucune conclusion générale ; il sert seulement d'échelle de comparaison pour les résultats précédents. Il n’y avait, du reste, dans l'espèce, aucune comparabilité possible entre les Français des équipages, affaiblis par les ma- ladies et une alimentation détestable, et les Anglais de Port- Jackson, acclimatés et bien nourris. La moyenne des expérien- ces sur dix-sept Français a donné 69 kil. 2 pour la force ma- nuelle, et 15 myr. 2 pour la force de la région rénale ; celle des expériences sur quatorze Anglais donne 71 kil. 4 pour les mains, et 16 myr. â pour la force de traction de la région lombaire. Les expériences n'ont pu être reprises sur les naturels du Cap de Bonne-Espérance, car Péron avait laissé son dynamo- ONE mètre à l'ile de France, dans l’espoir qu'il servirait à exécu- ter des séries comparatives d'épreuves sur les esclaves de variétés si diverses qui présentaient, rassemblés dans un seul lieu, des sujets d'étude empruntés à toutes les nations du con- tinent africain. Une partie hon moins importante du mémoire est l'examen des causes présumées de la faiblesse des populations de Océa- nie, soumises au dynamomètre. À Timor, se trouvent réunies les productions végétales les plus variées, le riz, la patate, l’igname, le manioc. Autour des cases des Malais indolents, pullulent les poules, les ca- nards, les porcs, les chèvres, les moutons, les bufiles, les che- vaux, etc. ; les forêts sont remplies des mêmes espèces rede- venues sauvages. Les roussettes, grandes chauves-souris fru- givores, leur offrent leur chair exquise et délicate. Les riviè- res sont peuplées de poissons savoureux. La mer, surtout , fournit à ces peuples une nourriture inépuisable. Sur ses ri- vages, entre les creux des rochers madréporiques, elle aban- donne une foule de poissons, de crustacés, de mollusques, d’oursins, d’holothuries. On n’a que la peine de les ramasser dans ces petits lacs trompeurs où le flot les a déposés. Cette abondance de biens amène l’apathie du Malais, son aversion pour le travail et la fatigue. L’ homme libre demeure accroupi sur ses talons, à l’ombre d’un arbre, mâche du bétel, boit du calou, fait trois ou quatre repas, touche d’une sorte de guitare faconnée avec une feuille de latanier et un cylindre de bambou, dort à diverses reprises, le jour comme la nuit ; son travail se borne à tresser quelques nattes ; il se baigne, il se frictionne d'huile de coco. Quant aux esclaves, ils sont si nombreux dans chaque maison , et exécutent si lentement le peu d'ouvrage auquel chacun est assujetti, qu’ils sont presque aussi oisifs que leurs maîtres. sci gt 20 bent ONE NE La température chaude et humide de l'île de Timor Joint son action incessante à l’absence d'exercice musculaire, pour débiliter les Malais. Il est vrai qu’une hygiène, enseignée par une longue expérience , combat sans cesse les effets de cette température; mais ces moyens préservatifs attestent juste- ment une cause puissante d’affaiblissement général, dont l’ef- jet ne saurait être parfaitement neutralisé. Péron cite, à l’ap- pui de cette opinion, le témoignage de Coulomb, qui recon - nut, en faisant travailler des troupes à la Martinique, que les hommes inondés de sueur ne sont pas capables de la moitié de la quantité d'action obtenue en France dans les mêmes travaux. On ne doit donc pas s’étonner de la débilité musculaire de ces peuples. La force des mains et des reins est un peu plus considérable chez eux que chez les tribus précédentes, par cela seul que , plus civilisés, ils sont mieux nourris et sous- traits aux alternatives continuelles de disette et d’abondance : mais ils sont bien plus faibles, sous l’un et l’autre rapport, que les Européens. | Par un douloureux contraste, les habitants de la terre de Diémen et de la Nouvelle-Hollande sont comme exilés sur une terre ingrate. Rien n’égale l’aridité de cette longue suite de côtes que parcourent les navires de l'expédition. L'eau douce manque presque toujours ; les habitants sont réduits à quelques trous pleins d’eau saumâtre provenant des pluies et imprégnée des matières salines du sol ; ils l’aspirent avec des tiges creuses d’une sorte de céleri sauvage. Il paraît même que, sur les points les plus désolés , à la presqu'île Péron, les naturels sont contraints, comme nous l'avons déjà fait re- marquer, de boire l’eau de mer. Le règne végétal, si riche dans les îles malaises et polynésiennes, ne renferme, au con-. traire, dans les plantes indigènes de l'Australie, aucun fruit PR 00 propre à la nourriture de l’homme, et sans doute aussi des frugivores, car les singes manquent complétement sur le con- tinent australien. L'homme ne peut trouver, pour son alimen- tation , que des racines de fougère et quelques bulbes d’or- chidées. Les animaux à chair savoureuse, le kanguroo, le ca- soar, le wombat, sont extrêmement rares sur les côtes, où les chasses continuelles et le défaut d’eau douce sont un obs- tacle à leur reproduction. [ls n'existent en abondance que dans les nombreux petits archipels de la côte, où les naturels ne peuvent se transporter sur leurs grossiers canots. Les pê- ches ont de fréquentes interruptions, à la Nouvelle-Foliande, par suite des orages désastreux de ses rivages ; à l’île de Dié- men, à cause des rigueurs de l’hiver austral , par suite enfin de l’émigration du poisson, dans certaines saisons. Les misérables peuplades de l’Australie sont réduites, dans leurs fréquentes disettes, à la plus affreuse nourriture , les lézards, les araignées, les chenilles, les fourmis et leurs larves écrasées et pétries en boule avec des racines de fougère. On a vu ces malheureux, d’une maigreur incroyable , obligés de paître l'herbe et de ronger les écorces des arbres. Péron rap- : porte la voracité avec laquelle ils se jetaient sur les débris rebutants des aliments des matelots ; leur joie quand on leur abandonnait des biscuits avariés remplis de poussière et d’in- sectes. [1 ne raconte pas, du reste, leur avoir vu manger de la terre, comme on l’aflirme des naturels de la nouvelle Ca- lédonie, île dont certaines parties septentrionales sont d’une grande aridité. Des récits bien plus anciens font mention de peuplades caraïbes qui, par l’ingestion de boulettes de terre grasse, trouvaient moyen de tromper quelque temps leur faim. Les naturels dégradés de l'Australie ont, pour préoccupa- tion unique, la recherche de leur nourriture ; de là des MAR ne courses longues , pénibles, des jeünes de plusieurs Jours , avant de rencontrer une proie; puis une voracilé affreuse , suivie de la torpeur et du repos bestial. Les enfants trop jeu- nes sont mis à mort ,si leur mère a succombé, et Péron rap- porte en frémissant l’horrible coutume des mères écrasant parfois sous des pierres le corps de leur nouveau-né, si elles se voient trop tôt contraintes par les besoins de leur peuplade à des courses au-dessus de leurs forces, et qui doivent leur ôter tout moyeu de le nourrir (1). Les mêmes motifs, on le sait, amènent certaines tribus des forêts de l'Amérique du Sud à des avortements volontaires. On pourrait prendre, au premier abord , l'émaciation des exirémités pour un caractère typique de ces variétés humai- nes ; mais il est préférable de l’attribuer, avec Péron, à la ra- reté et à la mauvaise qualité des aliments. De là résulterait une sorte d'habitude musculaire, transmise par une longue suite de générations, les mêmes causes perpétuant et exagérant peu à peu les mêmes effets. Ce fait n'est en aucune façon particulier aux variétés nè- gres de l'Océanie. D’une part, on rencontre, aux îles Fidgi, aux nouvelles Hébrides, etc., des nègres océaniens développés dans de belles proportions ; et, à la Terre de Feu, d'autre part, les misérables Pescherais, appartenant à une autre race, ont offert au plus haut degré la maigreur des membres. « Leurs » épaules, dit Forster, et leur estomac sont larges et osseux ; » le reste de leur corps est si mince et si grêle, qu’en en (1) A la Nouvelle-Hollande, quand une femme accouche de deux enfants, mâles ou femelles, le plus faible et le moins pesant des deux est aussitôt étouffé par sa mère; si, des deux individus naissants, l’un est mâle et l’autre femelle, cette dernière seule est mise à mort, el le garçon est conservé. (Ob- servation indiquée à Péron par M. Leschenault, et confirmée par les rensei- gnements pris à Port-Jackson.) RE » voyant séparément les diverses parties, nous ne pouvions » nous persuader qu'elles appartinssent aux mêmes indivi- » dus. » (Cook, 2° voy., t. VIIT, p. 34.) Ce qui n’était, pour Péron, qu’une conjecture très vrai- semblable est devenu une réalité par suite des observations faites sur quelques femmes de la variété nègre australienne qui cohabitent depuis assez longtemps avec des baleiniers ou des pêcheurs de phoques attachés à des stations fixes. Sous l'influence d’une meilleure nourriture, elles ont acquis des proportions muscalaires plus régulières (1). En dernière analyse, si, comme nous l'avons dit, l’insuffi- sance et la mauvaise qualité des aliments ; si, de plus, les fa- tigues continuelles, indispensables pour les obtenir, peuvent être considérées comme les causes essentielles de Ia débilité- des peuples de la Tasmanie et de la Nouvelle-Holiande , ces causes ne sont-elles pas elles-mêmes le résultat d’une cause première , la conséquence nécessaire de l’état sauvage dans lequel végètent ces malheureuses peuplades ? Üne page admirable par l'élévation des sentiments et la richesse du style est celle où Péron examine l'hypothèse gé- néreuse qui les élèverait de quelques degrès dans l'échelle de la civilisation. Rien ne saurait ici remplacer une citation tex- tuelle (2). « SUPPosons , pour un instant, que ces enfants déshérités » de la nature viennent à déposer leurs mœurs féroces et va- » gabondes, supposons que , réunis en tribus plus nombreu- » ses, ils se rassemblent dans des villages ; que tous ensemble » conviennent de mettre un terme à ces guerres éternelles et » Sanguinaires qui dévorent la population ; supposons que le (1) Jacquinot-thèse, 1848. (2) Voyage aux Terres Australes, 1° vol., p. 466. 650 PSE droit de propriété vienne exciter au milieu d'eux une heu- reuse émulation ; que la violence et la force de l'individu , réprimées par la force de tous, aient cessé d’être l'unique règle de la conduite de chacun ; en un mot, supposons-les pour un instant au même degré de civilisation que les Kamischadales ou les Samoïèdes, ce n’est pas beaucoup exiger sans doute, et cependant de quels changements heu- reux cette seule différence d'organisation sociale ne va-t- elle pas devenir le principe ! Combien les ressources de l’homme ne vont-elles pas se multiplier ! Combien ne va-t- il pas se trouver loin de ce dénuement déplorable dans le- quel il traîne maintenant sa précaire existence ! Déjà, ne croit-on pas voir les diverses espèces de Kanguroos, deve- nues domestiques, pulluler autour de sa cabane ! Le casoar, qui, plus facilement encore, se prête aux soins de l’homme, va lui présenter journellement sa chair abondante et déli- cate, ses œufs volumineux et de très bon goût. Le cygne noir multipliera dans toutes les pièces d’eau voisines. Le beau faisan à queue de lyre, le superbe Menura des monta- gnes Bleues, annoncept assez, par la famille à laquelle ils ap- _partiengent, de quels avantages il#pourraigsft payer les soins de l’homme. Bientôt ses arts, perfectionnés par le loisir, et surtout par cette heureuse communauté d’idées et d’efforts que la société seule rend possible, vont lui fournir des ins- >» truments de pêche plus variés, plas parfaits. Avec beaucoup moins de temps, avec beaucoup moins de peine, il obtiendra de ses rivages des produits plus abondants. Alors aussi son canot, mieux travaillé, lui permettra d'étendre sa naviga- tion ; les îles voisines ne lui seront plus étrangères ; les in- nombrables légions de manchots et de phoques qui les peu- plent seront pour lui une proie aussi facile qu’inépuisable : leur huile va donner une nouvelle saveur. à ses aliments, AD » leurs fourrures, un abri puissant contre les vicissitudes de » l'atmosphère ; la belle oie du détroit de Bass sera bientôt » réunie dans sa basse-cour. De ces mêmes îles, il rapportera » le wombat ou phascolome , cet animal singulier, désagréa- » ble à la vue, mais dont la chair est si délicate, et que nous » avons trouyé nous-mêmes aussi familier qu’un chien, chez » les pêcheurs anglais. Le kanguroo gris, dont la chair est » préférable à celle du géant, sera l’une des précieuses ac- » quisitions que l’homme pourra faire encore dans ces îles. » Péron termine son mémoire par de nombreux extraits des voyageurs précédents. À cette occasion, sa profonde érudition lui fournit un excellent argument à l’appui de cette idée, que l’état sauvage est la cause première de la faiblesse physique de l’homme. Suivant les récits des anciens historiens espa- gnols, les habitants des vastes régions de l'Amérique, lors de la découverte, étaient d’une grande débilité musculaire. C'est là une des causes expliquant la dépopulation effroyable qui suivit la conquête, surtout lorsque les malheureux indigènes passèrent de leur vie molle et oisive aux rudes travaux des mines, sous le fouet des vainqueurs. Les mêmes résultats découlent des observations de ons. rouse sur les habitants de la Nouvelle-Californie, et même sur les Chiliens ; de Cook, sur les peuples de l’île de Pâques, de l'île des Lépreux, de la Nouvelle-Zélande, etc. ; de d’'Entre- casteaux, sur les Taïtiens, malgré leurs belles proportions ; de Jacques Lemaire, sur la variété nègre pélagienne de la Nouvelle-Guinée, de même race, quoique d’un état social su- périeur à celui des misérables peuplades étudiées par Péron. Ainsi ses travaux partiels se lient à un vaste ensemble. Ils embrassent non seulement toutes les îles de la mer Pacifique et comprennent des hommes de deux races, mongolique et nègre, mais peuvent encore être regardés comme l’histoire gé- Br At ue nérale du sauvage sur tout le globe. Aux populations éteintes se réunissent celles qui traînent encore leur misérable exis- tence , refoulées sans relâche, comme par une loi providen- tielle, devant l'expansion, toujours triomphante, des races ci-_ vilisées. La débilité physique et l’émaciation des membres ne sont donc pas un caractère typique d’une race humaine, mais le résultat forcé du régime. Chez les peuples policés , une ali- mentation réglée et un travail continu, sans être excessif, ame- nent les muscles à des dimensions régulières et proportion- nées. Ne voit-on pas, au reste, chez nous, les enfants mal nourris, ou de sang héréditairement affaibli par laffection scrofuleuse, présenter des membres grêles et un ventre gros et ballonné. Que deviennent les déclamations des sophistes ? que penser de cette prétendue force de l’homme sauvage préférée avec tant d’ostentation, et on peut dire d’ingratitude, aux avanta- ges de l’ordre social ? Comme le remarque M. Kéraudren, les dernières lignes du mémoire font autant d'honneur à la justesse qu’à la sévérité du jugement de son auteur, en ce qu’elles ne prétendent pas àa des conclusions trop générales : « Il me suffit d’avoir, le » premier en ce genre, ouvert la carrière de l'observation, » et d’avoir opposé des expériences directes, des faits nom- » breux, à cette opinion trop communément admise, trop » dangereuse peut-être, et très certainement trop exclusive, » de la dégénération physique de l’homme par le perfection- » nement de la civilisation. » Pour achever ce qui regarde l'anthropologie, nous trou- vons , dans les écrits de Péron , un certain ordre de faits qui paraissent dans leur ensemble comme des indices de la com- mune origine de toutes les branches du tronc humain: ce sont 21009 22 ces caractères grossiers, premiers rudiments de l'écriture, ser- vant aux peuples primitifs à se communiquer quelques signaux, à garder quelques traces commémoratives de leur histoire. Sur la terre de Leuwin, dans une sorte d’enclos d'arbres à tronc blanc (melaleuca dont le liber est blanc) dépouillés de leur écorce par les naturels, étaient trois enceintes semi- circulaires de gazon et de sable, séparées par des jones ali- gnés et coupés, et tournant leur concavité vers le rivage. La plus interne formait un banc de gazon avec des siéges mar- qués pour vingt-sept individus. La plus externe présentait sa surface plantée de jones brûlés jusqu’au niveau du sol, et dis- posés de manière à dessiner des figures bizarres, des trian- gles, des lozanges, des polygones irréguliers, quelques paral- lélogrammes, peu de carrés et pas de cercles. Péron signale l’analogie de ces essais primitifs avec les ca- ractères runiques des anciens peuples du nord de l’Europe, tra- cés sur la terre, l’écorce des arbres et des rochers ; il rappelle les hiéroglyphes mexicains, dont plusieurs n’offrent également que des figures à peine ébauchées de cercles, de carrés, de parallélogrammes ; il mentionne les dessins grotesques trou- vés par le capitaine Philipp sur les rochers et les troncs d’ar- bres de la Nouvelle-Hollande ; les dessins qu’à l'extrémité australe de l’Afrique, les Boschismans ont pour habitude de graver dans le fond des cavernes ; enfin les dessins, plus par- faits et plus anciens, que présentent en plusieurs endroits les rochers de l’île de Ceylan, monuments d’un peuple qui paraît ne plus exister. RECHERCHES SUR LES ANIMAUX VERTÉBRÉS. Nous ne possédons, pour cette portion de notre compte- rendu, qu’un petit nombre de mémoires de Péron, et des ci- a Are DATE tations disséminées dans la relation du voyage. C’est en com- pulsant les mémoires des savants contemporains auxquels Péron a fourni les matériaux de leur travail, et en visitant les galeries du Muséum, que nous avons pu joindre un cértain nombre d'espèces à celles que fournissent, comme source di- recte, les écrits de Péron (1). | | Le Géographe n'avait pas conservé beaucoup d'animaux vivants de la Nouvelle-Hollande ; mais des animaux en plus grande quantité furent ajoutés au retour, soit donnés an Cap par le gouverneur hollandais, M. Janssens, soit acquis à l'Ile- de-France, et souvent des propres deniers de Péron. La Nouvelle-Hollande, comme on le sait, d’après la nature de ses végétaux, n'avait pu fournir de singes à Péron, les Pri- mates n’y étant représentés par aucune espèce. [Il ramena vi- vants deux singes de l’intérieur de l'Afrique, et quelques ani- maux de cette grande famille des lémuridés, parallèle à celle des singes, et provenant de Madagascar. Cette famille, nota- blement inférieure aux singes par le museau allongé comme chez les renards, le cervelet imparfaitement recouvert, et le second doigt du pied postérieur à ongle de carnassier, était représentée, dans la collection de Péron, par cinq individus vivants. Il y avait trois varis {lemur macaco, Linn.), à pelage varié de grandes taches noires et blanches, et deux #7ongous, (lemur mongos, Linn.), à pelage gris en dessus, blanc en dessous, à pieds et à mains de couleur brune. Les cheiroptères présentent une grande famille dont la clas- sification a été aidée par les espèces nombreuses et remar- (4) Je dois, ici, adresser tous mes remerciements à l'extrême obligeance de M. Florent Prévost. Grâce à lui, j'ai pu relever avec le plus grand soin les mar- Supiaux qui proviennent de Péron et Lesueur. Je ne dois pas oublier non plus la complaisance de M. Poortman. ER Qu quables dues à Péron (1). Ge sont les roussettes où ptéropo- dés, ces grandes chauves-souris des Moluques, d’une enver- gure considérable, à oreilles courtes et coniques , à doigt -in- dicateur de laîle, toujours pourvu de la troisième phalange, la phalange unguéale. Les molaires de ces grandes espèces, au lieu d’être hérissées de rangées de tubercules coniques , comme cela a lieu dans les chauves-souris d'Europe, ont une couronne allongée , lisse et revêtue sur les bords latéraux, surtout le bord externe, d’une crête plus ou moins apparente, type intermédiaire , comme le remarque M. Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, entre les caruassiers et les herbivores, et qu’on ne retrouve chez aucun autre mammifère. Les roussettes, en effet, sont frugivores, se nourrissent principalement de fruits pulpeux, comme les bananes, et même de fleurs, et acciden- tellement d'insectes, peut-être de chair. L'insertion des mem- branes alaires a lieu, non sur les flancs, mais sur le dos; la membrane inter-fémorale est ou peu étendue, ou rudimentaire et sans usage. ' Péron avait rapporté la grande roussette , le vampire de Linné (les vampiridés actuels sont américains ) , mesurant jusqu’à cinq pieds d'envergure. Péron l'appelle péeropus edu- lis, nom conservé par Étienne Geoffroy Saint-Hilaire , parce que les Malais recherchent la chair de ces animaux, malgré l'odeur fortement musquée dont elle est imprégnée. Ils les chassent au moyen d’un sac attaché à une longue perche. La roussette grise (pteropus griseus) a été découverte à Ti- mor par Péron et Lesneur. Le pelage est d’un gris roussàtre. Les individus rapportés étaient au nombre de deux, un mâle et une femelle : cette dernière avec de longues tétines pecto- rales. (4) Geoffroy-Saint-Hilaire, Mémoire, ele. ; — Ann. du Mus., & XV, p. 86. SAP is Les deux espèces appartiennent aux roussettes dépourvues de queue, et chez lesquelles la boîte cérébrale est séparée de la face par un retrécissement considérable qui n'existe pas chez les roussettes pourvues de queue. La roussette paillée de Timor, rapportée par Péron, a le poil d’un jaune paille ; la queue ne paraît que sous la forme d’un petit tubercule. La roussette amplexicaude ( pteropus amplexicaudatus ), découverte par Péron et Lesueur à Timor, est une des petites espèces du genre; elle n’a que quinze pouces environ d’en- vergure et un pelage roussâtre. La queue, égale en longueur à la cuisse, est enveloppée seulement à son origine, par la mem- brane inter-fémorale. La dernière espèce provenant de l'expédition australe, qui formait la céphalote de Péron d'Étienne Geoffroy Saint-Hi- laire, a servi à M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire de type pour établir la tribu des Æypodermiens. La phalange unguéale de l'indicateur de l'aile subsiste, mais dépourvue du petit ongle des roussettes ; de plus, les ailes ne naissent pas des flancs, mais sur la ligne médiane du dos. Il y à une petite queue, libre. _ Deux individus mâles de l’Aypoderma Perontii se trouvaient dans la collection. Etienne Geoffroy Saint-Hilaire remarque que les roussettes de l’île de Timor ont toutes présenté pour caractère d'avoir les poils du dos couchés. Suivant une note de Péron, elles se tiennent, pendant le jour, dans le creux des arbres ou des rochers, suspendues, la tête en bas, par les pieds, sauf la grande espèce [edulis), qui se retire dans des cavernes. Aux chauves-souris insectivores, à molaires munies de tu- bercules coniques, appartient une espèce nouvelle de petite taille, rapportée de Timor, et figurée dans l'Atlas du voyage. — 96 — le rhinolophe cruménifère. Elle est comprise dans la famille des vespertilionidés d’'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, man- quant d'ongles aux doigts de l’aile, c’est-à-dire, autres que le pouce, à lèvres ordinaires, et dans la tribu des rhinolo- phiens, caractérisée par l'existence d’une feuille nasale. La queue s'engage tout entière dans la membrane inter-fémorale. Les carnassiers carnivores terrestres étaient représentés par une hyène mouchetée du Cap, vivante, à pelage d’un gris blanchâtre ; deux lionnes et trois panthères également vivan- tes. L’animal le plus curieux des féliens, et amené vivant pour la première fois, était une panthère noire de Java. Péron en avait fait une espèce nouvelle sous le nom de felis melas. Il est prouvé maintenant que ce n’est qu'une variété de la panthère ordinaire. Il s’en présente fréquemment dans les portées de panthère à l’île de Java. En regardant le pelage avec attention, on distingue les taches noires dites en rose se détachant sur un fond un peu moins noir. Le mélanisme n’est plus regardé maintenant comme formant des espèces, il est compris dans les limites de leur variabilité, et peut affecter, non seulement les animaux domestiques, mais encore les es- pèces sauvages. De là, le loup noir, les lapins noirs sauvages de la forêt de Compiègne. Cette loi est tout-à-fait générale : ainsi un lépidoptère diurne, connu des collectionneurs sous le nom de tabac d’'Espagn’, présente une variété affectée de mélanisme. Un autre félien vivant provenait du Cap. C’est un chat dont quelques auteurs on fait une espèce spéciale { chat obscur, chat métis), mais qui paraît n'être qu'une variété mélanienne du chat de Cafrerie / felis cafra ). M est de la taille de nos chats sauvages, à pelage d’un noir roussâtre, avec de nom- breuses bandes transversales d’un noir foncé. D'un naturel fort doux. il vécut en liberté à la ménagerie du Muséum. ss lks NOT ee Les viverriens rapportés par Péron étaient deux mangous- tes nems, mâle et femelle, vivants, espèce que venait de dé- crire. dans un récent mémoire, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (Ann. du Mus., t. I, p. 248), et une genette du Cap, éga- lement vivante, qui paraît être une variété de la genette com- mune, répandue depuis les parties méridionales de la France jusqu’au Cap. Ce genre présente, comme on sait, un petit enfoncement anté-anal de fa peau, avec une légère exsudation, rudiment de la poche odorifère des civettes. Le groupe des carnassiers amphibies a été, pour Péron, le sujet d'importants travaux. Avant lui, ses nombreuses espèces offraient la plus grande confusion. Il en a formé la famille des phocacés qu’il divisait en deux genres, suivant une distinction déjà proposée par Buffon, à savoir le genre p'oque à conques auditives non apparentes, et le genre ofarie, à conques andi- tives apparentes. Les phocacés constituent la famille des phocidés d’Isidore Geoffroy Saint-Hilaire ; le genre otarie a été complétement adopté par la science moderne, et le genre phoque de Péron subdivisé en genres phoque, pélage, stemmatope , sténor- hynque. Les marins les ont observés en grandes troupes aux îles Malouines, à l’île Tristan d’Acunha, aux îles Saint-Pierre et Saint-Paul d'Amsterdam, à l’île Juan Fernandez, où Selkirk, le véritable Robinson, les rencontre et les décrit ; à la Nou- velle-Zélande , à l’île Georgia, aux îles du Nouvel-An, à la terre des États, etc. Les Anglais avaient déjà établi, lors du voyage de Péron, des chasses régulières de ces animaux à ia terre de Sandwich, à la terre des États, sur l’île King et sur celles du Nouvel-An, enfin sur les rocs arides de la terre de Kerguelen où ils existent en grand nombre. Péron en rencon- tra des espèces de diverses tailles sur presque tous les points 7 use de ses relèches à la Nouvelle-Hoilande et à la Tasmanie, et surtout sur les îles, telles que l’île Maria, les îles Hunter, l'ile King, les îles Joséphine, l'archipel Saint-Pierre et Saint- François, etc. La plus remarquable des espèces observées par Péron est sans contredit celle qu'il nomme phoque à trompe (phoca pro- boscidea) (XL). On en parle, pour la première fois, dans les relations qui ont trait à l’île Juan Fernandez, en 1623 (Voyage de la flotte de Maurice de Nassau). En 1742, Anson le décrit et le figure d’après les récits de l’infortuné Selkirk. Avant Péron et Le- sueur, il est à peine connu, et on n’en possède que des images grotesques. Péron rejette d’abord judicieusement les noms de {ion ma- rin, bien plus convenable pour le phoca jubata (Linn.) des mers du nord, à tête ornée d’une longue crinière, et d’élé- phant marin, déjà consacré pour le morse, à cause de ses dé- fenses, pour adopter le nom de phoque à trompe, d’après le remarquable prolongement mobile que les narines affectent chez le mâle. Cette espèce est la plus grande de tous les phocidés , at- teignant jusqu'à 30 pieds de longueur, sur 45 à 48 de circon- férence, d’une forme lourde et massive, d’une couleur grise plus ou moins bleuâtre. Comme dans toute la tribu des phociens, il n’y a pas de conque auditive débordant la peau de la tête ; l'oreille externe consiste en un trou suivi d’un canal interne, pouvant se con - tracter et se fermer hermétiquement quand lanimal plonge, et terminé par an trou intérieur qui est le véritable trou au- (4) Histoire de l'éléphant marin ou phoque à trompe ; — Pêches des An- glais aux terres australes ; — Voyage aux lerres australes, &. EL, p. 32. oo ditif. Le caractère remarquable de ces animaux est le pro- longement des narines qui, affaissées et pendantes lors du re- pos, un peu comme la longue crête du coq d'Inde, semblent élargir la face de l'animal et s’allongent, à sa volonté, en un tube d'environ 32 centimètres de longueur. La voix est alors singulièrement modifiée. Au lieu de mugissements analogues à ceux d’un bœuf, que poussent les femelles et les jeunes mà- les, on entend chez les mâles adultes des sons rauques et ef- frayants ; on dirait le bruit que fait un homme qui se garga- rise, La trompe manque chez les femelles, et même la lèvre supérieure est légèrement échancrée vers le bord. £a trompe ne se développe chez le mâle que vers l’âge de trois ans ; jus- qu’à ce moment, il reste confondu , pour ainsi dire, avec la femelle. Ce fait, observé avec soin par Péron, est un exemple de plus de cette grande loi, que les femelles reproduisent d’une manière permanente les caractères du mâle encore im- pubère. Cette loi est surtout très marquée chez les oiseaux , et l’on sait que, parfois, les vieilles femelles acquièrent, avec l’âge et la stérilité, quelques-uns des caractères des mâles. Le phoque à trompe se trouve exclusivement dans la zône australe qui environne le cercle polaire. Il se plaît dans les îles désertes, ainsi celles du détroit de Bass, l’île King, l’île du Nouvel-An, l’île Hunter. Il vit en grandes troupes à la terre de Kerguelen, sur l’île Georgia, la terre des États, l’île Juan Fernandez. Il est rare aux Malouines ; il manque, sauf accident, sur les côtes de la Nouvelle-Hollande et de la Tas- manie. Ses immenses troupeaux exécutent des migrations régulié- res, car il est également ennemi d’une chaleur trop active ou d'un froid trop vif. Vers la imi-juin, il remonte au nord du contour du cercle polaire austral, et les pêcheurs anglais Pat- tendent à ses stations fixes. Ces migrations polaires appartien- — 100 — uent aussi à divers phocidés du nord, comme le remarque Steller dans son naufrage à l’île de Behring, au sujet des /e0 et ursus marint. Un mois après l’arrivée aux stations chaudes, choisies pen- dant l'hiver austral, a lieu la mise-bas des femelles. Elles ne font qu'un petit et très rarement deux, ce qui, dit Péron, est une nouvelle confirmation de ce principe : le nombre des fœ- tus est d'autant moindre que les animaux sont plus grands. Péron rapporte ce fait curieux que, pendant toute la durée de l'allaitement, qui est de sept à huit semaines, les femelles demeurent à terre, y sont retenues par les mâles, même for- cément ; et tous deux, pendant ce temps, restent sans nourri- ture. Aussi éprouvent-ils un amaigrissement considérable. [ls avalent des pierres pour que leur estomac demeure tendu. Cette précaution singulière se rencontre, à ce qu’il paraît, chez beaucoup de phocidés. Quand on les ouvre, on trouve des pierres dans leur estomac. Selon certains auteurs, ce se- rait pour eux un moyen de se lester lorsqu'ils vont à l’eau. Peut-être serait-ce un auxiliaire pour la digestion de certaines proies, comme chez les oiseaux. Vers la fin de septembre, ils retournent encore à terre, et c’est alors qu'ont lieu les accouplements. Les mâles se livrent de furieux combats, et c’est le seul moment où ces gigantes- ques animaux ne puissent être approchés sans précaution par l'homme. Le mâle victorieux garde pour lui toutes les femel- les, ei ce n’est que par satiété qu'il les abandonne à ses ri- vaux, Enfin s'opère le départ vers le pôle, lorsqu'approche lV’été austral. Le phoque à trompe habite les plages sablonneuses et non les rochers. Son allure à terre est lente et pénible ; # rampe par petites secousses au moyen de ses nageoires antérieures, et son corps, dans ses mouveinents, paraît trembloter, comme — 101 — : une énorme vessie pleine de gelée, tant est épaisse la couche de lard huileux qui l'enveloppe. Le naturel de ces monstrueux amphibies est dure extrème douceur. C’est à peine s'ils essaient de se défendre dans les souffrances que leur font endurer les pêcheurs. Quoique car- nivores, ils ne se nourrissent que de petits et faibles animaux, surtout de seiches. Péron rapporte qu’un des pêcheurs an- glais de l’île King avait apprivoisé un de ces animaux, qui répondait à son appel. Les femelles, blessées et mourantes, versent d’abondantes larmes , observation curieuse qui s’ap- plique également aux phoques du nord. La durée de Pexis- tence de ces grands animaux n’est que d'environ vingt-cinq ans ; les Jeunes atteignent tout leur développement au bout de la troisième année. Sur ces êtres, fait remarquer Péron avec justesse, se vérifie cette loi générale : la durée de l’exis- tence est proportionnelle au temps du développement ; elle est d'autant moindre qu’il est plus rapide. On sait comment M. Flourens vient de remettre en lumière ces grands prin- cipes. De nombreuses causes tendent à avancer le terme de la vie chez le phoque à trompe. Des animaux, encore inconnus, semblent les assaillir au sein des mers. Parfois, disent les pê- cheurs, on les voit sortir épouvantés du sein des flots, et per- dant tout leur sang par d'horribles blessures. Mais l’homme est surtout leur adversaire acharné et redoutable. Ceux qui, entraînés par les courants, viennent échouer sur les côtes de la Nouvelle-Hollande et de la terre de Diémen, sont massa- crés par les sauvages accourus en foule. Ils leur enfoncent dans la bouche des torches ardentes. Ils se repaissent avide- ment de leur chair et de leur graisse. Après la curée, les tri- bus, souvent hostiles, engagent de meurtriers combats, et le — 102 — sang de ces brutes, gorgées de chair corrompue , coule à la suite de ces dégoütantes orgies. Leurs ennemis les plus nombreux et les plus destructeurs sont les pêcheurs anglais, qui ont organisé des massacres ré- guliers sur les îles sauvages et si longtemps désertes où ces grands animaux trouvaient, depuis la création, des retraites paisibles. L’avidité mercantile de l’homme a amené une dé- croissance irréparable dans leur population jadis si nom- breuse. | Les pêcheurs anglais se servent contre ces animaux de lan- ces de / à 5 mètres de long, armées d’un fer très acéré, qui varie de 6 décimètres à À mètre. Ils saisissent l'instant où l'animal soulève sa nageoïire antérieure gauche pour se porter en avant, et plongent au-dessous le fer de la lame pour lui percer le cœur. Le malheureux amphibie tombe aussitôt en perdant des flots de sang. Au reste, il suffit d’un coup de bä- ton, fortement appliqué au bout du museau , pour les tuer à l'instant. Oppien, dans son poème sur la pêche (halieuticon), nous apprend que les anciens savaient avec quelle facilité tous les phoques en général meurent par de pareilles lésions. C’est presque exclusivement la graisse de ces animaux que recherche le commerce. La couche de lard est épaisse d’en- viron AC centimètres, et les gros individus fournissent de 700 à 700 kilogrammes d'huile. Elle est très estimée en Angle- terre, et sert surtout, dans les manufactures de draps, pour adoucir les laines. Le phoque à trompe a été placé, par Frédéric Cuvier, dans un genre nouveau qu'il appelle macrorhin. paraît plus rationnel, comme le fait M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire , de le comprendre dans le genre stemmatope. La dentition est en effet la même ; la trompe n'existe que chez les vieux mâ- D les, et n’est probablement pas constante dans touie la durée de l’année. C’est sans doute un gonflement momentané et dé- pendant du rut, comme Île singulier capuchon du phoque ca- pucin du Groënland {/phoca cristata ). Dans les travaux de Péron se trouvaient aussi quelques études sur un phoque du genre actuel pélaäge, à 32 dents ; c’est le sno0ine où phoca leu- cogaster (Péron). Nous avons cru devoir donner une fidèle analyse du travail de Péron sur le phoque à trompe ; car ce mémoire, remar- quable comme modèle d’une monographie exempte de l’aridité habituelle, est précieux, en ce que les détails de mœurs s’ap- pliquent à tout le groupe des phocidés. Un titre plus important encore de Péron à la reconnais- sance scientifique, c’est sa distinction des phoques d'avec les otaries. Dans l'examen de cette famille, si difficile à classer, il a su reconnaître un excellent caractère différentiel. Les ota- riens sont en effet pourvus de petites conques auditives ex- ternes. Le caractère pisciforme est plus prononcé que chez les phociens. Les membres de devant, placés très en arrière, n’ont plus de doigts distincts ; ce sont des nageoires de cé- tacés où tout est couvert par la peau. Le pied de derrière n’est plus simplement palmé, comme chez les phociens; la peau déborde les ongles par cinq longues expansions cuta- nées : c’est une excellente nageoire. Les otariens, répandus dans la partie sud de la zône antarc- tique, s'élèvent, le long des côtes du Japon, jusqu'au détroiss de Behring. Ils manquent complétement en Europe et dans les parties boréales de l’océan Atlantique. Les uns présentent des conques auditives droites et coni- ques. Tels sont le ursus marinus de Steller, des côtes de Kamschatka et des îles Aléoutiennes, et le /ion marin où phoca jubata, du même auteur, dont le mâle porte sur le cou _ dre une épaisse crinière descendant jusque sur les épaules, et habite locéan Pacifique boréal et les rivages californiens. Ils deviennent pour Péron les otaria ursina et otaria leonina. Le poil de ces animaux est de deux natures ; par dessus, un poil long, brunâtre, raide, tacheté de gris foncé; par dessous, un poil ras, court, doux et satiné, sorte de feutre recherché pour faire les casquettes dites de loutre. | Chez d’autres otariens, les conques extérieures sont enrou- lées et recouvrent l’orifice auditif. Nous citerons le petit pho- que noir de Buffon, auquel Péron donne le nom d'otarie de l’île de Rottnest, de petite taille, ayant de deux à quatre pieds de longueur, d’une couleur noirâtre, d’un pelage doux, et ha- bitant la Nouvelle-Hollande. 1l est encore appelé otarie de Péron, otaria pusilla, phoca pusilla (Desm.). Deux otaries d’epèces nouvelles ont été reconnues par Pé- ron. Ce sont : lofarie à cou blanc (otaria albicollis), de 8 à 9 pieds de longueur, ayant une grande tache blanche sur la partie moyenne et supérieure du cou, et habitant la Nouvelle- Hollande. L’ofaria albicollis {ut trouvée par Péron sur l’île Eugène. Les pieds antérieurs sont plus en avant que chez les autres otaries, d'où résulte une agilité bien plus grande et un ra urel bien moins timide. D’autre part, l’otarie cendrée (ota- inerea), &e 9 à 10 pieds de longueur. Le pelage est d’un endré. Cette otarie habite les côtes méridionales de la (le-Holiande, l’île Decrès , le détroit de Bass. Un indi- té à l’île Decrès, a offert à Péron trente-trois pierres ses grosseurs accumulées dans son estomac. ue les travaux de Péron aient été complétés par Fré- ier, par Lesson, par Quoy et Gaimard, l’histoire de iiers, les plus grands de leur ordre, suivant la loi s espèces aquatiques comparées aux espèces ter- spondantes, laisse encore beaucoup à désirer. — 105 — Comme ils ont été observés le plus souvent par des hommes étrangers à toutes notions scientifiques, de nombreuses fables viennent constamment obseurcir le petit nombre de résultats certains. Ainsi Buffon pensait que l'ouverture du trou de Bo- tal, analogue à ce qui a lieu chez le fœtus avant la naissance, leur permettait de rester longtemps sous l’eau sans être as- phyxiés. Labillardière, Steller avaient déjà reconnu lerreur de cette hypothèse sur certains phocidés, et Péron confirme leur manière de voir. Ses dissections sur cinq espèces nou- velles des mers du sud lui ont démontré l’occlusion du trou de Botal. Les carnassiers dégradés, qu’on appelle insectivores, et qui se placent si naturellement à la fin de leur ordre, dans un parallélisme complet, tribu à tribu, avec l’ordre des ron- geurs, nous offrent, dans les collections de Péron, une espèce de la famille des soricidés, la musareigne du Cap, très mal décrite avant lui. C’est l'espèce (1) qui a le museau le plus long et le plus eflilé, de larges oreilles nues, une forte odeur de musc. Elle habite dans les caves, où on la détruit pour ses dégats et son odeur. Ce genre présente un certain intérêt. Le vulgaire, en effet, le confond avec les rats et les souris ; mais il forme un groupe parallèle de carnassiers insectivores, remarquable par les glandes odorantes des flancs, dont les vestiges se retrouvent à la même place dans les rongeurs du groupe correspondant. L'ordre des rongeurs nous offre deux porcs-épics vivants, mâle et femelle, dans les animaux ramenés sur le Géographe. Les pachydermes étaient représentés par un zèbre femelle, pris très jeune, et qui avait appartenu au gouverneur du Cap. (4) Voir Ann, du Mus., t. XVII, p. 184. — 106 — Il se laissait monter, et avait la docilité du cheval, fait pré- cieux à opposer à ceux qui ont prétendu que le zèbre est in- domptable et que la domestication en est impossible. Ce zèbre femelle fut fécondé par un âne et donna un métis vigoureux. I le fut ensuite par un cheval, mais mourut au huitième mois de la gestation. Le fœtus, avec les formes du père, avait une partie de la robe de la mère. Les ruminans amenés vivants furent un cerf et une biche du Gange {cervus axis), espèce déjà bien connue en France, et qui s’y reproduit facilement. Avant la Révolution, il y avait plus de soixante axis dans les parcs royaux. Un des plus précieux échantillons rapportés par Péron fut un gnou ou antilope du Cap, vivant. Cet animal, qui se rap- proche du genre bœuf, est pourvu de cornes dans les deux sexes, d’une barbe et d’une crinière blanche à la base. Le reste du corps est semblable à celui d’un petit cheval à jam- bes fines. Les gnous habitent, en troupes considérables, les montagnes au nord du Cap. Parmi tous les mammifères étudiés ou rapportés par Péron, les marsupiaux et les monotrêmes furent, sans contredit, lob- jet de ses plus curieux travaux. Avant ce naturaliste, on ne connaissait en France, à peu d’exceptions près, quelques-uns de ces animaux, que par les descriptions souvent insuffisantes des auteurs anglais. Il y amena, le premier, de nombreux individus de cegroupe, tant vivants que préparés. On n’avait encore vu que deux kangu- roos vivants. Les marsupiaux forment une grande division parallèle aux mammifères à génération ordinaire. On sait que leurs prin- cipaux caractères se résument en deux os marsupiaux portés sur les pubis et surajoutés au bassin, soutenant une poche développée chez les femelles, n’existant qu’en rudiment chez — 107 — les jeunes mâles, et dans laquelle sont logés les petits, greffés aux tétines maternelles. = L’embryon ne contracte que des adhérences placentaires très imparfaites ou nulles ; il est rejeté hors de l'utérus par une sorte d’avortement et introduit aussitôt dans la poche de la mère, sorte de second utérus où le petit, encore très impar- fait et quasi gélatineux, s'adapte par la bouche à une tétine et opère une lactation continue. Les marsupiaux présentent une bifurcation considérable des pièces génito-urinaires et deux utérus distincts. Cette non-réunion sur la ligne médiane indi- que une infériorité marquée. Un groupe, les didelphes ou sarigues, seul bien connu de Buffon, est propre à l'Amérique du Sud , sauf la seule espèce opossum de Virginie. Tous les autres sont de l'Australie et des îles qui la bordent, de la Tasmanie, et quelques espèces de l'archipel Indien. Le parallélisme le plus évident nous fait rencontrer, chez les marsupiaux, des carnassiers ordinaires, à molaires com- primées et tranchantes, des insectivores à molaires armées de tubercules coniques, à canines petites, des frugivores et des rongeurs à canines nulles ou variables, à molaires aplaties. Le groupe des marsupiaux carnivores est constitué par les dasyuridés, comprenant les trois genres {hylacine, dasyure, phascogale. | Les descriptions du capitaine Philipp et de John faisaient connaître l’existence, dans la Nouvelle-Hollande, de carnas- siers à poches, et qu'on disait analogues aux sarigues. D’après les grandes idées de Buffon sur la distribution géographique des animaux, les didelphes ou sarigues devaient être améri- cains. Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, qui alors ne connaissait encore l'existence, en Australie, que de marsupiaux frugivo- res, pénétré de la vérité des principes, osa soutenir que le En 2 spoticd opossum des Anglais devait fournir le type d’une fa- mille nouvelle, bien distincte des didelphes ou sarigues. Sept ans plus tard , les dasyures , envoyés par Péron et Lesueur, sur le VNaturaliste, devaient confirmer la vérité de cette asser- tion. Les didelphes ont la queue nue, écailleuse et fortement préhensile, caractère spécial à un assez grand nombre d’ani- maux, presque tous américains, le pouce long , écarté, oppo- sable. Ils sont grimpeurs et se balancent aux arbres. Les dasyures, au contraire , sont des carnassiers terres- tres (1). Ils ont deux incisives de moins que les didelphes. Les doigts , non divisés profondément , sont au nombre de cinq en avant, quatre en arrière, avec un pouce nul ou rudi- mentaire. Le poil n’est plus parsemé de soies, comme chez les didelphes, mais doux et laineux comme celui des genettes. La tête est conique, le museau à longues moustaches, la queue lâche et à longs poils. Péron, dans ses courtes relâches à la Tasmanie , n'avait pas rencontré le thylacine, de la taille du loup, plus bas sur jambes, vivant dans les creux des rochers, à sept molaires toutes carnassières. Il attaque les troupeaux. Les animaux envoyés sur le Vaturaliste appartiennent aux genres dasyure et phascogale. Yes dasyures, proprement dits, ont sept molaires, trois comprimées et tranchantes, quatre à couronne plate, mamelonnée. Leur taille et leurs habitudes rappellent les martes, putois et genettes ; ils sont redoutables pour les poulaillers. Le dasyurus macrourus où Peronit , figuré dans l'Atlas dévorant un cadavre de phoque (pl. 33), est le plus grand de tous. Il a un pied et demi de long, et une queue de même longueur. Il avait été confondu par Philipp et Shaw avec une (1) Geoffroy Saint-Hilaire, Ann. du Mus., t. LL, p. 358. = Ag fouine (viverra maculata). Les oreilles sont courtes , le mu- seau fin, le pelage marron à taches blanches, la queue égale- ment tachetée. Péron en rencontra deux individus à l'île King, après le départ du Vaturaliste. Les premiers venaient de la Nouvelle-Galles du Sud. Le dasyurus Maugei (espèce nouvelle) est un peu plus pe- tit, à taches plus égales et répandues sur tout le corps. Le pelage est olivâtre, moucheté de blanc, la queue sans taches. En outre, se trouvaient dans l'envoi les dasyurus viverrinus et dasyurus tafa, déjà connus par de mauvaises descriptions. Le premier est peut-être une variété du précédent. Le dasyu- rus tafa a le pélage brun, non moucheté, et la queue de même couleur. Les deux autres, de petite taille, sont rangés maintenant dans les phascogales , chez lesquels les molaires du fond se hérissent de pointes coniques, caractère de passage aux véri- tables marsupiaux insectivores. 11 y avait le dasyurus peni- cillatus, déjà découvert par Shaw, de 8 pouces de longueur, provenant de la Nouvelle-Galles du Sud, à pelage cendré, non moucheté et à queue noire, et le dasyurus minimus , de la taille d’un lérot, 4 pouces de long, qui forme une espèce nou- velle. II a le pelage roux, non moucheté, et la queue de même couleur. Viennent ensuite des carnassiers marsupiaux principale- ment insectivores. Les myrmécobes, de la Nouvelle-Hollande, sur le bord de la rivière des Cygnes et de la Tasmanie, furent inconnus à Péron. Les objets rapportés sur le Vaturaliste permirent à Étienne Geoffroy Saint-Hilaire la création d’un genre nouveau, devenu maintenant la famille des péramélidés. On connaissait un animal de Port-Jackson, appelé par Shaw didelphis obe- sula, par suite d’une confusion avec les didelphes américains. ue Péron et Lesueur envoyèrent une espèce nouvelle, provenant de la Nouvelle-Galles du Sud (1). Ils ont plus d’incisives que les carnassiers ordinaires , signe de dégradation. Ce groupe ressemble aux sarigues et aux dasyures par les dents, mais les pieds de derrière le rapprochent des kanguroos, par leur longueur et leurs ongles énormes, triangulaires. En apparence, ils n’ont que trois doigts, le médian, très prédominant , mais le doigt interne, muni de deux ongles, est formé de deux doigts accolés sous le même tégument. Il y a un pouce rudi- mentaire sans ongle qui manque au pied postérieur des kan guro0s. Leurs mœurs et la forme de ce train postérieur les éloi- gnent des didelphidés : ce ne sont pas des grimpeurs comme ceux-ci, mais des fouisseurs à la manière des blaireaux. Ils courent en sautillant, vivent de chaïrs mortes, de reptiles, et surtout d'insectes. L'espèce type, due à Péron, est le pera- meles nasuta, d'une longueur de 50 centimètres environ, avec une queue de 15 à 16 centimètres, le museau très effilé et le nez prolongé au-delà de la machoire. Le pelage est d’un brun clair en dessus, et blanchâtre en dessous. L'autre famille de marsupiaux insectivores est formée par les didelphidés ou marsupiaux américains. Les découvertes de Péron ne sont pas moins précieuses relativement aux marsupiaux frugivores. Parallèlement aux sciuridés se présentent les phalangidés, animaux crépusculaires, vivant dans les forêts épaisses , se nourrissant essentiellement de fruits, et y ajoutant sans doute des œufs d'oiseaux et des insectes. Les vraies molaires de ces animaux ont des collines transverses, à leur couronne, comme celles des semnopithèques et des indris, indice du régime ‘(A) Ann. du Mus., Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, & IV, p. 56. = dt = frugivore. Les incisives sont analogues à celles des kangu- roos ; il y en asix à la mâchoire supérieure, et deux seulement à la mâchoire inférieure, longues, couchées en avant, comme celles des rongeurs. Le genre phalangiste, parallèle aux écureuils , ayant par fois la queue à poils distiques , est caractérisé par sa queue prenante, tantôt nue et écailleuse, tantôt poilue, et seulement un peu dénudée au-dessous de la partie terminale. Dans les individus provenant de Péron, se rencontre le couscous ou phalanger oriental, blanc ou blanc jaunâtre, varié de brun en dessus. Il est commun à Timor, dans les lieux boisés ; il a la queue nue, les pupilles elliptiques ; c’est un animal semi- nocturne, répandant upe odeur fétide au moyen d’une glande placée au pourtour de l'anus, et néanmoins recherché par les nègres de la Papuasie et des Moluques, qui mangent sa chair, après lavoir fait rôtir sur des charbons ardents. Dans les phalangistes à queue velue, garnie de longs poils un peu distiques, et même couverte de très petits poils dans la région où elle paraît dénudée au premier abord, nous ren- centrons le phalanger de Cook, de taille un peu moindre que le chat domestique. Péron a rapporté également une espèce du troisième sous- genre des phalangistes , de petite taille, à queue garnie de petits poils et tout-à-fait nue par dessous, à l'extrémité ter- minale. C’est le phalanger nain (phalangista nana, Geoffr.), de la grosseur d’une souris. Le pelage est, en dessus, d’un gris légèrement roussâtre. Les parties inférieures et le dedans des membres sont blancs. L’individu rapporté par Péron provient de Pîle Maria, près la terre de Diémen. Il l’obtint par échange d’un sauvage qui se disposait à le tuer pour le manger. Il est désigné à tort comme un dasyure dans la relation du voyage (RE, -p:1804). — 119 — Le second genre des phalangers est constitué par des ani- maux parallèles aux polatouches, et chez lesquels la queue n’est plus prenante, mais longue et velue dans toute son éten- due. Une membrane poilue et frangée, extension de la peau des flancs, est comprise entre leurs membres et leur sert de parachute pour sauter, sans danger, d’un arbre à l’autre. Ils forment le genre petaurus. Le sous-genre petaurista est représenté, dans la collection de Péron, par le pétauriste taguanoïde ou phalangiste tagua- noïde de Geoffroy Saint-Hilaire. C’est la plus grande espèce du genre ; elle a 55 centimètres du bout du museau à l’ori- gine de la queue, et celle-ci est presqueaussi longue. La mem- brane des flancs engage le membre antérieur jusqu'au poi- gnet. Le pelage est très doux et très long sur le dos ; aussi, lors du voyage de Péron, les naturels de la Nouvelle-Hollande chassaient activement ces animaux, dont la fourrure servait à faire des manteaux recherchés par leurs femmes. Aujourd’hui , les épaisses fourrures de plusieurs espèces de phalangers sont l’objet, en Australie, d’un immense com- merce d'exportation. Les habitudes nocturnes de ces animaux expliquent la conservation d’un pelage serré dans un pays chaud, et leur acclimatation dans nos régions tempérées n’a- mènerait pas la disparition de la fourrure, inconvénient qui empêchera toujours l'introduction en France des rongeurs monodelphes des régions boréales , si précieux pour les pel- leteries. | Péron avait aussi rapporté de la Nouvelle-Hollande le pé- lauriste à ventre jaune (petaurus flaviventer), et les galeries du Muséum présentent encore un individu mâle donné par Péron, d’un pelage blanc et indiqué comme une variété albine de cette espèce. On attribue encore à notre naturaliste une autre espèce qui lui a été dédiée { petaurista Peronû ), de la He taille d’un écureuil d'Europe, et chez laquelle la peau des flancs ne s'étend que jusqu'aux coudes. * Dans le sous-genre acrobate, les collections du Voyage nous ont donné l’acrobate nain (petaurista pygmata où pétauriste type de Geoff. St-Hil. et Dum.). Ce joli animal, de la taille d'une souris, a les formes plus ramassées que les autres pé- tauristes, et la membrane des flancs terminée aux coudes. Il est de la Nouvelle -Hollande. Les tarsipèdes, qu’on avait cherché à joindre aux phalan- gidés, s’en écartent notablement par leurs dents rudimentaires, qui semblent les rejeter parallèlement aux édentés. Il ne furent pas connus de Péron. Il en est de même des phascolarctidés. Au contraire, les £kanguridés ou macropodés, voisins des précédents par la dentition, doivent à Péron de nombreux individus formant encore aujourd’hui les plus remarquables échantillons de cette famille dans les galeries du Muséum. Ces animaux , parallèles aux rongeurs dipodiens et hélamiens, sont caractérisés par la longueur extrême de leur train postérieur, leur queue grosse à la base, et servant de point d'appui et de contrepoids pour le saut et pour franchir les obstacles. Leur régime est exclusivement frugivore et herbivore. Leur marche est fort singulière , ils ramènent , à l’aide de la queue, le train postérieur contre le train antérieur demeuré fixe. Leur chair est excellente , et il est bien à désirer que ces animaux, déjà élevés en Angleterre, dans quelques parcs, soient bientôt na- turalisés en France. Les petites espèces se placeront à côté du lapin domestique et sauvage, les grandes formeront des trou- peaux. Ils existent déjà, suivant de récentes communications faites à la Société zoologique d’acclimatation, en plusieurs points de l'Espagne et de l'Italie. Jadis un seul couple de ces animaux, sous une direction intelligente, a donné un petit troupeau à Rosny, propriété de & = qi M la duchesse de Berry. À la ménagerie du Muséum , les kanguroos, placés ons des conditions très défavorables, ont reproduit. Au dire des amateurs, la chasse des kanguroos est d’un singulier et puissant intérêt. Le poil d’une de leurs espèces est l’objet d’une grande exportation en Amérique. Par suite d’une chasse active, leur nombre a singulièrement diminué dans leur pays natal. Ils sont propres à la Nouvelle - Hollande, à la Tasmanie et aux nombreuses îles côtières. Une espèce, le kanguroo d’Aroé ; s'étend dans les Moluques. Parmi eux se trouvent les plus grands Marsupiaux. Les anciens kanguroos ont été subdivisés en deux genres : macropus où kangurus, n'ayant de canines ni en haut ni en bas, et potoroo où hypsiprymnus, ayant des canines à la mà- choire supérieure. Les kanguroos rapportés par Péron furent le £anguroo géant (macropus giganteus), dont la taille est à peu près celle d’un mouton, d’un gris cendré un peu roussâtre en dessus et blan- châtre en dessous. Cette espèce, découverte par Cook, en 1770, existe dans la Nouvelle-Galles du Sud, et on la chasse dans les Montagnes Bleues, avec des lévriers. Les kanguroos se défendent par des coups de leur queue et avecleurs ongles postérieurs, énormes et pointus, qui peuvent faire des blessu- res assez dangereuses. Péron en ramenait un individu vivant qui périt à l’arrivée et servit aux dissections de Cuvier. D’après une letire de Baudin , lors de la seconde relâche à Timor, il y avaiteu dix kanguroos géants en vie sur le Géographe. Des pertes successives n’en laissérent qu’un seul, au retour en France. La chair du kanguroo géant est assez dure. Comme le dit Péron, au sujet de l’acclimatation de ces animaux, la chair du kanguroo gris (macropus rufo-griseus, Geoff.) est bien préfé- | = M5 = rable. On doit encore à ce naturaliste une espèce nouvelle, le kanguroo à cou roux {macropus ruficollis, Geoff.) découverte par Péron à l’île King, dans le détroit de Bass, et ramenée vivante sur le Géographe; enfinle kanguroo brun enfumé (ma- cropus fuliginosus, Geo. , kangurus fuliginosus, Pér. et Les.) au pelage d’un roux canelle, d’une taille énorme, supérieure même à celle du kanguroo géant. Deux individus de cette espèce, les plus grands spécimens des kanguroos dans les collections du Muséum , proviennent des chasses de Lesueur et de l'équipage du Géographe à l’île Decrès. Assis sur leurs pieds de derrière, ils dépassaient la hauteur d’un homme. Nous trouvons encore citée dans le Voyage (tome IF, page 117) une espèce de £anguroo de l’île Eugène, dont M. Lesueur tua plusieurs individus sur cette île, et qu’on ne vit nulle part ailleurs. Chacun de ces quadrupèdes pesait de huit à dix li- vres, la fourrure était épaisse, d’un poil très fin, et d’une belle couleur rousse, tirant sur le brun. Quatre phalangers d’une espèce nouvelle furent aussi tués à l’île Eugène par Le- sueur. Péron signale encore un £anguroo rouge, d'espèce inconnue, rencontré par les hardis explorateurs des montagnes abruptes de la Nouvelle-Galles du Sud. Une remarquable espèce de kanguridé découverte par Pé- ron a reçu les noms les plus divers. Il s’agit du £anguroo élé- gant ou potoroo élégant. Les uns le considèrent comme un potoroo, ayant à la mâchoire supérieure deux canines, qui manquent dans le genre kanguroo. Fr. Cuvier admet cinq molaires au lieu de quatre, eten fait le sous genre Aalmaturus. Il a reçu de Péron et de Lesueur le nom de £anguroo à bandes (kangurus fasciatus) et est figuré dans l'Atlas du Voyage, pl. 27. On l'appelle aussi £anguroo lapin, bettongia fasciata 2 jC (Gould , Monogr. des marsupiaax). Le Muséum possède le mâle, la femelle et le jeune, rapportés par Péron. La patrie de ce joli animal est l’île Bernier, celle de Dorre, celle de Dirck-Hartighs, îles dans lesquelles n’habite pas l'homme (1). Péron ne l’a trouvé ni sur le continent, ni sur les autres îles, et il indique que ce phénomène de localisa- tion très restreinte se reproduit pour toutes les autres espèces de Kanguroos. Le kanguroo à bandes est la plus petite espèce des kangu - roos proprement dits, si on le range dans ce genre. L'espèce se distingue par douze ou quinze bandes disposées transversa- lement sur le dos, étroites, d’un roux brun, devenant de plus en plus distinctes et plus brunes, des épaules à la queue. On n'en observe aucune trace sur le ventre. La queue, faible et dépourvue de poils , est au premier aspect celle d’un très gros rat. Ces kanguroos, privés de tous moyens de défense ou d’at- taque, ont un caractère extrèmement doux et timide, et s’a- larment au moindre bruit. Le souffle du vent même est pour eux une cause d’effroi. Ils se réfugient, par des petits chemins couverts, convergents, au milieu de buissons fourrés impéné- trables. En s’embusquant à l’entrée de ces chemins, les chas- seurs s’emparaient, à coup sûr, de ces animaux. Leur chaïr, qui ressemble à celle du lapin de garenne, est plus aromatique. C’est la meilleure chair de kanguroo que Péron ait rencontrée , et, sous ce rapport, dit-il, l’acquisi- tion de cette espèce serait un bienfait pour l’Europe. | A l’époque où l'expédition française aborda sur ces rivages, les femelles avaient dans leur poche un petit déjà assez gros, (4) Voyage aux Terres australes, tome I°°, page 114. (T2 qu'elles cherchaient à sauver avec un admirable courage. Blessées, elles fuyaient emportant leur petit dans leur poche, et ne se décidaient à l’abandonner qu'épuisées par la fatigue ou par la perte de leur sang. Alors elles s’arrêtaient, et s’ac- croupissant sur leurs pattes de derrière, l’aidaient, avec leurs pieds de devant , à sortir du sac maternel , et cherchaient, en quelque sorte, à lui désigner un lieu de retraite. Pais elles continuaient à fuir avec autant de vitesse que leurs forces le permettaient. La poursuite du chasseur venait-elle à se ra- lentir, on les voyait retourner au buisson protecteur de leur nourrisson. Elles l’appelaient avec un grognement qui leur est propre, le caressaient affectueusement, comme pour dissiper ses alarmes , le faisaient de nouveau rentrer dans leur poche, et cherchaient , avec ce doux fardeau, quelque fourré où le chasseur ne püût ni les découvrir ni les forcer. Les mêmes preuves d'intelligence et d'affection se reproduisaient d’une manière plus touchante encore de la part de ces pauvres mè- res, lorsqu'elles se sentaient mortellement atteintes ; tous leurs soins avaient alors pour but le salut de leur nourrisson ; bien loin de penser à la fuite, elles s’arrêtaient sous les coups du chasseur, et leurs derniers efforts étaient dirigés vers la con- servation de leurs petits. Péron en avait élevé un jeune qui s’apprivoisa et périt par accident à Timor. Il mangeait du pain avec plaisir et savou- rait l’eau sucrée avec délices. Ce fait prouve que cette espèce s’accommoderait parfaitement des soins de l’homme. Le genre potoroo proprement dit sert de passage entre les kanguroos et les phalangers. Ces espèces, de petite taille, ont la queue nue et écailleuse comme celle de nos rats. Une espèce, voisine du £anguroo-rat où potoroo de White (hypsiprymnus murinus), de la taille d’un petit lapin, et com- — 118 — mun dans la Nouvelle-Galles du Sud, figure, dans les envois du voyage, par un squelette déposé au Muséum, sur lequel on a fondé le potoroo de Péron (hypsiprymnus Perontüi). 1 paraît différer du kanguroo-rat par quelques caractères secondaires. La famille des phascolomidés, celle qui se rapproche le plus des rongeurs par la dentition, a été pour la première fois bien étudiée et rapportée en Europe par Péron et Lesueur. Ces animaux, dont on ne connaît encore d’une manière posi- tive qu’une espèce, ont deux incisives antérieures à chaque mâchoire, mais ressemblant plutôt pour la forme aux incisives médianes de certains phalangers qu’à celles des rongeurs ; pas de canines et cinq molaires, haut et bas, de chaque côté. Leur corps est trapu , avec une queue très courte et entière- ment cachée par les poils; leur tête très grosse, comme carrée et aplatie, les oreilles courtes, les yeux très écartés, les nari- nes percées dans un petit mufle, et le pelage épais et d’un brun grisâtre. Les membres sont terminés par cinq doigts armés d'ongles fouisseurs, sans réunion de deux doigts inter- nes au pied postérieur, comme chez les kanguroos et les pha- langers, sans pouce opposable, comme celui des phalangers. L'espèce type est le phascolome wombat ( phascolomys wombatus, Pér. et Les., ou didelphis ursina, Shaw), pouvant atteindre et même dépasser la taille du blaireau dont il a les allures, mais non le régime complet, car il est seulement her- bivore et frugivore. ; Le système dentaire de ces animaux et leurs pieds de de- vant à ongles fouisseurs , très grands, les rapprochent des marmottes ; mais, remarque Etienne-Geoffroy Saint-Hilaire, il y a des différences profondes qui consistent en un cæcum très petit et très grèle , au lieu d’être long et volumineux, comme l’indiquerait la dentition. De plus , les os marsupiaux steel — 119 — existent chez le mâle et la femelle, et il y a une poche chez celle-ci (1). | Ils se creusent des terriers et sont claviculés. fs se rassem- blent à demi en boule, marchent sur la plante des pieds, et ont l’aspect de petits ours. [ls sont un peu nocturnes, comme tous les animaux qui terrent, et également, pour la même rai- son, timides et peu intelligents. Péron parle avec de grands éloges du goût exquis de leur chair. Le wombat est un de ces animaux dont il désirait au plus haut point amener l’acclimatation en France. Dans les cabanes des pêcheurs anglais, qui fui fournirent des aliments et un abri protecteur, à l’île King, cet animal, doux et dé- pourvu de ruses, était déjà réduit à l’état domestique, allait chercher pendant le jour, au milieu des forêts, la nourriture dont il avait besoin, et rentrait, le soir, dans la cabane qui lui servait de retraite. Voilà de ces faits précieux qu’on ne saurait trop mettre en lumière. C'est dans la vue d’être utile à son pays que Péron n’avait rien négligé pour faire parvenir en France des phascolomes vivants. Le /Vaturaliste en ramenait trois, mais l’un d’eux avait tellement souffert en route, sur le bateau qui remontait la Seine, qu’il mourut peu d'heures après son arrivée au Jar- din des Plantes. Les deux autres, encore jeunes, vécurent à la ménagerie. Lors de la seconde relâche à Timor, le Géo- graphe possédait deux wombats vivants (2) ; ils ne supporte- rent pas les fatigues de [a traversée. Les galeries du Muséum offrent actuellement, sous le nom de Péron et Lesueur, un wombat mâle, type de l'espèce, et un second individu jeune. L’atlas du voyage (pl. 28), représente deux wombats, mâle (1) Étienne-Geoffroy Saint-Hilaire, Ann. du Mus., t. I, p. 364.—Nolice, etc; (2) Lettre de Baudin, Ann. du Mus., t. I, p. 475. it et femelle, avec leurs petits, de l’île King. Lors de l’arrivée de ces animaux en France, Étienne-Geoffroy Saint-Hilaire les crut d'abord entièrement nouveaux, tant était incomplète la description du wombat découvert par Bass à la terre de Diémen. Et, pour le remarquer ici en passant, n’est-il pas juste de compter, parmi les services indirects rendus en si grand nombre à la science par Péron, ce trait de lumière que jette dans l'esprit d’un de nos plus éminents naturalistes la néces- sité où il se trouve de créer le nouveau genre phascolome, dès qu’il recoit le premier envoi de l’expédition française ? En effet, Geoffroy Saint-Hilaire, après avoir restreint le genre didelphe aux marsupiaux de l'Amérique, avait proposé le genre phalanger pour ces marsupiaux de l’archipel Indien, ayant la mâchoire supérieure armée d’incisives et de canines, comime les carnivores, et présentant à la mâchoire inférieure le système de dentition des rongeurs. Avec les genres dasyure et kanguroo, aux deux extrémités opposées, on avait, pour l’ordre des marsupiaux, une sorte de chaîne uni-linéaire, allant des carnassiers aux rongeurs ; mais la nature ne connaissant pas, à proprement parler, de séries continues, ni de chaînes dans une direction unique (1), la combinaison précédente devint impossible, dès que furent connus les phascolomes et les péramèles rapportés par Péron, ces derniers surtout réunissant à la fois les caractères des da- syures et des kanguroos. Ainsi se trouve corroborée, à son début, cette théorie des séries parallèles qui envahit de plus en plus les domaines de la science, que la physique emprunte aux sciences naturelles, dans les études comparées de la cha- leur et de la lumière, et qui entre, par des prescriptions offi- (4) Geoff. Saint-Hilaire, Mémoire déjà cité, Ann. du Mus., t, EV, p. 59. re cielles , dans l’enseignement de la chimie. ( Voir progr. de chimie de 3°, sect. des sciences.) Enfin Péron, le premier, a rapporté en France, pour les collections du Muséum, ces deux animaux placés aux limites des mammifères, et dont Geoffroy Saint-Hilaire, d’après les descriptions anglaises , avait le premier indiqué la réunion en un ordre, les monotrèmes, parallèles aux édentés. Un bec analogue à celui des oiseaux , un cloaque, l'absence de placenta , un seul ovaire, bien développé et en grappe : d'autre part, des téguments pileux , des pieds à cinq doigts armés d'ongles, des mamelles , enfin une épaule de reptile, avec un bassin à os marsupiaux, un pénis bifurqué et deux oviductes distincts mais sans poche, telle est la réunion étrange des caractères les plus disparates qui donnent tant d'intérêt à cette création anormale , si peu nombreuse en espèces, et qui semble porter à son comble l’étrangeté des animaux aus- traliens. On rejette aujourd’hui leurs œufs prétendus ; un ergot des pieds postérieurs, rudimentaire chez les femelles , développé chez les mâles, canaliculé, verse le produit d’une glande cachée entre les muscles cruraux. Le caractère veni- meux dé ce liquide paraît devoir être relégué au rang des fables ; l’'ergot des mâles semble bien plutôt un organe préhenseur et excitateur de la femelle, lors de l’accouplement, analogue aux pièces copulatrices de beaucoup d'insectes et aux éperons cornés de certains crapauds. L’ornithorynque a le bec large, offrant à la base des dents cornées, la langue non extensible, les pieds ultra-palmés. Il vit dans les marécages de la Nouvelle-Galles du Sud et fouille la vase avec son bec. Il creuse des terriers sur le bord des eaux. Son pelage, fauve en dessus, blanchâtre en dessous, rappelle les loutres, les ondatras. Sa taille est la plus grande parmi les monotrèmes ; les yeux sont cerclés de poils beau- # coup plus pâles. Ces caractères généraux des animaux aqua- tiques sont si constants, que ces êtres, placés à la limite des mammifères, paraissant , au premier abord , déroger aux lois ordinaires, viennent, au contraire, nous apporter la confirma- tion éclatante de l’unité des principes. L’échidné, animal terrestre et fouisseur de l’île de Diémen et de la Nouvelle-Hollande , présente des soies entremélées de piquants. Son bec est mince, tubuleux , ouvert seulement à l'extrémité, sa langue extensible comme celle des fourmi- liers ; ce qui fait supposer un régime analogue. On en a indi- qué deux espèces, qui sont peut-être deux variétés {echidna selosa et hystrix). L’ornithorynque a été amené vivant plu- sieurs fois en Angleterre ; l’échidné n’a pu être transporté en Europe. | Les galeries du Muséum possèdent encore un ornithorynque mâle dû à Péron et Lesueur , et deux échidnés soyeux : sa- voir une femelle privée d’ergot, et un jeune mâle muni d’er- got et d’une très belle conservation. Ces derniers viennent de l’île King. L’ornithorynque est figuré dans l’atlas du voyage aux terres australes (planche 34), ainsi que le détail des poils du dos, à élargissement, lancéolé du milieu à la pointe. Seu- lement, on y trouve désignées deux espèces , ornithorynchus rufus et fuscus (Pér. et Les.), établies à tort sur de simples variations de couleur. Plus tard, M. Geoffroy Saint-Hilaire a fait voir qu’elles n’en forment réellement qu’une, ornithoryn- chus paradoxus (À). Les sirénides ou pachydermes bipèdes amphibies, groupe parallèle aux pachydermes ordinaires, ne figurent qu'inci- demment dans les travaux de Péron, mais, toutefois, de ma- nière à résoudre une intéressante question. Dampier, un des (1) Ann. des Sciences naturelles, IX, 451, 1826. + — 1923 — premiers explorateurs de la baie des Chiens marins, à la terre d'Endracht, prétendait avoir rencontré les restes d’une tête d’Aippopoiame, reconnaissable à ses défenses, dans l'estomac d'un requin. Ce fait était en désaccord avec les notions les mieux acceptées de la géographie zoologique, car l’hippopo- tame est exclusivement propre à l'Afrique, vit seulement dans les grands lacs et fleuves d’eau douce, et descend rarement à leur embouchure. La terre d’'Endracht, comme toutes les cô- tes de la Nouvelle-Hollande , est privée de cours d’eau. Un heureux hasard permit à Péron de trancher cette grave diffi- culté. Lors de la seconde relâche à la terre d’Endracht, les matelots lui apportèrent sept dents arrachées à un animal dont le cadavre, long de six à sept pieds, gîsait en putréfaction étendu sur la grève. Il reconnut des dents de dugong, mam- mifère bipède, encore bien mal étudié à cette époque, et de l’océan Indien. L'erreur de Dampier fut ainsi expliquée ; car les dents du dugong indiquent un régime herbivore , comme celles de l’hippopotame. Il a aussi des défenses, mais à la inû- choire supérieure , tandis que les canines recourbées en dé- fenses, chez l’hippopotame, sont surtout celles de la mâchoire inférieure. Péron n’a pu, malgré ses recherches à la terre d’Endracht, rencontrer le dugong vivant. Peut-être ce hurlement terrible, semblable au mugissement d’un bœuf, mais beaucoup plus fort, et qui paraissait sortir des roseaux (1), objet de grande épou- vante pour les explorateurs de la rivière des Cygnes, lors de la première relâche, doit-il être rapporté aa dugong. Les ry- tines, bipèdes herbivores, voisins des dugongs , ont, au dire de Steller, la voix analogue au mugissement des bœufs. Les cétacés, parmi lesquels les cachalots et un grand nom- (1) Voy. aux terres austr., t. I‘, p. 183. pr # bre de dauphins non classés, fréquentant en grand nombre les archipels polynésiens, ont peu fourni aux observations de Péron. À l'égard des baleines et des cachalots, il remarque seulement leur multitude incroyale en certains parages de la Nouvelle-Hollande, et en certaines saisons, multitude qui doit être bien diminuée aujourd’hui , tant est grande, selon les prévisions de Péron, l’ardeur des baleiniers anglais et améri- cains à se porter dans ces régions. C’est surtout la baie des Chiens marins, à la terre d’'Endracht , qui offrait ces colosses de la mer en quantité prodigieuse, comme l’avait déjà constaté Dambpier, dont le navire en fut environné de toutes parts, et à si courte distance, que l'équipage était éponvanté en voyant la mer blanchir et écumer sous le battement de leurs queues puissantes, et l’eau rejetée à grands flots par leurs évents (1). Près du cap sud de la terre de Diémen , Péron découvrit un dauphin d'espèce nouvelle, qu'il désigne sous le nom de dauphin à museau blanc (delphinus leucoramphus), et à la- quelle Lacépède, dans son Æistoire des célacés, donna le nom de dauphin de Péron (delphinus Peroniï). Cette espèce a servi de type unique au genre delphinaptère, caractérisé par l’absence de nageoire dorsale, et par un sillon profond qui sépare le museau du crâne. Le bout du museau, les flancs et les nageoires pectorales et caudales sont d’un blanc argenté, la tête et le dos, d’un noir bleuâtre. Péron remarque cette disposition des animaux à devenir blancs, à mesure que leur habitation se rapproche des hautes latitudes australes ou boréales. Aïnsi, dans le nord, se ren- contre le dauphin blanc (delphinus leucas, Linn.), qui n’est peut-être qu’une variété. Dans les mers australes, outre le dauphin de Péron, on cite, d’après Commerson et Forster, (1) Dampier, Voy. aux lerres austr.; &. ENV, p. 407. un. — 195 — une autre espèce, dont le corps, tout-à-fait blanc, ne conserve plus que des taches d’un brun bleuâtre. La classe des oiseaux est une de celles sur lesquelles les découvertes de Péron nous ont laissé le moins de renseigne- ments écrits. C’est à Maugé qu’on doit les échantillons de la première partie du voyage ; le capitaine Baudin s’en occupait également. Les oiseaux sans contredit les plus remarquables rapportés par Péron sont les casoars. [ls appartiennent à ce singulier groupe d'oiseaux terrestres à ailes rudimentaires ou nulles, les autruches , les nandous , les aptérix , les gigantesques di- nornis de la Nouvelle-Zélande. On ne sait au juste si l’on doit y Joindre l’épyornis de Madagascar , et le dronte ou dodo de l’île Maurice, si récemment perdu. Chez ces oiseaux, les os sont dépourvus de trous à air , et les ailes, quand elles exis- tent, absolument impropres au vol. On dirait une création faite exprès pour justifier l'unité de composition organique et démontrer le vice de cette définition , donnée uniquement au point de vue de l’harmonie , que l'oiseau est un animal orga- nisé pour le vol. Outre un grand nombre de dépouilles, Péron ramena vi- vants deux casoars sans casque où émous de la Nouvelle-Hol- lande, du genre actuel dremée. Cet oiseau, que le capitaine Philipp fit connaître pour la première fois, est le plus grand des oiseaux de la Nouvelle-Hollande, sa taille pouvant attein- dre à près de six pieds. Il forme le passage des véritables ca- soars aux nandous ou autruches américaines, espèces tridac- tyvles comme lui. Il se distingue du casoar par sa tête petite, dépourvue de casque, son cou et le derrière de sa tête garnis de petites plumes duveteuses, l’absence des cinq piquants, qui remplacent les pennes alaires chez le casoar. Il est figuré dans l’atlas du voyage (pl. 36 et A1), avec les petits encore fi | — 106 — vêtus de la livrée, le détail de la tête à bec très fendu, à lar- ges narines, les plumes à fines barbules , moins décomposées que celles du casoar, et le bout de l’aile terminée par un pi- quant. À l’époque de Péron, cet oiseau existait dans les forêts d’eucalyptus de la Nouvelle-Galles du Sud, et surtout dans les îles côtières ; les plus beaux individus rapportés viennent de l’île Decrès. Les chasses se font au moyen du chien. Il se trouve maintenant sur le continent australien, rejeté au delà des montagnes Bleues. L'émou est d’une très grande importance au point de vue de la domestication. Péron l’a trouvé, à côté du wombat, pendu au croc des pêcheurs de l’île King. Il donne des œufs de la grosseur de ceux de l’autruche et de meilleur goût. Sa chair, qui tient le milieu entre celle du coq d'Inde et du jeune porc, est véritablement exquise. Il est appelé à devenir, avec le nandou d'Amérique, suivant l’ingénieuse expression de M. Esi- dore-Geoffroy Saint-Hilaire, un oëseau de boucherie. La fe- nelle pond environ quatorze œufs d’un gris ardoisé très foncé, que le mâle couve pendant deux mois. Le petit, en un an, est aussi haut en taille que ses parents, considération bien im- portante pour les éleveurs. Il supporte très bien notre climat, et un de ces émous a véeu plusieurs années à la Ménagerie, exposé au froid des hivers, sans Jamais rentrer dans sa ca- bane. Le Géographie ramenait aussi, à l’état vivant, le véritable casoar, Où casoar à casque où émeu, des Moluques, provenant des acquisitions du retour. Il est caractérisé par le casque os- seux qui recouvre sa tête, et qui est une saillie du frontal. Le cou est nu, et la peau de la tête bleue (comme celle des cô- iés de la tête du dromée ou casoar sans casque ). Les ailes, impropres au vol, portent, en guise de pennes, cinq piquants propres à la défense. Cet oiseau tridactyle, des forêts profon- * pre des des Moluques, de taille moindre que lautruche (environ un mètre et demi), est rare partout. Sa gloutonnerie, sa stu- pidité, son caractère farouche, sa chair de mauvais goût le rendent inutile à l’homme. Ses plumes, très décomposées, dépourvues de barbules, d’un noir luisant, ressemblent à des soies de sanglier. Le vaisseau monté par Péron ramena encore à l’état vivant une autruche d'Afrique, didactyle, le secrétaire du Cap ou inessager, rapace diurne, à bec robuste, crochu, très fendu, à ailes armées de trois éperons obtus, à jambes très longues, grand destructeur de serpents; trois poules sultanes, deux pigeons couronnes, et cinq perroquels royaux , ces derniers de la Nouvelle-Follande. Nous devons, avant tout, citer les espèces qui pourront de- veair utiles à l'homme ou pour leur chair, ou comme oiseaux d'ornement. Au premier titre se place l’oie du détroit de Bass, dont un grand nombre de dépouilles figurent dans la collection du voyage, et qui pourra être une bonne acquisition domestique. C'est le cereopsis cinereus, oiseau voisin des Bernaches, de la _ taille d’une oïe. Le plumage est cendré, avec les tectrices alaires, les rémiges primaires et les rectrices d’un brun obscur. Le cygne noir avait été envoyé vivant en France sur le Va- turaliste et a vécu à la Malmaison (deux ou un individu). En outre, quatre échantillons en peau furent rapportés. Ce bel oiseau d'ornement s’acclimate aisément en France, et vit en ce moment à la ménagerie du Muséum. Îl a pour patrie exclu- sive les côtes méridionales de la Nouvelle-flollande et de la terre de Diémen. Son plumage est entièrement noir; le bec ronge, ainsi que la cire dont sa base est couverte ; les pieds sont d’un gris foncé. Nous trouvons aussi, dans la collection de Péron, un des Lu — 198 — plus curieux oiseaux des régions australes, c’est le ménure lyre. 1 se rapproche des faisans parmi les gallinacés, et des merles parmi les déodactyles. M. Isidore-Geoffroy Saint-Hi - laire l’a placé dans le sous-ordre des gallinacés passéripèdes. La collection du Muséum le présente actuellement rangé parmi les déodactyles (coupe des anciens passereaux). Habitant les forêts d’eucalyptus et de casuarinas, qui couvrent les ravins des montagnes Bleues, à la Nouvelle-Galles du Sud, sa queue, dit M. Lesson, est l’image fidèle, sous les solitudes australes, de la lyre harmonieuse des Grecs. Il est surtout remarquable par la beauté de cette queue propre au mâle. Le reste de son plumage est triste, d’un brun grisâtre. Il serait, pour nos parcs, un admirable ornement. Nous consacrerons quelques lignes à ces brillantes légions des cacatoës et des perruches australes, qui, malgré la froide température de ces contrées, peuvent le disputer avec avan- tage aux espèces les plus éclatantes des climats équatoriaux. Ces oiseaux offrent d’abord un des bons exemples à citer contre cette théorie, beaucoup trop absolue, qui concentrait entre les tropiques , avec la chaleur et la lumière, la vivacité et la richesse de la parure extérieure des animaux. Péron fait re- marquer le grand nombre de ces perroquets sous des latitudes souvent assez froides; ce qui offrira des facilités pour accli- mater beaucoup de ces belles espèces. Les collections du Muséum renferment encore une quan- tité assez notable des individus rapportés par l’expédition australienne. Dans les cacatoës proprement dits ou plyctolo- phinés, se trouve le beau cacatoës blanc, à huppe jaune sou- fre, recueilli à la terre de Diémen , et deux fois plus grand que celui des Moluques. Viennent ensuite, dans les calypto- rhynchinés, ces perroquets magnifiques, à plumage quasi-fu- néraire, où domine le noir à brillants reflets ; ainsi le cacatoës — 199 — funèbre (deux individus), dont la queue en dessous est élé- gamment ornée de fascies transversales d’une belle couleur au- rore ; il habite les forêts d’eucalyptus de Parramatta ; le caca- toës de Cook, le cacatoës de Solander, le cacatoës de Banks, le cacaioës de Baudin , enfin le cacatoës à tête rouge, de plus petite taille, rencontré à l’île King par Péron et Lesueur, dans le détroit de Bass. Un genre voisin renferme le licmétis nasique où cacatoës nasique, d’un plumage blanc, à petite huppe blanche, avec des plumes d’un rouge vif autour du bec, et les pennes caudales d’un jaune soufré en dessous. Cet oiseau est remarquable par sa mandibule supérieure, longue, très comprimée, très poin- tue, dont il se sert, comme d’un coin, pour détacher les écor- ces sous lesquelles s’abritent les larves d'insectes qu’il con- voite. Aussi commet-il beaucoup de dégâts dans les forêts du sud de l'Australie. La famille des perroquets proprement dits nous donne deux individus du perroquet batave de Timor, et deux également du trichoglosse austral de la Nouvelle-Hollande et du tricho- glosse hématode de Timor, type da genre. Citons aussi l’aga- pornis iris de Timor, et une variété du Lort à collier. Enfin, parmi les perruches, nous trouvons la perruche à front roux, de Timor, et dans le genre platycerque, établi par Vigors sur les perruches à queue large, les platycerques ictérote, calédo- donien et ensanglanté, de Timor. Les rapaces des régions australes furent, presque sans ex- ception, remarquables par un plumage blanc en totalité ou en srande partie, d’un caractère tout différent de celui des oi- seaux de proie d'Europe. Ils appartiennent à peu près tous à la section la plus nombreuse de l’ordre, les rapaces ignobles, à aile obtuse. Dans le genre aquila, figure l'aigle à queue étagée, de la 9 — 130 — Nouvelle-floïilande, de grande taille, à tête d’un jaune blan- châtre (deux individus); dans le genre haliastur, la pygarque leucosierne, de la Nouvelle-Hollande, à tête blanche, avec quelques plumules fauves ; dans le genre pandion , le balbu- zard leucocéphale (Nouvelle-Hollande). Les milans du genre é/ane doivent à Péron l’éfane aæxillaire ( falco axillaris ), à tête, gorge et ventre blancs, mêlés de roux. L'autour blanc, de la Nouvelle-Hollande, dont le mâle est complétement blanc, tandis que la femelle, avec le ventre blanc, a la tête et le dos gris, sont aussi mentionnés dans le voyage pour leur singularité. Seuls , le faucon cresserelle, de Timor, dû à Maugé, et l'épervier à collier, de la Nouvelle-FHollande (un mâle et une jeune femelle), ressemblent, pour la robe, aux espèces de nos pays. | Les rapaces nocturnes de la collection sont deux effraies (strix flaminea), de la Nouvelle-Hollande, de grande taille, à ventre blanc roussâtre, tacheté de points noirs. Les syndactyles de la collection sont le martin pêcheur à tête verte, et le ceyx à dos bleu, sans doigt interne, tous deux de Timor (Maugé), deux guépiers et trois calaos. L'ordre immense et confus des déodactyles nous offre beau- coup d’espèces nouvelles de ses diverses familles. Les plus nombreux échantillons , que nous ayons pu re- trouver appartiennent à la famille des dentirostres. À côté des pie-grièches se placent trois espèces du genre langrayen (à ventre blanc , à lignes blanches et chocolat), de Timor, re- cueillies par Maugé. La Nouvelle-Hoilande a fourni la grive à ventre brun, ei Timor, deux merles des Indes (turdus orien- talis). En outre, le merle à collier jaune, le tangara couleur lilas, un gobe-mouckhe, de la Nouvelle-Hollande, et deux dron- tes gos, de Timor. Nous devons mentionner, avec plus de détaiis la queue gazée de Port-Jackson (muscicapa malachura), très petit passereau, à queue des plus curieuses, dont les barbu- les, fines et espacées, semblent une mince et transparente dentelle. Dans les becs-fins, figurent deux éraquets noirs de Timor, et un traquet de la Nouvelle-flollande, de plumage gris, non classé, une fauveite grivelée de Timor, une rubiette de très petite taille, le pinc-pinc du Cap (sylvia tectrix). La famille des fissirostres avait, dans la collection, cinq re- présentants, parmi lesquels l’engoulevent de Timor et l’hiron- delle à gorge rayée, de Timor, dus aux recherches de Maugé. L'île Decrès est citée par Péron comme lui ayant procuré de nombreux passereaux. Dans les conirostres, nous mentionnerons, parmi les cor- beaux, les choucaris à masque noir et à camail noir, tous deux de Port-Jackson, et les choucaris, des papous et à ventre rayé, provenant de la Nouvelle-Guinée , et acquis, lors des relâches, ainsi qu’un paradisier ; en outre, le bouvreuil à croupion rouge, la mésange à collier bleu, etc. , etc. Dans les ténuirostres se trouvaient le grimpereau flavoptère et deux individus de l’échelet picumne ( climacteris picumnus), de la Nouvelle-Hollande, un promérops, recueilli au Cap, etc. Dans l’ordre des gallinacés propres, peu nombreux en es- pèces , sous les latitudes australes éloignées de l’équateur, furent ajoutées aux collections du Muséum les pintades huppée et mitrée, espèces toutes deux du Cap, et la caille australe, de la Nouvelle-Hollande , de même taille et de plumage plus roux que la nôtre. Quatre individus furent tués par Lesueur. Nous trouvons de riches et importantes découvertes orni- thologiques dans le sous-ordre des colombées, et surtout dans les échassiers et les palmipèdes , qui terminent la classe des — 132 — oiseaux , classe si naturelle, et, par contre, si difficilement subdivisible. On sait combien les régions australes chaudes sont remar- quables par leurs élégantes espèces de pigeons, de formes si gracieuses et souvent apprivoisées par les naturels des îles polynésiennes. Les navigateurs de l'expédition australe rap- portèrent plusieurs individus de la colombe kurukuru (columba purpurata), de Timor, à tête pourpre, à ailes vertes, la co- lombe turvert (columba javanica), à gorge rouge, à ailes vertes , la colombe de Maugé , espèce nouvelle, très petite, dont la gorge est rayée de bandes alternativement noires et blanches , enfin le columbar aromatique , de Timor , qui est entièrement d’un vert jaunâtre. Dans les échassiers pressirostres, nous rencontrons le plu- vier à front noir et le pluvier à tête rousse , tous deux de la Nouvelle-Hollande, ainsi que l’œdicnème à gros bec. La collec- tion d'oiseaux donnée par Péron au lycée de Moulins contient un pluvier et un vanneau armé de la Nouvelle-Hollande. Du même pays provenait l’huttrier noir. Les échassiers cultrirostires se sont enrichis du butor poici- loptile, de quatre individus du bihoreau calédonien et d'une spatule royale, entièrement blanche, tous trois de la Nou- velle-Hollande : un Jabiru, de Taïti, provenait d'acquisition. Les échassiers longirostres offraient le courlis de Timor, et le chevalier aux pieds courts, de Timor ; une belle avocète à ventre blane, à cou et à tête rousse (recurvirostra Novæ Hol- landiæ où rubricollis) ; une avocète leucocéphale, etc. Aux macrodactyles appartiennent le réle austral, gris noirâtre, de la Nouveile-Hollande ; un giarole, du même pays ; des poules sultanes ramenées vivantes du Cap. Non moins nombreux sont les palmipèdes dont nous de- vons la connaissance aux naturalistes dévoués de l'expédition. Nous citerons, dans les longipennes l'albatros fuligineux des mers australes, le goëland pacifique (larus pacijicus), tué à VPîle Maria par Lesueur, à ailes et queue noires, et une mauve d'espèce nouvelle, nommée par Péron larus melanop- lerus, à cause de ses ailes noires. À l’île Maria, le larus leu- comelas, à plumage blanc varié d’un peu de noir, fut tué par Lesueur (1). C’est surtout dans la longue traversée vers la terrre de Diémen, que furent obtenus les oiseaux marins. Parmi les hirondelles de mer qui entourent le navire, Péron remarque, outre le sterna