w m* i \ JÊÈM RELATION D'UN VOYAGE DU LEVANT, FAIT PAR ORDRE DU ROY, CONTENANT L'Hiftoirc Ancienne 6c Moderne de pluficurs Iiïcsdc l'Archipel , de Conftantinopie , des Côtes de la Mer Noire , de l'Arménie , de la Géorgie, des Frontières de Perfe & de l'Afie Mineure. A VEC Les Plans des Villes fr des Lieux considérables ; Le Génie , les Mœurs, le Commerce ir la Religion des diferens Peuples qui les habitent ; Et l'Explication des Médailles ir des Monumens antiques. Enrichie de Descriptions & de Figures d'un grand nombre de Plantes rares, de divers Animaux; Et de plufieurs Obfervations touchant l'Hiiloiic Naturelle. Par Ai. P itt on DE TûURN Zfqrt , Confeiller duRoy , Académicien Penfionnairc de l'Académie Royale des Sciences » Doéleur en Médecine de la Faculté de Paris , Profejfeur en botanique au Jardin du Roy , Lecleur if Projeteur en Médecine lé* de pierres par des Pa'ifans qui le prenoient pomr un voleur. Il n'avoit guère moins de pafllon pouir l'A- natomie &c pour la t himie que pour la Bota- nique. Enfin la Phyfique & la Médecine le re- vendiquèrent avec tant die force fur la Théolo- gie t qui s'en étoit mife injuftement en pof« DE M DE TOURNEFORT. feflion , qu'il fallut qu'elle le leur abandonnât. Il étoit encouragé par l'exemple d'un Oncle pa- ternel qu'il avoir , Médecin fort habile ôc fort eftimé , & la mort de fon père arrivée en 1677, le lailTa entièrement maître de fuivre fon incli- nation. Il profita aulîi - tôt de fa liberté , Ôc par- courut en 1678. les Montagnes de Dauphiné ôc de Savoye , d'où il rapporta quantité de belles Plantes feches qui commencèrent fori Herbier. La Botanique n'eft pas une fcïence fedentaire & pareiTeufe , qui fe puiûe acquérir dans le repos ôc dans l'ombre d'un Cabinet , comme la Géométrie & i'Hiftoire , qui tout au plus , comme la C himie , l'Anatomie & l'Aftronomie , ne de- mande que des opérations d'afTez peu de mou- vement. Elle veut que l'on coure les Monta- gnes ôc les Forefts , que l'on graville contre des Rochers efearpez , que l'on s'expofe aux bords des Précipices. Les feuls Livres qui peuvent nous inftruire à fond dans cette matière ont écé jettez au hazard fur toute la fui-face de la Terre , ÔC il faut fe refoudre à la fatigue & au péril de les chercher ôc de les ramalfer. De-là vient aufli qu'il eft fi rare d'exceller dans cette feien- ce ; Le degré de pafïion qui fuftit pour faire un Savant d'une autre efpece , ne fuffir pas pour faire un grand Botanifte , ôc avec cette paflion mefme , il faut encore une fanté qui puilTe la fuivre , une force de corps qui y réponde. M. de Tournefort étoit d'un tempérament vif, labo- rieux , robufte , un grand fonds de gayeté natu- relle le foutenoit dans le travail , ôc fon corps a iiij ELOGE âuiïî-bien que fon efprit ayoit été fait pour Ma Bo- tanique. En i 679 il partit d'Aix pom* Montpellier l: , où |1 fe perfectionna beaucoup dans l'Anatomnie «Se dans la Médecine. Un Jardin des Plantes eetabli en cette ville par Henry IV. ne pouvoit pas quelque riche qu'il fût , fatisfaire fa curicofité , il courut tous les environs de Montpelliier à jjus de dix lieues , Se en rapporta des Pliantes inconnues aux gens mefmcs du Pays. Makis ces çourfes étojent encore trop bornées , il parrtit de Montpellier pour Barcelone au mois d\' Avril ï68i.ilpa(Ta jufqu'à la S Jean dans les Mdonta- gnes de Catalogne , où il ctoit (uivi par less Mé- decins du Pays , Se par les jeunes Etudiams en Médecine, à qui il démontroit les Plantes.. On eut dit pycfque qu'il imitoit les anciens Gimrnofo- phiftes qui menoient leurs Difciples dans dees de- ierts , où ils tenoient leurs écoles. Les hautes montagnes des Pirenécs étoiente trop proches pour ne le pas tenter. Ccpendaant il içavoit qu'il ne trouveroit dans ces vafte-s fo- litudes qu'une fubfiftance pareille à celle dess plus aufteres Anachorètes , Se que les malheureuix ha- bitans qui la lui pouvoient fournir n'éteoient pas en plus grand nombre que les Voleurs qu'il avoir à craindre. Audi fut-il plusieurs foiis dé- pouillé par les Miquelets Efpagnols. 11 avoit imaginé un ftratageme pour leur dérober uni peu d'argent dans ces fortes d'occafîons ; il e.nfer- moit des Reaux dans du pain qu'il portoiit fur luy , Se qui étoit fi noir & fi dur , que crjuoy- qu'ils le volaflent fort exactement } Se ne finirent jpâs gens à rien dédaigner , ils le luy laiflibieut DE M. DE TOURNEFORT. avec mépris. Son inclination dominante i'rjy faifoit tout furmonter ; ces Rochers affreux 8Z prefqr.e inaccefîibles , qui l'environnoient de toutes parts , s'eftoient changez pour luy ei* une magnifique Bibliothèque , où il avoit le plaifir de trouver tout ce que fa curiofité de- mandoit , & où il parlent des journées délicieux fes. Un jour une méchante Cabane où il cou- choit , tomba tour à coup , il fut deux heures enfeveli fous les ruines , & y auroit péri îi l'on eût tardé encore quelque temps à le ire* tirer, il revînt à Montpellier a la fin de 168 r. 8c de-là il alla chez luy à Aix , où il rangea dans fon Herbier toutes les Plantes qu'il avoit rà~ maffées de Provence , de Languedoc , de Dan- phiné , de Catalogne , des Alpes & des Pire- nées. Il n'apartient pas à tout le monde de comprendre que le plaifir de les voir en grand nombre , bien entières , bien confervées , difpo- fées félon un bel ordre dans de grands Livres de papier blanc , le payoit furfifamment de tout ce qu'elles luy avoient coûté. Hcurcufement pour les Plantes M. Fagon j alors premier Médecin de la feue Reyne , s'y ctoit toujours fort attaché , comme à une partie des plus curieufes de la Phifique , &c des plus ef- fentielles de la Médecine , & il favorifoit la bo- tanique de tout le pouvoir que luy donnoienç la place & fon merire. Le notn de M. de Tour- nefort vint à luy de tant d'endroits differens , & toujours avec tant d'uniformité , qu'il eut envie de l'attirer à Paris , rendez-vous mènerai de prefque tous les grands talens répandus dans ELOGE les Provinces. Il s'adrefla pour cela à Madame de Venelle , Sous-Gouvernante des Enfans de France , qui connoilfoit beaucoup toute la fa- mille de M. de Toumefort. Elle luy perfuada donc de venir à Paris , & en 1683. elle le pré- senta à M. Fagon , qui dés la mcfme année luy procura la place de Profeffeur en Potanicjue au Jardin Royal des Plantes , établi à Paris par Loiiis XIII. pour l'inftru&ion des jeunes Etudians en Médecine. Cet cmploy ne l'empefcha pas de faire dirTerens Voyages. Il retourna en Efpagnc 3 & alla jufqu'en Portugal. Il vit des Plantes , mais prcfque fans aucun Botanifte. En Andaloufie , qui efl: un pays fécond en Palmiers , il voulut vérifier ce que l'on dit depuis Ci long -temps des amours du mâle & de la femelle de cette cfpece , mais il n'en put rien apprendre de certain , & ces amours fi anciennes , en cas qu'elles foient , font encore myfterieufes. Il alla aufîl en Hollande & en An- gleterre , où il vit & des Plantes & plulîeurs grands Botaniftes , dont il gagna facilement l'e- ftime & l'amitié. Il n'en faut point d'autre preuve que l'envie qu'eut M.Herman, célèbre Profeiïeur en Botanique à Leyde , de luy refigner fa place, parce qu'il étoit déjà fort âgé. il luy en écrivit au commencement de la dernière Guerre avec beaucoup d'inftances , & le zèle qu'il avoit pour la feience qu'il profefloit , luy faifoit choifir un Succeflèur , non feulement Etranger , mais d'une Nation ennemie. ilpiomcttoitaM.de Tourne- .fort une Penfîon de 4000 livres de Meilleurs les Etats Généraux, & luy faifoit efperer une aug- mentation quand il feroit encore mieux connu. DE M. DE TOURNEFORT. La Penfion attachée à fa Place du Jardin Royal étoit fort modique , cependant l'amour de fort pays luy fît refufer des offres &C Ci utiles & fi fla- teufes. Il s'y joignit encore une autre raifon » qu'il difoit à fes amis , c'eil qu'il trouvoit que les Sciences étoicnt icy pour le moins à lui aufli haut degré de perfedbion , qu'en aucun ^utre pays. La Patrie d'uo Savant ne feroit pas fa véritable Patrie , fi les Sciences n'y étoient florif* fautes. La tienne ne fut pas ingrate. L'Académie des Sciences ayant été mife en 169 1, fous l'infpection de M. l'Abbé Bignon , un des premiers ufages qu'il fît de fon autorité deux mois après qu'il en fût revettu , fut de faire entrer dans cette Com« pa'gnie M. de Tournefort & M. Homberg, qu'il ne connoiflbit ni l'un ni l'autre que par le nom qu'ils s'étoient fait. Apres qu'ils eurent été agréez par le Roy fur fon témoignage , il les prefentâ tous deux enfemble à l'Académie , deux premiers nez , pour ainfi dire , dignes de l'être d'un tel Père , Se d'annoncer toute la famille fpirituelle qui les a fuivis. En 1694. parut le premier Ouvrage de M. de Tournefort , intitulé Elemens de Botanique , ott Méthode pour connoiflre les Plantes , imprime ail Louvre en tuois volumes. Il eft fait pour mettre de l'ordre dans ce nombre prodigieux de Plantes femées fi confufement fur la Terre , Se mefme fous les eaux de la Mer , Se pour les diftribiter en Genres Se en Efpeces , qui en facilitent la. connoifiance , & empefehent que la mémoire des Botaniftes ne foit accablée fous le poids d'une infinité de noms differens. Cet ordre fi necelfaire ELOGE n'a point été établi par la Nature , qui a préféré une confufion magnifique à la commodité des PJiificicns. Et c'eft à eux à mettre prcfquc mal- gré elle de l'arrangement & un fyfteme dans les Plantes. Puifque ce ne peut être qu'un ou- vrage de leur efprit , il eft aifé de prévoir qu'ils fe partageront , ôc que mefme quelques-uns ne voudront point de fyfteme. Celuy que M. de Tournefort a préféré après une longue ik favante difcufîion , con fille à régler les Genres des Plan- tes par les Fleurs & par les Fruits pris cnfemble , c'eft à dire , que toutes les Plantes iemblables par ces deux parties feront du mefme genre , après quoy les différences ou de la Racine , ou de la Tige 3 ou des Feuilles , feront leurs différentes eipeçes, M. de Tournefort a été mefme plus loin ; au defius des Genres il a mis des ClalTes qui ne fe règlent que par les Fleurs , & il eft le premier qui ait eu cette penfée , beaucoup plus utile à la Bo- tanique , qu'on ne fe l'imagineroit d'abord. Car il ne fe trouve jufqu'icy que 14. figures différen- tes de Fleurs qu'il faille s'imprimer dans la mé- moire ; ainfi quand on a entre les mains une Plante en fleur dont on ignore le nom , on voie aufîi-tôt à quelle Clarté elle appartient dans le Livre des EIcmens de Botanique , quelques jours après la fleur paroît le fruit , qui détermine le Genre dans ce mefme Livre , & les autres parties donnent PEfpece , defortc que l'on trouve en un moment, & le nom que M. de Tournefort luy donne par rapport à fon fyfteme , &C ceux que d'autres Botaniftes des plus fameux luy ont don- nez , ou par rapport à leurs fyllemes particuliers, ou fans aucun fyfteme. Par.là on eft en état d'e* DE M. DE TOURNEFORT. tudier cette Plante dans les Auteurs qui en ont parlé, fans craindre de luy attribuer ce qu'ils au- ront dit d'une autre , ou d'attribuer à une autre ce qu'ils auront dit de celle-là. C'efl: un prodi- gieux foulagement pour la mémoire , que tout fe réduife à retenir 14, figures de Fleurs , par le moyen dcfquelles on defeend à 673. Genres , qui comprennent fous eux 8846. Efpeces de Plantes , foit de Terre, foit de nier, connues jufqu'au temps de ce Livre. Que feroit-cc s'il falloir con- noiftre immédiatement ces 8846. Efpeces, Sz cela fous tous les noms differens qu'il a plu aux Bota- nistes de leur impofer ? Ce que nous venons de dire icy demanderoit encore quelques reftrictions ou quelques éclairciffemcns , mais nous les avons donnez dans l'Hiftoire de 1700. où le fifteme de M. de Tournefort a été traité plus à fond Se avec plus d'étendue. Il parut être fort approuvé des Phificiens , c'eft à dire ( & cela ne doit jamais s'entendre autre- ment ) du plus grand nombre des Phificiens. Il fut attaqué fur quelques points par M. Rai , cé- lèbre Botanifte & Phificicn Anglois j auquel M. de Tournefort répondit en 1697. par une Difîer- tarion Latine adrefiee à M. Sherard , autre An- glois , habile dans la même feience. La difpute fut fans aigreur , 8c même a(fez polie de part 8c d'autre , ce qui eft alîez à remarquer. On dira peut-être que le fujet ne valoit gueres la peine qu'on s'échaufrât ; car dequoi s'agiflbit-il ? De fa- voir fi les fleurs &c les fruits îufhioicnt pour éta- blir les Genres , fi une certaine Plante etoit d'un Genre ou d'un autre. Mais on doit tenir compte aux hommes , de plus particulièrement aux fa» ELOGE vans , de ne s'échauffer pas beaucoup fur de légers fujets. M. de Tourneforc dans un Ouvrage porte- rieur à la difpute , a donné de grands éloges à M. Rai , ôc mefme fur fon Sifteme des Plantes. Il fe fit recevoir Docleur en Médecine de la Faculté de Paris, & en 1698. il publia un Livre intitulé Hifloire des Plantes qui naijfent aux envi- rons de Paris , avec leur ufage dans la .Médecine. Il efl: facile de juger que celuy qui avoir été cher- cher des Plantes fur les fommets des Alpes & des Pirenées , avoit diligemment herborifé dans tous les environs de Paris , depuis qu'il y faifoit fon fejour. La Botanique ne feroit qu'une (impie cg- ïiofité , fi elle ne fe rapportoit à la Médecine ; & quand on veut qu'elle Toit utile , c'eft la Bota- nique de fon Pays qu'on doit le plus étudier , non que la Nature ait été aufli ioigneufe qu'on le dit quelquefois , de mettre dans chaque Pays les Plantes qui dévoient convenir aux maladies des Habitans , mais parce qu'il eft plus commode d'employer ce qu'on a fous fa main , &: que iou- vent ce qui vient de loin , n'en vaut pas mieux. Dans cette Hiftoire des Plantes des environs de Paris , M. de Tournefort raffemble outre leurs difFerens noms & leurs deferiptions , les Analifcs Chimiques que l'Académie en avoit faites , ôc leurs vertus les mieux prouvées. Ce Livre feul ré- pondroit fufHfamment au reproche que l'on fait quelquefois aux Médecins, de n'aimer pas les Re- mèdes tirez des Simples , parce qu'ils font trop faciles , &c d'un effet trop prompt. Certainement M. de Tournefort en produit icy un grand nom- bre , cependant ils font la plufpart aflez négligez, &il femble qu'une certaine fatalité ordonne qu'on DE M. DE TOURNEFORT. les defirera beaucoup & qu'on s'en fervira peu. On peut compter parmi les Ouvrages de M. de Tournefort un Livre , ou du moins une partie d'un Livre , qu'il n'a pourtant pas fait imprimer. Il porte pour titre Schola Botanlca , five Catalo- gus Plantarum , quas ab aliquot annis in Horto Regio Parifienji ftudio/îs indlgitavit vir clarijfirnus fofephtis Pitton de Tournefort , Dollar Medicus , ut & Panli Hermanni Paradijï Batavi Prodromus , &c. Amflelodami i 699. Un Anglois nommé M. Simon "Warton , qui avoit étudié trois ans en Botanique au Jardin du Roy fous M. de Tourne- fort , fit ce Catalogue des Plantes qu'il y avoit veiies. Comme les Elemens de Botanique avoient eu tout le fuccés que l'Auteur mefme pouvoit defi- rcr , il en donna en 1700. une Traduction Latine en faveur des Etrangers , & plus ample , fous le titre de Infiitwiones Rei Herbaria, , en trois Vo- lumes in 40. dont le premier contient les noms des Plantes diftribuées félon le îifteme de l'Au- teur , & les deux autres leurs figures tics bien gravées. A la tefte de cette Traduction eft une grande Préface ou introduction à la Botanique , qui contient avec les principes du lifteme de M. de Tournefort , ingenieufement &folidement éta- blis , une Hi noire de la Botanique & des Botani- ftes , recueillie avec beaucoup de foin & agréable- ment écrite. On n'aura pas de peine à s'imaginer qu'il s'occupoit avec plaifîr de tout ce qui avoit rapport à l'objet de fon amour. Cet amour cependant n'etoit pas fî fidelle aux Plantes , qu'il ne fe portât prefque avec la mefme ardeur à toutes les autres curiohtez de la Phiiique, ELOGE Pierres figurées , Marcaffites rares , Petrificationr & Criftallifations extraordinaires , Coquillages de toutes les cfpcccs. Il eft vray que du nombre de ces fortes d'infidelitez on en pourroit excepter fon goût pour les Pierres : car il cro'yoit que c'étoient des Plantes qui vegetoient , Se qui avoient des graines : il croit mefme alfez difpofé à étendre ce iifteme jufqu'aux métaux, Se il femble qu'autant qu'il pouvoit il transformoit tout en ce qu'il ai- moit le mieux. Il ramalToit aufït des habillemcns a des armes , des inftrumcns de Nations éloignées , autres fortes de curiofitcz , qui quoy-qu'clles ne foient pas forties immédiatement des mains de la Nature, ne laident pas de devenir Philofophiques, pour qui fait philofopher. De tout cela cnfemble il s'étoit fait un Cabinet fuperbe pour un particu- lier , & fameux dans Paris ; les Curieux l'cftimoient à 45. ou 50000. livres. Ce feroit une tache dans la vie d'un Philoiophc qu'une fi grande dépenfc, fi elle avoit eu tout autre objet. Elle prouve que M. de Tourncfort dans une fortune aufîi bornée que la fienne , n'avoit pu gueres donner à des plaifîrs plus frivoles , Se cependant beaucoup plus recherchez. Avec toutes les qualitez qu'il avoit , on peut juger aifement combien il étoit propre à être un excellent Voyageur , car j'entends icy par ce ter- me , non ceux qui voyagent flmplement , mais ceux en qui fe trouve & une curiofité fort étendue, qui eft allez rare , Se un certain don de bien voir , plus rare encore. Les Philofophes ne courent gue- res le monde , Se ceux qui le courent ne font ordi- nairement gueres Philofophes , Se par-là un voya- ge de Philofophe eft extrêmement précieux. Auflî DE M. DE TOURNE FORT, nous comptons que ce fut un bonheur pour les Sciences que l'ordre que M. de Tournefort reçue du Roy en 1700. d'aller en Grèce , en Afie & en Afrique , non feulement pour y reconnoiltre les Plantes des Anciens , & peut-être aulïi celles qui leur auront échappé , mais encore pour y faire des Obfervations fur toute i'Hiltoire Naturelle, fur la Géographie ancienne ôc moderne , ôc mefme fur les Mœurs , la Religion ôc le Commerce des Peuples. Nous ne répéterons point icy ce que nous avons dit fur ce fujet dans I'Hiltoire de 1700. Il eut or- dre d'écrire le plus fouvent qu'il pourroit à M. le Comte de Pontchartrain , qui luy proctiroit tous les agrémens poiïibles dans fon Voyage , ôc de l'informer en détail de fes découvertes ôc de Ces avantures. M. de Tournefort accompagné de M. Gundel- scheimer, Allemand, excellent Médecin, & de M. Aubriet habile Peintre , alla jufqu'à la frontière de Perfe , toujours herborifant ôc obfervant. Les autres Voyageurs vont par mer le plus qu'ils peu- vent , parce que la mer eft plus commode , & fur terre ils prennent les chemins les plus battus. Ceux, cy n'alloient par mer que le moins qu'il étoit pof- fible , ils étoient toujours hors des chemins , ôc s'en faifoient de nouveaux dans des lieux imprati- cables.On lira bien-tôt avec un plaiiirmeilé d'hor- reur le récit de leur defeente dans la Grotte d'An- tiparos , c'eft. à dire , dans trois ou quatre abifmes affreux quife fuccedent les uns aux autres. M. de Tournefort eut la fenfiblc joye d'y voir une nou- velle efpece de Jardin , dont toutes les Plantes étoient différentes pièces de Marbre encore naif- fantes ou jeunes , ôc qui fclon toutes les circon- ELOGE ftances dont leur formation ctoit accompagnée t n'avoient pu que végéter. Envain la Nature s'étoit cache'e dans des lieux fi profonds 8c fi inaccefîibles pour travailler à la vé- gétation des Pierres , elle fut , pour ainfi dire , prife fur le fait par des Curieux fi hardis. L'Afrique étoit comprife dans le defiein du Voyage de M. de Tournefort , mais la pefte qui éto'it en Egypte le fit revenir de Smirne en France en 170*. Ce fut- là le premier obftacle qui l'eût arrefté. Il arriva , comme l'a dit un grand Poète , pour une occafion plus brillante & moins utile , chargé des dépouilles de l'Orient. Il rapportoit , ou- tre une infinité d'Obfervations différentes , 1356. nouvelles Efpeces de Plantes, dont une grande par- tie venoient fe ranger d'elles-mefmes fous quel- qu'un des 673. Genres qu'il avoit établis : il ne fut obligé de créer pour tout le refte que 1 5. nouveaux Genres, fans aucune augmentation desClaffes, ce qui prouve la commodité d'un fifteme , où tant de Plantes étrangères, 6c que l'on n'attendoit point , entroient fi facilement. Il en fit fon Corollarium In- JUtutionurn Rei Herbaritt, imprimé en 1703. Quand il fut revenu à Paris, il fongea à repren- dre la pratique de la Médecine , qu'il avoit facri- fiée à fon Voyage du Levant, dans le temps qu'elle commençoit à luy réiiflir beaucoup. L'expérience faic voir qu'en tout ce qui dépend d'un certain gouft du Public , 6c fur-tout en ce genre-là , les in- terruptions font dangereufes , l'approbation des hommes cft quelque chofe de forcé , & qui ne demande qu'à finir. M. de Tournefort eut donc quelque peine à renouer le fil de ce qu'il avoit quitte y d'ailleurs il falloit qu'il s'acquitât de fes DE M. DE TOURNEFORT. anciens exercices du Jardin Royal , il s'y joignit encore ceux du Collège Royal , où il eut une place de Profefleur en Médecine , les fonctions de l'A- cadémie luy demandoient aufïi du temps , enfin il voulut travailler à la Relation de Ton grand Voya- ge , dont il n'avoit rapporté que de fîmples Mé- moires informes & intelligibles pour luy feul. Les courfes 8c les travaux du jour , qui luy rendoienc le repos de la nuit plus neceflaire, l'obiigeoient au contraire à palier la nuit dans d'autres travaux, 8c malheureufement il étoit d'une forte conftitu- tion , qui luy permettoit de prendre beaucoup fur luy pendant un allez long- temps, fans en être fen- fiblement incommodé. Mais à la fin fa famé vint à s'altérer , 8c cependant il ne la ménagea pas da- vantage. Lorfqu'il étoit dans cette mauvaife dif- poiition , il reçut par hazard un coup fort violent dans la poitrine , dont il jugea bien-toft qu'il mourroit. Il ne fit plus que languir pendant quel- ques mois, 8c il mourut le z 8. Décembre 1708. Il avoit fait un Teftament , par lequel il a laille fon Cabinet de Curiofitez au Roy pour l'ufage des Savans , 8c (es Livres de Botanique à M. l'Abbé Bignon. Ce fécond article ne marque pas moins que le premier fon amour pour les feiences ; c'efl: leur faire un prefent que d'en faire un à celuy qui veille pour elles dans ce Royaume avec tant d'ap- plication , 8c les favorife avec tant de tendrelfe. Des deux Volumes in 40. que doit avoir la Re- lation du Voyage de M. de Tournefort , le premier etoit déjà imprimé au Louvre quand il mourut , 8c l'on achevé prefentement le fécond fur le ma- nuferit de l'Auteur , qui a été trouvé dans un état où il n'y avoit îvien à defirer, Cet ouvrage , qui a ELOGE DE M. DE TOURNEFORT. confervé fa première forme de Lettres , adreflées à Mi de Pontchartrain , aura environ 200. plan- ches en taille douce très bien gravées > de Plantes, d'Antiquitez , &"c. On y trouvera , outre tout le fçavoir que nous avons reprefenté jufqu'icy dans M. de Tournefort , une grande connoiflance de THiftoire ancienne & moderne , & une vafte éru- dition dont nous n'avons point parlé , tant nos éloges font éloignez d'être flateurs. Souvent une qualité dominante nous en fait négliger d'autres } qui merkeroient cependant d'être relevées. LETTRES LETTRES CONTENUES DANS LE PREMIER VOLUME. JD Eflein de ce Voyage: pag. ti Lettre I. Defcription de î'Ijîe de Candie. pag. 2I"« Lettre II. Continuation de la Defcription de Candie: pag. 68, L E T T R E III. Efiat prefent de l'Eglife Gre'que. pag. 1 1 6, Lettre IV. Defcription des ljles de V Argentier e\ de Milo , de Siphanto ,. & de Serpho. pag. 169; Lettre V, Defcription des Ifles d'Antiparos, de Pa: ros , & de Naxk. pag. 22 1." Lettre VI. Defcription des /Jles de Stenofa, Nicoih ria , Amorgos, Caloyero , Cheiro, Ski~ jwfa Radia, Nio, Sikino, PoJicandro, San tort n, Narrfio, Mycone. pag. 269. Lettre VIL Description des JJles de De/os. pag. 342, VOYAGE VOYAGE D U LEVANT, FAIT PAR ORDRE DU ROY. DESSEIN DE CE VOYAGE. Onfeigneur le Comte de Pontchar- train Secrétaire d'Etat , chargé du foin des Académies , &c toujours attentif à ce qui peut perfectionner les Sciences , propofa à Sa Majclté fur la fin de l'année 1699. d'envoyer dans les pays étrangers des perionnes capables d'y faire des oblervations non leulement fur l'Hiftoire na- turelle j & fur la Géographie ancienne & moder- ne ; mais encore fur ce qui regarde le commerce, la religion & les mœurs des difrerens peuples qui les habitent, Comme j'avois déjà fait quelques voyages en Europe par ordre du Roy , j'eus l'honneur d'àine Tome /, A i Voyage encore choiiî par Sa Majefté pour celui du Le-* vanc. Ce grand Prince , qui par fa protection ôc par fcs bienfaits contribue tous les jours au pro- grés de toutes les belles connoilïances , très fans- fait d'ailleurs des découvertes enrieufes que Mrs ar laquelle il lui faifoit fçavoir que le Roy m'avoit ordonné d'aller dans la Grèce , aux Ifles de l'Ar- chipel , &c en Afie , pour y faire àc^ recherches touchant l'Hiftoire naturelle ; pour m'inftrin're des maladies & des remèdes que l'on y employé j pour y comparer l'ancienne Géographie avec la moderne 5 & que Sa Majefté m'accordoit un Ai- de , un Peintre ,• 8c tous les frais du voyage. A ij 4 Voyage Cette lettre rut leûë dans l'allemblée le iC. Fé- vrier. La Compagnie témoigna beaucoup de joy£ d'une entreprise qui paroiiloit avantageufe pour la Phyfique, & qui marquoit combien SaMajeflé fouhaitoit qu'on en perfeexionnaft les différentes parties, ivlonfieur l'Abbé Bignon pro^ofa ce jour là Mr GundeKcheimer , qui fut accepté tout d'u- ne voix , & fes lettres lui furent expédiées en qua- lité d'envoié par l'Académie , pour me féconder dans mes travaux. Il remercia la Compagnie à la première aflemblec , & fe trouva à toutes les au- tres juiques à noftre départ. Nous eûmes l'hon- neur d'en prendre congé le 6. Mars j &c nous allâ- mes enluite à Verfaiiles recevoir les derniers or- dres de Monfeigneur de Pontchartrain , & de Mr le premier Médecin. Mr Fagon qui occupe cette charge avec tant de diftinclïon , non content d'a- voir parle piufieurs fois au Roy des avantages qui pourroient revenir de ce voyage pour l'éclaircif- lement de l'Hiftoirc naturelle , me fit encore l'honneur de me prefenter à Sa Majefté , qui re- ceut avec fa bonté ordinaire , a un ouvrage qu'- elle m'avoit permis de lui dédier. Le 9. Mars nous partîmes par la diligence, Se nous arrivâmes à Lyon en fept jours ôc demi. Nous y vîmes le recueil des plantes rares que Mr GoirFon a obfervécs dans les Alpes. On attend de cet habile Médecin , non feulement l'Hiftoire des plantes qui naiflent aux environs de Lyon : mais encore piufieurs obfervations anatomîqucs très fingulicres , & fur tout celles qui regardent la ftructure de l'oreille. Mr GoirTbn nous procura la connoiifance du Père de Colonia Bibliothécaire des Jcfuites , feavant antiquaire. 11 a fait en peu ? Infticutioncs Rci Hcrbariar. du Levant, y. de tems un prodigieux receuil de Médailles gré- ques & latines j d'Idoles ; d'Inftrumens qui ont fervi aux facrifices des payens ; de Poids & de.- Meuires anciennes ; de Talifmans , & de tout ce qui regarde la belle antiquité. Le 16. Mars nous defeendîmes fur le Rhône jufques à Condriçu , bourg du Lyonnois à fept lieues de Lyon , & à deux lieues de Vienne. On coucha le lendemain auPouzin, village à quatre Jieucs au deuous de Valence. Le 18. nous débarquâmes à Avignon,d'où nous partîmes pour Aix qui n'en efl: éloigné que d'une A : x, journée. On ne m'aceufera pas d'eftre prévenu en faveur de ma patrie , fi je dis que dans fa mé- diocre grandeur c'eft une des villes de France la mieux bâtie Se la plus agréable. Après que j'eus çmbralfé mes parents , nous allâmes falue'r Mr de Boyer d'Aiguilles Confeiller au Parlement & nous fiimes bien moins touchez de fes tableaux , quel- que rares qu'ils foient , que nous ne le fûmes de fon mérite. Ce fçavant magiftrat n'excelle pas feulement dans la connoiffance de l'antiquité , il a naturellement ce gouft exquis du delfein , qui rend fi recommandables les grands hommes en ce genre. Mr d'Aiguilles a fait graver une partie de fon cabinet en cent grandes planches d'après les originaux de Raphaël , d'André del Sarto , du Ti- tien j de Michel Ange Caravage , de Paul Vcro- néCe , du Corrcgc , du Carrache , du Tintoret , du Guide , du Pouiïin , de Bourdon, de le Sueur , de Pugct , du Valentin , de Rubcns , du VandéiKa §c d'autres peintres fameux. Ce Magiftrat me permettra-t-il de dire qu'il a gravé lui-même quel- ques-unes de ces planches, que les frontifpices des deux volumes qui compoiënt ce recueil font* A iij 6 V O Y A G Ç de Ton invention -, qu'il a conduit les graveurs pour la fidélité des contours , & pour la force des exprefïions. Un homme de qualité , qui remplit d'ailleurs il dignement les devoirs de fa charge , ne fçauroit fe dclalTer plus noblement. Mr de Thomaflin Mazaugues eft un autre Con- feiller du Parlement de Provence 3 d'un mérite diftingué , qui nous fait eiperer un recueil des let- tres de Mr de Peîrcfc , dont les manuferits ont efté répandus par tout le Royaume. Cet homme infatigable en a laifle plus de cent , tous écrits de fa main,cornme le remarque ' M? Spon. On ailcu- re que les héritiers de Mr de Peirefc , s'étoient chaurfez pendant tout un hiver des papiers qu'on avoit trouvez dans fon cabinet. N'auroient-ils pas mieux fait de brûler du bois de Cèdre ou du boisd'Aloës. La nature en produit tous les jours, & peut-être ne verra-t-on jamais d'homme fem- blable à Mr de Peirefc. On compte parmi les autres fçavants de noftre ville M.r Gautier Prieur de la Valette , ce grand Aftronome, dont Mr Gafiendi parle avec tant d'é- loges» b Scaliger 8c c Cafaubon qui ne prodi- guoient pas leurs louanges , conviennent que Mr He Rafcas de Bagarris, a Garde du Cabinet du Roy Henry I V. cftoit un excellent connoifïeui: 4e tous les anciens mpnumens. Il ne faut pas ou- blier ici Annibal Fabrot grand Jurîfconfulte , qui fçavoit parfaitement la langue gréque , & l'Hi- ftoire orientale 5 comme il'paroït par les ver/ions qu'il a faites de quelques volumes de l'Hiftoirc Byzantine , &c par les {ça vantes notes dont il en a. Voyage de Spon. b Scalig, Opttfc. * De Satyr. Peefs. d M.iiftie des Cabinets des Antiques du Roy. Sca.lig. ibïd. D U L F. V A N T. j a éclaîrci les endroits les plus obfcurs. Les P P. Thomaffin & Cabalfut , Piètres de l'Oratoire , feront toujours beaucoup d'honneur à la ville d'Aix. Leur feienec eftok inépuifable , auili bien que celle du P. Pagi Cordelier , l'un des plus profonds Chronologifles du fiécle pa(fé. Il y a peu de villes dans le Royaume , & peut- cftre en Europe où il y ait cû plus de cabinets cu- rieux , & l'on y voit encore de très belles choies, fur tout chez Mr l'Intendant Le Brcr, Il vient peu de vaîlleaux de Levant en Provence fur lcfcjucls il rfy ait des marchands , & même des matelots qui apportent des médailles , des pierres gravées , ou d'autres bijoux antiques. Comme Je Parle- ment & les autres Cours (upéricures attirent à Aix la plufpart des gens de la Province , ces cu- riofitez s'y répandent facilement. Le %-j. Mars nous arrivâmes à Marfeille. J'ai- Mar- 1 ai d'abord ialuer Mrs les Députez du commerce, seule. & je leur remis les ordres dont Monfeigneur de Ponrchartrain m'avoit chargé. Comme il n'v avoir point de bâtiment prêt à partir pour le Le- vant, nous eûmes tout le temps de conii .! rer les beautez de cette ville, & d'admirer les change- mens qu'on y a faits fous ce règne. Si l'on con- tinue' d'y bâtir avec la même magnificence , elle reprendra bien-tôt la beauté qu'elle avoit du tems des Grecs & des Romains : car tout ce que nous y voions de l'ancienne ville eft l'ouvrage des der- niers fiécles , qui fe reifentoient encore du mau- vais gouft & de l'ignorance des Goths. Strabon , le plus exa& des anciens a Géogra- phes , tout prévenu qu'il étoit en faveur des villes d'Aiîe , où l'on n'emploïok que marbre ôc eue a Rerum Gvog. lib. 4. A iiij S Voyage granit, décrit Marfeille comme une ville très bien bâtie & d'une grandeur conïiderable , déposée eu manière de théâtre au tour d'un a port naturelle- ment creufé dans les rochers. Peut-eflre même ciloit-elle encore plus fuperbe avant le regne d'Augulle , fous lequel vivoit Strabon : car cet auteur parlant de b Cyzique comme d'une des plus belles villes d'Afie } remarque qu'elle étoit enrichie des mêmes ornemens d'architectuiCjqu'on avoit autrefois vus dans Rhodes , dans Cartage ôc dans Marfeille, On n'y trouve aucuns reftes de cette ancienne magnificence , en vain y chercheroit-on les fonde- mens des temples d'Apollon ôc de Diane , c que les habitans de la ville de Phocée fes fondateurs y ûvoient bâtis, Nous fçavons feulement que ces edifiecs étoient fur le haut de la ville. On ignore aulïi l'endroit où Pytheas fit dreifer cette célèbre <* aiguille pour déterminer la hauteur du pôle de Marleille. Pytheas qui étoit de cette ville , ôc qui vivoit du temps d'Alexandre , a été félon Mr Gaf- iendi , le plus ancien de tous les gens de lettres , qu'on ait veûs en Occident. Il eft glorieux à la France , comme le remarque c Mr Cafîlni le plus grand Altronome de nôtre temps , d'avoir eu une perfonne capable de porter les Ipéculations à un point de fubtiiité , où les Grecs qui voulaient paf- {er pour les inventeurs de toutes les feiences , ïl'avoicni pu encore atteindre. Non feulement Marfeille peut fe vanter d'a- voir donné l'entrée aux feiences dans les Gaules , * A#*tâav. Eupat, ad Dio- nyf. Perieg. ■v.y 5. h ibid. lib. u. c Kturjtoi o. ici Qatxiio» i M«!T(r«;>.;js. Strab. Rer. Geo;?. lié.*.. & Tt'ùusn. Strab. ibid. lib. 2. e Mémoires de Mathématique & de Pbyjique de l' Acadé- mie Royale des Sciences , tin 3 t. Mari \6$'-. du Levant. 9 mais encore d'avoir formé l'une des trois plus fa- meufeç Académies du monde , &: d'avoir partage Tes écoliers avec Athènes &£ Rhodes. ^ On venoit à Marfeille de toutes parts pour y apprendre les belles lettres & la Phiiofophic. La politeilé y étoit Ç\ grande , que les Romains y faifoient élevés leurs enfans ; & les Gaulois qui ne fe piquoient pas trop de cette vertu , trouvoient tant de beau- té dans la langue gréque , que l'on parloit à b Marfeille dans fa pureté , qu'ils s'en iervoient même clans les a&es publics. Quoique le commerce falle aujourd'huy la prin- cipale occupation des habitants de Marleille , il ne lailjé pas d'en fortir de fort habiles gens pour les Sciences $c pour les beaux Arts. C'eft avec îaifon que la France a admiré l'éloquence de Mr Mafcaron Evcque d'Agen. Le Chevalier d'Her- vicu fçavoit bien les langues orientales, Mr Ri- gord tient un illuftre rang parmi les Antiquaires : & le P. Fcuilléc Minime parmi les Aftronomes. Le P. Plumier du même Ordre ÔC de la même Ville , s'eft immortalifé par la découverte de plus de 900. plantes , lefquelles avoient échappé à la diligence des antres voyageurs d'Amérique. 11 eft mort fur la fin de l'année 1704. au Port Sainte Marie , yis-à-vis Cadis , où il s'eftoit rendu par ordre du Roy , pour palier dans le Pérou. c Nous ne reliâmes pas long-temps à Marfeille, fans aller voir les derniers ouvrages de Mr Puget, admirabje Sculpteur , grand Peintre , excellent Architecte. Il naquit à Marfeille en 1613. de pa- reils qui n' avoient p^s allez de bien pour foutenir a Tacît. in vit a, Agrie. cap. 4. k Strah, Rcr. GeO£. In. 4. c Elog* de M. îugtt* io Voyage leur nom. Les heureufes difpofitions qu'il avoft pour le deffein parurent dés qu'il put manier le crayon. On le mit a l'âge de quatorze ans chez le Sieur Roman , le plus habile Sculpteur & le meilleur conftru&eur de galères. Il fut fi fatisfaît de ion élevé après deux ans d'apprentiffage , qu'il lui confia le loin de la fculpture &: de la conftru- dfcion d'un de ces bâtimens. Apres ce coup d'elfai, le jeune Puget partît pour l'Italie , & relia prés d'un an à Florence , où il fit fix guéridons fcul- pez pour le Grand Duc , qui lui auroient attiré des ouvrages plus confiderables , fi la paillon qu'il avoit de voir Rome ne lui euft fait quitter cette cour. A Rome il s'appliqua uniquement à la pein- ture,*!* donna fi bien dans la manière de Pierre de Cortone , que ce fameux Peintre parlant un jour devant une maifon où Mr Puget avoit à deflfein fait expofer un de fes tableaux , il en voulut voir l'auteur, év l'engagea à le fuivre à Florence où il alloit peindre une galerie pour le Grand Duc;mais M1 Puget reparla bien-tôt à Rome, averti par un Pcre Feuillant, que la Reine Mère y avoit envoyé peur faire defiiner les plus belles antiques , qu'il îcroit employé pour iatisfaire aux ordres de Sa Majefté. Il s'acquita parfaitement de fa commif- iion 3 & prit tant de goufl: pour la peinture , qu'il y refta prés de 1 5. ans , & ne revint chez lui que peur recueillir la fucceiïion de fqn père. Le Duc de Brezé , grand Amiral de France lui ordonna de faire le modèle du plus beau VairTeau qu'il fuir, ca- pable de faire exécuter : on fuivit ce modèle , & lé vaiiFeau fut nommé La Reine. Il inventa pour lors ces belles galeries que les étrangers ont ad- mirées , & qu'ils ont tâché d'imiter. Il fit quel- ques tableaux à Toulon , un Saint Félix dans i'£- bu Levant. m gîîfe des Capucins , une Annonciation chez les Dominicains , 6k: un autre tableau qui eft dans la Cathédrale. On voit à la Valette proche Toulon, trois tableaux de fa main : celui du maiftre autel, qui représente Saint Jean écrivant l'Apocalypfe , Saint Jofeph agoni fant , & Saint Hermentaire. A Marfeîlle il peignît pour l'Eglife de la Ma- jour , le Baptême de Clovis Se celui de Çonftan- tin : mais le tableau qu'on appelle le Sauveur du monde, eft encore plus beau. Les Jefuitcs ont dans leur Congrégation à Aix , deux tableaux de cet excellent homme , l'Annonciation Se la Vifi- tatioii de la Vierge. L'éducation d'Achille eft le dernier tableau qu'il ait fait : il eft dans la gale- rie de Mr fon fils. Mr Pugct eut une maladie fl dangereufe en 1657. qu'après fa convalcfcencc , fes amis Se fon rnedecin lui confeillérent de renoncer à la pein- ture pour le refte de fes jours : mais comment ar- rêter une imagination aulii vive , fécondée par de fi habiles mains ? Néanmoins foit que la fculpture lui coûtait moins , foit que les modèles qu'il fai- foit alors pour s'amufer agréablement , l'enga- geafient à continuer , il ne peignit plus depuis ce rcmps-Ia. Il travailla quelque temps après à cette belle porte de l'Hoftel de ville de Toulon , dont les deux termes qui en foutiennent le balcon , nappèrent il fort Mr le Marquis de Seignelay , qu'il propofa au Roy de les faire tranfporter à Vcriaillcs.Enfuitc Mr Puget fit les armes de Fiance en bas-relief de marbre,lefqueiles font un des prin- cipaux ornemens de l'Hôtel de ville de Marfeillc. Il vint à Paris en 1 6;$>. attiré par MrGirardin , qui pendant quelque temps l'occupa dans fon château de Vaudrcuil en Normandie , à faire Jt V Q Y A G E, deux grandes figures de Pierre de Vernon. Mr Iç Pautre les trouva fi belles qu'il confeilla à Mr Fouquet d'employer un fi grand homme pour les ouvrages de Vaux-le- Vicomte ; comme le marbre eitoit rare à Paris 3 ce miniftre qui avoit du goufl pour les chpfes exquifes , ordonna à Mr Puger d'aller en Italie, choifir autant 4c blocs de mar- bre qu'il jugeroit à propos , & c'eft lui qui le premier nous a rendu cette belle pierre fi fami- lière. Tandis qu'il en faifoit charger trois bâti- ments à Gènes , il fit ce bel Hercule , qui eft pré- fentement à Seaux , couché fur un bouclier aux fleurs de lys de France. La nouvelle de la difgrace de ce miniftre le tint à Gènes plus long-temps qu'il ne s'eltoit proposé. Il y lailfadeux figures ad- mirables , faint Scbaftien &C faint Ambroife , pla- cées dans l'épaiifeur des piliers de la coupole de faint Pierre de Carignan. Sous la figure de faint Ambroife , il a reprefenté le bienheureux Ale- xandre Sauli , Prélat d'une vie exemplaire , dont les ancêtres ont fait bâtir cette Egliie. La Vierge qui eft dans le Palais Balbi , fait encore beaucoup d'honneur à Mr Pu cet. Le Duc de Mantolie lui fit faire dans ce temps là un bas relief de l'Alïbmption , lequel y attira le Cavalier Bernin ; & ce grand homme convint que c'eftoit un ouvrage parfait. Le Duc n'oublia rien pour engager Mr. Puget à travailler dans fou Palais ; mais ce Prince , qui lui faifoit efperer un gouvernement dans fes Eftats 5 mourut quelque tems après. Marie Sauli noble Génois , qui à l'exemple de Ces ancêtres a fait de grandes dépenfes pour orner l'Eglife de faint Pierre de Carignan , pria Mr Pu- get de faire ie modèle d'un Baldaquin } pour le du Levant. 13 maîlhe autel : cet ouvrage fait voir à quel degré de perfection cet homme incomparable avoir, por- té l'architecture. Comme il fe difpoioit à l'exécu- ter , Mr Colbert , fur le récit que le Cavalier Bernin lui fit de fon rare mérite , l'obligea de ve- nir en France par ordre du Roy j qui l'honora d'u- ne penfion de douze cens écus en qualité de Scul- pteur &c de Directeur des ouvrages qui regar- doieut les Vaifleaux & les Galères. Mr Puget qui vouloit travailler à des inonumens de plus longue durée, après avoir fatisfait à fes devoirs , entreprit un bas-relief d'Alexandre & de Diogene : c'eit le plus grand morceau de fculpture qu'il ait exé- cuté y mais il ne l'a achevé que fur la fin de fes jours. Milon Crotoniate eft la première & la plus bel le Statue" qui ait paru à Veriailles de la main de Mr Puret : la douleur & la rage font exprimées fur le vifage de Milon ; tous les mufcles de fon corps marquent les efforts que fait cet athlète pour dé- gager fa main , laquelle étoit prife dans le tronc d'un arbre qu'il avoit voulu fendre , tandis que de l'autre , il arrache la langue de la gueule d'un Lion qui le mordoit par derrière. Mr le Marquis de Louvoïs , Surintendant des Bàtimens , après la mort de M1' Colbert 3 écrivit à Mr Puget , que Sa Majefté fouhaitoit qu'il tra- vaillât à un groupe , pour accompagner celui de Milon. Mr Pu^et modela fon Andromède , mais fe trouvant incommodé , il la fit ébaucher par un de fes élevés , & la fit préfenter à Sa Majefté par fon fils , après qu'il l'eut finie. Le Roy ne fe con- tenta pas feulement d'honnorer Mf Puget du nom de grand & d'illuftrefculpteur, mais il le traita d'inimitable. *4 Voyage Payant par Marfeille quelques années après , je dis à cet excellent homme que l'on trouvoit la ligure d'Andromède trop petite , & que Perfée paroilloit un peu vieux pour un jeune héros, if me répondit allez tranquillement qu'un de fes éle- vés nommé Verrier , qui eftoit devenu fort ha- bile depuis ce temps là , avoit un peu trop ra- courci la figure d'Andromède en l'ébauchant j que néanmoins on y trouveroit les mêmes proportions que dans là Venus de Mcdicis. A l'égard de Per- fee, me dit-il en riant , le coton qu'il a fur les joues , marque plutôt fa tendre jeunelle qu'un âge plus avancé. Mr Pugct a confervé le dernier ouvrage de fon père : c'eft le bas-relief de faint Charles , ou la perte de Milan eft repréfentée d'une manière h touchante. Ce beau morceau étoit delliné depuis long-temps pour Mr l'Abbé de la Chambre ,• Curé de S. Barthelcmi : mais Mr Puget ne l'a fini que fort tard : Mr fon fils a le modèle en cire de la figure équeftre du Roy y que l'on devoit ériger- dans la place Royale de Marfeille ,• dont Ion père avoit aulîi donné le deffein. Mr Lauthier célèbre Avocat au Confeil & Secrétaire du Roy , ÔC M* Girardon premier Sculpteur de Sa Majefté , con- fervent de Mr Pugct quelques marines à la plume,' qui font d'une beauté furprenante; Egalement heureux dans l'invention ^ la fécon- dité , la noblcrfe , le grand goufl: & la correction du dellein , il animoit le marbre ôc lui donnoit de la tendreflè. Les pierres les plus dures s'amolif- foient fous fon cifeau ,• & prenoient entre (es mains cette flexibilité qui caractérife fi bien les chairs & les faitfentir même au travers des drape- ries. Ce beau feu joint à des expreiïionsii vives & du Levant. ij ii naturelles , eft un don du ciel qui ne s'aquierc par aucune étude. Combien voit-on de figures d'une correction achevée , lesquelles cependant font auiïi froides que le marbre ou la bronze dont elles font faites. Mr Puget mourut à Maricille en 165? 5. âgé de yx, ans. L'Arccnal & le Parc des Galères méritent bien d'eftre vifitez. La grandeur du Rcv & la vigilance O j ÇT> de Monfeigncur de Pontchartrain y paroitlcnt par- tout. La Sale d'armes eft une des plus belles & des mieux entretenues du royaume. Lacorderieen fou genre ne cède à aucun des plus beaux endroits du parc. Il n'y a pas jufqucs aux ateliers des voiles & des tentes des Galères ; à la ferrurerie ; aux ma- gafîns des rames où l'on ne reconnoilie l'ordre &z la propreté de Mr de Montmor Intendant des Galères. Cet Intendant ne prend pas connoillance des affaires du commerce : c'eft l'Intendant de Juftice qui en eft le juge. Il eft à la tefte de la Chambre du commerce , tribunal particulier , compofé des Echevins de la ville , & d'un certain nombre de députez , qui font les plus gros marchands de Marfeille. Cette Chambre fait une penfion de dix- huit mille livres à noftre Ambalfadeur à la Porte , pour (oûtenir les droits que nos capitulations nous donnent par rapport au commerce du Levant. Elle paye fix mille livres par an à Mr l'Intendant, com- me Juge du commerce , de d'ailleurs elle fait tou- cher dans les Echelles du Levant des appointe- mens conii.derables aux Confuls François & à leurs Chanceliers. Les Confuls font proprement des avocats d'épée , s'il eft permis de parler ainfi , & les Chanceliers font les notaires de la nation. La Chambre eft f ouvent obligée à des dépenfes ex- i5 Voyage traordinaircs , fur tout à faire des préfens aux Pa, chas qui arrivent dans les Echelles , & à payer les avanies que les Turcs font quelquefois aux François. Non feulement cette Chambre fe dédommage de tous les frais ; mais elle fait de gros profits fur les droits de Confulat , que payent en Levant les marchandifes que l'on charge dans les villes où il y a des Confuls François : ces droits lont remis entre les mains des députez de chaque Echelle , 6c ces députez en rendent compte à Mrs du commer- ce de Marfeille. Ils ont difpoié des Ccmlulats pen- dant quelques années : aujourd'hui la Cour y pour- voit , & la chambre ne juge dés affaires qu'autant que le lui permet le Miniftre qui a la furinten- dance du commerce. Le commerce des François en Levant efr plus confidérable qu'il n'a jamais été. Il égale & fur- pafïe même celui des autres nations par le bon or-^ dre qu'y a établi Monfeigneur de Pontchartrain : nos marchandifes y font bien reçues lorfqu'elles font de la qualité requife. Ce commerce ne de- mande pas un grand génie : mais beaucoup de droiture Se de probité : toutes les affaires y partent par les mains des Juifs , il faut necertairement s'accommoder à l'ufage du pays , c'eft à dire leur confier nos effets, les vendre fuivant leurs avis , achetter les marchandifes du Levant , & en faire les échanges félon qu'ils le jugent à propos. Les Juifs concluent tous les marchez ; on en eft quitte en leur payant leurs vacations : ainfi il ne faut qu'être fage en Levant pour gagner du bien , ôc fur tout il faut éviter le commerce des Gréqucs , qui (ont les plus dangereufes femmes du monde. Les boutiques des marchands de Corail , les magaûns D V L E V A N T. tj rnagafîns des droguiftes , les rafineries de fucre ^ les manufactures des étoffes d'or &C de foye &C celles du favon méritent d'être veûe's avec foin. On ne trouve des marchands de Corail qu'à Marfeille & à Gènes ; ceux de Marfeiile en débi- tent beaucoup plus : tout l'Orient eft rempli de leurs colliers & de leurs brafTelets. Ce commerce eft très-ancien , car Pline a affure que les Gaulois manquoient de Corail chez eux , pour en faire garnir leurs armes , parce qu'on le tranfportoit tout dans les Indes, où les prêtres enfeignoient qu'il préfervoit de toute forte de dangers. Celui que l'on pèclioit fur la côte de Provence autour des Ifles d'Hiéres & fur les côtes de Sicile étoit le plus recherché. On en pêche encore dans ces quartiers-là : mais la plus grande quantité fe prend vers les côtes d'Afrique auprès du Baftion de Fran- ce , d'où on l'envoyé à Marfeille pour le mettre en œuvre; Mr Salade 3 qui eft un des plus gros marohands de Corail de Marfeille , nous en fit voir de très b~aux morceaux tant bruts que travaillez. Le Co- rail travaillé fe vend environ 5.I. l'once: j'en ay dans mon cabinet de plufieurs couleurs 3 rouge ordinaire * plus pâle ^ ou plus foncé y couleur de tofe , couleur de chair j blanc , moitié rouge ôc moitié blanc , feuille morte , grisdelin frifé > mais ce dernier a été apporté d'Amérique. La pièce la plus remarquable que j'aye fur cette matière , eft un morceau de Corail rouge d'un demi pied de haut , lequel a pris naiflance dans le fond de la mer , fur un plat de terre caifé : cela fait bien voir que les plantes marines ne fe nourrilfcnt pas com- me celles qui nauTent fur la terre •> quelle nourri* * Bift. tint. Ub.yz. (haf,i. Tome I. B iS Voyagé ture pourroit tirer le Corail d'un morceau de ter- re cuite , d'une pièce de crâne humain, d'une bou- teille catlee , d'un caillou très-dur & trcs-folide s d'une coquille ? car il s'en trouve fur toutes ces fortes de corps. J'ai propose ma pensée là-dclfus., dans le lecond volume des a Mémoires de l' Aca- démie Royale des Sciences. Pour ce qui eft des drogues on trouve fur le port de Marfeille , ce que l'on apporte de plus précieux de Smyrne , d'Alep & d'Alexandrie ; fça- voir la meilleure Scamonée , la Calle , la Rhubai- be , le Storax en larmes , le Storax liquide , la Myrrhe , l'Encens , le Bdellium , les Tamarins , le Galbanum , l'Opopanax , le Sagapenum , b le Baume blanc , le Poivre , la Canelle , le fel Am- moniac , & une infinité d'autres chofes. Cepen- dant Marfeille Se Veniie ont beaucoup perdu de- puis que les Hollandois fe font établis 11 puiflam- ment dans les Indes Orientales. Les drogues qui viennent des Indes Occidentales arrivent à Mar- feille en droiture ou par la voye de Cadis : ce font l'Ipecacuana , le Kînkina, le Gingembre, la CafTe des Ifles , l'Indigo , le Roucou , le Baume du Pé- rou , le Baume Cec , celui de Copaive , ikc. On y raffine parfaitement le fucre de nos Ifles d'Amérique : les Savonneries de la ville font très belles auiîi , & non feulement elles confomment les huiles de Provence , mais encore celles que l'on tire de Candie & de Grèce. Après avoir vu ce qu'il y a de plus confîdcra- bîe à Marfeille , comme le vent n'étoit pas encore favorable pour nôtre départ , nous allâmes nous promener à la campagne. La Chartreufe eft une maifon fuperbe &c bien entendue : celles des bour- a Ann. 1700. p. 17. *> Upobaliàmum. DuLlVÂNT. î£ geoîs que l'on appelle des baftides , ne font remar- quables que par leur grand nombre , ôc font (ï fn-ès les unes des autres parmi les vignes , les oli- viers , Se les figuiers , qu'elles rendent le païfage fort agréable; Le terroir de Marfeille eft Un Jardin bien cul- tivé. Comme il eft naturellement allez maigre, on ne laiile pas perdre la moindre crote dans li ville j Se l'on s'eft avifé de mettre à profit jufques aux'excrémens des forçats , qui vuident dans des boe'tcs placées au bout de chaque galère , ce fu- mier fi néceilaire au pays. Le Major des galères en retire un gain confiderable , Se cette terre froi- de & plâtreufe , échauffée par le fumier , produit d'cxcellens raifins , de bonnes olives , Se les meil- leures figues du monde. Pour nous , dont la paiïion dominante étoit d'herborifermous ne pouvions nous lafler de nous promener au tour de la ville Se fur tout dans cette plaine fablonneufe j laquelle s'étend le long dé la mer , depuis la butte du petit Monredon , juf- ques à celle qu'on appelle le grand Monredon, Nous allâmes aUfîi vifïrer les Ifles du chafteau d'If, de a Pomegues , de b Ratonneau , de Maire , Pi. boulen , Riou , Conclu , Collefarcno , Jarret. Enfin après avoir bien attendu le c Nord-ouefr 3 qui devoit nous mener en Candie , nous quittâ- mes le port de Marfeille le 23. Avril j Mais le venn étant trop frais , nous reliâmes entre les Ifles s Se l'on ne mit à la voile qite le lendemain fur les on- ze heures du matin. Noftre barque qui s'appelloit le Saint Efprit étoit commandée par le patron Caries 3 bon homme de mer , qui nous mit dans * Ou Saint Jean. * Milhal. k Saine Eftiennç. Bij %o Voyage le port dclaCanée le 3. May fans avoir rélâché en aucun endroit. On ne voit guéres de paflage fj heureux, Nous fîmes 1600. milles en neuf jours, & nous laiilàmes l'Ifle de Malthe à moitié chemin. La longueur des milles n'eft pas déterminée avec précifion en Levant , principalement fur la mer , où chacun les allonge, & les raccourcit fui- vant fon caprice. Je n'ai jamais trouvé deux pi- lotes qui fullent de même fentiment là-delïùs ; les uns comptent jufqu'à 1800. milles de Marfeille en Candie , les autres n'en mettent que 1^00: nous avons fuivi l'opinion la plus commune , qui eft de 1 600. Il en eft à peu près de même par ter- re j il y a des endroits où les milles font fi courts, qu'il en faut plus de quatre pour faire une lieue de France ; le plus fouvent il n'en faut que trois : delà vient la grande différence 5 ou le jufte rapport qui fe trouve entre les mefures des Anciens , & celles d'aujourd'hui. On ne connoît en Orient ni géométrie ni arpentage , & les terres y font à Ci bon marché qu'on ne prend pas la peine de les mefurer avec exactitude. » v Lsf an t. Lettre I. iî Lettre I. A Monseigneur le Comte de T ont char train , Se ère* taire d'Eftat & des Commandemens de Sa Ma\e- fié, ayant le Département de la Marine , &c. Mo NSEIGNEUR) ' Je ne fais qu'exécuter vos ordres 5 en vous ren- Descri- dant un compte exacl: de ce que nous avons veû ption en Candie , cette Ifle Ci fameuie Ôc h" connue au- ^e l'Jfle trefois , fous le nom de Crète. Depuis mon ré- ,? Can" tour , les lettres que j'avois eu l'honneur de? vous écrire , lorfque j'étois fur les lieux , font devenues un peu plus longues qu'elles n'étoient. Vous m'a- vez permis d'y faire entrer quelques traits d'érudi- tion propre à relever les fujets que l'on y traitera. Je crois qu'elles feront moins languifTantes. Que dire d'un pays habité par des Turcs , quand on fe renferme uniquement dans ce qui s'y voit au- jourd'hui ? Prefque toute leur vie le pafle dans l'oi- fîveté : manger du ris , boire de l'eau , fumer 3 prendre du caffé : voilà la vie des Mufulmans. Les plus habiles d'entre eux , dont le nombre n'eft pas bien grand 3 s'appliquent à lire l'Alcoran , à con- fulter les interprètes de ce livre , à feuilleter les Annales de leur empire : tout cela nous intereflè peu. Il n'y a que la recherche des antiquitez , l'é- tude de l'Hiftoire naturelle , le commerce , qui puilfent y attirer les étrangers. Les relations du Levant feroient donc fort féches , h" l'on fe bornoit à la defeription de l'érat préfent des Provinces foû-< B u) £a Ca- WÉ£. il Voyage mifcs à la domination des Othomans. La paillon que nous avions mes amis Se mol pour la découverte des plantes & des antiquitez , nous fit trouver bien long le partage de Marlcille en Candie , la première Ifle de Grèce où nous de- vions aborder félon vos ordres. Cependant on ne peut guéres fe flatter d'un partage plus heureux ôc plus court. Nous eûmes toujours vent arriére , & nous arrivâmes à la Canée en neuf jours. Vous fçavez , Monleigneur , que les Vénitiens acquirent cette ville avec le relie de la Candie en 1204. Ils pofledérent la Canée jufques en 1645. *> Mouf Capitan Pacha s'étant préfenté devant la filace avec quatre-vingt vailteatix & autant de ga- éres , b la prit en dix jours. Le Sultan Ibrahim le fît étrangler à fon rétour à Conftantinople , pour avoir la confîfcation de fes biens. Néanmoins, Iilouf ne pouvoit pas avoir de grands tréfors. c 11 venoit de fucceder à ce fameux Muftapha , que le Sultan d Mourat aima fi tendrement , qu'il voulut mourir entre fes bras. Aujourd'hui la Canée eft: la féconde place de Tlfle. Outre qu'elle e(t plus petite que Candie , e le Viceroy de cette ville commande au Pacha de la Canée & à celui de Retimo. Toute l'Ifle eft fou- mife à ces trois Généraux , & chacun y a fon dé- artement. On ne compte qu'environ quinze cens urcs dans la Canée, deux mille Grecs, cinquante Juifs , dix ou douze marchands François, un con- ful de la même nation , & deux Capucins qui en font les aumôniers. Le corps de la place eft bon : les murailles font bien revêtues , bien terraflecs , ? Ou Jufuph , c'ejl-a-dire , c Voyages de Du- Loir. Jofeph. d Amurat 1 V. k V0J*£M de Chardin, * Begiieibey. du Levant. Lettre I, % $ «Jefïenduës par un foffé affez profond , &C il n'y a qu'une porte du côté de terre. Les Vénitiens qui avoient fait fortifier cette vil- le avec beaucoup de foin , l'auroient facilement réprife dans la dernière guerre , s'ils avoient fcii profiter du défordre où étoient les Turcs , lorfque les Chrétiens fe préfentérent. Il n'y avoît dans la Canée guéres plus de deux cens perfonnes propres à porter les armes , & la plufpart étoient des a renégats ; c'eft à dire des gens fans foi ni loi , ni Turcs ni Chrétiens , qui fc rangent toujours du côté du plus fort s 8c qui ne cherchent qu'à piller. Si le Général Moccnigo, aulieu de perdre dix-huit jours à menacer les Turcs & à les faire fommer de fe rendre , eût fait canoner vigoureulement la place j il l'eût fans doute emportée ; au lieu que la brèche ne fut faite qu'après que le Pacha de Retimo , reconnu pour habile officier , y eut fait entrer du fecours. D'ailleurs les deferteurs Fran- çois , après la mort de Mr de Saint Paul leur com- mandant , qu'un coup de canon mit en pièces, n'e- tans nourris que b depouffiére debifeuit , remplie de crotes de fouris , fc jetterait dans la ville parmi coup de défefpoir , où la mifére réduit fouvent les braves gens. Il falloir aufïi faire le débarquement àlaCulate, au fond du golphe de la Sude , dont les Vénitiens font les maîtres , &c fe rétrancher fur les hauteurs voifînes, au lieu de les lauTer occuper par le Pacha de Retimo , qui ne celToit de harce- ler les affiégeans par fes détachemens. Les Véni- tiens crurent (ans doute que le fecours de Candie viendioit par mer , & ne jugèrent pas à propos que leur Hôte s'éloignât de la côte de c Sant Ode- c Saine Théodore. Bourma. Fiifopc. B iiij ■ '£4' V O Y A G E ro. Deux frégates bien armées fufrifoient pour blo- quer le port de la Canée. Ce port , quoique fort exposé au Nort , ou à la tramontane , comme l'on parle fur la méditerra- née , feroit allez bon s'il étoit entretenu. On y yoit encore les ruines d'un bel arcenalbâti par les Vénitiens, à gauche tout au fond du baiîln. Il n'y refte plus que les voûtes des ateliers où l'on tra- yailloit aux galères. Les Turcs négligent entière- ment l'entretien des ports Se des murailles des villes. Ils ont un peu plus de foin des fontaines , parce qu'ils font grands beuveurs d'eau , & que leur ré-ligion les oblige de laver fort fouvent tou- tes les parties de leur corps. L'entrée du port de la Oanée eft deftendu'é à gauche par un petit fort où eft le fanal. Le château qui eft à droite au delà du premier baftion , eft tout à fait ruiné. On trouve après qu'on a pafle le fanal , une mofquée aftez jolie , dont le dôme eft bas & arrondi. Le frontik pice eft à plufieurs arcades , chargées d'autant de petits dômes de même profil que le grand. La mai- fon des Capucins François eft auprès de cette mof- quée : leur chapelle eft une chambre allez mal bâ- tie , encore plus mal ornée , deifervie par deux Religieux de la province de Paris, dont l'un porte ïe nom de Supérieur , &: l'autre reprefente le refte de la communauté. Mrs les députez du commerce leur donnent cent quarante écus par an ; nôtre çonful , les marchands , &: les matelots leur font des chantez. A l'égar4 des rnaifons de la Canée , elles font fort fîmples, comme par tout le Levant : les mieux bâties n'ont que deux étages , dont le premier qui eft au rez de chauffée , fert de falle baîFe 3 de ma- gafîn 3 de cellier , & d'écurie. Les murailles font du Levant. Lettre I. £J de maçonnerie à cncoigncûres de pierre de taille. De ce premier logement on monte au fécond , par une échelle de bois a(Tez droite : ce fécond étage eft divifé en differens appartenons , fuivant l'é- tendue du lieu , & couvert en terrafle , où l'on n'employé ni plâtre , ni brique , mais feulement des planches de fapin , afTemblées en plafond s & clouées à une efpece de chafïisde lattes à quarreaux d'environ un pied de diamètre : ce plafond eft foûtenu par des fabliéres de chêne , pofées à deux ou trois pieds les unes des autres : en dehors il eft revêtu d'une couche de terre détrempée comme du mortier , battue pendant long-tems , 3c pavée de ces petits cailloux , qui fe trouvent dans les lits des torrens. On ne donne de pente à la terrafïè, qu'autant qu'il en faut pour l'écoulement des eaux; on s'y promène , quand il fait beau a ôc même l'on y couche dans les grandes chaleurs : voilà jufques où les Candiots ont porté l'art de bâtir. Il faut ré- parer tous les ans ces couverts , mais l'entretien coûte encore moins que la fabrique. Outre ces toits en terrafl'e , chaque maifon a communément une autre petite terralfe de plein pied au fécond étage : ce n'eft proprement qu'une chambre dé- couverte } garnie de quelques pots de fleurs : cette rerralfe eft d'un grand (ecours pour la famé ; car la plufpart des maifons de la ville étant tournées au Nord , on en ferme les fenêtres , lorfque le vent du Nord règne , & alors on ouvre la porte de la terraffe , qui eft au midi. Au contraire , on ferme cette porte & l'on ouvre les fenêtres expofées au Nord, lorfque les vents du midi 11 dangereux par tout le Levant , commencent à fe faire ientir : ces vents font quelquefois fi chauds , qu'ils fuftb- quent les gens en pleine campagne. i6 Voyage Les environs de la Canée font admirables , de-, puis la ville jufques aux premières a montagnes, La campagne qui s'étend jufques à la b dilate efl de la même beauté. Ce ne font que forêts d'Oli- viers auiîi hauts que ceux de Toulon & de Se vil- le. Ils ne meurent jamais en Candie,parce qu'il n'y gèle pas. Ces forêts font entre-coupées de champs, de vignes, de jardins, de ruiifeaux \ & ces ruiiléaux {ont bordez de Myrte & de Laurier-rofe. Mr Truilhart que vous avez pourvu , Monfei- gneur , du Confulat de la Canée, nous reçeût chez lui avec toute forte d'honnétetez. Il nous afieûra qu'en l'année 1699. on avoir recueilli dans l'-lflc trois cens mille c mefures d'huile. Que les François en avoient acheté près de deux cens mille à la Ca- née , à Retimo , à Candie de à Girapctra où fe font tous les chargemens. La récolte des huiles aveit manqué cette année en Provence , & l'on ne vo- yoit arriver en Candie que des bâtimens de Mar- feille , pour fournir aux favonneries du pays. La mefure ordinaire d'huile péfe huit oques Se demie à la Canée ; à Retimo elle en péfe dix : l'o-r que péfe trois livres deux onces , qui font quatre cens drâgmes , fuivant la manière de compter des Orientaux. La livre efl; de cent vingt-huit drâ- gmes , & la dragme de ioixante grains. Les meil- leures huiles de l'Ifle font celles de Retimo &de la Canée : celles de Girapctra font noires & bour- beufes , parce qu'avant de vuider leurs cruches , ils brouillent avec un bâton l'huile Se la lie , &£ vendent le tout enfemble. En 1700. les huiles après la récolte ne valoient que 36 ou 40 parats la me- a O"(oi Titvpoi. Sude. Strab. Rerumgeo 7. l'ib. 10. c Miltachcs. * Fond du Gohhe de U du L e v a n t. Lettre I. ij fure , ou tout au plus un a abouqucl , qui vaut 44. parats à la Canée & 42. feulement à Retimo. L'emprefTement de nos marchands , malgré les or- dres que vous aviez donnez , Monfeigneur , de ne faire partir les Bâtimens que par rang , fit monter la mefure jufques à 60. ou 66. parats : ces parats font des pièces d'argent de mauvais alloi, delà valeur de fix liards de France , ou dix-huit deniers de Provence. Outre les forêts d'Oliviers , il y a beaucoup de jardins au tour de la' Canée, plantez tout de même que ceux du refte de la Turquie, fans ordre, fans fimetrie , fans propreté. Dans ces vergers négligez, les arbres ne donnent que de mauvais fruits : on n'y cultive que de méchantes cfpéces & l'on ne fçait ce que c'eft que les greffer, Les Figues y font fades & les Melons n'y valent gueres mieux. Nous allâmes nous promener au Varrouii , pour voir le jardin du ù Gouverneur de la ville , dont on par- loit comme du Paradis terreftre. Avant que de le décrire , il eft bon de remarquer que le Varrouii étoit autrefois le plus beau bourg de Candie. Les Turcs le brûlèrent pendant le dernier fiége de la Canée,de peur que les Vénitiens ne s'y établi(fcnt. Les Grecs , foit artîfans , ouhabitans de la Canée étoient obligez d'aller coucher toutes les nuits à ce bourg , ou plûtoft à ce fauxbourg de la ville, dans laquelle ils revenoient le matin à l'ouverture de la porte de terre. On a voulu les obliger à le réta- blir ; mais comme leur mifére eft extrême , ils n'ont fçû le relever , & l'on n'y voit que de pito- 0 Ecu d'Hollande , qui répond et celui de France. L'A- bouquel s'appelle aujfî Alla- ni , à atufe de la figure du Lion que les Turcs appellent Aflan. <> DUdar. t8 Voyage yables relies de l'incendie. Perfonne n'a profité de la deftruction du Varrouil 3 que nos François qui s'y ruinoient en plaifirs. Le jardin de ce Gouverneur eft un petit bois d'Orangers , de Limons , & de Cèdres entremêlez de Pruniers, de Poiriers & de Cerifiers. Les Oran- gers y font pour le moins auffi. forts que dans les plus beaux * vergers de Lisbonne 3 quoiqu'ils y foient encore plus négligez ; malgré cette négli- gence , tous chargez de bois , ou mort , ou fuper- flu , ils donnent des fleurs avec profufîon, entarïees par gros bouquets les unes fur les autres. On ne cultive en Portugal que cette excellente efpéce d'Oranger connue par toute l'Europe , fous le nom d'Oranger de Portugal , & que les Portugais nomment b Oranger de la Chine : on ne la con- noît pas en Candie , ni dans le relie de la Turquie, Dans ce pays-là chacun fe contente de ce qu'il a trouvé dans fon jardin 8c de ce qui y croît fans culture : aulîi tout y eft fauvageon. L'Orange or- dinaire du Levant eft la groffe c Orange douce, ou plûtoft fade , couverte d'une écorce épailfe, amére & comme fpongieufe. On y élevé des Bigarrades & des Cèdres ou Poncires : ces Poncires font de beaux fruits ; mais on n'en fçauroit guéres man- ger s'ils ne font confits , & les Candiots n'ont pas l'efprit de le faire. Le jardin du Gouverneur de la Canée étoit entretenu , ou plûtoft négligé par un malheureux d moine Grec qui n'avoit pas feule- ment une chemife , & qui ne fçavoit ni lire ni écrire , non plus que trois ou quatre de {es con- frères , que la gratelle devoroit. Ces pauvres gens a Quintas , en Portugais. B. Pin. 436. b Naranca da China. * Caloyer, c Malitf Aurantia major C. ï> ti tsvAHT. Lettre î. 2§ nous prefentérent quelques branches d'Orangers chargées de rieurs 6c de fruits. Nous leur apprîmes à fe guérir par le moyen du fourre. En revenant à la Canée , nous fumes fort in- commodez de l'horrible puanteur des cimetières. Tout le monde fçait que les Turcs enterrent les morts fur les grands chemins ; cette pratique feroit excellente , s'ils faifoient les folles allez profondes: comme la Candie eft un pays fort chaud , on fent de très-mauvaifes odeurs, quand on eft au delfous du vent : les Turcs élèvent une pierre à chaque bout de la folfe ; quelquefois c'eft un pilier de mar, bre orné d'un turban s au lieu de chapiteau j on diftingue par là les endroits où l'on a enterré des perfonnes de quelque confidération. Je ne fçaurois m'empcfcher de parler ici de l'é- tonneraient où nous fûmes Mr Gundelfcheimer & moi t dans cette première promenade, Débarquez à la Canée , à peine eûmes-nous falué le coniul , que nous courûmes à la porte de la ville , avec le a Chancelier de la nation , pour voir quelles plan- tes produifoit cette belle terre de Candie 3 après laquelle nous foupirions depuis Marfeille. Il croît dans les rues de la Canée une efpéce de b Juliene à grande fleur & à feuilles luifantes , qui n'eft pas à négliger : nous nous flations de trouver quel- que chofe de plus rare hors de la ville , mal- heureufement nous n'en prîmes pas le chemin. Suivant les murailles à droite , nous parlâmes par des terres iî gralTes , qu'elles ne produifent que du foin & d'autres plantes fort communes. Je m'ima- ginai être à Barcelonne ; où , de même qu'à la Ca- née , tous les remparts font couverts de ces fleurs * M. Efmcnard. ma , folio craflb lucide , v Hcfpcris Crccica. maiiti- magno florc^ }o V O V A G S jaunes , que les£recs n'ont pas crû pouvoir défi- gner plus proprement que par le nom de a fleurs dorées. Nôtre étonnement augmentoit à mefure que nous avancions vers la mer , où nous efpe- rions pourtant de mieux trouver nôtre compte. En effet , nous commençâmes à nous confoler à la veué" de b l'Acanthe épineufe que noUs n'avions veû que dans des jardins de l'Europe , Se bien fou- vent on n'a pas moins de plaifir à trouver une plante rare dans fon lieu naturel , que d'en décou- vrir une inconnue. Cet endroit cft une cfpéce de plage couverte de c Polium cotonneux de P. Alpin fameux Profelleur de Padouë , qui la décrivit & la fit graver , il y a près de jo. ans , comme une plante différente de celle que C. Bauhin , célèbre Profeifeur de Bafle , avoit nommée d Gnaphalium maritime : je puis affeurer que ces deux plantes ne différent en rien. P. Alpin fuivant les apparences n' avoit pas veû la plante de C. Bauhin , quoiqu'elle foit très-commu- ne en Italie fur les bords de la mer, On ne voit à la Canée fur la plage dont nous parlons , que e Chicorée épineufe , & Thym de Crète ; mais ces deux plantes aiment les landes & les rochers. Je fus ravi de revoir en Candie le f Thym de Crète , que j'avois obfervé depuis quelques années auprès de Seville & de Carmone en Andaloufie. Néan- moins comme nous nous attendions à quelque * Chryfanthemum flore par- tim candido , partim iuteo C.B. Pin. 154. & Chiyfan- themum Gxticum Cluf. Hift.3^. b Acanthus aculcatus C. B. Pin. 383. « Polium Gnaphaloïdcs Pro- fperi Alpini Exor. 146. * Gnaphalium maritimum C. B. Pin. 163. * Cichorium fpinofum C.B. Pin. 116. f Thymus capicanis , qui Diofcoiidis C. B.Pin. ii£< I tv Levant. Lettre ï. $ i chofe de plus extraordinaire , nôtre chagrin rêve- noit à chaque pas que nous faifions : car enfin , Monfeigneur , nous n'étions venus en Candie que pour hcrborifer , 6c c'étoit fur la foi de Pline Se de Galien , qui ont préféré les plantes de cette Ifle à celles du refte du monde. Nous nous regardions ^^4*cj, faudrait écrire Calogcrs, Toni .1. Page /} ' / O rchis Cretica, mcLx.irrxcv^A J'icrre pïillii JL vis cep alur formai Grrolt.Tnfb.