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HISTO
peo DR
VAMERIOUE
SEPTENTRIONALE.
Divifze en quatre Tomes,
TOME PREMIER.
Contenant le Voyage du Fort de Nelfon, dans
la Baye d’Hudfon, a l’exteémité de l’Ame-
rique. Le premier établiffement des Fran-
cois dans ce vafte pais, la prife dudit Fore
de Nelfon, la Defcription du Fleuve de faine
Laurent, le gouvernement de Quebec , des
trois Rivieres & de Montreal, depuis 1534.
jufqu’a 1701. |
_ Par M. pe BACQUEVILLE DE LA POTHERIE ,
né ala Guadaloupe, dans l’Amerique Me-
tidionale , Aide Major de ladite Ifle,
Enrichie de Figures.
Py AE ct
A PARI 5) Quay des Auguftins,
Chez NYON Fils, a POccafion.
| MeDCG EK |
Avee Approbation & Prviilege du Roy,
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| MONSEIGNEUR
LE DUC DORLEANS,
REGENT DU ROYAUME,
Mi\iel ONSEIGNEUR,
NG Le Voyage de la Baye
|G Fudfon que jai Phonneur de prefen-
tera votre ALTESSE ROY ALE,
qu Elle abien voulu accepter, eft
wn des pins -finguliers qui ait encor
paru: Elle n'y verra que Tempetes,
g%e Combats , que Naufrages.
LE jcadre ds Roi deftinée en 1697..
pour cette entreprife , a eh moins 2
combattre contre les Sauvages qui
habutent cette partie de I Ameriaue
la plus Septentrionale , que contre.
Tome I, a
| EPITRE.
les Flots, les Tempéces , les Glaces,
des Bancs ex les montagnes de Née- —
ges. Ceft-la que la valeur des Fran-
gos fe fit connoitre toute entiere , —
en triompha ‘des obftacles les plus
terribles que la nature puilfe oppofer
& Lintrepidité des plus fameux Fle-
vos. En effet , pour arriver ala Baye
ad’ Hudfon 1 falut traverfer une Mer
immenfe que les Courans , les Bancs
de Sable , les Orages continuels ¢
les Glacons rendoient inacceffibles
—gméme at plus fort de la Canscule.
Toutes ces difficultez infurmontables
i toute autre Nation , wont fait
qu cnflamer le courage des F rangois 5
qui a Limitation des feros qus les
gouvernent ne trouvent rien qui fott
‘capable de les rebuter. Quelle joye
pour ceux qui compofoicne cette Ef-
cadre de revoir leur pats, aprés avoir
efluyé tant de perils ,¢ dapprendre
gue votre ALTESSE ROYALE
a bien voulu en agréer le rect! Per-
fonne ne juge muiewx des faits ex-
‘praordinatres énoncez. dans les Rela-
DSi
- JEP IT RE. |
tions que ceux qui ont fait eux-me-
_ ges des actions toutes extraordinat-
_ yes ce Gul ma engage a déder 4
yore ALTESSE ROYALE cet
Ouvrage gui ayant été compofé par
le Sieur de la Potherie Commuffaire
pour le Rot dans cette Efcadre y es
qui Seft trouve a toutes les expedt~
tions qui y font conrenues , ne peut
étre fufpect daucune faufferé. Ce fe-
rott tt le lew de métendre fur les
vertus Flerovques qui brillent dans
vere ALIESSE- ROL AL Es
mais ce n'eft pas 4 unm Ameriquain
_ comme mot a prendre un effort fe
hawt : je laiffe donc aux plumes dé-
licates des Francois a traster une
matiere fi relevee. Trop beureux ft
mon rele eo mes profonds refpeéis ne
déplatfent pas a vetre ALTESSE
ROYALE , dont je futs
MONSEIGNEVR,
Le trés-humble & trés.
obeiflant ferviteur ,
a - DE LA POTHERIE,
AVERTISSEMENT.
| © N rend au Public ce qui
ar
lui eft dt, en lui dornant
“i cette nouvelle Relation de
P22 a Baye dHud{on, la fin
dics Navi igatears , & fur tout de ceux
gui font au fervice du Roi; ne doit —
pas fe terminer comme celle de fa
pltiipare des autres Voyageurs , en
‘vain plaifir de faire une longue Hi-
ftoire de lears Voyages , a leur Pa-
renté ou 4 leurs amis , & de Ja def-
honorer fouvent par une infinite de
faufletez. |
On laiffe a 4 ces fortes de gens dae
maniere d’égayer leurs Voyages , &
Fon ne croit pas eire oblige de les
foivre. On croit aa contiaire devoir
prendre une route toute oppofée, &
fe propofer dans cette Relation d'in-
Bsuire plod: que de plaire. On ne
a
¥ *
i so
\
| AVERTISSEMENT.
dit rien qui ne foit exactement vrai :
rout ce que lon rapporte. a lega.d
des glaces, des terres, des moiullages
& des vents, eft la pure verite ; telle
qu’on l'a éprouvée parmi Jes plus c=
froyables tempéies , fans qu'on y ait
len ajol.én’y changé, qui puifle en
—impofer au Lecteur 5 d’autant qu'il eft
d'une trop grande confequence , &
méme contre la probiré d'un Auteur
de tromper par de honteux menfon-
geste Public qui a de la bonne foi &
de la confiance en fes Ecrirs.
Lon n’a rien a‘fe reprocher dans
eet Ouvrage , ou lon a fincerement
raporté les differens hazards que TES
eadrea efluyez , foit pendant fa roure
penible & laborienfe , foir a fon arti-
vee dans la Baye d’Hudfon , a l'ex-
trémité de ! Amerique Septentriona-
Je ,& dansles grands travaux -q. ‘elle
a furmonté au travers des glaccs, a-
-vant la prife du Fort dé Nelfoi par
Jes Frangois.
Le Lecteur remarquera aifémenct.
que dans les Combats de Terre & |
AVERTISSEMENT.
de Mer, on ma flaté n'y blamé per+
fonne , on a rendu Juftice & tout le
monde indifferemment , fans aucune
prédileGion n’y haines On efpere
aufli que perfonne ne fe plaindra, &
que le Public fera fatisfait dune nal-
vee qui ne fe trouve pas ordinaire-
ment dans la plufpart des Hiftoriens,
quioutrent le plus foavent leurs nar-
rations , fondez fur ce quils favent -
que le Public ne peut aifément s‘é-
claircir de leurs menfonges , a caufe
de Véloignement des lieux dont ils
parlent. H nen eft pas de méme de
cette Hiftoire , chacun s’y verra tel
qu il eft, & qu'il a para dans les oc-
cafions of il seft trouve. Enfin on
a fuivi avec la derniere fidélite les
deux caracteres effenticls de !Hiftoi
re; qui font de ne rien dire de faux,
& de ne point taire la verité. Nee
falfa dicere , nec vera reticere. —
On ne fera pas de. difficuleé d’a-
voiier que la narration y paroitra d’a~
bord un peu feche & fterile, & ceux
qui la liront ne manqueront pas de
AVERTISSEMENT.
dire ce qu’a dit un des maitres de
YArt, qu’on ne fauroit. trop ¢gayer
les narrations, qu'il faut quelque ens
jou€ment pour empécher qu’elles en-
nuyent le Lecteur. Tout cela peut
€tre vrai , mais on changera aifement
davis fi lon fait reflexion qu’elles ne
font pas toutes fufceptibles de ces a-
- grémens , & que sil y ena d’autres:
qui doivent étre ferieufes pour in= |
ftruire , celle que l'on donne au Pa-
blic eft de ce dernier genre ,on n‘aett
pour but que de lui faire part des dé
- gouvertes quona faites en ce pais ,
qui eft f1 peu connu , cette Efcadre.
_€tant la premiere qui ait penetré fi a-
yant dans! Ameriqaue Seprentrionale.
Ce neft pas qu'aprés tout on eiit
An : ©
_ pu fans beaucoup de peine y don-
“mer un tour de gayetre & d’enjoué-
ment, sil ett éé abfolument necef-
faire , & fi Cetit été une faute de rap.
porter les faits naturellement & fim-
plement; mais comme les Combats -
& les Naufrages ont quelque chofe
ge trop trifte & de trop affreux pour
AVERTISSE MENT.
leur deveir donner un air vant & en+
jolie, on n’a pas cri devoir prendre
pour ane Loi indifpenfable I'avis de
ce maltre de lArt , far ae dans
une Hiftoire ou Ton ne parle que de
- précipices cachez fous des Bincs de_
Neges , de montagnes de Glaces , de
bancs ac Sable , de Rochers sie anc 3
de Sauvages inkounaies ; & de tout
ce qui cit le plus capable de donner
de Veflroi aux plus intrepides | 5
done is riage quien reite meme apres
1 Ctre échapé, eft trop vive & trop
eiccane: pour foufirix de femblables
ernemens.
A mete a EN!
PRIPILEGE DU Or,
QUIS PAR LA GRACE DE BIEU, 20¥
§. DF +e LINE 6 EY" De. NAVRE , oe OS
eeeo®& fcaux *Gorfetlers les G*3 tem “nos
Cours de Paik cae Maltres ¢%s Reqne oetie
teicy de notre Fidcel, Grand Confeil ,* = «i de
Pav i¢ , Bailitfs, Sc: Oe aux, leurs Lieuzenais Civils,
& ares nos Paticlers gu il apartiendta : Sarur.
Notre bien-amé Francois Dipor Librairea Pa-
ris, nous ayant faic remonircr qu il fouhaireroit
continuér a faire imprimer un Ouvrage qui a pout
firre Hiftoire de l Amerique Seprentrionale , mais
' clalguant
‘4
K.
k £raignant que d'autres Imprimeurs ou Libraires a
youluffent entreprendre de le faire imprimer , ven-
dre ou debiter, ce qui luicauferoit une pette con-
fiderable : il nous awroit en confequence trés-hume=
blement fait fuplier de vouloir lui accorder nos
Lettres de Privilege fur ce neceflaires. A ers
Causes, voulant favorablement trairer ledir
_ Expofant, nous lui avons permis & permettons par
ces prefentes de faire imprimer ledic Livre en telle
forme , marge , caractere , enun o¥ plufieurs Vo-
lumes , conjoinrement ou fepar¢ment , & autant de
_ fois que bon lui femblera , & de le vendre, faire
vendre & debiter par tout notre Royaume , pendant
le temps de huit années confecutives , 4 compter du
jour de la datte defdites Prefentes : Faifons défen-
fes a toutes fortes de perfonnes de quelque qualité
& condition qu’elles foient d’en introduire dim pref
ion €crangere dans aucun lieu de notre obéiflance,
Comme auffli a tous Libraires-Imprimeurs , & au=
tres , d'imprimer , faire imprimer, vendre, faire yen-
die , debiter , ny contrefaire ledit Livre en tout ny
€n partie, ny d’en faire aucuns Extraits fous quel-
que prétexte que ce foit d’augmentation , corre-
ction , changement de Titre ou autrement , fans la
permiflion expreffe & par €crit dudit Expofant, ow
de ceyx qui auront droit de lui , 2 peine de confi
Cation des Exemplaires contrefaits, de quinze cens
livres d’amende contre chacun des contrevenans,
dont un tiers 4 nous , un tiers a l’Hotel-Dien de
Paris , l'autre tiers audit Expofant, & de tous dé~
pens , dommages & interérs , a la charge que ces.
Prefentes feront enregiftrées tout au long fur le
- Regiftre de Ja Comnmnauté des Libraires & Im-
rimeurs de Paris , & ce days trois mois de la datte
d’icelles : que l’impreffion de ce Livre fera faite dans
notre Royaume & non ailleurs, embon papier & én
- beaux caraGteres, conformément aux Regicmens
Aome dL... | A
dela Librairie; qu’avant que de! ‘expat es en venté, y!
Je manufcrit ou imprimé qui aura fervi de Copie 4
Fimpreffion dudic Livre, fera remis dans le méme
erat ou PA pprobation y aura été donnée »€S mains
de notre trés- cher & feal Chevalier , Chancelier de
France le Sieur Dagueffeau , & qu “il en fera enfuite
semis deux Exemplaires dans notre Bibliotheque pu-
blique, un dans celle de notre Chateau du Louvre,
& un dans celle de notre dit trés-cher & feal Cheva~
lier » Chancelier de France le Sieur Daguefleau ; ; le.
‘fout 4 peine de nullité des Prefentes. Du contenu def-
quelles yous mandons 8 enjoignons de faire joilic |
YExpofant , ou fes ayans caufes , pleinement & pai-
‘fiblement , fans fouffrir qu’il leur foit fait aucun
trouble ou empéchement: Voulons que la Copie def-
dites Prefentes qui fera imprimée tout au long, aw
commencement ov a la-fin dudit Livre, foit tenué
pour duément fignifiée , & qu’aux Copies collation-
nées par l'un de nos amez & feaux Confeillers & Se-
cretaires, foi foic ajoiitée comme a l’Original. Com-
mandons au premiet notre Huiffier ou Sergent de
faire pour l’execution d’ icelles tous Actes requis &
neceflaires , fans demander autre permiffion , &
nonobitanr Clameut de Haro, Charte- Normande,
& Lectres 4 ce contraire. C ak vel eft notre plaifir.
Donne’ a Patis le deuxiéme jour du mois de Mai,
Van de grace 17.21. & de notre Régne le fixieme.
Par le Roi en fon Confeil. CARPOT.
Regiftré fur le Regiftre 4, de la Communauté des Librai«
Wes co Imprimeurs de Paris 5 page 734- No. 794. conforme=
ment aux Reglemens, ¢» notamment al Arrée du Confit dia
Be: Monts 17 03. A Paris le 26. Mai. 172%
Signé 4 DELAULNE , Sindi¢.
Ledit Sieur Didor a Aflocié au prefeut Privilege tes
Sleurs Jean-Luc Nion Libraire 4 Paris , 8 Jean. Baptifte
Machuel Pere , Libraire-Imprimeur & Rotien + pour en
jouiic conjgintement fuiyant accord fait eutI"eUxy
A
LAMERIQUE
PARTANCE DE LA ROCHELLE,
-Circonftances particulieres pendant la Tra~
~ verfe, defeription de Platfance dans lifle
de Terre- Neuve » & de fon Commerce.
[swung] a | : ,
is ONSIEUR,
sat Si vous ne m/aviez permis
de vous faire la relation d’une partie de
mon Voyage de l’Amerique Seprentrio=
A 2 :
. “Aiiftowre de
vale, je naurois edi garde de prendre cetre
-berre. En effet, que pourrois-je vous dire
. que vous ne fachiez beaucoup mieux que
moi, gui ne m’érant trouve que rarement
_ dans des tempétes , viens ici vous en faire
un recit qui paroit affez inutile pour vous,
Montieur , quienavez efluyé de fi rudes, &
_dans des occafions tout autrement confide-
rables , & qui les avezaffrontées avec tant
d’intrepidiré & furmonteées avec tant d’ha-
_hbilete & de fageffe. Je vous avoiie que
plus je fais reflexion a la liberté que vous
-mavez donnée, plus je trouve qu'il yade
Vindifcretion 4 m’en fervir , mais fouve-
mez-vous, sil vous plait , que vous me
Pavez permis, C’eft pourquoi je commen.
cerai cette Relation, en vous difant que
Tes vaiffeaux du Roi, le Pelican , le Pal-
mier, le Weefph, le Profond, & le Vio-
Tent , ¢roient 4 Chef de Baye aux rades de
la Rochelle, préts a faire voile lors que je
.xegus un ordre de Sa Majefte pour m’em-
. barquer Commiffaire ala fuite de cette
Efcadre. angns’ a
Je réglai toutes mes affaires en moins
de deux ou trois jours, & m’embarquai —
fur le Pelican : Comme je n’avois point:
été a'l’armement je voulus faire la revue
_ generale , & prendre connoiffance de l’Ef-
‘cadre avant la Partance. Je la fis done ie
~
Y Amevique Septentrionate, ‘y
jour de Paques, qui ¢roit le fept Avril.
ail fix cens quatre-vingt dix-fept , &_
nous fimes voile le lendemain a quatre
Heures du marin, d'un vent d’Eft.
Serigni Lieutenant de Vaiffeau, qui
montoit le Palmier , fe trouva le Com
mandant -en Valence de Monfieur d’[-
berville fon frere , Capitaine de Fregate,
que nous devions prendre 2 a Plaifance pour
ag
Fentreprife des Forts Anglois de la Baye
_ d'Hudfon , qui eft aa Nord du Canada.
Le Marquis de Chateau-Morand, Ca-
| pitaine de Vaifleau ,.Neveu de Mouiese le
Maréchal de Tourville , , quis enalloit aux
Ifles de 1’ Amerique , avec plufieurs Vaif-
_ feaux Marchands , nous’ convoya jufqu’ ‘alk
“@nzieéme du widicak mois , vingt a vingt~
cing hieves par de-la le Cap de Finis-
Terre ,. ou nous nous ; feparames les ung
des” aiferes:
Les vents ER nous furent tont.a:faie’
favorables pendant neuf jours , &s’ils euf-
fent continué nous fuffions arrivez en peu
de jours « a-Plaifance , mais ils changerent’
Te vingt & un avec une brume fort epaifle
& un froid auffi rude que dans le mois de
Janvier , & commencerent a étre sea
contraires avec des broiiillards extréme
ment épais, en forte que la Mer deviat
4 i ‘Hifloire de .
tout-a-fait rude , & prefque: ape tra
analilie |
Il n'y eut que la moufqueterie & le
canon, quel’on tiroit de temps: en tem ps
Vefpace de vingt & un jour, qui nous.
empécherent de nous feparer : nous pous
vions alors dire avec un jufte fujet, que
du Printemps nous. étions rentrez dans le
plus rude Hiver, & nous avions tout lieu
de craindre un trifte naufrage , tant il eff
difficile de naviger furles Mers, fans fe
trouver expofez ade rudes coups die vents ;
e'elt ce que nous cprouvames bien cor z
ear le vingt-cing du méme mois le Weefph
que montoit Chatrier, Enfeigne de vaif-
feau, démata de fes dacs huniers, & le
lnlidenais, le Pelican donna chuthe dun
vent Sud: Sud. Oiieft , fur les oo heu-
res-du foir , a une corvette Ang! oife, de
quatorze en , & deja nous-nous pro-
pofions a en Gath. le butin; mais la joye
gui commengoit a. naitre: parmi_ notre =
quipags... qui ne s’en voyoit qua. une pe-
te &fur bien toe ralentie: par on
orage a si8e piein.de nége, qui séle-
va tout d’un coup: «
En effec ,-cette trifté conftellation nett
pas fitz paru, que tous les vents fe mix
rent de la partie, & fe déchainant horsig
Sy
LP Amerique ‘Seprentrionale. ae
— blement l’on eut vii dans le moment des
~ gens tout troublez, lors qu’on entendit
un bruit fourd & idokus” 5 qu ‘excitoient les
Mancuvres, —
Le Ciel s’obfcurcit de telle forte, , que
nous he pouvions nous. reconnoitre , &
nous nous gappenng les uns pour les au-
nig
d’une hauteur prod: gieule , fur laquelle
nous etions,
Puis venant tout d'un coup as écrou-
ler , formoit des abimes dans ncn. ah nous
patoiffions é étre engloutis.
Mais ils en furent raportez plus vite
mils n’étoient montez. En vain nous ef-
| prsasgr nous de fortir de ces affreux abi-
mes, lorfque V’impetuotité d’un autre flor
nous élevoit jufques dans les nués, ot
nous paroiflions comme fufpendus & im-
mobiles, ere |
Tantot la Mer paroiffoit comme une
vafte & profonde Valée, entre deux mon:
tagnes efcarpées , au pied defquel les nous
appercevions. les flots entr ouverts..
Le moment d’aprés les concavitez fe
Bempliffoient, .& la Mer demeurant nean-
moins toujours agitee , -on voyoit les. ya~
Il fembloit que cette arate Eeticha® de
Mer, formoit une montagne efcarpée ,
Ser Bee
s
6 0 ET Rare
gues s enfoncer avec fureur dans le fable’,
prefque jufqu’au centre de la terre. |
Cette cruelle tempéte dura’ deux jours:
entiers , pendant lefquels nous’ efluyames:
tout ce qu'on peut’s imaginer de fatigues ,._
& nous nous vimes plufieurs fois-a ia veil:
le de notre perte : Mais enfin il ne nous en
couta que notre grand hunier , & ce fut
un efpece de miracle pour nous d’en-étre”
quitte a fi bon marche. Ge fur auffi un
grand bonheur pour la corvette Angloife
a qui nous avions donne chafle , car apres.
lavoir perdié de vué , nous l’apercdmes:
en{uite au vent une demie-heure apres dé-
matée de rous fes mats, ayant chaflé -
a fec. | | oe
Notre Efcadte fe trouva pour lors difs
perfée jufqu’au vingt-fept’, que nous
trouvames le Profond, & le vingt-huir
fur le foir , le Palmier vint nous ranger
dans un affez pitoyable cra,
Serigni nous dit que la nuit du Vendres
di vingt-fixiéme au Samedi, le Palmier
& le Weefph s’étoient abordez < le pre:
-mier avoit et! rout fon éperom emporte ;.
& fa bouteille & fon ancre de bas.bord
rompues, Il n’avoitn’y mat de Hune, n'y’
Perroquets , ny hune de Beaupre’, point
de Vergue de Civadiere ,.le Beaupré ¢tane
ene Amerique Septentrionale. %
tout: dégarni ; rien n’étoit plus affligeant
~ que ce fpegacle, joint a celui de l’équi-
page qui-croit dans une extréme confter-
nation, Eneffet, le choc que s’étoient fait
‘reciproquement les deux vaiffeaux dans
une grande obfcurité, avoit été fi violent
que dans le remps que ate Weelph rouloit ,
les canons de la feconde baterie , le fra-
poient entre la quille & la licne de flot-
taifon , & fon Beaupre Sommaie debout au
corps dans le mit d’ Artimon, le cafla en
deux, “ke coup fur d’autant plus favorable
au Weefph, quil fempécha de fombrer
fous yoiles. Dans le moment ceélui.cin’a-
yant plus paru, les Officiers du Palmier
erurent pour vee qu'il étoit coulé bas.
Quand nous n’apergdmes plus le Weefph
Bh oails avec le Palmier , nous demanda-
mes a Serignis il ne |’ wycit point vil, &il
nous fit comprendre qu'il croyoit Vavois
vil perir.
Comme il ne parut plus, nous ne fa-
vions qu’en penfer, & flottans entre ’e&
petance & la crainte, nous nous imagi-
hions cantor qa ‘ul avoir relache aux Aco-
, & tantot qu il s‘étoit poten dans la
air
Dans cette incertitude nous continua-
mes le refte de notre voyage , avec les
trois autres. oe
$ Fifoive dé
La bonne conduite de Setigni étoit exe |
3 tremement utile dans cette conjondture ,
ou en vingt fix jours a peine vimes: nous
fix fois le Soleil, Pendant ce temps- -la les
maladies furvenoient de jour a autre dans
notre bord. Le feorbur commenga a s'y
inGinueér & y regner generalement,
Notre maiheur ne fe termina pas a ce
la, cat les vents vinrént tout a'fait con>
gcaires. }
Les Pilotes ne ivotene plus ou ils é-
toient, il n'y avoit pas moyen de pren-
dre hauteur ; ; enforte que nous étions tous -
au defefpoir:
- ‘Foure norte’ confolation étoir i voir
quel quefois grande abondance d’ oifeaux,
qui nous fervoient comme de préfages
pour nous faire conjeCturer que nous n’¢-
tions pas loin du gtand Banc ; cependant
nous ne pouvions. y arriver.
Nous nous trouvames ala fin banquez
le fepti¢me Mai , fur les quatre heures
apres midi.
Les Pilotes trouverent quarante- cing
braffes d’eau, fond de gtavaille, nojratre
un peu pourri 8 plat, nous carguames nos’
Voiles , pour avoir le plaifit de pecher de’
Ta Motiie. Nous en primes une grande
guantité qui fervit de rafraichiflement *
i
eh
—
L Amevique Septentrionale.
"fos Equipages , 1a pldpart des volailles 8
des moutons qui avoient éré embarquez
pour cet effer, étans morts de froid ou
_ des coups de Met qui paffoient continuel.
-dement fur le pont, ou de maladie, com-
me nous avons dit ci.defius. |
Le Violent méme que montoit Bigot
_enfeigne de Vaifleau, fe trauva entre deux
eaux pendant un temps aflez confiderable,
: jufques.la que des coups de Mer briferent
des épontilles en fon fond de cale.
~ Nous apareillames deux heures aprés
@un vent dEft quart Nord-Eft , qui ne
dura guere, cat les vents changerent en-
core.
Pendant ce temps-la neanmoins nous
atrivames fur le Boulevard ; mais les
brumes augmenterent toujours.
Apres treize jours de tempéte nous
- conntimes terre fur les quatre heures du
foir, a quatre lieucs au Nord-Oiieft quart-
Oiiett. aes
Les fentimens des Pilotes de l’Efcadre
furent partagez , l’on criic que ce pouvoit
étre le Cap de Saint-Laurent de l’ifle de
Terre-Neuve: c eft pourquoi nous revira=
portames vers le Sud. Nous reconnumes
encore terre le feize, fur les dix heures
gu matin ; mais les brumes empechereng
mes de bord pour eéviter cette Cote, &
10 eee ee) a a
de nous en trop approcher , de crainte de
quelque naufrage. Les fentimens fureng
derechef partagez. Nous fimes venir le
Pilote du Profond , qui nous dit que c’é-
toit le Chapeau-rouge de l’ifle de Terre-
Neuve, dont nous n’étions éleignez que
de fix lieués tout au plus. NS heat
Nous nous retirames la nuit, & le dix.
fepti¢me le temps s’étant éclairci , nous
vimes du vent de Sud Oiieft quart de
Sud, le Cap de Sainte-Marie. C’eft la
premiere Terre que l’on reconnoit ordi-
nairement pour entrer dans la Baye de
Plaifance. Il eft au quarante fixieme de-
gré, vingt min. delat. Nord , a quatorze
lienes de Plaifance. aie
Nous entrames dans cette Baye, laiflane
le Cap fur les fept heures du foir, au Sud-
Sud Eft, eavicon trois lieues & demie ,
apiés avoir cargué nos bafles voiles, & les
huniers. Le calme nous prit fur la minuit,
Le vent fraichiflant le dix huit, nous
fimes trois bordées , aprés lef{quelles nous
moititllames fur les dix heures du matin a
la pointe verte , qui eft habitée des Fran-
cois, a une Jieue de Plaifance; & aprés
beaucoup de fatigues & de mauvais temps
que nous etimes dans notre route, nous
entrames enfinle méme jour dans le Port
le Weefph y arriva trois jours aprés , aufit
) , | en
| TT Amerique Septenttionale.
et} peine d’apprendre des nouvelles du
-Palmier, que le Palmier leroit d’appren-
dre des fiennés.
Le radoub qu’il falut faire de ces deux
-Waifleaux , fur caufe que nous née pumes al~
ler a l’Acadie , felon les ordres que nous
avions recués. Nous n’etimes que le temps
de nous difpofer pour la Baye d Hudfon ,
gui étoit le fenl fujet de notre voyage.
Nous trouvaimes heureufement Mon-~
fieur d’Iberville, qui deux jours apres no-
tre arrivee devoit continuer lentiere de-
ftruétion de la Colonie Angloife , qui eft
établie dans l’I{te de Terre- Neuve : mais
avant de vous en raporter les circonftan~
ces , il efta propos de tracer ici la defcri-
_ption de Plaifance , dont le Pore eft Pun
des plus beaux qui fe puiffe voir, tant par
fa firuation naturelle que par raport aux.
differens ouvrages dont il eft fortifie : il
eft dune fr grande ¢tendue qu'il y peut.
motiiller plus de cent cinquanre vaifleaux
de Guerre tels quils puiffent étre,
Son entree eftun Gouler , oti il n’y a
que le paflage @un navire. Le Piloté qui
voudra y entrer tiendra le milieu le plus
qu il pourra , ( ce qui n’eft pas fort facile ,
acaufe d’un grand Courant & des remonts
de maree ) & lon porte une Auffiere fur
Ja grande Grave , four nepoint ranger
B 2
16 Hiffoire de
le Fort, qui eft tout bordé de Rochers,
Plaifance eft dans un pais plat, divifé
en deux parties par ce Goulet, dont l'une
eft la grande Grave & l’autre le quartier
du Fort , qui eft au pied d’une montagne
d’environ cent trente toifes de hauteur ,
fur laquelle eft une Redoute bien forti-
fice, la nature ayant rendu le pais haut
inhabitable, ni produifant que dela mouf-
fe & de petits fapins , parce que l’on n’y
trouve pas un demi pied de verre ,a voulu
former un pais plat de trois quarts de
lieue de long, que l'on apelle la grande
Grave ; elle eft entre deux montagnes qui
font a pic. Celle du Sud Sud. Oiieft en eft
feparée par un petit courant d’eau qui ve-
nant du Goulet forme un Lac nommeé la
petite Baye, ou il ya grande abondance
de Saumons. Lelong dece courant font
des échafaux qui font des cabanes ou l’on
fale les Morués ; le toit & les murailles de
ces échafaux font des feitiillages de fapins,
auffi-bien que les maifons des habitans
qui forment une rué.; ces maifons font
couvertes de mouffe , les moutons paiffene
le plus fouvent des herbes deflus. La gran-
de Grave eft une étendué de galets, fur
lefquels l’on met fecher la morne. On a-
pelle galet de grandes pierres plates qué
font en cet endroit. |
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ARM Gon. sur la quelle. un Mouton pais? B
‘erede,a Plaron. C. gales ou prerre..
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I’ Amerigue Septentrionale. ig
Comme la morué fait toute la richefle
de Terre-Neuve, vous voulez bien Mon-
fieur que j¢ vous dife de quelle maniere
elle fe prépare , les foins & les peines qu'il —
y faut aporter font grandes, je ne rcitere.
point ce que c’eft qu'un échafaut,n'y com-
mre il eft bati, il s'agit de favoir que c’ck
Pendroit ot l’on habile les moraés. L’on
_ y trouve un Piqueur, un Decoleur , un
_ ‘Francheur, & un Saleur, qui y travailient.
On peut dire avec raifon de ces maifons
~qu'elles font toutes la richefle des habitans
de ce pais , & quelles reflembient parfai
tement acelle aqui Virgile donne le titre
de Royaume. Panperis & tugurir cons.
geftnm cefpite culmen, kg Ou
Pour connoitre les fondtions des pers
fonnes qui y font employées , il faut fas
voir que le Piqueur ouvre la moruc,
- Le Decoleur arrache les entrailles, le
foye,& coupe la tére. it
Le Trancheur lui Gte l’arére , & la faiz
_ giifler dans un Efquipot, qui eft un petir
refervoir qui vaen pente.
Le Saleur la regoit dans une bronére)
qu ikeonduiten un endroir oil fait ba Sas
ne de-la maniere que je le vatraporter=
Il érale‘une couche de morué de*neaf
ou dix pieds de long, fur laquelle il jette’
dufel, & fuccefiyement d’autres couches.
18 Hiftoire de
Yune fur lautre, de l’épaiffeur de trois
pieds , elles demeurent en cet état cing a
fix jours afin que le fel puiffe s’imbiber,
au bout defquels deux hommes les portent
a lamer dans un lavoir, quils frottent &
lavent avec un goupillon pour en oter le
fel. On les met enfuite en pate, c’eft-a-
dire en mafle. Elles y reftent deux jours ,
& aprésla faint Jean un feulement, a
caufe de la chaleur, On les étend aprés fur
la Grave, le dos fur le galet , & on les re-
tourne le foir, ot elles demeurent jufques
au lendemain a neuf heures du matin, &
fi le temps eft beau on les retourne enco-
re;enfuite on les retire de la pour les met-
tre en mouton, c'eft a dire cing ou fix les
unes fur les autres, la queue dans la tére,
& latécre dans la queue Aprés-quoi s’ik
fait beau temps on les étale comme je
viens de dire, & fur le foir du méme jour
on les met encore en mouton pendant
trois jours & trois nuits. On les met en-
{uiteen pile, qui eft faite a peu prés com-
me un palier de baffle court, qui cont ent
quelquefois trois cens quintatix. On les
retire de cette pile pour les mettre de re-
chef fur la Grave, & l’aprés-dinée on les
remet en pile lefpace d’un mois pour les
*~
faire fuer, fans plus les éventer , c’elt a=
dire fans les étaler fur la Grave, & onen
charge aprés les vailleaux. - |
V Amerique Septentrionale. %9
Ilya beaucoup de gibier dans toute
I'Ifle ; on y trouve du Caribou, de l’Ori-
gnac, du Caftor , & des Renards ;les Pers
dris y font fort délicates. Lors que l'on va
un peu loina la chaffe l’on porte une Bouf-
fole , car l'on court rifque trés fouvent de
ne plus trouver le lieu de fa demeure, Les
Fraifes y font en ft grande quantité quil y
en a autant que d’herbe dans les bois, au
refte ily a beaucoup de defagremens dans
cette Colonie. |
- Deux Barques longues, de quatre pies
ces de canon , avec trente hommes d’é=
quipage chacune , peuvent defoler & ru
net les Graves de la Baye, enlever ou cou-
ler bas toutes leurs Bifcayennes lors qu el-
les reviennent de la Péche. Les Habirans
ne joiiflent d’aucune douceur de la vie ;
ils n’ont point de Jardinages parce que
toute la terre n’eft remplie que de galets ,,
fur lefquels ils font fecher leurs Morués —
dans les endroits oui les pierres ne fe trou-
vent point, La terre eftune Moufle, of
rien ne peat produire, Le bled n’y vient
point, n’y ayant aucun fruit de France que
des Fraifes, ce qui dégoute la plipart des
Habitans , & fait qu’ils aimeroient mieux
Je Cap Breton, car je leur ay fouvent en-
tendu dire que fi l’on connoiffoit a la Cour
le merite de l’Ifle du Cap Breton 5 & fi
29 F1iftoire de :
l’onvouloit le peupler, il n’y a point d’Ha-"
bicans a Plaifance qui ne quitta volontiers
cette Ville , f on leur permettoit , pour
s'aller gcablir dans Fifle du Cap Breton.
En éfet ,c’eft une trés-belleIfle , a la edte
de l’Acadie , vis-a:vis la pointe du Sud -
de l’Ifle de Terre-Neuve , qui forme l’en-
tree du Golphe de faint Laurent. La terre
y eft admirable. Ce ne font que Plaines,
que Prétries , que Foréts remplies de Ché-
nes ,d’Erables , de Cedres , de Noyers, &
_des plus beaux Sapins du monde ,-& des
plus propres pour la Mature. L’on pours
roit y conftruire des Moulins a fcier pour
faire des Planches de Sapins , de Noyers,
& de bordages de Navires , qui feroient
d'un grand Commerce pour la France.
L’on y feroit une feconde Normandie
fi l'on vouloit y planter des Pepins de
Pommes., le Calvile fur tout y: feroir d’un
golit exquis comme celui de 1l’Acadie.
Ee Chanvre y vient naturellement , 8
Fon y en trouve des campagnes toutes
remplies. Le Bled y feroit plus-beau qu’a
Quebec : le’ Houblon y viendroit auffis
La chaffle aux: Outardes , aux Oyes
fauvages, anx Perdris de France ,aux Ge-
linotes de bois ,.aux Tourterelles, aux Ca
nards , aux Pluviers, aux Sarcelles , aux
Beccaflines , & a toute forte de Gibies
a
| l’ Amerigue S eptentrionale. 2r
de riviere y régne de toutes parts. Je ne
patle point de la Peileterie du Canada ,
qui n’y manque point. :
L’on n’auroit pas fi loin a aller pour
faire la Péeche de la Morne comme a Plai-
fance, & l’on n’y courroit point le méme
rifque, d’autant qu'elle s’y fait prefque
terre a terre tout le long de I'Ifle. :
Il ne me refte plus qu’a vous affureg
que je fuis trés parfaitement,
MONSIEUR ,
Vértre trés-humble, &e;
de -Fiifloire dé
pede obGee one Bee obo aneBee
or Per ees
Deftruclion prefqw'entieve de la Colonse
Angloift én PI fle dé Terre- Neuve»
a 1696 , & 1697.
Monsieur:
Vous m’avez toujours aimé dés ma ten-
tre jeuneffe , & j je vous ai toujours honoré.:
La parfaite amitié eft comme un lien fa.
eré qui attache fi étroitement le ccaur de
deux amis , que rien au monde n’eft capa-
ble de le rompre. Pour moi qui vous ai
confacré le mien, je veux en¢or vous re-
nouveller en cette occafion ce que j'ai de
plus cher par l’attachement inviolable que
jai a yos interéts. Reeevez je vous prie
une defcription de | Ifle de Terre- Neuve
que je vous envoye.
I] s’eft fait pendant cette Guerre des
agtions fi herotques , que jamais Monar-
chie n’a foutenu la gloire de fon Prince
avec tant d’éclat que celle de la France,
La réputation des armes du Rois étant re-
pandue jufques aux endroits de la terre les
— FAmerique Septentrionale. 23
plus €loignez, les Canadiens ont voulu fai-
re voir de leur core qu'ils n’€roient pas
‘moins paflionnez a foiitenir les interéts de
Sa Majette que les autres fujets. Ec animez
de cette noble ambition, ils ont donné en
plufieurs ocafions des marques aflurces de
deur fidelité. Vous voulez bien, Monfieur,
que je vous fafle un recit de quelques a-
ctions particulieres ow je les ai vis occu-
pez pour le fervice du Roi dans le temps
que j arrive a Plaifance. Vous y trouverez
une maniere de faire la guerre tout-a-fait
differente de celle de l'Europe. Le climat
& la fituation du pa¥s y contribue beau-
coup. Et quoi qu’elle tienne un peu du ca-
-_ractere des Sauvages avec qui ils font tod-
jours en guerre, ils ne laiflent pas de venir
glorieufement a bout de leurs entreprifes,
Les Anglois ont cette maxime, lors qu’ils
s établiffent dans les Colonies , de mettre
en ufage tout ce qui peut contribuer aux
commoditez de la vie , autant que le cli-
mat des pais ou ils fe grouvent le peut per-
mettre. Legrand nombre de Havres qu’ils
occupoient en l’Ifle de Terre-Neuve , fai-
foit voir qué c’en étoit une des meilleures
d’Angleterre. Monfieur d’Iberville con-
noiflant la richeffe de cette Ifle , crat qu'il
écoit du fervice du Roi d’en arréter le
cours, & qu’en détruifant tous les endroigs
\ io
24. Fiiffoire de Be.
quwils habicoient , le Commerce en feroit>
interrompu., I] prit la liberte de reprefen-
ter a Monfieur de Pontchartrain quy’il éroie
dangereux d’avoir de fi puiflans voifins
aux environs de Plaifance , & s’offritd’en —
faire lentreprife. :
Sa Majette lui accorda de prendre pour
cet éfet des Canadiens, & lui commanda
de fe joindre l’Ecé de 1696. avec Mr. du
Brouillan Gouverneur de Plaifance.
_. Les Vaifleanx le Pelican, le Comte de
Touloufe , le Phelipeaux , le Vendome,
lHarcour, & deux Brulots, montez par
des Maloiiins , devoient faire les attaques
par mer, :
Monfieur d’Tberville érant occupe a fai-
re des expeditions dans l’Acadie fur les
Anglois ne pit arriver aflez a temps ; ce
qui obligea ce Gouverneur de faire voile
avec ces Vaifleaux.
I] prit plufieurs petits Havres , dans
lefquels il fe trouva plufieurs batimens
chargez de Morués , mais il furvint entre
lui & les Maloiiins une mes-intelligence
qui empécha la prife de faint Jean, qui
éroit la Place la plus confiderable de toute
Lifle. Il fut oblige de s’en retourner a
Plaifance, ot il trouva Mr. d’Iberville qui
éroit arrive de l’Acadie, prét a partir pour
le joindre, ne l'ayant pu faire plator, parce
que
P Amerigue Septentrionale. 2¢
que tous fes Canadiens n’étoient pas en
core arrivez du Canada.
. Monfieur d’Iberville s’étant chargé de
Yentiere deftruction de ces Havres par
Terre, ne le croiant pas fi facile par Mer,
{fe difpofa de partir pour en faire la tenta-
tive , mais Mr. du Brouillan voulant avoir
part a une entreprife qui ne pouvoit érre
que fort glorieufe , a laquelle il n’avoit pa
réuflir avec quinze a feize cens hommes,
lui arréta fes Canadiens. Ceux-ci décla-
rerent ouvertement qu'ils ne vouloient
point lui obeir, voulant sen retourner en
Canada, & qu’ils fe retireroient dans les
bois plitét que de l’'accompagner. Ils fe
plaignirent qu’en partant de Quebec on
ne leur avoit point dit quils diflent le re.
connoitre pour leur Commandant, & ils
{avoient méme quiils étoient aux frais de
Mr. d'ibervi:le, dont ils avoient requ de
argent. hi
Monfieur du Brouillan fachant que Mr,
ad Iberville avoit ordre de faire la Guerre
feul en Hiver, ( ce qu'il avoit todjours
regatrde comme impoflible ) lui fir cepen-
dant parler Demuid,Capitaine d'une Com-
pagnie d'Infanterie en Canada, qui étoic
venu conduire le detachement des Cana-
diens , qui lui dit que Mr. du Brouillan
vouloit feulement fe trouver a la prife de
Zome f. |
26 Oi Heftoire de
faint Jean , avec de fes Habitans , fans
entrer dans aucune prétention fur les a-
vantages qu. il en pourroit tirer. Lors
-gu’un Commandant poflede le eceur de
ceux qui font fous fon obeiffance, il lui
eft aifé de les manier, & de leur in{picer
fes fentimens aurant “qu ‘il le juge a pro-
pos. Je trouve que la conduite de Mr, d’I-
berville fur tout a fait judicieufe dans une
conjoncture auffi embaraflante que celle
ov il fe trouvoit. Hl favoit d'un cété la
| confequence quil y avoir de commencer
pat le Nord de I'Ifle ; & d’ailleurs il étoit
perfuadé que les Anglois fe feroient for-
rifiez de nouveau ,dans l’aprehenfion of
ils pourroient etre que les Frangois ne re-
vinffent encore, Enfin aprés avoir calmé
les efprits irritez des Canadiens , qui ne
font ; pas fi maniables , il fe détermina d’al-
ler a faint Jean.
~ Monfieur du Brouillan s “emioneagi fur
le Profond , & fit voile pour Rognouge ,
lieu du er vous. Monfieur d’ ibervilte
aprehendant quelques coups de vent affez
frequens dans cette faifon, qui le jettang
au large auroir pu obliger ¢d ‘aller én Fran-
ce avec fix vingt hommes qui €toient 4
fes frais & dépens, prit le chemin de terre.
La réparation qu’il s’étoit acquife par-
mi Sie aha peuples Sauvages , obligea
———- P Amerique Septentrionale: = 27
Pierre-Jeanbeovilh , Chef de Guerte des
Abenaquis, de quitter fa nation pour Ctré
témoin oculaire de ce qu’on difoit de lui.
Ce Chef voulut favoirf Mr. d'Iberville
faifoit mievx la guerre aux Anglois, que
lui ne la lear faiioit , & aux Iroquois fes
ennemis. C’eft un homme d'une trés-belle
taille, de trente-huit a quarante ans. Hla
dans les traits de fon vifage un air touta
fait martial; Ses actions & fes manieres
font connoitre qu'il a les fentimens d'une
belle ame. Il eft d’un fi grand fang froid
gu’on ne l’a jamais vd rire. Ila enlevé feut
en fa vie plus de quarante chevelures.
I] n’eroit point naturel de faire une cams
pagne de cing ou fix mois fans avoir quel-
que Ecclefiaftique. Monfieur l’Abbé Bau-
dotiin , qui avoir éré autrefois Moulque-
taire, éleve de Mr. l’Abbé Tronfon , &
prefentement Miflionnaire dans l’Acadie ,
voulant donner des preuves de fon zéle,
accompagna Mr. d’Iberville.
_ Us partirent tous de Plaifance le jour de
la Touffaines de l’année 1696. pour aller
au fond du Port, quia prés de deux lieués
de profondeur. Ils monterent le lendemain
dans les bois environ une demie licué ,.&
le troifiéme jour marcherent dans un pais
mouillé, couvert de moufles, ot ils enfon-
goient, caflant avec les jambes les glaces.
G4
2$ | Hiffoire de
Cette marche dura neuf jours , dans des
bois fi ¢pais qu’a peine pouvoit-on pafler,
étans obligez de traverfer des Rivieres ,
des Lacs jufques a la ceinture , dans un
temps ow le froid étoit fort rude, Ils arri-
verent le dix du méme mois a Forillon, otf
Mr. diberville fe rendit le premier avec
dix hommes qu'il détacha des autres. Les
vivres commengoient a leur manquer de-
puis deux jours : Ils trouverent fort a pro-
pos une douzaine de Chevaux qui leur’ -
fervirent de nourriture , dans l’attente ott -
ils etoient des vivres qui étoient embar-
quées dans le Profond. Monfieur du Brouil-
Jan érant arrivé le premier a Rognouge,
détacha Rancogne Ofncier de fa Garni-
fon, avec quelques Soldats qui prirent un
Anglois , lequel s’etant Echape en donna —
avis a faint Jean. Le Gouvernenr de cette’
Place ne manqua pas d’envoyer au plu-
tor un détachement confiderable a la de-.
couverte, On rencontra l’Officier Fran-
ois; onen vint aux mains , & il fut ob-
ligé de f{uccomber fous le grand nombre,
On lui tua un homme, on en bleflaunau-
tre , & on lui fit quatre prifonniers. Cer
Officier s’en revint a Forillon avec trois
hommes demi-morts de faim & de froid.
Pendant que Mr. d’Ibervilte alloit en
Canot joindre Mr. du Brouillan,il envoya -
P Amevique Septentrionale. = ig
de Plene aCabreiiil, avec douze hommes,
joindre deux Anglois qui avoient ére dé=
couverts. Celui-ci enleva quantiré de vi-
vres , & emmena douze prifonniers , qui
déclarerent qu ‘il y avoit cent hommes le
long de la céte , jufques a Baycboulle, qui
commencoient a faire des halticarinimis
Monfieur du Brouillan ayarit renvoye le
Profond en France avec quelques prifone
niers,arriva a Forilion avec cent hommes.
Ce fat! la ou ils prirent les expediens les
plus feurs & les plus convenables,
Il falur pour cet éfer faire plufteurs dé-
couvertes:¢ étoit lunique moyen de comm
noitre la force des ennemis,.& d’ aprendre
en mémetemps sil ne “the venoit point
d’ Angleterre quelques vaiffeaux de guerres
Mr.d’Iberville éranta latére decent vingte
quatre Canadiens , parmi lefquels fe trou-
verent plufieurs Gentilshommes , quatre
Officiers, 8& le Chef de Guerre dae: Abena-
quis, qui Ie fuivoit rotijours dans tous fes
mouvemens:, fe mit en chaloupe pour Ba-
yeboul lle, qui eft a fix liewes de Forillon.
Ils prirent en arrivant un Vaiffeau :Mar-.
chand d’environ cent tonneaux, dont le
quipage s’enfuit dans les bois avec les ha
bitans du lieu. .
Vingt Canadiens vartieeint pour faint:
Jean, Dix autres courant les bois enleve-
C 3
30 Hiftoire de
rent cing hommes, parmi lefquels fe trows
va le Capitaine de ce Vaifleau qui éroit
partid Angleterre avec deux Vaiffeaux de
guerre de cinquante & foixante & douze
pieces de canon, qu'il avoit quitté fur le
Grand.Banc , & quil croyoit devoir étre.
arrives a faint Jean. Defchaufours fe dé
tacha avee fix Canadiens pour Ouitflifba-
ye: Six autres firent treis prifonniers 8
une femme. Quatre Matelots fe jetterent —
du coté des Frangois : Deax Canadiens da
Parti qui étoit alléa faint Jean, revinrent. —
Le refte obfervoit le Petit- Havre , qui eft
a cing licués de Bayeboulle, avec un pri-
fonnier, qui leur aprit qu'il n'i avoita faint:
Jean que trois Navires Marchands , mais
ils n’oferent s’écarter de peur que les tra-
ces de leurs Raquetes ne les fiflent de-
couvtir. ) sed 8 :
Ces découvertes étant faitesl’on va droit
a faint Jean. Monfieur d'Iberville ayant
choifi Montigni, Lieutenant d'une Com~
pagnie d’Infanterie en Canada, pour fon.
‘Lieutenant, partit le premier avec fept
Canadiens pour fe rendre maitre des hau-
-teurs d’otil’on pouvoit découvrir Mr. du
- Brouillan qui conduifoit fon détachement:
& comme il étoit impoflible d’avoir des
chevaux & des chariots pour porter les
bagages dans des chemins impraticables.,
P Amerigue Septentrionale. %
chaque Canadien étoit chargé de fes mu. :
nitions. Trois heures apres cette marche,
Mr. d’Iberville ayant rencontre ceux qui
Fevenoient de la découverte de S, Jean ,:
arreta trente Anglois du Petit-Havre, qui
avoient découvert les notres. I] les atra-
qua, & paflant une Riviere trés rapide
jufqu’a la ceinture fe rendit maitre de ce
lieu, ot il trouva de la refiftanee par les
retranchemens que les Anglois y avoient’
faits. Les ennemis y perdirent trente- fix
hommes , & il y eut quelques prifonniers.
Le refte gagna faint Jean. Les neges aug-
menterent beaucoup, & comme il s’agif-
foit de vaincre ou de mourir, l’on marcha
le 28. Novembre en ordre de bataille.
Montigni marchant cing cens pas de-
vantla Troupe faifoit l’Avant- garde avec
trente Canadiens) Meffieurs du Brouillan
& d'Iberville fuivoient avec le Corps. Les
habirans de ce Gouveineur éroient 4 la
tte , avec ordre cependant de laifler paf-
fer les Canadiens eri cas d’attaque. Aprés
deux lieués & demie de marche, l’Avant- |
garde decouvrit a la portée du piftolet les
ennemis, qui ctoient au nembre de quatre-—
- vingt,poftez d'une maniere fi avantagenfe —
dans un bois brilé, qu‘ils étoient A cou-
vert derriere des rochers. Montigni fe
voyant découvert anima fes gens,qui don-
32 Hiftoire de
nerent téte baiflée deflus. Monfieur PAb-
be Baudoiiin exhorta en peu de paroles
les Canadiens ; & leur ayant donné |’ Ab-
folution Generale ,.chacun jetta les hardes
dont il étoit chargé. Monfieur du Brouil-
lan les attaque a la téte, Mr. d'Iberville fe
jette furla gauche; oti illes prend en flane
a l’abri des rochers. Le Combat s’opinia-
tre une demie heure. On en tué plufieurs §
les autres plient. Celui-ci l’épée a la main,
avec le Chef des Abenaquis,donne deilus;,
les autres fe battent en retraite. Ils fe re-
fugient a faint Jean ;illes y force. Ils fe
jettent dans deux Forts, il les leur fait a-—
bandonner, s’enrend maitre & fait tren-
_ te prifonniers avee quelques familles. Le
_refte fe fauve dans un grand Fert, & dans
une Quaiche qui étoit dans le Havre. |
Sur ces entrefaites Mr. de Brouillan ar-
rivaavecla Troupe. Demuid fe mit avec
foixante hommes dans le Fort le plus pro-
che du grand, qui en éroit éloigne d'une
portée de canon, & le gros fe campa dans
la Ville. | |
Ce Fort étoit palifladé, revétu d'une
terrafle de trois pieds de haut. La Quai-
che profita d’un vent favorable. Les en-
nemis y mirent leurs meilleurs éfets , &
y embarquerent prés de cent hommes, Ils
perdirent dans cette pourfuite cinquante
l’ Amevique Septédtrionale 34
hommes. Le Trompette de Mr. du Brouil-
lan y fut tué. Trois de fes gens & deux
Canadiens y furent legerement bleffez.
L’efpetance qu’avoient les Anglois que
les deux Vailfeaux de Guerre arriveroient
incellamment, étoit un obftacle pour que
Von fe rendit fi-tét maitre du grand Fort,
dans lequel deux cens hommes s étoient
jettez fort précipitanyment , felon le ra-
port de quelques-uns qui avoient pris no-
tre parti. | es
Tl étoit a propos de fe faire un chemin
découvert pour reconnoitre le Fort. De-
muid & Montigni.,avec foixante Cana-
diens , brdlerent pour cet éfet les maifons
woifines. Ce Fort eft fur la cote du Nord-
Oiieft , a mi-core , commandeé par deux
haureurs , toutes deux diftantes aune por. |
tée de fuffl. Il eft de figure quaree, flana
qué de quatre Baftions , entouré d’une pas
liffade de huit pieces de canon de quatre
livres de balle ,avee un Chemin couverr;
mais pour Leis: plein de néges , un Digves
Jevis, une Terrafle élevee:, & ‘épaille de
trois pieds, Il y avoir au mi itiea i ane petite
Tour, cloignée d'une aie de fu-
fil d’ ute Ruifeau , fur laquelle éroient quas
tre pieces de canon de quatre livres de
balle , & une cave au deflous qui fervois
de > Magalin a: poudre. .
34 Hiftoire de
- Pendant que les Canadiens mettoiené
Te feu a toutes ces maifons , Mr. d’Iber-
ville s’étoitavancé avec une trentaine pro-
che le Fort pour les fotitenir, & Mr. du
Brouillan refta au pofte avancé avec les
fiens. Il fe fit plufienrs efcarmouches dans
le temps qu’on alloit reconnoitre le Fort.
Les ennemis n’y curent qu'un homme tué.
Ceux-ci ne demanderent qu’a tempo-
rifer , & comme ils éroient refolus de fe
défendre, l’on envoya chercher a Baye-
boulle un Mortier ; des Bombes & de la
poudre qu’on y avoit laifleé. i
~L’on peut dire qu'une Place eft a moi-
tié rendué lors qu’un Gouverneur parle-
mente. Il fortit le trenre Decembre un
homme avec Pavillon blane pour parler
d’accommodement. L’on convint de part
& d’autre dune entrevuc. Le Gouver-
neur Anglois fe fianta la probite des Fran»
gois y vint Ini. méme , avec quatre des
principaux Bourgeois , qui aprehendant
que l’on ne vit le mauvais état ou ils
étoient reduits , ne voulut permettre que
aucun des notres entrat dans fon Fort. Ils —
infifterent a ne fe rendre que le lende-
main, Ils fe fatoient que le vent change-
roit, & que les deux Vaifleaux de Guerre
quwils avoient vis l’obvoyer deux jours
auparavant a deux lievés au large, entre-
Ll’ Amerique Septentrionale. —«-3§
roit dans le Port. Belle efperance pour des
perfonnes accablées , mais vaine & inutile
dans une conjoncture ou l’on fe voit pref-
{é de fi pres , car on lui refufa ce delai.
L’aprehenfion oti ils étoient d’étre pris
d’aflaut les fit balancer. Ils s’éroient per-
fuadez que les Canadiens reflembloient
aux Iroquois, nation impitoyable a leurs
ennemis. Ils s attendoient qu’on leur en-
leveroit la chevelure. Maxime de guerre
ufitée chez la plufpart des Sauvages du
Nord , qui ayant pris leurs ennemis leur
enlevent la peau qui couvre le crane, &
c’eft le Trophée le plus authentique de
leur valeur. Trophée, dis-je, qui fertde
monument.a la gloire d’un Sauvage , qui
pafferoit pourun homme de peu de cou-
rage fi venant de la guerre il n’en rapor-
roit plufieurs avec lui: Il falut done capi-
tuler le méme jour.
“ Enfin ils conclurent
~ Que la Place feroit rendué a deux heu-
res aprés midi,
~ Que la Garnifon & les Habitans for-
tiroient du Fort , fans armes. |
- Qu'ils auroient la vie fauve, & ne leur
feroit faite aucune infulte ni a leurs Fem-
mes & leurs Filles. | ;
Qwil ne leur feroit 6té aucun habille-
ment quiils porteroient fur eux,
36 Fiftoire de | 4
~ Qu’'il feroit fourni deux batimens pour
Jes tranfporter en Angleterre. ‘
—- Qu’il leur feroit donné des vivres pour
deux mois du jour de leur embarquement, —
Lhermite, Major.de Plaifance, porta la
Capitulation ala Garnifon & aux Habi-
rans , qui la fignerenr, & la raporta au
Gouverneur Anglois, qui ¢toit refté au
Camp, qui la ratifia. L’évacuation de da
Place fe fit fur le champ. Il en fortit cent
foixante hommes, fans compter les fem-
mes & les enfans. Demuid eur ordre di
refter avec foixante hommes de garnifon,
Comme Mr, d’Iberville devoit conti-
nuér la. guerre le refte de l’Hiver , il ne
put fe defaire de fes Canadiens, L’on ne
voulut point expofer a l’invafion des An-
glois un endroit que l’on n’avoit harcele
qu’avec peine & beaucoup de fatigues,
quia la fuite du temps leur auroit pd fer-
vir de retraite. L’on fut contraint de dé--
miolir le Fort & de briler toutes les habi-
tations, a la referve de quelques maifons
qui furent confervées pour les malades,
qu il fut impoffible de tran{porter au tra-
vers des bois, = 7
Saint Jean eft un trés- beau Havre, dans
lequel ily peut tenir plus de deux cens
Vailleaux. Son-entrée eft large d'une pe--
tite porrée de fulfil, entre deux montagnes
tres -
LP Amerigue Septentrionale. 37
trés hautes , avec une batterie de huit ca-
‘nons en cet endroit. Les habitans ¢roient |
au nombre dei cinguante-huit, tres bien
_écablis fur la cote du Nord, le long du
Havre, dans l’efpace d’une demie lieue,
—Ily avoit trois Forts, l’un du core du
bois a ?Otieft , un autre au, milieu qui a-
voit. pour Gouverneur un habirant qui l’a-
bandonna a l'arrivée des Frangois , & le
troificme. étoit celui ott les Frangois s at-
i
tacherent.
Ce dernier défendoit l’entrée du Havre
{ quoique de loin ) fur lequel il comman-
doit entierement , & {ur une bonne partie
-des maifons fituées aux environs, dans lef-
quelles éroient les meilleurs efets , que
Yon fut contrainte de bruiler la veille de
la Capitulation.’
La terreur s étane répandue parm les
. Anglois les ebligea d’abandonner plufieurs
endroits , & de fe refugier a Carbonniere-
Leurs efpions alloient & venoient pout
aprendre la cataftrophe de faint Jcan.
Montigni eut ordre de Mr. d'Iberville
de paffer a travers les bois avec douze
hommes pour fe faifir de Portugalcove, a
_ fix lienés de faint Jean, en la Baye de la
2
_ Conception. I] enleva une Chaloupe qui
_venoit de Carbonniere pour aprendre les
nouvelles de faint Jean. Deux de fon parti
Tome J. D>
38 F/iftoive de |
raporterent quil avoit fait trente prifon-
niers, que la Quaiche fortie de faint Jean |
y étoit arrivee, & quil y avoit un Vat."
Yeau Marchand. OO MER TEA ROL TS
Tous ces détachemens firent infenfible-
ment cent prifonniers. Kividi fe trouva
‘trop proche de S. Jean pour qu’onle laifla
fi tranquille. N euf habitans ‘bien érablis
{uivirent le méme fort que leurs voifins, —
* Lexpedition de faint Jean etant faite,
Mr. du Brouillan fe difpofa de partit pour
Plaifance. Il s’étoit trouve hors @etat de —
continuér d'autres entreprites, & il faloie
@tre d'une complexion vigoureufe pout
refifter plus long-temps aux fatigues que
Von fouffre dans ce climar.Comme il €roit
oblige d'efectuer la Capitalation, il donna
un Brulot a deux cens cinquante Anglois
pour sen retourner en Angleterre, & le |
Vaiffeau qui avoit été pris a Baycboulle
dans lequel quatte-vingt autres devoicnt
paffer en France, Celui- ci fe perdic a la
cote d’Efpagne : oti les Efpagnols firent
une aflez mauvaife reception aux Fran-
gois, qui furent dépotiillez. — 48
* Monfieur d'berville prit de fon céré
‘tous les moyen’ pour fe rendre maitre des
autres Havres. Tl eft de la politique d'un
Commandant de ménager le peu de mon-
‘ge quil a lors qu'il fe erouve oblige de.
P
- . PAmerigque Septentrionale. 39
faire pluficurs expeditions ; mais il nefe
pas naturel que cent hommes duflent
triompher de mille. Les Canadiens ‘s’c-
poient fait cependant une Loi den venit
A bout :Er comme je veux déveloper tou-
tes les attaques & les décentes quiils firenc
chez les Anglois , je les conduirai, Mon-
fieur, infenfiblement felon les differens
mouvemens ott ils fe trouverent engagez.
{| faut qu’an Canadien foit convaincu de
fa valeur de fon Capitaisie pour qu'il lui
obeiiffe. II eft vrai que tous les Officiers de
Mr. d'iberville ne re{piroient que la gloi-
re. Ils favoient parfaitcement bien leur de.
voir, ainfiil pouveit fe fier a leur bonne
conduite.... eae
_ Aprés qu'un parti qui avoir éré detruire
& Portugalcove une batterie de huit pieces
de canon qui étoient al’entrée de fon Ha-
vre,fituation qui ne peut crre foreée par
mer, que la -Periere fut de retour du Cap
S. Frangois & de Tofcove , ot il fit treize ©
prifonniers » que lon eut brale environ
quatre. vingt Chaloupes, & que l'on fe fur
rendu maitre de trente-cing lieucs de pais
dans la Baye de la Conception, Mr. d’T-
berville partit le treize Janvier 16 97.avee
tout fon monde. |
L’on eut le temps de faire des Raquet-
tes pour le voyage, fans quoi il éroit imi
: : ae
40 ‘ Fit oive de :
poflible de marcher. Elles ont A peu prés
Ja figure de celles de Jeu de Paume, mais
beaucoup plus grandes. Il y a deux petits
batons en travers, un trou au milieu qui_
sapelle l’ceillet, large du bout de la plante
des pieds, qui fe trouvant a la rencontre
d’un de ces batons donnent le mouvement
pour marcher. Il y a a l’entour de leillet
deux courroyes qui attache le foulier, qui
eft unefcarpin, fait de peaux d’Orignae
ou de Caribou , fouple comme un gan.
Par le moyen de ces Raquettes l’on peut
tracer des précipices pleins de néges les
plus inacceffibles, . ie Pree
Il croit a propos de frayer les chemins.
Montigni fe rendit vour cet éfet a Portu-
galcove , ot les autres fe rendirent en-—
fuice. Ils y fejournerent deux jours a caufe
de la quantité prodigieufe de n€ges qui
tomboient. L’on remarqua quil'n’s avoit
rien d’aprochant en Canada de cette a-
bondance. | : |
Montigni repart derechef avee trente
hommes des plus vigoureux:l’on preci-
pite la marche & on Te joint en un jour,
ce quil ne put faire qu’en deux. L’on con-
tinué fon chemin, les verglats briferent
~ les Raquetes. Les uns tombent a faux,
les autres font prefque enfevelis dans la
n¢ege, Montigni tombe lui-meme dans une
}
| Ameriqne S aierarionels: 4i
Rivicre, y laiffe fon fulfil 8 fon épcée pour
ni pas perdre la vie, Enfin Avant. garde
attive au fond.de la Baye , quiefta vingt-
-eing lieues par terre de faint Jean , ou elle
prend. douze Angiois ,,.& dans l'attente de
Mr. d Iberville qui. conduifoit la troupe:
Montigni alla par mer en canot au Havre-
men, ou il en prit encore autant qui arri-
ot de Garbonniere,. Cette marche ne
tendoit qu’ace lieu-ci. C’éroit la retraite
d’un grand nombre d’Anglois, qui par un
petittrajetalloient & yenoienta I'Ifle voi-
fine qui porte le méme nom.
