w à HISTOIRE NATURELLE ET CIVILE DELA CALIFORNIE* TOME SECOND. HISTOIRE NATURELLE ET CIVILE DE LA CALIFORNIE, CON TENANT Une defcription exacte de ce Pays , de fon. Sol , de fes Montagnes , Lacs , Rivières & Mers , de fes Animaux , Végétaux ,J Minéraux , & de fa fameufe Pêcherie des Perles ; Us Mœurs de fes Habitans , leur Religion , leur Gouvernement , & leur façon de vivre avant leur converjion au Chriflianifrne ; un détail des différens Voyages , & Tentatives quon a faites pour s'y établir , & reconnoître fon Golfe & la Côte de la Mer du Sud. Enrichie de la Carte du Pays & des Mer« adjacentes. Traduite de l'Anglais , par M. E. * *• TOME SECOND. A PARIS. Chez Durand , Libraire , rue Saint- Jacques, à la Sagelle. M. DCC. LXV i Avec Approbation & ïriyiU^ ■ i» TipL n + * * * * * 7t ^*/>r * ^ # ^ ^ ^ + ;* ; fljf» -■- TABLE DES MATIERES Contenues dans le fécond Volume . »■■■'-. ■ ■ ■ 1 PARTIE III. Section V. Tentatives & voyages pour découvrir la jonction de la Californie avec la Nou-< velle-Efpagne : courte narration des de [feins & des travaux héroïques du père. François Kino , dans les mijjions de Sonora & de Pimeriat & hijloin de ces mijjions, Fage 1. Section VI. Nouvelles révolutions dans la Californie ; & progrès des mijjions jufquà la fin de f année 1703. 40, Section VII. Ordres de Sa Ma je fié en faveur des Mijjions, Difficultés & traverfes qu\l- VJ T A B T. S les ont à effuyer en iyc>4 , /rf/z/ journaux mêmes du Père fcino , & du Pèie Jean-Antoine J3al-: ù e la Californie. 5 thafar , ci - devant Viiîreur defditeâ millions , & Prélident actuel de la province du Mexique , homme , que fon zèle , fes travaux * Tes vertus ÔC fes t^lens rendront l'admiration de la poftérité. La province de Sonora eft fîtuée à l'Ef} de la Californie , dont elle eft fé- parée par le golfe du même nom , le- quel baigne l'une & l'autre côte. Ella eft la dernière province des domaines que l'Efpaghe poflède dans l'Amérique, fur la côte de la tuer du fud : car quoi- que celle du Nouveau-Mexique , qui eft au nord- eft de Sonora , foit ficuée par une plus haute latitude que celle- ci , elle eft dans le milieu des terres , & l'on ne fçauroit y aborder par mer. Le gouvernement de Sonora s'étend du côté du nord depuis l'embouchure de la rivière d'iîiaqui , jufqu'aux Apa- ches , qui ont été jufqu'ici le fléau & la terreur de tout le pays. La der- nière million que l'on a fondée fur la côte , eft celle de la Conception de Caborca , vers le 31e degré, & à cent lieues de la rivière d'Hiaqui. Elle fut entièrement détruite en 17 5 1 par Aiij t,' Histoire les Sauvages , & les deux Religieux qui y étoienc , favoir , le père Tho- ma-. ïello , natif d'Àlmagro , & fils d'Alphonfe Tello & d'Ifibelle Buy- tron , & le père Henri Rohen , eurent le bonheur de fceller leur foi par le martyie , ce qui porta un coup mor- tel à la Religion dans ces cantons. Elle eft bornée à l'Occident par le golfe de Californie , au midi , par les provinces de Rio-Mayo , de Cinaloa & d'Ofti-Muri , & à l'Orient , par les hautes montagnes de "Iarralmmara. Elle a environ 350 lieues de circuit; elle eft habitée par différentes nations d'Indiens , tels que les Opatas , les Topas, les Teguaiamas , les Heguis, les Paymas fupérieurs & les Paymas inférieurs, les Seris , les Tepocas, & les Guayamas , parmi lefquelles il y a vingt -quatre millions des Jéfuites. L'air y eft fain & tempéré , le pays montagneux & entrecoupé de vallées & de plaines fertiles , formées par les diverfes branches de la granule montagne. On y trouve d'excellens pâturages , & quantité de fruits & de légumes de l'Europe & de l'Ame- Ù È L A C A L t P à R N I E *f tique. Le p'us grand inconvénient qo'nfl y trouve , efl que le long du golfe de Californie, la côte ne forme qi.'une chaîne de montagnes inacc-ii- fibles & de (ùbles arides , ce qui fait que depuis Hiaqui iufqu'à Caborca , elle n'eft. habitée que par les Guaya- mas , les Tepocas & les Seris , qui ne vivent que de ia pêche. Cette dif- pofïtion de terrein , jointe à d'autres obftacles . efl caufe que les Efpagnols n'ont pu s'établir fur la côte , & qu'on a eu toutes les peines du monde à y fonder des mi fiions. Quoiqu'on y foie entré plufîeurs fois , & que depuis quelques années les Indiens qui habi- tent la côte ayenr reçu leChriftianifme» il s'en faut beaucoup qu'il y foie bien établi, comme cela n'a que trop paru par la révolte qui arriva en 175I , & qui félon toute apparence apportera beaucoup d'obftacles à fa réduction. De-là vient qu'encore que la province- ait une côte extrêmement étendue , on ne peut la regarder que comme une contrée méditenanée , qui ne fournit aucun commerce maritime avec les autres provinces ; & c'eft ce qui A iv 9 H i s t o i n t fait encore que les frontières de la Californie ne peuvent tirer de Sonora les iecours qu'elles poarroient s'en promettre , fi la côte étoit autrement difpofée. On peut dire cependant que Sonora eft la province la plus pauvre & la- plus riche de l'Amérique & du monde entier. Indépendamment des végé- taux q 'elle produit, on y trouve quan- tité de veines & de mines d'argent, dont la r.chcfle paOe toute croyance. A en croire même les rapports qui en om été faits au Confeil des Indes , celles du Potofi , toutes riches qu'elles font , ne méritent pas qu'on en parle, y ayant, à ce qu'on dit, des mon- tagnes prefque toutes compofées d'ar- gent mafTir. Plufieurs familles Efpa- gnols ont tiré dans différens tems des avantages confîdérables de ces mines: cependant cette province eft extrême- ment pauvre , & il n'y a pas dans le monde une preuve plus manifefte de cette vérité, quoiqu'on y faiîepeu d'at* tention , que la richefle & la puif« fance d'un Etat ne confident ni dans 1 or , ni dans l'argent , ni dans les delaCâlifornit. f pierreries , mais dans le nombre Se l'induftrie de fes habitans , dans l'a- griculture , l'engrais des beftiaux , la confommation & l'exportation des marchandifes , & l'exacte adminiftra- tion de la juftice. Je le répète , So- nora eft une province extrêmement pauvre, & la preuve en eft, qu'elle le dépeuple journellement. Les caufes de cette dépopulation font communes à toute l'Amérique Efpagnole , fans en excepter la Nouvelle - Efpagne. Elles font beaucoup plus fortes V§o~ nora , parce qu'elle a moins de com- merce avec l'Europe. Les bornes que je me fuis preferites dans cet ouvrage, ne me permettent point d'entrer dans le détail de cette matière ; mais comme cet article eft extrêmement effentiel pour la connoiflance de la conftitution de cette province , & que le fuccès des miflîons & des conquêtes , tant de Sonora , que de la Californie , en dépendent ; il eft à propos de faire connoître au lecleur les deux princi- pales fources de cette pauvreté. La première , eft qu; l'argent étant la prin- cipale, ou même la feule marchandife i© fiisrotnt qu'on piaffe exporter, ie profit qu'ôrt en tire ne répond point aux dépenfes qu'on efr. obligé de faire pour le tra- vailler. Le départ de l'argent par lé moyen du feu efr fi difr/endieux , que quelque quantité qu'on en tire, le profit fe réduit à rien. Celui dans le- quel on employé le mercure , coûte encore davantage , à caufe du prix exceflif de ce minéral , & de ce qu'il en coûte pour le tranfporter l'efpace de 690 lieues , depuis Sonora à la Ve- ra-Cruz. C'eft-là ce qui fait qu'on n'ex- ploite plus les mines , le départ de l'argent par le moyen du mercure ne produifant aucun avantage, comme un habile Mexicain & une autre per- fonne très capable d'en juger l'ont très bien démontré. Il arrive de-là que la province ne peut tirer de l'étranger les chofes dont elle a befoin , ou que pour les avoir , elle eft obligée de fe dépouiller des fonds mêmes qui lui font néeeiïaires , & de manœuvrer fa marchandife d'étape , & ne le faifant point , tout tombe dans une déca- dencé totale. «La féconde caufe de cette pauvreté , eit. que dans l'Améri- » E LA CâLITORNIE. II uz t & de-là au Mexique. Elle doit coû- ter douze ou vingt fois plus à Sonora, furtout fi l'on en a befoin , & qu'on ait affaire à un marchand peu conf- ciencieux. Comme donc l'Amérique eft dénuée de ce qui fait le principal foutien des E:ats , je veux dire, de manufacturiers & d'artifans , qu'il n'y a ni agriculture ni engrais de bétail, il s'enfuit que quantité de gens qui n'ont pojnt de terres , ou qui n'ont ni les moyens ni la volonté de les faire valaii , n'y trouvent point les richefTes dont l'appât leur a tait abandonner 1 Europe, & manquent même du né» çeflaire honnête. On s'imagine com- munément qu'il fuffit d'avoir des mines pour s'enrichir ; la plupart même s'a- veuglent fï fort fur leur produit , qu'ils ne mettent point en ligne de compte ce qu'il en coû:e pour les exploiter , Çl que fans éga:d ni pour le bien de leur pays , ni de leur pofririté , ils ne s'occupent que du loin de s'enri- fhir promptement, pour pouvoir s'en; »4 Histoire retourner en Europe. Mais comme c'eft des mines mem.s qu on eft obli-. gé de tirer les fonds néceflaires pour les faire exploiter , & pour fe procurer de chez lecranger les chofes dont on ne peut fe palier , & qu'indépendam- ment de ces dépenfes , il faut encore avoir du bénéfice ; on eft obligé de réduire le plus bas que l'on peut le falaire des ouvriers , d'en faire venir d'ailleurs , de les vexer , de les ren- voyer, de les payer en argent de mau- vais aloi , ou même de ne les point payer du tout , de leur refufer leur iubfiftance , de leur imputer des cri- mes qu'ils n'ont jamais commis , pour les fruftrer de ce qu'ils ont légitime- ment acquis, &r d'oppr mer ces pau- vres gens de mille manières toutes plus odieufes les unes que les autres. Dans les piovinces éloignées de So- nora , les dépenf-s montent à plus du double , les difficultés y font plus grandes , les chofes nécedaires plus rares , outre que réloignement où l'on eft des Tribunaux , donne aux per- fonnes mal intentionnées la liberté de commettre impunément toutes les I> E LA C ALI FO R N IÊ, f <$ extovfîons qu'il leur plaît. Ajoutez à cela qu'on n'v envoie point des Ncgres mais feulement quelques Indiens ïoi- bles & énervés , qu'on employé aux travaux des mines , qui eft très-fati- guant par lui-même. Quoiqu'on ne les oblige point à trava.ller comme des journaliers, on les tire avec vio- lence de leurs millions , & on les fait travailler en tout tems, fans au» cun égard pour les loix , qui ordon- nent qu'on échange alternativement le travail des mines & celui des terres, de manière que la plupart de ceux qui y vont , ne retournent jamais plus dans leur pays natal. Les Millionnaires ont beau les reclamer, on ne les écoute point , 'rop htureux encore li l'on ne répand point des calomnies infâmes fur leur compte , & s'ils ne fouffrent poi :it quelque violence de la part de ceux qai lont prépofés pour les em- pêcher, fans qu'ils fâchent à qui ie- co ,rir pour Ce faire rendre juftice, S'ils s'en plaignent , ils fe brouillent avec ceux dont ils ont be oin pour Tiquer à la conveifion des Indiens ; & à leurs mémoires , on en oppofe *6 Histoire d'autres qui leur font perdre leur caufer toute julte qu'elle eft , ou du moinr qui en retardent le jugement, fi tant eft qu'on ne la mette point au néant, (ans attendre la decifion du gouver- nement. Cependant les Gentils , qui font encore libres, refufent hautement de fe foumeitre au joug de l'Evangile, dans la crainte de fubir le même es- clavage que ceux de leurs compa-r triotes qui ont embraflé le Chriftia» tiifme, Souvent on traite fi mal ceux qui fe font fournis , qu'on les oblige à fe révolter. Lors même qu'ils font les plus tranquilles , on les aceufe d'avoir voulu fe mutiner , pour avoir occafion d'envoyer contre eux des troupes qui les y obligent par les mauvais traite-? mens qu'elles exercent envers eux ; on les fait prifonniers , & on le^ con- damne pour toute leur vie à travailler aux mines ou au champs De pareils procédés diminuent le nombre des Indiens , dont plufieurs , pour fortir de cet efclavage , fe tuent de leurs propres mains, Le pays , ainfi privé de foi) plus grand avantage , gémit fous t)£ laCalîfoenie, if fous la plus affreufe pauvreté , mal- gré fa fertilité & les reflources iné- puifables de fes mines d'agent.- Le père Eufebe François Kino, en- tra dans la province de Sonora l'an 1687, pour diriger la feule million cjui y reftoir. Elle confinoit avec les Indiens de Pimeria Alla , province qui s'étend iôo lieues au nord de So- nora, & du côté de l'Occident jus- qu'au golfe de Californie. Il travailla dans cetce million , de même qu'à la réduction des Indiens , avec un zèle admirable ; il entra hardiment chez eux , en forma plufieurs villages , & les engagea à cu'tiver leurs terres, & à prendre foin de leurs troupeaux , Comme l'unique moyen de les réunir enlemble , prépofant quelques per- fonnes pour adminillrer la juftice. II eut U patience d'apprendie les diffé- rentes langues qui ont cours parmi eux , traduifit le catéchifme & les prières j & vint à bout de les leur faire réciter , fans le reburer de leur indocilité ni de leur ftupidité. Il coin* pofa auiîiun Vocabulaire ace mpagné de quelques obfervations, pour l'ufagt» Tome IL B 1 8 Histoire de ceux qui lui fuccéderoient , & fè fit fi fort aimer des Indiens, qu'ils le regardoient comme leur père. Il bâtie des maifons & des chapelles , forma des villages & des villes, reconcilia les nations qui étoient brouillées ; 2c li les autres Millionnaires eu fient voulu le féconder , ainfï qu'il les en pria plufieurs fois , il eût aifément con- verti toutes les nations comprifes entre Sonora & les rivières Gila & Colo- rado , & établi une correfpondance par terre entre les millions de la Nou- velle-Efpagne , & celles de la Cali- fornie, ce qui a toujoMis paru extrê- mement difficile. Les travaux qu'il eut à fouftrir de la part des Indiens , ne furent rien au prix de ce qu'il eut à effuyer de la part des Efpagnoîs , aux violences defquels il s'oppola comme l'auroit pu faire un mur d'ai- rain , pour protéger les profélytes. Ils s'oppofèrent à fes entreprifes, & em- pêchèrent les fecours qu'on vouloit lui procurer , leur intérêt étant que l'on regardât les pauvres Pimas comme des rebelles & des ennemis , pour pouvoir exerces toutes fortes de De la Californie, ip déprédations chez eux, & forcer les Indiens à les fervir en qualité d'efcla- Ves. Les fermes qu'il avoit établies , pour fubvenir à la fubfiftap.ee des In- diens & de leurs minifties , tombè- rent auffitôt en ruine : car c'étoit le Père Kino feul qui avoit obtenu de l'Audience de Guadalaxara, que les nouveaux convertie parmi les Indiens feroient exempts pendant les cinq pre- mières années de leur convernon , des travaux des terres & des mines. Char- les II, par égard pour la Religion . par un ordre daté du 14 de Mai 1685» prolongea ces cinq ans jufqu'à vingt ; mais cet ordre ne fut jamais obfervé, & le Père eut la mortification de fe voir enlever ceux qu'il avoic batifés, tirés des^montagnes & des déferts, & inftruits avec des peines infinies , pouc les enfeveltr dans le fond d'une mine, fans efpoir d'en fortir jamais. Indépen- damment de ces violences qu'on em- ployoit pour les arracher des millions , on toléroit parmi eux quantité d'ex- cès abominables, que les Pères avoienc eu loin de réprimer. Cependant , mal- gré tous ces obftacles, le père Salya»- 20 Histoire* Tierra, Vifiteur des millions, étant venu à Pimeria l'année 165^0 , le père Kino lui montra plufîeuvs villages qu'il avoit fondés , & l'inftruifît des dilpofitïons qu'il avoit faites , pour batifer fes Pimas & d'autres nations plus éloumées. Comme ces deux Miffionnaires dé- îibéroient , s'ilétoir poflible ,. de paflfer dans la Californie, ils convinrent que le père Kino chercheroit quelques per- fonnes fur la côte de Pimeria & de Sonora , qui voulufTent pénétrer dans ces provinces , & leur envoyer dans la Californie les vivres dont ils auraient befoin , ne doutant point que les In- diens ne les reçi.flentavec amitié. En conféquence , le père Kino fe rendit l'année fuivante fur la côte , & dans ce canton du pays de Pimas , appelle Soba , & f fit conftruire l'an 1 694 un petit vaifleau , avec lequel il fe rendit dans la baie de Sainte-Sabine. Il fonda anfli» vingt lieues avant dans le pays , & dans une htuation convena- ble , !a million de la Conception de Caborca. L'an 1 <^s>8 , le père Salva- Tierra étant arrivé dans la Californie 5 de la Californie. H le père Kino partit au mois de Sep- tembre de la million de Los-Dolot es , pénétra jufqu'à la rivière Gila , qui eft au nord , vifîtant chemin fa'rfarrt les Communautés de Catéchumènes qu'il avoit parmi les Pimas & les Opas , juf- qu'à l'Incarnation & à Saine- Andié , d'où continuant fa route r pendant l'efpace de 80 lieues , il arriva au golfe de Californie , ou , au \zc degré de latitude feptentrionale , il trouva une crique abondante en bois & en eau douce, qu'on appelloit autrefois- la baie de Sainte- Claire r & qui eft fi- tuée près de la chaîne de montagnes de ce nom. Après avoir reconnu la côte qui efl au midi de la baie de Sainte- Sabine , il vint à Caboica, d'où ilretourna à famifiîon de l os-Dolores,. après avoir fait 300 lieues dans un pays montagneux , inculte & habité par des peuples fans religion. Le père Kino envoya une relation de fon voyage à fes Supérieurs , de même qu'aux pères Salva Tierra & Piccolo , lefquels le remercièrent de fou cou- rage & des peines qu'il s'étoit données pour le bien commun de ee« conque- *i Histoire tes. L'année fuivante , le père Kînçj fit plufieurs autres voyages également longs , difficiles & dangereux ; tantôt pour vifiter Tes catéchumènes , les con- firmer dans la foi , & les inftruire de ce qu'ils dévoient faire pour pourvoir à leur fubfiflance & leurs befoins ; tantôt accompagné du capitaine Ma- thieu Mange , pour réfuter les ca- lomnies & les faux rapports , & appai- fer les révoltes. Il fit un autre voyage avec les pères Antoine Leal , & Fran- çois Gonzalvo , dans le defïein de fe rendre chez les Apaches, qui, quoi- que extrêmement féroces , ayant ouï parler du père Kino,avoient prié qu'on leur envoyât quelques pères pour les instruire. Ce voyage n'abou'it cepen- dant à rien , fi bien que l'on perdit l'occalîon de civilifer ces Sauvages. Tout occupé qu'il étoit de ces foins impôt tans, il fit en forte s au mo*yen des vivres qu'il tira de (es villages & des autres millions de la province , d'en envoyer dans la Californie des ports de Saint-Jofeph de Guayamas & d'Hia- qui , fe montrant dans toutes les oc- calions auûi prudent que zélé pour delà Californie. 2 J tout ce qui concernoit le fervice de ces misions. Quelque furprenant que cela pa- roiiïe, le père Kino étoit trop intré- pide pour en refter là. Dans les voya- ges dont je viens de parler , de même que dans quantité d'autres qu'il fit dans divers pays inconnus , où fon zèle l'avoit conduit, il avoit toujours dé- liré de favoir fi la Californie étoit contiguë au continent de la Nouvelle- Efpagne , ou lî le golfe continuant fa direction vers le nord , fe jettoit dans la mer du fud au-deiïus du cap Mendozino, & formoit une des plus grandes îles du monde. Verfé comme il 1 etoit dans la Géographie , il n'i- gnoroit pas qu'on avoit autrefois cond- déré la Californie , comme faifant par- tie du continent. Mais il favoit aullî que du rems même de Drake, fameux Navigateur Ai;glois , l'opinion con- traire avoit prévalu , & que tous les modernes larepréfentoient comme une île , quelques marins ayant avancé dans leurs journaux , qu'ils avoient tourné la Californie & traverféun détroit , dé- signant par leurs noms les lieux par *4 Histoire lefquels ils aVoient palïé. Il n'ignoroît point non plus de quelle importance il étoit de réloudre ce problème géo- graphique , ni les avantage^ qui en réfulteroient pour la conquête , fi on pouvoit étendre les millions de Sonora & de la Californie vers le nord , juf- qu'à ce qu'elK-s fe joigniflent , & qu'el- les puffent fe fecourir réciproquement partene. En conféquence , il réfolut l'an 1700 d'aller vifiter Tes Néophi- tes , & de pénétrer aufii avant qu'il pourroit , pour s'aflurer de cette jonc- tion , dont il ne doutoit prefque plus, après ce que les Indiens lui en avoienC dit. Il partit le 24 de Septembre 17Ô0, de fa miflîon de I os-Doloies ; & après avoir vifïté les villages de l os Reme- dios , & de Saint Simon & Saint Jude , il le rendit à Saint Ambroife ^el Bu- fanio , Tucubabia & Saii te-Eulalie,où il s arrêta quelque tems avec 500 In- diens , qui avoknt offert à un Million- naire qu'on leur avoit envoyé , de s'i; corporer avec ceux de Bufanio. Six lieues plus loin , il rencontra 40 Indiens , & lix autres au-delà , le vil- lage de la Californie, 25 îage de la Merced. Ayant fait encore 20 lieues, il trouva le village de Saint- Jérôme ôç quatre communautés , à cinq lieues defquelles étoit une pièce d'eau, & 12 lieues plus loin, une fe* çonc'e. Il fit encore 10 lieues, cV fe trouva fur la rivière Çila. Elle a fa fource dans le pays des Apaches, d'où, elle prend Ton coûts vers l'eft &l'oueft , à un peu plus de 44 degrés de lati- tude , & après avoir reçu les eaux de la rivière Azul , elle va (e jetter dans Je fameux Rio Colorado. Le Père fui- vit le cours de la rivière l'efpace de 50 jieues , ayant à fa fuite un mélange de Wmas , d'Opas & de Cocomarko- pas. 11 tiaverfa plufieuis de leurs corn-- munautts , & arriva chez les Yumas , .qui habitent à l'extrémité de la rivière Gila , un peu en-dt-ça de l'endroit où elle fe jette dans le Colorado , de mè« me que fur la rive Orientale de ce fleuve. Il fe rendit fur le fommet d'une montagne fort haute , d'où il ne put découvrir la mer , quoiqu'il eût un excellent télefeope. Pouffant fon che- min plus loin t il arriva dans cette partie du pays , où la rivière Gila fe Terne IL C îtf Histoire Jette dans !e Colorado , où on lui ait que les quatre nations appellées les Quiquimas , les Bagiopas , les Hobo- nomas & les Cufguanes , faifoient leur rélidence dans les environs. A la folli- çitation des Yumas , i! pouffa jufqu'au continent de ces deux rivières ; tra- verfa la Gila, qui eft fort large dans cet endroit , & fe partage en trois bras , & après avoir fait dix à douze lieues de plus , il arriva dans un en- droit fertile , fitué par le $ 5 e degré , & formé par le confluent des deux ri- vières , auquel il donna le nom de Saint - Denys. Plus de 1500 Indiens s'y rendirent en corps pour le^oir, Jefquels lui dirent qu'il n'y avoit au- cune mer dans ce canton , & que plu- sieurs d'entr'eux qui habitoient fur la j"ive occidentale du Colorado , l'a- yoient fouvent trave+fé. Ils le prièrent fie vouloir vifiter leur pays , ce qu'il ne jugea pas à propos de (aire , tant à çaufe de la difctte des provifions , que çlu mécontentement des Pimas, dont |a plupart étoient malades , ou extrê- mement fa/igués. Après leurav.-.ir té- moigné fa reconnoiffance , & aiitribiiç toE la Californie, tj quelques petits préfens , il retourna dans l'endroit , d'où il avoit d'abord reconnu le pays. Il monta fur la mon- tagne la plus haute de la chaîne, d'où avec le fecours de fon télefcope , il découvrit à plein les montagnes de la Californie , & obferva , qu'au-deflus du confluent des deux rivières à Saint- Denys , le Colorado prend fon cours l'efpace de dix lieues vers le fud-oueft, d'où fe poitant au midi l'efpace de vingt auties , il va fe jetter dans le golfe de Californie. 11 retourna à Ca- borca par un autre route, & aniva à la fin d'Octobre à fa million de Do- Jores , après avoir fait près de 400 lieues. Le père Kino fut alors convaincu que la Californie tient au continent de l'Amérique , & n'en efl fépaiée que par le Rio Colorado , fur quoi il pu- blia la découverte qu'il venoit de faire. Le Commindant de Sonora l'en re- mercia au nom du Roi, & les Supé- rieurs de fon Ordre à fon exemple 3 s'acquittèrent du même devoir. Le père Salva-1 ierra , étant arrivé ce même mois de la Californie pour Çij î8 H r s t o i r t demander quelque fecours aux mifTion$ & à la garnifon de Sonora , tut très- flaté du récit qu'on lui en fît ; il écri-, vit au père Kino, & l'en félicita de^- puis de vitfevoix. Cependant , comme cette découverte n'étoit fondée que fur la fimple vue , il exhorta le père Kino à entreprendre un fécond voya- ge , pour s'afliirer de la vérité du fait, perfuadé que le bonheur de fa million de Californie , en dépendoit entière- men:. Il le pria même de palTer de So- nora jufqu'au Rio Colorado , de fui- vre le cours de cette rivière , & de fe rendre par la côte de Californie à la garnîfon de Lorette. Le père Kino accepta fon invitation avec joie , 8c après cinq jours de délai , occafîonné par l'irruption des Apiches dans le village de Cucurpe, & dans les envi- ions , les Pères partirent de la million de Dolores le i de Mars 1701 , & comme ils furent obligés de prendre difterens chemins pour vifiter leurs catéchumènes , i's fe donnèrent ren- dez-vous à la Conception de Caborca. Le père Salva -Tierra prit celui de baint- Ignace pour fe rendre à la rivièrç © e la Californie. *$ àt Caborca , dont il fuivit le cours par Tibutama , Axi, San - Diego de Uquitoa , & Sali Diego de Pitquin , d'où il arriva au rendez-vous. Le père Kino prit un détour par Cocofpera , Saint-Simon & Saint-Jude , & fe ren- dit à Saiut-Ambroife de Bufanio, fur îa même rivière de Caborca qu'il cô- toya , & fe rendit par Sarrii , Tibuta- ma , & d'autres villages à Caborca. De- là, ils prirent leur route vers le nord, fous l'efcorte de 10 Soldats» & fe rendirent à Saint Edouard de BaiG- fia, & à Saint-Louis de Baeapa , ou ils furent joints par Marc de Niza , Provincial des Frâncifcains , comme il le rapporte lui même dans fa relation des fept villes de Cibola, Après avoir fait encore 12 îieues, ils arrivèrent à Saint-Marcel , le feul endroit de la côte & du pays où l'on pût fonder une million à caufe de la bonté de Ton terrain ,- & de la quantité d'eau qu'on y trouve. Cet endroit , fuivant les obfervations du père Kino , eft à 50 lieues au fud de Caborca , 50 au nord de la rivière Gila, & à la même difUnce à l'eft de Saint -Xavier du 30 Histoire Bac , au nord-ouefr. de l'embouchure du Rio-Colorado. Ili reçurent à Saint- Marcel une rcponfe favorable au mefTage qu'ils avoient envoyé aux Quicimas , dont quelques-uns vinrent les joindre à une fontaine qui n'en eft éloignée que de huit lieues. Us leur dirent qu'il y avoit deux chemins pour fe rendre à l'em- bouchure du Rio-Colorado, l'un paF les vallées & les montagnes , & en prenant un long détour à la gauche des montagnes de Sainte-Claire ; l'au- tre beaucoup plus court par la côte , en laifiant ces montagnes à droite , & traverfant un pays fabloneux & d'une vafte étendue , lequel aboutit à la ri- vière. Peut-être que les Indiens , qui font accoutumés à voyager avec leurs bagages & leurs provifions à dos , ne trouvoient aucune difficulté à traver- fer ces fables. Cependant les Pères aimèrent mieux prendre le chemin de la côte , pour avoir occahon de la reconnoître , ce qui les fruftra en quelque forte du but qu'ils fe propo- ioient. Après avoir marché 30 lieues pour découvrir la mer , ils arrivèrent bk LA Californie* 3 t à u!ie petite Communauté $ d'où laif— Tant au nord la grande montagne dé Sainte Claire , dont les côtés fonC couverts Pefpace d'une demie îieue dé pierres ponces , ils entrèrent dans les labiés le i 9 de Mars. Le 20, le ca- pitaine Jean-Mathieu Mange , & 1-é père Kino , monrèrent fur une haute montagne , d'où ils découvrirent non feulement la mer , mais encore la cote oppoée & les montagnes de la Cali- fornie, étant par le ^o' degré de la- titude. Le 11 is arrivèrent lurlacôte, mais l'eau & les provifions leur ayanc manqué , ils ne purent paiïer outre * de forte qu'ils furent obligés de re- tourner à Saint-Marcel. Ils en repar- tirent , prenant leur route plus au nord , & lorfqu'ils furent au 52e degré 35 minutes , ils gravirent une montagne d'une hauteur extraordinaire , d'où environ une heure avant le coucher du foleil , ils découvrirent à plein la Cordillère de Californie , nommé- ment les montagnes de Mefcal & d'A- zul. Ils découvrirent aulfi à ne pou- voir en douter la jonction de la Ca- lifornie & de Pimeria-Alta , de même C iv 3* & i s t o t n * que le golfe , lequel fe terminoit à l'embouchure du Rio-Colorado. C'eft ce que le père Kino afîure dans Tes relations manufcrites , citant pour ga- ' rant de ce qu'il avance celles du ca- pitaine Jean-Mathieu Mange, impri' mées en France, que je n'ai pu avoir, ni en François ni en Efpagnol. Le témoignage de ce dernier nous eft inutile, le père Salva-Tierra aflu- rant la même chofe dans une lettre datée de Lorette du 19* d'Août 1701 , dans laquelle il fait mention de cette découverte , de même que~des avan- tages qui doivent en réfulter, au père Général Thurfo Gonzales. «Je vous donne avis, mon Révc- »> rend Père , qu'ayant débarqué de » l'autre côté de la Nouvelle Eipagne, »je parcourus Tes côtes , jufqu'à un » endroit où j'eus lieu de croire , d'a- » près le rapport unanime des Indiens, »» que la Nouvelle-Efpagne & la Ca- » lirornie fe joignent. Cependant , » voulant m'affurer d'un fait auflî im- » portant , je continuai mi route juf- » qu'à une montagne , du haut de la- quelle je découyiis que les monta- de la CALipenvrii, $% h gnes de la Californie fe joignoient » avec celles de la Nouvelle-Efpagne. » Je dois cette découverte à la Vierge » de Lorette , & je compte de vous » en envoyer dans peu un plus am* »> pie détail. J'avois avec moi le père >> Êufèbe- François Kino , qui , après » ce vo\ âge , ira j'efpère , en perfonne » dans ces endroits , que je n'ai vu que j> de loin , environ par la latitude de » 32 degré-,. Ce voyage ne me paroîc! » pas maintenant fort utile , vu la jr> distance qu'il y a du 26" degré , qui » ef¥\xlui où nous étions dans- la Ca* »î lifornie jufqu'au de-là du 32e où le » golfe paroit fe terminer. Cette dé- couverte me fait efpèier que la Ca- » lifornie pourra devenir dans quelques » années l'ame de ce Royaume , la » principaîe fource de fon opulence, »> & le théâtre de fon indufrrie. Je î) vous fupplie donc de faire enforte » que l'on continue de nous protéger »> & de nous aider dans nos mifîioris » de Notre-Dame de Lorette dans la >î Californie. >> Ils trouvèrent dans cet endroit la plupart des Indiens, qui l'année pré- $4' Histoire cédente étoient venus les joindre à Saint- Denys, au-dcflus du confluent des rivières 5 lefquels leur dirent , qu'il étoit éloigné de 30 lieues de la mer. Les provifions étant venues à manquer* le père Kino retourna après bien des dangers à Saint-Marcel , pour y bâtir Une Eglife , & donner les ordres nécef- faires pour fonder une nouvelle mif- fïon. Le père Salva-Tierra s'en fut à Caborca , Dolores & autres millions deSonora, pour y recueillir les cha- rités qu'il porta à Hiaqui , & de-là. fur la fin d'Avril , à Lorette. Je ne puis , fans manquer à la juirice que je dois au père Kino , finir cette Section , fans rapporter les peines in- finies qu'il s'eft donnée", pour s'affiner de la jonction de ces contrées , & pour réunir des nations différentes , en les difpofant à recevoii l'Evangile. Au mois de Novembre de la même année 170 1 , il fe rendit à Saine-Mar- cel par un autre chemin que celui qu'il prit la première fois , & de-là fur la rivière Gi!a , qu'il paffa à gué à Sainr-Denys, près de (on confluent avec le Colorado, Il repafla la Gila, VB LA CA l 1 F OHN 1 E. 35 & fuivit le cours de Colorado par les Communautés des Yumas & des Quin- quimas, pendant l'efpace de 10 lieues. Il y trouva un fi grand nombre d'In- diens , que l'Efpagnol qui le fervoic s'enfuit de peur. Le Colorado a dans cet endroit plus de 6oo pieds de lar- geur. Les Indiens le traverfent à la nage , pouffant devant eux leurs Co- ryftas ; ce font des efpèces de vaifleauX fait d'herbe & de jonc dans lesquels ils mettent un ou deux boiiTeaux de maïz , & dont le tiffu eft tellement ferré , que l'eau ne fçauroit y pénétrer. Le père Kino ayant conftruit un ra- deau avec des branches d'arbres , le traverfa au grand étonnement des Indiens , & trouva fur la rive occi- dentale un grand nombre d'indiens de différentes 1 ribus , comme des Quin- quimas , des Coanopas , des Bagiopas, & des Cetguanes , auxquels, par le moyen d'un interprète , il prêcha pour la première fois 1 Evangile. 11 fit trois ligues à pied dans le pays, & arriva à la rélidence du Cacique des Quin- quimas. Il trouva le pays uni, entre- mêlé de bois, & le foi très -propre \6 H i s T G i n je pour lé labour & le pâturage. Iî y avoit dans ee canton , auquel il donna lé nom dé la Préfentation de Notre- Dame , environ 1 0,000 âmes. Ils lui jxéfentèrent quantité dé coquilles bleues , qu'on ne trouve que fur la côte oppofée de la Californie ; & leur ayant demandé où étoit la mer du fud , ils lui dirent qu'ils en étaient éloignés de dix jours de marche. Le père Kino eût voulu traverfer tout le pays jufqu a Monte-Rev , ou au cap Mendozino ; mais 'il manquoit de ba- teaux pour tranfporrer les animaux , & il y auroit eu de l'imprudence à les lahTer. Il fe contenta donc d'écrire au père Salva-Tierra à Loretce,- qu'il jugea être éloigné de 130 lieues de l'endroit où il étoit. Il remit (es lettres aux Quinquimas , qui ne les rendirent poinr. Content de la découverte qu'il venoit de faire de tant de nations , il s'en retourna , vHitant chemin fai- fant les villages qu'il avoit fondés. Au mois de Février 1 702 , le père Kino fit un dernier effort , & partit avec le père Martin Gonzales , lequel s 'étoit volontairement offert de l'ac- compagner dans un voyage fi rude «SÇ ii fatiguant , qu'il falloir avoir la força & l'intrépidité du père Kino , pour pfer l'entreprendre. Ils arrivèrent le a8 à Saint-Denys , au confluent des deux rivières, inftruifant quantité d'In- diens , qui venoient les joindre de toutes parts. Au mois de Mars , ils pouffèrent jufqu'àla Communauté des Quinquimas , à laquelle ils don. èrent le nom de San- Rudefindo. Les indiens parurent extrêmement étonnés de les voir , & témoignèrent tant d'amitié aux Pères & même aux bêtes qu'ils avoient avec eux , que le père Gon- zalos leur diftribua Ja moitié de fes hardes. Ils continuèrent de defeendre le Rio Colorado , en tirant vers le midi , & arrivèrent à fon embouchure. Quantité d'Indiens qui habitoient fur la rive occidentale de ce fleuve fe rendirent auprès d'eux, & les prièrent de venir dans leur pays. Il ltur de- manda quelles étaient les nations , les montagnes & les rivières qu'il y ayoic de l'autre côté, & ils leur dirent qu'il y avoit dix journées de marche de l'endroit où Us étoienç à la me.r d» $8 Histoir* Uid. lis parlèrent la nuit du i o dans l'embouchure même de la rivière , de forte que dans la haute marée , l'eau venoit jufqu'à leurs lits. On commen- ça de conftruire un radeau pour tra- verfer la rivière , mais l'embarras des bêtes de fomme > la largeur du fleuve, la rapidité du courant , & qui plus eft , l'indifpolition du père Gonzales, occafionn.es par les fatigues qu'il avoit foufrertes , furent caule qu'on aban» donna ce defTein , & tout ce qu'on put faire, fut de le ramener. Le pçre Kino vouloit d'abord traverfer les fa- bles, comme le chemin le plus court, .& reconnoître en même tems la cote jufqu'à Saint-Marcel ; mais trouvant la choie impiaticable , il s'en retourna avec tou'e la diligence qu'exigeoit la maladie du père Gonzales à la million de Tibutama, où ce dernier mourut en arrivant , fa conftitution ne s'étant .point trouvée proportionnée à fon zè- le. Le père Kino s'occupa tout entier les années fuivantes à étendre & à cimenter les millions qu'il avoit com- mencé d'établir à Pimeria , malgré Içs perfçcutions qu'on lui avoit fulçi- de la Californie, $ ngea tout de bon à affer- mir fa million ; mais il forma deux projets également difficiles. Le pre- mier fut d'inftruire les Indiens , les engageant par la douceur à affiler tous les jouis à la méfie , au rolaire & au catéchifme , & à ne plus fré- quenrer ni leurs prêtres ni leurs for- ciers. Le fécond fut de les accoutumer à cultiver leurs terres & à prendre foin de leurs troupeaux , & de civili- fer des fauvages paieffeux, & accou- tumés à vivre dans ies bois. La fiabi- lité & la durée de fa million dépen- doienr principalement de la fubfiftanCe qu'il fe procureroic à foi même & à les Indiens , fans compter fur les fe- cours incertains de la Nouvelle - Ef- pagne , & certe fubfiftance étoit éga- lement néceflaire à la garnifon de Lo- rette , qui étoit tous les jours à la veille de périr de faim , étant obligée de tirer fes meubles , fes habits , & 4^ fiïsToîkÉ fes provifions journalières de la cote oppofée à travers une mer très - ora-- geufe , & dans une barque à moitié ufée, Le terrein de Lorette étoit fi mauvais , que le feul parti qu'on avoit pu en tirer, ctok d'y faire un jardin fruitier & potager , dont le produit ne fuffifoit pas pour l'entretien de fa garnifon. Le père Ugarte , qui avoit un terrein fufrifant & de meilleure qualité , fe chargea donc de pourvoir aux befoins communs , du moins dans les cas urgents , indépendamment des fecours qu'il fe promettoit de fes In- diens. Les fatigues de corps & d'efprit qu'il eut à elTuier parmi ces hommes nupides & fauvages font à peine con- cevables , quoiqu'elles ne foient que trop communes dans tous les établif-* femens des millions. On jugera par le peu que je vais dire , des foins & d^s travaux qui font attachés à ces nobles entrepriles. Le matin , après avoii dit la méfie, à laquelle il les obligeoit d'alfifter avec beaucoup d'ordre & de refpect , il diftribuoit à ceux qui dévoient aller à l'ouvrage une portion de pozoli > vêla Californie. 