obscura , de Linné, deux espèces nouvelles, l’une, au plumage noir, qu'il appelle sterna mela- nosoma (peut-être le sterna melanogaster où un noddi), et l’autre sterna caspioïdes, d’après sa ressemblance, dit-il, avec le sterna caspia de Linné. La collection du Muséum indique, sous son nom, les sterna Novæ Hollandiæ et sterna sinensis (kirondelle de mer à bandeau), à manteau et ailes gris, avec un trait noir sur la région oculaire. La caractérisation de ces espèces est difficile. Dans les totipalmes encore inconnus se rangent le cormora noir et blanc de la Nouvelle- Hollande, un pélican à ailes mi- partie blanches et noires, à gorge jaune, de l’île Decres ; c’es le pélican à lunettes de Temminek, etc. Maugé avait recueilli à Timor la frégate aigle. Aux lamellirostres nouveaux, outre le céréopse cendré et le cygne noir, se rattachent la bernache à crinière, le canard à sourcils blancs, de la Nouvelle-Hollande, et le canard bridé (anas rhynchotis), dont les ailes sont d’un beau bleu ardoisé. Dans la famille anormale des brachyptères, à ailes trans- formées en rames incurvées, à cristallin sphéroïde, comme chez les poissons, fut rencontré par Maugé, en Tasmanie, le (1) Lesson, Traité d’ornithologie, p. 622. lu gorfou nain (aptenodytes minor de Forster), d’un brun plomhé sur les ailes et la région supérieure, à ventre d’un blanc sa- tiné. Sur l’île Préservation, du détroit de Banks, existaient des troupes considérables de ces manchois, engourdis pen- dant le jour et nichés dans des terriers, s’entourant de feuilles sèches et de plumes (1). Ils sortaient la nuit pour pêcher. Ils étaient si peu farouches et aimaient tellement la chaleur qu’ils accouraient vers les feux au risque d’être brûlés. Plusieurs même cherchaient avec opiniâtreté à s’introduire sous la cou- verture des matelots endormis sur le rivage. La bienveillance de M. Florent Prévost a mis entre nos mains un catalogue de la collection d'oiseaux rapportée par Maugé, Lesueur, Péron. C’est le seul qu’on aït pu retrouver dans les anciennes archives du Muséum. Il comprend huit cent trois individus de deux cent quatre-vingt-dix-sept espè- ces. Les désignations, uniquement génériques, qu'il contient, sont trop vagues pour qu'il y ait intérêt à le reproduire. Cinq genres sont cités comme nouveaux, sans autre indication. Il y avait sept espèces de cacatoës, dix-huit de perroquets et de perruches de la Nouvelle-FHollande , quatorze espèces de rapaces, etc. | Nous ne pouvons passer sous silence, en terminant ce qui concerne les oiseaux, une curieuse découverte due aux ex- plorateurs détachés du vaisseau le Vaturaliste, lors de la re- connaissance du détroit de Banks et de ses îles. Dans lîle Préservation, où se trouvaient en troupes énormes les céré- opses cendrés dont nous avons parlé, on voyait, à la cime des arbres, qui n’ont, du reste, pas plus de 12 pieds de hauteur, des nids d'oiseaux formés par l’assemblage de petits morceaux de bois entrelacés avec soin ; ces nids avaient environ 3 pieds (1) Voyage aux terres australes, À. I‘, p. 352. — 135 — de diamètre et plus de L pied d'épaisseur. Ils étaient assez solides pour supporter le poids d’un homme, comme on en fit l’épreuve. Abandonnés à l’époque où on les rencontra, mais encore couverts d’une épaisse couche de fiente, ces nids devaient appartenir à quelque rapace de très grande taille. Un nombre considérable d'espèces inédites, plusieurs gen- res d’un haut intérêt par des combinaisons nouvelles d'orga- nes introduits dans la science, tels sont les services rendus par Péron à la zoologie des reptiles. Le travail de Lacépède sur les reptiles et poissons rapportés par le Vaturaliste (1), et surtout l'excellente Histoire des reptiles de MM. Duméril et Bibron , nous offrent, à cet égard, de nombreuses indica- tions. Le Géographe ramenait vivants trente-deux chéloniens, tant de terre que d’eau douce, provenant de l’île de France, du Cap et de Madagascar, parmi lesquels la tortue anguleuse , tortue terrestre du Cap, à carapace d’une seule pièce, à ster- num immobile, à doigts courts et empâtés. Sur l’autre navire, se trouvaient des représentants vivants d’une espèce beau- coup plus curieuse, déjà décrite par Shaw, ia chélodine de la Nouvelle-Hollande (chelodina longicollis) , en ce moment vivante à la ménagerie des reptiles. Cette tortue, de la famille des paludines , élève au-dessus des marais une tête piate et unie, ressemblant à celle des couleuvres les plus sveites ; ses doigts sont palmés, et son cou, trop long pour pouvoir rentrer sous la carapace, et se logeant de côté lors du repos, rappelle vaguement celui du plésiosaure. Les tortues fluviatiles constamment immergées comme les (1) Mémoire sur plusieurs animaux de la Nouvelle-Hollande, dont la des- cription n’a pas encore été publiée, par Lacépède. — Ann. du Mus., L IV, p. 18/1.) — 136 — tortues marines , ne se présentèrent pas aux investigations de Péron , dans ces pays dépourvus de grands fleuves, et sauf un très petit individu de la chélonée caouane , nous n'avons pas trouvé d'indications sur les tortues de mer, qu'il a pu rapporter, bien qu’il en parle, dans le voyage, comme “ayant servi, à la terre d'Endracht, à nourrir les équipages du Naturaliste. (Voy. aux terres austr., t. 1°, p. 202, et t. IF, p- 224.) Au groupe des crocodiliens appartient le squelette du rep- tile tué, par Péron et Lesueur, dans les marécages de Timor. C’est l'espèce dite crocodile à deux arêtes, dont la mâchoire supérieure est surmontée de deux arêtes raboteuses, partant de l’angle antérieur de chaque œil. La taille de cet animal, commun dans les marécages des Moluques, et atteignant jus- qu'à 6 mètres, le rend très redoutable, même pour l’homme. Dans les Varaniens, à tête recouverte d’écailles tabercu- leuses, comme le reste du corps, et non de larges plaques cor- nées, comme les lézards, nous devons à l’expédition australe le varan de Timor, d’un brun olivâtre, une des plus petites du groupe. Péron cite une espèce de beaucoup plus grande taille, de plus d’un mètre, recueillie à l’île Bernier, et qu'il nomme {upinambis endrachtensis. Ce me paraît être le varan bigarré ou le varan de Bell. Le varan de Timor constitue, avec le varan du désert, les deux seules espèces des varans terrestres, à queue cylindrique, les varans aquatiques ayant la queue latéralement amincie : au reste, on conteste aujour- d’hui la valeur de ce caractère distinctif. Dans la curieuse famille des iguaniens, se trouvent ces rep- tiles que rendent parfois si bizarres les fanons ou goîtres sou- vent nuancés de vives couleurs qui pendent sous leur gorge, et la crête dentelée dont leur dos se hérisse. [ls vivent sur les arbres et se nourrissent d'insectes et de végétaux. L’is- — 137 — tiure de Lesueur, de la Nouvelle-Hollande, offre un fanon peu développé, mais une crête dorsale prolongée ; les grammato- phores, muriqué et de Decrès (agama decresiensis de Péron), ce dernier de l’île Decrès, nous frappent par leur écaillure dorsale carénée et épineuse , l'absence du fanon (1), leurs écailles crypteuses sous les cuisses, leur queue à écailles en- tuilées ; l’agame épineux, du Cap, genre confondu par Cuvier avec le précédent ; enfin le fouette-queue gris, de la Nouvelle- Hollande, sans crête, à tête triangulaire, à longue queue, aplatie comme le tronc et couverte d’épines verticillées ; telles sont les espèces australes nouvelles ajoutées aux iguaniens, connus d’abord dans la science par les espèces d'Amérique et de l'Afrique boréale. Parmi les autres reptiles arboricoles, les caméléoniens, aux doigts divisés en deux faisceaux, nous ne rencontrons que deux espèces nouvelles de l’Afrique australe, le caméléon tigre , plus grêle qu'aucun de ses congénères , à taches noires, se- mées sur un fond fauve, et le caméléon nain, à formes courtes et ramassées, toutes deux des îles Seychelles, et provenant des acquisitions du retour (2). Les lacertiens , à crâne couvert de larges plaques polygo- nes, à langue protractile, plus ou moins bifide, sont très rares dans les régions australes ; les hideux geckotiens, au contraire, s’y rencontrent en espèces variés, comme tous les sauriens à formes aplaties. On a d’abord confondu , sous le nom de geckos, tous ces reptiles qui, par leurs doigts élargis en des- sous et formant ventouses, peuvent adhérer aux surfaces les plus abruptes, se mouvoir même complétement à contre-pe- santeur. Les envois de Péron ont puissamment contribué à (1) L’agama grandoculis, de Péron, doit être un grammatophore. (2) Voir, pour les détails, Hist. des reptiles, 8° vol., Dum. et Bibron. — 138 — fournir aux erpétologistes modernes les sujets de leurs nou- veaux genres. À lui revient ia découverte, dans les platydac- tyles sans ongles et sans pouce, du platydactyle cépédien, de l’île de France, dont les doigts s’élargissent dans toute leur longueur ; et, dans ceux à quatre ongles et à pouce inongui- culé, du platydactyle des Seychelles et du platydactyle à gout- telettes, de Timor. On lui a dédié, dans les Aémidactyles, dont les doigts s’élargissent en disque à la base seulement, puis se terminent par de grêles phalanges , l’hémidaciyle de Péron , de l’île de France. Nous pensons pouvoir rapporter certains des geckotiens indiqués comme nouveaux dansle Voyage aux terres australes (1), aux échantillons de l’hémidactyle varié, de Tasmanie, de la collection du Muséum, ainsi qu'aux phyl- lodactyle de Lesueur et phyllodactyle porphyré , des environs de Port-Jackson, à extrémité des doigts seule dilatée en disque sub-triangulaire. | Les environs de Paramatta présentèrent aux explorateurs de l'expédition française ce lézard singulier que Shaw avait décrit sous le nom de gecko à large queue (gecko platurus).Il parut à Péron si différent des geckos par sa conformation etses mœurs, qu'il crut devoir l'en séparer, pour en former un nouveau genre, sous le nom de geckoïde, qui devra suivre les geckos. « En effet, dit Péron (2), tous les geckos reconnus jusqu’à » ce jour ont les doigts courts, larges, aplatis, déprimés et re- » vêtus, à leur face inférieure, d’un très grand nombre de » petites foliolesimbriquées, par lemoyen desquelles ils peuvent » grimper contre les corps les mieux polis, ou même courir, » comme les mouches, à la surface des plafonds des apparte- (1) Sous les noms de gecko pachyurus et g. sphincturus, de l’île Decrès, et g. dorreensis, de l’île Bernier. (2) Voyage aux terres austr., 1* vol., p. 405. — 139 — » ments. Les geckoïdes, au contraire, ont les doigts grêles, » allongés, très comprimés latéralement, et dépourvus des fo- » lioles qui caractérisent les geckos. De cette première diffé- » rence dans les organes du mouvement, il résulte que les » geckoïdes sont privés de la faculté de grimper et de passer .» une partie de leur vie sur les arbres, comme la plupart des » lézards à pieds garnis de folioles. C’est dans les lieux bas et » fangeux qu'habitent les geckoïdes, et leur nourriture s’y » compose de larves d'insectes aquatiques et de quelques-uns » de ces insectes mêmes. Leur physionomie est d’ailleurs, » comme celle des geckos, triste et repoussante ; leurs yeux » sont gros et protubérants ; la pupille en est linéaire et ver- » ticale ; tout leur corps est extrêmement plat, et leur queue, » taillée en forme de fer de lance, est tellement articulée, » qu’on peut à peine toucher un de ces animaux sans qu’elle » se détache à l'instant et se sépare tout entière du reste du » Corps. » La science a complétement adopté l’idée de Péron. Ce geckotien est le phyllurus Cuvieri, ou, dans la classification de MM. Duméril et Bibron, le gymnodactyle phyllure (1), si curieux par cette queue comparable à une feuille de lilas al- longée, presqu'aussi longue que le tronc, à bords très minces, un peu renflée centralement. Il a peut-être donné lieu, de la part de Péron, à une confusion bien excusable au milieu de tant d'objets nouveaux, et ne serait alors pas distinct de l’ani- mal désigné un peu auparavant ( Voy. aux terres austr., t. 1%, p. 404), sous le nom de stellio discosomus, offrant une ressemblance grossièreavec une torpille et dont la gorge serait douée d’un renflement d’un bleu intense. C’est le /ézard dis- cosure de Lacépède. Les chalcidiens et les scincoïdiens sont les reptiles dont les (1) Hist, des rept., 3° vol., p. A30. jp > régions australes nous présentent les plus nombreuses espe- ces, création intéressante au plus haut degré par ses formes de passage des sauriens aux ophidiens, le rapetissement des membres, la perte d’une ou deux de leurs paires, ou seulement d'un , de plusieurs ou de tous les doigts, enfin la forme cy- lindroïde du corps. Dans les chalcidiens, Péron et Lesueur nous ont fait connaître le zonure gris, du Cap, à cinq doigts onguiculés aux quatre pattes, rappelant, par l’aspect, les stel- lions et les agames. L'Océanie abonde en espèces variées de scincoïdiens , à corps couvert d’écailles entuilées ; les découvertes de Péron ont singulièrement aidé le regrettable Cocteau et MM. Dumé- ril et Bibron dans la classification si difficile de ce groupe. Les plus nombreux se rangent dans les saurophtalmes (de Duméril), dont les yeux, protégés par des paupières mobiles, sont pareils à ceux des lézards. Le grand genre des gongyles contient des reptiles à mem- bres seulement raccourcis, dont l’apparence est la moins éloi- gnée de celle de nos lézards. Plusieurs subdivisions sont fon- dées principalement sur les espèces du Voyage aux terres australes. Telles sont le sous-genre euprèpes, caractérisé par l'euprèpes des Seychelles, acquis à l’île de France par Péron et Lesueur, qui l’appelèrent scincus oxyrhinus, et l'euprèpes de Séba, de Timor, déjà connu et commun aux Moluques et aux Indes. Dans le sous-genre /ygosome, à paupière inférieure, tantôt transparente, tantôt squammeuse, nous comptons neuf espèces nouvelles, parmi lesquelles nous citerons le /ygosome de Guichenault, dédié au modeste et dévoué jardinier, le /y- gosome de Lesueur et les espèces nommées par Péron scincus nœvius, scincus decem-lineatus, dont le corps est noir par dessus, avec dix raies blanchâtres, scincus W hitit à pattes ta- chetées de noir et de blanc. Pour certains de ces sauriens des : Don NE environs de Paramatta, Péron avait formé un genre nouveau, sous le nom de scincoide, et y rapportait aussi un Iygosome, trouvé à l’île Decrès, sous le nom de scincoïdes ocellatus. Au sous-genre {ropidolopisme , à corps couvert d’écailles carénées , appartiennent trois variétés du topidolopisme de Duimeéril, regardées par Péron comme espèces distinctes, sous les noms de scincus aterrimus, tout-à-fait noir, de l’île Decrès, de scincus nuillensis, à semis de points jaunes, sur fond brun, et de scincus trifasciatus, à trois séries de grandes taches noi- res de la tête à la queue, et dont Cocteau fit le psammite de Napoléon. Tous sont plus grands que notre lézard vert ocellé, dont ils ont le facies général (4). Au genre cyclode, curieux par ses dents arrondies, sub-hé- misphériques , se rapportent le cyclode de la Casuarina, de la Nouvelle-Hollande, et le cyclode de Bodduert, remarquable par sa grande taille et une raie noire sur chaque tempe. C’est le scincus crotaphomelas de Péron et de Lacépède. La Nouvelle-Hollande nourrit également des scinques, a corps couvert d'écailles osseuses, fort épaisses et ruguenses, dont on a fait le genre trachysaure, ayant comme type le éra- chysaure rugueux ou de Péron. C'est le scincus pachyurus de cet auteur. À lîle Bernier, dépendant de la terre d’En- dracht, Péron avait rencontré un scincoïdien de grande taille, qu'il nomme scincus tropisurus, ont la queue, très courte e! grosse, fait paraître, dit-il, cet animal comme ayant deux têtes. Cette description nous semble convenir parfaitement au trachysaurus asper, comme le montre l'individu de la col- lection du Muséum, rapporté par J. Verreaux, de la province de la rivière des Cygnes. (N. Holl.) Dans les espèces qui suivent, l’atrophie des appendices se (à) Hist. des rept., Dum. et Bibr., & V. — 1490 — prononce davantage et se porte sur les doigts. Une espèce de l'Ile de France, connue jusqu’à présent par un échantillon unique , a été nommée par Duméril et Bibron, kétérope de Péron, du genre hétérope, remarquable en ce que la paire de pattes antérieures se termine par quatre doigts inégaux, on- guiculés, et la paire postérieure, par cinq. Une découverte importante est celle de deux scincoïdiens, qui offrent une combinaison de doigts inconnue jusqu'alors dans les reptiles, mais que Lacépède avait prévue dans son système de classification, et déclarée probable. Péron est heu- reux de réaliser les prévisions du savant qu’il nomme son il- lustre maître. Ces deux reptiles, découverts à l’île Decrès, sont les types des deux genres tétradactyle , à quatre doigts onguiculés à tous les membres (fetradactylus decresiensis), et tridactyle à trois doigts inégaux et onguiculés (éridactylus de- cresiensis). Les scincoïdiens ophiocthtalmes, dont les yeux, comme ceux des serpents, sont dépourvus de paupière, sont beaucoup moins nombreux. Le genre abléphare offre ce singulier inté- rêt, qu'il paraît être du très petit nombre des animaux cosmo- polites. En effet, l’abléphare de Kitaibel, rencontré par Péron et Lesueur à la Nouvelle-Hollande, existe en Morée, en Hon- grie, en Valachie, et l’abléphare de Péron, à membres très courts, avec des doigts longs et grêles, à tête déprimée et triangulaire (scincus plagiocephalus de Péron), fut trouvé d’abord sur les côtes australiennes, et depuis, à Taïti, aux îles Sandwick, à Java, à l’île de France, en Morée, au Pérou (1). Le groupe des ophioptalmes, parallèle aux saurophtalmes, commence, comme eux, par des reptiles à membres et à cinq doigts pourvus d’ongles ; et le parallélisme se poursuit dans (1) Tome V, Rept., Dum. et Bibr., p. Voie ces espèces à membres atrophiés, par lesquelles la nature con- duit régulièrement aux ophidiens. Une des plus curieuses de ces formes de transition est un reptile qui ne possède que la paire postérieure de membres. On connaissait un lézard n’ayant que les pieds de derrière, découvert par Pallas sur les bords du Volga, le sheliopusik, et un autre, du Mexique, décrit par Lacépède, et n'ayant, au contraire, que la paire antérieure (bimane). Péron envoya six individus d’un genre nouveau, hystérope ou bipède. L'animal ressemble à un serpent par la forme cylindrique du corps, manque des membres de devant et possède des pattes postérieures courtes, arrondies, non di- visées en doigts, et couvertes, sur les faces supérieure et infé- rieure , par des rangées de très petites écailles. De là le nom de bipède lépidopode que lui donne Lacépède. Ce reptile tient, dans les scincoïdiens à paupière nulle ou rudimentaire, le rang parallèle à l’orvet (anguis fragilis), chez les scincoïdiens sau- rophtalmes. Les découvertes de Péron dans l’ordre des ophidiens n’ont pas un moindre intérêt et enrichirent encore la science de genres nouveaux. Cet ordre, remarquable par l’atrophie du système appendi- culaire, commence par un groupe qui continue la transition commencée par les précédents sauriens. Des serpents vermi- formes , inoffensifs, à écaillure imbriquée comme celle des scinques, n'ayant de dents que sur une mâchoire, presque complétement aveugles sous les voiles squammeux qui recou- vrent leurs yeux rudimentaires ; ainsi débute cet ordre, qui doitoffrir bientôt de terribles contrastes. Parmi ces débiles qpo- térodonies, l'exploration australienne nous donne un individu encore unique dans les collections, le cathétorhine mélanocé- phale, de patrie inconnue, dont le corps, extrêmement grêle, fut comparé par G. Cuvier à un bout de mince ficelle. Ne Aux serpents non venimeux, à dents sur les deux mâchoi- res, se rapporte la morélie argus ou python de Péron. Suivant Lesson, il atteint jusqu’à 2 mètres de longnieur, et vit dans les mares d’eau douce des environs de la rivière Georges. Les colons l’appellent serpent diamant. Cest le coluber argus de Linné, d’après Séba. Lacépède le décrivit à tort comme nou- veau, sous le nom de couleuvre spilote. Péron et Lesueur en envoyèrent trois variétés, deux de la Nouvelle-Hollande, d’un jaune vif et d’un noir bleuâtre en dessus, et une de la Tas- manie, tachetée de brun et de gris olivâtre. Dans les pythons, privés de dents sur l’os incisif, figure le platygastre mulhcaréné (eryx muliocarinatus de Péron), de Port-Jackson, et dans les couleuvres, l’ablabes roussâtre et l’'eugnathe géométrique , tous deux du Cap, et le wopidonote des Seychelles, dont les individus, entièrement décolorés au- jourd'hui par lalcool, furent acquis au retour (1). La détermination exacte des serpents venimeux provenant de l'expédition australe est très difficile , et par le manque de conservation des sujets, et par les erreurs de Lacépède dans sa description du premier envoi. L'intérêt principal porte sur ces protéroglyphes de Duméril, ou venimeux colubriformes de Schlegel, dont les crochets à venin sont antérieurs, mais faibles, et seulement cannelés extérieurement, et que les gran- des plaques polygones de la tête peuvent faire confondre avec les ophidiens, dont la morsure n’est pas redoutable. Lacépède avait établi le genre trimérésure pour deux espèces terrestres de ce groupe, à queue conique, non aplatie, pré- sentant trois séries de plaques sous-caudales d’inégale gran- deur, avec une rangée impaire, entre deux rangées paires. Les serpents rapportés dans ce genre par MM. Duméril et Bibron (4) Voir Dum. et Bibr., & VI et VIE, ouvrage cité. HS ne sont pas léStespèces décrites par Lacépède; on n’a pu les retrouver dans la collection. Schlegel à eu entre les mains un individu de cet envoi qui lui a permis de reconnaître linexac- titude de Lacépède. D’après lui, ce savant aurait désigné, sous les noms de boa læœvis, puis de trimeresus leptocephalus, le même animal, qui serait le naja à flancs couleur de pour- pre, dont le cou est moins dilatable, par redressement des côtes, que chez les najas des Indes et des îles de la Sonde. Les nuances sont très vives ; le dessus est d’un noir velouté, le dessous jaune, et sur les flancs règne une teinte rose pour- pre. Suivant Lesson , qui a depuis retrouvé ce serpent, il est très redouté à Port-Jackson , où son venin fait, dit-on, périr l’homme en un quart d'heure. Il abonde dans les petits bois de bruyère de la plage de Botany-Bay, est plein de vigueur et se défend avec hardiesse (1). Un genre voisin renferme l’alecto variegata, à écailles sous- caudales en rangée simple. Un individu, de la Nouvelle-Hol- lande, a été donné au Muséum par M. Kéraudren., Il faut sans doute ramener à ces genres deux espèces de serpents obser- vées à l’île King, ressemblant, dit Péron, aux boas par Îles écailles, mais munies de crochets à venin. Les premières études scientifiques sur les serpents marins ont été faites par Péron. Ces ophidiens vivent le plus généra- lement dans les eaux de la mer et sont fréquents sur les côtes de l'océan Indien : du même groupe que les précédents, le peu d'apparence de leurs crochets à venin, simplement rayés, expose à de funestes méprises ; leur queue, aplatie en rame, indique leur vie aquatique. Les nombreuses espèces de ces reptiles sont encore mal connues, et nous croyons impossible , 7 (1) Schlegel, Essai sur la physionomie des serpents. — La Haye, 1857,— Page 179. 10 — 116 — de retrouver toutes celles qu'indiquent les concises remar- ques du Voyage aux terres australes (t. 1”, p. 105). En vue de la terre d’Endracht surtout , furent fréquemment observés ces serpents, qui étaient à la poursuite des bancs de clupées. De couleurs très variées et quelquefois très brillantes, les uns ont le corps d’une teinte uniforme, ou grise, ou Jaune, ou verte, ou bleuâtre ; d’autres l’ont annelé de bleu. de blanc, de rouge, de vert, de noir. Les uns sont marqués de grandes taches plus ou moins régulières, les autres ne présentent que de très petits points élégamment distribués sur toute la sur- face du corps. L’une de ces espèces est remarquable par sa tête d’un rouge vif éclatant, c’est le serpent marin à tête rouge, de Dampier. La taille des espèces recueillies par Péron a va- rié de 30 à A0 centimètres jusqu’à 4 mètres de longueur. Péron ne se prononce pas sur la question de savoir si tous sont venimeux, et paraît supposer qu'il en existe d’inoffensifs. Sans affirmer que la mer soit leur habitation exclusive, il n’en a jamais rencontré sur les côtes ni du continent ni des îles, et en a observé plusieurs à la distance de trois ou quatre cents milles de toute terre. On n’en a encore trouvé que dans les mers équatoriales, dans l'océan Indien, le golfe Persique, la mer Rouge, celle qui baigne les côtes nord et nord-ouest de la Nouvelle-Hollande ; ce qui est dû non seulement au calme ha- bituel et à la température chaude de ces mers, mais surtout à la multiplicité des animaux qui les peuplent et dont les ser- pents marins font leur nourriture. Ils vivent de poissons de petite taille et de divers crustacés pélagiens , et deviennent à leur tour la proie des nombreux squales qui habitent ces mers. Péron pense que, malgré leur agilité, ces serpents peuvent être saisis par les squales aux lourds mouvements ; car on voit souvent les pélamides flotter à la surface des eaux, plongés dans un sommeil profond et — 147 — presque léthargique, provenant, sans doute , comme chez les ophidiens terrestres, d’une laborieuse digestion. Les serpents marins nagent et plongent avec une égale fa- cilité, s'enfoncent profondément sous les flots, où ils peuvent rester plus d’une demi-heure , pour reparaître ensuite à une grande distance du point de départ. Ces intéressantes observations sont confirmées dans l’ex- cellent travail de M. le docteur Cantor sur leurs mœurs et leur venin. Tous sont venimeux et avec une grande énergie, principalement à l'égard des poissons, et cet auteur cite même des cas de mort d’homme. Lacépède reconnut la nécessité de former des genres nou- veaux pour ces serpents, à peine cités jusqu'alors par des na- vigateurs peu instruits. De là, le genre aipysure, à longue queue aplatie et tranchante , mais très mal décrit par Lacé- pède , qui le regarde comme non venimeux, sans doute par l’ablation accidentelle des crochets antérieurs, car ces ser- pents ressemblent tellement aux autres serpents de mer, qu’il y aurait là une véritable anomalie, Son genre leiosélasme, très voisin, n’a pas été adopté. Selon Schlegel , l'espèce de Lacé- pède serait l’Aydrophide strié. Le genre disteire , également à queue en nageoire verticale et comprimée , diffère par des plaques sous-caudales bi-carénées. L’individu de Lacépède, provenant des parages de la Nouvelle-Hollande , est très détérioré. Un genre bien plus remarquable, et fondé sur un individu unique, l'acalypte de Péron, a la tête tout-à-fait différente de celle des autres serpents marins. Au lieu d'avoir, comme ceux-ci, de grandes plaques et un écusson central, elle est carrée et couverte, en dessus eten dessous, de petites écailles. Dans les ophidiens venimeux, à crochets développés et ca- naliculés intérieurement, nous trouvons l’espèce type du genre AR acantophide, déjà connue d'après Daudin. Unefigure inexacte de Merren lui fit donner le nom d’acantophide cérastin, bien qu’il n’ait aucunement en réalité le sourcil saillant du céraste égyptien. Ce serpent , à tête élargie et couverte de grandes. plaques, est surtout curieux par sa queue terminée ef une épine carrée, droite où légèrement courbée, comme un ai- guillon de 4 à 5 millimètres de longueur, et ressemblant un peu, pour l'apparence extérieure, à la queue pointue du scor- pion. Il est des environs de Port-Jackson. Lacépède indique en outre des reptiles des Moluques, déjà décrits par Daudin, et provenant surtout de Timor. Il re- marque que les découvertes de Péron ont nécessité, en par- ticulier dans les ophidiens , la création de plusieurs genres à ajouter aux six genres de Linné, et appelle Fattention sur ce grand fait, que les reptiles écailleux du continent australien dé- cèlent, par leurs caractères spéciaux, une localisation, dans la faune erpétologique, comparable à celle des mammifères mar- supiaux. Les genres de reptiles, qui n’appartiennent pas ex- clusivement à la Nouvelle-Hollande, ne forment pas une plus grande exception que l'existence, parmi les mammifères, du chien , amené par l'homme , de quelques chauves-souris , et d’un genre de la famille des muridés. La classe des batraciens , à peau nue, à respiration bran- chiale transitoire, et qui présente les premiers exemples des évolutions embryonnaires accomplies hors de l'œuf, a été jus- tement détachée de l’ancienne classe des reptiles. Le voisi- nage des eaux est indispensable à ces êtres qui sont aquati- ques, au moins au début de leur existence. Aussi, le long des côtes desséchées et sablonneuses des terres de Leuwin, d’'En- dracht, de Witt, aucune espèce de batraciens ne s’offrit aux regards ; mais le séjour à Parramatta, pays pourvu de ruis- seaux d’eau douce, permit à Péron de combler cette lacune — 149 — par d’intéressantes découvertes (4). De mème, l’île Decrès, que sa nature aride rendait riche en scincoïdiens, n'avait, par contre, aucun batracien. Les espèces nouvelles embrassent les trois groupes des anoures. Dans les grenouilles , à doigts sans dilatations dis- coïdales, à mâchoire supérieure armée de petites dents, se placent deux espèces. L’une , que Péron nommait rana pus- tulosa, constitue, dans les dédoublements génériques mo- dernes, le cystignathe de Péron, de grande taille, et ayant, chez les mâles, les bras plus gros que chez les femelles. L’au- tre espèce, indiquée dans le voyage sous le nom de rana pol- licifera, à canse d’un appendice très saïllant du pied de der- rière, qu’on prendrait, dit Péron, pour un sixième doigt, n’a pas été retrouvée. Peut-être serait-elle le cystignathus geor- gianus, de Quoy et Gaimard. Les rainettes, à dents supérieures très petites et peu nom- breuses, ont les doigts élargis en disque, à l'extrémité libre, et passent leur vie sur les arbres, se contentant de l'humidité des feuilles absorbée par la peau très poreuse de leur abdo- men. L’eucnémis des Seychelles, de la grosseur de notre gre- nouille rousse et d’un brun marron, fut acquis, au retour, à l’Ile de France ou au Cap. Les plus curieuses rainettes pro- viennent du bord des ruisseaux, des fontaines et du creux des rochers, des bois touffus, que Péron rencontra dans ses excursions aux environs de Port-Jackson. La rainette de Péron (sa hyla ocellata) se distingue par un grand nombre de petites taches noires, rondes, environnées d’un cercle blanc et dissé- minées sur un fond brun marron. La raënette bleue, espèce de grande taille, déjà décrite inexactement par White, a tout le dos d’une couleur bleue pourpre très vive, relevée de cha- (1) Voyage aux terres austr., t. 1, p. 106 et 407.—Dum. et Bibr., & VIE 160 que côté du corps par deux bandes éclatantes d'argent ; le ventre affecte une teinte d’un bleu de Prusse foncé. Elle existe à la Nouvelle -Guinée et à Timor, de même qu’à la Nouvelle- Hollande. La rainette de Jervis , trouvée à la Nouvelle-Hol- lande dans la baie de Jervis, d’un gris blanchâtre en dessus, et blanche inférieurement, nous paraît celle que Péron nomme hyla nebulosa, à cause de ses couleurs vagues. La rainette de Lesueur, tachetée de brun foncé et à cuisses ponctuées de blanc sur un fond noir bleuâtre, la raënette de Jakson, d'une belle couleur violette aux pieds de derrière {yla ianopoda de Péron), enfin la ranette pattes-orangées (hyla citripoda), sujet encore unique, qui est marqué, aux articulations des cuisses, d’une grande tache jaune citron ; telles sont les espèces du Voyage austral, reconnaissables par la synonymie dans les ouvrages modernes. Nous n'avons pu retrouver l’animal que Péron désigne comme la plus petite de ses rainettes nouvelles, sous le nom de Ayla rubeola, toute parsemée, dit-il, de très petits points blancs, sur un fond d’une couleur lie de vin ex- trêmement légère. Il parle aussi d’une dernière rainette dé- couverte au port du roi George et encore inconnue. _Péron indique comme inédites trois espèces de crapauds ; ce sont des batraciens anoures crépusculaires et à mâchoires dépourvues de dents. Il donne le bufo proteus, à nuances agréables et variées, comme un des plus petits anoures con- nus, sa taille atteignant à peine un pouce. Il semble s’éloi- oner, dit-il, du genre dégoûtant auquel il appartient. Cette espèce est, pour les auteurs actuels, le phrynisque austral , sans glandes parotides et à vessie vocale interne chez les mâ- les. L'ouvrage de MM. Duméril et Bibron ne mentionne en Australie que cette seule espèce de crapauds; on n'a donc pas retrouvé l'animal nommé par Péron bufo leucogaster, à eause de la blancheur éclatante de son ventre , et le crapaud — À51 — découvert à l’île King et le seul rencontré dans la terre de Diémen et les îles du détroit de Bass. Les batraciens urodèles, à métamorphoses moins complètes, n’ont pas de représentants dans les envois de Péron, et la science n’en connaît pas encore en Australie. Le Voyage aux terres australes ne contient sur les poissons que des indications insuffisantes ou erronées. Péron était peu versé dans l’histoire naturelle de ces animaux, dont les carac- tères distinctifs offrent plus de difficultés que pour les autres groupes zoologiques. De plus, la recherche des poissons avait été confiée à Levilain, et Péron n’en fut chargé qu'après la mort de ce naturaliste. Nous rencontrons des renseignements dans le mémoire de Lacépède déjà cité à propos des reptiles, mais nous avons eu recours presque exclusivement à la col- lection du Muséum , et surtout au grand ouvrage de Cuvier sur les poissons, continué par notre honoré maître , M. Va- lenciennes. Là sont mentionnées les nombreuses espèces dont les soins de Péron et Lesueur ont enrichi la science. Les poissons osseux ont été divisés par Cuvier en deux groupes, d’après un caractère dont on a pu contester la va- leur, mais qui établit une séparation commode pour l'étude parmi tant d'espèces, souvent si faiblement distinctes. L’immense sous-classe des acanthoptérygiens débute par les percoïdes, et, parmi les espèces à deux dorsales, des énoplo- ses, des apogons à rubans longitudinaux noirs, des grammis- tes, la plupart déjà décrits par White et Commerson, figurent dans les collections du voyage (1). Aux percoïdes à une seule dorsale se rattachent les mérous merra et à gouttelettes blan- ches, des mers qui baignent l’île de Timor. Ces poissons sont de la famille des serrans où l’on vient de découvrir (M. Des- (4) Guv. et Val., Hist. des poissonsxt. 11, 1898. — 152 — fossé) le fait si curieux de lhermaphrodisme normal chez les vertébrés, dans les serranus scriba et cabrilla de la Méditer- ranée. Le priacanihe sablé de l'Atlantique, des thérapons de la mer des Indes, un pelates, de Port-Jackson, et un helotes, de la baie des Chiens marins, nous conduisent à ces Lolocen- tres, non moins remarquables par la magnificence de leurs téguments que par la force de leur armure pouvant causer, lorsqu'on les saisit, de profondes blessures (1). La mer n’en produit pas de plus brillants ; le poli de leurs écailles égale celui des miroirs, et sur des fonds rouges incarnats ou argen- tés se découpent des bandes ou des taches à couleurs tran- chées. La mer des Indes, les rivages de Timor fournirent à l'expédition australe des représentants de ce genre déjà dé- crits par Commerson : les holocentres, oriental, diadème , à gouttes de lait, et enfin l’holocentre sammer, le plus beau de ces riches poissons, dont les écailles ressemblent par les bords à d’éclatants miroirs d'acier ou d'argent bruni, avec le centre de la couleur de l'or. Parmi les percoïdes à ventrales jugulaires, vivant enfoncés dans le sable, au dos hérissé d’aiguillons ; nous citerons un uranoscope lisse, genre dont la bouche laisse sortir un lam- beau charnu sublingual, appât trompeur pour les poissons et qui, suivant Galien, nous montre que l’homme n'est pas le seul être auquel la nature ait ordonné de tenir ses regards élevés vers le ciel. Les sphyrènes que Péron indique dans le Voyage sont sans doute les sphyrènes jello et à mächoire obtuse, de la mer des Indes, et le si{{ago cilié, des mers australes, à fond doré glacé d'argent. À côté se place l'upénéus à museau poreux , de la Tasmanie, de couleur rouge, voisin de nos rougets. (4) Cuv. ct Val, L ILE, 4829, p. 136.4 À — 153 — Dans les acanthoptérygiens dits à joues cuirassées, à causé du développement excessif d’un des sous-orbitaires, les trigles, que le vulgaire confond avec les véritables rougets ou mulles à cause de leur couleur, qui font entendre, au sortir de l’eau , un grognement {grondins, cogs de mer, coqs bruyants), se sont accrus en espèces nouvelles venant de la mer des Indes : ainsi le perlon de Péron (trigla Peront), et les trigla papilio, phalæna et sphinx, espèces très voisines , brunes en dessus, argentées en dessous (1). Les rivages de l'Ile de France ont procuré le dactyloptère tacheté, poisson volant à énormes pec- torales, d’un brun rougeâtre. Aux cottes, bizarres par leur tête plate et armée d’épines, se rattache le platycéphale ponc- tué de la Nouvelle-Hollande. L’apiste marbre, de Timor, dont le corps, dénué d’écailles , est couvert d’une peau molle et spongieuse , appartient aux scorpènes. On se ferait difficile- ment une idée de l'aspect hideux et dégoûtant de ces poissons, à tête comprimée et épineuse, à peau visqueuse et flasque, enveloppant parfois la tête et les membres, à tel point que, dans les synancés, on croirait voir une masse informe, cou- verte d’ulcérations. En même temps, les épines acérées de ces affreux poissons les rendent redoutables, et les font appe- ler par les pêcheurs diables, crapauds et scorpions de mer. Une découverte capitale de Péron est celle d’un petit pois- son dont la taille n’atteint pas 4 centimètres. 11 a servi à Cu- vier à établir le genre oréosome ( à corps montagneux ), qui prend place , mais d’après de faibles analogies, non loin des épinoches. L’individu , unique dans la science , que l’on doit à l'expédition australe { 0. coniferum ou atlanticum), est dé- signé par Cuvier comme un être qu’on prendrait plutôt pour le produit monstrueux d’une imagination malade que pour (4) Guv. et Val,, Hist, des poissons, t. IV, 1829. — 154 —. une réalité existante dans la nature (1). Ce très petit poisson est aussi haut que large. Sa peau, grenue et sans écailles, se hérisse de gros cônes ossifiés semblables à des pains de sucre et striés de cercles parallèles à leur base. On n’a rien pu dé- couvrir qui approche de cette figure étrange, dans les natura- listes ou les voyägeurs qui ont parlé des poissons. « Nous le » devons, dit Cuvier, à l’infatigable attention de Péron, qui » s’attachait aux plus petits objets. Il l’a rapporté de l'océan » Atlantique. » Les sciénoïdes, sans dents au palais et généralement re- marquables par la structure caverneuse des os de la tête et les appendices complexes et singuliers de leurs vessies nata- toires, ne nous offrent qu'une espèce limite du groupe, le glyphisodon à une tache, de Timor ; au contraire , la collec- tion du Voyage est riche en sparoïdes, à palais encore dé- pourvu de dents, mais à pièces operculaires sans épines ni dentelures comme chez le groupe précédent. Les baies australiennes abondaient en pagres , voisins de nos daurades, à joues écailleuses. Nous citerons le pagre unicolore, le denté de Péron, le pentapode de Péron, etc. Dans les espèces à joues sans écailles se trouvaient les léthrinus, à joues tachetées, et à joues rayées ; dans les espèces à dents toutes en cardes, les canthères, tacheté et linéolé ; et enfin le groupe à dents tran- chantes se trouve représenté par le bogue salpoide, beau pois- son de la mer des Indes, à reflets dorés et ressemblant beau- coup à la saupe de la Méditerranée (2). Les squammipennes ont le corps comprimé, écailleux , à nageoires dorsale et anale fortement couvertes d’écailles au moins dans leur partie molle ; parmi eux, les chétodons (dents (1) Cuv. et Val., ouvrage cité, t. IV, p, 377-379. (2) Ouvr. cité, t. VI, 14830. — 155 — en crins), forment une immense famille de poissons peu vo- lumineux se tenant dans des eaux sans profondeur et agitant sans cesse au soleil leur corps où se répartissent le rose, le pourpre, l’azur, le noir velouté en raies, en écharpes, en an- neaux, en taches ocellées sur des fonds dorés, ou argentés, ou nuancés, comme la plus belle nacre , de toutes les cou- leurs de l’iris ; de sorte que les mers tropicales, grâce à l'éclat de ces poissons, n’ont rien à envier aux soui-mangas de l’An- cien Monde, ni aux colibris de l'Amérique. La collection de Péron comprenait le chétodon vagabond , de l'Ile de France, déjà connu de Linné, le chétodon verdätre , de Timor, le ché- todon à queue ocellée, des mers australes, l’holacanthe à demi- cercles, de Timor, dont le corps est rayé par douze demi-el- lipses blanches, dans les intervalles desquelles sont autant d’ellipses bleues plus étroites, et enfin le platax pointillé, de Timor, très petit poisson presque aussi long que large. La famille suivante nous intéresse à plusieurs titres. Il s’agit de ces curieux poissons à os pharyngiens labyrinthifor- mes, Selon l’épithète caractéristique de Cuvier. La surface de leurs os pharyngiens se divise en feuillets, de manière à offrir des loges retenant de l’eau, à peu près comme le réseau de la panse des chameaux. Cet appareil est renfermé sous des opercules bombés et serrés, de sorte que, le poisson étant à l'air, l’eau ne s’évapore pas, et, coulant sur les branchies, en prévient la dessication. Une espèce, importante pour l’homme, est l’osphromene gourami, de grande taille et de chair ex- quise. On le regarde comme originaire de la Chine, bien que cela ne soit pas entièrement certain. Transporté de Batavia à l'Ile de France, il fut décrit par Commerson. Cuvier cite les tentatives infructueuses faites pour l’introduire en France, mais qui réussirent pour Cayenne, où il est maintenant naturalisé. Les gouramis furent amenés, sur l’ordre de M. de Clermont 150 Tonnerre, ministre de la marine, des colonies indiennes à Cayenne, par M. de Mackau, depuis ministre de la marine. Ils avaient été importés par Poivre à l’île de la Réunion, en 1773. Nous regrettons que l’illustre savant ait omis de mention- ner les efforts de Péron , à qui l’idée des applications utiles pour son pays était toujours présente. À son départ de lIle de France, Péron emmenait une nombreuse colonie de jeunes gouramis en parfaite santé ; ils périrent accidentellement tués par de l’eau croupie que leur versa un matelot. C’est surtout de nos jours, où la pisciculture appelle lattention générale, qu’on doit apprécier le mérite de ces essais. Espérons qu'ils seront renouvelés avec succès et que la science comptera une conquête de plus. Il nous paraît difficile de décider quel poisson du grand sroupe des scombres a été désigné par Péron comme pareil au maquereau d'Europe, mais plus petit, et pris à l’île De- crès. Peut-être s’agit-il d’un véritable maquereau, dit de /a Nouvelle-Hollande, envoyé du port du roi George par Quoy et Gaimard, pourvu d’une vessie natatoire. On sait, en effet, combien ces maquereaux à vessie natatoire ressemblent à nos maquereaux de l'Océan, qui en sont privés. Peut-être aussi est-il question du tassard hareng, d'un genre voisin des thons, et qui se rencontre sur les côtes occidentales de la Nouvelle- Hollande. Les mers exotiques présentent d’autres scombéroïdes , in- connus dans les mers d'Europe, paraissant vivre de préfé- rence de matières végétales , régime en rapport avec la lon - sueur de leur intestin. À eux se rapporte l’amphacanthe à front bombé, probablement de la baie des Chiens marins. Les archipels indiens ont offert à Péron les acanthures à hautes voiles et voilier, celte dernière espèce remarquable par la = 157 — hauteur de sa dorsale. Les poissons de ce genre ont la queue armée de chaque côté d’une forte épine, couchée le long du dos et redressable, d’où leurs noms vulgaires de chirurgien, de saigneur. Leur chair a une odeur musquée semblable à celle des coraux frais dont probablement ces poissons se nourrissent, ainsi que des sédiments vaseux du fond de la mer. Les indications de Péron sont malheureusement des plus vagues au sujet des espadons, qui sont des scombres de taille considérable et à lèvre supérieure prolongée en forme de glaive ou d'épée. En parlant du nombre énorme des baleines qui entouraient les vaisseaux à la terre d’Endracht, Péron rapporte leurs combats avec un poisson de plusieurs mètres de longueur, qu’il qualifie d’esvadon austral , différant surtout des espadons des mers du nord par deux longues franges ou lanières de deux à trois décimètres, et qui, placées, dit-il, sur les côtés de la lance, vers sa partie moyenne, flot- tent librement au milieu des eaux. Aucun des véritables es- padons , ni des tétraptures, ni des voiliers indiqués dans les auteurs modernes , ne possède les franges dont parle Péron. On pourrait peut-être attribuer cette description erronée à une confusion d'espèce explicable , et par le manque d’habi- tude dont Péron donne de fréquentes preuves dans l’obser- vation des poissons , et par la difficulté de bien apprécier les caractères d'un animal emporté par des mouvements rapides dans les flots agités. Le poisson en question serait un pristio- phore barbu , rapporté récemment de la Tasmanie par Ver- reaux. C’est un poisson cartilagineux dont le museau prolongé présente une scie à dents courtes et peu visibles, et deux longs filaments flottants. Parmi les scombéroïdes dont les rayons épineux de la dor- sale sont séparés, se trouve un wachinote de la mer des Indes, qui paraît à Cuvier identique, sauf la taille bien plus petite, — 158 — avec le #rachinote de Baillon, décrit par Commerson dans les poissons de Madagascar. Le Voyage aux terres australes signale vaguement un ca- ranx au dos couleur d'azur. Cette indication appartient à des scombéroïdes à: ligne latérale cuirassée d’écussons écailleux plus ou moins ossifiés , et s’applique soit au caranx plie, de la mer des Indes, venant sans doute des parages du port du Roi George, où le retrouvèrent Quoy et Gaymard , soit à la carangue de Péron, paraissant être la même espèce qu’un scombre déjà indiqué par Forskal et par Bloch pour les mê- mes régions. Le b/épharis des Indes, de la mer des Moluques, forme un genre très voisin. Des espèces de très petite taille, sans épines libres au dos, sans armure aux côtés de la queue, à corps brillant, orné de bandes ou de points noirs, terminent la série des scombres et nous offrent la sériole à deux taches, de la mer des Indes, le pasteur de Péron, des côtes de Timor, et le nauclère rac- courci, de l'Atlantique , retrouvé bien plus tard par Quey et Gaimard. ; Le genre prionure a été créé par Lacépède, d’après un poisson de localité non mentionné, mais complétement inconnu avant Péron (1). Ses caractères sont une queue armée laté- ralement d’une série de lames tranchantes et fixes, horizonta- les ; des dents à bords entaillés ; l’épine du premier rayon de la dorsale couchée en avant. L'espèce type, le prionure micro- lépidoie ressemble beaucoup par la forme à l’acanthure chi- rurgien ; elle est phytophage comme les acanthures et les na- sons. | | Les poissons à corps aplati ou en ruban qui se lient aux scombres par des espèces de passage, ne nous donnent à men- (4) Ann. du Mus., & IV, p. 205. — Cuv. et Val., t. X, atlas pl, 292. — 159 — tionner que l’athérine d’Endracht, petit poisson argenté des chétifs ruisseaux de ces côtes arides , et ressemblant à notre atherina presbyter, de l'Océan. Le muge de Péron, de Port-Western , et le muge poiniu, également de la côte N.