Le chemin éroit trop long par ‘terre
pour fe rendre a Carbonniere; il eur falla
_fairetrente lieues pendant que l’on y. pou-
voit aller par mer en.deux on trois heures,
Le radoub des Chaloupes fe fir a Ha-
vremen pour la Purcance: Von en équipa’
trois, & un Efquif., dans lefquelles cent
vingt. quatre Raagiens S ‘embarquerent,
Apres avoir cingle é trois lievues au large
vent devant, on apergut quatre Chalou-
pes, qui fe doutant que les Francois ve-
panes 4 l’Ifle de Carbonniere, revirerent
de bord,. & porterent l’alarme par tour,
Cett be une temerité de chaffer plus
Join. On laiffa en paflant Brige,. habitation:
affez bien établie, ou il. y avoit environ
- foixaate- hommes , pour donner dans Por
| {> 43 ;
a. Hiftoire de
tegrave , que l’on prit. L’on y trouva cent —
dix hommes, la plufpart bien armez,‘fans
compter les femmes & les enfans. Cet en-
droit eft fort beau. Le grand nombre de
befteaux qu'il y avoit fervit-de rafraichif.
femensa des gens qui {gurent bien en pro-
fiter. Ceux de Brige paroifloient étre trop:
tranquilles. Comme ils ne venoient point _
au fecours de leurs voifins, Mr. d’Iberville
les envoya fommer, avec ordre aux trois
principaux de le venir trouver a Carbon-
niere avec toutes leurs armes a feu: Cetit
été un trop grand embarras de fe charger
de tant de prifonniers: la deftruction de
leur habitation fuffifoie.
Montigni fut detache ala pointe du jour
avec cinquante hommes, dans trois Cha-
loupes, pour fe faifir de Moufquith ; qui
eft entre le Havre de-Grace & Carbon-
niere , & le refte s'embarqua pour l’ifle de
Carbonniere en cing autres, fur les neuf
heures du matin. I falur ranger la cote de
cette Ifle.Les Anglois cidrent que les Fran-
gois venoient y faire décente : ils tirerent
plufieurs coups de canon , & paroifloient
environ deux cens hommes logez dans des
baraques. L’on ne fit que doubler I'ifle
_ pour fe rendre 4 Carbonniere jou Monti-
\
SS
gniavoit tué , fait plufieurs prifonniers ,
& avoit pourfuivi les autres a travers les
ho
: VP Amevique Seprentrionale. 43
bois, qui s’étoient jettez dans Nieuperli-
ean,a fix lieués de Carbonniere. Ce Ha-
vre avoit vingt-deux habitans les mieux
batis de Terre-Neuve:l’on y trouva des
gens de cent mille francs de bien, qui a-
voient tout fait tranfporter ailleurs. Le
Commerce y ¢étoit confiderable.
L'Ifle de Carbonniere tenoit fort a cceur
a Mr. d'Iberville; il favoit de quelle im-
portance il éroit de sen rendre maitre , &
il connoiffoit en méme temps qu’outre
Paffiete du lieu la faifon étoitun grand ob=
ftacle a une pareille entreprife. C’eft un
Rocher a pic, efcarpé de tout coté, qui
commande lamer. II n’iavoit qu'un petit
-débarquement a la pointe de l’Oiieft, a
portee de piftolet d’un retranchement de
Chaloupes, ot il y avoit quatre canons de
fix livres : il faloir un calme pour y abor-
der , & encore c’ctoit tout ce que pouvoit
faire deux Chaloupes : on les fomma de
fe rendre , & ils le refuferent. Quand on
fe trouve un peu a l’abride l’infulre de fon
ennemi, & que lon fe void dans unefitua-
tion aflez forte pour difputer le terrein,
il n’eft pas naturel de plier fi. rot. Les meil-
Jeurs ¢fets de la colonie Angloife y avoient
€té tranfportez ; ils avoient done dequoi
paffler le refte de l’Hiver, dans l’efperance
quon leur enyoyeroit du {ecours d’An-
gleterre,
44 vito Vl hose ale
Le temps devint rude plus que jamais? —
Mr. d'Iberville envoya fur le minuit deux
@haloupes :l’on raporta que le Reffzc étoit \
toujours gros a lIfle, & quel’oh ni pou-
voit debarquer. La‘mer calma un peu le
lendemain trente Janvier. Quatre-vingt
hommes:s’embarquerentdu cdté de lE
du Nord. Une Sentinelle demande d’u-
ne voix tremblante ,.qui vive ? Montign1
fans s’émouvoir fait doubler la rame, les’
autres le foitiennent vils veulent: mettre
pied a terre,le verglats 8 le Reffre lesen
empéchent, Le Sentinelle tire deflus fans’
blefler perfonne, & ceux du Corps-de-
Garde artiverent fur ces entrefaites , pos
ftez {ur une hauteur capable d’arcécer mile
le hommes. = ..55 fig wb etaiog
Une retraite faire a propos eft plus avant
tageufe a un Commandant que de facri+
fier mal-a'propos: l’€lire de es: troupes 5
lors qu'il doit les menager pour d'autres:
-endroits’ dont-il veut fe rendre maitre in»
fenfiblement.: ‘Le meenanvsee Dia)
Le Havre-de-Grace qui etoit utr leu’
auffi confiderable pour le commerce que’
Carbonniere ,-¢toit trop fufped: L’on y’
-mitle feu, C’étoit: le premier érabliffe-
ment de la Colonie Angloie. Hy mourat
il y a trois ans un habitant age de quatre»
- vingt- trois ans, nédansle lieu,ce qui fait’
4 ' hunbidiie Septentrionale. 45
-eonnoitre quils habitent cette Mle depuis
long- temps.
Pendant que Boifbriant Enfeigne d'une
Compagnie de Canada, faifoie ‘pluGieurs
prifonniers, & que de Phere fit main bafle
-aSaumoncove fur vingt hommes, entr’au-
tres fur le fecond Gouverneur de {faint
Jean , dont j'ai deja parle, la Perade fous-
Lieutenant fut détaché pour tenic en bride
ceux de Portugalcove & de Brige, qui ae
voient une trop grande relation avec I’Ifle
de Carbonniere. Le manque de paroles
qvils eurent dans la fuire du temps, leur
-attira Montigni & Boifbriant, avec qua-
-rante-cing Canadiens, qui mirent le few
ehez eux sil ne falok plus fe fier a leur
bonne foi. On en ramena les habitans ,.
Hou la plapart avoient encore des armes.
Le vent de Sud-Oiieft étant favorable
pour aller a Bayever, adix lieues du Nord
de Carbonniere, entre les Bayes de la Tri-
nice & dela Conception. Mr @lberville
“Sembarqua le 3. Fevrier avec so. hommes
danstrois chaloupes. Ils partirent la nuit’,.
& arriverent a la one du jour a als
liewes en dega, Is la paflerent fort defas
greablement. Un Canadien ett méme un
doigtdu pied gele. Les meilleurs coureurs:
donnerent dans un bois od ils prirenr deux:
Anglois qui s’en alloient au Vieux DPerli-
46 ay Hiftoire de | !
ean, & fept autres qui en revenoient. Com3.
me ils déclarerent que Pon n’avoit point!
de connoiflance de la marche des Fran-
gi isi: & quil y avoir plafieurs Chaloupes
préres a deer pour |’ Ifle de Carbonniere,;
Mr. d’ iberville y alla artaquer quatre-
vingt hommes, 5 qui fe rendirentra difcre
_ tion. On les sarda % avuie ,a la referve dé
deux qui allerent a Bayever de fa part, |
‘pour ailurer les habirans qu’ils auroient le
méme quattier. Deux des principaux, fous
la bonne foi de leurs Compatriotes , vine
rent fe rendre caution , mais trenre a qua-
rante des plus ates fe fanverent dans
les bois & en Chaloupes. Monfieur d’lber=
ville y arrivant le fixiéme Février trouva
les habirans fort fotimis. Il y prit une Chas
loupe de fix hommes qui arrivoient de
Fifle , que l'on avoir envoye {gavoir's iL
pourroient si rendre avee leurs biens: —
Boifbtiant fe contenta d’emmener. les
principaux a Carbonniere. Le refte des
Canadiens attendoient Mr. d’Iberville ay
Vieux Perlican of il rerourna. C’eft un
lieu tres confiderable, otf il y avoit dixs
neuf habitans , plufieurs Magafins de mot
rucs, & beaucoup de befteaux. On y laiffa
la plapart des habirans , ala referve de
quelques-uns , fort contens tous de leur
fort,. mais gui oublierent facilement. les:
V Amerique Septentrionale. Ay
gtaces qui leur avoient ere acordées. Ce.
Jicove qui €roit'a deux liewés, fervic d’a.
file’ une nuit: fon -y trouva une trés gran-
de quantité de befteaux , fans habitans ,
‘qui avoient tout abandonne, |
~. A mefure que l’on fe rendoit maitre de
tous ces Havresl’on y arboroit le Pavillon
Frangois. Nieux Perlican qui ¢roit a deux
Jieués par dela fut auffi entierement aban-
donné, Les habitans fe crurent plus en
fureté en gagnant le Havrecontent , qui
avoit donné afile a ceux-ci.L’on y trouva
un petit Fort, qui croit une Maifon forti-
fice a l’épreuve du moufquet , avec des
Meurtrieres haut & bas, Ils fe trouverene
‘bloquez. Que pouvoient faire des gens
-~qui fe voyant dans des allarmes continue].
“des nentendoient parler de moment a
autre que des Canadiens , qui n’aimoient
gueres.a leur faire grace? Ils favoient ce-
“pendant que Mr. d’Iberville agiffoit gene.
reufement avec eux. Cette confiance les
obligea de lui envoyer un Irlandois qui
commandoit en Chef , pour le prier de
leur acorder la vie fauve. Trente hom-
mes fortirent avec leurs femmes & leurs
enfans de cette retraite , qui ctoit munie
de quantité de vivres. On y laifla Def.
chaufours Gentilhomme de l’Acadie, avec
a
dix hommes pour y commander,
48 rae [Fore de ‘
Comme nous avions beaucoup de pri-
fonniers, nous étions bien aife de faire un
échange. Nous voulions avoir auffi trois
Arlandois quiavoient pris parti ayec cux,,
que ceux de I’'Ifle de Carbonniere avoient
enlevez. Une Chaloupe fut détachée pour
cet éfet. Ils refuferent cette propofition,
‘On yenvoya une feconde fois. Ils deman-
derent un Anglois pour un Frangois , 8
trois pour un Irlandois. On le leur accor-
da. L’on choifit pour l’échange un endroit
hors de la portée du canon de I’'Ifle & de
terre. Montigni si rendit avec cing Fran-
gois, & le nombre d’Anglois qu’ils avoient
demandez , entr’autres le frere du Com-
mandant de I’Ifle , quiauroit mieux aime
refter chez les Frangois que de rifquer de-
-sechef fa vie. Un Efquif de fix hommes
partit en meme temps de I’Ifle fans menet
nos gens. Montigni leur demanda le fujet
-de cet oubli? Ils propoferent que le frere
de leur Commandante allat jufques al Tfle,
qui rameneroit les Frangais : on le leur
refula , & ils s’em retournerenr. Le Com-
mandant, le Lieutenant , & le Major, re-
vinrent fans aucun Francois. Montigni
elit tous les fujers du monde dé fe plain-
dre de leur procedé. Un de ces Officiers
déchargea fon fabre fur lui, -il en para
le coup, & toute la peine qu'il edit dans
cette
Ll Amerique- Septentrionale. 49
-eette rencontre fut de les faire pafler
bon gré mal gré dans fon Canot , & d’em-
-mener le leur. Ils donnerent d’aflez mau.
vaifes raifons a Mr. d'Iberville , lui repre-
fentant quils n’étoient pas les maitres
chez eux, &. que sil vouloit les renvoyer —
-cela leur donneroit occafion de faire V’é.
‘change avec plus dautorite, Ils ctoient er
trop bonnes mains pour meriter que lon
etit derechef tant de créance en leur pro-
bité. On leur permit feulement d’envoyer
de leur part des prifonniers, qu'on y retint
encore prefque tous , menacant de faire
feu fur les Francois qui y retourneroient.
‘Deux Sauvages eurent beaucoup de foin |
de la conduite de ces trois Officiers , juf-
ques au Havrecontent.
Quelque temps aprés ils propoferent de
faire rendre |’'Ifle , & d’obliger ceux qui y
étoient de reconnoitre le Ro}, pourvd qu'il
leur fut permis de faire la péche de la mo-
-rué pendant l’Eré. Montigni s’écant char.
gé deux en laifla partir un pour cet ¢fet ,
ayant oblige les deux autres-de payer dix
mille francs s'il né revenoit point. Son vo-
syage fut fans fuccez. Ils offrirent tous trois
.dix mille livres pour avoir leur liberté, ce.
qui Teur fut refufé. Pendant que Mr.d'-
berville fic un tour a Plaifance pour y ap-
-prendre des nouvelles de France , Montj-
Lome Z. E
so : Hiftoire de® :
_gni & la Periere eurent ordre de raflems
-bler a Bayeboulle deux cens des meilleurs
- prifonniers. Boifbriant de fon céré qui é-
-toit au Havrecontent , avec un detache.
«ment, devoie obferver hes mouvemens que
Von Fetiiik vers Carbonniere. Monfieur d’I-
-berville revint par mer de Plaifance avec
/Mr. PAbbe Baudoiiin , au fond de la Baye
‘de Cromwel. Il y pubes la Periere ,
“avec cing Chaloupes & foixante prifon-
niers. Il ctoir venu aux mains avec quan-
: tite de gens qui ctoient décendus de I 'Ifle.
‘Le choc fut un peu rude. Il en tua onze
dans cetre occafion, ‘& prit trois femmes.
"Le vieux Petlican , pour qui l’on avoic
-eu tous les égards poffibles , avoit repris —
les armes pendant ce temps contre fa pa-
-role. Ses habitans qui donnoient des avis
Aecrets a-l'Ifle de Carbonniere fur tous les
_ynouveniens des Frangois, {uivirent un fore
tel quils fe Petoient artirez par leur in-
difcretion, Monfieur d’ Iberville y arriva
da nuit du treize Mars, ot il aprit qu'il y
voit un bAtiment de Wiieiaties ronneaux
chargé de vivres , nouvellement arrivé
d’ ‘Angleterre , dang lequel onze habitans
s'ctoient mis pour le défendre contre les
Francois en cas d’attaque. Pendant que
quatre. chaloupes le ferroient de prés , il
St ia en ent qa donnerent avis a ceux de Ba-
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ss Amerigne Septentrionale. —§t
yever de l’arivee des Frangois. Il s’y trou.
va un petit batiment ott plufieurs s*embar-
querent, qui ne refpiroient qu une occa-
fion auffi favorable pour pafler al’Hle. On
fe tendit a la fin maitre du batiment du.
vieux Perlican , dans lequel fe trouverent
18, hommes bien armez., avee trois pie-
ces de canon. L’on mit le few a toutes les.
habitations, & a celles de Bayever,& l'on
fit foixante prifonniers que l’on y trouva.
Monfieur d’Iberville fe difpofoit a ache-
ver de ruiner tout ce que les Anglois a-
voient de Havres en ce pais-la. Il ne leur.
reftoit plus que Bonnevilte qui eut fuivé
le fort des autres , mais notre arrivée in-
- terrompit fes defleins , & fauva par hafard
cette derniere Place aux Anglois. Nous
le trouvames a Plaifance , d’ou il devoir
partir pour cette derniere expedition,
Mais , comme cellede la Baye de Hadfon
‘€toit tout autrement. importante, & que
ectoit fe fujet de notre voyage ; il envoya
retirer fes Canadiens pour s’embarquer
fur notre Efcadre, |
C’eft une chofe admirable , Monfieur ,
que cent vingt-cing Canadiens , tels que
vous les voyez , fe foient rendus matftres
d'une fi grande étendué de pais dans la {ai-
fon la plus cruelle que l’on puiffe s’ima-
giner. Le froid , la pluye, lanége, la faim
| | Ei 2 -
$2 “Fi ftoire de :
& la foif devoient étre autant d’obftacles;
Ils firent cependant: plus de feprt~cens
prifonniers , & tuerent en differentes oc-
cafions plus de deux cens hommes , n’en—
ayant eu des leurs -que deux bleflez.
Les habitans de cette Colonie vivoient
fans aucune religion , & il leur auroir été
difhcile de dire celle quils profeffoienr.
Le Sexe y ¢toit entierement corrompu.
Vous verrez ici, Monfieur, un dénom-
brement des habitans de chaque Havre
guils poffedoient , des Pécheurs, deg’
chaloupes qu’ils y avoient, & dela quan-
tite de morués quils y péchoient- Les’
Anglois ont avotié eux-mémes que le
Commerce montoit a dix-fepr’ millions’
tous les ans. I leur faudra plufieurs an-
nees avant quils reviennent a leur pre~
mier érat. Je Luis avec paflion, ;:
MONSIEUR,
Votre trés humble , &e:
LT Ameriqne Septentrionale: 53
Oe , SS
a Rae ee, Rpt. Mens sf Ae
’ ‘ .
5
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\ ae | Cha- Duin-
Hom Habi- | loun- | taux de
: MOS. | ldase | pese MOrK Ese
| Rognouge. | 120}. 7 g8| 4000
Fremouze. — 40 7 8; 4009 |
Aigueforte. | 25 4 Tal ee: soo
- Forillon. | 108 | 22 | 16 $000
Caplimbaye. Atl 2 2 100@
, Cabreiiil. ) | 5 | 1 | . baie
|‘ Brigue. ‘a | ee pe “1§00.
Totheave. | | i) i : | S r js soo
| 9} uicflifbaye. | Is | ‘ | es sping |
Baycboulle. 120! 13 " boca
Le petit Have. 8o} 14 | 16| 800@
Saint Jean. $00 | sg fias! nee
‘Kividi. a } 40 ; oe 4500
FIo 149 221 hi ¢h.0c
gc , ,
$4 — Eiiftoire de |
Baye de la Conception & de la Trinité.
ke | Cha- 4 Quine
: Hom | Habie | lou- exes de
wes. |tans. Vpes. | morues.
Torbaye. 9 ——18 -2-5} ----4 ---2400.
Baye de la Conception a Nord-Oteft,
Portugalcove. 25 3 3[ 2z100
~ Havremen. s i 1. | 2 t 1000
Baye quinfcove. & 2 2] 1000
Brige. 12! 6000
Portegtave. ‘fe ie 14 | dtescn:
Hailinfcove. be f 3 | 3 | 1foo
Bairobert.. 3 34 1 $00
Briancove. | | 4 | 6 | 3000 :
Havre de grace. 14 If} 700.
Moufquith. 2 35 | 3 | s| 2500
Carbonniere. iv | 22 | JO{22500
Croqueltove. 30) 4 + 2js00
Kelinfcove. | I: i ; | 4 , 2000
Bayever, _ 14 | 1611000
U Amerique Wi inde iat $K
» Baye de la Frimice au Sud.
Cha- Quite
BCS. tani | pes. Sic,
Le Vieux Perli-| 130] 19 13500
can. ieee
_ Lance arbre. 30°) 4 5! 3000
Celicove. | ; # Z 71.4700
Nieupetlican,. | 60]: 9 6600
Havrecontent. | 20 4 4] 2400
| Au Nord. :
~Arciffe.- os a 2] rFoOeo:
La Trinité. za) °s 4) 2000
$316 843 69 32800
Total des Quintaux de mornés 188800,
\§
$6 Hiftorre de
942429999904942929250608
ltl LETTRE
Delerinaion du détvoit dela Baye ¢ ef Hi a,
Evenemens confiderables.
WVouvelle découverte. mae
AVouvelle alliance avec les E [quimanx oP
Cap de Dignes au Gr. degré 4.5. minus
tes latitude Nord. |
Combat du Profond dans les glaces » 6 Cons
tre les Anglos. KW
M onsievr,
Encore que je fache que c’eft un ceime |
contre le bien public d’interrom pre par de
longs difcours les: occupations importan- _
tes d'une perfonne deftinée a fodrenir feu-
le les embaras & les fatigues infeparables ‘
des grands emplois Yofe croire neans
moins que vous ne blamerez pas la liberté
que je prends de vous faire le détail du
Dértroit de la Baye de Hudfon,de vous en- —
tretenir de l’Alliance que nous avons faite
avec une Nation qui jufqu’iei nous éroit -
\ peu connué, & de vous faire part delaRe-
lation du combat du Vailleau duRoi parm
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ko carnal 1011) 01 a
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sated ma Ween bie
Ss ee ‘7;
IRAN
Y Amevique Septentrionale. bord
les glaces contre les Anglois. Je {gai Mr.
que les grands Hommes ne fe délaffent
-@un travail d’efprit. que par un autre , &
que totijours occupez des fonctions de
-Jeur Miniftere ,ilsnefe divertiflent quen
quittant une occupation importante pour
une occupation moins grande & moins
ferieufe. C’eft ce que tout le monde fait
que vous faites depuis fi long. temps que
vous portez feul le poids de deux Inten-
dances confiderables ; & que quand elles
vous laiffent quelque loifir, vous} croyez
ne le pouvoir mieux employer qu’a vous
-entretenir des Sciences 8 des belles Lers
tres: & il femble que votre efprit prenne
de nouvelles forces dans ces changemens
@entretien. Je me fate , Monfzeur, que
celui que je vais vous faire d’une partie de
mon Voyage, n eft pas tout. a fait indigne
_de°vous occuper quelques momens.
~ Nous fimes voile le huitiéme Juillee
d'un vent de Sud Sud- Oiieft de Plaifance.
Nous l’obvoyames toute la journée dans
Ta Baye , & apres avoir doublé le Cap de
Sainte Matie, nous rangeames cette cé-
te d'un vent de Nord-Oiieft , fur laquelle
il paroiffoit d’agreables paturages. Nous:
aprochames aune lieve du Cap de Trepas,,
qui faic l’opofite de Sainte Marie, Nous:
vimes ala méme diflance au Nord-Ef
58 4 Hiffoive de.
quart-d’Eft celui de Penne. Sur les quatre —
heures du matin le Cap de Raze nous pas
rut a fix lieués aw Nord-Oiielt quarts
d Oiieft , & fur les huic heures celui de
{aint Frangois nous reftoit au Nord Nord-
-Otieft.
Plus nous élevions vers le Pole, plus
les jours eroiffoient , mais les chaleurs di-
minuoient , & le froid faifoir infenfible.
ment impreflion, a) Ot euoY
Nous aperctimes le dix-fept ; a trois
lieués , au vent , une Montagne flotante
de glaces de trois cens pieds de hauteur,
quiavoit la figure d’un pain de fucre.Nous
pouvions etre au 53. deg. 56. minut. Je —
ne doute pas , Monficur , que cela ne pa-
roifle bien furprenant’, mais la {uite du
Voyage fera connoitre bien d'autres ve-
ritez aufli furprenantes. |
Rien neft plus facheux que de fe trou.
ver dans une tempéte , mais c eft quelque —
chofe de bien plus fort lors qu’elles arri>
vent dans ces, quartiers, Nous efluiames
le vingt-quatre un coup de vent au 60.
deg. 9. min. de Nord Nord-Oiieft, qui
dura huit heures. Toures nos manceuvres:
e€toient couvertes de verglats, & nos équi-
pages foufftirent beaucoup. Le Palmier
eut fon Beaupré rompu. Ce n’étoit cepen-
dant qu'un commencement des peines &
EP Amerigue Septentrionale. 9
des fatigues que nous devions avoir dans
la fuite de la plus rude navigation. Nous
connumes le vingt-cing du courant que
nous aprochions dela Zone Froide, &
nous ne vimes ce jour-la qu objets affreux,
car faifant la route du Nord Nord-Oiieft,
nous commengames a donner fur les huit
heures du matin dans un Banc de glaces.
La premiere terre de ce climat que nous
connumes le lendemain fur les huit heures
du foir fur Mle de Refolution. Elle eft au
62. deg. 33. a 34. de variation Nord-Oiieft,
Elle fait ’embouchure du detroit de la Ba-
ye de Hudfon ; avec les Ifles Boutonnes ,
qui font au 61.deg. 10. minut. Elles fone
Word & Sud, diftantes les unes des autres
@environ 14.4 15. lienés.
L’'ifle de Kefolution peut avoir huit lieucs
-delongueur Eft & Oiieft. Quand on eft du
cotéde |’Oiieft , elle paroit avoir la figu-
ze d'un Croiffanr. Il y a deux petites Ifles
a deux lieucs de diftance du coté du bout
de VEtt. Elle eft cloignée de la Terre-Fer-
me du Nord d’environ fix a fept lieués.
Comme nous fimes la découverte de
deux autres Ifles voifines inconnués aux
‘Francois, parce que l’on a cru autrefois
que ce n’étoit qu'une Ifle, au lieu que nous
en avons connu deux autres. Nous apel-
ldmes l'une I'Ifle la Sale, & Von voulur
GO Fiftoire de
bien apeller l'autre Laporherie s qui fone
Sud & Sud Sud-Oiiet,
La Sale, quia environ trois lieués de
tour, cloignée de trois de la Refolutions
forte une . embouchure se entrer dans
le détroit. |
- Lapotherie et a trois Lignits i la Refi-
lution, dans Eft dela Sale. Elle a envi-
ron quatre lieues de tour,
Les vents depuis le Sud-Oiieft jafques
a l’Olieft qui nous eroient contraires , 8
les marées qui portoient beaucoup: au Nord
nous ayant jettez parmices Ifles , nous
eloignerent de la veritable embouchute
dece detroit. Le patlage entre la Refola~
tion & la Sale s‘€tant trouvé bouché pat
un Bane de glaces, nous fumes contraints
de l'obvoyer deux jours pour en tenter
quelqu‘autre. La Mer éroit pour lors com-
‘me un Etang. Elle faifoit cependant un
bruit qui caufoit un bouillonnement. Je
voulus aprofondir la caufe d’un ¢fet fi ad-
mirable : & confiderant:la {cituation de
toutes ces cotes , je'n’apergis aucun Ro-
cher (car elles me paroiffoient fort faines }
& il faut que le Navigateur fache que les
bords de ces Ifles,& generalement de tout
le Détroit , font a pique d'une élevation
prodigieute. Je voulus en penetrer davan-
rage l'origine, Enfin apres Jag anit refle-
ZIONS »
'
T Amerique S eprentrionale: €%
ions , -voyant que nous n’ctions qu’a une
‘demie lieyé de la “Sale, je m’embarquai
dans un Efquif le -vingt- huit pour y con=
noitre le terrain. Cette découverte me
donna occafion de {avoir d’on pouvoit nai- -
‘tre la grandeur & la grofleur.prodigieufe.
de tant de glaces , qui font veritablement
des Ifles. flotances. que Lon ,treuve dans
tous ces climats.
Comme j’étois au- pied de cette Ile je
‘vis une longue .étendue de glaces de 12.
aig. pieds d’épaiffeur , attachées dans le
Roc, quicroient Be locinaces en lair, & j’a-
percus quantite de Torrens qui abourif.
foient a la Mer. Il eft certain que quel-
que courant & quelques marces qui puif-
fent étre dans tous ces pais, le froid y eft
fi violent quwil arréte generalement le
cours dela mer. La-nége qui tombe en fi
grande abondance prefque-toute V'annee,
forme pluficurs petites montagnes a la. ri
veur du vent, &¢ s endurcit infenfiblement.
Le dégel venant detempsa autre fait cou-
ler. des neges. fondués de ces torrens. Le
froid qui revient (i fubitement en artéte
enfuice l’impetuofité , & fucceflivement il
s’éleve des hauteurs ptodigicufes de gla-
es, qui font des {pectacles affteux , & if
attive que toutes ces Avalalles d’ eau qui
tombent de ces précipices , entrainent deg
Lome I.
62 . Ffiffoire de
terres & des rochers, ce qui me fut.cons
firmé dans la fuite en ‘voyant une des plus
rofles montagnes de glaces au Nord de
Pifle dela Refolution ; fur laquel le ily a.
voit quantité de terre & de rochers.
Jarrivai a la Sale, ouilme falut gtim-
per pour monter en haut; jer ni trouvai pas
un pouce deterre. J’ apergus quantité de
ces précipices qui tendenta la mer, dans
lefquels il y avoit beaucoup de néges , al
je trouvai rout au haut un Etang d'eau
douce d’enyiron trois cens pas de circuit.»
Un Philofophe auroit ed matiere de fai.
re de beaux raifonnemens fur le boiiillon-.
nement qui s’excite fur la mer entre ces
Ifles, Je croirois , Monfieur , gue l’embou-
chure du décroit , fermé par les Bancs de
glaces ordinaires , qui ont quelquefois plus
de quarante pieds d'épaiffeur , arréte le
cours du Flot qui vient de VOcean avec.
impetuofité pour y entrer : Et comme les ~
bords de ces efres qui font & pique font
extraordinairement élevez , il ne fe peut
que ces hauts précipices n’ayent une pa-
reille fuite jufgues au fond dela mer, car
Yon y trouve jufques a cent quarante braf-
fes. Ainf la mer trouvant de la refiftance |
entre ces creux cachez ov il faut qu'il y
ait auffi beaucoup de Nitre qui fe trouvant
gma pat tous ces. remouls de mates , ex-
| P Amérique Sé eptentrionale. oY
€ite ce boiiillonnement , qui n’eft propre-
ment qu'une fermentation, & le Nitre y
éht enfi grande abondance , que je le ra-
maffois tous les matins fur ‘les plaques de
plomb de nos canons , & méme-dans le
moment que |’on feignoit nos malades,
Pouverture de la veine en ¢€toit toure
bordée.
Un Pilote experimenté doit connoitre
le fort & le foible detous les parages ork
il fe trouve , & il eft quelquefois fort a
plaindre lors qu'une nouvelle experience
doit lui aprendre l’endroit ov il eft. Ceux
de notre Efcadre favoient leur métier,mais’
ils nCtoient jamais venus‘dans ces Eliane’
Nous demeurames en Pane la nuit fous
Vifle la Sale » & nous fimes voile a la
| pointe du jour le trente Juillet pour pat-
fer entr’elle & la rerre ferme. Cet efpace’
qui a environ deux’ lieucs de largeur, faci
nommeé Detroit d'Iberville. Nous fommes'
les premiers Francois qui ayons faits cette’
decouyerte. Nous entrames'dans ce petit
paflage dun vent de Sud Otiett ;qui vine
apres Ba les huit heures du matin au Sud
Sud Eft , » lequel: nous porta dans le Deé-
troit, ‘Be. A une demie liewé en dedans fur
une jn gaapes de la térre-ferme du Nord,
notre Vaifleau rangea une Roche a un n
‘portee de pifboler, qui esvoit cachée a fleur
F 2
‘GR. Fiiffoive de
d’cau , qu'un Remoul de marée nous fe
apercevoir. La mer étoit tout a fait unie.
Elle le fut totijours jufques au debouque+
ment:Certe ferenité vient de tous les Bancs |
de glaces qui fervent d’abri contre les
vents ; fans cela il n‘i auroit point de vaif- |
feau qui ne furbrifé, pour peu que la mer
sélevat, & ilya aflez d’autres dangers @
effuyer. ] "Nous apergumes: en entrant des
-montagnes de néges extremement élevées
fur la terre, qui avoient plus de huit lieu¢s’
de longueur , & nous donnames dans un
Banc de glaces qui avoit une étenduc de’
toutes parts, autanr que la vue pouvoit
porter, Le Pelicati frayant todjours ce che-
min le premier, lorfque d’un vent d’ Oiiett
Nord-Oiiet, nous commengames pour Ja-
feconde Sis a donner dans des Bancs det
glaces.
Les differentes bordeées que nous’ étions”
ebligez de faire pour éviter les abordages,.
donnoient occafion de faire aurant de mous
wement dans le maniement des manceu=
vires, & quelque adrefle qu’euffent nos Pi-
Sas, il étoit impoflible de les éviter.
Rien n’eroit done de plus affreux que de.
fe voir dans cette vafte étendué , ova pei-
ne pouvions-nous difcerner I’ ana d’avec
autant de Rochers de glaces , contre lef-
queis nos ‘secures heurtoient 4 tout-mo-
~
I Amerique Septemvivnates 65!
yhent. Aprés les avoir doublez pendans
trois heures nous apercimes un Eclairci ,
e’eft-a-dire un efpace d’eau ot il ni avoit
soint de glaces. Nous donnames dedans,:
& mimes en Pane bord fur bord jafques
atrois heures du matin. Cet Fetaivei dura’
peu. Plus nous avancions » plus il fe pre-
fentoit encore devant nos yeux de ces pro- —
digieufes érendués. Le Pelican qui étoir’
toujours ala téte ( les trois autres nous fui-
vant de file ) faifoit de fon cdté tous fes:
eforts pour adoucit nos amertumes. Il fic:
bon ere mal gre des ouvertures a travers,
mais ceux-ci n’ayant pi nous fhivre fe’
trouverent’ renfermez.: Ils nous firent fie
gnal aune lieué que les glaces n’ayarit plus:
de courant, leurs" forts devenoient vains?
& inutils: I éroit, Monfieur , affez rou-
chant de nous'voir ers d'état ‘de pouvoir
leur dorinet aucun fecours: Ils grapinerent:
fur le chaimp. Nous le fimes auffi en nous.
mhettanta core d’une glace de quatrea cing’
cens pas de longueur, fur laquelle nous®
envoyames des Mrtios porter des Gra-"
pins pour teniz en arrét notre Vaifleau. TE
ni avoit’ pour lors point de nuit, aiant le’
plaifir de voir coucher & lever its Soleil:
prefque en méme temps, & on lifoir fa-
cilement a minuit. ,
Les courans fone fort’ rapides dans: les?
By
66 Ali ftoiwe de o
commencemens de ce detroit. Is nougs
porterent d'un vent de Nord. Nord-Efty
vers Ile du Poli & dela Salamande , qui-
font Eft & Oiieft. prenant un quart du-
Nord- Oiieft, que nous: apergiimes fort fa-
cilement de fix.grandes lieués en dedans,_.
& a:deux-de la core du Sud, au 62: d. 7:-
m. 37. d. de variation Nord-Oiieft , por-;
tant leurs noms de deux Vaifleaux Fran-.
gcis qui les rangerent en 1694. Nous ne:
pumes faire. dans la {uite des routes aflu-
rées, Les vents devinrent variables, & tou-_
tes ces grofles glaces que nous apercevions'
4 tout moment_nous en faifoient faire au--
tant de differentes, :
Les courants. & les vents du Sud- Otieft-
aflemblerent une infinite d’'Ifles flotantes.
a la core du Nord. Tous ces objets pleins~
d’horreur tenoientl’efpace de trois lieues,
de largeur, fur quatre a cing de longueur.
Il fembloit queg¢’eut été. une des plus gran-:
des Villes du monde qu’un tremblement-
de terre eut mife fans deflus deflous. Jes
m’entrerenois quelquefois avec un Pilote.
qui avoit été aux 80. degrez. Nord ; il ma--
votia que rien.n aprochoit de ces horreurs. ,
Ils*éroit trouvé @ la verité parmi des gla-_
ces a la péche de la Baleine , avec cette.
difference qu’elles ctoient ordinairement.
toutes unics'a la. furface de leau. -
\ Ws = — \\
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P-Amerighe Septentrionale. oF
- Les vents de Sud nous porterent vers’
leCap Haut, qui eft au 62. deg. 30. mins’
C’eft une pointe de terre ferme du'Sud,.
fortélevée, quel’on découvie de 15. liencs
a l’Oiieft des Ifles du Poli & de la Sala~
mande. Nous laiflames ce Cap a huit heu-
res du foir le deux Aott a l’Eft de lIfle du '
Gap Gharles ;:& le bout du Oiieft de cet-_
te 1fl@ eft environ a fix lieués de terre qui
eft au 63. deg. 8.m. 37.d. 30. m, de varia-_
tion Nord Oiieft, qui peut avoir dix oi
douze lieu€s de tour, a cent lieu¢s dans”
Meggtrolts?) ooo. | A 2. L.
Il étoit de la derniere confequence de
ne pas trop’nous Cloigner les uns des au-
tres. Notre Waifleauapareilla le quatre’
Aout fur les cing heures ‘du foir, pour ta-'
cher de joindre le Palmier qui étoit le plus’
ptoche, les autres ¢tant a une lieue & de-
mie de nous. Nous ne piimes aborder la’
glace ot il étoit-que le lendemain a fepr’
heures du matitr, ayant laifléle Cap de
Digue au Sud Sud-Oiieft , a fix lieues de:
nous, é& l’Ifle de Natingan qui etal Oiielkt.
de Salfbré nous reftoit-au Nord Nord-:
Oiieft. Pendant-que nous y ¢tions grapi-'
~hez nousy fimes quarancre bariques d'eau
douce , trés-bonne a boire.. Ce n’eft pas ,
Menfieur , une chofe furprenante , parce:
que les pluyes tombant fur les. glaces -y3
+: aes Hiftoive de
font comme une efpece de Citerne , &&
venans a fondre les néges , ces eaux fun=
dués ne fe fentent point de l’acreté & de’
Ja falure de celle de la mer, Il faut cepen-
dant, pout leur dter la crudité , mettre de
Peau de vie dans les futailles : fans cela il
feroit dangereux de les boire pures, 8
Pon coureroit' rifque d’avoir des tranchées*
violentes’ a : }
Il furvient quelquefois tout a coup de’
a. grands débordemens de glaces; que dans’
le moment que l’on; croit étre bien gra-
piné, tout souvre. Comme nous étions:
dans l’attente de quelque moment favo-
rable pour pouffer notre route , la glace’
fur laquelle nous étions fe rompit malheu-’
reufement par les grands courants. Notre’
Vaiflean fut entrainé fans pouvoir fe gou-
verner, & aborda poupe en poupe le Pal-
mier fur les quatre heures du matin. Cette’
faillie fur {uivie d'un‘incident bien plus:
cruel , cat notte Brigantin l’Efquimau de®
trente tonneaux,. qui nous avoit toujours:
fuivi entre les glaces , fut écralé proche de*
ce dernier :'& a peihe les douze hommes*
de fon équipage purent‘fe fauver. La per-
te de ce petit Batiment nous couta cher
dans la fuire. Surcroit d’embarras , car a‘
peine etimes nous apareillez une heute
aprés d'un vent de Sud Sud: Oiieft , ayant
ee =
! Amerique Septertrionale: om,
Prouvé a la fonde foixante braffes d’eau,
que parmi toutce cahos & cet enchaiie~
ment’, les courants’ nous entr’ainerent ,
“_qudique grapiners en moins dune’ dewig
heure , a une portce de fifil boucanier ;
de trois Roches , qui gtoienta une aaic’
lieu€ de Natingan ; & on moindre petié.
vent quinous eut’ Pale Ala céte nous eut”
fait perdre fang refource. Quel efpoir a des |
gens dégrader, far une Ifle fterile, of ik?
Wi avoit pas un pouce de rérre, I] nds fa't
lut regrapimer au plurot fur une autre gla
ce, mais le Palmier chafla toujours a terre.
Le Zuz%an nous reporta derechef le len-"
demain fur Natingan »quoique grapiners
& nous nous trouvames’ engagez’ entre
des glaces échoucées fur des Rochers, Nous
fdmes extremement embaraflez, car ae
-éviter d'etre jettez tout a fait’ala cote,
doll nous n’étions qu’A une petite oithe
de canon, a’ quatorze braffes , nous forca-.
mes les olaces Pun vent VER Sud ER. UH:
get deux! batures‘d’une lieu? de- Tongueur;
& l’on trouve le long de cette cote ee
—ffeurs” petites Tftes bet dees de Rochers,
‘eouverts a’ Marée baile , -fur lefquels des”
glaces sechotrent qui ne le paroiffent pas
Ctre,ce qui trompe beaucoup. Les vents’
Deiicrerit enfuire. Les courants nous ra-
porterent fur Saijbr¢, qui eft uneautre Ifle”
ow
56 | Hifloire. dé - "
4 trois lieues a VER Sud. Eft de Natingaite
La ier y baiffe fept heures & en monte
fix, Les courants paroiflent Sud Eft Nord:
Oiiel »& ces deux Mes font Eft Sud- Eft
Oiieh Nord-Otiet.
Nous grapinames encore le fept fixe une
méme glace »pendant que le Weefph &
le Profond demeurerent engagez le long
de Natingan, Le Palmier eut le temps de
radouber a cété d'une glace fon Gouver.
nail & la Gorgere de fon Eperon qui a-
voient ete Tompucs » & il wiavoit point
dé’ vaiffeau qui n’eut des pieces emportées,
Les courants nous ‘portoient & rapot-
toient , avec un petit vent qui nous fore.
“noit contre ceux du Zuzan, qui font beau
€oup plus. rapides que le Flot + & au licw
de nous faire debouquer pour entrer dans’
la Baye, ils nous faifoient rentrer dans le
Détroir.
_ In’eft pas fatpiéhahe, Monticut, qu'un
“Waifleau fafle dans un Voyage de long
cours plufieurs faufles routes, Les vents’
contraires en font la caufe ,-mais tous les’
differens mouvemens que. nous faifions’
neuflent pas fait impreffion dans le temps’
que nos Vailleaux étoient todjours grapi-
nez, fi nous n’euflions découvert de mo-
ment a autre les terres du cété du Nord!
& du Sidi
= }
’
~
P Amerigque Septentrionale. Fe
‘Les éfers que la nature produic dans ces
climats font, Monfieur , dignes d’admira-
tion. Is lle tout a coup la nuit dans le
temps le plus.ferein des nuages plus blancs
que l’albatre , & quoiqu’ilwae faffe pour
rs aucun fouffle de vent, ils volent avec
tant d’agileré qu’ils prennent < dans le mo-
ment toutes fortes de figures. {1 paroit au
travers de ces nuages une lumiere fi belle
& fi éclarante qui l les fait j jotier, pour ainfi
dire , avec reffort que tout s’agite. Ils s’é-
tendent comme des Cometes , enfuite fe
ramaffent, 8c § ‘évanoiiiffent a Vinftane.
femble méme que ce foit une gloire cele-
fte. Plus les nuits font obfcures plus Péfer
en eft admirable , & fans exageration l’on
peut lire aifément 4 a la faveur de ces Phee
nomenes. |
Tantot le Cap de Digue qui fait l'ex-
tremité du Detroit avec Salforé & Natin-
gan, nous reftoit a a quatre a cing lieucs @
TOiiek Sud- Oiieft , & tantdt le bour de
PEt de celle-ci bes reftoit au Nord Eft-
quart de Nord, enfuite nous érions jettez
fur le travers des Ifles Turbes’, queles An-
glois apellent Z/les Vertes. Elles font 2
PEt du Cap de Digne , a dix fepr. lieuée
en de dans au 62. d. ss. m. & 40. d. 8,
min, de variation Nord Oiieft. Nous aper-
gins: a cing ou fix lieués dela une grands
tye eee le |
_pointe qui nous reftoit au Suddu Compegy
"& dans l’Otieft.de cette pointe environ2
une lieve & demie eltle Havre Francais.
~ Les courants nous. faifoient dériver de.
‘deux lieués de cette cote du Sud. Nous dé.
-couvrimes tigrand pais an Sud, quartda
Sud Eft du Compas. Comme il faifoit dela
-brume nous ne pimes connoitre fi c’étoit
le Cap Charles ; du moins nous yimes une
grande Baye, dans laquelle il y en avoic
quantite d’autres petites, Nous en recon=
numes encore une autre au Sud Sud Eft ,
& aprés nous étre, éloignez dela premiere,
le Cap-Charles nous parur, alors fort. clair:
eft une pointe de lacéte du Sud , extré-
mement élevéc, a 22. lieues de Salforé : iL
fait avec celui de Digue Eft & Oiieft ,
- Gloigné de 30 4 32. lieués Pun de autre. 3
Le vent de Nord-Eft qui eft tout a fair fa-
vorable pour débouquer, nous obligea de.
dégrapiner. Nous l’obvoyames parmi les.
glaces depuis quatre heures du matin. ju
‘ques a trois aprés midi. Les abordages de
Aoutes ces glaces faifoient rudement cra-_
quer notre Vaifleau , & nous chaflames a.
trois lieués proche de terre. Nous connu-
mes le qin es jour del Aflomption , par |
wun Cap fort clevé , que nous avions encore
beaucoup dérivé, ne nous trouvant qua.
pane hieue de terre F REPaAny que. nos trois.
Vail
P Amerique Seprentrionale. 73
Vaifleaux fe trowverent préts a échoiier a
la cére.
~ Lorfque nous nous voyons totjours jet.
tez d’une terre a l’autre fans pouvoir dé-
bouquer de ce detroit , il me fembloic
‘Monfieur , que je fuivois la mauvaife de-
Mtinée d’Enée , apres l’Incendie de Troyes.
Nous nous trouviens dans un accablemenr
a peu prés comme ces Dames Troyennes,
‘qui embarquécs fur la Flotte de ce Prince
fouffroient tant de peines & de fatigues,
fans pouvoir {fe rendre au pais Latin. |
oh oe Fleu? tot vada feffis
Et tantum fuperefle maris,vox ommibus une
Urbem oranr,
Aprés avoir été entr’ainez l’efpace de
dix jours le long de la cote , nous nous
trouvames tout proche le Cap de Digue,
Cum freta cum terras omues , tot inhofpita
[axa ’ |
Syderaque emenfi ferimur,
Le Cap de Digue eft un-endroit trop re.
marquable pour ne vous en pas donner
une idée. I] fair l’extrémité du détroit avec
les Ifles de Salfbré & Natingan , qui en
font ¢loignées de douze a treize lieués. If
eft au 62.d. 45. min. & s'apelleOwelfin.
gan par les Anglois. Il y a trois petites
Ifles a l’'Oiielt de ce Cap, que l’on apelle
Tfles Digne, environ dune ou deux lieyés
Zome I, G
5 4. Fiiftore de
Ae tour chacune, dont lapremiere n’en eft
€loignée que d’une. Ce Cap en prend Je)
pombre. L’on compte des Iles Boutonnes |
qui font l’embouchare de ce Décroit jul.
ques a ce Cap 135. dienés de long, Eft Sud-
Ett , Oiieft Nord-Oiieft. Toute cette céte:
‘eft extremement haute , coupée pat des |
crigs gui font des vallons efcarpez , lef.
quels forment au pied de la mer de peti- |
res ances. Elle court Eft & Oiieft pendant
vingt lieu¢s, & Jes autres terres plus al’Eft
courent le Sud Eft quart de Sud3 mais elle
baiffe en doublant vers le Sud , quoique-
ce que nous ayons vu ait plus de 130. toj-
fes a pic. Je remarquai que pendant le
Fist la Marée étoit beaucoup-plus forte
quau Zrzan, car nous fimes au premier
plus de trois lieuds & demie , au lieu que
nous n’en fimes qu'une a eelby. ci. Les
Marées retardent donc beaucoup plus
quen tous les autres endroits que nous
ayons connus jufques a 4 une heure & de-
mie en vingt-quatre heures , car le dix-
uit que nous nous trouvames. ‘dans ce pa-
rage , la marée commenga a nous dériver
vers VER? a deux heures apres midi, qui
croit le deuxiéme de la Lune, & le “dix.
neuf elle ne commenga qu’a nous dériver
a pti heures apres ‘le Zuzan, Jecroi-
gois que la quantité prodigiqale de ba
| l’ Amerique Septentrionale. os’
| & de Rivieres qui font dans le Nord & le
Gud de ce détroit venant a fe degorger,
concourent au mouvement précipite du
Flux ; au lieu que ¢e paflage de douze a
| tteize lieues entre Digue, & Salfbre: Na-
tingan ; ‘s etant trouvé bouche par les gla~
ces , arréroit le courant de la grande Baye
qui cetardoit le Flux, ) ae
il y avoit trop long- temps que nous refs
pitions apres les Ef{quimaux. C’eft une Na-
tion trés cruelle, avec qui perfonne juf-
ques-la n’avoit jamais eu de commerce.
‘Cependant nous en apergtimes fur les gla-
ées le dix-neuf, qui de fort loin nous fai-
foient de grands cris, fantans avec des ha-
bits de Peaux de Caribous & d’autres ani-.
maux quils nous montroijent.
' L’occafton étoit trop favorable pour la
Jaifler pafler. Martigni ayant pris toutes fes -
uretez pour nétre point leur victime,
s embarqua dans un Efquif avec quatre a
cing hommes bien armez. En abordane
la glace ou ils étoient il les trouva au nom
bre de neuf, avec leur canot qu’ils avoiene
mis deflus. Il prefenta en arrivant le Cais
lumet a deux quis’étoient avancez , pen=
dant que les autres fe tenoient au bout.
_ Lorfque les Sauvages de |’ Amerique
Seprentrionale veulent faire quelque trat-
te de Paix, ils ont cette maxime qu'ils ne
Grae
|
|
mb. Biffoire de i‘
font jamais de convention quils n’ayeng
‘wus auparavant des prefages qui puiffene
Jes affurer & les confirmer dans l’union
gue l’on veut faire avec eux. Cette cere-
monie s’obferve differemment , car lors
que les Sauvages qui tirent vers le Sud
veulent annoncer la Paix, ils mettent en’
terre un baton, ou un pieu.,.ov envoyent
des colliers. |
_ Le Calumet eft donc quelque chofe de
fort mifterieux parmi les Sauvages du
Nord : il eft le fimbole de Ja paix. C’eft
une efpece de grande Pipe a fumer, com=
me vous voyez, Monfieur, faite de Mar-
bre rouge,noir oublanc. La téteen eft bien
police, & a la figure d’un marteau d’armes,
I] y a un tuyau orné de poils de Porc.
épic, & de petits fils de peaux de plufieurs:
couleurs, Pr ee |
Martigni leur prefenta donca cet abord
une Pipe en fagon de Calumet,& une Boé-
te a tabac , fuma un petit moment,& leur”
donnaa fumer. Les fept autres qui fe te-
noient todjours a l’écart, voyant la bonne’
foi avec laquelle l’on agifloit avec eux ,.
vinrent a lui avec des acclamations de
joye, faifant des cris d’un ton de voix fore
clair, fautans & fe frotans l’eftomac , quiv
étoient les marques les plus convaincan-—
tes {d’amiti¢ & du bon Commerce quiils:
va
Tom.t. pag: 760, ,
cz
Cacse téte
— as
cree TTR CTT
ET e-
Sey ty
OF
20+» pouces. a Fe pouces
em ee Sc Ri act ee * ee cal
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oe eS ae a eee ee
au Tom apage 157.
Calumet de- pave a
VW
iM
ARIA
pc 2 mag A
:
: l’ Amerique Septeniriovale. | 77
_ vouloient ayorr avec nous. Il leur donna
un couteau, & ils lui firent prefent d’un
habit de peaux.Ils firent comprendre qu'ils
-avoient dequoi faire Ja traite : Mais’,*com-
‘me nous étions bien aife de les avoir dans
notre vailleau, il leur donna a entendre
qu il n’avoit rien, les priant de venir avec
lui. Quelques inftances & quelque acueil
qu'on leur fit, ils ne voulurent jamais s’i
fier. Martignife coucha fur la glace, leuz
montrant par la qu’il fe donnoit pour ota-
ge ,a condition quils nous envoyaffent ur
des leurs. Hs voulurent en avoir deux pour
un ,& Grandville Garde de la Marine ree
fla auffi pour otage. Ree
L’Efguimau étant tout au haut de lés
ehelle de notre vaifleau, apergdt un hom.
me habille de noir, dont il eurune fi gran.
de frayeur qu il balangas’il fe jetteroit en
bas. Celui-cis’en étant apercti lui montra
un couteau , ce qui le determina d’entrer.
Se voyant parmi cette foule d’équipage il
> ne parut point déconcerté, fautant, faifant
_ toujours fes cris dans l’admiration d'une
Machine qui lui paroifloir fi furprenante +
-Eclors qu’il vit du feu allumé dans la cui-
fine il fit un cri éfroyable’, ne pouvant s‘i+
maginer qu'un pareil ¢lement fe trouvane
renfermé ne canfa une incendie, Mais au-
tant que nous Vavons pu conjecturer , 1h
Gs
oo Fiiftoire de
faut que ces gens la fe chauffent raremenr,,
car il n'i avoit pas un pouce de terre dans
Je détroit, n’i le moindre-arbrifleau ; ow
sils le font ils brélent de la graiffe de
Loups Marins & de Vaches Marines, L’on,
fervica lEfquinau un paté : il faifoit tous.
fes €forts pour en témoigner fa reconnoif-
fance. Je ne croi pas qu'il y ait de Nation:
qui parle plus vite. Il avoit l’accent Baf-
que ne defferrant pointe les dents, & arti-
culant neanmoins fort diftin@ement. On.
lui prefenta un petit morceau de pain,
qu'il gliffa adroitement fous fon menton,,
entre fon habit & fa chair , affectant de
manger. Nous ne fimes pas femblant de
nous en apercevoir , & nous vimes bien
qu'il avoit peur d’étre empoifonne, Nous
mangeames d'un autre morceau qu on lui
donna, qu'il mangea aprés. Nous oublia-
mes de boire dans un verre de vin, quik
coula encore fous fon menron. II falut en
boire, & gouter auparavant tout ce qu on:
lui vouloit donner. Le fon d'une four.
chette d'argent lui pli fi fort, quil la ca~
cha fort fubtilement entre une piece de
pate & un morceau de pain. Je m’embar-
guai avec lui, & lorfque nous fumes ar-
rivez fur la glace ot étoient fes camara-
des , ils vinrent tous m’entourer , crian s,
fautans. Je leur fis pluficurs liberalitez ,.
VY Amerique Septentrionale. 7H
-& bon gré mal gré ils vouloient fe mettre
rout nuds pour me donner leurs habits ,
mais je voulus favoir dans la fuite s‘ils
étoient fort fenfibles au froid. Ces gens-
la étoient de belle taille ,-fe portant bien,
paroiflans vigoureux , bien nerveux , la:
peau du corps fort blanche, la jambe tres-
belle, le vifage bafanc & aride, ce qui pro-
vient du grand froid,, les dents fort larges'
& fort mal propres , les cheveux noirs ,,
avec un toupetau deflus du front, ayant’
Ja barbe de trois doigts;ce qui eft une cho=
fe tout a fait finguliere , car generalement®
tous les Sauvages' du Nord & des pais:
-¢hauds , nen ont point. Leur Jufte-au-
corps elt comme un Domino de Chanoine’
avec des manches, dont le bout leur vient’
a l’extremité du dos , fait de peaux d’ani-
maux, comme d’Qurs, de Loups Marins,
de Caribous & de peaux de Godes , qui’
font des Oifeaux de mer,.coufu d’une de-
Vicateffe acheveée ,.( nos Couturieres n’en:
aprochent point ) avec de petits nerfs d’a-
- nimaux trés-fins, Leurs.aiguilles font apa-
remment d’arréte de Poiffons. Le haut de’
chaufle eft deméme ,avec des bandes de
peaux d Hermines & d’autres animaux : 8
pour chauffure ils mettent d’abord un.
Chaufon de peaux,le poil en dedans,& une
Botte de méme, avec un fecond Chau.
So Hiffoive de wees
fon’ & utie autre Botte ; de maniérée qirils
ont les jambes prefque aufli groffes que le
corps : cela ne las empéche pas d’étre bien
alerte. Ils fe fervetit de Fléches , dont les
bouts font armez de dents de Vaches Ma- _
rines , au bout defquelles il y avoit du fer.
“Al faur qu'il si foit perdu quelques vaif-
feaux Anglois a leur céte.
_ Lareceprion que nous leur avions faite
les engagea d’envoyer deux autres a notre
bord avec des Stages :ils furentregds auflt _
agreablement que le premier. Ils fe dé-,
poiiillerent nuds comme la main , & je
remarquai que s¢etans vis en cet etat ils
eurent de la pudeur, On leur donna des
haut-de-chaufle,& ils ne firent aucun mou-
vement pour temoigner quils avoient
froid. Ils avoient pourtant trois lieués a fe
rendre aux Ifles Digue, & il y en ent un
en sen allant qui me donna un morceat
de Gode toute crué, que je voulus bien
manger devant lui. fi fit.un cri de joye, &
fucga en méme temps'un coeur de beeaf
tout feignant, que nous lui avions donne.
Leurs Canots font de peaux de Loups Ma-
rins,-paflées & bien huilées, de douze a
quatorze pieds de long ,. quelquefois de
vingt, large de deux aumilieu, tirans trois
a quatre pouces d’eau , tout couverts fur
la furface,.a la referyed’un trou-aw mi-
Tomer pag : fo.
Esquimeau en canot de.12. preds A.la soude :
IB.la rame C.endrott ou ilakaehe son gtbte .
atlre abel frou uw dans ion welle i AY quuneau aceplac
i any i i
| Datd peur prendre’ des Loup marin A. trou da ppfimas A
quel on passe La Corde B.tou pour Po iiettre rela flache
a ay
_ Bouts de fe Hleche de Ap OC
Naa
NAY
Wh WY AA \ RA WY AN
ANN ty
‘De de as
sere |
Bib Pols Ty Ns haem
(
SIS
SSeS
_
i AN
Fr
may?
Y Amerique S eptentrionale, eae
Fieuw dans lequel ils fe mettent 5 qui eft re-
Tevé tout au tour d’un bord de cing a fix
pouces , autour duquel ils metrent une
peau qui eft comme une bourfe ,avec au-
tant de jufteffe, que quelque orage quik
faffe il n’i entre jamais d'eau , & pour na-
ger ils fe fervent d’un aviron dé quatre
pieds qu ‘ils tiennenc par le milieu; & don-
nant le mouvement a droit & a gauche’
pour voguer » ils’ vont fi vite avec cela‘
quiln’i a point de mers qu’ils n’affron-
rent , ni dechaloupes qui puiflent les join-
dre. Lors quils trouvent leur chemin bou-
ché de glaces ils portent leur Canot fur’
les épaules jufqu’a ce qu’ils ayent trouvé
de Peau. Quand ils s’en retournerent chez
eux ils. promirent-de nous aporter des Caz
nots, & ensen allant cétoient des cris de
joye ‘qu ‘ils faifoient retentir fur la mer,
rant que l’on pouvoit les apercevoir.
A en vint deux autres l’aprés- dinée »
dun propos: déliberé , fur une glace oF
nous ¢tions a la chafle,.qui traiterent auffi:
leurs habits powr des Couteanx, des Ci-
feaux , des Aiguilles, des Grel ls des De-
niers , ere Cartes de jen, de méchant Pa.
pier ‘de Mufique, & generalement rout ce.
qu’on leur donnoit leur étoit précieux,;
Comme ces gens- -IA n’ont point de coni= ©
/BRETES AVEC qui que ce foir, ils n’aportes
$2 : rife dé
rent aucune peau: cependant il faut qu ‘it
y aitles plus bellés Pelleteries du mon-
de dans ce climat. Il y a quantité d’Ours'
blancs. Nous fumes deux ou trois fois Ala
Chafle fur plufieurs qui s’étoient trouvez
dégradez,a plus dé quatre lieues. Us fone
= dangereux, s'élangans de glace en gla-
, & vienneht méme affronter les Ca-
Hite én mettane leurs pattes deffis pour
les faire virer : aulh nous portions des’ -
Flaches d’armes. ‘
L’arrivée de cés deux Efquimaux me
donnerent liew de faire pluheurs refle-
gions. Il y enavoirun de vingt-deux a”
-vingt-trois ans , fort bien fait. Tl avoir une’
Phifionomie ae a fait heureufe, & unair
innocence paroifloit peint fur fon vilagey
T] ya une tres-grande quanitite de Gou.
des dans totis ces quartiers : Elles nous fu
rent d'un grand fecours dans tous les pref."
fans befoins ov nous étions de rafraichif-
femens, car le froid fit mourir toutes nos
volailles dans le détroit Pendant que nous’
etions grapinez entre le Cap de Digue 8
Salfbre , il y enavoit un mouvenient con=
tinuel qui venoient ranger notre vaiflean. |
Elles partoient le matin de ce Cap pour’
Salfbré , ott elles péchoient de petits poif-
fons gu elie raportoient le foir a leurs’
petits fur les glaces. Nous en tuames une’
E Amerigue Septentrionale, — 8%
Amantiré furprenante. Ces oifeaux fone
ros comme des Canards: ils ont le ven-
tre blanc, le dos & les ailes noires, & le
ibec de Corbeau. Ils ne ‘peuvent: marcher,
ayant les pieds en dehors, & ils font leurs
spetits fur les glaces.
dy Quoique nous nous trouvaffions a l’en-
arée de la Baye, il nous fut impoffible d’i
entrer. Toutes les glaces qui étoient dans
“eette vafte ctendue fe dégorgeoient dans
sec détroir. Les mouvemens continuels que
des courants leur faifoient faire , nous ob-
ligeoient auffi d’en fuivre le caprice. Nous
fumes entrainez au bouc des Ifles Digue.
Je remarquai qu’en étant a cing a: fix
lieucs le vingt & un d’Aoiit vers I’ Oiiett,
les courants portoient au large vers |’ Et; ;
-& au contraire lors que nous t aprochiags
de terre ils portoient a l’Ouieft. Ec, com-
mej aidir, le Flot a beaucoup plus « de for-
‘cele long de la terre que le Zuxin ; ay
contraire * lorfque nous ¢tigns a fix eos
au large , le Zazan avoit beaucoup plus
de ficce que l’autre.
Dans le temps que nous crumes de-
“bouquer , les courants firent rentrer no-
‘tre Hes flenis a plus de huit liewes dans le
détroit , parun grand circuit qu’ils nous
frente faire , érant totijours attachez fur
Tes glaces , & nous nous trouvames a la
34. Fiftoire de
place des autres qui furent portez Ie long
de terre, a lendroit ot: nous étions.
Dum per mare magnum
Ataliam Sequimur fugientem » @ volvimay
YHA. —
Enfin il 's’éleva des brumes que le vend
qEft Sud Eft diffipa. Nous dé grapinames
a quatre beures du matin le vitigt-cing:
Aotr, & forcames de.voile au travers des
glaces, parce que comme nous €tions tout —
de Varriere des trois autres vaiffeaux « qui
étoient au bout du détroit , nous. voulions
des joindre; mais a ése(uie % que nous avan-
cions la. Beattie sélevoit , & les courants
Jes entr ‘ainerent a plus. de cing lienés en
dedans , oti ils refterent feuls , pendane
que nous trouvames a la fin al Baye dé-
gagée de toutes les glaces.
Ils furent obligez de grapiner a une
Tien¢ du Cap de Digne. Les brumes com-
mencans a fe diffiper, le Profond apercut.
trois vaifleaux. Du Guai qui le montoit
crut d’abord que c’ctoit les trois de notre
E{cadre. Ceux-ci arriverent infenfible-
ment fur lui a caufe des courants. 1] fue
furpris de voir toura coup une pareille -
metamorphofe, car c’€toient trois Anglois
de 56,36,& 32 pieces de canon. Il de-"
gtapina ‘danssle moment, & donnaa tour
hafard dans un Bane de glaces plitor se |
| lr Amerique Septentrionale: 8§
Me fauccomber : il avoit méme toutes nos
munitions de guerre & de bouche padur
Yexpedition du Fort de Nelfon, Les An-
glois lui donnerent chafle. Serign & Chaf-
trier voulurent venir a fon fecours, mais
Jes glaces le reflerrerent.. Le Profond fe
trouva aufli renferme avec le Dering &
YHudfonfbaye. Le Combat commenga
donc le vingt- fix Aout fur les neuf heures
du matin. Duguai les attaqua, les autres
le criblerent de coups , lui ayant haché
toutes fes manoeuvres , parce qu'il ne pie
{fe battre que de deux pieces de canon qui
avoient été mifes.dans l’arriere de la fain
te Barbe. Saint Aubin Pilote du Roi, Jour-
dain & Vivien, qui faifoient tous trois
fonctions d’Officiers, fe diftinguerent d’u-
ne maniere particuliere.
