FRAGMENS DE PHILOSOPHIE BOTANIQUE. CIVIL AROUEN:-IE 2 { c RENAULT , Libraire, rue Gantcrie, n°. 26; a BAUDRY , Imp. du Roi, rue du Champ-des-oiseaux , n°. 36, Où l’on trouve aussi l'ouvrage du‘même auteur, intitulé : ESQUISSE Du RÈGNE VÉGÉTAL, OU TABLEAU CARACTÉRISTIQUE DES FAMILLES DES PLANTES, avec l'indication des propriétés, etc., in-80., PRIX 2 fr. 5o c. 6 2.4 FRAGMENS DE PHILOSOPHIE BOTANIQUE, OÙ DE LA MANIERE LA PLUS CONVENABLE DE VOIR ET DE TRAVAILLER EN HISTOIRE NATURELLE, ET PARTICULIÈREMENT EN BOTANIQUE ; ET DES MOYENS DE RENDRE CETTE SCIENCE PLUS SIMPLE ET PLUS FACILE ; Par A.L. MARQUIS, D. M. P., Prof. de Botan. au Jard. des plant. de Rouen; de l’Acad. roy: et des Soc, d'Emul., d’Agric. et de Méd. de cette ville; corresp. de la Soc. de Médecine de Paris , de celles de Toulouse , d'Evreux , de la Soc. d’Agric. de Caen, de la Soc. Linnéenne de Bordeaux, etc. Defendat quidem quod quisque sentit, sunt enim judicia libera. Nos , nullis unius disciplinæ legibus adstricti quibus in philosophié necessario pareamus , quid sit in quäque re maximè probabile semper. Tequiremus. Cic., Tusc. 1v. A PARIS, MÉQUIGNON -MARVIS , Libraire , rue de l'Ecole de Chez Médecine , n°. 3, BÉCHET le jeune , Libraire, place de l'Ecole de Médecine , Æt chez les principaux LIBRAIRES. 1821. # ds Sy su PRE ar É j RU _ = PRÉFACE. D RE en Jz n'offre que des fragmens , parce que je n'ai voulu parler que des sujets sur lesquels il m'a semblé que j'avais quelque chose à dire qui me füt propre , et qu'il ne fût pas hors de propos de publier. Je me suis rappelé ce passage de MonraïGne (1) : »Je vouldroy »que chascun escrivist ce qu'il sçait, et »aultant qu’il en sçait : non en cela seule- »ment , mais en tous aultres subjects : car » tel peut avoir quelque particuliere science »ou experience de la nature d’une riviere »ou d’une fontaine , qui ne sçait au reste, »que ce que chascun sçait : il entreprendra »toutesfois, pour faire courir ce petit » loppin , d’escrire toute la physique. « (1) Essais, live 5, c. 304 = PRÉFACE, Voir juger d’après une lecture super- ficielle , des idées , fruit d'observations long-iems méditées , est un inconvénient trop ordinaire à qui livre ses pensées au public , pour que je ne doive pas my attendre , et que j'aie le droit de m'en plaindre. Je n'ose sur-tout espérer que beaucoup de personnes daignent,, avant de prononcer sur mon opinion , relire cet essai , quelque peu volumineux qu'il soit. Je saurai gré, du moins à ceux qui, après m'avoir lu , voudront bien prendre quelque items pour réfléchir avant de rejeter tout-à-fait mes idées. Si le jugement de l’habitude m'est contraire , celui de la réflexion pourrait bien m'être plus favorable. Il y a des idées qui paraissent si naturelles , quoiqu’assez différentes des idées courantes , qu'on risque de les PRÉFACE. vi] répandre en les combattant. On täche de les laisser passer si tranquillement, qu’elles soient à peine remarquées. Mais ce qui est naturel finit tôt ou tard par avoir son tour. On se souvient quelquefois alors d'ouvrages oubliés où l'on rappelait les principes , quand le plus grand nombre sémblait les avoir perdus de vue, ‘Hérbarum immensa contemplatio , st quis œstimet vartetatem ; numerum , flores , odores, coloresque et succos ac vires earum , quas salutis aut voluptatis hominum grati& gignit tellus. — Prin. , XVHIr. 1... Meta ‘autem scientiarum vera et legitima non alia est quèm ut dotetur vita humana novis inventis et copiis. — BAC., Nov. org. , I. 61. “TLutile circonscrit tout. — Din., De l'interpr. de la nat., 6. - Coarctet steriliorem scientiam. — Lin, ; Syst. nat., vol. x. 29. Exitus enim hujus rei est nonnullus , in its verd quæ jam fiunt esi vertiso quœædam et agitatio perpetua et circulus. — BAC. , ibid. , proëm. FRAGMENS DE PHILOSOPHIE BOTANIQUE; FRAGMENS DE PHILOSOPHIE BOTANIQUE. CHAPITRE PREMIER. Tntroduction. J IGNORE si cet opuscule augmentera le nombre, déjà trop grand, des écrits inutiles ; ce que jose assurer, c'est qu'un amour simple et vrai de la science à laquelle j'ai dû mes plus doux momens, un désir sincère de la voir devenir _ plus facile et plus substancielle, ont seuls guidé ma plume. La plupart des réflexions suivantes sont nées dans mon esprit il y a long-tems , et presque dès que je commencai l'étude de la botanique. Chargé depuis de l'enseigner publiquement , obligé par conséquent de m'en occuper d’une manière plus suivie, l'observation n’a servi qu’à les confirmer chaque jour davantage. Présenter l'étude du règne végétal sous £ (2 PAU quelques poinis de vue qui ne paraissent pas avoir assez fixé Pattention des naturalistes, per- suader à quelques-uns de s'arrêter enfin dans un chemin qui me semble éloigner du but, au heu! d'y conduire , en indiquer un plus sûr, plus #acile , voilà ce que je me propose, Je n'ai point la prétention de n'avoir dit que des choses nouvelles. Il n’y a peut-être aujour- d'hui rien de vrai qui soit en même tems abso- lument neuf. Le neuf n’est ordinairement que l'oublié. Mais ne vaull pas mieux rappeler d'utiles vérités tombées dans l'oubli, que de hasarder dés nouveautés équivoques ou inutiles ? _ Si plusieurs des choses sur lesquelles jinsiste ont déjà été remarquées par d’autres , ce na guêres été qu’en passant. J'ai tâché de les mettre dans tout leur jour et de les présenter avec la liaison et l'étendue nécessaires pour convaincre - ceux qui ne réfléchissent pas par eux-mêmes , et pour qui les vérités qui ne sont pas dévelop- pées, restent étrangères et infructueuses. Je n'ai cependant prétendu tout dire sur aucun article. Sur quelques-uns je n'ai fait que jeter quelques idces presque sans ordre. Le titre de fragmensne promet pas davantage. Le botaniste en me lisant se rappellera facilement beaucoup de détails, © 3 d'applications que j'omets souvent à dessein | (5) . Ce n’est point un livre élémentaire que j'ai fait, je m'adresse sur-tout aux hommes instruits; mais quiconque a déjà les premières notions de la botanique pourra lire ces fragmens avec quelque fruit. Il y apprendra du moins à distinguer exac- tement dans la science l'œuvre de la nature de l’œuvre de l’homme , l'étendue réelle de étendue apparente , la partie essentielle de la partie instrumentale; à ne voir jamais dans cette dernière que le moven d'arriver à Pauire, à éviter le dédale des minuties , à diriger toutes ses études vers le vrai but. | Je suis persuadé que la plupart des botanistes ont plus d’une fois reconnu , au moins d’une manière vague el générale , la nécessité des prin- cipes que jexpose ; que ceux même .qui lra- vaillent le plus ardemment en sens inverse, fatigués de la discordance , de l'incertitude décourageante qui naissent de la multiplicité et de l'instabilité des distinctions, des termes, des noms, ont plus d'une fois pressenti les avantages d'une marche différente ; mais entraînés par l'habitude , ils n’ont donné que peu d'attention à ces idées, et n’en ont point tiré les consé- quences qui en découlent naturellement. Personne ne rend plus de justice que moi au savoir des hommes célébres qui ont de nos. | (4) jours porté si loin la science de la nature; per- sonne n'a pour leurs travaux une admiration plus sincère. Quoique mes idées s’éloignent quel- quefois de celles de plusieurs d’entr’eux, je les soumeis avec confiance à leur examen, et j'ose compter sur leur approbation pour ce qu'il peut y avoir de bon dans cet essai. Qui cherche de bonne foi la vérité , n’a point à redouier le juge- ment des vrais savans. (5) CHAPITRE II. Idée que les naturalistes se font en général de l’espèce. En contemplant avec attention les êtres qui nous environnent , et dont l’ensemble compose la nature , on remarque que les uns sont presque entièrement semblables entr'eux, que d’autres ne se ressemblent que par quelques-unes de leurs parties , qu'une foule d’autres enfin se ressemblent encore moins , ou sont tout-à-fait différens. C’est la collection des êtres qui se ressemblent presque à tous égards , et qu'on désigne par un nom commun, qui forme une espèce. Ce mot, dans le langage vulgaire , ne signifie pas autre chose. Le philosophe lui-même , comme nous le verrons bientôt , ne l'entend pas autrement. Le naturaliste seul y rattache une autre idée. Nulle dificulté relativement aux espèces , si tous les individus qui composent chacune se ressemblaient parfaitement entr’eux. Mais il n’y a point d'êtres absolument semblables dans la nature ; chaque individu , en même tems qu’il ressemble à tous ceux de son espèce , en diffère (6) | cependant assez pour être reconnu. Le-plus sou- vent, outre les différences individuelles, il en présente encore quelqu'autre plus importante qui lui est commune avec plusieurs autres indivi- dus. Ces différences sont même assez marquées, assez essentielles pour que, suivant qu’on les néglige ou qu'on sy attache, le nombre des espèces puisse être considéré comme plus ou moins grand. Un groupe d’êtres regardé d’abord comme une seule espèce , peut facilement , d'après la considération de ces différences se-. condaires , être par suite regardé comme en formant deux, trois ou même plus. Maisles corps naturels, outre les ressemblancès extérieures , n’offriraient-ils pas quelque autre signe constant auquel on püt toujours et avec certitude distinguer les espèces ? Cette marque certaine, ce criterium de l’iden- tité spécifique , ne se trouverait-elle pas, pourles animaux et les végétaux, dans la succession des individus par voie de génération ? L'espèce, dans les êtres organisés peut-elle être autre chose que l'assemblage de tous ceux que l'observation nous 2pprend naître les uns des aulres ? N'est-ce pas là l'espèce de la nature, fondée sur un fait, la génération , qui lui donne une réalité que ne peuvent avoir les autres degrés de classilica- (4) tion , tels que les genres, les familles, qui ne sont que de simples abstractions ? Frappés de ces considérations , la plupart des naturalistes , dans leurs définitions de lespèce animale ou végétale , à l'idée d'êtres qui se ressemblent joignent celle d'êtres naissant l’un de l’autre par un mode constant de génération. Sans doute si quelque chose fixe les limites des espèces organisées , c'est la génération : mais jusqu'à quel point nous est-il donné de pouvoir = BAD ? AN QE e D 91 L ° les juger d'après ce principe ? Jusqu'à quel point & _; gible de l'a: j F nous est-1l possible de l'appliquer ? Le nombre des cas où nous pouvons ramener les espèces organisées à l'épreuve de la géné- ration est infiniment borné, et alors même cette épreuve nous laisse encore une foule de doutes presque inextricables. Les seules espèces dont nous puissions juger avec quelque connaissance d’après cette base , les seules sur lesquelles nous puissions faire facilement les observations nécessaires, se rédui- sent aux animaux domestiques et aux plantes généralement cultivées. Et qu'est-ce que ce petit nombre comparé à la multitude presque infinie des espèces sauvages connues ,; Ou qui nous restent à connaître ? (8) | _ Parmi les animaux domestiques nous voyons l'épreuve de la génération nous forcer de com- prendre dans la même espèce les êtres les plus différens par leur conformation extérieure. Comparez le lévrier si léger , s1 leste , au dogue pesant , au basset difforme, Qui ne les jugerait , au premier aspect, de trois espèces différentes , si l'expérience ne nous apprenait la facilité avec laquelle ces races se mêlent de même que toutes celles de chiens ? On peut faire la même observation sur les races nom- breuses de pigeons. Dans le règne végétal, que de différence de forme et de saveur entre ces variétés si pre- cieuses et si multipliées de poires, de pommes, qui font la richesse de nos vergers , lornement de nos tables , les délices de notre goût ! La plupart des observateurs n’admettent cependant qu'uné seule espèce de Poirier , qu'une seule espèce de Pommier , dont ils font naître cette foule de variétés. Si d’autres pensent qu’on doit en admetlre plusieurs espèces , c’est sans pouvoir motiver suflisamment cette opinion. Ges arbres sont par tout dans nos vergers , ils sont l’objet de nos soins journaliers, néar- moinsils n’ont encore pu être assez bien obser- vés dans leur multiplication par les semences; pour qu'on puisse rien prononcer de positif à / (9 ) cet égard. Il est même fort douteux que les expériences les mieux suivies nous donnassent la parfaite solution de ce problème. Les variétés paraissent moins nombreuses dans J'état de nature ; mais il n’en est pas moins vrai que nous ignorons tout-à-fait jusquà quel point, dans cet état même, par la différence du climat et des circonstances de tout genre dans lesquelles ils peuvent se trouver , des individus provenus originairement des mêmes parens , ou de semences recueillies sur la même plante, peuvent différer entr'eux , et sur-tout dans leur postérité, après un grand nombre de générations successives. Tout est mouvement dans la nature ; le tems ne Jui manque pas plus que la force pour opérer les plus grands changemens. Quelles révolutions terribles , quelles altérations lentes et progres- sives n'a pas subies le globe que nous habitons, et combien nont-elles pas dû influer sur les espèces qui le couvrent ! Il sen perd , il s’en forme de nouvelles. Le premier fait est constant quant aux animaux , les recherches géologiques modernes , et sur-tout l’'admirable découverte de tant d'animaux fossiles , de ces espèces , de ces genres du monde primilif , recréés pour ainsi dire à nos yeux par le génie de Cuvier, (10) ne laissent aucun doute à cet égard. Parmi les débris fossiles, ceux mêmes qui semblent appar- ienir à des espèces encore existantes offrent souvent des différences qui prouvent combien, depuis ces premiers âges du monde , elles ont été puissamment modifiées par la main du tems. Les plantes du monde primitif ne sont pas arrivées aussi entières jusqu'à nous. Les frag- mens , les impressions que nous en trouvons cà et là dans les entrailles de la terre , n'ont pas été étudiés avec le même soim , la même sagacité que les débris d'animaux auxquels ils sont mêlés, Cependant, une feuille de Palmier, dont l'impression trouvée dans le calcaire des environs de Paris ne peut être méconnue , des tiges de Bambou , des empreintes de Fougères exotiques , de plantes analogues aux Casuarina et d’autres inconnues, trouvées dans des houilles en France , prouvent suflisamment que la végétation de nos pays ne fut pas moins différente autrefois de ce qu'elle est aujourd’hui, que les animaux du même tems le furent des nôtres. Probable- ment quand les Palæotherium ; les ÆAnoplo- therium erraient autour des lacs qui couvraient alors le sol où s'élève aujourd'hur Paris, des végétaux, tout différens de ceux que nous voyons protégeaient de leur ombre ces singu-" liers animaux et fournissaient à leur nourriture. (nu) Sans doute bien des espèces végétales se sont anéanties comme ces races d'animaux, La bota- nique fossile plus avancée en fournira peut-être un jour les preuves irrécusables. Mais quel sera le Cuvrer de cette branche de l’histoire naturelle ? Livré , Apaxson, VVirnenow pensent que le nombre des espèces va toujours croissant par le moyen des générations hybrides. Suivant d’autres (1), les circonstances locales peuvent à la longue influer assez puissamment sur les êtres vivans pour les modifier , leur imprimer des différences qui se perpétuent, et produire ainsi des espèces nouvelles. Il n'est pas invrai- semblable que par ces deux causes, quoique plusieurs espèces puissent avoir disparu de Îla terre, le nombre n’en soit cependant aujourd’hui plus considérable que dans les tems anciens ; qu'il m’existe entre les êtres qui peuplent l'univers, des différences plus nombreuses que dans dt, tems plus rapprochés de son origine. Nous voyons quelquefois dans nos jardins des individus si différens provenir sous nos yeux de semences recueillies sur la même plante , que nous devons êlre circonspects et nous bien garder de considérer lésèrement comme indi- (1) Lamarcx , Philos, zool, | ( 12 ) quant des espèces distinctes , toutes les diffé. rences qui ne sont pas telles qu'on ne puisse raisonnablement les regarder comme ne pouvant en aucune facon être accidentelles. Mais si toutes les plantes nées d'une mème semence, quelque différence qu’elles présentent d'ailleurs, ne peuvent êlre regardées comme d'espèces différentes, une différence qui se per- péiue constamment par les semences n’est pas tou- jours suflisante pour établir une espèce distincte. Quelques espèces jardinières de pois , de haricots , ete. , qui ne sont généralement regar- dées que comme de simples variétés par les naturalistes , se propagent régulièrement par celte seule voie. L'épreuve de la sémination qu'il semblerait si naturel de resarder comme la pierre de tou- che des espèces végétales, est donc un moyen non seulement presque toujours impralicable , mais souvent même trompeur. Si c'est sur Île fait de la génération que sont fondées les espè- ces naturelles, convenons du moins qu'il nous aide peu à les reconnaitre. Aussi n'est-ce jamais d’après ceite épreuve que chaque jour nous voyons les descripteurs établir de nouvelles espèces ou en réunir d’an- (15) D » " ciennes. Jamais dans ces changemens sans fin ils n’ont recours à l'expérience. Ils ne consultent absolument que les différences et les ressem- blances que chacun apprécie à sa manière, Par une contradiction journalière , en même tems qu'on regarde les espèces comme fondées essentiellement sur la succession parles semences, on n'en Juge cependant que par les seules dif- férences. Mais nous avons vu combien il s’en faut que les différences extérieures donnent tou- jours la certitude de la non identité spécifique. En voulant ainsi juger d’un fait qui échappe _ le plus ordinairement à nos recherches, par des conformations qui n’en sont pas le signe assuré , on a dû tomber fréquemment dans l'erreur , et en tächant d'en sortir ne faire qu'en chan- ger perpétuellement. On a dû se tromper et changer d'autant plus quon a voulu préciser davantage. Les deux seuls moyens qui semblent pouvoir nous aider à déterminer les espèces, sont donc bien loin de lever nos doutes dans tous les cas. Presque toujours 1l nous estimpossible de remon- ter jusqu'à leur principe naturel, celui de la reproduction ; et quand par hasard nous pou- vons recourir à cetie épreuve , nous la trouvons sujette à une foule d’exceptions. L'observation (14) des ressemblances et des différences reste pour derrière ressource. Mais l’infinité de nuances que la nature nous offre par tout , admet à tout moment l'arbitraire et laisse l'observateur libre _de réunir ou de séparer, suivant son caprice. Le peu de régles qu'on a cherché jusqu'ici à établir à ce sujet sont vagues et tout - à - fait insuflisantes pour nous conduire à quelque chose de fixe. Les chimistes ne seraient-ils pas tombes dans une erreur à peu près semblable , en rattachant l'idée de l'espèce minérale à la composition des corps, dont l’homme ne peut espérer d’avoir jamais la connaissance parfaite , absolue ? Fonder la distinction des espèces sur un fait à l'égard duquel nous ne pouvons avoir que des notons relatives , incertaines et nécessairement varia- bles suivant le progrès de la science , n'est-ce pas le moyen sûr de n'avoir jamais d'espèces fixes , ni par conséquent de nomenclature déterminée ? Las je CHAPITRE IL Théorie des classifications. La nature est immense; l’esprit humain est resserré dans d'étroites limites. De là, la néces- sité de la distribution des êtres et des idées que nous en avons, en classes , genres, espèces. C’est un artifice dont l’entendement humain a besoin pour se soutenir , qu'il emploie naturellement et comme par instinct, sans lequel l'édifice de nos connaïssances {1}, sans lequel les langues mêmes n’eussent jamais pu se former. Ce que je vais avancer paraïira singulier , sans doute, mais n’en est pas moins vrai, Ce n’est point aux naturalistes qu'il faut receurir pour se faire des idées justes de ce qu'on doit entendre par espèces et genres. Nous risquerons moins de tomber dans l'erreur en cherchant des rotions précises sur ce sujet dans les ouvrages des philosophes qui ont su £ ail ES eu & > £ DR ta rest à remonter jusqu'aux premiers principes de toutes (1) » Si nous navicns ni genres, ni espèces, nous ne Pourrions raisonner sur tien. [Nous ne raisonnons qu'avec 3 7 à = 4 + le secours de ces dénominations. « Conpirzac, Logs., 11, © 5e (16) nos connaissances, et qui n'ayant point fait de catalogues d'histoire naturelle , n'ayant jamais songé à établir de nouvelles espèces ou de nouveaux genres , Sont par Conséquent sans prétention , sans intérêt personnel à cet égard. Il est d’ailleurs quesüon ici, non d’un fait parti- culier d'hisioire naturelle , mais d’un point abs- trait de théorie générale , qui s'applique non seulement à l’histoire naturelle , mais à tout ce qui peut faire l'objet de nos études. Locke , dans le troisième livre de son essaï sur l’entendement humain, a traïté fort au long la question des genres et des espèces (1). Il a remarqué (2) qu'au moins par rapport à nous, la distincuion des espèces d'animaux et de plantes ne doit point être considerée comme fondée sur la génération. S'il n’a pas appuyé cette vérité des preuves les plus propres à la mettre en évidence , s’il ne la pas développée comme j'ai tâché de le faire plus haut, il l’a du moins reconnue et proclamée. ; Mais personne n’a mieux suivi la marche , mieux exposé le travail de l'esprit humain dans l'établissement des genres et des espèces , que Coxpirrac. Son opinion au reste ne diffère pas (1) Voyez sur-tout les chap. 3 et 6. (2) Jbid. chap. 6, &. 23. de Ca) de celle du philosophe anglais dont il n’a fait sur ce point, comme presque en iout, que rendre la doctrine plus claire, plus précise. Ainsi que Locre , il ne voit dans cette distribution des êtres en classes subordonnées, que les bornes de nos facultés nous rendent nécessaire , que ouvrage de l’homme et non celui de la nature elle-même. Nulle part ce sujetn'est micux présenté que dans sa logique (:). Trop long pour que je le transcrive, ce morceau est en même tems irop PAR : lcotdacile de Labreocs £ précis pour qu'il soit facile de Pabréger. Je vais iâcher cependant d'en extraire ce qui s'applique le plus spécialement au sujet qui m'occupe. » Il n'existe dans la nature que des individusi » Nous n'avons pas imaginé des noms pour chaque individu ; nous avons seulement distribué les individus dans différentes classes que nous distinguons par des noms particuliers ; et ces classes sont ce qu'on nomme genres et espèces. » C’est uniquement par cet artifice que nous mettons de l'ordre dans nos idées. Mais cet arti- (1) Part. 1 ,c. 4, et 11€. part., c. 5. Voyez aussi Orig. des conn. hum. , part. 1 ,sect. D ; et Traité des sensat, , part. 4, Ce Ge 32 (18) fice ne fait que cela; et il faut bien remarquer qu'il ne peut faire rien de plus. En effet, nous nous tromperions grossièrement si nous nous imaginions qu'il y a dans la nature des espèces et des genres , parce qu'il y a des espèces et des genres dans noire manière de concevoir. » L'art de classer , si nécessaire pour se faire des idées exactes, n’éclaire que les points prinei- paux : les intervalles restent dans l'obscurité , et dans ces intervalles les classes mitoyennes se confondent c. » Il est une foule d'êtres qu'on peut indiffé- remment placer dans telle ou telle classe , dans un genre ou dans un autre , auxquels il n’y a pas plus de raison pour donner ce nom-ci que celui-là. + 1 » Plus notre discernement se perfectionne , plus les classes peuvent se mulüplier ; et parce qu'il n'y a pas deux individus qui ne diffèrent par quelqu'endroit , il est évident qu'il y aurait auiant de classes que d'individus , si à chaque différence on voulait faire une classe nouvelle, Aiors il n’y aurait plus d'ordre dans nos idées, et la confusion succéderait à la lumière qui se répandait sur elles lorsque nous généralisions avec méthode, ( 19.) | » Il y a donc un terme après lequel il faut s'arrêter ; car s'il importe de faire des distinc- tons , il importe plus encore de n’en pas trop faire. Quand on n'en fait pas assez, s'il y a des choses qu'on ne distingue pas, et qu'on devrait distinguer , il enreste au moins qu'on distingue. Quand on en fait trop , on brouille tout , parce que l'esprit s'égare dans un grand nombre de distinctions dont il ne sent pas la nécessité «. Combien de naturalistes , s'ils avaient lu ces réflexions avec l'attention convenable , avant de commencer leurs livres, les eussent faits plus courts et eussent travailié sur un plan tout différent ! Aïnsi le philosophe , comme Île vulgaire , ne voit dans les espèces que des rapprochemens d'êtres qui se ressemblent plus enir'eux qu'ils ne ressemblent aux autres , et que nous sommes convenus de désigner sous un nom commun; et non pas des groupes exactement déterminés par la nature elle-même et dont elle ait irrévoca- blement tracé les limites. Dans cette réduction. des êtres en espèces, la seule condition essen- telle c’est que notre arrangement ne soit pas en contraste évident avec leurs rapports réels, 1e les mêmes noms ne soient pas appliqués à Le des êtres entièrement dissemblables, (so). Il est clair que , sous le point de vue sou$# lequel nous venons de les considérer , les espèces ne sont que de véritables abstractions , et que. Fhomme , suivant qu'il lui paraît convenable au but qu'il se propose , peut en admettre plus ou moins , étendre ou resserrer les groupes qu'il a faiis pour son usage. ne (+ Voilà iout le mystère dela théorie des genres et des espèces. C’est en voulant absolument y chercher quelque chose de plus qu’on a fini par embarrasser la science de la nature de iant de vaines difficultés. (21) CHAPITRE IV. Abstractions réalisées. — Méthodisme. — Sources d’erreurs. C’est une des sources les plus fécondes d'erreurs et de discussions , que le penchant de lhonime à réaliser les abstractions de son esprit, à regarder comme représentant des êtres vérila= blement existans les idées générales qu'il s'est faites en considérant un grand nombre d'objets ou de phénomènes sous quelque point de vue qui leur est commun (1). Après avoir, par un artifice que rendent néces- saire les bornes de ses facultés , distribué les êtres naturels en diverses classes , établi des gen- res, des espèces , et imposé des noms à ces divers groupes , il s’habitue à ne plus voir les objets que de cette manière ; 1l finit par attribuer ces arrangemens à la nature elle-même; elle devient réellement à ses yeux telle qu'il la supposée d'abord pour sa commodité ; il prend pour ouvrage du créateur ce qui n’est que le sien, La plupart des naturalistes sont tombés dans (1) Voyez Conpirrac , Ess. sux l'orig. des conn. hum. ;. part, 1, Secb D) 57, 14 » (22) cette erreur à l'égard des espèces, et beaucoup même à l'égard des genres. S'ils conviennent en général aujourd'hui que les genres sont leur ouvrage , presque tous attribuent encore les espèces à la nature. Quoique Burrox ait reconnu des premiers que, dans la nature , nous ne voyons bien distinc- tement que les individus, il rattachait trop abso- lument l’idée de l'espèce à la génération pour que ses idées aient été parfaitement justes à cet égard (1). M. ne Lacépëne est un des natu- ralistes qui me paraissent avoir considéré les espèces sous le point de vue le plus vrai, le plus philosophique (2). L'opinion de la réalité des espèces, telles du moins qu'on les conçoit ordinairement , une fois établie, la recherche des limites que la nature avait dû leur tracer en devenait une suite natu- relle., En vain quelmues observateurs, frappés de l'indécision de ces limites, de la difficulté de distinguer au milieu de tant de nuances celles constituent =. espèces ou de simples variét qu n1 Cal C5 3 (1) Hist. nat,, tom. 1, p. 58, (2) Voyez Disc. sur la durée des esp. BuFrox, éd. de SonniNt,te 1, Pe 3724 Voyez aussi Sonxint, Hist. despoiss. plan a te 12: pe 29« (25) reconnurent-ils , comme Ananson, que » c’est un champ où chacun erre en pleine liberté « (1) ; la foule continua de croire à la circonscription précise des espèces, à la possibilité de la recon- naître, et s’opiniâtra dans cette recherche. Cette idée séduisanie , mais illusoire |, d’une sorte de précision mathématique qui serait sans doute fort commode pour nous , maïs qui ne paraît point être entrée dans le plan de la na- ture, si supérieur à nos conceptions , devint la pierre philosophale des naturalistes. Comme celle des alchimistes , elle a donné lieu, par les efforts qu'on a faits pour y parvenir, à quelques obser- vations importantes ; mais elle a bien plus nui à la science en dirigeant une foule de travaux vers un but purement chimérique. L'esprit humain ne s'arrête presque jamais dans ce juste milieu où se trouvent ‘également le vrai, le bon, lutile. Il s’égare toujours dans les extrêmes. Long-tems on ne songea à intro- duire dans les sciences ni classification rigou- reuse , ni nomenclature méthodique. Après divers essais, plus ou moins heureux, paraît um homme de génie qui porte dans les diverses par- ües de l’histoire naturelle l’art de la-classifica- (1) Anaxs., Fam, des pl, & 1,p: 110 . CS tion à un point assez voisin de la perfection % laquelle il est permis aux hommes d’aspirer. De ce moment , la classification devient la partie essentielle dans les sciences naturelles, on ne veut plus voir que classes, ordres , genres, espè- ces.On se figure qu’il est possible de parvenir dans ces distributions à une minutieuse exactitude, à une sorte de perfection absolue ;etpoury arriver. on tètonne, on se tourmente , on essaie toutes les combinaisons , en rapproche , on éloigne, on divise sur-tout d’après les plus nunces. dif- férences , dans lespoir toujours décu d’avoir enfin des genres et des espèces dont les carac- ières ne souffrent point d’exceptions ; ‘mais la nature semble se plaire à déjouer tous ces petits calculs, à conträrier tous ces arrange- mens systématiques , et après tant d'efforts, tant de changemens, on se trouve plus loin que jamais du but, on s'entend, on s'accorde moins que jamais , et létude de la nature, au lieu d’être plus facile, est devenue presque inabordable, | N'est-ce pas la preuve bien évidente que cette précision sévère , objet de tant de vains travaux, n’est pas dans la nature des choses ? C'est le sentiment de la faiblesse de notre intelligence qui nous fait désirer qu'elle y fût, et nous porie à ly supposer. Bacon a parfaitement 635). connu cette propension de l'esprit humain (1). H faut se fixer à quelque chose , ou la science ne peut manquer d’être perdue. Tout change- ment qui n'est pas nécessaire , indispensable , doit être sévèrement condamné. On abase singulièrement de nos jours dans presque toutes les sciences , de ce qu’on appelle méthode. On multiplie sans fin les distinctions, et chacune amène un nom grec nouveau. Tout. cet appareil qui ne fait qu'offusquer le fonds, la partie vraiment utile, celle qui s'applique à l'usage , occupe une place énorme dans nos livres. À force de vouloir être méthodique , on devient minutieux , long , embarrassé , obscur. La con- fusion naît de l'amour outré de l’ordre {2). (1) Zncellectus humanus ex proprietate sud facilè sup- ponit majoren: ordinem et æœqualitatem in rebus, quam invenié ; ef cum mulla sint in naiur& monodica et plena imparilatis , tamen affingit parallela et correspondentia et relativa quæ non sunt. Nov. organ. scient., lib. 1, $. xLv. Incellectus humanus fertur ad abstracta propter natu- ram propriam ; alque Ca quæ fluxa Sunt fingié esse constantia. Ibid. &, Li. (2) Methodus enim iterationes et prolixitatem gignit, æquè ubi nintia est ac ubi nulla., (BAcoN, parase, , ad, Histor, natur., . 