-0. de l’Australie, appartiennent aux mugiloïdes, poissons mal armés pour la défense et que leurs grandes écailles font ressembler, au premier abord, à nos carpes et surtout aux chevaines ou meuniers, Ils savent s’élan- cer verticalement hors de l’eau et sortir ainsi des filets ; ils remontent des côtes dans les rivières, se nourrissent de pe- tites proies et de substances végétales (1). | Les collections du Muséum se sont enrichies, pour la pre- mière fois, par les soins de Péron, mortellement atteint alors, du tétragonure de Cuvier, venant de Nice. Ce curieux poisson a la plupart des caractères des muges, avec les crètes saillan- tes de chaque côté de la queue propres aux scombres. Déjà connu par d'anciennes figures de Rondelet et d’Aldrovande , il offre des écailles dures, nombreuses et serrées s’implantant par verticilles obliques sur la peau. Il vit à de grandes profondeurs, ce qui explique sa rareté ; Sa chair passe pour vénéneuse, parce qu’il paraît surtout se nourrir de ces méduses très âcres et très caustiques dont Pé- ron a fait le genre stéphanomie. La muqueuse de l'intestin de ce poisson ne semble pas souffrir de cette nourriture corro- sive, de même que le hérisson mange impunément les can- tharides, poison si violent pour l’homme. La famille des gobioïdes:, qui ont les rayons de la dorsale grèles et flexibles, et dont certaines espèces sont vivipares, est surtout représentée, dans les collections du Voyage, par des blennies à dorsale unique, à peau molle et visqueuse , sans (2) Cuv. et Val., t. XI, 1836. — 160 — écailles. Péron a découvert de très curieuses espèces : ainsi la blennie aux grandes cornes, du Cap, à tête garnie de longs et grèles tentacules ; le blennechis cyprinoide, des mers des Moluques, vivant au milieu des fucus et des coraux, comme tous les membres de sa tribu ; le salarias à double série, de l'archipel des Indes, dont les dents aignés et nombreuses sont mobiles avec la peau qui couvre les os des mâchoires, de sorte que chacune peut être élevée ou abaissée séparément, et de plus toutes ensemble, par un mouvement commun des lèvres , à peu près comme dans certains squales. Citons en- core le salarias quadripenne de Timor, dont la tête est ornée de quatre tentacules palmés et dont le corps, strié oblique- ment de gris et de blanchâtre, simule le plumage d’une per- drix ; le salarias pintade , de la terre de Van-Diémen , et le cristiceps austral, de la même région. Ce dernier poisson , à tête tentaculée , est de rivière et vivipare, car on trouve Île sac ovarien rempli de petits éclos. Dans le groupe des gobies, à deux dorsales et à petites écailles, nous ne trouvons à mentionner que le gobie à grosses joues, à tête très large, de localité inconnue (1). Les nageoires pectorales pédiculées, c’est-à-dire portées sur des os du carpe très allongés , donnent aux poissons des genres suivants un aspect singulier. [ls semblent avoir des bras, et plusieurs peuvent, au moyen de ces appendices, se traîner sur la vase et même se hisser. Üne ressemblance gros- sière avec des raies avait fait ranger ces poissons (ainsi la baudroie) dans les cartilagineux ; mais leurs os, peu durs, il est vrai, sont fibreux, caractère essentiel des poissons osseux. La peau, dépourvue d’écailles, est souvent revêtue de petits grains ossifiés, et l’opercule est recouvert et sans mouvement. (1) Cuv. et Val., i XIT, 1837. — 161 — Le chironecte renflé, très petit poisson à tête énorme, munie de rayons libres de forme bizarre { antennaïires de Commer- son), a été ramassé par Péron dans ces fameux amas de varecs flottants qui tapissent certaines portions de l’océan Atlanti- que, et où des auteurs prétendaient voir des restes de l’At- lantide de Platon. En outre, Lacépède décrit pour la première fois, comme provenant du voyage aux terres australes, sous les noms de /ophie hérissée et lophie lisse (4), deux chironec- tes désignés par les mêmes épithètes, de petite taille et à queue plus allongée que les autres espèces du genre. Des poissons de forme hideuse , à pectorales portées sur des bras courts, rappellent les batraciens par leur tête aplatie, leur gueule largement fendue et garnie de lambeaux cutanés, leur peau nue et gluante. Parmi eux se range le batrachoïde à quatre épines, de la mer des Indes, espèce que Lesueur dé- crivit plus tard sous le nom de batrachoides diemensts. Nous terminerons cette revue rapide du groupe immense des acanthoptérygiens par les labroïdes. La première tribu, à dents séparées, à lèvres retroussées et comme doublées, pré- sente des poissons très répandus dans les mers intertropicales, ornés des plus brillantes couleurs , d’un fond généralement vert relevé par des bandes d'azur, d’orangé , de rouge ama- ranthe. Péron rapporta au Muséum le plus grand individu qu'il possède de la girelle croissant, de la mer des Indes, déjà signalée par les naturalistes hollandais, la gérelle semi-fasciée, de l'Ile de France, décrite par Commerson, et la girelle axil- laire, remarquable par une tache à l’aisselle d’un beau jaune éclatant, poisson de la mer des Indes retrouvé, depuis Péron, aux îles Sandwich par Quoy et Gaimard. L’anampses aux points bleus appartient à un genre singulier. Il n’a que quatre (4) Ann. du Mus., t. IV, p. 202. re dents, deux en haut, deux en bas, taillées en biseau et à pointes inversement recourbées ; configuration bizarre qui fait que les dents se touchent par leur partie convexe quand la bouche est fermée , comme les cils de nos paupières. À ce poisson de l'Île de France, nous Joindrons un animal d’un genre voisin et de la mer des Indes, le rason à grandes écailles. Une seconde tribu des labroïdes se compose des scares, dont les dents sont réunies en lames osseuses avec les mâ- choires, comme chez les diodons. Cette conformation, jointe à de vives couleurs vertes, variées de jaune et de rouge, a fait appeler ces poissons perroquets de mer. s passaient chez les anciens pour avoir nne voix et pour ruminer, et la sauce faite avec leur foie et leurs intestins était estimée à des prix exorbitants. Suivant M. Valenciennes, ils peuvent donner à leurs mâchoires un mouvement de va-et-vient simulant une rumination. La science doit à Péron le type du sous-genré des Odax, chez lequel les dents nombreuses et soudées ensemble demeurent distinctes par les bords tranchants et crénelés. L'odax semi-fascié , de couleur fauve avec des bandes nua- geuses brunes, est peut-être le poisson désigné dans le voyage sous le nom de labrus squalidus, à cause de ses couleurs grises et ternes, et trouvé à l’île Decrès. L'odax à baudrier, beau- coup plus petit, est aussi une découverte de l'expédition aus- trale. | Les poissons malacoptérygiens nous offriront beaucoup moins d'espèces à mentionner. On sait en effet que ces pois- sons, caractérisés non pas forcément par la mollesse des na- geoires impaires, mais par les nombreuses articulations os- seuses de leurs rayons, présentent beaucoup de genres propres aux eaux douces, comme nos carpes , nos tanches , nos brè- mes, etc., et ont dû rarement s'offrir aux explorateurs du voyage austral. — 163 — Parmi ceux de ces poissons dont les nageoires ventrales, sans attache aux os de l’épaule, sont rejetées en arrière des pectorales, nous mentionnerons, dans les siluroïdes, le pimc- lode de Péron, venu on ne sait de quelles eaux douces (1). Avec une seconde dorsale adipeuse ou formée d’un repli de la peau contenant de la graisse et dépourvu de rayons, cette espèce est la seule du groupe des silures sans vessie natatoire que le Muséum ait reçu de la mer des Indes. Le plotose à grosse tête, de Timor, appartient à ce genre qui possède derrière le cloaque un tubercule en forme d’arbuscule ramifié, sans con- nexion avec les organes génitaux et urinaires, et d'usage in- connu. On attribue, mais sans certitude, au voyage de Péron, une espèce de la famille des cyprinoïdes , ressemblant à une tanche, et nommée par M. Valenciennes rohite tancoïde (2). Dans les ésoces figure un brochet austral rapporté de la terre de Diémen par Péron et Lesueur. Il a fallu toute la sa- gacité descriptive de M. Valenciennes pour y reconnaître les caractères d’une espèce nouvelle, tant il diffère peu de celui de nos rivières. Il est bon à noter que le principe de la sépa- ration géographique des types est loin d’être sans exceptions. Les eaux douces de la Tasmanie fournirent aux mêmes voya- geurs un petit poisson retrouvé plus tard par Quoy et Gaimard. Il servit à Cuvier pour établir le genre galaxie. Sa dentition est (4) Cuv. et Val., t. XV, 18/0. (2) Guv. et Val., t. XVI, 1842. — Nos recherches au sujet de ce groupe de poissons, amènent naturellement sous notre plume une touchante digression. Lesueur dédia une pæcilie des eaux douces des États-Unis du Sud à M. Mollien l’un des ministres de Napoléon, et créa le genre molliénisie. À cette époque, M. Mollien avait repris la vie privée par suite de la chute de l’Empire ; ce . n'était donc pas l’homme puissant que Lesueur cherchait à honorer, mais le protecteur de l’ami qu’il avait perdu, ayant ainsi conservé, après de longues années, et dans un autre hémisphère, sa tendre et constante amitié pour Péron. (Cuv. et Val., t. XVIIL, p. 137.) | celle des brochets dont il partage la voracité et la locomotion puissante, ainsi que l’indiquent trois nagcoires impaires rap- prochées et rejetées en arrière ; mais sa peau absolument nue n'a pas même d’écailles cachées dans la mucosité, comme chez l’anguille. ù L'espèce porte le nom de galaxie truitée. Le genre orphie, si remarquable par l'allongement du corps et surtout du mu- seau, doit être cité pour l’orphie crocodile, trouvée à l'Ile de France, mais répandue dans tout l’océan Indien et décrite au- paravant par Forster et Commerson. Le nom spécifique / be- lone crocodilus) est de Lesueur, qui traite de ce poisson dans le Journal des Sciences de Philadelphie. C’est par erreur que Péron indique an scombrésoce, à re- flets azurés, dans les poissons nouveaux pêchés à l’île Decrès ; ce genre est de la Méditerranée et très rarement de la Manche et de l’océan Atlantique. Les collections du Muséum contien- nent des exemplaires mal conservés d’un hémiramphe, décrit par Lesueur comme une variété de l’hemiramphus erythro- rhynchus, de l’île de France, variété que M. Valenciennes rapporte à l’hémiramphe de Gaïmard. Ces poissons sont irès curieux par l'allongement considérable de la mâchoire infé- rieure qui, isolée et dépourvue de dents, a l’aspect d’un demi- bec. On dit qu’il en est de phosphorescents (4). L'Ile de France présenta, dans les clupées, l’anchois de Forskal, déjà indiqué par cet auteur parmi les poissons de la mer des Indes. Selon M. Dussumier qui le retrouva bien plus iard aux Séchelles, sa chair est venimeuse, si l’on n’a eu soin d’arracher la tête et les intestins , et, prétend-il, un seu de ces poissons peut faire mourir un homme. Nous mentionnerons un petit nombre d’espèces dans les (1) Cuv. et Val., t XIX, 18/6. — 165 — salmonoïdes, à seconde dorsale adipeuse. Elles sont du groupe à joues plus ou moins cuirassées par le développement des sous-orbitaires ; ainsi, le scopèle de Humboldt, exemplaire provenant des îles d’Hyères, le scopèle de Lesueur, enfin le sauride tombil, tous deux de l'Ile-de-France. Nous avons éprouvé de grandes difficultés pour déterminer les derniers poissons du voyage de Péron qu’il nous reste à citer. La collection du Muséum n'offre pas encore une classi- fication complète de leurs espèces, et l'ouvrage célèbre auquel nous avons eu principalement recours ne les décrit pas. L’extrême obligeance de M° A. Duméril nous a permis de consulter son catalogue encore inédit des plagiostomes, et nous devons au zèle de M. Kaup de précieux renseignements sur les anguilliens, les balistes, etc. La famille des pleuronectes compte plusieurs espèces, non encore classées, du voyage de Péron. Dans les poissons osseux privés de nageoires ventrales, nous rencontrons une espèce d'eau douce, anguilla Elphistonti, et plusieurs espèces mari- nes, à savoir, un #urenophis encore inédit, auquel Cuvier avait donné l’épithète provisoire de potntillé, le murenophis tigrina, de Lacépède, et les thyrsoidea grisea |[Kaup), déjà connue par Commerson, et hyrsoidea fasciata (Kaup), due à Péron, et de la mer des Indes. Le voyage austral a offert éga- lement à M. Kaup les types du pæcilophis variegata, espèce marine , du congermuræna balearica, de l'océan Atlantique, genre intermédiaire entre les congres et les murênes {ancien congre de Péron) , et de l’alabes de Cuvier. Cette espèce nou- velle, représentée par deux individus de très petite taille, à corps comprimé avec une sorte de petit disque concave entre les nageoires pectorales, avait servi à Cuvier pour établir le genre alabes, voisin du genre sphagebranche (1). (41) Cuvier, Règ. anim. , t. II, p. 354. — 166 — Parmi les lophobranches, de figure si bizarre, une espèce des plus curieuses est citée plusieurs fois par Péron, dans la relation du voyage, sous le nom de syngnathe à banderolles (Syngnaihus tæniolatus, Lacép.). Cette espèce, très rare, rencontrée dans le détroit de Bass, qui n’existe que dans les musées de Paris et de Londres, est le phyllopterix jfoliatus (Swainson), genre voisin des hippocampes. Le ventre est ren- flé au milieu, le cou plus allongé que dans les syngnathes et hérissé d’une grande épine élargie , le corps très étroit trans- versalement et la queue garnie de filaments ‘pairs, de forme étrange. Plusieurs hippocampes nouveaux sont du voyage de Péron. Dans les sclérodermes figurent l’ostracion à quatorze pi- quants (aracana aurita |Gray), et le cibotion luberculatus (Kaup), poisson dont le corps est en forme de boîte prismati- que à quatre pans, couvert de tubercules hexagonaux. Péron et Lesueur le rencontrèrent probablement dans la mer de Ti- mor, car Quoy et Gaimard en rapportèrent depuis de la Nou- velle Guinée et de Guam. Le baliste galonné est cité par Péron, mais c’est surtout la découverte d’un poisson d’un genre voi- sin, dans les parages de la terre de Witt, qui le remplit de joie. Il rapporte en effet avoir rencontré un baliste entièrement dépourvu de toutes nageoires ventrales, ce qui réalisait une des conceptions théoriques de Lacépède pour qui il professait une sorte de vénération : il le nomma balistapodus witensis (Voy. aust. t. I”, p. 139). On sait que les vrais balistes man- quent toujours des nageoires paires postérieures, mais la na- geoire anale existe. Sans doute, dans le poisson découvert par Péron et Lesueur, elle faisait défaut normalement ou acci- dentellement. Il est fort difficile aujourd'hui de déterminer ce poisson, non retrouvé dans la collection. Dans les poissons d’un groupe voisin dont les dents soudées ou présentent des mâchoires comme ossifiées, le ttrodon argenté, de Bloch, est mentionné par Péron. Ïl parle aussi, à plusieurs reprises, de squales terribles qui firent courir de graves dan- _ gersaux matelots imprudents. Un requin, de dimensions énor- mes, fut pris dans les anses de l’île Decrès, et deux espèces de la même famille, inconnues jusqu'alors, furent remarquées par Péron à la terre de Diémen, dans la baie de l’Aventure. Malheureusement, ses vagues récits ne permettent aucune dé- termination précise, et nous ne pouvons lui attribuer avec cer- titude, dans le grand ordre des plagiostomes, qu’une espèce voisine des pastenagues. C’est la raie croisée de Lacépède (1) et l’urolophe orangé des auteurs modernes (2), dont le corps est d’une belle couleur orange, et rougeâtre sur les bords. RECHERCHES SUR LES ANIMAUX INVERTÉBRÉS. On est réellement pénétré d’admiration lorsque l’on consi- dère la variété des découvertes que la science doit à Péron et à Lesueur. Ils ne se sont pas bornés, comme la plupart des voyageurs de leur époque , à rapporter surtout les animaux rares et curieux des ordres supérieurs, ils ont étendu leurs recherches, avec une sorte de prédilection , à ces êtres que leur petitesse, leur peu d'importance par rapport à nos be- soins (car l’homme est toujours tenté de subordonner la créa- tion à ce qui le touche personnellement), font dédaigner par un grand nombre d’observateurs. La collection du voyage aux terres australes était, sur ce point, d’une incroyable richesse. Du grand embranchement des annelés, ce sont les insectes, (1) Ann. du Mus., t. IV, p. 201, pl. Lv, fig. 2. (2) Systematische beschreibung der plagiostomen, par Müller et Henle, Berlin, 1841, p. 178. — 168 — les myriapodes et les arachnides, sur lesquels nous avons pu recueillir le moins de renseignements certains ; les indications du voyage sont des plus incomplètes, se rapportent à des noms de familles répandues sur tout le globe, et n’ont pu nous ser- vir. Les collections du Muséum ne contiennent plus qu’un petit nombre des espèces rapportées par Péron; les sujets venus de l’Australie, de la Tasmanie et du Cap ont depuis été remplacés presque tous par les nombreux envois des expédi- tions de Dumont-Durville , du voyage de M. Verreaux, etc. Seule, l’île de Timor, à part les objets provenant de M. Jac- quinot , n’a presque rien fourni aux collections françaises ; aussi la plupart des espèces de Péron et Lesueur sont encore uniques aujourd'hui. De plus, les soins de conservation si difficiles pour ces animaux ne sont bien appliqués que depuis une époque assez récente , et les rebuts d’une détérioration inévitable ont condamné à l’oubli d’intéressantes découvertes. Ces explications nous semblent nécessaires pour faire excuser la brièveté de nos indications, et pourtant ce sont elles Jusqu'à présent qui nous ont demandé le plus grand sacrifice de temps et de travail. Les complaisantes recherches et l’érudition de M. Blanchard nous permettent de présenter un tableau des coléoptères, dont la découverte presque exclusive est due à Péron et à Lesueur. Nous croyons rendre service aux amateurs intelligents par ce petit catalogue d'espèces dont plusieurs sont inédites, et qui pourra être utile aux collectionneurs. Ce sera là notre excuse de l’aridité de cette nomenclature. (1) La famille des scarabæides nous offre le diceros plagiatus, mâle et femelle, de Timor, espèce type (Catal. de la coll. du (1) Les noms en italiques indiquent les espèces de Péron et Lesueur encore uniques dans les collections du Muséum (coléoptères seulement). — 169 — Mus., t. 1°, p. 27, 1850 ; — Gory et Percheron, Monogr. des cétoines, p. 300, pl. Lvur, fig. 5, 1833), et l'hoplia Peront , des Canaries, inédit (Cat. coll. du Mus., t. I, p. 72), espèce voisine de l’hoplia aulica (Olivier, Entom., t. 1°, p. 64). On n’a pas retrouvé dans la collection, ni dans les envois posté- rieurs, une espèce de cétoine, des environs de Port-Jackson, que Péron avait nommée cetoma orpheus et que l’on distin- guait, dit-il, avec admiration par la lyre d’or qui se dessine, sous la forme la plus régulière, au milieu du dos de l’insecte, dont la couleur générale est d’un vert émeraude. (Voy. aux terres austr., t. 1°, p. 404). Citons, dans les histérides, le sa- prinus cyaneus ( Fabricius ) ;. dans les dermestides , les der- mestes australis (Mac Leay) et megatoma pellio (Linné), es- pèces exotiques, avides de substances azotées comme tous les dermestes, et que les navires ont transportées partout ; dans les staphylinides, le staphylinus erythrocephalus (Fabr., Port- Jackson), et le xantholinus cyanopterus (Erichson, Port-Jack- son) ; dans les carabides, les catuscopus lateralis (Brullé), cymindis lineata (Dejean, Catal.), brachinus verticalis (Deï.), carenum cyaneum (Fabr.), pamborus alternans ( Latreille, Nouvelle-Hollande), panagœus australis (Deij., id. ), panagæus Peronti (inédit, Cat. Mus.), panagœus quadriguttatus ( En- cycl. 8, Olivier), feronia violacea (Laporte de Castelnau, dé- crit d’après l'individu de Péron), feronia Australasiæ (Dej.), feronia castanea (inédit, — Cat. Mus.). Üne espèce curieuse de piméliides a été décrite par La- marck sous le nom de chiroscelis bifenestra (Ann. du Mus., t. IL, p. 260). Ce coléoptère, provenant des objets rappor- tés par le vaisseau /e Naturaliste, est encore unique. Il est très curieux par ses larges tarses antérieurs, tri-digités, et surtout par deux taches sous-abdominales que Lamarck croyait phosphorescentes, comme les taches orbiculaires des taupins — to lumineux et phosphorique. Nous pensons que c’est là une er- reur ; Car, en examinant à la loupe l'individu de Péron, nous avons pu voir qu'il y a sur ces taches, non une fine membrane, mais des poils en feutrage épais. Aux dyticides se rapportent les cybister tripunctatus (Fabr.), kydaticus luczonicus (Aubé, Timor ), dineutes præmorsus ( Fabr. ), enhydrus oblongus (Aubé, Timor) ; aux hydrophilides , les Lydrophilus Peroni (inédit, Cat. Mus. ), sphæridium maculatum (Fabr. ) ; aux cantharidides, les mylabris Perontii {Blanch., Mém. inéd. sur les coléopt. vésicants) , m#ylabris melanura (Timor, Oliv., encycl. 8, 96) ; aux curculionides, les rhyssocarpus robustus (Oliv.), hypomeces rusticus (Oliv., Timor) ; aux Céramby- cides, le glenea fricator (Dalman, N.-Holl.) ; aux chrysomé- lides, les cryptocephalus scabrosus (Oliv.) et cryptocephalus Perontit (inédit., Cat. Mus.). Très probablement, Péron avait dû rapporter certaines des espèces de paropsides décrites par Olivier dans son Æntomologie, en 1807, car ces insectes sont très communs dans la Tasmanie et la Nouvelle-Hollande, mais comme depuis ils sont venus en abondance d’Hobart- Town et de Port-Jackson, on n’aura pas conservé les anciens. On trouve, dans le Voyage aux terres australes, cette ju- dicieuse remarque que les îles Decrès et Joséphine abondaient surtout en orthoptères, qui se plaisent dans les lieux secs et arides, tandis qu’à l’île King, où la plage était couverte de cadavres de phoques, se rencontraient surtout les insectes carnivores. Ainsi, dit Péron, les détails les plus obscurs de l’histoire naturelle d’un pays ont les plus intéressants rapports avec l’ensemble de sa constitution physique. Nous ne pouvons donner aucune indication sur les orthop- tères et les névroptères, dont une prompte détérioration a dû anéantir les nombreux spécimens. Péron signale deux espèces nouvelles de forficules : l'une noire , de l'ile Decrès , l'autre — AT — de Tasmanie, qu’il nomme forficula antarctica etressemblant, dit-il, à la forficula bi-punciata de Linné. {Voy. aux terres austr., t. *, p. 337.) 11 mentionne, à l’île Decrès , des nids de termites de près d'un mètre de hauteur. Riche avait déjà rapporté de l’Ile de France l'abeille uni- colore , noire, un peu plus petite que la nôtre. Péron et Le- sueur en fournirent de nouveaux individus. Elle existe aussi à l’île de la Réunion et à Madagascar dont les habitants l’ont rendue domestique. Son miel, à l’état frais, est d’une couleur verdâtre et très aromatique. Timor présenta une espèce nou- velle , l'abeille de Péron (ouvrière ), brune , à aïles un peu enfumées. Péron dit que son miel est jaune et plus liquide que celui de nos abeilles. 11 ajoute que, purifié, il est excel- lent et porte dans le pays le nom de goûlar fani, sucre d’a- beille. (Latreille, Notice sur les abeilles vivant en société. — Ann. du Mus.,t. V, 1804, p. 161) C’est par erreur que Le- pelletier de Saint-Fargeau indique Timor pour la mélipone veuve (apiaires sans aïguillon, la plupart américaines) ; elle est du Bengale. (Duvaucel.) Un tynne, que Latreïlle donne comme inédit et de la Nouvelle-Hollande /Genera crust. et insect., 1809 , t. IV, p. 111), provient de Péron ; c’est peut- être le thynnus Westwoodii ou le thynnus pubescens. Tous les thynnes connus sont de la Nouvelle-Hollande ou de la Tas- manie. On n’a encore que des mâles, ce qui rend leur place incertaine ; ce sont peut-être des parasites des nids. Aux chry- sides à couleurs métalliques se rapporte le chrysis parallela (mâle, Timor, Pér. et Les.), d’un vert bleuâtre, à ailes obs- cures , et aux braconides, le bracon productus, de Timor, jaune, avec l'abdomen rouge. (Brullé, Hist. des Hymén., t. IV, 1846, p. 29 et 123.) C’est presque exclusivement aux espèces de Timor qu’ap- partiennent nos rares indications de lépidoptères diurnes. — 179 — Godart examina la collection lors de la rédaction du tome IX de l'Encyclopédie et avoua son embarras fréquent au sujet de habitation d'espèces recueillies à toutes les localités si diffé- rentes du voyage, et confondues. Les nocturnes ont dû être en fort petit nombre, car on les obtient principalement par l'éducation des chenilles. Péron n’a guère pu réunir que ces espèces, s’offrant d’elles-mêmes au filet, dans ses courtes re- lâches. Les envois considérables des colonies australiennes ont remplacé, dans la collection du Muséum, les quarante espèces de lépidoptères, des environs de Port-Jackson, dont parle le Voyage (t. 1‘, p. 40h), et quelques espèces de l'ile Decrès. Nous mentionnerons la préride teutonia (Timor), les danaïides Baudin, cléothère et chrysippe (Timor), les vanesses hyglæa, lytrea (sans doute du Cap, papillon de l’acajou , de Linné), et Emma (vanesse zingha, de Fabricius), le satyre mélusine, de l’île King, connu de Fabricius, le pol{yommate boeticus, espèce cosmopolite, indiquée par Godart comme se trouvant à la fois aux environs de Paris, au midi de l’Europe, en Barbarie, à Sainte-Hélène, à l'Ile de France et à Timor, les polyommates élien (connu de Fabricius), célério, lybas, rosiümon, lacturnus (mâle), isarchus, damœæus (femelle), tous de Timor, enfin le mâle de l’Aespérie de Péron, de la Nou- velle-Hollande , espèce dédiée par Latreille , de la taille de notre hespérie comma, du groupe des hespéries à ailes supé- rieures marquées de points transparents, avec le trait noir en forme de cicatrice caractérisant les mâles de certaines espèces de ce genre. | 1 | Des pentatomes (hémiptères) sont citées dans le voyage pour l’île Decrès ; nous n'avons rien retrouvé à ce sujet. Nous possédons de faibles renseignements sur les diptères. La famille des taoniens nous offre, dans les pangonies, des taons à trompe plus allongée et paraissant vivre sur les fleurs. Latreille décrit — 173 -- une espèce de Péron, la pangonia bi-notata, d'après une fe- melle {Encycl., t. VIIT, p. 703), qui est peut-être la pango- nia fasciata de Macquart. {Hist. des diptères, t. 1%, p. 194.) La description et la grandeur paraissent s’y rapporter. Un genre remarquable a été créé par Lamarck /Mém. cité) sur des diptères australiens, dont les yeux semblent former toute la tête. En outre, la trompe, plus longue que le corps, mais couchée au dessous, établit un passage, par ce genre panops, des vrais vésiculeux aux bombyles. Lamarck fonde sur ce fait un judicieux rapprochement entre les hémiptères et les dip- tères. Latreille signale deux espèces, le panops Baudini et le panops flavipes, à jambes jaunâtres (Encycl., VIII, 709), qu'il ne faut pas confondre avec le p. flavitarsis de Macquart, car la localité et les caractères sont très différents. Les pa- nops vivent du suc des fleurs, et leurs larves sont inconnues. Dans les muscides du groupe des créophiles, à cueillerons développés , à vol puissant, nous citerons une espèce de Ti- mor, l’ochromya abdominalis, à abdomen d’un vert doré (Macquart, Hist. des dipt., t. 11, p. 249, — genre phumasie de Robineau-Desvoidy) ; dans lés lucilies ou muscides métal- liques, du type de notre mouche à viande vert doré, les /u- cilia, amica (d’un vert cuivreux}), t‘morensis (d’un vert vif), eximia (d’un beau bleu), toutes trois de Timor, et /ucilia Peronti, du Cap, d’un bel azur. (Rob.-Desv., Essai sur les Myodaires, 1830 , t. II des Mémoires des sav. étr. , p. 453, 56, 460.) Les mouches vivipares du genre myophore (fraction du genre sarcophage de Macquart), nous offrent les myophora Peronti (Timor), depressa, subrotunda, musca et rapida, de Port-Jackson (Rob.-Desv., p. 341, 353, 357, 360); les cal- liphores, très voisines de nos mouches domestiques, les calli- phora villosa (Port-Jackson), et Oceaniæ, de Timor, rappor- = 47h = , depuis Péron, de la Nouvelle-Hollande par Durville. “ D. p. 138.) | Dans les anthomyzides, vivant dites sur les fleurs, et en larves dans les détritus végétaux, se trouve l’opkyra rostrata (Macquart, t. II, p. 309) dont Robineau-Desvoidy avait fait le genre péronte. Elle est de la Nouvelle-Hollande et, comme ses congénères, douée d’une moindre locomotion , se plaît à l’ombre fraîche des bosquets. Un ouvrage précieux pour les arachnides de Péron est le tableau des aranéides, de Walckenaer, publié en 1805, et où l’auteur a recherché avec empressement les espèces nouvelles de l'exploration des terres australes. I signale, dans les thé- raphoses , la mygale notasienne et la missulène herseuse, de l'Australie ; dans les araignées, le sphase timorien, V'aite doré et l’atte splendide, de Timor, et en outre des espèces trop des- séchées pour qu’on püût les déterminer. Puis se présentent le thomise cancéride dela Nouvelle-Hollande, de trèsgrande taille, le thomise coupé, de Timor, la clubione cruelle, de l’île des Kanguroos, l’agélène pédicolore, de la Nouvelle-Hollande , l'épéire mauritienne (Le de France) et l'épéîre scutiforme (Ti- mor), toutes deux nouvelles, l’épéire australe, de l'Ile de France et du Cap, l’épéire impériale, du Cap, déjà connue de Fabricius. C’est d’après l'individu de Péron que Walckenaer a établi une famille spéciale des épéires, les couronnées , offrant sur le corcelet des tubercules coniques imitant les pointes d’un diadême. Une espèce inédite des environs de Port-Jackson, la storène bleue, fournit le type d’un genre participant aux caractères des thomises, des agélènes et des argyronètes. Nons n'avons pas retrouvé, dans l’histoire des aranéides (Suites à Buffon, 1837), l'espèce incertæ sedis de 1805. Dans les scorpions à huit yeux (Buthides de Leach), nous — 175 — indiquerons le scorpion de Péron, de Timor ; dans les acarides parasites, l’ixode coxal, trouvé sur un scinque de la Nouvelle- Hollande, de Péron et Lesueur. /{ Zns. apt., suites à Buffon, Paul Gervais, t. LI, 1844, p. 57 et 249.) Aux deux groupes des myriapodes se rattachent deux espèces : dans les chilogna- thes , le strongylosome de Gervais (Nouvelle-Hollande , Pér. et Les.), rapporté depuis de Port-Jackson par Quoy et Gaïi- mard, de Tasmanie par Verreaux ; dans les chilopodes, le scutigère de Lesueur, de l'Australie. (P. Gervais, t. IV, 1847, p. 118 et 225.) _ On comprend d’avance que les découvertes de Péron et de Lesueur ont dû être nombreuses dans la grande classe des crustacés , animaux presque tous marins, surtout côtiers et même parfois de haute mer. De très grandes difficultés se présentent pour offrir un résumé succinct, à ce sujet, à cause des continuelles variations de synonymie et des genres multi- ples créés par les auteurs modernes aux dépens des grands groupes de Latreille et de Lamarck. Nous suivrons, dans notre rapide exposition, la classification de M. Milne Edwards, dont l'ouvrage fait autorité en cette matière. Nous débuterons par la grande famille des catométopes dans les décapodes brachyures. La carapace, en général carrée ou ovalaire, ne présente jamais de prolongement rostriforme ; le front est fortement recourbé en bas et souvent tout-à-fait vertical. Les grapsoidiens à carapace irrégulièrement quadrilatère, à corps très comprimé, à pédoncules oculaires gros et courts, vivent sur les rivages et surtout dans les rochers des côtes, sont très craintifs et fuient avec vitesse. Dans le genre grapse, le voyage aux terres australes a fourni aux collections du Mu- séum le grapse bigarré, de couleurs jaune et rouge disposées par grandes masses, décrit par Fabricius (Milne-Edwards. ie Hist. des crust., 1. LT, p. 87; -— Lamarck, Animaux sans vert.,t. V, p. 249), et le grapse de Péron, inédit, très voisin du grapse livide, à test violacé, à front bi-denté. Dans des genres voisins, se rangent le cyclograpse quadridenté , de la Nouvelle-Hollande (M. Edw. , t. Il, p. 79), le cyclograpse à huit dents, de l’île King, le pseudograpse aux pattes pâles, de la Nouvelle-Hollande (M. Edw., t. 11, p. 82), la plagusie cla- vimane , de la Nouvelle-Hollande , retrouvée depuis à Vani- coro, à la Nouvelle-Zélande, etc. (M. Edw., t. IT, p. 92 ; — Lam.,t. V, p. 247.) Les ocypodiens, des régions chaudes des deux hémisphères, dont les yeux sont portés sur de très longs pédoncules, se creu- sent des terriers dans les sables du rivage. En fuyant, ils relè- vent les pattes d’une façon menaçante, et courent avec une telle vitesse qu'un homme, dit-on, a peine à les suivre. Dans cette tribu, la collection du Muséum nous donne , sous le nom de Péron, un gélasime de très petite taille, en mauvais état, éti- queté par Latreille de l’épithète provisoire de dexialis, et qui est peut-être le gélasime pince ou cordiforme. Ce genre est d’un curieux intérêt par ses mœurs. Ces crustacés vivent par paires dans des trous ; les pattes antérieures sont très faibles chez la femelle, mais, chez le mâle, un de ces deux organes atteint des dimensions énormes, devenant même deux fois aussi grand que le corps. Il paraît que cette grosse main Ii sert à boucher l'entrée de la demeure commune. D’intéressantes observations concernent les pinnothériens, les plus petits des décapodes brachyures, connus des anciens, qui les regardaient comme les gardiens des moules et des pinnes, entre les valves desquelles ils se logent pour protéger la mollesse de leur carapace circulaire et bombée , leurs membres grèles et délicats. Ils sont encore mal déerits, et la communauté d’habitudes a fait réanir sous ce nom des genres nn peut-être assez éloignés. Péron en indique deux espèces dis- tinctes, l’une trouvée dans des moules à la terre Ge Diémen, l’autre rencontrée dens une coquille de janthine, et, comme elle, de couleur bleu d’outre mer, lors de la traversée de Timor à la Tasmanie. Cette découverte est intéressante, dit-il, en ce que jusqu'alors on n’avait pas remarqué ces crustacés para- sites dans les coquilles univalves. Nous croyons que ce fait a été oublié par les auteurs modernes. {Voy. aux ter. austr., i. I, p. 213. ) Sans doute on peut regarder le myctire longi- carpe , de l’Australasie, comme une des espèces de Péron. (M. Edw.,t. IE, p. 37.) Après ces crustacés appartenant, pour la majeure partie, aux plaquettes de Lamarck, à test aplati, les autres crustacés brachyures offrent d’abord les cyclometopes, à carapace élargie antérieurement et arquée. Les uns, à pattes postérieures styliformes , pareilles aux précédentes et non natatoires , sont côtiers , vivant sous l’eau, ou se cachant sous les pierres ou dans des trous au milieu du sable. Aux cancériens appartien- nent le crabe très entier, à carapace ovoïde entourée d’un rebord mince et tranchant, des mers australes, le xanthe de Péron , de la Nouvelle-Hollande, le pilumne de Péron, de l'océan Indien, et la trapézie front denté, à front armé de quatre dents, à carapace presque carrée, à peine bombée. Ce genre, se rangeant parallèle aux grapses de l’autre famille, a été fondé par Latreille, sur l'individu de Péron, et contient des crustacés tous de petite taille, habitant les mers des pays chauds. (M. Edw., t. I, p. 374, 392, 19 et 428). Une décou- verte plus importante est celle du pseudocarcin géant , genre spécial à l’Australie, et que Péron mentionne dans le Voyage sous le nom de cancer gigas, lors de la relâche à Port-Fackson. Le test bosselé, dentelé, coloré de jaune et d’orangé, mesure près d’un pied de large, et Lamarck cite une patte isolée 12 ie. srosse comme le bras d’un homme et indiquant une taille énorme. Le magnifique exemplaire de Péron n’est un peu surpassé que par celui de Verreaux , placé à l'exposition uni- verselle comme spécimen des dimensions extraordinaires des crabes. | La tribu des portuniens ou brachyures nageurs de Latreille est formée des espèces à pattes dissimilaires, les postérieures élargies en nageoires ciliées. Ce sont des crustacés de pleine mer. Le Voyage aux terres australes fait une mention parti- culière de ces animaux, notamment rencontrés à l’île Bernier et à la terre Napoléon. Le grand genre portune de Fabricius est aujourd'hui restreint aux espèces aquatiques et nageuses, inais restant près du rivage et non en haute mer, comme les lupées et les thalamites. Il comprend le portune front entier, à front sans dentelures, espèce de Péron qui appartient exclusivement aux côtes australiennes. Il vient du canal d'Entrecasteaux. Dans les lupées nageuses, crustacés de haute mer, remarquables par l’aplatissement et la grande étendue transversale de la carapace, la collection comprenait deux espèces , la lupée pélagique , très répandue dans l’océan Indien, connue de Linné et de Rumphius, et la lupée san- guinolente, de Fabricius. Dans les thalamites à carapace qua- drilatère se trouve la thalamite crénelée, de l’océan Indien, la thalamite aux doigts rouges, espèce à carapace hexagonale et qui habite seulement les rivages de l'Australie. Cette famille des portuniens vit dans les mers extra-tropicales des deux hémisphères, | Voir M. Edw., t. 1, p. 415, 450, 151, 461, h6h ; — Lamarck, 41 édit., t V ; — Latreille, Encycl., EUX, D. 187, 190,192) Parmi les crustacés oxyrhynques , à carapace plus ou moins triangulaire, et dont l'extrémité antérieure se prolonge presque toujours en bec aïgu, on a subdivisé en genres mul- — 179 — tiples le grand groupe des pises de Latreille, enrichi de nom- breuses découvertes par Péron. Le genre paramithrax éta- blissant le passage entre les mithrax et les maïas, nos plus srands décapodes comestibles de l'Océan et de la Méditerranée, a été fondé sur le paramithrax de Péron, de la mer des Indes. Ce genre propre à l'Australie présente encore le paramitirax barbicorne. À côté se placent le halime bélier, du canal d'Entrecasteaux, les péricères cornigère, à trois épines, et bi-corne. Latreille indique les deux dernières espèces , dans ses pises, comme rapportées d'abord par Péron de Ia Nouvelle- Hollande et M. Edwards les donne venant des Antilles, fait qui tient à la grande dissémination spécifique de ces crustacés. Enfia citons le micippe à crèle, espèce très répandue et décrite par Linné /cancer cristatus). Tous ces crustacés présentent des carapaces hérissées en dessus de ragosités, de poils, d’épines. (M. Edw.,t. [, p. 324, 841, 835, 836, 537, 330 ; — Latreille, Encycl., t. X, p. 139 et suiv.) Nous n'avons que de restreintes indications à donner sur les brachyures oxysiomes, à bouche triangulaire, à pattes antérieures courtes avec la main comprimée , élevée en sorte de crète et pouvant s'appliquer contre la région buccale. Dans les matutes, à membres élargis en organes de natation, M. Leach a décrit, sous le nom de matuta Peronti, un crus- tacé de la collection du Muséum, dû à Péron, et qui paraît à M° M. Edwards une variété femelle du matute vainqueur ; ce crustacé jaunâtre avec points rouges épars, semble avoir été anciennement connu de Séba. Au genre dorippe, auquel des pattes démesurément inégales donnent un aspect si singulier, se rattache le dorippe quadridenté, de l'océan Indien, dont le mâle , rapporté par Péron, était étiqueté par lui dorippe noueux. (M. Edw., t. Il, p. 156.) | . Avant les judicieuses remarques de M' M. Edwards, on — 180 — réunissait aux brachyures des crustacés d’un type de transi- tion entre les crabes et les macroures. Dans les anomoures aptérures, voisins des crabes par la forme générale du corps, nous rangerons la /omie hérissée, genre créé par M. Edwards sur l'individu type rapporté par Péron des mers de l'Australie et encore unique. Le corps de ce petit crustacé est couvert de poils très courts et très serrés, et les mains sont presque aussi larges que la carapace. Lamarck le plaçait à tort dans les porcellanes { porcellana hirta), genre de l’autre groupe des anomoures. [M. Edw., t. II, p. 188 ; — Lamarck, t. V, p. 229.) Ces ptérygures, à abdomen appendiculé, et tendant à l’aspect des macroures, nous offrent le genre rémipède , voisin des ippes, et établi par Latreille sur une espèce des mers de la Nouvelle-Hollande, de Péron et Lesueur. Le rémipède tortue a des pattes très courtes terminées par des lames élargies, contournées et poilues, propres à fouir dans le sable. ( Encycl., t, X, p. 281). Les crustacés de cette famille qui excitent le plus l'attention du vulgaire sont ces paguriens dont l'abdomen assez grand, mais d’une extrême mollesse, exige un abri protecteur. L'animal s'empare d’une coquille univalve vide et ne laisse sortir que ses grosses pattes antérieures et le devant de son corps puissamment cuirassé. Olivier cite deux espèces de Péron, le pagure pointillé, de Timor, de couleur rouge orangé avec des ocelles blancs bordés de noir, retrouvé depuis par Quoy et Gaimard, et une espèce non mentionnée par M. Edwards, le pagurus vigil, à corps entièrement blanc et qui doit être très voisine des pagurus miles et custos, de l’océan Indien. (Encycl., t. VIIT, p. 64 et Ghh ; — M. Edw., t. IL, p. 222). Au même groupe, et dans les véritables porcellanes, appar- tient la porcellane verdâtre , décrite par Gray. Les crustacés de ce genre, établi par Lamarck , se cachent , non dans des — i8i — coquilles univalves, comme les pagures, mais sous les pierres. Les décapodes macroures, à abdomen très développé et muni d’une nageoire puissante, présentent un individu dési- gné par Latreille sous le nom de langouste versicolore, ramené par le vaisseau le Naturaliste. Ce n’est, d'après M. Edwards, que le jeune âge de la /angouste pénicillée, verdâtre, maculée de taches et de bandes jaunes et rouges. Cette espèce, de l'océan Indien, est du groupe des langoustes longicornes à antennes internes terminées par de très longs filets (1). Dans les anciens scyllares de Latreille se trouve le genre tbacus , remarquable par un prolongeinent latéral de la carapace qui recouvre les pattes et se divise en deux , de chaque côté, par une profonde fissure. Le crustacé que Péron nommait scylla- rus incisus est maintenant l’ibacus de Péron, des mers aus- trales. En examinant des crevettines, venant du voyage de Péron et Lesueur, mais trop mal conservées pour être déterminées, M. Milne Edwards a établi, sur un individu encore unique, le genre glaucothoé ( glaucothoé de Péron). C’est un des plus petits décapodes connus et d’un haut intérêt comme forme de passage, très semblable aux pagures fanomoures), par la moitié ‘ antérieure de son corps, mais que l’abdomen très allongé et ses appendices natatoires rapprochent des callianasses et des axies dans les salicoques. Il se range dans les thalassiniens ou macroures fouisseurs et était étiqueté des mers d’Asie sans indication plus précise. (M. Edw., t. Il, p. 287 et 307.) Peu de groupes ont subi autant de subdivisions que les salicoques ou anciens palémons, d'Olivier. Cet auteur en indique douze espèces, presque toutes nouvelles, provenant (1) Des langoustes du Muséum national, par Latreille, — Ann. du Mus,. i. IL (1804), p. 394. 