47 après quoi ils (emettoient à travailler à l'égliie & aux maifons qu'il ftifoir. conftruire pour lai & pour fes Indiens, ils défrichoient le terrein , creufoient des tranchées peur conduire les eaux „ des foflès pour planter les arbres , & préparo.ent les . terres qu'on dévoie enfemencer. Quant aux bâtimens, le pere Ugarte faifoit tout-à-la fois l'of- fice d'architecte d'infpe&eur , de char- pentier , de mafTon & de manœuvre. Car les Indiens, quoique animés par fon exemple , ne pouvoient vaincre leur parelfe naturelle , quelques pré- iénts qu'il leur fit , & quelques bons propos qu'il leur tînt , & ils auroient furement abandonné l'ouvrage s'ils ne l'eufTent vu travailler. Jl étoit donc le premier à charrier les pierres , à gâcher le mortier, à couper le bois, à l'cquarrir & à le tranfporter , à dé- bliyer les terres, & à mettre les ma- tériaux en œuvre. Sa tâche ne (e bor- noit pas-là ; tantôt il bèchoit la terre, tantôt un levier de fer à la main , il fendoit les rochers , tantôt il creufoit les tranchées pour l'ëco ilement des eaux & tantôt enfin , il conduifoit 4$ Histoire lui-même au pâturage & rabbreuvoir , les beftiaux qu'il avoic fait Venir pour l'ufane de la mifiïon -, leur apprenant par fan exemple les ditîérents genres de travail. Les Indiens , «qui font na- turellement ftiipides & bornés , ne pouvoient d'abord comprendre l'uti- lité des peines qu'il fe donnent ; & loin d'y prendre part , ils aimoient mieux courir dans les forets , ce genre de vie étant plus conforme à leur incli- nation naturelle. Ils mirent plus d'une fois fa patience à l'épreuve ; ils ve* noient tard , ils ne travailloient point, s'enfuioient , fe mocquoient de lui, quelquefois même ih formoLnt des complots 5 & ne le menaçoient pas moins que de le tuer. 11 lupportoit tout cela avec pati nce , n'employant d'antres armes que la douceur & l'af- fabilité, qu'il avoit foin d'entremêler d'un certain air de gravité , pour le$ tenir en refpect , ôbfervant furtout de ne point les fanguer , & de fe pro- portionner à leur foib'efle. Le foir , le Père les conduifoit une féconde (oK à leurs dévotions , leur faifoit réciter ie rofajre , leur expli- quoit de la Californie. 49 quoit le catéchifme, & après le fervice, diilribuoit à chacun fa portion de po- zoli, ou telle autre provif ion. Au com- mencement , il e.it toures les peines du monde à les contenir pendant le fer- mon. Ils çontretaifoient Tes geftes Se fe moçquoient de cç qu'il difoic. Il les laifia faire pendant quelque tems ôc fe contenta de leur en faire reproches ; mais voyant qu'ils n'abourifloient à rien, il voulut efTayer à fon rifque Se péril , s'il pourrait venir à bout de les contenir par la crainte. Il y avoit aupiès de lui un Indien extrêmement renommé pour fa force , & cjui lier de cet avantage , qui efc le feuj donc on faife cas parmi les Indiens , fe com- portait encore plus erofMèrement que fes camarades. Le père Ugarte , qui étoit d'une faillie avantageufe à très- vigoureux , s'é' ant a; perçu qu'il l'oit, & cherchoit à faire rire les aunes, le prit par les cheveux , l'enleva de terre & Je fecoua pendant quel ue tems , ce qui imfpjra. rant de trayeujc aux Indiens , «qu'ils s'enfuirent ious. Ils retournèrent ; eu de tems après les uns après les auues , & le Pè-c leur Tornu il, E $0 Histoire parla d'un ton fi ferme , qu'ils fe com- portèrent dans ia fuite avec plus de décence. Mais ayant appris que leurs éclats de rire ne venoient que de fa mauvaife prononciation , il fe fervit pour la corriger de l'entremife des enfans , s'étanr apperçu que les hon>- tne> , indépendamment de leur opiniâ- treté , lui en impofoient , pour avoir occafion de fe mocquer de lui. Ce- pendant, les ouvrages avançoient très- lentement , par la ftupidiré & la pa- reïïe de ces mauvaifes créatures. Mais |1 n'y a point de difficulté qu'on ne furmonte par le travail , la perféve- rance, & la réfolution, lors furtout qu'on n'agit que pour la gloire de (on Créateur. Le père Ugarte recueillit les an- pées fuivantes les fruits de fa patience & de fon afliduité., Non feulement il inftruifit les Indiens de la doctrine du £hriftianifms , & les accoutuma à af« Çîfter dévotement au fervice divin , piais il les civilifa encore , & bannit de chez eux quanti' é de vices auxquels jls étoient auparavant fujcts. De pa- f eflfeiijf qu'ils ëtoient , il les rendit fï de la Californie. 51 laborieux , qu'il eut des récoltes abon- dantes de froment , de maïz & d'au- tres grains. On peut même dire qu'il furmonra l'impoQible , étant venu à bout de cultiver & d'arrofer un ter- rein difficile & fcabreux. Il fit même yne bonne quanti:é d'excellent vin» dont il envoya une partie aux millions de la Californie , & l'autre dans la Nouvelle - Efpagne en échange pour d'autres marchandifes. Il éleva auflî des chevaux & des moutons , de forte qu'il devint le pourvoyeur général de garnifons & des millions , qui fans lui n'auroient pu fubfifrer : mais rien n'étoit capable de l'arrêter. Ses travaux eurent tout le fuccès c(u'il s'en etoit promis , & il vit l'accomplifTe- ment de fes fouhaits , malgré quan- tité d'obftacles qu'on lui oppo(a,8c des traveries qu'il Sut à efïuier. En 1707 , la fécherefle fut géné- rale dans la Nouvclle-Efpagne , & le pays en fouffiit beaucoup. Cinaîoa de Sonoras'en refTentirent , & pour com- ble de malheur , il ne plut point dans la Californie. Cependant , le père , ygarte , écrivant à Don Jofeph de Eij 51 Histoire Miranda , le 9 de Juin , lui dit. i< II » y a déjà deux mois que nos gens ►> mangent de bon pain que nous avons »> fait avec le bled que nous avons » recueilli , tandis que les pauvres »» meurent de faim/fur la côte de Ci- >v naloa & de Sonora, Qui eut jamais »> pente pareille choie? » Quoique ces récoltes ne fuffifTent pas pour toute l'année , elles ne laif- foient pas que de diminuer Ja dé- penfe , & d'être extrêmement utiles dans des circonflances pareilles à celles-ci , même api es en avoir pris ce qu'il falloit pour la fubfiftance des Indiens , des garnifons & des millions. Mais p >ur donner tout-jà-la fois une Idée complette du zèle & de l'induf- trie de ce Religieux , je vais rapporter les moyens dont il fe fervit les années fuivantes pour procurer des habits à fes Indiens. Ses troupeaux sçtant af- fez multipliés pour pouvoir fournir de la laine , il voulut leur enfeigner Ja manière de l'apprêter, de la Hier, & d'en faire du drap. Pour cet effet, il rit lui-même les, quenouilles f les fouets # lei métiers ; il lit venir de De laCalIfôrnie. 53 Tepique un Tiflerand nomme Antoine Moran , à qui il promit cinq cens piaftre^ de gages par an. Moran relia plufieurs années dans la Californie , jufqu'à ce que les Indiens fuffent fuf- fifamment inftruits de fon arc , & de quelques autres qu'il fçavoit. Au moyen de ces nouvelles manufa&ures , il épar- gna les Tommes immenfes qu'il lui en coûtoit pour faire venir de dehors les habits , les couvertures , &c. en quoi il ne montra pas moins de piété que de politique ; il feroit à fouhai- ter que l'on fuivît cet exemple dans l'Efpagne & dans l'Amérique , & qu'on n'y employât que les étoffes qui s'y fabriquent ; ce feroit le moyen de remédier à la pauvreté & à la difette d nabitans qui y régnent, ce qui pro- cureroit un bien infini à l'état. Les malheurs & les difgi aces qu'elles éprou- vent ne viennent que du défaut d'en- couragement , & par conféquent d'in- dultrie, ce qui fait qu'on épuife le pays pour enrichir les étrangers, des manufactures defquels on ne peut ab- folument fe paffer. Ces avantages fu- rent le fruit du tems & du zèle du père E iij 54 Histoire Ugarte , dont l'exemple a été fuivi par les autres Millionnaires ; ils en connoifibient le prix par le befoin , la difette & les dangers qu'ils éprou- vèrent les premières années. Avec l'année 1701 , finirent toutes les pro- visions de la garnifon de Loretre , ce qui fît que le père Piccolo fe hâta de partir, tant pour aller chercher du lecours fur les côtes de la Nouvelle- Efpagne , que pour repréfenter de vive voix aux Audiences de Guadala- xara & de Mexico , des chofes dont le récit par écrit avoit fait fi peu «d'impreflion fur les Magiftrats. 11 s'em- barqua le 16 de Décembre , & les pères Ugarte & Salva-Tierra relièrent avec les gens de la garnifon dans une difette extrême de toutes chofes juf- e m, a Californie. 55 »' dans la difette. » Le prinrems & 1 'été fuivans , leur befoin devint extrême & effrayant , le fecours qu'ils atten- doient ayant manqué ; & la chofe nfl pouvoir être autrement, vu qu'il dé~ pendoit d'une feule barque , qu'on fut longtems à radouber , indépen- damment de celui que l'on mit a la charger , & du mauvais tems qu'on cfluya. On diminua pendant quelque tems les rations > mais à la tin , les pro- visions manquèrent tout-à^fait , à l'ex- ception de quelque peu de viande gâtée , de manière qu'ils furent réduits a vivre comme les Indiens, cherchant fur la côte le poiffon que la mer y avoit jette , & courant les montagnes pour cueillir des pitahayas , des fruits & des racines. Le père Ugarte leur montroit lui-même l'exemple , & ima- ginoit toutes fortes de moyens pour les faire fubfïfter. On ne peut lire fans en être touché, les lettres de ces Religieux , lors fur- tout qu'ils entrent dans le détail de la famine , des peines & des malheurs qu'ils eurent à effuier , & des différents moyens qu'ils employèrent pour ne E iv 5 fâchant la foiblefïe de la gar- nilon , ameurerenr toutes les Com- munautés , de manière que la révolte devint générale. Nos gens eurent beau- coup à fouffrir dans cette expédition, tant de la faim que de la fatigue , ayant été obligés de traverfer des mon- tagnes , des précipices & des défilés fort rudes. Il y eut quelques efear- mouches , dans lefquelies quatre ou 58 M i s r 0 / R g cinq rebelles furent tués. Le pèrfi !«rIePoim de le cueillir, lorfque les Indiens le détruisent , & ils cn au- roient fait autant de la chapelle & de la m„fon , fî eJIes n>eu^nt gardce^par quelques foId3ts& Indiens. Ils affouvirent leur rage fur quelques mure aux Pères dans l'extrémité où lis e trouvaient. Le nombre & les tafolences des Indiens augmentent tous les jours 5& avec elles la difette ^ la conflernation de nos gens , lorf- que heureufement pour eux , la bar- que arriva avec des proviens & un renfort de< quelques foldats. Ce fe- Court inopiné appaifa infenfiblement es troubles les Indiens fe reconcU gèrent par l'entremife des Pères , & tout parut rentrer dans fa première tranquillité. r Parmi ces circonftances défagréa- Dles , on eut le chagrin de ne rece- voir aucune nouvelle du père Piccolo qui .comme on la dit ci-delTus , avoit «c dans la Nouvelle - Efp.gne. Ce reie, après avoir pris à Cïnaloa le* » £ LÀ CALIF 0 RNÎ1. $$ mefures néceifaires pour faire pafler du lecours à fes collègues , fe rendit a Guadalaxara, où on lui communiqua les trois ordres dent on a parle , par lefquels le Roi Philippe V afîïgnoit 6"ooo piartres pour cette conquête , & demandoit qu'on lui en envoyât le détail. Là-deiïus , l'Audience royale de Guadalaxara, lui ordonna de lui rendre compte de ce qui s'étoit pafle , ce qu'il fit dans un écrit daté du 10 de Février 1702 , que l'on imprima peu de tems après à Mexico , avec la dépofition des trois perfonnes qui avoient été dans la Californie. Ces affaires conclues , il parrit pour Me- xico , au commencement de Mars , trois mois avant que l'ordre du Roi y arrivât. Le père Alexandre Romano préfenta un Mémoire au Gouverneur, par lequel il le fupplioit de lui faire payer les 6000 piaftres , lui repré- fentant le befoin & le danger où fe trouvoient la garnifon & les Pères ; mais il n'y fit aucune réponfe. Le père Piccolo, aullitôt après fon arri- vée, en préfenta un autre, que l'on envoya au Tréforier. Mais quoiqu'il €o Histoire confirmât la vérité de ce qu'on avoit dit , il ne put obtenir que 3000 piaf— tre>, qu'on donna ordre de lui avancer. Il s'en fut chez le caiflfier , lequel lui dit qu'il ne pouvoit les payer, la Cour de Madrid ayant donné ordre en 1 6y6 , qu'on ne fît aucun payement , qu'vjn ne (pécifiât la branche du revenu fur laquelle on devoit le faire. Le Père s'en plaignit , & avec d'autant plus de raifon , qu'on ne pouvoit douter de l'intention de Sa Majefté. LeTré- forier le favorifa dans cette occafion , fi bien que dans un Confeil tenu le z- barquèrenr avec les vivres & les efiets dont ils avoient befoin. Leur voyage fut très-heureux juflju'à l'entrée du golfe, mais ils furent enfuite accueillis d'une tempête fi violente , qu'ils fu- rent obliges de jetter dans la mer la partie de la carguaifon qui étoit fur le pont. Le vent s'appaifa enfin , la mer reprit fon premier calme , & ils arrivèrent dans la baie de Lorette 1© famedi 28 d'o.ftobre, où ils rendirent grâces à Dieu de la protection qu'il leur avoit accordée dans le danger prelTant où ils s'étoient trouvés. On avoit congédié une partie de lagarnifon faute de powoir la payer, & l'on jugera aifément de la joie de ceux qui reftpient , fi l'on fe rappelle la détrefïe dans laquelle ils s'étoient trouvés Elle fut telle, qu'ils fe ren- dirent en foule auprès du père Piccolo , pour le remercier dé l'expédition qu'il venoit de faire. Le père Jean-Marie , encouragé par le renfort d'ouvriers qui venoient d'arriver s de même que par l'aifurançe de recevoir du tréfoç ce la Californie. 6$ Toyal la fomme qu'on lui avoit afli^- gnée , toute infurfifante qu'elle étoit pour la garnifon , conçut des defTeins plus relevés , & conféra avec fes col- lègues fur les moyens de les mettre en exécution. Ils refolurent d'un commun accord que le père Ugarte fe rendroit dans le continent pour y acheter du bétail , des chevaux Se (les mulets pour le labourage & le fer- vice des miflîons ; que le père Minutili refteroit à Lorette avec le père Salva- Tierra, & que le père Bafïaldua iroiç à Saint-Xavier arec le père Piccolo, pour apprendre la langue , pour l'aider & s'accoutumer aux fondions du mi» niftère. Le père Ugarte partit au corn- mencenient de Novembre , mais un vent de nord-ouefl l'obligea de relâ- cher au bout de quelques jours. Il repartit pour la féconde fois dans le mois de Décembre , & arriva heureu- fement à Saint- Jofeph de Guaymas, fur la côte de Pimeria , d'où il re- tourna dans ïe mois de Février dans la Californie avec un bon nombre de bêtes à cornes , des moutons , des chevaux , des anulets , & quantité de. S LA Ç À LIFO A-VIE. é"j Poblano , & que l'impunité avoir en- hardi à commettre de nouveaux ou- trages. Le Capitaine à la tête d'un corps de foldats & d'Indiens , furprit les rebelles à minuit , mais la plupart s'enfuirent. On en tua quelques-uns , & entr'autres un qui avoit été le plus actif dans ce maflacre. Le chef de la confpiration le fauva, & c'eût été une imprudence à nos gens de le pour- fuivre dans un pays inconnu & rem- pli de rochers & de précipices ; mais le Capitaine qui vouloit à quelque prix que ce fût arrêter ces fortes de féditions, menaça tous les Indiens, qui étant compatriotes des Catéchumènes étoient reftés à Saint-Xavier , ou s'y étoient rendus depuis peu , de les pourfuivre fans miféricorde , s'ils ne lui livroient le chef de la confpiration mort ou vif , fi bien qu'au bout de quelques jours , ils le lui amenèrent en vie. Le Capitaine le jugea fur les déportions de fes compatriotes , qu'il confirma lui-même de fa propre bou- che. On découvrit qu'il avoit plu- lieurs fois tenté d'égorger les Pères Se Jes foldats, & que n'ayant pu exécuter Fii 68 Histoire fon deflein , il avoit tourné fa rage contre la chapelle & les images , 8c dernièrement eniin contre les Caté- chumènes , de la manière barbare qu'on a dit. On fçut aufli que c'étoic lui qui avoit eu le plus de past à l'af- faflinat de Poblano , & qui avoit con- feillé aux Indiennes d'époufer les Ef- pagnols , pour avoir lieu d'occa- îionner plus fouvent de pareils mal- heurs; & enfin , que depuis le com- mencement , il avoit été le boutefeu de la plupart des révoltes , & que par conféquent il méritoit la mort; & là-deflus le Capitaine prononça fa fentence ; mais avant de la mettre en exécution il en donna avis aux pères de Loretre. Le père Piccolo fe rendit immédiatement fur le lieu, & fut d'a- vis qu'on le relâchât, à quoi le Capi- taine ne voulut point confentir. Le père Salva-Tierra propofa qu'on le bannît à perpétuité du pays , mais le Capitaine fut inflexible , difant qu'il falloit ;.bfolument en faire un exem- 1 e , ii bien qu'on ne put en obtenir qu'un répit pour l'inftruire & le bati- fer j ce qu'on fit à la grande fatisfaâion delaCaliforniê* 69 du criminel, qui avoit plus d'efprit que fes autres compatriotes, & qui étoit déjà fuffifamment initruit de nos faints myftères. Il devint un tout autre homme après avoir été batifé , & délira la mort , autant qu'il l'avoit méritée, exhortant fes camarades à ne plus re- tomber dans de pareils crimes. Le père Baiîàldua , & les pères Piccolo & Salva-7 ierra l'afliftcrent dans fes derniers moments , & le firent enter- rer à Lorette. Les Indiens furent tel- lement enrayés de cet acte de févérité, qu'ils n'oferent remuer de longtems. On profita de la profonde tranquil- lité dont on jouifToit pour fonder de nouvelles miflîons : en effet , c'étoic un avantage qu'il ne convenoit pas de négliger. Il en manquoit encore deux, l'une au midi de Lorette , fur la côte de Ligui ou Malabat , qu'on difoit être un endroit fort convenable , & l'autre au nord, fur la rivière que le père Ugaite avoit inutilement tenté de découvrir par terre , dans le mois de Mai. Mais on en eut de nouvelles fiires par la barque , que les vents contraires y ayoïent jettée dans un ^5 H i s t o i a e de fes voyages à Hiaqui. Pour rmei>x la connoître ; les pères Piccolo & Bafïaldua, accompagnés du Capitaine & de quelques foldars , s'y rendirent Vers la fin d'Août avec la barque de la garnifon. Ils portèrent au nord , & un peu au defllis de la Conception ; ils trouvèrent l'embouchure de la ri- vière , qui elt appellée Mulége dans la langue du pays , derrière le cap de Las-Virgines. Ils mirent pied a terre , & s'avancèrent environ l'efpace d'une lieue dans le pays , toujours en côtoyant la rivière , jufqu'à l'endroit où Ton a fondé depuis la million de Sainte- Rofalie. Comme ils vouloient mieux reconnoîrre le pays , qui eft très rude & très-montagneux, & qu'ils ne pouvoient fe pafTer de montures, ils fe rembarquèrent, & furent en pren- dre fur la côte oppofée. Le père An- dré de Cervantes , Millionnaire d'Hia- qui , leur en fournit ; le père Piccolo refta avec deux laïcs pour, lever les contributions dans les millions de So- nora , & le père Baflualda retourna à la rivière Mulége. Ils eurent toutes les peines du monde à traverfer les 2> e la Californie. 71 montagnes , (huées entre le nord Se le nord-oueft e Lorette. Il le falloir pour.ant pour pouvoir fonder la mif- lîon ; mais n'avant pu pénétrer dans le pays , ils fe rembarquèrent pour la baie de la Conception , laquelle n'eft éloignée que de deux lieues de la rivière Mulége. Ils renvoyèrent la barque à Guaymas , & retournèrent par le chemin qu'ils avoient découvert Î& frayé en parcie dans le mois de Mai à Saint-Jean de Londo , rélidence du Vifiteur, d'où, le père Salva-Tierra fe rendit à Lorette, & où ils le fui- virenr peu de tems après , à 1 occahon du malheur que voici. Le Viceroi voulant arrêter les vio- lences que l'on commettoit dans la pêche des perles, qui avoient empê- ché jufqu'alors la converlîon des Ca- liforniens , avoit défendu à qui que ce fut de fortir de la Nouvelle-Ef- pagne , foit pour en pêcher ou pour en faire trafic, fans la permilTion du gouvernement ; enjoignant de la mon- trer au Capitaine de la garnifon de Lorette. Cependant , nonobflant cette defenfe , deux vaifleaux ofèrent en 7* Htstôikt venir pocher entre les îles; mais une tempête t qui penfa faire périr lai barque de la garnifon dans Ton trajet de la Conception à Guaymas , les- obligea de fe faire échouer dans la baie de Saint-Denys. L'équipage, qui étoir compofé d'environ 70 hommes , fe fauva heureufement , & fe rendit à la garnifon pour y demander du fecours. On apperçut peu de tem^ après 14 hommes dans une chaloupe,*' qui avoient échappé du naufrage de l'autre vaifTeau. On fut donc obligé de les habiller Si. de les no.irrir pen- dant tout le tems que l'on mit à ra- douber les vaifieaux; & cet atte de charité confomma le peu de provi- fions que le père Piccolo avoit fait venir d'Hiaqui. Vers la fin de l'année, on tranfporta dans le continent les 14 hommes dont on vient de parler, avec le père Minutili , à qui l'air de la Californie écoit contraire , & il fe rendit à Tibutama, dans la province de Sonora , pour aider le père Kino dans fes fondions. SECTION De la Californie. *ff SECTION VII. Ordres de Sa Majeflê en faveur des Mi (fions. Difficultés & traverfes qu'el- les ont à ejfuyer en 1704 , tant dans la Californie, que dans le Mexique J Le père Salva Tierra efl nommé Pro~ vincial de la Nouvelli-Efpagne. JL E s misons de la Californie fe trou» ■vcrent au commencement de l'année ï7?4 dans une fi grande détreffe, que peu s'en fallut que cette année , qui <étoit la 7e de cette nouvelle conquête, ne finît par leur ruine totale, Le vaif- feau le Refaire avoir beioin de ra- (doubj & on ne pouvoit le faire que dans le continent , d'où il fallait tirer la caiffe , l'ordre pour le payement -des troupes, les proviiions , & quan* tiré d'autres choies néceflaires pour les millions &: pour les Pères qui les deffervoient. Le 12, de Février , le père Ballàldua s'embarqua fur ce vaif- Jèau pour Matanchel > d'où il fe rendit à Guadalaxara & à Mexico. Le pèrs Tome //, G 74 Histoire Piccolo retourna avec la barque le Saint-Xavier à Guaymas, la million de Saint-Jofeph ayant été annexée à celles de Californie , afin qu'étant fous le même Supérieur & le même Viliteur , il y régnât plus d'harmonie, & que l'on pût fe procurer plus alte- rnent les provilions & les animaux dont on avoit befoin dans la Califor- nie,. Le père Piccolo fit divers voyages fur la côte oppofée , pour ramafler les vivres- ncceflaires pour la garnifon , mais on ne doit pas croire que ce qu'il en tira put fu frire pour rant de monde. La plupart des provilions s'ccoient gâtées , en partie par leur trop long (é- jour ddiii les magafins , & parue pour ^voir été mouillées par l'eau de la pier, & d'ailleurs le mauvais tems ne permettoit pas toujours d'en faire ve- nir de dehors , d'amant plus que \à barque était en très-mauvais état. Le père Baffaldua comptoit en arri- vant à Mexico , de lever toutes les difficultés . & de faire cefler les dé- trèfles de fa ebcre Californie , & d'en- gager le gouvernement d'en faire la conquête , d'autant plus que c ctoic bêta Californie, y$' 5'intention du Roi. Mais il vit bientôt J'illufïon defes efpérances, toutes bien fondées qu'elles étoient. L'année d'au- paravant, favoir 1705 , les pères Ber- nard Rolendigui , & Nicolas de Vera , s'étoien» tranfportés de Mexico à Ma» drid & à Rome, en qualité d'Agens d© la province du Mexique. Ils pré- fentèrent au jeune Roi, Philippe V, Un Mémoire & un é;at des millions établies dans la Californie , de leur é:at aéhiel , & des avantages tant fpi» rituels que temporels qu'on pouvoic s'en promettre pour Tes Domaines, s'il plaifoit à Sa Majefté d'encourager les miflions ; les moyens & les mefures qu'il convenoit de prendre pour ren- dre cet encouragement efficace , & les dommages qu'auroit à fournir la Cou- ronne, fi l'on abandonnoit une entre- prife, qui paroifïbit plus fdre que ja- mais. On lut ce Mémoire le 16 ds Juin dans le Confeil Souverain des Indes , en préfence de Sa Majefté ; on y difcuta à fond la matière , & l'on donna ordre au Tréforier du Con» feil de (aire fou rapport au fujet des premiers Mémoires , vu que ceux Gij yi Histoire qu'envoyoit le gouvernement du Mexi- que , n'ctoient point encore arrives » & que l'affaire ne foufrYoir aucun dé- lai. Sur le rapport que fit le Tréiorier le 28 de Septembre 1703 , Sa Ma- jefté fîgna cinq ordres : le premier étoit adreffé au Viceroi , & lui enjoi- gnoit de payer dorénavant les fommes qu'il avoit accordées aux Millionnai- res de Cinaloa , de Sonora & de la Nouvelle- Bifcaye , à ceux de la Ca- lifornie , & en outre , de leur fournir les cloches, l'huile, les ornemens & les autres choies qu'on a coutume de donner aux nouvelles millions, Il lui ordonnoit encore d'aflemblor les Of- ficiers rnilitaires , les Jéfuites & les perfonnes qui connoiiToient le pays & fes côtes , pour conférer fur l'établiC- fement d'une garnifon dans les con- trées les plus feptentrionales , laquelle devait être compofée de trente foi-^ (iats ÔC d'un Capitaine , au choix du Vjceroi pour la défenfe du pays , & Ja fureté des va ilfeaux des Philippines; 4'acheter un yaiffeau d'un port con- venable , pour transporter les habitans, ^gnt J'é<.]uipage feroit compofé d'un delà Californie 77 patron & de huit matelots i comme aulîi Jes vivres pour Tirage de la mif- fîon. Que tous les ans , fans égard à Fofdfe de 1696 , il fer oit payé fans aucune déduction ni délai , 7000 piaf- tres fur la tréforeie de Guadalaxara, indépendamment des 6000 uu'on avoit déji allignées pour ce fervico. Enfin i Sa Majeflé exigeoit quon lui envoyâc un état des millions que les particu- liers avoit fondées, que l'on rétablît la pêcherie des perles > obfervant de prévenir toute plainte , & de punir féverement toute violence t fraude , ou querelle , & que pour peupler & affurer la conquête , on fit palier dans la Californie les familles de la Nou- ve!le-l: fpagne, qui (e trouvoient dans 1 indigence, Les quatre autres Cédules contenoient des remercîmens ; l'une pour Don Jofeph de [Vliranda Villa- zan , Ttéforier de Guadalaxara , 3c le père ProvincLl de la Société , pour leur zèle; les autres pour Don Juan Cavaleio y Ozio , & la Congrégation de Los Dolores , pour la fondation d« trois millions y à laquelle ils avoient contribué par leurs pieufes donations. Oiij 78 Histoire Les Cédilles parvinrent au Viceroi le ii d'Avril 1704, il les renvoya au Tréforier , lequel dans fon rapport du 18 du même mois , dit qu'il talloit en obferver entièrement & abfolumcnt le contenu. Le père Baflaldua étoit au comble de fa joie , ne doutant point que le tems ne fût enfin venu, qu'il verroit fa million fûrement éta- blie , & profpérer tous les jours , & dans cette croyance , il en rendit de tiès-humbles a&ions de grâces à Dieu. Il en arriva cependant tout autre- ment, car le Viceroi renvoya la Cé- dille & le rapport du Tréforier aune affemblée générale, à laquelle dévoient afiifter le père Piccolo , qu'on difoic être à Acapulco , lorfqu'il étoit à Guaymas , le port le moins fréquenté du golfe de Californie, de même que le père Salva-Tierra qui y étoit aifïi. Le père Vifiteur Manuel Peneyro , écrivit à ce dernier de fe rendre à Mexico , mais fur ces entrefaites , le nouvel ordre du Roi ne fut point exé- cuté , malgré le zèle & la force avec laquelle Sa Majefté, par un effet de (on foin pour la Religion , y manifef- de la Californie. J$ toit Tes royales intentions* Le père Baflaldua demmda qu'on lui payâc au moins les 6000 piailles que Sa Ma- jefté av^it accordées par fon ordre de 1 701 , pour qu'il pût fatisfaire la gar- îiifon ; ma son les lui refufa, alléguant po::r prétexte le dommage que la ilote avoit fouffert de la part de l'en- nemi dans le port de Vigoen Galice, & qu'on étoit obligé d'employer l'ar- gent du tréfor à des affaires beaucoup plus importantes. Mais la véritable caufe du refus que l'on fit d'envoyer du recours dans la Californie , tant dans ce rems-là , que depuis , indé- pendamment des moyens que l'on mit en ufage pour éluder les ordres du Roi , tout pofitifs qu'ils étoient , fut (j'omets ici ceux dont pi parlé ci deiîuv ) le zele avec lequel les Mi- nières de Sa Majefté firent paner en fifpagnele plus d'argent qu'ils purent, Sa Majefté ayant d'autant plus befoin de fecours , qu'une grande partie de l'curopes'étoit liguée pour la dépouil- ler de fa Couronne. Dans cette cir- conftance critique , i\ l'on eut em- ployé les revenus du Iloi à de nou • G iv îo Histoire velles penfions , des vaiffeaux , des conquêtes , des Millionnaires & des garnifons , ce qu'on auroit envoyé en Efpagne eût été peu de chofe. Les chofes étant telles que je viens de dire , on ne fçauroit trop admirer la magnanimité & Ja pieté de ce Prince incomparable, lequel fe mettant au-defïus des troubles & des dangers auxquels dans ce tems-là , non-feule- ment Tes domaines , mais encore fa perfonne étoient expofés , ne cefla point d'envoyer les ordres les plus précis & les plus abfolus pour la pour- fuite de ces entreprifes apoftoliques & utiles. Le défaftre qu'éprouva la flote à Vigo , affecta la plus grande partie des bienfaiteurs que la million de la Californie avoir dans la Nou- velle-Efpagne ; & la conféquence en fut, que le père BafïaJdua ne put amaf- ier qu'une modique fomme pour fa million : qu'il fe vit borné à radou- ber (implemewt fa barque , & à acheter une petite quantité de provifîons né- cefTaires , avec lefquelles il s'embar- qua avec le père Ugarte , qui Yenoit c/ètjre nommé pour fucccder au père dmiaCalitox-ttiX' Si M'mucrli dans la Californie, & arriva à la fin de Juin dans la baie de Saint-» Denys , avec auflîj feu de iaùsfac-1 tion pour ]ui , que pour la gavniforï de Loretre. Les Miflîonnaires & les garnifons de la Californie fe trouvoienf dans la plus grande détrefîe , & elle devint extrême vers la fin de l'été , les gros & les petits vaifleaux qu'on avoit frété pour aller chercher des provifions dans le continent , ayant été obligés d« revenir deux fois à vide , par la vio- lence des vents de nord - oueft. Les fo!dats de la garnifon , qui avec les matelots & les Indiens de la Nouvelle-» Eipagne, montoient à foixante perlon- nes , ne purent s'empêcher de taire éclater leur mécontentement. 11 étoit fondé fur ce qu'ils n'avoient point re- çu de Mexico* les billets qu'ils avoient demandés pour la fureté de ee qui leur étoit dû. Leur mécontentement étoit tel , qu on s'apperçut aifément que s'ils n'abandonnoient point la gar- nifon , ce n'était que par amour & par refpeél pour les Pères , qu'ils \ oyoient .dans la même dé trèfle qu'eux, Enfin^ 8i BiSTOinz ia difette augmenta au point, que îé père Jean Marie crut devoir atïembler les Pères & le Capitaine , pour cé- libércr avec eux , ii l'on abandon- ne! oit la million ou non. Quant à lui* il étoit fermement réfolu de i efter feul p^rmi Tes Californiens , ainfi qu'il le marqua au Tréforier Miranda dans fa lettre du 8 de Février de la mcme année. « Pour moi , que'que rilu.ue » que je coure , je refterai ici fans foU » dats; & je fuis perfuadc que le père »Ugarte fuivra mon exemple. » Ils éîoient les (euis qui reftaffent dans la million , les pcres Piccolo & Baflaldua étant abfens. Mais il n'ctoit pas rai- sonnable de forcer les autres à fouffrir les mêmes extrémités , & quand même ils auroient été difpofés à le facrifier eux-memes, c étoit bien le moins qu'on leur laifTât le cho x , pour ne point les priver du mérite & de la gloire qui leur étoit due. Il n'etoir pas non plus de la prudence d'expofer pure- ment par zel • & par fermeté tanr de perfonnes à périr de faim , ni de fe charger de la haine commune , en cas que ce malheur arrivât, Tous les de là Californie. S$ Pères , le Capitaine & un autre Of- ficier de h garnifon s'étant donc af» femblés , Je père Jean Marie leur dit , qu'il étoir inutile de leur re- p éfehtcr le triffe état auquel ils ctoient réduits , vu qu'ils le fentoient malheureufement eux - mêmes ; que cependant ils ne pouvoient le lui im- puter , ayant été témoins des peines & des foins qu'il s'étoit donnes : qu'ils n'ignoroient pas non plus le mauvais fuccès qu'avoit eu le père Bafiaidua à Mexico, & que pour le prêtent, ils n'avoient aucun fecours à attendre de ce piy*. Que fa garnifon & fa mif- fion méritoient à tous égards les libé- ralités de Sa Majefté, qu'il leur avoit communiqué les cédules qu'elle avoic fait expédier au mois de Septembre de la préfente année. Qu'on l'avoic mandé à Mexico pour conférer fur les moyens de les exécuter , mais qu'il ne fortiroit point de la Californie , que fa miflion ne fût fecourue ou dé- truite : que comme l'exécution de ces- cédules étoit retardée , & que le be- foin devenoit tous les jours plus pref- fant , fans qu'on pût efpcrer de le voir S4 Histoire finir , & que la conquête étoit cotV* tinuellement expofée aux mêmes infor- tunes , il les prioit de vouloir loi dire unanimement , s'ils jugeoient à propos- de fe retirer avec les Californiens qui voudroient les fuivre fur la côte de la Nouvelle - Efpagne , & y attendre une conjoncture plus favorable pouf retourner à la conquête & à la ré- daction de la Californie , fous la prcn tection toute -puifTante de Sa Majcfté, Le père Piccoïo , comme fondateur de la million , ne voulant point que fa voix gênk celle des autres , parla d'une manière entièrement indifférente fur l'alternative qu'on propofoit. Mais le père Ugarte s'oppofa à ce qu'or* quittât le pays, difant que fi quel- qu'un vouloh s'en aller, on lui don- neroir un certificat pour qu'il pût toucher fa paye , & que quant aU reiïe il s'obligeoit à faire fublifter les Indiens y jufc]u'à ce qu'on eût reçu des provifions du continent ; & que pour ce qui étoit de lui , il fe contentoit des Pitahayas , des fruits & des ra- cines que mangeoient fes bons amis Jes Californiens, Il fut appuyé des 9E la Californie. Zf pères Baflàldua & Piçcolg , ce tmj fit un. plaivr infini au père Salva- Tierra. Le Capitaine cV les autres qu'on avoit faic venir de la gar- iiifon', alla1 mes dj la proportion qu'on leur faifoit , s'avancèrent juf- qu'à dire qu'ils protefteroient folem» neHement contre les Pères, Ç\ ja- mais on abandonnoit le pays. Néan- moins , on fît favoir à nos gens qu'on leur laifloit la liberté de s'embarquer fur les deux vaifleaux qui alloient dans le continent de la ÎSfouvelle-Ef- pagne , & qu'on leur dqnneroit des billets pour le payement de leurs ar- rérages. Ils répondirent à cela , qu'ils aimoient mieux mourir avec les Pères que de les abandonner. Cependant ïe tems Te mit au beau , & la barque fur laquelle étoit le père Piçcolo ar- riva à Guaymas V & le vaiffèau à 1» rivière d'Hiaqui,avec des lettres pour les Millionnaires. Le père Jean Ugarte, tantôt feul , & tantôt accompagnç des foîdats & des profélytes Indiens, courut les boisée les montagnes, pour y cueillir des fruits & des racines , qu'ij jaifuit apporter à la garnifori' d» ta Histoire Lorette. Les Indiens de Saint -Xavief & de Saint-Jean de Londo firent la jnême chofe , pour prouver leur fi- délité , & la réfolution où ils étoient de les défendre, & de les venger de ceux qui avoienr voulu les aflaifiner. Ceft ainfi que tous fupportoient avec une patience héroïque l'extrémité à laquelle ils étoient réduits. Le père Salva-Tierra , qui ne perdoit point fon projet de vue , fut reconnoître le canton de Ligui ou Malabat , qui eft 311 midi de Lorette , dans le defTein , comme on l'a dit, d'y fonder une autre muTion , celle qu'il avoit deflein d'é- tablir au nord fur la rivière Mulége étant impraticable à caufe de la dif- ficulté des chemins. Il fe tranfporta le 1 1 de Juillet fur le lieu avec le père Pierre Ugarce , un foldat & deux In- diens qui lui fervoient d'interprètes , la lague du pays çtant un peu diffé- rente de celle de Lorette. Comme ils approchoient de la Communauté , plusieurs Indiens qui écoient en em-» bufeade en (ortirent tout à-coup , ô£ firent pleuvoir fur eux une grêle de flèches , fur quoi le foldat François^ de la Californie, 87 Xavier Valenzuela , prit Ton fabie d'une main , & tira un coup de mous- quet en l'air de l'autre , feulement pour les effrayer , en quoi il 1 éuflît en effet ; car les Indiens n'eurent pas plu- tôt entendu le coup , qu'ils mirent ventre à terre , s'aflirent enfnite , &c attendirent paifïblement leurs nou- veaux hôtes. Le Père leur fit dire par fes interprètes de ne rien craindre , qu'il ne venoit point dans l'intention de leur faire du mal , mais de leç régaler & de lier amitié avec eux. Ce dilcours les ayant raiïurés , ils s'appro- chèrent plus près , & le Père , qui en connoiffoit que'ques uns.lesembraifa, fie des préfens à tous, & leur dit que pour preuve qu'il vouloir vivre en paix avec eux, il leur amenait le père Ugar- te , qui venoit d'arriver dans le pays, lequel les traiteroic comme fes pro- pres enfans , & leur enfeigneroit la voie qui conduit au Ciel. [Là-demis ils lui témoignèrent toute forte d'a- mitié & de franchife ; &» pour lui prouver leur bonne volonté , ils lui amenèrent leurs femmes & leurs enfans, Ils reconnurent le pays, & trouvèrenç $$ Histoire qu'il étoit très-propre pour y fonde? iine million. Mais comme les circonf- tances dans lesquelles ils fe trouvoient ne leur permettoient point d'y bâtir •une chapelle, ni aucun autre édifice , ni de cultiver la terre, le feui iruit qu'ils retirèrent de leur voyage , fut que le père Ugarte prit poifeilion de la million par le bacêrae de quaranter- huit enfans , que les mères lui préV fentèrent fans la moindre difficulté , enfuite de quoi ils retournèrent à Lor rette au grand regret des Indiens, auxr quels ils promirent de revenir dans peu avec le père Ugarte. Le yaideau & la barque retourr nèrent à la fin du mois d'Août avec fies provisions de la rivière d'Hiaqui & de Saint- Jofeph de Guaymas, ce qui caufa une joie inexprimable à 1? garnifon. Cette même année, le père Salya Tierra fut nommé Vifiteur des miffioni de Cinaloa & de Sonora à la place du ppie Pineyro. Il différa ce- pendant fa yifite , tant, pour ne point abandonner fa chère Californie dans Jes cir.coriftances fâcheufes ou elle fe jrouyoit 9 qu'à caufe de l'avis qu'il reçue î) e la Californie. 