%%* * % RELATION D'UN VOYAGE DU LEVANT, FAIT PAR ORDRE DU ROY, CONTENANT L'Hiftoire Ancienne & Moderne de plufieurs Ifïesde l'Archipel, de Conftantinople, des Côtes de la Mer Noire, de l'Arménie, de la Géorgie, des Frontières de Perfe & de l'A fie Mineure. AVEC Les Plans des Villes èr des Lieux confiderahles-, Le Génie , les Mœurs, le Commerce ir la Religion des differens Peuples qui les habitent ; Et l Explication des Médailles & des Monumcns Antiques. Enrichie de Defcriptions & de Figures d'un grand nombre de Plantes rares, (Je divers Animaux; Et de plufieurs Obfervations touchant i'Hiltoire Naturelle. Par M- Pitton de Tourn efo rt , Concilier du Rûy , Académicien Pensionnaire de l'Académie Royale des Sciences , JO odeur en Médecine de la Faculté de Paris , Projeteur en Botanique au Jardin du Roy, Lecleur ir Profefeur en Médecine au Collège Royal. TOME SECOND. *$£* A LYON, Chez Anisson et Posuel 3Vt DCCXVI I. AVEC PRIVILEGE DU ROY. LETTRES CONTENUES DANS LE SECOND VOLUME. Lettre VIII. JLJ Efcription des Ijles de Syra , Thermie , Xia,Macronifi, Joura, Andros & Titie. pag. i. Lettre IX. D efcription des Ijlcs de Scio , Metelin , Tenedos , Nie aria. pag. 5 5. Lettre X. Description des Ijles de Samos, de Patmos, de Fourni fr de Skyros. pag. 1 o i> Lettre XI. Description du Détroit des Dardanelles , de la ville de Gallipoli, Et de Conftan- tinople. pag. i6oi Lettre XI I, Continuation de la Defcription de Conflath tinople ; Et la Relation de ce qui fe pajfa à l'Audi a me qu'eut M.r de Fer- rioh du Grand Vifir; & à celle quiefloit préparée pour le Grand Seigneur. pag. 203. Lettre XIII. Du Gouvernement & de la Politique des Turcs. pag. 2.6 7. Lettre XIV. De la Religion, des Mœurs & des ma- nières des Turcs. >ae:. 325 Lettre XV. Description du Canal de la Mer Noire. Pag« 397* (£09$ VOYAGE Jsle de > SYRA. Tom .IZ Pacf. i VOYAGE D U LEVANT, FAIT PAR ORDRE DU ROY. Lettre VIII. A Monseigneur le Comte de Pontchartrain s Secré- taire d'Etat & des Commandement de Sa M*» jejié t &c. ONSEIGNEURj Nous voici dans a Syra l'Ifle la plus catholique DiscRt- de tour l'Archipel. Pour fepe ou huit familles du v.rioJH r i i r -u , des Iilcs nce grec , on y compte plus de iix mules âmes du ^c syra, rite latin ; & lorfque les Latins s'allient avec les Tcrmia, Grecs , tous les enfans font catholiques Romains, Zia.Ma- Croniu t * SïPOï, strab. s TP4 Sftid. N3*« m S«ç/'», Homer joura , Odyjf.o. verf.+oz. ^ Andtos Tome XI. t\ 1 V O Y A G B Se Tine. au lieu qu'à Naxie les garçons fuivent le rite ézi SvRos , per£ ^ ^ jes ft\)es cc\u{ ^e la mère : on eft redeva- ble de tons ces biens aux Capucins François, Mil- lionnaires Apoftoliques fort aimez dans cette Ifle * ik fort appliquez à inftruirc un peuple porté au bien honnête, ennemi déclaré des voieurs , plein de bons fentimens , & fi laborieux qu'on ne feau- roit repoîer dans cette Ific : la nuit à caufe du bruit univerfel des moulins à bras que chacun exerce pour moudre fou blé , le jour à caufe des rouets fervans à filer le coton. La mai fou Se i'Eglife des Capucins font affez bien bâties , la bannière de France arborée au coin de leur terrallc nous réjouit, & le P. Jacinthe d'Amiens, homme d'efprit, iubftitut du Conful de France de Tine nous reçût avec tous les agrémens pofïibles : ces Pères dirigent 15. Rcligieufes du tiers ordre de Saint François , filles d'une vertu exemplaire quoique non cloîtrées. Les Grecs n'ont que deux Eglifes dans Syra défervics par un Papas. Il n'y a de Turc qu'un feul Cadi , encore vient- il fe réfugier chez les Capucins , loifqu'il paroît quelque Corfaire autour de l'ifle : on y élit tous les ans deux Adminiftrateurs : en 1700. la capitation &c la taille réelle fc montoient à 4000. e'eus. Nous y débarquâmes le 16. d'Octobre. Syra n'eft qu'à environ 30. milles de Mycone , fi l'on com- pte d'un cap à l'autre ; mais il y en a bien 40. du port de Mycone à celui de Syra : ce port eft bon pour les plus gros vailTeaux , & fon entrée eft a l'eft. a L'Ille" qui n'a que 15. milles de tour clt des mieux cultivées & produit d'excellent froment * Syros quam circuiru paterc viginti miliia pafTuum prodf- derc vecercs , Mucianus ceatumfexaguua.P/M .{#.+• <••<*• Bas-rô&^f- \2cjlfctt~tn~t, qitZs est dœrur tlsle, d& jJjrr£V Tom JT . Faa . j T*>»-Il*"2J$L Ce BaJ- rM "* T^ iiiiiimiiiiimiimiiniMiiiiiiHiiiiiiiiiii iiiiMiiiiiiiimiiiim|iiHiMiniiiimiiiiii:ii!iiiiiiiiiiiiiiiiniiiiiiiiiiiiiiniii[iiiiiiiiiii»iiiiiiiiiiiiiiiiiiiniii[||[ J3tur--rKtvef:_Anft(fne qim^e tjttié Oio corrv de l'Ëcfîzs*. d& Wetemioior dans ITsIe, de /Sam os . du Levant. Lettre V 1 1 h $ quoi qu'en petite quantité , beaucoup d'orge ^ beaucoup de vin & de figues , allez de coton & des olives que les habitans Talent pour leur ufage. Quoique Syra foit une Ifle montagneufe , elle manque de bois, ôc l'on n'y brûle que des broiTaii- les j mais elle eft plus fraîche & plus humide que la plupart dés lues de l'Archipel : * Homère en a fait une peinture avantage ufe. Le bourg eft à un mille du port tout au tour d'une colline allez efearpée , fur la pointe de la- quelle font fituées la maifon de . l'Evêque & l'E- glile Epifcopale dédiée à Saint George : ce Prélat ne jouit: que de 400. écus de revenu ; mais il a la confolation d'avoir le plus beau Clergé du Levant, composé de 40. Prêtres; On voit fur le port les ruines d'une ancienne Se grande ville appellée autrefois b Syros , de même que l'Iile : comme il paroît par une infeription tranfportée de la marine au Bourg , encaftrée au coin de l'Eglife ; ainfi ceux-là fe trompent qui s'i- maginent que Syra vient d'un c mot Grec vul* gaire qui lignifie une maîtrelîe oU une Dame* A gauche de la porte de l'Evêché fur un bas-re- lief de marbre , eft reprefenté le ciftre des anciens &c quelques autres inftrumens j ce bas-relief a été tiré des mêmes ruines parmi lefquelles on voit en- core un beau pan de muraille , bâti de gros quar- tiers de marbre bâtard , taillez à facettes : on eri a tiré beaucoup de pièces de marbre blanc, & fur tout beaucoup de morceaux de colonnes qui font devant l'Eglife des Capucins. La principale fontaine de L'Ifle eft fort ancienne « Eû&fc , iv(*t)\of , «ha***- b C Y P O C. 9,verf.^e^, vv*t A îj 4 Voyage & coule tout au fond d'une vallée aflez près <$c la ville : les gens du pays croyent 3 je ne lçai par quelle tradition , qu'on venoit autrefois s'y puri- fier avant que d'aller à Delos : on nous avertit trop tard qu'il y avoit une infeription à cette fon- taine ; il fallut profiter du vent fans pouvoir l'aller examiner. Les Ifles que l'on voit autour de Syra ne font pas alllnément ces Anticyres fi fameules par leur Ellébore : celles-ci font dans le Golphe de Zeïtoa au de-là de Negrepont vis-à-vis le mont Oeta, fur lequel on prétend que mourut Hercule : au lieu d'Ellébore nous trouvâmes dans Syra le long de la marine allez près du port une plante qui nous fit beaucoup de plaifir , c'eft celle qui produit la Manne de Perfe. Rauvolf Médecin d'Ausbourg qui la découvrit dans fon voyage du Levant en i J37. en a parlé ions le nom à' Alhagi Mauromm; mais il l'a décrite 11 fuccinctement fuivant la cou- tume de ce temps-là , que je crus en devoir faire une defeription exacte fur les lieux , de peur qu'- elle ne nous échapât dans le relte de nôtre route : il me parût même fort extraordinaire qu'une plan- te qui fait une partie des beautez des plaines d'Ar- ménie, de Géorgie , & de Perfe , fe trouvât com- me retranchée dans les Ifles de Syra 8c de Tine. Mr Whecler l'obferva dans Tine & U prit pour une plante non décrite. a J'en ai fait un genre particulier fous le nom b d' Alhagi. Ses racines font ligneufes , épaifles de quatre ou cinq lignes , brunes 3 garnies de fibres ondo- * Coroll. Itift. rci herb. 54. J Alhagi Mauromm Rauvolf. 54. Gcnifta fpartium fpinofum , foins Polygoni C. B. Pin. Gcnifta fpinofa, flore rubro. YrhccL du Levant. Lettre V I î L j yxntes , peu chevelues ; les tiges ont pics de trois pieds de haut , épaifles d'environ deux lignes , vert-pâle , litles , dures , pliantes , branchue's dès le bas , accompagnées de feuilles atfez femblables à celles de la Renouée : a les plus grandes ont fept ou.huit lignes de long , fur environ trois lignes de large,vert-pâle aulîi 6c liiïès,aflez pointues à leur naiifance , attachées par un pédicule fort court , arrondies à l'autre bout où elles font quelquefois légèrement échancrées 8c terminées fouvent par une pointe fore déliée ; cette peinte n'eft autre choie que l'extrémité de la côte , laquelle traver- fe les feuilles fans former de nerveure fcnflble ; à côté des feuilles fe trouve toujours un piquant dur & ferme , long depuis cinq lignes jnfques à un pouce, épais quelquefois d'une ligne à fa naif- fance , rayé dans fa longueur 8c roullatre à fon extrémité : les piquants des branches font plus petits 8c naiflent des aiiTelles des feuilles ; ceux par où finiirent les branches 8c les tiges ont un pouce & demi de long , plus déliez que les autres ôc chargez chacun de deux ou trois fleurs legumi- neufes , longues d'environ demi pouce , dont i'é- tendart efl relevé , purpurin vers le milieu, rouge effacé fur les bords , arrondi , légèrement échan- cré ; les ailes font plus courtes 6c plus étroites , rouge lavé , purpurines en dedans , de même que la feuille inférieure qui efl obtufe 8c plus large > cette feuille envelope une gaine blanche, frangée, chargée de fommets jaunâtres , & couvre un pi- ftille long de quatre lignes , terminé par un filet ; le calice efl un godet long d'une ligne 8c demie, vert-pâle , liile , légèrement canelé : lorfque la. fleur cil pallée , le piftile devient une gouiTe Ion* JJ Polygonum latifolium. C. B. Via. A iij 6 VOY A Gf gue d'environ un pouce , courbée le plus fouve»? en faucille , articulée, roufïatre , épaiffe de deux lignes dans les endroits où les graines font renfer- mées ; car les articulations en (ont fort étranglées êe.fc caflent facilement : ces graines font brunes , hautes d'une ligne, un peu plus larges & de la fi-» gure d'un petit rein : c'eft la ftructure de la goulfc quidiftingue cette plante des cfpéces de Genêt &C de Genijta fpartium. Je ne fçai pas fi l'Alhagi donne de la Manne 4ans les Mes de Syva & de Tinc ; mais je fçai bien que les gens du pays ignorent que cette plante fournifle une drogue qui purge fî utilement : c'eft • principalement autour de Tauris ville de Perle que l'on en fait la récolte fous le nom de Trungi- bln ou Terenyabin , rapportez dans Avicenne & dans Scrapion ; ces autheurs ont crû qu'elle tom- boit fur des arbriileaux épineux , quoiqu'il foie très certain que c'eft le fuc nourricier de la plante que l'on vient de décrire. Dans les grandes chaleurs on s'apperçoit de pe- tites gouttes de miel répandues fur les feuilles ÔC fur les branches de ces arbriffeaux ; ces gouttes s'épaiffifTent & fe durciffent par grains , dont les plus gros font du -volume des grains de Corian- dre. On recueille ceux de l'Alhagi & on en forme des pains roulïàtres tirant furie brun , pleins de pouffiére &de feuilles qui en altèrent la couleur & en diminuent peut-être la vertu : il s'en faut bien que cette Manne ne foie il belle que celle d'Italie : on en vend de deux fortes en Perfe ; la flus belle & la plus chère eft par petits grains y autre eft comme en pâte & contient plus de feuil- les que de Manne : la dofe ordinaire de l'une 8c de l'autre eft de zç. ou 30. dragmes , comme 011 Js/e de THERMIA Te m .77 Tacr. 7 . V-7 • du Levant. Lettre VI IL 7 pâlie en Levant , où on la fait fondre dans une ïnfii(ion de Séné. Pherecydes l'un des plus anciens Philofophes de Grèce , le maître de a Pythagore & le difciple de Pittacns naquit dans Syra où l'on gardoit Ion quadran folaire comme un monument de la capa- cité : pluiieurs l'en faifoicnt l'inventeur ; d'autres croyoient qu'il avoit appris la manière de le fabri- quer des Phéniciens dont il avoit lu cV compile les livres ; mais Ciceron lolie ce grand homme par un endroit bien plus remarquable , c'eft pour avoir enfcigné le premier l'immortalité de l'ame, quoique b Suidas l'accufe d'en avoir publie la tranfmigration d'un corps dans un autre. Nous n'oubliâmes pas avant nôtre départ dé Syra d'y faire des obfervations de géographie : Andros eft au nord de cette llle, Joura au nord- eft. Zia à l'oueft-nord-oueft. Thermie entre l'oueft & l'oueft-nord-oueft. Mycone à l'eft. Tine au nord-eft. La grande Dclos entre l'eft & l'eft-fud-eft. La montagne de Zia de Naxie entre le lud-eft & l'eft-fud-eft. De Syra nous prîmes la route de Thermie autre Ther- Ifle à 2;. milles de Syra de cap en cap ; mais il y MIA- q a plus de 40. milles d'un port à l'autre ; car pour N £ entrer dans le canal de Thermie, il faut faire pref- que le tour de la moitié de Syra ; on ne compte par la même raifon que 1 1. milles de Thermie a Zia , quoiqu'il y en ait bien 36. d'un port à l'au- a Strab. Rerttm gepgr.lîb. io. Tufc. lib.l. cap.itf. Diog.Laert.'m Pherec. Suid. b XiÇs-ra* h y* HhiOrpmtt in voce Pherec. GU. 'JuaJÎ, ci» 2>t>& rj »»V*. Piog. A iiij S Voyage tre : le voifînage de Thermie à Zia ne permet pa$ de douter que Thermie ne foit l'Ifle de Cyrhnos, puifque a Dicœarque la place entre Ceos & Serî- phus ; il en fortit un grand peintre h qu'Euftathe appelle Cydias , & les anciens fuivant c Efticnne Je géographe & Julius Pollux eftimoient les fro- mages de Cythnos : c'eft encore dans cette Ifle que fut rejette par la tempête le faux Néron eÇ- clave , grand joueur de Luth ÔV grand Muflcien , accompagné d'une troupe de gens de fa forte , ar- mez & loulevez , comme d Tacite nous l'apprend. Nous arrivâmes à Thermie la nuit du 30. au 31. O&obre, contrains de coucher fur le port dans une chapelle où nous courûmes grand riiqiie d'être égorgez, pes Turcs de Négrepont qui étoient dans un gros ca'jque tout près du nôtre , voyant que nos matelots éçorchoient deux mou- tons que nous avions achetez à Syra, allèrent met- tre l'allarme dans le village & publièrent qu'il venoit d'arriver des bandits , qui aiîurément; en vouloient aux bâtimens du port : à cette nouvelle les payions prirent les armes ; heureufement le Conful de France Mr Janachi de la Grammatica , qu'ils obligèrent de fortir de fon lit pour fe met- tre à leur tête , s'étant informé plus particulière- ment de la figure de ces prétendus bandits , jugea bien fur ce qu'on lui dit que quatre de leur com- pagnie avoient des chapeaux, que ce ne pouvoient être que d'honnêtes gens ; car les bandits fe cro • yent trop heureux d'avoir de méchants bonnets de laine : il pria donc les bourgeois de Thermie de fe retirer , les affûtant que c'étoient des marchands a De flatu Gne. nOç c £»yf$t4 V 0 Y A Ô E verent le liège â'Ioulis , parcequ'ils apprîrenê qu'on y avok refolu de faire mourir les enfans d'un certain âge. Nous arrivâmes à Zia le 15. Novembre par un temps aflez fâcheux , & qui nous fit trouver en- core le partage plus long ; car on compte 36. mil- les de Thermie à Zia , quoiqu'il n'y en ait pas 12. de cap en cap : cette Ifle devoir être incompaua- blcment plus grande , a fi Pline a été bien infor- mé des changemens qui lui font arrivez : autre- fois fuivant cet autheur elle tenoit à l'Ifle b Eu- bée , la mer en fit deux Ides , & emporta la plus grande partie des terres qui regardoient la Beot ie : tout cela s'accommode afTez à la figure de Zi a , elle s'allonge du nord au fud & fe rétrécit de l'eft à l'oueft : peut-être que ce fut l'effet du déborde- ment du Pont-Euxin dont a parlé Diodore de Si- cile. c De quatre fameufes villes qu'il y avoir dans Ceos , il ne refte que d Carthée , fur les ruines de laquelle eft bâti le bourg de Zia : c'eft de quoi Ton ne fçauroit douter en lifant Strabon & Plime j ce dernier aflurc que Pceeefle & CorefTus furent abîmées , & Strabon écrit que les habitans dé PceeelTe pafïèrent à Carthée , & ceux de Corefïus à Ioulis : or la fituation d'Ioulis eft fi bien conniuë qu'on n'en peut pas douter ; donc il ne refte pllus que Carthée , remplie encore d'une infinité de marbres caftez , ou employez dans les maifons «du bourg. a Hifl. nttlib.z. caf. 9t. & Strab. lib.+.cap.iz. A ptolemée fût encore me>r.* h Négrcponc. tion de (rois villes de cejte Kapjuix , Tïctites-ot. Strabi }Jle. K<« ivxros ci « Tnh&i PoCCCfTa. Pli». Kt&as-ix. rfêit Ka^woroc, lof A»« Ko**' Stralr,CQtzff\iS,Plin.hvAif. >/*. GV^r./i^.ra/M ;j'«j IOURA Tôt h JjL-Pao ■ j 4 du Levant. Lettre VIII. 1$ Ce bourg oa l'ancienne Car thé c , eft fur une hauteur à trois milles du port , au fond d'une val- lée défagréableic'eft une efpéee de theâtre,a zjoo. mai fous , bâties par étages &c eu terraffes -, c'eft-à- dire que leur couvert eft tout plat , comme par tout le Levant , mais affez fort pour fervir de rue cela n'eft pas furprenant dans un pays où il n'y a ni charrettes ni carroftes , Se ou Ton ne marche qu'en efearpins. Sur la gauche eft une citadelle abandonnée , où 6 >. Turcs fe deffendirent glo- rieufement contre l'armée Vénitienne , avec deux fufils feulement , reftes des armes à feu échapées du naufrage qu'ils venoient de faire : ils ne le ful- fent pas rendus fi l'eau ne leur avoir manqué. Parmi des marbres confervez chez les bourgeois, le nom de Gymnafiarquc fe trouve fur deux in* feriptions fort maltraitées : nous y vîmes un bas relief en demi boife où la figure d'une femme eft reprefentée avec une belle draperie. La ville de Carthée s'étendoit dans la vallée qui vient à la marine : on y voit encore plufleurs marbres , fur tout Une infeription de 41. lignes , tranfportée dans la chapelle de Saint Pierre ; le commencement de cette infeription manque , & la plus grande partie des lettres eft fi effacée que nous n'y pûmes déchifrer que le nom de Gymna- fiarque. Pour voir quelque chofe de plus fuperbe , il faut prendre la route du fud fud-eft , où font les reftes de l'ancienne ville d'Ioulis , connue par les ICYAIS gens du* pays ious le nom de Polis , comme qui diroit la ville : ces ruines occupent une montagne au pied de laquelle les vagues fe viennent brifer -, mais éloignée , du temps de Strabon , d'environ trois milles. Cavcftus lui feryok de port, aujourd'- \6 V ô y A g k hui il n'y a que deux méchantes cales , 8c les rui- nes de l'ancienne citadelle font fur la pointe du cap. Dans un lieu plus enfoncé l'on diftingue le temple par la magnificence de fes débris ; la plu- part des colonnes ont le fufl: moitié lhTe 8c moitié canelé , du diamètre de deux pieds moins deux pouces , à canelures de trois pouces de large : on nous fît defcendreàla marine par un bel efcalier taillé dans le marbre, pour aller voir fur le bord de la cale une figure fans bras & fans tête j la draperie en eft bien entendue , la cuifTe 8c la jam- be font bien articulées ; on croit que c'eft la fla- tuê' de la Déefle Nemefls , car elle eft dans l'atti- tude d'une perfonne qui pourfuit quelqu'un. Les reftes de la ville font fur la colline , 8c s'étendent jtfques dans la vallée où coule la fontaine a Jou- lis , belle fource d'où la place avoit pris fon nom. Je n'ai jamais vu de fi gros quartiers de marbre que ceux qu'on avoit employez à bâtir les murail- les de cette ville : il y en a de longs de plus de douze pieds. Dans les ruines de la ville parmi les champs fe- mez d'orge , nous trouvâmes dans une chapelle Gréque le refte d'une infeription fur un marbre caffé , où on lit encore icvhiS** , aceufacif de IcuhK > le mot de 2Te f mais Pierre Juftiniani & Dominique Michicl s'en emparèrent tous l'Empire d'Henri IL Empereur Latin de Conftantinople. Le P. Sauger a remarqué que pendant les guerres des Vénitiens 8c des Génois a § Nicolas Carcerio neuvième Duc de l'Archipel , s'étant déclaré pour les premiers , Zia qui étoit de fa dépendance fut afliegée par Philippe Doria Gouverneur de Scio : la garnifon qui n'étoit que de 100. hommes fe rendit à dif- cretion dans la citadelle du bourg. h Mr du Can- ge qui rapporte cette expédition à l'année 1553. a cru que l'Ifle de Zia appartenait aux Génois j * Rerum Geograph. lib. 10. c Appian , lib. ç. *> Epoch. 5 j. î Du Gange hift.de Confttmti c to Murifioï ixcv. liv. I. * ETntciïfu Nxnia:. Vide 8 Hift.desDues de l'Arcbip, Horat. tib.x. Od.ï. h ibid.liè}. Tome 1 1. B 18 Voyage mais il vaut mieux s'en tenir au a P. Sauger , qui a examiné fur les lieux les archives deNaxie. Ziat fut enfuite rendue aux Ducs de l'Archipel , qui la confcrverent jufques à la décadence de leur état. Jacques Crifpo le dernier Duc , la donna en dot a fa feeur Thadée époufe de Jean François de b Sommerive huitième 8c dernier Seigneur d'Andros , dépouillé par Barberoufle lous Soly- man 1 1. c L'Ifle de Zia eft aiTez bien cultivée à pre- fent , Tes champs font fertiles : on y nourrit de bons troupeaux , mais on y recueille peu de fro- ment , beaucoup d'orge , allez de vin , plus de foyequ'a Thermie , &c beaucoup de Velani ; c'efl: ainfi qu'on appelle le fruit d'une des plus belles efpéces de d Chêne qui foit au monde : cet arbre a les racines , le bois , le port & la hauteur du Chêne commun \ fes branches font fort touffues , e'tendué's fur les cotez , tortues , blanchâtres en dedans, couvertes d'une écorec grisâtre & brune en plusieurs endroits ; les feuilles y naillent par bouquets fur les nouveaux brins , longues de trois pouces fur deux pouces de large , arrondies à leur bafe , crénelées fur les bords à grofles dents, dont chacune finit par une pointe mollaile & rouf- fatre ; ces feuilles font épaiifes , dures, vert-brun, un peu luifantes par deffus , quoique couvertes d'un duvet prefque imperceptible , blanches par deffous & comme cotoneufes , foûtenuës par une quelie longue d'environ neuf ou dix lignes, la- =» jbld. dumeta juvenci. Georg. l> Summaripa. ftb.i. vtrf.14. c Et culror nemorum cui * Qiicrcus calyce cchinato, pinguia Ccar. glande ma/ore.C.B- Pin. Tcrccncutn nivei tondent Verbascum Graecutrv,jTuUcosunv folie Sirtuato ccuicLlcLù fimo Cproll.Jnst.Rjù kerb. g , t> u Levant. Lettre V 1ÎI. 19 quelle s'allonge en manière de côte : les chatons de cet arbre font femblables à ceux de nôtre Chê- ne : les glands en iont bien dirrerens & attachez immédiatement aux jeunes branches à côté des feuilles : chaque gland commence par un bouton prefque fphérique 8c grofïit jufques à environ un pouce ou ij. lignes de diamètre , applati fur le devant , 8c creufé en manière de nombril allez ouvert pour laifler voir la pointe du fruit enchaf- fé dans Ton envclope , au lieu que nos glands n'ont qu'une calote allez légère qui n'en couvre que la troifiéme partie ; l'envelope du gland dont nous parlons eft une efpécc de boette relevée de plufieurs écailles vert-pàlc , longues de trois ou quatre lignes , allez fermes , larges d'environ une ligne &c demie , émouffées à la pointe : le fruic n'étoit pas meûr dans le temps que nous étions à Zia ) a les Grecs l'appellent Velani 8c l'arbre Vêla- nida. On voit dans cette ifle & à Thermie le long des chemins une belle eipéce de Bouillon blanc à feuilles ondées , cotoneufes 8c blanches , bien dif- férent de celui qui vient en Provence 8c en Lan- guedoc. yerbafeum Gr&cum , frtttlcofum , folio fmuato candidljfîmo. Coroll. Infl. rci herb.S. Sa racine eft ligneufe , longue d'un pied , plus groffe quelquefois que le pouce fur tout au col- let , gerfée , un peu amere , accompagnée de fi- bres alfez chevelues : fes tiges font autîi plus grof- {es que le pouce , dures , blanches en dedans , couvertes d'une écorce grisâtre, hautes d'un pied & demi , chargées de feuilles par bouquets , lon- gues de fept ou huit pouces , blanches 3 cotoneu* ?. H' Bxhcu'ts , un Gland. Bij io Voyage fes , drapées 3 larges de trois ou quatre ponces » mais ondées ôc frisées beaucoup plus proprement que celles de nôtre a Bouillon blanc frifé : les feuilles du centre des bouquets font encore plus drapées , plus épailTes, d'un blanc jaunâtre : d'au- tres tiges s'élèvent du milieu de ces bouquers à la hauteur d'environ deux pieds , garnies de quel- ques feuilles plus courtes , plus épaiffes ôc plus blanches :de leurs aiflelles naiifenc tout le long des tiges ôc comme par pelotons des fleurs jaune- pâle , larges d'un pouce , coupées en cinq parties arrondies , dont les deux fuperieures font un peu moindres que les autres : toutes ces fleurs font percées au fond , ôc du bord de ce trou fortent cinq étamines purpurines , couvertes d'un gros duvet blanchâtre ; crochues , garnies de fommets rouge-orangé : le calice eft un godet long de cinq lignes , cotoneux, divisé en cinq pointes, du fond duquel fort un piftile terminé par un filet rougeâ- tre : ce piftile devient une coque rouflatre , lon- gue d'environ quatre lignes fur deux lignes de large , dure , pointue , partagée en deux loges, ÔC qui s'ouvre en deux pièces remplies de graines menues ôc noirâtres. Cette plante cultivée dans le Jardin du Roy n'a pas dégénéré. Le commerce du Velani eft le plus confidera- ble de l'Ifle , on y en recueillit en 1 700. plus de cinq milles quintaux : on appelle petit Velani les jeunes fruits cueillis fur l'arbre , beaucoup plus eftimez que les gros qui tombent d'eux-mêmes dans leur maturité ; les uns & les autres fervent aux teintures ôc à tanner les cuirs ; les petits fc vendent ordinairement un écu le quintal , au lieu que les gros ne valent que trente fols ; mais le a Vcrbafcum lutcum , folio Papa veris corniculati. C.B. Pin. du Levant. Lettre V I J I. 21 plus fouvent on les mêle : nous laiflames dans le port de Zia un vailTeau Vénitien qui chargeoit de cette marchandée. Ce port dont l'entrée eft entre l'oueft-nord- oueft & le nord-oued , eft bon pour les plus gros vailfeaux & pour les plus grandes flottes : le bon mouillage eft à droite , & la fontaine pour faire aiguade n'en eft pas loin 8. A gauche eft la rade appclléele cul de bœuf, propre feulement pour les petits bâtimens : les chapelles où Ton couche ordinairement font marquées 1. 2. 3. 4. On trouve dans cette Ifle du plomb femblable à celui de Siphanto 3 &c principalement au-delà du monaftére de Sainte Marine : il y a aufli dans ce quartier-là de la craye aflez femblable à celle deBriançon. D'ailleurs ZiaTnanque d'huile & de bois : le gibier y abonde 5 fur tout les perdrix & les pigeons , mais fouvent les habitans n'ont ni pou-, dre ni plomb pour les tuer. L'armée Vénitienne qui étoit à Napoli de Romanie avoit fi fort affa- mé cette Iile lorfque nous y parTàmes , que les poules s'y vendoient 15. fols. Il n'y a que cinq ou fîx familles du rite Latin dans Zia ; leur Eglife eft pauvre ôc defervie par un Vicaire à qui l'Evêque de Tine ne donne que 15. ccus par an 3 encore faut-il que ce pauvre Prêtre les aille chercher à Tine ; car on ne connoît pas les lettres de change dans ce pays-là. L'Evêque Grec eft aflez riche , & toute l'ifle eft pleine de Papas & de chapelles ; il y a cinq Mona- ilércs de ce rite , Saint Pantaleon , Sainte Anne , la Madona d'Epifcopi , Daphni & Sainte Marine > où l'on fait voir comme une merveille du pays une ancienne tour quarrée , bâtie de gros quar- tiers de pierre ordinaire , coupez obliquement B iij li Voyage fur les cotez pour ne pas trop les racourcir en les équarrifiant & taillez à faces de diamans ; l'air les a fort endommagez , mais à parler franche- ment cette pièce n'eft pas fort digne d'admixa- tion, a Au deflbus de Sainte Marine en allant à la mer, coule un petit ruitïeau ; ce pourroit bien être l'Elixus qui pafïoit à Carejfus. Les bourgeois de Zia s'attroupent ordinaire- ment pour filer de la loye , & s'atloyent fur les bords de leurs terralfes afin de lailTer tomber le fufeau julques au bas de la rue , qu'ils retirent enfuite en roulant le fil ; nous trouvâmes l'Evêque Grec en cette pofture ; il demanda quelles gens nous étions , &c nous fit dire que nos occupations étoient bien frivoles , fi nous ne cherchions que des plantes & de vieux marbres : nous répondîmes que nous ferions plus édifiez de lui voir à la main les œuvres de Saint Chryfoftome ou de Saint Ba- file , que le fufeau. Les capots de poil de chèvres que l'on travaille en cette Ifle , font fort commodes , l'eau ne les perce pas facilement ; cette étoffe n'eft d'abord qu'une efpéce de toile fort lâche ; mais elle s'é- paiiîit & devient fort ferrée en fortant de chez les ouvriers qui la foulent avec les pieds fur le fable de la mer encore mouillé ; après qu'elle elt bien amollie 4 Ea<|«î vnupii m&i *« Ko&osicui.Strab.Hb.iQ. du Levant. Lettre VIIL 23 Cos la patrie du fameux Hippocrate. a Le même Pline a remarqué que l'on cultivoit dans Zia les figuiers avec beaucoup de foin ; on y continue' encore aujourd'hui la caprification. Pour bien comprendre cette manufacture de figues , il faut remarquer que l'on cultive dans la plupart des Ifles de l'Archipel deux fortes de figuiers 5 la pre- mière efpéce s'appelle Ornos du Grec littéral Eri- nos Figuier fauvage , ou le b Caprifîcus des Latins; la féconde efpéce cft le Figuier domeftique : le fauvage porte trois fortes de fruits c Fornltes , Cratitires , Ornl , abfolument necelfaires pour fai- re meurir ceux des figuiers domeftiques. Ceux qu'on appelle Fornltes paroi lient dans le mois d'Août Se durent jufques en Novembre fans meurir ; il s'y engendre de petits vers , d'où for- tent certains moucherons que l'on ne voit volti- ger qu'autour de ces arbres : dans les mois d'Oc- tobre & de Novembre ces moucherons piquent d'eux-mêmes les féconds fruits des mêmes pieds de figuier ; ces fruits que l'on nomme Cratitires ne fe montrent qu'à la fin de Septembre ; & les Fornltes tombent peu à. peu après la forrie de leurs moucherons : les Cratitires au contraire relient fur l'arbre jufques au mois de May , & non-feulement ce détail nous a été confirmé à Zia , à Tine , à Mycone , à Scio ; mais dans la plupart des autres Iiles. Avant notre départ de Zia , nous montâmes fur la tour du Monaftére de Saint Pantaleon , où nous fîmes la dation géographique luivante : Macroniii & le cap Colonne reftent à l'oueft- nord-oueft. Gaidaronifi & Porto-Leone d'Athènes à l'oueft. Saint George d'Albora & Hydra à l'oueft-fud- oueft. du Lfvant. Lettre V I II. 17 Engia ou Egina entre l'oueft de l'oueft-fud- oueft. Thermie entre le fud & le fud-fud-eft. Serpho & Siphanto au fud. Milo entre le fud & le fud-fud-oueft. Syra à l'cft-fud-eft. Andros au nord-eft. Carifto au nord-nord- eft. Joura à Tert. Tine entre l'eft &c l'eft-fud-eft. Le cap Skilli a Toiieft. Ncgrepont au nord. Le port Raphti au nord- oueft. On compte de Zia au port Colonne 18. milles, au cap dJOro 40. milles , &c du cap d'Oro au cap Colonne 60. milles. Nous commencions fort à nous ennuyer dans Zia où les vents contraires nous obligèrent de re- lier depuis le j. Novembre jufqu'au n.lorfqu'un jour de bonace fe prefenta pour nous inviter de paffer à Macronifi, Ille a abandonnée, mais fameu- Maçào. le à iz. milles de Zia fi l'on compte d'un cap à NIS,\> l'antre, & féparée de la terre ferme de Grèce ou muVj de la côte du cap Colonne par un détroit de fept ou huit milles. b Pline allure que Mlle Hélène ou la Macronifi des Grecs modernes eft à eeale di- Itance de Cea & du cap Sunium ou cap Colonne où font les ruines du temple de Minerve Snniade: il en détermine la diftance à cinq milles pas : il eft à croire que la mer qui a fait tant de change- mens en l'Ifle de Zia , eft la caufe de la différence de nos mefures. Cette Ifle qui s'appelloit c Maoris au rapport * L'Me longue. c M A K P I 2. h WJÎ. nat.Ub.^ citp.it. 2$ Voyage d'Eftienne le géographe &C que Pline prérend avoir été féparée de l'Ifle Eubée par les violences fécoulTes de la mer , n'a pas plus de trois milles de large fur fept , ou huit milles de long , ce qui ne s'éloigne pas trop de la * longueur que b Sera- bon lui a donnée , & qui lui avoit attiré le nom de l'Ifle longue : Ce géographe allure qu'elle s'ap- pelloit autrefois Cranae âpre & rude ; mais qu'elle reçût le nom d'Helene c après que Paris y eut con- duit cette belle Gréque qu'il venoit d'enlever. d Eltienne le géographe prétend avec Paufanias , que ce ne fut qu'après la prife de Troyc, la datte n'eft pas de trop grande importance ; mais il eft certain que l'Ifle efl: dans le même état que Stra- bon l'a décrite , c'eft à dire que c'eft un rocher ians habitans ; Se fuivant les apparences , la belle Hélène n'y fut pas trop bien logée : je ne croirois pas même que cette Ifle eût été habitée,fi Goltzius p nefaifoit mention de deux médailles à la légen- de de ces habitans ; elle eft relevée en dos d'âne par une crête de rochers fort hériflée & percée de grands trous par où nous paflâmes pour aller voir la terre-ferme de Grèce : Macronifl n'a qu'une méchante cale dont l'entrée regarde l'eft ; à peine trouve-t-on de l'eau à boire dans cette Ifle ; il n'y a que les bergers de Zia,qui feachent l'endroit où coule une petite fource. Nous couchâmes dans une caverne auprès de la cale ; mais nous eûmes belle peur dans la nuit : quelques f Veaux marains , qui s'étoient retirez dans une caverne voifine , firent des cris Ci épou- a 60 Stades. Pomp. Mêla de fitu orb. b Rerum geogr. Ub, 9. Hb.t. cap, 7. T {<*%** ny) c E A E N H tftftct Strab. ikid. d In Attic. hi Actide Hélène e EAENITfiN. eft nota ftupro Helenç. î "PflKH. Veau-Marin. du Levant. Lettre VItl. 255 véritables que nous ne fçavions fi c'étoient des animaux d'un autre monde $ nos matelots ne fai- foient qu'en rire , & cela nous raflùra : je ne fçai fi ces Veaux crient en veillant ou en dormant,c'eft une crrande difputc parmi les Commentateurs de a Pline : Hermolaus Barbarus croit que c'eft pen- dant leur fommeii , fon fentîment n'eft pas favo- rifé par les anciens manufcrits de Pline ; d'ailleurs on lui oppofe un texre b d'Ariftote conforme à ces manufcrits ; fans entrer dans cette dilfertation , je crois qu'il vaut mieux s'en tenir à ce que nous en dirent nos matelots, qui nous afliirerent que ces Veaux faifoient l'amour à leur aifedans ce temps- là : à la pointe du jour on les vit fortir de leur ca- verne , & ils fe plongèrent il vite dans la mer 3 qu'on n'eut pas le temps de tirer delTus. Le feul plaifir que nous eûmes dans cette Ifle fut celui d'herborifer , c'eft la plus agréable de tout l'Archipel pour les plantes ; elles y font mê- me plus grandes , plus fraîches & plus belles que dans les autres Mes : nous y en obfervâmes beau- coup que nous n'avions pas encore vues depuis nôtre départ de France. c Celle que Cluiîus appelle Cifte à feuilles de Thym répond aflTez bien à la défcription que Pli- ne a faite de fon Helemum ; cet autheur avance qu'il fe trouve dans l'Iile Hélène , 8c qu'il y eft né des larmes d'Helene ; il femble qu'à fon ordinaire il ait copié une partie de la deferi- * Hift. nat. Ub 9. c*J>.\ P. crymis Helena: dicitur na- k AQiwt JV euciew ufii)i /3c). mm, & ideo in Helena in- Arlft. hift.anim'-lib.6. c.ix. fula laudatifïirnum.Eft au- c Helianthemum Thimi rem frutex humi fe fpar- folio glabro. Inft. rci herb. gens dodrantalibus ramu- Ciftus folio Thymi Cluf. lis folio fimili Sarpillo, Hilt.72.HcJcnium , à la- PlmJ)ift,nat,lib,ii,(*ï'i9» 30 V O Y A G I prion que Diofcoride a donnée de V Helemwft d'Egypte , qui fe trouvoit fur la côte auprès de Canope dans une iQe appellée auffi Hélène , du nom de la même Princcllc. Si nous en croyons l'autheur du grand Dictionnaire Grec , qui rap- porte auffi la fable des larmes d'Hclene , cette plante croît autour d'Alexandrie ; apparemment que les larmes lui coûtoient peu : par rapport à a l'Helenium ordinaire , il ne croît pas certaine- ment dans Macroniii : on pourroit foupçonner que b 1J sîjler à fciiilles de Bouillon blanc feroit la première efpéce à' Helenium de Diofcoride , û la ftructure de fa racine répondoit mieux à la dé- feription que cet autheur en a faite : cet After eft ailez commun à Macroniii. Comme nous appréhendions d'être arfaillis dans cette Ifle par les bandits 6c par la famine , nous n'y reftâmes qu'environ 24. heures ; trop heureux d'être revenus à Zia : car le temps fut fi mauvais depuis le 8. Novembre jufques au il. que nous eufïions infailliblement péri dans ce méchant éciieil , où nous n'avions porté de l'eau & des provisions que pour cinq ou fix jours : nous rcpaiîàmes donc au plus vîte par Zia pour reprendre nôtre bagage ; mais nous n'en pûmes partir que le z 1. Novembre, 6c nous tirâmes vers l'Ifle de Joura. Jour a. Les Romains avoient raifon de reléguer les rïAPOs crimmels dans cette ifle ; c'eft le lieu le plus fté- cv\KuVS rîle 6c le plus défaercable e de l'Archipel ; on n'y trouve même que des plantes tort communes : nous n'y vîmes que de gros mulots , peut-être de a Aunéc. c Aude aliquicJbrcvibusGya- b Aftcr tomentofus, Veibif- ris & carecre dignum. Jtt" ci folio. H. R. P. vend , Satyr. S ^% •a * g # f du Levant. Lettre VIII. 3 1 là race de ceux qui obligèrent les habitans de l'Ifle de l'abandonner , comme a Pline le rappor- te : 'u quelques autres auteurs pour reprefenter la mifere du pays n'ont pas fait difficulté de dire que ces animaux étoient contraints d'y ronger le fer tel qu'on le tiroit des mines : cela nous apprend qu'il y en avoit dans Joura , & le terroir nous pa- rut aflez mauvais pour le croive. Joura eft tout à fait abandonnée aujourd'hui , & l'on n'y voit aucuns vertiges d'antiquité -, il eft vrai qu'elle a toujours été fort pauvre : c Strabon n'y trouva qu'un chetif village habité par des pê- cheurs } dont l'un fut député à Auguftc pour obte- nir une diminution de leur tribut réglé. à 150.de- niers : nous nous rappellâmes l'idée de cette mi- fere à l'afpect de trois malheureux bergers qui mouroient de faim depuis dix ou douze jours ; ils fe prefentérent à nous hâves & déchavnez, & {ans autre cérémonie allèrent chercher dans nôtre cal- que le fac au bifeuit qu'ils avallerent fans mâcher quelque dur qu'il fùt,avo'dants qu'ils étoient con- traints de manger leur viande fans pain & fans fel, depuis que le mauvais temps n'avoit pas permis aux bourgeois de Syra leurs maîtres de leur en- voyer le fecours ordinaire. Joura n'a que 1 z. milles de tour , & Pline en a bien connu le circuit : elle eft à 1 2 . milles de Sy- ra terre à terre , Se à 1 S. milles de Zia d'un cap à l'autre ; mais il en faut faire plus de 25. pour aller du port de Zia à la Cale de Joura , dont l'entrée eft entre le kid «Se le fud-fud-eft auprès du méchant a Hîft. nat. l)b.-$.c*f>. 19. JElLin.hift.antm.lib.j.cap.ï^, b Anùgon. Carift. narrât. Stepk. Byzant. m'irab. cap.n , c Rtmtn gtog. Uk.lQ. 4>ift. L'tk. de mir. aufe.. ja Voyage écueil de Glaronifl ou de rifle aux Cormorans. I* Dans la Carte de Grèce drellce fur les mémoi- res de Mr. Baudrand , il eft fait mention de Tille de Joura , placée entre Syra 8c Andros , & beau- coup plus grande que la première de ces Iiles i fuivant les apparences on a voulu marquer Joura* dont nous parlons , néanmoins Tauteur de la mê- me carte marque une autre Ifle de Joura tout près de Delos où aflfùrément il n'y en a point : il met Tragonifi &c Stapodia tout près de Nicarie, quoi- que Tragonifi Toit celle qu'il appelle Rocho à un mille de Mycone , & Stapodia à iix milles plus loin, &: à plus de 30. milles de Nicaria : bien fou- vent les Géographes ajoutent à l'ouvrage du Créa- teur & forment des pays imaginaires : Tautheur de la même carte marque autour de Milo feparé- ment les liles de Rencomilo & Antimilo, quoique ce ne foient que deux noms de la même Ifle appcl- lée Rencomilo par les Grecs , & Antimilo par les Francs. Il n'y a point d' Ifle de Caura entre Zia& Andros , fi ce n'eft peut-être un méchant rocher tout près du port Gaurio de Tlfle d'Andros j ap- pelle Gaurionifî : Je n'ai pu découvrir 1* Ifle Ca?ne- ra que cet authcur a mis entre Nio & Nanfio ; il appelle Skino celle qu'il faut nommer Polican-' dro : Tille de Sicandro n'étant pas connue dans l'Archipel , il y a apparence qu'elle a été englou- tie par la mer i je ne parle pas de la fîtuation des Ifles ou de leurs villes , elles font pour la plupart renverfées dans cette carte ; c'eft bien pis dans la carte de Sophianus : celle de la mer Méditerranée de Mr Berthelot Profeflèur d'Hydrographie à Mar- feille eft la meilleure de toutes les cartes marines qui ont paru jufques ici, fur tout pour les hau- teurs. Mr Berthelot eft fçayant 8c re&ifie tous les joug dit Levant* Lettre VIII. \\ Jours fa carte fur les journaux des Pilotes \ cepen- dant comme l'on va fouvent d'un lieu à un autre par differens vents , il n'eu: pas furprenant qu'il y ait quelque chofe à changer pour la pofition de quelques lues , &T fur tout pour les contours des côtes de la terre ferme. L'ifle de Scio & le cap Carabouron y font très bien marquez -, mais on pourroit trouver à redire a l'ifle de Metclin & à la terre ferme d'Afie, L'Archipel de Marc Bof- chiniefttout rempli de fautes , de même que les cartes de cette mer faites en Italie. Les plans des villes de Bolchini ne valent pas ceux de Porcachi. Pour faire une bonne carte de la Méditerranée , il faut fuivre le denVm des côtes du Flambeau de la mer imprimé en Hollande en 170^. & s'en tenir à la carre de Mr Berthelot pour les hauteurs : ces deux ouvrages font eftimables. Mr de Lille de l'A- cademie Royale des iciences vient de donner une excellente carte de l'Archipel fur les mémoires de plufieurs perfonnes qui ont été fur les lieux ; ha- bile Cofmographe & Aitronome comme il eft , il a rectifié leurs obfcrvations avec exactitude , &C corrigé pluheurs chofes fur la Géographie des anciens. Voilà les reflexions que nous fîmes à Joura pendant la nuit , couchez dans une chapelle rui- née où nous nouons nous endormir de peur que les mulots ne vinffent nous ronger les oreilles ; ainfi nous n'attendîmes pas qu'u fût jour pour paner à l'ifle d'Andros } &c nous refervâmes nôtre Fommeil pour le bateau. ; • ( a Andros que Pline marque a dix milles de A N Caryfto & à trente-neuf milles de Zia , a eu plu- APOs. ? Antandros, Cauros, Lafu , Nonagna , HydruiTa ,Epagtis, Andr«I Plin.hifl. lib.4.. cap.it. Tome IL C 34 Voyage ûquïS noms anciennement. a Paufanias dît que celui d'Andros lui fut donné par Andreus ; Bibïtoth. hifl. tih. j. c Cato caftro , Apano ca- c Narrât. îho > ou Corti. d A»ri \*«t w»?>«; , pro uno t> ù Levant. Lettre VIIÎ. $$ là hoblefle du pays fe croit à l'abri des Corfaires dans ce château , & d'ailleurs c'eft le quartier de Tlfle le plus riant 8c le plus fertile. a En for tant de ce bourg on entre dans les plus belles campagnes du monde j à gauche c'eft là plaine de Livadia \ c'eft-à-dire des lieux agréa- bles \ ce font des champs féconds , plantez d'O- rangers , de Citroniers , de Meuriers , de Juju- biers , de Grenadiers & de Figuiers ; on n'y voit que jardins 8c ruîfleaux : b le Chou-rave v eft très commun , de même que dans les autres Ifles 5 c'eft celui qu'on appelle à Paris Chou de Siarri depuis que les Ambaiïadcurs de Siam font venus à la Cour de France , quoique cette plante fût connuë long-temps auparavant en Europe. À main droite du château d'Andros on entre dans la vallée de Megnitez aufli agréable que l'au- tre , 8c arrosée de ces belles fources qui viennent des environs de laMadona de Cumulo , chapelle fameufe tout au haut de la vallée -, ces fources font tourner huit ou neuf moulins ; l'une des plus confiderables fort du rocher même qui fait partie de la chapelle. Les autres villages de l'Ifle font : Meflî, Megnitez » Strapurias , Lamiro , La Pichia , Apfilia , Livadia , Steniez , Mena Chorio * Vurcorti 3 Aladina , Arna, Falica , Amelocho , Curelli , Atinati , Pitrofo i Vouni , * An%xih , A*&*iï*Ti , Pratum , loca amœna. ^ BraiTica Gongylodcs. G, BiPîq, c 3 G Voyagé Caftaniez t Gridia s Cochilu , Pifcopio s Lardia , Capraria , Gianiftcs , Aipatia. Le village d'Arna eft bâti par gros pelotons féparez les uns des autres , à mi-côte d'une vallée ornée de Platanes & de fontaines ; pour y aller on traverfe la montagne la plus haute de l'Ifle. Le village d'Arna , 8c celui d'Amelocho ne font peu- plez que d'Albanois vêtus encore à l'a mode de leurs pays 3 8c qui vivent à leur manière ; c'eft-à- dire fans foi ni loi : les Turcs les ont engagez d'y venir pour repeupler l'Ifle où il n'y a gueres plus de 4000. âmes , 8c où les terres nous parurent bien cultivées : Pline ne donne à cette Ifle que 53. milles de circuit -t les habitans prétendent qu'elle en a 120. La principale richefïed'Andros confifte en foye; quoi qu'elle ne foit propre qu'à faire de la tapif- ferie , de même que celle de Thermie , de Cary- fto 8c du Volo , elle ne laiffe pas de fe vendre fur les lieux un écu 8c demi la livre 3 &: l'on y en re- cueille plus de 10000. livres : peut-être que iî elle étoit bien préparée , on la pourroit employer a des étoffes , à des rubans 8c à coudre. Cette Ifle produit affez de vin 8c d'huile pour les habitans, l'orge y eft beaucoup plus commun que le fro- ment qu'on eft fouvent obligé de faire venir cU. Volo. Les montagnes d'Andros font couvertes d'Arboufiers en pluiieurs endroits , on en diftille le fruit pour faire de l'eau de vie : les Meures noi- res donnent auiîl un efprit ardent qui neft pas défagreable , 8c l'on nourrit les vers à foye des feuilles de ce Meurier. Les Grenades y font à gros grains &c d'un excellent goût , on en donne iod. ®u Levant. Lettre VIII. 37 é pour trois fols : les Limons n'y font pas plus chers , non plus que les b Cèdres. Le Cadi fait fa refidence dans le château avec la neblefle du pays & les Adminiftrateurs ; on crée un ou deux de ces derniers tous les ans : rifle paya 15000. écus pour la capitation & pour la taille réelle en 1700. Nous allâmes falucr l'Aga Commandant de cette Ifle , niché au haut d'une vieille tour quar- rée où l'on monte par un efcalierde pierre à 14. marches , fur lequel s'appuye une échelle de bois de pareille longueur qui porte contre le feuil de la porte : au moindre foupçon qu'il y ait des Cor- faires fur la côte , on tire l'échelle de bois , Se l'on prépare les moufquets pour les faluer : la tour de l'Aga eft hors de la ville ; ce Seigneur ne fe por- roit pas bien , & il reçût fort agréablement nôtre préfent , qui étoit un flacon de criftal rempli d'ef- prit volatile s aromatique , huileux , propre pour le foulager dans le tems que l'afthme le fatiguoit : toute l'Ifle eft remplie de femblables tours où lo- gent les plus b aifez ; elles font aifez fortes & per- cées feulement par des lucarnes comme les cachots des prifons. Les habitans de cette Ifle font tous du rite Grec s excepté Mrs de la Grammatica deux frères fort riches & fort zélez pour l'Eglife Latine ; c'eft dans leur chapelle que le Conful de France en- tend la MefTe. L'Evêque Latin n'a que trois cens écus de rente -y c il arriva il y a quelques années à ce Prélat , qui eft homme d'efprit , appelle M* a Deuxparats. c A"p%°i , A'^evres , A^«- b Malus Mcdica fru£lu in- -m^s , AQu-m* pro Av%i- genci tuberofo C. B, Pin- **?, Nobilis Dominus, &C, i'oucire ou Cédr*t £ rgrf**r« d'où vient le nom de Gaurio ou Gabrio. Les Ân- driens s'oppolérent au projet des Athéniens , avec toutes leurs forces jointes au fecours qu'ils avoient reçeù du Peloponnefe ; mais ils furent battus ÔÇ contraints de fe mettre à couvert dans l'enceinte de leur ville : Alcibiade n'ayant pu s'en rendre maître , alla ravager les liles de Rhode 3c de Cos, après avoir laiilé une forte garnifon dans le châ- teau de Gaurium fous le commandement de Thra- fybule. Ce n'étoit pas la première fois que les Athéniens avoient vifité l'Ifle d'Andros ; Themif- tocle avoit mis les Andriens à la raifon quelques années auparavant ; car les peuples de cette Ifle a- yant été longtemps fous la domination desNaxio- tes , fuient les premiers à embraffer le parti des c Perfes dont la flote fubj ligua prefque tout l'Ar- chipel. Les Grecs confederez refolurent d'attaquer • Ht fi. nat lib. 3 1 . c Lib, y & 8. •*> D'iod.$ic.P'tHiQth.hifiMh.is. du Levant. Lettre VIII. 41 îa ville d'Andros , Se Themiftocle n'ayant pu ea exiger les contributions, en fit le fiege : comme ii ètoit grand Capitaine & bel efprit , il fit dire aux commandans de la place , que les Athéniens a- voient apporté de leur pays deux grandes di vinitez, la perfuafion Se la necejjité > Se qu'ainfi il falloit lui donner de l'argent ou de çré ou de force : les a£- /îegezrepondirent,que pour eux ilsn'avoient d'au- tres divinitez , que la pauvreté Se YimpoJfibiUté : fuivant les apparences la ville fut emportée d'af- faut , Se l'Iflc fut maltraitée , puifque a Pericles y envoya quelque temps après une colonie de z^o. hommes ; au lieu que les Andriens avoient accou- tumé d'en envoyer dans la Thrace, du côté d'Am- phipolis que Brafidas h capitaine Lacedemonien fubj ugua. c Ptolemée premier du nom voulant donner la liberté aux villes de Grèce , d traverfa tout l'Ar- chipel avec une puiifante armée navale, Se obligea la garnifon d'Andros , engagée dans le parti d'Antigonus,de fe retirer après avoir capitulé : par ce moyen il rétablit cette ville dans fon Ancienne liberté. Attalus Roy de Pergame vint afîieger Andros avec une armée Romaine , qui débarqua au port Gaurîo , appelle Gauroleon par c Titelive ; la ville ne fit pas grande refiftance ; Se la garnifon s'étant retirée dans la citadelle , capitula trois jours après. Les Romains profitèrent de tout le butin. Atta- lus s'empara de l'Ifle : pour ne pas la dépeupler , il perfuada aux Macédoniens qui s'y trouvèrent & aux gens du pays d'y refter. Les Romains après " Plutarch. in Pericl. c Lagus- h Diod. Sic. Bibliatb. Hift. à Diod.Sicul.ibid.l\b.lo, lib.iz. * Lib.ii. tfjf.45. 4i Voyage la mort de ce Prince1;, héritiers de tous Ces biens # poflederent rifle jufques à ce qu'elle palTa aux Empereurs Grecs. 1203. Andros fe rendit à Alexis Comncne revenant d'Italie d'implorer le fecours des Croilez , pour rétablir fur le thrône " Jean Ange Comnene ion père , challé , misenprifon & privé de lavûc^par Ion frere Alexis Comnene Andronic. Quelque temps après la prife de Conflantinople , Marin Dandolo fe iailit de l'Iflc d' Andros ; elle fut en- fuite polledée par la maifon de b Zeno , & don- née pour dot à Cantiana Zeno épouie de Courfin de Sommerive , comme le remarque le c P. Sau- ger dans la vie de Jacques Crifpo XI. Duc de Naxic. Couriin troiliéme du nom & feptiéme Sei- gneur d' Andros fut dépouille par BarberouiTc ; mais à la follicitation de l'Ambaffadeurde France, Solyman 1 I. le rétablit dans fon domaine: Jean François de Sommerive fut le dernier Seigneur de cette ! fie ; 6V: fes lujets du rite Grec , après a- voir voulu l'afFafîiner , Te donnèrent au Turc pour fe délivrer tout-à-fait de la domination des Latins. Le port Gaurio eft le meilleur port de l'Iflc , & les Vénitiens y viennent donner fond lorsqu'ils ont la guerre avec les Turcs. A un mille de terre vis-à-vis de ce port , eft Gaurionifi écueil aiTcz ; long entouré de quelques rochers ; c'eft peut-être l'ifle de Caurade Baudrand : la nuit qui nous fur- prit ne nous permit pas d'examiner s'il y relie en- core quelques vertiges du château Gaurinm. Nous fumes contrains de venir coucher au Mo- a Du Congé Hift. des Emp.de b Idem lib. 1- Conft. lîv. 1. c HiJIJesDucsde l'Archipel- du Levant. Lettre VIII. 45 11 artère de la a Vierge \ cette maifon n*a rien de beau , quoique les Religieux foient fort riches : ils ont lai(ïe perdre la bonne coutume , qu'ils avoient du temps de Mr Thevenot , de régaler les paffants; nous y enfilons jeune malgré nous, fans Mr Gafparachi de la Grammatica qui nous y en-» voya la moitié dJun mouton , d'excellent vin 8ç des rafraichiflemens : le lendemain nous y vîmes à la meiTc beaucoup d'Albanoifes bien parées , & plus propres que les Gréques , dont les b jufte» au-corps font beaucoup plus ronds & plus defa- çrreables mêmes que ceux que l'on porte dans les autres Iflcs ; ces juMe^au-corps des Dames d'An- dros ont un gros bourlet qui refTemble à un ver- tugadin. Le froid qui commencent à fe faire fentir dans cette Ifle 8c la mer qui devenoit orageufe d'un jour à l'autre , nous obligèrent de palîcr à Tine dans le delfein de nous retirer à Mycone pour y at- tendre le beau temps : l'Archipel eft fort dange- reux pendant l'hiver. c Dcnys le géographe a rai- ion de dire qu'il n'y a point de mer qui pouffe (es vagues plus haut , & la raifon qu'il en apporte eft excellente:11 c'eft que ces vagues ne pouvant s'é- tendre bien loin , fc reflechiffent avec impetuofité entre les Mes qui font fort proches les unes des autres ; &: comme dit Hefychius , leurs flots ref- femblent à des chèvres e qui bondifTent dans les campagnes. Il n'y a qu'un mille de diftance de l'Iile d'An- ? Ayta. d Où yaç rtç x.ftra> i*ct>W)cîet b Colibi. xvpxm i(f>i»H. Ver/. 131. f 11%, T« KUflX PtfOTo'^O» >H- l}t. 133. (ûhosty, " Hefj/ch. 44 V o y a g i dros à celle de Tine , comme Pline l'a remarque' ; nous paflàmes ce canal le premier Décembre dans un caique : car les fix rochers qui en occupent le milieume le permettent pas aux gros batimens. Il faut faire 40. milles pour aller du port du châ- teau d'Andros à celui de San Nicolo du Tine , où nous n'arrivâmes que fur les fept heures du foir ; & les officiers du port ne voulant pas prendre la peine d'examiner nôtre patente de famé à cette heure-la , ni de faire avertir le Conful de Fian- ce , on nous obligea de coucher dans nôtre bateau; il eft vrai qu'on eut l'honnêteté de nous offrir le lazaret pour faire compagnie à quelques efclavcs que la vermine devoroit. Le lendemain le conful de France dépêcha un ex- pert à la rorterefle à ion Excellence. MSr Louis Cornaro Provediteur de l'Iile, qui nous accorda la pratique, comme ils parlent, c'cft-à-dire,la liberté de nousdébarqucr;mais la fortereffe étant à quatre milies du port, nous ne reç Lunes cette pcrmifïion que fur le midi. Le Ti- L'Ifle de Tine fut anciennement nommée Te- ne. nos fuivent Eftienne le géographe , d'un certain Tenus. Tenos qui la peupla le premier : Hérodote nous THNOS apprend quelle nt pairie de l'Empire des Cycla- des que les Naxiotes poflèderent dans les premiers temps. Il eft parlé des Teniens parmi les peuples de Grèce , qui avoient fourni des troupes à la ba- taille de Platée, où Mardonius General des Per- fes fut défait ; & les noms de tous ces peuples fu- rent gravez fur la droite d'une bafe de la ftatuë de Jupiter regardant l'Orient : à voir même l'in- feription rapportée par a Paufanias, .il femble que les peuples de cette lile futient alors plus puiflans, a ElUc. prier. ~" Tom IL ray ■ 4£- A^TDROS . du Levant. Lettre VIII. aJ ou aulîi puifTans que ceux de Naxos. Néan- moins ceux de Tenos , a les Andriens , & la pluf- part.'de autres infulaires , dont les intérêts étoient communs effrayez de la puiflance formidable des Orientaux , fe tournèrent de leur côté. Xerxésie jfcrvit d'eux & des peuples dz l'ifle Eubée pour reparer les pertes qu'il faifoit dans fes armées* Les forces maritimes des Teniens font marque'es fur une médaille fort ancienne , frapée à la tête de b Neptune révéré particulièrement dans cette Ifle ; le revers reprefente le trident de ce dieu , accompagné de deux Dauphins : Goltzius a fait auiîi mention de deux médailles de c Tenos au même type. Triftan parle d'une médaille d'ar- gent des Teniens à la tête de Neptune avec un trident au revers. Le bourg'de San Nicolo bâti fur les ruines de l'ancienne ville de Tenos , au lieu de port n'a qu'une méchante plage qui regarde le iud , & d'où l'on découvre l'Iiîe de Syra au fud-fud-oueft : quoiqu'il n'y ait dans ce bourg qu'environ ijo, rnaifons , on ne peut pas douter par le nom de Polis qu'il porte encore,&:par les médailles & les marbres antiques qu'on y trouve en travaillant la terre , que ce ne foient les débris de la capita- le de l'Ide. b Srrabon allure que cette ville n'é- toit pas grande : mais qu'il y avoit un fort beau remple de Neptune dans un bois voifïn ,i où Von venoit delebrer les fêtes de cette divinité , &c où l'on étoit régalé dans des appartemens magnifi- ques ; c ce temple avoit un afyle dont Tibère re- a Hsrod. lib.i. d Rerum geog. lib.io. k THNlûN. * Tacit. Annal, lib,}. cap. Spon, ijt.yag. totn. 3. 60. ^ 6}, * c Gmmtnt* hïjt. tom.x. 46 V G V A G E gla les drotis de même que ceux des plus fameux temples du Levant. A l'égard de Neptune , Phi- locore cité par a Clément d'Alexandrie , rappor- te qu'il etoi.t honoré dans Tenos comme un grand médecin , 6c cela fe confirme par quelques mé- dailles : il y en a une chez le Roy dont^ Triftan 6c Patin font mention : la tête eft d'Alexandre Sé- vère : au revers c'eft un trident , autour duquel eft tortillé un ferpent , fymbolc de la médecine chez les anciens : v d'ailleurs cette Ifle avoit été appcllée l'ifle aux ferpens. Elle a 60. milles de tour , &: s'étend du nord- nord- oueft au fud-{ud-eft;pleine de montagnes pe- lées , mais la mieux cultivée de l'Archipel. Tous les fruits y font excellens : melons, figues , rai- fins ; la vigne y vient admirablement bien3& c'eft fans douce depuis long-temps ; puilque d Mr Vail- lant fait mention d'une médaille frapéc à fa lé- gende j fur le revers de laquelle eft reprefenté Bacchus tenant un raifin de la main droite 6c un thyrfe de la gauche : la tête* eft d'Antonin Pie. La médaille que Mr Spon achetta dans la même Me eft plus ancienne , d'un côté , c'eft la tête de e Jupiter Hammon , 6c de l'autre une grappe de raifin:à l'égard du froment , on en feme peu dans cette Ifle , mais on y recueille beaucoup d'orge. Les Figuiers de Tine font fort bas 6c fort touf- fus'lcs Oliviers y viennent fort bicnuiiais il y en a peu , 6c leur fruit n'eft deftiné que pour être falé : on y manqueroit de bois & de moutons , fi on ne les droit d'Andros : d'ailleurs le pays eft agréable 6c arrofé de beaucoup de fontaines, qui lui avoient * Admon. ad gtntes. c Ophiujft. Vïln. k Comment, h'rfi. tom.i. d Numijr/i. Gr&c. THNlfiN. c TH. du Levant. Lettre V î I T. 47 attiré chez les anciens le nom a â'HydruJ/li , de même qu'à la plulpart des lflcs 011 il y a quel- ques fources : on a dit plus haut qu'on l'avait b nommée l'ifle aux ferpens ; tuais Hefychius de Milet nous apprend que Neprune s'étoit fervi de Cigognes pour les exterminer : il faut que ce la foit vrai , ou que la race de ces reptiles en foie é- teime , puifqu'on n'y en voit plus. La foye fait aujourd'huy la richeire de Tine ; chaque année on y en recueille environ feize mil- le livres pefant : c dans le temps que nous y é- tions , elle valoit un lequin la livre , elle va quel- que fois jufques à trois écus ; nos François l'en- levèrent prefque toute : quoique ce loir la foye la mieux préparée de toute la Grèce , elle n'eft pas pourtant allez fine pour faire des étoffes , mais fort propre à coudre & à faire des rubans : on fait de bons bas de foye dans cette llle -y rien n'ap- proche de la beauté des gaus que l'on y tricotte pour les Dames. Ceux qui font embarquer de la foye pour Venize , ne payent aucun droit de fortie à Tine ; ils donnent caution , & la caution paye h" l'on découvre que la foye ait été conduite autre part ; la raiion en eft que cette match m- dife payant l'entrée à Venize , elle payeroit deux fois fur les terres de la Republique , h l'on en faifoit payer la fortie à Tine. La forterelïe du Tine où nous arrivâmes à che- val , de San Nicolo dans une heure de temps , eft fur la roche dominante du pays , & où la na- ture a plus travaillé que l'art , la garde en eft con- fiée à quatorze foldats mal vêtus , du nombre def- quels étoient fept deferteurs François : nous y * Steph. £ Le Sequîn vaut deux écut fc Tr'tfl. Cemmevt.bijl. totn.t; & demi. 4$ Voyage comptâmes environ quarante Canons de bronze & deiix ou trois canons de fer : c'cfl le fejour des plus honnêtes gens de l'Ifle quoiqu'il n'y ait pas plus de 500 maifons , que lèvent du nord 8c le froid , aulîi afpre qu'à Paris , rendent fort incom- modes : le palais du Provediteur cft mal bâti , on n'y fçauroit conferver aucun meuble 3 non plus que chez les bourgeois à caufe de la grande hu- midité que les brouillards &c les crevafles des ter- ràfTes y entretiennentdes Jefuites y font allez bien logez ; mais leurEglife ne fauroit contenir la moi- tié de leurs dévotes ; le P. Prati Supérieur de la maifon nous reçeut fort honnêtement , 8c nous eûmes le plaifir d'y dîner avec les Pères Forefti, Camuti 8c Federic : Son Excellence à qui nous allâmes faire la révérence nous invita auflî à dî- ner , 8c nous offrit des gardes pour nous accom- pagner dans l'Ifle : Mr Antonio Betti l'un des plus fameux Avocats du Tine , nous prêta fa maifon du a fauxbotirg hors la fortereiTe où il n'y a qu'en- viron 150. maifons ; mais on ala liberté d'en for- tir 8c d'y entrer quand on veut, au lieu que les portes de la fortereiTe fe ferment de bonne heure, 8c ne s'ouvrent que tard. Outre la fortereiTe de San Nicolo , les princi- paux villages de cette Ifle font. Il Campo , Chilia , Il Terebado , Oxomerîa,qui contient cinq Lotra , bourgades 5 fçavoir , Pyr- Lazaro , gos , Vacalado, Cozonari , Peraftra , Bernardado 8c Platia. Cumi . Cifternia , Carcado , Cardiani , Cataclifma , Difado , 5 IlBorco. Aîtofoli* * t> tJ Levait. Lettre V I ï I. 49 Âitofolia , Mondado > Maftro-mercato , Volacos , JMicrado , Fallatado , Carea s Meflï , Filipado , Muofulu , Comiado , Stigni , Arnado, Potamia, Pergado, Cacro , Cazerado , Triandaro , Cuticado , Doui Caftellî ^ Smordea , Diocarca , Cozonara , Cicalada , Tripotamo i Sclavo corio , Cigalado , Croio , Agapi , Monafterio, Mr le Provediteur ne retire qu'environ deux mille écus de Ton Gouvernement , auiîi le regar- de-t-on à Venize comme tin lieu de mortifica- tion : ce Gouverneur a la dixième partie des den- rées ; de dix charges d'orge , par exemple , on lui en paye une: pour la foye ce n'eft pas de même, ceux qui en font embarquer pour autre part que pour Venize, ne payent que trois écus y Ôc trois quarts pour chaque centaine de livres ; le Prove- diceur n'a rien à voir fur ces droits. L'Evêquede Tinea 300. écus de revenu fixe, & près de 200. écus des émoiumens de fon Egli- fe : fon Clergé d'ailleurs eft illuttre , &c compofé de plus de 1 2.0. Prêtres : les Grecs y ont bien deux cens Papas, fournis à un Protopapas ; mais ils n'ont point dans l'Iflc d'Evêque de leur rite, & même ils dépendent de l'Evéque Latin en plufieurs cho- fes : un Grec ne fçauroit être Prêtre que cet Evêque ne Paît fait examiner ; après que l'afpi- Tome II. D 5Q V O Y A G 1 rant a juré qu'il reconnoît le Pape & l'Iiglrfc Àpa- (lolique &c Romaine, l'Evèque Latin hiy fait don- ner ton dimitloire pourveu qu'il ait 2.5. ans \ en- fuite il eft facré. par un Evéque Grec venu de quelque Ille voitine , auquel il ne donne que 10, ou 11. écus pour (on voyage : le jour du (acre le nouveau Prêtre donne trois livres de loye au Pro- vedireur , autant à l'Evèque Latin , & un écu ÔC demi au Protopapas qui lui a donné ion atteita- tion de vie de mœurs. Dans les procédions & dans toutes les fon- ctions eccleiiaftiques , le Clergé Latin a toujours le pas : quand les Prêtres Grecs entrent en corps dans les Eglifcs Latines , ils fe découvrent fui- vant la coutume des Latins , & ne fe découvrent pas dans leurs propres Eglifes. Lorfque la Mefle Fe dit en préfence des deux Clergez , après que le Soudiacre Latin a chanté l'Epître , le fécond Dignitaire du Clergé Grec , la chante en Grec ; & lorfque le Diacre Latin a chanté l'Evangile , le premier Dignitaire Grec D pu le chef des Prê- tres chante audi l'Evangile en Grec : Dans tou- tes les Eglifes Gréques de l'Ifle , il y a un autel deftiné pour Les Prêtres Latins : on prêche dans les Eglifes Gréques avec pleine liberté fur les ma- tières conteftées entre les Latins & les Grecs. Il n'y a dans les Eglifes Latines que de (impies Chapelains amovibles au gré de l'Evèque. Nun- cio Vaftelli chirurgien Maltois , ayant gagné du bien à Tine , & n'ayant point d'enfants a adopté les a PP. Recolets ; il leur a fait bâtir une Eglite & un couvent à la campagne : ces Pères font fort aimez, mais ils ont peu de maifons dans le Levant. Les femmes des bourgeois & contadins>commc • Zoccolancù Du LtvANt. Lettre FÏÏÏ. ji ils parlentifont vêtues à la vénitienne j les autres ont un habit approchant de celui des Candiotes; Pour ce qui regarde Thiftoire de cette lfle3 vous fçavcz, Monfeigneur, que c'eft la feu4e con- quête qui foit reftée aux Vénitiens , de toutes celles qu'ils rirent fous les Empereurs Latins dé Conftantinople. André Gizi , d'où defeend le Sr Janachi Gizi que vous avez établi Conful de" cette Ifle &c de celle de Mycone , fc rendit maî- tre de Tine environ l'an 1207. 8c la République en a toujours joui malgré toutes les tentatives des Turcs. Peu s'en fallut que ce fameux a Bar- beroulfe Capitan Pacha, qui fournit en 1 j 3 7. pref- que tout l'Archipel à Soliman II. ne s'emparât aufli de Tine. André Morofini aiîiïre que cette Ifle fe rendit fans refiftance , mais que peu dé temps après * honteufe d'une pareille lâcheté ^ elle députa vers le Provediteur de Candie , dont elle receut alTez de fecours pour fe remettre fous la pui (Tance de fes premiers maîtres, On ne con- te pas la choie tout à fait de même à Tine : on dit que Barberoulfe prellant extraordinairement la forterefle , obligea la çarnifori de battre la cha- made j mais que la noblelTe voyant qu'il n'y avoié que les habitans des villages d'Arnado , Triait* daro & Doui Caftelli difpofez à capituler , vint fondre fi brufquemcnt fur les Turcs j qu'elle les força de lever le fiége , on ajoute même que les foldats de la garnifon , dans leur furie , firent fauter du haut des remparts l'Officier que le Ca- pitan Pacha avoit envoyé pour régler les articles de la capitulation. Depuis ce temps-là pour reprocher aux habi* • Barberoufîe 1 1. && «*3- «8* »S*3 .- -6*3- * &&3 : «» -8» £*3 *** 6** Lettre IX. A Monseigneur le Comte de Pontcbartrain , Secré- taire d'Etat & des Comrnandemens de Sa Aîa- jefté , &c. MoN SEIGNEUR L'Hiftoire de Scio eft d'une trop grande éten- Oeçch- due pour la pouvoir renfermer dans une lettre ; PTION j'aurai donc l'honneur de vous entretenir danscel- i c cs { • r -ri j dc Sci° • ie-ci feulement de ce qui s'y elt pafle de nos jours, Metclin & de vous envoyer une hmple defeription deTenedos, cette Ifle. Nicarja. Antonio Zeno Capitaine général de l'armée Vé- nitienne parut devant la ville de Scio le 18. Avril 1694. avec une armée de 14. mille hommes & commença d'attaquer le château de la marine , feule place de réfiftance dans tout le pays : il ne tint pourtant que cinq jours , quoique derrendu par huit cens Turcs , & foùtcnu par plus de mille nommes bien armez qui pouvoient s'y jetter lans oppofition du côté de terre. L'année luivance le 10. Février les Vénitiens perdirent la place avec la même facilité qu'ils l'avoient prile , & l'aban- donnèrent précipitamment après la défaite de leur armée navale aux liles de Spalmadori où le Ca- pitan Pacha M^zomorto commandos la flotc des Turcs : l'efpouvante fut (i grande dans Scio qu'on y laifla le canon & les munitions ; les D iiij r£ Voyage croupes fc fauvoient en defordre , & l'on dit en- core aujourd'hui dans l'Ifle que les foldats pre- noient les mouches pour des turbans. Les Turcs y rentrèrent comme dans un pays de conquête : mais les Grecs eurent l'adrefle de rejetter fur les Latins la faute de tout ce qui s'étoit pane , quoique ceux-ci n'cuiTent eu au- cune part à l'irruption des Vénitiens: on fit pen- dre quatre perfonues des plus qualifiées du rite latin & qui avaient paiTé avec honneur par les principales charges , Pierre Juitiniani , Francefco Drago Burgheii , Dominico Stella Eurghcfi , Giouanni Caftelli Burghclî : on defFendit aux Latins de porter des chapeaux ; on les obligea de fe faire razer , de quitter l'habit Génois , de deicendre de cheval à la porte de la ville , & de faluer avec refpect le moindre des mufulmans : les Eglifes furent abatues ou converties en Mofquées : l'Evèque Latin Leonardo Baharini , &c plus de Ço. familles des plus apparentes fuivirent les Vé- nitiens à la Moréc i cet Evêque y mourut quelque temps après qu'on l'eut pourveû d'un nouvel Evê- çhc : le foupçon que les Turcs avoint conçeu contre lui & les Latins , d'avoir favorifé l'expé- dition des Vénitiens , fut augmenté par les mar- ques d'eftime que ceux-ci donnèrent a ce Prélat. Ces pauvres Latins que l'on fatigue tous les jours par de nouvelles chicanes , à l'inftigation des Grecs 5 prennent leur mal en patience , & aflïftent avec beaucoup d'édification aux Offices divins chez le vice-conful de France dont la chapelle eft grande & bien défervie. L'exercice public de la Religion Catholique étoit le plus beau privilège que les Roys de France euiîent fait confejrver auxSciotcs : ils du Levant. Lettre IX, 57 en on été privez fous ombre de rébellion : on y faifoit l'office divin avec les mêmes cérémo- nies que dans le centre de la Chrétienté, Les Prêtres portoient le Saint Sacrement aux malades en plein jour avec des faneaux : la procefîion de la Fête- Dieu y êtoit folemnclie , le Clergé marchoit en chape avec le dais &c les encenfoirs : enfin les Turcs appelloient cette lile la petite Rome. Ou- tre les Eglifes de la campagne , les Latins en avoient fept dans la ville ; le Domc ou la Cathé- drale eft devenue Mofquée, de même que l'E- glife des Dominicains ; de l'Eglife des Jefuites dédiée à Saint Antoine , on a fait une hôteleric j celle des Capucins , & des Recolets , Nôtre Dame de Lorette , & celle de Sainte Anne ont été abbatues : les Capucins avoient encore à 500. pas de la ville l'Eglife de Saint Roch où l'on en- terroit les François & les protégez , mais elle a eu le même fort que les autres :les Egliies delà campagne étoient S.Jofcph à deux milles de la vil- le , Notre Dame de la Conception à deux milles $C demi , Saint Jacques à un quart de mille , la Madona à un mille & demi , la Madona d'E- lifée à deux milles 8c demi , Saint Jean à demi mille. Les Prêtres Latins avoient aufïï la liberté de di- re la melTe dans dix ou douze Egliies Gréques ; & quelques Gentils-hommes avoient des chapel- les dans leurs maifons de campagne. Rome don- noir deux cens êcus à l'Evêque , qui d'ailleurs profitoit d'un cafuel confiderable. Il refte encore à Scio 24. ou 2;, Prêtres , fans compter les Re- ligieux François & Italiens , qui ont perdu leurs couvents. Après la prife de Scio , les Turcs mi- rent les Prêtres à la capitation ; mais Mr de 58 Voyage Riants vïce-conful de France les en fit exrnpter : les Religiéufes n'y font point cloîtrées non plus que dans le refte du Levant;les principales (ont de TOrdre de Saint François ou de Saint Domini- que , dirigées les unes &c les autres par les e- fuites. L'Evêquc Grec eft fort riche , il a plus de 300, Eglifes dans la ville , & tout le refte de l'Ule eft plein de Chapelles > les Monaftcres Grecs y jouif- fent de gros revenus j celui de Saint Minas eft de jo Caloye-rs . Se celui de Saint George d'en- viron vingt-cinq : le plus condderable eft a Nea- moni , c'en: a dire, Nouvelle folitude , litué a y, milles de la ville : nous y allâmes le cinq Mars I70 1. Ce couvent paye 500. écus de capitation ; il renferme 150. Caloyers , qui ne mangent en communauté que le Dimanche ÔC les Fêtes , le refte de la femainc chacun fait fa cuifine comme il l'entend ; car la maiion ne leur donne que du pain, du vin &du fromage ; ainfi ceux qui ont du bien font bonne chère , & même entretiennent des chevaux pour leur ufage. Ce couvent eft fort grand ÔC reflemble plutôt a un village qu'à une maifon religieufe ; on prétend qu'il poiiede la huitième partie des biens de l'Ifle , & qu'il a plus de cinquante mille écus de rente. Outre les acquittions continuelles que la maiion fait par les legs pieiiXjil n'eft point de Caioyer qui ne con- tribue à l'enrichir ; non feulement ils donnent 100. écus pour leur réception , mais en mourant ils ne fçauroient difpofer de leurs biens qu'en fa- veur du couvent ou de quelqu-un de leurs païens, qui ne peut hériter que du tiers à condition qu'il fe fera religieux dans la même maiion : ils ont N<«m0hj , Nouvelle folitude. du Levant. Lettre IX. $9 trouve par là le fecret de ne rien perdre : lé cou- vent eft fur une colline bien cultivée dans une fo- litude defaçreable au milieu de grandes mon- tagnes toutes pelées. Quoique l'Eglife foit mal percée , elle palîe pourtant pour une des plus belles qui foient dans le Levant ; tout y eit gothique, excepté les cin- tres des voûtes ; les peintures en font horrible- ment groiîieres , malgré les dorures qu'on n'y a pas épargnées -, le nom de chaque Saint cft écrie au bas de fa figure , de peur qu'on ne le con- fonde avec fon voifin. L'Empereur Conftantin Monomaque qui a fait bâtir cette Eglife , com- me l'affinent les Moines , y cft peint & nom- me'.Les colonnes & les chapiteaux font de jafpe du pays , mais d'un mauvais profil ; ce jafpe eft une elpece de brèche rouge-lavé, mêlé de quelques plaques cendrées allez mal unies , & il nJa rien d'éclatant : il n'eft pas rare autour du monaftere ; mais celui qu'on employé dans cette Eglife a été tiré des anciennes carrières de l'Iile , allez près de la ville. a Strabon a parlé de ces carrières , &c Pline allure qu'on y découvrit le premier jaf- pe : en bâtilfant les murailles de la ville on fit re- marquer la beauté de cette pierre à Ciceron : b je la trouverais encore plus belle , dit-il , fi elle venoit de Tivoli , voulant par là leur faire com- prendre qu'ils feraient maîtres de Rome s'ils pof- tedoient Tiuoli , ou que leur pierre ferait plus eftimée 11 elle venoit de loin : c'eft dans ce vo- a Actrôjui. E%éi è't v> N?o-ef rarcr, (î Tiburtino lapide *(çh Aurifia») ftappûçov fecifTetis. xiSov. Strab. Rer. Gcog. In Chiorum IapiHicina faxo Ub. ij. difeiflb capur excitic Pa-, b Multo , induit , magis mi- oifci, Cic. de Divin. do Voyage yage fuivant les apparences que cet autheur apprïc qu'on avoit trouvé dans ces carrières la tête d'un Satyre , deflinée naturellement fur une pierre d'éclat. Les habitans de Scio conviennent que leur Ifle a uo. milles de tour : Strabon lui donne 900. ftades de circonférence, c'eft à dire 112. milles & demi : Pline va jufques à 115. mille pas. Tout cela peut être vrai; car outre que la diftanec de ces melures eft peu confiderable , de toutes les manières de déligner la grandeur d'une Ifle , cel* le d'en mefurcr la circonférence eft la moins exa- cte , à caufe de l'inégalité des côtes , dont on ne juge le plus fouvent que par cftimation, L'Ille de Scio s'étend du nord au fud ; mais elle eft plus étroite vers le milieu terminée au fud par le a Cabo Maftico ou de b Catomeria , &c au nord par celui c d'Apanomeria. La ville de Scio & le Campo font vers le milieu à l'eft fur le bord de la mer : cette ville eft grande riante &c mieux bâtie qu'aucune ville du Levant ; lesmai- fons en (ont belles , commodes , terminées par des combles de charpente couverts de tuiles plates ou creufes : les terralfes font enduites d'un bon ciment , & l'on connoît bien que les Sciotes ont retenu la manière de bâtir des Génois qui avoient embelli toutes les villes d'Orient ou ils s'étoient établis : en un mot , après avoir pallé une année dans l'Archipel à ne voir que des maifons de boiie , la ville de Scio nous parut un bijou , quoique mal percée & pavée de cailloux comme nos villes de Provence : les Vénitiens dans U a d». 