1 du voyage aux terres australes. Nous avons retrouvé la syno— nymie moderne de la plupart. Ce sont, dans les alphéens, les alphée brévirostre, de l'océan Indien | probablement l’a/pheus avarus de Fabricius), bidentée et velue, de la Nouvelle- Hollande ; dans les palémoniens, l’Aëppolyte marbré, des mers de l'Océanie, genre établi par Leach, le palémon orné, re- trouvé depuis à Amboine , à Waïgiou , etc., le palémon lirti- mane , de l'Ile-de-France et peut-être de l'océan Indien. Le palémon jaunâtre, d'Olivier, doit être d’un autre genre, mais indéterminable , vu sa mauvaise conservation. Enfin nous citerons dans les pénéens, le sténope hispide , de l'océan Indien, déjà figuré par Séba, les sicyontie carénée et lancifère, le pénée cannelé, rencontré postérieurement aux Célèbes et à l'Ile-de-France, par Quoy et Gaimard. {M. Edw., Hist. des crust., 1. IT, p. 350, 353, 354, 396, 400, 407, 410, 41h). Dans les stomapodes, ordre qui complète les crustacés podophthalmes à yeux pédonculés et mobiles, nous devons signaler la squille stylifère, de l'Ile-de-France, armée de deux épines mobiles, qui lui ont valu son nom. | Lamarck, t. V, p. 189 ; — M. Edw., t. 11, p. 526). Les crustacés édrio- phtalmes , dont les veux sont sessiles et immobiles, débutent par l’ordre des amphipodes. Nous y rencontrons encore un curieux type de passage, établi par M. Edwards sur un individu du voyage austral, la vibilie de Péron, long de quelques milli- mètres. Ce genre , sans doute libre et nageur , appartient aux hypérines , mais n'offre que de longues pattes grêles sans les grosses griffes préhensiles qui servent à la plupart des hypé- rines à s’accrocher en parasites sur les poissons et les méduses ; il conduit par suite aux crevettines. { M. Edw.. t. LIT (18/40) ; p. 73.) Nous remarquons, dans les isopodes marcheurs , l’idotée de Péron, des côtes de l'Australie, chez lequel les deux der- — 183 —- nières fausses pattes de l'abdomen très développées recou- vrent les autres comme des battants de porte, et, dans les isopodes nageurs, le sphérome dicantie, trouvé par Péron, à l’île King, qu'il avait nommé asellus dicanthus, à cause des deux échancrures du dernier articie abdominal, pouvant se contracter en boule, et le cercéis tridenté , également de l'ile King [détroit de Bass), à corps non enroulable. Ces petits crustacés vivent sur les rochers immergés, parmi les polypiers el les plantes marines. Au même groupe se rapporte, dans les cymothoadiens errants, à pattes préhensiles, temporairement parasites, l’æga à pattes dentelées , des côtes australiennes. | (asellus serripes de Péron ; — M. Edw., t. Lil, p. 2h4, etc.) Les cirrhipèdes , que les auteurs anciens rangeaient parmi les mollusques, mais qui sont plus voisins des crustacés par leur organisation interne et surtout par leur évolution ein- bryonnaire, se subdivisent en deux grands groupes , selon qu'ils sont fixés aux rochers par un long pédoncule cylin- drique, ou qu’ils sont sessiles. Un genre nouveau a été établ; par Darwin aux dépens de l’ancien genre poflicipes sur un individu de Péron, le scalpellum Peronti, retrouvé plus tard à Port-Western, par Quoy et Gaimard. L’écliantillon conservé dans l’alcool nous a paru plus voisin des anatifes que des pollicipèdes. Nous n’avons à mentionner pour les cirrhipèdes du second groupe que quelques indications de Lamarck. Ce sont la balane notrâtre |[Nouvelle-Hollande), la balane rose, des îles Saint-Pierre et Saint-François, la balane plissée , la balane ridée, fixée à une pointe d'oursin, la balane subim- briquée , de la baie des Chiens-Marins , l’acaste sillonnée . blanche, presque transparente, de la même localité, et l'acaste gland, de couleur rougeâtre, de l’île King; ces deux dernières espèces dans des éponges. | Lamarck, Animaux sans vert. tu. V, p. 391, 395, 396, 398.) » LE FRE an Il est presque impossible aujourd'hui de déterminer les nombreuses espèces d’annélides de la collection de Péron. Il indique , dans le Voyage, des sujets appartenant aux amphi- trites, aux aphrodites, aux néréides, aux planaires et surtout aux serpules, dont les tubes entrelacés formaient des masses volumineuses dans certaines baies de l’île Decrès et de l’île King. C'est à peine si le Muséum possède quelques échan- tillons dans l’alcool, et quant aux tubes variés de serpulées de la collection actuelle, on sait qu’ils n’indiquent presque rien sur la véritable nature de l'animal. Une grande confusion existe encore au sujet des annélides tubicoles. Lamarck qui a pu observer les objets plus abondants et en meilleur état mentionne |t. V, Hist. des Anim. sans vert.) d'assez nom- breuses espèces, mais établies sur des tubes, et en y joignant des siliquaires , des magiles qui sont des mollusques , un fourreau de larve de phrygane, etc. Nous devons nous borner à la rapide indication des sujets classés dans les galeries, et non sans de continuelles incertitudes. Nous citerons, dans les aphrodisiens, le polynoe muricata ; dans les annélides tubi- coles des tubes de chétoptères des îles Saint-Pierre et Saint- François ; dans le grand genre serpule, les serpula cespitosa de l’île King, serpula intricata ei rostrata de la Nouvelle- Hollande , iolacea de la baïe des Chiens-Marins {1° groupe, espèces à carène et à bec, genres galéolaire et vermilie de Lamarck}, les serpula filaria, regalis, de l'ile King, serpula tæniata, de la Tasmanie, serpula filograna, bi-carinata et infundibulum, de la Nouvelle-Hollande, serpula spirorbis (jeune individu), de l’île aux Kanguroos [île Decrès). Ges espèces sont du 2 groupe des serpules, sans pointes et à ouverture en entonnoir. Au genre protula se rapporte le pro - tula bispiralis , &e la mer des Indes, individu dans l’alcoo!, à branchies en spirale, belle espèce très grande et de cou- — 185 — leur rougeâtre , déjà connue de Séba. Le tube n’a pas été rapporté. Elle a servi de type à Blainville pour établir un genre intermédiaire entre les sabelles et les amphitrites. Les spi- rorbes se composent d'espèces vivantes, toutes fort petites , qui diffèrent des serpules en ce que le tube, au lieu de rester vague, s’enroule en spirale régulière et plane, rappelant une coquille de planorbe. Nous y rangerons les spirorbis lamellosa, de l’île King, les spirorbis tricostalis et carinata , de la Nou- velle-Hollande. Dans le genre sabelle se placent les sabella indica et grandis de la mer des Indes [individus dans l'alcool) ; des hermelles sont étiquetées des îles Saint-Pierre et Saint- François, aux Kanguroos, de la baïe des Chiens-Marins, etc. Nous ne trouvons dans les vers entièrement dépourvus de membres sétifères qu’une espèce de ce groupe de place si incertaine, objet des beaux travaux de M. de Quatrefages, la borlasia quinquelineaia (Quat.), de la mer des Indes, retrou- vée, depuis Péron, par Quoy et Gaimard, à la Nouvelle- Zélande. Peu après le retour de l’expédition aux terres australes , _ Cuvier publiait ces magnifiques anatomies qui du chaos des _vermes de Linné, faisaient sortir tout un embranchement du règne animal. Quelques années plus tard, Lamarck décrivait les coquilles vivantes et fossilles. Péron leur apportait de cu- rieux et abondants matériaux et ils ont eu soin de l’associer à leur gloire. Nos renseignements au sujet des mollusques sont plus nombreux et plus précis. Le Voyage austral cite, dans plusieurs passages , des poul- pes (céphalopodes dibranchiaux octopodes). Il est question d’un poulpe rencontré près de la terre de Diémen, de la gros- seur d’un tonneau, roulant avec bruit au milieu des vagues, et étendant de longs bras, de six à huit pieds de longueur, comme autant d'énormes reptiles. À ce genre se rapportent — 186 — ces récits exagérés et ridicules d’un poulpe pouvant enlacer un navire et le faire sombrer. Trois espèces sont très impar- faitement connues par les descriptions de Lesueur, reproduites ensuite par Blainville d’après les notes manuscrites de Péron. Ce sont l’octopus-cærulescens, de l'île Dorre, l’octopus pustu- latus de la même localité, exhalant, dit Péron, une nauséa- bonde odeur de muse, et l’octopus variolatus où Boscü, déjà indiqué par Bosc | sepia rugosa de Péron) existant en abon- dance dans les excavations de l’île Dorre, à la baïe des Chiens- Marins. Aux céphalopodes décapodes teuthidés se rattache la sepia australis, connue seulement par sa coquille interne ou sépios- taire, trouvée à l’île des Kanguroos [île Decrès. Une découverte de plus grande importance est celle d’un céphalopode de haute mer recueilli par Péron vers la terre d'Endracht. Décrit vaguement par Lesueur et par Lamarck, il a servi à ce dernier à établir le genre calmaret, dont les espèces sont de consistance membraneuse, presque transpa- rente et la coquille interne cornée, allongée, sans loges aé- riennes. Le loligopsis Peronii est des mers australes et de _ petite taille. On a souvent confondu les calmarets avec des oc- topodes , faute d’avoir vu leurs deux très longs bras tentacu- laires, cachés et repliés. L’atlas du voyage représente, sous le nom de loligo cardiop- tera, une espèce dont M. d’Orbigny a fait l’onychoteuthis car- dioptera. Il habite l'océan Atlantique dans les amas de fucus; on n’a encore eu que des individus jeunes. Ce genre, avec ventouses des bras à crochets, est également de haute mer, (Voir Hist. nat. des céphalop. acétabulifères, par de Férussac et À. d'Orbigny, Paris, 1835 à 1848. Le nom de Péron est attaché à un mollusque célèbre, type vivant des décapodes spirulés , reste unique d’une création — 187 — considérable dans les mers Jurassiques ou les bélemnites à ventouses armées de crochets représentaient, par rapport à la spirule actuelle, ce que sont les onychoteuthes aux calmars. Près des Canaries, par 23° L, B., une spirule vivante fut trou- vée flottant sur l’eau. L’individu rapporté par Péron a disparu et la figure dessinée par Lesueur dans l’atlas est inexacte. On croirait à up type nouveau de céphalopodes avec dix bras égaux. Roissy, qui vit l’animal entre les mains de Péron, le décrivit comme ayant huit bras courts et deux plus longs, à ventouses sans crochets, ce qui les ramène à un type analogue aux sè- ches. Telle fut, avec raison, l’opinion de Cuvier et de La- marck ; mais ce dernier donna de la spirule une idée fausse, en représentant la coquille comme postérieure au sac et sail- Jante. Cette erreur est évitée en partie, dans le dessin de Le- sueur, et, comme l’a vu M. Robert, la coquille qui va du dos au ventre, est entièrement cachée dans le sac. La dernière chambre s'appuie sur les cartilages dorsaux, tout près du cœur. On n’a pas encore de spirule bien complète. La coquille vide de la spirule de Péron est connue depuis longtemps. Elle est blanche, enroulée en spirale à tours libres et non contigus et cornposée d’une seule lame calcaire. Elle manque de l’épiderme qui existe sur le nautile, coquille en majeure partie externe. Elle est chambrée par des cloisons à siphons ventraux empilés par leur pointe, ainsi que les alvéo- les des bélemnites, de sorte que chaque loge est complétement close. Cette discontinuité du siphon établit une distinction avec le siphon du nautile, continu, ayant son nerf, son artère, sa veine. Ces coquilles sont communes dans certains cou- rants de l'Atlantique africaine, du côté des Canaries. Les spirules sont des animaux pélagiens et nocturnes ; elles sui- vent jusqu'à Terre-Neuve le grand courant d’eau chaude OS — (gulf stréam) qui dépose en abondance leurs coquilles sur les côtes des Antilles. La découverte de Péron eut un retentissement considérable dans le monde savant (1). On lui doit l'interprétation zoologi- que des coquilles polythalmes, malgré les notables différences que les nautilidés et les ammonidés, à quatre branchies, pré- sentent avec les spirules, céphalopodes dibranchiaux. Les nautiles vivants rencontrés en 1827 et 1833 et les beaux tra- vaux de MM. Owen et Valenciennes ont également constaté, comme dans la spirule de Péron, la conformation singulière de mollusques logés dans la dernière chambre de la coquille. Il ne faut attacher qu’une importance secondaire à la saillie plus ou moins grande de ce flotteur aérien hors du manteau. Le nautile, bien moins seulement que l’animal de la spirule, enchasse la bouche de la dernière loge par les bords du man- teau, ce qu’on reconnaît, sur les coquilles vides, aux ondes fauves beaucoup moins effacées sur les parties découvertes. Une espèce de nautile encore très rare a été rapportée de Timor par Péron. C’est le nautile ombiliqué , connu seulement par sa coquille dont le dernier tour est moins enveloppant que chez le nautile commun, et qui présente un large ombilic. Les céphalopodes, restreints de nos jours à peu d'espèces, sont les représentants d’une classe quiremplissait de ses grou- pes variés nos plus anciennes mers géologiques. Les gastéro- podes, doués en général d’une locomotion beaucoup moin- dre, d’une organisation moins complexe, tiennent leur place dans la faune actuelle. Nous ne pouvons présenter, au sujet des continuelles découvertes de l’expédition aux terres aus- trales, qu’un succinct catalogue. Nous mentionnerons , dans les pulmonés hermaphrodites , (1) Magas. encycl., t. IV, 1805, aux nouvelles littéraires. — 189 — sans opercules et à quatre tentacules, parmi les terrestres ou limaciens , la succinea australis (genre ambrette, section des putridées | des îles Decrès, Saint-Pierre et Saint-François, du port du roi George. Au genre immense des hélices se rappor- tent l’helix torulus ( Nouvelle-Hollande) , les Lelix cidaris et zonaria de Timor, dernière et belle espèce retrouvée aux Moluques par Quoy et Gaimard; l’helix prunum du canal d’Entrecasteaux ; l’helix sutilosa, des îles Saint-Pierre et Saint-François et de la Nouvelle-Follande ; dans les anciens bulimes, tes Lelix, læva | Timor), costulata échantillon anique du port du roi George, Dufresnii, de la terre de Diemen. À ces espèces, presque toutes inédites, nous joindrons, dans les anciens pupa, coquilles allongées , à bouche rétrécie et dentée, les helix undulata , de l'Ile-de-France, et cylindrica, des îles Saint-Pierre et Saint-François. Dans les pulmonés aquatiques ou lymnéens, à deux tenta- cules, se trouvent, parmi les lymnées à coquille dextre, les lymnea bulimoïdes et Lessonit, de la Nouvelle-Hollande, rap- portées par Péron et Lesueur, bien avant Lesson, et la physa casianea , Sénestre, du même pays, retrouvée plus tard à Tonga-Tabou et à Amboine. Une curieuse espèce fut découverte sur les rochers de l'Ile- de-France, rampant à la façon des limaces, mais sous l’eau et non dans l'air. L'animal contracté après la mort, avait plus d’un décimètre de longueur. Cuvier le rangea , sous le rom d’onchidium Peront, dans un genre créé par Buchannan pour un mollusque trouvé sur les roseaux du Gange. [G. Cuvier, Ann. du Mus., Mémoire, etc., t. V p. 37.) Les onchidies, dé- pourvus de coquille, sont aux lymnées ce que les limaces sont aux hélices, par un véritable parallélisme. La grande espèce de Péron renferme plus d’un centimètre cube d’air dans ses poumons et servirait de sujet excellent pour l'étude de la 10). respiration chez ies mollusques, comme le remarque M. Va- lenciennes. Un autre individu très semblable, mais plus petit, fut trouvé à Timor. Il appartient peut-être aux espèces décri- tes depuis par Quoy et Gaimard. Blainville considéra le mol- lasque de Péron tout autrement que Cuvier. Il le sépara du mollusque de Buchannan pour le ranger à côté des doris dans les gastéropodes nudibranches, sous le nom de genre péronie, regardant la cavité , prise pour un poumon aérien, comme une cavité branchiale recevant l’eau aérée. Les branchies sont en réseaux adhérents aux parois, au lieu d’être en couronne de panaches, flottantes et librement immergées, comme chez les doris auxquelles les onchidies ressemblent beaucoup par l'aspect général. D’après l'existence de la poche précitée, Cu- vier persista à considérer l’onchidie comme un pulmoné, bien que Péron lui eût affirmé l’avoir toujours trouvé sous l’eau , mais ne conserva dans ce genre que les espèces marines , en reportant aux limaciens, sous le nom de vaginule, le mollus- que indien , sans coquille même interne. Le cyclosioma læve , de Timor, appartient aux cyclosto- miens, dioïques et operculés, ainsi que l’ampullacera fragilis, de Port-Jackson , rapportée bien plus tard par Quoy et Gai- mard, créateurs de ce genre curieux. Lamarck les confondait avec les ampullaires, mollusques aquatiques, tandis qu’il faut voir dans les ampullacères des pulmonés marins qui sont aux cyclostomes ce que les auricules sont aux lymnées. Les ordres des gastéropodes contenant les plus nombreux genres sont branchiaux. Les inférobranches ont les branchies en lames libres, attachées sous le bord du manteau. Cet ordre en réunit plusieurs fondés par Cuvier d’après des caractères tirés des sexes et reconnus depuis inexacts. Il ne fautattacher, chez les mollusques, que très peu d'importance aux sexes réu- nis Ou séparés. — 191 — Parmi les clioniens, Péron découvrit dans l'Atlantique le pnoumoderme qui lui fut dédié. Ge, mollusque nu, à corps cylindroïde , voisin du clio des mers boréales , comme lui rangé par Cuvier dans la classe des ptéropodes, en est séparé maintenant par M. Valenciennes, à cause de la position ex- terne des branchies. Deux expansions latérales, aliformes, sont les organes d’une locomotion rapide, par des mouvements ana- logues à ceux des ailes des papillons. Cuvier -considère les branchies comme rejetées à l’extrémité postérieure du corps, selon deux lignes saillantes adossées en double chevron. MM. Quoy et Gaimard découvrirent à Amboine deux autres espèces de preumodermes , et d'après eux, les organes pris par Cuvier pour des branchies sont des ovaires. Les branchies seraient dans un petit sac membraneux. Les espèces qu’ils ont observées ne doivent peut-être pas rester dans le même genre que lepneumoderme de Péron. Peut-être encore ce mol- lusque offrirait un double appareil respiratoire comme M. Sou- leyet l’admet pour l’élysie ou actéon. Péron donne à l’espèce type du genre pneumoderme l’épithète de capuchonne. Cuvier avait créé le genre pAyllidie pour un mollusque de la mer des Indes, ayant des branchies externes autour du pied [inférobr. phyllidiens) (1). Outre plusieurs individus de la phyllidia trilineata, type de ce genre peu nombreux en espèces, Péron rapporta deux espèces nouvelles, venant aussi de la mer des Indes , les phyllidia pustulosa et ocellata , va- riables par la forme et le nombre des verrues du manteau. Un genre des plus remarquables abondant dans les mers australes et déjà représenté aux plus anciens âges du globe (chüon antiquissimus, terrain silurien de Tournay, M. Puzos), est celui des oscabrions ou mollusques articulés de Blainville. - (1) G. Cuvier. Ann. du Mus.,t. V, p. 266. — 192 — La coquille est formée de huit pièces calcaires bien développées en série et au-dessus du manteau. Les ganglions nerveux sériés, mais supérieurs au tube digestif, les branchies en feuillets longitudinaux, les tentacules, un estomac corné pareil à celui des aplysiens , rangent ces animaux dans les mollus- ques. Les chiton aculeatus, de l'île King, à huit valves cou- vertes de tubercules épineux , et chiton costatus, du port du roi George, furent découverts par Péron. Dans les oscabrelles, à pièces calcaires de la coquille très petites, nous citerons les chitonellus lævis et striatus, des mers de la Nouvelle-Hollande. Dans les patelles, remarquables par la grandeur du pied collé fortement au rocher, se trouvent la patelle géante, de l’île Bernier et de la terre d’Endracht, et la patelle de Péron, du port du roi George, et peut-être d’autres encore ; maïs la très riche collection qu’en offre le Muséum n’est pas encore étiquetée. De grandes confusions régnaient au sujet des doris, appartenant aux nudibranches, à branchies en houppes autour de l'anus. Péron rapporta de la mer des Indes les six. plus belles espèces de ce genre, dont trois étaient en même temps les plus grandes qu’on eût encore rencontrées, et fournirent les sujets des anatomies de Cuvier {4)..Ce sont les doris solea (He-de-France) , scabra [Timor), maculosa [terre d'Endracht), appartenant aux doris planes de Cuvier, à forme oblongue et aplatie ; et dans les doris prismatiques , à corps renflé, les doris atro-marginata et pustulosa, de Timor, et la doris lace- ra , grande espèce du même pays: Péron croit se rappeler l'avoir vue émettre une liqueur colorée. | D’autres nudibranches déjà décrits , ont été mieux connus et surtout mieux précisés quant aux limites de leur habitation. Ainsi, dans les tritoniens, les scyllées , mollusques de haute (1) G. Cuvier. Ann. du Mus., t. IV, p: AU7. AO — mer, découverts par Forskall, nageant renversées ou rampant sur les fucus de l’océan Atlantique, sont retrouvées par Péron, près de la terre d’Edels, sur la côte S. O. de la Nouvelle- Hollande. Le genre glaucus, des éolidiens, lui a offert le magnifique glaucus de Forster, (nommé gl. eucharis dans l’atlas du Voyage, pl. 29), d’un beau bleu d’outremer avec une double bande d'argent, à branchies ramifiées en panaches latéraux. C’est dans le grand Océan, entre le Cap et l’île Tristan d’Acunha, à plus de deux cents lieues de toute terre, et aussi dans le canal de Mozambique , que ce remarquable inollusque a été recueilli. . Un nombre considérable de genres de gastéropodes, les pec- tinibranches , ont les branchies contenues dans une cavité plas où moins close. Chez les bulléens elles sont encore ex- ternes, mais protégées par des expansions membraneuses du manteau. Parmi les genres à tentacules développés, le genre pleurobranche, à branchies en séries unilatérale sous le bord du manteau, fut créé par Cuvier sur l’espèce type p{eurobran- chus Perontiti , de la mer des Indes, ayant une très mince coquille cachée sous la peau (1). Rumphius avait représenté séparément, sous le nom de limazx marina, un mollusque ressemblant aux lièvres de mer de nos côtes , et une coquille singulière et recourbée sur la- quelle Lamarck avait fondé le genre dolabelle. Péron, le pre- inier, dans son exploration de l'Ile-de-France, reconnut que l'animal et la coquille interne et calcaire ne font qu’un même individu. C’est la dolabella Rumphit ou Peronii, de près de deux décimètres de longueur. Selon Rang, Péron aurait aussi trouvé ce mollusque à Timor. Les dolabelles, qui manquent en Europe, se tiennent dans les baies tranquilles et se recou- (4) G. Cuvier, Ann. du Mus., t. V, p. 266. ne vrent d'une légère couche de vase 1}. Elles forment, pour Rang, une section du grand genre aplysie, et tous ces ani- maux offrent, derrière les glandes de la mucosité, une glande sécrétant une liqueur purpurine, tachant la peau d’une facon très tenace et ne disparaissant qu'avec l’épiderme. Cette cou- leur n’est pas aussi vive que celle de la pourpre des murex (pourpre antique). Lamarck donne comme de Péron une va- riété de la aplysia depilans, espèce de nos côtes, à coquille cachée, cornée et non calcaire. À Dans les genres à tentacules rudimentaires [acères de Mul- ler), tantôt se montre une coquille externe, légèrement spi- ralée (bulle), tantôt elle reste cachée sous le manteau {(bullée). Péron cite des bullées plus grandes que celles d'Europe, mais analogues ; entre autres, une espèce de la Nouvelle-Hollande ressemblant à la bullea aperta. Les bullées et bulles, dit-il, se tiennent sur les fonds vaseux et répandent, quand on les tou- che, comme Paplysie, une liqueur rouge. Aux pectinibranches trochoïdes , à branchies internes, se rapporte une nombreuse série d'espèces dont Quoy et Gaimard décrivirent les premiers la majeure partie, mais qui existaient depuis longtemps inédites dans les collections du Muséum. Telles sont les trochus obeliscus, cærulescens | peut-être un individu décapé du précédent), tmperialis, virgatus , fenes- tratus, maculatus, incrassatus, elatus [très rare et beile espèce, à taches carminées), granätum, trisodonta, monodonta rosea (déjà rapporté par Labillardière), monodonta lineata, margi- natus , fimbriatus , Cook, pulligo (île King, petite espèce nommée par Péron et encore étiquetée de sa main}, e/egans (phasianella elegans, de Lamarck), un autre wochus inédit, de (4) G. Cuvier, Ann. du Mus., t. V. p. 435.—Voir aussi Sander Rang, Hist. nat. des aplysiens, p. 46. — Paris, Firmin Didot, 1828. 108 — l'île Decrès, appelé élégant par Quovy, le trochus snaragdinus, de la couleur verte la plus vive et la plus intense, couleur rare pour les coquilles , rapporté de l’île Bernier, le trochus iris (nommé turbo eustomiris par Péron), réfléchissant les tein- tes éclatantes du prisme , des côtes méridionales de la Tas- manie. Près de ces mollusques, nous rangerons le genre anormal des janthines, dont le foie, la glande de la mucosité et la co- quille sont bleus ou violets. Ces animaux de haute mer ont une coquille ressemblant à celle des colimaçons, mais que sa délicatesse oblige à flotter sur les eaux, comme les hyales, les carinaires, les argonautes. Péron les cite à plusieurs reprises dans le Voyage, et, comme les auteurs de son temps, prend pour un organe de flottaison la grappe de vésicules qui sort par la bouche de la coquille, de dessous le pied. C’est un ré- servoir d'œufs dont l'animal se débarrasse quand il trouve à les appuyer sur quelque corps. Péron a rapporté les Janthina communis et bicolor |cette dernière figurée par erreur dans l’atlas comme nouvelle, sous le nom de penicephala), connues avant lui, abondantes dans l'Atlantique et la Méditerranée, et qui, parfois, couvrent la plage de Nice de leurs coquilles. Les janthines australes sont encore inédites, et parmi elles l'espèce où Péron trouva un pinnothèére, dans sa traversée de Timor à la Tasmanie. Parmi les mélaniens , la phasianella bulimoides ou austra- lis, connue de Gmelin, vulgairement le faisan, la plus grande du genre, était des plus rares dans les collections avant le voyage austral. Elle fut rapportée en abondance, surtout de l'île Maria, et, en outre, les phasianella rubens et variegata. Dans les néritacés, nous ne trouvons, comme mention cer- faine, que la neritina auriculata, des eaux douces de la Nou- velle-Hollande et des îles voisines, et dans les calyptraciens, — 196 — la calyptrée de Lamarck, de la Nouvelle-Hollande. Aux tubu- libranches, si singuliers par leurs déformations, se rattache un vermet, confondu par Lamarck avec les serpules (serpula sipho, de Timor), et qui paraît être le vermet décrit par Adan- son sous le nom de master, et le magilus Peront, de l’Te-de- France, logé dans un madrépore et montrant, dans l’échan- tillon du voyage, sa partie jeune encore régulièrement spi- ralée. C’est à tort qu’on le croirait perforant. 11 s’allonge en tube pour se défendre contre l’envahissement du polypier. L’immense famille des pectinibranches buccinoïdes, dont l'animal présente une trompe exsertile qui manque aux tro- choïdes , comprend les plus belles coquilles des collections. Les voyageurs les rapportent constamment, les individus se renouvellent, et c’est à cette cause que nous devons d’avoir perdu la trace de bien des espèces de Péron , principalement pour les coquilles anciennement connues. Nous citerons le strombus Campbellii, dans les buccinoïdes ailées de la Nou- velle-Hollande, et dans les buccinoïdes canalifères, les fusus polygonoîdes et varius, de la Nouvelle-Hollande, et nicobari- cus et incrassatus, déjà connus, les fasciolaria coronata [îles King et aux Kanguroos), et ferruginea, ainsi que la turbinella gibbulus (Australie). Le Voyage mentionne une pyrule quali- fiée de eospila, de la terre de Witt, élégamment ornée de pe- tites taches aurores, que nous n’avons pu retrouver. Aux buc- cinoïdes purpurifères appartiennent la Larpa minor, de Timor, commune dans l’océan Indien, espèce de Rumphius, de Séba ; dans les cônes à coquille couronnée, le conus pontificalis, dé- couvert par Péron à la terre de Diémen, d’un blanc de lait, à spire élevée, conique et tuberculeuse, ressemblant à une thiare pontificale ; dans les cônes à coquille non couronnée, deux variétés du conus anemone, de la Nouvelle-Hollande, le conus timorensis et les conus quercinus et australis, répandus — 197 — dans la mer des Indes, et déjà figurés. Les collections du Mu- séum ne nous ont présenté aucun cône auquel pût se rappor- ter la description de Péron au sujet d’une espèce nouvelle, de la terre d'Endracht, qu’il nomme conus dorreensis. (V'oy. aux terres austr., t. 1°, p. 129,). D’une couleur orange très légère, il se distinguait par une bande développée sur chaque tour de spire, et d’une éclatante couleur de lapis. On sait combien la couleur bleue est rare dans les coquilles. Blain- ville cite, dans les genres de Lamarck dont il constitue le genre unique des pourpres |[Vouv. Ann. du Mus., t. 1‘, p. 188.— 1832), trois espèces de la Nouvelle-Hollande, les pur- pura elata, rugosa très variable et souvent rapportée depuis, et glirina (sujet unique. Le genre buccin nous offre le buc- cinum vinosum, de l'Australie. Les renseignements sont plus complets pour les buccinoïdes columellaires. Ainsi l’île Maria présentait en si grande abondance la marginella muscaria qu'on pouvait la ramasser à poignée. À Timor, fut décou- verte la mitra adusia, et sans doute aussi la #nitra Peronii (deux variétés), et ces rares petites espèces de l’océan Indien dont Lamarck a fait les mitra larva, pisolina, dermestina.. granulifera, oniscina, tabanula et pediculus. Dans les volutes, qui, avec les cônes , font l’orgueil des amateurs, deux espèces nouvelles sont décrites dans un mé- moire spécial de Lamarck [Ann. du Mus., ti. V, p. 154), les voluta undulata, découverte par Péron dans l’île Maria et le détroit de Bass, et voluia nivosa dont il rapporta deux varié- tés de la baie des Chiens-Marins. En outre, nous ne pouvons omettre la voluta mitræformis (Australie), et la voluta magni fica, que Chemnitz avait déjà fait connaître, maïs qui était, avant le voyage de Péron, une des raretés les plus grandes des collections. Rien de certain au sujet des olives. Dans les buccinoïdes cyprées se placent la ferebra cerithina. — 198 — de Timor, une variété de la cypræa cicercula, du même pays, et pour l'Australie , les cypræa australis , espèce nouvelle, cCypræœa annulus, connue de Linné, de Gmelin, cypræa acha- {ina, nommée et découverte par Solander, naturaliste de Cook , enfin l'espèce ovula lactea , de Timor, coquille très rare. | | , Parmi les buccinoïdes haliotides (scutibranches de Cuvier), Péron fit le premier connaître ces magnifiques ormiers |vul- gairement oreilles de mer) des mers australes, dont la nacre intérieure étincelle de feux irisés. Aïnsi la haliotis gigantea, de la terre de Diémen, recherchée des collectionneurs, dont la taille va en décroissant à mesure qu’on s’approche des lati- tudes plus chaudes, les Aaliotis tubifera |conicopora , Péron), à pores de la coquille saillants et formant comme autant de petits troncs de cône ouverts, et haliotis concava |cyclobates, Pér.}, à bouche orbiculaire très profonde , toutes deux de l'île Decrès ; enfin haliotis unilateralis (Australie, Timor), de petite taille et peut-être connue de Rumphius. M. Valenciennes, d’après leur trompe exsertile, réunit aux buccinoïdes le singulier ordre des hétéropodes de Cuvier. Dans l’océan Atlantique austral fut trouvée l’atlante de Péron, à coquille carénée et roulée en spirale, pouvant contenir l'animal. Péron figure la carinaire de la Méditerranée | Ann. du Mus., t. XV, pl. à, fig. 15), genre dans lequel une mince coquille papyracée et carénée recouvre seulement les bran- chies sans protéger le mollusque. Il s’est toutefois trompé en prenant le dos pour le ventre et réciproquement, dans la ca- rinaria Peronii ou Lamarckii, car l'animal se tient renversé, la coqullle en bas, le pied aminci et natatoire en haut. Dans un mémoire sur le genre firole (Ann. du Mus., t. XV, p. 70), que la mort de Péron a laissé inachevé, Péron et Lesueur s’attachent à distinguer, des carinaires , les firoles sans co- = 499: — quille, à branchies libres et flottantes sur le dos. Les auteurs remarquent qu'on confondait avec les firoles des carinaires privées de la coquille, des branchies et du cœur, par des mu- tilations fréquentes, dues à la voracité des animaux marins qui en font leur proie. Ainsi Cuvier avait fondé le genre pté- rotrachée sur un animal incomplet. Près des firoles snivant les uns, à côté des biphores, dans les molluscoïdes suivani d’autres, se place le genre rare, et à peine revu depuis, des phylliroëés. Ces animaux, de petite taille, mous et apathiques, sans coquille et si transparents que, s'ils n'avaient à l'inté- rieur des branchies et quelques organes colorés, ils échappe- raient à l'observation, furent découverts à Nice, lors des der- niers jours de Péron. Leurs singuliers tentacules natatoires , au-devant des yeux, annelés et recourbés cemme des cornes de bélier, firent donner à l'espèce le nom de phylliroé bucéphale par Péron et Lesueur. Ann. du Mus., t. XV, p. 57. Les recherches de notre infatigable naturaliste procurèrent à Cuvier les éléments nécessaires pour créer une classe nou- velle dans les Mollusques, les ptéropodes ll. Les vicissitudes _des classifications tendent à la faire disparaître. Le clio, dont l'anatomie avait porté Cuvier à établir la coupe nouvelle, n’est plus aujourd’hui dans cette classe. M. Valenciennes n’y con- serve que quelques genres munis de deux branchies internes. M. Van Bénéden, comme Blainville, supprime toute la classe, qu'il regarde comme un groupe satellite et anormal de gasté- ropodes, à locomotion puissante. L'ancienne classe de Cuvier, à l'exception des genres clio et limacine des mers boréales, est due presque entière aux travaux de Péron. Il a découvert la plupart des autres genres vivants, ou précisé leurs carac- têres. (1) G. Guvier, Mémoire, elc., Ann, du Mus., L IV, p. 298. le Le genre hyale, ouvé dans la Méditerranée et mal classé, indiqué de plus d'une manière confuse par les naturalistes de l’expédition de Lapérouse, n’a été bien connu que depuis les envois nombreux faits par Péron d'individus dans lalcool, entiers et disséqués, de l’océan Atlantique. D’une coquille légère, diaphane, quoique calcaire, naviculée, sortent au-de- vant deux larges nageoires pourprées, de sorte que ces jolis mollusques ressemblent à de petites tortues en miniature, et c'esten effet sous ce dernier nom que les désignent les marins. Malgré sa délicatesse, l'animal se complaît dans les flots ora- geux de l'Océan. Selon M. Reynaud, les deux filaments pos- térieurs des hyales sont deux oviductes disséminant les œufs sur les fucus où ils se développent. L'espèce la plus grosse et la plus commune du genre, très répandue dans l’Atlantique, est la hyalæa tridentata. Ses filaments la font appeler tenio- branchia dans le Mémoire de Péron et Lesueur sur les ptéro- podes. Selon Souleyet (Catalogue des ptéropodes, Journal de conchyl. de Petit de la Saussaye, Paris, t. IE, p. 29, 1851), c’est encore la même que la . Peronti, de Blainville, et 4. affinis, de d’Orbigny. Un dernier synonyme, non relevé par cet au- teur, est celui de Aylæa australis donné , dans l’atlas du Voyage, à un individa de l’espèce précédente, rencontré près du cap de Bonne-Espérance , et différant seulement de la fi- gure du Mémoire par l’absence des filaments, disparus peut- être après la ponte de ce mollusque monoïque. Une espèce beaucoup plus petite, la hyalæa longirostra, à long rostre postérieur, fut découverte à Timor et sans doute rencontrée depuis dans l Atlantique par Lesueur, comme il l'indique dans son article sur les hyales. [Dictionn. des Sc. nat., t. XXIT). La hyalæa lanceolata, de la Méditerranée et de l'océan Equatorial, est devenue une espèce du genre c/éodore. Les es- pèces étaient vaguement connues avant Péron. IL a fondé le + JM senre sur le clio de Brown, n° À, qui est la cleodora pyrami- data de l'océan Atlantique. Lamartinière, en 1787, décrit un animal mollusque qui paraît être une cléodore , et la Ayalæa lanceolata de Lesueur est peut-être le clio candata de Linné, ou le clio de Brown, n° 2. Les cléodores se rapprochent des hyales par d’insensibles passages. Le nom de clio, qui leur fut d’abord donné, est réservé maintenant à des mollusques sans coquille, des mers boréales. _Munies d’une coquille mince et transparente comme du verre, en forme de pyramide trièdre, avec une bouche sans tentacules, une petite trompe et deux larges ailes transpa- rentes, échancrées en cœur, les cléodores , le soir, après le soleil couché, couvrent de leurs légions la surface des océans intertropicaux et s’enfoncent à l’aube du jour dans les pro- fondeurs de la mer. Ces mollusques ,-et surtout la c/eodora balantium , ont permis d'interpréter les conulaires fossiles , genre voisin de beaucoup plus grande taille , à coquille pyra- midale tétraëdre , et dont le mode de vie était sans doute le même dans les mers des anciennes époques. Lors de cette lutte de tous les jours contre la mort que soutenait Péron dans son séjour à Nice, il établit le genre cymbulie sur an mollusque nouveau de la Méditerranée , qui porte le nom de cymbulie de Péron. Seules parmi les ptéro- podes actuellement conservés par M. Valenciennes, les cym- bulies ont une coquille oblongue , cartilagineuse et non cal- caire, en forme de sabot. Il y a une cymbulie australe différant assez notablement de celle de la Méditerranée. À l’inverse des cléodores elles sont extra-tropicales, boréales et australes, et, comme elles, volent dans l’eau avec une extrême rapidité, ainsi que les insectes dans l’air. Souvent on les figare ren- versées ; à l’état de vie la pointe de la coquille est en haut. Péron et Lesueur ont étudié les ptéropodes dans deux — 202 — mémoires 1}, où, à côté de genres naturellement rapprochés, se trouvent des réunions que n’adinet plus la science moderne. Ils les divisaient en dix genres, à savoir : 1° les ptéropodes nus el non tentaculés comprenant les genres jirole (actuelle- ment gastéropode hétéropode) et callianire [confusion grave, acalèphe voisine des béroés); nus et tentaculés, genres phylli- roë (gast. hétéropode), pneumoderme, clio, glaucus (gastérop. inférobranches) ; 2° les préropodes testacés , contenant deux sections : non tentaculés , genre cléodore ; tentaculés , genres cymbulie, hyale, carinaire (gast. hétéropode). La classe des acéphales s’est enrichie de nombreuses es- pèces, beaucoup encore inédites, par les recherches de lex- pédition australe. En commençant la série des acéphales testacés par les pectinidés, nous citerons le spondylus candi- dus, échantillon unique de la Nouvelle-Hollande, sans épines, le spondylus radians, de Timor, le pecten bifrons dans les peignes à oreillettes égales , les pecten asperrimus , australis et hexactes dans ceux à oreillettes inégales. Péron mentionne, dans le Voyage, des houlettes. Il s’agit du pedum spondyloi- deum , rare coquille de la mer des Indes, connüe de Linné. I recueillit à Timor le marteau blanc (malleus albus ), si recherché , et il en cite an autre de même couleur, mais un peu différent, sans doute une variété, aux îles Joséphine. Ces coquilles , dit-il, vivent comme enchassées par leurs longues oreilles au milieu des alcyons, dont les polypiers encombrent les anfractuosités du rivage. Il en était de même d’autres bivalves très fragiles, comme plusieurs vulselles encore in- connues, et des avicules, qui, entr’ouvertes, ressemblent grossièrement , vu la portion relevée en aile, à un oiseau qui vole : ainsi les avicula falcata, virens et papillonaceu. {1) Ann. du Mus.,t. XV, p. 57 el 70. Ho La caractérisation des ostracés est très difficile, par suite de leurs déformations continuelles. Lamarck a multiplié outre mesure les espèces sur des variétés. Il a créé l’ostrea tuber- culäta pour une huître de Timor dont la valve inférieure était couverte de tubercules convexes (Lam. Ann. du Mus. t. IV, p. 351). C’est la même espèce que l’ostrea australis, trouvée également par Péron au port du roi George. Les tubercules sont dus à ce que la coquille s’est moulée sur des astrées. Le Voyage austral s'étend avec détail sur l’ostrea margarttacea (scytophylla de Péron) découverte à l’île Bernier {Voyage austral, 1. I, p. 119). La valve inférieure fixée au rocher est en forme de long cornet d'environ deux décimètres de longueur et la valve supé- rieure la recouvre comme une sorte d’opercule. L'animal, dit Péron, n’occupe pas toute la profondeur de cette coquille singulière ; il est relégué à la base du cône dont toute la por- tion inférieure est occupée par des petites cloisons transver- sales, à concavité vers le haut , et entr’elles sont des vides remplis de gaz. La chair du mollusque fut trouvée extrême- ment délicate. Üne structure analogue se rencontre chez les éthéries, ostracés fluviatils. Nous indiquerons enfin les ostrea exCavaia et trapezina, les perna nucleus, modiolaris, nigrina, bi-costalis , toutes espèces australiennes , les trois dernières du genre crénatule que M. Valenciennes réunit aux pernes. La collection du Muséum conserve presque seule le sou- venir des nombreuses espèces de mytilacés découvertes par Péron. Beaucoup ont été décrites par QGuoy et Gaimard qui n’ont fait que les retrouver. Tels sont les pinna pectinata , nigrina , saccata (cette dernière très répandue et connue de Linné) , les mytilus corneus et erosus (types de Lamarck), mytilus polyodontus (Quoy et Gaimard), et une petite espèce inédite et innommée, voisine du mytilus ustulatus, les mytilus — 904 — bilocularis et hirsutus, à drap marin très villeux , deux es- pèces très rapportées depuis, les modiola securis et albicosta, de Timor, cette dernière avec la variété en spatule recueillie plus tard par Verreaux , la unio australis, à nacre enfumée, retrouvée par Eydoux, les cardita aviculina (île King), semi- orbiculata , nodulosa , depressa, intermedia, bicolor (très répandue) , crassicosta très voisine de la cardüa crassa des faluns de la Touraine, une autre inédite de couleur jaunâtre, toutes de la Nouvelle-Hollande , les petunculus radians |va- riété de l’île King), sériatularis (Q. et G.) et vitreus (échan- tillon unique, une valve), les arca maculosa ei fusca |Australie), semi-torta Tasmanie), decussaia Timor), avellana îles Saint- Pierre et Saint-François), les petites espèces de l’île King, arca pisolina, rudis et squamosa, la modiolarca discors (port du roi George), et enfin la nucula obliqua, des mers australes. Dans les camacés, Péron signale à Timor des w'idacnes gigantesques, de même espèce, vivantes et fossiles. On lui doit dâns le genre came les chama œruginosa (Timor, individu unique), limbula et asperella (très répandues dans tout l'océan Indien), ruderalis \variété), et, dans le genre perforant cypri- carde, la cypricardia rostrata (Australie). Les mactracés (section des cardiacés) nous présentent les mactra abbreviata, australis, rufescens, trigonella (Australie), les crassatella striata , cycladea , atbella et cornea (ces deux dernières de l’ancien genre mésodesme), les crassatella sulcaiu et kingicola, espèces très voisines de nos crassatelles fossiles de Cuise et d'Anvers, la erycina physoïdes, de la taille d’un pois, du port du roi George. Les découvertes de Péron sont d'une haute importance dans les conques (autre section des cardiacés). Ainsi les cardium tenuicostatum | Timor et Aus- tralie, type de Lamarck), bullatum, charmante espèce à stries: roses et blanches, comme chinées, échantillon unique, unedo, — 9205 — connu de Linné, {umoriferum, très anguleux, unique, r'etusum, vulgseirement bucarde cœur de Diane , les deux valves simu- lant un cœur. Certains genres de mollusques sont regardés comme complétement perdus aujourd’hui, et tous les jours des découvertes d'espèces actuelles viennent démentir des conclusions hasardées. Aïnsi l’on vient de découvrir un pleu- rotomaire vivant dans un genre qu’on croyait éteint depuis la période secondaire. De même Péron le premier trouva à l’île King une coquille complète du genre trigonie si fréquent dans notre sol jurassique. En outre à l’île Maria et sur plusieurs petites îles de la côte de la Tasmanie furent rencontrées des valves séparées et un peu usées. C’est la {rigontia antarctica , de Péron, ou pectinata, de Lamarck. Quoy et Gaymard com- plétèrent la découverte en retrouvant l’animal de la trigonie à l’île King, et récemment fut ajoutée une seconde espèce vivante, la {rigonia margarttacea À. Deshayes fonda le genre cardilie sur une espèce que La- marck rangeait à tort dans les isocardes. C’est la cardilia semi-sulcata, échantillon encore unique, en France du moins, et dont on ne possède qu'une valve rapportée par Péron des îles Saint-Pierre et Saint-François. Le grand genre des vénus nous offre les venus grisea, de localité incertaine, gallinula très jolie coquille pourprée découverte à l’île King par Péron, crassisulca [une valve), turgida (variété australienne, Lamarck a fait plusieurs doubles emplois au sujet de cette espèce), undulosa et Peronti. Cette dernière espèce offre de nombreu- ses variétés répandues à la Nouvelle-Hollande, aux îles Maria, aux Kanguroos, etc. Lamarck en avait fait sept espèces. On a justement conservé le nom seul de l’illustre voyageur qui la rapporta le premier. On lui doit également certaines espèces (4) Lamarck., Ann. du Mus., t. IV, p. 851. — 206 — de vénus perforantes fexotica, distans, crenaia, cardüoides). Lamarck les plaçait dans le genre vénérupe qui n’a pas été admis. Dans les cythérées se présentent les cytherea rufa et impar, coquille recherchée et voisine de la cedo-nulli et de nombreuses petites espèces non retrouvées depuis et qui attes- tent les soins minutieux de Péron ; telles sont les cytherea numimulina, muscaria, pulicaris, placunella, cuneata, mixta et plicaiina [très