~ELe*, fiera. $o . du Levant. Lettre /. % 7 Ce feroit ici l'endroit de vous parler , Monfei- gneur, de la règle qu'obfervent ces religieuxunais vous me permettrez de continuer la relation de notre promenade , & de referver pour une lettre particulière , tout ce que j'ai appris touchant l'é- tat préfemt de l'Eglife Gréque. Nous obfervâmes donc autour du couvent de la Trinité , plusieurs plantes rares , parmi lelquelles il y a une efpéce a d'Orcbis dont la fleur cft d'une beauté furpre- nante. La racine cft à deux tubercules blancs , char- nus, prefque ovales, d'environ 15. lignes de long, pleins de lue , plus chevelus que ne le font les tu- bercules des efpéces de ce genre , dont les fibres fortent feulement du bas de la tige : la tige de cel- le dont nous parlons , cft d'environ un pied de haut , fur quatre lignes d'épailleur , garnie à fa naiflance , en manière de gaine , de deux ou trois feuilles longues de trois pouces fur près d'un pou- ce & demi de largeur, venées, vertgai , beaucoup plus petites le long de la tige , furtout dans les endroits d'où les fleurs naiflent de leurs aiftelles: la coiffe ou la partie fuperieure de ces rieurs eft à cinq feuilles , trois grandes & deux petites , les grandes ont fîx ou fept lignes de longueur , fur trois ou quatre de largeur,cambiées,pointuëSjCOU- leur derofe, raïées de vert fur le dos : les deux pe- tites feuilles font pofées alternativement parmi les grandes ; à peine ont-elles trois lignes de lon- gueur , fur une ligne de largeur : la feuille infé- rieure de cette fleur , qui eft la plus grande & la plus belle de toutes , a près de 1 5 . lignes de long, 6c commence par une manière d'eftomac de pi- 4 OacHis Crctica , maxinu , flore pallii efpifcopalis forma Cotol. Inft. Rci tkïb 30. C iij I $3 V O V A G I geon vert jaunâtre , donc la tète tire fur le vert ; le refte de la feuille ellune elpécede chape d'Evè- que, arrondie &c chantournée en bas , retrouifée , découpée en trois parties dont la moyenne eft la moindre, légèrement crénelée, &qui paroît com- me échanerce ; les deux autres parties font plus pointues : la chape eft minime tanné , veloucée , relevée de je ne lçai quoi de purpurin & de bril- lant comme le dos des abeilles ; deux éminences pointues, vert jaunâtre & velues, s'élèvent un peu au deflous, & à côté de l'eflomac de pigeon^ &c cet eftomac fait une partie d'un cartouche oblong , dont le bas qui eft minime fauve, eft orné de fleu- rons jaunâtres , terminez en manière d'ancre : le fleuron inférieur eft relevé d'une tache allez groife de même couleur que le cartouche : la queue de de cette fleur eft longue d'environ un pouce , é- pailfe 4c deux lignes,&: comme torfe : elle devient Je fruit dans la fuite : nous ne l'avons pas vu dans fg maturité. Pu couvent de la Trinité nous allâmes coucher à celui de faint a Jean , à l'entrée du cap Mélier , dans une petite plaine d'où l'on defeend toujours pour aller à la pointe du cap. On trouve fur le chemin un autre monaftére du même nom, lequel a été fi fouvent pillé par les corfaires , qu'on l'a Jaiflé tomber en ruine , quoique la maifon fuft bien bâtie , 5c la folitude agréable ; on y defeend ] par un efcalicr de 135. marches, taillées dans le roc, parmi des précipices horriblement efearpez , , $ç tapiffez de ce beau b Dictame de Crète dont les anciens ont dit tant de merveilles : il y fleurit * lAivtwig/i 15 ùptou loûwov. fe O^iganum Creticum la. sifoiium , comemofum, feu Dittamnus Crcticus Inft, Rci Hcrb. J55. du Lfvant. Lettre I. $9 1 prefqur toute l'année de même qu'à Paris dans le Jardin du Roy ; nous n'avons veû cette plante qu'en Candie ; & Ci a Dîofcoride en eût fait le vo- yage , il n'auroit pas allèuré qu'elle ne porte ni fleurs ni graines. Le cap Melier eft un des plus beaux endroits de l'Ifle pour herborifer : c'eft là que nous cbiervâmes pour la première fois cette belle plante que Profper Alpin a nommée D l'Ebé- nier de Crète , bien qu'elle nJait aucun rapport avec le véritable Ebénier. Le cap Melier , au Levant & à l'abri duquel font l'Iiie 8c la ville de la Sudc, que les Vénitiens polTédent encore, s'appelle Cabo Afalcca ; mais on ne fçair pas précifément quel nom les anciens lui ont donné. A fuivre le dénombrement des lieux remarquables de Crète, dont c Ptolemée fait men- tion en parcourant la côte du nord du levant au. couchant ; il fcmblc que le golphc de la Sudc, le meilleur & le feul golphe de l'Ifle, doit être celui d d'Amphimale , puifqu'il le nomme immédiate- ment après Retimo. A quel propos cet auteur auroit-il parlé de la rade courbe , qui eft entre Retimo & la Puma, de Drvffano s où il n'y a point d'endroit propre à fervir de retraite aux vaifteaux» Cela eftant, le cap Melier doit eftre le cap Drepa- nurn de Ptolemée, puilqu'il eft au delà, &au cou- chant du golphe d'Amphimale , que i'on fuppofe avec raiion être celui de la Sude : tout cela feroic fans difficulté , fi ce n'eft qu'on appelle aujourd'- D'tcfc. Ub.}. cap. 16. Eu en Us Crctica P Alp. Txot 178. Barba Jovis Lagopoïdes, Ciccica , fru- tefeens, incana , flore fpi- cato , putpureo , amplo Bicyn. Piodr. i. c Gecgr. lib.%. cap. 17. d A' (/.<$< futXÎfi t($Xms. Ptol. ibid. Stepban. Amphimalla. Plin. H Ji. nat. lib. 4. cap. 1 1 C iiij 49 V O Y A G B Hui U VuntA de Drepano, un autre cap fituéau Le- vant du golphe de la Sude, en venant vers Retimo, ôc c'eft la refteniblance des noms de Drepanum &c «de U Punta de Drepano, qui fait ici tout l'embar- ras. Ou Ptolemée avoir été mal informé de cette côtejou l'endroit qui en fait mention eft corrom- pu ; ou les gens du pays ont depuis ce temps-là renverfé les anciens noms. Si l'on veut préférer la defeription de Ptolemée à celle de Strabon 3 la rade de Retimo, fera celle d'Amphimale ; la pun- ta de Drepano, le cap Drepanum ; Paleocaftro qui eft vis-à-vis la Sude , fera la ville de Cydonia. Il faudra prendre le cap Mélier pour le cap Cya- mum : le cap Spada pour Pfacum, & celui des Gra- bufes pour Corycus \ mais ne vaut-il pas mieux fuppofer que Ptolemée a parlé du golphe de la Su- de fous le nom d'Amphimale,que de l'aceufer d'a- voir oublié le plus beau port de l'Ifle , pour faire mention d'une rade découverte & dangereufe J On ne fçauroit tirer aucun éclairciuement du dé- nombrement que a Pline a fait des villes de la même côte : il les nomme fans exactitude , quoi- qu'il femblc qu'il ait voulu les parcourir du cou- chant au levant. Pour revenir au cap Mélier ou Maleca?comme prononcent les Grecs & les Italiens, (\ l'on prend Amphimale pour la Sude , le nom de Maleca en eft peut être l'abrégé , comme le nom de la ville d'Aix eft certainement le iquelet à' A- quâ.fexÙA. On a d'abord retranché Auiphiy com- me une chofe inutile & embarralîante ; de Mdla on a fait Maleca ou Àleleca j & de Mêle c a on a fait Mélier, Nous retournâmes à la Canée nous décharger de nôtre moiflon, & nous n'en partîmes que le 14» ? Hlji.nat. ibid. du Levant. Lettre T. 4.1 Mai , pour aller à Retirno. On coucha à Stilo, vil- lage à dix milles de la Canée. Le zj.nous dinâmes à Almyron, à dix milles de Stilo. Almyron efl un petit fort à quatre mauvais baftions à l'entrée d'u- ne gorge tout près de la plage : on fe repofe à côté du fort dans un cabaret où l'on ne trouve que deux grands Sophas , de l'eau , ôc du cafte ; ainfi l'on y mourroit de faim , fî l'on y arrivoit fans proviilons:à quelques pas du cabaret coulent deux belles fources , l'une d'eau douce, & l'autre d'eau falée, d'où vient le nom a à' Almyron : on marche pendant quelque temps fur le bord de la plage, au bout de laquelle il faut parler une petite rivière : enfuite pendant plus de quatre milles , le chemin cil affreux , pratiqué dans les rochers jufques à la veuë de Retimo : ce chemin eft pavé pour ainfi dire, de la plante nommée b Ixia , par Théophra- ftc , 8c Cbam&leon blanc , par fes interprètes aufïï bien que par Diofcoride : je l'ai rangée fous le genre de Cnicus, à caufe de la ftructure de fa fleur & de fon fruit. Columna en a donné une excel- lente figure : celle du Carâuus pinea Theophrafli de Proiper Alpin , la repréfente lors qu'elle eft en graine , & que fes feuilles font paflees , ou rôties pour mieux dire , par la chaleur du foleil. Theo- phrafte remarque que cette plante donne de la gomme en Crète : les habitans la mâchent tout comme le maftic de Scio,non feulement pour cra- cher ; mais pour adoucir l'haleine : cette plante eft fort commune dans les Ifl.es de l'Archipel , en Grèce, en Italie , en Portugal. • K'ifivçts , falfus. b lgi« , Theoph. Hiji. Pfont. Diofc. Itb. 3. cap.j o. Cuicus Carlinx folio , acau- los , gummifer, aculcatus, flore purpurco Coiol. Inft. Rci Hcrb. 3}. Coiumn* part. I. Profp. Alp. Exot. 114. 4i Voyage Reti- a Retimo eft la troifiéme place du pays : les Mo. Turcs la prirent en 1647. & depuis ce temps là elle eft gouvernée par un Pacha , fournis au vicc- roy de. L andie. Retimo s'étend fur le port,& nous parut plus gaye & plus riante que la Cance3 quoi- qu'elle foit plus petite ôc enceinte de murailles plus propres à fermer un parc, qu'à detfendre une place de guerre. La citadelle n'a été faite que pour garder le port : elle cil fur un ccueil cfcarpé,avan- cé dans la mer , & feroit très forte Ci elle n'étoit dominée par une roche plate , qui eft fur le che- min d'Almyron. Cette citadelle commande un fort que l'on avoit conftruit à l'autre extrémité de la ville s pour la fureté du port : ce fort eft apre- fent ruiné & le port tout-à-fait négligé. Les vajf- feauxde guerre venoient autrefois mouiller dans la darfe au deftous de la citadelle ; aujourd'hui les barques & les marfiliancs peuvent à peine s'y retirer. 1571. Pendant que les Turcs afliégeoient Famagou- fte, dans l'Ifle de Chypre , Ali BafTa Capitan Pa- cha voulut tenter une irruption en Candie b : on avoit fi bien pourveu à toutes les places , qu'il n'y eût que Retimo de faccagée par Ulus-Ali général des vaUîeaux de Barbarie. La campagne de Retimo n'eft que rochers du côté du couchant : elle eft fort belle fur la route de Candie. On ne voit tout le long de la marine que jardins que l'on arrofepar le moyen de grands puits à bafcule : on y mange des cerifes plus pré- coces que dans le refte de l'Ifle : tous les fruits y font de meilleur gouft : la foye , la laine , le mici3 a Pi8i/ft»«- Ptol. Geogr.lib.}. cip 17. Rithymna. tlin. Hifi. mt. lib. 4. cap. il. k Leuncl.Suppi. Armai. I I du Levant. Lettre /. 45 la cire ,' le ladanum , les huiles & les autres den- rées en font plus recherchées : les eaux de cette ville fortent à gros bouillons du fond d'un puits dans une vallée étroite , à un quart de lieue de la ville , tirant vers le midi : ta décharge de cette belle fource eft conduite à Retimo ; mais on en lailïe perdre plus de la moitié. On a bâti fur le chemin qui conduira la vallée, une alfez belle Mofquée, dans la cour de laquelle un Turc a fon- dé une a hôtelerie,pour loger & pour nourrir gra- tuitement les voyageurs qui arrivent après qu'on a fermé les portes de la ville , ou qui ont delfein de partir avant qu'on les ouvre. Cette maifon eft bien entretenue : on y cultive une belle efpéce de b Pied de Veau , que la plufpart des auteurs ont prife pour la Colocafioi des anciens : les gens du pays en mangent la racine en potage. La Malvoifie de Retimo étoit eftimée dans le temps que les Vénitiens polledoient cette Me : c Bélon alfeure qu'on faifoit bouillir cette liqueur dans de grandes chaudières, le long de la marine: on en fait ù peu préfentement , qu'il ne nous fut pas pofïible d'en goufter , quoique nous fufîions logez chez le Vicecohful de France le Docteur Pa- telaro, chez qui nous finies bonne chère. Ceft un beau vieillard, de beaucoup d'efprit , & charmant par cette éloquence gréque, qui triomphe dans la couver (ation. Il étoit fort jeune lorfque les Turcs le rendirent les maîtres de la Canée : fa mère fut emmenée à Conftantinople , & préfentee comme une belle efclave au Sultan Ibrahim , qui en fit • Caravan <• Sarai , Keup/tx- &fru, maifon pour loger les Caravanes. \ Arum maximum , jEgy- ptiacum , quod vulgô Co- locafia C. B. Pin. 19*. Obferv. iib.li cap. 19. 44 Voyage préfent au grand Vifîr : ce Vifir en eût un enfanr, qui fut tué au dernier flége de Vienne où il étoit officier général. Le Viceconful eft du rite grec. Il fut élevé à la manière du pays ; mais comme il montroit plus de génie que les cnfans de Ton âge n'en ont ordi- mirementjfes parens l'envoyèrent étudier en droit, & prendre fes degrez à Padouë. Etant de retour en Candie , il partit pour Conftantinople dans le defTein de voir fa mère, qui étoit devenue fort ri- che, & il fe fit connoître à elle par une verrue pla- cée à côté de l'oreille vers la foiTetc : cette verrue qu'il ne manqua pas de nous montrer, eft chargée d'une tache noirâtre , dont la figure approche en quelque manière de celle d'un croiflant. La mère fe reflbuvint de cette marque , & voulut lui per- fuader par là, qu'il étoit deftiné à être Mufulman : on le follicita puilfamment ; on lui fit même acce- pter des terres affez considérables en Valachie : mais tout cela ne fut pas capable de le gagner ; il remît fes terres peu de jours après,ôc protefta qu'il vouloit mourir dans la religion de fes pères : il mène une vie allez douce, fous la protection de la France. Les hayes qui régnent le long de la marine, en forçant de Recimo , ne font plantées que de cette efpéce a d'Arroche , que les anciens ont connue" fous Je nom d' Halimus. Solin a crû qu'elle étoit particulière à l'Ifle de Crète : j'en ai veu pourtant beaucoup en Efpagne, dans l' Andalousie & dans le Royaume de Grenade. * Acriplcx latifolia.livc Ha- limus fraticofus Moi.Hift. Oxon. part. t. 607. A"*^oS Dio/c. lib.l. cap.iio. Herba A'/<«oj dicicur.ta ad- morfa diurnam famem prohibet. Pioincle & ha:c Crctica eft. Soim. Polybiji. ca,f. II. vv Livànt. Lettre T. ^ Le 16. Mai , nous dînâmes fous un beau Plata- ne , auprès d'une fource , à dix mille de Retimo , fur le chemin de Candie : cette eau qui fort du creux d'un rocher pourroit faire tourner plusieurs moulins. Nous obfervâmes d'aflTez belles plantes aux environs, & fur tout une efpéce de a Phlomis, aflTez fînguliére, que nous n'avons pas vue* dans les autres Ides de l'Archipel. On coucha ce jour là à Daphnédes , gros village dont l'avenue' eft une ef- péce d'échelle taillée dans les rochers , où les che- vaux ne fçauroient monter fans rifque:nos guides nous piquèrent d'honneur , & commencèrent à les faire efealader avec une hardieife étonnante : nous franchîmes le pas comme les autres. On nous mena chez le Papas , qui étoit le premier du villa- ge : nous nous y délaflames agréablement. Les col- lines des environs font d'une verdure charmante: les Oliviers , & les Vignes y font de beaux points de vue , parmi de petits bois de Meuriers & de Figuiers. Le 17. Mai , nous ne fîmes que 17. milles , & nous féjournâmes à Damafta , autre village, donc la campagne nous parut propre pour la recherche des plantes ; mais nos peines ne répondirent pas à nos fouhaits. Le lendemain z8. après avoir paiTé par des pays bien rudes & bien fecs , nous allâmes coucher à Candie à dix-huit milles de Damafta. J'ai l'honneur , Monfeigneur, de vous envoyer le profil de cette fameufe place, telle qu'on la décou- vre en arrivant par le chemin de Retimo. Candie eft la carcalïe d'une grande ville , bien peuplée du temps des Vénitiens , marchande , ri- che & tres-forte : aujourd'hui ce ne feroit qu'un * PhlomW Crctica , fruticofa, folio fubrotund© , flore lvteo Corol. Init. Rci H«b- 10. Can« 46 Voyage défcrt, fi ce n'étoit le quartier du â marché, où les meilleurs habitans le font retirez ; tout le refte n'eft que mafures, depuis le dernier fîége,l'un des plus confîderables qu'on ait fait de nos jours.b Mr Chardin alfùre que dans le mémoire préfenté au Divan par le grand Thréforier de l'Empire , tou- chant les dépenfes extraordinaires faites en Can- die pendant les trois dernières années du fiége , il étoit fait mention de fept cens mille écus, emplo- yez en récompenfes données aux deferteurs qui s'éroient fait Turcs ; aux foldats qui s'étoient di- ftinguez, Se à ceux qui avoient apporté des teres de chrétiens qu'on avoit payées à un c fequin pièce. Ce mémoire marquoit qu'on avoit tiré cent mille coups de canon contre la place ; qu'il y étoit mort fept Pachas , quatre-vingts officiers tant colonels que capitaines , dix mille quatre cens janiiîaires , fans compter les autres milices. Le port de Candie n'eft bon que pour des bar- ques : les vaifleaux fe tiennent à l'abri de l'Ifle de Dia, fituée prefque vis-à-vis de la ville au nord- eft,& que les Francs appellent mal à propos d Stan- dla. Il eft aifé de faire voir que les Sarraiins ont bâti Candie fur les ruines de l'ancienne ville d'Hé- raclée. e Strabon nous en fournit une preuve dé- monftrative , en décrivant l'Ifle de f Théra , la- quelle, dit-il, répond à l'Ifle de Dia, & cette Ifle, fuivant le même auteur , fe trouve vis-à-vis d'Hé- raclée port de mer des Cnoflîens. La ville de Candie eft fans contredit la Canda- ce des Sarraiins. Scylitzes remarque que dans la a Bazar. ■ Voyages de Chardin. * Monnaye d'ort de la valeur 4t deux icHS & demi. Eh T»t AleK. Rerttm G?ogr. lib. 10. Sanc-Eiini , on Santonn. du Levant. Lettre /. 47 langue de ces peuples a Cha.nd.AX lignifie un re- tranchement : Se certainement ce fut là que , par l'avis d'un moine Grec , les Sarrafîns Te retranchè- rent du temps de l'Empereur Michel le Bègue. Il paroît plus naturel de faire venir le ncm de Can- die, de ChanddXy que de Candida, nom que b Mo- roiïni a donné à cette place. Pinet dans fa tradu- ction de Pline, iv*a pas eu raifon de prendre Mira- beau pour Héraclée. Suivant c Strabon, Héraclée croit vis-à-vis de Dia ; & fuivant Ptolemée , près du cap Salomon. Il faut s'en tenir à la décision de Strabon, beaucoup mieux informé de la fituation des villes que Ptolemée. Ceux qui croyent que Candie efl l'ancienne ville de Matium, rétablie par les Sarrafms, ne s'é- loignent peut-être pas trop de la vérité , fuppofé que dans le dénombrement que <* Pline a fait des Kles qui font fur la côte de Crète , on doive lire 3 comme il y a beaucoup d'apparence , Dia au lieu de Via ou de Cia, qui fe trouvent dans les éditions de Daléchamp & de Gronovius. Cela étant Héra- clée &c M.itiurn, ne feroient peut-être que la mê- me ville qui auroit eu ces deux noms en differens temps. Il eft. à remarquer que Strabon & Ptole- mée n'ont pas fait mention de Matium , & Pline rapporte ces deux noms tout de fuite : peut-être qu'il faut lire Matium Heraclea. fans virgule,com- mc qui diroit Matium appellée autrefois Héra- clée : il fe peut faire aufîî que Matium & Héra- clée ayent été deux villes diff rentes affez près l'u- ne de l'autre , & qui par conséquent répondoient toutes les deux à l'iile de Dia : car cette Ifle qui eft au nord-eft de Candie, pouvoit faire un triant * X*»&»f. Scylitx.. pag.\Q9, * Ho*%M»r. * WJl, Venet, lib.lu * Hijl.nar.lib.+ ctyTi. 48 Voyagé gle équilateral avec les deux villes eri queftîonide telle forte que Strabon & Pline auroient eu raifon dedéfigner leur pofition par celle de Dia. Comme Strabon dit poiitivement qu'Héraclée étoit le port de mer des Cnofliens, les plus puiirans peuples de Crète, il n'y a pas de doute que Candie, feul port de mer confidérable dans tous ces quartiers , n'ait été bâtie fur les ruines d'Héraclée. Suivant cette conjecture , la ville de Matinm devoit être plus orientale. Quoique la ville de Candie foit négligée au- jourd'hui, fes murailles ne laillent pas d'être bon- nes & bien terrafTées : c'eft encore l'ouvrage des Vénitiens : à peine les Turcs ont-ils reparé les brèches du dernier lîége. On compte dans cette ville environ 800. Grecs payans capitarion ; leur Archevêque eft le métropolitain de tout le ro- yaume. On fait monter le nombre des Juifs , juf- ques à mille. Pour les Arméniens,ils n'y ont qu'u- ne Eglife, Ôc ne font guéres plus de deux cens. Il n'y a que trois ou quatre familles de François, un Viceconful,&: deux Capucins, qui ont acquis une allez jolie maifon , auprès de la mer : tous les au- tres habitans de la ville font Turcs , enrôliez dans les troupes fuivantes. Ce dénombrement fervira pour donner une idée de celles qui font dans les places de guerre parmi les Turcs. JanifTaires de la Porte , appeliez Capcoulot* 1000. en 10. compagnies de 100. hommes cha- cune. Tamach Capicoulou, ou foldats détachez de pin- ceurs compagnies, 1 joo. hommes difpenfez de la garde ordinaire. Terli-couliy ou JanifTaires du pays, zjoo. en zS. compagnies. Spahis i du Levant. Lettre t. 49 Spahis , ou cavalerie du pays , 1400. hommes partagez en deux regimens de 9. compagnies cha- cun. siz,aps , autre cavalerie du pays , en deux regi- mens de 700. hommes chacun. Difdarli, milice du Lieutenant du château , tin régiment de 400. hommes en 16. compagnies. Toptchis Se Gebegïs, c'eft à dire , canonniers Se autres, fervans dans l'Artillerie, deux regimens de 500. hommes chacun , armez d'un fabre , d'une demi- pique, Se d'une cotte de mailles. Soitcoulelis, e'eft-à-dire , troupes deflinées pour la carde du grand Se du petit fort de la mer, 400. hommes, 350. pour le grand, Se jo. pour le petit. Pour les autres forts de la ville, 1000. hommes. Voilà l'état des troupes qui dévoient être en Candie , fuivant le mémoire que leur Tréforier communiqua à nôtre Viceconful. Il y a beaucoup d'apparence que tous ces corps n'étoient pas com- plets dans le temps que les Vénitiens affiegérenc la Canée , puifqu'on ne pût lever dans toute l'Ifle qu'environ 4000. hommes pour la fecourir : Se cependant on ne laiiïa que les invalides en Can* die de à Retimo; Les environs de la ville de Candie,font de gran- des Se fertiles plaines , enrichies de toute forte de srains. Il eft deffendu de laiffer fortir le froment de l'Ifle.fans la permiffion du -1 Viceroy.En 1700. c'étoit Haly Pacha,ce miniftre voluptueux,qui ne fut arand Vifir que pendant neuf mois dans la der- nière guerre:fon ingénuité lui fauva la vie. Quand Mahomet IV. lui reprocha qu'il étoit trop bon, le Vifir en convint , Se pria fa Hautefle de le déchair* gerde ce grand fardeau , ce qui fut fait auffi-toft, ' Bcglierbey. Tome h E> 5© V O Y A G Z Quelques années après il fut nommé Viceroy âc Candie , où il fe trouva fort incommodé de la maladie que l'on ne peut guérir fans le fecours du Mercure. Comme les Grecs ne connoilîent pas ce remède, il pria nôtre Ambafladeur Mr le Marquis de Ferriol , qui relâcha en Candie fur fa route de Conftaminople , de lui donner quelque habile homme pour le traiter. Mr l'Ambalfadcur lui con- feilla de ie lervir d'un chirurgien Irlandois , qu'il avoit fur fou bord , & qui avoit long-temps fervï dans les troupes de France. Ce chirurgien , après avoir examiné la maladie du Viceroy , lui donna le flux de bouche fort à propos : mais dans le fort de la faiivation , ce Seigneur fe croyant en danger de mort , fit aiTemblcr fon confeil pour fçavoir ce qu'il falloir faire de cet homme , & le condamna le premier à 200. coups de bâton : le confeil plus fage que lui , fut d'avis qu'on laiilat faire le chi- rurgien , puifqu'il avoit commencé. En effetjl'in- flammation de la gorge ÔS des parties voifines fe pafTa , 6c le malade fut entièrement guéri. A fon exemple , les plus gros Seigneurs de l'Ifle voulu- rent le faire traiter à leur tour : à peine l'Irlan- dois pouvoit-il fufîire à grailler les Mufulmans. Dans le temps que nous crions en Candie , le Vi- ceroy s'occupoit à faire bâtir une mofquée : il avoit fait venir de tous les villages des environs, des Grecs avec les outils necelfaires : on. leur don- lioit fouvent plus de coups de bâtons que de mor- ceaux de pain : il eft vray que pour les confoler , dans leur plus grand travail , on leur faifoit boire quelques verres de vin, que les officiers du Vice- roy envoyoient chercher fans façon chez le Vice- conful, & chez les marchands François. La plufpart des Pachas font avares , & comme t> v Levant. Lettre T. $i ils achètent leurs gouvernemens à Conftantinople« où tout eil à l'enchère , ils fe dédommagent fur tout ce qui fe préférée. Celui de la Canée ayant receu à Ton entrée , parmi les préfens que la na- tion lui lit 5 une vefte d'une belle étoffe de foye or ôc argent , il en fit demander encore une pareille, Se témoigna qu'il étoit furpris que les Fran- çois qui pa lient pour des gens fort polis , euiTent mis le defordre dans fa famille ; que le conful de- voit être informé qu'il avoir deux femmes : qu'il devoit avoir prévu qu'ayant donné cette vefte à l'une , l'autre n'auroit pas manqué de trouver mauvais qu'on l'eut oubliée ; il réitéra fa deman- de cinq ou fix fois : le conful répondit qu'on ne trouvoit pas de ces étoffes dans le pays , qu'il fal- loit attendre qu'il en vint de France : enfin il eu fut fi importuné , qu'une féconde vefte fut déli- vrée au Pacha,par délibération de la nation. Chez les Turcs , il ne faut pas fe mettre fur le pied de faire des préfens , ou bien il faut continuer : les Mufulmans regardent le premier préfent comme Un contrat pour l'avenir:les plus grands Seigneurs demandent hardiment , & ne fe piquent pas de générofité. Nous nous trouvâmes dans la ville de Candie, la veille du petit Ba'iram, c'eft-à-dire , la veille du jour que la Caravane des pèlerins arrive à la Me- que. Le commandant des Janiftaires fe promena par toute la ville en cavalcade avec les capitaines des compagnies & les officiers fubalternes : on égorgeoit des moutons & des agneaux à la porte des principales maifons : les payfans portoienc dans les rues de ces animaux en vie , dans l'attitu- de où l'on peint ordinairement le bon pafteur : on barbouille la tête de ces agneaux avec du rouge s jt Voyage du jaune ou du bleu ; & l'on en fait des préfens dans les familles : cette réjouilfance dura trois jours. Le 30. Mai, jour de la Pentecôte , & le premier jour du Bairam, nous allâmes chez le Pa- cha , où par ton ordre on avoit exposé de grand matin au fortir de la mofquée , cinquante mou- tons ou agneaux , dont quelques-uns étoient rôtis tous entiers , ou mis par quartiers ; les autres bouillis, ou en ragoût ; les poules n'y manquoient pas non plus que le ris. Nous eûmes le plaiiir de voir la canaille Turque fe battre à qui jetteroit les premiers les mains fur cette viande pour la manger ou pour l'emporter. Le Viceroy étoit à une jaloufie , à rire de bon cœur : vingt ou vingt cinq joueurs d'inftrumens , tambours, trompettes, mufertes , tymbales à la Provençale , fembloient augmenter ce défordre ; & tous ces joueurs allè- rent enfemble chez les premiers de la ville , de- mander leurs e'treines. Mr Valentin viceconful de France , chez qui nous étions logez , leur fît don- ner vingt écus ; la veille de la fête il avoit fait pré- fenter au viceroy du cafte, du fucre , & des confi- tures. Il n'y a pas jufques aux porteurs d'eau qui ne fe mêlent de la fête : ils vont chez les princi- paux de la ville,vuider leurs outres fur les degrez, pour témoigner leurs refpects , ou plutôt pour at- traper quelques a parats. Tout le monde fe ré- jouit dans les maifons : on y danfe ; on y fait bon- ne chère ; on y récite des vers ; quelques-uns fe promènent dans les rues avec des inftrumens : les autres font des parties fur l'eau. Enfin cette nation fi grave , & qui paroît toujours dans la même afîiéte , devient toute dérangée , & comme folle dans ces fortes de fêtes : trop heureufe que ce ne loit pas plus fouvent. * Monnoye valant dix- huit deniers. du Levant. Lettre I. ;$ Je vous avoue , Monfeîgueur , que toutes ces rejouilfances nous ennuyoient fort ; mais nos voi- turiers n'auroient ofé marcher pendant les trois jours du Baïram. Cependant nous n'avions encore rien veû de bien extraordinaire en Candie! tou- chant les plantes , 6c nous nous flations de trouver quelque chofe de fingulier du côté de la mer du Sud. Nous partîmes donc le dernier jour de Mai pour Girapetra , & nous allâmes coucher à dix- huit milles de Candie , à Trapfano , gros village où il y a une grande fabrique de marmites de ter- re , de pots & de grolfes a cruches à huile. Nous voulûmes voir en parlant la vallée & la rade de Mirabeau : c'eft pourquoi des le lendemain nous prîmes la route de ces grandes montagnes , qui font fur la côte du nord , & nous allâmes coucher à Plati , autre village à dix milles de Trapfano , après avoir traverfé des collines horribles , d'où nous voyions la neige qui pendant toute Tannée couvre les Commets de ces montagnes. C'eft le voifinage de cette neige qui rend fi plat le vin de Plati ; le raifin n'y meurit prefque jamais , ôc le vin qu'on nous préienta nous parut du vin de Bric. Néanmoins nous y trouvâmes beaucoup de plan- tes. La plaine de b Plati payoit autrefois aux Vé- nitiens quarante mille c mefures de blé , pour la dixme : aujourd'hui faute d'habitans le pays cft fort négligé : les Turcs ne s'en embarraflent <*ué- res ; outre la capitatîon , ils exigent la moitié du blé que chaque habitant y recueille. Apres avoir traverfé quelques montagnes affreu- fes, nous entrâmes le i. Juin dans la vallée de Mi- rabeau 3 enfermée entre d'autres montagnes fort ' Chacune du poids de 4.5, livrei ■ larios. Oh de lu Ski. D iij 54 Voyage agréables , difpofée en manière djamphiteatre , d'où elle s'étend julqu'à la mer. Tout ce quartier qui eft affez peuplé & bien cultivé , abonde en huile & en toutes fortes de grains. On coucha ce jour là à Commcriaco , village à 15. milles de Plati : ce fut chez des moines, à la belle étoile, au milieu de la cour : ils avoient tranfporté tous les meubles de la maifon dans l'Eglife , pour èlevev les vers à foye dans les cellules 6v dans les dor- toirs. Le 3. Juin nous arrivâmes à Critza , à trois heures après midi. Ce village eft fur la hauteur d'une plaine très fertile , au pied d'une roche -ef- carpée, couverte de belles plantes. On découvre de ce lieu , la rade de Mirabeau , laquelle ne lai(fe pas d'être fort expofée , quoiqu'elle fembie -être à l'abri de grandes montagnes. Le Cadi de Critza nous fit prier d'aller chez lui , pour lui tarer le pous : c'eft la mode chez les Turcs, qui fe portent le mieux : il étoit logé dans un beau parc , dont prefque'toutcs les allées font en terralfe , plantées d'Orangers , de Grenadiers, de Cyprès & de Myr- tes ; le potager eft plein de Pommiers,de Poiriers, d'Abricotiers, entretenus à la Turque , c'eft à dire abandonnez à leur fort comme s'ils étoient dans une forêt ; la maifon tombe en ruine faute d'en avoir reparé les couverts : elle appartenoit à une famille desCornaro de Venife , comme il paroît par quelques reftes d'inferiptions. Le 4. Juin , nous defeendîmes à la rade de Mi- rabeau , à la veu'c des grandes montagnes de la Sitié , que les anciens ont connues fous le nom de a Dicté , éloignées de 11. milles & demi du cap Dleci. Sic.Bibliot.b'i(Uib $6. c El xoArrai JV ifi» V véhiç. Strab. Rer. Gcog. /«MO. à Totioufoittrot Chryfa & Gaudos. Pli». Hiji. nat. iib 4. cap . 1 1. c Légende , ETlI * A A O Y I O Y itPAnTeNifiN., h n 1 a y r o y i>. 1 e p a n y ê n 1 a n. D lllj }6 V O Y A G I dailles me font fouvenir qu'il n'y a aucuns PaU micrs autour de Girapetra , & l'on en cultive très peu dans l'Ifle -, les dattes que l'on y mange vien- nent d'Afrio^ue. Mr Spanheim parle d'une autre a médaille de la même ville , dont le génie eft repréfenté par une tête de femme couronnée de tours : au revers c'eft encore un Palmier,& une Ai- gle. A l'égard de ces prétendus Palmiers , ils (ont repréfentez fi groiîiérement qu'on pourroit bien les prendre pour des Pins. Jefçaibien que Theo- phrafte afifeure qu'il y avoit plufieurs iones de Palmiers en Crète j mais cet auteur qui n'avoic pas voyagé, n'avance prcfque rien que litr le rap- port d'autrui. Il faut remarquer aufîi, que la mé- daille dont nous parlons a une bordure de deux branches, d'oliviers : cet arbre eft très commun au tour de Girapetra : peut-être a-t-on voulu le 1er préfenter de même que le Pin , comme les arbres fes plus fréquens des environs de la ville } le Pin fur les montagnes , Se l'Olivier dans les campa- gnes où on l'arrole avec foin. Nos François y vien- nent charger des huiles., des fromages , & de la cire. il femble que Strabon , pour déterminer la largeur de l'Ifthme de la prefqu'lfle de la Sitié , a oppofé la ville de Minoa à celle d' Hierapytna , entre lefquelles il place Llâium. Cela étant , Mi- noa ne pouvoit pas être éloignée des ruines du château de Mirabeau ; & la diftance que nous avons b remarquée , répond à celle de Strabon qui fait cet Ifthme large d'environ fept milles & (demi. a Légende. b éo. ftacîcs. Rerum Geogr» ! E P A n T © N ISÏ N Hb. ?o. IMEPAIO 2f. pu Levant. Lettre I. tj Le 5. Juin, nous allâmes vificer les grandes montagnes , que l'on voit au Nord-oueft de Gira- pecra : ce font des fuites du Mont Ida a Strabon , nous apprend que la ville d'Hierapytna avoit pris Ton nom d'une montagne appellée Pytna, laquelle félon toute apparence , cft la montagne de Maies : avant ce temps là cette ville fe nommoit Cyrba , comme dit Eftienne le Géographe , puis Pytna ; enfuite Camirtts y enfin Hierapytna. Ptolemée l'ap- pelle b Nierapetra, dont on a fait Girapetra. Le même jour nous allâmes coucher à Cala- mafea , village à lept milles de Girapetra. Le 6, Juin nous palfàmes par Anatoli , & nous nous re- tirâmes à Maies, à près de huit milles de Calamaf- ca : on monte toujours dans ces montagnes , fans perdre de vue la mer du Sud. Le 7. Juin nous avançâmes autant que nous pûmes , & nous payâ- mes la nuit dans une folitude aftreufe, auprès d'u- ne fontaine , où nous foupâmes à la clarté d'une douzaine de gros Chênes verts , & d'autant de c Kermès aufquels nos Grecs mirent le feu : ces flambeaux nous éclairèrent toute la nuit , & la chaleur qu'ils excitèrent dans l'air nous fit plairîr. On n'avança ce jour là que jufques aux premières neiges , qui n'étoient pourtant qu'au pied d'au- tres montagnes beaucoup plus hautes , fur lef- quelles nous nous promenâmes le lendemain. Quoique ces montagnes foient très froides , les Chênes verts y font d'une grande beauté , & les Kermès y viennent aufli hauts que nos Chênes * Tî« j Ihti >/$•? YlvT'X , Str^b, Rerum Geog. lib.io. h r«£ji flirt*. Viol- Geog. lib. 3. cap.ij. Ucx aculeata , cocciglan- difera C. B. Pin. 41 f. Ar- bre fur lequel on amaffe le vermillon ou la graine d'é- carlate. 58 Voyage ordinaires : on y voit de beaux a Erables à feuille découpée en trois pointes. Rien n'eft plus furpre- nant qu'une efpéce de b Prunier , dont tous ces rochers font tapiflez, pour ainfi dire, & qui fleurit à mefure que la neige fe fond : fes tiges n'onc qu'- environ demi pied de hauteur ; les branches en font fort toufues , chargées de fleurs couleur de chair ; fes fruits ne font gueres plus gros qu'une grofeille blanche. Les Chèvres fauvages dont c Solin a fait men- tion , & dont d Belon a donné la figure , courent fur ces montagnes par troupeaux ; les Grecs les appellent Agrimin , nom qu'ils donnent à toutes les bêtes fauves. Nous fûmes furpris de trouver des Oliviers dans ces quartiers , & même aflez près de la neige , où ils viennent naturellement , ôc la plupart iont femblables à ceux que l'on cul- tive : on diftingue les Oliviers fauvages , non feu,- lement par le fruit , mais aulïi par la feuille , la* quelle eft plus ronde &c plus rude. Si Hercule c le Cretois eût été informé que les Oliviers naitloîent en Crète , il fe fût épargné la peine d'aller les chercher chez les f Hyberboréens, pour en faire venir en Grèce. 8 Diodore de Sicile remarque avec raifon , que Minerve tira des bois , les Oliviers domeftiques , pour les faire planter dans les ver- gers y il y en a des montagnes couvertes fur le chemin de Smyrne à Ephéfe. a Acer AfphenrlannosBcIlon. Obf. lib i. cap. 17. Acer Cretica P. Alp Exor.j>. *> Prunus Cretica, montana, minima , liumi fufa , flore luavertibente Corol. Irrft. reiherb. c Agcr Creticus fylyeftrium caprarum copiofus eft. So- lin. Poiyhijî. cafi.i I. J Obferv. lib. I . cxp. i 3. e Ou /'kiécn , qy> le Cureté. i Pau fan. Defcript. Gr&c. in Eltttcis prier. g Bibliotb.biji. lib, j. du Levant. Lettre I. 59 Apres avoir bien couru dans la neige, & rainai, le les plantes qui fe préfentoient , nous dépendî- mes à Maies, ëc nous nous retirâmes à Girapetra le 9. Juin : le 10. nous prîmes le chemin le plus court pour aller à Candie , où nous féjournâmes le 13. on coucha le 14. à Damafta ; le ij. à Daphnedés ; le 1 6, fur la plage d' Almyron , moi- tié dans l'eau, parmi les joncs : le 17. à la Canée, ou nous étant déchargez de tous nos embarras , nous viittâmcs de nouveau les environs de cette ville Ôc le cap Mélier , pour obferver quelques plantes , qui ne faiioient que de naître au com- mencement du mois pafle. Le z8. Juin , nous partîmes de la Canée , dans le deflein d'aller voir le Mont Ida , le Labyrinthe & les ruines de Gortyne. Nôtre premier gîte fut a Almyron , de le fécond à Retimo. Le 30. nous allâmes coucher au couvent d'Arcadi,à iz. milles Arca- de Retimo. Il feirfble que ce couvent , qui effc le DI- plus beau &c le plus riche de tous les monaftéres de Plfle , ait retenu le nom de l'ancienne ville d'Ar- cadia , dont a Sencque , Pline & Eftienne le Géo- graphe ont fait mention ; mais il eft étonnant que Senequc &c Pline aient ofé citer Théophrafte fur un fait incroyable , lc.ivoir qu'après la deftru- ctionde cette ville , toutes les fontaines des envi- rons tarirent , 8c qu'elles ne recommencèrent à couler que lorfqu'elle fut rétablie. Du temps des Chrétiens , b Arcadia fut honorée du troiueme Evêché de Plfle : îl n'y relie plus qu'un grand cou- vent fitué dans une plaine en manière de platefor- me, fur la hauteur d'une montagne , au pied du Mjnt Ida : on aborde à cette plateforme par une a §£**ftion- natural. Ub. 3, . 3 .1.. rap.^. «*[>.ii. PUn.hiji.ov.lib. b Novell. Imp. Léon. - m <5o V O Y A G I agréable vallée , partagée en vergers , vignes , Se terres labourables , couvertes dans les lieux incul- tes de Chênes verts , de Kermès , d'Erables , de Phillyrea,de Myrtes, de Lentifques, Terebintes , Piftachiers, Lauriers francs, Cyprez , Storax. Les eaux y coulent de toutes parts. On y reconnoît encore l'ancienne Crète , dont a Strabon a fait la peinture. La maifon d'Arcadi eft grande &: bien bâtie : l'Eglife a deux nefs, enrichies de tableaux gothi- ques -, n'eft-il pas bien furprenant que les Grecs , dont les pères ont fi bien imité la nature , ayent enfin donné dans le goût des Goths , qui la co- pîoient fi mal ? c'eft apparemment parce que ies ' belles chofes demandent trop de foin. On compte près de ico. b religieux dans ce monaftére , & aoo. à la campagne,occupez à cultiver leurs c fer- mes. Le d fuperieur de la maifon , homme d'ef- prit & très bien fait , nous receut de fort bonne grâce : ceux qui remplirent ces fortes de places étants pour l'ordinaire gens graves & d'un air vé- nérable , on n'ofe pas leur préfenter de l'argent pour la dépenfe qu'on a faite chez eux ; on lailfc couler quelques e fcquins dans le bafiin du pain bénit , que l'on préfente à la^fin de la mefle. La cave eft un des plus beaux endroits du mo- naftére : il n'y a pas moins de zoo. pièces de vin , dont le meilleur eft marqué au nom du Supérieur, &perfonne n'oferoit y toucher fans fon ordre. Pour bénir cette cave , tous les ans après les ven- danges, il récite l'oraifon fuivante imprimée,dans icap7m. Rerum gecg. lib.io. b Caloycis. c Mt1ô#. Ferme. d Hj9»ftti/os. Cher. c Motmoye d'or valant deux écm Cr deMÏ. du Levant. Lettre 1. 61 le rituel grec : en voici la traduction : Seigneur Dieu qui aimeT^ les hommes , jettez. les yeux fur ce vin & fur ceux qui le boiront ; benijfe^nos muis , comme vous bénites le fuit s de Jacob , la pifeine de Siloé, & la boiffon de vos Saints apôtres. Seigneur, qui voulûtes bien vous trouver aux noces de Cana y ou par le changement de Veau en vin vous manifeflà- tes votre gloire en vos difcipU s , envoyez, pré fente* ment votre famt Efprit fur ce vin , & benijfeXj le en votre nom. Ainfifoit-il. Les terres du monaftére s'étendent jufqucs à la marine du côté de Retimo , & vont julques aa fotnmer du Mont Ida du côté du midi. On nous afleura que les religieux avoient recueilli cette année plus de 400. mefures d'huile , quoiqu'ils euflent laiiîe perdre la moitié de leurs fruits, faute de gens pour les cueillir. Au delïous d'Arcadi , ti- rant vers la mer , eft le couvent d'Arfeni que l'on dit être arTez beau ; nous n'eûmes pas le temps d'y aller. Le 1 . Juillet , nous prîmes la route du Mont H IAH a Ida , accompagnez de deux religieux , que le F! * Supérieur d'Arcadi nous donna pour nous condui- Mons."* re dans des; deferts inconnus à nos guides; ces Le Mont moines nous efeortérent jufques à une fontaine à I^a. huit milles du couvent , &c à dix milles du fom- raet du Mont Ida. Les chevaux ne fauroient mon- ter au delà de cette fource 3 auprès de laquelle lo- ge un autre religieux chargé du foin du haras: tout ce pays elt pelé & couvert de pierres. Nous lai0a- mes donc nos chevaux à la fontaine , & nos gui- des fe chargèrent de provifîons pour trois jours. ■ïihoym en grec -vulgaire^ con/me qui diroir, Monta- gne élcYCC. tynlh «f »i. Ev ptcrai •£ yr,rov 1i lacôt» opes ù^ti^era^». Utral. Rg- rumgeog. lilf.V). I 6i Voyage Les deux moines s' étant retirez , nous reftâmes avec le gardien du haras,qui nous conduifit à une bergerie à fîx milles de la fontaine : on fut obligé de s'y arrêter : quelque trifte & defagréable que fuft ce gîte 3 c'étoit un repofoir neceifaire pour nôtre derlein , à caufe d'un puits qui eft unique dans ces quartiers , & de ce puits julques au fom- met de la montagne , on compte encore quatre milles : nous y montâmes avec beaucoup de peine le 3. Juillet. Cette grande montagne qui occupe prefque le milieu de i'Ifle , n'a rien de beau que Ion nom i\ fameux dans l'hiftoire ancienne. Ce célèbre mont Ida , ne montre qu'un gros vilain dos d'âne tout pelé : on n'y voit ni païfage, ni folitude agréable, ni fontaine, ni ruilleau ; à peine s'y tiouve-t-il un méchant puits , dont il faut tirer l'eau à force de bras , pour empêcher les moutons &c les chevaux de mourir de foifron n'y nourrit que des hari- delles , quelques moutons & de méchantes chè- vres que la faim oblige à brouter jufques à la a Tragacantha, fi hériiTee de piquants, que les Grecs l'ont appellée Epine de bouc. N'en déplaife à b De- nis Periegete, &c à l'Archevêque de ThelTalonique fon commentateur , les louanges qu'ils ont don- nées à cette montagne , paroilïent outrées , ou au moins ne font plus de faifon, Ceux qui ont avan- cé que les hauteurs du mont Ida étoient toutes c chauves , & que les plantes n'y pouvoient pas vi- vre parmi la neige & les glaces , ont eu bien plus Tg9»r«K«#^« Hirci Spina. Orbis defeript. verf. 581. Euftith. in verfum eun- dem. QxXetKfttt «*©e £ I ht , &c. St«j}f}(tn. Byfmt. notent >*s. Theoph. Hift. plant, lib. $.cap.\;. tlin. hijt.Mt.Hb.14. (*p>). du Levant. Lettre' I. > l'A»», viderc. tbofius. di, Voyage remplîmes donc nos tatfes d'une belle neige cry- ftallifée à gros grains , & la dilpofâmes par cou- ches avec du fucre , fur lequel on verfoit enfuite d'excellent vin : tout cela fe fondoit promptement en fecouant les taries. Nous eûmes liionneur de boire à la famé du Roy,& de faire des vœux pour la confervation de Sa Majefté ; après quoi nous grimpâmes avec plus de courage jufqucs à la poin- te de ce rocher , quelque efcârpé qu'il fût. Où n'iroit-on pas avec de fi bon vin , fous les ordres d'un fi grand Prince ? Ce vin étoit de la couleur du vin d'Alicant, prefque fans liqueur , moileux velouté , parfumé d'un efprit pénétrant : le Supé- rieur d'Arcadi nous en avoit fait préfent , ou plû- toft nous l'avions troqué avec quelques pilules polychreftes , & quelques prifes de tartre éméti- que , qui n'avoit pas été d'un petit fecours à quel- ques-uns de fes religieux* L'émétique convient aux Grecs , en plufieurs maladies : la plupart , & fur tout les moines , qui ne font pas les corps les plus mal bâtis du pays, ont la poitrine large & le ventre d'une grande capacité , lequel obéit faci- lement aux moindres fecoufies de l'antimoine. A l'égard des plantes , il n'y a rien fur le mont Ida , que l'on ne trouve plus commodément fur les montagnes de la Canée , où la fraîcheur , la verdure, les ruilleaux invitent à herborifer. Nous eûmes pourtant le plaifir d'obferver à nôtre aife la comme Adragant fur le mont ïda. Je ne fçau-j rois comprendre pourquoi b Belon a foûtenu avec] tant d'opiniâtreté , qu'on n'en trouvoit point en] Candie : il n'avoit apparemment pas lu le premier chapitre du neuvième livre de l'Hiftoire des plan- 3 Drogue qui fert aux Apoti- ctires & aux Ve'mtrti tn miniatures. U Qbferv.libt\.(ap.\7- tes HP I t>u Levant* Lettre I. 6ç tes de Théophrafte : les collines pelées des envi- rons de la bergerie , produilent beaucoup de a Tragacantha, & l'efpéce en eft très belle. Beloii &c Profper Alpin l'ont fans doute connue" , quoi- qu'il ne foit guéres pofïiblc fur leurs deferiptionsi de la distinguer des autres efpéces dont ils ont par- lé. Elle donne naturellement de la gomme Adra- gant fur la fin de Juin , 8c dans les mois fuivants : dans ce temps-là , le fuc nourricier de cette plan- te , épaiiïi par la chaleur , fait crever la plupart des vaiiîeaux où il eft renfermé : non feulement il s'amaHe dans le cœur des tiges èv des branches , mais dans l'interftice des fibres , lei quelles font diipofées en rayon, comme il paroît en la rige A '-. ce fuc fe coagule en filets , de même que dans les porofitez de l'écorce ; & ces filets parlant au tra- vers de cette partie , fortent peu à peu , à mefure qu'ils font pouffez par le nouveau fuc que les ra- cines fourniifent : cette mat'ére expofée a l'air s'endurcit & forme ou des grumeaux on des lames tortues, fcmblables à des vermiffeo a plus ou moins longs, fuivant 1 ; matière qui fe prélcnte : il iembîe même que la contraction des fibre: de cet- te plante , contribue' à l'expreflion de la gommé Adragant : ces fibres déliées comme de la filalfe , découvertes & foulées par les pieds des bergers & des chevaux , fe racourciifent par la chaleur , &C facilitent la fortie du fuc extravafe. Ce ne fut pas fans quelque furpriie , que nous reconnûmes qu'une plante, que Profper Alpin n'a pas fait difficulté de ranger fous les efpéces de Tragacantha , devoit être placée parmi celles de Tragacantha Cretica.in- cana , flore parvo , lincis Tome I. purpurcis ftriato. Corol» luit, rci herb. 19. E C6 Voyage a Limomum* Qui fe feroit imagine qu'il y eût eu dans le monde une plante de ce dernier genre , à feuilles de Genièvre ? A propos de Genièvre , ce- lui que produit le mont Ida, ne s'élève qu'à deux ou trois pieds : Tes branches étendues fur les co- tez, forment un arbrilleau femblable au Genièvre des 'Alpes , & l'on ne diftingue ces deux plantes que par leurs fruits ; celui cb Candie eft auiïi gros &aulîi rouge que celui du Genièvre a bayes rouges , fi commun en Provence &c en Langue- doc : d'ailleurs , le bois fec du Genièvre de Can- die a la même couleur & la même odeur que cet- te efpéce de Cèdre d'Amérique , dont on fait à Paris les bordures des Eftampes. Il fallut revenir à la Bergerie faute de meilleur gîte. Le lendemain 14. Juillet , nous dînâmes à la fontaine où nous avions laiffe nos chevaux ; Se tirant vers le fud-oueft, nous defeendîmes par des précipices horribles , tournez prefque en li- maçon jufques au pied du mont Ida , dont la veuc étoit toujours plus affreufe : enfuite le con- trarie nous ravit tout d'un coup. On entra dans une grande vallée , entre le mont Ida & le mont Kentro , toute plantée d'Oliviers , d'Orangers , de Grenadiers , de Meuriers , de Cyprès , de Noyers , de Myrtes , de Lauriers , Se de toutes fortes d'arbres fruitiers -, les villages y font fré- quens , & les eaux admirables : le mont Ida eft un grand alembic , qui fournit de l'eau à tout le voifinage , c'eft à dire à près d'un tiers de l'Ifle : * Limonium Creticum Juni- peri folio. Coiol. Inft. rci hcib. 15. Echinus , ideffc Tragacaiulia alccra P.AIp. Exot. 5*. Juniperus Crerica , liçno odoratiffimo. KiS^o* Gra> corum recenciorum Corol. Inft. rci hcib. 41. bu Levant» Lettre h é7 la vallée dont nous parlons » fe perd infenfîble- trient dans la plus belle Se la plus fertile a plaine de Candie j cette plaine s'étend jufques à Gira- petra. Nous nous retirâmes à nôtre ordinaire , dans un monaftére : celui-ci fe nomme b Afomatos > c'efl: à dire le monaftére des Anges ; le Supérieur qui parloit Italien , nous logea le mieux qu'il pût , ôz comme il apprit que nous cherchions des plantes , il nous fit voir quelques pieds de Colo- cajia le long des ruiffeaux de fon monaftére. Nous fumes ravis d'y trouver un religieux qui s'en al- îoit à la Canée : 'A voulut bien fe charger d'un pa- quet de lettres pour nôtre Conful qui devoir fai- re partir une barque pour Marfeille. Je profitai avec plaifir de cette occafion pour avoir l'hon- neur de vous rendre compte de nos recherches , & pour vous alïîker que je fuis avec un profond reipeft, &c. a La Meflaria . ou MafTeria. h h Ptol. c Defcript. Gr&c. in Arcai. d Cèdre». Compend. H!/t. ' Strttb. Rerumgeog. lib.io. 15 u L i» v a n t. Lettre II. 6$ vint la plus puiflante ville de Crète : elle avoit mê- me partagé l'empire de cette Iflê , avant que les Romains s'en fullent emparez. Annibal s'y crut en fureté contre ces mêmes Romains , après la dé- faite d'Antiochus : a les grandes richelîes que ce fameux Africain y porta, lui fufcitérent bien des ennemis ; mais il fe mit à couvert de leurs inful- tes , en feignant de mettre fes tréfors en dépôt dans le temple de Diane ", où il fit porter quelques vafes remplis de plomb. Quelques temps après il répalla en Aile , avec fon or caché dans les ftatucs des divinitez qu'il véneroit. b Les ruines de Gortyne ne font qu'à fix milles du mont Ida , au pied des collines, à l'entrée de la plaine de la Melfaria , laquelle eft proprement 1» grenier de l'Iilc. Ces ruines montrent bien quelle a été la magnificence de l'ancienne ville , mais on ne fçauroit les regarder fans quelque peine: on la- boure , on féme , on fait paître des moutons par- mi les débris d'une prodigieufe quantité de mar- bre , de jafpe, & de granit , travaillez avec beau- coup de foin : au lieu de ces grands hommes qui avoient fait élever de fi beaux édifices , on ne voit que de pauvres bergers , qui n'ont pas l'efprit de prendre les lièvres qui leur partent entre les jam- bes j ni de tuer les perdrix qui fe trouvent fous leurs pieds. La principale chofe que l'on découvre dans ces ruines , eft le refte d'une des portes de la ville ; quoiqu'on en ait détaché les plus belles pierres, il paroît encore qu'elle étoit d'un beau cintre ; les murailles qui tiennent à cette porte 9 font peut-être des relies de celles que c Ptolcmée a J-fifi'm. HJfi. lib. 3 1. c.zp.4.. rc^TViiay 7T8/<î. Strab.Re- rumgeog. lib.lo, Sîrxb. ibid. E ii) jd Voyage Philopator Roy d'Egypte , avoit fait élever 5 I4 maçonnerie en eft fort épaiffe , &c revêtue de bri- ques. Suivant les apparences , ce quartier ctoit un des plus beaux de la ville ; nous y découvrîmes deux colonnes de granit, de dix-huit pieds de long; pn voit encore allez près de là , plusieurs piede- ftaux , efpacez également deux à deux fur la mê- me ligne 3 pour foutenir les colonnes du frontifpi- ce de quelque temple , on ne découvre de tous cotez que chapiteaux &: architraves : peut-être que ce font des débris de ce temple de Diane,dont on vient de parler , ou de celui de a Jupiter , à qui Menelaus facriha après qu'il eût appris l'enlè- vement de fa femme Hélène , comme le rapporte Ptolemée Epheflion , dont Photius nous a confer- vé quelques extraits. Pour le temple d'Apollon , dont Eftienne le Géographe fait mention , il étoit au milieu de la b ville , & par conféquent éloi- gné de l^endroit que nous décrivons : parmi les colonnes de ces ruines , il y en a d'une grande beauté , cilindriqucs , & canelées en fpire , les plus groupes n'ont que deux pieds quatre pouces de diamètre : il eft vrai que les Turcs en ont em- porté les plus belles , &même il y a un c village à deux portées de moufquet de ces mafures , dont les portes des jardins font à deux colonnes anti- ques ; au travers delquelles on met une claye de bois pour les fermer. Ce lieu s'appclloit Alone : il fut nommé le vil- lage des dix Saints , depuis que dix illuilres Chré- tiens natifs de l'Ifle , y eurent fouffert le martyre durant la perfécution de l'Empereur Déce. d Ils fe « J upi.'cr H, ratombée dans Photius Slblict. ïtb.j. h Dans le Fythitm, c Â'^.i à'**. Village des dix Saints. d Sfirim. du Levant. Lettre IL 71 nommoient Théodulc, Saturnin, Eupore , Gelafe, Eunicien, Zetique , Cléomene, Agathope , Bafili- de, Evariftc. La Chapelle de ce village eft encore toute remplie de colonnes antiques ; mais on n'y voit plus le tombeau des martyrs , dont parle le a Continuateur de Conftantin Porphyrogenete. Ces martyrs font rcprélentez dans le tableau principal, en deux rangs, dans la même attitude îk lur la mê- me ligne , droits & roides comme des pieux. Les Grecs en font la fête le z 3 . Décembre , & les La- tins les ont iuivis. On trouve dans les ruines de Gortyne , des co- lonnes de jafpe ronge & blanc , femblable au ja- fpe de Cofnc en Languedoc : nous en vîmes d'au- tre tout à fait femblable au Campan , que l'on a, employé à Verfailles : à l'égard des figures , il en refte peu ; les Vénitiens en ont enlevé les plus belles. La ftatue* qui eft fur la fontaine de Can- die, auprès de la mofquée au delà du b marché, à été tirée de ces ruines ; la draperie en eft belle , mais la figure eft fans tête , les Turcs ne lcau- roient fouffrir fans horreur la repréfentation des têtes des chofes animées , fi cen'eft fur la raon- noye , dont ils font amoureux plus que gens du monde. En fouillant dans un champ, nous décou- vrîmes la moitié d'une figure de marbre bien dra- pée : la jambe étoit articulée avec feience , Se le bout du pied étoit fort beau. A l'extrémité de la ville, entre le feptentrion & le couchant , tout près d'un ruilTeau qui fans doute eft le c fleuve Lethé , Lequel au rapport de a Lik. i. nain amnis Leibxus prae- b Bazar. tetfluit.qi ùteti ai ttvltw oAitow dotl Luuopa o Gonviiii fet une Avjwht ■miKtt.ci. StraO. re- ve&itatam. Soli». folybift. rum geog. lib. 10. Gorcy- cap. II. E iiij G E 71 V o r A Strabon & de Sol in , fe répandoit dans les m'es de Gortyne , fe voyent d'affez beaux reftes d'une an- cienne Eglife, dans le quartier appelle Metrovolis, Quoique cette Eglife foit de bonne architecture , il y a pourtant fur la gauche, un morceau de pein- ture à moitié effacée ; mais tout à fait dans le goût gothique : c'étoit apparemment la repréfentation de quelque hiftoirc de la Vierge : on y lit encore pn gros caractère a mp. ©"t. Nous ne fçûmes dé- chifrer une grande infeription gréque , qui eft dans le presbytère: elle efl: trop haute tk trop mal- traitée. Nous crûmes pourtant y entrevoir le nom de b Cyrille , ce qui paroît aflez probable : car on fait mention de deux Cyrilles Evêques de Gor- tyne , dont l'un fut martyrifé au commencement du troifïéme fiécle fous l'Empereur Déce , Se l'au- tre par les Sarrafins dans le neuvième fiécle fous Michel le Bègue. Nous demandâmes des nouvel- les de ces faims Evêques à des Papas du quartier j mais ils n'en connoifïent aucun, il y en eut un d'entre eux qui nous dît que Tite à qui faint Paul a écrit une Epitre , étoit neveu d'un Evêque de Gortyne -, en quoi il fe trompoit fort, c Tite que faint Paul appelle ion fils bien aimé , fut lui-mê- me le premier Evêque de Crète, &c fuivant tou- tes les apparences , (on fîége étoit à Gortyne : c'é- toit alors la première ville du pays , 8c dans' la fui- fe elle fut toujours honorée du premier Evêché de l'Ifle. Auprès des ruines de l'Eglife Métropolitaine , nous en vîmes d'autres qui nous parurent les re- ntes de quelque monaftére : les bergers y ont >* Mater Dci. «> KïPlA AOS. %HpOTcr/,iîfJu , &ç, Epîfl, Fauli ni Titum% © u Levant. Lettre IL y$ bâti de miferables retraites, avec de groiTes pièces de marbre antique , parmi lesquelles (e trouve un chapiteau orné de deux rolettes , & d'une croix de faint Jean de Jerufalem. Sans doute que la vil- le n'a été détruite qu'après l'érablillement des Chevaliers Hofpitaliers, qui font à prefent à Mal- te. Leur inftitution commença en 1099. par Ci- tard Tcnque du Martigues en Provence. Tout proche de ces ruines, fur le bord du ruilfeau, font les refles d'un aqueduc dont la voûte a 6. ou 7. pieds de haut : il y a une belle cave à cô:é , voû- tée par bandes, & qui femble avoir lervi de refer- voir pour fournir à un autre aqueduc , qui eft fur îe chemin du village des dix Saints ; le canal de cet aqueduc n'avoif guéres plus d'un pied de large. S Théophrafte, b Varron , e & Pline , parlent d'un Platane quife voyoit à Gortyne , Se qui ne perdoit les feuilles qu'à mefurc que les nouvelles jpoulïoient : peut être en trouveroit-on encore quelqu'un de cette efpéce , parmi ceux qui naif- fent en grand nombre le long du ruiifeau Léthé qu'Europe remonta jufques a Gortyne , fur le dos d'un d Taureau. Ce Platane toujours vert , parut autrefois fi lmgulier aux Grecs, e. qu'ils publièrent que les premières amours de Jupiter 8c d'Europ ■, s'étoient palïées lous ces feuillages. Cette avantn- re quoique fabuleuie , donna apparemment occa- sion aux habitons de Gortyne de frapper une belle * médaille , qubeft dans le cabinet du Roy : on y voit d'un côté Europe allez trille , affile fur un a Hî/t. PUnt.lib.i.iav.l\. f/tiy.'/iy LviÙTty o ZtoS. b De ReRuJilc.tib. ' Theop'h. ibid. c Hifi. rat. lib.11, r«/>.I. ' Légende > A Sclni. Polyhifi. ibid. TOPTYNIilN. 