1» nc & l'on y a bâti une Mofquée allez propre. Le port de Scio eft le rendez- vous de tous les bâtimens qui montent ou qui defeendent : c'eft- à dire qui vont à Conftantinople , ou qui en re- viennent pour aller en Syrie 8c en Egypte : ce- pendant ce port n'eft pas des meilleurs , quoi- que Strabon a alfure qu'il peut contenir jufques à quatre-vingt vaifïeaux ; il n'y a prefentement qu'un méchant mole , ouvrage des Génois , for- mé par une jettée à fleur d'eau dont l'entrée eft alfez étroite 8c dangereufe par les rochers des environs qui font à peine couverts d'eau & que l'on éviteroit difficilement fans le fanal élevé fur l'écueil de Saint Nicolas , nous lairTàmes dans ce port fept galères Turques 8c trois vaiffeaux de guerre de Tripoli : ordinairement il y refte une efeadre de galères. * Herum geog* iïb. 10, 6i Voyage A l'égard de la campagne , Athénée à a tueti raifon de dire que Scio eft une Ifle montagneufe & rude : cependant les bois rendoient ces monta- gnes plus agréables dans ce temps-là : au Heu qif - elles (ont aujourd'hui allez ftériles : cette campa- gne eft portant admirable en certains endroits , &£ Ton n'y voit qu'Orangers 3 Citroniers , Oliviers , Meuriers, Myrtes , Grenadiers , fans compter les Lentifques & les Terebinthes: le pays ne manque que de grains,l'orge & le froment qu'on y recueil- le , (ufhfent à peine à la nourriture de Tes habi- tans pendant trois mois ; on eft obligé d'en tirer de terre ferme le refte de l'année ; c'eft pourquoi les Princes Chrétiens ne pourroient pas corner* •ver cette Ifle long temps , s'ils étoient en guerre avec les Turcs. Cantacuzene rapporte que Ba* jazet affama toutes les Ifbs en défendant qu'on y tranfportât des grains : il feroit malai(é de fe bien établir dans l'Archipel , fans polfcder la Morée ou la Candie , d'où l'on tireroit des vi- vres : le village de Gefmé, qui eft l'ancienne ville d'Erythrée , fuivant quelques-uns , fournit des grains à Scio : on ne fçauroit croire combien la terre d'Ahe eft fertile : Gefmé eft vis-à-vis de Scio en deçà du cap de Carabouron. Pour du vin , Scio en fournit aux Ifles voin- ncs , il eft agréable & ftomacal. b Theopompe dans Athénée dit que ce fut Oenepion hls de Bac- chus qui apprit aux Sciotes à cultiver la vigne ; que ce fut dans cette Ifle que fe beût le premier vin rofé , ôc que (es habitans montrèrent à leurs Voiiîns la manière de faire le vin. c Virgile & Ho- a H' 7*2 tr^iis \-ç) Tftt^H* c Vina Rovnm hindant ca- H94 »0iWf»S\«î, Athen. lathis Atvifia Nc£Uï« E<7> Deipn. lib. 6. t> V*tf,J$* fc Deifn.tib.i, du Levant. Lettre IX. 6$ race s'accommodoient fort des vins de Scio : Strabon qui en parle comme des meilleurs vins de Grèce , vante fur tout ceux d'un quartier de rifle oppolé à celle de a Plyra ou Piara comme l'on prononce aujourd'hui \ 6c Plara n'eft connue dans le Levant que par cette liqueur. Il n'y a pas long-temps que les troupes de Mezomortoont dé- truit les vignes d'Antipfara qui rapportoient aulli beaucoup de vin. b Pline parle très fouvent des vins de Scio , & cite Varron le plus fçavantdes Romains , pour prouver qu'on l'ordonnoit à Ro- me dans les maladies de l'eftomac. Varron rap- porte aufTi qu'Hortenfius en avoit laiffé plus de dix mille pièces à Ton hériter. c Céfar , ajoute Pline , en regaloit fes amis dans Tes triom- phes ôc dans les feftins qu'il donnoit au grand Ju- piter & aux autres divinitez -, mais Athénée entre dans un plus grand détail d fur la nature & fur les qualitez des vins de Scio ; ils aident , dit-il , à la digcftion , ils engrailTent, ils font bien fai- fans , & l'on n'en trouve point de Ci agréables , fur tout ceux du quartier d'Ariufe où l'on en fait de trois fortes , continue' cet autheur ; l'un a tant foit peu de cette verdeur qui fe convertit en féve , moileux, nourriffant & palfant aifément ; l'autre qui n'eft pas tout à fait fans liqueur : en- graiffe & tient le ventre libre ; le dernier participe de la délicateffe & de la vertu des autres. A Scio l'on cultive la vigne fur les coteaux , & l'on y coupe les raifins dans le mois d'Août pour les lailfer lécher pendant huit jours au folcii , » H' Ag^evtfi'es %»(>9 eïtOi " Hift.tiat.tib.14. cap 7.I4. *J». Strab. Rtrut» gtogr. c Cifar. Epulo apud Plin. iib.y & i+. d Dtipn, lib. x. 64. Voyage après quoi on les foule , &c on les laiffe cuver dans des celliers bien fermez : pour faire le meil- leur vin , on mêle parmi les rai fin S noirs , une elpece de raifm blanc 3 qui font comme le noyau de Pêche ; mais pour faire le a Nectar , qui por- te encore aujourd'hui le même nom , on em- ployé une autre forte de raifin , dont le grain à quelque ehofe de ftiptiquc & qui le rend difficile à avaler : b les vignes les plus eftimées font celles de Mefta , d'où les anciens tiroient ce Nectar ; on en recherche les crotlcttes , & Mefta ëft com- me la capitale de ce fameux quartier , que les anciens appelloient Arioulia. Il n'eft pas mal aifé de comprendre par là pour- quoi l'on voit dans c Goltzius des grappes de rai- fin fur quelques médailles de Scio : on y repre- fentoit auflî des lt cruches pointues par le bas &c à deux anfes vers le col ; cette figure étoit propre pour en faire feparer la lie,qui fe précipitoit toute à la pointe après qu'on les avoit enterrées;enfuire on en pompoit le vin ; mais il n'eft pas fi aifé de rendre raifon pourquoi l'on reprefentoit des Sphinx fur les revers de ces médailles , fi ce n'eft que le Sphinx eût fervide fymbole aux Sciotes 3 de même que La Chouette aux Athéniens. On ne recueille pas beaucoup d'huile dans Scio , les meilleures récoltes n'en donnenc qu'environ zoo. muids ; chaque muid pefe 400, oques , & Toque n'eft à Scio que de trois livres deux onces. Les François tirent allez de miel <$C de cire de cette Ifleunais la foye cft la marchandife la plus confiderable du pays : on y en fait tous les a Ai çct on va chercher le fel à Naxie ou à Fochia, Avant que de pari i du maftic , il faut remar- quer que l'ondiftin. e les villages de l'ifle en trois clalfes -, fçavoir ceux del Campo ceux d'slpa- nomerla , & ceux où l'on cultive les Lentifques , arbres qui donnent le maftic en larme : les villa- * Timins, 5 f. b 50, boutfcs- Tome II, E 66 V O Y A G ï ges del Campo , ou ceux qui font aux environs de la ville s'appellent Bafilionica , Thymiana , Chandos , Neocorio , Berberato , Ziphia , Ba- tilî , Daphnona 9 Caries & Petraua \ ce dernier cil presque abandonne. Les villages d'Apanomeria font Saint George 7 Lithilimiona , Argoui où l'on fait le charbon , Anobato , Sîeroanta , Piranca , Purperia , Tri- pez, Sainte Hclene , Caronia , Keramos y Alcu- topoda , Amarca , Fita , Cambia , Viid y Amaî- thos , Cardamila , Pytios , Majatica , Voliifo fur la cote duquel on dit que l'on voit la mer bouillir ; apparemment ce font des bouillons d'eau chaude icmblables à ceux de Miio. a Spartonda eft encore un village dans le même quartier au pied du mont Pelincé la plus haute montagne dupays..& connue aujourd'hui fous le nom delà montagne de ll Spartonda: on a bâti fur le fommet de cette montagne la chapelle de SaintHelic auprès d'une excellente fource ; mais on ignore ce que c'eft que les ruines d'un vieux0 château fît ué fur la même montagne : il y a des fources d'eaux chau- des proche le vilage de Calantra. Les villages aux Lentifqucs s'appellent Calima- tia , Tholopotami , Merminghi , Dhidhima , Oxodidhima , Paita , Catara&i , Kinî > Nenita où eft la fameufe chapelle de Saint Michel , Vou- nos , Flacia , Patrica , Calamoti , Armoglia où l'on fait des pots de grez, Pirghi , Apolychnî , Elimpi , Elata , Vefta , Mefta dans le fameux champ Arvitien. Tous les Lentifques cultivez font au Grand Seigneur , & l'on ne les peut vendre qu'à condi- tion que l'acquéreur s'oblige de payer la même b Ti Ope; rnt T.7Tt*$ûncct. du Levant. Lettre IX. 67 quantité de maftlc à l'Empereur : ordinairement on vend la terre , & l'on le referve les arbres. Ces arbres font arrondis &c fort étendus fur les cotez, hauts d'environ dix ou douze pieds , à plu- sieurs tiçes branchues des leur nailîance , tortues dans la fuite ; les plus gros troncs ont près d'un pied de diamètre , couverts d'une écorce grifâtre raboteufe , gerfée \ les branches fe fubdivilcnt en pluiieurs rameaux chargez de feuilles compofées de pluheurs paires rangées fur une côte creufée en goutiere , longue d'environ deux pouces & demi iur une liçne de large , &C comme dilatée en deux petites aîles vers l'infertion des feuilles difpo- iées par trois ou quatre paires fur chaque côte , lonaues d'environ un pouce , étroites à leur naif- fance , pointues à leur extrémité , larges de demi pouce vers le milieu , relevées d'un filet confi- derable , répandu fur les cotez en fubdivilions allez légères ; celui des cotez qui regarde la cô- te des feuilles eft le plus large 6c comme boflu ou anguleux. Les pieds de Lentifque qui fleuriflent ne portent pas de fruits , & ceux qui portent des fruits ne fleurilfent pas : dans les airelles des feuilles , pouffent des fleurs entaflees en grap- pes de neuf ou dix lignes de long ; chaque fleur eft à cinq étamines hautes de prés d'une ligne , chargées d'un fommet un peu plus long , ver- dâtre ou purpurin, étroit, fillonné fur ledos, canelé de l'autre côté & rempli de poufllere : les jeunes fruits naiflent fur d'autres pieds ; ôC ces fruits ou embryons font entaflez en grappes pareilles d'abord à celles des fleurs ; mais un peu plus longues dans la fuite : chaque embryon eft prefque ovale , long d'environ deux tiers de ligne, orné de trois petites crêtes foyeufes , crochues » B ij bt Voyage couleur d'écarlate : il devient une coque do* même forme , haute de trois lignes couverte d'une écorce un peu charnue , rouge-brun , puis noirâtre , luifante , aromatique , remplie d'un noyau blanc dont la pelure cft rouflâtre : ces arbres fleurifTent au mois de Mai ; les fruits ne meurillent qu'en automne &c en hiver. Les Lentifques ne font pas rares en Provence Se en Languedoc , mais leurs feuilles ne font pas fi grandes que dans le Levant : a Mr Galléndi remarque que du côté de Toulon ils ren- dent quelques grains de maftic fi on les taille ; & tout bien confideré , ce n'eft pas la culture qui les rend propres à donner ce maftic 3 comme on le croit : dans Scio même ii s'en trouve beau- coup qui neprodiiifent prefque rien ;il faut donc eonferver & provigner les pieds, dont le fuc nour- ricier s'épanche abondamment par les incifîons : c'eft par cette raifon que les Lentifques ne font pas alignez dans les champs ; mais qu'ils naiftent par gros pelotons ou bofquets écartez les uns des autres : l'entretien de ces arbres ne de- mande aucun foin ; il n'y a qu'à les bien choifir & les faire multiplier en couchant dans terre les jeunes tiges :on émonde quelquefois les Lentif- ques dans la lune d'Octobre , ou pour mieux di- re , on décharge leurs troncs des nouveaux jets qui empêcheroient les incitions : du refte on ne laboure guère la terre où font ces arbres , par- ceque l'expérience a fait connaître aux gens du. pays que pour avoir beaucoup 'de maftic , il ne falloit que provigner ceux qui naturellement en produifent beaucoup. Peut-être que fi on inci- foit les Lentifques eu Candie 3 dans les Ife a Vit» Peire/e. d ir Levant. Lettre 1 X 69 ck l'Archipel , & même en Provence , en trou- veroit-on quelques-uns qui répandroient autant «le maftic que deux de Scio ? Combien voie-on de Pins dans les mêmes forêts , qui ne donnent prefque pas de refîne, quoiqu'ils foient de la mê- me efpece que ceux qui en donnent beaucoup : la ftrudure des racines plus ou moins ferrées peut être la caufe de ces varietez. On commence les incitions des Lcntifqucs dans l'Ifle de Scio le ier. jour du mois d'Août , coupant en travers Se en plufieurs endroits l'é- corce des troncs avec de gros couteaux fans tou- cher aux jeunes branches ; dés le lendemain de ces incifîons , on voit diftilier le fuc nourricier par petites larmes dont fe forment peu à peu les grains de maftic; ils fedurciffent fur la ter- re , Se compofent fouvent des plaques adez grof- fes : c'eft pour cela que l'on balaye avec foin le defïbus de ces arbres : le fort de la récolte effc vers la mi-Août , pourveu que le temps foit (ec & ferein ; fî la pluye détrempe la terre , elle cnvelope toutes ces larmes, Se c'eft autant de per- du : telle eft la première récolte du maftic. Vers la fin de Septembre les mêmes incifîons fourniffent encore du maftic , mais en moindre quantité : on paffe le maftic au fas pour en féparcr les ordures ; mais la pouffierc qui en fort s'attache fî fort an vifage de ceux qui y travaillent , qu'ils font obligez de fc laver le vi- fage avec de l'huile. Il vient quelquefois un Aga de Conftantinople pour recevoir le maftic deû au Grand Seigneur , ou bien on en donne la commiflion au Douanier de Scio : alors le Douanier va dans trois ou quatre des principaux villages dont on a parlé ÔC fait avertir les ha- E iij yo Voyage bitans des autres de porter leur contingent : tous ces villages enlemble doivent deux cens qua- tre vingt-fix cailles de maftic , lesquelles pèlent cent mille vingt-cinq oques : le Cadi de Scio re- çoit trois cailles du poids de quatrevingt oques chacune , il en revient une caille à l'écrivain des villages qui tient les regiftres de ce que les par- ticuliers doivent de maftic : l'homme du Doua- nier qui pefe le maftic , en prend une poignée fur la part de chaque particulier : une autre perfonne qui eft encore au Douanier en prend autant pour la peine qu'il a de rellallcr cette part : (i quelqu'un eft fur pris portant du maftic à la ville ou aux villages où l'on ne cultive pas des Lentifques, il eft condamné aux galères & dé- pouillé de tous Ces biens : les payfans qui ne re- cueillent pas allez de maftic pour payer leur portion , en achettent ou en empruntent de leurs voifîns , Se ceux qui en ont de refte le gardent pour l'année fuivante , ou le vendent fecrete- ment : quelquefois ils s'en accommodent avec le Douanier qui le prend à une piaftre Toque , &C le vend deux piaftres ou deux piaftres de demi : ceux qui cultivent les Lentifques ne payent que la moitié de la capitation & portent la Selle blanche autour de leur turban de même que les Turcs. Les Sultanes confomment la plus grande partie du maftic deftiné pour le Serrail ; elles en maf- chent pour s'amufer , &c pour rendre leur foufle plus agréable fur tout le matin à jeun : on met aufli des grains de maftic dans des callblettes & dans le pain avant que de le mettre dans le four : le maftic d'ailleurs eft bon pour les maladies hiçY) »£ b Tlçyiiyl oï 7rv.tr$t rm* vOi-HA ci Xi» Tiï f«Va, Pr.7 vïv a T?çwj. Thucyd. ibld. lib. 8. b Paufan. Acheùt. To AihQiriet Xtpuxt 'i%0Y. du Levant. Lettre IX. 75 Naos avec la fontaine de Sclavia qui coule fur le marbre dans le quartier le plus délicieux de Plfle , 6c que l'on fait voir aux étrangers avec raiion comme une des merveilles de Scio.a S'il faut don- ner quelque chofe aux conjectures , il n'eft per- fonne qui ne juge que Sclavia ne foit la fontaine d'Helene , dont Eftierene le géographe a fait men- tion. A propos de fontaines , nous n'ofâmes pas de- mander dos nouvelles d'un? autre fontaine de Scio , qui au rapport de l) Vitruve faifoit per- dre Pcfprit à ceux qui en buvoient3& auprès de la- quelle on avoit mis une épigramme pour aver- tir les palïans des méchantes qualitez de fes eaux : nous en parlâmes pourtant en palTant à c Mr Ammiralli qui a étudie à Paris &c qui exerce la médecine avec applaudiirement dans Scio fa patrie ; il nous affina qu'on ne parloir plus de cette fontaine dans l'iflc , non plus que de la ter- re de Scio dont Diofcoride 3c Vitruve ont parlé : il eft vray que perlonne ne s'attache à l'hiftoire naturelle dans ce pays là : le grec littéral mê- me y eft très négligé. Mr Ammiralli qui a tra- duit l'anatomie de Bourdon en cette langue ; les Papas Gabriel &c Clément , font les trois feules perfonnes de Pille qui l'entendent ; ils eftiment les lettres gréques de Budée , & les poéfies que Mr Ménage a écrites en cette langue. à Cette Ille a produit autrefois de très habiles gens : Ion le poëte tragique, Theopompe l'hif- torien , Theocrite le fophifte : les Sciotes préten- dent même qu'Homère , reconna pour le prin- % Eam* ixovrciT». Sieph. A Strab. Rerum Geograpb. * Lib. ). 3. . Hb. 10. f6 Voyage ce des poètes étoit de leur pays , & en montrent encore L'école an pied du mont Epos fur le bord de la mer à près de quatre milles de la ville : c'eit un rocher allez plat , fur lequel autrefois on a, taillé au marteau une efpece de badin rond , de vingt pieds de diamètre , & fur le bord du- quel on pouvoir s'affeoir ; du milieu de ce baffin s'élève une pièce de rocher taillée en cube , haut d'environ trois pieds , &: large deux pieds huit pouces , fur les cotez duquel on a fculpé ancien- nement des animaux lî défigurez qu'on n'v con- noît plus rien , quoiqu'on s'imagine d'y trouver quelque rapport avec des figures de lions. a II eft difficile de décider de quelle ville étoit Homère :il femble qu'il ait voulu cacher lui-mê- me le lieu de fa naillance : car il n'en dit mot en aucun endroit de fes ouvrages. b Léo Alla- tius très fçavant homme , natifdeScio, n'a rien oublié pour prouver qu'il étoit de cette Ifle ; & tout bien confideré , quoique fept grandes villes fe foient à l'envi attribuées la naiiîance d'Ho- mère , il y a beaucoup d'apparence que ce grand homme devoit être de Smyrnc ou de Scio : peut- être que l'Ecole d'Homcre que l'on y fait voir comme un illuftre monument , fervoit à exercer ceux qui en vouloient apprendre les vers ; car les Homerides , du confcntcmcnt de tous les au- theurs , étoient habitans & citoyens de l'Ifle : on les fait defeendre d'Homère \ & dans cette fu- perftition,ilspourroient avoir fait tailler ce rocher pour fervir d'école aux jeunes gens qui vouloient a Ecrias ithaç Jttfifyvwr A&?v«*. Aul. Gell. Strab» wig* p£tu> O/miptv. Rerum. geogr. iib i. %.p.»&ict , Vcht , Ktùôtp&ii , b Léo Allât, de patria Hum. du Levant. Lettre IX. 77 S*inftruire des pocfies d'Homère regardé comme le plus grand de tous les poètes, comme un excellent hiitorien,& comme le plus habile des géographes: cette école donc étoit peut-être l'endroit où fe fai- foient les leçons 5c les répétitions; le maître étoit fur le cube, & les écoliers fur les bords du balîin. Jamais ouvrage n'a palle par tant de mains que les vers d'Homère* a Jofephe allure que la tra- dition les a confervez dés les premiers temps qu'ils parurent , de qu'on les apprenoit par cœur fans les écrire. b Lycurgue , fameux lé- gislateur de Lacedemone trouva toutes ces pièces en Ionie chez les delcendans de Cleophyle , d'où il les apporta dans le Peloponnefe. On recitoic ces morceaux d'Homère fous difîerens noms , comme l'on chante aujourd'hui des pièces dé- tachées des plus beaux Opéra : c mais Solon , Pi- iîftrate & Hipparque fon hls trouvèrent l'arrange- ment de toutes ces pièces , & en rirent deux corps bien fuivis , l'un fous le nom de l'Iliade , & l'au- tre fous celui de l'OdylTée. Ariftote retoucha ces poèmes pat ordre d'Alexandre , ôc ce conqué- rant même fe fit un plaifir d'y travailler avec Callifthéne &C Anaxarque. Cette édition des ouvrages d'Homère s'appella,d l'édition de la cajjet- re,par ce qu'on la ferroit dans une calfette qu'Ale- xandre tenoitfous fon oreiller avec fon poignard6 Il fit mettre ertfuite ce livre dans un petit coffre à parfums 3 garni d'or , de perles 6c ,de pierre- * Lib.l. centra Appian. Plut arc. in Alex. Strah Plut arc. in Lycurg. Hera- lib. 13. tlide de Polit. JElian.verf, <* H* c* £ Nifyiy$ç r.uMvtrt*, hifl. lib. 1 3 . c . 1 4. Plutarc. in Alex. & Strab. c Letert. in Solon. Cic. de ibid. Orat.lib.i. PUto in Hip- e ?Un.Hifl.nAtMb.7.c0p.s. P«rch. Patifun. m Achaie, 7$ V o y a g b ries , qui fe trouva parmi les bijoux de Darius. * Zenodote d'Ephefe , précepteur des Ptolemées , Aratus 3 Arîftophane de Byzance , Ariftarquc de Samothrace , & plusieurs autres beaux efprits ont prétendu rendre à Homère Tes premières beau- tcz : mais on y a fait tant de changemens , qu'on dit qu'il ne s'y reconnoîtroit peut-être pas lui- même. Cependant il faut avouer qu'on n'a rien vu chez les Grecs de fi accompli dans ce genre. Parerculus en fait l'éloge en peu de paroles à fon ordinaire. (_*efi le feul Poète , dit- il , qui mérite ce nom > & ce qu'il y a d'admirable en cet homme , c'ijt qu'il ne s'eji trouvé perjonne avant lui qu'il ait pu imiter , & qu'après fa mort il n'a pu trouver d'imitateurs. Outre l'école d'Homère , on montre la maifon où il eft né , & où il a fait la plufpart de fes ou- vrages. On juge aifément que cette mafure doit être en mauvais état ; car Homère , fuivant les marbres b d'Oxford , vivoit 961. ans avant Jefus- Chrift. Cette maifon eft dans un lieu qui porte le nom du Poète , au nord de l'Ifle-»- auprès de Volillo dont l'auteur de la vie d'Homère , 6c c Thucydide ont parlé fous le nom de Boliflus. A Voliflb eft au milieu des champs Arvifiens qui fournilïoient le nectar, Se peut-être que cette li- queur n'avoit pas peu contribué à élever le gé- nie d'Homère. e 11 eft repréfenté fur une des mé- dailles du Cabinet du Cardinal Barberin , affis fur une chaife , tenant un rouleau où il y a quel- ques lignes d'écriture : le revers repréfenté le Sphinx , cjui étoit le fymbole de Scio. Le P. Har- * Suîd. à Author. viu Homer. ** Marm. Oxon. EpBch.$o, e Léo Allit. de patria Hom. c Bftfa»f. Thttcidid. Ub. * OMHPOSlXlfiN. du Levant. Lettre 1 X. 79 douin parle d'une femblable médaille \ M. Bande- lot en a de a Smyrne , qui font du même tvpe , maïs donc la légende eft différente, b Au refre le fejour de Scio c9: tort agréable , & les femmes y ont plus de politeflè que dans les autres villes du Levant. Quoique leur habit pa- roiiïe fort extraordinaire aux étrangers , leur pro- preté les diftîngue des Gréqnes des autres lfles. On fait bonne chère à Scio : les huîtres qu'on y apporte de Mctelin font excellentes , & tou- te forte de gibier y abonde , fur tout les perdrix ; elles y (ont auffi privées que les poules. Il y a des gens du côté de Veifa & d'EUta qui les élèvent avec foin : on les mène le matin à la campagne chercher leur nourriture comme des troupeaux de moutons ; chaque famille confie les fiennes au gardien commun , ce gardien les ramené le loir, & on les appelle chez loi avec un coup de fiflet : s'il plaît au maître de faire venir pendant la jour- née celles qui lui appartiennent , on les avertit avec le même lignai , & on les voit revenir fans confuiîon. J'ai vu un homme en Provence , du cote de GraflTe , qui conduifoit des compagnies de perdrix à la campage , & qui les faifoit venir à lui , quand il vouloir : il les prenoit avec la main , les meteoit dans fon fein , & les renvoyait enfuite chercher leur vie avec les autres. A l'égard des plantes , l'Ifle de Scio en produit de parfaitement belles. Les deux sfpeces de Léon- topetnlon , dont j'ai parlé dans le Corollaire des Infcitutions de Botanique , y font fort communes en certains quartiers. Nous obfervâmes auprès de la ville une efpecc d'Ariftoloche , dont la fleur a IM YPN A I ci n. 8o Voyage me parut fi extraordinaire , que j'en 'ai fait gra- ver la figure. a La racine de cette plante a un pied & de- mi , ou deux pieds de long , épailfe de deux pou- ces , piquante en fond , dure , ligneufe , traver- sée par un nerf fort folide , jaunâtre, marbre'e par rayons de blanc & de roulïatre , couverte d'une écorce charnue' , légèrement purpurine. Cette racine eft accompagnée de peu de fibres , mais elle eft d'une amertume infupportable , &: poufle pluficurs têtes qui produifent beaucoup de jets blanchâtres , qui fe terminent par des ti- çes hautes d'un pied dans le Printemps ; elles s'étendent enfuite jufqu'à z. pieds , fermes , foli- des , épailfes de deux lignes , vert-pâle , rudes , canelées , purpurines à leur naillance , &c cou- chées à terre. Ces tiges font garnies d'une feuille à chaque nœud , longue d'environ trois pouces fur deux pouces &demi de largeur à la baie , qui eft arrondie en deux oreilles , au delà detquellcs elle fe retrellit infenlîblement , Se fe termine par une pointe obtufe , qui finit par un petit bec fort court. Le delïus de la feuille eft vert-brun , lui- fane véné à quarreaux irréguliers : le delTous eft vert mat , relevé d'une nervure a(Tez fenfible. De leurs aiifeles naît une fleur foûtcnuë par un pé- dicule long d'un pouce ou deux , terminé par un calice anguleux à fix grorTes canelûres rudes , Se long d'environ demi pouce ; chaque fleur eft cour- bée en manière d'une S , longue de trois pouces ôc demi. Elle commence par une vefïie grofie de huit ou neuf lignes , vert-pâle , mêlée de purpurin , anguleufe , laquelle fe prolonge « Ariftolochia Chia , longa , fubhirluta , folio oblongo > flore minime Coroli. Initie. Rci herb. 8. en . . . -. . - . < . - Dt? Levant. Lettre IX. 81 en tuyau recourbé , épais de demi pouce , ter- mince par une grande gueule prefqu'ovale , de iS. ou 10. lignes de diamètre, dont les bords font également arrondis. Le creux de cette gueule eft tout parfeme de poils blancs , longs d'une ligne & demie. Le fond en eft purpurin , noir Se livide, marqueté de quelques taches plus clai- res qui tirent fur le jaunâtre, & relevé d'une groife éminence dans l'endroit où la gueule com- mence à fe retreflir en tuyau. L'intérieur àe cq tuyau eft aufîi purpurin , noirâtre , revêtu de poils , de même que le dedans de la veille qui eft plus pâle. On trouve au fond dt cette veffie un bouton exagone de deux lignes d'autres en fpirale 5 quelques-unes font ovales , relevées de * M.vjjhlw»i » pttyiw aroAiî. b Clcer.de le ge agr.VttrHV. Strab. RerumGeogr.lib.il. lib.l. c.C. Tome II. F 8z Voyage plates bandes , comme celles du Temple de De- los ; mais celles de Mctelin ne (ont pas canelées fur les côtez. Il n'eit pas croyable combien dans les mines dont nous parlons , il y refte de cha- piteaux , de frifes 3 de piedeftaux , de bouts d'Inf- criptions fort maltraitées , en quelques-unes def- qucllcs nous lûmes le mot de Gymnafiarque. Cela nous fit (ouvenir du fameux Epicure qui enfeignoit publiquement à Mytiléne à l'âge de ji. ans , comme nous l'apprenons de Diogcne Laerce. Ariftote y fut auiîî pendant deux ans , fuivant le même Auteur. Marcellus, après la bataille de Pharfale , n'ofant fe rencontrer devant Cclar , s'y retira pour y palier le refte de fes jours à l'étu- de des belles Lettres , fans que Ciceron pût Je perfuader de venir à Rome éprouver la clémence du vainqueur. Mytiléne a produit de grands hommes dés les premiers temps. Pittacus un des fept fages de Grè- ce, dont on avoit écrit les fentences fur les mu- railles du Temple d'Apollon à Delphes , pour dé- livrer Mytiléne fa patrie de la fervitude des ty- rans , en ufurpa lui-même l'autorité ; mais il s'en dépouilla volontairement en faveur de Tes citoyens. Le Poète Alcée & Sapho que Stra- bon appelle un prodige , étoient de Mytiléne , &" vivoient dans le même temps. On frappa des médailles à Mytiléne en l'honneur des ces trois illuftrcs Perfonnes. C'cft par ces médailles que nous apprenons qu'il faut écrire le nom de cette ville par un/ , quoiqu'il (bit écrit avec un i dans Strabon. a Une de ces médailles , d'un côté rc- « MYTIA. AAKAIOS. ni tcp'io-pXTi ùn%à&.T{»>. n I T T A KO S. JhI. Poil. lib.9.c*t.6. 01 Mmhttcfïos fàt S«B-^à t> tr Levant. Lettre 1 Xt S 5 prefcntc la tête de Pitracus , èc de l'autre ,• celle d'Alcéc. Mr Spon en a fait graver une où Sapho cil aflîfe tenant une lyre ; de l'autre côté eft la tête de Nauficaa fille d'Alcinous , dont les jardins font fi célèbres dans Homère. 'l On ne perdra ja- mais la mémoire de cette ville parmi les Anti- quaires ; les cabinets font remplis des médailles de Mytiléne , frappées aux têtes de Jupiter , d'Apol- lon , de Livie , de Tibère , de Caius Cefar , de Germanicus , d'Agrippine , de Julie , d'Adrien , de Marc Aurele , de Venus , de Commode 3 de Crilpine , de julia Domna , de Caracalla , d'Ale- xandre Severe, de Valerien,de Gellien, de Saloùi- ne. Long-temps après Pittacus , Mytiléne , dit Strabon , produifit le Rhéteur Diophane -, &c dans le fiecle d'Augufte , Potamon , Lesbode , Cri- liagoras 5 & Theophane l'Hiftorien qui fe tell- dit illuftre par l'amitié de Pompée , aux grandes a&ions duquel il eût beaucoup de part. Caftro , ou l'ancienne Mytiléne , n'eft pas au- jourd'hui comparable à la ville de Scio : mais l'Ida! de Metelin eft beaucoup plus grande que l'ifle de Scio , & s'étend fort du côté du Nord-Eft. Stra- bon donne à Lesbos 137. milles & demi de tour $ Se Pline, félon la penfée d'ifidore, 168. mille * & même jufques à ipj. On nous atïura qu'il y avoit encore dans cette Ifle izo. villages otl bourgs 3 parmi lefquels eft Eriuo. C'eft fans dou- te l'ancienne Ville b A'Erejfus t où Theophrafte êc Phanias les deux plus fameux difciples d'Arifto-* te avolent pris nailîance j mais nous n'eûmes pas le temps d'aller à Eriflo , parce que nous n'ê« ■ Eni CTRA. IEPOKA. Et de l'autre eoté. MïTIa, fub Piaecoie HFOlAA NAïCIkAAN, V ij $4 Voyage tions que pafTagers fur un Bâtiment Turc. Strabori marque Ci bien la fituation des anciennes villes de Lesbos 3 qu'on les découvriroit facilement en parcourant le pays. Rien ne fait plus de piailir en voyageant , que de voir la patrie des grands Hommes. Cette Ifleen a produit un bon nombre.* Plutarque a écrit que les Lesbiens étoient les plus grands Mulicicns de la Grèce : le fameux Arion étoit de Mcthymne , dont on voit encore les ruines dans cette lile. Terpandre qui mit le premier fept cordes fur la lyre 3 étoit Lesbien *> c'eil ce qui donna lieu à la Fable , de publier que Ton avoit entendu parler dans cette lile la tête b d'Or- phée , après qu'on l'eût tranchée en Thrace, com- me l'explique ingenieufement Euftathe dans tes notes fur Dcnys d'Alexandrie. Euftathe remarque auffi que l'Ifle fut nommée Mytiléne du nom de la ville. Il eft aiié de voir que de Mytiléne on a fait Metelin. c Strabon ajoute encore aux hommes illuftrcs de Lesbos , deux perfonnes fort habiles > Hellanicus célèbre Hiftorien , & Callias qui fit des notes for les poëfies d'Alcée & de Sapho. d Voila les beaux endroits des citoyens de cette Ifle : d'un autre côté leurs mœurs étoient h* cor- rompues , que l'on faifoit une grotte injure à une perfonne de lui reprocher de vivre à la ma- nière des Lesbiens. Dans Goltzius il y a une mé- daille qui ne fait pas beaucoup d'honneur aux Dames de cette Ifle. Il faut rendre juftice à celles d'aujourd'hui , elles font moins coquettes que celles de Milo 8c de l'Argenticre. Leur habit ÔC leur coe'fure font plus modeftes , mais elles dp- couvrent trop leur gorge : il y en a qui donnent a Pliitanh. de MtiftcH. c Kerum geogr. & Ad ver/. 537. à AtvZivuf , dans Suid. y du Levant. Lettre 1 X. 8 y dîans un autre excés,car elles n'en laifTent voir que ïa rondeur au travers d'un linge. a Le terroir de Metelin nous parut fort bon : les montagnes y font fraîches & couvertes de bois en plusieurs endroits. Cette Ifle produit de bon froment , d'excellente huile , & les meilleures fi- gues de l'Archipehfes vins n'ont rien perdu de leur première réputation. b Strabon , Horace , Athé- née , Elien les trouveroient auflî bons aujour- d'hui que de leur temps. Ariltote à l'agonie, pro- nonça en faveur du vin de Lesbos. Il s'agilïbit de lailFer un fuccefleur du Lycée , qui foutînt la réputation'dc l'Ecole Péripatéticienne. Mcnedéme de Rhodes &z Theophrafte de Lesbos éroient les concurrens. Ariliote fe fît appor.er du vin de ces deux Ifles ; ôc après les avoir goûtez avec atten- tion , il s'écria devant tous fes difciples : c Je trou- ve ces deux vins excellens , mais celui de Lejbos efl bien plus agréable , voulant donner à connoî- tre par-là , que Theophrafte l'emportoit autant fur fon competiteur,que le vin de Lesbos fur celui de Rhodes. d Triflan donne le type d'une médail- le de Géra , qui fuivant Spartien , aimoit fort le bon vin : le revers reprefente une Fortune tenant de la main droite le gouvernail d'un vaiifeau,& de l'autre , une corne d'abondance, d'où parmi plufieurs fruits fort une grape de rai fin. Pline relevé le vin de cette Ulc par l'autorité d'ErauT- Hic innocentis pocula M z. Géorgie. Lcsbii dijees fub umbra, c Uciumquc , inejuit , oppî- Horat. Ode 17. itb. \. do bonum , fed $iu» • Non eadem arboribu? Aitrïtit. Aul. Gel!, lib. 15. pendet vindemia noftris. cap. y. Quem Mcthymnxo carpit <* M HQïMNAIflN. de palmicc Lesbos Virgïl. F iij 86 Voyage trate , l'un des plus grands médecins de Pantï- çmité. Le même autheur & Ifidore parlent du jafpe de Lcsbos : nous n'eûmes pas le temps de le voir , non plus que les Pins qui donnent allez de poix noire , & dont on employé les planches à la conf- trudtion des petits vaiflfèaux; Notre Capitaine nous fît payer au port de Petra , d'où nous n'ofions nous écarter , de peur qu'il ne partît lans nous avertir •, les capitaines Turcs font payer d'avance les paflfagers , & ne s'en embarralîent plus. Pe- tra efl: un méchant village où nous n'eûmes d'au* tre plaifir , que celui de boite du caffe chez un Turc qui avoir été long-temps efclave à Marfeil* le , & qui nous informa des ports de Vlfle , qui font celui de Caftro , ou de l'ancienne Mytiléne, le port Olivier , Caloni , Se le port Sigre, Il nous aflfeura qu'il y avoir dans Pille plufieurs Turcs mêlez avec les Chrétiens du rite Grec. Le Cadi & le Janiffaire Aga rélîdent à Caftro , aulïi bien que le vice-conful de France qui efl; envoyé par- le conful de Smyrne, Caftro n'efl: pas le feul port de Pille. Iero connu par les Francs fous le nom du port Olivier , dont l'entrée efl; entre l'efl: Se a le fud-cft , parte pour un des plus grands ÔÇ des plus beaux ports de la Méditerranée. Les au- tres ports de Metelin font Caloni & Sigre. b Caloni efl; le meilleur des deux , & regarde le midi, mais il faut lailfer à gauche l'écueil qui efl; à (on couchant ; l'entrée du port c Sigre efl: en.» fre le midi & le ^ fud-ouefl:. Le canal de Lesbos à la terre ferme efl: , fe- ' Siron. c 2*yp»««\ Strtb, Uk- h cap. 30, -JsU Ae Tetstedos Tom-IZ.l^ay.&p'^ Il du Levant. Lettre IX. 87 !on Strabon & Pline , de (ept milles & demi : il eft plus large à Ion encrée où font les Ifles de a Mofconifi j qui le répandent fur la côte de l'an- cienne ville de Pliocée. Une partie des habitans de cette ville ne pouvant s'accommoder de la domination des Perles , vint iur la côte de Pro- vence bâtir Mailcille. Nous mimes à la voile clu port de Pctra le z y. Mars a une heure après minuit , 6c au point du jour nous nous trouvâmes à la vue de Tenedos. Strabon détermine la dillance de ces deux Illes à 61. milles , & Pline à 56. on en compte ordi- nairement 60. terme moyen entre les deux pre- miers. Tenedos n'a pas changé de nom depuis la Tene- guerre de Troye : tous les anciens auteurs con- DOS* viennent que cette Me , qui fe nommoit Leuco- phrls , fut appellée Tenedos , du nom de Tenés ou Tenues qui y mena une colonie. Diodore de Sicile en parle en véritable hiftorien.. b Tenues , dit-il, fut un homme illurlre par fa vertu ; il étoit fils de Cycne Roy de Colone dans la Troade ; & après avoir bâti une ville dans l'ille Leucophris , il luy donna le nom de Tenedos. Ce prince fut chéri de fes fujets pendant fa vie , & adoré après fa mort ; car on luidrelfa un temple où on lui immoloit des victimes. Diodore traite de fable ce que les habitans de Tenedos publioient de fou temps : cependant Paufanias & Suidas en par- lent fort férieufement. c On prérend donc que Tenues fut fils de Cycne & de Proclée focur de Caîetor , qui fut tué par Ajax dans le temps qu'il a E/ytrop tint >£ Amfoàv b Bibliotk. h'ijl.lib.^. Strab. lib.l 3. F iiij 83 Voyage voulut brûler les vaiileaux de Protefilaiis. Après la more de Proclée , Cycne époufa Philono- me , qui par-la devint belle-mère de Ternies & d'Hemithée fa fœur. L'hiftoire ajoute que cet- te belle-mere trouva tant de charmes dans Ten- nis 3 & fi peu de difpohtion à s'en faire aimer , qu'elle te plaignit à (on époux que Ton fils avoic voulu la violer. Eftienne de Byzance ajoute qu'el- le produifit pour témoin un joiïtur de flûte de fa cour. Cycne autant pénétré de la vertu de fa fem- me , qu'outré de l'iniolence de fon fils , le fit en- fermer dans un coffre, où Hemithée fa fœur vou- lut lui faire compagnie. On les expofa fur la mer qui les jetta fur les bords de l'ifle dont nous parlons j ces deux charmantes perfonnes y furent reçues avec tant d'applaudifiement , que Tennés en fut déclaré Roy. Quelque temps après , Cycnc convaincu de l'innocence de fon fils , voulut defeendre à Tenedos pour lui en témoigner fon chagrin ; mais Tennés bien loin de le recevoir , s'en alla au port , où avec une hache il coupa le cable qui y tenoit attaché le vaiileau de fon père. La hache ne fut pas perdue , Periclyte ci- toyen de Tenedos prit loin de la faire porter à a Delphes dans le temple d'Apollon3& lesTenediens en confacrérentdeux dans le temple de leur ville. Ces avanturcs firent du bruit , &: donnèrent lieu à deux proverbes , Quand on vouloit parler d'un faux témoin, on difoit que c'étoit b unflû- teur de Tencdns, & l'on citoit la hache de c Tene- dos , lorfqu'il étoit queftion d'une affaire qu'il falloir décider fur le champ. Ariftote cité par Eftienne de Byzance a explique autrement le fait. » Smd. i Tw^*sni*W. SmM.»^ k Tmho* âtùnrts . Stephan, du Levant. Lettre IX. 89 Ii dit qu'un Roy de Tenedos ayant par une loi expreife condamné les adultères d'avoir la tète tranchée à coups de hache , le premier exemple s'en fit en la perionne de fon fils : ce géographe aiïùre qu'on reprefenra fur des médaiUes de l'Ills les têtes de deux amans adoftées , au revers c'étoit la hache avec laquelle on les avoit coupées, Golczius a donné le zxvc d'une femblablc médail- le. On pourroit l'expliquer fuivant la remarque d'Efticnne ; mais la conjecture de a Mr de Boze Secrétaire perpétuel de l'Académie royale des Infcriptions &des Médailles , eft beaucoup plus heureuie év tout-à-fait naturelle. Cet Académi- cien j en qui l'érudition a devancé les années , croit que ces deux têtes font celles de Tenues & d'Hemithée (a feeur : la penfée eft confirmée par une autre médaille du cabinet de Mr Baudelot , fur laquelle ces deux têtes adoilées ont une efpece de diadème. Mr Baudelot , qui eft fertile en conjectures in- genieufes , croit que l'une de ces têtes eft celle de Jupiter , &c l'autre celle d'une Amazone , qui dans le temps des courtes de ces héroïnes , avoit fondé quelque viile dans Tenedos. Cela n'eft pas hors de la vraifemblance , &c leshabîtans de cette Ifle en voulurent peut-être conferver la mémoire fur leurs monnoyes , comme firent ceux de Smyrne, d'Ephele, & de pluiieurs autres villes dJA(ic. La hache qui eft fur le revers de ces mé- dailles favorife tout-à-fait le fentiment de Mr Bau- delot ; car tout le inonde regarde ecz infiniment à double trenchant , comme le fymbole des Amazo- nes. Cependant d'un autre côté l'on a cru que c'étoit celui dont on fe fervoit pour aflbmmef les ? D/Jjèrt. fur le fanns des amiens. 9-f»7T5t. Suid. régna manebant. Virgil. b HHn conrpcdu Tencdos, c Hcrod lïb. b- Xwphon riQciflima famâ> lufuladi- HoiUn. 5. du Levant. Lettre IX. 91 comme on le voit fuir celle de Mr Baudelot , car la chouette ctoit le fymbole d'Athènes. Les Romains jouirent de Tenedos dans leurs temps , &c le temple de cette ville fut pille par Verres : cet impie ne lui ht pas plus de grâce qu'à ceux de Scio , d'Erythrée , d'Halicarnallc , &c de Délos : il emporta la flatue de Tennés fonda- teur de la Ville : &ç a Ciceron remarque que tou- te cette ville en fut dans une grande confier- nation. Le même Auteur parle en plufieurs en- droits de cette grande bataille que Lucullus remporta à Tenedos fur Mithridate & fur les Capitaines que Sertorius avoit fait paflfer dans ion armée. Tenedos eut le nue me fort que les autres Ifles foiTs les Empereurs Romains & fous les Empereurs Grecs. Les Turcs s'en faifirent de bonne heure, & la pollédent encore aujourd'hui ; b elle fut prife par les Vénitiens en 1656. après la bataille des Dardanelles 3 mais les Turcs la reprirent prefque atiflitôt. Strabon donne à cette Ifle 80. ftades de tour , c'eft-à-dire , 10. milles : elle en a bien 18. & fe- roit allez arrondie , n'étoit qu'elle s'allonge vers le fud cft. Cet auteur détermine la diftance de la terre ferme à onze ftades , qui valent 1375. pas , quoiqu'on compte environ fix milles. Pline en a mieux jugé , car il l'éloigné de 12. milles & demi de l'ancienne Sigée , qui étoit fur le cap Janitfaire : il marque pour l'éloignement de Les- bos à Tenedos 50. milles. Strabon n'a dit autre chofe de cette Ifle , finon qu'il y avoit une ville, deux ports , 8c un temple dédié à Apollon Smin- Cic. pro lege Man. pro Mur. pra An h* poettt. b Theven. voyag. tom. I. 5>i Voyage chien. Qui croiroit qu'Apollon eût receu ce fur- nom à l'occafîon des mulots ! On les a pourtant repreientez fur les médailles de l'Ifle , & les Cretois , les Troyens , les Eoliens les appellent 2^<>ôo», Elian raconte qu'ils faifoient de fi grands degafts dans les champs des Troyens & des Eo- liens , que l'on eut recours à l'Oracle de Del- phes. La reponfe porta qu'ils en feroient délivrez s'ils facrifioient à Apollon Sminthien. Nous avons deux médailles de a Tenedos , fur lefqnelles les mulots font reprefentez ; l'une à la tête radiée d'Apollon avec un mulot , "le revers reprefenre la hache à double trenchant ; l'autre médaille eft à deux têtes adoflées , le revers montre la même hache élevée , &deux mulots placez tout au bas du manche. Strabon allure qu'on avoit fculpé un mulot au pied de la ftatue b d'Apollon qui étoit dans le temple de Chryja , pour expliquer la rai- fon du furnom de Sminthien qu'on lui avoit don- né , 8c que cet ouvrage étoit de la main de Sco- pas fameux Sculpteur de Paros. Un marchand de Conftantinople qui étoit fur nôtre bord } nousallura qu'il ne reftoit plus au- cunes marques d'antiquité dans Tenedos. En ef- fet elle perdit toute fa magnificence avec la vil- le de Troye. Pour nous nous n'avions pas grande envie d'aller chercher les ruines des greniers que Juftinien y fit bâtir pour férvir d'entrepoft aux bleds d'Alexandrie deftinez pour Conftantinople , qui fe pourrirToient fou vent dans les vaif- feaux arrêtez par les vents contraires à l'en- trée des Dardanelles. Ces magafins cepen- dant , à ce que dit c Procope , avoient 280* a TENEAOS TENEAI.QN. c Procbp. de tlfîc, jitjiin. v "ZfttvJsùS ArrvX^uv. Strae. lih. 5. cyf.i, Rerum gecrv* lib.I}* r» tr Levant» Lettre IX. 93 pkds de long fur 90. pieds de large. Leur hauteur étoit fort confîderable , & par confequent ils dévoient être très folides. Nous admirions la prévoyance de ce fage Empereur ; mais tout cela ne piquoit pas nôtre curiofité -, non plus que la fontaine , qui du temps de a Pline fe répandoit hors de fon bafïin dans le folftice d'été , depuis trois heures après minuit jufqucs à fix. Le vin mufeat de cette Iile , qui eft le plus délicieux du Levant , nous attiroit bien davantage. Je ne pardonnerai jamais aux anciens , de ri avoir pas fait le Panégyrique de cette liqueur , eux qui ont affecté de célébrer les vins de Scio & de Les- bos. On ne fçauroit les exeufer , en difant qu'on ne cultivoit pas la vigne à Tenedos dans ce temps- là : il eft aifé de prouver le contraire par la médaille de Tenedos qui eft dans le cabi- net de Mr Baudelot. On y voit à côté de la hache à deux trenchans (qui font faits comme les aîles d'un moulin à vent ; au lieu que dans les au- tres médailles de cette Ifle , ils font arrondis de même que ceux des haches Amazones ) ou voit , dis-je , à côté de cette célèbre hache uns branche de vigne chargée d'une belle grappe de raiiin, qui marque l'abondance de ce fruit dans l'Iile de Tenedos. Nous eûmes tout fujet de nous conlolcr de nos chagrins à Conftantinople chez Mr le Marquis de ferriol Ambafladeur du Roy. On y boit le meilleur vin de Tenedos , & fa table eft la mieux fervie qui foit dans tout l'Orient, quand même on iroit de Conftantinople jufqucs à la Chine 8c au Japon. b Nous palTàmes le 2.6. Mars tout près des Ifles * Hijl,n«t.ltb, x, cajt>,io$, •> Ifle aux Maures. 24 V O Y A G t aux lapins . ou Iflcs aux Maures , que les àn> ciens ont connues ious le nom de Calydncs j ces Iflcs font abandonnées. Comme la mer écoic fort tranquille , & que nôtre vailleau ne bran- loit pas. Mr Aubrier defîina fort à fon aife la vue de la ville de Tenedos. Je joindrai à ce def- (e'm un phm fort exadt de toute l'Ifle , que Ton mJa communiqué depuis mon retour. Vous trouverez bon , Monfeigneur , qu'avant de fortir de l'Archipel , je vous rende compte de ce que nous appprîmes à Mycone de l'Ifle de Nicaria , par un Papas du pays qui Ce difoir de la maifon des Paleologues , quoiqu'il n'eût pas de fouliers , & qu'il fût réduit à vendre des plan- ches. Nous tentâmes deux fois de pafler a Nica- ria s niais il falut céder au temps. Nica- Cette Ifle a 60. milles de tour , &: s'étend de- puis la pointe appellée a Papa qui regarde My- cone jufquesà la pointe du 6 Fanar, qui eft vis-à- vis du cap'Catabate de l'Ifle de Samos. Strabon ne donne à Nicaria que 300. flades de circonféren- ce , qui font feulement 37. milles 6c demi. Il détermine la diftance de ces deux caps à 80. fla- des 3 qui ne font que dix milles. Cependant le grand Bougas , ou le canal qui eft entre Samos ôc Nicaria , eft cfc 18. milles de large. d Nicaria eft fort étroite de traverfée dans fa longueur par une chaîne de montagnes en dos d'âne , qui lui avoit fait donner autrefois le nom de l'Ifle longue &c étroite. Ces montagnes font couvertes de bois , Se fournilfent des fources à d oh vient Ntcarie. Strab. b h.KpanJiQAtf AçpKuviv, d Antea vocata Doliche & Strnbo. Macris. Pli», ibid. RIA. f)6' V O Y A G É Nicarïa n'a pas changé de nom , clic s'appelle Icaria , tout comme autrefois ; mais les Francs qui ne fçavent pas le Grec , corrompent la plu- part des noms. Tout le monde fçait que l'on at- tribue^ce nom à a Icare fils de Dédale, qui Te noya aux environs dans la mer qui pour la même rai- fon fut nommée Icaricnne. Strabon enferme dans cette mer les Ifles de Levas &z àzCos. Pline ne lui donne de l'étendue que depuis Samos jnfques à Mycone. Mr Bochart eft le feul qui dérive le nom d'icarie d'un mot Phénicien Icattre , qui iignifie pcilfonneux ,. ce qui pourtant convient allez à un nom b Grec que les anciens ont donne à la même Ifle. Quoiqu'il en foit la fable d'Icare me paroit fort joliment expliquée par c Pline , qui attribué l'invention des voiles des navi-* les à Icare. Paufanias veut que ce foit Dé- dale y mais de quelque manière qu'on le prenne 3 il y a beaucoup d'apparence que les aîles que la fable a données à Icare pour fe fauver de Crè- te j n'étoient que les voiles du bâtiment fur le- quel il parla jufques à l'Ifle dont nous parlons, & où il fit naufrage faute de favoir les gouverner avec prudence. Tous les habitans de Nicarie font du rite Grec , 3c leur langue tient plus du Grec littéral , à ce qu'on dit , que celle des autres Ifles , où le commerce a fait établir plufieurs étrangers qui ont introduit une infinité de mots & de terminai- fons de leur pays. On ne s'eft jamais embarrahe de conquérir cette Ifle : il y a beaucoup d'appa- a Icaros , qu£e nomen mari b Ifflôiar*. Stepb. f'c-lit. Pli», hift. nat.lib. e Hifi naf.lil>.y. cap. JE. 4, cap-ir. BKQtic. Ichthycefla. Plin. ikid, rence du Levai* t. Lettre IX, $f irence qu'elle a luivîle deftin de celle de Samos fa voifiné ck fa maïtrellc. Il n'eft parlé de l'Ifle de Nicarie dans la relation d'aucune guerre j iî ce n'eft dans celles qui Te payèrent entre a Baudouin 1 1. du nom Empereur de Conftanti- nopie , le font en habitans : car il n'y qu'mi feul ealoyer; L'Ifle manque de ports , comme Strabon l'a remarqué. L'une des principales calanque!) eft à Fanar où étoit l'ancienne ville d Dracunon. L'au- tre regarde Scio , ôc s'appelle * Caraboujias 3 c'eft- à-dire , la calanque ou le port. Les ruines de la ville r d'ifinoe font tout auprès , dans un quar- tier appelle le champ fîmplement , ou le champ des rofeaux. S C'eft apparemment dans ce lieu que les Miletiens menèrent une colonie ; & comme Carabouftas eft le meilleur port du pays , il y a lieu de croire que c'eft celui que l'on nommoit h ijii dans ce temps là. Les bons ports de ces Du Cange hift. des Em- . c K-vpwùvsM. per.de Conft. /m 4. f Enoc Uritb. & Athen. Nicepber. Gregoras lib. 1. g Ti Mi*tit *& ?o K**âf*n eaP- Ç. Strab. Rtrurn gr. lib, c Ayi* AîeZtXi h jf#;g Sttflb. Tqjm //< a 5>& V et y A g b quartiers font aux Iflcs de Fourni qui ont pris leurs noms de leur figure j car ils font creufez. naturellement dans les rochers comme des voû- tes de fours. Ces Ifles font à égale diftance de Nicaria & de Samos au detTous du vent , Se par confequent plus méridionales.. On n'y voit que des chèvres fauvages. a Strabon alïèure qu'il y. avoit dans Nicaria un temple de Diane appelle TauropoliumySe Callima- que n'a pas fait difficulté de dire que de toutes les ïilcs il n'y en avoir pas de plus agréable à Diane que celle-ci.Goltziusa donné le type d'une médail- le reprefentant d'un côté une b Diane charTerelïejôc de l'autre une perfoane fur un taureau, que l'on pourroit prendre pour Europe ; mais félon la con- jecture de Nonîus , c'eft plutôt la. même Diane , le taureau marquant l'abondance des pâturages de l'iÇe Se la protection de cette Déçiîe. Cette médaille a été frappée dans l'Ifle dont nous parlons, & non pas dans une autre Iile de même nom> dans le fein Perliquc. c Denys d'Alexandrie avan- ce qu'on facrifioit dans celle du fein Perfique à Apollon Tauropole. Eufthate fon commenta- teur dit feulement que c'étoit une Itle tres-cele- Die , mais il ajoute qu'on veneroit aufli fort ref- pe&ueufement Apollon Se Diane Tanropoles dans rïfle d'1 carie de la mer Egée : d'où il faut con* clurre que ces divinitez faifoient l'objet du culte aes habitàns de ces deux Ifles. Tauropole dans cet endroit lignifie protecteur des taureaux , Se non pas marchand, ainfi que le nom femble ^e Faire entendre. 11 feroit ennuyeux de rappor- ter ce que les anciens auteurs ont penfé iuc ce Eft ft w Açrîfuïcs Uf» i> ikAPIqN; *n N«Vâ Sfrak. verf. 6q%, fjr'c. fcu Levant. Lettre IX. «^ nom , il faut s'en tenir à Suidas : il fuffit de re- marquer que Diane Tauropole n'étoit pas feu- lement honorée dans les ïfles cl'Icarie j mais en- core dans celle d'Andros & à Amphipolis en Thrace, comme nous l'apprenons de a Tite-Live. 11 ne faut pas confondre le nom de Tauropole avec celui de Taurobole qu'on avoitaufli donné à DianeXe Taurobole proprement étoît un facri* fice tout particulier que Prudence a fort bien dé- crit, & qui a éré depuis peu tres-favamment expli- qué par Mr de Boze. 0 Le Fanar ou Fanari de Nicaric eft Une vieille tour , qui fervoit de fanal pour éclairer le paflfage des vailicaux entre cette lue &C celle de Samos ; car ce canal eft dangereux quand la mer eft grof- fe, quoiqu'il ait i8, milles de large. Celui de Nicarie à Mycone a près de 40. miles , & il en faut faire plus de 60. pour aller d'un port à l'au- tre. Mrs Fermanel & Thevenot fe font trompez en parlant de Nicarie : ils l'ont prife pour Ni£ iaro,où font les plus fameux plongeurs de l'Archi- pel* Lcshabitans de Nicarie font de pauvres gens, qui ne fe mêlent que de couper leur bois: ils n'ont ni Cadi ni Turc chez eux : deux administra- teurs qui font annuels , font toutes les affaires du pays. En 1700. ils payèrent jzj. écus pour la capitation, & 130. écus au douanier de Scio pour la taille , & fur-tout pour avoir la liberté d'aller vendre leur bois hors de l'Ifle* On ne fe fert à Nicaria que de moulins à bras, que l'on fait ve- nir de Milo ou de l'Argcntiere j mais les pierres de Milo font les meilleures. Ces moulins con- fiftent en deux pierres plates & rondes d'environ * *<*#* /*. Lwternt , fanaL 1O0 V" O Y A G E deux" pieds de diamètre, que l'on fait roule? l'une fur l'autre par le moyen d'un bâton qui tient lieu de manivelle. Le blé tombe fur la pierre in- férieure par un trou qui eft au milieu de la meu- le fuperieure , laquelle par Ton mouvement cir- culaire le répand fur la meule inférieure , où il eft écrafé & réduit en farine. Cette farine s'é- chapant par les bords des meules , tombe fur une planche , où on la ramaffe : le pain qu'on en fait eft de meilleur goût que le pain de farine mou- lue' aux moulins à vent ou à eau : ces moulins à bras ne fe vendent qu'un écu ou un écu & de- mi pie e. J'ai l'honneur d'eftre avec un profond rsf- pe& , &c. du Levant. Lettre X, ior Lettre X. A Monseigneur le Comte de Pontchartrain , Secré- taire à \ Etat & des Commandemens de Sa Ma- jefié, &c. M Onseigneur, Pour continuer la defcription de l'Archipel 3 Desc*i» j'aurai l'honneur de vous parler ici de Samos , A J1 V? de Patmos 3 & de Sxyros , que nous ne vîmes ce- » Eitf. w T« •» Tluntiitoi ici t« trfOKMrm M «Ù7r5 nwVW Mi/^JJf zZfs i\oi. Ut' à N«^jm<«. AU. fod,ïib.u Str»b,lib&. ï> v Levant, Lettre X. ao$ toatîon du cap de Neptune , qui avoir pris fon nom d'un temple dédié à ce dieu. a Le Roi a une médaille de Commode , dont le revers reprefen- îe Neptune &, Jupiter, à la légende des Samiens. Le grand Boghas eft au b fud-oueft de l'Ifle en- tre la jointe occidentale , appellée le c Cap de Samos & la grande Ifle de Fourni. Ce détroit a huit milles de large, & n'eft éloigné de Nicaric que de dix milles .; ainft l'on compte 18. milles de Samos à Nicaria de cap en cap. Tous les bâri- mens qui defeendent de Conftantinople en Syrie & en Egypte, s'étant repofez à Scio , font obligez de paifer par un de ces détroits. Il en eft de mê- me de ceux epai montent d'Egypte à Conftanti- nople Ils y trouvent.de bons ports, & leur route ieroit trop longues s'ils alloient parler vers My- cone 8c vers Naxie : ainfi ces Boghas font les vé- ritables croifîeres des Corfaires , comme l'on par- le dans le Levant , c'eft-à-dire que ce font des lieux propres pour reconnoître les bâtimens qui . pailént. Quoique le trajet de Scalanova à Samos ne foit.que de zj. milles , la bonace npus obligea de relâcher derrière un petit écueil appelle; ** Prafonifi , lequel eft aflez près du petit boghas. Nous débarquâmes le lendemain 30. Janvier , & nous arrivâmes en deux heures & demie au.Va- ti , village au nord de Lille fur la pente d'une montagne , à près d'un mille du port. Il n'y agué- res plus de 300. mai fous dans ce village , avec cinq ou fix chapelles ; mais les unes & les autres four tres-mal bâties, quoique ce (bit un des en- 1 a Légende y c Kof-Vô*'»'- Strab, lib.14. C A M I îî N. d ITç« les autres villages vers le midi , font d Neocorio à deux milles delà cote , c Guei- tani à trois milles, f Maratrocampo à pareille dif- tance , S Eforeo à cinq milles , h Spatarei fur le cap Coloune , » Sureca n'en eft pas loin. k Paleo- paftro eft à deux milles de la mer du côté du nord, Vourlotes a pareille diftance , Fourni à trois njilles, m CarlovalTi à un mille, & n Caftania refte aiu pied de la montagne de Catabate , de même que ° Albaniticorio. Il faut ajouter à ces villages * Xâyi. b ^-rmrovfH. d N*t^*ô«». l Y«t)A«7HJ. du Livant. Lettre X. 105 * Platano , qui eft le plus beau de tons , b Pyrgos & c Commarea , qui (ont vers le milieu de l'Ifle, Cette Ifle eft toute efcarpée 3 c'eft ce qui lui avoiç fait donner le nom de Samos , car fclon Conftan tin Porphyrogenete , les anciens Grecs appelloienc Samos , les lieux fort élevez. Il n'y a d'agréable dans cette ifle que la plaine de Cora. La grande chaîne de montagnes qui traverfent Samos dans fa longueur , s'appelloit (i Anrpelos. Sa partie oc- cidentale qui fond dans la mer du côté de Nica- ria , retenoit le même nom ; elle s'appelloit auffi * ( ant harittm &C * Cerceteus. C'eft cette roche ef- froyable qui fait le cap de Samos. Les Grecs lui ont confervé le nom de Kerki , qui retient quel- que chofe de Cerceteus. Us la nomment auffi 8 Catahate qui fignifie un précipice. Du temps que la Grèce croit floriflante y cette Ifle étoit fort peuplée & très bien cultivée. On v-.it encore au plus haut des montagnes , de longues murailles faites pour arrêter les terres. Je ne crois pas qu'il y ait prefentement dans Sa- mos plus de 1 1. iriiile hommes, tous du rite Grec. Il n'y a que trois maifons de Turcs : celle du Cadi , celle de l'Aga qui demeurent tous deux à Cora , & celle d'un fubdelegué de l'Aga qui a n>.«tee>«. que la foudre y tombe fott- b TïVfps. vent. K«toC«t»î; Zsoj , Kcujcïitt. Truççf, re l^ruZt^â.ttit toi A A't*7n>os. xi^su/vtv. Stiid J-ul.PolluX. e Kitpjùçsiti, Strab. lil.\^. lîb.i. cap,\.Vbanius légat. * To ëpy,; t YLteKiTtui. Strab. ad Julian. Paufan. Eliac. lib. x. prier. Pharnutus in Jovis % KàTuZdrv y montagne des cognominibus , parlent de précipices. KtcTumctnuydzC- Jupiter, Kttrv^ei-nji , qui cenJo. Ou bien on peut lance la foudre. faire venir te nom de ce io<î Voyage fait fa réfidence à CarlovaiTi ou au Vatî féjonr du viceconful de France. L'Aga proprement n'eft qu'un Vaivode, envoyé pour exiger la tailie réelle. Tous les ans on établit un adminiftrateur ou deux dans chaque village, excepté à Cora , au Vatî , & a Çarlovafli , où l'on élit deux Papas «Se quatre bourgeois , fuppofé qu'il s'en trouve : à leur défaut on prend des patrons de caiques , ou des laboureurs. Les Papas mêmes ne font que des payfans promus aux ordres , fans autre mérite que d'avoir appris la meiTe par cœur. Il y en a plus de zoo. & le nombre des Caloyers eft encore bien plus grand : ainfi les gens d'Eglife font les maîtres de l'ifle j ils y pofledent fept monafteres : favoîr , a Notre-Dame de la Ceinture , b Nôtre- Dame du Tonnerre , c la grande Nôtre-Dame , d Saint Helie , le couvent delà e Croix, f Saint George , & § Saint Jean. h II y a quatre couvens de religieufesdans Sa- mos i l'un a Saint Hclie , l'autre proche la gran- de Notre-Dame, Le troifiéme à Ba,vonda, & le der- nier au monailcre de la Croix , de plus on nous aflùra qu'on y comptoit plus de 300, chapelles particulières. L'Evêque de cette Ifle, qui l'eft aufli de Ni- caria , réiîde à Cora , &c joiiit d'environ deux mil- le écus de rente. Outre les biens de l'Eglife , il tire un revenu confiderable de la bénédiction des eaux , &. de celle des troupeaux , qui fe fait au commencement de Mai. Tous les laitages &c Q ■ ïlowuyta luÇt.K. e St<*o;o*. k Ha»àfM BfOiau. f'Ayie< Ttettyin, c W-Mixyia fiS^xA». g Aj les François n'en payent que la moitié : le vin ne doit aucun droit au Grand Seigneur, mais chaque h pièce de vigne de cinquante pas de long furving pas de large lui doit c 40. fols par an. On. levé fur l'huile une taille réelle fur le pied du dixième. Les Grecs payerrt pour le droit de f ntie de1 cette marchandife 4. pour cent , &c les François 1. pour cent j mais la récolte ne paflfe a 50 oques. c Une ifolote. fctj Levant. Lettre X. i©£ guércs huit ou neuf cens barrils , qui pefent au- tant que les barrils de vin , c'eft à dire i j 8. livres* On en donne 1 1 39. livres pour un écu. On charge ordinairement tous les ans dans cet- te Ifle 3, barques de froment pour France. Cha- que barque contient huit ou neuf cens mefures faifant. 60000 ou 67500 livres pefant , car cha- que ineiure eft de 75. livres. La mefure s'appelle un quilot. Le quiiot eft de 3. panaches, chaque pa- nache de 8.oques,& les oques de 2 5. livres. Outre les grains ordinaireson feme dans Samosbeaucoup de gros a Millet blanc qu'ils appellent chicrl. Les pauvres gens pour faire du pain , mêlent une moitié de froment avec l'autre moitié d'orge & de millet blanc ; quelques-uns ne mêlent que le mil- let & l'orge , qui viennent allez abondamment dans l'Ille. On ne féche des figues dans Samos que pour Vufage du pays : elles font fort blanches ; & trois ou quatre fois plus grofles que celles de Marfeil- le5mais moinsdélicatesjon ne pratique pas la capri- fication dans cette Ifle, aufïi les figuiers y fructi- fient moins que dans les autres. Le fromage de Sa- mos ne nous parut pas des meilleurs : on le met tout frais dans des outres avec de l'eau falée , &C on le laijfife égouter & fécher à loifir ; la coutume eft d'en charger tous les ans une barque pour France ; cent livres ne coûtent que deux écus ou un fequin. Les Pins qui font au nord de l'Ifle donnent en- viron 300, ou 400. quintaux de poix : elle vaut un écu le quintal. , & paye quatre pour cent k la douane. On charge dans cette lfle des b Ve- * Milium arundinaccuni piano alboquc fcnainc C. B. b &•**» w Bsa«mA, Gland, no Voyagé lanides pour Venife & pour Ancone ; c'eft cette efpece de gland que l'on réduit en poudre pour tanner les cuirs , ôc dont j'ai déjà donné la deicrip- tion. La grande quantité de chênes dont Samos étoit autrefois couverte , lui avoit fait donner le nom de a UJle aux chênes. La foyc de cette Ifle eft fort belle ; elle vaut b quatre livres dix fols ou cent fols la livret on en fait tous les ans un commerce d'environ 2.0. ou 0.5. mille écus. Le miel & la cire y font admi- rables : on y donne 50. livres de miel pour un écu, mais la cire y vaut 9. ou 1 o.fols la livre. Atl'égard du miel , on en recueille plus de zoo. quintaux : mais la cire, ne parte guéres 100. quintaux : le quintal pefe 140. livres , de même que dans tout le refte de la Turquie. c La Scamonée de Samos n'eft guéres bonne : elle eft roufle , dure , coriace , & par confequent très-difficile à mettre en poudre. Non feulement elle purge avec violence ; mais fouvent elle don- ne des tranchées & des fuperpUrgations fâcheu- fes : nous ne vîmes pas la plante d'où elle fe tire , parce qu'elle ne pouffe que fur la fin de Mars &C dans le mois d'Avril. On nous montra pour la plante de la Scamonée , les jeunes tiges d'une efpece de d Lizeron , dont les feuilles reflemblent allez à celles de nôtre petit Lizeron , mais elles font plus grandes , velues , & découpées moins proprement à leur bafe que celles de la Scamonée de Syrie. La Scamonée de Samos répond parfai- tement bien à la defeription qu'en a faite Diofcorf- dc : elle naît dans les plaines de Myfie , entre le * Afiovaz*. Sttpb. «* Convolvulus miûor , ait- k 18 bu to rïmins la livre; veufis C. B, Ç hl*%(**vT* «à M«xp* k Athen.Deipn.lib.14. W-ntTifTniv y&f M'a** fat c Hift.nat. Iib.l$.cap.i9. "•Vu Strab. Rerum geogr* à T«yha&. Amgen, A»C^ tiï Voyagé plus de chèvres que de moutons. Les François y chargent une barque de laine par an ; on en donne trois livres deux onces pour quatre ou cinq fols. Les perdrix y font en fi prodigieufe quantité 3 qu'on les a pour trois fols la paire. Comme les chalîeurs ne fçavent pas tirer en volant , ils les attendent le long des ruillèaux, où elles vont boi- re par conpagnie comme les alouetes,& ils en tuent fept ou huit à la fois , & même jufques à quinze ou vingt. Les mulets & les chevaux de Tille ne font pas beaux , mais ils marchent aflez bien ; 5c quoi- qu'on les laiiïe paître à Tavanture fans les en* fermer dans des enclos , ils ne s'écartent point des m ai fon s de leurs maîtres j qui les vont prendre aifément lorfqu'ils en ont befoim On nourrit af- fez de bœufs dans cette lue ; mais on n'y connoît pas les bufles. Les loups & lés chacals y font quel- quefois de grands defordres; Il y parte quelques Tigres qui viennent de terre ferme par le petit Bo- ghas. Les mines de fer ne manquent pas dans Samos; la plupart des terres font de couleur de rouille. Tous les environs de Bavonda font pleins de bol rouge-foncé , fort fin , fort fec , & qui s'attache à la langue. Leboleft un fafran de Mars naturel, dont on retire le fer par le moyen de l'huile de lin. * On faifoit autrefois d'excellente poterie à Samos, & c'êtoit peut-être avec la terre de Bavon- da. b Selon Aulugelle , les Samiens furent les in- venteurs de la poterie j mais perfonne ne s'en mêle aujourd'hui,& on s'y fert de la fayenced'An- * Samia vafa etiamnum in b Nos Samio delc&amur. cfculentis laudantur. B lin. Cic.in Verrem,dHlu^.ltb.<^. kift. mu Ub. du Levant. Lettre X. %% $ cône : a les cruches où l'on tient l'eau de vie &c le via viennent de Scio. Pour peu qu'on voulait (e donner de peine on trouveroit à Samos b ces deux fortes de terre blanche , que les anciens employoient en médecine •, mais perfonne ne s'in- tereile pour de pareilles recherches , non plus que pour la pierre Samiene , c qui non feulement fer-» voit à polir l'or , mais qui étoit d'un grand ufa- ge pour les remèdes» L'émcril n'eft pas rare dans cette Ifle. L'ochre y eft commune du côté de Vathelle prend un allez beau jaune quand on la met dans le feu , & de- vient rouge-brun fi on l'y laiiTe plus long-temps ; cette terre n'a point de goûc , & teint naturelle- ment en feuille morte. On trouve autour: de Carlovaiïi une terre tres-noire & très-fine ; nuis tout-à-fait infipide , qui ne parôît participer du vitriol, qu'en ce qu'elle lert à teindre en noir le fil à coudre. Toutes les montagnes de l'Illc font de marbre blanc. On remarque fur le chemin de Vati au petit Boshas une colonne allez belle , attachée encore à la carrière. On m'alleura qu il y avoir, du beau jafpe du côté de Plitano. Ces montagnes font allez fraîches , pleines de fources couvertes de bois , & fort riantes. Les ruirTeaux les plus confiderablcs (ont celui de Metelinous , & celui qui coule au delà des ruines du temple de Ju- non. Le port du Vati qui regarde le nord-oueft, eft le meilleur de lllle. On y donne fond à droite dans une efpece d'anfe formée par une colline y KofoveAo* hiA As-ip. Biofc. c D'to\c. 'nid. c*p. 17 3. Vl'ttt lib.%. cm. i7z. plin, bift, hi(i. n*t. lib.i>6> t*pt%i* Tome II. H 114 V O Y A Kx-m^ÛTit /(juToiouTiç , def- On l'appelle aujft , cap dont on voit encore quelques arcades fur le chemin de Miles à Pyrgos } & dont la fuite fe trouve au port de la a ferme du grand couvent de Nôtre Dame : mais dans cet endroit la ce n'eft plus qu'une muraille fortMoujiue & allez balle qui peut-être ne lupportoit qu'une partie des- canaux. Ces canaux croient d'une excellente brique de la terre de Bavonda, & s'emboitoient fort pro- prement les uns dans les autres j on en voit encore plulieuis pièces à Cora , fervant à vuider les eauxj des terrai p. s. Outre cet aqueduc , les eaux qui viennent de! Mctelinous , fe déchargent auiîi à l'entrée de la ville balle , après avoir paire fous les arches d'un * Mbj^< t?î fiiyÛMi 7ruYciyiei4. Mirâg* , qui fignife en Grec vulgaire, une ferme , une mnifon de camp^g^e> vient de fUniunTH > hàbicatio. du Levant, lettre X. np ' aqueduc à travers le vallon qui mène de Cora au Vati , quand on ne veut pas palier par Meteli- nous. A droite de ce vallon eft la montagne fur laquelle la ville haute eft bâtie : à gauche c'eft une montagne que j'appellerai dans la fuite la mon- tagne percée pour des raifons que je propoferai. On pafle ce petit ruifteau le long de la marine en allant de Tigani aux ruines du temple, un canal de 10, coudées de profondeur fur trois pieds de large , pour conduire a leur ville les eaux d'une belle fource. On voit encore l'entrée de cette ou- verture , le relie s'ell C3mblé depuis ce temps-là, La belle lource qui avoit fait entreprendre un fi grand ouvrage , ell fans doute celle de Mcteli- nous dont je parierai en fon lieu ; car ce village efl: iitué de l'autre côté de la montagne percée. Au fortir de ce merveilleux canal , l'eau palloit fur l'aqueduc qui traverle le valon , & fe ren- doït à la ville par un conduit qui prenoit le mê- me tour que le canal de Cora. La profondeur du canal qui traverfoit la montagne elt furpre- nantejmais on avoit peut-être été contraint de lui donner cette profondeur pour conferver le ni- veau de la fource. Laurent Valla n'a pas eu rai- fon de croire que la largeur de ce canal fuit le triple de fa profondeur ; car certainement l'ouver- ture , autant qu'on en peut juger par fes relies, n'avoit pas 60. coudées de large ; & d'ailleurs un canal de ce diamètre fur zo. coudées de pro- fondeur feroit capable de conduire une grande ri- vière , an lieu qu'il ne s'agilîoit que d'une fon- taine. Il fcmblc que a Mr du Ryer n'ait pas enten- du cet endroit d'Hérodote , car,fuivant fa tra- duclion , la fontaine devoit paiTer fur la montagne percée : au lieu que la montagne n'avoit été percée que pour la conduite de la fontaine. Environ à joo. pas de la mer 3 & prefque à du Levant, lettre X. ni pareille diftance de la rivière Imbrafus vers le cap de Cora , (ont les ruines da fameux Temple de Junon la Samiene , ou la protectrice de Sa- mos. Les plus habiles Papas de l'Ule connoîiïènC encore ce lieu fous le nom di Temple de Junon, a Mcnodotc Samien cité dans Athénée comme l'auteur d'un livre qui traitoit de toutes les curio- fïtez de Samos, afllue que ce temple étoit l'ou- vrage de Caricus & des Nymphes , car les Carie ns ont été les premiers polïelleurs de cette Hle. Pau- fanias dit qu'on attribuoit cet ouvage aux Argo- nautes, quiavoient apporté d'Argos à samos une ftatuë de la DéclTe, & que les Samiens foutenoient que Junon étoit venue au monde fur les bords du fleuve Imbrafus fous un de ces arbres que nous appelions b Agnus cajtus. Il eft vrai que ces arbres font fort frequens le long de cette rivière, &: même par toute l'iflc , & dans l'Archipel. Ow montra par vénération ce pied à! Agnus cafius pendant long-temps dans le temple de Junon. Paufanias prouve auiîî l'antiquité de ce temple par celle de la ftatuë de la Dcelle , qui étoit de la main de Smilis Sculpteur d'Egine , contempo- rain de Dédale. Clément d'Alexandrie , fur le témoiernaçe d\/£thlius auteur fort ancien , remar- que que la ftatuë de Junon à Samos , n'étoit qu'un bout de planche groffiére , qui fut depuis façonné en ftatuë; Athénée , fur la foi du même Mcnodote dont nous venons de parler , n'oublie pas un fameux miracle arrivé lorfque les Tyr- rheniens voulurent enlever la ftatuë de Junoiv,ces pirates ne purent jamais faire voile, qu'après l'a- voir remife à terre. Ce prodige rendit l'iflc plus a \tft» 7«î Hg*;. "Deipn. Ub. if. b Aii^s en Grée littéral & vulg. I2i Voyage célèbre Se plus fréquentée ; le temple fat brûle par les * Perfes , Se on en regardoit encore les raines avec admiration ; mais on ne tarda pas à le relever, & il fut rempli de tant de riçheflès , que dans peu de temps il ne s'y trouva plus de place pour les tableaux Se pour les itatue's. Ver- res revenant d'Afie , ne craignit pas le fort des Tyrrheniens , il ne fit pas fcrupule de piller ce temple , Se d'en emporter les plus beaux mor- ceaux : Ciceron lui reproche avec raifon ectre impieté. Les Pirates n'épargnèrent pas non plus cet édifice du temps de Pompée. Strabon l'ap- pelle un grand temple , non {enlement rempli de tableaux , mais dont toutes les galeries étoienc ornées de pièces fort anciennes : c'en: fans doute parmi ces pièces qu'on avoit exposé le tableau des premières amours de Jupiter Se de lunon d'u- ne manière fi naturelle , J qu'Origéne le repro- che aux Gentils. Il y avoit outre cela dans le temple de Samos une cour deftinée pour les fta- tue's , parmi lefquelles on en voyoit trois cololïa- les de la main de Myron } portées fur la même bafe. Marc Antoine les avoit fait enlever , mais Augufte y fit remettre celles de Minerve Se d'Her- cule , 6e fe contenta d'envoyer celle de Jupiter au Capitolc , pour être placée dans un petit tem- ple qu'il y fit bâtir. De tant de belles chofes , nous ne trouvâmes plus que deux morceaux de colonnes,& quelques bafes du plus beau marbre du monde. De ces co- lonnes l'une n'a qu'un tambour fur fa ba(e , «Se l'autre en a encore une douzaine : chaque tam- bour eft de 3. pieds 7. pouces huit lignes de haut fur 6. pieds de diamètre. Il y a quelques années * Pau/m, 533. b L;£. 4. connu Celf, Tom.Il.Pacf iq.