rare). Lamarck cite une cytherea macrodon, espèce fort incertaine, qui paraît faire double emploi avec la flexuosa, et une variété de la concentrica devenue la artemis subrosea , de l’île King et de l'Australie. Les genres propres aux eaux douces comprennent la cyrena trigonella et la cyclas australis, ressemblant beaucoup par sa petite taille et ses caractères à notre cyclas fontinalis, sur laquelle nous avons pu constater un fait singulier d'association avec les écrevisses (1); une variété est de Timor, l’autre du port du roi George. Enfin dans le genre donace sont les donax deltoides, australis, epi- dermia et elongata (variété à test fauve). Dans les tellinacés ( dernière section des cardiacés) se rangent les tellina stau- rella, albinella, margaritina et peut-être scalaris, les solen constrictus [mer des Indes) et vaginoïdes |très commun, canal d’Entrecasteaux), les sanguinolaria rugosa |(connue de Linné), psammobia flavicans, alba et pulchella, genres que M. Valen- ciennes ne sépare pas des solens, la so/emya australis du port du roi George. Ces espèces et les suivantes sont presque toutes perforantes, ce qu'on reconnaît tout de suite à leur coquille arrondie et amincie en coin à une extrémité : selon M. Hupé c’est par usure due aux seuls mouvements des valves qu’a lieu la perforation. D’après M. Valenciennes le pied agit également. (1) Bull, de la Soc. d’'Emul. de l'Allier, août 1855, p. 350. DOI UTNEES Aux myacés appartiennent la saxicava australis, avec di- verses variétés dont Lamarck fit une corbule et une saxicave, les anatina Peronii et Blainvillit, espèces des îles Saint-Pierre et Saint-François, déterminées par M. Valenciennes, confon- dues avec d’autres par Lamarck, la gastrochæna cuneiformis, coquille perforante de la baie du Géographe, rapportée depuis d’un grand nombre de localités par Quoy et Gaimard, Jac- quinot, Rousseau; etun individu unique, à tube incrusté de grains de sable de l’aspergillum agglutinans (Australie). M. Valenciennes établit une distinction profonde, dans les acé- phales testacés, pour les lucinidés qui n’ont que deux bran- chies, tandis que tous les autres en ont quatre. Lamarck et Bru- guière ne les connaissaient que par la coquille, les plaçaient près des tellines et les confondaient avec des animaux très différents. Ainsi, la cytherea punctata, connue de Linnée et du voyage de Péron, est maintenant la lucina punctata (1). Au nombre des meilleurs arguments contre l’idée d’une chaîne unique du règne animal et en faveur des séries zoolo- giques parallèles, figure ce fait général, que chaque embran- chement , après les groupes à caractères nets et explicites, - offre une suite d'espèces ne conservant que l'essence du type, où les organes tendent de plus en plus à disparaître et les fonctions à se centraliser et à se confondre. Peu nombreuses pour les vertébrés, ces dégradations se multiplient chez les invertébrés et rendent très difficile la distinction précise des embranchements. On s'accorde complétement aujourd’hui à rattacher aux acéphales testacés , sous le nom d’acéphales nus (M. Valenciennes) , ou de tuniciers (M. Milne Edwards), des j / animaux soit libres, soit agrégés, dont la ressemblance avec (1) Sincères remerciments à M. Hupé, aide-naturaliste, dont l’érudition et la complaisance nous ont aidé dans le dépouillement de l'immense collection des mollusques. — 9208 — ies mollusques , sous le rapport de l’organisation et de la taille, est incontestable. Cuvier sut reconnaître, dans les biphores ou salpas, la sy- métrie des mollusques acéphales, et c’est surtout par les ob- _servations de Péron et les animaux qu’il rapporta qu’on put établir la véritable place de ce groupe, jusqu'alors Jeté au hasard dans les méthodes. Cuvier avait recommandé leur étude de la manière la plus pressante. À l’arrivée du Géographe, Péron lui remit six espèces de biphores dont l’anatomie fit reconnaître la justesse de l’idée de Bosc qui avait proposé de réunir les éhalia de Brown aux salpas de Forskall. Linné avait totalement méconnu ces animaux en les joignant aux holothu- ries. La première espèce décrite par Cuvier { Ann. du Mus. t. IV, p. 860 ) est le sa/pa cristata qui lui sembla le même qu’une des thalia de Brown ou holothuria denudata de Linné, et le salpa de Forskall. La seconde était aussi déjà découverte par l’allemand Tilésius, le long des côtes du Portugal, mais il l'avait confondue, sous le nom de tethys vagina, avec des gastéropodes nudibranches. Cuvier en fit le sa/pa Tilestü : il est phosphorescent, comme la plupart des biphores. Les quatre autres espèces sont nouvelles. La sa/pa vivipara de Péron (atlas du Voyage, pl. 31), ou scutigera de Cuvier, montre un curieux ovaire, formé de capsules enfilées en série (ce sont plutôt, sans doute, des bourgeons). Suivant Péron, l’animal le rend en entier, et les petits biphores, après l’éclo- sion, restent unis pendant longtemps, comme ils étaient dans l'ovaire. De là ces remarquables chaînes de biphores, flottant sur les eaux en bancs de trente à quarante lieues d’étendue , de couleur rose ou azurée pendant le jour et resplendissant de lumière pendant la nuit. On serait tenté de les prendre pour un seul animal, tant leurs mouvements sont réguliers. À un certain âge ils se séparent, dit Péron, car tous les grands roi individus sont solitaires. Ces détails, donnés par Péron, pa- raissent inexacts quant au lien commun des individus asso- ciés et libres ; ils doivent se rattacher entre eux par une gé- nération alternante dont il ne reste plus à démontrer que la généralité très probable pour toutes les espèces. La sa/pa oc- tofora présente huit proéminences que Cuvier regarde comme des suçoirs par lesquels l’animal se cramponne côte à côte et dos à dos. C’est la salpa octaedra de Péron , trouvée à la terre Napoléon { Voyage, t. [* p. 322). Enfin viennent les sa/pa cylindrica et fusiformis, les plus petites de toutes. D’autres espèces, découvertes par Péron et dessinées par Lesueur, s’a- joutaient aux quatre que Cuvier fit connaître. Les deux amis s’en réservaient la publication : ainsi les sal/pa cyanogaster et anteliophora lalas , pl. 30). Péron avait également rapporté des ascidies simples, qu'il confondait avec des zoophytes. Dans ces molluscoïdes, fixés aux rochers par leur manteau coriace , les cavités buccale et anale se rapprochent beaucoup. Il nomme ascidia antiro- pocephala une espèce, d’une belle couleur rouge, présentant, dit-il, une ressemblance bizarre avec une tête d’homme vue de profil. Il la dit commune aux îles Decrès et Joséphine , au port du roi George, à la terre de Nuyts. Peut-être s'agit-il de la bipapillaria australis , de Lamarck, du voyage de Péron et de la baie du Géographe, dont le corps offre deux papilles co- niques, chacune avec une oscule Lam. 2° édit., t. LIL. p. 540). Nous rencontrons dans les ascidies sociales , où les petits mol- lusques à deux oscules, sont fixés par des pédicules commans aux Corps sous-marins, la sigillina australis, formée d’un groupement de cônes allongés, gélatineux , transparents. Le type de ce genre, établi par Savigny dans un de ses mé- moires, fut pêché par Péron, par vingt brasses de fond, sur la côte S. O. de la nouvelle-Hollande. 4/ oi Une découverte capitale de Péron constitue un groupe dans les acéphales nus, les pyrosomes. La première espèce connue, le pyrosoma atlanticum , fut décrite par Bory-de-Saint-Vincent et par Péron. (Ann. du Mus.,t. IV, p. 137). Un cylindre creux, ouvert par un bout seulement, de dix à quinze centimètres de longueur, nageant dans la mer par les contractions d’un sarcode gélatineux , chargé de tubercules extérieurs, parut, à première vue, aux deux auteurs, constituer un animal unique, peu éloigné des béroés, selon Péron. Plus tard, Lesueur reconnut l'erreur en voyant que chaque tubercule était un animal particulier. Savigny et Cuvier établirent leur analogie avec les botrylles qui vivent adhérents aux fucus , et où les petits mollusques se disposent en étoiles. La différence, chez les pyrosomes, con- siste principalement , comme le remarque Cuvier, en ce que le sarcode commun est libre et mobile. Dans les uns comme dans les autres, dit M. Valenciennes , les anus s'ouvrent en tubes extérieurs, les têtes restent cachées dans le sarcode commun. De même la tête des acéphales est enfoncée dans le sable , l’anus et les tubes aqueux branchiféres vers la haute mer. | Dans la suite, Péron et Lesueur étudièrent à Nice le pyro- soma elegans, espèce beaucoup plus petite, à corps très trans- parent. Lesueur en découvrit encore une autre. |Lesueur, Nouv. Bull. des sci. 1818 et 1815; Savigny, Mém. sur les anim. sans vert., p. 205, 1816). Le rapport de Cuvier sur le mémoire de Savigny paraît indiquer que Péron lui-même au- rait, après son premier travail, reconnu la vraie nature des pyrosomes. | Mais l'observation importante de Péron est celle de leur phosphorescence. Il raconte l’admirable spectacle de la mer, lors de la traversée d'Europe à l'Ile-de-France, offrant comme 2 OM — une large écharpe de phosphore. On y voyait de gros animaux, nageant en troupes innombrables, ceux du fond comme des boulets rouges, ceux de la surface comme des cylindres de fer incandescents. La locomotion lui a semblé rétrograde et se faire par les reculs dus aux contractions et dilatations de la gaine commune, En même temps la matière phosphorée paraît jaillir de chaque tubercule, c’est-à-dire, de chaque petit animal. Ces tubes sont d’un rouge de fer fondu , lorsqu'ils se contractent sous une excitation extérieure et font sortir la lumière ; puis , à l'instar de l'acier refroidi , ils passent par les teintes de l'aurore, du jaune, du vert et du bleu du plus pur azur [cette couleur est celle du dessin de Lesueur , atl. pl. 31), puis d’un jaune opalin mêlé de vert, après la mort. En même temps, et sans pouvoir se reproduire, disparaît la phosphorescence, fonction toute normale chez eux. Péron a trouvé ces pyrosomes localisés entre 19° et 20° long. occid. (mérid. de Paris), et 3° à {4° lat. bor., dans une eau à 22° R, circonstance sur laquelle il insiste. Selon M. Milne Edwards, la dégradation dans les mollusques s'étend beaucoup plus loin et nous amène à des êtres micros- copiques , les bryozoaires, formant de véritables polypiers. Leur canal intestinal libre , à deux ouvertures anale et orale, les range dans un type très différent des polypes à une seule ouverture digestive. D’autres auteurs les conservent dans les polypes hydraires. Les bryozoaires du voyage de Péron appar- tiennent à la section des tentaculés. Ce sont, d’après Lamarck, dans les eschariens , les adeona foliifera et cribriformis, les eschara decussata, chartacea , lichenoides, lobulata et incrus- tans, (alveolites incrustans , de Péron , recouvrant une gor- gone et ressemblant à une incrustation de calcaire), les disco- pora fornicina, cribrum et scobinata , les cellepora oliva , oculata , endivia et cristata , toutes espèces de la Nouvelle- LL Hollande, les retepora versipalma, radians, ambigua et cellu- losa ( dentelle de mer), cette dernière, de l’océan Indien, représentée par des variétés pourpres ou d’un blanc fauve ; enfin dans les tubuliporiens la tubulipora patellaia, de V Aus- iralie (4). Nous ne pouvons omettre les brachiopodes dont on fait sénéralement un type de mollusques acéphales très distinct des lamellibranches et que des auteurs cherchent à rattacher aux crustacés, comme un chaînon encore plus éloigné et plus anormal que les cirripèdes. C'est à peine si quelques espèces | vivantes subsistent aujourd’hui , après le développement immense de cette classe dans les formations anciennes. Péron rapporta des terres australes de très nombreux échantillons de la éerebratula dentaia où punctata, dont Lamarck fit à tort plusieurs espèces. Le dernier embranchement de Cuvier, les zoophytes, est encore à présent dans l’état de caput mortuum où ce grand naturaliste trouva les vermes de Linné. Il existe dans ces êtres plusieurs groupes de même valeur typique que les autres em- branchements. Leur étude était pour Péron l’objet d’une prédilection véritable ; il se plaisait à faire retracer leurs couleurs si éclatantes, mais si fugaces, par les habiles pinceaux de son ami. Il est très difficile de circonscrire les animaux auxquels convient le nom de radiaires. À proprement parler les stellé- rides, les échinides, les polypes sont seuls vraiment rayonnés. Les holothurides et les acalèphes , avec leurs genres de pas- sage, n’ont plus qu’une radiation parfois à peine sensible ; elle s’annulle dans les spongiaires. Un nombre considérable d’espèces inconnues d’échino- (4) Voir Lamarck, 2° édit., t. Il, p. 213 à 295. — 213 — dermes provient du voyage de Péron ; elles forment une grande partie des échantillons desséchés de la coliection du Muséum. L'examen de ces individus nous offre dans les stel- lérides astéridiens, à bras creusés d’un sillon donnant passage aux tentacules pédiformes, le asteracanthion graniferus, des mers australes, les ophidiaster cylindricus, scytaster subulatius, à longs bras couverts de grandes épines cylindroïdes, tous deux de l'Ile-de-France, les archaster typicus , splendens et hesperus. Dans les genres où les bras, loin de s’ailonger se confondent plus ou moins avec le disque pentagonal , se ran- gent les asteriscus calcaratus , à Six rayons, et rosaceus, pré- sentant une splendide rosace de quinze rayons débordant par une dentelure arrondie, les oreaster turritus (Ile-de-France, déjà connu), obtusangulus et Linchii, magnifique individu de trois décimètres de diamètre, les gontiodiscus cuspidatus , pleyadellus et ocelliferus , genre à tubercules petits et régu- liers comme des ocelles. À ces anciennes astéries de Lamarck succèdent les stellérides ophiuridiens où les tentacules sont épars sur des bras sans sillon. Nous citerons dans les subdi- visions du genre ophiure les ophiocnemis marmorata, à longs rayons effilés et enroulables, garnis de délicats ambulacres, les ophiocoma annulosa et scolopendrina à rayons tortueux, pédicellés, simulant des scolopendres, la ophiorachna incras- sata , ces trois espèces de l’Ile-de-France ; dans le genre eu- ryale de Lamarck, les astrophyton exiquum et asperum, dont les bras surdécomposés par bourgeonnement fissipare indi- quent un passage aux comatules ; dans celles-ci un nombre énorme d'échantillons secs de la comatula solaris, des mers australes , où figurent quatre sujets de premier choix, à dix rayons garnis de tentacules distiques, comme une plume, les comatula brevicirra et multiradiata, individus bien conservés dans l’alcool , souvent rapportés depuis des mers de la Sonde — 914 — et des Moluques, les comatula rotularia, Savignyt, fimbriata ou Peronti, espèces ayant de quinze à vingt rayons, et la comatula adeonæ, petite espèce accrochée à l’adéone foliifère. Les échinides ne présentent pas une moindre variété que les Stellérides. Du voyage de Péron proviennent les plus remar- quables espèces vivantes du groupe des cidaridés , d’un haut intérêt pour les géologues actuels. On retrouve dans leurs épines les formes variées et singulières de leurs analogues fos- siles. Tels sont de nombreux tests de cidaris imperialis et un individu complet avec d'énormes baguettes en massues arron- dies, les cidaris metularia, verticillata, annulifera, à piquants annelés gris et blancs, tubaria, à pointes hérissées de verti- cilles latéraux simulant des branches d’épines, et geranioïdes dont les piquants se terminent par des sortes de cupules élar- gies. Les trop nombreux genres en lesquels on a décomposé les oursins proprement dits comprennent les echinus saxatilis (île King), vartegatus (Ile-de-France), Delalandiü (Cap) , Les heliocidaris variolaris et margartitacea, tripneustes ventricosus (echinus Perontit, de Blainville), boltetia pileolus, amblyp- neustes pallidus et ovum (sujet unique). Aux échinomètres se rattache la acrocladia trigonaria , au grand groupe des cly- péastres le c/ypeaster placunarius, aux spatangues les bryssus sternalis, breynia Crux Andræ, spatangus planulatus, espèces des mers australes. É Les holothurides terminent la classe des échinodermes. Les collections actuelles ont conservé du voyage de Péron les holothuria echinopus , cuvieria Peronû (Val.) ou holothuria Cuvieria , de Péron, genre curieux par son corps couvert d'écailles , et mulleria Perontii |[Val.), de la baie des Chiens- Marins. Les mulléries fournissent surtout les espèces que re- cherchent les Chinois comme condiment aphrodisiaque. Péron rappelle, dans le Voyage, la rencontre de flottilles , — 915 — malaises occupées à la pêche du wépang. Les grandes espèces de ce genre offrent aussi ce fait des plus bizarres qu’un poisson du genre fierasfer (anguilliens) , vit en parasite dans leur ca- vité respiratoire. Dans les synaptiés, représentants dégradés du groupe, nommons les pentacta costata |Ile-de-France, re- trouvée aux Seychelles, par L. Rousseau) et calcarea (Val.). individu unique. _ Les acalèphes ontété l’objet plus particulier des travaux de Péron et de Lesueur. Le orand ouvrage sur l'Histoire générale et particulière des méduses fut interrompu par la mort du premier. Il devait comprendre l’ancien genre medusa de Linné, formant la classe des acalèphes de Cuvier, mais il n’y eut de publié que ce qui a trait aux médusaires actuels. Leurs observations firent connaître un plus grand nombre de méduses que tous les naturalistes, français et étrangers, qui les précèdent. Les espèces nouvelles furent toutes peintes et décrites d’après des individus vivants, les recueils des diverses langues furent mis à contribution par Péron, les dessins et peintures de leurs planches calqués par Lesueur, les espèces européennes déjà connues furent revues dans les dernières excursions des au- teurs sur les côtes de la Manche et de la Méditerranée. Les magnifiques dessins de Lesueur n’ont jamais été publiés. Le premier mémoire (Ann. du Mus.,t. XIV p. 218, 1809, dé- bute par l'exposé des problèmes généraux que présentaient les fonctions de ces êtres si mai connus. Lis n’en résolvent qu’un petit nombre et avouent leur ignorance au sujet de la repro- duction des méduses et des organes de la phosphorescence et de l’urtication brûlante de la plupart | on sait avec quel soin nos pêcheurs côtiers rejettent à la mer les méduses ramenées par leurs filets). Le système musculaire, la respiration de ces animaux leur échappent également. Ils se demandent quelle est la nature du gaz qui remplit les vessies des physaliens. On. — 216 — croit maintenant que ce gaz est presqu’entièrement de l'azote, comme dans la vessie natatoire des poissons d’eau douce, mais on n’a aucune certitude à ce sujet. Péron et Lesueur ont reconnu que les faits de localisation signalés par eux pour les animaux marins supérieurs existent aussi pour les méduses. La tempéra- ture , la Spécialité des aliments, les cantonnent dans tels ou tels parages. Dans les mers équatoriales elles se montrent en toute saison, mais sur nos côtes et dans les contrées boréales, elles abondent surtout en été et manquent complétement en hiver, probablementengourdies alors au fond des eaux comme tant d’autres animaux pélagiens. La partie historique du mé- moire est traitée avec beaucoup de soin et de talent. Péron et Lesueur rappellent les connaissances des anciens à ce sujet et comment les noms vulgaires des méduses, dans les diverses langues, correspondent aux mots £nidé et acaléphé des Grecs et urtica des Latins. On leur attribuait des vertus thérapeuti-- ques. L'art culinaire recherchait les vélelles comme un mets délicieux, et de nos jours les Siciliens, les habitants des îles loniennes et surtout les Grecs de la Morée recueillent avide- ment les mêmes animaux. Enfin, disent Péron et Lesueur, en quelques lieux on emploie les méduses pour féconder les terres, et on a tenté d’en extraire de l’ammoniaque. Dans la liste nombreuse des auteurs qui , depuis l'antiquité jusqu’au com- mencement de ce siècle, avaient écrit sur les méduses, se trouvent principalement cités : Réaumur pour ses belles re- cherches sur les méduses des côtes du Poitou ; Spallanzani étu- diant leur phosphorescence ; Vancouver, Johnston, Marchand, trouvant dans le grand océan Boréal les vélelles qu’on croyait jusqu'alors propres à la Méditerranée et à l'Atlantique, etc. La classification de Péron et Lesueur, en partie artificielle, est établie en réseaux dichotomiques, d’après la méthode de Ro — Lacépède. Elle a l'avantage d’enfermer, comme en des cases distinctes , les espèces connues et de comprendre par avance des combinaisons d'organes que les découvertes nouvelles peuvent réaliser. Les méduses en général y sont divisées en totalement gélatineuseset membraneuses en partie, Gette seconde coupe comprend des ordres très distincts, les vélelliens, les physaliens, les dyphiens. La première est subdivisée d’une manière naturelle en méduses gélatineuses à côtes ciliées |bé- roaires) et méduses gélatineuses sans côtes ciliées [médusaires). Ces dernières, dont le mémoire préliminaire s'occupe seul, se distinguent en agastriques et gastriques; celles-ci en polys- tomes et monosiomes. Gette division répond aux astomides , rhizostomides et médusides de M. Valenciennes, à quelques genres près. Les diverses sections sont partagées en pédon- culées et non pédonculées, suivant qu’il existe ou non un pé- doncule central. Suivant que le pédoncule se termine ou non par des lanières ou bras destinés à saisir la proie, Péron et Lesueur partagent les méduses en prachidées et non brachi- dées. Enfin, suivant que l’ombelle présente en son pourtour des filets plus ou moins longs, ou qu’elle manque de ces ap- pendices, les méduses sont dites entaculées ou non tentaculées. _Les méduses agastriques comprennent six genres s’élevant de la plus grande simplicité aux organes les plus complexes de cet ordre. Ce sont les genres : eudore, bérénice, orythie , favonie, lymnorée et géryonie. Dans les méduses gastriques polystomes sont les dix genres : euryale, éphyre, obélie, ocyroé, cassiopée, aurélie, céphée, rhizosiome |1), cyanée et chrysaore. Les gastriques monostomes offraient treize genres : carybdée, phorcynie , eulimène, équorée, fovéolie, pégasie , callirrhoë, (1) Genre fondé par Cuvier pour la grande méduse des côtes du Poitou, étu- diée par Réaumur, — Oise mélitée, évagore, océanie, pélagie, aglaure, mélicerte. \ y a . Jà trois séries parallèles, à genres toutefois beaucoup trop nombreux. La collection du Muséum présente encore des échantillons de la cyanée cyclonote et de la cyanée spiligone , recueillis au Hâvre par Péron et Lesueur. On sait combien la conservation de ces animaux est précaire. Nous avons dû présenter un résumé rapide des travaux de notre naturaliste, bien qu’ils aient perdu de leur importance. En effet, non seulement les méduses, mais toute la classe des acalèphes de Cuvier, doit subir une révision complète et sans doute disparaître ; il est admis aujourd’hui que les méduses dérivent de polypes sertulaires et campanulaires par une gé- nération alternante. Un second mémoire de Péron et Lesueur, ayant pour titre: Sur les Méduses du genre équorée (Ann. du Mus. t. XV, p. hA, 1810), contient une série d’aperçus physiologiques, ap- plicables, pour la plupart, comme le remarquent les auteurs, à toutes les méduses. Ils appellent d’abord l’attention sur ce fait curieux d'animaux pesant parfois plusieurs kilogrammes et se réduisant, après la mort, en un liquide pareil à l’eau de mer, avec un résidu solide membraniforme à peine sensible. La locomotion des méduses est décrite avec détail. Elle s’o- père par recul, au moyen des mouvements systoliques de l’ombelle, placée soit verticalement , soit obliquement. Pour descendre, dit Péron, il suffit à l'animal de se contracter afin d'augmenter sa pesanteur spécifique. Il ne renverse l’ombelle que pour accélérer la descente. Les auteurs du mémoire si- gnalent la digestion très énergique et très prompte des médu- ses, comment la carapace des crustacés, les écailles dures des poissons sont réduites en poussière par l’action du suc gas- rique, âcre et brülant, de leurs estomacs gélatineux. La croissance de ces êtres est très rapide et l’eau est fort vite — 219 — corrompue autour d'eux par d’abondantes excrétions glaireu- ses. La systole et la diastole natatoire des méduses expliquent le nom de poumon marin qui leur est fréquemment donné. Cette grossière analogie a entraîné Péron et Lesueur à l'erreur grave de voir dans ces mouvements un phénomène respira- toire. Ils reconnaissent, au reste, avec beaucoup plus de jus- tesse , que dans certaines équorées, des canaux aquifères dis- tribués sous l’ombelle, doivent servir à une sorte de respiration branchiale, et notent aussi, mais en passant, l'existence d’un système respiratoire particulier dans beaucoup de méduses polystomes. Péron créa, dans les béroaires, le genre callianire, avec des ailes étendues sur les côtés du corps; l'espèce type (c. di- ploptère , Pér.) habite en troupes nombreuses les côtes de la Nouvelle-Hollande. Il plaçait à tort ce genre dans les ptéro- podes. Il signale, dans le Voyage, le beroe dactyloïdes, de la terre Napoléon, et un autre, de l’océan Atlantique, le beroe macrosiomus, figuré dans l’atlas. C’est le beroe cylindricus, de Lamarck. On rapporte aux béroaïires le genre ocyroé précé- demment cité dans la classification des méduses. La nature , dit Péron , semble avoir épuisé chez les béroés tout ce que l'élégance des formes, la richesse des teintes, la variété des mouvements peut offrir de plus gracieux et de plus brillant. La lumière, décomposée à travers les lamelles mobiles de leurs côtes , environne l’animal de nombreux arcs-en-ciel ondu- leux, d’une inexprimable magnificence. Les dessins de Lesueur ont reproduit un grand nombre de physaliens , avec leurs vessies natatoires si variées, et leurs couleurs éclatantes où se mêlent le jaune, le pourpre et l’azur. Péron le premier a subdivisé les physsophores de Forskall en trois genres : l’un à vessie aérienne très petite et divisée en vésicules est le genre rhAïzophyse , les deux autres, à vessie — 2920 — grande et multiple, forment les genres physsophore et stépha- nomie , ce dernier tout à fait nouveau et encore très mal étudié. Les espèces des autres genres, ainsi que la physalia megalista de l’atlas, sont, d’après Cuvier, les mêmes que les anciennes espèces de Muller, Forskall, Lamartinière. Nous remarquerons toutefois que Péron indique, dans la traversée de Timor à la Tasmanie, une pAysalia australis, différente , dit-il, de celle de PAtlantique (Voy. t. 1, p. 210). Il a mal compris la signification des filaments des physaliens. Les plus courts sécrètent la matière phosphorescente , les autres, allongés et flexueux , sont des ovaires, et en outre, du moins chez les physalies, produisent une urtication des plus doulou- reuses. Péron s'était également trompé au sujet des ovaires de ses méduses polystomes qu’il prenait pour des bouches. Dans les vélelliens ses velella scaphidia et porpita gigantea paraissent avoir été signalés précédemment. {l est probable que tous ces singuliers animaux ne sont encore Connus que dans des phases spéciales d’une existence alternante. Les renseignements certains que nous avons pu réunir sur les polypes nouveaux du voyage austral sont assez incomplets. Ils se rapportent presque tous à des polypes coralliaires. Nous trouvons dans les zoanthaires actiniens la myntas cyanea, très belle espèce d’un bleu foncé, de l’océan Atlantique. Cuvier rangeait ce genre près des siponcles, dans les échino- dermes apodes { Règne anim., t. IV, p. 2h, 1* éd.). Les collections du Muséum nous ont présenté, dans les alcyo- naires, les #sis hippuris et encrinula à tige pennée, une base de l’isis gracilis sur laquelle Lamarck avait fondé le faux genre cymosaire , la gorgonia arida, rapportée depuis de la Nouvelle-Hollande par Verreaux, un très curieux échantillon de la gorgonia myura (Lam.\, simulant une queue de souris, le sarcophyton mesenterinum, deux individus de la virqularia — 991 — Juncea (Pér. et Les.) ou australis [Lam.), en forme de tige grèle de jonc, et peut-être la pennatula argentea. M. Valen- ciennes fait la remarque intéressante que ces derniers poly- piers présentent une notable proportion de phosphate de chaux ; ce sel, sans cette exception, établirait une séparation profonde entre les tissus solides des vertébrés et des inver- tébrés. À la terre de Leuwin fut rencontrée une espèce vivante d’orbitolite. Cette importante découverte demeura ignorée ; l'ouvrage de Lamarck n’en fait aucune mention. Elle eût permis d'interpréter les nummulites fossiles. Ce n’est que bien plus tard qu’on devait connaître la nature de ces forami- nifères, à polypes sarcodaires. Les spongiaires doivent former un embranchement distinct ( homogènes , hétéromorphes ). Citons dans les spongidées les colia flabelliformis et costifera, de la baïe des Chiens-Marins, la Aadichondria asparagus, ressemblant à un végétal rameux et du genre des éponges perforantes. Aux alcyonidées se rap- porte un échantillon des plus précieux et encore unique, que mentionne le Voyage austral où il est pris à tort pour un polypier. C’est la hardwickia purpurea , spongiaire d’un riche violet un peu rosé. Il fut pêché près du canal d’Entrecasteaux, à une très grande profondeur , en 1802. Le tissu, délayé et broyé , a été étalé sur un papier collé aux vitres des serres du Muséum. La matière colorante demeura sans altération au plus ardent soleil. Elle bleuit légérement sous l’action des acides ; les alcalis n’ont pas d’effet. Ici s'arrêtera , dans l'exposé des découvertes de Péron, la partie zoologique descriptive. Nécessairement nous avons dû adopter certaines méthodes de classification. Ce n’est là qu'un accessoire secondaire et forcé de notre travail. Nous avons choisi celles qui sont encore les plus répandues en France , mn 2 vom bien que le règne animal soit en ce moment l’objet d’une révision profonde. C’est uniquement cette nécessité qui nous a interdit, à propos des travaux anthropologiques, d'indiquer les subdivisions récentes de l'espèce humaine proposées par M: G. Saint-Hilaire. Nous avons dû conserver les embranche- ments de Cuvier par la même raison ; et en particulier sa classification des oiseaux , bien que nous eussions préféré pouvoir y introduire les modifications fondamentales dues aux travaux de deux zoologistes éminents, le prince Ch. Bonaparte et le naturaliste célèbre que nous venons de citer. RECHERCHES GÉNÉRALES. Les nombreuses découvertes dont nous venons de présenter le résumé, en y joignant l’analyse des mémoires relatifs à cer- taines d’entre elles, n’ont pas épuisé le zèle scientifique de Péron. Il a abordé en outre l’étude des problèmes les plus gé- néraux de la zoologie, de l’hygiène, de la physique du globe, a résolu diverses questions avec une heureuse sagacité; on peut attribuer ses erreurs au défaut de connaissances suffi- santes à son époque, à l’influence prépondérante de quelques systèmes. La domestication des animaux se présente au nombre des sujets les plus importants. Elle ne fut, il est vrai, de la part de Péron, l’objet d'aucune dissertation ex professo, maïs elle est une des préoccupations constantes de ce cœur généreux. U suffit, pour s’en convaincre, de jeter les yeux sur la gra- vure du frontispice de l'atlas du Voyage aux terres australes, où l’on voit dans le parc d’une habitation seigneuriale | sans doute la Malmaison) les casoars et les kanguroos sur la prai- — 993 — rie, et les cygnes noirs s’ébattant au sein des eaux, abrités par le feuillage des arbres de leur pays natal. La relation du voyage aux terres australes exprime, en nombre de passages, les vœux ardents de Péron pour doter son pays de nouvelles es- pèces destinées à augmenter le bien-être général. Ainsi s’ex- pliquent ses soins multipliés, ses sacrifices pécuniaires pour ramener des animaux vivants. Nous avons déjà énuméré les espèces qu’on devra chercher à acclimater en France. Nous ne ferons que répéter leurs noms : parmi les animaux utiles pour leur chair, plusieurs espèces de kanguroos, le wombat, le casoar sans casque, ou émou, l’oie du détroit de Bass; parmi ceux d'agrément, le cygne noir et le ménure-lyre. Nous avons mentionné ce zèbre dressé, acclimaté, capable de reproduire. Il ne s’agit pas de spéculations théoriques, mais de faits possibles et réalisés. Aux exemples déjà cités, page 113, ne pouvons-nous pas ajouter ce qui se passe à Saint-André-de-Fontenay, près Caen, où M. Le Prestre, membre de la Société d’Acclimatation , à des cygnes noirs qui reproduisent, des céréopses, des kangu- roos prêts à mettre bas ? [J. la Patrie, n° du 8 juillet 1855.) La pisciculture, la repopulation de nos étangs, qui trouvent aujourd’hui de si remarquables propagateurs et dont le gou- vernement comprend la haute importance , n'avaient pas échappé aux méditations de Péron. A deux reprises nous avons parlé des tentatives faites. pour acclimater le gouramy, nous ajouterons seulement des détails pratiques qui peuvent être utiles à connaître pour le transport de poissons vivants à de grandes distances. Peu de jours avant de mettre à la voile, Péron reçut de M. Céré, directeur du jardin botanique de l’He-de -France, cent petits gouramys qui furent répartis dans douze vases. 11 fallait éviter les variations subites de tempé- rature des parages du cap de Bonne-Espérance : elles avaient —— 294 — fait périr les gouramys qu’on avait essayé précédemment de transporter en Europe. Pour cela chacun des vases fut placé dans une armoire bien abritée de l’air extérieur, où l’on pou- vait maintenir une température à peu près constante. Une gaze légère en garnissait l’orifice, destinée à empêcher les poissons de sauter par dessus bord , sans pouvoir les blesser lorsqu'ils viendraient à la heurter. Ces précautions furent inutiles , car tous ces poissons moururent lors de la traversée du canal de Mozambique par la putridité de l’eau qui fut versée dans leurs vases. M. Freycinet remarque que l'emploi des filtres-charbon eût détruit ces mauvaises qualités de l’eau, que les gouramys embarqués étaient trop jeunes, les vases trop petits et que surtout une suspension des vases à /a Car- dan eût été indispensable. M. Céré était parvenu , d’une manière graduée, à faire vivre les gouramys dans de l’eau presque aussi salée que celle de la mer. Le dernier des mémoires de Péron, dans lequel la plume échappait à sa main défaillante , est relatif à une haute ques- tion de géographie zoologique (1). Il se trouve complété et généralisé dans de nombreux passages du Voyage austral que nous avons cherché à y rattacher dans notre analyse, car ce travail est un des titres de gloire de Péron. Si l’on examine la surface de la terre on voit une immense étendue d’eau en couvrir les deux tiers. La surface solide se trouve en majeure partie dans l'hémisphère oriental autour du pôle arctique. Un monde de créatures vivantes habite les terres et les eaux , avec des stations aussi variées que leurs mœurs et leurs habitudes. Plus ou moins pressées, suivant les conditions de température, elles ne laissent pourtant aucun (A) Notice sur l'habitation des Animaux marins , par Péron et Lesueur (Voy. aux terres aust., & I, p. 847), puis particulièrement: Notice sur lhabitation des Phoques. | _— 005 — espace entièrement privé de leur présence. Il y en a quelques espèces jusque dans les cavernes les plus reculées ; et c’est à peine si, sous ce rapport, les cimes des plus hautes montagnes présentent seules une stérilité complète. Buffon, le premier, a reconnu, pour les animaux supérieurs, une distribution localisée et déterminée par la forme même des deux continents qui, réunis vers le nord, s’écartent et se terminent, dans l'hémisphère sud, par deux pointes que sépare l’immensité des mers. Le premier , il a proclamé cette grande loi, que, sauf quelques animaux des régions hyperboréennes, les espèces du nouveau continent sont distinctes de celles de l’ancien continent. Les travaux modernes ont vérifié et com- plété les lois du naturaliste français , et des types plus spéci- fiques encore ont été reconnus, notamment pour la Nouvelle- Hollande et Madagascar. Les régions glacées du nord nour- rissent plusieurs espèces de mammifères terrestres ; on n’en connaît aucune dans les terres les plus voisines du pôle an- tarctique. ; Aujourd’hui, et en nous bornant à la classe des mammi- fères , les deux cents genres environ, dont elle se compose, nous en présentent d’abord, à peu près, cent-soixante qui ont sur le globe une habitation plus ou moins étendue, mais res- treinte à une seule zône ; puis vingt, habitant à la fois la zône torride et la zône tempérée, et vingt autres répandues sur toutes les zônes |ainsi le genre ours). 11 semble , au premier abord, qu'il y a là une dérogation aux principes de Buffon, mais ces genres, en apparence cosmopolites , sont composés d'espèces limitées dans leur station, et d'autant plus distinctes que les localités sont plus isolées. On peut donc dire, pour les espèces terrestres, que chacune d'elles a sur le globe sa place limitée qu'elle ne franchit point. Les exceptions à cette règle sont plus apparentes que 45 — 926 — réelles. Elles proviennent surtout de l’homme qui, outre les animaux domestiques, a transporté avec lui le rat, le surmulot, le loup, animal de rapine, vivant des animaux compagnons de l’homme et des débris de destruction et de mort qui accom- pagnent chaque nouveau pas de l’espèce humaine. On pourrait croire que les êtres qui habitent l'Océan ne sont pas soumis à des lois aussi rigoureuses, et surtout les mammifères et les oiseaux. En effet, d’un côté sont des organes d’une locomotion puis- sante, d'autre part des variations lentes et graduées de tem- pérature et point de ces obstacles qui arrêtent les migrations, et toutefois ils seront limités à certains parages. Les observations de Péron, à cet égard, sont du plus haut intérêt. Il cherche, comme il le dit, à étendre aux animaux marins les principes de localisation des êtres, principes posés par Buffon, Zimmermann, Lacépède, en faisant voir que ces hommes illustres, faute de matériaux suffisants, ont encore conservé dans leurs ouvrages une foule d’identités fausses ou douteuses. Péron rectifie d’abord cette opinion erronée, que les grands cétacés sont indistinctement communs à toutes les latitudes. « On voit répéter chaque jour, dit-il, dans d’estimables ou- » vrages, que la grande baleine (balæna mysticetus, Lin.), se » trouve également au milieu des frimas du Spitzherg et des » glaces du pôle antarctique.» On prétendait, bien plus, avoir reconnu les mêmes individus qui, à quinze jours d'intervalle, auraient franchi, du nord au sud, la distance d’un méridien. Péron fait voir, le premier, que c’est à tort que les baleiniers et quelques naturalistes pensent que les baleines, chassées pendant longtemps dans les mêmes parages , finissent par les abandonner, pour se réfugier dans d’autres contrées, et sous les glaces inaccessibles des pôles. La destruction est la seule 1 — cause de leur disparition ; ainsi le golfe de Gascogne, si peu- plé autrefois de ces grands cétacés, n'offre plus de nos jours que quelques rares individus. Les découvertes plus modernes n’ont fait que confirmer les indications de Péron. La nature a imposé des bornes à l’ha- bitation de ces énormes animaux : ainsi les baleines et certains rorquals habitent seuls dans l'hémisphère boréal; la baleine franche, près du pôle ; les rorquals, dans les zones tempérées: ainsi le rorqual de la Méditerranée, le rorqual jubarte. L'hémisphère antarctique nous offre des espèces tout-à-fait distinctes : la baleine antarctique est bornée aux régions tem- pérées de l'hémisphère sud, près des extrémités de l'Afrique, de l’Amérique et de la Nouvelle-Hollande ; au contraire, dans le voisinage des glaces du pôle austral, se tiennent le rorqual noueux et le rorqual bossu. Ce sont les baleines finn-back et lump-back des pêcheurs anglais et américains. La zone torride offre également des cétacés spéciaux. Oatre une foule de dauphins, encore peu connus, elle possède les monstrueux cachalots, relégués entre les nombreuses îles de la Polynésie , où les insulaires recherchent avec avidité leurs dents coniques et puissantes. Les pêcheurs américains leur font une chasse active; ils ont des stations dans les principaux archipels ; et pour le dire en passant, le contact de ces hom- mes, rebut des nations maritimes, est une cause énergique de destruction pour cette race polynésienne, devenue si célèbre par les récits de Bougainville, de Cook, de Lapérouse. Des bandits promènent la terreur et la mort au milieu de ces peu- plades qui s’éteignent rapidement dans les excès et les vices, iristes fruits de leur commerce avec les européens. D’après une relation toute récente (Revue des Deux-Mondes\), le mal serait assez grand pour mériter l'attention sérieuse des gou- vernements d'Europe. — 228 — La même localisation se remarque dans les sirénides ou cétacés herbivores. Le genre stellère est borné aux régions glacées du pôle boréal ; les espèces du genre lamantin habiï- tent les embouchures des fleuves des régions chaudes de l’Afri- que et de l’Amérique ; enfin le genre dugong se trouve sur le rivage des îles de la Malaisie et du détroit de Torrès. C’est surtout pour les carnassiers aquatiques que les erreurs ont été nombreuses. On sait maintenant que les genres caloccé- phale, stemmatope , morse, Sont propres aux mers boréales ; dans le Sud, au contraire, ce sont les genres ofarie, sténorhyn- que, platyrhynque. Enfin, certains phocidés sont spéciaux aux régions chaudes ou tempérées. Au sujet de ces carnassiers, les plus grands de leur ordre, suivant la loi générale des espèces aquatiques, Péron a , le premier, signalé les désignations inexactes qui faisaient croire à une distribution cosmopolite de ces animaux , en masquant leur localisation. Il s’est assuré que, sous le nom d’ours marin |phoca ursi- na |, il existe réellement plus de vingt phoques différents par l'habitation , la couleur, la forme, la grandeur et la position des nageoires antérieures , le nombre des dents, la présence ou l’absence des auricules. La confusion était encore plus grande au sujet du veau marin (phoca vitulina). Cette prétendue espèce habitait à la fois les régions glacées des deux pôles , vivait au milieu des flots de la zône torride, se reproduisait au sein de la mer Cas- pienne , et de plus, par un privilége inoui, ses tribus, essen- tiellement marines, occupaient les eaux douces des lacs Baïkal, Ladoga et Onéga. On avait supposé des conduits intérieurs entre la mer Noire et la mer Caspienne ; comme si ces animaux à respiration aérienne, eussent pu traverser ces immenses siphons souterrains, privés d'air. On avait supposé encore — 929 — que la Méditerranée, la mer Noire et la mer Caspienne étaient jadis une seule mer; ou que la Méditerranée, d’un niveau plus élevé , s'était violemment fait jour à travers les monta- gnes du Bosphore, pour former la mer Caspienne, hypothèses géologiques hasardées pour expliquer une prétendue confor- mité d'espèces. Quant aux phoques des lacs d’eau douce, on les faisait remonter de la mer par les fleuves où on n’en ren- contre jamais. On avait sans doute, remarque Péron, confondu. des loutres avec des phoques. De mème pour le lion marin |[phoca leonina), de l'hémis- phère nord , les erreurs étaient considérables. Péron fait voir que le lion marin de Fabricius et le lion marin de Steller sont deux animaux génériquement distincts. Le lion marin de Steller a des conques auditives et appartient au genre otarie créé par Péron, celui de Fabricius en est dépourvu et appartient au genre phoque. En outre, les deux animaux diffèrent par les proportions , par la forme de la tête , la disposition des narines, la couleur des yeux, la configuration des nageoires, le mode d’accouplement, le temps de la mise-bas, la nature des poils, le pelage aux diverses époques de la vie, la crinière qui existe chez le lion marin de Steller, et dont on ne trouve aucune trace chez le lion marin groënlandais de Fabricius ; enfin par le nombre des dents : celui de Fabricius n’en ayant que trente-deux, tandis que celui de Sieller en a trente-six. Maintenant, dit Péron, si, pour les grands phoques de notre hémisphère, il règne de telles inexactitudes, même dans les écrits des plus célèbres naturalistes, de quelles erreurs plus graves ne doit pas se trouver surchargée l’histoire de ces in- nombrables amphibies marins qui peuplent toutes les parties de l’océan Antarctique. Observés presque exclusivement par des hommes étrangers aux principes de la science, la plupart de ces animaux sont encore spécifiquement indéterminables , — 20 — et pour ceux que Péron a pu voir, ou sur lesquels les ren- seignements sont assez certains, # n’en est pas un seul qui ne se distingue essentiellement des espèces boréales analogues. On a peu étudié la distribution géographique des oiseaux. Ils paraissent, au premier abord, devoir échapper aux lois qui enchaïînent , dans les zônes restreintes , les animaux ter- restres et aquatiques. Il semble qu’à eux seuls l’univers en- tier ait été donné pour patrie, et que , dans leurs migrations périodiques, un grand nombre parcourent plusieurs fois, dans ‘leur vie, cet immense domaine. | Que l’on observe mieux, toutefois, et l’on verra que les mêmes causes, qui localisent tous les animaux , font sentir aussi leur mystérieux empire sur