8 j reçlit , qu'on l'artendoit à l'afTemblce que le Roi avoic ordonné de tenir à Mexico , où il ne jugea pas à propos de fe rendre pour le motif qu'on rient de dire. On lui écrivit fur ces entre- faites qu'on l'attendoit à Mexico pour délibérer fur les affaires qui concer- noient la Californie , & qu'on ne fe- roit rien qu'il ne fût arrivé. Comme on avoit reçu des provif ons , & qu'on en attendoit encore des miffions de Cinaloa & de Sonora , jugeant que fa préfence nétoït plus néceffaire , il réfolut de s'embarquer pour la Nou- velle-Efpagne : il fut cependant obligé de remettre fon voyage jufqu'à la fin de Septembre, tant pour célébrer la dédicace de la nouvelle Eglife de Lo- rette , le jour de la Nativité de No- tre-Dame, & batifer plufïeurs adultes, que pour donner les ordres néceffàires concernant les miiîions , & particu- lièrement le commandement de la gamifon. Il furvint dans ce tems-là quelques mécontentemens parmi les foldats, qui obligèrent Etienne Lo- renzo Portugais , à fe démettre d® fa commifîion , quoiqu'il fût très-con* Tome II, H po Histoire tent de fon pofte , malgré les prières que les Pères lui firent de le garder. L'Enfeigne Ifidore Grumeque fe démit aulli du fïen,. & s'offrit d'accompagner le Pcre à Mexico , ce qu'il fir. En confccjuence , le Père nomma pour Capitaine - Lieutenant un Sicilien , nommé Nicolas Marques , & pour Capitaine Jean - Baptifte Efcalante , Enfeigne de la garnifon de Nacofari dans la province de Sonora , lequel s'étoit diftingué dans la guerre con- tre les Apaches : mais il conféra le commandement en chef de la garni- fon & de la mifîion au père Jean Ugarre , l'initruifant de la manière ? obéir audit ordre & à celui de Votre » Exellence, je me fuis rendu dans urt >» peu plus d'un mois de la Califor- » nie en cette ville. On m'a lignifié » à mon arrivée la mort du père Ma- » nuel Pineyro , & que par elle je de- » venois Provincial de cette province » de la Nouvelle-Efpagne , & pareil- » lement Millionnaire de la Califor- » nie. Pour obéir à l 'ordre de Sa » Majefté , je prends la liberté de re- » pré Tenter à Votre Excellence l'im- * poflibiliré où nous fommes de fub- » fîfter dans la Californie avec un » feul vaiiïeau , en ayant toujours eu » trois depuis fept ans & demi. Il eft » cependant arrivé , foit par les ac- » cidens de la mer , par ceux qui » leur font arrivés fur la côte, & quel- » quefois par le naufrage qu'ils ont » fait , foit par le tems qu'il a fallu v pour les radouber , faute d'agrès , » de proYihons , de contributions 8C d'Officiers, rtztA Californie. 9? to d'Officiers , io'v enfin par j'éloigne- 9f ment des ports & des criques où » ce radoub devait fe faire , que nous »» nous f -mmes fou vent trouvés dans * de tres grandes dérreiDs : car l'en- » tieprife eft fi nouvelle & fi récente, » qu on n'a pu découvrir jufqu'ici des *> moyens pJus prompts & plus con- » venables. » Et il n'en eût pas été autrement, >» eulfions-nous eu autant d'argeivq .e w l'Amiral Don Ifidore Otondo , qui » difpo(oit à Ton gré du trefor loyal; » car de trois gros vafleaux que l'on f> conftruifït pour l'expédition de la » Californie , la Belandre n'y airiva w jamais , de forte qu'il n'en ré'ulta » qu'une dépenfe inutile pour Sa Ma- » jefté , fans compter la perte des » munitions & des vivres , & la dé- w penfe des ouvriers , des foldats , ôc » des matelots. Les deux vailTeaux ap- H pelés la Capitane & l'Amiral , ne +> furent pas d'un grand fervice , ÔC » l'on fut obligé d'abandonner l'éra- » blilTement qu'on avoit fait au port >j de la Paz , qui eft le centre des lits » des perles , taute de provifions, l'A- Tome II, l 98 Histoire >* mirai n'étant point arrivé à tems. » Un fécond exemple de la mauvaife » conduite que l'on tint dans ce tems~ » là , fut l'imprudence que l'on eut » de provoquer la Nation des Guayv * curas qui éroit dans le voifïnage , » en maffacrant les, Indiens qui étoient » aflis autour d'une grande chaudière » de maïz cuit, que l'Amiral leur avoit ?» offert lui-même. Il Ht un autre éta- » blifTement 70 lieues plus haut , & » refta dix mois fans voir arriver un » feul vaifTeau, » Secondement , je repréfente à Vo- » tre Excellence la ftérilité du pays, » Car depuis le tems de Ferdinand » Cortez , fans parler de quantité » d'autres qui y ont débarqué pendant » l'efpace de 180 ans , il a été impoG- » fible de le peupler , preuve certaine, » qu'ils ont trouvé de grandes difficul- I» tés à le faire, & fi la Vierge de Lo- *» rette n'eût pris foin elle-même d'en affaire la conquête & de le peupler, » nous n'aurions jamais fait ce que i> nous venons de faite , ou du moins #> nous n eullions jamais pu y fubfifter, j> Je n'étois point novice lorfque je DE LA CALIP G S HIE. $) fc» Formai ce projet ; j'avois vieilii dans »» les travaux de la Nouvelle-Bifcaye , # & j'eus le bonheur, par la bonne » conduite que tinrent les Efpagnols, » tant foldats , qu'habitans , & par les » amitiés que je fis aux Indiens , de » prévenir les révoltes de ces peuples. » Les connoiffances & l'expérience * que j'ai acquifes, me mettent à même » de repréfenter à Votre Excellence 5i le danger imminent où nous fommes » de perdre ce pays , fi dans ces foi- » blés commeneemens, on ôte aux » Pères le pouvoir de nommer & de » renvoyer le Commandant de ce » petit corps de troupes. Car je fçai » par ma propre expérience que fans » ce pouvoir , je n'aurois pu faire un » feul pas dans la Californie , & que » j'aurois refté plus longtems dans le? » premier endroit où nous débar- » quâmes. A quoi j'ajouterai , que fans » la crainte qu'avoient les Comman- » dans d'être déplacés, les Pères n'au- » roient pu faire les découvertes qu'ils » ont faites , ni reconnoître le pays *> aufli parfaitement qu ils l'ont fait. » » J'ajouterai que les perles font un» ioo Histoire iî amorce (ï flatteuse , que fi les Père* »» n'avoient it.terpofé leur autorité » pour a retc les violences , quelques » efprits hardis auraient fous différent » prétextes , comme on ne l'a que » trop fouvent pratiqué jadis , forcé » les Indiens, tant Gentils que Chrc- » tiens , à en pêcher, pour avoir oc- » cafion de les rançonner. Les fuites » nécdïaires de ces violences , euiïent » é;é-la révolte des peuples & la perte » du pays , & l'on aurait eu d'autant » plus de peine à le reconquérir, qu'il » elr. extrêmement feabreux, & qu'on » ne peut faire aucun ufage de ta ca- » valerie. Les foldats Efpagnols y ont » encore trouvé cet avantage , qu'ils » vivent , comme ils l'avouent eux- » mêmes , paifiblement fous la protec- »> tion des Pères, ou du Supérieur, », & que ceux-ci ayant le pouvoir de » dépofer le Capitaine , ils ne font » point expofés aux vexations de leurs » Officiers , qui ne font que trop fré- >» quenres dans ce pays. Par exemple, » un Indien péchera une belle perle, », & la vendra à un foldat de fa con- », noiffance , plutôt qu'au Capitaine ; DÉ LÀ CâLÎFOÂNIE. ÎOT » celui ci regardera toujours de mau- » vais œil & le foldat & 1 Indien. Le » foldat Efpagnol refufe-t-il de la lui » vendre au même prix, il s'emporte » & en vient à des extrémités, comme » cela eft fouvent arrivé du tems û'O- » tondo , lequel courut rifque d'être » maflacré par Tes folda;s & fes ma- » tclots. » J'ajouterai encore qu'ôter ce pou- >j voir aux Pères , ce feroit vouloir » aftolblir la chanté des fujtts de Sa » Majeflé, dont les contributions aug~ » mentent ou diminuent à proportion » du plus ou du moins de confiance » qu'ils ont en ceux qui font chargés » de les employer. On tariroit encore »> par-là les fecouis perfonnels qu'on » tire des Efpa^nols & des Indiens de » la Nouvelle - Bifcaye , lelquels au » premier avis des Pères , quittent i> leur pays & s'embarquent pour ve* » nir nous trouver , témoin les Efpa- » gnols de Cinaloa qui nous fecou- »> rurent il y a trois a;>s , & les guer- »» riers de la ridelle nation Hiaquis 9 » qui s'embarquèrent avec leurs ar- » mes fur un vaifleau , & vinrent def- Iiij iioi Histoire » cendre chez la gamifon de Lorette. « La perre de ce pouvoir décourage- » roit d'autant plus les Indiens .& les » Efpagnols , qu'ils ne pourroient plus »» compter fur la protection , ni fur j> l'amour paternel des Millionnaires, » cj qui feroit le plus grand malheu» » qui pût arriver à cette conquête, »> car tout le monde fçait que Don » ïfidorc de Otondo, Amiral de la » Californie , Commandant de la gar- » nifon de Cinaloa , & Gouverneur » de cette province , malgré toute ion » autorité , & les ordres réitérés du » Viceroi , ne put trouver un feul » Indien à Cinaloa ni à Sonora , qui * voulût fervir volontairement , & 91 que le petit nombre de ceux qu'il » engagea à caufe de leurs crimes , 5> continuèrent d'agir conformément »*à leur caractère , & rirent foulever » le pays du moment qu'ils y entrè- » rent. J'ofe aiîurer à Votre Excellence ,*» que tous ces motifs ne tendent qu'à » la confervation de cette contrée , » & à l'établifiTement du Chiiftianifme » qu'on veut y introduire. » Je crois devoir auflS repréfenter à DEtACALiPORtfTÈ. t6$ » Votre Excellence que les Tommes » qu'on a dépenfées dans cette entre-» » prife jufqu'au tems où nous Tommes* » fe montent à douze cent & vingt- » cinq mille piaftres, indépendamment: >» des cinquante-huit mille qu'il en a » coûté pour fonder lix mimons , &c » que le tréfor , pendant un fi grand » nombre d'années n'en a payé que » dix- huit mille , fi bien que les Pères » ont été obligés de trouver le r-efte, » ce qui leur a coûté bien de peines » & de travaux , en quoi ils ont rendu » un très-grand fervice à Sa Majefté , » outre qu'ils ont ménagé fon tréfor. » Ce fut en confidération de ce fer- » vice que je lui demandai un parti » de vingt-cinq foldats & un Capitaine, » purement pour le bien, du pays , de- » mande que je crois fort inférieure » à lagénérofité de notre Monarque. » Je pafle fous fîlence la rcfolution » que prit le Confeil royal en 1685 , » d'abandonner la Californie , après »> bien de dépenfes inutiles : le Con- » feil manda le Père Provincial de la » Société , & en fon abfence le vice- » Provincial père Daniel Angelo Mar- I iv I©4 H I S T 0 I R E » ras , lui propofa & le prcfTa même >> d'engager la Société à le charger de ». l'expédition delaCa'ifornie, moyen» *•> nant la fomme de 40000 piaftreS » qu'on lui f'eroit pa/er annuellement » fur le tréfor ro}%l ; fur quoi ledit »> père Daniel Angelo Marras , ayant »? alfemblé le Chapitre de la province, » il rejetta d'une commune voix la » proportion. 11 c{\ vrai que le père » Provincial Barrabé de Soto, au re- » tour de fa vifite , commença de s'ap- » peicevoir qu'en refufant cette offre » on n'avoit point confulté l'iii-érêt » des pauvres Californiens , & que » c'étoit le feul expédient qui reftoit » pour introduire le Chriftianifme » dans cette contrée. Le Confeil royal » étoit même, il perfuadé que le feul « moyen de convertir & de réduire » les Californiens étoit de confier » c<.tte aflaire aux Révérends Pères, » qu'il re;etta fans aucune dclibéra- » tion la proposition que luitïtimmé- » diatement après le capitaine Fran- » çois de Lucenilla , d'entreprendre » la même chofe pour une fomVne v beaucoup moindre que celle qu'on * avoit offerte aux Pères( B e la Californie. 105 Comme donc la Société ne s'eft » point épargnée , mais que confor- » mément à l'exhortation du très-Ré- » vérend père Général Thyrfo Gon- » zales, elle a vihté dans la perfonnc » de fes enfans toutes les maifons des » perfonnes bien intentionnées , lef » Officiers & les Tribunaux , pour » les prier de les aider à foumettre ce » royaume à notre fainte foi , il me »parott qu'on doit continuer d'enlaider » le foin à notre Société , & que pen- » dant qu'on travaille à en faire le » rapport à Sa Majefïé, Votre Excel- » lence doit ordonner & recomman- » der aux i ères de fe charger du gou- » verntment fpirituel & temporel de » cette contrée , ce qu'ils font d'au- tant p'us en état de faire, que Sa » Majef é vient de leur accorder un » fecours de 1 5000 piaftres , fecours. » qui fera extrêmement avantageux » aux Pères, & qui feroit onéreux à » quelque particulier que ce fût , car » je fçai par plulieurs années d'expe- rt rience, qu'il eft impoflibleavec cette » fomme de remplir les conditions de » la cédule. *o6 Histoire. »* Que fi quelqu'un s'obligaoit dé » les remplir & de conquérir le pays » avec i 5000 piaftres, ou il feroit un » ignorant , ou un mal honnête hom- » me , il n'auroit que Ton intérêt en » vue. Cela occaiionneroit une infi- » nité de difputes avec les Pères , lef- » quels ne fouftriront jamais qu'on »» opprime les foldats & les matelots , » & particulièrement les Indiens, foit » chrétiens ou infidèles , qui ne man- »> queroient pas de fe révolter : car » quand même on enverroit à la » Cour des lettres & des mémoires , » avant que la réponfe tût venue, le » feu de la rébellion fe répandroit » partout , ces peuples fauvages ne j> connoiflant d'autre juftice que les » armes. Le Commandant feroit obligé m pendant plusieurs années de faire » venir les provifions de dehors , & 9) comme elles fe gâtent fouvent , fur- »> tout la viande, la dépenfe monte- » roit trois fois plus haut qu'on ne fe » l'imagine ; d'où je conclus qu'il eft » impofîible à quelque pa. ticulier que » ce foit de fe maintenir dans le pays, »i fans furcharger le trcfor royal. de la Californie. 107 » Il s'enfuit de ce que je viens de dire » qu'aucun Efpagnol ne fçauroit s'é- » tablir dans ce pays , fa ftérilité étant »» telle, qu'il fournit à peine de quoi » fublifter à deux Millionnaires. D'ail- » leurs on ne trouve plus d'EfpagnoIs » qui veuillent fe tranfplanter dans une » confiée étrangère, quelques bons » qu'en foient le fol & le climat , à i> moins que le gouvernement ne les » y engage , par des récompenfes , ») ou ne les y envoyé pour les punir » des délits qu'ils ont commis ; & » dans ce cas là même , ils fe com- » portent fi mal , que les habitans font » tous les jours aux prifes avec les. » foldats, d'où s'enfuivent des guerres »> civiles > comme il arriva il y a quel- n ques années à Mexico entre les » foldats & les matelots. n Jl me relire à répondre à la pro- » pofition qu'on a faite d'établir une » garnifon fur la côte occidentale, » le long de laquelle naviguent les „ vailTeaux des Philippines. Cet ar> „ ticle eft l'effet du zèle & de la com- » paffion de Sa Majefté Catholique t> pour une infinité de fes fujets qui ioS Histoire » meurent du fcorbut, n'y ayant point » dans l'efpace de plufieurs milliers » de lieues un feul endroit où ils puif- »> fent débarquer pour y prendre des i> rafraichiffemens , ce qui feroit cepen- » d3nt le moyen de leur (auver la v'ie. » Je réponds à cela que je mourrai »> aujourd'hui content, voyant que « les vues de Sa Majefté s'accordent » avec les fouhaits que je fais depuis » plufieurs années , ne pouvant voir » fans la plus vive douleur la quantité » de gens qui meurent de cette ma- » ladie , n'ayant eu d'autre vue dans » toutes les entreprifes que j'ai faites. » Afin donc de ne point occafionner » de nouvelles dépenfes au tréfor , » comme il arriveroit , fi l'on aug- »> mentoit le> peniions des Pères qui >» ont converti les infidèles prefque » jufqu'à la côte occidentale , on peut »> fatisfaire âifément aux defirs de Sa » Majefté , & s'épa gner \e< frais d'une » nouvelle garni fon , fe contenter de » payer aux Pères le fubfiJe de 13000 » piaftres, perfua ié quece'te fomme, » jointe aux pieuûs libéralités des fi- » dèles , furfira pour rendre leurs en- de la Californie. 109 »> treprifes fru<5hieufes. Les 6000 piaf- »» très ne'fumTent pas pour payer le j> tiers de la dépenfe , & l'on ne fçau- »> roit s'imaginer les peines & les foins » qu'il m'en coûte pour trouver le i> furplus. »> Indépendamment des 13000 piaf- » très, nous fumes obligés d'avoir pen- 1» dant un an ou deux une barque »> bien ravitaillée , &: montée d'un m nombre de matelots fuffi ant , pour » reconnoître & lever les côtes occi- »> dentales , les ports, les baies & les » criques qui s'y trouvent. Je courus »> avec cette barque depuis le 24- de- »» gré jufqu'au 17c, après quoi je me » rendis fur la côte occidentale , & » débarquai au degré qu'on m'avoit »>fixé. Celle qui crotfoit fur la côte »> occidentale, fut joindre le vaifleau » qui venoit de la Chine , & lui donner »> avis des Corlaires qui croifoietît fur »> les côtes de h Nouvelle Efpagne. » L'etar actuel de la Californie eft, » que Sa Majefté poflfcde cinquante i» lieues de pavs le long de la cote, » depuis la baie de la Conception juf- » qu'à Aqua-Verde , c'eft-à-dire l'eau €io Histoire » verte. C'eft un lac qui eft à cïn- »> quante lieues dans le pays-, ou au- » delà des montagnes qui féparent *> les deux mers , ce qui fait plus de » ioo lieues de circuir. Il règne » une fi grande tranquillité dans le » pays , que les Pères voyagent fans » foldats , les naturels fe conformant t> en tout à leur volonté , & obéifïant >» aux ordres du Capitaine des troupes; » étant prêts, ayec douze cens autres, » tant chrétiens que catéchumènes & î> gentils , à prendre les armes pour » nous défendre, » Outre le pays conquis, on vient » d'en découvrir d'autres , ayant été » trois fois fur le rivage de la côte » occidentale oppofée , & côtoyé pen- >i dant deux jours celle où fe rend le » vaifTeau des Philippines. £t quoique » les Indiens qui l'habitent , par un ef-» » let de leur crainte naturelle , s'en- 11 fuyent lorfqu'ils voyoient les fol- » dats , ils font maintenant civilifés » au point qu'ils font venus rendre vir >> lite au père Jean Ugarte dans cette »> chaîne de montagnes qui s'étendent y d'une mer à l'autre, La. Californi» bêla Californie* m »» efl: le refuge des Efpagnols que la » tempête chalTe de la mer du fud ; » & il y a deux ans que 70 perfora » nés , dont le vaifleau avoit fait nau^ » frage , y trouvèrent leur fureté. Or» » efpcre de trouver des mines fort ri- » ches dans les cantons qu'on a dé- t> couverts & conquis. Telles font les » chofes que j'ai cru devoir repréfen-r »> ter à Votre Excellence pour obéir » à l'ordre de Sa Majeflé , en foi de ,» quoi j'ai figné le préfent Mémoire va Mexico, le 25 de Mai 1705, » Jean-Marie de Salva-Tierra. » Le même jour, favoir , ie 25 de Mai, le Viceroi ordonna de remettre ce Mémoire a» Trcforier , pour qu'il en fit fon rapport à l'Aflemblée géné- rale. On ne pouvoit choilîr un tems plus favorable pour la convoquer, le père Salva-Tierra fe trouvant pour lors à Mexico ; cependant elle n'eut point lieu. Ce digne Millionnaire fc Yoyant ainli déçu de fes efpérances , partit vers la mi-Juin en qualité de Provincial , pour aller vjfîter les mif- fions de la Californie, emportant avec lui le plus de provilions qu'il put, Il lit HîSTOlRM mena avec lui le Portugais Don Ere- van Lorenzo , lequel fur obligé pour la féconde fois d'accepter le pofte de Capitaine de la çarnifon. Il vifira che- min faifant tous les collèges qui ctoient fur fa route, il relia à Guadalaxara jufqu'au mois d'Août, pour conférer avec les membres de l'Audience fur les moyens d'encourager fa miffion , recommandant la viiite des autres collèges au père Jofeph Vellido , qui faifoit la fonction de fecréuire. A peine le Père eut-il quitté Mexico , qu'on tint une afTemblée le 27 de Juin. On y lut le Mémoire qu'il avoir, fait , & il fut réfolu , qu^: faute de perfonnes expérimentées , on ne chan- geroit rien dans cette affaire , & qu'on s'en tiendroit à ce que la junte tenue le 6 de juin de l'année précédente avoit décidé , & c'étoit de faire fa- voir à Sa Majefté ce qu'on avoit fait , & d'attendre de nouveaux ordres. Ce ne fut que huit mois après, favoir, le 15 de Mars 1705, qu'on écrivit à Sa Majeflé pour l'iiiftruire de la réfo- lution qu'on avoit prife. Je ne doute point que les perfonnes feu fées r» je la Californie. 11$ fenfées ne foient furprifes de cetre con- duite, car après des ordres aufli for- mels de la part de Sa Majeflé , on ne fçauroit s'imaginer que cette opi- niâtreté centre les malheureux Cali- forniens, fût l'effet du defir qu'on a voit de faire de: remifes en Efpagne. Oa auroit tort de croiie aulTi que le gou- vernement ajoutât foi aux bruits que l'on failoit courir touchant les richeiïes & l'avance infaiiab'e ces Jéfuites, de même que fur le profit immenle quMs tiroient de la pêche des perles , vu qu'il étoit au fait de ce commerce. Il faut donc chercher quelque autre caule de ce mal , & la voici. Le père Salva-Tiefra , comme Recteur de la Californie, non-feulement demandoit que l'on pa\âr à fe< millions les ap- pointemens qui leur croient dus ; mais en qualité de Provincial, il agiffoit encore pour le payement des penlions affignées aux mifTions des Jéfuites dans !a Nouvelle-Efpagne. Il leur étoit dû p'ufieurs années d'arrérages , aufli les Millionnaires qui les deffervoient , de. même que leurs égliffs & les Indiens qui leur appartenoient , le trouvoient K ii4 Hi97dtn* dans un état déplorable. La province avoir demandé une fomme considé- rable, mais cependant très-modique, en égard à (es befoins. De plus , comme les fonds des millions & des collèges étoient extrêmement furchar- gés , on ne pouvoit faire venir d'Eu- rope les fujets , les livres , les orne- mens pour les églifes , les hardes &: les autres chofes nécefTaires pour l'en- tretien de ceux qui y étoient attachés. Mais le Provincial ne fut pas plus heureux à cet égard , qu'il l'avoit été dans fes demandes pour fes chers Ca- liforniens. 11 revint plufieurs fois à la charge, toujours avec l'humilité qui convcnoit , mais il ne réufîit pa<> mieux. Voyant enfin qu'il ne pouvoit rien ob- tenir , & que les mifîïons de la Com- pagnie tomb ient en ruine, fur lavis des Jéfuites les plus fage«- & les plus în elligens , il remin entre les m .ins du Viceroi un acte par lequel la Com- pagnie abandonnoit toutes les unif- iions, pour que Son Excellence comme Vice-parion , put nommer les pafteurs nécefTaires pour les deflervir. 11 fut extrêmement piqué de cette démarche , 6E t a Californie. 115 dont la Compagnie auroit été bien aife de fe difpenfer 11 ordonna qu'on lui payât les appoinremens de l'année , remettant les arrérages à un autre tems , mais il conferva fon premier reiTentiment , & ne perdit aucune oc- cadon d'en faire éprouver les effets aux miilions de la Californie. Pendant que ces chofes fe pafïbienc à Mexico , les rapports de la pre- mière Aflemblée du 1 de Juin 1704, arrivèrent à Madrid , & fur l'avis & la délibération du Confeil des Indes, le Roi envoya un nouvel ordre daté du 15 d'Août 1705, par lequel Sa MajeUé approuvoit la réfolution que l'Afïemblée avoir prife , de ne point établir de gam.fon fur la côte du fud , qu'elle ne fyût le fentiment du père Salva-Tierra. A l'égard des 13000 piafh'es qu'elle avoit aflignées pour la conquête & la reLluélion , elle ordon- noit de nouveau qu'on la payât fans délai, & qu'on l'info; mâr de ce qu'on auroit fait. Cet ordre fut lu en pré- fence du Viceroi le 20 de Juin 1 706" , & le Fifcal , à qui on l'avoit renvoyé , dit , que le père Salva - Tiena ayant Kij ïi5 Histoire donne Ton rapport par écrie, il .falloir l'envoyer à Sa Majeilé, en lui don- nant avis qu'on avoir payé les 1300c* piailles , vu qu'on ne pouvoit éviter de le faire , après l'ordre qu'on avoic reçu. On préfenta au Confeil royal l'ordre & le rapport du Tréforier , le 24 de Septembre delà même année, lequel après avoir Iongtems inhflé fur l'épuifement des finances , en préfence du Viceroi , ordonna qu'on enVerroit au Roi le Mémoire du père Salva- Tierra, parce qu'il contenoit plufieurs articles fur lefquels il convenoit de favoir la volonté de Sa Majefté , s'en rapportant pour le relie à la réfo'u- tion que l'AiTbmblée du 27 de Juin 1704 avoit prife , de ne point agir qu'on n'eût reçu de nouveaux or- dres. Le Mémoire du père Salva- Tierra avoit été préfenté*à la Cour dans le mois de Mai de cette an- née , & on l'y envoya pour la fé- conde fois avec les remarques que le Viceroi avoit Lires fur certains arti- cles. Ces démarches furent fi fecrettes, que les Pères n'en eurent aucune con- noiflance , ce qui les empêcha d'agir de la Californie. ïi? en faveur de leurs tarifions. Ces mé- moires arrivèrent en Efpagne avec l'avis que quantité de corfaires infef- toient la mer du fud par la facilité qu'ils avoient de fe réfugier dans la Californie. De ce nombre etoit "Woods Rogers , comme on peut le voir dans fon voyage qu'il commença l'an 1708, dans le tcms qu'on deliberoit à Ma- drid fur l'affaire en queftion. Ces dé- pêches ayant été lues au Confeil des Indes , Sa Majeité fur fon avis , expé- dia une autre cédule datée de Buen- Retiro , le 16 de Juillet 170S, la- quelle contenoit trois parties: la pre- mière n'étoit qu'une récapitulation de celle des années précédentes ; la fé- conde contenoit des obfervations fur les articles du Mémoire du père Sal- va-Tierra , & les remarques du Vi- ceroi ; la tioificme ordonnoit de nou- veau le payement immédiat des 1300© piaftres , & en outre que l'on fît af- fembk-r les Minières , les Officiers militaires & les perfonnes qui con- noiiloient les côtes & les contrées de la Californie , comme on l'avoit ci- devant ordonné , & enjoignoit auVi- *2 f 8 Histoire ceroi de fixer fur la côre de la mer da fud un endroit où l'on pût établir une garnifon , l'autorifant à prendre fur le trefor les (ommes néceffaires pour ce fervice , avcjc ordre d'inftruire Sa Majefté de ce qu'on auroit fait. Cette cédule arriva à M-jxico l'an 1 705?, & le Tréforier à qui on l'avoit envoyée fut d'avis qu'on devoit en remplir tous les articles , à quoi le Viceroi confen- tit , & expédia l'ordre fuivant. « Oui » le rapport du Tréforier , j'ordonne » que pour hâter l'exécution de l'or- »> dre de Sa Msjefté , concernant le «pavement & la'lïftaice des girni- ■» fons de la Californie , on délibère » fur !a nouvelle cédule qu'on a reçue, " & que l'on p éfente les papiers au » Conieil, à qui il appartient de dé- »> cider de ce >;ui concerne les affaires » publiques , & de faire exécuter les » ordres de Sa Majefté. C'eft pour fe « conformer à ces ordres que le Tré- *> forier a demandé que le Secrétaire » s'informe & prenne une note de tous « les militaires de cette ville qui con- » noiflént ces pays & ces mets, pour *> qu'en couformité des ordres de Sa CE LA CALlPOiiïlE. *1& i> Majefté on puiffe commencer cette « expédition (ans délai. » Ce décret fufpendit l'exécution de la cédule, quant au payement immé- diat des 13000 piaftres, pour lequel on s'en remettoit à la délibération de l'affemblée générale du Confeil royal , quoique l'ordre de Sa Majefté exclût toute délibération quelconque. Cependant le Viceroi continua d'exer- cer fa charge fans penfer aucunement à la Californie jufqu'à la fin de 1 7 1 o , qu'il fut remplacé par le Duc de Li- nares , Don Fernando de Lancafter Neronna y Sylva , lequel fit Ion en- trée à Mexico le 1 de Janv et 17 11. Ce digne Seigneur étoit fils de Don Auguftin de Lancafter, Di.c d'Abraï- teb , Marquis de Poro Seg iro & Val de h Lentes , & Comte de Meiorado, & de Donna Juana de Neronna y Syl a , I )ucheffe de L.inaves , li bien que (a m^ilon étoit alliée aux Cou- ronnes de Caitille , de Portugal & d'Angleterre. Il joignoit à fes quali- tés perfonnelles une expérience con- fommée des affaires , ayant été Vicaire d'Italie, Viceroi de Sardaigne & Lieu- 120 NlSTOlKE tenant-Général des Armées d'Efpagne, Il avoit hér té de les ancêtres beau- coup d'ifterïion pour les Jéfuites , & de-là vint que durant t>ut le cours de fon gouvernement , il protégea les millions de la Californie , leur avança de grandes iommes , & leur procura tous les iecours qu'il put , employant fon crédit en leur faveur auprès des plus riches habitans de Mexico. A l'expiration du terme de fa Vice- royauté , dans laquelle il tut remplacé par fon coulin Don dfpar de Zuniga, Maquis de Valero , étant fur le point de retourner en Efpagnej, il légua par fon teftament , fcellé à Mexico , le :6 de Mars 171 7 , le tiers de fon bien , pour l'ufage des millions de la Californie, dans la 17 claufe, laquelle eft conçue en ces termes. « Je veux *> que fur le bien que je laide , on " donne aux mifïions de la Californie » cinq mille piftoles, lefquelles feront »• à |a difpofition des Pères qui fe *> trouveront dans les miffions , au cas •> que je meure dans ce royaume, & » li je meurs en Europe , on payera » ladite fomme à l'Agent général de la DE LA CALtFOltNIE. lil *• la vénérable Société des Jéfuites , « pour la faire pafTer dans ces pro- » vinecs. » Comme il ctoic fur le point de fe rendre à la Vera-Cruz pour s'y em- barquer , il tomba dangereufemenc malade, fur quoi il rouvrit fon refta- ment le 28 de Mai de la même an- née, & le ferma de nouveau. Il fît quelques changements dans Iejs deux Codiciles , mais i! ne toucha point au legs qu'il avoit fait aux Millions de la Cahtornie , & mourut dans ces heureux fentimens le 3 de Juin de la même année ,. entre les bras du père François de Solchaga , Jéfuite & Profeileur de Théologie dans certe Capitale. Cependant malgré la bonne volonté de ce gentilhomme, il ne put jamais rendre aucun fervice aux m\C- fions en qualité de Viceroi , par le foin qu'on eut de lui cacher les pre- mières cedules royales, outre que de fon tems on ne reçut aucun ordre de la Cour relativement à la Californie. Les Pères eux-mêmes , ignorait les derniers ordres qui étoient venus, ne demandèrent aucune grâce , & n'ea Tomt II. L 121 H I S T 0 i n E reçurent aucune depuis l'année I7M* Le pavement ordinaire des millions étoit extrêmement retardé , de faite qu'ils fe bornèrent à pouffer la con- quête a leurs propres dépens , mais elle ne pouvoir aller fort \ke fur le pied où les choies étoient. La même chofe arriva dans les -provinces de Sonora & de Pimeria au père -Kino , lequel eut le chagrin de voir périr la moiflbn faute de provilions & d ou- vriers. Cela fit un tort confidérable à la Californie , non feulement à caufe des fecours qu'elle aurort pu tirer de Pimeria , fi on l'eût réduite & cul- tivée , & de fa côte que l'on avoir reconnue & levée jufqu'au Rio-Colo- rado , mais encore parce qu'on ne put exécuter le projet qu'on avoit forme de pouffer la conquête des deux côtés du golfe jufqua ladite rivière, où après avoir joint les millions , on eut pouffé jusqu'à la côte d-e Puerto de Monte-Rey, lacuelle eft très-fertile, à quoi euffent beaucoup contribué les fecours qu'elles auroient pu fe pro* curer réciproquement par terre. Les pères Salva-Tierra te Kino aurorent delà Californie i i ; fûrement exécuté cette entreprife im- portante , il on les eût aide confor- mément aux ordres de Sa Ma je fié ; mais tout étoit contre eux. Je fuis entré dans le détail des obftacles qu'ils rencontrèrent , pour qu'on puirTe ju- ger fî ceux qui imputent le peu de progrès qu'ont fait les mi (fions à la Compagnie , ont la moindre ombre de raifon de leur côté. J'ai aufîi réu- ni les événement de difié rentes années, pour ne p ânt interrompre trop fou- vent le (il de ma narration. Je retourne maintenant au père Salva-Tierra, que nous avons laide au mois d'Août 1705, dans fa vifite du collège de Guada- laxara. Le Père Provincial eut bien- tôt fini fa vifite , de même que fes conférences avec les membres de l'Au» dience & les autres bienfaiteurs des miffions de la Californie , & après en avoir obtenu autant de fecours qu'il put, il vint à Maranchel , s'y embar- qua , & vint mouiller le 30 d'Août dans !a baie de Saint-Denys, à la vue de fa chère million de Notre-Dame de Lorette de Californie. Son arrivée caufa une joie inexprimable aux Pères, Lij 124 Histoire aux Soldats , & même aux Indiens qui le regardoient comme leur pèe com- mun. Il trouva fa million dans une il- tuarion allez trifte , nonobftant les fe- cours que le père Piccolo avoit eu foin d'y envoyer de Sonora. Le Pro- vincial l'avoir, nommé Viliteur des mif» fions de cette province, car outre que cet emploi demandoit une perfonne auffi active & au Mi zélée que lui, il ctoit plus en état qu'un autre , par le crédit & les connoiflances qu'il y avoit , de tirer de ces millions , quoi- que pauvres en elles-mêmes, les vi- vres dont on ne pouvoit abfolument fe pafTer dans la Californie. Le père Piccolo fe conduifit avec tant d'acti- vité , qu'on peut dire qu'il fauva la million cette année par Ton zèle & fa charité, aufîï le Père Provincial eut- il foin de l'en remercier dans la lettre qu'il lui écrivit le ^o d'Août pour lui donner avis de fon arrivée. « Dieu »» veuille , mon Révérend Père, vous »> récompenfer des fecours que vous »> avez envoyé à nos Pères , fans vous » je les aurois trouvé morts de faim >» en arrivant ici.»» Ces bons Religieux de la Californie. 125 curent aufli beaucoup à fouffrir de la cruauté & des hauteurs du capitaine Efcalame, lequel n'avoit pas moins de peine à fe voir tubordonné aux Pères , que les troupes en avoienc de lui être foumiles. Il fe comporta li mal , que le père Ugarte fut obligé d'en donner avis au père Salva -Tierra , qui étoit pour lors à. Mexico , pour qu'il y mil ordre. Ce fut ee<|ui obbgea ce dernier à mener avec lui le Portugais Don Ecftvan Rodriguez Lorenzo 3 qu'il nomma Capitaine , & il en agit avec tant de douceur avec b.fcalante , que. loin de lui en 'avoir mauvais gré, il relia quelque teins dans la Californie fur le pied de ûmple foldat , après quoi il fut nommé Capitaine -Lieu- tenant de la gamifon de Nacofari , d'où on l'avoir fait venir. Le Provincial féjourna deux mois dans la Californie , fe conduisant avec les troupes de la garnifon & les Indiens , de même que s'il n'eue été que fimple MUïîonnaiie. Il apprit qu'auilitôt après fon dépare les Pères s'étoient féparés ; que le père Baflaldua s'étoit rendu à Saint-Jean de L iij 126 HisTGinr. Londo , le père Jean Ugarte à Saint- Xavier , & le père Pierre Ugarte à Lorette , dans le defïein de fe perfec- tionner dans la langue , & de com- mander la garnifon. Le père Jean "Ugarte avoit défriché cette année à Saint-Xavier plusieurs pièces de terre pour les enfemencer , inftruifant fes indiens dans l'agriculture, & les en- courageant par ion exemple. Il avoic fait auiïi plufieurs voyages , & engagé diverfes communautés à vivre en terri- ble dans des villages. Le père Bafla!