_ L’Hamshier de 56. pieces ne put les
joindre que le foir , & apres dix heures de
Combat qui fe donna par intervalle , ils
lui envoyerent tous trois leurs bordées &.
le laifferent dans cet état, croyant quiil
dit couler a fond. Il y eut quatre hom-
mes tuez dans le Profond. Il ne fe peut
gue les Anglois n’en ayent et des leurs,
puifque l'on trouva des brasd’homme fur
une glace. Pour ce qui eft de nous , nous
ne nous trouvames point dans cette occas
fion qui €roit rout a fait glorieufle, & l’on
dome ts H
‘a | “ial 5
PS ea ay
aianee ocius omnes
‘Attolli malos , intendi brachia velis.
Monfieur d’ Iberville fit hiffer auf. tor
les Huniers. L’é équipage fe trouva prompt
a lui obeir. C’étoit a qui | fe mettroit le.
assim a fon devoir. Les uns amuroient —
a grande Voile , les autres. bordoient la.
grande: Ecoute & Y Artimon. Les uns braf:.
foient les Huniers , & les autres. la Ci, :
wadiere.
Una omnes fecere 1s die ler iperdias fi niftros
Nunc dextros folvere finus : nna ahd |
Torquent » : f
Gornna ? detorquentgue.
“La premiere terre que l'on trouve ;
Neballshitt dans la Baye, pour faire la ved
ritable route du Fort de Nelfonef I’Ifle
Phelipeaux , dite Mansfeld par les An=
glois , qui eit en prenant: au bout du Nord,
au 62. d.56.m.a 29. lieués du Cap de
Digue , faifant l’Otiett quart Sud. Oiieft,
¥.
4
{cll une terre plate qui peut avoir vingte
a
Te plus ¢
ie Yr Amerigue Septéntrionale. S7
neuf lieués delong fur neuf a dix de large.
Il y a quantité de Vaches Marines dans
ces quartiers ; dont les dents font plus
blanches que l'ivoire, Elles ont cette pro-
| prieté qu’elles ne jauniflent jamais.
~ Levent fraichit de plus en plus, & nous
porta vers le Cap- Nord}, qui eft au 63. ds
ss. min, C’eft une terre des plus hautes
que nous ayons viis., que Pon peut décon- |
writ de,quinze a vingt lieues, I eft au
Nord Oiieft quart-d’Otiet , corrige da
Cap de, Digue» éloigné l’un de l'autre de
trente-fept lieues ; &, de cinquante.cing
de Natingan.C’eft ’endroit of nous ayons
dans le Nord. je ne croi
pas que l’on peut aller plus loin dans l’A-
merique Septentrionale, a moins que de
vouloir s’expofer a chercher un des bouts —
da monde, ou d’entrér dans le Oieft du
détroit de David, qui. communication
a ce que l’on pretend au Japon.
L’on peut dire, Monfieur, que ces Mers-
ci ont quelque chofe de bien affreux. St
Horace en avoit eu connoiffance il auroie
donné a fon ami Valguis une idée bien
differente de celle de la Mer Cafpienne.
Elle paffoit de fon temps pour la plus dan
gereufe, En éefet , Pomponius Mela dit
qu'elle eft toute farouche, cruelle , fans
Ports , expofee de tous cotez aux tempé-
| H 2
38 Asfhoire de y :
tes; plus remplie de monftres que toutes
les autres, & par cetteméme raifon moins —
navigable que les autres. AZ are Cafpium
omne asrrox » favum , fine portutus » procel«
Vis undiqne expofitum , ac bellwis magis »
quam catera refertum, & ideo minus na-
picabile. ne
- Vous voulez bien me permettre , Mon-
fieur ,de finir ici cette longue Lettre , &
de vous demander pardon de vous avoir
détourné de beaucoup d’occupations plus
importantes. Le temps vous eft trop cher
pour n’étre pas fache de vous l’avoir fait
perdre a une qui naura peut-¢tre man-
qué de vous ennuyer, Je fuis avec paflion,
MONSIEUR;
Votre trés humble ,&es
lA mevique S eptentrionale, Oe
fmmaneee FIR EOF EIB 53 £04 (03
TV: LETTRE
Cc ombat da Pelican contre! Elaans lake te
56+ le Dering de 36. ox UELudfonfoaye
de 3x0 pieces de Cunoys.
Vitloire remportée fur ces trois F™ aiffeanx.
Naufrage do Pelican par la tempete.
Bhmbardeeani:< CF prife du Fort de peeled
Mox COUSIN;
H ya pew de se b(bniniee qui tre fe fat.
fent un merite de faire leloge de fa Pa-
trie, ¥ aurois eu allez de matiere a‘décrite’
les mouveinens des guérres des Caraibes,,.
equi fe font faits dans'la Guadaloupe notre
-paute, dont mon'Coufin votre Pére a été
le Seigneur & lé Gouverneur, fr la defti-
néene meneut éloigné peridant plofieurs:
-années:Nos Compattiores ont eu du moins:
hh fatisfaction de fuivre fes traces qui léur’
ontilervi de guides. Vous voulez bien que
je vous faiTe part de plafieurs évenemens: —
fort tragiques: qui fort arrivez dans moty
“Voyage ; mais qui n’en one été que ng
glorieux aux armes da Roi.
9e® Aiftoira de. or
Nous ne fommes point nez pour nous-
memes, & rien n’eft plus glorieux que de
mourir pour fa patrie. Quiconque aime
fon Prince ne doit refpirer que fa gloire,,
& l’on eft trop heureux de pouvoir facri-
fier {a vie pour fon fervice..
_ La conjonctare dans laquelle je me fuis
trouve avec quelques Officiers, ott l’hon-
neur des armes de Sa Majelté paroifloit
intereflée , nous a donné oceafion d’avoir
ces mémes fentimens. Si d'un cété Je hae
fardnous a confervé, nous avons du moins
fait paroitre de l’autre que nous étions
préts d'immoler ce qué nous avions de
plus cher. La gloire du Roinous engagea
done ala fotenir dans une occafion ot it
s‘agifloic de vaincre ou de mourir. Le pre-
mier nous rétiffic, mais notre bonheur fut
prefque aufli tét traverfe par le plus cruel -
¢lement de la nature. Et quoi qu'il nous
ait fait fuecomber en nous obligeant de
_nous fauver l’épée a la main au milieu de
fes flots , il ne diminua en rien de notre
fermeté , puifque nous fimes voir dans la
fuite que tout éroit. poflible quand il s’a-
giffoit du fervice de Sa Majefté: Voici
tomme la chofe s’eft pafice.
Nous, afrivames le troifieme Septem-
bre 16.97. a la vie du Fort de Nelfon,,
dit Bourbon , dot les Anglois tirerens
oN,
ts Amerique Septentrionale. OT
quelques coups de canon, qui éroient apa-
remment les fignaux de reconnoiflance
pour les Vaifleaux qu’ils attendoient d'An-
gleterre. Nous mouillames a trois lieues
é demie au Sud-Oiieft quart-d’Oiieft de
ce Fort, a la pleine mer d’un fond de fable
vafart , étant furpris de n’°i pas trouver le
Palmier, le Weefph, & le Profond , qui
naturellement devoient avoir debouqué
devant nous , parce qu’ils ctoient au bout
dece Cap , & que nous étions en dedans
engagez dans les glaces.. |
Nous apergiimes le cing, ala pointe du
jour, trois Vaifleaux fougie vent , que nous
eriimes les nétres. Aprés avoir levé l’an-
ere fur les fept heures du matin nous chat
fames fur eux, & leur fimes les fignaux
de reconnoiflance , aufquels- ils ne répon-
dirent point, ce qui nous fit juger qu’ils
- €toient Anglois, Il eft vrai que l’un étoit
!'Hamshier de 56. canons, 25 ¢. hommes
dequipage , le Dering de 36. & |’Hud-
fonfbaye de 32. | |
_ La partie n’étoit pas égale. Nous leur
fimes cependant eonnoitre dans la fuite
que les armes du: Roi s immortalifoient
avec autant d’éclar & de gloire dans les
Mers Glaciales que dans les autres en-
_ droits les plus éeartez de la terre. Comme
ibétoit de la prudence de fe tenir todjours-
52 Fiifloive de
en état de n’étre point la vidtime de fes |
ennemis , nous nous’ trouvames tous dif-
pofez a fottenir le Combat. Nos forces
étoient tout a fait médiocres , car nous
avions a la découverte une Chaloupe de’
vingt-deux hommes , avec Martigni & de
Villeneuve Enfeigne de Vaiffeau , qui
—€toient allez a terre pour aprendre quel-
ques nouvelles des Sauvages fur l’arrivee
des Anglois dans leur Fort, & fur la quan-
tite de monde qui ¢toient en garnifon.
Nous avions quarante Scorbutiques hors:
d'état d’agir, & vingt-fept Matelots. qui
avoient paflé {u® le Profond'en partant:
de Plaifance,fans compter quelques morts
que nous etimes dans notre traverfee , de’
forte que nous n’avions que cent cinquan-
te combarans de deux cens cinquante que
nous étions en partant de France, & qua-
rante quatre pieces montees' , en ayant
donne deux autres a ce Vaifleau,
Chacun fe trouva dans fon pofte. La’
Sale Enfeigne de Vaifleaw, & Grandville
Garde dela Marine , commandoient la
batterie d’en bas. Bienville, frerexde Mr.-
d’Iberville & le Chevalier de Ligondez:
Garde de la Marine celle d’enkaut “Mr.
d’Iberville me pfia de commander le
Chateau d’Avant, & de foiitenir l’abor-
dage a la tére d’un°dérachement de Caz
madiens quil me donna
l’ Amerigque Seprentrionale: 95,
Les ennemis fe mirent en ligne. L’Ham-
shier étoit a la téte le Dering le fuivoir,
‘& l’Hudfonfbaye de l’arriere , tous trois
_-fort proche les uns des autres. Le Com-
bat commenga done a neuf heures & de-
mie du matin. Nous fumés droit fur
PHamshier , qui croyant que nous vou-
Hons V’aborder laifla tomber fa grande
Woile , & éventa fon petit Hunier. Aprés
‘ee refus nous fumes fur le Dering, & lui
coupames les Iraques dé fa grande Voile:
& l’Hudfonfbaye venant de l’avant nous
hui envoyames le refte de notre bordée.
-E’Hamshier revirant de bord au vent, fit
‘une décharge de moufqueterie fur le Cha-
‘teau-d’avant, & envoya une bordée a mi-
traille qui donna deux coups de canon a
Peau, un autre a la Civadiere, coupales
bras & la faufle Driffe du petit Hunier ,
um Galauban du petit Mats de Hune, & |
te faux Etai de Mizaine. Le Combat s’o-
piniatra avec un feu continue! que ces’
trois Vaiffeanx faifoient fur nous , qui’
s'attachoient a nous démater. Ils defa~
grcerentune tres grande partie de maneus
-vres,dont le recit feroit troplong. L Ham-
-shier voyant qu'il ne pouvoit nous en-=
gager entre une Baffe & fes deux Vaif-
feaux , & que tous les éforts qu’ils avoient
faits pendanttrois heures & demie éroieas
9 4 : Hiftoive dé |
inutils 5 fe determina pour’ nous couler
bas, & pour cét éfet prenant fon air pour
nous gagner le vent (ce qu'il ne pur fai-
re) nous le prolongeames vergue a ver-
gue. Comme nous étions fi proche l’un de
-Vautre, je fis faire une décharge de mouf-
-queterie fur fon Chateau d’avant, ou il
parut beaucoup de monde qui nous crioit
de fauter a bord. Is nous envoyerent
aufhi tét la leur avec une bordée de canon |
‘a mitraille qui hacherent pre{que toutes
nos maneuvres & blefferent bien du mon-
de. A mefure quils prolongeoient notre
‘Vaifleau nous tirames nos batteries, mais
“nos cafions €toient pointez fi a propos
‘quils firenre un éfet admirable car nous
ne ftimes pas plurét feparez l’unde Yau-
tre’, qué |’ Hamshiér fombra dans le mo-
ment fous voile, Le Dering qui nous te-
noit de prés nous envoya fa bordce , mais
ce fut une cruelle eataftrophe pour eux.
cat l’Hudfonfbaye emmena pavillon , &
le Dering prit la fuite. Nous efimes qua=
torze hommes bleflez a la batterie d’en’
bas de la derniere bordée de l’Hamshier,
-entr’autre le Chevalier de Ligondez, de’
deux éclats qui y étoit décendu, lequel fr
_paroitre toute la valeur & la fermeté que
Pon pouvoit fouhaiter. Les autres Offi-
eiers’ firent auffi parfaitement leur de
> -
Y Amevigue Septentrionale. 9S.
woir, Nous eimes fept coups de canon a...
V'eau qui entroient a gros boiiillon, fans
plufieurs qui paflerent de bord en bord.
~ Si tout autre que moi avoit commandé
ce potte, je dirois de lui ce que la modeftie
m'empéche de dire. Toute la Marine de
Rochefort a avotié que ce Combat a été
un des plus rudes de-cette guerre. Nous
étions fi accablez de leur moufqueterie &
de leurs bordées a mitraille qu’ils nous ti-
roient a portée de piftolet & a lank pare
tee de fufil , que notre Mat de Mizaine
écoit farce de tout cdté de balles de mouf-
quets dela hauteur de dix a douze pieds ;
& fije n’avois difpofe mon monde , fur.
tout dans le moment que je voyois mettre
le feu aux canons, il ne fe feroit pas fau-
ve quatre perfonnes fur le-Chateau-d’a-
. vant. J en fus quitte a i marché d’a-
voir eu a la derniere bordée mon julte-au-
corps tout haché, & mon tapabord percé
d'une balle. La Carboniere Canadien, qui
étoit auprés de moi, eut le coude caflé ,
faint Martin la main fracaflée , & pour
éviter un plus. long. détail de tous mes
bleffez , je fus celui qui fut le plus heu-
reux en fait de bleflures.
Je croi que je n’aurois pas ¢re faché de
_ me montrer devant Mr.de Pont-Chartrain
@vecune ¢charpe am bras, Celafrape a la
—
96 Hiftoire de
verite , mais fices marques fenfibles déci-=
dent dela valeur d'un Officier , je me {uis
trouvé aufli faia & d’un auf gtand fens
froid aprés le Combat , que lors que Mr, |
d' Iberville nous fit mettre en lice , hors
que l’on m‘auroit pris pour un pertext le
Manure , tant j’etois barbouillé de poudre
au vifage. Je croi que les Anglois me pri-'
rent a Vabordage pour quelque Prince de
poe car jentendis une voix qui dirs
ce bean vifage de Guinée. :
pants donnames chaffe au Dering , &
nous l'euffions pris fi trois jours aupara-
vant nous navions eu notre grande Ver-
ue caflée en deux par le milieu d'un coup”
de vent. Notre prife qui €roit a une lieué
de nous auroit pti gagner l’entrée de la Ri-
viere de Penechiouerchiou » dite fainte
Therefe » qui eft celle du Fort de Nelfon,
Nous revirames de bord, & aprés avoir
-amariné nous chaflames vers l’Hamshiere
dans le deffein de fauver fon équipage.
Nous le trouvames échoué fur la Bafe »
ot il avoit voulu nous engager , & le
temps devint fi rude aprés le. Combat ,
qu'il nous fur impoffible de mettre le Cal
not ala mer. Nous n’avions point de Cha-
loupe, parce qu’elle ne put revenir de la
découverte. Nous moiiillames affez pres,
avec l’'amercame de ne pouvejr donner ia
: conjons
LP Amerique Septentrionale. 97.
Mecours que rious étions obligez dans une
conjonéture aufli embaraffante, & auflt.
facheufe qu’étoit.celle-la. L’Hudfonfbaye
ne put méme le faire. Celui-ci avoit des
fers pour la traite du Fort de Nelfon qui
auroient pat produire la.valeur de cinquan-
te mille.écus en Caftors,& le Dering étoit
deftiné pour le Fort de Kichichouanne,
qui eft au fond de la Baye.
_ Japris des prifonniers qu‘il y avoit.cent
hommes. embarquez fur |’Hamshier , &
le Dering pour la garnifon de ces Forts ,
8 qu'un Brdlot avoit été ecrafé par les
laces dans le détrotr, Nous envoyames
de fix, abord de ’Hudfonfbaye un mor-
tier & des bombes dans l’efperance de le
faire entrer dans la riviere fainte Therefe..
Le vent d’Eft Nord-Eft qui régnoit alors
fe fortifia de plus en plus. La mer devine
affreufe, nous chaflant totjours a la céte
- gufques au lendemain matin entre neuf @
dix heures que notre gouvernail donna
‘deux coups de talon. Le Flot.commenga
a monter , foible efperance pour des
perfonnes dont la deftinée devint fi cruelle.
Nous fumes contraints de couper a midi
un cable pour appareiller, & chaflimes
jefques a quatre heures du foir. Le grand
froid quil faifoit, la‘nége, & le verglats
qui avoient couvert routes nos manewe
Tome I. | I
95 2 H iftoire de
vres étoient de cruels obftacles. Comme
nous he piimes élever la céte ; nous mouil- |
lames a neuf brafles deat” Nos ancres
tincent jufques a huit-heures du foir , 8
en ce temps la grande rompit. Je ne
{Gaurois vous exprimer , Monfieur , la
dela lacion ot fe trouva Léquipage. ‘Les
us languiffoient de maladies. Les plus
vigoureux éroient aux abois. dl étoic nuit ;
& Vhorreur des tenebres ne faifoient
qu’augmenter celle dela mort. Le cahos
& le defordre fe mélerent-bien vice parmi
des gens accablez ; & quand laterreur fe
fae répandué , nous he ptimes plus les
raffirer , & dans cet érat déplorable je
me fouvins plus d’une fois de ce qu’Hora-
ce adit avec tant de raifon, quoiqu’il ne
fe fat jamais trouve dans une fi facheufe
conjondture.
Zils robur » @ es triples
Circa petius erat, qui fragilem s
Truct commifit pelago ratem , |
Primus ; nee timuit precipitens africum >
Decertantem aqurlonibus : |
Nee triftes Hyadas » > nec rabiem noti.
Le Vaiffeau érant apointé debout au
vent , Pancre de touée & un Greflin roma.
pirent. Celle d’affourche née pouvant te.
nir, nous fames contraints d’ en couper le
gable, { Une sey ie fit nial notre ire galerie ?
=
P Amerigue Séptentrionale. gg
__& brifa une table & fes bancs qui étoient
dans la grand’-chambre. Nous perdimes
notre gouvernail fur les dix heures du foir ,,
& nous nous crimes entierement perdus.
A mefure que la marée- montoit, notre
‘Vaiffeau qui éroit entrainé par fon cours,
talonnoit infenfiblenient. Tous ces diffe.
rens mouvemens faifoient dreffer les che.
veux aux plus infenfibles. Enfin il creva
par le milieu de la Quille fur le’minuir, 8
emplit d’eau par deflus lentre-deux ponts.
Nous paflames la nuit en ce pitoyable étar,
& nous vimes ala-pointe du jour la terre
a deux lieuds. - ai a
Dans quelque cruelle fituation of nons
_ €tions , nous conferyames toujours quel.
qu efperance de ne pas perdre la vie. Mr.
d'Iberville qui eut toute la prudence qite
Ton peut avoir dans une pareille cataftro-
phe, fongea a fauver fon équipage. Il me
pria de m’embarquer dans. le canot pour
tenter l’endroir ol nous poutrions le faire
avec: quelque (urerey poo gees |
Ine s‘agifloit.pas feulement de cone
_ ferver la vie ;.il falloit encore foitenir la
gloire que l’on s’éroit acquife deux. jouirs
auparavant ; & perir. pour perir il valoic
mieux facrifier fa vie aux pieds d’unba-
ftion du Fort de Nelfon, que de languir
- dans un bois ow il y avoir déja un pied de
2 2
méges, Je m’embarquai done le huirt Se
_ptembre, jour de la Nativité de la Vierge,
dans le canot avec des Canadiens : & apres:
nous tre jettez a la mer jufques aux épau-
les avee notre moufquet’, une corne 2
poudre fur la tete , & des balles, je le
dui renvoyai, pendant qu’il faifoit faire
des Rats dean & des Cayeux pour fauver®
les malades. Martigni arriva auffi avec un
efquif. Nous nous tirames le miéux que’ —
nous pumes de Peau qui croit extréme-
ment froide. Ries ei,
| Queique vigueur & quelque prefence:
d'efprit que jeulle,la nature patiffoit en:
moi d’une maniere fenfible » & comme je’
me trouvai extremement accable, je fou-
haitai trouver un endroit pour me repoler..
Il me prit une faim cruelle, avec undefef-
-poir qui m’obligea de manger de l’*herbe’
qui flottoit fur la mer. Je fouhairai, Mon-
fieur , plus d’une fois ce repos-dont parle:
Je méme Poéte, que fouhaitent ceux qui
font furpris d'une affreufe tempete..
Oisum divos rogat im patentys
Prenfus eH geo, fimul atra nulis +4
Condidit lunam » neque certa fulgent s
| Sydera nautis. |
Aprés avoir traverfé la mer plus d'une”
Heué , nous trouvames un Banc de neges-
épais de plus de deux pieds ,fouslequel:
100 - Aiftowe de
Lone.2. pag - LEO.
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Serepte ee av;
i SIR ees
Tom.2.pag.100-
A. Le Pelican perita 2. heux de terre, B. Cayeux pour Sauver Les tMalades , C. Bane de lege ,D. Camp - de grace j
/
f Awmesighe Septentrionale. | 19%
étoit de la vale. Ce’ trajet fur bien rude
qui cotta la viea dix- huit foldats qui mou-
rurent de froid' en fe fauvanr, 8 paurois
fuccombé fans'le fecours de quelques’ €a-
-nadiens qui me trouverent couché fur la
nége. Mr. Fiche- Mauricé de Kieri, dela
maifon da Milord Kieri en Irlande, , gui
éroit notre AumOnier, foulagea avec Bene
coup de charité plufieurs de nos gens qui
- n’avoient pas la force de fe rites: Il ne
les abandonna pas qu’ils ne fafient atti-
vez dans un bois,
Nous avions lieu d’ ‘pechwsidee que fag
_ Anglois: ffeulfent fait des embufcades, car
Hs virent note Vaifleau peri’, & ils pou
voient étre témoins oculaires de notre dé-
cente fur leur terre , puifque nous n’¢tions
qu’a deux lieués dia’ Fort.
Nous campames dans un bois -8¢ Fite
de grands feux,qui nous furent dun vrand
fecours , cat nous étions: cous fais : autre’
_ habit gu’ un cafaquin allez leget , 8 tout
degoutant de notre naufrage. _ Ors
Nous décampames fe’ lendemain dif
Camp de Grace ( tel fur fon nom ) 8
paflames: par un matats d’oiles chevaux
i auroient pufetirer, Cetre marche dura
_ plus d’une lieue & demie , 8 fimes un fe-
eond Campa un endroit: que l'on apelle
le Poftaw. Je paflerai fous gan gue:
z
rOz - Bdifoire de
l'Hudfonfbaye eut le méme fort que nous >,
stant perdu a huit lienés plus Sud...
Sur ces entrefaites le Palmier,le Weefph:
& le Profond arriverent a l’embouchure
de la riviere de fainte Therefe, Le premier
avoit perdu fon gouvernail dans la riviere
de AL anotcoufibi , dite Danoise, qui eh &
quarante lieués plus Oiieft que celle-ci,.
ayant gouverne pendant quarante lieues:
avec des avirons & des bout hors, Ils fu-
rent bien-heureux de nes €tre point trou-
vez moiiillez avec nous , car leur defti+
née auroit été auffi fatale que la notre.
Nous décampames derechefele onze 3, .
devant le jour, & fimes un troifieme cam-
pement a la portéedu canon du Fort, dans:
un bois tailli, qui fut nommé Camp de
Bourbon, M’étant trouvé au pofte avance
je fis faire du feu, car le temps €roit rude.
La fumée nous attira, plufieurs coups de:
canon au travers des arbres. Je fis faire
du feu davantage , afin que les Anglois:
croyans que nous voulions y faire des re-
tranchemens , nous puflions facilicer a
nos gens de défler plus aifément le long
de la riviere.. La grande obfcurite quik
faifoit pour lors fur caufe que le Fort.
nous paroifloir plus éloigné. Nous com-
mengames peu de temps apres les efcar-
-mnouches a la faveur de plufieurs petits.
E Amerique Septentrionale. 10°93
suiffeaux. & de quelques troncs d’arbres*
brilez..I] fe firde part & d’autre un grand’
feu. Les fauconeaux, & les canons a mi=
traille eurent dequoi sexercer. |
Monfieur d’Iberville alla reconnoitre’
la Place fur les onze heures du matin» ~
Nous ne pimes le faire ft. a propos, qu’ils*
ne nous tiraffent quelques coups de mouf-
quets ,.. & l’eufflent fait a mitraille, fi nous:
n’avions defile par de petits fentiers: Nous |
ne laiflames pas-de refter-a couvert pref-
- qu/au pied du Fort. Il envoya querir Mar-
tigni ,.& lui donna ordre d’aller reclamer
deux Iroquois/& deux Frangois , quil {ca-
voit étre dans cette Place, qui n‘avoient pu:
sy rendre l'année derniere , avant que les”
-Anglois l’euffent prife furles Canadiens. -
Lorf{que Martigni fut arrive aux portes”
du Fort-avec pavillon blanc, qu'il fit por-
ter avec lui. Le Gouverneur lui fic bander:
les yeux, & le fit conduire dans la Place. -
Ti tint confeil'de guerre. La décifion fat:
quwil étoic- impoflible de les rendre dans-
une pareille conjondéture.. Une partie de’
Hudfonfbaye s’y: étoit jettée apres le-
naufrage, ce qui augmentoit leurs forces.
Le Capitaine Semithfemd qui comman-
doit ce Vailleau avoit aflez d’autorité pour’
pouvoir donner a la Garnifon telles im-.
preflions qu’il vouloit, Il crit que Mr.”
res oa Fliftoire dé oC
d’'Iberville avoir été tué dans le combat?
Vl {cavoit qu’aprés la prife de fon Vaif-
feau nous envoyames quinze peifonnes
pour l’amariner, perfuiadé que prefque
tout notre €quipage avoit éte tué dans le
combat; il s'imaginoit que nous ne ten-
tions ce Fort que comme des gens defef-
perez. Il eft vrai que , fans la poudre que
nous fauvames dans le naufrage qui nous’
fit vivre de quelque gibier , nous euffions
été contraints de brouter de l’herbe juf=
ques al’arrivee denos autres Vaifleaux:.
On dreffa l’aprés. diné-dans le bois adeux’
cens pas du Fortla batterie pour un mor-
tier , fans que les ennemis s’apereuffent’
de nos‘mouvemens: Comme la plate-for-
me etoit prefque finie , ils‘entendirent le:
bruit de deux ou trois coups'de'maflé que
Pon donna fur des clouds , ce qui nous at-
tira brufquement trois coups: de ‘canons’
dont l’on penfa tuer Mr. d'lberville , &
les deux autres’ me rangerene-de fi’ pres’
que nous trouvames le bouleta quatre pas’
de moi. Ce travail étant fini, nous revin-
mes au camp. Ilsnous tirerent' du canon! -
dans notre retraite, érant obligez' de pal-
fer le long de la riviere ot ils nous de-
eouvroient facilement. |
_ Nous faimes occupez le refte dela jour-:
Hée-a débarquer nos ‘munitions’ de guerre:
fom 1. page 108:
ye
te
orlié Cache
Fork de Nelson .
fo
.
7
iv
Tom wt page jo3:
« " = .
—— : a : : ; > Nelson
P a : oy, , i ie ecarmouches .E.. Fort de Nels j
A Debarquem'des Munitions de guerre et de Bouche 2 B 2 camp da Bourbon . (eC - Mortic cache dans le Bots D E ae c *
RCT TE Lee Rae! i rkeet aeoprtmp ene Cap tm yaemne yn Le Stun py hvane ey
: Y “ Merfue Septentrionale. TOs
& de bouche, Le Weelph envoia‘le mor-
‘tier dans une chaloupe que commandoig —
de Chevalier Montalamber de Serre, garde
de la Marine. C’eft un Gentilhomme qui
s'attache extrémement A fon métier. Il a
Phonneur @apartenir a Monfieur le Mar-
quis de Vilete,,On mit ce mortiera terre,
& quelque remps aprés far {a batterie. |
Les ennemis tirerent beaucoup pendant
ee débarquement: dans lecamp & fur les
chaloupes..
~ L’on.coupa chemin Pa nuit du-onze au
douze aux Anglois, qui alloient & ve-
moient quetir les Matelots de. 'Hudfons-
Baye qui atrivoient de moment a autre.
Le Commis-de la’ compagnie de Londres
y fur tué, & le douze il fe fit encore une |
pt CA He qui dura deux heures. —
Nous commengames a bombarder Je
Fort fur les dix heures du matin. Comme
nous vimes: que la troifiéme bombe étoit:
tombée au‘ pied , Serigni fur fommer le’
Gouverneur de fe rendre. Celui-ci témoi- _
gha qu'il ne vouloir point fe faire couper’
de col,.aimant mieux fouffrir Vincendie’
de fa Place gue de la: rendre: Il avotioic:
qu'il éroit hors d’état de recevoir aucun’
fecours d’Anglererre , & que, s'il fe trou.
voit forcé de Capituler , ce fens un éfet:
de. fa mauvaile deftinge. Nous fguimes>
roe | Hiftoive de
aprés , qu'il animoit extrémement fa’: gars
nifon , promettant de lui faire donner une.
augmentation de folde. Nous leur tirames’
€ncore quelques bombes.’
Nous recommengames entre whe Jase!
& deux. Ts nous firent un feu contihuel’
de canons & de deux mortiers. Ils avoient
de trés-habiles canoniers; I} n’y avoir que
le bruit de’ nds bombes’ qhi pouvoient
leur faire conjecturer Pendroir-oW nous
€tions , parce que le bois tailli ot étoit
notre Batre rie lear étdit Ta jufte connoif.
fance de {a fituation. Cela n’empécha pas
que déux coups de canon ne donnaflent
dans le parapet, & qu'un autre ne nous’
couvrit dé terre, Nos efearmeuches fe re-
doubloient avec toute Pardeur poffible ,:
& ils blefferent a mort St. Marcin un Cas
nadien. Nos bonibos paterent avoir fair’
quelques: effers par tes Saffakues * que
nos Canadieris faifoient retentir , car pent
darit que nous les Borhbardions’,, - ceux-ci
Jes ‘harceloient’ datis les i caren cd
Serigni les alla fommer derechef fur’ les?
quatre heures, & dit au Gouverneur que
ce feroit la derniere fois quille feroit- La’
refolution étant' prife de leur donner un’
affaut general , & quand il voudroit pour
*’ Cris de Guerre &' de Réjoiliffance 4 ala fagon deg’
Sauvages du Canadas: |
T Amerique Septentrionale. 07
dors faire des propofitions , on ne les rece-
vroit pas, l’a(furant méme, que, quoique
da faifon ne permit pas a nos Vaifleaux de
demeurer en ce climat plus de dix a douze
jours, il tui refteroit des forces plus que
‘foffifances pour le prendre I'Hy ver. Je
yous avoue , Monfiene, qué s'il fut arri-
ve quelques accidens a nos Vaifleaux que
nous avions quittez dans le détroit. > qui
Jes euflent empéchez d’arriver au Fort ,
nous navions pas d’autre parti: a prendre,
Le defefpoir oi nous enffions été de vivre
comme des béces dans les bois , nous eut
obligé de pouffer les chofes al’ extrémité,
Nous -avions réfolu de le forcer la nuit.
Nous enffions pour cet éfet environné le
Fort , & a force de haches-d’armes nous
enffions fapé leurs Paliflades & leurs Ba-
ftions, & ils pouvoient s’attendre que
les forgane [epee a la main, il n’y auroit
point eu de falut pour eux.
Una falus vithis nullam _Sperare falutem.
rhe Gotiverneur lui témoigna quil n’é-
toit pas tout-a-fait le maitre, & qu'il lui
donneroit réponfe au Soleil couché. Nous
ne laiflames pas de dreffer la batterie
Phelypeaux en deca du Sud Sud-Otie
qui auroit fait un furieux defordre, fi Tat
les fix heures du foir , le Colvernene
freut envoié Mr. Morifon aporter ung
-
108 EHiftoive de. :
‘Capitulation dans laquelle il demandoir-
tout le Caftor qui apartenoit a la Compa..
gnie de Londres. Je voulus fervir d’Inter-:
-prete , mais je vis.bien queje perdois mon,
‘Latin avec ce Miniftre quia peine pou-
voit décliner Ad¢ufa. Je n’enfus pas fur
ptis dans la fuite, puis qu'il y_avoit pew.
de Miniftres Ecoffois qui le {guffent. Cetre.
-propofition ctoit trop avantageufe a des.
gens qui étoient a notre difcretion, & le
méenagement que neus étions bien aife.
d’avoic pour eux étoit plitdr leffer de
la generofitée naturelle aux Frangois. On.
deur refula donc.cette demande. Ce Mini-.
fire sen retourna avec Caumont qui fai-
foit fondtion de Major. Tl avoit ordre de
f{cgavoir de Mr, Baylei Gouverneur du
Fort , sil vouloit accepter les conditions
qu’on lui prefcrivoit, 8&en.cas quil eur,
€té dans ces fentimens, qu il nous envoia/
trois Otages. Ils tinrent confeil de guerre,
& le Gouverneur envoia fur les huit heu-
res du foir Mr. Henri Kelfei le * Députe
Gouverneur , avec une lettre par laquel-.
de il demandoit deux mortiers de fonte &.
quatre pieces de canon de cing livres de
-méme métail , quiils avoient apottez
Tannée derniere d’Angleterre. Nous ne
youlumes point les leur accorder. Ena
| | le
“"S Licutenant de Reis
r Amerique Septentrionale. 199
Je lendemain treize , le Gouverneur ous:
“envoya trois Otages nous dire qu'il ren-
droit la Place, nous priant d’en laiffer fai-
gel’ Braedarions aune heure apres midi,
_ Les ordres que Mr. Begon m/’avoit donné
€n partant de Rochefort, d’agir de concere
avec Mr. d'Iberyille, Gl’on faifdir quel-
que entreprife par. terre , ny obligerent ,'
Monfieur , de me eee d’abord dans ce
Fort. Le enna eat ala téte de fa gar-
nifon , & d'une partie de V’équipage de
YHudfonfbaye fortit une heure apres ,
tambour battant, balles en bouche, mé.
ches allumées, enfeigne deploice ( Gut ‘ils
avoient abbataé bien vite a la troifiéme
bombe | que nous leur titames, s‘érant
apergus qu elle nous fervoit, de ‘Hae )&
armes & bagages. Boifbriant enfeigne de
Compagnie en Canada, fe trouva a leur
rencontre ala téte des Craadiens:
Pye. remarquai que , quoique le Fore
oie petic , pre{que toutes nos bombes
étoient rombées A fes pieds , & que de
ingt.deux que nous leur tirames, il yen
étoit tombé quatre, deux dans le Battion
du Sud Sud-Oiieft qui Pavoient fait fau-
ter avec la forge , la troifieme emporta
une galerie qui entouroit un corps de lo.
gis, & la quatri¢me tomba dans la plateg
forme qui bleffa plufieurs perfonnes. -
fome dy K
£10 Hiftosre de |
Ce Fort eft au 57.d. 30. m. lat. Nord,
C’eft la derniere place | de PAmerique s Se~
ptentrionale, Il a la figure d’un trapeze, |
Manqué de trois baftions & demi, L’un eft
au Nord, le fecond a l’Eft Sud-Eft, le troi- -
fiéme axl Sud Sud-Oiieft, Celui du Nord Se
le demi-baftion, font revétus d’un chemin
couvert. Il y avoit dans le baftion du Nord
un fauconeau , quatre pieces de quatre li-
‘wres de balle , qui nous avoient beaucoup’
Vicon hate Dans celui de l’Eft Sud- Et
€toient deux de quatre, au deffous une pla-
treforme dans laquelle il y avoit un mortier
de fonte & deux canons de‘huit. Dans ce-.
‘ du Sud Sud-Oiieft qui fut ruiné par. deux
ombes, il y avoit un fauconeau & une
piece da, quatre. Entre celui ci & celuide
VEft Sud-Eft,il ya une courtine qui bat la
riviere, en laquelle il y avoit dix pieces
de huit , y comprifes les quatre de fonte,
& au milieu de la Place,étoit un mortier de
fonte , & une plateforme 4 Ventour dun
corps de logis fur laquelle il y avoit fix pie-
ces d’une livre,& au demi-baftion frois Cas
nhons de quatre , & un fauconeau, En un
mot il y avoit dans ce Fort deux mortiers
de fonte & 34. canons, fans parler. de fept
autres petites pieces d’une livre qui eroient
a droit & a gauche, & plofieurs ierriers,
La f fieuation du pais parent a alle eZ agrea-
_ LP Amerique Septentrionale. x14
ble s tout couvert de bois taillis, & beau |
coup marécageux; d’ailleurs la terre eft in-
grate. Le froid commence des le mois de
Juin, mais il ne quitte pas pour cela. I a
a point de milieu entre le froid & le chaud
dans ce temps-la, oui les chaleurs font ex~
ceffives,ottle froid y eft pergant. Les. vents
de Nord qui viennent de la mer diflipent
cette chaleur, & quiconquea bien fue de
chaud le matin eft glacéle foir. Il y pleut
rarement, L’air y eft pur & net pref{que
tout l’Hiver. Il y nége méme peu a pro-
portion, neuf pieds tout au plus. Je vous
avouce Mr, que le merite d’un homme A-
poltolique eft grand lor{qu’il s'atcache aux -
Miffions dans ces quartiers-la, Jai enten-
du parler du Pere Gabriel Marais Jefuite,
qui yint en 94. dans le Poli, Le zele qu'il
AVOMU Atravaiuse: au laue aes Maret 2¢
fon €¢quipage pendant I’hivernement étoit
grand; mais celui qui l’animoit a précher
le vrai Dieu aux Sauvages de ces lieux,
-€toit quelque chofe de bien plus fort. Que
de peines & de fatigues n’a-v'il point fouf.
-fert. Traverfer des ruifleaux & de petites
tivieres a mi-corps dans des faifons rigous
-feules,c’étoit un de fes moindres embar-
tas. Les marais pleins de fange & de boué
~etoient fes chemins les plus praticables. TI
importe peu en quel état l’on eft lor{qu’ik
GTZ | Hiffoive de ee
s’agit de la gloirede Dieu. Ces conjondétu-
res-la touchent méme fenfiblement les
Sauvages , puifqu’ils connoiflent qué l’or
ne va chez eux que par un efprit de defin-
tereflement, & la maniere avee laquelle’
cet homme de Dieu venoit dans leurs ca-
banes ¢toir un éfer de {a charité. Ils ’écou-
toient & ils l’aimoienr. Il fe faifoit donc
une joye de tout facriffer pour leur infinter
Ja connoillance du vrai Dieu. Ses lecons —
faifoientimpreffion fur leur efprit,& aprés
avoir un peu goure ce qu'll leur enfeignoit
ils le conjuroient de les venir voir. C’eft
beaucoup aun Idolatre lors quil ouvre les
yeux pour developer les tenebres de Ti-
gnorance. Et comme ce faint honyme s’a+
percevoit qu’ils avoient quelque difpoff-
zion pour fe faire Chrétiens , il metroiet
tout en ulage pour leur enfeigner les pre+
miers élemens de la Foi. On le voyoit fou-
vent harcelé de fatigues & de miferes. If
pafloit dans des néges , il enfongoit dans
desglaces qui fe rompoient fous fes pieds,
d’oti a peine pouvoit-il fe tirer , & malgre
tous ces froids infuportables qui la plt-
art du temps cavent les joués , font tom-
ber le nez & les oreilles de ceux qui de
seurent trop long-temps a l’air , il regar-
doit tous ces obftacles comme des attraits
qui lui faifoient prendre plus a coeur les
t
»
l Amerigue Septentrionale. eS
interéts de la niaifon du Seigneur, 8 ce ne
feroit pas {ans raifon qu'on lui attribueroit
ces paroles du Prophere Maite. Fattus eft
an corde meo guaji ignis aftuans in vifceria
bus mew. Quoique ce pais foit fi froid ,
la Providence divine n'a pas laillé que di
remedier pout la fubfiltance des peuples
de ces quartiers. Les rivieres fone fort’
npwnceas La chaffe y eft abondante.
1 ya des perdrix en fi grande quantite ,,
qu'il pafferoit pour fabuleux , {1 j'avancois
que l'on en peut tuer des quinze a vinge
mil dans unan. Elles font toutes blanches:
_prefque toute |’ année , groffes comme des’
gelinotes, beaucoup plus delicates qu’en,
Europe. Elles oht les pieds patils , & dans’
le mois d’ Aoiit elles ont une partie dics’ ailes
ed avec plufieurs taches rouges.
Les QOutardes & les Oyes fauvages y
shbtedatie fi fort au Printemps & en Au-
‘tomne, que tous les bords de la riviere de’
fainte Therefe’ en font tous remplis. L’Ou-
‘tarde eft untrés-bon manger qui reflemble
aflez' al Qye, ‘mais beaucoup plus groffe
& d'un autre gout. Le Caribou fe trouve’
prefque toute l’annce’y principalement au:
-rintemps & en Automne ,en bandes de’
fept a huit cens.La viande en.eft plus déli-
—eate que celle du Cerf.Lors qu'un chaffeur’
‘en tue quelqu’un fur la phases les autres
1 Fiifovve de
s’arrétent tout-a-coup fans s émouvoir ds |
bruit de l’arme a feu; mais lors que le Ca-
ribou n’eft que bleflé , il court avec une
grande vitefle, & tous les autres le faivent.
ll y a beaucoup de pelleteries fines
eomme des marthes fort noires, des’ re~
nards de méme, des lotitres , des ours ,.
des loups dont le poil eft fort fin & princi- |
palement du Caftor qui eft le plus beau de
tout le Canada. Je fis embarquer dans.
YAlbermale celui qui fe rrouva dans le
Fort. Comme nos Pilotés neconnoifloient
pas bien la riviere; ce batiment échoua:
fur une petite roche qui le firoavrir. Ce
fucun cahos trés- gtand parmi nos gens 8
les Anglois qui-s’y étoient embarquez.
Cette barque emplit d’eau. On voulut
Valleger em jettant beaucoup: de eaifles
& de paquets. Il faifoit une nuit trés-
ob{cure. Les-uns fe jettoient al’eau d’au-
tres voulant fe fauver aterre ,. reftoient
dans la vafe. Voici Monfieur, les circon
ftances les plus particulieres qui nous font
atrivez en moins de vingt jours que nous
avons été dans ces quartiers , qui n’ont pas
laifl¢ denous.ocuper. Je fins avec pion g J
MONSIEUR ;
Votre trés- adr ,&e-
Y Ameriqnue Septentrionale. ay
SSS
Ve LE TTRE
Ml eurs des Sanvages » qui viennent faire
la traite au Fort de Nelfon.
Mons: EUR;.
Jai connu peu d’hommes de guerre’
aimer plus la lecture que vous l’aimez.
Vous avez {gti ménager la lire & le fer en
_-m€me-temps toute votre vie. Les longs:
fetvices que vous avez rendu au Roi vous’
donnent un relief dans le monde d'un des
plus. anciens & fidels ferviteurs qu’ait Sa
Majette ,. & leftime que vous avez pour —
les perfonnes qui n’aiment pas tout a fait
Poifiveté,.aprés ce’qu'ils ont accordé au
Prinee par leur devoir , doit leur faire’
plaifir ,. quand ils-font aflez heureux lors
que vous. vous entretenez avec eux de
matieres f{gavantes, ou de ce qui vient
d’au dela lesmers. J’en ai bien paflé de-
puis que je n’ai eu l’honneur de vous voir
en Flandres, I] faut done vous rendse’
eompte aujourd'hui, Monfieur , de quel-
gues particularitez de mes voyages,
116 Hiftoire de
Le plaifir de voyager donne Sisal
douverture a Vefpric: Le changement’
des pais diverfifie agreablement toutes fes
idces. Ce melange d’objets réveille en lui
fes fentimens, & lors qu'un homme eft’
aflez heureux pour fe trouver dans des ‘ag
mats ott les peuples ont de la delicateffe ,
il doit en étudier les bonnes eiistideead
Cet aflaifonnement qivil doit faire de tout:
€e quil trouve de meilleur , doit en me~_
me tems lui infpirer les Gonciccsiall d'une’
belle ame ,- 8 lors qu'il a fait un difcer-
nement judicieux du bon & du mauvais de’
€e qu'il voir, il doit étre regardé comme’
an homme Mewe au deflus dua commun,
La vertu fur tour doit étre fon partage ;)
car. que lui fert de connoitre les buiihiés’
mdeurs des uns':s'il nes ‘aplique 2 a les imi-
ter. II voyageroit fealement par une vai~
he curiofiré qui née laifle en lui que beau-
coup didées ria de tout ce qu ‘il a’ vd.
Pour nous’, Monfieur ,: qui allons &
venons far Hels “nous ne gotitons point
ces plaifirs: Le Ciel & la mer qui fe pre-
fentent continuellement a nos yeux , ne’
laiffent a notre imagination qu’ un’ dégout,.
mais des lors’ que nous arrivons en des’
pais éloignez, il femble que nous refpi-
tions un ait qui nous dosite( un n fey plas
de fatisfaction,
a
P Amerique Septentrionale. I oy
_ Comme je n’ai rien trouve d’agreable
“dans ce voyage , & que tout ce que j’¥
ai vine font gi ‘objets triftes & affligeans ,
je me fuis du moins‘confoleé par les alte?
fes reflexions que jai faites fur tont ce qui
s eft rencontre de particulier. Les mceurs
des nations differentes qui viennent faire
kh traite au fort de “angel m’ont.un pew
‘occupé , & j’ai éré fenfibl blemient touche de.
Petar ABU eats oti fe trouvent ces ag
ples. Ce font des hommes comme nous
qui ne manquent pas de bon fens, & qui
font capables de recevoir plus faditemerit®
~quecbier d’autres , les impreflions de la
veritable Religion.
> Le climat de ces pais qui eft naturelle. |
ment fort froid les rend fteriles & infeus |
étueux , ce qui oblige la plipart de vaale
es Sauvages a cere errans pour trativer
dequoi vivre. Il y ena cependant quel
-ques-uns qui ont dés Villages. Leurs tenr
tes font faites de branches d’arbres cou=
‘verte de peaux de Caribous,avec une ou=
vertureen haut pour laifler pafler la fumées
Ils érendent des robes de Caftors fur des:
feuillages de fapin qui leur fervent de lity
Hs: habitent : a peu prés comme I’on fais
foit dans le Siecle d’or.
Sylveftrem montana thorum cum. frerneres®
3 Wxor
ing ie Hiftoire de
Frondibus,@ culmo vicinaramae ferarams
Pellibus. |
Le pere de famille poutvoit aux befoing
& aux neceflitez de la vie. Il fe leve des’
la pointe du jour & fe met en campagne |
pour la chafle. Lors quwil trouve un en-
droit propre pour cabanner ,il y laiffe utr
grand nombre de feuillages , gui eft une’
preuve qu'il veut que fa famille y fejour-
-ne. Pour lors la femme fuit les traces’
du maria la faveur de la nege qui eft pref. |
que toute l’année fur terre , & donne tous’
fes foins pour le recevoir a 5s (ie dlauantie: a
Sacrum vetnlfis extrait lignis focnm
Laff Jub adventum viri, -
Ce genre de vie paroit rout-a- fait pes
nible & laborieux. Ils s’en fone cependant’
une habitude , & aurojent. de la’ peine
d’en mener une ditre pris douce & plus’
tranquille, Le mari ou le chaffeur étant
de retour , la feayme connoit dans le mo~
ment sil a rué quelque bere, car le Sau-
vage parle peu naturellement , & lors
quil le fair, ce font autane d’ exprefions
décifives. Lair ferieux qu'il affectte ex
entrant dans fa cabane, lui donneacon-
noitre qu'il y a du gibiet. Elle fore, & le
trouvant aux environs , Vaporte: , ou sit
na pu tout aporter , ab lui dit quelque’
temps apres’ Vendroit ott il eft, & elle. eft
| PAmetigue Septentrionale, 11g
“obligée de l’aller chercher, ditce étre
A deux lieucs ; mais lors qu ‘il n’a rien
tué, il faic quelquefois un foilpir, ce qui
eft une mauvaife augure.
“Ce chaffeur ne peut qu’il ne foit fore
fationé au retour de la chafle, Sa femme
Je déchauffle , & on lui donne une robe
de caftor én " fagon de robe de chambre,
‘Lors qu ‘il fe trouve un peu delaffe , il fe
“meta fumer , & faitle recit de fa chafle 2
fa famille, S “il a des enfans un peu grands
ce font autant de lecons qu "ils aprennent
infenfiblement, parce que ces gens- 1a
font confifter tout le bonheur de la vie
en la deftruction de quelques betes fauves,
Leurs converfations font le refte de la
journce fort fuccintes , & la paffent a fai-
re bonne chere, s ‘ils ont dequoi,
Ilsn ont nulle délicateffe dans leur man-
ger. J'ai vecu quelques jours a leur manie-
re. Ils prennent un morceau @’ orignac , de
caftor, ou d'autres animaux qu’ils paflent
dans une broche de bois qu’ils fichent en
terre devant le feu. Lors qu'il eft réti d’un
cote , ils le retournent de l'autre, s‘ils
ont des outardes ou d’autre gibier , ils les
fufpendent : avec une petite corde attachée
aun petit pieux , & lui donnent un mou-
-vement pour les faire cuire de tout cote,
Hs . font bouillir la viande avec de la nége
it? ae Hiftoire de
sven les tivieres & les lacs font glacez j i
en boivent la graifle avec autant dappee
tit que finous prenions le meillear cons
fommé, & lors qu’ils veulent fe defalte.’
rer vils remetrent dela nége dans le boiiil-
iG. Il ne faut done point chercher de
délicatefle chez eux. Ils ne vivent que
pour ne pas fe laifler mourir , & ne don-
nant rien qu’a la feule neceffiré de Ja na-
ture , ils trouvent qu'un homme peut a ain
fement fe pafler de peu.
— Bene eft, cut Deus obtulit y
Parca. quod fatis eft mante |
Quand le gibier eft abondant dans 1’ en
droit qu ‘ils ont connu , ils y fejournent,
Sil ni ena point, ils changent de caba-
nes. Il arrive, que la famine les furprend
fouvent, & gu ‘ils patiffent beaucoup. La
nature y fuplee quelquefois , parce que
‘ces gens.la font fort fobres. Jen ai vi
un exemple en deux Iroquois” que nous
avons palié en France. Ils furent quatre
jours” {ans manger , parce qu’on leur dig
mal a propos que te bifcuit manquoit ,
croyans etre obligez par cette abftinence
d’entrer dans la peine commune on pou-
woit étre notre equipage. |
Cette vie errante & libertine dloigne
naturellement l’efpric du Sauvage de la
| gonnoillance de Dieu. L’on ne {gait a Ala
: verigé
4
f Amevigue Septentrionale. —~ 2x1
‘metite silsle conhoiflent, & les tenebres
ude Vignorance offufquent trop leur en-
stendement pour en déveloper la’ verité,
Tlsné font point infenfibles au bonheur
-& aux difgraces qui leur arrivent. Ils fem-
‘blent avoir quelque principe du Mani-
cheifme. Ils reconnoiffent comme ces an-
-cieris heretiques un bon & un mauvais ef-
prit. Ils apellent le premier le Qurchema-
nitow, Celt le Dieu de profperite. C’eft
celui dont ils s'imaginent recevoir tous
les fecours de la vie, qui préfide dans
“tous les effers heureux de la nature. Le
‘WUatchimanitow au contraire eft le Dieu
‘f. tal. Is ladorent plus par crainte que par
‘famcur , Cz ils ne reffemblent pas mal anx
anciens Romains qui avoient éleve un
Temple a laFiévre , non pas pour le bien
quwils en recevoient , mais de‘peur du mal
qu elle leur pouvoit faire. Ces deux Efprits
felon la croyance de la pliinart, font le So-
Jeil & la Lune. I] ya de l’aparence qu’i/s
reconnoiffent le premier pour le Souve-
rain maitre de )’Univers : auffi quand ils
fe trouvent dans quelques: afflictions pu-
bliques , ils lui font des facrifices. 3
Les Chefs des familles s’affemblent
dés la pointe du jour chez quelqu’un des
principaux pour fasre fumer , & fumer ceux
meéme le Soleil. Le Chef allume le caly.
dome I. L
ia Aiftoire de. 4
le prefente par trois fois au Solgil
Coil & pendane quil le conduit avec
{es doux mains felon le cours. du Soleil,
julques & ace quilatrive au point oil a
commence , il lui fait l’aveu le plus foil.
mis, le plus re{pectueux , & le plus tous
| chant qui fe puifle faire, le fupliant d’¢-
tre favorable dans leurs entreprifes, &
Jui recommande toutes les familles ; en-
fuire le Chef fume un petit moment, &ce
donne le calumet aux autres quitoura cour
fament le Solewl jufques a la confomma-
tion du tabac , & a fon défaut ils fe fer-
vent de Sagacomi qui eft une herbe aflez
agreable a la bouche. ; a
Les Ouencbigonhelinis. qui habitent les
cotes dela mer fe trouvans dans quelque |
tempéte ont cette croyance que l’efprit de
la Lune fe-mer au fond de la.mer., qui
excite l’orage , & pour l’apaifer , ils lui
facrifient ce qu’ils ont de meillear dans
Je canot, jettans rout.ala mer, méme I¢
tabac, eftimans que c’elt le plus grand ho.
locautte qu ‘ils lui puiflent immoler, * Sa.
crifice méme femblable a celui que. fit’
Enée, lors qu'il prie conge d’Acefte pour »
faire voile en{uite vers le pais Eatin.y
5 tans procul in prora » pateram tenet » ex
taque falfas
Porricit in flactus, At vina liguentia fundit |
P Yaigile. Loe we 77%
~ \eaee | ii 4es
bab
“: om ~
re i
ry 0
oy, P Amerigive Septentrionale. ; #5 |
Un Sauvage de cette nation qui vint nous
yoit le 6. Seprembre'aprés le combat que —
nous avions foitenu contre leg Anglois le
jour auparavant , fe trouva dans aie con-
joncure tout. a- ‘fait facheufe, & sil a-
voit pu prévoir la fuire de me atrivée &
notre bord qui lui fut auffi funefte qua
nous, il fe feroit bien donné de garde dé
‘nous rendre vifite. Je lai vis faire des fa-
‘ctifices dans le temps d’une tempéte qui
nous fit faire naufrage. Il chantoit, &€
larmoyoit d’un ton de voix languiffane. Ik
fouffloit de temps en temps dans !’oreille
de fafemme . 5 parce que, difoit-il, fe veux
¢haffer le mativais efprit qui nous ens
vironne.
Faire fumér \e Soleil ne fe pratique guie4
fe que dans des occafions de grande con-
fequence ; & pout ce qui regarde leur
culte ordinaire . ils s adtreffent a leur AZ a-
piton, qui eft ptoprement leur Dieu tutes
Jaire. Ce Afanitow ef quelquefois un on-
gle de caftor le bout de la’corne d'un pied
de Caribou , une petite peau d’hermine.
"en vis une atrachée derriere le dos d’un
Efquinyan lorfque nous crions dans le de-
‘troit qu ‘il-né voulut jamais me donner ,
quoiqu il me traita generalement tous. les
habits dont il étoic vétu , un morceau de
dents de yache marine , de nageoire de
2
Tia. Hiftoive de a
loup marin , & la plipart recoivent des
Jongleurs ce AZ amtow qu’ils portent tot.
yours avec eux. i: ee
Le démon paroit s’étre emparé de l’ef-
prit de ces infortunez qui voulant {gavoir
Pévenement de quelques affaires, s’adref-
fent a leurs Fongleurs,qui font, fi je peux.
me fervic de ce terme, des Sorciers. La”
Jonglerie fe fait differemment. Elle fe.
fait de cette maniere parmi la pliipart des
Sauvages qui viennent faire la traite. Le.
Jongleur fait une cabane:en rond, faite
de perches extrémement enfoneces dans
Ja terre, entource de peaux de Caribou ow.
d'autres animaux ,avec une ouverture, et
haut affez large pour pafler un homme,
Le Jongleur qui s’y renferme tout feul,
chante, pleure, .sagite, fe tourmente ,
fait des invocations & des imprécations, a
peu prés comme la Sibille dont parle Vir-.
gile, qui pouflée de V'efprit d’Apollon ren~_
doit fes Oracles avec cette ‘meme fureur,
At Phebi nondum patiens,immaats in antroy
Bacchatur vates , magnum fi petlore pofftts
Excuffiffe Deum: tanto magis tlle fatigat »
Os rabidum 2 fera corda domans » fingutque
premendo. Vir. |. 6. v.77 Oc
Il fait au AZ atchimanitow \es. demandes
qu il fouhaite. ‘Celui- ci voulant donner
réponfe , l’on entend tout a. coup un bruit.
oF
£
I Amerique Septenttionale. Eg
7 cdi comme une roche qui tombe , z
“tOutes ces perches font agitces avec une
wiolence fi furprenante , que l’on croi-
- roit que tout eft renverfé. Le Jongleus
regoit ainft oracle : & certe sla se
_ qwils ont aux veritez qu'il prononce fou:
went, fone autant d’obftacles a tout ce
que l’on % leur reprocher fur la favfle |
erreur ou ils font : aufli fe donnent. ils de
garde , qu ‘aucun Frangois n’entre dans
ead sce ot fe. fait la Jouglerie.
La plus grande confolation que puifte
avoirun Pere'de famille eft davoir beaus—
coup de filles. Elles font le fotitien de la
maifon , au lieu: qwun Pere qui n’a que
des. garcons fe voit x la veille d’en étre
un jour abandonneé, lors qu'ils deviennent
grands. La chaffe erant la feule reflource .
de la plipart des Sauvages qui ne peu-
vent cultiver la terre qui eft fi fterile dans
tous ces pais-, faitdonc toute leur richefle.
Quoi que les Filles faflent tout le bon-
heur du Pere & de la Mere, elles n’en fone
quelquefois pas plus Su aalon fle ne ya
donnent point la permiffion de corifulter
leur inclination , & fi le coeur d’une Fille
fe trouve Sieh hier eint engage par un
amour reciproque aveeceluide fonamant,
& quil n’aitpas la reputation d’étre bots
ehafleur, | faut quelle en faffe un facrifice.
L 3
126 . > Sifoirdm
Lors qu’un jeune Sauvage feveut ma-
rier, il temoigne afon Pere qwila de l’e
ftime pour une telle. Celui-cila va de-
mauder en mariage, Si cela convient aux
parens, le Sauvage rend vifite a fa mai-
treffe l’efpace de cing a fix jours. I cou-
che dans la méme cabane , en prefence du
Pere & de la Mere, oi tout fe paffe avec
bien-feance. La Fille pleure fa virginité ,
& ne trouvant point quelquefois a fon
gré fon prétendu mari, verfe beaucoup de
Jarmes. Ses parens tachent de la confoler,
lui reprefentant que fon Amant eft un
rand Chafleur , ou quil eft d'une grande
Famille ; c’eft-a-dire qu’ila beaucoup de
patens , ce qui eft encore une conjoncture
des plus fortes pour faire une alliance ;,
parce que fi la mifere les artaquoit , ils
auroient recours dans leurs befoins aux
parens de leur Gendre. | :
La ceremonie du Mariage fe fait avec
peu de formalité. Les parens fe trouvent
de part & d’autre, & le jeune Sauvage dit
a fa maitrefle qu'il la prend pour fa fem
me. Celui-ci eft obligé de demeurer avec
le Beaupere, qui eft le maitre abfolu de la
chaffe , jufqu’a ce qu'il ait des enfans. 1
demeure ordinairement le refte de la vie
avec lui, a moins quil n’en regoive quel-
que chagrin; mais la politique du Pere de
| LP Amevique Septentrionale. 127
famille eft de ménager l’efprit de fon Gen
dre. Sila jeune mariée devient a la fuite
du temps fterile , fon marine fait point
_ difficulte de la quiter, fans qu'il enarrive
dautres inconveniens , & d’en prendre’
une autre. La Poligamie eft permife par-
mi ces Nations, ou elle ne pafle pas pour
unicas pendable. - i |
Les Sauvageffes font d’un temiperam=
ment fi robufte , que fi par hafard elles fe’
trouvent obligées de faire leur couche
»dans le tranfport de leurs cabanes , elles
fe repofent une heure ou deux, & enve~
lopent I’enfant dans une peau de caftor,,.
é& continuént leur voyage. TH faut qu’el-
les fe trouvent extremement accablées
pour refter un jour ou deux en chemin,
Jen vis une au Fort de Nelfon qui por-
toit fon filsderriere le dos dans fon ber-
c€eau. C’étoit une petite planche de bois:
de fapin fort minfe., affez grande & affez
large pour le contenir. H eroit emmail-
ote dans du caftor, fans beguin , nonob-
ftant que le froid etoit tout-a fait rude. IL
étoit parfaitement beau, & avoit un air
de fante admirable. :
La premiere fois qu’une Fille commen-
ee a fe fentir malade d’une maladie ordi-
naire a fon fexe , elle fe retire dais une
eabane l’efpace de trente jours, Ellefe
28 8 =O sfoire de
matache ier ce temps de] charbon 3
ou.de pierre noire: Une femme ou fa wok
re lui aporte a manger , & la laifle enfuite |
toute feule ; s’occupant a quelques petits
ouvrages particuliers pour fe defennuyer.
Si elle fe trouve en marche aupres: dan
Lac ou d'un Ruifleau glacé , ou elle auroit
envie de boire, elle fair un trou pour y
puifer del’eau, & metaux environs quel.
ques marques , qui font aflez connoitre —
ce qui en eft a ceux quivoudroient y boi-
re, & les paflans fe donnent bien de garde
a: boire aw méme endroit , qui felon leur-
maxime eft répuré fotiillé Be impur. Sivcets
te incommodité arrivoit a une femme;
elle garderoit la retraite jufqu’a ce que
fon infirmité fut paffée, & lors qu'elle re=
vient dans la cabanede la famille , elle e-
teint tous les feux qu alle y trouve par une
éfufion d'eau , & te rallume de nouveau.
_ Lorfque le Pere & la Mere nyeurent 5
Jes Enfans ow les plas proches brilent le |
cadavre. Ils envelopent les offemens
dans de l’écorce d’arbres qu’ils nyettent en
terre , & lui dreflenc un maufolée entou»
ré de perches aufquelles ils attachent du
tabac pour faire fumer Vefprit qui aura
foin d’eux en l’autre monde , avecdes ares
& des fléches pour continuér la chaffe , f
€eft un chaleur. -
(
EP Amerigue Septentrionale: 129)
Siun jeune enfant meurt, le Pere ow
la Mere coupe une partie de fes cheveux
dont ils font un petit paquet avec tout ce
_quils ont de plus beau & de plus précieux.
Ils en font une maniere de poupée quils
apellent le Tehspaye, & le mettent en un
endroit le plus aparent de la cabane. La
Mete porte le deiiil de cet enfant qui con-
filte en pleurs & en larmes fort ameres ,
qu'elle verfe le foir auprés du feu I’ efpace
de vingt jours, & lor{que leurs amis les
viennent voir , -elle leur fait le recit de fes’
douleurs, Le atte donne aufli. 160. fumer
A ceux-ci, qui pour le confoler dans leurs
affl; Sions leur font des prefens. Ce mari
‘ne manque point de faire des feftins , of
ils font obligez par droit & par bienfean-
cede tout manger , & ce Pere par un ef
pric de reconnoiffance de la part qails
prennent a fa douleur ne mange point ,
fe contentant de fumer,, ou s'il avoit Cains
il prendroit plurde d’autre viande que cel-
is qu'il. fert a fes amis.