% Ccncrrtne az^ Temple ae du Levant, Lettre X, 125 que les Turcs s'imaginant que la plus haute étoit pleine d'or & d'argent , tentèrent de la mettre à bas à coups de canon qu'ils tiraient de leurs ga- lères. Les boulets firent éclater quelques tam- bours , & dérangèrent les autres ; ii y en a plus de la moitié hors de leur fituation. On voit encore quelques bafes de colonnes qui paroiifent comme alignées en quatre long i mais comme elles font entremêlées de piufieurs tam- bours de colonnes abbatue's , on n'en fauroit bien comprendre la difpofition 5 ni par confequent le plan de tout l'édifice , qui étoit fuivant a Héro- dote , la troisième merveille de Samos : cet auteur convient que c'étoit le temple le plus fpacieux qu'il eût vu , & nous ignorerions fans lui le nom de 1J Architecte qui l'avoit fait bâtir ; c'étoit un homme de Samos appelle Rhœcus. Ce Rhaecus y avoit employé un ordre de colon- nes allez particulier . comme l'on peut voir par le deuein qu'on en a fait graver. C'eft , pour ainfi dire , l'ordre Ionien dans fa naiflance , Cv qui n'a pas toute la beauté de celui que l'on prati- qua dans la fuite. La bafe de la plus grande co- lonne dont on vient de parler , a deux pieds huit pouces de haut , relevée en bas d'un gros cordon arrondi , haut d'un pouce , 6c ornée de cinq ca- nelures annulaires & creufes : le refte de cette ba- fe eft du diamètre du fuft de la colonne ; mais il eft terminé par un petit cordon : cette bafe. eft potée fur un pied d'eftal d'un pied huit pouces de haut , bandé de cinq anneaux , en forme de petits cerceaux. Une refte plus qu'un feul chapi- teau que nous fîmes découvrir ; car il étoit enter- ré dans l'enceinte du temple : ce chapiteau qui * Lib. 3. ii4 Voyage eft prefentemcnt le fcal au monde de Ton efpe'ce, a un pied fepe pouces de haut , & répond au pro- fil de la bafe : Ton tympan eft relevé d'un gros rouleau d'un pied de haut , fur lequel font en- taillez en rond des oves en relief, enfermez cha- cun dans fa bordure ; & des entre-deux des bor- dures pendent des pointes en manière de flam- mes. Il y a un petit cordon ou aftragalc au del- fous du rouleau : le plan qui portoit fur le fuft de la colonne eft de 4. pieds trois pouces de dia- mètre , &: Huit aufïï par un petit aftragale. Le rrontilpice du temple regardoit l'Orient & la ville de Samos ; il en faut juger par l'aligne- ment des deux colonnes dont on a parlé plus haut: car cet alignement va du nord au fud. Nous ri- mes creufer plus de deux pieds pour découvrir le piedcftal qui foûtient la bafe de la plus grande co- lonne , & ce piedcftal porte fur une pièce de mar- bre bien équarrie , laquelle peut-être faifoit par- tic des degrez du temple. Comme il étoit liruc dans un bas tond , il n'eft pas furprenant que de- puis un il long-temps les eaux y ayent porté allez déterre pour les couvrir. Si ces conjectures font vrayes , la façade du temple ne devoit avoir que 24. toiles de longueur , car il n'y a que cette diftance de la grande colonne à celle qui n'a plus qu'un tambour : néanmoins , comme Hérodote ôc Strabon alîùrent que c'étoit un grand temple , il y a beaucoup d'apparence que ce n'ell-là qu'une partie de cette façade. Il ne faut pas s'en tenir au dclïein de ce temple qui fe trouve fur les médail- les antiques ; car on y reprefentoit fouvent dirle- rens temples fous la même forme : j'en ai veii quelques unes dans le Levant, où les temples d'Ephefe & de Samos étoient de même deflein. du Levant. Lettre X. izj Pour ce qui eft de la Décile , elle avoit difFe- rens habits luivant les rolles qu'elle joiïoit : ou la faifoit preiîder aux a mariages , aux b accouche- mens , 8c même aux c autres accidcus naturels des femmes : mais pour la manière dont elle étoit vctuë dans chacune de ces cérémonies , c'eft à de plus habiles antiquaires que moi à la déterminer. Il eft: certain que le croilTant qu'on lui mettoit fur la tête 8c aux pieds , marquoit l'empire qu'elle avoit tous les mois fur le fexe : d'où vient qu'on l'appelloit la Dédie des mois. C'elt peut-être pour cette raifon qu'on la reprefentoit fur les médailles de cette Mie avec des bracelets qui pendoient des bras jufques aux pieds , 8c qui foûtenoient un croilfant. d Le croi liant fignifioit les mois , 8c les bracelets marquoient qu'elle avoit appris aux femmes à compter certains jours : comme nous voyons encore aujourd'hui que les Orientaux fc fervent des grains de leurs chapelets ou bracelets pour faire leurs comptes. Après tout , je ne vois rien de plus obfcur que ces prétendus bracelets de Junon ; car je ne vois pas de fondement à croire avec c Triftan , ■ Juno pionuba. Iraque no- productif : fie apud noftros biliflïmum & antiquiflî- Junoncm Lucinam in pa- mum tcmplum cjus eft Sa- riendo in vocanr. , ait Cic. Pli, & iîmulachrum in lib.i. de nat.de or , babitu nubentis figura- «Dea Mena menflruis fluo- riim : & facra ejus anni- ribus prxeft. Ang. de Ci- verfaria nuptiarum ricu vit.Deilj.c.u. eclebrantur. Laftan. lib.\. d M H N H CAMION. de falfa relig.cap.\j . Eft la légende d'une me- * Juno Lucina, apud Terent. daille d' ' Augufte <& de LU in Andr. aci.}. fcen.i. Ju- via dam Patin. Numifm. no à jtivando di&a , in, Imp. Rom. Ji< tom. i. Lucina , ab eo çfuod in luctm 12.6 V O Y AGI que ce que je prens pour des bracelets fultènt des tiges d'une ancre de Vaifleau , ou que ce fuirent des broches , comme l'a conjecturé a Mr Span- heim. En tout cas , il n'y a pas grand mal dt s'avanturer quelquefois dans le pays des décou- vertes quelque fertile qu'il foit en vifions. Je ne hazai.de donc pas beaucoup de propofer aux curieux d'examiner fi ces bracelets chargez d'un croilfant lie feroient pas un attribut de Junon , pour mar- quer ce que j'ai dit plus haut des femmes , ou bien fi c'étoient de finiples ornemens que Junon leur eût confeillé de porter ; car cette déelTe avoit inventé la manière de s'habiller , comme nous l'apprenons de faint Athanafe. b Triftan a donné le type d'une médaille des Samicns , réprefentant Junon avec la gorge allez découverte. Elle eft vêtue d'une tunique qui def- cend fur fes pieds , avec une ceinture allez ferrée ; & le repli que la tunique fait fur elle-même , forme une efpece de tablier ; le voile prend du haut de la tête , & tombe jufques au bas de la tunique , comme font les écharpes de nos Dames. Le l revers d'une médaille qui eft dans le cabinet du Roi , reprefente ce voile tout déployé , qui fait deux angles fur les mains , un angle fur la tête , & un autre angle fur les talons. J'ai des mé- dailles de Samos , où Junon a la gorge couverte d'une efpece de camail , fous lequel pend une tunique dont la ceinture eft; pofée en faiatoir , comme fî l'on vouloit marquer qu'elle eût été dé- liée. La tête de ces dernières médailles eft couron- née d'un cerceau qui s'appuye fur les deux épau- les , & qui foûtient au haut de fon arc une ma- a Obf. in Callùnac. in hymn. b Ibid. in DUn, 5 Gravt dmt Spanhtim,H>id. du Levant. Lettre X, 1 27 niere d'ornement pointu par le bas , évafé par le haut j comme une pyramide renverfée. Sur une des médailles du cabinet du Roi , cette décile eft coeffée avec un a bonnet allez pointu 3 terminé par un croiflànt : on voit fur d'autres b médailles du même cabinet une efpece de panier qui fert de coeffurç à la déeiïe , vêtue* du refte à peu prés comme nos Religieux benedidins. La coerfure des femmes Turques approche fort de celle de Junon , &£ les fait paroître de belle taille : cette déelfe avoit fans doute inventé ces ornemens de tête 11 avantageux, & que les fontanges ont depuis imitez. Junon qui prélîdoit aux noces , portoit une c couronne de Souchet , & de ces fleurs que nous appelions Immortelles : on en couvroit une petite corbeille fort légère 3 que l'on arrêtait fur le haut de la tête } c'eft peut-être de là que font venues les couronnes que l'ommet encore dans le Levant fur la tête des nouveaux mariez , & la mode n'en eft pas entièrement paftee parmi nous , quand on marie les filles. d Mr l'Abbé de Camps a un beau médaillon de Maxi%in , au revers du- quel eft le temple de Samos , avec Junon en ha- bit de noces &c deux paons à fes pieds : cet habit n'eft pas différent de ceux dont on vient de par- ler , 8c les c paons y font reprefentez , parte qu'on les élevoit autour du temple de cette déefïè, com- me des oifeaux qui lui étoient confacrez. Outre les médailles dont on vient de parler, j'achetai dans cette Ifle une belle médaille de Tranquilline , fur le revers de laquelle eft repre- * Tiu-nç 'iph>(*« int Hfcct , iiv.14 Julitts Pellux^îb. Hefich. 5 . cap. 1 6. h Gravées dam Spanh- ibid. A C A M I il N. * H»M#t dans Athen.Dt'pn. * jithen, ibid. ïz8 ' V O Y A C T. fente Meleagrc , ou plutôt Gordien mari de cette Impératrice qui tue Un fanglier à lachalfc : on en voit chez le Roi une de- même type , & une aucre à la ttte de Dccius. Le 3. Janvier nous couchâmes à un mille ÔC demi de Cora , dans la ferme du grand couvent de la Vierge : cette ferme n'eit disante que d'un quart de lieuë des ruines du temple , dans une plaine où l'on ne voit que Vignes , Oliviers , ici s , &• Orangers , fur tout aux environs de Miles qui n'eft qu'à deux milles de la ferme : non, en partîmes le premier Février pour aller a.: grarael couvent , éloigné de dix milles de la ferme , Cv nous y dînâmes : il eft fifué à micôte de montagnes agréables , couvertes de Chênes verds , de Pins à pignons , de Pins fauvages } de Philaria , d'Adrachne ; nous trouvâmes quelques pieds de cet arbre à gros fruit terminé en pointe comme ime toupie , on le décrira dans la fuite de même qu'une belle efpece de Germandrée à feuilles de Betoine , qui vient dans le même quartier. Apres avoir majigé quelques olives & bu de mé- chant vin dans ce couvent , nous allâmes à Pir- gos qui eft an village à fept lieué's de là , 8c dont tous les environs font pleins d'une belle efpece de a Cachrys , qui étoit en fleur dans ce temps- là. Le 2. Février nous parlâmes par Platano à 8. milles de Pirgos , de là par le couvent de Saint Helie qui en eft à quatre milles :1e foir nous cou- châmes a Neocorio,qui efl: un des trois villages qui forment la ville de Carlovafli à deux milles de la mer. Le 3. Février nous prîmes des chevaux ° a Cachrys Cretica , Angelica: folio, Afphodcli radice Corol. Iuft. rci herb. 13. guides DU LfevANT. Lettre X. 129 guides pour aller à la grande montagne de Cauba- te qui ell à l'extrémité de l'lfle;on nous mena droic à Marathrocampo à 8. milles de Carlovafïi , ÔC nous-pallames la nuit dans la ferme de Saint Geor- ges appartenante au couvent de Saint Jean de Pat» mos ; il n'y a plus que trois ou quatre cellules inhabitées autour de la chapelle de cette ferme. a Le 4. Février nous allâmes voir la chapelle, ou pour mieux dire l'hermkage de Notre-Dame de Belle apparence , qui e(t à quatre milles de là dans un fond commandé par des rochers effroyables j la folirude eft belle , &c la chapelle cfl à l'entrée d'une caverne arrreufe : on y monte par un eîca- Her tout droit, formé par environ trente marches étroites j & fans appui du coté du précipice , on a taillé dans le bas de la caverne un beau refer- voir que l'on a fotitenu par une forte muraille ; pour aller puifer de l'eau ; on parle par un corri- dor qui règne le long d'un abîme très profond : cette chapelle fl'eft pas mieux ornée que les autres chapelles Gréques. Nos guides ne voulurent jamais aller plus avant dans la montagne , quelques avantages qu'on leur propolàt j le froid etoit fort âpre , ÔC leurs mulets feroient morts de fa'. n dans ces de- ferts : il falut donc revenir a Marathrocampo pour prendre le chemin d'une autre (olitudc plus anrëufc encore que la première , & que l'on a nommée fort à propos , J Ncrre-Dame du mauvais chemin \ nous n'y arrivâmes que le len- demain , après avoir traverlé bien des montagnes couvertes de Pins de Bruyères & d'Arboulîers : cette folitude promettoit à nôtre curiofitédes plantes dignes d'être recherchées. Tome IL I ijo Voyage La chapelle de Cacoperata eft auffi cfenJ ©ne caverne où l'on ne peut entrer que par une el- pece de trappe taillée dans le roc. Les Grecs fe plaifent à bâtir des chapelles dans les lieux les moins accciïïbles , de s'imaginent que ces lieux infpirent plus de dévotion que ceux qui iont dans le beau pays. Cacoperata eft alleurcment un des pins affreux hermitages que j'aye vcûs de ma vie -, on y va parmi fennec d'environ 300. pas de long , fait de main d'homme dans des rochers eicarpez , & ce fentier n'a que demi-pied de large en quelques endroits -, à gauche on a de la peine à s'appuyer fur les roches , à droite ce ne font que précipices coupez naturellement à plomb , où un homme feroit mis en pièces fî le pied venoit à lui manquer. Nous nous retirâmes ce jour-là à Carîovaiïi : & nous nous embarquâmes pour Nicaria le len- demain 6. Février ; mais le a fud-oueft nous fit re- lâcher au port Seitan , qui n'eft qu'à neuf milles de Carlovafîî : on a eu raifon de donner à ce port le nom de Seitan, qui en langue Turque fîgni- fie le diable. Il falut tirer nôtre caïque à terre ; de pendant la nuit il s'en perdit un autre qui ctoic chargé de vin pour les Simies. Le vent du nord nous retint à Seitan jufques au iz. Février : nous y étions logez dans une caverne où nous ne brû- lions jour & nuit que des Lauriers , des Adra- chnes , des Storax , & nous n'y parlions pas le temps fort agréablement ; nôtre fac de bifenit di- minuoit beaucoup, & le temps ne permettoit pas qu'on pût ni chaflèr ni pêcher ; à peine pouvoit-on attraper quelques Ourfîns & quelques Yeux de bouc : 8c ce qu'il y avoir, de pis, nous avions » Labcch. du Levant* Lettré X. l$t bu toute l'eau que pouvoient fournir les rocheé voifincs , où nous l'amafîions avec des feuilles de Squille pliées en goutiere , pour la vuidei: enfuitc dans des bouteilles de acuir faites en pyra- mide , qui font en ufage dans le pays : nous viii- dâmes un ancien puits creufé fur le bord de là mer; mais l'eau s'en trouva à demi falée : enfin le temps devint a(Tez beau la nuit du n. au 1 3, Se nous en profitâmes pour aller à Patino , qui eft la fameufe Iile de Patmos , d'où nous revînmes à Carlovaiîi le 18. Février ; nous débarquâmes lô même jour à un mille en deçà de Carlovaffi , pour voir une chapelle Gréque , qu'on appelle u Nôtre-Dame de la rivière Cette chapelle eft au pied d'une montagnejmais elle eft comme abandonnée} cependant on y voit quatre belles colonnes de marbre grifâtre , dont les chapiteaux font à dou- ble rang de feuilles d'Acanthe :il faut que ce foient les reftes de quelque ancien temple ; on peut \t conjecturer par les vieux marbres des environs > ê>C entre autre pièces, par une architrave de jafpe rou* ge & blanc ; peut-être étoit-ce là le temple de c Mercure que les Sauriens honoroient particulière^ ment , & dont ils avoient fait frapper une mé- daille , qui d'un côté reprélence le génie de lent ville , & de l'autre ce dieu des filoux , tenant une bourfe de la main droite , & le caducée de la gauche. Malgré lapluye continuelle du 19.& zo.Février^ nous ne laiftames pas d'aller de Carlovafli à Vourlotes , qui eft un village à dix milles de là f a Mararas. Qu&fi. grteis, b Tlu**7lx £ -mfcuol AHMOC CAMEIfiN " ËffiM XopiW Mcrcurius Enl AïCANAPÛA 1EF& ttiunifîcus. rlutarc* de Sub Lyfandro car Sa- mos ayant été faccagée &: dépeuplée après la paix de Conftantinople , fut donnée par a l'Empereur Selim Tan 1550. au Capitan Pacha Ochiali , le- Cjuely Ht palier dirïerens peuples de Grèce pour en cultiver les terres : ceux de Vourla s'établirent à Vourlotes ; des Albanois bâtirent Albaniti- cori , 8c ceux de Metelin s'établirent à Metc- linous. La pluye qui ne cefla pas encore le 1 1 . Février, fut caufe que nous eûmes de la peine à avancer jufques au couvent de b Notre-Dame du tonnerre 3 qui n'eft qu'à un mille de Vourlotes : outre ia pluye qui continua jour 8c nuit , pendant le refte du mois , c les vents du fud firent un étrange ra- vage'; ils n'enlevoient pas à la vérité les toits des maifons , car elles font en tcrralfe , mais ils ren- verfoient les maifons mêmes , 8c fur-tout celles de la campagne , qui leur donnoient plus de prî- fe ; la mer étoit comme en feu , il tonnoit d'une manière effroyable : on nous raffeura un peu lorf- qu'on nous dit qu'il ne plcuvoit dans le Levant qu'en hiver : 8c que cette faifon étoit la feule où le tonnerre fe fift entendre. Toutes ces raifons nous obligèrent de nous tenir dans le couvent , d'où à peiné pûmes-nous nous écarter de deux cens pas : comme il eft fo- lidement bâti , nous y eftions ralîeurez contre . a Relat, des Voyagts de M, b nw*^'» de Brèves. c Siroc. du Levant. Lettre X. 133 l'orage qui avoit renverfé tant de maifons : ce couvent eft bien rente , mais on y eft mal-pro* prement. En nous informant des raretez de la maifon,on nous fit voir le Doyen du genre humain: je ne hazarde rien en me fervant de ce terme j c'étoit un bon Caloycr âgé de 110. ans, qui s'a- mufe encore a couper du bois , & qui prend foin du moulin, on nous afTeura qu'il n'avoit bu de fa vie que du vin pur & de l'eau de vie. Un pareil exemple pourroit autoriler peut-eftre ceux qui boivent du vin avec excès , mais en voici un au- tre tout contraire : Mr Luppazuolo , Grec de na- tion & conful de Venife à Smyrne , venoit de mourir à l'âge de 118. ans, & n'avoit jamais bu que de l'eau -. on ne fçauroit donc rien con- clurre de certain par rapport à l'ufage des boitions; car Mr Luppazuolo ne pouvoit pas même fourfrir le cafté ni le forbet : mais ce qui fait le plus d'hon- neur à fa mémoire , c'eft qu'il avoit une fille de 18. ans , & une autre d'environ 85. fans compter qu'il avoit perdu un de fes garçons qui étoit mort é de prés de 100. ans. Les bourrafques ne nous empêchèrent pas d'obfcrver autour du couvent quelques belles ef- peces de Renoncule à fleur bleue ; il n'y avoit que peu déneige fur les montagnes le 23. Février, mais beaucoup de grêle grofle comme des pois verts» Ces montagnes font couvertes de deux for- tes de Pins , & il n'y a point alfurémcnt de Sa- ins , quoiqu'en difent les gens du pays , qui ap- ellcnt de ce nom une belle cfpece de l Pin , qui eft à Paris dans le parterre du Jardin Royal , cv qui a les feuilles longues d'environ cinq pouces ur une ligne de large , roides , plates d'un côté , Iiij Ï34 Voyage arrondies de l'autre : Ton fruit a quatre pouces de long , épais d'un pouce Se demi , allez pointu , à croiTes écailles fort dures. Dans l'Ifle de Samos , ces fortes de Pins s'élèvent fort haut , Se font propres à faire des mâts de navires ; ils donnent beaucoup de Therebcnrine qu'on ne recueille pas, quoiqu'elle foit fort claire & fort belle : les aiu très a Pins qui croillent fur ces montagnes , font de l'efpece commune qui vient fur toutes les côtes (des pays chauds. De ces montagnes nous traverfâmesl'lfle pour venir à Cora , où l'on nous avoit fait efperer que nous trouverions des Infcriptions anciennesjuean- moins il n'y a dans les maifons des particuliers que des épitaphes du temps des Chrétiens : Se comme les dames de Cora nous voyoient examiner les plantes qui nailfent fur les terrafies Se le long des chemins à l'entrée de leur ville , elles nous en prefentérent une ,&nous firent demander fi nous çn connoiiîîons les vertus. Cette plante reflem- bloitfort à celle que l'on appelle. b Tartotiraire à Marfeille. Après les avoir fait remercier de leur bouquet, je leur fis dire qu'elles fe portoient trop bien pour en avoir befoin , Se que même en France , on ne s'en fervoit que pour purger les perfonnes les plus robuftes : elles firent quelques éclats de rire , Se portèrent leurs mains à la tê- te , pour nous montrer leur coeffure : nôtre in- terprète nous afleura qu'elles vouloient nous faire çonnoître qu'on ufoit de cette plante pour teindre leur voile en jaune. Un moment après il nous fit remarquer deux ou trois de ces dames , qui ba- * Pinus fylvefhis, marici- ^ Thymcla;a feu Tartonrai- ma , conis firmiccr ramis re , Liai foliis argenteis fcdhaïrencibiis JB, Coroll.lnft.rcihcrb.41. Dtr Levant. Lettre X. 1 3 y iayoient leur terralle , & qui nous montroicnc leurs bâlays , pour nous faire entendre qu'on l'ap- pelloit a {'Herbe aux balais. Pour teindre en jau- ne , on jette dans l'eau bouillante les fommitez «le cette herbe : après quelques bouillons, on y adjoùte un peu b d'alun en poudre; eniuite on y plonge le linge , le drap , ou les cuirs , pour les y laiffer tremper tonte la nuit hors du feu : le jaune en eft allez bcau,& je crois bien que de plus habiles gens en pounoient faire une couleur plus parfaite. Cette plante ne diffère de celle qui vient fur les côtes de Provence , que par (es feuilles qui font plus étroites & plus longues. c Mr ^hceler en a remarqué la différence. • Le 24. Février malgré le mauvais temps , nous nous retirâmes au Vati , dans le delfein de nous embarquer pour Scalanova & de parler à Smyrne ; mais les pluyes continuelles & les vents contrai- res nos arrêtèrent au Vati jufques à la mi-Mars. C'êtoit un petit déluge , & l'on ne voyoit couler que ruifièaux des montagnes, qui dans toute autre faifon paroillènt comme calcinées 5 c'eft ce qui avott fait donner à cette Ifle le nom de d Sarnos , comme qui diroit une terre feche & fablon- neufe. Nous allâmes pendant ce temps-là , voir un allez beau village appelle Metelinous à deux mil- les de Cora. Metelinous a pris fou nom de l'ifle deMetelin, pareequ'il fut bâti , ou rétabli pour mieux dire , par une colonie des habitans de cette a S«p&/««TK'y , herbe aux d S*^oî quaji ' K'^n; arena. balai;. SUfai^a, un balai Et Samia genitrix cjuaî k*le- J> St»4/ii. tVmu arena. Juven.SM. e Voyage de Dulmuùe fo de iS.verf.a. Grèce, tom . 1. U1J ï}6 Voyage Me , que l'on y fit palfcr après ue Sultan Seîîrq eut donné Samos au Capican Pacha Ochiali. i;e- puis la mort de cet Amiral, le revenu de Samcs cil afte&é à une mofquée qu'il avoit fait bâtir à To- pana l'un des fauxbourgs de Conllantinoplc ; cette mofquée porte encore le nom de ion fonda- teur , & le fauxboin,g , celui de l'artillerie que l'on y jette en fonte ; car top en Turc , iignirie un canon , &c hana , une maifon ; ainfi Topana c'efl l'Arcenal ou la maifon où l'on fait les canons. La fontaine de Metclinous cil la plus belle four- ce de l'ille ; Se c'eil aile tiré ment l'une des deux fontaines que l> Pline y marque. Je ne doute pas qu'elle ne fut conduite à la ville de Samos , an travers de la montagne dont Hérodote a fait men- tion : cet auteur l'appelle la grande fontaine , &C la montagne e(t entre Merelinous ôc les ruines de Samos. La dilpofition des lieux le trouva tout à fait favorable dés le moment qu'on eut lurmon- te la difficulté de la percer , mais il y a beaucoup d'apparence qu'on n'avoit pas nivelé le terrain avec alîez de juftelîe ; car on fut obligé de creufer un canal de 10. coudées de profondeur pour con- duire la fource où l'on fouhaitoit ^ il pourroit y avoir quelque erreur dans ce Dallage d'Hérodote. Jofeph Georgirene Evéque de Samos doit avoir recherché toutes ces chofes avec beaucoup de foin ; mais la defeription qu'il a donnée de Samos, de Nicarie . cV de Patmos , effc fî rare quoiqu'elle ait été traduite de Grec vulgaire en Anglois , que je n'ai pu en découvrir aucun exemplaire. Au coin de l'églife de Metelinous , devant cette fontaine , on a encharTé à hauteur d'appui un au- ■ Relut, des v jgisde Mr. de Brèves. S Gigarclio o Uucochca. Hifi. n«t* ïîb.î* d \t Levant. Lettre X. i^-j cien bas relief de marbre parfaitement beau , qu'un Papas découvrit il y a quelques années en labourant un champree marbre a deux pieds quatre pouces de longueur , fur quinze ou feize pou- ces de hauteur , l'cpaillcur en cil: de trois pouces y mais comme il n'eft pas fort élevé de terre , les tètes en font maltraittccs. Le bas relier contient fept figures , ek reprelcnte une cérémonie faite pour implorer le fc cours d'Efculape dans la ma- ladie de quelque perlonne de considération. Le ma- lade eft dans fon lit , la tête Se la poitrine éle- vées , tenant un vafe par les deux anfes ; le dieu 4e la médecine paroît à fa droite vers le pied du lit fous la figure d'un ferpent : la table qui eft: vis-à-vis le malade , foutenuë par trois pieds terminez en pieds de chèvre , eft chargée d'une pomme de pin,de deux flacons Se de deux corps qui finilîent en pyramide , placez a chacun des bouts. Sur la droite du malade cil aOiic une femme dans Un fauteuil dont le doiTier cil fort élevé ; cette figure eft bien drapée tk les manches font allez ferrées ; fon vifage efl de front, & il femble qu'el- le ordonne quelque choie à un jeune eiclave qui efl tout auprès , Se qui a une efpece de cafaque fur Ta verte. Au pied du lit eft une autre femme affi- le fur un tabouret couvert & drapé : elle eft vêtue de même que celle qui eft dans le fauteuil , mais on ne la voit que de côté , & Ton vil âge eft pref- que de profil ; c'eft peut-être la femme du mala- de , car on voit à fes genoux un jeune enfant de- bout Se tout nud , qu'un petit chien femble cj.- refler : une jeune eiclave eft encore placée derrière cette femme , 8c eft vêtue d'un cataquinfans man- ches , fous lequel tombe une efpece de jupon plilfé : elle appuyé fa main gauche fur fa poitrine, i ;S Voyage £e de ta. droite qui eft. élevée , elle tient un coeur dont la pointe elt en haut. On voit plus loin tout à l'extrémité du bas relief un autre efclave tour nud , qui d'une main prend des drogues dans un mortier , pour les mettre dans une talfe qu'il tient de l'autre main , & à qui il femble qu'Efculape ait donné ordre de les aller verfer dans le vàfe que le malade tient par les anles. Sur le haut du bas relief règne une eipece de bordure calîëe , parta- gée en quatre carrez longs : dans le premier elt réprefentée une très-belle tête de cheval ; le ie- cond renferme deux flammes ^ le trôiiiéme eit or né d'un calque & d'une cuiralle ; le quatrième eft calié , & ne lailTc voir que le bord d'un bou- clier. On a voulu fans doute par ces attributs, fai- re eonuoîtrc les inclinations & les emplois que le malade avoir eus. Pendant que nous confiderions la beauté de ce bas relief, on nous prefenta des médailles , dont la meilleure rut celle du fameux Pythagore , qui fera toujours beaucoup d'honneur à cette Ifle 3 parle rang qu'il a tenu parmi les anciens Philo- fophcs:mais certainement il n'y a plus de fesdiiei- ples dans Samos;câr les Samiens n'aimentmi le jeu- ne , ni le filence.La médaille dont nous parlons cil un moyen bronze à la tête de ;l Trajan Dece b : Pc- thagoreeli au revers aflis devant une colonne qui foùticnt un globe fur lequel ce philolophe femble vouloir indiquer quelque choie de la main droite; le même t\ pe eft dans Fulvius Urlînus,mais Pytha- gore appuve fa main gauche iur le globe, c On a TPAIANOÇ AEKlOC MAPKOS ATPliAlOS t> Lege>.de , K U M M O A O S nï0Arop«c camip.n. ï^baxtox. c AYTOKPATS2P KAlSAP du Levant. Lettre X. 139 voit auffi de femblables médailles aux têtes dé Caracalla & d'Etrufcilla ; la plus belle que j'aye veue cftdans le cabinet du Roi , frappée au coin ■de Commode . & reprefentant au revêts Pythago- re qui montre avec une baguette une écoile fur le globe celcfte ; c'elt (ans doute l'étoile de Venus qu'il avoit découverte le premier , comme a Pline nous l'alleurc, A main gauche de la fontaine de Merelinous , fe trouve une infeription dont les caractères pa- roîflcnt avoir été beaux : mais ils ne font plus li- fibles : peut-être que de plus habiles gens que nous y trouveraient le nom de la fontaine : peut-être auifi que cette infeription fait mention de ceux qui entreprirent de conduire cette belle fource à la ville de Samos , au travers de la montagne per- cée.Cette fource tombe aujourd'hui dans un petit ruillèau qui va fe jetter dans le port de Tigani. Enfin ne fâchant plus que faire dans cette Ifle, nous nous informâmes des perionnes les plus ap- parentes , de ce qu'on penfoit fur cette prétendue lumière que les matelots s'imaginent voir dans le cap de Samos quand ils font en pleine mer , & que l'on ne découvre point quand on eft en terrç ferme, Tous ces docteurs nous aflcurércnt qu'elle paroilïoit dans un endroit fi efearpé , qu'on île pouvoir pas foupçonner que peifonne y habitat , & qu'il falloit que ce fût un feu tout à fait mira- culeux : pour moi je fuis perfuadé du contraire ; & fuppofé que ceux qui font en pleine nier fe ioient jamais apperceus d'un tel feu dans le cap de Samos , je ne doute pas que les caloyeis ou les bergers de cette montagne nel'eufïcnt allumé, & qu'ils ne l'allument de temps en temps pour fe * Wfi.wulib.i. cap. ?. 14° Voyage divertir , & pour ne paslahfer perdre la memof. | re d'une merveille que les Papas de l'Ifle appel- lent a le g-ra??d rniracU. Nous profitâmes dJun rayon de Soleil pour faire nos remarques fur la fituation des lieux. Scalanova refte entre le nord-eft cV: l'eft. Le cap Coraca entre le nord & le nord-nord- oucft. Le cap blanc entre le nord-oueft & le nord-» nord-oueft. Scio au nord-oueft, Patmos entre le fud & le fud-fud-oueft. Sia^i au nord. Ephcle au nord-eft. Le plus haut Commet de Mycale ou Samfon a entre l'eft & Peft-fud eft. L'Ifle d'Arco entre le fud-fud-oueft: 6c le fud-oueft. Gatoniii au fud. Cos ou Stanchio entre le fud & le fud-fud-eft Palatia ou Milet au fud-fud-eft. Voila » Monfeigneur , tout ce que j'ai à di- re de l'Ifle de Samos. Il fut que nous retournions au port Seitan , pour vous rendre compte de nô- tre voyage de Patmos. Malgré nôtre emprelfemcnt d'aller à Nicarie , les vents contraires nous retin- rent dans ce port j & comme il n'y avoit pas d'ap- parence que le vent changeât, nous prîmes le i7Ci. Pai'ti la nuit du 12. au 13. Février de ranger la côte & le cap de Samos , qui eft à dix milles de Seitan 3 pour entrer dans le grand Boghas qui fe trouve entre cette Me «3c celle qu'on appelle le grand Fourni. Patmos On compte 40. milles du cap de Samos à l'Iilc Patino. . „ du Levant. Lettre X. 141 de Patraos , appclléc aujourd'hui Patino : nous donnâmes fond au port de la Scala, qui cft un des, plus beaux ports de l'Archipel , & qui regar- de le grec '& le levant ; celui de Gricou cft admi- rable auili , il fe trouve au fud-eft de l'Ifle , ou- vert par deux embouchures formées par un ccucil qui eft tout à l'entrée : l'une de ces deux entrées eft tourné au iiroc , & l'autre au grec. Sapfila clt encore un bon port fitué entre celui de la Sca- la & Gricou , mais expofé à la tramontane : le port deDiacorti , qui eft au fud-eft de l'ifle , & qui a pour traverser le fud 8c le Labeche, n'eft bon que pour des barques , non plus que celui de Merica, qui cft tourné au miftral & qui eft à l'oueft de ce- lui la Scala. Patmos eft considérable par fes ports ; mais fes habitans n'en font pas plus heureux. Les corfai- res les ont contraints d'abandonner la ville qui étoit au port de la Scala , Se de Ce retirer à deux milles & demi , fur la montagne autour du cou-< vent de Saint Jean. Ce couvent eft comme une citadelle à plufieurs tours irregulieres : il eft très folidement bâti fur la crete d'une roche fort élevée : on nous dit que l'Empereur Alexis Comnene étoit le fondateur de ce monaftere : la chapelle en eft petite tk peinte à la Gréque , c'eft à dire d'un mauvais goût : le iacriftaiu nous fit payer un écu pour nous mon- trer le corps de faint Chriftodule , c'eft-à-d,'re a Serviteur de Chrifl \ on croit que ce fut à la per- iuaJîon de ce faint que l'Empereur fit bâtir la maï- fon. Ce bon père pour avoir encore un fcquin vouloir tirer la chaue de Saint Chriftodule de fa place, & nous faire voir qu'ils en avoient le corps 142. Voyagé tout entier î mais nous nous contentâmes de voir la tcte &c le vifage du Saint ; le relie eft couvert de fes habits qui font ornez de quelques petites perles allez mal rangées. Le couvent a 6. mille cens de revenu : la vailïelle de l'Eglife elt allez bel- le , mais il n'y a rien de plus rare que deux gtolles cloches qui font au dell'us de la porte de la mai- ion , eau c'eft une chofe bien particulière dans le Levant que de grottes cloches. Comme les Turcs ont de la vénération pour laint Jean , ils laillent jouir les caloyers de Patmos de cet avan- tageai yaplusde ioo.caîtyyers dans ce monafterc, niais il n'y en refte ordinairement que 60. les au- tres vont faire valoir les fermes qu'ils ont dans les Ifles voilines* L'ifle de Patmos eft un des plus méchans écueils de l'Archipel , elle eft découverte , fans bois , & fort feiche , quoiqu'elle ne manque pas de roches ni de montagnes , dont la plus élevée s'appelle Saint Helie. Jean Cameniate qui étoit ou nombre des cfclaves que les Sarrafins firent à Ann* la prife de a Theflalonique fa patrie , & qu'ils *°4' conduifirent en Candie , allure que tous ces mal- heureux relièrent lîx jours à Patmos , &c qu'ils n'y trouvèrent pas d'eau à boire : ils auroient fait bonne chère fi on leur avoir permis de charter ; car l'Ifle eft pleine de perdrix , de lapins , de cail- les , de tourterelles , de pigeons , de beefigues : elle ne produit que peu de froment & d'orge ; le vin y vient de Santorin ; car on n'en recueille pas plus de 1 000. barils dans Patmos. On y pra- tique la caprification fur les figuiers , mais il y en a peu : ainfi tout le négoce de Pille confifte » Aj/vîpov 7$ ovTd» $ Ttmv tA«/£fTB toi/S «»jW«A#tïv< 8 ««Y* Cameniat.de Exrid, Thejptl. cap. 69. du Levant. Lettre X. 143 dans l'indultrie des habitans, qui avec une dou- zaine de caiques ou piuiicurs agtres petits ba- teaux , s'en vont chercher du blé en terre ferme, & même jufques fur les cotes de la mer noire pour en venir charger des bâti mens François. L'iilc de Patmos n'a que 18. milles de tour : on en pourroit bien compter le double, fi l'on parcou- roir tous les recoins de cap en cap ; c'eft pourquoi on doit excuter a Pline qui lui donne 30. milles de circonférence. Patmos clt éloignée de Go. mil- les des Ides de Cos , de Stampalie &de Mycone ; elle n'eft qu'à 18. milles de Lero ,& à 45. milles de Ni carie. Il n'y a gueres plus de 300. hommes dans Pat- mos,^' l'on peut bien y compter zo. femmes pour un homme : elles font naturellement aflez jolies , mais le fard les défigure d'une manière à faire horreur ; ncantmoins ce n'eft pas là leur inten- tion , car depuis qu'un marchand de Maifcille en a epoulé une pour fa beauté , elles s'imaginent qu'il n'y a point d'étranger qui defeende dans l'Ifle , qui n'y vienne faire la même emplette. Elles nous regardèrent comme des hommes fort Singuliers , Se nous témoignèrent une grande fur- prife , quand on leur dit que nous n'y étions ve- nus que pour chercher des plantes : car elles s'etoient imaginées à nôtre arrivée , que nous devions au moins emmener une douzaine de fem- aies en France : Il eft furprenant que dans un il pauvre pais j les maifons foient mieux bâties & plus folides que dans les Ifles où il y a plus de commerce ; les chapelles fur tout font voûtées & couvertes fort proprement, & l'on ne voit a Patmos circuùu tiiginta mille pafliium. Fiin. Ht fi. mt. «4-4 Voyagé dans l'Ifle que de ces fortes de bâtimens : on c>i compte plus de 250. cependant il n'y avoit que neuf ou dix Papas dans le temps que nous y t- tïons> la peux avoit emporté les autres à ce qu'on nous dit, V^- & 1357- Comment» bV L È v À n t; Lettre X. 147 Nous montâmes une féconde fois au grand cou- 'dit de faint Jean pour y faire une dation géogra- phique. Lero refte encre le fud-eft & l'eft-fud-eft, Lipfo à l'eftj Calimno au fud-eft. Nicaria au nord-oueft; Arco encre le nord-eft &c l'eft-nord-eft. Nous partîmes de Pacmos le 15. Février par îc jplus beau temps du monde , dont il faut fe défier dans cecte faifon , car c'eft ordinairement le pré- fage de la tempête : nôtre delfein étoit de parler à Nicaria ; le a fud-eft fut fi violent qu'il nous fit relâcher à b Saint Minas,qui eftune des Mes dé fourni , où nous fûmes trop heureux d'arriver fur le foir. Le lendemain le vent fut encore plus frais : nous en fûmes confolez par l'efperanoè de vifiter tous les recoins de cette Ifle malgré là pluye , la grêle , les éclairs & le tonnerre , qui ctoient effroyables. Nous herborifâmes donc eii capot tète baiirée,6c ne revînmes que le foir char- gez de belles plantes : cependant comme il n'y a point de cavernes dans cecce Ifle, ou pour mieux «lire, comme nous ne fçavions pas où elles etoient* îiOs macelocs pour nous niectre à couverc , s'occu- pèrent tout le jour à déchirer une vieille barque f rançoife qui y avoit échoué depuis quelques mois. Des débris de ce bâtiment , nous drelfâmes fur le foir une méchante hutte , où il pleuvoit de tous cotez-, car la charpente étoit vermoulue" ; &C inalheurcufement un ouragan renverfa nôtre édi- fice dans le temps que nous croyons être à nôtre aife. Il falluc le redreifer & le charger de pierreS}Ort * Siroc. martyr d nt les Grès font l& h Ayîos M«»«. C'ifi ttp fête le 10. Decembrt» K i) I48 V O Y A G E boucha la porte avec la voile du calque : nous craignions à fous momens qu'un coup de vent n'enlevât les planches du couvert , & ne fk tomber les pierres fur nos têtes. Le troiiième jour qui étoit le iy.Février n'ayant à manger que du bi'icuit , 8c à boire que de l'eau de pluye qui couloit des rochers toute bourbeule , nous tentâmes le partage , 8c courûmes grand rifque d'être engloutis dans la mer : car les va- gues donnant en flanc contre nôtre caique l'ati- roient renverfée , fans la voile qui le re- dreiïbit > & la voile étoit fouv^nt forcée parle vent, fi bien que nôtre bord étoit quel- quefois à fleur d'eau , ou n'avoit tout au plus que deux ou trois pouces de bande : quand le caique fuivoit les vagues,il fembloit qu'il s'alloit abîmer. Nous n'étions pas fort tranquilcs dans un bateau de 1 f. pieds de loneavec trois matelots fort mal a- droits Cvrort épouvantez, 1 un ramoit, I autre etoit au timon, le troifiéme tenoitl'efeoute de la voile : étourdis 8c effrayez , nous n'ofions ouvrir les yeux crainte de voir la mer qui nous faifoit horreur ; mais il fallut bien nous remuer : je ne fçai com- ment on gouvernoit le timon , une feule vague remplit tout d'un eoup nôtre caique, & nous n'avions pour la vuider que nos chapeaux 8c des morceaux de calbalfe , qui nous fervoient d'uften- ciles pour nôtre ménage. Nôtre peur redoubla à la veu'é de quelques ci- 1 trons qui vinrent en flottant fur l'eau nous an- noncer qu'un gros caique réfugié à Saint Minas avoit échoué : nous avions bu le jour précèdent ; avec cinq matelots qui le condui(oient , 8c qui avoientété à Stanchio charger de ces fruits. Ces , matelots comptoient fur la bonté de leur bâtiment qui étoit tout neuf ; mais comme ils n avoien: du Levant-. Lettre X. 149 point de bouflble , non plus que nous , & que Ton ne voyoic qu'obfcurément le cap de Samos , ils fe briferent contre les roches. Nous tînmes alors confeil de marine , & tout bien confideré au lieu d'aller à Nicaria , on ne fongea qu'à doubler le cap de Samos : heureufement nous gagnâmes le nord de l'ifle , où nous trouvâmes une bonace fi grande , que la mer reflembloit à de l'huile , comme difent les matelots : on fut donner fond à Carlovafii , & nous envoyâmes chercher des Papas pour faire dire des mettes en action de grâces. L'ifle de Saint Minas eft dans le grand Boghas entre Samos & Nicaria , au deflbus du grand Fourni : toutes les Ifles qui font au delïous du vent , portent le nom de Fourni , parce que les Grecs , comme nous avons dit plus haut , fe font imaginez que leurs porcs qui font fort bons3 étoient creufez en manière de four. Les Géogra- phes appellent ces Ifles Crufia , Tragia , Dipfo , Ponelli y mais ces noms ne font pas connus des Grecs : au moins nos matelots, quoi qu'ils fuilent du pays , n'en avoient jamais ouï parler. Il eft vrai qu'il y a une Ifle appellée Lipfo à huit mil- les de Patmos Se par confequent bien loin des Ifles de Fourni. Les plus proches du grand Bo- ghas,font le grand Fourni, Saint Minas ou le petit Fourni, Fimena:les autres font Alachopetra , Pra- fonnifi , Coucounes , Atropofages , Agnidro , Strongylo , Daxalo & plufîeurs autres qui n'ont pas de nom, & qui toutes enfemble avec celles que l'on vient de nommer , font au nombre de 18. ou 20. mais il n'y en a aucune qui foit habitée. Celle de Saint Minas n'a que cinq ou fix mille» K iij ?JO V O Y A Q E de tour clic eftfaite en dos d'âne compofée pour ainli dire de deux pièces , donc celle qui re- garde Patmos cfb de pierre ordinaire „ couver- te de terrein & de brou liai lies : l'autre moitié qui femble lui avoir été colée , efl. du marbre le plus rare qu'on puille voir , {te c'en; dans les fentes çle ce marbre que naiiïent les plus belles plantes de l'Ifle , entre autres le a Liferon arbriilcau à feuilles argentées , aflez femblables à celles de l'Olivier. La plupart des autres Ifles font longues , é« troites & traverfées d'une chaîne de montagnes : Candie , Samos , Nicavia , Patmos , Macroniu* font de cette forme. Il femble que la mer ait em- porté peu à peu le pays plat dont le fond étoît mo-? bile , & qu'il n'y ait eu que les ruines des monta- gnes qui ayent re(îfté à fes vagues. Je n'aurois plus rien à vous dire de P Archipel, Monfcigneur , fi je n'efperois encore quelques rnomens de vôtre attention , en faveur de Thc- S K Y- fée & d'Achille , pour vous entretenir de Pille de Sxyros. Thelée y fut enterré & Achille y fit Pa- mour , quoiqu'elle fait fort éloignée de Samos , & que nous ne l'ayons veué qu'en revenant de Smyrne à Marfeille , je crois qu'il eft mieux d'eu parler ici , que de la feparer des autres Iflc sda l'Archipel. b Les Pelafgiens ck les Cariens furent les premiers habitans de Skyros ; mais cette Ifle n'eft connue dans Phiftpire , que depuis le règne de Lycomede qui en étoit le maître , lorfque c Theféc roy d'Athènes s'y retira pour y jouir des biens de fon père. Thefée non feulement en a Convolvulu". argenteus Cluf. app. ccliv. umbcllatus creûus Inft. Rei 1> Stepb. &crb. Dorycnium Plate au c tlmareh. in Thff. Po S. Se y rus du Levant. Lettre X. 15- 1 (demanda lareftkuiion ; mais il foljicita du fe- cours auprès du rojj , contre les Athéniens : ce- pendant Lycomcde , foie qu'il appréhendât le genic de ce grand homme , ou qu'il ne voulût pas fc brouiller avec Mneflhée qui l'avoit obligé de quitter Athènes , conduifit Theféc fur un ro- cher , fous prétexte de lui faire voir la fuccefïïon de ion père , & l'hiitoire dit qu'il l'en Ht préci- piter ; quelques-uns alfurent que Thelée tomba de ce rocher en (e promenant après avoir foupé : quoiqu'il en foit , les enfans qu'il avoit fait paner en l'ifle Eubée , allèrent à la guerre de Troye , & régnèrent à Athènes après la mort de Mnef- thee. L'ifle de Skyros devint célèbre, dit ■1 Strabon , par l'alliance b qu'Achille y fit avec le Roi Ly- comède , en èpoufant Deidamie fa fille , dont il eut un fils nommé Neoptoleme , que l'on appel- la c Pyrrhus , à caufe de la couleur de (es che- veux. Il fut élevé dans l'ifle , 6c en tira les meil- leurs foldats qu'il mena à la guerre de Troye ; pour venger la mort de fon père : les peuples de cette Ifle étoient fort aguerris ; d Pallas étoit la protectrice du pais : fon temple étoit fur le bord de la mer dans la ville qui portoit le même nom que l'ifle. e On voit encore les refies de ce tem- ple qui confident en quelques bouts de colonnes & de corniches de marbre blanc,qu'on trouve au- près d'une chapelle abandonnée , à gauche en entrant dans le port Saint Georsre : nous n'y dé- couvrîmes aucune inlcnptiona"nais pluhcurs vieux a Rerum Geogr. Skyros honorum Forte b Serviui in j. JEneid. diem. Stat.AcbiLleid. lUf.u Uvpfh , rufus. e Sicùpa« vîicrat ^j jroA EpyâtTtti t&x$t yijî. Pht- d Biblioth.Hifi.lib.il, [ itarih. in Cimon. e flutarch, m Thef, TJ4 Voyage porter ce cercueil à Athènes 4-00. ans après la mort de ce héros. Les reftes d'un fi çrand homme fu- rent reçus avec de grandes démonllrations de joyc ; on n'oublia pas les facrifices , le cercueil fut mis au milieu de la ville, 8c fervit défile aux criminels. Sicyros fut enleve'e aux Athéniens pendant les guerres qu'ils eurent avec leurs voiiîns ; mais elle leur fut rendue par cette fameufe paix qu'Arta- xerxe Roi de Perfe donna à toute la Grèce , à la follicitation des Lacedcmoniens , qui lui députè- rent Antalcidas pour l'obtenir, après la mort d'Alexandre le grand , a Demetrius I. du norrj furnomme le preneur de villes , refolut de donner la liberté aux villes de Grèce, prit la ville de Sic y» ros , &c en chafla la garnilon. Il n'eft pas neceflaire de dire que cette Ifle a été foumife à l'Empire Romain , &C enfuite à celui des Grecs.0 André & Jérôme Gizi fe rendirent les maîtres de Sicyros après la prife de Conftanrino- ple par les François & par les Vénitiens : elle palfa fous la domination des Ducs de Naxie. Guillaume Carccrio en ht la conquête , & la laifla à fes defeendans : Con petit fils Nicolas Carcerio , neu- vième Duc de l'Archipel en fit fortifier le château avec beaucoup de foin fur l'avis qu'il eut que les Turcs qui commençoient à palier des côtes d'Afie en Grèce , avoient deifein de s'en emparer pour avoir une retraite commode dans l'Archipel. En effet, quelque temps après les Mahomctans furent une defeente dans cette Ifle , mais ils furent fi bien repoulîez pendant la nuit, qu'il n'en relia pas un a IIol«pvs!T-èï. Diod. Sic. Bi- b Dit Canoë Ht'Ji. da Emp» blioth. Hifioric, lib. 20. de Con/i. Hift. des Ducs pag.ii.8. de i' Archip. du Levant. Lettre X. iyj fcul :on voie encore autour du village les ruines de ces fortiiications que les Turcs , qui en font aujourd'hui les maîtres, ont laillé périr. On découvre facilement pourquoi l'iflc de $Ky- ros reçut anciennement ce nom , qui iiguihe en grec quelque chofe de rude : tout le pais eft he- rilfé de montagnes , & il n'eft pas furprenant que du temps de Strabon on en eftimât plus les chè- vres 3 que celles des autres Mes -, car ces animaux fe plaifent dans les pais les plus efearpez , & vont brouter jufques fur les plus hautes pointes des rochers. Le même auteur en lotie aufîi les mé- taux & les marbres ; mais on ne fçait pas à pre- fents'il y a des mines dans cette Ifle \ pour les chè- vres , elles ne nous parurent pas plus belles que celles que nous avoions veuës dans les autres Ifles; nous mangeâmes dans Sicyros d'excellent fro- mage fait du lait de ces animaux mêlé avec celui des brebis. Cette Ifle quoique çfearpée , eft fort agréable &: bien cultivée pour le peu de monde qu'elle renferme ; car on nous aflura qu'il n'y avoit pas plus de 300. familles, quoiqu'elle ait 60. milles de tour. Les habitans payent tous les ans jooo.écus au Grand Seigneur pour toutes fortes de droits : ils ont aflezde froment & d'orge pour leur fubfiftance : les François mêmes y viennent quel- quefois charger de ces grains ; les vignes font la beauté de l'Ifle , le vin en eft excellent & ne vaut qu'un écu le baril : On en rranfporte beaucoup à l'armée Vénitienne en Morée. Pour de la cire on n'y en recueille guère plus de 100. quintaux. Le bois n'y manque pas comme dans les autres Ifles : outre les taillis de Chénevert , de Lentifque , de Myrthe , Le Laurier- rofe , on nous alïura qu'il y avoit de beaux Pinsunais nous n'eûmes pas 156 Voyage le temps d'aller rcconnoître de quelle efpece ils étoient , c'eft. la feule lfle de ma connoiirance , où l'on trouve des Eleagnns\\\$ font dans la plaine qui va du port Saint George au village. Le 18. Avril 1702.1e îud-eft, lapluye& la grê- le nous firent relâcher à ce port : nous étions parti de Smyrne pour Livourne , fur le vaiffeau du Ca- pitaine Guerin de la Ciotat : outre ce port qui eft: capable de contenir une grande armée , & où l'on peut mouiller prefque par tout , il y en a en- core un fort bon que l'on nomme le port des trois bouches : il y a deux écucils à fon entrée , l'un fe nomme la Roche taillée , & l'autre l'Ifle plate , l'une de ces bouches a pour traverser le nord- oued , & le fud-eft , l'autre a le nord-eft , & le fud-oueft , & la troifiéme l'oueft. Il n'y a qu'un feul village dans l'Ifle de Sicyross encore eft-il bâti fur un rocher bien efearpé en for- me de pain de fucre à dix milles du port Saint Geor- ge.Le monaftere qui porte le nom de ce Saint, fait la plus belle partie de ce village , quoiqu'il n'y ait que j. ou 6. caloyers , qui confervent avec grand foin une image d'argent en feuille tres-mince , fur laquelle on a cizelé groflierement faint Geor- ge & reprefenté fes miracles : cette feuille qui a prés de 4. pieds de hauteur fur environ 1. pieds de largeur , eft clouée fur une pièce de bois qui a un manche comme une croix , & que l'on porte en manière de banniere;c'efl: cette image échapée à ce que Ton prétend à la fureur deslconoclaftes , qui opère tant de miracles , &. qui châtie fur tour ceux qui n'accompliilent pas les voeux qu'ils onc faits à faint George. Les Grecs font les plus grands impofteurs du monde : voici ce qu'ils ont faic dit Levant. Lettre X. \$j accroire fur cette matière au P. Sauger : a Cette image , dit-il , peinte aftez grofîîerement fur une efpece de billot de bois plus long que large& allez pefant , eft placée fur le grand Autel de la ca- rhedrale dédiée à faint George ôc deirervie par les Schifmatiques : là quand tout le monde eft allemblé dans l'Eglife , on voit l'image fe remuer d'elle même, Se toute pefante qu'elle eft ,fe trans- porter en l'air au milieu de l'aiTeiiiblée , où s'il fe trouve quelqu'un qui ait fait quelque vœu à l'Eglife fans l'accomplir, elle va le démêler dans la troupe , fe place fur fes épaules , s'y attache opiniâtrement , & lui donne de furieux coups par le dos Se par la tête , jufqu'à ce qu'il ait payé ce qu'il doit. Ce qu'il «y a de planant , c'eft que l'image n'a pas feulement cette vertu dans l'en- ceinte de l'Eglife , elle s'étend généralement dans tout le territoire de Sicyros , où elle ira dé- terrer un homme jufques dans les lieux les plus cachez ; la manière dont elle fait fa ronde 5 eft extraordinaire :un moine aveugle la porte fur fes épaules fans fçavoir où il va ; l'image le con- duit par une impreffion fecrette dans tous les lieux où il faut aller , fans qu'on lui voye jamais faire un faux pas ; le débiteur qui le voit venir de loin a beau vouloir fe dérober à (es pourfuites , en fe cachant aux endroits les. plus retirez Se les plus obfcurs de la maifon, le moine l'y va trouver d'un pas ferme , monte , defeend , pafle Se vepaflfe , en- tre par tout ; aufïi-tôt qu'il a trouvé fon homme , limage lui faute fur le cou , le bat , le fiape , Se s'appefantit fi fort fur lui, que quelques-uns m'ont dit , qu'il leur fembloit devoir en être ac- cablez. ijS Voyage Sans recourir à la magie, comme fait le Pi Sauger, il n'y a qu'à nier toutes ces impertinences^ comme nous finies à Sicyros , lorlqu'on nous ra- conta les proueiles de l'image. Un fort honnête homme de nôtre compagnie voulut s'en convain- cre , & promit dix écus à faint George , dans lé deileindene les lui jamais payer: au retour de la promenade , nous allâmes à l'Eglife pour voir h l'aveugle fe mettroit en devoir de le venir iom- mer de la parole ou l'aiTommer de coups ; mais grâces à Dieu , ni l'image ^ ni l'aveugle ne fé trouvèrent pas de mauvaite humeur ce jour-là. Le P. Sauger avoit été auiîl mal informé de ces prétendus miracles , que de la nature de l'i- mage : ce n'eft point une image peinte, mais feu- lement cizelée fur une plaque d'argent , ce qui nous furprit avec d'autant plus de raifon , que les Grecs ne peuvent fouffrir d'images en fculptu- fe : la chapelle où l'on conferve celle-ci eft fort petite , ornée de dorures à la Gréque : le couvent eft mal propre j mais nous y bûmes d'excellent vin rouge: il eft vray que nous n'avions pas mal payé la curiofité , & les moines qui voyoient bien à nôtre air que nous n'étions pas trop crédules * ne firent que rire de nos demandes j ils reve- noient pourtant toujours à leur compte , qui eft qu'il ne faut rien promettre à l'image , à moins que l'on n'ait la volonté 6c les moyens d'y fatis- fcire j'iious convînmes de cette proportion , cV louâmes leur dévotion pour faint George , inde- pendemment de leurs friponneries. Les habitans de cette Ifle font tous du rite Grec : ils ont un autre monaftere fous le nom dé Saint Dimitre , mais il eft petit Se pauvre : celui de Saint George eft aux caloyers de Sainte Laure qui vivent à Mon.te-Samo & qui ne députent pas du Levant. Lettre X. if$ les moins adroits de la maifon , pour entretenir les peuples dans la dévotion envers faint George } fur tout ils prennent loin de bien inftruire l'aveu- gle ou celui qui le contrefait. Le Cadi eft le fcul Turc qui foit dans l'Ifle : les Adminiftrateurs font obligez de faire payer fa rançon en cas qu'il foit enlevé par les cor- aires ; les habitans en répondent & fc mertroient en devoir de le fauver fi on vouloit le faire pri» onnier ; cependant le Cadi en paffe par où veu- ent les Adminiftrateurs , que Ton nomme tous es ans au nombre de trois , ils y exercent bien la uftice , clle ou laide , on la fait marcher par tout le illage fur une anelle , & chacun lui jette delà >ouë ou de la boufe de vache & des œufs fur c vifage ; c'eft ainû qu'on en avoit traitté une , eu Je jours avant nôtre arrivée. L'Evêque de Sicyros eft fort pauvre , il ne fub- (le prefquc que de charitez,&: loge dans une mai- t>n bâtie comme un cachotjil eft vrai que la veuë 'en eft pas défagréable , on découvre la mer & uelques beaux vallons , qui font autour du illage. On vit à bon marché dans cette Me , \s moutons n'y valent que 40. iols , & les ag- eaux 2.0. (ois , toute forte de gibier y abonde , l fur tout les perdrix : les eaux en font admira- les , &c toutes les roches donnent des fontaines : : ruillcau qui va fe décharger dans le port Saint, reorge , eft fort joly : pour y faire aiguade 011 ict les canots à terre , & l'on y conduit l'eau dans es barils , par un boyau de cuir. J'ai l'honneur d'être avec un profond refpeft , le. Ï6& V © Y A G E Lettre XI. A Monseigneur le Comte de Pontchartrain 3 Stcrt- taire d'Etat & des Commandement de Sa M» jefié / &c. M OnseigneuRj Descri- Nous mîmes à la voile dans la nuit au port de Pétri ption , je !jeMars iyoï.dans ledeffein d'aller àConihn- troit des trîiaople : ce port eft vers la partie Septentrionale Darda- de l'ifle le Metelin , & comme le vent étoit bon, ncllcs.dc nous découvrîmes à la pointe du jour Tlflede A rvln-c Tenedos , & nous paiTâmes entre cette Ifle&la poli & Troadc : fur le midy nous entrâmes dans ce fa- de Con- meux canal , qui fépare les deux plus belles par- ftantino- ties de la terre , l'Europe & l'Ane : on l'appelle PIc# l'Hel'efpont , le dçtroit de Gallipoli , le canal des Dardanelles , le bras de Saint George , les bouches de Conftantinople : les Turcs leçon- noiffent fous le nom de Boghas , ou détroit delà mer blanche. L'Hellefpont comme tout le monde faitjiîg. nifie la mer a à'Helle jcar les anciens ont crû qu'une fille d'Athamas Roi dé Thebes , qui s'appelloit Helle , s'y noya lorfque'elle voulut parler en Col- chide avec fon frère Phryxus , pour y porter la toifon d'or. Il y a beaucoup d'apparence que le nom de Dardanelles vient de Dardane , ancien- * Et fat is amifla , locus hic infamis ab Hdlc. Ovid, $ Lçmd. ai Héron. Bl Tcm JJ . v.Tf . t6l fUvation ait. premier Cshat&au ne tir du caste A \Asie . C levaho/i ait. vre/uter O/iateaii aeaf au coj-te a ctirotp-e-j . .Premier" Château txeivf au, coste. JPfonf Jda. Prerru&r O/iàfeau n^ur an coste a Cura a e . d ~à Levant. Lettre XL i G i ,fc ville qui n'en étoit pas éloignée , & dont le icroit peut-être aujourd'hui dans l'oubli , a paix qui y fut conclue entre a Mithridatc & Sylla , gênerai de l'armée Romaine : ce détroit de 'mer a été nommé bras de Saint George, à caufe d'un village fitué au de-là de Gallipoli ; &: qui s'appelle b Periflafis , où il y a une fameufe Eglife de iaint George , fort refpeclée des Grecs. Le canal elt dans un beau païs , borné à droite jfcà gauche de collines allez bien cultivées 3 fur ; lefquelles on voit quelques oliviers , quelques vignes, & beaucoup de terres labourables : en rentrant , on laifle la Thrace ik le ' cap grec à main gauche : la Phrygie&le d cap janilïari à droite : la Propontide ou mer de Marmara fe pre- fenteau Septentrion ; l'Archipel ou la mer blan- che relie au midi. L'embouchure du canal , a prés de 4. milles,& demi de large ; elle eft défendue parles nouveaux châteaux que Mahomet IV. y fit futir en 1659. pour mettre les flottes Othoma- | nés à couvert des infultes des Vénitiens qui les ve- noient attaquer à Ja veuë des vieux châteaux des Dardanelles. Les généraux Morofini , Bembo , Mocenigo , s'y fignalérent plus d'une fois pendant Il guerre de Candie. f ùs eaux de la Propontide qui paflfent par ce tanal , y deviennent plus rapides , de même qu'- une rivière qui coule fous un pont : lorfque le j flutarch. in Syll. % ïïlftrct.} t. L iGl V O Y A G t vent dn nord foufle, il n'efl: point de vailfcauqaîl puiile prelenter pour y entrer r mais on ne s çoit plus du courant avec un vent dufud,&ilnl que les châteaux à ménager. Cependant une aimée qui voudroit forcer! pallage , ne riiqueroit pas beaucoup , ces chàtew étant éloignez l'un de l'autre de plus de ^.miliaj l'artillerie Turque quelque monitrueule (ju'efi paroi lie n'incommoderoit pas trop les vailleiai qui dchleroient avec un bon vent ; ies embrafl des canons de ces châteaux , lont comme des psi res cocher es ; mais les canons qui lont les m gros que j'aye veus,de ma vie , n'ayant niafl ni reculée, ne fçauroient tirer plus d'un cJ chacun. Qui feroit i'komme allez hardi contai les charger en prefence des vaiiTeaux de guaJ dont les bordées renverferoient en irn inftanj murailles des châteaux qui ne lont pas tcrnffl quienfeveliroient les canons & les canonniertl leurs ruines ? fix bombes feroient capables de molir ces forterelîes. Les vaillèaux marchands en venant de Coifl tantinople , s'arrêtent trois jours auprès dudw teau d'Aile pour y être viheez 3 car les Tura' prétendent pas qu'on enlevé leurs efclaves:ce| dant malgré leur vifite , ces malheureux fç» fi bien le cacher , qu'il s'en fauve tous leijj quelques-uns : les vaiiTeaux de guerre , de qi nation qu'ils foient,ne font difpenfezde ectti que par un ordre de la porte^ileft vrai que cetteâj fite cft plutôt une cérémonie qu'une recheti Les Géographes croyent ordinairement les châteaux des Dardanelles lont bâtis fur ruines de Seftos & a d'Abydos,deux villes ana * Abydos magnf quondam araoïis commercio ialî^nkn Amm. M*re*L lib.i. c*p.\9. le du Levant. Lettre X î. i£j ps & fameufes par les amours d'Hero & de jeandre ; mais ils le trompent manifeftement ; car :s châteaux lont vis-à-vis l'un de l'autre , au lieu ue ces deux villes eftoient iituées bien différem- nt : Seftos étoit fi avancée vers la Proponti- e , que Strabon qui compte avec Hérodote 875* as d' Abydos à la côte voifinc , en compte 37COi u port de cette ville à celui de Seftos: a Leandre evoit être bien vigoureux pour faire ce trajet la nage , quand il vouloir voir b Hero fa maî- relle , auiîi l'a-t-on reprefenté-fur des médailles e Caracalla &z d'Alexandre Severe , précédé par n Cupidon oui voloit leflambeau à la main pour e guider , q/ii ne lui étoit pas d'un moindre fe- ours que le fanal que fa maîtrefle prenoit foin .'allumer fur le haut de la tour où elle l'atten- oit : il falloit être un héros , & tout des plus ro- nfles , pour faire l'amour de cette manière» Il aut mieux s'en tenir à ce que dit Strabon , pour t fituation de Seftos & d' Abydos : d'ailleurs on né rouve aucuns reftes d'antiquité autour des chà- eaux , & l'endroit le plus étroit du canal eft à . milles plus loin , fur la côte de Maita eil Uirope : on voit encore des fondemens 8c des ma- ures confiderables fur la côte d'Afie , où Abydos toit placée. Xerxés dont le père avoir fait brûler cette vil- , de peur que les Scythes n'en profitaient pour :ntrerdans l'Afie mineure , choifit avec raifon c détroit pour faire palfer fon armée en Grèce ; :ar c Strabon allure que le trajet fur lequel il fit etter un pont , n'avoit que 7. ftades , c'eft à di- e qu'environ un mille de largeur ; mais par une RerumGtog.lib.iy c Herut ibid. ïitrod, lili. 7 . l ii 1^4 V O Y A G H vanité tout à fait ridicule , comme s'il eut vomi commander aux élemens, il fit donner 300. coup de fouet à la mer , Se y fit jetter une paire de me nottes , fur ce qu'elle avoit ofé emporter le pre mier pont qu'on y avoit drefie ;lcs entrepreneur effuyerent un châtiment plus rigoureux , on leu trancha la tête:quelques jours après le Prince \oii lant fc reconcilier avec la mer , y fit des libation avec une phiole d'or , 6c pria le Soleil de detourj ner les obftacles qui pourroient l'empêcher d< fubjuguer toute l'Europe : la phiole fut jetti dans le canal avec une coupe d'or & un cimeteri re. Je ne laurois alïurer , dit Herqdote de qu nous avons appris cette cérémonie , Ci Xerxq voulut faire un facrifice au Soleil en jettant toutej ces chofes dans la mer 3 ou fi touché de repenti! de l'avoir fait fuftiger , il cher choit à reparei par fes offrandes l'injure qu'il croyoit lui avoii faite. a Mr Gilles croit que les poètes Grecs ont prêd ce ridicule à Xerxés ,*& qu'Hérodote a pris la choj fe trop feiieufement : les 300. coups de fouet, fnij vant Mr Gilles , marquent autant d'ancres qu'oit avoit jetcées dans la mer pour arrêter les navire^ qui fervoient à la conftruction du fécond pont j & la paire de menottes défigne deux chaînes d< fer , qui fervoient à les lier par les deux bouts & de chaqne côté. b On vit défiler fur ce fécond pont pendant 7* jours Se 7. nuits 1700. mille hommes de pied j fuivant c Hérodote , & 80. mille hommes de ca- valerie , fans compter les chameaux & les cha- riots ; dDiodore de Sicile ne lui donne que 800, * De Bofpb. Thrac. lib. i. c Heroi. ibld. cap. ii. a Biblioth. libj.ptrt.t.. b Aria, iib.i. de Exped. Alex. du Levant. Lettre XI. i6y ille fantaiTins,3 Ifocrate en a retranché ioo.millc bmmes^ itlien s'en tient à ce nombre pour toutes is trompes d'infanterie & de cavalerie ; Juftin : Orofe y adjoûtcnt 300. mille hommes de trou- ?s auxiliaires ; enfin c Cornélius Nepos fixe l'in. nterie à 700. mille hommes: mais il augmente cavalerie jufques à 400. mille. Il s'en faut bien que les Turcs n'aycnt fait ilTer tant de troupes fur ce canal dans leurs pre- ieres conquêtes ; mais avant que de parler de ur entrée en Europe , il eft bon de remarquer le Parmenion eût ordre d'Alexandre le Grand faire parTcr fa cavalerie & la plus grande par- : de fon infantetie de Seftos à Abydos , fur 160. Ieres fans compter les bâtimens de charge, îalcocondyle affine que fous l'Empire d'Ocho- an,Sooo. Turcs avoient déjà franchi l'Hellefpont, pénétré jufques aude-là du Danube,d'où ils fu* nt chaffez par les Scythes , ôc obligez de reve- r en Afie , tandis que les Empereurs de Conf- uinople Andronic le vieux & le jeune de la mai- ti des Paleologues , ruinoient l'Empire par leur vifion : les Mufulmansne furent pourtant pas 11 m chalTez de Thrace , qu'il n'y en reftât enco- une partie , & ceux-ci enfin y en attirèrent un s grand nombre fous Solyman fils d'Orcan. 1 Suivant Leunclave ce palTagefe fit à 5. mille s Dardanelles ; car il fuppofe que c Mai ta n'en élogné que de 3. milles fur la côte d'Euro- y & il place à 2. milles de Maita le château 'Zemenicoù les Turcs abordèrent. Solyman Tn Panatbenaic. e hiâfom- Herod. Vnr.hifi. Lib.11. cap.}. f X<ô*^><*s-p« Cimenlic War In Themijlocl. méchant village a 13, mil- Annal. Sultan. Ofmen. & le de Gdllipoli. nfi. Mufulm. L iij j66 Voyage fe promenant un jour fur les côtes de la Phry] gîe qu'il venoit de ioumettre , fut h frappé de: ruines de Troye , qu'il tomba tout d'un cour dans une profonde rêverie : Jufuph Ezés Bey qu éroit un de fes principaux officiers 3 ne pût s'em* pêcher de lui en demander le fujet : je voudroi: bien , dit Solyman , pafler la mer pour entrer e» Grèce , fans que les Chrétiens en fuirent aver- tis ; Ezés pour le fatisfaire fe mit dans un bateai avec un feul de fes amis , il alla à la découver] te & emmena un prifonnier Grec : ce captil qui fe croyoit perdu , fut bien traitté & s'engagej de montrer aux troupes du Prince le chemin H plus court pour entrer en Grèce à l'infçeu dej Chrétiens. On fit paffer pendant la nuit 7. ou 8] cens foldats d'élite , le prifonnier les mena droij au château de Zemenic,où l'on ne trouva auJ cune refiftance , car les habitans étoient occupes à la moilTon , & le château étoit prefque toui couvert de grands tas de fumier qui étoient toul à l'entrée du bourg. Les Turcs bien loin de mail traiter les gens du pais , leur firent des careiïèi & des prefens : on fe contenta d'envoyer des prfr fonniers à Solyman pour l'alîurer de la prife de 11 place : quelque temps après la cavalerie s'y rendit Enfin on attaqua Gallipoli qui fut prife en 1357 Solyman mourut la même année d'une chute la cha!lé. Orcan ne lui furvécut que deux moii Mouratfon fécond fils lui fucceda ; celui-ci pri Andrinople en 1360. & en fit la capitale d fon empire en Europe , comme PrufTe l'étoit ei Afie. J'ai oui dire fouventà Conftantinople , que le annales Turques étoient remplies des contes i. içs ftratagêmes dont les Turcs fe vantent de s'é du Levant. Lettre XI. i6y tu: (crvisdaus leurs conquêtes fur les Chrétiens. i voici un qui eft rapporte par Leunclave , & quia été traduit des originaux Turcs, c'eft à propos de ce Solyman dont on vient de parler. a Je Prince, à ce que dit la chronique Turque , fit palier fur l'Hcl loi pont 80,. hommes, qui s'étant cachez dans les vignes auprès du bouri» , firent •r • I . 1 r • prilonniers au point du jour fix vignerons qui alloient à leur ouvrage ; la nuit fuivante 70. de ces Muuflroans fe mirent en embufeade auprès du bourgjtandls que les 10. autres relièrent fur le grand chemin avec les vignerons. Cependant quatre de ces malheureux furent égorgez & pendus a des arbres qui étoient (ur une éminence : on les éven- tra la tête en bas comme des moutons que l'on éta- le à la bouchcriejil y en eut un qui fut embroché comme un cochon , & l'on obligea ceux qui ref- toient en vie de le tourner auprès d'un bon feu pour le rôtir. Le lendemain comme les payfans retour noient à la campagne , les Turcs firent en- core des prifonniers ; c'étaient de bons vieillards qui avoient de la peine à fe traîner , & qui furent très furpris quand les Turcs leur dirent qu'ils étoient Turcs , & qu'ils ne vivoient que de chair humaine : après quelques dialogues fort trilles on les renvoya , en difant que les Turcs étoient ac- coutumez à manger de meilleures viandes , & ce fut à condition qu'on leur ameneroit de jeunes gens pour en faire bonne chère. En attendant la broche tournoit toujours. Ces vieillards qui n'a- voient veu que 10. Turcs s'en retournèrent au bourg plus vite qu'ils n'étoient venus , & com- mencèrent à jurer comme des enragez : à quoi vous amufez-vous canailles , dirent-ils à leurs Wfi. Mftfulm. Lib. 4. L iiij j(5ij Voyage compatriotes ? ne voyez- vous pas ce fpectacle ?■ il n'y a que dix Turcs qui rôtillent un de nos fre- res & l'on ne nous a renvoyez que parce que nous avons la peau trop dure , ils en veulent aux jeu- ne; gem.Le commandant du lieu qui étoit à la fleur de fou âge ordonna fur le champ à toute la jeunef- fe de courir à ce feu , &c de tuer les Turcs : tout le monde fort de la place. Dans ce temps-là les 70. Mufulmans qui étoient ventre à terre dans les brolfaillcs , ne manquèrent pas d'entrer & de fe faifir des partes , dés qu'ils virent la foule à une certaine diltance : la populace avançoit toujours fans fe douter du (Iratagème. Enfin les Turcs qui fàifoient rôtir le Chrétien , au lieu de s'enfuir bien loin , (c mirent à courir à tou- tes jambes hors la ville? quelle folie , difoient les Grecs , ce font des enragez qui ont perdu refprit , ils vont fe réfugier dans nos mailons , laiiïbns les parfer , nous les malïacrerons tous en- femble ; néanmoins dés que ces enragez furent dans le bourg , ils fermèrent les portes ôc montè- rent fur les murailles avec leurs camarades , & la plupart des enfans qui étoient reftez dans les maifons. Les pauvres Grecs furent bien fots à ce fpectacle : on leur fit dire qu'on égorgeroit tous les enfans , s'ils ne revenoient chez eux ; & on les afîiira qu'ils n'avoient rien à craindre. La popu- lace conllernée rentra ; mais les perfonnes de diftindtion ne voulurent le faire , qu'après que les Turcs eurent juré fur l'Alcoran , qu'ils ne les depouillcroient pas de leurs biens. Quoique les faux ferai ns ne coûtent rien aux feelerats , ils eurent recours à une efpece de rédaction mentale, a laquelle les Grecs ne s'attendoient point: on îîiit à mort les gens de diftin&ion , & l'on répon- du Levant. Lettre XI. 169 ctir far les plaintes qui en furent faites , qu'on ne s'etoit précisément obligé , qu'à ne pas toucher à leurs biens s ce qu'on avoit obfervé , & que l'on promettoit encore d'obfervcr fort rcligieufe- ment. Voila comme les Turcs traittent les Chré- tiens dans leurs hiftoires : les Mufulmans ne man- quent pas de ces fortes de diitinc~Kons : Mahomet II. après la prife de Negrepont , fit feier le corps d'Erizo gouverneur de la place , difant qu'il avoit promis ci épargner la tête , mais non pa$ les flancs. Les Historiens Grecs varient fur toutes ces avantures ; car Ducas prétend que les Turcs ne parlèrent l'Hellefpont pour la première fois qu'en 1356. &c 1357. que ce furent Homur fils d'A- tin de Orcan qui ravagèrent toute la Thrace : l'un étoit le maître de Smyrrie & d'Ephefe , & l'autre de Prufle. Ce qu'il y a de certain eft que les Mufulmans n'ont infecté l'Europe qu'environ 700. ans après l'établiifcment du Mahometifme en Afie : car l'Egire ou l'Ere Mahometane , qui fe prend depuis le jour que Mahomet s'enfuit de la Mqque , commença l'an 611. de l'Ere Chré- tienne, & Othoman premier Empereur des Turcs ne mourut qu'en l'année 1 3 18. Gallipoli a fut la première ville où ils fe canton- Galli* nerent en Europe : la iituation de cette place eft Ci favorable pour paflfer en Thrace , que les Princes qui ont eu des veués fur cette Province , ont toujours commencé par fe rendre les maîtres de cette ville. Elle fut du partage des Venitiens,après la prife de Conftantinoplc par les Latins : mais b Va- a Callipolis. Pïm.lib.4. f.u. Ducas qui & Baratza ge- KaXkivoXt',. neicjue Theodori Lafcuis, " Gregor.ix.Ef>îfî.$ïi. Ub.9. imperiifedé habuic Mag- jD» Cange. hiji. des Emp. nefîa ad Sipylum annis 33, de Conft. lib. 3 . Joannes Vttcas. Hifi. Byfant» POLI. 170 Voyage tace Empereur des Grec*; , qui faifoit fa rcfiden- ce à Magnclie du mont Sipvkis , étant: en guer- re avec Robert de Courtenai quatrième Empe- reur François, l'afïiegea , la prit, & la mit u- fle , la porte du midi eft fermée s c'eft-à-dire que * Polyb, Hiji. lik.4, T*cit. Ann, Ub% I». 174 Voyage rien ne peut entrer du côté du midi : a el[e s'ou- vre lorfque le vent du iud prend le dcllus % a;njj il l'on ne veut pas appeller ces vents les bactans des portes de cette puillante ville s il faut au moins convenir qu'ils en font les clefs. Mr Thcvenot veut que Conftantinople foit plus petit que Paris , & qu'il n'ait que 10. ou 12. milles de tour , Mr Spon lui donne quinze mil- les : pour moi je crois que fon circuit eft d'en- viron 23. milles ;& fi on en adjoûte encore 12* pour les faux-bourgs de Galata 5 Calfun-Paclia , Pera , Topana , FunduKii , il fe trouvera que la circonférence de cette fuperbe ville , fera de 34. ou 35. milles. Je ne fçaurois être du fentiment de ceux qui comptent Scutari au nombre des faux- bourgs de Conftantinople parce qu'il n'en eft féparé que par la largeur du canal ; mais aulïi je n'approuve pas la penfée de ceux qui retranchent de Conftantinople tous les faux-bourgs au de-là du port -, puifque même fous les premiers Empereurs Chrétiens , Galata faifoit la treizième région de la ville : ° le quartier des figuiers , qui eft le même que Galara , fait partie de la ville félon l'Em- pereur Anaftafe ; c & Juftinien l'a placé dans la nouvelle enceinte : peu peu l'on a joint à Galata les villages voifîns , comme on a joint à Paris le faux-bourg Saint Germain , le faux-bourg Saint Antoine eV les autres. Il faut donediftinguer deux parties dans Conf- tantinope , celle qui eft en deçà du port , & celle qui eft de l'autre côté : la partie en deçà du port, . * Elcây{ fùv '«; rev jëotrov (ton. Polyb. Hift. lib.