- dua avoit fait la même chofe à Saint- Jean de Londo , & avoit confidéra- blcment augmenté la ville , en y atti- rant des Indiens , & allant cherche!* les autres comme des bétes fauvages parmi les précipices & les montagnes, îi bien que dans ces deux millions , & dans les villes qui en dcpendoient, on catéchifoit de même qu'à Lorette les entans & les adultes , on diftri- buoit le pozoli , & l'on faifoit toutes les autres chofe s qui concernent la mifîi n. le Fere Provincial vifîta toutes ces ml fiions , parcourut les villages qu'on avoit commencé de bâtir , de » e la Californie. 117 même que les communautés , s'éru- diant à gagner les cœurs des InJiens par (es inftrudions & (es- manières af- fables. Il leur recommanda fortement la fondation des deux miflions de Li- gui ou Mai abat , & de la rivière Mu- lége , Se donna les ordres nécellaires pour qu'elle s'effectuât promptement. Comme il n'y avoit que trois Million- naires , il falloit néceffàirement qu'un d'entr'eux le chargeât de la garnifon de Lorette , & des miflions de Saint- Xavier & de Londo, pendant que les autres fonderoient ks deux miflions. Un homme feul n'étoit pas en état de le faire ; & en effet , comment pou- voir veiller feul aux affaires de la gar- nifon , à fes magalms , à fes provihons , au payement des matelots & des fol- dats , fur les malades & les Indiens, ,& fe charger en outre de faire tenir aux: Pères & aux foldats abfens les vivres & les autres fecours dont ils avoient befoin ; mais Dieu y remédia. Le père Provincial avoit amené avec lui de Mexico le frère Jayme Bravo , homme actif , pieux & intelligent , qui. avoit été ci-devant attaché au Vi- Liv nS Histoire iiteur Pineyro. Ce Frère ayant fçu qu'il alloit dans la- Californie , le pria deperme'tre qu'il l'accompagnât dans ce voyage long & difficile. Son defiein étoit d'y refter avec la permifîion du Provincial, pour aider les Pères dans les chofes relatives à la miflion. La conjoncture favorifa Ton defîr , car indépendamment de fes inftances réi- térées, le pcre Provincial comprit que les Millionnaires avoient befoin d'un homme qui les foulageât dans les aflai- res temporelles , pour pouvoir vaquer plus aifément aux fondions de leur miniftère. Jl recommanda ce Frère zèle à fes collégu s , lequel pendant l'efpace de quatorze ans fervit la mif- lion en qualité de Coadjuteur tem- porel , au bout defquels on le pro- mut à la prêtrise, pour qu'il pût con- tinuer e la fer-, ir comme Millionnaire. Le Provincial acheva fa vilite (ans laif- fer aucun ordre par écrit , foit par hu- milité , foit parce qu'il ne le crût pas néceffaire. 11 fc cortenta de faire tirer de«- copie1 des InfKtuts que le père J-ïernando Cavero , Vihteur , avoit dreiTés pour les autres millions, leur DE LA C Ail F 0 RWîtl llf recommandant d'obferver les articles qu'ils jugeroient pouvoir convenir à la Californie. Il prit enfuite congé des Pères , d.s Soldats & des Indiens 9 avec toute la tendielfe d'un père, &; s'embarqua pour la Nouvelle- Efp 'gne , pour y exercer fa charge de Provin- cial, & attendant qu'il plût au Géné- ral de lui envoyer fa démilîïon. wJJ*>:*£ ■*.-&■ S*:-*-*?55 IJO H l 9 T 0 t * E SECTION IX. Fondation des deux Mi [fions de Saint- Jean Biptifle Ligui , & de Sainte-Ro- fulie Mu/e'ge ; progrès des autres , & voyages entrepris pour reconnaître La côte de La mer du Sud. I „ E Provincial avoir recommandé trois chofes aux Millionnaires de Ca- lifornie , de fonder fans délai les deux millions au midi & au nord de Lo- rette , de parcourir le pays pour fa- voir où il convenait de les fonder , leur promettant , lorfqu'iL auroient trouvé l'endroit, d'y envoyer des Mif- fionnaires ; & enfin de reconnoître de nouveau la côre oppofée de la mer du fud , & voir fi l'on ne trouveront pas quelque port convenable pour les vaifleaux des Philippines, ainli qu'on le defiroit depuis longtems. Le Père ne fut pas plutôt parti, qu'on fongea tout de bon à fonder les deux mif- fions. Le même jour , qui étoit le de là Californie. i $ i dernier de Novembre 1705, les deux Pères parrirenr fous les auipices de la Patronne de la miffion , & prirent différentes routes , le père Pierre de Ugarte pour la côte de L igui , 24 lieues au midi de Lorette , & le père Jean-Manuel de Baflaldua , pour la rivière de Muiége, qui e(t à 40 lieues au nord , & le père Jean Ugarte refta pour prendre foin des trois premières millions & de leurs villages. Le père Pierre n'eut pas beaucoup de peine à fe rendre fur la côte , parce que les chemins font fort beaux de ce côté-là. Les Monquis appellent ce can- ton Ligui , & les Laymones , Mali- bat. Le Père lui donna le nom de Saint-Jean-Baptilte , en l'honneur de Don Jean-Baptifte Lopez , habitant de Mexico , lequel offrit de donnée à cette million un capital de iooo© piaflres, qu'il garderoit entre fes mains, en en payant l'intéiêt au Confeil. Ce fond manqua dans la fuite à caufe des malheurs que ce généreux bien- faiteur éprouva dans fon commerce , mais le Père ne l'abandonna point qu'il n'eût converti tous les Indiens ijî Histoire des environs , mis leurs communautés & leurs villages fous la direction & la vid'te des autres miffions. Le père Pierre Ugatte eut tout lieu de fe louer de la douceur & de l'affabilité de fes Indiens , mais il n'eut pendant quel- que tems d'autre couvert que l'ombre des mefquitcs , & en fui te une hutte faire de branches d'a-bres , en atten- dant qu'on eut achevé de bâtir la cha - pelle & fon logement. Il s'efforça par des petits piélens & des carefles de captiver leur affection , bien moins dans la vue de les engager à l'aider dans la conftrudion de ces bàtimens, que de leur faire goûter le Catéthif- me , qu'il leur expliquoit le mieux qu'il pouvoit par l'entremife de quel- ques Indiens de Lorette , en atten- dant qu'il fe fût perfectionné dans leur langue. Mais ces carelTes furent perdues avec les adultes , dont la p.irefle éto t telle , qu'ils ne voulurent jamais l'aider en quoi que ce tût , quoiqu'ils fuflfent les premiers à vou- loir partager le pozoli & les autres provihons qu'il avoit apportées. 11 fut donc obligé d'avoir recours aux en- 9 s la Californie. 155 fans , lefquels alléchés par les préfens & les friandifes qu'il leur donnoit , l'accompagnoient partout où il vou- loir. Mais il fallut employer bien des ftratagêmes pour les habituer au tra- vail ; quelquefois il gageoit avec eux à qui arracheroit plutôt les mefquites & les autres petits arbres ; quelque- tois il propofoit une récompenfe à ceux qui porteroient le plus de terre î en un mot , il furfit de dire que pour façonner les briques , il devenoit en- fant avec eux , les défiant à qui pai- triroit mieux la terre glaife , & la fouleroit d'avantage en piétinant deffus. Le Père quittoit les fandales , & corn- mençoit à fouler l'argile , & les en- fans fe mettoient auflitôt de la partie, chantant , danfant & fautant tous en- fembie , & il chantoit avec eux , & cet exercice duroit jufqu a l'heure du repas ; il fe mif par-là en état d eie- ver fon pert logement & fa chapelle , à la dédicace de Iaquele les autres Pères aiîii'rèrenr. Il employa plufieurs autres expédiens pour apprendre leur langue : le prem er fut d'enfeig 1er aux enfans plufieurs mots Efpagnpls, pour. 1^4 H i 9 t o i x n qu'ils puflent infenfiblement lui ap- prendre ceux qui avoient cours dans le pays : après qu'avec le fecours de ces maîtres , des interprêtes de Lorette, de fes propres obfervations & de Tes entretiens avec les adultes , il eut ac- quis une connoiflance fufhfante de leur langue, il commença à inftruire ces pauvres Gentils , leur faifant mille carefTes pour les engager à affifter au catéchifme , Te fervant même des enfans pour leur faire recevoir fes ins- tructions. C'eft ainiï qu'à l'aid-e de la patience , des peines & des foins qu'il le donna, il vint à bout d'humanifer ces fauvages qui vivoient fur le lieu , ceux des communautés voihneb , & quantité d'autres qu'il fut chercher lui-même dans les bois , les monta- gnes & les tanières , & d'adminiftrer le batême à un grand nombre d'adul- tes. Le père Pierre fe félicitoit du fruit de fes travaux , lorfqu'un léger acci- dent , indépendamment de quelques autres que je paffe fous fîlence , penfa ruiner entièrement fa million. On avoit envoyé chercher le Père pour aflifter une femme chrétienne qui DE L A C ALI Ft) RNI E. 155 êroit malade. 11 trouva chez elle un forci er qu'il ne connoiffoit point , lequel fouflrloit fur elle félon la cou- tume du pays. 11 le -fit retirer, tança fes profélytes & Tes catéchumènes de l'avoir fouffert , confeffa la malade , lui adminiftia l'extrême Onâion , & ne la quitta point qu'elle ne fur morte. Peu de jours api es , quelques Indiens vinrent lui annoncer avec b'-aMCou-p de'joie, qu'ils avoient cherché le Sor- cier , & favoient tué : il les blâma hautement de ce qu'ils venoient de faire , & les renvoya d'un air cour- roucé , jugeant qu'il convenoit d'en a?ir ainfi , pour prévenir les troubles que ce meurtre pouvoit occasionner. Les Indiens en furent extrêmement irrités , & eurent cependant allez d'a- dreiTe pour cacher leur refTentirrrent , fi bien qu'il eût ignoré la réioîution fanguinaire qu'ils avoient prife , il l'enfant qui le fervoit ne l'eût prié de hii permettre d'aller coucher avec [es amis •. le Père le lui refufa ,mais voyant qu'il le prelïbit , il lui demanda la raifon pourquoi il vouîoit s'en aller? Ç'eft , lui dit J'en tant , que les Indiens *$tf TÏISTOIRS ont réfolu de vous tuer cette nuit, & m'ont menacé de me tuer aulîî il je reftois avec vous. Là-deffus il envoya chercher quelques-uns des chefs, & leur dit d'un ton réfolu : Je fçai que vous avez formé le defTein de me tuer cette nuit , mais fouvenez- vous, ajou- ra t-il , en leur montrant un vieux moufquet tout rouillé , que je vous exterminerai tous tant que vous êtes avec ce moufquet; & en achevant ces mots , il fe retira. Les Indiens furent tellement effrayés de fa menace, qu'a- près avoir confulté avec leurs cama- rades , ils réfolurent d'abandonner leurs logemens cette nuit là ; par où l'on peut juger de leur poltronnerie, & de la crainte qu'ils ont de^ armes à feu. Il fut obligé le lendemain matin de les aller chercher , & encore ne feroient-ils point retournés , fans les alïurances qu'il leur donna qu'il les aimoit comme fes propres enfans , & que loin de vouloir leur nuire , il n'avoit d'autre deflein que de leur faire du bien. Ils eurent d'autant moins de peine à le croire , qu'ils s'apper- ç tirent qu'il ne les craignoit point , d z> e la Californie. 157 là bien qu'ils s'en retournèrent dans leurs huttes fort fatisfaits de ce que le Millionnaire les avoit épargnés. Je me fuis un peu étendu fur cette avan- ture , pour éviter d'en rapporter quan- tité d'autres qui arrivent tous les jours dans les nouvelles millions. Ni la pa- tience, ni la politeffe , ni la prudence» ni la générofué ne peuvent mettre la vie d'un Millionnaire en fureté parmi ces fauvages , & il doit fe refoudre à la perdre lorfquil fe charge de cet emploi, y étant tous les jours expofé par la itupidité & la légerecé des In- diens. Le pcre Pierre Ugarte refta dans fa million jufqu'en 1709 , que fo lancé fe trouvant affaiblie par les fatigues qu'il avoit fouffenes, on fut obligé de l'envoyer à Mexico, tant pour la rétablir, que pour négocier les affaires de U million , & le père Fran- çois Paralto lut prendre ta place à Ligui. 11 ne fut pas plutôt rétabli 9 qu'il retourna dans la Californie re- prendre les travaux de la million , jufqu'à ce qu'étant tombé malade une féconde fois , on le transporta aux millions de la rivière d'Hiaqui, qu'il Tome II, M 2 1$ Histoire préferoit à telle autre que ce fut , & où il rendit de très-grands fervices à la Californie , par le foin qu'il eut d'y faire parler des piovilions. Le père Jean-Manuel de BafTaldua qui étoit parri le même jour de l'an- née 1705 de Lorette , pour fe rendre dans le nord , eut toutes les peines du monde d'arriver à la baie de la Con- ception : elle n'elr. pas fort éloignée de la rivière Mulége , mais le p«ys eu: fi montagneux & fi couvert , que ceux qui avouent voulu y aller avant lui , échouèrent deux fois dans cette entreprife. Le père Baflaldua vint ce- pendant à bout de furmonrer ces dif- ficiles , en fe frayant des routes dans les bois, en culbutant des rochers, en comblant des fondrières , en pra- tiquant des chemins pour les bëtes de charge , au moyen de quoi , il arriva heureufement fur les bords de la rivière Mulége , où il fixa fa mif- fion dans l'endroit !e plus convenable , avec les mêmes peines & les mêmes dangers que le père Pierre de Ugarte à Ligui , fans compter la fatigue de faire 40 lieues de cet endroit à la gar- DELA C*LI F 0 R NI E. t $9 fiifon de Lorette , dans un pays où les chemins n'étoient point frayés. Il confacra fa million à ainre Roiaîie, pour fe conformer au defir de Don Nicolas de Artéaga , & de D>na Jo- fepha Vallego ion époufe , habitans de Mexico, qui lui hrent un tond de iîooo piaftres. Le Père bâtit fou lo- gement & fon églife avec des briques crues près de la rivière , à trois quarts de lieue de la mer. On trouve entre cet endroit & la Sierra ou chaîne de montagnes-, une plaine de fept lieues , toute couverte de mefquites , qui , quoique abondante en pâturages pour les betes à cornes., les moutons & les pourceaux, n'a été défrichée que de- puis trois ans , encore a-t il fallu y faire venir l'eau par le moyen d'une éclufe, fans quoi il auroit été impof- fible de la cultiver, à caufe de la ra- reté & de l'incertitude des pluies. Les Indiens des environs font très-vifs &: très- affables, & en outre , moins lé- gers & moins inconftans que les au- tres. Le Père y refla quatre ans , les inftruifant avec un foin infaùguable , & les rafiemblant de tou> côtés , juf- Mij 140 Histoire qu'à ce qu'étant tombé malade , \\ fut obligé de paffer de l'autre côté , où on lui donna la million de Saint- Jofeph de Guaymas , laquelle appar- tient au gouvernement de Califor- nie , pour qu'il pût y faire paffer les fecours dont il avoit befoin. C'eft ce qu'il eut foin de faire pendant fon féjour à Raum & à la rivière d'Hia- qui , où on l'envoya depuis. Il fut remplacé à Sainte-Rofalie Mulége par le père François- Marie Piccolo , le- quel après avoir viiité 1 s millions de Sonora, fe retira dans là Californie & la gouverna pendant plusieurs an- nées d'une manière apoftolique , juf- qu'à la mort du vénérable père Sal- va-iieira, qu'il paffa à Lorette. Il étendit la conquête fpirituelle plu- sieurs lieues au nord , il fit plufieurs voyages dans le pays , s'afîedïionnant les peuples , leur prêchant l'Evangile, & découvrant plufieurs cantons , où l'on fonda depuis de nouvelles mif- lions , entr'autres celles de Guada- lupe , de l'Immaculée-Concepti >n & de Saint - Ignace. 11 réligna enfin fa miiîion en 1718 au père Sébaftien de DI LA CALïfOntilt. ift SifHaga , lequel la gouverna plufieurs années avec le même zèle que fes prédecefieurs. Il défricha plufieurs ter- reins , & rit venir l'eau par le moyen d'une éclufe que l'on piariqua dans la rivière. Les Pères ont fi bien réullî dans leurs inftru&ions, qu'on y trouve quantité d'adultes en état d'être admis à la fainte Table , non feulement à Pâques , mais encore djns plufieurs autres rems de l'année ; en outre, un grand nombre d'Indiens ont appris à parler paffeblement l'Efpagrol , de lorte qu'ils ont non feu'ement lervi d'interprètes , loriqu'on a eu à faire à d'autres nations , mais encore à alïïf- ter & à enfeigner les nouveaux mi- niftres. Quelques-uns même ont tra- vaillé conjoint, ment avec les Pères avec une fidélité extraordinaire , & fe font distingués par leur dévotion , leur fidélité & leurs travaux. Je mets de ce nombre B mard Dababa,& André Comanay , dont on trouve 1 éloge dans les relations & les lettres de plufieurs Millionnaires qu'ils ont accompagnés, & auxquels ils ont été d'un grani fe- cours dans leurs travaux apostoliques.. r4* • H i s t e t n e de même que da-ns leurs enrreprifes-; Comme il n'y avok que trois prêtres dans la Californie , l'un chargé de trois millions ,& les autres deux, d'en fonder de nouvelles , il étoit très-dif- ficile d'ex-écuter l'ordre qu'avoit donné le Provincial de d couvrir dans l'in- térieur du pays des endroits où Ion pût en établir. Mais le frère Jayme Bravo fe chargea de cette commiilion , & partit pour cet effet de Lorette au commencement de l'année fuivante 170(1, avec une quantité fuffifante de provifions , fous l'efciv re du Capitaine Portugais , de fepe foldats & de quel- ques I.idiers. 11 fe rendit d'abord à Saint-Jean Baptifte Ligui , où le père Pierre de Ugarte étoit à régler fa mif- fio-i , & de là f ,r la côte qu'ils par- coururent pendant un jour & demi. Le frère Jayme & le Capitaine mar- choient à la tête de la troupe , mais ils furent bientôt obliges de rebrouf- fer chemin , un Indien étant venu kur dire que les quure autres fol-.iats fe mouroient : voici q lîèile en fut la cau- fe. Un des fol dus apperçut un feu que quelques pécheurs Indiens avoient al- de la Californie. 145 Uimé pour faire griller leur poifïbn, parmi lequel il y en avoit quelques- uns appelles Botates dont le foie eft un puifon très-actif , aufïi les Indiens l'avoit-il laifïé dans des coquilles. Le foldat les voyant , cria à fes camara-* des , fricalfce , fricaflée ! ils s'arrêtèrent, mais comme ils alloient en manger , un Indien leur cria de ne point le faire , parce qu'il leur cauferoit la mort. Là- defîus le foldat qui les avoit apperçu le premier , repondit : Point de bruit Indien , les Efpagnols font immortels, & en donna aulîirôt à fes trois autres camarades : il y en eut un qui en man- gea , un autre qui le mâcha fans l'a- valer , & un trolième qui plus cir- confped , fe contenta de le toucher & de le iegaider. Ils ne tardèrent point à tomber dans des convuliions plus ou moins violentes : le premier mourut au bout de demie heure, & fut bientôt fuvi par le fécond , le troi- sième refta fans fentiment jufqu'au lendemain, & tant lui que le quatrième furent très-mal pendant plufieurs jours; il eft naturel de croire que le frère Jayme & les autres furent vivement 144 Histoire touchés de ce malheur ; ils furent obligée d'abandonner leur entreprife, & de retourner à Ligui avec les morts, qu'ils enleveiirent dans le cimetière de la chapeïle , & envoyèrent les ma- lades à Lorette; Sur ces entrefaites , le père Jean Ugarte entreprit un voyage pour découvrir & reconnoître li côte de la mer du tud , conformaient au troihème ordre que le pue S-lva- Tierra avoit donné ; de forte qu'après avoir fat pludeurs vifltes à Lorette Ôi. à Saint - Jean de Londo , fon pre- mier loin fut d'eten lrc fa million de Saint - Xavier. Ce n'elr. pas ans raifon que le père Salve- 1 ierra donnoit au pere Ugarte le titre d'apôtre ; car tout iublime qu'il eft , il le méritoit par fe^ travaux : a&ir' & tnfat.gtrirble , pré» fent par tout , & voulant tout faire par lui- même, il n% eut rien qu'il n'entreprît & qu'il n'achevât : mais fon actmé ne parut jamais mieux que dans ces commet cemens , où les dif- ficultés paroiffoient inli rmontables : tantôt il precho • , aidoit . exhortoit & afliftoit les foldais : tantôt il cher- choit de la Californie. 145 choit de nouveaux terreins pour les défricher & y bâtir des villages : tantôt il batifoit les enfans, tantôt il inftruifoit les adultes-; tantôt il adminiftroit les (acremens aux malades, & rendoitles derniers devoirs aux mourans. Quel- quefois il travailloit aux bâtimens , d'autre fois à la terre , creufant des tranchées , plantant des arbres , en- femençant les champs ; quelquefois il réparoit les chemins , ou travailloit à radouber les barques ; en un mot, il écoit fans cefTe occupé , & le pre- mier à fe charger de ce qu'il y avoit de plus pénible. Comme il recueillait alors k-s fruits temporels de fon in- dulfrie & de fon travail , il lui fut plus aifé d'engager fes Indiens à af- iifter à la méfie , à la prière, au dater chifme, au rofairc , aux inftru étions & aux fermons , de manière qu'il éta- blit certaines peines pour ceux qui manquoient aux exercices, par exem- ple la diminution de leur pitance , & même un nombre de coups de fouet, félon la nature de l'offenfe ; les en- fans étoient les principaux objets de fes foins. La maifon du Père etoit un Tome II* N î4<£ Histoire féminaire où ils logeoicnt ; c'étoit-là qu'il leur enfeig ioit avec une patience admirable les fciences dont on fait le plus de cas , même chez les Ef- pagnols ; au point que plufieurs d'en* tr'eux devinrent non-feulement capa- bles d'inftruire les communautés , mais même de leur fervir d'exemple en fait de bonnes mœurs. 11 fit bâtir pour les filles , furtout pour celles qui étoient orphelines, une maifon à part , où des maîtrefTes leur montroient les petits ouvrages convenables à leur fexe , le Père fe réfervant le foin de les inf- Ctuire de ce qui concerne la Reli- gion. Il fit aufli bâtir un hôpital , ou le Père fignala fa charité , par le foin qu'il prit des malades jufqu'à leur mort , qui dans plufieurs fut accom- pagnée de grandes marques de falut. Il y en eut un entr'autres dont le père Eçheverria , Vifiteur de la Cali- fornie , qui fe trouvoit pour lors à Saint-Xavier, fut extrêmement édifié. Après avoir fait fa çonfellion générale au père Ugarte en langue indienne, il entra avec le Pcre Vifiteur dans plu- de la Californie, i 47 (îeurs détails particuliers de fa con- fefllon en Efpagnol , & le pria , dans l'impoiTibilité où il étoit d'aller à l'é- glife , de vouloir bien réciter le ro- iaire avec lui : il demanda pardon à fes camarades des mauvais exemples qu'il leur avoit donnés, & déclara qu'il fouhaitoit de mourir , crainte de re- tomber dans fes premiers vkes : il exhorta tes païens à vivre pieufement, & à obéir aux Pères , & après avoir fait à Dieu plufïeurs actes d'amour & de confiance , il rendit fon ame entre fes mains. Il y eut auili un forcier ou un impofteur qui fe convertit à la foi, touché de l'amour que le Père témoi- gnoit à fon eniant , qu'il deiiioit avec ardeur de pouvoir batifer , mais qui ne vouloit point s'aflujcttir à appren- dre le catéchifme. 11 le fit enfin , & api es avoir été infiruit , il découvrit au Père , malgré fa répugnance natu- relle, les preltiges dont lui & fes con- frères fe fervoient pour tromper la nation* Il fut barifé fous le nom de Dominique , & la joie qu'il eut d'être chrétien fut telle , qu'il ne fortit plus de fa maifon que pour aller à l'cglife, Nij 14? Histoire priant jour & nuit pendant le peu île termines qu'il furvécut à fa con- verfion à la foi. Le Père , pour gué- rir les fauvages des cérémonies fuperf- ticieufes avec lefquelLs ils enterroient leurs morts , le fît enfevdir avec beau- coup de folemnité. Un autre fameux forcier qui cherchoit depuis longtems à faire révolter les gentils & les ca- téchumènes contre les Pères , vint trouver le père Ugarte à Lorette , & le pria en fondant en larmes , de vou» loir bien le batifer. Les pleurs qu'il répandoit , joints à la proroeffe de fe corriger , & à l'offre qu'il fît de refter à Lorette , engagèrent le Père à fe charger de fon inftruclion , & il le batila le 7 de Décembre 1705, jour de la fête de faint Ambroife, dont il lui donna le nom. Le lende- main le Père fe rendit à la ville de Saint-Xavier, pour y célébrer la fête de la Conception. Il retourna le 9 à Lorette, où il apprit que le nouveau chrétien avoir paflé la plus grande partie de fon tems à l'églife. Etant tombé malade le même jour, le Père ae le quitta plus , & il mourut d'une » E LA CALÏ FO RN It. I49 manière qui ne permit point de dou- ter qu'il ne fût appelle par cet Etre , qui tient dans fes mains la deftinée de tous les hommes. Au milieu de ces occupations, le père Jean Ugarte fit fes derniers pré- paratifs pour aller reconnoître la côte de la mer du fud. II avoit demandé au Chef de la nation Hiaoui quarante foldats pour l'accompagner dans ce voyage , & non feulement il les lui accorda, mais il les accompagna en- core lui-même. Le Capitaine de la garnifon de Lorette le fuivit aufTi avec douze foldats & quelques Indiens. Les provifîons & les bêtes de charge étant prêtes , le père Ugarte & le frère Bravo , partirent de Lorette le 26 de Novembre 1706 , fous l'efcorte de ces dirférens corps, divifés en trois compagnies. Ils vinrent d'abord à la milîon de Saint-Xavier, de-là à Sain- te-Rofa'ie, & enfuite*à un ruiffeau , auquel ils donnèrent le nom de Saint- André, parcequ'ils v célébrèrent la mef- fe le jour de h fere de cet Apôtre. Ils rencontrèrent fur leur route plufieurs Indiens , dont ils eurent tout lieu de Niij ÎÇO H I S T G 1 R E fe louer. Il n'en fut pas de même lors- qu'ils approchèrent de la mer , & ils furent obligés de marcher avec cir- confpe&ion , ôc de Ce tenir fur leur garde , à caufe d'un corps de plus de deux cens Indiens de la nation de Gaycura , qui haïflent mortellement les Efpagnols. Ils rirent plufïeurs lieues au midi pour reconnoître la côte , mais ils ne trouvèrent que quelques criques & quelques communautés d'In- diens qui fubfiftoient de leur pêche , il n'y avoit d'autre eau fur la côte que celle que les Indiens avoient eu foin d'amafler dans des efpèces de petits puits. Ils retournèrent du côic du nord ; & malheureufement pour eux ils ne rencontrèrent pas mieux , de forte qu'ils furent quelque tems dans une grande difette deau. Ils firent halte près du lit d'une petite rivière où il n'y avoit de l'eau qu'en tems de pluie , laquelle fert comme d'une efpèce d'cgoût pour la conduire à la mer , & dont les bords étoient cou- verts de faules & de joncs , par où ils jugèrent que le terrein étoit fort humide. Us envoyèrent quelques In- DELA C A L I t ORN 1 E. 15! diens à la découverte de la côte , aved ordre de ne pas s'éloigner de plus de dix à douze lieues. En attendant leur1 retour , ils remontèrent & defeendï- rent le long du lit de la rivière , dans l'efpoir de trouver de l'eau > mais leurs peines n'aboutirent à rien. Là* defllis ils fe partagèrent en plufîeurs petits corps , pour découvrir quelque endroit où il y eût de l'eau , & où ils puflent pafler la nuit ; mais pen- dant tout le mois de Décembre ils ne purent en trouver une goûte, ni pour les hommes ni pour les betes. Ha- rafles de fatigue , & prefque morts de foit , ils trouvèrent un couvert pour cette nuit là, & allumèrent du feu pour fe garantir du froid ; ils lâché* rent auflï les bêtes , dans l'efpoir qu'elles pourroient trouver de l'eau ; mais malgré tous ces expédiens , ils pafTèrent la nuit dans l'état le plus pi- toyable du monde. Le lendemain matin , le Père célébra la meffe de la Conception de Notre-Dame, priant Dieu par Pinterceffion de fon Imma- culée Mère , de ne point permettre qu'ils péruTent dans un jour qui lui Niv 152 Histoire ctoit confairé. Tous joignirent leurs prières à celles du Père , dans le tems même que le Père Pierre difoit une mette à Lorette pour l'heureux fucccs de cette découverte. La méfie dite , on chanta les litanies de la Vierge , & elles n'étoient pas encore finies , qu'un Indien Hiaqui s'écria dans fa langue, eau , eau ! s'étanc rendus fur le lieu , ils trouvèrent que c'étoit le même où plufieurs d'entr'eux avoit pafTé le foir & la nuit , fans avoir apperçu une goutte d'eau , le lieu étoit d'ailleurs il fec , qu'il n'y avoit pas apparence qu'il y en eût. Ils en trouvèrent cependant aflez pour fatisfaire leur befoin & celui des bê- tes de charge , & pour en remplir plufieurs vaifleaux pour leur retour , qui fut réfolu dès le même jour , après avoir remercié folemnellement la Sainte Vierge. Leurs gens revin- rent fur ces entrefaites , & leur di- rent que conformément aux ordres qu'ils avoient reçus , ils avoient re- connu la côte jufqu'à une grande baie, mais qu'ils n'avoient pu trouver de l'eau. C'eft ainfi qu'après une expé- de L4 Californie. 153 dition aufîl fatiguante qu'infru&ueufe, ils retournèrent à Loiette , où l'on célébra une féconde mette en l'hon- neur de la Patrone de la miflîon â pour la remercier de ce qu'elle les avoir empêché de périr fur ces côte& dénies & arides. 154 H i s t o i r t maxrx*Ti-m-nrmim**,\-M =3 SECTION X. Le père Salva - Tierra retourne dans la Californie & y continue fes travaux. Fondation de la MiJJîon de Saint- Jo- feph de Comonda , par le père Mayor- ga. La Mifflon fe trouve dans la der- nière extrémité par la perle de fes bar- ques , & le naufrage des pères Guil- lem & Guifci , dont le fécond fe noyé. 1 endant que les MiQionn nies d# la Californie i'occupoient ainfi à exé- cuter les ordres du père Salva- lierra, fa démifïîon de la charge de Provin- cial , qu'il attendoit depuis fi long- tems , arriva enfin de Rome, fur quoi le père Général Miche'- Ange Tam- burim , contera la patente de Provin- cial au père Bernai d Rolandegui , Agent de la province à Madrid 2c à Rome , lequel étant retourné à Mexi- co . prit pofïeilion delà charge le 17 de Septembre 1706. l.e père Salva- Tierra retourna au collège de Saint- vêla Californie. 157 Grégoire , afin de pouvoir conjointe- ment avec le père Alexandre Roma- no , Agent de la Californie , foliici- ter le payement des troupes , & ra- mifier les provifions néceiîaires pour les garnifons & les miflîons. Le père Julien de Mavorga qui venoit d'être nommé \'ifiionnaiie , étarft arrivé d'Efc pagne avec le père Roiandegui , fut d'avis de prendre les devans avec fon confrère , & de fe rendre à Maran- chel , où l'.on devoit envoyer la bar- que : mais au lieu de s'embarquer , il fit plus de 400 lieues par terre , à travers les provinces de Cinaîoa & de Sonora jufqu'au port d'Àhome , pour fe rendre aux defirs des bienfaiteurs de fa million , & pour ramaffer les collectes & les fecours dont elle avoit befoin. Le Père , dans le dernier voya- ge qu'il fit de la Californie au Mexi- que , avoit mené avec lui cinq Indiens de différentes conjmunautés , dont il en avoit laiffé trois pour leur donner le tems de fe perfectionner , & afin qu'après avoir vu les beautés du Chrif- tianifme dans les églifes de la Nou- velle-Efpagne , ils pullent en rendre 156 Histoire compte à leurs compatriotes. Cei cinq Californiens furent parfaitement bien reçus des Jéfuites partout où ils paffèrent , les regardant comme les prémices qu'ils avcrent confacrées à Dieu dais cette million laboàeufe. Mais l'air mal-lain du pays , joint au changement de dim.it & de nour- riture , fut caufe qu'ils tombèrent tous les cinq malades dans ce long voyage , de forte qu'ils eurent beaucoup à fouffrir , tant à caufe du long féjour qu'ils furent obligés de faire , que de plufieurs autres inconvéniens qui leur arrivèrent. Ils arrivèrent enfin à Aho- me t où ils s'embarquèrent le 50 de Janvier 1703 pour Lorerte. A peine furent- ils p rtis , qu'un d'entr'eux ap- pelle Don Jego Jofeph , fut de nou- veau attaqué d'une maladie mortelle , mais telle étoit fa léfîgnation, qu'il pria le Tout-Puiflant de le retirer de ce monde avant qu'il arrivât dans la Californie , en cas qu'il n'eût plus befoin de fes fervices. Le Père l'aiîifta dans fes derniers mqm^ns , qu'il em- ploya à des actes de religion , expri- més avec tant de force & d'énergie » D E LA C À LI F 0 RN 1E. l$j que les chrétiens lui envioient fa fé- licité. La mort de cet excellent per- sonnage , fut fuivie d'une furieufe tem- pête , dont le père Salva-Tïerra donne la defcription fuivante. «« La nuit du 5 i de Janvier fut ex» » trêmement obicure , & l'orage fi ►> violent, que nous fumes obligé;» de » nous amarrer au mât , pour n'être » point emportés par les vagues qui » paffoient fur nous , au milieu des » rochers & des îles dont nous étions » environnés. Les matelots avoient été » un jour & demi fans prendre aucune » nourriture, & étoient tellement épui- »> fés de faim & de laiîitude, que dans « l'abattement où ils fe trouvoient , »t il abandonnèrent la manœuvre , at- » tendant la mort à chaque inftant. os Le moindre malheur qui pût nous j» arriver, éroit d'être jettes dans la »> mer de Galice ou d'Acapulco; trif- » tijfima nocîis Jmago ! I.esCalifor- » mens fe refug'è.eiu auprès de moi » comme des pouflîns , & j'avois une » entière confiance en eux, les regar- >♦ dant comme les enfans nouveaux » nés de la Sainte Vierge , pour le fer» 158 Histoire » vice de laquelle , ils avoient couru » ce rifque ; Nequando dicant gntts. a Enfin conclud le Père , quoique » j'eulie L[t quantité de voyages, je » puis dire qu; je n<; connus jamais » mieux que dans cette occafion les » dangers & les malheurs auxquels m l'homme eft expofé. » La tempête les jeta à Sùnt-Joleph, à dix lieues de Lorerte , où ils plantèrent une croix , après quoi la mer s étant un peu calmée, ils arrivèrent au port dé- liré le \ de Janvier , où ils furent re- çus avec une joie univerfelle. Quant aux Californiens , ils ne purent ouïr fans étonnement les merveilles que leur quatre compatriotes leur racon- tèrent de la Nouvelle-Efpagne. Peu de mois après , le père Julien de Mayorga arriva de Matanchel avec le Capitaine de Lorette , Hodriguez , lequel avoit été époufer une femme de diftinclion de cette province , & le père Ignace Alvarando , qui venoit d'être nommé aux millions de Sonora. Le père Julien ne fut pas plutôt arri- vé , qu'il fut attaqué d'une maladie c aufée par la fatigue du voyage , l'air r> e la Californie, 159 de la mer & le changement de climat , à quoi l'on peut joindre les viandes Talées & le maïz auquel il n'étoit point accoutume , n'y ayant point d'autre nourriture dans la garnifon. Sa mala- die augmentant tous les jours par la néceiîhé indifpenfable où il etoit d'af- filier aux offices , le père Jean Marie voulut l'envoyer fur la côte, de la Nouvelle - Efpagne , ce que le père Mayorga ayant appris , il fe jetta à Tes genoux , & le conjura de permettre qu'il mourût dans la Californie , où Dieu , par le choix de fes Supérieurs , Tavoit envoyé. Il plut cependant à la divine Providence de lui rendre la fanté , & il s'enducit li bien au travail & à la fatigue , qu'il gouverna cette miflfion avec un zèle infatiguable pen- dant l'efpace de trente ans. Au com- mencement de l'année 1708 , les pères Salva-Tiena & Jean de Ugarte le me- nèrent avec eux dans une contrée éloi- gnée de vingt lieues au nord-oueft de Lorette , dans le centre des mon- tagnes , & prefque à égale diftance des deux mers , de même que dans une ville appeilée Comonda , où il l6o MlSTÛIME y avoit plufîeurs communautés d'In- diens fituées près d'un petit ruiffeau. Ce fut là que le père Mayorga fut inftallé dans la million qui fut con- facrée à Saint-Jofeph , & fondée par le Marquis de Villa - Puenre, lequel fonda aulli les deux autres, dont nous parlerons tantôt. Les Pères relièrent purement pour avoir l'occafion d'établir la paix & la Religion chez les Seris , & de viliter les Pimas & les Guaymas. Dans ce voyage, qui fut des plus rudes & des plu> fatiguans, il fe ren- dit aux villages des deux derniers ,. que les pères Piccolo & BafTaldua ve- noient de raffembler , où il inftruifit les adultes & batifa les enfans. Il inf- pira des fentimens de paix à plufîeurs communautés de Seris & de Tepocas* à quoi , indépendamment de Ton élo- quence penualive , ne contribua pas peu la douceur de fa physionomie , qui ne manquoit jamais de lui gagner les cœurs dts fauvages. Lui & fa com- pagnie eurent beaucoup à fouffrir de la foif pendant deux jours , n'ayant pa^ vu une feule goûte d'eau pendant tout ce tems là. Etant enfin arrivé à l'endroit où le Saint - Xavier avoit échoué , il trouva les gens de la bar- que dans l'état le plus déplorable, n'ayant pour toute nourriture que des heibes fauvages cultes dans l'eau^ U 166 H î s T P î » * partagea avec eux les provifîons qu'il avoit apportées , mais il y avoir tant de moncb à nourrir, qu'elles furent bientôt confommées. Il avoit écrit aux pères Ferdinand Bayerca , & Mi- chel de Almazan , qui étoient les Mil- lionnaires les plus à portée, de lui en envoyer, mais ni les Indiens ni les Efpagnols n\>fèrent traverfer le pays des Sei is pour leur porter les lettres , à la réferve d'un Indien ; qui revint avec quelque peu de proviiions, & à qui les Seris eurent !a complaifance d'enfeigner le chemin de la côte. Ils fe trouvèrent dans ce tems-là dans une fi grande détrefle , que le Père, n'attendant plus que la mort , écrivit une lettre au Marquis de Villa Puerte, dans laquelle étoit une lifte des dettes de la million qu'il le prioit de vou- loir bien acquitter. Il remit cette let- tre à un Indien aflfidé . lequel fe char- gea de la porter à Guaymas : mais la Providence qui le réfervoit pour d'autres fervices , fit qu'avec quelque peu de maïz que lui fournirent les iauvages , il fut en état de fe rendre au port de Saint- Jean Baptifte > où 13 E LA C ALI F0R»M E \€*J le Rofaire étoit arrivé , quoiqu'il fût éloigne de quatorze lieues de l'en- droit où il croit. 