. Rien n’eft plas fenfiblea an jeune Sau-
hae que V'efperance quil ade pouvoir.
devenir un jour grand chafleur. Lors qu'il
fe trouve aflez fort pour yaller, il s’y dif-
pofe par un jeiine de trois jours fans boire’
ni manger,fe matachant le vilage de noir,:
Ceft un facsifice qu'il croit étre oblig gé de:
wet oS Haste We
faire au Grand’ Efprit, & < pour le adie
.. plus pn abi ; il adopte. dans
chaque ‘efpece de bétes fanves un mor- *
¢eau qu il Tui sohtecle comme la langue
& le mufle. Ce ‘morceau s'apelle YOuer= _
chitagan , Celt a-dire morceau refervé ,
& il eft f précieux A ée Sauvage , que ,
quelque grande que puilfe € étre la famine
&& quelque difgrace quiil arrive , pérfon-
ne de la famille n’ofe y dotehe que le
chafleur méme , & les Etrangers qui le
viennent voir, Ils ont cette faufle croyan=
ce quils mouroient, s'ils en mangeoient.’
Martigni quia véecu quinze mois parmi | la
plupart de toutes les nations de ces pais ¥
voulut un jour manger de I’ Oilerchitagan
aun orignac. Des Sauvageffes {e jetterent
fur lauiy le priant avec la derniere inftance’
de ne te point faite ; mals , comme ik
trouvoit ; que ce morceau étoit allez dé-
licat , il paila outre & ’en mourut point.
Elles lui dirent qu’étant Frangois , elles ne
setonnerent point qu il nen far pas mort.
Quoique ces Sauvages donnént tout a leur
inclination naturelle , ils ne laiffent pas’ i
détre fort fobres quand ils le jugent a°
propos. Lorg qu ‘ils fe trrouvent dans la di-
feces ils prometrent au eratrd elprit que’ .
la premiere béte qu’ils tuéront , ils nent
mangeront pean quills nen ayent. fair
/
P Ameregue Septentrionale. gt
pa a quelqu’ un des plus confiderables i
de la nation , & il arrive qu’ils garderont
is quelquefois cette bére deux mois, jufques
ace quiils ayent trouvé une perfonne de
yemarque, scant feulement referyé les
pieds & les endroits les moins bons: fi
pendant cezemps, la béte venoita fe g4-
ter, ils la brulent pour en faire un Sacti-
‘fice. D’autres gui ne veulent rien offrit
—
>
au grand efprit fe mettant feuls aupres da
feu, prennent leur pipe, & Ia prefentenr
trois fois a leur Manitow , difent des
7 chants lugubres , font des lamentations
& lui recommandent leurs familles.
La droirure eft le partage de ces nations.
Sil yena de particulieres quiayent guer-
re les unes contre Jes autres , il faut qu'il
_yait eu de grands fujets de divorce, ce qui
rovient la plipart du temps pour les |
droits de chafle. :
Ces Peuples donnent tarement des Ba-
tailles en pleine campagne. Ils parteng
d'un fang froid de chez eux, fe cachene
dans des endroits ou ils jugent que leurs
ennemis doivent paffer. Lors quils tome
bent entre leurs mains ils leur enlevent
la chevelure. Ils. arrachent la peau qui
couvre le crane, & ils mettent autant de
pnarques fur eux qu ‘ils ont enlevé de chee
espures. Je vis trois Otsenebigonchelinis qui
332 Hiffowe de
avoient des plumes dOutardes attachées
_a leur bonet proche Voreille, qui €toient
les Trophees des victoires quiils avoient
genporttes fur leurs ennemis.
ils ignorent la Fourbetie , & le’ Met
o
fonge eit en horreur chez eux. Celui que
1 eat? econnoit tel eft repris publiquemenc,
-Ainfi la Verité, la Droiture & la Valeur i
font leurs trois “qualitez les plus effentiel-
Jes. Il s’enfuic qu’un Sauvage quia recon-—
nu la maifon d’un Caftor , peut s’afluree
-‘qu’unautre ne lui fera point i injuftice d’en
faire la pourfuite. Ils merttent aux envi-
ons de fa maifon quelques marques qui
donnent lieu decroire qu’elle eft déja re-
connué. Mais fi par hafard un Sauvage qui
pafleroit par la fe trouvoit fort preflé de
la fains , il lui eft permis de tuer le Caftor,
a Lanlteitioti d’en laiffer la peau & la quent,
qui eft le morceau le plus délicat. |
Je ne faurois vous parler, Monkeur, de
cet animal > qui fait toute la rhhette: de
ce pais , que je n’avoue en meme temps
que c ’eft celui de tous les animaux qui pa-
roit avoir le plus de raifonnement , & je
ne {gai ce qu’en penferoient les Cartefiens
Sils avoient vi l’adrefle avec laquelle il
bacie fa maifon, elle eft fi admirable que
Yon reconnoit ai lui Pautorité d’un mat-
ere abfolu, le veritable caractere d'un Pere
de
-
) Tonv.t. Pag. 192.
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| V Amerique Septentrionale. 138
de famille; 8& le genie d'un habile Archi-
aecte ; aufli les Sauvages difent que ceft
un efprit & non pas un animal. Il juge de
da longueur de l'Hiver , & il y pouryoie
‘avec route la p écaution poflible.
Les Caftors s’afflemblent plufeurs en-
femble, ordinairement neuf , & connoif-
fent labonté de leur érabliflement par ra-
port a la quanticé d’eau quils trouvent,
& ils ont aflez de penetration defpric, fa
je peux me fervir de ces termes, pour ar-
réter cours d’un propos deliberé a de pe-
tits torrens, dans l’aprelienfion ou ils pour-
-roient étre quiils ne tariffent ,ou qu’en fe
débordant leyrs maifons ne fullent ren-
—werfees. :
_ Lors qu'il s'agit de faire la charpente ,
il y a un Caftor qui commande & décide
de tout: c’eft lui qui eft le premier mo-
bile,& lors qued’arbre qu’ils coupent avec
leurs dents eft pret de tomber du céré of
4] le juge a propos , il fait un cri qui eft
un fignal a tous les autres d’en éviter la
chute. Le travail d’un Charpentier & |’a-
plication d’yn Maflon y font obfervez avec
Art. Les uns taillent les arbres, d’autres
font les fondations avec une force qu’en
monton ne pourrott faire entrer la piece de
bois avec plus de folidité, & les autres pre-
fant du limon avec leur queue, en fagon
Lome I. |
134 i Hiftoire de.
de truelle, en font le ciment des mural.
des , qui fe trouvent a lépreuve des ne
res du temps.
Leurs maifons font-faites de bois , de
joncs , & de boue, Elles ont reali cor fix”
a fept pieds hors la furface de l’eau. El-
les ont trois ou quatre etages. Les plan-
chers font faits de branches d’arbres grof-
fes comme le bras, dont ils bouchentle
wuide avec de la een & dela moutfle,
Ilya plufieurs paneaux pour: humeéter la
queue, car ces animaux font amphibies.
Cette HAA eft toujours d'une grande
propreté, Lorfque_ les eaux groffiflent ,
{ls montent a proportion a leur aparte-
ment. Leurs provifions qui font des écor-
ces.de bois de tremble font la plus grande
| partie au fond de l'eau , cout autour de lui,
quelquefois au dernier. éetage. Quand iT
batiffencfurles rivieres , elles font un de-
mi-cercle afin de rompre le fil de l’eau ,
: & lorfqu’ ils le font dans des lacs, elles fone
en rond, & elles n'ont aucune entree ni
fortie par dehors.
Les Caftors s’établiffene hdinaibenbid
fur les rivieres , les-lacs , & les ruiffeaux.
Les Sauvages voulant bag? prendre dans les
rivieres , examinent a peu pres la quantité
de forties quils ont; car ceft un fet de
Ja fubtilice du Calor, Hs cospent la glace, .
P Amerique Septentrionale. 13
afin que l’eau ait fon cours , quils entou-
rent de perches & de picux ‘pout les em-
écher de pafler outre , & laiflent au mi-
fieu un filet de peaux rie quelques bétes
fauves au lieu. de chanvre. _
| Quand les Cattors ne paflent point par
h, ils jugent qu’ils ont des trous fous ter-
re, & pour les connoitre ils frapent en
certains endroits de la glace qui puillent
rendre un fon clair, auffi-ror ils y font un
creux, & lecnalteas au mouvement de
Teau que le Caftor fait agirer par faref-
piration quil nen eft pas ‘éloigné ; >a peu
pres comme le mouvement de petites ons
des qu exciteroit une petite pierre que l’on
jetteroit dans un étang. Le Sauvage drefle
des pieux aux environs de cette ‘aebase
chure un peu au large pour lui faciliter le
paflage, & y met. deux petites bucheres
de bois qu'il faut de neceflité que ce petis
mouvement d’ean fafle agiter : & lor{que
Ie Caftor y arrive, le Sauvage le prend
par la pate de detriere ou pat la queue ,
& Venleve fur la glace ow il luicaffe latére,
Si les Sauvages veulent les prendre dans
les lacs, ils entourent des filets un peu au
long leors maifons ordinaires , & vont ra-
fer celle de la campagne qui elt environ a
quatre cens pas, car ceux qui habirent les
lacs en ont , celles-ci ne font. point rem=
M 2
136 Fiiftoire de :
plies de provifions comme les autres. El-
les ne leur fervent pour ainfi dire, que’
pour s’¢gaier, & prendre le bain. avec
plus de tranquilité. La maifon de campa-
gne ctane done abarué, les Sauvages y’
jettent quantité de pouffiere de bois pouri
pour les offufquer lorfqwils voudroient
s‘enfuir par ce paflage. Cette deftruction:
érant faite, les Sauvages ravagent la pres
miere maifon , d’otr les Caftors: veulent’
les uns fe fauver, & s’°embaraffent dans les
filets qui font déja tendus, & les autres
éroyant trouver un plus grand afile, sen:
fuyenct a leur maifon de campagne ot ils
fubiflent le méme fort.
Enfin lorfque les Sauvages veulent les:
prendre dans le ruifleau , ils détruifen.
leurs chauffées pour les deflecher. Le Ca-
Ror croyant que la violence de l’eaurompt
fa digue, veut y donner fecours ;. pour
lors les Sauvages les tuent a coups de:
dards & de ficches.
L’ufage du Caftor eft confiderable en
Europe, principalement chez les Etran-
gers. Je trouve huit efpeces qui fe regoi+
vent au Bureau de la Forme. |
La premiere eft le Caftor gras d’Hiver ,
e’eft-a-dire Caftor tué pendant le cours de
VHiver, quia été mis en robes & porte un
nombre de temps fuffifant par les Sauva-
LP Amerrque Septentrionge. 137
“ges pour Pengraifler. C’eft la meilleure
qualite, & elle fe payoit _ livres cing
fols la livre.
» Le gras d’Eré eft celui qui fe tué pens
dant Ete, que l'on metaufii en robes, &
que l’on engrailfe : a force de porter don)
me le précedenr , il valoit deux livres
quinze fols la bike res
Le fec d’Hiver & le bardeau font de
-méme nature, & valoient cgalement trois
livres dix fols; mais la difference en eft
que le bardeau eft bien d’un plus gros cuir
que le fec d’Hiver, par confequent coute
moins & ne taporte pas tant de profit al
Chapelier , parce qu ‘ila moins de duvet.
Le fec @Eté valoit une livre quinze fols
Ja livre; mais il a été rejetre des Receptes,
ne sialatht 4 peepacrent parler aucune
chofe. |
~ Le veile eft du Caftor qui apres. avoit
été mis en robe quelque temps par les
Sauvages eft a demi engraifle. Ainfi il n'a
pas la méme qqulacine que le gras d'Hiver, ~
eeft-a-dire qu'il ne lie pas fi bien. I valoit
quatre livres dix fols.
Le Mofcovite eft Caftor fec,d’un cuir fin
-& couvert tout par tout d’une grande foye.
Celui-la s'envoye en Mofcovie oti les peu-
ples de ces quartiers l’'acheptent pour faire
ges Tapillerics & autres ouvrages a leur
| ME 3
ES yp WT efowre daw
ufage. Pour cet effet ils le peignent avee
certaines grattes quils ont, & en orent
tout le duvet, & ne refte fur la peau que
cette gtande foye. Cela eft confiderable
chez eux. Il valoit au Bureau quatre livres
dix fols., «. | Lae
Les rognures & les mitaines font des
morceaux que l’on ote des robes grafles
pour les tailler a fa commoditeé, & les mi-
taines font effectivement des mitaines
que les Sauvages font pour fe garantir du _
froid, qui s’engraiffent a force d'etre por-
tces. On les prenoit fur le pied d'une livre
quinze fols la livre.
C’eft trop abufer de vos bontez , &
vous me perimettrez de vous allurer que
je {uis avec paflion ,
MONSIEUR,
/
ae
Votre tres-humble, &c,
| V Amerique Septentrionale. 39
PELESPRALEPEEPOLES:
VI. LETTRE
L’origine des établiffemens du Nord de
Canada > dite Baye d Hudfon, avec les
differens mouvemens gui fe font paffex
entre les Francas & les Anglois.
f
M ONSIEUR,
Jai pour vous tes mémes fentimens:
que jai , & que jaurai toujours pour
Monfieur le Marquis de Pomereuil * votre
parent.. La reception que vous m/avez
faite a la Cour a été fi gracieufe, que je
me croi oblige de répondre a toutes vos
Honnétetez par un trait d’Hiftoire qui re-
garde l’etabliflement du Nord du Cana-
da. Vous y remarquerez , Monficur , plu-
fieurs €venemens finguliers. Penetrer dans
un pais fi éloigné par tant de peines, de
fatigues , & d’embarras : y briller avec
autant d’éclat , vous avodrez, Monfieur ,
que quand il s‘agit de la gloire du Roi,
* Meffieurs de Livri & de Pomerewil font Coufins -
Germains,y Me SOG | a
T4.0 Hiftoire de’ ,
l’on franchit avec ardeur quelques obfta-
cles qui puiflents’y opofer.
Ce feroit, Monfieur, une trés- onde
difcuffion , G ie" ocala aprofondir lori- —
gine de Véabl iffement du Canada. I] me
faudroit pour cet effet recevoir a quan=
tite de relations & aux avenues du Con-
feil fouverain de Quebec.
Mais pour éviter cet enchainement de
traits d’Hiftoire ,j¢ me coritenterai de vous.
dire, Monfieur , que Jacques Cartier Pi-
lote de faint Malo , vilita en 153.4, toutes
les cotes de ce vatte pais, & que fix ans
apres il hiverna avec Roberval Gentil-
homme de Picardie ,a dix lieu¢s au deflus.
de Quebec, gui eft encore connuc fous
fon nom. Er pour ne pas entrer dans tous
les mouvemens que l'on fit en 1524. pat.
le Commandement & aux dépens de Fran-
gois I. le long de Ja Caroline, la Virgi-'
nie & la Flovide , que les Anglois ufurpe-.
rent pendant les troubles gui croient a-:
lors en France, s’étant emparez dans la
fuite de la cére ae l’Acadie.
Pour ne pas entrer, dis je, dans ces«
circonftances qui regardent le Sud du Ca-
nada 5 je veux m’attacher leon adaneca an
en découvrir le Nord, -
Alphonfe natif de Xaintonge voulam
poufler fa découverte plus loin que Care
l’ Amerique Septentrioncle, Li
fier. Tl courut en 1545. la céte du Nord ;
mais Jean. Bourdon penetra encore plus:
loin ; car cOtoyant en 1656 avec un bAti-
ipienc’ de 30 tonneaux toute la céte de
Eaborador ,. ifentra dans un détroit, 8¢
arriva au fond: dela Baye, aprés avoir ‘fait
un circuit de fept 2 a huit cens lieués par
met , qui n’eft cependant qua 130. de’
Quebec par terre, qui fur nommée dans
la fuite Baye d’ Hudfon par les Anglois..
Jean Bourdon lia donc commerce avec
les Sauvages de ce quattier. Ceux-ci {¢a-
ehane quil y avoit une Nation étrangere’
dans leur voifinage , envoierent en 1664.
par les terres a Qirebec des Députez aux: |
Francois pour faire un commerce, & de-
manderent un Miflionnaire au Wicomew
-d’Argenfon qui en etoit pour lors Gouver-
neur. Il leur envoia le Pere Dablon Jefui-
te ,avec Mr. dela Valliere Gentilhomme’
de Normandie , accompagné de Denis’
Guyon ,. Defprez Couture ,. & Francois:
Pelletier, qui sy rendirent par terre. Des:
Seca dela riviere de Saguenée , qui’
fe perd a , 40. lieués de Quebec, Tans le’
fleuve faint Laurent leur fervoient de gui-
des ; mais la reflexion qu'ils firent en che-
min “Faifient fur l’entreprife des Frangois*
Teur parut préjadiciable. Aprés les fe-
sieufes reflexions qu’ils. firent fur ce fujet ,.
raz Fliftoivé de. ya!
iis dirent que ne fgachant pas bien fes-
¢hemins ils n’ofoient fe hafarder davantas
ge a les conduire.: Ils furent contraints'
de sen revenir. | YT
Les Sauvages de la Baye renvoierent a!
Quebec en 1663. & prierent Mr. d’ Avan~
gour qui en étoit Gouverneur, de leur.
donner encore des Frangois. Il y renvoya:
Ja Couture avec cing hommes, lequel en:
vertu de l’ordre de fon General, s’y tranf-_
porta par les terres ,.& étant arrive a la
Baye il en prit pofleflion. Il prit hauteur
pour cer ¢fer aun endroit- ou il planta une
Croix. Il mit en terre au pied d’un gros:
arbre les: armes du Roi, gravées fur du
Cuivre’, envelopées entre deux plaques’
de plomb , & de l’ecorce par deflus.
Def{grozeliers & Radiflon habitans de
Canada fe formerent des idées aflez chi-
meriques fur la poffeflion de’ quelques
endroits de cette Baye; mais voyant qu ils.
n’étoient pas en état de fotitenir une dé-
penfe fi confiderable , ils paflerent a Ba-
fton, & de la a. Londres ot ils firent- des:
propofitions d’établiflement. hiar
Les Anglois les ¢coutant volontiers
fans fe mettre en peine des mécontente-
mens qu’ils avoient eis a Quebec, y are
Fiverent avec eux a la riviere qui prend
fon nom du lac de Nemifco, qui eft. aw
V Amerique Se evict! i
fond de la Baye quiils apellerent Ruperc,
du nom du Prince Robert. Ce premier
ojet les engagea de s’établir enfuite a
Montgi & a Kichichotianne. ;
L’on neut point de. connoiflance 4 a Que-
bec de l’entreprife & du fuccés des Def.
- grozeliers & de Radiffon.Les Anglois de-
meurerent les maitres de ces quartiers
pendant quelque temps, jufques ace que
don en eut avis a la Cour de France. Mr.
@olbert qui s’attachoit beaucoup 4 2 Vaug-
mentation des Colonies é écrivit a Mr. du
Chéneau Intendant du Canada, une lettre
datée du 15. Mai.1678. par laque elle il lui
mandoir, qu'il étoit avantageux au fervi-
ce du Roi Waller vers la Baye d’Hudfon
pour en pouvoir contefter la propriete aux
‘Anglois qui pretendoicrte’ sen mettre en
poflef on,
Defgrozeliers & Radiffon s’etant répen-
Ais Wane la fuite des faulles démarches que
als avoient faites revinrent en. France, &
ayant obrenu feur pardon de Sa Majelté
tepaflerent en Canada.
La Colonie commengant a devenir un
peu confiderable , il fe forma une com-
| pagnie pour la. Baye. Defgrozeliers & Ra.
‘diflon eurent le Sayin teineric de deux
petits batimens pour ces pais. Ils arrive-
senta la riviere de Penechioiietchiou dite
tA | Eliftorre de. .
dainte Therefe qui eft au.s57. d. 30. m.
dat. Nord, ot ils batirent un petit Fort. If
arriva trois jours aprés une barque de
Bafton , montée de dix hommes que les
‘Frangois recurent comme amis, lefquels
fe ovirent dans la riviere dePoaotirinagaou
dite Bourbon, qui eft a fept lieves de l’au-
are, & quatre autres jours apres l’on vit
paroitre au bas de Bourbon un vaifleau de
Londres de quatre-vingt hommes, Ceux
de Bafton qui €toient venus en Jaterlops
dans la Baye furceux de la méme nation,
aprehendant d’étre pris fe mirent fous la
protection des notres.
~ Les Anglois du vaifleau de Londres
_ prétendoient faire décente a terre, & ¥
prendre poffeffion de quelqu’endroit. Ceux
du Fort s’y oppoferent, & fur ces conte-
ftes les glaces heurterent fi rudement l’An-
glois qu’elles couperent fes.cables, l’em-
porterent au large, & fit naufrage avec
quatorze hommes. Une partie de l’equi-
page s ctant fauvé a terre dans des chalou-
pes implora le {ecours des Frangois. L’on
eut pitié d’eux. On leur donna méme une
grande barque & des vivres, & ils firent
voile vers le fond de la Baye.
Defgrozeliers & Radiflon ayant fait la
traite avec les Sauvages, laiflerent huit
hommes feulement au Fort pour la conti-
mh nucr
4
iP Amerique Septentrionale. t4f
fucr jufques a l’annce fuivante. Ils em-
menerentl’Interlop Anglois a Quebec que
Mr. de la Barre Gouverneur renvoya fans
Te confifquer. Defgrozeliers & Radiffon
ne furent pas contens de leurs affociez.Le
chagrin les prit , & ils vinrenta Paris. Mi-
ord Prefton Ambaffladeur d’Angleterre,
fet qu’ils y éroient. Il fe fervit de toutes
fortes de moyens pour les atirer encore a
Londres. Il promit a Godet l’un de fes
domeftiques de le faire nommer Secre-
taire perpetuel de l’Ambaflade , pourvit
qv il engagea Radiflon dans fon parti ; 8
pour y réiiffir plus facilement Godet pro-
mit de lui donner fa fille en mariage,
wil époufa.
_ L’ambition commengant a s’emparer
de fon ceur, il voulut profiter de la bon-
ne opinion que l’on concevoit de fon meri-
te. Aprés tous les agrémens qu'il eut en
Angleterre , & la polfeflion du Fort de
Nelfon, dit Bourbon, qu'on luiaccorda,
il les afldra qu’il les en rendroit maitres.
Il n’edt pas de peine ay reiifir, puifqu’il
avoit laiffé Chouard fon neveu, fils de
Defgrozeliers.
La retraite de ces deux perfides obligea
les aflociez de prendre d autres mefures.
Elle voulut continuer fon commerce, &
lle y envoia l'année {uivanre deux petits
be Tome I, N
14.6 Firftowre de i
batimens. Mr. de la Martiniere qui les
commandoit fut bien furpris en arrivane
d’une pareille metamorphole ; & voyant
que les Anglois s’en ¢toient seaichis mai--
tres , il fut contraint d’entrer dans la ri-
wiere de Matlcifipi , dite la Gargoufle, qui
eft tout vis a-vis le Fort de Bourbon. U
y hiverna dix mois , & apres avoir fait
une stag fort rpeiliaaien avec les Sauvages
il fit voile pour Quebec le 16, Juillet. Il
ropofa a douze de fes gens de refter avec
fi A trois lieués aude(lus des ‘Anglois, dans
une Ifle ou le Gardeur avoit hiverné. El.
Je éroit fortifiée d’elle.méme , efcarpée ,
& acceflible que par un petic endroit, d’out
Von pouvoit empécher fans peine labord
des canots , & il y avoit un marais im pra-
gicableal’ entour. Lachalfe y eut été abon-
dante , & le bois pour fe chaufer n’y man-
quoit pas. Mr. de la Martiniere ent beau
reprefenter toutes ces raifons , perfonne
ne voulut y confentir dans Vapprehenfion
ot ils étoient de manquer de vivres , &
que l'année {»ivante on ne vint point leur
donner du fecours , ce qui arriva effecti-
vement. Tant d’ obftacles Yobligerent de
mettre le feu a fon Fort & de s’en retoure
ner a Quebec. H pric dans fa traverfée
une Quaiche Angloife z a la cote de Labo.
gador, qui venoit a la Baye , & il eut pri
: P Amerigue Septentrionale. i479
€ncore un autre batimenr, s'il ne s’éroie
trouve foible d'équipage qui avoir le
_ La nouvelle de ’ufurpation du Fort de
Bourbon ne laifla pas de toucher fenfible--
ment la Compagnie. La perte quelle fai-
foit montoit atrois‘cens mil livres, & elle
voulut en avoir encore raifon.
Les affociez aiant remontré trés- hum.
blement a Sa Majelté l’injuttice que les
Anglois leur faifoient , obzinrent en pro-
pre la pleine joiiiflance de la riviere fainte
Therefe par un Arrét du Confeil du vinge
May 16835. . a |
- Le Chevalier de Troyes Capitaine d’In-
fanterie 2 Quebec vine donc par rerre
Pannée fuivante avec fainte Helene, d’I-+
berville & Maricour , trois freres Cana-
diens {uivis de plufieurs autres,dans le def-
fein de faire la conquéte des forts de Mon-
foi, Rupert , & Kichichouanne, Le Pere
Silvie Jefuite, Miffionnaire d’un merice
confommé, voulut bien y venir.
Ils’ partirent de Montreal au mois de
Mars 1686 , trainerent & porterent fur
le dos leurs canots avec leurs vivres une
bonne partie du chemin dans le bois , of
ils trouverent les rivieres qui avoient cha-
ri¢es, Cette marche dura jufques au vingt
Juin, acompagnée de beaucoup de fat
2
7
148 Hiftoire de
sues, & il falloic étre Canadien pour fus
porter les incommoditez d’une fi longue
fraverfe, |
Ils arriverent au nombre de quatre-
ye,
|
|
rel
vingt-deux vers Monfipi qui eft au fond —
dela Baye,au si. d. 17. min. latitude
Nord. Lorfque ce Capitaine s’en vit pro
che, il prit toutes les precautions d’un has
bile homme:mais pour vous donner une
idee jufte de la maniere avec laquelle il fiz
Jes attaques de ce Fort, je croi Monfieur ©
qu'il faut auparavant vous en décrire fe
lan. | }
II ctoit de figure quarée, a trente pas dw
bord d’une riviere fur une petite hauteur |
relevé de grofles paliffades de dix-fert a
dix-huit pieds , flanqué de quatre baftions
revétus en dedans de Madriers ,avec une
terrafle d'un pied d’épaiffeur. » |
Il y avoit dans chaque baftion qui re-
gardoit Ja riviete , trois pieces de canon
de fix a fepr livres de bale, & deux dans
les deux autres qui regardoient un defere
de vingt arpens. Une grande porte au mis
© e e e
lieu de la courtine, épaiffe d’un demi-pied,
earnie de gros clous, de pentures & de
barres de fer par derriere, faifoit face a
la riviere, & une autre du coré du defert.
‘L’on voioit au milieu de la Place une re-
doute batie de piece fur piece de trente
LP Amerique S epteatrionale. 49
- pieds de long du. coté de la riviere fur
vingt. huit de large , haut de trente pieds
A trois étages avec un parapet tout autour
fur lequel il y avoit a chaque face quatre
-embrafures , & fur le haut de la redoute ,
trois pieces site deux livres & une petit
de huit de fonre.
Le Chevalier de Troyes ayant examine
Jes dehors fit en méme temps tin détache-
ment pour garder tous les canots. L’on en
emmena deux qui étoient chargez de Ma-
driers , piques , pioches , pelles, gabions,
'& d’ wn belier.
Sainte Helene & d’Iberville farent hom.
- mez pout l’ataque des deux flancs qui dé-
- fendoient la courtine du bois La Liberté
ge devoit faire une faufle attaque ,
& placer trois hommes a chaque flanc,
qui défend la courtine de main droite ,
avec ordre que l'un des trois couperoit la
paliflade , & que les deux autres tireroient
dans les embrafures au moment qu ‘ils
apercevroient remucr le canon. |
Le Chevalier de Troyes qui s’étoit ré-
- fervé la principale attaque , fit trois déta-
chemens commahdez phsetii par un Ser-
gent, Deux devoient fe jetter a chaque
flanc, & le troifiéme avoit ordre d’enfon-
eer la porte avec le belier, Tous ces déra-
chemens étant donc reglez par fa fage
N 3
156 Fiiftoive de Ate |
eonduire. Sainte Helene & d'Iberville ar-
riverent a un battion otiils firent lier deux
pieces de canon par la voléee, & attache-
rent le bout de la. corde a une fourche pour
empécher qu’ils ne fe maniaffent, & encas
que les affiegez euflent voulu y mettre le
feu, ils y avoient fait acommoder de gros
e€ordages , de maniere que leffort des
eoups de canon auroit arrache la moitié
d'une paliflade. E’on fe fervit de ce ftra-
tageme dans tous les endroits oui il paroif-
foit du canon. Sainte Helene & d’Iberville
fuivis de cing ou fix autres fe trouvtan les
plus. alertes , efcaladerent la paliflade ,.,
euvrirent la porte du bois qui n’etoit point
fermée a clef, & gagnerent la porte de la
redoute pour la brifer. Nos gens tirerent
- malbheureufement fur eux du coré de la ri-
viere par de petites ouvertures , en bleffe-
rent un, croyans quils étoient Anglois.
Le belier arriva fur ces entrefaites devant
Ja grande porte, lequel fit fon effet. Le
chevalier de Troyes fe jetta aufli-tét dans
Je corps de la Place , & fit faire feu dans
roures les embrafures & les meurtrieres de
la redoute. Cette faillie fut accompagnée,
Monfieur , de tousles eris de guerre a |’I-
roqueife, L’on propofa bon quartier aux
afficgez, mais il parut un Anglois qui ré-
pondit avec allez de temerite quils you~
P Amerigue Septestrionale. sr
Ioient fe batre, & dans le moment quil
“pointa une piece de canon; fainte Helene
ui cafla la téte d’un coup de fufil. L’on
-aprocha le belier aupres de la porte de la.
redoute qui la démonta. D’Iberville epee
ala main, & fon fufil de Vautre fe jetta
dedans; mais , comme elle tenoit encore
aune penture , un Anglois quis ctoit trou-
vé derriere la referma. D’Iberville qui ne
-voyoit ni ciel ni terre fe trouva aflez em.
baraflé. Il entendit du monde qui décen-
doit d’un efcalier , il tira deflus. On le
fecourut ala hate , car le belier ayant fait
un dernier effort , nos gens entrerent en
foule l’épée a la main, & trouverent les
Anglois nuds en chemifes qui ne s eroient
point apercus des premiers mouvemens
que l’on avoit fait auparavant que d’atta-
quer leur Fort.. |
_ Cette premiere expedition érant faite,,.
Je chevalier de Troyes réfolut de pafler
outre. I] étoir en fufpens, sil iroit a Ru-
pert, cu aKichichouanne. I] avoir apris
qu'un batiment éroit parti la veille de fon
arriyée a Monfipi pour Rupert, qui au-
roit augmenté leur force. Il faloit faire
guarante lieucs le long de Ja mer pour
s'y rendre. Les chemins en ¢toient tres-
difhiciles ; au lieu quil n'y en avoir que
frente pour Kichichotianne, Il {gavoit que
N
1s2 Hiftoire de |
lon ne faifoit point de garde au premier ,
& que dans l'autre elle s’y obfervoit fort
-regulierement ; mais l’attaque de l'un lui
paroiffoit plus difficile, parce que ce vail-
feau ne manqueroit pasde motiller about
touchant du Fort; ainfi, qu’il feroit obli-
ge de le couler a fond pour fe faciliter
quelques ouvertures favorables. Toutes:
ces circonftances ne laifferent pas de l’em-
baraffer. Il fe determina a la fin d’aller a
Rupert. L’on conftruifit une chaloupe
pour embarquer deux petites pieces de ca-
nons. Les préparatifs €tant done faits, ils
partirent le vingt-cing Juin au nombre
de foixante & arriverent devant Rupert
le premier Juillet. Sainte Helene eut or-
dre de faire la découverte de fa fituation.
I] raporta que le Fort étoit un quaré long,
flanqué de quatre baftions,n’y ayant point
de canon, qu'il y avoit une redoute de-
dans qui n’étoit pas tout-a-fait au milieu
dela Place, de pareille conftrudction que
celle de Monfipi,a la réferve qu'elle etoit
couverte d'un toit plat fans parapet, quil
y avoit une échelle contre le toit pour du
feu , que la redoute avoit quatre petits ba-
{tions ¢levez deterre de la hauteur d’hom-
me,n’étant fodtenus d’aucun pillier, mais
feulement de picces de bois qui fortoient
hors de la redoute ,-& qu'il paroifloit au.
‘ T Amerique Septentrionales 153
deus huit pieces de canon. Cette décou-
verte ne laiffa pas d’étre faire a propos.
. L’on fit des affuts aux canons. L’on
prépara toutes les grenades. L’on fit fai-
re des Madriers pour attacher le Mineur,
Quatorze hommes d’élice fodtenus par
“@ Iberville avoient pour partage le vaif-
feau. Un Sergent avec un détachement
‘devoit fe tenir en embulcade pour faire
feu fur ceux qui paroitroient fur le pont,
& fainte Helene avec fes gens devoit fai=
re enfoncer la porte du Pare avec le belier,
L’on étoit pres d'un coté pour faire agir le
‘canon, & de l’autre un Grenadier devoir
ahonter & une échelle. Is arriverent en
bon ordre la nuit du trois au pied du Fort,
ou le chevalier de Troyes fir faire alte.
D’Iberville & Maricour rangerent dans le
‘moment le vaifleau a petites rames. Ils
trouverenr un Anglois envelope dans fa
couverture deflus le pont qui ens’éveillane
voulut fe mettre fur la défenfive , & on ne
lui en donna gueres le temps. D’Iberville
frappa du pied pour réveiller les autres ,
comme eceft Pulage dans les 4 aed
Lorfqu'il faut quiun équipage fe leve
quand il arrive quelque chofe d’extraor-
dinaire. L’un qui vouloit pafler la rére’
au deffus de l’échelle pour voir dequoi il
étoir queftion , regnt un coup de fabre par
iva... | Hiftoive dé
le milieu de la téte; un autre qui avoit’
monté de l’avant petit de méme. L’on’
forga la chambre a coups de haches , &
Yon fit main baffe pat tout. On leur
donna quartier, principalement a Bri~
gueur Gouverneur de Monfipi qui venoit
relever celui de Kichichouanne, 8 qui
avoit de plus la qualité de general de la’
Baye d’Hudfon: -
Pour ce’ qui eft du Chevalier de Troyedl
fon belier enfonga fans peine la porte dw
Fort dans lequel ils entrerent tous Pepée
a la main. Ee Grenadier gagna auffi-tdt le’
haut de la redoute. Il jetta force Grenades
dans le tuyau de la cheminée d’un pocle
qui prenoit du haut en bas au milieu de la
fedoute. Tout creva. Iln 'y eut pas’ moien
de fe tenir dans cet endroit. Une femme’
qui entendoit faire des’ trous au deffus du’
plancher de fa chambre crit étre plus en
fureré dans un autre. Un éclar de grenade’
la frapa en fe fauvant. Tous les‘Canadiens’
faifoient un feu continuel dans toutes les’
embrafures & les meurtrieres. C’étoit ut
defordre effroyabl edans‘cette place. Dans’
le temps qu’on y ‘dreffa au’ milies une bat
terie pout détruire la redoute , le belier
fit ce qu'il par pour renverfer la porte. Le
canon fupléa a fon defaut; mais ce qui
étoit encore de plus’ arnbaia lade i sks les |
|
V Amerique Septentrionale. Is §
affiegez, c’eft que le Mineur avoittout dif-
er. & n/attendoit plus que l’ordre pour
faire fauter la redoute.Les Anglois. voyant
qu ‘il n’ y avoit plus moyen de refilter , de-
manderent heureufement quartier, On
mit tous les prifonniers dans un Yacq qui
€toit échoiié un peu loin du Fort. L’on fir
fauter enfuite la redoute, & couper te
paliffade , parce qu'il cat fallu trop de
monde pour la garde de ce lieu. Sainte
Helene & d’Iberville y rzefterent.:. Le.
Chevalier de Troyes ayant donné ordre
gue l’on radouba le Yacq, fe mit en ca-
nots avec une partie de fon monde pour
retourner a Monfipi. Il y trouva la prife
qui ctoit arrivce devant lui. Il fir mettre
des prifonniers de Rupert de l'autre bord
de la riviere de Monfipi avec des vivres ,
des filets pour pécher , deux fulils , de 4
poudre & du plomb : défenfe 2 a ae fous
peine de la vie de paffer outre ; & que, fi
par hafard ils avoient quelque chofe d’‘im-
portance a communiquer aux Frangois, ils
pouvoient venir de marée bafle fur une
‘bature de fable avec deux hommes feule-
ment,qui mettroient un mouchoir au bout
dun baton pour fignal, Le Chevalier de
Troyes voyant que tout lui avoit réiilfi
jufques- la voular terminer fes attaques
pat le Fort de Kichichouanne. Il pria le
6 sib il de
pere Silvie de vouloir ly accompagner >
lequel etoit refté a Monfipi, lorfqu’il alle
a Rupert.
Les chemins n’étoient gueres pratica-
bles pour s’y rendre. Perfonne ne favoit
au jufte fa fituation. Toute cette cote eft
aan Platin peu navigable, On éroit con.
‘traine de doubler des pointes de bature a
trois lieues au large. Lors que la marée
étoit baile il faloit porter tout fon bagage
& fes canots. a une lieu¢ au loin. Quand
elle éroit haute l’on fe trouvoit engage
dans des glaces. Parmi toutes ces di flicul-
tez l'on ne pouvoit encore trouver cet en-
droit. Des Sauvages qui s’étoient flatez
de le bien connoitre ne favoient of ils en
étoient. Ils avoient cependant fujer de
bien conduire la Troupe, cat les mécon-
tentemens qu'ils avoient etis des Anglois
leur infpiroient trop de reflentiment | pour,
en demeurer-la. L’on entendit dans ce
contre-temps fept a huit coups de canon.
C’en fut affez pour jes aie tenter d’y ar-
river, & l’on jugea bien e il y avoit quele
gue réjotliflance, |
On arriva , Monfieur, 4 un endroit off
il y avoit bite maniere d’ Eftrapade 2 a deux
lieues du Fort, auhaut de laquelle ¢toit
un fiege pour pofer t un Sentinelle, oui les
Angleis venoient de Seiips en temps a la
decou-
P Amerique S ssa sulle sy
Aécouveste de. leurs vaifleaux. Saint He-
lene alla encore reconnoitre V’affiete de
) Ja Place. D’Iberville arriva fur ces entre-
faites avec fa barque a lembouchure de
Ja riviere , avec tous les Pavillons de la
Compagnie d'Angleterre , ayant ed bicn
de la peine de fe tirer des glaces.
Le Fort étant reconnu le Chevalier de
Troyes fe rendit proche. Comme il ne
trouvoit point de poltes avantageux pout
drefler fes batteries, tl crut qu’en envo-
vant fommer de. prime abord le Gouver.. -
neut » qu “il favoit n€tre pas homme de
guerre, cela pourroit l’ébranler, qui d’ ail-
leurs n’ignoroit point la reddition. de Mon-
fipi & de Rupert. Il prit prétexte outre
cela qu’ayant arrété i y avoir du temps
trois Francois qu'il avoit méme fort mal-
traitez, il vouloit les ravoir, faute dequoi
il.fe Aes maitre de {a Place Ce Gou-
verneur recut fort civilement ceux qui
avoient été envoyez le fommer , ne par-
Jant n’ y de la rendre,n’y de fe battre, Le
Chevalier de Troyes jugea bien quil y
avoit de la foibleffe en fon fait.
Tl falut cependant travailler de ‘ite x
faire une batterie. Le Fort etoit a quaran-
te pas du bord de l'eau, dans un terrain
marccageux , entouré d’ io foflé ruiné, fe-
pare de la batterie des Canadiens par ug
Tome I, {
*
rso : |-Hiftoire de )
ruiffeau d'une portée de fufil. I] y avoit
un grand corps de logis de piece fur pie-
ce , qui fervoit de cloture a une Courtine
de. ciiquante pieds, laquelle faifoir face a
Ja riviere of demeuroit la garnifon , celle
gui regardoit le bois étoit de méme manie-
re, 6c les deux autres croient de 42. pieds,
ae quatre Battions étoient aufli de piece
fur piece de dix-huit pieds de haut,dont les
flancs étoient de quatre & huit pouces,
les faces étant de vingt-deux & demie. Ils
avoient une plate forme pat deffus , fur
laquelle ily avoit quatre pieces de canon
a chaque baftion, & vingt-cinq dans les
flancs mifes par étage. Il y en avoit deux
autres au milieu de la Place ,, vis-a-vis
les portes.
Le batiment entra haneebeeene dans
la riviere. L’on débarqua le vingt trois
Juill et dix pieces de canon pendant la
nuit. On les poinca enfuite fur la chambre
du Gouverneur. L’on fit feu dans le temps
quil paroiffoit fort cranquille avec fa fa-
mille, L’éfet du canon ne laifla pas de mete
tre tout fans deflus deffons, fans quiily
eut neanmoins perfonne | bieté ” ‘endroit
n’éroit donc pas tenable , le refte-du Fort
le fut encore moins dae la f{uite. La ba-:
gerie €toit cachée dans un bois. far une
hauteur qu ul commandoit , & le canon | en
4
_ PAmerique Septentrionale. Iss
fat fi bien fervi qu’en moins de cing quarts’
dheures l’on tira plus de cent quarante
volées, quicriblerent tout le Fort. Les
Canadiens voyant que cout alloit bien fe
mirent a crier vive le Roi, L’on entendi¢
en méme temps du Fort des voix fombres
qui en firent autant. I] eft vrai que les Af-
fiegez sctoient tous renfermez dans une |
cave, & l’on aprit dans la fuite que per-
onne nayant voulu fe rifquer d’amener
Te Pavillon , ils avoient fait unanimement
ce fignal pour faire connoitre qu’ils vou-
loient fe rendre. | vas
~ Les boulets manquerent, mais l'on s’é-
‘foit pourvd en partant de Monfipi d'un
moule pour en faire de plomb. Je vous
avotie, Monfieur , qu'il paroit extraordi-
Maire que l’on attaque des Forts avec des
boulets de canon de ce métail. Quand ils’
font de pieces de bois rapottees,& de rer=
rales palifladées , ils peuvent faire cepen-
dant leur méme éfet. !
._ Le Chevalier. de Troyes fe trouvoit af~
fez embaraflé. Dans le temps qu'il refle-
chifloit fur les moyens de faire un dernier
efort , on lui vint dire que l’on battoit La
chamade , & qu'il paroiffoit un homme
avec Pavillon blanc , qui s’embarquoit’
dans une chaloupe. |
- Ge préfage heureux donna de la joye:
Se 2 |
160 Fiiftoire de |
dans le Camp. Il y avoit déja du temps’
qu’on y languiffoit. Le grand froid & la
famine avoit accablé tour le monde. L’on’
étoit méme réduit a ne manger plus que >
du perfil de Macedoine, que l’on trouvoit’
fur les bords de la mer. Le Miniftre de ce
Fort fit un long compliment au Chevalier’
de Troyes, d’une voix peu rafluree. Ce-
Jui-ci lui demanda affez brufquement qui’
l’amenoit ? Monfieur le Gouvertreur fous —
haiteroit , Monfieur, vous parler. Si vo-
tre Gouverneur , lui répondit- il, veut me’
parler , il y peut venir avec aflurance. Le’
Chevalier de Troyes aprehendant nean-
moins qu’ils ne cruffent qu'il éroit homme’
fans aveu, voulut bien accepter la propo-
fition que le Miniftre lui fit de fe rendre a
une certaine diftance. Le Gouverneur y’
vint avec du vin d’Efpagne: & aprés avoir
bi a la fanté des deux Rois , il pria le Che
valier de Troyes de lui dire ce qu'il fou-
haitoit? L’autre lui répondit, que puifque-
il n’avoit pas voulu lui.rendre fes trois
Frangois , il vouloiravoir fa Place. Le’
Gouverneur lui dit quil la lui donnerott’
volontiers, mais qu’il lui demandoit quel-
que grace. Ce fut, Monfreur , la Capitu~
lation que voici. 4
Ut Amerique “Septentrionale. 16
“Arsicles accordées entre Ar. le Chevalier
de Troyes commandant le détachement
dé parti du Nord, & le Sieur Henri-
Sergent > Gonverneur pour la Compa=
gnie Angloife de la Baye de Bae
le 16. “Fillet 1686.
sal
eS.
oo a ' rs *
| PREMIEREMENT.
TL a été accordé que le Fort feroit ret
Bdu avec tout ce qui apartient a: ladire:
Compagnie, dont on doit prendre une fa;
ure pour notre fatisfaction particuliere;,
& pour celle des deux parties en general.
‘Tha été acordé que tous les Domefti--
ques de la Compagnie qui font a la ris
viere Albani, jotiiront de ce qui leur apat~
tent en propre.:
Que ledit Henri-Sergent. Gouverneur |.
joiiira & pofledera tout ce qui lui apattient’
en propre , & que fon Miniftre, fes trois-
Domettiques & fa Servante ,. ‘refterone:
avec lui & l’attendront. |
~ Que ledit Sieur Chevalier de Troyes’
renvoyera | les Spohn dela Compa-
genie a | Ifle de Charles: Efton, pour y at-
rendre les Navires qui doivent venir d’ Ane
gleterre pour les y pafler, Even cas que’
Tefdiets Navires-n’arsivent ree le Siena:
O- 3
162 FAiftoire de
Chevalier de Troyes les affiftera d’un vaif.
feau tel qu'il pourra, pour les renvoyer
en Angleterre.
Que ledit Sieur Chevalier de Troyes
donnera audit Henri- Sergent Gouver-
neur ,ou a fon Commis, les vivres quil
croira lui étre neceflaires pour lui & peur
fon monde, pourle reconduire en Angle-
terre , fi les batimens n’arrivent pasa bons
port, 8c pendant ce temps 1a leur donneray
des vivres pour attendre leurs vaifleaux.
Que les:Magazins feront fermez & feel-
lez, & les clefs feront delivrez au Lieu:
tenant dudit Sieur Chevalier de Troyes,
afin que rien ne foit détourné pour em
prendre une facture » finan, le premier
Atticle; y
Que le Gouverneur. &: tous: les Domes
fliques de la Compagnie qui font a la rie
viere Albani, fortiront hors du Fort, 8
fe rendront nde Sieur Chevalier de
Troyes, & tous feront fans: armes 5 OX
cepté le Gouverneur & fon Fils, quiau-
ont Pépée au cété: |
Ces: Atticles furent fi fignez de ate i
d autre. Sainte: Helene & d’Iberville ens
trerenr, auffi- tor dans le Fort. Celui-cé
“emmena le Gouverneur & fa fuite a /’Ifle
de Charles-Efton, & le refte des Anglois-
fe rendirent. a. Monfipi. Cette Ifle eft au
sf
SP Amerigue Septentrionale. 16¥
gt. d. dans POtielt Nord. Oiieft de Kichis
chouanne a.25, lieues,. Les- Anglois y te-
noient un Magafin:, C’eroir leur premies
‘abord devant que d’arriver a. ce lieu-ci,.
ou l’on tranfportoit’ les Caftors dans une
Darque qui étoit deftinée pour cet effet.
La conduite du:Chevalier de Troyes fur
tout-a fait judicieufe dans toures ape
treprifes. Les bons confeils du Pere Sil-
vie lui fervirent’ beaucoup pendant le fe-
jour qu’ilfit dans ces quartiers. Aprés qu'il
eut mis bon ordre par tout il partit le dix
Aotit 1686. pour Montreal,.
D’Iberville énvoia les Anglois par mer
en France, & fix mois aprés vint par ter-
re a Montreal ayant laifle fon frere Ma-
ricour pour commander dans ces endroits:
ILrevint en 169 0..avec la fainte Anne & —
les armes de la Compagnie, dans le def
fein de prendre le Fort de Nelfon.1] mouil-
lale vingt- quatre Septembre proche la ri-
-viere fainte Therefe. I] mit pied a terre.
avec dix hommes pour-faire quelques pri-
fonniets , & {gavoir en quel état fe trou-
voit le Fort: Il apergdt un Sentinelleaua
endroit quel’on apelle le Pofau, qui eft
a une demie lieu€ de l’embouchure,lequel
porta l’alarme. Les Anglois déracherent
auffi. tot un batiment de trente fix pieces.
D'Iberville fe rembarqua. allez. precipi-
ba Hiftoive de)
tamment dans fa chaloupe & fut pourfuivi
de deux autres qui firent feu fur lui. Il gas
gna fon bord & apareilla. Le Juzant vine:
fur ces entrefaires qui fir échouér l’An:
glois fur desroches: D'Iberville fic exprés:
faufle route pour leur faire croire qu'il s’en.
retournoit la nuit’en France , 6 revi-
rant de bord il gagna la riviere de Kotia-
chaotig dite des faintes Huiles, parce qu'il
~s’y en perdit une boéte ottil trouva le faint’
Frangois commandé par Maricour. Ils fe
rendirent maitres du Fortde Nieufavanne
qui étoit 4 trente lieués du Fort de Nelfon..
Les Anglois voyant qtils ne pouvoient le’
conferver, y mirent le feu, &-fe refugie--
rent dans celui-ci , n'ayant pd bruler leurs»
Caftors. D’Iberville tranfporta tous ces”
effets A Kichichouanne dans la Sainte An-
ne, les Armes dela Compagnie &-le St.
Francois. Il y hiverna avec le premier ,.
envoya le troifieme a Monfipi pour y por.
ter des vivres 8 des éfets pour latraite,.
avec quarante hommes de renfort. Le”
commerce le plus commun du fond de la
Baye confifte en menués Pelletéries , qui:
font des Martes les plus*noires de tout:
le Nord: rae 3
Aprés que ce Vaiffeau eut éré quelque’
temps a Monfipi, il alla hiverner a Rue
pert, & les armes de la Compagnie moiil--
|
Hes Diwiue Septentrionale. — rep
‘¥4A Charles Efton. D’Iberville ayant pris’
la Pelleterie de faint Frangois , qui tole:
atrivé a Kichichouanne repalla é a Quebec,
devant lequel il y’avoit une Efcadre An-
gloife: Longueuil fon frere lui donna avis
‘aux Ifles aux Coudres de Yeur arrivée, ce.
qui lobligea de faire voile pour France
avec tout fon Caltor. Les Anglois voulu-
rent, Monfiewr, avoir leur revange ef
1693. Hs vinrent devant Kichichouanne
avec trois vaifleaux. Ils ne trouverentpoins
de refiftance , parce que’la garnifon Cana-
dienne érant dépourvae de toutes fortes de
munitions de guerre & de bouche gagna
te Canada pat terre , alaréferve de trois:
feulement qui dintent téte . cent Anglois’
dont ils en tuérent trois , & & voyant quil
falloirfuccomber ils paiwetaue mieax's eno
fuir la nuit dans les bois que d’étre a leur’
difcretion, & pafferenta Quebec. Eafainte’
Anne atriva, Monfieur, quatre jours aprés:
cette expedition. Le "Capitaine amiteda’
monde a tetre pour fgavoir en quel éraz
fe trouvoient les ‘Canadiens. Les Anglois:
détacherent un vailfeau pour le prendre ,.
mais celui ci. gagnant le vent obligea jes
Anglois de rentrer dans la riviere, & s’enm
getourna en Canada2..
D’abord que Kichichouanne fur pris ,»
a & Monfipi luivirent. le meme fort 5;
166 Fiiftoie de — re
mais et. 1694. Sa Majefte préta a la Com:
pagnie de — y le Poli.& la Salamans
de. D’Iberwiile qui en -étoit le Comman-
dant vint a Quebec, ot il prit cent vingt
Canadiens pour faite l’expedition du Fort
de Nelfon. Il. partic le huit Aotit , & arriva’
heureufement le vingt-quatre Septembre,
devant que la riviere commenga a pren-
die. I formale Siege qui dura huit jours ,
& apres avoir bombardé il s’en rendip
le maitre , le 12. Octobrey . .
Il y trouva cinquante pieces de canon }
cinquante. fix hommes de Garnifon fans:
Pelleteries,, parce que les: vaiffeaux d’Ans
gleterre ne faifoient que de partir.
Il y demeura: quinze mois & repafla en:
France avec {a traite, apres y avoir laiffé
la Forét pour Gandiacslinee avecla Plaque
chef de Guerre chez les: Iroquois, qui a ea
Vhonneur d’étre connu du Roi. 5
Les Anglois-revinrent , Monfieur, en’
1696. avec quatre vaifleaux de guerre &
une galiote a bombe,-devant le Fort de’
Nelfon. La’ Forét difpata le terrain le
mieux qu il pit, lequel faute de vivres:
fit une capitulation forthonorable, s’étant
referve tout le Caftor. Serigni Liswketseall
de vaifleaux , frere de d’Iberville yatriva
fur ces aneretiieer avet le Dragon & le
Fardi ;.mais ceux qui arrivent-devant ce
i
I Ameriqne Séprentrionale. . ‘abe
Pott, ont, Monfieur, cet avantage qu’ils
‘peuvent difputer fans peine P entrée dela
riviere comme je vous le ferai voir dans
da faite. Les Anglois n’obferverent poine
da capitulation , s’emparerent du Caftor
qui ils tranfporterent en Angleterre , &
emmenerent le Chef de guerre des Tro-
“quois , quwils ont tenu prifonnier jufques
ala paix. Enfin le Roi renvoia notre Ef
cadre en 1697. pour Vexpedition du Fort
de Nelfon, ou fes armes ont été pleines de
gloire. Je n’al pas ére furpris , Monfieur ,
de Ja maniere avec laquelle les Canadiens
fe font diftinguez dans ces quartiers.
— Monfieur le Comte de Frontenac donna
a ces jeunes Conquerans tant de preuves
de fon experience au fait de la Guerte,
qu’ ‘ils avoient fuce infenfiblement cet air
martial qu'il leur avoit infpiré depuis tant
dannées que le Roi les lui avoit confié.
Als ne pouvoient donc fe démentir: de ce
quvilleur avoit apris, & il lui étoit d’au-
tant plus glorienx de voir que les armes du
Roi ont penetreé les climats Ié& plus rudes
de Univers fous. Vérendué de fon Gene-
valat ; que maleré tous tes contreremps
| qui ‘nous y_ font arrivez , il pouvoit dire
avec juftice qu'il falloit étre Canadien ,
ou avoir le cceur d’un Canadien pour étre
yenua bout dune telle entreprife. :
268 | Fiiftatre de -
Aprés que Jean Bourdon etit le premier
connu la Baye du Nord du Canada, &
qu il eut-fait fon érabliflement, les Danois
voulurent y venir en 16,68. La premiere
terre quils y connurent fut la riviere as )
Manotcoufibi au 59. deg. lat. Nord, qui
ptend fa fource dans le pais des Articmof-
picayes, & !’apellent encore lariviere Da-
noife, que les Anglois ont nommez Chere :
chel. Les difgraces qu’ils eurent dans ce
pais pat les miferes & les maladies pareilles
a celles quenous avons etics ,frent mou-
ric foixante hommes de, foixante & quatre
d’équipage qe ‘ils étoient fur deux vaif-
feaux , ayant été obligez de laiffer le plus
grand. pour ramener le petit. Cette mor-
tali icé donna de trop mauvaifes impreflions
au Roi de Dannemarx. pour y, facilites
dans la fuite une traite avec les Sauvagess
La premiere riviere que Yon trouve
apres la Danoife en tirant vers le Sud e
celle de Poaotirinagou, dite Bourbon, de
couverte pet Defgrozeliers. Cette riviere
eft trés_ belle, large d’une lieud a fon em-
bouchure. habitée | par les Mashxegonhyzi i-
nis, autrement Savanois, qui gont guerre
‘avec les axouhirmious. A cing lienes en
dedans l’on trouve devx petites Ifles d'une
Jieu¢ de tour chacune, ot il ya de grands
gibres. Cette riviere n’eft qu’a cing lieués
pag
| P Amerique Sepeentrionale. 166
at terre: de Penechiouetchiou, dite fainte
¥ Pherefe ,’ & de fept par mer. C’eft A la
wie delves deux rivieres of nous fotitinmes
. dans le Pelican la gloire des armes du Roi,
‘par le ptemier combat qui fe foi donné
-dans ces mers glaciales, contre l’Haimshier,
| ‘PHadfonfbaye & le Dering , ayant eaute
‘de premier a fond, pris le fecond , & mis
‘en fuite le icoiieche’. apres un combat de
‘quatre heures. Ponte: cette cote a environ
‘cent liewés de platin, & l’on ne trouve que
| neuf brafles d'eau a fix lievés au large, Elle
‘eft tout-a- fair dangereufe » lorfque les
wents de la mer regnent , ptincipalement
geux d Eft 5 Eft Sad-Eft, Eft-Nord - EE y
‘dot vient que les Vaiffeaux qui viennent
au Fort de Nelfon gagnent d’abord une
Foffe que Von apelle le trou. Ce trou eft
un moiillage Eft & Owe%, entre deux
Banes , a unelieud de | attchtte de la
pivters’’ Sainte Therefe. li y a dix. hui
pieds d'eau maree ote , & rrente marée
haute , Jarges de deux cens braffes fur fix
eens. ae long. Lors ofan i aiffeau artive,
il doit tanger pitiet la barare du Nord
que celle ga sud.
‘A ung Hea? dans Dict riviere eft fur le
Bord de farive a ftribord le Fort de Nel.
fon. Gette riviere prend © fource dun
stand Lae qui fe nomme Michi gh qui
Tome /.
27L _ Hiftoire ee Te
eft le veritable pais des Kricqs, Loft iy
a communication aux Affiniboiiels , quoi
qu’extremement _ loignez les uns deg
autres.
La riviere Mathifipi,, dene Legane , da
nom d'un Frangois, qui étoit avec. Def-
grozeliers, fe dégorge 3 4 Babord vers l’em-
bouchire , & environ une lievé au-deflus
wis-a-vis cad Fort eft. Matfchifipi dite la
Gargoufle, auffi Canadien, Par le moyen |
de ces deux rivieres les Sauvages vont att
Fort de Nieufavanne dont je vous ai,
Monfiear , parlé, qui eft fur le bord d’ dihiel
grande riviere qu’ils apellent. Kotiachouc.
A douze lieués au-deffus du Fort eft. la
yiviere Oiijuragarchoufibi, bo Aadeux lieucs
plus haut que celle-ci eft Apithhbi, dite ri-
-wiere aux pierres a fléches squieft le chemin
par eee les Sauvages vont 4 un grand
lac qu’ il s apellent Nameoufaki, dite rivie=
rea pas oti font les Nakoukouhi=
xinous,
A vingt liengs au deffus d’ age ek
Kichemaroiiami , dite grande Fourche de.
riviere , parou lon va a Kichichouanne , »
qui ate au fond de la Baye. ce
Je n’al rien epargne comme vous VO-
vez , Monfieur, A connoitre a fond to
ce pais, qui eft pour ainfi dire a Pextré»
mirc de +t Ammeriane Seprenronales du
‘t
ss PAmeriqné Septentrionale. . 17%
moins le plus cloigné qui foit connu &
pratique pat les nations de ’Europe. ~~
“Il ne me refte plus qu’a vous aflurer
que jefuis avec paffion,
NY
ees, ' mee
aL ; ee Oe
MO NSIEU R';
“Votre trésehumble, &c,
172 Hiftoire de |
ope Re ORDO NERS PEE HEE.
VIEL LoBaA TR oe
Detail des Peuples gui hd ibek faire la
tratte aw Fort de Nelfon. | 5
Ceremonie que Von fart pour onvrsr le Coma
merce des Pellereries. ,
Mowstevr, se ;
Porter un grand nom, & fe fotitenir pat
fon merite perfonel doivent ¢tre deux
chofes infeparables. Auf, fe. trouvent-
elles en vous parfaitement réiinies. L’on
ne peut entendre parler dans le monde
‘du nom de Duguéne, que l’on ne parle
en méme temsd’un des boucliers de la
France , de la terreur , & du foudre des
mers. Ruiter, ce Heros fi recommandable
dans la Hollande , redoutoit le grand Du-
quéne votre oncle, de glorieufe memoire,
dont la valeur & l’intrepidité vous ont ete
un modéle dans toutes les nations d‘éclat
oti vous vous éres fignalé, L’eftime que Sa
Majefté fait de votre merite en vous don-
nant le Gouvernement general des Ifles de
lAmerique eft une preuve convaincante
~
VY Amerique Septentrionale., 73
qu ilreconnoit tous vos travaux militaires.
Il vous fait meme fucceder*a Mr. Phe-
Jipeaux qui ¢toit un general des plus con-
Bbcsed dansle metier de la guerre. Nous
avons perdu dans ce general t un pere & un
protecteur de |’Amerique : mais nous ef-
perons le retrouver en vous, & que vous
aurez pour les Ameriquains les fentimens
quil avoit. Trop heureux en mon parti.
eulier de vous donner’ dés marques de
mon attachement pour votre perfonne ,
vous ix en méme-tems dérecevoirun —
détail d’une partie d'un voyage que jay
fait en'un pais bie opofé a ma patric.
Le pais. circonvoifin du Fort de Nelfon
ef extremement plat. I] eft rempli de fo-
-ryéts dont les arbres font fort petits a caufe
du grand froid. I! yade grands marais peu
praticables le long de la cote. J elis extré.
mement de peine a. en pafler un gui avoit
une lieae de long. Le Chevalier de Ligon-
dez qui étoit beaucoup plus vigoureux que
moi fe trouva méme affez embarra(lé,
Un jeune Pilote de vingt ans qui nous
avoit fuivi nous devine fort a charge. Un
Iroquois que nous avions lui fur d’wn
grand fecours qui lui porta fon foil. La
nuit. approchoit , & nous appréhendions
de rencontrer queiques ours ou des loups,
* Ambafladeur en Sayoyey |
—
°
174. Hiftoire dé
qui font fort carnaffiers. Nous atriy site
a la fin au bord de la mer.
Les peuples les plus voifins de ce Folk
_ font les Onenebigonhelinis » celt-a-dire,
gens des bords deslasmet;: Hé ‘wivent de
chafle & de péche. Les Loups marins y
abondent, & ils font beaucoup plus gros
qu’en Canada. Ils en font fondre la chair,
dont ils font des huiles qu ils traitent aw
Fort. Elle eft plus. claire & meilleure que |
celle de noix.
C’elt quelque chofe de furprenant de-
voir la quantité prodigieufe d’Outardes ,
& d’Oyes fauvages le long du rivage. Ces
peuples commercent le duvet de ce gibier
quils ramaffent a leur ponte, & la garnis
fon Angloife ou Frangoife n’a point d’au-
tre bur. Tel Lit vaudroit en France trois a
quatre cens francs. Les perdrix blanches
y fontadmirables, & ik n 'y ena point d’au-
tres, Elles ont les pieds patts,les yeux bor-
dez d'un plumage de couleur de feu,& elles
font grofies comme de petits chapons.
L’on trouve dans ces quartiers des Re»
nards blanes, & des Martes Zebelines plus
belles. qu’en Molcovie. |
Les Afonfaunis , gens de marais , habi-
tent un pais plus haut que les Oisencbigons
belims » qui eft fort rempli de marais.