^.. »o'ts{ , tluy{ H fiPfioa ty\ b Novell. Li X. %\ynit c.ii-yxvixï*i<&cu -ays c In l'tb. XVnI. codÀt S(tcrc txMTf^To» fy6[*«ir%uf ki'u „ \Ecclef. du Levant. Lettre XI. 17$ eft l'ancienne Byzance : & Conftanrinople donc le plan approche allez de la figure d'un triangle : deux de les cotez lont battus de la mer . v fçavoir celui du port qui eft le plus courbe de • tous , Se celui qui va de la pointe du Serrail aux fept tours-, le troifiéme eft plus long que les au- tres, ik fe trouve fur la terre ferme. On donne d'ordinaire prés de 7. milles à chacun des deux premiers , ôc 9. milles à celui-ci : le premier an- gle de cette ville eft auxfept tours , le deuxième à la pointe du Serrail , & le troifiéme à la Mof- quée d'Ejoub vers les eaux douces. Les murailles de (...'onftaminople font affez bonnes , celles du côté de terre font une double enceinte d'environ 1 g* pieds de diftance l'une de l'autre, & font munies d'un forTé a fond de cuve d'environ 2j. pieds de large : la muraille extérieu- re* haute d'environ 1. toifes, eft défendue par 150. tours affez balles, la muraille intérieure a plus de 20. peids de hauteur , & fes tours qui répon- dent à celles de l'extérieure , font d'une allez bel- le proportion ; les crenaux , les courtines , 5c les embralures font bien entendues , mais nous n'y vîmes point d'artillerie : on y a employé pref- que par tout de la pierre de taille , en certains endroits ce n'eft que de la maçonnerie entremê- lée de briques : nous comptâmes cinq portes ce me femble 3 de ce côté-là : on pourroic le fortifier aifément , car le terrain eft en talus bien loin de dominer la ville. Les murailles depuis les fept tours jufquesau Serrail , & celles qui font le long du port pa- roiffent plus négligées , 5c l'on n'en fçauroit faire le tour à caufe que pluficurs avancent jufques fur l'eau ; il n'y a point de quay , on y voit même zyê Voyage des maifons adofTées aux murs de la ville,fur tout du côté du port ; les tours de ces deux cotez font efpacées aflez également , mais elles ont été fou- vent maltraitées par les tempêtes &: relevées eu différents temps par les Empereurs Grecs Théo- phile 3 Michel , Bafîle 3 Conftantin Porphyroge- nete , Manuel Comnéne 3 Jean Paleologue : com- me on en peut juger par les inferipitions qui font fur lesTept tours & fur quelques morceaux des murailles. I fi E N X fi A Y T O KPATOPO, n A A A I O A o r O T. "Dejexn Paleologue. Empereur en Jefui-Chrift, Les fuivantes fe trouvent en venant des fépt tours au Serrail. m Il A 2 I P fi M A I O I 2 META2 AESOOTHS ETEIPE P fi M A N O 2 NEON n A N M E~ TI2T0N TONAE nrPTON EK BAepfiN. Romarins l'Illufire Empereur de tous les Gfecsm a, relevé dès les fondement cette nouvelle & gran- de Tour . jlTPfOS du Lïvad t, ' Lettre XL \ 7 f n r p r o 2 basiaeîoï kai k o n s* TANTINOT niSTON E >sl Xfi A Y T 0= KPATOpaN EY2EBEI2 BA21AEI2 PflMEfiN. Tour de Bajîle & de Confiantin , fidelles Em~ pereurs en Je/us- Chrifi , pieux Rois des Romains* nïpros 0eo$iaot en KPI2TQ AïTOKPATOPOl Tour de Théophile Empereur en Jefus-Cbriflr, nypros ©eo*iaoï kai mi-. XAHA niSTQN EN Xn AïTOKPATOPON, Tour de Théophile & de Michel , fidelles Enu pereurs en fefus-Chrift. ANEKÀINlSeH Eni BA2IAEIOY KAI KON2TANTINOY TÛN nOp$YPO. rENNHTQN HAOKPinON 2EBA2THN AESnOTïiN EN ETE K. *. K. A. Tour renmvellêe fous Bajile & Confiantin Por- phyrogçnete Serviteurs de 'fefus~Chriftt Augufiei Empereurs en l'année Tome II. M I?S V O Y A G 2 ANEKAINI20H EHI M A N O Y H A TOI OIAOXPI BA2IAEIOX PÛMEIQY YlOI EN KAI AYTOKPATOP02 POMAIOJ TOT KOMNHNOY EN ET El (JxOBMB. Tour renouveliez fous Manuel fervitenr de Je- fus-ChrUi , Empereur Romain pi s & de l'E% percur Rornin Comnéne en l'année ON T H 2 0AAA22H2 6PAY2MOÎ MA^paKPONa KAYAONI H O A A Q K A] 2$OAPO PHTNYMENON FI h 1 E I N KATE- NAIKASE nYPTON EK BA0PON B A- 2 1 A El OS bîEIPE EY2EBH2 ANAH. Cette Tour que les fecoujfes de la mer avaient tnife a bas par [es flots violens & reitenz. pendant long temps 3 a été relevée depuis les fondemens fat h pieux Roy Bafile. Il y a fepe portes depuis la pointe du Serrai jufques aux fept tours , cinq du cote de terre , & onze fur le port , mais par quelque porte que l'ori entre, il faut prefque toujours monter -y & Conftar^ tin qui avait delïein de rendre Conftantinoplfl iemblable à Rome , ne pouvoit pas trouves de terrain plus élevé en collines : cette vil< le eft bien fatigante pour les gens de pied , ôc lei perfonnes de difrindtion n'y fçauroient aller qu'a cheval. Avant que d'entrer dans cette ville, ij faut encore une fois en admirer les dehors , c'ern la chofe du monde la plus agréable à voir , qud de découvrir d'un coup d'ccil toutes les inaiionsi de la plus grande ville de l'Europe , dont les cou- dû Levant. Lettre XI. 179 [erts , les terralles , les balcons , & les jardins bnnent pluheurs amphithéâtres relevez par des lezeitcins,desCaravan-Seraï,de Serrails,& fur tout ar des Mofquées ou Egliles pour m' expliquer en rançois , auxquelles nous n'avons rien en France uel'on puilfe comparer.Ces moiquées qui font des lâtimens effroyables par leurs malles , ne laitfent ien voir que de beau , car on ne peut pas dé- ouvrir de fî loin les défauts &: la bizarrerie de 'architecture des Turcs : au contraire leurs prin- ipaux dômes , qui iont accompagnez d'autres etits dômes , les uns & les autres couverts dé lomb ou dorez ; leurs clochers , s'il m'eft permis 'ufer de ce terme, pour exprimer des tours me- ue's , mais très élevées , où le croilfant eft ar- oré : tout cela forme un fpedtacle qui enchanté eux qui fe trouvent à l'entrée du canal de la mer taire : ce canal même frappe avec admiration , ar Fanari-Kiofc , Chalcedoine , Scutari , & les a m pagnes qui font aux environs , amufent a> réablement la veue' qu'on détourne fur la droite uand on ne peut plus foûtenir l'éclat de Con- ;anrinoplei J'avoue cependant , que les objets que nous vions veus de nôtre vailïeau , nous parurent 3iit à fait differens , quand nous les comparâmes vec ceux qui fe présentèrent à nous lorfque nous ûmes mis pied à terre. Je ne fçai fi ce furent ;s oignons que l'on vend aux coins des rues , qui éveillèrent en nous l'idée de ces fameux temples es Egyptiens , dont les dehors éblouitloient à lais je ne pus m'empêcher de comparer Conftan- inople avec ces fuperbes édifices,, dans lefquels In ne trouvoit que des crocodiles 3 des rats , des toireaux > des oignons , que ces idolâtres rc* M i) îSo V o y A G E gardoient comme leurs divinitez. Les maifons c Galata où nous débarquâmes font baffes 3 bâti» !a plupart de bois 8c de boue , ainfi le feu en coi (brame des miliers en un jour : les foldats dans ! deflein de piller , ou les Turcs en fumant dar leurs lits , y mettent quelquefois le feu : on I confoleroit fi l'on n'y perdoit que la maifon , a on v bâtit à fort bon marché , 8c les côtes de 1 mer Noire font capables de fournir du bois pou rebâtir tous les ans Conftantinople s'il étoit ne celfaire : mais la plupart des familles font entière ment ruinées dans ces incendies , par la perte d leurs marchandifes. C'eft peu de choie quand o aie parle que de a. ou 3. mille maifons brûlées on a fouvent le chagrin de voir abbatre 8c pille la lïenne , quoique le feu n'en foit qu'à 20c pas 3 fur tout quand le nord- eft que les Turcs ap pellent a le vent noir eft en furie :on n'a pas trou vé d'autre remède pour l'empêcher de dévore toute la ville , que de faire de grands abbatis autrement l'incendie deviendroit générale. Le marchands étrangers fe font avifez fort façemem depuis quelques années , de faire bâtir à Galati des magafmstrés-folidesde pierre de taille , ifolez 8c qui ne reçoivent le jour que par des fenêtre» abfolumcnt neceflaires , dont les volets aulîi bien que les portes font garnies de to!e. La pefte 8c les leventis font après le feu , lei de ux fléaux de Conftantinople : il eft vrai que lej Turcs font indignes de vivre , ils voyent mourij tranquillement jufques à cinq ou iîx cens pen fonnes par jour de cette cruelle maladie j fans prendre aucunes mefures pour l'éviter ou pour la combattre 3 8c ne commencent leurs prq «Cafà-fci; du Levant. Lettre XL 181 rciïîons que lorfque le mal en emporte environ tauze cens par jour ; les hardes des peftiferez fe rendent avec autant de facilité que celles des per- Connes mortes de vieillerie ou de mort violente. Nous nous étions bien précautionnez:nous avions •ait en partant de Marfeille proviuon de pierres à cautère, Se certainement Ci le moindre bubon eût »aru fur nôtre corps , nous n'enflions pas man- qué de le cerner avec une lancette , de le fcari- ier Se de le couvrir de cette pierre pelée , afin de onfumer au plutôt une partie où il femble que e décharge la plus grande force du poifon ; tandis que d'ailleurs nous euillons mis en ufage la theria- que, l'orviétan , les gouttes d'Angleterre Se les autres remèdes cordiaux Se fpiritueux , dont nous avions des boctes pleines. Il faut que le tartre eme- tique précède l'ufage de ces remèdes , Se qu'on le réitère luivant le befoin , fans différer de le donner dés le moment que la tète eft menacée, ou qu'on fent la moindre naufée. Pour les Leventis qui font des foldats de ga- lères qui courent fur les gens le coutelas à la main , en faifant des grimaces à faire peur à ceux qui ne les connoiffent pas : il y a quelques années que le Caimacan ou gouverneur de la ville , à la ollicitation des Ambafiadeurs , a permis aux étrangers de fe défendre contre eux , Se l'on a mis ces canailles à la raifon , à coups d'epée ôc de piftolets. Quoique les plus braves Mulul- mans nous traittent de mal-adroits , quf ne fça- vons pas manier les armes noblement ni de bonne grâce , ils ne laiflent pas de fuir devant la pointe de nos épées. Ces chiens de Chrétiens, ài[e\u-ik,per- çent le ventre tout brujcjiiemerit fans donner le temps de fe défendre : nos épées portent leur coup fur M iij 1S1 Voyage le champ , au lieu qu'il faut faire deux moins- mens pour fabrer, Dés que l'on apperçoit dans lc> rues de Conftantinople des gens qui viennent à vous en camifole & en calçon , les jambes nues , l'efearpin aux pieds , & le poignard à la main , il faut tirer fon épée du fourreau ; quelques-uns même ont la précaution de la porter nue fous le jufte au corps ; fi l'on eften vefte , il ne faut pas marcher fans piftolets de poche bien chargez &> bien amorcez , ou au moins il faut faire femblant d'en tirer delà poche. Un marchand François ar- rêta un jour deux Levantins avec une groflTe «Se longue écritoire de chagrin , qu'ils prirent pour quelque arme à feu : ils s'imaginent qu'il y a des? lames cachées dans toutes nos canes , ôc pren- nent leurs mefures fuivant la contenance que l'on?; fait : pour éviter leurs infultes , on fe fait eicortetf par des Janiflaires. Mr le Marquis de Ferriol nous en donna quel- ques-uns de fa garde pour nous accompagner ;< il nous fît loger dans le Château Gaillard , qui cftj Un quartier du Palais de France qu'il nous avoia deftiné : ce Palais nous parut un lieu enchanté ,a car la mifere de l'Archipel, d'où nous venions J nous avoit donné une idée fort défavantageufa] du refte de la Turquie. Le Palais de France cua la mai fon de Conftantinople la plus logeable Sc- ia mieux entendue pour des perfonnes élevées en» Europe : il fut bâti par ordre d'Henry IV. dans loi temps que Mr de Brèves étoit Ambafladeur , mais on y a fait de beaux appartemens fous Mr derj Nointcl : les honnêtes sens y font reçus avec ton-] te forte d'agremens. Hors de ce palais , quand] on iroit jufques au fond du Japon, on nefçaicl ce que c'en: que de faire bonne chère : on eft fer-J yi chez Mr l' Ambafladeur , comme dans les meil- du Levant. Lettre XI. i S $ peures tables de Paris : au lieu de vaiflelle de cui- re étainé dont on le (ert même dans le Serrait du Tiand Seigneur , on ne voit chez fon Excellence que des piles d'afïïettes d'argent , & des buffets chargez de badins, d'aiguières, de foucoupes , de vales, de flacons de la même matière , la magnificence & les manières polies & engagean- tes du maître , y attirent toutes les nations du monde. On ne peut trop admirer avec quelle fer- meté Mr le MarquisdeFerriol foûtienc la grandeur du nom François , dans une Cour où l'on eft expofé tous les jours aux caprices des nouveaux miniftres. Tandis qu'on travail loit à nos habits à la Tur- que , nous courions par tout pour voir les beautez de la ville, vêtus à la Françoife,l'épée au côté , la perruque poudrée , & le chapeau retrauffé, quoi- que rien ne choque plus les Mufulmans , fur tout ceux qui font un peu avant dans la terre ferme, On a mis fur un autre pied ceux de Conltanrinople èc de Smyrne,ilsfc font faits à nos manières à for- ce de nous voir dans notre équipage ordinaire: nous n'cuiîîons fait aucune difficulté d'aller dans les rues fans Janillaires , Ci Mr l'Amballadeur , par une diftin&ion qu'il accorda à nôtre qualité d'employez par Sa Majefté , n'eût ordonné qu'ils nous accompagnaient par tout. Les rues de Conflantinople font très mal pa- vées, quelques-unes même ne le font point dil toutjla feule rue qui va du Serrail à la porte d'Art- drinople eft pratiquable , les autres font ferrées , obfcures, profondes , & refTemblent prcfque a des coupe-gorges : on ne laide pas d'y trouver de temps en temps de bons édifices , des bains , des bazars & quelques maifons de grands Seigneurs,bâ- M iiij 1S4 Voyage ties à chaux & à table avec des encoign cures cîe pierre de taille, Oc dont les appartemens ont des enfilades alîez bien entendues. La ville nous parut mieux peuplée qu'on ne dit, quoique les maifons n'ayent que deux étages , elles font toutes occupées & bien remplies. Après y avoir fait attention , je ne doute pas qu'il n'y ait autant de monde à Conitantinople qu'à Paris ; on voit peu de Turques dans les rué's , elles fe tien- nent dans leurs appartenons , fans fe trop em-i barraifer de ce qui tepalTe dans le refte du monde,' excepté certaines femmes de Pachas abfens , lef- quelles ne haiflfent pas les étrangers ; mais leurs intrigues ne font pas fans danger , & la cruauté fuccede quelquefois à la tendrefïc. Les maris pour; leur ôter tout prétexte de fortir,leur ont perfuade qu'il n'y avoir point de paradis pour les fem- mes, ou du moins que pour y aller, fuppofé qu'il y en eût un , il n'étoit pas neceflaire de prier j hors de chez foi. Pour les retenir agréablement ] dans leurs maifons, ils y font bâtir des bains ,j & les amufent avec du carTé : mais cette précau-jj tion eft fouvent inutile j on y introduit de bcauxJ garçons traveftis en femmes efclaves , qui por- tent des nippes & des bijoux à vendre. Les Juivcsj ne manquent pas d'adrelfe pour favorifer les] belles pallions, néanmoins les intrigues y fond plus rares que parmi nous , & la plupart des da-| mes Turques fowt obligées de refter chez elles ,1 de de s'y occuper à broder , faute de pouvoir faire! mieux, Les Grcqnes, les Juives , les Arméniennes! ont plus de liberté , mais elles ne fortent pas auflij fouvent que nos femmes , parce que les efclaves] font toutes les affaires du dehors , comme d'aller au marché & en commifîion. Paris paroîtrok| beaucoup moins peuplé, fi l'on ne rencomroiç; du Levant. Lettre XL i8j pas toute la journée dans les rues de femmes de toute forte d'â^e &c de condition. Plusieurs choies ont contribué à mieux peupler Conftantinople que les autres villes de Turquie ; le négoce & les profits qu'il eft aifé d'y faire ; l'efperance de s'avancer dans une Cour , où il n'y a point de gens de qualité , & où par confequenc il eft allez naturel de fe flatter qu'on s'y élèvera par ion mérite 5C par fon argent ; la mifere que l'on fouftre dans les Provinces $ ou les Pachas ont toujours exercé de grandes cruautezjenhn ce prodi- gieux trafic d'efclaves qui s'y fait inceifamment : ces derniers s'y multiplient par le rnariage,& four- niffent un grand nombre d'habitans à la ville. Il femble qu'on ait afTe&é de tout temps d'ame- ner à Conftantinople de puilTantes colonies , je ne parle pas des familles Romaines que Conffcantin engagea de s'y établir ; Glycas allure que cet Em- pereur ayant donne aux Sénateurs qui l'âvoient fuivijle commandement de fes armées de Perfe, il retint leurs anneaux qu'il envoya à leurs femmes pour les obliger de quitter Rome , de venir join- dre leurs maris , &: de s'attacher à fa Cour. Maho- met II. ayant pris Amatîris appartenant aux Gé- nois fur les côtes de la mer Noire , en fit pâflTei: prcfquetous les habitansà Conftantinople l'an 1460.cn 15 14. Selim s'étant rendu le maître de Tauris en Pcrie , en amena tous les ouvriers : Barberoufté y faifoit fouvent conduire les peuples de l'Archipel dont il avoit fournis les Mes : en 1557. il y fit palier 16000. prifonniers de Corfou: dans les dernières guerres d'Hongrie combien n y a-t-on pas amené de gens de tout fexe ? Les premières promenades que lçs Etrangers font dans Conftantinople , font ordinairement deftinées à la vifue des Mofquées Royales ; il y î86 Voyage en a fept qui portent ce nom. Ces bâtimens tre's- b?aux dans leur genre , font tout à fait finis , 8c parfaitement bien entretenus , au lieu qu'en F:ance nous n'avons prefque point d'Egliie ache- vée : i\ la nef eft cftimée par fa grandeur & par la beauté de fon cintre , le chœur eft imparfait ; il ces deux parties font finies , le frontifpice n'efr, pas commencé \ la plupart de nos Eglifes fur tout dans Paris , font entourées de bâtimens profanes, on loge des familles entières entre les aresbou- tans, on profite du moindre auvent pour y drefler des boutiques ; ces Eglifes n'ont fou vent ni pla- ce ni avenue. I,es mofquées de Conftantinople au contraire (ont ifolées eV renfermées dans des cours fpacieufes , plantées de beaux arbres , ornées de belles fontaines : on ne fouffre point de chiens dans les mofquées , perfonne n'y caule & n'y commet d'irrévérence , elles (ont bien rentées de beaucoup plus riches que nos Eglifes : quoi- que l'architecture n'en foit pas comparable à la notre, elles ne laiilçnt pas de frapper par leur gran- deur Cv par leur folidité. On exécute bien les dômes dans tout le Levant , ceux des mofquées font d'une jufte proportion , & accompagnez d'autres petits dômes qui les font paroître bien nourris Se point du tout élancez ; il n'en eft pas de même de leurs minarets , qui lont des aiguilles aufîi hautes que nos clochers & aufïi menues pour ainfi dire que des quilles ; ces minarets fervent d'un grand ornement aux molquées &C aux villes : cependant quoique nous n'ayons pas d'ouvrage n hardi parmi nous , nos yeux font faits à nos clo- chers , & nos oreilles au fon de nos cloches , qui font plus harmonieufes que les chanfons des Mue fins 3 c/eft ainfi qu'on appelle ceux qui an- du Levant. Lettre XL 1S7 nonce ne en chantant du haut des minarets , les heures des prières. Sainte Sophie eft la plus parfaite de ces mof- quées : fa fituation eft avantageufe , car elle fe trouve dans un des plus beaux endroits de Con- ftantinople fur le haut de l'ancienne ville de By- zance & de la colline qui vient fondre dans la mer par la pointe du Serrail : cette Eglile qui elt ians doute le plus bel édifice du monde , ^près Saint Pierre de Rome , paroît furieufemenc lourde en dehors , &c ne montre rien de fort magnifique, le plan en eft prefque quarré , & le dôme qui eft la feule pièce de remarque , s'ap- puye en dehors fur quatre areboutans qui font ef- froyables par leur malle : ce font des efpeces de tours très maffives , qu'on a été obligé de faire après coup pour foûtenir ce grand corps de bâti- ment & le rendre inébranlable , dans un pays où les tremblemens de terre renverfent fouvent des villes entières. Le frontifpice n'a rien de fuperbe , ni qui ré- ponde à l'idée qu'on a de fainte Sophie : on en- tre d'abord dans un portique d'environ iïx toifes de large , qui a fervi de veftibule dans le temps des Empereurs Grecs : ce portique communique à 1'Eglife par neuf portes de marbre, dont les ba- tans de Bronze relevez de bas reliefs , font d'une grande magnificence j on voit encore fur celles du milieu quelques figures à la Mofaïque , &C même quelques peintures ; le veftibule eft joint à un autre qui lui eft parallèle , mais qui n'a que cinq portes de bronze fans bas-reliefs ; les batans étoient feulement chargez de croix , dont les Turcs n'ont laifte que les poteaux : on n'en- tre pas de front dans ces deux veftibules , mais i88 Voyage feulement par des portes ouvertes fur les cotez „ & fuivant les règles de l'Eglife Greque, ils étaient neccllaires pour faire placer ceux que Ton diftin- guoit , ou par les facremens qu'ils dévoient rece- voir , ou par des pénitences publiques qu'ils dé- voient fubir. Les Turcs ont .bâti un grand cloî- tre parallèle à ces veftibules,pour iogerles officiers de la mofquée. * Un dôme d'une ftruchire admirable tient lieu de nef ; au pied de ce dôme règne une co- lonnade qui porte une galerie de cinq toiles de largeur , dont la voûte eft très-belle. Dans l'ef- pace qui eft entre les colonnes , le parapet eft or- né de croix en bas-relief , que les Turcs ont fort malrraittées , quelques-uns l'appellent la galerie de Conftantin ; elle croit deftinée autre- fois pour les femmes. A la naidancc de fur la cor- niche du dôme règne une autre petite galerie , ou plutôt unebaluftrade qui n'a de largeur qu'au- tant qu'il en faut pour laiifcr palfer une perfonne , & l'on en a pratiqué une autre par dellus celle- ci : ces baluftrades font un etfet merveilleux dans le temps du Rarnezan , car elles font toutes gar- nies de lampes. A peine les colonnes de ce dô- me ont-elles du renflement , & leurs chapiteaux nous parurent d'un ordre fingulier , moins beau pourtant que ceux qu'on obferve pour les nôtres : le dôme a i8.toifcs dans œuvre, & s'appuye fur quatre gros piliers d'environ huit toifes d'é- paifleur , la voûte paroîc une demi fphére parfaite», éclairée par 14. fenêtres diipolécs dans la cir- conférence. De la pairie orientale de ce dôme , on paflfi a ToJsAoî HffJt cjnMi nullus , tiulla , heinitphcrium , tetludo. 2,T£<>y[seX<>e/iiïHi cixsi, Hsfycb, un dôme. du Levant. Lettre XI. 189 ;out de plein pied dans le demi-dôme qui termine l'édifice. a Ce dôme ou coquille étoifr le fanctuai- re des Chrétiens , & le maître autel y étoit pla- ce : Mahomet II. s'étant rendu le maître de la ville s s'y aiîit les pieds croilez à la manière des Turcs , il y fit fa prière , le fit razer , &c fit attacher à un des piliers où étoit le thrône du Patriarche , une belle pièce d'étoffe relevée en broderie de chiffres , & de caractères Arabes , qui avoit fervi de portière à la mofquée de la Mé- que. Voila quelle fut la dédicace de Sainte So- phie- On ne trouve à prefent dans ce fanétuai- re , que la b niche où l'on met l'Alcoran : elle re- garde la Méque , 8c les Mufulmans fe tournent toujours de ce côté-là , quand ils font leurs prières"; la chaize du Moufti n'eu: pas loin de là , elle eft élevée de planeurs marches , & à cô- té il y a une efpece de tribune , où fe mettent les officiers deftinez pouf reciter certaines prières. Cette Mofquée bâtie en croix Gréque , c'eft-à» dire racourcie & prefque quarrée , a dans œu- vre 4z. toifes de long , fur 38. toifes de large: le dôme occupe prefque tout ce quarré. On m'a atfuré qu'on y comptoit jufques à 107. colonnes de dMferens marbres , de porphyre ou de granit d'Egypte , car nous n'eûmes pas le temps de les compter. Tout le dôme eft. revêtu ou pavé de pluik'urs fortes de marbre : les incruftations de la galerie font des mofaïques faites la plupart avec des dez de verre qui fe détachent tous les jours de leur ciment , mais leur couleur eft inaltéra- ble : ces dez de verre font de véritables doublets , * L'efpace qui efi entre le dôme & le demi dôme , t'appelle h Maljarab. Mirabé. Marabé. Gueblé. iç)0 Voyagé a car la feuille colorée de différente manière , eft couverte d'une pièce de verre fort mince coilée par deiïiis , il n'y a que l'eau bouillante qui la puillc détacher : c'efl; un fecret connu & que l'on pourroit mettre en pratique iî les mofaiqucs re- venoient à la mode parmi nous. Quoique l'ap- plication de ces deux pièces de verre qui renfer- ment la lame colorée foie vetilleufe , elle prou- ve que l'invention des doublets n'eit pas nouvelle,; Les Turcs ont détruit le nez & les yeux des fi- gures que l'on y avoit reprefentées , aulîi-bien que le vifage des quatre chérubins placez aux angles du dôme. ^ b Sainte Sophie n'eft pas la première Eglife qu'on ait bâtie fous ce nom à Conftantinople ; c le grand Conftantin fut le premier qui y confacra une chappelle à la fagejfs au Verbe incrée ; mais foit que ce bâtiment fût trop petit , ou qu'il eût été renverfé quelque temps après par un trem- blement de terre , J Conftantius fon fils fit bâtir une plus grande Eglife à la place de la première : le fanutuaire &la plus grande partie de cette Egli- fe fuient détruits fous l'Empire e d'Arcadius dans la [édition excitée contre Saint Jean Chryfofto- me Patriarche de Conftantinople , l'on allure mê- me que ce furent ceux • de fon parti qui y mirent le feu : elle fuc encore brûlée fous Honorius" , &c rétablie par le jeune Theodofe ; mais la cinquiè- me année de l'Empire de Juftinicn , l'incendie qui délola une grande partie de la ville , n'é- * Kvc-a édifice qui fubûfte encore a prêtent. c Mr du Gange prou- ve qu'il fut fini en cinq ans , & non pas en dix- fept comme quelques auteurs Grecs l'ont écrit : l'Empereur en fut fi farisfait,qu'il ne put pas s'em- pêcher de crier , J ye t'ai Jurpajjé Salomon : ce- pendant la 31. année du regns de Juftinien , un tremblement de terre renverfa le demi-dôme, dont la chute écrata l'autel ; il fut relevé & l'Egli- fe confacrée de nouveau. Zonare remarque que Juftinien fit grand tort aux belles lettres , pour trouver des fonds pour ce bâtiment , car il v em- ploya les appointemens que l'on donnoit aux Profcfleurs de toutes les villes de l'Empire. Pour iatisfaire fa paiîîon de bâtir, il n'épargna pas même la Statue* d'argent de Theodofe qu'Ar- caiius avoit fait drefler , & qui pefoit 7400. li- vres. Pour couvrir le dôme de Sainte Sophie , Juftinien employa les canaux de plomb qui fer- voient à conduire la plupart des eaux de la ville. ■Les principaux architectes qui travaillèrent à certe célèbre Eglife furent , e Anthemius de 1 ralles , &c liidore de Milet : le premier padoit pour le plus grand mechanicien de fou temps, peut être avoit-ii le fecret de la poudre à canon , carfAgathias allure qu'il imîtoit parfaitement bien le tonnerre , la foudre &* les ttemblemens a appelUe Nî<&. ci ce Salomon. Codin. de b Manuel. ÇbryïïL de adif. Orlg. Confiant. élégant. e Procop. de &dif.Jufi, Ub.X. « In notïi in Bondelm. cap. 3. îejt " Voyage de terre : l'Empereur Bafile le Macédonien fit afïurer le demi dôme occidental qui s'étoit en- tr'ouvert en plufieurs endroits ; enfin un autre tremblement de terre endommagea tellement cette Eglife fous l'impératrice Anne 8c Jean Paleologue Ton fils , qu'elle ne put être rétablie qu'avec beaucoup de temps & de dépenfe : c'eit pour cela que le mariage de l'Empereur & d'Helene fille de Cantacuzene , fut célébré dans l'Eglife des Blaquernes dédiée à la fainte Vier- ge. Mahomet II. trouva Sainte Sophie fi belle qu'il la fit reparer , &C depuis ce temps là , les Turcs la confervent avec beaucoup de foin. En fortant de fainte Sophie 5 on nous con- duifit à 30. ou 40. pas de l'Eglife, pour nous mon- trer les b maufolées de quelques Princes Otho- mans , ce font quatre petits bâtimens affez bas ,: terminez en dômes couverts de plomb , foutenus par des colonnes pofées fur un plan exagone : les baluftrades font de bois , ÔC les cercueils font couverts de drap fans broderie , les Empereurs; ne font diûinguez de leurs femmes que par leur; Turban qui eft fur un pilier à la tête du cer-«] ciieil j & ce cercueil eft un peu plus gros , de mèÀ me que les flambeaux qui brident à chaque bout*] Il n'y a point de flambeaux au cercueil du freré de Sultan Mourat , quoiqu'il y en ait à ceua de toutes les femmes du Grand Seigneur. On noua fît remarquer des mouchoirs en manière de craJ vate autour du col des reprefentations de noJ enfansde cet Empereur, qui furent tous étrangle» en un jour par l'ordre de fon fuccefleur. Le mar- bre n'a pas été épargne dans ces maufolées qui a Cantamz,, lib.4. Cftp. y^mcl, hlfi. Mnfulm. 5?i. fa Tmbé. fond du Levant. Lsttre Xh njj {'ont éclairez jour tk nuit , non feulement par les flambeaux des cercueils , mais encore par plufieurs lampes : on a pris foinaufli d'y attacher avec des chaînes plufieurs Alcorans , pour en faciliter la lecture à ceux qui viennent faire leurs prières. Outre les perfonnes qui prient par de'votion , il y a comme dans les autres maulôlées , des pau- vres de fondation entretenus dans un hôpital qui eft tout auprès \ ces pauvres ont des chapelets de bois , dont les grains font gros comme des bal- les de moufquet. J'ai oublié les noms des autres Sultans qui font dans ces maufolées , il me fem- ble qu'on nous parla de Sultan Seh'm , 8c de Sultan Muftapha. A quelques pas de-là fe voit une vieille tour » que l'on prétend avoir fervi d'Eglife aux Chré- tiens ; on y nourrit plufieurs bêtes , & c'eft com- me une petite ménagerie du Grand Seigneur , ou l'on enferme des Lions , des Léopards , des Ti- gres , des Loups-cerviers , des Chacals : ces der- niers participent du Renard & du Loup , Se crient la nuit comme des enfans tourmentez de tranchées. On conferve dans ce lieu la peau d'une Gerafe qui le promenoir dans les rues de Conftan- tinople en queftant avec fa tète aux 'fenêtres des maifons où il y avoir du monde qui l'appelloit : n dit que cette peau eft blanche,griiâtre en quel- ques endroits , avec de grottes taches fauves ; n dit aufïi que cet animal eft de la taille d'un heval , mais qu'il a la croupe baffe & comme lavalée. On doit regarder les autres Mofquées royales de Conftantinople , comme des copies de Sainte Sophie , & qui approchent plus ou moins de cet original : ce font des dômes d'une fort belle ap« 7 Hwm AafA-Tsu^ô^. Byzantina fervatrix. Comment, hlfi. tom. i . .c fiïZANTIfiN. du Levant. Lettre XI. j 559 croyable : elle choifit l'endroit de Conftantino- ple le plus avantageux pour y faire éclater fa ma- gnificence y mais avant elle on n'a point d'exem- ple dans l'Empire qu'aucune Sultane ait eu le pri- vilège de faire élever une mofquée royale 3 car pour celle de Saint François , outre qu'elle n'eu: pas royale , la raere du Sultan Achmet I 1 1. à prefent régnant , n'a fait que convertir en moC- quée ordinaire , l'Eglife des Religieux Italiens de l'ordre de Saine François du faux- bourg deGalata. Peu de chofe fuflit pour l'entretien d'une mof. quée ordinaire ; mais pour les mofquées royales , les Sultans même fuivant leur loi , ne fçauroient en faire bâtir une , qu'après de grandes conquê- tes fur les ennemis de l'Empire , & il faut que- ces conquêtes foient capables de fournir aux frais exceflifs de la conflruction de ces bâtimens & de cur dotation : c'eft pour cette raiion que Sultan Achmet ayant fait bâtir la mofquée neuve contre le fentiment des docteurs de la loi , qui lui avoient reprefenté inutilement que n'ayant pris ni villes ni châteaux il ne devoit pas entreprendre un bâ- timent de telle dépenfe ;ces docteurs nommèrent la mofquée le Temple de l'Incrédule. Il faut pour l'entretien de ces Mofquées , des •rames fi considérables 3 qu'elles confomment le tiers de ce que raportent les terres de l'Empire, _e Kiflar Aga , ou chef des Eunuques noirs , en a la Surintendance ; c'eft lui qui difpofe de toutes les charges Ecclefiaftiques des Moiquées royales : les principales font à Conftantinople , à Andri- nople , à Prufa. On allure que le revenu de Sainte Sophie , eft de 800. mille livres. Le Grand Sei- jneur paye pour le fond fur lequel le Serrail efl: bâti , mille & un afprc par jour. Ces revenus font N iiij î©0 V O Y A C S deftinez pour l'entretien des bârimem , pour les. gages des officiers de la mofquée , pour la nour- riture des pauvres qui fe prefentent à la porte à certaines heures du jour , pour les hôpitaux des environs : pour les écoliers que l'on élevé &z que l'on inflruit dans la loi de Mahomet , pour fou- lager les artifans qui font en necefïité & pour les befoins des pauvres honteux:le refte eft mis dans le threfor de la mofquée ,pour fubvenir aux accidens imprévus , tels que font la chute des bâtimens , & le dommage des incendies. Ce threfor de mê- me que celui des autres mofquces c(t confervé dans le château des fept tours , & le Grand Sei- gneur n'y peut toucher en confeience , que dans des occafions prellantes pour la confervation de la religion. Les villages dont les revenus appar- tiennent aux mofquces royales , ont de grandes franchifes , les habitans font exempts de gens de guerre , & à couvert des opprefllons des Pachas , qui dans leurs routes s'en détournent ordinai- rement. Dans les autres villes de l'Empire , toutes les maifons payent a un cens annuel que doit la place de chaque maifon pour l'entretien des Mofquécs. Sainte Sophie tire le cens ou vacouf de Smyrnc,la Validée celui de Rodofto , Sultan Bajazet celui d'Andrinople , les Mofquécs d'Andrinople jouif- fent du cens c!e Galata. Lorfque les Grecs, les Juifs , & les Arméniens meurent fans enfans mâ- les , la mofquée acquiert la maifon, outre le cens qu'elle en rctirqit auparavant ; mais parmi les Turcs, les frères & les parens héritent de la mai- fon , & ne payent que le cens à la Mofquée. Pour ^mortir ce cens il eft permis d'achetter au profit ? ^>cfi ou Vacouf. du Levant. Lettre XI, loi : la Mofquée des boutiques ou d'autres effets qui :ndent L'équivalent du vacouf. Les autres Mofquécs royales, ne font pas il con- fidcrables que celles dont on vient déparier : elles portent le nom de leurs fondateurs , Sultan Baja- 'Ajt , Sultan Selim , Sultan Mahomet. La Mofquée d'Ejoup n'efl; pas regardée comme un bâtiment royal , quoiqu'elle ait été bâtie par Mahomet II. oui fit réparer toute la ville , & fonda plufieurs collèges. Cette Mofquée confifte en un feul dôme qui n'eft célèbre que par la cérémonie que l'on y fait du couronnement du nouveau Sultan ; la cé- rémonie n'eft pas longue , il ne s'agit ni de cou- ronnes, ni d'autres ornemens royaux. L'Empereur monte dans une tribune de marbre , où le Moufri lui met le fabre au côté , car on prétend que ce labre le rend maître de la terre , & que les autres Roys font au delïous de lui dès le moment qu'il le tient à (on côté : en eftet à la cour du .Grand Sei- gneur tous les autres Roys font appeliez Sultanons, c: cepté le Roy de France à qui ils donnent le nom de Padifcha qui lignifie Empereur. La Mofquée d'Ejoup eft à l'embouchure des eaux douces , & les Turcs confîdérent Ejoup comme un grand prophè- te ôc un grand capitaine. Ils conviennent pour- tant qu'il échoua devant Conftantinoplc, & qu'il y fut tué à la tête d'une armée de Sarrafins qu'il commandoit. Son fepulchre n'eft: pas moins fré- quenté que ceux des Sultans : on y prie conti- nuellement & ces fortes de prières font vivre bien de gens en Turquie. De la Mofquée d'Ejoup , nous allâmes du côté de terre le long des murailles de la ville , voir un vieux édifice ruiné qu'on appelle le Palais de Con- stantin , mais qui n'a rien de confiderable : c'eil: 2.01 Voyage une mafure éloignée des murailles , d'environ 400. pas ; il v *efte deux colonnes qui foùtenoient un balcon au derîus de la porte qui conduiioic d'une cour au corps du palais ; cet édifice a piùcot l'apparence de quelque tribunal où Ton montoic par un efcalier de marbre , dont on voit encore quelques marches ; & c'en: peut-être te relie de quelque maifon que Conlrantin Porphyrogenete avoit fait bâtir , car le Palais du grand Conftan- tîn étoit dans la première région de la ville oui ei\ prefentement le Serrai! . a Zozime allure qu'il n'y en avoit pas de plus beau dans Rome. Codin l'appelle le Palais de l'Hippodrome. Nous traverfàmes enfuirc le quartier de Balat pour defeendre au port qui efl; une des merveilles de la ville. Les Empereurs Grecs fe divertilToient autrefois à chalfer à Balat. C'eft pour cela qu'on l'appelle encore en Grec vulgaire le Parc ou ° le Chajfcur. Il n'y a que c l'Eglife Patriarcale qui puiffe y arrêter les étrangers par fon nom plutôt que par fa beauté ; elle n'eft diftan-te que de zoo. pas du port. Les Grecs n'oferoient faire | aucune dépen'e à cette Eglife , quand même ils ] feraient affez riches , car les Turcs ne manque- j roient pas de s'approprier l'argent que l'on defti- neroit pour un pareil ouvrage. J'ai l'honneur d'être avec un profond refpect, &c. u Levant. Lettre XII. 203 Lettre Xi I. y^ Monfejgneur le Comte de Pontchartrabi , Secré- taire d'Etat & des Commandcmens de Sa Aia- jcjlé , &c. S VX Onseigneur, On ne fçauroit trop admirer le port de Con- Conti-- ftantinople. Nous en fîmes le tour en bateau par NUA" le plus beau temps du monde : ces bateaux font JefcJ^ de petites gondoles d'une grande légèreté & d'u- feription ne propreté mcrveillcufe : le nombre en eft il <^e Con- grand , qu'elles couvrent tout le port, fujrEouç "am,u°* dans le trajet de Galata. Les anciens n'ont jamais ^ C* mieux fait parler l'oracle d'Apollon, que lors- qu'ils lui firent répondre à ceux qui le conful- toient pour bâtir une ville dans ce quartier : Arrete\~vous , dit la Pythoniffe , vis-a-vis le paie des jiveugles En effet le port de Chalcedoine qui e trouve fur la côte oppofée , eft Ci peu de chofe que ceux qui le choifîrent les premiers , méritent >ien d'être traînez d'aveugles. Celui de Conftan- tinoplc eft un baiîin de fept ou huit milles de cir- cuit du côté de la ville , & il en a bien autant du côte des faux-bourgs ; fan entrée large d'environ 600. pas , commence à la pointe du Serrail , ou cap de Saint Dimitrc fîtué au midi ; c'efl: le a car> du Bofphore où étoit l'ancienne ville de Byzance: a Promontorium Chryfocera*. Pliv. hift.nat. lib.4. cap.il, Rofphorium wamAçott. Soïtn. cap, ié . 2.04 Voyage delà en tirant au couchant , le port s'étend en manière d'une a corne courbe'e , que l'on peut comparer avec plus de raifonà celle d'un bœuf, qu'à celle d'un cerf comme a faitb Strabon,car la côte n'a pas des recoins qui en puifTent reprefen- ter les divifîons , il eft vrai que Mr Gilles remar- que qu'il s'y eft fait bien des changemens qui en ont détruit le conrour. L'ouverture de ce porc eft au levant Se regarde Scutari ; Galata & Caffun- Pacha font au Septentrion;enfin ce port fe termine au nord-nord-oueft par le cul de fac des eaux dou- ces où fe jette la rivière Lycus , compofée de deux ruiflfeaux , dont le plus grand, fur lequel eft la c papeterie , vient de Belgrade , & d l'autre coule du nord-oueft. Cette rivière après la jonction des ruifteaux , n'a qu'environ 50. pas de large plus ou moins en certains endroits : elle n'eft pas na- vigable par tout , c'eft pour cela qu'il y a des pieux qui marquent les endroits les plus feûrs. Le ruifleau qui vient du nord-oueft n'eft pratiquable aux bateaux , que jufques au village d'Hali-bei- cui. L'autre qui vient de Belgrade, l'eft jufques au de-là de quatre milles : on parle ces deux ruif- feaux fur des ponts pour aller de Pera à Andrino- ple. e Apollonius de Thyane fit bien des cérémo- nies magiques fur ces eaux: elles font d'un ufage merveilleux pour nctoyer le port , car defeendant du nord-oueft , elles lavent toute la côte" de Caf- fun- Pacha & de Galata , tandis qu'une partie des eaux du canal de la mer Noire , qui dcfccndcnt a Ko> 77»j t£ *i(yms. Cedrcn. picr : le rulffeau s'appell» b K.«g*J rai B"£«wr«*>»'. Barbyfés. Strab. rerum Gengr.lib.7. d Cyclarus Msclilcva. De Bofp.Thrac lib.i.fnp.y, ' Script cr. pejt Iheophxn* c Kiat-ana , Maifon du pa- du Levant. Lettre XI I. ioj du nord comme un torrent , félon la remarque de a Dion Caflius , heurtent avec impetuofité contre le cap du Bofphore , & fe réfléchilïenu à droite vers le couchant : par ce mouvement elles entraînent la vale qui pourroit s'amaiTer fur la core de Conftantinople , & par une méchanique naturelle , la pouifent peu à peu jufques aux eaux douces : elles en fuivent le courant , qui cft fert- iible non feulement fur les côtes de Caifun-Pacha & de Topana ; mais alfez avant dans le canal de la mer Noire , à Topana , Fonduidi , Se Ortacui. La raifon en eft évidente , puifque l'autre cou- rant qui entre par la pointe du Serrail, les re- poulle & les oblige de remonter: ces eaux douces confervent aufîi les bâtimens de mer : on a con- nu par expérience que les vaiffeaux font moins uijets à être vermoulus dans les ports où il y a de l'eau douce , que dans ceux où il n'y a que de l'eau falée ; les poiiïbns s'y plaifent davantage ÔC y font d'un meilleur goût. b On s'eft récrié de tout temps fur la bonté des jeunes Thons que l'on appelle Pelamides , lefquels paillent pour ainfi di- re par troupeaux dans le port de Conftantinople: on les voit reprefentez fur beaucoup de médailles à la légende des Byzantins , de aux têtes des Em- pereurs Caligula, Claude, Caracalla , Geta,Gor- dienPie, Gallien , & des Impératrices Sabine', Lucille , Crifpine , Julia Mcefa , & Julia Mamcea. Pline a remarqué que fous l*eau,du côté de Chal- cedoine , il y avoit des rochers blancs qui effra- * Apud Xiphil. *> Cordyla appcllantui partus , qui fœras redeuntes in mare autumno comitancur. Limofa: vero à iuto Pelamides in- cipiunc vocari ,& cùm annuum exceflere tempus, Thyn-, ni. Plin. bift. nat. lib. 9, cap. 1 y, BïSANTlfîN, Ulfl. nat. lib,?. m/.ij. 2o6 Voyage ypient les Thons & les obligeoient de pafler dans* le porc de Byzance ; les Dauphins s'y jettent aufîi quelquefois en fi grande quantité , qu'il en eft tout couvert , on y pêche fou vent ce a poirïbn , dont la defenfe eft faite en manière de feie 3 mais Pline a été trompé par ceux qui l'avoient allure que ces rochers blancs détournoient les Pclamides d'aller jufques à Chalccdoine s on y en pêche d'ad- mirables & en grande quantité. b Procopc pour marquer la bonté du port de Conftantinople , dit qu'il eft: port partout: c'eft- à-dire qu'on y mouille par tout : & c'eftavec rai- fon que cet Autheur remarque que les vailfeaux viennent mettre leur proue à terre , tandis que la poupe eft dans l'eau ;, comme fi ces deux élcmens fe piquoient de rendre à l'envi leurs fervices à la ville. Dans les endroits où il y a un peu moins d'eau , on pafte fur une planche pour entrer dans les plus gros bàtimens , ainfi l'on n'a pas befoin de chaloupe pour les charger , ni pour les déchar- ger. Goltzius rapporte une médaille de Byzas fondateur de Byzance , au revers de laquelle fe voit une proue de vailTeau. Il y a dans le cabinet du Roy deux médailles à la légende des Byzan- tins , fur l'une defquelles eft reprefenté un vaif- feau qui met à la voile ; on voit fur l'autre une fi- gure la pique à la main , Se qui paroît en fentï- nelle iur la prouë d'un navire. Tout cela montre que les Byzantins avoient le pied marin 8c qu'ils avoient fçû profiter de la bonté de leur port : je m'étonne qu'ils n'ayent pas fait graver fur leurs médailles ces galères à deux gouvernails , l'un à la proue &c l'autre à la pouppe ; il y avoit un * Priftis. r ùipw fi i'A8î>«f7W^ij ti't. De àdif.Jttft, lib.x. cap. $» d v Levant. Lettre XII. 207 îîmonnier fur chacune de ces parties , comme a Xiphilin les décrit. Les galères des Byzantins , dans le temps que cet Empereur afîïegeoit leur ville , avançoient 8c rcculoient en ligne droite par le moyen de ces deux pièces , ainii l'inven- tion de mettre deux timons à une galère n'eft pas nouvelle. La delcription de Byzance 8c de ce fa- meux fiége , eft un des beaux morceaux de l'an- tiquité. b Les Byzantins fe fignalérent par terre 8c par mer : leurs plongeurs ne fe contentoient pas d'aller couper les ancres des vaiflèaux 8c des ealeres des afiiéçeans , mais ils les attachoienc dans l'eau avec des cordes , par le moyen des- quelles ils les tiroient ou ils voûtaient : de telle forte qu'il fembloit que ces bâtimens fe venoient rendre d'eux-mêmes. Ils employoient les poutres de leurs maifons pour conftruire des vaifleaiiXj 8c les cheveux de leurs femmes pour faire des cordes : on les voyoit lancer dans les tranchées des ennemis les Statues qui fervoient d'ornement à leurs villes , 5c après avoir confumé tout le cuir qui s'y trouva , ils s'entredévoroient eux-mêmes. Si les Turcs s'attachoient à la navigation , ils pourroient s'y rendre formidables : car ils ont les plus beaux 8c les meilleurs ports de la Mediteran- née ; ils ieroient les maîtres de tout le commerce d'Orient à la faveur des ports de la mer Rouge , qui leur ouvriroient la porte des Indes Orienta- les , de la Chine , &c du Japon , où les vaiflèaux des Chrétiens ne fçauroient atteindre qu'après avoir paflTé 8c réparte le cap de Bonne-efperance ; mais les Turcs fe croyent trop heureux de refter chez eux , 8c d'y voir venir toutes les Nations du monde pour faire commerce. « Abrégé de la, vie de l'Empereur Sevire. *> Xifkilin, ZonurMift, lib.Xt* io8 Voyage Il n'y a que le vent d'eft qui foit capable de. troubler le port de Conftantinople , ion ouverture étant tout à fait exposée au Levant : ce vent en agite quelquefois les eaux ôc les repouiTe avec violence vers le couchant ; on l'appréhende fur tout pendant la nuit , parce qu'il faut ranger les bâtimens à la côte de Galata & de Calïlin- Pacha. Les matelots dans ce temps-là ne ccllent de crier, fuivant leur coutume ; Car ils ne fçauroient faire aucune manœuvre fans bruit , ôc leurs cris joints; aux abboyemens des chiens dont les rues font pleines , font un tintamarre fi effroyable , qu'on croiroit la ville prête à s'abîmer , [\ l'on n'étoie prévenu de ce qui le caufe a On n'eft pas même exempt de cette allarmc dans le Serrail : car ce Palais eft à gauche tout à l'entrée du port , & occupe la place de l'ancienne ville de Byzance fur la pointe de la prcfqu'Ifle de Thrace , où eft précîfément le Bofphore. Le Ser- rail qui eft l'ouvrage de Mahomet II. a près de 3. milles de circuit : c'eft une efpéce de triangle , dont le côté tenant à la ville eft le plus grand ; celui qui eft mouillé par les eaux du Bofphore eft 4 l'eft ,;; ôc l'autre qui forme l'entrée du port eft au Nord : les appartemens font fur la hauteur de la colline ôc les jardins fur le bas jufques à la mer : les murailles de la ville flanquées de leurs tours , Te joignant à b la pointe de Saint Dimi- tre , font l'enceinte de ce Palais du côté de la mer. Quelque grande que foit cette enceinte, les dehors du Palais n'ont rien de rare , & s'il faut a Padifcha- Serai , Palais de l'Empereur. Serai fignïfie un Palais , & Padifcha , «n Empereur. Leunel. hifi. Mm- fulm. pag. 55» 1. b Scrai-bournu , pointe du Serrail. A*^ ^vro^i^t. juget du Levant. Lettre XII. 2e>y juger de la beauté des jardins par les Cyprès que l'on y découvre , on conviendra qu'ils ne font pas mieux entendus que ceux des particuliers. On af- fecte de planter dans le Scrrail des arbres toujours verds pour dérober aux habicans de Galata & des autres lieux voiiinsja vue des Sultanes qui s'y pro- mènent. Quoique je n'aye vu que les dehors du Serrailj je fuis perfuadé que l'intérieur de ce Palais , n'a rien de ce que nous appelions fuperbe & magni- fique j parce que les Turcs ne fçavent gueres ce que c'eft que magnificence en bâtimens , 8c ne fuivent aucune règle de bonne architecture : s'ils ont fait de belles Mofquées , c'eft qu'ils avoient un beau modelle devant leurs yeux, qui étoic l'Eglife de Sainte Sophie : encore ne faudroit-il pas fuivre un pareil modelle pour bâtir des Pa- lais fuivant les règles de la bonne architecture. On s'apperçoit aifément en voyant les grands comb'es des Kiofc ou Pavillons Turcs , que l'on commence à s'éloigner d'Italie , & à s'approcher de la Pcrfe , & même de la Chine. Les appartemens du Serrail ont été faits en difterens temps , &c fuivant le caprice des Princes ôc des Sultanes : ainu* ce fameux Palais eft un allemblage de plusieurs corps de logis entaffez fouvent les uns fur les autres 3 & féparez en quel- ques endroits. On ne doute pas que les apparte- mens ne foient fpacieux , commodes 3 richement meublez. Leurs plus beaux ornemens ne confi- ftent ni en tableaux , ni en Statues > ce font des peintures à la Turque , parquetées d'or & d'azur , entremêlées de fleurs , de païlages , de culs de lampes , & de cartouches chaigez de fentences Arabes , comme dans les maifons des particuliers Tome IL O ZI<* V O Y À G £ de Conftantinople : les baffins de markre > les bains , les fontaines jaillilîanres , font les délices des Orientaux, qui les placent aux premiers éta- ges fans craindre de trop charger le plancher : c'é- toit anfli le goût des Sarrafins ôc des Maure s,com- me il paroît par leurs anciens Palais , & (ur tout: par celui de 1 Alhambra qui eft à Grenade en Ef- pagne , où l'on montre encore aujourd'hui com- me un prodige d' Architecture , a le pavé de la fale des Lions , qui eft fait de plaques de marbre plus grandes que celles des tombes de nos Eglifes, S'il y a quelques beaux moroeaux dans le Ser- rail , ce font des pièces que les Ambafladeurs des Princes y ont fait apporter , comme des glaces de France & de Venife , des tapis de Perfe , des vafes d'Orient. On dit que la plupart des pavil- lons y font foûtenus par des arcades , au de(fous defquelles font les logemens des Officiers qui fervent les Sultanes. Ces Dames occupent tes def- fus, qui font ordinairement terminez en bornes couverts de plomb , ou en pointes chargées de croiffànts dorez : les balcons , les galeries , les cabinets , les belveders , font les endroits les plus agréables de ces appartemens ; enfin à tout pren- dre , de la manière qu'on dépeint ce Palais , il ne lailfe pas de répondre à la grandeur de fon maî- tre ; mais pour en faire un bel édifice , il fati- droit le mettre à bas , & fe fervir des matériaux pour en bâtir un autre fur un nouveau modellc. L'entrée principale du Serrail eft un gros pa- villon à huit croifées ouvertes au deftus de la por- te , une grande qui eft fur la porte même , qua- tre plus petites à gauche fur la même ligne , ôc autant de même grandeur à droite. Cette Porte * El quarto de los Lconcs. du Levant. Lettre JCÎ T. it t. dont l'Empire Othoman a pris le nom eft Fort haute j (Impie , cintrée en demi -cercle , avec une iiifcription Arabe fous le cintre & deiix niches , une de chaque côté , creulées dans l'é- pailTeur du mur. Elle rellemble plutôt à un corps de garde , qu'à l'entrée du Palais d'un des plus grands Princes du monde : c'eft pourtant Maho- met H. qui la fit bâtir ; &c pour marquer que c'eft une maifon royale , le comble du pavillon de l'entrée eft relevé de deux tourrillons : 50. Capl^is ou portiers font commandez pour la gar- de de cette porte ; mais ils n'ont ordinairement pour armes qu'une baguette à la main. On entre d'abord dans une grande cour beaucoup plus lon- gue que large j à droite font les infirmeries j à gauche les logemens des Azancoglans , c'eft à di- re des perfonnes deftinées aux charges les plus vi- les du Serrail ; la cour des Azancoglans renfermé les chantiers pour le bois qui fe brûle dans le Pa- lais ; on y en met tous les ans quarante mille voyes , & chaque voye eft une charretée que" deux bufles out peine à tirer. Tout le monde peut entrer dans la première cour du Serrail } les domeftiques &c les efclaves des Pachas & des Agas qui ont affaire à la Cour j y reftent pour attendre leurs maîtres , & pren- nent foin de leurs chsvaux -, mais on y entendroit $ pour ainfi dire , voler une mouche } &c fi quel- qu'un y romgoit le filençe par un ton de voix ùii peu trop élevé ; ou qu'il parût manquer de refpe6fc pour la maifon du Prince , il fercit batonné fur le champ par les officiers qui font la ronde : il femble même que les chevaux connoiiTent où ils font j (Se fans doute ils font drelîez à y marche* .jplus doucement que dans les rue's. O i) ZI1 V O 1r À G 2 Les infirmeries font deftinées pour les rnaïâ- des de la mai Ton j on les y conduit dans de petits- chariots fermez & tirez par deux hommes. Quand la Cour eft à Conftantinople , le premier viicde- cin & le premier chirurgien y font leurs vilîtes tous les jours , & l'on allure que l'on y prend grand foin des malades : on dit même qu'il y en a pluficurs qui ne font pas trop incommodez , ÔC qui n'y vont que pour s'y repofer & pour y boi- re du vin j l'ufage de cette liqueur défendue fe- vérement par tout ailleurs , eft toléré dans les infirmeries , pourvu que l'Eunuque qui efl à la porte ne furprenne pas ceux qui le portent : car en ce cas le vin eft répandu par terre , & les por- teurs font condamnez à deux ou trois cens coups de bâton. De la première cour , on pafTe à la féconde j fon entrée eft au fli gardée par 50. Capigis. Cette cour eft quarrée d'environ 300. pas de diamètre, mais plus belle & plus agréable que la première > les chemins en font pavez & les allées bien entre- tenues : tout le refte eft en gazon fort propre » dont la verdure n'eft interrompue que par cfcs fontaines qui en entretiennent la fraîcheur. Le threfor du Grand Seigneur & la petite Ecurie font à gauche, & l'on y montre une fontaine où l'on failoit autrefois couper la tête aux Pachas con- damnez à mort : les offices & les cuifines font à droite, embellies de leurs dômes , mais fans che- minées : on y allume le feu dans le milieu, & la fumée parte par des trous dont les dômes font percez : la première de ces cuifines eft deftinée pour le Grand Seigneur , la féconde pour la pre- mière Sultane , la troifiéme pour les autres Sul- tanes , la quatrième pour le Capi-Aga ou coin- du Levant. Lettw X 1 1. 213 mandant des portes: dans la cinquième on prépare à manger pour les miniftres qui fe "trouvent au Divan ; la fixiéme eft pour les pages du grand Sei- gneur , que l'on appelle les Ichoglans , la feptié- me eft pour les officiers du Serrail , la huitième pour les femmes & les filles qui fervent dans ce palais , la neuvième pour tous ceux qui font obli- gez de fe trouver dans la cour du Divan les jours de Juftice. On n'y apprête guéres de gibier , mais outre les quarante mille bœufs que l'on y confom- me tous les ans , frais ou falle2 , les pourvoyeur» doivent fournir tous les jours 200. moutons, 100. agneaux ou chevreaux , fuivant les failons , 10. veaux , 200. poules , 200. paires de poulets , 100. paires de pigeons , ^o. oifons. Voila pour nourrir bien du monde. Tout à l'entour de la cour , re^ne une paierie allez balle , couverte de plomb , ck foûtenuë par des colonnes de marbreril n'y a que le Grand Sei- gneur qui entre à cheval dans cette cour , c'eft pour cela que la petite écurie s'y trouve -, mais il n'y a de place que pour environ 30. chevaux ; on ferre les harnois dans des fales qui font au def- fus , & ce font les plus riches harnois du monde, par la broderie Se les pierres prétieufes dont ils font relevez. La grande écurie dans laquelle on entretient environ mille chevaux pour les offi- ciers du Grand Seigneur , eft du côté de la mer fur le Bofphore. Les jours que les Amballadeurs font reçus à l'audience , les Janillaires propre- ment vêtus fe rangent à droite fous la galerie. La fale où fe tient le Divan, c'eft à dire où l'on rend la juftice , eft à gauche tout au fond de cette cour : à droite eft une porte par où l'on entre dans l'intérieur du Serrail ; le partage n'en O iij H4 V o y a g e eft permis qu'aux pciTonnes mandées : pour îà fale du Conleil ou Divan 3 elle eft grande, mais bafTe , couverte de plomb , lambrilîée Se dorée allez fimplement à la Morefquc. On n'y Voit qu'un grand tapis étendu fur l'eftrade où fe mettent les officiers qui compolent le Confeii ; c'eft-là que le grand Vifîr aiîifté de fes Confeillers s juge fans appel de toutes les caufes civiles & criminel- îes : le Caimacan tient fa place en fon abfence , & Ton y donne à manger aux Ambafladeurs le jour de leur audience. Voilà tout ce qu'il eft li- bre aux Etrangers de voir dans le Sei rail : pour pénétrer plus avant , la curiofité coûteroit trop cher. Les dehors de ce Palais du côte du port 5 n'ont rien de remarquable que le idole ou pavillon qui eft vis à vis de Galata : ce pavillon eft foûtenu par douze colonnes de marbre , il eft lambrilfc s peint à la Perfienne , & richement meublé. Le Grand Seigneur y vient quelquefois pour avoir le plaifir de remarquer ce quife palfe dans le port, ou pour s'embarquer lorfqu'il veut fe promener fur le canal. Le pavillon qui eft du côte du Bof- phore , eft plus élevé que celui du port , & il eft bâti fur des arcades qui foûtiennent trois fa- lons terminez par des dômes dorez. Le Prince s'y vient divertir avec fes femmes & fes muets ; tous ces quais font couverts d'artillerie 3 mais fans affufts : la plupart des canons font braquez à fleur d'eau ; le plus gros qui eft celui qui obli- gea , dit-on , Babylonne à fe rendre à Sultan Mourat , eft par diftinction dans une loge partial- Jiere. Cette artillerie fait grand plaifir aux Maho- metans s car on la tire pour les avertir que le ca- rême eft fini , & qu'il ne faut plus jeûner : on U o v L e v a. w t„ Ltttre X I î. tif Recharge auili les jours de réjouififance , ôc pour les conquêtes des Sultans ou de leurs ge-; • îieraux» Quand le Grand Seigneur eft à Conftantinople, îl s'amufe quelquefois à obferver de ce Kiofc les a cérémonies ridicules que font les Grecs le jour de la transfiguration , à une b fontaine qui eft auprès. Non feulement ils croyent que cette £au ^uerit la hévre : mais encore les maladies les plus fàclicufes tant prefentes que futures. C'eft pour cela qu'ils ne le contentent pas d'y ame- ner les malades pour les faire boire , ils les en- terrent dans le fable jufquesau col ôc les déter- rent un moment après : ceux qui fe portent bien c'y lavent , & boivent jufques à ce qu'ils rendent l'eau toute claire par le fondement. Toute la Grèce eft remplie de pareilles fontaines j mais ces fortes de four ces ne font pas minérales , el- les doivent leur réputation à la crédulité des peuples. Il y a une grande fenêtre proche de cet- ce fource , par où l'on fait paffer la nuit ceux que l'on a étranglez dans le Scrrail , & l'on tire autant de coups de canon que l'on jette de perfonnes dans l'eau. Les remifes des caiques , des cha- louppes , &c des petites galères deftinées pour les promenades du Grand Seigneur , font proche ces KÎofcs , 6c font commifes aux foins du Bof- tangi-Bachi ; on s'en fert pour aller fe prome- ner au Serrail de Scutari ou à Fanari KÎofc *, ces bâtimens dont le Boftançi-Bachi tient le timon , quand le Grand Seigneur les monte , tont très légers & très propres ; il n'y a pas jufques aux ra- mes qui ne foient peintes & dorées. Fanari-idofc * Ramczan ou Ramazan. b AyiWfca , la Fontaine Sainte. O iiij %-i 6 Voyage eft un pavillon que Solyman I I. fit bâtir an pied du fanal qui eft fur le cap de Chalcedoine i on dit que ce pavillon cil: tout à fait charmant , & que (es jardins font plus beaux &c mieux enten- dus que ceux du Serrail. Nous entrâmes dans le port , après avoir veu la fontaine des Grecs , & nous allâmes nous pro- mener du côté d'Ayva-Serai , qui (îgnifie le Ser- rail des Miroirs : fon enceinte n'eft pas grande , & la * place où les Turcs s'exercent à tirer de l'arc , fe trouve derrière Tes murailles. Il y a près de là une efpece de tribune où les Turcs viennent comme en proceiîion la veille des grandes batailles prier pour le falut de l'armée. On y vient aufîi quelquefois pour fuppiier le Seigneur de faire cclfer la pefte , mais c'eft lorsqu'elle fait des ravages extraordinaires : c'eft à dire lorfqu'U meurt dans la ville mille ou douze cens perlonnes par jour. En continuant nôtre promenade dans le port , on nous fit remarquer des pieux enfoncez dans l'eau pour faire connoître jufques où les plus grands vairTeaux peuvent donner fond. De là nous finies le tour du cul de fac des eaux douces , & palïantà la veuc de Validé Serai , nous nous ran- geâmes fur la côtedeCa(lim-Pacha,où l'on trouve d'abord Ayna- Serai ou le Serrail des Coignajjiers , qui eft tout prés de l'Arcenal de la marine appel- le Ters-hana , des mots Perfiens Ter s vairTeaux, ôc HanaWtxx de fabrique. Mahomet I I. fit creufer le port dans ecz endroit-là5& il y bâtit l'Arcenal & les remifes des galères : on y conftruit aujour- d'hui les bâtimens du Grand Seigneur : nous y comptâmes 28. beaux vaiiïeaux , depuis 60. juf- a Ocmcidan, nu Levant. Lettre XII. 217 qucs à ico. pièces de canon. Il 'y a 120. remifes voûtées où les ealercs font à couvert ; les maça- fins & les attelicrs du Grand Seigneur font bien fournis 6V bien entretenusttout eft ioûmis aux Ca- pican-Pacha dans ce quartier-là. Les principaux officiers de marine y logent , & l'on y voit peu de Chrétiens , fi ce n'eftles forçats & lcsefclaves qui font dans le Bagno , c'eft à dire dans une des plus arrreufes prifons du monde , fîtuée entre Ayna-Sera'i & l'Arfcnal. Il y a trois chappelles dans cette prifon , une pour les Chrétiens du rite Grec , & deux pour ceux du rite Latin ; l'une de celles-ci appartient au Roi de France , l'autre cil à i'ufage des Vénitiens , des Italiens , des Al- lemans , & des Polonois : les Miiîionaires y con» feilent , difent la m elfe , adminiffcrent les facre- mens , font les exhortations avec pleine liberté , en donnant quelque petite gratification au com- mandant du Bagno. C'eft le Capitan- Pacha qui le nomme , car il eft comme iouverain dans ion département , &C ne rend compte de fa conduite qu'au Grand Seigneur , ce qui rend la charge une des plus belles de l'Empire. Du faux- bourg appelle CaiTun-Pacha , on pai- fe au travers de quelques cimetières pour venir à Galata , qui eft le plus beau faux-bourg de la ville , dont il faifoit autrefois la treizième région. * Ce faux-bourg eft bâti au de-là du port vis-à- vis du Serrail, dans un quartier qui portoit le nom des figuiers 3 que l'on y cultivoit en abondance. b Juitinien répara ce faux-bourg , & lui donna le çtM-movTnMtq x.*n. n% Voyage nom de Juftiniane : on ncfçait pas d'où lui vient le nom'de Galata qu'il prit quelque temps après la mort de cet Empereur , il ce n'eft qu'on le faife dériver , avec Tzetzés , des Galates ou Gaulois qui traversèrent le port vers ce lieu-là ; mais ce partage eft. beaucoup plus ancien que le nom de Galata, 8c la penfée de Codin çi\ plus vraîfem» biable. a II tire ce nom d'un Gaulois ou Galate , comme parlent les Grecs , qui s'établit dans ce faux-bourg , que les Grecs appelèrent Galatou , & puis Gaiaca. Les Grecs de Conftantinople cro- yent par une efpece de tradition que Galata vient de Gala , qui dans leur langue fignifle du lait ; ainfi cet endroit de la ville fut nommé le Faux- bourg du lait , parce que les laitières qui l'ap* ponoient à Conllantinople y îogeoient ; de même qae félon quelquc-uns la pointe du Serrail fut appelles Bofphore , à caufe du marché aux bœufs, Galata forme l'entrée du port du côté du nord , & c'eft là que l'on tendoit la chaîne qui le fer- moi t : cette chaîne prenoit de la pointe du Ser- rail au château de Galata , qui fans doute étoic bâti fur le cap oppofé. Xiphyiin n'a pas oublié cette chaîne dans la defeription qu'il a donnée après DionCaHius du iiegc de Byzance fait par l'Empereur Severe. Léon l'ifauiien , à ce que die Theophane , fit détendre cette chaîne , lorf- que les Sarrafins fe prefentérent pour aflieger Conftantinople , & c'eft ce qui les obligea d'a- bandonner leur deflein ; car ils appréhendèrent qu'on ne la tendît après qu'ils feroient entrez dans a «PpcJ^v ruv T^-^ârev. Kf-çi^iOv^.o rtebû-nv , & non pas r«>«T*y. TheoùffitH, "Tcà rctbânv n*3û%fi0r. Qrtgnvs^ Ilo>«» rctXtcriyti t*? no r«A«T« Ççji>Q/.ot. fachyt». Dur tas. Fhranz,, du Levant. Lettre XII. 219 îe port , & qu'on n: les y enfermât. a Mîchel le Bègue au contraire s'en fervit pour empêcher Thomas d'y pafler. b conftantin Paleologue le dernier des Empereurs Grecs , oppofa cette chaî- ne à la flotte de c Mahomet I I. & ce grand con- quérant , tout fier qu'il étoit , n'ofa pas entre- prendre de la faire couper , ou de la forcer : il fit exécuter quelque chofe de plus extraordinai- re , car on traîna par Tes ordres à force de bras 70. vailfeaux , & quelques galères fur la colli- ne du côté de Pera , dont un corps d'armée occu- poit les hauteurs, On équipa tous ces bâtimens, ik on les lança dans le port tous chargez d'ar- tillerie. Galatacft défendu par des murailles allez bon- nes , flanquées de vieilles tours : mais ces mu- railles ont été abbatuës & rétablies en differens temps. Michel Paleologue s'étant rendu maître de Conftantinople par la valeur du Strategopuie , ou petit gênerai qui obligea Baudouin 1 I. le dernier Empereur François de fe retirer , donna cette place aux Génois, avec lefqucls il avoit fait alliance : ce fut après en avoir razé les mu- railles , comme le rapportent d Pachymere &c e Gregoras. L'Empereur aima mieux fe débara!fer de gens auiîî habiles que les Génois , Ôc les ren- coigner dans ce quartier, que de les laiflTer dans Il6l. Conftantinople , d'où ils l'auroient peut-être chât- ie lui-même. { La donation fe fît aux conditions 2™**". in mari progicdcrciuur. * Chalcocmd. lib.Z. Leuncl. HiJÎ. Mufulm.^g. Hinc juxta Galaram ultra 574-6' 576. collem quemdam monti u.Vacbym. c Lib. 6. & '#. '• X roi [fard. 1.9. C 5. $.Vûi. CAp. II. c Grcgor. lib. XI, du Levant. Lettre Xïî. ut & même les Tartares à fe retirer j a mais enfin les Génois cédèrent à la force , & leur Podeftac remit les clefs de la place à Mahomet 1 1 le même jour de la prife de Conftantinople. Il refte encore fur la tour de Galata quelques armes & quelques inferiptions des Seigneurs de cette nation : les Turcs lailïent périr ces for- tes de monumens , mais ils ne les abbatent pas 3 à moins qu'ils n'ayent befoin de matériaux pour bâtir des Mofquées , des bazars , ou des bains , car alors ils n'épargnent rien. Galata eft partagé en trois quartiers depuis CaiTun-Pacha jufques à Topana : les murailles & les tours qui féparent ces quartiers fubfiftcnt encore , mais comme l'on a bâti des maifons contre la muraille qui defeend depuis la tour de Galata à la marine jufques à la Douanne où il y a une tour ronde ; & que d'ail- leurs les portes de Galata font toujours ouvertes, l'on y pafle fans remarquer la différence des quar- tiers. Le quartier de Hafap-Capi , commence du côté de Caliun-Pacha , Se finit à la mofquée des Arabes , où fe termine la muraille de féparation qui tire de la tour de Galata vers le fud-oueft : de-là jufques à la douanne c'eft le quartier qu'on appelle Galata de la douanne, & la muraille de iéparation monte vers la grande tour de Galata du midi , tirant au nord. Cara-cui eft le troifié- me quartier qui aboutit à Topana. La Mofquée des Arabes étoit une E^life de Dominicains, bâtie du temps & par les foins de Saint Hyacinthe , qui avoit aufïi contribué à l'é- Tabliiïement d'une Eglife de fon Ordra à Conftan- tinople : mais on n'y voit plus que deux colonnes a 1453. 28, Juin. Ch(tlc9tmd. /.8. Dhcas. c.}?, 4Z. Phrw^ l.l.c 18. iii Voyage de marbre d'environ 15. pieds de haut , qui for- ment la porte de la maifon d'un Turc : la Mof- quée des Arabes fut conrifquée fur les Domini- cains , il y a jenviron 100. ans , pour fervir aux Mahometans Grauadins : on n'y a fait aucun chan- genient;les vitres ôc les inferiptions gothiques font encore fur les portes ; le clocher qui eft une tour quarrée,leur fert de minaret. Les Dominicains ont encore une Eglife à Galata dédiée à Saint Pierre , ils en font en porTefiion depuis plus de 500. ans. Les Capucins François y ont depuis environ 100, ans une Eglife fous le titre de Saint George , elle appartient aux Génois. Les Grecs ont trois Eglifes dans la quartier de Cara-cui , & les Armé- niens y en ont une qui s'appelle Saint Grégoi- re. Les Latins y poiledent celle de Saint Be- noiit,qui étoit aux Bénédictins du temps des Gé- nois ; mais elle fut donnée aux Jefuites par la communauté de Pera. Les Recolçts ou Zocalanti avoient depuis prés de zoo. ans une Eglife dé- diée à Sainte Marie , avec droit de Parroiffe , ils fe tiennent à prefent à Pera tout contre l'hofpice des Pères de la Terre-Sainte : ceux-cy ne re- çoivent perfonne dans leur chapelle , n'étant à Conftantinople que pour les affaires des faints li^ux. Les Cordeliers étoient curez à Galata de- puis 400. ans , mais leur Eglife , depuis que le feu s'y prit , a été convertie en Mofquée , que les Francs appellent la Mofquée de Saint Fran- çois 3 & les Turcs la Mofquée de la Validé qui règne à prefent , & qui a contribué à la faire rebâtir. Cette Eglife n'a été perdue que par la faute des Religieux Italiens , dont la vie n'é- toit pas régulière $ on vendoit chez eux du via & de Peau de vie : c'eft le négoce que les Turcs du Levant. Lettré Xî I. 225 abhorrent le plus. Ils ont affecté cie mettre dans les lettres parentes de fondation , qu'Us avoient converti un lieu de jcandale & d'abomination , en une maison du Seigneur. Les Cordeliers le font retirez à Pera dans une maiton proche du palais de Fiance , ils n'ont encore pu obtenir aucune place en compenfation de celle qu'ils ont perdue" à Galata ; & en attendant comme ils n'ont pas perdu le titre de curez, ils reçoivent leurs paroif- îîcns dans une chambre de leur mai Ton dont ils ont fait une chappelle : leur Supérieur eft vicai- re du Patriarche de Conftantinoplc , qui eft or- dinairement un Cardinal. L'Archevêque de Spiga3 Cordelier faifanr fonction de vicaire patriarcal , mourut a Pera dans le mois d'Août 1705. j'ai ap- pris cette circonstance par Mr l'Abbé Michae- lis , homme d'efprit & d'érudition , qui a bien voulu m'éclaircir fur plufieurs chofes concernant Conftancinople. On goûte dans Galata une efpece de liberté , qui ne fe trouve gucres ailleurs dans l'Empire Othoman. Galata eft comme une ville Chrétien- ne au milieu de la Turquie , où les cabarets font permis , & où les Turcs même viennent; boire du vin : il y a des auberges à Galata pour les Francs , on y fait bonne chère. La halle aux poil- fons mérite d'être veu'é &c nous parut plus belle que celle qui eft de l'autre côté du port en allant à fainte Sophie : celle de Galata eft une longue rue , où l'on étale de chaque côté les plus beaux &c les meilleurs poilîons du inonde. On monte de Galata à a Pera qui en eft comme le faux-bourg, Se que l'on a confondu autrefois fous le même nom. Ptra eft un mot Grec qui a ïliy, } u&ns , ulcrà. i.