5 Mv^cAojjow jj ** i7n wfly 74 Voyage arbre moitié Platane 8c moitié Palmier , au pied duquel eft une Aigle à qui elle tourne le dos : la même Princeiïe elt reprefentée de l'autre côté , aflife fur un Taureau entouré d'une bordure de feuilles de Laurier. a Antoine Auçuftin Archevê- que de Tarragone , parle d'un femblable type. Pline dit que l'on tâcha de multiplier dans rifle l'cfpéce de ce Platane : mais qu'elle dégénéra , c'eft à dire que les nouveaux pieds perdirent leurs feuilles en hiver , de même que les communs. Il nous refte encore des médailles de Gortyne, frappées aux têtes de Germanicus , de Caligula , de Trajan, d'Adrien ; dont b la plus belle fe voit dans le cabinet du Roy : elle marque qu'on s'af- fcmbloit à Gortyne pour y célébrer les jeux , en l'honneur d'Adrien. Outre les infcriptions de Gortyne rapportées par Gruter , que Honorio Bclli auteur de quel- ques lettres adreflees à Clufius , fur les plantes de Crète , avoit communiquées à Pigafeta , nous en copiâmes deux 3 qui étoient échapées aux recher- ches de Belli. * Difilcg, i. b Légende. KOINON KPHTilN TOPTYS. du Levant. Lettre II. j$ rJneTPONioN npoBONr/p ^ TON AAMnPOTATON V AN©rriATON KAIj^P AnOTnAPXGÙN nPAITGDPIGDN AOrMATI THC AAMnPAG rOPTYNICON BOTAHC OIKOTMGNIOC AOCI06OO ACKAHniOAOTOC J^T OAAMnPOTATOC TnATI KOC ANeCTHŒN/^ Par décret de Vlllujlre Sénat de Gortyne, Oecu- weuius Dojhhcus Afcleviodotus confulaïre très illu- fire y a érigé ce monument à l' Illuftrijfime Proconful & Préfet â'A Prétoire Petronius Probus. En voici une qui n'eft pas fi ancienne. ni eeoAGopoY tôt aitgû apxigîtici£ fflIAIOT TOT nePIBA'ANOTnATO X TTXGÛCAN6NeO0HKOT...O TOIXOC lA^Anni&DNOC TOT AAMIPlNAB* Le R. P. Doin a Bernard de Montfaucon,d'une érudition profonde , & d'une capacité générale- ment reconnue" , en a trouvé le véritable fens, * De la Congrégation de S. * l7j, Maur. Vzi&ogr. Ur&cjib.i. Laby- rinthe iic Can- die. 76 Voyage Kou . . . ô to7~£Oç vGroïrov QAaÇiiu Acr7T lequel par mille dé- tours pris en tous fens y comme par hazard Se ians a Rerum Geogt% tïv, 10. b Procopapas. du Levant. Lettre II. 77 aucune régularité , parcourt tout l'intérieur d'u- ne colline au pied du mont Ida du coté du midi , à trois milles des ruines de Gortyne. On entre dans ce labyrinthe par une ouverture naturelle , large de fept ou huit pas > fi baffe qu'à peine un homme de médiocre taille pourroit y palier ians fe courber : le bas de l'entrée eft fort inégal : le haut atTez plat , terminé par plufieurs lits de pierre pofez horizontalement les uns fin- ies autres. Une efpéce de caverne fort ruftique , 8c dont la pente eft douce , fe préfente d'abord, &c ne marque rien de fmguiicr -, mais à mefure que l'on avance , ce lieu paroît tout à fait furprenant. Ce ne font que détours , dont la principale allée qui eft moins embarraflfante que les autres , con- duit par un chemin d'environ mille deux cens pas, jufqùes au fond du labyrinthe , a deux grandes 8c belles fales, où les étrangers fe repofent avec plai- iir. Quoique cette allée fe fourche à fon extrémi- té, ce n'eft pourtant pas là l'endroit dangereux du labyrinthe : c'eft plûtoft à fon entrée , à près de 30. pas de la caverne à main gauche. Si l'on s'en- gage dans quelque autre rué, après avoir fait bien du chemin, on s'égare dans une infinité de recoins & de culs de fac, d'où l'on ne fçauroit fe tirer fans rifquer de fe perdre. Nosj guides fuivirent donc cette principale allée , fans nous détourner à droi- te ni à gauche ; nous y finies 1 160 pas bien com- ptez : elle eft haute de fept ou huit pieds , lam- biillée d'une couche de rochers , horizontale 8c toute plate comme le font la plufpart des lits de pierre de ces quartiers là. Il s'y trouve pourtant quelques endroits où il faut un peu bailTer la tête; on rencontre même vers le milieu de la route, un pafiage Ci étroit , qu'on eft obligé de marcher a INI 7% Voyagé quatre pâtes. La grande allée eft ordinairement allez large pour lailler palTer deux ou trois per- fonnes de front : le pavé en eft uni : il ne faut ni beaucoup monter ni beaucoup defeendre : les mu- railles font taillées à plomb , ou faites avec des pierres qui embarrafïbient les chemins , ôc que' Ton a rangées avec une propreté affectée ; mais il fe préfente tant de rues de tous cotez , que l'on ne fçauroit s'en tirer fans beaucoup de précau- tions. Comme nous avions grande envie d'en revenir* nôtre premier foin fut de porter un de nos gardes à l'entrée de la caverne , avec ordre d'aller qué- rir du monde au village prochain, pour venir nous dégager , fuppofé que nous lie fu fiions pas de re- tour avant la nuit : I. chacun de nous portoit à la main un gros flambeau allumé : 3. dans tous les détours difficiles à retrouver , nous attachions fur la droite des papiers numérotez : 4. un de nos Grecs laiiïbit à gauche de petits fagots d'épincs,& un autre répandoit fur le chemin de la paille, dont il avoit un fac plein fous le bras. De cette maniè- re nous arrivâmes fans peine au fond du labyrin- the , où la grande allée le fourche & fe termine par deux fales , d'environ quatre toifes de largeur prefque rondes , taillées dans le roc. On y voit plufieurs écritures faites avec du charbon : par exemple , P. Francefco Maria Pefa.ro Capucino. Frater Tadeus Nicolaus , & tout contre 1539. Plus loin 1444. Ailleurs on lit Qiù fu el flrenuo Signor . Zan de Corno cap"0 de la Fanteriu 1516. On trou- ve plufieurs autres marques dans l'allée, entre au- tres celle , qui eft en marge , laquelle nous parut de la façon de quelque Jefuite , nous obfervâmes les dattes fuivantes 145?^. 1^16. ij6q. */7<7« du Levant. Lettre 1 1. 79 1699. Nous écrivîmes aufïi 1700. en trois en- droits difFerens 5 avec de la pierre noire. Parmi ces écritures > il y en a quelques-unes tout à fait admirables ; qui confirment le a fyftéme que j'ai propolé il y a quelques années fur la végétation des pierres : celles du labyrinthe croiiïent 8c au- gmentent fen(îblement,fans qu'on puiife foupçon- ner qu'aucune matière étrangère leur vienne de dehors ; ceux qui ont gravé leurs noms fur les mu- railles de ce lieu qui font de roche vive, ne s'ima- ginoient pas fans doute que les traits de leur ci- feau dûflènt Te remplir infenfiblement , mais blanc fale & femblable à celle des montagnes au pied defquelles Gortyne eft bâtie. Pour la ville de Cno'fïè , elle étoit éloignée de ce labyrinthe vers la côte du nord de a Crétejà 3115, pas de Gortync,au delà des montagnes tirant vers la Candie,près de quelque méchant b ruilîeau , fui le bord duquel on célébra les noces de Jupiter Se de Junon. Belon pouvoit mieux que perfonne dé- terminer la fituation de Cno.lTe , lui qui fe vante d'avoir vu le tombeau de c Jupiter , tel que les anciens l'ont décrit : il eft fur que ce tombeau dc-j voit être dans la ville de Cnolle , & fuivant lad route que tient Belon pour aller de Candie aUj mont Ida, Cnofle fe devoir trouver fur fon chc. min. Il y a donc beaucoup plus d'apparence que Id labyrinthe eft un conduit naturel , que des per-J Tonnes cudeufes ont autrefois pris plaifir à rendra ' Strab. Rer. Geog. Ub. \0. b Ki^tus. Stwb. ibic(. Bip**- Diod. Sic. Biblhth, kift. Hb. 5. Obferv. liv.l. ch<-p iji Scpulchrum ejus eft id Crcta , in oppido CnoflbJ Laciant.lib.i. c 11. pratic abl< du Levant. Lettre II. Si praticable , en faifant aggrandir la plufpart des endroits trop referrez. Pour en exhauiïèr le plan- cher , on ne rit que détacher quelques lits de pier- re > pofez horizontalement dans toute l'épailleur de la montagne : on tailla les murailles à plomb dans certains endroits , & pour débarraffer les chemins , on prit le foin d'en ranger les pierres avec propreté ; peut-être qu'on ne toucha pas à l'endroit où il faut marcher à quatre pates 3 pour faire connoître à la pofterité , comment le refte étoit fait naturellement 5 ^car au delà de cet en- droit l'allée eft aufTi belle qu'en deçà : quelle pei- ne n'eut-on pas pour vuider les pierres qui fe trou- vèrent en delà ? il fallut les calïèr menu pour les faire paifer par cette efpéce de boyau. Les anciens Cretois , peuples d'une grande politerTe Se fort at- tachez aux beaux ans, affectèrent de perfectionner ce que la nature n'avoit fait qu'ébaucher. Sans doute que des bergers ayant, découvert ces con- duits fouterrains , donnèrent lieu à de plus grands hommes d'en faire ce merveilleux labyrinthe, pour fervir d'alile à plufieurs familles dans les guerres civiles , ou ious les règnes des tyrans , quoiqu'il ne ferve aujourd'hui de retraite qu'à des chauvc= feuris. Ce lieu eft extrêmement Cec , 8c l'on n'y voit ni égouts ni congélations ni cave goutiére ; on nous atfùra même que dans les collines près du labyrinthe , il y avoir deux ou trois autres con- duits naturels, fort profonds, dont on pourroit faire de femblables merveilles ; fi on le jugeoit à lpropos. On trouve dans l'iïle beaucoup de caver- îes & la plupart des rochers , fur tout ceux du îont Ida , font percez à jour par des trous à y fourrer la tête : on y voit plufieurs abîmes pro-> fonds & perpendiculaires :'■ pourquoi n'y auroit-il Tome I, F Si Voyage pas des conduits fouterrains horizontaux ? fur tout dans les lieux où les hancs de pierre lont aflis ho- rizontalement les uns fur les autres. Je ne doute pas que ceux qui creuférent en France a l'Amphithéâtre de Douvai proche le pont de Ce , n'y aient été invitez par quelque caverne ouverte en deflus , à la manière de nos puits ; la beauté , ou peut-être la bizarrerie du lieu , les en- gagea à l'aggrandir , &c à lui donner la forme d'un amphithéâtre dont tous les dehors font couverts de terre , excepté l'entrée. Cet ouvrage n'eft pas moins admirable en Ton genre , que le labyrinthe de Candie ; il ne faut pas croire que ce labyrinthe que l'on vient de décrire , foit celui dont les an- ciens ont parlé. b Diodore de Sicile & c Pline ailurent qu'il n'en reftoit aucun veftige de leur temps , & on l'avoit fait fur le medéle du laby- rinthe d'Egypte , l'un des plus- fan eux édifices du monde, embelli à fon entrée d'un très grand nom- bre de colonnes , & cent fois plus grand que celui de Crète. Il paroît d'ailleurs par les médailles an- tiques , que celui ci étoit dans la ville de Cnoiïè. Il lcmble que le labyrinthe qui fubhlle encore en Candie , ait été connu par les auteurs fuivans.' d Cedren dit que Thefée étant paflè en Crète , à la : follicitation des Sénateurs de Gortyne, Minotau- re qui fe vit abandonné & prêt à être livré , allai Te cacher dans une des cavernes d'un lieu appelle j le labyrinthe. L'auteur du grand Dictionnaire ej Grec, rapporte que le labyrinthe de Crète, n'étoit 3 Zip fin s de Amphith, b Bibiiûtb. Hifi. lib.i. c Hîjl. nat. lib. 3 6. cap. 1 3 . t au fan. Defcript. Gr&c. in AtiU.Plutarth.in Thejeg. d Compend. Htjî, c AxvvQtfyi ôv 1;? Kgu'rjîj Xeuot. Etjmol, magn. DtJ Levant. Lettre IL 8$ qiAine montagne percée de cavernes , & l'Evê- que de Candie a George Alexandre , cité par Vo- laterran , le décrit non feulement comme une montagne creufe , mais creufee par main d'hom- me , & que l'on ne fçauroît parcourir fans un guide habile , éclairé par des flambeaux, ii l'on lie veut s'expoler à s'égarer dans une infinité de détours. Le 7. Juillet , nous couchâmes à Novi-Caftellî chez le Signor Gieronimo , où nous avions dîné bu allant à Gortyne. On conferve chez lui un marbre d'un goût admirable : c'eft une tête de Bé- lier , ornée de ferions, laquelle a été tirée des rui- nes de cette fameule ville. Le 8. Juillet, nous fîmes 24. milles , pour nous retirer au monaflére d'Afomatos , & le lendemain nous allâmes à la montagne de ° Kentro , fur le récit qu'on nous fit, qu'il en couloit cent &C une fontaines ; ne feroit-ce pas la montagne que Théophraiïc appelle Kcdrios , & qu'il place fore près du mont Ida. En effet , cette montagne n'en: qu'à quatre milles du monaftére d'Afomatos , ié- parée du mont Ida par la vallée dont nous avons parlé , laquelle va fe perdre dans la plaine de la Malîeria ou Meifaria , comme prononcent les Grecs : Kentro eft une montagne pelée & féche en apparence , quoiqu'il en forte plufieurs belles fources > qui viennent fe rendre à un gros village appelle Brices , c'eft à dire les fontaines ', nous y couchâmes , &c nous courûmes tout le lendemain 10. du mois, fort contents de nos découvertes. Nous repalTames à Afomatos, pour prendre nôtre bagage , &c nous allâmes coucher à fix milles Geograpb, liv. 9- KcHtrftt Kiîçios. Tbecphr. Hiji. thut. lit* ? . cap. j. 84 Voyage de la , dans le couvent d'Arcadi. a L'Arbotlfier de Grèce , plante que nous avions cherchée inuti- lement jufques alors , nous fit un vrai plailir :elle CToît entre ces deux trïonaftéres , dans les fentes d'un rocher fur le grand chemin ; c'eft là un des meilleurs endroits de l'Ifle pour herborifer. J'ai oublié de dire que nous avions logé à Bri- ces , chez un vieux Papas, fort zélé pour ion rite, tk d'une ignorance pitoyable. Il voulut nous per- fuader en mauvais langage Italien , qu'il y avoir une ancienne prophétie écrite fur les murailles du labyrinthe , laquelle marquoit que le Czar de Molcovie devoit bien-tôt fe rendre maître de l'Empire Othoman , & délivrer les Grecs de i'eC- cïavage des Turcs ; qu'il fe fouvenoit encore que du temps dufiége de Candie , un Grec avoit afTùré le Vifir Cuperli , qu'il prendrait la place fuivant une autre prophétie de ce même labyrinthe : ces bonnes gens prennent pour des prophéties les ca- ractères dont les étrangers barbouillent les mu- railles de ce lieu. Etant de retour à Retimo , on nous avertit que c*étoit la faifon de la récolte du b Ladanum , ÔC que fi nous fouhairions de la voir faire, nous pou- vions aller à Melidoni , affez beau village, le long de la marine à 22. milles de Retimo : nous cou- châmes dans ce village le 22. Juillet chez un Pa- pas , pour lequel le Docteur Patelaro nous avoit donné des lettres de recommandation. Ce Papas nous promit de nous faire voir toutes les rarecez du pays , Se fur tout une infeription , qui eft à l'entrée d'une caverne auprès de ce village. Le * Arburus folio non ferrato ^ Drogue qui fert aux Apo- C. B. Pin. 460. Adrachnc ficaires & aux Parfumeurs, ThaophjaftiCluf.Hift.48. du Levant. Lettre II. 8 y lendemain nous fumes bien mortifiez par le pro- cédé d'un a Turc , qui exigeoic la b dixme dans ce quartier , &c que nous n'avions pas ofé prier à fouper, parce que nous n'avions que du cochon à manger : ce Turc ayant appris nôtre derîein , vint chez le Papas , & lui defFendit de nous mener dans la caverne , dilant que nous étions des ef- pions -, que nous fa liions des remarques fur tout; qu'on l'avoit averti que nous defîinious même jufques aux plantes , & qu'il ne fourfriroit pas que nous allaflîons coniulter ces vieux marbres rem- plis de prophéties , qui regardoient le grand: Sei- gneur. J'eus beau lui faire dire que nous étions médecins ; que nous ne cherchions qu'à faire plaiiir aux gens du pays , en leur diftribuant gra- tuitement des remèdes ; que fî nous deilinions les plantes , c'étoit pour nôtre propre inftrudtion , ôc que cela ne pouvoit nuire à perfonne. Il n'eut au- cun égard à nos raifons , & menaça de la baftona- de le Papas & tous les autres Grecs du village. Nôtre c interprète lui repréfenta fort inutilement que nous étions des François que la curiofité avoit attirez à Melidoni, pour voir amaller le Ladamtm, ôc que nous étions bien aifes de voir par occafion les autres raretez du pays. Sur cela je pris un de nos voituriers par la main , pour nous faire con- duire à la caverne en queftion , efpérant de trou- ver dans cette infeription le nom de quelque an- cienne ville , fur les ruines de laquelle on avoit bâti Melidoni : cette agréable vifion nous char- Soubichi , ou Vaivode J Com m s , Subde légué. Décatie en langue Fran- que , Décime , Dixme , k AiHctT» , en Aizctîoti , Tiïr butum decima: partis. AtyfZpxtoç, £ Açcf[ây-ciygt. vgj Txppi>u}/jji. L)io«mau, Droguerruu , Dragoman, Truchcman. F iij 86 Voyage moit -, mais le voiturier ne jugea pas à propos cîe marcher , non plus que les gens du pavs,qui trem- bloicnt comme des criminels. Le Turc ne faifoir. qu'en rire : il me fit dire que véritablement nous ne dépendions pas de lui ; mais qu'il étoit le maî- tre des Grecs , & qu'alïiirément il fe feroic obéir : que il nous voulions acheter du Ladanum 5 il en feroit porter du plus beau , fans que nous prif- fions la peine d'aller fur les lieux ; après quoi il réitéra les deffenfcs , & fur tout il iniifta qu'on fe gardât bien de nous apprendre la manière dont on préparoit cette drogue. Voyant la dureté de cet homme , nous entrâmes dans la maifon du Papas pour faire charger nôtre bagage Se nous re- tirer. Je m'avifai de demander qu'on nous ven- dît au moins , a l'inftrument avec lequel on amaf- foit le Laàanum. C'eft une efpéce de fouet à long manche , & à double rang de courroyes , tel . Ciftui c <]ua Ladanum in Ocra colligitur. Bell. Oblerv. cap. 7. lib. 1. Ladanum Crcti- cum P. Alp. Exoc.8S. ■ çio Voyage coque longue d'environ cinq lignes, prefque ova- le, dure, obtufe , brune , couverte d'un duvet fo- yeux , envelopée de feuilles du calice , partagée dans fa longueur en cinq loges remplies de grai- nes roufïès , anguleufes , de près d'une ligne de diamètre. La racine de cet arbrifleau eft ligneufe, divilée en grolles fibres longues de huit ou neuf pouces &£ chevelues ; le bois en eft blanc , l'ecor- ce rougeâtre en dedans , brune en dehors , &: ger- fée de merac que celle de la tige : cette tige dès fa naitlance eft divifée en branches grolles com- me le petit doit, dures , brunes , grilatres , fubdi- vifées en rameaux rouge-brun, dont les petits jets qui font vert-pale , velus , ont les feuilles oppo- fees deux à deux, oblongues , vert-brun , ondées fur les bords , épaifles , vénées , chagrinées , lar- ges de huit ou neuf lignes, (ur un pouce ou quin- ze lignes de longueur , émouUécs a la pointe,fou- tenucs par un pédicule long de trois ou quatre li- gnes fur une ligne de largeur ; celles qui font vers les fleurs font prefque rondes , & leur pédi- cule a deux lignes de large. Toute la plante eft un peu ftiptique , de d'un goût d'herbe : elle fe porte bien à Paris dans le Jardin Royal , & reifemblc alfez à cette eîpéce de Cifte qui dégénère de la graine du a Cifte à feuilles de Gcrmandrée. Cette dernière efpéce le diftingue par les nerfs qui tra- verfent la longueur de fes feuilles. Du temps de Diofcoride & même plus b an- ciennement , on n'amaifoit pas (eulemcnt le La- danum avec des fouets , on détachoit avec foin celui qui s'étoit pris à la barbe èc aux cuiiles des 3 Ciftus mas, folio Chama:- drys C. B Pin. 464. b Herod. lib. 3. cap. 1 1 1. à qtiO AtiffcfJi» (J Aai^"»» Arabum.A;;àùi. DiOjC.liv. 1. cap. iz8. du Levant. Lettre II. 91 chèvres , lorfqu'elles broutoient le Cifte. Le mê- me auteur a fort bien marqué cette plante , fous le nom de Lédon. Voilà , Monfeignenr , ce que nous obfervâmes autour de Melidoni: cependant la caverne & l'inf- cription nous tenoient toujours au cœur : je m'é- tois mis en tète que l'ancien nom de ce village y devoit être mentionné, néanmoins il s'agifloît de route autre chofe. J'ai découvert au milieu de Pa- ris ce que je n'avoîs pu voir en Candie, en feuille- tant le recueil des inlcriptions de a Gruter , celle de la caverne de Melidoni s'efl: prèientce dans le temps que j'y penfois le moins : elle fait mention d'un certain b Arternls ou Sallon'ms, qui offre un lacrifïce à Mercure à l'occafion de la mort de (a femme. Comme ce fait particulier n'efi: d'aucune conléqucnce , il feroit inutile de rapporter ici l'infcription , qui eft en douze vers -, on y trouve pourtant un fait de géographie , fçavoir que le mont c Tallée où Mercure faifoit la rélîdencc , & qui avoit fait donner un furnom à Jupiter, n'étoit pas loin de Melidoni : on avoit en Crète beaucoup de vénération pour ces divinitez : Jupiter eft fou- vent nommé Cretois & Idcen fur des médailles, & Mercure étoit appelle dans cette Ifle, le Dieu bien- failant , & le diilributeur des biens. Le 15. Juillet , nous couchâmes à Peribolia , pecit viiiage à un mille de Rctimo où Ton ne voie que des jardins , dont les Concombres font admi- rables , Ôc jullement d Pcriboll en grec vulgaire fî- x Pag.mlxviij. i'«SW otofy/.'nà. Eç^t» -zm^ b APTLMIS H SAAAO- r/o/lt/m** , ww^ -n tûit NI 02 «i«< fo-j^ip. Eiymol ma*n. t Oùpïrt TxfaiHoiow làeiu'tcu ed'it. Sylburg. tcig. 517. b\cu'.:hs EjfLH&C T*AûMU,- d Ilt&teÔAl. i Zti/f ùv K^nj. Heych. £1 V O Y A G I gnifie un jardin. Le 14. Juillet nous rcftâmes à Néocorio , autre village à dix railles d'Almyron, ÔC à deux milles de Stilo, au pied de grandes mon- tagnes , qui fe joignent à celles de la Sphachie : lous ces quartiers produifcnt une très belle efpéce de a Sauge. C'eft un arbriffeau fort touffu , haut d'environ deux ou trois pieds ; le tronc en eft tortu , dur , caftant , épais de deux pouces , rouftatre , couvert d'une écorce grife, gcrfée;diviféen plufieurs bran- ches grottes comme le petit doigt , fubdivifé en rameaux dont les jets font qtiarrez , oppofez deux à deux , blanchâtres , cotoneux, garnis de feuilles oppofées au (fi. par paires, longues de deux pouces &demi , quelquefois davantage , fur un pouce ou quinze lignes de largeur , chagrinées , blanchâ- tres, frifées, vénées fort proprement , roides , du- res , pointilléespar deûous , foutenuës par un pé- dicule long de fept ou huit lignes , cotoneux ÔC fîlloné. Les fleurs nailfcnt en manière d'épi, long d'un pied , rangées par étages affez ferrez : chaque fleur eft longue d'un pouce ou de quinze lignes : c'eft un tuyau blanchâtre , gros de 4. ou 5. lignes, évazé en deux lèvres , dont la fupérieure eft creu- fée en cuilleron , velu , bleuaftre plus ou moins foncé, longue de huit ou dix lignes. L'inférieure eft un peu plus longue , découpée en trois parties, dont les deux latérales bordent, l'ouverture de la gorge, qui eft entre les deux lèvres ; la partie mo- yenne s'arrondit &c fe rabat en manière de collet , échancrée , bleu lavé, frifée, marbrée , panachée de blanc vers le milieu. Les étamines lont blan- châtres, divifées à peu près comme l'os hyoïde : 8 Salvia Cretica, fiurefcens, pomifeva , foliis longio ribus , incanis & ciifpis. Corol. Inft. ici herb. 10. Tcrm. I. pcup.y J. . ncanw et a-tspis. Ctrro&Jhrù. ï du Le VA n t. Lettre If. *>$ le piftile qui fe courbe & fe fourche dans la lèvre iupérieure efl: garni de quatre embryons dans fa partie inférieure , lefquels deviennent autant de graines ovales , noirâtres , longues d'une ligne. Le calice ell un tuyau long de demi pouce , vert- pàle, mêlé de purpurin , découpé irrégulièrement en cinq pointes, évazéen manière de cloche. Cette efpéce de Sauge a une odeur qui partici- pe de la Sauge ordinaire , & de la Lavande. Les jets de cette plante piquez par des intactes , s'élè- vent en tumeurs dures, charnues , de huit ou neuf lignes de diamètre , prefque fphériques , gris cen- dré, cotoneufes, d'un goût agréable , garnies afTez fouvent de quelques feuilles en manière de fraife : leur chair eft dure & tranfparente quelquefois comme de la gelée. Ces tumeurs fe forment par le fuc nourricier, extravafé à l'occafion des vaifTeaux déchirez par la piqueure. On trouve auiïi de pa- reilles tumeurs fur la a Sauge ordinaire de Can- die : on les porte au marché , où on les vend fous le nom de Pommes de Sauce. Le 15-, Juillet, après avoir cottoye ces monta- gnes , nous nous rendîmes à un autre b village de même nom , à trois milles de la Canée , & conti- nuant nôtre route vers les hauteurs couvertes de neige , nous y trouvâmes plus de plantes rares que nous n'avions fait dans le refte de l'Ifle , quelques peines & quelques foins que nous eulîions pris. Nous fumes obligez de revenir le 18. à la Canée pour nous décharger de tous nos tréfors , & pour faire fecher nos plantes dans de nouveaux papiers; après quoi nous ne pûmes nous empêcher de re- tourner dans un pays fi avantageux pour les dc- * Salvia Crctica, pomifera b Ecribolia/w Mcforghiani Cluf. HUt. 343. ■ 5>4. Voyagé couvertes ; mais lorfque nous fumes arrivez vers les Commets , où nous eCperions de voir des chofes encore plus Cinguliéres , le brouillar & la neige nous obligèrent d'abandonner nôtre de lie i m Nous en partîmes le zz.Juillet pour aller voir le cap des G ra bu Ces. Le 23 . nous paflames tout le long de la marine, à la vue de lTile de Sant-Odero ou de Caint Théo- dore , connue autrefois Cous le nom de a Leuce^ On coucha ce jour là à Placatona : le 14. Juillet on palfa par ChiCamo petite ville Cur le bord de la mer ,à 30, milles de la Cance , &c l'on s'arrêta à tin méchant b village à deux milles au delà de Chi- lamo & à huit milles du cap des Grabufes. ChiCa- mo cft l'ancienne ville de c Cifamum , dont Stra- bon , Pline & Ptolemée ont fait mention. On y établit dans la Cuite le d douzième évèché de l'Ille. Le 15. Juillet, nous parcourûmes la montagne des GrabuCes , 8c nous deicendîmes par un pays horrible , à la pointe du cap, &c à la vue du fort des GrabuCes , bâti Cur un méchant écueil , ac- compagné de deux autres petites Ifles défertes.On ne Cçauroit prendre ce fort que par famine , & pour empêcher qu'on ne le ravitaillât , il faudroit tenir la mer toute l'année, ce que le vent du nord ne permettroit pas pendant l'hyver. Les Turcs ont eu cette place à bon marché , le commandant Vénitien la leur vendit il y a quelques ;années , pour un barril de fequins : on ne le connoît à Conftantinople que Cous le nom du Capitaine Gra- buCe : ce fort étoit une des trois places que la République; poiCédoit autour de lTfle ; il ne lui a Plin. blft.nat.l'ib.^cap.iz.. Ki.\Leon. du Levant. Lettre II. 9/ relie plus que la Sudc & Spina longa. Il y a beau- coup d'apparence que les Ides des Grabufes , font: les Mes de * Corice &C de Myle , puifqu'ellcs (ont oppofées à laMorée, appellée le Péloponnefe ou l'iilede Pelops , laquelle n'a chance de nom que par la grande quantité de Mcuriers que l'on y a plantez. On ne fçauroit douter que le cap des Grabufes, ne (oit le cap b Cimnros de Strabon. Suivant cet auteur , l'Iile de Crète efl: divifée au couchant en deux caps , l'un méridional appelle c front de Bé- lier j l'autre feptentrionnal nommé Cbnaros. Ainfi ce nom ne peut convenir qu'au cap des Grabufes ou au cap Spada;mais outre que le cap Spada n'efl: pas à l'extrémité de l'Iile , ni oppofé au cap du front de Bélier ; il efl: certain que le cap Spada efl: le cap d Didtynnée de Strabon , fitué fur le mont Tityre , c'eft à dire , fur les montagnes de la Ca- née où étoit le temple de Diane Dictynne. Triftan & Seguin ont fait graver une belle e médaille de Trajan ; au revers efl; une femme affi- le fur une montagne : peut-être qu'on a voulu repréfenter Diane fur le mont Tityre ou fur le mont f Dictynnée , que je prens pour le cap Spa- da. Tout le monde fait que Diane fut honnorée en Crète fous le nom de Dictynne ou de S Brito- Concx & Mylar. Plin.Hift. nat. lib \. cap.iz. A'xptSlvpic' Ki^oit. Strab. Kerum geog. tib.lO. A r.paiïp'io» Kpioù f4irv7Ttv. Strab. ibid. h'Ktwjy.i^ei AltTtutsfcio», Strab. illd. e Légende. A I K T Y NN A. f Mons Didynnxus. Plin. l'ib.^. cap. il. 5 Bg/lc^apliS ci Kp^y rç Ap- If^'f- Hefycb. BgA-n> -oel Bg/rù apud Crc- tcnfes dulcis , n^-ns vir- go ; unde &g/lounplif dul- cis vitgo. Vide Sclin. c.\ i, Attliwit* à jtimtt. retc. 9* V o Y A g t rriartis , à l'occafion d'une Nymphe de ce nom qu'elle aimoit tendrement , &c que l'on nomma Diclynne , parce qu'elle s'avifa la première de faire tendre des toiles pour prendre les bêtes fau- ves : il vaut mieux s'en tenir à ce qu'en dit a Dio- dorede Sicile , qu'à toutes les fables qu'on a pu- bliées fur Dictynne. Le z6. Juillet, noUs allâmes aux ruines de b Palcocaftro , ou Château vieux, félon le grec vul- gaire. Les gens du pays ignorent fon ancien nom: il eft pourtant à croire que c'étoit la ville c d'A- ptere , puifque Strabon avance que Chifamo en étoit l'arfenal & le port : en effet Chifamo eft un port de mer , fur une grande rade formée par les cornes du cap des Grabufes ÔC du cap Spada j or les ruines de Paleocaftro font à la vue de ce port* fur une roche cfcarpée & fortifiée par la nature : c'eft au pied de cette roche , entre la ville & la mer , qu'eft ce fameux d champ où les Sirènes vaincues par les Mufes darts un célèbre defh de mufïque , perdirent leurs aîles, fi nous en croyons quelques anciens c auteurs. On prétend même que la ville prit fon nom de cette fable : car Ap- tère fignifie fans aîles : néanmoins l'étymologie u'en donne Eufebe de Cefarée , eft plus vrai- emblable ; il prétend que ce fut Aptéras Roy de Crète qui lui donna fon nom après l'avoir faite bâtir. Il n'y a pas beaucoup d'anciens marbres dans i * Blbllot. Hift. lib. j. * Awrrçp- Strab. Rer. grog. lib. 10. Stephsm. Aptcron. Plut. Hijl.nar.'ïb.^.cap.ix. W t? 9*>*t?««. Stephan. e S:epb. Etymol. maga. S«#- dai. Eufeb. Chron.GrM.ér Lat- les du Levant. Lettre Ih 97 îes ruines d'Aptère ; quoiqu'elles foient de grande; étendue. On y voit une allez belle frize 3 qui fert de linteau à la porte d'une chapelle pratiquée dans lin rocher , &c l'on doit remarquer en partant, que c'eit un des quartiers de l'Ifle , où il y a le plus de grotes 8c de cavernes. Attenant la roche à l'un des coins d'une des anciennes portes de la ville , on lit fur une longue pierre I M P. C AES A R„ en parfaitement beaux caractères. Nous ne pûmes pas trouver le relte de l'infcription pour appren- dre quel étoit ce prince. Sur un autre bout de pierre 3 qui fert de linteau à la porte d'une mafu- re ,on lit ces caractères. IV II. COS. III, Tout cela marque que la ville a été conlidérablc dans Ion temps , Se il n'y auroit aucun doute que Paleocaftro ne fut le refte de l'ancienne ville d'A- ptére , n'étoit que Strabon ne la place qu'à dix milles de la Canée ; mais il n'y a rien de bien cer- tain touchant les mefures des anciens , ou peut-, être que cet endroit de Strabon eft corrompu. a Bérccynthe , fameufe montagne chez les an- ciens , eft fans doute dans le voifinage d'Aptère ; comme ce nom s'eft perdu il eft mal aifé , pour ne pas dire impofîible, de là diftinguer parmi cel- les qui font aux environs de cette ville. Il y au- roit pourtant plaifir de fçavoir où eft Bérccynthe, puifqu'on n'oubliera jamais le nom d'une monta- gne où les Dactyles Idéens trouvèrent l'ufage du feu , du fer , ôc du cuivre. "° On verra dans les éclaircirTemens que nous donnerons fur l'ancien- ne Crète , qui étoient ces Dactyles Idéens , & ce qu'il en faut croire. Meurfîus a fait une excellente b Diod. Sic. Bibliot, H'Ji. Tome I. llb. y. 9$ Voyage remarque fur l'endroit de a Diodorede Sicile, os Il cft parlé d'Aptère. Le 17. Juillet , nous allâmes au couvent de Cougna , tout a l'entrée du capSpada , à la vue de la Canéc ; nous avions dellein de viiiter ce cap avec attention , mais il fallut partir fur le champ,, parce que le conful de la Canéc nous fît avertir par un exprès , qu'un patron de barque de Pro- vence dévoie mettre à la voile pour Négrepont , & qu'il l'avoit engagé de nous débarquer à Milo. L'occafion nous pamt favorable pour aller dans l'Archipel : cependant le vent ceffa le lendemain, & la bonace nous donna tout le teïnps de faire nos balots à la Canée , & de mettre par écrit les réflexions que pavois faites à loifir dans cette lue : j'y en ay joint quelques autres depuis ce temps-là. b L'iile de Candie eft éloignée de Marfeille d'en- viron 1600. milles & de 6co. de Conftantinoplc. On compte 400. milles de Candie a Damictte en Egypte, 500. à Chypre , 100. à Milocv 40. à Ce- rigo. iamais foliation ne fut plus favorable que celle de Candie pour établir un grand empire , comme c Ariftote l'a rcmarqué:au milieu des eaux, elle cft à portée de l'Europe , de l'Afie & de l'A- frique. La longueur de Candie fe doit prendre du cap des d Grabufcs au c cap Salomon j on compte de l'un à l'autre zyo. milles , & un homme à cheval peut aifément faire ce chemin en dix jours. Stral a // faut lire , oi -ly Axîi- c Ariji. de Republ. lib. i, W %"!,', ï hfnçi.\ui. Dtûd. Si.'. ibid. Creta Jovis tmgnt medio jaccr infula ponto. Virg. /Entid. lib. 3. v. 104. c» A xpmnifit* %tt&$0* Strabl lierum geogr. lib. ï o. xpûïnitltr "Zaui cjufÀ du LtvANi, Lettre If. p % bon donnoit 287, milles 8c demi de longueur à cette Ifle. a Pline 170. parce qu'ils comptoient du cap faint Jean que quelques-uns appellent en- core càbà Crio 5 au cap Salomon : à ce compte il faut mettre une journée de plus : fuivant la fuppu- tation de c Scylax , elle a 3 1 2. milles & demi de long. Quant à la largeur de Candie , elle n'efl que d'environ 5 j. milles comme d Pline le mar- que ; de forte qu'on peut la traverfer en deux jours vers le milieu de l'Ille où elle eit plus larcre qu'ailleurs. Strabon ce Scylax ont eu raifon dé dire qu'elle étoit étroite , longue , étendue du le- vant au couchant : auiîi Eftienne le Géographe ailiue-t-il qu'on l'appelloit l'itle longue. e Bélon n'a pas bien connu le tour de l'Ifle dé Candie , il le détermine à 1 $10. milles, quoiqu'il ne foit que de 600. comme en convient Mr de f Brèves. Les gens du pays font de même fentimenri 8c cette melure répond à celles de Strabon 8c de Pline ; le S premier lui donne 625. milles de cir- conférence , &c h l'autre 590. Il eft furprenant que les mefures des anciens fe trouvent quelquefois il conformes à celles des Grecs d'aujourd'hui : il femble que ces derniers les ayent eonfervées par tradition : car ils n'ont pas des mefures certaines, & ne fe fervent que de pas communs ; c'eft à dire des enjambées d'environ deux pieds 8c demi cha- une. On verra quelquefois auffi dans la fuite dé cette relation , que le compte des anciens étoit ien éloigné de celui des modernes,, Hift. riat. Ub. 4. cap. m. A Kg&7r,piùt x&:ù ftiiwmt. Strab. ibid, Ptripl. Ikid. e Obferv.lib.I. c*f>.%. i Relation des voyages^ 0T, h Parti 1618. 8 iD3. fkades. h H'tf.nat.lib. 4. COfitÈi G i) 10(3 V 6 Y A G E Les habitans de Candie, Turcs ou Grecs » font naturellement de belle taille, vigoureux, robuftes} ils aiment fort à tirer de l'arc , de tout temps ils (c font diftinguez dans cet exercice , & a Paufa- nias aiïùre qu'il étoit comme attache à leur na- tion , préférablement à tous les autres peuples de Grèce b auffi ne voit-on que carquois repréfentez fur les pins anciennes médailles de l'îflé. c Ephore nous a confervé une loy par laquelle Mihos or- donnoit qu'on montrât aux enfans à tirer de l'arc: les archers de Crète commandez par Stratocles furent d'un grand fecours dans d la retraite des dix milles ; il n'y a qu'à lire e Arrien pour voir de quelle utilité ils furent à Alexandre : il y' a apparence qu'ils employoient pour leurs flèches cette petite efpécc de i Rofeau dure , menue' &C piquante, qui naît dans les fables de l'Ifle, le long de la marine. Théophrafte & Pline en ont parle -, Profper Alpin en a donne' une aflez méchante fi- gure. Les Cretois fe fervoient auffi fort utilement de la fronde : aujourd'hui on n'en connoît plus Pul fage.Tite Live n'a pas oublié les avantages qu'Eu- menés & le Conful Manlius tirèrent des archers cV des frondeurs de cette Ifle ; l'un à cette fameu- fe journée où Antiochus fut vaincu par Scipion 3 l'autre à la bataille du mont Olympe, où les Gau-< cript. Gr&c. in Attic. h Golcz. Grarc. c Strab. Kerum Geog. lib. 10. d Xenophon. lib. 4. c De txpedit. Alex. f Avundo graminea,aculeâta, Proïp. Alp Exor. 104. Ncc Gortyuiaco calamus !e- vis exit ab zmxi.Ovid.Mei lib. 7. Et calami fpicula GnofÏÏ Hcrat. Od. 13. lib.i. Theoph. Hift. plant. lib 4.^.13 Mft. nat. lib.16. cap.*,6. T. Liv. Hifi. Lu. cap. 41. (j lib. 38- cap.-L\. Athen. Deipn. lib. 1 4 . &c du Levant. Lettre II. ioi lois fuirent défaits. Appien remarque qu'il y avoic des frondeurs Cretois à Pharfale dans l'armée de Pompée. A l'égard des autres exercices du corps. la dancc, la châtie, la courfe, le manège, ils y ex- celloient. Pour leurs mœurs , quelque foin qu'a- ient pris leurs légiflatcurs de les former, elles ont été blâmées en piulicurs choies. a Polybe aiïurc que de tous les hommes , il n'y avoit que les Cre- tois,qui ne trouvaient aucun gain (ordide. b Saint Paul n'en a pas fait le panegirique, non plus que c Conftantin Porphyrogenetc. Suidas & d Calli- maque les traitent de menteurs & d'impoûeurs : les laies amours de ces peuples ne font que trop connues, par ce que c Strabon, f Scrvius 8c S Athé- née nous en apprennent. Ils font plus honnêtes gens aujourd'hui : on ne voit dans cette Iflc ni gueux , ni filoux , ni men- dians , ni atlatîins , ni voleurs de grand chemin. Les portes des maiions ne te ferment qu'avec des tringles de bois fort légères , qui fervent de ver- roux. Quand un Turc vole, ce qui arrive rare- ment , on l'étrangle dans la prifon , pour l'hon- neur de la nation : on le met dans un fac plein de pierres & l'on va le jetter dans la mer : fi c'eft un Grec, il eft condamné à la baftonade ou pendu au premier arbre. La plupart des Turcs de l'Iilc font '' renégats ou fils de renégats ; les renégats font ordinairement moins honnêtes que les vrais Turcs. M :1 L'ib.6 ■* K ( .il ; ; ,- litwn. c K#sr rrudiKi X , K.ci;dj , K/'< f-ij> ,,..: Kuzrna n^-x/j-a Confl. Porphyr. tn \ overr,. tnàeh. hymn. verf.%. Rer, Geog. liùjo. Ser-vitii JEnciÀ. llb. i o. njerf.yt y. Deipn, lib. i 3 . 01 alibi. Bourma. G iij ïoi Voyage Un bon Turc ne dit mot quand il voit des Chré- tiens manger du cochon &ç boire du vin : les re- négats qui eu mangent & qui en boivent en ca- chette,les grondent Se les inlultent. Il hiut avouer que ces malheureux vendent leur ame a bon mar- ché : ils ne gagnent à changer de religion qu'une verte , & le privilège d'être exempts de la capita- tion , laquelle n'elt pourtant que d'environ cinq écus par an. Les payfans Grecs ne portent fur la tète qu'u- ne calote rouée , femblabie a celle de nos enfans de cœur ; à la campagne , pour le garentir du fo- leil , ils n'ont d'autre fecours que celui d'un mou- choir qu'ils mettent fur leur ca'ore , Se qu'ils re- lèvent par un des coins avec leur bâton pour en faire une efpéce de paratul. Les Turcs ufentde la même commodité. Les Grecs font vêtus à la légè- re ; ils n'ont que des caleçons bleus de toile de co- ton , fort larges Se qui tombent fur les pieds; mais le fond de ces caleçons defeend beaucoup plus bas qu'il ne faut, Se les tait paroître fort ridicules. On ne voit perfonne qui ne foit bien chauffé dans cet- te Ifle , au lieu que les payfans d'Europe ont la plupart les pieds à demi nuds. Dans les villes, les Grecs fe fervent d'efearpins de marroquin rouge fort propres & fort légers : a à la campagne ils porr tent des botincs de même étoffe , qui durent des années entières & lont aufti bien chauliez que l'é- toient les anciens Cretois du temps b d'Hippo- cratc. Ce fanicux médecin en parle comme d'u- ne chauflurc fort commode , Se c Galien fon corn- mentateur allure qu'elle montoit à mi-jambe , a Villanos , ram bagnard 's. BtXs4»/>i y Rujiitttt, *> Hif>p. lib. de mlc. Galenus Carrément. 4. lib.pr&dicl. Hippocr. du Levant. Lettre II. 10$ qu'elle ctoit d'une bonne peau, percée en plu fleurs endroits , pour laitier palier des courroyes qui la ferroient & l'erapêchoient de tomber. A l'égard des dames , nous en avons vu d'allez julîcs à Gir?.petra '. ailleurs elles font laides > leur habit ne marque point la taille , qui eft pourtant ce qu'elles ont de plus beau. Cet habit cil très iimple : c'clr. une jupe de drao rouge, tirant fur legrifdelin , fort plitlée , fulpcnduë fur les ép iu- les par deux gros cordons,^' qui leur laille le leirt tout découvert. Les dames de l'Archipel portent des caleçons : les Candiotes n'ont que la chemife fous leur jupe ; leur coiffure eil de la même (Im- plicite : elles couvrent leur tête d'un voile blanc , qui tombe d'alïez bonne grâce fur leurs épaules : dai Heurs ces dames font fort mal propres. On voit fort peu de Turques dans les rues , encore ont-elles le vilage couvert , $c font toutes enve- lopécs dans une vefte de drap. Les Juives paroi £• fent allez ragoûtantes. Les Négrcllcs font lés plus Laides femmes de l'iOe. Il n'y a pas de gens au monde plus familiers que les Grecs ; par tout où nous pallions , ils ve- noient fc mèier parmi nous , femmes , filles , gar- çons , vieillards ; on examinoit nos habits , notre linge , nos chapeaux i tout le village s'alfembloit , partie autour de nous , partie fur les terraîfes. Ce n'étoit pas pour nous infulter, ce font de fort bons humains j mais comme nous prenions fouvent la traverfe pour aller chercher nos plantes dans des montagnes où l'on n'a jamais vu d'étrangers , la curiohtéles portoit à nous venir voir. Après avoir bien conlîdcre notre équipage , on commencoit à rire : eux de nos manières ce de nos habits, & nous de leurfotife. Tout cela fe palfoit dans les rués , G iiij 104 Voyage tandis que nos guides croient occupez à nous chercher un cite : le trîte trouve nous commen- çions à marcher , efeortez de la moitié du vila- ge : ordinairement on faifoit une ftation devant la porte de la maifon , pour attendre qu'on eut d\C- fipé la fumée , & qu'on eût challé les mouches s les coufins , les punaifes , les puces , & les four- mis. On profitoit de ce temps-là pour les confuîta- tions :les malades étoient portez au milieu^ de la rue , de même que du temps d'Hippocrate. Nous nous fervions (ouvent des premières plantes qui fe préfentoient, & torique le befoin le demandoit, nous leur faifions prélent de quelque vomitif pour emporter le levain des maladies les plus fâ- çheufes : le plus fouvent c'étoit à des Grecs. On ménageoit beaucoup les MiiiulmanSjhu* tout dans les lieux par où nous prévoyions d'être obligez de reparler. Quiiçait s'il ne leur auroit pas pris en- vie de nous donner la baftonade , lî nos remèdes les euffent trop fatiguez ? l'exemple du Pacha de Candie nous avoit frappé , & nous n'aurions pu en ce cas là recommencer nos travaux de lu fetnai- nes. Sur les terres des Turcs on applique fort gra- vement les coups de bâton ious la plante des pieds; ils les comptent avec les grains de leurs chape- lets , & fans s'informer de quelle faculté l'on eft, ils vous régalent encore (ouvent de quelques coups de bâton fur les épaules. Quoique nous enflions lailîe nôtre air grave à Paris , on ne laiùoit pas de nous fatiguer à tons momens : on couroic après nous en foule , en criant , a Médecins , âofirie%jnous quelques plan- tes pour guérir nos maux. Si nous reliions fur du Levant. Lettre IL iof les grands chemins pour en décrire ou pour en deflincr quelqu'une , on nous amenoit auf]î-tôt des enfans ou des vieillards malades : nous leur donnions des remèdes & des avis avec plaiiir ; ce qui nous faifoir perdre bien du temps : mais ou- tre la confolation que nous avions de faire du bien , nous profitions de ces occafions pour ap* prendre les noms vulgaires des plantes qui fc pre- lentoicnt. Je regardois le cerveau de ces pauvres Grecs , comme autant d i"nicriptions vivantes, lef- quellcs fervent à nous conlerver les noms citez par Théophrafte de par Diofcoride ; quoique fu- jettes à divertes altérations , elles dureront fans doute plus long-temps que les marbres les plus durs, parce qu elles (e renouvellent tous les jours, au lieu que les marbres s'cilacent ou fe de'truifent. Ainfi ces fortes d'inferipeions conferveront dans les ûéeles à venir , les noms de plusieurs plantes connues de ces habiles Grecs , qui vivoient dans des temps plus içavans &c plus heureux;nous avons «pris de cette manière plus de joo. de ces noms vulgaires , qui par leur rapport avec les noms an- ciens , décident fouvent des plantes les plus fami- lières aux premiers Botanifces. Oétoit principalement aux Papas & aux Calo- yers que nous nous adrciîlons pour cela : nous le ecrardious comme delcendans en lierne droice d : ces fages Curetés , qui renfermoient dans leur tê- te toute la feience de leur temps : ceux-ci pourtant font de flancs ignorans, qui fçavent un peu mieux le mettre à leur aife que leurs voiiins; auffi polfé- dcnt-ils le plus beau Cv ie meiijgur bien de l'iilc. S'il y a un bon fond , une plaine fertile, de beaux Oliviers, des Vignes bien cultivées, il ne faut pas demander à qui elles apparciciinent , on trouve io6 Voyage bien-tôt le monaftére : s'il n'y a pas de monaft.'re, le Papas ne loge pas loin de là. Toutes les belles fermes dépendent des couvens ; c'eft peut-être ce qui a ruiné le pays, car les moines ne font guéres propres à foutenir un état. Il eft vrai que ces moi- nes Grecs font de bonnes gens ; ils ne s'occupent qu'à labourer la terre , ck ne fe mêlent pas de médecine : ces religieux font très maigre chère ; le gibier du pays feroit inutile, s'il ne sfy trouvoit d'autres perfonnes pour en faire ufige. Les bourgeois de Candie fe traitent fort bien : a on nourrit dans l'Ifle beaucoup de volaille , de pigeons , de bœufs , de moutons , & de cochons. On y voit quantité de tourterelles , de péri:!:: rouges, de bécalfes, de becrigues, de lièvres, point de lapins. La viande de boucherie y eit très bon- ne , hormis durant l'hyver : faute de pâturage, on eft obligé dans cette faifon de faire paître les trou- peaux, le long de la mer parmi les joncs, où ils deviennent fi maigres, que leur chair n eit que de la filalle. Les Grecs ne s'en embarraiFent guéres : ils fe ragoùtent avec des racines ; & c'elt ce qui a donné lieu au proverbe, qui dit que les Grecs s'engraiiïent où les ânes meurent de faim : cela efl: vrai à la lettre, les ânes ne mangent que les feuil- les des plantes , & les Grecs emportent jufques à la racine. Nous admirions quelquefois leur genre de vie : nos matelots palïbicnt les journées entiè- res à ne manger que de mauvais bifeuit, & de ces moufles falées , qui croilfent lut des rochers cou- verts de l'eau de la mer. Quoiqu'il n'y ait pas dans cette Ifle la moitié a Quidquid in Creta nafei- tur , infinité praftat carte- lis cjufdcm guiais alibi genitis. ! lia. Hijt.nn:. Llb. xj.cxp 8. du L f v a n t. Lettre II. 107 çi\i monde qu'il faudroit pour la cultivcr,clle pro- duit néanmoins plus de grains que Tes habitans n'en confommenr. Non feulement elle abonde eu vins ; mais elle fournit aux étrangers , des huiles , de la laine , de la foye , du miel , de la cire , des fromages, du Ladanum. On y cultive peu de Co- ton & de Sefame : le Froment y eft excellent , fur tout aux environs de Candie & dans la plaine de la Mellaria : mais on n'y fçait pas faire le pain : ç'eft une pâte molarle , écralée , 8c fi peu cuite qu'elle s'attache aux dents. Les François y font de jrès bon pain , bien cuit &c bien levé , dont les Turcs font friands. Les vins de Candie font excellens , rouges , blancs &c clairets. à II n'elt pas furprenant que l'on voye des médailles des plus anciennes frap- pées au nom des Cretois, fur le revers defquellcs on ait repréfenté des couronnes de b Lierre entre- mêlées de grappes de railin : les vins de ce climat ont autant de verdeur qu'il en faut pour corriger leur liqueur : cette liqueur bien loin d'être fade , cil accompagnée de ce baume délicieux qui fait mépriier tout autre vin à ceux qui ont bien goûté les vins de Candie. Jupiter ne beuvoit pas d'au- tre nectar, lorfqu'il regnoit dans cette Ifle. Quoi- que ces vins loicnt pleins de feu , c Galien ne laiiîoit pas d'y en trouver d'alfcz tempérez pour en permettre lutage à ceux qui avoient la fièvre. Les Turcs ne fçauroient s'empêcher de boire de n bon vin, au moins pendant la nuit,& lorlqu'ils s'en mêlent , c'cfl à fond de cuve. Les Grecs en boivent jour &£ nuit (ans eau , & à petits coups , 3 Golt%.Gr&~, c Comment, j. in l>b. Hippoc. b Lar^i vitis mira fo!i in- de viclus rations in tnorb. pulgentU. iolin.caf.il.. mut. io8 Voyage trop heureux d'enfevelir de temps en temps dans cette boilïon le fouvenir de leur miiére. Quand on verfe de l'eau fur ces vins , le verre paroît tout rempli de nuages , traverfez de filets ondoyans & comme crêpez , formez par la grande quantité d'huile ethérée, qui domine dans cette liqueur. Il feroit aifé d'en tirer d'excellent efprit de vin : ce- pendant a l'eau de vie que l'on boit en Candie, de même que par tout le Levant, eft déteftable : pour faire cette liqueur , on met de l'eau fur le marc des raifins, que l'on charge après ij. ou 20. jours de digeftion , avec des pierres plates fort lourdes^ afin de l'exprimer : on diftile cette piqueté à moi- tié , & l'on jette le refte : pour mieux faire, il faudroit jetter le tout ; car leur eau de vie n'a point de force & ne fent que le brûlé ; elle eft rouftatre , & fe corrompt facilement. La laine de Candie non plus que celle de Grè- ce , ne peut iervir qu'à des étoftes groilîéres , à des liziéres , ou à des matelas. La ioye de cette Iilc feroit parfaitement belle fi on avoit l'adrelfe de la façonner. Le miel en eft excellent , & fent le Thym dont tout le terroir eft couvert : ion odeur n'accommode pas tout le monde , il eft do- ré & plus liquide que celui de Narbonne. La cire 8c le Ladanum de cette lïle ne font pas à méprilcr. On eftime les fromages des montagnes de la Spha- chie, b Athénée aifùre qu'on faïfoit en Crète des fromages minces ôc larges pour brûler dans les facrifices ; apparemment qu'ils étoient excellens , puifqu'on n'employoit rien que de bon dans ces cércmonies.Quoiquc la Candie foit un riche pays, cependant les meilleures terres de l'Iile ne font guéres bien cultivées , 6c même les deux tiers de * P#x* , Ralii. t> De'ifn, Ub. 1 4. du Levant. Lettre II, 105} ce Royaume ne font que montagnes féches } pe- lées j défagréablcs , efcarpées , taillées à plomb ôc plus propres pour des chèvres que pour des hom- mes. On refpire un fort bon air en Candie : il n'y a que* le a vent de terre à craindre : on a penfé deux ou trois fois abandonner la Canée où ce vent eft tout a fait fufFocant. On a remarqué plus haut , que iouvent il étouftoit les gens en pleine campa-1 gne : nous eûmes grand peur de pareil accident en venant du cap Mélier à la Canée. A l'égard des eaux , on n'en fçauroit trouver de plus belles ni de meilleures. Tout bien confideré l'on peut dire que cette b lfle eft placée fous un beau ciel : aufîî l'appelloit-on autrefois l'Ifle heureufe : il n'y a pas jufques aux pierres qui n'en foient eftimables. La plupart des villages y font bâtis de marbre blanc , mais il eft tout brut 3c ne paroît pas plus que nôtre moilon : on n'employé le marbre que parce qu'il eft plus commun que les autres pier- res , par la même raifon que le fer eft plus rare en Amérique que l'or &c l'argent. Que diroient les Dipa:nes , les Dédales , les Scyllis , les Ctélîphons, les Métagénes , s'ils voyoient blanchir le marbre avec de la chaux ? Excepté Dédale , c tous ces ha- biles fculpteurs & architectes étoient Cretois, Se les deux derniers avoient bâti le temple de Diane à Ephéfe : ces grands hommes n'employoient pas la boue au lieu de mortier, comme les Grecs d'au- jourd'hui , qui ne font que délayer la terre avec a Vent du Sud, b Macaros. Plin. Hift. nat. ïtb.4. cap. 11. Nonnulli cciam à temperic cxli , Mxuppm yirt70P ap- cllat.im prodiderunr, Solin. Polybift. cap. 1 1. Pli». Hift. nat. lib. 3 6 . cap. 4. & lib. 7.cap.}7.Vitruv, Art hit, lib. 5. cap. 1. nb Voyagé de l'eau , fans y mêler ni chaux ni fable. Dans les villages, les maifons n'ont qu'un feul étage parta- ge en deux ou trois pièces éclairées chacune par une ouverture où l'on a entravé une cruche de grez d'un pied & demi de diamètre , ouverte par les deux fonds , & maçonnée dans le couvert : ce couvert eft en terralîe , ôc confifte en une couche de terre épaiiTe de demi pied , étendue fur des fa- gots foutenus , chez les plus ailez , par des fablié- res couvertes de planches. Nos Auvergnats & nos Limouims, tiouveroient bien à s'occuper dans ce; pays-là. Pendant la paix , on vit fort doucement dans cette Iile : durant la guerre , toute la campagne eit déiolée par les Cains : on appelle de ce nom là les Grecs révoltez & retirez chez les Vénitiens* à la Sude , ou à Spina longa. Ces Cains , ou faux frères, brûlent, faccagent , violent Se commettent toutes fortes de cruautez : ils s'attachent fur tout à faire des prifonniers Turcs , qu'ils rançonnent le plus qu'ils peuvent. Si un Cainelt. pris , il n'y a point de quartier pour lui : on l'empalle, ou on le met au a Gauche. Dans la dernière guerre , il y en eut un , qui pour éviter le dernier fupplice , offrit b deux mille écus : le Pacha ne lailîa pas que de le faire empaler avec fou argent au col. Pour empaller un malheureux , on le fait cou- cher ventre à terre , après lui avoir lié les mains derrière le dos : on lui endoife le bas d'un âne, (ur lequel s'alîoyent deux valets du bourreau , afin de le bien alfujetir , tandis qu'un autre lui cogne lé vifage contre terre avec les deux mains qu'il lui appuyé fortement iur le col : un quatrième ofhcier a Efpece d'eflrapade. t Quatre bourfes. La bourfe %"Ji de joo. écus. 7~&m.l.r?iuj .. espèce oE & fî ces malheureux vivent encore quelque temps , les Turcs les plus zélez pour l'é- tat s'approchent d'eux pour leur chanter pouille , bien loin de les exhorter à fe faire a Mululmans. Les Turcs font il perfuadez , qu'un homme qui a fait un grand crime eft indigne d'être Mufulman ; que lors qu'un Mufulman eft condamné à mou- rir perfonne ne l'afïifte , parce qu'ils croyent que fon crime l'a rendu Jaour, c'eft à dire infidèle & Chrétien. Le Ganche eft: une efpéce d'eftrapade , dreîlcc ordinairement à la porte des villes : le bourreau élevé les condamnez par le moyen d'une poulie; & lâchant enfuite la corde, il les lailfe tomber fur des crochets de fer, où ces malheureux demeurent acrochez tantôt par la poitrine, tantôt par les aif- fclles , ou par quelque autre partie de leur corps : on les laide mourir en cet état : quelques-uns vi- vent encore deux ou trois jours : il y en a qui de- mandent à fumer tandis que leurs camarades crient comme des enragez. On dit qu'un Pacha parlant devant une de ces potence^ en Candie, jetta les yeux fur un de ces miférables, qui lui dît d'un ton railleur : Seigneur , puifque tu es fi cha- ritable luivant ta loy fais moi tirer un coup de moufquet pour finir cette tragédie. Quoique la vie des Candiots foit aflêz molle , ils ne taillent pas de monter fouvent à cheval ÔC fidèles. iii Voyage de chàfTer ; ils ne fçavent ce que c'efl: que de cha£ fer à pied : les Seigneurs du pays ont ordinaire- ment des chevaux de Barbarie parfaitement beaux, & qui durent bien plus long temps en ce pays-la qu'en France , où le ferein tk le foin les rendent pouffifs & fluxionaires. Les chevaux de l'Ifle font des bidets pleins de feu 3 dont l'encoulùre eft alïez belle & la queue fort longue ; la plupart ont Ci peu de boyau que la fclle ne fçauroit leur tenir fur le dos : ils font entiers & fe cramponent fi adroitement dans les rochers, qu'ils grimpent d'u- ne vitelle admirable dans les lieux les plus efcar- pez : on nJa qu'à les prendre d'une main par le crin, & tenir la bride de l'autre ; dans les deteen- tes les plus horribles , qui font allez fréquentes dans cette Ifle , ils ont le pas ferme & alïiïré, mais il faut les laitier faire } & marcher fur leur bonne foy : ils ne s'abbatent jamais quand on s'abandon- ne à leur conduite , non plus que lorfqu'ils por- tent des fardeaux beaucoup plus lourds que le corps d'un homme ; ordinairement ils ne tom- bent que lorfque le cavalier ne leur lâche pas allez la bride , car alors ayant la tête trop élevée , ils ne fçauroient porter leur vue en bas pour placer fûrement leur pieds. Lorfque je me trouvois fur le bord de quelque précipice , bien loin de vou- loir régler le mouvement de mon cheval , je fer- mois les yeux pour ne pas voir le danger, ou bien je mettois pied à terre avec mes amis pour her- borifer. Nous profitions toujours de quelque nouvelle plante , ôC ces fortes de plantes ne s'appellent ra- res , que pareeque ceux qui s'appliquent à la Bo- tanique vont rarement fe fatiguer dans des lieux ii rudes j il eft plus naturel de fe promener dans un du Levant. Lettre ïî. 1 i j" i un bois , 8c les premiers hommes ne fe font fervis I des plantes qu'on appelle ufuelles , que par la fa- cilité qu'ils avoient de les trouver fous leur main: il eft mal aifé de rendre raifon pourquoi celles qui naiuent dans les fentes des rochers font fi dif- férentes de celles qui pouffent dans le beau pays ; on n'èft guéres plus habile quand on a recours à la différence du fuc nourricier que ces lieux leur fournifTent ; car cette différence de nourriture ne nous dédommage pas de nôtre ignorance : c'eft tomber d'une difficulté dans une autre , & c'eft là le défaut ordinaire des Phyficiens. Pour revenir aux chevaux de Candie , les da- mes Turques ou Gréques , qui ne fçâuroient fé fervir d'autre voiture , à caitfc de la difficulté des chemins , ne defeendent jamais , & l'on n'en- tend pas dire qu'il leur arrive d'accidents fâ- cheux par la chute de leurs chevaux : ces petits chevaux font merveilleux pour courre le lièvre \ cette chalîe 8c la chaffe à l'oifeau, font celles que les Turcs aiment le plus ; il eft vrai que leurs oifeaux font excellens 8c bien dreffez : on eri faifoit une efpéce de commerce du temps que l'Ille appartenoit aux Vénitiens ; on en porte en- core quelques-uns en Allemagne par la voye de Venize ; la plupart font deftinez pour Conftanti- nopie , de même que ceux qu'on élevé dans quel- ques autres Illes de l'Archipel. Tous les chiens de Candie font des lévriers bâtards > malfaits , fort élancez , 8c qui paroil- fent tous de même race : leur poil eft allez vi- lain , 8c par leur air il femble qu'ils tiennent quelque chofe du loup 8c du renard. Ils n'ont lien perdu de leur ancienne fagacité "', 8c natu- rellement ils font tous grands preneurs de lié- Torne L H ii4 Voyagé yres Se de petits cochons : lorfqtie ces chiens Ce rencontrent entre eux , ils ne fuyent pas , mais ils s'arrêtent tout court , & commencent à gron- der en fe montrant les dents , qui ne font pas les plus laides parties de leurs corps ; après quoi ils le leparent de fang froid : on ne voit pas d'au- tre efpéce de chiens dans ce pays ; il fcmble qu'elle s'y Toit conlcrvée depuis la belle Grée1: il n'eft parle' chez les anciens que des chiens de Crète , cV de Lacedemone , quoique inférieurs à ips lévriers > iefqueîs font fort co i -m uns en Ahe & aux environs de Conftantinople, où ils trouvent bien a exercer leurs talens dans les plaines de Thrace & d'Anatolie. Nous avions à nôtre fervice un de ces chiens de Candie , qui pourvoyoit quelquefois à nos befoins dans les endroits les plus éloignez des villages : Arab , c'étoit le nom de nôtre lévrier , avoit ung h" grande averfîon pour toutes les per- fonnes coiffées avec des turbans ou des bonnets, qu'il s'étoit lui même retiré dans un des coins du vcSlibule de la maifon de nôtre conful , où il attendoit tranquillement qu'on lui donnât à manger , fans ofer entrer dans la cuiiine : des que quelqu'un fc préfentoit en chapeau , il ve- noit lui faire mille carellcs : nous prîmes ami-, tié pour cet automate quand nous fçumes lesj avantages qu'on en pouvoir retirer , 6ç parce qu'il! s'attacha plus à nous qu'aux autres François : a la campagne on n'avoit qu'à lui faire le lignai 1 c'eft à dire frapper des mains & l'appeller troi%] ou quatre fois par fon nom : il partoit d'abord.; pour aller à la charte > & ne revenoit jamais fansj nous rapporter quelque lîévreou quelque cochon." Du temps de l'ancienne Crète les cochons n*é-; du Levant. Lettre ï ï, itf toîcnt pas expofcz à ces fortes d'infultes , on les ï egai Joie comme des animaux facrez , fui van c un han-ment d'A^atocles le Babylonien que * A- thenee nous a conlervc : cette vénération pour les cochons n'étoit fondée pourtant que fur une fable , laquelle atiùroit que non feulement Jupi- ter étoit né fur le mont Di&é,, mais qu'il y avoit été allaité par Une truye : Arab ôc (es amis au» roient fait mauvaife chère dans ce temps là ; il nous fuivit julques à la marine, lorfque nous allâ- mes nous y embarquer, mais il n'entroit jamais dans aucun bâtiment , de il les fuyoit avec au- tant de précaution que les tirbans , comme s'il avoit voulu relier dans l'Ifle,poury chalfer& four- nir des lièvres ou des cochons aux autres François qui y demeurent. Jay l'honneur d'être j avec uiî profond rcfped > &c. * Deipn. llb. 9. H II<5 V © Y A G E Lettre III. A Monfeigneur le Comte de Pont char train , Secré- taire d'Etat & des Commandent ens de Sa Ma- jefié y &c. Mo NSEIGNEUR Etat PR.É- Comme j'aurai l'honneur clans la fuite de vous parler fouvent des Patriarches 3 des Papas , des j.£_ Caloyers , & des autres Miniftres de l'Eglife Gré- aiifc que , je crois que pour éviter les répétitions 5 il Giéque. vaut mieux vous entretenir dans cette lettre de tout ce que j'ai appris de l'état préfent de cette Eglife. Elle effc tombée dans un defordre iî affreux de- Eni45J. pUjs ^a prife jg Conftantinople par Mahomet 1 1. que pour peu qu'on ait de zélé pour la religion on ne fçauroit la confiderer fans verfer des lar- mes : cependant quelque défir que les Turcs ayent montré d'humilier les Grecs , ils ne leur ont jamais deffendu ni l'exercice,ni l'étude de leur religion j au contraire le Sultan, dont on vient de parler , pour leur marquer qu'il n'y vouloir faire aucun changement , honnora le premier Patriar- che que l'on élût fous fon règne , des mêmes pré-, fens que les Empereurs Grecs avoient accoutumç de faire dans ces occafions. Ces préfens confi- ftoient en mille écus argent comptant , un bâton, paftoral d'argent , une robbe de camelot , Se un] cheval blanc. du Levant. Lettre III. 117 Ce n'eft donc qu'à l'ignorance de ceux qui gouvernent l'Eglife Gréque qu'il faut attribuer fa décadence , & cette ignorance eft la fuite des mi- eres de l'efclavage. Les plus habiles d'entre les Grecs > après la perte de la capitale de leur Empi- fe retirèrent en divers endroits de la Chré- tienté ; ils emportèrent avec eux toutes les fcien- ces de leurs pays , Se par confequent toutes les vertus. Ceux qui relièrent dans l'Empire Otho- raan , & fur tout ceux qui leur fuccedérent , né- gligèrent tellement le Grec littéral , qu'ils fu- rent hors d'état de puifer dans les véritables four- ces du Chriftianifme , & le rendirent incapables Se indignes d'expliquer l'Evangile. Ce defordre "ubfifte encore aujourd'hui parmi les Grecs : à îeine fçavent-ils lire ce qu'ils n'entendent pas : c'eft même un grand mérite parmi les gens d'Egli- £ de fçavoir lire , & vous ferez furpris , Monfei- gneur , d'apprendre qu'à peine y a-r-il fur les ter- res des Turcs une douzaine de perfonnes habiles dans la connoiflànce du Grec littéral. Les Grecs fe flattent que le grand Duc de Mof- covie les tirera quelque jour de la mifére où ils font , Se qu'il détruira l'Empire des Turcs : mais outre qu'il n'y a point d'apparence à ce change- ment , ils ne deviendroient pas plus habiles en changeant de maître. Les Mofcovites eux-mêmes ne font inftruits que par les moines de a Monte Santo , qui ne méritent pas le nom de Théolo- giens. Que peut-on penfer d'une Eglife , dont le chef u lieu d'être déligné par le Saint Efprit , c(l très nommé par le Grand Seigneur ou par (on en horreur le nom Chré- rnucr qui Ofoi K'jui , aujourd'hui A"^a, o'jboî. H ") ïiB Voyage tien ? Il n'y a rien de plus trifte que de confidérer que les Grecs eux-mêmes font les auteurs d'une telle abomination. Les Turcs n'ont jamais exige qu'une fomme d'argent pour délivrer les Païen- tes du nouveau a Patriarche : les Grecs ont com- mencé les premiers à mettre le Patriarchat a l'en- chère,fans attendre la mort du Prélat qui en étoit pourvu. Cette dignité fe vend aujourd'hui foi- xante mille écus. On a beau dire encore uueNrois que cette fomme n'efl: donnée que pour obtenir la confirmation d'une élection canonique : un Pa- triarche bien fouvent en détrône un autre , & il y en a qui après avoir été dépoffedez une ou deux fois remontent encore fur leur chaire. Crufius aflùre que Simcon de Trébifonde fut le premier qui dépoffeda Marc le Patriarche en donnant mil \e fequins à Mahomet 1 1. On ne prétend pas que toutes les promotions, des Patriarches foient limoniaques : au contraire on eft très perfuadé qu'il y a de faints perfonna- ges dans l'Eglile Gréque qui ne voudroient pas- àchetter cette dignité à quelque prix que ce fut , &: qui après leur élection faite canoniquementi par les Evêques , ne donnent au Vizir la fomme ordinaire que dans la vû'é d'obtenir leurs provi-^ fions , de même que font nos Prélats par rapport! à leurs bulles. On ne feauroit trouver à redire à , cette conduite : mais les Grecs ne fçauroient aufït difeonvenir que pluficurs de leurs religieux n'aJ yent quelquefois , à force d'argent , détrôné levicj Patriarche tout plein de vie Se de fanté , & qu'ils] HJayent enchéri par delîiis le marché qu'il avoia fait : n'eft-ce pas là àchetter le patriarchat , «Sa peut-on fe diipènfer d'appeller fimonie une telldl du Levait. Lettre III. 1 1 «j viatique ? Quand l'ambition aveugle donc unCa- loyer jufques à vouloir achctter fa miffion de fa- tan, il fair ia cabale avec quelques Evêques de fes amis , qui ne perdent rien apparemment à cette promotion : on ne manque pas de preffentir lé grand Vizir , le marché eft bien-tôt conclu , & Palpitant quoique pauvre né manque pas de trou- ver de riches marchands , qui dans la vùë d'an profit confidcrable & allure font toutes les avan- ces nccellaires. Si le grand Vizir n'efë pas à Con- ilantinople, l'affaire fe traite avec le i Gouverneur de la Ville. Oh cxpédfc les provitjons frtot que l'argent eft compté , &: le nouveau Patriarche, ac- compagné des Evcques de fa faction , fans s'em- barraller de ce qu'en dira l'ancien Patriarche , ni le refte du clergé 3 s'en vient recevoir le Caftaii chez le Vizir ou chez le Gouverneur : ce Caftan eft une vefte de brocatelle ou de quelque autre étofte , dont le Grand Seigneur fait préfent aux Ambafladcurs & aux perfonnes revêtues nouvelle- ment d'une dignité considérable. Les Evêques de la fuite du Patriarche reçoi- vent auiîi chacun leur vefte , & s'en vonr cbrïxmé en triomphe à l'Eglife patriarchale dans le quar- tier de Balat , précédez par un b Garde de la Por- te , par d.'ux c Exempts des Gardes du Grand Sei- gneur , par un des Secrétaires ou du Grand Vizir eu du Gouverneur de la Ville , & par une troupe de Janiilaires : les Evêques ôc les Caloyers for- ment l'arriére - garde de fa marche. Dès qu'ils font arrivez à la porte de l'Eglife , ont fait la lec- ture des provifions du Patriarche , par le/quelles le Sultan commande à tous les Grecs de fou cm- a CaVm'acaa'. l> Capigt. Izau:. On prononce Chia- oux- H lllj 'liô Voyage pire 4e reconnoître un tel pour Chef" de leur Églife, de lui fournir les fouîmes neceflaires pour foutenir fa dignité & pour payer fes dettes : tout pela fous peine de la baftonade , de confiicatiou. çles biens , & d'interdiction des Eglifcs. Ne font- ce pas là de belles marques de million ! Apres la lecture des Patentes du Patriarche , on ouvre la porte de l'Eglife , & le Secrétaire du Grand Vizir ayant placé le Patriarche fur fon fiége , (e retire avec les autres Turcs } qui emportent chacun une fomme d'arçent. Il n'y a pas lieu de douter que le nouveau Pa- triarche ne profite du temps ; U tyrannie fuccéde à la fimonie : il commence par faire lignifier l'or- dre du Sultan à tous les Archevêques & Evcques de fon clergé. Non feulement ce nouveau chef eft traité de a vitre Sainteté ; mais de vôtre toute Sainteté. Il eft toujours vêtu en fimple Caloyer , & on lui t>aife la main ou fon chapelet en le porr tant de la bouche au front. Sa plus grande appli- cation eft à examiner le revenu de chaque Pré- lat \ il les taxe & leur enjoint très-exprelfément par une féconde lettre d'envoyer la fomme réglée, autrement les prélatures font au plus offrant : les Prélats accoutumez à ce commerce n'épargnent pas leurs fuffragans : ceux-ci tourmentent les Pa- pas j les Papas rançonnent les parroifïiens , & ne jettent pas une goutte d'eau bénite , pour ainfi di- re , qui ne foit payée par avance. Si dans la fuite le Patriarche a befoin d'argent, il en met l'exaction à l'enchère parmi les Turcs : celui qui en donne le plus s'en va dans la Grèce (bmmer les Prélats. Ordinairement fur vingt mil- le écus à quoi le Clergé eft taxé , le Turc en tire du Levant. Lettre III. m Vingt-deux mille , £v profite des deux mille écus pour fa peine , outre qu'il cft défrayé dans tous les diocéfes. En vertu de la convention qu'il a faite avec le Patriarche , il calfe ôc interdit des fondions ccclefîaftiques , les Prélats qui refufent de payer leur taxe : s'ils n'ont pas d'argent com- ptant , ils en empruntent des Juifs à gros intérêts iurla caution de leurs diocéfains : telle cft aujour- d'hui cette E°life il florillante autrefois, & il glo- rieufe d'avoir eu pour pafteurs les Athanafes , les. J3a(îles , les Chryfoftomes. La Hiérarchie de l'Eglife Gréque eft compofée de quelques autres Patriarches , qui rcconnoilfent pour chef celui de Çonftantinople : ces Patriar- ches font celui de Jerufalcm , qui prend foin de$ Eglifes de la Paleftine, & des confins de l'Arabie : celui d'Antioche qui réilde à Damas , a pour par- tage les Eglifes de Syrie , de Méiopotamie , & de Çaramanie ; celui d'Alexandrie demeure_au Caire, Se gouyerne les Egliics d'Afrique & d'Arabie. Toutes les autres Eglifes Gréques de l'Empire Othoman dépendent immédiatement du Patriar- che de Çonftantinople : les Archevêques ont leur rang après le Patriarche ; & après ceux-ci vien- nent les Evèques ; enfuite les a Protopapas , puis les b Papas, & enfin les Caloyers. Quand on filuë lin Archevêque ou un Evêque , on lui baife la main , &c on l'appelle c votre toute prêtrife , ou J vôtre béatitude ; on traite les prêtres de c vôtre fuinteté. Les f Caloyers font des religieux de l'Ordre de Saint Bafile ; il n'y a point de bigarrure dans leurs a Arcfriptéues. b Curez. f K*Xo}f{os , bon vieillard. 