Comme il ya quantite de ruifleaux , & de
l Amerique Septentrionale. 17. §
petites rivieres qui fe perdent infenfible-
ment dans de grands Fleuves, ces peuples
tuent beaucoup de Caftors ; car ces ani-
-maux qui font amphibies cherchent ordi-
nairement les rivieres pour y faire leurs
maifons. L’on y en trouve de trés noirs :
qualité aflez rare, car les Caftors font or-
dinairement de couleur un peu roux, Ces
peuples vouloient empécher les autres na-
tions plus cloignées d’aporter leurs Pelle-
teries au Fort , mais les Anglois les obli-
-gerent de leur donner le paflage libre fur
deur terre, s'ils vouloient eux-mémes com-
“mercer avec la nation Angloife,
Les Savanois ; gens de Savanes, font
plus. loin en montant versle Sud Ce ne
font que favanes, prairies, & de beaux
eoteaux dans ce pais-la. L’Orignac, le
Chevreuil, le Squenoton, & le Caribou
y ont dequoi courir.
Le Squenoton reflemble au Chevreuil-;
il eft plus haut, la jambe plus fine, & la
tere plus longue & plus pointué. — |
‘Le Caribou a la téte femblable a un
Veau. Il ena lachair & le gout.
- Les Chriftinaux ou Kricgs, ¢eft-a-
dire Sauvages, qui habitent les Lacs , de-
meurent a cent foixante lieu¢s. Is ont
Pufage des calumets de Paix. C’eft une na-
tion nombreufe dont le pais eft vafte. Ls
a
176 ~ Hiftoire de .
sctendent jufques au Lac fuperietr. Is
vont quelquefois en traite au faut de Ste
_ Marie & de Michilimaxinak. Ce font gens
fort vifs , toujours en aétion , danfant ou
chantrant. “Ts font avec cela ouettiers, Se
ils ont affez les manieres des Gafcons,
Les M igichibilinions. C’eft-a-dire
Sauvages , qui ontdes yeux d’Aigles ; de-
meurent a deux cens lieués. , 3
Les Affimboeéls habitent dans ’Oue Q See
le Nord. Ils ne font réputez qu'une méme
nation, a caufe du grand raport qu'ils ont
en leur langue, Ce mot veut dire hommes
de roche, Ils fe fervenraufli de Calumets,
& demeurent adeux cens cinquante lieues,
Ils ont de grands traits marquez fur le
corps. Ils (ent pofez & paroiflent avoir
beaucoup de.flegme, Ils aprochent aflez
du caractéere des Flamands. |
Les Oskguifaquamais ne vivent ordinatl
rement que de poiflons, Ils suent peu de
Caftors. Les robes qu’ils en portent font
cependant les meilleures , & le Caftor ea
eft plus gras. Cette bonté vient de leur
malpropreté , sefluyant leurs mains gral
fes a leurs robes de Caftor.
Les M ichinipicpoets , c eft-a-dire howe
mes de pierre du grand Lac, demeurent
A trois cens lieués, pet ou nation habice
Nord 8 Sud.
l’ Amerigue Septentrionale. 177
Les Netaonat(cmrpoets » cet. a- dire
eae de pointe, demeurent a quatre’
eens lieucs. |
Les Attimofpiquaies. Ce mot fignifie
bte de chiens. L’onn’a pas encore et un
‘commerce ouvert avec eux, parce quiils
n’ofent paffer far les terres des M askego-
nehirinis,avec qui ils font en guerre. Il y a
¢hez eux des beeufs d’vne grandeur prodi-
gienfe, dont les tefticules fentent le mufc,.
& le poil eftauffi fin que celui de Caftor, :
dont on peut faire méme des chapeaux.
Leurs cores font un circuit a la téte
‘comme celles des beliers. L’onaprend de
ces gens la quill y a un detroit, au bout
duquel eft une mer glaciale qui . commu-.
fication a eelle du Sud. °
Ceux d’entre ces nations qui viennent.
de loin pour faire la traite avec les Fran-
goiss'y difpofent au mois de Mai. Loifque
Tes. lacs & les tivieres commencent.a cha-
rier , ils s’affemblent quelquefois douze
quinze eens fur le bord d'un Lac, qui eft
un rendez-vous ou ils prennent pour cet
effet tous: les expediens necellaires fous
Jeur voyage.
Les Chefs reprefentent les befoins de
la nation, engagent les jeunes chafleurs
de prendre les interéts publics , les con-
jurans de fe charger des Caftors au nom
178 rie de :
-des famill es. Quand i ils ont jette les vend,
fur in certain nombre ¢e font des felting -
que chaque famille lei fair. Pour lors q
* Ja nation fe donné mutuellement toutes
“des marques d’eftime que l’on peut fouhai-—
ter. C’eft un renouvellement d’alliance qui
fe fait. La foye, te plaifir , & la bonne
chere regnent dots & pendant ce temps
- Pon conftruit des canots pour le départ. |
Ils font fairs d’écorce de bouleau, & ces
arbres font d'une oroffeur plus. confideras'
ble que ceux que nous avons en France.
Les fondemens font des. vatangues ou pe~
tites pieces de bois blane de Ja largeur de
quatre doigts ,qui en font le gabari. Ils.
atrachent au haunt des batons dun pouce
de large , qui fotitiesnent Pouverture des’
deux cérez. Ces petits batimens font une
diligence furprenante. L’on peut faire en |
un jour plus de trenre lieués fur les rivies’
rés. On s’en fert auffi pour la mer. Leur’
erandeur n’eft pas reglée. On les porte
facilement fur le dos. Ils font fort volages
a l'eau. Loxfque l’on veut ramer il faut fe
tenir debour, a i genou , ‘ou affis dans le
fond , parce qu’ rill n ‘y.a point de fieges.
Libis que les Sauvages font préts de
décendre, Fon choifit outre ces chaffeurs
quelques chefs qui viennent lier commer-
ée de la part dela Nation. Je ne faurois
tow
EP Amevique Septentrionale, 179
aire un julté denombrement de la quan-
“pité de Sauvages: qui decendent , parce
‘quil yades années quils font occupez a
da guerre, ve qui les dérourne de la chaf-
fe. fll peut y atriver ordinairement mille
‘hommes, quelques femmes & environ fix
-cens canots. Ils ont, Monfiecur , cette po-
-ditique quils ne prennent point ‘leur. pofte
en, arrivant,, que, quelgu’un ne leur ait li-
mité auparavant un endroit, Er lorfquils
font a une certaine diftance du Fort, ils
{e laiffentaller infenfiblement au courant,
afin que J’on ait le temps de les aperce-
yoir, & ils font enfuite. des cabanes fur
le bord de la a eee
Le Chef d’une Nation entre au Fort
avec un ou deux de {es Sauvages les plus
, qualifiez. Celui qui commande dans cet-
fe p lace leur fait d’abord prefenr d’une
: pipe & da tabac, Ce Chef lui fait un com-
4 pliment ort fuccint,le prtiant d’avoir quel-
que confderation pour fa Nation. Le
Commandant l’aflure qu'il en fera {atis-
fait. Le Chef ayant fumé fort de fang
froid {ans prendre congé de qui que ce
foit. L’on ne sen formalife meme pase
‘Tl aflemble fes gens, leur fait le recit de
Tacueil qui lui a écé fait, & rentrant en-
fuite au Fort fait prefent au Commandane
de quelques Pelleteries,le priant d derechef |
38.0 Fiiftowe de ) :
d’avoit en memoire fa Nation ; cele b,
Monfieur, leur expreflion otdinaire , al
de ne point traiter {es marchandifes ; ati ,
cher qu’aux autres nations, ear c’eft a qui
aura bon marché, Le Coindandant le
ra(fure de fa bienveillance, lui fait encore
prefent de pipes & de. tabac pour faire fu.
mer tous fes députez, Latraite fe fair aprés:
‘hors du Fort par une fenétre:grillée , car
l'on ne fouffre point que le commun des
Sauvages y entre. Lors qu’elle eft faire
avec le Chef d’une Nation, on lui fait
un feftin hors du Fort. L’ on aporte une
grande chaudiere fur ’herbe dans laquel-
de il y a des pois , des prunaux, & de la
melaffe. Lorfque les Sauvages font aflem- |
blez , une perfonne de la part du Com.
matidant les voyant dans cette fituation ,
les prie de continucr toujours da- ‘méme
alliance , prefente le calumet au Chef, | é
fait famer tous les autres. Apres ‘que cd
repas eft fait, on les prie de faire une dan-
fe; ce qu’ils font avec plaifir. Le Chef
commengant le Peo dit un air fur le
champ far Yagreable acueil qui lui a éré
fait. On lui donne a fon depart du tabac “i
pour faire fumer ceux des autres nations
qu'il rencontrera, & les engager de venir
faire la traite, en cas qu’elles ne. foient
point encore venues, “Le tabac eft le pre-'
feng
ss PAmerigue Septentrionale, 18¢
fent le plus confiderable dont on puiffe les
xégaler. Tel a €té l'ufage pratique par les
Frangois, qui ont eré maitres du Fort de
‘Nelfon , auparavant que Sa Majefté y
ait envoyé notre Efcadre. Je fuis avec
paffion , ;
\
\
MONSIEUR,
¥V otre trés. humble , &e,
£92 Hiftoire de
LEVELLED ETERS
VIIb LE TTRE
Retour en F rance.
Defeription d'une pi quy rigne 3
la Baye a Hadi
Mon SIEUR, » ne
Qu’ un Monarque comme notre Roi
nous eft précieux. Que: la prolongation
de fes jours doit nous étre a coout, La
France vous a des obligations infinies de
Vattachement COnTGen , & des foins que
vous prenez de fa confervation. a en ren-
drai bon compte a mon retour dans no-
tre Ameriqne , dont le trajet ne fe peut
faire qu’avec beaucoup de rifques, car les
perils, les hafards , mon naufrage, & d’au-
rres difgraces qui i ‘ont fuivi dans le Vo-
yage que jai fait a la Baye d’Hudfon, ne
s'effagent pas aifement, En effer, la Met
eft un élementr Gi terrible, qu ‘elle n a égard
a qui que ce foit. Elle n’¢pargne pas plus
Thonnéte-homme que le {celerar, le pau-
wre que le riche, le lache que le brave ,&
quand on fet trouve comme mol réchap
— . L Ameriqiue Septentrionale: 183
@e fa colere, l'on. compre cela comme un
bonheur infini. | sr)
Nous partimes du Fort de Nelfon le
24. Septembre 1697. qui eft le rems que
les rivieres & la mer fe glacent ordinaire-
‘ment , on quil furvient des vents trés-
crucls. Nous n’avions ptt le faire plutot a
caufe du'temps confiderable que nous fu-
mes engagez dans les glaces du detroit,
ce qui nous empécha d’arriver de bonne
heure devant le Fort de Nelfon.
» Nous apareillames d’un vent: de Sud
Sud: Oiielt ,a une heure aprés midi, Le
Profond, fur lequel avoit paflé notre équi-
page , du Pelican qui s¢roit perdu_, une
partie de l’Hudfonfbaye, & de la garnifon
de ce Fort, échoiia une heure aprés a onze —
pieds a’cau fur les Bancs,du cote du Nord,
Comme il mous reitoit encore prés d'une
heure de Filet , mous nous élevames , &
nous fimes route d’un vent de Sud- Suds
Ojiteft ; fans cela nous aurions ¢re obliges
de faire paffer une partie de nos trois cens
hommes fur le Weefph, qui ne fe trouva
pas dans le méme malheur que nous, &
renvoier l’autre an Fort. Il eft certain que
nous y aurions mis la famine , & dans le
Weelph, parce que celui-ci n’avoir tous
au plus que ce qui Ini falloit de vivres
pour fon équipage, & l'autre unique
: . Ou"
18 4 | Fiiftoiwe de
ment pour la garnifon que nous y avions
Jaifiée. eae
Les vents furent le lendemain fort ru-
des. Le froid augmentoit, parce que
nous élevions vers le Pole. Ees yours de-
venoient trés-courts. Le Soleil ne paroif
foit plus , par confequent point de hauteur..
Tempéte manifefte. Nous faifions route
fans {gavoir ot nous étions , il nous: fal-
Yoir eependant donner dans le detroit. C’é-
toit une pierre d'achopement pour pou-
= y entrer , puifque nous étions ren-
ermez dans une Baye dont le bour du
Nord eft inconnu. Nous étions errans
dans un climat plein d’écueils.
‘e !
Le mouvement continuel de toutes les
maneuvres accabloit nos Matelots. La
mifere dans laquelle nous nous trouvions
tous faute de linge & d’habits , a caufe de
notre naufrage, caufa tout-a coup le Scor-
but , & je n oferois vous dire, Monfieur ,.
que nous €tions tous rongez de vermine ,
jufques-la que de nos Scorbutiques: qui
€toient devenus paralitiques en mouru-
rent. Quand les Matelots décendoient des
_ hunes ils romboient roides de froid fur le
pont, & il n'y avoit que les fomentations
qui pouvoient les faire un peu revenir. —
Les uns fe faifoient a la core du Nord ;
les autres vers Vifle Phelypeaux. Quand
| VY Amerique Septentrionale. 18 ¢
“mous nous en vimes a3y5. a 40. braffes ,
fond de fable dans le Nord-Oiieft , nous
eonnimes guen ¢ctant a deux ou trois
lievés il y avoic grand rifque , cat ceft
peu de chemin quand on fe voit forcé
d'un coup de vent, qui dure deux fois.
vingt-quatre heures.
Comme nous courions pour torsal’Eft,,
nous nous trouvames heureufement dans
Je detroit , ayant apergdi fur les dix heures
& demie du foir l'Ifle de Salfbrée au vens.
a nous , qui paroifloic toute blanche ,
parce qu'elle étoit couverte de neges. Elle
demeuroit au Nord Eft du compas envi-
ron trois lieues. Les vents de Nord quart
de Nord- Eft exciterent encore de gros
temps. Nous portames a4 l’Eft avec les
deux pacfis le long de cette cote, & le
2, Octobre nous vimes ala pointe du jour
celle daw Nord du Cap. Charles par fon
travers , qui nous paroifloir du cété du
Oiielt- Nord Oiieft , toute hachée en pe-
tites Ifles, & les terres qui couroient &
FE Sud Eft du céré des Ifles Bonaventu-
re, paroiffoient hautes , fort unies , aufls
-couvertes de néges. Nous connumes ces
Ifles adeux lieucs & demie de nous , fur
les neuf heures du matin, Elles font a la
cote du Nord, au 63. fix m. par eftime ,
43.4, de yariation Nord.Otielt, a ss , »
QQ 3
186 Fiiftoire de ie
56. lienes de l'Ifle de Salfbré. Elles font a
Pentrée d'un grand enfoncement dont on
ne voit pas le bout. Elles portent le nom
d'un Canadien , Capitaine de Fregate le- —
gere qui monta un vaifleau il y a quelques
années pour la compagnie du Canada. |
Nous ne trouvames plus de Bancs de
glaces dans le detroit. Il y avoit encore
des Ifles flotantes extrémement hautes ,
échoucées a une liewé ou deux des terres —
qui n’avoient pa fuivre le courant. Les
glaces qui font dans la Baye & dans le dé.
troit tiennent plus de quatre cens lieués.
Elles vont fe dégorger dans la mer quand:
-elles commencent a fe détacher. Les dé-
bris en font fi grands que cing a fix mille
hommes pourroient fe mettre en ordre de.
bataille fort aifeément. Elles fe dérachent
ordinairement au moisde Juillet, & elles
vont quelquefois fept cens lieues au large,
avant d’étre tout-a fait fondués. On en
trouve affez fouvent fur les agores du
grand Banc, & qui y font encore fi hautes
que des Corfaires avides & affamez les.
ayant prifes pour des Vaifleaux leur ont
~ donné chaffe; mais ilsne font pas peu fur-
pris, quand préts de venir a labordage,
ils voyent fondre tout d'un coup a leurs.
yeux leurs vailleaux imaginaires , & ¢va-
noir par la leurs faufles efperanees. La
\
ie
| P Amerique Septentrionale. 187
mer étoit donc libre. II faifoic un froid f1
pergant , que ndtre Cquipage en fut en-
tierement acablé. Prefque tous nos Mate-
Tots devinrent Scorbutiques, & il nous en
teftoit fi peu en état d’agir que nous nous ©
‘trouvames contraints de nous fervir de
hos prifonniers Anglois. |
_ Nous vimes le 5. OGobre a midi les
Ifles Sauvages qui nous reftoient au Nord
Eft. Elles fonrala céte du Nord, loin
_ dune a deux lieués de la Terre Ferme, qui
font un grand enfoncement, dont |’em-
_bouchure peut avoir quatre a cing lieués.
Nous aperctimes le fix le Cap-Dragon,,.
a cing lieués. Il eft au foixante- deux deg.
10. m. 38. de variation Nord Oiieft , &
‘nous conndmes fur les huit heures du ma-
tin a l’Oiieft- Sud.Oiieft le Cap d’ Aman-
~quamanca qui eft ala cote du Sud, & le
neuf faifant la route du Sud Eft quart de
Sud-,les les Boutonnes nous parurent au
nombre de huit. Elles paroiflent beaucoup
plus hautes que celles de la Refolution,
On les peut voir de treize a quatorze
lieués. Elles font a deux lieu¢s de la Ter-
re-Ferme, entre laquelle il y a un bon
paflage dont le Cap s’apelle Fleuri. Elles
font l’embouchure du détroit avec la Re.
felution dont les courans portoient au Nord.
Nous commrengames donc a nous trou-
188 Hiftoire de
ver hors des dangers , - exemts de toutes —
ces inquietudes qui nous avoient fair ap)
aa de perir a tout moment. :
O foci (€ negue enim ignart fumus ante’
: malorum ) |
O paffi craviora, dabit — bes re
“HCW,
La derniere terre que nous laifacies
fut un endroit du paisde Laborador , que’
nous apergimes a 25. lieues,. qui paroillie
encore d'une hauteur prodigicule, & Yon.
peut dire que cette vafte cote qui com-
mence depuis le Cap de Bel-J/le qui eft
au sg. d. 8. m. jufques aux Ifles Boxton-
mes, ce qui fait 202. lieués en droite ligne,,
eft la terre la plus haute qui foit au mon-
de, que l’on découvre quelquefois de 40.
lieués en met. Tousces objets pleins d’hor-
reur § €vanotiirent enfin a ndtre vue.
jam fatis terris nv atque dire»
Grandinis mifit se
Nous n’avions plus qu’a prier le Ciel
de nous écre favorable dans le refte de.
notre traver{ce & de nous écrier
Fentorumgue regat pater »
Obfiritiis aliis , prater Japiga,
Je ne doute pas ,
vous m’aviez va dans cet état vous ne!
meufliez fait le méme fouhait que fai-
feit Horace a fon ami Virgile , lors quil
Monfieur, que f&
|
|
|
, Y Amerique Septentrionale. Sy
partit d’Italie pour Athenes. Il eft vrai que
ce vent d’Yapix ctoit un vent dOiieft
Nord-Oiieft , qui etoit largue pour arriver
en France, & amefure que nous faifions
route , il fembloit que nous approchions
dela Zone torride. Comme les vents for-
_cerent; nous nows trouvames tout a-coup
en un autre climat. Ce changement fi {u-
bit caufa tant de mortalitez dans nos
vaifleaux que l’on jettoit des cing ou fix
Matelots par jour a la mer. |
C’étoit une maladie qui avoir infedté
mos Vailleaux. Vous ne ferez pcut-étre
pas facheé fi je vous.en donne une idée,
Vous allez voir que je fuis devenu grand
Medecin dans ce voyage , & que je nai
pas tout-a-fait oubli¢ l’anatomie que jai
apris pendant ma Philofophie.
» Vous fgaurez donc, Monfieur, que le
changement fi fubit ott l’on fe trouve en
arrivant dans ce climat, lor{que l’on quit-
te la faifon la’ plus douce & !a plus agrea-
ble de l'année, caufe tout a-coup une ré-
volution: dans le corps humain., qui con-
tracte une maladie attachée a ces pais ,
que l’on apelle le Scorbut. Quoiqu’il atta-
que les perfonnes qui vont dans les pais
chauds auffi-bien que ceux qui vonra la
Baye d’Hudfon, les fymptomes qui en_
atrivent me paroiffent tirer leur origine
190 Fiftoire de | :
dune caufe differente ; puifque les ef:
fets le font aufii. ae ug
Lextréme froid & ptincipalement la
quantité prodigieufe de Nitre qui régne
dans le détroit , forment des fels fxes qui
arrétent la circulation du fang. Ces efa
prits fimordicans caufent des acides qui
-minent petit a petit la partie a laquelle
ils s'attachent, & le Chile qui devient vif-
queux, acide , falé & terreftre, caufe
lépaicifement au Sang dont le mouvement
circuolaire fe trouvant interrormpu , pro-
duit en méme-tems des douleurs que l’on
rellent aux extrémirez inferreures , cont
me aux jambes,aux cuifles,8& aux bras:l’on
fe fent d’abord attaqueé pat ces endroits,
Ces obitruétions érant dans les veines
qui portent le fang de fa circonference aw
ceur quien eft le centre, tant comme un
obftacle , procurent des tumeurs codes
mateules, tbonavitgl
Ces patties deviennent infenfibles , noi
ratres, & lors qu’on les touche il y refte
des creux tels que l’on feroit dans une
pate molle. Er comme les exoftofes qui
fe rencontrent dans la partie du tibia ne
font produites que par les acides qui caus
fent des douleurs entre les os & le periofte
qui eft unt membrane cinereufe , laquel-
le ne peut etre Emué fans recevoir une ex-
P Amerique Seprentrionale. 9}
éme douleur, il ne faut pas s’éronner fi
E: malades font de grands cris , quand
on les touche.
Cétoit, Monfieur , une chofe digne de
compaffion de voir des gens tout paraliti-
ques qui ne pouvoient fe remuer dans
eurs branles, quiavoient cependant Vef-
prit fain & net.
‘ Le peu a’ exercice contribue beaucoup
a cette maladie ; car comme nous fiimes
wingt-fix jours grapinez fur des glaces ,
Vinaétion affoupiffoit les fens : Er, wae
fors que l’on fe fent les jambes pefantes
il faut courir & aller deflus pout difliper
cet engourdiflement.
if Mais, comme ‘la mer geloit tous ue
jours de deux pouces dans le plus fort de
Ja canicule , d’abord que le Soleil fe cou-
‘choi, il ey difficile que les equipages
ne fe aifatane aller Aune parefle qui étoir
ne difpofition prochaine a les rendre
malades.
Les nourtitures que lon eft contraint de
prendre fur mer n’ re contribuent pas peu.
Aufl ; la quantité d’acides qui font dans
les viandes falees qu’on leur donne, com-
me le beuf & le lard, caufe 1 un gonfle-
ment aux gencives & une obftruction dans
les glandes falivales qui n’ont d’autre ufa-
#3 qua, filtrer la limphe d’avec le fang &
392 - “Hiftoire de
de Vaporter dans la bouche par.de petits
conduits qui fervent de premier diflolvant
ala coction, Er,comme tous ces petits
canaux fe trogvent offufquez par labon- |
dance de ces fels qui font fi penetrans , il
fe répand pour lors dans toute la bouche
une humeur épaifle, gluante & vifqueufe,
Le fang trouvant alors fes conduits bou-
chez, il fe forme un amas de matiere pou-
rie qui. corrompt les gencives , déchauffe —
les dents, & les fait toutes romber.
Il y ena qui ont un flux de bouche,
autres un flux diffenterique. Les pres
miers bavent, La matiere vifqueufe qui
fort de leur bouche caufe la cangrene
dans les glandes & aux gencives. Il faut
pour lors qu’un Chirurgien leur donne de
bons gargarifmes déterfafs qui puiffent dé.
tracher cette matiere épaiffe. Le ‘jus de
citron feroit d’un grand fecours.
Ceux qui ont le flux diffenterique font
beaucoup plus en danger de la vie. Il fe
forme en ces perfonnes une humeur ex-
trémement corrofive dans le mézentaire.
Be comme les veines foticlavieres regoi-
vent le chile pour le porter au ventricule 3
droit du coeur, qui concourt a la nutrition
da corps par!’ Aorte, dés lors que ce fucfe
trouve Coca, il faut de necefliiré qu'il
atrive des fincopes & des défaillances de
/ \geeury
a
:
|
|
:
DAmerique Septentrionale. 19s
@ur, parce que celui-ci ne pougant fub-
difter que par la circulation d’un fang pur,
net & vif; toute autre matiere qui s’y for-
-meroit ne peut qu’en détruire le cours or-
dinaire : d’ow il furvient aux uns des Fié-
vies , des Sinoches fimples, aux autres tier-
ces , double tierces , mémie quelques ac-
cez de quarte. Er la cangrene fe formant
dans le mefentaire , aux inteftins , arréte
les Loix de la circulation du fang. Les
Polipes que j’apercevois A l’onverture
d'un Cadavre faifoient le méme effer. Ce
font des morceaux de fang caillé que pro-
duit cette grande corruption , qui s atra-
chent aux ventricules du ceeur , lefquels.
venant a offu{quer ce mouvement réglé,
caufent des morts fubites.
Le cerveau ne fe trouvant plus hume-
é&te de fes douces influences , recoit des
vapeurs qui lui caufent des délires, des
tranfports, & la mort enfuite. Jen ai vi
plufieurs qui paroiffoient avoir la voix
ferme, l’eil bon, la langue faine ; fans
noirceur n’y excoriations , qui cependant
mouroient en parlant., ,
Il faut donc fe fervir d’alimens qui puif-
fent diffoudre la mafle du fang, cnmme
de Diflolvents fudorifiques & diaphore-
-tigues , qui par leurs parties fulphureufes |
aed oe pe R
Ing Fliftorwe de
& volatiles, entrainent par.une infenfible
tranfpiration les Acides, confomment les
ctuditez de la mafle , we puiffent faire ral.
lier enfemble les Fibiep du fang par de
bons alimens , leur donnant peu de vian-
— defalée,mais fe Ris, des Pois , des: Fayols,
des Lavemens un peu déterhits, del’ ‘Opiat
aftringent ou les cordiaux entrent ; les
cchangeant aufli de linge ; ce qui eft un
grand foulagement dane ces occafions.
Cette Maladie ne fait qu’ augmenter la.
etit. Les Malades ont des faims canines.
il faut que.ce foit la force des Acides qui
fe trouvent dans les glandes de la troifié.
me tunique du ventricule, qui Virritent.
Je ne fus pas furpris , Monfieur , que
nous. trouvant tout a coup.en un None cli
mat a notre retour , ce changement caufla
gant de mottalitez ea nos vaifleaux. IL
fe faifoit pour lors une fermentation dans
la mafle du fang , qui caufoit une corru-
ption cangreneule. Le chaud voulant di-
Jater ce que le froid avoit retreci; ce ne
ouvoit donc étre en ce moment qu'ug
combat. Ex la nature fe trouvant affoiblie
par la dilatation des pores, canfoit un dé.
bordement qui mettoit en defordre toute
cette Machine.
_ La difference quiil ya du Scorbut des
pais chauds vient de da Pose de r eau
Fae |
| P Amérigne S eptentrionale. 19 ¢
qui sinisla une corruption dans la bouche ,
& s'infinué infenfiblement dans les parties
nobles. Et par un contraire du climat des
pals froids, lorfque les vaiffeaux retour-
nent en France de ceux qui font chauds ,
le changement de climat qui eft froid ne
-atrivant referre les pores , lefquels crane
bouchez arrétent la’ dikedlaeiah du fang
deja corrompu , alors il fe fait un cahos &
un defordre qui fuffoque un homme.
-Enfin apres tant de peines , de fatigues
& de maux, nous arrivames a Belle-Ifle le
huitiéme Novembre. Nous allames met-
tre a l’Hopical du Port- Loitis nos Scorbu-
tiques, & nous partimes de la pour Ro-
Phefort ; ou nous defarmames.
Hic labor eXtremus s longarum hee meta
viArum.
Graces au Seigneur , je fors , Monfieur,
| du plus affreux: pais du onde: Je ne cro
pas que l'on m'y ratrape » moi fur tout
qui fuis né fous la Zone torride, Il eft jufte |
: que chacun faffe fon Noviciar. ;
| L’entreprife que nous venons de faire
| me peut étre que fort glorieufe aux ar-
mes du Roi. Cette devife eft bien jute :
| Qua nonmaria, En effet ,ladtivite & Var-
deur avec laquelle nberd Miniftre envi-
fage tout ce qui peut contribuér a la gloi-
Fe du Roi ,Vengagerent de faire partir cet-
& Rx
196 Fiftoire de = a
te Efcadre pour la poufler & V’étendre jut
ques au Pole Antartique. Tout a contri-
bué a fes defleins , malgré tant de difgra.
ces quinous font arrivées,
Au refte , quand la France ne garderoit
point ce quartier-la, le Commerce de la
Pelleterie du Canada n’y perdroit pas, au
contraire il en vaudroit mieux.Cette abon-
dance de Pelleterie de furcroit de la Bave
d’Hudfon,ne peut faire que du tort a celui
da, fi dans la fuite l’on confervoit ce Fort,
fur tour.dans un temps de Paix. Les Mar-
chands du Canada feroient pour lors obli-
gcz-de vendre aux Sauvages leurs mar-
chandifes a vil prix. L’on-commenceX fe
pafler en France de ‘beaucoup de PeHete-
ries, & on néglige méme de porter des Palas
tines par une mode toute nouvelle quel’on
a trouvce d’en faire de petits rubans,
D’ailleurs ce Voyage-lane fe fait qua-
vecdes peines extremes, des travaux & des
fatigues prefque infurmontables , & ‘les
vaiflegux ne retournent en France que tout
rongez, mangez, froiflez par les glaces , &
prefque cous les équipages y periffent da
Scorbut. Comme Rochefort fut Ja fin de
notre navigation , ce feraaufli celle de ma
‘Lettre, vous aflurant que l’on ne peut étre
avec plus de paffion quejele fuis, —
MON SLEW |
Votre tres humble, &cs
oe
LY Amerique Septentrionale. 97
LAs LETT RE
Defeription du Fleuve faint Laurent juf-
qua Quebec, Capitale de la newveile
France. | . |
De guelle maniere les Francois ont connu
_ ce Continent , & le progrez gue l'on 5 i
@ fait pour la Fos. :
LADAME,
Toutes vos manieres fi gracieufes, ce
ecur fi genereux que j'ai trouve en vous
pour tout ce qui me regatdoit lors que j’ai -
employe votre crédit a la Cour, me fait.
des impreffions ft vives & fi fortes fur
mon efprit, que ma famille qui a l’hon-
neur de vous apartenir avoit bien raifon
de me dire que je trouverois encor en
vous , Madame, beaucoup plus que ce
quils m’en ont dit. Pour moi qui ai per-
du depuis plufieurs années le gotit, la dé-
licatefle , & la politeffe de la France, je
ne {gai plusla methode de m’énoncer avec
graces fur tous les remerciemens que j¢
devrois yous faire, ‘ pe as
| ~ 3
198) 3 wae ae |
Vous me permettrez, Madame , de
vous dire que je fuis devenu un veritable
Troquois. Souffrez donc que je vous in-
troduife dans le nouveau monde par la
Lettre que j’ai !honneur de vous écrire,.
De toutes les navigations de long cours,
celle de la Nouvelle France, jufqu’a l’em-
bouchure du Golphe de S. Laurent eft la
plus aifée, parce que les Pilotes qui re-
connoiffent d’abord le Grand-Banc ont
occafion de tenter facilement fon entrée
qui eft entre le Cap de Retz dans I’Ifle
de Terre-Neuve, & le Cap du Nord dans.
l'ifle du Cap-Breton, apellée aujour-
@hui Vifle Royale. Entre ces deux Ifles:
l'on trouve l’Ifle de S. Paul, cloignee du
Cap de Retz de dix-huit lieneés , & de
cing du Cap de Nord, les vaifleaux paf-
fent entre ces deux Caps. '
Le Golphe de S. Laurent a pour bar-
riere du coré de l’Orient la grande Ifle
de Terre-neuve,qui eft prefqu’aufli gran-
de que l’Angleterre , de forte qu'il peus
avoir cent lieues de large, ;
Les Efximaux habitent Je core dua
Nord, qui eft la terre de Laborador, la-
quelle a plus de cing cens lievés de co-
te jufques au Cap Digue, au 62.d. 45.
m. a l’entrée de la Baye d’Hudfon, Ces
~ ¢btes font les plus élevées de tour: PU-
| Y Amerique Septentrionale. 19
“mivets. On les.apercoit dans un beau tems:
de quarante lieués. Ces peuples font tout-
a-fait cruels , avec lefquels il n’eft pas
poflible d’avoir aucun commerce. Ils
“mangent la viande & le poiffon crus.
Le cote du Sud: habité par les Abena-
guis eft un beau pais. I y croit du bled ;
"mais. comme je ne veux: pas m‘arreter ,.
Madame, a:décrire les quartiers les plus
agreables par les: rivieres , les grandes
‘ptairies, les beaux arbres, l’abondance: -
d'outardes , d’oyes, de canards , farcel-
les, pluviers , becaffines:, tourtres ,. lié-
vies, perdrix., gelinotes de'bois, & d’au-
tres fortes de Gibiers que l’on ne voir
point en Europe, comme canards bran-
chus qui perchent fur les arbres, fans:
parler auffi des poiffons & de la péche de |
la Morué. Je vous dirai feulement , Ma-
dame, que les Vaifleaux qui veulent en-
trer dans le fleuve viennent ordinairement:
reconnoitre I’Ifle Percee , qui eft a.l’ex-
tremité de ce vafte: pais.
Cette Ifle eft un rocher proche le Cap:
de Gafpée , qui peut avoir trois cens {oi-
xante pieds de haut, efcarpée a pied droic
des deux cétez , & vingt-quatre de bafle:
mer. On va de Terre-Ferme a pied fec:
tout autour. Elle peut.avoir de long en»
viron quatre cens pas. Elle. ¢toit.autrefois:
200 Liftoive de
de l’embouchure de ce fleuve. Le reci¢t
avantageux qu'il en fit a fon retour la mé-
me année , obligea Francois I. de l’y ren.
voyer pour penetrer le plus qu'il pour-
roit dans ce pais inconnu, Il eut l’avantas
ge d’entrer le premier. dans le fleuve , don-
nant des noms qui fubGftent eta au-
jourd’ hui aux Ifles’, aux Caps , aux moiil-
lages , & aux aig les plus daeshide tables!
juques a ‘Montreal, quieft a cent quatre-
vingt lieucs de Pembaiebuake: du fleuve.:
Le froid exceflif , la faifon de Hyver
extraordinairement ‘rigoureufe, -& le Scor-’
bur, ’avoient entierement defolé. Toutes’
les mefures qu il avoit prifes pour jetter
les premiers fondemens d’une Colonie fu-
rentainfi rompués,-ce qui fur caufe que
la Cour negligea pendant quelques an
nees ce glorieux deffein.
Toutes les démarches que Pon fit dans’
la fuite du temps pour ne pas laiffer ind
fructueux ce que Cartier avoit G bien:
commencé , mie meneroient infenfible-
ment 2 un a grand détail. En un mot
Mr. Champlain Geographe du Roi & ut
de fes Capitaines de Vaiffeaux , qui fut’
fotitenu du credit & des biens de Mr. de’
Monts Gentilhomme ordinaire d’Henri‘
IV. termina glorieufement ce que plu-
fieurs autres’ avoient tenté.: Il jetta done
EAmerique § Ebina 203
ee premiers. fondemens dans l'endroit qui
devoic étre , comme il eft aujourd'hui la
Capitale de ta Nouvelle France, ov il
atic en 1603. une maifon qui lui fervit
de Magafin & de Fort pour fe défendre
gontre | les infultes des Sauvages. oy
Il nya point « de nohcenpal 1 plus dange-
‘reufe que | celle du -Fleuve , & quelque
experience que puiflent avoit les Pilotes
qui le frequentent , ils ont encore aflez
de peine a fe tirer d'affaire. Les batures
de Manixoiiagan qui font ala céte du
‘Nord fonta craindre. J y fis naufrage en
1698. Nous vimes dans un tems de bru-
me le feu de quatre coups de canon que
Yon sira fort prccipitamment des Vail-
feaux du Roi , que nous avions joints
trois jours aupatavant. Notre Capitaine
jugea bien qu’ils avoient peur d’échoueér ,
& fe croyant proche la céte du Sud il
vevira de bord. A peine cette mancuvre
fut faire que nous échonames dans le mo-
ment a toute voile fur le minuict. Je ne
{gaurois vous exprimer , Madame, ef.
froi oti fe trouva Véquipage & une dou-
gaine de Marchands qui venoient trafi-
quer, I eft vrai que les perfonnes qui ne
font pas accovitumez aces fortes de contre.
tems , atiffent beaucoup. Ce fut un ca. -
hos & un defordre fi fubic , que ne yo-
204, Fiiflouwe de |
yane nile Ciel ni la mer, on n’entendor
que des cris & des gemiffemens. Un peu
de prefence d’ efprit & de fermeté eft d’ ut
grand fecours dans ces triftes momens.
Javois . fait naufrage. trois fois cette mé-
me année. Je m’en tirai plus heureufe-
ment qu’a la Baye d’Hadfon. Je. {cavois
donc la conduite qu'il faloit danke dans
ces occafions. je raflurai tous ces efprits
effrayez , & nous mimes la chaloupe 3 ala
mer avec bien de la peine. Nous n’étions
échotiez que fur une pointe de fable mou-
vant, & la mer qui avoit ere fort rude
coute la nuit fe calma. Nous demeurdimes
dans cet état cing a fix heures , eloigné
d’une grande lieue de terre, etite bordée
wen cet endroit de ne de rochers ,
contre lefquels la mer fe brife. Enfia
nous nous retirames de 1a fans aucre mal,
On voit dans le fleuve une trés- grande
quantite de Baleines. Les Bafques y a-
soient une peche fedentaire il ya quel.
ques années , & s ils nes etoient pas amu-
{é aenlever (iceuetene toutes les pelle-
teries de Tadouffac & des environs is ne
s’en feroient pas vis fruftrez dans la {uite,
Tl eft difficile darriver 4 Quebec de
rime abord , a moins d’avoir un bon
Nord Eft. we Vaifleaux motiillent ordi.
pairement 2) Tadouffac qui eft a quatre-
| vinigt
| DY Amerique Septenirimale. 205
-vingt liewés de l’embouchure du fleuve
faint Laurent. La riviere du Saguenai
‘wient sy decharger. Les bords en font
“tous remplis d’arbres, On n’y trouve point
de fond quelques lieués en remontant, &
Jorfqa’un Vailleau eft contraint d’y rela.
“cher, on lamare aux arbres quand il ne
speut aborder dans quelques petites ances.
> Lorfque la marée eft ‘haute al’embou-
chure de cette riviere, elle l’eftala méme
theure a Chikoutimi, quieft a vingt-cing
dieués dans la profondeur. Cette marée
dtreguliere en aparence fembleroit extra-
otdinaire , 4 l'on n’en connoiffoit pas la
caufe gui eft totit-afair naturelle. Elle
monte fix heures a Tadouflac.Quand le de-
mi-flot’eft a fon entrée deux heures aprés —
quelle a commencé a monter , elle ne
fait alors que commencer a Chikoutimi ,
ou elle em eft quatre a monter + ainfi la
tapidite du courant de la riviere refoulant
la marée ne lui donne que le tems de
monter infenfiblement pendant deux heu-
res & demie, pour fe trouver en équilibre
de Chixoutimi avec l’entrée de la riviere ,
de forte que , quand la marée: eft haute 4
Tadouflac,, elle ’eft en méme-temps 4
Chixoutimi. Cette grande rapidité viene
de ce que la riviere fe trouve retraifie par
la chiite d'une montagne qui a été ren,
Tome I, :
206 Hiftoire de
_verfée parun tremblement de terre , la-
quelle forme une Peninfule que. lon ap
pelle Chixoutimi ; & comme il y a déja
un rapide au. deffus: qui contribue d ailleurs
ala grande violence du courant, ilne faut
pas s’éronner fi la marée a tant de peine a
monter, ‘Tadonflac eft ttés- confiderable
par la traite de la plus belle Pelleterie dy
Canada , fur tout des Marthes. Il y a une
compagnie de Marchands a Quebec qui
payenr tous les ans un certain prix aux
Fermiers Generaux de la Conrpagnie du
Canada pour avoir la permiffion de com-
meercer feuls avec les Sauvages du Sague-
nai, Les Afontagnais habitent ces quat-
tiers. Ils regardoient autrefois les autres
Nations avec mépris , s’eftimant les vrais
Gentilshommes du pais. Ils étoient fuper-
ftitieux au dernier point, attachez. z a leurs
Jongleries , & fans Scieap d’aucune Reli-
gion, Quand on leur demandoit qui avoir
fait le Ciel & la rerrepils ne pouvoient di-
re qui en éroit l’Auteur. $i nous y avions
€x¢ , nous en pourrions {gavoir quelque
chole , répondoient t-ils. Pour la rerre c’eft
iM ichaboche qui l’a faite. Is rendoieng
raifon de fa creation avec un melange de
fable at? reflenroient quelque chile du
‘Deluge. Ils croyoient qu ‘il y avoit certains
pf{prits dans Pair qui | ont la puillaepr de
ie
are I Amerique Septentrionalé. 207°
she les chofes, & lorfque l’on vouloit
eur donner la donroifatice du vrai Dieu,
4 qui nous devions demander tous nos be-
foins ; ils repondoient qu’ils voudroient
bien le cohnowtre , pour {gavoir s'il auroit-
le pouvoir de leur donner des Orignaux
& des Caftors. La converfion de ces peu-
plesa été louvrage du Ciel par les loins
des zélez Miffionnaires.
Dans la diftribution des premieres
Miffions que le Pere Denis Jamai,. pre-
mier Superieur des Recollets , établie
dans la Nouvelle France , avec Mr. Cham-
plain , -le Pere Jean Dolbeau fur choift
pour annoncer lEvangile a ces Peuples.
Tl batit dans ces quartiers un petit loge-
‘ent of il ménagea une Chapelle en ma-
niere de Cabane , pour y affembler les
Sauvages. Il acquit en trés-peu de rems
Tintelligence & Vufage de la langue de
ces Barbares, :
Tl foutint de grands travaux par tous les
tains quil fe donna a chercher ces ‘peu-
ples & a les vificer dans lés lienx ot ils
€toient quelquefois affemblez ( car ils
font errans & vagabonds,n’ ayant point de
demeure fixe. ) Il poufla méme jufques
aux Betfiamites , Papinanchois , & Eski-
maux , wBarant par tout le figne du falur,
de forte que beaucoup d’annces apres on
‘ eB a
x08. Hiffoire de |
a trouve des marques du zele de ce Pres,
mier Miffionnaire. af
Les Jefuites font prefentement ¢ en pol.
feffion de cette Miffion qui eft a Chikou-
timi. Le climat y eft beaucoup plus rude
quia Quebec , . quoi gu’il n’y ait que qua.
rante lieues i diftance en remontant le
fleuve. Si le bled d’'Inde,. autrement bled.
de Turquie, & le bled de France pou.
yvoient iy ‘venir.en maturiré, plufieurs na-
tions sy établiroient. On | peut aller de le
ala Baye d’Hudfon, par des rivieres &
des lacs , en failant quelques portages qui
font ion efpaces de terre pour aller d’une
riviere a l'autre. Cette communication
n’eft que de quatre-vingt licués pat ce
chemin, & ilen faudroit faire feptz a huig
cens pat mer, fi l’on vouloit coroyer le
bas du fleuve , ns cece Laborador, tra
verfer le détroit d’Hudfon , qui a cent
trente-fix lieués de long, ‘montant jul-
ques au foixante-trois degrez, & redécens
dant vers le cinquante & un au fond de la
Baye, ou eft Kichichoiiane ,Port apanty
nant aux Anglois,
Ce fleuve. eft rempli de quanticé de
belles Ifles remplies ‘d’arbres , lefquelles
font aflez dangereufes par les Bancs de
fable, Le pailage de l'Ifle aux Coudres qui
eft a trente: cing lieuts au-dellus de Ta-
LP Amerique Septentrionsle, 209
douflac, eft aifé a connoitre ,n’érant
qu’a une. petite demie-lieu¢ de Terre-
Ferme. Les Pilotes tiennent le milieu a
vie, ou un peu plus pres de l’Ifle que
de la Grand’ Terre. Il eft fore difficile de
fuivre Ie Chenail qui eft étroit en tour-
‘nant, & extremement rapide.. Ceft un |
-Goufre ot cal yaun gtand fonds, de forte
qu'il faut avoir bonne marée 8 un vent
forcé pour -franchir ce’ paflage , fans quoi
un Vailleaune pouvant gouverner. fait la
pirotiete par la vitetfe le courant, & ef
porte dans des rochers qui font a fleur
decau, & dans les remoules de la céte du
Nord. Les: tremblemens de terre ont
eaufe de grands defordres dans cette Ifle
& dans la Terre- Ferme , par la chute de
gtofles montagnes , qui foiny tombees dans”
Ta mer. C’eft fein shocase ce quia forme en
partie ce Goufre.
_ Aprés quel’ona fair’ ce trajet , on rans
ge la Baye S. Paul gui apartient a Mon»
ficur de Laval ,.premier Evéque de Que-
bec. Elle eft confiderable par les plus
beanx mats du Canada. *
"en ai vifité les Pinieres qui font ine-
puifables. Je temarque trois fortes de Sa»
pins. Lesuns ont la feiiille de la longueur
& largeur d’un fer d aiguillete ,.en pointe:
rangée le long de la branche. Cette efpex
3 3
210 isha dh abate de a
ce a auffi la feiiille tout an tour ; mais
plus claire & éloignée , quine pique point,
On l’apelle Prufle. Son grain eft beau=
‘coup plus ferrée que les autres. La mature
de Norwegue a paflé pour la meilleure , 4
caufe de fon grain qui eft ferré , ce qui
vient de ce que fes arbres qui croiffent
f{ur.des montagnes ont le pied fec, de for
te que les grands froids qu'il fair en ces
quartiers reflerrantle bois empéchent que
Ja feve ne lui donne trop: de nourriture |
pour en faire enfler le grain. Celle de
TV Acadien’eft pas bonne depuis la Haive
qui eft au 44. d. jufques a lentrée du
fleuve faint Laurent, parce que le pais qui
eft remperé rend le grain bien plus gros,
Mais celle qui vient en la Nouvelle
France , principalement a la Baye faint
Paul , a toutes les qualitez neceflaires
pour étre trés bonne. Les arbres croiffent:
fur le penchant des montagnes extréme-
ment élevées , dont les eaux coulent dans
la mer & dans une petite riviere. Le clis
mat eft froid ; mais le Soleil deflechant
par fa force |'humeur fuperflue de ces ar-
bres, les tient plus ferrez, & leur donne
une Haifon bien plus forte, qui les rend
de meilleure qualité que celle qui eft
communiquée a. ceux de la Norwegue pas
le froid. ;
LY’ Amevique Septentrionale. 21f
Tl ya encore une qualité de bois bien
B cllaues que ceux-ci,qui fontlesP ins:
rouges. Is ne deviennent pas fi gros que
les autres ,.quoi que lon y. en trouve de
frente pouces de diametre adouze pieds
du gros bout ,. & ils font fi fouples qu ils
‘caflent racement dans les tem petes. Mon-
fieur de Laval ya un moulin a {cie, o%
Fon fait quelquefois par an. vingt milliers
de planches. Il.y.aun village a-deux lieues
au-deflus.a la petite riviere que l’on apel-
de Jes habitans de la Baye faint Paul. Ils
ont cent cinquante terres.en valeur ,fur_
lefquelles ils ont recueilli en 1699. neuf
eens minots de bled,.cent minots de pois
& quarante d’avoine. “Ys ont la chafle &
la péche en.abondance,. fur tout celle du
Loup-marin.
La Nouvelle France ne commence point
encor A cette Baye , quoiqu’elle ne foie
qua quinze licues de. Quebec , & acent
cing del embouchure du fleuve, & quil y
ait des Habirans en plufieurs endroits , 8
une Paroiffe a la Malbaye, qui eft 2 a fix
lieucs plus bas que la Baye.
_ Jacques Cartier place la terre ou Pro.
vince du Canada a huit-liewés au-deflus de
faint Paul, a des Ifles qui fone. par le tra-
vers du Cap- Tourmente , d’ou l’on dé.
souyre Nord & Sud de ce Cap les-habita-
212 Ree fia. a |
tions qui forment aujourd’hui la Colonie,
Ce promontoire eft fi haut, que l'on
ourroit le voir de plus de vingt lieués »
sil écoit {ur le bord de la pleine mer. Ib
fait une partie d’une chaine de montagnes’
de cing a fix cens lieués de long. ‘4
Parmi toutes les Ifles qui font vis-a+
vis , fle aux Oyes eft trés recommanda-
ble, par le meilleur beure du pais, & a:
caufe des paturages qui font fur les rivas
ges , & acaufe des Outardes & des Oyes
qui y viennent aux mois d’ Avril & de Se-
ptembre en nombre infinite
Il fe trouve un conflit au Cap- Tourmenh®
te de l'eau douce avec celle de la mer.
La traverfe y eft fort dangereufe. Quel-
que connoiflance qu’en puiffent avoir les
Pilotes,le plus fiir eft de la faire a la fonde’
én montant ,dattendre vent & maree, &
qu’elle foit haute en décendant de Quebec.
La premiere terre que l’on découvre
au pied de ce Cap eft la Seigneurie de
Beaupré, qui apartient en proprieté a Mon
fieur de Laval.’ | ; f
_ Elle acing lieués de long. Son domai-
rie eft de deux lieués, qui confifte en prat-
ries, bois, & aurie hieue de terres labou-
rables. )’y ai viun trée beau Chateau de
pierre de taille, de cent cinquante’ pieds
de long , qui a couté foixante mil livres
a ? Amerique Septentrionale, = ix3.
ba tit. La grange & les étables font de la
rf méme grandeur. 1] paroit une muraille de
| fix ¢ cens pieds de face fur denx-d’ ‘épaifleur ,
| quin "eft pas encor finie, & tous ces ba-
timens font eftimez cinquante mil écus.:
Les paturages y font admirables. On y
compte deux cens cinquante bétes a coine.-
Cette Seigneurie a trois Paroifles , dng?
lefquelles il y a plus de mille RSE RRY
Les térres font bonnes. I y en a deux mil
quatre cens foixanre & deux en valeur.
On y a recueilli.en 1699. quatorze mik
cing: cerns quinze minots de bled, quoi-
quil y edt une famine par tout ot Cana=
da , fans comptet huit cens quatre- vingt
un pals de ois , & trois ful deux cens’
foixante & dix d’avoine. Il y aonze cens’
quarante quatre béres a corne. Il ne m’a:
pas¢ été facile de {cavoir le revenu de cette’
terre,parce que le Seminaire a qui ce bien:
eft annexé tire toutes fes provilions en ef
peces. Autant que jen peux juger, elle:
-yaudroit douze a quatorze: mille livres’
de rente.
L’Ifle d’Orleanis eft entre cette cote &
celle du Sud. Elle a fix lienés de long fur’
deux de large. Elle a ¢té crigée en Comte
fous lenom de faint Laurent en 1676. en
faveur de Mr. Berthelot Commiflaire ge-
fieral d’ artillerie, des poudres & falpétres’
re. Hifloive ie ‘
de France. Il y a haute , moyenne, BE
baffle Juftice. Les Habicaions qui font!
tout autour fur les bords font d’ adcedbtegs
points de viics, avec les bois & les cam |
pagnes qui vont infenfiblement en mon.
tant. Les terres y font bonnes, Il yena
plus de quatre mille en valeur , fur lef.’
quelles on a recueilli ces dernieres annees’.
pres de douze mille minots de bled.
Quebec eft au bout del’'Ifle f ae
4 deux lieties dans le Sud. Oiieft. Il
une riviere aune petite demie-liciie de ee
apellee Cabir- Coubat par les sae
3 raifon des tours & détours quelle faite
Jacques Cartier lui donna Je nom de Ste.
Croix, parce qu ‘il y arriva un pareil j jour.’ |
C’ett le siemiet’ endroit ou’il ait hiverne.
Elle s ‘apell e prefentement faint Charles , >,
en memoire de Mr. Charles Des Boties™
Grand-Vicaire de Pontoife , fondateur de
la premiere Miffion des Recolets de lay
Nouvelle France. Ils y batirent en1620.
un Convent fous le titre de Nétre-Dame
des Anges, dans une efpece de petite Ifle’
éntouree de grands bois ot¢de trés- belles
eaux ferpentent. ,
Monfieur l’Evéque’ a achepté cet em-.
placement de ces Religieux ou ila mis
des Hopitalieres qui y ont foin de | Hopi-
tal general qu’on y'a bati avec une gran+
de magnificence,
VL Amerique S eptentrionale. 12g
a La Comté d’Orfainville eft dans cette
_niviere. Sa Majefté voulant gratifier Mr.
‘Talon Intendant du pais , des fervices
squillui avoit rendus, réiinit en 167 1, le
Bourg Royal, le Bourg, la Reine , & le
Bourg Talon en la Baronie des Iflets > qui
fut érigée en 1675. en Comté d’ Grain vil-
de. Ses heritiers l’ont vendu a Mr. lEvé~
gue, qui l’a réiini a | Hopiral general.
A deus lieties en remontant cette rivie-
-reelt le village de la Nouveile- Lorette,
habité par des Hurons,qui_ font gouverneg
‘_ les Jefuires.
L’Eglife eft batie fur le modcle de cel-
Jes d’ Teale. Ils éroient il y a deux ans dans
un autre. endroit affez voifin qu’ils ont
quitte , parce que le terrain commengoit
a Ctre ingrat pour leur bled d’Inde.
_ Cette Nation eft originaire d'un grand
Jac qui s'apelle Huron, a trois cens foi-
xante liciies de. Quebec. Elle éroit la plus
flere & Ja plus redoutable de tous ces quar-
tiers ; les Iroquois méme V'aprehendoient,
Ils Pont cependant fubjuguce & prefque
détruite. Ils affecterent de faire alliance
enfemble ; mais les Hurons donnerent
trop aveuglement dans toutes leurs pro-
reftations d'amiti¢. Les Iroquois trouve.
_rent le moyen de les. furprendre dans. la
fuite , & cauferent chez eux un grand dee
id
126 Fiiftoire de a
dordre, contraignant les uns de s’enfuir a
Quebec , & les autres dans le Sud.
Tous leurs voifins apprirent avec effrot
leur défaite, ne trouvant plus de feureré
a caufe des incurfions que les Iroquois fai-
foient dans le temps qu'ils s’y attendoient
le moins. Quoiqu'ils fe viflent difperfez
ils ne laifferent pas de faire des tentatives
pour trouver encore des voyes propres a
continiier la premiere alliance qu’ils a-
voient> faites avec les Francois du temps
de M? Champlain. Ils ‘firent un établifle-
ment a l’Ifle d’Grleans , ott les Iroquoi;
vinrent encore porter le fer & le fen a la
vetie de Quebec , fans que le Gouverneur
general ptt leur donner du fecours , ap-
prehendant méme quiils n'y fiffent une
décente. Les familles qui en rechaperent
fe mirent entierement fous la protection
des Frangols. : mht ah
~ Ily enadelaméme Nation qui demeu-
rent a Michilimakinak parmi les Outa-
otiaxs. Ils font du nombre de nos alliez!
{ls nous ont cependant fort ernbarrafle
dans ces dernieres guerres contre les Iro-_
quois & les Anglois. Ils fowhairoient l’al-
liance des Anglois pour pouvoir crablie
un commerce ouvert avec eux , fe perfua!
dant qu’ils en tireroient plus de profit de
gelui-ci, qu’avec les Frangois’, dont ils
NG ont
Y Ameriqne Septentrionale. 219
ent toujours trouvé les marchandifes plus
cheres , & ils €toient bien-aifes en méme
tems d’avoir pour amis les Iroquois , afin
de n’étre pas inquietez dans leur chafle ,
& dans les mefures qu’ils vouloient pren-
‘dre avecles Anglois. Le Baron qui a été
mn des plus politiques Chefs de cette Na-
tion, nous adonné bien de la-peine par
toutes fes rufes & fes ftratagémes, Tan-
rot il étoit de nos amis, & tantét il ren-
verfoit tous les projets des autres alliez
gui ne refpiroient que la deftruction des
Troquois. On peut dire qu’ils font extré-
Mement politiques, traitres dans leurs
mouvemens , & extrémement crgue'll ‘ux,
‘Ils ont beaucoup plus d'efprit que les au-
tres Sauvages. Ils font genereux , ils ont
de la délicatefle dans leurs entreticns , ils
parlent avec jufteffe, ils font infinuants ,
& il eft raze qu’ils foient la dupe de qui
que ce foit. Le Chriftianif{me a beaucoup
corrige de leurs defauts dans ceux de Lo-
rette , qui vivent avec une grande fubor-
dination a leurs Mifflionnaires.
Ce Village eft contigu a Charles- Bourg
qui eft vis.a-vis de Quebec , a l’Oiiett
Nord-Oiieft,a deux lieiies dans la profon-
deur des terres. Les Yefuires en font Sei-
gneuts. Ceft un des grands Villages de la
Nouvelle France,
dome I, T
228 Fiiftowe de
Je ne vous parlerai point , Madame _
de plufieurs Villages qui fontaux environs. i
de Quebec , nide la Seigneurie de Bau-_
port qui eft a la cote. du Nord feparée de
celle de Baupré par le faut de Montmo-
renci, quieft une grés-belle chute d'eau
de plus de deux cens cinquante pieds de,
haut. Sa Nape qui eft fort large tombe a.
pic dans un abime & fur un gros rocher.
qui forme une pluye continuelle, on pafle
un ance de trois cens pas ov il ett renfer§
mé, n’y ayant qu'un petit filet d’eau qui
vient du baffin lors que la marée eft baffle,
‘Voila une idée de ce quiil y ade plus
particulier jufques a Quebec, Je fuis a=
vec un profond relpect , | 4
MADAME,
Votre trés-humble, &¢,
hese Septentrionale; 229
Pret
a, sed
ig x ‘LETTRE
Gonversiement de Quebec » ville Capital
dela Nouvelle-France.
Idée du Commerce.
-Caratbere des Canadiens , @ la maniere
dont ils font leur établiffement par les
Caftors .
Mapa,
La vertu fe trouve dans toute forte d’é-
tats. Il yen a ot elle s’acquiert fans peine.
Chacun s’anime pour lors les uns & les __
autres par un feu de charite , qui eft com-
me forcé de s’entretenir avec eux ; mais
Ja Cour eft un {ejour qui me paroic un pew
plus épineux. Je vous avoue que depuis
neuf mois que j'y fuis j'ai trouvé en vous,
Madame, des qualitez fi éminentes, que
je peux dire que vous avez rciinies en vo-
tre perfonne , & toute la politeffe ducceur
& toutes les vertus les plus parfaites. Mow —
filence re{pe€tueux m’arréte fur cet arti-
ele. Vous ne ferez peut ctre pas fachée ,
gue je vous fafle voir, en vous parlant dis
9D.
2
ase Hifteive da |
Gouvernement de Quebec, la Capitale de
la Nouvelle-France, quil ya beaucoup de
piere dans ce nouveau monde. Vous ferez
peut-ctre furprife qu’un pais auffi fioid
que celui-la ait donné une émulation auf
grande a !’érabliffement de la Foi par l'a-
plication des Miffionnaires & des Reli-
gieufes , quin’ont rien épargné a donnér
des preuves'de leur zéle pour la gloire
de Dieu. : |
Nous n‘avons point de connoiffance de
Pethimologie de Quebec. Les Sauvages
qui y habitoient , lorfque les Francois
vinrent s’y ¢tablir, !'apelloient Stadaka,
On tient que les Normands qui étoient
avec Jacques Cartier a fa premiere dé-
couverte de la Nouvelle France , apper-
cevant au bout de I’ifle d’Qrleans . dane
- Je Sud-Oileft, un Cap fort élevé qui avan-
goit dans le fleuve s’ecrierent Quel bec s
& qu’a la {uite du temps le nom de Que.
bec lui eft refté. Je ne fuis pas garand ,
Madame, de cette étimologie. Quoi quik
en foit, ce lieu eft devenu fa Capitale de
la Nouvelle France. Sa fituation eft tres-
incommode par !’inégalité du terrain mais
la vile eit des plus belles qui fe puiffe voir,
& la fituation des plus commodes pour le
Commerce. Il ya un grand Canal large
dame lieue & demie, qui s¢tend depuis
DP Amerique Septentrionale. 2 Fy
da céte de Bauport jufqu’a la. pointe de -
Levi, qui eft dans la Seigneurie de Laus
fon, qui tire fon nom d'un Confeiller d’E-
tat, quia ét¢ Gouverneur géneral du pais,
| a Ville a une bonne Rade & un bon Ports
Le Fleuve a quatre bras vis a-vis de
cette Ville. L’un va au Sod del'Ifle d’Or-
feans , qui apres d'une lieué de large ; le
fecond au Nord de cette Ifle ; qui décend
au Cap-Tourmente ; la riviere faint Char-
les fait le troifieme , & le quatri¢me vient
de Montreal ,.a foiwatice lieues au deflus
de Quebec. *
>» Ce fut-la of Monfieur Champlain fit
d ‘abord alliance avec les Algonxins. L’u-
nion devint fi érroite qu’ if fe trouva obli-
ge de prendre leurs interéts contre bes Iro-
quois, qui faifoient la guerre a toutes les
nations de lAmerique Septentrionale &
il y batit une maniere de Fort a mi-cédte.
Les Algonxins qui étoient les maitres
de tous ces quartiers €roient fort nom:
brevx ; ils ont été infenfiblemence détruits
par les Iroquois;nous enavons encor quel- —
a familles quifont: errantes. Il ya une
jaloufie & une inimitié irreconciliable ene
tre ces deux nations- Les Algonxins font
mieux faits que les Iroquois. Ils ont tes:
_ traits du vifage aflez reguliers pour des
_ Satvages, un air dowx’, une phifionomie
T 3
bi
234 Hiftoire de |
revenante, & l'on remarque dans leur ens
tretien une délicateffe que les autres Sau-—
vagesn ont pas. La Langue Algonxine e
une Mere-Langue de laquelle beaucoup:
d'autres déerivent, & qui fe parle & s’en.
tend dans une grande partie de l’Ameri-
que Seprentrionale. ;
Quebec eft au 46. deg. 40. min, de lad
_ titude Nord : il eft le Siege d’un Evéque
immediat de Rome, le fejour du Gouver-
neur General, la eidones de l'Intendant,
le Tribunal d° un Confeil fouverain , & le
retraite de plufieurs Communautez Reli-
gieufes; il y a haute & baffe Ville. Celle-
ci eft ne le bord du fleuve , au pied d’une
Montagne de quatre.vingt toifes de haut,
& d'une Falaife de vingt- huit, nommée
Je Saut au Matelot, parce qu ‘ilen tomba
un du haut en bas, re maifons y font de
Pipe de taille bien baries ; les Marchands
demeurent pour la Facilité du Commer-
ce. Elle eft fibornee de ce cote-la qu'elle
ne peut s agrandir. Elle eft defendue pat
une Plate. forme dans le milieu qui bat a
fleur d’cau,de forte qu'il eft difficile aux
vaifleaux da pafler fans €tre incommodez.