1.) (26) Rien n'est si différent du véritable esprit de methode que le méthodisme. Le méthodiste rigou- reux cherche par tout l'absolu , tandis qu'il n'y a presque rien de tel dans la nature. La vraie méthode n’est point inflexible, elle admet les exceplions , les anomalies; elle n’a pour but que de faciliter l'étude ; elle s'attache sur-tout aux choses , le méthodisme sur-tout aux formes et. aux mots, il ne voit que des détails, il ne se plaît qu'à diviser ; la vraie méthode ne sépare que ce qu'il est utile de séparer. Le méthodisme dans les sciences, de même que l'ordre minu- lieux dans la vie ordinaire , n’est propre qu'à rétrécir l'esprit. Cherchons-nous dans la nature des espèces, des genres séparés par des intervalles bien marqués ? Nous y cherchons ce qui n’y est pas. Cherchons-nous seulement des divisions com- modes ? N’en faisons pas trop. On perd tout Pavantage des distributions méthodiques en en multipliant Îles membres à l'infini. Les diffé- rences ne manqueront jamais à l'observateur minutieux pour motiver des coupes nouvelles. Trop , de même que trop peu diviser sont deux extrêmes dont il faut s'éloigner égale- ment , en présentant le tableau de la nature, si l'on veut qu'il offre une instrection en même tems solide et facile, 6270) Si des divisions en trop petit nombre n'indi- quent qu'une connaissance encore imparfaite et peu approfondie de la nature , et caractérisent l'enfance des sciences natureiles , des divisions trop nombreuses , nées de la considération mi- nutieuse des différences plus ou moins marquées que présentent toujours les objets même les plus analogues, caractérisent cette autre époque, que Jj'oserais presque appeler leur vieillesse , si homme n’était pas toujours jeune dans l'étude de la nature. Comme elle n'offre plus alors aussi fréquemment à l'observateur des objets entière- ment neufs, 1l en crée en quelque sorte de fan- tastiques, en subdivisant sans fin ceux qu'il a sous les yeux, et se plaît à repaître ainsi son esprit d'une augmentation apparente de connaissances. L'influence de cette idée chimérique d'une précision absolue s’est sur-tout fait sentir en botanique. C’est à l'égard des plantes , où le nombre des êtres et leur variabilité sont pres- que sans bornes , que le méthodisme s’est montré le plus scrupuleux, le plus obstiné dans la vaine recherche des limites naturelles des groupes ; qu'il a le plus multiplié les changemens sans but; qu’enfin , en cherchant l’ordre absolu , il s'est le plus écarté de l'ordre véritable. CHAPITRE Y. Etat actuel de La botanique relativement aux espèces. Species qui laboriosè perperäm multi- plicaverit œquè errat ac ille quE “omnind discordes combinaverie. Linn., Syst, nat., vol. 10, introd, Lorsqu'une branche des sciences naturelles a successivement occupé les veilles d'un grand nombre d'hommes laborieux qui ont observé toutes les différences essentielles que présentent entr'eux les êtres qui en font l'objet, on voit bientôt les successeurs de ces savans se ratta- cher aux minuties négligées par les premiers , et se tourmenter de toutes les manières pour leur donner de l'importance. Elles sont en effet alors la seule ressource. de ceux qui pensent qu'on ne sert les sciences nalurelles qu en Lu tant aux catal ogues. * Chaque homme qui s'occupe d’une science a la prétention de s'y distinguer. On veut à tout prix donner ou paraitre donner quelque chose ( 29 ) de neuf. Décrit-on les plantes d’un pays ,on ne croit pas pouvoir se dispenser d’y faire figu- rer quelque espèce nouvelle. C’est une sorte d'obligation qu’on contracte en entreprenant un pareil iravail (1). On la remplira, n'importe _comment , il faudra bien que Îa nature s'y prête ; mais elle est si riche , si variée dans ses productions , que celui qui veut absolument faire quelque espèce , n’a pas ordinairement besoin de chercher beaucoup pour rencontrer une différence qui paraisse la motiver. Quelque légère nuance dans la forme de tel ou iel organe , quelques dents , quelques poils de plus ou de moins sufliront pour cela. Dès qu'un homme a fait quelque découverte de cette importance , il se hâte de la consacrer par un nom spécifique lan, ou mieux encore grec , bien ou mal choisi, et il prétend , souvent : même 1l croit avoir fait beaucoup pour lavan- cement de la science. (1) » C’est un grand abus, dit Apaxson (Fam. , préf., pe 141 ), que la multiplicité de ces catalogues ( ilores, jardims, etc), abus qu’entraina le Pinax de C. Baunin, en faisant des nommeurs de plantes, qu'on me passe ce terme qui me paraît meilleur que celui de nomenclateur , nominateur ou dénominateur, « ADpanson comptait alors ( 1763) plus de 509 vol. de catalogues, Combien il faudrait aujourd’hui augmenter ce nombre ! (50) Mais le nombre des différences bien marquées; de celles qui méritent d’être érigées en espèces, c'est-à-dire , consacrées par un nom, est déjà si prodigieux dans la nature , et sur-tout dans certaines classes telles que les plantes , les insectes , que les naturalistes les plus sages ont cru devoir établir en principe de négliger toutes les différences plus légères qui consti- tuent ce qu'ils appellent de simples variétés, Aucun principe en histoire naturelle n’est plus important que celui-là. Aucun cependant n’est plus violé. Observer des phénomènes encore inapercçus “et dignes d'attention , lier entreux des faits jusqu'alors isolés , reconnaître entre les êtres des rapports nouveaux, voir les grandes parties de la science sous quelque face neuve et féconde en résultats intéressans, perfectionner les bonnes méthodes de manière à rendre l'étude plus facile , offrir aux hommes dans quelque espèce vraiment nouvelle quelque importante ressource pour la médecine ou les arts, appli- quer heureusement à quelque usage utile une espèce déjà connue, mais négligée… , c'est par de semblables travaux , ct non pas en créant sans nécessité de nouveaux noms de genres et d'espèces , qu'on sert véritablement lhistoire naturelle, qu'on recule ses limiles, qw'on mérité (257) SAS des amis de la nature, et des hommes en général (:). Dans ces ouvrages qui n’offrentique des noms, où l’on ne voit que les détails, où l’on n’observe que pour isoler, la nature même semble petite. On dirait qu’elle n’est occupée que de poils , de dents, de stries, etc., qu’elle est tout entière dans ces misères. Combien d'années peut-on passer à l’étudier de la sorte sans avoir fait un pas vers la vraie science! C’est l'extrême facilite de faire des genres et des espèces, et de prendre ainsi rang parmi les Savans , en les forçant en quelque sorte de vous citer dans les nomenclatures, qui a rendu ceite manie si générale. M yctonymee (1) Meta scientiarum vera er legitima Kon alia est quäm ut dotetur vita humana novis inventis et copüs, BAcoN, Nov. organ. scient, , lib. 1, Ç, rxxx1. Non mulièm ad rem facit luxuria illa historiarum naturalium in descriptionibus et picturis Specierum nume- rosis , afque earumdem varietaté curiosä. Hujus modé enim pusillæ varietates nihil aliud sunt quäm lusus quin dam naturœ et lascivia , et propè ad individuorum naturam accedunt : atque habent peragrationem quandan: in rebus ee amœnam et jucundam , informationem verd ad scientiam tenue SEE supervacuam. BAGON , parasc. ad Eistor. natur. , 6, 111, ( Ad fin. Noy. org.) $ (52) Il arrive souvent qu'une nouvelle espèce créée mal-à-propos , en nécessite en quelque sorte bientôt deux ou trois autres. Une plante pré- sente plusieurs variétés assez distinctes; on choisit d'abord Îles individus les plus éloignés de létat ordinaire , pour les séparer du reste et les désigner sous un nom spécifique nouveau. Mais où rapporter les individus intermédiaires qui lient celte variété au type? On ne tarde pas à en faire une troisième espèce, et le nom d’in- termeclius (1) se présente comme de lui-même. Il est évident qu’on n’a fait ceite dernière espèce qu'à cause de la précédente. Ztà unus error ex altero , ut articuli in tænid, pullulat (2). Nul accord , nulle proportion dans ces chan- gemens. Chacun ne voit qu'un côté, et le plus ordinairement un côté différent des objets. C’est la différence qui frappe l’un, c'est la ressemblance que l’autre aperçoit ; le premier sépare , le second réunit. On voit souvent le même auteur, . qui sépare icisur une différence légère, réunir ailleurs avec une différence bien plus marquée. Une espèce une fois érigée de la sorte, une (1) Beauconp d'espèces de genres différens portent aujourd'hui ce ,nom. Je ne crois pas que axé Pait jamais employe. | (2) Murray, Appar. medic., wol. 5 , page 10. fois (55) fois consacrée par un nom, qu'elle soit fille de la nature ou seulement du naturaliste, bientôt quelque auteur , jaloux de grossir son catalogue, s'empresse de la citer, elle passe de flore en flore , de livre en livre , comment douter après tout cela de sa réalité ? Le vulgaire des botanisies croirait faire une sorte de sacrilége en élevant un pareil doute. L'histoire naturelle est un pays où chaque géographe qui entreprend d'en faire la carte, croit pouvoir changer à son gré les limutes et les noms des provinces , des cantons, des paroisses. Cette rivière, dit l’un , est la borne naturelle ; c’est cette montagne, dit un autre; un troisième aime mieux terminer sa contrée par telle grande route. Aucune carte n’est d'accord avec les autres, et le simple voyageur ne peut jamais dire positi- vement où 1l se trouve. Depuis long-tems Tes espèces , les genres, ious les groupes se multiplient progressivement dans les livres des naturalistes , à mesure que l'étendue de chacun se resserre, Cette macrhe conduit mévitablement à n’en plus avoir, c'est- à-dire , au point précis d’où lon est originairement parti. Il faut alors absolument rétrograder et réunir 3 w 3 (5) ce qu'on avait séparé. ADaxson (1) a fort bier prévu qu'un jour les botanisies, en suivant Ja route qu'ils ont prise , finiraient par être acca- blés sous la masse énorme des minuties , et obligés à la fin d'abandonner les espèces pour ne s'occuper que des genres seuls. Nous ne sommes pas très-loin de ce point. En coupant et recoupant sans fin les genres et les espèces en deux, puis en quatre, ét ainsi de suite, nous faisons précisément comme celui qui convertit des pièces d'or en argent blanc, puis celles-ci en monnaie de cuivre ; la masse devient plus considérable , mais la somme est toujours la même ; 1l finit par être beaucoup plus chargé sans être plus riche (2). Etrange effet de la mode, à l'empire de laquelle les sciences même ne peuvent se soustraire! On n'hésite pas à établir ou adopter sans le moindre motif des divisions qui ne font qu'em- barrasser la science : à peine avec les motifs les plus raisonnés ose-t-on proposer des réunions qui ne peuvent que la simplifier ! On ne saurait PE (1) Fam. des pl. , tom. 1, p. 114. (2) Tell me, ye learned , shall we for ever be adding so much to the bulk , so little to the stock? STERNEe (55) se dissimuler que la manie des divisions entraîne dans un progrès à l'infini, et doit finir par rendre lhistoire naturelle inexiricable 4 on continue cependant de diviser. Pourquoi? Parce que tout le monde divise. Le dirarje? Les monographies qui semblaient devoir plus que tout auire genre: de travail, servir au véritable avancement de la science, n’ont au contraire pas peu coniribué aux progrès du mal. L'homme qui ne voit qu'un seul objet se plaît à le considérer dans ses détails les plus minutieux , et il attache de importance au plus petites choses. L'auteur d’une monographie, n'embrassant qu’un coin du tableau de la nature, croit l'agrandir en divisant sans fin , en mul- üpliant idéalement Îles êlres qu'il renferme. Décrit-il wne famille , il y établit le plus de genres qu'il peut. Se borne-t-1l à un genre, 1l ne croit jamais y trouver trop d'espèces. Et l’homme qui travaille ensuite plus en grand se croit obligé , sous peine de passer pour ignorant, d'adopter tout cela ! La science de la nature cesse d’être à la portée de l'homme s1l veut ja considérer ainsi dans toutes ses parties. Il n’en peut plus parcourir que des districts isolés, Il faut qu'il renonce à ‘espoir d'en reconnaitre toute létendue. Les (56 ) imonographes semblent travailler ou pour des hommes dont la mémoire et lesprit seraient sans bornes, ou pour ceux qui de la nature entière ont résolu de ne voir jamais qu’une classe, une famille. Leur but, s'ils veulent être vraimerit utiles, doit être aujourd'hui de resserrer et nom d'étendre. Que dire de ce tact, fruit de l'habitude d'ob- server des plantes , qui , suivant quelques botanisites, devient un guide presque sûr dans la distinction des espèces ? Parcourez les syno- nymies , le peu d'accord des auteurs vous prou- vera combien ce tact est rare, ou combien peu du moins 1l est infaillible. On ne refusera sans doute pas ce tact à Linré. Nul homme ne posséda à un degré plus éminent le génie de la botanique. Tout bien pesé cepen- dant , il paraît avoir admis trop d'espèces dans plusieurs genres. Je suis persuadé qu'il en eût compilé moins ,si,de son tems, on eût connu autant de plantes que de nos jours, si la bota- nique eût alors été ce qu’elle est aujourd’hui. Aucun naturaliste n’a cependant mieux senti, ni plus fortement exprimé combien 1l est im- portant de ne pas multiplier sans fin les espèces et les genres. Il loue la sagesse des anciens à (37) cet égard (1), et craint que la manie d’aug- menter en apparence le nombre des êtres en transformant les espèces en genres et les variétés en espèces , n’amène la ruine de la science (2). Que dirait-1l aujourd'hui ? Une de ses conclusions , à la fin des Fun- damenta botanica , est celle-ci : quod vegeta- bilium numerus ad dimidio ferè minorem redigi debeat. S'en faut-il beaucoup que l’état actuel des choses ne demande une semblable réduction ? (1) » Je crois que , nos distributions méthodiques à part, les anciens avaient le coup d’œil aussi exercé que nous pour distinguer les objets dans la nature, et nous le voyons par les herbiers d’'Isxarp , VAILLANT , TOURNEFORT 3 mais tres-souvent ils mattachaient pas aux légères diffé- rences qui existent entre ces objets , l'importance que nous leur avons assignée ; ce qui rend raison du petit nombre d'espèces qu’ils ont adopté. « DEsvaux, Observations sur: les Rosiers , Journ, de Botan. , Sept. 181% (2) V. Philos, botan., $, 317. (58) CHAPITRE VL Suite du précédent. — Exemples. Même en ne jugeant les espèces que d'après les règles admises par tous les botanistes, par ceux même qui sont le plus portés à les multi- plier, il en est encore un grand nombre qu'on ne peut se dispenser d'effacer des catalogues. Entre une foule d'exemples, je me contenterar d'en citer deux. L'un pris parmi les plantes phanérogames , l’autre parnui les cryptogames. Toutes les parties des plantes qui se déve- loppent dans l'eau , et sur-ilout dans une eau courante, tendent plus ou moins à s'alonger. Les feuilles entières ou simplement lobées dans: d’autres circonstances , se divisent alors et se découpent en filets capillaires. Il semble que le parenchyme disparaisse, tandis qué les nervures s'alongent et se multiplient. Ce phénomène bien connu , qu'il est facile d'observer sur la Renon- cule aquatique et sur le Callitriche , est devenu une source féconde d'espèces supposées. Le Caillitriche , plante annuelle , commune dans nos ruisseaux , où il forme de belles touffes d'un verd gai, alongées dans le sens du courant LEA qui les entraine, offre à cet égard des différences très -marquées , suivant la place et l’époque de l'année où on l’observe. Croit-il par hasard dans un lieu non inondé, ilreste très-petit et toutes ses feuilles sont ovales, C’est le Callitriche œstivalis, Tuurzt. Dans une eau peu rapide, sur-tout au printems, ses tiges sont beaucoup plus longues ; mais toutes ses feuilles sont encore ovales. C’est le C.verna, L. Quelquefois , et particulièrement quand on lobserve à une époque plus avancée de l'année, les feuilles supérieures, nouvellement dévelop- pées, sont encore ovales ; mais les inférieures, plus anciennes , et qui ont été plus long-tems soumises à l'influence de Veau, sont linéaires, — C. stellata , Scux. . Souvent ces feuilles inférieures sont de plus bifides à leur sommet |, comme si déjà elles tendaient à se diviser , à devenir capillaires. — C. intermedia , Scux. On trouve des individus dont non seulement les feuilles supérieures , mais toutes sont linéaires. — C. tenuifolia , PERsOON. _ Quelquefois même toutes sont bifides à leur extrémité, — C, autumnalis , L. Éc (40) Est:1l convenable de considérer avec plusieurs botanistes ces altérations , dont la cause est sensible, dont on peut en quelque sorte suivre le progrès, qui forment une série si régulière, comme constituant autant d'espèces distinctes? Déjà Lrnxé, considérant seulement les extrêmes de cetle série de variétés, avait séparé mal-à- propos le Callitriche en deux espèces. Son. C. aurumnalis ne diffère évidemmentdu C. verna, que parce qu'il a plus long-tems vécu dans l'eau, qu'il a été plus profondément modifié par ce liquide. Linné cependant n’observait qu’en gros, s'il en faut croire quelques-uns de ceux qui, de nos jours, de ces deux espèces ont trouvé l'art d'en faire jusqu’à huit , car outre les six déjà signalées , lobliquité des feuilles à leur sommet dans certains individus ( Callitriche minima, HopPr. ) , le pédoncule un peu alongé dans d'autres ( €. pedunculata, Dec. ) en ont encore _ produit deux de plus. Ces différences , après un grand nombre de générations successives toujours soumises aux mêmes causes d’altération, ne doivent-elles pas devenir encore plus constantes, plus profondes ? a Callitriche qui auront ainsi végété , pendant plusieurs une dans une eau tré és-rapide : ROORONENS dis, même dans leur premier and = (4) développement , offrir déjà des feuilles plus alon= gées , que ceux qui auront pendant le même tems habité dans une eau tranquille, et sur-tout dans un lieu presque sec ? Observons que parmi toutes ces variétés, on ne voit jamais le Callitriche avec des feuilles. inférieures ovales , et des feuilles supérieures linéaires. Cette modification est la seule qui ne se présente point. C’est cependant une re- marque bien constante que dans toutes les plantes qui ne sont pas inondées comme celle-ci, ce sont toujours les feuilles radicales qui sont les plus larges et les plus entières. Si nous voyons constamment le contraire dans le Callitriche , n'est-ce p2s une preuve certaine que toutes les variétés qu'on remarque dans les feuilles de cette plante ne sont vraiment dues qu’à l'influence des eaux qu'elle habite ? : Voilà donc dans le genre Callitriche huit espèces qui n’en forment incontestablement qu'une , même d’après les principes les plus favorables à leur multiplication; voilà huit noms iniroduiis sans nécessité dans une science dont la nomenclature en offre déjà plus de trente mille; huit noms qui n’apprennent rien, qui rie sont fondés que sur les effets d’un phénomène parfät cement connu, : (42) Si un pareil abus a pu s’introduire dans l'étude des plantes phanérogames , combién il doit être encore plus grand dans la cryptogamie, où les espèces sont plus sujettes à varier, et d'une observation plus difücile ! L'exemple suivant peut en faire juger : .Un Lichen très-commun est remarquable par Îa forme de cupule profonde ou d’entonnoir , que présentent ordinairement ses expansions. LINRE, quoique bien plus réservé à cet égard que ceux qui l'ont suivi, érigea , d'après Drrrer , en espèces À les variétés nombreuses de ce Lichen, et d’autres y en ont encore depuis ajouté de nouvelles. T'antôt ces cupules sont simples. C’estle Licherr pyzidatus, L. (Dirz., tab. x1v,f. 6.) T'antôt elles sont dentées en leur bord. C’est ce qui caractérise le L. fimbriatus , L. (Das : tab. XIY4E Oui) Quelquefois ces dents s’'alongent en forme de cornes. —J,. radiatus , Scunx. ( Dre. , tab. RFO. -Quelquefois chacun de ces prolongemens ou cornes porte un tubercule rouge.—L, cocciferus , Li. (Divs, tab.:xir ,f, 7.1) (45) * Ailleurs les bords de la cupule forment comme des digitations. — L. digitatus , L. ( Dizr., tab. MM TO: } * Souvent les appendices de la cupule deviennent eux-mêmes autant de cupules qui quelquefois en portent encore d’autres. — Z. prolifer, Lam. (GBrrr; tab. xiv 15 6) La cupule resserrée à son orifice est dans certains individus comme ventrue au dessous. — . ventricosus , Hups. ( Dizz. , tab. xv , f."e7 , 16.) . Quelquefois ce Lichen se ramifie un peu au- dessous des cupules, et présente un port plus délié, — L. gracilis, L.( Dix. , tab. x1v,f. 15.) : Quelquefois plusieurs"des pédicelles simples ou ramifiés ne portent point d’entonnoir. — L£. cornutus ; L: (Dirx., tab. xv, f. 14.) On voit quelquefois de petites squamules qui couvrent ordinairement ce Lichen, se développer et former des espèces de feuilles. — L. foliaceus, | SCuREs. ( Dirr., tab. xiv , f. 10.) Quelquefois les cupules et leurs appendices. sont tout-à-fait difformes, — Z, deformis, Li (Dizr., tab. xv ,f. 18.) (44 ) Quelquefois....., mais je ne crois pas avoié besoin de pousser plus avant cette énumération , quoiqu’elle soit bien loin d’être complète (r). L’extrème variabilité des Lichens et des cryp- togames en général a été reconnue par tous ceux qui les ont bien observés. Il est d'autant plus étonnant qu’on se soit plu à faire autant d’espe- ces de ces variétés , que souvent on voit le même individu réunir en lui seul les caractères de plusieurs de ces prétendues espèces. Il suffit, pour se convaincre que toutes ne sont que des modifications d'un même végétal, de jeter-les yeux sans prévention sur les planches xrv et xv de Drrien , où il les a représentées avec son exactitude ordinaire. | Les genres-V’erbascum , Galium , Rumex, Ranunculus, Trifoliunt, Carex, Salix, Rosa, Juncus , Crepis, Leontodon , et bien d’autres, fourniraient s’il était besoin une ample matière à de semblables remarques. Toutes les fois qu'en observant un grand (1) De toutes ces prétendues espèces VENTENAT fit un genre auquel il donna le nom de-Scyphophorus. Acuar ,' après lavoir d’abord adopté , le réunit , par la suite, à deux autres genres ( Cladonia, Helopodium ) succes- sivement créés puis anéantis par lui-même pour en com=. poser ses Cenomyce. (45) nombre d'individus , tous plus ou moins con- formes à un type commun, on les voit présenter une suite de dégradations, de nuances insensi- bles qui lient entre eux ceux qui semblent différer le plus; l'identité spécifique est aussi prouvée qu’elle puisse l'être par la considération des ressemblances. lle l’est sur-tout quand une cause bien connue explique naturellement les différences qu’on remarque entre ces mdividus , comme dans le premier exemple cité. Peut-on penser que ceux qui font tant d'espèces d'une seule , soient toujours dupes eux-mêmes de leur manière de voir ? Plusieurs fois j'ai trouvé sur la même thalle et adhérens lun à Vautre les Lichens pyxidatus , cocciferus , pro- lifer. Les figures de Dizren prouvent que plu- sieurs autres variétés de ce Lichen se sont offertes à lui ainsi réunies. Acnar et les autres licheno- graphes les ont sans doute irouvées souvent groupées de même. Quel étrange aveuglement faudrait-il leur supposer pour qu'ils aient ferme- ment cru à la réalité de toutes les espèces qu'ils admettent ! On veut avoir vu plus que les autres, et l’on tait, peut-être sans se l'avouer à soi- même , ce qui pourrait rendre douteuses les découvertes qu'on annonce. Ne peut-on pas appliquer à tant d'espèces et de genres faits à plaisir , ces mots de Bacon à l’occasion de (46) certaines doctrines philosophiques : Autoribus ipsis suspecta idedque artificiis quibusdam munita et ostentata ? (1) Un botaniste distingué , M. Desvaux (2), dans un mémoire sur le genre Rosa, lu à l'institut :il y a quelques années , convient de l’indétermination des espèces dans une foule de cas, ei de limpos- sibilité d'arriver à des caractères invariables, Il avoue qu'il est diflicile de ne pas être découragé en travaillant inutilement les genres Carex , Saule , Rosier, Chène, etc. » Je ne puis céler, dit M. Desvaux, que toutes mes observations en étudiant les végétaux sous ce point de vue ( celui de fixer avec plus de précision la différence qui existe entre les espèces ), loin d’être satisfaisantes, m'ont laissé le plus ordinairement dans une incertitude telle , que presque toujours, et particulièrement dans les genres nombreux, je n'ai pu fixer la ligne de démarcation qui existe entre Îes espèces d’une manière rigoureuse, parce que le plus ordinaire- ment elles se confondent les unes avecles autres, et la même chose a lieu, si l'on veut bien en (1) Nov. organ. scient., preæf. (2) Observ. crit. sur les espèces de Rosiers propres aw sol de la France. Journ, de Bot., Sept. 1813. C4) convenir, pour toutes les parties de l'histoire naturelle. | » Lorsque nos observations n’ont pour objet que quelques individus , nous établissons faci- lement les différences qui existent entr'eux; mais sinotre examen porte sur un plus grand nombre, | appartenant sur-tout au méme genre, nous aper- cevons que les caractères établis comme fixes sont irès-variables , et dès-lors les espèces cessent d'être très multipliées , parce qu'elles se con- fondent les unes dans les autres, à moins que on ne veuille attribuer aux légères modifica- üons que l’on y observe une fixité qu’elles n’ont pas, et établir alors une suite fastidieuse d'espèces auxquelles on ne peut croire soi-méme, et qui n'étant très-souvent que des accidens particuliers à un individu, ne se retrouvent plus si lindi- vidu est détruit. « M. DEsvaux , après avoir cru reconnaitre et avoir soigneusement décrit un grand nombre d'espèces nouvelles dans le genre Rosa , a fini par sentir, après un nouvel examen , que ce nombre devait ètre réduit de beaucoup, que le seul moyen d'arriver au degré de stabilité que permet la nature des choses , d'offrir des espèces réellement fondées , c'était d'en faire beaucoup moins. M, Desvaux n’a point hésité | (48) à essayer lui-même cetie réduction, né regardant plus que comme de simples variétés ce quil avait d'abord considéré comme autant d'espèces. On ne peut trop louer un retour si franc. Le vrai savant seul est capable de cette bonne foi. Le faux savoir , enveloppé dans son orgueil, ne revient jamais de ses erreurs , ne füt-ce que par la seule raison qu'il les a une fois embrassées. CHAPITRE ( 49 ) CHAPITRE VIT. D’après quel principe et suivant quelles règles doit avoir lieu la réforme des espèces. ToAŸ xeciTTOy, EQTI TER TOY xeNCIUEOy erisixos d'oEatei ,h épi Tov axphsTov àaxe6oc ETIGTUSTUI. Isocr., Helen. laud. Utilium limitata cognitio accurratissim& inutilium scientié multo prœstantiore En n'élevant contre l'abus de la multiplication des espèces et des genres, je n'ai fait que ce que plusieurs autres avaient déjà fail; mais peut- être avec trop de réserve. En recherchant les principes à suivre dans la réforme que cet abus rend chaque jour plus nécessaire, je vais marcher dans un sentier moins battu. Je crois avoir assez prouve (1), que chercher dans la nature même des êtres qui nous environ- nent ,le moyen de fixer d’une manière toujours sûre et invariable les limites des espèces, c’est courir après une chimère , c’est chercher du MOINS un secret que la nature n’a pas voulu mettre (1) Chapitre IT, (50) à noire portée. Tâchons donc de trouver ailleurs un principe qui , s’il ne ramène pas la science à une uniformité parfaite, à une stabilité abso- lue, soit du moins propre à mettre des bornes à l'accroissement indéfini du nombre des espèces : et aux changemens perpétuels qui ne pourraient manquer de la ruiner. . Cette règle sûre et d’une facile application , que n'a pu nous fournir la considération des êtres en eux-mêmes, ne pouvons-nous pas la trouver en les considérant par rapport à nous ? Et pouvons- nous jamais rien connaître autrement que par rapport à nous ? La science de l’homme, lors même qu'il s’'imagine , dans son orgueil , péné- tirer le plus avant dans la nature :intime des êtres, peut-elle lui apprendre autre chose que leurs rélations avec ses facultés (1)? N'est-ce pas dans la nature finie de notre intelligence , bien plus que dans celle des choses elles-mêmes, qu'il faut chercher le vrai point où il convient. de s'arz rêter quant au nombre des groupes et des noms ? C’est du besoin qu'est née la distribution en (1) Ornnes perceptiones tam sensûs quäm mentis Sun£ ex analogid hominis , non ex analogiä universi. Estque intellectus humanus instar speculi inæqualis ad radios rerum ; qui sua nalfuram , naturæ Trerunmt immisce£ , eamique distorquet et inficit. Bacox ; Nov. organ. scient. , 1 1, $. xzr. .) LA \ (52) classes subordonnées les unes aux autres de tous les matériaux dé nos connaissances, de toutes nos idées ; c'est le besoin qui est la règle de cette classification. Elle ne doit point être établie en histoire naturelle d'après un autre principe que par rapport à toute autre branche des sciences , à tout autre système d'idées, Le fait de la génération, comme on la fait voir plus haut , ne suflisant point, au moins rela- tivement aux bornes de nos facultés , pour fixer invariabiement les limites des espèces, la déter- mination de ces limites resle nécessairement soumise à la loi générale du besoin, de l'utilité. Qu'on me permette encore une citation de Coxpizrac, c’est-à-dire du philosophe qui a porté le plus de précision et de clarté dans Panalyse de lentendement humain, » Deman- dera-t-on jusqu’à quel point les genres et les espèces peuvent se multiplier ? Je réponds ou pluiôt la nature répond elle -même : jusqu'à ce que nous ayons assez de classes pour nous régler dans l'usage des choses relatives à nos besoins : et la justesse de cette réponse est sensi- ble, puisque ce sont nos besoins seuls qui nous déterminent à distinguer des classes , puisque nous nimaginons pas de donner des noms: à des choses dont nous ne voulons rien faire. Au j 1e) moins est-ce ainsi que les hommes se conduisent. naturellement. 