121 V O Y a r, t habits: ce corps fournit cous les Prélats de l'Eglifc gréque ; les a Papas ne (ont proprement que des Prêtres féculiers , Ôc ne peuvent parvenir qu'à être Curez b Archiprêtres. Le premier ordre que l'orë confère à ceux qui fe deftinent à l'Eglife , eft ce- lui de c Lecteur , dont l'orhee eft de lire l'Ecriture fainte au peuple les jours de grandes Fêtes ; ces Lecteurs deviennent d Chantres , puis c Soudia- cres & chantent l'Epître à la Me (Te ; enfuite ils font faits f Diacres & chantent l'Evangile ; le dernier ordre eft la § Prêtrife. Pour ce qui efl de la Cléricature, ils ne la comptent pas proprement parmi les ordres ; ou appelle Clercs toutes les per- fonnes qui lont du corps du Clergé ;' il y a des endroits où lJon donne ce nom à ° ceux qui an- noncent les Antiennes aux Chantres , pour leur- marquer ce qu'ils doivent dire : le premier enfant qui fe préfente le peut faire ; car ils lont prefque tous inftruits à cela. Le Soudiacre prend foin des ornemensek des vafes facrez : c'eft lui qui dif po- fe le pain à confacrer & qui le met fur la table de Proportion ; il reçoit les orfrandes,habille le P#é* ;rc 3 l lui donne à laver & à clluyer les mains : le Diacre porte l'étole & tient K l'éventail pour chailer les mouches qui font fur l'Autel. XI eft permis aux Prêtres de fe marier une fois en leur vie , pourveu qu'ils s'engagent dans les liens du mariage , avant que d'être facrez : il faut pour cela qu'ils déchurent en confeiiion à un Papas , qu'ils font vierges & qu'ils veulent épou- f A «KOV. s, 1 li lAcufo'Àiat , eifuyeauin. k 1< ViTzUïct , éventail. du Levant. Lettre III. ti'f fer une vierge : s'ils s'accufent d'avoir connu des femmes , ils ne fauroicnt le faire Prêtres , fi ce n'eft qu'ils corrompent leur Confeflcur par ar- gent. Après donc que le ConfeiTeur a reçu la dé- position du Diacre , il certifie à l'Evèque qu'un tel eft vierge , & qu'il a deflein d'époufer une vierge : on le marie , & eniuite on lui confère l'ordre de Prêtrife j mais il ne fauroit palfcr à de fécondes noces : c'eft pour cela qu'on lui choîfk pour époufe a la plus belle fille du village & dont le teint promet une longue vie. A l'égard de la viande, les Papas ne ioht obligez de s'en abftenir que deux jours par femaïne , comme les féculiers. La Bibliotéque de ces Prêtres eu: ordinairement fort petite \ comme leurs bréviaires & les autres livres de prières font chers , par la neccflîté où ils fe trouvent de les tirer de Venile ; ils fe difpen- fent de reciter l'Office , quoiqu'il foit en Grec vulgaire : pour la Meifc , ils ne la difent pas tous les jours , parce qu'il ne leur eft pas permis de coucher avec leurs femmes la veille des jours qu'ils doivent célébrer. On diftingue les Papas des Caloyers par une b bande blanche , haute d'environ un pouce appli- quée au bas des bonnets des Papas : il y a bien des endroits même où les Papas &: les Caloyers portent c une pièce de drap noir , attachée au dedans du A bonnet Se qui leur pend fur le dos , cela leur donne un petit air de Prélat : tous leurs bonnets font du même modèle & faits à Monte Santo , plats par deffus , noirs , ôc à deux oreilles ; leiu c habit eft noir ou brun foncé , c'eft une ef- a tt V llXTlTtCltt. Ïi4 V O Y AGE péce de (butane toute fîmple, fur laquelle on met une ceinture de même couleur. Les Caloyers font vœu d'obéiïTance , de cha- fteté & d'abftinence ; ils ne difent pas la Meffe , s'ils veulent le tenir dans leur régie : s'ils fe font Prêtres , ils deviennent a Moines facrez , & ne célèbrent qu'aux plus grandes Fêtes ; c'eft pour- quoi dans tous les couvents il y a des Papas entre- tenus pour défervir l'Eglife : ainfî les Moines fa- crez ne différent précifément des Caloyers que par la prêtrife. Ceux qui veulent fe faire Caloyers, s'adrcffent à un Moine facré 3 pour en recevoir l'habit s ÔC cette cérémonie coûte environ une douzaine d'é- cus. Avant la décadence de l'Eglife Gréque, le b Supérieur d'un couvent examinoit le poftulant avec foin , & pour éprouver fa vocation , il l'o- bligeoit de relier trois ans dans le Monaftére;après ce terme , s'il pcrféveroit dans fon deffein , le Su- périeur le menoit dans l'Eglife, & lui tenoit le 3J difcours fuivant : Nous voici , mon frère , en it prélence de l'Ange du Seigneur , devant qui il 3i ne faut pas mentir : N'eft-ce pas pour éviter le a} châtiment de quelque faute que vous voulez vous 3J retirer dans cette maifon ? Ne feroit-ce pas quel- M que chagrin domcftique , quelque dçptt amou- 3i reux, quelque affaire criminelle qui vous ame- M neroit parmi nous ? Non , mon père , répondoit „ ordinairement le poftulant ; ce n'eft que pour M vaquer à monfalut que, je veux quitter le monde M & Ces vanitez : alors le Supérieur lui donnoit l'ha- bit , & après quelques prières , il lui coupoit une trelle de cheveux qu'il attachoit avec un mor- du Levant. Lettre 1 1 1. iiy ceau de cire contre la muraille près de l'Autel. Il n'y a plus de difcipline à préfent parmi les Grecs ; on reçoit les Religieux fort jeunes, & fur tout dans les couvents , où l'on en voit qui n'ont que dix ou douze ans : ce font le plus fouvent des fils de Papas , à qui l'on montre à lire & à écrire; d'ailleurs ils font employez aux offices les plus vils , ôc cela leur tient lieu de noviciat : dans les couvents les plus réguliers , le noviciat fe prolon- ge encore deux ans , après la prife d'habit : ces couvents font ceux de Monte Santo , de Saint Luc proche Thébes , d' Arcadi en Candie , de Néamo- ni à $cio 9 de Mavromolo fur le Bofphore 3 des Monaftéres des Ifles des Princes , «Sec. La vermi- ne incommode fort ces pauvres novices ; nous leur aprîmes l'ufage de a l'herbe aux poux , pour la faire mourir : le Seigneur y a bien pourvu , la plante eft commune dans tout le pays. Les Caloyers 6c les autres Ecclefiaftiques font mal propres , leurs cheveux & leur barbe font tout à fait négligez ; car la plupart gagnent leur vie à la fueur de leur corps, & s'appliquent à tou- tes fortes d'ouvrages , fur tout à labourer la terre & à cultiver la vigne : les frères laies font les plus mal tournez & relfemblent à nos frères donnez : je ne fçai pas comment ont les appelle chez les Grès ; ce font de bons payfans , qui après la mort de leurs femmes , font donnation de leurs biens au couvent où ils paflent le refte de leur vie à tra- vailler à la terre : tous ces Moines ne vivent que de quelques poillbns , de légumes , d'olives , de figues féches: leur réfectoire ne vaut guéres mieux que celui de la Trappe , fi l'on en excepte le vin ; a Delphinium Platani folio , Sraphifagria di&um Inft. rci herb. 418. n6 Voyagé &c le plus méchant vin de Grèce vaut incompara- blement mieux que le meilleur cidre du Perche, Les étrangers mangent de la viande chez les Ca~ loyers ; mais il faut l'y porter ; on y trouve ordi- nairement des olives vertes 3c falées tout à fait ra- goûtantes : les olives noires y font aufli commu- nes Se d'un meilleur goût ; on les met par couches avec du fel dans de grandes cruches , où elles fe confervent fans eau pendant plus d'une année : j'ai eiïaié d'en faire préparer en Provence de cette manière j mais ^cela n'a pas réiïffi. Toutes les portions font égales dans les Mona- ftéres Grecs ; le Supérieur n'eft pas mieux nourri que le dernier de la maifon , il en cft de même pour ce qui regarde les autres befoins de la vie : quand le a Supérieur fort de charge , il n'eft dé- pouillé que de fon authorité ; lorfqu'ii eft en char- ge , il n'oferoit en abufer , fur tout par rapport aux châtimens& aux pénitences que mériteroient les fautes de fes Religieux ; la moindre févérité leur feroit quelquefois prendre le turban,au lieu du bonnet de Monte Santo. Les pénitences font donc volontaires dans les cloîtres ; on n'y connoît guéres la foumiiîion & l'humilité : ces vertus ne font pratiquées que par les cuifiniers ; car ils vien- nent fe profterner à la porte du refe doire , pour y recevoir la benedi&ion des Religieux qui en fortent. Comme il y a trois états de perfection dans la vie monaftique chez les Grecs , on diftingue aufïi les Religieux par trois fortes d'habits ; b les novi- ces n'ont qu'une fîmple c tunique du plus grof- fier de tous les draps ; les profés ont une d tuni- a J&tPW&lfan- Exfupcikui:. d M**ïo« , NWhi , Xtg» Ki v9\vthoûo>. Priè- res qui durent toute la nuit. reviennent ou Levant. Lettre III. t ip reviennent à l'Eglife fur les cinq heures pour dire Matines , a Laudes 8c Prime que l'on commence au lever du Soleil ; après cela chacun va à Ton ou- vrage : ceux qui refient dans le couvent , revien- nent encore à l'Eglife pour dire Tierce 8c Sexte 3 8c pour afïifler a la Merle. Au fortir de la Mefïe , on va dîner au réfectoire , où l'on fait la lecture de même que dans nos comnlunautez ; on retour- ne à l'ouvrage après le dîné : à quatre heures ori chante Vêpres : on loupe à fîx : on dit Complies après le foupé : à huit heures les Moines fe cou-* client. Outre les jeûnes d'Eglife , les Caloyers en ont trois particuliers y le premier efl inftituéen l'hon- neur de Saint Dimitre : ce jeûne commence le i. Octobre , 8c ne finit que le 26. du même mois, u jour de la Fête de Saint Dimitre martyrifé à Thelfalonique : le fécond jeûne n'eft que de qua- torze jours , lavoir depuis le 1. Septembre, juf- ques à la Fête de c l'Invention de la Croix : le dernier efl: le jeûne de Saint Michel , il commen- ce le 1. Novembre 8c finit le 8. qui chez les Grecs efl le jour de la Fête de d Saint Michel, de Saint Gabriel , & de toute la milice celefle. Il y a des Caloyers qui obfervent les jeûnes de Saine Athanafe 8c de Saint Nicolas Evêque de Myre ; le premier commence le 7. Janvier , 8c ne finie qu'au 1 8. du même mois : enfin de tous les Chré- tiens , les Grecs font les plus grands jeûneurs après les Arméniens. b Eoprii s? A-ïiumçiov. H Y\l/a!(n; yj/q Evitent H Tome I. 130 Voyage Les feculiers mêmes obfervent quatre Carêmes; le a premier dure deux mois , ôc finit à Pâques ; c'eft pourquoi ils l'appellent le grand Carême, ou le Carême de Pâques : dans la première b femaine de ce Carcme,il cil permis de manger du fromage, du lait, des poiiîons , ôc des œufs : tout cela leur cil defrendu pendant les femaines fuivantes , ils s'en tiennent aux coquillages , ôc aux poiiîons qu'ils croyent n'avoir point de iang , comme font le Polype Ôc les efpéces de Sèches ; ils mangent aufli des ceufs ialez de certains poiiîons , ôc fur tout ceux du c Mullet tk: de d l'Eftureeon : on prépare les premiers fur les côtes c d'Lphéfe , ôc de f Milct tk les autres fur celles de la mer noi- re. Les coquillages les plus en ulage en Grèce (ont la § Nacre rouge , les r Huitres ordinaires, qui font tout à fait délicieufes , ôc incomparable- ment meilleures que les ' Huitres rouges , donc tout le monde ne s'accommode pas. Les Grecs mangent aulîi des k yeux de boucs, des moules , des limaçons, & des hériilbns de mer. Les Caloycrs pendant le Carême ne vivent preique que de raci- nes : les gens du monde , outre les poiiîons dont on vient de parler , ufent de légumes , de miel, ôc boivent du vin ; cette liqueur leur étoit interdi- te , aulTî bien que l'huile , comme le remarque 1 Saint Jean Çhryfoftome. On mange du poilîbn le a M'.yxhq n&\ icy.a nos-ctça,- " Xa^iâgs , Caviarr. tfcfii c Aiafalouc. " Ttg^và k, 7vpo$u»oç , dt f Palatta rvfn , qu': fig'tiifis un fro s u\ntt -yât'.- mage. ^ h Qçf'iciï v«'i>«. c fi'rf rûg/ya. V KiÇx>.r,è , ' Y ctAet*po7ricu. Bour?.r«ue , ou Pouraigue, * nnxùihf , Atsw- K-p.waj , Mugil, Mulkc, l Homil.%. înGen, C H*mM Muge. 6. ad topul. Aritlcvp. dû Levant.- Lettre 1 îî, ?j i jour des Rameaux, & le zj. Mars jour de a l'An- nonciation , pourveu que ce jour là ne tombe pas dans la Semaine fainte. Le Jeudi faint les Evêques les plus zélez lavent: les pieds à douze Papas;b la cérémonie étoit autre- Fois accompagnée d'une petite exhortation : ils s'en difpenfent aujourd'hui. Le Vendredy faint * pour célébrer la mémoire du faint Sepulchre , deux Papas portent (ur leurs épaules en procef- 11011 pendant la nuit , larepréfentatidnd'un tom- beau , dans lequel Jefus-Chrift crucifié eft peine fur une planche : le jour de Pâques , on porte ce tombeau hors de l'Eglilc , 6c le Prêtre commence à chanter , c Jefus-Chrift eft reffufeité, il a vaincu la ?nort & donné la vie a ceux qui et oient dans le tom- beau : on rapporte dans l'Eglife cette repréfenta- tion du faint Sepulchre ; on l'encenfe ; on con- tinue' l'Office ; à tous momens le Prêtre & les aflîftans répètent , Jefus-Chrift eft reffufeité j en-» fuite celui qui officie fait trois fois le figne de la Croix , il baife l'Evangile & l'image de Jefus- Chrift : enfin on tourne la planche de l'autre côté* où Jefus-Chrift eft reprefenté fortant du Sepul- chre : le Prêtre le baife eu redoublant , Jefus- Chrift eft reffufeité , &c les aflîftans en font de mê- me , en s'embrallant & en fe reconciliant : on tire même plufieurs coups de piftolet , qui fouvent mettent le feu à la barbe & aux cheveux des Pa- pas : à ce nouveau bruit tout le monde crie , Je- fus-Chrift eft relïufcité : cette réjouitlance fpiri- tucllc dure non- feulement pendant la femaine de Pâques , mais jufques à la Pentecôte. d Dans les rues, au lieu de la formule ordinaire de te taluer, O' %îos >#j iifh têTrlip. i ij ïjz Voyage qui eft je vous fouhalte longues années de vU \ on dit fimplement , Jefus-Chriji eft rejfufcité. a Le fécond Carême eft celui de Noël , & du- re quarante jours ; on mange dans ce temps-là du poillbn, excepté le mercredi & le vendredi j quel- ques-uns s'en abftiennent aulîi le lundi. b Le troisième Carême porte le nom des Apô- tres Saint Pierre & Saint Paul : il commence la première femaine de la Pentecôte , & finit le jour de Saint Pierre ; ainfi il eft plus ou moins long , fuivant que la Pâque eft plus ou moins avancée. Durant ce Carême il eft permis de manger du poilfon, mais point de laitage : il eft même deffen- du de manger de la viande , il la Fête des Apôtres fe trouve un jour maigre. c Le dernier Carême commence le premier jour du mois d'Aouft , & finit à la Fête de l'Af- fomption ; c'eft pour cela qu'il s'appelle le Carê- me de la Fierge : Pufage du poiflbn en eft interdit, iî ce n'eft le fixiéme du même mois, jour de la A Transfiguration du Sauveur ; les autres jours on s'en tient aux coquillages & aux légumes : pen- dant tous ces Carêmes les Moines ne vivent aufïl que de légumes 5 de fruits fecs , & ne boivent que de l'eau. d Le refte de l'année les Grecs font maigre le mercredi & le vendredi ; le mercredi , difent-ils , pareeque ce jour-là Judas prit de l'argent des Juifs pour trahir le Seigneur ; le vendredi , parce qu'il fut crucifié à pareil jour. Si la Fête de Noël ipbjjjtefço», la quaranrainc A WLimpôfQoini s? S^tïçic. du Levant. Lettre III, 135 tombe fur un mercredi ou fur un] vendredi , les féculiers font gras &c les Moines font difpenfez du jeûne. Les Grecs font fore feandalifez que l'on jeûne le famedi dans l'Eglife Latine , fondez fur un palfage mal entendu de a S. Ignace le martyr, qui dit que ceux qui jeûnent le famedi , crucifient de nouveau le Seigneur. Les gens du monde mangent de la viande de- puis Noël jufques au quatrième Janvier : le 5. anvier veille des Rois , b ils jeûnent , parce qu'ils croyent que Jefus-Chriffc a été baptizé le 6. de ce nois y c'eft pour cette raifon que les Evêques ou eurs grands Vicaires font ce jour là fur le foir c "'eau bénite pour toute l'année ; on la boit &c on en afperge les maifons , li elle ne fuffit pas , on en ait de d nouvelle : lors qu'elle manque , chacun n porte 1111e pot chez foi ; mais on n'y met point fel , & ils trouvent fort à redire que nous en nettions dans la nôtre : les Papas vont répandre eur eau bénite chez tous les particuliers. Le jour e l'Epiphanie on fait auiîl de f l'eau bénite le matin à la MerTe ; elle fert à donner à boire aux penitens à qui on a rétranché la communion , à bénir les Egiifes prophanées , à exorcifer les pofle- dez. Ce jour là on bénit les fontaines , les puits, Se même la mer : cette bénédiction eft folemnelle &: lucrative pour les miniftres , qui pour frapper 'imagination des peuples jettent dans toutes ces :aux de petites croix de bois avant que d'aller di- la Meife, Nous la vîmes faire à Mycone par un X^jfoxjpyoî £îï». Ign, Epîjl. xi. ad PkUippenfès, Ce jeûne s'appelle , Ux^,- ft\ y m A yîxeusi. A O* fcÎKpos Ay ixs-fjgs. c Ayuco-fjafiTïçot' , Bénitier. f Ta Ayixff//^. rr 3>sto» , l'Epiphanie s'appelle^ Je vous avoue , Monieigneur , que j aurois ete un fort mauvais Grec , fur tout fi les voyageurs n'avoient pas été ditpenfez de la loy du jeûne, ôc certainement ils ne le font pas en ce pays là : les enfans , les vieillards, les femmes grofles , les ma- lades, n'en font pas exempts : ils s'embarralïcnt beaucoup moins de la pratique des vertus chré- tiennes ; il eft vrai que c'eft moins leur faute que celle de leurs Pafteurs, qui quoi qu'en plus grand nombre que dans les autres pays de la Chrétienté, ne remplirent pas les devoirs de leur minitiére : on voit en Grèce di,x ou douze Moines ou Papas contre un féçulier. C'v'ft fans doute la grar.de quantité de ces gensi d'Egliie qui a tant fait multiplier les Chapelles erJ Grèce : on en bâtit tous les jours de nouvelles A a Aminé Katpciilcwfê ^ K«- ° Atf^iiti'". ■ du Levant. Lettre III. 1 3 j quoi qu'il faille en achetter la permiiïion du a Cadi : il cil même derîendu de relever celles qui font tombées ou brûlées qu'après avoir payé les droits de cet officier. Chaque Papas croit être eu droit de poiïéder une Chapelle , de même qu'il a celui d'époufer une femme. La plupart de ces Prê- tres ne font pas bien ailes de célébrer dans l'Eglî- ie d'un autre , ev c'efl: peut-être la feule choie où ils fc montrent fcrupuleux ; une pareille célébra* rion leur paroît une cfpéce d'adultéré fpiritùel ; peut-être auili que cette multiplicité de Chapel- les cil une fuite de l'ancienne coutume qu'on avoic •en Grèce d'élever de petits temples aux faux dieux: il eil certain que les Grecs ont retenu bien des pratiques du paganiime , entre autres celle de fai- re danier leurs Saints au fon des fifres Si des cym- bales : on le pratique de même en Provence aux jours de bonnes Fêtes. Comme les anciens Grecs avoient" fourni des dieux ôv des déclics à toute la terre , iuivant la re- marque de faint b Auguflin , il fallok bien par. honneur qu'ils leur élevallent des temples chez eux j ces temples étoient petits, magnifiques s ornez de colonnes , d'architraves , de frontons', dont le travail étoit encore bien plus ellimable que le marbre:ce marbre lortoit li beau des mains des Phidias , des Scopas , des Praxitéles , qu'il de- vint l'objet de l'adoration des peuples : éblouis par la majefté de leurs dieux de pierre ou de bronze , ils n'en pouvoient le plus Couvent foute nir l'éclat. On a vu des villes entières clans leurs folles pré- ventions , s'imaginer de voir change! le vilage le leurs idoles ; c'ell ainii Kxiïr, ou K«£»« , Juge. *■ 1 LiU. 2. dt Civil. JJei. que parle c Pline des Hijï. tmt. iib. 3 . cap,}. I lllj I$6 V O Y A G E ftatues de Diane &c d'Hécate , dont l'une croit à Scio ôc l'autre à Ephéfe : on découvre encore la iîtuation de plufieurs de ces temples par des mor- ceaux de colonnes difperfez au milieu des cliamps. Les Grecs ont été fort heureux de iubftituer des Eglifes à ces anciens édifices. Ces Eglifes font prefentement fort mal bâties ôc fort pauvres ; mais on y adore Jefus-Chiift, au lieu des faillies divinlrcz , qui ont fait pendant fi long-temps l'objet du culte Je leurs ancêtres. Ex- cepté fainte Sophie de Conftantinople , on n'a guéres vu parmi eux de grandes Eglifes, pas mê- me dans le temps le plus tloriifant de leur Empi- re. Quelques anciennes Eglifes , qui fubfîftent aujourd'hui , ont deux nefs , couvertes en dos d'âne ou en berceau ; Sç le clocher , qui eft fort inutile puifqu'il eft dégarni de cloches , eft placé au milieu des deux toits lur le frontifpice : touS ces bâtimens font prefque fur le même modèle , Ja plupart en croix gréque , c'eft à dire quarrée ; les Grecs ont confervé l'ancien ufage des dômes , qu'ils n'exécutent pas mahle chœur de leurs Egii- fe regarde toujours le levant ; & lorfqu'ils prient, Ils fe tournent aufli de ce côté là : leur prière or- dinaire , après les fignes de croix réitérez , eft de répéter fouvent , a Seigneur aye\^ pitié de nous , JeftfS-Chrift pardonnerions. On eft trop attentif dans l'Eglife Gréque aux îoix de la nature , pour ne pas interdire en cer- tains temps aux femmes l'entrée des Egliies ; on Ips oblige de relier à la porte ; & comme li leur (enfle étoit empoiionné , il ne leur eft pas permis dans cet état de communier, ni de baifer les ima- ges : on n'eft pas h* fcrnpuleux dans les monaftéres ? K.VQ4 ihinav» , Kfg^s I» «.paqTuÀt* lom.l . J'ag- 2 è I du Levant. Lettre 1 1 1. 137 où Ton entretient des femmes pour blanchir les Moines. Les images de leurs Eglifes font toutes plattes, 6c l'on n'y voit aucune fculpture , fi ce n'eft quelque cizeleurc légère. Dans les grandes Eglifes, il y a des a facriftains , des b portiers , des c marguilliers : autrefois il y avoit une d chaire deftinée pour le prédicateur ; on n'en voit guère aujourd'hui 3 pareeque la mode de prêcher s'eft abolie ; fi quelque Papas s'en mêle , il s'en aqui- te très mal , & ce n'eft que dans la vue de gagner les deux écus que Ton donne pour le fermon , qui ne les vaut pas : il cft honteux d'entendre ces Prê- tres diftiller, pour ainfi dire , pendant demi heu- re une vingtaine de paroles fort mal arrangées , où le plus fouvent le Cure n'entend rien,non plus, que les parroiflîcns. Les monaftéres font bâtis d'une manière uni- forme : i'Eglife eft toujours au milieu de la cour, enforte que les cellules lont autour de ce bâti- ment : ces gens-là ne varient pas dans leur goût comme nous , ce qui n'eft pas toujours louable , puifque le changement peut être avantageux pour perfectionner les arts : on voit bien par les an- ciens clochers des monaftéres , que les Grecs ne fe font jamais fervis que de petites cloches : de- puis que les Turcs leur en ont deffendu i'ufage, ils Fufpcndent par des cordes à des branches d'arbres des lames de fer , femblables à ces bandes dont les roiies des charettes font revêtues , courbes , épailfcs d'environ demi pouce fur trois ou quatre pouces de largeur , percées de quelques trous dans leur longueur ; on carrillonne fur ces lames *> Ty>..-.. •d À'pZa , A"jtt«f, I I 138 Voyage avec de petits marteaux de fer , pour avertir les Caloyers de venir à l'Eglife. ils ont une autre forte de carrillon , qu'ils tâchent de faire accor- der avec celui de ces lames de fer : on tient d'une main une a latte de bois , large d'environ quatre ou cinq pouces , fur laquelle on bat avec un maillet de bois ; jugez de la (ymphonie : celle qu'ils font à table les jours de réjoiïillance n'effc gueres plus agréable ; ils font tinter une talle de cuivre en frappant delfus de temps en temps avec le manche d'un couteau , tandis que les Moines chantent du nez comme nos Capucins. Pour ce qui eft de l'extérieur de la religion , il faut convenir qu'il eft encore affez règle ci- Grecs : leurs cérémonies font belles, & c'eft tour; ne leur demandez pas raifon de leur foy , car ils font très mal inftruits. Il ne faut pas non plus chercher chez eux ces anciennes Eglifes li régu- lières , que leurs hiftoriens ont décrites , Se qui etoient diviiees en trois parties , feavoir le vclti- bule ou l'avant nef , la nef, & le landtuairc : il ne relie plus aujourd'hui que ces deux dernières parties. b Le veftibule étoit la première pièce qu'on trouvoit en entrant dans l'Eglife : c'etoit proprement un retranchement fépare par une mu- raille ou cloifonde la hauteur d'un homme. Ce lieu étoit deftiné pour le c Baprhlaire, pour ceux qui étoient condamnez à faire pénitence, pour les d Catéchumènes , &c peur les e Energuménes, On avoir pratiqué deux de ces veftibules a l'en- trée de l'Eglife de fainte Sophie de Conftantinoplc. a Ti S*^t.7j«i £ Sn/npir»- d Kofnj^vfâflos , qui fc fuie t> N«^| kj Ti[états, c Evtppv;J/jQ< , poifccic>£.»*$- c BasrWni^o». ye.'.J,ago. vu Levant. Lettre III. 1*9 De cette avant nef, on entroit dans a la nef , par trois portes , dont la principale s'appelloit la porte Royale : la nef eft encore à prêtent la plus grande partie des Egliies Gréques : on s'y tient debout ou afîis dans des chaifes adoflees contre le mur , de manière qu'il femble que l'on foit de- bout. c Le fîége du Patriarche eft tout au haut dans les Eglifes patriarchales : ceux des autres Mé- tropolitains font au dcllous : les lecteurs , les chantres , les petits clercs le mettent vis-à-vis ; & le A pulpître fur lequel on lit l'écriture, y eft aufli. La nef eftfcparée du fan&uaire , par une c cloi- fon peinte de dorée , élevée du bas jufques au haut : elle a trois portes , on appelle celle du mi- lieu la f porte fainte,laquclle ne s'ouvre que pen- dant les offices folemnels , cv à la Méfie lorfque le Diacre fort pour aller lire l'Evangile ; ou quand le Prêtre porte les elpéces pour aller coniacrer ; ou enfin lorlqu'il vient s'y placer pour donner la communion. S Le iancluaire eft la partie de l'Eglife la plus élevée , terminée dans le fond par un h demi-cin- tre. On y célèbre les Saints myftéres, c'eft pour- quoi il n'y entre que les Miniftres du Seigneur, le Patriarche , les Archevêques , les Evêques , les Piètres & les Diacres ; les Empereurs Grecs n'y nvoient point de place , & fe mettoient dam> la nef. On drelïe trois autels dans le fanctuaire : ' la ■aime table eft au milieu , & l'on v met la croix * Nom,-. IlùAtj ùy't*. g/.w Kctf ecytov hn/ffU r-:if kyi* Ityiwv. h A\)/Js khj ¥.ofyn Mo Voyage & le livre des Evangiles. Cet autel étoit autrefois couvert par une efpéce de a dais ou pavillon : b l'autel à main gauche en entrant dans le Sanctuai- re n'eft pas fi grand que la fainte table : on y rc- pofe le pain que l'on doit coniacrer. c Le troilîé- me autel eft à droite deftiné pour les vafes fa- crez les livres & les habits facerdotaux : les Dia- cres & les Soudiacres fe tiennent près de cet autel, qui eft de la même grandeur & forme que celui où l'on met le pain à confacrer. Le Prêtre qui eft fur le point de dire la MefFe , commence par faire trois d fignes de croix , en l'honneur de la fainte Trinité : il porte d'abord fa main au front , puis à l'épaule droite , enfuite à la fauche ; & finit par une profonde inclination, à chaque ligne de croix- Il fe revêt d'abord d'une efpece e d'aube de bro- card de foye , ou de quelque autre étoffe allez ri- che ; car les Grecs n'épargnent rien pour avoir de beaux ornemens : 2. il met une f étole : 3. une S ceinture large & applatie en ruban : 4. h des bouts de manche de brocard allez fcmblables ànosamadis ; mais plus longs : j^une pièce de brocard quarrée , large d'environ feptou huit pouces , attachée par un des coins à fa ceinture du côté droit : 6. k une chape de brocard, ouver- te feulement par en haut, & que le Prêtre retrouf- f&- ... e 2«£»pït de ït),3i , poutu ne : l'aube i appelle aajfi , * I du Levant. Lettre III. 141 fe fur Tes bras : on applique fur cette chape avec une épingle entre les deux épaules , un petit * quarré de brocard large de trois doits, pofé en lozange. Toutes ces pièces font allez bien repré- fentées dans nôtre planche , excepté le quarré de arocard , qui au lieu de tomber fur la cuifle droi- te , fe trouve fur la gauche , parce qu'on a cal- qué fur le derfein où cette pièce étoit à droite. Les pauvres Papas font tous ces orneraens de toile. Le Prêtre étant habillé , travaille à la prépa- ration du pain & du vin auprès du petit autel qui eft à gauche,au lieu duquel dans les chapelles ordi- naires on fe fert d'un trou pratiqué dans la mu- raille: il en tire le pain deftiné pour le facrifice. b Ce pain eft de pâte de froment levée , & fur la- quelle on a imprimé avec un c moule de bois , avant que de le mettre au four , le caractères fuivants , qui figni- fient d lefuS'Chrifi efi vainqueur : s'il ne fe trouve pas de pain mar- que , le Papas trace ces mêmes caractères fur un pain ordinaire avec la pointe d'un couteau : enfuite il coupe en quarré la pièce de croûte fur laquelle ils fe trou- vent. Il doit pour cela fe fervir d'un couteau qui ait la figure d'une c lance , pour repréfenter celle dont on perça le côté du Seigneur. Ce morceau étant mis dans le badin , il verfé le vin & l'eau dans le calice : il enlevé enfuite un morceau de la croûte du même pain , qu'il taille en triangle long d'environ un pouce, & beaucoup plus petit que la grande pièce des caractères. U riaAa. d \nu"à l'occafiora dte chaque parcelle , il prononce les noms accoutumez. Uive autre parcelle pour les Prophéttcs Moyfe^ Aaron, Hclie , Elifee, David. Il fait laimèmechofc pour faint Piœrre, pour falwt Paul , & pour lC lie baifin fur le çrand au- tel, a rompt en croise le plus gros morceau die croûte , ik miec les qu&tnre parties «dans le b' calice zYcc toutes; Les; parcelles; , il y verfe un. peu d'eau chaude, en difant les pauoles facraunentrellles : s'il n'y a pas «de communhans , le Papas confo>mirrae tour ce quii eft dans le taaiîin & dams le calice ; s'il y a des connmuniams , iil le ur en donne une cuil- lerée c approcb^^jVouLs , «dit le Prêtre , eu fe pré- lentant à la porte du lamctuaire : approchez.-v-ohs avec la cramtï de Die n , la foy , CT la ch.vnté, d Ceux qui doivent communier , s'y préparent par des c figues de croix* réitérez coup fur coup, ;> ApTDy.Xct!?Jtf -, t ! a «ftio paniS . y,;ù ày*,arr,«; Osot4&» tùâjOw. d Hi' Evi-a^si-, ist. 144 V O V A G E & accompagnez de profondes inclinations. a L'a- doration & la b pénitence chez les Grecs diffé- rent en ce que dans l'adoration , ils ne font que des inclinations de la moitié du corps , entrecou- pées par plufieurs lignes de croix ; au Heu que dans la pénitence , outre les inclinations & les li- gnes de croix ,• ils fe mettent à genoux & baifenc la terre. Pour faire le ligne de croix régulière- ment , ils joignent les trois premiers doigts de la main droite, pour marquer qu'il n'y a qu'un Dieu en trois pcrfonnes.Ils portent cette main au front, enfaite à l'épaule droite , puis à la gauche, en pro- nonçant ces paroles ; c Dieu falnt , Dieu faim & fort , Dieu faim & immortel^ ayez, pitié de nous. Le Papas met le Rituel fur la tête du à com- muniant , & dit les prières pour le pardon des péchez ; tandis que le communiant dit tout bas: Je crois Seigneur , & je confeffe que tu es véritable- ment le Fils du Dieu vivant , qui efl venu au monde ■pour fativer les pécheurs , dont je fuis le plus grand. Le Papas qui lui donne avec une e cuillier le pain 6c le vin confacrez , prononce ces paroles. Vn tel ... . en l'appellant par fon nom de baptême , ferviteur de Dieu , reçois le précieux & le très faint Corps & Sang de nôtre Seigneur Jefus- Chrift , pour la rerniffion de tes péchez, & pour la vie éternelle. L'ancienne manière de communier des Grecs,, étoit un peu différente de celle d'aujourd'hui : le pénitent s' étant avancé à la porte du fanetnaire , Te profternoit & adoroit Dieu , ayant la face tour- b MîTUfOltC. c Aytcç à ,}èoi,tL'yiOi 'ttr%vp'oç, A'ytoç â$MUTDS , î AtMc-o» iftccf ,:( cette prière t'appelle to Tgs'.rayitiv. i La Communion. c AuZ'u , AuQi^a ty>"i KûV- née du Levant. Leilie III. 14/ niée vers l'orient : après quoi fe tournant vers le [couchant , il adrclloit ces paroles aux afïiftans 3 \Par donnons-nous mes frères : nous avons péché par \nos allions & par nos paroles : les afïiftans répon- coient , Dieu nous pardonnera , mes frères* Il fai- ioit la même cérémonie du côté du midi ôc du nord. Enfuite s' approchant du Prêtre , il difok ces belles paroles : Seigneur , je ne vous donnerai pas le baifer de Judas ; ma'n je confejferai vôtre foi h l'exemple du bon larron : Souvenez-vous Seigneur ^ de vôtre fer vit eur , lors que vous viendreT^ dans vô- tre Royaume. Le Prêtre le communioit, en difant: Le fer vit eur de Dieu reçoit la communion , Au nom du Père , du Fils , & du faim Efprit , pour la re* rniffion de fes peche\. Ain fi foit-il. On ne porte pas avec allez de refpect le faint Sacrement aux malades 5 les efpéces confacrées font dans une a boêce de bois , que l'on tient dans un fac de toile fufpendu dans le Sanctuaire des grandes Eglifes , où il y a une lampe qui brûle jour & nuit : ce fac eft derrière la porte des Eglï- ies ordinaires -, le Prêtre le prend tous le bras ôc s'en va fenl chez le malade. Ce qui refte du pain d'où le Prêtre a tiré les parcelles pour confacrer, eft coupé en petits mor- ceaux , & diftribué aux fidèles , fous le nom de b pain bénit. Celui ou celle qui pétrit le pain defti- îié pour confacrer , doit être pur, c'eft a dire qu'il ne faut pas qu'il ait connu fa femme , ni la fem- me fon mari , la veille du jour que le pain doit être fait. Voilà ce qui regarde la Meile & la com- munion des Grecs, * Maspyxztv, ygj n Afn>^«- l> Avti'A^s» quafi iZ(»i SetOf &iov. ih Tome L g 14-6 Voyagé A l'égard de la * confefïion , elle le pratïqnoisr chez eux d'une manière édifiante , avant la déca- dence de leur Eglife. Le Prêtre commencent par cet avis li falutairc : Voici l'Ange du Seigneur qui ej} à nos ÇOteT* pour entendre de votre propre bouche laconfeffion de vos pccheT^i gardez-vous bien d'en ca- cher aucun par honte ni par aucun autre motif. Après la déclaration de fes péchez , il l'exhortoit enco- re une fois à ne rîen celer , à faire des actes de contrition : il lui impoloit une pénitence > & lui donnoit l'abfoluuon en ces termes : Par le pou- voir que Jefus-Chrift a donné a fes Apôtres > lors- qu'il leur dit y Tout ce que vous aurel^ lié fur la ter- re , fera lié dans les deux : par ce même pouvoir que les Apôtres ont communiqué aux Evêques . &r que j'ai reçu de celui qui m'a donné la pretrife , tut es abfous de tespeche^ par le Père , par le Fils, & par le Saint Efprit , Ain fi foit-il : Tu recevras- parmi les jufles l'héritage qui efl du a tes œuvres. Aujourd'hui ces malheureux Papas qui font l'office de b ConfelTeurs } ne fçavent pas (cuîe- ment la forme de l'abiolution : (x un pénitent s'accule d'avoir volé , ils demandent d'abord fî c'eft: à un homme du pays , ou à un franc ; fî le pénitent répond que c'eft à un franc ; il n'y a- , point de peché , dit le Papas , pourveu que nous* partagions le butin. La confefïion chez les Grecs» j modernes , n'efl: proprement que l'exaction de 1&1 taxe que les Prêtres ont impofée volontairement fur chaque peché , eu égard aux facultcz des per- ■ fonnes qui s'en aceufent. Les Moines de Monte Santo courent toute la Grèce , & même la Mof- covîe durant l'Avent & le Carême , pour vendre ' La Concession. H' M:jri>o'*, bu Levanî» Lettre II I. 147 tr a huile ; car les Curez ne fe mêlent guéres le confelfer : ces Moines donc vont dans les mai* pus entendre les confeffions , 6c donnent l'Ex- irême-o notion aux perfonnes qui fé portent par- lûtemént bien ; ils oignent l'épine du dos du pé- litent pour chaque péché qu'il déclaré , bien en- endu qu'ils ne perdent ni leur huile, ni leur pei- le ; la moindre onction eft d'un écu : celle qui "e fait pour le péché de la chair eft la plus chère > k comme ce péché eft le plus commun , jugez le la maltote : ceux qui appliquent cette onction e plus régulièrement fe fervent d'huile facrée, &C )rononcent à chaque fois les paroles du Pfeaume [ z 3 . b Le filet a été brifé , & nous avons été délU rrezii Pour continuer à décrire la pratique des autres iacremens chez les Grecs , vous me permettrez vlonfeigneuf , de vous faire fou venir que le • baptême fe fait par immerfion parmi eux ; on là éitére trois fois , en plongeant à chaque fois dans 'eau tout le corps de l'enfant , que le Curé tient >ar delïbus les bras : à la première immerfion il irononce en fa langue des paroles qui lignifient : 'Jntel ferviteur de Dieu eft baptifé Au nom lu Père , maintenant * pour toujours j & dans les ïécles des fiécles. A la féconde immerfion il dit » Un tel ferviteur de Dieu eft baptifé Au nom lu Fils i &c. à la troifiéme c'eft Au nom du Saint 1 È'ùxiv» f/ym , quo fidèles ad depcllcndos morbos utebancur. Vide Vitam S. fachom. mtm.$o.& vitam S.Eutych. ». 47. On l'ap- felloit aujfî Ê'bcuoii ? èiyiov fuvpoà , farce qu'en la ht- nijfmt on y jtttoit un mer. ce au. de la vraye croix. Ippv'câ;:^. Laqiteus contri- tus eft , & noi liber au fa* mus , &r. Le Baptesme. Ta B«a- iter^ioc. A'yMïKgtoi t Bà- priftsrc. K îj ri$ V O Y À G « JEfprit, Le a Parrain répond à chaque fois } Ain fi Çoit-il. Les parcns ne prcfentent ordinairement l'enfant que huit jours après fa nailïance -y le jour du Baptême , ils prennent le foin de faire chauffer de l'eau , & d'y jetter quelques fleurs de bonne odeur : après que le Papas l'a fouflée & benie, eri y verfant de l'huile facree , dont on oint il fort le corps de l'enfant , qu'elle ne donne preique au- cune prife à l'eau , on jette dans un b creux qui cft fous l'Autel , celle qui a fervi à cette cérémo- nia. Les Grecs font fi perfuadez que l'erfuiion d< l'eau qui fe fait fur la tête des en fans parmi nous, ne fufrit pas pour le Baptême , qu'ils font fouvenï rebaptifer les Latins qui parlent dans leur rite. Après avoir baptifé les enfans , de recité quel- ques prières , on leur donne c la Confirmation : Koicy le [ce au du don dufaint Efprit, dit le Curea en lui appliquant le faint Crème fur le front , fui les yeux , aux narines , à la bouche » aux oreilles, à la poitrine , aux mains &C aux pieds : on leur donne enfuite la communion , quoiqu'ils rejet, tent fouvent la moitié du pain de du vin confa- crez , qu'on leur met dans la bouche. Sept jour! après le Baptême , on porte les enfans à l'Eglifd pour y faire l'ablution ; le Curé recitant les oraij ions marquées dans le Rituel , non feulement la^ ve la chemife de l'enfant , mais avec une épong( neuve ou un d linge propre , il décrafle ce petij corps3 & le renvoyé , en lui difant , Te voilà hé pti^J y éclairé de la lumière celefle , muni an Sacré ment de Confirmation , fanflifié & lavé Ait nom d Père 5 du Fils , $* du Saint Efpri', b Te 9»>«ar«'(A«v. c La CoNïiRMATION. Ti Mf'^i y fâii*à* ci /Stf.ùAn roù à A|iff. Asie vfy'i'nv . Qui habita: In ad- nJ I I ïjo Voyage voit quelques-uns pourtant qui fe eonfomment en frais Se n'y parviennent jamais. Les Grecs font fort vindicatifs , & la haine des familles ne fe ra- chette pas toujours chez eux par argent i ils ne fe pardonnent pas même entre parens. Les cérémonies du a Mariage nous amufétent agréablement un jour à Mycone ; nous accompa- gnâmes les parties à l'Eglife avec leur parrain & leur marraine -, il leur eft même permis d'en choifîr trois ou quatre , & cela le pratique prin- cipalement lorfquc la mariée eft l'aînée de la mai- fon ; je n'ai feu apprendre par quelle raifon elle eft la plus avantagée de la famille : car .un père qui a dix mille cens , par exemple, en donne cinq mille à fa fille aînée 3 le relie eft partagé entre fes autres enfans , y en eût-il une douzaine. Après que le Papas eut reçu la compagnie à la porte de l'Eglife , il exigea le confentement des parties, & mît fur leur tête à chacun uneb couron- ne de branches de vigne , garnie de rubans & de dentelles ; il prît enfuite deux anneaux qui étoient fur l'autel & les mit à leurs doigts ; fçavoir l'an- neau d'or au doigt du garçon , l'anneau d'argent au doigt de la fille , dilaut , Vn tel [ervitcur de Dieu époufe une telle Au nom du Père 3 du fils , & du Saint Efprit , présentement & toujours , & dans les Jiécles des Jîécles, Ainfi [oit-il. Il chan- gea plus de trente fois les anneaux des doigts des uns aux autres ; mettant celui de l'épouie au doigt de l'époux , il difoit , Vne telle fervante de Dieu ipoufe un tel &c. enfin il changea encore plusieurs f)is ces anneaux , Se laiila l'an- neau d'or à l'époux 3 6V la bague d'argent à l'é- poufe. Jufques-là nous n'avions pas à nous plain- f JLfc Mariage. O r«^j;. b T« Z»^**"»^. du Levant. Lettre III i j u e ; mais il nous parut fort extraordinaire que le bairain & la marraine s'amufallent auflî long- temps qu'avoit fait le Papas au même changement kTanneaux ; jugez de la longueur de cette céré- monie quand il y a quatre parrains & autant de marraines : celui ev celle qui étoïent en fonction ce jour-là , relévoient les couronnes à trois ou quatre pouces au dcllus de la tète de l'époux & de l'épouie , & firent tous enlemble trois tours en rond , pendant lefqucls , les aflîftans , parens , amis , voifins leur donnoient fort incivilement des coups de poing & quelques coups de pied, tui- vant je ne fçai quelle ridicule coutume du pays ■■, 1 n'y eut que nous qui les épargnâmes , & Ton attribua cela à nôtre impolitcflc. Apres cette ef- péce de balct , le Papas coupa de petits morceaux de pain , qu'il mît dans une écuelle avec du vin ; il en mangea le premier , & en donna une cuille- rée au marié , & une autre à la mariée ; le par- rain , la marraine & les aflîftans eu tâtérent auiTi : nous aurions commis une grande incivilité,!! nous en avions refufé. Ainii finirent les époulailics ; on ne dît point de Meife , parce que cette cérémonie ie fit fur le foir. Le même jour les parens , les amis ik les voi ;îns envoyèrent des moutons, des veaux , du gibier , & du vin ; on fit bonne chère pendant deux mois : celaie pratique aufîi après les enterremens , èv c'eftec qu'il y a de plus réjouii- fant parmi les Grecs ; car ces enterremens fe font d'une manière fort lugubre ; nous en fumes iur- pris un jour dans l'ille de Milo : voici comment la choie Çç palLi, La femme d'un des principaux de la ville, de- vant le logis duquel nous demeurions , expira deux jours après notre arrivée. A peine eûc-clie K iiij ïjt Voyage jrendu l'ame que nous entendîmes des crîs extra- ordinaires , qui nous obligèrent à demander ce que c'étoit : on nous adùra que luivant l'ancien- ne coutume de Grèce , les a pleureufes faifoicut leur devoir auprès de h défunte i il eft vrai que ces femmes çasnent bien leur argent , & Horace a eu railon de dire , que ces fortes de gens fe tourmentoient plus que les perfonues qui pleu- roient naturellement. Ces pleureufes à gage, hur- lent &c frappent leurs poitrines jufques à s'enfon- cer les côtes , tandis que quelques-unes de leur troupe chantent des D élégies à la louange du mort ou de la morte : car ces fortes de chanfons fer- vent pour les deux fexes , & pour toute forte de morts , de quelque âge & de quelque qualité qu'ils (oient. Pendant cette efpécc de charivari 3 elles apoftrophoient de temps en temps la Dame qui venoit de mourir : la (céne nous parut fîngu- liere : Te voilà bienheurenfe , difoient-elles -, tu peux présentement te marier avec un tel & ce %t\ .... etoit un ancien ami, que la chronique fcandaleufeavoit mis fur le compte de la morte : JSfous te recommandons nos parens3 difoit l'une : Nos haifemalns a mon compère tel difoit l'autre , & mille pauvretez femblables : après cela on rêve- * .* MoitoXoylfpctf y^ Mctfa- >flj5< Moîg^s , Fatum P:x- ûcx dicuntur mulicrcs ad laraentandum mortuum condu&x, qux dant extç- ris plangcndi modum. Fe~ Jïus, Uc qui conduit plr- rar.t in fnaerc diurne & F»ciunt prône plura dolcn- tikujexanirno. Horm.de prte pact. Nxnia cfl: carme n quotl in funeic Uudandi gratia, cantarur ad tibiam Fefttis. Similitcr & fynodali edic- ro cxcon-.municati func ledorcs qui in eifdem ( fu- nenbus ) muficas & que- rulas nugacioncs edunr, & pro Epicaphio Epichala- mium eclebrant. Halfumon in canon. IQ6. Conc.Carik. bu Levant. Lettre III. 153 noît aux pleurs •, ces pleurs font des torrens de lar- mes , accompagnez de fanglots , qui femblent partir du fond du cœur : on le déchire la poitri- ne ; on s'arrache les cheveux j on veut mourir avec la morte. Leconvoy commença par deux jeunes payfans, qui portoient chacun une croix de bois , fuivis par un Papas révêtu d'une chape blanche , efeorté de quelques Papas en étoles de différentes couleurs , mal peignez & mal chauliez ; on portoit enfuitelc corps de la Dame à découvert, parce à la Gréquc, de les habits de noces , le mari fuivoit la bière , foutenu par deux perfonnes de confideration , qui tàchoicnt par bonnes raifons de l'empêcher d'ex- pirer : on difoit pourtant tout bas , que la défun- te n'étoit morte que de chagrin : une de fes filles allez grande & bien faite , les feeurs Se quelques parentes marchoient à leur tour 3 cchevelées Se appuyées fur les bras de leurs amies : quand la voix leur manquoit ou qu'elles ne içavoient plus que dire , elles tiroient avec violence les trélles de leurs cheveux , tantôt d'un coté , tantôt de l'autre ; comme la nature ne içauroit fe démen- tir long-temps , on diftingue bien dans ces occa- sions , celles qui agitfent de bonne foy , d'avec celles qui fe contrefont : s'il y a un bel habit dans la ville , il paroit ce jour là : a les amies il de* meure feu l \ mais quand il efl mort , il produit beau- coup de fruit. e L'origine de ces fortes de cérémo- nies , ne lailfe pas de faire plailîr , & ceux qui les ont inftituées étoient remplis de l'Ecriture iain- re ; ou n'ajoute les confitures Cv les autres fruits , que pour rendre le froment bouilli moins déia- greable : le fodbyeur porte fur fi tête le baffin du Colyva , précédé d'une perfonne qui tient deux gros flambeaux de bois doré , garnis par étages de rubans fort larges , bordez d'une dentelle de fil de demi-pied de hauteur : ce foifoyeur eft fuivi KôXvoet , apud Su'd. fru- mencum co&um , ti'nf Di^icnlis Oricnrali* Sc-fa- nuun aida. Inft. ici htib. 16 S- La graine de cette plante dorme un bon goitt an pat» Cr on la pmr.ge par tout le Levant. c Koïiwat £)*• d Jean. ii, -j. 14. c Pour l'inflitution dit Coly- va v voye^ Xiicepbore CaU lifi. Mft. Ecclef. lib. 10. cap. II. Ij6 V O Y A G T. de trois peiTonnes , l'une porte deux grandes bou- teilles de vin , l'autre deux paniers de fruits , la troilîéme un tapis de Turquie que l'on étend fur le tombeau du mort pour y fervir le Coly va 8c la colation. Le Papas dit l'Office des morts pendant que l'on porte cette offrande à l'Eglife ; il prend en- fuite fa bonne part du régale : on donne à boire aux honnêtes cens 8c les relies font diftribuez aux pauvres. Quand l'offrande part du logis, les pleu- reufes recommencent tout comme au jour de l'enterrement -, les parens , les amis , les voifins , font les mêmes grimaces : pour tant de larmes, on ne donne à chaque plcureufe que cinq pains, qua- tre pots de vin , la motié d'un fromage , un quar- tier de mouton , & quinze fols en argent. Les pa- ïens font condamnez par la coutume des lieux à pleurer fort fouvent fur le tombeau ; pour mieux témoigner leur douleur ils ne changent pas d'ha- bits dans ce temps-là , les maris ne fe font pas razer , les veuves fe laiffent manger aux poux : il y a des Ifles où l'on pleure continuellement dans les maifons ; les maris 8c les veuves n'entrent pas dans l'Eglife, 8c ne fréquentent pas les Sacrcmcns pendant qu'ils font en deuil : quelquefois les Evo- ques 8c les Papas font obligez de les y contraindre fur la menace de l'excommunication , que les Grecs appréhendent plus que le feu : à l'égard des cérémonies dont on vient de parler , elles varient fuivant les lieux : voici celles que nous avons vues pratiquer à Mycone , où nous panâmes un hyver. Dès qu'une perfonne a rendu l'orne , on tonne comme l'on fait dans ce pays-ci pour une Mi baffe : les parens, les amis, les plcurcufes font leurs complaintes autour du corps que l'on porte a DU Levant. Lettre II î. rj7 rEglife peu de remps après, le plus fouvcnt même on n'attend pas qu'il foir. froid : on s'en débarraile ians s'informer s'il eft mort d'une maladie de lan- gueur , ou II on l'a cru mort , quoiqu'il fût enco- re en vie , comme cela eft: arrivé à quelques apo- plectiques , qui n'ont pas^laifte d'en revenir. Le convoy s'arrête au milieu de la' principale place : on y pleure fort amèrement , au moins en appa- rence : les Papas difent l'office des morts autour du corps : après quoy on le porte à l'Eglife , où il eft: inhumé dès que l'on a recité quelques oraifons accompagnées de pleurs , de gémûTemens, de fan- glots feints ou véritables. Le lendemain on fonne encore les cloches : on fert un Colyva dans la maifon , fur un tapis éten- du par terre : les parens & les amis fe rangent à l'entour : on pleure pendant deux heures , tandis que l'on dit la MeflTe des morts à l'Eglife. Lefoir on y porte un autre Colyva avec une bouteille de vin : ies parens &c les enfans du mort qui font ma- riez , en envoyent autant. Les plats font distri- buez aux Papas,qui recitent l'office : chacun man- ge & boit comme il l'entend , à condition que Ton pleurera de temps en temps par bienféance. Le troifiéme jour au matin on envoyé d'autres Colyvas , 8c comme l'on ne dit qu'une Mclfe pat- jour dans chaque Eglife , les Papas prennent leurs plats , & s'en vont célébrer dans leurs chapelles. Les autres jours jufques au neuf, on dit feule- ment des Meilès : le neuvième jour on fait la mê- me cérémonie que le troifiéme. Le quarantième jour après le décès , à la fin du troifiéme mois , du fixiéme , du neuvième , & au bout de l'an, on répète la même chofe que le troi- iiéme jour j bien entendu que l'on ne manque 158 V o y A 6 t pas d'y pleurer. Tous les ans les héritiers font porter le Colyva à l'Eglife , le jour du décès de leur père & de leur mère : c'eil pour cette fois que la cérémonie fe fait fans lamentation* Tous les Dimanches de la première année du décès 8c quelquefois même de la féconde , on donne à un pauvre un grand gâteau , du vin , de la viande 3 & du poilîbn : le jour de Noël on fait la même charité , de manière qu'on ne voit palfer clans les rués que des quartiers de mouton , des bécalles , & des bouteilles de vin* Les Papas en diitribuent aux pauvres autant qu'il leur plaît , & font bonne chère du refte : car toutes ces offran- des vont de l'Eglife chez eux. Ainfi ces Miniftres Ecclefîaftiques ont plus de bien qu'ils n'en (çau- roient contaminer, & d'ailleurs indépendamment du cafuel de l'Eglife , on les accable d'autres pré- fens. Les héritiers pendant la première année don- nent foir& matin aux pauvres, la portion de vian- de , de pain , de vin & de fruk , que le mort au- roit mangée s'il eût vécu. Nous vîmes une feenc bien différente & bien tragique dans la même Ifle à l'occafion a d'un dd ces morts que l'on croit revenir après leur enter- rement. Celui dont on va donner l'hiftoire , étoït un païfan de Mycone naturellement chagrin & quereleux ; c'eft une circonftance à remarquer par rapport à pareils fujets : il fut tué à la campa- gne, on ne fçait par qui, ni comment. Deux jours a Vioucolacas. BçatocÔA*^, ffCtf V)^VX.0À0iKUi, l(0Ï\ BtVjJ- tre compofé d'un corps more & d'un démon. Il y €n a j«î croyent que B^oo. %'ohx*2% fignifie une charo- gne. B^sû^î & Booj>>i9! t c'eft ce limon fi puanc qui croupit an fond des vieux fojfez, , car AetKtgs [lénifie un fous» du Levant. Lettre II It ify âpres qu'on l'eut inhumé dans une chapelle de la ville , le bruit courut qu'on le voyoit la nuit fe promener à grands pas, qu'il venoit dans les mai- ions renverfer les meubles , éteindre les lampes , cmbrafler les gens par derrière , & faire mille pe- tits tours d'efpiégle. On ne fit qu'en rire d'abord; mais l'affaire devint fericufe lorfque les plus hon- nêtes gens commencèrent à fe plaindre : les Papas même convenoient du fait , & fans doute qu'ils avoient leurs raifons. On ne manqua pas de faire dire des MeiFes : cependant le paifan continuoic fa petite vie , fans fe corriger. Après plufieurs affèmblées des principaux de la ville, des Prêtres & des Religieux , on conclut qu'il falloir fuivant je ne fçai quel ancien cérémonial , attendre les neu f jours après l'enterrement. Le dixième jour on dit une MelTe dans la cha- pelle où étoit le corps , afin de chalfer le démon , que l'on croyoit s'y êcre renfermé. Ce corps fut déterré après la Mené , & l'on fe mit en devoir de lui arracher le cœur. Le boucher de la ville aifez vieux & fort mal adroit , commença par ouvrir le ventre au lieu de la poitrine : il fouilla long- temps dans les entrailles , fans y trouver ce qu'il cherchent : enfin quelqu'un l'avertit qu'il falloir percer le diafragp.ne.Le cœur fut arraché avec l'ad- miration de tous les afïiftans. Le cadavre cepen- dant puoit li fort , qu'on fut obligé de brûler de l'encens \ mais la fumée confondue avec les ex- halaifons de cette charogneme fit qu'en augmen- ter la puanteur , & commença d'échauffer la cer- velle de ces pauvres gens. Leur imagination frap- pée du fpe&acle , fe remplit de virions. On s'avi- fa de dire qu'ii fortoit une fumée épaiife de ce corps : nous n'ofions pas dire que c'était celle ds :r6o Voyage l'encens. On ne crioit que Proucolacas dans li chapelle & dans la place qui eft au devant : c'en: le nom qu'on donne à ces prétendus revenants. Le bruit fe répandoit dans les rue's comme par mugiflèmens , & ce nom fembloit être fait pour ébranler la voûte delà chapelle. Plufieurs des afïï- ftans alliiroient que le fang de ce malheureux étoit bien vermeil : le boucher juroit que le corps étoit encore tout chaud ; d'où l'on concluoit que le mort avoit grand tort de n'être pas bien mort , ou pour mieux dire de s'être laille ranimer par le diable ; c'eftlà précifément l'idée qu'ils ont d un Vroucolacas. On faifoit alors retentir ce nom d'u- ne manière étonnante. Il entra dans ce temps-là une foule de gens, qui protestèrent tout haut qu'- ils , s'étoient bien apperçûs que ce corps n'étoit pas devenu roide , lorfqu'on le porta de la campa- gne à PEglife pour l'enterrer , &C que par confé- quent c'étoit un vrai Froucolacus i c'étoit là le refrain. Je ne doute pas qu'on n'eût foutenu qu'il ne puoitpas , fi nous n'eu (lions été prefens, tant ces pauvres cens étoient étourdis du coup , 8c infa- tuez du retour des morts. Peur nous qui nous étions placez auprès du cadavre pour faire nos obfervations plus exactement , nous faillîmes à crever de la grande'puanteur qui en fortoit.Quand on nous demanda ce que nous croyions de ce mort, , nous répondîmes que nous le croyions très bien mort ; mais comme nous voulions gué- rir , ou au moins ne pas aigrir leur imagination blelfée , nous leur reprefentâmes qu'il n'étoit pas furprenant que le boucher fe fût apperçû de quel- que chaleur en fouillant dans des entrailles qui fe pourriflbient ; qu'il n'étoit pas extraordinaire qu'il b v Levant. Lettre ÏIÏ, i6i qu'il en fût forti quelques vapeurs , puifqu'il en fort d'un fumier que l'on remue ; que pour ce prétendu fang vermeil , il paroifloit encore fur les mains du boucher, que ce n'étoit qu'une bourbe fort puante. Après tous ces raifonnemens, on fut d'avis d'al« 1er à la marine , brûler le cœur du mort, qui mal- gré cette exécution fut moins docile , & fit plus de bruit qu'auparavant : on l'aceufa de battre les gens la nuit , d'enfoncer les portes , Se même les terralïes ; de brifer les fenêtres ; de déchirer les habits ; de vUider les cruches & les bouteilles* C'éroic un mort bien altéré : je crois qu'il n'épar- gna que la maifon du Conful chez qui nous lo- gions. Cependant je n'ai rien vu de fi pitoyable que l'état où étoit cette Ifle : tout le monde avoic l'imagination renverfée : les gens du meilleur cf- prit paroi lïbient frappez comme les autres : c'é- toit une véritable maladie du cerveau , aufîi dan- gereufe que la manie 3c que la rage. On voyoic des familles entières abandonner leurs mâifons , 3c venir des extremitez de la ville porter leurs grabats à la place , pour y palier la nuit. Chacun e plaignoit de quelque nouvelle infulte : ce n'é- toit que gemiffemens à l'entrée de la nuit; les plus enfez fe retiroient à la campagne* Dans une prévention lï générale , nous prîmes e parti de ne rien dire. Non feulement on nous auroit traitez de ridicules , mais d'iniidéles. Com- ment faire revenir tout un peuple ? Ceux qui cro- poient dans leur ame que nous doutions de la vé- rité du fait , venoient à nous comme pour nous reprocher nôtre incrédulité^ &c prétendoient prou- ver qu'il y avoic des froucoUcas , par quelques Tome L L \6z Voyage authorkez tirées du a Bouclier de la foy du P. Ri* chard , millionnaire Jéfuite. Il étoit Latin , di- foient-ils , & par confequcnt vous devez le croire. Nous n'aurions rien avancé de nier la confcqucn- ce : on nous donnoit tous les matins la comédie , par un fidèle récit des nouvelles folies qu'avoir, fait cet oifeaude nuit : on l'accufoit même d'a- voir commis les péchez les plus abominables. Les Citoyens les plus zélez pour le bien public croyoient qu'on avoit manqué au point le plus cfienticl de la cérémonie. Il ne falloir félon eux célébrer la MelTe qu'après avoir arraché le cœur de ce malheureux ; ils prétendoient qu'avec cette précaution, on n'auroit pas manqué de furprendre le diable , & que fans doute il n'auroit eu garde d'y revenir , au lieu qu'ayant commencé par la Meiïè , il avoit eu , difoient-ils , tout le temps de s'enfuir 6c d'y revenir enfuite à fon aife. Après tous ces raifonnemens, on fe trouva dans le même embarras que le premier jour ; on s'aflèm- ble foir & matin , on raifonne, on fait des proccf- fions pendant trois jours &C trois nuits , on oblige les Papas de jeûner , on les voyoit courir dans les maifons le goupillon à la main , jetter de l'eau bé- nite & en laver les portes ; ils en rempliiïoient même la bouche de ce pauvre Vroucolacas. Nous dîmes fi fouvent aux Adminiftrateurs dq la ville , que dans un pareil cas on ne manqueroii pas en Chrétienté de faire le guet la nuit , pour obferver ce qui fe palleroit dans la ville ; qu'cnJ fin on arrêta quelques vagabonds, qui aiTùiemcnt avoient part à tous ces déiordres : apparemment ce n'en étoient pas les principaux auteurs , ou bien on les rélâcha trop-tôt ; car deux jours après,poui a Tâfyx t2 PétiyqKKS variai, b Em<%i*vi. du Levant. Lettre II L tel fe dédommager du jeûne qu'ils avoient fait en pria fon 5 ils recommencèrent à vuider les cruches de vin de ceux qui étoient alfez fots pour abandon- ner leurs rnaifons dans la nuit : ort fut donc obli- ge d'en revenir aux prières. Un jour comme on recitoit certaines oraifons, après avoir planté je ne fçai combien d'épées nues fur la folle de ce cadavre, que Ton déterroit trois ou quatre fois par jour, fuivant le caprice du pre- mier venu j un Albanois qui par occafîon fe trou* Va a Mycone , s'avifa de dire d'un ton dedocleur* qu'il étoit fort ridicule en pareil cas de fe fervir des épées des Chrétiens. Ne voyez-vous pas pau- vres aveugles, difoit-il , que la garde de ces épées faifânt une croix avec la poignée , empêche lé diable de fortir de ce corps ? que ne vous fervez- Vous plutôt des fabies des Turcs f L'avis de cet habile homme ne fervit .de rien : le froucoLicas ne parut pas plus traitable, & tout le monde étoit dans une étrange confternation : on ne fcavoit à quel Saint fe voiler, lorfque tout d'Une voix,conl. me Ci l'on s'étoit donné le mot, on fe mit à crier par toute la ville , que s'étoit trop attendre * qu'il ralloit brûler le Vroucolacas tout entier : qu'après cela ils déficient le diable de revenir s'y nicher j qu'il valloit mieux recourir à cette extrémité, que laiiïer deferter 1'ifle. En effet il y avoit déjà des familles entières qui plioient bagage , dans le def- fein de fe retirer à Syra ou à Tine. On porta donc le t^roucolacas par ordre des Adminiltrateurs à la pointe de l'Ifle de Saint George y où l'on avoit préparé un grand bûcher avec du goudron , de peur que le bois quelque fec qu'il fut , ne brûlât pas aflTcz vite par lui-même : les reftes de ce mal- heureux cadavr» y furent jettez ôc confumez dans L ij 1^4 Voyage peu de temps : c'étoit le premier jour de Janvier 1 70 1 . Nous vîmes ce feu en revenant de Dclos ; on pouvoit bien l'appcller un vrai feu de joye , puisqu'on n'entendit plus de plaintes contre le Proiicolacas '■, on fe contenta de dire que le diable avoit été bien attrapé cette fois-là,& l'on fit quel- ques chanfons pour le tourner en ridicule. Dans tout l'Archipel on eft perfuadé qu'il n'y a que les Grecs du rite grec , dont le diable rani- me les cadavres : les habitans de l'Ifle de a Santo- rin appréhendent fort ces fortes de loup-garous : ceux de Mycone , après que leurs vifions furent diiïipées, craignoient également les pourfuites des Turcs & celles de l'Evêque de Tine. Aucun Papas ne voulut fe trouver à Saint George , quand on brûla ce corps , de peur qued'Evêque n'exigeât une fomme d'argent pour avoir fait déterrer &: brûler le mort fans fa permiiîîon. Pour les Turcs, il eft certain qu'à la première vifite , ils ne man- quèrent pas de faire payer à la communauté de Mycone , le fang de ce pauvre diable s qui devint en toute manière l'abomination ôc l'horreur de. fon pays. Apres cela ne faut-il pas avouer que les Grecs d'aujourd'hui ne font pas grands Grecs , &C qu'il n'y a chez eux qu'ignorance & fupcrftition ? Quelque bon efprit qu'ils ayent , ils manquent dinftru&ion , & ne fçavent que ce qu'ils ont ap- pris par la tradition bonne ou mauvaife j ainfi il n'eft pas furprenant qu'ils foient encore dans leur ancienne hérelîe touchant le Saint Efprit qui ne] procède pas du Fils , fuivant la plupart de leurs j docteurs ; mais qui eft-ce qui s'embarraiTe chez eux des difputes de Théologie , fi ce n'eft quel-j ques Moines de Monte Santo ? la plupart des Pa- * Sant-Erini. du Levant. Lettre III. \Ç>$ pas , dont nous voulions fçavoir les fentimens fui* cette matière ne fçavoient pas l'état de la que- ftion. Ils font beaucoup mieux inftruits fur l'Eu- chariftie , & répondoient hardiment de comme en colère , croyans qu'on foupçonnoit leur foy , a II y eft corporellement , quand on leur demandoit de quelle manière ils croyent que Jefus-Chrift eft dans la fainte Hoftie. A l'égard du Purgatoire , ils ne fçavent à quoi s'en tenir ■■, la plupart s'imaginent que perfonne ne fera jugé qu'à la fin du monde : ôc quoi qu'ils ne déterminent pas le lieu où font détenues les âmes des morts jufques au jour de la refurrection ; ils ne laiffent pas de prier pour les trépaffez , dans l'efperance que la milericorde de Dieu fera flé- chie par leurs prières : il y en a même quelques- uns parmi eux , qui croyent que les peines d'en- fer ne feront pas éternelles ; mais comme ils font très mauvais Géographes , ils font aufli embarraf- fez à placer l'enfer que le purgatoire. Nos Millionnaires trouvent de grandes difricul- tez à ramener les Grecs à leur véritable croyance, fur tout dans les villes éloignées des côtes où les charitez du Roy ne fçauroient parvenir aifément. Il s'en faut peu que leur dévotion envers les Saints, & principalement envers la Sainte Vierge ne dé- génère en idolâtrie ; on fait brûler avec grand foin une lampe devant fon image tous les famedis ; ils l'implorent incetlamment , & la remercient des bons fuccès de leurs affaires ; leur parole eft ailù- réc lorfqu'ils la donnent en baifant ou en touchant l'Image y mais aufïi ils la grondent quelquefois, foi , Da„ « Ai/^fint, inafçeni Theflalonicenfis. du Levant. Lettre III. iGy trc cenfurez : les plus jolies Femmes des Iflcs ne manquent pas de s'y trouver , & l'on ne penfe à rien moins qu'au Saint que l'on doit fêter : au lieu , de l'invoquer , on mange des crêpes & des a bei- gnets à l'huile ; quelquefois au lieu de fève, on y mêle un b parât, & celui à qui il tombe en par- tage eft le roy de la fête ; Dieu fçait il l'on y boit, & ii l'on y dit de bons mots : leur manière de dan- fer eft alfez finguliére & ne varie guéres : ceux qui danfent fc tiennent ordinairement par le bout d'un mouchoir ; le garçon fait mille bonds, tandis que la fille ne^c remue prcfquc pas : les plus célèbres de ces fêtes font celles de c faint Michel, de faint André, de faint Nicolas, de faint George,des qua- rante Martyrs. Autrefois on y recitoit le panégy- rique du Saint dont on celebroit la mémoire; ceU ne fe pratique plus dans les Ifles de l'Archipehce- lui qui fait la dépenfe de la fête donne feulement à mangera quelques pauvres , & c'eft une imita- tion des d banquets des premiers Chrétiens , aux- quels faint e Pierre , faint f Paul , & faint S Jude trouvoient beaucoup à redire. Que n'auroieiu-ils pas dit ces faints Apôtres contre certaines fripon- neries des Curez ? h Le jour des Rois par exemple, & aux fetes de Pâques , fous prétexte de donner gratuitement de petites bougies aux enfans , ils vendent bien cher les cierges qu'ils diftribuent aux grandes perfouues , femblables à ces charla- tans , qui ne font pas payer leurs vifites aux ma- lades j mais qui s'en uecompenfent bien fur leurs " Petite monnaye d'argent. c ïlowyyj^i, Fé\e publique. <1 AyafTrt; , A^ci-Tctf , Fcftins qui fe fiifoiem dans les tglifes , pour cncrctcnir la chariié. c Epijï. ul.v. 13. f Eptft. 