On y voit la Chapelle de Notre: Dame
des Victoires, qui fut batie en action de
graces de la cont du fiege des Anglois,
Le General Phips y vint ent690. avec
TT
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A AAR a TAININ AoU ONE («py IE See ER VCs PRESEN) aR «STATA
i
: P Amerique Septentrionale. = 23
toutes les forces de la nouvelle Angleter-
‘re; mais Monfieur-le Comte de Fronte-_
' nac, qui étoit pour lors Gouvemeur Ge-
-neral ,. défit fes Troupes dans une decente
que ficent les Anglois 4 Bauport , & lut
‘fit lever honteufement le fiege ,avec per-
te de plufieurs de fes vaifleaux , & de plus
de huit cens hommes d’équipage , dans le
fleuve. |
Ily aun chemin de la baffe a la haute’
Ville, qui va infenfiblement en tournant,
les Charettes & les) Carofles neanmoins
ont bien de la peine a monter. ©
Le Palais Epifcopal eft fur la céte. Mon-
fieur de faint Vallier,ci-devant Aumonier
du Roi en eft ’Evéque. Nous en avons un
autre qui eft Monfieur de Laval premier
Evéque de la Nouvelle France , il s’eft de-
mis de fon Evéché il ya plufieurs années:
aprés avoir beaucoup travaillé a letablif-
fement de la Foy.Il vit prefenrement com-
me un fimple Ecclefiaftique dans. fon Se-
minaire.
Pour le Palais Epifcopal ¢’eft un grand
Batiment de pierre de taille, dont le prin-
¢ipal corps de logis avec la Chapelle qui
doit faire le milieu regarde le Canal, il eft
acompagné d’une Aile de foixante & dou-
ze pieds de longueur, avec un Pavillon au
bout, formant un ayant-corps du cote de
ye Fliftorre de |
PEft. Ec dans l’Angle que fait le corps de®
Togis avec cette Aile, eft un Pavillon dela
méme hauteur, couvert en forme d’Impe-
tiale , dans lequel eft le grand Efcalier. Le’
Rez de Chauflée de la principale courr
étant plus élevé que les autres courts &
le Jardin , fait que dans cet Aile le Refe.'
Ctoire, les Offices & les Cuiffines font en
partie fous terre,toutes votitées de brique,
& ne prennent jour que du cété de V’Eft.
_ La Chapelle eft de foixante pieds de
Yongueur , fon Portail eft de l’ordre com-
pofite , bari de belle pierre de taille , qui
eft une efpece de Marbre brute. Ses De-
dans feront magnifiques par fon retable
d’Autel , dont les Ornemens font un ra-
courci de celui du Val de Grace. Il y au-
roit peu de Palais Epifcopaux en Francé
qui puflent Pégaler en beautée sil etoit
fini. Tous les Curez de la campagne qui’
ont des affaires particulieres a la Ville, y
trouvent leur chambre, & manhgent ordi-
nairement avec Monfieur l’Evéque , qui
fe trouve prefque todjours au Refectoire.
‘La Cathedrale eft ala haute Ville. C’ef
un affez grand Vaifleau. Le Chapitre ctoie
compolé dans fon commencement de dou-
ze Chanoines & de quatre Chapelains..Ib
c(t réduit prefentemenra neuf, fans Cha-
pelains a caufe dupeu de revenu sla rete
| l’ Amervique Septentrionale, 235
‘nion d’une Abbaye a ce Chapitre n’étanr
‘pas encore bien reglée. Il y a Doyen,
sea Chantre, Theologal , gtand Peni-
tencier , & gtand Atchidiacre.
Pe Seminaire eft tont proche ; -Monfieut
Be Laval en eft le Fondareur. Hct tur Ia
Plate- forme dela pointe qui donna le nom
de Quebec. La face qui regarde le Canal,
accompagnée de deux Pavillons G forme
la plus belle veué de la Ville. L’ Atle oau-
che ot eft renfermée la Chapelle a deux
ccens vingt pieds de long, & la Jargeur du
batiment eft de trente pieds en dehors.
La Chapelle avec la Sacriftie a quaran-
te pieds de long. La Sculpture que l'on
eftime dix mille écus en eft trés-belle; elle
a été faire par des Seminariftes qui n’ont
ete Gpargne pour mettre Pouvrage dans
macs
fa perfection, Le maitre Autei elt un ou-
vrage d’ Architecture 4 la Corinthienne y
les murailles font revétués de Lambris Be
de Sculpture, dans lefquelles font plu-
fieurs grands Tableau. lesOrnemens qui
les accompagnent fe vont terminer fous la:
corniche de la voute qui eft a pans, fur
lefquels font des compartimens en Lo»
zange , accompagnez d’ernemens de’
fculpture peints & dorez,
Cette Maifon a couté environ cinquan-
te mille écus. Lorfque Mr. de Laval en
236 ‘Hiftoire de
fic I’établifement en.1663. il lui referva
les’ Dixmes de toutes les Paroifles , a la
charge de nourrir & d’ entretenir tous |
Curez tant dans les Cures que lorfqu’ ils
feroient. apellez au Seminairé yayant le
droit de Tes retirer comme il le jugeroit
a propos & d’en faire venir de France aux
frais dela Communauté, les Curez étrant
pour lors amovibles 8 révocables ; Sa
Majette les a fixez depuis par les dixtoel |
dont ils jottiffent 5 de forte que confir.
mant la méme année l’etabliflement dé cé
Seminaice , le Roi lui en accorda le treiz
Zieme pour les faire fubfifter. Mais coms
me par la fuire du temps les Curez ont ed
bien dela peine a vivre de leurs dixmesy
Sa Majefté leur donne huit mil franee
tous les ans fur les fonds du Treforier ges
neral de fa marine, que Mr. ’Evéqueleug
diftribué felon Leute befoins,
Ainfi les Curez fonr prefentement fis
xes , ils jotiiflent du revenu de leurs dixe
mes, & ceux qui ont de la peine a tuba
filer ont un fupplement.
Monfieur de Laval prévoyant que la
Nouvelle France ne pourroit peut. érre pag
fournir aflex de fujets pour remplir toures’
les Cures, réiinit fon Seminaire avec celui
des . Miffions étrangeres de la rue du Bac
a Paris’, ce que le Roi confirma en 16764
P Amevigue Septentrionale. 237
gy ie champ du Seigneur eft vafte dans
ce pais. Tlya dequoi s’occuper. Il n’eft
pas todjours necellaire d’y envifager le
martyre.
De jeunes Ecclefiaftiques remplis d'une
fainte ardeur n’ont point d’autre ambi-
tion em partant de France que d’étre fa-
crifiez par les Iroquois. Il faut étre com-
me Samiiel dans une parfaire refignation
@ tout ce quil plaic au Seigneur,en fe dé-
poiiillane de fes propres fentimens, & fe
cconformant en méme-tems aux intentions
dun Evéque qui {gait ce qui convient a
un chacun.
Tl y 4 trente- deux Ecclefi aftiques atta-
chez a cette maifon, fept Miffionnaires
dans le Miffifipi, quatre dans l’Acadie ,
huit freres & autant de Donnez , qui font
des perfonnes attachees pour toute leur
vie 4 une Communauté, oti ils font les
fonétions de D Domettiques.
Le revenn fixe n’eft que de treize cens
livres de rente. Mr. de Laval y a attaché
Ja Seigneurie de Baupré, ce gu’un Arrée
du Confeil d’Etat confirma en accordant
au Seminaire dans ce temps les dixmes de
toutes les Cures. Les penfions de quel-
“ques Ecclefiaftiques , & le revenu des
Chanoines qui vivent en commun contri-
buent aufli a la fubfiftance. Ils ont quatre:
we ‘
oe
.% .
a28 - FAliffoire de
vingt Penfonnaires qui vont au College
des Jefuites. Leurs habits font unifor-
mes, ayant un capot bleu ala Canadien-
ne, fur lequel il y a un paffe-poil blanc,
d’étofe, ee or. ae
Les caves font d’une grande beauté,
On diroit en hiver que ce feroit un jar-
din ou toutes les legumes font pat ordre
comme dans un potager. ‘ :
Petmettez. moi, Madame, que je faf-
fe ici une petite difgreffion qui vous don-
nera une idce de la vertu & du zéle Apo-
ftolique de ces Ecclefiaftiques qui ont por-
té l’Evangile a plus de fix cens lieués d ‘ici,
~ Nous ,aprimes avec plaifir, ily aunan,
le progrés que fit Mr. de‘Montigni Grand-
Vicaire de Monfieur PEvéque de Quebec
dans le Miflifipi,par tous les foins qu’il fe
donna a y publier l'Evangile. Il a vilité
infenfiblement ce fleuve en trés-peu de
temps , jufques a l’embouchure ou il a
trouvé le Fort de Maurepas. Nous ne vo-.
yons point de Frangois aprés Monfieur de
la Sale qui ait fait cetre découverte fi heu-
reufement,an travers de tantde nations
qui y fonr établies. Tout y eft en guerre,
Quelques nations commencent cependang
a vivre en bonne intelligence par fon -en-
sremife.
Ces peuples comprennent affez que la
paix
z Amerique Septentrionale. 239
isis eft.un_ moyen pour vivre plus heu-
petss & que pour acquerir cette tran-
quilité il faut quelquefois calmer les ju-
ftes reflentimens que l’on peut avoir con-
are fon ennemi pour qu'il donne une fa-
_xisfaction qui 6te tout ombrage,
Depuis quils ont apris quil y a un
nouvel érabliffement Frangois au bas du
fleuve dot ils peuvent tirer plufieurs a-
vantages , ils ne re{pirent que les occa-
fions d’y pouvoir aller ; mais les Natchets
-qui.ont guerre avec quantiré de nations
du haut du fleuve , font un grand obftacle
(pour en permettre je commerce.
La paffion qu’ils ont d'etre inftruits des
‘Mifteres de notre Religion a diflipé leurs
partis contre les Tonicas, les Taenfas, &
plofieurs autres nations , eo |’ efperance
quils ont que ce Miffionnaire doit pafler
une partie de l’ann¢echez eux. Il fe char-
gea_ d’aflurer ces peuples de leur part,
quils vouloient vivre dorénavant dans
une -parfaite union,
_ Cette Nation eft la ans nombreufe du
Alcuve. |
Elle habite des coteaux qui ne fone
jamais inondez. :
Le Miffifipi a cela d'incommode , qu ‘il
fe déborde fort loin dans les dhe Hiss
_ Les Natchets execurerent leur parole
Lome J. V
240 — Fliftoire de |
frois jours aprés qu'il fut arrivé chez les
Taenfas, aufquels ils envoyerent des Dé_
putez que lon recut avec tout l’acueil
poffible. On les conduifit avec ceremonie
vis-a-vis la porteda Temple ott le Grand
Chef & les principaux de la Nation les
recirent. Ils prefenterentau Temple fix
robes de Rats mufquez bien travaillées.
Un ancien qui étoit comme le Grand
Prétre , harangua al’entrée fur une petite
hauteur , adreflant la parole a PEfprir, &
exhortant les deux Nations a oublier Ie
pafle & a vivre dans une paix inviolable.
Quoique les Sauvages de !’Amerique
Septentrionale , vivent fans culte & fans
aucune forme de Religion, ceux-ci ont des _
mecurs & des maximes qui les diftinguene
des autres. Ils ont des Temples dans lef-
quels ils entretiennent un feu perpetuel
qui eft confacré a ’Efprit. Ils en recon-
noiffent plufieurs ; mais ils adorent par-
riculierement celui qui préfide a la nature,
_. Les Etrangers ne leur font point de pre-
fens un peu confiderabies qu‘ils ne les pors
rent en méme temps au Temple , avec
beaucoup de refpecét,comme un hom:
mage quils rendent a VEfprin,
~ Qn des regoit pour lors avec des cere-
monies, fe tournant du cote du Temple,
fevantles mains au Ciel, fe les mettane fug
f
a P Amevique Septentrionale. AY
la téte, 6 regardant les quatre coihs du
monde. Lors qu’ils viennent chez eux
pour y traiter d’affaire ils vont au Temple
ou tout ce qu "ils off, ent eft diftribue a la
Nation devant la porte. I n’y aque ceux
qui en ont le foin qui ofent ‘y entrer y
ayant cette opinion ridicule » que fi quel
qu autre y entroit , il mouroit. On y voit
des figures d’ SA pms & d animaux en
relief affez mal travaillées , & plufieurs
€aifles d’os des Chefs les plus cuhiedanaliees
Ils croyent que Von fe trouve aprés a.
mort dans un pais fort éloigne, i ils met-
tent pour cet éfet dans le Tombeau du
défunt tout ce qu'il avoit de plus précieux.;
Les parens: & les amis y contribuent auflt
par un petit nombre de corbeilles pleines
de farine ; afin qu’elle lui puiffe fervir
dans fon voyage.
_ Les Natchets & les Taenfas ont une Lot,
bien cruelle. Lorfque le Grand Chef
meurt, pluGieurs fe font un principe de
Religion de mourir avec lui ; mais | lort
que le nombre n’eft pas fuflifant, on por"
te un prefent a une famille qui fa fair un
honneur d’ y envoyer quelques-uns qui ne
font aucune difficulte de facrifier leur vie.
Il y a trois a quatre ans que trente Nat-
ehets foufftirent la mort pour acompagner
eur Chef. “
, ie -e
Be
4“
ts f7
2.4.2 — Aiftoire de
On leur caffe la téte a coups de haches)
aprés quiils ont fait bitiler une certaine
racine dont nous ne connoiffons pas enco- |
re la proprieté, ou bien ils permettent
qu'on les étrangle. ; !
Quoique ce Chef ne foir pas tout-a- fair
abfolu , ona cependant pour lui une gran-:
de veneration. Les femmes & les enfans
n’ofent entrer dans fa cabane, les anciens’
& les plus confiderables ayant feuls ce
privilege, |
On n’aproche de fon lit que de loin, &
perfonne ne prend la liberté de paffer en:
tre ce Chef & un flambeau de canne qu’on’
y_allume tous les foirs. |
Le Village ot il demeure s'affemble aw
temps des femences & de la recolte pour
travailler fur fes terres. On commence
d’abord par une danfe generale , chacun
eontribuant enfuite a un feftin folem-—
nel , aprés lequel c’eft a qui lui rendra
{es fervices, : i
Jai peur , Madame , de m’engager’
dans un trop grand detail des mecurs de
ces peuples, qui m’cloigneroit infenfible-
“ment de mon fujet. Laws :
Revenons a Quebec. Je vous dirai ,
Madame, que le Chateau eft fur le bord
d’une grande céte, efcarpce de trente toi-.
fes. Ll eft irregulier dans fa fortification ,.
l’ Amerique Sepeentrionale. ~~ ae
ayant deux' Baftions du cété de la Ville ,
fans aucun foffé. La maifon du Gouver-:
neur general eft de cent vingt pieds de
long, au devant de laquelle eft une terraf-
fe de quatre-vingt pieds quiala vie fur la
baile Ville & furle canal, Ce batiment eft
fort agreable tant pour fes dedans que pour
fes dchors, acaufe des Pavillons qui for-
ment des avants & atriere corps. Il eft a.
deux érages, il y manque encore un Pavil-
‘Jon de trente-trois pieds de long.
—Ily aune batterie de vingt-deux em-.
brafures a cdté de cette maifon , partie’
dans l’enceinte & partie au dehors , qui
commande la baffle Ville & le fleuve. ‘A.
“quatre cens pas au deffus eft le Cap au dia-
-mant de quatre- vingt toifes de haut , fue
Jequel ef une Redoute qui commande le
Fort, la haute Ville & toute la ee
Ce Cap eft remphi de Diamans dat
‘fes rochers.. Il yena d'affez beaux , ite
s‘ils avoientla fermeté du vrai Diamant
On s’y tromperoit aifément..Au deffeus da.
Gap, en tirant au Nord-Oiieft a l’extrémi-
te dela haute Ville, eft un Cavalier revérw
| de pierre , fur lequel on peut mettre pla-
fieurs pieces de canon, qui commasdent la
campagne , dans le milieu duquel eft um
moulin: Ona fait un nouveau Baftion quis
met la Valle a Vabri de linfulte- des enne~
mals, : no baie ie
26h Fiiftoive de :
Le Gouverneur general a douze mille
francs d’apointement, trois mille en qua-
licé de Gouverneur particulier , & autant:
pour le fret de fes provifions qu’il fait ve.
mir de France. |
Il a huit mille fept cens quarante-huic:
_ livres pour fa compagnie des gardes,com-
pofée d’un Capitaine, d’un Lieutenant ,.
d'un Cornette , & de dix fept Carabins.
La garnifon du Chateau que les Fermiers:
du Canada entretiennent eft compofée de
deux Sergents & de vingt-cinq Soldats,
Ils ont trois mille fept cens foixante & dix
livres, & quatre cens quatre-vingt livres:
pour leur bois & leurs fouliers.
On compte onze Gouverneuts gene-
raux , depuis l’érabliffement de la Colo-
nie,parmi lefquels Mr. le Comte de Fron-
tenac a gouverné l’efpace de vingt ans.
Il étoir ’amour & les délices de la Nou-
velle France, la terreur des Iroquois 8 le
pere des Nations Sauvages ali¢es des Fran-
cois, Il déclara la guerre a la Nouvelle
Angleterre de la part du Roi en 1689. Il
foutint le fiege de Quebec en 1690. con-
tre toutes les forces des Anglois. Corlard
petite Ville de la Nouvelle York fut em.
portce d’emblee par fes ordres, dans la-
quelle on epargna une quarantaine d'Iro-
quois, Cette Nation ne reconnut point ce
q Y Amerique Septentrionale. Taig .
bienfair. Elle fe joignic dans la fuite aux
Anglois ;. mais il leur fit connoitre que les
ayant voulu confiderer comme fes amis ,
il pouvoir, quand il voudroir, leur faire
teffentir la force de fes armes. Eneffer, le
fort des Aniés , une des cing nations Iro-
quoifes , fut pris d’aflaut en 1693. dans le-
quel on prit trois cens de leurs Guerriers.
Tlallaen 1694. attaquer en perfonne a:
Page de 74. ans les Onnontagués qui fonr
deja méme Nation, ou il porta le fer &-
Je feu; & quelques réfolus qu’ils fuffent
de fe défendre jufques ala mort, ayant
envoyé tous leurs vieillards & les femmes
dans la profondeur des bois , ils furent:
contraints d’abandonner leur Fort plurot
que de hafarderune défenfe incertaine ,.
Jeurs campagnes de bled d'Inde furent:
Brulées : ce qui leur caufa une grande fa-
maine. Les Onneyoiits eurent en méme-
tempsun pareil fore. Il les a obligez dele
reconnoitre pour leur Pere dans toutes les:
-Ambaffades ov ils font venus lui deman-
der la Paix;mais dans leremps qu'il alloit
la conclure il mourutr. La nouvelle de fa
mort fe répandit aufff- tot chez eux. I] fur
fenfiblement regreté. Toutce que je peux
vous en dire, Madame, eft que la Nou-
velle France a fait en lui une trés. grande’
perte. On reconnut quelques jours avant —
\
546 \ Hiftoive de
fa mort ot l'on eftime les chofes quand’
elles font prétes de finir, & ott l'on com-
mence A les miea¥ voir lors qu’on-les va.
perdre , combien le Canada avoir d’amour.
& de rendrette pour lui. Ce n’étoit que lar-.
mes. On n’entendoit de toutes parts que:
des lotianges que l’on donhoit a fa vertuy
& a fes belles ations + de forte qu’il pou-
voit déja jotiic de fa réputation & de fa
gloire, & gotiter comme par avance Tes?
favorables jugemens qu’on devoit faire de
lui apres fa mort, L’Etat Ecclefiaftique
Vhonoroit pouc fa pieté, 8 la nobleffe
Veltimoit pour fa valeur.. Le Marchand
le refpectoit pour fon équiré ,. & le peu
ple l'aimoit pour fa bonré.
Le Convent des Recolets eft tout vis-
a-vis le Chateau. Leur Eglife eft be lle.
Elle eft entourée en-dedans d’une boiffire
de noyer de huit a dix pieds de haut. Le
tableau du Maitre-hérel eft un. Chrift que
Von décend de Ja Croix fait par le fameux,
frere Luc qui y demeuroit pour lors, La
maifon eft bien batie. Le cloitre eft trés-
beau , tout vitré avec les armes: de plu
felts: particuliers. Il y manque encor
quelque corps de logis. La Nouvelle
France leur a obligation de Vérabliflement
_ de la Foi. Leurs premiers MifGionnaires fe
~ fone. rendus recommandables par tous: les.
—
~~ «L Amerique Septentrionale. © 247
travaux Apoftoliques aufquels ils fe font
occupez. Que de peines & de miferes’
n’ont-ils pas fouffert parmi cinquante Na-
tions barbares qu’ils ont conduits infenfi-
blement ala connoiffance du vrai Dieu. A’
mefure que l’E{prit du Seigneur fe répan-
doit dans les curs de ces peuples, ils les’
voyoient venir en foule fe jetter a leurs
pieds pour étre inftruits des veritez qu'ils
avoient ignorées jafques alors. Leurs Ca
pitaines-en téte venoient demander le Ba-
pteme, & le recevoient avec leurs Enfans.”
Cette ferveur augmentant de jour en jour
paroifloit comme effacer celle de nos
Francois. Des Villages entiers s atachoient’
avec aplication a toutes les regles & aux
exercices de piete que ces zelez Miflion.~
naires leur prefcrivoient. On voyoit em
certains endroits des Chefs prépoiez aux’
prieres , aux conferences , & aux affaires:
denotre Religiom |
Il fe trouvoit méme des Neophites qui:
déclamoiént contre les vices & les dére-
glemens par des difcours pleins de zele..
~ Ons’eft accotitumé d’abord a leurs ma-
nieres bathares ,. & par ce moyen on les
a humanifez infenfiblement. Le grand
definrereflement qu ils remarquoient dars’
les Miffionaires leur faifoit connoitre que’
Hs n’envifagcoient que leur bien & leur’
~
vat 8 ‘ Hitbaine an :
Gilat, Ce (eul endroit les toucha vivemene
parce qu ils faifoient un jafte difcernement,
de leur vert, par Pempreflement qu “ils
| remarquolent dans les” Francois qui ne
~sembaraffoient que dyconimetce de leurs’
Pelleteries. A mefare qu'ils dévelopoient
les nuages ot ils éroient-enfevelis , ils
trouvoient quiils n’éroient pas de verita-
bles hommes = SEY apres avoir connu dans
la fuite des années le veritable caractere
des Francois ; ils ont ‘taché de les’j imiter: i
dans routes leisy manieres,
. Nous ne voyons pas prefentement que
les Recolets ayent des Miflions chez les
Sauvages. Ils s’o¢cupent au-dedans du’
pais ot ils fonr les fonctions de Curez:
dans les Paroilles de la campagne, >
Les Jefuites qui vinrent en 1665. partas
eerent avec eux les travaux Apoftoliques.
La moifion deyint pour lors. plus grande.!
Ils trouverenr. beaucoup de difficultez a
paler en Canada , partrous les obftacles
que leur fit Montes aur de Caen directeur
dela Compagnie qui ¢toit de la Religion.
Mais Mr. de Ventadour a qui Mr. de
Montmotenci fon oncle avoit cedéle titre
de Viceroi de ce pais , obtint I’ agrément
de Loiiis XIII. en leur Saveur. & la Com:
pagnie qui vit bien qu’on la contraindtoit
dy donner les mains , -confentit de bonne
P Amerique § aptentrionale. 249
tace en leur établiffement , érant obli-
“gez neanmoins Panecovenie toujours le
‘méme nombre de Recolets,
“Les Petes Lallemand, Macé & Brebeuf
“furent choifis par le Pete Noirot Provin-
‘cial de Paris pour ¢tre les Coadjuteurs
fpirituels , & les fretes Buret & Charton
pour les Coadjuteurs temporels. Mr. de
Rs qui vinten Canada leur fufcita beau.
coup de traverfes,
“Les Peres Recolets les recurent chez
eux pendant deux ans, ou ils n ‘avoient
“qu'un meme efprit, & ne faifoient qu'un
meéme corps, jufquesa ce que leursjaffai.
ges de France piiffent étre reglées, Ls
“travaillerent de concert dans les commen-
‘cemens, Le Pére thas ph de la Roches
‘d’Allion Recolet, e la maifon du Dulu-
‘de & le Pere Brebeuf » furent deftinez
‘pour la Miffion des Hatons qui eft a trois
‘cens lieués au- deffus de Quebec. |
ge Evangile | commengoit a fleurir , & la
Colonie augmentoit - inais ‘lé nombre
d@ Huguenots qui y ¢toient pour lors au-
Toit fait un grand tort a la Religion , fi
de Pere Jofeph le Caron Recolet , n’ ‘cit
fait tous fes efforts én’ Fratice pour faire
mettre un Catholique Ala place. du Di-
recteur de la Compagnie , qui obligeoit
tes ( Cat netignss dq’ aflifter a fenes pricey,
25.0 Fiiftoive de |
La tranguilité deyint un peu plus gran2
de dans le centre du pais, lorfque Mr,
de Caén fut rapelle. L’acroiffement de la
Foi n’etoit plus fi travaillé par des gens
uli ont coultume de tourner en ridicule
Jes Miniftres de nos faints Mifteres, mais
lorfque les Jefuices arriverent en la Nou-
velle France, ilsdevinrent une pierre d’a.
chopement aux Religionnaires. Il écoit du
bien de la Colonie queces Peres fufleng
fedentaires, afin d’avoir lieu, a mefure
qu'elle augmenteroit, de fournir des fu-
oO
buér a l'éducation des familles.
e trouve, Madame, que leur condui-
jets aux Miffions cloignées, & de contri-
ze fut tout-a fair judicieufe, lors quils
freterent un petit batiment dans lequel ils
firent embarquer vingt ouvriers de métier
pon faire un établiffement folide. Les
“Peres. ‘Noirot & de la Noué, vinrent en
méme temps prendre part aux travaux de
leurs premiers Miffionnaires. La maifon
quils ont prefentement eft ala haute Ville,
Le College a été fondé par le Pere Ga-
mache qui fit prefent de vingt mil ¢cus..
L’Eglife eft fort propre. Le platfond eft
en compartimens de plufieurs quadres,
remplis de plufieurs figures & ornemens
qui font une belle fymetrie. Le jardin eft
grand > accompagne d’un petit bois de.
haute
\
i
VT Amerique Septentrionale. 25
‘haute fataye, of ily a une trés-belle
avenue, :
Ils enfeignent les Humanitez, la Philo-
Aophie , & la Theologie; ils ont porté
TEvangile a plus de huie cens lieués de
Quebec. Hs ont {gi domprer la ferocité
ges Iroquois ; les Peres Lallemant, Bre-
beuf, & de la Noiie ont verfé leur fan
les premiers chez ces Infidelles : Les deux
premiers fucent brilez & rétis a petit feu,
& fouffrirent cout ce que la rage & la fu-
reur pouvoient infpirer, 8 l’on fit moutirc
celui-cide froid, Je ne parle point de plu-
ficurs autres de.cette Societé,qui érant ve-
nus dans‘la fuite en Canada s’eftimerent
rcs-heureux de fuivre les mémes traces
de ces premiers Apétres. .
» Quelques traverfes quils ayent ren-
contrées dans cetre penible & dangereufe
Miffion , ils ont cependant trouvé le fe-
cret de fotimertre une partie de cette fe.
foce Nation, fous le joug du Seigneur par
Ja belle Miffion quils ont formée au Saur
faint Loiiis, proche I’Ifle de Montreal, of
ils ont aflemblé plus de mille Iroquois qui
compofent ua beau Village. Ils fone pre=
fentement plus de cinguante Religieux
dans toute la Nouvelle France. On com—
pte treize Miffions cloignées , & ils one
penetre jufques au bas du M'fifipi , a
| Lome I, ), ees
22 , Hiffoire de
plus de fix cens lieués de Quebec. -
Quoique la derniere Guerre que noug
ayons eu avec les Iroquois pendant dou.
ze ans, ait interrompu le cours des pro-
jets quiils avoienr formé pour le parfair
établiflemenr du Chriftianifme , chez ces
Sauvages., ils n’ont pas laifié de demans.
der dans les dernieres Ambaflades un de
ces Religi eux, pour etre le mediateur de
la Paix. .Le Pere Bruyas fur en 1700, &
Onnontagué, off il renverfa tout ce que
vouloir faire le Deputé du Comre de Bel,
lomonr , Gouverneur general de la Nou-
velle Angleterre, contre lalliance que les
cing Nations negocioient avec nous 5 &
il ramena une partie de nog Pia tenck..
— Siles Religieux qui fe font établis dans
la Nouvelle “France n'ont envilagé que le
bien public & la gloire de Dieu, les Hopi-
talieres qui vinrent en 1639. travaillerent
aufli de leur cdté a rout ce cul pouvoit,
contribuér au foulagement des peuples ,
foir pour le {pirituel foir pour le tem=
porel. |
Dans quelle: admiration n¢toient- ils vail
de voir dun cété des hommes qui fe facri«
fioienr uniquement. pour leur falut, & de
l’aurce des filles dont.la charireé Laue fai-
foir abandonner leur Patrie & traverfer
'es Mers pour yenir prendre foin de leyg
| i l Amerique is eptentrionale. 453
“fante. Les travaux Apoltoliques de ces
Religieux les faifoient quelquefois rentrer
en eux-mémes , ilsne pouvoient compren-
dre comment ils avoient pu etre jufques
alors dans ignorance du vrai Dieu , eux
qui fe croyoient les vericables ievames
& les veilles & les fatigues de ces Gdidces
-Religieufes dans ‘un pais fi opofeé aux dou-
“ceurs de la vie , les touchoient fenfi-.
blement. |
Ces premieres Filles n’éroiént pas ve-
fhués feulement pour y exercer le droit
~Whofpitalité , & pour le foulagement des
malades ; mais auffi pour inftruire les
_ femmes & les filles Sauvages. Il eft vrai
que lon s'imaginoit en France quil n’y
“avoit qu’a cabaner dans les bois auprés des
_Sauvages. C’eroit a la verice Vintention
mde leur Uluftre Fondatrice.
Elles le firent en effet, Madame la Du-
Eghelfe d’Aiguillon, foticenué du credit de
_Mr. le Cardinal de Richelieu fon oncle ,
Moutane contribuér au bonheur & 2 lnite-
Hicité de ce nouveau monde, tira de la
maifon de Dieppe trois Hépitalieres Pro-
feffes de Cour ; avec!’ agircement de Mr.
av Archevéque de Roiien. Elle leur fic un
fond de foixante mil frances fur les carof-
-fes d’Orleans. La compagnie leur accor-
_@aune conceffion de terre en 1637 , on
| pa
264 Fitftoire de |
commenga a batir en 1638. une. petite
maifon a fainte Marie, un peu au deflus
de Quebec, & on jetta dans la méme an.
née les fondemens de leur maifon dans.
cette Capirale, Elles arriverent en 1639.
avec des provifions pour deux ans. La'
petite verole qui fe mit la méme année
parmi les Sauvages, leur donna bien de’
Poccupation. Les maladies ayant ceflé les
Sauvages s ¢tablirent a une lieué au-deflus
de Quebec, fur le bord du Fleuve. Les:
Hopitalieres , qui n’éroient venucs que
pour eux fe trouverent obligées de ne les
9as abandonner. Elles y firent un petit éta-
Llifement en 1640. afin d’en étre plus a
portée ; & en cas quil ne ptt fubfifter ,
elles réfolurent d’en faire une metairie,
Le feu prit malheureufement la mémé
année chez les Jefuires, qui brila la mai-
fon & l’Eglife. Ces Dames leur cederent’
leur maifon de Quebec , patree que les:
gin faifant les fonétions de Curez
Tes Frangois auroient eu de la peine a fe’
paffer d’eux, Elles allerent a faint Michel
en attendant qu elles piifent accommoder
leur maifon de Silleri , & elles fe trou-
werent enfuite au milieu des Cabanes des
Sauvages. : i ohh ae
Que des perfonnes qui ont méprife le
monde, ont de confolation, Madame
a l Amerique Septentrionale. 258
quand elles fe voyent dans une telle fi-
-fuation,
| La vie molle & oifive des gens du fie-
pele; faifoit fr peu d’ impreflion far Vefprit
de ces Filles,qu’elles gouroient avec beau-
eoup de plaifir toutes les amertumes at-
tachéesaleur emploi & a leur maniere
de vivre.
Abandonner une des bonnes pate du
Royaume , oti elles avoient routes les
— commoditez convenables a leur état, pout
aller-en’ Canada habiter les bois Hohe: une
petite maifon couverte d’écorce d’arbres ,
-expolce < Aun froid extreme & y manquer
de toutes chofes., c’étoit faire un grand
“psa
. Ces faintes Filles Vont fair genereule~
ment. ;
Jen né vous parlerai point , Madame 5
des foins qu ‘elles: prenoient des malades’
~qu'elles avoient chez elles , & qui eroient’
_dans les cabanes voifines. Elles demeure-
_ rent quatre ans dans cette folirude:; mais’
_ Jes irruptions continuellés que les Iroquois
faifoient fur les Algonkins+les obligerent
a la follicitation de ceux:ci de fe dacireelal
Quebet, ne voulant pas foufftir qu’clles
devi rithestyt leurs victimes ; de forte qu’el-
pies revinrent a Quebec en 1645.
Elles s’y érablivent avec le fecours de
er
256 Fiiftoire de ‘sg
Madame d’Aiguillon. Elles donnerent afi.
le l’efpace de treize jours aux Urfelines ,,
dont la maifon fut brilée.Le Regiment de
Carignan-Salieres qui artiva en 1665 4,
donna lieu a l’Hotel- Dieu de faire pa-
roitre fon zéle avec d’autant plus d’em-
preflement que les Sauvages commence-
rent a diminuer par les Guerres continuel-
les que les Iroquois avoient contre eux ,,
& par les maladies qui en avoient beau~
coup détruit; ce qui fit que les Hopita-
lieres s’attacherent ala Colonie d'une ma~
niere plus particuliere. |
_ Ce Regiment ne laiffa pas de leur etre’
a charge, il y entra chez elles tout d’un’
coup deux cens malades qui avoient le
Scorbut. Leur batiment étoit fi. petir ,.
qu'on les mettoit dans le portail & aux.
greniers. Monfieur Talon gui éroit In-
tendant fort fatisfait du zéle & des foins:
de ces Religieufes , écrivoit en leur fa-
veur a la Cour qui leur accorda trois mil.
livres de rente. Les dépenfes augmente-
rent cependant de plus en plus. Monfieur
Talon totjours porté d'inclination pour
elles , entra tout-a-fait dans leurs inte-_
réts. I] leur préta douze mille francs des:
deniers du Roi pour faire une grande fale:
qu'il prit le foin lui-méme de faire batir..
Voici ce que l’on mit fur la premiere piers
re de fes fondemens,.
’ Amerigque Septentrionale. 2s
Gb SY
‘Ee Van depuis I Incarnation de M. De.
pec En memoire @ a Uhonneur du
SANG PRECIEUX: gue Jefas-Chrift
; ver fa pour nous
| Pour plaive a fa SAINTE MERE, Jae
Mere de Mifericorde. |
a QUE SOUS a
mo Le Pontificat de Clement X.@ le Ré=
gne de V Invincible @ du Pacifique ALo~
warque Louis XIV. Roi Trés-Chretien, ©
Avec la joye la Benediétion de MM of.
fire Francois de Laval ; > premier Hveqee,
du Canada.
Pendant la S, nperiorité de la Reverende’
Mere Renée dela Nativite ; @ la felici=
‘bation de fes Filles.
An bruit des iiendlifieenss de toute
da Colonie.
_ Et par les foins infatignables de AL ef-
fire Jean Talon Intendant pour le Rot, aes!
iitices: jaftice @ Poltce de la Nouvelle’
| France.
Vu Vacroiffement qu'il plaifeir a Diew'
de donner au nombre des Malades , , ait ffi-—
bien qu a celui des Habitans, on avi ajoh-
‘ber ce nouveau logement al Flotel- Dien >
far une continuation de Charitex, de fatce-
kebre Fondatrice la Adere des Canadienss |
‘
B58 Sag Hiiftoive dé-- 5
Ft l'ame de ce Neouveaw Af onde Pina
fire ALarie de Fignerot Duchef[a d’ Aiguil-
lon, @ la trés-digne Niece du Grand, da
Pienxs, OL Incomparable Miniftre d’ime
psortelle memorre | Emunentiffime Cardinal
Armand Duc de Richeliew ; anfquels foie
honneur G falut érernel,
Monfieur Talon voyant que les Hépis
talieres n’étoient pas en état de rembour-
fer une fomme fi confiderable , rrouva le
moyen de leur procurer sao trois aus
tres mille livres de rente , dontil en rete
hoit une partie pour Suits le rembourle-
ment des, douze mille francs.
Les mille écus que Madame d? Aiguil-
Jon leur faifoit tenir tous les ans, ivsicdll
deftinez A peat la fobfiftance dela ene
naute , 8 pour Ventretien des Sauvages.’
Elles 5 ‘épargneient tellement fur leur ne-
ceflaire , que quand elles avoientune fem
me Sauvage elles nourrifloient en méme
temps toute fa famille . ce quelles prati-
quent encore aujourd hui avec une gran-
de charité , quoi qu’elles en foient fort
imcneraedben
Cette illuftre Y ondaceiia qui - onnicientll
foit la rigueur du pais ne vouloit pas que’
ces Filles.fe negligeaflent fi-fort ; elle prias
Monfieur ’Evéque de leur iaijonaaile
en vertu qd obeillance de feparer les tees’
mn
i Amerique Septentridnale. 259°
qa elles avoient pu acquerir, les meubles
& la rente de France, afin que le bien des
pauvres ne fut point vakfoude dans la ful-
‘te avec celui des Religieufes , & quelon
vit par la, la dépenfe que Von feroit pour
les Malades »& qu’ayant leur bien a part
elles ne fe privaffent pas tout-a- fait elles-
“mémes des fecours neceffaires a la vie.
La rente de mille écus n’eft plus qu’a
deux mille francs. Les Fermiers de slg -
Nouvelle France leur payent depuis trois
-ans ce que Sa Majelté leur avoit accorde, -
Elle leur fait encore la grace de leur don-
net mille franc furle Treforier general de
Ja Martine. Elles ont fait plufieurs pertes
fur mer. La grande économie les fodtient.
Le nombre des malades qui entrent chez
élles eft confiderable. Il eft furvenu depuis
quelques années des maladies populaires,
qui ont fait perir bien du monde, L’on y
compte ordinairement tous les ans vingt
‘& une mille journées de malades.
Elles ont prefentement un trés-beau BA-
timent de pietre de taille, accompagneé de
deux Pavillons ,. qui cotite environ qua-
_rante-fix mille feats 8 ilen faudroit en-
“core dix mille pour Pashovet. Ces Reli-
gieufes y ont travaillé elles-mémes com-
me des Maneuvres , & les charois ont été’
-faits par leurs domeftiques. On a tiré la
Wo \ Waehe ie
pierre des forndemens, ce qui leur a ¢ pats
ené plus de dix mille Haate |
e vous viens de donner, Madame, nel
idee de l’Erat Ecclefiaftique. Vous con-,
hoiflez quel eft le caraétere des perfonnes
qui fe font trouvez dans le premier éta-
Blifetene’dé leurs maifons , chaque Or- 4
dresef totijours mainrent Whis la pieté
& dans la vertu. Les Communautez fe
font augmentées A mefure que la Colonie
s’eft seen 1é, Elles ont obrenu des concef-
fions de terre * des Habitans s’ y font éta-
blis, & je trouve que ‘VEtat Ecclefiaftique
eft * mieux partage.
Le pais s’eft policé infenGblement : ‘leg:
Gouverneurs generaux avoient trop d’oc-
cupations pour entrer dans le détail deg
affaires qui pouvoient naitre. Sa Majefté
crea un Confeil Souverain en 16 63. pour
pacifier les differens des particaliers , Oe!
prendre connoiflance des inreréts de la
Colonie, qui devenoit fleuriffante,
ue Palais eft ala haute Ville, dans un’
fond au Nord. Oiielt; il confifte dans en’. 4
viron quatre-vingt cafes de batimens, qué
femblene former une petite Ville. L’ In-
tendant y a fon aparternent , & les Mas
gafins' du Roi*y ont leur place. ae
La Chambre da Confeil eft aflez grant
de yil eft compofé du Gouverneur gene~=
ss
PAmerique Septentrionale. 26
pal, de l’Evéque, de l’Intendanr, de fepe
Confeillers , dun Procureur eneral ,
dun Greflier en Chef, Le Gouverneur. ie
‘neral en éroit autrefois le Chef. Son auta-
rite ctoit trop abfolue dans un pais ot l’on
ne peut avoir des nouyelles de la Cour
qu’au bout de dix mois. Quand les Con-
feillers ne donnoient pe dans fon fens :
ou quils s ‘éloignoient de fonavis, il les
changeoir ou les exiloit: mais la Cour qui
eft fitage & fi judicieufe a extrémement
borne fon pouvoir, Il n’eft que Confeil-
Jer Honoraire, il ef au haut bout d’une
table ronde, Monfieur I Evéque a fa droi-
te, qui eft aufli Confeiller Honoraire ,&
Bondcur PIntendant a fa gauche qui fat
fonction de Prefidentr., » quoi qu ‘il n’en ait.
as le titre.
Les Confeillers font placez féton leur
ancienneré : ils entrent tous en épée au
Confeil. Aprés qu'un Confeiller a fait fon
faport fur une affaire Civile , le Procureur
general donne fes GonctiGene: Quand i]
sagit du Criminel il les donne cachetées 3
au Raporteur avant les opinions. Ltn,
tendant recueille les voix commengant
* le Raporteur , prend a droit ou 4
gauche les avis , jufques au Gouverneur
‘general qui dit le fier » oe ’Intendant de
ere, - mati prononce l’Arrét, —
262. Fliftoire de |
_ Le Confeil nommoit dans fes commen
cemens des Commiflaires , pour prendre
connoiflance des matieres civiles. I y a
prefentement une Preyoré depuis 1677.
compofee d’un Lieutenant general, d'un
Lieutenant particulier, qui eft auffi Lieu-
tenant criminel, & d’un Procureur du
Roi. Ils vont en épée a leur Aflemblée,
Le rabat & la robe noire feroient quelque
chofe de trop embarraflant pour des per-
fonnes qui peuvent fe trouver tout d’un
coup obligez de fe batre contre lesIroquois,
En 1695. Mr. Defchambaux Procureur
du Roi de la Jurifdi@ion de Montreal ,
commandoit un Bataillon. 4
Tous les Confeillers ont cent écus de’
gage. Le premiera cing cens francs d’aug-
mentation, & les deux qui le fuivent ont
encore chacun cinquante écus. Le Lieu-
tenant general eft paye fur les charges in-
difpenfables du pais , pac les Fermiers
dOccident. Le Lieutenant particulier a
du Roi quatre cens livres , & fon Pro-
cureur cent ecus. Is rendent tous la Jufti-
ce fans pices, Il n’y a point d’Avocats ni
de Procureurs. Chacun plaide fa caufe”
foi-méeme , sil ne veut avoir recours a
des Huiffiers qui fonr l’un & V’auere du:
mieux quwils peuvent, Au refte je ne voi
pas quil y ait grand Procez dans le ae |
; VY Amerique Septentrionale. 2.63
du moins ils ne durent pas long. tems. I]
_y ena trés-peu pour le commerce, car
_comme il confifte en Caftors, que Pon
mer au. Bureau de la Ferme , dont on
tire des Lettres de Change payables en
France, les démélez qui furviennent en-
tre les Habirans , ne font pas de fi gran-
_.de confequence pour empécher les Juges
de s ‘appliquer d'ailleurs au Commerce.
qui. eft permis _ a tout le monde. Les roe.
venus des terres n’étant pas fuffififans pour
_entretenir, leurs Familles. Le pais eft trop
‘rude pour y joiiir de toutes sles commo=
-ditez de la vie,
Le Commerce,.de la Nouvelle. Frohia
‘eft en, Pelleterie , qui. confitte principale.
‘ment en.Caftor, Jer ne {gaurois vous par=
ler de cet anima qui fair toute la richefle
de ce pais, que je n’avoue en meme.tems
que ceft celui de tous les animaux qui
paroit avoir le plus de raifonnement ;, 8
ne. {cai ce,quen. penferoient les Carthes
aes sils ayoient vu avec que lle adrefle
il batic, fa maifon,
Elle eft fi admirable que Von reconnoit.
en lui Pautorité d’un.maicce abfolu , le
veritable caractere d’un pere de Fam le,
& le genie d'un. habile Architecte. Awht
les. Sauvages difent que c’eft un e{prit &
mon pasun animal. I; juge de la durée de
Tome I. ¥
264 Bape de
l’Hiver, & il y pourvoit avec toute Ia
précaution poflible. — Se
~ Les Caftors s’aflemblent alias ens
femble, ordinairement au nombre de neuf,
IIs jugent de Ja bonté de leur établiflement
parla quantité d’eau qu’ils y trouvent, &
als ont affez de prévoyance pour artéter
de cours des petits torrens, de peur quiils
ne tariffent pendant VEcé, & ils y font des
Eclufes pour empécher ou détourner le
débordement. | sata
Lors qu'il s’agit de faire la charpente-,
il ya un Caftor qui commande & décide
de rout ; ceft lui qui eft le premier mobi-
le, & Nts que l’arbre' quils coupent avec
leurs dents eft prét de tomber du coté otf
ile juge a ptopos, il fair un cti qui eft un
final a tous les autres d'en évirer la chite,
Le travail d’un Charpentier & I’ aplication
d'un: Mallon y font obfervées avec Att:
Les uns taillent les arbres, d’ autres‘ font
des fondations OTR enfoncent les: pieux’
avec autant de force’ qu un Cap de mou-
ton. Les autres prenans dulimon avec leur
queue en al pet de truelles en font le ci-
‘mene des murailles, qui fe trouvent a le.
preuve des injures du tems. :
Leurs maifons font faites de bois , ae
jone & de boué. Elevées environ fix a fope’
pieds he hors la furface de Peau. Elles ont’
L Amevrique Septentrionale. 269
trois ou-quatre ¢tages. Les planchers fone
faits de branches d arbres , grofies comme
Je bras, dont ils bouchent le vuide avec de
Ja terre & de la mouffe; : tien
_ Il ya plutieurs ouvertures par lef{quel-
Jes ils tiennent todjours leur queue dans
Teau » car ces animaux font amphibies, -
Leur chambre eft rodijours propre, Lorf-
que les eaux grofliffent ils montenr a l'¢-
tage qui eft au-deflus de celui qui eft in-
_nondé, Leurs provifions qui font d’écorce
de bois de tremble font la plus grande pars
tieaufond de eau.
. Quand ils batiffent fur les rivieres ils
font leur batiment en demi-cercle , afin
de rompre le fil de l'eau , & lors quils
batiflent dans les lacs leurs cabanes font
en rond, & n'ont aucune entrée ni forue
pricidehiiepmrie!s glen gh seeltre'l -°,
Les Caftors s ctabliffent ordinairement
far les rivieres , les lacs & les ruifleaux,
Les Sauvages voulant les prendre dans
Tes rivieres , examinent a peu prés les {or-
ties qails ont de les bien cacher ; car
e’eft un effet de la fubrilicé du Caftor : Ils
coupent la glace, afin que l’eau ait fon
cours, quils entourent de perches & de’
picux pour les empécher de patler outre ,,
& laiffent au milieu un filet de peaux de
quelques béres fauycs.
¥ 2
266 - Eiftoire de .
Quand les Caftors ne paflent point par
la, les Sauvages jagent qu’ils ont des trous”
fous terre ; & pour les connoitre ils fra.
pent en certains endroits de la glace qui
puifle rendre un fon clair , aufli-tét ils y
font un creux , & connoiffent au mouve=
ment de l’eau que le Caftor fait agiter par
{a re{piration qu'il n’en eft pas éloigné ,a
peu pres comme le mouvementde petites
ondes quexciteroit une petive pierre que’
Pon jetteroit dans un étang : le Sauvage
dreffe des pienx aux environs de cette ou-
verture un pew au large pour lui faciliter
le paflage , & y mettre deux petites bu-
chettes de bois qu'il faut de neceflite que
ce petit mouvement d’eau falle agirer ; 8&
lors que le Caftor arrive le Sauvage le
prend par la patte de derriere ,ou par la:
queue & lenleve fur la glace , ou il lui
caffe la téte. gates ane 4.
Si les Sauvages veulent le prendre dans
les lacs ; ils entourent de filets un peu aw
loin leurs maifons ordinaires , & vont ra-
fer celle de la campagne qui eft envirom
a quatre cens pas, ( car ceux qui habirent
les lacs ont auffi une cabane hors du lac. )
celles-ci ne font point reasplies de provi-
fions comme les autres , elles ne leur
fervent, pour ainfi dire, que pour s¢ga-
yer & prendre le bain avec plus de liber-
l’ Ameviqne Septentrionale. 257
€é. La maifon de campagne étant donc
abatué, les Sauvages y jettent quantité
de pouffiere de bois pouri pour les offuf-
guer lors qu’ils veulent s’enfuir pat ce
-paflage. Cette deftruction faite , les Sau-
_vages ravagent la premiere maifon, dou
_les Caftors veulent fe fauver , & s’emba-
raffent dans les filets qui font déja sendus ,
+ & d'autres croyant trouver un alile plus
aflucé , s’enfuyent a leur maifon de cam-
pagne ou ils fubiflent le méme fort.
-. Enfin lorfque les Sauvages veulent les
prendre dans les ruiffeaux , ils detiuifenc
teurs chauflees pour les deflecher, le Ca-
-ftor croyant que la violence de l’cau
_rompt la digue , veut y apporter du re-
mede, pour lors les Sauvages les tucnt a
cours: de dards & de ficches.
| Les Savages ne comprenoient pas au-
trefois comment les Francois pouvoient
venir de ft loin chercher avec tant d’em-
preflemens des peaux de Caftors, dont les
plus uf€es & les plus fales ctoient les plus
_recherchées. On remarque fix efpeces de
ees peaux dont les prix font differens.
La premiere eft le Caftor gras d’Hiver..
- Celui que les Sauvages tuént dans ce tems
a un duvet bien épais & de grands poils, -
Ils’ coufent fept a huit peanx enfemble ff
proprement., que les Ouyrieres de Frans
>.
tag
3
268 Fiiftoive de
ce ont de la peine a coudre des gans avee
plus de délicateffe. Ils en font des robes
qui leur trainent jufques aux talons. Elles
leur fervent d’habits. La fueur du corps
& leurs mains fales de graifle Cours quils
prennent a pleines mains pour la manger,
lefquelles ils efluient a leurs robes, en
font tomber les grands poils , & éoronl
nent infenfiblement le duvet qui devient
jaune. Cette qualite eft la meilleure. Les
Chapeliers en font de trés-bons chapeaux,,
& le Bureau en donne dela livre trois li-
vres dix-huie fols neuf deniers. a E
La feconde eft le demi-gras d’Hiver.
Les Sauvages fe trouvant obligez de trai-
tet de ces robes avec les Frangois pout
leurs preflans befoins , quoiqu’elles ne
foient qu’a demi engraiflées , & que le
duvet ne commengant qu’a cotonner & le
cuir a jaunir, [1 faut cependant que la
peau | foit auffi fouple que celle du gras 5
il codte trois livres dix-huit fols. neve
deniers,
La troifiéme eft le gras d’Eté, Ces ani-”
maux ont de grands poils pendant cette
faifon avec trés-peu de duvet. Les Sau-—
vages en font des robes, Il ne vaut qu’t-
ne livre dix:nevf fols:
La quatri¢me eft le veule. Les salad
font bien fournies ; mais comme les. Sau
ss P Amerique Septenttionale, = 269
wages les ont portées trés- peu de tems ,
-a@ peine le duvet en eft-il gras. Ils ont la
-ptecaution-d’en bien apréter le cuir. Le
Bureauem donne autant que du gras
oe Hiver.. > © eink
Lacinqui¢meeft le fec d’Hiver. Gelui-
ei neft point réduit en robes a caufe des
‘coups de fufils 8 des dards qui ont fait
des ouvertures dans ta peau. Son cuir eft
fort gros , mal aprété. Son prix eft de
‘quarante fols. ee
- La derniere eft le Mofcovite. Les Sau:
wages les. prennent en Hiver dans des
attrapes a ras de terre. Lors quiils vo-
syent que la peau eft belle, bien grande
& que les poils font longs ils en aprétent
Te cuir. On fait un grand commerce en_
Mofcovie de cette efpece.
-Leurs Pelletiers ont l’adreffe d’en tiret
Te duvet , fans emporter le poil, & ces
/peaux leur fervent de fourures , méme de.
tapifleries. Il vaut un écu la livre.
_ Ce nrveft pas fans fujet que l’on a fait
toutes ces differences , afin d obliger les
Sauvages den trairer le plus qu ils: peu~
vent de la meilleure qualité. |
— Ceux qui ont du Caftor le portent au
Bureau dela Ferme,dont le Directeur don-
ne des Lettres de Change payables en
France. Il yena eu ens7 00, pour trois
i
ope
A
576 rseigs de .
cens trente mille quarante fix livres. Le
Canada tient prefentement la Ferme. Les’
Fermiers d’Occident & le pais eurent de
grandes conteftations en 1699. & 1700.
fur la diminution du prix des Caftors. Ih
fetint A Quebec plufieurs aflemblées , ow
Je Clergé, la Nobleffe & le tiers Brat fe
trouverent, pour reprefenter a Monfieur
le Comte de Pontchartrain le tort que
cauferoit cette diminution a la Nouvelle’
France. On a beaucoup envifagé la Relix
gion dans cette conjoncture par raport
a tant de Nations fauvages nos alliez , qui
fe fottiennent dans la Foi par la liaifon'
que’ nous avons avec eux, quiauroient pir
faire commerce avec helt Anglois ,: s ils’
n’enffent pas été’ contens de’ nous,:
Le Sauvage eft difficile A manier quand
il s'agit de l'interét. Monfieur le Comte
de Pontchartrain a trouve un milieu dang
toutes ces difcuffions qui eft de donner au
Canada la forme. Les Canadiens ont étaw
‘bli pour cet effer des DireGeurs pour l’ad=_
miniftration des affaires. On a obligé ceux
qui commercent d’y avoir action felon
leurs facultez', 8¢ tous ceux qai veulent
en étre y font recus.
Ily aencore le commerce de peaux d’O2
rignaux qui étoit autrefois fort confidera=
ble. Il y en avoit —! dans le gou-
3 YP Amevique’ S eptentrionale, 2.9%
vernement de Quebec ; mais tout eft dé~
truit, il fauraller bien avant dans les ter-_
res pour en trouver.
L’Orignac eft de la prandeur du Mulee ;:
fa téte lui reffemble affez ,: il ale col plus:
long, les jambes fort feches’, le pied fours
chu & le poil gels blanc ou pel 8 noir.
Il porte fur la céte un grand bois plat 8&
-fourchu en forme de Pali
Illy ena qui pefent quel quefois jufques
, cent cingquante livres. On tient que fon
pied gauche de derriere guerit du haut mal.
Cet animal y eft fujet, & lors qu'il le fen
venir, il fe gratte Poreille de ce pied juf-
ques ; A ce qu’il en forte du fang. La chair’
de |’ Orignac eft plus délicate que celle dw
Cerf, 8 nincommode jamais,
On les prend avec plus de faciliré | Hi-
ver » principalement lors quil y a beau<
coup de néges fur terre.
-Auffi-rédt que le Chaffeur a’ découvert’
dans les bois-le ravage oivil s’eft attaché ,.
(car il a cela de particulier quill demeure’
long tems ott il trouve le jet du bois gui a.
poullé la méme année) il cache dele tuér
par furprife ; mais , lorfque l’Orignac l’a
eventé,le Chaffeut le fuit quel quefois cing
Tieues , la raquete aux pieds. Le Rear
i lui coupe les nerfs, l’accable fi fort ,
qu’ a la fin le Chafleur en vient A bout:,.
blab ‘ Hiftoire dé
& qu it le tué de fon fufil, ou a coups der
poignard , quand il eft enfoncé dans la né?
ge. Le mu 2? eft le morceau le plus délis *
éat 6 1a langue d’un trés- bon gout.
Son ennemi mortel eft le Karkajou, qui
eft beaucoup plus gros qu'un chat. Hl gué-
te l’Orignac de deflus un arbre, ou le fuit~
a la courfe, Lors quiil le peut joindre ik
faute fur fa croupe’, & fe va attacher a
fon col quil entoure de fa queue , il le
mord & lui coupe la veine, Son fang fe
perdant infenfiblement il Laie en dé.
faillance. L’Orignac a beau fe frotter
contre les arbres, le Karxajou ne quite’
jamais prife , a moins que l’Origna¢c ne’
fe mette a l'eau.
La chaffe que le Karxajou & les Re:
nards font enfemble de cet animal eft
plaifante que je ‘crois vous faire plaific de"
vous dire , Madame, de quelle maniere’
ils s’y prennent.
Les Renards qui ont ‘le fentiment meil+
leur que le Karxajou bartent le bois a pe~
tit bruit pour trouver la pilte de l’Orignacy
S'ils le voyent couche ou paiflant , ils -ga<
gnent le large pour trouver l’endroit le’
plus commode a le faire paffer du cote’
que seft pofte le Karkajou. . Lan
Les Renards qui le mettent a vue at’
milieu d’eux font comme deux Epreviers,
VY Amerique Septentrionale. 273
“pendant qu ‘un troifigéme qui eft derriere
VOrignac jappe tout doucement pour le
faire: aller du coté du Karkajou ; Sil s’en
&catte , les autres jappent a leur tour f{e-
lon ile mouvement qu il fair pour lenga-
ger de fe détourner.. Ils font ce manége
jufques ace quils l’ayene fair tomber
dans l’embufcade du Karkajou qui fe jet~
‘te far dui.
i Jene vous parle point, Madame, de la
| amenué pellererie qui confifte en Mattes ,
Ours, loups de bois, loups cerviers, Re-
natds noirs & argentez, Karkajous , Peé-
cans, Pichious Iflinois, dont le commerce
wa devenir confiderable plus que jamais.
* ilfe pourroit faire d’autre commerce fi’
Yon vouloit s’y apliquer. On y feroit
du godron en quantité. Le charbon de
terre, le tranfport des planches de chéne,
de fapin , des bois de charpente : : la péche
du Saumon, de la morué & de | ‘anguille,
avec des farines quand les années font
abondantes, auroient un grand cours aux
Ifles de l Amerigue.
~ Ona fait en 1701, une tentative de la
péche du Marfoiiin dans le fleuve atrente. -
tieués plus bas que Quebec ,aux Ifles de
‘Kamouraska. Monfieur de Vitré Confeil-
der du Confeil Souverain de Quebec, {a-
Phant qu ‘une tres-gtande quantite de ces
2.74 - Aitftoire de
poiffons qui font tous blancs , courent ea
Eré le harang dans ces quartiers, fe perfua-
da que fil’on y tendoit des filets avec un
atrangement particulier , il. pourroit s’y
en prendre. Il forma une Societe de deux
‘Marchands pour en faire les frais. Mon-
fieur le Comte de ‘Pontchartrain qui ne
fovhaite que létabliflement & l'augmen-
tation des Colonies, leur fit envoyer de
Rochefort en 1701. des cordages pour en
faire des filets. Mr- de Vitré drefla entre
ces Ifles & la Terre-Ferme du core du
Sud la longueur de plus d’une demie-lieue
de filers qui formoient differens cheneaux
avec une ouverture aflez grande pour y
jJaifler entrer les Marfoiiins. Ceux ci fort
avide du harang n’y ¢toient pas plticor ,
que des Canoteurs tout préts tirolent une
corde qui bouchoit ce paflage. a
Les Marfotiins qui avoient un champ
aflez vafte ne s’embarafloient pas pendant
que la marée montoit , samufant aux
harangs quand ils’y en trouvoits mais lors
qwelle diminuoit a un certain point, on
_Teur remarquoit un mouvement 6 une
agitation qui leur faifoir jetter des mugifa
femens. Plus. la marée décendoit baffle ,
plus ils paroiffoient inquietez. Ils avoient:
beauialler de cdté & d’autte , ils ne trou=_
yoient rien qui les arréta: mais des-lors_
| que
~
|
-
¥
Que la marée éroit fur fa fin, ils fe ramaf-
a
ei!
\
LAmerigne Septertrionde. 296
foient tous comme un troupcau de mou-
tons, & échoiioient péle-méle l’un far
~Yautre. Monfieur de Vitré les envoyoit
€gorger , & les faifoit trainer, porter , ou
-remorquer a la marée montante quand
milliers. I] en a-fait des Huiles qui feront
dun trés:bon ufage pour les Vaiffeaux.
‘On en fait des Fritures , & on atrouvé le
-fecret de tanner les Peaux & de les pafler
en Maroquin. La Peau du Marfoiiin eft
tendre comme du lard; elle a un limon
Taneurs les rendent minces ou épaiffes fe-
don laprét qu’ils vealent y donner. On en
~
dun pouce d’épais que l’on graite, elle
dévient comme un cuir tranfparent : les
peut faire des Hauts-de-chaufles,des Vef-
tes tres delices , & a l’épreuve du piftoler,
& onen pourra faire des Imperiales de
Caroffe, car il y en a de dix-huit pieds de
long fur neuf de large. Une petite Balei-
ne derangea cette Péeche qui promettoir
beaucoup. Elle s’enrortilla dans plus de
_ quarante braffes de filets qu’elle entraina
avec elle. On l’a trouva échoiiée dans cet
Cquipage a fept lieués de la, Elle étoir
fort maigre.
_ On pourra tenter dans la fuite la Péche
de la Baleine, qui eft extrémement abon-
‘
¥
ils étoient trop gros. Tels pefoient trois —
276 Fs ftoire de mea i
dante dans le fleuve: il y aura dequei ve,
cuper toute la jeuneffe du Canada, & j'e-
ftimerois ce commerce le plus confide- :
rable de toute lAmerique Seprentriona~
Je, On le feroit fans beaucoup de peine
& a peu de frais. Quand une chaloupe
auroit pris {a Baleine elle l’emmeneroit
aterre, ot! l’on en-compoferoit les huiles :
on epargne eroic un batiment & un grand
équipage a entretenir. Si les Bafques qui
avoient commence cette Peche dans le
fleuve ne s€toienr pas amufez a enlever
fecretement toutes les Pellereries de Ta-
doufac & des environs, ils ne s’en feroient
pas viis privez comme ‘ils le fone pre-
fentement. »
: Le commerce des Marchandifes n "eft
pas extremement confiderable : il n "eft
bon qu ade petits Marchands forains qui
aportent ou fonr venir tous les ans des”
Matchandifes de France pour fept ; a huit
mille francs. Quiconque en aporteroit
pour vingt mille francs il auroit de la pel-
ne a faire Ja vente la méme annéé, Il y
a cependant quelques Marchands particu-
liers qui ne laiffent pas de faire. un grand
‘debit. On eft beaucoup ménager car on
cherche le folide. Le vin & l'eau de vie
fe debirent avec plus c de facilice que LOuE
autre chofe, |
LE Amerigue Septentrionale. 177
hi Le temps or le commerce roule le plus
a Quebec eft aux mois d’Aotit, Septembré
_& Odobre, que les vaiffeaux arrivent dé
France. Tl fe fait une Foire dans la baife
‘Ville ; toutes les Boutiques & les Maga.
_ fins étalent leurs Marchandifes. Cene font
quempretiemens de part & d’autre pour
fe défaire de fes éfets , of pour avoir bori
~ marché. On y voit fur la fin d’Octobre les
_habitans des campagnes que l’on apelle-
‘roit Patfans en tout autre lieu que le Ca-
nada, qui viennent faire leurs empletes,
_ Chacun tache de régler fes affaires avant
la Partance des Vaifleaux, qui veulent pro:
fiter de la Belle Saifon pour éviter un coup
de vent de Nord Eft , qui vient quelques .
_ jours devant oti aprés la Tonflaints. Lors
_ quils'different Yéur départ jufqu’au mois
de Novembre, ils courent rifque de ren-
€ontrer des elaces dans le fleuve.