11 trouva à quelque distance de la , la communauté des Indiens 3 qui avoient pilé la cargai- son du Sainr-Xavier , & endommagé la barque. Il , (e préfentèrent les ar- mes a la inàih , a\ ant à leur tête un vieillard qui les animoit par fes cris. Le Père s'avança tout feul , & quoi- qu'il ignorât leur langue, laquelle eft différente de celle de Pimeria , il fit tant par fes fi^nes & par les petits préfens qu'il fit au vieux chef & à fes enfans , qu'il gagna l'affection des Indiens. Ceux-ci ayant entendu le bruit des décharges qu'on faifoit fur la barque, en furent fi effrayés , qu'ils lui apportèrent l'argent & les effets qu'ils avoient enlevés, & confentirent à faire la paix avec leurs voifins. Les gens du Rofaire arrivèrent avec des provifions dans l'endroit où la barque le Saint-Xavier avoit échoué; mais on fut deux mois à la mettre en état d'aller fur mer , & dans cette in- tervalle, ils manquèrent pludeurs fois de vivres, Car , quoique les Miflion- H'CÏ Histoire naires , qui n'avoient plus rien à crain- dre des Seris , leur en envoyaient , elles ne fuffifoient point pour un fi grand nombre de peiTonnes , d'autant plus que les récoltes avoient manqué dans toute la N >uvelle-Efpagne. Le Père ayant appris qu'il y avoit à trente lieues de là unegarnifon appellée No- tre-Dame de la Guadeloupe , dont le Capitaine dans ce tems-là , étoit Don François Xavier Valenzuela, qui avoit fervi en qualité de fimple foldit en Catalogne , il lui écrivit ; fur quoi il lui envoya tout autan' de provifions qu'il put , & vint peu de tems après lui-même avec quelques - uns de Tes gens , & un nouveau fecou s des vi- vres. Le Capitaine & les folda's qui l'accompagnoient » ne purent retenir leurs larmes , lorfqu'ils virent l'état déplorable où le Père & Tes camara- des étoient réduits. Ce digne Reli- gieux ne voulanr point refter oinTpen- dant le rems qu'on metoit à radou- ber la barq ie , en '.reprit de convertir les fau açes de e rte côte. Pour cet effet , '1 pria le père Almazan de tra- duire le catéchifuie daai leur langue ; fie ne la Californie, 169 & les Indiens , animés pa les petits prcfens qu'il leur fit s l'apprirent fi promptement , qu'il crut être fum> (am.ment récompenfé de tous Tes tra- vaux. Les Seris avoient demandé il y avoit quelques années, d'être batif s, & qu'on leur envoya: des Millionnaires pour les inftruire comme leurs voi- lins. 11 y en avoit même plus de 300, qui s'éiant rendus à l'invitation du père Gaipard Thomas , Millionnaire de Qucuguerpe , avoient'confenti de vivre dans la million. Quantité d'au- tres avoient demandé la même grâce au père Adam Gil , Milïionna ire de Populo, lequel ayant été les viliter , îeurpropofa de fe transporter dans fa million , quoique le climat ne fût pas des meilleurs. Mai^ le père Gil n'ayant pu, malgré fon application, appren- dre leur langue , fe vit hors d'état de pouvoir les inftruire. Il demanda eu père Provincial d'être envoyé chez les Seris en qualité de Miilionnaiie ; mais fa million ne put avoir lieu à caufe de la révolte des Taïahumares, & des guerres qu'ils eurent avec les Pimas & les Guavmas leurs voifins. Tome II, P 170 H l S T 0 I R H La demande qu'ils avoicnt faite autre- fois , jointe à leurs iollicitacions pré- fentes , & au defir qu'avoit le père Jean Marie de convertir tous les In- diens qui habitent entre Guaymas 8c la côte oppofée de la Californie, le détermina à batifer leurs enfans , qu'ils lui offroient avec une efpèce d'ému- lation ; mais il étoit queftion de les reconcilier, & pour cet effet, il in- vita les enfans des différentes wations des Seris , Pimas , Tepocas & Guay- mas , à une grande fête , laquelle con- fîftoit à tuer les beftiaux qu'on avoit fait venir de la garnifon de Guade- loupe pour le fervice des deux bar- ques. Les vieux Indiens , ainfi que le Père s'y étoit attendu , vinrent le trouver avec leurs enfans , fans té- moigner la moindre crainte , fe fiant fur le refpecl: que tous les Indiens lui portoient , comme à leur bien» faiteur commun, La paix fut bientôt conclue , & l'on promit aux Seris de leur envoyer da s peu des Million- naires pour les inftruire & prendre foin d'eux. Le Père fut vivement touché du de la Californie. 171 malheureux état de tant de milliers d'hommes , (i bien difpofés à embraiïer le Chriftianifme. D'un autre coté il fça- voit les arrérages & les charges des provinces , l'en,barras des nouvelles millions , la dilette des fuj _ts , laquelle étoit occafionnée par les calajntés & les troubles qui régnoient dans ce tems-là en Europe, Cependant , la Californie ne pou- voit abfolument fe paiïer de la pre- fence des Millionnaires ; c'eft: pour- quoi , dès que la barque fut prête , & qu'il tut revenu de favifite de Gua- deloupe, il s'embarqua & traverfa le canal , entre les îles de Sal-fï-puedes , qu'il trouva navigable, malgré l'opi- nion où l'on étoit du contraire. Il vint enfuite à Saint-Xavier , d'où il ren- voya le Rofaire à Lorette, & fe ren- dit avec la barque dans la baie de la Conception , pour voir le père Pic- colo , qui venoit d'être nommé à la million de Sainte - Rofalie Mulége. De-là il paiïa à la baie de Saint-D<:- nys ou de Lorette , très-fatitfait d'a- voir découvert la partie du golf.: qu'il cherchoit. Il courut une grande partie Pij T72, Histoire de la côte des 5-ris , côtoyant les montagnes jufqu'à la mer. 11 rétablit la paix parmi les habitans , & les dilpofa à recevoir l'Evangile. Le Ro- faire eut le bonheur d'échapper aux Flibuftiers , de meme qu'aux cor- faires Anglois & Hollandois qui in- feftoient ces mers. Ces derniers allar- mèrent , il eft via.i, la vigilance du Viceroi ; mais il envoya des ordres à Lorette pour que le vaifleau de la Ca- lifornie iût à la rencontre de celui des Philippines , & lui dit d'éviter la côte , parce que l'ennemi l'attendoit dans ces parages. Le vaifleau lût cer- tainement tombé entre leurs mains , étant obligé de pafler devant le port de la Paz, où quelques coriaires l'at- tendoient : mais le malheur de la barque empêcha, l'exécution des or-r dres du Viceroi , èc évita au vaifleau celui d'être pris par l'ennemi. Peu de teins après, la petite-vérole fe répandit d'une manière affreufa parmi les Indiens, & emporta la plus grande partie des entans, & un grand nombre d adultes. Pour comble de malheur, le maiz & les„ via. ides lalée$ de la Californie. T75 dont la garnifon avoit été obligée de fe nourrir pendant la difette , excep- te dans le cas où l'on recevoit des rafraîchitTemens de la Nouvelle-Efpa- gne , occahonnèrent quantité de ma- ladies , dont plusieurs perfonnes mou- rurent. On craignit que ces maladies epidémiques ne caufaiTent des révoltes dans plufîeurs communautés déjà con- verties , d'autant plus que les forciers les imputoient aux Pères , faifant ac- croire aux Indiens qu'ils tuoient les enfans avec l'eau i\ont ils les bati- foient , & les adultes avec l'Extreme- Onction. Ces bruits féditieux firent d'autant plus d'imprefïïon fur leur ef- prit , qu'il mouroit tous les jours un grand nombre de perlonnes ; & fi les Néophites ne fuffent reftés fidèlement attachés aux Millionnaires, ils auraient tout-d'un-coup perdu les fruits de leurs travaux. Indépendamment do ces cal imités , la Nouvelle - Efpagne fe trouvoit depuis 1709 duis une difette générale de toutes cliofes , ce qui l'empêchoit d'envoyer du fecours dans la Californie ; & pour combler les malheurs de la million , elle per- PS 174 H 1 S TO I R Ë dit deux barques , dont la conftruc- tion lui avoit extrêmement coûté. Au mois de Novembre 171 1 , le père Jean Marie envoya à Matanchel le père François Paralta , qui étoit arrivé de la Californie deux ans au- paravant , & avoit eu la furintendance de Saint -Jean Ligui , à la place du père Ugatte , le priant de faire ra- douber !e Rofaire , & s'il étoit nécef- iaire de faire conftruire un autre vaif- feau. Mais les orîiciers & les mate- lots oui étoient chargés de l'ouvrage, fe prévalurent fi bien de l'ignorance de ce Religieux, qu'après avoir dé- penfc mille piaftres 9 la barque fe trouva dans un plus mauvais état ou'elle ne rctoit auparavant, ils n'en reftèrent pas là, & firent Ii bien , que peu de jours après, la barque qui n'avoit que fon lelr. , échoua fur la côte , & fe mit en pièces quoiqu'il fit peu de vent. Il fallut donc néceflairement en conftruire une autre. Le conftruc- teur étoit un Chinois , ou un habi- tant des Philippines , lequel joignoit à beaucoup d'ignorance un grand fond de mauvaife foi. C'écoit lui qui s'étoit DE LACaLIFORNIË. 175 chargé du radoub du Refaire , & qui avoit principalement contribué à le faire échouer. On fut un an & demi à confrruire ce vaiileau , par la fraude de ceux qui s'en mêlèrent â ii bien qu'il revint à 21000 piaftres. Cepen- dant malgré cette dépenfe énorme , il ne valut jamais rien : c etoit cepen- dant fur ce vailfeau qu'on devoit em- barquer l'argent & les provifions. Il mit à la voile, mais il devint le jouet des vents & des flots , ce qui fit murmurer & blafphémeiles matelots, dont quelques-uns avoient été em- ployés à fa confr.rucr.ion. Le vent les jeta fur le cap de Saint - Lucas , & îjes rejeta fur les îles de Mafaztlan , où quelques uns d'eHti'eux qui con- noiiïoient le danger , refufèrent de remonter à bord. Les autres conti- nuèrent leur malheureux voyage juf- qu'à la hauteur de Lorette : mais la nuit du 8 de Décembre , la tempère les jetta fur l'aune côte, où ils fe fi- rent échouer. Dans cette extrémité ils réveillèrent tous ceux qui dormoitnt , pour qu'ils puiTent le fauver fur des planches ou P iy ~iy6 Histoire des madriers, ou gagner la poupe, oà yingt perfonnes s'éroient retirées en- tr'autres les pères Guillaume & Doye, les autres , au nombre de hx , fans compter le père Guifci , s'écant déjà noyées. Cette (cène aftreufe de dan- gers & de malheurs , augmenta par l'obfcurité de la nuit , & la violence de la tempête, au point qu'il efl: plus aifé de l'imaginer que de la décrire. Quatre matelots mirent le canot à la mer , & ne penfant qu'à leur propre fureté , s'abandonnèrent à la merci des flots. Les autres qui flottoient fur. l'arrière du vaiflfeau avec le timon & le grand mât , démarrèrent la cha- loupe avec bien de peine , n'ayant pour vuider l'eau que deuxcalebafles. Ils prirent la première chofe qui leur tomba fous h main , pour leur fer- vir d'avirons , & un morceau d'une , vieille voile , & fe mirent en mer ; mais après avoir été balotés par les flots pendant toute la nuit , ils (e trou- vèrent , lorfque le jour fut venu , à pluiieurs lieues de terre. Croyant que c'étoit la Californie , ils firent route vers ce côté-là, forçant de rames pen- D E LA CALI F ORN I E. I 77 dant un jour & demi ; pour furmon- ter le courant. Les matelots étant anivés à terre , crurent être fur la côte d'Hiaqui, mais c'étoit celle de Cinaloa , qui en étoit cloigée de 100 lieues , d'où le courant les entraîna dans l'efpace de quelques heures dans une petite crique appellée Barva-Chi- vato. Qu'on fe reprélente dix - huit perfonnes dans une chaloupe , nues , mouillées, tranh'es de froid , épuifées à forqe de ramer, fans eau , fans vi- vres , & qui, après avoir débarqué, n'ont d'autre coniolation que celle d'avoir échappé à la fureur des flots, & l'on comprendra ce qu'elles euient à fouffrir dans ce court trajet. Elles n'avoient ni feu ni outils pour en faire ; & pour fatisfaire leur faim , elles furent réduites à manger des huirres , de l'algue , des racines & des plantes fau- vages. Le pays étoit couvert de buif- fons & de ronces , de manière qu'elles ne pouvoient faire un pas fans fe dé- chirer la chair, & cependant il falloit marcher pour chercher un endroit habité. Après avoir ainfi marché pen- dant deux jours avec des peines ôc xyZ H i s T o i A £ des fouffrances inexprimables , elies eurent le bonheur de rencontrer une plaine, où, fur l'avis d'un Indien du pays , le Gouverneur de la ville de Tamazula leur envoya des chevaux , de l'eau, & des gâteaux de rnaïz, tant pour fubvenir à leur fubfifrance, que pour les mettre en état d'arriver chez le Général Rezaval , qui n'é- toit qu'à quelques lieues de là , d'où ils fe rendirent à Guazave , qui efl: la million de Cinaloa la plus voifine. Ils réitèrent là pendant trois jours chez le père François Mazaregos, le- quel pour nourrir & habiller ces mal- heureux, employa généreufement les provifions & les hsriî-S qu'il avoir. ,' en quoi les Indiens fuivirent Ton exem- ple. Us paflerent de-là à la ville de Ci- naloa , où le père Yrazoqui , Redeur du Collège, les nourrit plufieurs jours, au bout defquels ils fe rendirent à leur gîre. Ces travaux & ces dangers loin ce décourager le père Guillau- me , ne fervirent au contraire qu'à l'animer davantage, fi bien que quel- ques jours après , il partit pour les millions de Hiaqui , dans le defTein delà Californie. 179 de fe rendre à la fin du mois de Jan- vier fuivant 1704 dans la Californie. Il s'embarqua pour cet effet fur la barque le Saint-Xavier , mais elle fit une féconde fois naufrage , ce qui fut caufe qu'on le nomma à la million de Saint- Jean Ligui, où il réfida jus- qu'au tems qu'il fut appelle à la ville de la Vifitation. Voici donc la féconde fois que les millions n'eurent d'autre reffource que la barque le Saint-Xa- vier. Le naufrage du nouveau Rofairc priva les Pères , les matelots & les loldats des vivres , des hardes , & de quantité d'autres effets dont ils ne Douvoie.nt abfolument fe pafler- Jl| mànquoîent d'argent , celui qu'on avoit ayant été employé à acheter le malheureux vaiffeau & les marchan- difes qu'il portoit. Il efl vrai que l'Au- dience de Guadalaxara fe chargea de connoître des fraudes qu'avoient com- mifes les officiers & les charpentiers dans la çonfrruction du navire qui avoit péri, & leur infligea quelques châtimens ; mais ces exemples de juf- tice produisent très-peu d'effet dans la Californie. Sur l'avis qu'on eut à «So Histoire Mexico des malheurs qui nous étoient arrivés , & des dangers que nous avions courus , le Viceroi ordonna que l'on envoyât dans la Californie ïa Belandre Notre- Dame de la Gua- deloupe , après l'avoir enregistrée. On l'évalua 4000 piaftres , que l'on char- gea fur l'afïîgnation. On donna ordre au Capitaine d'aller à la découverte de quelque port pour le vaifleau des Philippines ; mais après le troihème voyage , le père Ugarte l'ayant lait examiner par un habile conlrrudeur, on y trouva plufieurs défauts , & l'on reconnut qu'elle avoit été conftruite de débris d'un vaifleau Franco! - qui avoit échoué fur la côte du Pérou ; aufli périt elle dans le fécond voyage pour avoir feulement touché fur un banc de fable. Il périt dans ce tems- là une autre barque du Pérou , que l'on avoit achetée pour remplacer le Saint- Jofeph qui avoit échoué à Aca- pulco , ii dont on avoit vendu les débris. Le Saint-Xavier eut aufli beau- coup à fouffrir du mauvais tems, & il en coûta beaucoup de tems & de dépenfe pour le radouber. DE LA CALIFORNIE. I 8 * On fut donc obligé de faire venir les provisions pour la garnifon & la million , fur des bateaux de plon- geurs , ce qui occadonna des frais immenfes qui n'aboutirent à rien. Une fi longue fuite de malheurs em- pêcha le pcre Salva-Tierra de recon- noïtre les deux côtes du golfe & fes îles jufqu'au Rio - Colorado , ainfi qu'il fe l'ctoit propolc. On difeon- tinua pour la même raifon la réduc- tion des Seris ik des Tepocas , 11 im- portante en elle même , & qu'on avoit ii heureufement commencée, & l'on ne fongea plus à chercher un port lur la côte de la mer du fud pour le vaifïeau des Philippines. Les millions du nord de la Californie navoienc point encore d'ailiette fixe , & les au- tres étoient en guerre avec les Guay- curi , qu'il impoitoit extrêmement, tant pour l'intérêt du Roi que pour celui de la Religion , d'appaifer & de convertir, pour qu'il ne reiîât plus d'en- nemis depuis Lorette jufqu'au cap de Saint-Luca^. Malgré ces difficultés & ces em- barras , les Millionnaires de la Cali* l8* H I S T O I R £ fornie ne rabattirent rien de leurs tra- vaux , autant que les circonftances le permirent. Ils réduifirent plufieurs communautés errantes , & en formè- rent des villes , où les Indiens fe ren- doient pour recevoir les inftruclions dont ils avoient befoin , lorfque la néccffité de fubfiiter ne les obligeoit point d'aller à la pêche , & de fe dif- perfer dans les bois & les montagnes pour y cueillir des fruits fauvages. Le père Ugarte fit plufieurs voyages au îud de Saint-Xavier , tandis que le père Piccolo continuoit les liens au nord de Sainte-Rofalie. Quantité d'In- diens étoient plufieurs fois accourus des communautés de Cadigomo, près la côte de la mer du fud , qui eft au nord-oueft de Mulége , pour le prier de les aller voir , & d'amener avec lui un Père qui pût relier avec eux. En conféquence , dans l'année 171 2, quoique fa fanté ne fût pas en fort bon état, il fe rendit à leurs defirs , & partit , fous l'efçorte d'un Capitaine & de quelques foldats & Indiens. Ils traverfèrent avec le fecours de leurs guides les montagnes de Vajademin , DE LA C A L I F ORNIE, 18$ & rencontrèrent à l'occident un petit ruifleau qu'ils fuivirent jufqu'à la mer, dans le deflein de reconnoître cette partie de la côte. Mais ne trouvant aucun endroit où. ils pnfïent s'établir , ils s'en retournèrent par le même chemin , & lorfqu'ils furent à huit lieues de la mer , le Père marqua un endroit pour y fonder une nouvelle miflion. Tous les Indiens des commu- nautés voifines vinrent l'y trouver, &: le prièrent de refter avec eux , & pour l'engager à le faire , ils lui promirent de lui donner leurs meilleures pita- hayas & leurs plus belles plumes , Se de lui amener leurs enfans pour qu'il les batifât. Le Père leur promit un Millionnaire , & ne manqua pas à la première occafion de prier le Père Provincial de leur en envoyer un. Mais ce ne fut que cinq ans après que cette million fut fondée. Durant cet intervalle , le Père leur fit plufieurs vîntes , quoiqu'il en fût éloigné de trente lieues , & que le chemin fût très-mauvais, & ils lui renouvelèrent les mêmes inftances. Les Cochimies des communautés de Cada-Kaaman , 184 Histoire qui dans lem langue fîgnifie le Ruif- feau-de-la-Sauge, lui firent la mêma prière- Ils habirent la chaîne de mon- tagnes qui eil vers la côte de la mer du fud , à 40 lieues de Sainte-Rofa- lie. 11 entreprit ce vovage le 6 de Novembre 1-06, fous la feule ef- corte de trois foldats & de quelques Indiens Muléges, lefquels conduisent deux bouriques qui portoient les pro- vifions nécciTaires pour cette petite; troupe. Après trois jours de marche , il fut joint fur la côte d'Amuna par la communauté à qui le Père dans fes autres voyages avoit donné le nom de Sainte-Aguide. I! fe rendit de -là chez celles de Sainte Lucie & de Sainte Nymphe , & le 19 à la fource de la rivière, où il trouva trois autres com- munautés, Les Indiens firent un grand feftin au Millionnaire , Se l'accompa- gnèrent partout , marchant devant pour épierrer les chemins , lui pré- sentant des pitahayas , Si lui témoi- gnant toute la joie imaginable. Mais ils furent extrêmement chagrins lorf- qu'ils s'apperçurent cjue les paniers ces provisions étoient mouillés; ce DE LA CALIFORNIE. I 8 5 qui vint de ce que ceux qui les con- duifoient , les lailïerent tomber dans un étang couvert de Sauge. Quantité d'I idiens des Communautés voilines vinrent aufli le trouver , & les femmes lui pré Tentèrent leurs enfans pour qu'il les barifàt , & il y en eut cinquante auxquels il adminiftra ce Sacrement. Il refla chez eux jufqu'au mois de Dé- cembre , ne ceflant de les inftruire & de les fortifier dans la foi; on dref- fa même un grand berceau, où l'on célébra la méfie. I donna ordre que l'on fuivît le ruiCfeau , & l'on trouva qu'à dix ou douze lieues de-là , il fe p^rdoir fous terre. L' ndroit lui ayant paru fertile , & propre pour y fonder une million , il leur promit de leur envoyer un Religieux pour les inf- truire & prendre foin d'eux ; mais faute de fujets , on ne put leur tenir parole qu'en 1738 , que l'on fonda la million fous le titre de Saint-Ignace. Le défaut de provifi>>ns , joint à l'approche de l'hiver, qui efr. très vif dans ces cantons , leur fie prendre le parti de s'en retourner. Les Indiens leur donnèrent des guides, q ii leur Tome IL Q i86 Histoire ayant fait: prendre une autre route ; les condi( rent chez plulTeurs corn-' inunautés inconnues , que le Père Trouva également difpofées à rece- voir l'Evangile , fi l'on n'eût manqué de fujets pour le leur prêcher. Le Père , non content de la découverte que venoient de faire ceux qui lui ctoient fubordonnés , prenpic fans cefTe des mefures pour reconnoître le golfe , ou du moins, pour fe rendre une féconde fois chez les Seris & les Tepoias qu'on avoit malheureufement abandonnes. Lan 1716, il mit tout en oeuvre pour paciHer les Gaycuras. Pour cet effet , il fe rendit avec le Brigantin la Guadeloupe à la Paz , qui étoit la fcène de l'entreprife mal concertée d'Otondo , dont le fouve- nir fe renouveloit tous les jours par les violences mutuelles que commet- toient ceux qui alloient à la peche des perles. Il mena avec lui trois priion- niers Giiaycuri , qu'il prit fur les bar- ques de la Nouvelk-Efpagrié qui vont à cette pèche, dans le deffein de les rendre à leurs compatriotes à la conclusion de la paix , pour qu'ils de la Californie. 149 puflent les inftruire des bons traite- mens que les Indiens de Lorette re- cevoient des Millionnaires ; mais cette enrreprife échoua totalement. Le Père dcbarqua avec le Capitaine, les fol- dats & les Indiens de Loicte, lef- quels gagnèrent le rivage à la nage. 1 es Guayanas qui campoient fous des hunes le long du rivage , n'ap- perçurent pas plutôt cène troupe, qu'ils s'enfuirent avec leurs femmes & Lurs enfans ; furquoi les Indiens de Lorette , animés par cet inflinct brutal , qui porte ces peuples à faire patade de leur bravoure avec les lâ- ches , les pourfuivirent parmi les ro- chers & les bois , fans daigner écou- ter les ordres du Père q i leur crioit de s'arrêter. Les Guaycuras , comme p'us agiles , leur échappèrent , mais ils atteignirent leurs femmes , lefquel- les fe voyant dans l'impoffibilité de fe fauver, firent volte face , & fe dé- fendirent à coups de pierres Les In- diens de Lorette fc jettèrent fur elles avec une brutalité fauvage , & les euffent mafTaciées dans leur première fureur , fi le Capitaine à la tête de Qij i88 Histoire quelques foldats des plus ingambes, ne ut accouru pour les en empêcher , encore eut -il beaucoup de peine à les gaianrir de la cruauté de ces fau- vages. Ces femme? , lans faire atten- tion au reflentiiTK'nt que le Capiraine & les foldats temoignoient contre cette conduite brutale, fe la'ffèient fi tort tranfporter à leur frayeur , que le Capitaine avant voulu les aborder, elles tournèrent le dos , & s'enfuirent de toutes leuis forces. Le pere Salva- Tierra fut extrêmement fâché de cette avanure , mais .1 ditlîmu a fon refLn- timent. Ce n'étoit plus le tems de fonger à !a paix , après l'inlulte qu'on venoit de faire aux naturels du pays, dam la perfonne de leurs femme-. , & il ne convenoit pas de féjourner plus longtems à la Paz, vu la difpohtion d'efprit ou croient les fauvages ; de forte que le Père fe contenta de faire fentir à fes prifonniers que la conduite qu'on venoit détenir, étoit entière- ment contraire à fes intentions , de même qu'à celle des Efpagnols , lef- 3uels n'avoient eu d'autre but que e lier amitié avec ces peuples. Il leur DE LA CJLIFÔRNIF. iSf fit quelques retits préfens , & les con- gédia avec de grands fenrimens d'a- mitié , pour qu'ils difpofaflent leurs compatriotes à accepter la paix dans une autre oc a' on. le Père s'en re- tourna avec la Bcland-e à 1 orctte, d'où il l'envoya à Matanchel p> ur y cher- cher des.provifîons ; mais elle fit nau- frage , la -cargaifon fur perdue, & il y eut neuf perfonnes de noyées. Le îeul vaifTeau qui refloit , étoit le Saint- Xa^ i-r, lequel avoit fei vi dix-huit ans, à compter du commencement de la million. # ^^ "*»*" .4». i«?o Histoire M SECTION XI. Lt père Salva-Tierra établit un Gouver- nement fpititud & civil pour les Mif- Jionnaires de la Californie & les In- diens. J\ u milieu des comretems qu'on eut à t fluier dans l'année 1716 , le père Salva-Ticrra eut la fatisfacUon de voir les différents tonds que divers bien- faiteurs a oient affignés pour (es mif- {ions , auflï aAurés qu'il pouvoir le defirer , & la forme de leur gouver- nement aulîl parfaite qu'elle pût l'être. Ceci me fournit l'occafîon de parler de celui que ce Père établit dans la Californie. Il comprit ces la première fois qu'on entra dans ce pays , qu'il étoit abfolument r.écelTaire d'avoir à Mexico un Agent pour recueillir les revenus des miAions déjà fondées, les contributions & les fecours des bien- faiteurs , acheter les hardes , les pro- vilions & les autres chofes néceAair* s aux MiAionnaires , aux foldats , aux de la Californie. 191 gens de mer employés à la réduction» de même que pour le (ervice des Eglifrs & des Indiens ; & tn outre qui follicitât les affaires de la million, qui relèvent de l'Audience royale & du Viceroi , qui veillât à l'achat , à la conftruction & au radoub des vail- feaux , en un mot , qui fe chargeât des affaires temporelles de cette con- quête éloignée, l.e père Jean Ugarte s'acquitta la première année de cet emploi, d'une manière tout -à-fait exemplaire. Il fut remplacé dans fon Agence pour la Californie , par le pè:e Alexandre Romano , lequel, fur les ri mont' ances du père Salva-Tierra, fut difpenfé de toute autre affaire, à l'exception de ce qui concernoit la mifïion , cet emploi demandant un homme tout entier ; d'autant plus qu'il ne conveno t point de confon- dre l'argent defliné pour la Califor- nie , avec celui des collèges & de la province , ni l'employer à d'autres- ufagesque ceux pour lefquels les bien- faiteurs l'avoient defliné. Le Père s'ac- quitta avec beaucoup de zè'e de cet emploi durant plufieurs années , jut- ï$ ï Histoire qu'en 1719 , qu'il fur nommé Pro- vincial de la Nouvelle- Efpagne. Il eut pour fucceiïeur le père Jofeph Echeverria, qui l'exerça pendant o;ize ans, (avoir, jufqu'en 1719, qu'ayant été nommé Viuteur de la Californie, il fur remplacé par le père Hernan Francifco Tompez , lequel , après s'en ctie acquitte avec autant de pru- dence & de zèle , que d'avantage pour la million , mourut dans le mois de Mai 17.0. Le fond affigné par Sa Majefté pour les miffions de la Nou- velle-Efpagne , tant pour celles qui font deflervies par les Jéfuites , que parles Religieux des aut;es Ordres, eft de 300 piaftres par an , tant pour l'entretien du Millionnaire, que pour les dépenfes qu'il eft obligé de taire pour les Indiens ; ce qui paroî ra une ïomme exhorbitante à ceux qui igno- rent de quoi il s'agir , & qui ne font jamais fortis de l'Europe. Elle eft ce- pendant fort modique dans l'Amé- rique , à caufe de 1 éloigneraient des millions, & du prix excelïif des marchandifes d Europe ; mais encore plus,, à caufe de la difficulté , des dépenfes de la Californie, t^j dcpenfes & des frais de tranfport qu'il en coûte , lesquels reviennent quel- quefois à la moitié de leurxvaleur, fans compter les pertes qu'on fait. Quelle dépenfe n'efl - on pas obligé de faire dans un voyage de quatre à cinq cents lieues, à travers un pays prefque défère , couvert pendant plu- ïïeurs lieues de montagnes rudes 3c efearpées , & de forets épaifiés ? 3c dans lequel on eit obligé de porter toutes les providons dont on peut avoir befoin tant pour les hommes que pour les bêtes ? Les dépenfes étant beaucoup plus grandes dans la Californie à caufe de l'éloignement des lieux, des vaifleaux , des pertes que l'on fouffre , 3c de la ftérilité du terrein , on a fixé les honoraires de chaque Millionnaire à cinq cents pias- tres par an ; de forte que ceux que leur piété a engagés à fonder une million, l'ont dotée d'un fond de 10000 piaftres , dont l'intérêt à cinq pour cent , fournit à l'entretien du Million- naire. Jufques aujourd'hui toutes les millions de la Californie do vent leur fondation à des particulier. , 3c au- Tome II, R 194 H i s t o i r g . cune au tréfor royal ; car quoique Sa Majeflé ait ordonné d'en fonder de nouvelles pour fon compte, on ne s'eft point mis en peine jufqu'ici de lui obéir. Les bienfaiteurs ni les fondateurs n'éioient point encore dans l'ufage de dépofer leurs capitaux entre les mains de la Société , ils le gardoient , & en payoient l'intérêt tous les ans, à me- fure qu'on fondoit une miflion. Le père Salva-Tierra ayant été nommé Provincial & Vifiteur de la Califor- nie , jugea qu'il valoit mieux em- ployer ces capitaux en fonds de terre , pour qu'ils ne furent point expofés aux hazards du commerce , comme il arriva dans i'affaire de Jean -Baptifte Lopez , fondateur de la mifîion de Saint -Jean Ligui , lequel ayant fait faillite , on perdit tout le capital de cette million. D'ailleurs, les Million- naires de la Californie étant obligés d'acheter leurs befthux & leurs grains dans la Nouvelle- Efpagne , il leur en coutoit moins de les payer du produit de leurs terres. Il fit part de fon dcfiein au père Ugarte , lequel de la Californie. 195 l'approuva beaucoup. A Ton retour à Mexico , pour que cette affaire fut examinée avec cette attention , qu$ la Sociéié exige dans toutes chofes , il la communiqua au confeil du Pro- vincial, & fon projet fut généralement applaudi, furtout par le père Alexan- dre Borna.no, Agent pour la Califor- nie , qui peu de tems après fut nommé Provincial. On le chargea en conféquence de ramaiîer les fonds , & d'acquérir des ferme* , & de les faire valoir pour le compte de la million. Il acheta fuc- ceiïivement la ferme de Guadeloupe , dans la vallée d'Acolman , ou d'Ocul- na ; celle d'Huafleca pour nourrir du bétail, celles de Huapango & de Sarco. On employa à ces acquittions tous les capitaux des fept millions qui étoient déjà fondées , lavoir , les 5000 piartres léguées à la Californie par lie Duc d'Abrantes & Linares ; 4000 piaftres léguées par un Gentilhomme de Guadalaxara, & une grande partie d'autres donations moins conlidéra- bles. Il n'y a rien dans ce monde , pou* Rij t$6 Histoire bon qu'il foit , qu'on ne puifle envï- fager dans différens jours , & qui par conféquent, ne foie fujet à des excep- tions. Mais la conduite que l'on tint dans cette oceafïon , parut être dictée par la prudence, le bon ordre & la religion. On auroit pu envoyer les Millionnaires chez les Indiens, comme des brebis parmi des loups , fans bâ- ton ni fans beface. Mais ceux qui ad» mirent les Apôtres , pour avoir fondé des Eglifes de cette manière, auroient mauvaife grâce de les blâmer d'a- voir fait des collectes parmi leurs frères , ni d'avoir diftribué les vivres nécefTairespour la fubiiftance des veu- ves & des orphelins , ce qui étoit l'of- fice des Diacres. Comment les Mif- fionnaires euflent - ils pu vivre des charités des Indiens , puifque le feul moyen de les convertir , eft de leur procurer de quoi fublifter ? L'Agent du Mexique avoit donc l'oeil fur ces fermes , en recevoir le produit , de même que les 18000 piaf- tres aflignées par le Roi , pour le payement de la garnifon, & les équi- pages des barques. Sur le produit des oe la Californien 197 Hrmes , on fournit à chaque Million- naire les hardes & /es utenhles dont il a befoin , les provifions , les mé- dicamens , les mulets & les autres chofes néceiTùres pour lui & Tes In- diens , ce qui confomme net fes ho- noraires. 11 eft rare qu'ils augmentent confidérablement , vu que les charges fî le Capitaine & les foldars étoient indépendans des Jcfuites , ils feroient les premiers à aller à la pêche des perles ; & au lieu de garder la partie du pays qui efl; déjà conquife , d*efcorter les Pères dans leurs voyages , & de les affilier dans leurs autres fondions , ils obli- geroicnf. les barques & les Indiens à en pêcher, pour fatisfaire plus promp- tement leur avarice. De - là s'enfui- veroit l'oppreffion des Indiens, & de celle-ci des plaintes , des inimitiés , des querelles, des complots, & enfin une révolte générale, qui feroit per- dre dans un infiant tout le fruit de la conquête. Ceux qui penfent autre- ment , changeroient bientôt d'avis , s'ils étoient mieux inftruits. Il étoit donc néceflaire , tant dans les affaires ciriles que militaires , que les vaifleaux qui appartiennent à la Californie , dépendirent du Capitaine de la garnifon , & que tous deux Tnj 221 H 1 S TOI RE fuflent fournis à la direction des Mil- lionnaires. Cependant , le gouverne- ment du Mexique a voulu que le Ca- pitaine eût une jurifdiction abfolue fur tous les vaiffeaux qui naviguent dans le golfe. Les Jéfuites étant en- trés dans la Californie , & ayant ré- tabli la paix le long de la côte de- puis la baie de la Paz jufqu'à la Con- ception , on recommença à pécher des perles fans que les Indiens s'y oppofifTent. ÏI n'y eut que les infu- taires de Saint- Jofeph , les Gua)curi ec des lettres du père Pro- vincial Gafpard Kodero , par lefquel- les il luimarquoit que le nouveau- Vi- ceroi Don Ga'pard de Zuniga , Mar- quis de Valero , étoit arrivé à Mexico le 10" d'Août de l'année précédente, avec des ordres particuliers & pofitifs de la Cour, relativement à la réduc- tion de la Californie , qu'il étoit dans la ferme réfolurion d'exécuter ; & que Son Excellence étoit bien-aife de conférer làdelïus avec lui, il le prioit de fe rendre fans délai à Mexico ; que comptant fur fa prompte obéiiTance , il lui envoyoit le père Tamarral , & qu'il feroit enforte à fon retour de lui donner d'autres Millionnaires f quand même la province devroit man- quer de fujets. La-defïus , le père Salva-Tierra, fans confultcr ni fa ma- ladie ni fon âge , non plus que les travaux , les foucis & les dangers aux- quels il s'expofoit , s'embarqua le 31 du même mois pour Maranchel avec le frère Jacques Bravo , qui ne vou- Jut abfolument point l'abandonner ï$2, H 1 S T 0 1 X E dans l'état où il fe trouvoir. Le père Ugarte fur chargé des affaires en fon abfence. Ils traverfèrent heureulement le golfe au bour de neuf jours , & prirent le chemin de 'I épique ; mais le mouvement du cheval augmenta tellement les douleurs du père Sal- va-Tierra , qu'il lui fut impollible de continuer fa route fur cette monture. Cependant tomme fon zèle pour le gouvernement , ni le motif de fon voyage , ne lui permettoient point de féjourner à Tépique , on fut obligé de le faire porter à Guadalaxara dans un palanquin , ce qui ne laifla pas de le fatiguer beaucoup. Ses douleurs augmentèrent au point, qu'il fut deux mois à l'agonie. Lorfqu'il fentit ap- procher fa dernière heure , il fit ap- peler le frère Jacques , le chargea des affaires de la miffion , & rendit fon ame à Dieu , la joie & la fcrémté peintes fur le vifage. Toute la ville & la province furent extrêmement al'armées du danger où il étoit. Les habitans l'aimoient depuis plulieurs années comme leur père , & le ref- pecloient comme un homme d'une vis DE LA CaLIF 0RN1E. 233 vie exemplaire , & fort zèle pour Ja Convsrlion des Indiens ; mais rien ne les toucha plus que le chagrin que les Californiens qu'il avoit amenés avec lui témoignèrent à fa mort. Toure la ville aiïifta à fon Convoi, tout retentilloit de fes éloges , & on le dépofa dans la chapelle qu'il avoic bâtie à Notre-Dame de Lorette. Le frère Bravo ayant mis fes pa- piers en ordre , fe rendit à Mexico , & trouva le Viceroi parfaitement dif- pofé à concourir au bien des millions & à la réduction de la Californie, L'ordre que Sa Majefté Philippe V lui avoit envoyé, en date du 19- Jan- vier 1716 , contenoit une récapitula- tion de tous ceux qui avoient été ex- pédiés iufqu'au 16 de Juillet 1708, & finilioit ainfi : « Comme on n'a » point rendu compte à mon Con- » feil des Indes 3 ni de ce qu'on a fait *» en exécution de mon dernier ordre, »* ni de l'état actuel de la coriverfion » des Californiens , confîdérant l'im- » portage doit il eft d'encourager » & d'affermir la religion dans cette * contiée par cous les moyens poflV Tome IL Y. 2$4 Histoire » blés , j'ai juge à propos de vous >> communiquer ces affaires , afin qu'en ■>•> étant infiruit , vous puiffiez , ainli » que je vous l'enjoins par cette pré— » lente , vous employer avec autant » de foin que de vigueur à 'aire exé- » cuter l'ordre daté du 1 6 de Juillet » 1708 , concernant l'avancement de » cette conquête , & m'envoyer un » détail de tout ce qu'on aura fait » en exécution de mes oidres , mais 9» fans changer en rien que ce foit »î la iorme du gouvernement qui a a fubfifté jufqu'aujourd'hui dans la >> Californie , afin qu'après avoir exa- »> miné le rapport que vous en ferez , >i on prenne les meiures convenables i m car tel eft mon plailîr. » Cet ordre procédoir entièrement du delir qu'on avoit de conquérir la Califor- nie , depuis que l'Abbé Jules Albe- roni étoit à la tétc des affaires. Il l'en- tretenoit , & non content d'infpirer une nouvelle vie & une nouvelle vi- gueur au commerce & à la naviga- tion des Efpagnols en Europe & fur la côte orientale de l'Amérique , il portoit encore (es vues fur les côtes se la Californien i $ 5 de la mer du fud , que les corfaires ennemis infultoient dans ce tems -là impunément. Ce Minière fubtil & vi- gilant , qui fut peu de tems après promu au Cardinalat , ayant ordonne qu'on l'inftruisît de toutes les affaires qui relevoient du Confeil des Indes, fut extrêmement furpris que depuis huit ans on eût entièrement oublié la conquête de la Californie , après tant d'expéditions qu'on avoit faites pour s'en rendre maures. Il comprit aufli- tôt les avantages infinis qu'on pouvoit tirer de cette entrepi ife , lï jamais elle réiïffifloit , & s'inftruiht fans délai de tout ce qui y avoit rapport. Dans ce tems là un habitant de la Nouvelle- Efpagne offrit au Roi d'avancer 80000 piaftres, s'il vouloit le nommer Gou- verneur de la Californie , & premier Alcalde d'Acaponera & de Santipac. C'étoit-là une forte tentarion pour un Miniitre qui manquoit d'argent, & qui méditoit des entreprifes aulli dif- pendieufes : mais Aîberoni n'agiiïbit jamais fans fe propofer un point de vue, & ne fe bornoit point fimpîe- ment au préfent. Après avoir mure- Vij 1^6 Histoire ment examiné fa demande, il en fen- tit toutes les conléquences , & com- prit parfaitement que celui qui la fai- foit , ne manquèrent pas de fe dé- dommager de Tes avances aux dépens du public , & que ce petit f cours occafionneroit la perte de quantité de provinces, & furtout de la Cali- fornie , à moins que Sa Majefté n'y tînt un corps de troupes confidér.sble pour s'en afTurer la poffefïion , ce qui l'engageroit à des dépenfes immenfes. Il comprit encore que 1 auteur de ce projet ne manquerait pas d'oppimer, non feulement les Jéfuites & les Ca- liforniens chrétiens , mais même les foldats & les marins de la Cal fornie , les habitans & les Indiens de ia cote oppofée ; au moyen de quoi l'avarice infariable d'un feul homme , cauferoit la perte de nlufieurs milliers de per- fonnes , & ferait perdre à la Couronne une vafte étendue de pays Le Roi lui répondit donc qu'il eut d'abord à produire des certificats des Fvêques qui ont infpcction fur ces contrées , pour favoir fi fa proportion préjudi- cieroit ou non au bien de ces établi!