%4 Voyage fignifie au delà ; Se les Grecs de Conftantinople qui veulent palTer au de-là du port , fe fervent: encore de ce mot , que les étrangers ont pris pourtour le quartier. Ce quartier comprenant Gaiata & Pera , a été nommé a Peréc par Ni- cetas , par Gregoras , par Pachymere , & fim- plement Pera par les autres Auteurs ; mais on dif- tingtie aujourd'hui Pera de Gaiata, &Peran'cft précifément que le faux-bourg fîtué au de-là de lapoitede cette ville. b Les Grecs appellent aufli les bateaux de trajet. Peîramidia , & par cor- ruption les Francs les nomment Perrnes. La fitua- tion de Pera eft tout à fait charmante , on décou- vre de là toute la côte d'Aile & le Serraildu Grand Seigneur, Les AmbafTadeurs de France , d'An- gleterre , de Venife , & 'de Hollande , ont leurs Palais dans Pera : celui du Roy de Hongrie , "car l'Empereur ne l'envoyé proprement que fous ce titre ; ceux de Pologne de de Ragufe logent dans Conftantinople, Nous avons parlé ci-devant du Palais de France , c'eft une belle maifon , dont la chapelle eft défervie par les Capucins Fran- çois , qui font les curez de la nation : ils font auili les maîtres des enfans de langue : c'eft ainfî qu'on appelle quelques jeunes gens que le Roy fait élever à Conftantinople , pour y être inftruits par ces Pères dans les langues Turque , Arabe & Gréque ; afin que dans la fuite ils puiftent fervir d'interpretes aux Confuls François dans les échel- les du Levant. Les marchands étrangers ont leurs maifons & leurs magafins dans Pera aulîi-bien que dans Gaiata, peile-mefle avec les Juifs , les Grecs, les Arméniens * ôc les Turcs. Il y a 3 Iliçailx. b lii&n* , trajet , paiTâgc : ifi&.pifo* , bateau de palTag«*. du Levant* Lettre XII. 11$ Un Serrail au haut de Pera à la veuë du palais de France j ce Serrail eft un grand corps de logis quatre ôc bien bâti , où l'on élevoit les- #nfans de tribut, c'eft-à-dire ceux que les officiers du Qrand Seigneur choifiiîbient dans les familles des Grecs qui font -en Europe , pour fervir auprès de fa Hau- tefTe ^ après les avoir faits Mufulmans , ôc qu'ils ctoient inftruitsaux exercices convenables. Com- me on ne lève plus cette efpece de tribut , ce Serrail n'eft pas habité \ on n'y met feulement quelques gardes , mais on le laiflfe dépérir. On defeend de Pera à Top-hana ou Topana * qui eft: encore un autre faux-bourg fur le bord de la mer au deilus de Pera ôc de Galata, tout à l'en- trée du canal de la mer Noire , où la plupart des gens fe rendent pour s'embarquer quand ils veu- knt'aller fe promener fur l'eau. On l'appelle To- pana, comme qui diroit Arcencd^ow maifon du ca* non : car top en Turc fignifie canon , ÔC hana li- gnifie maifon ou lieu de fabrique. Rien n'eft fi a- gréable que l'amphithéâtre que forment les mai- ions de Galata , de Pera , ôc de Topana s il s'é- tend du haut des collines jufques à la mer. To- pana eft un peu plus élevé que les autres j mais il eft plus petit. Mezomorto qui étoit Capitan- Pacha en 170 1. y avoit fait bâtir un beau Serrail. On voit à cent pas de la mer l'Arcenal où l'on fond l'artillerie ; c'ell une maifon couverte de deux dômes , laquelle a donné le nom à tout le quartier : les Turcs fondent de fort bons canons 5 ils employent de bonne matière, ôc gardent d'affez juftes proportions , mais leur artillerie eft toute fimple ôc fans ornemens. > Les Turcs n'ont pas de goût pour le detTein - & n'eu auront jamais , parce que fuivant letj Tome II. P ii6 Voyage religion il leur efl: défendu de deiîiner des figures ? c'eil cependant fur les figures que l'on fe forme le goût , foie pour la fculpture foit pour la pein- ture ; ainfi les Turcs ne profitent pas des morceaux d'antiques qui reftent chez eux. Ceux de Conf- tantinople le reduifent à deux obelifques Se à quelques colonnes , il y a auffi quelques bas-re- liefs aux fept tours. Les obelilques lont dans la place de i'Atmeidan , qu'on appelloit l'Hyppo- drome fous les Empereurs Grecs : a c'etoit un cir- que que l'Empereur Severc commença , & qui ne fut achevé que par Conftantin j illervoit pour les courfes de chevaux, & pour les principaux fpec- tacles -, & les Turcs n'ont prefque fait que tra- duire le nom de cette place en leur langue , cair at chez eux (îgnifie un cheval , & meià&n une pla- ce j comme qui diroit la place aux chevaux , elle a plus de 400. pas de longueur fur 100. pas de largeur. Ordinairement le vendredi aufortir de la Mof- quée , les jeunes Turcs qui fe piquent d'adrefie , s'allemblent à I'Atmeidan , bien propres & bien montez , & fe partagent en deux bandes qui oc- cupent chacune un des bouts de la place. A cha- que fignal qui fe fait , il pan un cavalier de cha- que côté , qui court à toute bride un bâton à la main en forme de zagaye -y l'habileté confifte à lancer ce bâton & à frapper fon adverfaire , ou à éviter le coup : ces cavaliers courent 11 vite , qu'on a de la peine à lesfuivre des yeux. Il yen a d'autres qui dans ces courfes précipitées parlent par deflous le ventre de leurs chevaux , Se fe re- mettent fur la fclle ; quelques uns defeendent 8C remontent après avoir amalTc ce qu'ils ont lailTé * Ctd'm. & G 1% cas. bu Levant. Lettre Xlh 127 tomber à delfein , tandis que leurs chevaux ne celfent de courir \ mais ce qu'il y a de plus furpre- nant, c'eft d'en voir qui renverfez fur la crou- pe de leurs chevaux, courans tant que le cheval peut aller , tirent une flèche > 8c donnent dans l'un des fers de derrière de leur même cheval : il faut avouer aufïi qu'il n'y a pas de chevaux plus vices 8c qui partent mieux de la main , mais ils n'ont pas de bouche naturellement ; ou peut être eft-cè faute de bons mors , qu'il leur faut un grand ter- rein pour tourner. L'Obelifque de granit ou pierre thébaique elfe encore élevé dans l'Atmeidan : a c'eft une pyrami- de à quatre coins , d'une feule pièce t haute d'environ jo. pieds , terminée en pointe, chargée de ces cara&es 8c figures que l'on appelle hiéro- glyphes , 6V que l'on na connoît plus ; cependant l'on juge bien par là qu'elle eft fort ancienne j 8C qu'elle a été travaillée en Egypte. Les inferiptions gréque 8c latine qui font à fa bafe , marquent que l'Empereur Theodofe la fît relever après qu'elle eut refté long-temps à terre ; les ma- chines mêmes que l'on y employa pour la mettre fur pied , font reprefentées dans un bas-relief , 8C l'on voit dans un autre la place de l'Hyppodro- me telle qu'elle étoit , lorfque l'on y faifoit les courfes chez les anciens. b Nicetas dans la vie dé Saint Ignace Patriarche de Conftantinople , re- marque que cet obeiifque étoit furmonté par une pomme de c Pin de bronze > qui fut abbatue* par un tremblement de terre. A quelques pas de4à fe vôyent les reftes d'uii a Ttîpfcsràtt/^s potier, c Xa^KS"» çf&ttoat, b Nicet0i Priphlag, Pi) ii8 Voyage autre a obelifque à quatre faces , bâti de différera tes pièces de marbre,la pointe en cil tombée. & le refte menace ruine : cet obelifque étoit couvert de plaques de bronze , comme il paroît par les trous faits pour recevoir les pointes qui les at- tachoient au marbre. Sans doute que ces plaques étoient relevées de bas reliefs & d'autres orne- mens : car l'infeription, qui fe lit dans la bafe , en parle comme d'un ouvrage tout à fait merveilleux. Bondelmont dans fa defeription de Conftantinople, donne 14. coudées de haut à l'obelifque de granit, & 58. coudées à celui-ci : peut-être même qu'il foùtenoit la colonne de bronze aux trois ferpens. J'ai traduit l'infeription , qui fait mention de cet admirable obelifque. L'Empereur Conft an- tin a prefent régnant > père de Romanus la cloirs de l'Empire , a reniu bien plus merveilleufe qu'elU n' étoit cette admirable pyramide quarrée 3 que le temps avoit détruite , & qui eft chargée de chofes fublimes , car l'incomparable Colojfe étoit a Rhodes^ & ce bronze furprenant fe trouve ici. On ne fçait ce que c'étoient que ces choies fublimes , ni quel rapport avoit cet ouvrage avec le Coloflfe de Rhodes , fi ce n'eft peut-être que c'étoient deux merveilles3chacune dans leur genre» Voilà une grande énigme. La colonne de bronze aux trois ferpens îVeft pas mieux connue : elle eft d'environ ij. pieds de haut , formée par trois ferpens tournez en fpiralc comme un rouleau de tabac ; letfrs con- tours diminuent infenfiblement depuis la bafe jufques vers les cols des ferpens > & leurs têtes écartées fur les cotez en manière de trepié, com- pofoient une efpece de chapiteau. On dit que Sul- * CeloJJus firuftilis. du Levant. Lettre XII. xi$ tan Mourat avoir caffé la tête à un de ces fer- pens : la colonne fut renverfée ôc les têtes des deux autres furent cariées en 1700. après la paix de Carlovitz. On ne fçait ce qu'elles font devenues , mais le refte a été relevé , & fe trouve entre les obelifques , à pareille diftance de l'un & de l'au- tre : cette colonne de bronze eft une pièce des plus anciennes , fuppofé qu'elle ait été apportée de Delphes , où elle fervoit à foûtcnir ce fameux trepié d'or que les Grecs,après la bataille de Platée, firent faire d'une partie des threfors qu'ils trouvè- rent dans le camp de Mardonius, à qui Xerxés en s'enfuyant de Grèce , avoit laifle des richerTes im- rnenfes. Ce trepié d'or , a dit Hérodote , étoit porté fur un ferpent de bronze à trois têtes : il fut confacré à Apollon, ôc placé auprès de l'Autel dans ion temple de Delphes. Paufanias General des Lacedomoniens à la bataille de Platée, fut d'a- vis qu'on donnât cette marque de reconnoiflànce au Dieu des oracles. b Paufanias le Grammairien , qui étoit de Cefarée en Cappadoce , &c qui dans le fécond fiecle nous a donné une belle description de la Grèce , fait mention de ce même trepié : après la bataille de Platée , dit-il , les Grecs firent prefent à Apollon d'un trepié d'or foûtenu par un ferpent de bronze. Il ne feroit pas furprenant que la colonne de bronze dont nous parlons fût ce fer- pent ; car outre Zozime & Sozomene qui afliï- rent que l'Empereur Conftantin fit tranfporcer dans l'Hyppodrome les trepiez du temple de Del- phes , Eufebc rapporte que ce trepié rranfporté par l'ordre de l'Empereur , étoit foûtenu par un ferpent roulé en fpire. Ceux qui prétendent que les ferpens de bronze * Lib. 9. b Pau/an. Pbocuic. P iij j,jO V O Y A G I de l'Hippodrome ont fervi de talifman , pour-, foient appuyer leur penlée fur la prière que les habitans de Byzancc firent à Apollonius de Thia- nç , d'en chafler les ferpens Se les feorpions , comme Glycas l'a écrit. C'étoit allez la pratique d'Apollonius de faire reprefenter en bronze les ficruresdes animaux qu'il pretendoit châtier -, car a Glycas allure aufli qu'il fit élever un fçorpion 4'airain dans Antioche pour la délivrer des feor- pions. Avant que de fortir de l'Hippodrome nous donnâmes encore un coup d'ceil fur la Mofquée neuve qui eft à gauche & fur le Serrail d'Ibra- him Pacha qui eft fur la droite , Se qui dans fon temps a été un des plus beaux bâtimens de Conf- tantinople. Dc-lâ nous allâmes dans la rue d'An- drinople Se dans le quartier de la Solymanie , où l'on nous montra la colonne brûlée : on a rai- fon de lui donner ce nom , car elle eft devenue jfî noire Se iî enfumée par les incendies des mai- fons voifines , qu'on a de la peine à distinguer de quelle matière elle eft. Cependant à l'examiner de prés 3 on s'aperçoit que les pierres qui la com- posent , font de porphyre , Se que les jointures en font cachées par des cercles de cuivres. b On Croit qu'elle foutenoit la figure de Conftantin , Çc l'infeription qui eft tout au haut & que nous n'eûmes pas le temps de copier , marque c que cet ouvraçe admirable ,fut rejiauré far le très -pieux Empereur Manuel Comnene. Glycas rapporte que fur la fin de l'empire de Niccphorc Botoniate , qui fut razé & mis dans un cloître, le tonnerre ab- battit la colonne de Conftantin , qui foutenoit a Annal. Glyc.'ptrt. }. c Annal. part' 4. du Levant. Lettre X 1 1. 13 r la figure d'Apollon , à laquelle on avoit donné le nom de cet Empereur. La colonne qu'on appelle Hiftorique n'eft pas d'une matière Ci précieule, puilquc ce n'eft que du marbre blancauais elle eft edimable par fa hauteur qui eft de 147. pieds & par Tes bas-reliefs qui font d'un allez bon goût pour ce temps-là ; c'eft dommage que le feu les ait maltraité .-ils repré- sentent les victoires de l'Empereur Arcadius : les villes conquîtes y paroillcnt fous la forme de fem- mes , dont les têtes font couronnées de tours : les chevaux en font allez beaux & ne font pas tort à la main du fculpteur ; mais l'Empereur €11 dans une efpece de fauteuil avec une robe & une fourrure , qui approchent fort de celles d'un Profeifeur en droit. Le Labarum eft au defïus de fa tête foutenu par deux anges avec la devife des Empereurs Chrétiens. a J. Chrlji efl vain- queur. Pour la colonne de Marcian quoiqu'elle foit de granit ; ce n'eft pas un ouvrage fort re- cherché ; elle fait plus d'honneur à Mrs Spon & "Weheelerquî l'ont découverte les premiers , qu'à Tatianus qui l'avoit dreflée pour foûtenir la fta- tue , & peut-être l'urne où l'on avoit mis le cœur de l'Empereur Marcian. Il eft furprenant que cette colonne ait échapé à la curiosité de Mr Gil- les dans fon exa&e defeription de Conftantinople : cette colonne eft dans la cour d'un particulier , proche la rué d'Andrinople , auprès des bains d'Ibrahim Pacha. Après avoir bien confideré cette rue la plus longue & la plus large de ia ville , ordinaire- ment on va fe promener aux Bafars ou Bezeftins qui font les lieux où fe vendent les plus belle* * I. x. N I k. A. P iiij '*}t Voyage marchandifes. Le vieux & le nouveau Bafar ne font pas éloignez l'un de l'autre : ce font de grands bàtimens quarrez , couverts de dômes revêt-us de plomb , foutenus par des arcades & des pilaftres. Il y a peu de marchandifes fines dans le vieux a Bafar, bâti par ordre de Mahomet H. en 1461. mais on y vend des armes &: fur tout des fabres & des harnois de chevaux : on y en trouve d'en- ïichis d'or , d'argent & de pierreries. Le Bafar neuf eft deftiné pour toutes fortes de marchan- difes ; quoiqu'il n'y ait que des boutiques d'orfè- vres , on y vend auili des fourrures , des veftes , des tapis , des étoffes d'or , d'argent , de foye , de poil de chèvre : les pierres précieufes 6c la porce- laine n'y manquent pas. On travaille à le rebâ- tir depuis quatre ans : non feulement les voûtes feront toutes de briques , mais il fera beaucoup mieux éclairé qu'il n'étoit : on y fait même des appartemens en divers endroits pour les officiers qui font la garde &c la ronde jour & nuit. Les marchandifes font en grande feurcté dans ces lieux ; les portes en font fermées de bonne heu- re. Les Turcs vont coucher chez eux dans la yille ; mais les marchands chrétiens & les juifs fe retirent au-de-là de l'çau , ôc reviennent le lende- main au matin. Le marché aux efclaves de l'un & de l'autre fexe n'eft pas loin de là : ces malheureux y font affis dans une pofture affez trifte ; avant que de les marchander , on les conlidcre de tou3 co- tez, on les examine , on leur fait faire l'exercice (de tout ce qu'ils ont appris ; & bien fouvent tout cela fc fait plu/îeurs fois dans la journée , fans que l'on conclue le marché : 1res hommes & mé> S Dacas. hifi.Byz,. cap, 4 y. du Levant. Lettre X 1 1, i$$ me les femmes aufquellcs la nature a rcfufé des charmes , font deftinées pour les fervices les plus vils ; mais les filles qui ont de la beauté ôc de la jeunelfe ne (ont malheureufcs qu'en ce qu'on ks oblige ordinairement à fuivre la religion du pays. On va les choifir chez leurs maîtres , ôc ces maî- tres qui font des juifs, prennent grand foin de leur éducation , afin de les mieux vendre : car il cil du marché aux efclaves , comme du marché aux chevaux où l'on n'amené pas fouvent les plus beaux : il faut aller chez les juifs pour voir de belles perfonnes : ils leur font apprendre à dan- fer 3 à chanter , à jouer des inftrumens , ôc ne leur laiifent rien négliger de ce qui peut infplrer de la tendrelfe. On y voit des filles fort aimables, qui fe marient avantageufement ôc qui ne fe ref- fentent plus de l'efclavage ; elles ont la même liberté dans leurs maifons que les Turques de naiflance. Rien n'eft fi plaifant que de voir venir incelTam- ment de Hongrie , de Grèce , de Candie , de Ruiîie , de Mengrelie ôc de Géorgie une pro- digieufe quantité de filles deftinées pour le fer- vice des Turcs. Les Sultans , les Pachas ôc les plus grands Seigneurs choililfent fouvent leurs époufes parmi elles. Les filles que leur fort conduit dans le Serrait , ne font pas toujours les mieux partagées ; il effc vrai que celle d'un berger peut devenir Sultane , mais combien y en a-t-il 4e négligées par le Sul- tan. Après la' mort du Sultan, on les enferme pour le refte de leurs jours dans le vieux Serrail où elles féchent de langueur , fuppofé qu'elles ne foient pas recherchées par quelque Pacha. Ce vieux Serrail qui eft proche de la Mofquée de 2.J4 V O Y A G E Sultan Bajazet , fut bâti par Mahomet T I. On y confine ces pauvres femmes ou filles pour y pleurer tout à loifir la mort du Prince , ou celles de leurs enfans , que le nouveau Sultan fait quel- que fois étrangler : ce feroit un crime cie pleurer dans le Serrail où loge l'Empereur ; au contraire chacun s'emprelle d'y témoigner de la joye pour fon avènement a l'Empire. Les bateleurs & les joueurs de gobelets s'aflem- blent dans une grande place qui eit auprès de la tnofquée de Sultan Bajazet , Se y font des tours , à ce que l'on dit , très (ubtils ; nous n'eûmes pas le temps de les voir , il fandroit refter des an- nées entières dans Conftantinople pour s'informer de tout ce qui fe palfe dans cette grande ville , & nous n'y demeurâmes que peu de jours, pendant lefquels nous ne ceflâmes de courir. Malgré tou- te notre diligence, il ne nous fut pas pofîîble d'aller au a Château des fept tours , iîtué tout au bout de la ville du coté de la terre-ferme & de la nier de Marmara. Tout le monde fçait que ce château a pris fon nom de ces mêmes tours qui font couvertes de plomb : c'eft une efpece de baftille où l'on met en prifon les per formes de diftinction ; mais on alfeure qu'on en refufe l'en- trée aux étrangers, depuis que le Chevalier de Beaujcu qui y etoit prilonmer , trouva le iecret d'en fortir. Il avoit fait d,?s prïfcs fl conuderables fur les Turcs que le Grand Seigneur , pour fc vanner de fon cvafion , fit couper la tète au Gou. verneur du château. La porte dorée qui étoit la plus confiderable de Conftantinople fous les Empereurs Grées , fe trouve dans l'enceinte de cette prifon* a ETflctzropytoi Yedicoulc , feptem turres, « hx-^ôm^n iïf X^vï'qs irôprvs Ewm CovXkox. du Levant. Lettre XII. z$$ Procope afïure que Juftinien en fît paver le che- min pour le pa(îage des armées. Du temps des Empereurs Grecs , il y avoit à cette porte une efpece de château qu'on appelloit le a C âteay rond b Camacuzene qui fut Empereur pendant quelque temps , nous apprend qu'il le rendit ccfmme imprenable par les fortifications qu'il y fit faire , elles furent démolies par fon gendre Jean Paleologue , qui l'obligea de fe retirer dans un monafterc ; cependant comme Bajazet me- naçoit d'afïïeger la ville , Paleologue fortifia par de nouveaux ouvrages la porte dorée ; à pei- ne furent-ils achevez que c Bajazet par fes mena, ces le contraignit de les faire abbattre. Sans la guerre que ce Sultan eut à foûtenir contre Ta- merlan , il auroit fans doute afîiegé & pris Conf- tantinople : car Paleologue étoit trop foible pour l'en empêcher. d La conquête de cette ville étoit refervée à Mahomet 1 1. : c'cft lui qui fit met- tre le château en l'état qu'il cft aujourd'hui. Pour y garder fes threfors il fit ajouter trois tours à celles qui étoient à la porte dorée & la fît murer : ces trois tours font dans l'enceinte de la ville , car le côté de la porte dorée regarde la campagne : la place eft pentagone , mais pe- tite & fans folle du côté de Conftantinople. Nous avions grande envie d'aller voir les bas- reliefs qui font à cette porte. Mr Spon allure qu'il y en a trois principaux ; l'un defquels reprefente la chute de Phacton : le fécond , Hercule qui mené le Cerbère 3 & le troifiéme , Venus à qui a Kvx.^é«mi tyj\ K«s-sAi«i c Ducts cap. 4. Vftfù\ot. Theophan.Cedren. A Bucas. 48. ChalcocondyL b CantacHZ. lib. ^.cnp.^o. I. \q. Leunel. Pmd. Turc. & V* mm. il?. 1$6 V © y a « 1 Cupidon preftefon flambeau pour mieux décou- vrir les beautez d'un Adonis qui eft endormi : mais nos préférâmes la marche du Grand-Vifirà toutes ces curiofitez. Les étrangers qui ne doivent pas faire un long féjour dans Conftantinople , feroient blâmables s'ils negligeoient de voir ce fpedtacle ; nous en fumes éblouis , & cette céré- monie dura une demi journée : nous la vîmes bien à nôtre aife dans la rue d' Andrinople chez un par- ticulier , où deux Janiflaires de Mr l'Ambalîadeur nous avoient conduits. Tous les Pachas de l'Em- pire qui fe trouvèrent à Conftantinople accom- pagnoientà cheval le premier Vifir , dont toute la maifon étoit montée & équipée fuperbement : les autres Vifirs furent de la fête avec, les Be- glierbeys & les Sangiacs qui en pareille occafion font obligez de marcher avec tous leurs officiers & tous leurs domeftiques : les Agas ne manquent pas de s'y trouver , & l'on y voit encore pafTer en reveuë" tous les gens de loi qui ont affaire à ce Lieutenant gênerai de l'Empire : c'eft un vrai triomphe pour lui. On y voit les plus beaux chevaux du Levant , couverts de houftes traînan- tes jufques à terre , relevées en broderie a d'or & d'argent traits , qui durent des fiecles entiers , ôc qui font partie de l'héritage des familles ; le refte du harnois brille de pierreries. La différen- ce des turbans & des bonnets , fait une des plus agréables varierez que l'on puifle s'imaginer. Les fabres , les carquois , les flèches , les zagayes , les veftes , les fourrures , les riches dolimans j tout cela furpafTe la defeription qu'on en pour- roit faire. La feule chofe qui me choqua , c'eft que les officiers des plus grands Seigneurs , au * 2wçfl$c , aurum du&ilc. du Levant. Lettre XII. ï 37 lieu de piftolets , portent à a l'arçon de la felle de groffes bouteilles de cuir faites en piramide , qu'ils rempliflfent d'eau à toutes les fontaines que l'on rencontre fur la route. On peut s'imaginer de combien ces marches font augmentées quand le Sultan s'y trouve avec fa mailon. C'eil: en cela que les Empereurs d'Orient fe diftinguent des autres Potentats de l'Europe : cependant quelque éblouillantes que foient ces fortes de fêtes 3 la marche de nos Roys auroit quelque chofe de plus grand , fi lof fqu'ils vont à l'armée ou en voyage, ils fe faifoient ac- compagner par toute la famille Royale,& par tous les Seigneurs de la Cour 3 s'ils faifoient marcher toute leur maifon en ordre , les Princes , les Ducs 8c Pairs , les Maréchaux de France , les Gouver- neurs de Province , les Lieutenans de Roy &c. mais chaque nation a (es manières , & parmi les Princes d'Europe , ce n'eft pas la coutume de marcher avec tant de pompe. Quelques jours après Mr l'AmbaiTadeur me fît l'honneur de me fouffrir auprès de lui , quand il alla à l'audiance du Grand Vifir , qui étoit fous fes tentes , à une heure & demie de chemin de la ville fur la route d'Andrinople. Rien ne me fur- prit tant que ces maifons portatives \ elles font d'une beauté , d'une grandeur , d'une lichette , d'une magnificence prodigieufes ; les proportions, le delTein, les omemens, tout y eft d'un goût admi- rable. S. E. étant dans celle du Vifir , s'aflit fur un tabouret , le Vifir étoit fur un Sopha , fes officiers adroite & à gauche , les Janiflaires en haye contre les murailles j & nous qui avions l'hon- neur d'être de la fuite S. E. nous formions une * Macaras, À5& V O t A 6 É groupe colonne derrière le tabouret où il étoît aflis^ Un filcnce refpedtueux regnoic par tout ; les Drogmans firent leur devoir de part & d'autre , lorfqu'iis eurent expliqué les intentions de leurs maîtres, on fe retira fans nulle cérémonie. J'eus encore l'honneur d'accompagner Mr l'Ambadadeur dans quelques vifites 5 la nation très- proprement vêtue Ôc bien montée , le fuivoit; En partant devant la tente de Maurocordato , S< E. après les civilitez ordinaires , eût la bonté de me prefenter à lui. Maurocordato eft un très- habile homme , qui par Ton mérite , quoique Grec de nation & de religion,a été élevé à la char- ge de Confeiller d'Etat : il eft natif de Scio , ôc do&eur en médecine de Padoué , où il a fait autre- fois Tes études , ôc compofé un Traité De la ref- plration & du mouvement du cœur. Comme il a beaucoup de génie s ôc qu'il fçait mieux la mé- decine que ceux qui s'en mêlent ordinairement dans le Serrail , il n'eut pas beaucoup de peine à s'y faire connoître ; mais outre que l'on y re- çoit fouvent de grands chagrins ^ ôc qu'on n'y laif- fe pas mourir impunément les perfortnes d'une? certaine authorité ; Maurocordato quitta la mé- decine ôc prit le parti de fe faire valoir par l'in- telligence qu'il a de plndeurs langues^ Comme il eft bien informé des affaires étrangères , ôc qu'il connoît les intérêts des Princes de l'Europe * il trouva mille occasions de montrer fa capacité , ôc devint en peu d'années premier Interprète du Grand Seigneur. Il fe rendit fi neceffaire dans la dernière guerre d'Allemagne , qu'il fut nommé Plénipotentiaire à la paix de Carlouvits i on le fit Confeiller d'Etat pour lui donner un relief» qui répondît à l'emploi dont on l'honnoroit, bu Levant. Lettre Xît 23$ Maurocordato a beaucoup d'efprit , & fa phy- fîonomie le promet aflcz : aufli s'eft-il toujours attiré la confiance des premiers Seigneurs de la Cour , ôc du Sultan même par rapport à la politi- que & à la connoilïance qu'il a de la Médecine , il me parut d'un caractère a tcmporiier dans la pra- tique de cette fcience , ôc m'avoua qu'il admiroït la hardielïe des médecins d'Europe , mais qu'ii etoit trop vieux pour les imiter ôc pour changer la méthode. Je lui dis qu'en Europe on étoit en- tre dans le véritable efprit d'Hippocrate , ôc qu'on tâchoit de profiter des précieux momens qui fe prelentoient dans les maladies les plus aiguës : que i'illuftre Mr Fagon , premier médecin de l'Empereur de France , nous avoit hcureufemenc appris à faire toutes les diligences que ce fameux Grec recommande avec tant de foin en pareil- les rencontres : que pour cela nous employions des remèdes inconnus à lui , ôc à tous les Grecs qui s'e'toient mêlez de médecine ; ôc qu'au lieu de ce formidable Ellébore , de la Thymelée , ôc d'autres purgatifs qui excitent de fâcheux accju dens ; nous nous fervions de l'heureux mélange de la caflè ôc de la manne , ôc des préparations d'Antimoine , qui chaflent la caufe des maladies les plus dangereufes , fans attirer de nouveaux tymptômes. Que faites-vous de la faignée me dit-il ? nous l'employons fouvent lui répondis-je % avant ôc après les évacuations dont je viens de parler , fuivant que le befoin le demande , & c'eft encore un grand fecret que nous de-vons à Mr le premier Médecin, pour éviter les inflammations qui fuccedent quelquefois aux grandes évacuar tions. Il parut fatisfait de cette ptatique. De la Médecine nous paUamcs à la Botanique* Ï4ô Voyagé cet homme qui n'avoit fa tête remplie que de politique , me parut fort furpris que je ne fulfe venu de fi loin , que pour découvrir de nouvelles plantes ; & fa furprife augmenta quand je l'af- fûtai que le jardin Royal de Paris étoit le lieu de l'Europe où il s'en trouvoit un plus grand nom- bre ; car il n'avoit veu que celui de Padouë, ou Pan ne fait pas les dépenfes nccelïaires pour ces recherches. Je L'affûtai encore que je demon- troistous les ans dans mes leçons ordinaires du jardin Royal plus de trois mille plantes en fix femaines de teirips , fans pouvoir démontrer celles qui ne paroilfent pas dans la faifon, Theophrafte & Dioicoride , lui dis-je , feroient bien furpris s'ils revenoient au monde , de jetter les yeux fur ce prodigieux recueil de plantes qui fe voyent dans nos jardins : car il s'en falloit beaucoup qu'ils n'en connuffent autant. Je ne fçai comment cela nous engagea à parler de la langue Gréque,ii dit en riant que nous n'avions pas raifon de vou- loir leur en montrer la prononciation , Se qu'il étoit bien aife d'en fçavoir mon fentiment : je m'en rapporte entièrement à vous , lui dis-je , qui parlez fi bien latin , & qui avez lu Ciceron avec foin. Ce grand homme comme vous fçavez avoir été à Athènes & à Rhodes , il y a beaucoup d'ap- parence qu'il prononçoit la langue Greque com- me on la prononçoit en Grèce , quelle raifon auroit-il eu d'écrire Delos & Vemofthenes , fi les Grecs avoient prononcé Dilos & Demofthenis : il ne défaprouva pas tout à fait cette réflexion , de me demanda fi j'avois trouvé beaucoup de mé- dailles dans mon voyage de l'Archipel , je lui répondis que non , mais que j'étois atfez con- tent de quelques inferiptions que nous avions veu'és i, du Levant. Lettre X I J. ±\\ VCLics : nous nous quittâmes après les civilitCz ordinaires , il me fit promettre que je le rever- rois après mon retour d'Afie , & m'offrit (es. fer- vices avec beaucoup de politefTe. J'eus l'honneur de 'remercier S. E. de m'avoir procuré l'entretien d'une perfonne eltimable par Ton mérite èv par fa dignité : j'ai fçû depuis qu'il avoit couru grand rifque de perdre la vie dans les changemens arri- vez à la mort de Fefouilla-Moufti qui fut afTommé, traîné dans les rues d'Andnnoplc Se jette dans la rivierc : Maurocordato qui étoit d'ans fa con- fiance eut l'adreffe de fe cacher &C de mettre à cou- vert la plus grande partie de (es effets. Il n'y a rien d'affuré à la Porte Othomane , c'eft une roue qui tourne inceffamment & qui précipite fouvent ceux qu'elle a élevez. Mr l'Abbé Michaelis m'a écrit de Conftantinople, que Maurocordato étoit revenu à la Cour , toujours habile, toujours eflimé, & réta- bli dans fa dignité de Confeiller d'Btat. Si nous n'avons pas fait des découvertes dans Conrtantinople par rapport aux antiquitez , nous avons au moins trouvé à la campagne , des plan- tes rares pour embelli; le jardin Royal , & in- connues aux voyageurs qui avoient été avant nous dans le Levant : les anciens mêmes n'ont pas par- lé des plantes qui naifîent aux environs de cette grande ville , eux qui ont fait frapper des a mé- dailles aux têtes de Bacchus & de Gcta avec de groifes grappes de raifîn : on voit quelques-unes de ces médailles dans le cabinet du Roy : cepen- dant le vin des environs de Conftantinople n'cfl pas trop bon , & n'a jamais paflé pour tel. Cette campagne e(t fertile en belles plantes , mais Mr le Marquis de Ferriol nous ayant propofé de faire * BïSANTIoN. Tome IL % Z4* V O Y A G 1 le voyage de Trebi fonde 3 & de profiter du dépaft de Numan Cuperli Pacha d'Erzeron , qui dcvok y aller par la mer Noire y nous ne longeâmes plus qu à nous difpofer à partir. S. E. nous pro- cura la prote&ion du Pacha , qui de Ton coté ne fut pas fâché d'avoir des Médecins à fa fuite : il fallut donc renoncer à nos promenades pour en faire une plus longue ; & qui iuivant les appa- rences , nous devoit faire voir des plantes bien plus confiderables que celles qui naiftent fur le Bofphorc. Comme il y a long- temps , Monfei- gneur , que je n'ai eu l'honneur de vous parler ce Botanique , je crois que vous ne trouverez pas mauvais que je vous envoyé les dclcriptions de quelques plantes rares, que nous trouvâmes prefr- ques aux portes de la ville. Borrago Confianrinofolitana , fiore rejiixo , cari:- leo j calyce veficario. Coroll. ïnfi. Rei Hcrbar .6. La racine de cette plante eft grolle comme ie petit doigt , longue de 4. ou j. pouces, ndirâtre en dehors , charnue' accompagnée de fibres de même couleur , longues de pies de demi pied , blanchâtres, en dedans, remplies d'une humeur glaireufe & fade. Elle pouffe des feuilles longues de demi pied fur 4. ou 5 . pouces de large , ter- minées en pointe ; mais divifées à leur bafe en deux oreilles arrondies ; ces feuilles font foûte- nue's par un pédicule long de 7. ou 8. pouces , ar- rondi fur le dos , creufé en gouttière de l'autre côté, blanchâtre & qui fe dittribuc en plufieurs nerfs aflez gros , lefquels fe répandent jufqucs fur les bords 5 ces feuilles d'ailleurs font vert-brun , rudes 8c parfemées de petites bubes couvertes de poil ras : elles font d'un goût fade ôc mucilagincux comme les racines. La tige çft haute d'un pied Toinll.ï'ag • y- 4^; icrrraao CcnstzuUznopçutarUL ?lore reflexo ccerideo Calycc Wcjieario Cor&H.Rjciherp. 6. Tom.ll.l'ag. 2.43 t)tr LevAnI LcttUXIh ±4j <ôu de i j. lignes , iolide , rude , velue , épaiffe de z. ou 3 . lignes , bran chue" dès le bas , garnie dé petites feuilles femblables aux autres , mais lon- gues leulement d'environ i, pouces , fur un pou- ce de demi de largeur. Les fleurs naillènt vers le haut le long des branches ; elles lonc allez déliées & rouge-brun : chaque fleur eft de 8. ou 5». lignes de diamètre , foûtenuë d'une queue de près de de- mi pouce de long , gonflée par derrière en maniè- re de veille blanchâtre , qui n'a gueres plus d'une ligne de large en tout Cens ; le devant de cette fleur qui eft d'un bleu-celeilc , eft divifé en cincjj^ parties dilpofées en roue , larges d'une ligne , ré- fléchies par derrière , obtuies à leur pointe : dii milieu de la fleur qui cil blanchâtre , quoique lé refte (oit bleu , fortent cinq étâmiiies longues dé trois lignes , velues à leur baie , blanches àuiîi ^ chargées chacune d'un fommet bleu ; le calice eft Un godet long 8c large d'une ligne &c demie ^ dé- coupé en cinq pointes, velu, & poulie de Ton cen- tre Un pïftile quarre , furmonté d'un filet purpti- riiijlong de demi pouce:Ce calice fe dilate en veîîîé de 4-. oii 5. lignes de diamètre , lut demi pouce de longs anguleufe , hériftee de poils longs d'une ligne &: demie ; le piftile devient un fruit à qua- tre graines , qui ont chacune la figure de la tête d'une vipère , mais qui n'ont qu'une ligne dé ' long , luifantes , vert-gay d'abord , puis noirâtres 1 Symphytum ÇànftaniinotoolitMnurn ± Borraginiï fjlio & facie , flore albo. Corolle Injh Rei Hcrbar. Sa racine eft longue de demi pied , cpailTe de j\ ou 6, lignes, divifée en grottes fibres cheve- lues, blanchâtres en dedans 3 couvertes d'una peau noire j mince 6c comme gercée ; les tiges? ont plus d'un pied àç haut , & font épaifles d' 244 " 0 Y A G E viron 4. lignes 5 vert-pâle , légèrement veîuê*3 -, allez pleines de fuc , de mène que le refte de la plante , creufes , inégalement canelées > accompagnées de feuilles fans ordre , aflez éloi- gnées les unes des autres , femblables à celles de la Bourrache : les inférieures ont 4, ou j. pouces de longueur 3 fur 1. pouces , ou 2. pouces Se de- mi de largeur , terminées en ovale pointu , vert- brun , d'un goût fade de mucilagineux comme la racine , (oûtenucs par un pédicule large à fa naif- fance d'environ 3. lignes, creufé en gouttière d'un côté , arrondi de l'autre \ ces feuilles font petites à mefure qu'elles approchent de la plante. De leurs ailïelles iortent des petits bouquets d'au- tres fcuillcs,& les branches fe fubdivifent en brins, chargez ordinairement de deux petites feiiilles, au milieu desquelles fc trouvent quelques fleurs blan- ches , rangées en queue' de Scorpion , &: qui ne s'épanoliiilcnt que les unes aptes les autres : cha- que fleur eft un tuyau penché en bas , long d'en- viron 7. lignes , la moitié de cette fleur qui eft hors du calice, s'évafe en manière de cloche d'en- viron 3. lignes d'ouverture, découpée légèrement fur les bords en 5. pointes , qui ont à peine demi ligne de long, terminées en arcade gothique : l'au- tre moitié de la fleur qui eft enfermée dans le calice , n'a qu'une ligne de diamettre. De l'inté- rieur du tuyau où il commence à s'évafer , s'élè- vent 5. feiiilles blanches , longues d'une ligne & * demie , fur un quart de ligne de large à leur batea Se c'eft de leurs aiifclles que naïflent cinq étami- nes de même couleur hautes d'une ligne, char- gées de fommets : le fond du tuyau eft percé par * le piftîlc qui eft furmonté d'un filet très-délié , long d'environ 8. Iiguts ; le calice eft un atxrc Tarn .II Fa y 2. 4.5. Géranium, Orientale Colu/nbinum jurre maxcimo f Asphodcli raAicè Ccrroll.Iixst. ^ ci kerb . 20. bu Levant. Lettre XII. 145 tuyau long de près de 4. lignes , velu, découpé en j, parties ; les quatre embryons dupiftile devien- nent autant de [emences , qui ont la forme de la tête d'une vipère ; mais nous ne les avons veuës que vertes. Tous les prez des environs de Conftantinople font remplis d'une belle efpece de Bec de Grue , que j'ai nommée Géranium Orientale columbi- nvirn flore rnaximo , jîfphodeli radiée. Coroll. I;?fh Rei Hcrbar. zo. car il Te trouve en plufïeurs au- tres endroits du Levant , mais la plante mérite d'être décrite. Sa racine eft à plusieurs navets longs d'environ l. pouces & demi, charnus , calfants , ftyptiques, rougeâtres en dedans , bruns en dehors , épais d'environ 3 . lignes , quelquefois davantage , ter- minez par une queue déliée &c chevelue. Le corps de cette racine qui eft ordinairement couché en travers & ligneux , lorfque la plante eft vieille , produit des tiges hautes de 8. ou 9. pouces, épaif- fes d'une ligne , vert-pàle , velues , couchées fur terre vers leur naiiïance , relevées dans le refte , garnies de feuilles oppofées deux à deux à. chaque nœud , fcmblables par leur grandeur , par leur couleur , & par leur tilfure , à celles du Bec de Grue que l'on appelle Pied de Pigeon. Celles de l'efpece dont on parle , ont des pédicules longs de 3. pouces , déliez , velus. Les fleurs naiilenc le long des branches , &C lortent des ailfelles des feuilles , qui vont en diminuant à mefure qu'elles approchent de la fommité , ces fleurs s'épanoiiif- ' fent les unes après les autres , foûtenucs par des queues fourchues ordinairement , 8c longues de 3. ou 4. pouces : chaque fleur eft à j. feuilles dif- ggfécs en rofe 3 longues d'environ demi, pouce , 14^ Voyage fur 3 . lignes & demie de largeur , arrondies k h circonférence , pointues à leur naiffance , purpu-r rin-l^vé , rayées dans leur longueur de quelques lignes plus foncées. De leur centre s'élève un pi- ftile haut de t. lignes furmonté par une honpe purpurine : les éraiTjines font blanches, très-dé- liées , & les fommets jaunâtres > le calice eft à y. feuilles longues de 4. lignes , pointues , vert-pâle, ïayées , difpofées en étoile ; le fruit n'étoit pas allez avancé pour pouvoir être décrit. Eu palfant par le marché aux herbes , nous achetâmes deux ou trois bouquets de graines de Llçrre a fruit )a.une ; il s'y trouve au (Il commu- nément que le Lierre ordinaire à Paris , & les, Turcs s'en fervent pour leurs cautères : on en faifoit autrefois un plus noble ufage ; car a Pline allure que l'efpece de Lierre à fruit doré , étoit çonfacrée à Bacchus , Se deftinée à couronner les Poètes. Sfs feuilles , comme le remarque "cet au- theur , font d'un vert plus gay que celles du Lier- re commun , & fes bouquets couleur d'or lui don- nent un éclat particulier. Dalcchamp l'a mal dé- crit , & ei> a donné une mauvaife figure ; fes feuilles d'ailleurs font fi femblables à celles du, Lierre commun , qu'on auroit fouvent de la peine à les distinguer , (i on ne voyoit le fruit , & peut- être que ces cfpeccs ne différent que par la cou- leur de cette partie. Lafemcnce de Houx à fruit rouge , ne produit-elle pas des pieds de Houx qui ont le fruit jaune ? ne rcmarque-t-on pas la mê- me chofe parmi les efpeces de Sureau } le temps nous éclaircira fi le Lierre dont nous parlons eft une variété du Lierre commun : celui-ci n'eft pas * Plin. Hift.nat.lib.\6. cap. 34. Diofc. lib. 2.. cap, 21c, & uot.\66. Hedera. Dionyfios* C. B. du Levant. Lettre* X 1 1. 147 rare autour de Conftantinople 3 &c les pieds qui ont levé de la graine du jaune icmee dans le jar- din Royal , font jufques ici tous femblables aux pieds qui lèvent de la graine du noir : leurs feuil- les font angulciires , & l'on n'y fauroit trouver de différence. Il (ernble que Diolcoride ait traité de variété ces deux efpeces. Voici la deferipuon que je fis fur les lieux du fruit du Lierre jaune. Ce font de gros bouquets arrondis de 1. ou 3. pouces de diamètre , compo fez de plufieurs grains fphériques , quoique un peu anguleux , épais d'environ 4. lignes , un peu applatis en devant où ils font marquez d'un cer- cle , duquel s'élève une pointe haute de demi li- gne. La peau qui cil feuille morte , ou couleur d'ocre ôc charnue , renferme trois ou quatre grai- nes féparées par des cloifons fort minces ; chaque graine elï longue d'environ deux lignes & demie, blanche en dedans , grifàtre , vénée de noirâtre &C rélevée de petites boffes en dehors : elles n'ont point de goût, (Si leur figure approche affez de ccU ïe d'un petit rein ; la chair qui couvre ces graines eft douçatre d'abord , eniuite elle paroît mucila- gineufe. Pline qui a nommé cette plante Lierre a fruit doré , a pris tout ce qu'il en a dit de Thcophrafte 6c de Diofcoride , qui n'ont donné qu'une hiftoi- re confufe du Lierre : on n'a jamais veû celui qu'ils décrivent à feuilles blanches & à fruits blancs i cependant il devoir fe trouver dans la Grèce. Pour celui qu'ils appelloient Lierre à feuilles panachées , ou Lierre de Tiorace , nous en avons veû quelques pieds fur les côtes de ia mer Noire. Il n'eft pas furprenant que les Bacchantes ayent autrefois employé le Lierre pour garnir Qiiij 14$ Voyage leurs Thytfes Se leurs coëffures : toute la Thracc eft couverte de ces (ortes de plantes. Je ne fçaurois m'empecher d'ajouter à ces plan- tes une fort jolie a fleur que l'on fervoit fur le bord des plats à la table de nôtre Ambafladcur, jç l'avois déjà veiie en Portugal autour de Lisbonne & fur la montagne de la Rabida , proche Setuval. Sa racine eft compoféc de deux tubercules char- nus , prelquc ronds , cirant fur l'ovale , blanc-fa- lç , pleins d'une humeur glaircirfe & fade : le plus gros a un pouce de diamètre , l'autre eft plus petit & comme flétri , &c tous les deux n'ont que des filets chevelus. La tige s'élève jufques à environ, demi pied , épaiile de 2. ou 3. lignes cnvelopéç de quelques feuilles alternes 3 dont les gaines font couchées les unes fur les autres , & fe dilatent en- fuite en feuilles femblables à celles du Lys, lui- fautes , liftes, vénées , pointues 5 longues de deux ou trois pouces , fur un pouce de large : celles qui approchent des fleurs font beaucoup plu$ pe- tites & plus pointues. Ces fleurs forment un bou- quet à l'extrémité de la tige : chaque fleur eft à iix feuilles , dont cinq qui font élevées 5 font une efpece de cocrTc purpurine 6k rayée ; les trois exté- rieures ont près de demi pouce de long ; les deux inférieures font plus étroites ck plus courtes, mais très aiguës : la feuille inférieure eft la' plus grande de toutes , & fait l'ornement de la fleur ; car elle lui donne en quelque manière la forme d'un pa- pillon qui vole : cette feuille fe termine en haut par une petite gorge furmontée d'une tête pur- purin foncéjfur le derrière elle finit par une queue ou éperon blanchâtre long de quatre lignes : 1e a Orchi Oriental is , & Lufitanica , flore maximo > P.ipU iioRcm référence. CorolU Infl. Rei Herb.$o. du Levant. Lettre XII. 249 rcfte eft éparpille en manière de rabat large d'en- viron un pouce , frizé fur les bords , haut de plus de demi pouce, blanc, rayé très-proprement de veines couleur de pourpre : le pédicule de la fleur eft long de quatre lignes , far une ligne &ç demi d'épailfeur j il eft tors en (pire , vert-pàle 8c devient dans la faite une capfule fcmblable à un petit fanal long de demi pouce , fur trois lignes de large , compofé de trois côtes allez fortes, lcf- quelles reçoivent autant de panneaux membra- neux 8c roullàtrcs , dont la furface intérieure efl: chargée d'une bande veloutée : cette bande n'eft autre choie qu'un duvet de femences très menues, femblabjes à la feieure de bois : la fleur eft fans pdeur 8c paroît fur la fin d'Avril 5 toute la plante a lin goût fade & glaireux. II y a plusieurs autres belles efpeces à'Orchis a. Conftantinople , mais on ne lçauroit les élever dans les jardins : ces plantes n'aiment que l'air 4e la campagne. Il n'en eft pas de même des Re- noncules , qui ne font que multiplier & s'embel- lir entre les mains des curieux. Depuis quelques années les Turcs fe font attachez avec foin à cul- tiver ces fortes de fleurs ; aufïi font elle s beau- coup d'honneur à leur pays. On dit que ce fat Cara Muftapha , celui-là même qui échoua de- vant Vienne avec une formidable armée , qui mît les Renoncules à la mode , & qui donna lieu à toutes les recherches qu'on en a faites. Ce Vizir pour amufer agréablement fon maître Mahomet I V. qui aimoit extrêmement la chalfe , la re- traite 8c la folitudc , lui donna infenfiblement du goût pour les fleurs ; & comme il reconnut que les Renoncules étoient celles qui lui faifoienr. le plus de plaifir , il écrivit à tous les Pachas de lyo Voyage J'Empire de lui envoyer les racines & les frtaines des pins belles efpeces que l'on pourroit trou- ve* dans leurs départemens. Ceux de Candie , de Chypre , de Rhodes , d'Alep , de Damas fi- rent mieux leur cour que les autres. C'en: ue-là que font venues ces efpeces admirables de Re- noncules que nous voyons dans les plus beaux jar- dins de Conftantinople & de Paris. Les graines que l'on envoya au Vizir & celles que les par- ticuliers élevèrent, prodnifirent beaucoup de va- rietez, Les Amballadeurs le firent un plaifir d'en envoyer à leurs Princes : on les rectifia en Euro- pe par la culture. Mr Malaval n'y contribua pas peu à Marfeillc. Il en a fourni à toute? la France , & la France en a pourvu tous les pav$ étrangers. Il ne faut plus aller à Conftantinople pour admirer ces belles fleurs. Mr des Coteaux , & les curieux du fauxbourg Saint Antoine j en élèvent des efpeces d'une beauté furprenante. Ex- cepté les Oeillets , nous n'avons point de belles fleurs qui originairement ne foient venues du Levant. Un curieux de Paris nommé Mr Bachelier apporta de ce pays-là en 16 15. le premier Mar- ronier d'Inde & les Anémones doubles. Les Tu- bereufes , plufieurs belles efpeces de Hyacinthes , deNarcilles, de Lys en font venues aufli ; maïs on les a rectifiées dans nos jardins. Il y a des cantons en France très propres pour la multipli- cation de certaines fleurs. On élevé en Norman- die des Jonquilles doubles & de très-belles Ané- mones : le climat de Toulouze plaît extrême- ment à ces fortes de fleurs. A propos d'Anémones, on raconte qu'un homme de robe à qui Mr Ba- chelier n'avoît pas voulu communiquer la graine de ces belles Anémones ni par amitié , ni pour de du Levant. Lettre X 1 1. iji ^argent , ni en troc 3 s'avifa d'aller le voir avec trois ou quatre de Tes amis qui étoient du com- plot ; & qu'il donna ordre au laquais qui por* toit la queue de fa robe de la laiflfer tomber fur des pots qui étoient dans une certaine allée , qu'il lui déhgna: les belles Anémones en queitiou étoient dans des pots & leur graine prête à tom- ber. On fe promena beaucoup , on s'entretint «des affaires du temps : quand on fut au lieu mar- qué , un plaifant de la compagnie fe mit à faire des contes qui rendirent le bon-homme Bachelier fort attentif, &C dans le même temps le laquais, qui n'étoit pas mal adroit , laiffa tomber la queue de la robe de fon maître , à laquelle s'attachèrent par leur duvet les graines des Anémones : on trouffa la robe aufli-tôt à l'ordinaire ; la com- pagnie avança ; le curieux prît congé de Mr Ba- chelier 6c fe retira chez lui , où il éplucha avec foin les graines qui tenoieni à fa robe -.elles furent femées dés le même jour &c produifirent de très- belles cfpeces. Le jardin du Palais de France à Conftantinople cft prefentement bien entretenu , il efl; en terraf- fe d'où l'on découvre julques aux plaines d'Aile ; mais il n'eft; pas neceuane d'étendre la veu'é fî loin , Mr l'Ambafladeur fait élever chez lui avec grand foin de beaux Orangers , des Renoncules , des Anémones & toutes les fleurs qui font la beau- té & l'agrément des faifons. Je ne fçaurois mieux finir cette lettre que par la Relation de ce qui fe paffa à l'audiance qu'eut M1 de Ferriol du grand Vifîr , & à celle qu'on lui avoit préparée pour le grand Seigneur : c'efl: une perfonne de qualité qui eut l'honneur de s'y zji Voyage trouver qui m'a communiqué le mémoire fui-* vant, Rdar'on a Les vaiflfeaux du Roy le Bigarre & /' 'Affaire de ce qui mouillèrent dans le port de Conftantinople ic n. vr uj: Décembre 1699. le même jour MrlJAmbaQadeur anecqu- fLlc compliméivé fur fou heureufe arrivée, par eut Mr les Secrétaires des Ambafladeurs & par celui du de Fer* prince TckcH. Le lendemain Ton S.E. débarqua 1!° ' , u & envoya Ion premier Drogman chez le Grand Vifir -, & Vifir, pour lui faire part de fon arrivée, Quel-» à celle ques jours après , ce Miniftic l'envoya compli- quai ecoit menter par Maurocordato le perc Con'cilier d'E- »reparee t Grand ce rut nxee au 25. du mois de Décembre. Ce Seigneur jour-là Mr de Châteauneuf Caftagniercs ancien Ambalfadcur & M1 de Ferriol fortirent du Palais de France à midi & demi. Mr de Châteauneuf à la droite & le nouvel Ambaffadeur à la gauche , précédez de leurs maifons , & fuivis de douze Gentilshommes qui avoient accompagné Mr de Ferriol à Conftantinople -y toute la nation fuivit aufll : la marche fc fît en ordre jufques à la ma- rine , où les deux AmbafTadeurs , qui croient feuls à cheval , mirent pied à terre 6c trouvèrent fur le port foixante Officiers ou Gardes-marine , qui s'embarquèrent avec le refte du cortège pour pafTer à Conftantinople (ur des Caïqucs qui avoient été préparez. Lorfque le Canot de Mrs les Amballadeurs paffa près des vaitleaux du Roy, ils furent faluez de 11. coups de canon par chacun des deux vailîeaux , qui étoient pa- voifez , & dont tous les foldats étoient fous les, armes.. Le Grand Vifir avoit envoyé deux chevaux ri- chement harnachez pour Mrs les AmbafTadeurs > ou Levant. Lettre XI î. i$j Se foixante pour les Gentilshommes , Officiers , Gardes-marine, Se pour la fuite de M1 de Ferriol' : ce nombre n'auroit pas été fuffifant pour un (I grand cortège ; mais S. E. en avoit fait mener plus de cinquante fur le port; les Marchands de la nation y avoient auffi envoyé les leurs. La marche commença par quatre-vingt JanûTaircs, aulquels le Grand Vifir avoit ordonné de fc rendre à la marine : enfuite les deux maifons de Mr> les Am- balïadeurs fuivirent , celle de Mr de Châreauneuf à droite,& celle de Mr de Fcrriol à gauche. Vingt- cinq Valets de pied de Mr de Ferriol étoient vê- tus d'une livrée chargée de trois galons ; celui du milieu étoit d'or Se les autres de loyc. Six Janii- faires delà maifon de Mr de Châteauneuf, Se autant de celle de Mr de Ferriol marchoient avec leur bonnet de cérémonie devant les Drogmans. Douze Gentilshommes Se le Chancelier de Mr de Ferriol precedoient MTS les Ambalfadeurs : ces Gentilshommes étoient vêtus fî magnifiquement, que les Turcs ont avoué qu'ils n'avoient rien veii de Ci riche. Le Chiaoux Bachi , qui vint prendre S. E. marcha immédiatement devant Mrs les Am- ballàdeurs ; Se Mrs de Cour Se de Broglio Capi- taines en fécond des vaiffeaux du Roy , les lui- voient à la tête des Officiers Se des Gardes-marine qui marchoient deux à deux , chacun dans leur ranç. * Les Marchands François finifloient cette marche dans le même ordre ; Se le. cortège etoit fi nombreux , que les deux cours du Palais du Viiîr fe trouvèrent à peine alTez grandes : néan- moins l'ordre y fut fi bien obfervé , que lorlque Mrs les Ambalfadeurs entrèrent , les JaniiTaires Se les Cfriaoux commandez , fe trouvèrent en haye fur kur pafege. Le-s douze Gentilshommes avec 1J4 V 0 V A G É le Chancelier de Mr de Ferriol étoient defccndus de cheval pour attendre Mrs les Amballadcurs aii bas de l'cfcalicr du Palais -, ils les fuivirent dans la chambre d'audiance avec les Orrtciers de la mari- ne^ M1S les AmbaÛadeurs prirent place fut* des tabourets qui étoient fur le Sopha , Mr de Châ- teauncnf à la droite , Se Mr de Ferriol à la gau- che : le reite du cortège demeura debout. Le Grand Vifir , avec fon bonnet de cérémo- nie > entra d'abord que les Ambafladeurs furent placez ; & panant auprès d'eux fe mit dans ici coin du Sopha qui effc la place d'honneur ; M1 de Châteauneuf prit la parole , & dit au Vifir que le Roy avoit choiiî Mr de Ferriol pour fon fuc- ceflêur : alors Mr de Ferriol lui prefenta la lettré de fa Majelté , & la mit entre les mains du grand Chancelier j qui étoit debout avec les princi- paux officiers de l'Empire à côté du Vifir. Mr de Ferriol. fit dire à ce Miniftre , que le Roy fon maître avoit appris avec plaifir que fa Hautefie avoit confié les principales affaires dé l'Empire à tin homme auiïi éclairé que lui , Se qu'il ne dou- toit pas qu'il ne contribuât de tout fon pouvoir à entretenir l'union & la correfpondance qui étoient'établies depuis fi long-temps entre les deux Empires. Après ce compliment on apporta des confitures & deux taffes de cafté pour Mri les Am- baifadeurs ; & après quelque intervalle o'iWonnà le forbet &c le parfum. Le Vifir fit demander à Mr de Ferriol s'il y avoit long temps qu'il étoit parti de France : Maurocordato le père , qui etoit Plénipotentiaire de la Porte àCarlouvits , fervbir d'Interprète , ôc rapportoit en latin à Mr de Fer- riol ce que le Vifir luy demandoit fur fon voya- ge , Mr de Ferriol lui répondoit aufli dans la m&. i>u Levant. Lettre Xïî. if$ me langue; On diftribua des vertes fore riches à Mr de Ferrioi & àMr de Châteauneuf : celles que l'on donna aux Officiers de la fuite valoient j. ou 6. Requins chacune. Après cette distribution Mrî les Ainbalïadeurs fe levèrent & fortireht de la Chambre d'audiance : on les fuivit avec ordre, & loriqu'ils furent montez à cheval , Mr de Fer- rioi prit la droite avec fa maifon ; M* de Château- neuf le mit à la gauche avec la iiennc : le relie du cortège garda le même ordre qui avoit été obler- vé en allant. Il y avoit une infinité de peuple dans les rués par où. Mrs les AmbafTadcurs parlèrent i ils mirent pied à terre au même endroit de la ma- rine où ils étoient montez à cheval , & fc rem- barquèrent dans le canot , après que Mr de Fer- rioi eut remercié le Lieutenant du a Chiaoux Ba- chi de l'avoir accompagné avec fes Chiaoux. Le canot de Mr* les Ambaffadctirs parlant devant les vaideaux du Roy , fut encore falué de z i . coups de canon par chaque vaiileau. On débarqua à Topana du côté de Pcra , d'où les officiers de la- marine retournèrent à leurs bords ; les Ambalîa- deurs fe remirent en marche dans le même ordre jufques au Palais^de France , & fe féparérent dans la première cour. Le lendemain Mr de Ferrioi fit difpofer fes prefens pour les envoyer au Grand Vi- fir le jour fuivant : il y avoit une glace de 60. pou- ces , dont la bordure étoit de glaces peintes par délions , avec des ornemens en fcnlpture fort recherchez ; une grande pendule avec le quadran marqué à la Turque , dont la bo'éte & le pitd croient magnifiques ; le refte du prefent confiftoit ■ Le Chiaoux Bachl vient prendre (lui-même les Ambalïa- deurs , & il les faic feulement reconduire pu Ton Lieu-, tciïanc. 2j£ V O Y A Ô t en vcftes , dont douze etoient des plus fines étof- fes d'or & d'argent qui fe fabriquent à Lyon 3 les autres etoient du plus beau drap d'Angleterre. Le 3 i . du mois de Décembre le Grand Sei- gneur fit dire à Mr l'AmbalTadeur qu'il lui don- nèrent audiance le 5. de lanvier. M de Ferriol s'y diipofa & envoya la veille au Senail les pre- fens qui etoient dcAinez pour le Grand Seigneur ; on les porte ordinairement devant l'Ambatladeur. lorlqu'il entre chez fa Hautcrfe. Le j. Janvier 1700. Mr de Ferriol fortit du Palais de France à la pointe du jour, précédé de fa maifon , accompagné de douze Gentilshommes de fa fuite , Se de toute la nation. Il trouva à la marine les deux Commandans des vailfeaux du Roy, Se 30. Officiers ou Gardes-marine nom- mez par Mr Bidaud pour lui faire cortège, Mr l'Amballadeur s'embarqua dans fon canot , Se tout ce cortège le fuivit dans plufieurs ca'iques. Le Chiaoux Bachi attendoit S. E. fur le port du côré de Conftantinople avec les Janifîaires de ia Porte , Se 60. chevaux des Ecuries du Grand Sei- gneur ; ceiui qui étoit deftiné pour Mr l'Ambaffa- deur étoit richement harnaché. vJLa marche com- mença par fix Janillaires de la maifon de S. E. fix valets de Chambre , vingt-cinq valets de pied de fa livrée , Se fix eflafiers vêtus à la Turque qui marchoient à la telle Se autour de fon cheval : les Drogmans marchoient après fa mailon , Se enfui- te les douze Gentilshommes. Le Chiaoux Bachi précédé de fes Chiaoux alloit immédiatement de- vant Mr de Ferriol , parce qu'ayant voulu pren- dre la droite , S. E. lui dit de le mettre à fa gau- che , s'il n'aimoit mieux paflfer devant ; Se ce rut le parti qu'il accepta, M' l'Ajmbawadeur étoit fuivi du Levant. Lettre X I ï, i$j fuivi des Officiers de la marine qui marchoienn deux à deux chacun dans Ton rang ; toute la nation fuivoit dans le même ordre. On traverfa à cheval la première cour du Serrail ; mais on fut averti qu'il falloit mettre pied à terre à la porte de la féconde cour. S. E. defeendit de che- valet fut reçeu par huit Capigis qui le précédè- rent jufqu'à la fale du Divan, A l'entrée de la féconde Cour , quatre mille Janillaires qui étaient (errez près de la muraille à droite . partirent comme un trait pour aller pren- dre des jattes de Ris qui bordoient le chemin par où l'on palîoît. S. E. entra dans la fale du Divan^ dans le même temps que le Grand Vifir y entroit par une autre porte. Apres s'être faluez , M, i'AmbarTadeur fe mit à la place qui lui avoit été préparée , ôc le Grand Vifir iur un banc avec trois Vifirs à fa droite , & les deux Cadilcfquers à fa gauche. On rendit la j.uftice , &c l'on remit plu- iïeurs Requêtes répondues, à ceux qui les avoient prefentées : enfttite on donna à laver à Mr l'Am- balïadeur & au Grand Vifir en même temps, maÎ3 en deux badins dirferens -, celui que l'on prefeii- taà S. E. étoit d'argent , & celui du Grand Vi- fir étoit de cuivre. On donna auffi à laver .aux Vifirs i aux Capitaines des vaiffeaux du Roy , ôc à ceux qui dévoient manger aux cinq tables qui furent fervies dans la même Sale. Mr l'Am- baffadeur mangea feul , les Capitaines des vaif- faux avec les Vifirs , les deux Cadilefquers mangèrent feuls , & fix perfonnes nommées par S. E. aux deux autres tables avec les principaux Officiers de l'Empire. Ces cinq tables furent fervies également de plus de trente plats chacune * que l'on mettoit fur la table l'un après l'autre , Tome lh R 1|8 "V O Y AGE & que l'on retiroit prcfque dans I'initaïïf, ■ Quoique les ragoûts des Turcs (oient bien differens des nôtres , S. E. ne lailfa pas , pour faire honneur à ce repas , de goûter prcfque de tout ce qu'on lui fervit : au fortir de table on donna encore à laver. Maurocordato le père, & le S Fonton pre- mier Drogman du Roy , iervirent d'Interprètes pendant le difné. il y avoit vmc rencltrc grillée au-dclïus de la table de M l'Ambaffadcur , où S. E. apperçeut le Grand Seigneur à piuficurs reprîtes. Le difné fini , e\: la réponfe du G. S. étant venue pour admettre M l'Ambalfadeur > on fit apporter dans la Sale du Divan , un Mi- roir que S. E. de, oit donner a Sa Hauteffe , la glace étoit de 85). pouces de haut , fur 61, de large ; tout le monde en parut fur pris , &î le Grand Seigneur le confidera à travers la jalounc où il fc met ordinairement pendant le Divan. Le Mi- roir fut mis à la porte de la Sale d\udiance , avec une Pendule beaucoup plus belle que celle qui avoit été pretentée au Grand Vifir , & une pièce d'Horlogerie admirable , laquelle outre les heu- res & les minutes, marquoit le mouvement de la Lune, les degrez du froid &: du chaud , & les variations des faifons. Il y avoit outre cela vingt Veftes d'étoffes d'or, tics- riches , & quantité d'au- tres vertes du plus beau drap d'Angleterre. Le prefent fut trouvé fi magnifique , que le Grand Vifir fit demander à M l'Ambafiadeur , s'il étoiï delà part du Roy , ou de la Germe j il répondit que c'était de fa part. Le Grand Vifir écrivit à Sa Hauteiie pour fcavoîrn* l'en introduiroit M l'Amballadeur ; le du Levant. Lettre XII, içy *itel$&dgi qui porta la lettre , rapporta la répon- fe du G. S. que le grand Vifir baifa , & porta fur fou front avant que de la lire, Après qu'il en cûr fait la lecture, les Officiers deftinez pour conduire S. E. le menèrent dans un endroit de là Cour où l'on diftribua toixante &c dix vçftes à ceux de fa fuite ; & M l'Amballadcur s'ailit fur im banc couvert de drap rouge , où il reçeut la fïcnnc. Jufqu'alors tout s'étoit parlé dans les règles , & S. Ej ne pouvoir que fe louer des hon- neurs qu'il avoit rcçeus : mais quand il fallut en- trer dans l'appartement du Grand Seigneur , le Chiaoux Bachi piqué de ce que M1 l'AmbarTa- deur lui avoir refufé la droite pendant la mar- che , vint dire à Maurocordato qui étoit à côté de S. E. qu'il s'étoit apperçeit qu'il avoit fori épée , & qu'il n^toit permis à perfonne d'en- trer dans la chambre du Grand Seigneur avec des armes. Maurocordato vouloit diiîimuler la chofe , d'autant mieux que l'epée de» M l'Am- bafTadeur étoit couverte de (on b Caftan ; mais le Chiaoux Bachi l'ayant menacé de s'en plaindre au Grand Vifir , il crut ne pouvoir pas fe dil- penferd'en parler à S. €,. & il lui dit , avec une douleur peinte fur le vifage , qu'on ne pouvoir; voir le Grand Seigneur avec des armes , Se qu'il le prioit de quitter fon cpée que le Chiaoux Ba- chi venoit d'appercevoir. M' l'AmbaOfadeur lui répondit, qu'en portant l'epée il ne faifoit rien qui n*eût été pratiqué -par Ai de Chkteauneufî & que l'epée faifant partie de l'habillement francois , &' a Tdkidgi , c'uft l'Officier portantes , & qui en rappel qui porte les lettres du te les réponlcs. Grand Vifir à Sa HautcfTe , b Ctf/iw? ou vefte. quai il s'agit d'affaires im« R ij %6o V O Y A G 2 même la principale , il ne quitterait point la fient?!* Cette conteftation fut portée au Grand Vifir qui n'étoit pas encore forti de la Sale du Bivan y & qui fit dire à Mr l'Ambaiîadeur qu'il ne ver- roit point le Grand Seigneur avec des armes* S. E. cita encore l'exemple de M' de Château- neuf , & dit qu'il ne lui convenait pas de voir un auffi grand Prince que Sa Haute fie , fans avoir tous les ornemens qui composent l'habit françois. La difpure dura une heure entière , Maurocor- dato portant les paroles de part de d'autre : enfin le Grand Vifir fit propofer à M i'Ambailadcur , que s'il entroit fans epée , le grand Seigneur écriroit une Lettre au Roy pour ledifculper de l'avoir fait. S. E. répondit , qu'il n'avoit pas be- foin d'exeufe pour une faute qn' l ne vouloit pas com- mettre. Le Grand Vifir repartit , qu'il donneroir une atteftadon fignee de lui de de tous le Grands de 1 Empire , pour feûreté que jamais aucun Am- balladeur ne verroit a l'avenir le Grand Seigneur avec des armes. Mr I'Ambailadcur répliqua , que la Porte pouvait changer [on Cérémonial pour l'a- venir 9 que ce fer oit alors l'affaire de [es fuccejfeurs & de toutes les autres nations ; mais qu'il ne fou f- friroit pas qu'on commença^ par lui a ofler aux Jlmbaf\adeurs let honneurs dont ils et oient en Vojfe- Jfion -j & qu'ayant celui d'être le premier des Am- baffaàeurs Chrétiens , s'il avoit à donner des règles , ce fer oit pour augmenter leurs privilèges au lieu d& confentir qu'on les diminuafi. Le Grand Viiir fit dire à S. E. que s'il s'obftinoit à garder fou e- pée , il ne verroit point le Grand Seigneur qui ctoic pourtant venu de quinze lieues , à Conftantino- ple pour lui donner audiance. M L'Ambalfadeur fit réponfc , que ce fer oit un grand malheur pour d ir Levant. Lettre XII, 16 1 lui y mais que quelque félicité qu'il y eût a voir Sa Hauteffe , il ne l'achepteroit point aux dépens de la gloire du Roy fon maître , ni en proftituant le car aller e dont il était honoré. Le Grand Vifir ajou- ta, que jamais aucun Ambafladeur n'avoir veu le Grand Ssigneur avec des armes , S. E. repar- tit , que Aï- de Chateauneuf étoit homme a l hon- neur , & qu'il n*aur oit pas ofé impofer au Roy fon maître ; qu'il étoit encore a Conjiantinople & qu'on pouvoit le faire appeller pour rendre témoignage a la vérité : qu'il étoit furpris qu'on chercha^ a lui faire un femblablc procès , mais qu'il protefloit qu'on lui ofieroit plùtojl la vie que fon epée. Mau- rocordato ne (cachant plus que dire , propofa à Mr de Ferriol de prendre confeil des Officiers François. S. E, répondit , que dans les chofes qui regardaient la gloire du Roy fon Àlaitre , il éioit le feul Interprète de fes volonte\. Maurocordato alla de nouveau parler au Grand Vifir , & au re- tour il fe fervit de menaces , difant à Mr l'Am- balîadeur , qu'il allumcroit un feu difficile à éteindre , & qu'il feroit caufe d'un grand mal- heur : Tant pis pour le plus foible , répliqua Mr de Ferriol , mais je ne quitteray mon epée qu'avec la vie , ïhonneur de mon caractère y étant attaché. Alors le Grand Vifir envoya les plus anciens Capigis-Bachis pour dire à M l'Ambalïadeur que c'étoit vouloir introduire une nouveauté dans le Cérémonial , & qu'ils pouvoient l'afTeûrer qu'ils n'avoient jamais veû aucun Ambaifadeur prendre audiance du Grand Seigneur avec fon epée ; M de Ferriol perfifta à dire , que M.- de Chateauneuf étoit pour le, moins aufji croyable qu'eux. Le Ja- niuaire-Aga vint enfuite avec les principaux Offi- ciers de fon Corps , pour affeûrer M1 l'Ambaf- R iij i^Z V O Y A G ? fadeur que , tout Officier Général qu'il étoit de la première mjlice de l'Empire s il n'étoit jamais entré avec des armes dans la Chambre du Grand Seigneur -, que le Grand Vifir même , quoi- que Lieutenant de Sa Hautaife , n'avoit pas ce privilège, M de Ferriol lui répondit , que le Grand Vijir & lui étoient Sujets , qu'ainfi la Loy h oit four eux \ mais qu'ayant l'honneur de repre- fenter la Perfowe d'un grand Prince , il n'êtoit ■pas dans la même dépendance. Les deux Cadi- lefquers vinrent à leur tour i & après eux les Vi- firs à trois queues , & tous les Officiers de la Porte pour elîayer de faire changer d'avis à Mr LAmbafladeur , mais ils le trouvèrent inébranla- ble. Le Grand Vifir à qui on avoit fait rapport de tout ce qui s'étoit palle , s'imagina pouvoir obtenir par furprife , ce qu'il n'avoit pu gagner , par fes foibles raifons , fur la fermeté de Mr de Ferriol : Il lui fit dire qu'il étoit temps d'aller à l'Audiance où il étoit attendu. Mr i'AmbalTa- dear demanda)/ ce feroit avec [on epé e , on lui répondit que oui. Il marcha donc , & quand il fut arrivé à la porte de l'appartement du Grand Seigneur , il tourna la tête pour voir li les quinze perionnes qu'il avoit nommées pour entrer avec fui dans la chambre de S. H. & pour lui faire la révérence , le fui voient. Il vit avec furprile qu'il n'y en avoic que fix ; le Chiaoux &c les Capigis- Pachis ayant arrêté les autres à la porte de la grande voûte qui conduit à la Sale d'audiance. Mr i'Ambalïàdeur jugea deflors qu'on avoit quelque deifcin contre lui"; & réfolu de perdre la vie , ou de foutenir ce qu'il avoit avancé , il .mit la main gauche fur fon epée , tenant avec la 'droite la JLetue du Roy pour le Grand Seigneur : deu# du Lr. v a M T. Lettre XII. x6$ Capïgis-Bacliis le prirent pair délions les bras , iuivant la coutume ordinaire , ci: il en vînt un troiliéme , d'une raille de Géant, qui fe baillant devant Mr de Férriol , porra la main avec violen- ce fur Ton épée pour la lui arracher , ce que n'a- yant pu faire , Ai l'Ambalïadeur enflamé de co- lère lui donna un fi rude coup de la main droite de du genoiiil , qu'il le jetta à quatre pas de lui , 3c dit à Maurocordato d'un ton de voix fort éle- vé ,fi c'étoit ainfi qu'on violoit le Droit des Gens J Apres quoi voyant revenir fur lui le Cipigi-Ba- chi qu'il avoit repGulle 9 il fit un fî grand effort qu'il fe débarrafla, des deux autres Capigis-Bachis qui le tenoient toujours fous les bras ; & por- tant la main fur lonepée qu'il tira à demi , il de- manda à Maurocordato avec le même tonde voix «levé ,/i nous étions ennemis \ Maurocordatq tout confterné demeuroit dans le fîlenec. Mr de Fér- riol ne douta plus pour lors que les chofes ne fulïent portées à la dernière extrémité ; mais dans le moment on vit paraître fur la porte de l'ap- partement du Grand Seigneur , le Capi-Aga , ou Chef des Eunuques blancs qui fît figne de là. main de ne faire aucune violence à Mr l'Ambaf- fadeur ; & s'étant approché de lui , il lui dit que s'il vouloit entrer fans epée , il feroit le bien ve- nu , mais que s'il perfifloit à la vouloir porter, il pouvoir retourner dans fon Palais. Mr de Fér- riol répondit , qu'il ne pouvait , ni ne vouloit quit- ter fon epée , &c retournant fur Tes pas il lailîa fon Caftan a la porte & le remit à 'un Officier du Grand Seigneur , il ordonna enfuite à tous les Officiers & aux autres perfonnes de fa fuite de faire de même : cela fe paiïa fans donner aucun fujet de plaintes. R'iiij 2^4 Voyage Quand M1 l'Ambaffadeur fut près de la grande porte , le Grand Vifir envoya dire au Sr Fon- ron premier Drogman du Roy , de venir repren- dre les préfens que S. E. avoit fait apporter j ce qui fut exécuté. Mr de Ferriol crut qu'il n'y auroit aucune cérémonie pour le retour , cepen- dant il trouva les chevaux du Grand Seigneur , Jes Chiaoux & les Janirfaires qui l'accompagnè- rent jufqu'à la marine , dans le même ordre qui avoit été obfervé en allant auSerrail. Il y avoit dans les rues Se aux fenêtres une infinité de peu- ple , tout le monde étant perfuadé que Mr l'Am- baiîadeur avoit pris fon audiance ; & quand il arriva à la marine, il fe mit dans fon canot qui fut falué en paflant de 41. coups de canon par les vaif- feaux du Roy. M1 de Ferriol étant de retour dans fon Palais fit fervir plusieurs tables pour les Offi- ciers du Roy , & pour toute la nation , avec beaucoup de magnificence Il eft à remarquer que Maurocordato avoit affecté de rendre fecrette toute la négociation au fujet de l'epée } parlant toujours à l'oreille de Mr de Ferriol ; mais comme c'étoit une affaire d'ufage & de juftice , Mr l'Ambaifadeur répondit toujours tout haut , afin que les nations qui etoient venues à l'audiance par un efpvit de cu- riofité y pullcnt entendre tout ce qui fe paifoit. On içùt peu de jours après , que le Grand Seigneur avoit reproché ait Grand Vifir de l'a- voir expofé a nne (qéne delagréable , difant qu'il devoit l'avoir préveuë. La dernière action du Grand Vifir Fut généralement condamnée , d'a- voir voulu furprendre Mr l' AHibafiadeur , & tâché de lu y faire ôter fon épée par violence ; les Turcs même ne purent s'en taire. La prefence d'cfprit * d u Levant. Lettre XII. i6$ de Mr de Ferriol dans toutes les réponfes qu'il fie , Se fa fermeté furent admirées de tous ceux qui en furent témoins.. Je croîs , Monsugneur , qu'il ne fera pas inutile de faire remarquer ici à nos marchands l'avantage qu'ils ont d'avoir à Conftantinoplc en là perfonne de Mr l'Ambafladeur un Juge naturel Se en dernier l'effort , pour connoître de toutes les affaires civiles & criminelles , qui peuvent fur> venir entre eux. Suivant les articles xxiv. & xliii. du Traité fait le z6. May 1604. entre Henry le grand ÔC Sultan Achmet I. Empereur des Turcs , il fut ar- rêté que les Ambafïadeurs ôc les Confuls de nô- tre nation , rendroient juftiçc aux marchands ôc negocians fujets de S. M. félon leurs loix 8c coutumes , fans qu'aucun Officier Turc en puft connoître. Surquoi j'ai apris qu'en 1673. y ayant eu procès entre le S1 Fabre & les Srs Gleyfc de Marfcille, il fut terminé par jugement définitif de Mr de Nointel alors Ambaffadeur à la Por- te -, mais le S Gleyfe ayant prétendu fe pourvoir contre cet Arreft dans les Jurifdictions de Pro- vence , le jugement fut confirmé par Arreft du Confeil d'enhaut du premier Septembre 1673. pu ces termes. 