1. ad Cor'mth. v.n. 11. g Epîft. \i. 1 r. L iiij 11. rï£8 Voyagé remèdes. Dans la plupart des villages le premier Dimanche de Carême-, chaque famille porte un * pain a quatre cornes marquées de même que le milieu du pain, au nom de Jefus-Chrift ; le Papas le bénit &c diftribue' les cornes à quatre perfon- nes de la famille , maîtres ou valets y le milieu efl pour quelque cinquième qui s'y trouve par ha- zard , 8c ces cinq perfonnes font au Curé la fom- me de i • . ou 15. lois , fur l'aiïurance qu'il leur- donne que ce pain a plus de vertu que le pain bé- nit ordinaire ; enfin les Curez reçoivent les par- roifliens les plus zélez à la porte de i'Eglife avec yn verre d'eau de vie à la main , bien aflurez que ce verre leur attirera une cruche de vin , & quel- que pièce de gibier. Il fe commettoit bien de ces fortes d'abus parmi nous avant l'établifTement des Séminaires : il faut reearder ces faintes maifons comme autant de pépinières où fe forment les yrays Pafteurs & les faints Prêtres ; mais on n'o» feroit efperer que l'on employé de long-temps un remède fi falutaire dans l'Eglife Gréque. Les cou- vents de Monte Santo , quelques réguliers qu'ils paroirTènt , fournifTent les fourbes les plus dange- reux, bien loin d'élever des hommes Apoftoliques capables de rétablir la difeipline Ecclefiaftique.J'ai l'honneur d'être avec un profond refpect, &c. ^bar pw Levant. Lettre IF". \fy Lettre IV. 'A Monfeigneur le Comte de Pontchartraln 3 Secré- taire d'Etat & des Commandemens de Sa Ma- jefté, &cf M Onseigneur, Il eft Ci dangereux de paner de Candie aux Ifles Descm> de l'Archipel fur des bâtimens du pays , que nous JrION n'ofâmes pas l'entreprendre ; le trajet eft de cent ," ,.~" milles , & ces bâtimens font des a bateaux de gcntié- douze ou quinze pieds de long, qu'un vent de rc , de Nord un peu violent renverfe fans peine ; d'ail- Milo.dc leurs il n'y a point de repofoir en chemin, & c'eft 'P£ j" un grand malheur en fait de voyages de mer de se'pho. ne fçavoir où rélâcher quand on eft menacé d'une tempête : nous prîmes donc le parti d'attendre une barque Françoife ; heureufement il s'en trou- va à la Canée une de celles à qui vous deffendez d'aller courir d'une Ifle à l'autre pour bufquer fortune : je promis au patron que je me garde- rois bien de vous le dénoncer : il nous pafta fur fon bord à l'Argentiére le premier jour du mois d'Aouft. Cette Ifle que les Grecs appellent b Chimoli , prit le nom de l'Argentiére dans le temps que l'on a K«/*>» , Caicjue. b KIMAAOS. Strab.rerum Geog- Hb.io, Ktfta*' , en , VHlg* Cimolus. Plin. Vf' Hifl. nat. lib.âf. cap.n. Ar- gentaria Italor. ÏArgen- tiére. 170 Voyage y découvrit des mines d'argent ; on y voit encore les reftes des ateliers &: des fourneaux où l'on tra- vailloit à ce métail ; mais on n'oferoit aujourd'hui reprendre ces fortes de travaux fans la permiiîion des Turcs ; 8c les Turcs fous prétexte que les ha- bitans de l'Ifle en retireroient de gros profits , ne manqueroient pas de les accabler d'impofts. Les gens du pays croyent que les principales mines font du coté qui regarde Poloni , petit port de l'Ifle de Milo : ces Mes ne font éloignées que d'un mille de cap en cap , comme parlent les Géogra- phes , mais le trajet eft bien du double : Le Port de l'Argentiére eft petit , & n'a pas aflez de fond pour les gros bâumens ; ils relient à la rade du a Sud-eft à l'abri de l'Ifle Polino, connue des Francs fous le nom de l'Ifle brûlée. Pline allure que b Cimole fe nommoit autrefois l'Ifle aux Viperesu'l faut que la race en foit étein- te , car on nous aflfura qu'on n'y en voyoit plus. Pinct traducteur de Pline , & quelques autres Géographes modernes ont crû que c'étoît l'Ifle de Sicandro : pour moi je crois que Sicandro eft une Iile imaginaire ; nous n'avons fçû la trouver dans l'Archipel ,' ni même en apprendre aucune nou- velle. Il n'y a qu'un méchant village dans l'Argentié- re, & l'Ifle qui eft fort féche ôc relevée de monta- gnes ftériles 3 n'a que dix-huit milles de tour. On n'y (éme de l'orge & du coton qu'aux environ du village : on y boit du vin de Milo &c de l'eau de citerne , car il n'y a point de fontaine en tout le pays , mais feulement quelques méchants puits : la vigne n'y fournit des raiflns que pour manger : a Siioc. ? Cimolus qux Echinufa. Piin. ibid. du Levant. Lettre IV. jyt les Vénitiens en ont coupe tous les oliviers dans les guerres qu'ils ont eues avec les Turcs : enfin c m. „n. X •,; i £.: „ J : L être Ifle eft devenue tout à fait pauvre depuis que e Roy ne fouffre plus de Corfaircs François au Levant. L'Argentiére étoit leur rendez-vous , & ils y dépenfoient en débauches horribles ce qu'ils venoient de piller fur les Turcs ; les Dames en profuoient *, elles ne font ni des plus cruelles, ni des plus mal faites : c'eft l'éciieil le plus dange- reux de l'Archipel , mais il faut être bien mal ha- bile pour y échouer. Tout le commerce de cette Ifle , roule donc fur cette efpéce de galanterie fans délicateffe , qui ne convient qu'à des matelots ; les femmes n'y travaillent qu'à des bas de coton Se à faire l'amour; ces bas ne font pas trop propres quoiqu'on en fourniffe les Iflcs voifines: les hommes s'adonnent à la mer , Se deviennent allez bons pilotes. Pour de la religion , ils en ont très peu , de même que dans la plupart des Ides de l'Archipel où l'on ne trouve que des ignorans , fort mauvais Chrétiens par confequent , & fi j'ofe le dire , feelerats. Les habit ans de l'Argcntiére font prefque tous du rite grec, Se jouirent encore dans leurs Chapelles d'u- ne vintaine de petites cloches , ce qui n'eft pas un petit privilège fur les terres des Turcs. Les Latins font en petit nombre dans cette Ifle , Se ne valent pas mieux que les Grecs. L'Eglife Latine eft def- iervic par un Vicaire de l'Evêqne de Milo , de la- quelle l'Argcntiére eft comme le fauxbourg, La Juftice y eft adminiftréc par un Juge ambulant qui eft le fcul Mufnlman du pays : ordinairement il n'a ni valet,ni fervantc,& il n'oferoit parler haut, de peur que les habitans ne le filïent enlever pat quelque Corfairc de Malte. I fj£ V O Y A G % 11 n'efl: pas fait mention de l'Argentiére clans l'Hiftoire ancienne : cette Ifle a toujours fuivi la deftinéedeMilo. aDans le renverfement de l'Em- pire des Grecs par les Latins , Marc Sanudo noble Vénitien la joignit au Duché de Naxie, avec quel- ques autres Mes voifines ; elle fe trouva envclo- pée enfuite dans la conquête de l'Archipel par Barberoufle. Quelque miferable que foit l'Argentiére au- jourd'hui , les Turcs en retirent mille écus pour la b capitation & pour la c taille réelle , laquelle confifte en la cinquième partie de toutes les den- rées : outre ces droits , les habitans donnent en- core trois ou quatre cens écus aux officiers du Ca- pitan Pacha ? qui viennent y exiger la capitation & la taille. Il n'y a que deux chofes en cette Ifle qui regar- dent l'Hiftoire naturelle \ la terre Cimolée, & les plantes : à l'égard des mines d'argent , il n'y faut plus penfer. d La terre Cimolée dont les Anciens faifoient tant de cas , & qui portoit le nom de cette Ifle3eft une craye blanche , allez pefante & fans goût , remplie de petit fablon qui le fait fentir fous la dent ; cette crayc'cft friable , mais elle ne s'é- chauffe ni ne bouillonne point quand on l'arrofe avec de l'eau ; elle fe fond feulement & devient allez gluante : fa folution qui eft grisâtre, n'altère point la teinture du Tournefol a & ne fe remue Hifl. des Ducs de l'Archty. KHpctXxiov , Carat!;. Décatie, «/ Autrui > Dé- cimée. H' yi) Ktfiv\ix. Strifh. Re- rnm geog, lib. 10. Crctx plura gênera \ ex iis Ci- moliae duo ad medicos pertinemia , candi dum , Se ad purpuiiiîum incli- nans. Flin.Wft. nutXtb.i 5. DU Levant. Lettre IV. \y$ point avec l'huile de Tartre -, l'efprit de fel ré- pandu fur la terre Cimolée fermente à froid , de même que toutes les matières pierreufes : ainfî je fuis pcrfuadé que cette efpéce de craye ne diffère de celle qui fe trouve autour de Paris , qu'en ce qu'elle eft plus grafle & plus favonneufe ; c'eft par cette raifon qu'elle décrafle & qu'elle blanchit le linge : ce blanchiflage eft allez laie, mais il épar- gne le favon. Je crois que toute forte de craye blanchiroit auflt bien ; la feule précaution qu'il y auroit à apporter à celle de l'Argentiére feroit d'en feparer le gravier 8c les petits cailloux qui percent le linge. Enfin ces Infulaires ne font pas d'autre lefîive 9 & cet ufage eft fort ancien chez eux , puifque a Pline allure qu'ils s'en fervoient pour blanchir les étoffes. A l'égard des vertus de la terre Cimolée par rapport à la médecine , les anciens l'employoient pour refoudre les tumeurs : on feroit mieux aujourd'hui de lui fubftituer la craye blanche ou la terre à potier , que celle des coute- îers. a eu rai- Ovide , parlant de Cimole _ fon de dire que ùs champs étoient remplis de craye : il y a des quartiers de cette Iffc qui en font tous blancs : nous n'y découvrîmes rien qui tirât fur le rouge : peut-être que l'autre efpéce de Ci- molée dont Pline a fait mention eft plus pro- fonde ? Pour ce qui eft des plantes , elles étoient tou- tes brûlées lorfque nous arrivâmes à l'Argentiére; il en eft de même fur la fin de Juillet dans les au- tres Ifles ; les plantes annuelles y font pafîèes , oq ne les connoît plus que par leurs fquelets ou par a AU. * Grctofaquc ruu Cimoli. Metamtr. l'th. 7» ■ 174 Voyagé leurs graines répandues fur la terre , qui lèvent aux premières pluyes d'automne. Comme nous étions embarraiTez de nôtre ba- gage 8c que nous n'avions pas beaucoup de con- fiance aux gens du pays', nous pafsâmes à l'Ifle de Milo en moins d'une demi heure , le 2. du mois d'Août , fur le bateau de trajet qui va 8c vient tous les jours d'une Ifle à l'autre, a Strabon place le Milo à 24. milles du cap Skilli de la Morée , 8c prefque à pareille diftancedu cap Spada de Candie. On compte ordinairement cent milles entre ces deux Ifles-Le Miloeft une belle Iflc prefque b ron- de , d'environ Go. milles de tour , bien cultivée , 8c fon port qui efl: un des meilleurs 8c des plus grands de la Méditerranée , fert de retraite à tous les bâtimens qui vont en Levant ou qui en re- viennent : car elle eft fîtuée à l'entrée de l'Archi- pel que les Anciens connoilToient fous le nom de la mer Egée. Cette Ifle quoique petite , fut très c considéra- ble dans le temps que la Grèce étoit floriflante. Le Milo , comme dit d Thucydide , joiiiiïbit d'u- ne entière liberté, 700. ans avant la fameufe guer- re du Peloponnefe , qu'il a décrite avec tant d'e- xactitude : non feulement cette guerre interefla la Grèce ; mais toutes les Ifles voifînes , 8c les prin- j cipales villes des côtes d'Afie. Dans ce tumulte, les e Miliotes , puiflamment folli citez par les Athéniens , s'obftinérent à vouloir garder la neu- tralité, peut-être parce qu'ils defeendoient des] a MHAOS. Strab. rer. Geog. rotundiflima. Plin. ib'tâ. \ lïb. 10. Melos. Pihi. h'iji. c w Mij^os àfyofoyuriçp, %^-A nat.lib. 4. cap. 1 %. Milo , iwv. Strab. ibid. ou Le Milo. d Lib. 5. b H«c infularum4 omnium '* Tkncydtlib,z. du LïVAnt. Lettre IV. lyÇ Xacédemoniens felon a Thucydide Se b Conon : quoique Eftienne le Géographe ait fait de Milo une colonie de Phéniciens ; c Nicias général Athé- nien vint à Milo avec une flote de Go. vaiffeaux Se de deux mille hommes de débarquement, qui ravagèrent tout le pays •> d néanmoins il fut obli- gé d'abandonner le fiégede la ville que c Syncelle fait aufïi ancienne que Minos fils d'Europe. Quel- ques années après les Athéniens y firent une autre defeente avec trois mille hommes, commandez par f Cléomedes Se Tifias : ces Généraux après une longue Se ennuyeufe conférence qu'ils eurent avec les chefs de l'Ifle , bloquèrent la ville j mais les Miliotes renverférent leurs travaux. Enfin Phi- locrates ayant amené un nouveau fecours d'Athè- nes , ils fe rendirent à diferetion , & ce fut alors que fc fit ce grand marTacre dont parle Strabon , Diodore de Sicile Se Thucydide. Les Athéniens par le confeil S d'Alcibiades firent mourir tous les habitans de Milo, excepté les femmes & les enfans h que l'on mena en efclavage dans l'Attique. On fit palfer cinq cens perfonnes du même pays pour fonder une colonie dans l'Ifle : cependant ' Ly- landrc Général des Lacedemoniens ayant obli- gé Athènes même à fe rendre à diferetion à fon tour , le rcftVdes Miliotes fut renvoyé dans l'Ifle , îk la colonie des Athéniens rappel lée. Le Milo eut dans la fuite le même fort que les autres ïfles de l'Archipel , c'efl: à dire qu'il tomba fous la domination des Romains , Se enfuite fous » Lib j. b Narrât. 36. 1 c Thucyd l\b.^. d Dioti. Sicitl. Biblieth. Htji. iib. II. e Getrg. SyncolL AnnaU { Thucyd." lib J . s Piuixrch. in Alcibiai, h Thucyd. ibid. i Plmanh, in Lyfand. ' ïjë V O V A G E celle des Empereurs Grecs. a Marc Sanucîo , pre^ mier Duc de l'Archipel , joignit cette Ifle au Du- ché de Naxie , fous l'empire de Henri de Flandres* 13,07. frère de l'Empereur Baudouin. b Le Milo fut dé- membré de ce Duché , par Jean Sanudo fixiéme Duc de l'Archipel , qui céda cette Ifle au Prince Marc fon frère * & celui-ci la donna pour dot à fa fille Florence , laquelle époufa François Crifpo. Ce Crifpo qui defcendoit des anciens Empereurs Grecs , trouva le fecret de réunir le Milo au Du- ché de Naxie , en faifant aflafïiner dans cette Ifle Nicolas Carcerio qui en étoit le neuvième Duc. Par cet attentat Crifpo devint le dixième Sou- verain du Duché de l'Archipel. BarberoiuTe Ca- pitan Pacha fournit à Solyman 1 1. le Milo Se la. plupart des Ifles de ce Duché. On a vu de nos jours un Miliote nommé Capfî s'ériger en petit Roy de Milojil ne manquoit ni de courage ni de talens pour gouverner -, mais il fut alïèz mal-avifé pour quitter fon thrône & rendre viflte fans fes gardes à un Turc Capitaine de vaif. feau , qui lui avoit fait des proportions avanta- geufes de la part du grand Vizir que ce nouveau Souverain ne lanToit pas d'inquiéter ; dès que Capiî fut fur le bord du Turc on mît à la voile , 8c ce malheureux Miliote , qui n'avoit régné que trois ans , fut pendu à Conftantinople à la porte de la c prifon des efclaves , moins prudent que ces anciens habirans de Milo dont parle d Plutarque , lefquels ayant planté une colonie à Cryalïà ville de Carie , firent cacher des poignards dans le fein de leurs femmes , & s'en fervirent fort à propos pour couper la gorge aux habitans de la ville , qui a Sanut. lib.i. part.+. cap.j. P Miji._dt$ Ducs de l'Archty. Il Bagno. De virtmifos mttlièrHtn. les I du Levant. Lettre IF. 17 j les àvoient invitez à un feftin , dans le defTein de les faire mourir. Nous débarquâmes dans un quartier de l'Ifle appelle Poloni, peut-être à eaufe de quelque an- cien temple d'Apollon ; il fallut refter jufques à midi auprès d'une chapelle abandonnée pour at- tendre des chevaux , car on compte cinq milles de Poloni à la ville , laquelle porte le même nom que l'Ifle fuivant l'ancienne coutume de Grèce marquée par a Galien. Après avoir fait plus de la moitié du chemin dans des collines & des campa- gnes incultes , feches > ftériles , on entre dans une plaine fort agréable , laquelle s'étend jufques à la ville , & ne fe termine qu'à la grande rade. La ville de Milo qui contient près de cinq mille hommes eft allez bien bâtie ; mais elle eft d'une (Acte infuportable : quand on y bâtit une mai- fon, on commence par l'appartement des cochons qui eft au delïbus d'une arcade au re.z de chauffée ou un peu plus bas Se qui donne toujours fur la rue* ; en un mot c'eft là le cloaque de toute la mai- fon : les ordures qui s'y amaflent , jointes aux va- peurs des marais falans qui font fur le bord de la mer , aux exhalaifons des minéraux dont l'Ifle eft 'ufectée , à la difette de bonnes eaux , empoifon- lent l'air de Milo & y caufdnt des maladies dan- 2;ereufes : les maifons de cette ville valent bien mieux que celles de Candie j celles de Milo font i deux étapes en terralïe , de bonne maçonnerie k d'une pierre allez îinguliére , approchante de a pierre ponce , mais dure , noirâtre , legére3 qui refifte aux imprelïions de l'air , &qui eft très pro- >re pour aiguifer toutes fortes de rerremens : il De fimpl. medicam. ficult. lib.9. $.11. Tome I. M ~ÏJ% V O V A G t n'y a pas d'apparence que a Théophrafte Se Pline ayent voulu parler de cette elpécc de pierre , lorf- qu'ils ont die que les meilleures pierres ponces fe trouvoient dans cette Iile ; car les anciens s'en fer-; voient pour adoucir la peau & la rendre plus douillette : il eft certain que les pierres ponces or- dinaires font beaucoup plus propres à cet ufage , mais il ne nous a pas paru que celles de Milo fui- fent d'une allure plus fine que celles qui (ont lui* les bords de toutes les Ides de Grèce ; elles vien- nent toutes de la même carrière , comme nous verrons dans la fuite : les terralfes de Milo font de même fabrique que celles des autres villes de l'Ar- chipel, c'eft une couche de terre allez bien batuc, qui fe fend & lailte échaper l'eau de toutes parts aux premières pluyes ; mais elle s'affermit à médi- re qu'elle s'imbibe d'eau & fes crévalîes ne fe bou- chent que peu à peu. Les Capucins François font afTcz bien loçcz dans cette ifle à l'entrée de la ville adroite en ve- nant du portjil y a quelques années que leur cou- vent fut démoli par les Turcs , qui Je plaignoient qu'on y receloit les vols des Corfaires : la maifon a été relevée & la nouvelle Eglite eft fort jolie pour le pays : le Roy a donné mille écus pour cet édifice ; les Marchands François, les Capitaines Je vaitfeaux, les Corfaires même ont contribue félon leurs facilitez, car les Capucins font pauvres par tout.En Levant ils employent leur fuperflu a nour- rir les pauvres familles Chrétiennes, & n'oublient rien pour foulager ou pour délivrer les elclavesJ De deux Pères qui font dans le couvent de Milo , l'un fait l'école Gréque , & l'autre l'italienne : ils confervent dans leur jardin une figure antique a De lap'ullb. Hi/l. Tiflt, lib.i< . cut.x \ . An Alcvonium diuiun Imper, cujus texcura ad pumicem accedic ? du Levant. Lattre ÎV» tyj Huis tête de fort mal traitée j on Croit que c'étoit la figure de Pandore , les relies eu font beaux : il me parut plutôt que c'étoit une ftatuë de a Diane à plulieurs mammelles , dont on voit la reprefenta- tion fur quelques médailles de Domitien, de Tra- jan, de Sabine, de Marc Aurcle, de Commode, de Marnée, d'Otacille, d'Etrufcille, de Gallien. Les Miliotes font bons matelots : par l'ufage Se a connoiffance des terres de l'Archipel , ils fer- vent de pilotes à la plupart des vaiffeaux étrangers. Cette Ifle abondoit en toutes fortes de biens dans c temps que les Corfaires François tenoient la mer en Levant : on y parle encore des grandes ac- tions de Mrs de Bencville Temericourt , du Che- valier d'Hocquincotir , d'Hugues Cruvelier , du Chevalier d'Entrechaut , de M" PoulTel , l'Oran- ge , Lauthier , &c autres qui amenoient leurs pri- es en cette Ifle, comme à la grande foire de l'Ar- chipel ; les marchandifes s'y donnoient à bon mar- ché j les bourgeois les revendoient à profit, & les équipages des vailTeaux y confommoient les den- rées du pays. Les Dames y trouvoient aufîl leurs avantages , elles ne font pas moins coquettes que celles de l'Argentiére : toutes ces Dames fe fardent avec la poudre d'une b plante marine , dont elles frottent leurs jolies pour les rendre vermeilles , mais cette couleur fe palTc bien-tôt, & l'ufage de cette pou- dre gâte le teint & détruit la furpeau : les Dames de ces deux Ifles font vêtues de la même manière; il n'eft point d'étranger qui ne trouve leur habit extraordinaire & tout à fait défavantageux au beau fexe , il leur gâte la taille & fait paroître les APTçMIS nOATMAS- TO£ , Diane à pluficws mammelles- >, Akyonium durum Imper, M i) «$ô "V O V A G S plus jolies perfonnes avec des jambes monitraei?- fes : ainfi ces Dames quelques agrémens qu'elles ( ayent, ne font bonnes qu'à être reprefentées fur des écrans ou fur des éventails, Il n'y a que des Grecs dans le Milo , excepté le a Juge qui eft Turc : le b Vaivode elt ordinaire- ment un Grec , qui non-feulement exige la taille réelle , mais qui a droit de châtier & de faire don- fier la baftonade , comme i'Aga des Janilfaires dans les villes de Turquie. En 1700. la taille fuc jufques à cinq milles écus , & l'on paya à Mezo- morto Capîtan Pacha pareille fomme pour la ca- f)itation. On fait tous les ans trois Coufuls à Mi- o y ils s'appellent c Epitropi \ & ceux qui fortent de charge Primati ou Vechïarài , c'eft-à-dire an- ciens confuls : ceux qui font en charge ont l'ad- miniftration des rentes de la ville , lefquelles fe prennent fur la Douane , fur les Salines ÔC fur les Pierres de moulimtout cela ne s'afferme que mille écus par an : on paye à la Douane trois pour cent pour toutes fortes de marchandifes : les moulins à bras que l'on fait dans cette Iflc3 font fort propres & la pierre en eft excellente : on les porte à Con-' ftantinople , en Egypte , dans la Morée , à Zante à Cephalonie , ôc même à Ancone. d Mylos era grec littéral 6c vulgaire fignifie un moulin ; ori prétend que l'Ifle en a pris le nom à caufe du grandi commerce qu'on y fait des moulins à bras , mais il y a beaucoup plus d'apparence qu'elle a confcr-3 vé fon ancien nom de Melos dont on a fait Milo\ & que Feftus dérive d'un Capitaine Phénicien ap- pelle Melos. Pour ce qui eft du fel , on ne le vend pas dans I Cadi, Celui qui exige la taille. ETr'iTSQvti , Adminiftia- teur . Intendant. MwAof. I t»u Levant. Lettre IV. i5* icette Ifle , car la a mefure ordinaire qui pefe b ifoixante fix livres poid de France s s'y donne pour fept fols : les falines font à deux milles de la ville tout au fond de la rade : pendant l'hy ver l'eau de la mer en remplie les refervoirs , 6V: le fcl s'y cry- ftalife dans les grandes chaleurs. Les Confuls nomment des gens dans tous les quartiers de la ville pour exiger la capitation a la- quelle fe paye à raifon de cinq écus par tête ; ils remettent enfuite cet argent à l'ordre du Capitan Pacha : les Turcs font toujours quelque nouvelle avanie pour rançonner ces pauvres Grecs : par exemple dans le temps que nous y étions , ils ne voulurent prendre les fequins qu'à deux écus , au lieu qu'ils valent fept livres dix fols : une autre année ils exigent en payement les marchandifes du pays fur lefquclles il y a beaucoup à gagner , comme la foye & le coton filé •> d'ailleurs il faut leur faire des prefens , Ci l'on veut éviter la chaine ou les coups de bâton; les Turcs font plus infolens que jamais dans les Mes , depuis la retraite des Corfaires François , ainfi les Grecs ne fçavent que ouhaiter : les Corfaires tenoient les Turcs en rai- on , & mangeoient le profit de leurs priles dans le pays ; mais auiïl ces Corfaires étoient quelque* fois des hottes incommodes , avec lefquels il n'é- foit pas trop aifé de vivre. On plaide en première inftance devant les Con- uls & les Primatis:on appelle de leur jugement an Cadi Ci l'on veut ; mais les Confuls qui affilient m jugement du Cadi , le menacent de le renvoyer >'il ne fait bonne juftice , & le renvoyenten errer, ;'il continue : c'eft au grand Cadi de Sçio d'en en- rayer un autre : le nouveau Cadi eft traité peu-. X.Uo. izo, oejues. M iij l8i Voyage dant trois jours par les Officiers de la ville , qui lui afïignent un logement, dont il paye le loyer. 1 a dix pour cent des effets conteftez dans le procez; quelquefois il' prend de l'argent d'une partie &c de l'or de l'autre ; il juge en faveur de la plus groffe fomme : Ci c'eft un honnête homme , comme cela fe rencontre allez fouvent , il condamne à payer fur le champ en argent ou en marchandifes ; Ci le débiteur n'a aucuns effets, tout elt perdu, à moïn< qu'il ne demande du temps pour fatisfaire : s'i nie la dette , il cft cru fur fon ferment , & l'on ne peut plus le pourfuivre : on fait venir un Papas de- vant lequel le Juge le fait jurer fur l'Evangile ou bien fur l'Alcoran , s'il n'efl pas d'humeur d'atten- dre que le Papas foit arrivé. Il y a deux Evêques dans cette Ifle , l'un Grec ,; ÔC l'autre Latin 5 le Latin n'a qu'un Prêtre avec lui pour tout clergé j quoiqu'il foit Evêque de Mïlo , de l'Argentiére , & de Siphanto, où il ne tient que de fîmples Vicaires : le fiégeetoit vacant en 1 700. ôc l'on croyoit que le Pape n'y tiendroic qu'un Vicaire Apoftolique , pareeque l'Eglife de Miio n'a qu'environ cent cinquante écus de rente;' elle en avoit cinq cens autrefois , mais le Grand Seigneur après la guerre de Candie , ayant fait reconnoître les Ifles , & examiner les titres de] cçux qui les pofTedoient , l'Evêque Larin de Miio,] qui fous le bon plaifir des Vénitiens , joiiifloit dej Llfle brûlée, fe trouva fans titre ; ainfî cette Ifle J qui eft tout près de l'Argentiére fut mife à l'en-.] (hère & vendue cinq cens écus : le dernier Evêquej mourut Ci pauvre , qu'il avoit engagé le calice , la] mitre , & tous les ornemens de fon Eglife : il fe-J jroit mort de mifére fans une penfîon que le Royj 4ui avoit accordée, & fans les chantez que Sa Ma- ! dit Levant. Lettre IJT. 1S3 jefté fait diftribuer aux Latins qui font au Levant: l'Eglife Epilcopale cft fous le titre de faint Cofme & de faint Damien ; c'étoit autrefois une Cha- pelle Gréque , qui fut vendue aux Latins -, le lo- gement de l'Evcquc qui eft tout vis-à-vis, eft aflez |oli : cet Evêque n'a rien à démêler pour fes reve- nus avec l'Evêque Grec , quoique Mr Thcvenot allure le contraire : peut-être que le fujet de leurs conteftations a cefTé. L'Evêque Grec eft riche : nous ne le vîmes pas ; il étoit allé à Conftantinople pour fe faire confir- mer par le Patriarche qui en avoit nommé un nouveau , dans le deifein de rançonner l'ancien. La principale Eglifc de Milo eft Nôtre-Dame du Port. Uctvctym rbp-netv>ï. Les autres font Saint Noîrmantin folitaire dit mont Sinai. Les Grecs appellent ce Saint K*p*« hûGot y comme qui diroit un Saint que l'on in- voque pour la lèpre , K«px fîgn'lfie noir , 8c ÀtoCû; lèpre. Le Grand Saint George, A^Lç Tiupyio; fayâxoz. Saint George l'Hermite. A; «ce Tiupyioi; fj^vovianioTnçi. L'Annonciade auprès de la Place. ~Ebtyïihi^^. Saint Antoine proche le Château. A^-i'ac AvTwioç. Saint Dimitre dans le même quartier. Âyioç A«- Saint Michel Archange, kyioc. T«^«'*p^nç, Saint Jean Baptifte. a^i'oc luxvtm Uzo^fOfxoc, Le grand Saint Nicolas. Âyioç TtiiKoXct% fj^yu^oç. Le petit Saint Nicolas, ky'w NiJtoXataç ptufk, lue Saint Efprit. Ayio* ï\ij\k'J. Saint Athanafc. Âyia A3-ar»»c. Nôtre-Dame du Mont, du coté du Levant, à qua- tre mille de la ville , Ujva.yia B;tW«Tr>. L'admirable Nôtre-Dame à quatre milles auflï , Tlctvayiat. sD jjjtj Atw-té^s. Dlofc. l'tbi i$8 Voyage les autres Ifles ne renferment pas de ces fortes de minéraux, c'eft que leur ftructure intérieure n'eft pas favorable à l'introduction de l'eau de la mer, dans les creux des rochers , & que d'ailleurs elles manquent de matière ferrugineufe. Le Milo eft donc comme un laboratoire naturel où continuellement il fe prépare de l'efprit de fel, de l'alun , du foufre par le moyen de l'eau de la mer , du fer , des roches , & par la ftrudture fm- guliére de l'intérieur de cette Iile , qui eft telle qu'elle laiffe filrrer en plusieurs endroits la partie faline & la partie gratte de l'eau marine : ces par- ties font mifes en mouvement par la violence des brafîers , que le fer Se le foufre y excitent jour ôc nuit j & l'ouvrage de ces brafiers qui eft la produ- ction de i'efprit de fel, y forme le foufre & l'alun. Il eft bon de remarquer que ce rocher fpongieux & caverneux , qui fert de fondement à Milo eft comme une efpéce de poile qui en échauffe dou- cement la terre Se lui fait produire les meilleurs vins , les meilleures figues & les mêlons les plus délicieux de l'Archipel ; la fève de cette terre eft admirable & travaille toujours , les champs ne s'y repofent jamais. La première année on y ieme du froment, la féconde de l'orge , & la troineme on y cultive le coton, les légumes & les melons , tout y vient pêle mêle ; la campagne eft chargée de tou- te forte de biens : les terres font comme autant de jardins féparez les uns des autres par des murailles de pierre lèche , c'eft à dire , fans mortier,ni tor- chis. a Pendant la guerre on y feme peu de co- ton, pareeque les armées s'y fournifïent de grains, de haricots , & d'autres légumes : durant la paix on n'y recueille pas alfcz de blé pour nourrir les * Xylon fîvc Goltypium herbaceum , J. Bauh. i. 343. bu LiVànt." Lettre IK x8* nabitans : mais on y feme beaucoup de coton qui fe vend bien plus cher que le blé ; le cocon en co- que , c'eft à dire , envelopé de fon fruit , vaut a un fequin le quintal, & jufques à dix ou douze francs lorfqu'il eft en rame, c'eft à dire épluché ôc fans coque. De la ville à la rade , dans l'étendue de deux milles de terrain on ne voit que jardins & campa- gnes fertiles en froment , orge , coton , fcfame , haricots,melons, citrouilles, coloquinte ; ces cam- pagnes font terminées par les falines 3c les falines aboutiffent à la rade , dont les hauteurs font cou- vertes de beaux vignobles , d'oliviers & de figuiers. La rade de Milo peut contenir aifémeat une grande afmée navale : b fon entrée regarde le Nord-oucft , 6* les vaiflèaux y font à couvert de toute forte de vents ? du côté de c Prothctalajfa où eft le bon mouillage. Les deux petits écueils qui font à l'entrée de la rade , s'appellent d AcrarUsi c'eft à dire éminences : Antimilo eft une Me de- i'erte qui s'élève en pain de fucre , entre le Po- nant tk le Nord-oueft , les Grecs l'appellent Re- momilo , & les Francs lui ont confervé le nom d'Antimilo. Prafonifi eft une autre Ifle près du port de faint Jean de fer , derrière la montagne de S.Helie, à gauche de la rade,en venant de la ville. Il y a encore bien de petits écueils autour de Mi- lo y mais ils ne font pas affez conliderables pour en faire une recherche exacte. Dans le printemps , le Milo de même que les autres Mes de l'Archipel , eft un tapis admirable 5 parfemé d'Anémones de toutes fortes de couleurs : * 7. Hv. 10. f. I4O. lïv, ft- f*nt, > Miftral, 5 S'oiS». Dlofc lilr.^.cap.i:., ■& fctnpcrvircnsMor,umb.J7. ç Pttogog ■ lib.%. cap. i. dv Levant. Lettre IV. 191 d'Alexandrie 8c a Julius Pollux dans le dénombre- ment qu'ils ont fait des meilleures chofes que l'on peut manger en Grèce , n'ont pas oublié les che- vreaux de Milo. Le vin eft une des meilleures marchandifes de cette Ifle ; voici comment on le fait par tout l'Ar- chipel : chaque particulier a dans fa vigne un b re- fervoir de la grandeur qu'il juge à propos,quarré, bien maçonné , révêtu de ciment ; mais tout dé- couvert. On foule les raiiins dans ce refervoir après les y avoir laiifé lécher pendant deux ou trois jours , & à meinre que le mouft coule par un trou de communication , dans un baiïin qui eft au bas du refervoir , on remplir de ce mouft des outres que l'on porte à la ville : on les vuide dans des futailles ou dans de grandes cruches de terre cuite , enterrées jufques à l'ouverture , dans lcf- queiles ce vin nouveau bout tout à fon aife fans marc ; on y jette trois ou quatre poignées de plâ- tre , fuivarrt la grandeur des pièces , fouvent on y ajoute une quatrième partie d'eau douce ou d'eau falée , fui vaut la commodité des lieux. Après que le vin a fufHfamment cuvé on bouche les vaiiîcaux avec du plâtre gâché. Le plâtre n'eft pas rare dans rifle du coté de Poloni : faute de bois , on l'y cuic avec des bouzes de vache. On n'employé ni bois ni lefcive dans cette Ifle pour blanchir le linge : on le laide tremper dans l'eau , puis on le favonne avec une terre blanche ou craye , qui ne diffère en rien de la terre Cimo- lée de l'Argentiere. Peut-être qu'on y en trouve- majl, Uh.6. cap.io. 1» Wu-txi^p/i. Uâns , Çgnifie un prelloir. !!*»»#$», un pave : ce refervoir eft pa. vé , & l'on y prejfe les rai' fins , en les chargeant de grandes pierres flattes. I$l V O Y A G 1 îoit de plus fine & de plus blanche t G on Ce don* noie la peine de creufer. a Diofcoride & Pline l'appellent la terre de Milo , parce que dans leur temps la meilleure fe trouvoit dans cette Ifle. Les eaux de Milo ne font pas fort bonnes à boi- re , fur tout dans les bas fonds , où elles font in- fectées d'une odeur de foufre & d'œufs couvis. Il n'y a gueres que la fontaine de Caftro qui foit ex- cellente : cette fource eft chaude dans fon baflin : mais elle devient très froide deux heures après qu'elle eft puifée , & l'on n'en fçauroit trouver de plus légère. Pendant la dernière guerre } le géné- ral Morofini envoyoit des galiotes en charger des barrils pour fa table. Caftro eft un village fitué fur une montagne , à gauche en entrant dans la rade. Les Provençaux le nomment Sixfours , par- ce qu'il rcllemble à un village de même nom qui n'eft pas bien loin de Toulon. Le féjour que nous fîmes pendant quelques jours dans cette Ifle , nous donna lieu de faire les remarques fuivantes. b Les bains publics font au pied d'une petite colline à la droite en defeendant de la ville au port. Les Grecs appellent ces bains Lmtra , ÔC non pas Staloutra 3 comme prononcent les Francsj qui en cette occafion comme en beaucoup d'au- tres , corrompent l'exprefïton dont fe fervent les Grecs pour dire allons aux bains. On entre d'a- bord dans une caverne dont l'entrée eft en arc furbaifle : il faut fe courber pour y palfer , mais après avoir avancé environ 50. pas , on trouve deux chemins dont l'un eft fi étroit s qu'il faut s'y traîner à quatre pâtes : cependant on le préfère à J * Melinurn candidum & ip- fum eft optimum in infula Mclo. Vlin. Hifi. me. ttb. fc Aovi*à. EU 7» Aovrioc. ad balnea. l'autre bv Levant. Lettre ÏV, 193 l'autre , pareeque ce dernier , quoique plus fpa» cieux , eft fort raboteux. Tous les deux condui- fent à une fale creufée par la nature : à côté de cette fale eft un refervoir d'eau tiède & falée,dans lequel on s'aiïied pour Te baigner. Il fait ïi chaud dans ce lieu j que l'on y fuë à grotTes gouttes , Se plus commodément que dans les bains artificiels3 où la poitrine fourVre ordinairement : ceux qui ne vont là que pour hier s'aireyent au fond de la fale •dans un lieu un peu élevé; Cette étuve naturelle leroit bonne pour des perfonnes incommodées de paralyse , de rhumatifme ou d'autres fluxions in- dépendantes des maladies fecrettes, qui ne eedenc pas aux fueurs excitées par des remèdes extérieurs: eependanc l'étuve dont nous parlons n'eft fréquen- té que par de vieux débauchez qui ne peuvent guérir que par le mercure, & c'eft ce qui décredi-» te fort ces lieux; L'eau des bains n'altère en au- cune manière la teinture du Tournefol : ce n'eft que de l'eau marine échaurîée,laquelle blan- chit & coagule l'huile de tartre, comme fait l'eau marine toute froide. Celle de ces bains s'écoule naturellement dans des marais falans 5 à quelques pas de là. Au détroits de ces bains , fur le bord de la mer , tout près de a Protothalajfa , torrent au travers du fable plufieiirs bouillons d'eau h chaude qu'on n'y fçauroit tremper les doigts fans. le brûler : com- me je n'avois ni thermomètre , ni autres inftru- mens pour en mefurer \z degré de chaleur , je m'avifai de plonger une douzaine d'oeufs dans cet- te eau pour voir il elle les durciroit dans l'efpace de cinq ou fix minutes , comme le fait l'eau com- mune , qui bout lut le feu ; mais nous remarqua- Tome I. N rtfii Voyage mes avec une extrême furprife qu'après une cfenïf heure à peine le moyeu de ces œufs paroifîbit al- téré ronen ouvrit d'aux res une heure après, ils Jîe parurent que fort peu dirTerens des premiers > enfin après deux heures de temps , il ne s'en trou- va aucun qui fut véritablement cuit , comme le font nos œufs mollets. On remarqua feulement que quelques autres que l'on avoit enterrez dans le fable, le trouvèrent furrlfamment cuits ôc pro- pres à manger : cela fait voir qu'il y a autant d- différence entre la chaleur de l'eau ôc celle du fa- ble , qu'entre le bain marie & le feu de fable. Ce phénomène pourtant me parut furprenant ; car je me iouvenois encore d'avoir vu au Fort des bains en RoufTi lion, des foldatsqui mangeoîent des pou- les cuites dans ce grand ôc beau refervoir que les Romains avoient fait bâtir & voûter magnifique*, ment, pour y conferver une fource d'eau bouillan- te , laquelle jallit fur le grand chemin. Toutes lesl fources d'eau bouillante que j'ai obfervées en dif-f ferens pays , m'ont paru également chaudes , par-l ceque je n'avois d'autre thermomètre que ma main J ôc certainement je n'en ai trouvé aucune de celles! que l'on appelle bouillantes oà j'aye pu tremperl les doigts fans me brûler. Toutes ces fources fu-J ment également : cependant on trouve entr'ellci cette différence par rapport aux œufs , que dansl les unes ils ne s'v cuifent pas dans l'efpace de deu)d heures , & dans quelques autres ils (e cuifent enl quatre ou cinq minutes , comme nous l'obfervâ- mes quelque temps après dans celles de Proufa caJ pitale de Bitliynie au pied du mont Olympe en Afie. La boiic, ou la refidenec de toutes les eau« bouillantes m'a toujours paru de couleur dd rouille ; ce qui me fait conjecturer que la matiérti ferruginéufe y a beaucoup de part. DU Levant* Lettre ÎK tpy Ce n'eft pas ici le lieu de parler de la vertu des :aux chaudes : je remarquerai feulement qu'un gentilhomme de Cephalonie > qui avoit une galle iniverfelle , fort enracinée } 8c qui n'avoir pas ce- lé aux remèdes ordinaires , fut guéri après s'être! baigné pendant 1 j . jours dans les eaux de Milo. On les faifoit porter à la ville , par l'ordonnance lu docteur Stai Candiot , homme d'efprit de bon Tiedecin. Ce malade fut plus heureux que celui lont parle a Hippocrate,car de l'aveu de ce grand Tomme , celui-ci après avoir été guéri d'une de- Tiangeaifon infupportable & d'Une galle horrible* >ar l'ufage des eaux de Milo , devint hydropique* k mourut. Voilà un titre bien authentique pour: tonner du crédit aux bains de cette lfte. Le 15. Aouft nous allâmes voir la fontaine qui purge : elle eft à fix milles de la ville du côté du lord, entre faint Conftantin ôeCaftro. Cette four-- :c fort precifément fur le bord de la mer , dans m lieu eicarpé , mais elle coule de niveau avec 'eau falée , & s'y mêle le plus fouvent : il y en a m autre bouillon un peu plus haut 3 où la mer ne nonte pas lorfqu'elle eft calme. Ces fources font refque tiédes & d'une douceur fade : elles coagu- :nt pourtant l'huile de tartre, quoiqu'elles ne fat hit rien fur les autres elfays.Dans le mois de May, jrfqiie la mer eft banc , les Grecs vont boire de ette eau pour fe purger , ils en avalent des cru^ les entières , & même après avoir vuidé les grof- s matières , ils continuent d'en boire jufques k î qu'ils la rendent toute claire. Les voilà purgés dut toute l'année , comme les chiens qui man- ïnt du Chiendent dans le printemps. Après avoir vïnté les eaux minérales, nous alla- Epid. lib, 5* M i) >■ ■X' i^6 Voyage mes voir les mines d'alun , dont les principales font à demi lieue de la ville, du côté de fainte Ve-, nerande : on n'y travaille plus aujourd'hui & méi me les Confuls ont fait fermer l'ouverture des principales , de peur que les Turcs ne leur fiflen de nouvelles avanies , fur le profit qu'ils pou roient faire du commerce de l'alun. On fit bie des façons pour nous y conduire : ce ne fut qu' près avoir exigé de nous quelque argent , corara cela fe pratique en Levant pour les moindres h gatelles. On entre d'abord dans une caverne affe nmple , d'où l'on palTe par une efpéce de boy dans quelques chambres que l'on a creufées autre fois , à mefure que l'on en droit l'alun ; ce fou des voûtes hautes feulement de quatre ou ci pieds , fur neuf ou dix pieds de large , incrufté d'alun prefque partout : cet alun vient en pierr plattes de l'épailTeur de huit ou neuf lignes , ju ques à un pouce : à mefure qu'on en détache que ques-unes, on en trouve de nouvelles, & l'on va manifeftement que l'efpritde fel qui a pénétré c pierres, les a pour ainfi dire fait exfolier fuivai leurs veines. La folution de cet alun naturel non préparé eft aigrelette & ftiptique : elle i mente & coagule l'huile de tartre comme l'ai purifi'ijduquei il ne diffère que par une plus gra: de quantité de matière pierreufe. L'alun de plun qui s'y trouve auffi , fait les mêmes changeme avec les elïàys : mais ni l'un ni l'autre ne laifle échaper aucune odeur urineufe , lorfqu'on y ve| de l'huile de tartre : ce qui ne permet pas de fovj çonner qu'il y ait aucun mélange de fel amm niac. Cet alun de plume eft une des plus belles cli fes qu'il y ait en Levant par rapport à l'hiftoj du Levant. Lettre IV. 197 I naturelle. Aucun voyageur que je fâche ne l'adé- ! cric. Il vient par gros paquets compofez de filets ' déliez comme la foyc la plus fine , argentez , lui- ■fans , longs d'un pouce & demi , ou de deux , de même goût Se de même caractère que l'alun en pierre. Il ne faut pas confondre comme l'on fait ordinairement l'alun de plume avec l'amianthe ou pierre incombuftible. Par tout où j'ai demande de l'alun de plume en France , en Italie , en Hol- lande , en Angleterre ; on m'a toujours préfente' une méchante efféce d'amianthe que l'on apporte des environs de Caryfto dans l'Ifle de Negrépont: il eft ordinairement tout brizé , & de toutes les efpéces d'amianthe , c'eft apurement la plus mé- prifable \ mais il ne fe fond ni dans l'eau ni dans le feu , non plus que l'amianthe de Smyrne , de Gène 3 & des Pyrénées ; en un mot l'amianthe eft une matière pierreufe ôc infipide qui s'amollit dans l'huile , ôc y aquiert allez de fouplefïe pour pouvoir être filée fur du fil de coton : on en fait des bourfes & des mouchoirs que l'on blanchit au feu. L'alun de plume au contraire eft un véritable fel qui ne diffère de l'alun ordinaire qu'en ce qu'il cft partagé en petits filets : les pierres au travers defquelles cet alun s'échape font très légères &C friables. Nous fîmes plus de cent pas pour revenir de la dernière de ces voûtes à la caverne, &c nous fûmes contraints aflez fouvent de nous coucher fur le ventre pour palier d'une voûte à l'autre. Les anciens ont connu toutes ces efpéces d'a- l'un. a Pline allure qu'après celui d'Egypte,on fai- ioit grand cas de celui de Melos , où Ton en trou- a Concreti aluminis unum genus Schiftôn appellant Gizci in capillamcnca quxdam canefeencia dehifeens ; undc quidam irichiiin poems appcllaYere.H//2.#*'-^-3 ^.cap.i^. N iij î5>8 Voyage voit à ce qu'il dit de folide , de liquide & de che- velu , ou délié comme des cheveux : on ne fc.au. roit mieux ce me femble dépeindre l'alun de plu- me , que par cette comparaifon. Diofcoride qui en avoit parle de même avant lui , allure que l'a- lun de Melos empêche les femmes de concevoir ; c'eft peut-être une fauffe obfervation. Cependant ces Auteurs que l'on traite fouvent de faux hifto- riêns de la nature , ont bien mieux connu ces for- tes d'alun que pas un de nos modernes. a Suivant Diodore de Sicile, les anciens ne tiroient que peu d'alun de l'ifle dont nous parlons , b & ils ne con* noiuoient que les mines de Lipara & de Melos. A quatre milles de la ville , vers le fud , tout &u bord de la mer , dans un lieu fort efearpé , fe voit une grotte d'environ quinze pas de profon- deur ou les eaux de la mer pénètrent lorfqu'elle eft agitée. Cette grotte qui après de quinze ou vingt pieds de haut , eft toute incruftée d'alun iublimé t aufîi blanc que la neige en quelques endroits , rouflatre en quelques autres , & doré comme les fleurs de fel ammoniac calibées : cette couleur jaune vient fans doute de quelque mélange de fer pu d'ocre : ces incruftations ne brûlent point dans lç feu, &c laiilent une efpëce de rouille après qu'- elles font eonfumées. Tous les rochers , qui font autour de la 'caverne , font revêtus de femblables concr-étions : il y en a -beaucoup qui ne font que çlu fèl mar4n labliraé , aufîi doux que la fleur de farine ; on y voit des trous où l'alun paroit tout pur & comme friable , mais d'une chaleur excefîî- ve : ces concrétions fermentent à froid avec l'hui» le de tartre. * H' «Wlag^ *^U. Dioft. * $'Mioth.hift.lib. P^rnii ces concrétions on découvre deux fortes de fleurs très blanches , déliées comme des brins de Soye : les unes font alumjneufcs & aigrelettes: les autres font tout à fait inlipides & pierreufes. Les filets alumincux n'ont que trois ou quatre li- gnes de long , Se font attache? à des concrétions d'alun ; ainfi ils ne différent pas de l'alun df plu- me ; nuis les filets pierreux font plus longs , un peu fléxihlçs,&; foutent de ces rochers. Il y a beau- coup d'apparence que c'eft la pierre que f Diofco- ride a comparée à l'alun de plume , quoiqu'elle loir, comme il dit fans goijt, Se fans aftriclion : le même auteur la dîftingue de la pierre amianthe. Quoiqu'il en foit , il femble que cette concrétion foit une végétation de la roche même^car on trou- ve des paquets de ces filets qui ont perdu leur fle- xibilité, qui fe font durcis, Se qui (ont devenus pierres , fans pourtant que la direction des filets fe foit confondue ou effacée ; cela pourroit don- ner de nouvelles lumières pour faire connaître la végétation des pierres , que j'ai propoiée dans l'Hiitoire de l'Académie Royale des Sciences. La même direction des fibres paroît fer.fîblcrncnt dans toutes les efpéces d'amianthe, 6c luu tout dans ce- lui des Pvrenées , &c dans celui de Smyrne. Ces pierres font très dures pendant un certain temps , &■ rayées fuivant leur longueur : enluitc elles fc déconipofent d'elles mêmes par je ne fçai quelle raifon, & leurs filets fe détachent les uns des au- tres par portions , comme s'ils avoîent été collez enfemble , cV qu'ils vinrent à fc décoller. On re- marque auiîi très fenfiblement la même direction dans la pierre d'où l'on tire ce beau plâtre d'Efpa- gne ; cette pierre cil très commune en Provence^ S tik. j. (ap.. 113. N iiij %cq Voyage J'ai des morceaux de plâtre de Montmartre où il y a de femblables concrétions. La flexibilité de ces pierres de Milo , qui ne font à proprement parler que des embrions pier- reux , peut fervir pour rendre raifon d'une pierre merveilleufe que Mr Lauthicr Secrétaire du Roy , Se fameux Avocat au Confeil , a confervéc long temps dans Ton cabinet : cette pierre qui étoit fort dure , de la qualité du grez , quarrée , de près de deux pouces d'épaifleur & d'environ un pied de longueur, avoit une certaine flexibilité qui la fai- foit plier fenfiblemcnt quand on la tenoit par le milieu en équilibre fur la main. A quelques pas de cette caverne , fur le bord de la mer eft une antre grotte dont le fond & le bas font remplis de foufre qui brûle fans cefie, en forte qu'il n'eft pas poffible d'y entrer. Tous les environs fument continuellement , & jettent four vent des fiâmes ; on y voit du foufre tout pur & comme fublimé , lequel ne cette de s'enflammer N O 2. xquora Cycladas. Hsrat. c B iji. mt. lib.4. eap. 11. ié.i. 04. x*. lo6 V o Y A ô 1 trouve encore plus charmant quand on arrive de Milo où l'air eft infecté de vapeurs fulfureufes. On voit à Siphanto des vieillards de no. ans: l'air , les eaux , les fruits , le gibier , la volaille , tout.y eft excellent -, les raifins y font merveilleux, mais la terre qui les produit eft trop forte , & les vins n'y font pas délicats ; ainfi l'on y boit ceux de Milo & de Santoriiii Quoique l'Ifle de Siphan- to foit couverte de marbre Se de granit , elle eft pourtant des plus fertiles & des mieux cultivées de l'Archipel : elle fournit allez de grains pour les habitants du pays qui font aujourd'hui de très bonnes gens. Les mœurs de leurs ancêtres étoient fort décriées. Quand on reprochait à quelqu'un qu'il vivoit à la Siphantine , qu'il étoit homme de parole comme un a Siphantin , c'étoit lui dire de grorTes injures, comme nous l'apprennent Eftien- ne le Géographe , Hefychiusôc Suidas. Les habitans de Siphanto s'appliquent à faire Valoir leurs huiles & leurs câpres. \a foye de l'Ifle tft très-belle , mais en petite quantité , & les toi- les de coton que l'on y fait font arTez recherchées: ces toiles font de deux fortes , la Scamite eft tou- te unie : la Dimite eft croifée , beaucoup plus bel- le , plus forte & de plus grand débit. Ainfî l'on y confomme non feulement le coton du pays ; mais encore celui des Ifles voifïnes. Le refte du négoce tle Siphanto ne roule que fur les figues , les oi- gnons, la cire , le miel , le fefame ; on y travaille à des chapeaux de paille , qui fe vendent par tout l'Archipel fous le nom de caftors de Siphanto. Cette Ifle où Ton compte plus de cinq mille aines, fut taxée en 1700. à quatre mille écus pour Ja ca- du Levant. Lettre IV. 207 pitâtion & pour la taille rcfelle. Outre le a châ- teau , fitué lût une rochfe àll bord de la mer , éc beut-êtrc bâti fur les ruines de l'ancienne b Afol- Uma , il y a cinq villages, Aitimone, Stavril , Ca- tavati, Xambela , & Petalî ; quatre couvents de Caloycrs, Brici ou la Fontaine, StOrnongoul,Saïht Chryfoftomc , & Saint Hélie ; deux couvents dte Rcligieufes, l'un d'environ î o. filles , &c l'autre de 40. dans un quartier appelle Cam.area.Il y en vient quelquefois de l'Archipel pour y faire leurs veeuX; mais ces bonnes ' filles ne font pas trop régulières. Peur ce qui eft des chapelles , il y en 500. Se Go. Papas qui ne difent la Meïlc qu'Une fois l'année , lé jour de la dédicace de leurs chapelles. Les ports de l'ïile font Faro , Vati , Kitrîanî , Kironillb, è\i celui du d Château. Faro a fans dou- te retenu le nom d*un ancien Phare , qui fervoîr. à guider les vaille aux. On. voit dans Goltzius une e médaille, OÙ d*im côté eft repïefentée une rouir âvec un homme placé tout au haut ; de l'autre cô- te' c'eft la tête de Jupiter félon Nom'us ; pout moî je crois plutôt ïj'ùé c'eft celle d'e Neptune. 'W Foucault Cônfeillàr d'Etar , dont le cabinet eft ïfe plus beau de France après celui du Roy , a une * médaille de cette lïle : le type eft une te" te de Gor- dien Pie , & le revers un Pallas en cafque 3 qui lance un javelot. Les ports de Siphanto croient allez fréquentez il y a environ $o. ans : Bàfili ri- che marchand de l'ïile , enterré dans le monaftè're «le Brici y âttiroit par fon induftrie dés vanTeaui de France & de Venife. a ou le bourff. b AnOAASlMlA. Stepjf , c Caloyeres c«Calogucs. * l'a Calanque. ïunot. 1 Lepe/ide , C \ Lib. j. ambalfade du Levant. Lettre IV. xq$ ambarfade rouge dans le temps que leur hôtel de ville & leur marché feroit tout blancs, il femble que la prophétie s'accomplit à l'arrivée des Sa- inicns, dont les vaiifeaux étoient peints de rouge, iuivant l'ancienne coutume dés injulaires chez qui le bol eft fort commun, & l'hôtel de ville de Siph- nos , de même que le marché , étoiént révêtus de marbre blanc. Outre les mines dont on vient de parler , le plomb y eft fort commun : les pluyes en décou- vrent prefque par tout. La mine cil grifâtre liile ik rend du plomb qui approche de L'etaîm. Lorf- que les payfans veulent chaiTer , ils vont la pren- dre dans les champs de la fondent pour en faire de îa grenaille. Ce plomb quî eft comme une ceruie naturelle fe vitrifie facilement,& c'eft ce qui rend excellentes les marmites de l'Ifle a Théophrafte , l> Pline , c Iiidore ailurent qu'on tailloir à Siph- iios au ciieau des pots à feu d'une certaine pierre molle , lefqiiels devenoient noirs ôc très durs , après qu'on les avoit échaudez avec de l'huile bouillante : d on eftimoit aufli les gobelets qui fe fabriquoient dans cette Ifle. Il y a près de jo. ans qu'il vint des Juifs à Si- phanto par ordre de la Porte ^ pour y examiner les mines de plomb ; mais les bourgeois de cette ifle craignant qu'on ne les contraignît d'y travailler l gagnèrent le capitaine de la galiotte qui avoir, amené ces Juifs, ôc que l'on avoit chargé de mine pour conduire à Thelfalonique^ Cet officier fit percer fon bâtiment 8c fe fauva dans fa chaloupe pendant qu'il couloit à fond. Quelques autres Juifs étant revenus à la charge n'en furent pas * Lib. de làpîdib. ~ Hifi. nat. l!b.}6, (Ap.n. Toms L c Ôrig.lib.xtr.cap.^. o ii6 V o y a g i meilleurs marchands. Les Siphantïns pour s'en débarraffer tout de bon , donnèrent une fomme d'argent à un Corfaire Provençal qui étoit à Milo èc qui perça à coups de canon une féconde ga- Hotte chargée de Juifs & de mine, fi bien que les Turcs de les Juifs abandonnèrent cette entrepitie, Les Turcs n*ofoient pas trop fe montrer dans les Ides avant la retraite des Armateurs François qui s'en alloient fouvent les prendre par la barbe Se les faire efclaves fur les fommets des monta- gnes. Les Grecs , qui favorifoient ces violences , venoient confoter les . Mufulmans& leur prêtoient de l'argent pour leur rançon. Nos armateurs tra- vailloient quelquefois à la confervation du Chri- ftianifme avec plus de fuccès que les Millionnai- res les plus zélez : en voici un bel exemple. Il y a quelques années que dix ou douze familles de Naxie embrafTérent la loi de Mahomet : les Chré- tiens du rite latin les firent enlever par des arma- teurs, qui les emmenèrent à Malte. Perfbnne de- puis ne s'eft avifé de fe faire Mahometan à Naxie. Les plus fameux Corfaires de l'Archipel n'avoient rien d'odieux que le nom de corfaire. C'étoient des gens de qualité & d'une valeur diftfnguée qui fui voient la mode de ce temps-là. N'a-t-on pas vu M" de Valbellc , de Gardane , de Colongue deve- nir Capitaines & Chefs d'Efcadre des vaïlïèaux du Roy,après avoir fait la courfe contre les Infidèles? combien voit-on de Chevaliers ou de Comman- deurs de Malte foûtenir en Levant le nom Chré- tien fous le pavillon de la Religion ? ces Meilleurs rendent bonne juftice à ceux qui s'adrefTent à eux. Si un Grec infulte un Chrétien du rite latin, celui- ci n'a qu'à porter fes plaintes au premier Capit ne qui relâche dans le port, le Grec eft maiidé,cn- du Levant. Lettre ÎV. %\i levé s'il n'obéit pas, & baronne s'il a tort. Les Ca- pitaines vuident les procez fans avocats ni procu- reurs. On porte les papiers à bord, & l'on ert con- damné a payer en argent ou en coups de bâton : tout cela fc fait gratuitement de la part des Juges. S'il y a quelques épices , c'eft un rtiuid de vin ou quelque véati gras. On a dit plus haut que l'Evêque de Milo éroit Evêque de Siphanro : il n'y tient qu'un Vicaire „ fk fon Eglife eft fort pauvre. L'Archevêque Grec eft riche ; car il eft Seigneur fpirituel des Ifles de Nanfio, Policandro , Nio, Serpho, Mycone , Siki- iio, Stampalia Se Amorgos. Les Dames de Siphanro pour conferver leur tein à la campagne couvrent leur vifage avec des ban- des dea linge qu'elles roulent (i adroitement qu'on ne voit que leur bouche , leur nez & le blanc de leurs yeux. Certainement elles n'ont pas l'air con- quérant avec ce mafque , & reitemblent plutôt à des mumies ambulantes : aufli font-elles plusfoi- gneufes d'éviter les étrangers , que celles de Milo & de l'Argentiére n'ont d'empreifement à les ac- cueillir. Pour ce qui efl: des antiquitez de l'Ifle 5 elles y font fort mal-traitées. En allant du port au châ- teau proche d'un puits à gauche du chemin,fe voit un tombeau antique, lequel fert d'auge pour faire boire les animaux : c'eft: une pièce de marbre d'un grand goût , longue de fix pieds huit pouces , fui- deux pieds huit pouces de large, & deux pieds qua- tre pouces de hauteur : ce tombeau eft orne de feuilles d'Acanrhe , de pommes de pin & d'autres fruirs. Tout auprès de ce monument eft une autre pièce de marbre enclavée dans le mur, & qui étoic ïïrOfttftitux'et. O i) 3,1 i Voyagé le refte de quelque autre tombeau. Au pied d'une colline à quelques pas de-là,tOHi proche des ruines d'un ancien temple 3 qui pour- roit bien avoir été celui du dieu Pan , ancienne- ment adoré dans cette Ifle,on voit-encore un tom- beau de marbre de huit pieds de long , lur trois pieds quatre pouces de haut > & deux pieds huit pouces de large -, mais lesornemens en font mef- quins & Tentent le colifichet : ce (ont des enfans qui tiennent des feftons , d'où pend une grofle grappe de raifin. Le devant d'un femblable tom- beau eft encadré dans la façade d'une mailon de la grande rué du bourg : il y a une infeription fur ce dernier 3 mais tout en eft effacé h" ce n'eft une partie du mot 3BA21AF. Au Monaftére de Brici tout près de la maifon & d'une belle fource qui paife par un puits , il y a un tombeau de marbre dont l'ufage eft bien dif- férent de celui auquel il étoit deftiné , puifqu'il fert d'abrevoir : ce tombeau n'a que trois pieds huit pouces de longueur jmais quoique les orneJ mens en foient détruits , le temps a épargné troisj enfans fur le devant , qui marquent bien que tout le refte étoit d'une excellente main : ces enfans foûtiennent chacun le bout d'un fefton. Sur la porte de la ville par où l'on fort pour aller au port , font enclavez les tronçons de deuxi figures de marbre d'une médiocre beauté , l'und eft nue & l'autre drapée. A un coin d'une cfpécqj de tour quarrée , à gauche de la porte du çbâteafl fe voit un bas relief de marbre que l'on prend pouc l'hiftoire de Tobie : je crois plutôt que c'eft le dé«J bris de quelque tombeau. On a maçonné dans le même mur le refte d'un lion ; qui ne montre qud la tête 6w la poitrine. du Levant. Lettre IV. 1 1 5 Le fond de la porte du château eft à deux arca- des , foûttnucs par un pilier de marbre octogone , fur lequel on lit en caractères gothiques MCCC LXV Ail S LC E. Yandoljt de Coronia. Ce Seigneur , à ce que nous dirent les principaux de l'Ifle, étoit de Bologne en Italie , père d'Otuly de Corogtia , lequel donna fa fille unique en maria- ge à Angelo Gozadini Seigneur de Siphanto & de Thermie. Siphanto avoit été démembré du ■• Du- ché de Naxîe ; car il eft certain que Marc Sanudo en fit la conquête & la joignit à ce Duché fous Henry 1 1. Empereur latin de Conftantmople. Nous avons vu chez le Vicaire de TEglile latine , l'acte par lequel Otuly de Corogna établit en 1462. une rente en faveur de TEglife du château. La famille des Gozadini a poftedé Siphanto juf- ques au temps que Barbcrouue s'en rendit le maî- tre fous Soliman 1 1. cette famille eft prefente- ment réduite à trois frères retenus dans leurs lits prefque pendant toute Tannée , l'un par la goutte, l'autre par un rhumatifme cruel , & le plus jeune par la paralyse. La femme de Mr Guion Conful de France à Siphanto eft de cette noble famille : ce Conful , qui eft favant & qui parle plufïeurs langues , conferve le cachet d' Angelo Gozadini , par lequel il paroît qu'il étoit Seigneur de Si- phanto & de Thermie. Il nous alïiira que la fon- taine publique qui eft tout au fond de cette vallée qui conduit au port , étoit un ouvrage des plus anciens , Se venoit d'une allée taillée dans le roc à plus d'un mille de profondeur. Le voifînage de l'Ifle de b Serpho nous fit naî- Serph© a Hift.des Ducs de L' Archip. b En grec -vulgaire. SeR- P H A n T o , Cr S E R.- p H 1 N o en Italien. S E f I O S , ancien no m de l'Ifle. Oiîj 2,ï4 Voyage tic la curiofité d'y aller : elle n'eft qu'à 12 milles de Siphanto , fi. l'on compte de cap en cap \ mais il faut bien compter le double du port du château de Siphanto d'où nous partîmes le 24. Août , juf- qu'à celui de Serpho. a Pline ne donne que 12. milles de circuit à cette Me : elle en a cependant plus de 36. Les montagnes de Serpho font fi rudes & fi ef- carpées , que les b Poètes ont feint que Perfée avoit changé en pierre jufqucs aux habitans du pays. On pécha fur ces côtes 5 dit Strabon, s'il en faut croire la fable , une quaiilc dans laquelle Acrifius avoit enfermé Perfée & fa mère Danaé, Polydeclç , qui regnoit dans cette Ifle , voulut l'o- bliger à l'époufcF,& comme fes fujets favorifoient fon deffein , Perfée , qui avoit apporté la tête de Meduze , les changea en pierre. Il y a beaucoup d'-apparence que les mines de fer èc d'aiman de cette Ifle n'étoient pas connues dans ce temps- là ; car on n'auroit pas manqué d'en attribuer la pro- duction au pouvoir de la Gorgone : cependant ces ruines font à fleurs de terre 3 & les pluyes les dé- couvrent tous les jours. La mine de fpr y eft étoi- lée cnplufieurs endroits , comme le régule d'Aiir tirnoine étoile. Celles c d'aim an y font fort abon- dantes ; mais pour en av oir de bons morceaux , il faudroit creuler profondement , ce qui eft très dif- ficile dans un pays , où parmi tant de fer , à peine trouve-t-on des outils propres à arracher les oi- gnons , qu'ils cultivent parmi leurs rochers dans a Hljî. }iift. lib. 4. cap. 1 1 . *> Rerumgeo?. Lib. 10. JpMoà Bibllorh.!il\t. cap. 4. Parcirc luminibus Pcifcus aiç pracjuc icgis , Ore Mechifaro filieem fine languine fecit. Qvid. Me- tamorph, lib.que leurs ancêtres. Origéne voulant faire connoître à b Celfe , qu'il étoit ridicule de reprocher la nailîance à Jcfus-Chrift , lui dit : . Quand même il feroit né dans l'ifle de Seriphe ; quand il feroit ne le dernier des Scriphiens,il faut convenir qu'il a fait plus de bruit dans le monde que les Themiftocles , que les Platons , que les Pythagores , que les plus fages des Grecs, que les plus grands de leurs Roys & de leurs Généraux. Les habitans de Serpho ne payent que 8oo.