11 est vrai que lorsqu'ils s'écar= tent de la nature pour devenir mauvais philo= sophes, ils croyent qu'à force ‘de distinctions aussi subtiles qu'inutiles , ils expliqueront tout ; et als brouillent tout LR 1) « La mesure du besoin devient celle de l’atten- tion plus ou moins grande que nous donnons aux | objets, Suivant qu'ille commande, d'une attention plus ou moins forte, plus ou moins prolongée, résultent des distinctions plus. ou moins -déli- cates, plus ou moins mombreuses. Ainsi, dans le langage du cultivateur, et même dansle langage commun, les plus légères variétés des plan des noms parliculiers, sont des espèces ;: tandis que la fouie des plantes moins utiles ou péu mar-- tes potagères , des fruits de nos VÉrOÉEAr ont quanies est indéterminément comprise sous les dénominations vagues d’hérbes, demousses..etc, Quand. le besoin. lPexige , nous, donnons des noms particuliers :;, non seulement aux espèces, mais aux individus même. (2). C'est ainsisque chaque homme a.lesien. Le palfrenier! désigne par. un nom, chaque cheval de son ‘écurie. Le jardiñier connaît de même individuellement (x) Log. , part: 1162 4." (2) VLocke ,-Entend, hum, , liv. 5., c. 3. ee TE (55) L: chaque arbre de son jardin. Quant aux autres êtres que nous n'avons pas besoin de connaître: aussi particulièrement, nous nous contentons., sans penser aux individus, de Îles désigner par groupes , sous des noms plus généraux. Nous ne nous attachons aux plus petites différences des premiers, que parce que cela nous estnétes- saire. Nous voyons les autres plus en gros , parce qu'il nous estinuule de les voir plus en détail. Cette marche naturelle de l'esprit humain dans la formation des espèces en général , c’est-à- dire, dans la distribution des noms aux corps qu'il lui importe de nommer , indique au natu- raliste celle qu’il doit suivre , avec les seules différences qu'y doit apporter le point de vue plus élevé d'où il -contemple la‘nature. Le besoin, l'utilité doivent être la règle du philosophe , du naturaliste, comme du vulgaire, Seulement des motifs d'un ordre supérieur, une noble curiosité étendent pour lui le besoin de connaître bien au-delà des bornes où il est res- treint pour le commun des hommes. » L'utile circonscritiout, disait un des penseurs les plus profonds du dernier siècle (r). Ce sera (1) Dipreor » De Pinterprét de la nat. ,. 6. l'utile qui, dans quelques siècles, donnera des bornes à la physique expérimentale, comme il est sur le point d'en donner à la géométrie. « Le moment est venu où il est nécessaire qu'il en donne à l’histoire naturelle. Les anciens ne désignaient guère par des noms distinets que les espèces remarquables par quelque usage ou du moins par quelque parti- cularité importante. Ils n'avaient pour le reste que des noms génériques plus ou moins vagues, ils ne le voyaient que par masses. Jamais ils ne pensèrent à dresser de ces catalogues complets de ious les êtres indistinctement, qui semblent le but principal des naturalistes de nos jours. Ce système sans doute bornait trop la science , et ne peut être admis aujourd’hui ; mais ne som- mes-nous pas tombés dans l'extrémité opposée ? Le besoin raisonné de savoir ne peut être entiè- rement disiinet du besoin proprement dit, du be- soin physique, dont il tire son origine, dontil n'est vraiment qu'un développement. Il esi plus étendu, mais il n’est point essentiellement autre. Plus fe besoin de la science est intimement lié à nos besoins positifs, plus il est réel, plus il mérile d'occuper nos facultés. Plus au contraire on veut l'en distinguer, moins il mérite ce nom de besoin. Tout-à-fait isolé , il dégénère en une oiseuse | (55) inquiétude. L'utilité dans le sens le plus étendu; voilà la borne de la curiosité du sage. Le besoin a donné naissance aux classifica- tons. La science qui naît d’un besoin plus noble les étend ; mais elle ne doit pas oublier qu’elle est faite pour l’homme. Le cui bono, resserré par le vulgaire dans des limites trop étroites , est souvent étendu trop loin par le savant, Jusqu'à quel point ce besoin de savoir , dirigé par la raison , peut-il étendre les limites du besoin positif? Jusqu'à ce que, dans la science, ‘rien de ce qui ne peut être confondu sans un inconvénient réel ne soit confondu ; et que rien d’essentiel , c’est-à-dire, de ce qui est vrai- ment utile ou vraiment curieux, ne soit omis. La science doit tout embrasser dans ses clas- ses , mais le nombre de ces classes doit être proporüonné à nos facultés, Voilà le seul moyen de la rendre en même tems aussi étendue qu'il se peut et néanmoins facile. Il n'importe pas moins à la perfection de la science qu’elle soit simple et accessible , qau’éten- due. Elle ne peut servir les hommes qu’autant qu'elle sera d’une acquisition aisée. C’est le nom- bre des faits utiles , et non celui des noms ou des termes, qui fait la vraie mesure de son étendue. de (56) ne Suivant le point de vue plus où moins élevé, suivant la manière large où minutieuse dont on contemple la nature , le nombre des espèces peut, dans certaines bornes, être étendu ou resserré, sans que la science y gagne ou perde rien de réel, Tout est digne d’admiration dans la nature, les plus petites comme les plus grandes choses; mais sa variété est infinie ; elle accable notre esprit. Fixons donc nos regards avec plus de soin sur les êtres qui sont le plus en rapport avec nous, sur les points qu'il nous importe le plus d'étudier en détail. Dans le tableau de la nature, que nous eSquissons pour notre usage d’une main si débile, que Pimporiance , que l'utilité soit la mesure de la place accordée à chaque être, à chaque classé , à chaque point de vue. Toutes les parties de la science ne doi- vent pas être traitées avec une égale étendue. Fout ce qui est d’un grand intérét doit être suffisamment dévelonpé. Tout ce qui en présente moins , tout ce qui n’est qu'instrumental , doit être resserre. Lrnné lui-méme a donné ve conseil au naturaliste : coarctet steriliorem scientiam (x). La vraie science n’est pas la science Stérile et minutieuse ; aujourd'hui sur-tout, elle ne peut nee note DC ed | (1) Syst. nat., vol, 10, p. 29. (51 êire que la science. choisie. Il n’y a point de terme aux minuties ; la science solide, utle, a des limites (1). Une académie célèbre , celle de la Crusca, prit autrefois le bluteau pour symbole. Lille se proposait pour but particulier de ses travaux, d'épurer la langue italienne. Ce symbole doit être maintenaut celui du naturaliste philosophe. Séparer avec som ce qui fait la partie essen- tielle, le corps de la science, si je peux n'expri- mer ainsi, de la multitude de distinctions vaines et nominales , dont on l’a embarrassée , telle sshla tâche principale qu'il doit s'imposer. L’attention des naturalistes s'est depuis un certain tems portée spécialement sur les diffé- rences des êtres entr'eux. On semble n'avoir eu pour but que d'en trouver dans ceux même qui se ressemblent le plus. Ce n’est qu’en don- nant aujourd'hui à l'attention une direction eon- traire, en !la portant sur-tout sur les ressem= biances, qu'on peut restreindre dans les limites convenables le nombre exagéré des espèces.. Aucune disunction nouvelle, aucune espê QG) Pasta véro , ut plurimum , solent esse quæ inania : solida contrahuntur maximè, et in parvo sita sun, PAGES À Nov. organ. scient., præf, (58) | de même qu'aucun genre, ne doit être intro- duite dans la nomenclature de l'histoire natu- relle, sans un motif raisonnable , sans une sorte de nécessité ou du moins d'utilité relative , soit directement à l'homme, soit à la science qu'on ne perfectionne véritablement qu’en la rendant plus aisée. C’est, si l'on veut me passer cette application d’un terme de la philosophie de Leisnirz , ce qu'on pourrait appeler la raison suffisante d’une espèce ou d’un genre. De combien d'espèces, de combien de genres , en botanique sur-tout , serait-il impossible de donner une pareille raison ? Quelques poils de plus ou de moins, des dents plus ou moins profondes , une feuille un peu plus alongée , un pétiole ou un pédoncule un peu plus courts, quelque légère mo- dification des parties de la fleur ou du fruit, eic., sont loin d’être toujours des motifs satisfaisans ; et pourtant on n’en donne pas d’autres ordinai- rement, Personne même ne s'avise de demander rien de plus. Maïs que devra-t-on, dans Île règne végétal, considérer comme raison suflisante de Vad- mission d'une espèce ? On ne doit regarder comme telle qu'une différence très-marquée, irès- facile à saisir même au premier coup d'œil, assez importante enfin pour qu’on, ne puisse sans inconvénient confondre sous. un {59 ) même nom les plantes qui la présentent. Toute différence qu'on ne reconnaît que par ‘un examen minutieux, qui n’est aperçue que par l'œil du naturaliste exercé, ou qu'à l’aide de la loupe et du microscope, mérite rarement d'être signalée par un nom. Ces derniers instru- zens ne doivent être employés pour les distinc- tions spécifiques , qu'à l'égard des êtres qui sans ces moyens échappent à nos sens ; et c'est parmi ces êtres que les distinctions doivent être le moins nombreuses. Les espèces qui n’exis- tent que pour le savant, sont ceîles qu'il con- vient le moins de multiplier. Il faut encore qu'il soit prouvé que cette diffé- rence est constante; il faut qu’on ne puisse l'atiribuer avec probabilité à aucune cause d’alté- ration connue. Je sais bien que tous les natu-. ralistes s'accordent à exiger celte condition dans les caracières spécifiques ; mais ne s’accordent- ils pas également, au moins tacitement, pour n'en exiger aucune preuve ? Une différence seule sera rarement resardée LI comme suffisante, à moins qu'elle ne soit ires- 37 te essentieiie, irès-satllante, Il est des cas cependant où des différences extérieures moins marquées peuvent motiver des : P | 42/1506 Mo espèces; c'est quand elles sont soutenues par quelque différence importante dans les qualités , we dans les usages ; c’est quand il'est nécessaire, pour les employer ou les rejeter , à quelque titre que ce soit, de distinguer l'une de l’autre des plantes d’ailleurs très-voisines par leur conforma- tion. Peut-on , par exemple, dans le gente es Agarics, trop soigneusement étudier et signaler les différences qui distinguent lOronge vraie ( #ga- ricus aurantiacus, Buzz. } si recherchée dans nos provinces méridionales, de l’'Oronge fausse (Zgaricus muscarius, 1.) si dangereuse et pour- tant si facile à confondre avec la première ? Le Champignon des couches ( Agaricus campestris, L. } ne doit pas être l’obiet d’une attention moins M etre Dons éviter les funestes acciders Occasionnés par d’autres Champignons vénéneux, els que lP 42. bulbosus, l’Ag. vernus, Buzz., Ave a plus d’une fois pris pour lui. Mais est: il aussi nécessaire de distinguer l'un de l'aatre ces deux derniers qui présentent si peu de diffé- rence dans leur conformation , et aucune quant à leurs mauvaises qualités ? ; is que des plantes différent assez soit très-facile de les confondre ,, I uelque motif semblable qui suflise pour 0 le distinction comme espèces , ‘on par des noms différens. O >= er + (go) oz] an D = Sy peu pour qu'i \ (G:) Deux plantes assez semblables du reste devront encore être soigneusement différenciées , si l’une d'elles est remarquable par quelque phénomène intéressant qui lui mérite une attention parti- culière. | Moins les différences extérieures seront ainsi. appuyées par desconsidérations d’un autre genre, plus on deyra:se montrer difficile , moins on sera porié à établir | une espèce nouvelle. Plus les espèces s'éloignent de nous , moins elles ont avec nous de rapports ; plus elles des- cendent vers les plantes imparfaites , plus la raison suflisante sur laquelle on les établit doit être forte et déterminante. Une différence plus lésère suffira pour faire distinguer des arbres utiles, que des Uredo, oudes Hucor. Ne sommes nous pas en effet plus intéressés à bien distin- guer les premiers que les autres? Enfin , la succession constamment distincte des individus, leur. persévérance à ne jamais naître de.semences prises sur la même: plante, dans. un très-grand nombre d'épreuves , peut déterminer quelquefois à séparer deux espèces d'ailleurs assez voisines. Mais cette preuve si difiicile à obtenir , est loin d'être complète- ment . sztisfaisante. Ce que nous navons | ( 62 ) pu voir dans nos observations ou nos expérièn= ces, n'en est pas moins possible à la nature dans Certaines circonstances. L'épreuve de la séminaïiôn est plus décisive , quand elle fait réunir des plantes même assez différentes qu'on a vu provenir de semences ayant une origine commune. Lile est donc plus favorable aux réunions qu'aux divisions ; elle offre une preuve positive dans le premier cas, négative seulement dans le second. Il est bien certain que les plantes réunies en vertu de cette épreuve sont d'une même espèce , mais il n’est pas aussi certain que celles qu’elle porte à sépa- rer soient vraiment distinctes. De nouvelles observations peuvent forcer de les réunir. Si donc l'épreuve de la sémination peut, en certain sens , être considérée comme la plus pro- pre à nous faire connaître les espèces dela nature, elle est certainement celle que nous sommes le plus rarement dans le cas d’alléguer avec quelque fondement pour motiver de nouvelles distinctions. Lille ne peut même , comme nous venons de le voir , être alléguée d’une manière incontestable que pour motiver des rappro- cheme RE. Cette différence est-elle dans la mature le (63) signe d'une espèce véritablement distincte ? Question qu'il est, dans une foule de cas, abso- lument impossible de résoudre d’une manière saisfaisante. Cette différence est-elle une raison suffisante pour considérer telle plante comme espèce ? Est-il utile de la désigner par un nom particu- lier ? La science y gagnera-t-elle réellement quelque chose en étendue ou en facilité ? Voilà les questions qu'on doit se faire avant de pro- poser une espèce nouvelle, et sur-tout quand il s’agit d’en couper une ancienne en deux ou trois. Tout homme instruit et de bonne foi répondra à peu près de même à ces questions. Existe-t-il quelque différence entre ces indi- vidus ? Est-il possible de faire telle ou telle distinction , d'établir telle ou telle espèce? La réponse sera presque toujours oui. | Est1l utile de faire cetie distinction , cette espèce, de la désigner par un nom nouveau? La réponse du sage naturaliste sera le plus souvent 1011. Dans le doute si deux êtres appartiennent a la même espèce ou à deux différentes , il vaut mieux les réunir , du moins eu attendant (64) de nouvelles observations. Cette opinion de M, pK LACÉPÈDE , toute sage qu’elle est, ne paraît pas celle de la plupart des auteurs , toujours empressés d’alonger leurs catalogues. Il est cependant certain qu’il y a moins d’inconvénient à laisser confondus sous un nom commun des objets d’ailleurs irès -voisins , qu’à surcharger ( suivant l’heureuse expression de l’auteur de l'histoire des poissons) » la mémoire des natu- ralistes d'espèces nominales, et le tabieau de la nature de figures fantastiques « (1). On nuit plus à la science en l’accablant sous les minuties, qu’en la resserrant trop. C’est en ce dernier sens qu'il serait plus permis à um être fini comme nous. de pécher par excès. Tout _ce qu'on peut sans inconvénient retrancher de la nomenclature est en quelque sorte gagné pour la vraie science. Obligé de donner moins de tems à l'étude des noms, on pourra en donner plus à celle des faits, Si, à certaine époque, la botani- que a dû ses progrès aux soins donnés à la nomen- élature , ce n’est, dans’ l'état actuel des choses, qu’en resserrant cette même partie pour étendre les autres , qu’on peut lui faire faire de nouveaux pas vers la perfection. : (1) Hist. des poiss. , t. 3, pag. 210, suite de Burrox, éd. de Sonxirr. 11 (65) | El n'y a que les différences bien marquées dont l'observation soit utile et d’un véritable in- térêt en histoire naturelle, Les autresne servent qu’à embarrasser la science. Quant à ces différences légères , qui ne seront regardées que comme constituant des variétés , il convient presque toujours de les sacrifier entiè- rement et de n’en faire aucune mention. On ga- gnerait peu à la réduction des espèces, si lon s'obligeait, sous le nom de chacune, à enindiquer toutes les variétés quelquefois sans nombre. Dans les ouvrages descriptifs on ne doit citer de variétés que celles des espèces cultivées et. d'un usage commun, encore ne faut-il pas les multiplier autant qu'on le fait On ne citera de variétés des autres espèces que celles que quelqu'aberration singulière dans Îeur confor- mation , quelque phénomène , quelqu'usage im- portant , rendent dignes d'une atiention particu-. lière. [l en est fort peu de telles. Faut-l séparer , faut-il dénommer sur toute différence ? C’est presque à cela que se réduit toute la question des espèces. Les naturalistes philosophes condamnent unanimement cet abus; mais on n'en va pas moins loujours séparant, toujours imposant des noms nouveaux. Faire entrer comme élément dans la déter- 5 ( 66 ) mination des espèces l'utilité soit de l’homme, soit de la science, voilà le remède , voilà le principe qui trace la limite sur laquelle doivent s'arrêter les distinctions. Ce n’est* qu’en combi- nant ainsi le principe de Putilité avec l’observa- tion de la nature , que nous pouvons espérer d’attemdre le double but de rendre la science à la fois solide et facile. Ce but sera rempli autant qu'il est permis de l’espérer, si les distinctions, les classes, sans être jamais en opposition sen- sible avec le peu que nous pouvons apercevoir du plan de la nature , sont én même tems pro- porüonnées à nos facultés. L'observation de la nature fournit les moyens de classification , l'utilité en règle le choix et fixe les limites des classes ; elle est en quelque sorte la balance où chaque différence doit être pesée sévèrement avant d’être consacrée par un nom spécifique. C’est ce que le naturaliste doit se rappeler sans cesse , s'il veut se préserver des petites vues, des écarts où tant d’autres se sont trop souvent laissés entraîner par le désir de paraître avoir vu quelque chose de plus que ceux qui les avaient précédés. Mais toute juste , tout évidente qu'elle me parait, cette règle ne doit être appliquée qu'avec la plus sage réserve. C'est une réductoæ rai- (67) “Le sonnée , et non pas un nouveau bouleversement qu'elle doit produire. On n'aurait bien mal compris , Si lon en jugeait autrement, On sera toujours à peu près d'accord sur les espèces principales également signalées par les différences et par l'utilité, par rapport à la nature et par rapport à l’homme. Quant au reste des espèces , la réduction qu’elles doivent subir ne doit porter que sur celles qui ne méritent à aucun titre de conserver ce rang. Mais ce nombre, si on applique sévèrement les principes ci-dessus exposés , est encore très-considérable. Le travail de Lixxé sur les espèces, le plus sage , le plus répandu de tous, paraît celui qu'il conviendrait le mieux de prendre pour base d'une nouvelle révision, Il présente déjà quel- ques espèces à rayer d'après la règle de la raison Suflisante , mais un grand nombre d’autres , exotiques sur-tout , devront y être ajoutées. Les ouvrages les plus récens sont ceux où les réductions sont le plus nécessaires. Mais c’est principalement quant aux plantes d'Europe que les derniers dénombremens sont monstreu= sement exagérés. L'énumération complète, la désignation pré- eise de toutes les formes, de toutes les variétés (68 ) peut-être indéfinies des êtres , est hors de toute proportion avec n0s facultés. Qu'il nous suflise de déterminer exactement les plus marquées , celles qu'il nous importe le plus de connaître. Dans le langage commun les dénominations spécifiques et génériques sont toujours plus ou moins vagues. Dans le langage scientifique elles doivent être plus nombreuses, plus déterminées; nais là même, il faut se contenter d’un certain degré de précision au-delà duquel, au lieu d’avan- cer vers l’ordre parfait , on rétrograde vers la confusion. Le principe de l'utilité ne peut pas plus que tout autre conduire à la précision absolue, mais il est le seul qui puisse mettre un terme aux vaines distinctions , aux changemens sans fin (x). N'est-il pas assez singulier que son application à la détermination des espèces et des genres en histoire naturelle ; puisse paraître à bien des égards quelque chose de nouveau ? (1) Æxitus enim hujus rei est nonnullus , in tis vero guæ jam fiunt est vertigo quædam et agitatio perpetua et circulus, Bacon ; Nov. org. scient. , proëém. (69) CHAPITRE VII. Analyse raisonnée des espèces indigènes du genre V erbascum , d? “pts les règles précédentes. Quoique j'aie déjà donné ( chap. VI ) deux exemples des réductions qui me paraissent né- cessaires en botanique , pris, lun du genre Calli- triche , l'autre parmi les Lichen, je crois devoir terminer ces considérations par un essai plus développé de l'application des principes que je viens d'exposer, aux espèces végétales. Je choisis pour cet essai des plantes indigènes et très- communes , afin que chacun, avec une légère teinture de botanique , puisse facilement répéter ces observations et juger par lui-même , aussi bien que le savant. Les botanistes qui , depuis la réforme de Linxé , firent leur étude des plantes des envi- rons de Paris , rapportérent à cinq ou six des espèces décrites par ce grand homme , ious les Verbascum qu'ils y observèrent. M. Tauirirer lui-même , n’en compte pas davantage dans la première édition de sa Flore parisienne. Mais ces cinq espèces linnéennes pullulant pour amsi (70) dire sans cesse entre les mains des botanistes postérieurs, on peut aujourd'hui, en compilant les divers auteurs , compter jusqu'à seize ou dix-sept espèces de ’erbascum , et même plus, croissant autour de Paris. La première chose qui frappe , en considé- rant les f’erbascum des environs de Paris rassemblés , soit vivans, soit en herbier, c’est la différence des tiges et des feuilles extrème- ment cotonneuses et blanches dans les uns, tandis que dans les autres elles sont plus ou moins vertes, beaucoup moins cotonneuses , ou même tout-à-fait glabres. Un examen plus attentif fait bientôt recon- naître une autre différence qui semble confir- mer celle-ci, Les barbes des filets des étamines, plus ou moins jaunes dans les espèces à feuilles blanches et tomenteuses , sont ordinairement vouges dans celles à feuilles vertes. Le Ferbascum thapsus dont Îles feuilles ressemblent à une étoffe blanchâtre , et le d’erbascum blattaria qui les a tout-à-fait nues, offrent les extrêmes de ces différences. Ure foule de variétés remplissent l'intervalle. Toutes doiveni-elles être considérées comme autant d'es- pèces, ou bien doit-on, comme Laixxé, ne const Ve) derer comme telles , c’est-à-dire , ne désignér pa“ des noms que les nuances les plus marquées ? Observons d’abord que , de l’accord de tous les botanistes , les F’erbascum sont du nombre des plantes qui varient le plus facilement , soit quant au plus ou moins d’abondance de la substance cotonneuse qui les revêt , soit quant à la simplicité ou à la ramosité des tiges. IL n'est guère moins reconnu que ces plantes soné aussi de celles qui produisent souvent des hybri- des , c'est-à-dire des individus métis, nés de la fécondation de deux espèces différentes June par l'autre, comme les mulets parnn les quadrupèdes. Voilà certainement des causes d’altération qui , tendant à multiplier les sim- ples variétes dans ce genre, doivent rendre le botaniste sage très-circonspect dans la détermi- nation des espèces qu'il y admet. Commençons la revue des f’erbascum indigè- nes par ceux qui sont le plus cotonneux. Ce sont en effet ceux-là qui paraissent avoir servi de iype au genre. Leurs feuilles décurrentes forment un caractère saïllant qui les distingue bien du reste, On peut facilement reconnaître à ces traits le V’erbascum thapsus , L. Quoique toutes les espè- ces de ce genre puissent être considérées comme analogues par leurs propriétés médicales, quelque Ra} peu importantes qu’elles soient du reste , le V’erbascum thapsus est celui qu'indiquent spé-, cialement tous les pharmacologistes, C’est donc comme plante médicale , celui qu'il est le plus important de distinguer. Son emploi concourt avec ses caractères différentiels pour former la raison sufisante de le désigner par un nom par-, üiculier , c’est-à-dire de le considérer comme espèce, car, je ne peux trop le répéter , C'est la même chose. Mais on rencontre quelquefois des }’erbascunt qui, ressemblant d’ailleurs parfaitement à celui- ci , offrent néanmoins quelques légères diffé- rences. Ainsi, par exemple , la tige est quelque- fois rameuse ( #7, thapsoïdes, Dec. , Lan. }. oo efois les filetsdes étamines ne sont point arbus ( 77. crassifolium , Dec. ). Mais ces diffe- rences ne sont vraiment ittane impbrtance: L'habitus de ces plantes ne permet pas de les séparer. Si-on s’obstine à le faire , la distinction des espèces devient difficile, vague , leurs limites indécises , tandis qu’en réunissant ces variétés Sous un nom commun , le caractère des feuilles décurrentes ne laisse aucune incerlitude. D'un autre côté , l'usage de ces plantes ne peut fourmir aucun moûf de les isoler, puisque les pharma- ciens les recueillent indifféremment l’une pour Yautre. Le F’erbascum 'thapsiforme ; SeurAn: \ t (75) { F7. intermedium, Leman , Ined. apud Dec. suppl. ), ne paraît pas mériter davantage d’être distingué, quoique je n'en juge que par la description. Toutes les considérations qu'on peut urer de la ressemblance , de lusage , de la facilité de l'étude ,. se réunissent donc , se fortifient l’une par lauitre , pour engager le botaniste raison- nable à laisser ces quatre prétendues espèces fondues en une seule, sous le nom primitif de Verbascum thapsus. Une de ces espèces fictives ( 7. thapsoïdes }, paraît avoir été indiquée par Livné. On n’est cependant pas d'accord sur son 7. thapsoïdes , que quelques auteurs, comme VVirperow, ne regardent que comme une hybride du #. thäpsus et du 7. lychnitis. Les autres ’erbascum cotonneux ne présentent plus de feuilles décurrentes. Les inférieures sont ordinairement plus ou moins rétrécies en pétiole, Les variétés qu'ils présentent offrent entr iultesla même ressembla) e que celles dont se forme l’es- pèce Mééédente 1 ii ra sont les 7”. phlomoïdes,Lix.; pulverulentum, Smira ; floccosum, Pr. Huxc. (74) C'est presque toujours dans les mêmes lieux secs et sablonneux, et mêlées indistinctement ensemble ; qu’on rencontre ces plantes. Il est assez rare de les trouver lune sans l'autre. Pour avoir un individu qui présente les ca- ractères de ces prétendues espèces , il faut le choisir parmi un grand nombre. La plupart tiennent plus ou moins de plusieurs , ne sont ni l’une ni l’autre, ou plutôt sont toutes en- semble. Ils offrent cette suite de dégradations qu'on doit , comme je l'ai remarqué plus haut, considérer comme signe certain de lidentité spécifique. Ce n’est que dans l’herbier où l’on n'a admis que des échantillons choisis , qu'on peut établir quelque limite entre ces planies ; les intermédiaires les confondent pour qui ob- serve sur le sol natal. Je ne peux donc voir aucun motif raison nable , aucune raison suflisante de séparer ces variétés ; je vois au contraire , quand cela facilite l'étude , un véritable avantage à les réunir , comme l'avait fait Lrnné sous le nom convenable de }’erbascum phlomoïdes. Le 7. lychnitis , dont un coton plus fin, plus serré, plus blanc couvre les tiges et la face inférieure des feuilles qui sont vertes en dessus , semble former une nuance assez marquée (75) entre les précédens et ceux qui vont suivre. Un aspect assez différent , la difliculté de le comprendre sans confusion dans une description générale avec les F’erbascum dont nous venons de parler, paraissent un molif suflisant de lui conserver , comme on l'a fait jusquici, un nom partculier , de le regarder comme une espèce. Une variété a les fleurs blanches, et Moœxcr en a fait à tort une espèce. ( 7. album.) Nous voilà arrivés aux /’erbascum indigènes à feuilles plus ou moins vertes. Les uns offrent cependant encore des feuilles sensiblement ve- lues et même cotonneuses en-dessous : tel est le F’erbascum nisrum, L. C'est en partageant, en coupant et recoupant cette espèce linnéenne qu’on a fait les #. pari- siense, Lauizr.; 7. alopecurus, Idem. ; F.nigro- pulverulentum , Smiru ; #. nigro - lychnitis, Mer. Ce dernier n’est cependant donné par son auteur que comme simple variété, Le 77. mixtum, Dec. , ne paraît pas mériter d’être considéré d’une autre manière. Les mêmes remarques que nous avons faites sur les variétés du 7. phlomoïdes s'appliquent parfaitement à toutes celles-ci, et les mêmes motifs ne permettent pas davantage de les séparer comme autant d'espèces. Un port bien disuinct, ses tiges, ses feuilles glabres ») méritent un nom paruculier au Fer- bascum blattaria. Quelques poils et les pédoncules moins alon- gés dans une variéié de cette plante ont donné lieu à quelques auteurs de couper encore cette espèce en deux, en appelant la dernière blat- farioides , Lam. ( viscidulum , Pers. }, Ces noms en oides qui, dans un même genre rap- pellent une ressemblance marquée , que con- sacre, comme malgré lui-même, par le nouveau nom qu'il impose , celui qui veut absolument séparer, sont le signe presque sûr d’une espèce fictive et inutile. On peut en dire autant des noms composés de ceux de deux espèces con- génères, comme ceux de ni sro-pulverulentum ; nisro-lychnitis, etc., cités plus haut. Par cette analyse sévère, où nous avons iäché de ne marcher qu'en faisant concourir l’obser- vation et le raisonnement , en ne nous décidant que d’après des motifs solides , nous avons vu les seize ou dix-huit