- de la Californie. ï ? 7 femens chrétiens , & qu'au cas que cela ne fur point , il examinèrent fa proportion. Cj'te offre fut caufe qu'Alberoni tourna routes Tes vues fur la partie feptentrional.'" de la mer du fud , & forma enti'autres defleins , celui d'é- tablir de nouvelles colonies fur les côtes de l'Amérique feptentrionale , fîtuées fur la mer du fud , & d'éten- dre li domination des F.fpagnols dans ces cotvrées immenfes & inconnues qui font au nord de Sonora , depuis la rivière Gila jufqu'au Colorado , povn" qu'ils pu'rent y trouver par mer un marché pour les productions de c?s ro!oni.js , & y recevoir en échange les c!i .Tes dont ils avoient befoin. H vouloir e icoie ";ue le omnerce & la fubfi lance de ces colonies & des au- tres nouveaux érabliflemens des pro- vinces 11 édirerranées , ne dépendît point entièrement des effets & du commence d la Nouvelle- Efpagne ôc de l'Europe : au contraire , fon prin- cipal plan ctoi d'étendre h. commerce & la navigation des île Philippines, & d'en faire le centre & l'entrepôt de î$8 Histoire tout le commerce de la Chine & des autres contrées de l'orient , à caufe de l'avantage de fa fîtuation. On au- roit porté le commerce de ces îles des deux côtés de l'Amérique fepten- trionale & de l'Amérique méridionale, & la Nouvelle-Efpagne eût été un canal fur pour tran (porter toutes les marchandifes de l'orient dans la Vieille- Efpagne , & dans toutes les autres contrées de l'Europe. Il eût réglé le commerce de celle ci avec les deux Amériques , & l'Orient, de ma- nière qu'il n'eût influé en rien , ni diminué la dépendance où les Indes occidentales doivent être de la Vieille- Espagne , & qu'au contraire , il eu t contribué à leur avantage , en dimi- nuant ce commerce défavantageux qui îubfifte depuis longtems entre l'Europe & l'Amérique, & qui tourne prefque tout à l'avantage des autres nations , tandis que l'Efpagne n'a pour fa part que les dangers & les peines qui y font attachées. Ce n'eft pas ici le lieu d'entrer dans le détail des mefures qu'il avoit prifes pour rétablir la marine d'Efpagne & be la Californie. 259 lui rendre Ton ancienne fplendeur , pour établir toutes fortes de manu- factures , pour faire fleurir le com- merce entre les provinces , & y éta- blir l'abondance, pour augmenter les finances fans mettre de nouveaux im- pôts fur le, peuple , pour diminuer ceux qui fubnftoient , pour abolir les abus qui s'étoienr gliffés dans le com- merce des étrangers, & pour l'établir • fur un pied uniforme , afin que les vaiffeasix puffent dorénavant aller d'Ef- pagne aux Indes, & y retourner fans être inquiétés ; pour rendre les voyages plus fiïrs ; pour fupprimer tout com- merce illicite, pour augmenter le tra- fic enrre les fujets , & par-là les re- venus du Roi , non point en hauflanc les prix & les droits proportionelle- ment à la rareté des denrées & des marchandifes , mais en multipliant les petits profits par l'abondince & la facilité qu'on auroit à les faire , pour tirer l'Efpagne de fa léthargie , afin qu'à la place du commerce qu'elle fait en Europe , & qui eft puremenx paffif , elle devînt elle même fon pro- pre Agent , elle concentrât en elle- 14° Histoire même les avamages des deux Améri- ques , & devînt L principale proprié- taire du commerce cans !es orientales, & dans toutes les { de la n.er du (ud ; & enfin , p donner un nouvel efprit &. unQ nou- velle vigueur à route la nation. Il fuffit de dire cjue pour exécuter ce plan d'une manière a- anrageule à l'ancienne dv à la Nouvelle-Hpagne, on devoir prei dre des mefuies pour fournir aux deux Amériques des mar- chandifes à plus bas prix , pour que les fujets puiïent recueillir le fruit de leurs travaux , pour aflurèr la domi- nation de Sa Majeflé fur l'océan Se la mer pacifique , & en chafïer les corfaires & les pirates qui bravoient notre puiffance d'une manière fi kan- daleufe. Cela eût rendu l'Lipagne la propriétaire réelle de fon commerce dans ces deux mers, la nation en eût profité, & PEfpagrie eûr réuni dans fon fein les avantages d: 'Amérique & des Philippines j lie n ême que les François , les HoTan-lois & les A;i- glois recueillent ieuls le pic fit de leurs écablifiemens dans lec Incieç orientales „ de la Californie. 24I» orientales , & de leurs coloines dans l'Amérique. Il eft ailé à un homme de repaître fon imagination de ces ces idées ma~ gniiùjucb ; mab il faut plufîeurs mains ik plufîeurs têtes pour les exécuter. On le règle pour les premiers motifs fur un fyftème général , mais on ren- contre iouvent dans l'exécution des difficultés infurmontables. Le Minif- tre fçavdit par expérience que ion Souverain ne trouvait rien de diffi- cile , loi Tqu'il étoit queftion de U gloire de (a Couronne, & ce fut pour exécuter les vafles projets qu'il avoit conçus relativement à la Californie 8c aux pays & aux mers contiguës , qu'il ordonna au nouveau Viceroi d'encou- rager les millions de Sonora , & do fe conformer pour la Californie fur le3 inftruétions qu'on a vues ci-deilus. Le Miniitre lui recommanda de vive voix d'établir des colonies & des gar- nifons (ur les côtes de la mer du lud, & de pouffer les découvertes auiîi loin qu'il feroit poflible. En conféquence de ces ordres , le Viceroi auiTitôt après fon arrivée à Tome II. X 141 H I S T 0 î II E Mexico , conféra avec le père Provin- cial Gafpard Rodero , fur les moyens qu'il convenoit de prendre pour les mettre en exécution ; le priant en outre de vouloir (e trouver au Con- feil général des Minières , avec le père Alexandre Romano, Agent pour la Californie. Le Viceroi y fit lire les inftruc>ions qu'il venoit de recevoir , & déclara l'intention où il étoit de fonder au moins une colonie Efpa- gnole fur la côte occidentale de la Californie. Tous les Minift es l'ap- prouvèrent ; mais le père Alexandre qui connoiflbit mieux qu'eux le pays , leur fit obferver en peu de mots que les Pères avoient toujours eu ce def- fein.à cceur , comme cela paroifïbit furfifamment par les différentes tenta- tives qu'ils avoient f lices ; mais que cette entreprife étoit plus difficile qu'ils ne le croyoienr , vu qu'on n'a- voit pu découvrir le long de la côte ni port , ni eau , ni bois , ni terre labourable, & que pofé même qu'on trouvât un endroit tel qu'on le dtman- doit , il iaudroit néceïTairement que Sa Majefté fournit pendant plufieurs de la Californie. 24$ années à la fubfi fiance de la colonie, le pays étant fi flérile par lui mcme , que ies Millionnaires & les foldats qui y étoient , y trouvoient à peine de quoi vivre. Il leur repréfenta en- fuite les difficultés qu'il y avoit par rapporta la marine, la fituation dé- plorable à laquelle les Pères étoient réduits faute de barques , ne leur en reliant qu'une feule qui ctoit en très- mauvais état , & les famines, les dc- ti elfes & les naufrages auxquels ils étoient expofes. Ce difeours engagea le Viceroi & le Confeîl à mander le père S .Iva- Tierra , pour qu'on pût favoir Ton avis , & fe régler en con- féquence , d'autant plus qu'il étoit mieux au fait que qui que ce fut , du projet en quefeion. Mais la mort de ce digne homme déconcerta ce fyf- térne , & ils furent obligés de recou- rir au frère Jacques Bravo. Le père Provincial le prefenta au Viceroi, le- quel fut furpris de fes talens & de fa capacité. Il lui fit fentir toutes les difficultés qu'il y avoit à faire un pa- reil établ fl mont , & prefenta deux Mémoires à Son Excellence , l'un Xij 144 Histoire contenoit un détail du pays & des peuples qui l'habitent, des découver- tes qu'on avoit flûtes fur la côte , de la fondation & de l'état actuel des mifllons. 11 indiquoit dans l'autre les médites qu'il convenoit de prendre pour étendre cette conquête , con- formément aux ordres de Sa Majefté. Là-deiius, le Viceroi renvoya ces Mé- moires au Grand Confeil , lequel s'af- fembla immédiatement. Le 25 de Septembre, on lut de- vant l'afîemblée toutes les cécfuîes , les rapports & les ordres qui concer- noient la Californie , depuis celui du 16 de Septembre 1703 , jufqu'aux deux Mémoires préfentés par le frère Bravo. Tous les articles du dernier, rtlarits à l'exécution des ordres de Sa Majeflé , furent immédiatement difeutés ; après quoi le Solliciteur dit fon fentiment , lequel fut unanime- ment confirmé par l'AfTemblée , dans la forme que voici. " Le Confeil a rc'folu , conformé- » ment aux ordres de Sa Majefté , que >» l'on fourniffe aux mifllons de la Ca- M Jifornic tout ce] qui leur eft nécef- vêla Californie. Î4Î # faire pour l'entretien de vingt-cinq » foldats,unCapitaine, matelots, mouf- *' fes& charpentiers pour unvaifleaud'u- » ne confrrucîion convenable aux ufa- » gespour lefquels onledeftine, aufT;- >> bien que pour un plus petit , pour » tranfporter les provisions ; ôc qu'au » cas que la fomme de 1 3000 piaftres » ne fuffife pas pour fournir à ces dé- » penfes , on procure le furplus fur » le tréfor , ne voulant pas par une » épargne mal entendue , & des délais » inutiles , faire perdre aux Jéfuites » les fruits de leurs travaux , d'autant » plus qu'il n'en a prefque rien coûté » au Roi pour cette entreprife , les » fommes qu'ils y ont employées, & t> qui fe montent à plus de 500,000 » piaftres , ayant écé levées par con- » tribution. La volonté de Sa Majeité » étant non feulement , comme le » portent fes ordres , que l'on main- >» tienne ces millions , & qu'on en » augmente le nombre , mais encore » que l'on ufe de toute la diligence né- î) cefiaire pour découvrir quelque port » fufceptible de fortification , & où » l'on puifie établir une gamifon pour Xiij 2q6 Histoire j> la commodité du vaiffeau qui vient » tous les ans des îles Philippines , afin » qu'il pui Te y erre en fureté, fe ravi- » tail cr , reneuve 1er ion équipage , « laifler fes malades , & fe mettre en >> état de continuer fa route à Aca- » pulco , fans être expofé aux datt- » gers eu'il court dam ce voyage , » r^nt de la part des ennemis, que » des maladies, qui font périr plu- » (leurs de fes ^ens , aufTitôt après »» fon arrivée fur la côte. Pour ob- » te;àr ce but important , auffirôt que »> l'on pourra conflruire un vailfeau , » & l'équiper d'un nombre fuffifant î> de foldats & de mac-Jots , il fe • » rendra dans la Californie pour pren- » dre une connoiflance entière & par- ai faite de la côte, fe conformant en » tout aux inftru&ions des Pères, à » la diferétion defquels on s'en râp- ai porte avec d'autant plus de con- »> hance , qu'il, connoiffent le pays , »> de même que fes côtes & fes mers, » outre qu'on a éprouvé , ao>es des >» dépenfes immenfes pouf Sa Majelré, » que tous ceux qu'on a emplo)és à » cette expédition , loin de réuflir de la Californie. 247 » dans leur entreprife , ont laifle cette » contrée , qu'il importe fî fort de » connoître, dans les mêmes ténèbres » & la même obfcurité qu'elle étoit » au commencement. L'intention de » Sa MajeOé eft encore , qu'à l'aide » des cartes , conjointement avec les » mémoires & les avis des Pères , des »> pilotes, & autres perfonnes exper- » tes , on choififfe un port que l'on » aura foin de fortifier fans s'éloigner » de la moindre circonftance prefcritc * par Sa dite Majeftc. Et quant aux >i appointemens des Millionnaires qui » deflerviront les nouvelles millions, » on aura égard aux peines & aux » inconvéniens infépirables de l'exei- »> cice de leur miniflère , de même » qu'à la d irficulré qu'ils ont de re- » cevoir les provifions , les hardes Ôc » les autres chofes dont ils ont befoin , » furtout roifqu'ils font obligés de les » faire venir par mer , à quoi ne font » point expofées les millions qui font » en terre Ferme. A l'égard des falines ») que l'on a demandée^ pour la mif- » (ion de Lorette , comme elles ap- ■» partiennent de droit à Son Exccl- X iv Hq% H I S T Ô T n E 03 lence , nous laiflonsà fa volonté de »> leur accorder cette faveur, pour, un » tems limité, ou menu pour toujours j> ii elle !e juge à propos. » La première chofe que le frère Bravo demanda , tut qu'on lui fournît de quoi payer cinquante foldars , & éta- blir une autre garnifon , foit à la Paz ou au cap de Saint-Lucas. On la lui accorda , comme auiïi la fomme qu'il lui falloir pour fonder un léminaire p »ur l'éducation des enfans de la Ca- lifornie. Les falines dont il s'agit ici fe trouvent dans l'île del Carmen, près de Lorette. i e père Salva- ] ierra les avoit fouvent demandées , fans pouvoir les obenir, & on lej, a de même re- fuféts à ceux qui lui ont fuccédé. A l'égard des autres articles contenus dans le Mémoire du frère Bravo, tels qu'une gratification pour le Capitaine Don Eftevan Rodriguez, l'exemption de la Mita & des corvées des Indiens pour les deux villages d'Ahome èc d'Hiaqui , ils furent renvoyés au Vi- ceroi. Mais le lendemain le Frère re- çut une mortification à laquelle il ne s'attendoit point. LeTrcforicr Mcn- j> i la Californie. 249 doza , qui avoît toujours foutenu les affaires de la million avec beaucoup de zèle , même dans un cas tout-à- fait étranger au gouvernement , dont l'avis avoit été approuvé dans le Con- feil , & qui avoit appuie la délibéra- tion qu'on vient de lire, fit réflexion que les 13000 piaftres accordées par le Roi, ( quoiqu'on ne les eût point payées jufqu'alors) ne fufnToient point pour payer cinquante foldats , pour conftruire & équiper des vaifleaux , pour découvrir les côtes & les ports , pour entretenir des garnifons à la Paz & fur la côte de la mer du fud , pour fonder des nouvelles millions , des fé- minaires , &c. & qu'il raudroit nécef- iairement tripler , & même quadru- pler cette Comme. Cette réflexion lui fît craindre que la Cour de Madrid ne dé'aprouvât cette profufïon, & n'en jetta la Caure Cur lui. Ce n'eft pas que ce gentilhomme craignît la Cour de Madrid , vu que jufqu'à l'heureux avè- nement de Philippe V au Trône d'EC- pagne, il n'avoit été queftion que de difficultés , de débats , de défiances , & d'ordres pour ménager les revenue 25° H I S T O I R I du Roi , dont la conféqucncc avoit éré , que la nation, tant en Europe que dans l'Amérique , reffèmbloit à un corps fans ame. Il communiqua le lendemain Tes craintes au Viceroi , & l'engagea à ordonner que la délibé- ration , n'ayant point encore reçu les formalités requifes , ne feroit point enrégifhée. Il envoya immédiatement chercher les Pères, lefquels inliftèient avec beaucoup de force & de folidité fur les raifons qu'on avoit alléguées au Confeil ; mais le Viceroi, flotant entre les ordres de la Cour , & les craintes mal fondées du Tiéforier, réduifït le nombre des fokJats de cin- quante à vingt-deux, refufa l'étab if- fement d'une garr.i'on de quinze fol- dats à la Paz ou à !>cànt- Lucas , quoi- qu'elle fût d'une neceffué évidente , ne voulut point q.:c l'on fondât de fémi;;aire, quoiqu'il eût dit auparavant qu'un feul ne luffifoit pas, & rtfufa en outre les (aimes. Ce contre-tems n'empêcha point le frère Biavo de poutfuivrc vivement cette affaire ; mais le fouve lir de iVladrid ralentit la réfolution qu'il avoit piife de lever ce la Californie. 251 la difficulté que l'on faifoit de payer les vingt-cinq fo'dats & les niarelots fur le même pied que ceux de Cina- loa , de la Nouvelle-Bifcaye & de la mer du fud ; mais cette fomme fe montant à ipcoo piaftres , il la jugea trop grande , & fe réduifit à ce qu'on leur donna la même paye qu'à la garde du Palais à Mexico , à la gar- nifon de la Vera-Cruz, & des îles fous le vent ; au moyen de quoi, la fomme fut réduite à 10,00c piaitres. Le frère Bravo ne trouvant pas cette fomme fuilifante , & voyant que Tes reprélentations ne fervoient à rien , demanda un certificat de ce qui s'étçit pafie , pour pouvoir s'adreiîer directement à Sa Majefté. Le Viceroi le lui rcfufa , quoiqu'il convî nt que les ordres qu'il avoit reçus de Sa Ma- jeflé & de (on Minière ctoient clairs & pofitifs , & qu'il falloit que cette entreprife fe fît à quelque prix que ce fut. Enfin, après plufteurs délais, le Tréforier & le Viceroi fe flattant qu'en cas de plainte, ils pourraient alléguer pour leur jufHfica-ion la dé- libération abfolue du Confeil , lequel îjz Histoire avoit accordé tous les articles qu'on avoir demindés , on ligna & on en- régiftra la première délibération , mais avec ces reirric"U >ns , que les foldats feroient réduits à U moitié du nom- bre qu'on avoit d^m.indé, mais fans faire mention ni du fé m inaire , ni de la garnifon de la Paz, ni de^ autres articles. Cette réfolution ne fut point enregiftrée avec les actes du Confeil ; on fe contenta d'y inférer les Mé- moires du frère Jacques , & trois ans après on les trouva avec toutes les autres pièces dans la maifon d'un par- ticulier. On accorda dix-huir mille deux cent foixante & quinze piaftres & quatre réaux pour la paye des foldats & des matelots , fur le pied de ceux de la Nouvelle-Bifcaye & de la mer du fud. Trois mile vingt- trois piaftres pour l'acquittement des dettes laiflées après la mort du père Salva - Tierra. Quatre mille piaftres que l'on prit autréfor royal pojr ache- ter un vaiffeau pour le fervice de la Californie; mais après cettte dépenfe, il périt l'année fuivante dans le port de Maranchel , à caufe d'un défaut î)ela Californie, ?. 5 $ qu'il y avoit dans la quille. Tout ce qu'on avoit ordonné de (urplus , fe réduifit à la bonne volonté que témoi- gna le Viceroi de conquérir la Califor- nie , de la peupler & de faire des éta- - bliflemens fur (es côres , mais (ans vouloir avancer les fommes nécefïai- res pour l'exécution de ce projet avan- tageux. Il s'en falloit beaucoup que le Roi & le Miniftère d'Efpagne donnaient dans une épargne autli fordide que le Confeil de l'Amérique fe l'imagi- noit. Car dans le même tems, favoir , vers l'année 1717, le père Piccolo écrivit une lettre familière au père Braflal Jua , Recteur du collège de Guadiana , dans laquelle il lui don- noit avis des découvertes qu'il avoit faites dans le nord de la Californie, & de fes heureux progrès , de la dif- pofition où etoient les habitans de la côte de !a mer du fud & de la cote oppolée de recevoir la toi , fi on kur envoyoit des gens pour les inftruire, & enfin de l'indigence, du danger & de la dérrefle où ils etoient , faute de barques, de proviiions, de bardes, &c î?4 Histoire Certe lettre tomba entre les mains de Don Pedro I apiz , Evêque de Durango , de qui relevé le Diocèfé de la Californie, & il en fut fi tou- ché , qu'il priât qu'on lui lai fia 1 origi- nal pour le faire pafter à Sa Majefté avec un Mémoire qu'il avoit deiîlin d'y joindre. En coniéquence , le 1 8 de lévrier 1-718, il mit la lenre du père Piccolo dans celle qu'il écrivit à Sa Majefté , dans laquelle, après lui avoir repiéfenté d'une manie e pa-hé- tkjue l'état des affaires de la Califor- nie , il prie le '\oi d'encourager ces nouveaux établifièmens chrétiens , 8c d'augmenter le nombre des Million- naires , pour qu'ils puiflTcnt convertir à la foi cette vafie multitude de peu- ples. Ces lettres arrivèrent à Madrid en 171 9; il s'en fît faire la lecture dans Ion Confeil des Indes , & fur ion avis , appuie de celui du Cardinal Alberoni , il ligna le 19 de Janvier 17 19 une nouvelle cédulc a IrefiTée au Viceroi , dans laquelle , après avoir inféré celle qu'on lui avoir rem fe à ion départ pour le Mexique , «« il lui » enjoint dans les termes le* plus forts de la Californie. 255 » d'exécuter ce qu'il lui avoic ordon- » né; le plaignant de ce qu'il ne l'a- » voit point averti de ce qui s'étoic » p .fle , lui ordonnant de le faire >> incefïàment. » En recevant cette cédule , le Vice- roi eut la mortification de voir que les actes du Conieil n'avoient point été envoyés à la Cour, & qu'on ig.io- roit même ce que les pièces étoient devenues. A la fin , on les trouva , comme je l'ai dit ci-defliis , chez un pa;ticulier; & quoi que l'on crût que le Viceroi, dans Tes lettres particu- lières , avoir inftruit le Roi de ce qui s'etoit paifé , il ne parut cependant point par les regiftres que les actes du Confeil eufTent été renvoyés eu Cour. Cette même année 17T9, le Car- dinal Alberoni , quitta l'Efpagne , ce qui fit évanouir les vaftes projets qu'il avoit formés relativement à l'Amc- ri |ue, aux îles Philippines, à la mer du fird & à l'Europe, ainfi que tout le monde le fçait. 2j6 Histoire SECTION XIV. Progrès des miffions fous les pères S if- tiaga & 2 amarrai. Fondation de la mijjion La Puriffima. Le père Ugarte fait conjlruire un vaiffeau dans la Ca- lifornie. Le frère Bravo en obtient un autre au Mexique , & fonde la mif- Jîon de la Pa^ , en même tems que le pire Helen fonde celle de Guada- loupe. L E frère Jacques Bravo , après avoir expédie les affaires de la million à Mexico, & remercié le Viceroi & les autres Miniftres, acheta les provilions & les effets donc on avoit beloin , s'embarqua avec le père Sébaftien de Siftiaga fur un vaiffeau du Pérou que le Viceroi avoit acheté , & arriva à Lorette au mois de Juillet 1718. Il s'éleva dans l'Automne de l'année ,1717 un furieux ouragan , qui s'eten- dit fur toute la Californie & fur (on golfe, & les pluies furent ii violentes qu'elles BE LACaLIFORNIE, 257 Qu'elles entraînèrent tout ce qui fe trouva fur leur chemi.i. L'églife & la maifon du père Ugarte turent rafées jufqu'aux fondemens,& il fut obligé de fe fauver fous un rocher , où il demeura pendant vingt-quatre heures expofé à toute la rigueur du tems. Le canal qu'on avoit pntiqué pour conduire les eaux , fut comblé , l'é- clufe de Saint-Xavier emportée , & les champs qu'on avoit enfemencés tant ici qu'à Mulége , totalement dé- truits par la quantité de cailloux qui s'y amaflerent. Le vent étoit fi via- lent , qu'un jeune garçon Efpagnol , appelé Mathieu , fur emporté à Lo- rette par un tourbillon, ii bien qu'on ne le revic plus. II périt quantité de barques fur la côte de la Californie , & entr'au'res deux de (ompoitelle , avec quatre perfonnes , le refle de l'équipage fe iauva fur deux groïïes belandres , qui fe trouvèrent là par hazard , & qui éroient fortement amarrées à l'abri d'un rocher. Ces malheureux arrivèrent à I orette, où. le père Ugarte les reçut avec la plus grande cordialité , & retournèrent en- Y *5S Histoire fuite dans la Nouvelle -Galice furie vaifteau du Viceroi , lequel périt a :fîi peu de tems après. Les Pères av oient vu bien des ouragans & des pluies dans le pays , mais aucunes qui éga- laient celles-ci par leur durée & leur violence. Si ces orages éoienr autre- fois fréquens dans la Caliiornie , on ne doit pas être furpris que toutes les terres ayent été emportée^ , que les rochers foient reftés à découvert, & que les plaines &. les vallées ne foient plus qu'un monceau de pier- res. Le père Tamarral , animé par les bonne^ efrérances qu'il avoit conçues, fe rendit au village de Saint-Michel, & y tiouva pour prémices de fa mif- fion deux communautés d'Indiens ido- lâtres , qui le prièrent inftamment de les batiler , ce qu'il leur accorda. Il s'en ;ut de-ià à traver les montagnes chez les communautés de Cadigomo , que le père Piccolo avoit vihtées quelques aniv es auparavant, ou cel- les de l'Immaculée Conception ( I.a Puriîlima Conception) vinrent le join- dre, Il cfpcroic que le terrein de cette de la Californie. 159 miffior» feroit infiniment plus propre pour le grain & les pâturages , que celui de Cadigomo ; il fit conftruire une éclufe & un réfervoir, mais ces peines furent perdues , tant à caufe de la vi >lence des torrents que de la parelfe des Indiens. Celui de la Conception avoit beaucoup foufFert du dernier orage , cependan aorès quelques années de travail , il vi.;; à bout de bâtir une é^Iife & une mai- fon , & de cultiver plulieurs champs de maïz , tant pour lui que pour les Indiens. Une autre entreprife fort dif- ficile , fut de pratiquer un chemin pour les bctes de charge jufqu'à la million de Sainte-Rofalie , qui étant la p'us proche, étoit au Mi la plus à même de lui fournir des pr vifïons , les villages de Saint-M chel & d-j Saint- Xavier le trouvant hors de la route indépendamment du danger & de la difficulté du chemin. II dir'gea plu- fieurs a nées cette nouvelle million , & il fuffit de dire , pour prouver fa ferveur & fon zèle , qui malgié la foiblefle de fon tempérament, & les maladies auxquelles il étoit lujet , il i6o Histoire ^'étendit plus de \e lieues dans un pays montagneux & coupé , & ha- bité par plus de quarante communau- tés , qui n'avoient aucune demeure fixe. Il en inflruifit & en civilifa trente trois , &. batifa près de deux mille âmes ; & forma de ces malheureux fauvages une des millions les plus nom- breufes & les mieux gouvernées qu'il y aie dans cette contrée du monde. Le Père Ugarte , animé par la bonne difpofirion des Cours de Madrid Se de Mexico, entreprit d'exécuter une entreprife , dont lui feul étoit capa- ble de voir la fin. Il mouroit d'envie de reconnoitre les deux côtes du golfe de Californie , &c de déterminer exac- tement h elle étoit contiguë ou non au continent de la Nouvelle-Efpagne , de quoi plufieurs p donnes doutoient malgré les découvertes du père Kino, foupyonnant qu'il pouvoit y avoir en-» tre Lorette & le Rio Colorado un canal ou un décroit par lequel le golfe çommuniquoit avec la mer du fud , & par où les vaiifea ;x qu'on difoit avoir autrefois fait le tour de h Cali- fornie , avoient paffé. 11 n'étoit pas de h a Californie. ;6r moins imparient de reconnoître par mer la côte du fud , & de trouver un port pour Je vaifleau des Philippines, non leukment parce qu'on avoit eu cet objet en vue dès le commence- ment de la conquête , mais encore , parce que fes fupérieurs le lui avoient recommandé de la part du Viceroi, comme un anicle contenu dans les ordres de Sa Majefté; il falloit pour une pareille expédition un bon vaif- feau b & il n'y en avoit aucun dans ces mers. Le Saint-Xavier ne valoit rren pour cet ufage , '& ce!ui t.u'avoit donné le Viceroi ne va'oit guères mieux. En acheter un à Acapulco > c'éroit s'expofei à erre nompé comme la piemièrç tois ; car les Péruviens fe mettent peu en peine de la force des VailTeâux , l'expérience leur ayant ap- pris qu'a l'exception de certa ns vents périodicues , cet e mer eft toujours fort calme. En conftru re un nouveau fur les cô es de la Nouvelle Efpagne, c'eût été vouloir jeter les hommes & l'argen dans la mer, & il avoit par- devers lui de rrop fortes preuves de l'ignorance , de la mauvaife foi & de r^2 H i s r o i n b la fcélérateiïe des cot flru&eurs & des charpemiers du pays , dans les diver- fes barques qu'ils avoient conftruires, telles que lu Saint Firmin , le Saint- Jofeph , & Notre Dame du Rolai e, On eût pu en trouver un dans les Philippines , où l'on en conftruit au- jourd'hui de toute forte de port , & l'on en eut été auirte pour attendre. Mais le (ylrême de com neice d'Efpa- gne & du Mexique a trouvé un azile & un refuge aux Philipp nés , auquel on ne fongeoit point alors , malgré les lumières que donnoient là-deflus les ordres de Philippe III . * 11 ne ref- toir donc d'a:tie reffource que d'en conflruire un dans 1 ; Californie, con- trée pauvre & ilerile , ou l'on ne trouve ni bois , ni voiles , ni corda ;es , ni goudron , ni autres chofes néceflaires pour un pareil ouvrage. Dai'leurs, où. prendre des conftrucfeurs , des charpentiers, des (cieurs & autres ou- vriers , & cornaient les Lire fubdf- ter ? * Voyez l'ordre de ce Prince du 19 d'Août 1706, Part. II. Sctt. IV. de la Californie. 16% Ces difficultés paroilToient d'autanc plus iniurmontables, que la million , même uvec le nouveau fecours qu'elle venoit d'obtenir, fe trouvait dans un très grand embarras, vu l'augmenta- tion de la g.unifon & des dépenfes ; & cependant il n'y avoit point d'au- tre moyen pour exécuter les ordres du Roi , auxquels l'avancement de la religion é oi: attaché. I e père Ugar- te entreprit, &i acheva heureufement cette tâche difficile. 11 fit venir un conft' ucteur & des ouvriers à Lorette, dans le deflein de tuer le bois de la côte oppofée , ainli qu'il l'avoit pra- tiqué pour la condrucho: de fes ég!i- fes, n'y ayant point de bois de onf- truôion dans les co strées de la Ca i- fomte qu'on avoit décoiv rtes juf- qu'alors. Cependant , les Indiens lui ayant dit qu'à 70 lieue au nord de Lorette il y avor des futaies , il fe tranlpora dans le moi de Septem- bre 1 iy à Mu'ége avec le conduc- teur, deux fold t> & que'q es In- diens. 11 en partit avec le pè e iftia- ga , rravcrfa ces m • tagnes efearpées. fe folle & extrava- gante. Il ne perdit cependant point courage ; il retourna aux montagnes, & dans l'cfpace de quatre mois, non feulement il fit abattre les arbres , ma s pratiqua encore un chemin de 3c lieue-; , par 011 il les fit conduire jufqu'au rivage de Sainte-Kofalie Mu- lége , avec les bœufs & les mulets qui appartenoient à la million. [1 n'y eut que trois charpentiers de la cote oppofee qui l'aidèrent dans cette cou- pe , tous ;es autres étant de<« chrétiens de la Californie , ou des Gentils des Communautés de la Californie. 26$ Communaurés voifir.es. Il les fit tranf- porrer par les fauvages des montagnes, qu'il prit occafion de civtlifer & d'inf- truire de. principes de la vertu & de la religion. Oefl: ainfi qu'il vint à bouc de faire conftruire un vaiflfeau , qui , au jugement des conftrudeurs de l'A- mérique & des Philippines, l'empor- toit pour la beauté , h groffeur , la force & les proportions fur tous ceux qu'on avoit vus fur ces côte. ; & ce- la en 11 peu de tems , qu'il le fit lan- cer à l'eau au m nisde Sept:mbre t 70c», & le nomma le Triomphe de la Croix. La conttruétion de ce vailTeau acheva depuifer les provifions & l'argent de la million , ce qui n'empêcha pas les Indiens de prendre leur pkance or- dinaire. Il n'épargna pas ra^rae les préfens que lui avoient fait les amis qu'il avoit au Mexique ; & cependant lorfqu'on vint à examiner les comp- tes , on trouva qu'il coûtoit beau- coup moins que ii on l'eût acheté dans la Nouvelle-Efpagne. Pendant que l'on conftruifoit ce vaiflfeau dans la Californie , le feul eje fon efpèce qu'on eût vu jufqu'alors , Tome II, Z 2 66 Histoire la mifîïon reçut un nouveau vaifleau &. un nouvel Agent , pour diriger Tes affaires temporelles. La barque du Pé- tou que le Viceroi avoit donnée ayant péri dans le mois d'Août i 7 i 9 , & la Californie fe trouvant réduite à l'é- troit par les dépenfes ordinaires & ex- traordinaires qu'il avoit fallu taire à Mulége pour l'entretien des nouveaux foldats éc des ouvriers , le frère Jac- ques Bravo Te rendit en qualité d'A- gent ou de Procureur fur la côte de Cinaloa , pour y acheter les provi^ {ions & les effets dont on avoit be^ foin. Il trouva en y arrivant des let- tres du père Alexandre Romano fon Provincial , par lefquelles il lui or- donnoit de la part du père Tambu- rini , Général de l'Ordre , de fe ren- dre à Guadalaxara , pour y recevoir la Prétrife , pour qu'il pût faire la fonction de Millionnaire dans la Ca- lifornie. Le Frère Tut extrêmement furpris de cet ordre , mais il fallut obéir. Etant donc arrivé à Guadala- xara, il y reçut au bout de trois jours les ordres des mains de Don Manuel de JYlembela, lequel lui témoigna une delà Californie. i6j affection vraiment paternelle. De-la il fut au Mexique , par ordre du même Provincial , pour y rendre compte ne la million. On avoit un très-grand be- foin de vaifîeau ; car, quoique la Be- landre fût achevée , elle étoit plus propre pour faire des découvertes , que pour tranfporter des marchandi- fes & des provifions. Ce fut ce qui l'obligea à en faire la demande au Marquis de Valero comme Viceroi, Celui-ci renvoya le Mémoire au Tré- foricr , à la chambre des Comptes & à celle du Conleil , qui avoit été chargée jufqu'alors des affaires de la Californie. Le Confeil ordonna le i 5 de Mars 1720, que l'on remît au frère Jacques la barque dont le Vi- ceroi avoit parlé , avec les armes & les agrès nécelTaires. La barque n'é- toit point à Acapulco , mais à Gua- tulco , de manière qu'elle ne fut de reunir qu'au' mois de Juin. Sur ces entrefaites, le Marquis de Villa-Puente qui fentoit la néceflké qu'il y avoit de civilifer & de réduire les Guaycu- ras , avança le fond ordinaire pour établir une nouvelle million à la Paz , Z ij 268 H l S T O 1RS & voulut en même tems que le père Bravo en fût le Fondateur. Celui-ci accepta d'autant plus volontiers Ton offre , qu'il craignoit extrêmement pour cette entreprife. Il fit voile au mois de Jiiillet avec fa nouvelle bar- que pour Acapulco, portant avec lui les hardes , les utenfiles néceffaires pour la garnifon & la million. Il tou- cha à Matanchel pour y prendre des provihons , & arriva au mois d'Août dans la baie de Saint -Denys, où il trouva la nouvelle belandre. La même année 1720 fut remar- quable par la fondation de deux nou- velles millions , l'une au midi & l'au- tre au nord de Lorette, lefquelles en affinant la conquête , contribuèrent beaucoup aux progrès du Chnftia- nifme. La première & la plus nécef- faire étoit celle de la baie de la Paz t à 80 lieues de Lorette, parmi les Guaycuros , qu'on nomme Pericues dans ces contrées. Ce nom de Guay- curos leur fut donné dans les premières expéditions , fur ce que les foldats en- tendirent les Indiens s'appeller les uns lei autres Guaxoro , Guaxoro , mot de ia Californie. 