écus décapitation de de taille réelle , anfïi ne récikil- lent-ils qu'un peu d'orge & de vin. c Les meilleu- res terres appartiennent aux moines de Saint Mi- chel Archange , dont le couvent eft au nord près Aji. Scyl. Fcrlpl. * Contra Celfum. Lib.i. O iiij G E %1& V O Y A de ta nier , à la vue de Thermie Se de Serphopou- la,, méchant eclieil , où ces moines nourriiïent des chèvres Se des cochons , fous la garde d'un Çaloyer. Quoi qu'en grec vulgaire le mot Po/ila, fîgnifie petit , il n'y a pourtant aucune apparence a qu'Ovide Se b Juvenal ayent voulu parler de Ser- pho-poula fous le nom de Parva Seriphus ; car cet éciieil , qui n'a pas un mille de tour , n'a jamais été habité. c Origéne &% ces autheurs ont appelle Serpho une petite Ifle , pareeque effectivement cette Ifle n'a que 36. milles de circuit. C'eft là où Pojydccte a régné , Se où l'on voit encore ces effroyables rochers } qui ont donné lieu à la fable de Perfée. Tous les habitans de l'Ifle font du rite grec : le jCadi çit ambulant , de même que celui de S\- phanto. Le Vaivode de Serpho Turc de Négre- pont , à qui nous avions été recommandez par Mr Guion , nous reçût affez bien , & nous invita avec empreflement à voir danfer les Grecs à la Madona de la Mafferia, qui eft la Chapelle la plus propre de l'Ifle. Il eft vrai que les Grecs n'ont pas tout à fait perdu cet efprir de plaifanterie , ni ce génie de fatyre qui brilloit chez leurs ancêtres ; ils font tous les jours des chanfons fort fpirituel- les , Se il n'y a point de poftures dont ils ne fe fer- vent dans leurs danfes. La Fête nous parut un peu fcandaleufe Se encore plus ennuyeufe , parce qu'elle dura toute la nuit : bien loin de foûpirer après les belles du pays , il nous tardoit de parler «dans l'Ifle de Thermie s qui n'eft qu'à 12. milles a Te tamen ô parvas re&qr Polydcda icriphi. Ovid. ib'ul. \\ Ut Gyarac claufus feopulis parvaqueSeripho. Juven. Sat. 10. c Minima & ignobiliflTima inïiila. Orig. ibid. pu Levant. Lettre IV. tij de Serpho ; mais le vent du nord , fefeva le len- demain au matin, avec tant de violence qu'il ne nous permit pas de rilquer le trajet. Il ne faut pas chercher des antiquirezdans Ser- pho : cette Ille n'a jamais été ni paillante ni ma- gnifique,quoique Ion port l'ait rendue" recomman- dable, même du temps de la belle Grèce. Suivant a Hérodote les habitans de Seriphos , de Siphnos, & de Melos, furent les feuls , parmi les inlulaires, qui refuferent de recevoir les troupes & la flotte de Xerxes,dans le temps que ce Prince, qui s'étoit propofé la conquête de Grèce, voulut s'allùrcr des peuples qui emre-roient dans fon parti , en leur faiiant demander la terre & l'eau. Hérodote fait defeendre les Miliotes des Lacedemoniens, ôc ceux de Siphnos & de Seriphos des Athéniens , qui avoient pris le nom d'Ioniens d'un de leurs Géné- raux Ion rils de Xuthus. Apres la bataille d' A r te- rni h uni , où les Grecs &c les Perfes eurent a peu près les mêmes avantages , les Athéniens inquiets avec railon fur la conlcrvationde leur ville, firent palier leurs femmes & leurs enf.iiis dans l'Iflc de- b Salamine , ôc folliciterent Ci fortement les autres peuples de Grèce , qu'ils obtinrent qu'on allem- bieroit une flote commune autour de cette Iflc.Les habitans de Melos y envoyèrent deux galércs:ceux de Seriphos 6Y de Siphnos en fournirent autant. Les Romains regardoient Seriphos comme un lieu propre à faire mourir de chagrin les (ceierats ôc les malheureux. c Auguftc y relégua l'orateur CafTius Severus, que dix-fept ans d'éxil en Crète n'avaient pu corriger de fes médifances. d Veltilia V> s. Colouri. la faxo Scriphio confenuit. Tacit. iïb.4. Annal c.^i. à Eufeb. Chron. gr. & Ut. nS Voyage femme de Labcon , convaincue d'adultère y fut reléguée aufli , & a Stratonicus trouvoit le lejour de cette lfle fi infuportable,qu'ii demanda un jour à fon hôte , quel étoit le crime que l'on puniflbit d'exil chez eux : c'eft la mauvaife foy dit l'hôte. Hé que ne fais-tu donc quelque fourberie infigne, répliqua Stratonicus pour te tirer de ce miferable lieu. Le plus grand plaifîr que nous eûmes dans cette lfle fut d'en entendre crier les grenouilles dans les marais autour du port. b Pline & Elien ont aflûré qu'elles étoient muettes dans Seriphos ; c & qu'el- les recouvroient leur voix fi on les tranfportoit ailleurs : il faut que la race de ces grenouilles muettes fc foit perdue. Hermolaus Barbarus a ré- tablit l'endroit de Pline où ce fait eft rapportéxar dans les anciens exemplaires , on lifoit des cigales pour des grenouilles. Théophrafte , dit Elien , ne prétend pas que ce foit Jupiter , qui eût rendu muettes les grenouilles de Seriphos, à la prière de Perfée qu'elles empêchoient de dormir auprès de leur marais : ce Philofophe en rapporte la caufe à la froideur de l'eau de ce lieu. Nous panâmes près d'une journée entière à roder dans ce marais pour chercher des plantesjmais l'eau nous en parut com- me tiède. C'eft pourtant de cette faufle obferva- tion des grenouilles de Seriphos , qu'eft venu le proverbe dont parlent Eftienne le géographe 3c Suidas : c'eft une grenouille de Seriphos, pour dire, c'eft un fot qui ne fçauroit parler. Après les mines d'aiman , la plus belle chofe qu'il y ait dans l'ifle de Serpho,par rapport à l'Hi- ftoire naturelle , eft une efpéce d' oeillet , dont le * Plutareh. de Exil. c Lib.$. £<*/>• 3 7« b Hift.Mt. lié. Z.cty. 58. Tenv.l Fa £1 OTeiur ^j \y Ca.ru ûprvyt L euco u foi io v cran xaro Coroil .1ns t ~| TLei k&rb . 2 J ■ p v Levant. Lettre ir, 119 ironc vient en arbrilïeau dans les fentes de ces horribles rochers qui font au-deflus du boiu*g : eu voici la defcription & la figure. La plante n'a pas changé , quoique levée de graine & cultivée dans le Jardin royal , où elle fait les honneurs de la Grèce parmi une infinité de plantes rares venues du même pays. a La racine de cet œillet eft grofTe comble le pouce, couverte d'une écorce brune, dure, ligneux fe , divifée en piufieurs autres racines peu cheve- lues, & poulie au travers des fentes des rochers un tronc tortu , haut de deux pieds , gros d'environ deux pouces, ligneux, çallant , dur , blanc-fale en dedans , revêtu d'une écorce noirâtre , gerfée , ra- boteufe, & comme relevée de quelques anneaux : ce tronc produit piufieurs tiges toutes branchuës , brunes aufli , fi ce n'eu, vers le haut où les jeunes jets font vert de mer , garnies de feuilles de même couleur , longues d'un ponce, fur trois ou quatre lignes de largeur , obtufes à leur pointe , oppofées deux à deux, charnues, cariantes, touffues, améres comme du fiel : ces jets s'allongent de la hauteur de demi pied, chargez de feuilles femblables aux précédentes , mais plus étroites, & foûtiennent or- dinairement une feule fleur , quelquefois c'eft un bouquet allez gros : chaque fleur eft à cinq feuil- les , longues d'un pouce & demi , qui ne débor- dent que de demi pouce hors du calice , arrondies & découpées en crête de coq , grisdelin rayé de veines plus obfcures & marquées vers leur bafe , d'autres rayes purpurin foncé : la queue' de ces mêmes feuilles eft étroite , blanche ôc renfermée dans le calice : ce calice eft un tuyau long d'un a Caryophyllus Grsccus , arborcus , Leucoii folio peramaro* Çoiol, Inft. ici hab.13. ii© V O Y AGE pouce fur une ligne de diamètre , un peu renfle vers le bas , où il eft accompagné d'un autre calice à plufîeurs écailles pointues &: couchées les unes fur les autres : du fond du grand calice s'élèvent des étamines minces & blanches, chargées chacu- ne d'un fommet grisdelin : le piftile n'a que cinq lignes de long , cilindrique , vert-pâle , terminé par deux cornes blanches qui furmontent les éta- mines : lorfque la fleur eft paflec,ce piftile devient une efpéce de coque rouflatre dans fa maturité , renflée vers le milieu,laquelle s'ouvre par la poin- te en cinq parties & lailTe voir des femences riàu res, plates , minces, blanches en dedans , les unes ovales , les autres circulaires , attachées à de ne- tis filets , qui du corps du placenta leur portent is fuc nourricier. J'ai l'honneur d'être avec un pro- fond refpect 3 Sec. du Levant. Lettre?, *i* %&■ -8*3- &** f*3- «E* -S*3- • «»-*"8*3 s *#î ■«&* •£** ■e****-' Lettre V. ^ Monfeigneur le Comte de Pont char trahi , S*or- •*&-< d'Etat & des Commandement de Sa Ma* jefté y &c. J.VX Onseigneur, Quoique l'Automne foie une faifon très agréa» DcacRt- ble dans l'Archipel, néanmoins le ciel , qui COCO- ption mencoit à fe brouiller, fembloit nous menacer ,?J î.is ij ' « i a • d Anti-» a orages & de tempêtes : c'en ce que nous appre- paros>fîe hendions encore plus que toute autre avanture j ôc Paros.Se comme les tempêtes fuivent ordinairement les °f Na- changemens des faifons ; la crainte des pluyes5qui xlc* en Levant ne manquent pas de tomber au com- mencement de Septembre , nous fît faire plus de diligence que nous n'eufîlons fait dans un autre temps. Notre deffein e'toit de voir tout l'Archi- pel , s'il eût été poflible , & depuis nôtre fortie de Candie , nous n'en avions encore vu que quatre Ifles. Nous partîmes donc de Serpho pour Siphan- to , & nous nous embarquâmes pour l'ifle d'Anti- paros , laquelle en eft éloignée de 18. milles. a Antiparos eft: un écueilde 16. milles de tour, plat, bien cultivé, lequel produit alfez d'orge pour nourrir Go. ou 70. familles enfermées dans un mé- chant village à un mille de la mer , & qui payent 700. écus de taille réelle , Se joo. écus de capita- a Antiparos , J2AIAPOS, Sttfb. «AEAPOS , Strab. Oliaros , PU». 'iîi Voyage' tion , quoique tout leur négoce ne confifte qu'en peu de vin tk de coton. On y élit tous les ans deux Confuls, quelquefois un feul à qui on donne dix écus pour prendre le foin des affaires de l'Ifle. Pour le fpirituel , elle dépend de l'Archevêque Grec de Naxie ; mais il a de très mauvais parroif- fiens , car la plupart des habitans de l'Ifle font des Corfaires François &c Maltois, qui ne font ni Grecs ni Latins. Le meilleur bien de l'Ifle appartient au Mona- ftére de Brici de Siphanto , d'où l'on envoyé deux Caloyers pour faire la récolte : ce bien étoit d'un revenu confiderable , avant que les Vénitiens en euflènt brûlé les Oliviers ; mais ils n'épargnèrent pas même les fabliéres des maifons pendant la guerre de Candie , dans les lieux où leur note hi- vernoit. A l'égard de la bonne chère , on ne la connoît pas dans Antiparos , fi ce n'effc en maigre; car la viande de boucherie y manque fouvent : oit n'y trouve ni lièvres , ni perdrix ; mais feulement des lapins & des pigeons fauvages. L'épouvante y étoit fi grande lorfque nous y arrivâmes , qu'on n'avoit laifleni napes , ni ferviettes dans les mai- fons : on avoit tout enterré à la campagne à la vue de l'armée Turque, qui éxigeoit la capitation. Il faut avouer que le bâton des Turcs a de grandes vertus : toute une Ifle frémit quand on parle de la a baftonnade *. les plus aifez n'ofent paroître que dans une pofture fort humiliée , la tête couverte d'un bonnet cralfeux -y & la plupart de ces malheu- reux, pour ne pas s'expofer à une fi grande honte, fe retirent dans des cavernes. Les Turcs , qui fe doutent bien qu'on a caché ce qu'il y a de meil- leur dans le pays , font donner des coups de bâton a La Falaquc. du Levante Lettre P*. 225 aux officiers qui font en charge , & cette ceremo- nîe dure jufques à ce que leurs femmes ayent ap- porté leurs dorures & celles de leurs voifînes. Dieu fçait de quelles lamentations ces démarches font accompagnées : bien fouvent les Turcs, après s'etre faihs des joyaux , mettent à la chaîne les maris, les femmes, & les enfans. Le port d' Antiparos n'eft bon que pour des barques 6c pour des tartanes ; mais dans le milieu du canal, qui eft entre cette Ifle & celle de Paros , le fond y eft fort propre pour les plus gros vaik féaux : ce canal qui n'a qu'un mille de large entre les écueils de Strongilo Se Defpotico , fîtuez un peu à côté de fon ouverture , éft plein de plufieurs autres petits écueils qui n'ont pas de nom. Cette Ifle, quelque méprifable qu'elle paroifle, renferme une des plus belles chofes , qu'il y ait peut-être dans la nature , & qui prouve une des grandes veritez qu'il y ait dans la Phyfîque , fça- voir la végétation des pierres.Nous voulûmes nous en convaincre par nous-mêmes , &c nous nous fî- mes conduire furies lieux pour y philofopher avec plus de certitude. Cet endroit admirable eft à qua- tre milles du village , à près d'un mille & demi de la mer , à la vue des Ifles de Nio , de Sixino & de Polîcandro, qui n'en font qu'à 35. ou 40. milles. Une caverne ruftique fe prefente d'abord, lar- ge d'environ 30. pas , voûtée en arc furbaiiTé Se fermée par une cour qui eft l'ouvrage des bergers: ce lieu eft partagé en deux par quelques piliers naturels , fur le plus gros defquels , qui paroît comme une tour attachée au fommet de la caver- ne , on lit uitc infeription fort ancienne & fort ii4 Voyage maltraitée : elle fait mention de quelques nom? propres que les gens du pays , par je ne fçai quelle tradition , prennent pour les noms des confpirateurs, qui en vouloient à la vie d'Alexan- dre le Grand;& qui après avoir manqué leur coup, vinrent fe réfugier dans cet endroit comme dans un lieu de fureté. Parmi ces noms , il n'y a que celui d'Antipa- ter qui puiile favorifer la tradition des Grecs j car Diodore de Sicile rapporte que quelques H ftoriens avoient aceufé Antiparer delà mort d'A- lexandre. Tout le monde fçait que ce Prince avoit laififé Antipater fegent en Europe , lors- qu'il partit pour la conquête de Pcife ; mais te Miniitre irrité des mauvais offices qu Olyfrt- ÇÎas lui avoit rendus auprès de fon maître , fut ioupçonné de l'avoir fait empoifonner par fon fils , l'un des Echanfons du Prince. Cependant foie que le foupçon fî\t bien ou mal fonde , Dio- dore remarque qu' Antipater ne laifTa pas de con- ferver une partie de fon authorité après la mort d'Alexandre , bien loin qu'il fut venu fe cacher dans cette Ifle. Nous ne pûmes lire qu'une partie de l'infcri- ption , mais elle nous fut communiquée toute entière par un bourgeois du lieu , qui en gardé une copie : il nous aflfùra qu'elle avoit été déchi- frée par un plus habile homme que nous, qui avoit palTé par Antiparos depuis quelques années, Voici ce que l'infeription contient. * Eiblioth. Htjt. liV\ t?i En dv Levant. Lettre V. iij En i KPITHNOS OlâEHAGON M F. N A N A P O 2 .50XAPM02 ÎMENEKP ATHS A NTin ATPO 2 innOMEAiQN AP I2TEA2 <ï> I A E A 2 T O P r O 2 A 1 O r Ë N H 2 *I AOK P A T H2 ONE2IMQ2 SOUS la Magistrature de Critofi vinrent en ce lieu Menandre , Socarme , Menecrate , Antipater , Ippomedon $ Ariilcas , Philcas , Gorgus , Diogcnes s Phiiocrates , OncfimCi ^ Peut-être que ce font les noms des Citoyens de Pille 3 qui dans le temps que Criton en étoit le Magîftrat , oférent les premiers deicendre dans la grote ôc la reconnoître. Au defïbus de cette irifcrîption efl: un creux quarré-long, dans lequel étoit encadré un marhrc qui n'efl: pas bien loin de là , mais qui n'eft pas fort ancien , comme il paraît par une figure de la croix : c'eft un bas relief du temps des Chré- tiens fi maltraité qu'il n'eft pas reconnoilfable ; Se fuivanc les apparences l'on ne l'a jamais trouvé aflèz beau pour l'emporter. Sur la gauche & au bas d'uu rocher taillé en plan incliné fe voie une autre infeription gréque plus ufée que la précé- dente. Entre les deux piliers qui font fur la droite , efl un petit terrein en pente douce, féparé du fond de la caverne par une muraille aflfez balle : on a gravé dans cet endroit depuis quelques années au Tome I% P Il6 V O. Y A S S bas d'un rocher , dont la çroupc efl: affcz pi les paroles fuivantes : HOC ANTRUM EX NATU M I R A C U L I S RARISSIMUM UNA C COMITATU RECESSlBUS EJUSD PROFUNDIORIBUS ET ABDIT RIBUS PENETRATIS SUSPlC BAT ET SATIS SUSP ICI N POSSE EXISTIMABAT CAR. FR OLIER DE NOINTEL IMP. G LIARUM LEGATUS. DIE NI CHR. QUO CONSECRATUM FL AN. MDC L XXI II. On avance enfuite jufques au fond de la ca ne par une pente plus rude , d'environ 20. de longueur : c'eft le pafTage pour aller à la g te , 6c ce palfage n'eft qu'un trou fort obfcur, lequel on ne fçauroit entrer qu'en fe bai fiant & fecours des flambeaux. On defeend d'abord d un précipice horrible à l'aide d'un cable que prend la précaution d'attacher tout à l'entrée. fond de ce précipice on fe coule 3 pour ainfï d dans un autre bien plus effroyable, dont les bo font fort glifïans , & qui répondent fur la gain à des abîmes profonds : on place fur les bords ces gouffres une échelle , au moyen de laquell franchit en tremblant un rocher tout à fait taill plomb. On continue à glifler par des endroits peu moins dangereux ; mais dans le temps qu' fe croit en pays praticable , le pas le plus afrre vous arrête tout court , & l'on s'y cafTeroit la t< fi l'on n'étoit averti & retenu par les guides. Oi: trouve encore le refte d'une échelle que Mr 1 mrmgTre parmi CCS MBlflCK un gros pavillon LOTI %. m. «Mb mm IISéKiI il! S' u" ffifii* S^aiÉ^ &4«15? ^ 'S^^^Prtsj'rtae pour aller derrière l'Autel W*M Autel au TuramiAe Ta ni . I . Faa . a 32 . f le t»u Levant. Lettre P". ±iy Noinrcl y avoir fait placer : comme elle s'eft pour- rie depuis ce temps-là , nos guides avoient pris foin d'y en apporter une toute neuve. Pour y par- venir , il fallur Te couler fur le dos le long d'un [grand rocher ; & fans le fceours d'un autre cable iquc l'on y avoit accroché , nous ferions tombez dans des fondrières horribles. Quand on eft arrivé su bas de l'échelle , on fé fcoule encore quelque temps fur des rochers , tan- tôt fur le dos , tantôt couchez fur le ventre , fui- vant qu'on s'en accommode le mieux ; car cha- cun cherché la marche la plus favorable pour fuî- Vre la compagnie. Après tant de fatigues,on entre enûn dans cette admirable grotte que Mr de Noin-» tel ne pouvoit fe lalfer d'admirer avec raifon. Les ens qui nous conduifoienr, comptoient ijo.braf- çs de profondeur depuis la caverne jufques à l'au- îçl marqué A ; & autant depuis cet autel jufques à l'endroit le plus profond où l'on puilTe defeen- fur jo^ de large : la voûte en' eft allez bien taillée , relevée -T'- en plulîeurs endroits de grottes malles arrondies , les unes hérillées de pointes femblables à la fou- Ure dé Jupiter , les autres bolfuées régulièrement, id'où pendent des grappes , des feftons , 8c des lan- ces d'une longueur furpuenante. A droite & à gau- e , ce font des rideaux & des napes, qui s'écen- ent en tout fens & forment fur les cotez des ef- es de tours canelées, vuides la plupart , Gomme ant de cabinets pratiquez autour de la grotte, n diftingue parmi ces cabinets un gros pavillon forme par des productions qui reprefentent ii iiS Voyagé bien les pieds, les branches, & les têtes des choux fleurs , qu'il femble que la nature nous ait voulu montrer par là comment elle s'y prend pour la vé- gétation des pierres. Toutes ces figures font de marbre blanc , tranfparent, criftallilé, qui fe cafte prefque toujours de biais'& par difïerens lits com- me la pierre judaïque. La plupart même de ces pièces font couvertes d'une écorce blanche & re- îonnent comme de la bronze , quand on frappe deffus. Sur la gauche un peu au de là de l'entrée C de la crotte , s'élèvent trois ou quatre pilliers D ou colonnes de marbre , plantées comme des troncs d'arbres fur la crête d'une petite roche. Le plus haut de ces troncs a îîx pieds huit pouces , fur un pied de diamettre , prefque cilindrique & d'égale grofteur , fi ce n'eft en quelques endroits où il eft comme ondoyant , arrondi par la pointe & placé au milieu des autres. Le premier de ces piliers eft double & n'a qu'environ quatre pieds de haut. Il y a fur le même rocher quelques autres piliers nailfans qui font comme des bouts de corne ; j'en examinai un a(fez gros, qui peut-être fut cafté du temos de Mr de Nointel : il reprefente véritable- ment le tronc d'un arbre coupé en travers : le mi- lieu , qui eft comme le corps ligneux de l'arbre , eft d'un marbre brun, tirant fur le gris de fer, lar- ge d'environ trois pouces , enveloppé de plufieurs cercles de différentes couleurs, ou plutôt d'autant de vieux aubiers , diftinguez par fix cercles con- centriques , épais d'environ deux ou trois lignes , dont les fibres vont du centre à la circonférence. Il icmble que ces troncs de marbre végètent , car outre qu'il ne tombe pas une feule goutte d'eau dans ce lieu, il n'eft pas concevable que des gous- t> tr Levant. Lettre V. z 19 tes , tombant de 1 j. ou 30. b rafles de haut , ayent pu former des pièces cilindriqucs , terminées en calote , dont la régularité n'eft point interrom- pue' : une goutte d'eau fe difïïperoit plutôt par fa chute : il n'en difti.le certainement point dans cet- te grotte , comme dans les caves gouttières ordi- naires. A peine remarquâmes-nous quelques na- pes dentelées , donc les pointes laiflent couler une goutte d'eau fort claire ôc fort infipide , formée fans doute par l'humidité de l'air qui s'y co&den- fe en eau comme dans les appartemens revêtus de marbre. Au fond de la grotte fur la gauche fe prefente une pyramide bien plus furprenante, qu'on appel- le l'autel A depuis que Mr de Nointel y fit célé- brer la Mefle en 1673. Cette pièce eft toute ifo- lée 3 haute de 2.4. pieds , lemblable en quelque manière à une thiare , relevée de plufîeurs chapi- teaux , canelez dans leur longueur , & foûtenus fur leurs pieds , d'une blancheur éblouiflante , de même que tout le refte de la grotte. Cette pyra- mide eft peut-être la plus belle plante de marbre qui foit dans le monde ; les ornemens dont elle eft chargée font tous en choux-fleurs , c'eft à dire terminez par de gros bouquets , mieux finis que fi un ïcuipteur venoit de les quitter. Il n'eft pas pofïïble encore un coup que cela fe foit fait par la chute des gouttes d'eau , comme le prétendent ceux qui expliquent la formation des congélations dans les grottes. Il y a beaucoup plus d'apparence que les autres congélations dont nous parlons , 8c qui pendent du haut en bas , ou qui pouflent en difterens fens , ont été produites par le même prin- cipe , c'eft à dire par la végétation. Au bas de l'autel il y a deux demi colonnes fur P iij %$Q V O Y A G B îefquellés nous pofâmcs des flambeaux pour éclai- rer la crotte & la conlîderer à loifir. Mr de Noin- tel les" rit écorner pour y dreiter la table , fur la- quelle on célébra la Mefle de minuit. On grava par Tes ordres les paroles fuivantes fur la baze de la pyramide, HIC IPSE CHRISTUS ADFUIT EJUS NATALI DIE MEDIA NOCTE CELEBRATO M DC LXXIII. Pour faire le tour de la pyramide, on paffe fous un maflif ou cabinet de congélations , dont le derrière cft fait en voûte de four :1a porte en effc baffe ; mais les draperies des cotez font des ta- pifferies d'une grande beauté , plus blanches que l'albâtre : nous en calfàmes quelques-unes , dont l'intérieur nous parut comme de l'écorce de ci- tron confite. Du haut de la voûte, qui répond fur la pyramide , pendent des ferlons d'une longueur extraordinaire, letqucls forment pour ainfi dire l'attique de l'autel. Mr le Marquis de Nointel Ambafladcur de Fran- ce à la Porte , palla les crois fêtes de Noël dans cette grotte , accompagné de plus de 500. perfon- nes, foit de fa mailon , foit marchands , corfaires > pu gens du pays qui l'avoient fuivi. Cent groilés torches de cire jaune, & 400. lampes qui bruloient jour & nuit croient fi bien difpoiées , qu'il y fai- foit auiîï clair que dans l'Eglife la mieux illumi- née. On avoit pofté des gens d'efpace en efpace *lanstous les précipices , depuis l'autel jufcjues à Couverture C de la caverne : ils fc firent le lignai avec leurs mouchoirs , lorfqu'on éleva le corps 4? J. C. A ce liguai on -mît le feu à 24. boêtes Se du Levant. Lettre V. 231 à pîufîeurs pierriers qui étoicnt à l'entrée de la caverne : les trompettes, les hautbois , les fifres , les violons rendirent cette confecration plus ma- gnifique. L'AmbaflTadeur coucha prefque vis à vis de l'autel , dans un cabinet long de fept ou huit pas , taillé naturellement dans une de ces grofïès tours dont on vient de parler. A côté de cette toiir fe voit un trou par où l'on entre dans une autre caverne , mais perfonne n'ofa y defeendre. On étoit bien cmbarrafTé à faire venir de l'eau du village pour fournir à tout le monde. Les Ca- pucins aumôniers de ion Excell. n'avaient pas la baguette de Moyfc. A force de chercher on trou- va une fontaine à gauche de la montée , c'eft une petite caverne 011 l'eau s'amalfe dans les creux des rochers. Mr de Nointel a renouvelle la mémoire de cet- te grotte. Les gens du pays même n'ofoient y dei- cendre lorfqu'il arriva à Antiparos : il les encou- ragea par fes largefies. Les Corfaires s'offrirent d'accompagner ceux qui voudroient leur montrer le chemin : ces Meilleurs ne trouvoient rien de difficile, lorsqu'il falloit faire la cour à fon Excell. qui d'ailleurs étoit paflionné pour les belles chô- fes, & fur tout pour ce qui regarde l'antiquité. Peut-être que fur l'infeription que l'on a rappor- tée, il crût qu'il y reftoit quelque monument pré- cieux. Il avoit deux habiles deflinateurs à fa fui- te , & trois ou quatre maçons avec les outils né- cellaires pour détacher ôc pour enlever les marbres les plus lourds. Jamais Ambaiïadeur n'eft revenu du Levant avec tant de belles chofes : heureufe- inent la plupart de ces marbres font entre les mains de M: Baudelot de l'Académie royale des Iufcriptions & des Médailles : ils étoient refer- P iii] g. $i Voyage vez pour une perfonne de fon mérite. Je n'ay plus qu'un mot à dire touchant la grot- te d'Antipater , c'eftaînfi qu'on appelle une peti- te caverne , dans laquelle on entre par une fenê- tre quarrée , ouverte dans le fond de la caverne , qui fert comme de veftibule à la grande grotte» Celle d'Antipater eft toute revêtue de marbre cri- ftallîzé & canelé; c'eft une efpéce de falon de plein pied à fon ouverture, qui paroîtroit fort agréable il on n'avoit pas été ébloui par les merveilles qui font dans la grande crotte. La croupe de la montagne où font ces grottes cft comme pavée de criftallilations tranfparentes , femblables au talc ordinaire ; mais qui (e calfent toujours en lozanges ou en cubes , & je crois que ces criftallifations lont des indices de grottes fou- terraines : j'en ai vu de pareilles en Candie fur le pont Ida j & à Marfeille fur la Baume de Mr Pu- get à Saint Michel d'eau douce. a Des bords de la caverne d'Antiparos pendent quelques pieds de ce beau Capprier ians épines , dont on confît le fruit «dans les Ifles. Le refte de la montagne cft couvert de Thym de Crète , de faux Dictame , de Cèdres à feuilles de Cyprcz , de Lentifques , de Squilles : toutes ces plantes font communes dans les Ifles de Grâce , ôc celle d'Antiparos ne meriteroit gué- tes d'être vïfitce fans cette belle grotte. Nous Panâmes le canal qui eft entre Antiparos {k Paros par un vent de b Sud-oueft , qui nous menoit en poupe , & qui nous fit faire fix milles en moins d'une heure : car bien que le canal n'ait qu'un mille de large , on en compte fix ou fept du port d'Antiparos à celui de Paros. C'eft cette a C.ipparisnon fpinofa fruftu majore. C. B. Pin. 180. 1> Labech. du Levant, Lettre V. zj$ diftance qui nous perfuada qu'Antiparos eft l'Ille que les anciens ont connue fous le nom d'Olia- ros : on n'en peut pas douter fur un pallage qu'E- ftienne le Géographe nous a confervé du Traite ' des Iflcs d'Heraclide du Pont , qui fait d'Oliaros une colonie de Sidoniens, 8c qui place cette lfle à environ a fept milles de ParoSjdiftance qui répond tout à fait à celle de nôtre trajet. Nôtre bateau fut bien fecolié dans ce pallage , 8c la pluye qui venoit par ondées nous incommoda furieufement: ce fut le dernier jour du mois d'Août , 8c ce fut aufîi la première fois que nous vîmes pleuvoir dans l'Archipel. Nous débarquâmes le i. Septembre au port du nAPos. château de b Parechia ville principale de Pille de Pa*os t Paros , bâtie fur les ruines de cette ancienne 8c fa- PaRis » meufe Paros , la plus grande , félon Eftienne le f*att" Geographe,& la plus puiflante des Cyclades. Lorf- que hes Perles , fous les ordres de Darius , pafle- rent en Europe pour faire la guerre aux Athé- niens , c Paros embrafïa le parti des Aiiatiques , qu'elle fecourut de troupes pour la bataille de Ma- rathon. Miltiades couvert de gloire après cette grande journée, obtint des Athéniens une puiûan- te note 3 8c les aiïura fans vouloir déclarer à quoi il la deftinoit , qu'il meneroit cette armée dans un pays d'où elle rapporteroit de grandes richefles, fans beaucoup de peine.Paros fut afiiegce par mer 8c parterre : ' les habitans voyant leurs murailles ruinées demandèrent à capituler ; mais ayant ap- perçû un grand feu du côté c de Mycone , ils s'i- maginèrent que c'étoit le lignai, de quelque fc- a ivm, ftad, ** ou Parichia. * Herod. Lb,6. d Corn. Nepa in Mi! (M. « Steph. 2j4 Voyage cours, que leur faifoit donner Datis un des ge'né- raux dés Perfes : là-de(îlis ils ne voulurent plus en- tendre parler de capitulation , & c'eft: ce qui don- na, lieu au proverbe , a Tenir fa parole , a la ma- nière des V ariens. Cependant Miîtiades , qui ap- prehendoit la flote des ennemis > brûla toutes Tes machines &: fe retira promptement à Athènes. b Hérodote qui a décrit ce fiége avec foin , bien loin d'avancer que les afîiégez fuflent difpo- fez à capituler , rapporte que Miîtiades defefpe- rant d'emporter la place , confulta Timon pretref- fe du pays , laquelle lui confcilla de faire quelque cérémonie fecrette dans le temple de Cerés proche de la ville. Ce général fuîvit fon avis ; mais ayant voulu franchir l'enceinte du temple , il fe calfa une jambe ; la cérémonie apparemment ne réuffic pas , il fut contraint de lever le fiége , le Sénat le condamna d'en payer les frais : on le mit dans les prifons d'Athènes pour l'obliger de fatisfaire à cet- te dette publique , & il y mourut de fesblelfures. Ce fiége ne lailfa pas d'être fort glorieux aux Pa- riens quoiqu'on les traitât de gens fans parole,car Miîtiades qui n'avoit pu les foûmettre,étoit le plus grand capitaine de fon temps. Apres la bataille de Salamine , c Themiftocles quoique occupé au fié- ge d'Andros , exigea les contributions de Paros,& la rendit tributaire d'Athènes , pareeque cette Ifle étoit une de celles qui avoient le plus favorifé les Asiatiques. Voilà ce qu'il y a de plus certain dans l'hiftoire gréque touchant l'Ifle de Paros. Si l'on veut remonter au-delà de la puilfançe des Athé- niens , on trouvera encore quelque chofe de con- fidcrablc qui regarde cette lile, ôc cela nous don- b lbid. I du Levant. Lettre V. 135 nerà lieu de parler des differens maîtres qui ont fpolïcdé ces fameufes Cyclades , parmi lcfquelles Paros tenoic un rang confiderable. Peut-être que a Sefoftris ce grand Roy d'Egy- pte , qui fe faillit appeller le Roy des Roys & le Seigneur des Seigneurs,reçût lafbûmillîon de Paros de même qae de la plupart des Cyclades , c'eft à dire de quelques autres Ifles de l'Archipel rangées prelque en manière de cercle autour de la fameu- le Delos. Les Phéniciens polTederent ces Ifles puifqu'ils furent les premiers maîtres de la mer de Grèce \ b mais il eft mal-aifé de concilier Thu- cydide Se Diodore de Sicile fur le temps où les Ca- riens s'établirent dans ces Mes. c Thucydidcs pré- tend que Minos en chalfa ces peuples , Se Diodore au contraire avance qu'ils n'y étoient venus qu'a- près la guerre de Troye , Se qu'ils avoient obligé les Cretois de s'en retirer, Eftienne le Géographe allure que les Arcadiens fe mêlèrent avec les Cre- tois , Se qu'ils donnèrent le nom d'un de leurs généraux appelle Paros à l'Ifle dont nous parlonsj ' car auparavant elle portoit celui de Minos , fui- vant la remarque de Pline. c Selon Appollodore , ce fut dans cette Iflc que Minos appris la mort de fou fils Androgée tué dans l'Attique où il s'étoit diftingué dans les jeux publics. Ce malheureux perc factifiant aux Grâ- ces à Paros fut Ci pénétré de douleur , qu'il jetta fa couronne par terre ôc ne voulut pas joiier de la flutte. f Eurydcmon , Chryfes, Nephalion Se Phi- lolaus autres enfans de Minos s'étoient retirez à * BxartMvi &ttrixla>* , r&\ c Eibliot. htfl. tib.f. Ai j dont les Ifles furent érigées en province avec la ! Lydie , la Phrvgie ôc la Carie. Cette province fut; j a Herofc Vib. 8. b Bibliot. hift. Ub.j ^. * Topogr. Cbrîfl. de mundo lib.i. De bello Mitbrid, Dtr Levant. Lettre V. 23/ fuite fous un Proconful , jointe à l'Hellefpont x à l'Afie mineure. Les Empereurs Grecs ont poffedé l'Archipel à leur tour jufques au temps que Marc Sanudo no- 1*07» oie Vénitien fut fait Duc de Naxie par Henri Em- pereur de Confbantinople. Ce nouveau a Duc unit à Naxie Paros , &c plufieurs autres Mes voifines. Paros en fut démembrée par Florence Sanudo Du- chefle de l'Archipel, qui la donna pour dot à Ma- rie fa fille unique, époufe de Gafpar de b Somme- rive : c'étoitun gros Seigneur qui prétendoit avec raiton à tout le Duché de Naxie ; mais il fut obli- gé de fe contenter de Paros , dans l'impuiflance où il fe trouva de réfuter à François Crifpo , qui après avoir fait atfaiîiner Nicolas Carcerio,s'étoit emparé du refte du Duché. Quelques années après , Paros palTa dans l'illu- ftre maifon de Venier par le mariage de François Venier noble Vénitien avec Florence de Somme- rive fœur aînée de Couriin de Sommerive , dont elle hérita de tous les biens. François Venier fut le grand père de ce fameux Venier , qui ne céda Pille de Paros à Barberoutfe Capitan Pacha fous Solyman 1 1. que parce qu'il fe trouva fans eau a Kephalo dans le fort Saint Antoine. c Leunclave fait mention d'un Grec appelle Jacques , Heracli- de & Bafîlique , qui fe faifoit delcendre des Prin- ces de Valachie & qui portoit le nom de Marquis de Paros. Les Valaques le firent mourir en 1 j6?. mais il n'y a pas d'apparence qu'il ait pofTedé cet- te Ifle , puifque les Turcs la prirent fur les Véni- tiens. Pour ce qui efl: du château de Paros ou Pari- Hifl. des Ducs de. ^Ar chip. h Summarifxit Suppkm, Annal. I 1}8 V O Y A <5 B richia , Ces murailles ne font bâties que de vieux marbres. La plupart des colonnes y font pofccs de travers &c ne montrent que leur diamettre : celles qui font relevées fupportent fouvent des corniches d'une grandeur furprenante. De quelque coté que Ton fe tourne on ne jette les yeux que fur des ar- chitraves ou des piédeftaux entremêlez de grandes pièces de marbre , employées autrefois à de plus beaux ouvrages. Pour faire la porte d'une écurie , qui ordinairement celle de toute la maifon , on dreue deux bouts de corniches, dont les moulures font admirables : on pofe en travers fur ces pièces une colonne pour lervir de linteau , fans trop s'ettbarraflèr fi elle eft d'équerre & de niveau. Les gens du pays qui trouvent ces marbres taillez , les affemblent comme ils l'entendent , & mêmes les blanchifTent fouvent avec de la chaux. A l'égard des inferiptions 3 elles ne font pas rares autour de la ville ; mais elles font fi maltraitées que l'on n'y ! connoît plus rien. Les François , les Vénitiens i les Anglois ont emporté les plus confiderables, ôc I l'oncaiîè tous les jours pour la clôture des champs,- les plus belles pièces que l'on découvre , frifes * autels , bas reliefs ; rien n'échappe à l'ignorance des Grecs. On ne voit dans cette Me que des mi- ferables faifeurs de faliéres ôc de mortiers, au lieu de ces grands fculpteurs ôc de ces habiles archite- J #es , qui ont autrefois rendu le marbre de cette a Ifle plus célèbre que celui des lues voifines -, car cette belle pierre n'eftpas moins commune à Na~ xie ôc à Tine ; mais on y manqua dans un certain temps d'habiles gens pour la mettre en œuvre ôc en réputation. On nous mena à trois milles du château voir * Paros marrnaiç Robilis. Flirt, hl fi. unt.lib.<\. cap.u. du Levant. Lettre V. i^ des anciennes carrières, où il ne refte que des tranchées couvertes de rejets & de recoupes aulïi fraîclies que M on y avoit travaillé depuis peu : la Mandragore & le faux Dictame y nailfent par tout. Les plus anciennes carrières du pays font à un, mille ait delà au deiîiis du a moulin du monaftére de Saint Minas. Dans l'une de ces carrières eft un, bas relief antique travaillé fur le marbre même , qui naturellement dans cet endroit là eft prefque b taillé à plomb au fond d'une grande caverne qui fert de bergerie , &c d'où l'on droit apparemment ce beau marbre à la faveur des c lampes. Il eft très vraifemblable que la montagne où eft cette ca- verne eft le mont d Marpefe , dont Servius Se Eftienne le géographe ont fait mention. Ce bas relief a quatre pieds de long , & fa plus grande hauteur eft de deux pieds cinq pouces : le bas en eft équarri : le haut eft alîez irrégulier , parce qft'il fallut s'accommoder à la figure du ro- cher. Quoique cet ouvrage ait été fort maltraité par le temps , il paroît pourtant que c'eft une cf- péce de bacchanale ou h* l'on veut de noce de vil- lage à 19. figures d'un allez bon goût , mais d'ur- ne mauvaife compofition. De vingt de ces figures qui font fur la même ligne , les fix plus grandes ont dix-fept pouces de haut : ce font des Nymphéa qui danfent un branle : il y en a une autre aiîifc fur la gauche, qui femblefe faire prefter pour dan- fer. Parmi ces figures paroît la tête d'un fatyre à longue barbe , qui rit de toute fa force. A drejitç a Lapis Lychnites quoniam ad lucernas in cuniculis esderctur. PU», lib. $6. . '*?■ 5- ^'7»f *v%ytv',. Ath.Ve'ipn. iil/. J. c MAPTIEZ2A tfft T\à?i» ûç' a ci /t'9-«* i^nipû-j-TUi' S(eph. <* Mârpcfos mons eft pari» ioiulx.ServiMi in jEnsid.6. 2^6 Voyage font placées douze figures plus petites , qui fem- blent n'être accourues que pour voir la fête. Bac- chus eft allis tout au haut du bas relief avec des oreilles d'âne 8c une bedaine d'yvrogne , entouré de figures de différentes attitudes ; mais d'un air tout à fait réjoui , fur tout certain fatyre placé de front avec des oreilles & des cornes de bœuf. Les têtes de ce bas relief n'ont jamais été finies : c'eft le caprice de quelque fculpteur qui fe divertifîoîc en faifant charger fon marbre , &C qui écrivit ai* bas de fon bas relief. A A AM A 2 OAPÏ2HÏ NYM*AH. Adamas Odryses** drejfé ce monument: aux filles du pays. Anciennement les Dames s'ap- pelloient des Nymphes , comme nous l'apprend a Diodorc de Sicile , & Barthius démontre aflez bien que ce nom étoit confacré pour celles qui n'étoient pas mariées. b Enfin le marbre de cette Ifle devint fi fa- meux , que les plus habiles fculpteurs n'en em- ployoient pas d'autre. Strabon a raifon de dire que c'eft une excellente pierre pour faire des fta- tue's, & c Pline admïroit qu'on en fût venu cher- cher d'Egypte pour en décorer le frontifpice de ce célèbre^ labiriuthe , qui paffoit pour une des merveilles du monde. A l'éeard des ftatucs , les * Bîbl'ict. hift.lib.î.Animad. adStat. part.z. b Omnesautemtantum can- dido marmore uiï funt à Paro infula. Plin hijf. n*t Apiçt) itfot T fivfficii^oy'b.v* In Pario'um lapidicinis mirabile prodicur gleba Tome /, lapidi"; uni us , cuneisdi- videnàum foluta , imagi- nem Sileni intus cxmifle, Plin. Hijt.nat.lib.} ca ^.j 24i V O Y A G ? Venier Seigneur de l'illc qui l'avoit dcffeniîu fi v"~ goureufement fe fauva à Venife, où il avoir fait pafïer ia femme & Tes enfans. Le fort eil démoli, & il n'y refte plus que le monaftere de Saint An- toine. On fe fert aujourd'hui du marbre des car- rières de ce quartier là , & fur tout de celles de Marmara , d'où on l'apporte par bateaux à Paro chia : au lieu que celui des anciennes carrières n'y peut venir que par charroi , voiture fort rare dans les Ifles. a Pline a bien marqué la grandeur de l'Ifle de Paros en aiïurant qu'elle n'eft que la moitié de celle de Naxos , à laquelle il donne -j$. milles de tour : fur ce pied là Paros nen doit avoir que 56. ou 37. mefure ordinaire des gens du pay<. On y compte environ 1500. familles, taxées ordinaire- ment à 4500. écus de capitation ; mais en 1700. on leur en fit payer 6coo. & 7000. pour ia taille réelle. Il eft vrai que cette Ifle e(t bien cultivée : on y nourrit beaucoup de troupeaux :1e commerce y confifte en froment , orge , vin, légumes, fefa- me , toile de coton. Avant la guerre de Candie , on y reciïeilloit beaucoup d'huile -, mais l'armée Vénitienne brûla tous les oliviers de Paros en 9-, ou 10. ans qu'elle y fejourna. Cette Ifle eft fi plei- ne de perdrix cV de pigeons fauvages qu'on nous donna trois perdrix & deux ramiers pour 1 8.fols : la viande de boucherie y eflbonne,& les cochons, n'y manquent pas : on y mange de meme que; dans les autres Ifles d'exeellens petits b moutons, nourris dans lesmaifons avec du pain 3c dïs fruits» Les melons y font touc à fait délicieux \ mais oiîj n'a pas le temps de les goûter , lorfque , l'armée Turque y elt : elle confomme tous les fruits de l'Archipel en peu de jours. * Hiji.n«ulib^c*f\i2.. b Brouffins. du Levant, Lettre P*t $.43' Nous vîmes pleuvoir à Paros pour la première Fois depuis nôtre déparc de France. La terre étoit ii féche qu'il auroit fallu vâ\ petit déluge pour en éteindre la foif» Le coton, la vigne & les figuiers periroient fans les rofées qui font h* abondantes que nos capots en éroient tous mouillez , lorfque nous couchions en campagne ou dans des bateaux, ce qui nous ârrivoit allez fouvent en palfant d'une Iile à l'autre. On a beau partir dans la bomace , comme on n'a point de bouffole , il faut fe retirer dans la première cale , lorfque le vent fe rafraî- chir. Le Cadi ? les Confuls de France , d'Angleterre &: de Hollande font leur refidence à Parechia , ou l'on élit tous les ans deux Confiil* ; la charge de Cadi de celle de Vaivode dans le temps que nous y tuflàmes étoient exercées par -Conftantachi Con- dili le plus riche Grec de i'îile 3 frère de Miquela- chi Condili Conful de France : il eft d'une grande gance parmi les Grecs de faire terminer les noms propres en achi. d On dit Conitantachi, Mi- uelachijanachi , pour Conftantin, Michel, Jean* : Ton parle plus proprement dans cette Iile que ans le refte de l'Archipel. Les habitans de Parôs ont toujours palTe pouf ens de bon fens , & les Grecs des Mes voifines les rennent fouvent pour arbitres de leurs dirTerens* Del* me fait fouvenir du choix que les Mileiiens lient autrefois de quelques fages Pariens , pour nettre une forme de gouvernement dans leur ville ; ■! On dit j Pecrachi, Anro- nachi, Dimitrachi , Nico- lachi, Gourjachi, Srepha- nachi, Philippachi, Fran- eifeachi } m Ueu de Pier- re, Anroine, Dimitrc, Ni- colas , George , Efticnne , Philippe, François. Hervà« *44 Voyage ruinée par les feditions : ces Pariens vifîterent fa campagne de Milet , & nommèrent administra- teurs de la ville les habitans , dont les terres leur parurent les mieux cultivées ; perfuadez avec rai- lon que ceux qui prenoient grand foin de leurs biens , ne negligeroient pas les affaires publiques. Sainte Marie eft le meilleur port de l'Ifle , la plus grande flotte y peut mouiller en fureté Ad annum 90 x. 14^ Voyage Saint Michel Archange, iykç, Txfyapx»ç* Le couvent des Apôtres. Âyiot a'toçoào/. Nôtre-Dame du Lac. nuvayia, Actyoysuâ.piFc. Saint Jean de la pluye. ÂyJQt l6»«£vnn KzCpi-^y. Saint George aux Groifeiiles , fruit allez rare en Levant. Âyioç, ïiapykc /«« Kt;- ÇAano:. Saint Jean des fept fontaines, Âyioç luuytnî l*7«» Nôtre- Dame du lieu mal fain. n*vayiu. Qvapûvcf, Saint Noirmantin folitairc du mont Sinai: Âyio.z KipctXuCoç, Le Monaftere de Chrift, O' Xc^oc, a Archilochus ce fameux autheurde vers jam- bes fe diftingua parmi les grands hommes de Pa- ros. Horace a railon de dire que la rage infpira ce Poëtc : fes vers furent Ci piquants que Lycam. bas qui Lavoit attaqué , fut allez fot pour fe pen- dre de defefpoir, Archilochus vivoit du temps de Gygés Roy de Lydie & fut contemporain de Ro- jnulus. Nous ignorons le nom d'un excellent homme de cette Ifle , qui drella le plus beau monument de chronologie qui foit au monde , &c que Ton * Strab Rerum geog. lib.io, Archilochum pioprio ra- dies atmavic jambo. Ho- r&, de nrte poctic. Tintta, Lycambeo fanguine tela madent. Ovîd. in lbin.He* rod. lit. i . »tr Levant. Lettre V, 147 voit prefentement à Oxford au tour du Théâtre Sheldonien : c'efl fur ce marbre que a MT de Peî- reic avoit fait acheter en Levant , avec plufieurt autres , qui tombèrent entre les mains du Comte a'Arondcl , que Ton voit gravées les plus célèbres époques Gréques depuis le règne de Cecrops fon- dateur du Royaume d'Athènes jufques au Magi- iîrat Dioguete , c'efl à dire la fuite de 13 18. an- nées. Ulferius croit olie cette chronologie fut écrite 263. ans avant Jeius-Clinil. Ces époques qui n'ont pas été altérées comme les manulcrits, nous apprennent la fondation des plus fameufes villes de Grèce , & l'âge des plus grands hommes qui en onr été l'ornement Par exemple nous fçavons par ces marbres qu'Hefîodc a vécu 27. ans avant Homère, & que Sappho n'a e'erit qu'environ zoo. ans après ce Poète. Ces mar- bres fixent les Magiftrats b d'Athènes , & nous font d'un grand fecours pour les guerres de ce temps-ià : ce n'eft pas ici le lieu d'entrer dans ce détail , il vaut mieux parler de nôtre paflage dans rifle de Naxie , connue des anciens fous le nom da Naxos. Nous y arrivâmes le 7. Septembre en moins de Naxie , deux heures ; car le trajet du port d'Agoufa ( qui NAHps> efl à la pointe Septentrionale de Paros ) n'eft que de neuf milles , & le canal en ligne droite n'a que (ix milles de large j c ainh Pline a fort bien mar- qué la di fiance de ces deux Mes à fept milles cinq cens pas. Naxia efl un mot corrompu de Naxos : tout le monde fçait que la langue Gréque a fouf- fert de grands changemens dans la décadence de l'Empire. Le mot de Naxia fe trouve dans d Jean a Gijjhid. invita Peirefc. c HUl.i.at. lib.^. cap. t. b O' A'»£»f. S Idem lib. 1 . h DiodJSie >Bibluth.hijl. lib. j . du Levant. Lettre V. ijs ce, ayant voulu furprendre en embufcade fon frè- re Lycurgus , fut obligé par ordre de fon père de quitter le pays avec fes complices : leur bonne fortune les conduifit à a lTfle ronde , c'eft ainfi qu'on noramoit celle dont nous parlons. Comme les Thraces n'y trouvèrent que peu ou point de femmes , 6c que la plupart des Mes de l'Archipel croient fans habitans,ils firent quelques irruptions ilans la terre ferme, d'où ils emmenèrent des fem- mes , parmi lefquellcs éeoit Iphimedie femme du Roy Aloeus & Pancratis fa fille. Ce Roy outré de dépit ordonna à fes fils Otus &C Ephialtes de le venger : ils battirent les Thraces , Ôc fe rendirent les maîtres de rifle ronde, qu'ils nommèrent Dia. Ces Princes; s'entretuerent quelque temps après dans un combat , comme dit b Paufanias , ou fu- rent tuez par Apollon , fuivant lcfentiment d'Ho- mère & de Pindare ; ainfi les Thraces relièrent paihblcs polïellcurs de l'Ifle jufques à ce que la grande fecherefle les Contraignit de l'abandonner, plus de deux cens ans après leur établiiîement. Elle fut enfuite occupée par les Caricns , &c leur Koy c Naxios ou Naxos , fuivant Eftienne le Geo- graphe , leur donna fon nom. Il eut pour fuccef- icur fon fils Leucippus ; & celui-ci fut le pere de Smardius , fous le règne duquel Thcfée revenant de Crète avec Ariadne aborda dans l'Ifle , où il abandonna fa maîtreflè à Bacchus , dont les me* naces l'avoient horriblement frappé dans un fonge. Les habitans de Naxos prétendoient que ce 4ieu avoit été nourri chez eux , & que cet hon- neur lui avoit attiré toute forte de félicitez. D'au- * ïTPorrïAH, b Jjb. 9. fccveî. Stepk. i$t Voyage très croyent que Jupiter l'avoit confié à Mercure pour le nourrir dans l'antre de a Nyfe fur les cô- tes de la Phenicie, du côté qui s'approche du Nil; d'où vient que Bacchus fut nommé D'ionyfins. Ce n'eft pas ici le lieu de débrouiller l'hiftoire des. Bacchus. Diodore de Sicile rapporte qu'il y en a eu trois à qui nous Tommes redevables , non feu- lement de la culture des fruits , mais de l'inven- tion du vin & de celle de la bière , que l'un d'eux inventa en faveur des peuples qui ne pourroient pas élever la vigne chez eux. b La célèbre époque que le même autheur nous a confervée touchant le débordement du Pont-Euxin dans la mer de Grèce , nous rafïure fort fur la plupart des avantures qui fe font pallées dans quelques-unes de ces Ifles. Cette époque au moins nous découvre le fondement de plufieurs fables qu'on en a publiées : il eft bon de la rappor- ter ici en paflant , pour difpofer les lecteurs à ne pas trouver étranges certaines chofes dont on par- lera dans la defeription des autres Ifles. Diodore donc afTùre que les habitans de l'Ifle de c Samo- thrace n'avoient pas oublié les prodigieux change- mensqu'avoit fait dans l'Archipel le débordement du Pont-r^uxiu , lequel d'un grand lac qu'il étoit auparavant, devint enfin une mer confiderable par le concours de tant de rivières qui s'y dégorgent : ces déjt>ordemens inondèrent l'Archipel , en firent périr brefque tous les habitans s & reduifirent ceux des lues les plus élevées à fe fauver aux fommets de leurs montagnes. Combien de grandes Ifles vit-on alors partagées en plullcurs pièces , s'il eft Aw'o Aiùi k- Nwh;. D'tod. Sic. Bibliotb. bifi. lib. 4. & alibi. b Idem Bibliotb. bijljib.^-, c Sanmandraki. du Levant. Lettre V. %f$ permis de fe fetvir de ce terme ? N'eut-on pas railon après cela de regarder ces Ifles comme un nouveau monde , qui ne peut être peuplé que dans la fuite des temps ? Eft-il furprenant que les Hiftoriens & que les Poètes aient publié tant d'a- vantures iînguliéres, arrivées dans ces Ifles, à me- fure que des gens courageux quittèrent la terre- ferme pour les venir reconnoître ? Eft-il furpre- nant que Pline l'abreviateur de tant de livres per- dus , parle de> certains changemens incroyables à ceux qui ne reflechiiTènt pas fur ce qtfi s'eft pafle dans l'Univers dépuis tant de fîécles ? Ce qui nous refte à dire de Naxie eft moins éloigné de nos temps. a Pendant la guerre du Peloponnefe cette Ifle fe déclara pour Athènes avec les autres Ifles de la mer Egée , excepté le Milo & b Thera. Enfuite Naxos tomba fous la puifîance des Romainsraprès la bataille de Philippes,Marc Antoine la donna aux c Rhodîens ; mais il la leur ôta quelque temps après,parceque leur gouvernement étoit trop dur. Elle fut foûmife aux Empereurs Romains,& enfui- te aux Grecs jufques à la prife de Conftantinople par les François Se par les Vénitiens ; car trois ans après ce grand événement , comme les François travailloient fous l'Empereur Henri à la conquête des provinces & des places de terre-ferme , les * Vénitiens maîtres de la mer donnèrent la liberté aux fujets de la Republique qui voudroient équi- per des navires , de s'emparer des Ifles de e l'Ar- chipel ôc autres places maritimes, à condition que a Thucyd.Ub.%. b Sancorin. e Appian. lib, f . A Flav. Blond. Brtviar. r«r. Venet. Du Cange hijt. des ~Em$* de Confiant, liv.i. 1107» t$4 Voyage les acquéreurs en feroient hommage à ceux h. qui elles appartenoient , à raifon du partage fait entre les François & les Vénitiens. a Marc Sanudo s'em- para pour lors des Ifles de Naxie , Paros , Antipa- ros , Milo , l'Argentiére , Siphanto , Policandro , Nanfio , Nio &c Santorin. L'Empereur Henri éri- gea Naxie en Duché , & donna à Sanudo le titre de Duc de l'Archipel & de Prince de l'Empire. Le P. Sauger Millionnaire Jefuite, fort eftimé en Le- vant fous le nom du P. Robert , a bien démêlé la fuite de ces Ducs depuis Marc Sanudo jufques à Jacques Crifpo iï.Sc dernier Duc de l' Archipel , dépouillé par les Turcs fous l'Empereur Selim 1 1. & mort à Venife accablé de chagrin. Son père Jean Crifpo s'étoit engagé quelques années aupa- ravant de payer à Solyman 1 1. un tribut de CiX mille écus d'or , lorfque Barberoulfe fit fa defeen- te dans l'ille & la mit au pillage. Ainfi finit la fouverainetédel'Archipel,après avoir été plus de 300. ans entre les mains des Princes Latins. b Long temps auparavant, l'ifle avoit été ravagée par Ho- mur Prince Mahometan , contemporain de Jean Paleologue , & maître de Smyrne &C de la côte d'Ionie. Quoique cette Ifle foit une des plus agréables de l'Archipel , elle nous parut d'abord plus propre à infpirer de la trifteife que de la joye : il faut la parcourir pour en découvrir les beaux endroits , qui font le campo de Naxia , les plaines d'Anga- rez, de Carchi , de Sangri , de Sideropetra , de Potamides , de Livadia ; les vallées de Melanés &C de Perato. Toute cette Ifle cft pleine d'Orangers, d'Oliviers, de Limonniers , de Cèdres, de Citron- niers, de Grenadiers, de Figuiers , de Meuriers ; il ? HiJiMs Ducs de l'Archip. *» Dttcas HiJl.Byx.itnt, cdp.7* du Levant. Lettre Tr. zj$ y a beaucoup auiïide ruiilcaux & de fontaines. a Les anciens ont eu raifon de l'appcller la petite Sicile. Archilochus dans Athénée compare le vin de Naxos au nectar des Dieux. b On voit une c médaille de Septime Scvere , fur le revers de la- quelle Bacchlis cft reprefenté le gobelet à la main droite & le thyrle à la gauche. On boit aujourd'- hui d'excellent vin à Naxie : les Naxioces qui fonc les vrais enfans de Bacchus, cultivent bien la vi- gne quoiqu'ils la lailfent traîner par terre jufqucs a huit ou neuf pieds loin de Ion tronc , ce qui faic que dans les grandes chaleurs le foleil delleiche trop les raihns,& que la pluye les fait pourrir plus facilement qu'à Santorin , où les feps de vignes font en arbrifleaux. Eftienne le Géographe raconte deux fables ti- rées d'Afclepiade , qui marquent la bonté de cet- te Me. On publie, dir-il , que les femmes y ac- couchent à huit mois, & qu'il y coule une fourec de vin ; ce vin fans doute lui avoit attiré le nom de d Dienyfias , dont parle Pline. Cet auteur ne donne que 75. milles de tour à Naxos ; mais (es habicans prétendent qu'elle en a jufques à cent. Son circuit eft prefque ovale & fait deux pointes, d'un l'une regarde Nio , & l'autre eft tournée eiv tre Mycone & Nicaria. Bien qu'il n'y ait point à Naxie de port propre à y attirer un grand commerce, on ne laifle pas d'y faire un trafic confiderable en orçe, vins , figues, coton, foye, lin, fromage, fel , bœufs , moutons » a M<*g$6 ïiytrzH 2i*t*i*. à Mox Dionyfi.ada à vinea- Âgatken>. Ub.i. cap-}. rum fertilicatc appella- ° Drtpn.lib.i. runt. Hlft. aatur. iib. 4. , c Légende, c*f. II. N AXlftN. 2j6 Voyage mulets, cmeril 5c huile ; on n'y brûle que de ce 1 î 3 de Lentifque , quoiqu'on donne pour un éciï huit oques de celle d'olive. Les Lentifques y font chargez d'une prodigieufe quantité de graine, que l'on met en digeftion lors qu'elle cft meure , & que l'on preffe quelques jours- après : cette huile eft bonne pour le cours de ventre , pour les fleurs blanches, pour la gonorrhée , pour la colique : on en graille le boyau dans la defeente du fondement. a Diofcoride la recommande pour les maladies de la peau. Le Ladanum que l'on recueille dans cette Ifle n'eft bon que pour l'ufage des habitans ; il cft plein d'ordures, de poil de chèvre & de laine : car on ne prend pas la peine de l'amafter avec des fouets comme en Candie : on coupe feulement la laine Se le poil des animaux qui fe font frottez contre les arbrifTeaux de cette efpéce de Cifte, qui a été décrite plus haut , 5c qui eft fort commune à Naxie. b Hérodote 5c c Diofcoride parlent de cette manière d'amalTer le Ladanum. Le bois Se le charbon, marchandifes très rares dans les autres lilcs , font en abondance dans celle-ci. On y fait bonne chère , les lièvres 5c les perdrix y font à très bon marché ; les perdrix s'y prennent avec des trappes de bois , ou bien par le moyen d'un âne fous le ventre duquel un payfan fe cache , & marche dans cette pofture , pour les chalfer dans des filets. Suivant les apparences la ville de à Naxie ca- pitale du pays , a été bâtie fur les ruines de quel- que ancienne ville du même nom , dont il femblc que Ptolemée ait fait mention. Le château , fltué a Lib. i, cap. 50. b Lib 5. * Lib*l,cap,iit-. ItoLgeogr, lib,$. cap.i$. fur du L i v A n t. Lettre V. i v L e V A >' t. Lettre V. i$$ donné aux n Chevaliers par la Ducheiïe Françoife Criipo. La médecine y ePt exercée par tous ces Reli- gieux. Les Jeiuices & les Capucins y ont de très bonnes apoticaireries. Les Cordeliers s'en mêlent aufîi : leSupericar a été Chirurgien major de l'ar- mée Vénitienne pendant la dernière gucrre,& s'e/t fait naturaliler Vénitien pour être le maître de fon couvent , lequel dépend de la Republique , quoi qu'il loit fur les terres des Turcs. Voilà les docteurs qui compofent la faculté de médecine de Naxie : ils font tous trois François , & ne s'accor- dent pas mieux pour cela. La * maifon de campagne des Jefuites e(t jolie pour un pays où l'on ne fçxic pas bâtir. Les Grecs qui fçavent à peine placer une échelle en dehors pour monter au premier étage d'un bâtiment , ad- mirent l'efcalier de celui-ci > qui efl: renfermé eu dedans : cela paiîe la capacité de leurs architectes. Nous en admirâmes les jardins ek les vergers : les champs s'étendent jufques dans la vallée de Me- lanez , quartier des plus agréable de l'Ifle. L'Archevêque Grec de Naxie eft fort riche î Paros & Antiparos dépendent de lui pour le fpiri- tuel : il a dans la ville 3^. Prêtres ou Moines fa- crez qui Lui font fournis. Voici les noms de fes principales Eglifes. La Métropolitaine. Hc Mhtpo'to>/<. Deux Eglifes fous le nom de Chrift. O' X^f, L'Eglifc de la Croix. O' 2T««f0f4 Noue-Dame de Miferkorde. n-wa^i'aEteow-tf. Notre-Dame Protectrice de l'Iue. Ux»ayU n,**/e- Saint Jean l'Evangelifte. aV°c lto*vvn; ô-ioXo^eç, « Boftus Hljt.dii Chtvtl, b Calanoitia- R i) x Go Voyage Saint Dimitre. Àyia a^tç/oc . Saint Pantaleon 3 ou le grand Aumônier. Âyioi Deux Eglifes fous le nom de Sainte Venerande. Saint Jean Baptifbe^jfeÀV0? Iuclvvk rtyo'Jy/xoç, Saint Michel Archange, àyiot Tctfyapx»i3 Saint Helie. Â>*oç HAi'a.-. L'Eglife du favori de Dieu» Ayioi QtoKi7ra.<^nq, Sainte Théodore. Kyia. eêoJW»*. Sainte Dominique. Âyict Kve**™'. Sainte Anaftafie. Âyia Ataçâaiff. Sainte Catherine. Âyia. Kud-upiva. L\Annonciade. Eù«>r«Aiçp«. Les principaux Monaftéres de l'Ifle font , La Vierge de publication. Uvruyia Q#vfxaJo\ Saint Jean Porte lumière. A? ioc laiwnt tpcro^imc. Le Couvent de bonne remontrance. Ka.h'je/T-ka. Celui de la Croix. Ô STcoupc. Celui de Saint Michel, 0 Ta%#pxnç. Les Villages de rifle fe nomment , Comiaqui. Votri. Scados. Checrez. Apano Sangri. Cato Sangri. Cheramoti. Siphones. Moni. Perato. Caloxylo. Charami. Filoti. Scalaria , oit fe fabriquent les marmites. Couchoucherado. Gizamos. Damala. Melanez. Cabonez. Cournocorio. Engarez. Danaio. Tripodez. Apano Lagadia. Cato Lagadia. Tont .1 . Faq . a.( Tarte dzav ancien. Tempb dz Bacltus tfia.se -u-crit fur icrvEcueil aiarr^j de TSTaxie . du Levant. Lettre V. 161 Damariona. Metochi. Vourvouria. Pyrgos. Carchi. Apano Potamia. Acadimi. Cato potamia. Mognitia. Aitelini. Kinidaro. Vazokilotifa. Aiolas. Saine Eleuthere , dont la tour s'appelle Fafoiiilla. Tous ces villages pourtant ne font pas fort peu- plez ; les Jefuites nous alïurerent qu'il n'y avoit gueres plus de 8000. âmes dans l'Ifle. En 1700. les habitans payèrent 5ooo.écusdccapitation,&: 5500. êcusde taille réelle. On élit tous les ans dans la vil- le fix Administrateurs. Dans le temps que nous y étions le Cadi n'étoit accompagné que de fept ou huit familles Turques , & le Vaivode étoit un au- tre Turc commis par un Bey de galère de Scio. Les Gentils-hommes de Naxie fe tiennent à la campagne dans leurs tours , qui font tles maifons quarrées affez propres , & ils ne fe vifitent que ra- rement : la chafle fait leur plus grande occupa- tion. Quand un ami vient chez eux , ils ordon- nent à un de leurs domeftiques défaire palier à coups de bâton fur leurs terres le premier cochon ou le premier veau qui eft dans le voifinage : ces animaux pris en flagrant délit font confîfquez , égorgez fuivant la coutume du pays , & l'on en fait bonne chère. Pliici eft un quartier de l'Ifle où Ton dit qu'il y a des cerfs : les arbres n'y font pas fort hauts ; nous n'y vîmes que des a Cèdres à feuilles de Cyprès. A une portée de fufil de l'Ifle, tout près du château s'élève un petit éciieil , fur lequel on voit une très belle porte de marbre parmi quelques a Ccdrus folio Guprcfli média , majoribus baccis. C.B.Pin. R iij iCt V O Y AGE grottes pièces de la même picrre,& quelques mor- ceaux de granit : Les Turcs & les Chrétiens ont emporté le refte : on die que ce font les débris du palais de Bacchus \ mais il y a plus d'apparence que ce font les relies d'un temple de ce dieu. Cette porte qui n'eft que de trois pièces de marbre blanc eft d'un grand goût dans fa (implicite : deux piè- ces en fout le montant , &c la troifiéme le linteau : le feûil étoit de trois pièces , on a emporté celle du milieu. La porte dans ceuvre a 18. pieds de haut , fur il. pieds trois ponces de large : le lin- teau eft épais de 4. pieds -, les montans ont trois pieds & demi de largeur , fur quatre pieds d'epaif- leur : tous ces marbres étoient cramponez avec du cuivre ; car on en trouve encore des morceau x parmi ces mines. a Zia qui eft la plus haute montagne de l'Ifle, {lénifie le mont de Jupiter 3 & a retenu le nomde Pia , qui étoit autrefois celui de l'Ifle, Corono autre montagne de Naxie a confervé celui de la Nymphe Coronis nourriffe de Bacchus , ce qui femble authorifer la prétention des anciens Na- xiotes , qui vouloient que l'éducation de ce Dieu eût été confiée dans leur lile aux Nymphes Coro- nis , Philia ôc Cieis , dont les noms fe trouvent dans b Diodore de Sicile, Fanari eft encore une autre montagne de Naxie allez confiderablc. Vers le bas de la montagne de Zia , à droite du chemin de Perato , fur le chemin même , fe prefente un bloc de marbre brut , large de huit pieds , naturellement avancé plus que les autres d'environ deux pieds & demi. Nous lûmes fous ce marbre cette ancienne infeription ; * A I A , & far corruption , Zia. \ Miblioth. bfi. Ut>- $, du Levant. Lettre V; ' i6$ O P O S A I O 2 M H A a 2 I O T. Montagne de Jupiter , confervateur des troupeaux. MT Galand de i'Acadenie Royale des Infcriptions, qui accompagna a Mr ie Nointcl dans Ton voyage de l'Archipel , a communiqué cette inferiprion a MrSpon, b & le P.Sauger l'a rapportée auffi. La manière d'écrire pir dellous , ou pour mieux dire fur la furface inférieure d'un marbre,ert, fort propre pour en conferver les caractères. On nous fît voir au.fi. )a Grotte où l'on prétend que les Bacchantes oit célébré les orgies ; mais faute de flambeaux nous ne pûmes nous y prome- ner. Pour les armes d.i Roy , que Mr Je Nointel fit faire en fculpture fur cette roche , nôtre guide nous dît que la foudre les avoit renverfées , Se qu'il ne fçavoit ce qu'elles étoient devenues. A l'égard de l'hiftcire naturelle , on prétend qu'il y a des mines d'er & d'argent tout près du château de Naxie. Celles c d'emeril font au fond d'une vallée au deflbus de Pcrato , dans les ter- res de M Coronello Conful de France , &: de Mr de Grimaldi. On découvre l'émeril en labou- rant s & on le porte à la marine pour l'embar- quer à Triangata ou à Saint Jean. Les Anglois en leltent fou vent leurs vaiiîeaux ; il cft à fi bon marché fur les lieux, qu'on en donne 20. quin- taux pourunécu, ck chaque quintal pefe 140. livres. Les montagnes de cette Me font de- marbre ou de granit : on nous alïura qu'on y trouvoit du ferpentin. a Mifcell. erud. untiq. c Smerillo. b WJi.des Dues de l'Archlp, R iiij 2.^4 V o y A e i Nous herborifàmes aux marais vers le port des falines , à Calamitia où les Jefuites nous réga- lèrent , à Pliici , à Perato chez Mr le Conlul, qui nous retînt agréablement pendant quelques jours, h Fanari , à Zia. En attendant que nous donnions la defcriptkm & le dénombrement! des plantes de cette Ille , en voici trois qui font allez rares pour mériter l'attention des perfonnes qui s'appliquent à ces fortes de connoiflances, SC ROP HV L ARIA , gUuco folio , in air.plas lacimas divifo, Corol. Inji. rei herb.y. Sa racine eft longue d'un pied & demi , groiFe au collet d'un pouce &c quelques lignes , dure , roulfàtre en dedans, brune en dehors , piquant en fond , divifée en quelques fibres chevelues : la tige qui s'élève fou vent à deux ou trois pieds , eft bran chue des le bas, ligneufe , & devient un fous- arbriilèau dégarni de feuilles , fi ce n'eft vers le haut : (es feuilles ont huit pouces de long , lifles > luifantes , divilées à peu près comme celles de la Thapfia ; c'eft à dire en parties oppofées fouvenc deux à deux , incifées jufques à la côte , &: re- coupées profondement dans leur longueur ; cette côte embialfe une partie des branches , & fournit des vaifleaux très lenfibles , dont les fubdivifions s'étendent vers les bords des feuilles : elles dimi- nuait jufques à l'extrémité des branches parmi plufieurs brins chargez de fleurs femblables à cel- les des autres efpéces : ces fleurs font des godets de cinq lignes de long , verdâtres , de trois lignes dediainertre , divilez en deux lèvres pourpre fon- cé , dont la fuperieure eft partagée en deux parties allez rondes, terminées en pointe , au deflbus des- quelles il y a deux autres petites parties de même couleur. Le calice de ces fleurs eft un balïind'u- lom.l.l'ag. -2.64 . Orrrvjt u Lirui qbuuc Ç 1 . . * / Jtrlto, ni arnpuiLâL.^ lacLnAGut ciivLfo Ce s roli. Rci fier/?. r ►rç du Levam". Lettre V. i6j ne feule pièce , partage en cinq parties arrondies , du fond duquel fort un pftile terminé par un filet allez long : ce piftile s'irticule avec La fleur eu manière de gomphofe , &. devient enfuite une co- que longue de quatre ligres, prefque ronde , ter- minée en pointe dure , piquante, brune , la quelle s'ouvre en deux parties k laiiîe voir deux loges remplies de femences noi:es , allez menues. Cette plante vient dans les fentes des rochers le long de la marine , &r n'eft pas lare dans les autres liles de l'Archipel : elle cil amere & fent mauvais. HE L 10 TROP IV M , humifufum, flore mïriiino, fernïne magno, Ccol. Infl.rei herb.j. Sa racine eft longue d'environ deux pouces , cpahTe feulement d'une ligue3 chevelue , blanche , & pouffe quelques tiges tout à fait couchées fur terre , dont les plus longues ont plus d'un demi pied , vert pâle , velues , branchué's , accompa- gnées de feuilles prefque ovales , longues de demi pouce , fur quatre lignes de large, vert pâle auiïi, velues , vénées & de même tillure que celles de l'herbe aux verrues , mais d'un goût un peu plus acre : elles ne diminuent pas vers le haut , exce- pté tout proche des fommitez , où elles n'ont que deux ou trois lienes de lonçr. Toutes les branches finillent par un epi en queiie de feorpion , long d'un pouce à quinze lignes , chargé de deux rangs de fleurs blanches , de même figure que celles de Tefpéce ordinaire ; mais à peine leur bafîïn a-t-il demi ligne de large : le fond en efl: verdàtre &c les bords font découpez en dix pointes , cinq al- ternativement plus grandes les unes que les autres: le piftile eft accompagné de quatre embryons j mais ordinairement la plupart de ces embryons avortent , & lorfciue la fleur eft pallée 3 l'on ne i66 Voyage trouve qu'une feule graine longue d'une ligne Se demie , bolTue' d'un côté , plate de l'autre , poin- tue* par un bout , couverte d'une peau blanchâtre, fous laquelle il y en a une autre noirâtre,laquelle couvre une efpéce de coque pleine de moelle blanche : cette plante vient dans les champs au- tour du port. SCORZONERA Graca 3 faxatilis & ma- rltima,foliis varie laclniatis .Corol Jnfi.rei herb.