espèces de 7erbascum indigènes, que quelques se se sont plu à distinguer , se réduire à Su | Il n'est aucun des Ferbascum croissant aux environs de Paris, qui ne se rapporte sans peiné C7) à l'une ou l’autre de ces cinq espèces que nous croyons devoir seules être conservées. Si quel- ques individus , ce que je ne crois pas, parais- saient se rapporter à peu près également à deux, il ne serait vraiment d'aucune importance de leur donner plutôt un nom que l'autre. Il est bon de remarquer ici que l’examen raisonné que nous venons de faire des plantes indigènes du genre #’erbascum nous a ramenés tout naturellement aux espèces reconnues par Linxé , en retranchant seulement son #7. chap- soides , qui ne paraît pas devoir être admis. C’est en voulant renchérir par de minutieuses et inutiles distinctions sur ce réformateur de la botanique , qu’on a tout brouille. Il s’en faut bien au reste que la plupart des - prétendues espèces dont on a surchargé depuis quelque tems le genre ’erbascum , comme tant d’autres , soient réellement des découvertes. Plusieurs de ces espèces sont du nombre de celles que Lixné avait sagement effacées du catalogue du règne végétal en le réformant. Llles avaient été décrites et figurées par des auteurs qui l'avaient précéde. Les Ferb. pul- verulentum , crassifolium, par exemple , se trouvent déja dans Île grand ouvrage de. J. Baunin, Losez, Crusius , Darrcuams sont (78 ) encore des sources où puisent fréquemment les amateurs d'espèces nouvelles. Le nom qu'ils donnent à ces espèces ressuscitées est souvent tout ce qui leur appartient. Peu de genres certainement sont susceptibles d'une réduction aussi considérable que le genre Verbascum , mais 1l n’est presque aucun des genres un peu nombreux en espèces où il. n'y en ait aujourdhui quelqu'une à exclure. J'ai prouvé , je crois , suflisamment que ces réductions ne sont nullement contraires au plan de la nature. Si tous les genres étaient soumis à un semblable examen, la science n’y gagnerait- elle pas réellement en ordre, en facilité, sans rien perdre de sa véritable étendue ? He (159) CHAPITRE IX. Genres. a Genera magis et magis sentio plurima artificialia esse , neque ullam legem dari, ex qu& definias quantüm dis- criminis ad duo genera separanda sufficiat. Fazer , Hist. stirp. Helv. , præf. , p. 22% Genus specierum similium congeries ; cujus tamen nulla traditur definitio cerla , nec accurrala constructionis præceptio , prœæcipuè in methodo naturali, Jussieu , Gen, plant. , præf. , p. 57. Les principes que je viens d'exposer sur les espèces , s'appliquent à plus forte raison aux genres, aux familles , divisions auxquelles on ne peut supp@ser comme aux espèces des limi- ies fixées par Îla génération. Tout genre, de même que ioute espèce , doit avoir sa raison suflisante , ne doit être admis que sur un motif plausible. Linxé regardait les genres comme essentielle- (8) ment naturels ainsi que les espèces (1) ; il ne put reconnaître par conséquent comme prin- cipe, que leur circonscription doit être réglée sur létendue de nos facultés. Mais, guidé par l'admirable sagacité de son esprit, 1l ne s’en rapproche pas moins de cette doctrine dans les règles trop oubliées qu'il donne sur les genres. Il n’y a guère de naturalistes aujourd’hui qui ne regardent les genres comme artificiels , ainsi que Harzer (2) le reconnut du tems même de Linné. Cependant, à la manière dont un grand nombre se conduisent à cet égard , à l'assurance avec laquelle ïls disent , en observant la plus mince différence de fructification , » ceci est un genre nouveau « ; on serait tenté de croire qu'ils entendent par ce mot genrè quelque division invariable, ouvrage de la nature elle-même , et tout-à-fait étrangère à l’homme. Evidemment formés par nous et pour notre usage , les genres comme les espèces doivent (1) Classis et ordo est sapientiæ ; genus et species naturæ opus. Syst. nat., vol, 1 , introd. Voyez aussi Phil. dotan. , IS, 162. C’est parce que la classe et l’ordre sont des abstractions d'un degré plusélevé , qu'il est plus facile de les reconnaître pour telles. (2) V. Pépigr. de ce chapitre, être 1G810) ètre jugés d’après la loi de l'utilité. C’est dans la capacité de l'esprit humain qu’il faut chercher la mesure de leur étendue, de leur nombre, iout-à-fait indéfinis dans la nature, Si les moindres différences dans la fructifica- tion suffisent pour créer un genre , il n’y aura pas plus de terme à leur multiplication qu’à celle des espèces. Pour un œil attentif , exercé, les frucüfications les plus semblables diffèrent cependant en quelque chose. Il sera toujours facile, quand on le voudra , de couper un genre, de même qu’une espèce en deux ou trois , ou plus, suivant qu'il est nombreux. Il n’est pas impossible peut-être, sur-tout à l’aide du micros- cope , d'arriver de différence en différence jusqu'aux espèces, en n’employant que des carac= tères tirés de la fructification, Arrêtons-nous dans nos divisions là où les difficultés se multiplient , là où cesse la raison de diviser. Jusqu'à ce point , les divisions sa- gement établies mettent de l'ordre dans nos con- naissances ; passé ce terme , elles ne servent plus qu'à tout confondre. On ne doit donc admettre de genres qu’autant qu'il en faut pour qu'on ne soit pas obligé de comprendre sous un même nom générique des objets étrangers lun à lautre sous la plupart 6 (82) des rapports. Cette condition remplie, la science sera d'autant plus facile qu’elle présentera moins de ee , C'est-à-dire , moins de noms différens. La distribution des êtres en genres doit nous offrir le tableau des types principaux d'après lesquels la nature les a formés. La connais- sance de ces types est le point de vue le plus important de l’histoire naturelle. Rien n’éloigne plus de ce but que le hachement des genres qui substitue à des groupes typiques, des sec- tions arbitrairement fondées sur des distinctions minutieuses. 1/abus n’a pas été porté à leur égard moins loin que pour les espèces. Plusieurs genres linnéens en ont fourni cinq ou six ou plus. Il en est tel ( Lichen } qui s'est vu déchiré en plus de soixante lambeaux. Peu de genres , dont chacun comprend un certain nombre d'espèces, sont d’une étude bien plus commode qu’une infinité de genres formés chacun seulement d’une ou deux espèces. Dans ce dernier cas , presque tout l'avantage des dénominations communes est perdu. [Il vaudrait presque autant n’avoir que des noms spécifiques. Les grands genres donnent certainement à l'ami de la nature plus de plaisir à contempler, que les genres coupés. Tout ce qui nous fait apercevoir des rapports entre des individus (55) nombreux doit nous plaire , parce qu'ainsi nous apprenons beaucoup de choses avec peu de peine. Les rapprochemens facilitent létude. Une multitude d'objets épars , isolés, fatigue l'esprit de même que les yeux. Le point de vue qui présente des ensembles est toujours le plus satisfaisant. Cela n’est pas moins vrai dans les sciences que dans les arts , parce que cela est fondé sur la faiblesse de nos facultés. Les grands genres doivent être subdivisés en sections, mais seulement pour faciliter la recher- che , sans attacher d'importance à ces coupes , et sur-tout sans leur imposer de noms propres. On n’a souvent pris d'autre peine pour faire des genres nouveaux , que de “donner un nom à des sections de cetie sorte indiquées#par Linré. Plus le domaine de la science s'étend, plus il convient d’être réservé quant à la multipli- cation des coupes génériques. Les espèces étrangères nouvellement décou- vertes doivent , autant qu'il est possible , être rapportées aux genres connus. Il ne faut les regarder comme en constituant un nouveau, que quand il est absolument impossible de Îles com- prendre dans aucun des genres établis, L'envie de donner quelque importance à sa découverte est cause qu'on se hâte ordinairement de faire (84) tout le contraire , de peur d’être bientôt prévenu par quelqu’autre qui , au défaut du mérite d'invention , essayera de se donner celui d'une classification plus sévère. Conformité marquée et dans les organes de la frucüfication et dans les organes de la végé- tation, voilà ce qui caractérise un genre bien fait, dont le type s'imprime facilement dans la mé- moire. Quand un genre réunit ce double avan- tage, quelques différences secondaires que pré- sentent , même dans le fruit , les espèces qu'il comprend , il est naturel dans le seul sens qu’on doive attacher à ce mot. Ce genre doit dès-lors être regardé comme fixé. Tout naturaliste sage s'abstiendra d'y rien changer. Quel genre présente mieux ces conformités que le genre Geranium ? Il est pourtant de ceux qu'on s’est avisé de partager. C’est la consi- dération du nombre des élamines qui en a fait séparer les Ærodium. Likré, qui seul pouvait, à cause de son système fondé sur le nombre de ces organes , se croire obligé de faire cette coupure, et qui s’en est quelquefois , malgré ses propres principes, permis d'aussi peu mo- üivées , n'a pas osé hasarder celle-ci. Les translations de plantes d’un genre dans un autre sont peut-être encore plus embarras- (35 ) Santes. Le Carduus eriophorus a porté depuis Linxé trois noms génériques différens , l'Anthe- ricum caliculatum six; le Schœnus aculeatus neuf et peut-être plus. Neuf élèves , herbo- risant le même jour, peuvent rencontrer cette plante et la rapporter chacun , d’après l’auteur qu'il a sous la main , à un genre différent. En se parlant de leur herborisation , ils ne doutent point que leurs neuf plantes ne soient fort dif- férentes , ils se les communiquent : ce n’est que la même diversement nommée, S'il est essentiel de ne pas trop multiplier les genres en histoire naturelle , c’est sur-tout dans les dernières classes des deux règnes orga- nisés , telles que les zoophytes microscopiques et les plantes cryptogames. C’est là principa- lement que le nombre des êtres , leur peti- tesse , leur indistinction et l'intérêt décroissant, rendent indispensable de ne les considérer que par masses un peu larges. | Règnes , familles , genres , espèces , lout dans la nature se lie par une foule de nuances souvent insensibles. Le point où commence , où finit chacun de ces groupes faits pour nous seuls, ne peut jamais être tellement déterminé , que quelque individu ou quelque groupe secon- daire n’y puisse entrer , ou en être exclus , sans disparate. Telle espèce pourra se trouver à peu. (86) près également bien, ou égalemeñt mal, dans plusieurs genres. Chacun la fera-til voyager de l'un à l’autre, suivant sa manière de voir ? Elle n'aura donc jamais de place ni de nom. Ce n’est pas parce que des plantes n'offrent aucune différence dans leur frucüfication , qu’elles sont du même genre ; c’est parce qu'elles se ressemblent à cet égard beaucoup plus qu’elles ne diffèrent. Il importe fort peu qu’une plante soit dans un genre qui en renferme d’autres qui présentent quelques caractères différens ; ül suffit que les caractères principaux leur soient communs. Îl y aura même toujours des espèces qu'on ne comprendra jamais d'une manière satisfaisante dans le caractère essentiel du genre auquel d’ailleurs elles se rapportent évi- demment par leur ensemble. Vouloir des genres sans exceptions , c'est à peu près la même chose que ne point vouloir de genres. C’est une folie que d'espérer de mettre jamais dans la désignation des genres et des espèces par leurs caractères , une exactitude assez sévère pour exclure ces exceptions et assurer toujours la détermination, L’indigitation sera toujours nécessaire dans l’étude de l’histoire naturelle. Sans elle les premiers pas sur-tout seront toujours extrêmement difficiles et incertains. Que les bo- ( 87 ) tanistes en conviennent , c’est d'une manière empirique qu'ils ont acquis la plus grande partie de leurs connaissances nominales. Que d'erreurs dans les herbiers qui n’ont point été comparés, revus par dix botanisies différens , et dont un homme isolé a , sur les seules des- criptions , nommé les plantes ! C’est pour éviter les exceptions qu’on a coupé tant de genres linnéens. La botanique devrait donc être bien plus facile aujourd'hui ; c’est tout le contraire : plus on a coupé, plus les difficultés se sont multipliées. Quelle preuve plus certaine que ces exceptions , d’ailleurs iné- vitables , sont un moindre inconvénient, que le trop grand nombre de divisions, et sur- tout que les changemens continuels ? Si une plante se trouve peu convenablement placée dans tel ou tel genre, mais que le tems, usage lui en aient confirmé le nom , de très- fortes raisons peuvent seules autoriser à la dé- placer. Une habitude de nomenclature , pour peu qu’elle coïncide avec quelques rapports , ne doit pas , à beaucoup près, être comptée pour rien. Quelque hétérodoxe que paraisse ce prin- cipe , il est certainement philosophique pour quiconque se donnera la peine d'y'réfléchir sé rieusementi. (8) Il est essentiel que les genres , de même que les espèces, diffèrent les uns des autres d'une manière bien sensible , et, autant qu'il se peut, par plus d'un point : plus on en fait, plus on se prive de cet avantage. Des plantes de genres divers finissent par:ne pas plus différer entre elles que beaucoup de plantes congénères. Aucun caracière ne doit être absolument exclu de la formation des genres. La physionomie , lhabitus des plantes doit y être compté pour beaucoup. Les différences qui ne se distin- guent que par un examen pénible, qu'a l'aide de la loupe, doivent, au contraire, être comp- iées pour peu de chose. Sont-ce des genres que ceux qui ne compre- nent qu'une espèce ? Evitons les autant qu'il se ù : peut. Si telle plante qui paraît sous plusieurs rapports ne ressembler qu’à elle -même, peut, seulement par quelque caractère important , se rapporter à un genre établi, elle sera mieux là qu'ailleurs. Ne laissons isolées que les espèces qu'il est iout-à-fait impossible de rattacher à quelqu'autre. Très-peu sont dans ce cas. La nature nous offre quelques masses d’espè- ces qui se ressemblent tellement, quant à leur frucüfication sur-tout , que ce n'est qu'avec (59) effort , conire l'indication naturelle , et unique- ment pour soulager notre mémoire , qu'on les coupe en genres. Telles sont les ombelli- fères , les crucifères, les graminées, les mousses, Il y a plus de rapports entre les genres des graminées , des mousses, qui se ressemblent le moins , qu'entre ceux qui se ressemblent le plus dans certaines autres familles, En général , plus une famille est naturelle , plus ses genres sont difficiles à déterminer. Supposons que les espèces de l’une de ces familles naturelles n’ont point encore été rédui- tes en genres; deux hommes s'occupant en même tems de ce travail, le feront certai- nement d'une manière toute différente. Les genres de l'un ne seront point ceux de lautre; ils pourront n’être ni meilleurs, ni plus mauvais. Dans ces familles , le seul moyen d’avoir des genres vraiment fondés sur quelque chose , c'est d'en faire peu. Les anciens et les rénovateurs ne virent guères que les espèces. Ebauchés par G. Bauuix et par Monissox , les genres furent enfin établis régu- lièrement par Tourxerorr, et en général avec autant de sagacité que de sagesse. Il y en a beaucoup que Linxxé eût mieux fait de ne pas changer. (9) | Il fit bien, je crois, de réunir les genres Pryrus, Malus, Cydonia de TourxerorT , que celui-ci n'avait séparés sans doute que pour “obéir à l'usage. Mais ce sont sur-tout les distinc- tons spécifiques qui sont relauüves au langage commun ; les distinctions génériques appartien- nent davantage à la langue de la science, Dans combien de genres certaines espèces diffèrent plus que ces genres entr'eux ! Le naturaliste, en comprenant sous un nom générique commun , ces arbres si beaux, si utiles, dont les espèces, les variétés nombreuses sont si connues du vulgaire , ne fait que consacrer en quelque sorte les relations intimes qui les unissent réellement, et il me semble que c’est les montrer sous un point de vue plus intéressant La même obser- vation s'applique ‘aux genres Pinus , Abies , Larix de Tournerorr, que quelques modernes. rétablissent comme ceux dont nous venons de: parler. | Mais Linxé qui avait à propos , je pense, fondu ensemble ces genres de son prédéces- seur, en a coupé d’autres sans motif. Qui croira ‘qu’il eût séparé les Cerastium des Stellaria , sile système auquel il a quelquefois sacrifié la nature ne lui eût fait la loi d’attacher trop d'importance au nombre des styles qui met ces plantes , d’ail- leurs si semblables ; dans des ordres différens 2 (ot) ét il fait du Z’alantia un genre. distinct des Calium , et len eût-il placé si loin, s'il n'eût d'avance établi sa classe polregime, fondée sur une considération plus ingénieuse qu’exacte , mais où il fallait bien: faire entrer quelque chose ? Ne sont-ce pas là des genres faits évidemment et uniquement pour le système ? Ailleurs Lixxé eut le bon esprit de sacrifier son système à la nature, Il laissa ensemble , comme je l'ai déjà remarqué, malgré le nom- bre différent des étamines , tous les Geranium qu'on a partagés depuis. Après Linxé et M. ne Jussieu le nombre des genres avait déjà peut-être besoin d’être réduit plutôt qu’augmenté. Plusieurs demandaient à être réunis, presqu'aucun ne devait être coupé. Les genres exotiques vraiment nouveaux de- vaient être ajoutés , mais en les multipliant le moins possible. Le plan directement contraire sur lequel on a travaillé depuis un certain tems, rend aujourd’hui nécessaire pour les genres pré- cisément la mème réforme que pour les espèces. Ca CHAPITRE X. Fanulles. — Méthode naturelle. Id fundamentum feci, cui soli methodus naturalis potest superstrui, ut vicin®æ siné stirpes qu&æ notis plurimis sibi similes sunt , etiamsi aliqu& quam longissimè differant ; dissimiles quæ plurimis notis diversæ sunt , etiamst una nota quàm vicinissimæ fuerinte Meglectus hujus axiomatis omnes methodos nonnaturales genuit. Hazzer, Præf. , p. 14. Ce fut une heureuse idée que de désigner sous le nom de familles ces groupes de plantes remarquables par une physionomie commune, et souvent non moins conformes par leurs habi- tudes et leurs propriétés , que la nature semble s'être plu à former elle-même , comme pour nous rendre l'étude du règne végétal plus facile , plus intéressante. Les douces relations que rap- pelle ce mot de familles , dent Macro fit le premier usage , ajoutent encore au charme des fleurs. Je suis surpris que Linxé |, qui aimait à saisir des allusions de ce genre, n'ait (95) : point adopté cette dénomination qui se rattache si bien à la séduisante doctrine des sexes et de la fécondation des plantes. Des fleurs , des époux, des familles ! Tout ce qu'il y a d’aimas ble, tout ce qu'il y a de touchant dans la nature n'est-il pas là ? Ce nom de familles ne fit cependant fortune en botanique que long-temps après Macxoz. De nos jours, on a fini par l'introduire dans toutes les branches de l’histoire naturelle. Mais le goût permettait-il de l'appliquer à certaines parties comme aux minéraux et aux maladies dont la déplorable multitude assiége notre existence ? Peut-il convenir à d’autres êtres qu'à ceux qui se multiplient par une véritable génération ? Les familles ne sont vraiment que de plus vastes genres , des genres d’un ordre supérieur, mais qui doivent être formés d’après les mêmes règles que les autres. Les êtres qu’elles compren- nent doivent essentiellement se convenir par un ensemble marqué de rapports. C’est là sur-tout ce qui les distingue des classes de ioutes les mé- thodes, quin'offrent presque jamais cet avantage. De mème que les genres, Îles familles , quoi- qu’elles constituent spécialement la méthode dite naturelle , ne peuvent cependant être considérées que comme l'ouvrage de l’homme. La nature ( où ) wen a pas tracé plus exactement la circonscrip= tion ; aussi n’est-on pas plus d'accord à leur egard. La distribution des plantes en familles admet encore plus d’arbitraire que leur arrangement en genres et en espèces. Il est possible de faire bien de plus d’une manière , et nous pouvons, suivant que nous le jugeons à propos , étendre ou res- serrer les groupes , en former un plus ou moins grand nombre. Il serait bien à désirer cependant qu’une fois établies sur de sages prin- cipes , ces agrégalions et les noms qui les dési- gnent soient , ainsi que les genres, respectés D tous les systèmes de classification. N’a-t-on pas quelquefois abusé du mot naturel en botanique , en l'employant tantôt d'une ma- nière trop indéterminée, tantôt d’une maniere trop spéciale pour désigner certaines conformités entre des organes de prédilection ? En le ré- duisant à sa plus simple , à sa primitive accep- tion, il ne signifie réellement pas autre chose que facile à distinguer au premier coup d'œil. Or , il n’y a de tel que les sections où les ca- ractères tirés des parties regardées comme les plus essentielles , de la fructification, sont con- firmés par ceux des parties de:la re , de l'ensemble desquels résulte le port , la physio- nomie des plantes. C’est celte masse de rapports qui frappent simultanément les sens et l'esprit, HO } / qui consutue un groupe nalurel. S'il faut une analyse mimutieuse et pénible pour découvrir ces rapports , le groupe ne peut être appelé naturel. La méthode naturelle n’est donc que la méthode des ensembles, par opposition aux classifications artificielles fondées sur des caractères particuliers, Mais une méthode entièrement naturelle paraît aussi impossible qu’une méthode purement arti- ficielle. IL est des êtres qu’on ne peut d'après leur ensemble classer d’une manière vraiment satisfaisante. Il en est d’autres au contraire dont les relations sont telles ; que dans tous les systèmes , quelque différente qu'en soit la base, on les trouve toujours réunis. » / La méthode de M. pe Jussiec offre des familles iout-à-fait artificielles , comme Île système de Linxé quelques classes vraiment naturelles. Cha- cune de ces classifications est réellement mixte comme toutes les autres. Mais la considération des ensembles, le plus souvent sacrifiée dans la première, domine au contraire dans là seconde. Nous n’aurons jamais des familles toutes égale- À : 3 ? , ON ment naturelles, Il n'y en a qu'un nombre irès- borné qui puissent mériter vraiment ce nom. Quelques-unes ne seront jamais que des genres groupés tant bien que mal , uniquement parce qu'il faut grouper. (96 ) Les familles comprenant un plus grand nombre d’êtres que les genres, doivent néces- sairement offrir encore plus d’'exceptions aux caractères posilifs, à l'égard desquels le métho- diste est , malgré lui-même , obligé d’être moins sévère. On n'évite une partie de ces exceptions qu'en multipliant trop les groupes , en sacri- fiant des ressemblances générales à quelque dif- férence particulière , ce qui est tout-à-fait con- traive au véritable esprit de la méthode na- turelle, L’envie de donner aux familles des ca- ractères plus positifs, de se rapprocher dans leur détermination de la sévérité artificielle, qui paraît devoir en être bannie, a déjà produit bien des coupes de ce genre. Si toutes les familles étaient véritablement natu- relles, commeles Crucifères, les Graminées ,etc., la méthode naturelle ou des ressemblances , en nous enseignant les relations essentielles des plantes entr’elles , serait encore la plus propre à nous conduire à la connaissance de leurs noms. Mais il s’en faut bien qu'il en soit ainsi. Des clasées et des ordres arüficiels fondés sur des rapports moins complexes seront probable- ment toujours d’un usage plus commode pour le diagnostic. On doit éviter plus soigneusement encore les fanulles | (97) familles d’un seul genre, que les genres d’une seule espèce. Ce nesont point des familles, Quand un genre ne se rapporte facilement à aucune famille par des caractères posiufs, le facies, les propriétés, l'habitation même, etc., pourront être mis en compte pour y suppléer. Ne sont-ce pas aussi des relations naturelles? Ne faut-il voir 1a nature que sous un aspect ? Rien n’est tout- à-fait isolé. Il n’y a , je crois, aucun genre qui ne puisse ainsi être rattaché sans inconvenance à quelque groupe. Ces rapprochemens , tout im- ” parfaits qu'ils sont , plaisent encore mieux à l'esprit que lisolement qui détruit Pintérèt. Linxé ne crut pas devoir assigner de carac- tères aux ordres naturels ou familles. Au lieu de caractères , Apanson donna le résumé de ce que chaque famille offre de plus remar- quable. M. DE Jussieu essaya d'en déterminer avec plus d’exactitude les traits distinctifs. Une foule de sayans ont marché sur ses traces , et cependant, malgré leurs efforts , les caractères des fanuiles , longs , vagues , embarrassés de formes exceptives , aliernatives , ou tirés d’or- ganes peu faciles à observer , sont bien loin d'offrir pour l'étude toute la facilité qu'ils sem-. blent promettre. En tächant moi-même de re- duire ces caractères plus qu’on ne l'avait encore fait, sans les rendre insuflisans , jai eu l’occasion 7 (98) de me convaincre de l'impossibilité d'arriver , dans un pareil travail, au moins pour un grand nombre de familles , à la précision désirable. Le caractère différentiel de certaines familles , comme les Labiées, les Ombellifères , les Com- posées , les Mousses, eic., peut sans peine être resserré dans une phrase presque aussi courte que celui du genre le plus distinct. Après ces familles, il n’y a plus que des groupes tout-à-fait artificiels qu’on puisse caractériser aussi facile- ment , aussi nettement. Quant aux fanulles assez nombreuses qui ne sont ni vraiment naturelles, ni entièrement artificielles , ce sont celles dont il est le plus diflicile d'exposer les caractères avec précision. © Ce n’est point par-des caractères appris d’a- vance qu'on acquiert la connaissance des familles, On sen fait l'idée d’après quelques plantes qui servent de modèle, et l’on y rapporte les autres en qui on observe une ressemblance générale avec celles-ci. Ces groupes ont été formés par. le savant précisément comme l'élève apprend à les connaître. Linxé (1) recommande de faire le caractère (i) Phil, bo. , $. 169 (59 d’après le genre et non le genre d'après le ca- ractère. Ce précepte, l’un de ceux qu'il ne me paraît pas inutile de rappeler , s'applique aussi justement au moins aux familles. Ce n’est qu'après qu’on les a formées sur l’ensemble des relations, qu'il faut , en observant ce qu'ont de commun les genres qu’elles comprennent, leur assigner autant qu'il se peut des caractères distinctifs. On coupe , on multiplie les familles presque aussi librement que les genres et les espèces, et pour la plupart cela n’est pas plus difficile. Le bon goût et l'utilité doivent également mettre un terme à cet abus. Il importe de ne pas hacher d'une manière incommode et mesquine cette belle distribution des végétaux qui doit sans cesse être présente à l'esprit du botaniste. Lixné , qui ne doit pas être oublié parmi les fondateurs de la méthode naturelle, comptait 67 ordres ou familles ; Bernarp De Jussieu, 65; Apanson, 58 seulement ; M. À. L. ne Jussieu en admit d'abord 100. Aujourd’hui, en rassem- blant toutes les sections proposées par divers auteurs , le nombre en serait à peu près double ; c'est trop. Il me semble qu'il convient de ne pas s'éloigner beaucoup du nombre fixé d’abord par M. À. L. pe Jussieu. Plusieurs genres sont devenus des familles, { 100 ) comme tant d'espèces sont devenues des genres: Maintes fois en voulant ériger ainsi en famille quelque genre, sans pouvoir lui en joindre d’au- tres , on a pris le parti de le couper en deux , trois, ou plus , pour donner davantage à ce dé- membrement l'air d’une famille. Il résulte seu- lement de ceite pratique qu’on a fait plusieurs coupes inutiles au lieu d'une seule, Au reste , la multiplication des familles n’a pas autant d'inconvéniens que celle des genres. La translation des genres d’une famille dans une auire, qui ne change rien au nom de ces genres, cause moins d’embarras que celle d’une espèce d’un genre dans un autre. Ce dernier déplace- ment, ne pouvant avoir lieu sans un changement dans la nomenclature , ajouie toujours à la syno- nymie et par conséquent au désordre. Quoi) : CHAPITRE XL Tribus. — Classes. Les trois tribus ou divisions primitives du règne végétal, Dicotylédones , Monocotylédones, Acotylédones , admises aujourd’hui par tous les naturalistes , ne doivent être considérées que comme trois immenses familles dans l’une ou lauire desquelles viennent assez naturellement se placer toutes les autres familles. Quoique les limites de ces irois tribus ne soient pas toujours parfaitement déterminées, quoique cette distribution soit sujette à un cer- tain nombre d’exceptions, si on veut la considérer comme basée seulement sur quelque caractère particulier tiré , soit du nombre des cotylédons, soit de la position de la radicule , soit du mode d’accroissement ; elle n’en est pas moins natu- relle etinfiniment préférable à toute autre, quand on la considère comme fondée sur l’ensemble de l'organisation. Sous ce point de vue , le seul qui soit vraiment philosophique , ces trois classes primitives paraissent inattaquables dans leur masse. Les extrémités seules peuvent se mêler , se confondre quelquefois , comme celles des familles et des genres. L'ro2 } La tribu des Acotylédones est celle dont la limite a été le plus diversement tracée. Quelques botanistes en excluent plusieurs familles , telles que les Fougères, les Rhizospermes, les Mousses, les Hépatiques , que d’autres y comprennent. Il est certain que ces familles, soit qu’on les range parmi les Acotylédones , soit qu’on les laisse parmi les Monocoiylédones , forment dans l'une ou l’autre iribu une masse assez distincte. L'absence de fleurs proprement dites, ou d’or- ganes sexuels vraiment distincts , nous paraît cependant devoir fixer invariablement leur place parmi les Acotylédones. Le défaut d'organes si importans n’est pas sans doute un caractère moins essentiel des plantes de cette tribu, que la privation de cotylédons et labsence de vaisseaux dans leur tissu, si difficile à constater , et dont la réalité et l’universalité peuvent être regardées comme fort douteuses. Quant aux feuilles par la présence desquelles ces familles semblent sur-tout différer du reste des Acoty- lédones , nous les voyons disparaître par degrés dans les Hépatiques , dont plusieurs, en prénant le port des Zichen , tandis que d’autres offrent , celui des Mousses, forment le passage des Aco- tylédones foliées aux Acotylédones aphylles , et établiésent ainsi l'unité de la troisième tribu du règne végétal. ( 105 ) Quand on veut passer par des coupes inier< médiaires des premières divisions ou tribus aux familles , la nature semble alors abandonner tout-à-coup le méthodiste et se plaire à déjouer ses efforts. Quoi qu'il fasse , les sections quil imagine sont toutes plus ou moins arbitraires. 