169 t[m dans leur langue lignifie ami. Ils les appellcrent depuis ce tems-là G d- xoros , & dans la luite Guavcuros. Depuis l'expédition de l'Amiral Oron- do, ces Indiens fe (ont toujours mé- fies des Efpagnols, & ont fait !a guerre a tous ceux qui font venus fui leurs côtes. Les deux partis en fourrroie.it également , y ayant toujou s quan- tité de perfonnes de tuées ou de pri- fjnnières dans ces fortes de rencon- tres. 11 étoit donc à craindre que ces Guaycuros n'excita'Tent tôt au tard une révolte, même parmi les nations converties ; c'efl: ce qui engagea le père Salva-Tierra à leur faire cette vi- fîte ir.fiu&ueufe dont on a parlé. Il falloit entrer tout-à-la fois dans leur pays par terre & par mer; par terre, pour ouvrir une communication avec Lorette , & civilifer les nations qui font entre deux , & par mer , pour tranfpoirer plus aifément les hommes, les provifions & les autres chofes né- cefTaires pour une entreprife aufli dan- gereufe. On confia l'expédition par terre au père Clément Guillen, Mif- fionnaire de Saint Jean Baptifte Ligui. Z iij 170 Histoire Le père Ugarte fe chargea de celle par nier , & eflaya pour la première fois la belandre Californienne , appelée le Triomphe de la Croix. Il s'embar- qua avec le père Bravo, lequel defi- roit ardemment d'entrer dans la mif- fion le 1 de Novembre 1721 , & étant heureufement arrivés à la Paz, on débarqua les troupes avec tout le foin ex l'ordre requis dans un pays ennemi. iMais il parut bientôt que le danger n'ètoit point aufli grand qu'on fe l'étoit imaginé ; car quoiqu'on eût apperçu de loin quelques Guaycuros armés , ils ne virent pas plutôt avan- cer les Pères avec un interprète In- dien , qu'ils s'affirent par terre, pour leur donner à connoître leurs difpo- iitions pacifiques. Les Millionnaires leur diftribuèient quelques pièces de gros drap , des couteaux , des raloirs & quelques autres utenfiles & ba- bioles femblables , accompagnant leurs préfens de quantité de geftes affec- tueux. Ils les reçurent avec beaucoup de joie, & pâturent en faire grand cas. On leur fit dire par les inter- prètes Indiens que les Pères venoient n e ta Californie. iyi en qualité d'amis, & dans le defle'm de les reconcilier avec les habitans des îles de Saint-Jofeph , du Saint- Efpric , 6c aunes peuples voiiîns , qui portoient une haine mortelle aux Guaycuros , & qui en avoient maf- facré un grand nombre. Ils parurent en être très-contens , mais on s'ap- perçut pendant plusieurs jours qu'ils craignoient les foldats ; ils s'y habi- tué; enc enfin , & vinrent les trouver, racine des Communautés les nlus éloi- gnees, y étant principalement encou- ragés par les trois pnfonniers que le père Salva-Tierra avoit laiffes , & qui avoient eu foin de leur vanter le bon traitement qu'on leur avoit fait à Lo- rette. Cela joint au talent iing :lier qu'avoit le père Ugarte de fe faire refpecter & aimer des fauvages, donna une fi bonne tournure aux affaires 9 que l'on conftruifit des berceaux 8c des huttes pour les loger, & qu'on écîaircit un cerrein pour bâtir l'Eglife & le village. On débarqua les provi- fions & les betes qui étoient fur la Belandre , & l'on fonda la nouvelle million , ce qui caufa une joie inex- primable aux Guaycuros. Z iv 273 Histoire On étoit cependant inquiet de ne recevoir aucune nouvelle de la com- pagnie du père Guillen. Il étoit parti avec quelques foldats & quelques in- diens j mais !a route étoit li mauvaife » quilb furent obliges de faire plus ce ioo lieues avant d'arriver à la vue de la baie, où ils virent la belandre, Cjii'ils faluèrent d'une décharge de moufquèterie. On envoya fur le champ des bateaux pour les chercher , & ils débarquèrent fans trouver la moindre oppdition de la part des Guaycuros, eV ans que ceux-ci témoignaflent la moindre crainte. Le père Ugarte fé- jouira trois mois à la Paz, & (e fit extrêmement aimer des Sauvages. Il négocia la paix entre eux & les In- fulaires , & engagea même ces derniers à venir s'établir dans le Continent , où les deux parties fe donnèrent ré- ciproquement des marques d'une par- faite réconciliation. Ils le prièrent inf- tamment de les fouftraire à la ty- rannie de divers autres peuples. En conféquence il laifla le père Bravo avec quelques foldats pour veiller à leur fureté , & s'embarqua yers la fin de la Californie. 275 de Janvier 17Z1 pour Lorette ; les Li^ >i retournèrent par les nouvelies roures qu'on avoir pratiquées dans ces déferts. Le pcre Bravo, comme on vient de le dire , étoit reflé avec un petit nombre de foldats. Il commença dans cette million, de même que dans toutes celles qu'il fonda depuis , à ap- prendre la lingue du pays; après quoi il bâtit une ég;ife , un prelbytère & des huttes , & s'attacha avec la plus grande alliduité à gagner l'affection des Indiens , à les civilifer , les ins- truire & les alfifter dans tout ce qui dépendoit de lui. Il continua ces de- voirs vériabieme;:t chrétiens jufqu'en 1728 , qu'il retourna à Lorette, pour aflïfler le père Piccolo , que (ou grand âge & fa mauvaife fanté empêchoient de vaquer aux fonctions de fon mi- niftère. 11 bâti 'a dans l'efpace de lïx ans plus de 600 enlans & adultes , & augmenta la million de 800 adultes qu'il rafTembla dans trois villages , fa- voir, Nueftra-Senora de Pilar de la Paz , Todos-Santos , &l'Angelde la Guarda. Il engagea plufïeurs fauvages à vivre en paix avec leurs voiiins, & 2 74 H 1 S T 0 1 * E découvrit à 20 lieues de la Faz quel" ques cantons favorables pour le maïz » qu'il eut foin de faire cultiver. Pendant le féjour que les trois Mif- fionnaires firent à la Paz , on fonda la million du nord fous la protection de Nutitra-Seûora de Guadalupe , ( Notre - Dame de la Guadeloupe ). Pendant celui que fit le père Ugarte dans les montagnes pour faire couper les arbres dont il avoit be'oin pour conftruire fa belandre, il inlpira aux Cochimies de ces cantons tant d'a- mour pour le Chriftianifme, qu'il lui envoyoient tous les jours des meifa- gers , pour le prier de venir les vi- fiter une féconde fois. Le Père fe rendit à leurs prières , & partit avec le père Everard Helen , nouveau Mil- lionnaire qu'on avoit envoyé dans la Californie d^ns le mois d'Avril 1719. En fe rembarquant pour la Paz , il donna ordre de commencer cette fon- dation, & y envoya auflitôt après le père Helen , qui avoit commencé à apprendre la langue d'un Indien. II partit fous l'efcorte d'un Capitaine 8c de quelques foldats , & arriva le ^8- de la Californie: 275 de Décembre 1720 à Huafinapi , à 60 lieues au nord de Loretre. Ce pays eft fitué par le 1 jc degré de latitude feptentrionale au centre d'une chaîne de montagnes , à 27 lieues nord-oueft de Saint-Ignace 3 & 30 de la Conception, (on climat eft froid & mal fain. Les Indiens y ac- coururent de toutes les communau- tés voifines , & témoignèrent beau- coup de joie de ce que le Père ve- noit vivre parmi eux. 11 commença auflitôt à bâtir une églife qu'il dédia à Notre- Dame de la Guadeloupe. Il Cil auflî confbuire des cabanes & des huttes pour les Indiens ; & ce qu'il y eut de plus extraordinaire dans cette occalïon , fut que le Capitaine & les foldats , contre leur coutume ordi- naire , mirent la main à l'œuvre. Au milieu de ces fuccès , il reçut auiîi divers meflages des Communautés les plus éloignée* , par lefquels on le prioit de venir infhuire les malades & les vieillards, qui étoient déjà hors d'é- tat de fe rendre à la million. Dans ces entrefaites, le Capitaine & les foldats avancèrent li fort les iy6 Histoire petits édifices de la iniffion , qu'ils furent achevés au bout de fix ferrai- lles ; après quoi le Capitaine s'en re- tourna, & laiffa quatre foMats au Père pour lui fervir de gardes , ne jugeant pas à propos d'en laifîcr moins , à caufe de l'éloignement des lieux, & du peu de fond qu'il y avoit à faire fur les Indiens. Ceux-ci perfùlanc tou- jours dans leur première ferveur , le père Helen batifa pour la piemière fois les adultes la veille de Pâques 1721 , ce qui engagea plufieurs au- tres Comm.inau es éloignées à lui de- mander la même grâce , mais le Père leur dit qu'il ne la leur accordes oit qu'après Qu'ils feroient inftruits , & qu'ils lui auroient apporté les petites pièces de boi^ , les cheveux, les man- teaux , les pieds de bêtes fauves , les perruques , & quantité d'autres cho- ies dont ils fe fervoient pour faire leurs preftiges & leurs fortiléges , comme l'avoient fait ceux qu'il avoit batifés. C'elt ce qu'il eut de la peine à obte- nir , ceux d'entr'eux qui avoient le plus dV'pnt (e fe-vant de cesfraudes pour s'attirer la vénération de leurs de la Californie 2 77 compatriotes, & en obtenir ce dont ils avoient befoin. Il eft vrai que le Père ne trouva chez eux aucune ido- lâtrie formelle, ni fortilége, ni pacte avec les malins efpiits ni autre chofe femblable. 11 fe convainquit même par pluheurs exemples réitérés que ceux qu'ils appeloient des forciers , étoient des francs impofreurs , qui préten- doicnt avoir reçu du Ciel le pouvoir de faire du bien ou du mal , & que ceux qui s'adonnoient le plus à ce commerce étoient les vieillards , les- quels ne pouvant plus aller chercher leur fubiiftance dans les montagnes & les forêts , fe fervoient de cet ex- pédient pour vivre à leur aife & dans l'abondance. Ils fe donnoient aufîi pour médecins, & fe vantoient d'en- îeigner aux enfins une infinité de chofes utiles & furprenantes ; mais tout cela n'étoit qu'une irnpofture , & ils n'avoient en cela d'autre but que de fubiïfter du travail d'autrui. * C'étoit-là cependant ce qui retardoit * Vy. Pan. I. Scti. VU. Î7$ H i s r o i r e le plus les progrès du Chrifr.ianifme,' & de là vint que le père Helen , à l'exemple des autres Millionnaires , infifta à ce qu'ils lui apportaient tous les inftrumens de leur fuperftition. Les Indiens y confentirent enfin , & lui en remirent quantité qui fit brû- ler publiquement. Les deux années fuivantes ijzi & 1723 furent extrêmement funeftes à la Californie , & particulièrement à la nouvelle mi'îion de Guadeloupe. L'an 17:1 , toute la Péninfule fut infeftée d'une multitude prodigieufe de fauterelles , qui prenant leur vol interceptoient quelquefois la lumière du foleil. Clles détruifèrent entière- ment les pitahayas & les autres fruits dont les Indiens font leur principale nourriture , de manière que fi les Pères n'euiTent eu foin de leur diitri- buer du maïz , il en feroit mort un très - grand nombre de faim. Mais comme il n'y en avoir pas alîez pour les nourrir , furtout à Guadeloupe , les Indiens entreprirent de détruire ces infectes , pour prévenir un pareil jmalheur l'année fuiyante , & s'en nour- he là Californie. 179 rirent dans la difette où ils fe trou- voient : mais ils leur caufcrent des maladies épidémiques compliquées d'ulcères malins , qui en firent périr une grande quantité. Il eft impoffi- ble d'exprimer les peines que fe dorï na le père Helen, dans cette occafion pour procurer du fecours aux pauvres Californiens. Il étoit fans celle à cou- rir d'une Communauté à l'autre dans ces montagnes efearpées , fûfant les fondions de confefTeur , de prêtre, de nourriflïer & de père. Son cœur ctoit pénétre de la plus vive douleur à la vue de tant de maux compliqués; mais rien ne le toucha plus que le récit qu'on lui fit de l'inhumanité monftrueufe de quelques Commu- nautés , qui, lorfque quelque Indien tomboit imalade , & avoit encore chez lui de quoi fubfiiter /d'enter- roient tout vivant , ou le couvroient de broflailles , & le laifToient périr. A peine cette épidémie eut -elle cefTé , qu'il furvint l'année fiiivantç 172.$ une dyfenterie qui fit un ra- vage affreux. Le Père ne rabatit rien, de fon premier zçle , & fe ménage* aSo H i s t o i * s Ci peu , qu'il contracta une hernie très- dangereufe , & une fluxion fur les yeux , accompagnée de douleurs It aiguës, qu'il fut obligé de fe retirer pour quelques mois à Lorette , Se l'on envoya un autre Religieux en fa place. Il ne fut pas plutôt guéri qu'il retourna à fa million , où fe> Indiens le reçurent avec toutes les marques poflibles d'eftime & de vénération. Pouvoient-ils en effet en agir autre- ment , après avoir été témoins des foins qu'il avoit pris de 2i8 adultes chrétiens de diverfes Communautés qui moururent dans ce tems-là , indé- pendamment de quantré d'autres , qui, après Dieu , durent entièrement la vie aux fecours qu'il eut foin da leur procurer. 11 profita de cette bonne volonté des Californiens pour étendre la Religion Chrétienne , au point que le père Jean de Gandulain , dans la vilite qu'il fit en 17.6 , ne trouva pas moins de 31 communau- tés converties, lefquelles contenoient 1707 chrétiens de tout âge & de tout fexe. Quelques-uns de ceux-ci furent incorporés à la million de Sainte-Ro- faiie delà Californie. 281 falie Mulége , & les autres à celle de Saint-Ignace , que l'on fonda depuis, fa fit nation ayant paru plus commode pour eux. 11 y eut vingt communau- tés difperfées dans les montagnes , qui reftèrent attachées à la million de Gua- deloupe , félon que l'eau le leur per- mit. Les Pères en formèrent cinq vil- lages , qui avoient chacun leur cha- pelle , où les Indiens continuèrent de vivre avec l'ordre & la dévotion qu'on a vu ci-deflus. On reconnut que les montagnes étoient hors d'é- tat de produire du grain ; & de là vint que le Père eût foin de leur procurer quelques beftiaux, qui joints au maïz qui lrur difiribuoit , con- tribuèrent à les faire fublifter. Le terrein produit encore quelque^ fruits & quelques végétaux , qu'ils vont cueillir par petits détachemens. Il n'y a point de travaux fous lefquels la nature ne fuccombe, lorsqu'ils (ont violens & continuels ; aufii le père Helen retomba dans fa première ma- ladie , indépendamment de plufieurs autres qui s'y joignirent. Jî vouloir cependant mourir parmi fes Indiens, Tome. II, A a 18a Histoire mais fcs Supérieurs qui «.'intérefïbient plus a fa confjivation qu'il ne le fai- foit lui-même, l'envoyèrent dans !a Nouvslle-tfpagne; & il quitta la mif- fion de Guadeloupe à la fin de l'an- née 1735. # W a. * .\rj^ :fe i * 2$ "$T* 4g» *K de la Californie. 283 SECTION XV, Le père Guillen va reconnaître la côte occidentale , & le père Ugarte celle du golfe de Californie jufquau Rio Co- lorado. On découvre trois ports fur celle de la mer du Jud. \^J N defiroit depuis longtems de dé- couvrir fur la côte occidentale de la Californie un poitcommode pour les vaifTeaux des Philippines , & ce defir fe ranima a l'occafion de l'ordre qu'on reçut de Son Excellence le Marquis de Valero, lequel pour fe conformer aux ordres de la Cour de Madrid , prenoit les mefures néceflaires pour établir des colonies & des garnifor.s fur cette côte, il falloit trois opéra- tions pour exécuter ce defïein. La pre- mière étoit de reconnoître exactement par mer toute la côte méridionale de- puis le cap de 5a;nt-I ucas en tirant ver; le nord, connue l'avoit fait dans le fîècle palïé le Capitaine Viicaino» A aij ■2^4 H 1 S T 0 I R E Mais c'eft ce que les Jéfuitcs étoient hors d'état d'exécuter malgré la con- fiance qu'a-voit le père Ugarte d'y réuiïir. Car fî avec quantité de bons vaifTeaux parfaitement bien équipés & ravitaillés , fi avec les reiïburces eue l'on trouvoit dans le tréfor royal , le voyage de cet Officier fut accom- pagné de tant de dangers , de délais & de conrretems, comment la million de Californie pouvoit-elle tenter cette entreprife avec fes vaifleaux, fes pro- vilions & fes gens? La féconde opé- ration é oir d'à 1er à la découverte de ce port par terre. On l'avoit tenté plufieurs foisj & avec des frais immen- ie , (ans avoir p<, y réuffir ; or après avoir parcouru par terre différentes pairies des côtes oppofées , on n'avoit pu trouver un port tel qu'on le cher- choit , & d'ailleurs le terrein n'étoit point propre pour un pareil établifïe- ment , n'y ayant ni eau , ni bois , ni pâturages , ni terres labourables le long de la cote. Il n'y avoit même point d'apparence que l'on trouvât une contrée plus favorable , vu que la cote ne s'étend pas plus loin vers le nord de la Californie, 285 que jufqu'aux millions qu'on a fon- dées. Cependant, pour prévenir les plaintes qu'on eût pu faire contre les Millionnaires , on chargea le père Clément Guillen de tenter de nou- veau l'aventure. La troifième opéra- tion relative au même delfein , étoit de reconnoître le golfe de Califor- nie , & de déterminer fi cette pénin- fule éroit contiguë au continent de la Nouvelle- Efpagne , comme l'aflii- roit le père Kino , ou fi c'étoit une île, & fi le eolfe fe déchargeoit par quelque pafTàge inconnu dans la mer du fud , en- deçà , ou au-delà du Rio- Colorado , comme on le croyoit alors au Mexique , où l'on ne (e raifoit pas fcrupule de traiter les découvertes du père Kino , de chimères , malgré l'applaudiffement qu'elles avoient eu en Europe. Suppofé que la Californie fut cbntiguë au continent, le projet qu'avoient formé les pères Kino & Salva-Tierra d étendre leurs m. (fions refpectives , fu» (iftoit dans toute fa force, encore qu'ils n'enflent pu l'e- xécuter. Le plan du pc e Kino étoit relatif à celles de Fimeria , & celui îS6 Histoire du père Saiva-Ticrra à celles de la Californie ; & on devoit les étendre jufqu'à ce qu'elles fe joigniffenc fur les bords du Colorado , par le $ 3;e ou 34" degré de latitude. Cela fait à l'aide de leurs efforts réunis, & des fecours qu'ils euflent pu fe procurer par terre , ils euflent étendu leurs territoires refpevitifs dans des contrées dont la bonté du fol les eût fuffifam- ment dédommages des peines qu'ils auroient piïfes de le cultiver , & ils auroient pouffé de la forte jufcju'à la côte du fameux port de Mome-Rey, & au cap Mendozino , lequel git par le 37" ou 40^ degié de latitude, où l'on eût établi un port commode pour les vaiffeaux des Philippines. Le père Ugarte fe chargea de reconnoître le golfe , malgré les difficultés & les dan- gers de cette entreprife ; & pendant qu'il faifoit les préparatifs nécefTaires, il pria le père Guillen d'exécuter l'ex- pédition dent on l'avoit chargé. On fçavoit par la relation du Ca- pitaine Vilcaino , qu'érant arrivé à la latitude de 24 ou de 15 degrés , il avoic découvert fur la côte de la mer de la Californie. 187 du fud une baie fpacieufe , ou les vaiiïcaux étoient à l'abri de la vio- lence des vents & des flots , à laquelle il avoir, donné le nom de la Magdeleine. Comme cet endroit avoit déjà été dé- couvert par mer , & qu'il n'étoit pas difficile de le ieconnoître par terre, ce fur auflî vers lui que le père Clé- ment Guillen dhiga fa courfe l'an 1719, a compagne du Capitaine Don Eftevan Rod'iguez ! orenzo, d'un dé- tachement de foldais , & de trois corps d'Indiens armés à la manière du. pays. Ils voyagèrent pendant vingt- cinq jours avec toutes les peines & les fatigues auxquelles on doit naturelle- ment s'attendre dans un pays aufli rude & auffi défile ; & comme les Indiens prenoient l'allarme à la vue de ces étrangers , ils étoient obligés de marcher avec le plus d'ordre & de circonfpection qu'ils pouvoient. lis arrivèrent enfin à la baie de la Mag- delaine, laquelle eft dans le diftrict de la mi/lion de Saint-Louis de Gon- zague , qu'on a fondée depuis. Cette baie cft entourée de toutes parts de hautes montagnes qui la mettent à 2Î?8 H I S T Ô 1 M E l'abri des vents, elle a environ demi- lieue de large , & s'étend vers le cap de Saint- Lucas. Ils trouvèrent auprès une communauté d'Indiens, avec les- quels iis lièrent amitié , au moyen de quelques perits préfens qu'ils leur firent. Ils leur demandèrent où il y avoit de l'eau, & ils leur dirent qu'il n'y en avoit point d'autre que ceile dun puits creufé dans le fable , dont les Indiens Te fervoient p>ur les dif- férent befoins de la vie. Ils ajoutèrent qu'il y en avoit beaucoup dans une île. voifine appellée Sainte Rofe , où ils alloient fouvent : n ais ils ne purent s2)' rendre faute de b.teaux Ils ne trouvèrent point ces coquillages cou- leur d'azur, ni ces lits de perles, qu'on difoit être fi communs fur cette côte. Comme ils fçav oient que la baie avoit âçux entrées , le Capitaine détacha quelques-uns de fes iolcat^ pour aller reconi oitre celle du côté du fud , avec ordre de fuivre lé Coin du ruiffeau, & d'obieiver ii l'autre bras de la baie qui forme le port du Marquis , four- nifïoii de l'eau douce. Ils découvrirent cette féconde embouchure , mais ils trouvèrent delà Californie. 2S9 trouvèrent que le ruiffl-au , avant d'ar- river à la mer, traverloit quelques étangs d'eau faumâtre , de manière qu'il étoit impoflible que les vaifleaux puiTent y faire aiguade. Cette décou- verte les engagea à reconnoître tout ce canton; mais ils rencontrèrent dans quelques endroits des rochers inac- celliblcs , & dans d'autres des marais impraticables qui les obligèrent à pren- dre un détour pour arriver à la com- munauté de Saint- Benoît d'Aruy , à quatre lieues de la mer, ou les In- diens leur dirent qu'il n'y avoir poiuc d'eau fur la côte. Tous nos gen s fe rendirent dans cet endroit , & le père Guillen mit tout en ufage pour les engager à reconnoîcre ce qui iei- toit de la cô:es du moins aufli avant qu'ils pounoient du coté du fud. Le Capitaine & les foîJats reculèrent de le faire, & les Indiens le pre:ic:ent de retourner à Loretce. Le père Gui.i- len fut donc obligé d'abandonner cette entrcprile & ce s'en retourner ; il prit avec lui quelques Indiens de la côte pour lui fervir de guides , & arriva à Lorette au bout de quinze jours , Tome IL 13 b i$o Histoire après avoir fait environ foixante & dix lieues de marche. L'entrepnfe dont le père Ugarte s'étoit chargé , fut plus heureufe , mais ce bonheur fut compenfé par les fatigues & les dangers qu'il eut à efluyer. 11 partit le 15 de Mai 1721 de la baie de Saint-Denys de Lorette avec la belandre appollée le Triom- phe de ia Croix , menant avec lui une chaloupe appellée la Sainte- Barbe , qui avoit lix pieds de largeur, onze de quille, mais qui n'étoit point pon- tée. Elle é:o:t deftinée à foncier , & à reconnoître les endroits où la be- landre ne pouvoit approcher. Il y avoit à bord de la Belandre vingt per- fonnes , parmi lefquelles étoient lix Européens , dont deux avoient pafle le détroit de Magellan ; & un autre , qui indépendamment de la connoif- f. ir.ee qu'il avoit acquife de l'Océan Atlantique , avoit fait un voyage aux Philippines, & avoit été conduit pri- fonnier à Batavia , loi fque le Galion fut pris au cap Saint- Lu cas. Il y en avoit un autre qui avoit fait plusieurs voyages à Terre-Neuve, tous les au- de i a Californie. 2 «j i très é oient des Indiens du pays. Le pilote , appelle Guillaume Eitraiort , étoit très tçavant & très entendu dans fa profefiion. Il y avoit fur la PinaiTe ou chaloupe huit perfonnes, favoir , deux Chinois ou Philippins , ( ces deux mots font fynonimes dns la Nouvelle-Efpagne ) un Indien Hiaqui, & cinq Californiens. Ils prirent très*- peu de provisions , eu égard à l*in- ccriitude du voyage qu'ils alloient Lire, le flattant d'en trouver autant qu'ils en auroient befoin fur la côte oppofée des Seris , ainli que le leur avoit dit , un an auparavant un Mil- lionnaire de Pimeria. Us fe rendirent par un très-bon vent à la baie de la Concep ion & à la rivière Mulége, où. le père Ugarte fut viliter .la million de Sain'e-Ilofaîie , & ie père Siftiaga 11 la défervoit. Ils commencèrent dès cet endroit à lever la caitede la côrc de la Californie jufqu'auprès des îles de Sal li-puedes 5 d'où traverfant le goKe, ils fe rendirent au port de Sainte-Sabine , & à la baie de Saint., Jean- Baptifte qui font près de ces îles fur la côte des Tepocas & des Saris. Bbij iyi Histoire Ils arrivèrent dans ce port au bouc de cinq jours, mais ils ne trouvèrent: point d'Indiens fur le rivage , quoi- qu'avant de débarquer ils en eufTent vu un , qui après avoir planté une croix dans le fable fe retira. Nos gens s'en approchèrent auiïitôt avec des grandes marques de refped ; là-def- fus l'Indien fit un cri, & auffitôt fes camarades , qui s'étoient cachés , ôi qui avoient apperçu une croix au haut du beaupré de la belandre, vin- rent les trouver fans témoigner la moindre crainte , leur faifant toutes fortes de {ignés de paix & d'amitié. Le père Salva-Tierraleur avoit appris ces lignes , & leur avoit recomman- dé de faire un bon accueil à tous les équipages des vaifleaux qui porteroienc une croix , parce qu'ils appartenoient a.ix Millionnaires de la Californie, Les Indiens étoiçnt fî impatients de voir le Père , qu'au lieu d'atten- dre qu'il fût débarqué , plufieurs fe jetèrent à la nage , & furent le trou-j ver à bord, lui embrafïèrent les ge-j noux , lui baifèrent les mains & la| Yifage , $c lui dpnnçrent mille autre»] de la Californie. 291 marques d'amitié. Le Père répondit à leurs poliretfes , & régala tant ceux qui étoient venus le trouver , que ceux qui étoient reflés fur la côte. 11 y en eut deux qu'il chargea d'une lettre pour le MiiTiqnnairc de Saint-Ignace , qui lui avoit offert des provifïons , après leur avoit fait prcfent d'une robe de canevas, & de quelques ba- bioles. On débarqua enfuite les ton- neaux qui étoient vtiides , ce qui pa- rut occafionner une difpute parmi les Indiens. Ils fe retirèrent , donnant à entendre par leurs geftes qu'ils alloient chercher de l'eau pour les remplir, & qu'ils reviendroient le lendemain. Nos gens voyant que la nuit appro- choit , retournèrent à bord pour plus grande fureté. Les Indiens revinrent le lendemain de très- grand matin par troupes, avec des vaifleaux pleins d'eau. Les hommes en portoient chacun deux dans des poches de filet pendues aux deux bouts d'une perche qu'ils por- toient fur leurs épaules, & les temmes un. Le Père les récompenfa de ce fer- vice , & ils le prièrent inftamment de vouloir bien vifiter les Indiens des Bb iij 294 H I S T O I R E îles voifïnes, avec lefquels ils étoîent allies. Il fe rendit à leurs defirs , & partit dès le foir même arec deux Indiens de la côte. Le lendemain ma- tin à la pointe du jour , il fe trouva dans un canal fort étroit , qu'il crut féparer l'île du continent, fur quoi il réfolut de l'examiner. Pour cet ef- fet , il fit avancer le canot & la pi- nafle, mais il fe trouva peu de tems après dans un endroit , d'où il eut toutes les peines du monde à fortir, Le canal étoit fort étroit & tort (i- nueux , & de plus rempli d'une fi gran- de quantité de baffes , que quoique le pilote marchât le premier avec la chaloupe pour lui fervir de guide la belandre toucha pîufieurs fois, & fut fur le point de périr; mais on f« tira à la fin de ce mauvais pas. 11 ar riva un autre accident qui les mit for en peine^, ck ce fut que le canot & la pinaffe furent emportés par U cou rant , au point qu'on les perdit d< vue , ce qui obligea la belandre à remonter le canal malgré les danger qu'elle couroit à le taire. Enfin , après avoir marché troj de la Californie. 295 jours dans des dangers continuels , ils arrivèrent à l'entrée du cana! , ou ils trouvèrent la chaloupe & la pinafTe, mais au lieu d'entrer dans le golfe , comme ils fe letoient imaginés , ils fe trouvèrent dans une baie large &c fpacieufe , d'où ayant apperçu l'île où ils alloient , ils s'y rendirent fans ef- fuyer la moindre difficulté ni le moin- dre danger. La pinafTe alloit devant & Lirfqu'elle fut à la portée d'un coup de moufquet du rivage , on découvrit les peuples qui l'habitoient armes d'arcs & de flèches à la mode du pays , avec une efpèce de pot en tête lait de plumes d'oifeaux , lefquels jetoient des cris affreux, dans la vue d'intimi- der les gens qui la montoient. Là- defïus , les Indiens leurs compatriotes gagnèrent le rivage à la nage , & leur dirent que le Père venoit leur faire viiite, & qu'il étoit à bord du vaif- feau qu'ils voyoient ; fur quoi ils qui> terent leurs armes, reçurent nos gens avec de grandes démonîlrations de joie, & les conduifirent dans un port où ils trouvèrent de la bonne eau , en un excellent ancrage. La bclau- Bbir 2.$6 II 1 S T 0 1 R E dre vint y mouiller , mais le père Ugarte fut attaqué de douleurs fi vio- lentes depuis la ceinture en bas, qu'il lui fut impoffib'e de mettre pied à terre. 11 avoit contracté cette maladie dans le port des Seris , pour s'être mouillé en débarquant , mais cela ne l'empêcha pas d'aider les matelots à remplir les pipe?. Les infuîaires voyant que le Père ne venoit point, conilrui- iirent treize radeaux, fur lefquels cin- quante Indiens vinrent à bord de la belandre , pour le prier de venir dans leur île, où ils avoient préparé une maifon pour le recevoir. Quoique 1© mouvement lui fut extrêmement con- traire , il monta dans fa chaloupe, & îorfqu'il fut arrivé à terre , les mate- lots & les Californiens le portèrent dans fon logement , où les infuîaires l'attendoient fur deux haies , l'une ci'hommes & l'autre de femmes. Sa maifon ctoit faite de branches d'arbres ce avoic deux portes. Après qu'il fut affis , les infuîaires entrèrent les uns ap'.ès les autres fans le moindre tu- multe , d'abord les hommes , & en- lune Içs femmes. Ils entrèrent par une D E LA C ALI F O RN I E, 2^J porte, & pafierent devant lui en s'in- clinant , pour qu'il pût impofer (es mains fur leur tête , ce qu'il fît avec des grands fentimens de tendrefle , après quoi ils fortirent par l'autre , & tout fe pafla dans un ordre admira- ble. Tout le cérémonial fe réduifït à cette vifite paflagère , tous les In- diens s'afTemblèient enfuite autour de lui , & malgré les douleurs dont il étoit tourmenté , il le tint fur fou féant , pour leur témoigner plus de politefTe. 11 leur recommanda de fe rendre à la million de Populo , qui eft à deux ou trois journées de la côte voifine , & d'amener dans leur île un Indien Tçmachùan ou catéchifte qui pût les inflruire. Le Père refta peu ûe tems chçz eux, ayant é é obligé de retourner fur la côte , pour y pren- dre des provHïons. Il fe rembarqua, & continua fa route jufqu'à l'embou- chure de la petite rivière Caborca. Le feul endroit convenable qu'il trouva fur la côte , fut une petite baie ouverte , où il mouilla. 11 en- voya la pinafle pour reconnoître la côte plus avant vers le nord , & ob- 298 Histoire ferver les fignaux de Pimeria qui s'y trouvent, & qui confîftent dans quel- ?[ues bancs de fable qui font au-def- us de Cofta- Brava. Jl détacha auffi trois hommes pour l'aller reconnoître par terre. Ceux-ci revinrent au bout d'un jour ou deux , & rapportèrent qu'ils n'avoient trouvé aucune baie fur la côte, mais feulement un puits d'eau bourbeufe , un fentier , & les pas d'un mulet. Là deiTus , le Père détacha deux matelots , lesquels ayant fuivi la pifte du mulet , arrivèrent le troilième jour à la million de la Conception de Caborca , où ils trouvèrent le père Louis Gaillardi , qu'on y avoit en- voyé depuis peu. Us luij remirent les lettres dont le père Ugarte les avoit chargés pour lui & pour le père Millionnaire de Saint - Ignace , qu'il prioic de lui envoyer les provilions au'il lui avoit offertes l'année précé- ente. Comme il avoit déjà reçu la première lettre qu'il lui avoit faite tenir par les Seris , il partit auflîtôt avec les provifions qu'il put ramalTer, mais qui n etoient pas en quantité fuf- âfante , les deux uuilages étant arrivas v e la Californie. 299 dans un tems où il en manquoit lui-mc- me. Il eft vrai que le pcrc Ugarte lui avoit écrit qu'il étoit fenfible à fon oîlre , & lui avoit marqué le tems qu'il avoit fixé pour fon expédition ; mais ces lettres ne lui furent point ren- dues , ce qui lui fit conclure qu'il avoit différé fon voyage. Il ramaffa aufli à Caborca les vivres dont il crut que la belandre pouvoit avoir befoin , & fe rendit fur la côre où le père Ugarte attendoit le retour de fes me£- fagers : mais fes douleurs augmentè- rent fi fort , qu'il fut obligé de fe te- nir continuellement à genoux , cette pofture étant la feule qui le foula- geâr. Il y avoit déjà douze jours que tes douleurs l'emp; choient de fe ren- dre à terre ; il eft vrai que le mauvais tems en fut en partie la caufe , il s'em- barqua deux fois fur le canot, & deux fois on fut obligé de le ramener dans l'île. Cependant fur l'avis qu'il eut de l'arrivée du Mifilonnaire de Saint- Ignace , il s'y rendit avec beaucoup de peine & de danger , & fit une lieue & demie pour aller à fa ren- contre , & il trouva., que l'exercice l'avoit extrêmement fouhgé. 5«o Histoire Le père fut fort chagrin de lui roii apporter il peu de provifions, & dans le befoin preffant où il fe trouvoit, il prit les mefures néceîTaires pour en tirer des habitations les plus prochai- nes des Pima Indiens , partie à cré- dit, & parae en échange pour les ef- fets qu'il y avoit fur la Belandre. Il lui falloit auiîi de l'eau , & elle croit fort éloignée ; cependant il vint à bout d'en avoir en très-peu de tems , en plaçant de diftaace en diilance des gens qui fe faifoient palier les vaif- feaux de main en main. La mer étoit fi agitée que peu s'en fallut que la belandre ne pérît. Elle avoit déjà per- du un de fes. cables, & fon beaupré , quoique de maria, qui eft une efpèce do bois extrêmement fort , avoit été emporré par une vague , mais la mer en rejetta une partie dans la Belandre. Le tems s'étant remis au beau le len- demain , on arrêta le beaupré du mieux que l'on put , & l'on embarqua les tonneaux: mais l'équipage s'étant ap- perçu que la croix qui etoïc au haut du beaupré s'étoit perdue, il en fut is conlé^u- tifs que dura la tempête , la croix qui étoit au haut du grand mât , fut éc'air rée par le feu Saint Elme, * ce qu'il * Feu volant , qui s'attache quelquefois aux; taâts 8c aux vergues des vaifTeaux. C'eft un me'- ce'orc forme par les exhalaifons fulphureufes qui Relèvent de la mer. Les matelots veulent que ce foit un forcier fous la figure d'un globe 4e feu , & le poursuivent à coup de bâton. Ils in- toquent auili fatnt Elme, qui eil le Patron des Tome IL D d 314 Hisrotnz regarda comme une marque de îa protection divine , de (orre que mal- gré i?oppofition des courans , il réfo- lut de faire une troifième tentative, à laquelle ils mirent huit jours. Nos gens commencèrent enfin à perdre courage , Bt ayant apperçu un endroit convenable dans lune de ces îles , ils vinrent y mouiller dans le deflein de defcendre à terre. Cela étoit d'autant plus néceflaire, que parmi le nombre des gens qui compofoient l'équipage il n'en refloit que cinq en état de manœuvrer, les autres étoient ou at- taqués duicorbut ,ou du mal de mer, & le père Ugarte lui-même, indépen- damment de les autres indifpofitions , avoit aufli quelques atteintes de fcor- but. Ce fut en effet la Providence qui les conduifît dans cet endroit, car il s'éleva peu de tems après une tem- pête fi violente , que fi la belandre mm., I i *. «cns de mer. Il paroît quelquefois deux de ces feux , & alors ils font de bon augure ; de forte que bien loin de les craindre , les mariniers les faluent avec des iifflets , pour leur témoigner U joie qu'ils ont de le; voir. DELACALlFORlftg. $1$ fl'eût été à l'abri & parfaitement bien amarrée, elle eût infailliblement cou- lé à fond. Ils relièrent quatre jours dans ce port , mais les maladies du père Ugarte augmentèrent au point , qu'il réfolut de le rendre en chaloupe (ur la côte des Seris , & de -là par terre à Guaymas , au cas que la chofe fût poffible. Cette réfolutiou jetta l'équipage dans une (i grande conf- ternation , que le Pcre lu; promit de ne point l'.bandonner , dut-il lui en coûter la vie. Les maladies diminuoient de jour en jour, & le famedi 18= d'Août , ils furent poufîéi par un bon vent au de- là du troifième courant de Sal-li-puedes, lequel prend fon cours vers la côte de la Californie : on ne fçauroit exprimer la joie qu'ils eurent le Dimanche matin , Iorfqu'ils virent trois arcs-en-ciel l'un fur l'autre au- deffus de l'ile où ils étoient arrivés. Ils remirent à la voile , s'imaginant qu'ils n'avoient plus aucun danger à édifier ; mais ils n'étoient pas encore? arrives à labaie de la Conception , qu'il s'éleva tout-à-coup une tempête, eau- ce par un vent de nord- oueft par Ddij f T é H I S 7 0 I R S nord , fi violente , qu'à peine eurent- ils le tems de ferler les voiles de per- roquet , & de prendre deux ris à celle de mifiine. ! I furyint une nuit obfcure , accompagnée d'éclats de tonnerre ef- frayants , U pluie tomboit comme un rorrent des nuées, & la mer faiioit un mugiflement affreux , élevant (es vagues ç"»mme des montagnes. Mais it aucun , & omettoient au con- traire ceux cjui fe trouvent actuelle- menr fir les deux côtes du g >Ife de Cal i! or ne. L'extrait de ce voyage que j'ai en fn.in, n'entre point dans le détail d'aucune circonttance : s'il l'eût fait , je me ferois fait un plaifïr de les rap- porter , parce qu'elles eulTent fourni des connoiflances infiniment fupérieu- res à celles qu'on peut acquérir dans aucun autre voyage de cette efpèce. Je me contenterai donc de dire que celui dont je parle répondit à fa prin- cipale intention , qui étoit de déter- miner il la Californie ctoit une ile ou une péninfule adhérente au con- tinent de la Nouvelle Efpagne. On fut alors convaincu que c'étoit une péninfule qui n'écoit féparée de Pi- meria que par le Rio-Colorado ; & que ce qu'on difoit au Mexique des galions des Philippines , qui étoient $22 H l S T G I R M entrés par un canal dans le golfe de Californie en revenant dans la Nou- velle-Efpagne , étoit entièrement faux. On vit encore , que quand même il y auroit eu un canal de communica- tion entre le golfe & la mer du fud , il eut été impofîible à des vaiffeaux auffi gros que les galions des Philip- pines de prendre cette route , à caufe des tempêtes qui régnent dans ces mers , du peu de profondeur qu'on y trouve s de 1 etroitefle du canal , de la rapidité & des différentes diie&ions des courans. On comprit alors que la feule mé- thode que l'on eût de procurer un azile à ces vaifTeaux , étoit d'établir une colonie & une garnifon dans quelque port convenable de la côte de la mer du fud ; & que pour les mettre à cou- vert de tout danger du côté de la terre , il falloir étendre les millions vers ce port , & réduire les habitans des deux côtés du golfe. On fçait maintenant à quoi attribuer le peu de fuccès (je tant d'entreprifes dont on a parle dans les premières parties de cet ouvrage , indépendamment de 0! LA CaLITORNÎË. 