3.66 Voyage BXTltAlT DES REGISTRES du Co-afed cCB'tat du Roy. Le Roy étant en fan Confeil a confirmé les jn~ tentent* rendus par le Sr de Nohitel , les 4. Dé- cembre 1 67 1 . î , ua Brifac le premier jour de Septembre 1675, Collaiionné. Signé , Colbert, Et pour copie , J^Aurt^iER. J'ay l'honneur d'être avec un profond ref» pe£t , &c, du Levant. Lettre XIII. 167 ■6&Î- Ê*3- -K&3- E-&3 : -&5* -S^3- f& •$• £<£3- -fc** 6*3- -S*3- **3 •£** Lettre XIII. y^ M.on[e)gneur le Comte de Pontchartraïn , Secré- taire d'Etat & des Commandcmens de Sa Ala~ jeflé y &c. A VJL OnseigneuRj Si vous n'aviez pas deftiné mes relations à DuGou- paroître au jour } je me garderois bien, de vous verne- entretenir d'une infinité de chofes quevous fçavez ^["p beaucoup mieux que moi ; mais comme vous m'a- licique vez ordonné de faire part au public de ce qui fe des pailè dans le Levant , je crois que vous ne trou- Tuics« verez pas mauvais que j'infére dans les lettres que j'ai l'honneur de vous adrclîer , plutieurs chofes que tout le monde ne fçait pas , ou qui ©nt reçu divers changemens depuis qu'on les a publiées : je tâcherai même de faire fentir les véritables caufes de ces changemens. Il fiut au- paravant découvrir 3 pour ainii dire , les fonde- mens de l'Empire des Turcs , & démontrer lcs principes iur lcfquels leur domination s'eft établie. Ceux qui ne remontent pas jufques à l'origi- ne de cet Empire , trouvent d'abord le gouver- nement des Turcs fort dur 5 & preique tyrani- que : mais Ci l'on confidere qu'il a pris naiflan- ce dans la guerre , & que les premiers Otho- nians ont été de père en fils les plus redoutables ponquerans de leurs fiecles y on ne fera pas furpris 2.68 V O Y A G H quils n'ayent mis d'autres bornes à leur pouvoir, due leurs ieules volonrez. Pouvoit-on efperer que des princes qui ne dé- voient leur grandeur qu'à leurs armes , fe dé- pouillaient du droit du plus fort en faveur de leurs efclaves ! Un Empire dont onjeteroit les fondemens pendant la paix , & dont les peu- ples fe choifiroient un chef pour les gouverner, devroit ioliir naturellement d'un grand repos , & l'authorité pour roi t s'y trouver comme par- tagée. Mais les premiers Sultans ne devant leur élévation qu'à leur propre valeur: tout remplis des maximes de la guerre , affectèrent de fe faire obéir aveuglément , de punir avec févé» rite , de tenir leurs fujets cLns l'impuifTance de fe révolter : en un mot de ne fe faire fervir que par des perfonnes qui leur fulfent redevables de leur fortune , qu'ils putfent avancer fans faire naître de jaloufic , «Se dépouiller fans commettre d'injuftice. Ces maximes qui fubfiftent chez eux depuis quatre fiecles , rendent le Su(tan maître abfoin de fon Empire -, s'il en pofiede tous les fiefs , il ne fait que jouir de l'héritage de fes pères -, s'il a droit de vie & de mort fur fes peuples , il les regarde comme les defeendans des efclaves de (es ancêtres. Ses fujets en font fi perfuadez, qu'ils ne trouvent point à redire qu'à fes premiers or- dres on leur ôte le vie ou les biens : on leur infpire même dés le berceau , par une politique très rafînée , que cet excès d'obéïlfance eft plu- tôt un devoir de religion , qu'une maxime d'E- tat. Sur ce préjugé les premiers officiers de l'Em- pire conviennent que le comble du bonheur &: de la gloire , eft de finir fa vie par la main ou du Levant. Lettre XIII. 169 par l'ordre de leu». maître. Les Sauvages de Ca- nada font encore plus tranquilles fur cet article que les Turcs. Sans avoir lu Epi&ete ni les Stoïciens, ils regardent naturellement la mort comme un très- grand bien, & fe moquent de nous qui plaignons le fort de ceux que l'on fait mourir : ces Sauvages chantent au milieu des fl.immes > & la douleur la plus vive les frappe moins, qu'ils ne font flattez de l'efperance d'une vie pliis fortunée. Le Grand Seigneur eft adoré de fes fujets j il fe les attache par le moindre bienfait , car ils ne poiTédent aucuns biens que ceux qu'ils tiennent de lui. Son Empire s'étend depuis la m~r Noire jufques à la mer Rouge : il polféde ce qu'il y a de meilleur en Afrique ; maître de toute la Grèce , il eft reconnu jufques fur les frontières de Hongrie & de Pologne : enfin il peut fe vanter .que fes predécefleurs ou letirs Grands Vifirs font venus afïieger la capitale de l'Empire d'Oc- cident , & qu'ils n'ont lailfé que le Golphe de Ve- nife entre leurs terres & l'Italie. Apres celacroî. ra-t-on qu'il y ait eu des Sultans qui n'ont vécu que des revenus des jardins Royaux dépendans de l'Empire , quoique ces revenus ne montent , mê- me aujourd'hui , qu'à des fournies médiocres ? on a veu auffi. quelques Sultans qui ne vivoient que du travail de leurs mains , & l'on montre encore à Andrinople les outils dont Sultan Mourat fe (ervoit pour faire des flèches que l'on vendoic à fon profit dans le Serrail : il y a apparence que les courtifans payoient bien cher l'ouvrage de l'Empereur. Il s'en faut beaucoup qu'on ne vive aujourd'hui dans la msûfondu Prince avec la mê- me frugalité, * IjO V O Y A G S Les Sultans de crainte qu'on ne les trouvât dé* farmez,(e iont fait des chaînes à eux-mêmes & & leur pofterité , en inftituant une milice rormi- dablc , qui fubfitte également en temps de paix & en temps de guerre. Les Janillaires 6c les Spahis balancent tellement la puillance du Prince , quel- que abfolu tju'il toit , qu'ils ont quelquefois l'in- folencc de lui demander la tête. Ils dépotent les Empereurs 6c en créent de nouveaux avec plus de facilité que les troupes Romaines ne le faifoient dans leurs temps : c'eft un frein pour les Sultans qui empech* la Tyrannie* Les revenus de l'Empereur font en partie fixes & en partie cafuels ; les fixes font les douanes ; la capîtation que l'on impolç fur les Juifs 6c fur les Chrétiens ; la taille réelle quffe prend fur les denrées que l'on retire des terres ; 6c les tributs annuels que le Kan des petits Tartares , les Prin- ces de Moldavie éx^de Valaçhic, la Republique de Ragufe , une partie de la Mengrelie 6c la Rufiie payent en or. Il faut ajouter à cela cinq millions de livres que l'Egypte produit»; carde douze millions que ce grand Royaume fournie en fequins frappez dans le pais , la folde des milices le premier Portiex Eunu CJCCS n oirs. du Levant. Lettre XIII. 177 «de l'apparrement des femmes ; les deux Prêtres de la Mofquée Royale où elles vont faire leurs prières. Les Ichoglans font de jeunes gens qu'on eleve Ichog^s dans le Serrail , non feulement pour fervir aupre's A*a* du Prince ; mais aufli pour remplir dans la fuite m°S **' les principales charges de l'Empire, Les Azamo- glàns font ceux que l'on nourrit dans le même Palais pour les offices les plus bas. Pour ne pas rendre les dignitez héréditaires ou fuccefïives , ôc n'élever aucune famille qui pui(fe former un grand parti : bien loin de donner des furvivances aux enfans des Vifirs &c des Pachas il eit ordonné qu'ils ne fçauroienr tout au plus devenir que Capitaines de galère : s'il y a des exemples contraires , ils font bien rares. Il nJy a même pas long-temps que les Empereurs ne fe fervoient que de gens qui n'avoient ni parents ni amis dans le Serrail : on y amenoit continu- ellement des Provinces les plus éloignées , de jeunes enfans Chrétiens , pris à la guerre , ou levez par tribut en Europe ; car ceux d'Afïe en étoient exempts : on choifilfoit parmi eux les plus beaux , les mieux faits , & ceux qui paroiflbient avoir le plus d'efprit &: les meilleurs fentimçns. Leurs noms , leur âge , leur pays étoient enre les plus jeunes font quelquefois refer- vées pour le nouvel Empereur , ou mariées à des Pachas. Quoi qu'il en foit comme c'eft un crime de voir celles qui reftent dans le Palais, il faut peu compter fur tout ce qu'on en a écrit : quand même on pourroit trouver le moyen d'y entrer , qui e(l-ce qui voudroit mourir pour un coup d'ceil fi mal employé > Ain fi que ces belles entrent parles pieds du lit du Sultan, comme quelques- uns ont voulu le faire croire , ou par les cotez , je n'en déciderai pas , je me contente de les re- garder comme les moins malheureufes efclaves qui foienc au monde ; la liberté cft toujours pré- férable à un fi foible bonheur. Que dire d'un lieu où l'on admet à peine le premier Médecin du Prince , pour voir des fem- mes à l'agonie ? Se encore ce Dodteur ne peut-il les voir ni en être veu : il ne lui eft permis de ra- ter le poux qu'au travers d'une gaze ou d'un crêpe, bu LevAnî, Lettre XII L 289 crêpe , & bien fouvent il ne fçauro'it diftinguer fi c'eft l'artère ou les tendons qui fe remuent : les femmes mêmes qui prennent foin de ces malades, ne feauroient lui rendre compte de ce qui s'efi tiafie ; car elles s'enfuyent avec grand foin , & il ne refte autour du lit que les Eunuques pour em- pêcher le Médecin de voir la malade , & pour le- ver feulement les coins du pavillon de ion lit , autant qu'ils le jugent necellaire pour laiffer paf- fer le braâ de cette moribonde. Si le Médecin demandoit à voir le bout de la langue ou àtâter quelque partie il feroit poignardé fur le champ. Hippocrate avec toute fa feience eût été bien em- barralTé s'il y eût eu des Mufulmanes de fon temps. Pour moi qui ai été nourri dans ion école & fui- vant fes maximes , je île fçavois quel parti pren- dre chez les Grands Seigneurs, quand j'y étois appelle , & que je traverfois les appartemens de leurs femmes : ces appartemens font faits comme les dortoirs de nos Relîgieufes , & je trouvois à chaque porte Un bras couvert de gaze qui avan- coîc pat un trou fait exprès. Dans les premières vifites je croyois que c'étaient des bras de bois ou de cuivre deftinez pour éclairer la nuit ; mais je fus bien furpris quand on m'avertit qu'il fal- loir guérir les perfonnes à qui ces bras appar- tenaient, C'efl: à tort que l'on prétend que les Juives peu- vent entrer dans tous les appartemens des Dames du Serrail pour leur vendre des bijoux : elles ne feauroient .avancer au delà d'une certaine fale où fe' fait ce commerce , & la porte ne leur en eft ouverte qu'après que les Eunuques les ont bien& dûê'mcnt vifitées ; un homme qui feroit furpris travefti en femme feroit égorgé dans la Tome l L % zpo Voyage moment , &une Chrétienne y feroit très -mal re- çue. Les Eunuques feuls font les melîages Se les marchez : iis portent les bijoux , & rapportent l'argent ; mais ils lçavcnr bien fc faire payer de leurs peines. Apres tout quel ufage peuvent faire des iequins , ces Eunuques qui n'ont ni parens ni amis , & qui ne fçauroient goûter d'autre plai- fir que celui de toucher leur or & de le dévorer avec les yeux : on dit pourtant que leur principa- le vue e(t de le garder pour lauver leur vie , lors des révolutions qui arrivent à la mort des Sultans; mais rarement s'en prend-on à ceux qui gardent les femmes. L'Inten- Les autres Officiers qui gardent le Serrail dont Hmnchs £1 nous pg^g à parler ; font l'Intendant des bains, amS. le Grand Fauconier , dont les Officiers portent eûmes -, . ... i l r> j Officiers l'oileau iur le poing de la main droite ; le Grand. du Set- Veneur qui a fous lui plus de douze cens piqueurs rai1- ou valets de chiens > le Gouverneur des chiens courans & des braques -, celui des lévriers , des dogues & des épagneuls ; le Grand Ecuyer qui a deux premiers Ecuvers fous lui , iefquels com- mandent à pluileurs Officiers , ck ceux-ci à un nombre infini de palefreniers ; car il n'y a point de pays où les chevaux foient mieux penfez qu'en Turquie. On les nourrit d'un peu d'orge &c de paille hachée qu'on leur diftribuë foir ck matin en petite quantité , ils parlent le relie de la jour- née au filet & deviennent par- là capables des plus grandes courfes ; on alïure même que les chevaux qui viennent d'Arabie & des environs de Baby- lone font des traîtres de trente lieues fans débri- der: ils ont les jambes admirables ; mais ils n'ont ni croupe ni encolure. Il ne faut pas oublier deux autres fortes d'Ouï- bu Levant, lettre X II I. i«>i eiers qui font d'un grand ufage au Grand SeU gneur tant dedans que dehors le Serrail j ce font les Capigis & les Chiaoux. Le corps des Capigis L« C** ou Portiers eft d'environ quatre cens perfonnes , PlSlSi commandées par quatre Capitaines de la Porte qui font de garde chacun à leur tour les jours de Confeil : la folde des portiers eft de quinze afpres par jour, qui reviennent à dix fols de nôtre mon- noye : leur habit eft femblable à celui des Janif- faires , mais ils n'ont point de cornes devant leur bonnet. Cinquante de ces Capigis font de garde tous les jours à la porte de la première cour dit Serrail , & il y en à autant à celle de la cour du Divan. Quand le Grand Seigneur eft mal fatis-, fait de la conduite d'un Viceroy ou d'un Gou- verneur j il lui envoyé un de ces Capigis avec or- dre de demander fa tête. Le Capigi la coupe après l'avoir étranglé ; la met dans du fel pour la con- ferver Ci le chemin eft long , & la porte dans un fac au Sultan ; ainfi ces Capigis font autant de bourreaux. Les Chiaoux font employez à des commifîions J;es plus honnêtes , ils portent les ordres de l'Empe- hlâou reur dans tous fes Etats , ôc font chargez des let- tres qu'il écrit aux Princes louverains : ce font comme les Exempts des Gardes du Grand Sei- gneur. Leur corps eft d'environ fix cens hom- mes , commandez par un chef qui s'appelle le Chiaotix-Bachi : cet Officier fait la fonction de Grand Maître des cérémonies & d'Introducteur des Ambalîadeurs. Les jours de Divan il fe trou- ve à la porte de l'aopartcment du Grand Seigneut avec le Capitaine des Gardes qui eft de fervice* La paye des Chiaoux ell depuis douze aipres pat jour jufques à quarante t ils font à la difpofitio& Tij %$% V d Y A G 2 du Grand Vifir , des Vifirs , des Beglieibcïs , &C mêmes des fimples Pachas ; mais on diftingue par la pomme de leurs bâtons , ceux qu'ils fervent : car cette pomme eft d'argent pour les premiers Officiers , au lieu qu'elle n'eft que de bois pour les autres. La plupart des Chiaoux font l'orrice de fergens pour aiîigner les parties à comparoïtre au Divan , ou à s'accommoder entre elles ; mais ils ne quittent jamais leur bâton ni leur bonnet : ce bonnet eft fort grand , femblable au bonnet de cérémonie des premiers Officiers de l'Empire» Il eft temps , Monfeigneur , que je vous en- tretienne des Officiers qui logent hors du Palais du Prince , & qui n'y viennent que lorfqu'ils font mandez , ou que le devoir de leur charge les y appelle. Le Sultan met à la tête de fes Mi- niftres le Grand Vifir, qui eft comme fon Lieu- tenant général avec lequel il partage , ou à qui Du Gtâd il laide tous les foins de l'Empire. Non feule- Viur, ou ment le Grand Vifir eft chargé des finances , des premier „rc • > > « 1 r - 1 1 T '. *• Yùu. attalres étrangères , & du loin de rendre la juftiee pour les affaires civiles &c criminelles j mais il aie département de la guerre & le commandement des armées. Un homme capable de foûtenir di- gnement un fi grand fardeau eft bien rare & bien extraordinaire : cependant il s'en eft trouvé qui ont rempli cette charge avec tant d'éclat , qu'ils ont fait l'admiration de leur fiécle. Les Cuperlis pere & fils ont triomphé dans la paix & dans la guerre , ôc par une politique prefque inconnue jufques alors 3 ils font morts tranquillement dans leurs lits. Cuperli leur parent , qui fut tué à la bataille de Salanlcemen , étoit un grand homme aufïï : il auroit peut-être mis à couvert l'Etat des grandes révolutions dont il eft encore ©u Levant. Lettre X 1 1 1. ly^ menacé. Cet Empire qui femble décliner aujourd'- hui auroit befoin de pareils Miniftres. Quand le Sultan nomme un Grand Viiîr , il lui met entre les mains le fceau de l'Empire , fur le- quel eft gravé Ton nom : c'eft la marque qui ca- ractérife le premier Miniftre ; aufît le porte-t-il toujours dans Ton fein. Il expédie avec ce fceau tous fes ordres, fans confulter & fans rendre com- pte à perfonne. Son pouvoir eft fans limites , lï ce n'eft à l'égard des troupes , qu'il ne fçauroit faire punir fans la participation de leurs chefs. A cela près il faut s'adrelfcr à lui pour toutes fortes d'af- faires 3 & en palfer par fon jugement. Il difpofe de tous les honneurs & de toutes les charges de l'Empire , excepté de celles de judicature. L'en- trée de fon Palais eft libre à tout le monde , 8c il donne audience jufq ues au dernier des pauvres. Si quelqu'un pourtant croit qu'on lui aie fait quelque grande injuftice , il peut ie prefenter devant ie Grand Seigneur avec du feu fur fa tête; ou mettre fa requête au haut d'un rofeau & por- ter fes plaintes à fa Hauteiïè. Le Grand Vifir foûtient l'éclat de fa charge avec beaucoup de magnificence , il a plus de deux mille Officiers ou domeftiques dans fon Palais , & ne fe montre en public qu'avec un Turban garni de deux aigrettes chargées de diamans & de pierreries , le harnois de fon cheval eft femé de rubis Se de turquoifes , la houfle brodée d'or ôc de perlcs.Sa garde eft compofée d'environ quatre cens Bofniens ou Albanois,qui touchent de paye depuis douze jufques à quinze afpres par jour : quelques- uns de ces foldats l'accompagnent à pied quaild il va au Divan , mais quand il marche en campa- gne i ils font bien montez de portent une lance , T iij 3-9+ V O Y A G E une épce , une hache, & des piftolets. On les appelle Delis , c'eft-à-dire foux , à caufe de leurs fanfaronades & de leur habit qui eft ridicule -y car ils ont un capot comme les matelots. La marche du Grand Vihr eft précédée par trois queues de cheval terminées chacune par une pom- me dorée , c'eft. le figne militaire des Othomans qu'ils appellent Thon ou Thouy. On dit qu'un Général de cette nation , ne (cachant comment rallier Tes troupes, qui avoient perdu tous leurs étendarts , s'aviia»de couper la queue d'un cheval & de l'attacher au bout d'une lance ; les foldats coururent à ce nouveau lignai & remportèrent la victoire. Quand le Sultan honore le Grand Vifir du com- mandement d'une de Tes armées , il détache à la tête des troupes , une des aigrettes de Ton Tur- ban , & la lui donne pour la placer fur le lien : ce n'eft qu'après cette marque de diftinction que l'armée le reconnoît pour Général , & il a le pou- voir de conférer toutes les charges vacantes , mê- me les Viceroyautez & les Gouvernemens aux Officiers qui fervent fous lui. Pendant la paix , quoique le Sultan ., difpofe des premiers emplois, le Grand Vifir ne lailfe pas de contribuer beau- coup à les faire donner à qui il veut , car il écrit au Grand Seigneur 6i reçoit fa reponfe fur le champ *. c'eft de cette manière qu'il avance fes créatures , ou qu'il fe vange de fes ennemis ; il peut faire étrangler ceux-ci , fur la fimple rela- tion qu'il fait à l'Empereur de leur mauvaife con- duite. Il va fouvent la nuit vifiter les prifons , & mené toujours avec lui un bourreau pour faire mourir ceux qu'il juge coupables. Quoique les appointemens de la charge de du Levant. Lettre XI IL 19$ Grand Vifir ne foicnt que de vingt mille c'eus , il ne laiffe pas de jouir d'un revenu immenfe. Il n'y a point d'Officier dans ce varie Empire qui ne lui faiîe des prefens conlîderablcs pour obtenir ou pour fe conferver dans Ta charge : c'eft une efpe- ce de tribut indifpenlable. Les plus grands enne- mis du Grand Vifir, (ont ceux qui commandent dans le Scrrail après le Sultan , comme la Sulta- ne mère , le Chef des Eunuques noirs , &c la Sul- tane favorite ; car ces perfonnes ayant toujours en vue' de vendre les grandes charges, & celle du Grand Vifir étant la première de toutes , elles font obferver jufques à fes moindres actions: avec tout fou crédit , il eft donc environné d'cfpions -, Se lespLiillanc.es qui lui font oppofées, font quel- ques fois foulever les gens de guerre , qui ious prétexte de quelque mécontentement , deman- dent la tête ou la déposition du Miniftre : le Sul- tan pour lors retire fon cachet , & l'envoyé à ce- lui qu'il honore de cette charge. Ce premier Miniftre cft donc à fon tour obli- gé de faire de riches prefens pour fe conferver dans fon pofte. Le Grand Seigneur le fuce con- tinuellement , foit en l'honorant de quelques- unes de fes vifites qu'il lui fait payer cher , foie en lui envoyant demander de temps en temps des fommes confiderables ; ainfi le Vifir met tout à l'enchère pour pouvoir fournir à tant de dépen- ces : fon Palais eft le marché où toutes les grâces fe vendent $ mais il y a de grandes mefures à gar- der dans ce commerce , car la Turquie eft le pays du monde où la juftice eft fouvent la mieux obfer- véc parmi les plus grandes injuftices. Si le Grand Vifir a le génie de la guerre , il y trouve mieux fon compte que dans la paix. Quoi- T nij 296 Voyage que le commandement des armées Péloïgne d? la Cour , il a Tes pensionnaires qui agilfcnt pour lui en Ton abfence -, & la guerre avec les Etran- gers , pourveu qu'elle ne Toit pas trop allumée , lui eft plus favorable qu'une parc qui cauferoit, des guerres civiles. La milice s'occupe pour lors fur les frontières de l'Empire , & la guerre ne lui permet pas de penfer à des foulevemens ; car les çfprits les plus remuans & les plus ambitieux , cherchant à fe diftinguer par de grandes actions, meurent fouvent dans le champ de Mars ; d'ail- leurs le Miniftre ne fçauroit mieux s'attirer l'efti- rne des peuples , qu'en combattant contre les in- fidelles. „„.- , Après le premier Vifirâl v en a fix autres qu'on Banc ou nomme iimplcment Viiirs , Vilirs du Banc ou du du Con. Confeil , Se Pachas à trois queues , parce qu'on feil , & pjrte trois queues de cheval quand ils marchent , Pachas au jjeu qUjon n>en porte qu'une devant les Pa- queiies. cnas ordinaires. Ces Vilirs font des perfonnes fa- ges , éclairées , fçavantes dans la loy , qui affi- lient au Divan , mais ils ne difent leur feptimenr, fur les affaires qu'on y traitte , que lors qu'ils en font requis par le Grand Vifir , qui appelle fou- vent auiïi dans le Confeil fecret , le Moufti& les Cadilefquers ou Intcndans de Jufticc. Les ap- pointemens de ces Vifirs font de deux mille écus par an : le Grand Vifir leur renvoyé ordinaire- ment les affaires de peu de confequence, de même qu'aux Juges ordinaires ; car comme il eft l'In- terprète de la loi dans les chofes qui ne regar- dent pas la religion , il ne fuit le plus fouvent que fon fentiment , foit par vanité , foit pour faire fentir fon crédit. rtwa-. ^e Grand Vifir tient tous les jours Divan che# du Levant. Lettre XIII. 297 lui excepté le vendredi qui eft le jour de repos kre de chez les Turcs. Pendant le refte delà femainc , j,l,tice» il va quatre fois au Divan du Serrail', fçavoir , le « fn. Samedi, le Dimanche , le Lundi , & le Mardi j il eft précédé du Chiaoux-Bachi , de quelques Chiaoux & de pluiîeurs Sergens à verge , accom- pagné des plus grands Seigneurs de l'Empire , fui- vide fa garde Albanoife , & de plus de quatre cens perfonnes à cheval , qui marchent parmi une populace infinie , laquelle fait mille acclama- tions pour fa profperité. Les jours du Divan, une heure avant le lever du Soleil , trois Officiers à. cheval fe rendent devant le Serrail , pour y faire quelques prières en attendant l'arrivée des Mini- ftres, & les trois Officiers les faliïent à haute voix, & par leurs propres noms , à mefiire qu'ils pafl fent. Les Pachas perdent leur gravité à la vue du Palais , ils commencent à galoper à trente ou qua- rante pas de la porte , & ils fe rangent à droite dans la première cour pour attendre le Grand Vi- iir. Les Janifïaires & les Spahis vont fe placer dans la féconde cour fous les galeries ; les Spahis à gauche & les Janiftaires à droite. Tout le mon- de d«fcend de cheval dans cette première cour : on pafTc enfuîte dans la féconde , mais l'on n'ou- vre la porte du Divan , que quand le Grand Vifir arrive , Se après qu'un Prêtre a fait la prière! pour l'ame des Empereurs morts & pour la fanté de ce- lui qui règne. Ceux qui ont à faire au Divan , entrent en fou- le dans cette fale : les Vifirs & les Intendans de Juftice , par refpect , n'entrent qu'avec le Grand Vifir , & alors tout le monde fe profterne jufques à terre. Quand ce premier Minîftre eft aflïs , les 4eux Intendans 4e Juftice fe mettent à fa gauefre, i<)8 V O Y A G 1 qui eft la place la plus honorable parmi eux , ce- lui d'Europe eft le premier roue près du Grand Vifir, & celui d'Afic le fécond : enfuite fe placent les Threforicrs Généraux de l'Empire , parmi les- quels il y a un Surintendant & deux Artifans. Les Vifirs fe mettent à fa droite félon leur rang avec le garde des Sceaux : s'il y a quelque Beglierbey ou Viceroy de retour de Ion gouvernement , le Grand Vifir lui fait l'honneur de lui donner fcéan- ce après les Vifirs. On commence par les affaires de Finance. Le Chiaoux-Bachi va le premier à la porte du thre- for pour en lever le (ceau & le porte au Grand Vifir qui examine s'il eft entier. On ouvre en- fuite le threfor , pour y mettre ou pour en tirer l'argent neceftaire pour payer les troupcs,ou pour les autres deftinations ; après quoi le Grand Vifir redonne le fceau pour être appliqué à la porte du threfor. Après les affaires de Finance , on traitte de celles de la guerre : on examine les demandes ôc les réponfes des AmbafTadeurs , on expédie les commandement de la Porte , les Patentes , les Provifîons , les Pafteports , les Privilèges. Le Reys-ErTendi ou Secrétaire d'Etat , reçoit des mains du Grand Vifir toutes les dépêches & les expédie: fî ce font des commandemens de la Porte, le Chancelier les fceile,mais pour les lettres de ca- chet le Grand Vifir y met feulement au bas le ca- c'ict de l'Empereur, qu'il imprime lui-même après l'avoir trempé dans l'ancre'. On palfe enluite aux caufes criminelles ; l'aceufarcur le prefente avec les témoins , & le coupable eft abfous ou con- damné fans délay : on finit par les affaires civiles qui fe préfentent. C'eft à ce Tribunal où le dernier homme de du Levant. Lettre XIII. 299 l'Empire a la confolation de tirer raifon des plus grands Seigneurs du pays ; le pauvre a la liberté de demander juftice ; les Mufulmans , les Chré- tiens , les Juifs y (ont également écoutez : on n'y entend point mugir la chicane en farie , on n'y voit ni Avocats ni Procureurs , les commis des Secrétaires d'Etat lifent les Requêtes des particu- liers. Si c'eft pour dettes , le Vihr envoyé cher- cher le débiteur par un Chiaoux , le créancier ameine les témoins & l'argent eft compté fur le champ , ou le débiteur eft condamné à recevoir un certain nombre de coups de bâton. Si c'eft: une queûion de fait } deux ou trois témoins en font la décihon à l'heure même ; de quelque na- ture que foit une aftaire,elle ne traîne jamais plus de fept ou huit jours. On a recours à l'Alcoran s &c le Vifir interprète la loi fi c'eft une queition de droit. Pour une affaire de confeience , il con- fulte le Moufti par un petit billet où il expofe l'é- tat de la queftion fans nommer perfonne. A l'é- gard des affaires de l'Empire , il envoyé l'abrégé des Requêtes au Grand Seigneur, & en attend la réponfe. Les commis du Secrétaire d'Etat , écrivent tontes les refolutions prifes par le Grand Vifîr : le Secrétaire efl: environné de Greffiers qui font les écritures en auiïi peu de mots qu'il eft poffible , ôc il délivre toutes les Sentences : après quoi il n'y a point d'appel , on n'y revient ni par caffation d'Arreft , ni par Requête civile. Il faut convenir d'un autre côté que les procez font bien plus rares en Turquie que chez nous ; car les fu jets du Grand Seigneur n'ayant que l'u- fufruit des biens qu'ils pollêdent fous fon bon plaifir , ne laiffent pas grande îïîatiére de conte- ltatiou en mourant ; au lieu que nos donations 9 500 Voyage nos teftamens , nos contrats de mariage, font des fources de procez. Un Italien me difoit un jour à Conftantinople , qu'on feroït bien heureux en Europe , fi l'on pouvoit appeller de. nos Tribu- naux au Divan : fa reflexion me fît rire , car ajoû- toit-il on feroit aifément le voyage de Conftanti- nople , & même de toute la Turquie s'il étoit nécetîaire , avant qu'un procez foit jugé diffiniti- vement en Europe. Un Turc d'Affrique plaidant au Parlement de Provence contre un marchand deMarfeille , qui l'avoit fait promener pendant longues années de tribunal en tribunal, fit une piaiiante réponfe à un de Tes amis qui voulut s'in- former 4e l'état de fes affaires. Elles font bien changées , dit l'Afriquain , lorfque j'arrivai dans ce pays-ci ,favois un rouleau de piftoles d'une braffe de long , & tout mon procel^ étoit énoncé fur une demi feuille de papier ; prefentement j'ai plus de quatre brajfcs d'écriture , & mon rouleau n'a que demi pouce de long. Avec toutes ces précautions , on ne laifle pas de faire de grandes injuftices en Turquie, car on y reçoit toutes fortes de perfonnes en témoigna- ge , & les plus honnêtes gens font quelquefois expofez à perdre leurs biens & leur vie , fur la /împle déposition de deux ou trois faux- témoins. Si la jufticc eft bien exercée dans le Divan de Conftantinople , c'efl: que l'on appréhende que le Sultan ne foit aux écoutes à la fenêtre qui répond fur la tête du Grand Vifir , de qui n'eft fermée que d'une jaloufie & d'un crêpe : combien ne commet-on pas d'injuftices criantes dans les Di- vans des autres villes , où les Cadis fe laiftent le plus fouvent corrompre par argent , & emporter par leurs pallions. Il eft vrai, que l'on peut ap- du Levait. Lettre XII t. $of peller de leurs jugemens à Conftanrinople , mais tout le monde n'eft pas en état de faire le voya- ge. Voici encore un grand abus. Les Religieux Turcs par un privilège particu- lier ne font point fournis à la juftice ordinaire ; ainfi plufieurs perfonnes qui fe font enrichies dans le maniement des affaires , 6c qui appréhen- dent les recherches, fe font De) vis on Santons. Il n'y auroit pas d'ordre Religieux fi puilïànt par- mi les Chrétiens , que le deviendroit celui où pourroient être reçus ceux à qui il feroit permïsj après avoir ruiné les Provinces par leurs conçut- fions , d'imiter en cela la conduite des Turcs. La milice a le privilège de n'être jugée que par ceux qui la commandent , ou par leurs Officiers fubdéleguez. Pendant les quatre heures que dure le Divan de Conftantinople , les Spahis & les Ja- nilTaires font dans la féconde cour fous les gale- ries , où ils gardent un filence profond , 8t tien- nent chacun à la main un bâton d'argent doré. Le Colonel de la cavalerie , & celui de l'infanterie y rendent juftice chacun à leurs foldats , aufquels il eft défendu , pour éviter le defordre , de fortir de leurs places fans être appeliez : s'ils ont quel- ques Requêtes à prefenter , ils les remettent à deux de leurs compagnons , qui font deftinez pour aller & pour venir. Ce privilège authorife de grands maux dans les Provinces : car la plupart des icelerats fe mettent parmi les Janiflaires pour évi- ter le châtiment de leurs crimes. J'ai oublié de vous dire , Monfeigneur , qu'il y a un cabinet à côté de la fale du Divan occupé pendant le Confeil par plufieurs Officiers, tels que font les Garde-rolles des revenus du Grand Seigneur ; celui qui enxegiftre tout ce qui entjç 5oi Voyage dans le threfor public , ou qui en fort ; celui qui eft prépolé pour faire pefer , 8c pour éprouver lesefpcces. Le Chiaoux-Bachi & le Capigi-Bachi vont & viennent dans la cour pour exécuter les commandemens du Grand Vifir. Les A m ballade urs ont toujours leurs audiences du Grand Seigneur un jour de Divan, & ils y font introduits par le Capitaine des gardes qui eft de fervice : l'Ambalfadeur fe met (ur un placée vis-à-vis le Grand Vifîr , & l'entretient en atten- dant que Ton ferve à dîner : après cela l'on fait porter dans la fale les prefens que l'Ambafladeur doit faire. Lcifque le Grand Vi/ir & les autres Officiers du Divan les ont confiderez , les Capigis les emportent pièce à pièce faluent le Sultan les pre- miers , &c font conduits chacun par deux Capigis du Levant. Lutre XIII. 505 qui les portent fous les bras. L'Ambaffadeur mê- me qui félon la coutume du pays le falue* le der- nier , eft porté en cette pofture par deux Capitai- nes de la Porte j 3c la marche fe fait de telle ma- nière qu'ils ne tournent jamais le dos au Sultan, On lui baifoit autrefois la main , mais on a jugé à propos de rétrancher cette cérémonie depuis que Amurat I. du nom , filsd'Orcan fut poignar- dé par un malheureux qui crût par là venger la mort du Deipote de Servie fon maître. On a baifé pendant certain temps une longue manche qui étoit attachée tout exprès à la vefte de l'Empereur; Mr de Cefi &c Mr de Marche ville Ambaliadcurs de France ont eu cet honneur. Mais cet ulage a été aboli depuis peu , & à prefent les Ambalîa- dcurs font an iîmple falut , quoique les Capitai- nes des Gardes afredtent autant qu'ils peuvent de les faire incliner , ce qui ne leur réiïfiit pas 3 car les Ambatïadeurs avertis de ce qui fe doit pafïer, fe tiennent ferme &c fc ro Édifient de toutes leurs forces. Après avoir fait leur révérence ils relient feuls dans la fale avec le Secrétaire de l'Ambaûa- Drograj de& l'Interprète , à qui ils remettent les Lettres de leur Prince après les avoir décachetées ; cet Interprète les explique , enfuitc ils fe retirent. Le Sultan falue" l'Ambaffadeur avec une légère in- clination de tête , il s'entretient un moment avec les Vifirs fur le fujet de l'Ambafîade , Se il déli- bère fur les affaires dont il eft queftion , fuppofé qu'elles foient de conféquence. Le Grand Vifîr s'en retourne au Divan , où il refte j niques à mi- di qui eft l'heure que le Confcil doit finir : après quoi il fe retire chez lui précédé de deux com- pagnies , l'une de Janiflaires , l'autre de fes Chiaoux à cheval , de fa Garde à pied , & fuivi $64 toV ÀC! d'une infinité de gcris qui forment une Cour très- hombreufe. L'Empereur fe fait rendre compte ordinaire- ment le jour du Divan par les principaux Offi- ciers , de tout ce qui s'eft pane dans l'àifemblée , & principalement du devoir de leurs Charges. Ils font mandez pour cela l'un après l'autre. Le Ja- iiilïaire Aga voyant venir à lui le Capigi Bachi & le Chiaoux-Bachi , s'avance avec quatre Capi- taines de fes troupes , qui l'accompagnent jufques à l'appartement du Prince \ il les conjure à cette porte de prier Dieu qu'il infpire au Sultan le par- don de fes fautes. Il entre feul pour fnbir fon in- terrogatoire Se s'en retourne en paix , fi le Prince eft facisfait de fâ conduite: file Sultan le trouve coupable , il frappe du pied à terre , & à ce li- gnai les Muets étranglent l'Agâ fans autre for- malité. Le Spahîs-Àgà eft mandé chez le Grand Sei- gneur pour le même fnjet ; mais il en fort ordi- nairement plus content , je ne fçai pas quelle cil eft la raifon. Les autres Grands de l'Empire crai- gnent aufïï de tomber fous la coupe , ou pour mieux dire , fous le cordon des Muets. Il n'y a que les Intendans de Juftice qui ne font pas fujets à cette trifte avanturé , parce qu'ils font gens de loi. Quelquefois le Sultan confulte le Moufti avant que de faire mourir fes Officiers. Il lui demande par écrit quelle punition meriteroit un cfclave qui auroit fait telle faute. Le Moufti qui fçait bien que ce n'eft qu'une formalité, & qu'on pourroit fe paffer de lui faire cet honneur s'il n'entroit pas dans le fentiment de fon Maître, ne manque pas de conclure ordinairement à la mortj & bien fouvent c'eft contre fon- meilleur ami. tes du Levant. Lettre XIII. $o$ Les préfcns donc le Grand Seigneur honore le premier Vifîr , font toujours fufpe&s. Il faut au moins les reconnoîtrc par une forante qui répon- de a la grandeur du Maître. Quelquefois par une grande diftinction , ce Prince donne le matin à ion premier Miniftre laveftc qu'il a portée le jour précédent , Se l'après midi il envoyé demander fa tête : cette tête fe livre avec une refignation en- tière j tant il eft vrai que la nature cède quelque- fois aux préjugez. C'eft la prévention qui fait les martyrs dans toutes les religions, excepté chez les Chrétiens, où le martyre eft un eftet de la Grâce. Si Mr Defcartes & Mr Gaifendi avoient fait le voyage de Conllantinople , comme ils en avoient eu la penfee , combien d'excellentes ré- flexions n'auroient-ils pas faites fur la morale &C fur la politique des Turcs ? Les Grands de la Por- te meurent tranquillement de mort violente , de croyent mourir faintement &c glorieufement (î c'eft par l'ordre du Sultan , au moins en font-ils le femblant , &c par politique , fans leur donner le temps de réfléchir , on leur accorde feulement celui de faire une courte prière. Quand le Grand Vifir n'eft pas à Conftantino- Le C*1" pie , le Caimacan en fait la fonction fous fes or- dres. En effet le mot de Caimacan fignifie en Tur- quie Lieutenant ou Vicaire. Ce Lieutenant tient le Divan & donne audiance aux AmbalTadeurs \ mais le plus grand agrément de cette Charge , c'eft qu'il ne répond pas des evénemens pour les affaires d'Etat \ & s'il fe pafte quelque chofe ou le Grand Seigneur trouve à redire , le Caimacan s'en exeufe fur les ordres qu'il a reçus du pre- mier Vifir. Le Caimacan outre cela eft Gouver- neur de Conftantinople , où il fait exercer une Tome IL V $o6 V (» Y A O E une Police admirable Si un Boulanger vencî cfe pain à faux poids , on le tient pendant 24. heu- res cloué par une oreille à la porte de la bouti- que. Ceux qui vendent les premiers fruits , ti- rent L'argent les premiers ; mais ils ne vendent pas plus cher que les autres : la nouveauté ne fe paye pas en Turquie comme en France, & un Marchand qui la voudroit faire payer s'expofe- roit à la baftonnade. On peut en toute fureté envoyer des enfans au marche, pourveu qu'ils lâchent demander ce qu'ils veulent Les Orîiciers de Police les arrêtent dans les rues, ils exami- nent ce qu'ils portent , le pefent , <5: [aillent paf- fer l'enfant , s'il n'a pas été trompé 5 mais s'ils reconnoiilent qu'on lui ait vendu a ùux poids , à faulle inclure , ou trop cher , il* le rameinenc chez le Marchand qui cft condamné à la bafton- nade ou à l'amande. Il cil de l'iutei ert des frui- tiers que ies enfans foient fobres : car s'ils s'avî- ioient de manger en chemin quelque fi^ue ou quelque cerile , le pauvre Marchand eu feroit la dupe. Ordinairement en che- min railant , ce n'ert qu'à condition qu'ils paye- ront certain nombre d'aipres. On y châtie quel- quefois les Chirurgiens de la même maniérewnais au lieu de pierres , on met au bout de ces plan- ches plusieurs fonettes qui font un carrillon Dtt Levant. Lettre X 1 1 î. 3c? épouvcntablc pendant la promenade qu'on leur fait faire dans les rues. Cela lignifie qu'ils font accufcz d'avoir laiflé mourir plusieurs perfonnes par leur faute ; 8c cette cérémonie ne le fait , à ce que dilcnt les Mufulmans , que pour avertir de ne Te pas mettre légèrement entre les mains de pareils aflalïins. Si l'on trouve un corps mort dans les rues , les plus proches voifins font condamnez à payer le fang y fuppofé que l'auteur du meurtre ne foit pas connu : la crainte que tout le monde a d'un tel malheur , fait que chacun s'cmprelle à appaifer les querelles, & à prévenir les dclordres qui pour- roient arriver dans fon voihnagc. On ferme les boutiques au coucher du foleil , &c on ne les ou* vre qu'au foleil levant. Chacun fe retire de bon- ne heure chez foi ; en un mot il fe fait plus dé bruit en un jour dans un marché de Paris , qu'il ne s'en fait pendant un an dans toute la ville de Conftantinoplc. Le Grand Seigneur va quelque- fois déguilé èc fuivi d'un bourreau pour voir ce qui fc palle dans cette grande ville. Mahomet IV* qui hailloit fort le tabac en fumée , & qui étoit bien informé qu'on mettoit fouvent le feu aux maifons en fumant , ne fe contenta pas de faire publier de cruelles Ordonnances contre les fu- meurs ; il faifoit quelquefois fa ronde pour les furprendre & l'on allure qu'il en faifoit pendre autant qu'il en trouvoit : mais c'étoit après leur avoir fait palier une pipe au travers du nez , ôC leur avoir fait attacher autour du col un rouleau de tabac. Le Guet par toute la Turquie conduit en prifon ceux qui le trouvent dans les rués pen- dant la nuit , de quelque nation ôc de quelque re* ligion qu'ils fuient ; mais on n'v fait guetes de 'V ij joS Voyage capture , la peur d'avoir la baftonnacle , oit d'ê- tre mis à l'amande retient tout le monde chez foi. On dit communément en Turquie , que les rues ne font que pour les chiens pendant la nuit 5 il eft vrai qu'elles en font toutes remplies : cha- cun leur jette à manger , & il feroit fort dange- reux de s'y promener à pied pendant ce temps-là. Ces animaux qui font hideux & carnafIiers,com- me nos chiens de boucherie , font une terrible pa- trouille de des hurlemens épouvantables au moin- dre bruit qu'ils entendent. Souvent L'agitation de la mer les met en furie. Le vernis Lesfoktats y (ont fort tranquilles , à la réferve des Leventis qui fervent fur les galères : mais ou- tre qu'ils ne font dedefoidre que dans les faux- bourgs de Conftantinople qui font près de la ma- rine, on les a mis à la raifon depuis que le Cai- macan a permis aux Chrétiens de fe défendre , comme je l'ay déjà dit ci-devant ■■> &: cela fur les plaintes que les AmbarTadeurs faifoient tous les jours des infultes que les fujets de leur nation en Janiiîai- recevoient. Pour les Janiffaires , ils vivent fort xcs* honnêtement dans Conftantinople , mais ils font bien déchus de cette haute eftime où croient les anciens Janilfaires qui ont tant contribué à l'éta- bliffement de cet Empire. Quelques précautions qu'aient prîtes autrefois les Empereurs pour ren- dre ces troupes incorruptibles, elles ont beau- coup dégénéré ; il femble même qu'on foit bien aife , depuis près d'un fiécle , de les voir moins refpectez , de crainte qu'ils ne fe rendent plus re- doutables. Quoique la plupart de l'infanterie Turque prenne le nom de Janiflaires , il eft pourtant fur que dans tout ce grand Empire , il n'y en a pas Dtr Levant. Lettre X lit. 309 plus de vingt-cinq mille qui foienc vrais Janiiïai- res , ou JanirTaires de la Porte. Autrefois cette milice n'étoit compofée que des enfans de Tri- but que l'on inftruifoit dans la religion des Turcs; prefentement cela ne fe pratique plus, & on laiiîe les gens en repos fur cet article , depuis que les Officiers prennent de l'argent des Turcs pour les faire entrer dans ce corps. Il n'étoit pas permis autrefois aux Janifïàires de fe marier , les Turcs étant perfuadez que les foins du ménage rendent les foidats moins propres à la profeilion des armes. Aujourd'hui fe marie qui veut avec le confentement des Chefs qui ne le donnent pourtant pas fans argent. La princi- pale raifon qui détourne les JanirTaires du ma- riage , c'eft qu'il n'y a que les garçons qui par- viennent aux Charges 3 dont les plus recherchées font d'être Chefs de leurs chambres : car tonte cette milice loge dans de grandes cazernes distri- buées en 161. chambres. Chaque chambre a fon Chef qui y commande ; mais hors de la cazerne , il ne fait fonction que de Lieutenant de compa- gnie & reçoit les ordres du Capitaine. Chaque chambre d'ailleurs a fon Porte enfeî- gne , fon Dépenser, fon Cuifînier, fon Porteur d'eau. Au-derTus des Capitaines il n'y a que le Lieutenant Général des JanirTaires , qui obéit à l'Aga. Outre la paye ordinaire , l'Empereur don- ne tous les ans aux JanirTaires un Jufte-au-corps de drap de Salonique , & tous les jours il leur- fait diftribuer du ris , de la viande , & du pain. La Chambre les loge moyennant un demi pour cent fur la paye qu'ils tirent en temps de paix , & de fept pour cent en temps de guerre. Cette paye n'eft que depuis deux afpres par jour jufques V iij jio Voyage 3. douze , & n'augmente même que peu à peu à mefure qu'ils fervent •■, lorfqu'ils font eftropiez ils deviennent morte payes. Le Bonnet de céré- monie des Janiflaircs e(t fait comme la manche d'une cafaque ; l'un des bouts fert à couvrir leur tête , & l'autre pend fur leurs épaules ; on atta- che à ce bonnet fur le front une cfpécc de tuyau d'argent dore , long de demi pied , garni de fauf- fes pierreries. Quand les Janiifaircs marchent pour aller à l'année , le Sultan leur fournit des chevaux pour porter leur bagage , & des cha- meaux pour porter leurs tentes : fçavoir un che- val pour dix foldats , & un chameau pour vingt. A l'avenement de chaque Sultan fur le.Thrône , on augmente leur paye d'un alpre par jour. Les Chambres héritent de la dépouille de ceux qui meurent fans enfans , & les autres quoi qu'ils ayent des enfans ne lailfent pas de léguer quelque chofe à leur Chambre. Parmi les Janiifaires il n'y a que les Solacs & les Peyes qui ioient de la garde de l'Empereur : les antres ne vont au Scrrail que pour accompagner leurs Commandans les jours de Divan , & pour empêcher les defordres qui pourroient arriver dans la cour ; ordinaire- ment on les met en fcntincllc aux portes & aux carrefours de la ville pour y faire le guet. Tout le monde les craint &: les rcfpcdte , quoi qu'ils n'aient qu'une canne à la main ^ car on ne leur donne leurs armes que lors qu'ils vont en campa- gne. La plupart des Janiiïaircs ne manquent pas d'éducation , étant tirez du corps des Azanco- glans , parmi lefquels leur impatience ou quel- qu'autre défaut ne leur a pas permis de refter, Ceux qui doivent être reçus paifent en revue dc- vanp le CommiiTaire } & chacun tient le bas de du Levant. Lettre XIII. 311 îa vefte de ion compagnon. On écrit leurs noms fur le regiftre du Grand Sc-igncur , après quoi ils courent tous vers leur Maïtrc-dc- chambre , qui pour leur faire connoître qu'ils (ont fous Ci ju- rifdi&ion , leur donne à chacun en parlant un coup de main derrière l'oreille. On leur fait faire deux fermens lors de leur enrollemcnt ; le pre- mier cil de fervîr fidcllement le Grand Seigneur! le fécond de lu ivre la volonté de leurs camarades touchant les affaires du corps. Il n'y a point de corps dans la Turquie qui foit Ci uni que celui des Janifîaires j c'eft cette grande union qui foû- nent leur authorité , cv qui leur donne quelque- fois la hardiclle de dépoter les Sultans. Quoi- qu'ils ne foient que douze eu treize mille dans Conftantinople , ils font aflûrcz que leurs cama- rades , quelque parc de l'Empire qu'ils foient , ne manqueront pas d'approuver leur conduire. S'ils croient avoir fujet de fc plaindre , leur mécontentement commence à éclater dans la cour du Divan , dans le temps qu'on leur diftri- buë les Jattes de Ris préparé dans une des cuifî- Gamcl- nes du Grand Seigneur ; car ils mangent fort s* tranquillement s'ils font contens ; &c au contrai- re ils pondent la Jatte du bout du pied & la ren- verfentj s'ils ne font pas fatisfafts du Miniftcre. Il n'y a point d'infolences qu'ils ne foient capables de dire dans ce temps-là contre les premiers Mi- niftrcs , étant bien perfuadez qu'on ne manquera pas de leur donner faiisfaclion : c'efl: à quoi l'on tâche auflî de pourvoir de bonne heure pour pré- venir leur (oulcvemcnt , fur tout quand on leur doit plufieurs payes. 1 es mutineries des Janiflai- res font fort à craindre : combien de fois n'ont-ils pas fait changer en un mitant la face de l'Empi- V iiij $n Voyage re ? Les plus fiers Sultans & les plus habiles Mi • niftresont Couvent éprouvé combien il étoic dan- gereux d'entretenir en temps de paix une milice , qui connoît il bien (es intérêts. Elle dépofa Ba- jazet II. en 15 12. Elle avança la mort d' A mu- rat III. en 1/95. Elle menaça Mahomet III. de le deshonorer. Olman II. qui avoit juré leuk' perte , ayant imprudemment fait éclater fondef- fein , en fut indignement traitté , car on le fit marcher à coups de pieds depuis le Serrait jufques au Château des fept tours , où il fut étranglé l'an 162.2. Muftapha I. que cette inlolente milice mit à la place d'Olman , fut détrôné deux mois après, par ceux-là mêmes qui l'avoient élevé. Ils firent aufil mourir Sultan Ibrahim en 1649. après l'avoir traîné ignominieuicment aux fept tours. Son fils Mahomet IV. ne fut pas (i malheureux; mais on le dépoileda après le dernier ilége de Vienne , lequel pourtant n'échoua que par la fau- te de Cara-Muftapha premier Vifir. On préfera à ce Sultan Con frère Solyman III. Prince ians mérite , qui fut dépofé à Ton tour quelque temps après. A l'égard de la Sultane mère, des Vifirs , di Caimacan , des premiers Eunuques du Serrail, du grand Treforier , & de leur Aga même , les Ja- niflaires fe joiient de leurs perfonnes , cV deman- dent leurs tètes au moindre mécontentement. Tout le monde fait comment ils traitèrent , au commencement de ce fiécle,le Moufci Fefullach- Effendi qui avoit été Précepteur de Sultan Mufta- pha. Ce Piince qui l'aimoit aveuglément ne pût empêcher qu'il ne fut traîné fur la claye à Andri- nople , & jette dans la rivière. Le feul tempera^- ment qu'on ait pu apporter jufques à prefent du Levant. Lettre X 1 1 F. 313 pour reprimer l'infolence de ces foldats , a été de leur oppofer les Spahis , &c de les rendre jaloux les uns des autres ; mais ils ne s'accordent que trop en certaines occafions. On. a beau les faire changer de quartier ; comme les abfents approu- vent toujours ce que leurs camarades ont fait , il n'en: gueres pofîible d'éviter leur furie, quand ils fe mettent en tête qu'on leur a fait quelque grande injuftice. L'hiftoire des Turcs ne fournit pas beaucoup d'exemples , qu'on foit venu à bout de les appaifer fans leur faire de grandes largeflès, ou fans qu'il en ait coûté la vie aux plus grands Officiers de l'Empire. On n'a jamais ofé confifquer le Threfor des Ja- niiîaires , ni s'emparer des biens que leurs Offi- ciers pofTedent en propre en plufieurs endroits de l'Afie , comme à Cataye s à Angora , à Caraitfar Ôc dans d'aurres places. Quand le Général vient à mourir, le Threfor hérite de (es biens : c'eft le feul Officier dont les dépouilles ne font point con- fifquées au profit de l'Empereur. Ce Général a l'avantage de fe prefenter devant le Sultan , les bras libres ; au lieu que le premier Vifir& les au- tres Grands de la Porte , ne paroifTent jamais en fa préfence , que les bras croifez fur l'eftomac , ce qui eftplûtoft une pofture fervile que refpec- tueufe. Après l'Aga des Janiflaircs, les principaux Offi- ciers de ce corps font j le Lieutenant de l'Aga ; le Grand Prévoit ; le Capitaine des Baillifs , qui marchent aux cotez de l'Empereur les jours de cé- rémonie ; les Capitaines de fes archers à pied j le Commandant de fes valets de pied : ces derniers marchent , de même que les archers à pied , au- près de la perfooinc du Grand Seigneur lorfqu'il 3H Voyage va par la ville. Us ne font que foixante & îîs por- tent des bonnets d'or battu , garnis fur le devant d'une plume toute droite. Pour les archers à pied, ou les archers de la garde du corps , ils font au nombre de trois ou quatre cens ; &: les jours de bataille , ils font autour de Sa Hautclle avec des aies & des flèches feulement , pour ne pas effra- yer fon cheval. Leur habit cft un doliman ou fou- canne de drap , rerrouflée par les coins jufques à la ceinture, & qui laillc voir leur chemife ; leur bonnet cft de drap terminé en pointe, garni de plumes en manière d'aigrette. Ces archers tirent des flèches de la main gauche aufïi-bien que de la droite : on leur apprend cet cxercicc,arm qu'ils ne tournent jamais le dos au Grand Seigneur. Quand ce Prince palle des rivières , ils nagent au- tour de fon cheval, & vont fonder légué avec toute l'application pofîiblc : aufïi par recompen- fe , à la première rivière que le Sultan palfe , il leur fait distribuer a chacun un écu s'ils ont de l'eau jufqu'au genou ; s'ils en onr jufques à la ceinture , ils ont deux écus, ck trois quand l'eau palfe la ceinture. On tire encore du Corps des Janîllaîres , les canoniers , & ceux qui ont foin des armes. Les canoniers font environ douze cens , qui reçoivent les ordres du Grand Maître de l'Artillerie : ils lo- gent à Topana dans des cazernes distribuées en y 2. chambres; mais il s'en fuit bien qu'ils ne foient aulTi habiles que les Chrétiens , pour la fonte & pour le fervice de l'artillerie. Ceux qui prennent foin des armes , font au nombre de lîx cens , divifez en 60. chambres , & ils logent dans des cazernes auprès de iainte Sophie -, non feule- ment ils prennent foin de la confervation des an- du Levant. Lettre XI I î. 315 tics armes qui (ont dans les arfenaux , niais encore de celles des Janifiaires Se des Spahis à qui ils les diftribuent en bon état quand il faut aller à l'armée. Outre les Janifiaires dont je viens de parler , Jani/Tai- toutes les provinces de ce vafte Empire font rem- rcs c'u plies prelentenient de rantalims qui portent le , nom de Janiflaires : mais ces Janiflaires du fécond ordre ne font pas enrôlez dans le corps des Ja- nilfaircs de la Porte , & n'ont rien de l'ancienne difeipline des Turcs. Tous les fcelerats qui veu- lent Te fouftraire à la juftice ordinaire , &c même les honnêtes gens qui veulent fe mettre à couvert des infultes des fcelerats ; ceux qui veulent évi- ter les taxes &c fe décharger des devoirs publics , achettent des Colonels des Janiilaires qui font dans les villes de province , le titre de Janiflai- res. Il y en a qui bien loin de recevoir la paye , donnent quelques afpres par jour à ces Officiers, pour pouvoir joiiir des mêmes privilèges : plu- fieurs parlent pour cftropiez ou pour morte-payes, tk vivent tranquillement chez eux fans être obli- gez d'aller a l'armée. Efr-il furprenant après cela que les forces des Turcs foient fi diminuées ? ja- mais ils n'ont eu tant de foldats , ni de fi petites armées : les Officiers qui font obligez de marcher, font palier leurs domeftiques pour foldats , Se prennent de l'argent de ceux qui devroient porter le, armes pour le (ervice du Prince. Il femblc que la corruption qui s'eft introduite dans ce grand Empire , le menace de quelque étrange révolu- tion. Il ne faut pas confondre non plus avec les Ja- Azapes niifaircs , d'autres fanrafllns que l'on appelle & ^r" Azapes & Arcangis, Les Azapes font de vieilles "Sl ' $i6 Voyage bandes Mufulmanes , plus anciennes même que les JaniflTaires , mais fort méprifées ; ils fervent de pioniers , quelquefois même de pont à la ca- valerie dans les marais , & de fafeines pour com- bler les fo(Tez des places que l'on afïiége. Les Arcangis font comme les enfans perdus , mais il faut les diftinguer avec foin. Les uns font à la folde de l'Empereur , & les au- tres non. Les Spahis à la folde , font divifez en, plusieurs Cornettes , dont les principales font , la jaune & la rouge : ceux qui ne tirent point de paye font de deux fortes , les Zairns & les Tima- riots. Les Spahis à la folde font tirez du corps des Ichoglans & de celui des Azancoglans , qui ont été nourris dans les Serrails du Grand Seigneur. La moindre de leur paye eft de 12. afpres par- jour , & la plus forte de 100. Ceux qui fortent des Ichoçlans commencent ordinairement avec io. ou 30. afpres de paye , laquelle augmente fui- vant leur mérite 3 ou. le crédit de leurs amis. Eu du Levant. Lettre XII I 317 temps de guerre tous les Spahis à la folde qui rapportent des têtes des ennemis , gagnent deux afpres d'augmentation par jour. Ceux qui ap- prennent les premiers au Grand Seigneur la mort de quelqu'un de leurs camarades , en attrapent autant. La paye des Spahis fe fait dans la fale & en préfence du Grand Vifir , ou de Ton Chiaïa , afin d'éviter tout fujet de plainte. Quoiqu'on ignore la naiflancedes Spahis, on peut les regarder com- me la nobldïe du pays :leur éducation les a mieux formez que les autres Turcs , & par tout pays les bonnes mœurs devroient faire la véritable noblef- fe. Ceux de la Cornette rouge n'étoient autre- fois que les ferviteurs de ceux de la Cornette jau- ne y ils font tous égaux aujourd'hui , & même les rouges avoient pris le deiTus fur leurs maîtres fous Mahomet III. qui dans une bataille où les Spa- his jaunes avoient lâché le pied , rétablit fes affai- res par la valeur des rouges. Les armes des uns & des autres font la lance & le cimeterre , quelques-uns fe fervent de dard qu'ils manient avec une adreffe admirable : ce dard eft un bâton ferré par un bout , & qui n'a qu'environ deux pieds & demi de long. Ils por- tent auiîi l'epée 3 mais elle eft attachée à côté delà felle de leur cheval & pafTe fous la cuiffe du cava- lier , de telle forte qu'elle n'empêche pas qu'on ne faflfe le coup de piftolet & de carabine. Il y en a aufli qui fe fervent d'arcs ôc de flèches , fur- tout les Spahis d'Anatolie , car ceux d'Europe ou de Romelie comptent plus fur nos armes. Cepen- dant ces troupes combattent fans ordre & par pe- lotons , au lieu d'efeadroner & de fe rallier à propos: Mahomet Cuperli Grand Viûr , qui favoic :p8 Voyage bien la guerre, bien loin de les u'ifcipliner , afre-* £ta de les humilier & de les entretenir dans leur ignorance, de peur que leur inlolence n'augmen- tait* Depuis ce temps-là ce corps a beaucoup per- du de ion ancienne réputation : on leur donne aujourd'hui la baftonnade fous la plante des pieds* de crainte que Ci on les folicttoit ils ne puilint pas monter à cheval \ & par une rai Ton oppoice on fouette les Janillaircs , parce qu'ils ont befoin de leurs pieds dans les marches. Quand le Grand Seigneur va commander Tes armées , il fait distribuer de stofTes fommes aux Spahis. On met un Spahis & un Janill.ure en fen- tinelle à chaque corde de fa tente , & autant à celle du premier Vifir. Les autres Cornettes de ce Corps font , la blanche , la blanche & rouge , la Cornette blanche & jaune , de la Cornette ver- te : mais les Spahis les plus illuftrcs font ceux qu'on appelle Mutafaraca , qui tirent quarante afprcs de paye par jour. L'Empereur eft leur Co- lonel 9 ils font deftinez pour l'accompagner , & font environ cinq cens. Zaims A l'égard des autres cavaliers , qu'on appelle &Tima- Zaims &C Timariots , ce font des Chevaliers à qui «ois. le Grand Seigneur donne à vie des Commandc- ries appellées Timars , à condition qu'ils entre- tiendront un certain nombre de cavaliers pour fon fervice. Les premiers Sultans e'tant les maî- tres des Fiefs de l'Empire , les érigèrent en Ba- ronies ou Commanderies pour récompenfer les fervices des plus braves , & fur tout pour le- ver de pour entretenir des troupes fans de- bourfer de l'argent : mais Soliman II. établit l'ordre & la difeipline parmi ces Chevaliers ou Barons de l'Empire , & l'on régla par les or- du L r v a n t. Lettre XIII. $19 ares le nombre des cavaliers que chacun d'eux ieroit obligé d'entretenir. .Ce Corps a été non feulement très puillant, mais très illuftrepar tout l'Empire. L'avarice qui cit. le vice ordinaire des Orientaux , l'a fait tomber depuis quelques an- nées. Les Vicerois ex les Gouverneurs de Provin- ces font h bien par leurs inti igUes à la Cour, que les Commanderies mêmes qui font hors de leurs gouvememens, lont données à leurs domeftiques, ou à ceux qui en ornent le plus d'argent. Les Zaims ek les Timariots ne différent quafi entre eux que par le revenu. Les Zaims ont les plus foires Commanderies , & leurs revenus font depuis vingt mille , jufqucs à quatre-vïngr dix- neuf mille neuf cens quatre- vingt dix-neuf ai près. S'il y avoir un afprc déplus , ce feroit le revenu d'un Pacha : ainfi lorfqu'iffi Commandeur vient à mourir , l'on partage la Commanderic , fuppo- fé qu'elle ait augmenté de revenu fous le derlunt, comme cela arrive ordinairement ; car on les au- gmente plutôt que de les lailfer dépérir. Les Zaims doivent entretenir pour le moins quatre cavaliers , a railon de cinq mille alpres de rente pour la dépenfe de chacun. Il y a deux fortes de Timariots , les uns reçoi- vent leurs provifions de la Porte , &C les autres du Viceroy du pays ; mais leurs équipages font moindres que ceux des Zaims, oe leurs tentes plus petites & proportionnées a leur revenu. Ceux qui reçoivent leurs patentes de la Cour , ont de- puis cinq ou fix mille 3 iniques à dix-neuf mille neuf cens quatre-vingt dix neuf afpres : s'ils avoîent un afprc de plus , ils palferoient au rang des Zaims. Ceux qui prennent des Lettres paten- tes des Vicerois , ont de revenu depuis trois uiiL $3,o Voyage le afpres jufqu'à fîx m ille. Chaque Timarïot eft obligé d'entretenir un cavalier par chaque trois mille afpres du revenu qu'il tire de la Comraan- derie. Les Zaims & les Timariots doivent marcher en perionne à l'armée , aux premiers ordres qu'ils reçoivent , fans que rien les puille difpenfer de ce devoir ; les malades vont en litière , & les en- fans dans des paniers ou dans des berceaux. Les Timariots font obligez de fournir des paniers à leurs cavaliers , qui s'en fervent à porter la terre neceflaire pour combler les foflez & les tranchées. Cette cavalerie eft mieux d'fciplinée que celle qu'en appelle proprement Spahis quoique les Spahis foient plus leftes & plus vigoureux : ceux - ci ne combattent que par pelotons à la tête des plus anciens cavaliers , au lieu que les Zaims & les Timariots font divifez par re- gimens , ÔC commandez par des Colonels fous les ordres des Pachas. Le Pacha d'Alep eft le Colonel général de cette cavalerie lorsqu'il fe trouve à l'armée , parce qu'étant naturellement le Serafoer de l'armée , c'eft à lui à la comman- der en chef quand le Grand Vifir n'y eft pas. Je devrois parler ici, Monseigneur, de la milice d'Egypte , mais comme je n'en ai pas fait le voyage , je ne la connois pas allez pour avoir l'honneur de vous en rendre compte. Je palfe donc à la Marine dont je me fuis informé avec foin à Conftantinople & dans les Mes de l'Archipel. Il n'eft pas furpienant que les Turcs foient fi foibles fur mer, car Us manquent de bons Matelots , d'habiles Pilotes & d'Officiers ex- périmentez. A peine les Pilotes du Grand Sei- gneur fa vent- ils le fervir de la BouÛole , & il n'e ti eft bu Levant. Lettre XIII. 311 cft pas queftion fur les Sa'iques qui font leurs vailleaux marchands. Ils ne comptent que par la connoilfance des côtes , qui eft fort trompeufe a ôc ils s'en rapportent ordinairement , dans les longs voyages comme ceux de Syrie & d'Egypte, à des Grecs qui ont fait la courfe fous des arma- teurs chrétiens , & qui ont appris par routine à connoître les terres d'Aiie &; d'Afrique. Cepen- dant ii les Turcs vouloient s'appliquer à la na- vigation , ils fe rendroient aifément les maîtres de la Méditerranée , & ils diiîiperoient les corfai- res qui font tant de tort à leur trafic. Sans com- pter le fecours qu'iLs nourroient tirer de la Grè- ce , des Iiles de l'Archipel , de l'Egypte , & de la côte d'Afrique ; la mer Noire feule leur fourni- roi t plus de bois & plus d'agrets qu'il n'en fau- droit pour entretenir des armées formidables. Aujourd'hui les forces maritimes de ce grand Em- pire fe trouvent réduites à 18. ou 30. vailleaux de guerre, & l'on n'arme guère plus de 50. galères. Les Turcs ont eu des notes beaucoup plus puiiïan- tes du temps de Mahomet II. de Selim , de So- lyman II. mais elles n'ont jamais fait de gran- des expéditions. Depuis la guerre de Candie on a fort négligé la marine , de peut-être qu'elle le feroit encore davantage , fi Mezomorto Capitan- Pacha ne l'eût relevée de nos jours. L'avantage qu'il remporta air: Iiles de Spalmadori fur les Vénitiens , lui valut la prife de Scio , & ranima le courage des Mahometans. Il avoit les talents d'un grand homme de mer , & il n'oublioit rien pour engager les Officiers Chrétiens au fervicc du Grand Seigneur. Le Sultan peut avoir au- jourd'hui cinq ou (ix Capitaines renégats qui font fort expérimentez , mais les Matelots iguo- Tome IL X Jir V O Y AGE rcnt la manœuvre , & les Canotîïers font rres- mal-adroits. Le fucceileur de Mczomorto n'écok pas fore eftimé. Adraman Pacha qui fut nommé Général de la mer après la mort de ce dernier „ étoit capable de perfectionner la marine des Turcs, li les envieux ne l'avoient pas fait etran- En Jan- gl^r quelque temps après fon élévation. Il etoit viei- connu parmi les Turcs fous le nom du Pacha de *7°6- t Rhodes , & chez les Chrétiens , ious celui du nis e pfe' de la bouchère de Marieille, On le prie tout tcu- qu'il n'a- nc 1LIr un vaiiieaude cette ville arme en coude, voie pas & il eut le malheur de (e faire Mahometan : il kic palloit chez les Turcs pour un homme fort équi- „. i '" table &c fort dehnterelîé. On allure qu'un jour allez - ,r . .. va. ., , , l . ; pronu>te« fanant la pouce a Scio , il demanda a qui appar- mec lin- tcnoient trois ou quatre bourriques chargées de cendie pierres èv attachées à la porte d'une mai (on ; & qui avoit ayant appris qUC leurs maîtres déjeunoient tout maçé P1'" de 'a> ^ pourfuivit la tournée -, mais à fon retour , indigné de tro animaux à l'attache , fa pris loin de les faire rep maîtres & leur dit , qu'il étoit jnfte que les ânes mangeauent à leur tour ; les payfans en tombèrent d'accord : mais ils furent fort furpris , quand ii leur commanda de prendre chacun (ur leurs dos la charge de pierres , tandis que les ânes mange- roient. On fait un femblable conte de Sultan Mourat. La charge de Capitan Pacha eft une des plus belles de l'Empire. Il eft grand Amiral & Général des Galères : fon pouvoir eft fi ablolu , lorfqu'il eft hors des Dardanelles , qu'il peut faire étran- gler les Vicerois & les Gouverneurs qui font fur les côtes , fans attendre l'ordre du Sultan ; le î> tr Levanl Lettre XÎÎÎ. $1$ Grand Vifir cil le fcul Miniftre qui foie aii-dellus de lui : fa charge eft la féconde de l'Empire , & il ne rend compte qu'au Grand Seigneur. Non feu- lement les Ofticiers de marine, mais tous les Gou- verneurs des provinces maritimes reçoivent fes or- dres. JJai eu l'honneur de vous dire , Monsei- gneur, qu'il n'y avoit à Conftantinople que i S. ou 301 vaiflèaux de guerre. Pour ce qui eft des galères , on les diftingue en deux clalfcs , celles de Conftantinople, & cel- les de l'Archipel. Celles de Conftantinople né tiennent la mer que pendant l'Efté. On les defar- me au retour de la campagne pour les enfermer dans i'arfenal de Cafium Pacha : la plupart des Eeys ou Capitaines font des renégats. Outre le! corps de la galère , l'artillerie & le bifeuif , l'Em- pereur donne encore les foldats, le refte de l'e- quipa^e qui confifte en zoo. rameurs, & le fuif pour efpalmer. Si les Capitaines font allez riches pour fubftkuer leurs efclaves à ces rameurs , ils font des profits confidcrables , car ils tirent douze mille livres pour la paye des rameurs, & profitent encore des journées de leurs efclaves qu'ils font travailler fur terre autant qu'ils peuvent pendant le refte de l'année. Quand il n'y a pas auez de ra- meurs s on loue à Conftantinople des efclaves des particuliers pour faire la campagne ; mais on né tire pas grand fervice de tous ces malheureux qui n'ont nulle expérience , & la plupart periftent fut mer. Vous favez mieux que per tonne , Monsei* gneur , que le fervice de mer demande beaucoup plus de pratique que celui de terre. Pour renfor- cer les Voldats des galères , les Turcs y mêlent quelques Janiilaîies. Les galères de l'Archipel doivent être prêtes à X ij 324 Voyagé fe mettre en mer en toiït temps. Les Capitaines font payez fur les affignations deslfles, 8c ils ionc obligez de fournir les forçats 8c les foldats ; car le Grand Seigneur ne leur donne que le corps de la galère , l'artillerie 8c les adrets. Pour conter- ver leurs efclaves , ils évitent le combat autant qu'ils peuvent ; 8c la plupart même n'ont ni le nombre de galères qu'ils doivent entretenir , ni leurs équipages complets } parce que le Capitan Pacha , pour quelque iomme d'argent qu'on lçaît lui donner à propos , fait fouvent icmbïant de n'y pas prendre garde ; par conféquent la difeipline militaire n'eil obfervée que trcs-légérement. Les Beys de Rhodes 8c de Scio doivent entrete- nir fept galères dans chacune de ces Mes. Celui de Chypre fix. Ceux de Metelin , de Negrepont, de Salonique , de la Cavale , chacun une. Andros 8c Syra eniemble n'en fournifTent qu'une ; de mê- me que Naxie&Paros. Le Capitan Pacha vient pendant l'Ellé faire fa ronde dans l'Archipel pour exiger la capitation , 8c pour prendre connoiflan- ce des affaires qui s'y font paflces : Il tient ordi- nairement fes grands jours dans un Port de l'Ifle de Paros appelle Drio ; il efl: là comme dans le centre de l'Archipel. Les Adminiftrateurs deslfles y viennent faire leurs prefents 8c porter les fom- mes aufquellc> chaque Ifle eft taxée : c'eftdans ce même endroit que le Capitan Pacha juge en der- nier refTort toutes les affaires tant civiles que cri- minelles. J'ay l'honneur d'être avec un profond re- fpect, &c. du Levant. Lettre XIV. 51$ Lettre XIV. ^ jHonfetgneur le Comte de Pont char train s Secré- taire d'Etat & des Cornmandemens de Sa Ai a- jefié , eh:. Mok S£IGNiURj J'ai eu l'honneur de vous entretenir dans ma D E t* dernière Lettre , du Gouvernement & de la Poli- E L *" tique des Turcs ; leur Religion , leurs Mœurs 3 &c \ Maho- Dieu ne plaile que je veuille ici taire Ion eioge, mais je ne fçaurois m'empêcher de le regarder comme un génie fuperieur , & d'admirer que fans le fecours de la grâce , cet homme ait pu reve- nir de l'idolâtrie. On dit que Sergius , Moine Ne- ftorien échappé de Conftantinoplc , avoit con- tribué à le défabufer des erreurs du paganifme , mais Mahomet n'avoit pas laifle de fecoiier un fi X iij mer. $î.6 Voyage grand préjuge , & d'ouvrir les yeux pour tâcher de découvrir la vérité. Il paroi t par l'Alcoran , que ces deux hommes pnr tiré de l'Ecriture fainte ce qu'ils ont propofé de meilleur : mais comme dans leur temps il y avoit en Arabie beaucoup plus de Juifs que de Chrétiens , ils s'attachèrent moins au Nouveau Teftament qu'à l'Ancien , afin d'engager les Juifs dans leur fecte , fans en trop éloigner les Chrétiens. Si Mahomet n'avoit pas eu la folie de vouloir palier pour l'Envoyé de Dieu , fa religion n'eût gueres différé du Socinianilme j mais il vou- lut jolier un rôle extraordinaire en failant croire qu'il avoit commerce avec les Etres Tuperîeurs, Comme il n'avoit ni million , ni le don des mira- cles , il fut obligé pour établir fon lyftcme , de joindre aux lumières de la rai fon , la politique ôC la fourberie. Ses enthoufiafmes , ou feints , ou caulez par l'épilepfie , perluadérent à la multitu- de qu'il étoit infiniment au-deilus des autres hom- mes , & qu'il étoit infpiré du Ciel. Sa femme & fes amis difoient tout haut qu'il étoit l'interprète du Seigneur , & qu'il n'étoit venu au monde que pour annoncer fes ordres : le pigeon que l'on avoit drelle à voltiger au-deilus de fa tête ne fer- voit pas peu à appuyer le myltere -, & cet oyfeau pailoit pour l'Ange Gabriel qui venoit parler à l'oreille de l'Envoyé. Pour ne pas trop effaroucher les Idolâtres , il ne voulut paroître ni Juif, ni Chrétien ; & pour ménager les Juifs & les Chrétiens , il adopta une partie de la croyance des uns & des autres, llcn- f^igna qu'il y avoit trois fortes de Loi écrite , communiquées aux hommes par le Seigneur , &ç dans lefquelles on pouvoit fe fauver ; parce qu'ei- ©V L f v A N t. Lettre XIV. $ij les ordonnent de croire en un feul Dieu créateur & juge de tous les hommes. La première Loi „ «àifoit-il, fut donnée à Moyfe ; mais comme elle étoit trop gênante , peu de gens pouvoient l'ac- complir exa&ernent. La féconde eft celle de Jelus- Chrill, laquelle quoi-que remplie de grâce, eft ■encore bien plus oifHcilc à obferver , par rapport à ion oppoiicion à la nature corrompue*. C'eft pourquoi, contintioit-il , le Seigneur qui eft plein de miiericorde vous envoyé par mon mînifterc une Loi facile & proportionnée à vos foiblelïes , afin qu'en la fuivant exactement , chacun de vous puiiïe fe rendre heureux en ce monde ôz en l'autre. Comme je ne connois pas le génie de la langue Arabe , ni fes délicatellcs , l'Alcoran me femble «n livre mal compofé , qui parmi de bonnes cho- ies contient une infinité de contes puériles & fri- voles ; quoique cependant l'exercice de la reli- gion Mahomctane , à quelques bagatelles près qui îegardent le foin que chacun doit prendre de fou corps', paroillc beaucoup mieux entendu. Peut- être que pour le rendre maître de l'imagination des Idolâtres , frappée des figures de bois & de pierre , Mahomet crût qu'il étoit nécelîairc de les flatter par des images agréables de l'autre monde ; .& que pour les approcher de la raifon , il falloit entrer dans leur goût , en faifant cfperer des plai* iîrs lenluels après la mort , à des gens qui pendant leur vie n'en avoient pas connu d'auçres. Ce livre, tel qu'il eft, renferme toutes les Lois Rcclehafti- ques & Civiles des Mahometans , & il leur ap- prend tout ce qu'ils doivent croire & pratiquer. Ils n'oferoient l'ouvrir fans l'avoir porté fur la tête , ce qui eft parmi eux la plus grande marque X iiij 3*8 Voyage de vénération qu'ils' puiflènt donner ; Se lci\t principale occupation eft de le lire , fuivant le précepte qui dit; Attachel^vous fouvent a la tellu- re du livre qui vous a été envoyé , & priez, incef- famment , parce que l'oraifor/ détourne du péché. Ils font perfuadez que ceux qui le liront un certain nombre de fois , gagneront le paradis. Enfin ils rappellent le livre par excellence > car Alçorati ne fignihe autre chofe que \' Ecriture, il feroit allez inutile de rapporter ici comment ce livre a été compofé , Se comment il a été re- formé après la mort de Mahomet \ il fuffit de re- marquer qu'il y a «piatre fectes parmi les Maho- metans. La plus iupeiftiticufc eft: celle des Ara- bes qui s'en tiennent aux traditions d'Abubeiccr, Celle des Perfans, que l'on doit aux foins dç Hali , eft la plus épurée ; mais les Turcs qui font attachez à celle d'Orner, les traitent d'hérétiques Se prononcent des anathêmes contre eux. La plus fimple de toutes eft celle des Tartares qui s'en rapportent à 04eman ou Ofman grand compila- teur des mémoires de Mahomet. Le feul article de foy qu'ayent les Mahome- rans , eft qu'il n'y a qu'un feul Dieu , Se que Ma-r homet eft l'Envoyé de Dieu. A l'égard des com- mandemens de la Loy , les Turcs les réduifent à cinq , i°. Faire la prière cinq fois le jour , z°. Jeûner le carcme , $°. Donner l'aumône & pra- tiquer les œuvres de charité , 40. Aller en pèle- rinage à la Méque , s'il eft poflîble , 50. Ne fouf- frir aucune ordure fur fon corps. On y ajoute quatre autres points , mais ils ne font pas abfo- Jument nécelîaires pour le lalut , ic. Obfcrver rcligieufement le vendredi , r°. Se faire circon- cire, 3°. Ne boire point de vin, 40. Ne maiir du Levant, lettre XIV. $iç ger point de chair de pourceau , m d'animaux fuffoquez. Les Mahometans ont plus de refpect pour le vendredi que pour les autres jours de la femainc, parce qu'ils croyent que ce fut un vendredi que Mahomet , perfecuté par les Idolâtres , fut obli- gé de fe fauver de la Méque à Medine dans l'A- rabie. C'eft par ce jour-là que commence l'Ere Mahometane qu'ils appellent Egire ; & ce célè- bre vendredi fut le 12. Juillet de l'an 611. après la mort de Jefus-Chriit. Les Mahometans font obligez d'aller tous les vendredis faire la prière de midi à la Mofquée ; on en difpenfe les fem- mes de crainte de donner des diffractions aux hommes. Les Marchands tiennent leurs bouti- ques fermées ce jour-là jufques à midi s & même ceux qui font un peu aifez ne les ouvrent que le lendemain, La Circoncifion & l'abftinence du pourceau , & des viandes fuffoquées , n'ont peut-être été in- férées dans la Loy que par complaifance pour les Juifs qui étoient alors autant ménagez par les Mahometans , qu'ils en ont été méprifez par la fuite. Le bien public porta le Legiflatcur à def- fendre l'ufage du vin à Ces difciples. AbjleneT^- vous , dit- il , du vin , de jouer aux jeux de hasard & aux échets ; ce [ont des inventions du démon pour répandre la haine O" U divifwn parmi les hommes j pour les éloigner de la prière , & four les empêcher d'invoquer le nom de Dieu. Cependant ils avouent que le vin eft une chofe excellente , ils font per- suadez anfll que ce qui purifie l'un , ne manque $}4 Voyage pas de purifier l'autre. Sur ce principe, qui efi bien contraire à celui de plufieurs Chrétiens , ils fe préparent à la prière par les abîmions. Hommes de bien , dit l'Alcoran , quand vous voudrez, faire vos prières , // faut laver votre vifige , vos mains , vos bras , & vos pieds k Les gens marieX^qui auront couché enfemble fe baigneront. Si les malades çr les voyageurs ne trouvent point d'eau , qu'ils fe frot- tent le vifage & les mains avec de la pouffer e b en nette j car Dieu aime la netteté. Il veut que les prières qu'on lui fait , f oient parfaites , qu'on le re- mercie des grâces qu'il nous donne , & que l'on in* voque fouvent fon [oint nom. La gra- Les Mahometans ont réduit ce commandement de ablu- a ^Cllx aDlluionSj |a crraridc & la petite. La pre- non des . ni i • n > n i Turcs micre CIt clc tout le corps , mais elle n elt ordon- née qu'aux perfonnes mariées qui ont couché en- femble 3 qu'à ceux qui ont eu quelque pollution en dormant ; ou qui en urinant ont lailTé tomber de l'eau fur leur chair. Voilà les trois plus gran- des touillcures des bons Mufulmans. Afin que rien ne Toit à couvert de l'eau qui doit purifier leur corps & leur ame , & pour qu'elle pénètre mieux, ils (e coupent les ongles avec beaucoup de foin s & font tomber le poil de toutes les parties de leur corps , excepté du menton. La grande ablution conlifte à fe plonger trois fois dans l'eau , quel- que rigoureuie que foit la faifon. J'ay vu dans le' fort de l'Hiver des Turcs fe détacher de la cara* vane pour fe jetter tout nuds dans des ruifieaux qui étoient à côté du chemin , fans appréhender ni colique ni plcureiie ; ils viennent enfuite join- dre la troupe avec cet air de tranquilité , qui pa- roît fur le vilage des perionnes dont la confeience eft jufte ; quand ils trouvent des fources chaudes du Levant. Lettre XIV. $$$ ils s'y plongent avec plaifir. Dans la plupart des maifons des gens aifez il y a des cuves que l'on remplie d'eau tous les matins pour y faire la gran- de ablution. Quand nous pallamesde Scio à Con- ftantinoplc , un bon Mululman de nôtre compa- gnie donnoit trente lois de temps en temps à deux Matelots qui le prenoienc chacun par une oreille de le plongeoient par trois fois dans la mer , quel- que froid qu'il fift. Pour faire la petite ablution , on tourne la tête La peu- du côté de la Méque , on fe lave les mains 6v les te aklu- bras j ufe] ues au coude , on rince trois fois fa bou- t'on chc , & on fe nettoyé les dents avec une brofle. Après cela il faut fe laver le nez trois fois ,& tirer par les narines de l'eau que l'on prend avec le creux de la main ; on fe jette eniuite avec les mains trois fois de l'eau fur le vifage ; il elt or- donné de (e frotter avec la main droite depuis le front jufqucs au-delîus dt la tête ; de là il faut venir aux oreilles & les bien nettoyer en dedans & en dehors : enfin la cérémonie fe termine par les pieds. Mahomet avoit beau dire que fa Loy étoit aï- fée à pratiquer ; pour moi je la trouve fort gê- nante , & je ne doute pas que la plupart des re- négats ne parlent par delîus toutes ces vétilles. On cft obligé pour lâcher de l'eau de s'acroupir comme les femmes, de peur qu'il ne tombe quel- que goutte d'urine dans les chaullès. Pour éviter ce peché , ils expriment avec grand foin 3 le ca- nal par où elle a parte , &C en elïuyent le bout con- tre la muraille ; on voit en plusieurs endroits des pierres toutes ufées par ces frottemens. Quelque- fois les Chrétiens pour fe divertir frottent ca pierres avec le fruit du Poivre-d*Inde ., avec de la .,<$■ V O Y A G 8 S racine du Pied-de-feau , ou de quelques autre plantes brûlantes , en forte qu'il furvient fouvent une inflammation à ceux qui viennent s'y efluyer. Comme la douleur eft fort cuifante , ces pauvres Turcs courent fouvent , pour chercher le remè- de , chez les mêmes Chirurgiens Chrétiens , qui font la caufe du mal qu'ils fourTrent : néanmoins on ne manque pas de feijr dire que la maladie eft dangereufe , & qu'on fera peut-être obligé de fai- re quelque amputation. Les Turcs jurent de leur côté qu'ils n'ont eu aucun commerce avéC femme ni fille qui puilîent être fufpedes : enfin on envelope la partie malade avec des linges trempez dans l'oxicrat que l'on a coloré avec un peu de bol , & on leur vend ce remède comme an grand fpécifique pour ces fortes de maux. Quand ils vont à la garderobe chez eux ou à la campagne , ils font provifion de deux grands mouchoirs qu'ils portent à leur ceinture , ou qu'ils mettent fur les épaules comme les maîtres- d'hôtel font la ferviette : dans cet équipage ils portent à la main un pot plein d'eau qui leur fert pour faire le Taharat , c'eft-à-dire pour fe laver & relaver le fondement avec le doigt. Le Grand Seigneur lui-même ne fauroit s'en difpenfer , & c'eft la première inftruttion que fon Gouverneur lui donne ; il eft à préfumer qu'après cette opéra- tion les Turcs (e lavent & s'eiinyent fouvent le bout des doigts. Ce n'eft pas là le feul inconvé- nient , il peut furvenir bien des chofes qui ren- dent cette ablution inutile , &c qui obligent à la recommencer de nouveau, par exemple fi onlaif- fe échaper quelque vent : mais le malheur eft bien plus grand fi on a le cours de ventre , auquel cas cette ablution qui doit être fouvent réitérée , devient bu Levant.!