La Rade qui fe trouve tout a coup fans”
vailleaux a quelque chofe de trifte. Tour
eft mort , pour ainfi dire, & nous fommes
& peu prés comme les fourmis , ne fon-=
geant plus qu’a faire nos provifions pou
PHiver , qui eft fort long. Ona la précau=
tion dés'la fin de Septembre de faler des
herbes pour le potage. On arrange les fa.
lades & les legumes dans les caves , qui
font comme autant de petips Jardins potas
& ply
278 Fiiftoire dé ae
gers. On fe munit felon la portée de for’
menage de viande de boucherie, de vo-.
lailles & de gibier;qui érant gelées fe con.
fervent tout l’Hiver. La nége qui paroit
fur terre dés le quinziéme Otobre vient
a force dans le mois de Novembre. I] n’y
a pour lors plus de commerce, & la plu{-
part des boutiques font fermeées. On eft
donc chez foi comme dans une taniere,,
jofqued a ce qu'il y ait beancoup de né+
ges fur terre. Quand elle commence 2
s'endurcir.on n’eft plus fi fedentaire : leg
catioles commengent a rouler. Une cario-
le eft une efpece de petit carofle coupé.
pat le milien , & pofée au lieu derouds fur’
deux pieces de bois , dont les bouts fone’
recourbez pour gliffer plus aifement fur
la nége & fur les glaces. Ces fortes de
Voitures font tres commodes, on les em=
bellit de Peintures & d’Armoiries il fes
roit impoffible d’aller autrement en cas
rofle a caufe de la quantité de nege.
Le temps de l’Avent fe pafle avec beaur
coup de piete. On fe donne le premier
jour de l’an des marquessreciproques d'u- |
ne amiti¢ qui paroit f ctroite , que e’eft a
qui fe préviendra. C’eft un mouvement
fi grand des gens de pied & des carioles
pendant huit jours , qu'il femble que tout.
eft en trouble, On pafle la refte du temps:
*
L Amerique S eptentrionale. 279
‘fore agreablement jufques au Caréme. La
poye & le plaifir y régnoient il y a quel-
_ ques années : On ne laiffe pas de donne
des repas magnifiques ; il y en aqui fe
font avec ceremonie & beaucoup de cir-
_ confpection, ot l’on choifit les perfonnes
felon leur condition, On prie un jour leg
femmes d’ Officiers avec leurs Maris , les
_Confeillers unautre, & la Bourgeoific y
tient fon rang. Les perfohnes du fexe de
ce dernier Etatont des*manieres bien dif-
- ferentes de ‘celles: de nos Bourgeoifes de
Paris & dé nos ‘Provinciales; On parle ict
parfaitement bien ; fans mauvais accent:
—Quor qu'il y ait un mélange de pre{que
toutes les Provinces de France , onne fau-
-roit diftinguer le parler d’ xieaie dans les
Canadiennes.: Elles ont de Vefprit , de la
délicatefle de la voix’, & beaucoup de
difpottion 3 a danfer.:
“Comme elles font fages haturelbemént’
“elles he s’amufent gueres a la bagatelle ;
mais quand elles entreprennent un A-
-mant pik lui eft difficile de h’en pas veniz
Va Ehimeriées é
Le Caréme: eft difirtitecs a paffer > les
“ mbis de Février 8& de Mars étant la faiGore
la plas rude de Vannée vle froid eft pour
ors:exceflif , le temips neanmoins eft beau:
&&: le Gielrirés pursl’Hiver a cela de pars
a
280 Fiftoire de )
ticulier qu'il y atrés peu de brotillards }
ce qui fair que l’on s’y porte bien. On fe
fait ici au froid comme a toutes’ chofes ,.
fans que l'on fe charge trop de hardes, les.
hommes font la plufpart du temps tout
deboutonnez. Quand on ne void qu’un &
deux pieds de nége fur terre on dit que
VHiver.eft trés doux : il y ena ordinaire-
ment cing a fix , du moins dans les bois.
Je ne vous parle point de certains endroits.
ou des tourbillons en aflemblent une f&
grande quantité qu'on ne pourroit s‘en ti-
rer filons’y engageoit: la chafle eft alors-
plus abondante, on y prend plus de Mar-
tes , de Renards | & d’autresPelleteries s:
il y nége au mois de Mai. Le fleuve devant
Quebec eft d'un grand quart de lieve de
large , géle pref{que toutes les annees mal-
gre le flux & reflux, il ne charie quia la,
fin d’ Avril. i :
La longue durée de la nege fair que lon’
ne commence les femences du bled & des:
autres grains qu’au mois de Mai, cela
n’empéche pas que l’on ne fafle la recolte —
en Aout & Septembre. Cette abondance’
de nége eft comme un fumier , qui en-_
graille & ¢echauffe la terre... Lb lero.optal
Si ’Hiver eft rude , VEre qui ne dure
pour ainfi dire que Juin & Juillet , n’eft
pas moins infuportable ; les chaleurs ys
‘
—- PAmerique Septentrionale. xr
_ font exceffives , & je trouve qu’elles fon:
beaucoup plus grandes qu’aux Ifles de l’A-
-merique : le froid vient donc tout a coup
le chaud de méme. On ne s’apercoit
poinr du Printemps quiramene infenfible-
ment les beaux jours : le dégel vient fans’
| quon sen apercoive , & nous navons:
point de ces Deluges comme a Paris. J’y’
ai vu des gelées fi fortes. les premiers jours
_d Aotir , qu'il feroit difficile d’en voir en’
France a la Touflaints de plus cuifantes:
élles paffent & la grande chaleur revient
auffi-tor. Le tonnerre eft frequent en Eré,.
le bruit en eft fourd, & il tombe prefque
toutes les fois qu'on l’entend. J’ai remar-
qué que celui qui fe forme aux Ifles fait:
un furiewx fracas dans lair, fans beaucoup
d'éfets, parce qu'il fe dilate auffi- tor; mais’
¢elui de Canada fe forme par un temps
extremement couvert, & quil n’y a pas
un foufle de vent fur terre , alors on ne
fait, pour ainfi dire, o' donner de la tére
pour ref{pirer. C’eft dans cesmomens que
les chaleurs font infuportables : les rha-
mes, qui font plutér des enrotiemens, font’
pour lors: a craindre.
I ne me refte plus qu’a vous parler,
Madame , du refte du gouvernement de
Qj jebec , en montant le fleuve. On trou-
we au Nord & Sud des Villages fur le
.
282 F7iffoire de
bord : il s’étend jufques 4 WBehaittod? 8
aux Grondines , a quatorze lieués au def-
fus de Quebec , & la commence le gous
vernement des Trois-Rivieres. Dans l’efS
pace de ces quatorze lieues on trouve deg
deux cdtez du fleuve plufieuts Paroiffes &
quantité de Villages , & des habitations
én fi grand nombre qa “elles touchent pretg
que toutes les unes aux autres: :
La riviere de Jacques Cartier eft pros
che des Grondines , fon entrée eft rem—
plie de Rochers a fleur d’ eau. Je touche
un jour a marée baffle fur un qui étoit fore
pointu. J’erois heurewfement dans un ca
not de bois, & je courts grand rifque de
me noyer avec deirx’ des plus belles Caz
nadiennes qui fe puiffent voir. Comme
Jacques Cartier tentoit: dans fes’ premie~
res déconvertes tous les‘plus beaux ens
droits du fleuve, il-y fir malheureufemeno
nauftage , & Fist contraint’ 4 Lene un
Hiver bien rigoureux:
Le Platon fainte Croix eft un peu lta
haut du céré du Sud’; c’eft une langue dé
tetre qui eft comme un ferd cheval , der
feize arpens de fuperficie, au pied: di une’
petite montagne faite en amphiteatre ,.
fur le fommer de laquelle eft'un pais platy
ou font des campagnes de bled. Jacques)
Cartier jetta les yeux fur ce lieu pour ew
- PAmerique Septentrionale. 283
faire une Ville, La péche d’Anguilles que
Yon y fait, & A Lobinieres , ( terre du
Lieutenant “general, qui eft au deffus ) au
mn0is de Septembre , ett confiderable
yu il n’ y a. point d’ endroits dans le pais ‘ou
elle foit plus abondante.: Elles décendent’
du laé Ontario , autrement Frontenac,
qui eft a plus de cerit lieués. 1 y aaux en-
virons de ce lac des ‘marais pleins de vafe
de douze a quinze pieds de: profondeur
les grandes eaux les en font fortir, & el-
Tes décendent vers les ifles Toncata > qui
en font auffi toutes bordées ; elles fe tien.’
nent enfemble, & font ae amas grofles
comme des sands les courans du lac les:
entraine infenfiblement dans des rapides ,
& lors qu’elles fonr dans le fleuve elles
fe répandent de toutes parts , mais elles
donnent particulierement au Pion fain-
te Croix & a Lobiniere’. Un Habirane
en prend quelquefois trois milliers a une’
marée ; elles font beaucoup plus grofles
Wen ‘gee C’ett une mane dans la
Boavclic France | & lors que lon fair’
bien les: apréter elles font délicieufes, On
en envoye aux ifles de l’Ametique. La
Baronie de Portneuf: Becancour eft tour:
vis-a-vis. Elle fur érigée en faveur de’
Mr de Becancour Chevalier de faint Mi-
ehel , grand Voyer de la Nouvelle France.
254 Fisffoivé de.
Voila Vidée la plus exacte que je puiffe
vous donnér de ce gouvernement. Sil y
avoit d’antres patticularitez dignes dé
votre attention , jatirois fair en forte
quelles ne me fuflent point échapées
pour vous en faire part. I ne me refte
plus qu’a vous affurer que je fuis avee
un profond refpect , eS
i
Peed
i ie
,
Votre trés-humble’, éct
&
t
: P Amerique Septentrionale: 28
fost, LELTTRE’-
Le gouvernement des Trois- Rivieres cons
| eernant la deftrudtion des Algonkins 5
1 peuples de l’ Amerique Septentrionale »
| par les Troquors, pil
Les intertts communs entre les A lgonking
& les Frangess, a
VA ADE worset he
- Lors que je penfe aux obligations infi-
fies que je vous ai, aux bienfaits, & a
Vhonneur que j’ai rec fous vos aufpices
dela plus illuftre Dame du monde , je
ne peux affez vous en témoigner ma gra-
titude, ‘Toure la Cour {cait , Mademoi-
felle, que yous n’avez point de plus gran-
de paffion que de procurer du bien lorf-
que vous pouvez en trouver Voccafion.
Les pauvres, fur cout la Noblefle afflizée
@ recours 4 vous, Les plus grands Sei-
gneurs méme fe font honneur d’ambi-
‘Zionner & de ménager votre eftime. Qui
vous in{pire tous ces fentimens fi gene.
feux. C’eft la vertu qui eft nee avec yous >
286 Hifloire de
que vous confervez au milieu de hei plus
augufte Cour de PUnivers. Vous eres a
Ja Cour, & il femble que vous n'y foyez
pas , par. ce receijillement que lon voir
en vous, Mademoifelle , & qui vous fair
faire des reflexions que nous ne fommes
point Nez feulement pour nous- memes ,
& que nous devons nous faire un devoir
de procarer aux autres le plus « de bien que
gous pouvons.
Permettez , Mademoifelle , que pour
vous divertir, pendant quelques momens
de vos ferieules occupations , jayel’ hon-
neur de vous entretenir, en fuivant | hi-
ftoire que jen ai commencé. Jen fuis au
Gouvernement des Trois-Rivieres & de
{es dépendances, J’efpere que ce que je
vous.en diraine.vous fera pas defagrea-
ble, & quwil vous infpirera le deft de
rocurer le bien de cette partie: du. Nous
yeau Monde. .
Le commencement du Conetiee ela
des Trois- Rivieres donne une agreable
idée des campagnes & des habirations qui
font fur les rivages des plus belles. rivie-
res de la Nouvelle France. Batifxan: &
Champlain qui font deux Paroiffes de
quatre lieues de long, ont dans cet efpa-
ce leurs maifons fur le bord del’eau,, dang
un pais plat. L ‘alpedt que forme la ar
? uw
| i Ameriqae Ss eptentrronale. 287
du fleuve qui y eft de plus d'une lieue ,
_ offre un point de vie d’une longueur ad-
mirable par l’élevation des Caps & des
terres e{carpées qui viennent du cdré de
Quebec. Les Fefuites font Seigneurs de
—Batifxan , & Champlain eft confiderable
ar des mines de fer. dont on a reconnu
_autrefois la bonté. Mr, Colbert envoya
il y atrente ans la Pipardiere pour en fai-~
“te lépreuve, il y fic travailler pendant
deux ans ; mais le depart de Mr. Talon
qui éroir ‘Intendant du Canada , rompit
‘cours a une tentative qui auroit ‘pd avoir
un heureux fuccez , & ¢tre d’une grande
pueilite au Canada.
La ville des Trois -Rivieres qui eft a
‘cing lieués de Champlain tire fon origine
de trois canaux, dont Pun eft plus vee
‘que la Seine au deffus de Paris , & qui
font formez par deux Ifles de quinze a
feize cens arpens de long , chacune rem.
plies de beaux arbres. I] y en a quatre
autres fort petites au deflus dans l’em-
bouchure d’une riviere nommée Maitabi-
totine, doti déecendent plufieurs. Nations
qui y viennent faire la rraite de leurs
Pellereries. Elle a communication pat des
fauts & delais avec le Saguenai qui eft 2
foixante 8 dix lieués plus bas. Un efpace
de terre, autrement un botrage , empeche
fete f, Aa
288 Fi iftorre de |
que ces deux rivieres ne fe communiquent
l’une dans l'autre. Ces Sauvages qui fone :
voilins de la Baye d’Hud(ba. apportent
les plus belles Pelleteries du Canada.
La ville des Trois-Rivieres eft au 46.
deg. quelques minutes. Il y aun Gouver.
neur & un Major feulement. Elle eft en.
tourée de pieux d’environ dix-huit pieds
de haut. Comme elle eft dans le centre
du pais, on n’a pas tant lieu d’apprehen-
der les ineurfions des Iroquois. La fitua-
tion en eft belle, Le fel eft fabloneux , 8
on y recueille de bon bled, L’union entre
les Bourgeois dépend du definrereflement
du Gouverneur ; car, pourvu quiils ne
yr te traverfez dans leur commerce
de Pellererie , il ne furvient point de dif
fentions qui - ‘créuhiane le repos public,
On y compte. foixante feux. Les Reco
lets en font Curez. On y voit hors de
Penceinre un beau Convent d’Urfulines,
Je ne vous parle point de plufieurs Sei-
gneuries qui font Nord & Sud dans a
Gouvernement.
~ Les Algonxins fe refugierent aiacteFoill
dans ces quartiers, Cette Nation ayant été
fubjuguée par les Iroquois , fut contrain-
te d’abandonner fon pals, qui €toit a cent
lievgs au d2ffus des Trois: Rivieres , dans.
gelle des Outaoiiaks. Les Algongins qui
lV’ Amerique Septentrionsle. 189
tegardoient routes les Nations avec beau-
‘¢oup de mépris, principalement les Iro-
quois qu'ils traitoient de Paifans , ne vous
Toient point s’appliquer comme eux a la
‘¢ulture des terres, La chaffle éroit leur
Unique occupation’, pendant que ceux. ci
‘leur fourniffent du bled d’Inde & dautres
grains. Les Algonxins affectoient de re-
-galer fouvent les Iroquois de leur chaife ,
qui fans trop s’embaraffet de leurs mante-
res fieres & railleufes s'accommodoient
aflez de la bonne chere quiils leur fai-
foient. Ceux ci qui frequentoient rare-
ment les foréts , n’étoient point faits a
eoure les Orignaux ni les Cerfs. Ils acce-
pterent l’offre qu’on leur fit de s'aprocher
des Algonkins , & ne firent enfemble
o méme ¢ctabliffement. Les [roquois
feur donnoient tous leurs grains , & leg
Algonkins leur apportoient leur chafle,
Tl falloit cependant beaucoup de vivres
pour faire fubfifter tour ce monde. Ceux-
(i ayant détruic infenfiblement toutes les’
‘Bétes qui éroienr A leur portée, étoient
contraints de chafler awloin. [ls commen-
cerent a sen laffer, Ils témoignerent aux
Troquois qu'il étoit a propos d’avoir de
leur jeuneffe pour les accompagner a la
chaffe, afin d’éviter un malheur commun,
puifque les uns avoient de la peine a con-
| Aa 2z
\
& i
t290 Fliftoire de.
tribuér de leur bled , & que les autres ne
trouvoient des Aine qu’avec bien des fa-)
tigues. Les Iroquois avouérent quvil falay
loit prendre cet expedient, & congurent
en méme.tems quills auroient lieu par la
de fe rendre habiles ala chafle..
Les Algonxins formerent donc plufieurs
bandes , ot ils i incorporerent des Iroquois, .
Tous es partis fe diviferent, afin de chaf-
fer plus | facilement. Ees Sauvages ont
e€ette cofitume, des ‘aproprier tes terrain?
d@’environ dni lieues en quarré, quils:
barent fans que d’autres ofent : iy: aller’
chafler. C'eft une Loi qui eft reqié par
toutes les Nations, a moins que de vou
loir fe faire une ouerre irreconciliable.
On de ces partis compolé de fix Algon-
kins & de fix Iroquois, s’ecarta plus loim
que les autres. Ceux-ci qui ne fervoient:
pour alnfy dire, que -de-Chevaux de bas:
pour porter le butitr, ne fe rebutoient pase
Hl arziva malheureufement que les Ak
gonkins manquoient fouvent leurs betes,
€e qui les obligeoit de ne vivre que deat
corces de bois & de racines , que les Iro=
quois grattoient fous la nége. Cette extré=
mité obligea les Algonxins de faire bande
a part. Apres sétre prefcrit les uns aux.
autres le jour de leur retour, chacun. laif
fa fon bagage dans une cabin’ commune ,
a“
f P Amerique Septentrionale. 294
& pric fon quartier. Les Iroquois qui com-
_ mengoient a fe bien fervir de la fléche ,
avoient apris la maniere d’aprocher les be.
tes. Les Algonxins ne furent pas dans la
fuite gueres plus heureux. Ils revinrent
Tes premiers au cabanage » Simaginant
que les Iroquois trop ¢cartez (iehipheate fans
doute morts de faim. Comme ils sentre-
tenoient fur les mefures quil y avoir 4
prendre pour les aller chercher , les fix
Troquois arriverent chargez das viande
aa Orignanx. Les Algonkins eurent de la -
‘peine a croire qu'ils euffent été capables
d'une fi belle expedition , fans avoir été
fecourus d’ailleurs par quelques. uns de
Teur Nation. Ils ne laifferent pas de leur
‘faire bonne mine & de les en congratu-
Jer. La bienfearice voulut que les Iroquois
leur offriffent ce qu'il y avoir de meilleur.
Le repas fe fit avec beaucoup d’ honnéreté
de part & d’autre ; mais les Algonkins ja-
loux de ce Gress les aflaffinerent la nuit
“pendant qu "ils dormoient & les cacherent
dans la nége. I Ils fuivirent le lendemain les
piftes par lefquels les Iroquois ctoient ren
venus, & trouverent leg endroits oti ils
i iant chaflé. Ils y rencontrerent un ofa
fez bon nombre de bétes qu ils firent fe-
cher & s’en revinrent chez eux.
Les Iroquois: s ‘informerent de fetirs
Aa ¥y
292 Fiiftoire de. , ty
Camarades. Les Algonkins répondirens
allez froidement que ces fix les avoieng
quittez au premier départ , fans {gavoir
ce quils éroient devenus. Les Iroquois
trop impatiens de ce qui pouvoit leur
€tre arrive, firent plufieurs détachemens
dans les bois. On fuivir les piftes de ces
Chaffeurs , & apres avoir beaucoup mar-
ché on trouva les cadavres des fix Iroquois
que les animaux avoient déterrez. Ils
examinerent les endroits du corps ou ils
avoient été frappez. C’en fur aflez pous
fe plaindre de l'inhumanité des Algonkins..
Ils firent beaucoup de reproches a leurs.
Chefs ,qui fe contenterent de blamer les
meurtriers 8& les obliger de fatisfaire @&
ces morts par quelques petits prefens ,.
fans fe mettre en peine du reflentiment
des Iroquois, quils regardoient comme
gens incapables d’en pouvoir tirer ven=
geance. :
+
Les Iroquois rongerent leur frein, 8
ne voulant plus fe fier aux Algonxins ,
ils retournerent au Printems fuivane dans
Jeurs. premieres. terres qui Ctoient aug
environs de Montreal , & le long du fleu-
ve , en montant au lac Frontenac. Ils”
donnerent avis de cet aflaflinat a toute la
Nation, qui congut beaucoup d indigna-
cion coutre l’Algonxin, Celui-ci infozme
———— P Amerique Septentrionale. 294
des mouvemens fecrets quils faifoient ,
réfolut d’entreprendre la guerre s‘ils ne
vouloient fe fotimettre a fes Loix, Les
‘Iroquois quoique plus nombreux, les
apprehendoient. Ils. fe retirerent adroite~
ment au-lac Frontenac , aprés avoir fotite-
nu aflez foiblement plufieurs. attaques ,
qui les avoient cependant un: peu aguer-
tis , & comme ils commengoient a fe
eonnoitre , ils fe rendirent maitres de ces
Jacs d’od ils chaflerent les Chaotianons ,,
qui n’étoient accottumez qu’a tuer des:
Ours & des Cerfs.. 9.
L’Algonkin ayant pris godta la Guer-
re, réfolut de détruire 1'Iroquois. Il alla
Fattaquer au. milieu de fes retraites. Les:
Troquois furentcontraints d’affembler tou-
tes leurs forces pour lui refifter. Ils s’a~
guerrirent de plus en plus ,. & le grand
nombre arrétoit fouvent les incurfions de
VY Algonxin,qui les harceloit extremement
dans tous les differens partis quils fai-
foient, pendant que les autres ne pou-
voient gueres refifter & foutenir qua
force de monde. 3
Les premiers Frangois qui s’etablirent.
en Canada, trouverent a leur arrivée deux
Nations en Guerre. Le bruit fe répandig
par tout le fleuve de faint Laurent, mé-
me jufques Ala mer du Nord y qu'une:
294° _. Aiiftoire de
nouvelle Nation que l’on apelloit Fran-
€ois, €toit venu d'un monde extremement’
loigné. Toutes les Nations abarderene
le fleuve pour leur demander du fer. Les’
Poiffons-blancs qui habitoient fort avant
Maitabirotine ,ne balancerent pas’ de ves’
nic s’établir a (on embouchure pour pro-
fiter de tous ces avantages , s’étant établi
dans la fuire 4 deux lieués de la Ville aw
Cap de la Magdelaine , ow les Jefuites
firent une Miffion,
D’autres Nations qui étoient aux en-
virons de Tadouflac & les Montagnais”
du Saguenai , ‘dont le pais ctoit rempli de’
quantite de bellds Pelleteries, furent caufe’
que les Frangois y batirent un Maga(in’
pour es faire le commerce. Ces peuples:
qui parloient tous la langue Algonkine , :
avec quelque difference neanmoins de’
prononciation , -étoient fort dociles , &
l’on n’en recevoit que de |’ honnéteté. Hs”
fe j joignirent aux Frangois , & les Algon-_
Kins qui continuoient todjours de Faire’
la guerre aux [roquois;, ayant eticonnoif |
fance des Frangois , Cirette ala fin con=
traints de quitter tae pais pour fe met.
tre a couvert des partis des Iroquois qui
écoient devenus aufli habiles qu’eux far
le fair de la guerre.
Les Algonxins qui avoient rallié les Na«
e
5
| EAmerique Septentrionale, — 295
“wions avec lefquelles ils avoient fait la
Paix, allerent chercher les Iroquois dans
Jeur pais. Hs nous attirerent une guerre
contr eux, patce que s’érant declarez nos
amis , nous nous trouvions obligez de
leur Bsinkde des armes pour fotirenir lé=
tabliflement de la nouvelle Colonie.
Ils n’eurerit pas la conduite que l'on
doit avoir dans des entreprifes d’eclat ,
-n’y ayant aucune {ubordination entr eux,
Cette mefintelligence caufee par une flere
té infuportable , rompoit toutes leurs me-
fures , les jeunes gens voulant étre les
| Sateen comme les Chefs &: les Anciens,
Les Iroquois au contraire , fur tout les
Onnontaguez , qui éroient plus piquez
avoient ménagé lefprit de leurs jeunes
gens , & sétoient infinuez adroitement
dans ‘ei bia de tous leurs alliez qui leur
donnerent du fecours, Les enfans de quan-
tite de familles de Chaoitianons , qu’ils
avoient enlevez, ayant oublié infenfiblea
ment leur patrie, augmenterent auffi leurs
forces de beaucoup. is Gs
Cependant I'Iroquois redoutoit tots
jours l’Algonkin, Nous ne fumes pas
-exemts des manieres infolentes des Al-
gonkins , car ils eurent la hardiefle d’at-
taquer le Chateau de Quebec, pour er
faire fortic Couryille leur Interprete qui
596 Hithaite de
leur avoit venda de I’eau de vie éontre leg
ordres. Cette Nation qui eroit un amas’
ae pluficurs autres, dont la langue écoit:
commune , fai foie plus de quinze cens_
hommes depuis Quebec jufques a Silleri,
en eft aune lieué fur le bord du flows
fans comprendre celles qui étoient
den le Saguenai, aux Trois-Rivieres 8
dans fa profondeur. Enfio — ‘pt pew
nombreufe & refta a Siller es Jelui< |
tes avoient faitun Fort ie inom qui leur
fervoit d’afile.
Les vrais Algonkins & leurs plus civatidll
Guerriers , fe raflemblerett-aux “Troige
_ Rivieres & au Cap de la Madeleine, d’ o¥
ils envoyoient tous les ans des partis cone
tre les Iroquois , fans beaucoup de fuccezy
3 caufe de la defunion qui furvenoit. Ils’
ne laiflerent pas de nous attirer les Iro¥
quois qui faifoient de grandes incurfiong
dans la Colonie. Les Algonxins la foute-_
noient avec aflez de fermeté, ils ¢toient
quel quefois contraints de fe barre en re=
traite; car les Iroquois qui dreifoient des?
embuitades’, les y faifoient tomber pat
de trés. petits partis qu ‘ils envoyoient ala
découverte , que les Algonkins pourfui-
voient avec trop d’ardeur ; mais lorfque?
ils fe trouvoient en nombee egal, ils res
venoient toujours maitres des Iroquois:
ash:
i ‘Septentrionale, 299
Vadtion heroique du fameux Pifkarer
fenct Algonkin , ne laiflera pas, Made-
‘moifelle , de vous donner une dée de la
walear He cette Nation,
~Cing Chefs n’ayant pu retiflir avec un
patti de fept a huit cehs homm es, fe réfo-
durent d’aller tous feuls vanger “te more
d'un des leurs que les Iroquois avoient
bralé. Is firent un-canot & fe munirent
de pluficurs armes a feu. Pif{xaret qui en
etoit le Chef, parrit des Trois-Rivieres ,
&alla camper dans les Ifles de Richelieu.
dont je vous parlerai dans la fuite; ; qui
font adovze lieuts plus haut. Hs entrerent
Je lendemain dans la riviere de Jorel, ou
ils apercirent cinq canots d’Iroquois de
dix hommes chacun qui décendoient. Les
Iroquois crurent que c’étoient des avant-
coureurs de quelque parti confiderable ,
& s'enfuirent a force de rames.
Comme ils s apercevoient de rems ¢fi
tems qu'il n’en paroiffoic pas d’autres , ils
revinrent fur leurs pas. Lorfqu’ils furent
ala voix , les Iroquois firent leurs Saffa-
Rones qui "font des cris de Guerre , & leur
dirent de fe rendre prifonniers. Pifeavet
répondit quils létoient veritablement, &
qu’ils ne pouvoient plus furvivre au Chef
quils avoient biiilé. Mais ne voulant pas _
gron les accusat de lachete, il les prioit de
}
ee Fiftoiwve de
venir au milieu du fleuve ; ce qu’ils firent
tous dans le moment avec une vitefle fur.
prenante. Pifkaret avoit eu la precaution
de faire pafler de gros fil d’archal de dix
pouces de longueur dans des bales de
plomb, arrétées par les deux extrémirez,
& les avoit accommodez en peloton, afin
que par le fil d’archal s’étendant au fortir
du fufil fit un plus grand e(car, ce qui ne
manqua pas darriver ; cat autant de coups
dans un canot etoient autanr d’ouvertures
qui le couloient a fonds, les canots de
ces pais ne font que décorce de bouleau
extrémement minces, Chacun de fes gens
devoit tirer a fleur d'eau fur chaque canot
des Iroquois , fans samufer a le faire
fur eux. : |
_ Lorfqu’il falut fe battre, Pifxaret fit un
mouvement pour fe trouver enveloppe, |
Les Iroquois a envi des uns & des au-
rres s écatterent avec trop de precipita-~
tion. Les Algonxins préts a faire feu ,
chanterent leurs chanfons de mort, fei-
gnans de fe rendre; mais ils firent tout
a coup leur décharge par ordre quils rei-_
terent trois fois, reprenant d autres are’
‘mes, Les Iroquois culbuterent de leurs
canots, qui coulerent bas, & les Algon-
kins leur cafferent la téte, a la referve —
de quelques Chefs quiils Taal ih a
| me . gOTTee |
|
3 LP Amerigue Septentrionale: r9¢
dont le fore fur aufli fatal que celui de
—LPAlgonxin qu’ils avoient brilé.
_» Pisxaret fit encor une autre expedition
on il rétiMic avec adrefle. Comme il con-
noiffoit parfaircement le quartier des Iro-
quois, il partic feul a la fonte des néges
pour les furprendre, Il eut la precaution
dans le chemin de mettre fes raquetes le
devant derriere, afin que, fil’on vint a
découvrir fes traces, l'on crue qu'il fue.
-allé chez lui, Il fuivit un coreau ot la nége
_-€roit fondue , & fes traces ne marquoient
gue far quelques petits Bancs qui ne I’¢-
_tolent pas tout-a-fait. Quand il fe vit pro-
~che d'un village Iroquois, il fe mitle refte
_ de la journée dans un arbre creux. Il en
fortit lanuit & chercha un endroic a pou-
voir fe retirer 4 mefure qu'il faifoic quel-
que expedition. Les Sauvages ont cette
-maxime de faire de grandes provifions de
bois pour l’Hyver, qu’ils ne brilent que
dans le mauvais tems, oti lors quils font
occupez dans leurs campagnes de bled
~d'Inde. Ces amas font comme des chan-
tiers en quarré tout proche leurs cabanes,
Piskaret en apercit quatre l'un’ contre
-Vautre. Tout étant pour lors pailible dans.
le Village, ilentradansune cabane on il.
ta ceux qui dormoient, dont il enleva
‘Jes chevelures. i. ee
Tome I, B 4
Xe
300 Hiftoire de
Il fe retira auffi-rot dans fon trou. Le
Village fut en allarme le lendemain que
Yon apergit ce carnage. Les jeunes geng —
ne balancerent pas dé courir aprés le
Meurtrier. Ondécouvrit les traces qui pa-
roiffoient d'un homme qui s‘enfuioit, ils
s'animerent davantage a les fuivre- Tan-
rot ils les perdoient, & tantot ils les re-.
rrouvoient, Ils eurent beau courir , ces
traces sévanowlrent Ala fin, parce que
les Bancs de néges éroient fondus. Les
‘Découvreurs sen revinrent bien haraflez
de fatigues. Piskaret toujours tranquille |
dans le centre de fes ennemis attendcit la
nuit avec impatience , quand il vit a peu —
prés quil éroit temps d'agir: ( les Sau-
vages ont cela de particulier que leur pre-
mier fommeil eft fort dar ) il entra dans
une autre cabane on il en tua autant quiil
en trouva, & puis gagna fon chantier.
Tour fut en rumeur le lendemain plus
que jamais, Ce ne fur que pleurs, que
gemiflemens , & une coufternation gene- —
rale. L’on courut encore apres lui. On -
grouva bien les memes piftes 5 mais com-
me le tems avoit été extremement doux ,
Ja terre éroit découverte. On vifite les
campagnes , On cherche dans les creux des
rochers & dans les taillis, point de Meur-
\
crier. Ils commencerent a foupgonner
rh
«PP Amerigue Septentrionale. jor
Piskaret. Ils refolurentenméme.tems que
~ deux hommes feroient fentinelle dans cha-
_ que cabane. Piskaret méditoit le jour de
nouveaux ftratagémes , il accommodoit
“fes chevelures la nuit, & fit une troifieme
fortie. Il fe gliffla Hats une cabane ot il
_ regarda par un petit trou s ‘il pourroit ten=
“ter r quelque nouveau coup. Il s'appercic
quil y avoit des fentinelles eveillées, ib
‘alla aune autre ov il trouva la méme ddan
‘tenance. Quand il vir que l’on fe tenoit
far fes gardes, il entr’ouvrit une porte ot
il y avoit un fa@ionnaire aflis qui fom-
‘meilloit la pipe ala bouche, dont il cafla
~Jatéce de fa hache d’armes, dats avoir le
temps de lui enlever la chéeeluie & s’ene
fui, parce que fon camarade qu; veilloie
~# un des bouts de la cabane , fit un cris
) L’épouvante furvint. Tout le monde s’é-
veilla ; mais Pifkaret prit les devans. On
he manqua pas de mettre bien des gens
“én campagne pour l’attraper. Comme if
— prenoit les Cerfs & les Orignaux a la
courfe, il ne s embarafloit gueres de row-
~ tes leurs pourfuites. Les cris quil leur
- faifoie de tems a autre pour leur donner
-aconnoitre qu'il n’étoit pas loin, les ani-
‘Moient davantage. Ils ne douterent point
~ de te joindre au jour. Lors qu ilen apper-
cevoit quelques-uns , il retteroit fes cris ,
Bb 2 ns
g0z .\«. Aiiftosre de
& redoubloit le pas, fon deflein étant de”
Jes amufer infenfiblement jufques a la
nuit. Les Iroquois n’ayant qu'un homme
a pourfuivre , donnerent le foin a cing ou
fix des plus alertes de continuér. Pisxa-
ret voyant que la nuit aprochoit, préci-
pita fa marche & fe cacha entre chien &
loup dans un arbre creux. Les Iroquois dé-
ja fatiguez commencerent a-perdre efpe-
rance. Ils camperent la nuit aflez proche’
de lui. Ils n’eurent pas le temps de le pre-
cautionner de vivres,- ainfi ils n’eurent
pas de peine a prendre du repes.. Il atten-
dit le moment qu’ils fuflent accablez de
fommeil ; il fe jetta fi a propos fur eux’,-
qu il les tua tous & enleva leurs chevela-
res. Il fic plufieurs expeditions dans la
faite contre eux, auffi-bien que d'autres
_Algonkins qui décendoient a la Colonie
& enlevoient fouvent par furprife des che
velures. us |
Les Iroquois qui éroient continuelle>
ment harcelez , nous vinrent demander la
paix, & avffi aux Algonxins & aux Hu-
rons, qui éroient nos allicz , lefquels ne
faifoient qu’un corps. Ils demanderent
des PP. Jefiites qui étoient bien-aifes de
profiter d’une occafion fi favorable pour
introduire l’Evangile parmi ces Nations.
Mais ils confideroient ces Peres plutot
. U Amersque Scpetnvrionale. «505
comme des Stages que nous leur avions
_donnez, que comme des perfonnes qui
deur faffent utiles, & nous tenant par 1a
dans une efpece de contrainte de ne les pas
inguieter , ils méditoient en méme-temps
les moyens de détruire plus facilement les
Algonkins , lors quiils les trouvetoient
dans des partis de chafle. :
On avi, Mademoifelle, par experience
que les Iroquois. n'ont jamais fait de Paix
avec quelque Nation, quiils n’ayent ett
deffein de porter la Guerre aillenes , &
quand ils ont pu trouver les momens de
fondre fur celle qui s’éroit crdé en furete
-ils ne l’ont pas manquee. En effer ils de-
truifirent quelques annees apres cetre Paix
les Hurons qui n’étoient qu’a deux lievés
de Quebec , fans que l’on put leur don.
hee aucun feeours ,&s ‘ils avoient {gu le
peu de force qui ctoit dans cette Place ,
ds euflent paflé tour au fil de I’e epee.
Ils laifferent donc les Frangois paifibles,
qui d’ailleurs n’étoient pas trop en état de
fecourir leurs alliez, Ils firent courir le
bruit qu’ils viendroient voir leur Pere
Onontio, * pendant ’Hiver. Ces fortes
de vifites fe font avec éclat. Us affemble-
rent un gros de mille a douze cens hom-
Bb 3
"# C’ett le non qu’ ils donnent au Gouverneur du Canada,
-_
304 : Aiiftoire de '
. Hs prennent fouvent le preétexte de
venir faire la traite ; mais on fe tient fur
fes gardes. Les Iroquois fuivirent donc le
Jac Champlain, couperent. dans les terres:
-& tomberent dans la profondeur de la ri-
viere Nicolet,qui eft a huit lieues au def-
{us des Trois. Riyieres dans le Sud du lac’
faint Pierre, Six découvreurs marchoient
trois lieués devant eux, ils appercirent
des traces d hommes dane ils donnerent:
avis. Ils rencontrerent peu de temps apices”
Pifxaret qui retournoit de la chafle chargé
de muffes & de langues d’Orignanx. Ils:
chanterent une chanfon de Paix en l’abor-_
dant. Pifxaret les prenant pour des Am—
bafladeurs , s'arréta & ‘chanta la fienne,
Il les invita de venir A fon Village , qui
nétoit qu’a deux ou trois lieues plus loin,
Il y en eut un qui refta exprés derriere ,.
fous prétexte de vouloir fe repofer. Pitt
Karet qui les crtit trop facilement, mar-
choit de bonne foi avec eux ; mais io der
nier revenant fur fes pas le jetta z ala ren.
verfe d’un coup de fon cafle-véte dont ik}
mourut. Piskaret leur avoit apris que les
Algonkins s’étoient feparez_ dans leur.
chafle en deux bandes , les uns au Nord _
dans * Oiiabmaches & les autres dans Ni-.
coler. Ils retournerent a leurs gens avec
& A trois licues au deflus des Trois-Rivicres,
3 »
| I Amerique Septentiionale, _ 50
latéte de Pifkaret. Les Iroquois fe divi-
ferent en méme. tems en deux partis, Ils:
_forprirent les Algonkins & les taillerente
en pieces. C’eft ainfi que fut prefque de-
-truite la plus fiere, la plus: belliqueufe ,.
—& ila plus polie de. routes les Nations de:
a Amerique Septentrionale , par des gens
quelle regardoit comme incapables de
dui faire le moindre mal. Elle experimen
ta funeftement pour elle qu’il ne faut jas
mais m¢prifer fonEntiemi, n’y sy trop’
fier quand on eft Pee ere avec lui.
Il ne refta plus d'Algonxins que ceux
qui compofoient quelques: Villages au~
pres de Quebec,.dont la plipart 1 mouru-
‘rent a force de boire del’Eau- de. vie. L’a-
widité des premiers commercans Francois:
leur faifoir pafler routes les bornes du
Chriftianifme pour fatisfaire a leur propre:
_interer. Les Caftors étant. pour lors extré=
mement chers ,. les Sauvages les vendoient:
aux Francois. pour de l’Eau. de:vie. Nous:
ne laiflons.pas d’avoir encore quelques Al-
‘gonkins.on Attikamegues, qui fortans des-
Poiflons blancs, & de differens peuples ,
qui fe font alliez les uns avec les autres ,
fe difent encore Algonxins. Il y a yee
Abenaguis parmi eux, des Nepiciriniens, "
& d autres qui font un petit corps. Ls font:
prefentemenr errans & fe tiennent ou la:
chafle les meine,
306 Aiftaive de — ful
Lorf{que l’on quitte les Trois-Rivieres
on trouve a deux lienés au deffus le la¢
faint Pierre , long de fept lieués , fur qua-
tre de large. C’eft le premier lac de ce
beau flenve & le plus petit. Nos canots
en coroyent les bords. Les Barques feules:
ofent en prendre le large, Il s’y éleve de
fi grands vents , qu'il femble que c’eft une
mer,& nous y en avons vu y fomorer
fous voile. So eS a
On fait dans le fond du Lac des péches’
trés-confiderables en Hiver. C’eft l’en-
droit de toute la Colonie le plus abondant
en poiffons. On ouvre de grands trous
dans la glace de diftance en diftance , fous”
laquelle on paffe des filets de quarante #
cinquante brafles de long. On y prend dw
Maskinongé, qui refemble beaucoup aw
brochet , {a téte eft beaucoup plus groffe
fa hore fait un retour qui le rend camus ?
il y en a qui pefe cinquante a foixante li-
vres. Les bars font monftruenx. Le poif=
fon doré eft un des plus délicats. L’Achi-
gan eft d'un trés-bon gotit. Ceux qui font —
Ja péche fur la fin de lAutomne devant —
que le lac foit glacé, laiffent geler leur —
poiffon, dont ils en font un trés-grand
commerce. Celui que nous mangeons en”
Hiver eft quelquefois pris deux a trois”
smois devant, Il ne laifle pas d ¢tre trés-bon.
y
: oe ’ Amerigue Septentrronale. FOF:
Je ne (Gaurois quitter le Gouvernement
F de: Trois-Rivieres que je ne vous parle”
des ifles de faint Frangois qui en font les
limites. Je ne vois point d’endroits dans
tout le Canada of l'on pit: fle vivre avec.
plus d’agréemenc, fil’on n’y étoir point
troublé dans le. rem ps de la Guerre. Ces’
Ifles font cing ou fix a Vexcsémiré du lac’
faint Pierre , du cété du Sud , dans un’
enfoncement. Une riviere qui Méceud de
la Nouvelle Yorx vient s’y perdre, qui
-fornmie quantité de canaux fort larges 3
tous bordez de beaux arbres. Si l’on y
_ poavoit gouter avec{ureteé les plaifirs du-
ne vie champétre, on trouveroit tout ce
: qui peur la pendee heurenle, & il n'y a’
point de fi puiflans Seigneur en Ee Ope
—quine vouluffent avoir une pareille firua-
tion pour y faire leur demeure, un des’
plus agreables & des plus de oe ebx en-
droits du monde,: Ces Iles font d'une’
lieué de long toutau plus, plates & rem-
plies de Bin. de haute furaye. On y voic’
de grandes pinieres' dont on a fait des’
mats pour les Vailleanx du Roi. Le chéne,:
PErable & le cedre s’ rf trouvent en quan-
tté, le bled y eft trés- bon , les ptairies
i fone charmantes ,& les paturages en font
_adwtsirables. Le gibier y abonde en tous’
temps ; celui qui eft paflager comme les’
368 = = Fiiftoive de :
Oyes & les Outardes , qui n’y viennent
qu’au Piintems & en Automne, s’y trou-
ve a profufion dans ces faifons, les ca-
nards branchus qui perchent y fonten tour
temps ; ces oifeaux ont fur la téte une ai-
grette mélée de couleur de feu & de vio-
Jet changeahs, qui leur donne beaucoup
d’agreemens. On fait de trés- beaux man-
chons de ces houpes. Si le lac eft extré-
mement poiflonneux, tous ces canaux ne
le font pas moins. |
qui y uemeurent eft traverfe lors que
nous avons la Guerre avec les Iroquois:
Le Laboureur qui travaille a fa terre ,
quoiqu’armé de pied en cap, tremble a’
chaque pas que fa charué avance du core’
des bois par la ctainte qu'il a d’etre tue par.
€es Barbares, ou quand fes becufs retour-
nent pour faire un autre fillon’, que l'on
ne fonde tout.a.coup fur lui pour avoir
la chévelure de fa tétre, ou dérre mene
ptifonnier chez eux pour y étre brule.
_ Les Habirans ont prefentement moins’
lieu d’apprehender les incurfions des Iro-
quois, pnifque la Miffion des Abenaguis:
eft établie a une heué au deffus dans la
riviere , & ce feroitune grande temerite a
4 Ll’ Amerique S eptentrionale. 309
ee
wn Troquois de venir d’un propos déliberé
fe cacher dans un buiffon pour y faire fon
coup, puis qu’a la premier allarme il ne
“manqueroit pas de gens alertes qui l’at-
_ traperoient, |
_ Ces Abenaguis , qui font conduits par
les Jefuites , quitterent ent7zoo. le Saur
de ja Chaudiere, qui eft a deux lieues de
Quebec , parce que le terrain devenoic
fterile pour leur bled d Inde. Dvailleurs le
voifinage d'une Ville eft fouvent une pier-
re d’achopement a desames que I’on veut
‘maintenir dans un efprit de piete & de re-
ligion. Je ne {uis pas furpris fl’on n’a pas
efi de peine ales voir changer de demeure,
Ils fe font feparez en deux bandes : les
uns font a quinze lieués dans ia profon-
deur du Saut de la Chaudiere pour étre
plus a portée des Abenaguis de l’Acadie,
avec le{quels ils ont ére bien-aife d’entre-_
tenir plus facilement un commerce d’a-
mitie , & les autres parmi lefquels fone
des loups & des Soxoxis,, ont mieux aimé
s¢loigner jufques a faint Frangois , pour
y profiter des commoditez de Ia vie. Les
Iroquois n’aiment point a avoir affaire
avec eux, ilsles connoiffent pour des gens
intrepides dans le combat , & ils évitent
autant qu ils peuvent d’en venir enfemble
aux prifes. Le P. Bigot en eft le Miffion-
510 | Fiftoire ac i
naire , ileft de la famille des Barons Bi-
gots, La vie qu il meine avec eux eft tout-
a fait Apoftolique, il s’eft fair a leur ma.
niere, {a cabane eft d’écorce d’arbre , fon
dit otk une peau d’ours érendué fur la terre
fa vaiffelle eft compo{ce de petits plats.
d’écorce de bouleau, oti les Sauvages lui
mettent de leur fagamité, qui eftun com=_
pofé de bled d’Inde boiiilli , quand ils.
ont du gibier 2 ils lui en font part. Il.
s'accommode a leur genre de vie, & il
seft tour dévotié a leur converfion. Cet
~exemple feul eft capable de les entrerenir
dans -cet efprit de Religion , que le Sei-
gneur leur a donné par on éfer de fa mife-
ticorde. Je fuis avec Se a: de refpect ,
MADEMOISELLE,
Votre trés-humble , &¢.
XIL
Psat aa
agate artoents
Auaety Dh
WPESS MBERS ORE Ms NN Ree 27Is
i
a ; ? Amerique Septentrionale. ii
“: is.
XIl LETTRE.
Gouvernement de lIfle de Afoutreal.
Détail de toutes les cotes de ce gO“VEers
nement, a gh: am
_ Pluficurs attions paffées entre les Francois
les Lroquais. |
Etabliffement des Iroquois Chrétiens ¢@
MM onitreal. — ae |
M ADAME,
‘aurois bien befoin ici dela délicate(fs
de votre efprit & de votre politeffe pour
écrire jufte. J’avouce ma temerité d’avoie
entrepris de vous faire un détail du plus
beau Gouvernement de la Nouvelle.
France. Que diront les Dames de la Cour’,
quand elles verront que je vous mets 3
la tere d'une lettre qui ne parle que d’I-
roquois. Les Mufes du Parnaffe avec qui
vous avez. beaucoup de liaifon, vont en_-
cor bien plus fe déchainer contre moi que
les premieres. Elles diront que je fuis un
impoli, un indifcret ,un * Caraibe; car
* Les Caratbes demeurent 4 la Dominique , diftante de
douze lienés de la Quadaloupe , lieu de ma naiffance & dg
poa demeure.
Tome ee | Ce¢
312 Hiaive de i
rien n’eft plus hafardeux pour un homme.
comme moi, que de fe monrrer a des
yeux a qui nul défaur, nulle imperfection
n’échape.. Mais étant "fous vos aufpices,
Madame , jelpere qu elles auront quel-
que_ indulgence pour un homme dun
Nouveau Monde.
La beauté du Gouvernement de Mont4
oe ne confifte pas tant en fon agreable
fituation qu’aux mouvemens militaires
que l'on y fait, lorfque nous avons la
Guerre avec les Troquois. Jene vous ra-
porterai point d’abord plufieurs circon-
{tances qui feroient connoitre avec quelle
intrepidiré l’on a fotitenu les irruptions
de cette Nation , qui eft devenué la plus
cruelle & la plus Sedoehallls de toure |’A-
merique. Trouvez bon, Madame, que
je vous conduife julquesa V'Ifle de Moni-
teal, Jene laifferai pas de vous entretenic
de. quelques actions particalieres | qui fe:
font faites fur fes cores. Permettez-moi
en méme temps d’entrer dans des parti-
cularitez qui regatdent generalement
ce pais. :
Les Iflesde Richelieu qui font au nom.)
bre de plus de cent, font le commence-
ment de ce Gouvennemenh Elles font a
Ja réte du lac faint Pierres,.en remontant
le fleave, toutes remplies d’arbres , en=
A |’ Amerigne Siptentrionale: 314
tf autres*de Noyers dont le fruit a platoe
‘Te gofit de l’amande que celui de la noix)
On en conferve en Hiver qui fe mangent 7
en cerneau. Il y a beaucoup de vignes, la
chaffe du Gibier y eft confiderable , fur
tout celle des Rats mufquez qui fe fait aut
mois d’ Avril. Ces animaux font leurs ca-
banes de terre fur le bord du fleuve , l’o-
‘deur du mufc les fait reconnoitre , ils
font beaucoup plus gros que les deux
-poings, ils ont la queue plate qui leur
donne ts Paeiticd de nager. La chair en eft
“délicate ; mais il faut leur faire jetter um
bouillon auparavant que den manger,
La peau a un duvet que les Chipeliers
-mélent dans les chapeaux , an ‘eftica
les font veritablement du nlite: Chaf-
feur en tucra a fa part fept a eid cens.
Les Cerfs “& les Chevreuils ont cre dé~
truits dans: tous ces quartiers , ils étoient
autrefois par bandes dé deux a trois cens.
Lors que lon a quitté cet Archipel
qui fert de retraires aux Iroquois, on
“trouve du-cété du Sud la Seigneurie de
‘Sorel. Tous les habitats de ce goaverne-
ment font renfermez dans des Forts , pa-
liffadez de pieux , de douze a quinze pieds 2
pour étre eT Sbri des [roquois ; de forte
quil y atrés-peu de maifons a la campa-~
gne, Le Fort de Sorel eft a l’embouckure
: Cc2
gr4 Hifloire dé
delariviere de Richelieu, qui fe dechant
ge dans le fleuve faint kame Creft par
cette riviere que l'on apelle encore la ri-
viere des Iroquois , out les premiers Fran-.
gois accompagnez des Montagnais & des
Algonkins les ont été chercher jufques
dans leur pais Pent leur livrer combat,
Monfieur Champ! ain qui a été le pre-
mier Gouverneur du Canada, voulant
donner a fes alliez des preuves We fon efti«
me & dela valeur dela Nation Frangoife,
fe mit a leur téte , il entra dans cette ris
viere & poufla jufques aun lac qui pore
anjourd hui fon nom, |
Mais avant de vous parler de cé coms
bat, il faut vous reprefenter , Madame,
de quelle maniere les A! gonkins difpofe.
rent l’ordre de baraille. Ils confultent or-
dinairement leurs Jongleurs ou Devins ,
pour f{cavoir l’évenement de leurs entre=
prifes , ce ne font que des fourbes & des
Impofteurs qui ne laiflent pas de rencon-.
trer quelquefois jufte, car l’on tient que”
le Manitou * leur parle. |
Aprés quils eurent apris a peu pres le
fuccés quils pouvoient efperer, les Chefs
prirent des barons de la longueur d’un pied
-autant quil y avoit de Combattans, &
en rent de plus gros pour marquer ceux
“ Le diable,
) l Amerigue MN. | ay
que Von choifiroit pour Chefs. Le grand
| Chef arrangea tous ces batons en rafe
4 campagne , felon fon caprice , & montra
| afes gens le rang & l’ordre qu’ils devoiers
“tenir dans le combat , par les mouvemens
_ quil faifoit avec ces barons.’ Les Chefs
de guerre & les autres fort atrentifs fur
_ tui fe mirent en ordre, & fe mélant les uns
f
e)
iM
‘ parm les autres , fepritent leur rang ; ce
‘ r
mr
a
:
quils firent jufques a trois fois pour en
favoir mieux l’exercice. Toutes ces me-
fures prifes on continna la ronte, & on
_ n’eut -pas platée double un Cap du Lac
i Champlain , que Ton découvrit les Iro-
quois qui venoient én guerre, ce ne fur
_ pour lors que des cri¢& des huées de pare
&d'autre: Monfieur de Champlain fit te-
pte les canots un peu an iyi Les Iros
i quois mirent pied aterre & consmence-
~ rent a abatre des arbres avee des haches
de pierre, entre lefquels ils fe barricade-
3 ]
rent. Nos Aloonkins arrérerent leurs ca:
nots avec des perches , ala portee d’une
fléche de leurs batricadés. & déracherent
du monde pour leur Hand s ils vou-
loient fe battre , les Troquois répondirent
qu il faloit attendre le jour pour fe mieux
connoitre, Toute la nuit fe pafla en dan.
fes & chanfons de guerre , méléees d’une_
ifinise dinjures & de reproches que los
wad
316 Fiftoive de
fe firde part & ‘d’autre. Mr, de Champlain
quiavoit mis des Frangois dans chaque Ca-
not ne parut point, crainte d’étre aperct
des ennemis. Le jour étant venu on fit la
décente en ordre de bataille, Les Iroquois
qui €toient environ deux cens hommes,
forrant de leuts retranchemens marcherent :
a petit pas, avec un air tout-a-fait grave,
ayant a leur téte trois grands Chefs, qui
avoient des panaches fur leurs tétes. Les
Algonkins n’eurent pas placor debarqué,
quils coururent deux cens pas au devant
des Iroquois , ils apellerent dans le mo-_
ment Mr. de Champlain pat de grands
cris & s ouvrirent en deux pour lui donner.
paflage. Il fe mit a leur téte, marchant
Vingt pas devant, pendant que les Fran-
cois avoient coupé dans le bois devant le
jour, Cer objet nouveau furprit les Iro-_
quois, ils firent alte pour le confiderer,
Mr. de Champlain voyant qu ‘ils balan-
cojent a tirer, couchaen joue fon arque.
bufe qui étoir “chargée : a morte charge
jetta par terre deux de ces Chefs & blefla
un troifiéme. Ce ne fur aufli-tor que des”
cris affreux de la part des Algonkins , les
Wéches volerent tour d’un coup de part Sei
d autre. Les Troquois ne pouvoient com-.
rendre quetans couverts de culrafles Hy
tilues de fil de coton, & de bois ale éprete p
jm
- LY Amerique Septentrionale. 317
we de la fléche, leurs Chefs avoient pu
-tomber morts fi fubirement. Mr. de
- Champlain rechargea fon arquebufle, &
donna encore dans le corcelet du troifie-
me qu'il jetta ala renverfe. Le combat
s‘opiniatra ; mais les Iroquois perdant
courage de voir leurs gens.tuez fi vite,
dont les plaies leur paroifloient fi extraor-
_dinaires , prirent la fuite, & abandonne-
rent le champ de bataille. On fe faifit de
_douze guerriers, on fit un grand butin de
bled d'Inde , de fléches, carquois & d’ha-
ches d’armes ; on danfa & on chanta pen-
danttrois heures la chanfon de la victoire.
Tel fut le premier combat oti nos alliez
connurent lutilicé quil y avoit d’étre de
‘nos amis.
Cenveft pas, Madame, la coutume de
remporter une victoire fans qu’on ne la
fignale encore par des marques authenti-
gues. Les Algonkins firent un difcours
aux prifonniers , par lequel ils leur re-
procherent toutes les cruautez quiils a-
volent exercees contt’eux en differentes
actions , & en firent chanter un pour voir
s'il auroit du courage pendant qu'on allu-
-‘moit un grand feu pour le brdler. Il dic
fa chanfon de mort d’un ron aflez trifte,
cat il eft ordinaire que ces Guerriers fe
Jaiffent brdjler fans jetter une larme. Cha-
\
ae Eiifteihe ae
cun prit for tifon & le lui paffoit fur le
corps ,avec une tranquilite aufh grande.
que feroit un Peintre qui couche fes cou.
leurs fur un tableau, ils lui donnoient
quelquefois du relache pour lui laiffer
prendre haleine ; & lui jettoient de Peau
pour le raftsichi ils lui brdlerent le bout’
des doigts, ils lui enleverent la peau de la
téte , lui Pane dégouter de la gomme
foute chaude & lui percerent les poings ,
dont ils tiroient les nerfs avec des bas
tons, Ce {uplice eut duré plus long-tems'
fi Mr, de Champlain n’en eut rémoigné de>
Vindignation. Ils lai cafferent la fre Vu
coup “darquebule. Ils ne voulurent pas
en demeurer lay ils loi ovrirent le ven-
tre, jetterent fes entrailles danéte lac: ;
lui couperent latete , les bras & les jam-
bes, & fe tafe verene la chevelure , le
dist fur mis en plufiears petits dréewias
qui ils firent manger a4 un de fes freres &
a fes camatrades. Ce fuplice n’eft pas ex=
-traordinaire parmi eux ; ce font les loix
dela guerre, & lorfque les Iroquois nous
prennent des prifonniers , ils leur font
fubir le méme fort. Nous avons ed cepen=
dant trop d'indulgence pour les leurs, ils
en ont ebufe, & ils ont crit que c argit un
effer de Henke timidire. Ce qui nous a
shi i dans la fuite d’ufer de reprefailles
1 toute rigueur.
l’ Amerique § eptentrionale. 319
~ Depuis que la Colonie s’eft augmentée
] ona établi a quinze lieués dans la riviere
de Sorel le Fort de Chambli » qui eft dans:
un lac du méme nom, ot iT y atodjours
un détachement de aldose commandeé
par un Capitaine. C’eft un pofte avanceé
qui tient en bride les Aniers. qui eft une
des cing. Nations Iroquoifes , voifine de
la Nouvelle Angleterre ; mais quelque
precaution que ie prenne , ils paflent
au travers des bois avec autant de faciliré
quiils feroient dans la plus belle campa-
gine. Certe Nation feroit prefentement dé.
-truite fi on ne l’avoit pas trop ménagée.
Les Iroquois du Saut & de la Montagne
de Montreal, nos Concitoyens , dont je
_vous patlerai woe la fuite , ie rout ce
quiils purent pour efigager les Aniers de
fe joindre a eux , pour reconnoitre & ado-
rer enfemble fe ectable Dieu du Ciel
& de la terre, ou pour me conformer a
leur expreffion, afin de faire enfemble la
_priere.. Ceux. ci firent aufli de leur céré
tous leurs efforts pour les dérourner dé
prendre fi Acceur les interéts des Frangois.
Nos Iroquois he pouvant rien gagner fur
) efprit de ceux ci, vinrenht a d’autres ex-
trémitez, & jurerent en méme-tems leur
perte.
On fit pour cet effet en 16 93, Uh pare
320 Hiftoire de
ti de fix cens hommes , compofé Phiae
bitans , de foldats , des Algonxins des
Trois. Rivieres , des Hurons de Lorette 5
des Abenaguis du Saut de la Chaudiere boy
de nos Iroquois , commandé par Meffieurs
Manter , ‘Coutemaiiché , 8 & la Nou¢ »
trois Ofaciers fubalternes. :
_ On partic le vingt-cing Janvier de la
Prairie de la Magdeleine , nos Francois”
couperent dans iss terres pour fe rendre
au lac Chambli. pendant que les Sauva-
ges chafferent chemin faifant, car c’e
Pulage den agir ainft, lors que Von va
en ouerte, Les fatigues du voyage furent
grandes, Il falut paffer a travers les foréts | r
marcher en raquetes , coucher fur la nés
ge, chacun portant (es munitions de guer«,
re & de bouche. On ne fait point ici la
guerre autrement , a moins que, le Gou-
verneur general ae marche a la téte de
tout le pais en canots & en bateaux. |
On arriva le 1:6, Février a la vide d’ un
des petits Forts des Anies. La Noiie sen’
rendic maitre, & Mantet fit main bafle’
fur un autre, & on les brdla tous deux.
Coitcemanch 1¢ gardoit les prifonniers. que”
Pon avoit faits Waa les bois. On alla deux
jours aprés a un troifiéme Fort de plus”
otande confequence , ou Von entendit la
nuit un grand bruit, La Noiie ert qu’i ib
. *
F
VP Amerique Septentrionale. 324
&toit découvert. C’éroit un parti de qua-
rante Guerriers qui chantoient leurs chan-
fons de mort, pour fe difpofer a fe rendre
chez les Onneyouts , autre Nation Iro-
quoile qui formoient aulli un autre parti,
Les Aniés qui n’avoient pti encore appren-
dre que deux de leurs Forts venoient d’é-
tre pris , furent bien étonnez d’entendre
tout-a-coup dans le temps le plus tran-
quille un bruit d’armes a feu, c’étoit a qui
fortiroit de fa cabane pour {avoir ce que
‘cetoir, On avoir eu le fecret d’ouvrir les
portes du Fort, les Aniés fe mirent auf-
fi-tor en état de fe battre , trente de nos
Sauvages petirent au premier abord , la
hache “d’armes 4 la main; mais quelque
refiftance que les Aniés pul ent faire il
falut fuccomber. On mit le feu aux pieux
du Fort, aux cabanes , aux vivres, a
rout ce que on ne pouvoit emporter, ” &
Pon fir main baffe fur rrois cens Guerriers,
_ Nos Sauvages fe recompenferent bien
des peines & des fatigues qu’ils avoient eu
pendant le voyage, ils biirent tant d’eau-
de-vie qu ils Aattiehene aifément le pafle.
Nos Frangois reprefenterent en vain a
nos Sauvages qu il faloit caffer la téte a
tous ces prifonniers , ils s'embaraflerent.
mcime peu de ce que Mr. le Comte de
Frontenac leur en ayoit donné!’ pete » 8
$22 | ‘Hittelre de
comme ils ne fe laiffent ordinatremene
gouverner que par leur caprice, & felon
les mouvemens de leur interét , qu’ils ne.
connoiflent pas toujours bien, il n'y euc.
pas moyen de les y refoudre. L’froquois
Chrétien ne pardonne ordinairement non |
plus a l’Iroquois, notre ennemi, qu’un
‘Algonxin pardonneroit a celui-ci.Chofe
étrange La Plaque Chef deguerre de la
montagne de Montreal rombant un jour
fur fon Pere dans un combar, lui dit. Ta
m’as donné la vie , je te la donne aujour-
‘d’hui; mais ne te retrouve plus fous ma
main, car je ne tepargnerols pas,
I] fallut done partir avec tous ces pri-
fonniers que l’on mitau milieu de la mar-
che, les Frangois les plus alertes érant a
Parriere-garde. Un Sauvage donna avis
que les Angloisles pourfuivoient en toute
diligence, les Frangois fe trouverent em-
barraflez plus que jamais. On pria dere-
chef nos alliez de précipiter la marche , -
pour n’étre pas obligez de fe retrancher
au milieu des bois ot les ennemis pou-—
voient nous affamer, Il n’y eut pas mo-
yen d’en étre écouté. On fit ala hate un
Fort a quatre Baftions entaflé d’aibres les
uns fur les autres , entourez de pieux.
Plufieurs Sauvages & Frangois voulurent
aller au- devant des ennemis pour les em-
| —-pecher -
Bae
\
TL Amerigue Septentrionale. 323
: pécher de fe fortifier. Ils les ponfferent
jafques a trois fois d’un retranchement
oti ils avoient fait alte; mais l’on battit la
retraite trés-mal a propos, ce qui caufa
- du defordre. Nous perdimes huit hommes
& nous etimes quinze bleflez. Nos Alliez
fe rendirent a la fin aux preflantes folli-
citations qu'on leur fit d’avancer incef-
famment, pour n’¢tre pas expofez d’aban-
donner tous les ble{fez dans les bois, fi
malheureufement les Anglois qui étoient
-aunombre de fept cens faifoient venir du
ay A!