1l faut donc se garder de leur attribuer plus d'importance qu’elles n’en ont réellement et ne les regarder que comme des moyens de soulager la mémoire et de faciliter l'étude. Les botanistes ne seront jamais d'accord sur ces divisions du second ordre , comme ils le sont à peu près sur les autres ; chacun pourra les établir d’une manière différente , suivant le point de vue auquel 11 donnera la préférence. Ces divisions formant Île passage des tribus aux familles, et qu'on dé- signe spécialement sous le nom de classes , ne peuvent plus s'établir d’après la considération des ensembles. On est obligé d’avoir recours à des caracteres pris à part. Elles ne paraissent dans aucune méthode pouvoir être naturelles , dans le sens où l’on applique ce mot aux familles. Peut-être des subdivisions proposées jusqu’ict dans les tribus , celle qui partage les Dicoty- lédones et les Monocotylédones d’après le périan- the double , simple ou squamiforme , et les Aco- tylédones d’après la présence ou l'absence des feuilles , est-elle la moins éloignée de mériter (104) le ütre de naturelle ? Peut-être est-elle assez importante pour devoir , ainsi que les tribus elles-mêmes, être conservée dans toute distribu- tion des familles en classes ? Dans l'essai de classification que j'ai publié (r)} de concert avec mon estimable et savant ami, le docteur Drsconccnamrs , après ces premières considérations, c’est à celle de l'ovaire supé- rieur ou inférieur relativement au périanthe , que nous avons cru devoir nous attacher pour obtenir un nombre de classes plus convenable. Mais si nous avons préféré ces Caractères à ceux tirés de l'insertion , ce n’est pas comme four- nissant des coupes moins artificielles , c’est seu- lement comme d'une détermination plus facile et sur-tout moins équivoque et moins arbitraire. Tout ce qu'on peut désirer, quant aux classes, c'est qu'elles soient en nombre suflisant pour aider la mémoire , et pas assez nombreuses pour qu’elle ne puisse aisément les saisir toutes d'un seul apercu , et qu’elles offrent le moins d’excep- tions possible. Elles ne doivent sur-iout jamais être basées sur des organes difliciles à observer, (1) À Part. Méthode, du Dict. des scienc. méd., et depuis, avec quelques modifications, dansl Esquisse du règne végétals { 105 } sur des considérations subtiles et recherchées 3 jamais elles ne doivent laisser rien d’équivoque. C’est dans l’arrangement en classes, des fa- milles comprises dans chacune des trois grandes iribus du règne végétal , que l'esprit de système peut encore s'exercer dans l’état actuel de la science , avec quelque espoir de la servir et d'arriver à des coupes mieux déterminées et plus commodes que celles employées jusqu'à ce jour. : Les classifications artificielles fondées exclusi- vement sur quelque organe particulier et où l’inté- grité des familles est sans cesse rompue , ne sont admissibles que pour conduire à la connaissance du nom des espèces. La simplicité dont elles sont suscepübles , leur invariabilité les rend même plus propres à remplir ce but, que la méthode naturelle ou des ensembles. C’est quelque chose sans doute , et l’on affecte ce me semble au- jourd'hui d’en faire trop peu de cas , sur-tout du système de Linxé qui est certainemeni encore, malgré ses défauts , ce qu’on a imaginé de plus ingénieux et peut-être de plus commode pour la détermination, Ce système , où toutes les plantes connues et celles qu'on découvre chaque jour trouvent facilement leur place dans des classes dont un seul nom bien choisi rappelle ; (166) le caractère disüinctif ; ce système, qu’une foulé d'apercus heureux , d’allusions pleines de char- me, distinguent de tout autre , sera proba- blement de toutes les méthodes artificielles la seule qu’on n’oubliera pas tout-à-fait. Si quelques divisions du sysième sexuel reposent sur des considérations trop recherchées, ces raffinemens mêmes , offrant toujours d'aimables analogies avec les amours des êlres animés et sentans , n'ont peut-être pas peu contribué à sa rapide fortune , fortune dont les annales dés sciences n'offrent pas d'autre exemple. Il devra sans doute sa perpétuité à ces mêmes défauts auxquels il a dü une partie de sa vogue. Je ne crois pas qu’au- Cun travail du même genre , non seulement en “botanique, mais dans quelque science que cesoit, ait jamais porté le cachet d’une aussi piquante originalité que le système linnéen. On a essayé de Île rendre plus exact et plus facile em Supprimant certaines divisions, en déterminant ‘mieux quelques autres; cependant ces change- mens n'ont pas été adoptés et ne devaient pas l'être ; ils lui font perdre du côté de l’origi- nalté qui en fait sur-tout le mérite, plus qu'ils ne lui font gagner du côté dela facilité. Je ne connais point l'ouvrage du docteur allemand Hexscurr, qui vient, après Ponrenera, AzsrTox et quelques autres, dé s'élever contre (107) la doctrine des sexes et de la fécondation des plantes. M. Türpix vient chez nous de la com- battre de même dans un ouvrage rempli d’ailleurs d'observations ingénieuses et de vues profondese Mais quand même on reconnaîtrait que cette doctrine n’est qu'une brillante chimère , le sys- tème linnéen n’en resterait pas moins une clas- sification des plantes préférable à toutes celles qui ont le même but, et un monument unique en son genre. Signaler beaucoup d’exceptions à la nécessité de la fécondation n’est peut-être pas fort difficile ; mais elle n’en parait pas moins prouvée d’une manière satisfaisante pour la plupart des plantes à fleurs distinctes. Comment croire qu’un appareil aussi général’, aussi com- pliqué , d’une structure aussi déterminée , aussi uniforme que les étamines et les pistils , ne soit dans les fleurs qu’un luxe inutile ou qu'un ré- sultat d’avortemens ? Cette opinion , outre qu’elle est encore dénuée de preuves , me semble peu conforme à la sagesse, à la dignité de la. nature. N'oublions pas que c’est cette doctrine des sexes qui a sur-tout rendu la botanique attrayante , qui, en la faisant aimer, en lui attachant par un charme particulier ceux qui la cultivent , a le plus contribué à son avancement. Ne nous pres- sons pas de désenchanter la science des fleurs. Quant aux dichotomies irrégulières , comme ne { 1o8 ) celle que M. DE Lamanrcx essaya le premier pour les plantes de France , c’est un chemin long et toriueux, qui n'offre à celui qui le suit aucun point fixe où il puisse se reposer , qui le mène quelquefois assez juste au but , mais ne lui laisse aucun souvenir de l’espace qu'il a parcouru pour y arriver. Une classification ré- gulière , quelqu’artificielle qu’elle soit, est un moyen plus court, plus sûr et sur-tout plus sa- tisfaisant pour l'esprit. Ce qu'on vient de dire des dichotomies doit s'entendre , à plus forte raison, de certains procédés plus mécaniques encore proposés récemment. On a trop long-tems paru réduire la botanique à la solution du problème : une plante donnée , trouver son nom. Non seulement ce n'est pas le but principal de la science , mais c’est un but qu'il ne paraît pas que les arrangemens les plus ingénieux puissent jamais atteindre par- faitement. N’espérons pas de forcer toujours infailliblement la plante à nous dire , suivant l'expression de Lixxé, son nom elle-même (i). Les classifications ne sont que l'échafaudage de l'édifice de la science , que trop souvent dans nos livres on cherche vainement derrière. nn —— EEE (1) Dicat ipsa planta suum nomen suamque historiama { Syst. veget. , introd, ) { 109 ) CHAPITRE XIL Dans quel ordre il convient de tracer le tableau du règne végétal. Est-1l besoin d'essayer aujourd’hui de prouver de nouveau combien toute idée de chaîne unique, de série linéaire , soit des corps naturels en gé- néral , soit des végétaux en particulier, est vaine et chimérique ? Tout est lié dans la nature de mille manières , en tous sens, de près ou de loin. Chaque espèce , chaque groupe d'espèces peut , à son tour , être considéré comme un centre autour duquel , de tous côtés , à des distances plus ou moins considérables, viennent se placer une foule d’autres espèces ou d’autres groupes qui lui sont coordonnés par des rapports plus ou moins intimes (1). C’est d’après les plus marquées de ces relations que se forment les genres , les families , mais (1) C’est à Rousseau qu'appartient originairement, je crois, cette belle idée plus d’une fois répetée depuis =: »Ïlwy a pas un être dans lunivers qu’on ne puisse a quelqu’égard regarder comme le centre commun de tous les auires, autour duquel ils sout tous ordonnés « Emile, 29e à | ‘(110 } ces agrégations sont bien loin de pouvoir être considérées comme l'expression de tous les rapports des êtres entreux. Quelques-uns de ces assemblages peuvent même , vu l’infinie multiplicité de ces rapports , être formés presque également bien de plusieurs manières. Combien de plantes n’ont pas une place tellement assignée dans telle famille, qu’elles ne puissent aussi con- venablement être placées dans telle autre ! Telle famille peut encore bien plus aisément, dans l'ordre général, se trouver aussi bien auprès de celle-ci que de celle-là. La nature n’a fixé de place bien déterminée qu'à un petit nombre d'êtres. C’est en considérant cette mulüuplicité des affi- nités des végétaux , que Lainxé , à qui peut-être aucun point de vue vraiment intéressant en botanique n’est entièrement échappé , les com- parait, non pas à une chaîne suivie , mais aux positions respectives des territoires sur une carte géographique (1). Mais en supposant la possibilité très-douteuse de l'exécution satisfaisante d’une semblable carte , la complication de relations qu'elle indiquerait la rendrait certainement d’un usage peu commode pour l'étude , et elle ne conviendrait guere qu'au savant. Ce tableau ne (1) Plantæ omnes Ra affinitatem monsitrant uti £erritorium in rnappä geographicä. Phil, botan. , (. 77. maris. Cut Di : nous dispenserait donc pas des classifications moins parfaites , mais plus simples et plus à la poriée de notre esprit qui ne peut saisir à la fois tant de rapports divers. Puisqu'il faut à notre faiblesse un ordre moins compliqué , moins sublime que celui de la na- ture , dont Linxé (1) ne pensait pas que nous puissions saisir autre chose que des fragmens ; puisque notre esprit a besoin d’être fixé par des coupes plus précises , plus déterminées, tâchons, mais sans y attacher plus d'importance qu'il ne convient , d'adopter une distribution simple , fa- cile , et dont les sections ne contrarient jamais trop sensiblement le peu qu'il nous est permis d’apercevoir du plan de la nature. Rappelant ensuite à l’article particulier de chaque famille, de chaque genre , de chaque plante, ses autres relations dignes de remarque avec des êtres qui s’en trouvent plus ou moins loin dans l’ordre général ; nous aurons ainsi fait connaître tous les rapports vraiment’intéressans des végétaux enir'eux , rapports dont l’ordre linéaire et succes- sif , indispensable dans un livre , ne peut seul donner aucune idée juste. Mais parmi cette multitude infinie de VÉSÉ= (1) Phil, bot., $. 77 et passim. (112) taux qui parent la terre , sur lesquels porterons- nous d’abord nos regards ? Il semble tout na- turel de commencer par les plus marquans , les plus parfaits. Cependant une application déplacée à l’histoire naturelle, de la méthode la plus avantageuse dans les sciences exactes , a fini par engager les botanistes qui se piquaient de suivre de plus près la nature , à adopter un ordre inverse. ZALuzrAN, le même qui , le premier, paraît avoir eu des idées exactes sur le sexe des plantes, est , je crois , aussi le premier qui ait commencé Îe tableau du règne végétal par les plantes les moins parfaites ou plutôt les plus simples , les Acotylédones (r). La même marche fut suivie d'abord par Ray, puis par Macxoz, BorrnAAvE , Hazrer, BERNARD DE Jussieu, ADAxsoNx , et enfin parlillustre auteur du Genera Plantarum. L'exemple de ce dernier a servi de règle à tous ceux qui ont adopté ou modifié sa méthode. Le goût presque toujours sûr de Linné ne lui permit pas d'approuver cet ordre (2). Nous avons vu de nos jours des bo- tanistes du premier rang en sentir enfin le défaut (1) Methodus herbaria , 1604. (2) Naturalis instinctus docet nosse primüm proxima ct ultimd minutissima ; ex, 21. homines , quadrupedia ,; aves » pisces , insecta ,; acaros ; vel primüm majores plantas , ultimd mininos muscos, Phil. botan. , 6. 153. et (en ?) #£t l’abandonner en revenant sur leurs pas ; quoique d'autres savans y persistent encore. S'il est à propos dans les sciences abstraites d'aller du simple au composé, doit-il en être de même en histoire naturelle? La nature ne nous offre que des êtres plus ou moins com- posés , et c'es avec ceux qui le sont le plus qu'elle nous a mis le plus en rapport. Ce sont ceux-là par conséquent dont la connaissance nous est le plus facile; ce sont ceux-là qui, nous servant de termes de comparaison , nous apprennent en quelque sorte à connaïtre les autres. L'arbre qui fournit à l’homme un abri , des mêts sayoureux et nourrissans , fut sans doute pour lui le premier modèle de l'idée du végétal. Les plantes dont les fleurs charment ses sens ; comme le Lis , la Rose, furent bientôt comprises sous la même idée archétype. Les autres végé- iaux moins remarquables vinrent s'y ranger, à mesure quils fixèrent lattention par quelque rapport plus ou moins intéressant avec l’espècé humaine, Mais un téms considérable dut:certai- nement s'écouler avant que l'esprit de l'homme , après une multitude d'observations intermédiai- res , pût considérer comme appartenantau même règue le Chêne ou le Palmier qui élancent leur 8 Cr) £ête dans les nuës, etle Byssus pulvérulent 6® le Lichen crustacé qui ne paraissent que comme: des taches sur les pierres d’un antique édifice. Si l'on veut commencer par ces derniers: l’histoire des végétaux , il faudra donc com-. mencer également celle du règne animal , non ar l’homme dont le génie observe et classe Îles autres êtres, mais par la monade invisible ; que l’homme n’a découverte qu'après tant de siècles , à laide des instrumens qu'il a su créer pour étendre à un point si étonnant ses facultés. Dirai-je à l'élève qui commence l'étude de la botanique : jeune homme , vois cetie pous- sière verte ou jaune , ce Pyssus qui colore la roche ou le tronc de l'arbre ; voilà le végétal dans sa plus grande simplicité. Fais-toi d’après ce modèle l'idée de la plante ; que celle-ci soit le premier degré qui doit te conduire à la connaissance des autres, dont l’organisation plus compliquée n’est point encore à ia portées C'est à ce iype primiuf que :tu dois com- parer les autres êtres, à mesure qu'ils se pré- senteront à toi, pour déterminer leur rang dans le règne végétal... L'élève auquel je parlerais ainsi ne doutera-til pas:si le Chêne et le Rosier sont des plantes? L'application rigoureuse d'un (115) principe erroné est le moyen le plus prompt et le plus sûr d'en montrer le vice. Je ne sais si cette progression des êtres les plus simples aux plus composés est l’ordre de la nature , du créateur ; ce n’est pas assurément celui qui convient à l'homme. Je ne pense donc point avec un naturalista recommandable (1), qu'il soit absolument indif- férent de commencer le tableau des végétaux par une extrémité ou par l’autre. La nature des choses , la convenance , non moins que la com- modité, semblent exiger que ces plantes sur les- quelles la curiosité toujours croissante de l’homme ne s’est arrêtée d'une manière suivie que dans Îles temps modernes, ne trouvant plus, en quel- que sorte, assez d'alimens à son avidité dans les classes supérieures ; que cette foule de végé- taux imparfaits et d'une observation difficile, dont plusieurs n'existent pour ainsi dire pas pour iout autre que pour l’observateur exercé ; soient rejetés vers les dernières limites du règne, place que la nature elle-même paraît leur avoir assignée. ji 0 oo (1) M. Décax,, Théor, élém. de botan, , p. 205. { :16 ) La convenance rigoureuse de placer aux pre- Miers rangs les végétaux les plus parfaits une fois observée , le commencement peut être par iout parmi ces derniers. Seulement il paraît plus naturel , plus commode de commencer par quelque famille du nombre des plus remar- quables par leur beauté , leurs qualités, leurs usages , de celles en un mot dont l'existence se lie à la nôtre par des relations plus intéres- sanies, el qui se présentent le plus souvent à mos observations. Burrox , d'ailleurs blämable d'avoir rejeté toute classification , a bien senti cette convenance , en consacrant aux espèces indivènes et domestiques les premiers articles de son immortelle kistoire des animaux. Il faut au reste en histoire naturelle, comme dans les autres sciences, considérer sous toutes les faces les êtres qui en sont l’objet. Il faut Savoir passer , suivant le but qu'on se propose , des plus simples aux plus composés , comme de ceux-ci aux premiers; tantôt s'élever du réelà Vabstrait , de l'individu à l'espèce , de l'espèce au genre ; tantôt descendre de l’abstrait au réel, du genre à l'espèce , et de celle-ci aux individus. C’est seu- lement quand on est parvenu par l'ordre le plus naturel aux êtres les moins parfaiis;-qu'on peut, à leur tour, prendre ces derniers pour_point à dépaït, St jeter pour ainsi dire sur la natûre (zr7) an coup d'œil en sens inverse. Mais ce n'est là qu’un aperçu tout-à-fait secondaire , qu'on ne peut, sans confondre toutes les idées , consi- dérer comme le plus important, le plus propre à l'étude, et comme devant exclusivement servir de base à la méthode naturelle. | Toute idée de chaîne, de série linéaire unique de la végétation une fois exclue , l’arrangement entr'elles des familles dans chaque classe laisse une assez grande liberté. En respectant à cet égard quelques analogies bien marquées, le reste devient une affaire de goût. Il me semble très- convenable de placer au commencement de chaque tribu , de chaque classe , de chaque section , les familles les plus remarquables qui s'y rapportent , de les finir au contraire par celles qui présentent moins d'interêt , ou par celles qui, par quelque trait de leur organisa- üon , lient cette section à quelqu’autre plus ou moins éloignée. Les genres qui ont servi de types aux familles paraîtront de mème natu- rellement à leur tête , et les espèces seront disposées d’une manière analogue dans chaque genre. On doit tächer , autant qu'il se peut, de former des diverses sections d’une méthode des masses régulières , parallèles , correspondentes, qui A ( 118) | présentent entr'elles ou des accords ou des con* trastes que l'esprit se plaît également à saisir. Ce parallélisme des groupes offre un point de vue aussi intéressant au moins que celui de l'enchaînement. | (119) CHAPITRE XIIL Langue botanique. Aucune science ne peut se passer d’un certain nombre de termes qui lui sont particulièrement consacrés et forment sa langue; mais cette langue est d'autant meilleure , plus parfaite , qu’en suffisant à tout , elle diffère cependant moins de la langue commune, Elle ne doit sur-tout jamais dégénérer en un jargon fastidieux , barbare , semblable à des formules magiques et tout-à-fait étranger au langage ordinaire. En remarquant que les progrès d’une science sont essentiellement liés au perfectionnement de sa langue , CoxpirLraAc a énoncé une impor- tante vérité. Mais combien n’a-t-on pas abusé de cette observation ! Combien les naturalistes sur-tout paraissent loin d'en avoir saisi l'esprit ! Est-ce perfectionner que d'accroître, de changer sans fin ? Personne n’a blamé plus expressément que Coxpizrac lintroduction sans nécessité de termes nouveaux dans le langage savant (1). (1) Ess. sur l'or. des conn. hum. , part, IL, sect, 2, Ce 2 » S+ 14; et Log., part. Il, ©, 7. ( 120 } Le principe de l'uülité ne s'applique pas moins à la terminologie qu'aux distinctions spéci- fiques ou génériques. Aucun terme nouveau, comme aucune espèce , aucun genre, ne doit être ‘admis sans une raison suflisante. Tout ce qu’on peut facilement et sans confusion exprimer avec le langage commun , ou du moins avec des iermes déjà recus , ne doit pas l'être autrement. Lixxé rendit sans douie un grand service aux sciences naturelles en créant la langue descrip- tive. Peut-être en consultant lutilité , le goût, pouvait-on déjà restreindre avec quelqu'avantage le nombre des termes admis par le philosophe suédois ? Depuis , on a plus que doublé le dictionnaire botanique ; décrit-on vraiment mieux les plantes ? Si l’on s’accordait encore sur tous ces termes nouveaux ! Mais il faut maintenant étudier la synonymie des termes descripüfs, comme celle des nomside genres et d'espèces. On ne s'entend que sur ceux employés par Ent, hors de là presque-aucun n’est devenu d’un usage universel. Chacun a les siens dont 4l se sert seul : c’est le langage de telou tel botaniste etnon celui de la boianique. La langue d’une science , comme celte d'un pays, ne peut être que ceile que tout le monde y parle. , Wror à . La terminologie et la nomenclature ayant fini par devenir presque tout en botanique , on s'efforce d'y faire entrer la plus mince obser- vation qu'on a faite, en la prenant aussilôt pour base de quelque distinction , de quelque déno- mination nouvelle. Il serait bien plus simple , et sans nul inconvénient , d'ajouter cette obser- yaton, comme un fait plus ou moins important, à l’histoire de l'espèce ou de l'organe auquel. elle se rapporte. Mais ce n’est pas pour ajouter à l’histoire des plantes qu'on observe , c’est pour avoir le plaisir de créer des termes ou des noms, et cela est si facile que tout le monde s'en mêle. Faut-il absolument un mot grec nouveau pour désigner chaque légère différence qu’on aperçoit dans l’organisation de quelque partie ? Un terme plus général et recu, modifié convena- blement, n’exprimerait-il pas avec autant d’exac- ttude , et sur-tout bien plus intelligiblement cette différence ? Trois habiles observateurs ont de nos jours analysé la structure des fruits plus soigneusement qu'on ne l'avait encore fait ; mais l'appareil effrayant de distinctions souvent minulieuses , de termes insolites , dont tous trois ont également cru devoir hérisser leur iravail, ne nuit-il pas aux observations vraiment zlüles et neuves qu'il peut contenir ? Chacun (Heat “ P \ Cys hz à a vu et nommé tout à sa manière. Lequel suivre * Aucune de ces terminologies du fruit re de- viendra probablement jamais d'un usage commun dans la botanique descriptive. Rien ne peut être généralement admis que ce qui est simple et commode, -La découverte d’un organe vraiment nouveau, ou d'une modification organique vraiment nou- velle, commune à un certain nombre d'êtres , et qu'on ne peut désigner facilement par aucun terme recu: voilà les seuls motifs raisonnables de la création d'un terme nouveau. Il ne peut qu'embarrasser dès qu'il n’est pas nécessaire. C’est à l’état apparent des choses que doit répondre la terminologie. N'ayant pour but que de rendre les descriptions plus précises, plus claires , il convient qu’elle exprime la manière dont les objets frappent nos yeux, et non ce qu'il peut nous plaire , d’après des considérations plus ou moins fondées , de regarder comme leur nature essentielle. Les analogies recherchées , quoique vraies , doivent toujours être sacrifiées aux ressemblances extérieures et frappantes. Autrement la langue.savante finira par être dans une perpétuelle contradiction avec la langue vulgaire. . Des organes réellement analogues , mais-très- | (125) | différents en apparence , ne seront point , d'aprés ce principe, confondus sous des noms communs. Des ressemblances extérieures très-marquéés seront au contraire un motif suflisant pour ap- pliquer la même dénomination à deux organes, quoiqu'un examen scrupuleux y fasse recon- naltre des différences essentielles. Aucun terme fondé sur des suppositions , quelque probables qu’elles soient, n’est admis- sible. Tous ceux, par exemple, qui pourraient être imaginés d'après la doctrine moderne des avortemens constans , des transformations, des soudures prédisposées des parties entr’elles, devront être sévèrement reïelés. Pour qui ne s'attache qu'a la superficie et aux détails , tout diffère ; mais en considérant les objets sous certains points de vue abstraits , tout finit par se ressembler ; la même intention primitive se laisse apercevoir sous les formes les plus diverses. Ne négligeons pas de remarquer ces analogies qui rapprochent à quelques égards des organes irès-différens , les pétales des filets des étamines , les feuilles des folioles calicinales, quelquefois mêmes des péricarpes , etc. Mais gardons-nous de donner à ces aperçus plus d'importance qu'il ne convient. De la structure Cx24) plus ou moins analogue de ces organes, de la transformation accidentelle de lun en l'autre , s'ensuit-il qu'ils soient essentiellement iden- tiques , que leur forme la plus ordinaire ne soit qu'un résuliat d'avortemens ou de soudures qui en ont aliéré le type originel? Ne regar- dons pas comme l’état essentiel des choses ce que la nature ne nous montre au contraire que comme des accidens, des écarts de sa marche accoutumée. La véritable forme des organes ne peut être que celle sous laquelle ils se pré- sentent à nous presque exclusivement. Penser autrement , c'est évidemment substituer à Îa réalité les aperçus de notre imagination. Là où je vois un pétale , je crois que cest un pétale , et non une étamine , que la nature a voulu faire ; là où je vois une corolle d'une seule pièce , je ne trouve aucune raison de supposer qu’elle ait primitivement voulu la faire de plusieurs. Ne pouvait-elle donc , de première intention , la faire d’une seule ? Je ne peux m'habituer à l'idée que le plan primi- üf de la nature soit ainsi sans cesse et dans tous ses ouvrages aléré , défiguré par des avortemens, des métamorphoses que rien ne prouve. Ce sont là de ces vues abstraites , de ces spéculations qui peuvent , sous quel- ques rapports , ne pas paraître dénuées de fon- dement , auxquelles le savant peut même se & 725 3 livrer avec intérêt , mais seulement comme à de curieuses digressions ; qui ne doivent sur-tout jamais influer sur la partie élémentaire de la science , et par conséquent sur la terminologie. Le prétexte banal d’une foule de change- mens de termes est d'en présenter de plus sigui- ficatifs. Ce prétexte, füt-1l toujours aussi bien fondé qu'il l'est rarement, n'offre pas à beaucoup près une raison suflisante de changer un terme ancien , facilement intelligible et consacré par l'usage. Le néologisme , le luxe terminologique ont été portés en botanique à peu près aussi Join qu'il se pouvait. Au milieu de cette multitude de termes inutiles et souvent barbares dont on Va surchargée, il faut absolument faire un choix. Üne critique sévère, un goût sûr doivent y présider. Persuadons-nous bien sur-tout que ce choix sera d'autant meilleur qu'il sera plus restreint. Que cette langue descriptive néces- saire , mais qui n’est point la science , qui n’est qu'un instrument pour l'acquérir , ne soit pas plus difficile que la science elle-même. J'avais rassemblé comme exemples un certain nombre de termes inutiles, obscurs ou barbares, récemment introduits dans la langue botanique. { 126 ) Je ne les citerai point. Il ne s’en présenterf que trop au lecteur... Peut-être en ne faisant, de mes réflexions sur ce sujet aucune appli- cation particulière , seront-elles plus facilement. approuvées même des auteurs de ces termes. _ Progrès de la science : expression dont on abuse étrangement. Adopter successivement sans examen , et employer des premiers toutes les. distinctions, tous les noms et tous les termes nouveaux quon propose chaque jour : voilà ce que bien des gens appellent suivre le progrès de la science, se tenir à son niveau. La faire reculer à leurs yeux est je crois le plus sûr moyen de lavancer aujourd'hui. (127 ) CHAPITRE XIV: Descriptions. Montrer une plante ou tout autre corps natu- rel , en tracer la figure , ou la décrire ; il ne peut y avoir que ces trois moyens de la faire connaître. Le premier est certainement le plus facile et le plus sûr , mais il est souvent im- possible d'y recourir. Le second , s'adressant de même aux yeux, n’en est, en quelque sorte, qu'une extension. La description , quine présente qu’à l'esprit , et dans un ordre successif , Les traits caractéristiques, que l'indigitation et les figures offrent simultanément aux yeux, est le moyen le plus imparfait, On rapproche d'autant plus l'effet des des- criptions de celui des figures ou de la présence de l’objet même, qu'on les rend plus simples et plus courtes. Il faut qu'elles frappent l’es- prit presque aussi vite que la plante ou la figure frapperaient la vue. Quelques différences saillantes , bien choisies et nettement énoncées, suffisent pour distinguer une espèce, un. genre. Plus le trait différentiel est dégagé des traits communs et resserré dans peu de mots , plus il est facile à saisir , mieux il se grave dans la mémoire, (128 ) Ce n’est qu’en réduisant ainsi les descriptions aux différences, en les faisant dans une langue technique précise et débarrassée de toutes liai- sons inutiles, et sous une forme commune et déterminée , qu'on a pu atteindre toute la brié- veté possible et caractériser un nombre infini d'êtres dans un volume peu considérable. Cet art des descriptions essentielles , fondé sur une ingénieuse analyse, est certainement l’une des inventions qui ont le plus contribué à l’avan- cement de l’histoire naturelle. Les descriptions différentielles conviennent seules dans les ouvrages, tels que les flores, qui n’ont pour objet que de faire connaître le nom des plantes. Les descriptions complètes ne sont nullement commodes pour la détermination. Les différences qui sy trouvent noyées dans la foule des caractères communs ; ne peuvent être reconnues et isolées du reste , que par une attention et un travail pénible. de l'esprit, Le même inconvénient a lieu dans les descriptions abrégées , qui n’élant ni complètes ni différen- tielles , n’ont les avantages ni des unés ni des aulres. 