les habitants de l’air. Malgré la puissance de son vol, le lammer-geyer abandonne-t-il les cimes des Alpes, et le condor celles des Cordillières? Un bien remarquable exemple de cette localisation est donné dans le mémoire de M. Jacquinot, ce consciencieux et sagace obser- vateur, sur les procellaridées (41). Ces oiseaux ne touchent la terre que pendant quelques jours de l’année, et seulement pour y pondre leurs œufs. Ce sont de tous les oiseaux ceux qui possèdent le plus grand pouvoir de locomotion, et toutefois , malgré la faim qui souvent les presse, ils ne quittent pas leurs localités. Les espèces du nord diffèrent de celles de la zône australe , et entre les deux régions extrêmes sont des espèces encore distinctes. Aucune espèce d'oiseaux n’est commune à l’ancien et au nouveau continent ; les genres et les espèces sont limités pour chacun à certains points de leur surface ; et même la plupart des petits archipels de l'Océanie, si semblables par le (4) Comptes-rendus de l’Acad, des sciences , mai 1844. D — climat et par le sol, sont loin de présenter l'identité spécifique des oiseaux. Péron a mentionné cette localisation pour deux des espèces d'oiseaux marins antarctiques qu'il a rencontrées le plus fré- quemment, et cherche à mieux préciser qu'on ne l'avait fait jusqu'alors les limites de leur habitation (1). Aïnsi il cite le paille en queue (phaætion æœthereus) qu’il observe de 45° lat. sud à 23° 25° au-delà du tropique du Capricorne. C’est un oiseau dont on croyait l'habitation exclusivement intertropi- cale , ainsi que l'avait déjà remarqué Buffon, le fondateur de la géographie zoologique, lorsqu'il le désigne comme « attaché » au char du soleil sous la zône brüûüiante que bornent les tro- » piques.» Par hasard Péron observe deux damiers (procellaria capensis), par 21° latitude. À la terre de Leuvwin, il trouve ces oiseaux très abondants par 33° lat. S. Cook les remarque dès le 30°. II semble donc convenable d'étendre davantage vers les régions équatoriales l'habitation de ces oiseaux, c’est- à-dire de 30° S. à 57° $S., et non plus seulement de 0° à 57°, comme la restreignait Linné, vers les régions polaires antarc- tiques. La classe sinombreuse des poissons paraîtrait, comme celle des oiseaux, faire exception aux règles précédentes, subor- donnée qu’elle est à la fois aux vents et aux courants qui peu- vent transporter le frai et les jeunes individus loin de leurs climats habituels. Cependant it n’en est point aïnsi ; les espè- ces de la Méditerranée, par exemple, ne sont pas celles de l'Océan. Les stations des poissons sont plus restreintes qu’on ne le croirait d’abord. Ils vivent près des côtes, dans les mers (1) Notice d’un mémoire sur les animaux observés dans la traversée de Timor au Cap sud de la terre de Van-Diémen, lue à la Société Philomatique par Péror (Magasin encyclopédique, 1805, t. VI, p. 415). ne Ce peu profondes. La configuration des rivages, les courants, la nature du sol submergé, etc., présentent une foule de cir- constances locales entraînant la diversité spécifique. Péron ne donne point de détails sur la localisation de tel ou tel groupe ichthyologique , mais, d’une part, il fournit à Lacépède les matériaux de genres nouveaux ou d'espèces distinctes de celles que présentaient les régions plus anciennement explorées, et, d'autre part, la conclusion générale de son travail sur l’habi- tation des animaux marins indique qu’il comprend les poissons. dans la loi qu’il formule, Il existerait sans cela une lacune, inadmissible chez ce judicieux observateur, puisque après avoir traité avec détail ce qui se rapporte à la localisation des carnassiers amphibies , il passe à l’examen des êtres marins, placés zoologiquement à la suite des poissons, et retrouve les mêmes conséquences. Un pareil ordre de faits caractérise les mollusques , et ici Péron ouvre la voie que doit suivre plus tard avec tant d’hon- ueur M. d'Orbigny ; c’est à certains parages, dit-il , que ces animaux sont fixés, c’est là qu’ils se trouvent plus nombreux, plus grands et plus beaux. À mesure qu’ils s’éloignent de ce point, les individus dégénèrent , et l’espèce finit par s’étein- dre. Il prend pour exemple l'oreille de mer (haliotis gigantea); c’est à l'extrémité du globe, sous le choc des flots polaires, qu'elle se complaît, parvient à la longueur de quinze à vingt centimètres, et forme ces bancs considérables qui servent de nourriture aux habitants de l’île de Diémen. A l’île Maria, après avoir seulement traversé le canal d’Entrecasteaux, déjà ce grand coquillage a perdu de ses dimensions. À l’île King, il est encore plus petit et plus rare ; sa dégradation devient plus sensible à mesure qu'on monte davantage vers l’île De- crès et les îles Joséphine. Dans les misérables avortons de cette espèce, qui végètent encore sur les rochers de la terre — 233 — de Nuyts, on a peine à reconnaître le plus grand coquillage de la Tasmanie, et au-delà du port du roi George, on en cher- cherait en vain la trace. De même pour ces phasianelles, si rares avant Péron ; l’île Maria est leur véritable patrie ; on pourrait en charger des navires. Comme l’haliotis gigantea du cap Sud, elles expirent au port du roi George, après avoir éprouvé une suite de dé- gradations insensibles. Ces faits prouvent, dit Péron , que les mollusques origi- naires des pays froids ne peuvent s’avancer impunément jus- qu’au milieu des zônes brûlantes. D’un autre côté, les ani- maux de ces derniers climats ne sont pas destinés à vivre dans les autres régions. L’exclusion n’est pas bornée aux espèces, elle s'étend aux genres. Quelle localisation restreinte pour les crassatelles, les houlettes, les trigontes surtout, si rares dans la nature moderne ! Il n’est point de pays comparable à Timor pour la richesse du développement des mollusques. Péron en a rapporté plus de vingt mille coquilles, comprenant plusieurs centaines d'espèces. C’est à Timor et dans les îles voisines que fourmillent ces cônes , ces olives, ces cyprées qu’on connaît à peine sur les rivages plus froids des deux hémisphères. C’est seulement à la terre d’Endracht, près des régions équatoria- les, qu'on voit paraître quelques-unes des coquilles timo- riennes. Elles succèdent donc aux Aaliotis, aux phasianelles, et la terre de Diémen, comme aussi la partie australe de la Nou- velle Hollande, en sont dépourvues. C’est ainsi que se trouvent vérifiées les divisions de géographie zoologiqne de Lacépède et de Fleurieu. Les observations donnent les mêmes résultats si l’on exa- mine non seulement les dors, les aplystes , les salpas, mollus- ques dégradés, les néréides, les amphinomes, les amphitrites, annelés des derniers échelons ; mais encore si l’on descend DS aux représentants les plus inférieurs de la faune des mers australes, les Lolothuries, les actinies, les béroëés, les méduses, si même on s’abaisse jusqu'à ces éponges, dernier terme de simplification de l’organisation animale, pas une seule de celles rapportées par Péron ne se retrouve dans les mers boréales. De cet examen réfléchi, de cette longue suite de compa- raisons rigoureuses, il est amené à formuler cette grande loi: qu'ol n’est pas une seule espèce d'animaux marins bien connue qui, véritable cosmopolite, soit indistinctement propre à toutes les parties du globe. L'extrait suivant du Voyage aux terres australes nous paraît parfaitement compléter cette belle question de la localisation des espèces marines (t. II, page 205). | « De même que tels ou tels groupes de coquilles sont plus » particulièrement fixés à tels ou tels parages, de même aussi » l'habitation particulière de chaque espèce est resireinte à » telle ou telle portion d’une même côte. Aïnsi, tandis que » les carinaires, les hyales, les jantines, les argonautes et les » autres testacés fragiles flottent à la surface des mers, les » trigonies et les nautiles sont relégués dans leurs profondeurs; » c'est au milieu des récifs, parmi d'affreux rochers, qu'il » faut aller recueillir les patelles, les spondyles, les tridacnes, » les /épas , elc., etc. Les olives, les cyprées, les cônes, les » volutes se plaisent aux endroits rocailleux ; les pinnes gi- » gantesques et fragiles ne sauraient habiter que les places » herboso-vaseuses : ici les {arets se creusent un asile dans les » vieux bois submergés et pourris; là vivent, incrustées dans » les pierres ou dans les madrépores, les pholades et les Aou- » dettes ; ailleurs , les placunes, les marteaux , les vulselles , » les pernes, les avicules et les autres coquilles iamelleuses , » vont chercher des abris plus analogues à leur délicatesse » extrême. Les unes s’établissent au sein des alcyons , d’au- — 935 — » tres s’enveloppent, pour ainsi dire, de la substance des » éponges, celles-ci reposent sur des couches de conferves » et d’ulves, celles-là se fixent aux tiges des fucus, et se lais- » sent, commeeux, doucement balancer par les flots : mais c’est » aux bancs de sable surtout qu’appartiennent des coquilles » plus nombreuses , plus élégantes et plus variées, c’est là » que le naturaliste doit aller chercher les mactres, les péton- » cles, les myes, les solen, les vénus, les pecten , les tellines , » les glycimères et une multitude d’autres testacés analogues. » Péron à attaché son nom à un des plus curieux problèmes de l’histoire naturelle générale, la phosphorescence de la mer. Les récits des navigateurs ont depuis longtemps fait connaître le magnifique spectacle de ces masses embrasées roulant sous les eaux, et Péron dit en avoir vu qui ne paraissaient pas avoir moins de vingt pieds de diamètre. Souvent ces vagues enflam- mées se brisent contre les flancs du navire et font jaillir par milliers d’étincelantes étoiles. Plusieurs marins ont observé des parallélogrammes incandescents, des cônes de lumière pirouettant sur eux-mêmes, des guirlandes éclatantes, des serpenteaux lumineux. D’autres fois, on croirait voir des nua- ges de phosphore errer sur les flots au milieu des ténèbres. Ailleurs l'Océan paraît comme décoré d’une immense écharpe de lumière mobile, onduleuse , dont les extrémités vont se rattacher aux bornes de l’horizon. Que d’explications , de théories vagues et insoutenables pro- posées pour expliquer ces admirables phénomènes ! On a in- voqué l'esprit prétendu du sel , le bitume, le pétrole, les huiles animales, le frai des poissons, des mollusques, les débris corrompus des êtres marins, le mucus gélatineux qui transsude continuellement des poissons , des mollusques, et des z00- phytes. Des auteurs ont admis une putrescibilité des couches superficielles de l'Océan, d’autres une lumière propre, d’au- — 236 — ires une lumière réfléchie venant on ne sait d’où, ou réfractée venant de l’intérieur. L’électricité a été mise en jeu par quel- ques-uns ; pour d'autres le phosphore libre ou combiné à l'hydrogène. En de nombreux points des voyages de Cook, cette phos- phorescence est constatée sous toutes les latitudes, mais il en attribue la cause, par une fausse extension de faits vulgaires, aux matières cadavériques. : Cependant on connaissait un certain nombre d'insectes où la phosphorescence se produisait comme un acte vital , acces- soire de la fonction de génération. Mieux inspirés, certains observateurs étudient des phénomènes de même ordre pour les animaux marins. Spallanzani examine ce liquide lumineux qui suinte des méduses et se dissout dans le lait auquel il communique la lueur phosphorée ; Rigaut, dès 1764, Suri- ray, Dicquemare, attribuent la cause de la phosphorescence sur nos côtes à de très petits animaux voisins des rhizopodes, les noctiluques. Péron a su généraliser ce point capital, que la phosphorescence des mers, non plus seulement en certains points, mais partout, est exclusivement due à des êtres vi- vants. Il a donc, bien avant M. Ehrenberg, proclamé cette orande vérité. Voici en effet ses conclusions : 1° la phospho- rescence appartient essentiellement à toutes les mers. On l’observe au milieu des flots de l’Equateur, dans les mers de Norwège, de Sibérie, comme dans celles du pôle antarctique; 2% elle est d'autant plus sensible que la mer est plus agitée et la nuit plus profonde ; cependant elle existe encore dans les mers calmes, et la lumière de la lune ne la masque pas com- plétement ; elle est en général plus forte et plus constante en- tre les tropiques, ce qui tient, comme cause médiate, à la température plus élevée de ces mers (favorisant par suite le développement d'animaux mous et délicats) ; 4° elle est plus — 931 — grande le long des côtes, dans les eaux resserrées et les dé- iroits, qu'au milieu des mers très vastes. Ces faits généraux, ajoute Péron, résultent de ce que la phosphorescence est exclusivement due à une /umière propre, sécrétée par un grand nombre d'animaux marins, surtout par les mollusques et les zoophytes mous. Il l’a constatée dans les biphores , les pyrosomes , chez certaines espèces d’astéries et d’ophiures, chez presque toutes les médusaires et béroaires, chez les vélelles, les rhizophyses, certains physsophores, etc. Ce sont sans doute de très petites espèces (comme les nocti- luques de nos côtes) qui produisent ces flots paraissant .se briser en étincelles contre le bordage du navire. Quant à la cause première de la phosphorescence , encore si obscure, Péron ne paraît nullement l’attribuer à une com- bustion, mais à une sécrétion sui generis. Depuis, des faits nouveaux ont surgi. Ainsi, les expériences de Matteucci (Leçons sur les phénom. phys. des corps vivants, 1847, p. 151) ont établi que chez les vers luisants, et sans doute chez les animaux aériens phosphorescents , il se produit une combus- tion lente, remplaçant un volume d’oxygène par un égal volume d'acide carbonique. M. de Quatrefages est arrivé à un résultat des plus remarquables / Ann. des sci. nat., z0ol. 3° série, t. XIV, p. 236). Il a parfaitement établi chez les animaux marins que la phosphorescence, toujours par scintillation au moins sous un grossissement suflisant, accompagne la con- traction musculaire et augmente par toutes les causes excitant cette contraction. 11 admet, d’après cela, une seconde cause de phosphorescence , spéciale à ces animaux marins, étran- gère à la combustion. Ses expériences à ce sujet tendent seu- lement à établir l'absence de combustion par l'oxygène libre, à la manière des insectes. Nous sommes portés à croire que — 9238 — toute phosphorescence dans les corps organisés, soit pendant la vie, soit après la mort, a pour cause une combustion , et cette opinion se relie complétement à la belle découverte de M. de Quatrefages, rapportant la phosphorescence des ani- maux marins à des contractions musculaires intermittentes. On sait maintenant , d’après de très récentes expériences de Matteucci, que toute contraction musculaire est accompagnée d’une combustion , source même de la force qui agit dans la contraction , suivant la nouvelle théorie de la chaleur. Cette combustion produit l'élévation de température que Becquerel et Breschet ont constatée dans la contraction des muscles, et il n’est guère douteux qu’elle ne soit aussi la cause de la phos- phorescence , lorsqu'il y en a une. À un phénomène général et identique se trouve ainsi attribuée une origine identique, comme le pense un de nos physiciens les plus distingués par la solidité de son jugement et une immense érudition scienti- fique, notre ami et ancien collègue, M. Verdet. D’après certains auteurs, le nom de la mer Rouge serait dû aux nombreux animaux phosphorescents qui la peuplent; sui- vant d’autres, à la couleur des sables en certains points, ou à des algues microscopiques, etc. Ces questions ont été discu- tées avec talent dans le mémoire de M° C. Dareste. Nous les rappelons ici, car une note de M. Freycinet, dans le 2° volume du Voyage , nous apprend que Péron devait publier un im- portant travail justificatif de ces appellations de mer rouge , mer jaune, mer de lait, mer de sang (il en cite des exemples dans le Voyage), et de ces pluies, dites pluies de sang, pluies de soufre, etc., qu’on a souvent rejetées à tort dans les fables imposées à la crédulité du vulgaire , faute de savoir les expli- quer ; aucune trace de ce mémoire n’a été retrouvée dans les papiers de Péron. — 9239 — Par un lien naturel viennent se placer ici les recherches sur la température de la mer (4), tombées dans un oubli immérité. Elles nous permettent d'étudier chez Péron la sagacité expé- rimentale du physicien, et fournissent une preuve de plus à l'appui de cette opinion, que la variété des connaissances dans toutes les branches des sciences ne fait qu’apporter plus de rectitude et plus de force dans l'étude spéciale de l’une d'elles. Une première série de travaux concerne la température à la surface de la mer comparée à celle de latmosphère, et prise, suivant la remarque de Péron, avec le même instru- ment. Il cherche, dit-il, à détruire ce préjugé météorologique, très ancien et remontant à Aristote, que l'agitation des flots produit leur échauffement. Il fait remarquer que, dans les expériences antérieures aux siennes, on opérait seulement dans le jour, vers son milieu, près des rivages des continents : de là pas de moyenne diurne, et une influence considérable des terres. Afin de pouvoir obtenir des moyennes, Péron ob- servait métrodiquement à midi, à minuit, à 6 h. mat.,à6h.s. Enfin il a soin de séparer ses recherches suivant qu’elles se font en haute mer ou près des rivages. Il reconnaît, dans le premier cas, qu’à midi, la température de la surface est moindre que celle de l'atmosphère, à l'ombre, ce qu'il explique par l’évaporation et les courants d’air chaud. Il faut y joindre aussi la très faible capacité calorifique de l'air. À minuit, au contraire , il trouve la température de la surface supérieure à celle de l'air, et de là naturellement des équilibres le matin et le soir. La moyenne des quatre obser- vations lui donne la température de la surface loin des rivages comme supérieure à celle de l'atmosphère. Il constate, près des rivages, que la température de la sur- Péron, — Ann, du Mus., t. V, p. 1923. — 940 — face de la mer augmenté à mesure qu’on s'approche des côtes. Ce résultat, obtenu dans és régions équatoriales, est identique à celui auquel arrive Aïmé sur les côtes méditérranéennes , dans une mer fermée aux courants polaires { Ann. de phys. et de chim., à série, t. XV, p. 33). Nous en pourrons con- clure l’absence de pareils courants aux points côtiers où Péron expérimentait, car le fait inverse a été souvent observé dans l'Océan, sur les hauts-fonds des côtes où des courants d’eau froide, arrêtés dans leur marche, remontent le long des accores des bancs et glissent à leur surface. L'observation de Péron est très importante en ce qu'elle indique que le voisinage des côtes est loin d’être toujours attesté par un refroidissement de la surface de la mer ; ce ne peut donc être un moyen gé- néral de reconnaître l'approche de la terre et le danger du navigateur. Les observations de la température de la mer à diverses profondeurs avaient été recommandées à Péron par Fourcroy, Laplace, Brisson. 11 comprend le premier que son thermomètre doit conserver \ le plus possible , la température du fond. I] réalise cette condition par le choix d’enveloppes peu conduc- trices et de natures diverses. Le thermomètre était maintenu dans un cylindre de verre contenant de l'air, celui-ci entouré d’un cylindre de bois plein de charbon pilé, et enfin le tout était placé, au moyen de suif fondu, dans un étui métallique. (1) Certes on ne pouvait mieux faire avant l’invention des ther- mométrographes à index ou à déversoir. Péron se plaint seu- lement du mauvais vouloir du commandant et de l’équipage ; car un pareil système devait, dit-il, rester immergé très long- temps et être retiré le plus promptement possible. Il observe d’abord le fond près des côtes et trouve en (4) De Saussure à pareillement employé le suif. moyenne une température plus élevée qu'à profondeur égale en pleine mer. Nous trouvons ici ingidemment une observation qui nous paraît bonne à conserver, à propos de la question si difficile de la chaleur animale. En retirant sur les côtes de la Nouvelie-Hollande la drague couverte de polypiers, d’éponges, d’alcyons , dont la phosphorescence excite la curiosité de l'équipage, Péron voit que le thermomètre piongé au milieu de ces animaux monte de plus de à°. À de grandes profondeurs et loin des terres il trouve un abaissement progressif, à mesure qu’on s'enfonce au-dessous de la surface, et sans limite pour les profondeurs atteintes, Ainsi, par 4° lat. B, à 2144 pieds l’abaissement est de 19 par rapport à la surface. Péron confirme ses résultats par ceux que trouvèrent Irving et Forster, en opérant à de plus grandes profondeurs et dans les deux régions polaires. La décroissance est bien plus rapide que sous l'équateur, et ces savants par- viennent à la glace fondante et même au-dessous. D’après cela, dit Péron, rien ne s'oppose à admettre, sous l’équateur même, un fond glacé et solide ou du moins une température comparable à celle des pitons des hautes montagnes, et par suite il doit exister, dans les abîmes de la mer, la même soli- tude, la même absence d'êtres vivants, que sur les cimes désertes. Après tant d'habileté d'observation, Péron échoue lorsqu'il veut arriver aux causes, et nous savons à quoi imputer ce résul- tat commun à d’autres recherches générales. Il ne pouvait en être autrement à son époque. [Il attaque, en effet, la théorie de la chaleur centrale dans sa généralité, sans remarquer que d’im- menses courants polaires inférieurs doivent masquer ses effets. Dans la Méditerranée, qui se trouve à l'abri de ces flux glacés, on arrive à un minimum égal à la moyenne des températures superficielles de l’hiver. Dans l'opinion d’Aimé, à partir d’une 16 2 og certaine profondeur , la température doit reprendre uné inarche ascendante, à mesure qu’on approche des couches terrestres. Des thermométrographes immergés dans l'Océan, bien plus bas que lors des expériences d’Irving, de Forster et de Péron, ont accusé des températures supérieures de plu- sieurs degrès à la glace fondante. Les détails les plus remarquables sur la constitution géo- graphique et météorologique du continent australien sont contenus dans un chapitre du Voyage, intitulé : Séjour à Port-Jackison (t. I, p. 368) ; la rédaction en est malheureu- sement des plus confuses , une foule de sujets disparates s’y trouvent traités. Une chaîne de montagnes traverse du N. au S. la Nouvelle- Hollande. Plus rapprochées de la côte orientale, elles se replientau $. pour rejoindre les Montagnes Bleues des colons de Sydney, et se relient aux sommités de la terre de Diémen. Péron raconte avec soin les tentatives infructueuses faites pour gravir ces rochers stériles, horriblement abrupts. On n'avait pu aborder qu’au pied de ces montagnes , formé de grès, de poudingues, de minérai ferrugineux , sans calcaire. Les plateaux granitiques de l’intérieur demeuraient inaccessi- bles, Leur existence était toutefois certaine, d’après la nature des cailloux roulés de gneiss , de granit, de porphyre qu'on trouvait en remontant les cours d’eau, comme le constatèrent notamment Depuch et Bailly dans l'exploration de l’Hawkes- burry, vers les Montagnes Bleues. Les sauvages existant alors, détruits sans doute aujourd’hui, avaient une crainte religieuse de cette barrière infranchissable qui leur était aussi peu connue qu'aux Européens. C’esten effet de ces montagnes que sem- blaient leur venir les vents brûlants, les orages désastreux , les inondations dont il nous reste à parler. On sait aujourd’hui qu’au-delà de ces Montagnes Bleues sont des espaces limités 6) L 2 — 943 — de terrains fertiles ( Australie heureuse), des rivières et des fleuves puissants, le Bogan, le Darling, le Murray, débouchant dans la mer par le lac Alexandrina et la baie Encounter, le Glénelg, entouré de petits lacs, etc. On a rencontré des peu- plades moins abruties que sur les côtes, abondamment nourries de poissons et dont on ignorait existence du temps de Péron. Cela résulte des explorations de Sturt en 1828 et 1829, de Mitchell en 1831, 1835 et 1835. (Bull. de la Soc. de Géogr., 4" série, t. XX, p. 340, 2° série, t. XIII, p. 129.) Contrairement aux vents qui ont traversé les montagnes d'Europe, les vents qui soufflent du N. et du N. O., pour la colonie de Sidney, sont secs et extrêmement chauds. Compa- rables au simoun saharien, ils tarissent les ruisseaux, détrui- sent toute végétation et font périr par milliers les animaux. Ayant balayé les déserts du centre, ils recouvrent les objets d’une cendre très fine , rougeûtre et ferrugineuse. La tempé- rature s'élève d’une manière excessive. Parmi de nombreux exemples, Péron cite, à Sydney, jusqu’à 32°,4 R. à l'ombre. Il rapproche les résultats propres à ce pays de ceux qu’il a observés sur toute la côte, ainsi à la terre de Leuwin pour les vents de l'E. à l’O., au S. de la Tasmanie pour le vent du N., encore aride et brûlant, bien qu’il eût traversé les hautes montagnes du promontoire Wilson, les îles Furneaux, le détroit de Bass et les sommets neigeux de la Tasmanie. Ii conclut en ces termes : « Tous les vents qui traversent la » Nouvelle-Hollande du N. au $S., de l'E. à PO. et du N. O. » auS. E., sont des vents brülants et secs. » Ce qui le préoccupe c’est surtout la haute importance de ce fait pour la constitution physique intérieure de lAustralie. Il fait preuve d’une merveillease sagacité inductive, lorsque, avant d'aborder à la terre de Leuwin, encore en pleine mer, il remarque que le vent d’'E., dès que le navire est abrité par la Gi Nouvelle-Hollande, d’humide et brameux prend un caractère tout opposé , fait monter le baromètre et marcher l’hygro- mètre vers la sécheresse. Aussitôt, contrairement à l’opinion du commandant et de l’astronome , il affirme qu’on va ren- contrer une terre basse, sans hautes montagnes , sans forêts, sans cours d’eau. Remarquant plus tard que le vent présente cette influence sur les deux instruments , toutes les fois qu'il souffle de l’intérieur, il ose conclure qu’il ne doit s’y rencon- trer que des déserts sableux et nullement cette grande mer interne admise par tous les savants de l’époque. En ce moment, où les côtes seules sont encore connues, les explorations inté- rieures ont toutefois bien établi l'existence de vastes solitudes, couvertes de sables soit ocreux , soit salins, où se perdent les eaux venues des montagnes. On sait cependant que l'Australie méridionale présente un bassin intérieur peu profond. Soupçonné par Sturt, le lac Torrens, découvert par M. Eyre en 1839, offre un immense circuit en fer à cheval, de plus de 400 milles, entourant les- monts Flinders dont il reçoit les eaux. Il est salé ; des déserts privés de végétaux et couverts d’efflorescences salines l’envi- ronnent. Sa faible profondeur en fait un vaste étang et nulle- ment une mer, et de plus son étendue est minime par rapport au continent australien ; par ces deux causes on conçoit qu'il n'ait pas d'influence sur le régime hygrométrique des vents. (Bull. de la Soc. de Géogr., ë° série, t. FE, p. 56.) Le projet de parcourir ces terres ignorées avait vivement frappé l'imagination aventureuse de Péron. Selon lui une expé- dition composée d’une centaine d'hommes courageux devrait partir du golfe Bonaparte et se diriger , autant que possible , sur le golfe de Carpentarie. En cas où des montagnes eussent barré la route elle se replierait ou à l'E. sur la baie des Pas- sages , ou au N. O. sur l'entrée de Dampier, ou au S$. O. sur — 245 — la rivière des Cygnes. À ces stations attendraient des navires destinés à la ravitailler. Des dromadaires , amenés de l'Inde, lui paraissaient d’une haute utilité. (C’est encore l'opinion que vient tout récemment d'émettre M. Ernest Hang qui s’est offert à la Société de géographie de Londres pour tenter ja traversée australienne.) Il paraît difficile à Péron que la cara- vane, à la saison des pluies, ne puisse trouver quelques oasis dans les immenses déserts de l’intérieur. Le manque d’eau douce est pour lui le plus grand obstacle (Malte-Brun, continué par Huot, t. XII, 1837, p. 218). Ces opinions sont tout-à-fait conformes à celles de sir Thomas Mitchell, d’une si haute compétence en ce sujet. Il faut, écrit-il, pour ces dangereuses expéditions, un chef revêtu d’une autorité absolue. Les chaînes côtières de la partie orientale du continent ne pré- sentent qu'une suite de rochers coupés de ravins et couverts d’épais fourrés. La rareté de l’eau en fait presqu’un objet de dispute armée, et la population sauvage se groupe immanqua- blement autour des lieux où il y a un peu d’eau, bien décidée à la défendre contre tous. Le meilleur explorateur est un anglo -ausiralien de naissance. Pas un étranger ne pourrait vivre là où, par une sorte d’instinct, l’anglo-australien saura découvrir de l’eau, retrouver les chevaux perdus et choisir le meilleur campement. (Nouv. Ann. des Voyages, t. II, 1853, p. 210.) Sur toute l'étendue des côtes connues au temps de Péron, on ne trouve, dit-il, aucune rivière dans l’acception habi- tuelle de ce mot. Les prétendus fleuves sont de très longues et étroites criques remplies d’eau salée, n'ayant d'autre mou- vement que celui du flux ou du reflux de la mer. De là cette erreur des anciens observateurs qui crurent voir des fleuves anormaux remontant vers l’intérieur des terres. Dans une navigation sur l'Hawkesburry, faite par les minéralogistes de HO ee l'expédition australe , à plus de cent milles de la mer par les courbures, la marée montante élevait encore les eaux d’un pied. Tout-à-coup ces prétendus fleuves majestueux se termi- nent par un faible ruisseau d’eau douce, presque tari en été, incapable de porter la moindre embarcation. Telles sont les rivières de la colonie australienne du Sud, énumérées par Péron, celles de la baie des Chiens Marins, des golfes Bona- parte et Joséphine , du golfe de Carpentarie d’après Flinders, etc. , et enfin, pareillement les rivières de la Tasmanie. Le caractère des inondations de ces singuliers cours d’eau n'offre pas une carrière moins vaste aux méditations et aux recherches. Au milieu de ses excursions, Péron remarque de faibles ruisseaux dans les vallées , tels qu’il pouvait enjamber les plus larges, et à cinq ou six mètres au-dessus, des traces récentes de l'élévation des eaux. Ces filets d'eau douce (les observations ont surtout porté sur la rivière Hawkesburry) , dont on croit à chaque instant atteindre la source, doivent avoir d'immenses ramifications dans l’intérieur des Montagnes Bleues. En effet, ils se gonflent tout-à-coup, et en quelques heures sont devenus des torrents fougueux et dévastateurs. Parfois l’eau s'élève à seize mètres au-dessus de son niveau habituel. Aussi les colons anglais, avertis par une cruelle ex- périence , éloignent leurs habitations de ces bords dangereux et ne les construisent que sur les points les plus élevés. Le défaut de périodicité de ces inondations, leur absence de rapport avec l’ordre des saisons, contrairement à ce quise passe, soit en France, soit dans les pays intertropicaux, pré- sentent un phénomène non moins étrange. Ces prétendus fleuves , dit Péron, débordent : 1° à toutes les époques de l’année ; 2° de ane à deux fois jusqu’à dix ou onze, dans la même année ; 3° sans connexion avec l’état de l'atmosphère, la direction du vent, les orages ; 4° sans intervalles réglés , L = 947 — bé tantôt trois ou quatre fois dans le même mois , tantôt après un répit de plus de six mois. Quelles pluies immenses, subi- tes, sur une énorme étendue de pays ne doit-on pas supposer! Les Anglais appellent avec raison l'Australie le continent sans pareil. Autour de ces cours d’eau s’accumule la terre végé- tale, arrachée des montagnes, parfois sur douze et même sur seize mètres de fond. 11 s'ensuit une fertilité prodigieuse. Sur les bords de l'Hawkesburry, dit le Nil de la Nouvelle-ffo]- lande, on a vu le blé, sans engrais, rapporter 95 p. 4, l'orge 140, le maïs 200. Mitchell a remarqué aussi sur lé Darling les traces d’inon- dations considérables, Lushington et Wickam, dans leur expé- dition à la côte N.0. en 1838, les signalent à une grande hau- teur sur les rives du Glénelg et sans que les fortes pluies qu'ils éprouvent amènent une crue des eaux. M. Wickam, en dé- couvrant ailleurs, du côté de la rivière des Cygnes, une nou- velle rivière (Fitzroy-River), observe les marques laissées par l’eau à un niveau très élevé, et sans rapport avec les pluies de la côte. (Nouv. ann. des Voy., 1839, t. XXI, p, 39.) Les rivières côtières reconnues ne peuvent recevoir toutes les eaux d’un aussi vaste continent. Selon M. Hombron, Bor- néo et l’Australie sont comme des centres de soulèvements entourés de volcans d’éruption. Bornéo est au milieu d’un cercle volcanique, maïs l'Australie n’est environnée de volcans que des côtés N. et E. ; l’impulsion a été moins forte, les montagnes sont trop peu élevées eu égard à l'étendue du pays, ce qui a causé une imparfaite répartition des eaux. Beaucoup de rivières et de ruisseaux se perdent à l’intérieur dans les sables ou s’évaporent en marécages. Les Montagnes Bleues ne fertilisent qu'une zône limitée ; ailleurs l’humus est peu épais; on ne trouve que sable, grès ou glaise. Les types de la flore sont, par suite, peu variés et demeurent les mêmes en des. La + LM on points très éloignés. | Nouv. ann. des Voy., 18h45, t. IE, p. 301.) Les orages sont très fréquents et très multipliés. Péron ob- serva un exemple de leur violence et de leur instantanéité. Le vent passa brasquement au N. ©. , les nuages, venus des Montagnes Bleues, se précipitèrent sur le sol , en rasant, pour ainsi dire, la terre. Le ciel était déchiré par d'immenses éclairs bleuâtres, les vents tourbillonnaient dans tous les sens. | Il ramassa des grêlons, pesant près de 30 grammes, de forme allongée, irrégulièrement prismatique, et non pas arrondis. Les colons conservaient la mémoire d’une grêle, tombée en décembre 1795, et ayant ravagé plusieurs fermes par la chute de larges carreaux de glace, présentant jusqu’à deux déci- mètres de longueur. | La géologie des régions australes forme le complément né- cessaire de leur état actuel. Elle se trouve ébauchée dans un mémoire de Péron qui réunit plusieurs études assez distinc- tes (Voyage, 1. IL, p. 161). Il établit d’abord, par des ob- servations zoologiques, que la Tasmanie et la Nouvelle-Hol- lande n’ont très probablement pas été réunies primitivement. En effet, différence de la race humaine, absence du chien en Tasmanie, tandis qu'il existe en Australie, mammifères et rep- tiles presque tous spécfiquement distincts, tels sont les motifs de l’ancienne séparation. La géologie en fournit d’autres. Pé- ron remarque également , au sujet des îles Canaries, purement volcaniques, qu’on ne saurait les rapporter à l'antique Atlan- tide, puisque le continent africain et l’Amérique présentent des roches secondaires et tertiaires bien plus anciennes. La Nouvelle-Hollande, la Tasmanie, l’île de Timor ont of- fert de nombreux débris de coquilles marines. A lîle de Dié- men, par plus de deux cents mètres d’altitude, Péron signale, entre autres fossiles, une /ime qui lui paraît différente des es- 949 — ÉS pèces vivantes. L'île Maria montrait un grès coquiller, les coquilles fossiles existaient aux îles Decrès ou des Kangu- roos, Joséphine, Louis-Napoléon, aux terres d’Edels et d’En- dracht, au port du roi George, comme Vancouver l'avait déjà observé avec soin dans l’intérieur de la Nouvelle-Hollande, en remontant la rivière des Cygnes. À la baie des Chiens- Marins, les îles de Dorre et de Dirck-Hartig sont formées d’un grès rempli de coquilles. L'île de Timor surtout était riche en fossiles jusqu’au sommet Ée ses montagnes, étagées en gradins et couvertes de forêts, à cinq ou six cents mètres d’élévation. Péron remarque notamment des coquilles des genres Aippope et tridacne, tout-à-fait semblables , comme taille gigantesque et blancheur du test, aux coquilles vivant encore sur les rivages. Les collections actuelles ne contiennent pas de fossiles du voyage de Péron ; nous avons vu, dans la collection de Haüy, deux cythérées, servant d'exemple de pseudomorphose du calcaire et qui proviennent du voyage austral. {Indication de M. Hupé.) On rapporte à l’époque moderne un certain nombre de dé- pôts coquillers marins renfermant des espèces identiques aux espèces actuelles et des traces d'industrie humaïne ; ainsi, en Sicile, à la Guadeloupe, sur les îles et les plages soulevées du Pérou, etc. Les dépôts de la Nouvelle-Follande et de Timor où les espèces sont aussi celles de nos jours, ont une origine moins certaine. Peut-être, comme pour les sables du Dane- marck, faut-il les attribuer au diluvium. L’attention de Péron fut attirée par de singulières incrusta- tions existant sur les côtes et même dans l’intérieur. Les subs- tances abandonnées par la mer, les végétaux se recouvrent d’un ciment siliceux , provenant des dunes et transporté par le vent. Les arbres même sont peu à peu ensevelis sous le sable et silicifiés. C’est ce qu’on remarque aux îles Decrès et 4 — 950 — Joséphine , aux terres de Nuyts, de Leuwin, d’Edels, d’En- dracht, de Witt. Le naturaliste de l'expédition d’Entrecasteaux, Riche, avait déjà décrit ces incrustations, à la terre de Nuvyts, et, disait-il, dans le style mythologique de l’époque : « Il » semble qu'un nouveau Persée promena la tête de Méduse » sur ces lointains rivages. » L'observation des madrépores vivants et fossiles excite les inéditations de Péron. À Timor, les montagnes les plus élevées des environs de Coupang sont couvertes de coraux , de même sorte que ceux qui encombrent les rades, entourent l’île de rescifs et remplissent la mer des Indes. Les coraux vivants, dit Péron, commencent au port du roi George et à la terre de Nuyts, sans s'étendre plus au Sud. Vancouver remarque de nombreux champs madréporiques, avec coquilles adhérentes, sur toutes les collines qui entourent le port du roi George et jusque sur le sommet du Bald-Head, visible en mer à quinze ou seize lieues. Péron , selon l'erreur de son temps, attribue aux madrépores le pouvoir de former des îles considérables , ignorant qu'ils ne vivent qu’à une faible distance du niveau de la mer, et ne se développent que sur des hauts-fonds ou des rochers sous-marins, soulevés généralement par la cause volcanique. Attribuant une profondeur considérable à ces polypiers, il ne peut concevoir que les eaux de la mer puissent leur fournir assez de calcaire. Il reconnaît, comme incontes- table, que la mer a dû occuper ces montagnes coquillières et madréporiques. Ou bien, dit-il, la terre s’est élevée ou bien la mer a baissé. Se refusant à des soulèvements , car il ne les conçoit que produits brusquement à la facon de certaines îles volcaniques, et remarquant les formes régulières et adoucies des montagnes de Timor, il adopte la seconde hypothèse. Le mémoire de Péron paraît avoir occupé fortement l’atten- tion des savants de l’époque. On peut voir dans quel embarras “ces grands problèmes géologiques jetaient alors les esprits par un travail de Lamarck (Ann. du Mus., t. VI, 1805, p. 26), où cet auteur, reprenant les faits étudiés par Péron, combat l’idée du retrait des eaux et s’égare dans la supposition d’un changement très lent de l’axe du monde et de la protubérance équatoriale, pouvant occuper, avec les siècles, tous les points du méridien. | Les observations assidues du thermomètre, du baromètre et de l’hygromètre faisaient partie des travaux que s'était imposés, Péron au début du voyage. Nous n’aurons guères qu’à les mentionner, car les résultats sont ceux généralement admis : ainsi l'accroissement de la température, à mesure qu’on approche de l'équateur, maïs toujours plus faiblement dans ’hémisphère austral que dans l’hémisphère boréal, à égale atitude ; la diminution des variations avec la diminution de distance de l’équateur ; en mer, une différence à peine de 1°, entre les températures de minuit et de midi à l'ombre ; un maximum ne dépassant pas 25°, sous la ligne, tandis qu’il est bien supérieur sur le continent. Péron s’applaudit avec raison d’être le premier à emporter au-delà des mers l’hygromètre à cheveu de Saussure. C’est en effet le seul instrument de cette classe qui reste dans les limites d’une comparabilité suffisante. L’hygromètre à boule d'ivoire, tant préconisé par l’amirauté anglaise, est au contraire de nulle valeur comparative. L'hygromètre, vers l'équateur, s’est presque toujours sou- tenu à la saturation. Ses variations, comme celles du baro- mètre (il s’agit, pour celui-ci, des variations générales et non des variations horaires), sont d'habitude d’autant plus faibles qu'on se rapproche plus des régions équatoriales. Si l’on joint à ces faits la diminution graduelle de la pesanteur et de l’inten- sité magnétique, on reconnaît dans l'équateur une limite com- — 952 — mune à tous les grands phénomènes de la physique du globe.’ Péron attribue aux vents une action directe sur le baro- mètre , indépendante de l’humidité. Il a vu souvent , contre l'ordinaire, par des vents secs et froids, la colonne mercurielle baisser presque subitement jusqu’à huit lignes, malgré la dimi- nution rapide de l’humidité atmosphérique , tandis qu'il eût dû monter, au contraire, selon la théorie trop exclusive de Deluc. Il rapporte uniquement à l'humidité de l’atmosphère équatoriale l’état toujours vaporeux du ciel pendant le jour (ciel gris, horizon gris, ciel gazeux des marins), la pompe éclatante des levers et des couchers du soleil, la sérénité noc- turne excessive , la fréquence et la rapidité de la formation des nuages menaçants et des grains tropicaux, l’abondance de la pluie et la grosseur de ses gouttes, l’activité avec laquelle se gâtent les substances hygrométriques. Péron ne put, par suite des obstacles habituels , réaliser ses recherches sur la salure des eaux de la mer. Il voulait recueillir, de 5° en 5° lat., cent livres d’eau de mer, la filtrer pour enlever le mucus gélatineux , les nombreux corpuscules organiques qu'il y a reconnus (MM. Morren, Lévy, etc., ont fait voir récemment leur haute importance pour l’oxygénation de l’air à la surface des eaux) , substances dont la présence Ôte, dit-il, toute certitude aux indications aréométriques , distiller, peser et analyser le résidu fixe. Tous ces détails ne portent-ils pas le sceau de l'observation la plus fine ? Outre leur utilité météorologique , le thermomètre et l’hy- gromètre devinrent aux mains de Péron le point de départ d’une haute question médicale et administrative, celle de l'hygiène navale des voyages de long cours (1). Tous les dix (1) Péron.— Notice sur quelques applications de la météorologie à l’hygiène navale.