_ renfort. On pafla avec beaucoup de prom-
_ ptitude la riviere d’Orange fur les glaces ,
pendant que les Anglois pourfuivoient af-
fez lentement. Le tranfpore de chaque
_ bleflé que vingt hommes portoient dans
un braneard étoit fort difficile. Plufieurs
de nos Sauvages quitterent.pour chaffer ,
& beaacoup de prifonniers deferterent ;
Ja difete des vivres fit prendre fon partia
la plipart plutét que de manger todjours
‘des fouliers fauvages, que l’on faifoie
Doiiillir. Depuis ce temps - la cette Na-
‘tion des Aniés elt devenue la plus petite
des cing Nations Iroquoifes , & prefen-
‘tement celt celle qui nous fait le moins
dombrage , quoiquelle foit voifine des
Anglois. }
Lorfque lon'a pafle Sorel en montang
Lome I; Dd
524
gne de la Nouvelle France. Il fe trouve
beaucoup d’ffles entre ces deuxterres.
Le Fort de la prairie de la Magdeleine
qui eft rout vis-a-vis Villemarie, ( c’eft
a ville de Montreal ) me donne lieu de
vous donner une idée d'un des plus rudes
combats qui fe foit donné dans le Canada, —
Monfieur de Callieres qui ctoit pour
lors Gouverneur de Montreal , ayant re-
ci des avis que les Iroquois n’atrendoieng —
b
l’ Amevique Septentrionale. 329
- que le moment de faire des courfes de
toutes parts , jugea quils attaqueroient
Chambli, oti ils avoient deja eu cing de
| — Efpions tuez par de nos Algonxins ,
u quils couperoient a travers les bois
pour tomber fur la Prairie de la Magde-
leine. Il déracha pour le premier endroit
Mr. de Vallerenne ancien Capitaine , 8
trois autres avec Routine Chef des The:
miskamingues , des Habitans , des Hurons
de Lorette & quelques Iroquois du Saut
& de la Montagne de Montreal. Le fa-
meux Auriotiaé dont je vous parlerai:
_ dans la fuite étoit auffi de la partie.
+ Nos troupes cam perent a Ventour du
thes de la Magdeleine qui eff a trente pas
du Fleuve ; fur un lieu efcarpé, au miliew
de deux Prairies , les habitans furent po-
ftez ala droite d’ de moulin avee des Ou-
taotiaks:qui étoient venus en traite de Mi-
‘chilimakinax , & les Ofiiciers étoient tout
vis-a-vis fur eis hauteur. Les ennemis
atriverent a ce Fort , ils fe gliflerent le
long de la petite riviere nommée la Four.
che, & dune ravine , a la faveur de la-
quelle ils. vinrent fondre tout-a coup fur
les habitans qu’ils mirent en defordre, &
ruérent plufeurs Ouraotiaxs. Mr. dé S.
Cirque qui commandoir en labfence de
‘Mr, de Callieres ne pouvant comprendre
¥
530... -Hiffoire dé | i
qué le grand nombre de perfonnes qu’if
apercevoit au Camp des‘habitans fuffent
Jes ennemis, ne fut point averti de cette’
furprife,quoiqu’une fentinelle avancée eut’
tiré un coup de fufil. Le grand bruit qu'il -
entendit au camp , l’obligea de marcher
droit a eux le long du bord du fleuve. Les
Anglois & Jes Iroquois qui éroient cachez:
firent une décharge de moufqueterie fur
lui, done ilrecict un coup ala cuifle. Mr.
Des Cairac fur bleffé a' mort, & Mr. d Ho»
fla fut tué. Ce fut wn grand defordre. Les’
Soldats donnant téte baiflée fur les enne- —
mis, les pouflerent un peu trop loin , par-
~c€e que les plus alertes tomberent dans
une embufcade proche de la ravine’ ,ou
Mr. Domergue Lieutenant fut cue.
Les Anglois firent ce quils purent pour
émportet le Fort d’emblee ; mais Mr. de’
S. Cirque les attaqua fi vivement , quor
qu'il eut la veirie cave coupte; qual leur
fit quitter prife > aprés leur avoir tuc’
beaucoup de monde. < ;
Monfieur de Vallerené qui avoit te
jufques alors dans lina@ion, voulut aufli
donner aux Sauvages des preuves de fon —
experience. I] pourfuivit les ennemis a la
pilte, a la rére de cent quatre-vingt hom-
mes. Auffi-rét qu'il les edie joint, ibleur lie
‘sa combat, Il fit un r¢tranchement ala
Be
LP Amevique Septentrionale, 33
P Aveur de deux gros arbres renverfez par
terre, il fit ranger tout fon monde en
B ccdra: Les ennemis qui _n’obfervoient
; point d’ordre dans leur marche , crirent
jes intimider beaucoup par les hur!emens
qu ils vinrent faire a la portée du piftolet. |
Trente de nos gens tomberent aufli-tde
fur eux. Les Aniés & les Anglois revin-
rent par trois fois ala charge. Les Loups
leurs alliez plierent. Routine fit paroitre
| beaucoup d’ardeur , & voulant les entou-
rer, il fat lui-méme . repoullé. Il falur en
petit aux mains de part & d’autre. Les
ennemis eurent dabord tout l’avantage
fur nous, parce que nos jeunes Habitans
qui n’étoient pas eneore bien aguerris ,
furent .¢braniez.
Monfieur de Vallerene voyant qu'il é2
-toit beaucoup inferieur en nombre, mon-
tra une contenance fi flere, qué nos ’ Chefs
Sauvages ranimerent leurs gens avec une
telle intrepidité , qu’aprés s’¢tre acharnez
pendant deux heures contre les ennemis,
ils leur fitent abandonner Ic champ de Bae
taille , semparerent de leurs Drapeaux 8
du Ba gage , & les pourfuivirent dans des
pais marécageux , entrecoupez d’arbres
renverfez , jafques 2 ace que fe trouvant
eux-mémes accablez de fatigues, Mr. de
Vallerene fut contraint de faire faire alte’. -
: v
nee Fr iftoire de
& de fe retrancher par un grand abbatis
d’arbres. La déroute des ennemis fur doné ~
generale, & l’on ne rencontroit dans les
bois qué des traces de fang.
Les Aniés eurent du malheur plus que
les autres, car il n’en réchapa que vingt
de cent qu ‘ils éroient. Les Loups qui a-
voieng pli¢ d’ abord ne perdirent pas tant
de monde. Les Anglois perdirent. deux
-cens hommes, outre quantite de bleffez,
Nous perdimes dans cette attaque & a la
Prairie quarante hommes , & autant ¥
furent bleflez. :
Je dois vous parler ici du fameux Au-
riotiaé , grand Chef de guerre le fidelle
ami ee fea Mr. le Comte de Fighkende:
Il fe fignala beaucoup dans cette occafion,
& cut la meilleure part a cette Vidtoire’
avec Mr. de Vallerene.
. eartoude qui éroit le Chef des Chine
yours , fut arréré au Fort Frontenac en
1687. avec quarante Guerriers, dans un
Feftin qu’on leur fic expres. On avOit
fujer de fe plaindre des Tfonnontotians ,
qui malgré la Paix pilloient alhitiecenet
ment tous les Frangois gui alloient en
traite chez nos Alliez, On es fic pafler en.
France, ot ils furent mis aux galeres.
Monfieut de Frontenac revenant pour la
feconde fois en Canada, reprefenta a: hae
ee situate Septentrionale. 333
i Gour que fi on lui rendoit Auriotiaé , fon
_ arrivée pourroit | ‘yi quelque impreffion
fur fa Nation, & que fa prefence cal-
meroit beaucoup les efprits qui étoient
fort irritez de cet enlevement.
' Auriotiaé ne fut pas plurét a Quebec,
qu'il infpira au Comre de Frontenac d’en-
voyer aux Iroquois quatre Députez, pour
les avertir quiils étoient tous deux de re-
tour: il les exhortoit d’ envoyer quelqu'un
faluér leur Pere quiils avoient petdu de-
puis fi long-temps, & de le remercier en
‘meme temps des bontez qu’il avoir et
pour-eux en les faifane délivrer de lefcla-
vage, Les cing Nations Iroquoifes envo-
— yerent en Ambaflade Gagniégoton , qui
| prefenta cing Colliers au Comte de Fron-
tenac ; & Auriotiaé les chargea de fon
core de huit Colliers qu’il prononga lui-
méme. Il faut vous dire auparavant ce
que ceft qu'un Collier.
Nous apellons Colliers des grains de
Porcelaine enfilez d@environ deux pieds
de long, fur trois a quatre pouces de lar-
ge, arrangez d'une telle maniere quiils
font diverfes figures. C’eft leur écriture
‘pour traiter de la Paix, pour faire des Am-
patades , pour déclaret leurs penfées, pour
apaifer les Procez, pour faire quelque en-
greprile, pour juger , condamner ou ab-
£34. os a, , OL MEORE a RS | os
foudre ; ils fervent d’ormemens aux jeu>
nes Guerriers lors quils vont a la guerre,
ils en font des bracelets & des ceintures
quils mettent fur leurs chemifes blan-
ches. Ces Porcelaines viennent de la core
de Manathe, en la Nouvelle York. Ce-
font des Bourgos ou Colimagons, qui font
blancs & violets , tirant fur le noir, quiils —
{cient avec une pierre a fufil, dont ils fone
des grains un peu longs & qu’ils pergent :
cela aufhi tient lieu de monnoye.
Le Deputé qui. porta la parole d’Au-
rioiiaé , parla aux Iroquois en ces termes.
Le premier Collier.
Eft pour efluyer les pleurs des cing Ca-
banes ( ce. fontles cing Nations Iroquoi- .
fes ) & leur faire fortir de la gorge ce qui
pourroit y érre refté de mauvais fur les
méchantes affaires qui fe font pallées , &&
pour efluyer le fang dont ils font couverrs.
Le fecond Collier doit etre divife en deux,
La premiere moitié eft pour leur t¢moi-
gner la joye qu’ Auriotiae a eu d’aprendre
que les Outatiaxs. ont promis de ramener
aux Tfonnontotians les prifonniers. qu ils
avoient; l’autre moitié pour leur dire quil
eft bien aife quils layent averti de dire
a Onontio quwils avoient ieee * al
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Branches de P orcelaines
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7 Oey Bae
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- F of pore? K
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P Amerique Septentrionale, 335
Leurs gens qui croient partis des l’Autom-
ne pour aller en guerre, de conferver la
wie aux prifonniers qu’ils pourroient faire
fur les Francois , & qu’Oxzontto lui a pro-
mis de fon cétée que fi les Frangois en fai-
foient quelgues-uns des leurs , ils en ufe-
roient deméme jufques a ce qu'il eur ré-
_ ponfe des gens quil enyoyoit aux cing
Nations. . | ;
Le trotfieme Collser,
Remercie les cing Nations d’avoir en-
woyé prier Ovxontio de le renvoyer avec
fes Neveux fur les glaces, & les prie de
‘mettre tous les prifonniers Frangois en-
tre les mains des Onnontaguez, afin que
fi les affaires sacommodent ils les puif-
fent rendre. i
Le guatri¢me Collier.
Eft pour leur dire qu'il void bien qu’ils
Font oublié , auffi-bien que leur ancien
pere Oxontio , puifquils n’ont point en-
voyé de leurs Notables pour le chercher
& pour parler a leur Pere, & quiils lui
auroient fait plaifir d’en envoyer feule-
maent un,
Le cinguréme Collier,
Eft pour dire a coutes les Nations quid
Zome I. | Ee |
336 “FAiftoire de 7
defire voir des Notables a Montreal , quill
eft comme un homme t ivre ,& quila per-
du Vefprit de voir ‘qu’ils n’ envoyent per~
fonne pour le chercher , & qu'il fouhaite-
roit que ceux qui avoient accolitumé de
faire les affaires avec lui , vinflent afin
qu ls puiffent connoitre la bonne volonté
qu Oxontio a pour toute la Nation , & les
bons traitemens que lui & fes Ne yenk en
ont recu depuis qu‘ “ils loi ont ete remis
entre les mains.
eee fi Lecie me Collier.
Et pour lier les bina des cing Nations,
afin de les attirer a Montreal, & qu’ apres
cela ils le r ‘amenent avec cux.
He feprieme Collier.
Pour lear dire que c eft a fa priere qu’O-
wontio a envoyé pour accompagner fes
ens le Chevalier d’O,, un des plus con-_
fiderable es Officiers qu ‘il eut , qui méme-
eft fort connu d’eux , que ce Collier eft
auf pour les exhorter a ne point écouter —
es Anglois qui leur ont renverfél’efpric, —
& ane fe point méler dans leurs affaires,
n'y etre en peine de ce qu’Oxentie a com- ‘
mencé a les chatier , parce que ce font
des Rebelles a leur Roi 'legitime, que le
ere od Onautio de France prureges ( ils
a
es. P Amerique Septentrionale, — 7 ,
apellent ainfi le Roi ) so cette guerre ne
les regardent point , qu ils peuvent bien
connoitre par ce que les Frangois ont fait
en enlevant Corlard, ot ils n’ont fatt au-
cun mal aux gens ie leur Nation » qa "ily
ont renvoyez, fans méCave en dariloi: t@=
tenit de prifonniers,
be huitieme ‘a dernier Collier:
ER pour dire que lui Auriotiaé eft Frere
de tous les Frangois > mais particuliere- !
ment de Colin, quia et un trés grand foin
d’eux pendant Mui voyage de France, &
depuis leur retour en ce pais , quils ne
‘font tous deux qu'un méme corps , & que
ne voulant point les aller trouver, 4 moins.
quils ne le viennent querir , quot qu'il
foir en pleine liberte de le faire, ille fe-
| pare en deux, & leur en envoye ane mole
ti¢ pour les engager de le venir trouver en
toute ailurance, puifque ils feront anfii li-
bres que lui; qu'il ne veut point quitter
fon pere auquel il veut acre rodjours uni.
Qu’ ils prennent donc courage & viennent
a Montreal oviils le rrouverontavec Oxon=
tio, qui conferve toujours pour toute la:
Nation & pour lui la méme amiti¢ dont
il leur a donné tant de’ inarques pendant
dix aniées, | : |
Ees [roquois laifferent Auriotiaé a re
Ee. 2
438 Aiftoire de J
jiberte ; ayant fait tous leurs efforts pour
Vengager de venir dans {a patrie; mais fon
attrachement aux Francois ¢toit fi grand,
quwil ne voulut jamais s’en feparer. Ll dé-
clara meme la guerre aux Iroquois lors
quils prirent les armes contre nous, ala
follicitation des Anglois,ila porté lui feul
le fer & le feu dans le centre de fon pro-
pre pais, il éroit quelquefois quatre a cing
mois fans revenir a Quebec. On tiroit
fouvent d’aflez mauvais prejugez de ces
fortes d’abfences. On'le voyoit cependant
revenir victorieux avec quantire de che-
velures d'Iroquois, qui font les marques
les plus éclatantes de la valeur d’un hom-
me: il mouruten1697. apres avoir don-
né dans toutes les occafions les plus gran-
des €preuves de fa fideliré. Mais lors qu’c-
- tant a larticle de Ja mort on lui dit que
Jesus-Curist éroit mort pour le falut
des hommes, aprés avoir éte crucifié par
les Juifs. Que nctois-je 1a, repartit Au- —
rioiiaé, j aurois vange fa mort, & je leur
aurois enleve la chevelure. a
Hl eft temps, Madame, de vous parler
de I’'Ifle de Af onireal » qui eftau 4s. de-
gré latitude Nord. Elle a environ quator-
ze lieuves de long , fur quatre dans fa plus.
grande largeur. Une Montagne forr éle-
yée lui donne fon nom : la Ville s’apelle
:
TP Amevique Si ptedtevonalis 33
Sareea elle eft fur le bord du flenve
quia une feae de largeur. Sa fituation
eft trés belle, & il efit ete a fouhaiter que
Pon etit Mesh la Capitale de la Nouvelle
France dans un endroit auffi avantageux ;
on y compte pres de deux cens feux: Met
fieurs du Seminaire de faint Sulpice : a Pa-
ris en font les Seigneurs. Certe Concef-
fion leur fut accordée en 1644. Ils ont
Haute , Moyenne & Bafle Juttice. Depuis'
1701, jufques en 1714. que jen {uis forti,,
elle a augmenté de la moitié , avec une’
belle enceinte gui l’a met a l’abri de l’in-
fulte des Iroquois.
Certe Ville eft un quarre ‘Tong *,entoure
de grands pieux de dix huitra vi ingt pieds
de haut Il yaun petit Fort revéru de ter-
raffe , dont les batteries enfilent les rués
d'un bout 4 Vautre. De forte que fi les Iro-
quois fotirenus méme des Anglois , sen
rendoient j jamais les maitres , ils ne pour-
roient pas y tenir. Elle-ne craint point d’e-
tre prife par la force du canon, puis quik
eft Bameneat impoffible d’y en amener
au travers de plus de cent lieucs de Foréts.:
Hn’ ya done quan coup de main a crain-
dre:mais commie les grands mouvement:
ne fe font point ici que l’on n’ait auparas
vant le temps d'en etre averti par des Ef~
pions, on eft a l'abri de ces fortes de fur
prifes, Ee x
340 _ Fiiftoire de
Meffieurs de faint Sulpice qui font les
Curez primitifs, ont une grande Eglife de
pierre de taille. Meffieurs dUrfé & de
Quelas ( familles Iluftres ) ont jetté les
premiers fondemens de l’établiflement de
cette Communauté, quia été gouvernée
dans la fuite par des perfonnes de qualité.
Lerevenu qu’ils tirent de cette Ifle eft af.
{ez confiderable, il le feroie encore davan-
tage fi le quartier dela Chine, qui en fair
Ja plus belle core, n’avoit pas éré riiiné
tout-a coup par douze a quinze cens Iro-
quois qui vinrent y faire une irruption —
en 1689, dans le temps que l’on croyoie
quils venoient demander la paix, Rien
ne fut plus touchant, ils brulerent cing
Tieucs de pais, ils paflerent au fil de ]'é-
pée tout ce quiils trrouverent, nous perdi-
mes plus de mille hommes, ils ouvrirenr
le ventre des femmes enceintes donr ils
mangerent les enfans , & en firent cre
ver d'autres avec de la poudre.
Nous y avons un Convent de Recolets,
une Cofnmunauté d’Hopitalieres dont |’é-
tabliflement a éré fait en i669. Elles fone —
d'un grand fecours aux habitans ,. princi.
palement a nos Soldats. | |
Les Filles de la Congregation qui font —
au nombre de cinquante.quatre, rendent’
aufli de grands. fervices par Vinftruction:
Cd
PF Amerique Septentrionale. 340
—& Véducation des Filles qui n’en fortent
que tres bien ¢levées , elles s Ctablirent a
Montreal en 1671, & elles ont des mai-
fons particulieres dans les grandes Paroif-
fes du pais. cen :
Je ne peux paffer fous filence un trait
de vertu tout-a. fait extraordinaire d’une
Demoifelle qui fait fon fejour dans cette
Communauté. Mademoifelle le Bert fille
unique du plus riche commergant du Ca
nada, ayant mené une vie extr¢émement
retirée dans la maifon de fon pere, crite
- que Dieu demandoit d’elle un plus grand
receuillement , elle fe retira pour cet effet
il y a fept a huicans aux filles de la Con-
gregation. Elle aun petit appartement
ou elle eft renfermée de murailles , n’a-
yant communication que par une fenétre
qui donne dans la Chapelle. On lui ap-
_ porte a manger par une petite ouverture
qui eft a la porte de fa chambte. Cette fil-
Te eft gouvernée par Mr. Seguenau Eccle-
fiaftique de faint Sulpice. Le genre de vie
qu'elle méne ne confifte point dans ces
{peculations abftraites d’Oraifon mentale,
elle y employe cependant deux heures par
jour ; elle s’occupe tout le refte du temps:
a des Ouvrages dont elle fait prefent aux
Communautez. ns |
Elle couche fur la dure, elle ne voit
S42... > gee ae
que fon Directeur & fon per®, une fois’
ou deux l'année, elle a cependant l’efprit
fort aifé & fort docile, elle s’eft fait ur
nouveau temperaniment dans cette foli-
tude, de forre qu’elle auroit de la peine |
a vivre d’une autre maniete. |
_ La-.maifon des freres Hopitaliers , que
l’on pourroit apeller en Canada un Palais ,:
fi elle écoit nie, eft le plus beau batiment:
que l’on y voye. Mr. Charon ayant gagné
beaucoup de bien dans le temps que le
Caftot étoit fort cher, l’a fit batir il y a’
guelques années pour fe retirer du com-
merce de la vie, il écablic pour lors une
petite Societe de Freres, pour avoir foin’
des vieillacds infirmes., ou incurables ,
qu'il a retiré’ dans cette maifoh: =
{l ya dans le Gouvernement de Mont-
real depuis Sorel, Nord & Sud du deuve ,:
jafques au bout de I'Ifle , plus de trente
—Seignenries. Le climar eft un peu plus’
doux gua Quebec. On remarque que le
Printemps y commence quinze jours ou |
- trois femaines pluto: , l’on y fait des fe
mences de meilleure heure , & [Hiver
y vient aufli plus tard. Les melons y font
excelkens, & ont de la peine a venir en
maturite a Quebec, on y a des prunes ..
des péches , dela renete blanche & grife
en guantite ; les pommes de calvile y font
i ‘iii Septenirionale. 344
én abondance. Tel aura dans fon jardin’
des deux a trois cens arbres fruitiers , &
nous n’en {gaurions avoir a Quebec qu ‘as
vec bien de la peine ; cependant il n’y 2
que foixante licués ab difference Nord
& Sud.
La maifon de Mr. P’Abbé de Bellemont
de la maifon de faint André en Dauphi-
~né, qui eftaun quart de lieud de la Vil-
le eft un des plus beaux endroits du pais.
Il eft de la Communauté de faint Sulpices
Il a dépenfe plus” de cent mille ‘francs a
former une Miffion d'Iroquois , qui ont
quitte leur pais pour adorer le vrai Dieu,
‘Leneft le pere & le foutien ; fa maifon
ett un Fort de pierre a quatre Baftions
ila une Chapelle de cinquante pieds de
long fur vingt cing de large,dont les mu-
railles font revécués d’un lambris , fur le-
quel il ya plaffeurs Ornemens | _ comme’
—d’Urnes , de Niches , de Pilaftres & de
Pieds-d’ Effaux, en facon de marbre rouge
»vene de blanc. ies cabanes des Iroqueis
qui font plus de cent vingt , joignent ce
Fort, & font entourez de paliffades, Mry
de Bellemoni qui {gait parfaitement bien
leur langue, les inftevit lui-méme, il | eur
fait un catechifme les jours RE 8 apres
qu ‘ils ont entendu la Meffe de grand ma-
tin. Ils ferendent le foir a la Chapelle 5
aa "Cas. Hitteine dé .
ov ils fone la priere en commun, ils chait?
tent les jours de Féte la grande " Meffle &
les Vepres en leur langue, il que nous ne Sgt meme
trop meénager. 7
Le penchant qwvils ont a aimer ean ‘
de- vie, les fait tomber dans de fi grands’
EXces , he ‘ils ne fone plus maitres de leur
pallio ‘Jen ai vu de cruels exemples i
enctrautres un fils qui coir ivre, donner ~
des coups d= cotiteaux a fon pere: un mati’ 7
sen retourner ivre a fa cabane, & toute’ t
fa famille fuir a droit & a gauche pour
l' Amerigue Septentrionale. 34
&viter d’étre poignardez. L’ Iroquois boit
dun propos déelibere pour avoir le plaifir
de s’enivrer , & vendroit s'il pouvoit fa
— femme & fes enfans pour boire de Veau-
-de- vie: quand il veut fe vanger de fon en-
nemi il s’enivre , & il eft a convert par-
Ja da reproche que l'on pourroit lui faire
en difant , j tois ivre. » je ne {cavois ce
que je Faifois,
illya deux ans que je vis une bande de
ces gens ivres courit apres un Algonxin ,
qui fe trouva fort heureux d’étre auprés
du corps de garde. Ils s’etoient reprochez
de part & dautre quelques veritez qu’ils
auroient td dans un autre temps. Cet Al-
gonkin étoit fort railleur , ils fe | jetterene
fur lui au nombre de vingt, fans armes ni
couteaux ; mais l'un lui mangea loreille ,
— Pautre le nez, & c’étoit qui fe rucroit fur
ce pauvre miferable qui avoit tout fon
corps déchire des coups de dents,qu’ils lui
avoient donné pour. avoir chacun fa pie-
‘ce. La Sentinelle vint au fecours qui fie
lui-méme battu & defarmé , la garde y
-accourut qui eut allez de peine a délivrer
? Algonxin,
-Nous avons un autre Fort d’ Iroquois a
trois lienés dela Ville, du coré du Sud ,
ue l’on apelle. Iroquois du Saut. ,
Ce Saut eft une chitte de cafcades dang
346 — Hiftoive de a
de fleuve, large d’une demie lien? , fur
trois quarts de longueur. Ce paflage eft
ares. dangereux, & a moins que les Cano-
teurs ne sient fort adroits il leur eft trés
difficile de s’en tirer. Cependant on le
franchit , & tous les Sauvages qui vien-
nent de quatre acing cens lievés faire la
traite a Montreal font obligez d’y paffer.
Les Jefuites gouvernentla Miflion du Sau.
~ Les Iroquois da Saut & de la monta ene
de Montreal font pour ainfi dire une fi-
xiéme Nation, que la Religion & Je com-
merce avec les Frangois ont rétinis depuis
trente ans. Les moeurs de ces gens fi fiers
& ficruels ont été adoucis fans doute par
le Baptéme , avant & apres la guerre dé-
clarée contre les Iroquois non Chrétiens,
Us ont donné des marques d’humanité, &
quand ils ont vi que ceux-ci en abufoient ,
ils ont fait connoitre que le Chriftianifme
n’infpiroit aucune lacheté,
Les Iroquois convertis qui font reftez
chez eux pendant la Guerre, ont totljours
eu foin que leurs enfans n’entendiffent —
point parler de pases 0 & des colitu-—
mes de leur pais,en leur faifant faucer la Foi :
avec le lait, ils font en forte que leurs en. _
fans daveuaet grands ne demeurent plus ©
au pais, de crainte qu'il s ne fe perdent. ‘
Nous avons cu parma ces nouveaux Chré- —
tiens ;
| P Amerique Septentrionale. 344 .
| giens le Grand Aner, Chef de cette Na_
tion ,' la Cendre-chande , Chef des Onne-.
youts, Paul Capitaine aufli, & Chef de
la priere, & le Borgne. Ces gens ont
fait des actions en Paix & en Guerre ,
qui meritent que je vous en parle.
Le grand Anier fe fit Chrétien aprés a2
voir dompté la Nation des Loups. II ap-
prit de lui-méme a prier Dieu , éranta la
chaffe d’Hiver dans les bois. Il précha la
Foi dans fon pais, & il l’emporta fur les
Anciens de {a Nation, qui ne vouloient pas
que Von vint demeurer a Montreal.
I! emmena lui feul cinquante de fes gens
dont une partie vit encore & fert de pierre
fondamentale a l’Eglife du Saur. Il avoir
fait plufieurs belles actions contre les
Tfonnontoiians. Il s’attiroir l’affeion
de tout le monde par fa pieté & par fa va-
leur. Il fue tue par un parti d’Algonkins
& d'Abenaguis denos amis, commandé
par un Officier Frangois, s’étant attaquez
les uns les autres a limprovifte a la poin.-
te du jour fans fe connoitre. Cette perte
affligea fenfiblement le pais. Nos Iroquois
ne laiflerent pas d’emmener avec eux des
Abenaguis quils garderent quelque tems.
Les Chefs de cette Nation voulant qu’on
leur rendit leurs gens , envoyerent pour
cet effet un Collier de condoleance pour
Zome I. ~ sae
Fae: Fiifroire de
confoler les Iroquois du malheur qui etoie
arrive A quelques-uns des leurs, qui avoient
été tuez dans cette conjoncture , & voici
de quelle maniere ils s’énoncerent.
Mon frere qui prie (car, enfin c’eft le
nom dont nous vapellons ) depuis que
Ja priere & l’obéiflance 4* Oxontio notre
Pere commun nous ont heureufement réii-
nis. Je vais te trouver par ce Collier pour
te dire que ceux que tu gardes encor com-
me Efclaves font mes. parens 3 & pour te
prier de me les rendre. Ne croi point que
a ‘aye lefpric mal fait de ce qui leur eft arri-
vé. Voila ce que c’eft que la Guerre. Les
amis fe tuent fouvent les uns les autres —
avant de fe reconnoitre. Ce fonr des mal-
heurs qui accompagnent la Guerre, & que
Von ne peut évirer; mais tu aurois 1 efprie
mal fair, {i aprés avoir pris pour ennemis
tes Alliez mes parens, & les avoir menez
chez toi comme Efclaves, tut’ ‘opiniatrois
a les garder lorfque tu connois que tu as
tort. Je mefure ton e{prit | fur le mien, Si
ce quit ‘eft arrivé m’étoit arrive, & que
jeulfe pris pour ennemis tes parens , je ne
m aperceverois pas plurde de ma faute ,
que je leur donnero’s la liberté & te les
rendrois. Ne croi point, mon frere, que
je te trompe, lorfque je te dis qu ‘ils fong !
# Ur. te Comte de Frontgnat,
l Amerique s eptentrionale. 246
ines parens. Les Frangois peuvent bien ©
_ rendre temoignage comme quelques uns
de ceux que tu as tuez ou pris les ont ac.
compagne, auffi-bien que nous, lors que
nous étions allez contre les Angl ois, 8
' cela fort peu de jours avant que ce mal- ,
heur arrivat. Je ne te dis rien de la perte
que tu as faite d’un de tes braves, c’et
le Grand Anié, quoique je la reffente vi-
vement, Je fuais occupe a le pleurer avee
deux braves que j'ai aufli perdus dans cet-
te trifte rencontre; Mon frere l'Iroquois
gut prie. Pleurons les braves qui ne font
plus, fans que leur mort nous renverfe
Petpric & fepare nos cceurs que la pries
re & Pamitié uniffent depuis fi long-tems,
L’on etit égard ; Madame, aleur priere ,
& on rendit fours prifonniers,
La Cendre Chaude éroit un des deux
Capitaines qui gouvernoit la Nation des’
Onneyouts. ‘Avant quil fur Chrétien il
avoir fait briler le pere Brebeuf Jeluite 5
Mais apres fon Baptéme il fur précher ie
Foi aux ‘pleated il commenga par les
Aniez , & parcourut les cing Nations Iro-
quoifes. Son exemple & fom autorité en
convertit quelques-uns , fon éloquence
confondit les Anciens , il préchoit les
- Dimanches dans la cabane ou il allem-
bloit la jeunefle, Quand la i fut
Bro 4
350 Phi de ote
déclarée ; ilalla avec Mr. le Marquis de’
Denonville, qui éroit pour lors Gouver-
neur general , aux Tfonnontoiians ot il
fut tue cuiibarane genereufement col
tre les ennemis, ts,
Paul étoit un Huron qui avoit beau:
coup d’ardeur pour la Guerre, & qui fou-
tenoit bien la Foi. Dieu l’a récompenté
en Ini donnant une fille qui a véen com-
me une Religieufe. Fille avoit a lage de,
treize ans avec l’innocence dun Sakeiit la
fagefle d’une perfonne de trente ans, elle
eft morte vierge. Sa mere la voyant belle
& bien faite » Cfaignit que ce don de la.
nature ne bie peut étre un jour la caufe
de fa perte , elle engagea fon maride prier
unanimement le Seigneur de permertre.
qu'il lui arrivat quelque maladie qui put
lui dter fa beauté, Peu de tems aprés il fe
forma une taie fur fon ei il, & érant deves
nuc éthique, elle mournut mn exhortant far
mere a érre toujours conftante dans la Foi. |
Aprés qu elle eur donné une couverture
de tafetas al’Eglife,avec fes colliers, bra-
celets & ornemens, elle entra dans |’ "Eoli-
fe le jour de Noel: oti elle dit a Notre-
Scigneur au pied du Crucifix , quelle lui
avoit donné tout ce quelle pofledoit , &
que n’ayant plus que fon corps & fon
ame, elle les lui offroit, afin qu il: Venle-
vat she ce monde.
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| LP Amerique Septentrionale. 351
Le Borgne, ou en Iroquois Sogareffé »
a été mis en prifon chez les Anglois, parce °
qu'il etoit trop ami des Francois, & qu il
prenoit trop les interéts de notre Religion,
I] regretoit en mourant de ce que Dieu
ne lui avoit pas fait la grace d’¢tre mar-
tirife par les Anglois , il prenoit le foin
des enfans dans la Miffion , il les catechi-
foit, il leur faifoit faire les prieres. Sa ferm-
me are atti fervente que lui, & ellea de-
meuré prés d'un an en prifon thee les Ans
glois avec fa mere. Sielle eut voulu fe dé.
“marier on len auroit fair fortir : . mais elle
aima mieux demeurer en prifen que’ de
perdre la Foi & de fe feparer de fon mati.
La reputation i Catherine Texakoiti.
gee EH
moire eft en dete veneration ; ol) remar-
gue que beaucoup de perfonnes ont reflenti
des effers admirables de la pieufe confian-
ce gu ‘alles ont eu en elte en differentes
occafions. Quoigqu’ il en foit. * Il ya vingt
ans que l’on vit parmi les Iroquois une
fille de vingt-cinq ans, dans laquelle les
meilleures qualitez des Algonxins & des
Iroquois s’étoient réiinies ; elle etoir née
dq une Algonxine & d’un [roquois. Sa mee
jab FE 3
B Ba 1680,
3s2 Fisftoire de
‘re avoit éte prife aux Trois-Rivieres. I
y a quarante ans ,dans la grande déroute
de cette Nation. Elle fur conduite aux Iro-
quois quilui donnerent la vie & la marie-
rent, elle avoit été Baptifée aux Trois.
Rivieres par les Peres Jefuites, elle n’ou-
blia jamais au milieu d’une Nation infidé-
le les devoirs du Chriftianifme, Texa-
koiiira qu’elle eut dans la fuitea éré fans.
doute la récompenfe de la vie Chrétienne
quelle avoit totijours menée, Cette fille
a vecu parmi les Iroquois dans une inno-
cence qui ne fe peut expliquer , jufques &
‘VPage de vingt-deux ans, elle eut la petite
verole dans fa tendre jeunefle qui la dif. |
gracia beaucoup. Elle conferva totjours
avant fon Baptéme une pudeur naturelle
qui lui donnoit de l’averfion pour les plai- —
firs des fens, & méme pour le mariage ,
car elle ne voulut jamais fe marier. Ce
n’étoit pas pour étre plus libre dans fes
actions ; mais pour fe conduire unique-
ment pat la Providence , & pour vaquer
plus librement aux exercices de pieté. _
On ne remarquoit point en elle les vi-
ces aufquels font fujettes les filles Sau-
wages quin’aiment que le libertinage, elle
ne donnoit point dans toutes leurs vifions ,
& les fonges qui occupent fi fort leurima-
gination , & dont ils font une divinite.
yee
Y Amerique Septentrionale. 353
Son plus grand defaut éroit de fouftrir
won lhabillat trop proprement , ce
qu'elle ne faifoit que pour pafler le temps
ou pour complaire a fes parens, qui vou-
loient l’obliger a fe marier. Quand ils la
prefloient de fe déterminer , elle fe ca-
ehoit derriere une caifle de bled d’Inde,:
ou elle s‘enfuyoit dans les champs.
- Un mal qu'elle etit aw pied qui l’oblis
gea de demeurer dans la Cabane,ne con-
tribua pas peu a fa converfion. Le Pere
Jefuite qui étoit alors dans le village des
Aniez , qu'on apelle Gandaoiiaqué , entra
par hafard dans fa Cabane. Il lui parla de
Ta Foi & l’exhorta de venir prier : elle
-obeit. Sa devotion fervente fit avancer
fon Baptéme qui fut folemnel dans la
Chapelle de fon Village le,jour de Paques.
fl s’en trouve plufieurs qui fe contentent
détre Baptifez feulement, & ne font pref-
que aucune fonction du Chriftianifme :
ainfi c’étoit beaucoup A cette fille de fe
fotitenic au milieu de tant de mauvais e-
xemples. Mais ce qui ¢toit admirable ef&
quelle refiftoit courageufement a toutes
les tentations & a tous les efforts que l’on
faifoit,pour l’empécher de fuivre les exem-
ples des Chrétiens les plus fervens. Un
jour elle fur touchee de celui-ci.
Les ivrognes youloient obliger une
bow
Bek Hiftoire bb cise
femme Chrétienne a boiredel’ eau-de-vie:
ils l’attirerent adroitement dans la cabane
& firentce qu’ils pdrent pour lai en couler
dans la bouche: elle la leur cracha au nez
par trois fois, & en fit autant tontes les
fois quiils la preflerent d’en boire. Lee
xemple de cette bonne Chrétienne con-
firma Tekaxoiiita dans fes bonnes réfo-
lutions. On remarqaa en elle pendant
deux ans une perfeverance admirable au
milieu de cette Babilone. Le Pere Jefuite
qui l’inftruifoit des mifteres de notre Re-
ligion , lui dit qu’elle ne vivroit jamais
en repos dans fon pats, & quelle y feroir.
totijours en danger de . perdre : elle con-
git qu'il avoir raifon, I y avoit déja du
tems qu’elle éroit refolué de venir demeus
rer a Montreal elle cherchoit quelque oc-.
cafion favorable pour y décendre fans que:
Von en eut le moindre foupgon. C’éroit la
colitume dece tems-la patmi les Iroquois
de fe vifiter au retour de la chaffe : les uns
venoient a Montreal en paflant , & lesau-
tres alloient aux Anglois, & pafloient 3 a
Anié pour voir leurs parens , & pour t4-.
cher dinfpirer a quelqu’un de devenir
Chrétiens. Cette vifire annuelle rétififfoir’
affez & plufieurs quittroient Anié pour ve-
nir déméurer avec teuts parens au saul
proche Monrgale |
2
P Amerique § eptentrionale. 35 §
Un Capitaine d’ Onneyout nouvellement
Baptifé, qui fut tue depuis a la Guerre con-
tre les Tfonnontoiians , fitun Voyage ex-
prés en-fon pais pour y aller précher la
Foi. I paffa d’abord a Anié ot aprés a-
voir préché en pleine affemblée plus par
fon exemple que pat fes paroles , il pto-
‘cura a Tekakoiiita une occafion pour fe
rendre A Montreal. Quand elle fur arri-
vee au Saut, elle prit la réfolution d’y vi-
vre en parfaite Chrétienne. Elle eut vou-
lu choifir un état dont elle n’avoit qu’une
idée confule qui étoit celui des Vierges.
Cet état eft trop relevé pour étre propofé
ades Sauvages qui font fi charnels ; ceft
pourquoi on ne lui parloit que da mas
riage, afin de Pengager 2 A refter au Saute
Elle embraffa d’abord l'une de ces pro-
pofitions , qui était de fe fixer dans ce
hieu ; ; mais elle ne pouvoit fe refoudre a fe
marier. Elle demeura dans cet état deman-
dant 4 Dien de lui infpirer qui lui feroit le
plus agreable. On dit que union étroite
qu ati avoit avec une femme Onneyoute
eut fervi beaucoup a lui faire embrafler
état de perfe&tion, Celle-¢i étoit Bapti-
fee depuis long-tems ; mais elle ne s’é-
toit convertie que depuis deux ans. Le
fujet de fa converfion Fat anabeident gui
lui arriva a la chaffe. D’une bande de
$56 ‘a Fi i/toire de | :
iA
douze chafleuts parmi lefquels étoit fon
mati, il n’en jrevint que deux, les dix
autres moururent de faim & furent man-
gez par ceux qui refterent en vie. Celt
¢e qui arrive fouvent aux Algonxins &
aux autres Nations ; & ce qui neit pas
ordinaire parmi tes Iroquois, parce que
©utre la chaffe , ils ont encore le bled
d’Inde , & viennent chercher des vivres'
quand la viande leur manque. Ceux done
je parle n’eurent pas cette précaution ¢
Hs crarent gu’en montane le long du Saur
dans la riviere des Outaoiiaxs ils y trou-
_veroient des bétes, Le contraire leur arri-
va. Ils avoient avec eux un vieillard
mourant qu'il falloit porter. 11 demanda
luicméme gu’on le tnat. On ne, voulur
pas le faire fans. prendre confeil. On des
manda a l’Onneyoute qui €toit Baptifee 5
¢e que difoit la Loi Chrétienne la-deflus,
Celle-ci apprehendant qu’on ne la tuat_
auffi a fon tour n’efa répondre ; la crainte
de la mort, fes ivrogneriés, & la vie de-
reglée qu’elle avoit menée pendanr fept
ans depuis fon Baptéme luicauferent d’e-
tranges peines d’efprit : elle fit cependant
des reflexions affez fortes pour compren-
dre qu’elle avoit manque de fideliré aux
Jumieres & aux graces de Dieu: elle pro-
mit de mener une vie toute oppolée , &
oo
Y Amerique Septentrionale, 3 57
elle pouvoit fe retirer de la cruelle con.
jonéture ot elle fe trouvoit. Le vieillard
mourut fuc. ces entrefaites, & fut mange,
Un enfant mournt quelque temps apres
qui le fut encore , & fucceffivement plu-
fieurs autres ,julques ; a ce quiils furent ar-
rivez a un Village d’ Algonkins qui leur
donnerent des vivres pour fe rendre chez
eux, Ce defaftre toucha vivement cette
femme qui changea de vie : elle a vécu
dans la fuite en bonne Chrétienne , & a
perfeveré pendant vingt ans. San mart
mourut au retour de cette chafle : accable
de mifere, ~
Cette veuve & Pevahouitn: vécurent
deux ans enfemble dans des exces de pe-
nitence qui font connus de tout le Ca-
nada. Le Pere Jefuite qui les conduifoir ,
voyant qu il écoir temps de parler, leur
découvrit | excellence de l’ctat de virgini-
té, & leur dit que Dieu nous avoir ” fait
maitre de ces deux ctats, que cétoit a
nous de choifir. ea embrafla ce-
lui-ci avec une telle ferveur qu'elle en fig
veu le jour | de l’Annonciation,& mourure
vingt jours apres. Plufieurs Gilles fauvages
ont imitéedans la fuice , malgré les de.
fordres. que ces dernieres ouerres ont cau?
{é parmi ces nouveaux Chreétiens.
~ Pendant que jétois en Canada, plys
358 Hiffare de :
ficurs perfonnes malades des fiévres, a-
voient une grande confiance a Catherine
Tckaxoiiita; mais depuis deux ans que
jen fuis forti, j'ai appris que plufieurs
malades avoient été gueris par fon inter-
ceffion , & l’on a connu manifeltement
quil y avoir quelque chofe d’extraordi-
naire dans les graces que l’on obrenoie
du Ciel en s’adreffant a elle. Ce n’eft pas ,
Madame, autrement mon fait de faire —
des Vers ; mais j'ai crf ne pouvoir me —
difpenfer de faire ceux-ci a fa gloire.
— Deta grace Seigneur» lalumiere éternelle
Eclatre, quandtu venx » change» chorfit »
tS apie
Les plus fanvages ceeurs @ les attache a toi.
— Atnfi Von vote paffer par elle
Celur dune Iroquoife animé plein de xéle
De la nuit de erreur au grand jour dela fot.
— Qaoique nos Iroquois ayent quitté tou-
tes leurs fuperftitions, ils ont cependang
confervé plufieurs de leurs cotitumes qui
regardent le civil. En effet , un Iroquois
quia fa famille a parc, ne laiffe pas d'avoir
une Cabane chez fa mere, ot il a droit
détre nourri. Il eft affuré d’y trouver fon
plat de viande. Lorfque fa mere vient a
mourir , fes Tantes maternelles qu'il ap-
pelle dans cette-rencontre du méme nom
de Meres, ne peuve@baufli lui ve
| : on
VY Amerique Septentrionale. 359.
fon plat. Si celles-ci viennent encore a
mourir, toutes fes propres Sccurs tiénnent
eur place. ‘Sil n’ena point, ila les mémes
prétentions chez les parens de fa Mere,
On a foin de lui garder dans cette Cabane >
fa portion, fur tout quandil y a quelque
chofe de bon, fon penchant le portant or-
dinairement a y demeurer la plus grande
partie de la journce, parce que fa Mere
-& {es Sceurs lui fontplus cheres que fa
Femme. Celle-ci lui porte dans fa cabane
fon plat de viande, Elle doit y porter ou
faire porter dans certaines faifons de l’an-
née vingt outrente charges de petit bois
*fec que l'on coupe proprement , & qui eft
deftiné a faire boiiillir la chaudiere quand
on n’a pas le tems dallumer de gros bois,
_Laffeétion qu'il a pour la cabane de fa
Mere & de fes Sceurs fe rallentic , lorf—
qu'il commence a avoir plufieurs Enfans ;
de forte qu'il n’en fait plus qu'une avec
fa femme, quin’a pas de plus grande con-
folatton que celle d’avoir beaucoup d’en-
fans. C’eft le moyen le plus efficace pour
l’attacher auprés d’elle. Elle aime fi ten-
drement fes enfans , quelle leur donne 4
terer jufqu’a trois a quatre ans. Il eft vrai
qu ils font extremement Uélicats dans ce
bas age ; mais ils“ sviennent dans la fuite
du tems fort robuftes. ©
ne, Jome lt. Gg
460. ‘Hiftoire de.
Sato Iroquois a une troifiéme cabane qui
eft celle ou: fon pere eft né,oul’on ne man-
gue pas de lui prefenter fon plat quand il
wient, Cette cabane eft fon Atonr, comme
qui diroit le lieu d’ov il eft né. 1 yena
une quatrieme qui eft celle de fon cama-
rade ot il va fouvent, car chacun 4 le
fien. Ils fe regalent fouvent les uns les
autres. On fait toujours honneur a lami
de ce qa ‘ily a de meilleur lors qu ‘il vient,
& méme fans étre invite.
Le Saut eft compofe des cing Nations
Jroquoifes , des Aniez, des Onneyouts, _
_des Onnontaguez , das Goyogoiiins , 8
des Tonnontoiians. Ls onrune méme lan-*
gue, avec quelque difference de mots &
de finales ; > ils ont eu connoiflance du De-
Juge & faifoient décendre du Ciel le pre-
raier Homme, ot plutér la premiere Fem=
me , dont les décendans ne durerent que
jalques : A la troifiéme generation. Le De-
luge érant venu les béres fe changerent en
Hommes ; ils ont retenu les Noms de ces
animaux par chaque Famille, & nous en
voyons encor aujourd’hui trois parmi les
Aniez, celle dela Tortue, celle del’ Ours,
8 celle du Loup,
‘On compte: plus de mille [roquois < a tae |
her du Saut, qui a une grande vue au)
mi lieu du Fort, cat le VWieeae eftun “pee
[ Amerique Siptentrlonale: 365
aé Fort, entouré de pieux de dix. hut pieds
de hatte. La Famille la plus nombreufe’
de ces trois tiene ordinairement un cdté
de ce Village, & les deux autres ont le re-
(te. I] doit y avoir autant de cabanes d’un
core que de l’autre. Si la Famille ta plus
grande ne pent occuper tout le rang ‘de la
rué, une partie d'une autre Famille fe
joint au bour, & le refte. fe met vis-a-vis
les cabanes de cette Famille,
Chacun eft. maitre dans fa cabane ,
quiils apellent communement leur feu.
Ils font tous eganx, de forte qu'il n’y a
‘fi Gouverneur ni Chef qui puille prefs
rire des Loix a qui qtie ce foit.
' Chaque état a {es occupations ; les
jeunes gens ont foin de faire les sin Adsl
Hs voneala chafle ou ala Guerre contre
~ Yes Iroquois non Chrétiens. Les vieillards
S'occupent a la peche, < a faire des plats ,
des €cuelles , a traiter ou regler les affai-
tes , foit pour ordre du Village, foit pour
la Guerre , & pour ja Paix, ‘les femmes
abbarent mn bois , prune ore a la campa-
gne & font le ménage, |
Les vieilles fe rendent verierables aux
jeunes filles par leur travail & par l’affi-
duire qu’élles ont a veiller , fe donnant
~certaine autorite par une ie exacte de
reproches, :
Gg 2
362 Hi ftoire de
Chaque Famille a ordinairement un An-
cien, ou plufieurs qui prennent le foin |
des affaires domeftiques ; comme il s eft
acquis de l’experience & de l’eftime , on
lui confie tour ce qui regarde Jinterét
commun. |
Ces Anciens s ‘affemblent fouvent ;
foit pour entretenir union, foit pour les
affaires qui furviennent. Quand elles font
d’importance & qu'elles regardent le bien
public, ils font des cris autour du Fort ,
pour avertic que tout le monde ait |
s’aflembler dans une cabane. Les femmes
écoutent feulement, & les hommes
déliberent. Un Ancien ‘expofe pour lors
le fait dont il s’agir, & dit fon fentiment
fans €tre interrompu ; ‘celui d’une autre
Famille dir le fien julques : a vn troifiéme.
Si quelqu’un veut dire apres fon avis, on
Vécoure. L’aflemblée finie, chacun fe
retire ou s entretient familierement dans
les cabanes de ce qui a été propofé. Ils.
tombent fouvent dans le méme fentiment ; :
& mettant toujours les chofes au pis, ils
ne fe voyent point aia ba dans leurs —
deffeins & entreprifes. Si le fucceza ete
felon Jeurs defirs , ils ont pris en cela lear .
firetre contre ce gu "ils crai ignoient silna!
pas été tel ils ne laiffent pas dictre con,
tens.
l Amerique Septentrionale, 365
_ Les Anciens donnent avis de tour ce
quily aa faire, foit pour quelque feftin ,
ceremonies ou antees coutumes particu
lieres , & perfonne ne les contredit jamais.
Ils fe ldiffenc conduire entierement pat le
Gouverneur general qui les fait venir a
Montreal lorfqu’il s’agit de quelque af-
faire qui regarde le pais, & ils executent
Jes ordres avec docilité. Nous les regare
dons comme le foutien de la Nation Fran-
coife , ils fe joignent avec nous dans les
partis de Guerre, ils font pour lors plus
cruels ennemis des Iroquois non Chrétiens
que nous ne le ferions nous-mémes ,
n'¢pargnant point leurs parens guand ils
tombent fous leurs mains.
La Foi feule les engage de refter par-
-minous. La fage conduite des Jefuires qui
les gouvernent , les entretient dans une
union fi grande , que rien au monde n’eft
plus touchant que de voir la ferveur de
ces nouveaux Chrétiens. Ils ne font en-
femble qu'un méme efprit par toutes les
pratiques de vertu & de piere qui les
uniffent. Ils chantent la grande Mefle &
difent leuts prieres en la langue Algon-
kine,pour éviter une jaloufie qui auroit pad
naitre entre les cinq Nations. Les hom-
mes fe tiennent d’un coré de l’Eglife & les
femmes de Pautre. il yaun Chef de la
: (5 @ 3!
64. : Hiftoire de
priere qui eft comme le grand Chantre ;
qui eft au miliev, rout de bout. Chacun
fe répond alternativement, & I’on y en-
tend fouvent des Cheeurs de mufique.
Le grand commerce de toute la Nou-
velle France fe fair dans la ville de Mont-
real, ott abordent des Nations de cing a
fix cens lieués , que nous apellons nos Al-
liez. Ils commenicent a venir au mois de
Juin en grandes bandes. Les Chefs de
chaque Nation vont d’abord faluér le
Gouverneur , a qui ils font prefent de
quelques Pelleteries, & le prient en mé-
me tems de ne pas fouffrir-qu’on leur ven- —
de trop cher les marchandifes , quoiqu’il
n’en foit pas le maitre, puis quun cha-
cun difpofe du fien comme il le juge a
propos. Ils tiennent une Foire fur le bord
du fleuve , Je long des palifflades de la -
Ville. Des fentinelles empéchent que l’on
n’entre dans leurs cabanes, pour éviter les
chagrins qu’on leur pourroit faire, & pour
leur donner la liberté d’aller & venir dans
la Ville, ot toutes les boutiques leur font —
ouvertes. C’eft a qui fera valoir fon talent.
Les plus fortes amitiez ne laiflent pas de
fz refroidir dans ces momens. Le mouve. —
ment tumulcuewx qui regne pour lors ,
& lenvie que l’on a de faire fon profit ,
diflipe cette ouverture de cour, & a
1
VY Amerique Septentrionale. 365
peine le fils reconnoit quelquefois fon pe-
re. L’un attend au paflage un Sauvage
qu “il voit chargé de Caftors, l’autre J’at-
tire chez lui & compofe da mieux quil
peut. Celui-ci qui eft auffi rafiné que le
Canadien fur le fait de la traite, examine
attentivement ce qu’on lui montre.
Ce commerce dure trois mois a plufieurs
reprifes : On y voit des peaux d’ours, de
-Toups cerviers, chats fauvages , pecans ,
martes , pichioux , loutres , loups de bois ,
renards argentez , peaux de chevreuils ,
de Cerfs , de Squenontous & d’ Orignaux
vertes & *pallées , fur tout du Caftor de
toutes les efpeces.
On leur vend dela poudre, des balles ,
des capottes , des habits a la Frangoife ,
chamarez de dentelles d’or faux, qui leur
donnent une figure tour. a- fait crotefque ,
du vermillon , des chaudieres, des mat-
mites de fer & de cuivre, & eouré forte
de quinquaillerie.
La Ville reflemble pour lors a un en-
fer, par l’air affreux de tous les Sauvages
qui fe matachent plus que jamais, cro-
yant par la fe mettre fur leur propre.
D’ailleurs les hurlemens, le tintamarre ,
Jes querelles & les diffenfions qui farvien’.
nent entreux & nos Iroquois augmentent
encore l’horreur de ces fpedctacles ; car
366 Eiftoive dé |
quelque precaution que l’on prenne pour
empécher les Marchands de leur donner
de l’eau-de-vie , il y a quantité de Sau-
vages qui font ivres morts. |
Quoique les Canadiennes foient en
quelque facon d’un Nouveau Monde,
leurs manieres ne font pas fi bifarres ni fi
fauvages qu’on fe l’imagineroit. Aucon-
traire ce fexe y eft aufli poli qu’en aucun
lien du Royaume. La Marchande tient
de la femme de qualité , & celle d’Ofh-
cier imite en tout le bon gotit que l’on
trouve en France. Il eft difficile de trou-
ver une plus grande union que celle qui
eft entre les femmes d’Officiers.
Les Dames de Quebec n’aiment pas tout
a fait les manieres des Montrealiftes : les
premieres font beaucoup fur la referve, —
principalement les Confeilleres. Ces ¢rats
qui font differens , forment differens ca-
racteres d’efprit: les Montrealiftes ont a
Ja verité des denors plus libres, mais com-
me elles ont plus de franchifes, elles ont
lus de bonne foi, && fone trés-fages 8¢
tres judicieufes, i
Le Canadien a d’affez bonnes qualitez,
il aime la guerre plus que tout autre cho- —
fe’, il eft bravede fa perfonne, il ade la
difpofition pour les Arts, & pour peu quil ©
foit inftruit il aprendaifement ce quon-
r Amerique Septentrionale, ‘6 F
lui enfeigne ; maisil eft un peu vaiu & pré-
fomptueux ; fl aime te bien, il le dépenfe
aflez mala propos. Ceux que l'on apelle
des Coureurs de bois; qui alloient il y a
quelques années en hae ts aux Ouraotiaks;
ceux-ci dépenfent fort vite ce quiils ont
gaone en peu de temps, & rien ne leur
coute quand ils ont dequoi. Quand je bla.
me le Canadien d’avoir trop d attache au
bien il eft un peuexcufable, car le pais de
‘Canada n’eft pas riche, ee en cherche
felon fon induftrie, & Pies le commerce du
Caftor la plus srande partie ne pourrois
vivre du revenu de fes terres.
Sa Majette fair fubGifter une bonne par-
tie du pais, foit Convens, foit particuliers,
par des penfions & des gratifications. Qua-
tre cefis mille francs qui ih envoye tous leg
ans ,nelaiffent pas d’étre d'un grand fea
cours, Les Officiers qui font mariez ne
foltiennent leurs familles que de leurs a=
pointemens;, leurs femmes sia ta plaindre
quand ils viennent 2 mourir : les Troupes
font d’un décachement de la Marine,coms
pofées de vingt- huit Compagnies. ia pre-
mieres qui arriverent en Canada €roient
du Regiment de Carignan-Salieres, & de
vingt- quatre Compagnies qui y étoient J
on en fit repafler en France au bout de trois
ans , & les quatre qui demeurerent furent
288 ui Hiftoire de H
compofées de 7s. hommes chacune: 1 y
eut plus de trois cens perfonnes dece Re-
giment qui s érablirent dans le pais, Ces
quatre Compagnies furent éencor refor-
mies quelques années aprés, dont la pluf-
part des reformez firent des habitations,
Celles-ci farent remplacées la méme an-
née par quatre autres Compagnies. Les .
Officiers qui ne voulurent point paffer en
France-eurent des conceffions de terre, &
quelques liberalirés que Sa Majefté leur fits
Le Canada fut long-temps fans Trou-
pes, jotiilant dune profonde Paix, qui du-
ra vingtans. Je ne fuis pas farpris, Ma-
dame, {i les Canadiens ont tant de valeur,
puilque la plafpart. viennent d Officiers &
de ces Soldats qui fortoient d’ un des plus
beaux Regimens de France. Le pais s'eft
beaucoup augmenté depuis ce temps la.
On y compte prefentement quinze mille
habitans. * L’étendué de la Colonie eft
depuis le haut de I’Ifle de Montreal juf-
ques a VIfle Percée, a V'embouchiire du
fleuve faint { sdrene De V’una autre il y
3 environ 180 lieués. Ce fleuve eft {ans
pare non feulement par fon étendué ,
mais par tous les lacs qu'il forme. Sa four.
ée eft bien loin au Nord-Oiieft, dans des
Savannes & des Marais, ou fe forment
+ En mil fept censs
=
P Amerigue Septentrionale. 369
plufieurs rivieres, qui fe retiniflant font le
Jac des A/finiboels , duquel fort une gran-
de riviere, qui apres avoir par. un grand dé-
tour paflé dans le lac des Chriffinaux, puis
dans celui d’ Alemipigon, vient enfin fe jet-
ter dans le lac Superieur, quia 4yso. licueés
de tour, fur 70. de largeur. Ce grand &
fameux lac tombe dans le lac Huron, par
un canal de quatorze lieués de longueur, -
dans lequelil ya une chute d’eauquel’on.
apelle le Saut Sainte Adarie. Le lac Hu-
ron qui a trois a quatre cens lieués de cir-
cuit, fur plus de cinquante delargeur, fe
décharge dans le lac des Iflinois , connu
fous lefiom du AZ écheygan, qui a prefque
la méme érendue. Le dégorgement de ces
deux lacs tombe dans le lac Hrerier , qui
a trente a quarante pieds de largeur , fur
prés de trois cens de circuit La Naviga-
tion yeft trés dangereufe par tous fes bords
_ efcarpez, qui font de terre glaife; les Flots’
-venant a fe brifer contre rendent l'eau fi
bourbeufe , que les Voyageurs fouffrent
& rifquent beaucoup. Un detroit de vingt
lieués de long, large d'une portée de fulil
boucanier dans le plus referré, forme le
Saur de Niagara, quieft yne des merveil-
les dela nature. Sa nape d’eau a dix ar-
pens de face, & fa chute fait un bruit que
l’on entend a quinze lieués loin. Le lag
Me
; “5
370 Hiftoire del’ Amerique Septent.
Ontario , ou Frontenac, qui eft le plug
etic de ‘oes , eft le dein tier de ce fleuve ,
_ n'a quenviron deux cens cinquante
lieués de tour, fur trente a-trente cing ,
dans fa plus orande largtur, fa fortie for.
me un trés-beau tapide, fuivi de plufeurs
autres jufques a Montreal. Nous avons
_dans ce lac le Fort de Frontenac , qui por-
te le nom d’un Gouverneur- General de la
Nouvelle France, il le fit batir pour tenir
en bride les [roquois pendant la Guerre
dans leurs partis de Chafle, & pour les
engager en temps de Paix d’entretenir un
commerce d’amitié avec les Frangois, Je
fuis avec c beaucoup de refpect,
MADAME,
wédtre trés-humble , &e.
Fin du premier Tome.
‘A ala ne Ne A NA r A Ny V 5 e
mA e oy A NANA AA At Vex A a i EE =.
ae Neale3 arenes ea aidleneate NG REN GEC
: e se>e = aeses $ et do ° e 6 ° *
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RO9} PEDOBVODPODVIO, ViEVCRE TE, 939; O9: 695
| SASS AS AS SS: FEE EE: SEE BEBE
ae
DES LETTRES
CONTENUVES
DANs CE PREMIER TOME.
Wy Artance de la Rochelle. Circonftances
oparticulieres pendans la traverfe, def-
criptvon de Plasfance dans 1’ Ifle de
‘Terre- Nenve , & de fon Commerce.
ak " Page 1
weet f RBs PT. -
Deftruction prefqu entiere de la Colonie
Angloife enV ifle de Terre- Neuve sen
1696 5@ 1697. EB
Laer RE ltl,
Defeription dudétroit dela Baye d Hudfon.
Tome I, i B
: oT A Bae.
— Evenemens confiderables.
Wouvelle découverte. ci
Nouvelle alliance avec les Efquimaux cu
Cap de Digue, aw 62. degré 45.minn-
ses latitude Nord. © © > %.
Combat du Profond dans les glaces » con-
tre les Anglos. — 9G ~
LE TRE AY,
Combat du Pelican coutre 1 Hamshuer de
56. le Dering de 36. & UV Hudfonfbaye
de 32. pieces de Canons. |
Vittowe remportée fur ces trois Vaiffeamn.
Naufrage du Pelican par la tempete.
Bombardement & prife dv Fort de Nelfon.
3 8
LE Fst RB. Baime ig
“areurs des Sauvages» qur viennent farra
la traite aw Fort de Nelfon. — ils
LETTRE We
Lorigine des établiffemens du N ord du Ca-
nada, dite Baye d Hudfon, avec les dtf-
ferens mouvemens qui fe sont paffex entre
les Francois & les Anglops. ° 339
DES LETTRES
— LETTRE -VIL
Détail My Peuples qui viennent faire la
traite aw Fort de Nelfon.
Ceremome que l'on fait pour ondorir le Com-
merce des Pelleteries. 17 2
Perr ee vir
Retour en France.
Defcription dane sNekpges qui régne a la
Baye a Hydfon, 18 2
Lee toR EY.
Defeription du Flenve faint Laurent juf-
qua Quebec » Capitale de la nouvelle
France.
De quelle manzere les Francois ont conn }
ce Continent , & le progrex que lon y
a fat powrla Fou | lg Be
LET TRE X,
Gouvernement de Quebec» ville Capitale
de la Nouvelle krance«
Idée du Commerce.
Caractere des Canadiens, & la manvere dont
Us font lear établiffement par les Caftors.
2219
TABLE DES LETTRES.
LETTRE Xt
Lé gouvernement des. Tee: Risieves cone
concernant la deftruttion des Algonkinss )
peuples del AS Septentrionale 2
par les Troquois.
Les interets communs entve les Algonkins
& les Frangots. Oe cig sie ws
LETTRE Tt.
Gouvernement de LIfe de Monreal.
Décail de toutes les cores. de ce Louvera
MEF OS. ee
Plufiewrs ations paffées entre les cies |
@ les Iroquois. |
Etabliffement des ee Chressens a
AMontreale ee | 31
Fin de “s Table da premier Tome.