4 Frappé de l'importance de la briéveté , à laz quelle le portait d’ailleurs particulièrement la tournure de son esprit, Laindé réduisit souvent A \ & ( 129 ) à irop peu de chose les caractères essentielg de genres et d'espèces. On peut choisir des dif- férences plus tranchées, on peut en réunir plu- sieurs qui se suppléent et se fortifient mutuel- lément, Ïl faut seulement ne pas oublier qua jamais les plirasés caractéristiques ne doivent devenir longues etembarrassées, et que les détails minutieux n’y doivent entrer qu'à défaut de traits plus marquans. Pourvu qu’elles ne soient pas insuflisantes , plus ellès sont courtes, mieux élles sont faites. N'employer que lés mots strictement néces- gsaires, en évitant les termes insolites ou bar- barés ; les disposer suivant lordre le plus propre à faire ressortir la différence, dans une phrase courte et facile à prononcer : voila le secret de l'espèce d'élégance dont est suscepüblé le style descriptif, secrét que personné n’a mieux connu que Lixxé. Les tableaux placés à la tête des clàsses dû Systema vegetabilium , quelqu'imparfaits qu'ils soient à bien des égards, m'ont toujours paru ce qu'on a fait de mieux pour faciliter la con- naissance des genres. Avec les changemens et les additions indispensables , on pouvait les rendre beaucoup plus utiles encore. Pourquoi , dans nombre d'ouvrages dont le travail de Ling 9 (130) fait la base , ces tableaux sont-ils précisément ce qu'on a supprimé ? Plus on continuera de couper, de multiplier les genres et les espèces , plus il sera difficile d'en exprimer le caractère différentiel en peu de mots. À mesure qu'on augmente ainsi le nombre des êtres , ils diffèrent moins les uns des autres , et il n’est plus possible de les distin- guer que par de minutieux détails, que par une réunion de traits fugitifs et sans importance. Réduisez cette multitude de genres et d'espèces, n’en admettez que de bien tranchés, et vous serez moins embarrassé pour les caractériser. Le défaut des descriptions différenüeiles est de ne pouvoir donner une idée suffisante de l'ensemble du végétal, On peut facilement, je crois , obvier à cet inconvénient dans les ou- vrages de quelqu'étendue , en faisant suivre la phrase caractéristique d’une esquisse en peu de traits du port et de la physionomie de la plante, et de ce qu’elle offre de remarquable, de vrai- ment digne d'attention , quin’est point entré dans le caractère essentiel. Ainsi, à l'avantage de la briéveté nécessaire pour la détermination , on joindra celui d'offrir à l'imagination une peinturé plus compiète et plus vive , où le talent et le goût de l'écrivain peuvent se faire sentir. Mais Sr) tés dénx parties qui concourent d’unë manièré différente au même but , doivent rester bien distinctes. Quant à ces interminables descriptions techni- quement complètes, où les plus minutieux carac- tères sont scrupuleusement rangés suivant l’or- dre des organes sans en éxcepter aucun, elles ne me paraissent , Je l'avoue , guère moins inutiles que fastidieuses. Peut-être est-il bon que des hommes patiens et laborieux s'exer- cent à en faire de semblables |, au moins des Végétaux qu'il est en même tems important de bien distinguer ét très-facile de confondre. Mais j'ai peine à me faire à l’idée du règne vé- gélal entier décrit de céite manière. Quarante volumes au moins, contenant quarante mille descriptions de ce genre, forment une masse dont l'énorme étendue et la monotone et rebu- tante aridité effraient l'imagination. Et ce ne serait là pourtant que le simple tableau des êtres qui font le sujet de la science ; et non la véritable science , la science utile , applicable, qui consiste dans Phistoire de ces mêmes êtres, On n'ose désirer lexécution d’un pareil pla Les ouvrages purement descripüfs doivent essentiellement être bornés.: Quelques naturalistes distingués , entr'autres ( 132 ) M. De Jussieu, ont pensé qu'on pouvait très-biëni se passer de ces prolixes descriptions. Des phrases différentielles bien faites, suivies , comme je l'indique , d’un apercu iracé largement et avec goût, mais toujours très-resserré , de l'ensem- ble des plantes, sufliront en général. Le secours des figures est ,1l est vrai, un supplément né- cessaire dans une foule de cas; mais les plus longues , les plus minutieuses descriptions n’en dispensent pas davantage. Ed A { 153 ) CHAPITRE XV. Z'aleur des caractères. N'attache-t-on pas aujourd'hui, sur-tout dans la composition des families , beaucoup trop d'importance à la valeurrespective des caractères? On en est venu jusqu'à former une échelle de la valeur attribuée à chaque organe par rap- port aux caractères qu'il fournit , et de chaque manière différente de considérer un même or- gane. Il s’en faut bien que la nature se sou mette ainsi au calcul. On ne peut que sen écarter en prenant toutes ces règles à la rigueur. C’est une chose assez prouvée que les fleurs, les fruits , les semences sont plus constans en général dans leurs modifications, que les autres organes ; mais il en est de ce principe comme de beaucoup d’autres qui , vrais en général , entraînent dans l’erreur dès qu’on veut en faire des applications trop particulières et tropraffinées. C’est un défaut également à éviter de ne juger en quelque sorte des affinités que par la valeur prépondérante attribuée à certains caractères , ow de ne faire, à la manière d’Apanson , que compter le nombre des relations. C'est de la ( 134 } combinaison du nombre et de la valeur dés ressemblances sagement appréciées, que doit résulter la véritable affinité des plantes: entr'elles, Dans aucun cas , un ensemble marqué de go ou de différences ne doit être sacrifié à un caracière isolé , quelque importe qu'on le suppose. Si les caractères tirés de l'embryon ont obtenu la prééminence , ne serait-ce pas tout simple- ment parce que plus difficiles à observer, et ne l'ayant point encore été aussi en détail que de nos jours , ils avaient d’un côté le piquant de la nouveauté, tandis que de l’autre on est moins frappé des exceptions qu'ils peuvent offrir. Il me semble que dans une échelle bien rai- sonnée , linvisibilité , ou du moins la difficulté d'observer un caractère , doivent diminuer sa valeur au lieu de l'augmenter. Chacun voit à sa manière les choses peu faciles à voir. On n'est jamais aussi certain de l’universalité d’un caractère microscopique , que de celle d'un caractère sensible. Ce dernier , plus en rap- port avec nos facultés, doit nécessairement être pour, nous d'un plus grand poids, Mais plus un homme a eu .de peine à reconnaître quelque chose, plus il esl porté à luiatiribuer d'importance. (:55) C'est d'après les caractères les plus sensibles que nous devons juger des véritables rapports des êtres. Pour bien voir , il faut voir suivant Ja mesure naturelle de nos organes , et ni trop en gros ni trop en détail. { 156 } CHAPITRE XVE Noms. La distance des lieux , la différence des fangues , ne peuvent manquer de produire un défaut d'accord plus ou moins grand dans la nomenclature vulgaire des corps naturels. La nomenclature savante doit essentiellement être plus générale, plus fixe. Là cependant, la dif- ficulté de s'entendre toujours également bien ne permet pas non plus un accord parfait, Mais cette cause inévitable de confusion , bornée à certains cas difficiles , n’entraînerait que peu d'inconvéniens , si la manie des changemens inutiles n’était venue y ajouter indéfiniment, et rendre la nomenclature savante plus embar- rassée, et sur-tout plus variable , que la nomen: clature vulgaire. Lorsqu'on me demande le nom d'une plante , n'est-il pas étrange que je ne puisse répondre tont simplement : elle s'appelle ainsi; mais que je sois obligé de dire : Linné appelait ainsi ; iel autre la désigne sous ce nom , tel auire encore sous celui-ci. Je n'ai rien dit , si je ne joins le nom d’un homme à celui du végétal. Et cet homme est peut-être quelque allemand ‘bien obscur qui n’a travaillé qu'à gâter la 657 $cience ! Lt cette plante qui a tant de noms est äuelque Gramen ou quelque Mousse des moins remarquables, qui ne diffère de telle ou telle autre aussi vulgaire que par un poil ou par une : dent , que le docteur allemand a vue ou cru voir le premier ! Presque toutes les parties de l'histoire natu- relle sont, de même que la botanique, tombées , quant à la nomenclature , dans une désolante anarchie. Une plante, un insecte, etc. , n'ont plus de nom propre. Car est-ce en avoir un que d'en avoir dix , et sur-tout que d'en changer chaque jour au moindre caprice de tout homme qui se croit naturaliste ? D'un côté , le nombre des êtres connus s’est prodigieusement accru ; de l’autre , chacun a trois , quatre noms , et souvent le nom du len- demain n’est plus le nom de la veille. Celui que les charmes de la nature appelaient à en faire l'objet de ses études, recule involontairement à aspect d’une si effrayante nomenclature. Presqu'en toute autre chose les noms les plus anciens sont les plus respectés ; on préfère du moins les plus généralement reçus. Pourquoi en histoire naturelle les plus nouveaux , les derniers imposés, quelque chétif qu'en soit l'auteur, sont-ils au contraire ceux auxquels { 158 } ôn s'attache de préférence ? Il me semble qué ce ne peut être que pour paraître savoir du moins un nom de plus que les autres. Tant de changemens, tant de variabilité dans la nomenclature , sembleraient prouver qu’on regarde les noms comme quelque chose d'assez indifférent. Tout le mal ne vient cependant que de l'importance excessive qu'on y attache ; et Jon a grandement raison d'y en attacher. Mais l'importance des noms bien entendue devrait produire un effet directement contraire à ce qui a lieu ; elle devrait les rendre immuables. Les noms étant notre seul moyen de nous entendre facilement sur les choses dont nous parlons , combien n’est-il pas essentiel de mettre dans leur usage autant d'accord qu'il se peut! Dans la série des genres d’une même famille , chacun est censé différer à peu près au même degré de ceux dont il setrouve le plus rapproché. On ne peut songer sans doute à mettre dans ces différences uné égalité bien rigoureuse. TE faut cependant s’en écarter le moins possible. Mais si l'on coupe sans nécessité , par des considé- rations minutieuses , l’un des genres les plus naturels de cette famille , il en résulte un plus. ou moins grand nombre de genres nouveaux qui différent à peine entr'eux, tandis qu'ils n'ont {159 ) peut-être que des rapports assez éloignés avec les autres genres qui les avoisinent. Dans la famille des Géraniées, un Ærodium qui , malgré quelques filets stériies , n’est réellement pas différent d'un Geranium, en différe néanmoins nominativement autant que des genres Tropæo- lum , Oxalis, qui se trouvent auprès. L'équilibre des différences est donc ici tout-à-fait rompu. La nomenclature n’en donne qu'une idée fausse. L'observateur cherche en vain dans les choses une différence aussi marquée que celle des noms le lui faisait naturellement sup poser. Il en sera de même pour les espèces d'un même genre. - L’estune erreur grave ,relativementauxnoms, que de vouloir les rendre plus significatifs , leur faire exprimer plus de choses que leur nature ne le. permet. Les noms, pour les corps naturels comme pour les hommes , ne peuvent être que des signes ordinairement tout-à-fait arbitraires. S1, par hasard , ce signe peut exprimer quelque irait saillant de objet désigné , tant mieux; mais on manque le but si lon veut qu'il en soit la définition exacte, qu'il offre l'expression de tous ses caractères. Desnomsne peuventdevenir vrai- ment caractéristiques qu’en s'alongeant au point de cesser d’être de véritables noms. ‘elles étaient ces phrases ou descriptions abrégées qui servaient de noms aux plantes ayant la ré- 16 | forme linnéenne. La botanique ne pouvaitse sous tenir avec une pareille nomenclature. La substi- tution de roms proprement dits à ces définitions insuffisantes malgré leur longueur , est un des plus grands services rendus à la science par Lixné. Quand Bercerer essaya depuis, dans sa Phytonomatotechnie , d'exprimer le caractère différentiel de chaque plante par un seul mot composé qui lui servit de nom , l'idée parut aussi malheureuse que l'exécution barbare. Au milieu des admirables découvertes qu'on leur doit, les chimistes n’ont-ils pas quelquefois , de nos jours, trop confondu deux choses qui doivent rester distinctes , les noms des corps et leurs définitions ? Leurs noms fondés sur-la composition des substances , sont-ils autre chose que de véritables définitions , que des phrases. différentielles ? Ce qu'il y a de certain , c'est que plusieurs de ces dénominations , par le désir de les rendre plus caractéristiques , sont devenues d’une longueur peu commode pour des noms proprement dits (1). Aussi les chimistes même en font-ils rarement usage dans Île langage commun, Demain cependant, quelque (1) Hydraie de deutoxide de potassium ( potasse ) #ydro-cyanate de iritoxide et de cyanure de 0 (leu de Prusse ), etc. bi Ci) analyse nouvelle peut donner lieu d'alonger en- core ou du moins de changer ces noms , et peut-être d’en changer à la fois 5o sur le tableau. Une nomenclature basée sur la composition des corps , ne peut devenir fixe que quand nous connaîirons certainement et complète- ment leur nature intime. Mais nous est-il permis d'espérer de voir jamais ceite époque ? J'usque- Ja nos connaissances augmentant , ou variant! du moins sans cesse , les noms des êtres devront perpétuellement changer avec elles. C’est une chose inévitable, et les changemens nombreux que la nomenclature chimique presque naissante a déjà subis , en sont la preuve. Il y a bien lieu de craindre qu'un principe qui conduit à de pareils résultats ne soit pas aussi heureux qu'on l’a cru d'abord, ou plutôt qu’on n’en abuse dans l'application. Les noms ne doivent en général être composés. que de deux mois ; plus longs, ils cessent d’être d’un usage commode. Le fondateur de la no- menclaiure chimique observa cette règle établie par Linré. Il m’eut sans doute jamais l’idée d'offrir dans ces noms des définitions complètes. Le médecin qui se piquerait d’être exacte- inent au courant de tous les perfectionnemens (i4) ou nouveautés botaniques et chimiques ; de ré désigner dans ses formules les substances que par leurs noms les plus récens , serait chaques jour obligé de se demander à lui-même, avant d'y inscrire une plante ou un minéral # cela s’appelle-t-il encore ainsi ? Les noms des êtres , une fois imposés sur un plan uniforme et raisonné , doivent leur deve- nir propres et rester indépendans de la manière de les considérer. Ils ne doivent point changer perpétuellement suivañt le progrès vrai où prétendu de la science , ou plutôt suivant la fantaisie de chaque homme qui s'imagine travailler à ce progrés. Quelques dénomi- nations mal appliquées , quelques rapproche- mens irréguliers, sont un faible inconvénient en comparaison du défaut d'accord et de l'in- stabilité, Que nos observations et nos décou- vertes enrichissent , éclairent l’histoire des corps qui en font le sujet, mais sans influer sur leurs noms. Les sciences naturelles ne peuvent man- quer de devenir un dédale inextricable, si l’on admet cette règle. L'étude de la botanique ne fut jamais aussi facile qu'à l'époque où la nomenclature ins xéenne était seule en usage. Elle fait encore le lien principal de nos énormes synonymies. C'est (145) à ce travail fondamental , seul point fixe au milieu de tous les changemens, qu’il convient, pour y mettre un terme, de se rattacher autant qu'il est possible. Il ne s’agit pas de refaire, ce serait ajouter au mal; il s’agit sur-tout d'oublier. (144) CHAPITRE XVIE Figures. L'étude des productions de la nature et l'aré de les représenter datent probablement de Iz même époque. Tracer la figure des objets absens cest le premier et le meilleur moyen qui s'of- fre pour les faire connaître et en rappeler faci- lement les traits distincüfs. Malgré le perfec- üonnement de Part descripuüif, un coup d'œil jeté sur une bonne figure donne une idée plus nette, plus complète d’un végétal, que la des- cription la plus exacte et la plus circonstanciée, Les anciens qui ne pensèrent jamais à décrire sévèrement les plantes, qui peut-être ne cru- rent pas que des ‘descriptions pussent jamais suffire pour les faire aisément reconnaître , eu rent quelquefois recours au pinceau pour rem- phr ce but. Pzine (r) parle, mais en se plai- gnant de leur imperfection, des figures coloriées que le rhizotome CrarzævAas, Denis d'Utique, Pawpuize , MÉénonore et autres, avaient jointes a leurs écrits. (1) Lib. zxv , ce 29 Eorsqu’apres (145) Lorsqu’après un long sommeil , le goût des sciences naturelles se réveilla au seizième siè- cle , les figures furent pendant long-tems lé principal et presque l'unique moyen de irans- mettre la connaissance des espèces. On les regardait comme une partie presque indispen- sable d’un livre de botanique. Gravées sur bois et à peu de frais, les mêmes servaient ordinai- rement à plusieurs ouvrages differens. Assez souvent ces vieilles figures sont remarquables par une vérité naïve, quon ne retrouve pas toujours dans des figures modernes infiniment plus travaillées, TourxerorT ; en fordant les genres, offrit dans la figuration exacte et détaillée de leurs caractères une heureuse et nouvelle application du dessin à la botanique. Trop confiant dans l'art descriptif qu'il avait créé, LiNxÉ méprisa trop les figures (1). Il n’a pas peu contribué à faire négliger ce secours dans les livres d'usage commun. La plupart des botanistes pensèrent comme lui qu'on pou- vait facilement s’en passer. On avait déjà com- mencé d'ailleurs à ne plus faire cas des figures \ réduites ; et à demander dans la gravure un (1} Gener. plant. , præf. 10 (146) soin qui ne permettait plus d'ajouter cet avari- age aux livres, sans les rendre irès-volumineux et d’un prix excessif. Dès-lors un petit nombre d'ouvrages en furent seuls ornés. On se plut bientôt à donner aux figures botaniques tout le charme du coloris , et la part de l'artiste dans ces travaux l’emporta souvent de beau- coup sur celle du savant. Rien de plus beau, de plus parfait en ce genre que ce qu'ont pro- duit de nos jours MM, RepouTÉ , Œurpin , Porreau , Bessa. Offrant dans leur attitude naturelle, dans tout leur éclat, dans tous leurs détails, les plantes que l’herbier ne présente que décolorées , et souvent défigurées ou mutilées ; mettant à la fois sous nos yeux les diverses époques de la végétation , les parties qui ne se développent que successivement ; ces fidelles images , également précieuses sous Île rapport de la science et sous celui de l’art, ne peuvent sans doute être trop multipliées. Mais ces su- perbes recueils, d’un prix au-dessus des facultés ordinaires , renfermés dans les grandes biblio- thèques et dans les cabinets des riches amateurs, sont rarement à la disposition de ceux qui er auraient le plus de besoin. Il s'en faut bien que l'iconographie d'usage commun ait fait des progrès proportionnés à ceux de l'iconographie de luxe. On ne songe même Cr479 pas à faire des figures en même tems exactes , fidelles et assez économiques pour être jointes aux ouvrages descriptifs en nombre suflisant pour assurer la détermination. Les livres du seizième siècle offraient à cet égard un secours qui manque aux nôtres. Les vieilles figures de Fucus , de Loser , de Czrüsius , sont encore souvent un supplément utile à nos descriptions techniques. Le défaut de pareilles figures peut, je crois, être considéré comme l’une des cau- ses de la discordance de la nomenclature. Des figures réduites à des petites proportions sont les seules qu'on puisse assez multiplier dans les livres pour remplir le but. Si lon fait peu de cas de ces figures , ce n’est peut-être que parce qu'on n'en fait guères aujourd'hui de ce genre qui méritent d’être citées. Je n’en crois pas moins tres-possible d'exécuter , à peu de frais , des figures réduites qui ne laisseraient rien d’essentiel à désirer. Pour certaines plantes , presque en tout sem- blables à d’autres congénères , dont elles ne différent que par quelque organe , il pourra suflire de figurer cette partie. Au simple trait , on ne joindra de travail que celui qui est nécessaire pour détacher certaines ( 148 ) parties l’une de l’autre, déterminer suffisamment les formes et faire sentir les saillies ou les cavités. Dans liconographie botanique , ce n’est pas l'individu , c’est l'espèce qu’on a pour but de re- présenter. Tout ce qui la distingue doitse trouver dans la figure. Elle peut rarement être faite d’après un individu seul. Il faut en observer plusieurs, en empruntant de chacun ce qu'il a de plus saillant; mais ces modèles divers ne doivent être choisis que parmi les individus qui , par leur taille, leurs formes , etc. , ne s'écartent en rien du type ordinaire. Bien sai-. sir le mouvement, l'attitude naturelle, la phy- sionomie du végétal, est un des points les plus essentiels pour la ressemblance, point cepen- dant fort négligé. Le dessinateur, s’il est en même tems botamisie , doit savoir rendre le mou- vement et la vie, mème à l'échantillon d’'herbier d'après lequel il sera quelquefois obligé de travailler , et dont il faudra qu'il apprécie l'aliération. Les caractères dans lesquels consiste essen- tiellement la différence d’une espèce à Pautre, pourront avec avantage être un peu exagérés | dans le dessin. Ainsi la ressemblance d’un por- trait devient plus frappante si lon en charge Le légèrement les traits les plus caractéristiques. | {49 ) Cet artifice devient sur-tout nécessaire dans des figures de petite proportion. Dans la plupart des figures des vieux bota- nistes, les plantes sont ordinairement trop courtes , les fleurs et les feuilles trop grandes relativement au reste. Ce défaut, qui vient sou- vent e ce qu'ils ont voulu représenter dans leur entier des plantes qui ne pouvaient faci- lement l'être ainsi, doit ètre soigneusement évité. La nature des caractères essentiels et le bon goût décideront facilement quels végétaux peuvent être représentés entiers, de quels autres 1l convient de n'offrir qu’un rameau plus ou moins réduit, quels. sont ceux enfin dont il pourra suffire d'offrir quelque partie ca- ractéristique. Mais les rameaux, les feuilles, ne doivent jamais être coupés , mutlés |, comme on le fait souvent dans les figures même les plus précieuses , par un soin trop scrupuleux de con- server des marges , et d'inscrire chaque plante, sans pourtant la réduire , dans un cadre tou- jours parfaitement égal. Cette pratique détruit presque toute ressemblance , quelqu’exacts que soient d’ailleurs les détails, Au-dessous de chaque figure , les proportions { 150 ) naturelles de la plante , du rameau , ou seu= lement de la partie isolée qu’elle représente, seront toujours indiquées par des signes conve- nus et précis. À l’aide de cette précaution , quelque diminuée que soit l’image , l'esprit de celui qui l’observe rendra facilement à l'objet ses véritables dimensions. Quoique le plus souvent aujourd’hffi on emploie le burin pour graver les figures de plantes , il ne convient cependant que pour celles où l’on veut un très-grand fini. Hors ce cas, et sur-tout pour des figures réduites, l’eau-forte est beaucoup préférable. Plus expéditive, plus spirituelle , elle rend plus facilement le mou- vement naturel des végétaux. Le burin qui, si ce n'est dans la main des artistes supérieurs , est toujours un instrument de métier , laisse _ ordinairement au travail quelque chose de gêné, de roide, qui ne convient en aucune manière à la représentation des plantes , et qui se remarque pourtant dans des figures d’ailleurs fort belles. Les graveurs de paysages évitent de l'employer pour rendre ces objets, L'art lithographique auquel nous devons , depuis peu, tant de productions pleines d’es- prit et de goût , semble offrir un heureux moyen d'exécuter, avec économie, des figures qui con- serveraient tout le mérite d'un premier dessin. Ci5r) | En général , six figures telles que je les con- cois , et suffisantes pour assurer la détermina- tion, peuvent sans confusion être réunies sur une feuille in-8°, Dans les Cryptogames , un bien plus grand nombre y trouveraient place. Trois cents feuilles, qui ne formeraient qu’un volume portatif, pourraient ainsi offrir toutes les espèces des environs de Paris, jugées d’après les prin- cipes que j'ai exposés. Toutes celles de France ne demanderaient guère que le double de feuilles, La flore qui joindrait ainsi, sous un volume peu considérable et d’un prix médiocre, à des descriptions caractéristiques bien faites , les figures réduites, mais exactes , de toutes les plan- tes d’une contrée, serait assurément le guide le plus commode et le plus sûr pour l'étude de la botanique. Un pareil ouvrage est encore à faire. Le grand nombre de semblables figures de plantes de toutes classes que j'ai dessinées pour mon usage dans un manuel d’herborisa- üon, m'a prouvé la possibilité et l’utilité d’un tel recueil. tan) CHAPITRE XVIIL Cryptogames. , J'ai déjà fait remarquer ailleurs (1) que moins les êtres sont en rapport avec nous par leurs dimensions et par leurs usages, moins ils nous sont exactement connus, moins ils offrent de Caractères saillans ; moins aussi les distinc- tions génériques et spécifiques doivent être nombreuses, et plus il convient de se borner à la détermination des différences typiques , de laisser de latitude à cette variabilité, qui aug- mente à mesure qu'on descend plus bas dans l'échelle de la création , et dont il nous est absolument impossible d’assigner le terme. Cette règle s'applique particulièrement aux plantes cryptogames. C'est parmi elles cependant qu'il semble qu'on se soit plu davantage à amplifier sans mesure le dénombrement des êtres. Il est assez difficile aujourd'hui au botaniste qui veut pénétrer un peu avant dans les détails, d'embrasser à la fois dans ses études les plantes e (1) Chap. vi, page 59,61: Cer55 Ÿ phanérogames et les cryptogames. Il faut opter ; et celui qui se livre particulièrement à lune de ces branches de la botanique , est assez souvent presque étranger à l’autre. Bientôt peut-être 1l ne sera plus possible d'approfondir que quelque partie bien plus circonscrite encore. On sera agrostologiste , muscologiste , lichénologiste, eic. On ne pourra plus être botaniste. Il sen faut bien que celui qui s’est exclusi- vement occupé de quelque partie bornée de l'histoire naturelle , d’une famille de plantes, par exemple, et sur-tout de cryptogames, telles que les Mousses ou les Algues , soit toujours le plus propre à porter dans cette partie là même _ la lumière et l’ordre | à l’avancer réellement. Il y a tout lieu de craindre , au contraire , qu'il ne produise irès-laborieusement que des ouvrages surchargés d'observations minutieuses, de distinctions inutiles , et auxquels manquera le véritable esprit de l'histoire naturelle. Pour bien traiter une partie , il faut avoir des notions positives du tout, et ne jamais perdre de vue la proportion et les relations de cette partie au tout. C'est l'étude des ensembles , c'est l'étude comparée des diverses classes d'êtres, qui élève l'esprit du naturaliste, forme son goût , le rend capable de grandes vues et le conduit aux résultats utiles et féconds. { (1549 ; Sans doute le microscope a béaucoup étendu la sphère de nos connaissances , mais ne lui devons-nous pas aussi plus d'une erreur ? Ne sommes-nous pas trop sortis du monde visible ? Ne serions-nous pas plus près du vrai en y restant davantage ? Une fois élancés hors du cercle que la nature a fixé à nos sens , nous r’a- vons plus de terme fixe, de règle qui nous puisse donner une aussi pleine confiance dans nos observations. Des verres mille fois plus forts que ceux que nous possédons , nous montreraient tout sous un aspect entièrement différent , et cette nature là serait-elle plutôt la vraie nature que celle que nos yeux nous montrent, que celle que l’auteur de tout a mise en rapport aveç nos moyens de connaître ? Cum rerum natura nusquäm magis , quäm in minimis , tota sit : pensée de Pine (x) , souvent citée , mais réellement plus brillante que juste. Il ne peut y avoir ni grand ni petit pour la nature et son auteur ; rien n’est tel, que relativement à nous. La perfection de ses plus petits ouvrages ne nous paraît plus admirable que celle des autres, que par leur disproportion avec nos organes. Les plus petits de tous , comme les zoophytes infusoires qui échappent entière (a) Lib sr, cc. 2, LS (155) ment à nos sens , et que PziNE , il est vrai, n'a pas connus, bien loin d’être les plus parfaits, ne sont , au contraire , en quelque sorte , que lébauche de l’organisation. Il s'en faut bien plus encore que les plus petits êlres soient les plus iniéressans pour nous, les plus dignes de nous occuper. | Le microscope et la loupe ne doivent, ce me semble , être employés qu'avec une extrême réserve à la distinction des espèces. Il ne faut y avoir recours que quand une distinction spéci- fique , d’ailleurs réellement utile, ne peut être établie autrement. A mesure qu'on emploîira de plus fortes lentilles, on apercevra de nouvelles: différences entre les objets qui paraissent sem- blables. Et faudra-t-1l, d’après cela, diviser sans cesse ? Faudra-t-il surcharger le tableau de la nature de genres , d'espèces qui u’auront d’exis- ience que par cet instrument. Ce n’est pas pour accroître indéfiniment le nombre des êtres , mais pour nous aider à mieux “connaître leur organisation intime , que le mi- croscope peut être mis en usage avec le plus d'utilité. Les hommes à qui on doit les décou- vertes microscopiques les plus importantes, les SwammerpAm, les Leuwennork, les GrEw, les Mazpicur , les Bonxner , les ‘TrEmBLEY, etc. , B'étaient point des faiseurs de genres et d'espèces. (156 Ÿ Que gagne réeilement la science par la des- cription de cinquante espèces prétendues nou- velles de Dicranum, d'Opegrapha, 4 Æcidium , de Puccinia , qui ne diffèrent que par quelque caractère invisible à l'œil nu, de tout ce que nous connaissons de ces genres ? N’ajoutons à la masse déja accablanie des descriptions , que celles des êtres qui se distinguent par quelque trait vraiment important. C'est une entreprise aussi peu utile que peu philosophique, que de prétendre épuiser les différences dans la nature, et sur-tout dans des êtres aussi polymorphes que la plupart des Acotylédones. ” Dansles petits êtres , où les détails sont d’une observation diflicile et souvent extrèmement variables, l’ensemble , le port, étant en même tems ce quäls offrent de plus distinct et de