^ XIV. $yj devient une cérémonie très-fatigante. J'ai oui dire à des Turcs , qu'une des principales raifons qui les empêchoit de voyager en pais de Chré- tienté , c'étoit de ne pouvoir pas faire de pareil-* les fonctions allez à leur aife. A l'égard de l'ablution particulière , il faut y revenir pour la moindre faute , comme pour s'ê* tre mouché avec la main droite ; pour s'être lavé les parties du corps plus de trois fois , pour avoir employé à cet ufage de l'eau échauféc au foleil. On tombe dans le même inconvénient , fi l'on fe jette de l'eau fur le vifage avec trop de violen- ce , fi l'on reçoic du fang ou quelqu'autre ordu- re fur fon corps , fl l'on vomit , fi l'on s'évanouir^ fi l'on boit du vin , fi l'on dort pendant la prière; enfin fi l'on fe laiffe toucher par un chien , ou par quelqu'autre animal impur. Toutes ces raifons leur font bâtir des refervoirs , des fontaines * des robinets autour des Mofquées , ou chez eux. Au défaut d'eau , ils peuvent fe fervir de fable , de poufliére , ou de quelques plantes propres pour fe nettoyer. Le Chapitre que Rabelais a fait ^akclaî°s 6c qui porte un allez piaifant titre , leur feroit prcmjçC d'un grand fecours fi on le traduifoit en leur Chapir. langue. X 1 1 L Après que les Turcs fe font purifiez , ils baif- fent les yeux & fe recueillent en eux-mêmes pour fe difpofer à la prière qui fe fait cinq fois par jour ,i°. Le matin entre la pointe du jour & le lever du Soleil , z°é A midi , y. Entre midi Se le Soleil couchant , 4°. Au coucher du Soleil $ 5°. Environ une heure & demi après que le So- leil eft couché. Toutes ces prières font accompa- gnées de plufieurs inclinations ôc de quelques pro* fternations. Ils peuvent prier ou chez eux oit Tome IL Y £3$ V O Y A G 9 dans les Mofquécs , & ils font avertis des îxeuzes deitinées à cet exercice par des hommes gagez, qui fe règlent fur le cours du Soleil , & fur des horloges de fable : ce four des cloches parlantes , car ils montent , aux heures réglées , dans les galeries des Minarets , & fe bouchant les oreilles avec les doigts , ils chantent de toute leur force les .paroles fui vantes : Dieu eft Grand , il rfy a point d'autre Dieu que Dieu \ vene\^ a La prière » je erfonne , •& ils n'oferoient caufer ni s'entretenir avec qui que ce foit , pas même regarder adroit ni à gauche. Tout le mjj*- eu Levanî. Lettre XIV. 35$) de cft immobile t on ne crache ni l'on ne touffe i enfin on ne donne des marques de vie que par quelques foupirs profonds , qui font des épa- notiiflemens de l'ame envers Dieu , plutôt que des mouvemens mécaniques. Parmi ces foupirs le Prêtre fe levé; il porte fes mains ouvertes à la tê- te , il bouche fes oreilles avec les pouces , levé les yeux vers le Ciel &: chante fort haut & distin- ctement : Dieu efl grand , gloire a toy Seigneur. Que ton nom [oit béni & loué. Qtic ta candeur [oit reconnue ; car il n'y a point d'autre Dieu que toy. Voici la prière qu'ils récitent ordinairement les yeux bailfcz & les mains croifées fur Pefto- mac. Ceft leur Oraifon Dominicale. Au nom de Dieu plein de bonté & de mifericordeé Loué [oit Dieu le Seigneur du monde , qui efl un Dieu plein de bonté & de miséricorde. Seigneur qui jugeras tous les hommes , nous t'adorons $ nous met- tons toute nôtre confiance en toy. Conflerve-nous , puifique nous t'invoquons dans la véritable Voye , qui efl celle que tu as choifie & que tufavorifes de tes grâces. Ce n'efl pas la voye des infidèles ni de ceux contre qui tu es juftement irrité. Ainfi foit-il . Ils font après cela des inclinations , & appu* yant les mains fur leurs genoux , à demi courbez ils répètent l'Oraifon , Dieu efl Grand , gloire à toy Seigneur , &c. ou bien ils difent par trois fois, Soit glorifié le nom du Seigneur. Ils fe profternent de nouveau > baifent la terre deux fois 4 & crient autant de fois t O grand Dieu que ton nom foit glo- rifié ! Enfuite ils recitent encore la grande Orai- fon : Au nom de Dieu plein de bonté & de mife- ricorde , &c. A quoi ils ajoutent l'article fuivant tiré de PAlcorm : fe confie fe que Dieu efl Dieu > qtit Dieu fft iternel , qu'il n'a ni engendré , ni été y ij 34<> Voyage engendré , & qu'il t'y a aucun qui lui [oit f&mbl&- ble ni égal. Après avoir fait les inclinations qae l'heure de la prière demande , ils fe relèvent à demi , quoique aflis fur leurs talons, & jettant les yeux fur le lus mains ouvertes comme fur un livre , ils prononcent ces paroles. L'adoration & les prières ne font dues qu'a Die», Salut & paix f oient fur toi , o Prophète. La rni- fericorde , les benedlllions & la paix du Seigneur [oient fur nous & fur les [erviteurs de Dieu. Jepra- te[ie qu'il n'y a qu'un feul Dieu , qu'il n'a point de compagnon , & que Mahomet efi l'Envoyé de Dieu. Les prières fini Ment par la lalutation des deux Anges qu'ils croyent être à leurs cotez. Pour s'a- quiteer de ce devoir , ils empoignent leur barbe ëc fe tournent à droite & à gauche. Ils s'imagi- nent que l'un de ces Anges eft blanc , & que l'au- tre eft noir ; le blanc , à ce qu'ils croyent , les ex- cite à bien faire , & tient un regiftre de leurs bon- nes actions ; le noir contrôle les mauvaifes pour les en aceufer après leur mort. En faliiant chaque Ange , ils prononcent , Le [al ut & la mi[eriçorde de Dieu [oient [ur toy. Ils croyent d'ailleurs que les prières ne fauroient être exaucées , s'ils n'ont auparavant fait une ferme rèfolutïon de pardon- ner à leurs ennemis ; c'eft pour cela qu'ils ne lailTent point paiîer le vendredi fans fe reconcilier -de bon cœur avec eux ; de là vient au fîi qu'on n'entend jamais ni médifance ni injure parmi les Turcs. Les prières du Vendredi fe font dans l'intention d'attirer la grâce du Seigneur fur tous les Mu fui- mans. On prie le Samedi pour la converfion des Juifs:Ic Dimanche pour celle des Chrêtiens:le Lun- di pour les Prophètes : le Mardi pour les Prêtres, du Levant. Lettre XIV. 341 & pour ceux qu'ils eftiment faints dans ce mon- de : le Mercredi pour les Mores , pour les mala- des , &c pour les Mufulmans qui font cfclavcs par- mi les infidèles : le Jeudi pour tout le monde, de quelque nation & de quelque religion qu'il puifle être. Le vendredi les Molquées font plus fréquen- tées , mieux éclairées , & les prières s'y font plus folemnellement. Nous n'avons pas vu prier dans les Mofquées, car il n'eft: permis aux Chrétiens d'y entrer que lors qu'il n'y a perfonne ; mais nous avons vu faire la prière aux Mufulmans dans les carava- nes. Le Chef de la caravane connoiflant par la hauteur du Soleil l'heure qu'il eft , s'arrête de leur annonce la prière tout comme feroit le Chantre ordinaire , les Chrétiens & les Juifs attendent à cheval , s'ils veulent , ou fe promènent pendant ce temps-là. Les Mufulmans étendent chacun leur tapis à terre , font leurs inclinations & récitent leurs Oraifons. Bien fouvent le Chef de la cara- vane leur tient lieu de Prêtre ; s'il s'y trouve quelque Dervich , comme cela fe rencontre fort fouvent dans les caravanes d'Afîe , il fait cette fonction. Tout cela fe palîe au milieu des champs avec la même attention & la même modeftie que s'ils étoient dans une Mofquée. Quand il n'y a qu'un , deux , ou trois Turcs dans une caravane a on les voit s'écarter du chemin pour prier , 8c courir enluite à toute bride pour rejoindre la troupe. Rien de plus exemplaire que ces exerci- ces , &C cela m'a donné beaucoup d'indignation contre les Grecs , qui la plupart vivent comme des chiens. Outre les prières journalières dont on vient de Yiij £4* V Ô Y A G I parler , les Turcs fe rendent à la Mofque'e à minuit pendant le Carême pour y faire la prière fuivante. Seigneur Dieu qui exeufes nos fautes : Toy qui feul dois être aimé & honoré : Qui es grand & vic- torieux i Oui tournes les , cœurs & les pensées des hommes : Qui difpofes de la nuit & du jour ; Qiii ■pardonne r nos offenfes & purifies nos cœurs : Qui fais miséricorde & distribues tes bienfaits a tes fer- viteun. Adorable Seigneur , nous ne t'avons pas honoré comme tu dévots l'être. Grand Dieu qui mé- rites qu'on ne parle que de toy , nous n'en avons pas parlé aujfv dignement que nous le devions. Grand Dieu que l'on doit remercier incejfamment , nous ne t'avons pas affez. rendu a allions de grâces. Dieu mifericor dieux , toute fageffe , toute bonté , toute vertu viennent de toy \ c'eji a toy qu'il faut deman- der pardon & mifericorde. Il n'y a point d'autre Dieu que Dieu. Il efi unique. Il n'a point de com- pagnon. Mahomet efi l'Envoyé de Dieu. Mon Dieu votre bénédiction fur Mahomet csr fur la race des Mufulmans. Caicme Le Carême des Turcs a pris le nom du mois ^.cs où il fe trouve , qui eft la Lune de Ramadan ou Ramadan , car ils comptent toujours par les Lu- nes. Leur année eft de 354. jours partagez en jz. Lunes, ou Mois, lefquels ne commencent qu'à la nouvelle Lune ; ces mois font alternative- ment l'un de 30. jours & l'autre de 31. Le pre- mier qui eft: de 30. jours s'appelle Muharrem. Le z. Scfer , & n'eft que de 19. jours. Le 2. Re- biul-euvel. Le 4. Rebiul-ahhir. Le 5. Giama\il- euvel. Le 6. Giama\il ahhir. Le 7. Regeb. Le 8. Chaban. Le 9. Ramadan on Ramadan. Le 10. Cbuvah Le 11. Zoulcudé. Le iz. Zoulhhé. Ces DT7 Levant. Lettre XIJr. f^$ mois ne fuivent pas les faifons , parce qu'ils ne s'accordent pas avec le cours du Soleil , & leurs années font plus courtes de onze jours que les nôtres } ainfi le Ramazan remonte tous les ans les campagnards loufrenc beaucoup ; il eft vrai qu'on leur pardonne de rompre le jeûne , pourveu qu'ils tiennent compte des jours , & à condition d'en jeûner par la fuite un pareil nombre quand leurs affaires le leur per- mettront : tout bien confideré s le Carême chez les Mufulmans n'eft qu'un dérangement de leur vie ordinaire. Quand la Lime de Chaban , qui précède immédiatement celle de Ramazan eft paffée , on obferve avec grand foin la nouvelle Lune. Une infinité de gens de toutes fortes d'états fe tiennent fur les lieux élevez 8c courent avertir qu'ils l'ont apperçûë i les uns agiflent par dévo- tion , les autres pour obtenir quelque récompen- fe. Dès le moment qu'on eft allure du fait -, on le publie par toute la ville , & on commence à jeû- ner. Dans les endroits où il y a du canon , on en tire un coup au coucher du Soleil. On allume Une fi grande quantité de lampes dans les Mof- quées , qu'elles relfemblent à des chapelles arden- tes , & l'on prend foin de faire de grandes illumi- nations fur les minarets pendant la nuit. Les Muczins au retour de la Lune > c'eft à dire a la fin du jour du premier jeûne , annoncent à jbaute voix qu'il eft temps de prier & de manger. Les pauvres Mahometans qui ont alors le gozier fort fec j commencent à avaler de grandes potées d'eau , & donnent avidement fur les jattes de ris. Chacun fe régale avec Tes meilleures provifions ; ôc comme s'ils apprehendoient de mourir de faim, ils vont chercher à manger dans les rués > après du Levant. Lettre XIF. 54J s'être bien rafTafîez chez eux > les uns courent ai* carte ; les autres au forbet ; les plus charitables donnent à manger à tous ceux qui fe préfentent. On entend les pauvres crier dans les rués Je prie Dieu qu'il remplijfe la bonrfe de ceux qui me don- neront pour remplir mon ventre. Ceux qui croyent raffiner fur les plaifus , fe fatiguent la nuit au- tant qu'ils peuvent , pour mieux repofer le jour, ôc pour laiifer palfer le temps du jeûne fans en être incommodez. On fume donc pendant leste* nebres après avoir bien mangé ; on joiie des in» ftrumens ; on voit joiier les marionettes à la fa- veur des lampes. Tous ces divertiffemens durent jufques à ce que l'aurore éclaire afTcz pour diftin- guer , comme ils difent , un fil blanc , d'avec un fil noir ; alors on fe repofe &c l'on donne le nom de jeûne à un fommeil tranquille qui dure juf- ques à la nuit. Il n'y a que ceux que la neceÂité oblige de travailler , qui vont à leur ouvrage or- dinaire. Où eft donc , félon eux , l'efprit de mor- tification qui doit purifier l'ame des Mululmans ? Ceux qui aiment la vie déréglée fouhaiteroient que ce temps de pénitence durât la moitié de l'an- née , d'autant mieux qu'il eft fuivi du grand Bai- ram , pendant lequel par une alternative agréable on dort toute la nuit , ôc l'on ne fait que fe ré- jouir tant que le jour dure. Sur la fin de la Lune de Ramazan , on obferve Lc Bai- avec foin celle de Chuval,& on annonce le Bairam tim' dés qu'on l'a découverte. On n'entend alors que tambours & trompettes dans les Palais & dans les Places publiques. Si le temps eft aflez couvert pour cacher la nouvelle Lune , on retarde la fefte d'un jour ; mais Ci les nuages continuent , on fup- pofe que la Lune doit être nouvelle , & l'on allu- 54^ Voyage me des feux de joye dans les rues. Les femmes qui font renfermées pendant toute l'aiïnée , ont la li- berté de fortir pendant les trois jours que dure cette fête. On ne voit dans les places que mufîciens, ef- carpolettcs , rodes de fortune. On voltige dans ces efcarpolettes, ou pour mieux dire , on fe promené en l'air fur des fieges de bois , par le moyen des cordes que des hommes conduifent avec plus ou, moins de violence au gré de celui qui eft aflis. Les roues de fortune font femblables à celles des mou- lins d'eau ; on les fait tourner fans que ceux qui font aflîs en dedans touchent les uns aux autres, quoique chacun fe trouve à fou tour au haut ôc au bas de la roue". Le premier jour du Bairam, les Mufulmans font entre eux une réconciliation générale , & fe don- nent réciproquement les mains dans les rues; après avoir baifé celles de leurs ennemis , ils les portent à leur tefte. On fe fouhaite mille profperitez , &C Ton s'envoye des prefents comme nous faifons ici au commencement de l'année. Les prédicateurs expliquent dans les Mofquées quelques points de l'Alcoran , été de Dieu. Le Grand Seigneur paroit plus magnifique ce jour-là qu'à l'ordinaire ; il reçoit les'complimens des Grands de la Porte , & leur fait donner un re- du Levant. Lettre XIV. 347 pas fomptueux dans la Sale du Divan. On afTeure qu'au retour de fainte Sophie il monte fur fou thrône , ayant le Chef des Eunuques blancs à fa gauche. Si les fils du Kam des Tartares Te trouvent à la Cour , ils viennent les premiers fe profterner devant lui , & ne fe retirent qu'après avoir baifé fes mains & lui avoir louhaité une heureufe fefte. Le Grand Vifir fe prefente enfuite à la tête des Vi- cerois & des Pachas qui font dans la ville \ & après avoir fait fou compliment au Sultan un genou en terre , il lui baife la main & prend la place du Chef des Eunuques blancs. Le Moufti accompagné des Intendans de Jufticc , des grands Cadis , des plus fameux Prédicateurs , en un mot de tous ceux qu'on appelle principaux Officiers de la Foy, ôc de celui même quife dit le Chef de la race de Maho- met : Le Moufti , dis-je, la tête baillée jufques à terre &rles mains dans fa ceinture , vient baifer Fépaule du Sultan ; on dit que ce Prince avance un pas pour le recevoir. Le Janillaire Aga fait fou compliment le dernier de tous, après que les Ofti- ciers qui ont accompagné le Moufti ont fait leur révérence. Quand le repas eft fait on diftribuë de la part du Grand Seigneur des veftes de Marte Zi- beline aux premiers Officiers de la Porte. Voilà ce qui fe parle à l'entrée du Serrait . Dans l'intérieur de ce Palais , le Sultan reçoit des complimens des Chefs des Eunuques &c de les premiersGentil-hom- mes. Les Sultanes même forcent de leurs apparte- mens 6c partent en carolfe chez le Grand Seigneur; mais ces carroiles font fermez avec le même foin que Ci l'on conduiloit des prifonniers. On alîeure que pendant les trois jours , qu'il eft permis à ces Dames de venir chez le Sultan , ce i-rince n'eft fer- v j que par des Eunuques noLrsj les Pages, les Eunu- 548 Voyage ques blancs , les Gentil-hommes , enfin tous ceux qui n'ont pas le vifage noir en font exclus pour tout ce temps-là. Les Dames fe vifîtent aufïï entre elles après avoir offert leurs vœux à l'Empereur. Les Mahometans célèbrent encore quelques au- tres feftes pendant le refte de l'année. J'ay eu l'hon- neur, M§r. de vous parler du petit Bairam dans ma troifiéme Lertre:cette fefte fe folemnife le 70e. jour après le grand , c'eft à dire le 10e. jour de la Lune de Zoulbigé , 8c les pèlerins qui vont à la Méque prennent fi bien leurs mefures , qu'ils y arrivent la veille de ce même jour. Les Turcs célèbrent auili avec réjouilfance la nuit de la naiffance de Maho- met , qui eft la nuit du 1 1 au 12 du 3e mois. On fait les illuminations ordinaires dans les Mofquécs &c aux minarets de Conftantinople. L'Empereur va à la Mofquèe neuve où il fait colation après la pri- ère, 8c l'on y diftribuë par fes ordres des confitures & des boifïbns. Mahomet , fuivant la croyance des Mufulmans , monta au ciel fur l'Alborac la nuit du 26 au 27 du 4e mois , c'eft un jour de grande fefte chez eux. Deux mois avant le Ramazan , on célèbre la nuit du 4 au 5 du 7e mois , pour fe fou- venir que le Carême approche. On ne jeune point à l'occafion de ces feftes -, au contraire , après avoir prié la nuit dans les Mofquées , on va faire bonne chère chez foi, ou chez fes amis pendant la journée. Les Turcs n'attendent pas les jours de feftes pour faire des œuvres de charité , l'aumône chez eux eft un commandement indifpenfable, ils la regar- dent même comme le moyen le plus affeuré pour augmenter leur bien 8c pour attirer la benediétion duCiel fur leurs héritages. Ceux qui lifent ïu4lcoran, dit Mahomet , qui prient , qui dijlribuent les biens que Dieu leur a donnez. , [oit en public , [oit en par- t> u Levant. Lettre XIV. 345» tîculier , doivent être ajfurez. de n'être point trompe"^ dans ce commerce. Ils feront rembourfez. bien ample- ment de tout ce qu'ils auront- donné. Dieu que nous devons toujours glorifier , pardonne les péchez, à ceux qui font des charitez> & rend avec ufure tout ce qu'on a donné en fon nom. Il eft ordonné aux Mufulmans de faire l'aumône dans l'unique veûë de plaire à Dieu , & non par un principe de vanité : Gens de bien ne perdez* pas le profit de vos aumônes en voulant qu'on les voye \ car celuy qui les fait pour être veu , & non pas dans l'intention de fe rendre le Seigneur favorable au jour du Jugement , efi a l'égard des cho- fes du Ciel comme une terre remplie de cailloux cou- verts d'un peu de poujfiere, laquelle fe dijfipe h la moin- dre pluye, de telle forte qu'il n'y refte que les cailloux. Les Cafuiftes Mahometans ne conviennent pas fur quel pied chacun doit régler fes aumônes. Les uns croyent qu'il fuffit de donner un pour cent de tous les biens j les autres prétendent qu'il faut en retrancher la quatrième partie en faveur des pau- vres ; les plus féveres obligent à la dixième partie. Outre les aumônes particulières, il n'y a point de nation qui farTe plus^de dépenfe en fondations que les Turcs. Ceux mêmes qui ne jouilfent que d'une médiocre fortune, laifTent après leur mort de quoi entretenir un homme qui , dans Jes grandes cha- leurs de l'Eté , donne de l'eau à boire à ceux qui paflfent devant leur fepulture. Je ne doute pas qu'on n'y trouvait des muids de vin , il Mahomet ne leur en euft deffendu l'ufage. La manière de faire l'au- mône eft bien expliquée dans le précepte fuivant. jifiifiezj vos pères & mères, vos proches parens , les orphelins t vos voifîns , ceux qui voyagent avec vous , les pèlerins , ceux qui font fous votre puiffance j mais ne U faites pas four en tirer de la vanité ,car Dieu l'a 35<5 Voyage en horreur. Je puniray féverement s (dit le Seigneur) & je couvrir ay de confufwn ces fortes d'avaies , qui non contens de ne point faire fart aux autres , des biens dont je ne les ay rendus que dépojîtaires , perfuadent au contraire qu'il ne faut rien donner. X£ue ceux qui ent la fy fajfent des aumônes & des prières avant que le jour du Jugement vienne , car il ne fera plus temps d'achetter le paradis après ce terrible jour. On ne trouve en Turquie ni gueux ni mandi- ans, parce que Ton y prévient les befoins des mal- heureux. Les riches vont dans les priions délivrer ceux qui y font arrêtez pour dettes. On afïifte avec foin les pauvres honteux. Combien voit-on de fa- milles ruinées par les incendies qui fe rétablhTenf par les charitez ? elles n'ont qu'à fe prefenter à ii porte des Mofquées. On va dans les maifons con- iolcr les affligez. Les malades, fuftent-ils peftiferez, trouvent du fecours dans la bourfe de leurs voifins, & dans les fonds des parroiflès. Les Turcs ne bor- nent pas là leurs charitez , comme le remarque Leunclaw. Ils employent leur argent à faire répa- rer les grands chemins, à y faire conduire desfon^, taines pour le foulagement des paftans ; ils font bâtir des Hôpitaux, des Hôtelleries, des Bains, des Ponts , des Mofquées, Quoique les plus belles Mofquées foientà Con£ tantinople , à Andrinople , à Burfa ou Prufe , on trouve la même diftribution de bâtimens dans ceU les des principales villes , & une cour où il y a des eaux pour faire les ablutions. Le corps de la Mof* quée eft ordinairement un dôme alfcz propre, l'in- térieur en eft tout fimple , ôc l'on ne voit fur les murailles que le nom de Dieu écrit en Arabe. La niche où eft l'Alcoran eft toujours tournée du côté de la Méque j & h dédicace des plus célèbres Mof- v v Levant. Lettre XIV. $ft quées fe fait en y arrachant une pièce de quelque étoffe qui a fervi de portière à la Ivîofquée de la Méque. La moindre Mofquée a un minaret ; celles d'une médiocre beauté en ont deux : s'il n'y en a point , le Muezin fe place devant la porte , il mer fes pouces dans les oreilles , Se fe tournant vers les* quatre pairies du monde, il annonce les heures àc la prière. Ce chantre fert de cloche, de quadran & d'horloge ; car dans toute la Turquie il n'y a que des montres de poche. Le lervice de ces Eglifes eft; uniforme ; tous les officiers dépendent du Curé „ qui en qualité de premier miniftre prêche <ôc fait faire les prières. Quelque beau cjue (bit le pavé d'une Eglife, il eft toujours couvert d'un tapis on d'une natte. Pour ce qui eft des revenus des Moi- qnefcs, il eft certain qu'il n'y c-n a point de pauvres; la piufpart font tres-riches , & l'on prétend que i'Eglife potïède un tiers des terres de l'Empire. Orcan II. Empereur Othoman changea les Egiiies grecques en Mofquées : fes fucceffeurs ont fait de même, mais ils en ont augmenté les revenus, bien loin de les diminuer. Cet Empereur fut le premier aufïi qui fit bâtir des Hôpitaux pour les pauvres , & pour les pèlerins; il établit & renta des Collèges pour y faire étudier la jeuneife. Il eft peu de Mok quees considérables , qui n'ayent leurs Hôpitaux ëc leurs Collèges. Les pauvres, de quelque religion qu'ils foient, font afllftez dans ces Hôpitaux ; mais on ne reçoit dans les Collèges que des Mahome- tans , à qui l'on apprend à lire, à écrire , à inter- préter l'Alcoran. Quelques-uns s'y appliquent à l'Arithmétique , à l'Aftrologie , à la Poëfîe ; quoi- que les Collèges foient principalement deftinez pour y former les gens de Loy, Les Hôtelleries de fondation qu'on trouve fur 35* Voyage les chemins , font de grands édifices longs on quarrez qui ont l'apparence d'une grange. On ne voit en dedans qu'une banquette attachée aux murailles , & relevée d'environ trois pieds , fur fîx pieds de largeur ; le refte de la place eft defti- né pour les chevaux , pour les mulets , Se pour les chameaux. La banquette fert de lit t de table , & de cuifine aux hommes. On y a pratiqué de peti- tes cheminées à fept ou huit pieds les unes des au- tres , où chacun fait bouillir fa marmite. Quand la foupe eft prête , on étend la nappe & l'on fe range^utour , les pieds croifez comme les Tail- leurs.' Le lit eft bientôt drelfé après le fouper , il n'y a qu'à étendre fon tapis , ou placer fon ftra- pontin à côté de la cheminée , & ranger fes har- des & fes habits autour ; la Celle du cheval tient lieu d'oreiller ; le capot fuplée aux draps & à la> couverture : ce qu'il y a de plus commode , c'eft que le matin on monte à cheval fans defeendre de la banquette , car les étriers fe trouvent tout de niveau. Les voituriers tiennent l'étrier oppofé à celui du montoir : ces gens-là ne dorment gueres, ils paflent plus de la moitié de la nuit à faire manger leurs chevaux , à les pancer , & à les charger. On trouve à achetter à la porte de ces Hôtel- leries j du pain , des poules , des œufs , des fruits, quelquefois du vin ; on va fe pourvoir au village prochain fî l'on manque de quelque chofe. S'il y a des Chrétiens, l'on y trouve du vin, finon il faut s'en parler. On ne paye rien pour le gîte. Ces retraites publiques ont confervé en quelque manière le droit d'hofpitalité , fî recommandable chez les anciens. Les Hôtelleries des villes font plus propres & mieux t>i7 Levant. Lettre XIV. $$$ mieux bâties ; elles relfemblcnt à des monaftéres j car il y en a beaucoup où l'on a bâti une petite Mofquée ; la fontaine eft ordinairement au milieu de la cour ; les cabinets pour les néceffitez font autour y les chambres font rangées le long d'une grande galerie , ou dans des dortoirs bien éclai- rez. JDans les Hôtelleries de fondation on ne don- ne pour tout payement qu'une étiêne au concier- ge >Jk l'on eft à bon marché dans les autres; pour y être à fon aife , il faut avoir une chambre pour la cuifîne. Le marché n'eft pas loin , car l'on achette à la porte de la îriaifon , viande , poiflbn, pain , fruits â huile , beurre , pipes , tabac , caffé , chandelles , & jufques à du bois. Il faut s'adrener à des Juifs ou à des Chrétiens pour avoir du vin , & pour peu de chofe ils l'apportent en cachette : le meilleur eft chez les Juifs , & le moindre chez les Grecs : nous en avions ordinairement d'excel- lent j parce que nos gens qui s'y troUvoient inte- reflez ne manquoient pas de publier dans le quar- tier que nous étions Médecins. On venoit nous demander des remèdes , oit nous prier de voir des malades , & l'honoraire fe réduifoit ordinaire- ment à quelques bouteilles de bon vin. Il y a de ces Hôtelleries où l'on fournit aux dépens du Fondateur , la paille , l'orge , le pain , & le ris. Celles d'Europe font mieux bâties , mieux rentées & plus propres que celles qui font en Ane ; car. dans les grandes villes elles font couvertes de plomb & embellies de plufieurs dômes: mais com- me les pluyes font moins fréquentes en A/ïe , ou aime mieux pendant la belle faifon , camper dans des campagnes agréables le long des ruiueauX oui l'on pèche d'excellentes truites. On trouve des perdrix prefque par tout, Tome IL 2 3J4 V o y a g e Comme la charité & l'amour du prochain font les points les plus effentiels de la- religion Mario- metane , les grands chemins font ordinaire nient bien entretenus , & l'on y trouve aflèz fréquem- ment des fources , parce qu'ils en ont befoin pour leurs ablutions. Les pauvres gens prennent loin de la conduite des eaux , par je ne fçai quelle tradition , que Mahomet aimoit fi fort fon chat , cju' étant un jour confulté fur quelque point de religion j il aima mieux couper le parement de fa manche fur lequel cet animai Zij 3;6 V o v A g i repofoit, que de l'éveiller en fe levant, pour aller parler à la pcrlonne qui l'attendoit. Cependant les chats du Levant ne font pas plus beaux que les nôtres , & ces beaux chats gris couleur d'ar~ doife y font fort rares ; on les y porte de iTftc de Malte où la race en eft commune. Parmi les oi- feaux , on regarde chez les Turcs les Tourterel- les & les Cigognes comme des créatures fa crées , on n'oferoit les tuer j les Grées de l'Archipel au contraire font très-friands des Tourterelles , &C ils en font leur mets le plus délicat ; c'eft en erlet le gibier le plus délicieux du Levant , & il ne cè- de au Francolin qu'en grofleur , mais il faut les manger rôties , car celles que l'on fale dans des barils comme les anchoyes , y perdent tout leur goût. Les Turcs croyent faire une œuvre de cha- rité en achettant un oifeau en cage dans le delicin de lui donner la liberté , pendant qu'ils ne font aucun fcrupule de tenir leurs femmes en prifon , & nos efclaves à la chaîne. Ceux qui prennent ces oifeaux à la glu ou à qrtelqu'autre forte de chalTe , ne croyent pas pécher , parce que leur intention eft de fournir , à ceux qui ont le moyen; de lesrachetter pour leur redonner la liberté , des occafions de faire de bonnes œuvres : ainfi chacun efpere d'y trouver fon compte devant Dieu , tant il eft vrai que la direction d'intention eft naturel- le à tous les hommes. A l'égard des plantes , les plus dévots chez les Turcs les arrofent par charité & cultivent la terre qui les a produites , afin qu'elles foient nourries plus graflement. On dit que Sultan Ofman vo- yant de loin un arbre qui avoir la figure d'un Dcr- vich 3 fonda une rente d'un afpre par jour pour payer un homme qui en prît foin. Quoi qu'il y du Levant. Lettre XIV. 357 ait de la (implicite , pour ne pas dire de la folie, à fuivre l'exemple de cet Empereur , néanmoins ces bons Mufulmans croyent en cela faire une chofe agréable à Dieu , qui eft le créateur & le confervateur de toutes chofes. Ils font allez /Im- pies pour s'imaginer qu'ils font plaifir aux morts en verfant de Peau fur leurs tombeaux; cela peut, difent-ils , leur donner du rafraichiifement 5 on voit même plufieurs femmes qui vont manger & boire dans les cimetières le vendredi , croyant appaifer par ce moyen la faim& la foif de leurs maris. Avant que de vous entretenir , MSr. de toutes les pratiques des Turcs , au fujet des morts , il eft bon d'expliquer les deux Commandemens qui relient ; fçavoir celui du voyage de la Méque , & celui de la Propreté. Non feulement le pèle- rinage de la Méque eft difficile par la longueur du chemin , mais encore par rapport aux dangers que Ton court en Barbarie , où les vols font fre- quens , les eaux rares & les chaleurs exceflives ; il eft vrai que les Mahometans peuvent s'en dif- penfer , & fubftituer à leur place un homme qui coure le rifque du voyage. Ils regardent le tem- ple de Haram , qui eft celui de la Méque , com- me l'ouvrage d'Abraham. Fais [avoir a tout le monde , dit l'Alcoran , que Dieu a commandé de fuivre la religion d' Abraham , lequel n'étoit ni ido- lâtre ni incrédule, jQtte c'efi Abraham qui a bâti le temple de la Méque , lequel efi le premier que l'on ait conftruit pour prier le Seigneur. L'honneur que l'on porte à ce lieu efi fort agréable a Dieu. Il veut que tous ceux qui peuvent y aller , y aillent. Les Mufulmans ne s'embarraifent pas de l'Ana- cronifme , & ils condamneroient au feu quicon- Z iij $5 8 Voyage que oferoit nier qu'il n'y avoit point de ville de la Méque dans le temps d'Abraham. Les quatre rendez-vous des pèlerins font , Da- mas , le Caire, Babylone , &c Zefcir. Ils fe prépa- rent à ce pénible voyage par un jeûne qui fuit celui du Ramazan , & s'alîemblent par troupes dans des lieux convenus. Les Sujets du Grand Sei- gneur qui font en Europe , fe rendent ordinaire- ment à Alexandrie fur des bâtimens de Provence, dont les Patrons s'obligent à voiturer les pèle- rins. Aux approches du moindre vailleau , ces bons Mufulmans qui n'aprehendent rien tant que 4e tomber entre les mains des armateurs de Mal- te , vont baifer la bannière de France, ils s'en- vclopent dedans &: la regardent comme leur azi- le j d'Alexandrie ils parlent au Caire pour join- dre la caravane des Afriquains. Les Turcs d'Ahc s'aftemblent ordinairement à Damas -, les Perfans & les Indiens à Babylone ; les Arabes & ceux des Mes des environs à Zebir. Les Pachas qui s'a- quittent de ce devoir s'embarquent à Suez port de la mer Rouge , à trois journées &c demi du Caire. Toutes ces caravanes prennent fi bien leurs mefures , qu'elles arrivent la veille du petit Bairam fur la colline à'Arafagd à une journée de la Méque. C'eft fur cette fameufe colline qu'ils croyent que l'Ange apparut à Mahomet pour la première fois , &c c'eft là un de leurs principaux fanctuaircs. Après y avoir égorgé des mourons pour donner aux pauvres , ils vont faire leurs prières à la Méque , & de là à Medine où eft le tombeau du Prophète , fur lequel on étend tous les ans un Poile très-riche & très- magnifique que le Grand Seigneur y envoyé par dévotion : l'an- cien Poile eft: mis par morceaux 3 caries pèlerins vu Levant. Lettre XIV, $$$ tachent d'en attraper quelque pièce , pour petite qu'elle foit , & la couler vent comme une relique îrès-précieule. Le Grand Seigneur envoyé auilï par l'Inten- dant des caravanes cinq cens fequins , an Alco ran couvert d'or , plufieurs riches tapis , & beau- coup de pièces de drap noir pour les tentures des Molquées de la Méque. On choifït le Chameau le mieux fait du pays pour être porteur de l'Alco- i'an ; à fon retour ce Chameau tout chargé de guirlandes de rieurs , pour aiuû dire, fans pourtant $6i Voyage vous incommoder , il en exprime une quantité furprenante de fueur : les petits lacs de camelot dont ces valets fe fervent , tiennent lieu des étril- les des anciens , & font beaucoup plus commo- des» Pour mieux nettoyer la peau , ils jettent beaucoup d'eau chaude fur le corps , & quand on le veut on fe fait donner la dernière façon avec une pièce de favon parfumé : enfin on s'efluye avec des linges bien propres , bien fecs & bien chauds, 4 Voyage nie qu'il juge à propos > il choifît ordinairement celui de Tes amis qu'il connoît le plus diferer; quel- quefois auffi. il prend le premier venu ; mais on alfeurç qu'il arrive fouvent que certaines femmes, qui fe trouvent bien de ce changement, ne veulent pins revenir avec leurs premiers maris. Cela ne fe pratique qu'à l'égard des femmes qu'on a époufées. Il eft permis aux Turcs d'en entretenir de deux au* très fortes ; favoir celles que l'on prend à penfion, & des efclaves. On époufe les premières , on loiïc les fécondes , & on achette les dernières. Quand on veut époufer une fille dans les formes, on s'adrelîe aux patens & l'on figue les articles , après être convenu de tout en prefence du Cadi 8c de deux témoins. Cène font pas les père & merc qui dottent la fille , c'eft le mari : ainfi quand on a réglé le doiiaire , le Cadi délivre aux parties la copie de leur contract de mariage : la fille de fon côté n'apporte que fon troulîeau. En attendant le jour des noces , l'époux fait bénir fon mariage par le Curé ; &: pour s'attirer les grâces du ciel, il dif» tribue des aumônes & donne la liberté à quelques efclaves. Le jour des noces la fille monte à cheval couverte d'un grand voile Se fe promené par les rues fous un dais, accompagnée de pluficurs fem- mes Se de quelques efclaves, fuivant la qualité du mari; les joueurs & les joiieufes d'inftrumens font de la cérémonie : on fait porter enfuite les nippes qui ne (ont pas le moindre ornement de la marche. Comme c'eft tout le profit qui en revient au mari, on affe&e de charger des Chevaux & des Chameaux de plufieurs coffres de belle apparence , mais fou- vent vuidcs,où dans lefquels les habits & les bijoux font fort au large. L'époufée eft ainfi conduite en triomphe par le chemin le plus long chez l'époux i> u Lévanï. Lettre XI V. $êj qui la reçoit à la porte. Là ces deux per formes qui ne fe font jamais vûës,& qui n'ont entendu parler l'Un de l'autre que depuis quelques jours, par l'en- tremife de quelques amis , fe touchent la main & le font les plus tendres proteftations qu'une véri- table palîion puiiîe infpirer. On ne manque pas de faire la leçon aux moins cloquens , car il n'eft guère polïible que le cœur y ait beaucoup de part* La cérémonie étant faite en prefence des parens & des amis, on palïe la journée en feftins, en dan- ces , & à voir les marionettes -, les hommes fe ré- jouiftent d'un côté, 8c les femmes d'un autre. Enfin la nuit vient & le filence fuccede à cette joye tu- multueufe. Parmi les gens aifez , la mariée eft conduite par un Eunuque dans la chambre qui lui eft deftinée ; s'il n'y a point d'Eunuque , c'eft une fiarente qui lui donne la main & qui ia met entre es bras de fon mari. Dans quelques villes de Tur~ quie, il y a des femmes dont la profefïion eft d'inf- truire l'époufée de ce qu'elle doit faire à l'aptoche de l'époux , qui eft obligé de la deshabiller pièce à pièce &c de la placer dans le lit. On dit qu'elle réci- te pendant ce temps-là de longues priercs,& qu'elle a grand foin de faire plufîeur nœuds à fa ceinture , en forte que le pauvre époux fe morfond pendant des heures entières avant que ce dénouement foie fini. Ce n'eft que fur le rapport d'autrui, qu'un homme eft informe fi celle qu'il doit époufer eft belle ou laide. Il y a plufieurs villes en Turquie s ou le lendemain des noces , les parens & les amis vont dans la maifon des nouveaux mariez prendre le mouchoir enfanglanté qu'ils montrent dans les rues en fe promenant avec des joueurs d'inftru- mens. La mère , ou les parentes ne manquent pas de préparer ce mouchoir à telle fin que de raiibu $66 Voyagé & pour montrer a eji cas de befoin, que les mariez fonc contens l'un de l'autre. Si les femmes vivent fagcment , i'Alcoran veut qu'on les traicte bien 8c condamne les maris qui en ufent autrement , à ré- parer ce péché par des aumônes * ou par d'autres oeuvres pies qu'ils font obligez de faire avant que de coucher avec elles. Lorfque le mari meurt le premier , la femme prend fon douaire & rien de plus. Les enfans dont la mère vient de mourir , peuvent obliger le père de leur donner ce douaire. En cas de répudiation le douaire fe perd fi les raiions du mari font perti- nentes; iinon le mari eft condamné à le continuer^ & à nourrir les enfans. Voila ce qui regarde les femmes légitimes. Pour celles que l'on prend à penfion, on n'y fait pas tant de façon. Après le confentement du perc & de la mère , qui veulent bien livrer leur fille à un tel , on s'adretle au Juge qui met par écrit que ce tel Veut prendre une telle pour luy fervir de femme , qu'il fe charge de fon entretien & de celui des en- fans qu'ils auront enfemble , à condition qu'il la pourra renvoyer lorfqu'il le jugera à propos,enlui payant la fomme convenue à proportion du nom- bre d'années qu'ils auront elle enfemble. Pour co- lorer ce mauvais commerce, les Turcs en rejettent le fcandale fur les marchands Chrétiens, qui ayant laide leurs femmes dans leurs pays , en entretien- nent à penfion dans le Levant. A l'égard des efcla- ves , les Mahometans fuivant la Loy en peuvent faire tel ufage qu'il leur plaie ; ils leur donnent la liberté quand ils veulent , ou ils les retiennent à leur fervice pendant toute leur vie. Ce qu'il y a de louable dans cette vie libertine, c'elt que les enfans que les Turcs ont de toutes leurs femmes, heritenc du Levant. Lettre XIK 367 également des biens de leur père , avec cette dif- férence feulement, qu'il faut que ceux des efclaves foient déclarez libres par Teftament. Si le père ne leur fait pas cette grâce , ils fuivent la condition de leur mère , Se font à la diferetion de l'aîné de la famille. (Quoique les femmes en Turquie ne fe montrent pas en public , elles ne laillent pas d'être magnifi- ques en habits , leurs chaudes font fcmblables à celles des hommes , Se defeendent jufqu'aux talons en manière de pantalon , au bas duquel eft coufu un chaniïbn de marroquin fort propre. Ces chauf- fes lont de drap, de velours, de fatin, de brocard, de boucalîln , ou de toile claire , fuivant la faifon Se la qualité des perfonnes. Il y a dans Conitan- tinople des femmes débauchées Se perdues à tel point, que faifant fembîant de racommoder leur verte j elles montrent en plaine rue tout ce que la modeftie ordonne de cacher, Se gagnent leur vie à ccdéteftable meftier. Les femmes Turques portent fur lachemiie une camifole piquée , Se pardeflus là camifole une efpece de foutane d'une riche étoffe : cette foutane eft boutonnée jufques au deffous du fein , Se ferrée par une ceinture de fove ou de cuir , avec des plaques d'argent enrichies de pierreries. La vefte qu'elles mettent fur cette fou- tane eft d'une étoffe plus ou moins epailTe fuivant les faifons , Se la fourrure en eft plus ou moins cherc fuivant leur état ; elles croifent fouvent une partie de la vefte fur l'autre , Se les manches tom- bent jufques aux bouts des doigts qu'elles cachent quelquefois dans les ouvertures qui font à cofté de la vefte ; leurs fouliers font tout à fait femblables à ceux des hommes , c'eft à dire garnis d'un demi cercle de fer en place de talon. Pour faire paroître 3' 68 Voyagé leur taille plus availtageufe , au lieu de turban el- les portent un bonnet de carton couvert de toile d'or ou de quelque belle étoffe : ce bonne: qui eft fort haut reflcmble , en quelque manière, à cette efpece de panier renverié que l'on voit dans les Médailles antiques fur les telles de Diane, de Ju- tion 6c d'ifis ; la mode s'en eft confervée dans le Levant : mais comme il faut tout cacher parmi les l'urcs , le bonnet eft envelopé d'un voile qui def- cend jufques aux fourcilsjle refte du vifage eft aufll couvert d'un mouchoir très fin , fi étroitement noué par derrière, que ces femmes paroi lient com- me bridées. Leurs cheveux pendent par trelTes fur le dos, ce qui leur donne affez bonne grâce; celles imi n'ont pas de beaux cheveux , en portent de poftiches. Les femmes Turques , fur le rapport de nos Françoifes de Conftantinoplc & de Smyrne qui les voyent au bain avec beaucoup de liberté , font en général belles & bien faites-, elles ont la peau fine^ les traits réguliers , la gorge admirable , & pref- que toutes les yeux hoirs : il s'en trouve plufîeurs qui font d'une beauté parfaite. Leur habit à la vé- rité n'eft pas avantageux à la taille -, mais chez les Turcs les plus grottes femmes partent pour les mi- eux faites , les tailles fines n'y font pas eftimées. La poitrine dé ces femmes eft en pleine liberté fous leur vefte , fans corps ni corfet qui les gêne : enfin elles font comme la nature les a faites, au lieu que chez nous , pour vouloir corriger avec des machi- nes de fer ou de baleine cette nature qui dans un certain âge lailfe voir quelquefois des défauts fur l'épine du dos & aux épaules, on rend très fouvent les belles perfonnes contrefaites. D'ailleurs leur nourriture eft beaucoup plus douce de plus unifor- me i> u Levant. Lettre XIV. 4.69 me que celle de nos femmes qui mangent des ra- goûts , qui boivent du vin , des liqueurs , & qui paiTent la plus grande partie des nuits à jouer: eft« il furprenant après cela qu'elles ayent des enfans nouez ou contrefaits ? le fans des femmes du Le- vant efl: beaucoup plus pur. Leur propreté eft ex- traordinaire; elles fe baignent deux fois la femaine ôc ne foufrent pas le moindre poil ni la moindre cralfe fur leur corps ; tout cela contribue fort à leur fanté. Elles pourroient s'épargner le foin qu'- elles prennent de leurs ongles & de leurs fourcils, car elles fe colorent les ongles en rouge brun avec une poudre qui vient d'Egypte, & elles mettent une autre drogue fur leurs fourcils pour les rendre noirs. A l'égard des qualitez! de l'ame , les femmes Turques ne manquent m d'efprk , ni de vivacité 3 ni de tendrefle ; il ne tiendroit qu'aux hommes de ce pays- là qu'elles ne fu lient capables des plus bel- les paffions: mais L'extrême contrainte avec laquel- le elles font gardas leur fait faire trop de chemin en peu de temps. Les plus vives font quelquefois arrêter par leurs efclavcs les gens les mieux faits qui palTent dans les tues* Ordinairement on s'a- dretTe à des Chrétiens , 6c l'on n'aura pas peine à croire qu'où ne choirlt pai les moins vigoureux en apparence. On nous contoit à Oonltan 'voplc3 qu'un Papas Grec de belle taille , au retour d'une expédition galante :omba m uneureufement dans une trappe par la fauce de l'efclave qui le condui- foit -, cette trappe abourilïoit à un égout , &: l'égout fe vuidoit dans le port : on peu juger combien ce pauvre Papas maudiifoit l'avanture, &c avec quelle vitelfe il courut au bain pour Ce faire parfumer» Les efclaves Juives , qui font les confidentes des Tome IL A a 570 Voyage Tiirqnes,entrcnt à toute heure dans leurs apporte- mènes (ous prétexte de leur porter des bijoux , & mènent fouvent avec elles de beaux jeunes gar- çons déguifez en filles ; on prend loin de mettre un vertugadin fous le doliman pour groliir leur raille. L'heure de la prière du matin Ôc du lok , eft pour l'ordinaire l'heure du berger en Turquie , de mê- me qu'en pluiieurs endroits d'Efpagne ; mais cela ne fe peut pratiquer que dans les grandes villes > où les femmes déréglées & celles dont les maris font commodes , prennent un turban tandis qu'ils font à la Mofquée ; les rendez-vous fe donneur chez les Juives , où les Turques trouvent bonne compagnie , & c'eft là que les étrangers font avec elles en pleine liberté. L'amour eft ingénieux par- tout pays , mais quelques précautions que l'on prenne pour cacher fon jeu , il arrive fouvent que l'on eft furpris dans les endroits où l'on croit erre le plus en feûreté. L'adultère eft puni rigoureufe- ment en Turquie ; c'eft dans ce cas là que les maris font les maîtres de la vie de leurs femmes, car s'ils ont l'ame vindicative , ces malheureufes qui font prifes en flagrant délit , ou convaincues dans les formes, font enfermées dans un fac plein de pierres & noyées : mais la plulpart lavent fi bien ménager leurs intrigues , qu'elles meurent rarement dans l'eau. Quand les maris leur accordent la vie, elles deviennent quelquefois plus heureufes qu'elles n'étoient , car on les oblige à épouler leur ga- land , qui eft condamné à mourir , ou à fe faire Turc fnppofé qu'il foit Chrétien. Souvent le ga- land eft aufîi condamné à fe promener dans les rues fur un âne , la tête tournée vers la queue , qu'on lui fait tenir en manière de bride , avec une couronne de tripailles 6c une cravate de pa- t> 17 Levant. Lettre XI V. 371 rcille étoffe. Après ce triomphe on le régale d'un certain nombre de coups de baron fur les reins & fous la piante des pieds ; pour dernière punition il paye une amande proportionnée à fon bien; Les Sauvages de Canada ne font pas fi rigoureux; car quoiqu'ils condamnent l'adultère , ils con- viennent cependant que la fragilité étant 11 natu- relle aux deux fexcs , il faut le pardonner réci- proquement i fi l'on faufle la foi que l'on s'eft donnée fur une matière auffi. délicate. L'Alcoran détefte l'adultère , & ordonne que celui qui en aceufera fa femme , fans le pouvoir prouver , fera condamné à quatre-vingt coups de bâton. Comme la chofe elt difficile à prou- ver en Turquie ou il faut avoir des témoins , lé mari eft obligé de jurer quatre fois devant le Juge , qu'il dit la vérité ; il protefte à la cin- quième fois qu'il veut être maudit de Dieu 8c des hommes s'il ment. La femme ne fait qu'ert rire dans fon ame , car elle eft crue fur fes fer- inens , pourveu qu'au cinquième elle prie Dieil qu'il la faiîe périr fi fon mari a dit vrai. Toute femme en pareil cas ne femble-t-elle pas devoir être difpenfée de dire la vérité ? La jaloufie à part , les Turcs font de bonnes j gens , Se ils prennent toutes les mefures pdfli- bles pour en éviter les occafions } car ils ne laitferoient pas voir le vifage de leurs femmes à leur meilleur ami pour tout le bien du mon- de. D'ailleurs ils lont allez bien faits & de belle taille ; le fan g varie moins chez eux que parmi nous , peut-être parce qu'ils font plus fobres Si que leur nourriture eft plus douce ôc plus uni- forme. On y voit moins de bolTus , de boiteux i & de nains, Il eft vrai que leurs habics cachent A a ij 572- Voyage bien des deffauts que les nôtres IailTent a. décovt- vert. La première pièce de cet habit cft un grand haut de chaude en manière de pantalon ou de calçon , lequel defeend julques aux talons , où il eft terminé par un chauflon de marroquin jaune qui entre dans des pantoufles de même cuir : au lieu de talon , ces pantoufles font gar- nies d'un petit fer épais feulement d'une ligne ôc demi , large d'environ quatre lignes , cour- bé en fer à cheval , lequel empêche qu'elles ne s'ufent en cet endroit ; la pointe eft terminée en arcade gothique , & elles (ont couines avec plus de propreté que nos fouliers. Quoiqu'elles foient à fîmple femelle , elles durent iong-temps , fuir tout celles de Conftantinople où l'on employé le cuir du Levant le meilleur & le plus léger. Le Sultan n'eft pas mieux chauffé que les autres. On ne permet qu'aux Chrétiens étrangers de porter des pantoufles [aunes , car les fujets du Grand Seigneur , Chrétiens ou juifs, en ont de rou- ges j de violettes , ou de noires : Cet ordre eft: fï bien établi &c fuivi avec tant d'exactitude, que l'on distingue les gens par les pieds & par la tête, de quelque religion qu'ils foient. La grande, commodité de ces pantoufles , c'eft qu'on les quitte & qu'on les reprend fans peine, mais ii faut y être fait ; je les perdois quelquefois au mi- lieu des rues les premiers jours que je commen- çai à m'en fervir , & je ne m'en apercevois qu'un, moment après par la douleur que je fentois aux pieds. Nos fouliers font d'un meilleur ufage , quoi- que les Turcs les trouvent bien lourds. Leurs pantoufles ne font bonnes que pour la belle fai - fon j car la moindre goutte d'eau les falit j elles du Levant. Lettre XIV. 37$ ne conviennent pas aux perfonnes qui aiment à herbotiier \ on ne fauroit entrer avec cette chauf- fure dans une prairie fans être blclfé du moin- dre caillou y il cft vrai qu'on prend alors des bottines de marroquin auffi. légères que des bas drapez , ferrées au talon de même que les pan- toufles ; les feuls Mululmans & les Chrétiens pri- vilégiez les portent de couleur jaune. Le haut de chaude des Turcs fe ferme par devant au moyen d'une ceinture large de trois ou quatre pouces , qui entre dans une gaine de toile coufu'e contre le drap. L'ouverture qui eit par devant n'eft pas plus fendue que celle qui eit par derrière , parce que les Mahometans n'urinent qu'en s'acroupitïant. Leurs chemifes font de toi- le de cotton fort claire & fort douce , avec des manches plus larges que celles de nos femmes j auiîi dans leurs ablutions troudent-ils leurs man- ches au deflus du coude , & ils les arrêtent avec beaucoup de facilité , parce qu'elles n'ont point de poignet. Ils mettent le doliman par delîus la chemife ; c'eft une efpéce de foutane de boucal- fin , de bourre , de fatin , ou d'une étoffe d'or , laquelle defeend jufques aux talons. En Hyver cette foutane cft piquée de cotton , quelques Turcs en ont de drap d'Angleterre du plus tin. Le doliman cft: alfez jufte fur la poitrine, & fe boutonne avec des boutons d'argent doré ou de foye , gros comme des grains de poivre. Les man- ches font aufïl fort jultcs 6c ferrées fur les poi- gnets avec des boutons de même grolfeur , qui s'attachent avec des ganfes de foye au lieu de boutonnières 5 de même que ceux du doliman. Pour s'habiller plus promptement on n'en bou- tonne que deux ou trois d'efpacc en efpacc : ces A a iij 374 Voyage manches fe terminent quelquefois par un petite rond qui couvre le dellus de la main. Le doli- man eft ferré par une ceinture de foye de dix ou douze pieds de long , fur un pied & un quart d,e large t les plus propres fe travaillent à Scio. Ou fait deux ou trois tours de cette ceinture , eu forte que les deux bouts qui font tortillez d'une manière allez agréable , pendent par devant. Ils portent un poignard , &: quelquefois deux dans cette ceinture ; ce font des couteaux à gai- ne , dont le manche eft garni d'or ou d'argent , & de pierreries. Comme ils n'ont point de po- ches , la même ceinture leur fert à porter leurs mouchoirs. Ils mettent tout dans leur fein, bour- fe à tabac, porte-lettres , &c. ci qni les fait pa- roître fort gros. La grande vefte couvre ce doli- man , & pendant les chaleurs ils la portent en manière de çafaque fans palier les bras dans les manches ; mais ce feroit une chofe fort indécen- te de fe préfenter en cette pofture chez les gens de diftinction. Les manches de ces veftes ions aflez étroites & l'on ne les double pas de four- rures , car outre que cette grolleur feroit défa- gréable , c'eft qu'ils ponrroient à peine s'aidci- de leurs bras ; elles defeendent juiques fur le poignet & elles font rétroulfées avec un pare- ment allez large , qui eft d'une fourrure pareille à celle dont la vefte eft doublée. Les fourrures ordinaires font de peau de Renard , de Martre , de petit gris : les plus belles font , ou de queues de Martre Zibeline bien foncées & prcfque noi- res , ou de gorges de Renard de Mofcovie3 blan- ches à éblouir : ces dernières font très-chercs , parce qu'il faut un grand nombre de queues de Martres , ou de gorges de Renard pour fourrer du Levant. Lettre XIV. 375 sme vefte : elles coûtent depuis cinq cens écus jufqu'à mille ; les plus chères reviennent à qua- tre ou cinq mille livres. Les veftes font de drap d'Angleterre , de France , ou de Hollande , écar- iatte , couleur de mufe , couleur de carFé, ou vert d'olive , cv defeendent jufques aux talons comme les robes des anciens, Le Turban ou Saric eft compote de deux piè- ces , c'eft à dire du bonnet & de la féflç ou linge qui eft autour. Les Turcs nomment le lin^c Tnlbenà , d'où nous avons fait Turban. Le bon- net eft une manière de toque rouge ou verte, fans bords , alfez plate , quoique arrondie par deflus , marelairée , pour ainii dire , avec du cot- ton , mais elle ne couvre pas les oreilles : on roule autour de cette toque un linge de cotton fort clair , lequel fait difterens tours en divers fens. Il y a de la feience à favoir donner le bon air aux Turbans , & c'eft un métier en Tur- quie , comme chez nous de vendre des cha- peaux. Les Emirs qui fe vantent de defeendre de la race de Mahomet , portent le Turban tout verd , celui des autres Turcs eft ordinairement rouge avec la fefle blanche. Il faut changer fou- vent de Turban pour être propre : à tout pren* ter la main fur le cœur ; on fe place les pieds croifez fur le fopha } qui eft une eftradc un peu élevée ; on prefente ordinairement des pipes tou«? tes allumées très-propres , & dont les tuyaux ont deux ou trois pieds de long , lcfqucls par confequeut ne laiflènt monter à la bouche que la fumée la moins acre , déchargée de cette huile fœtide qui brûle la langue & enflâme le palais lors qu'on fume avec des pipes courtes ; d'ailleurs on fume dans le Levant le plus agréable tabac du monde ; ordinairement c'eft du tabac de Sa- loniquc , mais celui des côtes d'Afie eft: encore meilleur , & fur tout celui de Syrie , qu'on ap- pelle tabac de \' Ataxi ou YAtaqnk , parce qu'on le cultive autour de l'ancienne ville de Laodicée. Les Turcs mêlent du, bois d'alocs ou d'autres © u Levant. Lettre X îlr. 377 parfums parmi ce tabac , mais cela le gâte. Les noix de leurs pipes font plus grofles ôc plus com- modes que les nôtres. Celles de Négrepont & de Thebcs lont d'une terre naturelle que l'on caille avec un couteau en (ortant de la carrière, & qui fe durcit dans la fuite. Apres le tabac on prdente aufîi le cafT*: & le forbet ; le caffè eft excellent , mais ils n'y mettent jamais de fucre , icit par avarice , ou parce qu'ils le trouvent meilleur tout naturel. Outre le tabac , chez les gens de qualité on donne aulîi le parfum. Un ef- clavè fait brûler des drogues fous vôtre nez , tan- dis que d'autres tiennent un linge fur votre tere pour empêcher que la fumée ne fc diffipe trop vi- te ; il faut être fait à ces odeurs, autrement elles ne biffent pas d'être nuihbies. La plupart des vifites fc paffent en pareilles cé- rémonies. Il ne faut pas avoir beaucoup d'elpric pour te tirer d'affaire -, la bonne mine & la gra- vite tiennent lieu de mérite parmi les Orien- taux, 3c trop de brillant gâteroit tout : ce n'eil pas que les Turcs ne (oient gens d'efprit , mais ils parient peu , ôç fe piquent plus* de (inceiitc &c de modeftie que d'éloquence. Il n'en elt pas de même parmi les Grecs qui font dés parleurs im- pitoyables. Quoique ces deux nations naifïènc fous le même climat , leur humeur eft plus diffé- rente que fi elles ctoient bien éloignées les unes des autres ; & l'on n'en fauroit rapporter la caufe qu'à la différente éducation qu'on leur donne. Les Turcs ne difent point de paroles inutiles ; les Grecs au contraire ne ceffent de parler. En Hiver ils palîcnt des journées entières dans les Tenàours ; c'eft là où fe tiennent les grands ca- quets & le prochain n'y eft pas épargné. Ces 378 V o y a g « Tendours font des tables garnies de boîs par les cotez , dans lefquellcs ils s'enferment jiifqucs à la ceinture , hommes & femmes , filles & gar-» çons , après y avoir fait mettre un petit poiîe pour échauffer le lieu. Nos Millionnaires ont beau déclamer contre les Tendours , l'ufage en elt trop commode pour être fupprimé. Les Turcs prati- quent ce que leur religion leur ordonne j les Grecs au contraire n'en ont gueres , & la mi- fere les oblige à faire bien des fottifes que le mauvais exemple autonfe , de perpétue de père en fils dans les familles. Enfin les Turcs font pro- fcffîon de candeur & de bonne foy , au lieu que la foy des Grecs elt fufpccte depuis long-temps ; on n'a qu'à lire leurs Hiftoriens. L'uniformité règne dans toutes les actions des Turcs ; ils ne changent jamais de genre de vie. Il ne faut pas s'attendre a de grands feftins chez eux ; peu de chofe les fatisfait , 8c l'on n'entend pas dire qu'un Turc fe foit ruiné par1 trop de bonne chère. Le ris eft le fondement de leurs cuiilncs ; ils l'aprêtent de trois différentes ma- nières. Ce qu'ifc appellent P'dau eft un ris fec , moileux qui fe fo'nd dans la bouche , &c qui eft plus agréable que les poules & les queues de mouton avec quoi il a bouilli. On le lailfe cuire à petit feu avec peu de bouillon fans le remuer ni le découvrir , car en le remuant & en l'expo- fant à l'air il fe mettroit en bouillie. La féconde manière d'apprêter le ris s'appelle Lappa , il eft cuit «Si nourri dans le bouillon, à la même con- fiftance que parmi nous , & on le mange avec une cueillier , au lieu que les Turcs font fanter dans leur bouche avec le pouce le pilau par petits pelotons , ôc que le creux de la main leur tient du L F. V A N T. Lettre X II*. ^-jy iiCu d'affiette. La troidéme cft le Tchorba : c'cfî Suve " une efpéce de crème de ris qu'ils avalent corn- hoc ptjr me un bouillon : il fernble que ce foir la mena- f*nartu ration ûu ris dont les anciens nournuoient les Hotar. malades. ■ Les poules font merveilleufes dans le Levant , - mais la viande de boucherie n'y efï pas bonne en bien des endroits. Oa y vend iouvent du buffle pour du bœuf, ôc la chair du bulile clt fort co- riace. Le mouton y eft trop gras & fent le fuir, iurtout la queue qui n'eft qu'un peloton de graille d'une grolTeur prodigieufe ; les Turcs ne tuent les moutons que lors qu'on veut mettre le pot au feu. Comme ils n'aiment que le pota- ge , ils coupent la viande par morceaux fort menus avant que de la mettre dans la marmite x & la font bouillir avec toute forte de gibier. Quand ils la veulent faire rôtir , ils la coupent encore plus menu , & enfilent tous les morceaux dans des broches fort longues , mettant alter- nativement du morceau de viande & un oignon. A Conftantinople on mange de bon boeuf ôc d'excellens lièvres. Sur les côtes d'Afie les fran- colins font merveilleux „ & les perdrix exquiTes. Le meilleur poifîbn du monde fe pêche dans le Levant. Outre les efpéces que nous connoiiTons , la mer Noire leur en fournit quantité' d'autres qui nous font inconnues. Les Turcs fe régalent quelquefois d'un ragoût de viande hachée avec un peu de graiflfe , & parfemée de ris tout crud; on en forme des pelotons que l'on envelope dans des Feuilles de vigne , ou de choux fuivant la fai- fon ; après cela on les fait cuire dans une ter- rine couverte. Par tout le Levant on fait du mau- vais pain avec pourtant d'excellent grain j leur $80 Voyage pâte n'efl: ni battue ni leve'e , mais cela n'empê- che pas qu'on n'y trouve Couvent d'affez bonv ne patiflerie & delà pâte feuilletée tics délicate. Leur vaillelle eft de porcelaine , de fayence ou d'étain, La plus commune eft de cuivre etamé 3 car i'Afic mineure eft riche en mines de caivre. Ils l'étament fort proprement & très prompte- ment , en faifant rougir au feu les pièces de vaik felle ; ils les faupoudrent pour lors avec du fel ammoniac 3 & ils y appliquent enfuite des bou- tons d'étain qu'ils étendent avec un brunifïbir; cet étain s'attache fi bien au cuivre , que leur vailTelle ne rougit pas auffi facilement que la nôtre. Quand l'heure du repas eft venue' 3 on étend à terre ou fur le fopha , une nape ronde de mar- roquin noir 3plus ou moins grande fuivant le monde qui doit manger. Ceux qui aiment la propreté mettent cette nape fur une table de bois ; haute feulement de demi pied , fur laquelle on fert un grand bafïin de bois qui eft chargé de plats de ris ôc de viande. Le maître de la maifon fait la prière ordinaire , Au nom de Dieu tout puijfam & miferk or dieux 3 &c. On fait patfer tout autour de la table une ferviette de toile bleue qui. fert à tous ceux qui font du re- pas ; une cueillicr de bois à long manche fert pour tout le monde , & l'on donne fur le ris de fort bon appétit. On mange de la viande et des fruits , 6c l'eau fraifche n'eil pas épargnée fur la fin du repas. Nous nous levions quelquefois de table avec le ventre à la glace : en récompen- fe on nous donnoit le caffé tout bouillant , & nous fumions comme les autres ; mais plutôt par complaifance que par goût. Le tabac en fumée > du Levant. Lettre XI F. 381 pris comme un remède , convient à l'afthme > aux maux de dents , ôc à plufieurs maladies eau- fées par des férofitez , lefquelles trouvent trop de facilité à s'imbiber dans certaines parties : en ce fens là le tabac cft aflez propre pour les Turcs , que le Turban rend fluxionaires , par fon épaitfeur qui empêche la tranfpiration , &C parce qu'il ne couvre pas les oreilles. Le tabac d'ailleurs flatte leur fainéantife ; on ne conçoit pas comment ils crachent fi peu en fumant , ils avalent leur falive par habitude &z par propreté fans en être incommodez. Quand je voulois me contraindre chez d'honnêtes gens pour ne pas cracher, mon eftomac en étoit tout bouleverié ; cependant la bienféance demande que l'on cra- che dans un mouchoir pour épargner les tapis qui font à terre , ou bien il faut fe placer dans un coin & retirer le bout du rapts pour cracher fur le plancher. La première fois que nous fumes obligez de loger chez des Turcs , nous étions aifez em- barra(Tez de fçavoir où nous coucherions. Nô- tre hôte n'avoît que la fale où nous mangions 3 une petite cuifine à côté , & une autre chambre qui étoit occupée par fa femme y cette chambre apparemment n'étoit pas deftinée pour nous. On ne voyoit ailleurs ni lit , ni couchette , ni bancs , ni chaifes ; car les Turcs font les gens du monde qui embarrarTent le moins une cham- bre de meubles. Tout d'un coup un efclave tira d'une armoire pratiquée dans le mur tout ce qu'il fallut pour faire nos lits. Pour en drelTer trois , on étendit trois matelats fort minces &c fore durs fur l'eftrade où nous avions mangé ; on les couvrit d'autant de draps , & l'on mit un fécond 382. V O Y A G E drap fur chacun , mais fuivant la mode du pays ; il ctoit coufu contre la courre-pointe de peu» qu'il ne fc dérangeait pendant la nuit. Cha- que lit avoit fon oreiller j & quand nous fû- mes levez > le même efclave plia dans un mo- ment tout ce bagage Ôc le remit dans l'armoi- re , tout auiïi vîte qu'on change de décoratio - à l'Opéra. L'oifivcté dans laquelle vivent la plufparc des Turcs , les oblige à chercher des amule- mens : On ne fauroit employer de terme plus convenable en cette rencontre ■> quand ils jouent même , ce n'eft que pour palier le temps , com- me ils difent , de non pas pour gagner de l'ar- gent. Mahomet qui n'avoit en veiie que la paix des familles & la tranquilité publique, leur a donné de bons principes là-detfus. AbjïeneT^vous , dit il , de jouer aux jeux de hasard & aux echets , ce font des inventions du diable pour jetter la di- vifion parmi les hommes , pour les divertir de leurs prières j & pour les empêcher d'invoquer le nom de Dieu. Par rapport aux echets , ils n'ont pas tenu parole à Mahomet ; mais ils ne connoif- fent ni les cartes ni les dez ; ils jouent quelque- fois aux dames. Le Mancala elt leur jeu favo- ri , c'eft une table à deux battans comme uii damier , laquelle a fix follettes de chaque cô- té. On nJy joiie que deux , & chacun prend 36, coquilles dont il garnit les lîx creux qui font de fon côté. Les plus habiles Mufulmans s'occupent à la lecture de l'Alcoran Se de fes Commentateurs, Les autres s'attachent à la Poëile , où l'on dit qu'ils réulîilTent bien. Je n'en fuis pas furptis } le fang des plus beux génies que l'Afic ôc la Grc- du Levant, Lettre X IF. 58$ ce ont autrefois produit > coule encore dans leurs veines , ou au moins reçoit-*il les mêmes influences du ciel. La Mulique fait les délices de quelques Turcs ; quelques-uns paffent toute la journée à jouer d'un inltrument lans s'ennu- yer 9 quoiqu'ils ne fartent que repeter les mêmes airs. Les Dervis iont grands muficiens & crands danieurs : mais il faut faire quelque mention de gens de Loi avant que de parler des Re- ligieux. Le Moufti qui eft à la tête des gens de Loi , eft le Chef de la religion & l'interprète de l'Al- coran. Le Sultan le nomme & ne le dépofe gue- res : il choifit un homme de probité , fçavant dans la connoiffance de la Loi , 8c dont la ré- putation foit bien établie. Par ce choix il de vient l'Officier le plus refpccbé de l'Empire ; c'eft l'Oracle du pays , & l'on s'en tient à toutes fes dédiions , leiquelles ne fe font que par un oui ou par un non , qu'il met au bas de la queftion propofée. Il a pour cela trois Officiers ; l'un qui établit bien l'état de la queftion , après l'avoir debarrafïee de toutes les dirficultez qui pour- roient la rendre obfcure ; l'autre en fait la co- pie , îk le dernier y applique le cachet de fou maître, lorfqu'il a mis fa réponfe : cette répon- fe levé toutes les difficultez , il n'y a plus d'ap- pel , &c l'affaire eft terminée pour toujours. Quand il s'agit de la paix ou de la guerre , de la mort des grands Officiers , ou de quelque affaire qui regarde le bien de l'Empire , le Sul- tan lui propofe le cas par écrit en forme de doute , ôc fans nommer perfonne : Que doit-on faire dans cette rencontre ? C'eft au Moufti à être circonfpect -, car fouyent il n'eft confulté que 384 V O Y A G s pour la forme , 6c il eft quelquefois dépofé s'il ne parie fuivant la volonté du Prince. Sultan Mourat ayant à faire à un Moufti qui étoit ré- tif, lui demanda fièrement "• Qui eji-ce qui l'a fait M nfti ? C'efl ta Haittejfe , répondit-il. Hé bien , dit le Sultan : puifque )'ay eu Le -pouvoir de te revêtir de cette dignité , n'ay-je pas celui de t'en dépouiller ? On ne dit pas ce que le Moufti répliqua j mais il fut dégradé. 11 y a eu plu- sieurs Mouftis qui ont figné la dépofition & L'àr- reft de mort des Empereurs qui les avoient mis en place. Quoiqu'ils perfiiadent aux peuples que l'Ai— coran eft un livre parfait , ils ne laififent pas de donner différentes interprétations à la Loi 3 fui- vant le temps & lesbefoins. Le Grand Seigneur fait prefent au nouveau Moufti d'une vefte de grand prix , fourrée de Zibeline , & de fa pro- pre main lui 'met dans le fein un mouchoir plein de fequins. On eftime deux mille écus la vefte Se le prefent en or. D'ailleurs le Prince lui afligne un fond d'environ 25. écus par jour, qui fe prend ordinairement fur une Mofquée. Les Pa- chas qui fe trouvçnt à la Cour , les AmbafTa- deurs , &c les Refîdens lui font un prefent con- fîdérablc en venant le féliciter fur fou élévation : Enfin le Moufti eft le feul Officier que le Grand Seigneur ial'ûe refpectueufement. Le Prince ne lui refufe aucune audiance , &r s'avance même quelques pas en le recevant : le Grand Vifir ne fe levé &. ne vient au devant de perfonne que du Moufti. Le Vifir fe met à fa gauche qui eft le côté de l'épée & la place la plus honorable parmi les gens qui font profeffion des armes ; pareeque , difent-ils 3 ceux qui font à leur droite font au deflous î> u Levant. Lettre X IF. 38^ defTous de leur épée \ mais le Moufti & les Cadilefquers font fout contcns de prendre la droi- te qui eft la place d'honneur parmi les gens de Loy -y ainlî il n'y a jamais de conteftation entre eux : voilà comme l'on fatisfait l'imagination des hommes. Si le Moufci eft dépofé par l'intrigue de Ces ennemis , pour placer une perfonne de leur faclion dans un pofte aufii avantageux , on aiïigne au dépofé la difpofition de quelques char- ges de judicature , lefquellcs produifent un re- venu fort honorable. Mais l\ le Moufti étoit cou- pable de haute trahifon ou de quelque crime énorme 3 il auroit beau dire que la Loy deffend de le faire mourir , on ne lailîeroit pas de le dé- grader Se de le conduire aux fept tours où il feroit pilé vif dans un mortier. Après le Moufti , les Cadilefquers font les Offi- ciers de Juftice les plus accréditez dans l'Empi- re. Enfuice viennent les Moula ou Moula-Cadls , appeliez grands Cad; s \ Se les Cadls ou Juges ordinaires. Parmi les Cadilefquers ou Intendans de Juftice, celui d'Europe , ou de Romanie eft le premier ; celui d'ALe , ou d'Anatolie le fé- cond ; cv celui d'Egypte le troifiéme. Ces Ca- dilefquers font la fonction du Cad) en fon abfen- ce •, ils deviennent très fouvent Moufcis Se s'ap- pliquent à fond à l'étude de l'Alcoran , qui eft leur Code civil Se canonique ; on les appelle aulïi Juges de l'armée , pareeque la milice n'eft jugée que par eux : leur place au Divan eft à côté du Grand Viiir, Se l'on appelle quelquefois à eux de la Sentence d'un Cadi pour les affaires civiles : enfin leur emploi les oblige à veiller fur tous les gens de Juftice qui font dans l'Empire. Us donnent les oommilïions de Cadis ; Se même cel- Tome IL Bb 3S6 V 0 Y A G E les de Moula-Cadis j. mais pour ces dernières 9 c'en: avec le contentement du Grand Seigneur, Sur des plaintes considérables & bien fondées , ils- depofent les Cadis & les condamnent à des airicn- des après ks avoir fait bâtonner. Les Juges des grandes villes s'appellent Moula., ou JMaiUa-Cadis ; ceux des petites villes s des. bourgs & des villages le nomment Cadis. Toute la Jullice cft entre les mains de ces fortes de gens en Turquie y & comme tout y eft corrompu à rjerfent » le Moufti ett pensionnaire des Cadilef- quers , les Cadilclquers le lont des Moula , les Moula des Cadis , cv les Cadis du peuple. Cha- que Cadis a fes Scrgens prepoiez pour av rtir de vive voix ceux qui font recherchez en Jufticc. Si celui qui eft atîigné manque à l'heure mar- quée , on accorde par provilion à (a partie ce qu'elle fouhaite. Il cil: ! ou vent inutile d'appeilcr des Sentences des Cadis , car on n'infirme ja- mais de nouveau les procès ; ainti la Semence feroir toujours confîrmje , pareeque le Cadis a inflruit le procès comme il Ta entendu , c'eft en quoi il fe commet d'houribles abusmeanmoins on calîe louvent les Cadis, on les châtie h leurs in- juttices iont criantes ; mais la Loi deftend de les- faire mourir. Conftantinople reconnoit des Cadis depuis environ 1390. car Bajazet 1. du nom,, obligea Jean Paleologue Empereur des Grecs, d'en recevoir dans cette ville pour juger les affaires qui arriveroient entre les Grecs & les Turcs qui s'y étoient établis. Les Prêtres Se les Religieux Turcs ont le bon- heur de mourir dans leur lit , de même que les Cadis. Ordinairement les Prêtres commencent par annoncer les heures de la prière dans les du L ! v A n t; Lettre XïP". 