3Î3 plufieurs autres qu'on a faites dans diflérens tems avec moins d'éclat & de dépenfe, & cjui n'ont pas été plus heureufes. Environ vers le même tems le père Tamarral reconnut en diffé- rens tems une grande partie de la côte feotentrionale, depuis la million de la Conception , & la parcourut pvefcjue toute entière vers le cap de Saint- Lucas, le Viceroi lui ayant re- commandé de chercher les ports & les cantons où l'on pourroit établir des colonies & des garnifons ; mais toutes Tes recherches furent infruc- tueufe^.Ce fut dans la même imention que le père Ugarte , aullitôt après fon arrivée à I otette , or Jonna que l'on fît les préparatifs néceflaires pour une nouvelle expédition , & pour recon- noïrre la côte méridionale auffi avant vers le no'd qu'il feroit pofîible. Il envoya le Caprainede la garnifon avec un détachement de foldats à la million de Sainte-Rofalie de Mulége, & de- là , avec le pere Sébaftien de Siftiaga , à celle de Guadeloupe , ou le père Everard Helen faifoit fa rélidence. Ils partirent le 15 de Novembre de la }î4 Histoire même année 17x1 de Guadeloupe s pour te rendre fur la côte , qu'ils parcoururent jufqu'au de - là du 28* degré de latitude. Us eurent extrême- ment à fouffrir djns cette courfe , mais ils eurent auflî la fatisïacltion de dé- couvrir trois ciiftérens ports avec des bonnes aiguades , & une quantité fuf- fîfante de bois , quoique le fol ne fût point fu'ceptibie de culture. Le port le plus g and & le plus fur, & qui fouinifToit aufli la meilleure eau, netoit pas fort éloigné du village In- dien de Saint-Michel , & de la million de Saint- Xavier , d'où les vaifleaux pouvoient tirer lems provifions. Ils retournèrent avec ces agréables nouvelles à L.orette, où lepeie Ugarte compofa la relation de fon voy< ge , à laquelle il joignit la carte & le jour- nal du pilote Eftrafort. Le père Siftiagà écrivit auiii celle de (es découvertes, & y joignit les plans des trois ports qu'il avoit trouvés ; & l'on envoya la tout à Mexico au Viceroi , le priant de les faire palier à Sa Majefté & à fon Confeil des Indes. J'ignore ù ces journaux, ces cartes & ces relations ee la C alïp Or k t e. 525 •rrrivcrent ou non à Madrid ; mais tout ce que je fçai, eft qu'on ne donna de p^rt ni d'autre aucun ordre en conséquence. Il eft bon encore d'ob# ferver ici , que malgré les (oins qu'on fe donna à Madrid, on ne put jamais trouver ces papiers, ni même obtenir qu'on les renvoyât à Mexico. .le fuis perfuadé que le lecteur eût été bien*- aile de trouver ici le journal entier du père Ugarte , les relations des Pères qui découvrirent les différens ports & un détail exact de latitude des dif- férens caps ; la ficuation & les vues des îles , des côtes, des ports & des baies; leurs obrervations fur les baf- fes , les ancrages , les marées , les co rans , les va iations de la bouf- fole , &c. Il eft certain , du moins , que les cai tes que l'on conftruifit dans ces expéditions font efTentiellement néceffaires pour fe former une idée comp'ette de ces découvertes , à quoi j'ajouterai q ie ces cartes, lorfquelleS font ex tctes , font d'une urijitç infinie dins ces fortes d'entrepnles : mais malgré tous les moyens que j'ai de in'inftruire de ce qui à'eft paffé , je ÇK» HlSTOlKE me trouve dans la néceffité d'être le premier & le plus intérefle à me plain- dre de ce qu'elles manquent. La feule chofe qui me confole , eft que je n'ai rien négligé pour les retrouver , tic j'efpèr.e , li mon ouvrage eft de quel- que utilité, & mérite l'approbation du public , de fuppléer tôt ou tard à ce défaut , afin que les fujets de Sa Majefté puiiïent acquérir une connoif- fance auili parfaite de ces contrées , que l'exigent les intérêts du Royaume , Et le bien de la Chrétienté. & » e la Cali* on»i e. 317 Ç- = ■ ■ ■ ji SECTION XVI. Le père Guilkn fonde la Mijjîon de ¥ Notre Dame des Douleurs du Jud , £ le père Napoli celle de San • Jag* de Los-Coras, L E foin de» expéditions générales entreprifes par les ordres de Sa Majefté & de fes Miniftres, non plus que ce- lui qu'on ayoit d'en faire d'autres pour étendre cette conquête, n'em* péchèrent point les Miffionnaires , chacun dans fon dirtriér. , d'introduire la connoilïànce & la pratique de la Religion chez leurs paroiffiens, d'aug- menter le nombre des miffions , & d'étendre ces établifTemens chrétiens auffi loin que les circonftances pou- voient le permettre. Il étoit évident par les étab'ifiemens , les voyages 8c les reconnoifTemens qu'on avoit faits ■> ■ ■ ■» * Nucftra-Scuora de Los»Dolorçs 4n dans l'endroit où ils avaient d'abord campé. On commença d'abord à éclaircjr le ter- rein , & le village commençoit à pren- dre quelque forme, lorfque les Indiens difparurent tout- à-coup, de minière ou'on ïaz un jour entier fans en voii ô« la Califo*niz. 54» aucun, Le Père, furpris d'un pareil cément , paitic ■ pour les aller chei -: >n> pagnie «511e celle d'un interprète ignora i! en 1 1 les plaintes • ;• • : [e leu 1 ■ puis loi euros de 3s Fa avec des foldats du t< derniers , où il y a voit déjà Les Cpras s'érant apperçus qu'on " été 1 econnoître le pays , & qu'on i : voit des murailles de terre pour 1>- glife , ils en conclurent qu'on avoic deffein de bâtir une fortereiTe. De plus , le Père avoit amené avec lui quelques Guaycuros, dont trois avoient été ce jour-là par Ton ordre fur le grand chemin de la Paz , pour amener un mulet charger de maïz. Ces particularités tirent foupçonnet aux Corasque les Guaycuros dévoient maiïacrer toute leur nation ; que c'é- toit dans cette vue qu'ils étoient venus Ff iij 54* fi l S T 0 I R I reconnoître le pays, qu'on les rega- loit , & qu'on vouloit les voir tous les jouis., qu'on bâtiflbic des murailles pour les m«trre en fureté , & qu'afll:rés du fuccès de l^ur entreprife , ils avoient envoyé chercher les Guaycuros , afin de tomber fur eux à l'improvifle & de les exterminer. Le Père fe donna tant cie peines pour difïiper leurs foup- çons & pour les appaifer , que plu- jfieurs le fuivirent à la tente, & an birceau de pa'miers , oîï les foldats monto;ent la garde. Les plus timides allumèrent pluiieurs feux, pour mieux appercevoir leuis ennemis , au cas qu'ils vinflent pour les détruire. Ils prirent une féconde fois l'alhrme le lendemain matin , & l'on fut deux jours entiers fans les voir. Le père Bravo pofiédoit afïez paflablement la langue des Guaycuros, & étoit par-là en état de fe faire entendre aux Coras ; mais fa préfence gâta tout , les Coras le regardant comme le Millionnaire 8 le chef & le conducteur de leurs en- nemis. Le mulet arriva enfin avec le maïz ; & quoique les Indiens viilent «le loin la vérité de ce que le père Na,~ DE LA CALÎFONIB. 545 poli leur avoir dir3 pas un ne voulue retourner au village. On eut beau courir après eux, ils s'enfuioient dès qu'ils vgfcoicnt le Père. A la tin cepen- dant , les h >mmes & les femmes re- vinrent les uns après les autres avec leurs enfans -, & prièrent les Pères de vouloir bien batifer ces derniers , de même qu'ils avoient batifé ceux de la Paz, leur difant qu'ils vouloient con- tracter avec eux une amitié éternelle. La paix fut donc conclue entre les Guaycuros & les Coras, & ils la cé- lébrèrent par des feflins & des danfes. Le 4 de Septembre , le père Napoli batifa ving -neuf enfans, & depuis lors, les femmes le preflbient continuelle- ment de vouloir accorder la même grâce aux leurs. Ce fut ainfi que les habitans de ce pays, qui étoient au- trefois fi foupçonneux , ne purent plus fe paflfer un moment des Mif- iionnaires. Pour gagner i'afTeflioirdes Indiens, on fut obligé de leur diftribuer tout ce qu'on avoit apporté , jufqu'aux or- nemens de l'autel, de forte qu'il refla à peine aflez de provitions pour re- F ir '544 Histoire tourner à la Paz , & en prendre de nouvelles. On fut donc obligé de laif- fer la maifon de paJmieis & les petits meubles qui y ctoient fous^la gard-e de quelques-uns des plus anciens, auxquels le père Napoli promit de re- tourner dans peu ; il partit enfuite & prit une autre route afin de mieux reconnoître le pays. Il refta deux mois à la miflîon de la Paz, pour attendre les provifions, & s'inllruire de la langue des Coras , en- treprife extrêmement difficile , mais absolument néceflaire. Pendant que les Millionnaires étoient afrfents de la baie de las P aimas, quai ante hommes de 1 île de Ceralvo , qui eil vis-à-vis la baie de la Paz , firent une dcTcente, & trouvant la miffién abandonnée » tombèrent fur une communauté, tuè- rent fix enfàns.deux femmes & tirent un- homme prifonnier, après quoi ils pil- lèrent la communauté, & n'v lailTèrent ni provifions ni meubles. Ils n'auroient épargné ni l'églife ni la chapelle, fans la crainte qu'ils eurent des Guaycuros. Là-defïus le Capitaine fe rendit avec un détachement de foldats à l'île de î> V. LA C A L î F 0 É N t E. 34? I eralvo , & quoique les infuiaii ■•> ;c fuifent retirés dansdr e tvï - nés & : .r- mi les rochers , nos gens v..i nt deux ou troi-> , & tes épo fi fort avec leurs armes à feu , ■ ills n'ofci eut plus y revenir. LeCapitame fe rendit de- là à Lorette , & !e père Napoli retourna au mois de Novem- bre a la baie de las Paîmas, où il ne jugea pas à propos d'établir le fiége de 5 F. C T ION X VIÏ. ; ; mijjton SepuntrlonaU de S ' ce par le père Luyando * & j s Mort des pères Piccolo & ' Révolu des Pericues , & fo ' i la miflion de Saint- Jû* •ap de Saint- Lucas y par U phe Tarn ra!t V_/ N defirolt ardemment depuis l'an* née fjo6 de fonder une million au nord au de là de celle de Notre-Da- me de Guadeloupe , dans les contrées de Kada-Kaam.-in , c'eft - à- dire du Ruiifeau-de- la Sauge , dans les mon- tagnes de Saint-Vinceut . par le i8e degré de latitude, à 40 Iienes fud- cft de Sainte Rofalie Mulége , & t$ fud de Guadeloupe. Les Indiens Co- chimies de ce diftrid , lors de la vi- fite que leur fit le père Piccolo dan* la même année, avoient témoigné un defir fincère d'embrafTer le Chriftia- nifme, mais le défaut de fujets & de de la Californie. 54J fpr.ds , joint à lanécedité où l'on étoit de réduire les Edues 2c les Pericues méridionaux , fur caufe que l'on différa cette entreprife toute louable qu'elle étoit. Il eff. vrai que les Millionnaires des environs les vilnèrent de tems à autre pour entretenir leurs bonnes difpolitions jufqua l'année 1728. Le père JeanrBaptifte Lùyando , Jéfuite Mexicain , étoit arrivé l'année d'au- paravant à Loretta. C'ctoit un homme également distingué par (es venus & par (es talens , & qui non content d'avoir remis (on bien entre les mains de fes Supérieurs , pour établir une million dans la Californie , leur offrit de l'aller fonder lui-même. Il partit en conféquence dans le mois de Jan- vier 1728 de Lorette , fous Pefcorte de neuf foldats , & arriva le 20 du même mois dans l'endroit que le père Siftiaga avoit choifi pour être le iîége de cette million , lorfqu'il fut quel- ques mois auparavant viiiter les Indiens pour leur faire part de fon defîein , & les difpofer 4 iaire un bon accueil à ce Religieux. Les naturels du pays reçurent le père Luyando à bras qu^ 35© Histoire verts , & furent fi ravis de le voir , que plus de cinq cens perfonnes de différentes communautés vinrent le joindre au bout de quelques jour-. Il commença à exercer ion office & avec d'autant plus de facilité , que quel- ques-ifns Içavoient leur catéchifme,& avoient été déjà inftruits par le père Siftiaga. Ils furent ii affidus à profiter de fes inltruétions, fi empreilés à les mettre en pratique , & fi fermes dans leurs bonnes réiolutions , qu'il crut pouvoir ad m millier en toute fureté le Batéme aux adultes , d'autant plus qu'ils obéirent (ans répugnance à l'or- dre qu'il leur donna de brûler & de détruire tous les inftrumens dont leurs forciers fe fervoienc pour exercer leur magie. Le père eut afTez de provisions pour nourrir pendant fix mois près de cinqcens catéchumènes , car quoi- que quelques-uns fu fient retournés à leurs communautés auiïitôt après avoir reçu le Baeme, ils furent remplacés par un fi grand nombre d'autres , qu'il commença à ciaindreque les provi- sions ne lui manquaient. Voulant donc achever un ouvrage qu'il avoit fi heu- de la Californie. 55* reufement commencé, il renvoya* fept foldats qu'il chargea «le lettres pour le Millionnaire de Lorette , le prianC de lui envoyer au plutôt des vivres, & refta (eul avec deux gardes. Je dois dire ici à la louange des foldats, que voyant le Père entièrement occupe des fondions de Ton office , & le fuc- cès dont les travaux étoient accom- pagnés , ils fe chargèrent volontaire^ ment de bâtir la maifon & Icglife, & engagèrent fi bien les Indiens à les féconder, que celle-ci fut achevée avant que les foldats fuflent de re- tour , & que la dédicace s'en fit le jour de Noël. Ces fuccès le remplirent de joie , & l'animèrent à fe charger de 1 inftruc- tion de tous ceux qui vinrent au fiége de la million , & à fe rendre dans dif- férentes communautés pour y cher- cher des nouveaux Indiens. On l'en- yoya une fois chercher de fort loin, pour un homme qui avoit été mordu d'une vipère ; & quoique le foldat ôc le domelHque qui lui fervoient d'in- terprètes fuffent abfens , il ne 1 ailla pas d'y aller ayee un Indien cna'il yenoic 35* H i s r o t x z de batifer. Etant arrivé dans l'endroit , il y trouva une grande communauté de fauvages , qui n'avoient jamais vu ni un Européen ni un cheval. Us tu*- rent cf abord eliraiés de le voir, mais il calma bientôt leurs craintes par les poîitefTes & les peins préfens qu'il leur ûi , & ils vinrent lui offrir tout ce qu'ils avoienr. La docilité des Cochimies , jointe à leur vivacité , leur efprit & leur acti- vité , qu'aucune nation n'égale , mit le Millionnaire en état de faire progrès rapides dans leur pays. Ce diftnat eft très-propre pour l'agriculture, tant à r_aufe de la bonté du terrein que du voifinage de l'eau» 11 étoit donc aifé d'y fonder une colonie , ce qui eût évité aux Indiens la peine de courir les bois & les montagnes pour y cher- cher de quoi fubfiftor. Le père Siftiaga y avoit femé du froment §c du maïz, qui donnèrent la première année cent boifleaux ; mais la quatrième & la der- nière année que le père Luyando y relia, la récolte des difterens grains monta à mille. Cela lui donna la fa- cilité de faire vivre fes Indiens dans l'abondance è *>E LA CALI F ORN I E. 35$ Pabondance , d'autant plus , qu'étant moins ftupides que leurs voifins , ils le fécondèrent dans fes travaux , ayant fenti les avantages qui leur en reve- noient. Le père Helen leur avoit déjà appris à cultiver différentes efpèces d'herbes potagères qu'il avoit lui-mê- me plantées , & le père Luyando à fon exemple planta un jardin , où il lit venir quantité de plantes exotique», indépendamment de celles du pays qu'il trouva le moyen d'améliorer par la culture. Il planta aufli cinq cens pieds de vignes , des oliviers , des fi- guiers , & des cannes à fucre , donc on a tiré dans la fuite des avantages qui n'ont pas peu contribué à l'aug- mentation de la million , & aux pro- grès du Chriftianifme parmi les In- diens. Il ne reftoit plus au Père qu'à les raflembler dans les villages qu'il avok bâtis dans îles endroits les plus commodes pour les communautés des environs , & dans chacun defquels il y avoit une chapelle deftinée à leurs dévotion* journalières. Il leur apprit au ffi à conftruire des petites maifons avec des briques crues & des branches Tomt II, G g 354 Histoire d'arbres ; mais comme ils étoient ac- coutumés à vivre en plein air , il eut beaucoup de peine à les engager à les habiter. Il ne négligea rien non plus pour élever du bérail dans les cantons où il y avoit des pâturages. Tout prenoit la face la plus riante , lorfcjue l'ennemi de la paix & du bon- heur des hommes, exita les Indiens à troubler la tranquillité de la million , & à rendre tous les travaux du Père infructueux. Huit de ces (auvages pro- fitant de l'obfcurité de la nuit , affaf- fïncrent un catéchumène près de la tente du Père , pour fe venger vrai- femblablement de l'amitié qu'il lui témoignoit , à caufe de fes bnincs qualités. Il fut cependant obligé de diflimuler cette action barbare , dans la crainte des inconveniens qui pou- voient en réfulter ; mais ils n'échap- pèrent point à la vengeance divine, èc tous les huit moururent d'une ma- ladie épidémique l'année fuivante 1-729. Une autre communauté refufa opiniâtrement de venir à la million , & cherch trois adultes que 1-e Père yenoh deabatifer , pour les faire mou- de la Californie. 355 rir, & elle l'eut fait , s'ils ne fe fuflent réfugiés dans le prefbytère. Ces In- diens perfittèrent deux ans dans leur opiniâtreté , & ce ne fut que par la patience , la douceur & la libéralité , qu'il vint à bout de la vaincre : mais ce ne fut que fept ans après que les adultes embraflerent la Religion Chré- tienne. L es vieillards furent ceux qui témoignèrent le plus de répugnance pour le Cbriftianifme ; & comme ils étaient pour la plupart forciers 5 prê- très & ca;échiftes, ou plutôt des fé- ducteurs de leurs communautés , il n'eft pas étonnant qu'ils s'oppofalfent aux progrès d'urte religion qui met- toit fin a leurs profits & à leur puif- fance. Ils menoient d'ailleurs une vie très-difïblue , & comme il s étoient ha- bitués à des coutumes brutales , & à un genre de vie fauvage , il leur en coûioit infiniment de s'adujettir à ve- nir à l'Eglife & à allîfter au fervice divin. Comment fe pouvoit-il en effet, que des gens que leurs compati iotes refpecloient pour leur doctrine , puf- fent fe réloudre à prendre des leçons des étrangers , ni fe mêler avec des $5 Yrir des chemins jufqu'à la miffion,. & propo(a diverfes-récompenfes à ceux qui s'en acquitteroient le mieux. Quelques indiens fàuvages du nord*,, fâches de l'état florhTant où étoit la million , & de la tranquillité dont jouifToit la tribu qui s'étoir convertie , tombèrent fur une communauté chré- tienne , tuèrent deux Indïens & une petite fille , & ne s'en feroient point tenus là, il les autres ne fe fuifent ré<- fugiés chez le Pè.e Les chrétiens des autres communautés voui oient prendre les armes, mais >e Père craignant d'al- iumer u:ie guerre continuelle , les pria de n'en rien faire , & d'oublier cette injure , comme il conveaoig à de» D t LA C ALI F 0 UN I E $57 chrétiens. Il fe flatta , en agiiïant ainfï, de faire rentrer ces Indiens en eux- mêmes , & de les difpofer peu à peu à recevoir l'Evangile. Il leur envoya pour cet effet divers meflages & quan- tité de préfens ; mais l'expérience lui apprit, qu'il faut commencer de domp- ter ces barbares par la force , fi l'on veut leur perfuader que les politefles qu'on leur fait , procèdent de l'amour qu'on a pour eux , qu'autrement ils les attribuent à lâcheté & à foiblefTe „ & n'en deviennent que plus infolens. En effet , ces brigans voyant arriver ces meflages & ces préfens, en conclurent que le Père & les Indiens étoient dans la dernière confternation , & cela les anima à attaquer d'autres communau- tés. Ils les faccagèrent de fond en comble , tuèrent ou chaffèrent tous les chrétiens qui tombèrent fous leurs pas j & menacèrent même le lïége de la miffion. Comme le père n'avoit avec lui que deux foldats , & que fes In- diens manquoient d'armes , il jugea à propos de fe retirer à la million de Guadeloupe , où ie père Siftiaga étoit pour lors, Ces deux Millionnaire re- '$5$ Histoire tournèrent enfemble à Saint-Ignace, où l'on réfolut de marcher à l'ennemi , fans attendre les foldats de Lorette , qui étoit à 70 lieues de là. En confé- quence , on (ommi les communa ités chrétiennes , & on leur donna des ar- mes avec beaucoup de bruit & d'ap- pareil , tant pour animer le courage des chrétiens , que pour intimider les fauvages par ces prépara» ifs de suaire, ainfi qu'on le pratiquoit autrefois dans la Californie. Les uns fe mirent à taire des arcs, les autres à éguifer des cail- loux pour armer les flèches , les au- tres à fabriquer des épées de bois , qu'on n'avoir point connues jufi]u'alors dans le pays. Les foldats mirent au bout des gros couteaux , qu'on avoit apportés pour didribuer aux millions. •Les femmes mêmes s'employèrent à faire des f ics & des filets pour porter les provifions , le maïz rôti , & le bifcuit. Ces préparatifs finis , on pafïa tes troupes en revue , & l'on trouva qu'elles montaient à plus 700 com- battans : mais comme on n'avoit pas aûTez de provifions pour les nourrir , on renvoya les plus foibles , & on ne D E LA CA L I FO R NI E. %*)$ garda que 3 se hommes pour cette ex- pédition. Ceux-ci appartenoient à dif- férentes communaut es, qui étoient dans l'ufage de fe choifir un Capitaine, ce qui dans cette circonftance eut occa- fionné une confufion funefte. Les Pères leur dirent d<-nc qu'il convenoit qu'il n'y eût qu'un feul Chef, qu'ils euiïenc par con'é juent à ehoilir un Capitaine, & quMs en nommeroient un de leur côté. Là-defïusils choifirent parmi eux un honme extrêmement renommé par fon cou-age & fa bonne conduite, & qui étoir parfaitement au fait du pays, & les l'crcs chargèrent de cet emploi le Gouverneur du village. C'étoit un jeui:e homme rempli de talens & fort attaché aux Pères , que le père Ugarte avoit amené dans fon enfance à Lorette lors de la coupe qu'il fit pour conf- truire fa belandre. L'armée ainfi équi- pée , fut chercher l'ennemi , & les vedettes vinrent dire à nos gens qu'il étoit campé à une aiguade au pied des montagnes ; fur quoi on réfoluttde l'at- taquer dès la nuit. On marcha donc à lui , & on l'inveftit de tous côtés , après quoi on s'approcha dans un pro- ytfo H i s t o i n x fond filence pour ne point lui donnef l'allarme. Au lever du foleil , les In- diens qui avoient inverti leurs enne- mis de toutes parts , poufl erent un cri de guerre effroyable , qui réveilla les fauvages , lefquels s'étoient endormis fans prévoir le danger qui les mena- çoit. Ils fe levèrent à ce bruit , & coururent confufément à leurs armes, pendant que nos gens s'avançoient en bon ordre. Voyant qu'ils étoient in- vertis par des forces fupérieures , &c qu'il leur étoit impoflîble de s'échap- per, ils mirent bas leurs armes, pour marque qu'ils fe rendoient. Il ne s'en fauva que deux , cjui donnèrent avis de cette défaite aux Indiens d'une au- tre communauté , lefquels s'enfuirent précipitamment dans leur pays , bc tous les autres au nombre de trente quatre , furent faits prifonniers. Après avoir reconnu le pays pour voir s'il ne reftoit plus d'ennemis , nos gens retournèrent à Saint - Ignace , où ils firent une efpèce d'entrée triomphante. Les Pères conduifirent l'armée victo- rieufe à léglife , où l'on remercia Dieu de la* victoire qu'on yenoit de rem* porter > DE LA Ca L IF ORN I E. 3 E L A CA I. I F 0 8 N î F. $65 Sincérité. Il > les renvoyèrent enfuit© avec des g anJes marques d'amitié ; mais ils revinrent peu de feins après, & les pricient de vouloir du m ins ba iier leui:> enfans ; qu'autrement ils croiroient qu'ils ne Ls aimoient pas, & que les chrétiens avoient defiein de leur taire la guerre une leconde fois. Ils le rendireiit à leur prière , mais ils exceptèrent de cette g ace le fils du chef de la confpiration , lequel s'en retourna chez lui extrêmement cha- grin. Il revint une féconde fois avec Ton pe it enfant entre fes bias, Ôt les conjura en pleurant de le batifer # s'ils avoient quelque amitié pour lui ; ils le firent, après quoi il s'en fur tout joyeux rejoindie (es compatriotes. Peu de mois après , tous les prifonniers , avec leurs parens & leurs amis, fans en excepter même les vieillards , fe présentèrent pour être infrruifs & ba- tifés , & ils le lurent dans le tems con- venable. Certe vidtoire fut très-avantageufe à la Chrétienté ; elle intimi la les Gentils, leur fit refpecter la loi que tes Millionnaires leur préchoient , Se H h ij 3^4 Histoire leur facilita l'entrée chez les nations du nord. Mais la fanté du père Luyando fe trouva tellement affaiblie par les fa- tigues qu'il avoit foutfertes, qu'il fut obligé d'abandonner la million qu'il avoit fondée de fa fortune , & aug- mentée par fon zèle & fes talens. Il fut remplacé par le père Siftiaga , ce M if" fîonnaire infatiguable de Sainte-Rofa- lie Mulége, La Californie perdit dans ce tems-là deux de fes plus anciens ouvriers : le premier fut le père François-Marie Pic- colo , lequel finit fes travaux dans la garnifon royale de Lorette , le 28 de Février 17 9, dans la 79e année de fon âge , & la 3 zc de fon arrivée dans la Californie. Le père Jean Ugarte mourut l'année fuivante 1750, au vil- lage de Saint- Paul, million de Saint- Xavier , à làge de 70 ans , après en avoir paiïe trente dans l'emploi de Mif- fîonnaire. Les nations méridionales montroient tous les jours ces difpofùions turbu- lentes, déréglées , & traitreffes , dont elles avoient donné tant de preuves su commencement ; & malgré les foins DE LA CALIFORNIE. 7,6*} que les pères Guillen > Bravo & Na- poJi, leurs fuccefïeurs , s'étoiem don- nés dans les millions de Los-Dolores , de la Paz & de San-Jago , pour civili- ser les Uchities , les Guaycuros & les Coras , & pour les ramener dans le fein de l'églife , il reftoit encore chez ces nations & chez les peuples voilins , quantité de Gentils , qui infultoient tous les chrétiens. Ceux-ci de leur côté, fe J afférent du genre de vie qu'ils avoient embraffé , & difîimulèrent fi peu leur dégoût , qu'ils fomentèrent des féditions parmi ceux qui ctoient reftés attachés à la foi. L'an 1723 , après que les trois millions furent fon- dées , le Capitaine de la gamifon par- tit avec quelques foldats pour taire une courfe dans le pays , & intimider les Indiens qui inquiétoient leurs voi- fîns. Les Coras du cap de Saint-Lucas folliciroient le Père de fe rendre chez eux pour les convertir au Chriftianif- me ; mais ceux qui avoient déjà em- braffé ld foi 3 lui donnoient beaucoup d'occupation , & il y eut même un Gen- til qui le bleffa à l'épaule d'un coup de flèche. Il relia deux mois à la Paz pouf H h ij $66 Histoire fe faire panfer , & cacha fï bien cet accident, iue les chicr.ens de Loretre n'en euent a cime connoifTance, & il fit fort bien d'ufer de cette piécau- tion. Le Capitaine fut de nouveau obligé en 1715 de fe porter avec un déta- chement chez quelques communautés d'Uchities & G ayeuros , qu'il força de fe retirer (ur la iô;e oppofée, mais fans leur tuer un feul homme. Ils s é- toient joints en 1715) av.c quelques Coras, & avoient recommencé leurs hoftilités à l'inftigation de quelques mulâtres fc me tifs , que des corfaires avoient laiiïes fur ces cotes. Ceux-ci étoient le levain qui corrompoit la fïmpliur afurer la con-* quête de la Péninfu e Lfqu'au cap fufdit. Le Marquis de Villa-Puente , à qui les mira" >ns étoient redevabes de tant de bienfaits , avoit fi fort à coeur la converfion entière des Indiens, qu'il offrit d'en établir une dans le voifi- nage du cap de Saint -Lucas; & à fon exemple, Donna-Rofa de la Pen- na , lœur de la Marquife de Villa Puente , daine d'une vertu & d'une charité éminence , d'en do*er une au- tre dans la baie de Las -Palmas, oji Hhiv $68 tflSTOlRZ l'on avoit d'abord fondé celle de San- Jago de Los-Coras, que l'on tranf- porta depuis dans un endroit trop éloigné pour que le Millionnaire put pourvoir à l'inftrudion & à l'entretien des Indiens , outre que leur indocilité & leur humeur turbulente , rendoient cet établiflement plus difficile. L'Agent des Millionnaires à Mexi- co, étoit le père Jofeph de Echeve- lia , le même qui après le naufrage de la barque en 1729 , fe rendit à Cina- loa pour y acheter un autre vaifTeau, & des provifions. Il y étoit encore , lorfque le Général Tamburini le nom- ma Viiiteur général de toutes les mif- iions des Jefuites. Il n'eut pas plutôt reçu cet ordre , qu'il fe difpofa à com- mencer fa vifite par celles de la Ca- lifornie, don: il avoit été l'Agent pen- dant plufieurs années. Comme il avoit defïein de fonder les deux nouvelles millions du fud , dont on avoit déjà offert les fonds , il s'embarqua à Aho- me fur le Triomphe de la Croix , & arriva le neuvième jour, favoir le 27 d'Octobre dans la baie de Saint-Denys ou de Lorecte. ï)e la Californie $6$ Peu de joins après Ton arrivée, il fut attaqué d'une fièvre maligne , dont la violence fut telle, qu'v>n défefpé- roir de fa vie, mais il plut à la Pro- vidence de lui rendre la fanté. Quoi- qu'il] ne fût point entièrement rétabli , il partit de Lorette pour aller vifïter les millions du nord , ne menant avec lui qu'un enfeigne, un foldat nommé Acofta , & quelques Indiens. Il fut ravi de voir l'économie des millions , le favoir , la dévotion & la bonne con- duite des Indiens , Je zèle & la charité des Mifiïornaires , leur patience & les peines qu'ils fe donnoient pour infliui- re&aflfifter leurs pnroiffiens, malgré les inconvèniens auxquels ils étoient ex- pofés dans ces contrées fauvages , & enfin, les progrès que le Chri-ftianifme y avoit fait en fi peu de tems. Voici les expreffions dont il fe fert dans une lettre datée du 10 de Février 1730. « Dieu m'ayar*- heureufement délivré » de ma fièvre , je partis peur aller » vifiter les millions. Je commençai » par Saint-Xavier, d'où je me rendis »à celle de Sainr - Ignace du nord, » qui eft la dernière , & qui en eft 370 Histoire » éloignée de 80 lieues. Je rtftai qua- » ranre jours en chemin , & eiïuyai » un froid beaucoup plus eu. tant que » celui qu'on éprouve à Guapango » dans le mois de Janvier. Mais je » fus amplemenc dédommagé de me» » fatiguer , par le plaiiir que j'eus en *> voyant la ferveur de ces nouveaux »> établiflemens chréti. ns. Je ne pus » retenir mes larmes lorfoue j'ouis ies » louanges que chantoient à Dieu » quantité de pauvres créatures , qui » quelque tems auparavant , ne fça- » voient pas même 11 un pan il Etre » exiftoit. » Il donne dans la meme lettre itn détail des particularités qu'il obferva dans chaque mifiion , de la police que les Pères y avoient établie, & des peines qu'ils fe donnoient pour la maintenir. Le père Echeveria fe difpofa enfuite à aller vifîter les contrées méridionales de la Californie , dans le deffein do fonder deux nouvelles millions chez les Coras; mais il n'y eut que celle de Saint -Jofeph del Cabo qui eut lieu. Le père Sigifmond Taraval, qui avoit été nommé Millionnaire pour l'autre DE LA C ALI F 0 RNÏK. %Jl us le nom de Sainte-Rofe , en 1 honneur de la fondatrice , n'arriva qu au mois de Mai 1730 : d'ailleurs les morts des père Piccolo & Ugarte, & la retraite des pères Helen , Bravo & Napoli , occaiionnée par le mauvais érat de leur farté , furent caufe qu'il fallut cher- cher d'autres fujets pour défervir ces» millions. La million que l'on avoit deffein de fonder près du cap de Saint -Lucas, demandoit une perfonne d'une vertu confommée , d'un zèle intrépide , & qui eût beaucoup d'adrefle & de fa- gaci é. 1 el étoit le père Nicolas Ta- marr.il , Fondateur de la million de l'Immaculée Conception ; & ce fut lui que l'on choiut heureufement pour fonder celle de Saint-Jofeph del Cabo. Il s'embarqua en conféquence le 10 de Mars avec le père Vifiteur , après avoir chargé le père Taraval d'al'er défervir la million de la Conception, Ils arrivèrent au bout de neuf jours dans la baie de la Paz , où ils furent reçus avec l'affeclion la plus cordiale par le père Guillaume Gordon, fuc- *j7* Histoire ceiTcur du pcre Bravo, au Pilar de la Paz, où ils folem. nièrent avec lui la fête du Patriarche Saint Jofeph. La tranquillité & la conduite tou^e chrétienne des Guaycuros de cette miflion , que l'on redoutoit fi fort auparavant , caufèrent aux Pères la plus grande fatisfaâion du monde. Ils furent vifiter la miflion de San- Jago de Los-Coras, d'où ils conti- nuèrent leur voyage vers le cap de Saint Lucas , qui efr. à l'extrémité mé- ridionale de la Californie, dans les environs duquel ils avoient deiïein de fonder la nouvelle million de Saint- Jofeph. Ils trouvèrent à quelque dif- tance du cap , un endroit couvert de verdure , ombragé par les montagnes voihnes , lequel étoit traverfé par deux ruiiïeaux , qui fe joignoient un peu avant de fe décharger dans la mer , qui n'eft qu'à environ une lieue de là. Il y avoit fur le rivage plulieurs lacs poiffonneux , êc en ourés de vieux troncs de palmiers , dont les Indiens avoient coupé les branches. Les Pères choihrent pour le liège de la million un terrein qui étoit auprès d'un de ces DE LA Ci Lî FO I? NIE. ^J$ lacs d'eau douce, & à l'abri des inon- dations. Ils élevèrent auflitôt une cha- pelle & une maifon qu'ils couvrirent de jonc & de fauge , dont il y a une grande quantité fur le rivage. Ils s'at- tendoient , après ce que le Capitaine leur avoit dit du defir qu'avoient les Indiens qu'on leur envoyât des Mif- fionnaires , qu'ils viendroient les trou- ver en foule, mais ils en virent très- peu , & pendant les trois femainesque le père Vifireur féjourna dans cet en- droit , il ne vint pas vingt familles à la million. Ce fut avec elles néanmoins que le père Tamarral commença à exercer fa fonction de Millionnaire , les inftruifant de la doctrine de la foi Chrétienne. Il demanda aux Indiens bu étoient leurs autres compatriotes , & ils lui répondirent qu'ils étoient tous morts d'une maladie épiuémique: mais ce n'étoit là qu'un menfonge que leur diftoit la crainte; car le père Vi- iiteur & les foldats qui l'accompa- gnoient ne fe furent pas plutôt reti- rés , que les Indiens fe rendirent en foule auprès du père Tamarral , qui *toit relié feul avec deux autres foi* ^74 Histoire da s. La railon qui les empêcha de pt- roîrre plutôt, tu: la perfuafion où ils furent que h s Pères n'étount ve:>us avec des foldars & des gens armés , que pour les châtier de quelques in- fultes qu'ils avoient faites aux millions de Sm-Jago & de la Paz. Les affaires étant ainli terminées, le Père fit un Voyage dans le pays , pour chercher les communautés , & un lieu pl^ con- venable , pour y établir le liège de la million ; celui qu'on avoit choilis étant infefté de coulins & d'autres in- fectes incommodes; outre qu'il étoit enfermé & brûlant, extrêmement hu- mide, Ôl qu'on n etoit pas fur d'y trou- ver allez d'eau pour arrofer les reries. Ces circonflanccs le déterminèrent à transiéier la million à 5 lieues de la' mer. II bâ it aufTitôt une églife & un prefbytere , & à force de na ail & de fatigue , il vint à bout dans la fuite d'atlemblerplufeuis communa irés er- rantes , dont ii forma deux vilages; où il les inftiuiut av.c tant de fuccès, qu'il bâti a dans une fe le annéf? mille & trente (îx perfonnes. 11 trav/llj pa- reillement à procuier U bien jempo- dei.aCalifounte. $~f tel de la m (fi >n , parce que cctoit ei1! quelque loi te je lui que depén- doient fe< progrès & a fureté ; m is la mon d . ce Millionnaire nous a piwé des dé;aiL paicicuLcis des années fui* Van i es. Fin du fécond f^o/umef I TM# ■1 SfÊÛ/t 1-ù UBRAR:' n ■& OM ï L^L :-5&' >'>V>'-**