plus fixe, doit aussi être regardé comme ce qu'il y a de plus important. C'est sur -tout d'après cette considération qu'ils doivent être grOUpES. Presque toujours ou l’on ne généralise point, ou l’on généralise trop. Les sexes des plantes et la fécondation , une fois reconnus , on n'a plus voulu d'exceptions. On les supposa dans celles où ils ne sont points distincis; on s'ef- forca de trouver quelque analogie entre les (157) organes, le plus souvent microscopiques , qu'on y remarquait, et les étamines et les pistils. Parmi les Cryptogames , les Mousses sont celles où les organes de la fructification sont le plus apparens et semblent différer le moins de ceux des Phanérogames. Que de diversités cependant sur la manière de considérer ces organes. Micnezr, Hizz , Dicren , Linné , GærTNER , HEDwic , Pazissor , les ont vus chacun à sa manière , et celle de l’un est souvent tout le contraire de celle de l’autre. N'est-ce pas la preuve que leur véri- table nature nous est encore inconnue , malgré Passurance avec laquelle chacun expose son opi- nion et en fait la base des nouveaux arran- gemens systématiques. Les botanistes admettent , il est vrai, au- jourd'hui des plantes sans sexes, des Agames { Lichens , Champignons, Algues); mais aussi la plupart ne paraissent pas élever le moindre doute sur la sexualité de toutes les autres , parmi lesquelles restent les Mousses, les Hépa- tiques , les Fougères. Cependant parmi ceux qui ont étudié les Mousses avec le plus de soin , quelques obser- vateurs de bonne foi, tels que Hooker (:), à qui (1) Hooxzr and Taycor , Muscologia britannica ; Jntrod, , p. 1v. ( 158 ) on doit un oùvrage remarquable sur celles de l'Angleterre, regardent comme fort douteux tout ce qu'on a dit du sexe et de la fécondation de ces plantes. . Malgré lindétermination de ces organes, or les regarda cependant comme devant, dans la distribution des Mousses en genres , tenir la même place que les parties de la fructification pour les autres plantes ; et sans doute, le plus distinct de tous, l’urne ou capsule, pouvait et devait être employé à cet usage. ‘Fout en se servant de ces caractères , cependant, Di£ren et Lixxé donnèrent leur principale attention au facies. Depuis, ce n’est qu'aux plus petites , aux plus fugitives parties de ces organes, déjà si petits, qu'on s’est exclusivement attaché, à des parties qui d’ailleurs ne paraissent jouer dans la reproduction aucun rôle important. Attachant une importance exagérée aux dents et aux cils qui bordent l’orifice de la capsule ( péri- stome ), organes déjà remarqués , mais négligés avant lui, Hepwic en fit la base d’un nouvel arrangement de ces plantes, où les genres se trouvèrent beaucoup plus multipliés quon ne l'avait encore fait. Les dix genres de Lixré, qui avait ajouté peu de chose au travail fondamental de DiLzex , étaient d’une étude facile , et à pew ( 159 ) près aussi naturels qu'on peut le désirer. Lun est-il de même des quarante ou cinquante gen- res qui résultent aujourd'hui des diverses cou- pes nouvelles ajoutées à celles de Henwic ? Tous ces caractères tirés des plus légères modifications d'organes si peu apparens, et qui ne paraissent remplir dans la reproduction des Mousses que des fonctions tout-à-fait secon- daires , ces caractères que la meilleure loupe rend à peine sensibles sont-ils propres à autre chose qu'à hacher artificiellement des groupes naturels ? Quelque peu déterminé que soit le genre Bryum de Linxé, un aspect commun fait assez facilement reconnaître les Mousses qui le composent. Quelle fatigante attention ne de- mande pas au contraire l'étude des treize genres qu'Henwic en a formés, et qui depuis en ont encore engendré quelques autres ! Les disciples les plus zélés d'Henwie , ceux même qui ont le plus contribué à répandre sa méthode , et qui ont essayé-de la perfectionner , ne peuvent disconvenir de ses inconvéniens, Dawsox-Tünrer qui, le premier , la introduite en Angleterre , en Labo aux Mousses d' tete y Convient que quelques-uns des carac- ières employés par Hxpwic ne peuvent donner ( 160 ) de genres commodes et naturels ; et que s'y trop attacher , c'est s’écarter de la nature. (r) Mais ces genres nouveaux ont-ils du moins l'avantage de reposer sur des caractères sujets à moins d’exceptions ? Rien ne me paraît plus propre à les faire apprécier sous ce rapport, que le morceau suivant : » On est forcé de reconnaître , dit Hooker (2), (1) » Nec tamen cum celeberrimo illo autore florum Muscorum situm , aut peristomit interni discrimina subtilis- sima generum characteres , vel commodos , velnaturæ con- venientes suppeditare arbitror.….. Si peristomi interni mu- tationibus minutis nitamur , invité natur& agemus.« Daws.- Turx. Muscologiæ hibernicæ Spicilegium , præf., p. vil. (2) » Still it must be acknowledged , that even on these principles , wich may at first sight appear so clear , té will be difficult to assign charaters to some genera wich seem gradually to pass into each other. I£is , for exemple, hard to pronounce if Gyÿmnostomum microstomum , G. fasciculare and G. griffithianum , really possess what should be considered a peristome. It bears the closese resemblance to that membranous ring wich in an early state we see on the mouth of the capsule of NWVeissia aflinis and VV. trichodes ; but in these two species ‘it breaks into teeth in a more advanced state. The peristonre of Orthotricum presents remarkable anomalies ; sometimes ihe teeth are in a single row , and only of one kind , as in O. anomalum; in ©. striatum the peristome is clearly que ; pe MS que ; mème d’après ces principes si clairs er apparence au premier aspect , 1l sera difficilé double ; the narrower teeth or cilia arising from an internal membrane ; whereas in most of the other species wich have ciliary processes they originate on the side of the larger teeth. In Dicranum the teeth are subjecs to vary , and to border on the one hand upon Trichoste- fium , and on the other upon Grimmia , in swich genus ve find the teeïh sometimes split. In Leskea tt is difficule sometimes to see the inner membrane rising above the mouth of the capsule , and then the peristome precisely agrees with that of Neckera , 0 wich perhaps the genus ought to be united. Ïn those Mosses wich make Jearly shoots , these sometimes arise so near the point of insertion of the fructification as to make the fruit-stalk appear lareral , wich is specially the case in the genus Bartramia. Even the calyptra of some Mosses seems to be interme- diate ; having so slighe à fissure | that we are doubtful wich we should call that of Ciuclidotus: and of Splachnum. Sometimes in Trichostomum , besides the short fissure at the base, we see in Ÿ, microcarpon a single longitudinal cleft reaching three-fourths of the way up ; making ie appear a truly dimidiate caïy ptra. Such 100 is the case with thé T. fanale of Scawæcricnex wich gave him occasion to say of it : n Calÿptræ forma ab aflinibus Trichostomis etiam recedit ; et rurshs calyptram ad definitiones genericas adhibendam non esse demonstrat «. In this , and indeed in all the previously mentioned cases ; the question is 10 be decided By the habir of the plant | wich thus has its share of influence in the formation of genera «, Hooxrr and FAxror , Muscologia britannica, {ntrod, Pr &rr Z 5 ( 162 ) d’assigner des caractères à quelques genres qui semblent graduellement se fondre l’un dans l'autre. On est , par exemple, irés-embarrassé pour décider si les Gymnostomun microsto- mum , fasciculare et griffithianum sont réel- lement munis de ce qu’on peut appeler un péristome. Ils offrent quelque chose d'extrème- ment semblable au cercle membraneux qu'on voit sur l’orifice de la capsule des Weissia _affinis et trichodes , lorsqu'elle est encore dans un état peu avancé, Mais dans ces deux espèces , la membrane finit par se fendre et se partager en dents. Le périslome des Ortho- tricum présente des anomalies remarquables. Quelquefois , comme dans lPOrthotricum ano- inalum , les dents sont sur un seul rang et toutes d'une même forme ; dans l’Orthotricum stria- tum ,\au contraire , le périsiome est sensible- ment double , les dents plus étroites ou cils naissant d'une membrane interne , tandis que dans la plupart des autres espèces munies de cils , ils prennent naissance sur le côté des dents les plus larges. Dans les Dicranum , les dents sont sujettes à varier , et par leur structure rapprochent ce genre , tantôt des Trichostomum , tantôt des Grimmia , où les dents sont quelquefois fendues. Dans Île genre Leskea , à est souvent difficile de voir la mem- brane interne s'élever au-dessus de lorifice de (12067) la éapsule , et alors le péristome est toui-à-fait semblable à celui du genre Veckera ; auquel peut-être il conviendrait de le réunir. Dans ies Mousses qui produisent des pousses annuelles, elles naissent souvent si près du point d’inser- tion de la frucüification, que le pédicelle paraît latéral. C'est ce qui se remarque particulière- ment dans le genre Bartramia. La coiffe de plu- sieurs Mousses est si peu sensiblement fendue, qu'on ne sait si on doit la désigner comme telle ou comme entière. Lille est comme dans un état intermédiaire, Telle est celle des Cinclidotus , des Splachnum. Quelquefois dans le genre Trichostomum , outre la fissure peu profonde de la base , se trouve, comme on le voit dans le Trichostomum microcarpon , une simple fente longitudinale atleignant jusqu'aux trois quarts de la hauteur de la coiffe , et qui la fait paraître vraiment dinudiée. La même dis- position se remarque également dans le Tri- chostomum funale de SCHWAÆGRICHER, ce qui lui a donné occasion de remarquer que la coiffe n’est nullement propre à fournir de bons caractères génériques, Dans ce dernier cas, ainsi que dans tous Ceux que je viens de men- tionner , la place de la plante doit être fixée d'après son port , qui contribue ainsi pour sa part à la formation des genres, « (164) Les genres de Linxé présentaient-ils beau coup plus d'irregularités ? Ces genres moins naturels et plus difficiles qu’on leur a subsütués , ne seraient-ils regardés comme plus exactement déterminés que parce que , fondés sur des caractères d’une observation minutieuse et pé- nible , moins d’observateurs en reconnaissent les exceptions, linexactitude , et peuvent ou osent apprécier ces changemens ? Les Lichens bien moins connus dans leur organisation que les Mousses , et bien plus va- riables , ont été plus divisés encore. Sous la main d'Acnar , l'oracle des lichénographes, le genre Lichen de Lisné , devenu famille , s’est partagé en 40 genres, auxquels on en a depuis joint beau- coup d’autres. La réunissant toutes les coupes et recoupes discordantes qui ont été proposées, on peut en compter au moins 60. Peu d'accord avec lui-même, Acuar, dans quatre ouvrages successifs sur les Lichens , a changé les limites d’une partie de ses genres et par conséquent sa noménclature. Le nombre des espèces s’est, d’après les plus minces différences , accru de ième que celui des genres. Êt cependant AcHAR n'était pas muins convaintu que tous ceux qui les ont observés, de l'extrême variabilité de ces végétaux dont ii s'est plaint plus d'une fois en les appelant Protér/ormes ! En travaillant de { 165 ) tette manière , on a bientôt fait un monde de la moindre partie de l’histoire naturelle , sans pourtant y avoir découvert rien de vraiment neuf et intéressant, Mais de l'abus même naît la réforme. Hachons æncore un peu ces genres de Lichens, ils pour- ront tenir lieu d'espèces. J'ai déjà fait voir ailleurs (1) combien d'espèces on a faites des variétés d’un seul Lichen. Des observations assidues ont fait reconnaître à Weiss (2), que les Lichens changent de cou- leur et de forme suivant Flâge , le lieu , l'exposition ; que ceux qui croissent sur les arbres varient suivant l’arbre, et que le mème a souvent, à cause de ces variations , été dé- crit plusieurs fois sous divers noms. CarR4DoRtT (3) assure avoir vu le Nostoc commun changer d'aspect suivant les corps sur lesquels il croît , (1) Chap. vi. J'aurais pü à l’occasion des variétés du Lichen pyxidatus , regardées comme autant d’espèces , citer Pazzas , dont l'exactitude est bien reconnue. Il a vu en Tartarie les Lichen pyæxidatus , digitatus et gracilis, s'élever à plus d’un pied , croissant ensemble péle-mêle et se transformant l’un en l’autre, Il attribue ces chan- gemens de forme à l’âge, Parras , Voy., tome II , p. 459 (2) Plant. crypt. flor. gætt. | (5) Della transform. del Nostoc , etc, { 166 ) “ei se meétlamorphoser même en divers Lichens qu'on en croyait très-différens. i ‘ Il paraît hors de doute que les Lichens , et | en général toutes les Cryptogames parasites , sont plus ou moins profondément modifiés par la plante qui les porte. La moindre différence qu'on remarque entre ces productions d'une naiure si peu connue, suivant qu'on les ob- serve sur un végétal ou sur un autre, n’est donc pas un motif suffisant d’en constituer comme on le fait chaque jour pour les Uredo , :les Æcidium , etc. , autant d'espèces distinguées par le nom de la plante sur laquelle elles se développent , Æcidium pini, epilobii, rubi , etc. Ên continuant de cette manière , ne peut- il pas arriver qu’on ait par la suite à peu près autant d'espèces d’Æcidium et d'Uredo , qu'on compte d’autres plantes ? C'est une opinion commüne et ancienne en diverses contrées de la France , de l'Allemagne, de lAngleterre , etc. ; que le voisinage de l'Epine-vinette ( Berberis vulgaris) communi- que aux céréales la maladie connue sous le nom de rouille, Ceite opmion adoptée , il ya quelques années , par divers savans distingués , et combatiue par d’autres , a donné lieu à beaucoup d'observations et d'expériences . dont ( { 167) les ouvrages périodiques ont rendu compte (1); mais qui sont loin d'avoir donné des résultats positifs. Quelques faits que j'ai recueillis , quelques expériences que j'ai faites moi-même , ne m'en ont pas appris davantage. Un petit Champignon parasite ( Uredo li- nearis , PEers., Lycoperdon lineare, Scsrancr. , Æcidium lineare , Guex.) est regardé comme formant la rouille des Graminées. Une végé- ation assez analogue ( Æcidium berberidis , GuEr., Lycoperdon poculiforme , JAcQ. ) croît souvent sur les feuilles de l'Epine-vinette. Ces deux rouilles sont-elles des productions essen- tiellement différentes ? Plusieurs habiles natura- listes , tels que Banks , Ernuorr , WViLDEnow, ne le pensent pas. M. Mancnevizre, dans un fort bon mémoire sur ce sujet , adopte cetteopiaion, ei M. Yvarr n'en paraît pas éloigné. L'alongement en petits tubes des enveloppes extérieures de l’'Æcidium berberidis , paraît ce- pendant établir une différence assez marquée entre cette cryptogame et l’'Uredo linearis des céréales. Mais dans une classe d'êtres aussi variables , cette différence doit-elle être consi- (:) V. sur-tout les Annal. de l’agric. franç. , Mars 1816, Avril 1817 , Février 1818 , etc. , et la Bibliot, physi.- écon, , Février 1817, et cahiers suiv. (A0 :, ‘dérée comme une raison de nier absolument" la possibilité de la propagation de ces parasites l’une par l'autre ? La différence considérable de Ussu qui existe entre un arbrisseau dicotylédon comme l’Epine-vinette, et des herbes monocoty- lédones comme les céréales , ne suflirait-elle pas pour expliquer celle qu’on remarque entre ces productions ? Se développant sous Pépi- derme des autres végétaux , ne doivent-elles pas , en percant celui d’une feuille de graminée , dont toutes les nervures sont longitudinales et parallèles, sy montrer naturellement sous Pap- parence de lignes plus ou moins alongées ? Sur une feuille à nervures en réseau, comme celle du PBerberis , ne formeront-elles pas au contraire des paquets arrondis, en soulevant lépiderme entre les mailles du réseau vasculaire ? Sur cette dernière feuille moins sèche, remplie d’un pa- renchyme et de sucs plus abondans, ne devront- elles pas former des saillies plus considérables ? Et ce sont à peu près là les principales diffé- rences entre ces plantes parasites. | La synonymie fait assez voir Île peu d'im- PEU qu'il faut attacher à leur distinction générique. L’Uredo linearis est un Æcidium pour quelques auteurs et un Lycoperdon pour d’autres , et il pourrait même assez facilement devenir un Puccinia pour un quatrième , {169 J puisqu'en le décrivant M. Drcaxporte n'est pas très-sûr qu'on doive le distinguer d'une Puccinie ( Puccinia graminis, PErs., Uredo frumenti , Sowers. ), qui vit aussi sur les Gra- minées, et qu'il croit avoir reconnue dans les mêmes groupes pulvérulens , sous la même enveloppe. M. Mancxevizre a vu l'Æcidiumoxyacanthæ, causer la rouille à des Féves. Il cite une autre observation où l’'Æcidium cancellatum paraît s'être développé sur des Poiriers , par le voisinage de Pins infectés de l'Æcidium piné. Wizpenow regardeles Rosa canina, rubiginosa, et le Ribes grossularia , souvent attaqués de la rouille , comme pouvant, de même que l'Epine- vinette , la communiquer aux céréales. Et cela devient en effet très-probable , si l’on admet une fois que de pareilles communications peuvent avoir. lieu. Les espèces parasites peuvent plus facilement se perpétuer sur des plantes à tiges vivaces , sur des arbrisseaux tels que lEpine-vinelte ou Jes Rosiers , que sur des végétaux annuels comme le Blé. Pour celles-ci , tout finit avec la végétation annuelle. Ce serait tout au plus à leurs se- mences , la seule partie persistante , que les séminules ou corps reproducteurs, quels qu'ils ( 170 } soient, des Uredo ou autres Crypiogames sem blables pourraient s'attacher, ce qui est peu admissible. Mais une fois qué ces parasites ont paru sur un arbrisseau , leurs séminules pul- vérulentes d’une extrême ténuité , demeurées sur les tiges dans les inégalités de lécorce , sur Îles bourgeons entre les écailles qui les recouvrent, peuvent aisément les reproduire l’année suivante sur les feuilles. Ce sera done assez souvent des arbrisseaux voisins que les plantes annuelles , comme les céréales , pour- ront recevoir les germes des Uredo et des Æcidium qui leur sont nuisibles. Je suis bien loin , aureste , de regarder les idées que je viens de présenter comme autre chose que des conjectures. Rien ne prouve lPidentité de l'Æcidium berberidis et de PUredo linearis , réellement plus différens que ne le paraissent beaucoup d’autres plantes -du même ordre, Je regarde seulement comme irès-pro- bable la propagation l’une par l’autre , et d'une espèce de plante sur une autre , de divérs Uredo , Æcidium , eic., regardés trop lége- rement par les cryptogamistes avides d’aug- menter leurs catalogues , comme des espèces où même des genrés tout-à-fait distincts. | Il ne me semble en conséquence nullement (171) impossible que les Berberis, les Rosiers et les Groseillers sauvages , et les autres arbrisseaux et plantes vivaces en général , sur lesquelles des végétations parasites de cette nature se déve- ni fréquemment et peuvent plus facilement se perpétuer que sur les’ plantes annuelles , puissent, par leur voisinage , sur-tout en masse considérable , contribuer quelquefois à infecter les céréales de la rouille. Maïs, en admettant la possibilité de ces transmissions , je suis fort éloigné de croire tout ce qu'on a débité de la maligne influence de l'Epine-vinette, Cet arbris- seau, l’un des plus agréables de nos bosqueis, ne me paraît pas plus coupable qu'une foule d'autres végélaux auxquels on pourrait faire le même reproche, et ne mérite pas sûrement J'injuste proscription qu'on a voulu attirer sur lui. La familie des Champignons est une de ceiles dans lesquelles les espèces fictives paraissent le plus multipliées. Buzriarp , qui avait passé tant de tems à les étudier, se plaint sans cesse de leur extrême variabilité , et convient des erreurs où elle l’a souvent entraîné, » L'œil le plus exercé a quelquefois peine à les recon-, naîire « , dit-il , en parlant des variétés sans nombre de l’Agaricus roseus. Jeune ou vieux. le même Champignon paraît tout autre; il faut lavoir suivi dans tous les âges pour n'en pas | Ur) faire deux espèces. Déjà Scnosrrer , en érigeant en espèces une foule de ces variétés de Cham- pignons , avait excité le mécontentement de Linxé, qui voyait moins en détail, et comme 1l me semble qu'il convient de voir dans toute cette classe. L'eau dans laquelle elles habitent, aux mou- vemens de laquelle elles sont continuellement soumises , est encore pour les Algues, souvent d'une consistance molle et gélatineuse ; une cause de variabilité de plus que pour les Cryp- togames terrestres, L'organisation , la reproduc- tion de ces plantes sont d’ailleurs encore bien plus obscures. Leur nature même est quelquefois st équivoque , que divers auteurs ont pensé que les Conferves appartenaient au règne animal Plus la variabilité augmente , plus il devient facile , et plus cependant il est coniraire au vrai but de la science, de multiplier les dis- tinctions et les dénominations. Il n'y a que peu d'années que l'académie de Goecttingue proposait entr'autres sujéts de prix, de déterminer par de nouvelles recherches , Si les Æcidium, les Uredo , les Puccinia devaient être considérés comme de véritables plantes pa- rasites, ou seulement comme des excroissances ; des dégénérescences ; des altérations patholo- t (lansi) giques des végétaux qui les portent. Je ne sais si l'académie de Goettingue a recu quelque mémoire qui ait levé ses doutes ; je me garderai bien de rien préjuger sur cette question ; mais peut-être ne paraitra-t-elle pas tout-à-fait déplacée à quiconque réfléchirta aux formes régulières et constantes de certaines maladies cutanées , de certaines excroissances observées dans l’homme. Je ne serais nullement scandalisé d'entendre élever le même doute sur les Æri- neum , les Xyloma, les Hypoderma , les Hys- terium , etc. Des galles et autres excroissances , de simples taches et des accidens divers observés sur Îles feuilles, des œufs d'insectes ont été plusieurs fois pris pour des Cryptogames parasites par les observateurs les plus exercés. Tops avait fait des œufs pédicellés d’un bel insecte assez commun , l'Hémérobe vert ( emerobius perla), un genre de Champignons sous le nom d'Asco- phora. M. PErsooN , à qui lon doit sur ces plantes et sur la botanique en général , des ouvrages irès-estimables , adopta ce genre dans son Synopsis Fungorum. Lui -même convient de cette erreur avec la bonne foi d'un véritable sayant (1). (1) Traité sur les Champis. comest, , p. 9. Ca74 _ » À la finde l'été, dit ailleurs M. Pensoox ; sur-lout après une longue sécheresse , les feuilles du Tilleul, de l'Orme , de l'Erable , et, dans le midi , cle du Citronnier, se couvrent d'une matière noire , comme si elles avaient été ex- posées à la fumée. Cette matière , vue au mi- croscope, présente une sorte de croûte mince entremêlée de quelques fibriles. Zl est encore douteux que cette production appartienne au règne organique ; cependant il est toujours bon d'éveiller l'attention des naturalistes sur ces sortes de phénomènes. Æn attendant , je propose d'appeler ce genre Fumago (1) «. Je ne puis ; je l'avoue , m'empêcher de trouver singulier ce motif de créer un genre. M. Persoor (1) regarde le genre Erineur . entier, qui contient un assez bon nombre d’es- pèces , comme tout aussi problématique. Que perdrait-on à attendre pour imposer des noms génériques et spécifiques, qu’on connût au moins un peu mieux la nature des êtres ? à * 1 à C’est dans cette classe du règne végétal , où les êtres sont si prodigieusement multipliés, si petits, si variables, si peu connus dans leur (1) Traité sur les Champig. comest, , etc., page 6o. (2) Ibid, (Or) | struciure et dans leur mode de reproduction , qu'il convient de voir le plus largement et que la réforme des genres et des espèces doit être exécutée le plus hardiment. Telle est , ce me semble, la conséquence naturelle des observa- tions rassemblées dans ce chapitre. CHAPITRE XIX, Le Goût. LE goût, c'est-à-dire le sentiment exquis ef raisonné du bon et du beau , n’est pas moins nécessaire dans les sciences que dans les arts. La nature n'est-elle pas également leur objet ? Le savant l'étudie pour connaître ses produc- tions et ses phénomènes ; le poëte, l'artiste pour l'imiter. Elle fournit à la science ses matériaux, à l'art ses modèles ; n1 les uns ni les autres ne doivent être pris au hasard. C’est la nature choisie que l'artiste doit nous offrir dans ses imitations. S'il fait autrement , il n’atteint qu'imparfaitement son but. La science adnret de même un choix dans les faits qui la composent. Si elle recueille indistinctement et avec un soin égal les minu- ties et les observations importantes, celles-ci , dont le nombre est toujours borné, se trouvent noyées dans le reste, et l'instruction devient à la fois moins solide et plus difficile. Le goût doit présider dans les sciences au choix des faits qui en forment le corps , comme dans les arts au choix des objets propres à limitation. Ici, latile détermine le choix ; là, c'estle beau; mais par un aceord qu'on ne saurait trop admi- rer , l'utile dans la nature se trouve presque toujours (Ca toujouts là même oùest le béau. L'un et l’autre sont également du ressort du goût. Son concours est indispensable pour Papplication du principe de l'utilité. Il ne peut y avoir un bon goût pour les arts, et un autre pour les sciences. Il ne s’agit que des mêmes lois appliquées seulement à d’autres sujets. Ce qui est absolument mauvais en litté- rature, ne peut être bon dans les sciences. L'art que, dans le langage vulgaire, on met si souvent en opposilion avec la nature, n’est pourtant au fond que la nature elle-même (1). C’est l'observation de la nature qui nous a révélé les lois du goût; elle nous les enseigne elle-même en s’y conformant par tout. Nous cherchons dans ce qui nous plaît les causes du plaisir que nous. éprouvons. Nous remarquons ce que peuvent avoir de commun entr'eux les objeis qui occu- pent agréablement notre esprit, et nous tächons de le faire passer dans nos ouvrages. Ils ne nous plaisent que parce qu'ils sont conformes à ceux de la nature. Tous les procédés de l'art, (1) Ac si aliud quippiam esset ars a naturä ? Bacox , De augm. scient, , lib. IT, c. 11. The art itself is nature SuAkesrEARE, WVinter’s tale , act, IV , sce. 3, [2 ( 1798 ) même des arts industriels, ne sont que des imi- iations de ses procédés. Nous ne la surpassons en limitant , nous ne l’asservissons à nos besoins et à nos plaisirs , nous ne la faisons concourir à nos desseins , nous ne triomphons des obsta- cles qu’elle nous oppose, qu’à laide des moyens qu'elle-même nous fournit (1). | L'observation des règles du goût doitse trouver dans le tableau fidelle et raisonné des productions et des phénomènes naturels que trace le savant, comme dans les peintures idéales de larüste et du poëte. En suivant ses lois, Île savant est presque sûr de ne jamais s’'écarter de la nature elle-même. Tont est grandeur, variété , harmonie, tout est charme dans la nature ; si le tableau que vous en offrez est mesquin et rebuiant, à coup sûr 1l n’est pas vrai; plus il sera en même tems noble et simpie, plus il plaira, plus il sera ressemblant. Gardons-nous bien du singulier travers de nous croire , suivant l'expression de Burrox (2), (1) Naturæ non imperatur nisi parendo. Bacox ; ibid, €2) Art. Giraffe, NO 7 » d'autant plus savans que nous ayons moins » d'esprit. « Si le goût n’est paint étranger au fond même de la science, il s'applique plus spécialement encore aux formes sous lesquelles on la pré- sente. Ces formes, ouvrage de l’art, sont sou- mises aux lois du goût comme tout ce qu'il crée. Les classifications, les terminologies , les nomenciatures qui les violent, ne sauraient être bonnes et tomberont bientôt dans un juste ou- bli. L'affectation , l'obscurité , la barbarie du langage , sont ce que le goût réprouve le plus. Tout a son abus: c’est l'esprit d'observation , ca: ractére distinctif de notre siècle, qui a fait faire de si grands pas à l’histoire naturelle ; mais c’est Jui aussi qui l’a surchargée de ceite multitude de distinctions inutiles et nominales qui loffusquent et la déguisent, Il s'égare aisément si le goût ne le dirige. Dans les sciences , comme dans les arts, l'office principal du goût, c'est de retrancher. Ce n'est que par l'exercice et l'habitude que ‘le goût se perfectionne ou se gâte. Tout dépend de la direction qu’on a prise. C'est le désir de faire quelque chose de neuf qui fait quitter par degrés la ligne du goût , ( 180 }) fi et finit par jeter tout-à-fait dans les fausses routes. Les premiers écarts réussissent'ordinaï- rement, parce qu'on n'ose encore hasarder rien de choquant , et que le talent ou le savoïr ten- tent seuls les nouveautés. Leur succès enhardit la médiocrité ; chacun ose et ose tout; celui qui va ie plus loin est le plus applaudi. L’exagé- ration et la manière dominent bientôt dans les arts ; le méthodisme et le néologisme dans les sciences. On ne revient au naturel qu'après s’en ètre assez éloigné pour qu'il paraisse nouveau. La classification est une des parties des scien- ces qui demandent le plus de goût. Il n’approuve pas plus en ce genre ia trop grande multiplicité des divisions, que celle des parties détachées dans un édifice, des groupes sans liaison dans un tableau. | Laissons les savans de la Germanie s’embar- rasser à plaisir dans le dédale toujours crois- sant des minuties , des distinctions nominales; comme ses poëtes mêler dans leurs descriptions les détails mesquins aux images fantastiques ; comme ses philosophes se perdre dans les mystères d’une métaphysique nébuleuse. Une vague inquiétude d'esprit , un goût que rien ne fixe, sont la source commune de ces écarts, Héritiers du goût classique , sévère , mais (181) non pas exclusif, chez nous une noble et lumi- neuse simplicité doit régner dans les sciences comme dans les arts et dans la philosophie. Borner nos recherches suivant la mesure de nos facultés; dans ce cercle, choisir, concilier les faits , les opinions ; observer toujours , mais, ne recueillir que les observations de quelque importance ; comparer beaucoup , et ne généraliser qu'avec réserve ; savoir supporter le doute là où manque la certitude ; ne jamais perdre de vue les rapports des diverses parties d'une science , ni même ceux de toutes nos connaissances entre elles ; ne présenter enfin le résultat de nos travaux que sous des formes approuvées par le goût : : voilà à peu pres toute la philosophie des sciences. L. à Les livres, même