$6. La racine qui eft longue d'un pied, grolfe com- me le pouce, peu fîbrcufe , produit une tige hau- te d'un pied& demi , droite, caifante, velu'e,rayée, vert pâle , pleine de moelle , accompagnée par le bas de feuilles velues aufll, roides, longues de fept ou huit pouces , larges de trois ou quatre pouces, découpées profondement jufques vers la côte Se crénelées inégalement fur les bords : celles qui nailfent le long des tiges font fort écartées les unes des autres , beaucoup plus petites , relevées d'une grolfe côte blanche de même que celles d'en bas : les dernières feuilles font menues Se dentées feulement fur les bords ; les tiges fe divifent quel- quefois en branches prefque nues , dont chacune foûtient une fleur d'un pouce Se demi de diamè- tre , jaune , femblable à celle de la Scorzonerc ordinaire ; les demi fleurons ont un pouce de long, fiftuleux& blancs à leur naiflance , obtus «Se den- rez à leur extrémité , garnis à l'ouverture de la fîftulc d'une gaine , au travers de laquelle s'é- chappe un filet à deux cornes : chaque fleuron por- te fur lin embryon de graine délié Se barbu ; le calice a la forme d'une petite poire longue d'un pouce, fur fept ou huit lignes d'épaifieur , à plu- iîeurs écailles vert pâle ou rougeâtres vers le mi- lieu j mais blanches Se déliées fur les bords : les / . J\zj. %66 . Jcovurrvera. Grctca. Scuzctfi, lu et irtarUxtruxfoii'uf 'varie laciniatù CoroitJnstJRei kcrb 36. du Levant. Lettre V. 2.67 demi fleurons lont longs d'environ 10. lignes , blancs Se fiituicux dans le calice , jaunes ailleurs, & débordent d'un pouce , équarris , dentez à leur pointe , larges de deux lignes. De la fiftulc s'élè- ve une gaine longue de trois lignes 3 qui lailfe échaper un filet jaune fourchu à cornes recoquil- lées en bas. Chaque demi fleuron porte fur un embryon de graine blanc , long d'une ligne , le- quel devient une femence grifatre , velue , épaii- fe de près d'une ligne , canelée , longue de deux lignes Se demie , pointue par le bas s remplie d'u- ne aigrette longue de neuf ou dix lignes , blanc- iale tirant fur le rouflatre , allez feche Se caftante, compofée d'une douzaine de crins : ainiî par la, frruffcure de la femence , cette plante peut être rangée fous le eenre de Cœtanance. La hauteur de la montagne de Zia nous invita d'y faire une dation géographique. Après avoir orienté nôtre quadran univerfel , nous obfcrvâ- mes que , Stenoîa refte à l'eft-nord eft. Acaricz éciieil entre Naxie Se Stenofa , eft dans la même ligne ; mais beaucoup plus près de Naxie. Amorgos eft à l'eft-fud-eft , de même que Chciro Se Copricz. Nicouria eft entre l'eft ôc l'eft-fud-eft. Stampalia au fud-eft. Sicinofa entre le fud-fud-eft Se le fud. Radia entre le fad Se le fud-oueft. Nio entre le fud-fud-oueft Se le fud-oueft. Siicino au fud-oueft. Policandro entre le fud-oueft Se l'oueft-fud oueft. Santorin entre le fud ôc le fud-fud-oueft. Le Milo entre l'oueft-fud-oueft Se l'oueft. i6$ Voyage Nicaria entre le nord-eft & le nor J-nord-efr. Samos entre le nord-eft & l'eft-nord-eft. Patmos au nord-eft. Le Tine entre le nord-oueft & le nord-nord-oueftj Mycone entre le nord-nord-oueft & le nord. Les deux Mes de Delos de même que le Tine. Andros entre l'oueft-nord-oueft & le nord-oueft, Syraau nord-oueft. Thermie à l'oueft-nord-ouefl. Paros à l'oueft. Nanfio au fud-fud-eft. J'ai l'honneur d'être avec un profond rû«$ fpecl, &c. du Levant. Lettre VU ^9 Lettre VI. Irf Monseigneur le Comte d< Pontcbartrain , 5fcrf- j^tV* d'Etat & des Comnandemens de Sa Ma- jefté , <£**. Mo» SEIGNEUR, Nous partîmes de Naxiele 15. Septembre,dans le dcffein d'aller à Patmos voir la grotte où l'on croit que faint Jean a écrit l'Apocalypfe , mais le a fud-oueft nous obligea de rélâcher à b Stenofa, méchant écueil fans habitar.s , & qui n'a qu'envi- ron dix ou douze milles de tour. Stenofa eft à l'eft-nord-eft , à 18. milles de Naxie, fi l'on com- pte de cap en cap : car il y en a 3 6. d'un port à l'autre. On ne trouve dans Stenofa qu'une ber- gerie , retraite de cinq ou fix pauvres gardiens de chèvres , que la peur de tomber entre les mains des Corfaires ou des Bandits , oblige à s'enfuir dans les rochers à l'approche du moindre bateau. On envoyé du bifcuîc à ces bergers tous les trois mois : à peine trouvent-ils de l'eau dans cette Ifle, qui eft pourtant fertile en belles plantes & cou- verte de Lentifques , de Kermès, de Ciftes. Elle appartient à la communauté d'Amorgos. Comme le mauvais temps nous retint à Stenofa plus que nous ne croyions , & que nos provisions commençpient à manquer , nous fumes réduits à a LabccU. Alt. k L'Iflc ctioicc. Descri; PTION des IflcS de Sceno. fa, Ni- couria , Amor- gos, Ca« loyero , Cheiro j Ski no fa, Radia , Nio , Si- kino,Po- licandro, Sanroiia, Nanfio, Myconc» 17° V O Y A Q t faire du potage avec des limaçons de mer , Se nous eûmes aftcz de temps pour les diflequer : ils valent beaucoup mieux que les yeux de bouc, il on les mange cruds , & font préférables aux lima- çons de terre , fi on les fait bouillir dans l'eau ; ce fut le feul ragoût que cette Ifle nous fournit ; car nous n'avions ni filets , ni hameçons pour pêcher, & les bergers nous prenant pour des bandits , n'o- ferent defeendre de leurs rochers , quoique nos matelots , qui ne fçavoient où trouver de l'eau douce , eulTent arboré tous les guenillons blancs qui étoient dans le bateau , pour leur faire con- noître que nous étions gens de paix. Les limaçons de mer font de même genre que ceux de nos jardins ; leur coquille eft à peu près de même forme de de même grofleur , mais elle a près d'une ligne d'épaifleur : c'eft une nacre lui- fante en dedans , le dehors eft le plus fouvenn couvert d'une écorce tartareufe & grifâtre, fous laquelle la nacre eft marbrée de taches noires, dif- poïées comme en échiquier : il s'en trouve quel- ques-unes fans écorce , à fond roulïatrc 6k à ta- ches noirâtres : la fpire eft plus pointue' que celle des limaçons ordinaires -, ce poiflon qui eft long temps hors de l'eau , fe promené fur les rochers & tire les cornes tout comme le limaçon de terrej elles font minces , longues de cinq ou fix lignes , compofées de fibres longitudinales à deux plans externes & internes , entrecoupées de quelques anneaux oumufcles annulaires : c'eft par le jeu de ces fibres que ces cornes rentrent ou fortent au gré de l'animal ; le devant de ce limaçon eft un gros mufcle ouplaftron , coupé en deuous en ma- nière de langue , vers la racine de laquelle eft at- taché le fermoir j ce fermoir eft une lame ronde , Tom I . Faq .i? Ptarrnzca trie an ptnjui/îJ- crt^tat Ca-roll.Jturt.Ii et du Levant Lettre V T. 27 1 mince comme une écaille on le tire alo:S tout entier , & l'on s'apperçoi: que cette racin: en fe courbant s'ap- plique fortement au tournmt du limaçon : dans fa furface intérieure , le platron qui eft creufé en gouttière , foûtient les vîfeeres de l'animal enfer- mez dans une efpécc de b)iirfe tournée en tire- bourre , ou aboutit le conclut de la bouche. L'iile de Stenofa ne mer teroit pas qu'on en fit mention fins quelques plaires rares qu'elle pro- duit,& fur tout une efpécc d: a Ptarmka que nous n'avons point vue autre part dans nôtre route : cette plante eft h* rare que je ne fçaurois m'empê- cher d'en conner ici la figure & la defeription. Sa racir.e eft: hVncufe , crifâtre vers le collet , épaiffe de 5 . ou 4. lignes , accompagnées de fibres rouflàtres , longues d'environ demi pied , tortues & chevelues : elle pouffe planeurs têtes,d'oii naif- fenr en foule des feuilles très blanches , longues de deux pouces & demi , fur la côte defquelles font rangées tantôt alternativement , cV tantôt par paires, d'autres feuilles de deux ou trois lignes de long , fur une ligne & demie de large , découpées en manière cte crête de coq, cotoneufes, blanches, aromatiques , ameres : de ces têtes nailîcnt des ti- ges hautes de neuf ou dix pouces, épailfes d'une ligne, cotoneufes aufii, blanches, garnies de quel- ques feiïillrs (emblables aux inférieures, mais plus petites ; chacune de ces tiges eft terminée par un a Ptarmica incana, pinnulis criftatij.Coroll.lnft. rci hcib. iy. NicoU- RIA. î?i V O Y A G È bouquet , large d'un pouce & plat en deflus, corn- Î>ofé de pluiîeurs fleurs fort ferrées les unes contre es autres , foûtcnue's par des queues inégales j le calice de ces fleurs eit long de deux lignes , fur une ligne de large à plufieurs écailles , blanches , velues , pointues , lefquelles embraient des fleu- rons & des demi fleurons à la manière ordinaire- les fleurons font jaune-pâle , découpez à 5. poin- tes ; les demi fleurons font de même couleur , lar- ges d'une ligne* Toutes ces pièces font portées fur des embryons , lefquels dans la fuite devien- nent des graines plates, longues de demi ligne, un peu plus étroites , brunes, avec une bordure blan- châtre , feparées entr'elles par de petites feuilles membraneufes , pliées en gouttière. Cette belle plante nous confola de l'ennui que nous avoit caufé le trifte féjour de Stenofa. Le vent du nord nous fît abandonner une féconde fois le defTein d'aller à Patmos. Pourquoi lutter contre Eole ; il nous jetta du côté d'Amorgos Ifle qui mérite bien l'attention des voyageurs j mais comme la mer étoit grofTe , nous relâchâmes à I^icouria , roche efearpée à un mille d'Amorgos, Nicouria eft un bloc de marbre au milieu de la mer peu élevé, mais d'environ cinq milles de tour* fur lequel on ne voit que des chèvres allez mai- gres , &, des perdrix rouges d'une beauté furpre-j liante , qui nous dédommagèrent de la mauvaife chère que nous avions faite à Stenofa : nos Grecs! en firent un grand carnage i quelques feches Sc\ coriaces qu'elles fulfent , elles nous parurent aufïi] délicieufes que celles du Perigord. Par rapport J aux plantes nous ne fîmes pas grande fortune fur! cet éciieil: en voici pourtant deux qui ne font pas décrites , quoi qu'elles naififent dans quelques au- j Ucs lfles de la Grèce. ASFA faxafzle, Cr-xt/tœi folio. Ccrrvtl. Tn^i-.Jtei, I 1 I Tom .1 .J'ag: zy*> du Levant. Lettre V I. 173 ASP A R A G V S Crlticus frut'icofus , craf- fnrlbits & breviorlbus aculùs, rnagno fru£lu> CorolL *;?/r. rei herb. 21. Cette plante fort au travers des fentes des ro- chers par des tiges longues depuis un pied juf- ques à deux , épailïes d'enviion trois lignes , tor- tues , anguleules , grifàtres , courbées fouvent vers le bas , branchuë's dè> leur naiflance , fubdi- vifées. en plufieurs rameaux canelez épais d'une* ligne , vert-pâle tirant fur 1-e vert de mer , garnies de temps en temps de gros piquants diipofez par bouquets : les plus gros de ces piquants ont fept ou huit lignes de long , fur une ligne d'épais > les autres font la moitié plus courts, mais ils (ont tous fermes , vert-pâle , rayez , roufiatres Se quelque- fois noirâtres à la pointé : de la bafe de ces pi- quants fortent plufîeUrs fleurs tout le long des branches , fûûtenue's par des queues fort minces ; chaque fleur elt à fix feuilles verdâtres , tirant fur le jaune > difoofées en étoile, recourbées ordinai- rement en bas , longues de deux lignes & demie , fur une ligne de largaur , pointues & rayées : lç piftile elt un bouton à trois coins , long d'une li- gne , entouré de lïx étamines longues de deux li- gnes i chargées chacune d'un fommet jaune , là fleur fent comme le bouquin : le fruit a demi pouce de diamètre j relevé de trois bolfes arron- dies , charnu & partagé en trois loges , remplies chacune d'une femence fpherique & dure : cette plante varie , il y en a dont les piquants ont un pouce de long. A P IV M GréLcum faxatile , Cr'uhmi folioe Gorolt. Infl. rei hcrb.i r. . La tige de cette plante qui fort auiïl des fentes des rochers, s'élève à la hauteur d'environ deux Tome /, § G Ç 174 V O Y A pieds , groiïe comme le petit doit , entrecoupée de pluheurs nœuds , tortue , branchu'e , accom- pagnée vers la naiilance de plufieurs bouquets de feuilles touffues , tout-à-fait femblabies a celles de la a Percepierre que l'on confît au vinaigre , longues de demi pied , lur trois ou quatre pouces de large , vert de mer , charnues , ca{fames , di- viiécs 6c fubdivifées en trois pièces , longues de neuf ou dix lignes , fur une ligne de large , poin- tues, d'un goût aromatique & piquant : la bafe de ces feuilles eft pliée en gouuére & embraffe une partie de la tige , laquelle eft rayée , pleine de moé'le , branchue ordinairement dbs le bas^gar- nie de feuilles femblables aux précédentes , mais qui nJont que deux ou trois pouces de long ; cel- les des branches n'ont qu'un pouce ou un pouce &£ demi : toutes ces branches & leurs fubdivifions fe terminent par des bouquets larges d'environ deux pouces alfez arrondis , dont les rayons n'ont qu'un pouce & demi de haut , velus de même que la fommité de la plante , & chargez d'autres pe- tits bouquets de fleurs à cinq feuilles blanches , longues feulement d'une ligne & demie : le pifti- le & le calice de ces fleurs deviennent des graines longues d'une ligne & un quart , grifàtres , lar- ges de moins de demi ligne , pointues par les deux bouts , un peu courbes , canelées , améres , aromatiques. C'eft fur la roche la plus efearpee de Nicouria que naît cette belle plante : il eft furprenant que les lieux élevez de quelques toifes plulquc le re- ftc du pays produifent des plantes qui ne fe voyent ras dans la plaine. Débarquez dans une Me nous r.e manquions pas de nous informer s'il y avoir a Crithmum fiyc Foenicu'uni mariumurn minus. C B Pin. Du Levant. Lettre V î. ïyf quelque chapelle de la a Vierge , bien affinez qu'elle feroit dans l'endroit le moins accefîible , & par conlequent le plus propre pour nos recher- ches : c'eft à vifiter ces chapelles que confifte tou- te la dévotion de la populace Gréque. On n'y ar- rive qu'en fuant à grofïès gouttes , & les Grecs comptent avec raifon cette fatigue pour une des plus rudes pénitences que l'on puille faire en ce monde. Là tous fondans en eau , ils fe dépêchent: de faire une douzaine de lignes de b croix répé- tez coup fur coup , accompagnez doutant d'in- clinations, non feulement de tète , mais de la moitié du corps ; enfuite il la lampe n'eft pas al- lumée, ils battent le fufil, & brûlent deux ou trois grains d'encens fur une pierre platte , baifant l'i- mage de la Vierge & toutes les autres qui s'y trou- vent : ces images ne font point en fculptitre , car: les Grecs n'en fçauroient fouffrir ; elles font pein- tes groiTiérement fur des morceaux de bois à fond doré. Ceux qu'on appelle peintres en ce pays-là, ne fçachans pas defliner , fe fervent d'un poncis pour marquer les traits des figures 5 & ces poncis ie font perpétuez par tradition de père en fila depuis faint Luc ; car toutes leurs Vierges font dans la même attitude que celle que l'on attribue à ce Saint. Tandis que l'encens brûle , ces bonnes gens recommandent leurs affaires à la Vierge , ÔC vont chercher un Papas pour dire la Metle , fup- pofé qu'il y en ait aux environs : tout cela efl: louable ; mais ne font-ils pas bien ridicules d'apo- ftropher la Vierge & les Saints fi leurs affaires, ne fe tournent pas fuivant leurs fouhaits. Les bonnes femmes portent ordinairement un petit pot d'hui- le pour garnir la lampe , ou quelque bougie fore Amor- GUS. AN'OP- rO>:. Amor- GOS. Z76 V O Y A G B déliée ; ou bien elles laifTent un parât au fond âe la lampe 3 dans l'intention qu'on en achettera de l'huile pour faire brûler devant l'image. Comme l'on bâtit à bon marché dans ce pays là , les Grecs à l'agonie laiiïent une vingtaine d'é- eus pour dreller une chapelle , & c'eft ce qui raie que toutes les Ifl.es en font couvertes. Au grand icandale du chriftianilme , les voyageurs n'ont pour l'ordinaire d'autre logement : on y ferre les hardes & les marchandifes : on y fait la cuiline : on y couche , &c cette coutume eft fort ancienne. Diane Se Junon fe plaignoient fouvent qu'on pro- phanoit leurs temples : Dieu veuille que Ton ne prophane pas les chapelles dont nous parlons. Il n'y a que les Grecs du rite Latin qui foient un peu inftruits de leur croyance & du culte du vray Dieu. Ceux qui ne fréquentent pas nos Million- naires, font aufïi ignoransque les peuples les plus fauvages. Toute l'habileté des Papas confifte à leur inipirer de l'horreur contre l'Eglife Romaine. Voilà dira-ton une digreffion qui n'a aucun rapport avec Nicouria où il n'y a ni Grecs ni La- tins ; mais aufîi que dire d'une Ifle inconnue aux anciens & aux modernes , & qui d'ailleurs n'a rien de fïngnlier : aufîi nous ne fîmes que nous y repofer , de nous paflam.es pendant la nuit à Amorgos. Amorgos ne s'eft pas diftinguée dans l'hiftoirc ancienne par la valeur de fes habitans : il femble même qu'ils s'attachoient plus aux feiences ôc aux arts qu'à la guerre : nous en avons des preuves aflez considérables. a Goltzius fait mention de deux médailles à la tête d'Apollon , l'une a pour revers une fphére aftronomiqùe , foûrenuë par ua «AMOPrlNftN. du Levant. Lettre V I. 277 trépîc ; n fut faîte à l'occahon d'une image rniraccule ui,e de U Vierge peinte lur cîu bois., qu'ils gardeent da-.ns; leur çhapejie cqmrae une grande relique :: ils préten- dent que eette image , profanée dans M'Iile de Cy- pre Se calice en deux pièces, futamernée iniracu- feufement fur la mer jufqiics au pied de lai roche d'Amorgos : que ces deux pièces s'y raiflernMé.Tent: qu'elle a opéré & qu'elle opère encore pbuneurs miracles, L'Image nous parut touite einfurnee , ôc d'un diellein fort imparfait : les Caloyyeis prubcrna.lcm ex wenc- rab>ili ornbms quempaarnha- buit, jiuflFu matris quo>adl uxorcm d.ux it_ Alexmd^ Ub. i. yitU uvâ pcraimplacinis maixi nuis , g'ioboifis; , c vr ridi aJbicantubus;, B>ov>p»t.nt ici rji, Oculhis biovis gtx- coïurn îrecetmioruimt Coioll Inft.rei hcrb3.4i. du L e v Ai n t, Lettre VI. 28 ï chaque grain ëtoit prcefque ovale , de 1 5. ou 18. de long 9 blanc usante for le verdâtre , fore doux \k d' un (excellent goûir. Ne -voyant autour de ce couvent que La mer 85c des rochers affreux, je m'a- vifai.de demander à cecs Religieux d'o>ù leur ve- noie.ntde fi beaux fruiits : ils m'a durèrent «qu'on les cultiwoit dans uni aiutre quartier de l'Ifle^auprès d'une chapelle où lom conter voit cette Urne fi fa- mea fe q ui Te remplit td'eau Se fe vuide d'elle-mê- me dans certain tempss de Tannée. Lie chriftianifme m'a p>as change îi'eTprit fabu- leux des Grecs : nous; allâmes le lendemain a Ja chapelle pour nous ^convaincre , ou nous defabu- ferde ce: prodige» «Se pour mangea: de ces beaux railïns. Saint George EBalfami, c'eft ainfî que sJap- pelle la chapelle 3 eil à quatre milles du village à gauche cHu port de Toiucft , tout auprès d'un ver- ger d'arbres fruitiers em terralle, à la tête d'un po- tager arroie par une petite fontaine, parmi des vi- gnes bie;n cultivées : lie lieu nous parut charmant pour la demeure d'un Papas. Quoique la chapelle n'ait qu Voyage de terre, cette Urne fi célèbre que l'on vient con- fulter comme l'Oracle de l'Archipel : c'eft un vailfeau de marbre prcfque ovale , haut d'envi- ron deux pieds , large de feize pouces , dont l'ou- verture qui eft ronde & de huit pouces de dia- mettre , fe ferme avec une pièce de bois arrêtée par une tringle de fer poféc en travers. Le cabinet eft fermé avec plus de foin , & ne s'ouvre qu'après qu'on a donné quelque argent pour faire dire des MefTes ; nous n'y manquâmes pas , & nous eûmes le plaifir de découvrir l'Urne, Ôc de melurer l'eau qui s'y trouva à fept pouces neuf lignes de hauteur ; mais il ne nous fut pas permis de fouiller plus avant , ni d'examiner le tond de l'Urne tout couvert de limon ; le Papas nous dit feulement que c'étoit la hauteur ordi- naire de l'eau : nous le priâmes de nous faire com- prendre en quoi confiftoit donc ce grand miracle : c'eft , dit-il , que l'eau haufle & bailfe plufieurs fois dans l'année : on répliqua qu'il fe pouvoir fai- re que la décharge du refervoir , qui eft tout au- près , plus ou moins abondante , paffat au travers de la terre & s'imbibât infenfiblement dans ce marbre s épais feulement d'environ un ponce , &z peut-être fêlée dans le fond : ce lieu eft fort obf- cur , 6c il faudroit vuider l'Urne pour la bien exa- miner ; car le a P. Richard ioutient que le fond de ce vailteau n'eft que de l'argile : le Papas fe contenta de nous répondre que c'étoit un grand miracle. Nous le priâmes de nous dire s'il écoit vrai que l'Urne fe remplît quelquefois dans l'efpace de de- mi heurc,& qu'elle le vuidât visiblement pluheur$ fois le jour en pareil temps : b s'il étoit vrai que a Dcfcriprde Sant iirini. * Hift. des Ducs de l'Archipel. dit Levant. Lettre VI. 283 dans un moment on la vît fi pleine que l'eau re- gorgeât par dcflus ,& qu'un moment après elle devint 11 féche , qu'il ne parût pas qu'il y eût eu de l'eau : le bon homme qui fe méfioit de nous , & qui n'étoit pas h fot qu'il le paroifloit , nous re- pondit , que nous n'avions qu'à refter un peu de temps pour voir ce qui en feroit ; que pour lui il ne l'avoit jamais vue' ni tout à fait pleine , ni tout à fait vuide ; mais qu'il arrivoit par miracle & par la vertu du grand Saint George , qu'elle fe hauf- foit Se fe baifibit confîderablement dans la même année : que ceux qui venoient confulter l'Urne avant que d'entreprendre quelques affaires d'im- portance étoient malheureux fi l'eau e'toit plus baffe qu'à l'ordinaire ; que pour nous , nous de- vions nous flatter de toute forte de profperité , parce qu'elle n'étoit pas bailfée à nôtre arrivée : nous reftâmes environ deux heures aux environs de la chapelle à décrire des plantes > ou«. manger des raifins , détachant de temps en temps quel- qu'un de nous , la bougie à la main , pour voir fi l'eau montoit ou defeendoit ; mais elle répondit toujours à nôtre fonde qui étoit un bâton marque à la hauteur de fept pouces neuf lignes : enfin tout bien confideré , nous crûmes qu'il falloitnous en tenir à l'explication qu'en donna nôtre valet; c'é- toit un garçon de fort bon fens, qui nous croyant embarrallez à concevoir ce miftére , fans recourir à la tranfpiration de l'eau au travers de la terre Se du marbre , fans parler de Saint George ni de la a Vierge Mariemous dît d'un grand fens froid que le Papas avoit bien la mine , pour entretenir fa marmite , de vuider &de remplir cette Urne de i'eau du refervoir avec la cuillier de Ton pot, lorf- Î.S4 Voyage qu'il fe prcfentoir des gens qui vouloïcnt être trompez , comme le font la plupart de ceux qui ' cherchent des chofes merveilleufes. Cette naïveté nous rejouit : nous nous retirâ- mes en remerciant le Papas > mais comme il en- tendit quelques éclats de rire, il fe douta bien que nous manquions de foi pour l'Urne,& courut après nous pour nous faire un conte qui pût nous convain- cre de cette merveille. Un Evêque Grec , dit-il , coufu de fequins, allant à Conftantinople, dans le delïein d'obtenir quelque dignité plus conlîdera- ble , voulut confulter l'Urne , pour fçavoir Ci fon voyage feroit heureux ; mais il Ta trouva prefquc vuide : chagrin de cette avanture , il paiTa quatre ou cinq jfcurs à prier & à foupirer : le Papas qui le voyoit fort tritle,s'avifa pieufement de mettre une bonne potée d'eau dans l'Urne jnais il fut bien fur- pris lui-même lorfque venant à la vifiter avec l'E-» vêque,il ne trouva pas l'eau plus élevée qu'aupara- vant ; on redoubla les prières au grand Saint Geor- ge ; on fut même au grand couvent conjurer la Vierge d'envoyer de l'eau : le croiriez-vous, Mcf- ficurs , continua nôtre Papas avec un air plein de confiance, l'eau s'y trouva un beau matin à grande mefure : l'Evcque partit après mille actions de grâ- ces, & ne fut pas arrivé à Paros , qu'il apprit avec une extrême joye que dans le temps qu'il étoit à Amorgos,c'eft à dirc,dans le temps que l'eau man- quoit, la mer étoit couverte de Corfaires , qui ne trouvant rien à piller avoient fait voile , les uns vers la Morée,les autres vers le Golphe de Thelïa- lonique ? C'eft bien plus , ajoûta-t-il , nôtre fainte Urne favorite les Armateurs , qu'ils foient chré- tiens ou barbares : ils font enrager le monde, lors- qu'ils viennent confulter le grand Saint a George : ■ ■ m Toi?x..Z. Pag .2.8*, Orui anuni Dictarnru Cretici Kaj^Cnnîjnf.Caravachicr, jor , frudu flavcfccntç. C. le mainte du bâtiment. B. Pin. W*. Chei- 2,88 Voyage LV N A R I A f rut ko fa , perennis , Incana , Leucoii folio. Coroll, Injl. rei herb.15 . Elle a la racine girofle comme le pouce , roufla- tre, gcrfec.,accompagnée de fibres longues & peut lervir à expliquer un endroit a d'Hefiode , qui psrlant du feu que Pro- methée vola dans le cîel , d.t qu'il-l'emporta dans une Férule ; le fondement de cette fable vient fans doute de ce que Promcthée , félon Diodore de Sicile fut l'inventeur du D fufil d'acier avec le- quel on tire, comme l'on di: , du feu des cailloux. fc Suivant les apparences Promethée (e fer vit de mocle de Férule au lieu de nêche , &c apprît aux hommes à conferver le feu dans les tiges de cette plante. Ces tiges font allez fortes pour fervir d'appui „ & trop légères pour blefler ceux que l'on frappe : c'efl: pourquoi Bacchus , l'un des plus grands ° Lé- gislateurs de l'antiquité , ordonna fagement aux premiers hommes qui burent du vin , de fe fer- vir de cannes de c Férule , parce que fouvent dans la fureur du vin , ils fe cafloient la tête avec les bâtons ordinaires : les Prêtres du même Dieu s'appuyoient fur des tiges de Férule , & t Pline remarque que les ânes mangent cette plante avec beaucoup d'avidité , quoi qu'elle foit un poifou aux autres bêtes de fomme : nous n'avons pas ve- * Et xsh» Mufti* i. Hefiod. c Dioâ. Sic. Bibliot. hifi. Op. iy aies. ferj. fl. Clara Promcthci mjnerc li- gna fumus. Mur;. Epigr. lib. 14. * Ti jrv^ô'i'i lib. ç. d Idem lib. 3 . e £107 yâp Pi NufowtPh*** Plat, in ?b&dr. * Wfi.nat.lib.4.CAp,\x* Tij 45)2. Voyage rifié cette obfervation parce qu'on ne nourrît que des moutons &: des chèvres dans ces Mes defertes. La Férule d'Italie & de France eft différente de celle de Grèce ; ainfi quand a Martial a dit que la Férule étoit le feeptre des pédagogues à eaufe qu'ils s'en fervoient à châtier les écoliers , il a parlé fans doute de l'efpéce qui vient en-Italie, en France & en Efpagne fur les côtes de la Méditer- ranée. Celle de Grèce fert aujourd'hui à faire des ta- bourets : on applique alternativement en long & en large les tiges feches de cette plante pour en former des cubes , arrêtez aux quatre coins avec des chevilles de bois : ces cubes font les placets des Dames d'Amorgos : quelle différence de ces placets &c des ouvrages où les anciens employoient la Férule ? Plutarque & Strabon remarquent qu'Alexandre tenoit les œuvres d'Homère dans une caffette de Férule à caufe de fa légèreté : on en formoit le corps de la carTette que l'on cou- vroit fuivant les apparences de quelque riche étof- fe ou de quelque peau relevée de plaques d'or , de perles & de pierreries : nous incifâmes quel- ques tiges de Fcrule dans cette Ifle ; le lait qui en fortit , de même que les grumeaux qui s'étoienc formez naturellement fur d'autres tiges de la mê- me plante , ne fentoient point du tout le Galba- rtum : cette drogue fe tire d'une plante umbelli- fere qui naît en Afrique , que nous avons confer- vée affez long-temps dans le Jardin Royal, & que j'ai rapportée au genre b à'Onofelimm par la ftrivc- ture de fon fruit. Fcrulscquc triftes feeptra Pardagogorum ccffcnc. lih. 10. ïipigram. Orcofclinum Africanum, Galbanifcrum , frutefeens Anifi folio. luit, tei heib» 31*. du Levant. Lettre VI. z^ De Sidnofa nous paflamc à Radia autre e'cueil Racua. à trois milles de diftance , fitué entre Naxie ÔC Nio à douze milles environne l'une Se de l'autre : nous couchâmes à Raclia 1< Z3. Septembre dans le deiîein de partir inceflamnent pour Nio ; mais la nier e'toit fi grofle que ncus fûmes obligez de féjourner près de trois jours fur ce méchant écûeil, qui n'a que douze milles de tour ; au lieu que Nio eft une Ifle fort agréaHe ÔC beaucoup plus grande. Les moines d'Amor^os maîtres de Raclia y font nourrir huit ou neuf cens chèvres ou bre- bis : on n'y trouve ordinairement que deux pau- vres Caloyers qui en prenneit foin, & qui vivent de biieuit fort noir & de coquillages 5 leur fro- mage eft très bon : ces moines logez vers le haut de la montagne auprès d'un: fource affez abon- dante , font inquiétez à tou< momens par les cor- faires , qui n'y abordent fouvent que pour pren- dre quelques chèvres : il n'y pane pas même de caique , dont les matelots n'en volent quelqu'u- ne : dans trois jours les nôtres n'arTommérent que fept de ces animaux ; ôc quoi qu'ils ne fuflent que trois , ils les mangèrent jufqucs aux os ; nous al- lâmes nous-mêmes les dénoncer aux Caloyers , ÔC leurs payâmes les chèvres un quart d'écu pièce j édifiez de nôtre procédé , ils nous firent prefent d'un fromage & d'un chevreau qui fe trouva affez bon, pareeque nous le laiflames mortifier pendant quelques heures. Il ferrrble d'abord que le nom de Raclia foit tiré d'Heraclée , mais outre que les Géographes anciens n'ont fait mention d'aucune Ifle de ce nom , il y a beaucoup d'apparence que celle dont il s'agit > a été connue fous le nom de T iij 1C)4 V O Y A G 1 a Nica/ta , que Pline , Eftiennc le géographe , Suidas ôc Euftathe placent auprès de Naxos. Com- me nous avions fort peu d'occupation à Raclia , nous nous avilâmes , en attendant l'occahon de palier à Nio , de faire une dation géographique fur le haut de la roche la plus élevée du pays ; c'eft à dire qu'après avoir bien orienté nôtre qua- dran univertcl , nous prîmes foin de demander auxCaloyers les noms des Ifles voifines , & de re- marquer à quel vent elles reftoient : on obier va donc que Naxie étoit au nord de Raclia. Stenofa , au nord-nord- eft. Sieinofa, au uord-eû\ Cheiro , à l'eil-nord-eft. Amorgos , à l'cft. Stampalia, au fud-eft. Paros y au nord-oueft. b II n'y a que deux cales ou petits ports à Raclia , l'un au nord vis-à-vis de Naxie , & l'autre au nord- nord- eft ; nous y mangeâmes tant de ces fortes de coquilles qu'on appelle des c yeux de bouc , que l'envie nous prît de les y dillcquer. La coquille de ce poillbn eft un baiïin d'une feule pièce A , d'environ un pouce ou deux de diamettre , prefquc ovale , haut de huit ou neuf lignes , rétrefli en pavillon d'entonnoir , terminé en pointe , rempli par un poillbn qui prefente d'abord un grand mufcle pc&oral B gris brun , rouflatre fur les bords , & légèrement onde : la Niv Levant. Lettre VI. i<)ty -1700. deux mille écus pour la capitation , & trois mille écus pour la taille réelle. L'Ifle eft allez bien cultivée , & n'eu pas il efearpée que les Ifles voifines j ainfi l'étimolcgie que Mr a Bochart lui donne ne lui convient pasrles terres en font excel- lentes , &l'on eftime beaucoup le froment qu'elle produit &c qui fat prelque tout le commerce de les habitans ; mais elle manque d'huile <«T»if. Sarcor navis. b Corfaircs de Baibaric. du L e\ ant. Lettre VI. 501 la bonace , ou par in vent favorable : ce feroit encore pis fi on fe fervoit de gros bâtinaens ; à la vérité on feroit à couvert des bandits dans une tartane , mais on perdroit tout le temps à foûpirer après les vents. Ces bandits qui portent la terreur par tout l'Ar- chipel , font des fcelerats des Mes , que la mifére oblige à fe faiiîr du premier bateau qu'ils peuvent enlever , & qui vont attendre les autres au pafla- ge de quelque cap ou dans quelque cale : ces mal- heureux ne fe contentent pas de dépouiller les gens , ils les jettent dans la mer avec une pierre au col , de peur d'ê:re arrêtez fur les plaintes des perfonnes maltraitées. Nous apprîmes quelques jours après que Mr de Cintray avoit arrête deux bateatrx de bandits , qui conduifoient 3 je ne fçai où j une prife chargée de bois de charpente , fur laquelle il y avoir 18. Turcs de palTage. On n'oubliera jamais dans Nio les grandes ac- tions des Chevaliers d'Hocquincour & de Teme- ricourt ; le premier vint s'y radouber après avoir combatu dans le port de Scio avec fon feul vaif- jfeau 30. galères commandées par le Capitan Pa- cha : le fécond à la faveur d'un bon vent obligea dans le port de Nio 60. galères Turques à le quitter , après en avoir maltraité pliifïeurs : cette flote eut toutes les peines du monde à arriver en Candie où elle conduifoit deux milles Janiflaires. Le féjour de Nio feroit a(Tez agréable s'il y avoit des fruits & des rafraîchirTemens ; mais le terrain n'y eft bon que pour les grains. L'habit des Darnes de cette lfle n'eft gueres mieux imagi- né que celui des femmes des autres Ifles , quoi qu'il paroifTe un peu moins*embarra(Tant. A l'é- gard des plantes cette lfle n'en produit pas d'ex- 301 Voyage traordinaires ; nous y obfervâmes pourtant une efpécc de a Caicile qui n'eft pas décrite , 3c -tjue nous avions vue à Milo 3c dans quelques autres Mes. Cette plante eft branchuë & touffue dès fa naif- fance , haute d'un pied 3c demi ou deux pieds *, fa tige eft épaifle de trois lignes , vert-brun , légè- rement velue , anguleufe , remplie de mocle blan- che , fubdivifée en plusieurs rameaux , accompa- gnée de temps en temps de feuilles afifez fembla- blcs à celles qui nailîent fur les branches de la Roquette des jardins : celles de la plante dont nous parlons ont environ deux pouces 3c demi de long , vert-foncé , charnues, acres , brûlantes , mucilagineufes , découpées jufqucs vers la cote , Se qui diminuent à mefure qu'elles approchent des fleurs : des ailfelles de ces feuilles naiftent de petits brins garnis de feuilles encore plus menues; les extrémitez des branches font chargées dans leur longueur, de fleurs à quatre feuilles blan- ches, longues de cinq lignes, qui ne débordent pourtant hors du calice que d'environ deux li- gnes , fur une ligne 3c demie de large : le calice eft à quatre feuilles aufîi , & de fon centre s'élè- vent fix étamines blanches , chargées de fommets jaunes : le piftile qu'elles entourent n'a que trois lignes de long , furmonté par un filet & devierir. dans la fuite un fruit long de cinq ou fix lignes , épais de deux lignes , canelé , terminé en pointe , compofé de deux pièces articulées bout à bout de telle forte que la partie inférieure qui eft un peu creufe , reçoit la tuberofité de la partie fuperieu- re ; l'une de l'autre font d'une fubftance fpongicu- a Cakile Grxca. , atyzn&s , filiquâ fttiatâ, brevi. Covol» Inft. rci herb. 4?. Toni.I.Pag. 7,0-x île Orceca. txrvaxjis, JiUqiLCL Jti"ia.ba.t d toII. Iivft. R. et lierb. du Levant. Lettre VI. 303 fe , & renferment chacune dans une loge parti- culière une femenec roudatre , longue de demi ligne. Comme nous prenions goût aux dations géo- graphiques , nous allâmes fur une des hauteurs qui font au tour du port , & nous remarquâmes que L'Argentiére rede entre l'oued 8c l'oued -nord- oueft de Nio. Siphanto , entre le nord-oued de l'oued-nord- oued. Santorin , au fud-fud-ed. Chridîana décline du fud au fud-fud-oued. Sikino fe trouve à l'oued-fud-oued. Avelo décline du nord-nord-ed au nord. Nous nous embarquâmes à la pointe du jour ,sicintt3 cV fuivant le confeil de Strabon nous prîmes la& Sice- roure du couchant pour nous rendre à l'Ifle de NUS- SÎKino. Pline , Apollonius Rhodius , Edienne le S^f" Géographe aiïutent qu'elle fe nommoit ancienne- sxkino- ment l'Ifle a au vin à caufe de la fertilité de fes vi- gnes ; furquoi le b Scholiade d'Apollonius re- marque qu'elle prît le nom de SÎKÎnus d'un fils de Thoas Roy de Lemnos feule perfonne de 1*1* fie , qui fe fauva par l'adreile de fa fille Hypfipylc dans cette cruelle expédition où toutes les fem- mes égorgèrent non-feulement leurs maris pen- dant la nuit i mais tous les garçons du pays , en- ragées de ce qu'ils leur préferoient les efclaves qu'ils venoient de faire en Thrace. Thoas donc aborda l'Ifle dont nous parlons , & fut très-bien reçu d'une Nymphe qui lui fit part de fes faveurs} Sixinus en naquit , beau garçon qui donna foa nom au pays. a OI NOIH. Oenoe. roAé;«v^o« iiv Afics. •ni agné à fa naifTance de cinq étamines blanches , ongues de deux lignes , fur trois lignes de large, courbées vers le piftile , chargées d'un fommet long de quatre lignes : le calice devient un fruit arrondi en manière de tête t du diamètre de neuf pu dix lignes , partagé en cinq loges par des cloi- fons membraneufes : chaque loge eft garnie d'un placenta chargé de graines plates , luifantes alîez brunes : toute la plante rend du lait & n'a aucune odeur ; les feuilles font un peu aftringentes : elle eft bifannuelle. On fit fur la meme roche les obfervations fui-* vantes : CardiotitTa décline de l'eft-nord-cft à l'eft, J.e Milo refte entre l'oucft-nord-oueft & l'otieft, Polino,ou l'Iile brûlée efl entre l'oueft-nord-oueft & le nord-oueft. L'Argentiérc eft en ligne droite derrière Polino. Siphno eft entre le nord-oueft &c le nord-nord- oueft. Antiparos entre le nord-eft & le nord-nord-eft. J-'aros entre le nord-nord-eft & l'eft. Naxos entre le nord-eft & l'eft- nord-eft. Nôtre delîein étoit de retourner à Naxie , mais le vent du nord nous fît rélâcher à Sii les hommes fortirent déguifez en femmes , pendant que les femmes refterent dans les prifons deguifées en hommes. a Hérodote de qui ce conte eft tiré , nous a confervé les noms de deux defeendans de Theras qui régnèrent dans cette Ifie , vEfanius & fon fils Grynus ; ce dernier alla coniulter l'Oracle de Delphes , fuivi des plus illuftres perfonnes de Thera , parmi lefquelles étoit Battus fils de Po- lymnefte ( ou de b Gyrnus ) homme de qualité fort cilimé parmi les Myniens : l'oracle répondit, qu'il falloit aller bâtir une ville fur les côtes de Lybie , & la Prêtrefl'e leur montra Battus : cet ordre fut négligé ; les Myniens ne fçavoient pas a lb!d. " Cyrcne aiirern condita fuit ab Ariftaro , cui nomen jBattos propter lingu«e obli- gationem. Hujus parer Cyrnus rex Theras infulat , &c. Juflin, lib.i} . cap.y. du Levant. Lettre VI. 313 même où étoit la I ybie \ mais la fecherefTe qui dura fept ans dans Thcra , & qui fit mourir tous les arbres à l'excepton d'un feul , obligea le Roy de retourner à la pre trèfle , laquelle ordonna une féconde fois qu'on fit bâtir une ville en Lybie ; on fut contraint d'cbéïr , ôc ce fut l'origine de Cyrene patrie du Iocte Callimaque , qui l'ap- pelle la mère des bons chevaux : en effet aujourd'- hui les plus beaux barbes d'Afrique viennent du Royaume de Barca ou de Cyrene ; car ce Royau- me a pris fon nom de l'ancienne ville de Barce. a Strabon qui p.ace l'ifle de Thera entre la Crète & l'Egypte , ne donne à Thera que 1^. milles de tour , ckafliïre qu'elle efl: d'une figure allez longue. Il faut que les chofes foient bien changées depuis ce temps-là. Thera fe trouve fi- tuée entre la Candie & les Cyclades ; elle a. 56. milles de tour , &c (x figure reprefente alfez bien un fer à cheval. A l'égard de fa fîtuation , il faut corriger le partage de Strabon par celui de fon b compilateur , qui place lTile de Therafîa entre la Crète &: la Cynuiie , quartier du Peloponneie appartenant aux Lacedemoniens. Pour la figure de Thera il n'en: pas furprenant qu'elle fe foit for- mée en croirTant ; car il cft arrivé des chanse- mens n confiderables autour de cette Ifle , que celui-ci doit être compté pour peu de chofe. Ou- tre la mutation de fa figure , elle a acquis onze milles d'étendue plus qu'elle n'avoit du temps de Strabon j mais aufïï elle a perdu toutes fes belles villes. c Hérodote aflure qu'il n'y en avoit pas moins de fept , & l'ifle devoit être puiflante; puif- qu'il n'y eut que Thcra & Melos , qui dan« cette a Ihli. Kvtov^lcci pour Kwjfj»*»!*»' fc Steph.Byttnt, 11 faut lire • Ub. 4. 314 Voyage fameufe guerre du Peloponnefe oferent fe décla- rer pour les Lacedemoniens, contre les Athéniens dont toutes les autres Ides de Grèce fuivirent le parti. La révolution de l'Empire des Grecs après la prife de Conftantinople par les François ôc par les Vénitiens , fît joindre l'Ifle de Santorin au Duché de Naxie ; mais a Jean Crifpo qui en fut le douzième Duc , la céda au Prince Nicolas fon frère , que l'on appella le Seigneur de Santorin. Elle fut réunie au Duché après la mort de Guillau- me Crilpo quinzième Duc , lequel par fon tefta- ment nomma pour fuccefleur le Seigneur de San- torin fon neveu : elle fut enfuite engagée au Sei- gneur de Nio par Jacques Criipo dix-feptiéme Duc de l'Archipel , qui fut obligé d'emprunter des fommes excefïives pour foûtenir la guerre contre Mahomet 1 1. dans cette fameufe ligue où il étoit entré avec les Vénitiens &c le Roy de Perfe: enfin Santorin fe rendit à BarberoufTe fous Soli- man 1 1, Il n'eft guère pofïible de fçavoir en quel temps Pille de Thera prît le nom de b Sant-Erini ; mais il y a beaucoup d'apparence que ce nom eft dérivé de celui de Sainte Irène patrone de l'Ille , de de Sant-Erini on a fait Santorin. Cette Sainte étoit de Theflalonique , & y fut martyrifée le premier jour d'Avril en 304. fous le neuvième Confulat de Diocletien , & le huitième de Maximien Her- cule : l'Eglife latine en célèbre la fête le même jour à Santorin , c*eft le 5 . May , où il y a encore »euf ou dix chapelles dédiées à Sainte Irène. On nous fit débarquer au port de San-Nicolo a Hifi.des Ducs de i'Archi- b T« N«« f *yi<« Elptims' Pet. Infula Sanibc iicncs. du Levant. Lettre VI. $iC de Therafia , puifque Anaphé en efl éloignée de 18. milles. c Ptolemée a placé une ville fur The- rafia ; certainement ce n'efl pas fur la Thirafia d'aujourd'hui où il n'y a pas allez d'étendue pour y bâtir un château. d Cette obfervation peut fervir à juftifier Se- neque , qui rapporte à fon temps l'apparition de l'Ifle Therafia , lui qui n'a vécu qu'après Strabon: a Hifi.nat.lib.a,. cap il. c Geog. lib.i,. caf>.l<;. b Rerumgeog. Ub.io. d §luAjf.nat. lib.6. cap.n. su L et a ti t. Zttfrt J^/. 517 cela marque aufîi eue Pline n'a pas été contempo- rain de Strabon , li par confequent de Diofcori- de , puifquc outre qu'il parle de Therafia comme d'un morceau tout nouveau , détaché de l'Iflc de Thera par la violence des vagues , il avance aufîi que I'écueil Autou.até ou Hiera fe manifefta quel- que temps après entre Thera & Therafia : a com- ment expliquer cet endroit de Pline fi l'on prend I'écueil Thirefia pour la Therafia de cet autheur ; car il eft certain qu'entre Sanrorin & Thirefia , il n'y a que le port de San-Nicolo où il n'y auroic pas de place pour on rocher un peu confiderabie. De nos jours, continue Pline, on a vu fortir.de la mer un autre écueil appelle Thia tout auprès de Hiera : eft-ce trop hazarder que de propofer que ces deux écueils font Thirefia &: Cammeni , fuppofé qu'Afpronifi foit la véritable Therafia des anciens ? On ne fçauroit comprendre autrement la fitua- tîon de tous ces écueils : b Juftin par exemple rap- porte qu'il y eut un fi grand tremblement de terre entre les Ifles de Thera & de Therafia que l'on y vit naître avec admiration une lfle nouvelle parmi les eaux chaudes. c Le P. Hardouin a parfaite- ment bien corrigé le texte de Pline fur l'origine de Thera. d Dion Cafïius parle Amplement de l'apparition d'une petite lfle qui fe montra auprès de Thera fous l'Empire de Claude. e Aurelius Vi- ctor dit qu'elle étoit confiderabie , & Syncelle qui la rapporte à la 46. année après Jefus-Chrift, la place entre Thera & Therafia : enfin Ptolemée place une ville fur Therafia. ■ Hifi. nat. lïb.x. cnp.yj. " Lib. 30 cnp.\. * In naùt ad Emettant. ni lib.t. liifl.nat.PHn. * Lib. 60. « In CUttd. $i$ Voyage a Cedren allure qu'en la dixième année âé Léon l'ifaurien ce grand Iconoclafte, il parut pen- dant quelques jours une obfcurité fi considérable entre les Ifles de Thera 8c de Therafia , qu'elle fcmbloit s'élever d'une fournaife ardente : cette matière obfcure s'épaiflît , dit-il , 8c fe durcit ail milieu des flammes , après quoi elle s'attacha à l'Hle Hiera 8c en augmenta le volume : cependant il fortit une fi grande quantité de pierres ponces de ecz endroit que les côtes de Macédoine 8c l'A- fîe mineure en furent couvertes jufqucs aux Dar- danelles. Cedren n'a fait que copier b Theophane 8c Nicephore -, le premier rapporte ce fait à l'an- née 7 1 1 . 8c l'autre à l'année 716. Les gens du pays quoique fort ignorans ne manquent pas d'avertir les étrangers que les trem- blemens de terre ont mis au monde tous les petits écueils que l'on voit autour de leur Ifle. c Nous apprenons du P. Richard l'année de l'apparition 5Î de la petite Ifle brûlée. Voici fes termes : Il y a " bon nombre de vieillards en cette Ifle qui difent " avofr vu fe former par le feu une Ifle voi fine de " la nôtre au milieu de la mer en l'année 1573. & 33 pour cela elle s'appelle Micri Cammeni ; c'eft à 33 dire , la petite Ifle brûlée. d A propos de ce feu, Strabon aflure que l'on vit bouillir la mer pendant quatre jours entre Thera 8c Therafia ; que les flammes en fortoient ÔC qu'une Ifle de 1500. pas de circuit parut comme fi elle eût été tirée hors de l'eau par des machines. c Mr Thevenot raconte quelque chofe d'affez fcmblable à ce que rapportent Theophane , Nice- * Compend. hifi. an», Chriji, K 7IÎ- Z Tbeoph. ChromL c Relut, de Snnt Erini. A Rerum geog. lib.t. • ReUf. ckitp.69< du Levant. Lettre VI. 519 phore & Cedren ; fçavoir qu'on vit fortir il y a environ 53. ans une prodigieufe quantité de pierres ponces du port de Santorin , qu'elles mon- tèrent du fond de la mer avec ta la noblefle eft retirée à Scaro petite ville bâtie au fond du port fur un rocher prelque ifolé & tout hérifle de pointes : le Conful de France y refide de même que les P. Jefuites , qui font alfez bien logez : b Sophiano Evêque de Santorin les y établit en 1641. & leur donna la place de U Chapelle Du- cale pour y bâtir leur Eglife : le Supérieur de la maifon nous reçut très honnêtement ; il diftribue des remèdes avec iuccez & avec beaucoup de charité. Quelques faints & zélez que foient les Millionnaires , il feroit à fouhaiter qu'il n'y eût qu'une forte de Religieux dans chaque Iile : l'ex* Xkiovç du -verbe z'il^ai , fcitido , parc? qu'on ne ffMro'tt les manger fans les Tome I, cajpr. b Relut, de Sant Er'm'i. ijll V © Y A G ï periencc fait connoître que la religion Chrétien* ne fe foûtient avec plus d'édification dans Syra où il n'y a que des Capucins , Se dans Santorin où il n'y a que des Jefuitcs ; que dans les Mies où il y a des uns Se des autres. Les deux Evèques de l'Ifle , dont l'un eft Grec Se l'autre Latin , fai- foient leur refidence a Scaro lorfque uons y arri- vâmes : il y a dans la même ville un Curé Se cinq ou iïx Chanoines de nôtre rite. Les Religicufes Gréques de l'ordre de Saint Bafiley font au nom- bre de 25. les Latines ne font que 15. Se fuivent la régie de Saint Dominique : ces Religieufes font les plus belles toiles de coton du pays ; on eftime fur tout celles qui font croilées : on les tranfpor- te en Candie , en Morée Se par tout l'Archipel. Le Cadi de Santorin eft quelquefois ambulant; lorfqu'il refide dans l'Ifle , c'eft ordinairement à Pyrgos la plus jolie ville du pays , bâtie fur un tertre , d'où l'on découvre les deux mers Se les plus beaux vignobles : ce lieu feroit très agréable s'il y avoit de l'eau ; mais il ne coule dans toute l'Ifle fur la montagne de Saint Eftiennc qu'une méchante fontaine , qui pût à peine nous défalte- rer : il eft vrai qu'on y trouve des ciftemes par Tout 3 creufées dans la pierre ponce , Se bien en- duites de ciment. La plupart des maifons font des cavernes creufées dans la même pierre , fembla- bles aux a tanières des teflbns , ou à ces fortes de fourneaux de chimie qu'on appelle des Athanors : on les voûte avec des pierres fort légères , rou- geâtres , qui ne paroifient que demi pierre ponce. La côte du port eft la plus affreufe de toutes -, on n'y voit pas un feul brin d'herbes, Se les roches en font de couleur de mâchefer. ïlOQAtl, ù\i Levant. Lettre Pî. } i $ Le 7. Octobre nous allâmes fur la montagne de a Saint Eftienne , ainii nommée d'une Chapel- le dédiée à ce Saint. Il efl: bien •extraordinaire de Voir un bloc de marbre , enté pour ainii dire fur des pierres ponces. Eft-il fortî du fond des eaux , ou s'eft-il formé depuis l'apparition de l'I- fle î On voit encore fur une de fes collines au pied de la roche , les mafures d'une ancienne vil- le de les ruines d'un temple à colonnes de marbre» Peut-être que c'étoit celui de Neptune que les Rhodiens y bâtirent ; mais le b Scholiafte de Pin* dare remarque qu'il v en avoir un autre de Mi- nerve , & que l'ilde de Thera étoit confacree à Apollon ; c'eft pour cela que Pindare l'appelle une Ifle facrée. c Triftan fait mention d'une mé- daille de Venus * fur le revers de laquelle eft re- prefentée une efpéce de dieu Terme , que cet au- theur foupçonne être la figure de Jupiter 3 dieil des confins ou limites. Voici les inferi prions que l'on lit parmi les ruî- nés de la plus belle d ville de l'Ifle , illuftre enco- re fous la belle Rome , puifqu'on lui permit de confacrer des monumens à fes Empereurs. TIBEPION KAATAION KAI2AP A 2 EB AS T O N TEPMANIKON KOIPANOS ATNOSeENOYS KA1 OÏIOS ATTOT ArNO20ENHÎ T n E P TOT AHMOT. Coeranus fils à'Agnofthene , & Agnoflhem fori * O'çfS £ àyiw 'ZjtQcfV b Sur l'Ode 4. * Comment, hlji> tom.l- f *go ^5. Legc ride , ©HPEfîN zEïs omqpios» Jupiter concerminus. A an E/aWv f&î o'/x. PteU Qtogr.iib.i.c^.i^t Xij r^i4 VÔ V AGE fils au nom du peuple , marquent leur attachement four Tibère, Claude, Cafar, Augufle, Germanique, ATTOKPATOPA KAI2APA MAPKONf AYPHAION ANTflNEINON 2EBASTON H BOTAH KAI O AHMOS O e H P A I a N THN EHIMEAEIAN KAI THN ANA2TA2IN nOIH2AMENUN APXONTON ASKAHniAAOT b* KAI KOIHTOY lT KAI AAlSANAPOï EYOPOSYNOY IEPA2AMENOY nOATOYXOY b~ Par les foins d'Afclepiade & de Quiet us jMagi~ ftrats pour la féconde fois avec Alexandre fils d'Eu- pbrofyne , le Sénat & le peuple de VI fie de Thera ont fait ériger la fiatuè de l'Empereur C&far , Mare Aurele , Antonin , Augufte , confacrée par Polyu- chus grand Vrètre.pour la féconde fois. On prétend que les débris de la ftatuë ne font pas loin de l'infeription ; mais cetse ftatuè* eft fans tête. AYTOKPATOPA KAI2APA A. SEnTlMION 2EBHPON DEPTINAKA 2EBA2TON H BOYAH KAI O AHMOS O 0 H P A I Q N. Le Sénat & le peuple de Thera affùrent VEmpc* reur C&far. L. Septime Severe , Tertinax , Augu* fie de leur entier dévouement. bu Levant. Lettre V L JV AYTOKPATOPA KAI2APA M. AYPHAION SEBHPON ANTHNEINON EY2EBH S.EBASTON APABIKON AAIABHNIKON OAP0IKON TEPMANIKON MEIT2TON H BOYAH KAI O AHMOS O QHPAinN APX12. M. AYP. I20KAE0Y2 A2KAHI1IAAOY TO B KAI AYP. KAE0TEA0Y2 TYPANNOY KAI AYP. Aurele Ifoclée premier Magiftrat pour la féconde fois a fait la dépenfe , & pris le foin de faire ériger laflatu'e du très grand Empereur C&far 5 Marc Aurele^ Sève* re , Antonin Pie , Augure , Arabique , Adiabe- nique , Partbique , Germanique, AYP. TTXACIOC TON I1ATEPA KAI EAHIZOYCA TON IAION 2YMBION TYXACION A$HPni3AN. Aurelius Tychafms peur fon père , & ElpiX$ufa pour fon cher mari Tychafms , çonfacrent les témoi- gnages de Uur tendrejfe, X ïïj :i£ Voyage KAPnOS TAN IAIAN TYNAIKA 2HEIAA A$HPOISEN T H 2 MONANAPON, Carpus a confacré par ce monument (on amour pour fa chère femme Soeide , qui n'avait point en à' autre mari. J'ai copié ces inferiptions à Paris du recueil des Antïquitez curieufes de Mr Spon. Nos gui- des à Santorin n'eurent pas l'efprit de nous con- duire dans les belles ruines de l'Ifle ; & après avoir vu la chapelle de Saint Eftienne , ils nous perfua- derent que nous avions vu tout ce qui relloit de curieux dans le pays ■ cependant le temps nous parut fi beau pour aller à Nanfio , que nos Mate-» lots nous confeillerent d'en profiter. Nanfio eit encore une de ces Ifles qui faifoiem partie du Duché de Naxie , fous les Princes des AN A- ma^ons de Sanudo & de Crifpo. a Jacques Crif- po douzième Duc , qu'on pourroit appeller le pa- cifique , donna cette Ifle à fon frère Guillaume , ui y fit bâtir la fortercue dont on voit les ruines ur un rocher tout au haut du bourg : il fut Duc de Naxie après la mort de Jacques fon frère ; fa fille unique Florence Crifpo relia Dame de Nan- fio , & Pille ne fut réunie au Duché qu'après fa mort. b Mcmbliaros a été l'ancien nom de l'Ifle de Nanfio , nom tiré de Membliares parent de Cad- mus , & oui vint s'établir à Thera au lieu de fui- vre les avantures de ce Héros. L'Ifle dont nous parlons ne fut nommée Anaphe qu'à l'occafion a Wft.desDucsdcl'Archip, b MEMBAIAPOS. Sffh. Nan N ANA ? lu du Levant. Lettre VI. 317 des1 Argonautes qui la découvrirent après une tempête horrible , qui les jetta au fond de l'Ar- chipel \ la découverte ne fut pas grande , car l'Ifle n'a que 16. milles de tour , point de port , & Ces montagnes font toutes pelées : elles fourniffent pourtant de belles fources , capables de porter la fécondité dans les campagnes pour peu qu'on fçût les employer utilement. Les habitans de Nanfio font tous du rite Grec , & fournis à l'Evcque de Siphno ; on n'y voit m Turcs ni Latins ; le Cadi 8c le Vaivodc font am- bulans :.en 1700. ils payèrent 500. écus pour tou- tes fortes de droits , la capitation n'y étant qu'à un écu & demi par tête : leur faineaniife eft blâ- mable , & tout leur négoce confilte en oignons , en cire tk en miel ; ils n'ont de vin & d'orge que pour leur entretien : pour du bois , je ne crois pas qu'il y en ait allez pour faire rôtir les perdrix: que l'on y pourrait manger -, la quantité en eft il prodiçieufe , que pour conferver les bleds , on amafle par ordre des Confuls tous les œufs que l'on peut trouver vers Les fêtes de Pâques , & l'on convient qu'ils fe montent ordinairement à plus de dix ou douze milles ; on les met à toutes fortes de fauces , Se fur tout en omelettes : ce- pendant malgré cette précaution , nous faiiîons. lever des perdrix à chaque pas, la race en eft an- cienne : elles font venues b d'Aftypalia : s'il en faut croire Hegefander , un bourgeois de cette 1 fie n'en porta qu'une paire à Anaphe;c mais elle mul- tiplia ii fort que les habitans faillirent à en être chaflfez : c'eft apparemment depuis ce temps-là a Tel; h Ai^iâv-nxii w*à b S:ampalia. c Athen-Deip'i.Ub.?. Xiiij rji8 Voyage que l*on s'eft avifé d'en cafter les œufs. On élit tous les ans deux Confuls dans cette Ifle, quelquefois un feul ; toute l'authorité de ces Magiflrats ne fut pas capable de nous faire trouver du lard pour piquer nos perdrix;les Grecs ne connoiiîent ni lard ni lardoire ; il fallut donc les manger moitié bouillies , moitié rôties : ce ne fut pas le plus grand de nos chagrins 3 nous ap- prîmes qu'il y avoit des bandits autour de rifle , ôc fur tout à Anaphi-poula , méchant écueil à la, vue du bourg". Heurcufement une Tartane du Martigues qui cherchoit de l'orge , y vint abor- der & difïipa nos frayeurs : le Patron nous fit pre- fent d'excellent vin de la Cadierc proche Toulon, Se nous nous ferions mis volontiers fur fon bord s'il avoit été deftiné pour quelque Ifle de l'Archi- pel : nous prîmes donc le parti de parcourir l'Iflc en attendant que les bandits fe fu fient retirez. Du côté de la marine vers le fud , en allant à la chapelle de a Nôtre-Dame du Rofeau , on voit iur un petit tertre les ruines du temple d'Apollon b Eglcte ou brillant de lumière. Strabon qui parle de ce temple ne dit pas à quelle occafion il fut bâti; c c'eflConon de qui nous l'apprenons:fuivant cet autheur la flote de Jafon revenant de la Colchide tut battue' d'une fi furieufe tempête , qu'on eût re- cours aux prières & aux vœux. Apollon vint de fort bonne grâce au fecours de tant de Héros : la fou- dre qui tomba du Ciel d fit fortir du fond de la mer une Ifle pour les recevoir : on y drefiaun au- tel à Apollon fauveur des Argonautes ; ce dieu ci n ri ? A'tylijfov AynÀ- battu U^tr. Strtjb. Kerum Geog.ltb. 1 o. Ai'y>m.FiiIg°r. Narrât. 45?. ^ch\vm , in lucc vient ArâQu. c Narrât. 49- d <*'w*i , in lueem edo , d'eu Levant. Lettre VI. 329 fut remercié parmi Jes verres & les pors ; Medée & les Dames de fa cour firent les honneurs de la fête :1e vin&lajoye leur infpircrent de belles faillies , & fur tout , dit Conon , on ne manqua pas de railler les Héros , fans doute fur la peur qu'ils n'avoient pu cacher dans la tempête : les Héros de leur côté n'étoient pas muets ; toute la nuit fe palla en railleries piquantes : je ne feai qui lailfa par écrit cette hiftoire dans Anaphe" j mais Conon auîire qu'après que cette Ifle fut peu, pléc , les habitans eu célébrèrent tous les ans Pan* niverfaire : on y facrifioit à Apollon ; le vin n'y étoit pas épargné ; & fuivant l'efprit de l'inftitu, tion , les plaifantcries n'y étoient pas non plus oubliées : les Grecs font admirables pour s'efcnU mer à ces jeux d'cfprit. Les ruines de ce temple confiftent en quelques morceaux de colonnes de marbre qui en indiquent la htuation : on y voit une belle architrave de même pierre , fur laquelle il y a eu une inferi- ption fort longue ; peut-être faifoit-elle mention du conte de Conon , mais elle eft fi ufée qu'à peine connoît-on qu'il y ait eu des caractères fur ce marbre. On a bâti à quelques pas de là une chapelle des débris du temple : U carrière de mar- bre en eft tout proche du côté de la mer , au pi"ed d'une des plus effroyables roches qui foit au mon- de, & fur laquelle eft bâtie la chapelle de la Vier- ge. On voit aufli dans ce quartier les ruines d'un bel édifice de marbre qui ne paroît pas de la première antiquité , mais du temps des Ducs de Naxie. Après avoir efealadé cette roche par un temps épouvantable , nous nous promenâmes dans les endroits de Hfle les plus favorables pour herbori- 23© Voyage fer : j'y remarquai la F.tgonia Cretlca , fplrtofcf Infl. rei herbar. qui n'eft gueres plus épineufe que celle que j'ai trouvée en Efpagne dans le Royau- me de Grenade , & que j'ai nommée , Fag^nia Hifpanica , non fjnnofa. Iaft. Je crois qu'il fane regarder ces deux efpéces comme des varierez de la même plante. Afliirez de la retraite des bandits , nous nous difpofàmes à palîer à Stampalia , Ifle à 40. milles de Nanfîo , entre l'eft & l'eft-nord-eft ; mais les vents contraires nous obligèrent d'aller à Mycone, où nous n'arrivâmes que le n. O&obre après avoir rélâché en pluiieurs endroits. L'Iflc de Myconc qui s'étend de l'eft à l'oueft , a 36. milles de tour , fituée à 30. milles d: Naxie, à 40. de Nicarie, &à 18. milles du port de Tine; quoique le canal qui eft entre le cap Trullo de Mycone & le Tine , n'ait que 18. milles de lar- geur: celui de Mycone à Dclos n'eft que de trois milles depuis le cap a Alogomandra de Mycone à la plus proche terre de Delos : car Pline qui a peut-être compté d'un port à l'autre donne juf- ques à 15. milles à ce canal : on y voit les deux petits écueils de b Prafoniii , que MrsSpon&: Wheeler ont pris pour c Tragonifi ou Dragone-. ra , autre écueil du côté de l'eft-fud-eft , & par confequent hors du canal dont nous parlons. Le port de Mycone eft fort découvert , ôc re- garde entre l'oueft & l'oueft-nord-oueft ; mais le golphe qui eft à côté de ce port & qui fe termine en cul de fac , eft allez bon pour les plus gros bâ- timens , qu'une jettée naturelle , formée par des a AXtyèttwiïç? , Paie aux rcaux. chevaux. c T^yomV/, Ifle aux Boucs. b Il&e-onie-i, Ifle aux Poi- n j ■ Torn .1 .Pan . •* -ij Ofnyodt/x «- "i ^] Trasroriuri ArnieiiLrtt Kaibaçoi/atft. tlÎ t*,Trasonurt Cabo alogo- ^^. marvtyrt . La arande Delas ou /j"s/e Rlierree •> . 't de J'Ktrtoj' ©v Levant. Lettre FI. 531 rochers preique à fleur d'eau , mec à couvert du vent du nord. L'entrée de ce golphe eft entre le nord & le nord-nord-oueft : le port d'Ornos eft opposé au fond du golphe , 6c regarde entre le fûd & le fud-fud-eft. L'ifle de a Saint George fc trouve à la pointe du golphe à main droite , tout près de deux rochers ifolez avec la grande 6c la petite Iflc aux b Ecrevifles : les autres ports de 1T- ile font le port c Palermo & le port Saint -Anne ; le port Palermo eft fort grand , mais trop expofé au vent du nord ; le port Sainte Anne eft fort dé- couvert auflî & regarde le fud-eft. Les matelots de Mycone palTent pour les plus habiles de tout le pays ; il y a pour le moins joo. hommes de mer dans cette Me , & l'on y compte plus de ieo. bateaux , outre 40. ou jo. gros cai* ques deftinez pour le négoce de Turquie 6c de la Morée ; celui de Turquie fe fait en cuirs 6c en d marroquins que l'on va charger à c Siagi proche de Smyrne & à Scalanova j celui de la Morée rou- le prefentement fur le \'m , dont les Myconiotes fourniflent l'armée Vénitienne à Napoli de Roma- ine : il y a des çaiques à Mycone qui portent juf- ques à fept ou huit cens barils de vin ; le barril pefe f 1 jo. livres de France ; ce n'eft fouvent que de l'eau rougie , mais les Vénitiens le payent fui- vant fa force & fa qualité -, car les Grecs ne peu- vent pas s'empêcher de tromper : on recueille or- dinairement à 8 Mycone 2j.ou 30. milles barrils de vin par an , Se l'on y cultive la vigne depuis a Tsa^ou'av, Iflc de Saine George, b K«£«çopjj« , rifle aux Ecreviflcs. F n«»iç|U«j , Port à recevoiE toutes fortes de vaifleaux. Cordoiians. Teos. f jo. oques. 6 Authoricas vino Myconio, Vlin. Hiji.mt.lib.i^.caf.i. *3t Voyage fort long-temps. a Mr Wheeler y acheta une mé- daille d'argent à la tête de Jupiter > au revers c'ell une grappe de raifin. L'Ifle de Mycone eft fort aride , & fes monta- gnes font peu élevées ; les deux plus considérables portent le nom de Sainte Helie : l'une eft tout près du cap Trullo à l'entrée du canal de Mycone & de Tine : l'autre eft à l'extrémité de Mycone vis-à-vis Tragonih" : le nom Dimaftos que b Pline donne à la plus haute montagne de l'Ifle, convient également à toutes les deux, puifque chacune a le Commet fendu en deux parties. c Ovide qui dans fon voyage du Pont avoit vu Mycone de plus près que d Virgile , a eu raifon de dire que c'étoit une Ifie peu élevée , au lieu que Virgile dit tout le contraire : ce n'eft pas que humïïls infula , lig- nifie aufïi une Ifle méprifable 6c vile , comme • Stace a appelle l'Me de Seriphe. Strabon rapporte que les Poètes ont fait de Mycone le tombeau des Centaures défaits par Hercules , d'où étoit venu le proverbe f Tout ejè dans Mycone , pour dire , qu'un homme vouloit parler de tout dans le même difeours. Eftienne le géographe qui a copié Strabon dans cet endroit comme en plusieurs autres , allure que cette Ifle a pris fon nom d'un certain Myconus fils d'ifi- nius -y mais onconnoît aufli peu l'uji que l'autre , & la plupart des anciens autheuf s font tombez dans le même défaut ; la remarque de S Strabon M Y KO. Hîft.nat.lib.4. cap.xi. Hinc hutnilcm Mycomim crecofaque rura Cimoli. Metamorph. lib.j. Quam Dcus arcitenens oras & littora circum cr- îantem , Mycone cclfa , Gyaroque revinxit.Ftf^.5 e Hinc fpreta: Myconos.hu- milifquc Scnphos.slchil.i. ^ Ueu/t' inro t-ua* Mt/xaJv«». Rer.Geogr. lib. 10. 