38? galeries des minarets. S'ils font gens de bien &C d'une réputation fans reproche , le peuple des jparroifïes les prefente au Grand Vifir lorfque les Cures viennent à vaquer. Ce Miniftre fait expé- dier leurs Proviiions , après leur avoir fait lire quelques palfagcs de l'Alcoran , ou leur avoir inis ce Livre iur la tête. L'emploi des Prêtres eft de faire la prière , de lire dans les Mof- quées j de bénir les mariages , d'affilier les ago- hizans , & d'accompagner les morts. Pour con- foler les agonizans qui ont des dettes lesquelles ils rie fauteîent acquiter , le Curé fait venir leurs créanciers , de tes exhorte à remettre leurs obli- gations fous le chevet des moribonds , ou à dé- clarer devant témoins qu'ils ne leur demandent tien. Les créanciers qui font allez durs pour réfuter cette grâce , font réputez mal honnê- tes gens. Ou lave les morts avec beaucoup de foin en Turquie , on les razepar tout le corps , on brû- le de l'encens autour d'eux pour en éloigner les mauvais cfprits , on les enfevelit enfuite dans uii drap dont le haut & le bas ne font point coufus* Ils ont leur taifon pour cela ; car ils s'imaginent que lorfque le mort efl: dans la folle , deux An- ges viennent le faire mettre à genoux pour lui faire rendre compte de ies actions -, c'eft pour cela que la plulpart des Turcs laiilent une houp- pe de cheveux iur leur tète pour donner prife à l'Ange qui leur fait changer de pofturc* Afin que* le mort foit plus à Ion aile , on couvre la folle" d'une éfpece de voûte formée par quelques plan- ches légères fous lefquelles on l'étend tout de fort long. Si le mort a vécu en homme de bien , deux Anges, blancs comme neige , fuccedent à ceux Bb ij $83 V O Y A G È qui viennent de l'examiner , Se ne l'entretien* nent que des plaifirs qu'il goûtera en l'autre mon- de ; mais s'il a été grand pécheur , deux nouveaux Anges , noirs comme du jais , le tourmentent horriblement ; l'un , dilent.ils , l'enfonce à coups de maiîué dans la terre , l'autre le relevé avec un crochet de fer , &c ils fe divertiflfent à ce cruel exercice jùfques au jour du grand Juge- ment , fans difeont in lier d'un feul moment. Mahomet qui avoit à ménager les Arabes 5 les a fervis fuivant leur goût. Comme leur terre elt un defert aride Se fec, pour les confoler il leur a fait un paradis rempli de fontaines &c de jar- dins , les fultayes y lont impénétrables au folcil , les parterres tous couverts de fleurs , & les ver- gers chargez de toute forte d'excellens fruits. Dans ce lieu charmant coulent en abondance le lait , le miel &c le vin ; mais c'eft un vin qui ne porte point à la tête & qui ne trouble pas la rai- fon. Les plus parfaites beautez s'y promènent , & ne font ni trop faciles ni trop cruelles ; on y époufera celles que l'on voudra , car il y en a de toutes les façons ; leurs yeux , qui font gros com- me dés œufs , font toujours attachez fur leurs maris qu'elles aiment à la folie. Les filles , fui- vant ce prophète , y font toutes pures , & l'on n'y entend point parler des maladies du fexe : on n'y connoit ni fabine , ni mercure , ni gayac , ni fa lfe pare il le. La meilleure chofe que Mahomet ait dite touchant l'autre monde , eft qu'il ne faut pas mettre au nombre des morts ceux qui meu- rent dans la voye de Dieu , parce qu'ils vivent en Dieu , & qu'ils joliilfent de fes biens & de fon amour. Les damnez au contraire feront précipitez dans un feu dévorant 3 au milieu du- r> u Levant. Lettre XI F. 389 quel leur peau fe renouvellera à tous niomens pour augmenter leur fuplice. Ils fouffriront une foif incroyable fans pouvoir fe flatter d'avoir une goutte d'eau ; Se fi par hazard on leur verfe à boire , ce fera d'une liqueur empoifonnée qui les fuffoquera fans les faire mourir. Pour comble de maux , ils n'y trouveront point de femmes. J'ay oublié de dire , qu'avant que d'enterrer les morts on les expofe dans les maifons , en- fermez dans une bicre fous un poile de différente couleur , fuivant la qualité des perfonnes : ce poile eft rouge pour les gens de guerre , noir pour un bourgeois , vert pour un Emir ou pour un Cherif ; les turbans que l'on met fur la bière font de la même couleur que le poile. Les Prê- tres précèdent le convoi & prient pour le def- funt ; les pauvres fuivent avec les efclaves ôc les chevaux de la maifon } fi c'effc une perfon- ne de diftindtion. Les pleurcufes n'y manquent pas , non plus qu'aux enterremens des Grecs ; elles font une muhque enragée tout le long des rues , tandis qu'on enterre le mort , & après qu'on l'a enterré. Quand on eft arrivé au cime- tière on tire le corps de la bière pour le met- tre dans la folTe , enveloppé d'un (impie drap ; mais on fe garde bien de jetter de la terre par dellus : on couvre la folfe de quelques plan- ches fur lefquelles on ramaffe les matériaux qui fe trouvent aux environs. Après cela les hom- mes fe retirent , & les femmes y reftent enco- re quelque temps : enfui te les Prêtres s'avan- cent pour être aux écoutes , on y trouveroit atîfli des pierres en allez grande quantité pour faire une féconde enceinte à la ville. Je ne connois pas allez les Religieux Turcs pour entrer dans le détail des difFcrcns Ordres qui font parmi eux , car nous n'avons prefque vcû que •ceux qu'on appelle Dervis. Ce font de maîtres moines qui vivent en communauté dans des mo- mafteres fous la conduite d'un fuperieur „ lequel s'applique particulièrement à la prédication. Ces Dervis font vœu de pauvreté , de châtie té , d'o- béitlance; mais ils fe difpenfent aifément des deux premiers , & même ils fortent de leur Ordre fans fcandale , pour fe marier quand l'envie leur en prend. Les Turcs tiennent pour maxime , que ïa tête de l'homme eft trop légère pour être long- temps dans la même difpofition. Le General de l'Ordre des Dervis réfide à Cogna qui eft l'an- cienne ville à' Iconium capitale de la Lycaonie dans l'Alîe mineure. Othoman premier Empe- reur des Turcs érigea le fuperieur du couvent de cette ville en Chef - d'ordre , & accorda de grands privilèges à cette maifon. On alfùrc qu'elle entretient plus de cinq cens Religieux, êc que leur fondateur fut un Sultan de la mcnïe Bb iiij 55>i Voyage ville appelle Melelava , d'où vient qu'on les appelle les Melelevîs : Ils ont le tombeau de ce Sultan dans leur couvent. Les Dervis qui portent des chemifcs, les font faire , par penicence , de la plus groupe toile qui fe puille trouver ; ceux qui n'en portent point s mettent fur la chair une verte de bure de coulcur brune que l'on travaille à Cogna Se qui defccnd un peu plus bas que le gras de jambe ; ils la bou-r tonnent quand ils veulent, mais ils ont la plupart du temps la poitrine découverte jufqu'à leur cein- ture qui eft ordinairement d'un cuir noir. Les manches de cette verte font larges comme celles des chemifes de femmes en France , Se ils portent par deflus une efpece de cafaque ou de man- telet dont les manches ne descendent que juf- ques au coude. Ces moines ont les jambes niies & fe fervent fouvent de pantoufles à l'ordinai- re ; leur tête ert couverte d'un bonnet de poil de chameau d'un blanc faie , fans aucun bord , fait en pain de fucre , arrondi néanmoins en ma- nière de dôme j quelques-uns y roulent un linge ou une feffe pour en faire un turban. Ces Religieux en préfence de leurs fuperieurs & des étrangers font d'une modeftie affectée , les yeux bailTez Se dans un profond filence. On dit qu'ailleurs ils ne font pas fi modeftes , ils paffent pour grands Duveurs d'eau de vie , & même de vin. L'ufage de l'Opium leur eft plus familier qu'aux autres Turcs. Cette drogue qui eft un poifon pour ceux qui n'y font pas accoutumez s & dont une petite dofe fait mourir les autres gens , met d'abord les Dervis 5 qui en mangent des onces tout à la fois , dans une gayeté pareil- du Levant. Lettre XIV. 395 le à celles des hommes qui font entre deux vins. Une douce fureur , que l'on pourroit appelier cnthoufiafme , fuccéde à cette gaieté , & les fe- roit paifer pour des gens extraordinaires 3 fi l'on n'en connoiuoit pas la caufe ; mais comme leur fang , trop dilfous par cette drogue , excite une décharge confrderable de iérofitez dans le cer- veau , ils tombent cnfujte dans l'afToupillement &c pafTent une journée entière fans remuer ni bras ni jambes, Cette efpece de léthargie les occupe tout le Jeudi , qui eft un jour de jeûne pour eux 9 pendant lequel ils ne fauroient man- ger fuivant leur règle , quoique ce foit qu'après le coucher du foleil. Les Dervis fe piquent de beaucoup de po- litelfe ; leur barbe elt propre , bien peignée j leurs pocfies ne roulent jamais fur les femmes , iî ce n'eft fur celles qu'ils efperent voir un jour en paradis. Ils ne font plus allez fots pour fe découper & taillader le corps , comme ils fai- foient autrefois ; à peine aujourd'hui effleurent-ils leur peau , ils ne laiffent pas cependant de fe brûler quelquefois du côté du cœur , avec de petites bougies , pour donner des marques de tendrefTe aux objets de leur amour. Us s'attirent l'admiration du peuple en maniant le feu fans fe brûler , & le tenant dans la bouche pendant quelque temps , comme font nos charlatans. Ils font mille tours de fouplelïè ôc jouent à mer- veille des gobelets. Ils prétendent charmer les vipères par une vertu fpécifique attachée à leur robe. De tous les Turcs ce (ont les feuls qui voyagent dans les pays Orientaux ; ils vont dans le Mogol & art delà , ôc profitans des grottes 394 V O Y A G B aumônes qu'on leur fait , ils ne laiflent pas d'âU [er manger chez tous les Religieux qui font fur leur route. La mufique fait une partie de leur application : leur chant nous parut triite mais harmonieux ; &C quoiqu'il foit deffendu pat l'Alcoran de ioiïer Dieu avec des inftrumens , ils fe font pourtant mis fur le pied de le faire mal- gré les Edits du Sultan & la perfécution des dévots. Les principaux exercices des Dervis , font de danfer le mardi & le vendredi ; cette e(pcce de comédie eft précédée par une prédication qui fe fait par le fuperieur du couvent , ou par fou fubdclegué. On aifure que leur morale cil bonne, & qu'on en peut faire un excellent uiage , de quelque religion que l'on foit. Les femmes qui font bannies de tous les endroits publics où il y a des hommes , ont la permifïion de fe trouver à ces prédications , & elles n'y manquent pas. Pendant ce temps-là les Religieux font renfer- mez dans une baluftrade , àfîis fur leurs talons , les bras croifez & la tête baillée. Apres le fer- mon , les chantres placez dans une galerie qui tient lieu d'orcheftre3accordant leurs voix avec les flûtes & les tambours de balque , chantent un hymne fort long. Le fuperieur eu çtole & en vefte à manches pendantes , frappe des mains à la féconde ftrophe ; à ce fignal les moines fe lèvent , & après l'avoir (aiué d'une profonde révérence , ils commencent à tourner l'un après l'autre , en pirouettant avec tant de vitelTc , que la juppe qu'ils ont fur leur vefte s'élargit & s'ar- rondit en pavillon , d'une manière furprenante : •ous ces danfeurs forment un grand cercle tout- du Levant. Lettre XUr. 39 j à-faît réjouîflant , mais ils cclTent tout d'un coup au premier lignai que tait le fnpérieur , & ils fc remettent dans leur première pofture , auiïi frais que s'ils ivavoient pas remué. On revient à la danfe au môme lignai par quatre ou cinq reprilcs , dont les dernières font bien pins lon- gues a caufe que les moines font en haleine ; & par une longue habitude ils finiilent cet exer- cice fans en être étourdis. Quelque vénération qiVayent les Turcs pour ces Religieux , ils ne leur permettent pas d'avoir beaucoup de cou- vens , parce qu'ils1 n'eiliment pas les perfonnes qui ne font point d'enfans. Sultan Mourat vouloit exterminer les Dervis comme gens inutiles à la Republique , & pour qui le peuple avoit trop de coniidcracion ; néanmoins il le contenta de les reléguer dans leur couvent de Cogna. Ils ont encore une mailon à Pera ; une autre fur le Bof- phore de 'liiracc. Nous entendîmes la prédication dans leur couvent de Prufe en Bithynie 3 & nous les vîmes danfer avec plaiiir au travers des bar- reaux de la Mofquée. Des marchands Arméniens de nôtre caravane, qui partaient Italien , nous expliquèrent une pairie de la prédication. Le principal fujet rou- loit fur Jeius-Chrift ; le prédicateur déclama con- tre les Juifs , mais de fang froid , car. ils ne s'em- portent jamais , & il trouva fort mauvais que les Chrétiens crurTent que les Juifs avoient fait mou- rir un fi grand Prophète ; il aflùra au contraire qu'il parla dans le ciel , ôc que les Juifs avoient crucifié une autre perfonne à fa place, Je ne fçaurois finir cette lettre par un plus bfl endroit , cju'en parlant de l'eftime que les Turcs $$6 Voyage font de Jefus-Chrift. Il n'cft pas vrai qu'ils vo- miiTent des blafphémes contre lui , comme quel- ques voyageurs l'ont aiTùré. Si les Turcs ont lç malheur de ne pas croire la Divinité de Jcfus- Chrift , ils le révèrent au moins comme un grand ami de Dieu , & fur tour comme un grand inter- celTeur auprès du Seigneur. Ils conviennent qu'il a été envoyé de Dieu pour apporter une Loi pleine de grâce ; & s'ils nous traitent d'inftdelles » ce n'eft pas parce que nous croyons en Jefus- Chrift , c'eft parce que nous ne croyons pas que Mahomet Toit venu après lui pour annoncer une autre Loi moins oppoféc à la nature corrompue. J'ay l'honneur d'être avec un profond re- fped, &c. du Levant. Lettre XV. 597 4*3- «» ■8*3-«B-:«M-E§H"£*3"fr-£*3-KH-K&3- *** -8» ■&* Lettre XV. A Monseigneur le Comte de Pontchartrain , Secré- taire d'Etat & des Commandemens de Sa Ma~ jejié y &c. -I VJL OnseigneuRj Je vous prie de trouver bon qu'avant que de Desc*i- m'engager fur la 'mer Noire , j'aye l'honneur de ption vous rendre compte de ce que nous avons obfer- DU A" i r i 1 > ti r 1 ' 1 j 1 NAL DE ve (ur le canal par ou elle le décharge tlans la,^ MEBt mer de Marmara , qui fait une partie de la mer Noire, Blanche s félon le lancraçe des Turcs. Le Canal de la mer Noire , ou le Bofphore de Thrace , commence proprement à la pointe du Serrai! de Conftantinoplc , & finit vers la colom- ne de Pompée. a Hérodote , Polybe , Strabon 3c Menippe cité par Eftienne de Byzance , lui don- nent 1 20. ftades de longueur , lefquelles revien- nent à 1 j . milles : mais ils fixent le commence- ment de ce canal entre b Byzance & Chalcedoine, 6c le font terminer au Temple de Jupiter , où eft préfentement le nouveau Château d'Afie. Quoique cette différence foit arbitraire , on fe détermine pourtant plus aifement , après l'in- fpection des lieux , pour les mefures que j'ai pro- pofées. Il s'en faut beaucoup que ce canal ne a B-jVttup^î. ©p«K'o«. Polyb.Sc S«ab. Viemigt rnt XrtAx8Îw«s« Herod. lib. 4. " Sur le mot x*to>}&7. iy$ Voyage foit en ligne droite ; Ton embouchure , qui dtl coté de la mer Noire a la forme d'un entonnoir* regarde le Nord-eft , & doit fe prendre à la co- lomne de Pompée , d'où l'on conlpte près de trois milles jufques aux nouveaux Châteaux Ce- lui d'Afie eft bâti fur un a Cap où l'on croit qu'c* toit le Temple de b Jupiter dîftribnteur des bons vents , d'où vient que cet endroit s'appelle enco- re Joro , du mot corrompu leron , qui fignifie un Temple. Le Château d'Europe cil fur un c Cap oppose , auprès duquel on voyoit autrefois le Temple de d Serapis dont parle Polybe. De ces Châteaux le canal fait un grand coude , où font les Golphes de Saraia & de Tarabié ; & de ce coude il tire au Sud-eft vers le Scrrail appelle Sultan Solyman Kiofc , à la diftance de cinq milles des Châteaux. Après cela par un autre coude en zig-zag , le même canal s'approche peu à peu du Sud jufques à la pointe du Serrail , où il finit félon ma penféc. De ce dernier coude aux vieux •Châteaux on compte deux milles & demi ; & de là au Serrail ou à la pointe de Byzance , fix mil- les. Ainfi fuivant ces mefures , tout le canal a feize milles & demi de long , ce qui n'eft pas éloigné de la fupputation des anciens , lefqucls gagnoient du côté de Chalcedoinc , où commen* çoit le canal félon eux , ce qu'ils perdoient entre les Temples de Jupiter &c de Serapis > 6c la co- lomne de Pompée. La largeur du canal aux nouveaux Châteaux ou étoient ces Templcs,eft d'un mille & d'un mille ôc demi,ou deux milles en quelques autres endroits* a Afyvçoim* Ax.çx. zanr. b Jupiter Urius Ov&ts. A Sapa™^» rn; Opxuî. Vo- 9 MiArtv Afcçy, Dionyf.Bi- lyb. hiit. lib. 4, du Levant. Lettre Xlr. 399 Le lieu le plus étroit cft aux vieux Châteaux 9 dont celui d'Europe fe trouve fur la hauteur où les anciens, au rapport de Polybc, avoient bâti un Temple a Mercure-, c'eft pour cela qu'il s'appclloic le Cap He rrnêe.Qç Cap fe trouvoit à moitié chemin du canal, fuivant les anciens^parce que d'un côté ils le faifoient terminer , comme nous venons de dire , entre Chalcedoine & Byzance -, & de l'au- tre au Temple de Jupiter. Cet endroit n'a pas plus de 800. pas de large , & le canal efb prefque aufll rciïcrré un peu plus bas à Courichifmé villa- ge bâti au pied du Cap , que les anciens ont nommé a Ejiies , d'où il s'élargit jufqu'au Serrail d'environ de la longueur d'un mille , ou d'un mille & demi. Ainfi les eaux de la mer Noire en- trent avec allez de vitefle dans le canal des nou- veaux Châteaux , & s'écendenc en liberté dans les Golphesde Saraia 8c de Tharabié. De là fans augmenter de vitclle , ces eaux tirent vers le Kiofc du Sultan Solyman , d'où elles font obli- gées de fe réfléchir vers le midi , fans que leur mouvement paroifle augmenté , fi ce n'eft en- tre les vieux Châteaux où le lit eu le plus étroit. Dans cet endroit-là , comme le remarque Po- lybc , outre que le rétrécillement du canal au- gmente la vitclle des eaux ; elles le réfléchirent obliquement du Cap de Mercure , fur lequel ell le vieux Château d'Europe , contre le Cap de Cti'.'dil-bacbefi en Afie , ôc reviennent en Europe vers CoitrichlÇmé zx\ Cap des Efties , d'où elles en- hlcnt la pointe du Serrail. Voilà ce que Polybe en a oblervé de Ton temps s c'eft à dire du temps de Scipion & de Lœlius avec lefquels il étoit lié d'amitié. Pour moi j'avoue que je n'ai pu remar- * LfU. Polyb. hift. lib, 4, 4do Voyage quer ce mouvement en z.ig-z>*g > en deçà des Châteaux , quoique j'aye parle quatre ou cinq fois fur ce canal ; mais il eft certain qu'avec un vent de Nord , la rapidité eft fi grande entre les deux Châteaux , qu'il n'y a point de bâtiment qui s'y puifle arrêter , & qu'il faut un vent oppo- fc au courant pour les faire remonter : cependant la vitelfe des eaux diminue h fenfiblemcnt , que l'on monte lequel roule feseaux depuis les Châteaux jufques dans la nier une partie de l'eau du même canal, laquelle fe meut dans un iens contraire , c'eft à dire qu'elle remonte vers les Châteaux. Procope de Cefarée , qui vivoït dans le vi* ficelé , allure que les- pêcheurs remarquoient que leurs fiiets an lieu de tomber à plomb dans le fond du canal , étoient entraînez du Nord -vers le Sud depuis la fu-rface de l'eau jufqucs à une certaine profondeur , tandis que l'autre partie de ces mêmes filets , qui defeendoit depuis cette profondeur jufqucs au fond du canal , fe cour- boit dans un fens oppofé. Il y a même beaucoup d'apparence que cette obier vation cil encore plws ancienne > car de tout temps le Bofphore a été fort célèbre pour la pêche. Ce canal eft nommé Poîffomtettx dans l'infeription que Mandrocles fit mettre au bas du tableau où il avoit fait repre- fenter le Pont fur lequel Darius paiïa avec foii armée lorlqu'il alloit combatte les Scythes» Pro- cope allure que , fuivant l'obfervation des pê- cheurs * les deux courans oppofez , l'un fupericur & l'autre inférieur , font très-fenhbles dans cet- endroit du Bofphore qu'on appelle Y -Abîme. Peut- être y a-t-ïl dans ce lieu-là un gouffre profond formé par un rocher creux comme un cuiilcron, dont la partie cave regarde les Châteaux ; car fuivant cette fuppofition , les eaux qui font vers le fond du canal , heurtant avec violence conrre ce rocher , doivent en fe réfléchilîant prendre une détermination contraire à celle qu'elles avoient auparavant , c'elt à dire qu'elles font obligées de reWoulTer vers les Châteaux , Se par- DtJ Levant. Lettre XV'. 40$ fcônnféquent de couler dans un fens oppofé à celui du » courant fupérieur. Le peu de féjour que nous fi ma es à Conftantinople ne nous permit pas d'e- xanminer cette merveille. Mr Gilles en a parlé conmme d'une choie extraordinaire , & Mr le Coomte Marfilly l'a obfervée avec beaucoup de foinn \ en erfet je ne trouve rien de plus digne de rermarque. Cet habile Philofophe n'a pas voulti hazzarder fa penfée fur l'explication d'un fait aufli fiufîgulier ; de moi je ne propofe la mienne que pouur exciter les fçavans à rechercher la véritable cauufe de ce Phénomène. IIl n'efl: pas facile .non-plus de rendre raifon pouurquoi le Bofphore vuide 9 peu d'eau , fans quae la mer Noire qui en reçoit une fi prodigieu- fe c quantité , en devienne plus grande. Cette mer quiii eft d'une étendue' fi confidérable , outre les Paulus Meotides , c'eft à dire une autre mer di- gnoc de remarque , reçoit plus de rivières que la. Meediterranée. Tout le monde fait que les plus graandes eaux de l'Europe tombent dans la mer Nooire par le moyen du Danube dans lequel fc déggorgcnt les rivières deSuabe , de Franconie $ de : Bavière , d'Auftiiche j de Hongrie , de Mora- vie e , de Carinthie, de Croatie , de Bofnie , de! Serrvie , de TranlTylvame , de Valaquie; Celles de : la Rufïie noire Se de la Podolie fe rendent dans la même mer par le moyen du Niefter. Celles des jpanrties Méridionales Se Orientales delà Pologne t de : la Mofcovie Septentrionale & du pays des Co- faqques , y entrent par le Nieper ou Boryfthenc* Le î Tanais & le Copa ne paftent-ils pas dans la meer Noire par le Bofphore Cimmerien ? Les ri- viééres de la Mengrelie , dont le Phafe eft la prin- cipale , fe vuident aufli dans la mer Noire , de Ce ij 4.04 Voyage même que le Cafalmac , le Sangarîs , & les au- tres fleuves de l'Afie mineure qui ont leur cours vers le Nord. Néanmoins le Bofphore de Thracc n'eft comparable à aucune des grandes rivières dont on vient de parler. Il efl; certain d'ailleurs que la mer. Noire ne groiïitpas,quoiqu'en bonne Phyfi- que oni réfervoir augmente quand fa décharge ne répond pas à la quantité d'eau qu'il reçoit. 11 faut donc que la mer Noire Ce vuide de par des ca- naux fouterrains , qui traverfent peut-être l'Afie & l'Europe , ôc par la dépenfe continuelle de fe» eaux , lefquelles s'abreuvent dans la terre ck s'é- / coulent bien loin des cotes. Cette efpéce de tran- fpiration répond4Jp:elle du corps des animaux , laquelle , fuivant la fupputation de Sancloriu5,eft beaucoiiD plus confidérable que celle qui fe fait par les évacuations les plus fenfibles. Suppofé que la mer Noire ait été lin véritable Lac fans décharge , formé par le concours de tant de rivières , il ne pouvoit fe vnider , fuivant la conformation des lieux , que par le Bofphore de Thrace j les montagnes qui font entre la mer Noire & la mer Caipienne , s'oppofoient à fon ouverture du côté d'Orient. Les eaux des Palus Meotides tombent dans la mer Noire du côté du Nord, bien loin de permettre que celles de la mer Noire s'y dégorgent. Les rivières d'Alie répoulfent aufïi la mer Noire, du Sud au Nord. Le Danube les éloigne de fes embouchures du côté du Couchant. Il n'y avoit donc que ce recoimqui eft au Nord-Eft au demis de Conftantinople , où elles pûlTent creufer la terre fans oppofition , entre le fanal d'Europe & celui d'Afie. La décharge même ne -fe pouvoit pas faire du côté d'aucun de ces fa- -naux, à caufe que les côtes en font horriblement efearpées : ainfi les eaux de la mer Noire furent dï Levant. Lettre XV. 40/ obligées de palfer dans l'endroit où il n'y avoic que du tcrrein : c'eft dans ce terrein qu'elles com- mencèrent; à fe creufer un canal en fe prefentant de front par une colomne qui amollit les terres & les emporta par différentes fecouMcs. Les eaux, lui vaut cette hypothefe , fe rirent d'abord une ouverture en liçne droite entre les deux rochers où font les nouveaux Châteaux , & détrempèrent les terres qui occupoient le premier coude où font les Golphcs de Saraïa & de Tharabié , con- traintes de fe tenir dans un baiïîn borde de ro- chers fort élevez ; mais leur pente naturelle les fît defeendre enfuite jufques au Kiofc de Soly- man II. & de la changeant de détermination par la rencontre d'autres nouveaux rochers , elles formèrent le fécond coude du canal dont les ter- res obéirent du côté du Midi, Cette route avoit été fans doute tracée par l'auteur de la nature , qui fe fervit des eaux pour creufer les terres dont elle étoit remplie ; car fui- vant les loix du mouvement qu'il a établies , el- les fe jettent toujours du coté qui s'oppofe le moins à leur cours. Celles de la mer Noire con- tinuèrent donc à charrier les terres qui fe trou- voient entre les deux rochers où font les vieux Châteaux , & par-là elles poulferent leur canal jufques à la pointe du Serrail , dont le fond eft une roche vive & inébranlable. Ce bras de mer emporta peut-être tout d'un coup la digue de terre qui reftoit entre Conftantinople Se le Cap de Scutari , d'où il fe dégorgea dans la mer de Marmara. C'eft dans ce temps-là , fuivant les apparences, qu'arriva cette grande inondation dont parle a Diodore de Sicile l'un des plus fidèles Hiftoriens .* Bibliôt. Wft, W-.j. p*g.}U* C c "ï '4©($ Voyage de l'antiquité. Cet auteur allure que les peuples de a Samothrace , Ifle confidérable lîtuée à gau- che de l'entrée des Dardanelles , s'aperçurent bien de l'irruption que le Pont-Euxin lac dans la Propontide par l'embouchure des Ides Cyanées ; car le Pont-Euxin que l'on regardoit dans ce temps-là comme un grand Lac , augmenta de telle forte par la décharge des rivières qui s'y dégorgeoient , qu'il déborda dans la Propontide & inonda une partie des villes de la côte d'Afie, lefquelles fans doute fe trouvoient plus balles que celles d'Europe. Malgré cette fit nation les çaux montèrent jufques fur les plus hautes mon- tagnes de Samothrace , & rirent changer de face à tout le pays. Les ïnfulaires en avoient encore la tradition du temps de nôtre Hiftorien , qui car là nous a confervé une des plus belles ob- servations de l'antiquité -, car il eft certain que ce changement eft arrivé long-temps avant le voya- ge des Argonautes , & ces Héros n'entreprirent ce voyage que 1163. ans avant Jefus-Chrift. Ce» Ja étant, ce que nous venons de propofer com- me une conjecture de phyfique , devient une vé- rité hiftorique , & doit nous petfuader que le grand écoulement de la Propontide dans la Médi- terranée , s'étoit fait long-temps auparavant par la même mécanique. Il eft fort vrai-femblable que les eaux de la Propontide, qui n'étoit peut-être anciennement qu'un Lac formé par les eaux du Granîque & du Rhyndacus , ayant trouvé plus de facilité à fe creufer un canal aux Dardanelles , que de fe faire . un autre pa'7age , fe répandirent dans la Méditer' ranée , &c décha nièrent , pour ainil dire , les ro- * Sa nmanclraki. d ti Levant. Lettre XV. 407 -chcrs à force de laver les terres. Les liles de la Propontidc ne font autre chofe que les reftes des rochers -que les eaux ne purent ditîoudre , de mê- me que celles qui ont tant fait de bruit dans l'an- tiquité fous le nom des lues Cyanées d'Europe Se le- quel occupoit le partage qui fc trouve entre Yé- cucil où eft la Tour* & la terre ferme d'Aiie» Il y a beaucoup d'apparence que c'étoit l'ouvrage du même Empereur ; car par ce moyen la chaî- ne étant tendue d'une Tour à l'autre , il n'etok pas pofliblc aux vaifTeauX de remonter le canal de la mer Noire. Mr Gilles affiire que les Turcs ont démoli ce mur pour en employer les pierres à d'autres bâtimens,. Ils nomment cette Tour , la Tour de la Pucellc ; mais les Francs ne la connoiflent que fous le nom de la Tour de Lean- dre , quoique les amours de Hero & de Lcandre fe foient paifées bien loin de là fur les bords du canal des Dardanelles. Cette T.our eft q narrée 3. terminée par un comble pointu , garnie de quel- ques pièces d'artillerie , enfermée dans une en- ceinte qui eft aufli quarrée : elle eft prefque fans deffenfe , & n'a pour toute garnifon qu'un con- cierge qui reçoit les appointemens de fon gouver- nement fur ce que lui donnent les Janiflaires ou les marchands de Conftantinople qui vont s'y di- vertir en fecret. On prétend que l'eau douce du pugs qui eftcreufé dans cet écueil foit une lource vive ; d'autres affûrent que ce n'eft qu'une cifter- ne dans laquelle fe vuident les égouts du coinbU par un tuyau caché dans la muraille. Dt) Levant; Lettre XV: 419 Quoique ce ne (oit pas la coutume des Turcs de rebâtir les villes ruinées , ils ont pourtant relevé Scutari que les Pertans avoient mis en Cendre. Il eft vray que les Turcs regardent cette place comme un des fauxbourgs de Conftanti* nople , ou comme leur premier repofoir en Afie ; c'eit d'ailleurs un des principaux rendé-vous des marchands , & des caravanes d'Arménie & dé Perfe qui viennent trafiquer en Europe. Le Porc de Scutari fervoit autrefois de retraite aux ga- lères de Chalcedoine ; & ce fut à caufe de fa fitua- tion , que les Perfes qui méditoient la conquefte de Grèce j le choifirent non feulement pour en faire uue place d'armes , mais pour y dépofer l'or & Pargent qu'ils tiroient par tribut des villes d'Afie. Tant de richefles lui firent donner le norri de Chryfopolis , ou ville d'Or , félon Denys dé Byzancc , au rapport d'Eftienne le Géographe , qui ajoute pourtant que l'opinion la plus com- mune étoit , que le nom de Cbryfopolis vient dé Chryfes fils de Chryfeis & d'Agamemnon. Conf- tantin Manaflfes marque fi bien la fituation dé Chryfopolis , qu'on ne peut pas douter que ce ne foit Scutari , quoiqu'il allure auffi. que ceux qui ont pris cette ville pour Vranopolis , ne fe font f»as trop éloignez de la vérité. C'étoit peut-eftre e nom de la ville avant que les Perles s'en fuf- fent rendus les maîtres ; & ce nom qui lignifie la ville dnCid , ne lui étoit pas moins glorieux que celui de la ville d'Or. Quoiqu'il en foit , elle étoit deftinée à lervir de retraite à des maltoticrs y car les Athéniens , par le confeil d'Alcibiade , y établirent les premiers une efpece de douane pour faire payer les droits à ceux qui navigeoient fur la mer Noire. Xenophon allure qu'ils firent Dd i) 4ia V O Y A G £ murer Chryfo.polis -, cependant c'étoit bien peu' de chofe du temps d'Augufte , puiique Strabos: ne la traite que de village. Aujourd'hui c*eft une grande & belle ville , & même la feule qui foie fur le Bofphorc du cote d'Aiic. Cedreii nous ap- prend qu'en la 19e. année de l'Empire du grand Constantin 3 Licinius fon beaurrerc après avoir e'té battu pluiieurs fois fur mer &c fur terre , fut pris priionnier dans la ville de Chryfopolis , 6c de là conduit à Thelfalonique , où il eut la tefte tranchée. Le premier village du Bofphore au delà de Scutari , elt Cojjourgé , enfuite Stavros , lequel récent ce nom d'une croix dorée pofée lur le haut d'une Eglife que Conftantin y rit bâtir. Après Stavros , on découvre le village de Telengelcui y qui pourroit bien être le lieu qu'on nommoit au- trefois Chryfoceramos , ou Brique dorés , à caufe d'une Egliie couverte de briques de couleur d'or >■ car iuivant le dénombrement de Mr Gilles, qui fuit Dcnv.s de Byzance -comme pas à pas , & qui l'a redruté dans les endroits les plus oblcurs , Chryjoceramus eft fitué après Stavres , en mon- tant aux vieux Châteaux d'Ahe. Lcunclavv fait mention de Chryloceramus , év place entre ce village & Stavros le monallcre Akjnùii , ou des Religieux qui veillent la mut. Avant que d'arriver au vieux Château d'Ana- tolie , on rencontre deux autres villages 6c l'on paflè deux ruilfeaux Le premier de ces villages fe nomme Coulé ou Coulé - bacbefi , 6c l'autre Candîl-bachefi. Coulébachefi eft fur la pointe que les anciens nommoient le Cap Cecrlmn , 6c qui s'appelle encore Cetri , oppofé au Cap des Efties , au bas duquel eft bâti Courouchiimé* Candil- du Levant. Lettre XV. 41 1 •kachcfi eft. à l'embouchure du premier ruifTcau q ni fe jette dans le golphe de Napli ; & peut-être •que Napli vient de Nicnpolis , que Pline décrit dans ces quartiers-là. Mr Gilles appelle ce ruifîaau le ruijfeau de Napli , mais les Turcs lui ont don- né le nom de Gbïoc-fou ou l'Eau verte , aufTi bien qu'à l'autre qui eft prés du Château ; ainfi l'on ne hafarde pas trop de dire que Candil-bachefl eft l'ancienne Nrcopolis du Bofphore. Efticnne de Byzance fe contente dire, que c'eft une ville de Bi-thynie : il (èroît à fouhaifer que l'on put dé- couvrir à l'occanon de quelle victoire elle fut aînfi nommée. Le fécond ruilfean que l'on pafïe avant que d'arriver au vieux Château d'Afîe. , ou premier Château d'Anatolie , s'appelle auffi l'Eau verte s comme l'on vient de dire ; & c'eft le plus grand ruiffeau qui le jetre dans le Bofpho- re du côté d'Aiie. Les anciens le nommoienc u4rete , cV quelques Grecs l'appellent encore Enarete , mais il eft bon de remarquer que tous ces quartiers font occupez par les Jardins du Grand Seigneur , lefqucls non feulement s'éten- dent depuis les premières Eaux vertes jufques à celle-ci , mais même jufques à Sultan Solyman Kiofc-,& de là fuivant la côte ils vont finir à l'em- bouchure delà mer Noire. Tout le relte du pays eft deftiné pour les grandes chaffes de l'Empereur, auffi y en a-t-il peu dans le monde qui foie plus propre pour un pareil divertiftèment. Il eft certain , comme le remarque Leunclavv ; que du temps des Empereurs Grecs il y avoît deux Châteaux fur le Bofphore , l'un fur la cô:e d'Aiie , &c l'autre fur celle d'Europe , lefqu ls deftendoient le paffage du canal dans fa partie la plus étroite. On les laiifa tomber en ruine dans Dd iii 4ii 'Voyage la décadence de l'Empire , & même avant ce temps-là on les regardoit plutoft comme des pr"- fons , que comme des citadelles à y mettre des garnifons. En effet Gregotas affùre qu'on les appelloit les Châteaux de Lethé , ou les prifons de l'oubli , parce qu'on y oublioit entièrement les malheureux qu'on y avoit enfermez. Les Turcs ont rétabli ces Châteaux en difterens temps , avant même qu'ils fuirent les maîtres de Conf- tantinople. Nous ne parlerons préfentement que de celui qui eft fur la côte d'Afie. On lit dans Leunclaw que l'Empereur Mourat 1 1. qui palîa les Dardanelles pour venir combattre fon .oncle Muttapha dans la Thrace , repart* en Europe par le canal de la mer Noire pour faire la guerre à Uladiflas Roy de Hongrie. Ce Sul- tan qui voulait fe conferver un partage Ci néce(- faire , fit bâtir dans l'endroit le plus étroit du canal a le Château neuf fur les ruines du Château des Grecs ; & Mahomet I I. qui fucceda à Mourat , le fit fortifier à fa manière , dans le deffein de couper à l'Empereur de Conftantino- ple la communication avec le Nord , comme il l'avoit fait du côte du Midi par les Châteaux des Dardanelles. Cependant tous ces Châteaux que les Grecs nommèrent Nouveaux dans ce temps- là 3 ont été nommez dans la fuite Vieux Châteaux > après qu'on en a eu bâti d'autres à l'embouchure de ces canaux. Comme le vieux Château d'Afie eft fitué fur l'endroit le plus étroit du canal , il eft hors 4e cloute que ce fut là que Darius , perc de Xerxes , fit drefler un pont pour aller chez les Scythes ou Tartares à qui il avoit déclaré la guer- a Neocatfron. m v Levant.. Lettre X F.. 413 «e» La -conduite de cet ouvrage fut donnée à Man- -drocles habile Ingénieur de Samos. Denys de Byzance nomme cet Ingénieur Androcles , & allure qu'on avoic taillé un fiege dans le rocher pour y faire alîcoir Darius lorfque les troupes dtfiloicnt for 4c pont.: il n'efl: pas dit fi ce fiege «toit en Europe ou en Afîe 5 & l'on ne lauroit le vérifier , fappofé même qu'il fût encore en état ., parce que les Turcs ne permettent à perfonne l'entrée ni les approches de leurs Châteaux. Ils •ne favent,ni ne s'embarralTent pas de favoir s'il y a eu des Darius & des Xerxes dans le monde : que 'fait-on même s'il; ne vont point faire aujourd'hui leurs ordures dans l'endroit qui fervoit de •thrône au Maître du monde de ce temps-là ? Apres que ce Prince eut veû la marche de fe« ■troupes s il fit élever deux grandes pierres car- rées , fur Tune defquelles on grava en caraéteres ÂlïyrieRS les noms des nations qui étoient à fa folde ; on en fit autant fur l'autre en caractères •Grecs , & c'eft beaucoup dire , car Hérodote convient que ces -troupes étoient compofées de, tous les peuples de fou obéitfance. L'armée de ferre étoit de fept cens mille hommes , & la ilote de fix cens vailfeaux : mais cette armée étoit reliée dans la Propontide , avec ordre de venir dans le Bofphore pour fe rendre à l'embouchure du Danube , où l'on drefla un autre pont. Man- drocles fut fi fatisfait des oc\. te , a celle de ces gravas hommes que la terra; en colère enfanta pour oppofer à la puiffanec de Juphter, Cependant ce terrible champion trouva fon maî- tre. Il fit , félon fa coutume , un inlïgne deffi au plus brave des Argonautes qui le prefenterenr. fur les côtes de fon Royaume. Pollux frère de Caftor , & fils de Jupiter & de Leda , Poliax , dis-je, le plus grand lutteur des Grecs , vigoureux comme un jeune Lion, terrafla ce Coloflè , quoi qu'à peine fes joues enflent déjà du poil follet. Ils commencèrent d'abord à fe pouffer rudement, comme des béliers qui veulent fe culbuter ; après les premières fecoulîes , on prit le Celle à la main , & l'on entendit des coups femblables a ceux des marteaux dont on fe fert pour enfoncer les planches d'un navire 3 c'efl: la comparaifou d'ApoL lonius ; & c'eft ainli que dans ces temps là on en- tendoit raifonner les mâchoires Se les jolies des Athlètes ; chacun frappoit impitoyablement fui- ion compagnon, les dens en tremouflbient: & s'en alloient enfin en petits chicots. Quoique bien fouvent le Celte ne fut qu'une courroyc de cuir fort fec & fort endurci , il portoit cependant des coups meurtriers quand on favoic les appli» du LïvAnt. Lettre Xlr. 417 quer à propos. Nos hcrqs fatiguez de ce premier débuit , après s'cltre elïuyez le vifage , en vinrent aux ;eourmades 8c aux coups de poing ; ils fe col- letèrent apparemment , car le fils de Jupiter donr.ia un croc en jambe à celui de Neptune , lequnel tomba par terre Ci rudement , que les os de l'orciiile , quoique les plus durs de la telle , en furent calïcz : ai nh mourut Amycus qui avoit vainecu tant d'étrangers 8c tant de fes fujets. Apol- lodoiic 8c Valerius Flaccus , qui décrivent fa mort: d'une autre manière , conviennent pourtant qu'il périt par les mains de Pollux. Oui aceufoit Amycus de lurprendre les étrangers, &C de les faire tomber dans des embufeades iné- vitables j mais les Argonautes avertis de fes rufes y mi:rent bon ordre ; non leulement ils accom- pagnèrent Pollux dans la forefl: qui lervoit de champ de bataille , mais ils fe rangèrent auprès de lui pendant le combat. Il étoit bien honteux à des coùfïns germains, fils de Dieux 8c de Dé- ciles , de le traiter fi indignement. Pollux étoit fils de Jupiter 8c de Leda , & Amycus fils de Neptune & de la Nymphe Melie , fille de l'O- ccan , c'étoit une Hamadryade qui préfidoit parm i les Frênes. Pour le Celle ce n' étoit pas toujours une fimple courroye de peau de bœuf ; il y en avoit aufîî à pluheurs courroyes attachées à une malïuë au bout defquelles pendoient des balles de plomb. Belcos donc , pour reprendre nôtre fujet , étoit fuivant les apparences la Capitale des Etats d'Am ycus , 8c ce qu'on appclloic le Port d'A- mycu s , 8c la ville qu'Arrien nomme Laurus infana, , ou le Laurier qui renverfoit la cervelle des gens. Cet arbre qui avoit donné le nom à la 4r§ V O Y A G » Place , & qui rendoit fols les Matelots qui en avoient fur leurs bords , étoit peut-être* une de ces cfpeces de Cham&rbndodendros qui croiifent fur les côtes de 1» mer Noire , %c dont je parle- rai dans la fuite. La partie de Beicos qui eil tout à fait fur la côte , s'appelle encore Awya , comme fi c'étoit un nom corrompu à'Auycus -, CJcft peut-êrre le lieu de la fcpulture de ce Prince , car il eft fait mention de (on tombeau dans les an- ciens auteurs. Quoiqu'il en foit , toute cette côte eft Ci fertile , que chaque village y porte le nom d'un fruit. Le village qui eft au dclïlis de Beicos avant que d'arriver au premier coude du canal , s'appelle Toc a. , c'eft-à-dirc village aux Cerijes , fitué entre les lînus Monocolos G" JWoucapouris , féparez entre eux par un petit ruii- feau& par le Cap Turc, qu'on appelloit Ae- torbeenm. Un peu en deçà du nouveau Château d'Ana- tolie , (.ont les ruines d'un ancien château fur une des eminences qui du côté d'Afie fait le premier coude de l'entrée du Bofphore ; le château ruine fubfiftoit du temps de Denys de Byzance. Au deifus du Temple de Phryxus , dit cet auteur , eft bâtie une Citadelle bien forte enfermée par une enceinte circulaire que les Gaulois détruifi- rent , de même queplufieurs autres places d'Afie. Les Empereurs Grecs ont entretenu cette Cita- delle jufques à la décadence de leur Empire. Il y a apparence que ce Château avoir été bâti par les Byzantins après la retraite des Gaulois ; car Polybe allure , que ceux de Byzance avoient fait beaucoup dedépenfe pour fortifier cet endroit-là, quelques années avant qu'ils eulTcnt la guerre avec les Rhodiens & le Roy Prufias, Cette du Levant Lettré XV. 429 f-orterefïc leur étoit abfolumenr néceilaire , dans le deiléin qu'ils avoient de fe rendre les maîtres de la navigation du Pont , &c de faire payer les d roits fur les marchandées qui eii venoient. Le Cap fut nommé Argyremum , foit à caufe des grandes ^Àcpenles qu'on avoit faites pour le fortifier , (oit qu'on l'euit rachète à beaux deniers comptans du Roy de Bithynie \ car il fut porté par les articles de Paix , que Pruiias rendroit aux Byzantins les terres , les fortereifes , les efclaves , les matériaux & les tuiles du Temple qu'il avoic fait démolir pendant la guérie \ en conféquence de* quoi on rétablit entièrement, à la grande gloire des Rhodiens j la liberté de la navigation du Pont-Euxin. Pour ce qui eft des nouveaux Châteaux qui font au delà de Ces ruines, tant en Ane qu'en Europe, il n'y a pas long-temps qu'on les a bâtis par ordre de Mahomet ï V pour arrêter les coudes des Cofaques , des Polonois & des Mofcovites , qui venoient bien avant dans le Bofphore. Toutes ces côtes font couvertes de vieux ma- tériaux , car les anciens avoient une idée fi af- rretiic de la mer Noire , qu'ils n'ofoient y entrer lans faire drefler des auteis & des temples à tous les Dieux , & à toutes les Déclics de leur con- noiflance. Tout le détroit de l'embouchure étoic nommé a Hier a , c'eft à dire Lieux [acre\. Ou- tre le temple que fit bâtir fur la côte d'Afic Phry- xus fils d'Arhamante & de Nephele qui porta la Toifon d'Or en Colchidc ; les Argonautes qui entreprirent le même voyage pour rapporter ce threior en Grèce , ne manquèrent pas d'implo- rer le fecours des Dieux avant que de fe hazarder S lift* 4jo Voyagé fur une mer fi dangcreufe. Apollonius le Rhd- dien , & Ton Commentateur , qui ont allez bien expliqué les démarches de ces fameux voyageurs, afiùrent qu'étans retenus par des vents contraires à l'embouchure du Pont , ils pallerent de la Cour du Roy Phinée , qui étoit en Europe fur la côte d'Aile , pour y faire élever d« autels & des temples aux douze plus fameuies divînitez de ce temps-là. Suivant Timofthene, cité dans le Com- mentaire d'Apollonius , c'êtoient les compagnons de Phryxus qui avoient dreifé les autels des douze Dieux , &: les Argonautes n'en avoient élevé qu'un à Neptune. Ariftide & Pline ftfcit mention du temple de ce Dieu. Hérodote 3 lui- vant le même Commentaire , prétendoit que les Argonautes avoient facriflé fur l'autel de Phry- xus. Polybe a crû que Jafon à fon retour de la Colchide , avoit fait bâtir fur la côte d'Afie un temple confacré aux douze divînitez , de op- pofé au temple de Serapis qui étoit fur la côte d'Europe. Quoique ces fortes de recherches foient allez, inutiles aujourd'hui, il n'y a rien pourtant de fi agréable , quand on eft fur les lieux , que de les faire parler en revelie dans fon efprit. On pourroit , en cas de befoin , nommer les divîni- tez révérées. Suivant le Commentateur d'Apol- lonius le Rhodien , c'étaient Jupiter , Junon , Neptune , Ceres , Mercure , Vulcain , Apollon , Diane , Vefta , Mars , Venus & Minerve, Jupi- ter étant le plus puirTant de la troupe, Jafon lui ht la cour préferablemcnt aux autres , &C tacha de {c le rendre favorable : de là vient qu'Arrien , Menippe , Denys de Byzance , & Mêla ne font riiention que du temple de Jupiter dijlributeur des vents favorables : quoique ceux des autres i> u Levant Lettre XV* 43 s dîvïnïtez ne fuirent pas loin , puifqu'il y avoit autant de temples que d'autels. C'étoit apparem- ment dans ce Temple de Jupiter qu'on avoic poié une itatuè' de Jupiter Ci parfaite, que Cîccron a dit qu'il n'y en avoit que trois iemblablcs fui* la terre. Ce fut de la porte de ce temple , que Darius eut le plaifir de coniidererle Pont-Euxiny ou luivant l'expreflîon d'Hérodote , la mer la plus digne d'admiration. Il ne faut pas s'imaginer , comme quelques-uns , que ce temple fut lur une des Ifles Cyanées , car la plus grande de toutes à peine peut-elle foutenir la eolomne de Pompée : Hérodote dit feulement , que du pont que Da- rius avoit fait jetter fur le Bofphore , dans le lieu que nous venons de dire plus haut , ce Roy alla vers les Mes Cyanées pour y contempler la mer dont la vei'te étoit mervcilleufe à l'entrée du temple. Ce temple devoir donc être au village de Ioro , comme 11 l'on vouloir dire Hieron , & loro cft tout auprès du nouveau Château d'Aile. En parcourant la côte au delà de ce Château vers l'embouchure de la mer Noire , on paflé pat- cet endroit que Denys de Byzance appelle Panti- chium , & d'autres Mancipium. Enfuite on dé- couvre le Cap Coraca , ou le Cap des Corbeaux , lequel forme le commencement du détroit ; c'eft peut-être le Cap de Bithynie de Ptolomée , au- près duquel il y avoit un temple de Diane. On ne trouve plus rien fur la côte d'Afîe , au delà de ce Cap , qui foit marqué dans les auteurs , que le golphe aux lignes ; mais après cela fe prefente le fameux Cap de l'Ancre , ainfi nom- mé , parce que les Argonautes , félon Denys de Byzance , furent obligez de s'y munir d'une an?- 4} i Voyage cre de pierre. Minerve apparemment avoît oublié une pièce ii necellaire , elle qui avoir pris foin de tous les^igrets â'Argos^c'eà à dire du pins grand ôc du meilleur vailleau qu'on eut veu fur la mer avant ce temps-là. Ce vailleau alloit à la voile & à la rame comme les galiotes , &C tons les gens de l'équipage etoient des héros. Le fanal dY\iîe efi: fur ce Cap , auprès duquel le voyent auiH ces a rochers li dangereux chez ies anciens , que Phince exhorta Jafon de n'y palier que par uu beau temps , autrement, dit-il vôtre Argoj fe brifera , fufi-il de fer. Ces rochers ne lont que les pointes d'une Me ou d'un écueil ieparé de la ter- re ferme par un petit détroit , lequel rcltc à lec quand la mer eft calme , &. fc remplit d'eau à la moindre bourrafque ; alors on ne voit que la pointe la plus élevée de l'écucil , les autres étant cachées fous l'eau ; c'eft ce qui rend ce lie u h dangereux , fut tout ii l'on veut s'obftiner de palier par le détroit, comme il femble que Phinée le confeilloit aux Argonautes. On. n'ofoit aller que terre à terre dans ces premiers temps , où la navigation étoit à peine en fon enfance. Pour nous qui n'étions pas certainement dans un Ar- gos y mais dans une felouque à quatre raines , nous aiVedâmes d'en palier bien loin. Les Ar- gonautes rifquerent le coup ; car l'hiftoire » ou plutofl la poclie , dit que leur vailleau s'ac cro- cha fi fort fur ces rochers, qu'il fallut que Mi- nerve delcendît du ciel pour le poulfcr de la main droite dans l'eau , tandis qu'elle s'appuyoit de la gauche contre les pointes du rocher. Les Ar- gonautes n'étoient-iis pas d'habiles matelots ? Aufïi Apollonius remarque fort judicicuicmcnt * Les pierres Cyanées d'Afie. qu'ils du Levant. Lettre XV. 435 «qu'ils ne commencèrent à rcfpiret -à leuraife, qu'après que leur épouvante fut difïipée. Des Ides Cyanees d'Ane , il faut palier à cel- les ■d'Europe } afin de parcourir avec ordre l'autre côté du Bofphore jufques à Conftantinople. Ces Iflcs donc , de même que celles d'Afie , ne .font proprement qu'une Ifle herilîée , dont les pointes paroilfent autant de petits écueils féparez lorfque la aner eft fort agitée. Stirabon a remarqué, que vers l'embouchure du Pont-Euxin , il y a- voit une petite Ifle de chaque coté , au lieu que les anciens Géographes s'étoient imaginez qu'il y avoit plufieurs écueil's tant du coté d'Europe que de celui d'Afie , lefqueîs non feulement Âottoient fur l'eau , mais fe promenoient le long des côtes Se fe heurtoient les uns contre les au- tres. Tout cela étoit fondé fur ce qu'on voyoic paroître ou difparoître leurs pointes fuivant que la mer les couvroit dans la tempefte , ou les laif- foit voir dans le calme. On ne publia qu'ils s'é- toient fixez , qu'après le voyage de Jafon , parce qu'apparemment on les reconnut de h près, qu'- on avoua qu'ils n'éf oient pas mobiles : néanmoins comme la plufpart des gens font plus agréable- ment frappez par les fables que par la vérité , on eut de la peine à revenir de ce préjuge. On découvre entièrement l'écueîl qui eft du cote d'Europe , lorfque la mer eft retirée , il eft relevé de cinq pointes , lesquelles paroilïent autant de rochers feparez pendant l'agitation de la 'mer. Cet écueil n'eft feparé du cap du fa- nal d'Europe , que par un petit bras de mer qui refte à fec dans le beau temps -, & c'eft fur la plus haute de ces pointes qu'on voit une colomne à qui on a donné , fans raifon , le nom de colomne Tome II. Ee 4£4 Voyage de Pompée. Il ne paroit par aucun endroit &£ l'Hilloire , que Pompée après la défaire de Mi~ thridatc , ait faic drcffer des monumens fur ces lieux y d'ailleurs i'mfctiption qui fc lirfur la lî>azc de cette colomne, fait mention d'Augufle. Quand on examine avec foin cette baze ôc le fu 11 , en convient que ces deux pièces n'ont ja- mais été faites l'une pour l'aiurc^il fembic piuccft qu'on ait mis la colomne fur la- bafe pourfervir de guide aux bàtîmens qui paient fut ces cotes» La colomne qui cil d'environ ix, pieds , èfî ornée d'un chapiteau corinthien 3 mais elle eft dans un lieu fi çlcarpé» qu'on n'y fçauroit monter qu'en s'appuiant fur les mains , ce la plufpart du tenir* la bafe cil couverte de l'eau de la mer. Dcnys de Byzance affùre que les Romains avoient drellé un autel à Apollon fur cet écueil ; 6k cette bafe en eft peut-être un relie , car les feilons font à feuilles de laurier , qui étoit un arbre con- faoré à cette divinité. Il fe peut faire que dans. la fuite on y ait mis , par flaterie , une infcriprioix à la louange d'Augufle. Je ne fçai fi la colomne eft de marbre ou de pierre du pays , la mer ne nous permit pas de l'aller examiner d'aflfez prés ; la pier- re du pays a dans fa couleur grifàrre quelque cho- fe qui tire fur le bleu plus ou moins foncé , &C e'eft ce qui avoit fait donner le nom d'ifles ou de pierres Cyanécs aux écueils dont on vient de parler. S'il en faut juger par la route des Argonautes „ la a Cour de Phi née ce Roy fi fameux par fes mal- heurs 8c par fes prediclions , étoit à l'entrée dit Bofphore fur la côte d'Europe. Nous liions dans Apollonius le Rhodien , que les Argonautes après avoir elïuyé une rude tempête en quittant les ter- * Phinopolis. bu Levant. Lettre XV. 4$ j res du Roy Amycus , relâchèrent chez Phinéd pour le confulter. La cour de ce Prince étoic peut- erre à Mauromolo , où il y a tin porc com- mode & un ruitleau fort agréable. Belgrade pe- tite ville au-dellus de Mauromolo ne feroit-ellû point l'ancienne Sdlmydefje ou Phinée faifoit fà rciïdencc fuivant Apoliodore ? On fçait bien que les anciens placent cette ville au-delà des Ifles Cya- nçes j mais comme il n'y a point de port fur ces cotes 3 8c qu'Apollonius dit précîfement que le débarquement fe fit au Palais de Phinée , qui étoit fur le bord de la mer 5 eft-ce trop hazarcleu que de propoier que Belgrade 5 qui naturelle* ment eft un lieu tout~à-fait charmant & vérita- blement digne du féjourd'un grand Prince , foit bâti furies ruines de Sahnydefîe, dont Mauromo- lo écoit le port. Le portrait qu'Apollonius fait de Phinée s 8t les moyens que ce Prince donna aux Argonautes de palier les pierres Cyanées, font tout-à-fait finguliers. Phinée averti que cette troupe dé héros venoit d'arriver chez lui , fe leva de foii lit ( car il fe fouvenoit que Jupiter avoit ordonné que ces demi dieux lui rendiffent fervice ) 8c mar- cha moitié endormi , s'appuyant d'une main fur un bâton , 8c fe cramponant de l'autre contré les murailles. Ce bon homme trembloit de lan- gueur 8c de vieillelTcjà peine la peau qui étoit col- lée fur (es os pouvoit les empefeher de fe féparer; Dans cet état il parut comme un fpedere à l'entrée d'un (alon , où U ne fut pas plûtoft aflîs * qu'il s'endormit fans pouvoir dire un feiil*mot. Les Argonautes qui fans doute s'attendoient à toute- autre figure, furent furpris à la veiie de cefpec- tacle ; cependant Phinée qui étoit plus occupé Ee ij 43- <> V ô y a g i de fes propres affaires que de celles de ces titttif} reprenant un peu fes efprtis. Héros > dit-il 3 qui faites l'honneur de la Grèce , car je cormo'is bien qui vous êtes par la feience que faj de deviner 3 ne vous retireras > je vous en conjure , fans m* avoir délivré du malheureux état ou je fuis. T ' a-t-il rien de plus cruel que de mourir de faim dans l'abondance des vivres > Ces maudites Harpies viennent mater les morceaux delà bouche ? & fi elles laijfent quelque chofe fur mes plats 3 elles 'ïnf client d'une puan- teur fi horrible , qu'il n'y a perjonne qui en puijfs goûter, eufi-on le cœur aujji inaltérable que le dia~ mant s mais il ejl porté par l'Oracle > que ces vilains oifeaux Jeront dijjipe^var les fils d'aquilon. Zetes 8c Calots qui étoîent de la troupe fu- rent touchez du lort de ce malheuieux Prince , 8c lui promirent tout fecours. On ne tarda pas de fervir le ioupé ; mais des que Phinée voulut toucher à la viande , les Harpies fortant de cer- tains nuages > parmi des éclairs affreux , fondirent fur la table avec un bruit furprenani > 8c dé- vorèrent tout ce qu'il y avoit y après quoi elles s'enfuirent laiflant une puanteur inlupportable qui fit frémir toute l'aflemblée. Les fils d'Aqui- lon qui ne manquèrent pas de les pourfuivre , les auroient bientoft atteintes -, mais Iris dépen- dant du ciel , les avertit qu'il falloit bien fe gar- der de les tuer j quec'ètoient les chiens du grand Jupiter , 8c qu'elle juroit par le fleuve Styx qu'on les enverroit fi loin , qu'elles n'approcheroient plus de la maifon de Phinée, Cette bonne nou- velle fut portée au Prince , qui pour s'aflurer du fait , ordonna qu'on apportât ce qu'il y avoit de prêt à manger j & n'entendant plus le bruit de ces vilaines betes , il fe raflafîa tout à fou aife, du Levant. Lettre XV, 437 Par reconnoiilance le bon vieillard commença à * dogmatiler , & donna à nos Héros les avis qu'il jugea neceflaires pour continuer leur route fans danger. Apollodore raconte ces fables avec d'au- tres circcnftances , dont Un plus ample récit Ceroit trop ennuyeux'. Je iaiiîc à de plus habiles gens à expliquer l'hiftoire des Harpies. Que nous importe de (bavoir fi c'étoient des fauterelles qui infedroient les terres de Phinée , & qui dévoraient fes moi (Tons , comme l'ont penfé Mr Bochart & l'aurheur de la Bibliotequc Univerfelle ? fi les fils d'Aquilon doivent être pris pour les vents du Nord qui chaiTérent ces infectes } i\ Phinée fut dépouillé par fes maîtrefles qui le réduifirent à la dernière extrémité ? li les Argonautes , que toute l'antiquité traite de Héros , n'étoient que des marchands plus hardis que les autres , qui allèrent jufques dans la Colchidc acheter des moutons pour en peupler la Grèce ? tout cela me paroit fort obfcur. Mais j'admire l'invention du bon homme Phinée qui , n'ayant point de botif- iole non plus que les Argonautes , leur confeilla avant que derifqucr le pallagc des Ifles Cyanées , de laiflfer voler une colombe ; fi elle pajfe faine & fauve au-dejfus de ces rochers , leur dit- il , faites force de rames & de voiles , & comptez, plus far vos bras que fur les vœux que vous pourriez, faire aux Dieux : mais fi la colombe revient , faites volte-face , & revene\Jur vos pas. Je ne vois rien de mieux imaginé que cet expédient. Revenons à la Cour de Phinée , ou plutoft à Mauromolo. C'cfl: un beau Monaftcre de Calo- yers , qui ne payent pour tout tribut qu'une char- ge de Cerifes. On dit qu'un Sultan s'etant égaré a la chalfc autour de cette maifon , & ne croyant Ec iij "4? S Voyage pas erre connu des Rejigieux,leii( demanda la co- lation. Les Moines qui içavoient bien qui il croit , lui présentèrent du pain & un plat de Ccrifes \ elles furent trouvées li bonnes, que le Sultan déchargea les Religieux de la capitation , &: leur ordonna feulement de porter tous les ans une charge de Ceriles au Serrai!. Il n'y a point aujourd'hui d'endroit conlîdérable entre Mauromolo & le nouveau Château d'Euro- pe , quoique les anciens n'ayent pas manque ians doute de donner des noms fameux à toute cette côte , quelque efearpée qu'elle loit : mais on ne fçauroit faire un pas dans le pays où les Grecs, ont habité , qu'on n'y découvre encore quelques n.oms de leur façon: 77 n'efl plaine en ces lieux fi feche & fi fier île jQiii ne folt en beaux mots par tout riche & fertile. Ouoi de plus confolant , parmi ceux qu'on ap- pelle gens à érudition , que de lavoir que le pre- mier recoin qui eft à droite , en entrant dans le détroit , s'appclloit autrefois Dlos facra , comme qui diroit les facrlfi.ee s àe Jupiter ? Que le port qui vient enfuite , étoit le Port des Lyclcns dans les premiers temps , & qu'il fût celui des Myrléens dans la fuite ? Les Lycicns étoient des peuples d'Afie qui venoient négocier dans le Pont , Se qui relâchoient ordinairement dans ce Port, pour les Myrléens 3 Denys de Byzance nous apprend que quelques féditieux de Myr- lée fe retirèrent en cet endroit du Bofphore ; 8c Myrlée étoit cette ville de Bithynie que Nicome- de Epiphanc fît nommer Apamée du nom de fa, mère Apama. Lç Port des Lycicns eft fuivi de deux autres petits ports qui ont autrefois pris leurs dit Levant. Lettre XF. 439 2*0 ni s de quelque aiucl de Venus ; car Aphofiati •pa.roit unreûe d'j4pbfodiJïum que Den-ys deEyzan- ce marque dans ce quartier-là ; ôc comme l'un de ces Ports étoit fréquence par les marchands d'E- phefe- , il y a beaucoup d'apparence que c'eft le Part des Éphefiens dont le même autheur a par- lé. Mais la plus grande merveille de cet endroit, efl: un filet d'eau dont le fable paroiifoit doré ■dams le temps que l'on travailloit aux mines de cui- vre qui font fur cette côté ; cette eau coule tout au- près de la chapelle de Notre-Dame aux Châtaig- niers au pied d'une montagnc,ti élevée au delfus des autres , que Ton découvre de là Conftantinople , la mer Noire & la Propontide. Le feu qu'on y allumoit autrefois dans un Phare bâti fur fa pointe , étoit d'un auiîi grand fecours aux Pilo- tes , que ceux des lfles Cyanées d'Europe & d'A- sie , mais on en a laiffé périr la tour. On avoir eu grande raifon de mettre des fanaux fur la côte d'Europe , car les anciens Thraces étoient des gens impitoyables. On lit dans Xenophon que ceux qui liabitoient le long de la côte de la mer - avoient marqué leurs terres fort exactement par de grandes bornes. Avant cette précaution ils fe coupoient la gorge tous les jours àl'occauon des débris des navires qui y échoiioient , & dont chacun vouloît s'emparer. Les anciens ThVaces vivoient dans ces cavernes affreufes qui font Tui- le détroit à gauche , en allant du Château d'Eu- O * /A rope vers la colomne de Pompée. Peut-être «toit-ce dans ces rochers que les Myrlécns avoient établi leur domicile ? On y entend en pallantdcs échos Cl furieux , qu'ils imitent quelquefois les coups de canon , fur tout du côté de Mauro- molo. E e iiij 44*3 V 0 Y A G E Pour ce qui cft du nouveau Château d'Europe s il a été bâti par ordre de Mahomet 1 V. vis à vis celui d'Afie ; on voit au delà de ce Château les ruines d'une ancienne Citadelle que les Empereurs Grecs s ou peut-être les Byzantins, avoient faîc bâtir pour garder ce pailage important où ils fai- ioient payer les droits aux vairTcaux qui palfoient. Au rapport de Polybe , il y avoit dans cet endroit- |à un Temple dédié à Serapis vis-à-vis celui de Ju- piter , qui étoit iur les terres d'Aiie. Le premier de ces Temples a été nommé par Strabon le Tem~ pie des 'ByXamlns , pour le distinguer de celui de Jupiter, qu'il a nommé le Temple des Cbalcedo- mens , Deriys de Byzance a donné le nom d' Arnii- ton au Cap qui eft à la fin du détroit avant que d'entrer dans le golphe de Saraia ; c'effc le Cap Tripition des Grecs. Saraïa ett un village qui ré- pond au golphe de Scletrine , d'où l'on palïe la rivière de Boujoudcré ; laquelle arrofe ces belles campagnes que Denys appelle les beaux champs. On l'appelle aufli la rivière du golphe profond , par- ce qu'au delà de Boujouderé , le Boiphorc fe cour- be ôc fait ce grand coude par lequel il fe tourne vers le Sud-Elt,formant une elpece d'équerre avec l'embouchure de la mer Noire. Ce golphe pro- rond s'appclloit au [fi. Saronlqiie , à cauie qu'on a- voit pofé fur Tes bords l'autel de Saxon Héros de Megirc, ou Dieu marin. Selon quelques autres le golphe finie à ce fameux rocher appelle la pier- re dejujtice , dont on raconte une fable allez ridi- cule , rapportée par Denys de Byzance. Deuxmarchands,dk-il,faifant voile vers le Pont, mirent en déport dans un trou de cette pierre une fournie d'argent,& convinrent entre eux qu'ils n'y tQUcheroienc point qu'ils n'y fulTent tous les nu Levant. Lettre XPr. 441 deux enfemble ; mais l'un d'eux vint quelque temps après tout feul pour enlever cet argent. La pierre ne voulut jamais rendre le dépôt 3 & acquit par là le nom de pierre équitable. De loin cette pierre paroît comme une pomme de pin dont la pointe eft relevée ôc percée. C''eft peut- être ce trou qui a donné lieu à la fable du préten- du threfor caché par les marchands. Les matelots Tout les gens du monde les plus propres à inventer de pareils contes : fur tout dans le calme où ils ne fçavent que faire. La ville de Tarabié ou Tharapla eft au deflous de ce rocher fur une petite rivière ; à l'embou- chure de laquelle eft l'écueil Catargo , lequel de loin reflemble à une petite galère. L'embouchure de cette rivière fait un allez bon Port appelle Pbarmaclas , parce qu'on croyoit par tradition que Medée y ayant relâché , avoir fait débarquer fa quai lie de drogues par le moyen desquelles elle faiioit tant de miracles. Vis à vis Tarabié , de l'autre côté de la rivière , eft la vallée appellée Linon où eft le golphe Eudios calos de Denys de By- zanec ; mais plus bas defeendant vers Yenicuiye&le Port du Roy Plthecus s dont le même auteur a fait mention. La côte eft fi efearpée depuis cet endroit- là jufques au coude qui eft tourné vers le vieux Château d'Europe, que les anciens avoient pris ces roches pour des Bacchantes , àcaufe du bruit que les vagues y font. Le coude avant que d'arriver à Yenicuh , étoit autrefois couvert d'une foreft d'Ar- boufiers , &: s'appelioit Cowmarodes , de Commaros qui (îgnifie un Arboujier, Pour Tenicul , c'eft un village placé fur le cou- de que le canal fait pour aller à Conftantinople. Yenicm cfl un mot Turc 3 qui par conséquent 441 V O Y A G E n'a point de rapport à aucun ancien nom , non- plus que Neocorion qui eft le nom du même lieu 3c qui lignifie en grec vulgaire nouveau village. On trouve Iflegna au delà d'Teniciti dans le foui d'un petir porf.ee pourroit bien être le Lcoflenion de Denys & d'Eftienne de Byzance 9 puifque le Port aux femmes , dont nous allons parler , doit être entre le vieux Château d'Europe & le Leojlenïon. Or il eft certain que le Port aux fem- mes , de Denys de Byzance , eft à l'entrée de la rivière à' 0 r v ouf deré ou du ruljfeau des Cochons y qui coule juftement entre le Château & Iftegna, L'embouchure de cette rivière fait le plus beau Port du Bofphore , & ce Port a eu pluucurs fortes de noms. Les Grecs le nomment Sarantacofa à caufe de fon Pont de bois lequel eft fou tenu par quarante poutres qui fervent de piles. Denys de Byzance le nomme le golphe de Laflhev.es , d'où il paroît qu'il faut lire dans Pline Lafthenes non pas Cafianes \ &c peut-être même Leofthems dans Denys , pour s'accommoder à Eftienne de Byzan- ce. Quoiqu'il en foit , le même Port , eft le Port aux femmes de Denys , & le Port des vieillards de Pline : car pour celui que cet autheur a nommé du même nom 3 il y a apparen- ce que c'eft le Port à'Ifiegna , puifqu'il en a fait mention après le Port des vieillards. Le Port de Saramacopa s'appelloit auffi le Port de Phldalie femme de \Byz*as , laquelle , fuivant Eftienne oc Byzance , s'étant mife à la telle d'une petite îumec dé femmes , vainquit dans cet cnàïoit ,Strele qui vouloit déthroner fon frère Byzas. Balthalimano 3 ou le Port d.e la hache , avec un village de même nom , font fituez entre d'Or- n ouf deré ôç le vieux Château j mais c'eft un port du Levant. Lettre XV. 445 fi peu confiderable , qu'il n'en eft pas fait men- tion dans les auteurs. Toute la côte jufques au Château , eft comme taillée à plomb en plufieurs endroits , Se les flots y font un bruit il épouven- table , que les Grecs la nomment encore Phonea , comme qui diroit Phoucma , voix répétée. La voix agitée par de continuels tourbillons , pour me fervlr de l'expreffion d'Eftienne de Byzance 9y bout de même que l'eau dans un chauderon qui efl fur le fiut C'cft là que les matelots en remontant le ca- nal 3 font obligez de fe fervir de fortes perches pour appuyer de toutes leurs forces contre les ro- chers , fans quoi ils échoueroient inévitablement, les rames ne fuflilant pas pour empefeher d'eftre poutlez par le vent du Sud. Il y a donc beaucoup d'apparence que le Pont de Darius fut jette plus, bas vers le vieux Château d'Europe. Le vieux Château eft fitué à l'endroit le plus étroit du canal fur un cap oppoié à celui où eft le Château d'Afie. C'cft fur ces caps que les Empereurs Grecs avoient fait bâtir autrefois des forterçfîès , comme nous l'avons dit plus haut : mais les Turcs ont encore mieux fortifié ces lieux , dont la fituation eft tres-avantageufe. ui murât ou Mourat 1 1. ayant déclaré la guerre à Ula tiilas Roy de Pologne, voulut s'aflurer le paflage du Bofphore ; Se comme les Châteaux des Grecs tomboient en ruine , il ht démolir le monafterc de Sop.benion dédié à S. Michel , Se fondé par le grand Conftantin. Les matériaux fu- rent employez pour bâtir ce Château ; ils étoient cxcellcns , car Juftinicn Se Baille le Macédonien avoient parfaitement bien fait rétablir ce cou- vent. Néanmoins Mahomet II. ne trouva pas I4îi«ou les fortifications de Mourat atfez bien entendues , " - 444 Voyage & pour bloquer Conftantinople de tons cotez , il les fit mettre en l'état où elles font à prefent. Ce Château , comme dit Calchondyle , a trois grandes tours , deux fur le bord du canal , & la troifîéme fur la croupe de la colline. Ces tours font couvertes de plomb , cpaifTesde trente pieds , & les murailles de leur enceinte qui eft triangu- laire , en ont environ vingt-deux d'épaiffeur ; mais elles ne font pas terraffées. Les embrafures des canons font horribles , de même que celles des autres Châteaux du Bofphore Se des Darda- nelles. Les canons font fans affûts , & il faut beaucoup de temps pour les charger. Mahomet II. fit achever ces fortifications en trois mois ; il afllegea Conftantinople au printemps fuivant, & nomma ce Château Çhafcefen , c'eft-à-dire Cou- peur de tefies. Les Grecs l'appellent Neocafiron , le Château neuf \ ôc Lernocopie ou Château du détroit. Il porte le nom de Château vieux depuis que Mahomet 1 V. a fait bâtir ceux qui font à l'entrée de la mer Noire. Mahomet I I. qui mit 400.hommes de gamifon dans fon Château de Bafcefen , en donna le gouvernement à Pherus Aga , avec ordre de faire payer les 'droits à tous les bâtimens , tant Génois 8c Vénitiens , qu'à ceux de Conftantinople , de Caffa , deSinope , de Trebifonde , cVc. qui palîeroient par là. Le Gouverneur interpréta cruellement les ordres de ion Maître , car Erizzo capitaine Vénitien n'ayant pas voulu bailTer les voiles, eut le malheur de voir ion navire couler à fond par l'effet d'un boulet de pierre d'une grolTeur prodigiculc ; & tout ce qu'il pût faire dans ce defordre fut de fe jetter à terre a- vec environ 30. hommes de fon cquipage:mais il fut empalé par ordre duGouverneur5& l'on coupa du Levant. Lettre XV. 44/ la te:fte aux autres qui furent laiflez fur le rivage fans fepulture. L ordonna à des gens ram allez de tous cotez de s'y retirer. Le canal s'élargit depuis le Château jufques- à CouroHchifmé y & fait un grand golphe en maniè- re d'arcade , fur le bord de laquelle eft bâti un Seriail du Grand Seigneur, puis le village de Buhec Bachefî , Se enfuite Arnautcui , ou le vil- lage des Aïbânois ou Arnmtes. Ce golphe ù'^Amautcui eft défigné par Denys de Byzance fous le nom de golphe de l'Echelle y parce que dans ce temps-là il y aY9« U&C faQieuiç eçhcUe 446 Voyagé ou machine compofée de poutres * laquelle ctofc d'un grand ufage pour charger & pour décharger les vailleaux , parce que l'on y montoit comme par devrez. Ces fortes de machines s'appelloicnt cheU , par je ne fçai quelle rcflêmblance qu'on y trotivoit avec les pattes des écrevilles : de (^be- U on fit ScaU , de là vient que les Ports les plus fréquentez au Levant s'appellent des Echel- les. Peut-être que le Temple de .Diane bâti à Arnautcui , & fort connu par les pefcheurs fous le nom de DiEiynne , avoit donné lieu de drener là des Echelles pour s'y débarquer & pour le rembarquer plus facilement. Ces machines, qui avoient peu d'élévation, étoient preique couchées fur le bord de la mer, & fervoient à faire palier &é repaifer les gens à pied (cct Après Arnautcui fc prefente le fameux Cap des Eflies , au pied duquel cil bâti Courouchifmé. EJîies pourroit bien être un refte à'Efila , nom fous lequel les Grecs ont connu la Deelfe Ver Ça, , à laquelle peut-être on avoit dreflé quelque Tem- ple dans ce quartier-là. Courouchifmé s'appel- loit autrefois AÇomaton , à caufe d'une Eglife que Conftantin y avoit fait bâtir en l'honneur de l'Archange S.Michel.Procope décrit la magni- ficence de ce Temple , qui fut relevé par Jufti- nien ; mais il n'en refte plus aucune trace. Il •n'en eft pas de même de la marche des écreviftes , lefquels pour n'eltre pas entraînez par le courant) qui elt très - violent au de (lus du Cap, font obligez de grimper iur les rochers , ôc ne vien- nent reprendre le canal qu'après avoir bien egui- fé leurs pattes & gravé, pour aind dire , leurs pas furies roches, Du Cap d« Cowonçhlfmé à la pointe de Bejî* i>u Levant. Lettre X V. 447 thtachi y le canal prend le tour d'un demi cercle , fur le bord duquel font fituez Ortactti tkS.Phocas* Ortacuicft. un village fur le Port que les anciens appellioient Clidium & le 'vieillard marin , que Quelques-uns prenoient pour Ncrée , pour Pro- tée , ou pour quelque Dieu des eaux. Le petit Porc de S. Phocas eft à l'entrée d'une vallée tres- fertîle , connue par les anciens à i'occafion d'^?r- chias de Tajfos qui l'av'oit choiiie pour y bâtir une ville ; mais , fuivant Eftiennede Byzance, les Chalccdoniens s'y oppoferent par jaloufie. Au defïbus de S. Phocas eft un autre Port où les Rhod.iens reîâchoicnt quand ils venoient naviger dans le Pont : ce qui lui a confervé le nom de Rbodaicinon. Ces Rhodiens étoient fi puifïans fur mer (dans ce temps- là , qu'ils obligèrent les By- zantins à entretenir la liberté du commerce du Pont-.Euxin , c'eft à dire à laitier parler librement toutes les nations qui voudroient commercer dans Ha mer Noire , fans qu'il fût permis d'exiger d'elles aucuns droits. Il ne refte plus que Bejlchtachi ou Beftchtas pour aller à Fondocli , c'eft à dire au premier des fauxbourgs de Conftantinople , fuivant la route que nous avons tenue. Befchtachi portoic autrefois le nom de Jafon chef des Argonautes. Ce héros , au rapport d'Eftienne de Byzance , relâcha dans ce lieu où il n'y avoit qu'une forefl de Cyprès , & un Temple d'Apollon. Dans la iuite , ou pour mieux dire plu/ieurs ficelés après , le même endroit prit le nom de Diplocio- nion , de deux colomnes de pierre Thebaïque , lcfquclles on voit encore auprès du tombeau de Barberoulfe , qui fans doute étoit plus grand homme de mer que Jafon , quoiqu'il fuit né de 448 V o ir à g é pauvres parêns dans PIflede Metelîn. BarberoufFé eft mort Roy d'Alger & Capitan-Pacha en 1547. Solyman I I. le nomma Chairadin , c'eft-à-clire grand Capitaine : de Chairadin Calcondyle a fait Charatin , & Paul Jove Hariadene. Si Pon vouloic fuivre entièrement la deferip- " tion que Denys de Byzance a faite du Bofpho- re , il faudroit chercher les places de Ventecon- tarion , de Therrnafiis > de Delphinus & Charan- das , du Temple de Ptolemée Philadelphe , du Palinormicon , ôc de \'j4iamiurn ; mais où les trouver ? les Grecs & les Turcs ont tout renverfé depuis ce temps-là pour habiter Fondocli & To- pana , où fe trouve le Cap Metopon qui fait front à la pointe du S errai 1. J'ay Phonneur d'être avec un profond re- fped, 6\:c. Ëfc' * * - :-:^ THE J.PAUL liclTY JtNlfch itëRARY v à ci ^at/i/r