de science , qui portent lempreinte du mauvais goût, quelque mérite qu'ils puissent avoir d’ailleurs, jouissent rarement d'une longue célébrité. L'introduction d’un goût épuré dans les tra- vaux scientifiques doit, je ne crains pas de le dire, être considérée comme une des condi- tions les plus nécessaires à l'avancement des, sciences. Les rendre simples, faciles , substan- cielles, les faire aimer > Cest assurément les SeLVIr, ( 182 ) CHAPITRE XX. L'histoire des plantes. La recherche illusoire des limites des genres et des espèces , d'où résulte la multiplication indéfinie de ces groupes , n’a fini sans doute par . devenir l'objet principal des travaux des botanis- tes, que parce qu’elle leur offrait un moyen aussi facile qu'inépuisable de s'occuper en paraissant faire quelque chose pour la science. En leur conseiliant d'abandonner cetie marche, qui ne peut Îles conduire à rien de positif, rappelons leur un but plus digne de Femploi de leur tems, de L’é mérite de l’être ; voilà la tâche qu'ils doivent s leurs efforts, lhistoire des plantes. dre , l’enrichir , la iraiter comme elle aujourd'hui se proposer. Je suis bien loin de songer à mettre des bornes à la curiosité. On ne peut trop observer sans doute , mais tout ne mérite pas également d’être recueilli. Aussitôt qu'on n'observera que pour enrichir l’histoire des êtres, et non pour, établir de nouvelles distinctions nomimales où terminologiques , on deviendra plus:sévère sur, le-choix des observations. Chacune se trouvant dans lhistoire de lespèce à laquelle elle. se Men tt 1051) rapporte à côté d’autres faits importans déjà connus, Sera de suite appréciée à sa juste valeur ; au lieu que dans la terminologie OÙ dans la nomenclature , on fait tout passer avec un ou deux radicaux grecs bien ou mal amenés. N'est-il pas singulier qu'on n'écrive sur la plus aimable partie de l'histoire naturelle pres- qu'aucun livre qu’on puisse lire tout entier avec plaisir ? La plupart ne sont même pas faits pour être lus. Pressé du désir de mieux con naître toutes ces plantes dont l'éclat et le parfum ont si souvent charmé vos yeux , qui inté- ressent également par leur beauté et par leurs vertus , à l’atirait desquelles semble ajouter encore leur fragilité , séduit par le üire de flore , qui semble promettre les mêmes jouis- sances qu'on éprouve au printems au milieu des jardins et des bosquets, vous prenez le livre... mais bientôt il échappe de vos mains. Rien n'y rappelle les charmes de la nature végétale ; il n’en offre que le squelette dans une longue suite d’arides descriptions techniques. L’instruc- tion solide et agréable , l’histoire des plantes que vous y cherchiez est précisément ce qui ne s’y trouve point. Il semble qu'on se soit efforcé de réduiré la ( 184 ) - botanique à l’art de nommer les végétaux , de les rapporter à quelque classe d’une distribution systématique. Bien des gens mesurent , en ce genre, le savoir d’un homme au nombre d'’éti- quettes latines qu'il a placées à côté de plantes desséchées. La physiologie végétale elle-même semble à peine faire partie de la botanique aux yeux de bien des botanistes. Pour l’histoire des plantes,dont leurs applications utiles font la partie la plus importante , ils la regardent comme tout- à-fait étrangère à cette science. Si ces appli- cations ne sont pas la botanique , convenons du moins qu’elles sont ce qui la rend le plus recommandable. L'étude qui se borne aux clas- sifications , aux nomenclatures, est trop stérile et trop peu d'usage dans la vie. - La disposition des modernes à isoler chaque branche des sciences , pour en faire une science à part, qui a sa classification, son langage, ses principes particuliers, leur a beaucoup nui (r). Ces limites des sciences, qu’on nous recommande de respecter , ne sont que de vaines abstractions. N'est-ce pas au contraire de leurs liaisons entr'elles; de leurs applications variées, que résulte sur-tout l'avantage que les hommes peuvent en retirer ? (1) Cette observation a élé bien développée par M Nacquarr, à l’art, Logique du Dict. des sciences médic. ;, iom, 28, | ( 185 ) Les détails de la thérapeutique, de l’agricul- ture et des arts industriels £ sont sans doute étrangers à la botanique. Le botaniste n’a besoin d'être ni médecin, ni agriculteur , ni teinturier, eic. ; mais i! doit avoir des notions générales , exactes et raisonnées sur les propriétés des . plantes, sur l’art de les cultiver , sur leurs usages en tout genre. C’est par là qu'il pourra souvent utiliser son savoir en éclairant, sur des points essentiels, ceux même qui se livrent spécialement à la pratique des arts. La connaissance des carac- ières botaniques peut souvent fournir au méde- cin de précieuses indications sur les propriétés des plantes , le guider au besoin dans la recherche des succédanés du médicament qui lui manque; quelquefois aussi la connaissance des propriétés peut confirmer le caractère, ajouter à la valeur. des rapports , fixer enfin la vraie place d’une plante équivoque à tout autre égard. S1 le souvenir des usages des plantes en médecine ne paraît aux yeux de Rousseau (1). propre qu’à corrompre , à détruire le charme de leur contemplation ; je ne vois là qu’une de ces idées paradoxales que lui inspira trop souvent sa misanthropic. Il me semble , au contraire, qu'aux yeux de tout esprit droit et solide, de (1) Réveries d’un promeneur solitaire, Promen. VII. (186) pareilles considérations ne peuvent que donner à la botanique un nouvel attrait , un intérêt plus vif, plus piquant. L'homme, la première des créatures , élève , ennoblit toutes les autres par les relations d'utilité qu’elles peuvent avoir avec lui. N'est-ce pas dégrader la science que d'en séparer ce qu'elle a de plus utile? (1) En cueillant la fleur du bois , j'aime à penser qu’elle peut contribuer , employée par un sage médecin , à ranimer sur les joues de la beauté, päles et flétries par la fièvre, le tendre incarnat dont elle brille elle-même ; à rendre peut-être un père mourant à ses fils, à une mère ten- dre l’enfant qu'elle craignait de ne plus voir lui sourire. Je contemple avec plus d'intérêt les plantes qui fournissent à l’industrie Ja matière de ces tissus qui enveloppent le Roi comme le pâtre , parure de l’altiere beauté des cités comme de l’humble et fraiche villageoise, ou celles qui communiquent à ces tissus la douce nuance de l'azur ou l'éclat de la pourpre , que l'herbe sans usage que le quadrupède mème foule san$ la paître. | (1) What praise is imply’d in the simple epithet , useful 7 VVhat reproach in the contrary ! D. Hume , Eng. concerne mOrs ; SECtr Te (187) L'idée de l’uülité n’est pas toujours étrangère à la beauté même, elle est du moins l’une de celles qui peuvent ajouter quelque chose à l'im- pression qu’elle fait sur notre ame. Le Palmier, à la tige élancée, paré de son élégante couronne e verdure, de ses régimes pendans , dont les fruits se succèdent sans interruption , me sem- ble encore plus beau, quand je songe à la fa- mille indienne dont il est le soutien , qui lui doit sa nourriture , les vases dans lesquels elle J'apprète , les matériaux et la couverture de son habitation , les nattes qui lui servent de lit, les cordages de sa pirogue, en un mot tout ce qu'exigent ses besoins simples et peu multipliés. Les anciens restèrent sans doute bien loin de nous dans les sciences naturelles ; mais on ne peut que donner des éloges à la sagesse de leurs vues constamment dirigées vers le bon et Yutile. C’est par une suite de cette manière de voir qu'ils ne séparèrent jamais , qu'ils n'ima-. ginèrent même jamais qu'on püt séparer entiè= rement l'étude des êtres naturels, de celle de leurs rapports avec l’homme , c’est-à-dire de leurs usages. Bacon regarde , ainsi qu'eux cette partie qu’il appelle ingénieusement l’homme ajouté aux choses ( ars sive additus rebus homo ), comme la plus essentielle de l'histoire naturelle. Il reproche aux naturalistes de son ( 188 ) iems de la négliger déja pour ne s'occuper qu'à décrire minutieusement des variétés pe importantes (1). L'étude des familles au perfectionnement des- quelles paraissent aujourd’hui, sur-tout en France, tendre tous les travaux des botanisies , en nous présentant des groupes d'êtres qui se conviennent également et par leur conformation et par leurs propriétés , ne semble-t-elle pas nous inviter à ne pas isoler ces deux points de vue autant qu'on le fait le plus communément. , Je vois de même avec plus de plaisir, plus d'intérêt , la plante qui me rappelle quelque nom fameux , quelqu'événementimportant, quelqu’a- necdote curieuse, quelqu’antique usage, quel- que superstition dont le progrès des lumières nous a délivrés. C’est dans cette liaison de no- tons utiles ou curieuses avec l’idée de chaque ètre, que consiste sur-tout le charme du savoir. C'est ainsi que jamais la nature n’est muette pour l'observateur instruit. Chaque fleur , en même tems qu'elle attire ses regards, qu’elle flatte son odorat , dit quelque chose à son esprit. Que la botanique ne se borne pas à consi- k (1) De augm. sciens. , lib. IT, c. 2° et 3, , { 189 ) dérer les plantes sous quelque aspect particu- lier , mais qu'elle les embrasse tous. Non seu- lement l’histoire des plantes doit en faire par- te ; mais la botanique n’est vraiment que lhis- toire des plantes dans le sens le plus étendu. De nombreux , de précieux matériaux existent; 1l s’agit aujourd'hui de les rassembler , de les coordonner , d'en faciliter l'étude , d'en resserrer la masse sans la diminuer en liant tout ce qui peut se lier, de tracer enfin un tableau du règne végétal qui fixe l’état actuel de nos connaissances sur ce vaste sujet, et auquel viendront facilement se rattacher les faits nouveaux à mesure qu'on les découvrira. Ce tableau, cette histoire générale des plantes, contemplées sous tous les points de vue, est encore à désirer. Celle même des plantes d'une contrée particulière n’a point en- core été exécutée comme on concoit qu’elle peut l'être. Si une partie des choses qui doivent y en- irer setrouvent réunies, c’est dans des diclionnai- res, dans des compilations anciennes ou récentes, qu'on peut consulter au besoin avec utilité, mais où il ne faut nullement chercher lhistoire de la nature écrite d’une manière digne du sujet. Faits, suivant l'expression de Srerne (1), comme ns (1) Shall we for ever make new books as apothecaries make new mixtures, by pouring only from one vessel igto another ? , Tristr, Shand, , vol, 1r., €, 2, \ ( 190 ) les apothicaires font des potions, en versant d'un vase dans un autre, la plupart de ces li= vres , dont les auteurs n’ont pu digérer et s'approprier des matériaux recueillis à la hâte, manquent presque nécessairement de l'étendue et de la variété de recherches , de la critique sévère , de la couleur propre et du caractère. d'originalité qu’on voudrait trouver dans un pareil travail. Ce n’est que dans un ouvrage historique que peuvent briller de tout leur éclat le génie et, ‘le talent du naturaliste. Un livre de ce genre, marqué du sceau de la supériorité , assure à son auteur une gloire bien plus populaire , bien. plus durable que le meilleur travail descriptif , bientôt regardé comme incomplet et remplacé. par d’autres. Le Genera et le Species de Linré sont déja perdus dans limmensité des change- mens et des additions. L'histoire des animaux: de Burrox est dans toutes les mains, malgré tout. ce qu'on a appris depuis lui sur cette branche de l’histoire naturelle ; et malgré tout ce qu'on apprendra par la suite , elle subsistera comme un monument inimitable de savoir et de talent , comme le tableau le plus fidelle et le plus in- iéressant de la première classe des êtres créés. Quand même les anciens auraient fait des livres Cror) purement descripüfs, je doute fort qu'aucun fût arrivé jusqu’à nous. C'est le nombre infimi de faits de tout genre qu'il a ramassés et qu'il a su lier ; cest la peinture vive et piquante qu'il a su faire en peu de mots d'une foule d'objets ; ce sont sur-tout les précieuses notions qu'il nous a transmises sur tous les arts de l’an- tiquité , qui ont fait passer PrixE au travers des siècles. Il est très-probable qu’ils auraient dévoré son Histoire du monde , comme tant d’autres livres , si eile n’eût offert que de sèches des- criptions. Une classification artificielle ne présentant guère que des assemblages d'êtres également étrangers l’un à l’autre , et par la plupart de leurs caractères et par leurs propriétés, n’est bonne que pour celui qni ne veut apprendre que le nom des espèces. La méthode des familles , à la formation desquelles concourent toutes les rela- tions , est seule propre à servir de base à une hisioire des plantes. Mais toutes les espèces, même réduites comme il convient , doivent-elles également être décri- ies dans une histoire générale du règne végé- tal ? Je ne le pense pas. C'est aux ouvrages destinés à faire connaître la végétation d’une contrée particulière , qu’il appartient de n’omet- Cr92 ) ne ire aucune de ses productions bien distinctes. Il n'en est pas de même d'une histoire géné rale , aujourd’hui sur-tout que le nombre des plantes connues est si grand. Celles qui n’y figureraient que par une phrase descriptive méritent peu d’être mentionnées. Il n’y a que les espèces qui se distinguent par quelque chose de la foule, qui aient droit d'y prendre place. On y décrira toutes les espèces qui forment particulièrement le type des genres, celles qui offrent dans chaque genre les extrêmes de gran- deur ou de petitesse ; toutes les espèces utle- ment employées , sous quelque rapport que ce soit ; les espèces vénéneuses ou autrement nuisibles ; toutes celles qui attirent l'attention par leur beauté , par leur singularité ou par quelque phénomène curieux ; toules celles enfin auxquelles se rattache quelque fait , quelque souvenir. Ainsi , sans que la masse des des- criptions prédomine sur le resie , aucune des espèces qu'il importe vraiment de connaître ne sera oubliée. De combien de choses diverses et souvent presque sans liaison, se compose l’histoire du règne végétal ! Phénomènes physiologiques , habitudes, culture , usages divers dans la méde- cine , l'économie , les arts, étymologies , anu- quilés , superslitions , emblêmes, eic. , tout: cela pa Cage) cela doit ÿ trouver place, mais avec choix { car »comment tout dire sans un mortel ennui? «} (1), mais aveC ordre , et non pas confusément en- tassé comme dans les volununeuses compilations du seizième siècle. Les élémens de l’histoire des plantes se trou- vent dispersés dans un nombre infini d'ouvra- ges consacrés la plupart à des sciences diffé- rentes, et qui ne sont ordinairement consultés que par ceux qui s'en occupent spécialement. Sur chacune de ces parties, les Un géné- raux de botanique ne donnent guère que des notions tout-à-fait insuflisantes. Ce n’est pas seu- lement dans les livres des naturalistes, des médecins , des agronomes , ele. , que doit puiser l'historien des plantes ; les voyageurs , les historiens , les ous res , les poëtes même lui fourniront de précieux matériaux, La botanique des anciens est une source trop négligée ordinairement , d’où il pourra tirer une foule de détails utiles et curieux. $es recherches lui donneront souvent l’occasion de rappeler des propriétés réelles oubliées , et de montrer l’an- (1) Moxresquizv , préf, de l’'Espr. des lois, 15 C 194 ) .cienneté de bien des découvertes et de bien des rêveries qui passent également pour nouvelles. Une foule d'usages singuliers ou touchans des plantes chez les anciens prouvent que, sils avaient étudié le règne végétal avec moins d’exactitude et de patience que les modernes, ils en avaient senti plus vivement tout le charme et tous les rapports moraux. C’est peut-être cette maniere poëlique d'envisager les plantes qui les a empêchés d'en pousser plus loin létude physique, et de les analyser scrupuleusement. On analyse ordinairement mal quand on sent vivement. Les traditions antiques, les anecdotes relatives à tel ou tel végétal, les idées, les opinions aux- quelles il a pu donner lieu en différens sie- cles, en différens pays, les usages superstitieux auxquels on la consacré, les vertus imaginaires qu'on lui attribue, etc., font en même tems partie de son histoire et de celle de lesprit humain. Il pouvait être dangereux, quand les sciences étaient moins avancées et les lumières moins répandues, de rappeler les fables imagi- nées et débitées sur certaines plantes par l'ignox rance et le charlatanisme ; aujourd'hui ce dan- ger n'existe plus, et un coup d'œil jeté sur ces faiblesses, ces égaremens de notre raison, est d'un intérêt philosophique, ( 195) Tout en écartant , relativement à chaque point de vue sous lequel peuvent être considérées les plantes, un grand nombre de détails que ne pourrait admettre le plan d’une histoire générale, aucune partie cependant ne doit être tout-à-fait tronquée ; et chacun , dans quelque but qu'il la consulte , doit y trouver au moins les notions fondamentales sur l’objet de ses recherches. L'uiülité, quant aux usages , le piquant, Îla singularité , quant au reste, serviront de me- sure pour l'étendue qui doit être accordée à chaque partie. Un grand nombre d'articles se réduiraient presque à rien , si chaque espèce en formait un distinct. Les répétitions seraient d’ailleurs ainsi trop fréquentes et les observations trop isolées. Un seul article pour toute une famille serait, au contraire, souvent trop étendu et renfer- merait des choses trop diverses , trop peu liées. Mais l’histoire des espèces d’un même genre peut presque toujours être réunie avec avan- tage. Cette réunion donnera à chaque article, .avec l'extension convenable , un intérêt plus marqué. Un petit nombre d'espèces exigeront seules par leur importance des articies séparés. Dans chaque genre , la description des espè- ( 106 ÿ ces doit rester distincte de la partie historique. et la précéder. L’historien du règne végétal se gardera bien, par un esprit d'ordre mal entendu, de suivre la même marche dans tous ses articles , de les circonscrire tous dans un cadre exactement sem- blable, en réduisant à un certain nombre de Lieux communs les matériaux qu'il a rassem- blés pour chacun. Cette manière, où le retour fastidieux des mêmes formes et le morcelle- ment du sujet détruisent presque tout Pinté- rêt, n’est admissible que dans un abrégé lrès- concis, d'où tout développement est banni, comme la Matière médicale de Linxé qui sem- ble en avoir offert le modèle. Taillez sur ce patron , même sans en rien retrancher , lhis- toire des animaux, et vous jugerez combien la noble liberté avec laquelle Burrox a disposé de sa matière , est préférable à cet ordre ser« vile et mesquin. C’est la nature des matériaux de chaque ar- ücle qui doit en déterminer l’ordre. Le meil- leur est celui où les choses naissent le plus naturellement l’une de l'autre , s’éclairent , se font valoir , où chaque parüe concourt plus heureusement à l'effet du tout. La forme géné- rale , ainsi que la couleur des articles , loin LS 107) d'être la mème, doit être aussi variée que Îe sujet le permet. Combien cette variété sera loin encore de celle de la nature ! | L'histoire des plantes n'offre certainement pas au talent un champ moins fécond , moins ri- che, que celle du règne animal. Mais elle pré- sente peut-être plus de difhicultés , et c’est par cette raison sans doute qu’on la désire encore. Nous l’aurions probablement , si l’on avait tra- vaillé à son exécution avec autant de persévé- rance , qu’à la vaine recherche des limites précises des groupes. De quelle multitude de tableaux divers se compose celui du règne végétal ! La nature n'offre presque aucune scène où la végétation soit toul-à-fait étrangère. Vêtement universel de la terre , c'est elle qui en varie si admira- blement la face d'un climat , d’une contrée, d'un site à l'autre. Luxuriante et fastueuse dans les régions équatoriales , riante et nourricière dans nos heureux climats tempérés , elle ne se montre plus que chétive et mélancolique vers Îles pôles , comme auprès des glaces éter- nelles qui lui servent de barrière sur les mon- agnes. Les forêts de l’Europe, celles des In- des, celles de l'Afrique et de la Nouvelle- Hollande , celles de l'Amérique , ne diffèrent (198 ) pas moins par leur aspect que par les espèces qui les forment. Tandis qu'étroitement pressés mille végétaux divers se disputent nos champs, nos prairies , à peine sur la vaste étendue du désert sont éparses cà et là quelques plantes de formes bizarres, dont la succulence contrasté avec laridité du sable qui les porte. Ailleurs, isolées au nulieu du continent, les plantes du rivage de la mer rappelent ses antiques dépla- cemens. Tout un peuple aquatique, un peuple de nayades plus réelles que celles des poëtes , les unes parées des plus brillantes fleurs, les autres privées de tout ornement , habitent les ruisseaux, les fleuves , les mers , tantôt fixées au fond des eaux, iantôt flotiant à leur surface en tapis de verdure , ou en forêts immenses, inextri- cables. Ni les cavernes qui s’enfoncent dans les entrailles de la terre, ni les pics gigantes- ques, au-dessous desquels roulent les nuages , ne sont entièrement dénués de végétaux. L’a- ride rocher en est couvert comme le terrain le plus fertile. D'innombrables races pyg- mées , inconslantes dans leur forme, mysté- rieuses dans leur propagation , que le vulgaire “aperçoit à peine, mais qui font l’ädmiration de l'observateur attentif , peuplent et nuäncent de mulle couleurs sa surface anfractueuse. Un grand végétal tient liéu dé sol maternel à mille aulres végétaux. La mousse, humble et méprr | C 199 ) Sée, mais qui peut disputer le prix de Vléle-. gance au végétal le plus superbe , n’est pas exempte elle-même de porter et de nourrir à ses dépens quelque espèce parasite. De ce nombre infini de plantes , 1l n’en est aucune qui ne s'allie par une foule de rela- tions avec diverses espèces d'insectes, d'oiseaux, de quadrupèdes et autres animaux de toute classe | qui lui doivent leur nourriture , leur habitation, tout ce qui sert au soutien de leur vie. Combien l’homme lui-même n'est-il pas dépendant du règne végétal qui lui fournit ses plus salubres alimens , sa ressource la plus assurée contre la faim , et la plupart des ma- tériaux de son industrie ; sans lequel enfin il ne peut subsister , comme il subsisterait encore sans tous les autres animaux ! Ces relations si multipliées , si diverses, de chaque être avec le reste de la création , qui forment ce que BERNARDIN DE SAINT-PIERRE a heureusement désigné sous le nom d'Xarmonies, offrent un beau point de vue trop négligé par les naturalistes. Ltudiées avec les connaissances positives et la sévérité d'observation nécessai- res , les harmonies des plantes font une des parties les plus intéressantes de leur histoire , ou plulôt la forment tout entière. L'histoire d’un ( 200 } éire peut-elle être autre chose que l’ensemble: de ses relations ? Mais en évitant, dans de sem- blables contemplations , de se laisser entrainer à des rêves séduisans , à d'aimables et touchantes illusions , l'historien des plantes se gardera bien aussi de n’offrir que de sèches énumérations des Lichens qui croissent sur un arbre , des: insectes qui vivent sous son écorce ou sur ses feuilles , des oiseaux qui nichent dans ses branches ou se nourrissent de ses fruits , etc. Rien que d’exact , rien que de digne d'attention ne doit entrer dans ces tableaux ; mais tout doit y être lié , animé, coloré comme dans la nature ellé-même, Quelquefois l’esquisse des mœurs d’une con- trée se rattachera à l’histoire du végétal qui en fait la principale ressource, qui le caractérise. Comment faire l’histoire du Palmier Mauritia , sans y mêler celle du sauvage guaranis, à tous les besoins duquel il satisfait, auquel même il fournit une habitation aérienne, pendant la saison où sont imondées les savannes de l'embouchure de l'Orénoque ; (r) celle du Lichen des rennes, sans rappeler la vie du lapon dépendante du (1) Humsozpr, Consid. sur les steppes > pages 38 ct suiY (A { 2or } #énne ; comme celle du renne dépend du Lichen? La végétation d'un pays modifie plus ou moins Yhomme qui l'habite, C'est elle qui le rend. nomade ou citoyen , pasteur ou cultivateur x qui en fait un brigand comme l'arabe et le maure , ou le fait vivre dans une douce et voluptueuse oisiveté, comme le taïtien. Cultiver” le blé oule riz, suffit pour établir quelque nuance morale entre deux contrées. L'influence de la nature végétale sur le caractère , les mœurs , les usages, les institutions religieuses ou poli ques des hommes , est sans doute une considé= ration du plus haut intérêt, et l’une de celles qui méritent le plus d'occuper une place ie histoire des plantes. La nature du sujet permettra quelquefois à lhistorien du règne végétal de se montrer moins sévère que celui des animaux. Mais il évitera soigneusement toute recherche , toute affecta- üon dans les pensées ou dans le langage. En essayant de rendre à la botanique ses agrémens naturels, 1l se gardera bien de lui en prêter de factices et d'un goût faux et mesquin. Aucune branche de lhistoire naturelle ne présente plus de variété, plus de contrastes, que ( 202 Ÿ Yhistoire des plantes. Donner à chaque partie Île: ion , la couleur qui lui conviennent, n'en est pas la moindre difficulté. L'histoire du Palmier, du Cèdre , du Baobab , et celle du Lis, de la Vio- lette , de la Mousse, ne seront point écrites du même style. 6 Instructif sans longueurs et sans pesante éru- dition , varié sans imcohérence , simple sans bassesse , élevé sans enflure, ou grave sans affectation , quelquefois brillant ou grasses comme les fleurs elles-mêmes... voilà ce qu'on voudrait que fût l'historien du règne végétal. Celui qui remplira avec succès une tâche aussi difficile aura élevé à la science un monument qui survivra à tous les systèmes , à tous les travaux descriptifs. k (205) CHAPITRE XXI. Conclusion. Vos réflexions me paraissent justes , me disait Ariste après avoir lu ces fragmens , et je ne puis m'empêcher de penser comme vous pres- que sur tous les points. Mais on suit généra= lement la route opposée ; et comment oser fairé autrement qu'A*** B*** C*#* qui ont fait de si gros livres latins et tant de mots grecs , et dont je rencontre les noms presque à chaque page dans toutes les synonÿmies ?.…. Ariste, qui parle ainsi de la meilleure foi du monde, est cependant un homme de beaucoup de savoir et de sens. Un parfait accord entre les naturalistes est impossible. Chacun dans la république des scien- ces et des letires sera toujours libre d’errer a son gré. Mais que les hommes marquans , dont la réputation est fondée sur des ouvrages d'une importance incontestable , dont l'opinion fait autorité , osent blämer et rejeter franche ment cette foule de distinctions minultieuses ; $éans but comme sans terme , dont ils sentent le vide et l'inconvénient; qu'ils n’accueillent que les travaux qui tendent réellement à l’avance- (204) ment des parties essentielles de la science; Ie reste des naturalistes suivra léur exemple. Les changemens de nomenclature et les innova- tions terminologiques n'étant bientôt adoptés ni cités par personne , la manie d’en faire cessera d'elle-même. L'étude de la nature , plus aisée et moins nominale , reprendra plus de dignité. J'espère peu d'influer sur l'opinion des natu- ralistes ; mais le progrès naturel des choses amenera probablement de lui-même dans leur manière de voir la plupart des modifications dont j'ai tâché de faire sentir la nécessité. Gette époque est peut-être peu éloignée. Depuis assez long-iems que la plupart de ces pensées sont jetées sur le papier, j'ai déjà plus d’une fois eu la satisfaction de voir des savans distingués s’en rapprocher à quelques égards dans leurs écrits Peut-être même, suivant la marche ordinaire de l'esprit humain , le point de vue des réduc- tions une fois adopté , se laissera-t-on d’abord emporter trop loin ? L'abus en ce sens serait du moins plus philosophique , et ne pourrait certainement nuire autant à la science que l'abus contraire. Mais je dois répéter ici ce ce que j'ai. dit ailleurs : c'est une réduction raisonnée , opérée avec une sage réserve, et non de mouveaux changemens que demande ( 205 ) Pétat de la botanique ; il s’agit , d’après le prin- _cipe incontestable de l'utile , de la restreindre dans de plus justes limites , sans qu’elle perde rien de son étendue réelle ; d'élaguer , d'oublier bien des choses , et non de refaire autrement. Quoi qu'il en soit , le désir d’une réforme chaque jour plus nécessaire , et qu'appellent tacitement les meilleurs esprits, ne m'aveuglera point sur mon insuflisance. L'application aux plantes indigènes des principes exposés dans cet essai , est tout ce que je hasarderai peut- être un jour. En attendant , ai-je réussi à montrer sous le vrai point de vue les espèces , les genres , la classification en général ? Ai-je rappelé aux natu- ralistes le seul principe propre à remédier à des abus dont la plupart se plaignent chaque jour, tout en s’y laissant entraîner ?..... Je le crois. Mais si je suis tombé dans quelque erreur , je suis prêl du moins à en revenir de bonne foi dès qu’on me l'aura démontrée. N'eussé-je fait qu'inspirer aux botanistes qui daigneront me lire , un peu plus de réserve quant à la multiplication des genres et des espèces , aux changemens de noms et de termes, je ne croirai pas avoir écrit tout-à-fait inutilement, FIN. CriAp. Crrap. Cap. Cuap. Car. Cuapr. Cuapr. Crap. Cap, Y. VI. VIT. VIII. TABLE DES CHAPITRES. cc pur— Jntroduction , page te Idée que les naturalistes se font en général de l’espèce , 5 Théorie des classifications , 15. Abstractions réalisées. — Mé- thodisme. — Sources d’er- reurs , 21. Etat actuel de la botanique relativement aux espèces , 28. Suite du précédent.—Exemples, 38. D’après quel principe et suivant quelles règles doit avoir lieu la réforme des espèces; 49° Analyse raisonnée des espèces indigènes du genre Verbascum, d’après les règles précédentes, 69. Genres ; 79 Euar. Cuar. Car. Car. Cup. Crar. Cuar, Crap. Cuap. Cuar. Cuap. Cuar. Xe XI: XII. XIIT. XIV. XV» XVI. XVII, XVIII. XIX. XX, XXIe ( 207 ) Familles. — Méthode naturelle, page , 92. Tribus, — Classes, IOI. Dans quel ordre il convient de tracer le tableau du règne végétal , 109e Langue botanique , 119. Descriptions , 127 Valeur des caractères > (139 ÎVoms , 156. Figures, 144 Cryptogames , 152. Le Goüt, 176. L'Histoire des plantes, 182. Conclusion , 203. Fin de la Table.