8 MvKavtot Çahuxfof, StraL ibid. du Levant. Lettre V I. 333 & a d'Euftathe eft beaucoup mieux fondée i fça- voir que les Myconiotes étoient fujets à devenir chauves , puifque aujourd'hui la plupart des habi- tans y perdent leurs cheveux à l'âge de 20. ou zj. ans. b Pline a outré l'cbfervation , en affûtant que les enfans y naiffent fans cheveux ; cela n'empê- che pas que les habitans de cette Ifle ne foient bien faits : ils pafïoien: autrefois pour grand para- iîtes , & ne le feroient pas moins aujourd'hui s'ils trouvoient des dupes. c Athénée cite Archiloque qui reprochoit à Pericles de tondre les napes à la manière des Myconiotss. On lit dans le même au- theur quelques vers de Cratin qui ne leur fai- foient pas trop d'honneur , mais il exeufe ces peu- ples fur la pauvreté de leur Ifle. Nos Francs appellent cette Ifle Micouli i on y recueille allez d'orge pour les habitans , beaucoup de figues , peu d'olives ; les eaux y font allez rares en Efté ; un grand puits en fournit à tout le d bourg qui eft le feul de l'Ifle & qui ne renfer- me gueres plus de trois milles âmes j mais pour un homme qu'on y voit, on y trouve quatre femmes, couchées le plus fouvent dans les rués parmi les cochons \ il eft vrai que les hommes fréquentent la mer. On y nomme tous les ans deux Confuls pour y prendre foin des affaires. En 1 700. les My- coniotes payèrent 5000. écu^ de capitation & de taille réelle : l'Ifle dépendoit alors de Mezomorto Capitan Pacha : dans la dernière guerre,elle obéif- foit au Bey de Stanchio Mahemet Bey , dit e Cafïi- di, qui commande quelques galiottes pour purger l'Archipel de petits corfaires. * Ad Dionyf.'verf.jiG. *» Quippe Myconfi carences pilo gignuntur, Wfl. nat* lib.il, c*tW. c Deipo. lib.l. Geogr.libj.cap.lî. * m Teigneux. Ptci, $24 Voyage Le fejour de Mycone eft afTez agréable pour les étrangers ; on y fait bonne chère quand on a un bon cuifinicr , car les Grecs n'y entendent rien : les perdrix font en abondance Se à bon marché en cette Ifle , de même que les cailles , les becalfes , les tourterelles , les lapins &c les beefigues j on y mange d'excellens raifîns & de fort bonnes figues: ordinairement les falades s'y font avec une efpéce de a Laitteron tout à fait ragoûtante quand on a frotté le plat avec de l'ail. b V Adralida & la c Radice y font afTez recherchées ; la première efl une efpéce de Scorzonere , dont on donne la figu- re & la défeription dans une des précédentes Let- tres ; & la Radice eft. la Chicorée épineufe , dont les jeunes poufles fe blanchiment naturellement dans le fable le long de la mer. On fait un bon ragoût en carême avec les Vroulas bouillies : le d fromage mou qu'on prépare en Cette Ifle eft déli- cieux ; il n'y a que les cailles confites au vinaigre qui choquent les étrangers j car ces oifeaux font réduits en efpéce de bouillie \ les gens du pays les préfèrent fans doute aux cailles fraîches , parec- qu'il ne faut point de bois pour les aprêter : on ne brûle à Mycone que des brofTailles tirées des Ifles de Delos. Mycone a été poffedée quelques années par les Ducs de Naxie : le e P. Sauger dit que Jean Crif- po vingtième Duc de l'Archipel la donna en ma- riage avec l'Ifle de Zia , à fa fille Thadée époufe de François de Sommerive j ce Seigneur n'en jouit 8 Sonchus lxvis , angufHfo* lius. C. B. Couejto counil- iiero. & Scorzonera Grseca faxati- lis & maùcmu t foliis va- rie lacinia'is. Coroll. Inft. rci herb AJ'p<*Ai&*. c Cichorium fpinofum.C.B. A Pouioo. I M'rjl. des Ducs de l'Archip, du LevaiIT. Lettre ' V T. $$f pas long-temps , & les "Vénitiens étant maîtres de Tine s'accommodèrent par bienféance de Myco- ne , d'où vienr que le Provediteur de Tine fe dit encore aujourd'hui Provediteur de Mycone : Bar- bcroufle Capitan Pacha la fournit à Soliman 1 1. avec prefque toutes les Ides que la Republique pofTedoit dans l'Archipel. Il ne faut pas oublier ici que Mycone & Tins furent conquifcs fous l'Empereur Henri , par An- dré Gizi quelques années après la prife de Con- ftantinople par les François 8c par les Vénitiens. Jérôme Gizi fon frère eut pour partage Sxyro & Scopoli. C'eft de cet André Gizi MSr que defcend le S1 Janachi Gizi , qui vous ed connu par fes fervices , & que vous avez pourvu des patentes de Conful de Mycone & de Tine ; fa famille s'eft toujours foûtenuë avec honneur depuis que les Latins conquirent l'Empire d'Orient. Nôtre Con- ful plein de religion a fait ériger à Mycone une chapelle à Saint Louis, & il entretient chez lui un Prêtre de nôtre rite pour y dire la MefTe. L'Egiife Latine du bourg dépend de l'Evêque de Tine, qui la fait défervir par un Vicaire à ij. écus romains d'appointemens :• l'aumônier de Mr Gizi en a de plus considérables ; mais on n'a rien à dire contre l'Evêque de Tine , puifque la a Congrégation n'en donne pas davantage aux Vicaires des autres Ifles : il y a même des Evêques qui ne leur don- nent que i j. écus , & qui trouvent plus de Vicai- res qu'ils ne veulent, parceque les Prêtres de l'Ar- chipel font ravis d'occuper ces portes, pour refter honorablement chez eux. Pour des Eglifes Grcques , il y en a bien jo, dans Mycone ; chacune a fon Papas f & prefque a De froptgmda fidt, $$6 Voyage tous les habitans font du rite Grec : il nJy a de Turc qu'un Cadi ambulant ; ces fortes de Cadis achettent une comtniflion du grand Cadi de Scio, ôc parcourent tout l'Archipel, faifant afficher dans les bourgs par où ils paffent , que tous ceux qui ont des procez , apportent leurs papiers, ou amè- nent les témoins necelïaires , qu'on les dépêchera promptement Ôc à bon marché : les Grecs naturel- lement chicaneurs font allez fots pour venir à ce tribunal, au lieu de s'accommoder à l'amiable de- vant les Adminiftrateurs ôc les Papas. Il y a plusieurs chapelles ôc quelques monafte- res à Mycone ; a Paleocaftriani eft un monaftere de trois ou quatre religieufes , fitué prefque au milieu de l'Ifle autour de b Paleocaftro ancienne forterelïè ruinée fur une colline agréable : l'Egli- fe de la c Trinité eft dans l'enceinte de Paleoca- ftro : celle de Sainte Marine n'eft pas loin de là ; on y célèbre tous les ans le 17. Juillet une gran- de fête où l'on danfe ôc où l'on boit à la gré que , c'eft à dire tout le jour ôc tonte la nufc A côté de Paleocaftro dans une belle plaine à la veue du port Sainte Anne eft le grand monaftere de d Trulliami , occupé par dix ou douze Caloyers , ôc quelques vieilles Caloyeres ; ils ont de grands biens dans la plaine e d'Anomeria , quartier de Tille le plus fertile. Le couvent de Saint Panta- leon eft en deçà de Paleocaftro allez prés du port Palermo ; mais il n'y a que trois ou quatre reli- gieux. Les monafteres abandonnez font celui de a l\«*o[**nsiÇftavn, l'ancienne c Ayi* T&Kh* > la Sainte Eglifc du château. Trinité. •» An QtçQix u*t?p. Ptol. d TftvH^ttui. Le Domc , ott Geogr.libj. cap.16. la Cathédrale. Mi>o»yoff àimi SimMi- Scyl. c Atofti&çi. La partie d'en Pcrîfl. haut. ■—mm—— — M— — terifca.&l. TMiBrvflg-; »"•»" Torn. I. l'eu? 3,37 Ch&murettC-y Piecej oui composent l nasillement dcur Fem/nej de c 4li/co/ie > . du Levant, Lettre V T. 357 h a Vierge , de Saint George , & du Sauveur. Outre le Conful de France , il y en a un aufîi dans cette Ifle pour l'Angleterre , & un pour la Hollande , quoiqu'il n'y vienne aucun bâtiment de ces deux nations ; mais les Grecs fe mettent à couvert des infultes des Turcs avec une patente de conful. Les bâtimens François deftinez pour Smyrne &c pour Conftantinople partent dans Le canal de Tine Se de Mycone , tirant entre le nord & le nord-eft : dans les mauvais temps ils relâ- chent ordinairement à Mycone & y viennent prendre langue pendant la guerre. La route or- dinaire des Anglois & des Hollandois eft entre Ncgrepont & Macronifi. Il vient iouventà My- cone des barques françoifes charger des grains , de la foye , du coton de d'autres marchandifes des Mes voifincs. Les Dames de Mycone ne feroient point de- fagreables fi leurs habits étoient un peu moins ridicules ; cependant ces habits , Se même les plus communs , leur reviennent à. 200. écus 5 il y en a qui coûtent 150. fequins : il eft vrai que la plupart de ces Dames ne s'habillent qu'une fois en leur vie ; les maris n'ont pas le chagrin de leur voir fuivre les modes , & de mettre la main à la bourfe à chaque faifon. Voici les pièces qui compofent leur parure , elles font tout à fait grottcfques. La première eft une efpéce de b chemifette A, laquelle à peine leur couvre la gorge ; elle a des manches à poignets ; ordinairement on la fait de c moulFeline , de boucafïïn ou de toile de foye, * Ucuctyt'ct hloûmu. La Vicr- t> hlis-o^liyv. ge de Mycone. c ïlov^iio. Tome I. Y }$S Voyage relevée de parTemens d'or ou de broderie ; an» les plus riches chemifettes font de véritables hai- res , car leurs ornemens s'impriment fur la peau^ On met par deflus ta chemifette une grande a chemife B de toile de coton ou de loye à man- ches aufli largesque celles d'un .furplis ', cette che- mife defcend juiqnes à mi-jambe Se tient lieu de jupon y elle eft garnie de dentelles ou brodée de foye , de fil d'or ou d'argent. La troiliéme pièce eft une efpéce de D plaftron C , couvert de broderie d'or ou d'argent que l'on applique fur la gorge , Se qui repond à un c jufte- au- corps fans manches qui ne prend qu'au delious des bras , fufpendu fur les épaules par deux gros cordons en manière d'anfes j comme toutes les femmes ne fe fervent pas de cette troifiémc pièce, j'oubliai de la faire defiiner : ordinairement elle eft de toile de coton , plilTée à petits plis Se ferrez» mais garnie en bas de dix ou douze cercles de mê- me étoffe , épais chacun de près d'un pouce , qui fervent à relever le Colubi dont on va parler , Se lui donnent une agréable rondeur. Elles endoftent enfuite un d corcelet D > qui a deux aîles fur les cotez , Se deux ouvertures pour paifer les bras ; c'eft une efpéce de corps fans man- che , brodé d'or & d'argent , relevé de perles ; on le garnit de c manches en Hiver. Ce corps déborde d'environ trois ou quatre pouces fur le f colubi , efpéce de jupon S F fore épais Se tout plufé , qui ne defcend que fur les c AtvnZovço;. f Xo*vZ>ûi Colrbi,o« CoLbi. A (A*T>vç*Zf«ro*xy fiT fepro- ë Peûy> t$ Çùvç*u< Drap Se nonce comme un /S en grec rucauic. vulgaire f (ifvçoZpoivAh* 7otn .1. Pacf. -7,7,8 t/iute c/es Piecej oui composent l '/va bit des Femm&j de Jlfi/cone Ih/n.I .la^y r&O CorceUt dôrte H. Tablier. H . Mu le tSoull terj < fuite des Pièces de l habit des Femmes' de JPÎi/ccne . du Levant, Lettre V L 5 j£ genoux ; on le ferme par devant avec des rubans } mais les Dames qui portent le julle-au-eorps,dont on a parlé ci-devant, en taillent paroître deux pouces i au deflous du japon. A Naxie pour re- lever le bas de ce jupon , on y met au deflous trois ou quatre pièces de même ftmdhire fort épailfes & fort lourdes. La chofe eft encore plus ridicule à Andros ; car on y place un cerceau lem> blable à ceux qu'on met aux verrugadins. La fixiéme pièce de l'ajuftcment de ces fem- mes , efl: Un * tablier H de moutîeiine ou de toile de foye toute brodée i comme la broderie a été inventée en Levant , on l'applique fur tout; ÔC certainement on y brode bien plus proprement qu'en France ; mais leurs defleins ne font pas de a bon goût. Elles portent en Efté des b bas de coton , ôc en Hyver des bas de drap rouge , ornez de dentelles d'or oU d'argent ; ces bas font tous répliflez 3 car elles en chaulïent quatre ou cinq paires les unes fur les autres : leurs jartiéres font de rubans gar- nis de c dentelles d'or ou d'argent , & nouez à deux ganfes. Leurs d mules font de velours j mais Ci cour- tes par deflus qu'il n'y entre que les doigts des pieds , aufll ces Dames marchent de très mauvai- se grâce , traînant leurs pantoufles : on en voit quelques-unes qui ont des fouliers à la vénitien- ne , qu'elles attachent avec de grands rubans à dentelles. Enfin leur e couvre-chef eft un voile de mouf- feline ou de toile de foye , long ordinairement a lIpoçeTnhec. Tablier. 540 * Voyage de fept ou huit pieds , fur deux pieds de large J elles le tortillent fur la tête 8c autour du menton, d'une manière agréable , 8c qui leur donne un air affez éveillé. Cette Iile ne produit pas des plantes extraordi- naires ; nous y remarquâmes pourtant , Y Iris t li- ber o fa , folio angulofo. C. B. Pin. que nous n'a- vions pas obfervée dans les autres lues : j'en ai fait un genre particulier fous le nom à'Her- moàallylus Nous obfervâmes fur la montagne de Saint Helie du cap Trullo que Naxierefte entre le fud-fud-efl: 8c le fud. La petite Delos entre le fud-fud-oueft 8c le fud- oueft. Paros fe trouve dans la même ligne. Le milieu de la grande Delos 8c Cabronin" font au fud-oueft. Tragonifi à l'eft-fud-eft. a Tragoniiî eft un méchant écueii de trois milles de tour , à un mille de Mycone de cap en cap au deflbus de la montagne de Saint He- lie de l'eft ; quoiqu'il faille faire près de 10. milles pour aller du port de Mycone à celui de Tragonifi : il n'y a prefentement ni boucs ni chè- vres fauvages qui lui ont fait donner autrefois le nom de î'Ifle aux boucs. Les bourgeois de My- cone , 8c fur tout les moines de Trulliani y font nourrir leurs beftiaux ; mais les bergers font obligez de les ramener dans le mois d'Avril , par- ce que l'eau des pluyes commence a manquer : la bergerie eft alTez jolie 5 mais les deux chapel- les que l'on y a bâti autrefois n'ont que les qua- tre murailles. » Tçppiw. Iflc aux boucs. Dragoncra. du Levant. Lettre VI. 341 Stapodia cft à 5. milles de Tragonifi , c'eft une crête de rocher faite en Telle à cheval , couverte de quatre ou cinq jolies plantes : on n'y voit ni bergers ni troupeaux, parce qu'il n'y a point d'eau douce , & que la mer en fubmerge une partie de temps en temps. J'ay l'honneur d'être avec un profond refpecl: , &c. "J 34* Voyage Lettre VII. \£ Monseigneur le Comte de Pontchartrain » Secré- taire d'Etat & des Commandement de Sa S/la- jefté , &c. M QtfSElGNEUR, î.os Descri" ^cs Grecs appellent aujourd'hui a Dili deux ption écueils de l'Archipel tout à fait abandonnez , Se des iflcs qui ne fervent de retraite qu'à des corfaires & à de De- des bandits : h le plus grand s'appelloit ancienne- ment l'Ifle Rhenée , & c l'autre étoit connu fous le nom de Delos , le centre des fameufes Cycla- dcs. Cette Ifle qui n'a gueres plus de fept ou huit milles de tour , quoique d Pline lui en donne quinze , fut regardée comme un e lieu facré des que le bruit fe fut répandu que Latone y avoit mis au monde Apollon & Diane. Les Grecs qui ont eu de l'efprit & de l'habileté avant les Ro- mains , attachèrent tant de grandeur à Delos & la rendirent fi magnifique qu'elle fit l'admiration de toute l'antiquité : jamais Ifle ne reçût tant de louanges ; & Pindare ôc Callimaque compoferent des hymnes en fon honneur. f Erylichton fils de Çecrops premier Roy d'Athènes y éleva un tem^ a A? oi. d Hijl.nat, lib.^.. cap.ii. b lAijec,\os à**e$ Pm'»«« , c Strab. Rerumgeog. lib.io. antiquorum. f Eufeb. Chron. gr&c. lut. c AïAo; , aneiquor. Mue fis pag.j6. Cedren. CompenÀ. A5*«* , que les Francs ap* hift.Syncell. Chronogr. pf lient , Sdiles, du Levant, Lettre Fil. 345 pic à Apollon : ce rcmplc qui dans la fuite devint un des plus fuperbes édifices de la terre , fe trou- voit à l'entrée d'une grande ville bâtie de granit Se de marbre , ornée d'un théâtre , de portiques , d'un baflin à reprefenter des combats de mer , d'un a Gymnafe & d'une prodigieufe quantité d'autels. Jugez M§r de i'ernprefTement que nous avions de voir un pays fi célèbre dans les autheurs. L'Ifle de Dclos qui eft bien trois fois aufïi longue que large , eft au milieu de deux beaux canaux , l'un du côté de Myconc , Se l'autre du côté de l'ifle Rlicnéc : dans celui de Mycone qui eft a reft- nord-eft font deux méchants b écueils accompa- gnez de quelques rochers. Le canal a trois milles de large du cap Alogomandra de Mycone à la plus proche terre de Dclos ; mais on compte fïx milles du port de Mycone au petit port de Dclos, où l'on débarque ordinairement ; il y a ij. milles de ce petit port à celui de San Nicolo de Tine. Pline n'a pas bien connu la diftance de Mycone à Dc- los ; car il l'a déterminée à 1 $. milles : il fe trom- pe aufïi touchant celle de Delos à Naxie qui eft de 40. milles , quoi qu'il n'en compte que dix- huit : pour celle de Delos à Nicaria , il a raifon d'alTùrer qu'elle eft de cinquante milles. Le canal qui eft entre les deux Delos n'a gue- res plus d'un demi mille de largueur vers le grand c Rematiari t écueil dont le nom me parut fi ex- traordinaire , que je m'attachai à rechercher Ton étymologie , & quoique cette découverte ne Toit a ïlù^i&apoç. CjUim.hymne fur Delos, verf. z66. h rf^eroniffu. Les lues aux poireaux. ?-./-tttT,âfyls , RhcuniAiifmo laborans, V^cm^et», aquis obiuere pro V^px-a^,. Y iiij 344 " Voyage pas importante , je me fçai bon gré de l'avoir faite. Rematiari en Grec vulgaire fignifie une perfonne fujette à des fluxions ; & comme cet écueil allez plat eft fou vent inondé par les eaux du canal , les Grecs qui ont l'efprit badin l'ont nom- mé Rematiari j c'eft à dire une Ifle fujette à Rhu- matifme ou à être fouvent fubmergée. Les an- ciens ont fait plus d'honneur à cet écueil , & l'a- voient confacré à Diane fous le nom d'Hecate;car nous lifons dans Suidas qu'on l'appclloit l'Iile a d'Hécate ou Pfammite , du nom de certains gâ- teaux que l'on y offroit à cette Déelfe. Comme cet écueil eft dans l'endroit le plus étroit du canal , il y a apparence qu'il fut choiù par Polycrate , ce fameux tyran de b Samos , pour y faire tendre cette chaîne dont parle Thucydide, laquelle attachoit Plfle Rhenée à Delos , & mar- quoit que l'on confacroit la première à Apollon Delien. Il eft probable aufïi que ce fut dans ce même endroit que e Nicias traverfa le canal pour entrer dans Delos ; on ne peut rien imaginer de plus pompeux que cette entrée : Nicias informé que les Prêtres députez des villes de Grèce debar- quoient ordinairement en defordre, Se qu'on leur ordonnoit fouvent de chanter les Hymnes d'Apol- lon fans leur donner le temps de s'habiller , fît mettre à terre dans l'Ifle Rhenée , les victimes , les prefens & toute fa fuite. On jetta durant la nuit un pont iur le canal 3 & le lendemain on fut tout étonné de voir pafter cette procefîion fur ce pont couvert de riches tapis , avec des parapets peints , dorez & garnis de fleurs > tous ces prépa- a Ewnii Nij?»î vrf» t? Atîùx MMivy n N/jCJ/^O» t &C. Sutd. l> Thurgd. l'A 3. c Pluttrck. in N/Y/«. ■H^na Torn.I.Paq.^ DELOS Echelle d'un AfilU » 1 I I ~T Restes d/i Colosse dAvolloiL . & Fetit Reuiatiam Pa/'tze de la or'ande Delos ou de iJsIe Rlienee Caj.ro 'eue t l.Fettt Lac i.La araude J'ource ~$. Bassin dessèche i\.Del>rts des Colamnes SFortiaue ntuie' 6. Cealej • T^t'/le t'tuttee BJFonfnine du jifa/tois" .N^auttiachie îO.Cistvrne dessecAee Jl. Ruines du Temple d'Ayollan . lz .De bris TIT^M marbré î^.Torhcjiie de rlulipvA i/\.. Piliers de Cramtt îS.Le Théâtre 16. La Ciste me .//. Temple ruine jS- Rut/tes de la Villt i^. Fer te de la Vilh a.0. Jfont Cuntnien 0.1. Ruines de In Vtllt de ls~sle Rlienti . ^■■H du Levant. Lettre FIL 34Ç ratifs avoient été apportez d'Athènes : la com- pagnie marcha en bon ordre , bien parée , chan- tant agréablement. On facrifia dans le temple d'Aï- pollon , les jeux ne furent pas oubliez , il y eue des repas magnifiques , èz Nicias fit dreflfer un grand Palmier de bronze qu'il confacra au Dieu de Plils : ce capitaine Athénien pouffa la magnificen- ce plus loin , il deftina les revenus d'une ferme confiderable pour un repas où il voulut que les Deliens fulïènt invitez tous les ans , afin de s'atti- rer par leurs facrifices les bienfaits des Dieux : on grava fur une pyramide cette donation pour la rendre authentique &: irrévocable. Le canal dont nous parlons a trois milles de large du a cap du Chameau au port Pyrgos de la grande Delos ; l'une des embouchures de ce canal efl: au fud 8i l'autre au nord. Le grand Rematiari fe trouve au fud-oueft , & le petit Rematiari à l'oueft : la diftance d'un écueil à l'autre efl: aufîi grande que celle de la cote de la petite Delos au grand écueil ; mais la diftance de ce grand écueil a la grande Delos eft beaucoup plus confiderable : les vaifleaux de guerre donnent fond vers la poin- te méridionale du grand Rematiari , où il y a un très bon mouillage , & l'on y a vu jufques à cent dix vanTeaux de guerre après la bataille de b Sala- mine , deftinez , à la follicitation des Athéniens , pour délivrer l'Ionie de la tyrannie des Perfes : c Diodore de Sicile dit que cette flotte étoit de deux cens cinquante galères. Les vaifleaux panent entre les deux écueils êc la grande Delos , lorfqu'ils veulent fortir par l'embouchure du nord 3 les galères mouillent un ' a Cabo Camila. c Biblhth.hiji.lib.il. b Jiered. iib. 8. t4. Oc tohrc I/OO. 546 Voyage peu plus bas vers le fud , 8c viennent mettre leur proiie fur la grande Ifle clans un port appelle le port du général j l'autre partie de ce canal qui cft entre les écueils 8c la petite Delos fert de pallage aux galiotes 8c aux caïques. Nous partîmes de Mycone avec Mr Gizi Con- ful de France qui voulut bien nous accompagner pour examiner les ruines de cette Ifle j l'impa- tience où nous étions d'y arriver ne nous permit pas d'aller jufques au petit port , nous débarquâ- mes à une langue de terre 1 au nord-eft , tout à l'extrémité de l' Ifle : un petit lac z d'environ 20. pas de large qui ne fe delïeche que dans les grandes chaleurs éc qui fe remplit en Hyver 8c eii Automne (c prelenta d'abord à nous i il eft aifé de le reconnoître par les Tamaris qui font fur (es bords , 6V nous donna d'autant plus de joye 3 qu'il nous fit concevoir l'efperance de n'y pas mourir de foif , comme en coururent le rifque Mrv Spon 8c Wheelcr en 1675. ce lac eftàjo. pas de la mcr3 du coté qui regarde la grande Delos , 8c à z8o. pas de la pointe de la langue de terre où l'on nous débarqua, a 11 femblc que cette pièce d'eau Toit le marais rond dont parlent Çallimaque 8c Hérodote ; car ce nom de marais ne fçauroit convenir à la fon- taine InopHs , puifque Çallimaque fait mention féparément du marais 8c de la fontaine : il n'efl pas croyable non plus que ce b marais foit le badin ovale où l'on reprefentoit les combats de mer , pareequ'il n'y a aucune apparence qu'on eût don- né le nom de marais ou de lac à un c balîin fait de Hjm.fur Deios verf.161. lib.z. du Levant. Lettre VIL 547 main d'homme , très bien cimenté , & que l'on remplilïoit comme nous le ferons voir , de l'eau de la mer , lorfqu'on vouloit reprefenter des ba- tailles navales : il faut donc conclure que nôtre lac , qui apparemment s'eft comblé en partie de- puis ce temps-là , eft le marais rond de Callima- que 8c d'Hérodote. A 15 $ . pas de ce lac , au-de-là d'une petite éminence , on trouve dans un terrain allez plat , une des plus belles fources 3 de tout l'Archipel; c'eft une efpéce de puits, d'environ 12. pas de diamettre , enfermé partie par des rochers, &c par- tie par une muraille ; l'enceinte eft couverte en Hy ver des eaux qui fe répandent par deffus ; il y avoit en Octobre 14. pieds d'eau , & plus de 30. en Janvier & Février : cette admirable fourec eft à 190. pas de la côte qui regarde la grande Delos; mais elle eft beaucoup plus éloignée 4e celle qui eft oppofée à Mycone. Certainement cette fource eft la fontaine Inopus de Pline ; car j'ai oui conter à Mycone que celle de Delos auçmentoit & diminuoit dans le même temps que le fleuve Jourdain. a Strabon dit que c'eft pouiïer les prodiges bien loin , que de faire parler le Nil jufques à Delos. Pline a pris la cho- fe plus ferieufement , & allure que la fontaine Jriopus augmentoit & diminuoit de même que le Nil : les habitans de Mycone ont retenu cette fa- ble par tradition ; mais ils confondent le Jour-, dain avec le Nil. Callimaque parle b à'Inopus comme d'une eau profonde , & Strabon comme Rerum geogr. lib. 6. In augetuique. Plin.Hift.nat. Delo infula Inopus fons Hb.z. cap. 101. codem quo Nilus modo ac b B«9-ù$ ht/Trit, Verf.163. paritet cum co dccrcfcit $48 Voyage d'une petite rivière. a Nôtre fource a 2.4. piedi d'eau en Efté , comme l'on vient de dire ; les ar- mées Turques & Vénitiennes y viennent faire ai- ^uade , & je fuis perfuadé quatrefois elle four- îiiflbit d'eau aux deux Delos : car il n'y a point de fource dans l'Iflc Rhenée. Strabon avoit été alfù- rément mal informé : il n'y a non plus aucun ruif- feau dans Delos , fi ce n'eft quelques rigoles for- mées par les pluyes d'Hiver. A 12.4. pas de cette belle fource tout près de rifthme qui fépare du refte de l'Ifle la langue de terre où nous débarquâmes , eft un autre creux 4 allez profond, mais fans eau ; on nous affûta qu'il en étoit plein en Janvier &c en Février. Tout au haut de cet Ifthme tirant fur la gau- che,on entre dans les ruines 5 de l'ancienne ville de Delos. Nous y découvrîmes d'abord les fûts de fix colonnes de granit , d'un pied quatre pouces de diamètre , pofez fur la même ligne , trois dé- bout , l'une panchée , de deux enterrées, dont 011 ne voyoit que les diamètres. A environ 196. pas de là, avançant toujours à gauche & fuivant les mêmes ruines 6 , on voit à 30. ou 40. pas de la mer cinq belles colonnes de marbre de 16. pouces de diamètre, difpofées aufli fur le même rang. A 25. pas plus loin il y a des morceaux d'autres colonnes de marbre canelées , de deux pieds trois pouces de diamètre : on trou- ve aux environs quelques autres pièces de marbre; de un peu plus haut le long de la mer 7 s'élèvent: deux piliers de granit quarrez , a0ez minces: voi- là tous les reftes d'antiquité qui font fur la côte de Delos vis-à-vis Mycone : ce n'étoit pas le plus put^â, Stmb, Rerum Geo*r. libt\o. du Levant. Lettre VII. 349 bel endroit de la ville y les ports qui font entre les deux Delos avoient fait préférer avec raifon la côte du couchant à celle de l'eft-nord-eft , où il n'y a que de méchantes cales. La ville donc au lieu de s'étendre fur la côte de Mycone failoit une eipéce d'angle au travers de Ilile , du côté du couchant , & fuivant la pente d'une petite colline 8 , venoit joindre un des plus iuperbes édifices 9 de l'Iflc, s'il en faut juger par les ruines \ c'étoit peut-être un portique foûtenu par une colonnade , comme le marquent les cin- tres ôc les pilaftres : les ruines de ce bâtiment font a 330. pas de Mycone , prefque vis-à-vis les deux piliers de granit 7 dont on a parlé. Du côté de la gtande Delos 3 elles répondent à la calanque de Scardana 13 , qui en eft éloignée de 523, pas : on ne voit dans ces ruines que marbres caftez , piedeftaux , pilaftres , architraves , cintres &tba- zes renverfées , la plupart des colonnes en ont été enlevées ; celles qui relient n'ont que 16. pouces de diamètre , & les pilaftres ont un pied cinq pouces de large : les cintres font d'une feule pièce quarrée de cinq pieds de diamètre , raillée en de- mi cercle , large dans œuvre de trois pieds quatre pouces , avec des moulures d'un excellent goût dans leur {implicite : il y a des piedeftaux de trois pieds deux pouces de diamètre , fur trois pieds &C demi de haut , cilindriques ■> & fur le corps d'un de ces piedeftaux paroirTent encore les traces d'u- ne infeription fort longue ; mais ii ufée que de plus habiles Antiquaires que nous ne pourroient peut-être y déchifrer un mot entier : nous y re- marquâmes avec beaucoup de peine les caractères fuivans , A N 1 1 O \ qui peut-être formoient le commencement «lu nom d'Antiochus ; ilfe peut $$o Voyagé faire que ce qui paroît un A ait été uii A , \& premier I peut avoir fervi de jambe à un T. Antiochus Epiphane ou Epimane Roy de Syrie avoit embelli Dcîos d'un grand nombre d'autels & de ftatu'cs , comme il paroît par un endroit de Polybe rapporté dans Athence. a II fcmble que le fragment du 41. livre de Tite-live ne foit qu'une copie de ce que Polype avoit publié de ce Prince magnifique jufques à la prodigalité : peut-être qu'il avoit fait bâtir ce portique où l'on avoit éle- vé fa ftatue" fur le piédcftal dont nous parlons ; parmi ces piédeftaux il y a deux chapiteaux corin- thiens -, les autres ont été emportez pour faire des mortiers , fuivant la coutume du Levant. Après avoir examiné ces ruines , nous montâ- mes à droite fur une colline 8 ou nous ne remar- quâmes aucuns reftesde bâtimens. Avançant tou- jours vers la mer du côté de la grande Delosmous allâmes iur une montagne 10 un peu plus efear- pée , mais beaucoup plus baflè que le mont Cyn- the que nous avions toujours devant les yeux : on voit entre ces deux collines deux cifternes 1 1 , 1 z delfechécs , & les reftes de quelques colonnes de marbre , lefquelles peuvent avoir fervi à un tem- ple. On découvre fur la montagne 10 des fonde- mens d'une partie de la ville , qui s'étendoit juf- ques à la mer : Mr Wheeler foupçonne avec rai- ion que c'étoit la nouvelle Athènes d'Adrien , bâ- tie par les Athéniens aux dépens de cet Empereur, & appellée b Olympieion par Efticnnc le géogra- phe ; ce nom vient du furnom d'Olympien, mar- qué iur une médaille des Nicomediens, où Adrien cft appelle c dieu Olympien i on lui a donné le • Deipn. lîb.j. c ©s« O>ûl«7nos , légende* b OAïMnlEIQN. Steph. N«wf««(/»»N du Levant. Lettre VII. $ Spon &c Wheeler y arrivèrent , * Aù^k. kcuvap. Aî^ooiç C-dl'im. hyr/tn. Jur Delos. ¥.(M(rcv3. légende, EQLnvt. c Mifcell. erud antitj.feft. IQ. 3ji Voyage nous en comptâmes zj. de renverfées" ; les unes & les autres paroi ifent avoir été pofées quarré- ment : quelques-unes ont un pied 8c demi de dia- mètre ; les autres ont deux pieds moins deux pou- ces ; la plupart font hautes de 9. pieds 8c demi : la tradition veut que cet endroit-là fut le Gymnafe del'lfle ; &: c'eft audi pour cette raifo'n que les corfaires appellent Delos les Ecoles , pour la di- ftinguer de la grande Delos : ce prétendu Gym- nafe étoit tout de granit ou de pierre du pays : le granit fe tiroit du mont Cymhe ; les inferiptions qui parlent des Gymnadarques font dans un badin ovale que l'on va décrire. A gauche 8c environ 45. pas du Gymnafe dans un petit fond cft la fontaine du Maltois 1 6 , petit puits dont l'overture cft à fleur de terre 8c comme en lozange ; l'eau n'y étoit qu'à fept ou huit pieds de profondeur en Octobre , Janvier 8c Février. A 100. pas du Gymnafe prefque fur la môme ligne & à 345 pas de la mer , fe trouve un badin 17. ovale de 185?. pieds de longueur, fur 200. pieds de largeur , entouré d'une muraille haute, d'environ 4. pieds , prefque toute revêtue d'un ciment fort épais & propre à retenir l'eau j elle s'y dégorgeoir par un canal d'un pied 8c demi de large , lequel venoit de la mer , 8c dont l'embou- chure étoit oppofée au Gymnafe : ce badin s'ap- pelle prefentement la danfeufe , ou le lieu propre à danfer : en effet il ne peut fervir qu'à donner le divertiffement de la danfe aux matelots 8c aux pefcheurs. Quoique les anciens autheurs n'af- furent pas qu'on reprefentât des batailles navales à Delos , il femble pourtant que ce badin etoit «leftiné pour ces fortes d'exercices ; mais il falloit pour du Levant. Lettre VIÎ. $$$ pour celaque les bâtimens fuirent bien petirs ; au contraire le canal ouvert entre les deux Delos nous parut admirable pour ces lortes de fpectacles dans un beau jour, puifque le peuple des deux lues rangé fur les côtes & fur les hauteurs les pouvoir confiderer fort commodément , 8c qu'on pouvoir fe fervir de galères &c de vaiifeaux ordinaires pour les reprefenter. Quoi qu'il en foit l'eau de la pluye qui s'étoit amaflée pendant le mois de Fé- vrier dans le badin dont nous parlons , étoit fore falée & prefque amére , au lieu que celle des au- tres mares d'eau de la pluye , étoit fade & douça- tie , ce quifemble prouver que ce badin fe rem- plilïoit autrefois de l'eau de la mer 3 dont il eft re- fié beaucoup de fel 5c de vale. Il n'eft pas furprenant que Mrs Spdn & "Whee- ler ayent pris ce badin pour le marais de Callima- que ; ils turent mal conduits , & ne virent ni le lac rond que nous avons décrit , ni la fontaine înofus : nous devons à nôtre impatience la décou- verte de cette fontaine ; car nous n'aurions pas vu la langue de terre où elle eft il nous avions été jufques au petit port , au lieu que ces M's qui venoient de Tine enfilèrent le grand canal & mi- rent pied à terre à Scardana. a La comparaifon qu'Hérodote fait du marais qui étoit en Egypte à Sais auprès du temple de Minerve avec celui de Delos , paroît d'abord favorifer leur penfée, puif- que celui de Sais étoit enfermé par une muraille fort propre , de même que le badin dont nous parlons ; mais il femble que la comparaifon de cet autheur tombe plutôt fur la figure & fur la gran- deur du marais de Delos que fur fes ornemens. En defeendant dans ce badin moitié comble Lib. i cap. 170, Tome I, £ 354 Voyage aujourd'hui , nous découvrîmes d'abord un pîé- deital quarré , de deux pieds cinq pouces de haut fur deux pieds un pouce de, large , à moitié calTé , & l'on n'y lit plus qu'une partie de l'infeription qui parle du Gymnafïarque Seleucus de Marathon: on la rapporte ici toute entière , telle que Mrs Spon & Wheeler la lurent en 1675. le côté effa- cé fait voir ce qui manque ? car on ne trouve à prefent que ce qui refte a main droite. I©PAAATOY SEAEYKOS rYMNASIAPX^fl Pour l'infeription de Mithridate Eupator, men- tionée par Mrs Spon & "Wheeler , peut-être qu'- elle a été enlevée depuis ce temps-là : il n'efl: pas furprenant qu'on eût dreffé dans cette Ifle des fta- tuës à ces deux Princes ; à Mithridate Evergete , par rapport à Tes bienfaits ; à fon fils Eupator , à caufe de fa puifTance redoutable : ce Prince fie faccager Delos , fous prétexte qu'elle avoit quitté le parti des a Athéniens Ces amis, & reçu un Gou- verneur de la part des Romains. h Dans le défor- dre donc que les troupes y cauférent , on épargna les fratries des Mithridates , & l'on n'eut point de refpect pour celles des autres Princes. Nous apperçûmes fur la gauche & dans le mê- me bafîin un morceau d'un autre piédeftal cilin- drique à demi enterré dans le fable ; après l'avoir découvert & lavé , nous y lûmes une partie d'une infeription afTez maltraitée , laquelle fait men- * Strab. Kerumgegg. lib.lx. b Flor. lib. j. cap. j. m H m r<,in..2?rp*g.3$2 du Levant. Lettre Fît. 1,5$ tion du Roy Nicomede Epiphane , & d'un Gym- naliarque qui lui avoit fait drclTcr une ftatue" •, et piédeftâl a dix-fepe pouces de diamètre : voici l'inicription. B A 2 I A E fi 2 N î K O M H A « . TOT EYfONOÏ B A S I À B fi S NIKOMEAOT E H 1 * A N O T ....KOTPIAH2 AIOSKOPIAOY,., PAMNOT2I02 r T M N A 2 IA P X O» a C'eft ce Nicomede Epiphane Roy de Bitlii- tiie qui fit mourir Ion père Prnfias , 8c qui eut pour fuccefleur Nicomede Philopator fon fils* j'achetai àErzcron une médaille d'argent de Ni- comede Epiphane : la tête en eft admirable ; mais le revers n'eft pas de la même main. A droite de ce bafïin vers le bas environ 50. pas en montant fur une petite éminence 18 dû> (iftent encore les reftes de quelque beau temple * autant qu'on en peut juger parles débris de plu- fieurs colonnes de marbre d'environ deux pieds inoins deux pouces de diamettre , moitié canelées & moitié à pans , ou peut-être canelées par les deux bouts & taillées à pans dans l'entre-deux ; les canelures 8c les pans font larges de trois pouces ôc demi : nous ne pûmes lire que le mot âiONTSiOY fur le refte d'un autel cilindrique , beaucoup plus gros que les piédeftaux précedens , orné de têtes de bœufs , de feftons 8c de grapes de raifîn ', le dellus de cet autel eft un peu creux , & propre poar y brûler de l'encens -, il faut par là distinguer les autels des piédeftaux qui foûtenoient des fta- tuës , 8c qui par confequent étoient tout plats *. ces * Appian, de btllo Mithrid. Z ij 3jé Voyage autels font frcquens dans les deux Delos , nous en découvrîmes un fibeau que je l'ai fait graver. On lit à quelques pas de là fur un bout d'ar- chitrave de marbre en cara&cres parfaitement beaux de trois pouces de haut O N T 2 1 0 Y ET, reftes de l'infeription à I O N T 2 1 0 Y EYTXXOY dont parlent Mrs Spon & Wheeler -, mais ce der- nier la place trop près du portique de Philippe de Macédoine. M' Spon doute fi ce Denys Eutyches fut le fils de ce fameux tyran de Syracutc, avec qui les Car- tcK'inois eurent de ii cruelles guerres : il eil pour- tant certain que le fumom d'heureux convient mieux à fon père , que a Diodore de Sicile appelle . très fortuné : le fils au contraire fut le plus mal- heureux de tous les hommesjfùr la fin de Tes jours il fut obligé d'élever des enfans pour gagner fa vie. Si l'infcription parle du premier tyran de Sy- racufe , il y a apparence que ce deftru&eur des temples avoit voulu reparer fes impietez par les preiens qu'il fit à Apollon. Ne pourroit-on pas penfer que le Denys dont il s'agit , fut un des tyrans d'Heraclée du Pont qui régna fort heu- reufement pendant 30. ans fuivant b Memnon : c Diodore de Sicile poufTe fon règne jufques à $£. ans , Se d Athénée jufques à 33. Il mérite plus le nom d'heureux que les Denys de Syracufe , qui furent l'horreur de leur fiécle. De cette architrave tirant vers la mer , on mar- che dans les ruines d'une partie de la ville , tout le long de la côte. A deux pas de la même archi- trave on rencontre quelques reftes 19 de lions de 8 EvTvx.UttTvt. Biblioth. hift. lib.14.. b jipudPhot.Bibïioth.eap,î. c Biblioth. Hift. lib 14-6' l°. à- Deipn.lib.ix.caf.t6. du Levant. Lettre VIT. 357 marbre tous en pièces ; quoique plus aifez à con- noître que ceux qui font à côté du temple d'A- pollon ; le Sr Oftovichi , l'un des meilleurs bour- geois de Mycone , qui challe tous les jours à De- îos , nous allùra qu'il y en avoit vu cinq entiers il y a quelques années. On découvre enfuite les ruines 20 d'un bâti- ment très magnifique tout au bout du baffin ova- le qui regarde le temple d'Apollon ; une infinité de colonnes de marbre , montrent encore qu'elles avoient été alignées fur un quatre aufïi large que le petit diamètre de ce baiîin : c'étoit peut-être un portique bâti par Denys Eutyches dont nous ve- nons de voir Pinfcription ; car l'architrave & l'autel, où le nom de ce Prince cft gravé font tout près de ces ruines ; quelques-unes des colonnes font encore debout ; la plupart font renverfées & calfées ; il y en a d'unies de 20. pouces de diamè- tre , & d'autres taillées à pans de 18. pouces feu- lement, entremêlées les unes & les autres de quel- ques gros piliers de granit. De ce portique vers le petit port 14 tout eil plein de colonnes de marbre & de piliers de gra- nit : ces colonnes ont deux pieds de diamètre , ôc leurs canelures font larges de 4. pouces : a ces dé- bris 2 1 font fi magnifiques , que nous les prîmes pour les refies du temple de Latone. On compte environ 240. pas du baiîin ovale au temple d'Apollon 22. dont les ruines brillent encore plus que celles des autres édifices de l'Iflc: ce temple fi recommandable parmi les anciens , h- tué à près de cent pas du petit port , étoit l'ouvra- ge de toutes les puiilances de la Grèce qui avoient contribué à fa conftru&ion & à fon entretien. * T« AijTéfor yStrab. Rerum »eog. lib.io. Z iij 55S V o y Afi! a Plutarque nous apprend qu'il ren fermoir urae des fept merveilles du monde : c'étoit un autel conftruir avec des cornes difpofées d'une adrelïe merveilleufe , fans colle ni chevilles : il eft à craindre que cet autheur n'exagère la beauté de cette pièce autant que celle des nids des Al- cyons. Les reftes de la ftatuë d'Apollon 1 3 font pre:f- que à l'entrée de ces ruines & confident en deux pièces y le dos eft d'un coté , le ventre & les cuïf- fes de l'autre: on ne lui a laillé ni tète , ni bras , ni jambes : c'étoit une ftatuë colollale d'un feul bloc de marbre , & dont les cheveux tomboient fur fon dos par grofles boucles : ce dos a lix pieds de large , mais l'on n'y voit plus de marques d'au- cun ornement , & les plus vieux habitans de My- cone ne fe fouviennent pas d'avoir vu cette figure entière ; le tronc en eft tout nud , & il a dix pieds de la hanche au genou : lesfculpteurs de ce temps- là étoient trop habiles pour avoir placé une (1 grande figure à une hauteur ordinaire : il y a tou- te apparence qu'elle étoit deftince pour le fron- tifpice du temple d'où elle n'auroit paru que de grandeur naturelle , & l'on peut juger par là de l'élévation de cet édifice : on peut conjecturer auffi par les ruines , qui ont plus de 300. pas de long , que le frontifpice de ce temple regardoie la grande Delos , & qu'il étoit couvert par un dô- me d'un grand diamètre. Ces ruines font prefentement de gros morceaux de colonnes brifées , d'architraves , de bazes , de chapiteaux entalTcz confufément ; parmi tant de pièces , vers le bas de ces débris eft un quartier de marbre bien équarri , qui fans doute a fervi dfi ? J)e fol 'er t. anima*. du Levant. Lettre VII. 359 plinthe à la ftatuë d'Apollon : ce marbre qui a 1 j. pieds & demi de long , dix pieds neuf pouces de large s & deux pieds trois pouces d epaiileur , cft perce' au milieu comme fi l'on avoit voulu le vui- der pour le rendre plus léger : on lit en parfaite- ment beaux caractères fur fon épaiflèur qui ell tournée du côté de la mer : NASIOI AnOAAftNI. a Plutarque rapporte dans la vie de Nicias,que cet illuftre Athénien fit drefler auprès du temple de Dclos un grand Palmier de bronze qu'il con- facra à Apollon , Sz que les vents renverferent enfuite cet arbre fur une flatue" cololfale élevée par les habitans de Naxos : il eft hors de doute que c'étoit la ftatuë d'Appollon dont on vient de parler : pour l'infcription , il eft cerrain qu'- elle eft de ce temps- là , &: qu'elle marque que la pierre fur laquelle on la lit , fervoit de plin- the à la ftatuë ; mais il faut conclurre aufîi.que cette ftatuë étoit encore pofée à terre , ou que le palmier qui la renverfa étoit fur le comble du temple. Sur l'épaifteur du plinthe vis-à-vis de l'infcri- ptiondes Naxiotes on en lit une autre en carac- tères fi extraordinaires que les plus habiles gens des Ifles voifines n'y connoifïënt rien. Mr Spon crut d'abord qu'ils approchoient des anciennes lettres Tofcancs -, mais Mr Wheeler & lui , après les avoir bien examinées, jugèrent qu'elles étoient en Grec vulgaire , quoi qu'ils ne puilent pas les •nS N*£i«r 7i tz£ piyxbm tffl an-r^yi». tint, fit Nicia. Z iiij •go Voyagé expliquer ; voici la forme de ces caractères copiez très fidèle mène. a Deux des plus grands hommes de ce fie'cle , fans être avertis d'où j'avois tiré cette inferijption , fans fe voir , ians con- férer enfcmblc 3 l'ont expliquée fur ie champ , & fe font fi bien rencontrez que je ne puis allez admirer leur fagacité. Le P. Hardouin croit que les quatre premié- ^ res lettres défignent quelques noms pro- fK près ; §c le P. Dom Bernard ne donte pas ^^ que l'infcription ne foit en caradtercs an- _0 ciens & Ioniens , qui répondent aux iui- ^^ vans : To hido fcÇ/v aviïpicts km ?o ptp'.Xar. g 77- H l Hmc lapidi itieji jlatua & fcabellum , fui- vant le P. Hardouin : In lapide fum ( vel eft ) Jiatua & bafis , fuivant le b P. Dom Bernard. Les plus belles colonnes du temple étoient à ion frontifpice ou à fon velli- bule ; c ces colonnes n'étoient pas cilin- driques , mais prefque ovales , taillées à plate-bande par devant & par derrière , avec les cotez arrondis & canelez ; leur grand diamètre avoit trois pieds cinq pou- CX ces, & celui d'une plate-bande à l'autre fay deux pieds quatre pouces & demi ; les *S* ' Le P. Dom Bernard de Montfaucon de la Con- ç^ gregation cte S. Maur , & le P. Hardouin de la ♦ Compagnie de Jefus. * . b PaUogr.gr. lib.i.cap.i. du Levant. Lettre V 1 1. 361 plate-bandes étoient larges d'un pied cinq pouces, & les canclurcs avoient près de quatre pouces : ces colonnes étoient à plufieurs affifes potées les unes fur les autres , 8c enclavées par trois clefs de cuivre , dont celles des cotez étoient quarrées ik. entroient dans des trous de deux pouces de dia- mètre ; celle du milieu sJengageoït dans une ou- verture longue de demi pied, large d'un pouce , profonde d'environ fept pouces avec une manière de noix cilindrique , comme il paroîtpar la figu- re en marge : parmi ces belles colonnes il y en £ avoit aufîi de rondes & canelées de deux pieds deux pouces de diamètre. Plufieurs ftatues 3 & une infinité d'autels' em- bclliiîoient ce temple ; la plupart de ceux qui re- lient ont trois pieds moins deux pouces de diamè- tre , fur deux pieds deux pouces de haut ; mais leurs ornemens font fi ulez que la beauté en eft prefque effacée : on n'y trouve plus qu'un chapi- teau Corinthien , parmi plufieurs bornes de mar- bre femblables aux bornes de nos rues. L'effroyable tas de pièces de marbre qui eu vers le haut de ces ruines , femble indiquer la fituation d'un dôme conlîderable , foûtenu par des colon- nes d'un ordre fingulier à plufieurs affiles arrêtées dans leurs centres par des clefs de cuivre quar- rees , de trois pouces quelques lignes de diamè- tre , les afïife^ ont la plupart trois pieds moins deux pouces de large , fur deux pieds huit pouces de haut ; parmi ces affifes il y en a de taillées à pans , & d'autres canelées fort proprement : les unes & les autres faifoient partie de pareilles co- lonnes ; car outre que leur diamètre eft égal j les pans & les canelures le font auffi 3 Ôc ont chacune cinq pouces de large, 361 Voyage Les chapiteaux de ces colonnes croient bien extraordinaires ; leur tailloir a trois pieds cinq pouces de diamètre , fur trois pouces de haut : le timpan a neuf pouces de hauteur , c'eft une elpéce d'échiné ou de quart de rond , dont la bolfe dimi- nuant en poire tombe fur un cordon haut de deux pouces , à trois filets , au deflous defqucls com- mencent les canclures ; le plan des chapiteaux qui portoit (ur le rufl des colonnes, a deux pieds de diamètre. A côté des mafures du temple en prenant le chemin qui traverfe Pi fie , on voit quatre grofics pièces de marbre 24 fî difformes , que pcrlonne ne les prendroit pour des lions fi la tradition ne l'authorifoit. On y voit aufïi deux termes caliez, l'un terminé par une tête de cheval , & l'autre par celle d'un bœuf; ces têtes font allez maltraitées,& même les termes ne paroiffent pas avoir été d'une grande beauté ; néanmoins ils nous firent fouve- nir de l'Hippodrome où l'on faifoit les courfes des chevaux. a Les Athéniens y établirent ces for- tes d'exercices -, on n'y trouve qu'inferiptions bri- {écs ou effacées. Nous repafiàmes après cela par les ruines du temple pour venir au portique de Philippe Roy de Macédoine 2.5 , les débris de ce portique n'en font éloignez que d'environ 40. ou 50. pas , & le trouvent prefque fur la même ligne : ce ne font que colonnes ik architraves d'une grandeur qui marque encore la magnificence d'un grand Prin- ce: nous y obfervâmes deux fortes de colonnes de marbre ; les morceaux des plus grandes ont iz.ou 13. pieds de longueur , & font moitié canelez & * nfï» ^ olAJvvuttri rori rev âyavtt tin'm$ moiitié à pans , larges de cinq pouces cinq lignes, & ces colonnes font de même profil que celles du fronr.ifpi ce du temple , mais elles n'ont que deux pieds de diamètre d'une plate-bande à l'autre ; les platre-bandes lont larges de fept pouces deux ou nous lignes > les canelures des cotez ont deux pouces i Ainn. B A 2 I a E D 2 fur l'autre. MAKEAONÛN fur la troiiîéme. Ces architraves n'ont pas été caflees ni emportées: peut-être parce qu'elles font creulces chacune de deux grands trous carrez & profonds comme des auges , cv qui fans doute les tenoient enchaflées fur les colonnes : ces colonnes avoient été choihes avec un grand foin 6c marquées dans la carrière avec un o & un £ fur leurs diamètres , qui figni- fient à ce que je crois é {èaaiMvc, , le roy. Du portique de Philippe de Macédoine on dé- couvre à 300, pas à gauche 26 fur le penchant d'une colline , les reftes d'un beau théâtre de mar- bre : tout l'efpace qui eft entre ces deux bâtimens n'eft rempli que de débris de maifons bâties de pierres du pays , ou de brique. Cétoit-là fuivant les apparences le quartier de la ville le mieux peu- 3^4 Voyage plé , non feulement à canfe du temple , mais à eaufe des ports qui font fur le canal , ôc aufquels les Romains avoient accordé les franchifes. Ces ruines entaffées par monceaux , contiennent quel- ques colonnes de granit ; & tout près du théâtre il y en a quelques-unes de marbre canelées , qui fans doute ont fervi à quelque temple. L'ouverture du théâtre eft au penchant de la colline & regarde le fud-oueft prefque vers la pointe du grand Rematiari ; ce théâtre étoit tout de marbre a çros quartiers , coupez en différentes manières : il y a peu de pièces quarrées ; la plu- part font de biais & à differens angles , comme M on avoit voulu les ménager , pour ne pas trop les diminuer en les équar ri liant ; il y en a quelques- unes taillées à pointe de diamant. Le diamètre du théâtre hors d'oeuvre , c'eft- à-dire en y comptant l'épaiffeur des dégrez eft de 150. pieds , & la cir- conférence de joo. l'encoigneure gauche de cet édifice étoit foùtenue' par une efpéce de tour 17. ou mafïîf de 19. pieds d'épais fur 30. pieds de long : la colline manque en cet endroit , au lieu qu'elle fert d'apui au théâtre fur la droite : à dix ou douze pas de la muraille 3 il y avoit un grand édifice 28 dans les mazures duquel eft encore une cave ou citerne , avec l'ouverture longue &c les bords pavez à la Mofaïque. A quarante pas de l'ouverture du théâtre 2.9 on trouve au rez de chauffée un quarré long de 100. pas, fur 23. pieds de large , &c d'une pro- fondeur affez coniiderable , divife en 9. loges fé- parées par une arcade d'un beau, cintre ; mais 011 n'y voit aucun refte de ciment. Mr Spon foupçon- ne que c'etoient des citernes à caufe d'un canal qui femblc avoir fervi à une de ces loges : cepen- du Levant. Lettre VIL 36J dant comme elles communiqnoient enfemble par des portes cintrées qu'on pouvoit ouvrir & fer- mer quand on vouloit , il y a plus d'apparence qu'elles étoient deftinées pour enfermer des lions ëc d'autres animaux iervant aux fpec~bacles ; le canal y conduifoit l'eau pour les faire boire. Ces loges n'étoient pas voûtées , mais couvertes de gros quartiers de granit taillez en manière de pou- tres , au travers defquels on lailïoit des ouvertu- res pour éclairer ces lieux & pour l'entrée & la fortic de ces animaux , comme cela fe voit enco- re en quelques endroits : on compte 345 . pas de ces loges à la mer, ainfî le théâtre n'en étoit éloi- gné que de 380. pas. Du théâtre nous tirâmes droit à une ancienne porte 33 de la ville , au penchant du mont Cyn- the 3 1. On trouve fur le chemin à droite trois colonnes de granit 30 fur la même ligne , outre plufieurs autres qui font renverfées ; fur la gau- che avant que de defcendre dans Une petite vallée prefque au pied de la montagne , on voit les re- iles d'un temple 3 1 marquez par neuf colonnes de marbre grifâtre foiieté de blanc , difpofées en rond , trois debout & fix par terre : en fouillant dans des trous de lapins , on a découvert depuis peu de très belles caves fous ces colonnes : le pavé du temple étoit de Mofaïque. a Le mont Cynthe 32 , d'où Apollon fut nom- mé Cynthien , eft une colline fort défagréable , laquelle traverfe obliquement prefque toute l'Ifle, plus éloignée pourtant de fa pointe méridionale que de la feptentrionale : cette montagne n'eft proprement qu'un ; bloc de granit ordinaire 8c * O'goç 0 Kifyf, Aflurgic Cyntho monec. Plia. Hifitn Spon & "Wheeler , placée fur: la ci été de la montagne vis-à-vis le grand Renia- tiari : cette citerne paroît avoir fervi de cave à. quelque mailon conliderable : les voûtes en font: d'une grande beauté. Apres avoir fait le tour du mont Cynthe , nous prîmes le chemin du port Fourni 35. &: laillànnes à main gauche vers le Midi quelques autres colli- nes plus ba(les,entrecoupéesde ces vallées1 qu'Eu- ripide a nommées fertiles : aujourd'hui elles font: fi maigres qu'on les laille en friche , au lieu que l'on cultive avec foin celles de l'ii'e Rhence. Nous découvrîmes fur le chemin du port quelques co- lonnes de marbre 36. lelquelles paroilîent avoir fervi à un temple : on tn voit de granit coupées fur le lieu , mais dégrolîies & qu'on n'a jamais miles en œuvre, non plusque d'effroyables blocs de la même pierre, deftinez fans doute à de grands ouvrages : ainu" le granit ne fe tiroir pas feulement du mont Cynthe,mais encore des collines voiiînes3 qui font entre le couchant 6V le midi. Le port Fourni , dont l'entrée efk entre le fud & le fud oueft , répond vers la pointe méridiona- le du grand Rematiari : mais ce port n'eft bon que pour de petits bâtimens : le long de la cote en venant au petit port , on ne trouve dans l'eau même que fon Jemens ; aînfi le port Fourni qu'on appelle aufîi le g and port , étoit à une des ex- trémitez de la ville : il y a plus de 60. piliers de granit 37. fur cette côte , dont la plufpart font debout , refies peut- être de quelques magazins on boutiques de marchandsjcommc les anciens n'em- ployoient pas du bois dans leurs bâtimens , les piliers de pierre y tenoient lieu de poteaaX 3 ÔC To/fi . J . Tàc/ . 3 7 < ' Arvcten Tombeau f qui Je i/oitdaru la orarhdt DcIoj. Autel de Bacchiu aux Se votC rlans la petite Delos dtt Livawt, Lettre VÎT. 371 l'architrave qu'on mettoit par deflus formoit l'en- trée d'une boutique : fur la droite 38. un peu plus haut que ces piliers , on rencontre quelques co- lonnes de granit pofées fur la même ligne , com- me /î c'étoient les ruines de quelque portique. ''Le petit porc 14. étoit audi bordé de bâti- mens -, quelque part que Ton creu(c,on n'y décou- vre que des pavez à la Mofaique , compolez de petits dez de marbre blanc & noir 3 engagez dans une couche de mortier d'un pied d'épaiffeur : les caiques font dans ce port à l'abri du vent du nord; car ce port fait deux coudes l'un à droite &: l'au- tre à gauche ; celui qui elt à droite vers la pointe du petit Rematiari elt accompagné d'une b feche à fleur d'eau où les vagues viennent fe brifer. Au commencement de l'année 1701. on ne voyoit aux environs du mont Cynthe que petites rigoles ; la plus confiderable couloit du fud-eft vers le fud , & formoit une efpece de lac dont le dégorgement partant au pied de la montagne , venoit fe perdre vers les ruines du temple mar- qué 3 1 . fur la hn de Janvier toutes ces rigoles étoient à Cec , tk il ne reftoit que le lac réduit à une mare : il n'y a donc pas d'apparence que la rivière Inopus , que Strabon fait couler dans cette Ifle , fût de ce côté-là. Pline a eu plus de raifon de donner ce nom à la fontaine 3. qui elt dans la lan- gue de terre 1 . où nous débarquâmes : nous avons ii bien parcouru cette Ifle dans les quatre voyages que nous y avons faits , que nous pouvons allurer qu'il n'y a point d'eau courante. A l'égard de la pierre employée dans tous ces grands édifices de Delos , on n'y remarque que b Q)t appelle ainft d.o.i la Mé- diterranée m petit banc de A a ij fable ou de rocher qui eft À fleur d'eau. $7! Voyage du marbre blanc,du granit,du moilon roufïatre 8c des briques ; nous n'avons veu qu'un fcul quatier de jafpe rouge Ôc blanc , (emblable à celui de Lan- guedoc : on croit que la plus grande partie du marbre blanc étoit venue de Paros & de Tenos , où Ton voit de grandes carrières du côté qui regar- de l'Ifle d'Andros ; celle de Naxos eft auili. remplie de beau marbre : pour le granit , Delos ôc Myco- se n'en manquent pas. Il feroit inutile de rapporter ici les differens îioms donnez autrefois à î'Ifle de Delos ; celui de a Lagia par exemple , ne lui convient pas ; il n'y a plus de lièvres dans cette Iile , mais beau- coup de lapins logez magnifiquement dans le marbre j ordinairement ces deux fortes d'animaux fe détruifent l'un l'autre ôc ne fçauroient vivre en- femble : les cailles avoient fait donner le nom $Ortygta aux deux Delos ; mais ce nom convien- droir mieux à toutes les Ifles de l'Archipel , puis- que ces oifeaux en couvrent tous les écueils dans certaines faifons de l'année. b Le Scholiafte d'A- pollonius prétend que Delos fut nommée Ortygia du nom d'une fœur de Latone , & que Delos fut le premier nom de I'Ifle -, fuivant les apparences ce nom luy fut donné par les habitans des Ifles voifmes ; dans le temps'de l'inondation caufée par le dégorgement du Pont-Euxin dans l'Archipel : cette Ifle qui avoit été couverte des eaux , reparut & fe manifefta comme fon nom le marque. Il n'y a pas de perdrix aujourd'hui dans Delos , mais beaucoup de becalles : nous y vîmes quel- ques vipères ôc des crocodiles de terre ; ce (ont de beaux lézards de neuf ou dix pouces de long * Actyitt. * la verf. : 1 19. lib. 1 . Argonmt. du Levant. Lettre ri /. 373 10 ) ut -a- fait femblables aux crocodiles ordinaires ; lai peau de ceux de terre qui eft grifàtre eft rele- vcée de petites éminences allez pointues en quel- ques endroits & comme ccailleufe : ces animaux nce (ont point malfaifans , & les enfans qui les prrenoient à Mycone dans les trous des murailles , il cous en apportoient plus que nous n'en fouhai- tiàons : les mulots (ont aulli frequens dans Delos , oùù ils ne vivent que de jeunes lapins ; les meilleurs erndroits de rifle étans couverts de ruines ôc de rcecoupes de. marbre , font terres ingrates 5 & nul- lement propres à êtreenfemcncées. Tous les maçons des Ifles voifmes y viennent ccomme à une carrière choifîrles morceaux qui les acccommodent ; on cafte une belle colonne , pour faaire des marches d'efcalier , des appuis de fene'- trres s ou des linteaux de portes : on brife un pié- dceital pour en tirer un mortier ou une faliere. Les TTurcs , les Grecs , les Latins y rompent , ren- vcerfent , enlèvent tout ce qui leur plaît ; & ce qi|uMl y a de fingulier, c'eft que les habicans de My- ccone ne payent que dix écus de taille au Grand Soeigneur , pour polTeder une Ifle , où l'on tenoit lee threfor public de la Grèce , le plus ricne pays dde l'Europe dans ce temps là. La iituation du mont Cynthc nous invita à y faaire une dation géographique. L-a citadelle de Tine reftc au nord-nord-oueft. hMycone eft au nord-eft , & le cap Alogomandra à l'eft-nord-cft. Prafonifi entre l'eft $C l'eft-fud-eft. Stapodia à l'eft. La crrande Delos à l'oueft. Syra à l'oueft. Joura à l'oueft-nord oueft. A a iij 3 74 Voyage Siphanto au fud-oueft. Scrpho entre le fud-oueft ôc l'oueft-fud-oueftl. Serpho-Poula à l'oueft-fud-oueft. Antiparos au fud-fud-oueft. Paros entre le fud Ôc le fud-fud-oueft. SiKino entre le fud-eft ôc i'eft-fud-eft. Naxie entre le fud-fud-eft ôc le fud-eft. Amorgos entre le fud-eft ôc l'eft-fud-eft. a Delà petite Delos nous pallàmes à la grandie le 2j. Octobre 1700. par le canal qui fepare cc:s deux Ifles , ôc qui n'a de large qu'environ jood. pas j meiure déterminée par Strabon. Cet aui- theur y Hérodote , ôc Eftienne le grographe onit appelle Tlfle Rhenée la grande Delos , laquelle a j£. milles de tour , ôc fe trouve comme diviféie en deux parties par une langue de terre fort étroii- te ôc affez longue. b Polyciate tyran de Samos , contemporain dde Cambyfes fe rendit maître de cette Me , ôc pouir marquer qu'il la confacroir a Apollon Delien , iil la fît attacher par une chaîne à l'Ifle de Deloss. e Datis General des Perfes n'ayant pas voulu pair refpeâ: débarquer à Delos vint aborder l'Ifle Rhe:- née , où ayant appris que les habitans de DeloDs s'etoient réfugiez a Tenos pour éviter la fureuir de fes troupes , il les ralïùra en leur proteftant qiue fuivant les ordres de fon Prince 6c fes propres ini- tentions , il ne permettrort jamais qu'on maltraii- tât un pays (1 refpectablc par la nairïance d Apoll- lon& de Diane ; il confirma fes bonnes intentioms par un prefent de 300. livres d'encens pour brûleer fur leurs autels. a iv. Stades. Artemis , Celadufla. Plïin. PHNElA. Strap. lib. 10. Hijt.rtat. Lu < 1. cap, 4. PHNAIH. Herod. lib. 6. *>Thucyd.l. 1. & Lib 3. PHNH , PhNIS , c HeroA* Ub. 6, PriNAIA. Suph. Rhene , du Levant. Lettre VII. 375 La grande Delos n'eft plus habitée , fes mon- ta agnes font peu élevées , couvertes d'excellens pâ- tuurages , de (on terrein eit bon pour les grains &C poour la vigne : les habitans de Mycone qui la cul- tiûvenc avec foin , y nourrhTent des chevaux , des boœufs , des moutons ôc des chèvres ; mais comme le.es corfaires viennent fou vent y prendre leurs qimartiers de refraîchilfement , les Myconîotes al- laarmez avec raifon , font repafler leurs troupeaux daans leur Ifle : ils ne payent au Grand Seigneur qinie 10. écus détaille pour la grande Delos. Vis-à-vis le grand Rematiari , au pied d'une ccolline 1 , où les corfaires pofent leurs fentinelles , poour obferver les bâtimens qui entrent dans le caanal ou qui en fortent , fe voyent les ruines d'une grçrande ville qui regnoit le long de la mer jufques à i la pointe de a Glaropoda : ce nom eft peut être foort ancien ; car on lit dans Callimaque que De- loos étoit féconde en ces fortes d'oifeaux, que l'on apppelle des Cormorans ou Gabians. b Les gros piliers de marbre gris cendré , ÔC qquelques pièces de colonnes canelées répandues vfrers le fommet de cette coline, marquent fans ddoute qu'il y avoit la quelque fuperbe temple : noous courûmes d'abord à la colonne là plus re- mnarquable ; quoique calice , elle a 14. pieds de loong , fur deux pieds de diamètre :on ne voit aux ennvirons que bazes de marbre , mais il n'y refte qqu'un feul chapiteau corinthien. La ville faifoit faace à celle de Delos , & commencent à mi-cote auu deflbus du temple , autant qu'on en peut juger a ' Pied de Gabian. riaîos , qu'il pargiffe en 'volant attjjî en grec vulgaire, (ijn'fie un gros qu'un coq dinde, oifeatt appelle Gabian en <> A'&vim ^ ftZx.0v t*Lfy»fcOe. Provence , & qui n'apref- Httip 'Uitttt.Calltm. Hymn» que que des plumes , quoi- in Belnm. verf, 1 z. 376 Voyage par les ruines : une partie de cette ville étoit cicf tinée pour les tombeaux des Deliens , & l'on y traniporta toutes les urnes des morts dans cette purification de Dclos qui fe fit fous l'Arcontc Eu- thydeme : on parlera de cette purification plus au long dans les éclaircillemens fur l'hîltoire de cette Ifle fameufe. Il fuffit de remarquer ici qiferi defeendant de là colline vers le grand Rematiari , on ne voit que tombeaux de marbre , parmi les débris des colon- nes : il en relie un magnifique quoique fans infc cription , terminé en dôme applati par dellus , orné de feuillages en écaille ; la couverture de la plufpart des autres cft en dos d'âne peu incliné , &: fur lequel on a feint en relief des plaques de marbre arrêtées par des tringles ; l'arête de ces couvercles porte une cfpece de petite auge creufée en long comme la figure le reprefente : nous nous imaginâmes d'abord qu'elle fervoit à conferver l'eau de la pluye pour faire boire les oifeaux ; mais cette précaution auroit été allez inutile dans un pays où il ne pleut que rarement -, il y a beau- coup plus d'apparence que cette auge reçevoit les libations} a car Athénée remarque qu'on en faifoit fur les tombeaux : on lit l'épitaphe fuivante fur tin de ces tombeaux : le fiile marque qu'elle elfe des plus anciennes. nAftflA ATAOT TYNHXPH2TH XAlPF. Nous comptâmes avec étonnement plus de fix vingts autels en avançant vers Glaropoda , parmi les ruines des maifons qui marquent encore une ? Deipi.lib. It. grande Dtr Levant Lettre VIT. grande magnificence : ce n'étoicnt pas là des in- firmeries ni des mailons de campagne des Deliensi comme nous l'avions cru : tour y eft couvert dé marbres 3 &£ ces marbres montrent bien que la ville devoit être fort peuplée , aulîi eft elle traitée de Métropole au revers d'une médaille a d'Alexan- dre Severe j ce revers reprefente une Pallas avec un bouclier à la main droite , 6c une pique à la gauche. On voit dans le cabinet du Roy une mé- daille ° de cette Ifle à la tête de Maxime ; fur i& revers c'eft une déelfe vêtue d'une (impie tunique^ qui porte Une victoire fur fa main droite , & dé la gauche une pique renverfée. c II eft étonant que Strabon d'ailleurs fort exact , & qui n'a pas ou- blié les tombeaux de l'ifle Rhenée , l'ait nommée une petite Ifle deferte, Pour la grandeur , l'ifle furpafTe bien trois fois celle de Delos , & pour la magnificence elle né lui cedoit guéres , s'il en faut juger par les reftes ; la piufpart des autels dont on vient de parler font cilindriques , ornez de feftons avec des têtes dé bœufs ou de béliers ; ces autels ont le plus fouvent trois pieds tk. demi de haut , fur trois pieds moins deux pouces de diamettre:celui que j'ai fait graver étoit peut-être dédié à Bachus , comme il paroîc par une grappe de raifin qui pend du bas des fek tons : on ne trouve plus de ftatues parmi ces vieux marbres , elles étoient trop près de la côte ; SC par confequent trop à portée d'être embarquées • enfin il n'y a pas d'apparence que cette ville ait été bâtie après la mort de Strabon 5 car fuivant cet autheur , la petite Delos dégénéra plus depuis la PHNInN MHTPOnO- AlO. Goltz.. Thef. PHNIÎ2N. Tom§ I, c P»v«« iït Ififiet w,hi, Utt f Bb O Y A G E 3?8 V règne d'Augufte qu'elle ne s'embellit , & l'Ifle Rhenée ne fe foutenoit que par le commerce de cette petite Ifle. La pointe de Glaropoda où finîiToit la ville Ce terminent par quelque luperbe édifice bâti en rond de gros quartiers de marbre , décoré de colonnes & d'architraves de même pierre : le port Colonne fitué fur une autre pointe oppofée à Glaropoda , marque bien aufîi qu'il étoit bordé de magnifiques bâtimens , dont on enlevé tous les jours les dé- bris 5 nous y remarquâmes une croix de Jerufalern, & l'on nous aiîura qu'on avoit emporté des pier- res à Mycone où il y avoit , entre autres , de ces fortes de croix fort bien fculpécs. Ces croix ne nous permirent pas de douter que ce ne fût le Fort des Chevaliers de Saint Jean. a Cantacuzene rapporte que l'Empereur ordonna de bâtir une forterelTe dans l'Ifle de Scio , pour la mettre à couvert des infultes des voifins ; &C fur tout des b Hofpitaliers de Delos : fur quoy Ponta- iius remarque que dans ce temps-là les Chevaliers de Rhodes étoient les maîtres de Delos 5 attirez fans donte par la bonté des ports de ces Ifles : les Mahometans commençoient d'infdler tout l'Ar- chipel 3 & Delos étoit neceifaire aux Chevaliers pour courir fur ces pirates : ces Chevaliers favort- foient les defTeins des Génois , & fournirent cinq galères à Dominique Catanéc pour fe faifir de Lesbos comme l'on verra dans la fuite. Au-dc-là de Glaropoda l'Ifle eft creufée en ma- nière de croiffant , au fond duquel eft la langue a >&i &**">*■ tous '«'« An'/eu tum , qui Rhodii & Me- H7rnax\mTu.ç. Hlft. lib. 4, litenfes appellati font. k Delum tune obtinebant Pont an. ad cap. u. lib. 2. genus religioforum fub hijl, Cantacnz.. Hyginio Pontifice na- DtJ Levant Lettre VIL 379 de terre qui joint les deux parties , & cette langue n'a pas cinquante pas de large ; peut-être que les vagues l'emporteront un jour , & alors la grande Delos fera divifée en deux lfles : le meilleur port de l'Ifle Rhenée porte le nom. des a Lentifques qui l'entourent. J'ay l'honneur d'eftre avec un pro- fond refpect , &c, ' Porc de SKinos. Fin du Tome fremier, y-' b K^ K yV* .>.'" I UBRARY %Ji