{Bull, des Sci. méd., avril 1808, t. IT, p. 30.) — 953 — jours, à midi et à minuit, Péron portait ces deux instruments sur la dunette, c’est-à-dire, à l’air libre, puis dans la batterie, la sainte-barbe et enfin à fond de cale, et les observait après un stationnement suffisant. La température d’un vaisseau, dit-il, est toujours de 3° ou 4° plus forte que celle de l'air extérieur, et la cale en est la partie la plus chaude, la plus humide, partant la plus insalubre. C’est en effet l'humidité alliée soit à une haute température, soit à un froid rigoureux qui sont les causes principales, sinon exclusives, de ces affec- tions terribles, fléau de toutes les anciennes expéditions , le scorbut, la variété de typhus dite fièvre des vaisseaux, la fièvre bilieuse des Antilles, etc. L'usage des bains de sable chaud, employés déjà à bord du navire de Marchand, pro- duisit également le meilleur résultat contre le scorbut, sur la corvette le Naturaliste. Précieuse à consulter dans ces cas généraux, la marche du thermomètre et de l’hygromètre dénonce une foule de causes accidentelles d'infection. Une élévation notable de la tempé- rature et de l'humidité provint de gaz fétides accumulés dans la cale. Introduction d’air frais, épuisement par la pompe des eaux putrides, ces remèdes ordonnés par le commandant, sur l'avis de Péron, font disparaître l’insalubrité. Le liquide salin, . au contact des gueuses de fonte au lest, produit, selon sa re- marque, de l’hydrogène sulfuré, par une réaction analogue à celle qui cause les miasmes paludéens. Une élévation insolite du thermomètre dans la sainte-barbe, pendant la nuit, accusa le danger d’y faire coucher un trop grand nombre d'hommes. Des difficultés particulières ne permirent pas de continuer l'observation comparative des deux instruments , au grand regret de Péron, sa conviction étant qu'il eût pu, à leur aide, ralentir les progrès du scorbut terrible qui ravagea l'équipage. = DB Ces instraments indiquent aussi dans quelles localités on doit chercher à préserver les marins qui débarquent des varia- tions trop brusques de température et d'humidité. Ainsi, à la baïe des Chiens-Marins, où l’on nota, dans les 2/4 heures, une différence de 20° au thermomètre et 33° à l’hygromètre, les hommes couchés à terre furent atteints d’une violente dys- senterie. Ces mêmes motifs améneront les chefs à mieux rai- sonner les branle-bas ou expositions à l’air des effets des matelots et les ablutions trop considérables d’eau de mer. Les particules salines déposées, surtout le chlorure de calcium, entretiennent la plus funeste humidité , attestée aussitôt par l'hygromètre. Un grattage à sec serait bien préférable, dans nombre de cas. Ces lavages de chaque jour, selon Péron, contribuèrent beaucoup au scorbuat , dans les explorations de la terre Napoléon et de la Tasmanie. Il regarde comme un préservatif excellent d'allumer fréquemment des feux et de les porter aux divers points du navire, d'essuyer et frotter les parois et surtout les affüts et ustensiles d'artillerie, recouverts d'humidité stagnante et non absorbée. (Réglement du 1° jan- vier 1786, art. 23 et 24.) La notice de Péron obtint une approbation complète du corps médical et vint corroborer les résultats obtenus par M. de Morogues sur la frégate [a Solbay (Mém. des Sav. étr., t. I). Ainsi conclut le rapport de M. Kéraudren (Bull. des Sci. méd., t. IL, p. 481). Ces diverses précautions , remarque encore Péron, ne pa- raîtront minutieuses qu'aux hommes étrangers à tout ce que les longues navigations offrent de péril sous mille formes. Il cite cette phrase remarquable de Vancouver : « C’est à cet » inestimable progrès {il s’agit de l’hygiène navale perfec- » tionnée par les soins assidus de Cook) que l'Angleterre doit, CEE » en grande partie, le haut rang qu’elle tient aujourd’hui » parmi les nations. » Heureux, pour le jugement de la postérité, le commandant du Géographe, s’il eût eu envers ses subordonnés l'humanité touchante qui honore le nom illustre de Lapérouse ! Nous rapporterons ici, comme un annexe éloigné des tra- vaux anthropologiques de Péron , une question de l’hygiène générale des pays tropicaux, celle des masticatoires stimulants du tube digestif (41). L’insalubrité des climats chauds et humides pour les Européens, ainsi à Timor, à Batavia , aux Moluques, à Madagascar, etc., consiste comme on sait en une exagération extrême de la transpiration cutanée et de la sécré- tion sudorifique. Par un balancement naturel, les sécrétions urinaire, salivaire et nasale diminuent, et le fluide lubréfiant manque bientôt dans le tube digestif. Au dégoût des aliments solides et à une constipation excessive succède la dyssenterie. Souvent elle se complique de fièvre putride qui exigerait un traitement opposé. Le médecin est réduit à des palliatifs impuissants, le malade succombe. Que faire sous le rapport médical ? évidemment s'opposer aux excrétions débilitantes externes et rappeler le fluide aux parois du tube digestif. La pratique journalière des Malais de Timor et des Moluques obéit à cette double nécessité. Des bains froids réitérés réveillent la tonicité de la peau ; des fric- tions haileuses ferment, comme mécaniquement , le passage à une trop forte transpiration et remplacent le pigmentum gras de la race éthiopique , la mieux appropriée aux climats brûlants. Enfin les Malais ajoutent à ces moyens externes l’u- sage du piment, du poivre, de la muscade, du girofle, du (1) Mém. sur la dyssenterie des pays chauds et l’usage du bétel. — Journ. de méd., de Corvisart, t, IX, p. 57. — Voy. aux t. aust., t. IT, p. 314. e — 256 — gingembre dans les aliments et surtout la mastication conti- nuelle da bétel. Ce produit est formé pour moitié de noix d’arec (areca catechu ou mieux areca betel ) , fruit des plus riches en acides tannique et gallique, de feuilles de tabac (à Timor seulement) et de feuilles du piper betel (parfois du fruit jeune), enfin, pour un quart, de chaux madréporique, d’une grande causticité. Ce mélange est tellement actif que les dents, promptement noircies, sont corrodées jusqu'aux gencives, la salive et les matières fécales colorées en rouge brique ; ces colorations n’existent pas pour les enfants et les jeunes gens qui ne font pas encore usage du bétel et ont les dents fort belles. Il ne faut pas se livrer tout d’abord à des diatribes contre une coutume répugnante, dit Péron, mais remarquer qu’un . motif hygiéniqae doit sans doute entrer en sérieuse considé- ration quand on voit l’usage du bétel répandu des Moluques ‘au fleuve Jaune , de l’Indus et du Gange aux bords de la mer Noire et à Constantinople même, chez certains individus des classes riches. Péron n’a pas hésité à attribuer à l'emploi du bétel la conservation de sa santé dans la relâche funeste de Timor. Il remarque que les Européens aisés, même les femmes, établis dans les régions chaudes, ont adopté le tabac à fumer et les stimulants culinaires les plus énergiques. Il attribue à l'absence de cette précaution hygiénique l’affai- blissement des soldats bataves dansles colonies néerlandaises. Nous citerons un certain nombre de faits à l’appui de l’o- pinionde Péron. L'hygiène n’aurait-elle pas appris aux anciens Caraïbes, ainsi qu’on le rapporte , l’usage du tabac à fumer ? Les masticatoires ne sont pas seulement employés en Asie ; dans le Nouveau-Monde, MM. de Humboldt et Bonpland ont vu les Indiens de Quito et de Papayan mâcher la feuille très àcre de l’erythroxylum peruvianum, mêlée à la chaux vive. © 91 — Labillardière , dans le voyage à la recherche de Lapérouse, rapporte que les sauvages des îles de l’Amirauté mâchent de la chaux vive en poudre fine. Des praticiens distingués ont prescrit de nos jours le bétel contre les cas graves de dyssen- terie opiniâtre. La pharmacopée indienne se sert, comme stimulant du tube digestif, un électuaire liquide où entre la noix d’arec. Journellement le cachou , dont l’action astrin- gente est analogue , à l'intensité près, à celle du bétel, est mis en usage contre une pernicieuse atonie. L'eau de chaux cou- pée de lait, s'emploie dans les cas de diarrhée chronique et de dyssenterie ; les calciques solubles, en général, sont des stimulants. D'une autre part, nous ferons certaines réserves. Lorsqu'il préconise et signale les excitants digestifs, Péron ne nous pa- raît pas avoir compris le rôle des alcooliques. Ils produisent une excitation passagère suivie d’un affaiblissement considé- rable. Ils sont funestes surtout dans les climats excessifs: Quant au bétel, M. Lesson assure que sa mastication n’a rien de désagréable et que, bien qu’il noircisse l’émail des dents, il n’attaque pas les membranes buccales. 11 ajoute qu’il cause un peu d'ébriété au début, mais que bientôt on éprouve une sorte de bien-être. Nous nous demanderons, en conséquence, si l’on ne doit pas supposer que l’action narcotique et éni- vrante a contribué, au moins autant que l'hygiène, à répandre le bétel. Les hommes ont toujours recherché ces fruits du lotus, qui, suivant Homère, faisaient perdre le souvenir de la patrie. Nous ne croyons pas que le poète antique fasse allusion au jujube, comme le pensait un peu naïvement le botaniste Desfontaines, mais bien à quelque préparation analogue au hatchis, à l’opium ou au bétel. Un sujet plus humble, mais d’un haut intérêt scientifique, est traité dans un Mémoire de Péron et Lesueur, dont il ne 17 —— 958 — reste qu'un fragment. |Voy. aux t. austr.,t. 1f, p. 373.) Péron s’occupe de l’art de conserver les animaux pour les collections zoologiques, et des moyens de les rapporter des lointains voyages dans le meilleur état. De préférence à la porcelaine ou au bois, il recommande les bocaux de verre à large ouver- ture, rejette, pour la fermeture, la cire molle, le mastic de vitrier et le parchemin, et conseille d'employer des bou- chons de liége avec un lut de résine {brai sec des marins), d’ocre rouge, de cire jaune et d’essence de thérébentine. II donne à ce mélange le nom de /ithocolle. Pour les liqueurs conservatrices, le sublimé dissous est trop cher et trop dan- gereux, l’eau salée complétement inefficace. L'huile a réussi pour quelques petits mollusques , et mieux encore le vinaigre salé et imprégné de poivre et de piment ; mais l'alcool est tou- jours préférable. 1] rappelle qu’il s’en procura à tout prix, par les emprunts les plus onéreux, et qu’à ses instances, les offi- ciers consentirent généreusement à abandonner leur ration de tafia. (Ce liquide est excellent pour les mammifères , et c’est ainsi qu'est parvenu au Muséum, en parfait état, le gi- gantesque exemplaire du gorille du Gabon.) Péron recom- mande d'employer la liqueur spiritueuse la plus incolore pos- sible et affaiblie de 16° à 22° Cartier. Le camphre est très utile à ajouter dans les pays chauds, surtout pour les reptiles. Il ne faut pas immerger simplement les animaux, à nu ou dans une chemise de toile, car les mucosités ainsi retenues ne tardent pas à altérer l’objet. On ne doit pas superposer dans le même vase plusieurs animaux séparés par des linges, car la corruption d’un seul entraîne celle des autres. Péron avait eu l'excellente idée de faire flotter les animaux au moyen de liéges et de maintenir verticalement, par des anneaux de liége espacés , les longs reptiles ou poissons. On a conservé aujourd'hui les mêmes précautions, seulement on emploie — 259 — comme fiotteurs, des ampoules creuses de verre, préférables au liége. Les grandes espèces exigent, dit Péron, l’éventra- tion, l’éviscération même, et mieux les injections. Par un de ces contrastes auquel ce talent flexible nous a déjà habitués, les travaux de Péron se terminent par un Mé- moire administratif et économique intitulé : T'ableau géncral des colonies anglaises aux terres australes, en 1802. [Voy., t. I, p. 393.) Ces pages n’ont rien perdu de leur intérêt et peuvent encore fournir d’utiles aperçus à l’homme politique et au philosophe. Elles se prêtent peu à une analyse succincte. L'auteur vante les bons résultats de la liberté des convicts et de leur union avec les prostituées devenues honnêtes et fé- condes, les mesures habiles du gouvernement anglais, et pré- dit la splendeur future des colonies australiennes. Maintenant, devons-nous parler du style de Péron? Nous avons déjà eu occasion d’en faire une mention fréquente en analysant ses propres écrits et les écrits de ceux qui se sont occupés de lui. Nous courons donc le risque de paraître nous répéter. Toutefois, notre tâche semble nous imposer le devoir d’une appréciation plus développée. _ Il est certain que, dans quelques parties des ouvrages de Péron, dans les premiers surtout, on trouve quelque chose de ce ton un peu emphatique , déclamatoire qui déparaît assez souvent , il faut bien l'avouer, les plus belles productions lit- téraires du xvrrr° siècle, et qu'avait encore exagéré la langue des passions révolutionnaires. Mais, à part ce défaut, beau- coup plus rare qu’on ne l’a prétendu, quel style coloré, plein d'images, plein de mouvements nobles ou pathétiques ! C'est de l’éloquence véritable (1). Comme l’a remarqué un (L) Voir la Phosphorescence de la mer, (Voy. aux terres austr., t. 1. p. 38.) — La Nouvelle-Hollande et la terre de Diémen. (Id., p. 463, ete.) 00e critique, quelquefois on croirait entendre Buffon lui-même. Quelquefois aussi on pourrait dire de lui, comme de Bernar- din de Saint-Pierre, qu’il a le don si rare d’une organisation qui égale la fidélité du style à la vivacité des impressions, et qui reproduit au dehors tous les contours, et, pour ainsi parler, tous les éléments des images qui sont venus les frapper (A). Mais Péron n’est pas seulement un écrivain qui excelle dans les descriptions ; pour les démonstrations, pour les discussions scientifiques, il a une parole nette, lucide, précise, sans ex- clure l'élégance. Et ces qualités solides ou brillantes, il les portait encore dans d’autres questions, comme on pourra en juger par les quelques lignes que nous nous faisons un plaisir de transcrire (2). « Toujours sublime dans ses opérations, la nature semble ; S'être assigné à elle-même ses lois immuables qu’on ne sau- » rait impunément la forcer à franchir. Toujours sûre d’at- » teindre le but qu’elle se propose, elle y marche d'autant » plus certainement qu’elle s’en approche plus lentement. » Vouloir l'y précipiter, c’est la retarder, c’est contrarier et » ses plans etses moyens d'exécution. Le temps est le premier » de ses moyens; il faut luien laisser la disposition toutentière. » Transportés tout-à-coup des régions tempérées de la » Seine sous les régions brûlantes des tropiques, les arbres > que nous portions avec nous, peu préparés à cette tempéra- » ture fécondante , privés du repos ordinaire’ que la nature » leur accordait pour réparer leurs forces épuisées, nos ar- (1) Dussault, Annales littéraires. (2) L'éducation prématurée , fragments inédits de Péron. (Magasin pitto- resque, 26° année p. 147.) Puis, en note, l’éditeur ajoutait : Un savant profes- seur à la bonté de nous communiquer ce fragment inédit trouvé dans les pa- piers de Péron. Il y a tout lieu de penser que ces pages du célèbre Péron ont été écrites, en 1801.,à l'Ile-de-France. A bres, dis-je, se Hivrèrent rapidement à une végétation trop subite ettrop grande pour qu’elle ne leur devint pas funeste. » De longs jets s’élancèrent tout-à-coup de leurs troncs, les bourgeons se tuméfièrent , les feuilles parurent, les fleurs s’épanouirent, et les fruits bientôt leur succédèrent.… précocité funeste !.. Absorbée par cette végétation extraor- dinaire, la sève s’épuisa dans ses canaux ; les organes des- tinés à son élaboration n’étant pas préparés, les arbres lan- guirent ; leurs feuilles, amoïlies, délicates, se flétrirent ; les fleurs se fanèrent ; les fruits, à peine formés, maigrirent et tombèrent ; et si la main intelligente du jardinier n’eût re- tranché promptement toutes les productions prématurées, les troncs eux-mêmes, languissants déjà, n’eussent pas tardé _ sans doute à périr. » Parentsindiscrets, qu’un amour trop aveugle égare, puisse cet exemple vous épargner des fautes et des regrets! De même, en effet, que la bonté, que la perfection des fruits d’un végétal dépend essentiellement de la vigueur et du tronc et des rameaux, de même, dans l’homme, le dévelop- pement des facultés morales doit toujours être subordonné à celui des forces physiques, etc., etc. » L'autographe de ces ingénieuses pensées a été donné per Lesueur à M. [.-G. Saint-Hilaire. Pour nous résumer : comme savant, Péron est un de ces chercheurs infatigables, sagaces , pleins de ressources, qui trouvent souvent et mettent les autres sur la voie ; il tient un rang des plus honorables, pour ne pas dire le premier rang, après les maîtres de la science, les Geoffroy Saint-Hilaire, les Cuvier, les Lacépède, qu’il aime, du reste, à appeler toujours ses maîtres, dont il suit constamment la direction, les instruc- tions avec une respectueuse docilité. V. Appendice , note if.) Comme écrivain, il n’est pas non plus au premier rang. = 069 mais il a des beautés de premier ordre. Il portait dans son style le feu d’une imagination qui quelquefois dépasse le but, mais aussi qui donne aux objets et aux pensées l’éclatetla vie. Comme homme, il réunissait toutes les qualités qui, même isolées, font le charme de l’existence. Il possédait au plus haut degré les sentiments de la famille ; il était excellent fils, frère tendre et dévoué ; il avait cette puissance sympathique qui attire et enchaîne les âmes : témoin cette amitié inaltéra- ble’ du compagnon de ses remarquables travaux ; témoin cette autre amitié d’un frère d'armes, qui, encore aujourd’hui, après tant d'années, ne peut parler de lui que le cœur gonflé et les larmes aux yeux ; témoins tous ces souvenirs si vivants que nous retrouvons partout, dans la famille de son protec- teur qui, à force de généreux attachement , semble elle-même reconnaissante de tout le bien qu’elle lui a fait ; dans les con- versations particulières, comme dans les éloges publics de ceux qui ont eu le bonheur de l’approcher. Entouré de ces témoignages toujours si honorables, quelquefois si touchants, nous qui, depuis quelque temps, vivons, pour ainsi parler, dans l'intimité de ses écrits, où, à côté des considérations scientifiques de la plus haute portée, nous avons rencontré si souvent des lignes de la plus profonde sensibilité, nous nous prenons malgré nous à regretter, au fond de notre âme, de n'avoir pu vivre dans l'intimité de son affection. Heureux du moins, nous disons-nous, le noble pays qui le compte parmi ses plus dignes enfants, la belle province qui l’a vu naître, tous ceux qui l’ont connu et aiiné ! Heureux nous-même si ce modeste travail ne trompe pas trop l'attente des uns et des autres, et s’il peut contribuer, pour sa faible part, à acquitter la dette commune de la reconnaissance ! FEN. NOTES. NorE I. — Collection du lycée de Moutns. Les hommes véritablement dévoués à l’histoire naturelle savent que les chaires illustres et les grands centres de collec- tions ne suffisent pas à sa propagation. L'esprit des jeunes gens doit être préparé dès l'enfance à cette étude. Il faut donc que, dans les établissements modestes où commence leur ins- truction, se trouvent rassemblées ces petites collections élé- mentaires sans lesquelles l’histoire naturelle ne sera pour eux qu’une science de mots. À l’époque de Péron, rien de régulier n'existait encore, et ce fut certes une innovation, peu comprise alors, que l'envoi au lycée de Moulins d’un certain nombre d'objets d'histoire naturelle. Ils demeurèrent longtemps dé- daignés et dans l’abandon. Ce qui en reste est devenu &’un grand secours aujourd’hui que l’enseignement scientifique a obtenu sa place légitime. Ces objets, choisis par Péron dans les collections du Muséum, appartiennent à toutes les régions. Nous ne pouvons rapporter avec certitude au voyage austrai qu'un céréope, un vanneau armé et un pluvier. En outre, dans le relevé très complet que nous devons au zèle de notre collègue, M. Pécout,se trouve l’indication de trois lépidoptè- res inédits, de la Nouvelle-Hollande. Les sujets actuels, d’une conservation satisfaisante, vu leur ancienneté, se composent de 12/4 oiseaux montés, savoir % rapaces, 34 passereaux, 40 grimpeurs, 10 gallinacés, 33 éches- siers, 27 palinipèdes, en outre, une omoplate de célacé, quei- — 96 — ques coquilles et polypiers. 411 individus, lépidoptères et coléoptères sont contenus dans dix cadres hermétiquement clos au moyen de papier collé. Grâce à cette précaution prise par Péron, la fraîcheur et l'intégrité de ces insectes sont des plus remarquables et contrastent avec l’état déplorable des débris rongés et décolorés de la collection beaucoup plus ré- cente de M. Dufour. Il est important que les précieux insectes de Péron continuent à être soustraits à l’action de la lumière. Note Il (reproduction textuelle). — /nstructions sur l’an- thropologie et sur les recherches à faire en faveur de cette branche de la science, dans un voyage autour du monde , rédigées par Cuvier, en 1800 , pour l'expédition commandée par le capitaine Baudin , et ayant servi de quide à Péron pour ses recherches pendant toute la durée de l'expédition. (Elles ont été retrouvées dans les papiers de Péron par son ami et compagnon Lesueur). Note instructive sur les recherches à faire relativement aux différences anatomiques des diverses races d'hommes. Dans une matière où les premiers pas ont à peine été ten- tés , les instructions doivent encore se réduire à un petit nombre. Ce n’est que lorsque les principales bases auront été posées qu’il sera possible de demander aux voyageurs des observations délicates. On a cru longtemps que les différences qui caractérisent les races de l’espèce humaïne se bornent à la couleur de la peau , à la consistance et à la longueur des cheveux. On a longtemps attribué la forme écrasée de la face des nègres et — 965 — de quelques autres peuples à la compression mécanique exer- cée sur les enfants. À peine pensait-on que cette compression portât ses effets jusque sur la charpente osseuse de la tête, et Daubenton écrivait encore, vers le milieu de ce siècle, que les crânes de nègre, de Chinois, de Calmouque ne lui avaient présenté aucune différence sensible avec les crânes d’Euro- péens. Après plusieurs essais infructueux pour apprécier plus exactement les différences, Camper trouva une méthode géo- métrique qui lui donna des résultats constants. Cette méthode a été perfectionnée depuis ; elle a été appliquée à un grand nombre de crânes, et on ne peut plus douter que la proportion du crâne à la face, la saillie du museau, la largeur des pom- mettes, la forme des orbites ne soient soumises à des propor- tions peu variables dans chaque race , mais assez différentes d’une race à une autre. L'influence que ces diverses structu- res peuvent avoir sur les facultés morales et intellectuelles de ces diverses races a été appréciée jusqu’à un certain point, et l'expérience semble assez d'accord avec la théorie dans tout ce qui concerne les rapports entre la perfection de l'esprit et la beauté de la figure. Blumenbach a recueilli, par une opiniâtreté de recherche très remarquable, une centaine de têtes des diverses nations de la terre. Il en a déjà publié trente ; il en a fait des compa- raisons soignées qui lui ont donné, d’une manière précise, les limites de la variabilité dans les grandes races de l’ancien continent, la caucasique ou blanche, la mongolique ou jaune, et l’éthiopique ou nègre. Il nous paraît qu’il n’a pas encore autant de certitude sur trois autres qui se rapprochent peut- être plus ou moins de l’une ou de l’autre des précédentes, la laponne ou brune, l’américaine ou rouge, et celle des îles de la mer du Sud et de la Nouvelle-Hollande, qui varie du jaune — 66 — au noir. C’est faute de matériaux, faute d'objets comparables qu’il reste encore quelque indécision sur ce sujet, et ce n’est qu'en en rassemblant qu’on pourra la lever. En vain voudrait-on s’en rapporter aux observations faites sur les lieux par des voyageurs et consignées dans leurs jour- naux. L'expérience prouve qu'en histoire naturelle, toute description absolue est vague, et que toute comparaison faite entre un objet présent et un objet absent est illusoire. Les plus grands naturalistes ont confondu ou distingué mal à pro- pos les êtres les plus faciles à reconnaître, parce qu'ils neles avaient pas à la fois sous les yeux. Que sera-ce lorsqu'il s'agira de comparer des objets dont les différences sont si dé- licates et sur lesquels on se trompe, même lorsqu'on les voit à côté l’un de l’autre. Tout le monde sait que les plus grands peintres ont souvent mal saisi le caractère du nègre et n’ont peint qu'un blanc barbouillé de sunie. Les dessins qui se trouvent dans les voyages modernes, quoique faits sur les lieux , se ressentent plus ou moins des règles et des proportions que le dessinateur avait apprises dans les écoles d'Europe, et il n’en est presque aucun sur le- quel le naturaliste puisse assez compter pour en faire la base de recherches ultérieures. Il faut donc absolument recueillir les pièces anatomiques dans un même local et les y comparer dans tous leurs rap- ports. C’est là une première base à laquelle on peut rapporter ensuite les observations sur le physique et le moral de chaque race. Les hommes eux-mêmes, rassemblés vivants, seraient sans doute les meilleurs matériaux pour une comparaison exacte des diverses variétés de l'espèce humaine ; mais sans parler des difficultés insurmontables d’une réunion de cette nature, il ne nous est pas permis, même lorsque nous le pour- rions, de sacrifier le bonheur, ni même de violer les volontés 56 de nos semblables pour satisfaire une simple curiosité philo- sophique. Des portraits vrais et nombreux et des préparations anatomiques, voilà donc tout ce que nous pouvons espérer des voyageurs. Si ces objets sont accompagnés d'observations faites avec esprit et avec soin sur les lieux, ils suffiront à nos iravaux. Il faut des études particulières pour le genre de portraits que nous exigeons ; il doit réunir au mérite des portraits or- dinaires celui d’une précision géométrique qu’on ne peut ob- tenir que dans certaines positions de la tête, mais qui doit être rigoureuse. Ainsi, il faut toujours que le profil pur soit Joint au portrait de face. Le choix des individus n’est pas in- différent lorsque cela est possible. Il en faudra prendre de divers âges , de divers sexes et de divers états dans chaque peuple. Les costumes, les marques par lesquelles la plupart des sauvages se défigurent, et que les -voyageurs ordinaires ont tant de soin de nous transmettre, ne servent qu’à masquer le véritable caractère de la physionomie. Il serait important que le peintre représentât toutes ses têtes avec le même ar- rangement des cheveux, le plus simple possible, et surtout celui qui cacherait moins le front et qui altérerait moins la forme du crâne. Tous les ornements étrangers, les bagues, les pendants, le tatouage doivent être supprimés. Il faut que le dessinateur ait étudié la dissertation célèbre de Camper sur les moyens de rendre les caractères des diverses races humai- nes, quelque imparfaite qu’elle soit ; elle lui fournira des idées qui germeront , s’il a l’esprit nécessaire à son art. Parmi les pièces anatomiques, la principale et la plus né- cessaire à obtenir, c’est la tête osseuse. On en a déjà quelques- unes, mais il s’en faut beaucoup que cette collection soit com- plète. On n’a d’ailleurs presque rien sur les différences d'âge et de sexe dans les diverses nations. Ces objets ne sont pas — 268 — aussi aisés à se procurer que les portraits ; aussi les voyageurs ne doivent-ils négliger aucune occasion lorsqu'ils peuvent vi- siter les lieux où les morts sont déposés, lorsqu'ils seront té- moins de quelque combat ou qu’ils y prendront part. Lors- qu'ils pourront, d’une manière quelconque, disposer d’un cadavre, ils doivent soigneusement noter tout ce qui a rapport à l'individu dont ce cadavre proviendra, autant qu’ils pour- ront le savoir. Des squelettes entiers seraient infiniment pré- cieux. Croirait-on qu'on n’a encore, dans aucun ouvrage, la comparaison détaillée du squelette du nègre et de celui du blanc ? La préparation de ces objets ne fera, sans doute, point de difficultés. Faire bouillir les os dans une dissolution de soude ou de potasse caustique et les débarrasser de leurs chairs, c'est l’affaire de quelques heures. Les marins s’opposeront peut-être à ce que ces opérations, qui leur paraissent barba- res, s'’accomplissent sur le vaissean ; mais dans une expédition qui a pour but avancement des sciences, il faut que les chefs ne se laissent gouverner que par la raison et qu'ils sachent l’inspirer à leurs équipages. Les os décharnés de chaque squelette seront enfermés dans un sac de toile, sans aucun ordre ; on les rassemblera en Eu- rope. Chaque tête isolée sera aussi enveloppée de peur que quelque pièce ne s’en détache. On étiquettera chaque paquet. Il serait facile à présent de rapporter des têtes en chair qui pourraient être fort utiles pour corriger et perfectionner les dessins ; il ne s’agirait que de les mettre dans une dissolution de sublimé corrosif. Après y avoir séjourné quelque temps, on les en retire et on les laisse sécher. Elles deviennent dures comme du bois, en conservant à peu près leurs formes, et sont à Jamais inattaquables aux insectes. Quoique la collection des objets ci-dessus soit intéressante — 269 — à faire partout, elle doit l’être avec plus de soin, s’il est pos- sible, dans les lieux dont les habitants ne sont pas encore suf- fisamment connus. Aïnsi les Papous, ou habitants de la Nou- velle-Guinée, que l’on a regardés longtemps comme des nè- gres , les habitants de presque toute la Nouvelle-Hollande, ceux des îles de la mer du Sud, les habitants du détroit du Magellan ou Patagons, les Madécasses, doivent surtout attirer l'attention des voyageurs. Note ILE. — Additions et rectifications. Quelques omissions se sont nécessairement glissées dans le long travail de dépouillement que nous avons dû faire de la collection du Muséum. Aïnsi, parmi les mammifères, nous re- trouvons à mentionner le maki rouge (lemur ruber), à pelage d’un roux marron très vif, avec les mains, les pieds, la queue et le ventre d’un noir foncé. La première dépouille du maki rouge qu’ait possédée le Muséum provient d’une des acquisi- tions de Péron ; mais l'espèce avait été précédemment recon- nue à Madagascar par Commerson qui en avait laissé un des- sin. (Geoff. St.-H., Ann. du Mus., t. XIX, p. 159 ; Dict. des Sc. nat.,t. XVIII, p. 122, 1823.) On doit encore à l'expédition australe une très intéressante découverte, celle de mammifères monodelphes, si rares sur le continent australien. Il s’agit de rongeurs intermédiaires entre les castors et les rats d’eau, à cinq doigts à tous les pieds, libres antérieurement, palmés aux pieds postérieurs, etc. Geoffroy Saint-Hilaire les réunit génériquement à un animal de l'Amérique du Sud, décrit par Molina, d’Azzara, Commer- son. Une espèce, Lydromys chrysogaster, fut tuée dans une des îles du canal d’Entrecasteaux ; une autre , très voisine , 3e hydromys leucogaster, vient de Pile Maria. (Ann. du Mus., t. VI, p. 81, 1805. | Par les soins éclairés du prince Ch. Bonaparte, la magni- fique collection d'oiseaux a subi un changement de classifica- tion. Nous avons pu noter un assez grand nombre d'espèces nouvelles de Péron, et ce complément ne doit pas encore comprendre la totalité ; le manque de place, qui oblige à en- tasser les objets dans des armoires trop profondes , rend les recherches ornithologiques très difficiles. Dans les grimpeurs, nous ajouterons le cacatoës rose , de l'Australie. Aux passe- reaux se rapportent la pie-grièche de la Nouvelle-Hollande, les pie-grièches asturine et gorgerette, cette dernière déjà connue par Labillardière, le Langrayen gris, le loriot varié, le traquet à plastron nor, la fauvette à gorge jaune, le traquet de l’île de Luçon, le figuier tschéric, de l’ile-de-France, Pazu vert, le bengali moucheté, le gobe-mouches noir et blanc, tou- tes espèces de Timor, le moucherolle à ventre roux, de la Nouvelle-Hollande, le martin huppé, une salangane, de Ti- mor, et une hirondelle de cheminée. | Nous citerons, près des corbeaux et paradisiers, le crave noir, les cassicans, réveilleur et anaphone, de l'Australie, le choucari vert, de Timor. Viennent encore les gros-becs , ta- cheté, domino et maïan, de Timor ; puis les phtlédons, grivelé et à bandeau, de la Nouvelle-Hollande, le grimpereau noir et blanc, le souïmanga thoracique, à thorax d’un riche violet métallique, le souïmanga souci (unique), espèce de Timor ; près des grimpereaux et souimangas, le dicée hirondinacé (unique }), de la Nouvelle-Hollande , le dicée rougeûtre, de Timor. | De nouvelles publications sur les poissons nous permettent de compléter l'exposé des découvertes de Péron. M. Hollard, dans sa Monographie des balistides, cite les monacanthus pe- dite nicilligerus et Peroni, de l'Australie {/ Ann. des Sc. nat. zool., h° série, t. Il, p. 350 et 356), le monacanthus paragaudatus (Richardson), appelé 4. spilomelanures par Péron et Lesueur, mais sans description, de la Tasmanie, le monacanthus geo- graphicus, de Péron, qui paraît à M. Hollard ne pas différer du m. chinensis. (Op. cit., t. 1, p. 347 et 359.) Il y a doute pour une espèce nommée par Péron balistes verruculosus, qui est probablement une variété du 0. aculea- tus, du vrai genre baliste, très abondant dans la mer des In- des. Le prétendu baliste , sans rageoire ventrale d'aucune sorte (Balistapodus de Péron), est resté pour nous tres incer- tain. Peut-être serait-il question d’un individu mutilé du 6. lincatus , ou genre balistapus de Tilésius et de Kaup, fondé par le premier sur un individu également mutilé. (Mém. de l’Acad.de St-Pétersbourg, t.1X.)Cetteespèce, fréquente dans la mer des Indes, est des mieux caractérisées par le petit nom- bre et le développement de ses épines caudales, et la saillie pelvienne, qui seule représente le membre abdominal chez les balistes proprement dits, y est naturellement très réduite, ainsi que le pli cutané qui la suit. Telle est l’opinion de M. Kaup et celle de M. Hollard, qui a bien voulu nous écrire à ce sujet et à qui nous adressons nos remercîments. Cuvier a appelé chironectes ponctué et unipenne les lophies hérissée et lisse de Lacépède, du voyage de Péron. Il en forme une petite subdivision, car ils ont le corps et surtout la queue plus allongée que Îles autres chironectes. Le même voyage a fourni à la collection le chironecte uni (Bosc), espèce très ré- pandue, à peau lisse, connue de Linné. (Cuvier, Mém. du Mus., t. TI, 1817, p. 424.) En ce moment même, M. Hollard publie une Monographie des ostracionides encore inédite. [Il a retrouvé certaines espè- ces du Voyage austral : ainsi, dans celles dont M. Kaup avait ro formé le genre cibotion , les ostracion punciatus et nasus, ce _dernier cité par nous sous le nom de cibotion tuberculatus (Kp). Dans les invertébrés, nous avons parlé d’une cétoine non retrouvée {celonta orpheus. Pér.). Nous avons reconnu de- puis qu'il est question de la cetonia Australasiæ , de la col- lection du Muséum {genre schyzorhina, de Kirby}, à corps noir, à élytres ferrugineuses avec une ligne jaune sinuée, si- mulant une lyre. La couleur vert émeraude, dont parle Péron (p. 169), doit seulement se rapporter à une variété, ou peut- être y a-t-il eu confusion dans ses souvenirs. Cette espèce, anciennement connue, a été rapportée abondamment par Dur- ville, par Verreaux. Plusieurs autres espèces de cétoines, toutes australiennes, ont également des dessins en forme de lyre. Les auteurs qui ont étudié les crustacés signalent l’écre- visse australienne , à carapace entièrement lisse et non fine- ment granulée comme chez notre écrevisse. Ils omettent de dire qu’elle fut connue de Péron, ce qui résulte de la phrase suivante du Voyage : « Une écrevisse fut trouvée dans les » étangs et les ruisseaux ‘au port du roi George); c’est la » Seule espèce de crustacé d’eau douce que j'aie pu voir sur » toute l’étendue de la Nouvelle-Hollande. » { Voyage aux terres austr., t. 1, p. 142. Les vélins du Muséum représentent, entre autres spongiai- res du voyage austral, la catellia clausa (Val. ), type du genre, : fondé sur la spongia delioidea de Lamarck, venant de l'ile King. La plupart des spongiaires sont encore inédits, ce qui a beaucoup limité nos recherches à ce sujet. + Note IV. — Considérations anatomiques sur l'organisation des Boschismans, et notamment le tablier (A). - A l’époque du voyage de Péron, la plus grande confusion régnait au sujet d’une difformité appelée tablier que des voya- geurs donnaient comme caractère typique chez les femmes des aborigènes du cap de Bonne-Espérance. D’autres voya- geurs contredisaient les premiers. Aïnsi Levaillant en parle, mais l’attribue à des tiraillements mécaniques ; Damberger et Barrow combattent cette opinion ; enfin Barrow est à son tour en désaccord avec Grandpré. Le travail de Péron {Voyage , t. IL, p. 304), présente, comme résultat important, ce fait, cité dans notre ouvrage, que le tablier manque chez les natu- rels des environs du Cap et devient, au contraire, un carac- tère constant de certaines tribus de la même race, plus dégradées encore et reculées dans l’intérieur du continent africain. À ce sujet, lors de la lecture du Mémoire de Péron à l'Institut, une vive polémique fut soulevée par M. Dumont, membre de l’Institut, comme l’attestent deux lettres de ce dernier adressées à M. Millin, rédacteur du Magasin ency- clopédique, et la réponse de Péron dans laquelle il compare les descriptions des Boschismans de Barrow et des Houzouanas de Levaillant. Selon M. Dumont, Péron n'avait observé le ta- blier que sur quelques femmes boschismanes, lors d’une visite à l'hôpital des esclaves, avec M. Dibbetz, médecin de la co- lonie ; il n’y avait là qu’un cas de monstruosité accidentelle, et les Boschismans étaient des esclaves marrons et non un peuple. Le descriptif Levaillant, disait M. Dumont, ne parle qu’une fois du tablier, à son premier voyage, et n’en fait plus (1) Cette note, d’un caractère Lechnique tout spécial, est imprimée de ma- nière à pouvoir être enlevée, à volonté, du volume. 18 — 254 — mention dans le second , tandis qu’il s’étend si longuement e avec des détails d’un goût équivoque sur des loupes graisseu- ses des femmes Houzouanas. | Levaillant , 2° Voy. en Afrique, t. IT, p. 105 et 106. L'objection tombe pour quiconque connaît la valeur scien- tifique de ces voyages. Vaillant ou Levaillant, de Surinam, habile chasseur, plein d’espritnaturel , mais illettré, avaït été envoyé au Cap par M. Temminck père pour tuer des oiseaux destinés à sa collection. Les notes et les souvenirs furent ar- rangés et ornés d'historiettes piquantes par un avocat d’Ams- terdam. Le grand succès du premier voyage engagea les libraires à en publier un second, entièrement fictif {car Le- vaillant ne retourna plus au Cap), avec le résidu des ancien- nes notes. Les jésuites qui, les premiers, firent mention du tablier, le regardèrent comme une sorte de voile donné par la Provi- dence pour suppléer aux vêtements. Le voyageur Léguat, du commencement du xvirr' siècle, le signale comme une peau qui pend en falbala de la partie supérieure. Péron reconnut que ce n’est pas un prolongement de la peau du ventre repliée, ni des grandes lèvres, qu'il n’est dû à aucune cause artificielle où maladive, Chez les deux femmes qu’il visita il trouva un appen- dice de plus de huit centimètres de longueur, attaché à la com- missure supérieure des grandes lèvres par un étroit pédon- cule , puis se développant en un corps plus considérable, bilobé vers sa base, simulant un pénis affaissé. Ce n’était cependant pas un clitoris allongé, car cet organe existait dans la pro- portion habituelle, ainsi que le méat urinaire; mais, faute d’un examen convenable, difficile sur des sujets vivants, Péron a commis une très grave erreur en croyant à un organe impair, surajouté sur la ligne médiane, fait contraire à l’unité de composition. Il supposait des nymphes par dessous, tandis pie que le pédoncule représentait la partie préputiale, avee le cli- toris dans sa fossette médiane , et la sommité des petites lè- vres dont les lobes étaient la portion postérieure, d’un dé- veloppement exagéré. Cuvier établit plus tard cette démons- tation anatomique sur le cadavre de la femme boschismane, dite la Vénus hottentote, morte à Paris en décembre 1815. Sur cette femme, il est vrai, le tablier avait an pédieule beau- coup plus large et était plus profondément bifurqué, ce qui rendit l'identification plus facile. Ici donc, comme toujours, les monstruosités prétendues obéissent aux lois générales. Cette hypertrophie des petites ièvres existe accidentellement chez quelques femmes d’'Eu- rope , surtont chez les sujets affectés de nymphomanie. Elle est fréquente dans les pays chauds : souvent les négresses et les Abyssinieunes sont forcées de subir l’excision de ces par- ties et leur cautérisation par le feu. Cette coutume paraît gé- nérale pour les jeunes filles de certaines parties de l’Abyssinie, au même âge que la circoncision des garcons, et une décision du Pape l’autorisa chez ces peuples convertis aa catholicisme par les jésuites portugais, afin de faciliter les mariages. D'après les dessins de Banks, Blumenbach assure que le tablier des Boschismanes peut atteindre à huit pouces de lon- gueur. Il existait chez toutes les femmes, jeunes ou vieilles, du Kraal surpris par Barrow, et elles ne se doutaient pas d’une autre conformation. On l’observe dès l'enfance, il s’allonge avec l’âge et disparaît peu à peu dans le croisement des Hot- tentots et des Boschismans. À la quatrième génération, il con- serve tous ses caractères, mais réduit aux deax tiers dans ses dimensions. Pour compléter l’étude de cette curieuse variété humaine, nous devons revenir par un seul mot sur les bourrelets des fesses chez les femmes. Ce sont des masses graisscuses , nul — 9276 — lement musculaires, s’excoriant facilement, traversées par de fortes fibres et s’enlevant aisément de dessus les muscles, grands fessiers qui ont la forme et le volume ordinaires. Le génie de Cuvier reconnut tout de suite une analogie profonde avec les énormes protubérances qui se développent autour de la vulve de femelles de mandrill, de papion, etc., à l’époque du rut. Enfin, et l’on connaît l'importance du caractère des mamelles chez les races humaines , les seins pendants de la Vénus hottentote offrent une très large aréole noirâtre, creu- sée de rides rayonnantes, à mamelon aplati et oblitéré. On a aussi signalé chez les Boschismanes un étranglement du sein dans sa région moyenne, au point de le figurer comme dou- blé, en forme de calebasse. FIN. ADDENDA. I nous a paru important de mentionner un insecte rapporté par l’expédition australe, et que nous avions omis précédem- ment. Il s’agit du prochilus australis, mâle, à élvtres rousses, à ailes transparentes avec d’étroites bandes brunes, d'environ trente-deux millimètres de longueur. Cet orthoptère, ren- contré à l’ile des Kanguroos , est devenu le type du groupe des Prochilites, de la tribu des Locustiens ou sauterelles, dans les orthoptères sauteurs. Son corps très grêle, avec les cuisses postérieures peu renflées, les ailes étroites, la tête avancée en museau lui donnent un aspect râppelant beaucoup celui des Phasmiens ou Spectres. Il établit donc un important passage entre les Orthoptères coureurs et sauteurs. (Hist, des Fns.. Audouin et Brullé, t. IX, 1836, Pillot, édit. page 135. cms res) TABLE DES MATIÈRES. TI 0T—— Programme duconcours. . page 5 | Avant-propos . ê PRENMEERE RARE. ÉTUDE BIOGRAPHIQUE. Eloges antérieurs . . page 10 | Séjour à Port-Jackson. . 32 Beb0omb a Linstitut... .. 1. . 041 !-Ile King . . . : 30 Naissance et jeunesse de Péron. 15 | Terre Napoléon, archipels. O1 Services militaires, blessure, cap- Presqu’ile de Péron. OO tivité, retour à Cérilly. 17 | Seconde relâche à Timor, chasse Relations avec M. Petitjean . 18 AULCOCOUILES CE A5 Etudes à Paris. 29 | Retour à l’Ile-de-France, séjour Départ . : 21 au Cap . LS A5 Arrivée à l’ile-de-Fra ance . 23 | Retouren Fr ance, lea tion du Arrivée à la Nouvelle-Hollande Voyage. . A6 et exploration . . . 2! | Existence à Paris, protection de Première relâche à Timor. 27 l’'Impératrice Joséphine . 50 Exploration de la Tasmanie . . : 29 | Maladie de Péron, voyage à Nice. 52 Retour à la Nouvelle-Hollande , Mort de Péron. AE o! HAAAUIES ee TL UT, 31 | Péron jugé par lui-même. 09 DEUXERÉENNR M AELCNEN. Recherches sur l’histoire natu- Recherches sur les animaux ver- relle de l’homme. . . . . 60 tébrés. — Mammifères . 93 Publication d’une brochure sur — sur les phocidés . . . 97 l’anthropologie. 62 — sur les marsupiaux. . 108 Six échelons ascendants des et — sur les monotrêmes, . 121 plades océaniennes. #60 — sur les oiseaux. . 195 Indigènes de l'Afrique australe . 7/4 — surles reptiles. . . . 135 Expériences sur la force physique BalraCiens Rue ES des peuples sauvages de la ter- Recherches sur les poissons, ot re de Diémen , de la Nouvelle- Animaux invertébrés . 167 Hollande et de Timor. . . . 80 | Insectes. 165 Causes de la faiblesse des popu- | Arachnides . AE DUT lations océaniennes. . 35 | Myriapodes, crustacés, 179 Annélides. 44164 20m Mollusques céphalopodes. : Gastéropodes Ptéropodes . Acéphales, . Molluscoïdes. . Brachiopodes . Echinodermes . Acalèphes, classification. Polypes. Spongiaires . *echerches Le Acclimatation des animaux. Sur l'habitation des animaux ma- TINS ee Phosphorescence de lai mer . FIN DE = ——— -9-9-2-0 & Température de la mer . . . . 259 Météorologie du continent aus- 242 tralien *. . +. "20e Géologie australe. , . . . . . 248 Observations hygrométriques et barométriques . . . . VO Applications de la météor ologie à l'hygiène navale. 0 2e Sur la dyssenterie des ia chauds et l’usage du bétel. . 255 Conservation des animaux dans les collections zoologiques. . 258 Appréciation littéraire des tra- vaux de Péroh.,. L'EMOCC0SS Nates.. . |. Se een | LA TABLE. HO ©-O © 0-0- ——— ERRATA. Page 929 ligne 2, mort lisez mer. 0 29 , de un lisez d’un. 63 29 , à l'intensité lisez par. 66 115 INA ‘Je, lisez , le. 80 note , de peuples lisez des. 81 ligne 25 , épreuvres lisez épreuves. 12/ L , incroyale lisez incroyable. 136 19 , une des plus petites ajoutez espèces. 110 98 Guichenault Lisez Guichenot. 2514 14, hémisphère lisez l'hémisphère. 251 45, atitude lisez altitude. f WA L'AUNCME VAN VA GPA INEREAAL BRL AT SR SR , EAP. "one MN. AA RR a n DA a Lee PERS CÉPEPT FER Lanm Da _d L} 10. Éd LAN nn AMP AN à an £ \ 2. ANT LA 0% nn AT DNS bre es ARR LPC REIN CT ER OR LOGE 1-2, à de: : NL || pi x Ne Tree AREA aa a AA 29 "| "mac Al PRET = AT «ER AR AA ARBRE Del 20 Pas pue SNA R, TOP ETTT a n° NN >, 2 - "= « a : | VTT de, és TN 022275, 22 mNNR) IR FA JA ADR DEL ON guAr* Rose VA SN nn HAS ne à 2 DUR ee € 11 La e LUS A a A4 RAR Poe, | | ra à a : LE PTE LT: Aù A Rent M LR TTULEE LIT 1 nanas PA TT À A nt = "PO AARAr- & à Là LADA [AR LN à be: rh MAAUAT | L'ART RUES aAAAnAU AAA VERRA ARA A. Re Aa 2 a à LÉ AA ER 2 w RAA A24" à ste F Ayp Li ‘IAA A ia p. 2? 1243 NN - Sere A4 ENT jh A, Aasa! MMA DA his s AR pe ù | Ses » CRT pe] NA OR RER pe une DAa 1120 Man 7" nn" on e:48 ALTR +2" M SR = £ = { =, +7 É.ab ns « : = _n- SE < m | A CUT TT PAU En $ VA NT Aana, | CLENY ogg | he. TL RE ON TIC SR ANR on LL A MA | x | LT NS AR APR 0) TE ES OT Ag aan Le A4. PRIS ds, aan. Ë * | AR ar VA | { ENVIE Dan TEL POre HER Aa fana. - 0 DRASS AAA D, NP ar (DT Ra AR ducs (aps PET ee a | Lu PTIT A At Ris RL PU ER: sua en n 5 i = Ne Fr. ! Î og LE ET EE PE PTE Per SCAEER ARE PENSE AR ER AU nl . Le , SAT \ ” | È W PS7, { “ ; - dre nrAA st AAA 5 m, Cars Le PALETTE ne’ arte LEE E WA LS AA CP RE RE AE ANT Len ne A a { à 3 A Fr 4 | A \ TA \# EL I, ee à FE Fe LA RAA | AR = Y- PNR ELEErFET. OR PET NU LES PAL CS SERRE NS EL VS L LT « Lis " FRAN: [| PEN TT de: Les \ARBIUUA | Lil 5 LA Are CUT M, A A, à PP si \ APAr | ADR AAA peint PCT L No Ne Y à r 4 d RE ur RL T iraanaa N! 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